DISSERTATIONES AD LAUREAM

IN PONTIFICIA FACULTATE

THEOLOGICA ²M A R I A N U M²

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P. Jean-Louis Barré S.M.

 

 

 

LA MISSION DE LA VIERGE MARIE

D’APRES LES ECRITS

D’EMILE NEUBERT S.M.

(1878-1967)

 

 

 

 

 

Tesi di Laurea in Sacra Teologia

con specializzazione in Mariologia

 

ROMA – 2007

 


DISSERTATIONES AD LAUREAM IN PONTIFICIA FACULTATE

THEOLOGICA ²M A R I A N U M²

94

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Vidimus et approbamus

Romae, ex aedibus Pontificiae Facultatis Theologicae « Marianum »

die 08/06/2007

Prof. ERMANNO M. TONIOLO, o.s.m.

Prof. TIZIANO M. CIVIERO, o.s.m.

Visage de l’Eglise, ô Marie de l’Agneau !

Justesse de la vie et chaleur du Cénacle,

Maison de Dieu, navire, immense Tabernacle,

Fidélité, douceur, écrin de notre anneau,

Sois bénie à jamais !

Père Bernard Gillard

Profondeur Mariale, Salvator, Mulhouse, 1990, p. 120.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A « Marie qui défait les nœuds »

et au Père Raymond Halter s.m. (1925-1998),

en action de grâces.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


REMERCIEMENTS

 

Ce livre est ma thèse de doctorat en théologie mariale que j’ai eu l’honneur de soutenir à l’Université Pontificale Le Mariamum à Rome

Je veux adresser tous mes remerciements aux “compagnons” de route avec qui mûrit mon amour, ma connaissance et mon service de la Vierge Marie - grâce à eux, ces travaux de théologie spécialisée sur la figure de la Vierge Marie, ont pu progresser au fil des ans - à l’école primaire saint Etienne de Besançon (France), au petit séminaire montfortain de Pelousey, aux foyers de Charité de La Roche d’Or, Chateauneuf de Galaurre et La Flatière, à l’Institut carmélitain de Notre Dame de Vie.  Je remercie surtout les professeurs de la Faculté du Centre Sèvres à Paris, puis ceux de la Faculté du Marianum, dont le père Ermanno M. Toniolo directeur du Centre de Culture Mariale « Madre della chiesa» (Rome), et le regretté Père Igniazio M. Callabuig qui m’a initié à la lectio divina.

Je souhaite remercier également la Famille marianiste, grâce à qui j’ai fait alliance avec Marie le 28 octobre 1992, à la chapelle de la Madeleine à Bordeaux, berceau de la Société de Marie.

Un remerciement plein de gratitude pour mes amis, si proches du cœur de Marie, tels le Père Bernard Gillard et Denise Capelli, et en particulier ceux qui m’ont permis d’enrichir cette étude par leurs précieuses critiques et leurs compétences personnelles dont le Père François-Marie Léthel ocd qui m’a ouvert des perspectives dans la théologie des saints.

P. Jean-Louis Barré, s.m.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREFACE

 

Qui était Emile Neubert ? Un prêtre marianiste français, petit de taille, à la corpulence fragile, modeste et humble. Il était alors étudiant en théologie dans la perspective du sacerdoce, quand un médecin annonce à ses supérieurs qu’il poura pas poursuivre ses études à cause de son état de santé général. Au contraire, durant sa longue existence, il devient le plus considéré et le plus fameux théologien marial de la Société de Marie, fondée par le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.

Connu dans le monde entier à travers ses écrits, Emile Neubert peut être considéré comme l’un des acteurs de cette mariologie qui, aujourd’hui, s’impose par son caractère rigoureux et scientifique. Cependant elle ne s’extrait pas de la compréhension de la vie des simples fidèles. Quarante années se sont écoulées depuis sa mort, mais sa figure et son œuvre restent toujours vivantes dans le souvenir de ses confrères marianistes, parce que ce fut lui qui, par sa vie et son activité de théologien, comme écrivain et éducateur, a interprété fidèlement la spiritualité mariale du bienheureux Chaminade et l’a diffusée au delà des congrégations que celui-ci avait fondées.

Le nom de Neubert fait penser quasi instinctivement à la Mère du Seigneur. On peut dire que dans ses innombrables publications, tout est exprimé en clef mariale. Le cardinal Richaud disait de lui qu’il possédait un vrai charisme pour parler de la Vierge Sainte ; le Cardinal Suenens le définissait comme « un pionnier de la théologie mariale mise à la portée de tous et insérée dans la vie pratique. » C’est ainsi que fut Emile Neubert et c’est tel, que nous aimons nous souvenir de lui en lisant ses œuvres de doctrine et spiritualité mariale qui continuent à susciter enthousiasme et consensus.

Or, nous avons la chance d’avoir entre les mains une publication étendue et approfondie de sa pensée. Jean-Louis Barré S. M., avec sa thèse de doctorat, nous offre une étude qui parcourt amplement toutes les œuvres d’Emile Neubert et il nous guide pour reprendre les lignes principales et les plus évidentes de sa théologie mariale.

Le travail de Jean-Louis Barré présente en un certain sens un long itinéraire que le même Neubert a parcouru pour atteindre à sa pleine maturité comme théologien et maître de vie spirituelle. Ceci apparaît déjà par l’autobiographie qui est prise opportunément en considération au début de l’ouvrage.

Les fondements sont aussi les désillusions du contexte théologique et culturel dans lequel a mûri la vocation de Neubert pour l’étude de la mariologie. Ce dernier a bien compris qu’un engagement dans l’approfondissement des sources historiques du christianisme n’était pas superflu, par le fait que beaucoup de ces sources nécessitaient des recherches ultérieures et des vérifications plus sures. Neubert concrétisa cet engagement d’investigation historique dans sa dissertation d’accès au doctorat Marie dans l’Eglise anténicéenne. Par ailleurs, dans le second chapitre Jean-Louis Barré passe en revue les auteurs et courants de pensée qui peuvent avoir influencé directement ou indirectement la formation culturelle et mariale de Neubert.

