IN PONTIFICIA FACULTATE
THEOLOGICA ²M A R I A N U M²
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P. Jean-Louis Barré S.M.
LA MISSION DE LA VIERGE MARIE
D’APRES LES ECRITS
D’EMILE NEUBERT S.M.
(1878-1967)
Tesi di Laurea in Sacra Teologia
con specializzazione in Mariologia
ROMA – 2007
DISSERTATIONES AD LAUREAM IN PONTIFICIA FACULTATE
THEOLOGICA ²M A R I A N U M²
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Vidimus et approbamus
Romae, ex aedibus Pontificiae Facultatis Theologicae
« Marianum »
die 08/06/2007
Prof. ERMANNO M. TONIOLO,
o.s.m.
Prof. TIZIANO M. CIVIERO,
o.s.m.
Visage de l’Eglise, ô Marie de
l’Agneau !
Justesse de la vie et chaleur du
Cénacle,
Maison de Dieu, navire, immense
Tabernacle,
Fidélité, douceur, écrin de notre
anneau,
Sois bénie à jamais !
Père Bernard Gillard
Profondeur
Mariale, Salvator,
Mulhouse, 1990, p. 120.
A « Marie qui défait les nœuds »
et au Père Raymond Halter s.m. (1925-1998),
en action de grâces.
Ce livre est
ma thèse de doctorat en théologie mariale que j’ai eu l’honneur de soutenir à
l’Université Pontificale Le Mariamum à Rome
Je veux
adresser tous mes remerciements aux “compagnons” de route avec qui mûrit mon
amour, ma connaissance et mon service de la Vierge Marie - grâce à eux,
ces travaux de théologie spécialisée sur la figure de la Vierge Marie, ont pu
progresser au fil des ans - à l’école primaire saint Etienne de Besançon
(France), au petit séminaire montfortain de Pelousey, aux foyers de Charité de
La Roche d’Or, Chateauneuf de Galaurre et La Flatière, à l’Institut carmélitain
de Notre Dame de Vie. Je remercie
surtout les professeurs de la Faculté du Centre Sèvres à Paris, puis ceux de la
Faculté du Marianum, dont le père Ermanno M. Toniolo directeur du Centre de
Culture Mariale « Madre della
chiesa» (Rome), et le regretté Père Igniazio M. Callabuig qui m’a initié à
la lectio divina.
Je souhaite
remercier également la Famille marianiste, grâce à qui j’ai fait alliance avec
Marie le 28 octobre 1992, à la chapelle de la Madeleine à Bordeaux, berceau de
la Société de Marie.
Un
remerciement plein de gratitude pour mes amis, si proches du cœur de Marie,
tels le Père Bernard Gillard et Denise Capelli, et en particulier ceux qui
m’ont permis d’enrichir cette étude par leurs précieuses critiques et leurs
compétences personnelles dont le Père François-Marie Léthel ocd qui m’a ouvert
des perspectives dans la théologie des saints.
P. Jean-Louis
Barré, s.m.
Qui était Emile Neubert ? Un prêtre
marianiste français, petit de taille, à la corpulence fragile, modeste et
humble. Il était alors étudiant en théologie dans la perspective du sacerdoce,
quand un médecin annonce à ses supérieurs qu’il poura pas poursuivre ses études
à cause de son état de santé général. Au contraire, durant sa longue existence,
il devient le plus considéré et le plus fameux théologien marial de la Société
de Marie, fondée par le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.
Connu dans le monde entier à travers ses
écrits, Emile Neubert peut être considéré comme l’un des acteurs de cette
mariologie qui, aujourd’hui, s’impose par son caractère rigoureux et
scientifique. Cependant elle ne s’extrait pas de la compréhension de la vie des
simples fidèles. Quarante années se sont écoulées depuis sa mort, mais sa
figure et son œuvre restent toujours vivantes dans le souvenir de ses confrères
marianistes, parce que ce fut lui qui, par sa vie et son activité de
théologien, comme écrivain et éducateur, a interprété fidèlement la
spiritualité mariale du bienheureux Chaminade et l’a diffusée au delà des
congrégations que celui-ci avait fondées.
Le nom de Neubert fait penser quasi
instinctivement à la Mère du Seigneur. On peut dire que dans ses innombrables
publications, tout est exprimé en clef mariale. Le cardinal Richaud disait de
lui qu’il possédait un vrai charisme pour parler de la Vierge Sainte ; le
Cardinal Suenens le définissait comme « un pionnier de la théologie
mariale mise à la portée de tous et insérée dans la vie pratique. » C’est
ainsi que fut Emile Neubert et c’est tel, que nous aimons nous souvenir de lui
en lisant ses œuvres de doctrine et spiritualité mariale qui continuent à
susciter enthousiasme et consensus.
Or, nous avons la chance d’avoir entre
les mains une publication étendue et approfondie de sa pensée. Jean-Louis Barré
S. M., avec sa thèse de doctorat, nous offre une étude qui parcourt amplement
toutes les œuvres d’Emile Neubert et il nous guide pour reprendre les lignes principales
et les plus évidentes de sa théologie mariale.
Le travail de Jean-Louis Barré présente
en un certain sens un long itinéraire que le même Neubert a parcouru pour
atteindre à sa pleine maturité comme théologien et maître de vie spirituelle.
Ceci apparaît déjà par l’autobiographie qui est prise opportunément en
considération au début de l’ouvrage.
Les fondements sont aussi les
désillusions du contexte théologique et culturel dans lequel a mûri la vocation
de Neubert pour l’étude de la mariologie. Ce dernier a bien compris qu’un
engagement dans l’approfondissement des sources historiques du christianisme
n’était pas superflu, par le fait que beaucoup de ces sources nécessitaient des
recherches ultérieures et des vérifications plus sures. Neubert concrétisa cet
engagement d’investigation historique dans sa dissertation d’accès au doctorat Marie dans l’Eglise anténicéenne. Par
ailleurs, dans le second chapitre Jean-Louis Barré passe en revue les auteurs
et courants de pensée qui peuvent avoir influencé directement ou indirectement
la formation culturelle et mariale de Neubert.
