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SERMON
POUR
LE SAMEDI DE LA IIIe SEMAINE DE CARÊME,
SUR LES JUGEMENTS HUMAINS (a).
Nemo te condemnavit? Quae dixit : Nemo, Domine. Dixit
autem Jesus : Nec ego te condemnabo; vade et jam ampliùs noli peccare.
Personne ne t'a condamnée ? dit Jésus à la femme adultère;
laquelle lui répondit : Personne, Seigneur (b). Et Jésus lui dit : Je ne
te condamnerai pas aussi; va et dorénavant ne pèche plus. Joan., VIII,
10, 11.
Quel est, Messieurs, ce nouveau
spectacle? Le juste prend le parti des coupables; le censeur des mœurs dépravées
désarme les zélateurs de la loi, élude leur témoignage, arrête toutes leurs
1 Prov., XVIII, 9.
(a) Prêché dans le Carême de 1661, aux Grandes
Carmélites de la rue Saint-Jacques.
Le manuscrit porte, écrit de la main de Bossuet : « Aux
Carmélites. » Cette indication suffit.
Le même sermon lui prêché plus tard, en 1669, à l'Oratoire,
dans la rue Saint Honoré; et la reine entendit cette fois le grand orateur. En
effet la Gazette du 20 avril 1669 renferme ces mots: « Le 14 avril,
dimanche des Rameaux, Madame entendit dans l'église des Prêtres de l'Oratoire la
prédication de M. l'abbé Bossuet. » c'est à cette occasion que l'auteur ajouta
l'allocution qu'on trouvera dans la péroraison, commençant par ces mots:
« Réglons donc tous nos jugements...» Comme il n'avait pas reconnu la place de
cette allocution, Déforis l’avait rejetée avec d'autres morceaux détachés après
les sermons, sous le titre de Pensées chrétiennes et morales, n° 14. Elle
était restée là jusqu'à ce jour.
(b) Var.: Non, Seigneur.
273
poursuites ; en un mot Jésus, le chaste Jésus, après s'être
montré (a) si sévère aux moindres regards immodestes, défend aujourd'hui
publiquement une adultère publique; et bien loin de la punir (b) étant
criminelle, il la protège hautement étant accusée, et l'arrache au dernier
supplice étant convaincue. Voyez comme il renverse les choses : au lieu de
confondre la coupable, il l'encourage; au lieu d'encourager les accusateurs, il
les confond ; et changeant toute la rigueur de la peine en un simple
avertissement de ne pécher plus, il ne craint pas de faire revivre l'espérance
abattue de la pécheresse (c) et d'effacer pour ainsi dire de ses propres
mains la honte qui couvrait justement sa face impudique. Il y a quelque mystère
caché dans cette conduite du Sauveur des âmes, et il en faut aujourd'hui
chercher le secret après avoir imploré la grâce du Saint-Esprit par
l'intercession de la sainte Vierge. Ave.
Je commencerai ce discours en
vous faisant le récit de l'histoire de notre évangile, afin que vous laissiez
d'abord épancher vos cœurs dans une sainte contemplation de la clémence
incomparable du Sauveur des âmes. Les Juifs lui amènent avec grand tumulte cette
misérable adultère, et le font l'arbitre de son supplice. « La femme que nous
vous présentons, disent-ils, a été surprise en adultère; Moïse nous a commandé
de lapider de tels criminels; mais vous, Maître, qu'ordonnerez-vous? » Tu
ergo, quid dicis (1) ? C'est ce que disent les pharisiens. Mais Jésus, qui
lisant dans le fond des cœurs, voyait qu'ils étaient poussés, non point par le
zèle de la justice qui craint la contagion des mauvais exemples, mais par
l'impatience d'un zèle amer ou par l'orgueil fastueux d'une piété affectée, ne
rougit ni devant Dieu, ni devant les
1 Joan., VIII, 4, 5.
(a) Var. : Lui qui s'est montré. — (b)
Condamner. — (c) Son espérance abattue.
274
hommes, de prendre en main la défense de cette impudique. «
Celui de vous qui est innocent, qu'il jette, dit-il, la première pierre (1). »
Ils se retirent confus, et je ne vois plus, dit saint Augustin, que le médecin
avec la malade, et la chasteté même avec l'impudique : je vois la grande et
extrême misère avec la grande et extrême miséricorde : Remansit peccatrix et
salvator, remansit œgrota et medicus, remansit misera et misericordia (2).
Cette pauvre femme étonnée,
après avoir échappé des mains des coupables qui avoient eu honte de la
condamner, se croyait perdue sans ressource, regardant devant ses yeux la
justice même et se voyant appelée à son tribunal, lorsque Jésus, l'aimable
Jésus, toujours facile, toujours indulgent, « non par la conscience d'aucun
péché, mais par une bonté infinie, » rassura son âme tremblante par ces aimables
paroles que la douceur même a dictées : « Nul, dit-il, ne t'a condamnée, et je
ne te condamnerai pas non plus que les autres. » De même que s'il eût dit : « Si
la malice t'a pu épargner (a), pourquoi craindrais-tu l'innocence? »
Si malitia tibi parcere potuit, quid metuis innocentiam (3)? Je suis un Dieu
patient, qui pardonne volontiers les iniquités; j'en veux aux crimes et non aux
personnes, et je supporte les péchés afin de sauver les pécheurs : « Va donc, et
seulement ne pèche plus : » Vade, et jam ampliùs noli peccare.
