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TROISIÈME SERMON
POUR
LES TROIS DERNIERS JOURS
DE LA SEMAINE DE LA PASSION,
SUR L'INTÉGRITÉ DE LA PÉNITENCE (a).
Stans retro secus pedes ejus, lacrymis coepit rigare
pedes ejus.
Madeleine se jetant aux pieds de Jésus, commence à les
laver de ses larmes. Luc, VII, 38.
Est-ce une chose croyable que
l'esprit de séduction soit si puissant dans les hommes, que non-seulement ils se
plaisent à tromper les autres, mais qu'ils se trompent eux-mêmes, que leurs
propres pensées les déçoivent, que leur propre imagination leur impose ? Il est
ainsi, chrétiens, et cette erreur paraît principalement dans l'affaire de la
pénitence.
1 Matth., III, 10.
(a) Prêché en 1662, devant la Cour.
Voy. la note du premier sermon pour les trois
derniers jours de la Passion, P. 450, 451.
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Il y a de certains pécheurs que
leurs plaisirs engagent, et cependant que leur conscience inquiète; qui ne
peuvent ni approuver ni changer leur vie ; qui n'ont nulle complaisance pour la
loi de Dieu, mais que ses menaces étonnent souvent et les jettent dans un
trouble inévitable qui les incommode. Ce sont ceux-là, chrétiens, qui se
confessant sans utilité, font par coutume un amusement sacrilège du sacrement de
la pénitence, semblables à ces malades faibles d'esprit et de corps, qui ne
pouvant jamais se résoudre m à quitter les remèdes, ni à les prendre de bonne
foi, se jettent dans les pratiques d'une médecine qui les tue. C'est une
semblable illusion qui nous fait voir tous les jours tant de fausses
conversions, tant de pénitences trompeuses, qui bien loin de dé-her les
pécheurs, les chargent de nouvelles chaînes. Mais j'espère que Madeleine, ce
modèle de la pénitence, dissipera aujourd'hui ces fantômes de pénitents et
amènera au Sauveur des pénitents véritables. Implorons pour cela le secours d'en
haut parles prières de la sainte Vierge.
Le cœur de Madeleine est brisé,
son visage tout couvert de honte, son esprit profondément attentif dans une vue
intime de son état et dans une forte réflexion sur ses périls (a). La
douleur immense qui la presse fait qu'elle court au médecin avec sincérité ; la
honte qui l’accompagne fait qu'elle se jette à ses pieds (b) avec
soumission ; la connaissance de ses dangers fait quelle sort d'entre ses mains (c)
avec crainte, et qu'elle n'est pas moins occupée des moyens de ne tomber plus
que de la joie d'avoir été si heureusement et si miséricordieusement relevée. De
là, Messieurs, nous pouvons apprendre trois dispositions excellentes, sans
lesquelles la pénitence est infructueuse. Avant que de confesser nos péchés,
nous devons être affligés de nos désordres ; en confessant nos pèches, nous
devons être honteux de nos faiblesses; après avoir confessé nos péchés, nous
devons être encore étonnés de nos périls et de toutes les tentations qui nous
menacent.
(a) Var. : Profondément attentif sur lui-même
dans une vue intime de son état et dans une forte réflexion sur tous ses
extrêmes périls. — (b) La confusion qui la couvre fait quelle s'abaisse à
ses pieds..... — (c) De sa compagnie.
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Ames captives du péché, mais que
les reproches (a) de vos consciences pressent de recourir au remède,
Jésus a soif de votre salut. Il vous attend avec patience dans ces tribunaux de
miséricorde que vous voyez auprès des saints autels (b) ; mais il faut en
approcher avec un cœur droit. Plusieurs ont une douleur qui ne les change pas,
mais qui les trompe ; plusieurs ont une honte qui veut qu'on la flatte, et non
pas qu'on l'humilie ; plusieurs cherchent dans la pénitence d'être déchargés du
passé, et non pas d'être fortifiés pour l'avenir (c) : ce sont les trois
caractères de fausses conversions, et la véritable pénitence a trois sentiments
opposés. Devant la confession sa douleur lui fait prendre toutes les résolutions
nécessaires, et dans la confession sa honte lui fait subir toutes les
humiliations qui lui sont dues, et après la confession sa prévoyance lui fait
embrasser toutes les précautions qui lui sont utiles : et c'est le sujet de ce
discours.
PREMIER POINT.
Plusieurs frappent leur poitrine
; plusieurs disent de bouche et pensent quelquefois dire de cœur ce Peccavi
tant vanté, que les pécheurs trouvent si facile. Judas l'a dit devant les
pontifes, Saül l'a dit devant Samuel, David l'a dit devant Nathan; mais des
trois il n'y en a qu'un qui l'ait dit d'un cœur véritable. Il y a de feintes
douleurs par lesquelles le pécheur trompe les autres, il y a des douleurs
imparfaites par lesquelles le pécheur s'impose à lui-même, et je pense qu'il n'y
a. aucun tribunal devant lequel il se dise plus de faussetés que devant celui de
la pénitence.
Le roi Saül repris hautement par
Samuel le prophète d'avoir désobéi à la loi de Dieu, confesse qu'il a péché : «
J'ai péché, dit-il, grand prophète, en méprisant vos paroles et les paroles du
Seigneur ; mais honorez-moi devant les grands et devant mon peuple, et venez
adorer Dieu avec moi : » Peccavi; sed nunc honora me coràm senioribus populi
mei et coràm Israel (1). Honorez-moi devant le peuple ; c'est-à-dire ne me
traitez pas comme un réprouvé,
1 I Reg., XV, 30.
(a) Var. : Les angoisses. — (b) Que
vous voyez aux environs des saints autels; — que vous voyez érigés de toutes
parts à l'entour des saints autels. — (c) D'être munis contre l'avenir.