Le chapitre trois sur les traces de Marie dans le dogme, s’attache à la théologie proprement dogmatique au sujet de la Mère de Dieu, élaborée par Neubert. Il le fait avec abondance d’exposé et une enquête nourrie. Le chapitre quatre, se référant au petit volume Mon Idéal : Jésus Fils de Marie, qui est un véritable chef-d’œuvre de spiritualité mariale montre comment Neubert offre aux fidèles, dans la personne de la Mère de Dieu, une guide précieuse et enthousiasmante pour cheminer en sécurité sur la voie de la sainteté chrétienne.

Pour conclure, Jean-Louis Barré, dans le chapitre cinq, cherche à faire un bilan de la réception qui, aujourd’hui encore, est réservé aux écrits de Neubert et des fruits spirituels qu’ils produisent non seulement parmi les fils spirituels du bienheureux Chaminade mais dans l’Eglise entière. Le prouvent entre autres, les traductions en de multiples langues dans lesquelles les œuvres d’Emile Neubert furent publiées.

Le travail de Jean-Louis Barré se présente avec les meilleures lettres de créance pour obtenir la bienvenue de la part des religieux marianistes, des spécialistes en mariologie et des fidèles qui réservent une place particulière à la Vierge Sainte dans leur chemin vers la plénitude de la vie chrétienne, qui est Jésus Fils de Marie.

 

Luigi Gambero s.m.

 

Rome, le 16 juin 2007

Mémoire du Cœur Immaculé de Marie.

 

 

TABLE DES MATIERES

 

REMERCIEMENTS. 7

 

PREFACE. 9

 

SIGLES ET ABREVIATIONS. 15

 

INTRODUCTION

UN APOTRE MARIAL DES TEMPS MODERNES. 19

 

CHAPITRE PREMIER                                                                        

EMILE NEUBERT. 23

I.1 Eléments biographiques. 25

I.1.1 Ribeauvillé 1878-1893. 25

I.1.2 Postulat de Bourogne 1892-1894. 27

I.1.3 Noviciat de Courtefontaine 1894-1895. 30

I.1.4 Scolasticats 1895-1900. 31

I.1.5 Caudéran, Monceau, Stanislas, 1900-1903. 32

I.1.6 Séminaire de Fribourg 1903-1907. 33

I.1.7 Etats-Unis 1908-1921. 36

I.1.8 Retour en Europe : Strasbourg - Fribourg 1921-1949. 38

I.1.9 Grangeneuve - La Tour de Sçay 1949-1962. 39

I.1.10 Retraite à Art-sur-Meurthe 1962-1967. 40

I.2 Eléments de relecture théologique. 41

I.3 -Activité littéraire. 51

I.3.1 Contexte pastoral et ecclésial 51

I.3.2 Principales publications. 52

 

CHAPITRE DEUX

LA MARIOLOGIE EN FRANCE  AU DEBUT DU XXe SIECLE. 71

II.1 -Relectures historiques. 71

II.1.1 Aperçu historique global 71

II.1.2 Aperçu historique ecclésial 72

II.1.3 Aperçu historique mariologique. 75

II.2 Etudes préliminaires en vue de sa thèse. 82

II.3 La double influence de Montfort et de Chaminade. 85

II.3.1 Saint Louis-Marie Grignion de Montfort 1673-1716. 85

II.3.2 Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade 1761-1850. 95

 

CHAPITRE TROIS                                                                               

MARIE DANS LE DOGME ET LA PIETE  SELON L’APPROCHE D’EMILE NEUBERT  119

III.1 Marie : La Mère de Dieu. 125

III.1.1 Appuis bibliques. 125

III.1.2 Appuis de la Tradition. 131

III.1.3 Développements théologiques. 140

III.2 Marie : la Vierge. 148

III.2.1 Appuis bibliques. 152

III.2.2 Appuis de la Tradition. 161

III.2.3 Développements théologiques. 168

III.3 La sainteté de Marie. 171

III.3.1 Appuis bibliques. 172

III.3.2 Appuis de la Tradition. 173

III.3.3 Développements théologiques. 176

III.3.4 L’Immaculée Conception. 184

III.4 La coopération de Marie. 196

III.4.1 Appuis bibliques. 196

III.4.2 Appuis de la Tradition. 201

III.4.3 Développements théologiques. 204

III.5 La maternité spirituelle de Marie. 219

III.5.1 Appuis bibliques. 219

III.5.2 Appuis de la Tradition. 222

III.5.3 Développements théologiques. 225

III.5.4 Vénération et invocation. 230

III.6 La mission de Marie. 234

III.6.1 L’aspect sacerdotal de la mission de Marie. 235

III.6.2 La royauté de Marie. 240

III.6.3 La mission apostolique de Marie. 244

III.7 L’Assomption de Marie. 254

CHAPITRE QUATRE                                                                          

LA VALEUR APOSTOLIQUE                                                         DE  MON IDEAL JESUS FILS DE MARIE  261

IV.1 Réception ecclésiale et valeur doctrinale de                                                 Mon idéal, Jésus Fils de Marie  262

IV.1.1 L’inspiration directrice et sa réception. 262

IV.1.2 Mon idéal comme synthèse de l’enseignement du Père Emile Neubert 265

IV.2 Prolonger la relation de Jésus pour Marie :                                 un christocentrisme dynamique   268

IV.2.1 Le Mystère de l'Incarnation jusqu’à la Croix rédemptrice. 271

IV.2.2 Marie, Mère de l’Eglise, Corps Mystique du Christ 272

IV.3 La mission de Marie et de l'Eglise. 286

IV.3.1 L’union de Marie et de l'Eglise : «union mystique avec le Christ» dans l'Esprit Saint en vue de la mission  286

IV.3.2 L’aspect missionnaire de la lutte contre le mal et de la victoire du bien. 290

 

CHAPITRE CINQ                                                                                                                        

RELECTURE  ET PERSPECTIVES ACTUELLES. 295

V.1 Réception et évolution de l’œuvre. 296

V.2 L’influence de l’œuvre dans la Société de Marie                             et dans l’Eglise   303

V.3 L’œuvre dans le regard de Vatican II 315

 

CONCLUSION                                                                                      

 

L’héritage                                                                                        d’une impulsion apostolique mariale  321

 

BIBLIOGRAPHIE. 331



SIGLES ET ABREVIATIONS

 


AA.VV.

