La Définition du Hasard
Ses Divisions préparatoires[1]
Yvan Pelletier, professeur retraité
Faculté de philosophie
Université Laval
Québec
Un texte de grand maître n’a jamais fini de se digérer. Chaque
lecture en révèle de nouveaux aspects, des implications inattendues, des
difficultés insoupçonnées et risque souvent de déboucher sur une intelligence
plus ou moins radicalement neuve. C’est spécialement le cas avec les verbes si
rigoureux d’Aristote et de saint Thomas, surtout que l’un s’exprime en grec et
que l’autre le commente en latin à partir d’une version latine, généralement
fournie par Guillaume de Moerbeke. Avec les inévitables accidents d’édition,
cette conjoncture invite beaucoup de divergences et rend fort laborieuse l’exposition
exacte de la pensée d’Aristote en langue vernaculaire.
C’est ce que je
me propose d’illustrer à l’occasion de la lecture de cette page typique où
Aristote s’affaire à manifester l’existence et l’essence du hasard. On se
rappellera qu’il initie cet effort avec des distinctions destinées à repérer
les éléments d’une définition. D’apparence simple, celles-ci ne laissent pas
facilement déceler leur sens et leur portée. Le vocabulaire utilisé, en passant
du grec au latin et au français, s’alourdit en périphrases obscures et
occasionne des contresens qui réussissent à la longue à faire tradition.
Comparant la
traduction classique de Carteron et le texte latin de Moerbeke, je remonterai à
l’édition grecque critique[2]. Je ferai ressortir, chemin
faisant, les pièges lexicaux qui empêchent saint Thomas d’aligner ses
explications sur l’intention de fond qui anime Aristote. J’offrirai à mesure
une interprétation rigoureuse de cette intention, ainsi que du sens de détail des
remarques et de la définition qu’elle anime. Car saint Thomas le dit plusieurs
fois : on est sûr de ne pas avoir bien compris Aristote tant qu’on n’a pas
articulé chacune de ses remarques sur une intention unique.[3]
La première
difficulté est d’identifier clairement le sujet à diviser : ces “γινόμενα ὡσαύτως”
deviennent un “fieri similiter” chez Moerbeke, puis des “faits qui se
produisent de même” chez Carteron, prenant la direction d’une entité de plus en
plus confuse. De quoi s’agit-il au juste? Saint Thomas précise clairement le
contexte : il s’agit des résultats des changements, il s’agit de leurs
effets possibles.
Le hasard se présente comme une espèce de cause. Or connaître
une cause exige de connaître son effet. Le Philosophe introduit donc d’abord des
divisions pour dégager cet effet.[4]
C’est fort
pertinent, puisqu’il s’agit de définir une cause. Rien de mieux inspiré que
d’identifier précisément le type d’effets dont elle se rend responsable. Moerbeke,
avec ‘fieri’, et Carteron, avec ‘des faits qui se produisent’, risquent
d’orienter sur le processus, sur le changement lui-même plutôt que sur son
résultat, sur le moyen plutôt que sur l’effet. Ce glissement voile d’une
certaine confusion le sujet à diviser et prépare des caricatures de ses
membres.
Ce sont les
effets, donc, qu’Aristote entend diviser. Sous quel rapport? Celui de leur relation
à leur cause, bien sûr. Voilà ce que ‘ὡσαύτως’
annonce, plus fermement et précisément que ‘similiter’ : on va distinguer
des circonstances importantes touchant la manière dont un effet résulte d’un
même processus causal, et ce en trois étapes.
Aristote
mesurera d’abord la régularité qui le rattache à la même cause : il en
procède tantôt régulièrement, c’est-à-dire toujours ou souvent, tantôt
par exception.
Certains effets se produisent toujours de même, d’autres souvent
[de même]… Il y en a, toutefois, qui se produisent en exception à ces derniers…[5]
Les deux
membres de la division présentent une connexion intime. Il ne s’agit pas d’une
comparaison purement statistique : un type d’effets procéderait
uniformément de la même cause, un autre type varierait son style de production.
La situation est toute autre : on parle du même effet[6]; il procède normalement de la même
cause, il résulte du même processus, mais par exception il lui arrive
de se produire autrement. Trouver en terre un coffre d’objets précieux arrive
normalement quand on creuse où on se rappelle de l’avoir enfoui, lieu que
confirme le plan qu’on s’en était dessiné; mais par exception la trouvaille se
produit quand on creuse en vue de préparer une tombe. Aristote greffe nettement
la deuxième opportunité comme une exception aux cas plus réguliers :
παρὰ ταῦτα. La
constatation est facile que le deuxième membre intéressera la définition du
hasard : son effet ne se rattache pas à sa cause normale. Quant à la
situation normale :
Manifestement, on ne donne le hasard pour cause ni des uns ni
des autres; réciproquement, l’effet dû au hasard ne consiste non plus en rien
de nécessaire et de permanent, ni en rien de fréquent.[7]
Quant aux
exceptions : « Ces effets, tous l’admettent, dépendent du hasard (ἀπὸ τύχης). »[8]
Ici, une autre
ambiguïté. Qu’est-ce qu’on se prépare à définir : la fortune? la chance?