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de peur que la majesté ne soit ravilie. C'est en vain qu'il
dit : J'ai péché; sa douleur, comme vous voyez, n'était qu'une feinte et une
adresse de sa politique. Ah! que la politique est dangereuse et que les grands
doivent craindre qu'elle ne se mêle toujours trop avant dans le culte qu'ils
rendent à Dieu! Elle est de telle importance, que les esprits sont tentés d'en
faire leur capital et leur tout. Il faut de la religion pour attirer le respect
des peuples ; prenez garde, ô grands de la terre, que cette pensée n'ait trop de
part (a) aux actes de piété et de pénitence que vous pratiquez. Il est de
votre devoir d'édifier les peuples; mais Dieu ne doit pas être frustré de son
sacrifice, qui est un cœur contrit véritablement et affligé de ses crimes.
Mais je vous ai dit, chrétiens,
qu'il y a encore une tromperie plus fine et plus délicate, par laquelle le
pécheur se trompe lui-même. O Dieu! est-il bien possible que l'esprit de
séduction soit si puissant dans les hommes, que non-seulement ils trompent les
autres, mais que leurs propres pensées les déçoivent? Il n'est que trop
véritable. Non-seulement, dit Tertullien, nous imposons à la vue des autres, «
mais même nous jouons notre conscience : » Nostram quoque conscientiam
ludimus (1). Oui, Messieurs, il y a deux hommes dans l'homme, aussi inconnus
l'un à l'autre que seraient deux hommes différons : il y a deux cœurs dans le
cœur humain ; l'un ne sait pas les pensées de l'autre ; et souvent, pendant que
l'un se plaît au péché, l'autre contrefait si bien le pénitent, que l'homme
lui-même ne se connaît pas, « qu'il ment, dit saint Grégoire , à son propre
esprit et à sa propre conscience : » Plerumque sibi de se ments ipsa mentitur
(2). Mais il faut expliquer ceci et exposer à vos yeux ce mystère d'iniquité.
Le grand pape saint Grégoire
nous en donnera l'ouverture par une excellente doctrine, dans la IIIe partie de
son Pastoral. Il remarque judicieusement (b) à son ordinaire, que comme
Dieu dans la profondeur de ses miséricordes laisse quelquefois dans ses
serviteurs des désirs imparfaits du mal, pour les enraciner dans l'humilité,
aussi l'ennemi de notre salut dans la profondeur de ses
1 Ad Nation., lib. I, n. 10. — 2
Pastor., 1 part., cap. IX.
(a) Var. : Ne se mêle trop. — (b)
Sagement.
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malices laisse naître souvent dans les pécheurs un amour
imparfait de la justice , qui ne sert qu'à nourrir leur présomption. Voici
quelque chose de bien étrange et qui nous doit faire admirer les terribles
jugements de Dieu. Ce grand Dieu, par une conduite impénétrable, permet que ses
élus soient tentés, qu'ils soient attirés au mal, qu'ils chancèlent même dans la
droite voie, (a) et il les affermit par leur faiblesse; et quelquefois il
permet aussi que les pécheurs se sentent attirés au bien, qu'ils semblent même y
donner les mains, qu'ils vivent tranquilles et assurés, et par un juste jugement
c'est leur propre assurance qui les précipite. Qui ne tremblerait devant Dieu?
Qui ne redouterait ses conseils? Par un conseil de sa miséricorde, le juste se
croit pécheur, et il s'humilie; et par un conseil de sa justice, le pécheur se
croit juste, et il s'enfle, et il marche sans crainte, et il périt sans
ressource. Ainsi le malheureux Balaam admirant les tabernacles des justes,
s'écrie comme touché de l'Esprit de Dieu : « Que mon âme meure de la mort des
justes (1) ! » Est-il rien de plus pieux que ce sentiment ? Mais après avoir
prononcé leur mort bienheureuse, il donne aussitôt après des conseils pernicieux
contre leur vie : « Ce sont les profondeurs de Satan; » Altitudines Satanae,
comme les appelle saint Jean dans l’Apocalypse. Tremblez donc, tremblez,
ô pécheurs (b), qu'une douleur imparfaite n'impose à vos consciences; et
que « comme il arrive souvent que les bons ressentent innocemment l'attrait du
péché, auquel ils craignent d'avoir consenti, ainsi vous ne ressentiez en
vous-mêmes un amour infructueux de la pénitence, auquel vous croyez faussement
vous être rendus. » Ita plerumque mali inutiliter compunguntur ad justitiam,
sicut plerumque boni innoxiè tentantur ad culpam (3), dit excellemment saint
Grégoire.
Que veut dire ceci, chrétiens?
Quelle est la cause profonde d'une séduction si subtile? Il faut tâcher de la
pénétrer pour appliquer le remède et attaquer le mal dans sa source (c).
Pour l'entendre, il faut remarquer que les saintes vérités de Dieu et la crainte
de
1 Numer., XXIII, 10. — 2 Apoc.,
II, 24. — 3 Pastor., III part., cap. XXX.
(a) Note marg. : Ils croient assez souvent
que leur volonté leur est échappée. — (b) Var.: Prenez donc garde,
ô pécheurs.— (c) Et guérir le mal par les principes.
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ses jugements font deux effets dans les âmes : elles les
chargent d'un poids accablant, elles les remplissent de pensées importunes.
Voici, Messieurs, la pierre de touche. Ceux qui veulent se décharger de ce
fardeau ont la douleur véritable ; ceux qui ne songent qu'à se défaire de ces
pensées ont une douleur trompeuse. Ah ! je commence à voir clair dans l'abîme du
cœur humain : ne craignons pas d'entrer jusqu'au fond à la faveur de cette
lumière.