Auteurs variés

AAS

Acta Apostolicae Sedis

AdM

L’apôtre de Marie

AmiCl

Ami du clergé

ASS

Acta Sanctae Sedis

Autobiographie

Emile Neubert, Autobiographie d’Emile Neubert (manuscrit)

Cah. Mar.

Les Cahiers Marials

Cah. N-D

Les Cahiers Notre-Dame

CEC

Catéchisme de l’Eglise catholique

De la découverte

Emile Neubert, De la découverte progressive des grandeurs de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Paris, 1951.

DSp

Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique

EF

Collectif, L’Esprit de notre Fondation d’après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la Société, Nivelles, 1910.

El Pilar

Revue mariale espagnole

EM I et II

Guillaume-Joseph Chaminade, Ecrits Marials I et II, Marianistes, Fribourg, 1966.

EphMar

Ephemaeridae Mariologicae

EtMar

Etudes Mariales

EtLi

Etudes Liturgiques

Jarc

Gerald Jarc, Emile Nicholas Neubert, The living example of the spirit and works of the Society of Mary, monograph, University of Dayton, 1960.

Koehler

Theodore Koehler, «Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in Eph. Mar 17, (1967).

La doctrine

Emile Neubert, La doctrine mariale de Monsieur Chaminade, Paris, 1937.

La Mission

Emile Neubert, La mission apostolique de Marie et la nôtre, Paris, 1956.

LG

Constitution dogmatique Lumen Gentium

LV

Lumen Vitae

Marie dans l’Eglise anténicéenne

Emile Neubert, Marie dans l'Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908.

Marie dans le dogme 1933

Emile Neubert, Marie dans le dogme, Paris, 1933.

Marie dans le dogme 1954

Emile Neubert, Marie dans le dogme, Paris, 1954.

Marie et notre sacerdoce

Emile Neubert, Marie et notre sacerdoce, Spes, Paris, 1952.

MC

Exhortation apostolique Marialis Cultus.

Mon Idéal

Emile Neubert, Mon Idéal, Jésus Fils de Marie, Canada, 2003.

Notre Don 1954

Emile Neubert, Notre Don de Dieu, Paris/Tours, 1954.

Notre Mère

Emile Neubert, Notre Mère : Pour la mieux connaître, Le Puy, 1941

NMI

Novo Millennio Ineunte

NRM

Nouvelle Revue Mariale

NRTh

Nouvelle Revue Théologique.

PG

Jacques-Paul Migne, Patrologiae cursus completus. Series graeca. Paris, 1857 ss

RAM

Revue d’Ascétique et de Mystique

RDT

Revue de Dogme et de Théologie

RET

Revista Española de Teología

RfR

Review for Religious

RSPhTh

Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques

RSR

Revue des Sciences Religieuses

RThom

Revue Thomiste

Sal.

Salesianum

SC

Sources Chrétiennes

ST

Summa Theologiae

Un prêtre

Emile Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Paris, 1948.

Vie

Emile Neubert, Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1936.

VS

Vie Spirituelle

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION      

     UN APOTRE MARIAL                        DES TEMPS MODERNES

 

Le Père Emile Neubert (1878-1967), au début du vingtième siècle, fut l’un des premiers théologiens qui ouvrit le chemin de la recherche patristique sur la Vierge Marie. Sa thèse Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne fut remarquée dès sa soutenance en 1907. Ce jeune théologien, un des précurseurs du renouveau patristique en France, sera couronné d’un diplôme d’honneur anniversaire, le 7 mars 1966, par la Faculté Théologique de l’Université de Fribourg pour cette thèse. Elle est encore aujourd’hui reconnue comme un jalon important dans les études mariales. «C’était la première thèse patristique consacrée à la Mariologie dans nos Facultés[1].» Publiée en 1908, elle inaugurait une série de parutions de livres et d’articles, comme un fondement scripturaire et patristique solide, gage d’une recherche inlassable de l’auteur en vue d’unir «ses vues doctrinales et spirituelles qui étonnent lorsqu’on lit ses ouvrages[2].» Ce que souligna le Père Théodore Koehler, dans sa courte note biographique pour la revue Ephemerides Mariologicae, en 1967, elle précédait une première présentation bibliographique de l’auteur décédé la même année.

Dans le milieu populaire, c’est par un tout autre ouvrage, différent pour le style et la forme, qu’Emile Neubert sera peu à peu mondialement connu : Mon idéal, Jésus Fils de Marie. Un traité qui, par la réception du grand public, le mit en bonne position avec d’autres grandes œuvres mariales populaires très célèbres comme Le Traité de la vraie Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et Les gloires de Marie de saint Alphonse de Liguori.

Héritier de l’enseignement du fondateur de la Société de Marie, le Père Chaminade, Emile Neubert par son petit livre Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous présente, dans une sorte de petit « traité de spiritualité missionnaire », une véritable pédagogie du cheminement vers la sainteté, un itinéraire de vie chrétienne où Jésus et Marie s’adressent à tous les baptisés sous le mode d’une relation interpersonnelle. Traduit en plus de cinquante langues, cet ouvrage en format de poche inspira des millions de chrétiens, dont saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.

Emile Neubert, après ce petit chef-d’œuvre de spiritualité mariale, approfondira, écrira sur la mission de Marie et la nôtre dans un souci d’évangélisation.

D’autres ouvrages et articles publiés sont autant de sources à ajouter pour notre étude. Elle cherche à faire apparaître la théologie spécialisée sur Marie dans le corpus «neubertien», dont le fameux Traité Mon idéal, Jésus Fils de Marie constitue l’ouvrage-clef. Les demandes de rééditions expriment une attente de nos contemporains en recherche de «maîtres spirituels» et de «chemins de spiritualité».

