De Ecclesia Dei
eiusque sacramentis
Introduction et Historique
Sœur Marie-Hélène Deloffre
Abbaye
Saint-Michel de Kergonan
2000
Au cours du temps, Dieu ne fait qu’une
œuvre, son Église.
C’est à elle qu’il a tout rapporté.
L’honneur de sa créature est d’y travailler
après lui,
de mettre son effort et
sa vie là où le Fils de Dieu a mis son sang
(Dom Paul Delatte, Dom
Guéranger, Plon, 1909, II, p. 453).
Introduction au traité de l’Église.
Église, qu’as-tu dit de toi-même ?
L’âge d’or des pères (ive-ve siècles)
Saint Jean Chrysostome (vers 344–† 407)
Constitution hiérarchique et états de vie dans l’Église
La vie monastique dans l’Église
Saint Jérôme de Stridon (347 ?- 419)
Saint Augustin d’Hippone (354-430)
Le Christ et l’Église, Christ total
La fin de l’époque patristique (vie-viiie siècles)
De saint Hormisdas à saint Grégoire : les papes du
vie siècle face au césaro-papisme
Saint Hormisdas (20 juillet 514-6 août 523)
Jean II (533-535) et le théopaschisme
Vigile (537-556) et le IIe concile de Constantinople
(553)
Pélage II (26 novembre 579-7 février 590)
Nécessité d’adhérer au Siège de Pierre
Saint Grégoire Ier le Grand (3 septembre 590-12 mars 604)
L’Église universelle, corps mystique du Christ
L’Église comme royaume des cieux.
Les acquis ecclésiologiques d’un gouvernement
L’autorité des cinq conciles œcuméniques
Le titre de « patriarche œcuménique »
Le pouvoir royal au service du royaume céleste
« Exemple et règle de vie pastorale »
La vie intérieure à la source de la prédication
Témoins de la culture chrétienne en Occident aux viie et
viiie siècles
Saint Isidore de Séville (vers 560–636) et l’Espagne
wisigothique
L’Église et son unité catholique.
Incorporation des fidèles à cette unité par l’eucharistie
Le pontife romain, « vicaire de Dieu »
Saint Bède le Vénérable (673–735 ou 737)
« Une seule foule catholique de tous les élus »
Rome et Byzance au viie siècle : autour de la crise
monothélite
L’héritage des Pères dans l’ecclésiologie byzantine
L’Église, corps divinisé du Christ
L’union hypostatique, modèle de l’Église selon Sophrone
Église et eucharistie selon Maxime.
L’interprétation des contemporains.
Saint Maxime le Confesseur (580-662), témoin de la foi
Saint Agathon et le iiie concile de Constantinople
Témoins de la tradition byzantine au viiie siècle :
autour de la crise iconoclaste
Conception byzantine de la structure hiérarchique de
l’Église
Primauté romaine et pentarchie
Saint Jean Damascène (vers 675-749)
Sens du magistère et de la Tradition
Une société hiérarchique et monarchique
Le second concile de Nicée (787)
Saint Théodore Studite (759-826)
Liberté de l’Église et attachement à la chaire de Pierre
Successeurs des anciens martyrs
En guise de conclusion : l’Église selon les
liturgies
Les noms de l’Église : assemblée, peuple, troupeau…
Construction : le temple et la cité…
Liturgie de la dédicace et mystagogies
Succession apostolique et sacerdoce ministériel
Sicut de latere Christi dormientis in
cruce fluxit sanguis et aqua,
quibus consecratur
Ecclesia ;
ita de latere Adæ
dormientis formata est mulier,
quae ipsam Ecclesiam
præfigurabat
(In Ioannem 19, leç. 5, lignes 237-240).
Du mystère du
Christ-Chef au mystère du Christ total
D |
ieu aurait pu demeurer éternellement dans la solitude
bienheureuse des Trois Consubstantiels, s’abstenant de toute création, de tout
don de l’être à une réalité extérieure à lui. Il aurait pu aussi ne créer que
des anges, créatures purement spirituelles, qui reproduisent plus parfaitement
son image que les créatures matérielles. Il ne l’a pas voulu : il a créé
l’homme esprit et chair, synthèse de forme et de matière, où chacun des
éléments du composé est ordonné et parfaitement adapté à l’autre. Le corps
n’est pas pour l’âme une prison, mais un instrument précieux qui lui fournit,
par ses organes sensoriels, le point de départ de toute connaissance.
Inversement, il est connaturel à l’homme d’exprimer les idées et les sentiments
de son âme par son corps, son intérieur par son extérieur. C’est cet homme tout
entier qui, dans l’état de justice originelle, avait reçu la grâce divine pour
la transmettre avec la vie à ses descendants, et passer ensuite, sans
déchirement, à la gloire corporelle et spirituelle de la vision face à face.
Le péché de l’homme a entraîné, avec la
révolte de l’homme contre Dieu, la révolte de la chair contre l’esprit, et
finalement leur séparation par la mort. C’est dans cet état que tout homme
vient désormais au monde. Pour y échapper, il a parfois été tenté de se
réfugier dans un spiritualisme de séparation, faisant abstraction d’un corps
accusé de tous les maux du fait que dans son état actuel il « appesantit
l’âme ». Mais il est retombé bientôt dans des maux pires, auxquels il
s’avère incapable d’échapper par ses propres forces.
« Pour nous les hommes, et pour notre
salut », « comme remède contre le
péché »[1], et pour que
« l’homme devienne Dieu » par participation, le Verbe s’est fait
chair ; celui qui était dans la forme de Dieu a pris la forme d’esclave,
et s’est humilié jusqu’à la mort de la croix avant de recevoir le Nom qui est
au-dessus de tout nom. Il a pour cela assumé une véritable nature humaine
complète, non un esprit pur — non angelum
apprehendit, sed semen Abraham apprehendit (He 2, 16) —, mais un corps
animé d’une âme raisonnable, animatum
corpus sumens, uni hypostatiquement à la seconde Personne de la
Trinité : un seul et le même, vrai Dieu et vrai homme, « charnel et
spirituel, venu en chair et Dieu,.. d’abord
passible et maintenant impassible »[2]. Il nous a rachetés, non par sa seule divinité, ni par
son âme seule, mais par tout lui-même, par tout ce qu’il a fait et souffert
dans son corps et dans son âme unis au Verbe, en particulier lors de la
passion. Il est ressuscité corporellement par la vertu de sa divinité,
réunissant miraculeusement à son âme bienheureuse son corps transfiguré, modèle
et anticipation de notre état définitif. Tel est le mystère central du
christianisme : le mystère du Verbe incarné, puis crucifié et glorifié
dans la chair.
Dans toutes ses actions humaines, le
Christ usait de son humanité, composée de matière et d’esprit créé, pour
procurer notre salut. Toute l’opération humaine de Jésus était
théandrique : en toute action et passion — même si cela est
particulièrement visible dans ses miracles, où ses mains touchaient les malades
humainement pour les guérir divinement —, son humanité, charnelle et visible,
agissait dans la vertu de la
divinité, qui lui conférait une efficacité spirituelle universelle, infiniment
supérieure à celle de toute autre nature créée. Et quand le Sauveur meurt sur
la croix, Jean voit couler de la blessure de son cœur le sang et l’eau :
c’est du corps transpercé du Fils que l’Esprit jaillit, avec les sacrements qui
« consacrent » l’Église, pour nous être communiqué, comme il procède
éternellement de lui selon la divinité.
Ainsi le Christ, cause principale de toute
grâce en sa divinité — car, à titre de cause principale, Dieu seul peut
remettre les péchés et diviniser —, est aussi instrument conjoint et universel
de salut et de divinisation selon son humanité. L’Aquinate l’a indiqué d’un mot
à propos de la grâce capitale du Christ[3],
et il y revient à plusieurs reprises au traité de la passion[4],
puis au traité de la résurrection[5] —,
le remède de la passion nous est appliqué, la grâce capitale nous est influée,
non seulement par voie de mérite, mais aussi d’efficience instrumentale :
Donner la grâce, ou le Saint Esprit, convient au Christ…
aussi instrumentalement, selon qu’il est homme, en tant que son humanité était
l’instrument de sa divinité. Et ainsi ses actions nous furent salutaires, en
tant qu’elles causaient en nous la grâce par le mérite et par une certaine
efficacité[6].
Mais à quelle condition les hommes, tous les hommes venant
en ce monde, sont-ils donc effectivement sauvés par l’Incarnation
rédemptrice ? Il faut pour cela qu’ils entrent en « contact
spirituel » avec le Christ, ce qui se réalise « par la foi et les
sacrements de la foi »[7], dans l’Église.
Le Verbe a poussé si loin le réalisme de
son Incarnation qu’il a assumé, non certes une humanité pécheresse, mais une
humanité limitée dans l’espace et le temps. Son salut doit pourtant toucher
tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Après son Ascension, il
ne nous est plus possible de le voir de nos yeux, de l’entendre de nos
oreilles, de le toucher et de nous faire toucher par lui pour être guéris par
le contact de son corps naturel. Il nous a cependant promis de demeurer
« avec nous jusqu’à la fin du monde ». Il le fait, assurément, par
son Esprit, par sa divinité. Mais le régime de l’Incarnation ne s’évanouit pas
avec le retour de Jésus à son Père. Il doit nous demeurer présent, non
seulement divinement, mais humainement, par un contact personnel avec son corps
ressuscité. Dans ce but, il prolonge, il étend sa vie humaine, charnelle, par
l’Église.
Quel est en effet le cadre, le milieu
vital, et finalement le sujet récepteur total de cette communication de la vie
divine ? L’Église du Verbe incarné, comme lui divine et humaine — quoique
dans un sens différent —, ne formant avec lui qu’une seule « personne
mystique »[8] : ce que saint Augustin appelait le « Christ
total », totus Christus.
Ainsi, ces deux mystères, celui du Christ Chef et celui
de l’Église, s’unissent finalement, dans le dessein éternel de la Trinité, en
un seul : celui de la volonté de Dieu de se communiquer à des créatures
corporelles par des moyens adaptés à leur nature. De même que l’homme a été
créé esprit et chair, désagrégé par le péché dans son esprit et dans sa chair, sauvé
par la venue dans la chair du Verbe, crucifié et ressuscité dans sa chair pour
notre salut, de même, depuis le retour du Verbe incarné à son Père, nous allons
à lui et à son Père par la médiation (subordonnée) d’une Église visible et
spirituelle, et par le moyen de sacrements qui nous apportent la grâce
invisible par des signes visibles et sensibles. C’est par eux, dans l’Église,
que nous puisons la grâce du Saint-Esprit, la vie divine, au corps glorifié de
Jésus lui-même. Enfin, dans l’éternité, quand les sacrements eux-mêmes auront
cessé avec le régime terrestre de l’Église, le caractère visible, charnel, de
notre salut ne disparaîtra pas pour autant : ce sera le jour des noces de
l’Agneau avec la Cité bien-aimée, son Épouse descendue du ciel
d’auprès de Dieu, au sein de laquelle « le Seigneur
Jésus Christ transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps
de gloire » (Ph 3, 21). Telle est la loi de
l’Incarnation.
Parler de l’Église
Un sujet sensible
Il nous faut donc parler de l’Église, nous
interroger, non seulement sur le Christ Chef, mais sur le Christ total.
L’entreprise n’est pas de tout repos. L’ecclésiologie apparaît en effet
actuellement comme une discipline potentiellement subversive[9]. C’est elle en effet qui, en théologie dogmatique,
attise le plus les passions. C’est dans ce domaine que, depuis quelques
décennies, surgissent le plus souvent les erreurs ou les déviations
doctrinales, que les mises au point romaines rencontrent la contestation la
plus violente. On l’a vu récemment à propos de Dominus Iesus, mais même sur un sujet apparemment bien différent
comme la clôture des moniales, on a pu constater que l’opposition à Verbi sponsa était fondée
essentiellement sur une ecclésiologie insuffisante ou erronée.
Un sujet difficile
Or, l’ecclésiologie constitue aussi une
matière difficile.
Difficile pour nous
Difficile pour nous, parce que nous ne
pouvons plus cette fois suivre pas à pas, comme dans la plupart des autres
domaines de la théologie, la Somme de
saint Thomas : le docteur commun n’a pas écrit de traité De Ecclesia. Non qu’il s’agisse chez lui
d’un manque d’intérêt[10] : il emploie 5793 fois le mot Ecclesia (ou ecclesia)
dans son œuvre authentique, sans compter les très nombreux cas où il évoque la
réalité de l’Église sans employer le mot, notamment en la désignant comme corps
mystique. En vérité, l’Église demeure toujours présente à son attention, dans
la considération des autres vérités du salut :
— Le mystère du Christ, qui en est la Tête
en son humanité, répandant sur elle la grâce qu’il possède en plénitude.
Nombreux sont les Pères qui, avant saint Thomas, ont développé sur ce thème une
profonde théologie (saint Jean Chrysostome, saint Augustin).
— Les sacrements (en particulier le baptême
et l’eucharistie), actes du Christ qui par eux édifie, fait grandir ordonne,
restaure son Corps. À ce propos aussi, les Pères ont élaboré une riche
ecclésiologie.
— La foi, altérée par l’hérésie et
abandonnée par l’apostasie. Mais c’est toute l’activité magistérielle des
pasteurs qui a pour objet de défendre, éduquer, augmenter la foi et
l’intelligence de la foi, ce qui nous fait aborder le munus docendi des pasteurs, donc l’aspect hiérarchique de l’Église.
— La charité, cœur de l’Église, rompue par
le schisme.
— La grâce, influée en nous par le Christ-Tête,
et les charismes, parmi lesquels les ministères ordonnés (notamment le charisme
d’infaillibilité du pontife Romain) constituent la
hiérarchie ecclésiale.
Ainsi on le voit : chez saint Thomas,
comme chez tous les anciens, l’Église est partout, et elle n’est nulle part. à l’époque, on vivait de la vie de
l’Église, surtout par la liturgie. Chez tous les auteurs, on trouve quelques
développements spécifiques sur l’Église (dans les catéchèses sur le Credo en particulier), quelques œuvres
de circonstance qui touchent plus ou moins directement à notre sujet. Mais de
synthèse organique, point : on ne théorisait pas sur une réalité qui
s’imposait à tous. Du reste, dans le développement du dogme comme en tout
savoir humain, il est naturel de considérer d’abord un objet extérieur — en
l’occurrence, Dieu — avant de se retourner vers soi même — l’Église —, de
manière pour ainsi dire réflexive
Il nous reste donc à recueillir dans
l’ensemble de l’œuvre de saint Thomas les enseignements nombreux et profonds
qu’on y peut trouver, et à en tirer les lignes directrices d’une ecclésiologie
en cohérence avec sa pensée. Tâche immense.
Mais il faut l’avouer, ce qui n’enlève
rien au génie de notre docteur : nous ne pouvons pas nous limiter une
étude globale de l’Église à ce travail de recherche et de synthèse. Si saint
Thomas n’a pas écrit de traité de l’Église, c’est qu’à son époque le
développement de l’ensemble de la théologie n’était pas assez avancé pour qu’il
le pût, ou pour qu’il pût même en concevoir la nécessité. La situation est
aujourd’hui fort différente.
Historiquement, l’ecclésiologie comme
science distincte fait son apparition au xive
siècle. Elle s’est développée à l’époque de la Réforme, mais c’est
surtout à partir du xixe siècle
qu’elle a suscité des recherches innombrables, qui ont
entraîné diverses prises de position du magistère. Nous pouvons et devons, bien
entendu, nous appuyer sur cet enseignement. Cependant, celui-ci laisse encore
nombre de difficultés irrésolues, sur lesquelles nous ne pourrons présenter que
des hypothèses. Inaugurer, même modestement, un traité d’ecclésiologie, c’est
donc se lancer dans une aventure.
Difficile en elle-même
Ajoutons qu’en tout état de cause, l’étude
de l’Église demeurera toujours difficile en elle-même, en raison de son extrême
complexité, de ses frontières incertaines, de ses aspects divers. Nous ne
pourrons tout dire, et c’est laborieusement, et sous réserve d’un meilleur
jugement, que nous tâcherons de dire l’essentiel.
Un sujet incontournable
Malgré ces difficultés cependant, et ce
caractère aventureux, nous ne pouvons nous dispenser de cette entreprise. D’une
part, en raison de son actualité brûlante, qui nous oblige à comprendre en
profondeur les interventions du Magistère, et à opérer un discernement lucide
dans les publications qui peuvent nous tomber entre les mains. D’autre part, en
raison de son importance intrinsèque, qui s’avère immense, et que Vatican II a
placée dans une vive lumière : désormais, nulle synthèse théologique ne
pourra plus sauter à pieds joints de l’étude de l’Incarnation rédemptrice à
celle des sacrements, en faisant l’économie d’un traité de l’Église.
Un traité spécial
Effectivement, c’est bien d’un traité
distinct, sinon entièrement séparé, qu’il s’agit maintenant.
Distinction justifiée, a priori, par le fait que l’Église entre
dans le Symbole comme un mystère spécial, qui fait l’objet d’un article de foi
particulier : Credo… sanctam
Ecclesiam catholicam — même si nous ne croyons pas en l’Église de la même façon que nous croyons en Dieu.
Distinction qui résulte naturellement du
développement du savoir théologique, et de la différenciation progressive de
ses parties. Distinction, enfin, requise par la situation nouvelle de l’Église
depuis la Réforme, qui l’oblige providentiellement à prendre une conscience
plus vive de son propre mystère.
Place de ce traité
Mais où situer ce nouveau traité dans
l’ensemble de la doctrine catholique ?
Une solution insuffisante : en
théologie fondamentale
Longtemps, face à la nécessité historique
de défendre l’Église contre les attaques qui pleuvaient sur elle, on a recouru
à une solution de facilité : placer l’Église dans le traité de théologie
fondamentale. De fait, du point de vue de la Révélation, l’Église est bien
gardienne du dépôt de la foi et motif de crédibilité ; du point de vue de
la méthode théologique, elle apparaît comme règle prochaine de la foi et donc
de la science de la foi.
On voit mieux actuellement qu’il convient
de distinguer entre apologétique, épistémologie et théologie de l’Église. Impossible,
dès lors, de se limiter à insérer une apologie de l’Église dans le chapitre
préliminaire au traité de Dieu. Il faudra donc évoquer l’Église parmi les
traités de dogmatique spéciale. Mais où ?
Dans le prolongement de la mission du Fils
et de celle de l’Esprit Saint
L’ordre même du symbole — celui de Nicée-Constantinople comme
celui des Apôtres — le suggère : Credo…
in unum Dominum Iesum Christum… Et in Spiritum Sanctum… et unam, sanctam,
catholicam, et apostolicam Ecclesiam. Nous y proclamons notre foi en
l’Église dans le prolongement de l’Incarnation rédemptrice et comme œuvre de
l’Esprit Saint répandu à la Pentecôte, au terme des deux missions visibles
accordées au monde à la plénitude des temps. Nous croyons à l’Esprit Saint
répandu par le Verbe incarné dans la sainte Église catholique, qui par la
rémission des péchés qu’elle annonce et le baptême qu’elle administre,
rassemble les hommes pour la vie éternelle[11].
De même, Lumen gentium situe explicitement l’Église en dépendance de la
mission du Fils — elle est l’Église du Verbe incarné — et de celle de l’Esprit
Saint.
Dans la IIIa Pars…
Ces indications invitent tout
naturellement le théologien thomiste à placer notre traité quelque part dans la
IIIa pars. Dès 1908, le P.
Ambroise Gardeil pouvait écrire :
Si saint Thomas revenait, et voyait le dogme de l’Église
au point de développement où il est parvenu de nos jours, je ne doute pas qu’il
lui fît une large place dans la troisième partie de sa Somme théologique, entre le traité de l’Incarnation et le traité
des sacrements[12].
Remarque profonde, à condition de la bien entendre. En introduction à la IIIa pars, nous avions, on
s’en souvient, tenté de dégager la structure de la Somme, pour y situer le traité du Verbe incarné. Depuis longtemps,
les théologiens avaient relevé son mouvement d’exitus-reditus, mais cette interprétation posait une difficulté
majeure : comment parler d’exitus à
propos du traité de Dieu ? Il paraît nécessaire de poser[13], antérieurement à ce mouvement, une répartition plus
fondamentale, correspondant à la science même de Dieu dont la théologie
constitue en nous une « empreinte »[14] et à laquelle, par la médiation de la foi, elle se
subalterne : la division, extrêmement traditionnelle chez les Pères grecs,
entre théologie et économie. On distinguera ainsi d’abord entre :
I. Théologie (I q 1-43) : Dieu en lui-même, objet central de la
science de Dieu, de la foi et de la théologie. Le traité de la Trinité,
couronné par la q 43 sur les missions divines, amorce
les traités suivants, du fait que les processions divines sont la raison de la
procession des créatures.
II. Économie (I q 44 jusqu’à la fin de la Somme) : Dieu en ordre à son œuvre, comme principe et fin de
l’univers.
L’économie se présente à son tour comme un
unique mouvement où le reditus correspond
étroitement à l’exitus — car, disait
Denys, les fleuves font retour à la source dont ils proviennent : c’est la
loi de l’effet de faire retour à sa cause. Saint Thomas lui-même a exprimé à
plusieurs reprises, notamment dans le Scriptum,
cette idée, par ailleurs solidement fondée dans le Nouveau Testament[15] :
Dans l’émanation des créatures à partir du premier
principe, on remarque un procédé cyclique ou un retour, en ce sens que toutes
choses reviennent à leur fin, à ce dont elles ont procédé comme de leur
principe. Par suite il faut que le retour à la fin suive la même voie que la
sortie du principe. Aussi, puisque, comme on l’a vu, la procession des
personnes divines est la raison de la production des créatures par le premier
principe, cette même procession devra être la raison de leur retour vers leur
fin. En effet, de même que nous avons été créés par le Fils et le Saint Esprit,
de même c’est par eux que nous rejoignons notre fin
dernière.
Dès
lors, il y a deux manières de considérer la procession des personnes dans les
créatures. En premier lieu, comme raison de la production des choses :
c'est cette procession qui est en cause, si l'on considère les dons naturels
qui nous font subsister ; Denys dit ainsi que la sagesse ou la bonté divine
« procèdent » dans les créatures....
En
second lieu, comme raison du retour vers la fin : alors on considère
seulement les dons qui nous unissent de près à Dieu, Fin ultime, c'est-à-dire
la grâce sanctifiante et la gloire. Et voilà de quelle procession il s'agit
(dans la mission invisible) [16]…
Le théologien considère les créatures selon qu’elles sont
sorties, exierunt, du premier
principe, et sont ordonnées à la fin ultime : Dieu[17]…
Ad locum unde exeunt, flumina revertuntur,
ut iterum fluant (Eccl 1, 17). C’est le
mystère de l’Incarnation qui est signifié par ce retour des fleuves vers leur
source… Ces fleuves, ce son en effet les biens naturels dont Dieu comble les
créatures, l’être, la vie, l’intelligence… et la source d’où ils viennent,
c’est Dieu… Alors qu’ils se trouvent à l’état dispersé dans toute la création,
ces biens se trouvent rassemblés dans l’homme, car il est comme l’horizon, la
limite où se rejoignent la nature corporelle et la nature spirituelle… C’est
pourquoi, lorsque la nature humaine fut réunie à Dieu par le mystère de
l’Incarnation, tous les fleuves des biens naturels revinrent à leur source, ad suum principium redierunt[18].
L’universalité de toute l’œuvre divine est ainsi
accomplie d’une certaine manière, quand l’homme, qui a été créé le dernier,
retourne, redit, à son principe par
une sorte de mouvement circulaire, en étant uni au principe même des choses par
l’œuvre de l’Incarnation[19].
On distinguera ainsi :
A.
Dieu, principe des créatures par la
création, prolongée par la conservation des créatures et le gouvernement divin
(I q 44-119).
B.
Dieu, fin dernière des créatures (IIa Pars et IIIa Pars) : un seul
mouvement est consacré à décrire le retour à Dieu, par le Christ, de l’humanité
pécheresse et rachetée, et par elle de toute la création. On évoque
successivement :
1°) La fin dernière : la béatitude (I-II q 1-5).
2°) Le retour à Dieu par l’action humaine :
a) principes généraux (I-II q 6-114)
b) principes particuliers (II-II q 1-170).
3°) à la bienheureuse plénitude des temps, le salut dans le Christ,
objet de la IIIa Pars.
Tous les traités antérieurs y trouvent leur achèvement et leur
couronnement : ad consummationem
totius negotii theologici[20]. Trois sections dans cette partie :
a)
Le
Christ Rédempteur (III q 1-59).
b)
Pendant
le temps intermédiaire, les sacrements, moyens d’union au Christ (III q 60-90
et Suppl. q 1-68[21]).
c)
L’achèvement
de la fin des temps (Suppl. q 69-99).
C’est assurément pendant le temps
intermédiaire entre la Pentecôte et la parousie qu’il faut situer le temps de
l’édification de l’Église, « prémices du nouvel univers rassemblé dans le
sang du Christ »[22]. C’est donc bien, comme le suggérait le P. Gardeil,
après les acta et passa du Christ
dans la chair qu’il convient de placer le traité de l’Église.
Contenu du traité de
l’Église
Ce traité cependant ne saurait
« s’enfoncer comme un coin entre les questions 59 et 60 » en laissant
absolument inchangés les autres traités. Il faudra y intégrer étroitement, en
premier lieu, le traité des sacrements, qui « fabriquent l’Église du
Christ »[23]. D’autre part, le traité de novissimis, traitant de la consommation de l’Église à la fin des
temps. On pourrait même, à l’exemple de Lumen
gentium, lui joindre la mariologie, la Mère de Dieu étant aussi Mère, type
achevé et icône eschatologique de l’Église, épouse de son Fils. La IIIa Pars ainsi actualisée
apparaît plus clairement encore comme ce qu’elle est déjà moins visiblement
chez notre Docteur : un traité du Christ total, unique personne mystique,
Chef et corps.
Mais, avant de tenter une synthèse sur cette
immense matière, il convient de s’interroger brièvement sur la manière dont
l’Église, dans sa tradition bimillénaire, a pris conscience d’elle-même à
travers son expérience historique, la réflexion de ses théologiens et les
discernements de son magistère.
Plan général du cours
Brève histoire de l’ecclésiologie.
Credo
Ecclesiam : Vers une définition de
l’Église : de ses noms à sa réalité.
Les propriétés (et les causes) de
l’Église :
Apostolicam (cause efficiente)
L’Église
dans le dessein de Dieu
Apostolicité
de l’Église
Sanctam (cause finale)… communionem
sanctorum
L’annonce
missionnaire de l’Évangile
Les
sacrements (III q 60-83)
Unam (cause formelle), catholicam (cause matérielle)
L’appartenance
à l’Église
Les
sacrements de la guérison
Les
déchirures de l’Église ; le mouvement œcuménique
Credo…
carnis resurrectionem, vitam æternam : L’Église pérégrinante et sa fin.
Conclusion : Marie, « Mère et
forme de l’Église » (cause exemplaire).
d |
ans son discours d’ouverture de la deuxième
session du concile Vatican II, le 29 septembre 1963, Paul VI déclarait :
« L’objet de cette session, ce sera le Christ total, Christus totus, et le propos des Pères devra être de répondre à la
question qu’on adresse à l’église :
“église, que dis-tu de
toi-même ?“ ». à cette
interrogation, l’Église a répondu
solennellement et globalement par la constitution Lumen Gentium. La question, cependant, n’avait jamais cessé de lui
être posée depuis ses origines apostoliques, et, bien avant l’apparition des
premiers traités d’ecclésiologie, elle lui avait apporté, multifariam multisque modis, par ses docteurs, ses théologiens, ses
saints, sa pratique, de nombreux éléments de réponse.
De cette tradition, nous donnerons ici,
dans son contexte historique[24],
un simple survol destiné à mettre en place les cadres chronologiques
indispensables à une juste interprétation des sources de l’ecclésiologie.
Parfois, le développement de telle partie, de tel auteur, apparaîtra
disproportionné par rapport à son importance relative réelle : nous
compléterons et rééquilibrerons ultérieurement l’ensemble en approfondissant de
nombreux points particuliers dans l’examen synthétique des grands thèmes de
l’ecclésiologie. Par ailleurs, nous nous contenterons souvent ici d’indiquer
les problèmes posés par chaque auteur, en réservant la solution pour la suite
de notre étude.
À la fin de cet historique, nous
insisterons particulièrement sur les documents du magistère récent (depuis le
concile), qui indiquent clairement la nature des questions ecclésiologiques
actuelles et balisent la recherche théologique avec sûreté et largeur de vues.
Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut,
on peut distinguer dans ce bref historique deux étapes majeures :
— Du premier au xiiie siècle, l’ecclésiologie diffuse de la
tradition patristique prolongée par les grands scolastiques.
— Du xive
siècle à nos jours, une ecclésiologie systématique.
L’ecclésiologie diffuse des origines
Les trois premiers siècles
L’âge apostolique
On désigne depuis le xviie
siècle comme « Pères apostoliques » la génération d’auteurs chrétiens
des deux premiers siècles qui a sans doute connu les apôtres.
Le
contexte historique
Au premier siècle, l’Église connaît une rapide expansion.
La question théologique majeure qui se pose à elle est celle de sa rupture avec
le judaïsme : comment entendre que le Christ est venu accomplir et non
abolir ? Convenait-il d’obliger les gentils à la Loi juive ? Dans le
cas contraire, les juifs pouvaient-ils, devaient-ils prendre leur repas avec
les chrétiens issus du paganisme (cf. Ac15, 1 sq. ; Ga 2, 11, sq.) ?
Le Nouveau Testament n’existe pas encore à l’état de corpus constitué[25] :
la communauté vit de la parole et des sacrements par le ministère de ses
pasteurs. Vis-à-vis du judaïsme, elle se présente comme l’Israël selon
l’Esprit, le nouveau peuple de Dieu fondé sur l’Alliance nouvelle et éternelle.
L’étude des écrivains de cette période pose le difficile
et important problème des ministères dans l’Église des origines.
Saint Clément de
Rome (+ 101)
Occasion et réception de
la lettre
Entre 95 et 98 « l’Église de Dieu qui
séjourne à Rome » intervient auprès de « l’Église de Dieu qui
séjourne à Corinthe »[26] et qui, dit-on, « s’est révoltée contre ses
presbytres à cause d’un ou deux individus »[27], par la plume de son chef, Clément, dia KlhmentoV.
Cet épisode sera relaté vers 175-178 par
saint Irénée, qui précisera :
Après avoir fondé et édifié l’Église, les bienheureux
Apôtres transmirent à Lin la charge de l’épiscopat. Anaclet lui succède. Après
lui, en troisième lieu à partir des Apôtres, l’épiscopat échoit à Clément.
Clément avait vu les Apôtres eux-mêmes, il avait été en relation avec
eux ; car il restait encore à l’époque beaucoup de gens qui avaient été en
relation avec les Apôtres.
Du temps de ce Clément, une grave révolte se produisit
chez les frères de Corinthe. L’Église de Rome envoya aux Corinthiens un écrit
très important, pour les réconcilier dans la paix et pour renouveler leur foi
et proclamer la tradition qu’ils avaient reçue récemment des Apôtres[28].
Cette intervention semble avoir été bien
accueillie, puisque quelques décennies plus tard l’Église de Corinthe lisait
encore avec piété l’exhortation romaine, et qu’elle gardera une dévotion
particulière envers Clément. Denys, évêque de Corinthe vers 170, écrit dans une
lettre conservée par Eusèbe :
Aujourd’hui donc, nous avons célébré le saint jour du
Seigneur, et nous avons lu votre lettre (celle du pape Soter et de la
communauté romaine) ; nous la conservons toujours pour la lire comme un
avertissement, de même que la première lettre qui nous a été écrite par
Clément.
L’Église et son unité
selon Clément de Rome
Clément désigne les fidèles comme les
« appelés »[29],
la « fraternité »[30],
les « élus » de Dieu, le « troupeau du Christ »[31].
L’Église est présentée comme le nouvel Israël, et reçoit les appellations
caractéristiques de l’ancien peuple : « peuple particulier »,
« part d’élection »[32],
« portion sainte »[33].
D’autre part, les chrétiens sont les
« membres du Christ »[34]. L’Église est donc une, d’une unité de foi, de vocation,
de corps. Or, cette unité est compromise par les dissensions des
Corinthiens :
Pourquoi des querelles, des colères, des disputes, des
scissions et des guerres parmi vous ? N’avons-nous pas un seul Dieu, un
seul Christ, un seul Esprit de grâce qui a été répandu sur nous et une seule
vocation dans le Christ ? Pourquoi écarteler, pourquoi déchirer les
membres du Christ, pourquoi être en révolte contre notre propre corps et en
arriver à un tel degré de démence ? Oublions-nous que nous sommes les
membres les uns des autres ?… Vos scissions en ont détourné beaucoup,
elles en ont jeté beaucoup dans le découragement, beaucoup dans le doute, et
nous tous dans le chagrin. Et vos dissensions se prolongent ![35]
Aussi Clément, en vue de l’utilité commune[36],
invite-t-il fermement les fauteurs de trouble à la soumission :
Vous donc, qui avez causé le principe de la discorde,
soumettez-vous aux presbytres, laissez-vous corriger en esprit de pénitence,
fléchissez les genoux de votre cœur. Apprenez à obéir[37].
La hiérarchie ecclésiastique, à l’image de
la hiérarchie lévitique, vient de Dieu, et chacun doit s’y tenir à sa
place :
Il a déterminé lui-même, en son souverain bon plaisir, où
et par quels ministres nous devrions nous acquitter (des offrandes et du
culte), afin que tout se passe saintement selon son bon plaisir, et soit saint
et agréable à sa volonté… Au grand prêtre des fonctions particulières sont
confiées ; les prêtres ont leur place, les lévites leur service, le laïc les
obligations des laïcs…
Que chacun d’entre vous, frères, à son rang, plaise à
Dieu par une bonne conscience, sans vouloir franchir les limites régulières de
son office, en toute dignité[38].
Succession apostolique
Ce qui fait le caractère sacré de cette
hiérarchie, c’est que les presbytres-épiscopes viennent des Apôtres. Or les
Apôtres viennent de Jésus-Christ et Jésus-Christ vient de Dieu :
Les Apôtres nous ont été dépêchés comme
messagers de l’heureuse nouvelle que le Seigneur Jésus-Christ a été envoyé par
Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les Apôtres viennent du Christ : ces
deux choses découlent en bel ordre de la volonté de Dieu. Munis des
instructions de Notre Seigneur Jésus-Christ et affermis par sa résurrection,
les Apôtres, confirmés par la parole de Dieu, allèrent, avec l’assurance du
Saint-Esprit, annoncer la bonne nouvelle et l’approche du royaume de Dieu.
Prêchant à travers les villes et les campagnes, ils éprouvèrent dans le
Saint-Esprit leurs prémices, et les instituèrent comme évêques et comme diacres
des futurs croyants[39]…
Nos Apôtres aussi ont connu par Notre
Seigneur Jésus-Christ qu’il y aurait querelle au sujet de la fonction
épiscopale. C’est bien pour cette raison qu’ayant reçu une connaissance
parfaite de l’avenir, ils établirent ceux dont il a été question plus haut, et
posèrent ensuite comme règle qu’après la mort de ces derniers, d’autres hommes
éprouvés leur succéderaient dans leur office. Donc ceux qui ont été établis par
eux, ou ensuite par d’autres hommes éminents, avec l’approbation de toute
l’Église, qui ont rempli leur office envers le troupeau d’une manière
irréprochable… nous estimons qu’il n’est pas juste de les démettre de leurs
fonctions. Heureux les presbytres qui ont cheminé avant nous, et dont la fin
fut comblée de fruits et de perfections[40].
Degrés de la hiérarchie
Quels étaient donc les degrés de cette
hiérarchie ? Clément mentionne des épiscopes, des presbytres et des
diacres, mais ne précise ni si ces catégories étaient adéquatement distinctes,
ni quelles étaient les attributions des uns et des autres. Il parle toujours de
presbytres quand il s’agit de la communauté de Corinthe[41].
Le couple épiscopes/diacres apparaît dans le contexte de la succession
apostolique[42].
En 44, 4-5, l’épiscopat semble attribué aux presbytres :
Ce serait pour nous une faute grave de rejeter de
l’épiscopat ceux qui ont présenté les dons de façon pieuse et irréprochable.
Heureux les presbytres qui ont accompli leur route et dont la vie s’est
terminée, féconde et parfaite.
Mais la mention du grand prêtre en 40, 5[43]
suggère clairement que le conseil des anciens devait être présidé par un
personnage exerçant des « fonctions particulières ».
Signification de l’intervention romaine
L’intervention de « l’Église qui
séjourne à Rome » dans les affaires de Corinthe relève-t-elle, comme on
l’a dit, de la simple correction fraternelle, d’Église sœur à Église sœur, ou
d’une responsabilité particulière de l’Église romaine ?
L’auteur de la lettre se présente sans
équivoque possible comme l’interprète authentique de la volonté de Dieu, ce qui
lui confère un accent d’autorité singulier :
Si quelques uns désobéissent à ce que nous leur avons dit de sa part, qu’ils sachent qu’ils s’engagent dans
une faute et des dangers considérables…[44]
(Ce que nous avons écrit dans la lettre), nous vous l’avons écrit par le
Saint-Esprit[45].
Il s’excuse d’avoir tant tardé à
intervenir[46], ce qui suggère que certains avaient fait appel à Rome
pour « trancher des affaires qui (étaient) en litige chez (eux) ». Un
tel appel s’explique par le fait que, Pierre et Paul, « colonnes les plus
élevées » de l’Église[47], ayant été martyrisés à Rome, cette Église jouissait
d’une primauté dans l’agaph qui devait unir les Églises. Rôle particulier confirmé,
avec la finale de l’évangile de saint Jean, par la lettre de saint Ignace aux
Romains, postérieure à la Prima Clementis
d’une dizaine d’années[48], et également par l’allusion de Denys de Corinthe à la
charité exercée « depuis les origines » par l’Église de Rome[49]. Cette place spéciale entraînait pour cette Église le
droit et le devoir d’intervenir dans les affaires des Églises locales en cas de
conflit interne.
Rôle personnel de
Clément
Mais dans cette lettre d’Église à Église,
sans nom d’auteur à l’origine, faut-il attribuer un rôle personnel à
Clément ? Il est clair, malgré son effacement volontaire, qu’il s’agit de
l’œuvre d’un auteur particulier, bien connu, on l’a vu, de Denys de Corinthe,
et identifié par saint Irénée et le canon romain avec le troisième successeur
de Pierre. Comme tous les papes, Clément avait « conscience d’être la voix
d’une Église fondée sur le témoignage et le sang de Pierre et de Paul, et dont
la mission est de servir l’agapè pour
toutes les Églises »[50]. C’est à ce titre, et non à titre personnel, qu’il est
intervenu. Mais il a, pour le faire, pris personnellement ses responsabilités,
et il a imprimé vigoureusement à son intervention son empreinte personnelle[51].
Les
Odes de Salomon (vers 100 ou un peu après)
Découvertes en 1909 dans la région du
Tigre, écrites en syriaque, ces odes, issues d’un milieu johannique,
constituent une sorte de psautier chrétien primitif d’une grande beauté.
L’Église y est présente d’une manière diffuse, sous des images dont beaucoup
peuvent s’appliquer à la fois au fidèle et à la communauté :
— Temple préexistant : cette idée judéo-chrétienne
se retrouve notamment dans Le pasteur
d’Hermas :
Nul ne
transférera ton lieu saint, ô mon Dieu,
nul ne le transférera, pour le placer en un autre lieu,
car ce n’est pas en son pouvoir.
Ton
sanctuaire, tu l’avais désigné,
avant d’établir d’autres emplacements[52].
— Rocher sur lequel on
construit le royaume, séjour des saints :
Incorruptible était ta route et ton visage,
et ta création était corruption,
afin que l’univers fût anéanti, puis renouvelé,
et que ton rocher soutienne l’univers.
Sur lui tu as édifié ton royaume,
et il est devenu le séjour des saints[53].
— Plantation que
cultive le Seigneur :
La plante a pris racine,
elle a fleuri et s’est développée,
elle s’est gonflée de sève,
elle est devenue grande.
Au Seigneur sel revient la gloire
de sa plantation et de sa culture,
pour ses soins et la bénédiction de ses lèvres,
pour la belle plantation de sa droite,
et la beauté de sa plante, fruit de sa pensée[54].
— Vierge parfaite appelant les hommes à la
pénitence :
Une vierge parfaite se dressa,
proclamant, appelant, et disant :
Enfants des hommes, convertissez-vous,
et filles des hommes, venez !
Fuyez les voies de cette perdition !
Approchez-vous de moi,
j’entrerai parmi vous,
et je vous sauverai de la perdition.
Je vous instruirai
dans les voies de la vérité[55].
— épouse que le Seigneur s’unit dans
l’eucharistie :
Ses membres sont près de moi ;
je les enlace et il m’étreint.
Je n’aurais pas su aimer le Seigneur,
si lui-même ne m’avait aimé le premier.
Qui peut comprendre l’amour,
si ce n’est celui qui est aimé ?
J’étreins l’aimé et mon âme l’aime[56].
(Le Christ parle)
Comme le bras du fiancé sur sa fiancée,
ainsi est mon joug sur ceux qui me connaissent.
Comme la tente des fiançailles est dressée chez le
fiancé,
mon amour protège ceux qui croient en moi[57].
— Communauté de la
« véritable alliance » :
Prenez (la vérité) pour sceller l’alliance avec le
Seigneur,
tous les vainqueurs seront inscrits dans son livre
car leur livre est la victoire qui vous appartient.
Elle vous voit devant elle, et elle veut que vous soyez
sauvés[58].
— Paradis, dont on reçoit le lait au
baptême. Thème fréquent dans la littérature judaïque de l’époque, qu’on
retrouvera dans la catéchèse baptismale et dans la théologie syrienne, par
exemple chez saint Ephrem :
(Dieu parle)
Je leur ai présenté mes mamelles,
pour qu’ils boivent mon lait sacré, et qu’ils en vivent[59].
Il m’a transporté dans son paradis,
où est la richesse et la suavité du Seigneur.
Je me prosternai devant le Seigneur
à cause de sa gloire, et lui dis :
Heureux, Seigneur, ceux qui sont plantés[60]
dans ta terre,
et trouvent une place dans ton paradis ;
qui poussent dans la plantation de tes arbres,
qui émigrent des ténèbres à la lumière[61].
Une coupe de lait m’a été offerte,
je l’ai bue dans la douce suavité du Seigneur.
Le Fils est cette coupe,
celui qui a été trait, c’est le Père,
celui qui l’a trait, c’est le Saint-Esprit.
Ses mamelles regorgeaient de lait,
il ne faudrait pas qu’il se perde[62].
Revêts abondamment la grâce du Seigneur,
dresse-toi une couronne de son arbre,
et pose-la sur ta tête.
Sois heureux et en lui repose[63].
Comme un enfant par sa mère, je fus porté par lui,
et la rosée du Seigneur m’allaita[64].
— Corps mystique :
Ils se sont rassemblés vers moi et ils ont été sauvés,
parce qu’ils sont pour moi des membres, et je suis leur Tête.
Gloire à toi, ô notre Tête, Seigneur
Christ. Alleluia ! [65]
Saint
Ignace d’Antioche (+ 110 environ)
Les sept lettres écrites par l’évêque
d’Antioche en chemin vers Rome pour y subir le martyre contiennent un riche enseignement
ecclésiologique.
Le chantre de l’Église
« Je chante les Églises »,
écrivait le martyr aux Magnésiens[66]. Mais dans « les Églises », il chante l’Église
catholique — il est le premier à
employer ce mot —, l’Église universelle, qu’il aime de l’ardent amour qu’il
voue au Christ, « l’évêque invisible »[67].
L’Église est pour lui, fondamentalement,
l’épouse du Christ, la fiancée, reflet de la Jérusalem céleste, en laquelle
l’évêque est tupoV tou Jeou et le presbyterium « couronne spirituelle » et
« assemblée des apôtres »[68]. Derrière le rapport de l’évêque avec la communauté se
trouve toujours l’image de l’union conjugale du Christ avec l’Église :
« Là où paraît l’Église, que là soit la communauté ; de même que là
où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique »[69]. Pour nous, elle est mère, comme le suggère la
désignation de agiafora adressée à la communauté de Smyrne[70].
Elle est encore « le lieu du
sacrifice », qusiasthrion[71],
dont il serait suicidaire de s’éloigner :
Ayez soin de ne participer qu’à une seule eucharistie,
car il n’y a qu’une seule chair de notre Seigneur Jésus-Christ, et un seul
sacrifice pour nous unir à son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec
le presbyterium et les diacres, nos compagnons de service[72].
Elle est surtout un « unique
corps » : celui du Christ :
Notre Seigneur… véritablement fils de David selon la
chair, Fils de Dieu selon la volonté et la prescience de Dieu, véritablement né
d’une Vierge,… a été véritablement cloué pour nous dans sa chair sous Ponce
Pilate et Hérode le tétrarque… pour <rassembler> ses saints et ses
fidèles, <venus> soit des juifs soit des gentils, dans l’unique corps de
son Église[73].
Le chantre de l’unité
Rien d’étonnant, dès lors, Ignace se
présente lui-même comme un « homme voué à l’unité[74] ».
Unité avec le Christ, d’abord, que les
chrétiens portent en eux[75],
dont ils sont les temples[76],
en qui ils doivent « demeurer de chair et d’esprit » :
En toute pureté et modération, demeurez en Jésus-Christ
de chair et d’esprit[77].
Je souhaite (aux Églises) l’union avec la chair et
l’esprit de Jésus-Christ, notre éternelle vie, <l’union> de la foi et de
la charité, à laquelle rien n’est préférable, et, ce qui est le plus important,
<l’union> avec Jésus et le Père[78].
Unité avec l’Église, qui en découle
logiquement : l’union avec Jésus-Christ présent dans l’eucharistie, est le
lien qui rassemble tous les chrétiens. Pour Ignace, l’Église, c’est l’unité. En
toute chose, il faut agir « dans la concorde de Dieu, omonoiaV»[79] :
Il est donc utile pour vous d’être dans une inséparable
unité, afin de participer toujours à Dieu[80].
Cette « concorde » se réalise
d’abord par l’unité de la foi[81],
fondement de toute autre unité. Les hérésies (celles des judaïsants et des
doctes) sont une « herbe du diable »[82],
des « plantes parasites que le père n’a pas plantées » ; les
hérétiques, des ennemis de la foi, des bêtes féroces, des loups ravisseurs, des
chiens enragés mordant traîtreusement, des bêtes à face humaine, destinées au
feu éternel[83].
Il faut être sourd à qui parle d’autre chose que de Jésus-Christ[84].
L’unité de la foi entraîne l’unité de la
vie sacramentelle et liturgique. Les fidèles ont un seul temple, un seul autel[85],
une seule eucharistie[86].
Il n’y a de bon que ce que vous faites en commun :
une même prière, une même supplication, un seul et même esprit, une même
espérance animée par la charité dans la joie innocente, et tout cela c’est
Jésus-Christ et, au-dessus de lui, il n’y a rien. Accourez tous vous réunir dans
le même temple de Dieu et comme sur un seul autel, c’est-à-dire sur le seule Jésus-Christ[87].
Se séparer de l’autel, c’est se séparer du pain de Dieu[88].
L’idéal est celui du chœur
liturgique :
Que chacun de vous aussi vous deveniez un chœur, afin que
dans l’harmonie de votre accord, vous chantiez d’une seule voix par
Jésus-Christ <une hymne> au Père[89].
Le chantre de l’évêque
Le garant de l’unité ecclésiale, c’est
l’évêque :
Je vous félicite de lui être si profondément unis, comme
l’Église l’est à Jésus Christ, et Jésus Christ au Père, afin que toutes choses
soient accordées dans l’unité[90].
C’est pourquoi l’évêque d’Antioche insiste
tant sur l’unité avec l’évêque :
J’ai crié, au milieu de ceux auxquels je parlais, d’une
grande voix, la voix de Dieu : Obéissez
l’évêque, aux prêtres et aux diacres[91].
Ignace nous offre un vivant tableau d’une
hiérarchie ecclésiastique à trois degrés : évêque — dont la fonction est
cette fois nettement distincte —, prêtres, diacres. Sans cette hiérarchie,
point d’Église :
Je vous en conjure, ayez à cœur de faire toutes choses
dans une divine concorde, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de
Dieu, des prêtres qui tiennent la place du sénat des apôtres, et des diacres
qui me sont si chers, à qui a été confié le service de Jésus-Christ[92].
Que tous révèrent les diacres comme Jésus-Christ, comme
aussi l’évêque, qui est l’image du Père, et les presbytres, comme le sénat de
Dieu et l’assemblée des apôtres : sans eux on ne peut parler d’Église[93].
Se soumettre de cœur à l’évêque, entrer
dans sa pensée, c’est se soumettre « non pas à lui, mais au Père de
Jésus-Christ, à l’évêque de tous »[94] :
Jésus-Christ, notre vie inséparable, <est> la
pensée, gnwmh, du Père, comme aussi les évêques, répandus jusqu’aux extrémités de la
terre, sont la pensée du Christ. Aussi convient-il de marcher d’accord avec la
pensée, gnwmh, de votre évêque, ce que d’ailleurs vous faites. Votre presbyterium
justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l’évêque comme les cordes à la
cithare[95]…
Ayez donc soin de ne pas résister à l’évêque, pour être
soumis à Dieu… Celui que le maître de maison envoie pour administrer sa maison,
il faut que nous le recevions comme celui-là même qui l’a envoyé. Donc il est
clair que nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même[96].
Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, ceux-là sont
avec l’évêque[97].
La consigne, c’est donc de « ne rien
faire sans l’évêque »[98],
notamment dans l’ordre liturgique :
Il est bon de vénérer Dieu et l’évêque. Qui honore
l’évêque, Dieu l’honore aussi. Mais agir à l’insu de l’évêque, c’est se faire
le serviteur du diable[99].
Suivez tous l’évêque, ainsi que Jésus-Christ a suivi son
Père, suivez le conseil des presbytres comme les Apôtres. Respectez les diacres
comme la loi de Dieu. Ne faites rien en dehors de l’évêque de ce qui intéresse
l’Église. Ne tenez pour valable que l’eucharistie célébrée sous la présidence
de l’évêque ou de son délégué. Là où paraît l’évêque, là aussi est l’Église
universelle… Sans l’évêque, impossible de faire l’agape. Il faut son
approbation pour que nous plaisions à Dieu. Alors toutes nos actions seront sûre et légitimes[100].
N’ayez qu’une seule eucharistie, car la chair de notre
Seigneur Jésus-Christ est une, et un le calice pour l’union de son sang, et
l’autel est un, comme est un l’évêque avec les prêtres et les diacres[101].
Il ne s’agit pas en cela, d’abord, de
discipline, mais de grâce : l’organisation de l’Église est par elle-même
organisme de grâce. Ce dont il s’agit, c’est d’être, comme le diacre Zotion,
« soumis à l’évêque comme à la grâce de Dieu, et au presbyterium comme à
la loi de Jésus-Christ »[102].
Le chantre de l’Église romaine
« Ignace, dit aussi Théophore, à
l’Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Dieu très haut et de
Jésus-Christ son Fils unique, <l’Église> bien aimée et illuminée par la
volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe selon l’amour de Jésus-Christ
notre Dieu ; <l’Église> qui préside dans la région des Romains,
digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de
succès, digne de chasteté, qui préside à la charité, qui porte la loi du
Christ, qui porte le nom du Père : je la salue au nom de Jésus-Christ, le
fils du Père »[103].
C’est par cette adresse d’une emphase
singulière, sans proportion avec toutes les autres, que l’évêque martyr
s’adresse à l’Église de Rome, qui a « instruit les autres »[104],
à la charité de laquelle il confie, après Dieu, la surveillance —
littéralement, « l’épiscopat » — de l’Église d’Antioche après sa mort[105],
et à laquelle il s’abstient de donner des avis[106].
Dans ce prologue, on relèvera deux formules remarquables :
— « L’Église… qui préside, proskaqhtai, dans
la région des Romains » : « Présider », non au sens de « se
distinguer », mais exercer une présidence avec autorité, comme le fait
l’évêque ou le presbyterium[107]. « Le sens le plus naturel de ce langage, c’est que
l’Église romaine préside sur l’ensemble des Églises »[108].
— « L’Église… qui préside à la charité,
proskaqhmenh thV agaphV » : L’agaph désigne
inséparablement la charité, la communauté et l’agape. Il y a peut-être ici une
allusion à la charité (au sens de bienfaisance, aumônes) bien connue par
ailleurs[109] de l’Église de Rome vis-à-vis des autres Églises, mais cet
emploi n’apparaît qu’une fois chez Ignace[110], et il est peu probable que tel soit le sens principal.
Selon une autre interprétation, l’agaph désignerait la totalité de la vie surnaturelle que le
Christ anime en nous par la charité : l’évêque d’Antioche reconnaîtrait à
l’Église romaine l’autorité pour guider les autres là où est en cause l’ordre
nouveau que la charité du Christ a introduit dans le monde. Enfin, — et c’est
l’interprétation qui nous paraît la plus probable — Ignace emploie plusieurs
fois agaph au
sens d’Église. Comme il possède par ailleurs la notion d’Église universelle,
rien ne s’oppose à ce qu’il pense ici à l’Église universelle : l’Église de
Rome ne peut que présider à toutes les autres, à la société d’amour de tous les
chrétiens, comme Antioche préside à toute l’oikoumenh[111], et comme Constantinople présidera à tout l’Orient[112].
Le Pasteur d’Hermas
Le fragment de Muratori (seconde moitié du
iie siècle), qui offre
de façon fragmentaire la première liste connue du canon des Écritures, offre la
présentation suivante du Pasteur
d’Hermas :
Le Pasteur,
cependant, c’est tout récemment, à notre époque, dans la ville de Rome,
qu’Hermas l’a écrit, alors que siégeait sur la chaire de l’Église de la ville
de Rome l’évêque Pius, son frère ; et pourtant, il faut néanmoins le
lire ; il ne peut cependant être rendu public en Église au peuple, ni
[être compté] parmi les prophètes au nombre complet, ni parmi les Apôtres dans
la fin des temps[113].
Cet ouvrage, que l’auteur du canon de
Muratori ne rejetait qu’en raison de son caractère « moderne »[114], connut immédiatement un grand succès, et saint Irénée
le cite en première place parmi les grafai qu’il allègue pour établir contre les gnostiques qu’il
n’y a qu’un Dieu créateur[115].
Le
Pasteur d’Hermas, sous une forme merveilleuse
et souvent déconcertante, apporte, face au rigorisme prévalent dans certains
milieux de son temps, un immense message d’espoir : même après le baptême,
Dieu pardonne les pécheurs moyennant la pénitence. L’Église déclare :
« Car je sais que s’ils font pénitence du fond de leur cœur, ils seront
inscrits sur le livre de la vie des saints »[116].
L’Église préexistante et
toujours en construction
Parmi les hérauts de cette révélation — ou
de cette confirmation d’une doctrine parfois contestée à cette époque —, figure
en première place une femme vénérable aux cheveux blancs, une
« dame », figure de l’Église, première des créatures, pour laquelle
le monde entier fut créé :
Une femme chargée d’ans s’avança en habits
resplendissants, tenant un livre à la main, et elle s’assit, solitaire[117]…
Voici, frères, une révélation qui me fut faite pendant que je dormais, par un
jeune homme d’une grande beauté qui me dit : « La femme âgée de qui
tu obtins le petit livre, qui est-elle, à ton avis ? » Moi je
dis : « La Sibylle[118].
— Tu fais erreur, dit-il, ce n’est pas elle. — Qui est-elle donc, dis-je ?
— L’Église, dit-il. Je repartis : Et pourquoi est-elle si âgée ? —
Parce qu’elle fut créée avant toutes choses : c’est pour elle que le monde
a été formé[119].
Dans une nouvelle vision, l’Église se
présente comme une tour en construction, construite sur l’eau :
La tour que tu vois construire, c’est moi, c’est
l’Église… — Pourquoi la tour est-elle construite sur les eaux ? — Parce
que votre vie a été sauvée par les eaux et qu’elle le sera encore. La tour a
été érigée par la Parole du Nom tout puissant et glorieux, et elle est
maintenue par la force invisible du Maître[120].
ambassadrice des secrets divins, elle apparaît surtout
comme une mère qui se soucie de ses enfants :
Écoutez-moi, mes enfants. C’est moi qui vous ai élevé en
toute simplicité, innocence et sainteté, par la miséricorde du Seigneur, qui ai
fait tomber sur vous goutte à goutte la justice pour
vous justifier et vous sanctifier de tout vice et de toute perversité. Mais
vous, vous ne voulez pas vous corriger de vos vices. Maintenant donc,
écoutez-moi et faites la paix entre vous, rendez-vous visite et secourez-vous
les uns les autres… afin que moi aussi, me tenant joyeusement en face du Père,
je puisse rendre de vous tous à Dieu un compte favorable[121].
L’auteur revient sur l’image de la tour,
de manière plus approfondie[122],
à la neuvième Similitude :
L’ange de la pénitence vint à moi et me dit : Je
veux te montrer tout ce que t’a montré l’Esprit Saint qui t’a parlé sous la
forme de l’Église …. Quand tu fus affermi grâce à l’Esprit et que tu eus
toi-même la force de soutenir la vue d’un ange, alors te fut montrée par
l’intermédiaire de l’Église la construction de la tour. Dans de bonnes et
saintes dispositions, tu as pu tout voir, comme de la part d’une vierge[123].
De la construction de la tour, les
pécheurs sont rejetés. Par la miséricorde de Dieu qui suspend cette
construction pour un temps en retardant la parousie, ils peuvent cependant y
rentrer s’ils font pénitence. Autrement, « d’autres entreront et ils
seront définitivement rejetés »[124].
Transcendante et créée avant toute chose,
l’Église apparaît donc en même temps historique, en devenir et tendue vers son parachèvement eschatologique[125].
Les pierres de la tour
Parmi les « pierres » qui
entrent dans la construction de la tour, le Pasteur
mentionne les apôtres, les évêques, les docteurs, et les diacres :
Écoute maintenant ce qui concerne les pierres qui entrent
dans la construction. Les pierres carrées, blanches, s’agençant bien entre elles,
ce sont les apôtres, les évêques, les diacres qui ont marché selon la sainteté
de Dieu et qui ont exercé leur ministère d’évêque, de docteur, de diacre avec
pureté et sainteté, pour les élus de Dieu. Les uns sont morts, les autres
vivent encore[126].
Dans cette liste, les apôtres et les
docteurs semblent déjà appartenir au passé. On retrouve les évêques dans la
Similitude IX, dans un contexte insistant sur leur place dans l’assistance
matérielle des pauvres :
Voici ce que sont les croyants venus de la dixième
montagne, dont les arbres abritaient des brebis : des évêques et des gens
hospitaliers, qui ont toujours reçu chez eux avec plaisir les serviteurs de
Dieu, en dehors de toute hypocrisie. Et ces évêques, dans leur ministère, ont
continuellement protégé les indigents et les veuves, et ont toujours mené une
vie sainte[127].
Ailleurs, après avoir évoqué un certain
« Clément »[128],
il signale que l’Église est dirigée par les presbytres, qui semblent
s’identifier aux les précédents :
Tu feras deux copies du petit livre, et tu en enverras
une à Clément, l’autre à Graptè. Et Clément l’enverra aux autres villes :
c’est sa mission… Toi, tu le liras à cette ville, en présence des presbytres
qui dirigent l’Église[129].
Plus loin, il évoque,
sans autre précision, les « chefs de l’Église », accusés
d’empoisonner les âmes par le venin de leurs divisions :
Je m’adresse maintenant aux chefs de l’Église, prohgoumenoiV,
et à ceux qui occupent les premières
places. Ne vous rendez pas semblables à des empoisonneurs… Veillez donc, mes
enfants, à ce que ces divisions ne vous privent pas de la vie[130].
En dehors de la mention
de « Clément », chargé de diffuser ses visions dans les « autres
villes », à supposer qu’il s’agisse bien de Clément de Rome —, on ne
relève aucune allusion à l’épiscopat monarchique.
L’âge
des apologies[131]
Face à l’attitude agressive du paganisme,
aux racontars grossiers de la populace et à l’accusation de crime de lèse
majesté imputée par l’État, des chrétiens lettrés du second et du troisième
siècle entreprirent de réfuter les calomnies et de démontrer l’excellence, la
pureté et l’antiquité de la religion chrétienne.
Saint Justin, martyr (+ 158)
Parmi ces apologistes, l’une des plus
nobles figures est assurément saint Justin, le philosophe martyr. Nous
reviendrons à propos des sacrements sur ses remarquables descriptions de la
liturgie chrétienne, baptême et eucharistie notamment. Relevons seulement ici
ses idées ecclésiologiques.
L’Église, nouvel Israël, préfigurée dans
l’Ancien Testament
De même qu’il voit partout le Christ dans
l’Ancien Testament, Justin y reconnaît partout l’Église. Le vrai peuple de
Dieu, l’Israël selon l’esprit, c’est elle, l’Église des gentils, annoncée par
mille passages de l’Écriture. Ainsi, déjà, dans la Ie Apologie.
La robe dont il est écrit que Jésus la lavera dans le sang de la vigne (Gen 49,
11), c’est-à-dire par sa passion, « c’est l’ensemble des hommes qui croient
dans le Christ, dans lesquels habite la semence de Dieu, le Verbe »[132]. Un peu plus loin, Justin applique à l’expansion
chrétienne Isaïe 2, 3-4[133].
Ainsi, surtout, dans le Dialogue avec Tryphon, qui interprète en
ce sens, à l’intention de cet interlocuteur juif, toute la Loi ancienne. Par
exemple, les clochettes du grand prêtre représentent les Apôtres et le
peuple :
Les douze clochettes qu’il est de tradition de suspendre
à la robe du grand prêtre[134]
symbolisaient les douze Apôtres suspendus à la puissance du Prêtre éternel, le
Christ, et dont la voix a rempli la terre entière de la gloire et de la grâce
de Dieu et de son Christ[135].
Dans la reine du psaume 44e, le
philosophe chrétien reconnaît l’Église :
C’est à ceux qui croient en lui, lui sont unis dans une même
âme, une même synagogue et une même Église, que le Verbe de Dieu parle comme à
sa fille, l’Église, qui est constituée de par son nom et participe à son nom ,car nous tous nous nous appelons chrétiens[136].
Tel est en particulier l’objet des
chapitres 109-142 du Dialogue. La
prophétie de Michée (4, 1-7) annonçait déjà la vocation des gentils[137] ; elle est d’ores et déjà partiellement réalisée,
malgré les persécutions, « et le reste de la prophétie se réalisera au
second avènement » du Sauveur[138]. L’Église, préfigurée par Rahab la prostituée sauvée par
le cordeau d’écarlate[139], est « le peuple d’une seconde circoncision »,
préfigurée par Josué et accomplie par Jésus-Christ[140] : la circoncision du cœur[141]. Les chrétiens, qui confessent leur foi jusqu’au
martyre, sont les vrais héritiers d’Abraham :
… Car de même qu’ « il a eu foi » en la voix de
Dieu, et que « cette foi lui a été imputée à justice », de même nous,
nous avons eu foi en la voix de Dieu qui nous a parlé à nouveau par les Apôtres
du Christ, et que les prophètes nous avaient annoncée ; et dans notre foi
nous sommes allés jusqu’à la mort, renonçant à toutes les choses du monde.
Cette nation qu’il lui a promise, c’est donc une nation ayant la même foi,
pieuse et juste, agréable au Père[142].
Ils sont héritiers d’Isaac et de Jacob, en
qui « seront bénies toutes les nations » (Gen 22, 18), « toutes
les tribus de la terre » (Gen 28, 14), tandis que « les fils du
royaume seront rejetés dans la ténèbres extérieures »[143].
Ils ont été « jugés dignes de pouvoir devenir tous des fils du
Très-Haut »[144].
Ce sont eux, « les nations qui (se réjouissent) avec son peuple »[145].
Les noces de Jacob préfiguraient
l’Église :
Il sert Laban pour ses filles, et, trompé sur la plus
jeune, il sert de nouveau sept années. Mais Lia, c’est votre peuple et la
Synagogue ; Rachel, c’est notre Église[146]…
Ainsi, il faut entendre (en Is 2, 5-6) qu’il y a deux
postérités de Juda et deux races, comme deux maisons de Jacob : l’une est
née du sang et de la chair, l’autre de la foi et de l’esprit[147].
Noé, sauvant dans l’arche sa famille, en
tout huit personnes, des eaux du déluge, préfigurait le Christ,
« premier-né de toute création, devenu en un nouveau sens le chef d’une
autre race, de celle qui a été régénérée par lui par l’eau, la foi et le bois
qui contenait le mystère de la croix »[148].
N. B. : En revanche, Justin, le
premier d’une longue tradition, reconnaît en Ève, « mère des
vivants », la figure de Marie, jamais celle de l’Église :
Ève était vierge, sans corruption ; en concevant la
parole du serpent, elle enfanta la désobéissance et la mort. Or la Vierge Marie
conçut foi et joie lorsque l’ange Gabriel lui annonça la bonne nouvelle que
l’Esprit du Seigneur viendrait en elle, et que la puissance du Très-Haut la
couvrirait de son ombre[149].
L’Église avant l’Église
Grand esprit et grand cœur, Justin ne fait
pas difficulté d’admettre que les Juifs qui auront fait le bien — « ce qui
est bien universellement, naturellement, éternellement »[150]—
avant et sous la Loi, sont agréables à Dieu et seront sauvés. Mais ils ne le
seront que par le Christ et dans l’Église[151].
Les philosophes païens eux-mêmes n’ont pas
échappé à l’influence du Verbe préexistant : une « semence (sperma) du Verbe » a été
répandue, non seulement sur les prophètes de l’Ancien Testament, mais sur tous
les hommes, et tous peuvent être sauvés, s’ils vivent « selon le
Verbe ». C’est le thème bien connu, popularisé par Vatican II, des semina Verbi :
Le Christ est le premier né de Dieu, son Verbe, auquel
tous les hommes participent : voilà ce que nous avons appris et ce que
nous avons déclaré. Ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens,
eussent-ils passé pour athées, comme, chez les Grecs, Socrate, Héraclite et
leurs semblables, et chez les barbares Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Élie
et tant d’autres, dont il serait trop long de citer les noms… Ceux qui ont vécu
ou vivent selon le Verbe sont chrétiens, exempts de crainte et de trouble[152]…
La semence du Verbe est innée dans tout le genre humain…
Nos dogmes sont plus augustes que toute doctrine, parce que nous avons tout le
Verbe dans le Christ qui a paru pour nous, corps, Verbe et âme. Toutes les
vérités que les philosophes et les législateurs ont découvertes et exprimées,
ils les doivent à ce qu’ils ont trouvé et contemplé partiellement le Verbe… Ce
n’est pas que la doctrine de Platon soit incompatible avec celle du Christ,
mais elle ne lui est pas en tout point semblable, pas
plus que celle des autres, Stoïciens, poètes et écrivains. Chacun d’eux en
effet a vu du Verbe divin disséminé dans le monde ce qui était en rapport avec
sa nature, et a pu exprimer ainsi une vérité partielle… Tout ce qu’ils ont
enseigné de bien nous appartient, à nous chrétiens. Car après Dieu nous adorons
et aimons le Verbe né du Dieu éternel et ineffable. Les écrivains ont pu voir
indistinctement la vérité, grâce à la semence du Verbe qui a été déposée en
eux. Mais autre chose est de posséder une semence et une ressemblance
proportionnées à ses facultés, autre chose l’objet même dont la participation
et l’imitation procèdent de la grâce qui vient de lui[153].
Blasphèmes
des hérétiques
En revanche, Justin se montre intraitable
vis-à-vis des hérétiques, Marcionites, Valentiniens, Basilidiens,
Saturniliens :
Chacun à leur manière, ils enseignent à blasphémer contre
le Créateur de l’univers et le Christ… et contre le Dieu d’Abraham, d’Isaac et
de Jacob. Nous n’avons rien de commun avec eux, nous savons qu’ils sont athées,
impies, injustes, iniques, qu’au lieu de révérer Jésus, ils ne le confessent
que de nom. Ils se disent chrétiens, tout comme les hommes des nations qui
inscrivent le nom de Dieu sur les ouvrages de leurs mains, et participent aux
cérémonies iniques et athées[154].
Saint
Irénée de Lyon (+ 203 ?)
Né en Asie entre 130 et 140, Irénée y
avait écouté avidement l’enseignement de saint Polycarpe (+ 155), qui
« n’avait pas seulement été instruit par les Apôtres, mais encore
c’étaient les Apôtres qui l’avaient établi en Asie comme évêque de
Smyrne »[155].
Celui-ci « a enseigné toujours ce qu’il a appris des Apôtres, ce que l’on
transmet dans l’Église et qui par conséquent est vrai »[156].
Le père de la théologie catholique « tient (donc) à Jésus-Christ par un
homme qui a vu ceux qui ont vu Jésus-Christ » (Gilson). Qu’en est-il de
son ecclésiologie ?
Église et récapitulation
On se rappelle que le thème paulinien de
la récapitulation (Ep 1, 10) constitue le cœur de la pensée d’Irénée : par
l’Incarnation rédemptrice, Dieu reprend dans le nouvel Adam toute son œuvre
compromise par la chute du premier Adam :
Lorsqu’il s’est incarné et qu’il est devenu homme, il a
récapitulé en lui-même la longue série des hommes et nous a procuré le salut en
raccourci (dans sa chair), de sorte que ce que nous avions perdu en Adam —
c’est-à-dire le fait d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu —, cela même
nous pourrions le recouvrer dans le Christ Jésus[157].
Ce qui avait péri possédait chair et sang… Le Seigneur…
eut donc lui-même chair et sang pour récapituler en lui… cette œuvre façonnée
primitivement par le Père[158]…
Cela, en
vue de détruire les conséquences du péché d’Adam :
Dieu récapitula en lui cette chair de l’homme par lui
jadis modelée, afin de tuer le péché, d’anéantir le mort et de vivifier l’homme[159].
Ce
faisant, il renouvelait toutes choses :
Qu’est-ce que le Seigneur apporta lors de sa venue ?
Sachez qu’il apporta toute nouveauté en s’apportant lui-même, lui qui avait été
prédit ; car il avait été annoncé qu’un renouveau viendrait renouveler
l’homme et lui rendre la vie[160].
Tête de l’Église, c’est à travers l’Église
que le nouvel Adam perpétue son œuvre de rénovation jusqu’à la fin du
monde :
Il n’y a qu’un seul Dieu le Père, comme nous l’avons
montré, et un seul Christ Jésus notre Seigneur, qui est passé à travers toutes
les « économies » et qui a tout récapitulé en lui-même. Dans ce
« tout » est aussi compris l’homme, cet ouvrage modelé par
Dieu : il a donc récapitulé aussi l’homme en lui, d’invisible devenant
visible, d’insaisissable, saisissable, de Verbe, homme. Il a tout récapitulé en
lui-même, afin que, tout comme le Verbe de Dieu a la primauté sur les êtres supracélestes,
spirituels et invisibles, il l’ait aussi sur les êtres visibles et corporels,
assumant en lui cette primauté et se constituant lui-même la Tête de l’Église,
afin d’attirer tout à lui au moment opportun[161].
L’Église, mère des
vivants
Dans la perspective de la recapitulatio ou recirculatio, le développement du parallèle Adam-Christ aboutissait
normalement au parallèle Ève-Église. Parmi les nombreuses images de l’Église
offertes par le docteur de Lyon[162], les images bibliques de la femme, représentant l’Ecclesia ex gentibus — l’épouse d’Osée[163], l’épouse éthiopienne de Moïse[164], Rahab et Rachel[165] — ramènent toujours à l’image de la mère — la
« vierge mère », comme l’affirme explicitement pour la première fois
le récit des martyrs de Lyon, certainement inspiré par l’évêque[166] —, dont la fécondité maternelle découle de son union
mystérieuse avec le Christ :
Si l’Église produit de si nombreux fruits de salut,…
c’est parce que le Seigneur lui-même nous a sauvés, en donnant à l’Église plus
d’enfants qu’à la synagogue des anciens[167].
C’est cette fécondité virginale de
l’Église qu’annonce la maternité virginale de Marie : « Le Pur ouvre
purement le sein pur qui régénère les hommes en Dieu, et que lui-même a fait
pur »[168].
Tradition apostolique
et succession épiscopale
Mère, l’Église l’est d’abord en tant que
médiatrice de vérité. « La vérité, c’est-à-dire l’enseignement du Fils de
Dieu », nous est connue par les Apôtres, auxquels le Seigneur a donné le
pouvoir d’enseigner l’Évangile[169].
Par conséquent,
si quelqu’un leur refuse son assentiment, il méprise ceux
qui ont eu part au Seigneur, méprise aussi le Seigneur lui-même, méprise enfin
le Père ; il se condamne lui-même… ce que font précisément tous les
hérétiques[170].
Mais comment connaissons-nous
l’enseignement des Apôtres ? Par « la Tradition qui vient des Apôtres et qui, grâce aux successions des presbytres, se garde
dans les Églises »[171]. C’est donc dans l’Église qu’il faut chercher la vérité
définitive : « elle dispense à ses enfants la foi qu’elle a reçue des
Apôtres »[172] :
Ainsi, tous ceux qui veulent voir la vérité peuvent
contempler en toute l’Église la tradition des Apôtres manifestée dans le monde
entier. Et nous pouvons énumérer ceux que les Apôtres ont institué comme
évêques dans les Églises, et leurs successeurs jusqu’à nous »[173].
Et l’évêque de Lyon d’énumérer, à titre
d’exemple, les successeurs des Apôtres dans quelques Églises : Rome (nous
y reviendrons), Corinthe, Smyrne[174].
La doctrine héritée des Apôtres demeure
vivante et intacte dans toutes les Églises d’origine apostolique. Tel est le
fondement de l’unité doctrinale de l’Église dispersée dans le monde
entier :
Tel[175]
est l’enseignement que l’Église a reçu, telle la foi qu’elle garde avec un soin
jaloux, bien qu’étant dispersée dans le monde entier, comme si elle habitait
une seule maison. Elle croit à tout cela comme si elle n’avait qu’une seule
âme, un seul cœur : sa prédication, son enseignement, sa tradition, sont
conformes à cette foi, comme si elle n’avait qu’une seule bouche. Les langues
que l’on parle dans le monde sont diverses, mais la force de la tradition est
partout la même. Les Églises établies en Germanie n’ont pas une autre foi ni
une autre Tradition, non plus que celles des Ibères, des Celtes, ni celles de
l’Orient, d’Égypte, de Lybie, ni celles qui sont établies au centre du monde
(en Palestine). De même en effet que le soleil, cette créature de Dieu, est le
même dans tout le monde, de même la prédication de la vérité brille partout la
même, et illumine tous les hommes qui veulent parvenir à la connaissance de la
vérité[176]…
La prédication de l’Église est la même partout, elle
demeure égale à elle-même, appuyée sur toute l’économie de Dieu. Elle réside à
l’intérieur de la foi que nous avons reçue de l’Église et que nous conservons[177].
L’Esprit et l’Église
Dans le corps dont le Christ est la Tête,
l’Esprit Saint continue par le baptême l’œuvre qu’il avait commencée dans le
Christ :
C’est l’Esprit Saint en effet que Dieu, par ses
prophètes, a promis de répandre en ces derniers temps sur ses serviteurs et ses
servantes, afin qu’ils prophétisent… Il est donc descendu, raconte saint Luc,
après l’ascension sur les Apôtres, pour introduire toutes les nations dans la
vie et leur ouvrir le Nouveau Testament… L’esprit ramenait à l’unité les tribus
dispersées… De même en effet que sans eau on ne peut faire avec du froment une
seule pâte ni un seul pain : ainsi nous qui étions nombreux ne pouvions
devenir une seule chose dans le Christ sans l’eau qui vient du ciel… C’est
pourquoi nos corps reçoivent par le baptême l’unité qui mène à la vie
incorruptible ; et nos âmes le reçoivent par l’Esprit…[178]
C’est donc à l’Église qu’est confié le
dépôt du « don de Dieu », et c’est là qu’il faut le chercher :
il y a coextensivité entre l’influence de l’Esprit Saint et l’Église :
Les Apôtres ont déposé en elle, comme en un riche trésor,
tout ce qui appartient en vérité en plénitude, de sorte que celui qui le désire
puise en elle le breuvage de vie[179].
Cette foi que nous avons reçue de l’Église, nous la gardons avec soin, car sans cesse, sous l’action de
l’Esprit de Dieu, comme un parfum de prix, conservé dans un vase excellent,
elle rajeunit et fait rajeunir le vase qui la contient.
C’est à l’Église
en effet qu’a été confié le « don de Dieu », comme l’avait été le
souffle à l’ouvrage modelé, afin que tous les membres puissent y avoir part et
par là être vivifiés : c’est en elle qu’a été déposée la communion avec le
Christ, c’est-à-dire l’Esprit Saint… De cet Esprit s’excluent donc tous ceux
qui refusent d’accourir à l’Église, se privant eux-mêmes de la vie par leurs
doctrines fausses et par leurs actions dépravées. Car là où est l’Église, là
est aussi l’Esprit de Dieu ; car là où est l’Esprit de Dieu, là est
l’Église et toute grâce. Et l’Esprit est vérité. C’est pourquoi ceux qui s’excluent
de lui ne se nourrissent pas non plus aux mamelles de leur Mère en vue de la
vie et n’ont point part à la source limpide qui coule du corps du Christ[180].
Église et « gnose
véritable »
Par suite, c’est elle seule, l’Église,
qui, en vertu de la succession apostolique, possède la « gnose
véritable », la vraie connaissance, tant prisée par les gnostiques.
La gnose véritable (comporte) l’enseignement des
Apôtres ; l’organisme originel de l’Église répandu à travers le monde
entier ; la marque distinctive du Corps du Christ, consistant dans la
succession des évêques auxquels les Apôtres remirent chaque Église
locale ; parvenue jusqu’à nous, une conservation immuable des Écritures,
impliquant trois choses : un compte intégral, sans addition ni soustraction ,
une lecture exempte de fraude et, en accord avec les Écritures, une
interprétation légitime, appropriée, exempte de danger et de blasphème ;
enfin, le don suréminent de l’amour, plus précieux que la connaissance, plus
glorieux que la prophétie, supérieur à tous les autres charismes[181].
Les hérétiques, au contraire, ne peuvent
s’appuyer sur la Tradition apostolique : c’est l’argument de la
« prescription des hérétiques », qui sera repris par
Tertullien :
Tous ces gens-là sont de beaucoup postérieurs aux évêques
auxquels les Apôtres confièrent les Églises… Force est donc à tous les
hérétiques ci-dessus mentionnés, par là même qu’ils sont aveugles à l’égard de
la vérité, d’aller de côté et d’autre hors de tout chemin frayé, et c’est pour
cette raison que les traces de leur doctrine sont éparpillées çà et là, sans
accord et sans suite. Il en va tout autrement de ceux qui appartiennent à
l’Église : leur chemin parcourt le monde entier, possédant la solide
Tradition qui vient des Apôtres, et il nous offre le spectacle d’une seule et
même foi chez tous… Le message de l’Église est donc véridique et solide,
puisque c’est chez elle qu’un seul et même chemin de salut apparaît à travers
le monde entier[182].
S’attacher à l’Église
« On doit » donc
« s’attacher à l’Église, être élevé dans son sein et se nourrir des
Écritures du Seigneur »[183].
Ce qui se réalise concrètement par l’obéissance à la hiérarchie :
C’est pourquoi il convient d’obéir aux prêtres qui sont
dans l’Église, qui, comme je l’ai montré, ont pris la succession des Apôtres ;
qui, en même temps que la succession de l’épiscopat, ont reçu un charisme
certain de vérité, selon le bon plaisir du Père[184].
C’est là où furent déposés les charismes de Dieu qu’il
faut s’instruire de la vérité, c’est-à-dire auprès de ceux en qui se trouvent
réunies la succession dans l’Église depuis les Apôtres, l’intégrité
inattaquable de la conduite et la pureté inattaquable de la parole[185].
Primauté de l’Église romaine
Parmi les Églises particulières, il en est
une qui, pour l’évêque de Lyon, joue un rôle particulier : celle qui fut
fondée par Pierre et Paul, et qui tient d’eux, par une succession d’évêques
connue de tous, l’intégrité de la foi qu’ils ont annoncée :
Comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que
celui-ci, d’énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons
seulement l’une d’entre elles, l’Église très grande, très ancienne et connue de
tous, que les deux très glorieux Apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent
à Rome. En montrant que la Tradition qu’elle tient des Apôtres et la foi
qu’elle annonce à Rome sont parvenues jusqu’à nous par des successions
d’évêques, nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou
par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement ou erreur doctrinale,
constituent des groupements illégitimes. Car c’est avec cette Église, propter potentiorem principalitatem, en
raison de son autorité plus puissante (ou : de son origine plus
excellente), que doit s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de
partout, — elle en qui toujours, au bénéfice des gens de partout, a été
conservée la Tradition qui vient des Apôtres[186].
On notera, avec l’emphase de la
présentation, cette affirmation capitale : le point de référence assuré de
toutes les Églises, c’est l’Église romaine, dont la prééminence s’explique par
celle de ses fondateurs, et qui, pour le bien de toute l’Église, demeure
indéfectible dans son attachement à la Tradition des Apôtres. Tout le dogme de
la primauté romaine est contenu en germe dans ces quelques lignes.
Après avoir énuméré les successeurs de
Pierre jusqu’à Éleuthère (174-189), Irénée rappelle le rôle de la succession
des évêques de Rome pour la conservation de la vraie foi :
C’est dans cet ordre et cette succession que la Tradition
qui est dans l’Église à partir des Apôtres et que la prédication de la vérité
sont parvenues jusqu’à nous. Et c’est là une preuve très complète qu’elle est
une et toujours la même, cette foi vivificatrice qui, dans l’Église, à partir
des Apôtres, s’est conservée jusqu’à ce jour et s’est transmise dans la vérité.[187]
Tertullien de Carthage (+ vers 222 ?)
Premier écrivain chrétien de langue
latine, et l’un des plus grands, Tertullien de Carthage n’a laissé que des
œuvres de polémique. Après son passage au montanisme (dont on découvre l’influence
dès 207, mais la rupture avec l’Église ne fut consommée qu’en 213), sa
doctrine, qui souffrait déjà de certaines lacunes pendant sa période orthodoxe,
se gauchit singulièrement.
