Les 10 QUESTIONS DISPUTÉES SUR LA PUISSANCE

(DE POTENTIA)

Saint Thomas d'Aquin

Docteur de l'Eglise

Texte, traduction et notes

© Raymond Berton, Docteur en Philosophie

Première édition numérique, http://www.tradere.org Février 2004

Deuxième édition numérique http://docteurangelique.free.fr Janvier 2005

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

Question 1: La puissance en Dieu_ 4

Article 1: Y a-t-il de la puissance en Dieu?_ 4

Article 2: La puissance de Dieu est-elle infinie?_ 17

Article 3: Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?_ 23

Article 4: Faut-il juger le possible et l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures?_ 31

Article 5: Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et abandonner ce qu'il fait?_ 36

Article 6: Dieu peut-il faire ce qui est possible à d'autres, comme pécher, marcher etc.?_ 45

Article 7: Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant?_ 50

Question 2: La puissance générative en Dieu. 53

Article 1: Y a-t-il une puissance générative en Dieu?_ 53

Article 2: Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la notion ?_ 64

En sens contraire. 65

Réponse. 66

Solutions: 68

Article 3: La puissance générative en son acte de génération procède-t-elle du pouvoir de la volonté?_ 71

Article 4: Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu?_ 81

Article 5: La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance?_ 87

Article 6: La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles identiques?_ 91

Question 3: La création qui est le premier effet de la puissance divine. 94

Article 1: Dieu peut-il créer de rien?_ 95

Article 2: La création est-elle un changement?_ 108

Article 3: La création est-elle une réalité dans la créature et si oui, quelle est-elle?_ 111

Article 4: Le pouvoir ou même l'acte de créer peut-il être communiqué à une créature?_ 116

Article 5: Est-il possible que quelque chose ne soit pas créé par Dieu?_ 132

Article 6: N'y a-t-il qu'un seul principe de création?_ 136

Article 7: Dieu agit-il dans l'opération de nature?_ 152

Article 8: Dieu opère-t-il dans la nature en créant, ce qui revient à chercher si la création est mêlée à l'opération de nature?  168

Article 9: L'âme rationnelle est-elle amenée à l'être par création, ou par transmission de la semence?_ 180

Article 10: L'âme rationnelle est-elle créée dans le corps ou hors du corps?_ 198

Article 11: L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par création ou par transmission de la semence?_ 209

Article 12: L'âme sensitive ou l'âme végétative sont-elles dans la semence dès le moment où elle est séparée?_ 221

Article 13: Un être qui dépend d'un autre peut-il être éternel?_ 227

Article 14: Ce qui est diffèrent de Dieu par essence peut-il être éternel?_ 230

Article 15: Les choses procèdent-elles de Dieu par nécessité de nature ou par le libre arbitre de sa volonté?_ 239

Article 16: La pluralité peut-elle procéder d'un premier être unique?_ 251

Article 17: Le monde a-t-il toujours existé?_ 268

Article 18: Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?_ 287

Article 19: Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?_ 298

Question 4: La création de la matière sans forme 301

Article 1: La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création dans la durée?_ 301

Article 2: La mise en forme de la matière a-t-elle eu lieu toute en même temps ou successivement?_ 327

Question 5: La conservation des créatures dans l'être par Dieu. 363

Article 1: Les créatures sont-elles conservées à l'être par Dieu ou même si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en l'être par elles-mêmes?_ 363

Article 2: Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi et sans lui?_ 375

Article 3: Dieu peut-il ramener la créature au néant?_ 377

Article 4: Une créature doit-elle retourner au néant, ou même y retournera-t-elle?_ 388

Article 5: Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?_ 394

Article 6: L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?_ 410

Article 7: Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?_ 417

Article 8: Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments?_ 426

Article 9: Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde?_ 431

Article 10: Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel?_ 438

Question 6: Les miracles 442

Article 1: Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours?  443

Article 2: Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature?  455

Article 3: Les créatures spirituelles peuvent-elles accomplir des miracles par leur pouvoir naturel?_ 461

Article 4: Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?_ 473

Article 5: Les démons aussi travaillent-ils à faire des miracles?_ 477

Article 6: Les anges et les démons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement?_ 483

Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?_ 498

Article 8: L'ange ou le démon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les opérations d'un corps vivant 506

Article 9: Faut-il attribuer le miracle à la foi?_ 511

Article 10: Les démons sont-ils forcés par des objets sensibles et corporels, des événements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques 520

Question 7: La simplicité de l’essence divine 527

Article 1: Dieu est-il simple?_ 528

Article 2: La substance ou l’essence en Dieu sont-elles la même chose que son être 535