Dans le sillage de l’œuvre écrite d’Emile Neubert, une réponse nouvelle à cette attente devrait « promouvoir une dévotion enracinée dans les exigences doctrinales de la foi[3]

Cette thèse que nous soumettons devrait permettre de jeter les fondations en vue de la béatification d’Emile Neubert, mais notre réflexion ne s’arrête pas à ce seul point.

Nous avons eu, durant toutes nos recherches, la matière intellectuelle et spirituelle rejoignant notre intuition première. Nous pressentions, en effet, que sa pensée théologique et spirituelle possède, soit de manière approfondie soit à peine effleurée, des éléments qui nous permettent, dans la continuité du Concile Vatican II et de la pensée mariale de Jean-Paul II, d’œuvrer au renouvellement de la mariologie.

Les grandes intuitions d’Emile Neubert se trouvent en gestation à l’intérieur de son discours. Si elles venaient à être reprises dans une mise en relief de toute la théologie «neubertienne», nous aurions alors la matière originale pour apporter son concours - post mortem - à la maturité du Concile Vatican II dans ses applications pastorales et à l’œuvre indispensable de l’œcuménisme.

Il nous semble, avec autant d’audace que d’humilité, pouvoir solliciter le regard de l’Eglise sur l’évidente sainteté d’Emile Neubert, lui qui décida dans son enfance de «ne plus commettre de péchés véniels volontairement» afin de ne pas mettre en peine Marie dont il se fit serviteur pour complaire à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ.

 

 

 

Méthode d’étude de l’œuvre

Un premier chapitre nous permettra de faire connaissance avec l’auteur. Il découvre son évolution personnelle, surtout dans ses plus jeunes années, dont il entreprit une relecture dans son autobiographie, commencée à l’âge de quatre-vingts ans, à la demande de son supérieur de communauté. Nous situerons mieux la signification de son message par ses engagements apostoliques comme prêtre dans la Société de Marie et, par ses écrits, durant toute sa vie où il fut connu essentiellement comme professeur de théologie et membre de sociétés mariales. Les principales publications seront brièvement présentées avec leurs recensions, elles donneront des repères de l’ensemble de son œuvre.

Un deuxième chapitre nous présentera la mariologie en France au début du XXe siècle après un aperçu ecclésial puis mariologique en se référant aux siècles précédents. Il tiendra compte de l’évolution historique globale en Occident. Ensuite, après avoir repéré les influences immédiates qu’il reçut, à l’époque de la rédaction de sa thèse, nous ferons une relecture succincte de la double influence essentielle de Louis-Marie Grignion de Montfort et surtout de Guillaume-Joseph Chaminade.

Un troisième chapitre nous donnera un aperçu des thématiques majeures de sa mariologie dans le dogme et le culte. Nous suivrons, par ces différentes thématiques liées à Marie, les fondements bibliques et patristiques de son enseignement dans l’ensemble de son œuvre. Nous découvrirons la mission maternelle et apostolique de Marie dans sa vision théologique.

A la suite de cette approche d’ensemble de l’œuvre, nous découvrirons, dans le quatrième chapitre, l’originalité du petit Traité Mon Idéal, Jésus Fils de Marie. Cette relecture se fera à la lumière du chapitre De beata de Lumen Gentium. Sous une forme souple et un mode de transmission original, Emile Neubert nous offre les fruits d’une pensée construite avec une mentalité mariale renouvelée dont les autres œuvres nous dévoilent les arrières-fonds théologiques, patristiques, bibliques, anthropologiques […] La réception internationale de Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous fera rechercher les raisons pour lesquelles ce petit traité est beaucoup plus qu’une simple dévotion.

Un cinquième chapitre abordera la question de la réception de son œuvre, de son influence dans la Société de Marie et plus largement dans l’Eglise. En lien avec les textes du Concile Vatican II et ceux de l’après-Concile, à la suite d’un bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade et de saint Louis-Marie Grignion de Montfort mieux connu, nous ferons une relecture critique de toute son œuvre.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

EMILE NEUBERT

 

Nous possédons deux biographies écrites par ses anciens élèves, l’une rédigée de son vivant par Gerald Jarc[4] l’autre, par le Père Théodore Koehler[5] pour la revue Ephemerides mariologicae[6], qui annonce le décès du Père Neubert survenu le 27 août 1967.

Nous possédons une autobiographie[7] comme ce fut le cas pour sainte Thérèse de Lisieux ou la bienheureuse Dina Bellanger, elle constitue un témoignage de grande valeur spirituelle que nous recevons dans notre étude. Nous découvrons une vie intérieure intense et riche :

Etant donné que mes supérieurs ne signaleront sans doute guère que des défauts plutôt physiques : nervosité, timidité, maladresse, […] et m’attribueront des dispositions de régularité, de piété, surtout mariale, de zèle… On conclura que ma vie a été un beau rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr[8].

Théodore Koehler, fils spirituel d’Emile Neubert, nous en offre un profil intéressant dans sa biographie. Il situe son œuvre dans son époque afin de l’insérer au mieux dans le vaste champ mariologique. C’est la raison pour laquelle, il fait allusion aux bouleversements politiques et culturels du vingtième siècle, avec en France, la loi de 1905, les deux guerres mondiales, et d’autre part, la crise boursière de 1929 en Amérique :

Les besoins culturels, pastoraux varient beaucoup. On est tenté de répéter le cliché facile qu’après Vatican II, une page est définitivement tournée. Et pourtant ces hommes de la première moitié de notre siècle eurent le mérite de faire le premier effort d’une saisie chrétienne de l’accélération de l’histoire, du développement des sciences, écartant avec intelligence et courage bien des impasses. L’épreuve ne leur a pas manqué : les bouleversements des guerres mondiales et des révolutions sociales, les crises idéologiques (modernisme, sécularisation, marxisme, […])

Avec les moyens alors à leur disposition, ils assurèrent l’incessant renouveau de la véritable Tradition qui entre dans l’histoire déjà écrite ou en train de s’écrire. Devant les tâches inconnues, il est bon et nécessaire de découvrir aussi l’œuvre de ces mariologues d’une autre génération qui surent, comme le Père Neubert, allier la volonté d’une recherche scientifique à l’activité infatigable d’un apostolat marial des temps modernes[9].