Voilà, Messieurs, un rapport
fidèle de ce que raconte saint Jean dans l'évangile de cette journée : quelles
seront là-dessus nos réflexions? Je découvre de toutes parts des instructions
importantes que nous pouvons tirer de cet évangile ; mais il faut réduire toutes
nos pensées à un objet fixe et déterminé ; et parmi ce nombre infini de choses
qui se présentent, voici à quoi je m'arrête. Les deux vices les plus ordinaires
et les plus universellement étendus que je vois dans le genre humain, c'est un
excès de sévérité et un excès d'indulgence; sévérité pour les autres, et
indulgence pour nous-mêmes. Saint Augustin l'a bien remarqué et l'a exprimé
élégamment en ce petit mot : Curiosum genus ad cognoscendam
1 Joan., VIII, 7. — 2 S. August.,
Serm. XII, n. 5. — 3 S. August., Epist. CLIII ad Macedon.,
n. 15.
(a) Var. : T'a pu pardonner.
2751
vitam alienam, desidiosum ad corrigendam suam (1) :
«Ah! dit-il , que les hommes sont diligents à reprendre (a) la vie des
autres, mais qu'ils sont lâches et paresseux à corriger leurs propres défauts !
» Voilà donc deux mortelles maladies qui affligent le genre humain : juger les
autres en toute rigueur, se pardonner tout à soi-même ; voir le fétu dans l'œil
d'autrui, ne voir pas la poutre dans le sien ; faire vainement le vertueux par
une censure indiscrète , nourrir ses vices effectivement par une indulgence
criminelle; enfin n'avoir un grand zèle que pour inquiéter le prochain . et
abandonner cependant sa vie à un extrême relâchement dans toutes les parties de
la discipline (b).
O Jésus, opposez-vous à ces
deux excès, et apprenez aux hommes pécheurs à n'être rigoureux qu'à leurs
propres crimes. C'est ce qu'il fait dans notre évangile; et cette même bonté,
qui réprime la licence de juger les autres, éveille la conscience endormie pour
juger sans miséricorde ses propres péchés. C'est pourquoi il avertit tout
ensemble , et ces accusateurs échauffés qui se rendent inexorables envers le
prochain , qu'ils modèrent leur ardeur inconsidérée ; et cette femme trop
indulgente à ses passions, qu'elle ne donne plus rien à ses sens (c).
Vous, dit-il, pardonnez aux autres, et ne les jugez pas si sévèrement; et vous,
ne vous pardonnez rien à vous-même, et désormais ne péchez plus. C'est le sujet
de ce discours.
PREMIER POINT.
Cette censure rigoureuse que
nous exerçons sur nos frères, est une entreprise insolente et contre les droits
de Dieu et contre la liberté publique. Le jugement appartient à Dieu, parce
qu'il est le Souverain; et lorsque nous entreprenons de juger nos frères sans en
avoir sa commission, nous sommes doublement coupables, parce que nous nous
rendons tout ensemble et les supérieurs
1 Confess., lib. X, cap. III,
(a) Var. : A rechercher. — (b) Et
s'abandonner à un extrême relâchement pour soi-même.— (c) C'est pourquoi
il dit tout ensemble, et à ces accusateurs échauffés qui se rendent inexorables
envers le prochain, qu'ils modèrent leur ardeur inconsidérée; et à cette femme
trop indulgente à ses passions, qu'elle ne leur donne plus rien désormais.
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de nos égaux et les égaux de notre supérieur, violant ainsi
par un même attentat et les lois de la société et l'autorité de l'empire. Pour
nous opposer, si nous le pouvons, à un si grand renversement des choses humaines
(a), il nous faut chercher aujourd'hui des raisons simples et familières,
mais fortes et convaincantes.
Pour les exposer avec ordre,
distinguons avant toutes choses deux sortes de faits et deux sortes d'hommes que
nous pouvons condamner ; ou plutôt ne distinguons rien de nous-mêmes, mais
écoutons la distinction que nous donne l'Apôtre. Il y en a dont les actions sont
manifestement criminelles, et d'autres dont les conduites peuvent avoir un bon
et un mauvais sens. Il faut aujourd'hui poser des maximes pour bien régler notre
jugement dans ces deux rencontres, de peur qu'il ne s'égare et ne se dévoie.
Cette distinction est très-importante, et saint Paul n'a pas dédaigné de la
remarquer lui même, écrivant ces mots à saint Timothée : « Il y a des hommes,
dit-il, dont les péchés sont manifestes et précèdent le jugement que nous en
faisons ; et aussi il y en a d'autres qui suivent le jugement (b) : »
Quorumdam hominum peccata manifesta sunt, pracedentia ad judicium; quosdam autem
et subsequuntur (1).