Certes non! Pas spécialement! Il s’agit du hasard commun, dont Aristote énumère
tout de suite après les espèces: « Le hasard (τὸ αὐτόματον) et la chance (ἡ τύχη) sont
donc réels, manifestement. »[9] Un peu plus loin, Aristote
clarifiera encore son intention, en reportant à plus tard leur
distinction : « On attribue alors ces effets au hasard et à la
chance. Il faudra plus loin déterminer la différence entre ces deux-là. »[10] Au moment de le faire, Aristote
signalera que le hasard a plus d’extension et précisera que ce devrait être à
lui de donner son nom à cette cause prise dans sa plus grande
universalité : « Hasard et chance diffèrent du fait que le hasard
s’étend à plus de cas; en effet, tout ce qui advient par chance advient par
hasard, mais tout ce qui advient par hasard n’advient pas par chance. »[11] Pourquoi donc, dans le contexte
commun du début du chapitre 5, Aristote privilégie-t-il le nom de la chance, ἡ τύχη? Peut-être parce que τὸ αὐτόματον n’est pas aussi courant, aussi familier. En tout cas, il compte
sûrement sur le fait que τύχη revêt couramment le sens commun. En français
‘fortune’ et ‘chance’ ne sont pas aussi versatiles et risquent fort de donner
l’impression d’un contexte plus restreint, puis de suggérer une interprétation
inadéquate des divisions à venir, et finalement de faire attendre une définition
précise de la chance avant d’en terminer avec le hasard commun. Il vaut donc
mieux, dans ce contexte général, traduire τύχη par
‘hasard’.[12]
Le hasard se
présente donc comme une cause originale. Contrairement à la nature, il ne se
répète pas; à la différence de l’intelligence, il ne prévoit pas. Il réitère
rarement les mêmes effets et si par exception il le fait, ce sera moyennant une
toute autre voie.
Une deuxième
division le cerne de plus près. Division encore assez simple, mais dont l’habit
lexical va rendre l’intelligence ardue : « Τῶν δὲ γινομένων τὰ μὲν ἕνεκά του γίγνεται, τὰ δ’οὔ. — Certains effets se visent,
d’autres non. »[13] Quelle est la portée exacte de ce ‘ἕνεκά του’
qui caractérise certains effets à la différence d’autres? Cette étiquette,
Moerbeke le confirme en la traduisant ‘propter aliquid’, risque fort
d’entretenir l’ambiguïté du dividende relevée plus haut. Elle tourne l’attention
sur le changement même, sur le moyen, plutôt que sur sa fin, sur son effet.
C’est l’impression qui se dégage encore plus nettement d’une traduction comme
celle de Carteron : « Parmi les faits, les uns se produisent en
vue de quelque chose, les autres non. » On imagine Aristote prétendre
que certains changements constituent des moyens en vue d’une fin, tandis que
d’autres se feraient… pour rien. Étrange remarque, dont au surcroît on anticipe
mal l’aide qu’elle pourrait apporter dans le contexte.
En fait, rien
ne se fait pour rien, tout se fait pour quelque chose. Saint Thomas le
notera et se torturera les méninges pour y trouver du sens : il y a du
moins la fin ultime qui ne se réalise pas pour autre chose; il y a encore certains
gestes cocasses, dont la fin reste plus ou moins imaginaire.
Cette division comporte toutefois une difficulté, car de fait tout agent vise un effet, qu’il le fasse par nature ou par intelligence. L’action qui ne vise pas un effet, à ce qu’il dit, c’est sans doute celle exercée pour elle-même, du fait qu’elle présente un plaisir ou une noblesse qui la fait plaire en soi. Ou encore, l’action qui ne vise pas d’effet, c’est celle qui n’est pas délibérée; par exemple, se frotter la barbe, ou autre chose de la sorte, qui se fait parfois sans délibération, sous la motion de la seule imagination; cela comporte une fin imaginaire, mais non délibérée.[14]
Le malaise
s’accroîtra davantage quand Aristote, avec emphase et à répétition, et jusque
dans la définition ultime qu’il en donnera, précisera qu’il faut accorder au
hasard, comme à la nature et à l’intelligence, ce caractère ‘ἕνεκά του’,
dont on s’attendrait spontanément qu’il lui répugne.