Article 3: Dieu est-il dans un genre 542

Article 4: 'Bon', 'sage', 'juste' etc. attribuent-ils un accident à Dieu?_ 547

Article 5: Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?_ 553

Article 6: Ces noms sont-ils synonymes?_ 563

Article 7: Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière univoque ou équivoque?_ 569

Article 8: Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?_ 577

Article 9: De telles relations entre les créatures et Dieu sont-elles réellement en elles? i 582

Article 10: Dieu se réfère-t-il à la créature, de telle sorte que cette relation soit une réalité en lui?_ 587

Article 11: Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?_ 594

Question 8: Ce qu'on appelle relations éternelles en Dieu_ 597

Article 1: Les relations appelées éternelles en Dieu, rapportées par les noms de "Père" et "Fils", sont-elles réelles ou de raison seulement?_ 598

Article 2: La relation en Dieu est-elle sa substance?_ 606

Article 3: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?_ 614

Article 4: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?_ 619

Question 9: Les personnes divines 625

Article 1: Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase? 626

Article 2: Qu'est-ce que la personne?_ 631

Article 3: Peut-il y avoir une personne en Dieu?_ 638

Article 4: Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu1?_ 642

Article 5: Le nombre des personnes est-il en Dieu?_ 650

Article 6: Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au pluriel?_ 663

Article 7: Comment les termes numériques sont-ils attribués aux personne divines, est-ce positivement ou négativement seulement?  666

Article 8: Y a-t-il de la diversité en Dieu?_ 679

Article 9: En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins?_ 682

Question 10: Les processions des Personnes divines 700

Article 1: Y a-t-il une procession dans les personnes divines?_ 701

Article 2: En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs?_ 711

Article 3: L’ordre de la procession à la relation en Dieu_ 726

Article 4: L’Esprit saint procède-t-il du Fils?_ 729

 

 

Question 1: La puissance en Dieu

 

q. 1 pr. 1 Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia.

1. Y a-t-il de la puissance en Dieu?

q. 1 pr. 2 Secundo utrum potentia Dei sit infinita.

2. La puissance de Dieu est-elle infinie?

q. 1 pr. 3 Tertio utrum ea quae sunt naturae impossibilia, Deo sint possibilia.

3. Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?

q. 1 pr. 4 Quarto utrum iudicandum sit aliquid possibile vel impossibile, secundum causas inferiores vel superiores.

4. Faut-il juger du possible ou de l'impossible selon les causes inférieures ou les causes supérieures?

q. 1 pr. 5 Quinto utrum Deus possit facere quae non facit, et dimittere quae facit.

5. Dieu pourrait-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait?

q. 1 pr. 6 Sexto utrum Deus possit facere quae alii faciunt, ut peccare, ambulare, et cetera.

6. Peut-il faire ce que d'autres font, c'est-à-dire pécher, marcher, etc.?

q. 1 pr. 7 Septimo utrum Deus dicatur omnipotens.

7. Dit-on que Dieu est tout-puissant?

 

Article 1: Y a-t-il de la puissance en Dieu?

 

q. 1 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum in Deo sit potentia. Et videtur quod non.

 

Il semble que non[1].

 

Objections

q. 1 a. 1 arg. 1 Potentia enim est operationis principium. Sed operatio Dei, quae est eius essentia, non habet principium, quia neque est genita neque procedens. Ergo in Deo non est potentia.

1. La puissance est en effet le principe[2] de l'opération. Mais l’opération de Dieu, qui est son essence, n’a pas de principe[3], parce qu’elle n'est ni engendrée, ni dépendante. Donc en Dieu il n’y a pas de puissance.

 

q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne perfectissimum est Deo attribuendum, secundum Anselmum. Ergo quod respicit aliquid se perfectius, non debet Deo attribui. Sed omnis potentia respicit se perfectius, scilicet passiva formam et activa operationem. Ergo potentia Deo attribui non potest.

 

2. On doit attribuer à Dieu tout ce qu'il y a de plus parfait, selon Anselme (Monologium, XV[4]). Donc, on ne doit pas lui attribuer ce qui trouve plus parfait que soi. Mais toute puissance trouve plus parfait qu’elle, à savoir la forme pour la puissance passive, et l’opération pour la puissance active (Métaphysique, IX, 9, 1051 a 4-15). Donc on ne peut attribuer la puissance à Dieu.

 

q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, potentia est principium transmutandi in aliud secundum quod est aliud: secundum philosophum; sed principium relatio quaedam est; et est relatio Dei ad creaturas, prout significatur in potentia creandi vel movendi. Nulla autem talis relatio est in Deo secundum rem, sed solum secundum rationem. Ergo potentia non est in Deo secundum rem.