Ce passage de l'Apôtre est assez
obscur, mais l'interprétation de saint Augustin nous éclaircira sa pensée. Il y
a donc des actions, dit saint Augustin (2), qui portent leur jugement en elles
mêmes et dans leurs propres excès. Par exemple, pour nous restreindre aux termes
de notre évangile, un adultère public, c'est un crime si manifeste, que nous
pouvons condamner sans témérité ceux qui en sont convaincus, parce que la
condamnation que nous en faisons est si clairement précédée par celle qui est
empreinte dans la malice de l'acte, que le jugement que nous en portons ne
pouvant jamais être faux, ne peut par conséquent être téméraire. Mais il y a
d'autres actions dont les motifs sont douteux et les intentions incertaines, qui
peuvent être expliquées, ainsi que je l'ai dit, d'un
1 I Timoth., V, 24. — 2 De
Serm. Domini in monte, lib. II, cap. XVIII, n. 60.
(a) Var.: Afin d'empêcher, si nous le
pouvons, un si grand renversement des choses humaines. — (b) Dont le
jugement suit les actions.
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bon ou d'un mauvais sens. De telles actions, dit l'Apôtre,
ne portent pas en elles-mêmes leur jugement, parce qu'il ne nous paroli pas dans
quel esprit, on les fait; si bien que dans le jugement que nous en faisons, nous
accommodons ordinairement, non point notre pensée à la chose, mais la chose ta
notre pensée. Ainsi, dit le saint Apôtre, le jugement ne précède pas dans la
chose même; ii.ms ne recevons pas la loi, mais nous la donnons sans autorité. La
sentence que nous prononçons n'est donc qu'une pure idée, le songe d'un homme
qui veille, le jeu ou l'égarement d'un esprit qui bâtit en l'air et qui feint (a)
des tableaux dans les nues; mais le jugement véritable suivra en son temps.
Car viendra le grand jour de
Dieu, où tous les secrets des cœurs seront, découverts, tous les conseils
publiés, toutes les intentions éclaircies; et en attendant, chrétiens, le
jugement du Seigneur n'ayant pas encore paru, celui que nous porterions, en cela
même que très-souvent il pourrait être douteux et trompeur, serait toujours
nécessairement téméraire et dangereux. Voilà les deux états de notre prochain,
sur lesquels nous pouvons juger. O Dieu! que d'excès dans l'un et dans l'autre!
que de soupçons téméraires! que de préjugés iniques! que de jugements
précipités! Delicta quis intelligit (1) ? Qui pourra entendre tous ces
crimes? qui pourra démêler tous ces embarras? Pour vous en donner l'ouverture,
je vous propose en un mot une maxime générale que je mets devant votre vue comme
un flambeau lumineux, sous la conduite duquel vous pourrez ensuite descendre au
détail des vices particuliers dans lesquels nous tombons par nos jugements.
Cette merveilleuse lumière que
j'ai aujourd'hui à vous proposer, c'est, Messieurs, cette vérité, que nous
devons suivre Dieu et juger autant qu'il décide. Car ce beau commandement de ne
juger pas. si souvent répété dans les Ecritures, ne s'étend pas jusqu'à nous
défendre de condamner ce que Dieu condamne; au contraire c'est notre devoir de
conformer notre jugement à celui de sa vérité. Non, non, ne croyez pas,
chrétiens, que ce soit le dessein de notre. Sauveur de faire un asile au vice,
de le mettre à couvert du blâme
1 Psal. XVIII, 13.
(a) Var. : Qui fait.
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et de le laisser triompher sans contradiction (a) ;
il veut qu'on le trouble, qu'on l'inquiète, qu'on le blâme, qu'on le condamne.
Il faut condamner hautement les crimes publics et scandaleux; il faut aller
quelquefois en les reprenant jusqu'à la dureté et à la rigueur (b). «
Reprends-les durement, » dit le saint Apôtre : Increpa illos dure (1);
c'est-à-dire qu'il faut presser les pécheurs et leur jeter pour ainsi dire
quelquefois au front des vérités toufes sèches pour les faire rentrer en
eux-mêmes, parce que la correction qui a deux principes, la charité et la
vérité, doit emprunter ordinairement une certaine douceur de la charité qui est
douce et compatissante, mais elle doit aussi souvent emprunter quelque espèce de
rigueur et de dureté de la vérité qui est inflexible.
Vous voyez donc qu'il nous est
permis, bien plus, qu'il nous est ordonné de condamner hardiment les conduites
scandaleuses dès pécheurs publics, parce que le jugement de Dieu précédant le
nôtre, nous ne craignons pas de nous égarer. Mais voici la règle immuable que
nous devons observer : c'est de suivre Dieu simplement, sans rien usurper pour
nous-mêmes. Telle est la règle assurée que sa vérité rend souveraine, son équité
infaillible, sa simplicité vénérable. Mais nous péchons doublement contre
l'équité de cette règle. Cardans sa simplicité elle ne laisse pas d'avoir deux
parties nécessairement enchaînées : la première, de suivre Dieu, et au contraire
nous jugeons plus que Dieu ne juge; la seconde, de ne rien usurper pour nous, et
au contraire en jugeant les crimes nous nous attribuons ordinairement une
injuste supériorité sur les personnes, qui nous inspire une aigreur cachée ou un
superbe dédain (c).