Νῦν δὲ τοῦτο ἔστω φανερόν, ὅτι ἄμφω - ἡ τύχη καὶ τὸ αὐτόματον - ἐν τοῖς ἕνεκά τού ἐστιν. — Dès maintenant, que ce soit manifeste : les deux - tant le hasard que la chance – concernent des effets qui se visent.[15]
Ἡ τύχη αἰτία … ἐν τοῖς κατὰ προαίρεσιν τῶν ἕνεκά του. — Le hasard est une cause … qui intervient dans les effets qui se visent à dessein.[16]
Pour ne pas
s’enliser dans des conséquences absurdes, il faut rappeler bien clairement que
le dividende, le sujet à diviser, c’est le résultat, l’effet, non le processus
qui y conduit. On saisit alors que ce ‘του’,
cet ‘aliquid’, c’est l’effet lui-même. Certains résultats, c’est ce
qui intéresse Aristote, sont justement ce que recherche leur cause en agissant,
c’est pour les produire qu’elle fait ce qu’elle fait; d’autres effets ne font
pas ainsi l’objet d’une recherche, ils résultent par adon. Tout agent peut bien
agir pour une fin, mais il aboutit tout de même aussi à certains résultats
qu’il ne recherchait pas.
Même ceci
élucidé, on ne comprend néanmoins pas encore très bien le propos d’Aristote. De
toute évidence, en effet, les effets du hasard ne sont pas des effets
recherchés. Comment Aristote peut-il alors les ranger aussi péremptoirement
avec ceux de la nature et de l’intelligence?
L’affirmation
ne peut se légitimer que dans la mesure où Aristote s’intéresse à la finalité
des effets sous leur aspect potentiel. Il ne s’agit pas de distinguer
des effets visés de fait d’autres qui ne le sont pas; cela fera l’objet de la
troisième division. Il s’agit ici, plus radicalement, de distinguer les effets susceptibles
d’être recherchés de ceux qui y répugnent. Pour parler sans détour, la
distinction s’opère ici entre des effets bons et des effets indifférents.
Voilà qui rattache singulièrement l’œuvre du hasard à celle de la nature et de
l’intelligence et qui, ce faisant, éclaire utilement l’essence du hasard. Ce
n’est pas n’importe quel résultat rare qui mérite de s’attribuer au hasard,
mais seulement celui qui est bon, et qu’on rechercherait, si on connaissait cet
intérêt qu’il recèle. C’est tout à fait dans cette ligne qu’Aristote confirme
sa remarque :
Par exemple, on y serait allé pour toucher de l’argent et recouvrer une créance, si on avait su. De fait, on n’y est pas allé pour cela, mais, par coïncidence, on y est allé et on s’est trouvé à le faire [comme] pour recouvrer cette créance… De fait, le résultat, ce recouvrement, ne compte pas parmi les causes dans ce cas; il compte quand même parmi les desseins [éventuels] de l’intelligence. C’est pour cela qu’on affirme que c’est par hasard qu’on y est allé.[17]
C’est pour
l’entendre ainsi qu’Aristote sera tout à fait justifié d’assimiler les effets
du hasard à ceux de la nature et même à ceux de l’intelligence.
Διὸ περὶ τὸ αὐτὸ διάνοια
καὶ τύχη. — Aussi
intelligence et hasard concernent-ils le même effet.[18]
Cependant,
seule une attention très vigilante au contexte permet d’apercevoir cette subtilité.
Comme les termes grecs et latins utilisés (ἕνεκά του, propter aliquid) et, pire encore, la
locution française (en vue de quelque chose) se prennent normalement
en acte et qu’aucune indication, sinon le contexte lui-même, ne donne la couleur
potentielle, tous les lecteurs se prennent au contresens : Moerbeke,
Carteron et même saint Thomas. Mais cette méprise n’apparaît franchement que
lorsqu’ils s’essaient à préciser plus que ne le fait textuellement le grec,
comme dans les efforts de saint Thomas signalés plus haut pour trouver à quoi
pourrait bien correspondre un événement produit pour rien. On en cueillera le
fruit plus mûr au moment de recevoir la distinction suivante.
Qui n’est
pas rompu à la gymnastique homonymique que pratique Aristote ne peut éviter
d’être dérouté par la division qui suit. Il aura manqué la nuance potentielle
de la seconde division et arrivera à cette troisième en la croyant déjà
effectuée. Pire, mais probable, il ajoutera contresens à contresens et soupçonnera
qu’Aristote, changeant son plan de route, se met dorénavant plus précisément en
quête de l’essence de la chance.
Τούτων δὲ τὰ μὲν κατὰ προαίρεσιν, τὰ δ’ οὐ κατὰ προαίρεσιν, ἄμφω δ’ ἐν τοῖς ἕνεκά του. — Parmi les premiers,
certains sont à dessein, d’autres non, mais ces deux types d’effets se visent.[19]
Qu’est-ce à
dire? La première impression conduit facilement à la traduction assez littérale
rencontrée chez Moerbeke et Carteron :
Horum autem alia quidem secundum propositum fiunt,
alia vero non : ambo autem sunt in iis quae sunt propter hoc. — Parmi les
premiers, les uns se produisent par choix, les autres non par choix, les uns et
les autres étant des faits qui se produisent en vue de quelque chose.