Il est donc vrai, chrétiens,
qu'il y a de certaines âmes (a) à qui l'enfer fait horreur au milieu de
leurs attaches criminelles, et qui ne peuvent supporter la vue de la main de
Dieu armée de ses foudres contre les pécheurs impénitents. Ce sentiment est
salutaire; et pourvu qu'on le pousse où il doit aller, il dispose puissamment
les cœurs à la grâce de la pénitence. Mais voici la séduction. L’âme troublée et
malade, mais qui ne sent sa maladie que par son trouble, songe au trouble qui
l'incommode, plutôt qu'au mal qui la presse. Cet aveuglement est étrange; mais
si vous avez jamais rencontré de ces malades fâcheux qui s'emportent contre un
médecin qui veut arracher la racine du mal, et qui ne lui demandent autre chose
sinon qu'il apaise la douleur, vous avez vu quelque image des malheureux dont je
parle. La fête avertit tous les chrétiens d'approcher des saints sacrements.
S'en éloigner dans un temps si saint, c'est se condamner trop visiblement. Et en
effet, chrétiens, cet éloignement est horrible. La conscience en est inquiète,
et en fait hautement ses plaintes ; plusieurs ne sont pas assez endurcis pour
mépriser ces reproches, ni assez forts pour oser rompre leurs liens trop doux et
leurs engagements trop aimables. Ils songent au mal sensible, et ils négligent
le mal effectif; ils pensent à se confesser pour apaiser (b) les
murmures, et non pour guérir les plaies de leur conscience, et moins pour se
décharger du fardeau qui les accable que pour se délivrer promptement des
pensées qui les importunent (c). C'est ainsi qu'ils se disposent à la
pénitence.
On a dit à ces pécheurs, on leur
a prêché qu'il faut regretter leurs
(a) Var. : Par exemple, il y a de certaines
âmes.....— (b) Pour endormir. — (c) Et plutôt pour se délivrer des
pensées qui les incommodent que pour se décharger du fardeau qui les accable.
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crimes; et ils cherchent leurs regrets dans leurs livres;
ils y prennent leur acte de contrition ; ils tirent de leur mémoire les paroles
qui l'expriment (a), ou l'image des sentiments qui le forment; et ils les
appliquent pour ainsi dire sur leur volonté, et ils pensent être contrits de
leurs crimes : ils se jouent de leur conscience pour se rendre agréables à Dieu.
Il ne suffît pas, chrétiens, de tirer de son esprit, comme par machine, des
actes de vertu forcés, ni des directions (b) artificielles. La douleur de
la pénitence doit naître dans le fond du cœur, et non pas être empruntée de
l'esprit ni de la mémoire. Elle ne ressemble pas à ces eaux que l'on fait jouer
par machines et par artifice; c'est un fleuve qui coule de source, qui se
déborde, qui arrache, qui déracine, qui noie tout ce qu'il trouve; elle fait un
saint ravage qui détruit le ravage qu'a fait le péché ; aucun crime ne lui
échappe : elle ne fait pas comme Saül, qui massacrant les Amalécites, épargne
ceux qui lui plaisent.
Il y a souvent dans le cœur des
péchés que l'on sacrifie, mais il y a le péché chéri ; quand il le faut égorger,
le cœur soupire en secret et ne peut plus se résoudre. La douleur de la
pénitence le perce (c) et l'extermine sans miséricorde. Elle entre dans
l’âme comme un Josué dans la terre des Philistins; il détruit, il renverse tout.
Ainsi la contrition véritable. Et pourquoi cette sanglante exécution ? C'est
qu'elle craint la componction d'un Judas, la componction d'un Antiochus, la
componction d'un Balaam; componctions fausses et hypocrites, qui trompent la
conscience par l'image d'une douleur superficielle. La douleur de la pénitence;
a entrepris de changer Dieu; mais il faut auparavant changer l'homme, et Dieu ne
se change jamais que par l'effort de ce contrecoup. Vous craignez la main de
Dieu et ses jugements, c'est une sainte disposition ; le saint concile de Trente
veut aussi que cette crainte vous porte à détester tous vos crimes (1), à vous
affliger de tous vos excès, à haïr de tout votre cœur votre vie passée. Il faut
que vous gémissiez de vous voir dans un état si contraire à la justice, à la
sainteté, à l'immense charité de Dieu, à la grâce du christianisme, à la foi
donnée, à la foi reçue, au traité de paix
1 Sess. XIV De Poenit., cap. IV De Contr.,
et Can. V.
(a) Var. : Qui le composent. — (b) Des
intentions. — (c) Le tue.
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solennel que vous avez fait avec Dieu par Jésus-Christ. Il
faut que vous renonciez simplement et de bonne foi à tous les autres
engagements, à toutes les autres alliances, à toutes les paroles données contre
vos premières obligations. Le faisons-nous, chrétiens? Nous le disons à nos
confesseurs; mais nos œuvres diront bientôt le contraire.
« Ah! que ceux-là sont heureux,
dit le saint Psalmiste, dont les péchés sont couverts (1) ! » C'est, Messieurs,
la douleur de la pénitence qui couvre à Dieu nos péchés. Mais que j'appréhende
que nous ne soyons de ces pénitents dont Isaïe a dit ces mots : « Ils n'ont
tissu, dit ce saint prophète, que des toiles d'araignées : » Telas araneœ
texuerunt...: (a) « leurs toiles ne leur serviront pas de vêtements,
leurs œuvres ne les couvriront pas ; car leurs pensées sont des pensées vaines,
et leurs œuvres des œuvres inutiles. » Voilà une peinture trop véritable de
notre pénitence ordinaire. Chrétiens, rendons-nous capables de présenter au
Sauveur Jésus des fruits dignes de pénitence, ainsi qu'il nous l'ordonne dans
son Evangile ; non des désirs imparfaits, mais des résolutions déterminées; non
des feuilles que le premier tourbillon emporte, ni des fleurs que le soleil
dessèche. Pour cela brisons devant lui nos cœurs, et brisons-les tellement que
tout ce qui est dedans soit anéanti : « Brisons, dit saint Augustin, ce cœur
impur, afin que Dieu crée en nous un cœur sanctifié : » Ut creetur mundum
cor, conteratur immundum (1). Si nous sommes en cet état, courons,
Messieurs, avec foi au tribunal de la pénitence; portons-y notre douleur, et
tâchons de nous y revêtir de confusion.