Par exemple, car il faut venir
au détail des choses, et j'ai promis
d'y descendre, cet homme est voluptueux, et cet autre est
injuste
et violent. Vous condamnez leur conduite, et vous ne la
condamnez
pas témérairement, puisque la loi divine la condamne aussi.
Mais
1 Tit., I, 13.
(a) Var. : Que ce soit le dessein de notre
Sauveur qu'on épargne le vice, ni qu'il triomphe.— (b) Il faut condamner
les crimes publics et scandaleux ; bien loin qu'il nous soit défendu de les
condamner, il nous est commandé de les reprendre et d'aller quelquefois en les
reprenant jusqu'à la dureté et à la ligueur. — (c) Un dédain fastueux.
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si vous les regardez, dit saint Augustin (1), comme des
malades incurables, si vous vous éloignez d'eux comme de pécheurs incorrigibles,
vous laites injure à Dieu et vous ajoutez à son jugement. Vous avez vu ces
personnes dans des pratiques dangereuses; vous blâmez ces pratiques, et vous
faites bien, puisque l'Ecriture les blâme. Mais vous jugez de l'état présent par
les désordres de la vie passée; vous dites avec le Pharisien : Si l'on savait
quelle est cette Femme! et vous ne regardez pas, non plus que lui, qu'elle est
peut-être changée parla pénitence : vous ne jugez plus selon Dieu, et vous
passez les bornes qu'il vous a prescrites. Ne jugez donc plus désormais ni de
l'avenir par le présent, ni du présent par le passé. Car ce jugement n'est pas
selon Dieu ni selon ses saintes lumières. « Chaque jour, dit l'Ecriture, a sa
malice (2). » Ainsi lorsque vous découvrez quelque désordre visible, au lieu
d'outrager vos frères par des invectives cruelles, espérez plutôt un temps
meilleur et plus pur (a), et tempérez par cette espérance l'amertume de
votre zèle qui s'emporte avec trop d'excès. Ne jugez pas de l'état présent par
vos connaissances passées. Car ignorez-vous les miracles qu'opère l'Esprit de
Dieu dans la conversion des cœurs? Peut-être que ce vieux pécheur est devenu un
autre homme par la grâce de la pénitence. Si vous découvrez encore en sa vie
quelque reste de faiblesse humaine, gardez-vous bien de conclure que c'est un
trompeur et un hypocrite ; ne dites pas, comme vous faites : Ah! le cœur
commence à paraître, le naturel s'est fait voir à travers le masque dont il se
couvrait. Car, ô Dieu! ô juste Dieu! quel est ce raisonnement? Quoi! s'ensuit-il
qu'on soit un démon, parce qu'on n'est pas un ange; ou que l'embrasement dure
encore, parce que l'on voit quelque fumée ou quelque noirceur; ou que la
campagne soit inondée, parce que la rivière en se retirant a laissé peut-être
quelques eaux en des endroits plus profonds; ou que les passions dominent
encore, parce qu'elles ne sont pas peut-être tout à fait domptées? Vous dites
que c'est malice, et c'est peut-être imprudence; vous dites que c'est habitude,
et c'est peut-être chaleur et emportement.
1 De Serm. Domini in monte, ubi supra. — 2 Matth.,
VI, 34.
(a) Var. : Plus heureux.
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Ah! cet homme que vous blâmez
d'une façon si cruelle, fait peut-être beaucoup davantage. Non-seulement il se
blâme, mais il se condamne, mais il se châtie, mais il gémit de son mal qu'il
voit sans doute devant Dieu bien plus grand sans comparaison que vos jugements
indiscrets ne le font paraître à vos yeux. Cessez donc de vous égaler à la
puissance suprême par la témérité de juger vos frères. Blâmez ce que Dieu blâme,
condamnez ce que Dieu condamne; mais ne passez point ces limites (a)
sacrées. «Ne soyez point sages plus qu'il ne faut; mais soyez sages selon la
mesure (1), » c'est-à-dire ne jugez pas plus que Dieu n'a voulu juger. Autant
qu'il a plu à ce grand Dieu de nous découvrir ses jugements, ne craignez point
de les suivre; mais croyez que tout ce qui est au delà est un abîme effroyable
où notre audace insensée trouvera un naufrage infaillible (b). Ce n'est
pas assez, chrétiens; et nous avons remarqué que même en nous élevant contre les
péchés (c) publics, nous tombons dans un autre excès; nous exerçons sur
les autres (d) une espèce de tyrannie, nous prenons contre eux un esprit
d'aigreur ou un esprit de dédain, et devenons tellement censeurs que nous
oublions que nous sommes frères. Tel était le vice des pharisiens; ce n'était
pas la compassion de notre commune faiblesse qui leur faisait reprendre les
péchés des hommes, ils se tiraient hors du pair; et comme s'ils eussent été les
seuls impeccables, ils parlaient toujours dédaigneusement des pécheurs et des
publicains. Ils s'érigeaient en censeurs publics, non point pour guérir les
plaies et corriger les péchés, mais pour s'élever au-dessus des autres et étaler
magnifiquement leur orgueilleuse justice. C'est pourquoi le Seigneur Jésus les
voyant approcher de lui dans cet esprit dédaigneux, il les confond par cette
parole : « Celui, dit-il, qui est innocent, qu'il jette la première pierre (2).