Qu’entend au
juste Aristote par ‘προαίρεσιν’? Le choix? Le choix est une
prérogative de l’intelligence, de sorte que s’annoncerait ici la distinction
entre les effets de l’intelligence et ceux de la nature et du hasard. À qui a
acquiescé au contresens que je signalais à propos de la seconde division, et a
cru déjà discernés les effets recherchés effectivement de ceux qui ne le sont
pas, il paraît naturel que la précision subséquente distingue entre nature et
intelligence, l’une visant ses effets spontanément l’autre le faisant
consciemment, en s’y décidant volontairement. Et c’est bien ainsi que
l’interprète saint Thomas.
Voici la troisième division. L’effet visé, dit le Philosophe, tantôt procède de la volonté, tantôt non. Mais les deux cas restent dans le cadre de l’effet visé. Car non seulement l’effet qui procède de la volonté est visé, mais aussi ce qui vient de la nature.[20]
Je ne connais
pas de commentateur ou d’exégète d’Aristote qui voie les choses autrement.
Pourtant, à y regarder de près, cela ne colle pas. D’abord pour toutes les
raisons données plus haut de recevoir la seconde division avec une note
potentielle, qui laisse encore à faire la division entre effets effectivement
recherchés ou non. Ensuite, parce que toucher à ce moment-ci ce que la chance a
de spécial est prématuré, Aristote se proposant clairement de définir le hasard
communément, avant d’en distinguer les espèces. Enfin, avec cette
interprétation, la phrase suivante d’Aristote prend chez Moerbeke l’allure
d’un truisme timide qui jure avec le contexte :
Quare manifestum quoniam in iis quae sunt secundum necessarium, et quae sicut frequenter, sunt quaedam (!!!) circa quae contingit quod est propter hoc. Sunt autem propter hoc quaecumque ab intellectu utique aguntur, et quaecumque a natura. — Aussi, manifestement, même en ce qui fait partie du nécessaire et du fréquent, il peut exister des effets visés : ‘est visé’ tout effet que l’intelligence et la nature produisent.
Cette remarque
est timide jusqu’à en être fausse. Du moins jusqu’à suggérer une fausseté. L’affirmation
telle que lue vaudrait, s’il y avait à se surprendre que des effets
nécessaires et constants soient recherchés par leur cause et si la nature et
l’intelligence ne visaient normalement pas le résultat qu’elles produisent. À
lire isolément pareille remarque, on la croirait le fait d’une pensée absurde
qui nie généralement la finalité de la nature et même celle de l’intelligence
dans leur action, tout en concédant quelque exception. Pourtant, quelques
chapitres plus loin, Aristote s’évertuera à manifester le contraire et donnera
la constance et la régularité comme principal signe que normalement la nature
recherche comme fin ce qu’elle produit.[21]
De fait, cette
remarque étrange doit s’imputer à une lacune qui privait le texte dont disposait
Moerbeke d’un mot capital. Ce qu’affirme Aristote comme devenu évident, c’est,
à l’opposé, que « même en ce qui fait exception au nécessaire et
au fréquent, il peut exister des effets susceptibles d’être visés » :
« Ὥστε δῆλον ὅτι καὶ
ἐν τοῖς παρὰ τὸ ἀναγκαῖον καὶ τὸ ὡς ἐπὶ πολὺ ἔστιν ἔνια περὶ ἃ ἐνδέχεται ὑπάρχειν τὸ ἕνεκά του. » Ce ‘παρὰ’, auquel aurait dû correspondre un ‘praeter’
dans la version latine[22], est essentiel. La surprise que
ménage Aristote, c’est que même les faits rares de la première division, en
lesquels on trouvait les effets du hasard, fournissent des sujets au membre ‘ἕνεκά του’
de la seconde division. Ceux-ci seront justement les effets du hasard; ce sera
par cette appartenance au domaine du ἕνεκά του qu’ils se distingueront des autres effets
rares, indifférents et insignifiants.
Voudra-t-on
opposer à cette explication la fin de la phrase comme la comprennent Moerbeke
et, par contamination, saint Thomas, qui réserve le ἕνεκά του, le ‘propter quid’ à la nature et à
l’intelligence? Moerbeke traduit :
Sunt autem propter hoc quaecumque ab intellectu utique aguntur,
et quaecumque a natura. — ‘Est visé’ tout effet que l’intelligence et la nature
produisent.