Domina Mater Ecclesia
Pour Tertullien, l’Église est
essentiellement notre mère à tous : Domina
mater Ecclesia[188]. Expliquant la prière du Seigneur aux catéchumènes, il
montre que l’invocation initiale, Pater,
suggère l’existence d’un Fils, mais aussi d’une Mère :
La Mère non plus, l’Église, n’est pas oubliée puisque le
Fils et le Père font penser à la Mère[189].
Il exhorte en ces termes les candidats au
baptême :
Vous donc, les bénis, vous que la grâce de Dieu attend,
vous qui allez remonter du bain très saint de la naissance nouvelle, vous qui,
pour la première fois, allez tendre les mains près d’une Mère, et avec des
frères demandez au Père, demandez au Seigneur, comme don spécial de sa grâce,
l’abondance de ses charismes ![190]
Il conservera cette notion jusque dans sa
période montaniste, par exemple dans De
anima, où il présente l’Église comme la seconde Ève, comme le Christ est le
second Adam :
De même qu’Adam était une figure du Christ, le sommeil
d’Adam préfigurait la mort du Christ, qui devait dormir du sommeil de la mort,
en sorte que la blessure infligée à son côté préfigure ève, la véritable mère des vivants[191].
Corps
du Christ, corps des trois
Elle est le corps du Christ, son corps
« spirituel »[192].
Ce corps est unité dans le Christ :
C’est entre frères, serviteurs de Dieu, que tout
(l’exercice de la pénitence publique) se passe ; tous ont même crainte,
même joie, même douleur, même souffrance, car tous ont reçu, du même Dieu leur
Père, un même Esprit. Pourquoi les crois-tu différents de toi ? Pourquoi
redoutes-tu ceux qui ont connu les mêmes chutes, comme s’ils allaient s’applaudir
de tes chutes à toi ? Le corps ne peut trouver de plaisir aux blessures
d’un de ses membres ; il faut, au contraire, qu’il souffre tout entier
avec le malade, et qu’il cherche remède. Quand deux chrétiens sont unis, c’est
l’Église : l’Église, c’est le Christ. Quand donc tu te jettes aux genoux
de tes frères, c’est le Christ que tu étreins, c’est le Christ que tu pries. De
même, quand eux pleurent avec toi, c’est le Christ qui souffre, c’est le Christ
qui prie pour toi son Père. Toujours la grâce arrive, quand c’est le Fils qui
la demande[193].
Elle est aussi «le corps des trois, trium corpus est »[194] : « Là où sont les trois, le Père, le Fils et
le Saint-Esprit, là aussi se trouve l’Église qui est le corps des trois »[195]. Cette expression inclut une relation à la Trinité,
suggérant que l’unité de l’Église est semblable à l’unité des trois personnes
divines[196] : on pense déjà à la célèbre formule de Cyprien, de unitate Trinitatis adunata.
La prescription des hérétiques
La pensée ecclésiologique de Tertullien,
cependant, se trouve exprimée surtout dans De
præsciptione hæreticorum (vers 200), la plus achevée et la plus typique de
ses œuvres.
L’une des formes de pensée fondamentales
de note auteur consiste dans « la remontée du census » : expliquer le cas particulier en remontant à sa
genèse, census. Cette méthode
s’applique à l’anthropologie (l’homme naturel trouve son origine en Adam,
l’homme spirituel, dans le Christ[197]), en christologie (double origine, d’où double
substance), mais aussi en ecclésiologie :
Toutes choses doivent nécessairement être caractérisées
d’après leur origine. C’est pourquoi ces Églises, si nombreuses et grandes
qu’elles soient, ne sont toutes que cette primitive Église apostolique dont
elles procèdent toutes[198].
Tel est le principe qui, sous une forme
juridique, va commander tout le De
præscriptione hæreticorum. Dans le droit romain, les prescriptions étaient
des clauses réservant le cas où le défendeur opposerait soit un autre principe
juridique faisant échec au premier, soit des circonstances de fait obligeant à
écarter l’application du principe (notamment un certain temps accompli). Il
pourrait ainsi échapper à la condamnation, même si la cause du demandeur était
justifiée. Chez Tertullien, la præscriptio désigne habituellement une objection, fondée
sur des motifs divers, qui, si elle était présentée au tribunal, a pour effet
de simplifier et abréger le procès. Mais il transpose ici cet expédient
juridique dans le domaine théologique, présentant de manière originale un
argument déjà allégué par Irénée[199] et Clément d’Alexandrie[200].
L’objet principal du litige entre l’Église
et les hérétiques est l’interprétation des Écritures (ch. XV, 1). Or il existe
une præscriptio, une objection
juridique permettant d’écarter les prétentions de ces derniers : l’Écriture
ne leur appartient pas : « Là où il apparaîtra que réside la vérité
de la doctrine et de la foi chrétienne, là aussi seront les vraies écritures, les vraies interprétations
et toutes les vraies traditions chrétiennes » (XIX, 2). Mais à qui le
Christ a-t-il confié les Écritures ? Aux Apôtres :
Ce qu’ils ont enseigné — autrement dit, ce que le Christ
a révélé — ne peut être prouvé d’une autre façon que par les Églises que les
Apôtres ont fondées en personne, et qu’ils ont eux-mêmes instruites, tant de
vive voix, comme on dit, que, plus tard, par lettres. Dans ces conditions, il
est clair que toute doctrine qui est en accord avec celle de ces Églises,
matrices et sources de la foi, doit être considérée comme vraie, puisqu’elle
contient évidemment ce que les Églises ont reçu des Apôtres, les Apôtres du
Christ, le Christ de Dieu. Au contraire, toute doctrine doit être préjugée
fausse lorsqu’elle respire la contradiction avec la vérité des Églises, des
Apôtres, du Christ et de Dieu[201].
La garantie de vérité, c’est la communion
avec les Églises apostoliques, la « consanguinité de doctrine »
(XXXII, 6) avec elles. Quant aux hérésies, Tertullien affiche un beau mépris
pour leur effritement : Schisma est
unitas ipsis[202]. Au contraire, les Églises d’origine apostolique, où le
souvenir des Apôtres demeure vivant, tiennent
unanimement la même doctrine. C’est le cas notamment de « Rome, dont
l’autorité vous apporte son appui » (XXXVI, 2), et à laquelle Tertullien,
comme Ignace et Irénée, porte une exceptionnelle vénération :
Heureuse Église ! les
Apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un
supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d’une mort pareille
à celle de Jean (le Baptiste)[203].
Surtout, les hérésies sont postérieures,
et ont dû falsifier les Écritures : « Il faut donc les écarter de
toute discussion à propos de l’Écriture » (XLIV, 13).
Les Églises apostoliques auraient-elles
été infidèles à la vérité ? Le vrai précède toujours le faux. Et « ce
qui se trouve identique chez un grand nombre ne vient pas de l’erreur, mais de
la Tradition. Qu’on ose nous dire que ceux qui nous ont légué la Tradition ont
pu se tromper ! » (XXVII, 3-4) Du reste l’Église n’a jamais toléré
une altération des Écritures, que ses ennemis ont corrigées et mutilées
(XXXVIII).
La
dérive montaniste
à mesure qu’il se rapprochait du montanisme, cependant,
Tertullien tendait à considérer le corps des fidèles comme un groupe
exclusivement spirituel. Cette tendance est déjà perceptible dans De baptismo. Dans De exhortatione castitatis VII, il en arrive à une affirmation
complètement hérétique : Ubi tres,
ibi Ecclesia, licet laici. Dans De
pudicitia enfin, il en vient à opposer Église de l’Esprit et Église des
évêques :
L’Église est proprement et principalement l’Esprit
lui-même, en qui réside la Trinité de l’unique Divinité… C’est pourquoi, depuis
ce temps, tout nombre de personnes réunies ensemble dans cette foi constitue
une Église, aux yeux de l’Auteur et Consécrateur. Et certes, il est vrai que
l’Église pardonne les péchés, mais ce sera l’Église de l’Esprit, par
l’intermédiaire d’un homme spirituel, et non l’Église assemblée d’évêques[204].
L’essor
du iiie siècle
Le
contexte historique
Le iiie
siècle voit un essor prodigieux de l’Église, qui atteint les milieux les plus
divers, et de la pensée chrétienne. Face à la persécution d’un Empire en crise
se multiplient les actes et passions des martyrs, ainsi que les exhortations
aux confesseurs. D’autre part, la progression de l’Église exige un effort
d’organisation. Pour éviter l’apostasie des nouveaux baptisés, on soumet les
candidats à un catéchuménat prolongé (trois ans à Rome selon la Tradition apostolique), en vue duquel
des centres se fondent à Carthage et Alexandrie. Face au problème des lapsi, modérés et rigoristes
s’affrontent. La question de la validité du baptême des hérétiques se pose, en
Afrique notamment. Pour de nombreux chrétiens, le martyre est l’heure du
suprême témoignage, auquel ils n’ont cessé de se préparer.
Clément d’Alexandrie (vers 150-vers
215)
Alexandrie, métropole commerçante,
représentait aussi un centre intellectuel remarquable où toutes les écoles
philosophiques se donnaient rendez-vous. Depuis longtemps, les philosophes
grecs interprétaient les mythes selon la méthode allégorique. Les Juifs à leur
tour, notamment Philon, contemporain de Cicéron, y recoururent dans
l’explication de la Bible. Vers 180, Pantène prenait à son tour à Alexandrie la
tête de l’école des catéchumènes, où il s’attira l’estime universelle, mais il
ne nous reste rien de son enseignement. Il eut pour disciple et adjoint, puis,
vers 200, comme successeur, Clément d’Alexandrie, qui dut fuir la persécution
peu d’années plus tard.
Clément est à peu près exactement
contemporain de Tertullien, et, comme celui-ci, son œuvre offre un caractère
apologétique. Mais, avec toute l’école d’Alexandrie, il se distingue du prêtre
africain, méfiant envers la spéculation, par son ouverture aux idées de son
temps, philosophie, poésie, archéologie, mythologie et littérature. Comme
Philon, il organise des conférences analogues à celles des philosophes, et y
expose la foi de manière à la rendre attrayante pour un public cultivé. Par sa
trilogie, le Protreptique, le Pédagogue et les Stromates, il mérite le titre de pionnier de la science ecclésiastique.
Sa pensée est dominée par la doctrine du Logos, raison divine par laquelle nous
pouvons connaître Dieu.
Qu’en est-il de son ecclésiologie ?
La Vierge Mère
Comme il y a un seul Père, un seul Logos
et un seul Esprit, il y a une seule Église : la « Vierge Mère »,
qui donne à ses enfants le lait du verbe
divin :
O mystère admirable ! Unique est le Père de toutes
choses, unique aussi est le Logos de toutes choses, et le Saint Esprit est un
et identique en tout lieu. Il n’y a, enfin, qu’une seule Vierge Mère :
j’aime l’appeler l’Église. Cette mère, laissée à elle seule, n’avait pas de
lait, car elle seule n’est pas devenue femme. Mais elle est à la fois vierge et
mère, sans souillure comme une vierge, et aimante comme une mère. Appelant à
elle ses enfants, elle les nourrit avec un lait de sainteté, le Logos destiné
aux enfants[205].
La Mère attire à elle ses enfants, et nous cherchons
notre Mère, l’Église[206].
C’est au sein de cette mère, « épouse
vierge, numfh », que nous puisons le LogoV, « lait du ciel » :
Christ Jésus,
lait du ciel distillé
par les douces mamelles
de l’épouse intendante
des dons de ta sagesse, sous le poids des douleurs,
pour
nous petits enfants…[207]
Elle est encore l’école où notre
« fiancé et unique didascale » enseigne[208] :
Ô nourrissons de la pédagogie bienheureuse !
Parachevons le beau visage de l’Église, et courons comme des enfants à notre
bonne Mère. Nous faisant les auditeurs du Verbe, exaltons l’économie
bienheureuse selon laquelle l’homme est guidé par ce Pédagogue et sanctifié comme
un enfant de Dieu et, parce qu’il est l’élève du Pédagogue sur la terre,
acquiert le droit de cité du ciel, où il reçoit son Père, qu’il apprend à
connaître sur terre[209].
Unité et antiquité de
l’Église, vaines prétentions des sectes
L’Église tient sa dignité de son unité et
de son antiquité :
Les choses étant ainsi, la très ancienne et très
véritable Église prouve avec évidence que les hérésies apparues après elle et
plus encore celles qui sont venues à leur suite ont innové et sont marquées du
sceau de l’erreur.
Ce qui précède montre, à mon avis, avec clarté, qu’unique
est la véritable Église, Église réellement ancienne, dans laquelle sont
inscrits les justes, selon le dessein de Dieu. Il n’y a qu’un seul Dieu et un
seul Seigneur : par suite, ce qui est éminemment précieux doit être loué
pour son unicité, étant l’image de l’unique principe[210].
L’Église unique participe donc à la nature de l’Unique, elle à qui l’on fait
violence pour la morceler en sectes nombreuses.
Selon la substance, selon la pensée, selon le principe,
selon l’excellence, nous déclarons donc qu’unique est l’antique et catholique
Église, dans l’unité d’une foi unique, conforme aux Testaments qui lui sont
propres, bien mieux, conforme au Testament[211]
unique en des temps différents, l’Église qui, par la volonté du Dieu un et par
l’intermédiaire de l’unique Seigneur, réunit ceux qui ont déjà leur place
assignée. Dieu les a en effet prédestinés, sachant dès avant la fondation du
monde qu’ils seraient justes. La prééminence de l’Église, elle aussi, comme le
principe de sa constitution, est conforme à la monade, car elle surpasse toutes
les autres choses et n’a rien qui lui soit semblable ou égal[212].
« Par rapport à l’Église, les sectes
(hérétiques) postérieures… ont été des innovations de faussaires »[213]
— on reconnaît, présenté sans son appareil juridique, l’argument de la
prescription de Tertullien. Et le didascale d’Alexandrie de mettre en garde
contre le détournement de l’Écriture dont les hérétiques se rendent
coupables :
Bien que les hérétiques aient l’audace d’employer les
Écritures prophétiques, ils ne les admettent pas toutes, ni chacune dans son
intégrité, ni avec l sens qu’exigent le corps et la contexture de la prophétie.
Ils choisissent les passages amphibologiques pour y introduire leurs propres opinions ;
ils prennent ici et là des mots isolés et ne s’arrêtent pas à leur
signification propre, mais au son qu’ils rendent. Dans presque tous les
passages qu’ils allèguent, on pourrait montrer qu’ils s’attachent aux mots
seuls en changeant ce qu’ils veulent dire : ou bien ils en ignorent le
sens, ou bien ils détournent à leur profit les autorités qu’ils citent. Mais la
vérité ne se trouve pas en altérant le sens des mots, car ainsi on détruit
toute doctrine véritable : elle se découvre par l’examen de ce qui est
absolument propre et convenable au Dieu tout-puissant, et par l’appui que se
prêtent les uns aux autres les divers passages de l’Écriture qui renferment le
même enseignement. Les hérétiques ne veulent pas revenir à la vérité, parce
qu’ils rougissent de renoncer aux avantages de leur suffisance ; et, en
faisant violence aux Écritures, ils sont impuissants à établir leurs propres
opinions[214].
Gnose véritable et corps
mystique
Ce n’est pas que Clément récuse toute
gnose, bien au contraire : les maîtres d’Alexandrie se veulent des
gnostiques orthodoxes, cherchant avant tout à sauvegarder la foi de tous les
fidèles, mais aspirant à la comprendre de manière plus profonde et à la mettre
plus parfaitement en pratique. Être gnostique, c’est assimiler son intelligence
spéculative et pratique à celle du Christ, être dans le Christ, donc, si l’on
veut, faire partie de son corps mystique, considéré comme une sorte
d’atmosphère spirituelle, d’ambiance vitale[215] :
Notre gnose à nous, notre jardin spirituel, c’est notre
Sauveur lui-même. Nous sommes transplantés en lui, et transposés ainsi, de
notre vie ancienne, dans la bonne terre. Or, cette transplantation fait
produire plus de fruits. Le Seigneur est donc lumière et gnose véritable, lui
en qui nous sommes transplantés[216].
La seule gnose véritable est la
« gnose ecclésiastique, ekklesiastikh gnwsiV ». Le vrai gnostique doit garder la « ligne
droite, l’orqotomian, apostolique et ecclésiastique des dogmes »[217], et la « charité une » qui nous assimile à
Dieu en nous unissant en un seul chœur conduit par le Verbe :
Hâtons-nous, nous qui sommes nombreux, de nous réunir en
un seul troupeau selon l’unité de la substance monadique ; puisqu’elle
nous fait du bien, poursuivons à notre manière l’unité et attachons-nous à la
bonne monade. L’union de beaucoup de voix, quand leur dissonance et leur
dispersion ont été soumises à une harmonie divine, constitue finalement une
unique symphonie ; et le chœur, obéissant à son unique maître et chorège,
le Verbe, ne trouve son repos qu’en la vérité même, quand il peut dire :
« Abba, Père ! »[218].
Appartenance à l’Église
Justin évoquait les semences du Logos
répandues sur la philosophie grecque. Clément, tout en défendant fermement la
foi contre les philosophes[219],
compare la philosophie grecque à l’Ancien Testament lui-même, dans la mesure où
elle prépara les hommes à la révélation :
Dieu en effet est la cause de toutes les belles choses,
mais des unes d’une manière principale, comme de l’Ancien et du Nouveau
Testament, des autres secondairement, comme de la philosophie. Et peut-être
a-t-elle été donnée principalement aux Grecs avant que le Seigneur les appelle
aussi : car elle conduisait les Grecs vers le Christ comme la Loi les
Hébreux[220].
Les hérétiques en revanche, plus éloignés
de la vérité que les philosophes grecs[221],
abandonnent l’Église pour leur perte :
Ce sont les hérésies (sic)
qui, dès le début, ont déserté l’Église. Et quiconque tombe dans le piège de
l’hérésie « traverse un désert sans eau ». Il a quitté le Dieu de
réalité, il est déserté de Dieu, il cherche une fontaine tarie, « il
parcourt une terre inhabitée, assoiffée, et ne recueille dans ses mains que la
stérilité »[222].
Origène († 253 ou 254)
L’école d’Alexandrie atteint son sommet
avec Origène, souvent contesté et même condamné, mais « resté
invisiblement omniprésent »[223]
dans la littérature chrétienne postérieure. Que retenir de son
ecclésiologie ?
L’Église comme société
Origène définit parfois l’Église comme
« assemblée » (définition nominale) — cœtus populi christiani[224],—, ou comme « peuple »
(credentium plebs)[225], par référence à deux expressions désignant Israël dans
l’Écriture : « peuple de Dieu » et « saints ».
Le premier, il présente l’Église comme la cité de Dieu sur la terre[226]. Elle coexiste provisoirement avec l’État, et ses lois
« sont en harmonie avec le gouvernement établi dans chaque pays »[227]. Mais elle finira par prévaloir sur l’État
séculier :
Nous croyons que le verbe prévaudra sur la création raisonnable tout entière et transformera chaque âme en sa propre perfection. Dans cet état, chacun, par l’exercice de son seul pouvoir, choisira ce qu’il désire et obtiendra ce qu’il aura choisi[228].
Le mystère éternel de la Mère Église
Surtout, avec toute la patristique
primitive, Origène envisage le mystère éternel de l’Église à l’intérieur de l’oikonomia tou qeou. L’Église est un « secret vénérable » :
Le nom du Père est un grand mystère, et le nom de la Mère est un secret vénérable. Le Père selon l’Esprit est Dieu, la Mère, la Jérusalem céleste[229].
Elle constitue la forme et la réalisation
de l’œuvre divine du salut « dès le début du genre humain et de la
fondation du monde »[230].
Elle englobe tous les temps, tous les saints et les anges, elle est à la fois
céleste et terrestre :
C’est lui (Jésus) qui vous a attirés vers le salut, c’est lui qui, aujourd’hui, vous réunit dans l’Église, terrestre pour l’instant, mais, si vous porte de bons fruits, il vous réunira dans l’Église des premiers-nés, dont les noms sont appelés dans les cieux[231].
Ce mystère est exprimé par Origène, dans
ses écrits homélitiques et exégétiques du moins[232], au moyen de l’image de la femme. Dans la ligne de la
tradition juive, il interprète en ce sens l’image de l’époux et l’épouse dans
le Cantique des cantiques. L’Église, cœtus omnium sanctorum, quasi omnium una
persona[233], se superpose, sans confusion d’ailleurs, à l’âme
individuelle qui en fait partie, pourvu qu’elle soit « d’Église »[234] :
Par « époux », entends le Christ, par « épouse sans tache ni ride », entends l’Église de qui il est écrit : Pour se présenter à lui-même l’Église glorieuse, n’ayant ni tache ni ride ni rien de tel » (Ep 5, 27)[235].
De l’image de l’épouse découle celle de la
mère, en vertu de la transmission de vie qui lui est donnée par Dieu :
À quoi peut vous servir, en effet, que le Christ soit jadis venu dans la chair, s’il n’est pas venu aussi jusque en votre âme ? Prions pour que chaque jour cet avènement s’accomplisse en nous[236]…
Parce que le Christ a aimé l’Église, son épouse, il est venu à elle et l’a prise ; parce que ses enfants ont une communauté de chair et de sang, il a donné pour eux sa chair et son sang. Eux-mêmes (les enfants) étaient l’Église, qu’il a aimée, afin de l’accroître par le nombre, de cultiver ses vertus et de la conduire à la perfection de l’amour, de la terre jusqu’au ciel[237].
Dans la proclamation de la parole de Dieu,
l’Église, vierge par la pureté de sa doctrine et de sa vie, engendre dans le
cœur des croyants la virginité de l’état originel :
Nous disons avec raison que ceux qui ont appris les choses divines sont vierges, puisqu’ils sont redevenus vierges par la parole de Dieu à laquelle ils ont cru. Car la parole de Dieu est ainsi faite qu’elle communique quelque chose de sa pureté à tous ceux qui, par son initiation, se sont déjà séparés du culte des idoles et sont entrés, par Jésus-Christ, au service de Dieu… Tous prennent maintenant leurs lampes quand ils comprennent que le Verbe, le Fils de Dieu, est l’Époux de l’Église, et ensuite ils sortent du monde et de l’erreur des idoles et vont à la rencontre du Sauveur qui est toujours prêt à aller chez ces vierges pour s’unir à ceux qui en sont dignes et entre ainsi chez sa bienheureuse épouse, l’Église[238].
L’Église comme corps
mystique
Ailleurs, et corrélativement, il voit en
elle, avec l’Apôtre, le corps du Christ, mû par le Verbe, et dont nous constituons
les « membres » :
La sainte Écriture, disons-nous, affirme que le corps du Christ, animé par le Fils de Dieu, c’est l’ensemble de l’Église de Dieu. Les membres de son corps, ajoute-t-elle, pris comme un tout, sont les croyants. De même que l’âme vivifie et meut le corps — celui-ci, en effet, ne jouit pas de la puissance naturelle du mouvement que possède un être vivant —, ainsi le Verbe[239], qui meut comme il faut et anime le corps entier qui est l’Église, meut aussi chaque membre de l’Église, qui, de la sorte, ne fait rien en dehors du Verbe[240].
Ce corps
est sanctifié par l’Esprit Saint en vue d’être offert au Père :
Ceux que le Christ offre au Père, l’Esprit les prend pour les sanctifier et les vivifier comme membres de l’Église des premiers-nés (He 12, 23) et les insérer dans l’unité et la perfection de tout le corps, de telle sorte que l’Église de Dieu soit enfin sans tache ni ride[241].
Sur ce corps, découle comme un parfum
l’onction de son Chef :
(Le Christ) a « aimé le justice et haï l’iniquité » plus que tous les autres, et il a reçu les prémices de l’onction et même, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’onction tout entière de « l’huile d’allégresse » (cf. ps 44, 8). Tous les autres qui ont reçu, ont reçu une partie de l’onction, dans la mesure où ils en ont été susceptibles. En conséquence, puisque le Christ est la Tête de l’Église, de telle sorte que le Christ et l’Église ne forment qu’un seul corps, l’onguent répandu sur la Tête est descendu sur la barbe d’Aaron (ps 132, 2), lequel est le symbole de l’homme parfait. Et cet onguent est ensuite descendu sur la bordure de son vêtement[242].
Chez Origène comme chez Clément, le Christ, en tant que
Verbe, est considéré en sa nature divine. C’est donc, semble-t-il, selon les
maîtres de la Didascalée, en tant que Dieu qu’il est chef du corps mystique —
affirmation erronée, si l’on prend cette expression au sens précis où
l’entendra saint Thomas ; mais cela ne paraît pas être le cas d’Origène,
qui ne distingue pas encore nettement les divers types de présence de Dieu, et
du Christ, à l’âme— par la raison, logoV, que
nous avons tous[243], ou
comme lumière et connaissance religieuse[244] —à
l’univers[245], à
l’Écriture[246]. C’est
en ce sens très large que le Christ a pour lui comme corps « non seulement
tout le genre humain, mais peut-être tout l’univers des créatures »[247].
Au dernier jour, ce corps sera récapitulé
dans le Christ ressuscité :
Au dernier jour, la mort sera vaincue. La résurrection du Christ après le supplice de la croix contient mystérieusement la résurrection de tout le corps du Christ. Comme le corps visible du Christ est crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité ; ainsi le corps entier des saints du Christ est crucifié avec lui et ne vit plus en lui-même. Mais, quand viendra la résurrection du corps du Christ véritable et total, alors les membres du Christ, aujourd’hui semblables à des ossements desséchés (Ez 37), se réuniront jointure à jointure, chacun trouvant sa place, et tous ensemble constitueront un homme parfait, à la mesure de la plénitude du corps du Christ (Ep 4, 13), et alors la multitude des membres sera un corps un, car tous appartiendront au même corps[248].
Ce n’est qu’alors que « le Fils sera
parfaitement soumis au Père » (1 Co 15, 28) dans son corps mystique :
Puisque tous nous sommes son corps et que tous nous sommes appelés ses membres, tant qu’il y en a parmi nous qui ne sont pas encore soumis [à Dieu] d’une soumission parfaite, on dit que lui n’est pas encore soumis. mais quand il aura consommé son ouvrage et amené toute sa création au comble de la perfection, on dira qu’il est soumis, en ceux-là qu’il a soumis au Père, et dans lesquels il a consommé l’œuvre que Dieu lui a donnée à accomplir, de sorte que Dieu soit tout en tous[249].
Ainsi, Jésus n’est pas tout à fait dans la
gloire tant que son corps — assimilé explicitement à son « peuple »,
son Église — n’y est pas :
Il ne veut pas, sans toi, recevoir sa gloire totale, c’est-à-dire, [il ne le veut pas] sans son peuple qui est son corps et qui est ses membres. Il veut, en effet, dans ce corps de l’Église et dans ces membres de son peuple, habiter comme une âme, pour que tous les mouvements et toutes les œuvres se fassent selon sa volonté. Alors s’accomplira en nous la parole du prophète : « J’habiterai en eux et je marcherai en eux » (Lev 26, 11-12)…
Auparavant, chacun de ces os était misérable, et il était écrasé par la main d’un plus fort… Mais quand vint celui qui devait rassembler ce qui était dispersé et rattacher ce qui était disséminé, unissant chaque os à chaque os et chaque jointure à chaque jointure, il se mit à bâtir le saint corps de l’Église, corps du Christ[250].
L’arche de Noé
Sur une suggestion de saint Pierre, et
après Tertullien[251]
et Sabellius[252],
Origène reconnaît dans l’arche de Noé la figure de l’Église :
La comparaison s’impose entre ce peuple qui est sauvé dans l’Église, et tous ces êtres, hommes et animaux, qui ont été sauvés dans l’arche[253].
Les appartements superposés de l’arche
représentent les divers degrés de perfection des fidèles. Moins élitiste que
Tertullien et Hippolyte, Origène admet, au niveau inférieur, « ceux chez
qui la douceur de la foi n’a pas atténué la méchanceté ni la sauvagerie »[254] :
Cela montre que, dans l’Église, bien que tous soient contenus à l’intérieur d’une même foi et baignés dans un seul baptême, tous ne progressent pas autant ni de la même façon, « mais chacun selon son rang » (1 Co 15, 23). Ceux qui ont pour règle de vie la connaissance raisonnable, et qui sont capables de se conduire eux-mêmes autant que d’enseigner les autres… reproduisent le petit nombre de ceux qui sont sauvés avec Noé et qui lui sont associés à cause de leur étroite parenté. Ainsi notre Seigneur, le véritable Noé, le Christ Jésus, possède-t-il peu de très proches amis… Les autres, cette foule d’animaux et de bêtes sans raison, se tiennent en bas...[255].
Plus loin, les étages de l’arche représentent
le ciel, la terre et même les enfers[256]. Les animaux sont ensuite rapprochés de la prophétie
d’Isaïe :
Dans le royaume du Christ, le loup et l’agneau, le léopard et le chevreau, le lion et le bœuf iront ensemble à la pâture, et leurs petits mangeront ensemble du même. fourrage[257].
Hors de l’Église, point
de salut
Comme tous les anciens Pères, Origène
n’envisage aucune possibilité de salut hors de l’Église, figurée par la maison
de Rahab :
Que personne ne se persuade, que personne ne se trompe soi-même : en dehors de cette maison, c’est-à-dire en dehors de l’Église, personne n’est sauvé : Extra hanc domum, id est Ecclesiam, nemo salvatur[258].
On ne trouve qu’en elle les doctrines et
les lois que le Christ a apportées à l’humanité, comme le sang qu’il a versé
pour nous[259]. Elle a la vérité du verbe
pour rempart[260].
Aussi Origène réprouve-t-il énergiquement
l’hérésie, dont les prédicateurs sont des prophètes de mensonge et de
l’Antéchrist[261],
et qui est semblable à ne fausse monnaie :
Moi, je pense que la parole de Valentin est une monnaie humaine, et je la réprouve. Et la parole des hérétiques n’est pas une monnaie éprouvée, et elle ne porte pas en elle la figure intacte du sauver, mais une figure adultère, qui, pour ainsi parler, a été figurée en dehors de la monnaie, parce qu’elle a été composée en dehors de l’Église[262].
Tandis que les maîtres qui sont dans
l’Église édifient la maison de Dieu qui est l’Église,
les hérétiques édifient un lupanar dans chaque rue. Ainsi, par exemple, un maître de l’officine de Valentin, un maître de l’assemblée de Basilide, n maître de la tente de Marcion et des autres hérétiques, construisent la maison de la prostituée (ou : une maison de débauche)[263].
Il n’existe même pas de foi en dehors de
cette Église. la foi des hérétiques ne mérite pas ce
nom : elle n’est qu’une crédulité vaine et arbitraire[264].
Spiritualité de l’Église
et harmonie
Comme Clément, Origène voit l’idéal de
l’Église dans l’harmonie d’un chœur :
« La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi n’avait qu’un cœur et qu’une âme ». Ils en arrivèrent à ce point…qu’il n’y avait pas entre eux la moindre dissonance, de même que les dix cordes du psaltérion ne donnent jamais que des accords harmonieux. En effet, la dissonance divise, comme l’harmonie rassemble. Les dissonances font fuir Jésus, qui ne se trouve que là où règne l’harmonie…
Nous devons donc conserver entre nous cet accord concertant, cette symphonie. Car, de même qu’un concert de voix discordantes est désagréable à l’oreille, de même si l’Église n’est pas en harmonie, Dieu ne se plaît pas en elle, et il n’écoute pas les voix. Soyons donc en parfait accord, afin que, nous qui sommes réunis au nom de Jésus, nous ayons Jésus au milieu de nous, autrement dit le Verbe de Dieu, la sagesse de Dieu, la puissance de Dieu[265].
Saint
Cyprien de Carthage († 14
septembre 258)
L’ordre chronologique nous ramène ensuite
à Carthage, où l’évêque martyr Cyprien compose le premier traité relatif à
l’Église — non envisagée en elle-même, in
abstracto, mais, dans une circonstance déterminée, d’un point de vue
particulier : L’unité de l’Église
catholique. Cependant, l’ensemble de l’œuvre du « premier théoricien
de la catholicité »[266] offre une riche ecclésiologie qui a souvent été étudiée[267] mais dont l’interprétation n’a pas fini de susciter des
discussions passionnées. Les conciles l’ont souvent cité, notamment Vatican II.
Un tableau de l’Église
Les lettres de saint Cyprien présentent un
tableau très vivant de l’Église de Carthage au iiie siècle. On y rencontre, parmi les laïcs, les
confesseurs, les pénitents (lettre 66, 5), les vierges (4, 1)[268], les veuves (7 et 9), les catéchumènes (8, 3) ;
parmi les clercs, les lecteurs (38), les exorcistes (43 et 69), les acolytes (7
et 34), les diacres (5, 27 et 18), les prêtres (5, 7 et 29) et surtout, au
centre de la communauté, l’évêque. Celui-ci a le souci des relations avec les
autres Églises, notamment avec l’Église-mère de Rome (8, 9, 29, 30 et 32), à
laquelle il communique ses décisions. Obligé de se mettre à l’abri pendant la
persécution, il gouverne, même absent, avec un zèle pastoral admirable :
Ce que j’ai fait, mes lettres vous le disent, celles que j’ai envoyées en diverses occasions (elles sont au nombre de treize) et ce que je vous fais transmettre. Conseils au clergé, exhortations aux confesseurs, représentations aux exilés quand il le fallait, appels à tous les frères pour les persuader d’implorer la divine miséricorde, rien n’a manqué de ce que mon humble personne a pu tenter, selon les règles de la foi et la crainte de Dieu et sous l’inspiration du Seigneur… À l’égard des prêtres et des diacres, notre vigueur épiscopale n’a pas fait défaut et c’est ainsi que quelques uns qui ne se souvenaient pas assez de la discipline ecclésiastique et se laissaient emporter à un empressement indiscret ont été arrêtés à la suite de notre intervention[269].
Le sacrement de l’unité
Peut-être par réaction contre les
conditions politiques du temps, et contre les incidents qui marquèrent les
débuts de son épiscopat, notamment ses démêlés avec Felicissimus, et certainement
dans la ligne de la grande tradition de l’ecclésiologie diffuse des premiers
siècles, l’évêque de Carthage nourrit une véritable passion pour « le
sacrement[270] de l’unité » [271], inseparabile
unitatis sacramentum[272], qui s’exprime dans toute son œuvre, par exemple dans
son De oratione dominica :
Avant tout, le docteur de la paix, le maître de l’unité,
n’a pas voulu que la prière eût un caractère individuel et privé, que chacun,
en priant, ne songeât qu’à soi. Nous ne disons pas : « Mon Père, qui
es aux cieux, donne-moi aujourd’hui mon pain », chacun de nous ne demande
pas que sa dette lui soit remise, il ne prie point pour obtenir pour lui seul
de n’être point soumis à l’épreuve et d’échapper au mal. Notre prière est
publique et communautaire, et quand nous prions, nous ne prions pas pour un
seul mais pour tout le peuple ; car avec tout le peuple nous sommes un. Le
Dieu de paix et le maître de la concorde, qui nous enseigne l’unité, a voulu que chacun prie pour tous comme lui-même nous a tous
portés en un[273].
Il lui consacre notamment le traité Sur l’unité de l’Église catholique :
L’épiscopat est un, chaque évêque en détient une partie dans l’indivision. L’Église est une, elle forme une multitude toujours plus étendue grâce à une fécondité toujours plus grande. Ainsi les rayons du soleil sont nombreux, mais sa lumière est unique ; nombreuses sont les branches de l’arbre, mais unique le tronc vigoureux, planté sur des racines tenaces ; d’une seule source viennent bien des ruisseaux, et bien que leur multiplicité ne découle que de la surabondance des eaux, leur origine est cependant unique. Sépare un rayon de soleil de sa masse, et l’unité de la lumière n’en subit pas de division ; arrache une branche à l’arbre, et la branche arrachée ne pourra plus germer ; coupe un ruisseau de sa source, et coupé il tarit. Il en est de même de l’Église. Illuminée de la lumière du Seigneur, elle répand ses rayons dans le monde entier. Mais une est sa lumière partout diffusée, sans que l’unité de son corps en soit morcelée. Ses branches couvrent la terre entière de leur vitalité exubérante, ses ruisseaux s’épanchent au loin avec largesse : pourtant, unique est sa tête, unique la source, unique la mère aux fécondes et successives maternités. C’est elle qui nous engendre, c’est son lait qui nous nourrit, c’est son esprit qui nous anime[274].
Hors de
l’Église, point de salut
Seule cette chaste épouse, cette mère
unique nous unit à Dieu ; hors de cette arche, nul moyen d’échapper au
déluge :
L’épouse du Christ ne saurait consentir à l’adultère : elle est incorruptible et pudique. Elle ne connaît qu’une maison, elle garde avec une chaste pudeur la sainteté d’un lit unique. C’est elle qui nous conserve à Dieu, c’est elle qui remet au royaume les fils qu’elle a engendrés. Quiconque se séparant de l’Église s’unit à une adultère se frustre des promesses de l’Église ; s’il abandonne l’Église d Christ, il n’aura pas accès aux récompenses du Christ ; il est un étranger, un profane, un ennemi. On ne peut avoir Dieu pour Père quand on n’a pas l’Église pour mère. Quelqu’un a-t-il pu se sauver, en restant en dehors de l’arche de Noé ? Si oui, il le peut aussi, celui qui reste à l’extérieur, en dehors de l’Église[275].
La Trinité à
la source de l’unité de l’Église
Après Tertullien, mais en termes plus orthodoxes,
Cyprien voit la source de l’unité de l’Église dans la Trinité, et dans l’unité
de l’Église, une profession de foi à l’unité de la Trinité en acte :
Le Seigneur dit : « Le Père et moi nous sommes un » (Jn 10, 30). Il est écrit encore à propos du Père, du Fils et du Saint-Esprit : « Ces trois sont un » (Jn 5, 7). Qui dès lors croira que l’unité, dérivée de la solidarité divine, liée aux mystères célestes (sacramentis cælestibus cohærentem), puisse être morcelée dans l’Église et dissoute par la séparation de volontés en conflit ? Quiconque ne se tient pas à cette unité, ne se tient pas à la loi de Dieu, ne se tient pas à la foi au Père et au Fils, ne se tient pas en vie ni dans le salut[276].
C’est ce que figurait la tunique sans
couture du Christ :
Elle figurait l’unité qui vient d’en haut, c’est-à-dire du ciel et du Père, l’unité qui ne peut absolument pas être déchirée par celui qui la reçoit et en devient propriétaire ; mais il l’obtenait tout entière, une fois pour toutes, en sa solide contexture, pour ne plus s’en séparer. Or, celui-là ne peut posséder le vêtement du Christ, qui déchire et divise l’Église du Christ… Mais le peuple du Christ ne peut être divisé ; c’est pourquoi la tunique du Christ, tissée d’une seule pièce et sans couture, ne peut être divisée par ceux qui la possèdent : indivise, d’un seul morceau, d’un seul tissu, elle figure la concorde et la cohésion de notre peuple, à nous qui avons revêtu le Christ. Par le mystère, sacramento, de ce vêtement et par son symbole, il a déclaré l’unité de son Église[277].
Dans la Trinité, c’est spécialement
l’Esprit Saint, figuré par la colombe, qui rassemble les fidèles :
C’est pourquoi l’Esprit saint est venu sous la forme d’une colombe. C’est un animal simple et gai, sans fiel ni amertume ; incapable de cruelles morsures, dont les griffes n’infligent aucune violente déchirure ; il aime l’hospitalité des hommes, connaît l’intimité d’une seule maison ; lorsque le couple a des petits, il les élève deux à deux, vole aile contre aile, passe sa vie dans une communauté bien unie, fait connaître en se becquetant sa concorde et sa paix et accomplit en tout la loi d’un accord parfait.
C’est une telle simplicité que l’on devrait connaître dans l’Église, une telle tendresse qu’il y faudrait obtenir. Des frères chrétiens n’ont qu’à imiter l’affection des colombe, la mansuétude des agneaux et des brebis[278].
Eucharistie et unité
La grande figure de l’unité de l’Église,
c’est l’eucharistie, dont les espèces expriment ce que le Christ vient opérer
en nous :
Combien l’unité chrétienne est ferme, combien elle est une par une indivisible charité, les sacrements du Seigneur (dominica sacrificia) le montrent assez. Car, quand le Seigneur appelle son corps le pain, qui est fait de beaucoup de grains réunis, il signifie que tout le peuple chrétien, qu’il porte en lui, doit être réuni. Et quand il appelle sang le vin qui est exprimé de nombreux raisins et qui ne fait qu’un seul liquide, il signifie encore le troupeau que nous sommes, qui ne fait qu’un par l’union de la multitude[279].
Le Christ nous portait tous en lui, lui qui portait nos péchés… Quand, dans le calice, l’eau est mélangée au vin, le peuple est uni au Christ, et la foule des croyants est rattachée et jointe à celui en qui elle croit… De même que la multitude des grains recueillis, moulus, pétris ensemble, ne fait qu’un pain, ainsi dans le Christ, qui est le pain du ciel, sachons que nous sommes un seul corps, et que, en lui, notre multitude est jointe et réunie[280].
Où est la véritable
Église ?
L’évêque,
garant de l’unité
Face à quelques prêtres égarés, et
quelques confesseurs de la foi grisés par leur prestige, Cyprien est l’un de
ceux qui ont revendiqué le plus hautement l’autorité de l’évêque, garant de
l’unité visible de l’Église et de l’union de tous au Christ :
Même si une multitude d’entêtés et d’orgueilleux s’écarte d’elle, l’Église, elle, ne s’écarte pas du Christ. Et ceux-là sont l’Église qui sont le peuple uni à son prêtre et le troupeau adhérant à son pasteur. Tu dois donc savoir qu’il y a, dans l’Église, un évêque, et que l’Église est dans l’évêque. Si quelqu’un n’est pas avec l’évêque, il n’est pas dans l’Église. C’est une vaine sécurité que de prétendre rester en communion, par de secrètes menées, avec de secrets conventicules : l’Église, qui est catholique, ne peut se déchirer ni se diviser ; partout, elle demeure unie à elle-même, partout elle tient ensemble par l’union qui relie entre elles les parties[281].
Relations avec la
chaire de Pierre
On a beaucoup discuté sur les rapports de
Cyprien avec le siège de Pierre, et la question s’avère d’autant plus délicate
que le texte essentiel sur ce sujet, le chapitre IVe du De
unitate, est contesté. D’une manière générale, ces rapports semblent avoir
été tantôt cordiaux, tantôt tendus, et ces variations ont pu influer sur la
manière dont le « pape de Carthage » présentait sa doctrine du primat
romain, y provoquant quelques incohérences compréhensibles à l’époque.
Rapports avec
Corneille
Dans le conflit qui opposa Corneille à
l’antipape Novatien, Cyprien prit vigoureusement parti pour le pape établi par
succession légitime :
L’Église est une et ne peut, étant une, être à la fois
dedans et dehors. Si elle est chez Novatien, elle n’était pas chez Corneille,
qui succéda par une ordination légitime à l’évêque Fabianus, et à qui le
Seigneur, outre l’honneur de l’épiscopat, a donné aussi la gloire du martyre.
Novatien n’est pas dans l’Église, et ne peut être considéré comme un évêque,
lui qui, au mépris de la tradition évangélique et apostolique, est sorti de
lui-même et n’a succédé à personne. En effet, celui-là ne peut gouverner
l’Église qui n’a pas été ordonné dans l’Église[282].
Un moment, Corneille est troublé par
l’opposition d’un adversaire de Cyprien à son évêque. Celui-ci met les choses
au point :
Je le déclare parce que j’y suis contraint… Quand un évêque est mis en lieu et place de l’évêque défunt, quand, dans la paix, l’élisent les suffrages de tout le peuple, lorsque dans la persécution le secours de Dieu le protège ; lorsqu’il est fidèlement lié à tous ses collègues et qu’en quatre ans d’épiscopat il a fait ses preuves auprès du peuple, dans le calme, serviteur de la discipline, proscrit durant l’orage en tant qu’évêque, réclamé pour le lion plus d’une fois dans le cirque… Lorsque donc, frère très cher, un homme de cette sorte se voit combattre par un groupe en pleine dérive hors de l’Église, on sait d’où viennent les coups ! Pas du Christ, à coup sûr : il fait et conserve les évêques. Pas du Christ, mais de son adversaire ; de l’ennemi de l’Église ; de celui qui poursuit le chef d’une Église, afin d’aboutir au naufrage du bâtiment par la suppression du pilote [283].
Mais il ne proteste pas que Corneille
s’étonne qu’il ne l’ait pas mis au courant des agissements du pseudo-évêque
Fortunatus, reconnaissant au pape le droit d’attendre la soumission en toute
affaire d’importance :
Je ne t’avais pas écrit ces nouvelles, car nous n’en faisons pas de cas, et, d’autre part, je t’avais tout récemment envoyé la liste de nos évêques d’ici, qui sont à la tête de nos frères, et que l’hérésie n’a pas entamés[284].
Pendant une vacance du siège de Pierre, il
donne de même des explications au clergé romain qui désapprouve sa retraite en
250 :
Retiré pour un temps, de peu d’exciter davantage, par une présence indiscrète, les troubles commencés, absent de corps, j’ai été présent d’esprit ; et, par mes actes et mes conseils, je me suis efforcé, dans la mesure de mes faibles moyens, dans tous les cas où j’ai u le faire, de diriger nos frères conformément aux préceptes du Seigneur[285].
Le problème du
De unitate, ch. IV
C’est au chapitre IVe du De catholicæ Ecclesiæ unitate que nous
trouvons la doctrine la plus complète sur le siège de Pierre. Mais ce texte
apparaît dans les manuscrits sous deux états[286] assez différents, dont l’un insiste sensiblement plus
que l’autre sur la prééminence du pontife romain. Aussi, dès le xvie siècle, et jusqu’en
notre temps, les critiques ont-ils souvent soutenu le caractère apocryphe de
cette version[287]. Mais, en 1902-1903, une étude de dom Chapman dans la Revue bénédictine observa que les
prétendues interpolations, citées dès 585 par Pélage II[288], avaient toutes des équivalents dans le reste de l’œuvre
de saint Cyprien[289], et, après diverses remarques textuelles, conclut que
les deux versions représentaient deux éditions de la main de l’évêque africain,
qui[290] aurait ajouté à un discours visant un schisme local
quelques précisions sur la primauté du successseur de Pierre au moment de
l’envoyer à Rome[291].
On peut aussi penser, avec le P. Bévenot,
que la version « romaine » représente le texte original, que Cyprien
aurait ensuite élagué à la suite des controverses baptismales avec le pape
Étienne.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas
exagérer les différences entre les deux versions, ni surtout les isoler du
reste de l’œuvre de l’évêque martyr. L’une et l’autre visent essentiellement,
avec l’ensemble du traité, non à une définition dogmatique de la primauté
romaine, mais à une apologie de l’unité à l’intérieur de l’Église locale. Dans
cette perspective :
— D’une part, l’une et l’autre reconnaît en Pierre, en vertu de l’institution par le Christ
rapportée en Matthieu 16, non seulement le symbole, mais « l’origine de
cette unité, afin de montrer l’unité de l’Église du Christ ». Cela, en
plein accord avec le reste de l’œuvre du grand évêque africain :
C’est à Pierre le premier, sur lequel le Seigneur a édifié son Église et à partir duquel il a institué et montré l’origine de l’unité, qu’il a donné ce pouvoir que fût délié dans les cieux ce qu’il aurait délié sur la terre[292].
La mère, l’origine et la matrice est unie à ses sept enfants (les autres Églises)… elle, la première et la seule fondée sur Pierre (var.: sur la pierre)[293].
Nous les avons exhortés à reconnaître la racine et la matrice de l’Église catholique, et à s’attacher à elle[294].
— D’autre part, l’une et l’autre affirme jalousement l’autonomie de chaque évêque, successeur
des Apôtres qui « étaient assurément aussi ce qu’était Pierre, doté d’une
même participation à l’honneur et au pouvoir ». La primauté de Pierre
apparaît donc comme une primauté d’honneur plus que de juridiction. Même
doctrine dans les lettres de l’évêque de Carthage :
Une portion du troupeau a été attribuée à chacun des pasteurs pour la conduire et la gouverner, sauf à rendre compte à Dieu de sa conduite[295].
Qu’en est-il des variantes les plus
notables de la recension « romaine » ?
La citation de Jean 20, Pasce oves meas, rapproché de Mt 16,
figure également dans De habitu virginum :
Et il dit au même (Pierre) après la résurrection : Pais mes brebis ». C’est sur lui qu’il édifie l’Église et à lui qu’il confie ses brebis à faire paître.
Pierre, à qui le Seigneur confia le soin de paître et de défendre ses brebis, et sur lequel il établit et fonda son Église…[296]
L’unité de la « chaire », signe
visible de l’unité de l’Église, est affirmée dans la lettre LXIII :
Cependant il a établi une chaire unique… et on montre qu’il y a une seule Église et une seule chaire.
Une seule Église et une seule chaire fondée sur Pierre par la voix du Seigneur[297].
Quant à la « primauté » —
« la primauté est donnée à Pierre » —, si contestée par les
adversaires de l’Église, Cyprien y fait allusion explicitement dans sa lettre
LXXI, où il donne en exemple l’humilité de Pierre refusant d’arguer de sa
primauté pour exiger l’obéissance de Paul :
Pierre lui-même, que le Seigneur a choisi le premier, et sur lequel il a édifié son Église, comme plus tard il était en désaccord avec Paul au sujet de la circoncision, ne s’est rien arrogé avec insolence, et ne s’est pas prévalu de sa primauté, assumpsit ut diceret se primatum tenere, pour exiger que les nouveaux venus obtempèrent [à sa volonté][298].
On pourrait ajouter que toutes les
expressions honorifiques citées plus haut — « mère, racine,
matrice »… — la supposent, sans préciser sa nature.
Enfin, la mise en garde contre « celui
qui abandonne la chaire de Pierre, sur laquelle est fondée l’Église »
évoque la condamnation des schismatiques dans la lettre LIVe :
(Ils osent) apporter une lettre de la part de schismatiques et de profanes, à la chaire de Pierre et à l’Église principale, d’où l’unité sacerdotale est issue, et ils ne s’avisent pas que ce sont des Romains, dont l’Apôtre a loué la foi et auprès de qui la perfidie ne saurait avoir accès[299].
Et au chapitre 19e du De unitate, saint Cyprien jugera les
dissidents plus coupables que les lapsi,
qui ont du moins l’excuse de la contrainte.
La
controverse baptismale[300]
Mais si Cyprien admettait le principe de
la primauté de la chaire de Pierre, il n’en tirait pas les conséquences
juridiques que la tradition postérieure en déduira. Alors que l’Église de Rome
se contentait d’imposer les mains aux hérétiques rentrés dans l’orthodoxie,
Cyprien, en vertu du fait que « l’Église seule a l’eau vivifiante et le
pouvoir de baptiser et de purifier »[301],
n’admettait pas la validité du baptême conféré par les
hérétiques :
Nous déclarons que tous les hérétiques et schismatiques sans exception, sont sans aucun pouvoir et sans aucun droit. Novatien ne peut ni ne doit être excepté. Lui aussi, il est hors de l’Église ; il travaille contrer la paix et la charité chrétienne ; il doit donc être compté parmi les adversaires et les Antéchrists[302].
Et de conclure :
Il fit admettre cette décision par le
synode africain de 256 (71 évêques). Une fois la décision prise, il en avertit
Rome, persuadé que « gardant entre collègues la concorde et la paix, (les
évêques peuvent conserver) certaines particularités, dès lors qu’une fois pour
toutes on en use ainsi chez eux », et que « chaque chef d’Église
l’administre librement, en rendant compte à Dieu de sa gestion »[303]. Étienne (254-256), s’appuyant sur le principe : Nihil innovetur, nisi quod traditum est[304], protesta. La correspondance fut acerbe, mais on n’en
vint pas à la rupture, et, selon Eusèbe, les relations se détendirent après la
mort d’Étienne et l’élection d’un pape « bon et pacifique ».
Conclusion sur
l’ecclésiologie de saint Cyprien
L’ecclésiologie de saint Cyprien souffre
assurément de certaines lacunes, mais elle présente aussi de grandes richesses,
exploitées par les conciles de Trente et de Vatican II :
— Une mystique de l’unité, reflet de l’unité
trinitaire et fruit de l’eucharistie, orchestrée par saint Augustin et toujours
d’actualité :
Si l’autorité de saint Cyprien te charme, pourquoi n’es-tu pas charmé par le fait qu’il maintint l’unité de l’univers et de toutes les nations par l’amour, et la défendit par la discussion ?[305]
— En particulier, la solidarité de l’Église
reposant sur celle des évêques, la notion de collégialité de l’épiscopat (unitas sacerdotalis), développée par
Vatican II, en même temps qu’une haute idée de la responsabilité de chaque
évêque.
— Une solide conviction que la chaire de
Pierre constitue, de par la volonté du Christ, la « racine », la
« matrice », le fondement et le principe permanent de l’unité, même
s’il n’a pas saisi toutes les conséquences pratiques de cette vérité.
— Une admirable théologie du martyre,
ornement suprême de l’Église :
Auparavant, elle était toute blanche par la vie sainte des frères ; maintenant, elle est empourprée du sang des martyrs. Parmi ses fleurs, il ne manque ni les lys ni les roses. Chacun doit lutter pour atteindre le suprême degré dans ces deux genres de gloire, pour recevoir la couronne : blanche pour la vie, ou bien pourpre pour le martyre[306].
Il prouva par son martyre la profondeur de
son attachement au Christ, effaçant ainsi, selon une remarque de saint Augustin
encore, ce qui avait pu s’avérer défectueux dans sa doctrine et sa pratique
ecclésiales.
Méthode d’Olympe († vers 311)
Au tournant du iiie et du ive
siècle, un maître chrétien du nom de Méthode, évêque d’Olympe et martyr selon
saint Jérôme[307], exerça son activité dans des localités de Lycie
(Olympe, Patara, Termessus), ou, selon d’autres, à Philippes en Macédoine. Il
écrivit, sans doute entre 260 et 290, sur le modèle du Banquet de Platon, un dialogue entre des vierges conclu par une
admirable hymne en l’honneur du Christ et de l’Église : Le banquet des dix vierges, Sumposion h peri agneiaV.
Pour Méthode, l’Église apparaît
essentiellement comme l’antitype de la femme, la nouvelle Ève et la femme de l’Apocalypse,
épouse du Christ, mère des fidèles, qu’elle nourrit du lait de la grâce, et
modèle des vierges.
Nouvelle Ève
Dans la ligne de la récapitulation
d’Irénée, mais avec des nuances propres, Méthode montre Dieu recréant Adam, à
la suite de son péché, dans l’Incarnation, et tirant de son côté la nouvelle
Ève, l’Église :
Il n’y aurait pas la moindre discordance à dire que l’Église est née de sa chair et de ses os : n’est-ce pas pour l’amour d’elle qu’il a quitté son Père des cieux, qu’il est descendu ici-bas pour être soudé à son épouse, s’endormant dans cette « extase » que fut sa passion en mourant volontairement pour elle, « afin que se dressât devant lui l’Église glorieuse et immaculée, lavée au bain purificateur » (Ep 5, 27. 26), pour recevoir la bienheureuse semence spirituelle qu’il sème lui-même comme l’écho secret, et fait pousser aux profondeurs de l’esprit ; et l’Église comme une épouse le reçoit en son sein et forme le fruit dont elle sera la mère et la nourrice : la vertu[308].
L’Église, en vertu de son union au Christ,
se construit par le baptême et l’eucharistie, mémorial de
« l’extase » de la passion :
Par là s’accomplit dûment le « Croissez et multipliez » (Gen 1, 18) ; car l’Église grandit chaque jour en ampleur, en beauté, en nombre, grâce aux embrassements et aux étreintes du Verbe qui descend sur nous aujourd’hui encore, et renouvelle son « extase » dans la commémoration que l’Église fait de sa passion : l’Église ne pourrait, autrement, recevoir le germe ni assurer par le « bain de la régénération » (Tit 3,5), la nouvelle naissance des croyants, si pour eux le Christ, se vidant de lui-même (kenwsaV), pour se rendre saisissable, comme je l’ai dit, dans la récapitulation[309] de sa passion, ne mourait à nouveau, descendu des cieux pour étreindre l’Église son épouse, offrant son côté pour qu’en soit tiré un pouvoir capable de faire croître tous ceux qui ont en lui leur fondement, ceux qui, grâce au baptême, ont pris naissance par prélèvement de ses os et de sa chair, c’est-à-dire de sa sainteté et de sa gloire…[310]
Au-delà des images, l’Église, ce sont
« les âmes qui lui sont accordées et ses épouses »[311],
donc, si l’on veut, l’ensemble des fidèles. Mais parmi ceux-ci les plus
parfaits — et avant tout les vierges — la représentent, l’incarnent pour ainsi
dire, et engendrent les moins parfaits à la vie de la grâce :
Souvent, en effet, les Écritures appellent précisément ainsi « Église » le rassemblement et la masse globale des fidèles, alors que ce sont seulement les plus parfaits qui sont progressivement amenés à devenir la personne et le corps nique de l’Église. Les meilleurs, ceux qui d’ores et déjà ont mieux assimilé les lumières de la vérité, ceux-là, dépouillés grâce à leur purification et leur foi parfaites des incongruités de la chair, deviennent l’Église et « l’aide » du Christ, la « vierge » dont parle l’Apôtre (2 Co 11, 2). Ils sont ses accordées et ses épouses pour recevoir la pure et féconde semence de sa doctrine, et apportant « l’aide » de leur prédication, coopérer au salut des autres[312].
Ainsi, celui qui « n’était pas encore
parfait », comme l’Apôtre, devient adulte et devient Église, c’est-à-dire
« aide », épouse et mère[313].
Femme de l’Apocalypse
Plus loin, Méthode représente l’Église
comme la Femme de l’Apocalypse :
Dotée d’un céleste essor, des ailes de la virginité que le Verbe a nommées « rémiges d’un aigle puissant » (cf. Ez 1, 3), elle a vaincu le serpent, repoussé les sombres nuées d’orage de devant la pleine lune qu’elle fait rayonner[314].
Et d’exhorter les « vierges toutes
belles » à « imiter (leur) mère dans la mesure de (leurs)
forces », afin de pouvoir « entrer avec elle, radieuses, dans la
chambre nuptiale, en l’escortant des lumières de (leurs) lampes »[315].
Reine des vierges
Ces expressions amorcent la splendide
hymne à l’Église qui conclut, à peu de chose près, le dialogue, et montre dans
l’Église l’épouse par excellence, la reine des vierges, modèle des
« compagnes de ses noces » :
Ouvre tes portes, ô Reine étincelante,
Accueille-nous à tes noces, Épouse,
Au corps sans tache, au pur triomphe, au souffle pur.
En même robe, auprès du Christ, nous avons place,
Ô joie bénie ! et nous chantons l’épithalame,
Pour toi, tige épanouie !
Pour toi, je me garde pure,
Avec nos lampes radieuses,
tenues d’une main ferme,
je viens, Époux, à ta rencontre !
À toi, ô bienheureuse nouvelle épousée,
Nous rendons honneur, nous, les compagnes de tes noces,
Nous te chantons, épouse pure et virginale,
Dont le corps est de neige, les cheveux d’ébène,
Ô toute chaste, irréprochable, tout-aimée !
Pour toi je me garde pure…
En cet instant, un cantique nouveau,
d’une voix vibrante, est chanté par les vierges ;
leur chœur vient t’installer, ô Reine toute chaste,
sur le trône du ciel. Des corolles de lis,
blanches, ceignent leur front : les flammes qu’elles portent
brillent dans leurs mains rayonnantes.
Pour toi je me garde pure…[316]
Conclusion sur l’ecclésiologie des trois
premiers siècles
Dès la fin du iiie siècles, on voit se dessiner nettement les
thèmes essentiels de l’ecclésiologie catholique. L’Église apparaît
essentiellement comme :
— Vierge
mère, nouvelle ève, chaste épouse du nouvel Adam, mère
des fidèles qu’elle enfante par le baptême,
qu’elle nourrit du lait de la vérité divine et de l’eucharistie, qu’elle
exhorte à la pénitence et réconcilie avec Dieu.
— Corps
du Christ, gouverné par le
Verbe, vivifié par le Saint-Esprit, coextensif à l’influence salvifique de
Dieu.
Cette Église se distingue par son
antiquité et son unité. Elle a reçu
des Apôtres la vérité que le Verbe incarné a reçue du Père. Les Apôtres l’ont
transmise, par la succession apostolique,
à des « hommes éprouvés », et elle s’est conservée dans les Églises
particulières fondées par eux, et elles seules.
Dans chaque Église, l’unité est garantie
par l’évêque auquel tous doivent
obéir. Grâce à la communion entre les évêques, toutes les Églises particulières
sont unies dans la charité au sein de « l’Église catholique ». L’Église romaine,
en raison de la dignité particulière que lui vaut le martyre de Pierre, établi
par le Christ comme pierre fondamentale de l’Église, préside à la foi et à la
charité, et exerce sa sollicitude à l’égard des autres. Elle est indéfectible,
et toutes les Églises doivent être en communion avec elle.
Appendice :
épitaphe d’Abercius (fin du iie
siècle)
Vers la fin du second siècle, Abercius,
évêque d’Hiérapolis au temps de Marc-Aurèle, fait inscrire sur sa tombe une
épitaphe qui résume la plupart des thèmes de l’ecclésiologie primitive :
Je me nomme Abercius. Je suis le disciple d’un saint pasteur[317], qui fait paître ses troupeaux sur les montagnes et dans les plaines, qui a de grands yeux et dont le regard atteint partout… C’est lui qui m’a envoyé à Rome contempler la souveraine majesté, et voir une reine habillée et chaussée d’or. Je vis là un peuple porteur d’un sceau brillant… La foi me conduisit partout, partout elle m’a servi en nourriture un poisson[318] de source, très grand, pur, pêché par une vierge sainte[319]. Elle le donnait sans cesse à manger à ses amis.
Le contexte historique[320]
Après la paix constantinienne, le ive
et le ve siècles
voient, avec les grands conciles fondateurs de la foi, un développement
remarquable de l’intelligence de la foi, de son contenu objectif, où s’enracine
l’unité de l’Église. Il s’agit surtout d’entrer plus profondément dans la
connaissance de la Trinité (divinité du Verbe et de l’Esprit Saint : Nicée
et Constantinople I), puis du Verbe incarné (Éphèse et Chalcédoine). Ces
conciles ne sont pas des réunions académiques réfléchissant sur telle question
d’école : ils se sont toujours réunis pour remédier à des crises
doctrinales (et non dans un but de réforme morale comme la plupart des conciles
médiévaux), à propos d’hérésies sur la personne du Christ ou de l’Esprit Saint.
C’est dans ce contexte que les Pères de l’âge d’or ont scruté les mystères
divins avec une profondeur unique. « Quand ils sont tous (ou presque tous)
d’accord sur un point, ils constituent un point particulièrement lumineux de la
Tradition », et nous sommes vis-à-vis d’eux comme des nains montés sur les
épaules de géants. Ils nous ont laissé le trésor inestimable d’une doctrine
solide et pure commune à l’Orient et à l’Occident.
Pour l’ecclésiologie, ils sont à l’origine du développement de la grande
théologie de l’Église comme corps du Christ, explicitant les données des
épîtres pauliniennes et montrant le lien qui unit l’Église à l’eucharistie.
Le ive
siècle : autour de la crise arienne
Saint Athanase d’Alexandrie (patriarche de
328 à 373)
Le « père de l’orthodoxie » a consacré sa longue et laborieuse
carrière à la défense du dogme de Nicée sur la divinité et la consubstantialité
du Verbe. Il n’a guère théorisé sur l’Église, mais sa vie elle-même présente
une signification ecclésiologique éloquente. D’autre part, sa doctrine de la
divinisation offre indirectement un riche contenu ecclésiologique.
Athanase,
homme d’Église
Le patriarche d’Alexandrie est avant tout un homme d’Église. S’il a
recueilli l’héritage des grands maîtres alexandrins du siècle précédent,
Clément et Origène, il ne s’est pas frotté aux philosophes. Son grand mérite
consiste justement à avoir défendu l’intégrité de la foi contre les
contaminations hellénisantes : il ne veut connaître que « la
Tradition, la doctrine et la foi, depuis l’origine de l’Église catholique, foi
que le Seigneur a donnée, que les Apôtres ont annoncée et que les Pères ont
gardée »[321]. On reconnaît ici la doctrine la plus
traditionnelle de la paradosiV, telle qu’elle apparaît déjà chez saint Clément de Rome et qu’elle a été
développée par saint Irénée.
Corps mystique et divinisation
Nous reviendrons ultérieurement sur la riche doctrine d’Athanase sur le
corps mystique. Qu’il suffise d’en indiquer ici les lignes directrices.
Pour démontrer la divinité du Verbe, le grand évêque part d’une doctrine
admise par tous : celle de la divinisation. Tout le monde au ive siècle reconnaît que
l’Incarnation a pour fin non seulement la rédemption, mais la divinisation de
l’homme. Or Dieu seul, de toute évidence, peut diviniser. Donc si le Christ
n’avait été Dieu que par participation, il n’aurait jamais pu nous communiquer
ce qu’il ne possédait pas en plénitude : « L’union à une simple
créature n’aurait pas divinisé l’homme »[322] :
En recevant de lui, nous avons part au Père, car ce qu’est le Verbe appartient au Père. C’est pourquoi, s’il fut lui-même aussi le fruit de la participation, et s’il n’a pas reçu du Père sa divinité et son image essentielles, il ne déifie pas, étant lui-même déifié. Il est impossible en effet que celui qui ne possède que par participation accorde de cette participation aux autres, car ce qu’il possède ne lui appartient pas en propre, mais à celui qui le lui a donné, et ce qu’il a reçu n’est rien de plus que la grâce qui lui est accordée à lui-même[323].
De fait de l’Incarnation rédemptrice, notre chair est pour ainsi dire
« verbifiée » :
De même que le Verbe, ayant pris un corps, est devenu homme, ainsi nous, les hommes, pris par la chair du Verbe, nous sommes divinisés en lui et faits héritiers de la vie éternelle[324].
Entre le Chef et les membres, il y a pour ainsi dire continuité :
Tout ce que l’Écriture dit que le Verbe a reçu, elle le dit à cause de son corps, qui est les prémices de l’Église… Et c’est par là que les hommes on reçu la grâce d’être appelés dieux et fils de Dieu. D’abord, donc, le Seigneur a ressuscité son propre corps, et il l’a exalté en lui-même ; ensuite, il a ressuscité à leur tour les membres de son corps, afin de leur donner en tant que Dieu tout ce que lui-même a reçu en tant qu’homme[325].
L’humanité du Christ, prise en sa totalité, c’est l’Église : l’union
hypostatique se prolonge de quelque manière dans les membres du corps
mystique :
Quand Pierre dit : « Que toute la maison d’Israël sache avec certitude que Jésus que vous avez crucifié, Dieu l’a fait Seigneur et Christ (Ac 2, 36), ce n’est pas de la divinité de Jésus qu’il affirme que Dieu l’a faite Seigneur et Christ, mais de son humanité qui est toute l’Église…
C’est l’Église, dans le Christ, qui domine et qui règne, après que lui a été crucifié. C’est elle aussi qui reçoit l’onction pour le royaume des cieux, afin de régner avec celui qui, pour elle, s’est abaissé et qui, en prenant la forme de l’esclave, l’a assumée en lui[326].
Excursus :
Athanase excommunié ?
Au-delà de la doctrine de saint Athanase, c’est sa vie elle-même qui pose
un important problème ecclésiologique, souvent allégué par les intégristes — de
l’abbé de Nantes, dès les années 60, à Mgr Lefebvre et à ses partisans — pour
tenter de prouver qu’il peut être légitime, vertueux même, en temps de crise,
de renoncer à la communion avec l’ensemble des évêques et un pontife romain
tombés dans l’hérésie. L’examen des faits permettra de tirer des conclusions
qui n’ont rien perdu de leur actualité.
Les
Pères de Nicée
En 355, l’empereur arien Constance tente d’obliger les évêques occidentaux,
réunis en concile à Milan, à souscrire à la condamnation d’Athanase. Il espère
profiter du grand âge d’Ossius, naguère président du concile de Nicée et alors
évêque de Cordoue, pour l’amener à abandonner l’intraitable évêque d’Alexandrie.
Ossius répond :
Dieu vous a donné le gouvernement de l’empire, et à nous celui de l’Église. Quiconque ose attenter à votre autorité s’oppose à l’ordre de Dieu. Prenez garde, de même, de vous rendre coupable d’un grand crime en usurpant l’autorité de l’Église. Il nous est ordonné de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient Dieu. Il ne nous est pas permis de nous attribuer l’autorité impériale. Vous n’avez non plus aucun pouvoir dans le ministère des choses saintes. Voilà ce que j’ai cru devoir vous écrire, dans le désir que j’ai de votre salut. C’est toute la réponse que j’ai à faire à vos lettres. Je ne communiquerai point avec les Ariens. Au contraire, j’anathématise leur hérésie. Je ne souscrirai point à la condamnation d’Athanase, dont nous avons reconnu l’innocence avec l’Église de Rome et avec tout un concile[327].
On notera, dans cette admirable réplique, la nette distinction entre le
pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, et le recours à l’autorité de
l’Église romaine. Mais qu’en était-il de l’attitude des papes ?
Jules I
On trouve, avec une autre argumentation, la même fermeté tranquille dans la
lettre écrite aux orientaux en 340 par le pape Jules I, pour leur signifier les
décisions du concile de Rome :
Vous arguez que Marcel et Athanase ont été déposés. Soit. Mais que dire de tant d’autres évêques ou prêtres, qui sont venus à Rome attesté qu’ils avaient souffert de pareilles violences ? ô très chers, ce n’est pas selon l’Évangile que les sentences de l’Église soient des sentences d’exil ou de mort. Si, comme vous l’avancez, on avait quelque faute à reprocher à ces évêques, il fallait observer le canon ecclésiastique… Il fallait nous écrire à nous tous, et qu’ainsi justice fût rendue à tous. Car c’était à des évêques que vous en aviez, et à des Églises non ordinaires, puisque les Apôtres en personne les avaient gouvernées. Pourquoi surtout ne nous avez-vous pas écrit dans la cause de l’Église d’Alexandrie ? Ignorez-vous que l’usage est qu’on écrive ici d’abord, et qu’ainsi justice soit rendue ici ? Au contraire, ceux qui ont procédé eux-mêmes arbitrairement voudraient que maintenant nous approuvions ce dont nous n’avons rien connu ? Ce n’est pas conforme aux préceptes de Paul, ni aux traditions des Pères : tout est ici étranger et nouveau. Je vous en prie, souffrez que je vous parle de la sorte : j’écris ce que j’écris dans l’intérêt commun. Et ce que je vous mande est ce que nous avons reçu du bienheureux apôtre Pierre[328].
Alors que l’évêque de Cordoue s’en prend directement à l’empereur, comme au
vrai coupable, le pape de Rome s’adresse aux évêques d’Orient, manœuvrés par
lui, en alléguant des arguments empruntés à l’ancien droit de l’Église —
qui suppose toute une ecclésiologie : Tradition, témoignage des Pères,
coutumes de l’Église. C’est l’usage que l’Église soit libre, et que Rome
préside aux autres sièges épiscopaux. Et cet usage se justifie du fait qu’il
remonte au bienheureux Pierre. C’est toujours le nihil innovetur, nisi quod traditum est d’Étienne.
Libère[329]
Le successeur de Jules, Libère, était très aimé de son peuple pour sa
générosité ; il avait donné le voile à Marcelline et demeurait pour saint
Ambroise, « d’heureuse mémoire »[330].
Saint Basile le qualifie d’« évêque bienheureux »[331],
et vers 400 Anastase le citera parmi les résistants à l’arianisme. Lorsque
Constance lui fait demander de faire la paix avec les Ariens et de condamner
Athanase, il ne répond pas autrement que son prédécesseur :
Ce
n’est pas là la règle ecclésiastique ; nous n’avons jamais reçu pareille
tradition des Pères qui eux-mêmes ont reçu (ce qu’ils nous ont transmis) du
bienheureux et grand Apôtre Pierre. Mais si l’empereur a quelque souci de la
paix ecclésiastique…, qu’un concile ecclésiastique se réunisse loin du palais
et auquel ne paraisse ni empereur, ni comte, ni juge menaçant, car la crainte
de Dieu suffit et l’enseignement des Apôtres, afin que dans ce concile on sauve
la foi ecclésiastique telle que les Pères la définirent dans le concile de
Nicée[332].
Un peu plus tard, Libère défend la liberté de l’Église devant l’empereur
lui-même, avec la même vaillance :
Prince, les sentences ecclésiastiques doivent être prononcées avec une grande justice ; si donc il plaît à ta piété, ordonne qu’on juge ; et si Athanase mérite d’être condamné, on portera une sentences contre lui dans les formes de la procédure ecclésiastique qui est de règle. Mais nous ne pouvons pas condamner un homme que nous n’avons pas jugé[333].
Exilé pour la foi à Bérée depuis deux ans, et remplacé par l’antipape
Félix, honni des Romains, Libère fut rappelé par l’empereur, et rentra à Rome quasi victor[334] en 358. Pourquoi cette rentrée en grâce ? Ob seditiones romanas, selon
Sulpice-Sévère[335].
Mais peut-être aussi, selon Athanase[336],
Jérôme[337] et Hilaire[338],
parce que Libère, menacé de mort, selon Athanase — ce qui, d’un point de vue
canonique, rendait ses actes nuls de plein droit —, et « vaincu par le
dégoût de l’exil » (Jérôme), aurait fini par « écouter les évêques de
la cour »[339]
et « souscrire à la perversité hérétique »[340] :
l’excommunication du « saint évêque orthodoxe » et la « perfidie
écrite à Sirmium »[341],
c’est-à-dire, très probablement, non la seconde formule de Sirmium, franchement
hérétique (la liste des signataires exclut cette éventualité), mais la
première, qui péchait, non par ses affirmations, mais par ses silences. Hilaire
l’avait jugée acceptable lors de sa publication[342],
mais la considère dans les Fragments
historiques comme une perfidia,
une apostasie[343]. Cette faiblesse,
d’après saint Hilaire, avait « réduit à rien » sa courageuse conduite
antérieure[344].
Peu après cependant, Basile d’Ancyre, chef de file des homéousiens,
obtenait de l’empereur la substitution au second symbole de Sirmium d’une
troisième formule, proche de la première, qui rallia les suffrages d’Athanase
et d’Hilaire (358). Libère souscrivit à cette formule, mais, selon Sozomène,
fit préciser que le Fils est « semblable au Père en essence et en
tout », démentant ainsi les rumeurs selon lesquelles il aurait signé la
formule hérétique de 357. Cet accord fort légitime aboutit au retour de Libère
sur son siège (358), à la reconstruction de l’Église romaine et, après 362, au
rétablissement de l’unité dans la vérité.
C’est bien ainsi que les Pères, dans leur ensemble, ont interprété cet
épisode regrettable. Saint Athanase, atteint directement et personnellement, le
présente sans acrimonie, et cherche même à excuser le pontife. Dans la seconde
édition de son Histoire des ariens pour
les moines, il va jusqu’à préciser :
Plusieurs (évêques) nous ont été fidèles, malgré l’exil, par exemple Libère, l’évêque de Rome. Sans doute, il n’a pu supporter jusqu’au bout les souffrances de l’exil, pourtant il est demeuré fidèle à notre communion pendant deux ans, car il connaissait le secret de la machination ourdie contre nous[345].
Quant à saint Jérôme, dont on connaît les violences de langage ordinaires à
l’égard des hérétiques, c’est Fortunatien qu’il accuse d’avoir été cause de la
capitulation du pape :
Il apparaît détestable, pour cette raison que le premier il sollicita Libère, évêque de la ville de Rome, exilé pour la foi, brisa sa résistance et le força à souscrire à l’hérésie[346].
Ainsi, il est impossible de tirer d’une
défaillance passagère aucune conclusion autorisant la dissidence. La rupture de
communion avec Athanase, simple mesure de gouvernement due en partie à des
motifs politiques, ne mettait nullement en cause l’autorité divine du
pontife : celui-ci n’est jamais tombé dans l’hérésie et, comme d’autres
après lui, a seulement tâché d’éviter le pire par des concessions sans doute
regrettables, mais sans conséquences irréparables, et sur lesquelles il est
revenu dès qu’il l’a jugé possible. Aussi ces péripéties n’ont-elles nullement
ébranlé la conviction qu’avaient les Pères de la primauté romaine, et ce n’est
que beaucoup plus tard qu’on les a invoquées pour justifier la désobéissance au
pape.
Didyme
l’aveugle (vers
313-398)
Avant de quitter Alexandrie, signalons, entre Athanase et les Cappadociens,
les aspects ecclésiologiques de l’œuvre de Didyme d’Aveugle, écrivain peu
original mais fidèle témoin de la tradition qui exercera une grande influence
sur Ambroise et Jérôme notamment.
Le Saint-Esprit, source de tous les dons spirituels, les distribue dans
l’Église du Christ :
Il fonda son Église sur les rivières, la rendant, par sa législation divine, capable de recevoir le Saint-Esprit, de qui, comme de leur source principale, découlent les différentes grâces comme des sources d’eaux vives[347].
C’est par ce même Esprit que l’Église devient notre mère, car c’est lui qui
de son sein virginal fait naître ses enfants dans les fonts baptismaux :
La piscine baptismale de la Trinité est une officine pour le salut de tous ceux qui croient : elle délivre de la morsure du serpent tous ceux qui y sont lavés, et tout en restant vierge, elle devient la mère de tous par l’intermédiaire du Saint-Esprit[348].
C’est à Alexandrie, avec Didyme l’Aveugle, que nous voyons pour la première
fois la piscine baptismale décrite comme la mère toujours vierge fécondée par
l’Esprit Saint[349].
C’est à ce titre qu’à la suite d’Origène Didyme présente l’Église non seulement
comme l’épouse du Christ[350],
mais aussi comme notre mère[351].
Par ailleurs, sa doctrine du corps mystique apparaît plus explicite que
celle d’Athanase[352].
Saint Basile
de Césarée (vers 329- 379)
Au milieu du ive
siècle, dans la Turquie actuelle, une merveilleuse triade achève l’œuvre de
saint Athanase et la porte à sa perfection : les Pères cappadociens,
Basile, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse. Ces grands évêques
théologiens durent surtout expliciter le dogme de Nicée sur la Trinité, et
poser les jalons de la christologie définie au siècle suivant. Mais on peut
glaner dans leurs écrits des éléments ecclésiologiques non négligeables. Ainsi,
d’abord, chez Basile le Grand.
Unique
temple de Dieu
Dans ses Homélies sur les psaumes,
Basile reconnaît l’Église, sous les images traditionnellement appliquées à
l’ancien peuple de Dieu, à Jérusalem, ou au temple. Le temple saint où il faut
adorer (Ps 28, 2), c’est l’Église—l’Église de la terre, ou l’Église
eschatologique — et elle seule :
L’adoration ne se fait pas hors de l’église, mais c’est en elle, le temple de Dieu, qu’elle est parfaite. N’imaginez pas, dit Dieu, que j’aie des temples ou assemblées privés. Il n’y a qu’un seul temple saint de Dieu… Il ne faut donc pas adorer Dieu en dehors de son saint temple, mais en lui ; si quelqu’un est hors de ce temple, ou s’il est attiré par ce qui est au dehors, il cesse d’être dans le temple du Seigneur…
On peut aussi comprendre ce temple, dans un sens plus élevé, de la vie du ciel. C’est pourquoi « ceux qui sont plantés ici-bas dans la maison du Seigneur », « qui est l’Église du Dieu vivant » (1 Tm 3, 15) « fleurissent dans les parvis de notre Dieu »[353].
Cité
de Dieu
Ce temple est également une cité, la cité de Dieu réjouie par les fleuves
de l’Esprit, rendue inébranlable par la présence divine, c’est-à-dire à la fois
l’Église eschatologique et celle de la terre :
« Les courants du fleuve réjouissent la cité de Dieu »… Certains[354] définissent en effet une cité comme une réunion d’êtres en un corps bien organisé régi par une loi. Cette définition donnée à la cité convient à la Jérusalem d’en-haut, la cité céleste. Car là se trouve la réunion des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux (cf. He 12, 23) ; de plus, elle est bien organisée, car le cours de la vie des saints est immuable et régi par la loi céleste…
« Dieu est au milieu d’elle, elle ne sera pas ébranlée » (Ps 45, 6). Aussi, puisque Dieu est au milieu de sa cité, il lui donnera sa stabilité… ce nom de cité convient donc, soit à la Jérusalem d’en haut, soit à l’Église d’en-bas : en elle, « le Très-Haut a sanctifié sa demeure », et par cette demeure où Dieu habite, il est au milieu d’elle, lui donnant de n’être pas ébranlée[355].
Corps
du Christ
L’Église est surtout corps du Seigneur :
« Tu as aimé la justice, et haï l’iniquité. C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse de préférence à tes compagnons » (Ps 44, 8)… Il est clair que l’on parle ici du Sauveur en tant qu’homme, ou de l’Église, puisqu’elle est le corps du Seigneur, et lui, la Tête de l’Église. Nous avons expliqué que les lèvres du Christ sont les serviteurs du Verbe céleste… De même, nous sommes aussi les autres membres du christ, nous tous qui croyons en lui… Ainsi, « Dieu t’a béni », c’est-à-dire tes membres, et il a rempli de biens ton corps, « pour toujours », c’est-à-dire pour un temps infini[356].
Épouse
du Roi
Elle est aussi son épouse bien-aimée, la reine unie au Roi son Époux,
resplendissante de doctrines variées :
« La Reine se tient à ta droite, drapée de vêtements brodés d’or, de couleurs variées » (Ps 44, 10). Désormais, on parle de l’Église ; nous apprenons d’elle dans le cantique (6, 9) qu’elle est l’unique du Christ, sa parfaite, sa colombe, elle qui place à la droite du Christ ceux qui se sont fait reconnaître par leurs bonnes actions, les séparant des mauvais comme le berger sépare les brebis des boucs (cf. Mt 25, 32).
Elle se tient donc là, la reine, l’âme[357] unie au Verbe Époux, sur qui ne règne plus le péché, mais qui a sa part au Royaume du Christ ; elle est à la droite du Sauveur, en vêtements brodés d’or, c’est-à-dire dans des doctrines tissées d’intelligence spirituelle et variées, s’en parant elle-même avec magnificence, et comme il convient à une personne sainte. Et puisque les doctrines ne sont pas d’une seule sorte, mais variées et très diverses, embrassant des propos de morale, de physique et d’époptique[358], le verset dit donc que le vêtement de l’Épouse a des couleurs variées[359].