»
Apprenons de là, chrétiens, en
quel esprit nous devons juger, même des crimes les plus scandaleux :
gardons-nous de tirer aucun avantage de la censure que nous en faisons. Car
n'avons-nous pas reconnu que ce n'est pas à nous de rien prononcer, mais de
1 Rom., XII, 3. — 2 Joan., VIII, 7.
(a) Var.: Ces bornes.— (b) Sa perte
infaillible.— (c) Les scandales.— (d) Nos frères.
281
suivre humblement ce que Dieu prononce? La lumière de
vérité qui brille en nos âmes et y condamne les dérèglements (a) que nos
frères nous rendent visibles dans leurs actions criminelles, n'est pas une
prérogative (b) qui nous soit donnée pour prendre ascendant sur eux; mais
c'est une impression qui se fait en nous de la justice supérieure par laquelle
nous serons jugés tous ensemble. Ainsi prononçant parle même arrêt leur
condamnation et la vôtre, pouvez-vous en tirer aucun avantage, et ne devez-vous
pas au contraire être saisis de frayeur et de tremblement? Considérez le Sauveur
et voyez dans quel esprit de condescendance il dit à la femme adultère : Je ne
te condamnerai pas. Si la justice même est si indulgente, faut-il que la malice
soit inexorable? Si le juge est si patient, le criminel ose-t-il être rigoureux?
Car enfin si le crime que vous condamnez, si cet infâme adultère qui vous fait
dédaigner cette pécheresse n'est pas dans votre cœur par consentement, il n'est
pas moins dans le fond de votre malice, ou dans celui de votre faiblesse.
Ignorez-vous, chrétiens, de quelle sorte les péchés s'engendrent en nous? Ils y
naissent comme des vers : Os fatuorum ebullit stultitiam (1); non
engendrés parle dehors, mais conçus et bouillonnants au dedans de la pourriture
invétérée de notre substance (c) et du fond malheureusement fécond de
notre corruption originelle. Ainsi quand les crimes que vous blâmez ne seraient
point dans vos consciences par une attache actuelle, ils sont enfermés
radicalement dans ce foyer intérieur de votre corruption ; et si jamais ils en
sortent par une attache effective, en condamnant votre frère, n'aurez-vous pas
parlé contre vous et foudroyé votre tête? Et quand nous ne tomberions jamais
dans ce même crime, ne tombons-nous pas tous les jours dans de semblables excès,
également condamnés (d) par cette suprême Vérité qui est l'arbitre de la
vie humaine? Car celui qui a dit : « Tu ne tueras pas, » a défendu aussi
l'impudicité; et quoique les tables des commandements soient partagées en
plusieurs articles, c'est la même lumière très-simple de la justice divine qui
autorise tous les
1 Prov., XV, 2.
(a) Var. : Les désordres. — (b) Une
connaissance. — (c) Mais conçus et formés de la pourriture intérieure de
notre substance. — (d) Qui sont également condamnés.
282
préceptes, proscrit tous les crimes, réprouve toutes les
transgressions.
« Toi donc qui juges les autres,
tu te condamnes toi-même, » comme dit l'Apôtre (1). Par conséquent, chrétiens,
si nous osons condamner nos frères, et nous le devons quelquefois, quand leurs
crimes sont scandaleux, ne condamnons pas leurs excès comme en étant éloignés;
que ce ne soit pas pour nous mettre à part, mais pour entrer tous ensemble dans
un sentiment intime et profond et de nos communs devoirs et de nos communes
faiblesses. Ainsi nous souvenant de ce que nous sommes, ne nous laissons jamais
emporter à ces invectives cruelles (a), à ces dérisions outrageuses qui
détournent malicieusement contre la personne l'horreur qui est due au vice.
C'est un jeu cruel et sanglant qui renverse tous les fondements de l'humanité (b).
« Un innocent, dit Tertullien parlant contre les jeux des gladiateurs (c'en est
ici une image), ne fait jamais son plaisir du supplice d'un coupable : »
Innocens de supplicio alterius lœtari non potest (2). Que si c'est une
cruauté de se réjouir du supplice de son frère, quelle horreur, quel meurtre,
quel parricide de se faire un jeu, de se faire un spectacle, de se faire un
divertissement de son crime même !
Si nous devons être si réservés
dans les péchés scandaleux, quelle doit être notre retenue dans les choses
cachées et douteuses? A quoi pensons-nous, mes frères, de nous déchirer
mutuellement par tant de soupçons injustes? Hélas! que le genre humain est
malheureusement curieux! chacun veut voir ce qui est caché et juger des
intentions. Cette humeur curieuse et précipitée fait que ce qu'on ne voit pas on
le devine; et comme nous ne voulons jamais nous tromper, le soupçon devient
bientôt une certitude, et nous appelons conviction ce qui n'est tout au plus
qu'une conjecture. Mais c'est l'invention de notre esprit, à laquelle nous
applaudissons et que nous accroissons sans mesure. Que si parmi ces soupçons
notre colère s'élève, nous ne voulons plus l'apaiser, parce que « nul ne trouve
sa colère injuste : » Nulli irascenti ira sua videtur injusta (3). Ainsi
l'inquiétude nous prend ; et par cette
1 Rom.,
II, 1. — 2 De Spect., n. 19. — 3 S. August., Epist. XXVIII,
n. 2.