Emile Neubert, dans les différentes obédiences reçues de ses supérieurs, nous laissa un témoignage de sainteté. Son parcours de vie et d’apostolat est riche de significations théologiques, en parfaite fidélité à la grâce de son baptême, ainsi que l’exprime le Père François-Marie Léthel : «Tous les saints sont théologiens, seuls les saints sont théologiens[10]

C’est toute la vie du baptisé qui devient un «lieu théologique», par le fait même du déploiement de sa sainteté, expression éclairante de notre vocation chrétienne, rappelée par le chapitre cinq de Lumen Gentium [désormais en abrégé LG] du Concile Vatican II.

Il se découvre dans la lumière du Concile Vatican II, il nous entraîne dans le sillage des saints. Avec lui, nous nous situons dans la communion de toute l’Eglise, l’Eglise en pèlerinage qui est dans la communion la plus intime avec l’Eglise du Ciel (LG 7), dans celle qui contemple son vrai visage en Marie (LG 8), visage de la sainteté immaculée, sans taches, ni rides.


I.1 Eléments biographiques

 

I.1.1 Ribeauvillé 1878-1893

Emile Neubert est né le 8 mai 1878, au pied des Vosges alsaciennes à Ribeauvillé, une petite ville du Haut-Rhin, proche de Saint Hippolyte où la Société de Marie fonda un Collège que le Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade[11] connut comme maison de récollection.

Les vocations de frères et de prêtres marianistes sont nombreuses en Alsace, surtout dans la région du Val de Villé, la foi est vive et profonde dans ces populations. Les maisons de Saint Hyppolite et d’Ebersmunster, tenues par les Marianistes, jouissaient d’une excellente renommée. Les frères de Marie dirigeaient des écoles et des pensionnats dans une vingtaine de localités alsaciennes. En dehors des ordres anciens, les congrégations étaient peu connues à cette époque.

Citons l’Ordre des Capucins parmi elles. Ces religieux prêcheurs sont aujourd’hui encore responsables du célèbre sanctuaire Notre Dame de Dusenbach[12] à Ribeauvillé et de son pèlerinage. Ils voient cheminer, le dimanche et les jours fériés, les habitants de toute la région. Les pèlerins font halte dans les chapelles et devant les calvaires. Au temps d’Emile Neubert, les caravanes s’arrêtaient aux abords du collège de Saint Hippolyte, devant le calvaire dressé près du grand portail. Ils pouvaient prendre contact avec les religieux en redingote, réputés accueillants et chaleureux[13].

Membre d’une famille de douze enfants, (neuf frères et trois sœurs) dont cinq moururent en bas âge, le jeune Emile reçut, dès sa prime enfance, une éducation chrétienne.

Il reconnait que dans son enfance, il fut en contact avec d’autres jeunes de sa génération qui contredirent sa recherche d’allier les actes à sa piété voulue par ses parents. Dieu était perçu par lui comme source d’interdits, de commandements à observer, dans la crainte d’une punition : «Je n’ai pas commencé par être un enfant pieux et sage[14]

A l’école, doué d’une excellente mémoire et d’une grande curiosité intellectuelle, il se décrit comme un enfant nerveux, timide, maladroit, intimidable, supportant ses problèmes acoustiques et de myopie[15].

C’est au début de l’adolescence qu’il commença de mûrir une relation personnelle avec ce Dieu qui s’est fait homme et, qui a fait le choix : «de souffrir et de mourir pour moi[16]», selon son propre témoignage. Ce Dieu se donnera à lui le jour de sa première communion à l’âge de quatorze ans.

Sa vocation naquit à l’âge de douze ans, provoquée par l’appel que lui adressa sa sœur Albertine, de cinq ans son aînée. Elle entrera dans la vie religieuse. Elle l’invita à faire comme un grand oncle de la famille, le frère Louis Neubert, devenu frère enseignant dans la Société de Marie.

Je n’avais jamais songé à une telle éventualité, mais comme je participais à sa joie, j’ai répondu «oui». Elle en parla à mon père, qui manifestait un certain étonnement devant cette vocation soudaine ; mais quelque temps après, il écrivit à son oncle que son fils Emile envisageait (la vie consacrée)[17].

Le «oui» courtois que prononça Emile à sa sœur, dans la perspective d’entrer dans cette Société de Marie, s’affermit avec l’appui de la famille, du père[18] notamment, dont il appréhendait la réponse :

«Ecce …Fiat mihi !» Mais je ne pensais pas à Marie. C’est elle qui pensait à moi[19].

L’oncle était heureux, bien sûr. Il fut donc décidé qu’après ma première communion, j’irais au Postulat de Bourogne, non loin de Belfort.

Je ne me souviens pas d’une quelconque dévotion particulière chez moi pour Notre Dame avant mon entrée au postulat ; ce fut une habitude pour les enfants en âge scolaire que de dire le chapelet le soir, et je faisais comme tout le monde[20].

La première communion, à l’époque, se célébrait à l’âge de 14 ans en Alsace[21]. J’ignorais alors que ces Frères s’appelaient les Frères de Marie ; ainsi, dans mon esprit, il n’y avait aucun lien entre ma vocation et la Vierge Marie. Ce n’était pas l’habitude non plus de prononcer un acte solennel de consécration à Marie le jour de la première communion ; je n’ai pas le souvenir d’avoir eu la moindre pensée pour Elle ce jour-là.