Fille
de Dieu, invitée à la contemplation
L’épouse du Fils est aussi fille du Père, qui l’appelle à contempler son
Époux et à garder ses commandements :
« Écoute, ma fille, et vois, et incline ton oreille » (Ps 44, 11). L’Église est invitée à écouter et à garder les commandements. Et par le nom qu’il lui donne, Dieu l’admet à sa familiarité, l’appelant sa « fille ». C’est comme s’il la faisait son enfant par la charité. « Écoute, ma fille, et vois ». Par ce mot : « vois », il lui apprend à exercer son intelligence à la contemplation. Considère la création, lui dit-il, et te servant de l’ordre que tu vois en elle, monte ensuite jusqu’à la contemplation du Créateur…
« Incline ton oreille », lui dit-il. Ne cours pas après les mythes venus de l’extérieur, mais reçois l’humble voix de la parole évangélique. Incline ton oreille vers cette doctrine…
« Oublie ton peuple et la maison de ton père » (Ps 44, 11). Rejette-moi, dit-il, les enseignements des démons, oublie les sacrifices, les rondes nocturnes, les mythes qui allument le feu de la prostitution et toutes sortes de mœurs dissolues. Si je t’ai appelée ma propre « fille », c’est pour que tu haïsses ton premier père qui t’a engendrée pour ta perte. Car si par l’oubli, tu effaces les taches de ses enseignements pervers, ayant recouvré ta propre beauté, tu apparaîtras désirable au Roi ton Époux…
« Toute la gloire de la fille du Roi », dit-il c’est-à-dire de l’épouse du Christ, devenue maintenant par adoption fille du Roi, « est au-dedans ». Ces paroles nous invitent à pénétrer dans les secrets intimes de la gloire de l’Église, puisque la beauté de l’épouse est « au-dedans »… [360]
L’Esprit
et l’Église[361]
Face à la nouvelle génération arienne présentant la Trinité selon le schème
néoplatonicien des émanations dégradées, saint Basile le Grand défend la divinité
du Fils dans Contre Eunome, puis
celle du Saint-Esprit dans le Traité du
Saint-Esprit (vers 375). Dans ce contexte, il évoque la vie de l’Église
comme une confession de l’Esprit. Cet Esprit dirige toute l’économie, des
origines à la fin des temps, entre lesquelles il existe une merveilleuse
continuité :
Le Père est le principe de tout ce qui est fait. Le Fils est l’artisan de cette création, et l’Esprit est la cause qui mène l’œuvre à son achèvement[362].
Dès la création, l’Esprit remplit l’univers[363].
Il remplit le Christ qu’il assiste dans toute son activité[364].
Il conduit l’Église, l’organise, la comble de ses
charismes :
Et l’organisation de l’Église ? N’est-ce pas, évidemment et sans contredit, l’œuvre de l’Esprit ? Car, suivant saint Paul, c’est lui qui a donné à l’Église, « premièrement des Apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite le don des miracles, puis des charismes de guérison, des secours, des gouvernements, des langues diverses » (1 Co 12, 38). L’Esprit distribue cet ordre-là suivant la répartition de ses dons[365].
Il lui révèle les mystères divins[366],
l’illuminant par l’Écriture, mais aussi par la Tradition[367] :
Parmi les doctrines et les définitions conservées dans l’Église, nous tenons les unes de l’enseignement écrit, et nous avons recueilli les autres, transmises secrètement, de la tradition apostolique. Toutes ont la même force au regard de la piété, nul n’en disconviendra, s’il a tant soit peu l’expérience des choses ecclésiastiques ; car, si nous essayions d’écarter les coutumes non écrites comme n’ayant pas grande force, nous porterions atteinte, à notre insu, à l’Évangile, sur les points essentiels eux-mêmes ; bien plus, nous transformerions la définition en un simple nom. Par exemple (pour rappeler ce qui vient en tout premier lieu[368] et dont l’usage est si commun), qui nous a enseigné par écrit à marquer du signe de la croix ceux qui espèrent en Notre Seigneur Jésus-Christ ? Quelle Écriture nous a appris à nous tourner vers l’Orient pour la prière ? Les paroles de l’épiclèse au moment de la consécration du pain eucharistique et de la coupe de bénédiction, quel saint nous les a laissées par écrit ? Nous ne nous contentons pas des paroles apportées par l’Apôtre et l’Évangile : avant et après, nous en prononçons d’autres, reçues de l’enseignement non écrit, parce qu’elles ont une grande importance pour le mystère…[369]
Il ramène tout l’univers, qu’il jugera, à son terme :
Comment penser que le jugement pourrait s’effectuer sans le Saint-Esprit, quand la Parole montre qu’il doit être la récompense des justes, lorsque le total aura été payé à la place des arrhes, et qu’il doit être aussi la première condamnation des pécheurs, quand ceux-ci seront dépouillés de cela même qu’ils paraissaient avoir ?[370]
Les
moines dans l’Église[371]
Dans son grand et son petit Askhtikon,
Basile insiste sur le lien qui unit le moine à l’Église. La séparation du
monde, d’ailleurs très concrète[372],
n’implique nullement une sécession d’avec la communauté ecclésiale. Basile met
les moines au service de tous, en leur confiant un immense hospice ;
d’autre part, loin de repousser les fidèles mariés, il tente plutôt de les
convaincre de participer, dans la mesure du possible, à l’indispensable
renoncement évangélique : mise en commun des biens au bénéfice des
pauvres, soumission aux commandements de Dieu, chasteté évangélique en tout
état de vie.
Saint Grégoire de Nazianze (vers 330-390)
Profond théologien de la Trinité[373],
orateur prestigieux et grand contemplatif, saint Grégoire de Nazianze, élevé
malgré lui au sacerdoce, puis à l’épiscopat, se déroba autant qu’il le put,
sans doute en raison de son extrême sensibilité et de son souci de perfection,
aux honneurs et aux luttes de la hiérarchie ecclésiastique, et finit par se
consacrer à la contemplation dans sa solitude d’Azianze. Son œuvre contient
cependant des éléments d’ecclésiologie dignes d’intérêt.
Unité
dans le Christ et divinisation
C’est chaque chrétien, en son moi le plus personnel, qui doit être assimilé
au Christ et à ses mystères, afin d’être divinisé ; mais par le fait même,
tous deviennent un dans le Christ, et telle est la fin de l’Incarnation
rédemptrice :
Il faut que je sois enseveli dans le Christ, que je ressuscite avec lui, que j’hérite avec lui du ciel, que je devienne fils de Dieu, que je devienne dieu…
Voilà ce qu’est pour nous le grand mystère, voilà ce qu’est pour nous le Dieu incarné, devenu pauvre pour nous. Il est venu relever la chair, sauver son image, réparer l’homme. Il est venu nous faire parfaitement un dans le Christ, dans le Christ qui est venu parfaitement et complètement en nous, pour mettre en nous tout ce qu’il est. Il n’y a plus d’homme ni de femme, de barbare ni de Scythe, d’esclave ni d’homme libre (Col 3, 11), caractéristiques de la chair. Il n’y a plus que la divine image que nous portons tous en nous, selon laquelle nous avons été créés, qu’il faut former et imprimer en nous, si fort qu’elle suffise à nous faire connaître[374].
Cette assimilation au Christ se réalise notamment par les fêtes chrétiennes, qui ne sont pas de
simples commémorations, mais nous rendent participants de chacun des mystères
du Sauveur :
Que de fêtes pour moi, en chacun des mystères du Christ ! Leur résumé à tous, c’est ma perfection, ma restauration, mon retour à l’innocence du premier Adam…
Célèbre donc la nativité, qui t’a délivré des liens de ta nativité ; honore la petite Bethléem, qui t’a conduit au ciel ; adore la crèche, par laquelle, privé de raison que tu étais, tu as été nourri par le Verbe…
Enfin, sois crucifié avec le Christ, sois mis à mort avec lui, sois enseveli avec lui, afin de ressusciter avec lui, d’être glorifié avec lui et de régner avec lui[375].
Hier, j’étais mis en croix avec le Christ, aujourd’hui, je suis glorifié avec lui ; hier, je mourais avec lui, aujourd’hui, je suis glorifié avec lui ; hier, je mourais avec lui, aujourd’hui, je suis vivifié avec lui ; hier, j’étais enseveli avec lui, aujourd’hui, je ressuscite avec lui…
Devenons comme le Christ, puisqu’aussi bien le Christ est devenu comme nous : devenons dieux à cause de lui, puisque lui est devenu homme à cause de nous[376].
Respect
de la hiérarchie et souci de l’unité
Le corps mystique cependant est pour lui bien visible, et est fermement
structuré par une hiérarchie de droit divin, pour la plus grande perfection de
tous et de chacun :
De même que dans un corps il y a un élément qui gouverne, ou, pour ainsi dire, dirige, et un autre est soumis et gouverné, de la même manière aussi Dieu, en vertu de la providence, avec laquelle il a tout assemblé, a établi que dans les Églises, les uns seraient conduits au pâturage et commandés (ceux à qui cela serait le plus utile), et seraient dirigés vers leur devoir par la parole et par le geste, mais que d’autres « seraient pour la coordination de l’Église pasteurs et maîtres » (Ep 4, 11) : ceux qui par leur vertu et leur familiarité avec Dieu s’élèveraient au-dessus de la multitude, comme l’âme par rapport au corps, et l’esprit par rapport à l’âme[377] ; et que ces deux éléments, c’est-à-dire ce qui est déficient et ce qui est surabondant, soient unis et se compénètrent comme des membres, qu’ils reçoivent cohésion et consistance de l’harmonie de l’esprit, pour produire au jour un seul corps ajusté et en tout point digne du Christ lui-même, notre Chef[378].
Aussi, si Grégoire aime l’Église, notre mère, dans son exemplaire céleste,
la Jérusalem d’en haut[379],
lui manifeste-t-il par ailleurs une déférence filiale dans sa hiérarchie,
dût-il en souffrir incompréhension et mauvais procédés. Il rappelle aux moines
révoltés contre Grégoire l’Ancien, son père, leur évêque, leur devoir
d’obéissance[380]. Autant il ne cachera
pas ses répugnances pour les cabales[381]
et les « jacasseries »[382],
autant il se taira sur les griefs que Basile pouvait avoir vis-à-vis du pape,
soucieux qu’il est de garantir l’unité de l’Église[383],
dans la fidélité au dogme reçu[384]
et le respect envers ceux qui en sont les gardiens, envers Pierre surtout,
colonne de l’Église[385],
et sur la foi de qui l’Église est fondée[386].
Cette unité de tout le corps est-elle en jeu ? Grégoire trouve des accents
émouvants qui empêcheront qu’on la blesse davantage :
Ô vous, autrefois membres du Christ, membres qui m’êtes chers, même si maintenant vous êtes corrompus, membres de ce troupeau, que vous avez trahi, presque avant de vous être assemblés… Comment avez-vous élevé autel contre autel ? Comment en êtes vous venus soudain à la désolation et à la dévastation ? Comment par cette séparation vous êtes-vous infligé à vous-mêmes la mort, et à nous une cuisante douleur ? Comment avez-vous abusé de la simplicité de votre pasteur pour la dissolution et la ruine du troupeau ?… Quel remède trouverai-je, pour effacer cette cicatrice ? De quel bandage panser cette blessure ? Comment réunir ce qui est disjoint ? Par quelles larmes, quelles paroles, quelles prières, porter remède à cette calamité ? [387]
Le
sacerdoce au service de la divinisation
Grégoire avait une idée des plus élevées du ministère sacerdotal. Dans l’Apologeticus de fuga, qui équivaut à un
traité complet du sacerdoce et inspirera saint Jean Chrysostome et saint
Grégoire le Grand, il en décrit longuement les caractères et les
responsabilités, pour se justifier d’avoir fui cette charge et expliquer son
retour :
Je suis vaincu, et j’avoue ma défaite. « Je me suis soumis au Seigneur, et je l’ai prié » (cf. Ps 36, 7)… Je produirai les choses telles qu’elles sont, et me montrerai un arbitre équitable entre l’une et l’autre partie, ceux qui nous accusent et ceux qui s’empressent de prendre fait et cause pour nous, m’accusant moi-même pour une part, et pour une part en présentant ma défense[388].
Responsabilité immense, « qu’un homme sensé juge d’autant plus
périlleuse qu’il est plus élevé et plus environné de dignité »[389],
car la conduite des âmes est « l’art des arts et le savoir des
savoirs »[390],
et celui qui le pratique doit être médecin autant que pasteur. Encore « la
médecine [des âmes] est-elle plus laborieuse, et de loin que celle qui s’exerce
sur les corps »[391],
car le malade parfois « (cache sa faute) au fond de son âme comme quelque
plaie infectée en profondeur ou quelque infection maligne », ou, dans sa
folie s’en prend à son médecin qu’il devrait chérir comme son bienfaiteur[392].
Il s’agit
d’élever l’âme, de l’arracher au monde, de la donner à Dieu, de conserver en elle l’image divine ou de la préserver si elle est en danger, ou encore de rétablir ce qui s’est dissipé ; de faire habiter le Christ dans les cœurs par l’Esprit (cf. Ep 3, 16-17) ; en un mot de faire dieu et de donner la béatitude céleste à celui qui a donné au ciel son allégeance[393].
Il évoque souvent dans son œuvre cet « ineffable mystère de piété qui
joint l’homme à Dieu et Dieu à l’homme »[394].
L’évêque, le prêtre, c’est
le défenseur de la vérité, celui qui se dressera avec les anges, qui glorifiera avec les archanges, qui partagera le sacerdoce du Christ, qui remodèlera la créature, qui présentera l’image, qui produira son œuvre pour le monde d’en-haut, et, qui plus est, sera dieu et fera des dieux[395].
Son intimité incomparable avec la « victime ressuscitée » exige
qu’il soit lui-même hostie vivante et s’applique uniquement à son ministère :
Nul n’est digne du Dieu suprême, à la fois victime et grand prêtre, s’il n’a commencé par s’offrir lui-même à Dieu en offrande vivante (Ro 12, 1), bien plus, s’il ne s’est pas fait le temple saint et vivant du Dieu vivant[396].
Qu’il soit à Dieu et à l’autel d’abord, comme Basile, le modèle des
pontifes[397] : il n’en aura que
plus de rayonnement pastoral[398]
auprès du troupeau que l’Esprit Saint lui confie[399].
Outre leurs fonctions de pères, docteurs, médecins et pontifes, évêques et
prêtres ont dans l’Église la charge pastorale de maintenir la paix, dans la
variété des charismes et des vocations[400],
afin que tous puissent s’assimiler à Dieu dans la charité. Grégoire consacre à
ce thème ses trois « Discours iréniques » [401] :
Paix bien-aimée ! Objet de mes soins et de ma fierté !… Si l’on nous posait la question : « Quel est l’objet de votre culte et de votre adoration ? », nous dirions sans hésiter : « La charité », car « notre Dieu est charité »[402]…
Saint Grégoire de Nysse (vers 335-394)[403]
Saint Grégoire de Nysse ne se montra ni grand administrateur et législateur
monastique, comme son frère aîné Basile, ni brillant orateur, comme leur ami
Grégoire de Nazianze. Il brilla surtout par sa puissance, sa hardiesse et sa
profondeur spéculatives. Mais il a aussi joué un rôle notable dans l’histoire
ecclésiastique[404],
à titre d’évêque de Nysse et de collaborateur de Basile, de conciliateur entre
eusthatiens et méléciens lors du concile de Constantinople, puis de conseiller
de Théodose, de 381 à 386. Il se consacrera ensuite à compléter l’œuvre
monastique de son frère. Relevons ici quelques aspects de son ecclésiologie,
liée, comme sa théologie, à ses positions philosophiques[405].
Le
corps mystique
Nous reviendrons plus loin sur sa doctrine du corps mystique, liée à sa
conception de l’unité concrète de la nature humaine : les limites entre
l’humanité individuelle du Christ et l’humanité totale tendant parfois à s’y
estomper, au point qu’Harnack a pu lui prêter la conception d’une Incarnation
du Christ dans la nature humaine tout entière :
Il fallait ramener de la mort à la vie la nature entière. Dieu s’est donc penché sur notre cadavre, afin de tendre, pour ainsi dire, la main à l’être qui gisait ; il s’est approché de la mort jusqu’à prendre contact avec l’état de cadavre et à fournir à la nature, au moyen de son propre corps, le point de départ de la résurrection, en ressuscitant l’homme tout entier par sa puissance[406].
Comment le Verbe ressuscite-t-il donc la nature entière par la résurrection
de son propre corps ?
L’homme en qui Dieu s’était incarné, l’homme qui avait été élevé par la résurrection à la divinité, n’était tiré que de notre limon. Or, de même que dans notre corps, l’activité d’un seul des sens entraîne une sensation commune pour l’ensemble de l’organisme uni au membre, de même la nature tout entière, formant pour ainsi dire un seul être vivant : la résurrection d’un membre s’étend à tout l’ensemble et la partie se communique au tout, en vertu de la continuité et de l’unité de la nature[407].
Comme Origène, il applique au corps mystique le verset de l’Apôtre, souvent
allégué par les ariens : « le Fils sera lui-même soumis à celui qui
lui a soumis toutes choses » (1 Co 15, 28). Quand nous sommes soumis à
Dieu, le Christ notre Chef l’est en nous :
Rattachés tous à l’unique corps du Christ par participation, nous devenons un seul corps : le sien. Quand tous nous serons parfaits et unis à Dieu, alors tout le corps du Christ sera soumis à la vertu vivifiante (de Dieu). La soumission de ce corps est appelée la soumission du Fils lui-même, car celui-ci est mêlé à son corps qui est l’Église[408].
Le corps du Christ s’accroît jusqu’à sa pleine stature par son extension à
de nouveaux membres, réalisée essentiellement par le baptême et
l’eucharistie :
Pour que par la chair assumée par le Christ et divinisée en lui, tout ce qui lui est apparenté et congénère soit sauvé, il fallait inventer un moyen qui opère une sorte de connaturalisation et d’assimilation de celui qui suit à celui qui inaugure[409]….
Ainsi le Christ s’édifie lui-même par ceux qui s’agrègent continuellement à la foi. Il cessera de s’édifier quand la croissance et la perfection de son corps aura atteint sa propre mesure. Si donc, étant lui-même la Tête, il édifie progressivement son corps par ceux qui surviennent sans cesse, les coordonnant et les adaptant tous à ce à quoi chacun est ordonné, selon sa mesure de grâce, en sorte d’être main, pied, œil, oreille ou quelque autre des choses qui complètent le corps, et qu’en faisant cela il s’édifie lui-même, il est clair par là que devenant tout en tous il transforme en lui tous ceux qui lui sont unis par la communion de son propre corps, en sorte que les membres sont nombreux mais le corps unique[410].
Le
culte chrétien
Les ariens dépréciaient les sacrements, voyant dans le christianisme une
pure question de doctrine, et rendant vains les sacrements :
Nous, suivant les hommes saints et bienheureux, ce n’est ni dans la vénération des noms, ni dans la propriété des rites et des sacrements que nous plaçons l’essentiel du mystère de la religion, mais dans l’exactitude des doctrines[411].
Par réaction, Grégoire accorde une grande importance aux sacrements, et se
présente comme un témoin privilégié de l’histoire de la liturgie au ive siècle. Nous en
reparlerons quand nous étudierons l’histoire des sacrements chrétiens.
Excursus : Les
Pères cappadociens et le schisme d’Antioche
Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze ont été mêlés étroitement à un
épisode pénible, et historiquement presque inextricable, des luttes religieuses
du ive siècle :
le fait que l’évêque Mélèce, qui figure au martyrologe romain, se trouva
quelque temps séparé de la communion romaine. Il est piquant que cette question
ait été soulevée, lors du schisme d’Écône, par d’ardents défenseurs de
l’orthodoxie, après l’avoir été en d’autres temps par des théologiens qui
passaient pour libéraux.
Les
faits
En 360, à la mort de l’évêque arien Eudoxe, qui avait succédé au Nicéen
Eusthate, il existait chez les chrétiens d’Antioche trois groupes
séparés :
—
les purs Nicéens (« Eusthatiens » ou homoousiens), dirigés par le
prêtre Paulin et appuyés par saint Athanase ;
—
les ariens (anoméens) ;
—
un tiers parti, qui rejetait l’erreur arienne sans accepter la formule de
Nicée, et se divisait entre homéens (semi-ariens hérétiques) et homéousiens, plus
proches de l’orthodoxie.
à l’instigation
d’Acace de Césarée, chef de ce tiers parti, le clergé et le peuple élurent,
très régulièrement, Mélèce, homme modéré et pacifique, qui fut accueilli avec
enthousiasme par la majorité de la population mais rejeté par les anoméens
(ariens) et les eusthatiens
(Nicéens intransigeants).
De fait, la coalition qui l’avait porté sur le siège patriarcal contenait
des hérétiques, et tout n’apparaissait pas clair dans son passé : saint
Épiphane le considérait, à tort ou à raison, comme homéen, et insinue qu’il
avait signé la formule de Séleucie, rejetée par saint Athanase et saint
Hilaire. Pourtant, le nouveau patriarche prouva bientôt son orthodoxie par un
discours — conservé par Épiphane — qui professait le contenu de la foi de Nicée
sans en employer les termes, et répudiait tout ce qui frisait l’arianisme.
Bientôt reconnu par tout l’Orient, « le divin Mélèce », selon
l’expresssion de Théodoret, compta parmi les membres de sa communauté Diodore
de Tarse et Théodore de Mopsueste, qui s’égareront sur plusieurs points de
doctrine, mais aussi saint Jean Chrysostome. Il était lié d’amitié avec saint
Basile et saint Grégoire de Nysse, qui prononcera son éloge funèbre[412].
Exilé à Mélitène par l’empereur Constance qui avait assisté à son courageux
sermon, Mélèce fut remplacé à Antioche par un arien, et n’y put rentrer qu’en
362. Ses partisans se séparèrent des hérétiques, mais l’animosité subsistait
entre les deux communautés orthodoxes : partisans de Mélèce et du prêtre
Paulin, ami de saint Jérôme. Sagement, Athanase délégua saint Eusèbe de Verceil
et Asterus de Petra, en les engageant à ne pas présenter d’exigences
déraisonnables, pour tenter la réunion de tous les catholiques. Mais à leur
arrivée à Antioche, l’irréparable était consommé : le Nicéen forcené
Lucifer de Cagliari avait, de sa propre impulsion, sacré Paulin évêque, malgré
ses résistances. Eusèbe ne put que constater l’imbroglio et repartit sans être
entré en communion avec aucun des deux évêques.
Peu après, Athanase offrit à Mélèce d’entrer en communion avec lui. Mal
conseillé, Mélèce refusa — lourde faute, de l’aveu de saint Basile. Saint
Athanase se tourna alors vers Paulin et, très influent à Rome, persuada Libère
de l’accueillir dans sa communion. Le successeur d’Athanase, Pierre
d’Alexandrie, ne cessera de présenter Mélèce à saint Damase comme un hérétique.
En réalité, les exils successifs du patriarche, les décisions du concile
d’Antioche (363) expliquant omoousioV par omoiousioV, prouvaient déjà l’évolution de l’ancien ami
d’Acace vers l’intégrité de la foi de Nicée. On ne s’étonnera donc pas que
saint Basile, si soucieux d’orthodoxie, mais conscient de la nécessité d’unir
tous les vrais fidèles face au renouveau de la persécution arienne, ait déployé
près de dix ans d’efforts pour convaincre le pape, qui ne recevait ses
informations que des partisans de Paulin, de se renseigner plus complètement
sur les affaires d’Antioche.
Longtemps en vain : en 378 encore, saint Jérôme embrassait contre
« l’impie Mélèce » la cause de Paulin, qui l’ordonna prêtre. Malgré
ses lenteurs, pourtant, qui mettaient la patience de Basile à rude épreuve[413],
saint Damase n’affirmait pas non plus qu’il retranchait
Mélèce de sa communion.
Finalement, après la mort de Valens (378) et l’avènement de Théodose,
empereur catholique, conseillé par Basile puis par Grégoire de Nysse avant de
l’être par Ambroise, Mélèce put rentrer d’un dernier exil. Il réunit un synode
de cent cinquante évêques, qui souscrivit à la foi formulée par la lettre Confidimus quidem du pontife romain. Les
autorités civiles lui confièrent officiellement l’Église d’Antioche, et, la
communion avec Rome fut rétablie[414].
Mélèce mourut pendant le concile de Constantinople, qu’il présidait (381). Ses
obsèques furent triomphales.
Saint Grégoire de Nazianze, son ami, qui avait des contacts avec
Alexandrie, où il avait fait ses études, et qui avait Jérôme auprès de lui,
engagea les Antiochiens, sans doute d’accord avec Rome, à laisser le siège
patriarcal à Paulin. Mais Flavien, soutenu par les Orientaux, fut élu, et le
schisme se prolongea encore vingt ans.
Leur
interprétation
Comment interpréter ces faits à première vue déconcertants ? Ce serait
un grave anachronisme d’en juger selon nos conceptions actuelles des
institutions ecclésiastiques.
Autonomie
des Églises orientales
Ils s’expliquent en partie, d’un point de vue juridique, par les trois
régimes canoniques simultanés qui régissaient l’Église des premiers siècles[415].
Très étroite dans les diocèses suburbicaires, dépourvus de métropolitain et de
concile provincial, la primauté romaine était reconnue par tout l’Occident.
Quant à l’Orient, il jouissait d’un régime singulièrement plus élastique,
surtout les sièges patriarcaux d’Alexandrie, Antioche et plus tard Byzance.
Autonomie accentuée après la paix constantinienne par les intrusions du pouvoir
séculier dans les affaires de l’Église, que l’empereur fût hérétique comme
Constance ou orthodoxe comme Théodose, qui restaura l’orthodoxie en Orient par
ses propres moyens. Les papes s’accommodaient de cette situation, se réservant
seulement d’accorder ou de refuser leur communion. Et les efforts de Basile
pour amener Damase à exprimer sa communion avec Mélèce prouvent l’importance
que l’Orient attachait, malgré tout, à celle-ci.
Rivalités
et incompréhensions
Par ailleurs, les Églises tendaient à se regrouper autour des métropoles,
constituant ainsi les futurs patriarcats. Le schisme d’Antioche, avec
l’interférence d’évêques venus d’autres Églises, se rattache à la rivalité qui
opposa, pendant des siècles, le second siège patriarcal, celui d’Alexandrie,
lié traditionnellement à Rome[416],
et le troisième, celui d’Antioche, « carrefour des hérésies »[417].
Or l’école d’Antioche et celle d’Alexandrie, pour des raisons linguistiques et
culturelles, usaient de méthodes et d’un vocabulaire théologique différents,
entraînant des incompréhensions presque insurmontables : alors que
Tertullien avait fixé dès la fin du second siècle la terminologie relative à la
Trinité et à l’Incarnation, les Coptes et les Syriens n’entendaient pas dans le
même sens upostasiV,
ousia, fusiV, et pouvaient, comme le reconnaissait Athanase dès
362, exprimer la même foi trinitaire en plaçant dans la Trinité, comme les
Alexandrins, une seule « hypostase » (au sens de nature) ou, comme les
Antiochiens, trois (au sens de personnes). On voit dans la lettre 15e
de saint Jérôme à saint Damase ses perplexités au sujet de l’expression en
usage chez les Orientaux : « trois hypostases », qu’il
traduisait, littéralement, par « trois substances », et l’on conçoit
que les Latins, peu familiarisés avec les subtilités d’un vocabulaire
théologique grec en pleine évolution et par ailleurs méfiants vis-à-vis de
Mélèce en raison de son passé, n’aient pas saisi d’emblée toutes les données du
problème.
Oppositions
de personnes
Enfin, il s’agissait sans doute plus encore, entre les deux communautés
orthodoxes d’Antioche, d’oppositions de personnes que de difficultés de
principe. Finalement, tous les principaux protagonistes de l’affaire — Mélèce
et Paulin, Damase, Athanase et Eusèbe de Verceil, les trois Cappadociens — sont
honorés dans l’Église comme saints. Seul le malheureux Lucifer, intégriste
impénitent, finira par tomber dans le schisme. Dans ces conditions,
« comment ne pas reconnaître ici, tout simplement, un de ces nombreux
problèmes dont il faut attendre la solution du temps, et aussi de la bonne
volonté et de la souplesse des hommes ? »[418]
Saint Épiphane de Salamine (vers 315-403)
Avant de quitter l’Orient du ive
siècle, citons une belle hymne de saint Épiphane, ami de saint Jérôme et auteur
du Panarion ou « boîte à
remèdes », en latin De hæresibus,
où le moine-évêque se propose d’apporter un antidote à ceux qui ont été mordus
par le serpent de l’hérésie — il en recense quatre-vingt, comme les concubines
de Salomon —, et d’en protéger les autres. Elle applique à l’Église les images
bibliques — tirées du Cantique des
cantiques surtout — que notre liturgie applique à Marie. Elle montre dans
l’Église l’épouse bien aimée du Christ Roi, immaculée malgré les péchés de ses
enfants, le lieu de la saine doctrine et le port du salut :
Viens du Liban, ô épouse, tu es toute belle, il n’est point de tache en toi.
Ô Paradis du grand Architecte, cité du Roi saint, fiancée du Christ immaculé, Vierge très pure, promise dans la foi à l’unique Époux, tu rayonnes et tu brilles comme l’aurore.
Tu es belle comme la lune, pure comme le soleil, redoutable comme une armée rangée en bataille.
Les reines te proclament bienheureuse, les femmes te célèbrent, et les jeunes filles louent ta beauté.
Tu montes du désert, brillante d’une éblouissante clarté, tu avances enveloppée de parfums.
Tu montes du désert, comme une colonne de fumée exhalant la myrrhe et l’encens, avec tous les aromates du parfumeur, qui répandent la plus suave des odeurs. Celui qui l’avait annoncé disait : Tes parfums ont une odeur suave, aussi toutes les jeunes filles t’ont-elles aimée.
Tu as pris place à la droite du Roi, vêtue d’une robe éblouissante, tissée de l’or le plus pur.
Tu as été noire un jour, aujourd’hui tu es belle et toute blanche.
Quand nous venons auprès de toi, nous oublions toutes les tristes épreuves des hérésies et nous nous reposons auprès de toi des tempêtes qui agitent les flots, ô sainte mère Église, et nous reprenons cœur, dans ta doctrine sainte, dans la seule foi et la vérité de Dieu[419].
Saint Hilaire
de Poitiers (évêque vers 350 ; † 366)
Il nous faut retourner légèrement en arrière, d’un point de vue
chronologique, pour passer en Occident avec saint Hilaire de Poitiers. Encore
la doctrine de l’Athanase de l’Occident dépend-elle si étroitement de celle des
Pères grecs qu’Émile Mersch, dans Le
corps mystique du Christ, le place parmi ceux-ci,
entre saint Athanase et les Cappadociens.
Amour
et confiance envers l’Église
Tous les écrits d’Hilaire respirent un amour filial, enthousiaste, une
confiance sans faille envers l’Église. Il proclame son origine apostolique, et
ne doute pas un instant de son triomphe final, malgré « la subtilité
hérétique » qui « s’est servie contre nous de nos doctrines, a
combattu la foi de l’Église au moyen de la foi de l’Église »[420] :
Pourtant l’Église, je l’espère, lancera la lumière de sa doctrine même sur la fausse sagesse de ce monde, si bien que ce dernier, même s’il n’accueille pas le mystère de la foi, se rende compte du moins que nous prêchons authentiquement ce mystère face aux hérétiques[421]…
Seule l’unique Église, à laquelle Christ a « confié la tâche de le
prêcher »[422],
accueille toute la Révélation, interprétant les textes de manière
« symphonique », alors que les hérétiques n’en reçoivent, en vertu de
leurs idées a prori, que des
fragments divers, qu’ils opposent les uns aux autres. Bien plus, les hérésies
elles-mêmes contribuent à sa croissance :
Tel est en effet le propre de l’Église : quand elle est meurtrie, c’est alors qu’elle est victorieuse, quand on argumente contre elle, c’est alors qu’elle se fait comprendre, quand on l’abandonne, c’est alors qu’elle s’affirme. Elle voudrait certes garder tout le monde avec elle et en elle, ne point rejeter hors de son sein très paisible, ne point égarer les autres — ceux qui deviennent indignes d’habiter en une telle mère. … Effectivement, l’Église instituée par le Seigneur et confirmée par les Apôtres est l’Église unique de tous, elle dont sont coupées l’erreur et la démence des diverses sortes d’impiété. Et il est indéniable que le désaccord est né du vice des interprétations perverses de la foi, de ce qu’on adapte et lit avec ses idées, au lieu que les idées soient dociles au texte[423]. Avec cela cependant, lors de l’affrontement des partis entre eux, on reconnaîtra l’Église, non seulement à ses propres doctrines, mais à celles des partis qui s’affrontent ; si bien que tous s’opposant à elle seule, elle réfute bel et bien l’erreur très impie de tous par le fait qu’elle est seule et unique.
Les hérétiques marchent tous contre l’Église, mais en triomphant tous les uns des autres, ils ne triomphent pas pour eux. Leur triomphe, en effet, est la victoire de l’Église sur eux tous, car une hérésie en combat une autre sur le point que la foi de l’Église condamne dans cette hérésie. Car entre hérétiques, il n’est pas de biens communs. Dans ces conditions, en s’affrontant entre eux, ils affermissent notre foi[424].
L’Église
fondée sur Pierre
Cette Église indéfectible repose sur Pierre, « à qui [le Christ] avait
donné les clés du royaume céleste, sur lequel il devait édifier l’Église contre
laquelle les portes de l’enfer ne devaient pas prévaloir… le premier confesseur
du Fils de Dieu, le fondement de l’Église, le portier du royaume céleste, et le
juge dont le jugement sur la terre devait valoir dans le ciel »[425].
Dès ses commentaires sur saint Matthieu, l’évêque de Poitiers ne tarit pas
d éloges sur cette « pierre digne de porter l’édifice »[426].
L’attachement d’Hilaire à la chaire de Pierre est inséparable de son
attachement à la « foi proclamée par Pierre »[427] :
La confession de Pierre obtint pleinement la récompense qu’il méritait pour avoir vu dans l’homme le Fils de Dieu. Bienheureux, il l’est, loué pour avoir étendu sa vue au-delà des yeux humains, ne regardant pas ce qui venait de la chair et du sang, mais contemplant le Fils de Dieu révélé par le Père céleste, et jugé digne de reconnaître le premier ce qui dans le Christ était de Dieu. Ô fondement qu’il a la chance de donner à l’Église, au titre de son nom nouveau, et pierre digne de l’édifier, de façon qu’elle brise les lois de l’enfer, les portes du tartare et toutes les prisons de la mort ![428] ô bienheureux portier du ciel, au jugement de qui sont remises les clés de l’accès à l’éternité : sa sentence sur terre fait d’avance autorité au ciel, en sorte que ce qui a été lié ou délié sur terre obtienne au ciel aussi la condition d’un statut identique[429].
Il ne tient pas un autre langage dans le De Trinitate, où il argumente à partir des privilèges accordés à
Pierre pour démontrer la divinité du Verbe. La vraie foi, c’est celle qui
« a les clés du royaume des cieux » :
C’est sur la pierre de cette confession que l’Église est construite… Voilà la foi qui est le fondement de l’Église. Voilà la foi qui laisse sans force en face de l’Église les portes de l’enfer. Voilà la foi qui a les clés du royaume des cieux. Voilà la foi qui est le don d’une révélation du Père…
Ô délire impie d’une sottise misérable, qui ne comprends pas le martyr à la vieillesse et à la foi bienheureuses — ce Pierre, martyr pour qui le Père a été prié, afin que sa foi ne défaille point dans la tentation (cf. Lc 22, 31-32), lui qui, venant de répéter la profession d’amour pour Dieu qui lui était demandée, a gémi de se voir encore éprouver par une troisième question, comme s’il était incertain et hésitant, qui, de ce fait, après cette troisième mise à l’épreuve purifiante, a mérité aussi de s’entendre dire trois fois par le Seigneur : « Pais mes brebis ». Lui qui, au moment où tous les Apôtres se taisaient, a discerné par une révélation du Père le Fils de Dieu et mérité une gloire suréminente, passant les limites de l’humaine faiblesse, grâce à sa glorieuse confession de foi… Voilà la révélation du Père, voilà le fondement de l’Église, voilà l’assurance d’éternité, securitas æternitatis. Voilà pourquoi il détient les clés du royaume, pourquoi ses jugements sur terre sont jugements aux cieux…
Oui, qu’autre soit la foi si les clés du royaume sont autres. Qu’autre soit la foi, s’il doit y avoir une autre Église contre laquelle ne prévaudront point les portes de l’enfer. Qu’autre soit la foi, si un autre collège apostolique doit lier et délier au ciel ce qui par lui fut lié et délié sur la terre. Mais si seule cette foi qui a confessé le Christ Fils de Dieu a mérité en la personne de Pierre la gloire de toutes les béatitudes, inévitablement une foi qui préférera confesser le Christ comme une créature issue du néant n’aura pas reçu les clés du royaume des cieux : tenue à l’écart de la foi et des pouvoirs apostoliques, elle ne sera ni Église, ni au Christ[430].
Hilaire n’ignore pas non plus que les prérogatives de Pierre sont passées à son successeur, chef visible (caput) de l’Église. S’il déplore
amèrement la défaillance de Libère[431], il s’indigne plus encore, on l’a vu, des
violences de l’empereur contre lui. Il cite avec complaisance les paroles du
concile de Sardiques :
C’est une chose excellente et souverainement convenable que, dans toutes les provinces, les prêtres du Seigneur en réfèrent à la Tête, c’est-à-dire au siège de l’Apôtre Pierre[432].
Liberté
de l’Église par rapport au pouvoir civil
Au ive siècle, le
pouvoir impérial tend à empiéter sur la liberté de l’Église dont Pierre est la
garant. Mais ce n’est pas sur les puissants de ce siècle que l’Église doit
appuyer sa prédication :
Je vous le demande, évêques qui vous croyez tels, de quels patronages ont usé les Apôtres pour la prédication de l’Évangile ? Sur quelles puissances s’appuyaient-ils pour prêcher le Christ, et pour faire passer presque toutes les nations du culte des idoles au culte du vrai Dieu ?…Lorsque les Apôtres se nourrissaient du travail de leurs mains, qu’ils s’assemblaient en secret dans les chambres hautes, qu’ils parcouraient les villes, les bourgades et toutes les nations, malgré les senatus consultes et les édits des rois, faut-il croire qu’ils n’avaient pas les portes du ciel ? Ou plutôt, n’est-ce pas alors que la vertu de Dieu se manifestait contre la haine des hommes, alors que la prédication de l’Évangile devint d’autant plus puissante qu’elle était plus entravée ?
Unité
de l’Église et corps mystique
Les
conditions de l’unité
Hilaire a reçu de Cyprien un sens très vif de la paix et de l’unité, mais
il faut bien s’entendre : il n’est pas question de sacrifier la vérité à
une paix trompeuse avec les hérétiques :
C’est un beau nom que celui de la paix, et l’idée de l’unité est belle. Mais qui donc oserait soutenir que cette paix qui vient du Christ se trouve hors de l’union à l’Église et à l’Évangile ? Cette paix, le Sauveur en entretenait les Apôtres après sa glorieuse passion, il la leur laissait comme gage de son immuable commandement…[433]
La paix ne peut provenir que de l’unique foi véritable, la foi de notre
baptême. C’est pour elle qu’Hilaire affronte l’hérésie :
Que je garde toujours ce que j’ai affirmé dans un symbole proclamé lors de la nouvelle naissance, lorsque j’ai été baptisé dans le Père, le Fils et l’Esprit Saint ![434]
« Le
sacrement du Christ en nous »
Surtout, si l’Église est une, c’est qu’elle est le corps du Christ. Par
l’Incarnation, pour Hilaire comme pour Athanase et les Cappadociens, mais avec
un réalisme tout particulier, le Christ prend de quelque manière en lui-même
toute l’humanité, l’y « fait entrer », l’y « transporte » pour
l’y « contenir », l’y faire « habiter » :
Il y avait en Jésus-Christ tout homme[435]. Aussi son corps, instrument du Verbe, a-t-il accompli en lui-même tout le mystère de notre rédemption[436].
Si bien que, par ce corps, se trouve contenue en lui toute l’humanité. Par cette sorte de réunion en lui de tous les hommes, il est comme une ville, et nous, par notre union à sa chair, nous sommes les habitants[437].
Il nous renouvelle pour une vie nouvelle, et nous transforme en un homme nouveau, nous établissant dans son corps de chair. C’est lui-même qui est l’Église, la contenant tout entière en lui par le sacrement de son corps[438].
Telle est la signification ultime de la parabole de la brebis perdue :
La brebis unique doit s’entendre de l’homme, et sous l’homme unique il faut voir l’ensemble des hommes. Mais dans l’égarement du seul Adam toute l’humanité s’est égarée. Donc les quatre-vingt dix neuf qui ne s’égarent pas doivent être considérés comme la multitude des anges célestes, à laquelle, au milieu de la plus grande joie, l’homme égaré a été ramené dans le corps du Seigneur, errans homo in Domini corpore est relatus[439].
Donc, par la conjonction de la chair assumée, nous sommes dans le Christ ; et tel est le mystère de Dieu caché depuis le siècles et les générations en Dieu, qui vient à présent d’être révélé à ses saints : nous sommes participants d’un même héritage, d’un même corps, et d’une même promesse dans le Christ. Donc l’entrée dans le Christ est ouverte à tous, par l’union avec sa chair … Lui transportera leur humilité dans la gloire de sa chair, à condition que, résistant aux passions et se purifiant de leurs souillures, ils se souviennent de n’avoir plus après le baptême d’autre chair que celle du Christ[440].
Il ne s’agit pas d’une unité purement morale : c’est « le
sacrement du Christ en nous »[441],
réalisé en nous à un double titre : radicalement, par l’Incarnation, et
effectivement, par le baptême et l’eucharistie :
Ceux qui sont nés de nouveau… ont été régénérés en vue d’une vie et d’une éternité à la nature unique (lit. : pour une nature d’une vie et d’une éternité uniques), grâce à quoi leurs âmes et leurs cœurs ne font qu’un[442].
L’Apôtre enseigne que cette unité des fidèles provient de la nature des mystères (ou : des sacrements), quand il écrit aux Galates : « Vous tous en effet qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a parmi vous ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme. Tous en effet vous êtes un dans le Christ Jésus » (Gal 3, 27-28). Qu’ils soient un au milieu d’une si grande diversité de nationalité, de condition, et de sexe, cela vient-il de l’accord des volontés, par hasard, ou bien de l’unité dans le mystère, du fait qu’il y a un seul baptême, et que tous ont revêtu l’unique Christ ? Que viendrait donc faire ici la concorde entre les âmes, alors qu’ils sont un parce que par la réalité, naturam, d’un seul baptême, ils ont revêtu un seul Christ ?[443]
Du caractère réaliste de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie,
admis universellement, l’évêque de Poitiers déduit la réalité de notre union au
Christ, et de là la consubstantialité des personnes divines :
Si le Verbe est vraiment devenu chair et si nous consommons vraiment le Verbe fait chair en l’aliment du Seigneur, comment penser qu’il ne demeure pas en nous selon la nature[444], celui qui, né homme, assuma de manière désormais inséparable notre nature de chair et mêla sa nature de chair à la nature éternelle dans le mystère de la chair à laquelle nous devons communier ? C’est ainsi que nous sommes tous un, en effet : parce que le Père est dans le Christ et le Christ est en nous[445].
Le
corps mystique dans son accomplissement eschatologique
Comme beaucoup de Pères du ive
siècle, l’évêque de Poitiers s’interroge sur la soumission du Christ à son Père
et la remise qu’il lui fait de son royaume. Contre l’interprétation arienne de
ce passage, il y montre l’accomplissement ultime de l’économie du corps
mystique. Le royaume du Christ, c’est nous :
Le Christ « remettra donc son royaume à son Père » (1
Co 15, 24), non pas en ce sens qu’il renoncera à sa puissance par cette remise
du royaume, mais parce que c’est nous qui, rendus conformes à la gloire de son
corps, serons le royaume de Dieu… C’est nous qu’il remettra à Dieu, après nous
avoir constitués « royaume de Dieu » par la glorification de son corps…
Et en quoi consiste ce royaume, nous l’apprenons de la bouche du Seigneur
lui-même lorsqu’il déclare aux Apôtres : « le royaume de Dieu est
au-dedans de vous » (Lc 17, 21)... Tout ce que nous avons dit concernant
la question soulevée ici (la mort, la résurrection et la soumission au Père) se
rapporte au mystère du corps du Christ, car le Christ est prémices d’entre les
morts… Mort et résurrection découlent uniquement du plan divin par lequel le
Christ est chair[446].
Cité
construite et gardée par Dieu
Très sensible à l’inhabitation de Dieu dans les âmes, mais aussi conscient
de la dimension visible, sacramentelle et historique de l’Église, Hilaire voit
encore en elle la Sion définitive élue par Dieu pour sa demeure, « le
siège éternel du Seigneur », sa maison, son temple, sa cité, édifiée par
lui sur le fondement apostolique par les sacrements, dans l’unité, ornée par
lui, gardée par lui, dès le temps de l’ancienne alliance, et jusqu’à la
consommation du siècle :
« Le Seigneur a choisi Sion, il l’a élue dans sa prédilection pour y habiter »… Il a choisi cette sainte Sion, cette Jérusalem céleste, c’est-à-dire l’assemblée unie par la concorde, concordem, des fidèles et les âmes sanctifiées par les sacrements de l’Église, afin qu’y repose, comme dans une maison raisonnable, intelligente, purifiée et éternelle par la gloire de la résurrection, la nature raisonnable, intelligente, sans souillure et éternelle de l’ineffable divinité[447].
Dieu avait choisi Sion pour sa demeure, pour le lieu de son repos. Voici que Sion est détruite. Où sera le siège éternel du Seigneur ? Où, son éternel repos ? Où, le temple qu’il puisse habiter ? « Vous êtes, dit l’Apôtre, le Temple de Dieu, et l’Esprit de Dieu habite en vous ». Telle est cette maison, tel est ce temple auquel le prophète a rendu témoignage : « Ton temple est saint, Seigneur, il est admirable de justice ».
Dieu doit donc bâtir sa maison. Ses fondements doivent reposer sur les prophètes et sur les Apôtres, ses murs doivent s’élever en pierres vivantes, la Pierre angulaire doit lui donner son équilibre. Elle doit se dresser, par les progrès de ses matériaux fortement unis, jusqu’à la taille de l’homme parfait, jusqu’à la mesure du corps du Christ. La grâce et la beauté des dons spirituels doivent faire son ornement. Israël est maintenant captif, mais lorsque la plénitude des gentils sera venue, il poursuivra la construction de sa maison. Alors, les travaux se multipliant, cette maison se développera en une multitude de maisons, elle deviendra une grande et magnifique cité.
Déjà, c’est cette cité dont le Seigneur se fait le gardien vigilant, lorsqu’il protège Abraham en ses voyages, lorsqu’il épargne Isaac sur le point d’être immolé, lorsqu’il appelle au pouvoir Joseph qu’on avait vendu, lorsqu’il fortifie Moïse dans sa lutte contre le pharaon… lorsqu’il instruit Joseph par un ange sur sa conception virginale, lorsqu’il rassure Marie, lorsqu’il envoie Jean comme précurseur, lorsqu’il fait le choix des Apôtres, lorsqu’il prie le Père en disant : « Père saint, garde-les », lorsqu’enfin lui-même, après sa passion, promet de veiller éternellement sur nous, disant : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle ». Telle est la garde éternelle de cette bienheureuse et sainte Cité, qui, faite d’un grand nombre venus se rassembler en un, et dans chacun de nous, forme une cité pour Dieu[448].
Saint Optat de Milève
Entre saint Cyprien et saint Augustin, mais à des dates incertaines, il
faut s’arrêter un moment à saint Optat de Milève, évêque africain très vénéré
de ses contemporains[449],
auteur d’un traité Contre les Donatistes,
mentionné par saint Jérôme et saint Augustin, et présentant un intérêt
ecclésiologique remarquable. Dans sa première version, cet écrit fut rédigé,
dit l’auteur « plus de soixante ans après le début de la persécution de
Dioclétien et de Maximin en Afrique », « sous le règne de Valentinien
et Valens »[450],
précise Jérôme, donc entre la fin de 364 et le début de 367. Une seconde
édition y ajouta un viie
livre et quelques additions de détail.
Circonstances
de la composition du traité
Lors de la persécution de Dioclétien, quelques évêques catholiques avaient
été accusés d’avoir livré les livres saints aux païens (d’où le nom de traditores). Après l’élection, confirmée
par l’empereur, du modéré Cécilien comme évêque de Carthage, le schisme de
Donat, associant l’Église romaine à sa haine du pouvoir romain, déchira
l’Afrique, et spécialement la Numidie, fief des donatistes. En 336, Donat
publiait une Epistola de baptismo,
soutenant que les catholiques, privés de la grâce, ne pouvaient baptiser
validement, d’où la nécessité de rebaptiser les catholiques passés au
donatisme. En 347, les schismatiques furent exilés, mais Julien l’Apostat les
autorisa à rentrer en Afrique, et après la mort de celui-ci leur présence fut
tolérée. Ils se livrèrent à mille violences, refusant tout dialogue avec les
catholiques[451]. L’un des leurs,
Parménien, écrivit un traité non dénué de talent, usant d’arguments
historiques, théologiques et scripturaires, en cinq livres[452] :
I.
Le baptême
II.
L’unité de l’Église.
III.
Attaques contre les traditores.
IV.
Attaques contre les « artisans de l’unité », commissaires
impériaux envoyés par Constant en 347.
V.
Commentaire de passages bibliques contre les pécheurs, assimilés aux
catholiques.
Plan :
l’histoire au service de la doctrine
Les catholiques demandèrent à leur évêque de réfuter à ce libelle, qui
avait eu un grand retentissement en Afrique. La réponse d’Optat,
fondamentalement théologique, fait précéder les arguments doctrinaux
d’arguments historiques qui leur servent de support. On trouve ainsi, en six
livres[453], une alternance de
développements historiques et théologiques :
I. Origines historiques du schisme : l’affaire des traditores
II. Ecclésiologie
III. Intervention de l’armée
IV.
Exégèse biblique
V.
Théologie baptismale
VI. Violences et sacrilèges des Donatistes.
Après 385, le VIIe livre constitue un appel à l’unité.
Nous nous limiterons ici aux aspects proprement ecclésiologiques de
l’ouvrage, développés principalement, mais non exclusivement, dans la première
partie du livre II, réservant les aspects sacramentels pour la suite de notre
étude.
Une
seule Église
Parménien avait cherché à montrer que son Église était la véritable Église
du Christ, Église unique, ornée par son Époux des six dons, dotes[454] : cathedra
(le pouvoir des clés), angelus
(l’ange qui agite l’eau du baptême, et l’évêque des sept Églises de
l’Apocalypse), fons (la fontaine
baptismale), sigillum (le symbole de
la foi), umbilicus (l’autel).
Comme tous les anciens, Optat, après Cyprien, partage avec Parménien la
conviction que l’Église est unique : elle est l’unique épouse du
Cantique :
Il existe une seule Église, dont la sainteté découle des sacrements et ne saurait être mesurée d’après l’orgueil des individus. C’est cette Église que le Christ appelle sa colombe unique (Ct 6, 9) et son épouse bien-aimée. Elle ne peut se trouver chez aucun des hérétiques ou des schismatiques[455].
à côté d’elle
les Églises hérétiques sont des « courtisanes » que le Christ
« repousse » :
Nous savons que toutes les églises hérétiques sont des prostituées, sans aucun sacrement légal, et sans les droits inhérents à un mariage honnête ; le Christ les repousse, car elles ne sont pas ses alliées, necessarias : il est l’Époux d’une seule Église, comme il l’atteste lui-même dans le Cantique des cantiques (6, 8-9), et en en louant une il condamne les autres, car en dehors de cette unique [Église], qui est vraiment catholique, les autres, chez les hérétiques, passent pour l’être mais ne le sont pas. En effet, comme je l’ai dit plus haut, il déclare dans le Cantique des cantiques (4, 12 ; 6, 8) que sa colombe est unique, unique son épouse élue, uniques le jardin clos et la source scellée. Tous les hérétiques ne possèdent ni les clés que seul Pierre a reçues, ni l’anneau qui, lit-on[456], scelle la source . Il n’est aucun d’entre eux à qui revienne ce jardin dans lequel Dieu plante de jeunes arbres [457].
Médiatrice de salut, l’Église est aussi la Mater Ecclesia dont les schismatiques se sont séparés, comme des fils
impies[458], la « maison de
vérité »[459] loin de laquelle les
hérétiques sont égarés, la « racine »[460]
dont les schismatiques sont coupés :
Quand, ayant abandonné leur mère, l’Église catholique, les fils impies sortent de son sein et se séparent d’elle, comme vous l’avez fait, coupés de leur racine, la mère Église, par les faux de la haine, ces rebelles s’égarent loin d’elle[461].
Une
Église catholique, donc universelle…
Mais cette Église unique, où la trouver ? Selon Parménien, dans
l’Église des saints, la seule secte donatiste :
Toi, frère Parménien, tu as dit qu’elle se trouvait chez vous seuls, mais c’est sans doute parce que vous prétendez, dans votre orgueil, revendiquer une sainteté particulière[462].
Seulement, celle-ci est confinée dans un petit coin d’Afrique, elle est
inconnue dans le reste de l’univers :
Donc, pour que l’Église puisse se trouver chez vous, dans un recoin de l’Afrique, elle ne sera pas chez nous, dans une autre partie de l’Afrique ? Dans les Espagnes, en Gaule, en Italie, où vous n’êtes pas, il n’y aura pas d’Église ?… Dans toutes les îles innombrables et les autres provinces, qu’on peut à peine dénombrer, il n’y aura pas d’Église ?[463]
Pour les Donatistes, la catholicité de l’Église se mesurait à la sainteté
de ses membres, non à leur nombre : universelle autrefois, destinée à le
redevenir, elle ne subsistait plus qu’en Afrique. Tout le reste de l’univers,
en restant en communion avec les traditeurs d’Afrique, s’était exclu avec eux
de la véritable Église. Mais cette conception s’oppose à la définition même de
l’Église catholique, « répandue dans le monde entier »[464],
et à l’universalité de la royauté du Christ :
Mais où retrouvera-t-on alors le sens propre du mot « catholique », puisque l’Église a été nommée catholique parce qu’elle est conforme à la raison et répandue dans tout l’univers ? Car si, selon votre propre volonté, vous enfermez l’Église à l’étroit, si vous excluez toutes les nations, où sera ce que le Fils de Dieu a obtenu ? Où sera la récompense que son Père lui a généreusement accordée, comme il l’a dit dans le psaume second : « Je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les extrémités de la terre » (Ps. 2, 8) ?… Laissez le Fils posséder ce que lui a accordé le Père… Puisque Dieu le Père a promis au Sauveur le monde entier, rien, dans quelque coin du monde que ce soit, ne doit être retranché de son domaine. On lui a donné la terre entière avec les nations ; le monde entier, sans exception, appartient au Christ[465].
…
Une communion centrée sur la chaire de Pierre
La notion de catholicité est inséparable de la notion d’unité :
C’est [avec l’orthodoxie de la foi et la communion dans les sacrements]… l’unité des âmes qui fait [l’Église] catholique. Quant au schisme, le lien de la foi une fois rompu, il naît de la division des sentiments, il est nourri par la jalousie et consolidé par la rivalité et par les querelles[466].
Comme Cyprien, Optat est vivement conscient de la nécessité de la communion
dans l’Église. Il porte un grand respect à l’autorité des conciles reconnus par
le pontife romain, comme le concile de Rome, présidé par le pape Miltiade, où
Donat et Cécilien furent jugés par dix-neuf évêques de gaule et d’Italie[467],
et le concile de Nicée, qui sauva l’Église du poison de l’hérésie[468].
La communion entre évêques s’exprime également par les lettres de communion
avec les autres évêques, y compris ceux de l’Orient, auquel l’évêque de Milève
est fort attaché :
C’est (aux sept Églises d’Asie) que s’adresse l’Apôtre Jean, ces Églises avec lesquelles vous n’avez, nous l’avons prouvé, aucun lien de communion… Tous ce qui est en dehors des sept Églises est étranger. Mais si vous en possédez un, par ce seul ange vous êtes en communion avec tous les autres, et par les anges avec les Églises susnommées, et par ces Églises avec nous[469].
Puisque l’unité te déplaît, si tu juges que c’est un crime, accuse-nous d’avoir été en communion avec les Thessaloniciens, les Corinthiens, les Galates et les sept Églises d’Asie ! Si cela te paraît impie ou si tu juges qu’il est condamnable d’avoir été en communion avec les tombeaux des Apôtres et de tous les martyrs, nous, de notre côté, non seulement nous ne nions pas l’avoir fait, mais encore nous nous en glorifions[470].
Nous avons suivi la volonté de Dieu en aimant la paix, en étant en communion avec tout l’univers, unis à l’Orient, où tant de miracles si grands ont été réalisés par le Fils de Dieu lui-même, où tant d’Apôtres l’ont accompagné, où se trouve l’Église septuple[471].
Mais Optat se montre original par son insistance exceptionnelle sur la primauté romaine. La première « dot
de l’Église », c’est la chaire de Pierre, garant de l’unité dès
l’origine :
Il faut voir qui, le premier, a occupé la chaire et à quel endroit… Tu ne peux le nier, tu sais que c’est dans la ville de Rome et pour Pierre que la chaire épiscopale a d’abord été établie, qu’il y a siégé, lui, Pierre, le chef de tous les Apôtres, d’où le nom de Céphas qu’il a reçu, pour que, en cette seule chaire, l’unité fût préservée par tous et pour empêcher que les autres Apôtres revendiquent chacun la sienne ; et déjà, il aurait été schismatique et pécheur, celui qui aurait dressé en face de la chaire unique une autre chaire[472].
Mais qui est le pape légitime ? Celui qui succède à Pierre. D’où une
intéressante liste des successeurs de Pierre jusqu’à Sirice[473]
— addition qui doit remonter à la seconde édition, après 385 —, conclue par
l’affirmation de la communion entre l’Église catholique qui est en Afrique avec
le pontife régnant :
Il y a donc une chaire unique, qui est le premier des dons, où siégea d’abord Pierre, à qui succéda Lin… [jusqu’à] Sirice, qui est aujourd’hui notre collègue, socius. Pour nous, c’est avec lui que, par l’échange de lettres officielles, commercio formatarum, le monde entier vit dans une parfaite communion. À votre tour, expliquez l’origine de votre chaire, vous qui voulez revendiquer pour vous l’Église sainte[474].
De fait, les donatistes eux-mêmes étaient bien conscients de la nécessité
de la communion avec le pontife romain, auquel ils attribuaient le pouvoir des
clés[475]. C’est pourquoi ils avaient tenté d’installer à
Rome des antipapes de leur choix. Mais ceux-ci ne possèdent aucun titre à
prétendre siéger sur la chaire de Pierre. En premier lieu, ils n’ont pas avec
le tombeau des Apôtres ce lien concret qui constituerait la preuve matérielle
et tangible de leur légitimité :
Vous dites que vous avez, vous aussi, un parti à Rome ; c’est une ramification de votre erreur, qui a poussé du mensonge, et non des racines de la vérité. Ainsi, par exemple, si l’on demandait à Macrobe où il siège là-bas, pourrait-il répondre qu’il siège sur la chaire de Pierre ? J’ignore s’il l’a même jamais vue ! Et il ne fréquente pas le tombeau de Pierre, agissant en schismatique, contrairement à la parole de l’Apôtre qui dit : « En communion avec les tombeaux[476] des saints » (Ro 12, 13). Voici que se trouvent là les tombeaux des Apôtres. Dites-nous s’il a pu y avoir accès ou officier là où se trouvent — cela est établi — les tombeaux des saints[477].
L’antipape donatiste Macrobe ne peut sérieusement prétendre succéder à Pierre :
ses prédécesseurs n’ont jamais été évêques de Rome, dont ils n’ont jamais été
citoyens :
Il ne reste donc à votre collègue Macrobe qu’à avouer qu’il siège là où siégea un jour Encolpius. Si l’on pouvait aussi interroger Encolpius, il dirait qu’il siégeait là où siégea avant lui Bonifatius de Vallis. Si on pouvait ensuite interroger ce dernier, il dirait : là où siégea Victor de Garbe, envoyé d’Afrique par les vôtres, longtemps auparavant, auprès d’un petit nombre d’égarés. Comment se fait-il qu’à Rome votre parti n’ait jamais pu avoir comme évêque un citoyen de cette ville ? Comment se fait-il que tous ceux qui se sont succédés dans cette ville soient notoirement des Africains et des étrangers ?[478]
La chaire des schismatiques, qui « (prétendent) usurper les clés du
royaume des cieux, et (luttent) contre la chaire de Pierre avec leurs
impudences et une audace sacrilège »[479],
c’est la chaire de pestilence (Ps. 1, 1). La pestilence envoie aux enfers ceux
qu’elle contamine, et contre les portes de ces enfers,
Pierre, c’est-à-dire notre chef, a reçu les clés salvatrices, lui à qui le Christ a dit : « Je te donnerai les clés du royaume des cieux, et les portes des enfers ne prévaudront point contre elles » (Mt 16, 16-18)[480].
Or les dotes sont connexes :
en se privant par le schisme du premier don de l’Église, la chaire de Pierre,
les donatistes perdent tous les autres[481] :
l’ange[482], l’Esprit[483],
la source et l’autel[484],
alors que les catholiques les possèdent tous, du fait de leur union à l’Église
de Pierre :
Comprenez que vous êtes des fils impies, que vous êtes des rameaux cassés de l’arbre, que vous êtes des sarments retranchés de la vigne, un ruisseau coupé de sa source. En effet le ruisseau ne peut pas être l’origine, car il est petit et ne naît pas de lui-même ; et l’arbre ne peut pas être coupé du rameau, puisque l’arbre, solidement enraciné, prospère, et que le rameau, une fois coupé, se dessèche. Ne vois-tu pas maintenant, frère Parménien, ne t’aperçois-tu pas, ne comprends-tu pas que, par tes arguments, tu as lutté contre toi-même, puisque la preuve est faite que nous sommes dans la sainte Église catholique, nous qui possédons le symbole de la Trinité, et que , par la chaire de Pierre qui est à nous, par ce don même, nous possédons aussi tous les autres dons ?[485]
Un
appel à l’unité
Avec ses vivacités, Optat demeure, comme Ignace, un artisan de paix et
d’unité. Son premier livre s’ouvre par un appel à la paix autour du symbole de
la foi :
Nous tous, les chrétiens, très chers frères, nous sommes recommandés à Dieu tout puissant par une même foi, et l’un des articles de cette foi est de croire que Dieu, le Fils de Dieu, viendra pour juger le monde, lui qui est venu il y a longtemps déjà, qui, quant à son humanité (secundum hominem), est né de la Vierge Marie, a souffert sa passion, est mort, a été mis au tombeau d’où il est ressuscité. Et avant de remonter au ciel, d’où il était descendu, à nous tous, les chrétiens, par l’intermédiaire des Apôtres, il a laissé sa paix comme don d’adieu… La paix a donc été donnée à tous les chrétiens. Elle est de Dieu, cela est évident, puisqu’il a dit : « ma paix ». Mais en disant : « je vous donne », il a voulu qu’elle ne fût pas seulement à lui mais à tous ceux qui croient en lui[486].
Il distingue nettement — sinon avec toute la clarté désirable — entre le
schisme et l’hérésie[487],
et cherche constamment à unir dans une communion à la fois psychologique et
juridique tous ceux qui partagent la même foi[488].
Dieu peut lui dire en vérité :
Tu as désapprouvé la discorde et le schisme, tu es resté en union avec ton frère et avec l’Église unique, qui est répandue dans tout l’univers, tu es resté en communion avec les sept Églises et avec les tombeaux des Apôtres [Pierre et Paul], tu es resté attaché à l’unité[489].
Devant l’inutilité de ses efforts, il y revient encore au livre VIIe.
S’il s’obstine à ramener les schismatiques dans la voie de l’unité, c’est que
le schisme déplaît à Dieu :
Puisque, après avoir coupé cette forêt de haine avec les haches de la vérité, je vois encore se multiplier vos provocations ou celles des vôtres, et puisque vous dîtes, comme je l’apprends, qu’on n’aurait jamais dû chercher à vous ramener à l’unité de notre communion,… je dois répondre brièvement à cela.
En vérité, il suffisait à l’Église catholique de posséder des peuples innombrables dans toutes les provinces, il lui suffisait de posséder aussi des fidèles en Afrique, bien qu’en peu d’endroits. Mais votre schisme ne plaisait pas à Dieu, puisque les membres d’un même corps avaient été séparés et que, contre la volonté de Dieu, vous étiez des frères égarés loin de leurs frères[490].
Bien avant le cardinal Journet, Optat note que les schismatiques actuels ne
peuvent être coupables d’une sorte de péché originel contracté par leur
naissance :
Aujourd’hui, la situation est nouvelle, car c’est avec vous, non avec eux [les schismatiques de la première génération, dont l’évêque vient de prouver qu’ils ont autant et plus que les catholiques livré les livres sacrés aux païens] que l’affaire doit être réglée. Bien que vous paraissiez avoir reçu une tache héréditaire, vous ne pouvez pas, à ce titre, être coupables avec vos pères, conformément au jugement de Dieu qui a dit par la bouche du prophète ézéchiel (18, 4) : « L’âme du père est moi, et l’âme du fils est à moi. Seule l’âme qui pèche sera punie »[491]…
Au temps de l’unité, vos premiers chefs… s’étaient déjà séparés des vivants [en livrant les Écritures], vous laissant, en quelque sorte, une tare héréditaire. Mais Dieu, dans sa providence, vous en a lavés, puisqu’il a établi une distinction entre les pères et les fils… Quant à vous, qui êtes d’un autre temps, ce péché ne peut pas être le vôtre[492].
C’est pourquoi « notre mère l’Église », indulgente même pour ceux
qui ont commis par faiblesse un péché personnel[493],
est à plus forte raison prête à accueillir dans sa communion leurs descendants
qui en sont innocents. Aussi bien, ses membres, à la différence des donatistes,
ne prétendent pas à l’impeccabilité :
Personne ne doit juger autrui comme s’il possédait déjà la sainteté parfaite, car il est écrit dans l’Évangile cette parole du Christ : « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés », étant donné surtout qu’on ne pourra trouver la sainteté parfaite chez aucun homme[494].
Dans le champ du monde, et même parmi les membres de l’Église, le bon grain
et l’ivraie se mêlent jusqu’au jour du jugement, et les évêques se gardent bien
de faire le tri :
Dans ce même champ poussent des semences différentes, de même que dans l’Église la foule des âmes n’est pas uniforme. Le champ reçoit des semences bonnes ou mauvaises, il existe des semences différentes, mais le créateur de toutes les âmes est unique, unique le maître du champ… Nous avons décidé de vous accueillir dans l’unité, après vous y avoir ramenés, parce qu’il ne nous est permis ni d’écarter ni d’exclure ceux qui, bien que pécheurs, sont nés avec nous, dans le même champ, nourris de la même pluie, c’est-à-dire, par le même baptême, de même qu’il n’a pas été permis aux Apôtres de séparer l’ivraie du froment, parce qu’on ne peut les séparer sans dommage et qu’on risquerait, en arrachant ce qui est inutile, de piétiner ce qui est utile. De la même façon, le Christ a ordonné de laisser croître dans son champ, à travers tout l’univers, où se trouve l’unique Église, ses semences et celles qui lui sont étrangères… Qu’il suffise à l’homme de ne pas être condamné pour ses péchés plutôt que de vouloir être le juge d’autrui ![495]
Ainsi, le dernier mot reste à la charité. « Pour le bien de la paix,
les péchés doivent être ensevelis »[496].
De même, « pour le bien de la paix et de la charité », les Apôtres
« n’ont pas voulu se séparer de la communion de Pierre » après son
reniement[497] :
Tout a été ordonné par la providence du Sauveur afin que celui-ci reçût les clés… Tant d’innocents sont debout, et c’est un pécheur qui reçoit les clés, afin que fût institué le symbole de l’unité, ut unitatis negotium formaretur.
On a veillé à ce que le pécheur ouvrît aux innocents, afin que les innocents ne ferment pas leur porte aux pécheurs et que l’unité, qui est indispensable, ne puisse pas ne pas exister[498].
Il ne semble pas que ces efforts pour réintégrer les schismatiques dans le
giron de la mère Église aient porté, dans l’immédiat, les fruits attendus. Mais
à la génération suivante, saint Augustin reprendrait, avec son génie propre,
l’essentiel de l’ecclésiologie d’Optat, et obtiendrait enfin l’unité tant
désirée.
Saint Ambroise de Milan (vers 340-397)
Le docteur d’Hippone cependant devait recueillir un autre héritage,
autrement prestigieux : celui de saint Ambroise. Celui-ci joue, en tant
qu’évêque de Milan à partir de 374 et de conseiller des empereurs d’Occident de
378 à 397, un rôle capital dans l’histoire de l’Église au ive siècle. Sa production
littéraire assez abondante lui vaut par ailleurs une place importante dans la
littérature latine chrétienne, et son œuvre offre un contenu ecclésiologique
particulièrement riche, sur lequel il faut nous arrêter à présent. Ambroise se
présente comme le docteur de l’indépendance et de l’unité de l’Église.
Images
bibliques de l’Église
Vir ecclesiasticus s’il en fut, Ambroise évoque l’Église presque à
chaque page de son œuvre, plus par d’innombrables images bibliques que par une
définition en forme. Qu’est-ce, pour Ambroise, que l’Église ?
Le corps
du Christ
Matériellement, l’Église consiste dans l’ensemble de ses membres : Constat ex omnibus[499]. Cet ensemble cependant n’est pas une masse
informe, mais un corps : celui du Christ : « Et peut-être
l’Église est-elle vierge, épouse, veuve, parce que toutes ne sont qu’un seul
corps dans le Christ »[500].
Ce corps est étroitement uni par le lien de la foi et de la charité :
elle « s’élève en un corps bien uni et indivisible, rassemblé dans l’unité
de la foi et de la charité »[501].
Plus profondément encore, son unité lui vient, pour Ambroise comme pour les
Pères grecs, de notre identité mystique avec le Christ :
Le Christ te porte en lui, puisqu’il a pris en lui tes péchés[502] :
Un enfant nous a été donné, pour nous il a pris chair, ou plutôt c’est nous qu’il a pris dans cette chair[503].
Viens donc, viens chercher ta brebis, non par tes serviteurs, non par des mercenaires, mais par toi-même. Prends-moi dans cette chair qui, en Adam, est tombée. Prends-moi, non de Sara, mais de Marie… Porte-moi sur la croix qui est salutaire à ceux qui errent, dans laquelle seule se trouve le repos pour tous ceux qui sont fatigués et la vie pour ceux qui meurent[504].
Si celui-là vit, qui a été transporté dans le sein d’Abraham, comme il est arrivé au pauvre Lazare, combien plus vit-il, celui qui est pris par le Christ, suscipitur a Christo ? Comment, en effet, pourrait-il ne pas vivre à jamais, celui que la vie éternelle a pris, celui que le Christ a, tout entier, élevé en lui, celui qui appartient tout entier au Verbe et dont la vie est cachée dans le Christ Jésus ?[505]
Le prince des prêtres est mort pour toi, il a été crucifié pour toi, afin que tu t’attaches à ses clous. Il t’a pris, en effet, en sa chair, toi et tes péchés[506].
Dans le Verbe incarné, l’Église est vie :
Le Christ, en effet, est en tout notre vie. Sa divinité est vie, son éternité est vie, sa chair est vie, sa passion est vie. Aussi Jérémie a-t-il dit : « Nous vivons dans son ombre » (Lam 4, 20). L’ombre de ses ailes est l’ombre de sa croix, l’ombre de sa passion. Sa mort est vie, sa blessure est vie, son sang est vie, sa sépulture est vie, sa résurrection est vie pour tous… Il est le grain ; en son corps, il a été déchiré et il est mort, pour produire, en nous, beaucoup de fruit. Sa mort est donc le fruit de vie. Donc, ce qui a été fait en lui est vie. La chair a été faite en lui, elle est vie ; l’enfance a été faite en lui, elle est vie ; le jugement a été fait en lui, il est vie ; la mort a été faite en lui, elle est vie ; la rémission des péchés a été faite en lui, elle est vie. L’Église est vie, elle a été faite en lui, de son côté ; en lui, ève est ressuscitée[507].
La
femme
C’est cependant une autre image que saint Ambroise emploie avec
prédilection : celle de la femme. L’Église est pour lui, avant tout, l’ève
mystique, épouse et côte du nouvel Adam :
Nous voyons que par la femme s’est accompli ce mystère céleste de l’Église, en elle a été figurée la grâce par laquelle le Christ est descendu, et a accompli cette œuvre éternelle de la rédemption de l’homme. Aussi a-t-il donné à sa femme le nom de vie (Gen 2, 23) ; car d’une part dans tous les peuples c’est par la femme que se répand et se propage la succession de l’espèce humaine, et d’autre part c’est par l’Église qu’est conférée la vie éternelle[508].
Mais il la reconnaît dans toutes les figures féminines de l’Écriture :
Rachel[509], Rahab[510],
la reine de Saba :
Ici,… le mystère de l’Église s’exprime avec évidence : c’est elle qui, avec les Ninivites, par la pénitence (Jonas 3, 5), et avec la reine du Midi par le zèle à recueillir la sagesse (I R 10, 1), se rassemble des confins du monde entier pour connaître les discours du pacifique Salomon. Reine assurément, dont le royaume est indivis, ne formant de peuples divers et distants qu’un seul corps. Aussi l’autre mystère était-il grand, concernant le Christ et l’Église (Ep 5, 32). Mais pourtant celui-ci est plus grand, parce que l’autre est d’abord venu comme figuré, tandis qu’à présent le mystère s’accomplit en sa réalité ; là-bas, c’est la figure de Salomon, ici le Christ dans son corps. Deux catégories constituent donc l’Église, selon qu’on ignore le péché ou qu’on cesse de pécher ; car la pénitence détruit le péché, la sagesse l’évite[511].
De même, pour le Nouveau Testament, dans la femme qui a oint les pieds du
Seigneur[512], celle qui touche les
vêtements du Christ[513],
celle qui cache le ferment, symbole de la doctrine, dans la pâte :
L’Église sanctifie par le levain spirituel l’homme, qui est fait de corps, d’âme et d’esprit. Car le corps et l’âme sont sanctifiés, et la grâce spirituelle même reçoit un accroissement de sanctification, quand, par le ministère de l’Église pour ainsi dire en fermentation, et par l’enseignement des Écritures, qui s’enfle en quelque sorte par le brassage et l’abondance des paroles célestes, leur commerce répandu dans l’homme entier, mêlé à lui, l’aura pénétré de tel sorte que tout ne soit plus qu’un seul levain[514].
Et surtout, à un titre unique, dans la Vierge Marie : toutes deux sont vierges et mères[515],
et se voient confier par le Christ en croix les disciples :
Sois fils du tonnerre… Tu seras fils du tonnerre, si tu es fils de l’Église ; que du gibet de la croix, le Christ te dise aussi : « Voici ta mère ». Qu’il dise aussi à l’Église : « Voici ton fils ». C’est alors que tu commenceras d’être fils de l’Église, quand tu verras le Christ triomphant sur la croix… Le Fils de l’Église, c’est celui qui voit dans la croix un triomphe, qui reconnaît la voix du Christ triomphant[516].
Il y a un mystère du fait qu’elle est confiée à Jean, le plus jeune de tous... Il s’agit ici du mystère de l’Église. Auparavant unie au peuple ancien, en apparence, non effectivement, après avoir enfanté le Verbe et l’avoir semé dans les corps et dans les âmes des hommes, par la foi à la croix et à la sépulture du corps du Seigneur, elle a, sur l’ordre de Dieu, choisi la société du peuple le plus jeune[517]
Ainsi, l’Église est figurée par la femme dans tous ses états de vie :
Vierge
par sa chasteté
« Vierge par sa chasteté »[518],
d’abord. La vierge consacrée, « fille de l’Église »[519]
à un titre spécial, est « plus apte à lui être comparée », car
« nul ne peut douter que [l’Église] soit vierge »[520].
Les écrits d’Ambroise sur la virginité reviennent sans cesse sur ce
thème :
Le Christ est l’Époux d’une vierge, et, si l’on peut dire, il est l’Époux de la chasteté virginale… C’est une vierge qui s’est unie au Christ, une vierge qui nous a portés dans son sein, une vierge qui nous a nourris de son propre lait. C’est d’elle qu’il est écrit : « Quelles merveilles a accomplies la vierge de Jérusalem ! La fertilité ne manquera pas aux rochers, ni la neige au Liban, l’eau ne tarira pas, apportée par un vent violent » (Jr 18, 13). Qu’elle est grande, cette vierge qui est baignée des sources de la Trinité, pour qui les eaux coulent de la pierre, dont la fécondité ne manque jamais, pour qui coule le miel ! La pierre, selon l’Apôtre, c’est le Christ (1 Co 10, 4). Le Christ assure donc sa fécondité, sa lumière vient de Dieu, ses fleuves de l’Esprit. C’est en effet la Trinité qui féconde son Église : le Père, le Christ et l’Esprit[521].
Épouse
blessée d’amour
On le voit d’emblée : l’Église n’est vierge que pour être « unie
à un seul Époux, le Christ », par la vie théologale :
L’Église a pour ainsi dire trois dots : l’espérance, la foi et la charité. Si l’espérance prend les devants, si la foi est établie et la charité ordonnée, l’Église est épousée[522].
Elle est l’épouse du Cantique, blessée d’amour pour son Époux. Elle
enseigne aux vierges comment retenir celui-ci[523].
Comme la reine du psaume 44e, « elle a quitté ses parents, elle
a rassemblé les peuples de la gentilité, à qui il est dit
prophétiquement : “Oublie ton peuple et la maison de ton père“ »[524].
Elle ne cesse de laver les pieds du Christ, de les baiser, de les oindre
d’huile. Elle seule « a le baiser de l’Époux, gage des noces, prérogative
du mariage » :
L’Église ne cesse de baiser les pieds du Christ ; et c’est pourquoi elle exige non un seul baiser, mais beaucoup dans le Cantique des cantiques (1, 1), elle qui comme sainte Marie est attentive à tous ses propos, recueille toutes ses paroles ; quand on lit l’Évangile, ou le prophète, et elle « conserve toutes ses paroles dans son cœur » (cf. Lc 2, 51). Donc seule l’Église possède les baisers comme une épouse ; car le baiser est comme un gage des noces, et une prérogative du mariage…[525]
Mère
en sa descendance
Comme Marie, cette épouse virginale est surtout mère :
La sainte Église, qui immaculée nous a conçus, féconde nous a enfantés, est vierge par sa chasteté, mère en sa descendance. Nous sommes enfantés par une vierge qu’a rendue féconde non pas l’homme, mais l’Esprit[526]. Elle nous enfante sans douleur en son corps, mais pour la joie des anges. Vierge, elle nous nourrit non d’un lait matériel, mais de celui avec lequel l’Apôtre nourrit l’enfance d’un peuple encore en croissance (cf. Co 3, 2). Quelle épouse a plus d’enfants que la sainte Église, vierge en ses mystères, mère dans les peuples qui sont elle ? Sa fécondité, l’Écriture même en témoigne : « Car les enfants de la délaissée, est-il dit, sont plus nombreux que ceux de celle qui a un mari » (Is 54, 1 ; Gal 4, 27). Notre mère n’a pas de mari, mais elle a un Époux, car l’Église, soit qu’on la considère dans tous les peuples, soit dans chaque âme individuelle, contracte un mariage spirituel avec le Verbe de Dieu comme avec son Époux, sans la moindre atteinte à sa pureté, exempte de tout contact, spirituellement féconde[527].
Cette mère nous nourrit de la parole de Dieu et des sacrements, qui nous
confèrent la grâce spirituelle[528].
Elle possède l’huile pour guérir les blessures de ses enfants et les oindre de
force :
L’Église donc lave les pieds du Christ, et les essuie avec ses cheveux, et les oint d’huile, et y répand du parfum. Car non seulement elle guérit les blessés, et réconforte ceux qui sont épuisés ; mais elle répand sur eux la suave odeur de la grâce[529].
Veuve
Trait plus original : l’Église, vierge, épouse et mère, est aussi
veuve, figurée entre autres par la veuve de Sarepta :
Donc, il y avait la famine partout, et cette veuve ne fut pas dans le besoin. Quelles sont donc ces trois années ? Ne seraient-ce pas celles où le Seigneur vint sur la terre et ne put trouver du fruit sur le figuier, ainsi qu’il est écrit : « Voici trois ans que je viens cherche du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas » (Lc 13, 7) ?
Cette veuve est assurément celle dont il a été dit : « Réjouis-toi, stérile, tressaille de joie, toi qui n’enfantes pas ; car les fils de la délaissée seront plus nombreux que ceux de la femme qui a un époux » (Is 54, 1) ; et c’est vraiment une veuve, à qui il est dit à juste titre : « Tu ne te souviendras plus de ton humiliation et de ton veuvage ; car c’est moi, le Seigneur, qui te crée » (ibid. 4-5). Peut-être est-elle veuve en ce sens qu’elle a perdu son Époux lors de la passion de celui-ci en son corps, mais qu’au jour du jugement elle retrouvera le Fils de l’homme qu’elle semble avoir perdu : « Je t’ai quittée, dit-il, pour peu de temps » (ibid. 7), afin que, délaissée, elle eût plus de gloire à garder sa foi.
Ainsi, toutes ont un exemple à imiter : vierges, épouses et veuves. Et peut-être l’Église est-elle vierge, épouse, veuve, parce que toutes ne sont qu’un corps dans le Christ [530].