(a) Var. : .Sanglantes. — (b) De la
charité.
283
inquiétude nourrie par nos défiances, souvent nous nous
battons contre une ombre, ou plutôt l'ombre nous fait attaquer le corps. Nous
frappons de peur d'être prévenus, nous vengeons une offense qui n'est pas encore
: Ipsà sollicitudine priùs malum facimus quàm patimur (1) : voyez le
progrès de l'injustice. Mon Dieu, je renonce devant vous à ces dangereuses
subtilités de notre esprit qui s'égare. Je veux apprendre de votre bonté et de
votre sainte justice à ne présumer pas aisément le mal, à voir et non à deviner,
à ne précipiter pas mon jugement, mais à attendre le vôtre.
Vous me dites que si j'agis de
la sorte, je serai la dupe publique, trompé tous les jours mille et mille fois;
et moi, je vous réponds à mon tour : Eh quoi ! ne craignez-vous pas d'être si
malheureusement ingénieux à vous jouer de l'honneur et de la réputation de vos
semblables? J'aime beaucoup mieux être trompé que de vivre éternellement dans la
défiance, fille de la lâcheté et mère de la dissension. Laissez-moi errer, je
vous prie, de cette erreur innocente que la prudence, que l'humanité, que. la
vérité même m'inspire. Car la prudence m'enseigne à ne précipiter pas mon
jugement, l'humanité m'ordonne de présumer plutôt le bien que le mal ; et la
vérité même m'apprend de ne m'abandonner pas témérairement à condamner les
coupables, de peur que sans y penser je ne flétrisse les innocents par une
condamnation injurieuse.
SECOND POINT.
Il pourrait sembler, chrétiens,
que c'est presser trop mollement cette pécheresse à se censurer elle-même, que
de lui ordonner simplement de ne pécher plus, et la traiter cependant avec une
telle indulgence; mais il faut vous faire comprendre qu'il n'y a rien de plus
efficace pour rappeler une âme étonnée au sentiment de ses crimes.
Nous pouvons voir nos péchés ou dans la justice de Dieu, ou
dans ses miséricordes et dans les trésors de ses bontés infinies. Je soutiens,
et il est vrai, que si la justice nous les fait voir d'une manière plus
terrible, la bonté nous les fait sentir d'une manière plus vive et plus
pénétrante. Nos péchés sont contraires, je vous
1 S. August., Serm. CCCVI, n. 9.
284
l'avoue, à la justice de Dieu qui les punit; mais ne le
sont-ils pas beaucoup plus à la bonté de Dieu qui les efface? Que faites-vous, ô
justice? Vous laissez le crime, et vous y ajoutez la peine. Mais vous, ô bonté,
ô miséricorde, vous ôtez tout ensemble la peine et le crime ; et en pardonnant
au pécheur, vous portez au fond de son cœur par votre indulgence la lumière la
plus perçante pour confondre son ingratitude. La justice tonne et foudroie : que
fait-elle par ses foudres et par son tonnerre? Elle remplit l'imagination de la
terreur de la peine. La bonté va bien plus avant, qui par ses facilités et ses
compassions fait sentir au dedans l'horreur de la faute. Au milieu du bruit que
fait la justice, le cœur troublé se resserre et à peine se sent-il lui-même, (a)
Les douceurs de la bonté le dilatent pour recevoir les impressions du
Saint-Esprit ; tout s'épanche, tout se découvre, et jamais on ne sent mieux son
indignité que lorsqu'on se sent prévenu par une telle profusion de grâces.
Quand Joseph se découvrit à ses
frères et qu'il leur dit ces paroles : «Je suis Joseph votre frère, que vous
avez vendu en Egypte, ils furent saisis d'une grande horreur (1); » ils
sentirent bien qu'ils avoient mal fait de le livrer de la sorte. Mais lorsqu'il
commença non-seulement à les rassurer, mais à les excuser, et qu'il leur dit ces
paroles : « Eh ! ne vous affligez pas de m'avoir vendu; ce n'a pas tant été par
votre malice que par un conseil de Dieu, qui voulait vous préparer ici un
libérateur par une telle aventure (2). » Et lorsqu'il « les embrassa et qu'il
pleura sur chacun d'eux en particulier : » Et ploravit super singulos
(3), ah ! les reproches les plus sanglants qu'il aurait pu inventer contre eux,
n'eussent pas été capables de les faire entrer dans le sentiment de leurs crimes
à l'égal de ces larmes, de cette tendresse, de ces embrassements imprévus d'un
frère si outragé, et néanmoins si bon et si tendre et si bienfaisant. Il en est
de même de notre grand Dieu.