… et saint
Thomas commente :
D’ailleurs, l’effet nécessaire ou régulier advient par nature ou à dessein. Manifestement donc, tant en ce qui advient toujours qu’en ce qui advient régulièrement, des effets sont visés, puisque tant la nature que l’intelligence visent une fin.[23]
Certes, on
trouve là réitérée l’interprétation ‘actuelle’, ‘effective’, de la seconde
division. Pourtant la phrase traduite se proposait justement de réitérer son
sens potentiel, manqué par Moerbeke, encore faute de fidélité déjà dans le
manuscrit grec dont il disposait. Où Moerbeke nous sert l’indicatif ‘aguntur’,
Aristote y allait d’un optatif :
Ἔστι δ’ ἕνεκά του ὅσα τε ἀπὸ διανοίας ἂν πραχθείη καὶ ὅσα ἀπὸ φύσεως. — Se vise tout effet que l’intelligence et
la nature pourraient produire.
Encore une
fois, tout ne se comprend vraiment et ne prend du sens que pour autant qu’on
donne cette connotation potentielle à la seconde division : on range comme
‘finalisable’, comme l’objet éventuel d’une visée, tout ce que la nature ou
l’intelligence pourraient produire, c’est-à-dire tout bien.
Et ce champ inclut aussi tout ce que le hasard produit, qu’on ne remarque et ne
lui attribue que dans la mesure du bien qu’il comporte.[24] Carteron, à qui ne manquait ni le ‘παρά’ ni l’optatif donne une
traduction plus correcte, quoique quelque peu confuse par abstraction.
On voit, par
suite, que parmi les faits qui font exception à la nécessité et à la fréquence il y
en a auxquels on peut appliquer la détermination téléologique. Les faits qui
sont en vue de quelque chose sont tous ceux qui
pourraient être
accomplis par la pensée ou la nature.
Quelle est
donc, ultimement, la portée de la troisième division qu’Aristote impose aux
effets éventuels de toute cause? Simplement ce que généralement on croit déjà exprimé
dans la seconde division : entre tous les effets qu’une cause pourrait
accomplir en les recherchant, il y en a qui se trouvent effectivement
recherchés, alors que d’autres se trouvent accomplis sans être recherchés de
fait. Voilà la case qu’occupera précisément l’effet de hasard : un effet
rare, susceptible d’être recherché, sans l’être effectivement.
Comment
justifier Aristote de qualifier ainsi de ‘κατὰ προαίρεσιν’ tous les effets recherchés en
acte? Sous quel angle déclare-t-il ‘à dessein’ la production de ses effets par
la nature? Comme dans bien d’autres déclarations subtiles formulées par
Aristote, il faut reconnaître une homonymie. Certes, le choix, à
strictement parler, relève de l’intelligence et de la volonté et les êtres
naturels ne choisissent pas. Mais un caractère commun unit l’intelligence et la
nature, et les distingue du hasard : une direction, une fin, une inclination
déterminée : les deux appliquent des moyens proportionnés ordonnés à une
fin, contrairement au hasard, qui aboutit en faisant n’importe quoi au bien
qu’il réalise. Il y a dans l’imposition de base du mot ‘προαίρεσις’ de quoi connoter cette ‘prise
d’avance’ (πρό, αἰρέω) de la fin, cette orientation effective vers
elle, commune à la nature et à l’intelligence.
Aristote dispose
dorénavant des éléments requis pour définir l’effet du hasard. Reste seulement à
combiner les différences investiguées : il s’agit d’un effet rare,
bon, mais non recherché. Plutôt que de répéter dans les mêmes
termes les membres des divisions successives, Aristote dira plutôt, ce qui
revient tout à fait au même, que l’effet de hasard est celui qui pourrait se
viser, mais est produit par accident, à la condition de ne pas revenir régulièrement.
De pareils effets[25], quand ils se produisent par accident, on les attribue au hasard…[26]
Plutôt que de répéter qu’il s’agit d’un bien qui ne soit pas recherché, Aristote qualifie sa production d’accidentelle, ce qui revient au même; en restreignant l’effet de hasard aux biens produits par accident, il pointe ceux des biens produits qui ne sont pas effectivement recherchés[27]. Pour la rareté, il y reviendra quelques lignes plus tard, car il se trouve des accidents régulièrement liés aux causes et effets par soi, et ceux-là ne peuvent s’attribuer au hasard. Il rappellera cette exigence de rareté à l’occasion de l’exemple du recouvrement chanceux d’une créance.
… à la condition qu’on ne fréquente pas cette place régulièrement, ni qu’on ait dû s’y trouver… Si on y allait constamment, ou si on y recouvrait régulièrement des créances, ce ne serait pas par hasard.[28]
Il me paraît
que c’est ainsi exactement que ces lignes s’articulent sur l’intention d’Aristote :
colliger les différences acquises moyennant les distinctions antérieures, bien
y situer l’effet de hasard, de façon à préparer immédiatement la définition de
sa cause.