Le chapitre trois sur les traces de Marie dans le dogme, s’attache à la
théologie proprement dogmatique au sujet de la Mère de Dieu, élaborée par
Neubert. Il le fait avec abondance d’exposé et une enquête nourrie. Le chapitre
quatre, se référant au petit volume Mon
Idéal : Jésus Fils de Marie, qui est un véritable chef-d’œuvre de
spiritualité mariale montre comment Neubert offre aux fidèles, dans la personne
de la Mère de Dieu, une guide précieuse et enthousiasmante pour cheminer en
sécurité sur la voie de la sainteté chrétienne.
Pour conclure, Jean-Louis Barré, dans le
chapitre cinq, cherche à faire un bilan de la réception qui, aujourd’hui
encore, est réservé aux écrits de Neubert et des fruits spirituels qu’ils
produisent non seulement parmi les fils spirituels du bienheureux Chaminade
mais dans l’Eglise entière. Le prouvent entre autres, les traductions en de
multiples langues dans lesquelles les œuvres d’Emile Neubert furent publiées.
Le travail de Jean-Louis Barré se
présente avec les meilleures lettres de créance pour obtenir la bienvenue de la
part des religieux marianistes, des spécialistes en mariologie et des fidèles
qui réservent une place particulière à la Vierge Sainte dans leur chemin vers
la plénitude de la vie chrétienne, qui est Jésus Fils de Marie.
Luigi Gambero
s.m.
Rome, le 16
juin 2007
Mémoire du
Cœur Immaculé de Marie.
TABLE DES MATIERES
UN
APOTRE MARIAL DES TEMPS MODERNES
I.1.2 Postulat de Bourogne
1892-1894
I.1.3 Noviciat de Courtefontaine
1894-1895
I.1.5 Caudéran, Monceau,
Stanislas, 1900-1903
I.1.6 Séminaire de Fribourg
1903-1907
I.1.8 Retour en Europe :
Strasbourg - Fribourg 1921-1949
I.1.9 Grangeneuve - La Tour de
Sçay 1949-1962
I.1.10 Retraite à Art-sur-Meurthe
1962-1967
I.2 Eléments de relecture théologique
I.3.1 Contexte pastoral et
ecclésial
I.3.2 Principales publications
LA
MARIOLOGIE EN FRANCE AU DEBUT DU XXe
SIECLE
II.1.1 Aperçu historique global
II.1.2 Aperçu historique ecclésial
II.1.3 Aperçu historique
mariologique
II.2 Etudes préliminaires en vue de sa thèse
II.3 La double influence de Montfort et de Chaminade
II.3.1 Saint Louis-Marie Grignion
de Montfort 1673-1716
II.3.2 Le bienheureux
Guillaume-Joseph Chaminade 1761-1850
MARIE
DANS LE DOGME ET LA PIETE SELON
L’APPROCHE D’EMILE NEUBERT
III.1.2 Appuis de la Tradition
III.1.3 Développements théologiques
III.2.2 Appuis de la Tradition
III.2.3 Développements théologiques
III.3.2 Appuis de la Tradition
III.3.3 Développements théologiques
III.3.4 L’Immaculée Conception
III.4.2
Appuis de la Tradition
III.4.3
Développements théologiques
III.5 La maternité spirituelle de Marie
III.5.2
Appuis de la Tradition
III.5.3
Développements théologiques
III.5.4 Vénération et invocation
III.6.1
L’aspect sacerdotal de la mission de Marie
III.6.3 La mission apostolique de
Marie
LA
VALEUR APOSTOLIQUE
DE MON IDEAL JESUS FILS DE MARIE
IV.1 Réception ecclésiale et
valeur doctrinale de
Mon idéal, Jésus Fils de Marie
IV.1.1 L’inspiration directrice et
sa réception
IV.1.2 Mon idéal comme
synthèse de l’enseignement du Père Emile Neubert
IV.2 Prolonger la relation de Jésus pour Marie : un
christocentrisme dynamique
IV.2.1 Le Mystère de l'Incarnation
jusqu’à la Croix rédemptrice
IV.2.2 Marie, Mère de l’Eglise,
Corps Mystique du Christ
IV.3 La mission de Marie et de l'Eglise
IV.3.2 L’aspect missionnaire de la
lutte contre le mal et de la victoire du bien
RELECTURE
ET PERSPECTIVES ACTUELLES
V.1 Réception et évolution de l’œuvre
V.2 L’influence de l’œuvre dans la Société de Marie et dans l’Eglise
V.3 L’œuvre dans le regard de Vatican II
L’héritage
d’une impulsion apostolique
mariale
AA.VV. |
Auteurs variés |
AAS |
Acta Apostolicae Sedis |
AdM |
L’apôtre de Marie |
AmiCl |
Ami du clergé |
ASS |
Acta Sanctae Sedis |
Autobiographie |
Emile Neubert, Autobiographie
d’Emile Neubert
(manuscrit) |
Cah. Mar. |
Les Cahiers Marials |
Cah. N-D |
Les Cahiers Notre-Dame |
CEC |
Catéchisme de l’Eglise catholique |
De
la découverte |
Emile Neubert,
De la découverte progressive des grandeurs
de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Paris, 1951. |
DSp |
Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique |
EF |
Collectif, L’Esprit de
notre Fondation d’après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs
de la Société, Nivelles, 1910. |
El Pilar |
Revue mariale espagnole |
EM I et II |
Guillaume-Joseph Chaminade, Ecrits
Marials I et II, Marianistes, Fribourg, 1966. |
EphMar |
Ephemaeridae
Mariologicae |
EtMar |
Etudes Mariales |
EtLi |
Etudes Liturgiques |
Jarc |
Gerald Jarc, Emile Nicholas Neubert, The living example of
the spirit and works of the Society of Mary, monograph, University of Dayton, 1960. |
Koehler |
Theodore
Koehler, «Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in Eph. Mar 17, (1967). |