Sa première communion marqua un tournant décisif dans sa vie spirituelle. Et, écrit-il dans sa biographie, le péché «apparaît désormais comme un manquement contre l’amour de Celui qui a donné sa vie pour moi et qui s’est donné tout à moi dans l’Hostie[22].» La décision de rejeter le péché mortel et le péché véniel délibéré était prise dans une relation d’amitié avec Jésus.

C’est à ma mère, Marie, que je dois de n’avoir commis aucune faute pleinement consciente depuis ma première communion : qu’elle me prolonge cette grâce jusqu’à ma communion au ciel[23] !

Il entra, après sa première communion, à l’âge de 14 ans, au postulat de la Société de Marie fondée par le Père Chaminade.

 

I.1.2 Postulat de Bourogne 1892-1894

Le jeune Emile fit son postulat à Bourogne de 1892 à 1894[24], reçu par M. Joseph Meyer qui avait la réputation d’un saint :

Lequel des anciens postulants de Bourogne ne se rappelle avec émotion l’impression de dignité surnaturelle et de paternelle affection que fit sur lui, dès sa première rencontre, le vénéré directeur ! : «Soyez le bienvenu mon cher ! C’est la Très Sainte Vierge qui vous conduit ici, elle vous y gardera», disait-il en pressant les mains de ses nombreux enfants. Et ces derniers, immédiatement, se sentaient à l’aise avec lui et lui donnaient toute leur confiance[25].

Durant cette période, il découvre la dévotion à Marie, à l’honneur dans sa Société : le Petit Office de l’Immaculée Conception, dit en latin, auquel il ne comprenait rien. Il récitait également le chapelet et, chaque matin, l’acte de consécration à la Vierge, cher aux Marianistes, ce qui lui rappelait la dévotion mariale de sa mère[26].

Dans cette étape, il possédait quelques connaissances élémentaires concernant les privilèges de la Vierge Marie : «Maternité Divine, Immaculée Conception, Virginité, une idée au moins vague de sa Médiation de grâce, Assomption.»

Se souvenant de la présence des protestants à Ribeauvillé qui condamnaient le culte marial des catholiques, il était prêt à défendre ce culte comme il aurait défendu l’infaillibilité pontificale. Mais en même temps, il reconnaissait que sa relation à Marie pouvait s’épanouir :

Ma dévotion envers elle se réduisait presque au culte obligatoire : presque rien de cette attirance instinctive vers la Vierge, ma Mère céleste, de cette confiance, de ce besoin d’intimité, de vie d’union, de cette joie épanouissante qui caractérisent la vraie dévotion à Marie. Cette dévotion, j’avais encore à la découvrir. Ma Mère allait m’emmener à cette découverte, mais par une voie étrange[27].

Ce fut par l’appel à «l’intériorité» si chère aux Marianistes et, à une vie plus surnaturelle, captivé de plus en plus par l’amour de Jésus, que se fit sa rencontre avec Marie :

Jusque-là mon amour pour Jésus consistait à éviter tout ce qui pouvait lui déplaire. A présent je compris que cet amour me demandait de lui donner tout ce qui pouvait lui plaire, que ce fût obligatoire ou non. Jusque-là, il avait pour limites les limites de mes obligations. A présent, il n’avait plus d’autre limite que le bon plaisir de Jésus.

Or, en même temps que je comprenais d’une toute autre façon l’amour de Jésus, je me sentais rempli d’une dévotion tout aimante, confiante, épanouissante envers la Mère de Jésus, ma Mère, comme si j’avais toujours vécu dans son intimité. Sans raisonnement - ce que je savais théoriquement jadis, je le sentais à présent - dans l’amour de Jésus, je sentais aussi que Marie est tout amour, que Jésus me l’a donnée pour Mère et veut que je l’aime comme lui ; qu’elle m’aime de l’amour dont elle aime Jésus, et veut m’aider à l’aimer comme elle. Et depuis cette époque, j’éprouve en elle une immense confiance, sûr qu’elle m’obtiendrait toutes les grâces, miraculeuses même si c’est nécessaire, pour réaliser toutes les intentions de Jésus sur moi, les intentions de Jésus qui sont en même temps les siennes[28].

Au postulat, j’appris par hasard d’un condisciple que notre nom complet était «Frères de Marie». Cela ne m’impressionna pas plus que s’il m’avait dit que nous étions les «Frères de saint Paul». Les postulants avaient l’habitude d’aller communier les dimanches et jours de fête. Ceux qui le souhaitaient y allaient aussi le samedi, car nous allions nous confesser le vendredi. Quiconque voulait communier un autre jour, devait en demander la permission à l’aumônier. Les instructions de l’aumônier étaient passablement ternes et je ne me rappelle pas avoir été frappé par quoi que ce soit de saillant dans ses enseignements.

Vers le milieu de ma seconde année de postulat, j’allais communier deux fois par semaine, et trois fois vers la fin de la seconde année. (Rappelez-vous que ce fut une quinzaine d’années avant le décret de Pie X sur la communion quotidienne.) Cela m’aidait à être plus recueilli. Dans la foulée, mon amour pour Marie et ma confiance en la Mère de Jésus ne faisaient que croître. Etait-ce dû à quelque instruction, quelque lecture sur Marie, si les choses avançaient quelque peu ? Je ne m’en souviens pas, mais je me rappelle qu’au cours de la messe nous chantions des cantiques à Jésus-Eucharistie, au Sacré-Cœur et à Marie, si aimante et si aimable, toutes choses qui augmentaient ma dévotion à l’un et l’autre. Durant la troisième année, ma dévotion à Jésus et à Marie augmentait encore. On peut dire que c’est Jésus qui me conduisait vers sa Mère, et Marie qui accroissait mon amour pour Jésus[29].

A la fin du postulat, ses supérieurs l’envoyèrent au noviciat de Courtefontaine.