Néanmoins,
saint Thomas le voit un peu autrement et sa lecture comporte son mérite pour
approfondir l’intelligence de la définition à venir. Le hasard qu’on s’apprête
à définir, signale saint Thomas, est une cause. Pour en investiguer la nature,
en plus des notes essentielles à son effet, on a aussi besoin de considérer
certaines distinctions entre les causes. On pourra alors qualifier le mode
d’opérer qui habilite ainsi le hasard à produire de ces effets bons, ou
mauvais, sans pourtant chercher ni à les produire, ni à les éviter. Or le
hasard tient cette ‘compétence’ d’une coïncidence : c’est par accident
qu’il produit le bien qui résulte de lui. Une cause ‘normale’ produit son
effet par elle-même, en raison de sa forme, elle cause par soi. Le
hasard se caractérise comme cause par accident, c’est-à-dire qu’il est
responsable du bien qui coïncide avec le résultat visé déterminément par une
cause par soi. Ainsi, à creuser une tombe, on obtient normalement comme
résultat… une fosse propre à recevoir une tombe; mais par accident, on peut
exceptionnellement en plus trouver un trésor enfoui là. À ouvrir une porte, on
obtient normalement l’entrée libre dans une pièce; par accident, on peut en
plus blesser quelqu’un qui se trouve derrière la porte à rattacher son lacet de
soulier.
Τὰ δὴ τοιαῦτα[29], ὅταν κατὰ συμβεβηκὸς γένηται, ἀπὸ τύχης φαμὲν εἶναι. — De pareils effets [i.e. qu’on pourrait viser], quand ils se trouvent produits par accident, on les attribue au hasard.[30]
À remarquer que
la cause par accident peut l’être de deux façons : la coïncidence peut
porter sur un caractère lié à la cause même, ou à l’effet. Un musicien peut par
accident construire une maison, s’il se trouve que le constructeur auquel elle
est due par soi est musicien. Mais le hasard cause par accident plutôt en
raison d’un résultat connexe lié à l’effet visé et produit par soi, comme dans
les exemples qui précèdent. Et encore faut-il préciser qu’il doit s’agir d’un
résultat rarement lié à l’effet par soi, non de quelque chose qui accompagne
toujours ou souvent sa production. Sur cette triple façon de causer par
accident et sur la modalité qui constitue le hasard, saint Thomas s’exprime
sans ambiguïté et se fait plus exhaustif qu’Aristote, qui, étrangement,
illustre d’abord la cause par accident due à une coïncidence chez la cause
même.
Aristote présente une division du côté de la cause. Lorsque, dit-il, de pareils effets : à dessein, visés, exceptionnels[31], procèdent d’une cause par accident, on les attribue à la chance. En effet, des êtres sont par soi, d’autres par accident, et il en va de même aussi des causes; par exemple, l’art de la construction est la cause par soi d’une maison, tandis que le blanc ou le musicien en sont des causes par accident.
Toutefois, remarquons-le, on attribue en deux sens à la cause, de l’être par accident : en un sens du côté de la cause, en l’autre du côté de l’effet. Du côté de la cause, quand ce qu’on déclare cause par accident se rattache à une cause par soi : par exemple, si on donne le blanc ou le musicien comme cause d’une maison, du fait de se trouver accidentellement rattachés au constructeur.
Du côté de l’effet, quand on regarde un caractère rattaché accidentellement à l’effet : par exemple, quand on donne le constructeur comme cause d’une discorde, du fait que par accident une discorde surgisse à l’occasion de la construction d’une maison.
Or on donne le hasard comme cause par accident au sens où quelque chose se rattache par accident à un effet. Par exemple, si à creuser une tombe se rattache par accident la découverte d’un trésor. En effet, l’effet par soi d’une cause naturelle est celui qui s’accorde à l’exigence de sa forme; de même l’effet par soi d’une cause qui agit intentionnellement est celui qui se conforme à l’intention de l’agent. Aussi, tout ce qui advient dans l’effet en dehors de cette intention s’y trouve par accident.
À la condition que ce qui arrive en dehors de l’intention le fasse exceptionnellement. En effet, ce qui s’attache toujours ou régulièrement à un effet tombe sous la même intention. Car il serait stupide de donner une chose comme son intention, tout en prétendant ne pas vouloir un aspect qui s’y rattache régulièrement ou toujours.[32]
Il est temps de
récolter le fruit de ces distinctions en cascade. Elles s’emboitent précisément
l’une dans l’autre pour dessiner une image des plus claires. Pour autant certes
qu’on les reçoive avec le sens que leur prête Aristote. Ce à quoi faillit saint
Thomas, piégé par une traduction fautive d’un texte lacunaire :
Clairement donc, ces trois divisions s’incluent mutuellement : l’effet qui advient à dessein ou par nature est visé, et ce qui est visé advient toujours ou régulièrement.[33]
Ainsi
articulées, ces divisions n’offrent aucun éclairage direct sur la nature du
hasard; elles paraissent au contraire ordonnées à parler de la nature et de
l’intelligence. Une lecture plus attentive d’un manuscrit mieux restitué
conduit plutôt à suivre un chemin qui éclaire progressivement l’essence du
hasard dans toute son universalité, un chemin qu’il faut plutôt retracer
ainsi : l’exception aux activités régulières de la nature et de
l’intelligence comporte parfois assez de bien pour être recherchée,
même si quelquefois elle survient sans l’être, comme un pur accident.