La
doctrine |
Emile Neubert,
La
doctrine mariale de Monsieur Chaminade,
Paris, 1937. |
La
Mission |
Emile Neubert,
La
mission apostolique de Marie et la nôtre,
Paris, 1956. |
LG |
Constitution dogmatique Lumen
Gentium |
LV |
Lumen Vitae |
Marie
dans l’Eglise anténicéenne |
Emile Neubert,
Marie
dans l'Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908. |
Marie
dans le dogme 1933 |
Emile Neubert,
Marie
dans le dogme, Paris, 1933. |
Marie
dans le dogme 1954 |
Emile Neubert,
Marie
dans le dogme, Paris,
1954. |
Marie
et notre sacerdoce |
Emile Neubert, Marie et
notre sacerdoce,
Spes, Paris, 1952. |
MC |
Exhortation apostolique
Marialis Cultus. |
Mon
Idéal |
Emile Neubert,
Mon
Idéal, Jésus Fils de Marie, Canada,
2003. |
Notre
Don 1954 |
Emile Neubert,
Notre
Don de Dieu,
Paris/Tours, 1954. |
Notre
Mère |
Emile Neubert,
Notre
Mère : Pour la mieux connaître,
Le Puy, 1941 |
NMI |
Novo Millennio Ineunte |
NRM |
Nouvelle Revue Mariale |
NRTh |
Nouvelle Revue Théologique. |
PG |
Jacques-Paul Migne, Patrologiae cursus completus. Series
graeca. Paris, 1857 ss |
RAM |
Revue d’Ascétique et de Mystique |
RDT |
Revue de Dogme et de Théologie |
RET |
Revista Española de Teología |
RfR |
Review
for Religious |
RSPhTh |
Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques |
RSR |
Revue des Sciences Religieuses |
RThom |
Revue
Thomiste |
Sal. |
Salesianum |
SC |
Sources
Chrétiennes |
ST |
Summa
Theologiae |
Un prêtre |
Emile Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Paris, 1948. |
Vie |
Emile Neubert, Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1936. |
VS |
Vie
Spirituelle |
Le Père Emile Neubert (1878-1967), au début du
vingtième siècle, fut l’un des premiers théologiens qui ouvrit le chemin de la
recherche patristique sur la Vierge Marie. Sa thèse Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne fut remarquée dès sa
soutenance en 1907. Ce jeune théologien, un des précurseurs du renouveau
patristique en France, sera couronné d’un diplôme d’honneur anniversaire, le 7
mars 1966, par la Faculté Théologique de l’Université de Fribourg pour cette
thèse. Elle est encore aujourd’hui reconnue comme un jalon important dans les
études mariales. «C’était la première thèse patristique consacrée à la
Mariologie dans nos Facultés[1].» Publiée en 1908,
elle inaugurait une série de parutions de livres et d’articles, comme un
fondement scripturaire et patristique solide, gage d’une recherche inlassable
de l’auteur en vue d’unir «ses vues doctrinales et spirituelles qui étonnent
lorsqu’on lit ses ouvrages[2].» Ce que souligna
le Père Théodore Koehler, dans sa courte note biographique pour la revue Ephemerides
Mariologicae, en 1967, elle précédait une première présentation
bibliographique de l’auteur décédé la même année.
Dans le milieu populaire, c’est par un tout autre
ouvrage, différent pour le style et la forme, qu’Emile Neubert sera peu à peu
mondialement connu : Mon idéal,
Jésus Fils de Marie. Un traité qui, par la réception du grand public, le
mit en bonne position avec d’autres grandes œuvres mariales populaires très
célèbres comme Le Traité de la vraie
Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et Les gloires de Marie de saint Alphonse de Liguori.
Héritier de l’enseignement du fondateur de la
Société de Marie, le Père Chaminade, Emile Neubert par son petit livre Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous
présente, dans une sorte de petit « traité de spiritualité
missionnaire », une véritable pédagogie du cheminement vers la sainteté,
un itinéraire de vie chrétienne où Jésus et Marie s’adressent à tous les
baptisés sous le mode d’une relation interpersonnelle. Traduit en plus de
cinquante langues, cet ouvrage en format de poche inspira des millions de
chrétiens, dont saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.
Emile Neubert, après ce petit chef-d’œuvre de
spiritualité mariale, approfondira, écrira sur la mission de Marie et la nôtre
dans un souci d’évangélisation.
D’autres ouvrages et articles publiés sont autant de
sources à ajouter pour notre étude. Elle cherche à faire apparaître la
théologie spécialisée sur Marie dans le corpus
«neubertien», dont le fameux Traité Mon
idéal, Jésus Fils de Marie constitue l’ouvrage-clef. Les demandes de
rééditions expriment une attente de nos contemporains en recherche de «maîtres
spirituels» et de «chemins de spiritualité».
Dans le sillage de l’œuvre écrite d’Emile Neubert,
une réponse nouvelle à cette attente devrait « promouvoir une dévotion
enracinée dans les exigences doctrinales de la foi[3].»
Cette thèse que nous soumettons devrait permettre de
jeter les fondations en vue de la béatification d’Emile Neubert, mais notre
réflexion ne s’arrête pas à ce seul point.