De même la veuve de Naïm, tendre mère qui obtient la résurrection de son
fils unique, et la veuve de Luc 21, 2, dont le deux piécettes fournissent de
quoi guérir les blessés et nourrir les affamés :
Cette veuve entourée par la foule paraît être plus qu’une femme, elle qui a mérité par ses larmes d’obtenir la résurrection de son fils unique ; du fait que la sainte Église rappelle à la vie son fils cadet, de la cérémonie funèbre et du sépulcre qui marque la fin de toute chose, par la contemplation de ses larmes ; elle à qui il est interdit de pleurer, car la résurrection [des ses enfants] lui est due…
Et si tu as commis un péché grave, que tu ne puisses laver par les larmes de la pénitence, que la mère Église pleure pour toi, elle, cette mère veuve, qui intervient pour chacun comme pour son fils unique ; en effet elle compatit comme par une douleur spirituelle de sa nature, quand elle voit ses enfants poussés à la mort par des vices mortels. En effet nous sommes les entrailles de ses entrailles… Car nous sommes les membres de son corps, tirés de sa chair et de ses os. Qu’elle se lamente donc, la tendre mère, et que la foule l’entoure. Que non seulement une foule, mais une foule nombreuse compatisse avec cette bonne mère. Alors tu ressusciteras des funérailles, tu seras libéré du sépulcre…[531]
Qu’est-ce que le trésor [du temple] ? L’assemblée (collatio) des fidèles[532], le bien des pauvres, le repos des malheureux, auprès duquel était assis le Christ,… qui jugeait les deux piécettes de la pauvre veuve préférables aux largesses des riches, mettant, par son divin témoignage, une disposition à une générosité empressée au-dessus des largesses les plus abondantes… Cette pauvreté précieuse est opulente dans le mystère de la foi. Il s’agit des deux deniers que le Samaritain de l’Évangile laissa à l’hôtelier pour soigner les blessures de celui qui était tombé sur des brigands (Lc 10, 35). Donc cette veuve symbolique, figure de l’Église, jugea aussi devoir jeter dans le trésor sacré de quoi guérir les blessures des pauvres, apaiser la faim des pèlerins[533].
Construction de
Dieu
Autre image biblique traditionnelle, secondaire chez Ambroise mais non
négligeable : celle de la construction, à différents niveaux. L’Église est
le temple de Salomon taillé par les anges[534],
la demeure où descendent les Apôtres envoyés en mission[535].
Elle est aussi la cité de Dieu :
La cité de Dieu, c’est l’Église. Il pèche contre le ciel, celui qui enfreint les droits de la cité céleste, et viole la sainteté de son corps immaculé par la souillure de ses vices[536].
Cette Jérusalem nouvelle, construite par les patriarches et les prophètes,
et finalement par le Sauveur lui-même[537],
et par le Saint-Esprit, a le Christ comme pierre d’angle[538].
Elle inonde dès à présent de la lumière du Verbe et la grâce de l’Esprit Saint
ceux qui lui appartiennent :
La parole de Dieu est la lumière, la lampe, c’est la foi… La lampe ne peut briller que si elle reçoit d’ailleurs sa lumière… Que nul ne referme sa foi dans la mesure de la Loi, mais l’apporte à l’Église, où brille la grâce de l’Esprit septiforme, que le Prince des prêtres éclaire de sa divinité souveraine, pour que l’ombre de la Loi ne l’étouffe pas. Car cette lampe, que suivant les rites anciens le prince des prêtres allumait régulièrement le matin et le soir, s’est éteinte… et la ville de Jérusalem, qui est sur la terre… disparaît, comme située dans la vallée de larmes ; tandis que la Jérusalem qui est au ciel dans laquelle milite notre foi, placée sur le plus haut de toutes les montagnes, c’est-à-dire le Christ, l’Église, dis-je, ne peut être cachée sous les ténèbres et les ruines de ce monde, mais, resplendissante de l’éclat du soleil éternel, elle nous éclaire des lumières de la grâce de l’Esprit[539].
Elle ne peut être mesurée que par un ange :
Votre ange mesurait la Jérusalem céleste, mais c’était un ange qui mesurait, ce n’était pas Arius. C’était Jérusalem qui était mesurée, ce n’était pas Dieu[540].
Synthèse de ces
trois thèmes
Le texte suivant offre une synthèse remarquable des trois thèmes de la
femme, du corps et de la construction chez saint Ambroise. On y voit le lien
qui unit les trois grandes images scripturaires de l’Église : le thème du
corps, celui de l’épouse, qui est « une seule chair » avec l’époux,
et celui du temple, ou de la cité :
« Dieu envoya un profond sommeil à Adam, puis il lui prit une côte et reforma la chair à la place, et de la côte il forma une femme ».
Cette façon d’agir de Dieu me force à comprendre ici je ne sais quoi de plus que ce que je lis… Quel est cet homme pour lequel la femme quitte ses parents ? Celle qui quitte ses parents, c’est l’Église, rassemblée à partir du peuple des gentils, l’Église à qui il fut dit prophétiquement : « Oublie ton peuple et la maison de ton père »…
De son flanc, comme il dormait, Dieu prit une côte : c’est bien lui, en effet, qui « dormait — et qui reposa, et qui ressuscita, car le Seigneur l’accueillit » (Ps. 3). Mais quelle est cette côte, sinon sa force, sa vertu ? Lorsque le soldat lui ouvrit le côté, il en sortit aussitôt du sang et de l’eau qui coulèrent pour la vie du monde. Cette vertu, cette vie du monde, voilà donc la côte du Christ. Côte du nouvel Adam : car le premier Adam fut fait âme vivante, mais le second est esprit vivifiant. Ce second Adam, c’est le Christ : la côte du Christ est la vie de l’Église[541]. Nous sommes donc les « membres de son corps, formés de sa chair et de ses os » (Ep 5, 30)… Telle est la côte qui est sortie du Christ… Telle est l’ève, mère de tous les vivants. Cette mère des vivants, c’est donc l’Église. Dieu l’a construite sur la suprême « Pierre d’angle, le Christ Jésus, sur laquelle tout l’édifice s’élève, fortement joint, pour former le temple de Dieu ».
Que Dieu vienne donc ! Qu’il forme cette femme, cette aide pour Adam — pour le Christ. Non que le Christ ait besoin d’une aide pour lui-même, mais parce que nous nous aspirons et nous cherchons à parvenir, par l’Église, à la grâce du Christ. C’est maintenant que ce temple se construit, maintenant que cette femme est formée. Celle qui jadis était figurée, elle est créée maintenant… Maintenant la demeure spirituelle s’élève en un sacerdoce saint. — Viens, Seigneur Dieu ! Forme cette femme, construis cette cité ! Que vienne ton enfant ! Car je crois à ta parole : « C’est lui qui me construira ma cité ».
Voici la femme mère de tous, voici la maison spirituelle, voici la cité qui vivra pour l’éternité, car elle ne connaît pas la mort. Elle-même, elle est cette Jérusalem, qu’on voit maintenant sur terre, mais qui sera ravie au-dessus d’Élie, transportée au-dessus d’Énoch. Celui-ci fut enlevé, de peur que son cœur ne fût changé par la malice ; mais celle-là est aimée par le Christ comme son épouse glorieuse, sainte, immaculée, sans ride. Et combien mieux que ne le fut un seul homme, le corps entier ne sera-t-il pas ravi ? Tel est l’espoir de l’Église. Oui, elle sera ravie, elle sera prise, transportée dans le ciel…
Pour la construction de cette cité, que d’êtres sont envoyés ! Les patriarches sont envoyés, et les prophètes. L’archange Gabriel et des anges innombrables y travaillent ; et voici que la multitude des armées célestes loue Dieu, car l’achèvement de la cité se fait proche. Beaucoup lui sont envoyés, mais seul le Christ, en réalité, l’édifie — ou plutôt il n’est pas seul, car le Père est présent. Et s’il est seul à construire, pourtant il ne se réserve pas à lui seul la grâce d’une si grande œuvre. Lorsque Salomon construisit son temple, il est écrit qu’il y avait soixante-dix mille hommes pour transporter les matériaux sur leurs épaules, quatre-vingt mille pour tailler les pierres, et trois mille six cents employés à la construction même. Que viennent tous ces anges, célestes tailleurs de pierres ! Qu’ils taillent tout ce qui déborde en ces pierres que nous sommes, qu’ils ôtent de nous toute aspérité ! Qu’ils viennent nous prendre sur leurs épaules ! Car il est écrit : « Ils seront portés sur les épaules »[542].
Barque de Pierre
Autre image, exploitée elle aussi par saint Augustin : celle du
bateau, et singulièrement de la barque de Pierre, secouée par les vents,
remplie de poissons, gardée en toute sécurité par le Christ malgré son sommeil
apparent :
Il monta dans le bateau de Pierre. Tel est le bateau qui, encore selon Matthieu, est secoué par les flots (Mt 8, 24), selon Luc est rempli de poissons, afin que l’on reconnaisse aussi l’Église d’abord secouée par les flots, et ensuite débordante ; en effet ce sont les poissons, qui traversent la mer pour aborder à cette vie. Là encore le Christ dort pour les disciples, ici il donne ses ordres. Il dort en effet pour les tièdes, il veille pour les parfaits. Mais comment le Christ dort, tu l’as entendu dire par le prophète : « Je dors, mais mon cœur veille »…
Celle qui a Pierre n’est pas agitée… Comment pourrait-elle être agitée, ayant pour pilote celui sur qui est fondée l’Église ? Il y a donc agitation quand la foi est faible ; sécurité quand la charité est parfaite[543].
Ce navire, sous le souffle de l’Esprit Saint, navigue avec ses voiles
suspendues à la croix :
Le Verbe fait chair… monte… sur la barque où voguent les Apôtres, où pèche Pierre (Lc 5, 3 sq.) ; car ce n’est pas une barque quelconque que celle qui est emmenée au large (Mt 17, 1), c’est-à-dire séparée des incroyants. Pourquoi le choix d’une barque où le Christ peut siéger et enseigner les foules, sinon parce que la barque, c’est l’Église, qui sous le souffle de l’Esprit Saint, vogue heureusement en ce monde ?[544]
C’est dans cette barque que naviguent les Apôtres, que Pierre procède à une
pêche spirituelle où le gros des chrétiens sont attrapés au filet, les martyrs
à l’hameçon — et Ambroise envie leur sort. Pour cela, il pousse au large, vers
ces « eaux profondes où est le Christ, c’est-à-dire la foi »[545].
Tâche ardue, où le Seigneur fait des miracles :
Qui pourrait, sans Dieu, pêcher ce peuple, alors surtout que tant de tempêtes et d’orages de ce monde s’y opposent ? Mais quand il le veut, le Seigneur a ordonné de jeter les filets, et une multitude de poissons sont pris. On remplit non seulement une barque, mais une seconde, car le peuple sans tache remplit plusieurs églises[546].
En chaque Église locale, l’évêque se trouve à la poupe pour guider la
barque au milieu des orages de ce monde ; mais il n’a rien à
craindre : son navire offre à ses passagers une sécurité parfaite :
Tu as reçu la charge du sacerdoce. Assis à la poupe du navire de l’Église, tu le gouvernes au milieu des flots. Tiens la barre de la foi, afin que les dures tempêtes de ce monde ne réussissent pas à te faire dévier. La mer est grande et vaste, mais ne crains rien, car « c’est le Seigneur qui a établi le monde sur les mers et l’a fondé sur les fleuves » (Ps. 23, 2)…[547]
Propriétés
de l’Église
Stabilité
Parmi les propriétés de l’Église mises particulièrement en relief par le
docteur de Milan, on ne s’étonnera donc pas de trouver, en premier lieu, la
solidité, la stabilité, la sûreté :
… Il n’est donc pas étonnant que, dans les remous du monde, l’Église du Seigneur demeure inébranlable, puisqu’elle est bâtie sur la pierre apostolique et qu’elle demeure sur sa fondation infrangible, malgré les assauts de la mer en furie. Les flots l’inondent sans pouvoir la secouer, et, bien que les éléments de ce monde en s’entrechoquant fassent retentir souvent un grand vacarme, elle peut cependant offrir aux hommes un havre de salut parfaitement sûr[548].
Le Christ dit à chaque fidèle, comme à l’Église de Verceil :
Tu te tiens avec moi, si tu te tiens dans l’Église. En effet c’est elle le lieu saint, c’est elle la terre féconde de la sainteté, riche pour les moissonneurs de vertus. Tiens-toi donc dans l’Église, tiens-toi là où je te suis apparu. Là je suis avec toi. Là où est l’Église, là se trouve le poste de garde très solidement fortifié de ton âme ; le fondement de ton âme se trouve là où je te suis apparu du buisson. Tu es le buisson, je suis le feu. Le feu est dans le buisson, moi, je suis dans la chair… Tenez-vous donc dans votre cœur, et mettez en fuite les loups qui cherchent à vous arracher comme une proie à l’Église[549].
D’où vient à l’Église cette stabilité ? Du fondement de sa foi, dont
elle est inséparable :
La foi est le fondement de l’Église. En effet, ce n’est pas de la chair de Pierre, mais de sa foi, qu’il a été dit que les portes de l’enfer ne l’emporteront point contre elle, mais sa confession a vaincu l’enfer. Et cette confession a vaincu toutes les hérésies sans exception. Car si l’Église est battue de bien des flots comme un bon navire, le fondement de l’Église doit tenir bon contre toutes les hérésies[550].
Unité
Comme tous les Pères, Ambroise insiste beaucoup sur l’unité et l’unicité de
l’Église[551]. Malheur à qui la
déchire !
Ils sont animés d’un esprit diabolique, ceux qui divisent l’Église du Seigneur, c’est-à-dire les hérétiques et les schismatiques de tous les temps, à qui le Seigneur refuse le pardon ; car tout autre [péché] s’exerce contre les individus, celui-ci contre tous. Ils sont seuls en effet, ceux qui veulent détruire la grâce du Christ, qui déchirent les membres de l’Église, pour laquelle le Seigneur Jésus a souffert, et le Saint-Esprit nous a été donné[552]…
Bien qu’ils gardassent leur foi au Christ, cependant [les Lucifériens] ne la gardaient pas à l’Église, dont ils acceptaient pour ainsi dire de diviser et de déchirer les membres. Car, étant donné que le Christ a souffert pour l’Église, ils ne paraissent pas montrer leur foi au Christ, ceux qui rendent sa passion vaine et écartèlent son corps[553].
Se séparer de la mère Église, c’est se séparer du Christ :
Prenons garde que personne ne tente de nous séparer de la chambre nuptiale du Roi éternel, et du secret de la mère Église, dans lequel l’âme, dans le Cantique des cantiques (3, 4), indique que le Verbe l’a introduite[554].
C’est dans ce souci d’unité qu’à la mort de Mélèce en 381, il proteste
contre l’élection de Flavien à la place de Paulin :
Nous avions écrit il y a déjà longtemps pour que, puisque la cité d’Antioche avait deux évêques, Paulin et Mélèce, que nous estimions [tous deux] en accord avec la foi, ou bien la paix et la concorde interviennent entre eux, étant sauf l’ordre ecclésiastique ; ou du moins, si l’un des deux mourait et que l’autre lui survécût, on n’en substituât pas un autre au survivant. Mais à présent, Mélèce est mort, et Paulin, qui a toujours fait preuve d’une parfaite fidélité à notre communion, lui survit ; c’est donc contre le droit et l’ordre ecclésiastique que, dit-on, [Flavien] a été non tant substitué que superposé à la place de Mélèce[555].
L’évêque de Milan se dresse avec un courage indomptable contre les
hérétiques condamnés à Nicée, proclame l’autorité irréformable du concile,
flétrit la fraude et la violence qui à Rimini ont contraint les évêques à en
abandonner les décrets :
Voilà ce qui a été écrit au synode de Rimini. Et c’est à juste titre que j’exècre ce concile, suivant les décrets du concile de Nicée, dont ni la mort, ni le glaive ne pourra me séparer[556].
Mais précisément, pour être sûr de garder la foi catholique dans toute son
inviolable intégrité, il faut s’attacher à la foi de l’Église romaine :
Que l’on croie au Symbole des Apôtres, que l’Église romaine garde et conserve toujours[557].
Le fondement de l’Église, c’est, disions-nous, la « pierre
apostolique ». Le saint docteur donne en exemple son frère Satyre, qui, au
moment de mourir, s’assure que l’évêque dont il sollicite le secours spirituel
est bien en communion avec l’Église romaine, refusant de pactiser, non
seulement avec l’hérésie, mais encore avec le schisme de Lucifer de
Cagliari :
Il appela auprès de lui un évêque, et il estima qu’aucune grâce n’était véritable, si ce n’est celle de la vraie foi, lui demandant s’il était en communion avec les évêques catholiques, c’est-à-dire avec l’Église romaine. Peut-être en cet endroit l’Église locale se trouvait-elle dans le schisme. à cette époque Lucifer s’était retranché de notre communion, et bien qu’il fût parti en exil pour la foi, et eût laissé des héritiers de sa foi, cependant [mon frère] ne jugea pas que la foi se trouvât dans le schisme…[558]
Nul en effet n’a part à l’héritage de Pierre que dans la mesure où il
adhère à son siège :
Quelle communion avec toi peuvent-ils avoir, ceux qui n’accueillent pas les clés du royaume ?… Ils ne possèdent pas l’héritage de Pierre, ceux qui n’ont pas le siège de Pierre, qu’ils déchirent par leurs divisions impies[559].
Et Ambroise donne, dans son Enarration
sur le psaume 40e, la meilleure peut-être des définitions mineures de
l’Église : Ubi Petrus, ibi
Ecclesia :
C’est à Pierre qu’il a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18). Donc là où est Pierre, là est Église. Là où est Église, il n’y a point de mort, mais la vie éternelle. Et c’est pourquoi il a ajouté : « Et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle ; et je te donnerai les clés du royaume des cieux » (ibid.). Bienheureux Pierre, devant qui la porte de l’enfer n’a pas prévalu, la porte du ciel ne s’est point fermée ; mais au contraire il a détruit les demeures de l’enfer, il a ouvert celles du ciel. C’est pourquoi, placé sur la terre, il a ouvert le ciel, il a fermé les enfers[560].
Ainsi, non seulement l’Église romaine joue un rôle doctrinal, du fait
qu’elle possède sans conteste la « foi sacro-sainte et apostolique »,
mais elle est le cœur de la communion de l’Église universelle :
« d’elle découlent sur tous les droits de la vénérable communion »[561].
affirmation capitale, citée par
la constitution Pastor æternus de
Vatican I.
Sainteté
À la différence des sectes schismatiques, en particulier des Novatiens,
l’Église ne prétend pas n’être composée que de purs :
Ta famille ne dit pas : « Je suis en bonne santé, je n’ai pas besoin de médecin », mais : « Guéris-moi, Seigneur, et je serai guérie ; sauve-moi, et je serai sauvée » (Jr 17, 14). Car ton Église est figurée par cette femme qui s’approcha par derrière et toucha la frange de ton vêtement en disant en elle-même : « Si je touche son vêtement, je serai sauvée » (Mt 9, 21). Cette Église donc confesse ses blessures, elle désire être guérie[562].
Cependant l’Église, selon l’expression de l’Apôtre, « est aimée du
Christ comme étant glorieuse, sainte, sans tache ni ride »[563],
« parée d’ornements appropriés et (resplendissante) de la lumière reçue du
Christ… belle entre les vierges parce que vierge sans ride »[564],
non certes par elle-même, mais par la grâce de Dieu qui transforme les
cœurs :
Le Seigneur « a aimé l’Église au point de se la présenter à lui-même glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée ». Car l’Église étant rassemblée à partir des gentils, c’est-à-dire de pécheurs, comment, de souillée qu’elle était, pourrait-elle être immaculée ? Il faudra d’abord que la grâce de Dieu la purifie du péché, et qu’ensuite, par sa profession de ne plus pécher (en s’imposant une vie sans péché : per qualitatem non peccandi), elle se préserve des fautes. Elle n’est donc pas d’emblée immaculée, cela est impossible à la nature humaine ; mais en vertu de la grâce de Dieu et de sa profession (son genre de vie, qualitatem sui), parce qu’elle ne pèche plus, il arrive qu’elle apparaît immaculée[565].
La guérison de Naaman constitue le type du salut des gentils :
Ce peuple rassemblé à partir d’étrangers et qui, avant d’être plongé dans le fleuve mystique, était lépreux et souillé, est lavé par le baptême des taches du corps et de l’esprit. Alors il n’est plus une lèpre, il a commencé d’être une vierge immaculée et sans rides[566].
Quand un baptisé pèche, l’Église « n’est pas blessée en sa personne,
mais en nous »[567].
Quant à elle, sa gloire échappe à toutes les atteintes : elle réside,
comme celle de l’épouse du psaume 44e, « à l’intérieur,… dans
l’intelligence et la profondeur des mystères »[568].
Et elle possède l’huile nécessaire pour guérir ses enfants, et même pour leur
conférer la force du martyre :
L’Église possède l’huile par laquelle elle soigne les blessures des siens, de crainte que le mal de la blessure ne pénètre profondément ; elle possède l’huile, qu’elle a reçue dans le secret… C’est donc de cette huile que l’Église oint la nuque de ceux qui lui appartiennent, afin qu’ils prennent sur eux le joug du Christ ; c’est de cette huile, qu’elle a oint les martyrs, pour ôter d’eux la poussière du siècle ; de cette huile, qu’elle a oint les confesseurs, de crainte qu’ils ne reculent devant la peine, qu’ils ne succombent à la fatigue, qu’ils ne se laissent vaincre par la chaleur accablante de ce monde. Si elle les a oints, c’est pour les rafraîchir d’une huile spirituelle[569].
Ainsi, l’Église peut dire dans le Cantique
des cantiques (1, 4) :
« Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem ». Noire par la faute, belle par la grâce. Noire par l’origine, per conditionem, belle par la rédemption. Ou du moins, noire de la poussière de son exercice. Noire donc, quand elle combat, elle est belle, quand elle est couronnée des insignes de la victoire[570].
Et le docteur de Milan de décrire, en termes admirables, la beauté de
l’Église, dès à présent sans péché par état et transformée en Dieu par
l’amour :
En voyant l’extrême beauté de l’Église, étincelante du sang du Christ, l’Esprit Saint s’écrie (Ct 7, 6) : « Que tu es belle et ravissante, ô charité, dans tes délices ! » L’Église est belle par l’éclat de sa vertu, douce par la beauté de la grâce et une rémission des crimes que ne vient troubler aucune amertume due au péché. L’Église elle-même est déjà charité, car à force d’aimer Dieu elle a pris même son nom, et Dieu est charité[571].
Et ailleurs :
Aucun saint ne peut aimer autant qu’elle, car c’est elle qui aime en tous les saints[572].
Aspects
de la vie intérieure de l’Église
De la vie intérieure de cette Église, retenons seulement, dans l’œuvre de
saint Ambroise, deux aspects caractéristiques[573] :
L’évêque
Personnellement, saint Ambroise puisait la force nécessaire à une activité
surhumaine, parfois interrompue par une brève retraite dans la solitude[574],
dans la prière de jour et de nuit, et dans la méditation de l’Écriture[575].
Pour le reste, saint Augustin nous a décrit son dévouement illimité aux
« foules de malheureux [qui] l’assiégeaient », et auxquelles sa porte
demeurait toujours ouverte[576].
Comment concevait-il donc le rôle d’un évêque ?
— Docteur
L’évêque lui apparaît fondamentalement comme un docteur, qui puise dans les « divines Écritures »
l’enseignement qu’il doit transmettre à son peuple :
Attentifs à imiter l’humilité [du Sauveur], et sans prétendre en conférer la grâce, nous vous transmettons, comme à nos enfants, les instructions que l’Esprit de sagesse répandit en lui[577], qui nous ont été manifestées par lui, et que nous avons découvertes par la lecture et par l’exemple ; car nous ne pouvons plus échapper à ce devoir d’enseigner, que nous a imposé la nécessité du sacerdoce [c’est-à-dire : de l’épiscopat], auquel nous tentions d’échapper : « Dieu a donné à certains d’être Apôtres, à d’autres, prophètes, à d’autres, évangélistes, à d’autres encore, pasteurs et docteurs » (Ep 4, 11).
Je n’aspire point à la gloire des Apôtres : qui le pourrait, sinon ceux que le Fils de Dieu a choisis ? Ni à la grâce des prophètes, ni à la puissance des évangélistes, ni à la prudence des pasteurs. Mais je souhaite seulement consacrer mes efforts et ma diligence aux divines Écritures : c’est la dernière des fonctions que l’Apôtre a assignées aux saints. Et cela, afin que, dans le but d’enseigner, je puisse apprendre. En effet, il n’est qu’un seul maître véritable qui n’ait point appris ce qu’il devait enseigner à tous. Mais les hommes doivent apprendre avant d’enseigner, et recevoir de lui ce qu’ils ont à transmettre aux autres[578].
La divine Écriture est une mer, elle contient en elle des sens profonds, et des énigmes prophétiques élevées ; dans cette mer, sont entrés beaucoup de fleuves. Il y a aussi des fleuves à l’eau douce et limpide, et des sources pures comme la neige, qui « jaillissent pour la vie éternelle » (Jn 4, 14). Il y a des paroles savoureuses comme des rayons de miel (Pr 16, 24) ; et des maximes suaves, qui désaltèrent les âmes de ceux qui les entendent comme par une boisson spirituelle, et les charment par des maximes morales pleines de douceur. Ainsi les flots des divines Écritures sont divers. Tu y trouves de quoi boire une première fois, puis une autre, et cela sans fin.
Rassemble l’eau du Christ, celle qui « loue le Seigneur » (Ps. 148, 5). Rassemble l’eau de plusieurs lieux, celle que répandent les nuées des prophètes (Sir 11, 3). Quiconque rassemble l’eau des montagnes, l’attire à soi ou la puise dans les sources, répand lui-même la rosée comme une nuée. Remplis-en donc l’intime de ton âme, afin que ta terre en soit arrosée, et irriguée par les sources de ta maison. Donc celui qui lit et comprend beaucoup, est rempli ; celui qui sera rempli, irrigue les autres ; et c’est pourquoi l’Écriture dit : « Si les nuées sont remplies, elles répandront la pluie sur la terre » (ibid.)[579].
— Liturge
Docteur, l’évêque est aussi liturge.
On connaît le rôle liturgique considérable du docteur de Milan, qui, pour tenir
en haleine la foule inoccupée dans la basilique Porcienne assiégée par les
ariens, eut l’idée d’introduire dans l’office « les antiennes, les hymnes
et les vigiles »[580] :
C’est alors qu’on institua que les hymnes et les psaumes seraient chantés à la manière des Orientaux [alternés à deux chœurs], de crainte que le peuple se laisse abattre par l’ennui et la tristesse[581].
Ces nouvelles formes liturgiques remportèrent un succès considérable :
On dit que j’ai ensorcelé le peuple par les vers de mes hymnes. Parfaitement ! je ne le nie point. J’ai là un beau chant magique, plus puissant que tout autre. Car quoi de plus puissant que la confession de la Trinité, entonnée chaque jour par la voix de tout un peuple ? Tous à l’envi s’unissent pour proclamer leur foi. Ils ont appris à célébrer pour le Père, le Fils et le Saint-Esprit[582].
— Pasteur
Enfin et surtout, l’évêque est pasteur, à l’imitation du Pasteur divin. Il
recherche toujours et avant tout le bien des âmes, pratique la charité en même
temps que l’équité, fût-ce, en cas de nécessité, en faisant appel aux biens de
l’Église :
L’Église ne perd jamais à ce que la bonté gagne, pietati acquiritur. La charité n’est pas un dommage pour le Christ, c’est un profit. Car la charité est un fruit de l’Esprit Saint (Gal 5, 22)[583].
Face aux pécheurs, il fait preuve d’une bonté et d’une compassion qui évoquent celles du curé d’Ars :
Donne-moi d’avoir compassion, chaque fois que je serai témoin de la chute d’un pécheur ; que je ne châtie pas avec arrogance, mais que je pleure et que je m’afflige.
De fait, raconte son secrétaire,
chaque fois [qu’un pécheur] venait lui confesser ses fautes pour recevoir la pénitence, il versait tant de larmes qu’il forçait ainsi le pénitent à pleurer, de sorte qu’on eût pris l’évêque pour le coupable[584].
Cette charité tendre et délicate n’excluait pas chez lui une exceptionnelle
vigueur face à l’erreur. À cet égard, Ambroise exprime son idéal dans une
lettre collective des évêques de sa région félicitant le pape Sirice pour la
condamnation de Jovinien :
Tu es bien le bon pasteur, tu gardes fidèlement et défends avec énergie le bercail du Christ. Tu veilles sur la porte de la bergerie qui t’a été confiée, et tu mérites bien que les brebis du Sauveur t’écoutent et te suivent[585].
De même, dans la prédication morale et sociale, où il dépasse en hardiesse
saint Basile lui-même. Qu’il suffise de citer ici quelques lignes du De Nabuthe :
L’histoire de Naboth date de loin, et pourtant, n’est-ce pas l’histoire contemporaine ? Quel est l’homme opulent qui ne prétende dépouiller le pauvre de son petit champ, et ravir à l’indigent le bien de ses aïeux ?… Non, Achab n’est pas mort tout entier, il renaît parmi nous chaque jour dans une race qui se perpétue… Naboth est immolé dans chaque pauvre qu’on écrase[586].
Le
prêtre
Particulièrement attentif à ses élites, Ambroise exprime dans ses
instructions à son clergé son idéal du prêtre, « prisonnier de
Jésus-Christ » :
Si celui qui est avec le Seigneur Jésus tombe, Jésus le relève… Il est bon d’adhérer à un autre, d’insérer sa nuque sous son joug, de lui offrir son épaule et de le porter, sans dégoût pour ses liens… Car ceux qui le suivent, son liés par ses chaînes. C’est ce que veut dire saint Paul quand il aime à se nommer : « prisonnier de Jésus-Christ ». Vivre sous le joug du Christ, livrer ses pieds aux entraves de la sagesse, se faire captif de Dieu pour n’avoir plus à porter les fers de notre tyran, voilà la liberté parfaite… Quelle folie de renoncer aux récompenses célestes pour faire descendre son âme aux bassesses de la terre, et de négliger l’éternité pour la vanité qui passe !… Mais toi, qui que tu sois, qui fais partie du clergé du Seigneur (cf. Dt 33, 4), tu es sa portion et sa possession. Ne te soustrais pas à la possession du Seigneur… Et lui te dira comme à un bon serviteur : « Viens te reposer » (Lc 17, 7). Adieu, mes fils, et servez le Seigneur, car le Seigneur est bon[587].
Chez Eusèbe de Verceil, l’évêque de Milan admirait l’alliance entre
« discipline sacerdotale » et « règle monastique » :
C’est la milice des anges que celle où l’on est occupé à louer Dieu et à le servir. Là, les prêtres lisent, écrivent et travaillent ensemble. Vivant en dehors des sociétés mondaines, ils sont les uns pour les autres une fraternelle sauvegarde. Le jeûne y dompte la chair, mais la paix de l’esprit en adoucit la rigueur, l’habitude en allège le poids, la récréation le charme et le travail le trompe. Puis, on est affranchi des embarras du monde. On n’a ni l’accablement des soucis de la vie, ni l’asservissement des visites. Ô la belle existence, dans laquelle il n’y a que profit sans perte possible ![588]
Il écrivit pour ses prêtres, et surtout pour les plus jeunes, qu’il
« (aimait) autant que s’il (eût été) leur père véritable »[589],
une transposition chrétienne du De
officiis de Cicéron : De
officiis ministrorum, qui exercera une grande influence[590].
Relevons, parmi ces avis, quelques traits caractéristiques :
·
Livre I : De l’honnête (les vertus du prêtre)
—
Prudence dans les relations avec le monde :
Il n’est pas besoin que les jeunes gens entrent dans la maison des veuves et des vierges, sinon pour les visites [imposées par la bienséance]. Et cela, avec des anciens, c’est-à-dire, soit avec l’évêque, soit, pour un grave motif, avec des prêtres… Combien y en a-t-il qui n’ont pas donné lieu au péché, et qui ont donné lieu au soupçon ![591]
—
Lectio divina, assiduité à l’église, culte de la liturgie
Pourquoi n’emploies-tu pas à la lecture le temps que te laisse le service de l’église ? Pourquoi ne rends-tu pas visite au Christ, ne parles-tu pas au Christ, n’écoutes-tu pas le Christ ? Que nous importent les maisons des voisins ? Il n’y a qu’une seule maison, qui contient tout le monde. Qu’ils viennent plutôt à nous, ceux qui nous recherchent. Que nous importent les potins ? Nous avons reçu un ministère qui nous voue aux autels du Christ, non à la servitude du monde[592].
—
Force morale[593],
qui, jointe à la justice, fait les « athlètes du Christ »[594],
héros de la foi, David, Daniel, Moïse, et les martyrs, les Macchabées, Agnès,
Thècle, Laurent, et surtout le Sauveur lui-même.
—
Chasteté (modestia, verecundia), dans le célibat sacerdotal, généralisé en
Occident pour les prêtres et les diacres dès le ive siècle, et lié à la sainteté de son
ministère :
Il faut que votre ministère soit immaculé, irréprochable, et qu’ignorant absolument le lien conjugal, purs de corps, inviolablement fidèles à la pudeur, vous gardiez, loin de la société du mariage, la grâce sacerdotale que vous avez reçue[595]…
Tu as été choisi parmi tous les fils d’Israël, estimé le premier-né de tous les fruits sacrés, préposé au tabernacle, afin de servir de sentinelle dans le camp de la chasteté et de la foi, de sorte que si quelque étranger s’en approche, il soit puni de mort, placé pour couvrir l’arche du Testament. Car tout le monde ne voit pas les profondeurs des mystères, qui sont cachés par les lévites, afin que ceux qui ne doivent pas les voir ne les voient pas, et que ceux qui ne peuvent les garder ne les reçoivent pas[596].
·
Livre II : De l’utile (« ce qui peut nous gagner la vie de
l’éternité et non les joies du temps »)[597]
Le prêtre se mettra au service du pauvre[598],
devinera les misères cachées et en rendra compte à l’évêque[599],
protégera la pudeur des orphelines en les mariant[600]
— mais ne cédera pas aux sollicitations abusives de « vigoureux gaillards,
qui n’ont d’autre titre que leur vagabondage, et qui prétendent dépouiller les
pauvres de ce qui leur revient »[601].
Partageant son pain « dans la douceur et dans la paix »[602],
il sera aimé de tous[603].
L’évêque ne s’offensera pas de la réputation que tel de ses prêtres ou de
ses ministres s’acquerra par sa science ou ses vertus, mais il se plaira à
mettre ses collaborateurs en valeur[604].
Inversement, le prêtre qui désobéirait à son évêque ou chercherait à briller à
ses dépens s’écarterait de la règle de la vérité[605].
·
Livre III : L’honnête et
l’utile
La vaste maison où le prêtre doit se promener, c’est son cœur[606].
Il n’y est jamais seul :
Le juste est-il seul, lui qui est toujours avec Dieu ? Quand est-il solitaire, lui qui n’est jamais séparé du Christ ? « Qui nous séparera, dit l’Apôtre, de l’amour du Christ ? J’en ai la certitude : ni la mort, ni la vie, ni un ange » (Ro 8, 35)… Dans quel lieu est-il enfermé, celui qui possède, en fait de richesses, le monde entier ?[607]
Il doit préférer l’honnête à son utilité personnelle, éviter à tout prix
les gains malhonnêtes et se mettre au service de tous :
Il appartient au prêtre de ne nuire à personne, et de vouloir du bien à tout le monde, car quant à le pouvoir, cela n’appartient qu’à Dieu[608].
Parmi les vertus sacerdotales, Ambroise place l’amitié, recommandée par
l’exemple de Jonathan, et surtout du Seigneur Jésus lui-même :
Conservez, mes fils, l’amitié qui vous unit à vos frères : il n’est rien de plus beau parmi les choses humaines. Car c’est la consolation de cette vie que d’avoir quelqu’un à qui tu puisses ouvrir ton cœur, avec qui tu partages ton intimité, à qui tu puisses confier tous les secrets de ton cœur…[609]
Qu’est-ce qu’un ami ? Celui qui partage un même amour, auquel on peut joindre et unir son âme, à qui l’on peut se confier comme à un autre soi-même, de qui l’on n’ait rien à craindre, et à qui l’on ne demande rien de malhonnête pour son propre avantage… L’amitié est une vertu, non un trafic ; car elle n’est pas engendrée par l’argent, mais par la bienveillance ; ni par une vente aux enchères, mais par un assaut de générosité[610].
L’Église
et l’État
Dernier thème, le plus délicat : quelle conception Ambroise,
conseiller des princes très impliqué dans les affaires de son temps, se
faisait-il des rapports qui doivent unir l’Église et l’État, et singulièrement
l’empire chrétien ?
Une
étroite collaboration
À une époque où nul n’envisageait que l’empire
pût être séparé de la religion, le docteur de Milan se faisait une idée
grandiose de l’empereur chrétien, « boulevard de la foi, prédicateur de
l’Évangile », dont la conscience catholique engage ses actes
publics :
C’est avec sagesse qu’elle fit placer la croix sur la tête des rois, afin que dans les rois mêmes, la croix fût adorée ! Ô clou sacré[611], qui tient l’univers entier et qui sert d’ornement aux souverains, afin qu’ils deviennent des prédicateurs de la foi, ceux qui n’ont longtemps été que les persécuteurs ![612]
C’est pourquoi, loin de mettre sur le même pied les différents cultes, il
doit marquer une faveur spéciale au culte catholique et décourager les autres.
Comment l’État chrétien aurait-il pu refuser à l’Église les faveurs qu’il
octroyait naguère à l’idolâtrie ou à l’hérésie ?
Liberté
de l’Église
Toutefois, cette collaboration ne doit en aucun cas tourner à
l’asservissement de l’Église. Le docteur de Milan se montre à cet égard
intraitable : « L’empereur est dans l’Église, il n’est pas au-dessus
de l’Église »[613].
Aussi n’a-t-il pas le droit de mettre la main sur les édifices sacrés :
Et ne va pas croire, empereur, que tu aies quelque droit impérial sur les choses divines. N’élève point de telles prétentions, et si tu souhaites un long règne, sois soumis à Dieu. Il est écrit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». à l’empereur, les palais, aux prêtres, les églises.
Le droit qui t’est départi s’étend sur les édifices publics, mais non sur les édifices sacrés… Il ne t’est pas permis d’avoir cette [basilique]. Qu’as-tu de commun avec une adultère ? Car elle est adultère, celle qui n’est pas unie au Christ en légitime mariage[614].
« Les choses divines ne sont point de la dépendance de
l’empereur »[615].
S’il n’a pas le droit de disposer des basiliques, il peut moins encore
prononcer à la place des évêques sur les dogmes de foi. Alors que la conversion
des empereurs au christianisme allait entraîner pour des siècles, surtout en
Orient, la tentation du césaro-papisme, l’évêque de Milan, avec autant d’éclat
et plus de succès qu’Athanase et Hilaire, distingue nettement entre l’État, res publica, et la religio, qui doit être affranchie de la tutelle impériale pour le
choix de sa hiérarchie, ordo
ecclesiasticus, et surtout de son épiscopat, sacerdotium. En matière de foi, Ambroise revendique pour les
évêques le droit de n’être jugés que par des évêques (ius ecclesiasticum, ius sacerdotale). Bien plus, à cet égard, les
empereurs eux-mêmes sont soumis aux évêques :
Quand as-tu entendu dire, empereur très clément, que dans une cause de foi des laïcs ont porté un jugement sur un évêque ?… Si un évêque doit recevoir l’enseignement d’un laïc, que s’ensuivra-t-il ? Donc, que le laïc dispute, et que l’évêque écoute : que l’évêque reçoive l’enseignement d’un laïc ! Mais assurément, si nous repassons, soit la série des divines Écritures, soit les temps anciens, qui trouverons-nous qui nie que dans les affaires de la foi, ce sont les évêques qui sont les juges des empereurs chrétiens, et non pas les empereurs qui sont juges des évêques : in causa fidei, episcopos solere de imperatoribus christianis, non imperatores de episcopis iudicare ?
Tu vieilliras, Dieu aidant, et c’est alors que tu sauras par toi-même ce qu’il faut penser d’un évêque qui met les droits de l’Église sous les pieds des laïcs…
Ta loi ne saurait prévaloir contre la loi de Dieu. C’est la loi de Dieu qui nous a enseigné ce qu’il faut croire, les lois humaines ne peuvent nous l’enseigner. Elles ont coutume d’extorquer un changement aux timides, elles ne peuvent inspirer la foi[616].
…
Même en ce qui concerne l’enseignement de la loi morale
Même dans les actes dépourvus d’un caractère spécifiquement religieux,
l’Église peut obliger les empereurs à respecter la loi morale, sous peine de censure.
Ce souci se manifeste avec un éclat particulier dans l’affaire de
Thessalonique, où l’évêque obtint de l’empereur une pénitence publique :
Aurais-tu honte, ô empereur, de faire ce qu’a fait David, le roi-prophète, l’aïeul selon la chair de la race du Christ ?… Ne t’offense pas de ce que l’on te dise : « C’est toi qui as fait cela », comme le prophète l’a dit à David. Si tu écoutes mes paroles avec soumission, et que tu dises, toi aussi : « J’ai péché contre le Seigneur », à toi aussi il sera dit : « Puisque tu te repens, le Seigneur te remet ton péché, tu ne mourras point »… Si tu as confiance en moi, fais ce que je te dis… Sinon, pardonne-moi ce que je fais : c’est que je mets Dieu au-dessus de tout[617].
Modération
et équité
Mais ces efforts en faveur de l’Église ne devaient jamais, aux yeux de
l’évêque, prendre la forme d’un prosélytisme plus ou moins persécuteur. La
force, arme purement défensive, licite pour protéger la croyance publique
contre l’erreur envahissante, ne peut en aucun cas servir à imposer la vérité.
Ainsi, il flétrit l’inhumanité du supplice des Priscillanistes, auxquels il
était pourtant peu favorable[618] :
Parlent-ils autrement que les Juifs, quand ils disent que les criminels doivent être punis par les lois de l’État, et qu’en conséquence, il fallait que les évêques eux-mêmes accusassent devant les tribunaux de l’État ces gens qui, déclaraient-ils, devaient être punis selon les lois ? C’est exactement le même cas… Mais le Christ n’a pas souffert qu’une seule femme fût punie d’après la loi ; eux affirment que trop faible fut le nombre de ceux qui furent châtiés[619].
De même, il eût répugné à solliciter l’appui du pouvoir civil pour
violenter la conscience des ariens :
Exerçons nous aussi, à l’image du Christ, sur nos frères une action morale seulement. Tâchons de les convaincre de leurs véritables intérêts, puis « pleurons devant le Seigneur qui nous a faits » (Ps. 94) ; car il ne s’agit pas d’écraser ces hommes, mais de les guérir. Nous ne leur dressons pas des pièges : nous leur donnons de douces leçons de religion. La bonté fléchit souvent celui que n’ont pu déterminer la raison et la force. Quand Dieu a rencontré sur le chemin de Jéricho l’homme blessé par les brigands, lui, le vrai Samaritain, n’a pas appliqué à ses plaies les remèdes violents fournis par la loi de crainte ; mais il y a versé l’huile et le vin comme un baume sauveur. Qu’ils viennent donc à lui, tous ceux qui veulent guérir ; qu’ils aient recours à son remède, remède descendu du Père et préparé dans les cieux, où il a été composé de sucs immortels. Ce remède, c’est la chair, c’est le sang du Fils de Dieu qui s’est fait homme afin d’attirer l’homme à lui[620].
Les armes de l’Église sont donc purement spirituelles :
L’Église ne triomphe pas des puissances adverses par les armes du siècle, mais par des armes spirituelles, qui sont puissantes devant Dieu pour renverser les forteresses et l’exaltation de l’esprit du mal (2 Co 10, 4-5)… Les armes de l’Église, c’est la foi ; les armes de l’Église, c’est la prière qui triomphe de l’ennemi[621].
Conclusion
On désigne souvent le docteur de Milan comme « le docteur de
l’Église ». Il a mérité ce titre par sa vie, son courage indomptable au
service des intérêts et de la liberté de la « sainte Église ». Il l’a
mérité aussi par son œuvre littéraire, où le nom de l’Église revient sans
cesse, non seulement dans la perspective de son activité épiscopale et
politique, mais aussi comme le sujet d’une réflexion profonde, nourrie des
images de l’Écriture comme des dures réalités auxquelles il était confronté. Il
développe ainsi une ecclésiologie pour ainsi dire organique, aux aspects
multiples et équilibrés, conditionnée pour une part, sans doute, par le
contexte historique, mais, à bien des égards, d’une valeur définitive. Elle
exercera sur Augustin, à côté de celle d’Optat, une influence incalculable.
Saint Sirice (pape 384-398 ou 399)
Le pontificat de saint Sirice est peu connu. Saint Jérôme le jugeait
« trop simple »[622],
et son action fut quelque peu éclipsée par la haute personnalité d’Ambroise,
avec qui il collabora dans plusieurs affaires d’Église : question
priscillianiste, où il appuya les décisions de l’évêque de Milan ;
extinction du schisme d’Antioche ; condamnation de Bonose (392), aussitôt
communiquée à Ambroise qui s’empressa de l’approuver[623].
Sirice est cependant l’un des papes qui ont le plus contribué au développement
de la papauté, et le premier à figurer dans les collections de décrétales,
« ordonnances ou constitutions des papes ayant une portée générale, soit
pour l’Église entière, soit au moins pour une de ses parties notables, une ou
plusieurs provinces ecclésiastiques »[624].
La plus connue, et la seule que mentionne Denys le Petit, est adressée à Himère
de Tarragone (10 février 385), en réponse à une consultation portant sur quinze
points de discipline. L’année suivante, il communique les décisions du synode
romain de 386 aux évêques d’Italie et d’Afrique. En 390, il écrit une
encyclique condamnant Jovinien.
Dans toutes ces lettres, il manifeste, en conformité avec la Tradition
romaine, la certitude d’exercer la sollicitudo
omnium Ecclesiarum[625] évoquée par l’Apôtre.
Vicaire
de Pierre
Le préambule de la lettre à Himère de Tarragone,
dont la chancellerie romaine s’inspirera souvent par la suite, fait allusion à
la responsabilité spéciale du Siège Apostolique. Avant saint Léon, Sirice est
convaincu que c’est Pierre lui-même qui est présent et agit en ses
« héritiers », ses exécutants visibles et actuels. C’est le thème du
pape, « vicaire de Pierre », largement répandu chez les successeurs
de Sirice :
Nous
ne refusons pas à ta demande la réponse qui convient, puisque eu égard à Notre
charge, Nous n'avons pas la liberté de pouvoir dissimuler ou taire quelque
chose, puisque plus qu’à tous Nous incombe le zèle pour la religion chrétienne.
Nous portons les charges de tous ceux qui peinent, et plus encore : les
porte en Nous le bienheureux apôtre Pierre,
dont Nous croyons avec confiance qu'il Nous protège et Nous garde en toutes
choses comme l’héritier de son ministère : portamus onera omnim qui gravantur ; quinimmo in nobis portat in
nobis beatus Petrus Apostolus, qui nos in omnibus, ut confidimus,
administrationis suæ protegit et tuetur hæredes...[626]
Tête
du corps de l’Église
Autre thème promis à un riche avenir : celui
du siège romain, tête (visible) de l’Église. Saint Paul avait présenté l’Église
comme un corps, structuré par divers ministères (1 Co 12, 12-31 ; Ro 12,
3-8), et dont le chef invisible était le Christ (Ép 1, 20-23 ; Col 1,
18 ; 2, 19). Par ailleurs, on considérait Rome comme la capitale, caput, de l’empire et même de l’Orbis, et l’État comme un corpus, nécessairement doté d’un caput. Il était donc tout naturel de
voir dans « l’Église romaine » ou « le Siège apostolique »
— il ne s’agit pas d’un privilège purement personnel, mais lié à la chaire de
Pierre — la tête (visible) de l’Église, à laquelle les membres doivent se
référer en cas de doute : ad caput
corporis tui retulisti[627].
À
toutes les questions que tu as soumises par notre fils le prêtre Bassianus à
l’Église romaine, comme à la tête de ton corps, ad caput corporis tui retulisti, nous avons rendu des réponses
suffisantes, me semble-t-il... Bien qu'aucun prêtre du Seigneur n'ait la
liberté d'ignorer les décisions du Siège apostolique ou les déterminations
vénérables des canons[628], il
pourra être néanmoins très utile et — compte tenu de l'ancienneté de ton
sacerdoce — très glorieux pour ta Charité, que ce qui t’a été écrit à titre
spécial en termes généraux soit porté, par ton souci de l'unanimité, à la
connaissance de tous nos frères : afin que ce qui a été édicté par Nous,
non pas de façon inconsidérée mais de façon circonspecte, avec une grande
prudence et longue réflexion, demeure inviolé, et qu’à l'avenir soit fermée la
voie des excuses, laquelle ne pourra plus être ouverte à personne auprès de
Nous.[629]
À la génération suivante, le tournant du ve siècle est marqué par une
pléiade d’étoiles de première grandeur dont nous ne retiendrons que
trois : saint Jean Chrysostome en Orient ; saint Jérôme et saint Augustin
en Occident.
Saint Jean Chrysostome, moine, puis ordonné diacre par
Mélèce en 381 et prêtre par Flavien en 386, prédicateur de l’Église d’Antioche
et enfin, en 397, patriarche de Constantinople, s’est surtout formé, sous la
direction de Diodore de Tarse et en compagnie de Théodore de Mopsueste, à
l’école de saint Paul. Il est connu comme le docteur de l’eucharistie et de
l’aumône. Mais ces deux thèmes s’enracinent chez lui dans une riche doctrine du
corps mystique, tirée essentiellement de l’Apôtre.
Communion dans le
Christ de tous les membres de son corps
L’Église est l’épouse du Christ, qu’il s’est acquise par son sang[630]. Elle est surtout son corps. À
l’exemple de saint Paul, dont il relève volontiers les expressions énergiques[631], la perpétuelle pensée de Chrysostome
est de montrer qu’entre le Sauveur et ses membres,
tout est commun[632]. Voici comment il commente le verset
de l’épître aux Galates (3, 26) : « Vous êtes tous enfants de Dieu
par la foi » :
« Tous, vous êtes des fils de
Dieu par la foi dans le Christ ». Par la foi, non par la loi. Ensuite,
comme c’est là chose grande et admirable, il explique le mode de
l’adoption : « Vous tous, en effet, qui avez été baptisés dans le Christ,
vous avez revêtu le Christ » (3, 27). Pourquoi ne dit-il pas : vous
tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous êtes nés de Dieu ? C’est
cela pourtant qu’il fallait pour montrer qu’ils sont fils. C’est qu’il voulait
montrer ce fait d’une manière beaucoup plus saisissante. Car si le Christ est
Fils de Dieu, et si toi, tu l’as revêtu, ayant ainsi le Christ en toi-même, et
étant assimilé à lui, tu ne fais plus avec lui qu’une race et qu’une façon
d’être : eiV
mian suggeneian kai mian idean hcqhV.
« Il n’y a plus ni Juif, ni
Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme. Tous, vous êtes un seul
dans le Christ Jésus » (3, 28). Voyez quelle âme insatiable. Il vient de
dire : « Vous êtes devenus fils de Dieu par la foi ». Mais il ne
s’arrête pas là. Il veut dire davantage, pour exprimer plus exactement
l’étroitesse de notre union avec le Christ. Et, alors qu’il a dit :
« Vous l’avez revêtu », il ne se contente pas de cette formule ;
mais il l’explique, il inculque plus fortement l’intimité de l’union. Il
dit : « Vous êtes tous un seul dans le Christ Jésus ». Vous
n’avez plus qu’une forme, qu’un type : celui du Christ. Peut-on trouver
paroles plus frémissantes ? Ceux qui n’étaient que des Grecs, des Juifs,
des esclaves, voilà qu’ils s’avancent, exprimant en eux, non la forme d’un ange
ou d’un archange, mais celle du maître de toutes choses, et que, en eux, ils
montrent le Christ[633].
Dans ce corps, tous, en tant que membres, et par le moyen
même de la subordination des membres, ont même dignité :
Paul ne dit pas : les membres,
tout nombreux qu’ils sont, n’appartiennent cependant qu’à un seul corps ;
mais : l’unique corps, ce sont ces nombreux membres et ces nombreux
membres sont le corps lui-même. Si maintenant les nombreux sont l’un, et l’un
est les nombreux, où sont les différences entre les membres, où le supérieur,
où l’inférieur ? Tout, dit-il, est un, non d’une unité ordinaire, mais
selon un ordre admirable : tout, en tant qu’il est le corps, est un[634].
L’Église est unique et doit demeurer une : le
schisme qui la divise n’est pas moins coupable que l’hérésie qui altère sa foi.
L’unité de ce corps est chose merveilleuse, plus convaincante que les
miracles :
Celui qui est à Rome considère les
Indiens comme ses membres…
Comme on admire Dieu, parce qu’en lui
il n’y pas de division, ainsi les chrétiens deviendront admirables en étant un,
et cette unité attirera les hommes, car la paix attire plus que les prodiges[635].
L’eucharistie, source
de notre union dans le Christ
La source de l’unité du corps mystique, c’est
l’eucharistie, qui « implante son corps en nous ». Telle est la fin
essentielle de ce sacrement :
Il faut apprendre la merveille de ce
sacrement, le but de son institution et les effets qu’il produit. Nous devenons
un seul corps, selon l’Écriture, et membres de sa chair et de ses os (Ep 5,
30)…
Il veut que nous devenions son corps,
non par la charité seulement, mais qu’en réalité nous soyons mélangés à sa
propre chair. C’est ce qu’opère la nourriture qu’il nous donne, comme preuve de
son amour. Il s’est donc mêlé à nous, il implante son corps en nous, afin que
nous devenions une seule chose, comme un corps uni à sa tête. Ainsi font, en
effet, ceux qui aiment ardemment…[636]
« Le pain que nous rompons,
n’est-il pas communion au corps du Christ ? » (1 Co 10, 16). Pourquoi
ne dit-il pas une participation, c’est-à-dire la réception d’une partie ?
Parce qu’il a voulu dire davantage et montrer l’étroitesse de l’union. Ce n’est
pas seulement en recevant notre part, c’est en nous unissant au Christ que nous
communions. De même, en effet, que ce corps[637] est uni au Christ, ainsi nous, par ce pain, nous sommes
unis[638].
L’unité produite par l’eucharistie dépasse, si possible,
la simple communion :
Il vient de dire : « la
communion au corps ». Mais ce qui communie est distinct de ce à quoi il
communie. Cette imperfection dans l’union, bien petite cependant, Paul va la
faire disparaître. Ayant dit : « la communion au corps », il
cherche à dire quelque chose de plus intime. Aussi poursuit-il :
« Puisque le pain est un, nous sommes un sel corps, nous les
nombreux » (1 Co 10, 17). Que parler encore de communion ?
dit-il : nous sommes ce corps même. Qu’est-ce, en effet, que ce
pain ? Le corps du Christ. Que deviennent les communiants ? Le corps
du Christ ; par plusieurs corps, un seul corps… On ne mange pas, toi, d’un
corps, et tel autre, d’un autre corps ; mais nous mangeons tous du même.
Aussi Paul ajoute-t-il : « Tous, nous participons à un seul
pain »[639].
De cette union résulte pour l’Église une exaltation
inouïe :
« Dieu, dit l’Apôtre, l’a élevé
comme Tête au-dessus de toute l’Église ». Grand Dieu ! à quelle hauteur il élève l’Église,
elle aussi ! L’élevant comme par une machine, il la hisse à une grande
hauteur et il l’assied sur un trône. Où est la tête, là aussi est le corps. Car
entre le corps et la tête, il n’y a place pour aucun intervalle. S’il y en
avait un, ce ne serait plus la tête, ce ne serait plus le corps[640].
Cela, pour chacun de nous, à condition que nos œuvres ne
placent aucun intervalle entre lui et nous :
Bâtissons donc sur le Christ, qu’il
soit notre fondement, comme la vigne l’est pour le sarment, et que rien ne
s’intercale entre lui et nous : si la moindre séparation intervenait, nous
péririons à l’instant. Car le sarment vit de son rattachement [au cep] et la
construction tient par l’appui qu’elle trouve : si celui-ci venait à se
dérober, elle s’effondrerait, n’ayant pas de soutien. Et ne nous attachons pas
seulement au Christ : accolons-nous à lui : le moindre intervalle
nous ferait mourir… Accolons-nous donc à lui et accolons-nous par les œuvres.
Vois : il est la tête, nous le corps. Peut-il y avoir un espace vide entre
la tête et le corps ?…[641]
Conséquences morales
Moraliste avant tout, Chrysostome tire en effet immédiatement
les conséquences morales de ces vérités sublimes : l’appartenance à un
corps unique, par le rattachement à une tête unique, et l’exigence de la
charité entre les membres :
Si donc, par une même nourriture,
nous devenons tous la même chose, pourquoi ne témoignons-nous pas tous la même
charité et ne devenons-nous pas, en cela aussi, un ? [642]
Tu méprises (un fidèle), alors qu’il
est devenu membre du Christ et corps du Seigneur ? Ne comprends-tu pas ton
impudence ? Ne sens-tu pas ton audace ? Il a le Christ pour tête, et
pour table, et pour vêtement, et pour vie, et pour lumière, et pour époux, et
tu oses dire : « Je le méprise », et pas seulement lui, mais
mille autres avec lui ?[643]
C’est ce qui explique l’insistance singulière de ce
docteur de la charité sur l’aumône, qui est faite au Christ lui-même dans son
corps mystique :
Lui-même a dit [du pauvre] :
« c’est moi ». Pourquoi donc ne te dépouilles-tu donc pas de
tout ?…[644]
« Quiconque reçoit un de ces
petits me reçoit ». Plus ce frère est humble, et plus aussi, par lui, le
Christ est véritablement reçu[645].
Je ne le dis pas pour les pauvres,
mais pour votre salut, car ils périront, ceux qui n’ont pas nourri le Christ[646].
Les miséreux constituent le plus vénérable des
autels :
L’autel dont je vous parle est fait des
membres mêmes du Christ, et le corps du Christ devient pour toi un autel.
Vénère-le : dans la chair, tu y fais le sacrifice au Seigneur. Cet autel
est plus vénérable que celui qui se dresse en cette église… Cet autel-ci est
auguste, à cause de la victime qui y vient. Celui de l’aumône l’est davantage,
parce qu’il est fait de cette victime même[647].
C’est pourquoi l’aumône vaut mieux que les largesses aux
églises :
à quoi bon orner de vases d’or la table du Christ, si
lui-même meurt de faim ? Rassasie-le d’abord quand il est affamé. Tu
verras après à décorer sa table avec le superflu… Dis-moi, si tu voyais
quelqu’un manquant de la nourriture la plus nécessaire, et si tu le laissais là
pour orner la table avec des vases d’or, t’en serait-il reconnaissant, n’en
serait-il pas plutôt indigné ?… Je ne dis pas cela pour réprouver les
ornements. Il faut se préoccuper de l’un et l’autre, mais d’abord de l’autre[648].
L’épiscopat
Dans sa vie personnelle, Chrysostome a toujours montré un
grand sens de l’Église — qui est indestructible et éternelle, étant « la
colonne et le support de la vérité » (1 Tim 3, 15), du fait qu’elle a
elle-même la vérité pour colonne et pour soutien[649] — et, corrélativement, du rôle
indispensable de sa hiérarchie. Sommé de quitter son église après sa déposition au synode du chêne, il
déclare :
Si vous aimez le Christ, que nul
d’entre vous n’abandonne son église à cause de moi… L’enseignement n’a pas
commencé avec moi, et il ne finira pas avec moi[650].
À Olympias et à ses compagnes, au temps de son exil, il
recommande de rester unies à l’évêque qui le remplacera, s’il n’a pas brigué
cette charge et pris part à la déposition, « car l’Église ne saurait être
sans évêque »[651].
peu d’auteurs ont insisté autant sur la dignité et
l’autorité du ministère des chefs de l’Église. Les évêques sont indépendants du
pouvoir civil :
Autre est le domaine de la royauté,
autre celui du sacerdoce, et celui-ci l’emporte sur celui-là… Le prince a pour
fonction d’administrer les choses temporelles, le droit du sacerdoce lui vient
d’en haut…
Il ne t’est pas permis, ô roi, de
brûler de l’encens sur le saint des saints ; tu outrepasses les limites
[de ton pouvoir] ; tu vends ce qui ne t’a pas été donné… cela ne
t’appartient pas, mais à moi[652].
La primauté a été confiée par le Christ à saint Pierre,
et Jean ne tarit pas d’éloges sur l’Apôtre privilégié :
Il est le premier, le coryphée, la
bouche des Apôtres, le prince des disciples, la base et le fondement de l’Église,
celui qui est préposé à l’univers et à qui le soin de tenir le troupeau a été
confié, dont Paul lui-même a reconnu la supériorité et le pouvoir[653].
La primauté de Pierre est-elle passée à ses
successeurs ? Il semble que Jean ne se soit pas posé cette question, du
moins dans les termes où la posaient ses contemporains occidentaux. Lorsque
l’archevêque déposé écrit à Innocent Ier pour
lui demander d’intervenir en sa faveur et de maintenir sa communion avec lui,
cette démarche est-elle à interpréter dans le sens d’une reconnaissance de la
primauté romaine ? On en a parfois douté, mais dans le cas contraire cette
demande ne présenterait aucun sens. Il est certain, d’une part, que Chrysostome
a entretenu des relations importantes avec l’Occident[654], et qu’il a demandé et obtenu le
soutien du pape contre Théophile d’Alexandrie. Ses lettres à Innocent I, auquel
il associe parfois les autres Églises, semblent sous-entendre la reconnaissance
du rôle universel du pontife romain, sans en préciser la nature exacte :
Lorsque vous aurez appris et
pleinement reconnu ces faits par le témoignage si recommandable des évêques,
nos frères, nous vous conjurons de déployer en notre faveur tout le zèle dont
vous serez capables. En agissant ainsi, ce n’est pas à nous seul, c’est à
toutes les Églises sans exception que vous rendrez un éminent service, et Dieu
vous en récompensera, lui qui fait tout pour préparer la paix des Églises.
Agrée mes vœux les plus constants et prie pour moi, Seigneur très vénérable et
très saint[655].
Contrairement à ce qu’on a affirmé, il existe d’autres
témoignages de cette reconnaissance dans l’œuvre du saint. Dans une homélie
prononcée en 388 à Antioche, il rapproche lui-même de l’Apôtre Pierre son
successeur actuel, dont la chaire réside dans « la cité royale de
Rome » — Antioche gardant spirituellement Pierre en gardant la foi de
Pierre :
Il était juste que notre cité
(Antioche), qui fut glorifiée par le nom des chrétiens avant tout le reste de
la terre, reçoive pour pasteur le prince des Apôtres. Mais alors que nous
l’avions reçu pour maître, nous ne l’avons pas gardé pour toujours, mais nous
l’avons cédé à la cité royale de Rome. Car nous ne gardons pas le corps de
Pierre, mais nous gardons la foi de Pierre comme Pierre lui-même ; et
pourvu que nous gardions la foi de Pierre, nous avons Pierre lui-même[656].
Comme le de officiis de saint Ambroise, les
six livres Sur le sacerdoce
(387-390 ?) de Chrysostome offrent un traité complet de spiritualité
sacerdotale, même si, comme sacerdotium chez
les occidentaux à la même époque,
iereuV,
iereusunh désignent
d’abord l’évêque et son état de vie.
·
Excellence du sacerdoce :
Du fait qu’il est ordonné au service d’autrui, le
sacerdoce est supérieur au monachisme : il exige le plus grand amour, non
seulement pour le Christ, mais encore pour son Église :
Quel plus grand avantage pourrait
exister, dis-je, que celui d’apparaître comme faisant ce que le Christ lui-même
a dit être une preuve d’amour envers lui ?…[657]
Après s’être assuré de l’amour du « coryphée des
Apôtres », le Seigneur
aurait pu
dire : entraîne-toi au jeûne, couche sur la dure, veille toute la nuit,
défends les opprimés, sois pour les orphelins un père et sers de protecteur à
leur mère ; or, il laisse tout cela, et il lui dit : « Pais mes
brebis »[658].
Toutes ces autres activités, des femmes, par exemple les
diaconesses, peuvent les exercer, mais non le sacerdoce :
Lorsqu’il est question de présider
l’assemblée et de recevoir le soin d’un si grand nombre d’âmes, que s’écarte
toute la nature féminine devant la grandeur de la tâche, tout comme la majorité
des hommes[659].
C’est pourquoi Jean recule devant ce ministère, dont il
se juge indigne[660].
·
Fonctions du prêtre
—
Ministère sacramentel, la fonction la plus élevée du
prêtre :
Le sacerdoce s’exerce sur la terre,
mais il a sa place parmi les choses célestes… Il faut que le prêtre, comme s’il
était dans les cieux en compagnie des puissances célestes, leur soit égal en
pureté[661].
La grandeur de cette fonction éclate
surtout dans le sacrifice eucharistique :
Lorsque tu vois le Seigneur immolé et
gisant et le prêtre qui se tient debout, penché au-dessus de la victime en
priant et tout empourpré de ce sang précieux, penses-tu être encore parmi les
hommes et vivre sur la terre, mais ne crois-tu pas avoir émigré dans les cieux,
et, repoussant toute pensée charnelle, ne vois-tu pas autour de toi, avec ton
âme seule et comme un pur esprit, ce qu’on voit dans les cieux ?[662]
Autre pouvoir qui n’est accordé ni aux anges ni aux
archanges : celui de remettre les péchés :
À ceux qui habitent la terre et qui
en font leur séjour, la charge d’administrer les choses des cieux a été confiée
et ils ont reçu un pouvoir que Dieu n’a donné ni aux anges, ni aux archanges.
N’est-ce pas à eux qu’il a été dit : « Tout ce que vous lierez sur la
terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera
délié dans les cieux » ? Les puissants de la terre ont le pouvoir
d’enchaîner, mais les corps seulement ; tandis que ce lien-ci concerne
l’âme et passe par les cieux, et tout ce que les prêtres font ici-bas, Dieu le
sanctionne là-haut. Le maître confirme la sentence de ses serviteurs.
Et que leur a-t-il donné d’autre,
sinon toute puissance céleste ? « Ceux à qui vous remettrez les
péchés, qu’ils leur soient remis, et ceux à qui vous les retiendrez, qu’ils
soient retenus »[663].
Ils sont aussi chargés des « enfantements
spirituels »[664] qui nous rendent « membres de
cette tête bienheureuse »[665], et « ont aussi le pouvoir de
pardonner les fautes commises ensuite » par l’onction des malades[666].
—
Ministère de la parole, qui exige une grande puissance
d’expression :
Une vie vertueuse suffit à entraîner au bien par
l’exemple,
Mais lorsqu’une âme souffre de
fausses opinions sur les dogmes, il est alors besoin de la parole, non
seulement pour mettre en sécurité ceux qui sont à l’intérieur de l’Église, mais
encore pour lutter contre les attaques du dehors[667].
Le prédicateur doit être préparé à combattre les Grecs,
les Juifs, les hérétiques[668], ce qui requiert chez « celui qui
a mission d’enseigner les autres » un sens doctrinal aigu et équilibré,
l’habitude de la discussion, l’éloquence, le talent, et, lorsque les
adversaires s’appuient sur l’Écriture, « une grande expérience » des
joutes oratoires[669].
·
Célibat sacerdotal ?
« L’âme du prêtre doit être plus pure que les rayons
du soleil », et « rendre son âme inaccessible aux passions par une
sobriété continuelle et une grande ferveur », ce qui exige de lui beaucoup
de précautions et beaucoup plus de discernement que des moines, protégés par
leur solitude[670].
Depuis le concile de Nicée, le célibat était devenu
progressivement une loi pour les évêques, et Jean, élevé au patriarcat de
Constantinople, soutint un rude combat pour l’intégrité de vie de ses
suffragants, donnant à six évêques déposés pour simonie des successeurs n’ayant
jamais été mariés[671].
Pour les prêtres du second ordre eux-mêmes l’idéal de
Chrysostome était sans aucun doute le célibat, comme le prouvent son idée de la
supériorité du prêtre sur le moine, et son insistance sur les tentations dont
le prêtre doit se garder[672].
Cet idéal reflète, semble-t-il, l’esprit de l’Asketerion
de Diodore de Tarse, qui pratiquait une ascèse rigoureuse de type monastique —
virginité, pauvreté volontaire, méditation de l’Écriture —, en vue non d’abord
de la perfection individuelle du moine, mais du service de la communauté.
Après s’être mis vers l’âge de dix-huit ans, à l’école de
Diodore, Jean avait mené quelque temps dans les montagnes une vie monastique
d’une austérité effrayante :
Pendant deux ans, il passa la plus
grande partie du temps sans dormir ; il apprit par cœur le Testament du
Christ, afin de se débarrasser complètement de l’ignorance. Jamais il ne s’est
couché pendant cet espace de deux ans, ni de jour, ni de nuit[673].
Ces austérités excessives avaient ruiné sa santé, et il
était rentré à Antioche, où il s’était consacré au travail apostolique avec la
même fougue, tout en continuant
pratiquer une vie ascétique et solitaire d’une grande rigueur jusque
dans son palais épiscopal. Initiateur de la spiritualité du laïcat et de la vie
conjugale, il demeure toujours, dans sa conception de la perfection chrétienne,
tributaire de la spiritualité monastique, notamment dans son culte de la
virginité[674], qu’il cherche à protéger contre les
abus et les scandales auxquels donnaient lieu les unions
« mystiques » et la cohabitation[675].
·
Un appel universel inspiré de la tradition monastique
À tous il recommande la méditation des Écritures[676], occupation considérée comme
caractéristique des moines :
Car le moine, à qui parle-t-il ?
Aux murs, aux toits, au désert, aux forêts, aux oiseaux, aux arbres ? Une
telle éducation n’est donc pas absolument indispensable au solitaire.
Néanmoins, il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais
dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont le plus
besoin[677].
De même pour la prière et la pénitence :
Élevons bien haut notre pensée. Je
connais beaucoup d’hommes, presque suspendus au-dessus de la terre et étendant
les bras, au-delà de l’ordinaire, et désolés de ne pouvoir s’élever vers le
ciel, en priant ainsi avec ferveur. Je voudrais que vous fussiez toujours
ainsi ; sinon toujours, du moins souvent ; sinon souvent, du moins
quelquefois ; du moins le matin et le soir. Mais tu ne peux étendre les
mains, étends alors la liberté de ton âme au maximum[678].
À ceux qui se rebellent, il rétorque :
Allez le dire à Paul, qui vous donne
cette leçon : « Veillez en toute patience, et priez » (Col 4,
2), ou encore : « Ne tenez pas compte de la concupiscence » (Ro
13, 14). Il n’a pas écrit seulement pour les moines, mais pour tous ceux qui
vivent dans le monde. Car le laïc n’a rien de plus que le moine, sinon la
cohabitation avec une femme. Là est la différence, dans le reste il n’y en a
aucune, mais il est tenu aux mêmes devoirs que le moine[679].
Certains, à l’époque, voulaient abandonner aux moines la
pratique de la perfection chrétienne, et laisser végéter les laïcs dans un
christianisme de seconde zone. En réaction contre cette déviation, et tout en
ne retenant de la vie monastique que ce qui était conforme à son propre idéal
évangélique, il exige de ses fidèles un idéal aussi élevé que celui des moines.
C’est, en somme, une anticipation de l’appel universel de Vatican II à la
sainteté :
Les béatitudes prononcées par le
Christ ne sont pas exclusivement réservées aux moines ; ce serait la perte
du monde entier, et nous pourrions avec raison accuser Dieu de cruauté. Si les
béatitudes n’étaient que pour les moines, si le séculier n’avait pas la
possibilité d’y parvenir, Dieu lui-même, en permettant le mariage, aurait par
ce fait perdu le genre humain. S’il n’est pas possible, encore une fois, à
l’homme marié d’adopter les pratiques des moines, tout s’abîme et disparaît,
les choses de la vertu se trouvent enfermées dans un carcan[680].
Pour échapper à l’enfer, il faut
s’abstenir du mal, mais pour obtenir le ciel, il faut s’attacher à la vertu[681].
Impossible de s’en tenir au décalogue, ce qui serait considérer comme non avenu l’avènement du Sauveur :
Pour nous, nous sommes appelés à une
vie plus parfaite, nous cherchons à atteindre un but plus élevé et nous nous
exerçons dans une arène où les combats sont plus difficiles. La vie à laquelle
nous sommes appelés, c’est celle des vertus et des intelligences célestes,
celle des purs esprits[682].
Entre le laïc et le moine, l’idéal est le même, celui de
l’Évangile. Il n’existe qu’une différence de modalités :
C’est une erreur monstrueuse de
croire que le moine doit mener une vie plus parfaite, tandis que les autres
peuvent ne pas se gêner… gens du
monde et moines ont le devoir d’atteindre au même sommet de la perfection[683].
Le laïc ne diffère en rien du moine,
si ce n’est par l’état de mariage ; là est la différence ; pour tout
le reste, il n’y en a aucune, mais le laïc est tenu exactement aux mêmes
devoirs que le moine. Les béatitudes prononcées par le Christ ne peuvent être
réservées à l’usage des moines, sinon ce serait la ruine de l’univers[684].
·
L’insertion du monachisme dans la communauté chrétienne
— Le monachisme au service de l’Église
Les pratiques monastiques facilitent le salut, mais ne
dispensent pas de l’essentiel : la charité. « La règle fondamentale
du christianisme se situe dans le service d’autrui »[685]. En effet,
Dieu voulant que tous les hommes
fussent liés ensemble, a imposé aux choses une telle
nécessité que l’intérêt particulier est solidaire de l’intérêt général.
C’est ainsi que le monde forme un tout harmonieux[686].
C’est pourquoi
personne ne peut
conduire à bien ses propres affaires sans l’amour et le salut du prochain[687], car le signe et le
caractère du fidèle et de l’amant du Christ n’est rien d’autre que le souci de
ses frères et le travail en vue de son salut[688].
Le salut égoïste est impossible, car il va à l’encontre
de l’idéal chrétien :
Tu auras beau rester à jeun, coucher
sur la dure, manger de la cendre, pleurer sans cesse, si tu n’es pas utile à
d’autres, tu ne fais rien de grand[689].
Si tu demeures indifférent au bien de
ton frère, souviens-toi que tu ne peux assurer autrement ton salut, et dans ton
intérêt, tu auras soin du sien[690].
Ce souci du bien d’autrui est essentiel à la vie
monastique, au point que Jean s’élève parfois contre la fuite au désert, qui
faisait fureur à son époque[691]. Ou plutôt, il assigne à la vie
monastique elle-même une finalité apostolique, par la prière, l’union à
l’évêque et la charité :
Que les moines aussi, qui habitent
sur le sommet des montagnes et par toutes sortes de moyens se sont crucifiés a
monde, que tous écoutent ces paroles, afin que, selon leur pouvoir, ils
viennent en aide à ceux qui sont préposés aux Églises en les fortifiant de
leurs prières, de leur union avec eux, de leur charité. Qu’ils sachent que,
s’ils ne soutiennent pas, même de loin, de toutes manières, ceux qui, par la
grâce de Dieu, ont été préposés à une fonction ecclésiastique et qui sont
chargés du soin de tant de choses, leur vie manquera de valeur pour eux, et
tout leur savoir n’aura été qu’une sagesse mutilée[692].
— La vie monastique, signe de la vocation chrétienne
Surtout, la vie monastique est par elle-même signe de la vocation chrétienne.
La vie monastique a toujours été comparée à un retour au
paradis, à l’abri de toute préoccupation temporelle[693], et surtout à la vie angélique. Mais
Jean envisage surtout celle-ci comme une vie de service :
En quoi consiste, en effet, le
ministère des anges ? à servir Dieu pour notre salut. C’est donc une
œuvre angélique de tout faire pour le salut de ses frères[694].
Plus encore, par la virginité, le détachement total de ce
monde, la vie monastique apparaît au saint docteur comme signe de l’avènement
du royaume :
Voyez-vous à quel point nous sont
utiles ces étrangers et ces voyageurs, ces citoyens du désert, ou plutôt ces
citoyens du ciel ? Nous sommes des étrangers par rapport au ciel, des
citoyens de la terre ; eux, c’est le contraire[695].
— Quel apostolat des moines ?
Ce n’est pas que saint Jean Chrysostome veuille arracher
les moines à leur désert pour les jeter dans la vie active, à laquelle, en
règle générale, ils sont peu préparés — encore que certains d’entre eux
présentent toutes les aptitudes requises pour le sacerdoce[696].
Mais c’est par la prière et la mortification, jointes à
l’hospitalité, que, comme Moïse, David, Paul, les solitaires rendent
un service inestimable au peuple chrétien :
Maintenant encore,… il en est
beaucoup, cachés dans les villes et d’autres sur les
montagnes ou dans les cavernes, susceptibles d’apaiser Dieu, et la vertu de ce
petit nombre peut compenser la malice d’un grand nombre. Car l’immense bonté du
Seigneur sait le plus souvent accorder le salut de la masse à cause de quelques
justes[697].
Les monastères sont des phares qui
brillent de haut pour éclairer au loin ceux qui viennent à eux ; établis
dans le port, ils invitent tout le monde à partager leur tranquillité, ne
permettant pas que ceux qui les voient fassent naufrage ou demeurent dans les
ténèbres[698].
Le thème de l’Église constitue une pièce maîtresse de
l’œuvre de l’exégète croate.
D’une part, comme commentateur et comme polémiste, Jérôme
se réfère sans cesse à l’Église, son institution, sa doctrine, sa vie, invoquant
l’autorité de la Catholica à l’appui
de sa pensée qui se trouve généralement dans le prolongement de la foi des
simples. Outre son amitié pour le pape Damase, son tempérament le rend
volontiers pour l’anarchie orientale.
D’autre part, le mystère de l’Église en lui-même joue
chez lui un rôle privilégié, car la grande réalité annoncée, c’est l’Église.
Quand il lui arrive, dans ses commentaires, de faire place à l’allégorisme,
c’est pour développer la typologie de l’Église : le premier avènement,
c’est l’Église[700]. En revanche, il reste sobre et
réservé sur l’eschatologie. Selon une exégèse traditionnelle, au terme de son
effort, il découvre dans l’Écriture le Christ, et, dans les profondeurs du
Christ, les splendeurs de l’Église.
Un témoin de la
tradition typologique sur l’Église
Sans ignorer la symbolique naturelle des anciens[701], les Pères dans leur ensemble sont
surtout sensibles à la typologie biblique, « science des correspondances
entre les deux testaments »[702]. Après avoir, plus que ses
devanciers, scruté le sens littéral — vilitas
historiæ —, Jérôme passe au sens spirituel ou typique : la
signification supérieure d’un fait ou d’une personne qui entretient avec une
autre « une relation de ressemblance et de connexion voulue par
Dieu »[703]. Typologie christologique, mais
aussi, par voie de conséquence, ecclésiale : « Tous les prophètes ont
parlé de l’Église »[704]. Jérusalem (ou Sion, ou le Temple) y
représente constamment l’Église : « Tout ce que nous disons de
Jérusalem, nous le rapportons à l’Église »[705].
De la typologie ecclésiale du ive siècle latin, toute tirée de l’Écriture,
Jérôme retient surtout les femmes de la Bible (l’Église est une épouse, vierge
et mère, mais étrangères), et Jérusalem, cité catholique et cité unique :
sa pensée ne diffère pas substantiellement de celle d’Hilaire et d’Ambroise.
Débiteur d’Origène et de Didyme l’Aveugle, il leur emprunte ses aperçus les
plus mystiques, mais il leur ajoute l’attention à l’aspect terrestre de
l’Église, ses chefs, son organisation, les péchés de ses membres.
Les principaux types
de l’Église
·
Types vétéro-testamentaires
Dès l’origine, « l’harmonieux accord, sumfwnia, de la loi et des prophètes avec le
testament livré par le Seigneur » avait été « la règle de
l’Église »[706]. Il était donc légitime de chercher
partout dans l’Ancien Testament la figure des réalités nouvelles, et notamment
— Jérôme y insiste plus que d’autres — celle de l’Église :
— nouveau
paradis, dont la source de vie est le Christ, prélude de l’Église
triomphante :
Il faut noter que dans Sion, qui est
comparée au paradis de Dieu, il ne doit y avoir autre chose que la joie,
l’allégresse, les actions de grâces et les cantiques de louanges, afin que ce
que les saints doivent faire dans les cieux avec les anges de Dieu, ils y
pensent sur la terre en louant sans cesse le Seigneur[707].
— Nouvelle ève,
épouse du nouvel Adam, édifiée de l’eau et du sang :
Nous avons vu ce qu’il en était du
premier Adam, venons-en au second et voyons comment l’Église est édifiée de son
côté. Le côté du Seigneur pendu à la croix a été percé par la lance et il en
sortit de l’eau et du sang. Voulez-vous savoir comment l’Église est édifiée de
l’eau et du sang ? Tout d’abord par l’eau baptismale, les péchés sont
effacés, puis, dans le sang du martyre, les martyrs sont couronnés[708].
— Arche du déluge, figure du baptême :
L’arche selon saint Pierre (1, 3, 20)
figure l’Église par la raison que huit personnes y furent sauvées[709].
Comme l’arche, l’Église est le lieu unique du salut,
alors que les hérétiques font naufrage :
Tout cela doit être fait dans
l’Église, dans cette unique maison où nous célébrons la Pâque, si nous entrons
dans l’arche de Noé (Gen 6, 8)…[710].
Utilisant discrètement Origène, Jérôme voit dans les
compartiments de l’arche non seulement la juxtaposition du pur et de l’impur
dans l’Église, mais les divers degrés de perfection — les saints (les animaux
purs) faisant l’ornement de l’Église[711] :
L’arche avait des compartiments
divers, de nombreuses cellules divisées elles-mêmes en deux ou trois, plus ou
moins grandes, selon l’espèce des animaux. Or je vois en cela l’image anticipée
des divers états de vie qui se rencontrent dans l’Église[712].
L’ivresse de Noé signifie la passion du Christ, la vigne
plantée par lui, l’Église, le jeune fils de Noé respectueux de la nudité de son
père, le peuple des gentils :
à sa sortie, Noé planta une vigne et s’enivra. Le Christ
étant né dans la chair a planté l’Église , et fut
abreuvé de douleurs… La nudité du père fut un objet de dérision pour l’aîné, et
le jeune la couvrit ; les Juifs tournèrent eux-mêmes en dérision un Dieu
crucifié, et les gentils l’honorèrent[713].
— Époque patriarcale : les deux femmes et les deux
peuples
Après Sara, la femme libre mais stérile qui enfante quand
Agar a reçu ses lettres de répudiation, c’est l’Église succédant à la
Synagogue. De même la chaste Rébecca, qui a enfanté Juifs et chrétiens en
Jésus-Christ[714]. Jacob préféré à Ésaü dès le sein de
sa mère et le supplantant dans son héritage, c’est le peuple nouveau préféré à
l’ancien, le chrétien recevant le droit d’aînesse :
Dieu a réservé la première
bénédiction aux Juifs à qui a été confiée la parole de Dieu, annoncée la
promesse, donnée la loi, pour qui a été établie l’Alliance. Mais parce qu’ils
ont refusé de croire, c’est à Jacob, le peuple cadet, que la bénédiction a été
transférée[715].