I.1.3 Noviciat de Courtefontaine 1894-1895

En septembre 1894, je suis entré au noviciat avec l’idée de me donner à Jésus et à Marie. Ce fut à Courtefontaine, à une petite vingtaine de kilomètres de Besançon. Le Père Mathern, maître des novices depuis 1871, était un saint prêtre. Il nous enseignait les cours habituels prévus pour le noviciat, mais pas de cours de mariologie. Chose que je regrettais, puisque nous étions des Frères de Marie. Il est vrai que je pouvais lire sur ce sujet dans les Constitutions, qui avaient été approuvées par Rome en 1891, soit trois ans auparavant. J’étais heureux d’y lire dans les chapitres I, VI et XXX ce qu’on y dit sur notre dévotion spéciale à Marie. Je comprenais que nous devions pratiquer la dévotion à Marie au suprême degré, mais je ne voyais pas, qu’à part cela notre dévotion comportait un caractère particulier[30].

Me rendant compte que la qualité de toute ma vie religieuse et que la fécondité de tout mon apostolat allaient dépendre en grande partie de ma ferveur au noviciat, j’étais fermement décidé à m’y donner à Jésus et à Marie, sans réserve aucune, quoi qu’il dût m’en coûter. Je crois avoir été fidèle à une telle résolution[31].

Cet aveu d’Emile Neubert, âgé de quatre-vingts ans à l’époque de la rédaction de son manuscrit autobiographique, est précieux, comme le sont toutes ses confidences que nous recevons sur sa vie intérieure. Elles nous permettent de tracer un véritable itinéraire spirituel avec ses étapes bien connues[32]. Son œuvre publiée nous donne des repères et des orientations dans sa vie spirituelle. Nous pouvons mieux réaliser l’unité de sa vie avec son enseignement.

C’est à partir de l’étude des constitutions de la Société de Marie, approuvées par Rome en 1891, qu’il comprit à seize ans la spécificité de la vocation religieuse marianiste :

Je compris que la dévotion à Marie devait nous distinguer de tous les autres religieux et que, ce par quoi elle devait nous distinguer, c’était qu’elle était considérée comme la reproduction de la piété filiale de Jésus envers sa Mère et qu’elle devait être plus parfaite que celle de tout autre religieux. De son caractère apostolique et de ses relations avec la fondation même de la Société de Marie, je n’avais aucune idée. D’ailleurs, on ne faisait pas de cours de mariologie[33].

Il prononça un vœu dit «de perfection» en privé, puis ses premiers vœux de religieux, le 15 septembre 1895, avant d’être envoyé dans un scolasticat[34] qui le préparerait à devenir religieux laïc, malgré son désir d’être prêtre. Mais un médecin décela chez lui un tremblement de la main droite dû à sa nervosité, ses supérieurs estimèrent alors, qu’il ne supporterait pas la fatigue des longues études classiques et ecclésiastiques.

 

I.1.4 Scolasticats 1895-1900

A l’époque, il existait deux scolasticats, l’un pour les profès qui ne se destinaient pas au sacerdoce, l’autre pour les futurs prêtres. Mon souhait était de devenir prêtre. Mais vu que ma santé laissait à désirer - chose qui n’a guère changé dans la suite -, les Supérieurs prirent l’avis du médecin pour savoir si j’avais les forces pour les longues études que présupposait le chemin vers le sacerdoce. Le médecin me dévisagea, me posa l’une ou l’autre question et dit aux Supérieurs qu’au bout d’un an, je serais incapable de poursuivre des études. En fait, j’ai continué à étudier pendant dix ans et à lire et à écrire chaque jour. Mais le docteur avait parlé et les Supérieurs décidèrent que j’irais au Scolasticat «primaire» à Ris, non loin de Paris […]

Qu’allaient devenir mes rêves de devenir prêtre et de prêcher sur la bienheureuse Vierge ? Bien sûr, je ne les ai pas abandonnés, je n’y ai pas renoncé. J’espérais que la Vierge m’aiderait ; je ne savais trop comment, mais je n’abandonnais pas l’espoir.

J’ai passé une année à Ris. J’ai passé avec succès mon certificat d’instituteur. Puis, le Père Kirch, l’aumônier des scolastiques qui était au courant de mon désir de devenir prêtre, sans me prévenir, a demandé à l’Administration Générale de m’envoyer dans l’autre Scolasticat, celui de Besançon, pour commencer l’étude du latin. Je n’avais donc pas espéré en vain, et cette année de prière et d’attente avait renforcé ma dévotion envers Marie[35].

C’est après un an passé au scolasticat inférieur de Ris-Orangis, dans l’espérance et dans la nuit de la foi, s’en remettant à la Vierge Marie, qu’il eut donc la surprise, après Pâques 1896, d’être envoyé au scolasticat supérieur de Besançon pour quatre ans : de septembre 1896 à 1900 dans la perspective du sacerdoce :

A Besançon, compte tenu de mes études antérieures et de ma facilité naturelle pour l’étude, je suis parvenu à achever le cycle des études de latin, de grec et des matières scientifiques et philosophiques, et j’ai réussi l’examen du baccalauréat[36].

Très vite, on lui permit de communier chaque jour. Une grâce à laquelle il tenait beaucoup et qui lui fut accordée à une époque encore marquée par le jansénisme :

« Ma dévotion à Marie se maintenait à la hauteur de ma dévotion eucharistique[37]. »

Différents ouvrages connus à l’époque retinrent son attention :

En ce qui concerne les ouvrages que j’ai lus sur la bienheureuse Marie, je me rappelle Les Gloires de Marie de St. Alphonse, qui a fait sur moi une grande impression, La Vie de St Gabriel de la Mère Douloureuse, ouvrage en italien qui venait d’être publié ; grâce à une vieille grammaire italienne et à ma connaissance du latin, je suis parvenu à comprendre presque tout. La confiance de ce saint en la Mère douloureuse m’a fortement impressionné. A la fin de mon scolasticat, le Père Kieffer - notre directeur à l’époque - m’a donné un exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie par Grignion de Montfort.

Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui me frappa très fort. Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à l’égard de la bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me poser la question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion de Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[38].

La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait plus totale que la nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter l’insigne du saint esclavage[39].