Nous avons eu, durant toutes nos recherches, la
matière intellectuelle et spirituelle rejoignant notre intuition première. Nous
pressentions, en effet, que sa pensée théologique et spirituelle possède, soit
de manière approfondie soit à peine effleurée, des éléments qui nous
permettent, dans la continuité du Concile Vatican II et de la pensée mariale de
Jean-Paul II, d’œuvrer au renouvellement de la mariologie.
Les grandes intuitions d’Emile Neubert se trouvent
en gestation à l’intérieur de son discours. Si elles venaient à être reprises
dans une mise en relief de toute la théologie «neubertienne», nous aurions
alors la matière originale pour apporter son concours - post mortem - à la
maturité du Concile Vatican II dans ses applications pastorales et à l’œuvre
indispensable de l’œcuménisme.
Il nous semble, avec autant d’audace que d’humilité,
pouvoir solliciter le regard de l’Eglise sur l’évidente sainteté d’Emile
Neubert, lui qui décida dans son enfance de «ne plus commettre de péchés
véniels volontairement» afin de ne pas mettre en peine Marie dont il se fit
serviteur pour complaire à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ.
Méthode
d’étude de l’œuvre
Un premier chapitre nous permettra de faire
connaissance avec l’auteur. Il découvre son évolution personnelle, surtout dans
ses plus jeunes années, dont il entreprit une relecture dans son
autobiographie, commencée à l’âge de quatre-vingts ans, à la demande de son
supérieur de communauté. Nous situerons mieux la signification de son message
par ses engagements apostoliques comme prêtre dans la Société de Marie et, par
ses écrits, durant toute sa vie où il fut connu essentiellement comme
professeur de théologie et membre de sociétés mariales. Les principales
publications seront brièvement présentées avec leurs recensions, elles
donneront des repères de l’ensemble de son œuvre.
Un deuxième chapitre nous présentera la mariologie
en France au début du XXe siècle après un aperçu ecclésial puis
mariologique en se référant aux siècles précédents. Il tiendra compte de
l’évolution historique globale en Occident. Ensuite, après avoir repéré les
influences immédiates qu’il reçut, à l’époque de la rédaction de sa thèse, nous
ferons une relecture succincte de la double influence essentielle de Louis-Marie
Grignion de Montfort et surtout de Guillaume-Joseph Chaminade.
Un troisième chapitre nous donnera un aperçu des
thématiques majeures de sa mariologie dans le dogme et le culte. Nous suivrons,
par ces différentes thématiques liées à Marie, les fondements bibliques et
patristiques de son enseignement dans l’ensemble de son œuvre. Nous
découvrirons la mission maternelle et apostolique de Marie dans sa vision
théologique.
A la suite de cette approche d’ensemble de l’œuvre,
nous découvrirons, dans le quatrième chapitre, l’originalité du petit Traité Mon Idéal, Jésus Fils de Marie. Cette
relecture se fera à la lumière du chapitre De
beata de Lumen Gentium. Sous une
forme souple et un mode de transmission original, Emile Neubert nous offre les
fruits d’une pensée construite avec une mentalité mariale renouvelée dont les
autres œuvres nous dévoilent les arrières-fonds théologiques, patristiques,
bibliques, anthropologiques […] La réception internationale de Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous fera
rechercher les raisons pour lesquelles ce petit traité est beaucoup plus qu’une
simple dévotion.
Un cinquième chapitre abordera la question de la
réception de son œuvre, de son influence dans la Société de Marie et plus
largement dans l’Eglise. En lien avec les textes du Concile Vatican II et ceux
de l’après-Concile, à la suite d’un bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade et
de saint Louis-Marie Grignion de Montfort mieux connu, nous ferons une
relecture critique de toute son œuvre.
Nous possédons deux
biographies écrites par ses anciens élèves, l’une rédigée de son vivant par
Gerald Jarc[4] l’autre, par le Père Théodore Koehler[5] pour la revue Ephemerides
mariologicae[6], qui annonce le décès du Père Neubert survenu le 27
août 1967.
Nous possédons une
autobiographie[7] comme ce fut le cas pour sainte Thérèse de Lisieux
ou la bienheureuse Dina Bellanger, elle constitue un témoignage de grande
valeur spirituelle que nous recevons dans notre étude. Nous découvrons une vie
intérieure intense et riche :
Etant donné que mes supérieurs ne signaleront sans
doute guère que des défauts plutôt physiques : nervosité, timidité,
maladresse, […] et m’attribueront des dispositions de régularité, de piété,
surtout mariale, de zèle… On conclura que ma vie a été un beau rêve de jeunesse
réalisé dans l’âge mûr[8].
Théodore Koehler,
fils spirituel d’Emile Neubert, nous en offre un profil intéressant dans sa
biographie. Il situe son œuvre dans son époque afin de l’insérer au mieux dans
le vaste champ mariologique. C’est la raison pour laquelle, il fait allusion
aux bouleversements politiques et culturels du vingtième siècle, avec en
France, la loi de 1905, les deux guerres mondiales, et d’autre part, la crise
boursière de 1929 en Amérique :
Les besoins culturels, pastoraux varient beaucoup.
On est tenté de répéter le cliché facile qu’après Vatican II, une page est
définitivement tournée. Et pourtant ces hommes de la première moitié de notre
siècle eurent le mérite de faire le premier effort d’une saisie chrétienne de
l’accélération de l’histoire, du développement des sciences, écartant avec
intelligence et courage bien des impasses. L’épreuve ne leur a pas
manqué : les bouleversements des guerres mondiales et des révolutions
sociales, les crises idéologiques (modernisme, sécularisation, marxisme, […])
Avec les moyens alors à leur disposition, ils
assurèrent l’incessant renouveau de la véritable Tradition qui entre dans
l’histoire déjà écrite ou en train de s’écrire. Devant les tâches inconnues, il
est bon et nécessaire de découvrir aussi l’œuvre de ces mariologues d’une autre
génération qui surent, comme le Père Neubert, allier la volonté d’une recherche
scientifique à l’activité infatigable d’un apostolat marial des temps modernes[9].