SECOND POINT.
C'est une règle de justice que
l'équité même a dictée, que le pécheur doit rentrer dans son état pour se rendre
capable d'en sortir. Le véritable état du pécheur, c'est un état de confusion et
de honte. Car il est juste et très-juste que celui qui fait mal soit confondu ;
que celui qui a trop osé soit couvert de honte ; que
1 Psal. XXXI, 1. — 2 Serm.
XIX, n. 3.
(a) Note marg. : Telae eorum
non erunt in vestimentum, neque operientur operibus suis; opera eorum
inutilia..., cogitationes eorum cogitationes inutiles (Isa., LIX,
5,6,7).
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celui qui est ingrat n'ose paraître ; enfin que le pécheur
soit déshonoré, non-seulement par les autres, mais par lui-même, par la rougeur
de son front, par la confusion de sa face, par le tremblement de sa conscience.
Le pécheur est sorti de cet état, quand il a paru dans le monde la tête élevée,
avec toute la liberté d'un front innocent. Il est juste qu'il rentre dans sa
confusion; c'est pourquoi toutes les Ecritures lui ordonnent de se confondre :
Confundimini, confundimini, domus Israël (1): « Confondez-vous,
confondez-vous, maison d'Israël, » parce que vous avez péché devant le Seigneur.
Pour bien comprendre cette
vérité, disons avant toutes choses ce que c'est que la confusion, et pourquoi
elle est due aux pécheurs. La confusion, chrétiens, est un jugement équitable
rendu par la conscience, par lequel le pécheur ayant violé ce qu'il y a de plus
saint, méprisé ce qu'il y a de meilleur, trahi ce qu'il y a de mieux faisant,
est jugé indigne de paraître. Quel est le motif de cet arrêt ? C'est que le
pécheur s'étant élevé contre la vérité même, contre la justice même, contre
l'être même qui est Dieu, dans son empire, à la face de ses lois et parmi ses
bienfaits, il mérite de n'être plus, et à plus forte raison de ne plus paraître.
C'est pourquoi sa propre raison lui dénonce qu'il devrait se cacher
éternellement, confondu par ses ingratitudes. Et afin de lui ôter cette liberté
de paraître, elle va imprimer au dehors dans la partie la plus visible, la plus
éminente, la plus exposée, sur le visage, sur le front même, (a) une
rougeur qui le déshonore et qui le flétrit; elle va, dis-je, imprimer je ne sais
quoi de déconcerté, qui le défait aux yeux des hommes et à ses propres yeux ;
marque certaine d'un esprit troublé, d'un courage tremblant, d'un cœur inquiet,
d'une conscience convaincue.
Le pécheur superbe et indocile
ne peut souffrir cet état de honte, et il s'efforce d'en sortir. Pour cela, ou
bien il cache son crime, ou il excuse son crime, ou il soutient hardiment son
crime. Il le cache comme un hypocrite ; il l'excuse comme un orgueilleux ; il le
soutient
1 Ezech., XXXVI, 32.
(a) Note marg. : Non point à la vérité par un
fer brûlant, mais par le sentiment de son crime comme par une espèce de fer
brûlant.
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tient comme un effronté. C'est ainsi qu'il sort de son état
et qu'il usurpe impudemment à la face du ciel et de la terre les privilèges de
l'innocence; c'est ainsi qu'il tâche d'éviter la honte : le premier par
l'obscurité de son action, le second par les artifices de ses vains prétextes (a),
le dernier par son impudence. Ainsi au jugement dernier sera rendue aux
pécheurs, à la face de tout l'univers, l'éternelle confusion qu'ils ont si bien
méritée : là tous ceux qui se sont cachés seront découverts ; là tous ceux qui
se seront excusés seront convaincus ; là tous ceux qui étaient si fiers et si
insolents dans leurs crimes seront abattus et atterrés. Voici l'oracle de la
justice qui lui crie : Rentre en toi-même, pécheur, rentre en ton état de honte
; tu veux cacher ton péché, et Dieu t'ordonne de le confesser ; tu veux excuser
ton péché, et bien loin d'écouter ces vaines excuses, Dieu t'ordonne d'en
exposer toutes les circonstances aggravantes ; tu oses soutenir ton péché, et
Dieu t'ordonne de te soumettre à toutes les humiliations qu'il a méritées : «
Confonds-toi, confonds-toi, dit le Seigneur, et porte ton ignominie : » Ergo
et tu confundere, et porta ignominiam tuam (1).
Ne vous plaît-il pas, chrétiens,
que nous mettions dans un plus grand jour ces importantes vérités? Ce pécheur,
cette pécheresse, pour éviter de se cacher, tâche plutôt de cacher son crime
sous le voile de la vertu, ses trahisons et ses perfidies sous le titre de la
bonne foi, ses prostitutions et ses adultères sous l'apparence de la modestie (b).