 

I.1.5 Caudéran, Monceau, Stanislas, 1900-1903

Il fut envoyé ensuite dans diverses œuvres d’éducation sur Bordeaux[40], puis Paris[41] où il poursuivit ses études universitaires :

Après le Scolasticat, on m’a envoyé enseigner dans notre collège de Caudéran (Bordeaux), où j’enseignais le latin et le grec et, plus tard, à l’Institution Sainte Marie, rue de Monceau, à Paris pour enseigner les mêmes matières. J’y ai vu des frères qui en prenaient à leur aise avec les obligations religieuses. Une idée a contribué grandement à me maintenir sur le chemin de l’idéal, à savoir que je ne pourrais jamais faire à mes élèves tout le bien que je devrais leur faire, et certains parmi eux paraissaient spécialement bien disposés et fervents, si moi-même je n’étais pas pleinement fidèle à la grâce ; de plus je ne voulais pas être la cause qu’aucun d’entre eux aille à sa perte du fait d’un manque de zèle ou de ferveur chez moi[42].

En France, la préparation de la loi Combes (1905) qui ferait partir tous les religieux, se soldera par une défection importante de frères enseignants, surtout à vœux temporaires, dans toutes les congrégations. Emile Neubert fut mis à l’épreuve, mais il tint bon.

Ses supérieurs lui accordent un report à sa demande, il prononçera ses vœux définitifs comme religieux de la Société de Marie, (report qui l’obligea à un abandon plus grand et à grandir toujours plus dans l’espérance). Il fut admis à la «profession perpétuelle» le 2 septembre 1902.

Ce jour-là, il nous confie avoir été libéré définitivement de toute tentation impure[43].

Ces vœux définitifs - la profession perpétuelle - correspondent, dans la Société de Marie, à un engagement de coopération à la mission apostolique de Marie avec un vœu supplémentaire spécifique : celui de stabilité. Le profès définitif reçoit alors une première obédience, qui est l’orientation de travail ou d’étude choisie pour lui par ses supérieurs.

Durant l’année 1902-03, je me suis adonné à des études supérieures au Collège Stanislas et à la Sorbonne où j’ai passé une licence classique.

Ensuite, je fus envoyé dans notre séminaire à Fribourg en Suisse avec 13 autres candidats au sacerdoce, car le gouvernement anticlérical d’alors avait confisqué la plupart de nos maisons en France. Il était prévu que je fasse un doctorat en théologie[44].

 

I.1.6 Séminaire de Fribourg 1903-1907

Au séminaire international de Fribourg de 1903 à 1907, Emile Neubert reçut sa formation sacerdotale en poursuivant des études thomistes à l’Université[45].

Grâce aux cours d’exégèse du Nouveau Testament, Emile Neubert redécouvre Jésus, il y approfondit l’étude de son humanité :

On y étudiait Notre Seigneur comme homme, comme homme semblable à nous, ayant eu ses tristesses, ses angoisses, ses incertitudes même, comme nous, ses obscurités, ses déceptions disait-on.

Jusque-là, j’avais considéré Notre Seigneur surtout comme docteur suprême et comme un thaumaturge et par-dessus tout, comme le Dieu d’amour de l’Eucharistie. A présent, je le voyais sous un autre aspect, l’aspect humain qui le rapprochait davantage de moi. Dans mes relations avec la divinité, c’était Marie qui m’avait servi d’intermédiaire, Marie, Mère toute bonne, toute humaine, quoique toute sainte s’abaissant vers moi, Maman toute aimante et toute miséricordieuse qui prend soin de son enfant. Mais Jésus était homme aussi comme moi, il avait passé par des expériences semblables aux miennes, il pouvait par conséquent me comprendre aussi bien que Marie, mieux même étant du même sexe que moi[46].

Au cours d’une retraite de Carême en 1904, il s’interrogea sur sa relation avec Marie : ne devait-il pas désormais restreindre ses relations avec Marie pour s’adresser plus souvent à Jésus[47] ?

Ne pouvant trouver la solution dans mon esprit, je me mis à dire le chapelet pour demander à Marie quelles devaient être désormais mes relations avec elle. A la troisième dizaine la naissance de Jésus, je compris que la mission de Marie avait été de nous donner Jésus et que sans doute, elle devait continuer cette mission en nous donnant Jésus de plus en plus. Depuis ce jour, je n’ai plus eu de difficulté à propos du rôle de Marie dans ma vie spirituelle. J’ai toujours constaté que plus croissait mon union avec elle plus croissait mon union avec Jésus. Marie me faisait mieux comprendre et aimer Jésus, et Jésus me faisait mieux comprendre Marie. A présent, je ne puis plus penser d’une façon aimante à Jésus sans penser d’une façon aimante à Marie vice-versa[48].

A cette époque, fort de cette conviction, il publia deux articles[49] pour soutenir les prêtres et les religieux qui pouvaient connaître les mêmes interrogations ou qui étaient tentés de quitter la Société de Marie à cause de la crise du modernisme qui gagnait les esprits. Il inaugura une série d’articles, de livres qui lui seraient demandés au fur et à mesure de ses missions de «formateur» qui l’attendaient dans la Société de Marie soit comme Maître des novices, comme Directeur de séminaire et «Directeur spirituel[50]

L’esprit apostolique se développait en lui dans le sillage de sa «seconde conversion» au postulat, mais c’est surtout grâce à une découverte importante qu’il fit à la fin de sa première année de scolasticat, lors d’une prédication du Père Klobb[51].

Pour le jeune étudiant de Fribourg, la lutte prit le visage précis des oppositions modernistes à la suite de Loisy et quelques autres universitaires moins connus. Cette crise remettait en cause, par exemple : l’authenticité des premiers chapitres entiers de saint Luc dans leur intégralité, le passage concernant Marie et saint Jean au pied de la Croix ; les dogmes de la Virginité de Marie et de l’Assomption (qui sera plus tard défini) étaient aussi contredits.

La pensée occasionnelle de ces jours me faisait l’impression d’un souvenir de mauvais rêve[52]