Emile Neubert, dans
les différentes obédiences reçues de ses supérieurs, nous laissa un témoignage
de sainteté. Son parcours de vie et d’apostolat est riche de significations
théologiques, en parfaite fidélité à la grâce de son baptême, ainsi que
l’exprime le Père François-Marie Léthel : «Tous les saints sont
théologiens, seuls les saints sont théologiens[10].»
C’est toute la vie
du baptisé qui devient un «lieu théologique», par le fait même du déploiement
de sa sainteté, expression éclairante de notre vocation chrétienne, rappelée
par le chapitre cinq de Lumen Gentium
[désormais en abrégé LG] du Concile Vatican II.
Il se découvre dans
la lumière du Concile Vatican II, il nous entraîne dans le sillage des saints.
Avec lui, nous nous situons dans la communion de toute l’Eglise, l’Eglise en
pèlerinage qui est dans la communion la plus intime avec l’Eglise du Ciel (LG
7), dans celle qui contemple son vrai visage en Marie (LG 8), visage de la
sainteté immaculée, sans taches, ni rides.
Emile Neubert est né le 8 mai 1878, au pied des
Vosges alsaciennes à Ribeauvillé, une petite ville du Haut-Rhin, proche de
Saint Hippolyte où la Société de Marie fonda un Collège que le Bienheureux
Guillaume-Joseph Chaminade[11] connut comme maison
de récollection.
Les vocations de frères et de prêtres marianistes
sont nombreuses en Alsace, surtout dans la région du Val de Villé, la foi est
vive et profonde dans ces populations. Les maisons de Saint Hyppolite et
d’Ebersmunster, tenues par les Marianistes, jouissaient d’une excellente
renommée. Les frères de Marie dirigeaient des écoles et des pensionnats dans
une vingtaine de localités alsaciennes. En dehors des ordres anciens, les
congrégations étaient peu connues à cette époque.
Citons l’Ordre des Capucins parmi elles. Ces
religieux prêcheurs sont aujourd’hui encore responsables du célèbre sanctuaire
Notre Dame de Dusenbach[12] à Ribeauvillé et de
son pèlerinage. Ils voient cheminer, le dimanche et les jours fériés, les
habitants de toute la région. Les pèlerins font halte dans les chapelles et
devant les calvaires. Au temps d’Emile Neubert, les caravanes s’arrêtaient aux
abords du collège de Saint Hippolyte, devant le calvaire dressé près du grand
portail. Ils pouvaient prendre contact avec les religieux en redingote, réputés
accueillants et chaleureux[13].
Membre d’une famille de douze enfants, (neuf frères
et trois sœurs) dont cinq moururent en bas âge, le jeune Emile reçut, dès sa
prime enfance, une éducation chrétienne.
Il reconnait que dans son enfance, il fut en contact
avec d’autres jeunes de sa génération qui contredirent sa recherche d’allier
les actes à sa piété voulue par ses parents. Dieu était perçu par lui comme
source d’interdits, de commandements à observer, dans la crainte d’une punition :
«Je n’ai pas commencé par être un enfant pieux et sage[14].»
A l’école, doué d’une excellente mémoire et d’une
grande curiosité intellectuelle, il se décrit comme un enfant nerveux, timide,
maladroit, intimidable, supportant ses problèmes acoustiques et de myopie[15].
C’est au début de l’adolescence qu’il commença de
mûrir une relation personnelle avec ce Dieu qui s’est fait homme et, qui a fait
le choix : «de souffrir et de mourir pour moi[16]», selon son propre témoignage. Ce Dieu se
donnera à lui le jour de sa première communion à l’âge de quatorze ans.
Sa vocation naquit à l’âge de douze ans, provoquée
par l’appel que lui adressa sa sœur Albertine, de cinq ans son aînée. Elle
entrera dans la vie religieuse. Elle l’invita à faire comme un grand oncle de
la famille, le frère Louis Neubert, devenu frère enseignant dans la Société de
Marie.
Je n’avais jamais songé à une telle éventualité, mais comme je
participais à sa joie, j’ai répondu «oui». Elle en parla à mon père, qui
manifestait un certain étonnement devant cette vocation soudaine ; mais
quelque temps après, il écrivit à son oncle que son fils Emile envisageait (la
vie consacrée)[17].
Le «oui» courtois
que prononça Emile à sa sœur, dans la perspective d’entrer dans cette Société
de Marie, s’affermit avec l’appui de la famille, du père[18] notamment, dont il
appréhendait la réponse :
«Ecce …Fiat mihi !» Mais je ne pensais pas à Marie. C’est elle qui
pensait à moi[19].
L’oncle était heureux,
bien sûr. Il fut donc décidé qu’après ma première communion, j’irais au Postulat
de Bourogne, non loin de Belfort.
Je ne me souviens pas
d’une quelconque dévotion particulière chez moi pour Notre Dame avant mon
entrée au postulat ; ce fut une habitude pour les enfants en âge scolaire
que de dire le chapelet le soir, et je faisais comme tout le monde[20].
La première communion, à
l’époque, se célébrait à l’âge de 14 ans en Alsace[21]. J’ignorais alors que ces Frères s’appelaient les Frères de Marie ;
ainsi, dans mon esprit, il n’y avait aucun lien entre ma vocation et la Vierge
Marie. Ce n’était pas l’habitude non plus de prononcer un acte solennel de
consécration à Marie le jour de la première communion ; je n’ai pas le
souvenir d’avoir eu la moindre pensée pour Elle ce jour-là.