Rachel, la belle stérile et bien-aimée, trouvée en
Mésopotamie, c’est l’Église ; Lia féconde et maladive est le type de la
Synagogue :
Isaac fut la figure du Christ portant
sa croix, et Jacob, en ce qu’il eut pour épouses Lia, malade des yeux, et la
belle Rachel (Gen 29). Dans Lia, l’aînée, nous comprenons l’aveuglement de la
Synagogue, et dans Rachel, la beauté de l’Église[716].
Mais de même que, pour fuir les ruses de son frère, Jacob
se dirige vers la Mésopotamie, ainsi le Christ, contraint par l’incrédulité des
Juifs, part pour la Galilée ; il y prendra une épouse parmi les païens,
l’Église[717].
— Sortie d’Égypte et initiation chrétienne
Tout le mystère chrétien consiste en ce qu’un peuple est
conduit à nouveau vers la Terre Promise, conduit par un nouveau Moïse et un
nouvel Aaron, à travers la Mer Rouge du baptême et avec le soutien de la manne,
pain des anges[718] :
« Tu as conduit ton peuple comme
un troupeau de brebis, par la main de Moïse et d’Aaron »… C’est ce qu’il a
fait, c’est ce qu’il fait quotidiennement au milieu de nous, par la main de
Moïse, la Loi… et d’Aaron, le sacerdoce… C’est donc par ta loi spirituelle et
par ton sacerdoce spirituel que tu nous as conduits, nous ton peuple[719].
Le rocher de l’Horeb, c’est « la pierre, dont le
flanc… percé par la lance laissa couler de l’eau et du sang, nous léguant ainsi
le baptême et le martyre »[720].
— Josué, figure des temps nouveaux
Le passage du Jourdain entraîne le remplacement d’un chef
et d’un peuple retenus dans le désert par un nouveau chef et un nouveau peuple
qui entrent victorieusement dans la Terre Promise, pour s’y nourrir de
« l’Agneau immolé et des aliments de la Terre sainte »[721] :
Pour nous qui sommes les enfants,
nous sommes sous la conduite de Jésus sur les bords du Jourdain, et nous sommes
entrés dans la Terre Promise et nous avons été circoncis d’une circoncision
spirituelle[722].
Les trompettes sacerdotales de Jéricho préfigurent la
prédication de l’Évangile :
Maintenant, Jésus, notre Chef, tient
le glaive à la main… il combat pour nous, triomphe de nos ennemis… Et nous
faisons le tour de Jéricho, c’est-à-dire de ce monde[723]…
L’armée du Seigneur était accompagnée
de trompettes sacerdotales comme pour la prédication, et les murs de Jéricho
sont renversés pour figurer la conversion du monde[724].
Après la conquête de la Terre Promise, le partage des
terres figure l’héritage des élus dans la terre des vivants :
J’en viens à Jésus, fils de Navé,
figure du Seigneur non seulement par ses hauts faits, mais aussi par son
nom ; il a franchi le Jourdain… il partage la terre au peuple vainqueur,
et, à propos de chaque ville,… décrit les royaumes spirituels de l’Église et de
la Jérusalem céleste[725].
— Rahab et l’Ecclesia
ex gentibus congregata
à propos du verset, Memor ero Rahab et Babylonis, Jérôme montre dans cette femme à la
moralité douteuse la figure de l’Église, car « elle les reçut non pas dans
la partie basse de sa maison, mais dans la sublimité de sa foi ». Le lin
qui servit à cacher les espions était d’abord noir, et devient blanc, comme
cette femme qui passe de la noirceur à la blancheur spirituelle. à nous aussi, « Dieu a dit :
je me souviendrai… Ils furent Rahab et Babylone, mais ensuite ils se sont
convertis à moi »[726].
Rahab est une pécheresse, comme Thamar, Bethsabée,
Marie-Madeleine et l’épouse du Cantique, figurant le thème de la fidélité de
Dieu à son Alliance.
Surtout, Jérôme abonde dans le sens d’Origène, qui avait
vu dans la maison de Rahab une illustration de l’axiome : « Hors de
l’Église, point de salut » :
à la chute de Jéricho ne fut gardée que la maison de Rahab
la prostituée, image de l’Église croyante, rassemblée des gentils[727].
Quant au ruban rouge, image du sang du Christ, c’est
celui de l’humanité pécheresse rachetée par ce sang :
Elle aussi, Rahab, la courtisane,
préfigurant l’Église, a pendu à sa fenêtre une cordelette écarlate qui
symbolisait le mystère du sang, afin d’être sauvée, tandis que périssait
Jéricho[728].
—
Autres figures vétéro-testamentaires.
à tout propos, Jérôme est appelé à montrer le caractère
ecclésial des réalités qui forment le tissu de la Bible : le navire en
péril où dort Jonas[729], la pénitence de Ninive[730], les hommes qui, dans le récit de
Zacharie, saisissent un Juif par le pan de son vêtement[731], Hiram de Tyr, l’ouvrier sur l’airain[732]. Tout est prétexte à montrer que
l’Église annoncée doit être rassemblée des nations. Deux images cependant
jouent un rôle déterminant.
I La femme
Si quelques hommes préfigurent parfois aussi l’Église
(Jacob et Ésaü, par emprunt à Hippolyte), le personnage féminin l’emporte de
beaucoup dans ce rôle. Agar et Sara sont la figure des deux Alliances, Rachel
et Lia représentent l’Église et la Synagogue. Il faut reconnaître l’Église dans
Judith qui tranche la tête d’Holopherne[733], dans Esther délivrant son peuple du
danger[734], dans l’incorruptible Suzanne[735].
Nombre de ces femmes sont, comme Rahab, présentées comme
étrangères et pécheresses[736], comme Dalila, Gomer, femme d’Osée,
etc. :
Que les femmes adultères et
courtisanes aient symbolisé dans les Écritures la Synagogue et l’Église, nul
doute à cet égard[737].
C’est que l’union consommée entre le Christ et l’Église
dans l’Incarnation rédemptrice suit le temps des fiançailles : un beau
jour, Dieu a aimé gratuitement, dans sa nudité et sa déchéance, l’humanité
exilée loin de lui, l’a purifiée et embellie par la grâce pour en faire son
épouse.
I La cité
Mais la figure dominante est chez Jérôme celle de la
construction :
L’Église est la vraie maison de
Jacob, la vraie maison d’Israël ; la montagne du temple, le séjour et la
vision de la paix, le temple de Jésus-Christ[738].
C’est l’Église qu’il faut voir dans le Tabernacle[739], dans le candélabre d’or[740], dans la hutte de David[741], la maison de David[742] — et non l’hérésie figurée par le
royaume de Samarie, la montagne de Sion[743] — selon l’épître aux Hébreux :
« Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion » —, opposée elle
aussi à la montagne de Samarie, figure de l’hérésie[744] :
Il parle encore à l’Église,
auparavant humble et pauvre, qui n’avait pas la Loi, ni les prophètes, ni la
parole de Dieu, et secouée par les tempêtes ou instable, qui avait soutenu les
nombreux tourbillons du siècle, et naviguait parmi les erreurs variées des
idoles ; qui n’avait aucun consolateur et a perdu en vain toute sa fortune
en remèdes ; qu’il vienne lui-même, qu’il descende lui-même, et qu’il
bâtisse sur la terre la Jérusalem céleste, qui dans l’Apocalypse de Jean est
appelée fiancée et épouse de l’Agneau, ayant une lumière semblable à celle
d’une pierre précieuse, comme le jaspe et le cristal, et un grand mur et douze
portes portant inscrits les noms des douze tribus d’Israël, trois à l’Orient,
trois à l’Aquilon, trois au sud et trois du côté du soleil couchant[745].
à propos de l’image de Jérusalem, Jérôme, après Origène,
fait aller de pair la dimension collective : l’Église, et la dimension
individuelle : l’âme.
« Dans les saintes Écritures, l’Église
est toujours figurée dans Jérusalem »[746]. Son nom de Sion signifie étymologiquement
« poste d’observation élevé », ce qui évoque l’Église gardienne de la
vérité :
(Les portes de Sion) ne désignent pas
ces portes que nous voyons aujourd’hui renversées et détruites en cendres, mais
bien ces portes contre lesquelles l’enfer ne prévaut pas et qui donnent accès
vers le Christ à la multitude des fidèles[747].
Le nom de Jérusalem, « cité de paix », suggère
la cité radieuse qui a en elle la lumière des justes, dont les habitants
participent aux mêmes biens (ps. 121, 3), la cité glorieuse (ps. 86, 2), que
réjouit le fleuve d’eau vive (ps. 4, 4), bâtie sur la montagne sainte (ps. 47),
qui ne peut être cachée (Mt 5, 14), qu’aucune tempête n’ébranle parce qu’elle
est édifiée sur la pierre[748].
Les tribulations de Jérusalem, quel que soit le nom du
persécuteur — Nabuchodonosor[749], les peuples environnants souhaitant
l’humiliation de Jérusalem[750], Rasin, roi de Syrie[751] — expriment les persécutions de
l’Église par le diable et ses suppôts, les hérétiques. Mais l’Église, comme
Jérusalem, se révèle invincible ; son retour de captivité, ce sera
l’entrée des nations dans l’Église[752]. Elle sera rebâtie avec des pierres
vivantes (1 P 2, 5), et, fondée sur le Christ elle ne sera jamais détruite[753] :
Bien que ces événements (la
reconstruction de Jérusalem) se soient accomplis selon la lettre, comme une
figure de l’avenir, après le retour de la Chaldée, quand, sur l’ordre du roi
Cyrus, les Israélites retournèrent en Judée, c’est en Jésus-Christ et ses
Apôtres qu’ils s’accomplissent selon l’esprit, avec plus de vérité et de
plénitude. Alors les hommes et les bêtes ont été ramenés dans l’Église[754].
Sion, c’est aussi l’âme[755]. Comme Jérusalem, celle-ci est
maudite « quand elle livre aux profanateurs le don de l’Époux » — le
sens des Écritures abandonnées aux fauteurs de fausse doctrine —, et elle doit,
une fois contractée « l’alliance éternelle » de l’Évangile qui la
sauve « par la miséricorde de Dieu », « garder mémoire de (son)
iniquité passée » [756].
·
Types néo-testamentaires
Non moins que dans l’Ancien Testament, l’Église est
annoncée à chaque page du Nouveau, dans chaque épisode de la vie du Christ.
— Portée ecclésiale des épisodes évangéliques
Le parallèle entre l’Église et la
synagogue constitue l’un des thèmes chers à Jérôme.
L’aveugle-né, sur lequel le Stridonien reste très sobre,
représente du moins les Gentils, à qui le Christ rend la vue[757].
La foi, l’ardeur, l’humilité de la Cananéenne figurent
celles de l’Église[758]. La courtisane qui essuie les pieds
de Jésus de ses cheveux représente avec évidence l’Ecclesia ex gentibus, ainsi que l’hémorroïsse, guérie pendant que
la fille du chef de la synagogue meurt[759]. De même, Marie
de Béthanie est le type de l’Église, dont les sacrements font de nous des
oints :
Cette femme vous intéresse, vous
spécialement qui allez être baptisés. Elle brise son flacon pour que le Christ
vous fasse christs, c’est-à-dire oints… L’Église rassemblée des nations offre
ses dons au Sauveur, c’est-à-dire la foi des croyants. Elle brise son flacon
pour que tous reçoivent l’onction[760].
Béthanie signifiant « obéissance », la maison de
Béthanie elle-même figure l’Église[761]. De même, la maison où l’aveugle de
Bethsaïde est invité à rentrer :
« Rentre chez toi, mais ne va
pas dans le village »… Il est conduit hors de la demeure des Juifs, hors
du village des Juifs, hors de la terre et des traditions des Juifs. Lui qui ne
pouvait être guéri dans la loi trouve une guérison dans la grâce de l’Évangile,
et lorsque Jésus lui dit de retourner dans sa maison, il ne s’agit pas de la
maison à laquelle on pense, celle dont il est issu, mais de la maison
d’Abraham, puisqu’Abraham est le père des croyants. « Abraham a vu mon
jour, et il s’est réjoui » (Jn 8, 56). « Rentre chez toi »,
c’est-à-dire, à « l’Église, qui est la maison de Dieu » (1 Tm 3,
15). Vous voyez donc que la maison de Dieu, c’est l’Église. Va dans ta maison,
c’est-à-dire, va dans la maison de la foi, dans l’Église, mais ne retourne pas
ans le village des Juifs[762].
Le figuier stérile — car ce n’est pas la saison des
figues, qui ne viendra qu’après la conversion des Gentils — représente Israël,
les épines, les païens :
Ce figuier n’a pas été planté au
milieu des ronces, il n’a pas même été planté à l’extérieur, mais dans la vigne
de la maison d’Israël. Les épines des Gentils produisent des raisins, mais le
figuier ne donne pas de figues[763].
L’ânesse sur laquelle Jésus fait son entrée à Jérusalem,
ce sont les croyants venus du judaïsme, l’ânon sur lequel personne n’était
monté, ceux qui viennent de la gentilité, dépourvue du frein de la Loi et
prompte à se briser dans les précipices de l’idolâtrie[764]. Pour mériter Jésus comme cavalier,
l’ânon doit être revêtu des vérités enseignées par l’Église[765].
La distinction entre les deux peuples est encore figurée
par les deux larrons :
Les deux voleurs figurent les deux
peuples : le Juif et le Gentil. Tous deux ont d’abord blasphémé le
Seigneur, mais ensuite l’un des deux, étonné par la grandeur de ses miracles, a
fait pénitence et continue encore aujourd’hui de réprimander les Juifs
blasphémateurs[766].
Bref, tout dans les récits du Nouveau Testament évoque
pour Jérôme l’élection des Gentils : le Cyrénéen, figure des nations
recevant la croix de Jésus[767], la scission du voile du temple
exprimant la découverte des mystères divins par les Gentils[768], la source où l’eunuque éthiopien a
trouvé plus que dans le temple doré de la Synagogue[769].
— Interprétation ecclésiale des paraboles évangéliques
Il en va de même des paraboles évangéliques.
Conformément à une tradition très ferme, les heures de la
parabole des ouvriers de la vigne représentent les âges de l’histoire du salut.
La onzième heure est celle de l’élection des gentils :
à la première heure sont appelés Adam, Abel, Seth ; à
la troisième, Noé ; à la sixième, Abraham ; à la neuvième,
Moïse ; à la onzième, le peuple des Gentils, à qui il est dit : « Pourquoi
restez-vous ici toute la journée dans l’oisiveté ? » à cela le peuple répond :
« Parce que personne ne nous a engagés ». Que cette dernière heure
soit l’avènement de notre Sauveur, l’Apôtre Jean en témoigne par ces
paroles : « Frères, cette heure est la dernière. En effet…
l’Antéchrist est venu… C’est pourquoi nous savons que cette heure est la
dernière »[770].
Les ouvriers de la dernière heure[771], les mendiants conviés au banquet des
noces après le refus des premiers invités[772], les vignerons[773], reçoivent la même interprétation.
à Damase qui lui demande s’il faut entendre l’enfant
prodigue et son frère des Juifs ou des Gentils, ou des justes et des pécheurs,
Jérôme répond : au sens littéral, des justes et des pécheurs, et
Tertullien a tort de prétendre que « les publicains et les pécheurs qui
mangeaient avec le Seigneur étaient des païens »[774] ; « mais au sens mystique,
c’est l’histoire de la vocation des Gentils »[775] :
« Un homme avait deux
fils ». Par « homme », il faut entendre :
« Dieu »… Quant à l’expression : « deux fils »,
presque toutes les Écritures sont pleines du mystère de la vocation des deux
peuples[776]…
Les mercenaires, ce sont « ceux des Juifs qui
n’observent les préceptes de la loi qu’en vue d’obtenir des biens
périssables »[777]. Celui qui « avait péché contre
le ciel », c’est « celui qui avait péché contre la Jérusalem céleste,
sa mère »[778] : l’Église. Le père qui prévient
l’arrivée de son fils, c’est Dieu : « Par son Verbe, qui a pris chair
de la Vierge, il anticipe le retour de son plus jeune fils » : le
peuple nouveau[779]. le baiser
du Père, c’est celui que, dans le Cantique, demande l’Église, « noire mais
belle », car issue de la gentilité dont les crimes font horreur à Dieu et
aux hommes : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche »[780] :
« Je ne veux pas qu’il me parle
par Moïse, dit-elle, je ne veux pas qu’il s’adresse à moi dans les prophètes.
Que lui-même assume un corps, que lui-même me baise dans ma chair ». En
sorte que nous puissions adapter à cette phrase le passage d’Isaïe :
« Si tu veux chercher, cherche, et habite auprès de moi dans la
forêt ». Au même endroit, l’Église, en pleurs, reçoit l’ordre de crier
depuis Séir. Car Séir signifie « velu » ou « hérissé ». Il
s’agit d’exprimer l’ancien hérissement des Gentils. L’Église elle-même, usant
d’une pareille similitude, répond : « Je suis noire mais belle, ô
filles de Jérusalem »[781].
La « robe première », c’est la « robe du
Saint-Esprit », perdue par Adam, et revêtue par les néophytes avant de
prendre part au « banquet du roi »[782]. L’anneau, c’est le sceau de
l’Esprit, les chaussures, celles du prédicateur de l’Évangile de la paix[783]. Le veau gras, c’est le Christ,
« dont chaque jour le corps nous nourrit et le sang nous abreuve »,
dans le banquet eucharistique où « toujours le Christ s’immole pour les
croyants »[784]. Et le fils aîné ? « Tous
les saints », ou les Juifs ? Celui qui « était aux
champs », adonné « aux ouvrages terrestres, loin de la grâce du
Saint-Esprit, étranger au dessein de son Père », le même qui refuse de participer
au festin des noces sous prétexte qu’il est aux champs, et que l’ouvrier de la
vigne qui s’indigne « que les ouvriers de la onzième heure soient
favorisés d’un salaire égal »[785]. La cause de la symphonie,
« c’est le salut des Gentils, c’est le salut des pécheurs », qui
réjouit les anges, et suscite la jalousie des Juifs : « Pourquoi Dieu
se réjouit-il d’avoir adopté les Gentils pour enfants ? »…
Et maintenant encore Israël reste à
la porte, et maintenant, tandis que les disciples écoutent les évangiles à
l’intérieur de l’Église, « sa mère et ses frères restent à la porte pour
venir le chercher »[786].
Dans sa bonté, le Père « supplie son fils de prendre
part à la joie de la maison, il supplie par les Apôtres, prédicateurs de
l’Évangile », entre autres saint Paul[787]. Il supplie son fils aîné de faire la
paix, mais celui-ci se réfugie dans la justice de la Loi, alors que peut-être,
comme le pharisien, il « se vante plutôt qu’il ne dit vrai »[788]. Le chevreau, c’est le
rédempteur :
Et c’est pour ton fils débauché,
c’est-à-dire pour les païens, pour les pécheurs du monde entier, qu’un sang glorieux a été
répandu ? Aux méritants tu as refusé le moins, à ceux qui ne méritaient
rien, tu as accordé le plus[789].
Mais le Père veut associer les deux peuples en un festin
unique, d’une valeur suprême, et c’est une miséricorde pour l’un comme pour
l’autre :
Jamais le Père ne fait de cadeaux de
moindre qualité : tu as le veau immolé ; entre, mange avec ton frère.
Pourquoi chercher un chevreau, toi à qui a été envoyé l’Agneau ?… Oui, le
Père, pratiquant pour ainsi dire la clémence et t’accordant la pénitence,
t’exhorte à manger le veau gras, mais se refuse à tuer un bouc, qu’il sait
destiné à occuper le côté gauche[790].
Même interprétation dans le Commentaire sur le livre de Jonas :
Le veau gras a été immolé pour le
peuple des Gentils et un sang précieux a été répandu, sur lequel Paul, dans
l’épître aux Hébreux, disserte avec une grande plénitude… Le Christ a décidé
que ce peuple grandirait ; il est mort pour que ce peuple vive ; il
est descendu aux enfers pour que ce peuple monte au ciel. Pour Israël, nul
labeur comparable. C’est pourquoi il est jaloux de son jeune frère, en voyant
qu’après avoir dissipé sa fortune avec des filles et des pourvoyeurs, il reçoit
l’anneau, et la robe recouvre sa dignité d’autrefois[791].
Et comment ne pas reconnaître le peuple des Gentils dans
le second fils envoyé à la vigne[792] ? L’interprétation de la femme
qui mêle le levain à trois mesures de farine varie quelque peu sous la plume de
Jérôme, et il se montre trop laconique pour notre goût sur la parabole du bon
Samaritain. Du moins, évoquant le voyage de Paula en Terre Sainte, la
montre-t-elle sur la route de Jéricho, revivant l’épisode du blessé déposé à
l’hôtel de l’Église[793].
Croissance de l’Église
La typologie de l’Église aboutit à une présentation de
celle-ci dans sa structure ontologique, selon sa double dimension divine et
humaine. Mais qu’en est-il de sa dimension historique ?
·
La vocation de l’Église des Gentils
— Le conflit des deux cités
à la suite des discussions avec les ennemis de l’Église,
Jérôme voit essentiellement en celle-ci « la multitude rassemblée des
païens » :
« Lève-toi, Jérusalem, et sois
illuminée ». Nous croyons que toutes ces promesses s’adressent à l’Église,
afin qu’après être tombée dans l’incrédulité, elle se relève dans la foi, après
être tombée dans les synagogues, elle se relève dans les Églises… car le gloire
de son Seigneur a quitté le temple pour briller sur elle[794].
Cette élection des gentils s’inscrit dans une vision
grandiose de l’histoire. L’Église existait déjà dans la personne des Juifs[795]. Par l’œuvre de la Rédemption,
l’Église des Gentils, ouvriers de la onzième heure affluant vers Jérusalem,
succède à Sion[796]. Le petit reste d’Israël devient
missionnaire[797] pour évangéliser progressivement le
monde, et finalement, après les païens, les Juifs rentreront dans l’Église[798]. Des Juifs croyants et des païens
convertis, « un seul peuple de fidèles s’est formé »[799].
Jusqu’à la réintégration finale d’Israël, le salut des
nations est corrélatif du dépouillement de la Synagogue :
Leur infidélité est notre foi, leur
ruine, notre élévation. Ce n’était pas leur temps pour que ce fût le nôtre…
Aussi longtemps que durera ce siècle, tu ne croiras pas, mais à l’aube du
siècle prochain, tu seras croyant[800].
— Le Christ, fondateur de l’Église
La naissance de l’Église des nations est liée à la
fonction révélatrice et rédemptrice du Christ.
C’est lui qui viendra
pour sauver les brebis perdues de la maison d’Israël,
rassemblera les autres brebis avec les anciennes brebis formant un seul et même
troupeau, réunira les deux verges qu’Ézéchiel tient rapprochées[801].
On le voit notamment dans les commentaires sur Isaïe et
Ézéchiel.
I En Isaïe
Le fondateur suprême de l’Église, c’est Dieu,
« bonté suprême », qui dispense des « trésors de
miséricorde »[802], mais l’exécuteur du plan divin
d’amour, c’est le Christ, fondement, médiateur et guide de l’Église.
C’est lui la flèche d’amour qui blesse l’épouse Église[803], à lui que s’adressent les paroles de
Dieu au Serviteur :
« Je t’ai établi comme lumière
de toutes les nations », afin que tu illumines le monde entier et que tu
fasses parvenir jusqu’aux extrémités de la terre le salut que j’envoie à tous
les hommes[804].
C’est lui le messager dont les « pieds sont beaux
sur les montagnes », car « c’est lui qui a annoncé et prêché la paix
à ceux qui étaient loin, c’est-à-dire aux gentils, et à ceux qui étaient près,
c’est-à-dire les Juifs, réconciliant le monde avec Dieu »[805]. Bref, « lorsque le Verbe de
Dieu se fut fait chair et eut habité parmi nous, les déserts de Jérusalem
furent peuplés de nouveau »[806].
I En Ézéchiel
De même, commentant Ézéchiel 34, Jérôme montre dans le
Pasteur d’Israël le Christ, bon Pasteur, qui fera avec nous un pacte de paix,
nous fera habiter dans la terre des vivants, la terre des doux, le long des
ruisseaux, dans les gras pâturages, en sécurité contre la dent des
fauves ; il sera notre Dieu, et nous serons son peuple, c’est-à-dire la
maison d’Israël[807].
·
L’Église des Apôtres
— Les princes du christ
Les Apôtres jouent un rôle considérable
dans la construction de l’Église. L’Église du Christ est celle des Apôtres.
C’est pourquoi la véritable Église, c’est celle qui lui succède :
à quelle Église devons-nous finalement appartenir ?
L’Église dans laquelle nous devons rester est celle qui fut fondée par les
Apôtres et qui subsiste encore au milieu de nous[808].
I Fondements de l’Église
Les Apôtres apparaissent d’abord comme les fondateurs de
l’Église :
Il appartient à la dignité
apostolique de jeter les fondements, ce que nul ne peut faire si ce n’est
l’architecte[809].
Qui pouvons-nous dire
fondements ? Les Apôtres. En eux étaient les fondations : là où au
début fut posée la foi de l’Église, là furent posés les fondements[810].
Ces fondements sont pierres angulaires, colonnes,
montagnes :
L’Église est la maison du seigneur édifiée sur le fondement des
Apôtres, qui sont des montagnes eux-mêmes, comme imitateurs de Jésus-Christ[811].
I Missionnaires et prédicateurs
La mission des Apôtres les pousse vers le monde entier,
et s’exprime en termes de conquête :
Jésus, en voyant les Apôtres qui
raccommodaient leurs filets sur les bords de la mer de Génézareth, les appela
pour les envoyer sur la grande mer, afin de faire de ces pêcheurs de poissions
des pêcheurs d’hommes, qui prêcheraient l’Évangile depuis Jérusalem jusque en
Illyrie et aux Espagnes, s’emparant en peu de temps même de la puissance de
Rome dans Rome[812].
Ils ont mené à bien cette conquête par les mêmes armes
que le Christ : la faiblesse et le sang
versé :
Pourquoi sont-ils morts, pourquoi
ont-ils été crucifiés ? D’autres ont fait des prodiges par opération
magique, mais ils n’ont pas sacrifié leur vie pour un homme mort, un homme
attaché à la croix. Heureuse est donc notre victoire, qui a été consacrée dans
le sang des Apôtres. Notre foi n’a été prouvée que par le sang qu’ils ont
répandu[813].
S’ils sont envoyés, c’est pour prêcher. Les Apôtres « annonceront donc la vérité à temps et à
contretemps »[814], « bouche qui ne pourra plus se
taire et qui résonnera dans tout l’univers pour annoncer aux Gentils l’Évangile
de Jésus-Christ »[815]. En cela, ils n’ont rien à
craindre : « Le Seigneur Dieu, leur Sauveur, le Saint d’Israël est
avec eux, lui qui les conduit dans leur prédication de l’Égypte jusqu’aux
extrémités de la terre »[816] :
« Le Seigneur vous précédera, et
le Dieu d’Israël vous rassemblera » (Is 52, 12)… Ce n’est pas en vaincus,
mais en vainqueurs, qu’ils sortirent de Jérusalem après avoir converti
plusieurs milliers de Juifs… pour aller ensuite soumettre le monde entier à cet
Évangile… C’est que devant eux marchait le Seigneur, le Dieu d’Israël, pour
rassembler, c’est-à-dire pour faire un seul troupeau de tous les peuples de la
terre[817].
Le contenu du message apostolique est spécifiquement
chrétien : c’est, non seulement « la connaissance d’un seul
Dieu », mais « le mystère de la Trinité »[818], « la vérité évangélique »[819], « la doctrine de
Jésus-Christ »[820], « les choses célestes,
c’est-à-dire la Bonne Nouvelle »[821], Jésus Sauveur, mais aussi
rémunérateur, « juge… qui rendra à chacun selon ses œuvres »[822]. Bref, « notre entrée en
Jésus-Christ »[823].
I Autorité des Apôtres
Initiés aux mystères qu’ils sont chargés de répandre, les
Apôtres jouissent donc d’une autorité sans égale :
Quelque saint qu’on soit, quelque
éloquent qu’on puisse être, on n’aura jamais leur autorité[824].
Toute vérité vient par eux
C’est dans les nuées[825] que réside la vérité de Dieu. Or, si cela est vrai,
comment Montan et les Cataphrygiens peuvent-ils dire : « Ce qui n’a
pas été révélé aux Apôtres nous a été révélé » ?[826]
C’est ce thème qui fonde toute la théologie hiéronymienne
de l’Église, maîtresse de vérité.
I Pasteurs
Les prérogatives du Chef passant à ses serviteurs[827], les Apôtres paissent, en
remplacement des mauvais pasteurs, scribes et Pharisiens, le troupeau du
Christ, gardant, comme une sentinelle, les remparts de l’Église contre les
démons :
Et je vous conjure, ô Apôtres, après
que vous aurez appelé à moi les nations de Séir,
gardez les remparts de l’Église, de peur que l’ennemi n’y fasse aisément
irruption, de peur que le lion rugissant… ne dévore le troupeau abrité dans
l’Église[828].
Leur puissance accompagne la destinée de l’Église jusqu’à
la fin des temps, car ils jugeront alors les douze tribus d’Israël :
« Jugez toutes choses ».
Nul doute que ces mots soient une allusion à la puissance des Apôtres, qui,
après que les trompettes des anges auront donné le signal, assis sur douze
trônes, doivent juger les douze tribus d’Israël[829].
Ainsi, Jérôme ne conçoit pas d’Église fidèle au Christ
qui ne soit fidèle à ses origines, Église apostolique : celle-ci constitue
donc une étape maîtresse dans la croissance du mystère du salut.
— Pierre
Le collège apostolique a une tête : Pierre, auquel
Jérôme a, mieux que quiconque au ive
siècle et pendant toute sa vie, sans l’ombre d’une évolution, accordé une
importance capitale.
I La primauté de Pierre
Pierre est le prince des Apôtres[830], « le premier des Apôtres »[831], la « colonne »[832] et le « chef de l’Église »,
dont il est inconcevable que Paul parle « d’une manière blessante »[833], lui qui venait chercher son
réconfort et son soutien à l’œuvre qu’il avait entreprise :
Il montrait par là qu’il ne se
sentait pas en sécurité au point de vue de la prédication de l’Évangile, s’il
n’était fortifié par l’avis de Pierre et de ceux qui étaient avec lui[834].
Jérôme revient souvent sur la fondation de l’Église sur
Pierre : Simon est petra, par
participation à la prérogative de la Petra
Ecclesiæ : le Christ[835], parce que sa mission est d’être fundamentum de l’Église :
C’est sur ce fondement stable et
solide, ferme par sa masse même, qu’est bâtie l’Église du Christ, tandis que
c’est sur le sable, matière mouvante,… qu’est bâtie toute doctrine hérétique[836].
Pierre en effet est indéfectible :
Pierre a été le prince des Apôtres et
c’est sur lui, roc inébranlable, qu’a été fondée l’Église de Dieu, qu’aucun choc
des flots, aucune tempête ne peut renverser[837].
Cela notamment, en matière de doctrine : les
« portes de l’enfer », ce sont « les vices et les péchés »,
mais surtout l’hérésie, error opinionis
pravæ, qui « n’aura jamais prise sur lui »[838].
Gardien de la foi, Pierre est aussi gardien de l’unité,
et telle est la raison intrinsèque de l’institution du ministère
pétrinien :
Les Apôtres ont reçu ailleurs la même
prérogative, tous ont reçu les clefs du royaume des cieux, tous servent
également de fondement à l’Église. Un seul toutefois est choisi parmi les
Douze, pour que l’unité de la tête prévienne les divisions : ut capite constituto schismatis tollatur
occasio[839].
I La venue de saint Pierre à Rome
Jérôme a reçu, accepimus,
de la tradition que Pierre, après avoir été évêque d’Antioche, fonda l’Église
de Rome, la seule « dans laquelle ne s’est pas glissé le rusé serpent,…
celle que l’enseignement de Pierre (a) établie sur le rocher du Christ »[840]. Aussi place-t-il Pierre à la
première place des écrivains ecclésiastiques :
Simon-Pierre était le fils de Jean…
Il transporta le siège de son épiscopat à Antioche qu’il quitta, prêcha quelque
temps à ceux qui croyaient à la circoncision… Après quoi, la deuxième année de
l’empereur Claude, voulant confondre Simon le Magicien, il partit pour Rome.
Pendant vingt-cinq ans, il y tint son siège sacerdotal jusqu’à la dernière
année de Néron, c’est-à-dire la quatorzième. C’est là qu’il fut attaché à la
croix sur l’ordre de cet empereur, couronné du martyre la tête en bas, les
pieds en haut… Enseveli à Rome, au Vatican, sur la voie triomphale, il est
l’objet de la vénération du monde entier[841].
·
La croissance indéfinie de l’Église
Après le thème de l’élection des nations et celui de la
fondation de l’Église par la prédication apostolique, la diffusion de l’Église
jusqu’à la fin du monde, pour la conversion des nations et finalement des
Juifs.
— L’Église conquérante
Après l’Incarnation, la mission de l’Église consiste à
révéler le Christ à tout homme. Il n’y aura pas de fin du monde avant la fin de
cette conquête : « Lorsque l’Évangile aura été prêché à tout
l’univers, alors ce sera la fin »[842].
Telle est la charte de la vie des prêtres :
Les prêtres doivent appeler aussi
tous les habitants de la terre, afin que les anciens et tous les âges soient
réunis dans la maison de Dieu, qui est l’Église[843].
C’est cette fécondité de l’Église que Jérôme lit chez les
prophètes, notamment dans les grands oracles universalistes d’Isaïe,
« tout cela ayant trait à la grandeur de la future Église qui étendra ses
frontières jusqu’aux limites du monde entier »[844] :
Le peuple chrétien sera comme une
couronne de gloire dans la main du Seigneur et comme un diadème royal dans la
main de son Dieu, lorsque l’universalité des fidèles sera la couronne de
l’Église[845].
Dans l’Évangile, cette propagation est annoncée sous deux
images : le grain de sénevé et le filet du pêcheur
:
Le Seigneur jette son filet et prend
une multitude de poissions. Il a les Apôtres pour pêcheurs, ce sont eux qui
ramassent les poissons et lui ramènent ceux qui croient en lui[846].
Dans cette mer du siècle sont
descendus les Apôtres et le Seigneur tout le premier, pour nous délivrer des
flots amers. C’est dans cette mer qu’a été jeté le filet de l’Évangile, filet
mystérieux dont les témoignages de l’Écriture forment le tissu[847].
Cet élan missionnaire a pour but d’implanter
l’institution ecclésiale. Avec une très grande énergie, Jérôme affirme qu’en
dehors de l’Église il n’y a point de salut :
Quiconque se sauve est sauvé dans
l’Église… Point de salut pour ceux qui sont en dehors… Celui qui est en dehors
de l’Église du Seigneur ne peut être pur[848].
Jérôme affirme par ailleurs très fermement la volonté
salvifique universelle de Dieu[849]. C’est que l’Église est appelée à
conquérir le monde, d’une part par le témoignage des martyrs — mais le
Stridonien lui accorde moins de place qu’Augustin —, de l’autre, et ce trait
apparaît plus caractéristique, par l’apostolat de tous les chrétiens :
« Nul ne doit se croire exempt de collaborer à ces travaux, tous doivent
rivaliser de zèle à construire l’Église »[850].
Membre d’une Église en pleine expansion dans un univers
encore étroit, il se montre optimiste sur le salut des infidèles :
à l’heure actuelle, c’est la passion du Christ, c’est sa
résurrection que toutes les races publient de leurs voix et de leurs écrits…
Dans le monde entier, un seul mot retentit : le Christ[851].
— Le triomphe de la Cité
Malgré les tribulations présentes, l’Église triomphera.
Car elle est indéfectible. Cité inexpugnable, navire insubmersible, tunique
indéchirable, maison indestructible, elle résistera à tous les assauts du
diable, représenté par les hérétiques, car c’est le Seigneur qui l’a
fondée :
L’Église, qui sera certes toujours
assaillie jusqu’à la fin du monde par les persécuteurs, ne pourra nullement
être renversée. On l’attaquera, mais on ne la vaincra pas. Cela aura lieu parce
que le Seigneur tout-puissant, ou le Seigneur de l’Église avait promis qu’il le
ferait, et que sa promesse est loi de nature[852].
Finalement, Jérôme n’en doute pas, les Juifs eux-mêmes se
convertiront : convertentur ad
vesperam. Leur châtiment actuel offre un caractère médicinal[853], mais le salut vient d’eux comme de
la première Église, ils sont les premiers fils, l’olivier franc sur lequel les
Gentils ont été greffés. Dieu n’a pas abandonné son peuple, il lui fera de
nouveau miséricorde :
Vous tous qui croyez en Jésus-Christ…
dites aux branches brisées et à l’ancien peuple rejeté : « mon
peuple », parce qu’il est votre frère, et « objet de
miséricorde », parce qu’il est votre sœur. En effet, lorsque sera rentrée
la plénitude des Gentils, alors tout Israël sera sauvé[854].
— L’Église dont le droit de cité
est au ciel
L’Église un jour sera transfigurée :
e Seigneur recevra à la fin celle qui avait été mise au
pressoir, et il établira en renom et en gloire sur toute la terre les enfants
de celle qui était éprouvée et repoussée, l’Église[855].
Mais de l’Église terrestre à l’Église céleste, il y a
continuité :
Dieu transforme toutes choses,
lorsqu’il change en céleste ce qui est terrestre et qu’il rend l’homme
semblable à l’ange : ce sera lorsque la lune brillera de l’éclat du
soleil, que le soleil répandra sept fois plus de lumière, lorsque l’homme
animal infirme et corruptible est transformé en homme spirituel, robuste et
incorruptible, changeant d’éclat mais non de nature[856] ; lorsque ceux qui connaissent Dieu brilleront comme
le firmament… lorsque toute créature sera affranchie de la servitude de la
corruption dans la liberté et la gloire des enfants de Dieu[857].
L’institution
ecclésiale
Le message hiéronymien se caractérise par trois
insistances : attachement au principe hiérarchique, notamment à la
papauté ; compréhension de son rôle doctrinal ; réflexion sur le
ministère sacramentel de l’Église, mère des vivants.
·
L’Église hiérarchique
— Le principe hiérarchique
Parce que l’Église se réfère à sa source, elle possède
une hiérarchie qui repose sur l’évêque. Il faut s’en tenir à la tradition
apostolique et ecclésiastique :
Que faut-il faire ? Ce que nos
Pères nous ont transmis, ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu de leurs pères…
L’Église dans laquelle nous devons rester est celle qui fut fondée par les
Apôtres et qui subsiste encore au milieu de nous[858].
— Une hiérarchie à trois degrés
L’ancienne hiérarchie d’Aaron est la figure de la
hiérarchie extérieure de l’Église ; celle-ci figure la hiérarchie de
sainteté, et aussi la hiérarchie angélique :
S’il n’y a pas plusieurs demeures,
d’où vient que dans l’ancienne Loi, comme dans la nouvelle, le pontife a une
place, les prêtres une autre, les gardiens du temple, une autre ?… La
diversité des noms est inutile, là où il n’y a pas diversité de mérites… ce qui
se fait dans les cieux, se fait aussi dans le ministère divin[859].
De même qu’entre les hommes il y a
une échelle de dignité, fondée sur la différence entre leurs travaux, par
exemple qu’évêque, prêtre, et toute charge ecclésiastique a son rang, et
pourtant qu’ils sont tous des hommes, de même il y a divers degrés entre les
anges[860].
Cette hiérarchie est la base sur laquelle l’Église
s’édifie : « sans prêtre, point d’Église »[861] :
Dieu a établi dans l’Église les uns
Apôtres, les autres prophètes, d’autres pasteurs… Car l’Église… étant
construite de pierres vivantes, ceux que nous venons d’énumérer… ont pour
fonction, selon la grâce qui leur a été donnée, et les ministères qui leur ont
été confiés, d’édifier l’Église de Jésus-Christ, car c’est de ce peuple soumis
que l’Église est construite[862].
Dans toute l’Église, la hiérarchie est identique et
constituée de trois degrés :
évêque, prêtre, diacre. Le prêtre exerce une fonction sacrificielle, mais
n’ordonne pas[863]. Les diacres, « serviteurs des
tables et des veuves », sont inférieurs aux prêtres, comme les lévites aux
fils d’Aaron :
Ce qu’Aaron, ses fils et les lévites
étaient dans le temple, les évêques, les prêtres et les diacres doivent
l’imiter dans l’Église[864]
— Le mystère de l’évêque
L’évêque est supérieur aux prêtres par son pouvoir de
juridiction : « Il n’y a qu’un seul évêque dans chaque Église, et la
hiérarchie repose tout entière sur ses chefs »[865]. Jérôme recommande le respect de
l’évêque, et en donne l’exemple, dans le conflit qui l’oppose à Jean de
Jérusalem et dans ses rapports avec saint Augustin, son « seigneur et
père »[866]. Car l’évêque doit être le principe
de l’unité de la communauté chrétienne :
Le salut de l’Église dépend de la
dignité du souverain prêtre ; car s’il n’est pas investi d’une puissance
éminente qui le met au-dessus de tous, il y aura dans les Églises autant de
schismes que de prêtres[867].
Inversement, l’évêque doit aimer les prêtres comme ses
fils :
Ce qu’Aaron est pour ses fils,
l’évêque l’est pour ses prêtres, qu’on le sache bien : Un seul Seigneur,
un seul temple, qu’il n’y ait aussi qu’un seul clergé[868].
L’évêque doit instruire son peuple, le défendre contre
l’erreur — « car c’est par les aboiements des chiens et le bâton des
bergers que doit être écartée la rage des loups »[869]. Consécrateur de l’Agneau[870], il doit briller par sa chasteté, son
hospitalité, sa charité, veillant à ce que « le patrimoine des pauvres
soit opulent »[871]. et aussi
par sa fermeté envers les hérétiques. Il doit être irréprochable :
Que le pontife du Christ soit tel que
ceux-là même qui critiquent la religion n’osent pas critiquer sa vie[872].
Cette conception s’inscrit dans une perspective plus
surnaturelle que juridique. Rien n’est plus essentiel pour un chrétien que sa
communion avec l’épiscopat : « Recevoir les évêques, c’est accueillir
le Christ »[873].
— Origine de l’épiscopat
Selon Jérôme, il y avait à l’origine équivalence entre episkopoi et presbuteroi, et par la suite on serait passé à un
épiscopat monarchique par élection. Mais alors, l’épiscopat est-il bien
d’origine divine ? Au plan des principes, il n’en doute pas :
« Tous (les évêques) sont également les successeurs des Apôtres »[874], dont l’institution est sans aucun
doute d’origine divine. Mais dans le feu de la controverse, il lui arrive de
commettre des anachronismes, et son témoignage sur les origines de l’épiscopat es sujet à caution. On a pu l’accuser d’avoir, avec
l’Ambrosiaster, rabaissé la spiritualité épiscopale au ve siècle en occident.
— La primauté romaine
Parallèlement aux Grecs qui reconnaissent une
incontestable prééminence à l’Église romaine, sans en avoir précisé la nature,
Jérôme est un des Pères qui ont le plus clairement confessé la prééminence
doctrinale, mais aussi juridictionnelle, du siège de Pierre, au titre d’une
succession légitime et véritable des privilèges accordés par le Christ à
l’Apôtre.
I Foi romaine
La vérité du Christ se trouve là où se trouve la vérité
de l’Église apostolique. Mais l’Église apostolique s’identifie à l’Église
romaine ; la foi catholique s’identifie à la foi romaine, et une seule
chose importe : l’union à l’Église de Rome :
Je m’étonne que l’Italie ait approuvé
ce que Rome a rejeté, et que les évêques aient accueilli ce que le Siège Apostolique
a condamné[875].
La foi romaine est inaccessible à tous les
subterfuges :
Sachez-le bien, la foi romaine, louée
par la voix de l’Apôtre, ne saurait admettre de tels subterfuges ; un ange
viendrait-il annoncer autre chose que ce qui a été prêché, notre croyance,
fondée sur l’autorité de Paul, ne peut subir aucun changement[876].
De cette confiance dans le siège de Pierre, Jérôme donne
un touchant témoignage dans ses lettres 15 et 16 à Damase. Face aux nouveautés
du vocabulaire théologique antiochien et à la concurrence entre trois évêques
qui se prétendent tous en communion avec Rome, il recourt au magistère du
successeur de Pierre, seul centre d’unité accrédité pour sauver l’intégrité de
la foi :
Parmi les citernes brisées qui sont à
sec, il est malaisé de savoir où peuvent être la source scellée et le jardin
clos de l’Écriture. Aussi me suis-je décidé à consulter la chaire de Pierre et
la foi qu’une bouche apostolique a louée…
à Rome, « se conserve sans corruption l’héritage des
Pères ». C’est pourquoi il faut s’attacher à ce Siège :
Bien qu’effrayé par ta grandeur, ton
humanité m’attire. Au prêtre une victime demande le salut, au pasteur, une
brebis la protection… C’est au successeur du pêcheur et au disciple de la croix
que je m’adresse. Avant tout attaché au Christ, je m’associe par la communion à
ta béatitude, c’est-à-dire à la chaire de Pierre. Sur ce rocher, l’Église est
construite, je le sais ; qui, hors de cette demeure, aura mangé l’agneau
est un profane. Qui ne se trouvera pas dans cette arche de Noé, périra quand
prévaudra le déluge…
D’où l’adjuration finale :
J’adjure ta Béatitude, par le
Crucifié, salut du monde, par la Trinité consubstantielle, adresse-moi une
lettre pour me donner une direction… Signifie-moi avec qui je dois être en
communion à Antioche[877].
La réponse n’arrivant pas, Jérôme jette un nouvel
appel :
Je ne cesse de m’écrier :
« Celui-là est mien qui se tient attaché à la chaire de Pierre »…
C’est pourquoi je supplie ta Béatitude, par la croix du Seigneur, par sa
passion, qui est l’honneur essentiel de notre foi : toi, qui succèdes aux
Apôtres par ta dignité, succède-leur par tes mérites… Signifie-moi par une
lettre de toi avec qui je dois être en communion au pays de Syrie[878].
L’attitude de Jérôme demeure la même, quel que soit le
pontife régnant. Il essaie de l’inculquer à la vierge Démétriade :
Je crois devoir… te recommander de te
tenir en étroite communion avec la doctrine du saint évêque Innocent, qui siège
maintenant sur le Siège Apostolique ; garde-toi, si prudente et avisée que
tu t’estimes, d’accueillir une doctrine étrangère[879].
·
L’Église et le ministère de la foi
— Saint Jérôme, homme de tradition
Si saint Jérôme jouit d’une telle autorité doctrinale,
c’est à cause de la netteté et de la fermeté de sa doctrine sur la règle de la
foi catholique, le rôle doctrinal de l’Église en général et de l’Église romaine
en particulier.
I Ennemi des novateurs
Les hérétiques sont de faux frères et des
persécuteurs : « Tout hérétique naît dans l’Église, mais il en est
rejeté, et il conteste et combat contre sa mère »[880]. C’est en ce sens que Jérôme
interprète les adultères de Gomer :
Le diable entretient son feu dans le
cœur des hérétiques… Ils sont retranchés du corps de l’Église, feignant de
ruminer la loi de Dieu. Ce faisant, ils s’éloignent du Seigneur qui les avait
instruits dans l’Église[881].
Il faut donc écraser les hérétiques, qui ne font qu’un
avec le diable. Aussi Jérôme les accable-t-il de mordants sarcasmes, prenant un
malin plaisir à ridiculiser leurs noms :
Bien des monstres ont paru sur la terre
[suit une énumération des principaux monstres homologués par la Bible et la
littérature classique]… Seule la Gaule n’avait pas de monstres, mais abondait
en hommes toujours vaillants et pleins d’éloquence. Soudain s’est levé
Vigilance, ou plus exactement Dormitance, pour combattre avec l’esprit immonde
contre l’esprit du Christ…[882]
Traditionnel, Jérôme l’est par principe. La plus grande
partie de sa production semble avoir pour but de faire connaître à l’Occident
ce qu’il y avait de meilleur dans la littérature chrétienne d’Orient. Son
programme consiste à recueillir et transmettre fidèlement ce qu’il a reçu, non
par lui-même, mais « à l’école des hommes illustres de l’Église »,
dans la ligne de l’appartenance à la grande Église[883] :
Mon dessein est de lire les Anciens,
d’éprouver chaque élément, de retenir ce qui est bon, et de ne jamais m’écarter
de la foi de l’Église catholique[884].
Si ses adversaires peuvent prouver qu’il s’éloigne de la
stricte orthodoxie, il est prêt à « avouer (son) erreur » :
« J’aime mieux me corriger que de m’entêter dans des sentiments
erronés »[885]. S’il se montre intraitable vis-à-vis
du moindre soupçon d’hérésie, ce n’est pas qu’il en veuille aux personnes, mais
à leurs erreurs, plaignant « surtout le sort de ceux qu’on dupe sous des apparences
de science »[886]. Sa dernière lettre connue, adressée
à Alypius et Augustin, est un émouvant cri de joie parce qu’à l’heure où il va
disparaître d’autres vont assurer la relève de la lutte[887].
— L’Église gardienne de la Tradition
IAutorité doctrinale de l’Église
La doctrine de l’Église se trouve dans la plénitude des
Écritures, trésor caché[888], voix du Christ mystique qui
s’adresse aux âmes par les prédicateurs de l’Église[889].
Mais l’Écriture ne se suffit pas. Elle est difficile à
comprendre[890], et « le diable lui-même l’a
parfois invoquée ». Il faut donc un guide pour l’interpréter : la
Tradition apostolique, règle suprême de la foi.
En dernière analyse, c’est l’Église qui représente la
Tradition. La Tradition se conserve dans l’Église. être dans l’Église, c’est avoir la foi des Apôtres, et donc
la vérité. L’Église est le diacre Philippe qui, sur la route du désert, donne
la clef des Écritures à ces Éthiopiens que nous sommes tous[891].
L’Église est donc liée inséparablement à la vraie
doctrine : Ecclesia ibi est, ubi
fides vera est[892]. La doctrine du Sauveur coule d’elle
comme l’eau vivifiante du côté droit du temple[893]. Elle est la demeure de la véritable
confession[894], le lieu de la vision[895]. Dès lors, Jérôme peut
affirmer : « Pour nous, rien ne nous plaît que ce qui est
d’Église »[896].
Mais comment la Tradition se conserve-t-elle dans
l’Église ? Par les docteurs, évêques et prêtres, et surtout par l’Église
romaine
I Doctrine de vie et vérités divinisantes
La prédication de l’Église est donc elle-même salutaire.
La doctrine est une nourriture : il y a identité mystique entre le corps
doctrinal et le corps eucharistique : « l’Évangile est le corps de
Jésus »[897]. La parole distribuée par l’Église
appelle à la vie. Car la foi est vivifiante.
Puisque l’Église est gardienne de la Parole, quiconque
attente à l’unité de l’une porte atteinte à l’unité de l’autre. L’hérétique
touche à la chair vive de l’Église :
Les hérétiques, je ne les ai pas
épargnés. J’ai tâché de toute manière que les ennemis de l’Église fussent les
miens.
Ce rôle doctrinal constitue déjà fondamentalement
l’Église comme gardienne de salut.
·
L’Église et le ministère des sacrements
Un autre des thèmes favoris de Jérôme est l’affirmation
de l’Église communicatrice de sainteté.
« Nous ne pouvons aller au Père que par le
Fils »[898]. Mais précisément, c’est l’Église qui
a le Christ, qui donne le salut du Christ, qui est le sacrement du Christ.
C’est ce qu’expriment trois images bibliques : la mère des vivants,
d’abord, ou « notre mère à tous »[899] :
Ceux qui sont nés dans l’Église sont
les étrangers… Ils croient à l’Église et naissent dans son sein, car s’ils
n’étaient pas baptisés, ils ne deviendraient pas ses enfants. Or, ceux qui ont
reçu le baptême dans l’Église appellent l’Église notre Mère[900].
La terre d’abondance ensuite :
De la terre d’Israël, labourée par la
charrue de Jésus-Christ et ensemencée de toutes les vertus, naîtront des hommes
et la maison d’Israël tout entière[901].
Enfin, le temple d’où jaillit le fleuve :
Il sortira de la maison du Seigneur,
c’est-à-dire de l’Église, cette source dont parlent Ézéchiel et Zacharie,
source dont les flots changeront en champs cultivés nos épines, nos vices et
nos péchés, ces terres qui ne produisent aucun fruit de justice ; flots
qui, par leur abondance fécondant notre aridité, feront naître les fleurs des
vertus où il n’y avait qu’épines et buissons ; là où jadis c’était la
fornication, s’épanouiront les lis de la chasteté, les roses de la pudeur et de
la virginité[902].
Avec cette image, nous sommes en présence de toute une
théologie sacramentaire : cette eau symbolise à la fois Jésus, rocher où
s’abreuve le peuple de Dieu, vrai temple d’où jaillit l’Esprit, et la grâce
baptismale elle-même qui découle du Christ et féconde l’Église.
Pour sanctifier ses enfants en effet,
l’Église ne se contente pas de proposer la foi : elle donne les
sacrements, baptême, confirmation et eucharistie. Elle fait les sacrements, qui
lui sont confiés, et est le lieu du culte véritable. Nous y reviendrons
ultérieurement.
L’Église dans sa
réalité mystique
Combattant de première ligne, Jérôme a plus insisté sur
l’aspect institutionnel de l’Église que sur son aspect mystique. Notons
cependant quelques traits.
·
Le corps du Christ
Très réservé sur l’idée origénienne du Christ total,
Jérôme a cependant assimilé cette conviction de l’unité entre corps individuel
et corps social du Christ. Il tente de l’exprimer par les images
traditionnelles du Nouveau Testament.
— Images classiques de l’ecclésiologie néo-testamentaire
I Temple
L’Église est le temple de la Trinité :
Dans ce passage oikoumenh,
qui se traduit par « habitée », me paraît être l’Église, dont il est
dit dans l’Évangile : « Moi et mon Père nous ferons en lui notre
demeure ». C’est donc à juste titre qu’est dite habitation celle qui a
pour habitants le Père, le Fils et le Saint-Esprit[903].
Le temple, figure du Christ, est aussi figure de l’Église
eschatologique et présente, et chaque fidèle vivant du Christ, par agrégation à
l’Église : possumus hoc referre ad
Ecclesiam, vel ad sancti viri animam[904].
I Cité de Dieu, « lieu de la paix »
L’Église est le lieu de la paix, parce que le Père, le
Fils et le Saint-Esprit y habitent[905].
I Vigne
La vigne du Seigneur, c’était jadis Israël, à présent
c’est l’Église. Les rameaux stériles sont jetés au feu, les rameaux féconds
doivent être taillés en vue de meilleures vendanges.
I Corps du Christ
L’unité des chrétiens doit s’entendre dans le sens très
réaliste de l’entrée mystérieuse des croyants dans le corps personnel du Christ
souffrant et ressuscité :
Si nos corps sont les membres de
Jésus-Christ, par une conséquence nécessaire notre chair est la chair de
Jésus-Christ, que nous crucifions en mortifiant ici-bas fornication, impureté…[906]
Dans le corps mystique, le pur est mêlé à l’impur :
De même que la tête a plusieurs
membres qui lui sont subordonnés, dont quelques uns sont défectueux et faibles,
ainsi Jésus-Christ, qui est chef de l’Église, réunit en son sein les saints
comme les pécheurs[907].
Comme Paul, Jérôme sauvegarde l’altérité de l’Église par
rapport au Christ. Mais le Christ est achevé par l’Église, qui est sa
plénitude :
Notre Seigneur, par là même que tous
croient en lui, s’accomplit en tous, c’est-à-dire se complète dans ses membres,
en ce sens que ceux qui ont foi en lui sont remplis de toutes les vertus[908].
Inversement, l’Église bénéficie de la vie du
Christ : Dieu « nous a vivifiés avec le Christ, en nous donnant
d’avoir avec Jésus-Christ une seule et même vie »[909].
Cette unité dans le Christ crée entre les hommes une
relation nouvelle : une « même participation fait que tous les biens
sont communs »[910]. L’unité catholique ne nuit pas à la
différenciation des charismes : celle-ci suppose une unité stricte par un
commun enracinement :
Comment admettre les grâces diverses
et les dons différents avec l’obligation de garder l’unité d’esprit ? Il y
a des grâces diverses, mais avec le même esprit ;
il y a des ministères divers, mais dans le même Seigneur ; il y a des
opérations différentes, mais c’est le même Dieu qui opère en tous[911].
Les vertus que pratiquent les membres sont attribuées au
Christ, car elles viennent du Chef et demeurent son bien. C’est ainsi que le
Christ est « tout en tous »[912].
I Épouse du Christ
Mieux que la précédente, cette image montre la profondeur
de l’amour qui unit le Christ et l’Église. Jérôme développe ce thème de manière
originale, en sauvegardant soigneusement l’union et le
distinction entre l’Époux et l’épouse :
De même que d’Adam et de sa femme
sort tout le genre humain, ainsi, c’est de Jésus-Christ et de l’Église que
toute la foule des croyants a été engendrée. Dès qu’elle est devenue le corps
unique de l’Église, elle est de nouveau placée dans le côté du Christ ;
elle remplit le vide laissé par la côte et devient un seul corps avec son Époux[913].
Pour Jérôme, l’heure décisive de cette union est
l’Incarnation :
Notre Seigneur et Sauveur a laissé
Dieu son Père et la Jérusalem céleste sa mère. Il est venu sur terre pour son
corps qui est l’Église. Il l’a formée de son côté et pour elle le Verbe s’est
fait chair[914].
Mais il n’ignore pas non plus l’importance du mystère
pascal dans la fondation de l’Église chrétienne : c’est « après avoir
été crucifié et ressuscité d’entre les morts » qu’il « prend la
prostituée comme épouse… dans la foi et la grâce de l’Évangile »[915].
— L’être profond de l’Église
De ces indications, on ne saurait tirer une synthèse
complète et rigoureuse, mais quelques lignes maîtresses s’en dégagent.
D’une part, nous sommes l’Église :
Lorsque l’Église progresse, nous
progressons avec elle ; lorsqu’elle souffre persécution et qu’elle est
humiliée, nous sommes humiliés nous-mêmes et nous souffrons persécution avec
elle[916].
Par ailleurs, l’Église, c’est le Christ, en vertu d’une
union qui n’exclut pas la distinction, mais par identité mystique :
Ce qui est né une fois de Marie naît
tous les jours en nous… Nous aussi nous pouvons enfanter le Christ si nous le
voulons[917].
Le mystère de l’Église s’inscrit dans le mystère du
Christ, celui de son Incarnation d’abord :
C’est une croyance digne de Dieu,
qu’il a daigné sortir pour le salut de son peuple avec son Christ, afin que la
tête de l’impiété étant frappée, Jésus, qui est la tête de tout homme et celle
de l’Église, devînt notre tête[918].
Mais surtout, celui de sa mort, de sa résurrection et de
l’envoi de son Esprit.
« La croix est la colonne du genre humain. C’est sur
cette colonne qu’est édifiée la maison, je ne veux pas dire la croix
matérielle, mais la passion »[919]. Elle est aussi l’étendart dressé
au-dessus des nations, dont l’érection entraînera le ralliement des infidèles
et la naissance des Églises[920]. C’est elle qui unit le ciel et la
terre, et, sur terre, Juifs et Gentils. C’est elle qui a écrasé le royaume de
Satan en même temps qu planté l’Église de Dieu[921].
Sur le rôle du Saint-Esprit dans la vie de l’Église,
Jérôme demeure très sobre. Mais il affirme, d’une part, que la naissance de
l’Église est liée au don de l’Esprit, force qui meut les évangélisateurs ;
d’autre part, que la vie de l’Église est liée à l’Esprit, qui confère l’esprit
d’adoption et l’habite avec toute la Trinité.
·
La Catholica
Saint Jérôme a surtout affirmé la catholicité de l’Église
en termes géographiques, mais cet aspect doit être complété et approfondi.
Non seulement « les Hébreux, les Grecs et les
Latins, nations [qui] ont été consacrées à sa foi par le Seigneur dans le titre
de sa croix »[922], mais « toute chair » est
appelée à entrer dans l’Église. L’Église est une cité ouverte, parce que le
Christ, son Chef, l’appelle à l’universalité, et que l’Esprit Saint est l’agent
de la catholicité.
L’universalisme de Jérôme s’inscrit dans le contexte de son
amour pour la cohésion et l’unité de l’Église. Il n’est qu’une seule Église, un
seul autel, et « les différences de races et de conditions disparaissent
dans le baptême, sous le vêtement du Christ »[923]. Il s’agit, en somme, de rencontre,
de réunification, de diversité dans l’unité : d’une « société dans la
paix et la charité »[924].
Justice et paix se sont baisées,
Miséricorde et Vérité ont fait amitié, le peuple des Gentils et celui des Juifs
sont sous un même pasteur, le Christ[925].
à la prédication du mystère du salut, les nations accourent,
et, malgré leur nombre et leur diversité, il n’y a plus qu’un peuple, une voix
à l’unisson[926].
Quant à nous, rapportons tout cela
(l’oracle de Zacharie) au bonheur de l’Église…. Chacun prend la main de son
frère, afin d’unir les mains et de ne faire qu’un par la même foi et les mêmes
intérêts[927].
·
L’Église sainte
« Celui qui est pécheur et souillé de quelque tache
ne peut être dit d’Église »[928]. Qu’il se hâte d’aller faire soigner
ses blessures par le médecin pour être réintégré à l’Église ! Serait-ce
que Jérôme, comme les gnostiques, considère l’Église comme une secte de
purs ?
— Sainteté attribut essentiel de l’Église
L’Église assurément est sainte. Elle offre la beauté de
l’Épouse du cantique :
L’Église catholique, cette colombe unique,
parfaite et très aimée, se tient à droite… Elle se tient debout en vêtements
dorés, parce qu’elle passe des mots de l’Écriture à leur sens, et qu’elle est
remplie de toutes les vertus[929].
Cette beauté parfaite lui vient des nombreux saints qui
lui appartiennent :
La beauté parfaite n’est le partage
d’aucun homme, si ce n’est du corps de Jésus-Christ, l’Église : ce sont
les vertus des saints nombreux qui la lui donnent. De là son langage à
l’épouse : « Tu es toute belle, ma sœur, tu es immaculée » (Ct 4,
7).[930]
— L’Église pécheresse ?
En réalité cependant, le vice s’étale parmi les enfants
de l’Église. Il y a en elle, comme dans l’arche de Noé, « des animaux de
toute sorte… des hommes de tout caractère »[931]. Aussi Jérôme interprète-t-il de
l’Église les reproches des prophètes à Jérusalem. C’est surtout contre les
ministres indignes qu’il déploie sa verve, relevant la vie scandaleuse, le
despotisme orgueilleux, la rapacité de certains.
— Perfection de l’Église en tous ses membres dans
l’éternité
L’Église n’atteindra sa perfection définitive que dans
l’éternité, in futuro et in cælestibus
regnis : ce n’est qu’alors qu’elle sera sine macula et ruga[932] :
La vraie perfection… ne paraîtra que
dans les célestes demeures, quand l’Époux dira à l’épouse : « Tu es
belle, ô mon amie, il n’y a aucune tache en toi » (Ct 4, 7)[933].
Baptisé en 387, évêque d’Hippone en 396, « l’aigle
des docteurs » apparaît comme l’un des plus grands ecclésiologues de
l’histoire. Nous ne donnerons ici qu’un exposé partiel de sa doctrine
particulièrement riche et actuelle, sur laquelle nous reviendrons plus
longuement par la suite.
Dès l’origine, la pensée d’Augustin apparaît caractérisée
surtout par son caractère intérieur : insistance sur la vie du Christ en
nous, l’union intérieure des âmes entre elles et avec l’Église.
à l’occasion des querelles donatiste et pélagienne,
l’évêque d’Hippone a encore approfondi la nature de l’Église. Au cours de la
première, il l’a présentée d’abord comme un donné historique et un motif de
crédibilité. Au cours de la seconde, comme communion et corps mystique. D’où
une certaine complexité, voire des ambiguïtés apparentes, qui reposent sur le
caractère complexe et mystérieux, dans sa pensée, de l’Église elle-même :
réalité à la fois historique et eschatologique, visible et spirituelle,
hiérarchique et mystique, édifiée sur le fondement des Apôtres ou pérégrinant
dans le monde d’Abel à la fin des temps, enfin communauté des prédestinés dans
l’éternité bienheureuse. Il est donc inexact de voir chez le grand docteur deux
concepts d’Église étrangers l’un à l’autre : communio sacramentorum, c’est-à-dire Église hiérarchique et
empirique, et Église ultra-spiritualisée, aussi céleste que son Époux, et
identifiée au Christ total : Unus
Christus amans seipsum.
Aspect christologique
Déjà dans les premières Enarrations sur les psaumes, antérieures à son épiscopat, et
jusqu’à la fin de sa vie, Augustin présente l’Église comme le corps dont le
Christ est la Tête, en sorte que l’un et l’autre ne forment qu’une seule
personne : unus homo, una persona,
Christus integer ou totus. Citons
quelques textes :
Qu’est-ce que l’Église ? Le
corps du Christ. Ajoutez lui la tête, et cela devient un seul homme : la
tête et le corps ne font qu’un homme. La tête, qui est-elle ? Celui qui
est né de la Vierge Marie. Son corps, qui est-il ? Son épouse[934], c’est-à-dire l’Église… Et le Père a voulu que les deux ne
fassent qu’un seul homme : le Christ-Dieu et l’Église[935].
Tous les hommes, dans le Christ, sont
un seul homme, et l’unité des chrétiens ne fait qu’un homme[936].
Et cet homme, ce sont tous les
hommes, et tous les hommes sont cet homme ; car à eux tous, ils sont un,
puisque le Christ est un[937].
Notre Seigneur Jésus-Christ, comme un
homme entier et parfait, est tête et corps. Son corps, c’est l’Église ;
non pas l’Église qui est ici seulement, mais celle qui est ici, et celle qui
est par toute la terre ; et pas seulement l’Église qui vit maintenant,
mais, depuis Abel jusqu’à ceux qui vivront jusqu’à la fin du monde, et qui
croiront dans le Christ, tout le peuple des saints qui ne font qu’une cité[938]. Cette cité est le corps du Christ… Et le Christ c’est
cela, le Christ total et universel, uni à l’Église[939].
En lui, nous sommes tous le Christ,
et nous sommes le Christ, car, de quelque façon, le Christ entier, c’est la
tête et le corps[940].
Aussi peut-on attribuer au Christ les actions et
souffrances de l’Église, et inversement :
Tout ce qu’il a souffert, nous
l’avons souffert en lui, ce que nous souffrons, il le souffre en nous. Si la
tête souffre, la main peut-elle dire qu’elle ne souffre pas ? Si la main
souffre, la tête peut-elle dire qu’elle y est insensible ?… Si nous avons
souffert en lui, quand il a souffert, à présent qu’il siège à la droite de
Dieu, tout ce que souffre son Église : tribulations de ce monde, épreuves
et angoisses, qui nous purifient comme l’or dans le feu, il le souffre aussi[941].
On peut entendre les paroles de l’Écriture, et
spécialement des psaumes, soit du Christ, soit de l’Église, soit des deux, et
il importe de ne jamais les séparer entièrement :
Le psaume qui nous occupe concerne la
personne de notre Seigneur Jésus-Christ, tête et membres. La tête est née de
Marie, a souffert, a été ensevelie, est ressuscitée, est montée au ciel, elle
siège aujourd’hui à la droite du Père et intercède pour nous. Le Christ est
notre Tête, nous sommes ses membres. L’Église entière, répandue par toute la
terre, en est le corps, mais la tête de ce corps, c’est lui. Non seulement les
chrétiens qui vivent aujourd’hui, mais ceux qui ont vécu avant nous, ceux qui
vivront après nous, jusqu’à la fin des temps, tous font partie de ce corps dont
la tête est montée au ciel. Nous connaissons donc la tête et le corps, la tête
c’est lui, nous, le corps. Quand donc nous entendons sa voix, nous devons y
reconnaître et celle du chef, et celle des membres… Le Christ unit donc la tête
et le corps, aussi dans sa voix nous reconnaissons la nôtre, et, dans la nôtre,
il reconnaît la sienne[942].
« Il lui vint une sueur de sang »
(Lc 22, 44). Que signifie ce sang qui coulait de tout son corps, sinon la
passion des martyrs immolés dans toute l’Église ?… « Mon Dieu, j’ai
crié vers toi tout le jour »…. Le Christ a porté notre infirmité :
s’il parle de la sorte, n’est-ce pas au nom de tous ceux qui forment son corps
et qui redoutent la mort ? C’était la voix des membres et non celle de la
Tête : « J’ai crié tout le jour, et tu ne m’as pas exaucé ».
Oui, beaucoup crient dans l’épreuve et ne sont pas exaucés ; pour les
sauver, et non pour les perdre[943].
Comme en cet épisode la tête parlait
au nom du corps, ici, dans notre verset, elle dit les paroles du corps. Mais
même quand vous entendez les paroles du corps, n’en séparez pas la tête, car
ils ne sont plus deux, mais une seule chair[944].
« Que ma prière monte vers toi
comme l’encens ; que l’élévation de mes mains soit comme le sacrifice du
soir ». Ces paroles, tout chrétien le sait, s’entendent ordinairement de
celui qui est notre Tête. Car déjà le jour commençait à décliner vers le soir
quand le Seigneur sur la croix a déposé sa vie, de plein gré et dans
l’assurance de la reprendre. Pourtant ces paroles nous concernent aussi, et
même dans leur rapport à la croix. Car, dans le Christ, qu’est-ce qui fut
attaché à la croix, sinon ce qu’il avait pris de notre nature ? Et
serait-il possible que Dieu délaisse et abandonne
jamais son Fils unique, qui n’est avec lui qu’un seul Dieu ? Et cependant,
en clouant notre infirmité sur la croix, où notre vieil homme, comme dit
l’Apôtre, a été crucifié avec lui (cf. Ro 6, 6), Jésus a crié par la voix de ce
vieil homme, qui est nous-mêmes : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46)… La prière d’un cœur pur et fidèle
monte, grâce à lui, comme l’encens d’un autel saint[945]…
Augustin insiste sur la réalité de cette présence
intérieure, perceptible aux « yeux du cœur », et qui doit nous
consoler de n’avoir pas connu le Christ des « yeux de la
chair » :
S’il était toujours resté avec son
corps parmi nous, nous aurions préféré les yeux de la chair aux yeux du cœur.
Mais lui, sachant quels yeux sont les meilleurs, s’est soustrait à nos yeux de
chair, pour susciter la foi dans les yeux de notre cœur. C’est plus, en effet,
de croire dans le Christ que d’avoir toujours son corps devant soi… Quand nous
croyons, il est présent aux yeux de notre esprit… Que personne ne s’attriste
qu’il soit monté au ciel, et qu’il nous ait comme abandonnés. Il est avec nous,
si nous croyons ; son habitation à l’intérieur de toi est plus réelle que
s’il était au-dehors de toi, devant tes yeux. Si tu recevais le Christ dans ta
chambre, il serait avec toi. Voici que tu le reçois dans ton cœur, et il ne
serait pas avec toi ?[946]
Nous approfondirons ce thème dans la partie synthétique
de notre étude. Notons seulement dès à présent[947] que, si Augustin a de l’Église comme
corps du Christ une notion très concrète, très vivante, il ne possède pas
encore la théologie de la gratia capitis
qu’élaborera la Première Scolastique : la grâce qui vivifie le corps est
celle par laquelle Jésus a été fait Christ : le Saint-Esprit.
Aspect pneumatologique
En effet, le « principe de la communion qui
constitue l’unité de l’Église de Dieu », c’est « celui qui en Dieu
est la communion du Père et du Fils »[948], et dont le rôle est de « construire
la maison du Christ qui s’appelle l’Église »[949] : le Saint-Esprit :
Vous savez, bien-aimés… que c’est par
ce que le Père et le Fils ont de commun entre eux, qu’ils ont voulu avoir
communion entre eux et nous, et par ce don nous rassembler dans l’unité qui est
la leur à tous deux, c’est-à-dire l’Esprit Saint, Dieu lui-même et Don de Dieu.
C’est en lui que nous sommes réconciliés avec la divinité et que nous en
jouissons… C’est ainsi que « l’amour a été répandu dans nos cœurs par
l’Esprit Saint qui nous a été donné »[950].
L’Esprit Saint joue dans l’Église le même rôle que l’âme
dans le corps :
Notre esprit, par lequel l’homme vit,
s’appelle l’âme… Et vous voyez ce que fait l’âme dans le corps. Elle vivifie
tous les membres… Elle est présente en même temps dans tous les membres pour
les faire vivre ; à tous elle donne la vie, et à chacun son rôle… Les
fonctions sont différentes, la vie est commune. Telle est l’Église de Dieu.
Dans certains saints, elle fait des miracles, par d’autres, elle enseigne la
vérité, par d’autres, elle garde la virginité, par d’autres, elle veille sur la
chasteté conjugale : les uns ceci, les autres cela. Chacun accomplit la
loi qui lui est propre, et tous vivent également. Ce que l’âme est pour le
corps humain, l’Esprit Saint l’est pour le corps du Christ, l’Église. L’Esprit
Saint fait dans toute l’Église ce que l’âme fait dans tous les membres d’un
seul corps[951].
Comme l’âme est coextensive au corps, le don de l’Esprit
est coextensif à l’Église. Impossible donc d’être vivifié par l’Esprit, sans
faire partie du corps du Christ :
Si quelqu’un est séparé du corps du
Christ, il n’est pas membre du Christ, et s’il n’est pas membre du Christ,
l’Esprit du Christ ne le nourrit pas[952].
Que les croyants deviennent le corps
du Christ, s’ils veulent vivre de l’Esprit du Christ. Ne vit de l’Esprit du
Christ que le corps du Christ[953].
Conséquences
De cette profonde théologie découlent d’importantes
conséquences pratiques, que le docteur d’Hippone explicitera notamment à
l’occasion de la crise donatiste. Se couper de l’Église, c’est se couper de la
vie divine :
Veux-tu vivre de l’Esprit du
Christ ? Sois dans le corps du Christ[954].
Plus quelqu’un aime l’Église du
Christ, plus il a l’Esprit Saint[955].
Si vous voulez que l’Esprit vous
habite, mes frères, faites attention... Voici ce que vous éviterez, ce que vous
craindrez : qu’une amputation se produise dans le corps, que dis-je ?
du corps : membre, main, doigt, pied. L’âme
suit-elle le membre coupé ? Lorsqu’il était dans le corps, il
vivait ; coupé, il perd la vie. Ainsi l’homme chrétien et catholique vit
tant qu’il est dans le corps ; coupé, il devient hérétique ; l’Esprit
ne suit pas le membre amputé. Si donc vous voulez vivre de l’Esprit Saint,
maintenez l’amour, aimez la vérité, désirez l’unité pour parvenir à l’éternité[956].
Cette Église, ce n’est pas une vague abstraction, ni une
réalité purement invisible, ou eschatologique : c’est l’Église catholique :
L’Église catholique seule est le
corps du Christ ; le Christ en est la Tête, et le Sauveur de son corps.
Hors de ce corps, l’Esprit Saint ne vivifie personne[957].
Une théologie et une
mystique de l’unité
La doctrine ecclésiale d’Augustin doit se comprendre dans
la perspective de sa mystique de l’unité, liée à l’origine à son platonisme
philosophique[958], mais entièrement surnaturalisée.
Pour l’évêque d’Hippone comme pour Cyprien, l’unité de l’Église découle de
celle de la Trinité :
Prends l’unité, c’est un peuple. ôte l’unité, c’est une foule. En effet,
qu’est-ce que la foule, turba, sinon
une multitude troublée, turbata ?
Écoutez l’Apôtre : « je vous prie, mes frères » — il parlait à
la multitude, mais il voulait en faire l’unité — « je vous en prie, ayez
en vous un même sentiment, n’ayez pas de division entre vous ; soyez
parfaits dans le même esprit et la même pensée » (Ph 2, 2). Car l’unité, unum, est nécessaire, cette unité
suprême où le Père, le Fils et l’Esprit sont un. Voyez comment l’unité nous est
recommandée. Certes, notre Dieu est Trinité… et cependant les trois ne sont pas
trois dieux… mais un seul Dieu, car un seul est nécessaire. Et à cette unité,
nous ne pouvons parvenir que si nous, qui sommes nombreux, n’avons qu’un seul
cœur[959].
Une pratique de
l’unité
Mais comment cette unité de l’Église se réalise-t-elle
concrètement ? Par la communion dans la foi, les sacrements et la charité,
à laquelle s’opposent respectivement l’hérésie, le schisme et le péché.
·
Unité dans la foi
— L’autorité de l’Église, norme de la foi
Communion dans la foi d’abord. C’est l’autorité de
l’Église qui en est la règle :
Qu’il veille à la règle de la foi, regulam fidei, qu’il a reçue des
passages les plus clairs de l’Écriture, et de l’autorité de l’Église[960].
C’est même à l’autorité de l’Église que nous sommes
redevables de notre foi à l’inspiration divine de l’Évangile :
Pour moi, je ne croirais pas à
l’Évangile, si l’autorité de l’Église catholique ne m’y poussait[961].
Les hérétiques peuvent bien parler du Christ, mais ils
n’en possèdent pas la réalité, qui se trouve dans la seule Église
catholique :
[L’hérétique] prêche un Christ tel
qu’il se l’imagine, non tel que l’enseigne la vérité. Tu tiens le nom, tu ne
tiens pas la réalité. « Christ » est le nom d’une réalité. Tiens la
réalité elle-même, si tu veux que ce nom te serve à quelque chose… Tiens bien
ceci : le bercail du Christ est l’Église catholique…[962]
Aussi le saint docteur insiste-t-il sur l’obligation
d’adhérer à la foi catholique, c’est-à-dire celle qu’enseigne l’Église :
la recherche de la vérité ne doit jamais servir de prétexte pour s’en
écarter :
Ce questionnement de la recherche, dubitatio quærendi, ne doit pas dépasser
les bornes de la foi catholique. Et puisque beaucoup d’hérétiques ont coutume
de tirer à leur théorie, qui est contraire à l’enseignement de la foi
catholique, leur explication des divines Écritures, avant de traiter ce livre
il nous faut d’abord exposer brièvement la foi catholique[963].
Dans le commentaire du psaume 103e, Fundavit terram super firmitatem eius, non
inclinabitur in sæculum sæculi, Augustin montre l’infaillibilité de cette
autorité de l’Église, appuyée sur l’inébranlable fondement dont parle saint
Paul (1 Co 3, 11) : le Christ, inébranlable elle-même, malgré toutes les
attaques du diable, parce que « prédestinée comme colonne et soutien de la
vérité » (1 Tim 3, 15)[964]. C’est folie de l’abandonner la
barque de Pierre, qui seule porte le Christ :
Nous souffrons et les tempêtes qui
viennent du voyage. Mais au moins, soyons dans le navire. En effet, s’il y a
danger à l’intérieur du navire, en dehors du navire, la mort est
inévitable ! Celui qui nage en haute mer peut avoir de grandes forces dans
les bras, mais, tôt ou tard, vaincu par l’immensité de la mer, il est englouti
et il disparaît. Il est donc nécessaire d’être dans le navire, c’est-à-dire
porté par le bois, pour pouvoir traverser cette mer… La barque qui transporte
les disciples, c’est-à-dire l’Église, flotte, et les tempêtes et les épreuves
l’assaillent. Le vent contraire ne s’apaise pas, c’est-à-dire le diable qui
fait opposition à l’Église. Mais… même si la barque est secouée, c’est tout de
même une barque : elle seule transporte les disciples, et reçoit le
Christ. Elle est en grand péril sur la mer, mais en dehors d’elle on périt
aussitôt. Tiens-toi bien sur la barque, et prie Dieu… Celui qui commande aux
navigateurs de parvenir au port, va-t-il abandonner son Église, et ne point la
conduire au repos ?[965]
C’est pourquoi l’Église catholique, combattant contre
toutes les hérésies, ne peut être vaincue par aucune d’elles :
Elle est elle-même l’Église sainte,
l’Église une, l’Église véritable, l’Église catholique, combattant contre toutes
les hérésies ; elle peut être combattue, elle ne peut être prise d’assaut.
Toutes les hérésies sont sorties d’elle comme des sarments inutiles coupés de
la vigne. Mais elle, elle demeure sur sa racine, elle demeure sur son cep, dans
sa charité. Les portes de l’enfer ne la vaincront pas (cf. Mt 16, 18)[966].
Puisque nous sommes des chrétiens
catholiques, courons sur cette route qui est l’unique Église de Dieu, comme
elle a été annoncée par les saints…. Nous ne devons pas nous émouvoir des
hérésies et des schismes innombrables : nous devrions être plus troublés
s’il n’y en avait pas, puisqu’ils ont aussi été prédits… Comment donc a été
prédite l’Église qui devait se répandre parmi les nations ? Unique, établie
sur la pierre, telle que les portes de l’enfer ne peuvent la vaincre… Mais,
comme l’Église catholique n’est pas vaincue par toutes ces hérésies et tous ces
schismes, il a été prédit que les portes de l’enfer ne la vaincront pas[967].
Quiconque s’attaque à ce mur inexpugnable s’y brise
fatalement :
L’autorité de la mère Église, la
règle de la vérité possède cette prérogative : quiconque donne du bélier
contre cette vigueur, contre ce mur inexpugnable, s’y brise lui-même[968].
L’hérétique, du reste, est moins celui qui erre dans la
foi[969] que celui qui, par orgueil[970], « résiste à la doctrine
catholique qui lui est présentée »[971]. Si l’on se trouve dans l’erreur sans
la connaître comme telle, on n’est point hérétique :
Ceux qui défendent leur position,
même fausse et dépravée, sans animosité obstinée, surtout s’ils ne l’ont point
enfantée par l’audace de leur présomption, mais qu’ils l’aient reçue de parents
égarés et tombés dans l’erreur, et s’ils cherchent la vérité avec soin et
sollicitude, prêts à se corriger, quand ils l’auront trouvée, il ne faut
nullement les compter parmi les hérétiques[972].
— Sources de la foi de l’Église
Mais où trouvera-t-on la doctrine véritable ? D‘une
manière générale, dans les Écritures, lait savoureux offert par la mère Église
à ses petits enfants :
Quiconque sait qu’il est né (au
baptême), qu’il apprenne qu’il est un enfant, et un tout petit enfant. Qu’il
s’attache avidement aux seins de sa mère, et vite il grandira. Or la mère,
c’est l’Église, et ses seins, ce sont les deux Testaments des divines Écritures.