 

3. La puissance est le principe de changement dans un autre être en tant qu’autre, selon le Philosophe[5], (Métaphysique, V, 12, 1019 a 15-16[6]), mais ce principe est une relation et c’est la relation de Dieu à ses créatures, telle qu'elle est signifiée dans sa puissance à créer ou à mouvoir. Mais en Dieu, il n’y a aucune relation de ce genre en réalité, mais seulement en raison[7]. Donc, il n'y a pas réellement de puissance en Dieu.

 

q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, habitus est perfectior potentia, utpote operanti propinquior. Sed habitus non ponitur in Deo. Ergo nec potentia

4. L'habitus[8] est plus parfait que la puissance, en tant que plus proche de celui qui opère, mais on n’admet pas d’habitus en Dieu. Donc pas de puissance non plus.

 

. q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nihil debet in Deo significari per quod derogetur eius primitiae vel simplicitati. Sed Deus, in quantum est simplex, et primum agens, agit per essentiam suam. Ergo non debet significari agere per potentiam, quae saltem secundum modum significandi super essentiam addit.

5. On ne doit rien signaler en Dieu qui dérogerait à sa prééminence ou à sa simplicité. Mais Dieu, en tant qu'être simple et agent premier, agit par son essence. Donc, on ne doit pas signifier qu’il agit par une puissance qui, au moins, selon la manière de la signifier, ajoute à son essence.

 

q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, secundum philosophum, in perpetuis non differt esse et posse: multo minus ergo in divinis. Sed ubi est eadem res, debet esse idem nomen a digniori sumptum. Dignius autem est essentia quam potentia: quia potentia essentiae advenit. Ergo in Deo debet nominari essentia tantum, non autem potentia.

 

6. Selon le Philosophe (Physique, III, 4, 203 b 28[9]), dans ce qui est éternel, être et pouvoir ne diffèrent pas toujours; donc encore beaucoup moins en Dieu. Mais là où plusieurs choses sont identiques, il doit y avoir un nom identique pris de la plus digne. L’essence est plus digne que la puissance, parce que cette dernière s’ajoute à l’essence. Donc en Dieu, on ne doit désigner que l’essence seule et non la puissance [10].

 

q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut materia prima est pura potentia, ita Deus est purus actus. Sed prima materia secundum essentiam suam considerata, est denudata ab omni actu. Ergo Deus in essentia sua consideratus, est absque omnipotentia.

7. De même que la matière première[11] est puissance pure, de même Dieu est acte pur. Mais la matière première, considérée en son essence, est dénuée de tout acte. Donc Dieu, considéré en son essence, est dénué de toute puissance.

 

q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omnis potentia ab actu separata est imperfecta: et ita, cum nihil imperfectum Deo conveniat, talis potentia in Deo esse non potest. Si ergo in Deo est potentia, oportet quod semper sit actui coniuncta: et ita potentia creandi est coniuncta actui semper; et sic sequitur quod ab aeterno creavit res; quod est haereticum.

8. Toute puissance séparée de l'acte est imparfaite et ainsi, comme rien d’imparfait ne convient à Dieu, une telle puissance ne peut pas exister en lui[12]. Si donc il y a une puissance en Dieu, il faut qu’elle soit toujours jointe à l’acte, et si la puissance de créer est toujours jointe à son acte, il en découle alors qu’il a créé de toute éternité, ce qui est hérétique.

 

q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, quando aliquid sufficit ad aliquid agendum, superflue aliquid superadditur. Sed essentia Dei sufficit ad hoc quod Deus per eam aliquid agat. Ergo superflue ponitur in eo potentia per quam agat.

9. Quand quelque chose suffit pour agir, il est superflu d’ajouter autre chose. Mais l’essence de Dieu est suffisante pour qu’il agisse par elle. Donc il est superflu de lui ajouter une puissance pour agir.

 

q. 1 a. 1 arg. 10 Sed dices, quod potentia non est aliud quam essentia secundum rem; sed solum secundum modum intelligendi.- Sed contra, omnis intellectus cui non respondet aliquid in re est cassus et vanus.

10. Mais on pourrait dire que la puissance n’est pas en réalité autre chose que l’essence; mais seulement selon la manière de la comprendre. — En sens contraire, tout concept à quoi rien ne correspond dans la réalité est vide et vain.

 

q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, praedicamentum substantiae est nobilius aliis praedicamentis. Sed Deo non attribuitur, ut Augustinus dicit. Multo ergo minus praedicamentum qualitatis. Sed potentia est in secunda specie qualitatis. Ergo Deo attribui non debet.