Sa première communion marqua un tournant décisif
dans sa vie spirituelle. Et, écrit-il dans sa biographie, le péché «apparaît
désormais comme un manquement contre l’amour de Celui qui a donné sa vie pour
moi et qui s’est donné tout à moi dans l’Hostie[22].» La décision de
rejeter le péché mortel et le péché véniel délibéré était prise dans une
relation d’amitié avec Jésus.
C’est à ma mère, Marie, que je dois de n’avoir commis aucune faute
pleinement consciente depuis ma première communion : qu’elle me prolonge
cette grâce jusqu’à ma communion au ciel[23] !
Il entra, après sa première communion, à l’âge de 14
ans, au postulat de la Société de Marie fondée par le Père Chaminade.
Le jeune Emile fit son postulat à Bourogne de 1892 à
1894[24], reçu par M. Joseph
Meyer qui avait la réputation d’un saint :
Lequel des anciens postulants de Bourogne ne se rappelle avec émotion
l’impression de dignité surnaturelle et de paternelle affection que fit sur
lui, dès sa première rencontre, le vénéré directeur ! : «Soyez le
bienvenu mon cher ! C’est la Très Sainte Vierge qui vous conduit ici, elle
vous y gardera», disait-il en pressant les mains de ses nombreux enfants. Et
ces derniers, immédiatement, se sentaient à l’aise avec lui et lui donnaient
toute leur confiance[25].
Durant cette période, il découvre la dévotion à
Marie, à l’honneur dans sa Société : le Petit Office de l’Immaculée
Conception, dit en latin, auquel il ne comprenait rien. Il récitait également
le chapelet et, chaque matin, l’acte de consécration
à la Vierge, cher aux Marianistes, ce qui lui rappelait la dévotion mariale
de sa mère[26].
Dans cette étape, il possédait quelques
connaissances élémentaires concernant les privilèges de la Vierge Marie :
«Maternité Divine, Immaculée Conception, Virginité, une idée au moins vague de
sa Médiation de grâce, Assomption.»
Se souvenant de la présence des protestants à
Ribeauvillé qui condamnaient le culte marial des catholiques, il était prêt à
défendre ce culte comme il aurait défendu l’infaillibilité pontificale. Mais en
même temps, il reconnaissait que sa relation à Marie pouvait s’épanouir :
Ma dévotion envers elle se réduisait presque au culte obligatoire :
presque rien de cette attirance instinctive vers la Vierge, ma Mère céleste, de
cette confiance, de ce besoin d’intimité, de vie d’union, de cette joie
épanouissante qui caractérisent la vraie dévotion à Marie. Cette dévotion,
j’avais encore à la découvrir. Ma Mère allait m’emmener à cette découverte,
mais par une voie étrange[27].
Ce fut par l’appel à «l’intériorité» si chère aux
Marianistes et, à une vie plus surnaturelle, captivé de plus en plus par
l’amour de Jésus, que se fit sa rencontre avec Marie :
Jusque-là mon amour pour Jésus consistait à éviter tout ce qui pouvait
lui déplaire. A présent je compris que cet amour me demandait de lui donner tout
ce qui pouvait lui plaire, que ce fût obligatoire ou non. Jusque-là, il avait
pour limites les limites de mes obligations. A présent, il n’avait plus d’autre
limite que le bon plaisir de Jésus.
Or, en même temps que je comprenais d’une toute autre façon l’amour de
Jésus, je me sentais rempli d’une dévotion tout aimante, confiante,
épanouissante envers la Mère de Jésus, ma Mère, comme si j’avais toujours vécu
dans son intimité. Sans raisonnement - ce que je savais théoriquement jadis, je
le sentais à présent - dans l’amour de Jésus, je sentais aussi que Marie est
tout amour, que Jésus me l’a donnée pour Mère et veut que je l’aime comme
lui ; qu’elle m’aime de l’amour dont elle aime Jésus, et veut m’aider à
l’aimer comme elle. Et depuis cette époque, j’éprouve en elle une immense
confiance, sûr qu’elle m’obtiendrait toutes les grâces, miraculeuses même si
c’est nécessaire, pour réaliser toutes les intentions de Jésus sur moi, les
intentions de Jésus qui sont en même temps les siennes[28].
Au postulat, j’appris par
hasard d’un condisciple que notre nom complet était «Frères de Marie». Cela ne
m’impressionna pas plus que s’il m’avait dit que nous étions les «Frères de
saint Paul». Les postulants avaient l’habitude d’aller communier les dimanches
et jours de fête. Ceux qui le souhaitaient y allaient aussi le samedi, car nous
allions nous confesser le vendredi. Quiconque voulait communier un autre jour,
devait en demander la permission à l’aumônier. Les instructions de l’aumônier
étaient passablement ternes et je ne me rappelle pas avoir été frappé par quoi
que ce soit de saillant dans ses enseignements.
Vers le milieu de ma
seconde année de postulat, j’allais communier deux fois par semaine, et trois
fois vers la fin de la seconde année. (Rappelez-vous que ce fut une quinzaine
d’années avant le décret de Pie X sur la communion quotidienne.) Cela m’aidait
à être plus recueilli. Dans la foulée, mon amour pour Marie et ma confiance en
la Mère de Jésus ne faisaient que croître. Etait-ce dû à quelque instruction,
quelque lecture sur Marie, si les choses avançaient quelque peu ? Je ne
m’en souviens pas, mais je me rappelle qu’au cours de la messe nous chantions
des cantiques à Jésus-Eucharistie, au Sacré-Cœur et à Marie, si aimante et si
aimable, toutes choses qui augmentaient ma dévotion à l’un et l’autre. Durant
la troisième année, ma dévotion à Jésus et à Marie augmentait encore. On peut
dire que c’est Jésus qui me conduisait vers sa Mère, et Marie qui accroissait
mon amour pour Jésus[29].
A la fin du postulat, ses supérieurs l’envoyèrent au
noviciat de Courtefontaine.