1 Genes., XLV, 3, 4. — 2 Ibid., 5, 7, 8. — 3
Ibid., 15.
(a) Note marg. : Le mouvement dans la crainte.....
le cœur se trouble et à
peine se sent-il lui-même ; il se resserre en lui-même et
voudrait se cacher à ses propres yeux : il fuit de toute sa force la colère qui
le poursuit; et pour fuir plus précipitamment, il voudrait pouvoir se séparer de
soi-même, parce qu'il trouve toujours dans son fond un Dieu vengeur.
285
Qu’il tonne, qu'il menace et qu'il foudroie ; qu'il crie à
mon âme étonnée par la bouche de son prophète : Tu m'as quitté, infidèle; tu
t'es abandonnée à tous les passants, épouse volage et parjure : Tu autem
fornicata es cum amatoribus multis (1) ; j'entre à la vérité dans le
sentiment de mes horribles infidélités; mais lorsqu'il ajoute après : «
Toutefois retourne à moi, et je te recevrai, dit le Seigneur, » c'est ce qui
achève de percer mon cœur, et je ne vois jamais mieux mes ingratitudes qu'au
milieu de ces bontés si peu méritées. Non, mes frères, il n'y a rien de plus
efficace pour nous faire rentrer en nous-mêmes : ces bontés si gratuites, si
abondantes, si inespérées, si surprenantes, poussent l’âme jusqu'à son néant ;
et les larmes d'un père attendri qui tombent sur le cou de son prodigue, lui
font bien mieux sentir son indignité que les reproches amers par lesquels il
aurait pu le confondre.
Venez donc ici, chrétiens, et
écoutez votre Sauveur qui vous montre vos ingratitudes. Ce n'est pas la voix de
son tonnerre ni le cri de sa justice irritée que je veux faire retentir à vos
oreilles : parlez, amour; parlez, indulgence; parlez, bontés attirantes d'un
Dieu qui est venu chercher les pécheurs, qui leur veut faire sentir leur
indignité, non par la violence de ses reproches, mais par l'excès de ses grâces
; non en prononçant leur sentence , mais en leur accordant leur pardon (a).
C'est la méthode du Sauveur des âmes. Il ne dit rien de fâcheux ni aux pécheurs,
ni aux publicains qui conversaient avec lui. Il tourne toute son indignation
contre les pharisiens hypocrites dont le superbe chagrin s'opposait à la
conversion des pécheurs. Pour lui, qui était venu rechercher et porter sur ses
épaules ses brebis perdues, il ne rebute point les pécheurs par un dédain
accablant et par des paroles désespérantes. Il ne dit rien de rude ni à
Madeleine, ni à la Samaritaine, ni à la femme adultère ; et sans les confondre
par ses reproches, il laisse faire cet ouvrage et à l'excès de leurs crimes et à
l'excès de ses grâces.
Ah! il n'y a plus moyen de lui
résister; il faut mourir de regret d'avoir offensé si indignement une telle
miséricorde. Car d'où
1 Jerem., III, 1.
(a) Var. : Leur absolution.
286
vient cette facilité et cette indulgence? Est-ce qu'il n'a
pas horreur des péchés, lui qui vient mourir pour les expier? Est-ce qu'il n'a
pas la puissance de les châtier, lui entre les mains duquel toutes les créatures
sont autant de foudres? Est-ce que les paroles lui manquent pour convaincre nos
ingratitudes, lui, mes frères, dont le moindre mot pouvait laisser sur le front
une impression de honte éternelle? D'où vient qu'il se tait et qu'il dissimule?
C'est qu'il connaît nos faiblesses, c'est qu'il a pitié de nos maux. Encore une
fois, mes frères, il faut mourir de regret ; et en même temps qu'il nous dit :
Je ne te condamne pas, il faut ramasser ensemble tout ce qu'il y a dans nos âmes
et de force et d'infirmité, et de lumières et de ténèbres, et de péchés et de
grâces, pour nous condamner nous-mêmes et confondre devant sa face nos trahisons
et nos ingratitudes (a).
D'autant plus, chrétiens, et
voici ce qu'il y a de plus fort, que cette indulgence lui coûte bien cher. C'est
ici ce qu'il faut entendre, c'est ici ce qui doit presser un cœur chrétien. Si
Jésus nous est facile et indulgent, il a acheté, mes frères, cette indulgence
qu'il a pour nous par des rigueurs inouïes (b), qu'il a souffertes en
lui-même. Il n'a pardonné aucun crime, il n'a dit aucune parole de miséricorde,
de douceur, de condescendance, qui ne lui ait coûté tout son sang. Car que
méritait le pécheur d'un Dieu irrité, sinon des menaces, des rebuts, des arrêts
de mort éternelle ? Mais Jésus notre saint pontife, pontife vraiment charitable
et compatissant à nos maux , a voulu nous traiter avec indulgence; et pour
acquérir ce beau droit de nous traiter, quoique indignes, avec une bonté
paternelle, il s'est abandonné volontairement à des rigueurs insupportables (c).