C’est là qu’il faut sucer le lait de tous les mystères, sacramenta, qui se sont déroulés dans le temps pour notre salut
éternel ; afin que, nourri et fortifié, on arrive à manger la nourriture
qui est là : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu »[973].
Mais précisément, l’Église offre à ses
nourrissons cette nourriture substantielle sous une forme plus facilement
assimilable, en premier lieu, dans le symbole baptismal[974],
si souvent commenté par l’évêque pour ses catéchumènes, mais aussi pour des
fidèles plus avancés.
D’autre part, pour les points non
précisés de l’Écriture et de la Tradition[975], les conciles, universi auctoritas[976], constituent l’instance doctrinale
normale. Du fait d’une inspiration de Dieu ressemblant à une révélation[977], ils « ont dans l’Église une
autorité souverainement salutaire »[978], car leurs décisions sont
l’expression de l’universalis Ecclesiæ
consentio[979].
Enfin, c’est à un titre tout spécial dans la Sedes Petri que se manifeste la continuité
du primat de la chaire apostolique[980]. C’est à cette chaire qu’Augustin
recourt, tant pour « reconnaître avec plus de certitude et d’utilité
salutaire » la véritable Église[981], que pour trancher avec autorité des
questions doctrinales. L’Église de Rome en effet possède la chaire de Pierre,
dont le Seigneur a fait le premier des Apôtres, et qui personnifie pour ainsi
dire toute l’Église, mieux, l’unité même de l’Église : In cathedra unitatis doctrinam posuit
veritatis[982]. Si le Christ a confié les clefs à Pierre,
c’est justement à ce titre de représentant de l’unité de l’Église :
« Ce n’est pas un homme unique, mais l’unité de l’Église qui a reçu ces
clefs »[983].
Augustin invoque d’abord la nécessité de la communion
avec cette Église au début de sa lutte contre le donatisme[984], puis dans le contexte de la lutte
antipélagienne, après l’envoi des conciles de Carthage et Milève à Innocent Ier
(416), et la réponse de celui-ci, en raison de son abundantia gratiæ. La formule causa
finita est, attribuant au Siège Apostolique une valeur de confirmation de
la foi de l’Église africaine, s’explique sans doute par le fait que dans
l’Église ancienne une cause n’était pas considérée comme définitivement
terminée tant que l’on n’avait pas fait appel à Rome :
Déjà, sur la question en litige, le
texte de deux conciles a été envoyé au Siège Apostolique ; sa réponse nous
est parvenue. L’affaire est terminée, causa
finita est. Puisse l’erreur avoir bientôt son terme ![985].
·
Unité dans la vie sacramentelle[986]
Mais la communion dans la foi ne suffit pas : elle
n’empêchait pas les Donatistes de prolonger leur schisme depuis le début du ive siècle. Or l’Église est
une, non seulement par la doctrine, mais aussi d’une unité visible, fondée sur
les sacrements de la foi.
— Catholica
Aux prétentions des Donatistes, Augustin répond d’abord,
comme Optat, en montrant que Dieu a voulu réaliser une Église toto orbe diffusa. L’Église est
essentiellement la Catholica. On
n’est chrétien qu’à condition d’être en communion avec le monde entier, communicare orbi terrarum.
— Sainte mais permixta
Il y ajoutait la critique de leur idée d’une Église de
purs. L’Église est sainte, mais on y trouve des pécheurs : sur la terre,
elle est nécessairement mixta,
permixta :
Que personne ne vous trompe, frères,…
sachez bien que dans l’Église toutes les catégories de chrétiens ont leurs
hypocrites. Je ne dis pas que tout homme est hypocrite, mais que toute
catégorie comprend des personnes feintes. Il y a de mauvais chrétiens, mais il
y en a aussi de bons[987].
Les pécheurs sont présents corporellement, corpore, dans l’Église, mais seuls les
justes proprie sunt corpus Christi[988]. Parfois le docteur d’Hippone va
jusqu’à dire que ls pécheurs ne sont dans l’Église « qu’en
apparence »[989]. Mais dans sa pensée, ils se trouvent
réellement « dans le sein de l’Église »[990], ipsa
communione catholica continentur[991].
Les pécheurs ne contaminent pas la vertu des bons[992], même si ce sont des ministres de
l’Église :
Je vous l’ai souvent dit et répété
avec insistance : quels que nous soyons [nous, vos pasteurs], vous êtes en
sécurité, vous qui avez Dieu pour Père et l’Église pour mère[993].
— Le baptême
Restait un problème de fond : celui de la valeur du
baptême (ou de l’ordre) administré hors de l’Église. Pour les Donatistes comme
pour saint Cyprien, le baptême n’existe que dans l’Église. Par conséquent seul
un ministre se trouvant en communion avec l’Église pouvait célébrer validement
les sacrements et conférer par eux la grâce : on ne donne que ce qu’on a.
Le vrai sujet de l’action sacramentelle, c’était donc l’Église.
Justifiant théologiquement les positions tenues par
l’Église romaine dès le milieu du iiie
siècle, Augustin apporte à la doctrine sacramentaire une contribution décisive
en distinguant entre validité et fruit du sacrement. Dans la collation de tous
les sacrements, l’Église (ou le sacerdoce) n’exerce qu’un ministerium, un service. C’est le Christ qui agit, et de façon
actuelle :
Pierre baptise, c’est le Christ qui
baptise ; Judas baptise, c’est le Christ qui baptise[994].
Ce n’est donc pas la sainteté du ministre qui est
communiquée, mais celle du Christ, ministre principal[995], dont il imprime le caractère[996] :
Le baptême est tel de par sa sainteté
et sa vérité propre à cause de celui qui l’a institué[997].
Mais « l’avoir est une chose, autre chose est de
l’avoir utilement »[998] : si le baptême (ou l’ordre)
peut être reçu validement en dehors de l’Église, il ne l’est utiliter, ad utilitatem, salubriter ou ad salutem que dans l’unitas, qui seule possède le
Saint-Esprit[999]. En effet celui qui déchire l’unité
n’a pas la charité : « Ceux qui n’aiment pas l’unité de l’Église
n’ont pas la charité de Dieu »[1000], ni par conséquent le Saint-Esprit.
Ainsi, dans la perspective platonicienne selon laquelle
une réalité existe à différents niveaux, le niveau inférieur étant déjà une ébauche
du niveau supérieur, il faut dans l’Église distinguer — et ordonner entre eux —
le plan de la communio sacramentorum
et celui de la societas sanctorum :
les sacrements sont des réalités sensibles, liées à la venue du Verbe dans la
chair, in forma servi. Ils créent
entre ceux qui les possèdent une communion visible, dans laquelle sont mêlés
bons et mauvais. Mais ils visent à un effet de grâce, œuvre du Saint-Esprit,
qui n’est donné qu’à l’Église, colombe en tant qu’elle se réalise, par la caritas de l’Esprit, dans l’unitas. Aussi les enfants de l’Église
doivent-ils se garder de toute froideur envers leur mère, qui les a engendrés à
la vie nouvelle et les nourrit chaque jour de l’eucharistie : ce serait se
séparer de leur Père du ciel :
Venez souvent près de cette mère, qui
vous a engendrés. Voyez ce que vous a donné cette mère : elle a uni la
créature a Créateur, des serviteurs elle a fait des fils de Dieu, des esclaves
du diable, des frères du Christ. Pour de si grands bienfaits, vous ne serez pas
ingrats, si vous lui rendez le digne hommage de votre présence. Nul ne peut
avoir Dieu pour père bienveillant, s’il méprise l’Église sa mère. Cette mère
sainte et spirituelle vous prépare chaque jour une nourriture spirituelle, par
laquelle elle refait non vos corps mais vos âmes. Elle vous donne le pain
céleste, elle vous présente la coupe du salut ; elle ne veut pas qu’aucun
de ses fils souffre de cette faim. Prenez garde, mes frères, de ne pas
abandonner une telle mère, pour que vous soyez rassasiés de l'abondance de sa
maison, qu’elle vous fasse voire au torrent de ses délices, qu’elle présente à
Dieu le Père de dignes fils, qu’elle puisse, en les nourrissant saintement, les
conduire saints et saufs et libres jusqu’à la vie éternelle[1001].
— La réconciliation des pénitents
Qu’adviendra-t-il, cependant, de celui qui a péché après
le baptême ? Ici encore, dans la réconciliation des pénitents, l’Église
joue un rôle ministériel : par le pouvoir des clefs qu’elle exerce, c’est
Dieu lui-même qui refait leur cœur :
Lorsque tu apprends qu’un homme se
repent de ses péchés, il est déjà ressuscité. Lorsque tu apprends qu’un homme a
mis à nu sa conscience par l’aveu, déjà il est sorti du tombeau, mais il n’est
pas encore délié. Quand sera-t-il délié ? Par qui sera-t-il délié ?
« Tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel »
(Mt 16, 19). C’est à bon droit que l’Église peut délier les péchés. les morts ne peuvent être réveillés qu’à la voix du Seigneur
qui les appelle de l’intérieur. Telle est bien l’action de Dieu. Nous parlons à
vos oreilles, mais comment savoir ce qui se passe dans vos cœurs ? Ce qui
se passe en vous, ce n’est pas nous, c’est le Seigneur qui le fait[1002].
— Un seul pain, un seul corps
Mais ce qui construit le plus efficacement le corps
mystique du Christ, c’est son corps eucharistique, qui signifie « la
société de son corps et de ses membres, c’est-à-dire la sainte Église »[1003]. En communiant au corps du Christ, le
croyant devient ce qu’il est : membre du Christ :
Recevez et mangez le corps du Christ,
puisque dans le corps du Christ, vous êtes devenus maintenant les membres du
Christ ; recevez et buvez le sang du Christ… Quand vous mangez cette
nourriture et buvez cette boisson, elles se changent en vous ; ainsi, vous
aussi, vous êtes changés au corps du Christ, si vous vivez dans l’obéissance et
la piété… Si vous avez la vie en lui, vus serez une seule chair avec lui[1004].
Quand les espèces ont disparu, le corps mystique
demeure :
Ce que tu vois passe. Mais
l’invisible, qui est signifié, ne passe pas, mais demeure. Voici : on
reçoit, on mange, on consomme. Est-ce que le corps du Christ est
consommé ? Est-ce que l’Église du Christ est consommée ? Loin de
là !… Ce qui demeure éternellement, c’est ce qui est signifié quoique le
signe passe[1005].
Le « sacrement de la piété » est donc
« signe de l’unité, lien de la charité » : il n’est que de s’en
approcher dignement, dans la foi et l’amour pour être incorporé à l’unité du
Christ total[1006]. Et dans cette unité, c’est tout le
corps mystique qui es offert à Dieu par le Christ grand prêtre :
Cette cité rachetée tout entière,
c’est-à-dire l’assemblée et la société des saints, est offerte à Dieu comme un
sacrifice universel par le Grand Prêtre qui, sous la forme d’esclave, est allé
jusqu’à s’offrir pour nous dans sa passion, pour faire de nous le corps d’une
si grande Tête. C’est en effet cette forme qu’il a offerte, en elle qu’il s’est
offert, parce que c’est grâce à elle qu’il est Médiateur, en elle qu’il est
prêtre, en elle qu’il est sacrifice… Tel est le sacrifice des chrétiens :
« à plusieurs, n’être qu’un dans le Christ ». Et ce sacrifice,
l’Église ne cesse de le reproduire dans le sacrement de l’autel bien connu des
fidèles, où il lui est montré que dans ce qu’elle offre, elle est elle-même
offerte[1007].
·
Unité dans l’amour
Au plan le plus profond, c’est finalement la charité qui
rassemble l’Église dans l’unité :
De même que dans nos membres les
actions demeurent diverses, alors que la santé est une, de même dans le corps
du Christ, les dons sont différents, mais l’amour est un[1008].
C’est elle qui distingue « ceux qui appartiennent en
propre au Royaume des cieux » :
Tous ceux qui sont étrangers à la
voie de la vérité, que ce soient les païens, les
Juifs, les hérétiques, ou même les mauvais chrétiens, peuvent posséder beaucoup
de ces dons, mais ils ne peuvent avoir l’amour. Ils peuvent participer au
baptême, aux autres sacrements, ils peuvent prendre part la prière, partager avec nous cette prière et
cette assemblée, mais ils ne partagent pas l’amour avec nous… Le chemin suréminent
de l’amour est la part de ceux qui appartiennent en propre au Royaume des
cieux.[1009]
Quand on aime l’unité, on garde la charité : un
fidèle ne saurait déchirer la robe sans couture du Seigneur :
Aucun fidèle ne déchire ni ne divise
la charité du Christ, mais ceux qui ont part au sort des saints dans la
lumière, ceux-là gardent la charité comme leur bien propre, car spirituellement
ils aiment l’unité[1010].
Reconnaissant dans les frère les membres du Fils de Dieu,
la charité étreint en eux le Christ, et dans le Christ, le Père :
Personne ne peut aimer le Père, s’il
n’aime le Fils ; et celui qui aime le Fils, aime aussi les fils de Dieu.
Quels fils de Dieu ? Les membres du Fils de Dieu. En aimant, il devient
membre, lui aussi, et par la dilection il entre dans la structure du corps du
Christ, et il n’y aura plus qu’un seul Christ s’aimant lui-même… Lorsque tu
aimes les membres du Christ, c’est le Christ que tu aimes ; quand tu aimes
le Christ, tu aimes le Fils de Dieu ; quand tu aimes le Fils, tu aimes
aussi le Père. La dilection ne peut être séparée : choisis ce que tu
aimes, le reste suivra[1011].
C’est par elle que l’Église est, comme Marie, mère, mère
des « membres de l’Unique », « mère de l’unité » :
Marie a enfanté votre tête, vous,
c’est l’Église qui vous enfante. Elle aussi est à la fois vierge et mère. Mère
par ses entrailles de charité, vierge par l’intégrité d sa foi et de sa piété.
Elle enfante les peuples, mais ils sont membres de cet Unique, dont elle est à
la foi le corps de l’épouse. C’est bien en cela qu’elle est semblable à la
Vierge : en tous elle est la mère de l’unité[1012].
Pour la charité, point de scandale préjudiciable à
l’unité du corps ecclésial :
Si tu tiens à la charité, tu ne
souffriras aucun scandale, ni au sujet du Christ, ni au sujet de l’Église ;
tu n’abandonneras pas le Christ ni l’Église. Car celui qui abandonne l’Église,
comment peut-il être dans le Christ, lui qui n’est pas dans le corps du
Christ ?… Et pourquoi n’y a-t-il pas de scandale pour celui qui aime son
frère ? Parce que celui qui aime son frère supporte tout pour
l’unité ; car c’est dans l’unité de la charité que demeure l’amour
fraternel[1013].
L’amour fait de l’Église une vivante image de l’unité
trinitaire :
Pourquoi un seul Dieu ? Parce
qu’il y a ici [dans la Trinité] une telle paix, une telle concorde, aucune
dissonance. Je vais te dire maintenant comment tu peux croire ce que tu ne peux
comprendre si tu ne crois pas. Combien y avait-il d’âmes, dis-moi, dans les
Actes des Apôtres, qui crurent quand elles virent le miracles des Apôtres ?…
« Trois mille âmes ». Vois, il y avait des milliers d’âmes, et tant
de millions d’âmes ; et pourtant l’Esprit Saint est venu sur eux, lui par
qui « la charité est répandue dans nos cœurs ». Et que dit-on de ces
milliers d’âmes ? « Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme » (Ac
4, 32). Tant d’âmes, une seule âme ; non par nature, mais par grâce. Et si
tant d’âmes sont par la grâce venant d’en haut devenues une seule âme, tu
t’étonnes que le Père et le Fils et le Saint-Esprit soient un seul Dieu ?[1014]
De même que l’amour de Dieu rassemble, depuis la création
des anges, l‘Église, figurée par Sion, dans l’unité, il est un autre amour,
l’amour de soi, qui construit une autre cité : celle des méchants :
Deux amours ont fait deux
cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ;
l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste…[1015]
Ces deux amours ont commencé dans le
monde des anges, l’un chez les bons, l’autre chez les méchants, et les ont
établi la frontière entre les deux cités fondées dans le genre humain… :
d’une part la cité des justes, d’autre part la cité des méchants. En sorte que,
mêlées dans le temps, ces deux cités traversent les siècles, jusqu’à ce
qu’elles soient séparées au jugement dernier ; l’une pour être associée
aux bons anges, et atteindre, unie à son Roi, la vie éternelle ; l’autre
pour être associée aux mauvais anges et être jetée, avec son roi, au feu
éternel[1016].
La cité de Dieu, c’est l’Église, dont la loi est la charité :
Il est évident que Sion est la cité
de Dieu. Et quelle est cette cité de Dieu, sinon
l’Église ? Les hommes qui s’aiment les uns les autres, qui aiment Dieu qui
habite au milieu d’eux, composent la cité de Dieu. Toute cité est régie par une
loi, leur loi, à eux, c’est la charité. Et cette charité, c’est Dieu lui-même,
comme le dit explicitement l’Écriture : « Dieu est charité » (I
Jn 4, 8). Qui est rempli de charité, est rempli de Dieu. La multitude animée
par la charité forme la cité de Dieu. Sois en elle, et Dieu ne sera pas hors de
toi[1017].
Mais le cité de Dieu et la cité
des méchants ne se confondent pas purement et simplement avec l’empire
chrétien, ou même les structures ecclésiastiques envisagées d’un point de vue
uniquement juridique, et les empires ennemis de Dieu. Elles sont d’ordre essentiellement
spirituel. Qu’est-ce donc qu’une cité pour Augustin ?
Une concordance, une union des cœurs,
et sa forme de vie est la paix : la paix est un autre nom de la beauté… La
paix de toutes choses est la tranquillité de l’ordre[1018].
Le rassemblement d’une multitude
d’êtres raisonnables, associés par la participation dans la concorde à ce
qu’ils aiment[1019].
Aussi serait-on bien en peine de séparer ici-bas ces deux
cités : ce n’est que dans l’éternité que leurs frontières apparaîtront
clairement :
Il existe ici-bas deux cités dont les
membres, rapprochés pour un temps de corps mais séparés de cœur, traversent les
siècles jusqu’à la fin du monde. Le terme de l’une est la paix éternelle, et
son nom est Jérusalem ; l’autre met son bonheur dans la paix temporelle,
elle s’appelle Babylone[1020].
Les deux cités sont mêlées et
enchevêtrées l’une dans l’autre en ce siècle, jusqu’au jour où le jugement
dernier les séparera[1021].
La séparation des bons et des méchants n’aura lieu que
dans l’éternité :
Viendra le temps du vannage, où
seront nettement distinguées ces deux catégories [celles des cœurs fixés en
bas, et celle de ceux qui sont de cœur avec les anges]. Aucun gain ne passera
sur le tas de balle pour être brûlé. pas une paille ne
passera sur la masse de grains à entasser dans le grenier[1022].
En attendant, l’Église est bien déjà Royaume de Dieu,
Royaume des cieux, mais d’une manière encore imparfaite : il n’existe pas
deux Églises, mais deux phases d’un même Église[1023] :
Là où se rencontrent les deux
catégories [les bons et les méchants], c’est l’Église telle qu’elle est
maintenant. Mais là où seule se trouvera la seconde, c’est l’Église telle
qu’elle sera… Par conséquent, dès maintenant l’Église est le Royaume du Christ
et le Royaume des cieux[1024].
Un jour viendra où la cité de Dieu atteindra sa
perfection définitive. Alors ses habitants vaqueront à la louange divine, dans
la charité, pour l’éternité :
Quelle sera ton occupation, ô
Jérusalem ? Les peines et les gémissements auront passé. Labourer, semer,
planter, naviguer, faire du négoce ? Quelle sera ton occupation ? Les
œuvres de miséricorde ? Que feras-tu donc ? « Jérusalem, loue le
Seigneur ! » Voilà désormais ton occupation[1025].
En s’exhortant les uns les autres à
cette même louange, dans un très brûlant amour les uns pour les autres et pour
Dieu, tous les citoyens de cette cité diront : « Alleluia »,
parce qu’ils dirons : « Amen »[1026].
Mmmmm Historique 4
Après
l’éclatement de l’empire romain, l’âge patristique se poursuit pendant
plusieurs siècles. Papes (saint Grégoire) et théologiens (théologiens
conciliateurs du vie
siècle, théologiens anti-monothélites du viie
siècle, et, au viiie,
défenseurs des saintes icônes) cultivent de leur mieux la tradition des Pères,
l’explicitent, la synthétisent et la défendent contre les menaces nouvelles.
C’est l’époque des trois derniers des sept conciles reconnus par l’Orient comme
par l’Occident. Le siècle suivant sera en Occident celui de la réforme
carolingienne, qui y ouvre le moyen-âge proprement dit. Néanmoins, d’un point
de vue historique, l’évolution amorcée dès les premières invasions barbares
s’accélère. L’Église des Pères se survit, mais les fissures s’approfondissent
et préparent les ruptures de l’avenir.
La fin de l’époque patristique est marquée, en Orient et, sous une forme
différente, en Occident, par l’installation d’un état de chrétienté
« sacrale »[1027] qui atteindra son sommet au moyen-âge : il s’agit, dans le cas où
une région est occupée exclusivement ou très majoritairement par les seuls
chrétiens (ou les seuls membres visibles de l’Église), d’une réalisation de
l’État visant à former l’unité politique avec ces seuls chrétiens (ou ces seuls
membres visibles de l’Église), et à n’accorder qu’à eux les droits de citoyen.
La cité antique reposait sur la confusion du divin et du social, du
religieux et du politique. Pendant les siècles de persécutions, l’Église ne
pouvait que revendiquer la non intervention de l’empire dans les affaires
religieuses, la distinction du domaine de Dieu et de celui de César. Mais après
l’édit de Constantin, et surtout à partir de l’époque que nous étudions à
présent, les empereurs chrétiens s’orientèrent bientôt vers une chrétienté de
type sacral, en vue d’assurer l’unité de l’empire menacée à l’extérieur par les
invasions et à l’intérieur par les schismes et les hérésies. En Occident,
l’Église s’attela, non sans d’immenses difficultés, à l’intégration des
barbares, Anglo-saxons, puis Germains. Papes et évêques tâchèrent de
sauvegarder la liberté de l’Église, notamment en matière de dogme et pour la
nomination des évêques, tout en invitant les pouvoirs civils à favoriser
l’Église et à réprimer au moins ceux des mouvements hétérodoxes qui portaient
préjudice à l’ordre public.
Cette évolution entraîna d’importantes conséquences pour la vie de
l’Église.
D’une part, alors que l’Église des premiers siècles avait représenté une
élite spirituelle, une Église « de professants », elle devait
devenir, sous l’empire chrétien, une Église « multitudiniste »,
composée de tous ceux qui ont reçu le baptême et n’en rejettent pas
formellement la foi — d’où, par un phénomène de compensation, l’émergence d’un
mouvement monastique prenant le relais des anciens martyrs[1028].
D’autre part, l’Orient byzantin a vu, surtout à partir de Justinien,
l’essor de ce qu’on a pu appeler le césaro-papisme, le pouvoir de l’empereur,
« oint du Seigneur » succédant aux rois de l’ancien Israël, exerçant
sur le gouvernement ecclésiastique une influence de plus en plus pesante, et
prétendant parfois imposer à tout l’empire des formules de foi équivoques,
voire erronées, en vue de rallier les récalcitrants. D’où les réactions des
pontifes les plus courageux, qui réaffirment obstinément l’indépendance et la
primauté de leur Siège face aux interventions brutales et intempestives du
pouvoir civil.
On se rappelle que saint Gélase, malgré son énergie, n’avait pas réussi à
faire révoquer en Orient la très contestable Hénotique. C’est seulement une génération plus tard qu’après avoir
réduit à Rome le parti de l’antipape Laurent, Hormisdas, un des papes les plus
actifs du vie siècle,
parvint à mettre un terme au schisme qui séparait depuis trente-cinq ans
l’Orient de l’Occident. Les partisans d’Acace, patriarche de Constantinople,
déposé en 484, refusaient toujours d’accepter le concile de Chalcédoine.
Hormisdas envoya par deux fois à Constantinople, en 515 et en 517, une mission
porteuse d’une formule orthodoxe, qui n’ajoutait rien au dogme de Chalcédoine,
mais demandait la reconnaissance du fait que l’Église de Rome n’avait pas
failli dans sa foi et que le Tome de
Léon devait être accepté comme règle de foi. En 519 enfin, après l’accession au
trône de l’empereur Justin (519-527), chalcédonien convaincu, et l’installation
de Jean de Cappadoce comme patriarche de Constantinople, une troisième mission
romaine put faire ratifier la formule du pape. Dom Guéranger, dans La monarchie pontificale, accorde la
plus grande importance à ce document, utilisé tant au iiie concile de Constantinople qu’au ier concile du Vatican[1029], ce qui lui confère la valeur d’une définition[1030].
Le texte interprète la promesse du Christ en Mt 16 de l’indéfectibilité
doctrinale du Siège romain, dont la communion constitue une garantie
d’orthodoxie et de « solidité de la religion chrétienne » :
La condition première du salut est de garder la règle de la foi juste et de ne s’écarter d’aucune façon des décrets des pères. Et parce qu’il n’est pas possible de négliger la parole de notre Seigneur Jésus Christ qui dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (Mt 16,18). Cette affirmation est prouvée par les faits ; car la religion catholique a toujours été gardée sans tache auprès du Siège apostolique…
C’est pourquoi nous recevons et approuvons toutes les lettres que le bienheureux pape Léon a écrites touchant la religion chrétienne. Comme nous le disions plus haut, suivant en toutes choses le Siège apostolique et prêchant tout ce qu’il a décrété, j’espère (donc) mériter de rentrer dans la communion avec vous que prêche le Siège apostolique, communion dans laquelle réside, entière et vraie (et parfaite) la solidité de la religion chrétienne ; nous promettons (je promets) aussi que (à l’avenir) les noms de ceux qui sont séparés de la communion de l’Église catholique, c’est-à-dire qui ne sont pas en accord avec le Siège apostolique, ne seront pas lus durant les saints mystères. (Mais si je tentais de dévier en quoi que ce soit de ma profession de foi, je confesse que, selon mon propre jugement, je serais un complice de ceux que j’ai condamnés).
Cette profession de foi, je l’ai souscrite de ma propre main,
et je l’ai transmise (envoyée) à toi, Hormisdas, le saint et vénérable pape de
la ville de Rome[1031].
Cette formule ne fut pas signée par tous les évêques
d’Orient : Sévère d’Antioche s’enfuit et organisa clandestinement la
résistance. En Égypte, on n’osa même pas la proposer aux évêques, sachant que
les évêques refuseraient de la signer. Ailleurs, il fallut faire usage de la
force pour imposer les évêques orthodoxes. Mais le danger devait venir de ce
recours au pouvoir séculier, après l’avènement de Justinien (527-565).
Dès son accession au trône, celui-ci entreprend la
réunification politique et religieuse de l’empire romain. Il reconquiert
l’Afrique et le sud de l’Espagne, grâce à des généraux de génies. En théorie,
il distingue bien les deux pouvoirs, le sacerdoce et l’empire :
Les deux plus grands dons accordés aux hommes par la clémence divine sont le sacerdoce et l’empire, le premier s’occupant des choses divines, le second, présidant aux choses humaines et montrant sa sollicitude [à leur endroit][1032].
Mais en pratique, il tire de cette distinction le devoir
du prince d’intervenir pour faire respecter vera
Dei dogmata et sacerdotum honestatem.
Quant au pape, il le considère comme une force spirituelle
à utiliser pour l’unité de l’État, à défaut de quoi on le destitue ou on
l’emprisonne.
Ce n’est
pas ici le lieu d’entreprendre une étude historique de cette période,
extrêmement complexe et encore très controversée. En partie sous l’influence de
l’impératrice Théodora, aux sympathies monophysites, Justinien tenta en vain de
rallier les monophysites en condamnant à titre posthume trois théologiens du
siècle précédant : Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr (absous par
Chalcédoine après avoir anathématisé Nestorius) et Ibas d’Édesse, dont se
réclamait la réaction antiochienne de l’époque. De cette époque, rappelons
seulement deux épisodes significatifs pour notre propos.
à la demande de Justinien, Jean II accepta de canoniser la
formule — longtemps contestée car dans l’esprit de ses auteurs, les moines
Scythe, elle offrait probablement un sens monophysite —, « un de la
Trinité a souffert ». Mais il affirmait nettement son autorité doctrinale
sur son « fils l’empereur Justinien », et précisait : « a
souffert dans la chair », ce qui rendait l’affirmation inattaquable.
Le cas de Vigile apparaît beaucoup plus délicat, et son
interprétation reste discutée. S’est-il vraiment trouvé en opposition avec un
concile œcuménique, le Ve ? Faut-il, s’il en est ainsi,
admettre la canonicité de ce dernier, parfois contestée ou traitée avec
légèreté par les modernes[1033] ? Ou,
au contraire, arguer de ce fait pour mettre en cause l’infaillibilité du
Pontife romain, comme le faisait au xixe
siècle le père Gratry ?
Ce qui semble certain, historiquement, c’est que le débat
entre le pape et les évêques entourant l’empereur, lui-même inspiré par les
théologiens conciliateurs, ne portait pas sur la doctrine[1034], mais sur l’opportunité de condamner
à titre posthume des théologiens du siècle précédent, d’une part parce qu’on ne
condamne pas des hommes morts dans la paix de l’Église, et d’autre part parce
que Chalcédoine avait réhabilité Théodoret et qu’en le condamnant de nouveau on
semblait s’opposer à Chalcédoine :
La définition de la foi n’y était nullement en question, puisque pape et évêques n’avaient qu’une doctrine, celle des conciles d’Éphèse et de Chalcédoine… Il s’agissait simplement de censurer certains livres infectés d’une erreur déjà condamnée[1035].
Ainsi, on ne peut certainement pas tirer appui de cet
épisode en faveur du conciliarisme dogmatique.
Par ailleurs, si Vigile fut soumis à cette occasion,
pendant sept ans, à une « pression inhumaine » qui de soi pourrait
faire considérer son approbation finale comme nulle de plein droit, le fait est
que Pélage, successeur de Vigile, puis tous les papes du vie et du viie siècle, le synode
romain du Latran de 749 et le vie
concile confirmé par saint Léon II, reçurent les actes de l’assemblée de
Constantinople comme l’interprétation authentique de Chalcédoine, et le synode
lui-même comme un concile œcuménique, le ve
— exemple particulièrement frappant du phénomène de réception par l’Église, si
important pour tous les conciles. On peut donc conclure avec dom
Guéranger :
(Ce concile) fut convoqué par l’empereur Justinien qui en attendait la confirmation de l’édit de condamnation qu’il avait porté lui-même contre trois auteurs qui avaient abondé dans le sens de l’hérésie condamnée par le concile d’Éphèse. Vigile n’y parut pas, et, retiré à part, il défendit expressément de rien décider.
Quelques mois après la clôture du concile, plus éclairé sur la question de l’opportunité, il rendit un décret de condamnation et confirma le décret du concile. Ce fut ainsi que cette assemblée, qui n’avait rien d’œcuménique, ni la convocation, ni la présence du pape, ni probablement la liberté, étant sous la puissance de Justinien, obtint par l’assentiment du Pontife romain l’œcuménicité pour le décret qu’elle avait porté[1036].
De fait, les papes suivants, loin de se laisser accabler
par la pression impériale, réaffirment énergiquement les prérogatives de leur
Siège, tout en confirmant la position finale de Vigile.
Après quelques atermoiements face à l’opposition d’une partie notable de
l’Occident au ve
concile, Pélage en reconnut en 559 l’œcuménicité, qu’il avait combattue
lorsqu’il n’était encore que diacre :
Que personne… ne nous imite dans nos erreurs, mais dans le progrès vers le mieux. Et que nul ne suive nos écrits critiquables[1037], mais l’avis d’un concile général reçu par tout l’univers. En effet, il nous faut répéter nos avertissements à votre fraternité : ce qu’elle doit considérer, c’est la pensée unanime, concursum, de l’Église universelle, non les rumeurs d’hommes errants, fuyant leurs crimes[1038].
Vers la même époque, il identifie explicitement, dans sa lettre Adeone te, la fidélité à l’unique
Église, condition indispensable du salut, et l’adhésion au siège de Pierre,
détenteur du pouvoir des clefs. On notera qu’il interprète en ce sens le De unitate de saint Cyprien, ce qui
indique qu’il en avait lu la version « romaine » :
Toi qui es placé au degré le plus haut du sacerdoce, la vérité
de la mère catholique t’a-t-elle manqué à ce point que tu ne te sois pas
considéré aussitôt comme schismatique lorsque tu t’es écarté des Sièges
apostoliques ? Toi qui es établi pour prêcher aux peuples, n’as-tu pas lu
que l’Église a été fondée par le Christ notre Dieu sur le prince des apôtres,
et sur un fondement tel que les portes de l’enfer ne pourront prévaloir contre
elle (cf. Mt 16, 18) ? Et si tu l’as lu, où crois-tu que soit
l’Église, sinon auprès de celui en qui seul se trouvent tous les Sièges
apostoliques auxquels, comme à celui qui a reçu les clés, a été accordé le
pouvoir de lier et de délier ? Mais ce qu’il voulait d’abord donner à un
seul, il l’a également donné à tous, pour que, conformément à la parole du
bienheureux martyr Cyprien qui explique cela, il soit manifesté que l’Église
est une. Où donc as-tu erré, séparé d’elle, très cher frère dans le Christ, ou
quelle espérance en ton salut avais-tu ? [1039]
La même année, il répond au magistrat romain Valérien, qui avait traité
avec Paulin d’Aquilée, chef des schismatiques occidentaux, et l’invitait à
faire examiner la question des Trois chapitres par un concile italien. Il ne
saurait être question de faire juger un concile œcuménique — tel est donc le
cas de Constantinople II — par un concile particulier. S’il se présente des
doutes sur l’interprétation d’un concile, c’est au Siège romain qu’il
appartient d’en donner l’interprétation authentique, et Pélage est prêt à
donner aux évêques qui le désirent toutes les explications souhaitables au
sujet de cette affaire compliquée :
Si les évêques de cette région ont des doutes au sujet de la
condamnation des Trois Chapitres, que conformément à une ancienne coutume, ils
choisissent parmi eux deux ou trois hommes savants, ou que chacun d’entre eux
vienne pour sa propre part, et que, recevant de nous, avec la grâce de Dieu,
des explications convenables, il revienne à l’unité (littéralement :
« aux entrailles ») de la mère commune, la sainte Église catholique.
Car ce que votre Excellence dit, que nous devons nous réunir et faire une sorte
de synode, les canons ne permettent en aucun cas, après un synode universel et
après le jugement qu’ont proféré, comme d’une seule bouche, près de quatre
mille évêques, tant dans leurs métropoles qu’à Constantinople, de remettre ces
questions en discussion. Mais il n’a jamais été permis et il ne sera jamais
permis qu’un concile particulier se réunisse pour porter un jugement sur un
concile général. Mais chaque fois qu’un doute s’élève pour certains au sujet
d’un concile universel — pour se voir fournir des éclaircissements au sujet de
ce qu’ils ne comprennent pas — soit ceux qui désirent le salut pour leur âme
viennent d’eux-mêmes auprès des Sièges apostoliques pour être éclairés, soit...
s’ils devaient être à ce point obstinés et opiniâtres qu’ils ne veuillent pas
être enseignés, il est nécessaire qu’ils soient tirés vers le salut de toutes
les manières par ces mêmes Sièges apostoliques, ou qu’ils soient poursuivis par
les pouvoirs séculiers conformément aux canons, de manière à ne pas pouvoir
être une cause de perdition pour d’autres[1040].
Nous sommes mal renseignés sur le pontificat de Jean III et Benoît Ier.
En revanche, nous possédons quatre lettres de Pélage II. Dans la 2e
et surtout la 3e, il reprend à son compte, contre les schismatiques
Histriens, la condamnation des Trois Chapitres[1041], approuvée par tous ses prédécesseurs[1042]. Il demande aux schismatiques de confronter leur foi chrétienne avec les
écrits dont ils ont pris inconsidérément la défense :
Si vous croyez que Jésus , notre Dieu et Seigneur est vivant après sa mort, ou plutôt, parce que vous croyez qu’il est vivant, condamnez Théodore après sa mort sans aucune hésitation. En effet votre foi ne souffre pas que vous défendiez davantage celui qui s’est posé, par tant de blasphèmes, en ennemi de notre rédempteur[1043].
Il distingue chez Théodoret entre ceux de ses écrits qui attaquent saint
Cyrille, d’une part, et sa personne, réhabilitée par Chalcédoine après qu’il
eut anathématisé Nestorius, d’autre part :
Qui ne voit, frères très chers, que tout cela[1044] est plein de toute sorte d’impiété ? Cependant, il est constant qu’il s’en est corrigé par la suite, puisqu’il a consenti à anathématiser Nestorius au concile de Chalcédoine. Qui ne voit de quelle grande témérité est plein le fait de défendre avec orgueil les écrits de Théodore, alors qu’il est constant qu’il les a condamnés lui-même par la suite, en professant la vérité ? Mais en accueillant sa personne, et en réprouvant les dépravations qui se sont longtemps cachées dans ses écrits, nous ne nous écartons nullement de la décision du saint concile, car en rejetant seulement ses écrits hérétiques, d’une part, avec le concile, nous poursuivons encore Nestorius, d’autre part, avec le concile, nous vénérons Théodoret professant la vérité[1045].
Par ailleurs, Pélage II montre la nécessité d’adhérer au premier Siège,
non seulement par la parole du Seigneur à Pierre, mais par la Tradition des
Pères, en particulier Augustin et Cyprien, interprété dans le sens le plus
romain : le schisme (d’avec Rome) y est présenté comme le péché le plus
irrémissible :
Bien que ressorte clairement de la parole du Seigneur lui-même dans le saint Évangile où se trouve le fondement de l’Église, écoutons néanmoins ce qu’a déterminé le bienheureux Augustin en se souvenant de cette même parole. « L’Église de Dieu est fondée, dit-il, sur ceux qui sont reconnus en raison de la succession des évêques, comme ayant présidé des Sièges apostoliques ; et quiconque s’est séparé de la communion ou de l’autorité de ces sièges, il est montré qu’il se trouve dans le schisme ». Et après d’autres choses : « Te tenant au-dehors, tu mourras, même si (tu meurs) pour le nom du Christ. Parmi les membres du Christ, souffre pour le Christ en étant attaché au corps ; combats pour la tête (Tu ne seras pas compté parmi les membres du Christ, souffre pour le Christ, en étant attaché au corps combats pour la tête) ».
Mais le bienheureux Cyprien lui aussi... dit entre autres choses ceci : « Le commencement procède de l’unité et le primat est donné à Pierre pour qu’il soit montré que l’Église du Christ et la chaire font un » ; et : « Pasteurs, tous le sont, mais le troupeau est montré comme étant un seul, ce troupeau qui doit être mené à la pâture par les apôtres dans un accord unanime ».
Et peu après : « Celui qui ne tient pas cette unité de l’Église, croit-il qu’il tient la foi ? Celui qui déserte la chaire de Pierre sur laquelle est fondée l’Église (Mt 16,18) et lui résiste, se flatte-t-il d’être dans l’Église ?...
Ils ne peuvent pas demeurer avec Dieu, ceux qui n’ont pas voulu vivre de façon unanime dans l’Église de Dieu ; et même s’ils brûlent dans les flammes, s’ils exposent leur vie au bûcher et aux bêtes, ils n’obtiendront pas la couronne de la foi, mais le châtiment de leur mauvaise foi, ni la gloire finale, mais la mort du désespoir. Un tel homme peut être mis à mort, il ne peut recevoir la couronne...
Le crime du schisme est pire que le crime de ceux qui ont
sacrifié ; ceux-ci du moins se soumettent à la pénitence de leur crime et
implorent Dieu en acquittant pleinement les satisfactions requises. Ici on
cherche l’Église et on lui adresse sa demande, là on combat l’Église. Ici celui
qui a failli n’a nui qu’à lui-même ; là celui qui s’efforce de faire un
schisme entraîne avec lui beaucoup de gens dans l’erreur. Ici il n’y a de
dommage que pour une seule âme, là le péril est pour le grand nombre. Celui-ci,
du moins, reconnaît qu’il a péché et pleure et se lamente ; celui-là
s’enorgueillit de sa faute, se complaît dans son délit, sépare les enfants de
la mère, détourne les brebis de leur pasteur, bouleverse les sacrements de
Dieu, et alors que celui qui a failli n’a péché qu’une fois, celui-là pèche
tous les jours. Enfin celui qui a failli, s’il obtient le martyre après coup,
peut recevoir les promesses du Royaume ; celui-ci, s’il est mis à mort en
dehors de l’Église, ne peut pas parvenir aux récompenses de l’Église »[1046].
à la fin du vie siècle, « Rome
déserte est en flammes »[1047]. à la mort de Pélage II,
au terme d’une résistance de sept mois, on élit pour lui succéder Grégoire Ier,
préfet de la Ville, puis moine, ordonné diacre en 579 par Benoît Ier
ou Pélage II, apocrisiaire à Constantinople pendant six ans. Face aux
défaillances du pouvoir civil, Grégoire dut pourvoir à l’administration des
domaines pontificaux et à la défense de l’Italie. Alors que ses prédécesseurs
s’étaient surtout occupés des problèmes dogmatiques de l’Orient, il comprit
qu’échappant en fait à l’influence du basileus,
il devait devenir le pasteur de l’Occident barbare. Il réussit à réduire
progressivement le schisme, consécutif au ve
concile, des évêques dépendant du métropolitain d’Aquilée, entretint une
correspondance avec les rois barbares, resserra le contrôle de Rome sur les
diverses Églises, lutta contre la simonie et l’immoralité du clergé, et obtint
la conversion des anglo-saxons au christianisme. Contemplatif et homme
d’action, il a moins éclairé l’Église qu’il ne l’a édifiée. Mais par le fait
même, il est un témoin privilégié de l’ecclésiologie de son temps. Relevons
quelques aspects de ce témoignage.
Ecclesia universalis
L’ecclésiologie de saint Grégoire se caractérise d’abord par son
universalisme. L’Église universelle inclut la totalité de ceux qui, justifiés
par sa grâce, forment le corps du Christ, depuis Abel le juste jusqu’au dernier
élu, en passant par des hommes comme Job, qui n’appartiennent pas au peuple
juif[1048]. Dans l’Ancien Testament, le Christ se montrait déjà[1049]. Les anges eux-mêmes sont « membres du Christ »[1050], les hommes étant appelés à remplacer les anges infidèles, en nombre
égal à celui des anges fidèles[1051].
Compago corporis
Christi
Sur l’Église comme corps du Christ, compago
corporis Christi[1052], Grégoire se situe dans la droite ligne de son maître Augustin. Il
insiste sur la vie de grâce, de foi et de charité, et sur l’unité qu’elle
établit entre nous et le Christ. Notre union avec lui est telle que nous
formons avec lui une seule personne, una
persona[1053]. Tous les fidèles sont prêtres en tant que membres du souverain Prêtre, membra summi Sacerdotis[1054]. Dans le pauvre, c’est le Christ qui reçoit l’offrande[1055]. L’Écriture parle sans distinction du Chef et des membres[1056]. Nos souffrances sont celles du Christ[1057].
L’Église universelle est la « sainte Église des élus ». Ceux-ci
sont les chrétiens dignes de ce nom, dont le nom est inscrit dans le ciel, qui
y arriveront et qui montrent ici-bas, par leur manière de vivre, des signes de
leur élection par leur charité et leur humilité[1059]. L’Église est certes la société visible des sacrements et du sacerdoce,
et Grégoire ne rejette pas les pécheurs hors de son large sein[1060]. Mais elle est surtout spirituelle, présence des saints au milieu de
nous et ascension des fidèles dans la communion des saints.
De même, saint Grégoire entend le règne de Dieu comme spirituel et moral,
« assemblée des justes » déjà réalisée en germe avant de s’épanouir
dans le « royaume à venir » :
L’Église présente est appelée royaume des cieux. En effet, le royaume des cieux désigne l’assemblée des justes[1061].
Le royaume de Dieu ne désigne pas toujours, dans les paroles sacrées, le royaume à venir, mais parfois l’Église présente[1062].
Mystique, Grégoire était aussi un homme de devoir qui dirigea l’Église de
la terre « avec force et douceur » — fortis et mansuetus —, constituant ainsi un trésor d’expérience
pastorale aux implications ecclésiologiques considérables.
Et d’abord, en ce qui concerne les sources de la foi. On se rappelle que
l’usage voulait que le nouvel évêque d’un des grands sièges patriarcaux
notifiât aux autres son élection et y joignît une profession de foi appelée
« synodique ». Grégoire envoya la sienne en février 591 ; il y
associe aux quatre premiers conciles le ve,
et anathématise quiconque pense autrement :
De même que les quatre livres du saint Évangile, je confesse que je reçois et vénère les quatre conciles : j’embrasse en effet avec une entière dévotion et je garde avec un plein assentiment celui de Nicée où est détruite la doctrine perverse d’Arius ; celui de Constantinople également où est réfutée l’erreur d’Eunome et de Macedonius, de même le premier d’Ephèse où est jugée l’impiété de Nestorius et celui de Chalcédoine où est condamnée l’erreur d’Eutychès et de Dioscore ; car sur eux s’élève, comme sur une pierre quadrangulaire, l’édifice de la sainte foi, sur eux s’appuie l’édifice de toute vie et de toute action ; et quiconque ne tient pas leur solidité, même s’il est considéré comme une pierre, gît cependant en dehors de l’édifice.
Je vénère de même le cinquième concile où est condamnée la lettre dite d’Ibas comme pleine d’erreurs, où Théodore (de Mopsueste) qui sépare la personne du Médiateur de Dieu et des hommes en deux hypostases est convaincu d’être tombé dans le crime de l’impiété, et où sont rejetés également les écrits de Théodoret qui sont le fait d’une entreprise folle, et par lesquels est blâmée la foi du bienheureux Cyrille. Toutes les personnes que les vénérables conciles susdits rejettent, je les rejette, ceux qu’ils vénèrent, je les reconnais ; car puisqu’ils sont fondés sur un consensus universel, c’est lui-même et non pas ceux-là que détruit quiconque a l’audace soit de délier ceux qu’ils lient, soit de lier ceux qu’ils délient. Si donc quelqu’un pense autrement, qu’il soit anathème[1063].
Face aux résidus des schismes occidentaux, il lui arriva, quand il était
sûr que l’erreur n’était pas contagieuse, de ne mentionner que les quatre
premiers conciles, comme il le conseilla à Constance de Milan de le faire
vis-à-vis de la reine Théodelinde, « gracieuse et bienfaisante personne
qui n’entendait pas grand chose à ces questions subtiles »[1064]. Mais un peu plus tard, il l’invita à constater l’accord du ve concile avec les
précédents, et ses lettres relatives au schisme d’Aquilée montrent qu’il ne
renonça jamais à l’héritage intégral des cinq conciles œcuméniques[1065].
Ce n’est pas cependant que les relations avec l’Orient fussent toujours
faciles. Le concile de Chalcédoine avait reconnu à l’évêque de Constantinople,
sans l’aval de Rome, le titre de patriarche. Ce fut, à partir du pontificat de
saint Léon, une point d’opposition permanent entre la
papauté et l’Église grecque. En 588, Pélage II avait cassé un acte d’un synode
de Constantinople, appuyé par l’empereur Maurice, qualifiant le patriarche de
Constantinople, Jean le Jeûneur (582-595), de « patriarche
œcuménique », et il avait donné ordre à son apocrisiaire de ne plus
paraître aux messes du patriarche. Après la mort de Pélage II, sur les
instances de Maurice l’apocrisiaire reparut, mais Rome comptait que le
patriarche se le tenait pour dit. Or, peu de temps après, deux prêtres condamnés
en synode à Constantinople firent appel à Rome. Le pape demanda les gesta du synode, et les obtint, avec
difficulté, mais ceux-ci donnaient au patriarche le titre de « patriarche
œcuménique ». Grégoire, conscient qu’il s’agit d’une question de foi, non
d’une appellatio frivoli nominis :
réagit vivement : « J’irai droit devant moi, et, dans cette affaire,
je ne craindrai que Dieu ». Pierre n’est pas apôtre universel, et lui se
qualifie d’évêque universel ! Quiconque prend ce titre est un précurseur
de l’Antéchrist. Qu’arrivera-t-il donc si le patriarche, comme Nestorius, tombe
dans l’hérésie ? Euloge d’Alexandrie ayant décerné ce titre au pontife
romain, celui-ci le récuse : il n’y a pas d’évêque universel, sinon chaque
évêque ne serait plus évêque chez lui — ce qui, évidemment, ne déroge pas à
l’autorité universelle du Siège apostolique. Constantinople ne cède pas, et
Grégoire meurt sans avoir rien obtenu.
Il ne faut pas se méprendre sur la signification de cet épisode[1067]. Au-delà d’une querelle de mots, il s’agit d’un tournant décisif dans
l’histoire de l’ecclésiologie occidentale. Grégoire est peut-être le premier,
en Occident, à entrer en conflit avec la tendance générale des autorités
civiles à réduire le rôle des évêques à une simple fonction d’officiers du
pouvoir royal, entièrement sous leur dépendance.
Grégoire se considère toujours, comme Léon, comme un citoyen de l’empire
romain, censé survivre sous l’autorité du basileus.
Mais en Occident, dès cette époque, même si les autorités locales d’origine barbare
persistent à se présenter comme simples légats de l’autorité impériale, ce
n’est plus qu’une fiction. Or, sans se soucier aucunement des nuances que
l’empire byzantin respectera toujours au moins pour la forme, les princes, non
contents de choisir eux-mêmes les évêques, donnent cette dignité à certains de
leurs familiers d’esprit fort peu ecclésiastique et entendent se servir d’eux
comme de simples sous-ordres. C’est précisément pour lutter contre cette
confusion et pour maintenir, ou pour rétablir, un épiscopat qui soit une
véritable fonction d’Église que Grégoire revendique l’indépendance à l’égard de
l’État comme la suprématie dans l’Église pour l’autorité du pontife romain.
Dans son conflit à l’égard du patriarche de Constantinople, Grégoire ne lui
reproche aucunement de s’attribuer un rôle qui reviendrait de droit à l’évêque
de Rome, mais de s’arroger une autorité que le pape lui-même se refuse
expressément à revendiquer. Ce qu’il ne peut admettre, c’est qu’une primauté
quelconque puisse être reconnue à un évêque sur la base d’une liaison de son
siège avec celui de l’empire. L’intrusion dans l’Églises d’une autorité civile
calquée sur l’autorité séculière (ou découlant de celle-ci) revient à abaisser
et à dénaturer l’autorité épiscopale. Quant à lui, il vise, non à comprimer
l’autorité des autres évêques, mais à la soutenir[1068].
Quant au pouvoir royal, c’est grégoire
qui en a formulé la notion comme ministère de la société chrétienne, identifiée
à l’Église, dont héritera le moyen âge. Ce pouvoir est tout finalisé par le
royaume céleste :
Le pouvoir sur tous les hommes a été donné d’en haut à la piété de mes Seigneurs, pour aider ceux qui cherchent à bien faire, pour ouvrir plus largement le chemin du ciel, pour que le royaume terrestre soit au service du royaume céleste[1070].
Le saint docteur le compare au rhinocéros, gros animal dont les services
peuvent être utiles[1071] : il amènera par contrainte à l’obéissance religieuse ceux que la
parole n’a pas réussi à convaincre[1072]. Mais le roi n’est vraiment tel que s’il se régit lui-même[1073] : le prince inutile est un prince déchu[1074].
Du principatus romain, saint
Grégoire nourrit une conception fort élevée. Il ne tolère aucun abus, aucune
défaillance, aucune acception de personnes dans les diocèses suburbicaires.
L’autorité qu’il veut exercer est d’ordre ministériel : il n’est pas dominus omnium, mais servus servorum Dei. — apostolica fulgens auctoritate, humilitate
præclarus[1075]. La papauté se définit pour lui : sollicitudo et potestas.
Il exerce cette primauté avec autant de vigilance que de souplesse,
réunissant, quand il le faut, un concile provincial en Sicile, province placée
directement sous la juridiction de Constantinople. En Afrique, où un fort
courant répugne à sacrifier les anciennes libertés, il ne s’ingère pas plus
qu’il n’est nécessaire dans les affaires locales, et préserve les coutumes
traditionnelles : « De même que nous défendons nos droits, de même
nous conservons les siens à chacune des Églises »[1076]. Il met cependant en œuvre sa primauté de juridiction sans qu’il y
paraisse, et exerce une sorte de droit de veto,
interdisant de conférer la dignité primatiale à un ancien donatiste, et
renvoyant les appels à des juges africains nommés par lui. En Italie, il porte
une grande attention au pallium,
porté au début du vie
siècle par le seul pape[1077].
Finalement, la légitimité des pasteurs tient à ce qu’ils se trouvent dans
la beata Petri Ecclesia[1078], celle qui tient la foi de Pierre, qui a hérité de son pouvoir de lier
et de délier, et à laquelle préside l’héritier du principatus du princeps
apostolorum.
Pour eux, le pape écrit notamment, au début de son pontificat, la Regula pastoralis, sans cesse recopiée
et méditée au moyen âge, sur lequel elle exercera une influence considérable.
Auprès de Jean de Ravenne, qui lui avait doucement reproché de vouloir se
soustraire à la charge épiscopale, il s’excuse — comme Grégoire de Nazianze —
en montrant le poids et la dignité du sacerdoce. Il y développe surtout les
devoirs du prêtre : ars artium
regimen animarum !
Tout prédicateur doit d’abord être un contemplatif, et « l’amour de
la patrie céleste » confère à sa parole une efficacité fulgurante :
Au milieu des œuvres extérieures, si bonnes soient-elles, ils se refroidiraient bien vite, s’ils n’avaient grand soin de revenir toujours se réchauffer au feu de la contemplation[1080].
Inversement, tout contemplatif qui y est appelé a le devoir de se livrer
à la vie pastorale[1081]. C’est ainsi que Grégoire confia l’évangélisation de l’Angleterre à des
moines, imprimant ainsi une marque indélébile au christianisme de ce pays.
De la vie pastorale, il retient surtout, dans la première et la seconde
parties du Pastoral, les conditions
morales. Le gouvernement des âmes requiert la science, mais surtout la
vertu : juste équilibre entre activité et recueillement intérieur,
désintéressement, miséricorde, fermeté — mais nec pæesse se hominibus gaudeat, sed prodesse[1082]… vitiis potius quam
fratribus dominatus, car Grégoire ne conçoit l’autorité que comme un service exercé dans
l’humilité à raison même de son élévation :
Exercent maintenant la charge de Pierre pour lier et délier, ceux que leur foi et leur conduite font occuper saintement un poste d’autorité[1083].
Aux pasteurs, il recommande avant tout la prédication, à laquelle il
consacre toute la troisième partie du Pastoral[1084]. L’unique loi du genre consiste à s’adapter à l’interlocuteur pour le
gagner à Jésus-Christ selon le mode qui lui convient, selon les diverses
catégories, états et caractères, qu’il décrit.
Dans la quatrième partie, il invite le prédicateur à se défier de la
complaisance dans sa propre parole, tentation du « rusé séducteur »,
et demande au lecteur de prier pour lui, pécheur, qui enseigne les autres.
Lutte
contre la simonie
On ne s’étonnera pas que ce pontife intègre ait lutté avec une vigueur
sans merci contre la pratique — qu’il assimile à l’hérésie — de vendre l’octroi
des sépultures, et surtout les offices ecclésiastiques :
J’ai appris que dans les régions des Gaules et de la Germanie nul ne parvient à l’ordre sacré sans accorder un cadeau approprié. S’il en est ainsi, je le dis en pleurant, et je le proclame dans les gémissements : si l’ordre sacerdotal s’est effondré du dedans, il ne pourra pas tenir longtemps au-dehors. Nous savons en effet de par l’Évangile ce que notre Rédempteur a fait lui-même : lorsqu’il est entré dans le Temple, il a renversé les sièges des vendeurs de colombes (Mt 21, 12). Vendre des colombes signifie en effet percevoir un avantage temporel du Saint-Esprit que le Dieu tout-puissant confère aux hommes comme consubstantiel à lui par l’imposition des mains. Ce qui résulte de ce mal, comme je l’ai dit, est déjà indiqué ; car ceux qui ont l’audace de vendre des colombes dans le Temple de Dieu, leurs sièges sont tombés selon le jugement de Dieu.
Cette erreur en effet s’amplifie et se propage chez les subordonnés. Car celui qui est conduit à l’honneur (l’ordre) sacré en échange d’un paiement est déjà corrompu à la racine même de sa promotion, et il est davantage disposé à vendre à d’autres ce qu’il a acheté. Et où est alors ce qui est écrit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8) ?
Et puisque l’hérésie simoniaque a surgi comme la première hérésie contre la sainte Église, pourquoi ne considère-t-on pas, pourquoi ne voit-on pas que si on ordonne quelqu’un contre un paiement, on fait, en le promouvant, qu’il devient hérétique ?[1085]
Cette rigueur contre les abus qu’il jugeait scandaleux ne doit pas faire
oublier la singulière souplesse dont Grégoire savait faire preuve dans
plusieurs domaines où il fait date dans la tradition des pontifes romains.
— Protecteur des juifs
Il inaugure
la traditionnelle protection des papes aux juifs, interdisant qu’on trouble
leurs réunions liturgiques et ordonnant de n’employer pour les convaincre que
la douceur et la persuasion. Il écrit ainsi à l’évêque Pierre de Terracine,
évêque d’un diocèse où les juifs avaient été chassés de leurs lieux de
réunion :
S’il en est vraiment ainsi, nous voulons que ta fraternité s’abstienne de ce genre de querelle , et qu’au lieu où, nous venons de le dire, ils avaient obtenu avec ton agrément de se réunir, il leur soit permis de le faire comme ils en avaient la coutume. Eux, en effet, qui sont en désaccord avec la religion chrétienne, c’est par la douceur et la bonté, par les avertissements et la persuasion, qu’il faut les amener à s’agréger à l’unité de la foi, de peur que menaces et craintes n’écartent ceux que la douceur de la prédication et la venue imprévue du juge futur aurait pu inviter à croire. Il faut qu’ils en arrivent à venir volontiers nous écouter leur donner la parole de Dieu, au lieu d’être épouvantés par cette sévérité qui dépasse la mesure[1086].
De même, à Virgile d’Arles et Théodore de Marseille, chez qui les Juifs
se plaignaient d’avoir été baptisés de force
Je crains que, si cette intention n’est pas accompagnée de la vertu propre de l’Écriture, il n’en vienne aucune récompense, ou même, dans une certaine mesure, que des dommages ne s’ensuivent — ce qu’à Dieu ne plaise — pour les âmes que nous voulons sauver… Que votre Fraternité exhorte donc ces hommes par des prédications répétées, de sorte que ce soit plutôt par la douceur de celui qui enseigne qu’ils désirent changer leur ancienne manière de vivre[1087].
Il développe les mêmes orientations, quelques années plus tard, dans une
lettre à Paschase de Naples :
Ceux qui, avec une intention droite, désirent amener des gens étrangers à la religion chrétienne, à la foi juste, doivent s’y efforcer par des paroles de bonté et non pas par des paroles dures, en sorte que l’inimitié ne repousse pas au loin ceux dont l’esprit aurait pu être mis en mouvement par l’indication d’une raison claire. Car tous ceux qui agissent autrement, et qui sous ce couvert veulent les éloigner de la pratique habituelle de leur rite, il s’avère qu’ils travaillent à leur propre cause plus qu’à celle de Dieu. Des juifs en effet qui habitent Naples se sont plaints auprès de Nous en disant que certains s’efforçaient de façon irraisonnée de les empêcher d’accomplir certaines célébrations de leurs fêtes, en sorte qu’il ne leur soit plus permis d’accomplir les célébrations de leurs fêtes comme il leur était permis depuis longtemps, ainsi qu’à leurs parents, de les observer ou de les accomplir. S’il en est vraiment ainsi, ces gens semblent mettre leurs efforts dans une entreprise vaine. Car quelle utilité y a-t-il à cela dès lors que, même si on le leur interdit au rebours d’un long usage, ils n’y trouvent aucun profit pour la foi et la conversion ? Ou pourquoi établissons-nous des règles pour les juifs quant à la manière dont ils doivent accomplir leurs cérémonies, si nous ne pouvons pas les gagner par là ?
Il faut donc faire en sorte qu’encouragés plutôt par la raison et la douceur, ils veuillent nous suivre et non pas nous fuir, pour que, leur expliquant par les Écritures ce que nous disons, nous puissions avec l’aide de Dieu les convertir au sein de la mère Église. C’est pourquoi, que ta fraternité les enflamme à la conversion par des monitions, autant qu’elle le peut avec l’aide de Dieu, et qu’elle ne permette pas à nouveau qu’ils soient inquiétés à cause de leurs célébrations ; qu’ils aient au contraire une entière liberté d’observer et de célébrer leurs festivités et leurs fêtes, comme ils l’on fait jusqu’ici[1088].
— Souplesse dans les usages liturgiques
On sait qu’en Angleterre, le pape, à l’exemple de saint Benoît, avait
engagé Augustin à ne pas détruire les temples païens (mais seulement les
idoles), qu’on devait consacrer au culte chrétien, et à autoriser les festins
lors des grandes fêtes chrétiennes. Mais, se demandait Augustin, quelle
liturgie y adopter ? « Bien que la foi soit une, les usages sont
variés dans les Églises : il y a un rite de la messe dans la sainte Église
romaine et un autre dans l’Église des Gaules ». La réponse de Grégoire
témoigne, cette fois encore, de sa discretio
toute monastique :
Ta Fraternité connaît les coutumes de l’Église de Rome où elle se souvient d’avoir été élevée. Mais je souhaite que si tu as trouvé dans l’Église de Rome, ou celle des Gaules, ou n’importe quelle autre, quelque chose qui puisse plaire davantage au Dieu tout-puissant, tu fasses un tri rigoureux, et que tu répandes par des dispositions particulières dans l’Église des Angles, qui est toute nouvelle dans la foi, ce que tu auras pu recueillir des autres Églises. Car il ne faut pas aimer les choses en raison des lieux, mais aimer les lieux en raison des choses bonnes qui y sont[1089].
De même, dans sa réponse à Léandre sur la triple immersion
baptismale : « Dans une même foi, une coutume diverse ne nuit pas à
la sainte Église »[1090]. On peut, selon les coutumes locales immerger l’enfant une fois,
puisqu’il n’y a qu’une substance dans la Trinité, ou trois fois, puisqu’il y a
trois subsistances.
Aux viie et viiie siècles, en Occident,
les écrivains sont surtout des compilateurs, mais ils ont eu le grand mérite de
sauvegarder l’héritage des Pères dans des conditions extrêmement critiques, et
de le transmettre fidèlement au moyen âge. Relevons les positions
ecclésiologiques de quelques personnalités remarquables, et l’enseignement de
l’Église elle-même dans ses conciles. Nous reviendrons plus loin sur
l’ecclésiologie sous-jacente à la liturgie.
Le jeune frère de saint Léandre, saint Isidore a exercé une influence
considérable, surtout par ses Étymologies,
dont les définitions ont formé le cadre conceptuel classique du moyen âge.
Ainsi, il donne de l’Église, ecclesia,
une définition nominale qui fera long feu : ecclesia signifie « convocation, du fait qu’elle appelle tous
les hommes à soi »[1092]. Elle s’oppose à synagoga,
parce que congregari et pecora solent,
convocari autem magis est utentium ratione, sicut homines. Elle est
composée des fidèles, du « nous » des chrétiens.
Cette Église est catholique, c’est-à-dire universelle : catholica, universalis apo tou kaq¢olon, id est secundum totum, à la différence des hérésies, limitées à un coin du monde[1093]. Isidore a ainsi grandement contribué à orienter les esprits vers
l’universalisme ecclésial[1094].
De ce rassemblement dans l’unité des peuples divers, la foi constitue le
principe[1095]. Le sacrement du corps et du sang du Seigneur, offert par l’Église — qui
est tout entière sacerdotale, en vertu de notre union de vie dans le corps du Christ[1096] —,
l’achève. La célébration eucharistique se termine dans le fidèle que le
Saint-Esprit, transformant les oblats au corps du Christ, incorpore ainsi au
Christ[1097].
Quant à l’unité visible de l’Église, elle est assurée par
le pontife romain, « vicaire de Dieu ». Lui résister opiniâtrement,
c’est s’exclure de la communion des fidèles :
Nous savons que nous sommes évêques dans l’Église du Christ, et en cette qualité nous nous confessons plus spécialement obligés que les autres prélats de l’Église à rendre au pontife romain avec révérence, humilité et dévotion, l’obéissance qui lui est due en toutes choses comme au vicaire de Dieu. Celui qui lui résiste opiniâtrement, nous le déclarons entièrement exclu de la communion des fidèles, comme un hérétique. Et ceci, nous ne le disons pas de notre propre choix ; mais c’est bien plutôt par l’autorité du Saint-Esprit que nous le tenons et le croyons comme ferme et décisif[1098].
Moine devenu évêque, Isidore insiste sur la spécificité de la vie
monastique, sa differentia, dans une
Église wisigothique où l’on constate une constante osmose entre monastères et
clergé séculier. Au chapitre viie
des origines,
il place les moines entre les clercs et « le reste des fidèles »,
plus près des premiers dont la première obligation est de demeurer « à
l’écart de la vie ordinaire » et des « voluptés du monde »[1100]. Au iiie livre
des Sententiæ, il les place au
premier rang, en tant que prémices de la civitas
Dei, consacré directement et totalement à sa sanctification, alors que tous
les autres y visent indirectement par l’exercice de divers officia sacrés ou profanes, ce qui leur vaut un statut légal
d’exception : avec le ive
concile de Tolède, Isidore limite singulièrement le pouvoir des évêques à leur endroit.
Ailleurs, il les compare aux laïcs :
Aux uns, on dit de bien gérer leurs biens, aux autres, de bien abandonner tous les leurs. Les uns sont soumis aux préceptes généraux, les autres dépassent les préceptes généraux en menant une vie plus parfaite[1101].
Il met en garde contre les « diminutifs de la vie monastique
proprement dite »[1102], « religieux » mal définis ou laïcs consacrés, soupçonnés de
corrompre les moines comme jadis les sarabaïtes.
Du ve au viie siècle, l’Église
d’Espagne s’administre de manière autonome par ses conciles, notamment les
dix-sept conciles tenus à Tolède de 397 à 694, et dont certains jouissent d’une
grande autorité du fait de leur approbation par Rome. Dans les Étymologies, Isidore s’inspire du droit
romain pour définir le concile par une communis
intentio qui pousse à s’assembler pour réaliser l’unanimité[1103], et présente les conciles comme le moyen spécifique d’assurer à l’Église
l’unité et la santé[1104].
Il donne toute sa mesure au ive
concile (633), pour lequel il compose un Ordo de celebrando concilio qui connut une large diffusion. Ce
concile démontre la canonicité de l’Apocalypse par l’autorité des conciles et
des « saints évêques romains » :
(Chap. 17) L’autorité de nombreux conciles et les décrets
synodiques des saints évêques romains attribuent le livre de l’Apocalypse à
l’évangéliste Jean, et ont commandé qu’il soit reçu parmi les livres divins. Et
parce qu’il en est beaucoup qui ne reçoivent pas son autorité et qui négligent
de l’annoncer dans l’Église de Dieu, si quelqu’un désormais soit ne le reçoit
pas, soit ne l’annonce pas dans l’Église durant les messes de Pâques à
Pentecôte, il sera excommunié[1105].
Quelques années après la mort d’isidore,
on trouve dans le vie
concile de Tolède d’intéressants développements sur l’Église : celle-ci
est déjà « sans tache ni ride », non seulement par sa foi, la seule
qui nous procure le salut, mais par son « œuvre » ; elle est
corps du Christ, et sera associée au règne eschatologique de son Seigneur,
unique Sauveur du monde :
Nous croyons aussi que l’Église catholique, « sans tache » dans son œuvre « ni ride » (Ep 5,23-27) dans la foi, est son corps, et qu’elle obtiendra le Règne avec sa Tête, Jésus Christ le tout-puissant, après que « cette réalité corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et cette réalité mortelle l’immortalité » (1 Co 15, 43), afin que « Dieu soit tout en tous » (1Co 15,28)…
Par cette foi « les cœurs sont purifiés » (Ac 15, 9), par elle les hérésies sont extirpées, en elle l’Église tout entière séjourne déjà dans le Règne céleste et se glorifie tant qu’elle demeure dans le siècle présent ; et il n’est pas de salut dans une autre foi : « Car il n’y a sous le ciel aucun nom offert aux hommes dans lequel il faut que nous soyons sauvés » (Ac 4, 12)[1106].
Cinquante ans plus tard, le xve
concile de Tolède reprend ces thèmes et les développe. Pour être sauvé, il faut
adhérer à la foi des quatre premiers conciles, des « autres
conciles » — ceux de Tolède, et peut-être aussi le second de
Constantinople[1107], ou des conciles locaux approuvés par Rome —, enfin de la Tradition
de« tous les saints Pères » :
La sainte Église catholique qui a cette foi, lavée par l’eau du baptême, rachetée par le précieux sang du Christ, qui n’a pas de ride dans sa foi et ne porte pas la tache d’une œuvre impure (Ep 5, 23-27) , est en effet riche de marques d’honneur, brille par sa vertu et resplendit des dons de l’Esprit Saint.
Avec le Christ Jésus notre Seigneur, sa tête dont elle est le
corps sans aucun doute, elle régnera pour toujours ; et tous ceux qui
maintenant ne se trouvent pas en elle ou qui ne s’y seront pas trouvés, qui en
sont séparés ou s’en seront séparés, ou tous ceux qui, dans le mal du manque de
foi, auront nié que les péchés y sont remis, ceux là, s’ils ne reviennent pas à
elle à l’aide de la pénitence et s’ils ne croient pas d’une foi exempte de tout
doute tout ce que le synode de Nicée..., l’assemblée de Constantinople... et
l’autorité du premier concile d’Ephèse ont décidé d’embrasser, et que la
volonté unanime des saints pères à Chalcédoine ou des autres conciles, ou
encore de tous les saints pères qui ont vécu dans la foi juste, prescrivent de
garder, ils sont châtiés par une sentence de damnation éternelle, et seront
brûlés à la fin des temps avec le diable et ses consorts sur un bûcher enflammé[1108].
à une époque où toute l’activité intellectuelle dépend
exclusivement de l’Église, et où celle-ci se concentre sur la conservation de
son trésor culturel et sur sa tâche d’évangélisation, c’est le vénérable Bède
qui représente le plus haut degré de culture atteint en Occident. Dans ses
commentaires scripturaires et ses homélies, ce moine érudit, très dépendant des
Pères latins, développe sa conception de l’Église dans deux directions
principales.
Plutôt qu’en concepts, cette conception s’exprime en une
profusion d’images scripturaires :
C’est de manières multiples et par le moyen de beaucoup de figures que les mystères du Christ et de l’Église sont répétés, mais, répétés, ils apportent toujours quelque chose de nouveau, qui ou bien procure un argument, argumentum, en faveur de ces mêmes mystères, ou bien charme davantage les esprits des auditeurs par sa nouveauté même[1109].
En effet, toute l’Écriture dévoile le double mystère du
Christ et de l’Église. Tout y est donc typologique. L’Église est ainsi figurée
par ève et Marie, Abraham et sara, Thamar, Rahab, Marie-Madeleine,
la femme affligée d’un flux de sang, la femme forte[1110], Zachée, la Cananéenne, mais aussi
l’arche, le temple, l’autel, le chandelier à sept branches[1111], la tunique sans couture, la vigne,
le Paradis, la lune[1112], les nombres, etc.
Il en résulte une vision étonnamment large, issue de la
recherche du plan divin de salut dans toute son ampleur :
L’Église universelle l’emporte à juste titre sur tous ceux qui sont ses membres authentiques ou supposés, elle qui, en ses membres fidèles, loue le nom du Seigneur du commencement à la consommation des siècles, du lever du soleil à son couchant, depuis le Nord et la mer[1113].
On retrouve l’Ecclesia
universalis de saint Grégoire, « l’Église constituée par les saints
anges et hommes »[1114], « une seule foule catholique de
tous les élus à travers tous les lieux et tous les temps de ce monde »[1115], comprenant tous les justes depuis
Abel[1116], et l’Église visible et
hiérarchiquement structurée issue de l’Incarnation rédemptrice, à laquelle le
Christ a remis les sacrements et qui doit sans cesse se dilater par la
prédication.
Cette vive conscience de la catholicité de l’Église
suscite chez le moine anglo-saxon joie, émerveillement et amour :
« C’est cela, plus que tout le reste, qui m’embrase d’amour pour toi,
Église catholique ! »[1117]
L’Église des sacrements chrétiens apparaît surtout à Bède comme la
nouvelle ève, née du côté du
Christ en croix, et son épouse[1118]. Étant una caro avec son
Époux, elle est aussi son corps[1119], una natura avec lui[1120], et tout entière sacerdotale[1121], du fait que tous les fidèles sont membres du Souverain Prêtre[1122]. D’autre part, elle est notre mère : « Il appelle l’Église
épouse et mère, elle qui, demeurant immaculée, engendre sans cesse des fils
spirituels à Dieu »[1123].
Immaculée en elle-même[1124], elle comprend des pécheurs et cherche à les purifier par la pénitence,
grâce à son pouvoir des clefs[1125], clavis potestatis[1126].
Contemplatif envisageant essentiellement l’Église sous son aspect
mystique, Bède n’insiste guère sur son aspect institutionnel. à une époque d’intense dévotion envers
l’Apôtre Pierre, portier du ciel et ses reliques romaines, il affirme néanmoins
le devoir de se conformer à la foi et à la pratique de l’Église de Pierre, qui
ouvre ou ferme l’accès au ciel — ainsi, dans son récit du synode de Whitby
(664), où furent adoptées les coutumes romaines, notamment sur la date de
Pâques[1127].
Aux viie et viiie siècles, en Orient
comme en Occident, on exploite et on prolonge l’héritage des Pères des siècles
précédents, en ecclésiologie comme en christologie — deux domaines
inextricablement liés historiquement, en raison des implications
ecclésiologiques des prises de position de l’Église et de l’État dans les
questions dogmatiques. Évoquons d’abord une orientation générale de
l’ecclésiologie byzantine de cette époque, avant d’aborder la question du
primat pétrinien, liée à l’attitude des papes face aux hérésies.
Dans une théologie synthétisée par le thème de notre divinisation,
l’humanité du Christ est le moyen de la réparation de l’homme déchu et de son
assimilation à la divinité[1128]. On trouve déjà ce raisonnement chez Anastase d’Antioche († 599), ami de
saint Grégoire : par l’Incarnation, le Christ a pour ainsi dire assumé
l’humanité entière et chacun de nous, pour nous « redresser » et nous
diviniser :
Dieu a porté en lui tout ce que nous sommes. Il a assumé toute notre race en un seul individu, et il est devenu ainsi les prémices de notre nature. Il voulait en effet redresser la totalité de ce qui était déchu. Or, toute notre race était déchue. Il s’est donc mélangé à Adam tout entier, il s’est répandu, lui la vie, dans la mort, pour la sauver. Il a pénétré dans la totalité de celui qu’il s’était uni, comme le ferait l’âme d’un grand corps, le vivifiant tout entier et lui communiquant partout la vie de façon sensible. C’est pourquoi on appelle le genre humain « corps du Christ et ses membres chacun pour sa part » (1 Co 12, 27) : parce que le Christ s’étend également en tous, et que, cependant, il habite de façon particulière en chacun[1129].
On retrouve une argumentation semblable chez saint Sophrone[1130]. Par ailleurs, celui-ci montre dans l’union mutuelle des Apôtres Pierre
et Paul — types de l’épiscopat catholique et modèles pour l’unité organique et
l’amour spirituel dans l’Église — un reflet de l’union hypostatique, sans
division, ni confusion, ni préjudice pour l’ordre voulu par Dieu :
Il élut des pécheurs et leur donna en partage la grâce de l’apostolat,... sans pourtant diviser leur dignité ni confondre leur ordre, mais gardant la différence de l’ordre dans l’unité de la grâce et de la dignité apostolique. Car la Sagesse de Dieu, la force et le Logos, a jugé bien que soit maintenue une la dignité apostolique, et que la différence de l’ordre soit tenue sans confusion, pour que l’ordre ne vire pas au désordre (car le désordre est ennemi de Dieu), ni que la grâce de la dignité ne soit morcelée en grâces inégales[1131]…
Ces deux hommes sages et divins, Pierre et Paul, opèrent leur indicible communion mutuelle, sans vouloir de distance entre eux, évitant la séparation, détournant les divisions, fuyant les scissions, refusant les dissensions, parce qu’elles sont fruit de la haine et occasion d’inimitié. Par là, ils veulent nous enseigner le bonheur de l’amour spirituel et le bienfait de la charité selon le Christ… Et, parce que les deux Apôtres nous enseignent le bienfait de l’amour et qu’ils figurent par eux-mêmes son opération, ils ont aussi une célébration commune[1132].
Dans sa Mystagogie, rédigée
vers 628-630[1133], le moine Maxime explique le sens de l’église-édifice (chap. 1 à 7),
puis le sens de la liturgie eucharistique. L’église (comme l’Église) est une
image de Dieu ; elle unit les fidèles par la grâce et la puissance de la
foi (chap. 1). Elle est aussi image du monde, et aussi les parties de l’être
humain (chap. 2-6), et enfin l’Ancien et le Nouveau Testament (chap. 6).
L’Église représente donc la totalité du « nouveau mystère » :
celui de notre divinisation[1134]. Celui-ci se réalise par le baptême complété par l’eucharistie, qui
achève de nous incorporer au Christ[1135].
Nous retrouverons bientôt un autre aspect de l’ecclésiologie de ces deux
saints : leur attitude envers Rome dans sa lutte contre le monothélisme.
En Orient, le viie
siècle est en effet marqué par la crise monothélite, qui s’achèvera en 680-681
par le iiie concile de
Constantinople. Nous avons étudié cette période en christologie, mais elle pose
un problème ecclésiologique non négligeable, qui a souvent été soulevé par les
adversaires de la papauté : le pape Honorius, jugé sévèrement par le vie
concile, n’est-il pas tombé dans l’hérésie, ce qui constituerait un
précédent pour juger librement des papes contemporains ? Des travaux
récents[1136] ont, cette fois encore, confirmé l’interprétation de dom Guéranger.
Héraclius, devenu empereur en 610, voyait l’empire menacé, à l’extérieur,
par les slaves, les Avars et surtout les Perses ; à l’intérieur, par la
désorganisation consécutive à la tyrannie de Phocas, et surtout par la guerre
fratricide entre les catholiques et les monophysites, qui fournissaient même
des alliés aux Perses. Le patriarche Serge de Constantinople, comprenant qu’il
était urgent de faire cesser la lutte entre catholiques et monophysites,
chercha une possibilité d’union avec ces chrétiens séparés, et crut la trouver
dans la formule, admise des monophysites : le Christ a une seule
opération, energeia, et une seule volonté, qelhma. Devant
l’opposition de saint Sophrone, futur patriarche de Jérusalem, il demanda à
Cyrus d’Alexandrie, dans son Psèphos,
« de ne plus permettre à personne de parler d’une ou de deux opérations à
propos du Christ notre Dieu ». Mais en même temps, il introduisait
subtilement dans le même document la doctrine de l’unique volonté, entendue
comme un accord purement verbal, qui pouvait paraître conforme au dogme de
Chalcédoine et Constantinople II. Par l’effet d’une rare prudence, à la fin de
633 ou au début de 634, Serge fit parvenir le Psèphos au pape Honorius et au théologien le plus renommé de son
temps, le moine Maxime. Au pape, il représente que Sophrone vient troubler la
paix de l’Église en parlant de deux énergies, alors qu’il s’était proposer de
faire l’unité de l’empire sur la formule de l’unique énergie. Maxime lui donna
aussitôt une approbation enthousiaste — il ne devait discerner que plus tard
l’ambiguïté de la position du patriarche.
Citons ici la réponse d’Honorius, plus mesurée et empreinte de dignité
pontificale :
Sous la conduite de Dieu nous parviendrons à la mesure de la juste foi que les apôtres de la vérité ont répandue par la règle des saintes Écritures : confessant que le Seigneur Jésus Christ, médiateur de Dieu et des hommes (1 Tm 2, 5), a opéré ce qui est divin moyennant l’humanité unie au Verbe de Dieu selon la nature (grec : selon l’hypostase) et que le même a opéré ce qui est humain par la chair assumée de façon ineffable et unique et remplie par la divinité de façon distincte (grec : sans distinction), sans confusion et sans changement... en sorte que manifestement, avec un très grand étonnement de l’esprit, on reconnaît que (la chair capable de souffrance) s’unit (à la divinité), tandis que les différences des deux natures demeurent de façon admirable...
C’est pourquoi nous confessons également une seule volonté de notre Seigneur Jésus Christ, parce que de fait notre nature, non pas la faute, a été assumée par la divinité : à savoir cette nature qui a été créée avant le péché, et non celle qui a été viciée après la transgression. Le Christ en effet... conçu de l’Esprit Saint sans péché, est né de même sans péché de la Vierge sainte et immaculée, Mère de Dieu, sans avoir connu aucun contact avec la nature viciée... Car il n’y avait pas « dans ses membres d’autre loi », ni une volonté différente et contraire au Sauveur, puisqu’il est né sans être soumis à la loi de l’humaine condition...
Que le Seigneur Jésus Christ, Fils et Verbe de Dieu « par
qui tout a été fait » (Jn 1, 3), soit lui-même l’unique opérateur de
la divinité et de l’humanité, les saintes Ecritures dans leur entier le
démontrent clairement. Quant à savoir si en raison des œuvres de la divinité et
de l’humanité il faut dire ou concevoir une seule ou deux opérations dérivées,
cela ne doit pas nous importer ; nous laissons cela aux grammairiens qui
ont coutume de vendre aux petits enfants des termes acquis par dérivation.
Quant à nous, nous n’avons pas appris des Écritures que le Seigneur Jésus
Christ et son Esprit Saint a une seule ou deux opérations,
mais nous avons reconnu qu’il a opéré de façon multiforme[1137] .
Après avoir rappelé le caractère instrumental de l’humanité du Christ, sa
médiation universelle et la permanence de la distinction entre les deux
natures, le pape en tire les conséquences qui en découlent du côté de la
volonté. De toute évidence, ce qu’il entend exclure, ce sont deux volontés contraires : la volonté divine, et
une volonté humaine marquée par la concupiscence, telles que les entendaient,
après les ariens et en un sens différent, les nestoriens. En effet, d’une part
le Christ a assumé la nature humaine sans la concupiscence, comme Adam[1138] et d’autre part une telle opposition est inconcevable de la part d’un
unique sujet divin opérant. Par ailleurs, Honorius, se souvenant sans doute de
la célèbre formule du Tome à Flavien[1139], affirme, assez vaguement, le caractère « multiforme » de
l’opération du Christ. Faut-il ou non parler de deux opérations en lui ?