En septembre 1894, je suis entré au noviciat avec
l’idée de me donner à Jésus et à Marie. Ce fut à Courtefontaine, à une petite
vingtaine de kilomètres de Besançon. Le Père Mathern, maître des novices depuis
1871, était un saint prêtre. Il nous enseignait les cours habituels prévus pour
le noviciat, mais pas de cours de mariologie. Chose que je regrettais, puisque
nous étions des Frères de Marie. Il est vrai que je pouvais lire sur ce sujet
dans les Constitutions, qui avaient été approuvées par Rome en 1891, soit trois
ans auparavant. J’étais heureux d’y lire dans les chapitres I, VI et XXX ce
qu’on y dit sur notre dévotion spéciale à Marie. Je comprenais que nous devions
pratiquer la dévotion à Marie au suprême degré, mais je ne voyais pas, qu’à
part cela notre dévotion comportait un caractère particulier[30].
Me rendant compte que la qualité de toute ma vie
religieuse et que la fécondité de tout mon apostolat allaient dépendre en
grande partie de ma ferveur au noviciat, j’étais fermement décidé à m’y donner
à Jésus et à Marie, sans réserve aucune, quoi qu’il dût m’en coûter. Je crois
avoir été fidèle à une telle résolution[31].
Cet aveu d’Emile
Neubert, âgé de quatre-vingts ans à l’époque de la rédaction de son manuscrit
autobiographique, est précieux, comme le sont toutes ses confidences que nous
recevons sur sa vie intérieure. Elles nous permettent de tracer un véritable
itinéraire spirituel avec ses étapes bien connues[32]. Son œuvre publiée nous donne des repères et des
orientations dans sa vie spirituelle. Nous pouvons mieux réaliser l’unité de sa
vie avec son enseignement.
C’est à partir de
l’étude des constitutions de la Société de Marie, approuvées par Rome en 1891,
qu’il comprit à seize ans la spécificité de la vocation religieuse
marianiste :
Je compris que la dévotion à Marie devait nous
distinguer de tous les autres religieux et que, ce par quoi elle devait nous
distinguer, c’était qu’elle était considérée comme la reproduction de la piété
filiale de Jésus envers sa Mère et qu’elle devait être plus parfaite que celle
de tout autre religieux. De son caractère apostolique et de ses relations avec
la fondation même de la Société de Marie, je n’avais aucune idée. D’ailleurs,
on ne faisait pas de cours de mariologie[33].
Il prononça un vœu
dit «de perfection» en privé, puis ses premiers vœux de religieux, le 15
septembre 1895, avant d’être envoyé dans un scolasticat[34] qui le préparerait à devenir religieux laïc, malgré
son désir d’être prêtre. Mais un médecin décela chez lui un tremblement de la
main droite dû à sa nervosité, ses supérieurs estimèrent alors, qu’il ne
supporterait pas la fatigue des longues études classiques et ecclésiastiques.
Qu’allaient devenir mes rêves de devenir prêtre et de prêcher sur la
bienheureuse Vierge ? Bien sûr, je ne les ai pas abandonnés, je n’y ai pas
renoncé. J’espérais que la Vierge m’aiderait ; je ne savais trop comment,
mais je n’abandonnais pas l’espoir.
J’ai passé une année à Ris. J’ai passé avec succès mon certificat
d’instituteur. Puis, le Père Kirch, l’aumônier des scolastiques qui était au
courant de mon désir de devenir prêtre, sans me prévenir, a demandé à
l’Administration Générale de m’envoyer dans l’autre Scolasticat, celui de
Besançon, pour commencer l’étude du latin. Je n’avais donc pas espéré en vain,
et cette année de prière et d’attente avait renforcé ma dévotion envers Marie[35].
C’est après un an
passé au scolasticat inférieur de Ris-Orangis, dans l’espérance et dans la nuit
de la foi, s’en remettant à la Vierge Marie, qu’il eut donc la surprise, après
Pâques 1896, d’être envoyé au scolasticat supérieur de Besançon pour quatre
ans : de septembre 1896 à 1900 dans la perspective du sacerdoce :
A Besançon, compte tenu de mes études antérieures et de ma facilité
naturelle pour l’étude, je suis parvenu à achever le cycle des études de latin,
de grec et des matières scientifiques et philosophiques, et j’ai réussi
l’examen du baccalauréat[36].
Très vite, on lui
permit de communier chaque jour. Une grâce à laquelle il tenait beaucoup et qui
lui fut accordée à une époque encore marquée par le jansénisme :
« Ma dévotion à Marie se maintenait à la
hauteur de ma dévotion eucharistique[37]. »
Différents ouvrages
connus à l’époque retinrent son attention :
En ce qui concerne les ouvrages que j’ai lus sur la bienheureuse Marie,
je me rappelle Les Gloires de Marie de
St. Alphonse, qui a fait sur moi une grande impression, La Vie de St Gabriel de la Mère Douloureuse, ouvrage en italien
qui venait d’être publié ; grâce à une vieille grammaire italienne et à ma
connaissance du latin, je suis parvenu à comprendre presque tout. La confiance
de ce saint en la Mère douloureuse m’a fortement impressionné. A la fin de mon
scolasticat, le Père Kieffer - notre directeur à l’époque - m’a donné un
exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie
par Grignion de Montfort.
Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui
me frappa très fort. Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à
l’égard de la bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me
poser la question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion
de Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[38].
La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait
plus totale que la nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter
l’insigne du saint esclavage[39].