Il faut qu'il vienne rougir non-seulement de son crime caché, mais de son
honnêteté apparente. Il faut qu'il vienne rougir de ce qu'ayant assez reconnu le
mérite de la vertu (c) pour la vouloir faire servir de prétexte, il ne
l'a pas assez honorée (d) pour la faire servir de règle. Il faut qu'il
vienne rougir d'avoir été si timide que de ne pouvoir soutenir les yeux des
hommes, et toutefois si hardi et si insensé que de ne craindre pas la vue de
Dieu : Ergo et tu confundere, et porta ignominiam tuam : « Confonds-toi
donc, ô pécheur, et porte ton ignominie. »
Mais ce pécheur qui cache aux
autres ses désordres voudrait se
1 Ezech., XVI, 52.
(a) Var. : Par ses excuses. — (b) Sous
la couleur de la continence..... —
(c) Assez estimé la vertu. — (d) Estimée
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les pouvoir cacher à lui-même ; il cherche toujours quelque
appui fragile sur lequel il puisse rejeter ses crimes. Il en accuse les étoiles,
dit saint Augustin (1) : — Ah ! je n'ai pu vaincre mon tempérament; il en accuse
la fortune, c'est-à-dire une rencontre imprévue; il en accuse le démon : —J'ai
été tenté trop violemment.— Il l'ait quelque chose de plus; il demande qu'on lui
enseigne les voies détournées où il puisse se sauver avec ses vices et se
convertir sans changer son cœur : « il dit, remarque Isaïe, à ceux qui regardent
: Ne regardez pas; et à ceux qui sont préposés pour voir : Ne voyez pas pour
nous ce qui est droit; dites-nous des choses qui nous plaisent; trompez-nous par
des erreurs agréables : » Qui dicunt videntibus : Nolite videre; et
aspicientibus : Nolite aspicere nobis ea quœ recta sunt ; loquimini nobis
placentia; ridete nobis errores (2). « Otez-moi cette voie, elle est trop
droite; ôtez-moi ce sentier, il est trop étroit : » Auferte à me viam,
declinate à me semitam (3). Ainsi par une étrange illusion, au lieu que la
conversion véritable est que le méchant devienne bon et que le pécheur devienne
juste, il imagine une autre espèce de conversion, où le mal se change en bien,
où le crime devienne honnête, où la rapine devienne justice. Et si la conscience
ose murmurer contre ses vaines raisons, il la bride, il la tient captive, il lui
impose silence. Ergo et tu confundere : « Viens te confondre; ô pécheur !
» viens, viens au tribunal de la pénitence, pour y porter ton ignominie,
non-seulement celle que mérite l'horreur de tes crimes, mais celle qu'y doit
ajouter la hardiesse insensée de tes excuses. Car est-il rien de plus honteux
que de manquer de fidélité (a) à son Créateur, à son Roi, à son
Rédempteur, et pour comble d'impudence, oser encore excuser de si grands excès
et une si noire ingratitude (b) ?
1 In
Psal. CXL. — 2 Isa., XXX, 10. — 3
Ibid., 11.
(a) Var. : De foi. — (b) Note marg.
: Adam dans le plus épais de la forêt. S'ils ne peuvent se cacher non plus que
lui..., s'excuser à son exemple. Eve. La fragilité. La complaisance. La
compagnie. La tyrannie de l'habitude. La violence de la passion. Ainsi on n'a
pas besoin de se tourmenter à chercher bien loin des excuses, le péché s'en sort
à lui-même et prétend se justifier par son propre excès.
Quelquefois convaincus en leur conscience de l'injustice de
leurs actions, ils veulent seulement amuser le monde; puis se laissant emporter
eux-mêmes à leurs belles inventions, ils se les impriment en les débitant, et
adorent le vain fantôme qu'ils ont supposé en la place de la vérité; « tant
l'homme se joue soi-même et sa propre conscience : » Adeo nostram quoque
conscientiam ludimus (Tertull., Ad Nation., lib. I, n. 16).
Dieu est lumière, Dieu est vérité, Dieu est justice. Sous
l'empire de Dieu ce ne sera jamais par de faux prétextes, mais par une humble
reconnaissance de ses péchés qu'on évitera la honte éternelle qui en est le
juste salaire, le rayon très-clair de lumière et de vérité sortira du trône,
dans lequel les pécheurs verront qu'il n'y a point d'excuse valable qui puisse
colorer leur rébellion ; mais au contraire que le comble du crime, c'est
l'audace de l'excuser et la présomption de le défendre : Discooperui Esaü,
revelavi abscondita ejus, et celari non poterit (Jerem., XLIX, 10) : « J'ai
dépouillé le pécheur, j'ai dissipé les fausses couleurs par lesquelles il avait
voulu pallier ses crimes ; j'ai manifesté ses mauvais desseins si subtilement
déguisés, et il ne peut plus se couvrir par aucun prétexte : » Dieu ne lui
laisse plus que son péché et sa honte.
Il veut que la censure soit exercée et que les pécheurs
soient repris, « parce que, dit saint Augustin, s'il y a quelque espérance de
salut pour eux. c'est par là que doit commencer leur guérison ; et s'ils sont
endurcis et incorrigibles, c'est par là que doit commencer leur supplice,» (De
Corrept. et grat., cap. XIV, n. 43) .
Cherchez donc des amis, et non des flatteurs; des juges, et
non des complices; des médecins, et non des empoisonneurs : ne cherchez ni
complaisance, ni adoucissement, ni condescendance ; venez, venez rougir, tandis
que ta honte est salutaire; venez vous voir tels que vous êtes, afin que vous
ayez horreur de vous-mêmes, et que confondus par les reproches, vous vous
rendiez enfin dignes de louanges.