Voilà ce qu’on attribue au hasard.
Fort de ces
distinctions, Aristote peut maintenant servir une définition claire et précise
du hasard, évidente même, affirme-t-il :
Δῆλον ἄρα ὅτι ἡ τύχη αἰτία κατὰ συμβεβηκὸς ἐν τοις [ὡς ἐπὶ ὀλίγον] [οὐ] κατὰ προαίρεσιν τῶν ἔνεκά του. — Évidemment donc, le hasard constitue une cause par accident d’effets [exceptionnels] qui ne sont pas visés, mais seraient susceptibles de l’être.[34]
Aussi évidente
que soit cette définition, aussi claire que soit maintenant devenue la
conception du hasard qu’elle résume, sa formulation de détail résiste beaucoup
à l’analyse et à l’interprétation de détail, et excuse encore une fois toutes
les méprises qui ont obscurci la présentation des divisions qui y ont conduit.
Assez
manifestement, Aristote confectionne sa définition en mettant bout à bout les
différences révélées dans ces divisions. Mais il le fait avec une certaine nonchalance,
semble-t-il. En raison de la trop grande évidence de contexte, qui n’exige pas
de tout redire? Suite à quelque lacune ou déformation de copie inspirée des
méprises antérieures d’interprétation?
En tout cas, la
formule présente des lacunes. D’abord l’omission de l’aspect exceptionnel qui
se dégageait de la 1ère division. La présence de cet élément dans la
traduction de Moerbeke donnerait à penser qu’à son époque tous les manuscrits
n’accusaient pas ce manque.
Manifestum
est ergo quod fortuna causa sit secundum accidens in his quae in minori
sunt secundum propositum eorum quae propter hoc sunt.[35]
On pourrait
alléguer que la qualification du hasard comme cause par accident
suffit à laisser entendre que son effet sera exceptionnel. Mais on l’a fait
remarquer : certains accidents sont tout de même récurrents. Plus
troublante est l’absence de la négation, en rapport à la différence inspirée de
la 3e division : le hasard produit des effets sans
les rechercher, ses effets doivent se marquer comme ‘non à
dessein’. Là encore on pourrait alléguer que la tournure ‘par accident’ de la
cause suffit à garantir que ses effets ne soient pas recherchés, même si on les
range parmi “les effets visés à dessein” ou, comme le dit Carteron, “survenant
dans les choses qui, étant en vue de quelque fin, relèvent en outre du choix”.
Mais je ne crois pas que cela se défende sérieusement. Il me semble plutôt
qu’en parlant ainsi on continue les méprises antérieures. La traduction que je
viens de citer de Carteron en témoigne, ainsi que le commentaire de saint
Thomas :
Cela, dit-il, appert manifestement : le hasard
intervient comme “cause par accident en rapport à des effets exceptionnels
produits à dessein entre ceux qui sont visés”.[36]
Pour l’éviter,
il faudrait entendre cette formulation comme potentielle et comprendre,
par exemple, qu’il s’agit de produire par accident “des effets susceptibles
d’être visés à dessein”. Mais alors, ce ‘à dessein’ entendu potentiellement ferait
figure de pléonasme, n’ajoutant rien au fait d’être ‘susceptible d’être visé’.
Non, je crois
que rendre fidèlement l’intention d’Aristote impose de restituer la négation
perdue. Il faut lire Aristote ainsi que je le traduisais d’entrée de jeu :
Le hasard constitue une cause par accident d’effets exceptionnels qui ne sont pas visés, mais seraient susceptibles de l’être.[37]
Dans toutes les vicissitudes de son
interprétation, cette page d’Aristote me tient dans l’émerveillement.
Émerveillement encore une fois devant la clarté, la précision, le réalisme, la
rigueur d’Aristote qui nous conduit dans les méandres de la science naturelle
avec tant d’autorité et d’intelligence. Émerveillement aussi devant
l’intelligente docilité de son commentateur Thomas qui, malgré tous les
obstacles d’une lettre compromise à coups de lacunes et de contresens de
traduction, sait découvrir et transmettre l’essentiel de la pensée d’Aristote
même dans l’impossibilité d’éviter tous les pièges dressés par la maladresse de
l’édition du texte. Je m’imagine difficilement que saint Thomas n’ait pas au
moins flairé quelque gaucherie dans les pléonasmes, les contradictions, les
inexactitudes inhérents à ce texte tel qu’on le lui présentait; mais il a su
recevoir et transmettre l’essentiel de son contenu sans jeter de discrédit sur
son auteur par quelque allusion à ces défauts soupçonnables de détail
d’écriture. Émerveillement aussi et reconnaissance que pareille doctrine nous
parvienne malgré tous ces accidents de transmission qui auraient bien pu la
réduire à un embrouillamini inintelligible.