 

11. La catégorie de substance[13] est plus noble que les autres catégories. Mais on ne l’attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (La Trinité. VII, 5, 10[14]). Donc on lui attribue encore moins la catégorie de qualité. Mais la puissance est dans la seconde espèce de qualité[15]. Donc on ne doit pas l’attribuer à Dieu.

 

q. 1 a. 1 arg. 12 Sed dices, quod potentia quae Deo attribuitur, non est qualitas, sed Dei essentia, sola ratione differens.- Sed contra, aut isti rationi aliquid respondet in re, aut nihil. Si nihil ratio vana est. Si autem aliquid in re ei respondet, sequitur quod aliquid in Deo sit potentia praeter essentiam, sicut ratio potentiae est praeter rationem essentiae

12. Mais on pourrait dire que la puissance, attribuée à Dieu, n’est pas une qualité mais son essence qui diffère en raison seulement. En sens contraire, à cette notion (ratio[16]), quelque chose correspond en réalité ou rien. Si ce n’est rien, la notion est vaine. Mais si quelque chose lui correspond en réalité, il s’ensuit que quelque chose serait en Dieu puissance en plus de l’essence, ainsi la notion de puissance est en plus de celle d’essence.

 

q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, secundum philosophum, omnis potestas et omne effectivum est propter aliud eligendum. Nullum autem huiusmodi Deo convenit: quia ipse non est propter aliud. Ergo potentia Deo non convenit.

 

13. Selon le Philosophe (Les Topiques, IV, 5, 126 b 5[17]) tout pouvoir et tout ce qui agit est en vue d'autre chose. Rien de ce genre ne convient à Dieu, parce qu’il n’est pas lui-même en vue d’une autre chose. Donc la puissance ne convient pas à Dieu.

 

q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus a Dionysio ponitur media inter substantiam et operationem. Sed Deus non agit per aliquod medium. Ergo non agit per virtutem; et ita nec per potentiam: et sic potentia non est in Deo.

 

14. Le pouvoir[18] est considéré par Denys (La hiérarchie céleste, XI, 284 D[19]) comme intermédiaire entre la substance et l'opération, Mais Dieu n’agit pas par un intermédiaire. Donc il n’agit pas par pouvoir, ni en conséquence par puissance. Et ainsi il n’y a pas de puissance en Dieu.

 

q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum potentia activa, quae soli Deo potest competere, est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud. Sed Deus agit sine transmutatione, sicut patet in creatione. Ergo Deo potentia activa attribui non potest.

 

15. Selon le Philosophe (Métaphysique IX, 1, 1046 a 10 - et V, 12, 1019 a 15-16) la puissance active, la seule qui peut convenir à Dieu, est le principe d’un changement en autre chose en tant qu’autre. Mais Dieu opère sans changement, comme cela apparaît dans la création[20] . Donc on ne peut pas lui attribuer la puissance.

 

q. 1 a. 1 arg. 16 Praeterea, philosophus dicit, quod eiusdem est potentia actionis et passionis. Sed potentia passionis Deo non convenit. Ergo nec potentia actionis.

 

16. Le Philosophe (Métaphysique, IX, 1, 1046 a 19) dit que la puissance active et la puissance passive sont de même nature. Mais cette dernière ne convient pas à Dieu. En conséquence la puissance active non plus.

 

q. 1 a. 1 arg. 17 Praeterea, philosophus dicit, quod potentiae activae est contraria privatio. Sed contraria nata sunt fieri circa idem. Cum ergo in Deo nullo modo sit privatio, non erit ibi potentia.

 

17. Le Philosophe (Métaphysique, IX, 1, 1046 a 29) dit que la privation est le contraire de la puissance active. Mais les contraires concernent un même genre. Donc, comme en Dieu il n’y a en aucune manière de privation, il n’y aura pas de puissance.

 

q. 1 a. 1 arg. 18 Praeterea, Magister dicit quod agere non proprie competit Deo. Sed ubi non est actio, ibi non potest esse potentia activa nec passiva, ut patet. Ergo nulla.

 

18. Le Maître des Sentences (II Sent., Dist. 1[21]) dit qu’agir n’appartient pas au sens propre à Dieu. Mais là où il n’y a pas d’action, il ne peut y avoir de puissance, ni active, ni passive, c'est évident. Donc pas de puissance en Dieu.

 

En sens contraire:

q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in Psalm. LXXXVIII, 9: potens es, domine, et veritas tua in circuitu tuo.

1. On lit dans le Ps. 88, 9: "Tu es puissant, Seigneur et ta Vérité t’entoure[22] ."

 

1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth. III, 9: potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae.