491
Et toi, pauvre conscience
captive, dont on a depuis si longtemps étouffé la voix, parle, parle devant ton
Dieu; parle, il est temps ou jamais, de rompre ce silence violent que l'on
t'impose. Tu n'es point dans les bals, dans les assemblées, dans les
divertissements, dans les jeux du monde; tu es dans le tribunal de la pénitence
; c'est Jésus-Christ lui-même qui te rend la liberté et la voix, il t'est permis
de parler devant ses autels. Raconte à cette impudique toutes ses dissolutions,
à ce traître toutes ses promesses violées (a), à ce voleur public toutes
ses rapines, à cet hypocrite qui trompe le monde les détours (b) de son
ambition cachée, cà ce vieux pécheur endurci qui avale l'iniquité comme l'eau,
la longue suite de ses crimes; fais rougir ce front d'airain, montre-lui tout à
coup d'une même vue les commandements, les rébellions, les avertissements, les
mépris, les grâces, les méconnaissances, les outrages redoublés parmi les
bienfaits, l'aveuglement accru par les lumières, enfin toute la beauté de la
vertu, toute l'équité du précepte avec toute l'infamie de ses transgressions, de
ses infidélités, de ses crimes. Tel doit être l'état du pécheur, quand il
confesse ses péchés. Qu'il cherche à se confondre lui-même; s'il
(a) Var. : Ses paroles infidèles. — (b)
La honte.
492
rencontre un confesseur dont les paroles efficaces le
poussent en l'abîme de son néant, qu'il s'y enfonce jusqu'au centre ; il est
bien juste. S'il lui parle avec tendresse, qu'il songe que ce n'est que sa
dureté qui lui attire cette indulgence, et qu'il se confonde davantage encore de
trouver un si grand excès de miséricorde dans un si grand excès d'ingratitude.
Pécheurs, voilà l'état où vous veut Jésus, humiliés, confondus et par les bontés
et par les rigueurs, et par les grâces et par les vengeances, et par l'espérance
et par la crainte.
Mais ceux qui doivent entrer
plus profondément (a) dans cet état de confusion, ce sont, Messieurs, ces
pécheurs superbes, qui non contents d'excuser, osent encore soutenir leurs
crimes : « Nous les voyons tous les jours qui les prêchent, dit l'Ecriture, et
s'en glorifient : » Peccatum suum sicut Sodoma prœdicaverunt (1). Ils ne
trouveraient pas assez d'agrément dans leur intempérance, s'ils ne s'en
vantaient publiquement; « s'ils ne la faisaient jouir, dit Tertullien, de toute
la lumière du jour et de tout le témoignage du ciel : » At enim delicta
vestra, et luce omni, et nocte omni et totà cœli conscientiâ fruuntur (2).
Les voyez-vous ces superbes, qui se plaisent à faire les grands par leur
licence; qui s'imaginent s'élever bien haut au-dessus des choses humaines par te
mépris de toutes les lois; à qui la pudeur même semble indigne d'eux, parce que
c'est une espèce de crainte : si bien qu'ils ne méprisent pas seulement, mais
qu'ils font une insulte publique à toute l'Eglise, à tout l'Evangile, à toute la
conscience des hommes (b). Ergo et tu confundere : C'est toi,
pécheur audacieux, c'est toi principalement qui dois te confondre. Car
considérez, chrétiens, s'il y a quelque chose de plus indigne que de voir
usurper au vice cette noble confiance de la vertu. Mais je m'explique trop
faiblement. La vertu dans son innocence n'a qu'une assurance modeste : ceux- ci
dans leurs crimes vont jusqu'à l'audace et contraignent même la vertu de
trembler sous l'autorité que le vice se donne (c) par son insolence.
Chrétiens, que leur dirons-nous?
Les paroles sont peu efficaces
1 Isa., III, 9. — 2 Ad Nation.,
lib. I, n. 16.
(a) Var. : Plus fortement. — (b) Du
monde. — (c) Sous l'autorité qu'ils se donnent par...
493
pour confondre une telle arrogance. Qu'ils contemplent leur
Rédempteur, qu'ils jettent les yeux sur cet innocent, juste et pur jusqu'à
l'infini. Il n'est chargé que de nos crimes (a) ; écoutez toutefois comme
il parle à Dieu : « Vous voyez, dit-il, mes opprobres , vous voyez ma confusion,
vous voyez ma honte : » Tu scis improperium meum, et confusionem meam, et
reverentiam meam (1). Ah! vous voyez les opprobres que je reçois du dehors,
vous voyez la confusion qui me pénètre jusqu'au fond de l’âme, vous voyez la
honte qui se répand jusque sur ma face. Tel est l'état du pécheur, et c'est
ainsi qu'il est porté par un innocent ; et nous, pécheurs véritables, nous osons
marcher encore la tête levée ! Que ce ne soit pas pour le moins dans le
sacrement de pénitence, ni aux pieds de notre juge. Considérons Jésus-Christ en
la présence du sien et devant le tribunal de Ponce-Pilate ; il écoute ses
accusations, et il se condamne lui-même par son silence. Il se tait par
constance, je le sais bien, mais il se tait aussi par humilité (b), il se
tait par honte.
Est-ce trop demander à des
chrétiens que de les prier au nom de Dieu de vouloir comparaître devant
Jésus-Christ, comme Jésus-Christ a comparu devant le tribunal de Pilate?
L'innocent ne s'est pas défendu; et nous, criminels, nous défendrons-nous? Il a
été patient et humble dans un jugement de rigueur; garderons-nous notre orgueil
dans un jugement de miséricorde, où nous ne confessons que besoin? Ah! il a
volontiers accepté sa croix si dure, si accablante ; refuserons-nous la nôtre
légère et facile, ces justes reproches qu'on nous fait, ces peines médiocres
qu'on nous impose, ces sages précautions qu'on nous ordonne? (c) Si la
pénitence est un jugement, faut-il y aller pour faire la loi et pour n'y
chercher (d) que la douceur? Où sera donc la justice? Quelle forme de
jugement en lequel on ne veut trouver que de la pitié, que de la faiblesse, que
de la facilité, que de l'indulgence? Quelle forme de judicature en laquelle on
ne laisse au juge que la
1 Psal. LXVIII, 20.
(a) Var. : Il n'a que les crimes des autres.
— (b) Modestie. — (c) Note marg. : Cependant les pécheurs
n'en veulent pas : les écouter, les absoudre, leur donner pour la forme quelque
pénitence, c'est tout ce qu'ils peuvent porter. Quelle est, Messieurs, cette
pensée? — (d) Var. : Trouver.