Il fut envoyé ensuite dans
diverses œuvres d’éducation sur Bordeaux[40], puis Paris[41] où il poursuivit ses études universitaires :
Après le Scolasticat, on m’a envoyé enseigner dans notre collège de
Caudéran (Bordeaux), où j’enseignais le latin et le grec et, plus tard, à
l’Institution Sainte Marie, rue de Monceau, à Paris pour enseigner les mêmes
matières. J’y ai vu des frères qui en prenaient à leur aise avec les
obligations religieuses. Une idée a contribué grandement à me maintenir sur le
chemin de l’idéal, à savoir que je ne pourrais jamais faire à mes élèves tout
le bien que je devrais leur faire, et certains parmi eux paraissaient
spécialement bien disposés et fervents, si moi-même je n’étais pas pleinement
fidèle à la grâce ; de plus je ne voulais pas être la cause qu’aucun
d’entre eux aille à sa perte du fait d’un manque de zèle ou de ferveur chez moi[42].
En France, la
préparation de la loi Combes (1905) qui ferait partir tous les religieux, se
soldera par une défection importante de frères enseignants, surtout à vœux
temporaires, dans toutes les congrégations. Emile Neubert fut mis à l’épreuve,
mais il tint bon.
Ses supérieurs lui
accordent un report à sa demande, il prononçera ses vœux définitifs comme
religieux de la Société de Marie, (report qui l’obligea à un abandon plus grand
et à grandir toujours plus dans l’espérance). Il fut admis à la «profession
perpétuelle» le 2 septembre 1902.
Ce jour-là, il nous
confie avoir été libéré définitivement de toute tentation impure[43].
Ces vœux définitifs
- la profession perpétuelle - correspondent, dans la Société de Marie, à un
engagement de coopération à la mission apostolique de Marie avec un vœu
supplémentaire spécifique : celui de stabilité. Le profès définitif reçoit
alors une première obédience, qui est l’orientation de travail ou d’étude
choisie pour lui par ses supérieurs.
Durant l’année 1902-03, je me suis adonné à des
études supérieures au Collège Stanislas et à la Sorbonne où j’ai passé une
licence classique.
Ensuite, je fus envoyé dans notre séminaire à
Fribourg en Suisse avec 13 autres candidats au sacerdoce, car le gouvernement
anticlérical d’alors avait confisqué la plupart de nos maisons en France. Il
était prévu que je fasse un doctorat en théologie[44].
Au séminaire international
de Fribourg de 1903 à 1907, Emile Neubert reçut sa formation sacerdotale en
poursuivant des études thomistes à l’Université[45].
Grâce aux cours
d’exégèse du Nouveau Testament, Emile Neubert redécouvre Jésus, il y
approfondit l’étude de son humanité :
On y étudiait Notre Seigneur comme homme, comme
homme semblable à nous, ayant eu ses tristesses, ses angoisses, ses incertitudes même, comme nous, ses
obscurités, ses déceptions disait-on.
Jusque-là, j’avais considéré Notre Seigneur surtout
comme docteur suprême et comme un thaumaturge et par-dessus tout, comme le Dieu
d’amour de l’Eucharistie. A présent, je le voyais sous un autre aspect,
l’aspect humain qui le rapprochait davantage de moi. Dans mes relations avec la
divinité, c’était Marie qui m’avait servi d’intermédiaire, Marie, Mère toute
bonne, toute humaine, quoique toute sainte s’abaissant vers moi, Maman toute
aimante et toute miséricordieuse qui prend soin de son enfant. Mais Jésus était
homme aussi comme moi, il avait passé par des expériences semblables aux
miennes, il pouvait par conséquent me comprendre aussi bien que Marie, mieux
même étant du même sexe que moi[46].
Au cours d’une
retraite de Carême en 1904, il s’interrogea sur sa relation avec Marie :
ne devait-il pas désormais restreindre ses relations avec Marie pour s’adresser
plus souvent à Jésus[47] ?
Ne pouvant trouver la solution dans mon esprit, je
me mis à dire le chapelet pour demander à Marie quelles devaient être désormais
mes relations avec elle. A la troisième dizaine la naissance de Jésus, je compris que la mission de Marie avait été
de nous donner Jésus et que sans doute, elle devait continuer cette mission en
nous donnant Jésus de plus en plus. Depuis ce jour, je n’ai plus eu de
difficulté à propos du rôle de Marie dans ma vie spirituelle. J’ai toujours
constaté que plus croissait mon union avec elle plus croissait mon union avec
Jésus. Marie me faisait mieux comprendre et aimer Jésus, et Jésus me faisait
mieux comprendre Marie. A présent, je ne puis plus penser d’une façon aimante à
Jésus sans penser d’une façon aimante à Marie vice-versa[48].
A cette époque, fort
de cette conviction, il publia deux articles[49] pour soutenir les prêtres et les religieux qui
pouvaient connaître les mêmes interrogations ou qui étaient tentés de quitter
la Société de Marie à cause de la crise du modernisme qui gagnait les esprits.
Il inaugura une série d’articles, de livres qui lui seraient demandés au fur et
à mesure de ses missions de «formateur» qui l’attendaient dans la Société de
Marie soit comme Maître des novices, comme Directeur de séminaire et «Directeur
spirituel[50].»
L’esprit apostolique
se développait en lui dans le sillage de sa «seconde conversion» au postulat, mais c’est surtout grâce à
une découverte importante qu’il fit à la fin de sa première année de
scolasticat, lors d’une prédication du Père Klobb[51].
Pour le jeune
étudiant de Fribourg, la lutte prit le visage précis des oppositions
modernistes à la suite de Loisy et quelques autres universitaires moins connus.
Cette crise remettait en cause, par exemple : l’authenticité des premiers
chapitres entiers de saint Luc dans leur intégralité, le passage concernant
Marie et saint Jean au pied de la Croix ; les dogmes de la Virginité de
Marie et de l’Assomption (qui sera plus tard défini) étaient aussi contredits.
La pensée occasionnelle de ces jours me faisait l’impression d’un souvenir de mauvais rêve[52]