Le pape refuse de se prononcer à ce sujet.
« Disciple du pêcheur de Galilée », il refuse de s’engager sur
le terrain de la philosophie et confirme qu’il n’existe qu’une seule volonté du
Christ, d’une unité purement morale : sa volonté humaine était constamment
soumise à la volonté divine, ce qui constitue pour nous un exemple d’obéissance
à Dieu :
Lorsque la sainte Écriture dit : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de mon Père » (Jn 5, 30), et : « Non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mc 14, 36), elle ne parle pas ainsi pour exprimer une volonté différente, mais à cause de l’économie de la nature assumée ; cela a été dit pour nous à qui le Maître de la piété « a donné l’exemple, afin que nous suivions ses traces » ; il donnait ainsi un enseignement à ses disciples pour que chacun d’entre nous préfère en toutes choses, non pas sa volonté propre, mais bien plutôt la volonté du Seigneur[1140].
Quelques mois plus tard, Honorius envoyait à Serge une seconde lettre
plus nuancée au sujet de Sophrone, auquel il a écrit et en qui il semble avoir
toute confiance[1141], et apportant quelques précisions à la première sans la
contredire :
En ce qui concerne la doctrine de l’Église et ce que nous devons tenir et enseigner, à cause de la simplicité des hommes et pour mettre fin aux obscurités inextricables des controverses..., nous devons non pas définir une seule ou deux opérations dans le médiateur de Dieu et des hommes, mais confesser que les deux natures, unies d’une unité de nature dans l’unique Christ, opèrent et agissent chacune en lien avec l’autre, c’est-à-dire que « la divine opère ce qui est de Dieu, et l’humaine accomplit ce qui est de la chair »[1142] : enseignant que, « sans division et sans confusion ni changement »[1143], la nature de Dieu s’est changée en l’homme, et la nature humaine en Dieu, mais confessant que les différences des natures demeurent intactes.
Voulant donc... écarter le scandale de l’invention nouvelle
nous ne devons pas définir et prêcher une seule ou deux opérations, mais au
lieu de l’unique opération qu’affirment certains, nous devons confesser en
vérité l’unique Christ Seigneur qui opère dans les deux natures ; et au
lieu des deux opérations, écartant le terme de double opération, il faut
proclamer bien plutôt avec nous que les deux natures elles-mêmes, c’est-à-dire
celle de la divinité et celle de la chair assumée, « opèrent ce qui leur
est propre » [1144]
dans la personne unique du Fils unique de Dieu Père, « sans confusion, ni
division, et sans changement »[1145].
Si certaines expressions de cette seconde lettre s’avèrent manifestement
approximatives, la référence au Tome et à Chalcédoine montre que le pape les
entendait dans un sens orthodoxe, et la formule : « Un unique Christ
qui opère dans les deux natures » est parfaitement exacte. Mais le pape
craint que l’expression « deux opérations » ne remette en cause
l’unicité de personne dans le Christ, et que l’expression « une seule
opération » ne donne lieu à une interprétation monophysite. Aussi se
refuse-t-il à trancher cette question subtile[1146]. Et dom Guéranger donne la note juste quand il écrit :
Consulté insidieusement par Sergius, patriarche de Constantinople, sur la question de savoir si l’on devait reconnaître en Jésus-Christ une seule volonté ou deux volontés, l’une divine et l’autre humaine, le pontife, qui appréhendait qu’une nouvelle hérésie ne s’élevât à ce sujet dans l’Église[1147], crut pouvoir répondre d’une manière évasive et manqua l’occasion de redresser les mauvais sentiments du patriarche, se flattant de n’avoir pas trahi la vérité, du moment que dans sa lettre il insistait sur les deux natures que la foi reconnaît en Jésus-Christ ; et en effet deux natures donnent à conclure deux volontés…
Honorius dans sa lettre a-t-il enseigné l’erreur de Sergius ?… Le pontife n’a pas enseigné l’erreur. Sa lettre est sous les yeux de tout le monde dans les actes du vie concile. On y voit un homme trop circonspect, il est vrai, qui mesure ses termes avec une précaution exagérée, en un mot qui craint de s’expliquer de peur que sa parole ne produise une sensation quelconque. Découvre-t-on sous ces faux-fuyants une erreur quelconque contre la foi ? Plusieurs l’ont prétendu, mais ils ne sauraient prévaloir contre l’autorité de saint Maxime, le plus puissant adversaire du monothélisme et martyr, qui défend la pureté de la foi d’Honorius et vénère sa mémoire…
Honorius, après avoir exprimé clairement sa foi sur les deux natures, s’applique à réfuter ceux qui disaient que dans le Christ la volonté humaine aurait pu être en contradiction avec la volonté divine, ou encore qu’il y aurait eu dans le Christ comme dans l’homme tombé un penchant qui l’eût incliné du côté opposé au bien. Amené enfin à répondre directement à la lettre de Sergius, il refuse de s’expliquer sous prétexte que la question est subtile et du ressort des grammairiens, par lesquels il entend les philosophes. Il cherche à arrêter toute controverse, en déclarant que son intention est qu’on ne dise ni une volonté ni deux volontés[1148]…
Je le demande, quand un homme refuse de s’expliquer sur une question qu’on lui propose, a-t-on le droit de dire qu’il a manifesté son sentiment ? Honorius a-t-il enseigné qu’il n’y a dans le Christ qu’une seule volonté ? Nul ne peut le dire sans calomnier ce pontife. A-t-il enseigné que l’on ne doit pas reconnaître dans le Christ deux volontés ? Le prétendre serait tout aussi injuste… Concluons donc qu’Honorius n’a point failli dans une définition de foi, puisqu’il est constant qu’il n’en a rendu aucune[1149].
Les hésitations d’Honorius furent exploitées par Serge dans l’Ecthèse, qui durcit encore la thèse du Psèphos. Mais nul ne songea à l’époque,
semble-t-il, à lui infliger la note d’hérésie.
Ses successeurs, mieux au fait des difficiles questions théologiques en
cause, et opposés au monothélisme, ne manquèrent pas d’expliquer ses lettres
dans un sens orthodoxe. C’est le cas de Jean IV (24 décembre 640-12 octobre
642), adversaire décidé du monothélisme, qui les interprète avec révérence,
mais avec justesse et perspicacité, pour prouver qu’on ne saurait s’en
autoriser en faveur de la nouvelle erreur :
Le patriarche Serge de bienheureuse mémoire a fait savoir au pontife de la ville de Rome susdit, de sainte mémoire (Honorius), que certains affirmaient qu’il y avait dans notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ deux volontés contraires ; ayant appris cela, ledit pape lui répondit que de même que notre Sauveur est une unité unique, de même aussi il a été conçu et est né miraculeusement au-dessus de tout le genre humain. Et en raison de sa sainte économie incarnée, il enseignait que notre Rédempteur, de même qu’il est Dieu parfait est aussi homme parfait, pour que, né sans aucun péché, il rétablisse la noblesse de l’état originel que le premier homme avait perdu par la transgression. Il est donc né comme le second Adam, n’ayant aucun péché, ni du fait de la naissance, ni du fait de ses rapports avec les hommes ; car le Verbe fait chair « dans la ressemblance avec la chair de péché » a pris tout ce qui est nôtre, sans porter aucune culpabilité encourue de par la transmission de la transgression....
L’unique et seul médiateur sans péché de Dieu et des hommes est donc l’homme Christ Jésus (1 Tm 2, 5), qui a été conçu et est né « libre au milieu des morts ». Dans l’économie de sa chair sainte il n’avait donc jamais deux volontés opposées, et jamais la volonté de sa chair n’a contredit la volonté de son esprit...
Puisque donc nous savons qu’en lui, lorsqu’il est né et qu’il
était en rapport avec les hommes, il n’y avait absolument aucun péché, nous
déclarons, comme il convient, et nous confessons en vérité une seule volonté
dans l’humanité de son économie sainte, et nous ne prêchons pas deux volontés
contraires, de l’esprit et de la chair, comme dans un simple homme, à la façon
dont manifestement le prétendent dans leur délire certains hérétiques.
C’est de cette façon donc qu’il apparaît... qu’il (le pape Honorius) a écrit (à Serge), à savoir que dans notre Sauveur il n’y a d’aucune manière deux volontés opposées, c’est-à-dire dans ses membres (cf. Rm 7, 23), puisqu’il n’a contracté aucun défaut de la transgression du premier homme.
Mais pour que nul, de moindre intelligence, ne blâme (Honorius) de ce qu’il ne parle que de la nature humaine et non pas également de la nature divine... celui qui en débat doit savoir qu’il s’agit d’une réponse donnée à une question dudit patriarche. Pour le reste aussi on a coutume d’appliquer l’aide de la médecine là où se trouve la blessure. Et le bienheureux Apôtre lui aussi, manifestement, l’a souvent fait lorsqu’il s’adaptait à l’habitude des auditeurs ; tantôt, lorsqu’il parle de la nature la plus éminente, il se tait totalement quant à la nature humaine ; tantôt, traitant de l’économie humaine, il ne touche pas le mystère de sa divinité...
Mon prédécesseur susdit disait donc, dans son enseignement sur
le mystère de l’Incarnation du Christ, qu’il n’a pas existé en lui, comme en
nous pécheurs, deux volontés contraires de l’esprit et de la chair. Ce que
certains ont retourné en leur propre conception, et ils ont pensé qu’il aurait
enseigné une seule volonté de sa divinité et de son humanité, ce qui est
totalement contraire à la vérité[1150].
D’autre part, pendant les quarante ans qui séparent les lettres
d’Honorius du vie
concile, bon nombre d’évêques catholiques, ignorant ces lettres ou n’y
reconnaissant pas « les qualités d’un jugement apostolique »[1151], ne cessèrent de recourir au Siège de Pierre, avec une totale confiance,
pour obtenir la condamnation du monothélisme. Ainsi, les trois métropolitains
de l’Église d’Afrique, opposés à l’Ecthèse,
s’adressent au successeur de Jean IV, l’énergique Théodore Ier
(642-649) :
Nul ne peut mettre en question que, dans la Chaire apostolique, existe une fontaine immense, qui coule toujours et fait jaillir ses eaux sur tous les chrétiens[1152]. Les ruisseaux qui émanent abondamment de cette source arrosent copieusement le monde chrétien tout entier. Pour l’honneur du bienheureux Pierre, les décrets des Pères ont prescrit la révérence particulière que l’on doit observer dans la recherche des choses de Dieu, lesquelles doivent être approfondies et décidées avec sollicitude et justice par celui qui est le sommet apostolique de tous les prélats et qui, de toute antiquité, est chargé de condamner ce qui est mal et d’approuver ce qui est digne de louange. Les antiques règles établissent que tout ce qui arrivera en cette matière dans les provinces même les plus éloignées, ne doit pas être traité ni décidé, qu’il n’ait été mis à la connaissance de votre auguste Siège, afin d’être décidé par son autorité… en sorte que les autres Églises puissent tirer de cette fontaine qui est leur source à elles-mêmes le principe de l’enseignement, et que par ce moyen les mystères du salut conservent l’incorruptible pureté de la foi dans les diverses régions du monde entier[1153].
En Orient même, Sergius de Chypre appelait le même Théodore à trancher
une question qui lui paraissait entière. On notera qu’il ne
mettent pas en doute que les privilèges de Pierre se fussent transmis à
ses successeurs :
Le Christ notre Dieu a établi votre Siège apostolique, ô sommet sacré, comme un firmament fixe et immuable, comme la forme très lumineuse de la foi. Car ainsi que le déclare la parole divine, vous êtes Pierre, et les colonnes de l’Église sont appuyées sur votre fondement. Il vous a confié les clefs des cieux et le pouvoir de lier et de délier les choses qui sont sur la terre. Comme prince et docteur de la foi orthodoxe, vous êtes le destructeur des profanes hérésies. ô Père, ne dédaignez pas la foi de nos pères, qui est agitée avec péril dans la tempête qu’ont soulevées les vents violents de l’hérésie. Par la lumière de votre science divine, ô très saint, dissipez le nuage des insensés. Tranchez les blasphèmes et la jactance de ceux qui parlent avec vanité, de ces hérétiques qui ont nouvellement surgi ; car votre définition et traduction orthodoxe ont tout ce qu’il faut pour produire à notre avantage l’accroissement dans la foi[1154].
Surtout, avant de mourir, Sophrone, tout en restant fidèle à
son accord avec Honorius, décidait de se tourner en toute confiance là
« où étaient les fondements de la foi orthodoxe » : Rome, où il
envoya l’un de ses fidèles, Étienne de Dora :
Plein de zèle divin et de confiance, Sophrone me conduisit au saint Calvaire où notre Seigneur Jésus, Dieu par nature bien au-dessus de nous, a daigné librement être crucifié pour nous. En ce lieu, il me lia de liens indissolubles, en me disant : « Tu rendras compte à celui qui, étant Dieu, a été délibérément crucifié pour nous en ce saint lieu,.. si tu as négligé ou méprisé la foi qui se trouve en péril… Tu iras promptement d’une extrémité de la terre à l’autre, jusqu’à ce que tu parviennes au Siège apostolique, là où sont les fondements de la doctrine orthodoxe. Et tu instruiras les saints hommes qui y sont, non pas une fois, non pas deux fois, mais beaucoup de fois, selon la vérité exacte, de tout ce qui s’est passé ici. Tu ne te reposeras pas, mais tu leur demanderas, tu les supplieras, jusqu’à ce que, par leur sagesse apostolique, donnée par Dieu, ils jugent victorieusement et qu’ils détruisent entièrement, selon les canons, les enseignements récemment introduits[1155].
Cette attitude confirme la déclaration de sa Synodique :
J’accepte la lettre inspirée de Dieu du grand et divin Léon, de la très sainte Église des Romains, qui est comme le luminaire de toutes les Églises sous le soleil… Et j’accepte et j’embrasse tout ce que notre sainte Église catholique reçoit, et je réfute, j’anathématise et je tiens pour abominable tout ce qu’elle aussi rejette et tiens pour contraire à sa piété[1156].
Après la mort de saint Sophrone, le moine Maxime, convaincu depuis 641 du
caractère erroné du monothélisme, avait repris son combat. Il s’était réfugié
en Afrique, où, dans une conférence contradictoire contre Pyrrhus, successeur
de Serge (645), il avait convaincu l’ancien patriarche. Il l’avait accompagné à
Rome pour demander au pape sa réintégration dans la communion catholique. Il y
devait y rester huit ans.
Cet épisode connut un tel retentissement que, dans le Type (648), l’empereur Constant, conseillé par le patriarche Paul, n’osa plus
prescrire que le silence. Mais le courageux Martin Ier, estimant
qu’on ne pouvait s’en tenir à cette solution paresseuse, et soutenu par de
nombreux évêques, convoqua un concile au Latran pour examiner l’affaire[1157]. Dans les Actes de ce concile (649) figurent les lettres de nombreux
évêques, professant leur foi dans l’infaillibilité du successeur de Pierre —
ainsi, celle d’Étienne de Dora citée plus haut. Mais l’âme du concile fut
Maxime, profondément uni à l’Église de Rome par sa foi en la primauté de ce
Siège. Dès 639, il affirmait déjà :
L’Église de Rome, étant l’aînée de toutes les Églises qui sont sous le soleil, les préside toutes depuis toujours jusqu’à maintenant[1158].
« En 642, dans sa lettre à Pierre l’Illustre, il définissait le
Siège de Rome comme étant l’Église catholique elle-même[1159], et il affirmait de la façon la plus nette l’autorité suprême du Pontife
romain »[1160] :
Toutes les contrées de la terre, tous ceux qui, avec une foi véritable et droite, confessent le Seigneur avec une foi véritable et droite, ont les regards fixés sur la très sainte Église romaine, sur sa confession et sur sa foi, comme sur le soleil de l’éternelle lumière. Leur regard attend d’elle le jet splendide de la doctrine des saints Pères, comme l’ont enseignée en toute sincérité et piété les six conciles saints et divins, qui ont produit, avec tant de clarté, le symbole de la foi. En effet, dès le commencement, quand le Verbe de Dieu est descendu vers nous ayant pris notre chair, toutes les Églises des chrétiens ont eu pour base unique, pour ferme fondement, cette très grande Église, contre laquelle, selon la promesse du Sauveur, les portes de l’enfer n’ont jamais prévalu. C’est elle qui a les clefs de la foi droite en lui et de la confession véritable. C’est elle qui ouvre la seule vraie religion à ceux qui approchent d’elle avec la piété convenable ; c’est elle qui ferme et obstrue toute bouche hérétique, dont l’injustice s’élève contre le Très-Haut[1161].
C’est encore cet amour de la communion avec l’Église romaine qui a poussé
Maxime à toujours défendre la mémoire d’Honorius, et lui fera refuser jusqu’au
bout tout compromis sur la foi définie au concile du Latran :
Je n’ai pas un dogme particulier, mais celui qui est commun à l’Église catholique. Et je n’ai pas élevé la voix pour exprimer un dogme qui m’appartiendrait[1162].
Par une véritable trahison, les légats du pape s’apprêtent à recevoir la
communion du patriarche. L’empereur menace Maxime de le faire anathématiser par
le pontife romain et mettre à mort. Il répond, selon sa dernière lettre :
Je lui ai dit : « Le Dieu de toutes choses a révélé que l’Église catholique est la droite et salutaire confession de la foi en lui, lorsqu’il a proclamé Pierre bienheureux pour sa belle confession de foi en lui »[1163].
Le pape n’acceptera jamais d’anathématiser Maxime. Horriblement mutilé à
quatre-vingt deux ans, le confesseur mourra peu après dans une forteresse près
du Caucase, le 13 août 662[1164].
Après une période d’extrême confusion, et une série de consultations de
l’épiscopat occidental, le pape Agathon approuva la réunion d’un concile
destiné à éteindre définitivement la querelle. Dom Guéranger commente :
Personne alors, dans l’Église, ne se doutait des dissensions scolastiques qui devaient, tant de siècles après, s’élever sur la supériorité respective des papes et du concile. On prenait naturellement les mesures qui semblaient les plus propres à éteindre l’hérésie et à faire triompher la vraie foi[1165].
Le pape envoya aux Pères, comme naguère saint Léon — « l’inspiré de
Dieu », comme l’appelle le vie
concile —, une lettre qui provoqua, dit-on, l’exclamation : « Pierre
a parlé par Agathon ». Il y affirme avec une rare vigueur l’autorité de
son Siège, fondée sur les paroles du Seigneur, appuyée par Pierre lui-même qui
le rend indéfectible de droit et de fait, comme l’ont toujours admis les
conciles :
C’est parce que la véritable confession de foi fut révélée (à Pierre) du ciel par le Père, qu’à cette occasion il fut déclaré bienheureux par le Seigneur de toutes choses. C’est lui qui a reçu du Rédempteur lui-même, par une triple recommandation, le soin de paître les brebis spirituelles de l’Église ; et c’est par son secours que cette Église apostolique n’a jamais dévié de la voie de la vérité, pour entrer dans quelque parti de l’erreur. De tout temps l’Église catholique du Christ tout entière et les symboles universels ont fidèlement embrassé son autorité et l’on suivie en toutes choses, comme étant celle du Prince de tous les Apôtres… Cette doctrine est la tradition vivante des Apôtres du Christ, que l’Église conserve en tous lieux. C’est elle qu’il faut aimer et rechercher spécialement, qu’il faut prêcher avec confiance ; c’est elle qui donne de confesser Dieu en toute vérité, qui rend recommandables au Seigneur Christ ceux qui le professent. Elle est la vraie règle de la foi que la mère spirituelle, c’est-à-dire l’Église apostolique du Christ, a conservée et défendue avec vigueur dans la prospérité comme dans l’adversité. Par la grâce du Dieu Tout-Puissant, on ne pourra jamais démontrer que cette Église ait dévié de la Tradition apostolique, ni qu’elle ait succombé en se corrompant devant les nouveautés hérétiques ; mais elle demeure sans tache jusqu’à la fin, depuis le commencement de la foi chrétienne, fidèle à ce qu’elle a reçu de ses auteurs, les princes des Apôtres du Christ ; et cela, selon la divine promesse du Seigneur et Sauveur, lorsqu’il a parlé ainsi, dans les saints Évangiles, au chef de ses disciples : « Pierre, Pierre, dit-il, voici que Satan a demandé à vous passer tous au crible comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères »[1166].
Cette lettre fut acceptée sans difficulté par le concile : « Nous nous remettons à toi de ce qu’il
faut faire, à toi qui occupes le premier Siège de l’Église universelle, qui
restes sur le ferme rocher de la foi »[1167].
Mais il anathématisa Serge, Pyrrhus, retombé dans l’hérésie après son
abjuration, et Paul, déjà condamnés par Agathon, et y joignit le malheureux
Honorius. Saint Agathon étant mort, saint Léon II confirma la définition
dogmatique du concile, ainsi que les cinq conciles précédents, décrétant
« qu’il doit être compté parmi eux, comme ayant été réuni par une même et
semblable grâce de Dieu ». Mais pour ce qui est des anathèmes, il refusa
d’unir Honorius aux hérétiques, mais créa pour lui une classe spéciale :
Et de la même manière Nous anathématisons les inventeurs de la
nouvelle erreur, à savoir Théodore, l’évêque de Pharan, Cyrus d’Alexandrie,
Serge, Pyrrhus... de même aussi qu’Honorius qui n’a pas purifié cette Église
apostolique par l’enseignement de la tradition apostolique, mais a tenté de
subvertir la foi immaculée en une trahison impie (texte grec : a permis
que l’Église immaculée soit souillée par une trahison impie)[1168].
Condamnation morale, et non doctrinale, pour une faute d’omission, un
silence regrettable qui avait permis à l’hérésie de s’étendre « avec la
rapidité d’un incendie », favorisée qu’elle était par la politique
impériale.
Devant la condamnation conciliaire, le père Gratry, sans se donner
« la peine de discuter si le pape est hérétique dans ses lettres… se
(redressait) avec triomphe en s’écriant : “Anathème à l’hérétique
Honorius“. Je ne sais si je me trompe », commente dom Guéranger, « mais
il me semble que cet enthousiasme à propos d’une humiliation infligée à un père
du peuple chrétien, à un pontife qui put être faible, mais qui possédait des
vertus, est assez peu filial, et que plus de calme et de sang-froid eût été
mieux à sa place »[1169]. Cette remarque n’a rien perdu de sa pertinence ni de son actualité.
Au viie
siècle, les adversaires du monothélisme avaient invoqué contre l’hérésie
l’appui du Siège romain, qu’ils n’avaient jamais songé à opposer à « tous
les conciles selon les saints canons et les règles de toutes les saintes
Églises de Dieu »[1170]. Il en sera de même au siècle
suivant, lors de la crise iconoclaste.
à une époque où l’empereur,
« prêtre et roi », nommait souvent évêques et patriarches, convoquait
les conciles, créait les métropoles, faisait à son gré enlever et remettre le
nom du pape dans les diptyques, et surtout s’attribuait un magistère et
promulguait des lois qu’il faisait ratifier par le patriarche de
Constantinople, Léon III, sous la pression des iconoclastes influencés par
l’Islam, avait ordonné en 726 la destruction d’un grand nombre d’images, et
menacé l’évêque de Rome de déchéance s’il n’obéissait pas à cet édit. Grégoire
II rétorqua : « Les dogmes ne sont pas
l’affaire des empereurs, mais des prêtres ». Son successeur Grégoire III
(731-741) adopta la même attitude.
Aussi les iconophiles, comme les anti-monothélites, cherchèrent-ils
l’appui de Rome, dont ils reconnaissaient volontiers la primauté, dans le
concert de la Pentarchie : l’unanimité des cinq patriarcats, comparés aux
cinq sens du corps (Justinien) ou à cinq sommets (saint Théodore Studite), dont,
la communion, présidée par le Pontife romain, structurait l’unité des Églises
dans l’homophonie.
La victoire sur le monothélisme, puis sur l’iconoclasme, fut due en
grande partie aux moines, dont le rôle dans l’Église était déjà considérable
puisque les évêques, célibataires, étaient toujours des moines en Orient — ce
qui garantissait normalement l’intégrité de leurs mœurs et leur sens spirituel,
mais favorisa parfois un irénisme qui laissait le champ libre aux ingérences du
pouvoir séculier dans l’administration de l’Église. Au début du viiie siècle, Anastase le
Sinaïte témoigne en outre d’un certain transfert du pouvoir des clefs, dans la
pénitence, du sacerdoce hiérarchique aux moines, seuls vrais spirituels — le
charisme de fonction étant confondu avec la sainteté personnelle. Cette
tendance s’accentuera à partir de la fin de l’iconoclasme, et jusqu’au xiiie siècle les moines,
prêtres ou non, exerceront une sorte de monopole du ministère de la confession.
Elle a perduré jusqu’à nos jours dans l’Église russe, et à un degré moindre,
dans d’autres Églises dont le clergé diocésain est marié.
Parmi les théologiens de langue grecque du viiie siècle, nous ne retiendrons que deux grands
hommes d’Église : saint Jean Damascène et saint Théodore Studite.
Haut fonctionnaire devenu moine, théologien averti, plein de piété, d’humilité et de zèle des âmes, il donne une synthèse
originale, claire et vigoureuse, de la tradition des Pères grecs, qu’il
contribuera largement à transmettre à saint Thomas. Sa doctrine de l’Église,
fondée sur une excellente christologie[1171], s’avère très ferme. Malheureusement le De fide orthodoxa ne lui consacre pas de chapitre particulier, et
l’on doit recourir au reste de son œuvre pour suppléer à cette lacune[1172].
Jean désigne toujours l’Église comme « l’Église catholique »,
ou « l’Église sainte, catholique et apostolique », au singulier. Il
ignore l’appellation d’ « Église orthodoxe », devenue commune depuis
lors en Orient. Cette Église catholique désigne presque toujours l’Église
universelle répandue dans le monde entier.
Doté d’un sens très vif de l’unité de l’Église[1173], il rejette les discussions sur les rites et les usages capables de
compromettre cette unité[1174].
Très attaché à la Tradition vivante, au magistère de l’Église, il rejette
l’iconoclasme essentiellement parce qu’il va contre la Tradition[1175]. L’Église est une « mère toute belle et sans défaut, et ses enfants
ne doivent pas souffrir qu’on enlève une seule pierre à son édifice[1176]. Sa foi constitue la règle de notre foi : « Celui qui ne croit pas suivant la
tradition de l’Église catholique, ou qui communie avec le diable par des œuvres
honteuses, voilà l’incroyant »[1177]. L’observation
de ses lois est la voie du salut[1178]. Réunie en concile œcuménique, elle est infaillible et comme inspirée de
Dieu[1179]. Jean reconnaît l’autorité des six conciles œcuméniques, « dont les
décisions viennent de Dieu »[1180].
Face au césaro-papisme, le Damascène affirme sans équivoque
l’indépendance de l’Église par rapport au pouvoir impérial. Dès 726, il
protesta avec éclat, au nom du patriarche Jean de Jérusalem (706-734), contre
l’hérésie iconoclaste imposée par le pouvoir séculier :
C’est l’affaire des synodes et non des empereurs de décider des choses ecclésiastiques[1181]… Ce ne sont pas les empereurs qui ont reçu le pouvoir de lier et de délier, mais les Apôtres et leurs successeurs, pasteurs et docteurs. Aux empereurs appartient la bonne gestion des affaires publiques ; mais c’est aux pasteurs et docteurs que revient le gouvernement de l’Église[1182]… Je ne reconnais pas aux décrets impériaux le droit de régenter l’Église. L’Église a sa loi dans les traditions des Pères, écrites et non écrites[1183].
L’Église est composée de fidèles et de pasteurs. Les pasteurs et docteurs
sont les successeurs des Apôtres, les « héritiers de leur grâce et de leur
dignité »[1184]. L’une des erreurs des messaliens est de mépriser l’autorité des évêques[1185]. En ceux-ci, c’est le Christ lui-même qui exerce son sacerdoce et son
autorité[1186].
Cette hiérarchie est monarchique :
La monarchie est principe de paix, d’ordre et de tranquillité, de justice et de croissante prospérité. La polyarchie, au contraire, est anarchique, amie de la sédition et de la guerre, cause de luttes, de divisions et de maux de toute sorte[1187].
Jean commente magnifiquement, dans son homélie sur la Transfiguration, le
Tu es Petrus[1188]. Pierre est « le plus grand chef de la nouvelle Alliance »,
comme Moïse de l’ancienne, pour avoir « le plus expressément proclamé le
Christ comme Fils de Dieu en disant : “Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant“ (Mt 16, 16) »[1189] :
En tant qu’homme, il pose la question, mais en tant que Dieu, il instruit secrètement celui qui a été appelé en premier et qui a suivi en premier, celui que, dans sa propre providence, il avait prédestiné à être un chef de l’Église qui fût digne. Il l’inspire en tant que Dieu, et il parle par lui… Et Pierre, brûlant d’un zèle ardent et divinement animé par le Saint-Esprit, déclare : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 15-16).
ô bouche bien heureuse ! ô lèvres très heureuses ! ô esprit porteur de Dieu, digne d’être initié aux mystères divins ! ô organe par lequel parlait le Père !…
C’est là la foi inflexible et inébranlable sur laquelle l’Église est fondée comme sur un rocher, dont à bon droit tu portes le surnom. Contre elle, les portes de l’enfer, la bouche des hérétiques, les agents des démons, mèneront l’attaque, mais ils ne prévaudront pas (Mt 16,18)… Lui s’est acquis cette vérité par son propre sang, il te la tend comme à un serviteur très fidèle. Garde-la, par tes prières, inébranlée et calme ; car la confiance est assurée qu’elle ne sera jamais renversée, ni secouée, ni pillée. Le Christ l’a dit, par qui le ciel est affermi, la terre établie, par qui elle reste sans tremblement. Mais nous demandons que la vague soit adoucie, que le trouble soit brisé, qu’une paix sereine et calme nous soit accordée. Implore cela du Christ, Époux immaculé, qui t’a institué pour détenir les clefs du Royaume des cieux, qui t’a donné le pouvoir de lier et délier les châtiments (cf. Mt 16, 19), celui qu’avec une bouche qui parle de Dieu, tu as annoncé sans mensonge comme Fils du Dieu vivant[1190].
C’est à lui qu’il a « confié le gouvernail de toute l’Église »[1191], c’est lui qu’il a « établi chef de l’Église du monde entier »[1192].
Or, les paroles adressées par le Christ aux Apôtres doivent s’entendre
aussi de leurs successeurs : « C’est comme à un seul corps que le
Christ parle aux fidèles »[1193].
Le Damascène ne semble pas avoir eu de rapports directs avec Rome. Au
début du 1er Discours sur les
images, cependant, il évoque le pape Grégoire II[1194] comme « ce bon pasteur du troupeau raisonnable du Christ exprimant
en lui-même le souverain sacerdoce du Christ », après voir nommé
« tout le peuple de Dieu, la nation sainte, le sacerdoce royal »[1195], c’est-à-dire l’Église universelle. Et, fidèle à la ligne de saint
Maxime, il omet de nommer Honorius dans la liste des hérétiques monothélites,
dans la profession de foi de l’évêque Élie et la sienne propre.
En 787, un concile réuni à Nicée proclame la légitimité du culte des
saintes images. Il prend position pour assurer la liberté des élections aux
ministères sacrés face aux ingérences du pouvoir séculier dans les nominations
ecclésiastiques :
Toute élection d’un évêque, d’un prêtre ou d’un diacre faite
par des princes demeure nulle, selon le canon[1196]
qui dit : Si un évêque recourant à des princes séculiers entre par eux en
possession d’une église, qu’il
soit déposé, et que soient excommuniés tous ceux qui acceptent sa communion.
Car celui qui doit être élevé à l’épiscopat doit être élu par des évêques,
comme il a été décidé par les saints Pères réunis à Nicée, dans le canon[1197]
qui dit : le plus convenable est qu’un évêque soit établi par tous les
évêques de la province ; si la chose se révélait difficile, soit en raison
d’une nécessité urgente, soit à cause de la longueur de la route, il faut de
toute façon que trois évêques se réunissent au même endroit — les absents
donnant aussi leur suffrage et exprimant leur consentement par écrit —, et
fassent alors l’ordination. La pleine autorité sur ce qui se fait est donnée dans
chaque province au métropolite[1198].
La vie de saint Théodore Studite prouve que ces mesures ne furent pas
appliquées sans difficulté.
Saint Théodore Studite, abbé du Stoudion de Constantinople, a vécu
jusqu’à une date postérieure à la période que nous étudions, mais il se
rattache au viiie
siècle par sa fidélité à la tradition patristique byzantine et son rôle dans la
crise iconoclaste.
Retenons, dans la vie et les œuvres de ce grand moine, très aimé de dom
Guéranger, deux aspects remarquables.
Le sentiment qui domine toute la vie de Théodore, et qui explique son
attitude dans la série de conflits qui l’oppose aux grands de son Église et de
l’État, c’est l’amour pour l’indépendance de l’Église vis-à-vis du pouvoir
civil. Or il avait compris, avec une netteté surprenante, que cette
indépendance a pour condition et pour corollaire l’autorité suprême et
universelle du Pontife romain. Cette pensée s’exprime dans les nombreuses
lettres aux papes qui jalonnent sa carrière mouvementée.
Dès 795, l’empereur ayant répudié son épouse légitime pour épouser
Théodote, parente de Théodore, celui-ci protesta avec véhémence contre la
politique « d’économie » du patriarche Taraise, consistant à
s’incliner devant « le fait du prince » pour sauvegarder la paix et
la concorde dans l’Église. Il montrait dès lors son hostilité au
césaro-papisme, son attachement à la liberté de l’Église, son inclination à
regarder plutôt du côté de Rome que du patriarcat.
Après la mort de Taraise, la cour le remplaça par l’indulgent Nicéphore,
qui convoqua un synode « mœchien ». Celui-ci rétablit l’higoumène
Joseph, qui avait béni le mariage adultère de l’empereur. Incarcéré pour son
opposition, Théodore écrivit deux lettres[1200] au pape Léon III. On voit éclater dans ces missives, comme dans les
suivantes, son amour passionné pour la liberté de l’Église face au
césaro-papisme, et son désir ardent de l’harmonie entre Orient et Occident,
sous l’égide de la « primauté divine », de la « puissance
pastorale divine » sur « l’Église qui est sous le ciel » du
Siège de Pierre, qui avait su faire entendre la voix de l’orthodoxie par la
bouche de saint Léon au temps du monophysisme eutychien :
Archi-pasteur de l’Église qui est sous le ciel, sauvez-nous, nous périssons. Imitez le Christ votre Maître, tendez la main à notre Église, comme il tendit la sienne à Pierre. Celui-ci commençait à enfoncer dans la mer ; mais c’est à celle qui est déjà submergée dans le gouffre de l’hérésie qu’il vous faut porter secours. Imitez, nous vous en prions, ce pape qui, au temps de l’hérésie eutychienne, s’élança comme un lion spirituel par ses lettres dogmatiques. J’ose vous le demander, sachez rugir divinement, comme le demande le nom que vous portez ; faites entendre votre tonnerre contre la nouvelle hérésie[1201].
Le pontife ne pouvait guère intervenir dans l’immédiat, étant brouillé, à
la suite du sacre de Charlemagne, avec l’empereur d’orient qui avait empêché le
patriarche d’envoyer les synodales d’usage. Cette attitude réticente blessera
Théodore, mais ne l’empêchera pas de recourir ultérieurement à Rome.
La mort de l’empereur et l’avènement, pour deux ans, d’un règne
pacifique, permit, avec la normalisation des relations entre Byzance et les
Francs, le patriarcat et la Curie, l’élargissement de l’higoumène. Le pape
réussit à obtenir, moyennant la condamnation définitive de Joseph, la
réconciliation de Théodore avec le patriarche Nicéphore, lui aussi opposé à
l’iconoclasme[1202].
Mais en 813, l’empereur Léon V l’Arménien relançait le « second
iconoclasme », remettant en question les décisions du second concile de
Nicée de 787, et remplaçait Nicéphore par une de ses créatures. Théodore, âme
du mouvement iconophile, aspire à mettre en échec l’ingérence de l’État en
matière religieuse. Exilé à Smyrne, mis au cachot, privé de nourriture,
flagellé, il anime la résistance, encourage les confesseurs, reconstitue, dans
les moments de répit, des embryons de communautés. Avec un sens
exceptionnellement aigu de l’unité de l’Église, il se tourne de nouveau vers
Rome. Il écrit au pape Pascal II (807-824) deux lettres pour le renseigner sur
la situation et le mettre en garde contre le patriarche intrus. Il y exprime sa
foi dans la continuité du primat de l’évêque de Rome, successeur de Pierre,
dans la permanence, de fait et de droit, de son orthodoxie[1203] — à la différence de Byzance, qui « est un fief de l’hérésie et qui
a dans ses habitudes de vivre souvent été en rupture avec le reste de la
catholicité »[1204] —, enfin de son rôle de recours ultime et sans appel pour l’Église
universelle :
Dans notre humilité, nous savons que le successeur du Prince des Apôtres préside à l’Église romaine, et nous avons la confiance certaine que le Seigneur n’a point abandonné notre Église ; sa Providence nous ayant accordé par vous, dès le commencement, le seul et unique secours dans la tribulation présente. Vous êtes, dès le principe, la source pure et limpide de la vérité orthodoxe ; vous êtes le port tranquille préparé pour toute l’Église dans les tempêtes de l’hérésie ; vous êtes la cité élue de Dieu pour le refuge du salut[1205].
Pascal envoya à Constantinople des délégués portant des pièces
officielles en faveur du culte des saintes images.
Théodore fut rappelé d’exil après l’avènement de Michel II le Bègue. Mais
celui-ci convoque un concile où il prétend jouer le rôle d’arbitre. Théodore
estime que le concile de Nicée de 787 a déjà tranché la question. Les conciles
doivent être convoqués et approuvés par le pape, « détenteur de l’autorité
des conciles œcuméniques[1206], non par l’empereur, qui n’a pas à intervenir dans les questions
religieuses Il refuse de siéger à ce concile aux côtés des hérétiques[1207], et inspire la rédaction d’un manifeste sur Nicéphore toujours déposé.
Au-delà de la politesse protocolaire d’usage à la cour de Byzance, on y
relèvera, avec l’application du Tu es
Petrus au pontife régnant, l’affirmation de la reconnaissance
traditionnelle en Orient, « dès l’origine », de la primauté de Rome
sur toutes les autres Églises, du fait que c’est Pierre lui-même qui y siège
dans son successeur ; aussi est-ce à cette Église qu’il faut recourir en
cas de conflit :
S’il reste un point dont votre divine Magnificence doute qu’il puisse être résolu de manière satisfaisante par le patriarche, que votre grande main, affermie par le Seigneur, comme l’émule des [esprits] divins, pour l’utilité commune, le soumette au jugement de l’ancienne Rome, selon que la coutume s’en est transmise depuis longtemps et dès l’origine par la tradition de nos pères. C’est elle en effet, empereur imitateur du Christ, la plus élevée parmi les Églises de Dieu, dans laquelle siège Pierre, le prototrône, à qui le Seigneur a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle »[1208].
Il exprime d’autre part à Léon le Sacellaire la conviction que, si la
situation s’avère sans issue au plan de l’Église locale, c’est de Rome qu’il
faut attendre une « certitude sur la foi » :
Si l’empereur ne l’approuve pas, et que le patriarche Nicéphore fléchit sur la vérité, comme il en convient, il faut, des deux côtés, envoyer au Pontife romain une légation, et de là on recevra une certitude sur la foi[1209].
à l’époque Michel s’efforçait
d’obtenir, par la médiation de Louis le Pieux, sa réconciliation avec Rome sur
la question des saintes images. Il temporisa. Et Théodore mourut sans avoir vu
l’aube de la victoire.
Pour Théodore, le monastère est « une église du Dieu vivant »[1211], un corps qui, à sa mesure, est corps mystique du Christ. C’est
pourquoi, dans cette petite église, les biens spirituels sont communs :
Nous n’avons pas tous été mis en prison, nous n’avons pas tous été fouettés ; mais néanmoins, cette communion de vie devient communion des souffrances : « En effet un membre souffre-t-il ? tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l’honneur ? tous les membres prennent part à sa joie » (1 Co 12, 26)[1212].
Or, le corps ne peut se comporter que comme sa tête : le Christ. Comme
leur Maître, les cénobites sont donc les esclaves de leurs frères d’abord, du
genre humain, ensuite. à la suite
de saint Basile, Théodore pense que le travail des moines doit servir à
soulager les pauvres. mais c’est
surtout par le service de la prière, pour les combattants de la foi notamment[1213], et celui de la vérité, que le moine se rend utile à l’Église :
« L’œuvre du moine est de ne pas permettre qu’on innove quoi que ce soit
dans l’Évangile »[1214]. C’est en vertu de cet esprit de service que les Studites se sont faits,
au moment de la seconde affaire iconoclaste, les champions de
l’orthodoxie : la vérité marchant avec la chasteté, les moines ont une
garantie d’avoir la vérité, et puisque leur vocation est une vocation de
service, ils doivent proclamer cette vérité dont ils ont le dépôt.
C’est encore de cet esprit de service que découle l’équivalence, si
fréquemment posée par Théodore, entre monachisme et martyre. Par le renoncement
total du moine, « le sang coule, non pas matériellement, mais
spirituellement de nos cœurs »[1215]. Selon une idée antique, la vie monastique, martyre qui ne dure pas un
moment, mais toute la vie — à condition, bien entendu, de « vivre d’un
façon digne de la profession monastique, de la foi que nous avons confessée, de
la persécution que nous subissons à cause du Seigneur »[1216] — remplace dans l’Église le martyre sanglant des premiers siècles dans
son rôle de témoignage suprême :
Est-ce par le sang seulement qu’on est martyr ? Certainement pas. On l’est aussi par la vie menée en Dieu… Vois-tu que (l’auteur de l’épître aux Hébreux) a appelé en général « témoins » tous les passionnés de la sainteté, qui tirent, grâce à la patience, une vie pénible ? Donc, frères, nous avons été inscrits nous aussi au nombre des témoins ; en effet, parce que nous chérissons et supportons le caractère accablant d’une vie porteuse de croix, parce que nous gardons la promesse de chasteté, la fidélité intangible à l’obéissance d’athlète, nous témoignons que Jésus est le Christ, le fils de Dieu[1217].
D’où un autre thème, étroitement
lié au précédent : celui de la confession de foi. Lorsque la grande
persécution arrive, Théodore l’accueille avec joie, comme l’accomplissement de
sa vie monastique, martyre quotidien ; c’est ainsi que les moines se
montrent les « sauveurs de beaucoup d’hommes », moines et non
moines :
La présente persécution s’est trouvée pour les uns occasion de vertu : dans cette épreuve, ils ont brillé « comme des flambeaux dans le monde, portant une parole de vie pour ma fierté, s’il est permis de parler ainsi, au jour du Christ » (Phil 2, 15. 16). Quel bien n’ont-ils pas fait ?… Parce qu’ils se sont sauvés eux-mêmes et se sauvent, en étant exercés par les tentations, ils sont passés comme l’or par le feu des épreuves, et ils permettent à d’autres de s’approcher et sont apparus comme les sauveurs de beaucoup d’hommes de leur catégorie et d’autres catégories[1218].
Une nouvelle persécution, c’est un nouveau couronnement, et là où abondent les souffrances, là aussi abondent les consolations de l’Esprit Saint[1219].
Si des hommes d’apparence commune, peu instruits et pourvus de femmes et d’enfants, ont tout sacrifié pour l’amour du Christ, combien davantage devons-nous, nous qui sommes célibataires et étrangers au monde, rivaliser avec les saints lorsque l’occasion nous y appelle ! Mais cela, un seul jour, et quand le Christ nous y appellera ; pour le moment, tenons ferme selon le martyre continu, selon notre conscience[1220].
En Occident comme en Orient, l’essentiel des formulaires liturgiques se
fixe entre le milieu du ive
siècle et la fin du viie.
Les principaux sacramentaires, rédigés dans la mouvance des papes Léon, Gélase
et Grégoire, s’échelonnent entre le vie
et le ixe siècle. L’ensemble
de ces documents offre une vision de l’Église non systématisée mais très riche,
reflétant fidèlement la conception des Pères. Nous ne pouvons qu’indiquer ici
quelques orientations majeures, en nous référant principalement, mais non
exclusivement, à la liturgie romaine. Ces orientations peuvent se regrouper
selon la formule du symbole de Constantinople, qui, à l’époque de saint
Grégoire, servira de symbole baptismal à l’Église romaine comme à beaucoup
d’autres : unam, sanctam, catholicam
et apostolicam Ecclesiam.
L’Église est désignée comme Ecclesia,
assemblée, ou conventus[1222], mais aussi populus[1223] et plus rarement plebs[1224] (peuple, désignation empruntée à l’Ancien Testament qui sera reprise par
Vatican II : un ensemble d’hommes unis par un destin commun et structurés
par une certaine organisation), enfin familia[1225], qui suggère un rapport de consanguinité, mais englobait aussi dans
l’antiquité les serviteurs, famuli[1226]. Ces mots sont habituellement précédés du possessif tuus, qui indique le rapport d’appartenance de l’Église à son Dieu.
Mais les trois derniers, qui n’étaient pas réservés à l’usage chrétien, sont
souvent déterminés par un adjectif : christianus[1227], ou fidelis, ou encore du
complément de nom credentium[1228], qui montre dans la foi le fondement ultime de l’appartenance à
l’Église.
L’Église est
encore représentée comme un troupeau, grex,
ou comme un bercail, ovile, par
référence à l’image évangélique du bon Pasteur : Ut profectus gregis tui sit forma
pastoris[1229]… Ut de profectu sanctarum
ovium fiant gaudia æterna pastorum[1230]… Ut nec pastor obœdientiæ
gregis, nec gregi desit cura pastoris[1231]. Dans ces textes, il est vrai, on songe
directement aux pasteurs humains, pape ou évêques[1232].
Cette Église (ou ce peuple, ce troupeau) désigne tantôt l’Église
universelle, tantôt l’assemblée locale, celle-ci étant considérée comme la
réalisation concrète de celle-là dans un lieu donné : Da ut omnis hæc plebs nomini tuo serviat… et Ecclesioa tua in templo…
tibi collecta…[1233]
Le mot « église » désigne aussi le bâtiment où se réunit
l’assemblée, et qui doit symboliser celle-ci comme temple de Dieu, qui la fait
grandir jusqu’à son terme eschatologique. D’où la riche doctrine ecclésiologique
des liturgies de la dédicace, et de l’architecture des églises elle-même.
En Occident, le type basilical, exprimant le chemin vers Dieu (portique,
baptistère, nef, sanctuaire), a dominé. En Orient, la forme ronde est plus
répandue. Mais les églises de la fin du ive
et du début du ve
siècle expriment le mystère de la croix salvatrice et glorieuse : elles
sont en forme de T, l’autel occupant le centre de l’espace dessiné entre les
deux bras de la croix. Les Pères célèbrent l’autel comme un lieu mystérieux où
le roi céleste s’offre en sacrifice, entouré d’anges. Les églises à coupole,
comme Sainte-Sophie, signifient la coupole du ciel descendant sur la terre,
image de l’empire universel de Dieu qui se reflète dans la monarchie terrestre.
La coupole centrale y est ornée d’une mosaïque du Christ Pantocrator, centre de
l’histoire de la création et du salut, tel qu’il est évoqué dans l’anaphore de
saint Basile reprise en substance dans notre 4e prière
eucharistique. L’édifice représente le cosmos et le mystère de la
divinité :
La puissante coupole en forme de sphère qui s’élève sur l’espace circulaire offre un spectacle grandiosement beau. Elle semble ne pas reposer sur une substructure ferme, mais recouvrir l’espace, suspendue au ciel comme par une chaîne d’or[1234].
De part et d’autre, cependant, on a commenté en
détail l’édifice comme signifiant le mystère de l’Église. Ainsi en Orient, dès 314-316, Eusèbe, suivi par Théodore de Mopsueste, saint
Jean Chrysostome, Isidore de Péluse, et plus tard saint Sophrone et saint
Maxime le Confesseur, dans sa Mystagogie.
L’Église syriaque connaît une « fête de l’église », analogue à notre
dédicace. Une hymne du vie
siècle en l’honneur de la cathédrale d’Édesse exprime les mêmes idées que
Maxime : l’église (et l’Église) est image de Dieu et image de l’univers.
En Occident, on n’est pas moins conscient que le vrai temple de Dieu,
construit de pierres vivantes, c’est l’Église :
Deus, qui de vivis et electis lapidibus æternum habitaculum tuæ præparas Maiestati, multiplica in Ecclesia tua spiritum gratiæ quem dedisti, ut fidelis tibi populus in cælestis ædificationem Ierusalem semper accrescat[1235].
Le rituel de la dédicace, d’abord limité à la célébration de la messe du
saint patron de l’église, s’est progressivement enrichi. Pour l’édifice,
l’autel, etc., comme pour les membres de l’Église, on demande la descente du
Saint-Esprit[1236], sa bénédiction, sa consécration, sa sanctification. L’hymne Urbs Ierusalem, primitivement écrite
comme chant de procession aux fonts baptismaux, a remplacé Christe cunctorum dominator alme — que nous avons retrouvée aux
vigiles dans l’office actuel. Inspirée d’Augustin et de Grégoire le Grand, Urbs Ierusalem exprime admirablement le
thème de la cité-épouse , et le sens eschatologique de l’Église, mystère dont
le vrai lieu est le ciel : Quæ
construitur in cælis, vivis ex lapidibus… Nova veniens e cælo, nuptiali thalamo, præparata ut
sponsata copuletur Domino
On passe ici du thème du temple, ou de l’église de pierres, à celui, tout
proche, de la cité. De fait, l’ancienne liturgie désigne parfois aussi l’Église
comme une cité : Deus… qui gratiæ
tuæ affluentis impetu lætificas Ecclesiam tuam[1237].
L’idée dominante de la liturgie antique cependant est que l’Église est
inséparable du Christ, qui achève de réaliser son mystère dans et par elle.
Elle a été préparée ante mundi principium[1238]. C’est ce qu’exprime avant tout l’image paulinienne du corps — comme
aussi, à l’offertoire, le mélange d’eau et de vin.
Les oraisons évoquent souvent le « corps de l’Église », Ecclesiæ tuæ sacrum corpus[1239], qui n’est autre que le corps du Christ lui-même. Les fidèles
constituent donc inséparablement, par le baptême et l’eucharistie notamment — ut inter eius membra numeremur, cuius
corpori communicamus[1240] —, les membres du Christ et de
l’Église : de Ecclesiæ corpore
gloriosa Christi membra facti sunt[1241]. Quant au principe ultime de sanctification et de gouvernement de ce
corps, il n’est autre que le Saint-Esprit lui-même : Omnipotens sempiterne Deus, cuius Spiritu totum corpus Ecclesiæ
sanctificatur et regitur[1242].
L’Église apparaît souvent aussi comme une figure féminine, épouse du
Christ — dans les hymnes de la dédicace par exemple — surtout notre mère :
Lætetur et mater Ecclesia[1243], fière des enfants qu’elle a conçus, qu’elle porte : Iam vobis conceptis pregnans gloriatur
Ecclesia[1244], et qui doivent demeurer toujours dans son sein, in tuæ Ecclesiæ gremio[1245]… intra sinum sanctæ Ecclesiæ[1246]… in Ecclesiæ sinu[1247]. Elle se multiplie par le baptême de sa « florissante
descendance », florentissima proles[1248] : Deus, qui Ecclesiam
tam novo semper fœtu multiplicas[1249].
Avec saint Paul et tous les Pères, la liturgie insiste sur l’unité de
l’Église : Unam… catholicam… Ecclesiam :
le sacrifice est offert pro Ecclesia tu
sancta catholica, quam pacificare, custodire, adunare et regere digneris toto
orbe terrarum[1250].
Cette unité repose fondamentalement sur la foi commune, la vera fides, la christiana fides[1251]. Les hérétiques et les schismatiques doivent renoncer à leurs erreurs, omni hæretica pravitate deposita, pour
retrouver l’unité dans la vérité, ad
veritatis tuæ redeant unitatem[1252], et ainsi « être ramenés à notre sainte Mère, l’Église catholique et
apostolique ».
Elle est procurée pour ainsi dire physiquement par l’eucharistie,
moyennant les dispositions convenables : Tui nobis, quæsumus, Domine, communio sacramenti tribuat unitatem[1253]… Ut quos uno cælesti pane
satiasti, una facis pietate concordes[1254].
Finalement, c’est un don de Dieu, approprié plus particulièrement au
Saint-Esprit : Deus, qui fidelium
mentes unius efficis voluntatis[1255]… Spiritum nobis, Domine, tuæ
caritatis infunde, ut quos uno pane cælesti satiasti, tua facias caritate
concordes[1256].
Cela, malgré la diversité des nations : Deus, qui diversitatem gentium in confessione tui nominis adunasti[1257]… Deus, qui universam
Ecclesiam tuam in omni gente et natione sanctificas[1258]. Les oraisons demandent, non seulement l’unité de l’Église, mais son
extension dans la stabilité de la foi, la liberté et la sécurité : Ut Ecclesia tua, toto orbe diffusa, stabili
fide in confessione tui nominis perseveret[1259]… Ut destructis
adversitatibus et erroribus universis, secura tibi serviat libertate[1260]… ad Ecclesiæ augmentum[1261]… Aggrega (eos) Ecclesiæ tuæ
sanctæ[1262].
L’Église une et unique tire son origine des Apôtres, sur lesquels elle
est fondée. Ceux-ci sont les « vicaires du Christ », operis tui vicarios[1263], Filii tui vicarios[1264] et nous devons nous attacher à leurs pas comme l’aveugle de la Belle
Porte à ceux de Pierre et Jean[1265].
Les évêques, (summi)[1266] pontifices, sacerdotes (magni), antistites, præsules[1267], leur ont succédé. Leur devoir pastoral le plus fréquemment rappelé est, avec
la prédication — l’évêque est par essence prædicator
et rector[1268] — le gouvernement des âmes : ad
regendum populum sanctum Dei[1269].
Mais parmi les sièges épiscopaux, celui de Rome joue un rôle éminent.
C’est en effet de Pierre et Paul que, par une disposition divine, l’Église sumpsit exordium[1270], et toute la religion chrétienne, christianæ
devotionis universitas, est issue de ce Siège [1271]. Il a reçu le regimen Ecclesiæ[1272]. Le Christ a promis qu’aucune erreur mortifère ne prévaudrait contre lui[1273]. Aussi toute l’Église demeure-t-elle pour toujours in apostolica soliditate fundata[1274]. Et la liturgie de la fête des saints Pierre et Paul chante avec
enthousiasme les privilèges de la felix
Roma, qui a mérité d’avoir de tels « princes »[1275].
Les évêques sont aidés par leur clergé, clerus[1276], clerici :les « prêtres du second ordre », sequentis ordinis viros et secundæ
dignitatis[1277], ou presbyteri[1278], et les diacres, diaconi, appelés
aussi ministri[1279], ou encore levitæ[1280].
L’ancienne liturgie mentionne souvent les divers ordres de l’Église, qui
structurent le peuple de Dieu, organisent le corps du
Christ. Ainsi, le canon romain, qui offre le sacrifice eucharistique una cum famulo tuo papa nostro…, et
antistite nostro… et omnibus orthodoxis atque catholicæ et apostolicæ fidei
cultoribus ; on prie le vendredi saint pro omnibus episcopis, presbyteris, diaconis[1281] ; la Deprecatio Gelasii
nous fait prier pro sanctis Dei magni
sacerdotibus et ministris, et la liturgie ambrosienne, pro papa nostro… et omni clero… omnibusque sacerdotibus ac ministris[1282].
Mais l’Église, issue de la croix, est par nature tout entière
sacerdotale, genus regium et sacerdotale[1283]. Aussi est-elle tout entière vouée à célébrer le sacrifice avec son
Seigneur. Sacrifice spirituel, essentiellement, mais elle s’associe aussi,
d’une certaine manière, au sacrifice eucharistique, qui permet justement à
chacun d’être assimilé au Christ et de participer à l’unique sacrifice du
calvaire. En Afrique dès le iiie
siècle, puis à Milan, à Rome, en Espagne, les fidèles apportaient
processionnellement leurs dons à l’autel, à l’offertoire, et les en
rapportaient, changés au corps « mystique », c’est-à-dire
eucharistique, du Christ, lors de la communion dont le fruit était, nous
l’avons vu, l’unité de l’Église corps du Christ : ut inter membra eius numeremur, cuius corpori communicamus et sanguini[1284]. En Orient et en Gaule, comme actuellement encore dans la liturgie
lyonnaise, ils les déposaient à la sacristie avant la messe — les pécheurs
étant exclus de l’offrande —, et les ministres les apportaient solennellement à
l’autel.
Rien
d’étonnant, dès lors, si l’Église est enfin sainte. La liturgie la désigne
souvent comme Ecclesia sancta Dei[1285], Ecclesia sancta catholica[1286], immaculata Dei vivi
Ecclesia[1287]. Elle est déjà, en elle-même, ontologiquement, « sans tache ni
ride », mais elle doit devenir telle en chacun de ses membres : Hic tuta permaneat et ad te sine macula et
ruga perveniat[1288]. En effet, si ceux-ci ont été « lavés dans le bain salutaire »[1289], s’ils ont reçu, per lavacrum
regenerationis[1290], per tinctionem baptismatis[1291], la rémission de tous leurs péchés, qui sacro baptismate diluuntur[1292], et la nouvelle naissance à la vie divine, ce qu’exprime la blancheur de
leurs aubes — stolis albis candidi [1293] —, il leur arrive bien souvent encore de pécher actuellement[1294]après le baptême. L’ancienne liturgie évoque à maintes reprise, surtout
en carême, ces peccata, delicta[1295], culpæ, excessus[1296], iniquitates[1297], scelera, facinora, errores[1298], crimina[1299], etc. : l’abondance même du vocabulaire suggère la vive sensibilité de l’Église
sainte au péché de ses enfants. De tout cela, elle demande qu’ils soient
purifiés (emundari, purificari),
lavés ou nettoyés(abstergi, ablui), absous (absolvi), arrachés (erui), débarrassés (expediri).
Elle fait pénitence, notamment en carême. Elle les relève après une chute
par la réconciliation. Par elle, c’est l’infusion du Saint-Esprit qui les
purifie : Sancti Spiritus… corda
nostramundet infusio[1300]. Et après leur relèvement, elle les mène par la participation aux sancta[1301] à la vraie vie, — veraciter vivimus[1302] —, à la vraie sainteté : sanctificati,
Domine, salutari mysterio[1303] : celle qu’elle reçoit elle-même de son Seigneur.
C’est ainsi que, dans la liturgie, l’eucharistie en particulier, le
visible s’unit dans l’Église à l’invisible, le terrestre au céleste. La
liturgie de la terre rejoint celle du ciel et la représente : « Nous
qui, mystiquement, représentons les chérubins », chante la liturgie
byzantine lors de la grande Entrée. Les anges et les saints prennent part à nos
célébrations, car tunc cælestia terrenis
miscentur[1304]. Et avec les mystères célestes, c’est la vie céleste qui est commencée.
[1] III q 1, a
3.
[2] S. Ignace
d’Antioche, Eph. VII,
2, SC p 75-77.
[3]
III q 8, a 1, ad 1.
[4] III q 48, a
6, et passim.
[5] III q 56,
entre autres.
[6] III q 8, a
1, ad 1.
[7]
III q 48, a 6, ad 2.
[8]
Cf. III q 19, a 4 ; q 48, a 2, ad 1 ; q 49,
a 1 ; QD De veritate q 29, a 7,
ad 11 ; In
[9] La remarque
est du P. B.-D. de la Soujeole. nous utilisons à maintes reprises dans
ce chapitre son introduction générale à son cours d’ecclésiologie, qu’il nous a
généreusement communiquée.
[10] Dans ce
paragraphe, et dans la suite de cette introduction, nous nous inspirons de
M.-V. Leroy, « Chronique d’ecclésiologie », RT 63, p. 276-301.
[11] Cette
remarque du P. Leroy est confirmée par les travaux de Naudin, cités par D.
Cagin.
[12] La crédibilité de
l’apologétique, 21912, p. 220, cité par C. Journet et M.-V.
Leroy.
[13] Avec M.-V.
Leroy, article cité ; RT 84, p.
284-303, et passim. Cette
interprétation est reprise par le P. Torrell dans la nouvelle édition de la Somme, et (avec référence à M.-V. Leroy)
dans Initiation à saint Thomas d’Aquin ;
par le P. de la Soujeole (loc. cit.) ;
et, avec insistance, par D. Cagin dans son cours sur les sacrements. Il est
difficile d’en contester la pertinence.
[14] I q 1, a 3.
[15] Dieu
est« l’alpha et l’omega, le principe et la fin », dit l’Apocalypse.
Voir entre autres Is 55, 10-11 :« De même que la pluie et la neige descendent des cieux et
n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir
fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma
bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que
j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission » ; Jn
1 ; Phil 2…
[16] I Sent. d 14, q
2, a 1-2.
[17] II Sent., Prol.
[18] III Sent., Prol., cité par le P. Cagin.
[19] Compendium I, 201.
[20] Prol. de la IIIa
Pars.
[21] On se
rappelle que S. Thomas a interrompu la rédaction de la Somme avant d’avoir achevé ce qui y concerne le sacrement de
pénitence. Son secrétaire Reynald de Piperno a tenté de reconstituer la fin de
l’ouvrage à partir d’œuvres antérieures, surtout les Sentences : c’est le “Supplément” de la Somme.
[22] Journet
cité par M.-V. Leroy.
[23] Cf. III q
64, a 2, ad 3 : « C’est par la foi et les sacrements qui ont coulé du
côté du Christ pendu en croix que l’on dit que l’Église a été fabriquée ».
[24] En nous inspirant particulièrement de
l’introduction du cours du P. de la Soujeole.
[25] La canon de
Muratori date des environs de 160, la première liste complète du canon des
Écritures, des conciles africains de 396 et 397, soumis ensuite à l’approbation
de Rome.
[26] I Clem.,
I, 1. Les deux Églises sont distinctes, mais elles sont toutes deux l’Église de
Dieu. La notion de séjour suggère un exil provisoire en terre étrangère.
[27] 47, 6.
[28] Adversus hæreses, III, 3.
[29] Adresse de l’épître.
[30] 2, 4.
[31] 44, 3 ;
54, 2 ; 57, 2 ; cf. 16, 1.
[32] 29, 1.
[33] 30, 1.
[34] 46, 7.
[35] 46, 4… 9.
[36] 48, 6.
[37] I Clem. 57, 1.
[38] 40, 2… 41, 1.
[39] 42, 1-4.
[40] 44, 1… 6.
[41] Cf. 47, 6 ;
54, 2 ; 57, 1.
[42] 42, 4-5.
[43] Vide supra.
[44] 59, 1.
[45] 63, 2 ; cf. 57, 1, supra.
[46] 1, 1.
[47] 5, 2, cf. la suite.
[48] Vide infra.
[49] La vénération des Corinthiens pour
cette lettre sévère eût-elle été explicable, si elle était venue de l’Église
d’Athènes par exemple ?
[50] Annie Jaubert, dans l’introduction à
la Prima Clementis des Sources
chrétiennes, p. 90.
[51] Quand lors de la vacance du siège
romain le clergé de la Ville adressera une lettre collective à saint Cyprien,
le ton en sera différent, et la présentation beaucoup moins personnalisée.
[52] Ode 4, 1-4.
[53] Ode 22,
23-28.
[54] 38, 40 sq. Ce jardin planté par le
Seigneur est le nouveau Paradis, vide
infra.
[55] 33, 9 sq.
[56] 3, 2 sq.
[57] 42, 15 sq.
[58] 9, 28 sq.
[59] 8, 16 sq.
[60] Vide supra, thème de la plantation.
[61] 11, 16 sq.
[62] 19, 1 sq.
[63] 20, 7 sq.
[64] 35, 5.
[65] 17, in fine.
[66] Ad Magn. 1, 2.
[67] Ad Magn. 3, 2.
[68] Ad Magn. 13, 1 et Ad Trall. 3, 1.
[69] Ad Smyrn. 8, 2. On se rappelle la formule du
mariage romain : Ubi tu Gaius, ego
Gaia.
[70] Ad Smyrn. introduction
(SC p. 94).
[71] Ad Eph. 5, 2; Ad
Trall. 7, 2 ; Ad Phil. 4.
[72] Ad Phil. 4.
[73] Ad Smyrn. 1, 1-2.
[74] Ad Phil. 8, 1.
[75] C’est pourquoi ils sont appelés
“théophores” ou “christophores”.
[76] Ad Eph. 15, 3.
[77] Ad Eph. 10, 3.
[78] Ad Magn. 1, 2.
[79] Ad Magn. 6, 1.
[80] Ad Eph. 4, 2.
[81] Cf. Ad Eph 20, 2.
[82] Ad Eph 10, 3.
[83] Cf. Ad Eph. 16 et Ad Philadel. 3.
[84] Ad Trall. 9, 1.
[85] Ad Magn. 7, 2.
[86] Ad Philad. 4.
[87] Ad Magn. 7, 1.
[88] Ad Magn. 3, 2.
[89] Ad Eph. 4, 2.
[90] Ad Eph. 5, 1.
[91] Ad Phil. 2, 1.
[92] Ad Magn. 6, 1.
[93] Ad Trall. 3, 1-2.
[94] Ad Magn. 3, 1.
[95] Ad Eph. 3, 2-4, 1.
[96] Ad Eph. 5, 3… 6, 1.
[97] Ad Trall. 2, 2.
[98] Ad Trall. 2, 2.
[99] Ad Smyrn. 9, 1.
[100] Ad Smyrn. 8, 1.
[101] Ad Phil. 4.
[102] Ad Magn. 2, 2.
[103] Ad
[104] Ad Rom 3, 1. Allusion possible à la Prima Clementis.
[105] Ad Rom 9, 1.
[106] « Je ne vous donne pas des
ordres, comme Pierre et Paul » (Ro 4, 3).
[107] Cf. Ad Magn. 6, 2, cité supra.
[108] Mgr Duchesne, dont on connaît l’esprit
critique acéré (cité par le P. Camelot).
[109] Cf. lettre de Denys de Corinthe à
Soter citée plus haut, in Eusèbe, Hist.
eccl. IV, 23, 10.
[110] Ad Smyrn. 6, 1.
[111] Cf. S. Jean Chrysostome, In Matth. Hom. VII, 7: PG 57, 81), cité
par le P. Camelot
[112] Cf. S. Grégoire de Nazianze, Orat. XLIII, 14: PG 36, 513, cité ibid..
[113] Cf. P. Henne, « Canonicité du Pasteur d’Hermas », RT 1990/1, p. 85.
[114] Tertullien fut le premier à en
critiquer la doctrine, cf. art. cit..
[115] Adv. hæreses IV,
20, cité ibid. Quoi qu’il en soit de
l’extension exacte du mot grafh chez
l’évêque de Lyon, cette citation prouve l’autorité dont jouissait cet écrit
dans l’Église à la fin du second siècle.
[116] Vis. I, 3, 2, p. 85.
[117] Pasteur, Vis. I,
2, 2.
[118] « Cette voyante légendaire,
vénérée en divers lieux, à qui l’on attribue les livres remplis d’une langue
divinatoire et sibylline » (M. Dibelius, cité par K. Delahaye, Ecclesia mater, Cerf, Paris, 1964, p.
77).
[119] Pasteur, Vision
II, 4, 1, SC p. 94-97. Cf. I, 1, 6 : « Dieu qui, du néant, a créé les
êtres, les a multipliés et les a fait croître en vue de la sainte
Église ».
[120] Vision III, 3, 3-5, p. 106-109.
[121] Vision III, 9, 1, 2 et 10, p. 123-125.
[122] D’après les études du P. Henne (voir Connaissance des Pères n° 38, dont nous
inspirons dans ce passage), il semble que Le
pasteur d’Hermas est construit en chiasme, selon 5 étapes. L’Église comme
tour en construction est l’objet de la seconde (Vis. I-IV) et de la quatrième
étapes (Sim. IX).
[123] Sim. IX, 78 (1), SC p. 289.
[124] Sim. IX, 91 (14), 2.
[125] Cf. Vis. II, 8, 1 ; Vis. III, 19,
20, 21.
[126] Vis. III, 13 (5), 1.
[127] Sim. IX, 104 (27), p. 345.
[128] S’il s’agit de Clément de Rome,
l’ouvrage a dû être antidaté, au moins en partie (car l’ouvrage, malgré sa
composition soignée, n’a peut-être pas été publié en une seule fois) pour être
mis sous cet illustre patronage — ce qui indiquerait la vénération dans
laquelle se trouvait à Rome, quelques décennies après sa mort, le troisième
successeur de Pierre. Selon une autre hypothèse, il s’agirait d’un autre
personnage.
[129] Vis. II, 8 (4), 3, p. 97.
[130] Vis. III, 17 (9), 7… 9, p. 125..
[131] Voir Connaissance des Pères n° 41.
[132] I Apol.
xxxii, 8, La philosophie passe au Christ p. 59.
[133] I Apol.
xxxIX, 3, p. 65.
[134] On ne trouve pas cette prescription
dans le canon actuel de l’Écriture. S’agit-il d’une confusion avec les douze pierres
du collier du grand prêtre, ou d’une allusion à une tradition rabbinique
inconnue de nous par ailleurs ?
[135] Dial. 42, 3, in La philosophie passe au Christ, p.
192-193.
[136] 63, p. 231.
[137] 109, p. 302-303.
[138] 110, p. 303-304.
[139] 111, 4, p. 305-306.
[140] 113, p. 308-309.
[141] 114, p. 309-310.
[142] 119, p. 317.
[143] 120, p. 318-320.
[144] 124, p. 32.
[145] 130, p. 334.
[146] 134, p. 340.
[147] 135, p. 342.
[148] 138, p. 344.
[149] 100, p. 291.
[150] 45, p. 197 sq.
[151] 44, p. 196.
[152] I Apol. 46, p. 73.
[153] II Apol., nn.
8… 13.
[154] Dial.
35, p. 180-181.
[155] Adv. hær. III, 3,
4.
[156] Lettre à Florinus conservée par
Eusèbe, Hist. eccl. V, 20, 4-7.
[157] Adv. hær. III, 18,
1.
[158] Adv. hær. V, 14,
2.
[159] III, 18, 7.
[160] IV, 34, 1.
[161] III, 16, 6.
[162] L’île et le port dans la mer agitée
(V, 34, 3) ; le paradis aux arbres féconds (V, 20, 2), où se trouvent
placés tous les porteurs de l’Esprit, « pour y rester jusqu’à la
consommation en goûtant par avance l’incorruptibilité » (V, 5, 1) ;
le chandelier à sept branches (V, 20, 2)…
[163] V, 20, 12.
[164] Ibid.
[165] IV, 21, 3.
[166] Conservé au Ve livre de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe.
[167] Démonstration de la prédication apostolique, SC 62, p. 161.
[168] Adv. hær. IV, 33, 11.
[169] III, præf.
[170] III, 1, 2.
[171] III, 2, 2.
[172] III, Præf.
[173] III, 3, 1.
[174] III, 3, 2-4.
[175] Celui du symbole baptismal.
[176] I, 10, 2.
[177] III, 24, 1.
[178] III, 17, 1 et 2.
[179] III, 4, 1.
[180] III, 24, 1.
[181] III, 33, 8.
[182] V, 20, 1.
[183] V, 20, 2.
[184] IV, 26, 2.
[185] IV, 26, 5.
[186] III, 3, 2.
[187] III, 3, 3.
[188] Ad martyres I, PL 1, 619 ;
De baptismo XX, PL 1, 1224 ; De anima XLIII ; De monogamia, VII, PL 2, 723, 939.
[189] De
oratione II.
[190] De
baptismo XX.
[191] De anima
XLIII. Cf. De resurrectione carnis
LIII, PL 2, 874.
[192] Adv.
Marc. V, 19, PL 2, 520. De monogamia,
XIII, PL 2, 949.
[193] De pænitentia 10, PL 1, 1245, trad. E. Mersch,, op. cit. p. 15.
[194] De virginibus velandis PL 2, 891.
[195] De
baptismo VI.
[196] De baptismo 6, PL 1, 1206 ;
De oratione II, PL 1, 1154 ; De pudicitia XXI, PL 2, 1026.
[197] De anima 40, 1.
[198] De præscriptione
20, 7.
[199] Adv. hær. III,4, 2, vide supra.
[200] Stromates VII, 1,
PG 9, 548-552,vide infra.
[201] XXI, 3-5.
[202] XXXII.
[203] XXXVI, 2-3.
[204] De
pudicitia XXI, 17
[205] Pæd. I, 6, 42.
[206] Pæd. I, 5,
21, 1.
[207] Pæd., III, Hymne, vers 42-48.
[208] Pæd. III, 12, 98,
1.
[209] Pæd. III, 12, 99,
1.
[210] On reconnaît la prédilection des
Platoniciens pour l’Un. On retrouvera ce raisonnement chez Bérulle.
[211] Diaqhkh, « alliance », ou Écriture,
et « testament ».
[212] Strom. VII, 17,
106, 2–107, 6.
[213] Strom. VII, 17,
107, 2.
[214] Strom. VII, 16,
96.
[215] Clément n’en mentionne pas moins les
trois degrés de la hiérarchie ecclésiastique, dans lesquels il voit « des
imitations de la gloire angélique et de l’économie qui attend, au dire de
l’Écriture, ceux qui, suivant les traces des Apôtres, ont vécu dans la
perfection de la justice, conformément à l’Évangile » (Strom. VI, 13, 107)..
[216] Strom. VI, 1, PG 9, 209.
[217] Strom. VII, 16, 104, 1.
[218] Protreptique IX, PG 8, 200.
[219] Cf. Strom. II, 2, 8, 4.
[220] Strom. I, 5, 28.
[221] Cf. Strom. I, 19, 91, 1- 93, 5.
[222] Strom. I, 19, 95, 6-7.
[223] Urs von Balthasar.
[224] In Ez. hom. 1, 11).
[225] In Ez. hom. 9, 3.
[226] In Ier. hom. IX, 2 ;
In Ios. hom.
VIII, 7.
[227] Contre Celse IV,
22.
[228] Contre Celse VIII,
72.
[229] Hom. XI, 3, in Lev.
[230] In Cant. cant. II.
[231] Homil. VII in Luc., SC, n° 87, p. 163.
[232] Cette image est réservée à « ceux
qui entendent » : on ne la trouve pas dans Contre Celse et Peri arcwn.
[233] In Cant. I.
[234] Coll. Pères dans
la foi, p. 37.
[235] Ibid., p. 23.
[236]
Hom. XXII in
[237] In Cant. II.
[238] Commentariorum series in Matth. 25, 1-5.
[239] On retrouve cette comparaison chez S.
Augustin et S. Thomas, mais celui-ci précise : l’âme vivifie le corps
dansl’ordre de la causalité formelle, Dieu, ou le Verbe, vivifie l’Église, ou
l’âme, dans l’ordre de la causalité efficiente.
[240] Contre Celse, 6,
48.
[241] In Rom. IX,
5, PG 14, 1166- 1167.
[242] Contre Celse VI,
70, PG 11, 1418.
[243] In Ioan. II, 29,
PG 14, 177.
[244] In Lev. XII, 7, PG
12, 543, etc.
[245] In Ier. VIII, 1,
2, PG 13, 336 ; In Ps. 23, PG
12, 1265 ; In Ioan. VI, 15, PG
14, 252.
[246] In Ps. selecta, PG
12, 1081 ; In Ioan. VI, 15, 22,
23, PG 1, 252, 264, 265.
[247] In Ps. 36, Hom. 2,
PG 12, 1330.
[248] In Ioan. X, 20, PG 14, 372-373.
[249] In Lev. hom. VII, 2, PG 12, 480.
[250] Ibid., col.
481-482.
[251] « Voyons s’il y a place dans
l’Église, selon la figure de l’arche, pour le corbeau, le milan, le loup, le
chien, le serpent. Mais il est hors de doute que l’Église ne contient aucun
idolâtre… » (De idol. 24.).
[252]
« Sabellius disait que l’arche de Noé était l’image de
l’Église : on y trouvait des chiens, des loups, des corbeaux, et toutes
sortes d’animaux purs et impurs ; il disait qu’il devait en être de même
dans l’Église » (Hippolyte, Philos.
IX, 12)..
[253] Hom. II sur la Genèse, n° 3, SC p. 97.
[254] Ibid., p. 98.
[255] Ibid., p. 97-98.
[256] P. 105.
[257] Ibid.
[258] In librum Iesu Nave, hom. III,
n° 5, PG 12, 841 sq.
[259] Ibid. Voir aussi In Matth. comm. n° 46, PG 13, 1668.
[260] In Ier. hom. V, n°
16, col. 319.
[261] In Matth. comm. n° 47, PG 13, 1669.
[262] In Ps. 36, hom. III,
n° 11, PG 12, 1347.
[263] In Ez. hom. VIII, n° , PG 13, 730.
[264] In
[265] In Matth comm. 14, 1, PG 13, 1182…1190, trad. du LM VI, p. 1603-1605.
[266] A. d’Alès.
[267] Voir, après La théologie de saint Cyprien de A. d’Alès et l’introduction au De unitate Ecclesiæ de Labriolle, le n°
31 de la revue Connaissance des Pères de
l’Église, p.16 sq.
[268] Voir aussi De habitu virginum en entier.
[269] Lettre 20, 2.
[270] Ce mot apparaît au moins 64 fois chez
Cyprien, avec des acceptions diverses (voir d’Alès p. 85 sq.). Nous y
reviendrons.
[271] Cath. Eccl. un. 4, 7 (bis) ; Ep.
XLV, 1 ; LIV, 1 ; LV, 21 ; LXXIII, 11; LXXIV, 11 (bis). Cf. LIX, 2, sacramento unanimitatis.
[272] LXIX, 6.
[273] De
oratione dominica 8.
[274] Cath.
Eccl. un. 5.
[275]
[276]
[277]
[278] Cath. Eccl. un. 9.
[279] Ep. LXXVI, PL 3,
1142.
[280] Ep. XLIII, PL 4,
383.
[281] Ep. LXIX,
8, PL 4, 406.
[282] Ep. LXIX,
3, 1.(?)
[283] ep. LIX, 6, 1-2.
[284] ep. LIX, 9.
[285] Ep. 20, vide supra p. 46.
[286] Le P. Bévenot, en 1938, a réparti les
157 manuscrits en sept familles ; mais, si l’on élimine les combinaisons
mixtes, celles-ci se rattachent à deux formes principales. — Voir P. de
Labriolle, introduction au De unitate,
p. xviii sq., que nous utilisons
dans tout ce développement.
[287] L’auteur des notes de la PL suppose
qu’un lecteur « pieux et diligent » a retranscrit dans les marges de
ce chapitre des expressions relatives au primat romain tirées d’autres passages
de Cyprien.
[288] D. Chapman croit même en retrouver des
traces chez Gélase, Jérôme, Augustin et Pacien, mais ces rapprochements sont
moins convaincants.
[289] Plus récemment, L. Laurand a remarqué
que leur cursus correspond à l’usage très particulier de Cyprien. Décidément,
le faussaire était orfèvre en la matière !
[290] Conformément à l’habitude des anciens
de donner plusieurs éditions de leurs œuvres.
[291] Cette interprétation entraîna
l’adhésion du très critique historien protestant Harnack.
[292] Ep. LXX, 7, PL 3, 1114.
[293] Ep. XLIV, PL 3, 710 sq.
[294] De exhortatione martyrii ad
Fortunatum
XI, PL 4, 668 C.
[295] Ep. LIX.
[296] De habitu virginum 10. Cf. Ep. LXXI, n° 3, PL 4, 410 ;
Ep. LXXIII, 7, PL 3, 1114.
[297] Ep. XLIII, 5.
[298] PL 4, 410.
[299] Ep. LIV, 14, PL 3,
818-821. Allusion possible à la fides
romana, la foi théologale particulièrement puissante succédant à la bonne
foi, la loyauté, dont les anciens Romains se faisaient gloire.
[300] Nous reviendrons sur le fond du
problème à propos des sacrements.
[301] Ep. LXIX,
3, 1.
[302] Ep. LXIX.
[303] Ep. LXXII,
3, 1-2.
[304] Cf. Ep. 74 de notre saint.
[305] S. Augustin, Ep. 93, 36.
[306] Lettre aux martyrs et aux confesseurs, X, cf. LH, SS. Pontien et Hippolyte, 13 août.
[307] De viris illustribus, chap. 83. Voir aussi l’Histoire
ecclésiastique VI, 13, de Socrate, qui semble combiner plusieurs
traditions.
[308] Banquet III, n° viii, § 70-71. Traduction des SC revue.
[309] Achèvement, réalisation suprême, plutôt que récapitulation au sens d’Irénée
(note SC).
[310] Banquet III, n° viii, § 71-72.
[311] Banquet III, n° viii, § 73.
[312] Banquet III, n° viii, § 73-74.
[313] Banquet III, n° IX, § 75.
[314] Banquet VIII, xii, § 203.
[315] Banquet VIII, xii, § 204.
[316] Banquet, Hymne, strophes vii, xx, xxiii, SC p. SC p.313… 321
[317] Le Christ.
[318] L’eucharistie.
[319] L’Église et/ou Marie.
[320] Ce passage s’inspire du cours du P. de
la Soujeole.
[321] Ep. ad Serap. I, 28.
[322]
II Contra Arianos, LXX, PG 26,
296.
[323] De syn.
51, PG 26, 784 B.
[324] III Contra
Arianos, XXXIV, PG 26, 397.
[325] De incarnatione et contra Arianos XII, PG 26, 1004.
[326] Ibid. XXI, col
1022.
[327] Lettre à Constance, citée par Athanase, Histoire des
Ariens, XLIV, trad. G. Bardy, En
lisant les Pères, p. 93-94.
[328] Lettre aux Orientaux, citée par Athanase, Apologie contre
les Ariens, XXXV, in Bardy p.
94-95.
[329] Libère figure dans le martyrologe
hiéronymine, mais non, à la différence de Jules, dans le martyrologe romain.
[330] De virginibus III,
1.
[331] Ep. 363.
[332] Libère, cité par Athanase, Histoire des Ariens, XXXVI, Bardy p. 96.
[333] Libère, cité par Théodoret, Histoire ecclésiastique, II, 16, ibid.