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patience de nous écouter et la puissance de nous absoudre,
en retranchant de son ministère le droit de discerner les mauvaises mœurs,
l'autorité de les punir, la force de les réprimer par une discipline salutaire?
(a) O Jésus, vous avez été soumis et modeste, même devant un juge inique
; et vos fidèles seront superbes et dédaigneux, même à votre propre tribunal !
Eloignez de nos esprits une disposition si funeste; donnez-nous l'humilité prête
à subir toutes les peines, donnez-nous la docilité résolue à pratiquer tous les
remèdes. C'est ma dernière partie que je continue sans interruption, parce que
je la veux traiter en un mot pour ne perdre aucune partie du temps qui me reste.
TROISIÈME POINT.
Il en faudrait davantage pour
expliquer bien à fond toutes les vérités que j'ai à vous dire. Trouvez bon que
pour abréger, sans m'engager à de longues preuves, je vous donne quelques avis
que j'ai tirés des saints Pères et des Ecritures divines, pour conserver
saintement la grâce de la pénitence. Premièrement craignez, craignez, je le dis
encore une fois, si vous voulez conserver la grâce. Plusieurs s'approchent de la
pénitence pour se décharger de la crainte qui les inquiète, et après leur
confession leur folle sécurité les rejette dans de nouveaux crimes. J'ai appris
de Tertullien « que la crainte est l'instrument de la pénitence, »
instrumento pœnitentiœ (1). C'est par la crainte qu'elle entre, c'est par la
crainte qu'elle se conserve. Grand Dieu! c'est la crainte de vos jugements qui
ébranle une conscience pour se rendre à vous. Grand Dieu! c'est la crainte de
vos jugements qui affermit une conscience pour s'établir fortement en vous.
Vivez donc toujours dans la crainte , et vous vivrez toujours dans la sûreté : «
La crainte, dit saint Cyprien, c'est la gardienne de l'innocence : » Timor
innocentiae custos (2).
Mais encore que craindrez-vous ?
Craignez les occasions dans lesquelles votre innocence a fait tant de fois
naufrage : craignez les occasions prochaines; car qui aime son péril, il aime sa
mort ;
1 Tertull., De Pœnit., n. 6. — 2
Epist., I ad Donat., p. 4.
(a) Note marg. : O saiute confusion, venez
couvrir la face des pécheurs !
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craignez même les occasions éloignées, parce que lors même
que l'objet est loin, la faiblesse de notre cœur n'est toujours que trop proche
et trop inhérente. Un homme, dit Tertullien (1), qui a vu dans une tempête le
ciel mêlé avec la terre, à qui mille objets terribles ont rendu en tant de
façons la mort présente, souvent renonce pour jamais à la navigation et à la
mer. — O mer, je ne te verrai plus, ni tes flots, ni tes abimes, ni tes écueils,
contre lesquels j'ai été si près d'échouer; je ne te verrai plus que sur le port
; encore ne sera-ce pas sans frayeur, tant l'image de mon péril demeure présente
à ma pensée. — C'est, mes frères, ce qu'il nous faut faire : retirés saintement
en Dieu et dans l'asile de sa vérité comme dans un port, regardons de loin nos
périls et les tempêtes qui nous ont battus, et les vents qui nous ont emportés.
Mais de nous y rengager témérairement, ô Dieu ! ne le faisons pas. Hélas ! ô
vaisseau fragile et entr'ouvert de toutes parts, misérable jouet des flots et
des vents irrités, tu te jettes encore sur cette mer dont les eaux sont si
souvent entrées au fond de ton aine ; tu sais bien ce que je veux dire : tu te
ranges dans cette intrigue qui t'a emporté si loin hors du port ; tu renoues ce
commerce qui a soulevé en ton cœur toutes les tempêtes ; et tu ne te défies pas
d'une faiblesse trop et trop souvent expérimentée ; ah ! tu ne dois plus rien
attendre qu'un dernier naufrage qui te précipitera au fond de l'abîme (a).
Jusqu'ici, chrétiens, j'ai parlé
à tous indifféremment; mais notre sainte pénitente semble m'avertir de donner en
particulier quelques avis à son sexe. Plutôt qu'elle leur parle elle-même et
qu'elle les instruise par ses saints exemples. (b) Elle répand ses
parfums, elle jette ses vains ornements, elle néglige ses cheveux; Mesdames,
imitez sa conversion, et honorez la pratique de la pénitence par le
retranchement de vos vanités, (c) Est-ce pas s'accoutumer insensiblement
à un grand mépris de son âme (d),
1 De Pœnit., n. 7.
(a) Var. : Dans l'abîme. — (b) Note
marg. : Dans cette délicatesse presque efféminée que notre siècle semble
affecter, il ne sera pas inutile aux hommes. — (c) Une des précautions
les plus nécessaires pour conserver la grâce de la pénitence, c'est le
retranchement de vos vanités.— (d) Var.: N'est-ce pas trop
ouvertement mépriser son âme...?
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que d'avoir tant d'attache à parer son corps? La nécessité
et la pudeur ont fait les premiers habits; la bienséance s'en étant mêlée, elle
y a ajouté quelques ornements. La nécessité les avait faits simples, la pudeur
les faisait modestes; la bienséance se contentait de les faire propres, la
curiosité s'y étant jointe, la profusion n'a plus de bornes ; et pour orner ce
corps mortel et cette boue colorée, presque toute la nature travaille, presque
tous les métiers suent, presque tout le temps se consume et toutes les richesses
s'épuisent.