La lecture de
cette page me convainc encore aussi que nos efforts ne sont jamais ni perdus ni
exagérés de relire et relire Aristote et saint Thomas jusqu’à ce que chaque réflexion
particulière s’articule nettement sur une intention unique et déterminée d’aboutir
à quelque développement important pour l’intelligence du sujet abordé.
[1] D’abord donné comme communication à la Société d’Études Aristotélico-Thomistes, au colloque tenu à Québec les 14 et 15 août 2015.
[2] Celle que Henri Carteron a publiée aux Belles Lettres : Aristote, Physique (tome premier : I-IV), 3e éd., Paris, ©1961. Pour alléger, j’y renverrai simplement par le numéro Bekker.
[3]
Saint Thomas donne souvent l’échec à ce faire comme signe clair
qu’un commentaire de détail, aussi brillant soit-il, n’est pas recevable.
Ainsi, In VIII Phys., leç. 1, #966 ss., il insiste : « Secundum hanc intentionem exponendum
est praesens capitulum…, on doit expliquer le présent chapitre
suivant l’intention suivante… ». Faire autrement, comme
Averroès se le permet souvent, « ridiculum est, est
ridicule » et « ratio autem ex qua Averroes motus fuit
omnino frivola est, le motif qui inspire Averroès est tout à fait frivole ».
De même encore, In VIII Phys., leç. 2, #974 : « Nec hoc
etiam est secundum intentionem Aristotelis, cela non plus ne respecte pas
l’intention d’Aristote. ». Saint Thomas montre le même scrupule dans le commentaire de saint
Paul : « Hoc non videtur esse secundum intentionem Apostoli, cela
ne paraît pas respecter l’intention de l’Apôtre. » (In VII ad Rom., lect. 1, 92a) Ce souci vaut d’ailleurs dès qu’on
a affaire à un auteur particulièrement rigoureux.
[4] In II Phys., leç. 8, #207. — Pour alléger, je renverrai à l’avenir à ce
commentaire simplement par le nom de Thomas.
[5] 196b10-14 (à moins que je ne précise autrement, il
s’agira de ma propre traduction).
[6]
Spécifiquement, pas
numériquement évidemment.
[7] Ibid.
[8] 196b14-15.
[9] 196b15.
[10] 196b30-32.
[11] 196b36-197a1.
[12]
Comme je le faisais, quelques
lignes plus haut, à la différence de Carteron
qui dit : « Il est évident que la fortune n’est dite la cause ni des uns ni
des autres… Tout le monde appelle [les faits qui se produisent par exception à
ceux-là] effets de fortune. »
[13]
196b17-18.
[14] Thomas, #211.
[15] 196b32-33.
[16]
197a5-6. Carteron : « La fortune est
une cause … survenant dans les choses qui, étant en
vue de quelque fin,
relèvent en outre du choix. »
[17] 196b33-197a3.
[18] 197a7-8.
[19] 196b18-19.
[20] Thomas, #212.
[21] Voir ch. 8, 198b34-199a7. S. Thomas résumera ainsi : « Tout
effet naturel se produit toujours ou régulièrement… Tout effet de nature est
donc visé comme fin. »
[22]
En écho au παρὰ et au praeter rencontrés lors de la 1ère
division (supra, 196b14).
[23]
Thomas, #213.
[24]
Ou du mal, si on veut pointer
aussi le mauvais hasard et la malchance. Celui-ci est tout ce que la nature et l’intelligence
cherchent… à éviter. Ce qui est exclu n’est pas le mal, mais l’indifférent,
incapable tout autant d’être fui que d’être recherché.
[25] Ὅσα ἕνεκά του : tous ceux qui se visent, que la nature
ou l’intelligence pourraient produire.
[26] 196b23-24.
[27]
Τὰ δ’οὐ κατὰ προαίρεσιν (196b18).
[28]
196b36-197a5.
[29] Τὰ δ’ἕνεκά του.
[30] 198b23-34.
[31]
Dans cette précision, s. Thomas
est encore tributaire des quiproquos antérieurs; il faudrait plutôt dire : exceptionnels, susceptibles d’être visés, mais de fait non à dessein.
[32] Thomas, #214.
[33] Thomas, #213.
[34] 197a5-6.
[35] Moerbeke, #143.
[36] Thomas, #216.
[37] 197a5-6.