[334] Selon S. Jérôme, qui avait dû assister
à l’événement.
[335] Historia sacra,
II, 39, PL 20, 151. Rufin (Hist. Eccl.
I, 23, PL 21, 493) évite de se prononcer sur ce point.
[336] Histoire des Ariens XLI, 357-358.
[337] Chronique, PL 27,
501-502 (380) ; De viris illustribus
37 (392).
[338] Contre Constance
11, PL 10, 589 ; Fragments
historiques, col. 679… 692).
[339] Sozomène, IV, 11.
[340] S. Jérôme, ubi supra;
[341] S. Hilaire, col. 688 et 690.
[342] Dans De synodis encore, S. Hilaire consentait à ce qu’on taise parfois omoousioV, de soi préférable parce que plus
clair : potest una substantia pie
dici et pie taceri (n° 70).
[343] Dans Contre Constance, l’évêque de Poitiers impute à l’empereur la
défaillance momentanée de Libère : « Tu as tourné tes violences
contre Rome, tu en as arraché l’évêque, et je ne sais, ô misérable, si tu as
été plus impie en l’exilant ou en le renvoyant chez lui ».
[344] Col. 688.
[345] PG 25, 409.
[346] De viris illustribus 37.
[347] In Ps. 23,
PG 39, 1296 A.
[348] De Trin.
2, 13.
[349] Ce thème deviendra classique. On le rencontrera
par exemple chez S. Césaire d’Arles, qui compare la piscine baptismale au sein
de Marie (Hom. 3, PL 67, 1048, LM 27e samedi ordinaire,
année II).
[350] De Trin. 2, 6,
23 ; In Ps., PG 39, 1369
AB ; 1272 A ; 1465 C).
[351] In Prov., col.
1624 C.
[352] In Ps., PG 39,
1281 C.
[353] Hom. sur le psaume 28, 2 (3), Magnifiez le Seigneur avec moi, Paris, Cerf, 1997, p. 59.
[354] Aristote, Politique, III, 3.
[355] Hom sur le psaume 45,
4-5, éd. cit. p.138-140.
[356] Hom. sur le psaume 44, 6, éd. cit. p. 120-121.
[357] Comme Origène, Basile glisse aisément
de l’Église à l’âme individuelle dont elle est le type.
[358] Division de la philosophie chez les
grecs, christianisée par Clément et Origène. La morale a trait aux mœurs, la
physique à la cotnemplation de Dieu par les créatures, l’époptique, à la
contemplation des mystères chrétiens (cf. note de L. Brésard dans l’éd. citée).
[359] Hom. sur le psaume 44, 9, éd. cit. p. 126-127.
[360] Nn. 10-11, p. 127 129.
[361] Nous utilisons dans ce passage Connaissance des Pères, n° 11.
[362] Traité du Saint-Esprit, 16, 18.
[363] 23, 54.
[364] 16, 39, SC p. 180-181.
[365] 16, 39, SC p. 181. Cf. aussi 16, 37, p. 173-174
[366] Cf. 26, 62.
[367]
Cf. 24, 57 ; 27, 65-66.
[368] Dans l’initiation chrétienne (note
SC).
[369] 27, 66, SC p. 232… 234.
[370] 16, 40, SC p. 183.
[371] Cf. dans Théologie de la vie monastique, J. Gribomont, « Saint
Basile », p. 105 sq.
[372] « Une habitation séparée » (Ascéticon).
[373] Il est, selon S. Thomas, le seul des
Pères qui n’ait jamais commis aucune hérésie matérielle condamnée
ultérieurement par l’Église.
[374] Or. 7, 23, PG 35, 785.
[375] Or. 38, 16… 18, PG 36, 329-333.
[376] Or. 1, 4.5, PG 35, 397.
[377] Cf. Aristote, Pol. I, 5, 4 et 6 ; Platon, Phédon, 80 a.
[378] Or. 2, 3, PG 35, 410, B-C, cf. SC p. 89 sq. ; cf Or. 32, 7-12, et
Aristote, Pol. I,
5.
[379] Or. 33, 12, PG 36, 229 A.
[380] Cf. Or. 6, PG 35, 721 ss.
[381] Ep. 130, PG 37, 225 A.
[382] Carm. De vita
sua, v. 1681, col. 1146 A.
[383] Or.
33, 2, PG 36, 216 B ; 34, 7, 248 C.
[384] De vita
sua, v. 1703, PG 37, 1148.
[385] Or. 9, 1, PG 35, 820 B.
[386] Or. 32, 18, PG 36, 193 C.
[387] Or. 26, 8, PG 35, 1252 B.
[388] Or. 2, 1, PG 35, 408 B, cf. SC p. 87.
[389] Cf. Or. 2, 10, SC p. 103.
[390] Or. 2, 16, PG 35, 425 A, SC p. 111.
[391] Or. 2, 20, SC p. 117.
[392] Cf. Or. 2, 20, SC p. 117.
[393] Or. 2, 22, 432 B,
cf. SC p. 119-121.
[394] Carm. Moralia 34, v. 227-229, PG 37 962.
[395] Or. 2, 73, PG 35, 481 B.
[396] Or. 20, 4, 1068 D- 1069 A.
[397] Or. 43, 52, PG 36, 564 A.
[398] Ep. 171, PG 37, 280.
[399] Or.
13, 4, PG 35, 856 A.
[400] De vita
sua, v. 1495-1505, PG 37, 1133.
[401] Cf. Or. 6, 22 et 23.
[402] Or. 22, 1 et 4.
[403] Cf. entre autres J. Daniélou, Le ive
siècle, p. 120 sq. (Institut Catholique de Paris, cours dactylographié).
[404] Cf. J. Daniélou, Théologie
de la vie monastique, p. 141, renvoyant à une communication de la Society of Church History d’Oxford.
[405] De même, sa doctrine de la finitude du
mal l’amène à défendre, avec Origène, l’apocatastase, c’est-à-dire l’invasion
de la vie divine dans la totalité des hommes et donc le salut universel. Cf. PG
44, 201 B, 596 C.
[406] Cat. XXXII, 3,
trad. du P. Daniélou.
[407] Cat. XXXII, 4, id.
[408] PG 44, 1317.
[409] Cat. XXXV, 1. Voir Cat. XXXV, 5, 6, cf. PG 45, 1260 C.
[410] PG 44, 1317 C–D ; cf. aussi col.
949 A–B.
[411] Anomius, PG 45,
877 D, 880 A.
[412] PG 46, 851-864.
[413] Cf. Ep. 239, 1 : « Ces gens-là ne savent pas la vérité et ne
supportent pas de l’apprendre ».
[414] Cf. Ep. 13, 2, de S. Ambroise.
[415] Voir C. Journet, L’Église du Verbe incarné, t. I, p 383 sq., utilisant lui-même Mgr
Battifol, Cathedra Petri, p. 75 en
particulier.
[416] La similitude des liturgies en
témoigne.
[417] Daniélou, ubi supra.
[418] E. Amann, DTC, article « Mélèce ».
[419] Traduction du P. A. Hamman, Prières des premiers chrétiens, Paris,
1951, p. 179-180.
[420] VII, 1, SC t. II, p. 275… 277.
[421] De Trinitate VII,
4, SC p. 283-285.
[422] In Matth. 21, 4, SC t. II, p. 127.
[423] Cf. De Trinitate I, 18 :« Un lecteur parfait cherche à comprendre
ce qu’il lit à partir du texte lui-même, sans y projeter ses idées
personnelles ; il se reporte à ce texte plutôt qu’il ne lui apporte, il ne
lui impose pas un contenu qu’avant toute lecture il présumait être le sens
véritable ».
[424] De Trinitate VII,
4, SC p. 283-285 (traduction revue).
[425] In Ps. 131, 4, PL
9, 730.
[426] In Matth. 16, 7. —
Il va même, à cette époque, jusqu’à écarter de Pierre la réprimande qu’il
s’attire peu après sa glorieuse confession de foi en refusant la perspective de
la passion : « Satan, tu m’es un scandale ». Il ne convient pas
de penser que le nom de Satan et l’offense du scandale soient attribués à
Pierre après tant de proclamations de béatitude et de puissance. Mais, parce
que toute incroyance est l’œuvre du diable, le Seigneur, offensé par la réponse
de Pierre, maudit avec l’infamie de son nom l’instigateur de cet acte
d’incroyance » (In Matth. 16,
10, SC t. II, p. 59). Il renoncera dans De
Trinitate et dans ses Commentaires
sur les psaumes à cette interprétation peu vraisemblable.
[427] De Trinitate VI,
37.
[428] Mélange de réminiscences de Sénèque (Stygis claustra, Erebi claustra) et
d’allusions scripturaires (Ps 106, 16 ; 2 P 2, 4).
[429] In Matth. 16, 7, SC t. II; p. 55.
[430] De Trinitate VI,
36, 37, 38, SC t. II, p. 245… 251.
[431] Fragments historiques VI, 4-9, PL 10, 688-694. Voir surtout une note figurant dans certains
manuscrits : Prævaricatori anathema
una cum Arianis a me dictum (n° 9, col. 694)
[432] Fragments historiques, II, 9, PL 10, 639 C.
[433] Prologue du Conre Auxence.
[434] De Trinitate XII,
57, trad. de Mgr Martin, t. III, p. 154.
[435] Homo totus. Mais
le contexte invite à comprendre, ce qui n’offre pas de difficulté dans la
langue de l’époque, « tout homme » plutôt que « tout l’homme,
l’homme tout entier ».
[436] In Matth. 2, 5, PL 9, 927.
[437] In Matth. 4, 12, PL 9, 935.
[438] In Ps. 125, 6, PL
9, 688.
[439] In Matth. 18, 6,
SC t. II, p. 81, trad. revue. — Cette interprétation remonte à Origène et se
retrouve par exemple chez S. Grégoire de Nysse.
[440] In Ps. 91, 9, PL
9, 499. Dans le contexte, cette « conjonction avec la chair assumée »
désigne l’union du Christ à tout homme déjà réalisée par l’Incarnation.
[441] In Ps. 138, 30,
31, PL 9, 808 ; De Trinitate IX,
9-10 ; cf. IX, 13 ; XI, 14.
[442] De Trinitate VIII,
7, SC t. II, p. 389..
[443] De Trinitate VIII,
8, SC t. II, p 289.
[444] C’est-à-dire, en vertu d’une union
réelle, « physique », disent les Pères alexandrins.
[445] De Trinit. VIII,
13, SC t. II p. 397.
[446] De Trinit. XI, 39,
trad. de Mgr Martin, « Pères dans la foi », t. III, p. 104-105.
[447] In Ps. 131, n° 23,
PL 9, 741.
[448] In Ps. 126, n.
7-9, in H. de Lubac, Catholicisme, Cerf, Paris, 1952, p.
389-390.
[449] « Évêque de la communion
catholique de vénérable mémoire » (S. Augustin, C. Parm. I, iii, 5),
« saint » comparable à Ambroise et Augustin (S. Fulgence de Ruspe, Ad Monimum, III, 15, 2).
[450] S. Jérôme, De viris illustribus 110.
[451] Cf. Optat I, 4, SC t. I, p. 179.
[452] Cf. I, 6, p. 185.
[453] Cf. I, 7, p. 185-186.
[454] Ce mot ne se retrouve dans ce sens,
après Optat, que chez Rufin (Orig. in
Cant. 1) et un Pseudo-Augustin (Symb.
4, 13, 13 ; Serm. 11, 30). La liste
de ces dotes est empruntée dans une
large mesure à S. Cyprien.
[455] II, 1, 2, SC t. I, p. 237.
[456] Cf.I, 12, 2, t. I, p. 199 :
« Tu as eu raison de leur [aux hérétiques] enlever l’anneau, car ils n’ont
pas le droit d’ouvrir l’accès à la source ». Voir S. Cyprien, Ep. XLIX, ii, 1 : « Si elle est une fontaine cellée, celui-là
ne peut y boire, ni y recevoir la marque du sceau, qui, étant du dehors, n’a
point accès à la fontaine ».
[457] I, 2, 2-3, texte latin SC t. I, p.
192 ; traduction revue. Cf. S. Cyprien, Ep. XLIX, ii, 1,
souvent repris par les donatistes. — Voir aussi Optat III, 2, 8, t. II, p. 19.
[458] I, 11, 1. Cf. IV, 2, 4, SC t. II, p.
8 : « Vous ne voulez pas être nos frères, vous qu’une même mère, l’Église,
a engendrés d’une même chair, les sacrements, et que Dieu le Père a accueillis,
de la même façon, comme ses fils adoptifs »..
[459] I, 12, 2.
[460] Cf. S. Cyprien, De unitate 5 ;
Ep. LXXIV, xi, 3.
[461] I, 11, 1, SC t.
I, p. 196-197 (trad. revue).
[462] II, 1, 2, p. 237.
[463] II, 1, 3-4, p. 237-239.
[464] II, 12, 2.
[465] II, 1, 4… 7, p. 239.
[466] I, 10, 1, p. 196-197
(trad. revue).
[467] Cf. I, 23, 2-24, 1, t. I, p. 225.
[468] IV, 5, 6, t. II, p. 93-95.
[469] II, 6, 1, t.
I, p. 257.
[470] II, 14, 3, p. 269.
[471] VI, 3, 4, t. II, p. 171.
[472] II, 2, 1-2, p. 245.
[473] Proche du catalogue libérien et
reproduite par S. Augustin (Epist.
LIII, 2-3), voir SC t. I, p. 308-309.
[474] II, 3, 1-2, p. 245-247.
[475] Cf. I, 12, 2, t. I, p. 199 : «Tu
as eu raison d’attribuer les clés à Pierre ».
[476] Memoriis sanctorum : variante, attestée par deux manuscrits, par rapport à la Vulgate (necessitatibus sanctorum). Voir note
SC.
[477] II, 4, 1, t. I p. 247.
[478] II, 4, 2-4, p. 247-249.
[479] II, 5, 1, p. 251.
[480] II, 4, 6, p. 249-251.
[481] Cf. II, 5, 8-9, p. 255.
[482] II, 6, 1-2, p. 257.
[483] II, 7, 1-4, p. 257-259.
[484] II, 8, p. 259-261.
[485] II, 9, 1-2, p. 261.
[486] I, 1, 1… 3, p. 173-175.
[487] I, 9 et
10, p. 189 sq.
[488] M. Labrousse cite I, 1, 2 ; 2,
1 ; 11, 1; II, 5, 2 ; 15, 3; IV, 2, 1.3 ; 4, 1-2 ; VII, 3, 1.2
(SC t. I, p. 11, note 1).
[489] IV, 3, 3, t. II, p. 87.
[490] VII, 1, 1-2, p.
193 sq.
[491] VII, 1, 25, p. 207.
[492] VII, 1, 45, p. 217.
[493] Cf. VII, 2, 1, p. 217 (texte
interpolé, selon certains critiques).
[494] VII, 2, 2, p. 217.
[495] VII, 2, 5… 8, p.
219 sq.
[496] VII, 3, 3, p. 223.
[497] VII, 3, 4, p. 223.
[498] VII, 3, 11-12, p. 227.
[499] De viduis XI, 70,
PL 16, 255. Trad. de D. Tissot, un peu éloignée de l’original (Écrits sur la virginité,
p. 141) : « L’Église les contient toutes ».
[500] De viduis III, 16, D. Tissot p. 112.
[501] De officiis III, iii, 19.
[502]
In Luc. VII, PL 15, 1755,.
[503] In Ps. 118, 10, PL 15, 1334.
[504] Ibid. 22, col. 1521.
[505] Ibid.
15, col. 1419.
[506] De fuga sæculi IX, PL 14, 595.
[507] In Ps. 36, PL 14,
985.
[508] De institutione virginis III, 24, cf. D. Tissot p.235. Voir aussi In Lucam II, 86 et VI, 9.
[509] Cf. De virginitate 91, p. 201.
[510] In Lucam, III, 23,
PL 15, 1598.
[511] In Lucam VII, 96,
SC p. 42.
[512] Ep. 19 à Vigle de
Trente, n° 26, PL 16, 980.
[513] De pænitentia I, vii, 31, PL 16, 476.
[514] In Lucam VII, 190.
[515] In Lucam II, 7.
[516] In Lucam, VII, 5,
SC t. II, p. 10 (revu).
[517] In Lucam X, 134,
SC t. II, p. 201.
[518] De virginibus I,
31, D. Tissot p. 33.
[519] De virginitate 49,
p. 182.
[520] Ep. 63, n° 37. Cf.
De virginitate 68, D. Tissot p. 189.
[521] De virginibus I,
22, p. 28-29.
[522] De virginitate 53,
p. 183.
[523] De virginitate 77,
p. 193.
[524] In Lucam II, 86, vide infra.
[525] Ep. 41, 18, PL 16,
1118.
[526] Allusion à la fécondation de l’eau
baptismale par l’Esprit Saint par la bénédiction des fonts baptismaux lors
de la vigile pascale (cf. note de D.
Tissot).
[527] De virginibus I,
31, D. Tissot p. 33-34.
[528] Cf. De obitu Valentiniani 75, PL 16, 1380-1381 : « Quels sont
les seins de l’Église, sinon les sacrements du baptême ?… Nul ne te
méprisera, nul ne te chassera, car je t’introduirai dans l’intimité et les
arcanes de l’Église mère, et dans tous les secrets du mystère, pour que tu
boives à la coupe de la grâce spirituelle ».
[529] Ep. 41, 22, PL 16,
1119.
[530] De viduis, n°
14-16, D. Tissot p. 111-112.
[531] In Lucam V, 89,
92, PL 15, 1659-1660.
[532] On voit que l’Église, comme ensemble
des fidèles, c’est aussi le trésor.
[533] Ep. 26, 4-5, PL
16, 1043.
[534] In Lucam II, 89, vide infra.
[535] In Lucam VI, 67,
PL 15, 1685.
[536] In Ps. 118, serm.
XV, 35, PL 15, 1422.
[537] In Lucam II, 75,
84, 87-89, 93.
[538] De Spiritu Sancto
II, x, 110, PL 16, 766.
[539] In Lucam VII, 99,
SC t. II, p. 43.
[540] De fide ad Gratianum V, xix, 228.
[541] Vide supra, p. 92,
In Ps. 36, n° 37.
[542] In Lucam II,
85-89, PL 15, 1584… 1586, trad. H. de Lubac, Catholicisme, Paris, 51952, p 375-376.
[543] In Lucam IV, 68-70, PL 15, 1633.
[544] De virginitate 118, D. Tissot p.
214-215.
[545] Ibid., 119, 122, 123, p. 215… 217
[546] Ibid., 129, p. 220.
[547] Ep. 2, 1, PL 16, 879, LM I, p. 983.
[548] Ibid. (suite du texte).
[549] Ep. LXIII, 41… 43,
PL 16, 1200.
[550] De Incarnationis dominicæ sacramento V, 34, PL 16, 827.
[551] Vide supra p. 90, De officiis III, iii, 19.
[552] De pænitentia II, iv, 24, PL 16, 503.
[553] De excessu fratris sui Satyri I, 47, PL 16, 1306.
[554] De Incarnationis dominicæ sacramento II, 13, PL 16, 821.
[555] Ep. 13, 2, PL 16,
950. Voir aussi la sollicitude de l’évêque de Milan pour l’unité entre Orient
et Occident dans la lettre suivante, col. 953 sq.
[556] Ep. 21, 14, col.
1005-1006. Cf. De fide I, Prol. 5, PL
16, 529 : « Parmi les conciles, je suivrai de préférence celui qu’ont fait
paraître comme un trophée les cent dix huit prêtres [c’est-à-dire
évêques : le concile de Nicée, appelé « concile des cent dix huit
Pères », en raison du nombre de ses participants], comme s’ils avaient été
choisis par le jugement d’Abraham (cf. Gen 14, 14), vainqueurs par la vertu
d’une foi unanime, ayant soumis les incrédules par tout l’univers ; en
sorte qu’il me semble que c’est par un effet divin que nous avons l’oracle de
la foi dans les conciles par le même nombre qui nous donne dans l’histoire un
exemple de piété ».
[557] Ep. 42, 5, à
Sirice, PL 16, 1125.
[558] De excessu fratris sui Satyri I, 47, PL 16, 1306.
[559] De Pænitentia I, vii, 33.
[560] In Ps. 40, n° 30,
PL 14, 1082.
[561] Ep. 11, 4, PL 16,
946.
[562] De pænitentia I, vii, 31, PL 16, 476.
[563] In Lucam II, 88, vide supra p. 96.
[564] Exhortatio virginitatis 66-67, D. Tissot p. 312.
[565] In Lucam I, 17, PL 15, 1540-1541.
[566] In Lucam IV, 50,
PL 15, 1627.
[567] De virginitate 48,
D. Tissot p. 180.
[568] De institutione virginis 5, cf. D. Tissot p. 227, trad. revue.
[569] Ep. 41, 20, PL 16,
1118 ; vide supra p. 93 le n°
22.
[570] De Spiritu sancto
II, x, 112, PL 16, 767.
[571] Serm. XVII, 21, PL
15, 1447.
[572] In Lucam VII, 47 ?
(fausse référence).
[573] Nous avons évoqué ailleurs le rôle de
la virginité dans l’Église.
[574] De bono mortis n°
16.
[575] Voir cours dactylographié
p. 89-90.
[576] Confessions VI, 3,
voir LM I, 7 décembre, année I.
[577] Ou peut-être : « les instructions
de sagesse que l’Esprit… ». — Var. : ille
au lieu de illi : « que cet
Esprit Saint répandit… »
[578] De officiis I, i, 2-3.
[579] Ep. 2 à Constance,
3-4, PL 16, 880.
[580] Vita Ambrosii 13.
[581] S. Augustin, Confessions, IX, vii,
15, PL 32, 770.
[582] Serm contr. Aux.
34, PL 16, 1017-1018.
[583] Ep. 82 à
Marcelline, n° 9, PL 16, 1278.
[584] Paulin, Vita
Ambrosii n° 39.
[585] Ep. 42, n° 1, PL 16, 1124.
[586] De Nabuthe Iezrahelita I, 1, PL 14, 731.
[587] Ep. 81,
3, 10, 12, 14, PL 16, 1273… 1275.
[588] Ep. 63, n° 88.
[589] De officiis I, 7,
24.
[590] Cf. cours de littérature latine
chrétienne, p. 130 sq.
[591] De officiis I, xx, 87.
[592] De officiis I, ii, 88.
[593] De officiis I, xxxv, 176–xli.
[594] De officiis I, xxxvi, 183.
[595] De officiis I, i,
249.
[596] De officiis I, i,
251.
[597] De officiis I, ix, 28.
[598] De officiis II, xiv, 67.
[599] De officiis II, xv, 69.
[600] De officiis II, xv, 72.
[601] De officiis II, xvi, 76.
[602] De officiis II, xxi, 108, cf. Pr 17, 1.
[603] De officiis II, xvi, 78.
[604] Gratia Ecclesiæ laus doctoris est, « la louange du docteur est la gloire de
l’Église » (De officiis II, xxiv, 122).
[605] De officiis II, xxiv, 123.
[606] De officiis III, i, 1.
[607] De officiis III, i, 7.
[608] De officiis III, ix, 59.
[609] De officiis III, xxiv, 131.
[610] De officiis III, xxiv, 133.
[611] Le clou de la croix envoyé à
Constantin par sainte Hélène pour qu’il l’enchâssât dans son diadème.
[612] De obitu Theodosii, PL 16, 1465.
[613] Serm. contr. Auxent. 36, PL 16, 1018.
[614] Ep. 20, n° 19, PL
16, 999-1000.
[615] Ibid. n° 8, col.
997.
[616] Ep. 21, 4, 5, 10,
PL 16, 1003… 1005.
[617] Ep. 51, 7, PL 16,
1161, et 17, cl. 1164.
[618] Cf.
Ep. 24, 12, PL 16, 1083.
[619] Ep. 26, n° 3.
[620] De fide ad Gratianum II, xi, 89, PL 16, 579.
[621] De viduis, n° 49,
D. Tissot p. 130-131.
[622] Ep. 127, 9.
[623] Vide supra p. 104.
[624] Voir DTC t. iv, col. 206.
[625] Ep. 6, 1, cf. 2 Co 11, 28.
[626] Ep. 1, 1, PL 13, 1133, Dz 181.
[627] PL 13, 1146 A.
[628] Notamment ceux du concile de Sardique
(343) : « si dans une province un évêque
devait avoir un litige avec un autre évêque, son frère, qu'aucun des deux
n'appelle à l'aide des évêques d'une autre province. Mais si un évêque a été
condamné dans une cause et s'il pense que sa cause est bonne pour être jugée à
nouveau, honorons s'il vous plaît la mémoire du très saint apôtre Pierre : que ceux qui ont examiné la
cause, ou bien les évêques qui résident dans la province voisine, écrivent à
l'évêque de Rome ; et si celui-ci juge qu'il faut réviser le procès, qu'il soit
révisé et qu'il donne des juges. Si par contre il estime la cause telle qu'on
ne doive pas reprendre ce qui a été fait, ce qu'il aura décidé sera confirmé.
Cela plaît-il à tous ? Le synode répondit : oui » (1996 Denzinger 133)
[629] Dz 182 (Chap. 15, Par. 20).
[630] Hom. xi, In
Eph. 5, PG 62, 87.
[631] Cf. In I Cor. Hom. xxx, PG 61, 253 et xviii, col. 147 ; In
Gal. Comment. iii, col. 656.
[632] Cf. In I Cor. Hom. xviii, PG 61, 147 ;
In Col. Hom. iv, vi, viii, PG 62, 325, 339, 356 ;
In Eph. Hom. iii, PG 62, 26.
[633] In Gal. Comment. iii, PG 61, 656.
[634] In I Cor. Hom. xxx, PG 61, 249.
[635] In Io. Hom. lxv et lxxxii,
PG 59, 361 et 444.
[636] In Io. Hom. xlvi, PG 59, 260.
[637] Le pain consacré (note d’E. Mersch).
[638] In I Cor. Hom. xxiv, PG, 61, 200. E. Mersch commente : « Il s’agit donc d’une prolongation de
l’Incarnation du Verbe par le moyen de l’eucharistie ».
[639] In I Cor. Hom. xxiv, PG 61, 200.
[640] In Eph. Hom. iii, PG 62, 206.
[641] In I Cor. Hom. viii, PG 61, 72-73.
[642] In I Cor. Hom. xxiv, PG 61, 200.
[643] In Rom. Hom. xxvii, PG 60, 649.
[644] In
[645] In Act. Hom. xlv, PG 40, 318.
[646] In Col. Hom. viii, PG 62, 351 C.
[647] In II Cor. Hom. xx, PG 61, 540.
[648] In Mt. Hom. l, PG 58, 509. « N’orne pas les
églises, si c’est pour négliger ton frère dans l’affliction. Ce temple-ci est
plus augute que celui-là ».
[649] In I Tim. xi, 1, PG 62, 554.
[650] PG 47, 27-28.
[651] PG 47, 35 BC.
[652] Hom. iv in illud : Vidi Dominum, 4, 5, PG 56, 125 sq.
[653] Hom. iii
de pœnitentia 4, PG 49, 208 ; Hom. xxxii in Matth. 3, PG 57, 380 ; Hom. xxiii in Ioan. 3, PG 59, 142 ; Hom. xxii in Act. 1, PG 60, 171 ; Hom. xxix in
Rom. 5, PG 60, 660.
[654] Comme l’ont montré les recherches
récentes de C. Pietri.
[655] Lettre I à Innocent I, éd. Vareille t.
vi, p. 221 (trad. revue).
[656] In Pr. Act. Hom. ii, 6, PG 51, 86.
[657] ii, 1, SC p. 101.
[658] ii, 1, cf. SC p. 105.
[659] De
sacerdotio ii, 2, SC p. 105.
[660] ii, 5 et ss.
[661] iii, 4, cf. SC p. 143.
[662] iii, 4, SC p. 143-145.
[663] iii, 5, SC p. 149.
[664] iii, 6, SC p. 151.
[665] Ibid.
[666] Ibid.
[667] iv, 3, SC p. 251.
[668] iv, 4, p. 253 sq.
[669] iv, 4… 9, p. 257… 281.
[670] vi, 2-3, p. 307-313.
[671] Cf. Palladius, Dialogus xiii-xv, PG
47, 45-51.
[672] vi, 8, p.
331 sq.
[673] Palladius, Dialogue v, PG 47, 18
D.
[674] Cf. son traité De la virginité (SC 125). Il en souligne d’ailleurs le caractère
exceptionnel : il s’agit « d’un combat importantqui ne peut être
imposé par le sort, mais qui n’est accordé qu’à ceux qui l’ont voulu » (In Matth. Hom. lxii, 4, PG 58, 600 A). Il
note que [le Seigneur] exclut du chœur [des vierges] la moitié des vierges,
parce qu’eles sont venues sans [la charité] ; elles avaient de l’huile,
mais non en quantité suffisante » (Lettres
à Olympias viii, SC 13 bis,
p. 171-172). En revanche, il accorde ce titre aux femmes exemplaires :
« Celle qui est pure quant à l’âme est vierge, même si elle a un
mari ; elle est vierge d’une véritable virginité, l’admirable ; la
virginité du corps en effet n’est que l’acompagnement et l’ombre de cele de
l’âme : c’est celle-ci qui est la virginité véritable » (In Heb. xxvii, PG 63, 202 D).
[675] Voir Contre ceux qui otn auprès d’eux des vierges
et Que les femmes soumises à une règle
nedoivent pas cohabiter avec les hommes (PG 47, 495-514 et 513-532).
[676] Cf.ve homélie De studio præsentium, i (PG 48, 485).
[677] In Eph. Hom. xx, 2, PG 47, 151.
[678] In Hebr. Hom. xxii, 3, PG 48, 208 A.
[679] In Hebr. Hom. vii, 4, PG 63, 68.
[680] In Hebr. Hom. vii, 4, PG 48, 67.
[681] In Eph. Hom. xvi, 1, PG 62, 111.
[682] Ad eos qui scandalizati sunt xii, 5, PG 52, 510.
[683] Adv. Opp. Vit. Mon. iii, 14, PG 47, 372.
[684] In Matth. Hom. vii, 4, PG 47, 185 D.
[685] In I Cor. xviii, 3, PG 61, 148.
[686] In I Cor. xxv, 4, PG 61, 225 D.
[687] Adv. Iud.
vii, 6, PG 48, 671 D.
[688] Contra
Anomæos vi, PG 48, 496 D.
[689] In Tit. vi,
2, PG 62, 698 C.
[690] In I Cor. xxv, 3, PG 61, 200.
[691] Cf. In I Cor. vi, 4, PG 61, 53-54.
[692] Contra
Anomæos vi, (PG 48, 496 D).
[693] Cf. In
Gen. Hom. xviii, 4, PG 53, 153, et In
Matth. lxviii, 3, PG 58, 595
B.
[694] In Hebr.
Hom. iii, 2, PG 48, 30.
[695] In
Matth. Hom. lv, 6, PG 58,
423-424.
[696] De sacerdotio vi, 7-8, PG 48, 683-684.
[697] In Gen. Hom. xlii, 5, PG 54, 392.
[698] In I Tim. hom. xiv, 3, PG 62, 574.
[699] Nous utilisons dans cette section Y.
Bodin, Saint Jérôme et l’Église,
Beauchesne, Paris, 1966.
[700] Cf. p. ex. le commentaire d’Isaïe,
notamment In Is. prol., VI, PL 24, 205 C-D.
[701] Cf. In Is. XVIII, lxvi,
22, PL 24, 674 D : « La lune brille par la partie de son glone qui
est la plus voisine du soleil et que l’ombre de la terre n’obscurcit pas… S’il
en est ainsi, au figuré, l’Église, que la paix fait croître et la persécution
décroître… reçoit sa splendeur du soleil de justice… et les justes qui
l’habitent brillent comme le soleil dans le royaume de leur Père ». Voir
aussi In Habac. III, 11, PL 25, 1323
CD.
[702] J. Daniélou, Typologie et allégorie, DS 25,
132-138.
[703] A. Penna, cité par Y. Bodin p. 30.
[704] Cf. In Ps. 86..
[705] In Ezech. PL 25,
125 AB et 418 AB ; In Is., PL
24, 345 D, 358 A, 626 C, etc.
[706] Clément d’Alexandrie, Strom. 6, c. 15, 125. Les témoignages sur ce principe chez les
Pères sont innombrables : H. de Lubac (Catholicisme
p. 143) cite Origène, Méthode, Cyrille de Jérusalem, Chrysostome, Isidore
de Péluse…
[707] In Is. 14, 51, 3, PL 24, 483 C.
[708] In Ps. 88, 3.
[709] Ep. 123.
[710] Ep. 22, 38, 6, éd. Labourt t. i, p. 155.
[711] Adv. Jovin. 1 et
17, PL 23, 236.
[712] Dial. contra Lucifer. 22, PL 23, 177.
[713] Dial. contra Lucifer. 22, PL 23, 176 C.
[714]
Adv. Iovin. 1 et 32, PL 23,
237 et 254.
[715] Ep. 36, 17, ad Damasum,
Labourt, t. ii, p. 65. Cf. In Os.
12, 2, PL 25, 925 C-D.
[716] In Os. 11, 1,
PL 25, 916, A.
[717] Ep. 36, 16, ad
Damasum, Labourt t. ii, p. 65.
[718] Ep. 78, 12, Labourt t. iv, p. 65.
[719] In Ps. 76, 21.
[720] In Is. 13, 48, PL 24, 463 B-C.
[721] Adv. Iovin.i,
21, PL 23, 239.
[722] In Ps. 76, 21.
[723] In Ps. 76, 21.
[724] Adv. Iovin. i, 21.
[725] Ep. 53, 8 ad
Paulinum, Labourt, t. iii, p.
16.
[726] In Ps. 86,
4.
[727] De exodo in vig. Pasch., CC 78, p. 536-537. Cf. Ep. 22, 38, 6, suite du passage cité supra : « Nous
célébrons la Pâque,… si tandis que l’on détruit Jéricho, Rahab la justifiée
nous abrite ».
[728] Ep. 52, 3, ad
Nepotianum, Labourt t. ii, p. 175.
[729] In Ionam,
SC 43, p. 72.
[730] In Soph.
2, 12, PL 25, 1370.
[731] In Zach.
8, 23, PL 25, 1478 B.
[732] In Is. 3, 3, PL 24, 61 C.
[733] Ep. 79, 11, ad Salvinam,
Labourt t. iv, p.
107.
[734] Ep. 53, 8, ad
Paulinum, Labour t. iii, p. 21.
[735] In Soph. 2, 8 et
3, 1, PL 25, 1366 A et 1374.
[736] Cf. H. de Lubac, Catholicisme, p. 136, sq.
[737] Ep. 74 ad Rufinum, Labourt, t. iv,
p. 28-31.
[738] In Mich.
3, 9 sq., PL 25, 1182 C.
[739] Cf. C. Ruf. ii, 16, PL
23, 450.
[740] In Zach.
4, 2, PL 25, 1442.
[741] In Amos 9,
11, PL 25, 1094.
[742] In Ezech., PL 25, 216 B.
[743] In Is. 5,16, 1, PL 24, 171 A, 178 C.
[744] In Amos 6, 1, PL 25, 1058 A.
[745] In Is. 54, 11-12, PL 24, 521 D–522 A.
[746] In Soph. 3, 1, PL 25, 1376 A.
[747] Ep. 108, 9 ad Eustochium.
[748] In Is. 10, 31, 6, PL 24, 338
A ; In Ez. 38, PL25, 357 B, et
40, 1, col. 372 C.
[749] In Abacuc. 2, 15,
PL 25, 1301 D et 1303 D.
[750] In Mich. 4, 11, PL
25, 1194 CD.
[751] In Is. 7, 1.
[752] In Hier. 30, 18,
sq.
[753] In Hier. 31, 38.
[754] In Hier. 32, 42.
[755] Cf.
In Is. 17, 64, 8-12, PL 24, 626 C ; In
Ez. 16, 23, PL 25, 143 B ; 16, 30, col. 147 A.
[756] In Ez. 16, 59, col. 160 B, PL 25, 160 B.
[757] In Zach. 3, 8-9,
PL 25, 1439 D.
[758] In Zach. 9, 1, PL
25, 1480 D ; In Matth. 15, 25,
PL 26, 110 B.
[759] In Marci Ev. 5,
30-43, éd. cit. p. 54, sq. Cf. In Ps.
67, 32 ; In Ps.
106, 5 ; In Zach. 3, 8, PL 25, 1439 D.
[760] In Marci Ev. 14,
3-6, éd. cit. p. 97. Cf. In Matth. 26, 6, PL 26, 191-192.
[761] In Marci Ev., 14,
3-6, éd. cit. p. 96.
[762] In Marci Ev. 8,
22-26 (l’aveugle de Bethsaïde), dans
Marc, commenté par Jérôme et Jean Chrysostome, « Les Pères dans la
foi », p. 65.
[763] In Marci Ev. 11,
11-14, éd. cit. p. 83.
[764] In Marci Ev. 11,
1-10, voir Marc, commenté par Jérôme et
Jean Chrysostome, « Les Pères dans la foi », p. 77. — In Zach. 9, 9, PL 25, 1484 A. — In Matth. 21, 4-5, PL 26, 147 BC.
[765] In Matth. 21, 4, PL 26, 147 BC.
[766] In Matth. 27, 44, PL 26,
211 C.
[767] In Matth. 27, 32, PL 26,209
A.
[768] In Matth. 27, 51, PL 26,
213 A.
[769] Ep. 53, 5, ad
Paulinum, Labourt, t. iii, p.
13.
[770] Ep. 21, 40 ad
Damasum, Labourt t. i, p.
108.
[771] In matth. 20, 1,
PL 26, 141 C.
[772] In Is. 7, 21, 11, PL 24, 264 D et
265 A.
[773] In Matth. 21, 33, PL 26,
155 C.
[774] Ep. 21 ad Damasum, Labourt t. i,
p. 87.
[775] Ibid. p. 99.
[776] Ibid., p. 88-89.
[777] Ibid. p. 95.
[778] Ibid. p. 96.
[779] Ibid. p. 96.
[780] Ibid. p. 97.
[781] Ibid. p. 97.
[782] Ibid. p. 97-98.
[783] Ibid. p. 98-99.
[784] Ibid. p. 99.
[785] Ibid. p. 100.
[786] Ibid. p. 101.
[787] Ibid. p. 101.
[788] Ibid. p. 102.
[789] Ibid. p. 104.
[790] Ibid. p.
104.
[791] In Ionam 4, 10-11, PL 25, 1151 AB.
[792] In Matth. 21, 28, PL 26, 155 BC.
[793] Ep. 108, 12, Labourt t. v,
p. 172.
[794] In Is. 17, 60, 1, PL 24, 588 BC.
[795] In Is. 17, 60, 10, PL 24, 594 A.
[796] In Is. 21,
10, PL 24, 194 A et In Mich. 4, 1, PL
25, 1187 AB.
[797] « Le premier peuple d’Israël
n’est pas absolument rejeté, puisque la primitive Église s’est formée des Juifs
et des Apôtres » (In Eccl. 4,14,
PL 23, 1051 B).
[798] Cf. In
[799] Ep. 120, 10, ad
Hedibiam, Labourt t. vi, p. 153.
[800] In Marci Ev. 11,
11-14, éd. cit. p. 85-86 (trad. modifiée).
[801] In Habac. 2, 2, PL 25, 1292 A.
[802] In Is. 15, 54, 11, PL 24, 522-523.
[803] In Is. 13, 49, 2, PL 24, 464 D.
[804] In Is. 13, 49, 6, PL 24, 467 A.
[805] In Is. 14, 52, 7-8, PL 24, 500 A.
[806] In Is. 15, 55, 4, PL 25, 532, BC.
[807] In Ez 34, 2, PL 25, 329… 332.
[808] Dial. contra Lucif. 28, PL
23, 182.
[809] In Titum 1, 5, PL 26, 561 B.
[810] In Ps. 86, 1.
[811] In Is. 2, 2, PL 24, 43.
[812] In Is. 42, 11, PL 24, 424 D–425 A.
[813] In Ps. 81.
[814] In Is. 13, 45, 18, PL 24, 449 B.
[815] In Ez. 33, 21, PL 25, 322 A.
[816] In Is. 12, 41, 8, PL 24, 415 BC.
[817] In Is. 14, 52, 122, PL 24, 503 A, D et
504 A.
[818] In Is. 8, 27, 9, PL 24, 310 D.
[819] In Is. 12 43, 1, PL 24, 430 A.
[820] In Is. 52, 7, PL 24, 501 A.
[821] In Is. 14, PL 24, 500 CD.
[822] In Is. 17, 62, 10.
[823] In Ez, PL 25, 395 A.
[824] In Ps. 86.
[825] Symbolisant selon
Jérôme les Apôtres dans Isaïe 5.
[826] In Ps. 107, 5.
[827] In Abd. 20, PL 25, 1116
CD.
[828] In Is. 7, PL 24, 264 C.
[829] In Ez 7,
14, PL 25, 69 AB.
[830] De viris,
PL 23, 607 B ; In Zach. 2, 10,
6, PL 25, 1493 D ; Adv. Pelag. 1, PL
23, 516 A.
[831] In Gal. 1, 8, PL26, 329 B..
[832] Adv. Ruf. 3, 2, PL 23, 516 A.
[833] In Gal 5, 10, PL 26, 403 C.
[834] Ep. 112 ad August., Labourt
t. vi, p. 26.
[835] In Marci Ev. 1, 13,-31, p. 42.
[836] In Matth. 7, 27, PL 26, 50
B.
[837] In Amos 3, PL 25, 1074 A.
[838] In Mt. 16, 22-23, PL 26, 120 B.
[839] Adv. Iovin. 1, 26, PL 23, 247 AB.
[840] Adv. Iovin. 2, 37, PL 23, 335.
[841] De viris illustribus, I, PL 23, 607 B, 609 A.
[842] Cf. In Ez 1, 4 ; In Is. 52, 9, PL 24, 502 AB.
[843] In Ioël 1, 14, PL 24, 207 A-B.
[844] In Is. 15, 54, 2.
[845] In Is. 62, 1, PL 24, 605 A-B.
[846] In Ps. 140, 10.
[847] In Zach. 11, 11, PL 25, 1496 D et 1497 A.
[848] In Ioël 6, 32, PL 25, 980 B ; In Is. 15, 65, 25, PL 24, 651 C ; In Ez. 7, 19, PL 25, 71 C.
[849] V. g. In Ps. 66, 5.
[850] In Ez. 14,
48, 20, PL 25, 486 C. Cf. In Dan. 12,
3, PL 25, 576 C ; In Is. passim.
[851] Ep. 60, 14 à Héliodore, Labourt t. iii, p. 93
[852] In Amos 9, 13-15, PL 25, 1096 C. Cf. In Is. 6, 14, 31-32, PL 24, 230 C ; In Matth. 7, 27, PL
26, 50 B, etc.
[853] In Ps. 58, 12.
[854] In Os. 2, 1, PL 25, 829 D ;
cf. 1, 10, 11, col. 829 A ; 3, 4, 5, col. 845 C.
[855] In Soph. 3, 19, 20, PL 25, 1386 C.
[856] S. Grégoire puis S. Thomas reprendront
cette idée.
[857] In
Amos 5, 8, PL 25, 1043 B.
[858] Dial.
contra Lucif. 23 et
28, PL 23, 178 A, 181, 182.
[859] Adv. Iovin. 2, 28, PL 23, 325 AB.
[860] Adv. Ruf.
1, 23, PL 23, 417 A.
[861] Dialog.
contra Lucif. 24, PL 23, 175 C.
[862] In Eph. 4, 14, PL 26, 500 D.
[863] Ep. 146, 1, 6, ad
Evangelum, Labourt t. viii,
p. 117.
[864] Ep. 146, PL 22, 1195.
[865] Ep. 125, 15 ad
Rusticum, Labourt t. vii, p. 126.
[866] Cf. Ep. 141 ad Augustinum,
Labourt t. viii, p.
96.
[867] Dialog. contre Lucif. 9, PL
23, 165.
[868] Ep. 52, 7, ad
Nepotianum, Labourt t. ii, p.
182.
[869] Ep. 69, 3, ad
Oceanum, Labourt t. iii, p.
205-206.
[870] Cf. Ep. 64, 45, à Fabiola,
Labourt t. iii, p. 123.
[871] Ep. 52, 6, ad nepotianum, Labourt t. ii, p. 181.
[872] Ep. ad Oceanum, 9, Labourt t. iii, p. 208 et
passim.
[873] Ep. 82, 11, ad
Theophilum, Labourt t. iv, p.
124.
[874] Ep. 146, ad
Evangelum, PL 22, 1194.
[875] Adv. Rufinum 3, 15, PL 23, 468.
[876] Adv. Rufinum 3, 12, col. 466 C.
[877] Ep. 15 ad Damasum, Labourt t. i, p. 46 sq.
[878] Ep. 16 ad Damasum, p. 50-51.
[879] Ep. 130, 16, ad
Demetriadem, PL 22, 1120.
[880] In Hieremiam 1, 4, 7.
[881] In Oseam 1, 7, 4, PL 25, 874 C-D et 7, 14, 881 C.
[882] Adv. Vigilant. I,
PL 23, 339 A, in P. Antin, Essai sur saint Jérôme, p. 248.
[883] Ep. 108, 21, Oraison funèbre de Paula, Labourt t. v, p. 195.
[884] Ep. 119, 11, ad
Minervium et Alexandrinum, Labourt t. vi, 119.
[885] Ep. 133, 12, ad
Ctesiphon, PL 22, 1160, Labourt t. viii,
p. 67.
[886] Adv. Pelag. 1, 2, PL 23, 498
A.
[887] Ep. 143 ad Alypium,
PL 22, 1181-1182, Labourt t. viii,
p. 98-98.
[888] In Matth. 16, 44, PL 26, 94
C.
[889] In Amos 1, 2, PL 25, 994 A.
[890] Ep. 48, 4, ad Pammachium; Labourt t. iii,
p. 118.
[891] Ep. 53 ad Paulinum,
Labourt t. iii, p.
14.
[892] In Ps.
133, 1.
[893] In Zach.
14, 8, PL 25, 1527 D.
[894] In Amos 2, 4, PL 25, 1005 A.
[895] In Is. 10, 35, 3, PL 24, 376-377.
[896] Ep. 120 ad Hedibiam, Labourt t. vi,
p. 149.
[897] In Ps.
147, 14.
[898] In Ps. 66,
5.
[899] Ga 4, 26, cité In Zach. 14, 17 ; In Is. 18, 66, 13.
[900] In Ps. 86, 5.
[901] In Ez. 36, 1, PL 25, 340 A-B.
[902] In Ioel 4, 1, PL 25, 987 A-B.
[903] In Ps. 92, 1.
[904] In Is. 17, 64, 8, PL 24, 626 C.
[905] Ibid.
[906] In Gal. 5, 24, PL 26, 422 A.
[907] In Eph. 1, 22, PL 26, 463 A.
[908] In Eph. 1, 23.
[909] In Eph. 1, 2-4, PL 26, 468 A.
[910] In Eph. 1, 5, PL 26, 481 B.
[911] In Eph. 4, 3-4, PL 26, 495 A.
[912] Adv. Pelag. 1, 18, PL 23,
512.
[913] In Eph. 5, 31 sq., PL 26, 535 B.
[914] Ibid., C-D.
[915] In Os. 2, 19, PL 25, 840 A-D.
[916] In Ps. 103, 19.
[917] In Ps. 84, 13.
[918] In Abac.2,
3, 11, PL 25, 1327 B.
[919] In Ps. 95, 10.
[920] In Is. 4, 11, 11-1, PL 24, 150 C et 151 B
; 62, 10-12, col. 609 A-B..
[921] In Hierem.
[922] Ep. 60, 4, ad
Heliodorum, Labourt t. iii,
p. 93.
[923] In Gal 3? 27, PL 26, 369 B.
[924] In Soph. 2, 1, PL 25, 1357 B-C.
[925] In Ps. 84, 11.
[926] In Is. 6, 13, 4, PL 24, 208 C
[927] In Zach. 14, 3, PL 25,
1533 D.
[928] In Eph. 5, 25, 27.
[929] Ep. 65, 16, ad
Principiam, Labourt t. iii,
p. 160.
[930] In Ez.
8, 27, 3, PL 25, 247 D.
[931] Dial.
contra Lucif. 22, PL 23, 176.
[932] In Hierem.
6,31, 38, PL 24, 887 D.
[933] Adv. Pelag. 2, 13,
PL 23, 583 B.
[934] On notera ici l’union des deux
thèmes : épouse-corps, sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
[935] Serm. 45, PL 38,
265-266.
[936] In Ps. 29, enarr. 2, PL 36, 219.
[937] In Ps. 127, PL 38,
1686.
[938] Union des thèmes : corps-cité.
[939] In Ps. 90, serm. 2, PL 37, 1159.
[940] In Ps. 25, enarr..2, PL 36, 200.
[941] In Ps. 1, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 21. Cf. In Ps. 30, II, 40, PL 36, 232 ; In Ps. 142, n° 3, PL 37, 1845 ; Ep. 140, n° 18, PL 33, 545 ; Ep. 185, XI, 50, PL 33, 815.
[942] In Ps. 1, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 21.
[943] In Ps. 21, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 51.
[944] In Ps. 37,. in
A. Besnard, Prier Dieu : les psaumes,
p. 75. Les textes sont innombrables.
[945] In Ps. 140, in A. Besnard, Prier Dieu : les psaumes,
p. 69-70.
[946] Serm. Morin 9.
[947] Avec Y. Congar, L’Église, paris, cerf, 1970, p. 13.
[948] Serm. 267, 4. Cf. De Trinit. XV, 37, BA 16, p. 522 :
« Si entre les dons de Dieu aucun n’est plus grand que l’Esprit Saint, lui
qui est Dieu et de Dieu, et si de plus l’amour par lequel le Père aime le Fils
et le Fils, le Père, révèle leur ineffable communion, n’est-il pas convenable
d’appeler proprement Amour l’Esprit, lui qui est commun à l’un et à
l’autre ? ».
[949] De Trin. XV, 34,
BA 16, p. 516-518.
[950] Serm. 71, 18. Voir
In Ps. 130, 6.
[951] Serm. 267, 4, PL
38, 1231-1232 (2 juin 412).
[952] In Ioan. Tract. XXVII, 6, BA 72, p. 545.
[953] In Ioan. Tract.
XXVI, 13, PL 1612, in Le visage de
l’Église, p. 181.
[954] In Ioan. Tract.
XXVI,
13, BA 72, p. 517.
[955] In Ioan. Tract. XXXII, vii, 8, PL 35, 1645 sq.
[956] Serm. 267, 4, 2
juin 412.
[957] Ep. 185, n° 50.
[958]Cf. De
vera religione 34, 63 : « Dans le beau, c’est l’unité qui
plaît ».
[959] Serm.
103, 4.
[960] De
doctrina christiana III, ii,
2, PL 34, 65.
[961] Contra epist. manich. V, 6, PL 42, 176.
[962] In Ioan. XLV, PL
35, 1721, in Le visage de l’Église p.
282.
[963] De Gen. ad lit. lib. imperf., I, 1, PL 42, 221.
[964] In. Ps. 103, n°
17, PL 37, 1350.
[965] Serm. 75, 2-4, PL
38, 475-476, in Le visage de l’Église
p. 322.
[966] De symb. serm. ad
catech. vi, 14, PL 40, 635.
[967] Sermon Mai 12, in Le visage de l’Église p. 295.
[968] Serm. 294, xviii, PL 38, 1346.
[969] Ep. 43, 1.
[970] Cf. Serm. Mai 12, in Le visage
de l’Église p. 295. Enarr. sur le ps. 130, 9, PL 37, 1710, op. cit. p. 294.
[971] De bapt. XVI, 23.
[972] Ep. 43, I,
1, PL 33, 160.
[973] In I Ioan.
3, 2, PL 35, 1998, in Le visage de l’Église, p. 172.
[974] Cf. Serm. 212-215.
[975] Cf. De bapt. II, 7, 12 ; IV, 24, 31.
[976] De bapt. II, 4, 5.
[977] De bapt. VI, 39, 76.
[978] Ep. 54, 1.
[979] De bapt. VII, 53, 102.
[980] Ep. 43, 7.
[981] Ep. 53, 2.
[982] Ep. 105,
5, 16 (milieu 410).
[983] Serm. 295, 2. Cf. De bapt. III, 17, 22, et 18, 23 ;
VII, 51, 99 ; De doctr. christiana I, 17-18 ; Tract. 124 in Ioan. 5 ;
In Ps. 141, 7 ; Guelf. 16, 2-3.
[984] Psalmus contra partem Donati, v. 238-240 ; Ep. 43,
7 ; 53, 2.
[985] Serm. 131, 10.
Cf., en termes équivalents, C. duas epis.
Pel. 2, 3, 5.
[986] Cf. Ep. 54, 1.
[987] In Ps. 99, 9-13,
PL 37, 1280, in Le visage de l’Église
p. 319.
[988] C. Faust. XIII,
16.
[989] De Bapt. VI, 14,
23 ; C. Litt. Pet. II, 108, 147.
[990] In Ps. 103, 3, 5.
[991] Serm. 5, 1.
[992] De fide et oper.
5, 7; Ep. 105, 16-17.
[993] C. litt. Pet. III,
9, 10.
[994] Tract. in Ioann. V, 18 ; VI, 7 ; XV, 3. C. Epist. Parmen. II, 15, 34 ; C. litt. Petil. I, 9-10 ; De baptismo III, 10 ; IV, 4 ; V,
19. C. Crescon. IV, 20.
[995] In Ioan. VI, 7.
[996] In Ioan. VI, 15-16 ;
In I Ioan. 7, 11,
etc.
[997] C. Crescon. IV, 16, 19.
[998] De bapt. IV, 17, 24 ; VI, 1, 1.
[999] Cf.
De bapt. I, 1, 2 ; IV, 17, 24 ; V, 8, 9 ; VI, 2, 4 et 5, 7 ;
VII, 52, 100 et 54, 103 ; C. Crescon.
I, 29, 24, Ep. 61, 1.
[1000] De bapt. III, 16,
21.
[1001] Serm. Mai 92, in Le visage de l’Église p. 173.
[1002] In Ps. 101, 11, 3,
PL 37, 1306-1307, in Le visage de
l’Église p. 176.
[1003] In Ioan. XXVI, 15,
PL 35, 1614, in Le visage de l’Église
p. 181.
[1004] Serm. Denis 3, in Le visage de l’Église p. 178.
[1005] Serm. 227, PL 38,
1100, in Le visage de l’Église p.
180.
[1006] In Ioan. XXVI, 13.
[1007] De civ. Dei X, 6,
BA 34, 445… 449.
[1008] In Ps. 32, 21, PL
36, 296.
[1009] In Ps. 103, 8-9,
PL 37, 1343, in Le visage de l’Église, p. 255.
[1010] Serm. Morin 2, in Le visage de l’Église p. 294.
[1011] In I Ioan. X, 3.
[1012] Serm. 192, 2, PL
38, 1012-1013, in Le visage de l’Église p. 193.
[1013] On voit ici qu’Augustin ne sépare
nullement l’aspect mystique, théologal de l’Église, et son aspect
institutionnel : ce à quoi il exhorte, c’est évidemment à demeurer uni par
la charité à l’Église non seulement spirituelle, mais aussi visible.
[1014] Serm. Morin 11, in Le visage de l’Église p. 278.
[1015] De civ. Dei XIV,
28, BA 35, 465.
[1016] De Gen. ad Lit. XL, 20, BA 49, 261-263.
[1017] In Ps. 47, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 90.
[1018] De civ. Dei XIX,
13.
[1019] Voir De civ. Dei XIX, 21-24, BA 37, p. 139-163.
[1020] In Ps. 136, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 224.
[1021] De civ. Dei I, 35,
BA 33, p. 301.
[1022] In Ps. 51, 6, PL
36, 603-604, in Le visage de l’Église
p. 284.
[1023] Brev. coll. 9, 16 et 10, 20.
[1024] De civ. Dei XX, 9,
1.
[1025] In Ps. 147, in A. Hamman, Saint Augustin prie les psaumes, p. 238.
[1026] Serm. 363, PL 39,
1633, in Le visage de l’Église, p.
339.
[1027] Pour reprendre, avec le P. de La
Soujeole, une terminologie empruntée par C. Journet (L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 243 sq.) à J. Maritain dans L’humanisme intégral. Nous nous
inspirons de l’interprétation de Journet, sans exclure le recours à d’autres
sources.
[1028] Cf. L. Bouyer, L’Église de Dieu, p. 39 sq., reprenant une opposition de G. Frommel
et H. Bois, eux-mêmes dépendants de la distinction de Troeltsch entre
« Églises » et « sectes ». — On se rappelle la réation de
S. Jean Chrysostome à l’attiédissement des laïcs de son temps, tentés de
laisser aux moines la recherche de la perfection chrétienne.
[1029] FC 478.
[1030] Cf. G. Dumeige, FC p. 245-246.
[1031] Libellus fidei du pape Hormisdas (nn. 1, 4 et 5), envoyé à Constantinople le 11 août
515, 1996 Denzinger 362 et 365, FC
416 p. 246.
[1032] Novelle VI, 6 mars 535.
[1033] Ainsi, tous les modernes partisans de
l’assumptus homo, le P. Galtier, qui
considère que le « prétendu concile de Constantinople » ne s’impose
pas à la foi, et des patrologues favorables à l’école d’Antioche, comme
Daniélou et Marrou, qui, dans leur Histoire
de l’Église, présentent les Trois chapitres comme un « montages de
textes attribués, parfois de façon quelque peu artificieuse, aux trois…
victimes du brigandage d’Éphèse ». D. Diepen réfute cette interprétation
dans Douze dialogues de christologie
ancienne.
[1034] Nous étudions celle-ci dans la partie
historique de la christologie. Le progrès doctrinal apporté par Constantinople
II, précisant certains points non encore éclaircis par la formule de Chalcédoine,
paraît incontestable aux historiens modernes du dogme.
[1035] D. Guéranger, La monarchie pontificale.
[1036] Ibid.
[1037] Sa défense auprès du pape Vigile qui
voulait le condamner pour s’être opposé à sa ratification du concile.
[1038] Pélage I, Lettre 19 à Sapaudus d’Arles
(559), c. 19, texte latin in H. M. Diepen, Douze
dialogues…, p. 138.
[1039] Lettre Adeone te à un évêque (Jean ?), début de 559, 1996
Denzinger 446.
[1040] Lettre Relegentes autem au
patricien Valérien, (mars ou avril 559).
[1041] Voir D. Diepen, Douze dialogues… p. 142 sq.
[1042] Remarque précieuse, note D. Diepen,
car elle nous renseigne sur l’attitude de Jean III et Benoît Ier,
inconnue par ailleurs.
[1043] Ep. III, 66,
(465), texte latin in Douze dialogues
p. 150.
[1044] Théodoret, Critique de l’Anathématisme I, PG 76, 392-393, trad. in Douze dialogues… p.157-159.
[1045] Ep. III, 140,
texte latin in Douze dialogues, p.
159.
[1046] Lettre Dilectioni vestræ aux
évêques schismatiques d’Istrie, 585 ou 586, 1996 Denzinger 468-469.
[1047] Hom. in Ez. II, vii, 22.
[1048] Cf. Moralia,
Præf. viii, 17-18, PL 75,
526-527.
[1049] Moralia i, 6 ; iii, 18 ; vi, 1, PL 75, 524, 616, 729 ; In Ez.
i, 4, PL 76,
815.
[1050] Cf. In Ez. i, hom. 8, 28, PL 76, 867 ; In Ev. hom. 34, 11, col. 1252.
[1051] Hom. in Ev. 21, 2 et 34, 6, 11, PL 76, 1171, 1249 et 1252.
[1052] Reg. ii, 52 ; ix,
218.
[1053] Moralia in Iob i,
6 ; iii, 13 ; xiii, 12, 13 ; xiv, 49, 50 ; xxiii, 1 ; xxvii, 15, PL 75, 525, 612, 1025, 1068 ; 76, 110, 251,
416 ; In Ez. i, 8 ; ii, 3, 4 ; iii, 3, PL 76, 867, 955, 959, 983.
[1054] In Ev. hom. 31, 8, PL 76,
1231-1232.
[1055] In Ev. ii,
Hom. 23, PL 76,
1183.
[1056] Moralia i, 6 ; iii,
13 ; xiii, 24, PL 75, 525,
612, 1029.
[1057] Moralia iii, 13 ; xviii,
19 ; xxx, 1, PL 75, 612,
616, 617 ; 76, 525 ; In Ez.
i, 6 ;
iii, 3, PL 76, 832, 955.
[1058] Sancta
Ecclesia electorum, cf. Moralia i, 26, 37, PL 75, 544 ;
v, 10, 19, col. 689, etc.
[1059] Cf. In Ez. hom. iii, 1 et v,
22, PL 76, 959 A et 997, etc.
[1060] In Ez. iv, 16 s., PL 76, 982 s.; In Ev. hom. 26, 5, col. 1285 ;
Moralia xiii, 8 et xxv,
8, 21,, PL 75, 1022 et 76, 333 D–334 A.
[1061] In Ev. hom. 38,
2, PL 76, 1282.
[1062] In Ev. hom. 32,
6, PL 76, 1236.
[1063] Lettre Consideranti mihi aux
patriarches (février 591), 1996 Denzinger 470.
[1064] L. Duschesne, cité par D. Diepen, op. cit. p.
170.
[1065] Voir D. Diepen, op. cit. p. 161-180.
[1066] Cf. DS, « Grégoire ».
[1067] Voir à ce sujet L. Bouyer, op. cit., p. 51-52.
[1068] Epistola ad Eulogium Alexandrinum, PL 77, 933 C.
[1069] Cf. Y. Congar, op. cit. p. 36.
[1070] Reg.
iii, 61.
[1071] Moralia
xxxi, 5-7, PL 76, 575-576.
[1072] Cf. Reg. i, 72 ; ii, 24 ; iii, 59 ; iv,
7 et 32 ; vi, 61 et
65 ; viii, 4 ; xi, 12. Voir cependant infra.
[1073] Cf. Cf. Moralia iv, 29,
56 ; xi, 13, 21 ; xxvi, 38, 53, PL 75, 666 D et
963 ; 76, 381. Le tyran, en revanche, se définit par l’orgueil (Moralia xii, 38, 43, PL 75, 1006).
[1074] Cf.
Reg. xiii, 11-12 ; texte
invoqué par Grégoire VII pour justifier la déposition d’Henri IV.
[1075] R/ de vigiles.
[1076] Ep. II, 40 à
Dominique de Carthage (23 juillet 592), SC 371, p. 404-405 (trad. modifiée).
[1077] Le premier évêque auquel il fut
conféré est S. Césaire.
[1078] Reg. iv, 33 et 41.
[1079] Pastoralis vitæ specimen et
regulam (liturgie).
[1080] Moral. XXX, 8.
[1081] 1e partie du Pastoral,
surtout chap. 5.
[1082] II, 6. — On reconnaît une formule empruntée par S. Benoît à S. Augustin.
[1083] Dial. ii, 23, PL 66, 180 ; cf. In Evang. hom.
26, 5, PL 76, 1200-1201.
[1084] L’auteur a parlé de l’éloquence
chrétienne dans les livres xxx-xxxi
des Moralia.
[1085] 1996 Denzinger 472 : Lettre O quam bona à l’évêque
Virgile d’Arles, 12 août 595.
[1086] Lettre à Pierre de Terracine, (mars 591), PL I, 35, SC 370, Lettres et registres I*, p. 183.
[1087] Lettre à Virgile d’Arles et Théodore
de Marseille (juin 591), PL I, 47, SC 370, p. 229.
[1088] Lettre Qui sincera à l’évêque
Paschase de Naples (novembre 602), 1996 Denzinger 479.
[1089] Réponse à une question d’Augustin, Registre des lettres, t. I**, SC 371, p.
493-495 (trad. revue).
[1090] Ep. I, 41 (avril
591), SC 370, p. 199.
[1091] Voir Y. Congar, L’Église…, p. 37 sq.
[1092] Convocatio, propter quod
omnes ad se vocat (Etym. VIII, 1, 1 puis 7 et 8 (PL 82, 293 D).
[1093] Etym. VIII, 1, 1 (PL 82, 293) ;
De eccl. officiis, I, 1, 3 (PL 83,
740) ; Quæst. in
Vet. Test., in Num. (PL 83,
347).
[1094] Etym. 1, 1.
[1095] De fide catholica II, 1, 3.
[1096] De eccl. officiis II, 26, 3 (PL 83, 823 B) ; Quæst. in vet. Test., in Lev. (col. 323 B–324 A) ; De fide catholica II, 24, 10 (col. 532
C).
[1097] Cf. Etym. VI, 19, nn. 38, 41-42 (PL 82, 255) ; De eccl. officiis
I, 15, 3 (PL 83, 753). — Ce rôle du Saint-Esprit dans le
sacrifice eucharistique est effectivement mis en valeur, non seulement par les
liturgies orientales, mais encore par la liturgie mozarabe, qui a inspiré notre
canon III.
[1098] Epist. ad Claudium ducem, trad. de D. Guéranger, in De la monarchie pontificale, p. 186.
[1099] Cf. J. Fontaine, « Saint Isidore
de Séville », in Théologie de la vie monastique,
notamment p. 366 sq.
[1100] De eccl. off. 1, 2,
PL 84, 777 C.
[1101] Sent. III, 18, 1,
col. 693 C.
[1102] D. Séjourné, cité par J. Fonatine p.
367.
[1103] Etym. VI, 16,
12-13, PL 82, 244, reproduit par Gratien.
[1104] Etym. VI, 16, 2-3,
PL 82, 243.
[1105] 1996 Denzinger 486.
[1106] 6e Concile de Tolède,
commencé le 9 janvier 638, 1996
Denzinger 488-493.
[1107] Qui n’est pas mentionné explicitement par
les écrivains wisigothiques, très isolés du reste de la chrétienté, mais dont
S. Léandre avait dû avoir connaissance.
[1108] 15e Concile de Tolède, commencé en 688, nn. 36-37, 1996 Denzinger 575.
[1109] In cant. IV, 4, PL 91, 1133 C.
[1110] De muliere forti, PL 91, 1039-1052.
[1111] De tabernaculo et vasis eius, PL 91, 393-398 ; De templo
Salomonis, col. 735-808.
[1112] In Cant. V, 6, PL 91, 1184.
[1113] In Cant. V, 5, PL 91, 1182 BC.
[1114] De
tabernaculo II, 8 PL 91, 447.
[1115] In cant. V, 6, PL 91, 1182 C.
[1116] In Luc. 2, 7, PL 92, 421,
etc.
[1117] In Cant. IV, 4, PL 91, 1139 D.
[1118] In Hexameron I, PL 91, 52 A.
[1119] In Hexameron I, PL 91, 52 CD ;
In Cant., col. 1141 B.
[1120] In Cant. III, 2 (PL 91, 1115).
[1121] PL 91, 477, 497, 518 D…
[1122] PL 91, 512, 826 ;
PL 92, 542 D–543 B ; PL 93, 49 CD.
[1123] Exp. Apoc., PL 93 195 CD.
[1124] In Cant. IV, PL 91, 1137.
[1125] In Apoc. II, 11 et III, 20, PL 93, 163 A et 191-192.
[1126] Distinguée de la clavis scientiæ, In Mt hom.
16, PL 94, 222.
[1127] Hist. eccl. III,
25, PL 95, 162 C et sq.
[1128] Vide infra S.
Maxime le Confesseur.
[1129] De nostris rectis dogmat. verit., orat. III, PG 89, 1340, trad. in Y. Congar, op. cit. p.
68-69, dont nous nous inspirons dans ce développement.
[1130] Synodique, PG
87/3, 3162. Ailleurs, il montre comment tout ce qui est arrivé au Christ nous
divinise (Orat. 1).
[1131] Sermon sur S. Pierre et S. Paul, col. 3356 C–3357 A, trad. C. von Schönborn, Sophrone de Jérusalem, p. 226-227,
que nous utilisons ici.
[1132]
[1133] PG 91, 657-717.
[1134] Cf. Quæst. ad Thalass. 63, PG 90, 665 B.
[1135] S. Maxime, Mystagogie 24.
[1136] F.-M. Léthel, Théologie de l’agonie du Christ, Beauchesne, Paris, 1979, que nous
utilisons dans ce développement.
[1137] Honorius : Lettre Scripta
fraternitatis au patriarche Serge de Constantinople, 634 (1996 Denzinger 486-487)
[1138] Ce qui n’empêchait pas Adam d’avoir
une volonté humaine : preuve que ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour
Honorius.
[1139] « L’une et l’autre forme opérait
ce qui lui est propre en communion avec l’autre ».
[1140] Trad. du P. Léthel, op. cit. p. 47.
[1141] Cf. Sophrone de Jérusalem… p. 92.
[1142] Cf. Tome à Flavien, ubi supra.
[1143] Cf. Chalcédoine.
[1144] Cf. Tome à Flavien, ubi supra.
[1145] Lettre Scripta dilectissimi filii
à Serge de Constantinople. (1996
Denzinger 487-488).
[1146] Même attitude, semble-t-il, dans une
lettre à Cyrus d’Alexandrie et Sophrone de Jérusalem, dont il ne reste que des
fragments, et où il cherche à éteindre la controverse mais ne formule aucune
erreur dogmatique
[1147] De fait, certains soutenaient à cette
époque que dans le Christ la volonté humaine avait pu s’opposer à la volonté
divine.
[1148] De même, plusieurs papes interdiront
tout débat public au sujet de l’Immaculée Conception, le sujet n’étant pas
encore mûr à l’époque. Nul n’a jamais songé à les accuser pour cela d’hérésie.
D. Guéranger commente : « Supposons que le concile du Vatican
vînt à rendre un décret portant que désormais on ne devra plus dire, ni que le
pape est infaillible, ni qu’il ne l’est pas, le P. Gratry prétendrait-il que le
concile aurait défini quelque chose sur l’infaillibilité du pape ? J’imagine
que non, ou alors il faudrait chager le langage et réformer toutes les
idées » (D. Guéranger, De
l’opportunité d’une définition de l’infaillibilité du pape, réponse à Mgr
Dupanloup, évêque d’Orléans, dans
Choisir les meilleurs textes : Dom Guéranger, Paris, 1937, p.
421-422).
[1149]De l’opportunité…., p. 418-422.
[1150] Lettre Dominus qui dixit, à
l’empereur Constantin III (Défense du
pape Honorius), printemps 641 (1996 Denzinger 497-498).
[1151] D. Guéranger.
[1152] Image de la source, classique depuis
S. Cyprien et appliquée explicitement à la papauté depuis la fin du ive siècle.
[1153] De la monarchie pontificale, p. 186.
[1154] Ibid. p. 188-189.
[1155] Trad. C. von Scönborn, Sophrone de Jérusalem, p.94. Voir le
reste de cette belle lettre au « Siège souverain et principal, où se
trouve le remède de la blessure qui a fondu sur nous » dans De la monarchie pontificale, p. 190-191.
[1156] Col. 3188 D–3189 A, trad. C. von
Schönborn, op. cit.
p. 95.
[1157] Nous traitons du contenu de ce concile
très remarquable en christologie.
[1158] Lettre à Thalassius, in F.-M. Léthel, op. cit. p.
106, que nous utilisons dans ce passage.
[1159] C’est le problème de l’identité ou de
la distinction entre Église et Église romaine, traité par le P. de La Soujeole,
commentant Dominus Iesus, dans
« Et pourtant elle subsiste », RT
2000/IV.
[1160] F.-M. Léthel, loc. cit.
[1161] In D.
Guéranger, De la monarchie pontificale, p. 92-193.
[1162] In F.-M.
Léthel, p.114.
[1163] In F.-M.
Léthel, p.120. Les actes
du procès de Maxime ont été traduits par J.-M. Garrigues dans RT 76/3, p. 410-452.
[1164] Accusé de haute trahison, S. Martin Ier
avait, après trois mois de prison, été soumis à un procès spectaculaire,
insulté, dégradé et expédié en Chersonèse, où il était mort de misère, de froid
et des mauvais traitements reçus, en 655.
[1165] De la monarchie pontificale, p. 193.
[1166] In De la monarchie pontificale, p. 194-195.
[1167] Cité par Y. Congar, op. cit. p. 78.
[1168] iiie concile de Constantinple, 1996
Denzinger 563.
[1169] Opportunité d’une définition, p. 424.
[1170] Cf. S. Maxime, Conférence avec Pyrrhus, PG 91, 137-140.
[1171] S’il ne développe guère le thème du
corps mystique, il affirme nettement que le Verbe a assumé une humanité
individuelle, ce qui exclut toute ambiguïté dans la manière
dont il entend l’inclusion ontologique de l’humanité dans le Christ et la
divinisation de l’homme par l’Incarnation.
[1172] Nous utilisons ici, entre autres,
l’article « Jean Damascène » du P. Jugie dans le DTC.
[1173] Procurée par le baptême, qui nous fait
«israélites et peuple de
Dieu » (De fid. orth. IV, 10,
Ponsoye p. 212), et l’eucharistie : « Si le sacrement est une union
avec le Christ et les uns avec les autres, il nous donne, de toute façon,
l’unité avec ceux qui le reçoivent avec nous » (IV, 13, PG 94, 1154).
[1174] Cf. De sacris ieiuniis.
[1175] PG 94, 1288 B, 1356 C.
[1176] Col. 1233, 1283, 1320, 1356.
[1177] De fide
orthodoxa IV, 10, trad. E. Ponsoye, p. 212.
[1178] Col. 1233 A.
[1179] Cf. De
hæresibus 6, col. 744 A.
[1180] Decl.
fidei 12, PG 95, 436.
[1181] Oratio 1
de cultu imaginum, PG 94, 1281.
[1182] Oratio 2
de cultu imaginum 12, PG 94, 1296-1297.
[1183] Oratio 2
de cultu imaginum 16, PG 94, 1304.
[1184] De fid.
orth. I, 3, col. 793.
[1185] De hæres. col. 733
D.
[1186] Epist. ad Cosmam, col. 524 B.
[1187] Contra Manichæos 11, col. 1516.
[1188] Homil. in Transfig. 2, 6, col. 548, 553-556.
[1189] Homil. in Transfig. 2, col.
548, M. Coune p. 188.
[1190] Homil. in Transfig. 6, PG 96, 553 D, trad. M. Coune, in Joie de la Transfiguration, p.
193-194.
[1191] Ibid. n° 9, col. 560 C, M. Coune p. 196.
[1192] N° 16, M. Coune
p. 204.
[1193] Fragm. in Matth., PG 9, 1412.
[1194] Et non, d’après le contexte, Germain
de Constantinople, comme l’avait pensé Lequien.
[1195] Col. 1233 C.
[1196] Canon des Apôtres 30.
[1197] Can. 4.
[1198] 2e concile de Nicée, 8ème session, 23 octobre 787 (1996
Denzinger 603).
[1199] Cf. É. Amann, article « Théodore
le Studite », DTC, col. 287-295,
et introduction de M.-H. Congourdeau dans l’édition des Petites catéchèses, collection « Les Pères dans la foi».
[1200] Ep. I, 33 et 34.
[1201] Ep. I, 33 Leoni papæ, PG 99, 1019, trad. de D.
Guéranger, De la monarchie pontificale
p.205-206.
[1202] Sa conception de l’icône est
« sobre et réaliste » ; sa christologie offre quelques tendances
nestorianisantes, mais reste à l’intérieur de l’orthodoxie. La christologie et
l’iconologie de S. Théodore Studite s’avèrent cependant plus profondes et plus
équilibrées (voir C. von Schönborn,
L’icône du Christ, p. 205-234). Dans l’iconoclasme, c’est encore de
l’Incarnation qu’il s’agit : « La confession de foi qui s’offre à nous
porte sur l’Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ. Donc, quiconque ne
confesse pas que notre Seigneur Jésus Christ est représenté en peinture,
celui-là ne confesse pas qu’il a été vu dans la chair ; car être vu dans
sa chair et être représenté en peinture, c’est la même chose » (Cat. 51, p. 125, éd. cit.).
[1203] Cf. Ep. II, 63.
[1204] Ep. II, 8,
62.
[1205] Ep. II, 13, Paschali papæ, PG 99, 1155, trad. de D.
Guéranger dans De la monarchie
pontificale, p. 206.
[1206] Ep. II, 129. Voir aussi
l’Ep. I, 33, à Léon III :
« Selon la pratique en vigueur dès l’origine, on n’a même pas le droit de
tenir un concile orthodoxe sans votre connaissance ».
[1207] « Il existe deux
fornications : l’une concerne la foi et l’autre le corps. Celui qui a été
pris par la communion avec les hérétiques, celui-là a forniqué à l’égard de
Dieu» (Petites catéchèses, cat. 3,
coll. « Pères dans la foi», p. 19).
[1208] Ep. II, 86, PG 99,
1131 D-1332 A. Traduction littérale du texte latin figurant dans De la monarchie pontificale, p. 207.
[1209] Ep.
II, 129 Leoni sacellario, PG 99,
1419.
[1210] Cf. J. Leroy, o. s. b.,
« Saint Théodore Studite », dans Théologie
de la vie monastique, p. 434 sq.
[1211] Fragment inédit, dans théologie
de la vie monastique, loc. cit.
[1212] Cat. 62, p. 144-145.
[1213] PG 99, 1061 C.
[1214] PG 99, 1049 C.
[1215] I. 32, voir Théologie de la vie monastique p. 436.
[1216] Cat. 3, éd cit p.
19.
[1217] Cat. 10,. p. 36.
[1218] Cat. 31, p. 82-83.
[1219] Cat. 52, p. 124.
[1220] Cat. 63, p. 147.
[1221] Voir Y. Congar, L’Église, p. 38 sq. ; A. Blaise, Le vocabulaire latin des principaux thèmes liturgiques, p. 488
sq. ; R. Michael-Schmitz, « L’ecclésiologie du Missale romanum », dans Aspects
historiques et théologiques du Missel romain, actes du Congrès du CIEL,
Versailles, novembre 1999.
[1222] Gel. III, 39 ;
Moz. L. sacr. 561.
[1223] Leon. 449 ;
756 ; Gel. III, 2 ; 56 ; Greg.
3, 3 ; 61, 4, et passim.
[1224] Moz. L. sacr. 246
et passim dans toute la liturgie
latine.
[1225] Greg. 51,
4, 5e dimanche ord.
[1226] Gel. III, 24, 1316
[1227]
[1228]
[1229] Leon. 972.
[1230] Greg. 198, 2.
[1231] Leon. 972.
[1232] Comme le Nouveau Testament encore, qui insiste sur le combat spirituel
des chrétiens, l’ancienne liturgie compare enfin l’Église à une armée. Elle
évoque, le jour des Cendres, les præsidia
militiæ christianæ[1232], désigne les martyrs comme les soldats
du Christ, Deus, tuorum militum.
[1233] Post-communion pour la messe de
dédicace dans le Sacramentaire gélasien du viiie
siècle.
[1234] Procope de Césarée, Des édifices, dans Y. Congar, op. cit. p. 73.
[1235] Sacr. Gel., actuellement au commun de
la dédicace (II).
[1236] Descendat… Spiritus tuus super hoc altare… (Greg. 196).
[1237] Greg. 85, 3.
[1238] Sacr.
[1239] Leon.
682.
[1240] Leon.
1116.
[1241] Moz. L.
sacr. 312.
[1242] Gel. I, 41,
405.
[1243] Exsultet.
[1244] Gel. I, 34, 309
[1245]
[1246]
[1247] Gel. Cagin
1807.
[1248] Leon. 398.
[1249] Gel. I,
78.
[1250] Canon, Gel. III,
17, 1244.
[1251] Gel. III,
101.
[1252] Gel. I,
41, 412-413.
[1253] Gel. III,
20.
[1254] Leon.
1040.
[1255] Gel. I,
59.
[1256] G 104, 5.
[1257] Var. : unum esse fecisti, Gel. I, 43,
239.
[1258] Greg. 110, 7.
[1259] Gel. I, 41.
[1260]
[1261] Greg. 200, 3 (par
la multiplication des baptêmes).
[1262] Gel. 1, 41, 41.
[1263] Préface des Apôtres.
[1264] Leon., PL 55, 53
(variante).
[1265] Hymne de none, semaine II (avant le vie siècle).
[1266] Leon. 954. Mais (summus) pontifex tend bientôt à
désigner le pape seul.
[1267] Dans le Sacramentaire léonin de mot
désigne tantôt le pontife romain (723), tantôt un autre évêque 963).
[1268]
[1269] Gel. I, 41, 402.
[1270]
[1271] Ibid., col. 52.
[1272] Leon. 348.
[1273] Cf. ibid.
[1274] Ibid., col. 55. — Dès l’époque de S.
Augustin, l’adjectif apostolicus tend
à se spécialiser pour désigner le
Siège de Pierre. Ainsi, le pape est le Domnus
apostolicus (litanies). Mais il peut encore s’appliquer à toute l’Église
catholique.
[1275] Hymne attribuée à Elpis, femme de
Boèce, fin ve-début vie siècle. Voir aussi
l’hymne Petrus beatus de Paulin II
d’Aquilée, Hymnaire, 22 février à
laudes.
[1276] Étymologiquement :
« héritage », part tirée au sort.
[1277] Leon. 954.
[1278] Leon. 952
[1279] Mot général qui tend à se spécialiser
pour désigner les diacres.
[1280] Leon. 950 ; Greg. 3, 3. Mais il s’agit d’une
métaphore littéraire.
[1281] Gel. I, 41, 404.
[1282] Cf. PM.
[1283]
[1284] Sacr. Gel.
[1285] Gel.
400.
[1286] Litanies
Divinæ pacis.
[1287] Deprecatio
Gelasii.
[1288] Moz. L., sacr. 944.
[1289] Gel. I, 44, 445.
[1290] Gel. I, 41,
408.
[1291]
[1292] Gel. I, 77, 623.
[1293] Hymne des vêpres de Pâques.…
[1294] Cf. Moz.
L., ord. 384) : de… actualis peccati
contagione.. redimantur.
[1295] Cf. par ex. Gel. III, 37 : ut… delicta nostra propitiatus absolvas.
[1296]
Cf. Gel. III, 39 : Qui nos… ab humanis retrahat excessibus.
[1297] Cf. Greg. 147, 3 : A nostris
iniquitatibus resurgamus.
[1298] Gel. III, 38 et passim.
[1299] Leon.
passim.
[1300] Gel.
147, 5.
[1301] Cf. Gel.
III, 40 : Sancta
tua nos, Domine, sumpta vivificent.
[1302] Gel.
III, 23.
[1303] Leon.
355.
[1304] Expositio
antiquæ liturgiæ gallicanæ, PL 72, 94