Ces excès sont criminels en tout
temps, parce qu'ils sont toujours opposés à la sainteté chrétienne, à la
modestie chrétienne, à la pénitence chrétienne (a) ; mais les peut-on
maintenant souffrir dans ces extrêmes misères, où le ciel et la terre fermant
leurs trésors, ceux qui subsistaient par leur travail sont réduits à la honte de
mendier (b) leur vie ; où ne trouvant plus de secours dans les aumônes
particulières, ils cherchent un vain refuge dans les asiles publics de la
pauvreté, je veux dire les hôpitaux, où par la dureté de nos cœurs ils trouvent
encore la faim et le désespoir. Dans ces états déplorables peut-on songer à
orner son corps, et ne tremble-t-on pas de porter sur soi la subsistance, la
vie, le patrimoine des pauvres? « O ambition, dit Tertullien, que tu es forte,
de pouvoir porter sur toi seule ce qui pourrait faire subsister tant d'hommes
mourants ! » Hœ sunt vires ambitionis tantarum usurarum substantiam uno et
muliebri corpusculo bajulare (1).
Que vous dirai-je maintenant,
Mesdames, du temps infini qui se perd dans de vains ajustements? La grâce de la
pénitence (c) vous doit apprendre à le conserver ; et cependant on s'en
joue, on le prodigue sans mesure jusqu'aux cheveux, c'est-à-dire la chose la
plus nécessaire à la chose la plus inutile. La nature, qui ménage tout, jette
les cheveux sur la tête avec négligence (d) comme un excrément superflu.
Ce que la nature a prodigué (e) comme superflu, la curiosité en fait une
attache; elle devient inventive
1 De Cultu fœmin., lib. I, n. 8.
(a) Var.: A la modestie chrétienne.— (b)
Quêter. — (c) Note marg. : Porte une sainte précaution pour
conserver saintement le temple et le ménager pour l'éternité. — (d)
Var. : Nonchalance. — (e) Donné.
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et ingénieuse pour se faire une étude d'une bagatelle et un
emploi d'un amusement. Est-ce ainsi que vous voulez réparer le temps et le
ménager pour l'éternité (a)?
Mais, ô Dieu! pour qui vous
parez-vous tant? ô Dieu! encore une fois, songez-vous bien à qui vous préparez
cette idole? Si vous vous êtes données à Dieu par la pénitence, pensez-vous lui
pouvoir conserver longtemps sa conquête, pendant que vous laisserez encore
flatter votre vanité à ces malheureuses conquêtes qui lui arrachent les âmes
qu'il a rachetées? Tu colis, qui facis ut coli possint (1): « Tu fais
plus que les adorer, parce que tu lui donnes des adorateurs. »
Quittez donc ces vains ornements
à l'exemple de Madeleine, et revêtez-vous de la modestie; non-seulement de la
modestie, mais de la gravité chrétienne, qui doit être comme le partage de votre
sexe. Tertullien, qui a dit si sagement que la crainte était l'instrument de la
pénitence, a dit avec le même bon sens « que la gravité était la compagne et
l'instrument nécessaire pour conserver la pudeur : » Quo pacto pudicitiam
sine instrumente suo, id est sine gravitate tractabimus (2). Je ne le
remarque pas sans raison. Je ne sais quelle fausse liberté s'est introduite en
nos mœurs qui laisse perdre le respect, qui sous prétexte de simplicité nourrit
la licence (b), qui relâche (c) toute retenue par un enjouement
inconsidéré. Ah! je n'ose penser aux suites funestes (d) de cette
simplicité malheureuse. Il faut de la gravité et du sérieux pour conserver la
pudeur entière et faire durer longtemps la grâce de la pénitence.
Chrétiens, que cette grâce est
délicate et qu'elle veut être conservée précieusement! Si vous voulez la garder,
laissez-la agir dans toute sa force. Quittez le péché et toutes ses suites,
arrachez l'arbre et tous ses rejetons, guérissez la maladie avec tous ses
symptômes dangereux. Ne menez pas une vie moitié sainte et moitié profane,
moitié chrétienne et moitié mondaine, ou plutôt
1 Tertull., De Idololat., n. 6. — 2 Idem, De
Cultu fœmin., lib. II, n. 8.
(a) Note marg.: Madeleine ne le fait pas;
elle méprise ces soins superflus et se rend digne d'entendre « qu'il n'y a plus
qu'une chose qui soit nécessaire » (Luc, X, 42). Ah! que dans ces soins
superflus les pensées si nécessaires.....— (b) Var. : Une entière
licence. — (c) Etouffe. — (d) Je n'ose dire les suites funestes.
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toute mondaine et toute profane, parce qu'elle n'est qu'à
demi chrétienne et à demi sainte. Que je vois dans le monde de ces vies mêlées!
On fait profession de piété, et on aime encore les pompes du monde; on offre des
oeuvres de charité, et on abandonne son cœur à l'ambition. « La loi est
déchirée, dit le saint prophète, et le jugement n'est pas venu à sa perfection :
» Lacerata est lex, et non pervenit usque ad finem julicium (1). La loi
est déchirée ; l'Evangile, le christianisme n'est en nos mœurs qu'a demi ; nous
cousons à cette pourpre royale un vieux lambeau de mondanité : Jésus-Christ ne
se connaît plus dans un tel mélange. Nous réformons quelque chose après la grâce
de la pénitence, nous condamnons le monde en quelque partie de sa cause; et il
devait la perdre en tout point, parce qu'il n'y en a jamais eu de plus déplorée;
et ce peu que nous lui laissons, qui marque la pente du cœur, lui fera reprendre
bientôt sa première autorité.
Par conséquent, chrétiens,
sortons de la pénitence avec une sainte résolution de ne donner rien au péché
qui puisse le faire revivre. Il faut le condamner en tout et partout, et se
donner sans réserve à celui qui se donne à nous tout entier; premièrement dans
le temps par les bienfaits de sa grâce, et ensuite dans l'éternité par le
présent de sa gloire. Amen.
1 Habac, I, 4.
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