Venez à la croix, Madeleine ;
venez-y, ô femme adultère de notre évangile; voyez les coups de foudre, voyez
les rigueurs, voyez le poids des vengeances qui accable ce Dieu-Homme. Voyez le
ciel et la terre conjurant sa perte, les hommes furieux, son Père implacable,
l'enfer déchaîné contre lui. O quel excès de rigueur ! C'est par là qu'il a
mérité de vous pouvoir traiter doucement. Le
(a) Var. : Nos perfidies. — (b) Par une
rigueur insupportable; —par une extrême rigueur. — (c) Inouïes.
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croyiez-vous, pauvres âmes, lorsqu'il vous parlait si
obligeamment? croyiez-vous que cette douceur lui coûtât si cher? Vous croyiez
peut-être alors qu'il vous faisait une grâce qui ne lui coûtait autre chose que
d'ouvrir seulement son cœur, trésor inépuisable de compassion ; et il faisait un
échange ; et pour faire luire sur vous un rayon de faveur divine, il se dévouait
intérieurement à des rigueurs infinies, à des duretés intolérables. A vous donc
toute la douceur, à lui toutes les amertumes : à vous les consolations, à lui
les délaissements : à vous la facilité, le pardon, la condescendance; à lui les
foudres, à lui les tempêtes et tout ce que peut inventer une colère inflexible
et inexorable. Mes frères, c'est à ce prix que Jésus nous est indulgent.
Pouvons-nous après cela arrêter les yeux sur les bontés qu'il exerce, sans avoir
le cœur pénétré de ce que lui coûtent nos crimes? Autant de grâces qu'il nous
donne, autant de péchés qu'il nous remet; autant de fois qu'il nous dit : Je ne
te condamnerai pas, et il nous le dit à chaque moment, nous devons croire, mes
frères, qu'il étale autant de fois à nos yeux toutes les rigueurs de sa croix et
toute l'horreur du Calvaire. Et comme à chaque moment son enfer devait s'ouvrir
sous nos pieds, autant d'instants qu'il nous accorde pour prolonger le temps de
la pénitence, autant nous dit-il de fois : Vois, je ne te condamne pas, puisque
je t'attends ; je ne te condamne pas, puisque je t'invite ; je ne te condamne
pas, puisque je te presse et que je ne cesse de te dire : Retourne,
prévaricateur, et tu vivras; retournez, enfants perfides ; retournez, épouses
déloyales ; « et pourquoi voulez-vous périr, maison d'Israël (1) ? » Donc, mes
frères, autant de moments que Jésus nous attend à la pénitence, autant de fois,
non sa voix mortelle, mais ce qui est beaucoup davantage, sa bonté, sa
miséricorde, sa patience déclarée, son sang, sa grâce, son Saint-Esprit nous
disent au fond du coeur : Je ne te condamne pas; va, et désormais ne pèche plus.
Et tout cet excès de miséricorde dont nous ressentons le fruit, nous rappelle
aux rigueurs horribles qui en ont été la racine. Donc, ô Jésus, ô divin Jésus!
que vos miséricordes sont pressantes ! ah ! dans le moment que je les ressens,
je vois toutes vos plaies se rouvrir, tout votre sang se déborder. Il
1 Ezech., XXXIII, 11.
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faut pleurer du sang, pour le mêler avec celui que vos
tendresses et mes duretés, que vos bontés et mes ingratitudes vous ont fait
répandre.
Laissons-nous toucher,
chrétiens, à cet excès de miséricorde, et apprenons aujourd'hui à voir toute
l'horreur de nos crimes dans la grâce qui nous les remet. « Affliger et
contrister l'Esprit de Dieu ! » Nolite contristare Spiritum sanctum (1) ;
cette affliction ne marque pas tant l'injure qui est faite à sa sainteté par
notre injustice, que la violence que souffre son amour méprisé et sa bonne
volonté frustrée par notre résistance opiniâtre. Affliger le Saint-Esprit,
c'est-à-dire l'amour de Dieu opérant en nous pour lui gagner nos cœurs par sa
bonté ! Il se mesure avec nous par les tendresses de son amour, par les
empressements de sa miséricorde. Combien la dureté est-elle inhérente, si elle
ne s'amollit pas, etc. !
Réglons donc tous nos jugements
sur celui de Jésus-Christ. Madame, voilà la règle que se propose sans doute une
princesse si éclairée; c'est la seule qui est digne d'une âme si grande et d'un
esprit si bien faitetsi pénétrant. Vos lumières seront toujours pures, quand
elles seront dirigées par les lumières d'en haut. On louera plus que jamais ce
juste discernement, ce jugement exquis, ce goût délicat, quand vous continuerez
à goûter les célestes vérités et à préférer les biens que l'Evangile nous
présente, à tous ceux que le monde nous donne et à tous ceux qu'il nous promet,
beaucoup plus grands que ceux qu'il nous donne. Tous les peuples, déjà gagnés à
Votre Altesse royale par une forte estime et par une juste et très-respectueuse
inclination, y joindront une vénération qui n'aura point de limites et qui
portera votre gloire à un si haut point, qu'il n'y aura rien au-dessus que la
gloire même des saints et la félicité éternelle.
1 Ephes., IV, 30.
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