2. Mt. 3, 9: "Dieu a le pouvoir de faire naître de ces pierres des enfants à Abraham."

 

q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omnis operatio ab aliqua potentia procedit. Sed Deo maxime convenit operari. Ergo Deo maxime potentia convenit.

3. Toute opération procède d’une puissance. Mais il convient tout à fait à Dieu d’agir. Donc, la puissance lui convient tout à fait[23].

 

Réponse

 

q. 1 a. 1 co. Respondeo. Ad huius quaestionis evidentiam sciendum, quod potentia dicitur ab actu: actus autem est duplex: scilicet primus, qui est forma; et secundus, qui est operatio: et sicut videtur ex communi hominum intellectu, nomen actus primo fuit attributum operationi: sic enim quasi omnes intelligunt actum; secundo autem exinde fuit translatum ad formam, in quantum forma est principium operationis et finis.

Pour éclairer cette question, il faut savoir qu’on parle de la puissance à partir de l’acte. Or celui-ci est double: d'abord une forme et ensuite une opération[24]. Et d’après la manière générale de le comprendre[25], le nom d’acte a d’abord été attribué à l’opération. En effet, c’est ainsi que presque tout le monde comprend l’acte, mais ensuite il fut transmis à la forme, dans la mesure où elle est le principe de l’opération et sa fin.

 

Unde et similiter duplex est potentia: una activa cui respondet actus, qui est operatio; et huic primo nomen potentiae videtur fuisse attributum: alia est potentia passiva, cui respondet actus primus, qui est forma, ad quam similiter videtur secundario nomen potentiae devolutum. Sicut autem nihil patitur nisi ratione potentiae passivae, ita nihil agit nisi ratione actus primi, qui est forma. Dictum est enim, quod ad ipsum primo nomen actus ex actione devenit. Deo autem convenit esse actum purum et primum; unde ipsi convenit maxime agere, et suam similitudinem in alias diffundere, et ideo ei maxime convenit potentia activa; nam potentia activa dicitur secundum quod est principium actionis.

 

De la même manière, il y a aussi deux sortes de puissances: l’une est active, à quoi correspond l’acte en tant qu’opération; c’est à celle-ci d’abord que le nom de puissance paraît avoir été attribué; l’autre est la puissance passive à quoi correspond l’acte premier qui est la forme, à qui de la même manière le nom de puissance paraît avoir été dévolu en second. De même que rien ne subit sinon en raison de la puissance passive, de même rien n’agit qu’en raison de l’acte premier qui est la forme. Car il a été dit que le nom d’acte vient d'abord de l’action. Mais il convient à Dieu d'être acte pur et premier: il lui convient donc éminemment d’agir et de diffuser sa ressemblance dans les autres[26] et c’est pourquoi la puissance active lui convient tout à fait; car on l’appelle ainsi parce qu’elle est le principe de l’action.

 

Sed et sciendum, quod intellectus noster Deum exprimere nititur sicut aliquid perfectissimum. Et quia in ipsum devenire non potest nisi ex effectuum similitudine; neque in creaturis invenit aliquid summe perfectum quod omnino imperfectione careat: ideo ex diversis perfectionibus in creaturis repertis, ipsum nititur designare, quamvis cuilibet illarum perfectionum aliquid desit; ita tamen quod quidquid alicui istarum perfectionum imperfectionis adiungitur, totum a Deo amoveatur. Verbi gratia esse significat aliquid completum et simplex sed non subsistens; substantia autem aliquid subsistens significat sed alii subiectum.

Mais il faut savoir que notre esprit s'efforce d’exprimer Dieu comme un être absolument parfait. Et parce qu'il ne peut parvenir à lui que par une ressemblance dans ses effets et que dans les créatures, il ne trouve rien d'absolument parfait, exempt de toute imperfection, à partir des différentes perfections qu'il trouve dans les créatures, il s’efforce de le représenter, bien qu'il y ait quelque manque à chacune de ces perfections[27]. De sorte cependant qu'on exclut de Dieu entièrement ce qui d'imparfait est ajouté à une de ces perfections. Par exemple l’être désigne quelque chose de complet et de simple, mais de non subsistant; mais la substance signifie quelque chose de subsistant mais substrat pour un autre.

 

Ponimus ergo in Deo substantiam et esse, sed substantiam ratione subsistentiae non ratione substandi; esse vero ratione simplicitatis et complementi, non ratione inhaerentiae, qua alteri inhaeret. Et similiter attribuimus Deo operationem ratione ultimi complementi, non ratione eius in quod operatio transit. Potentiam vero attribuimus ratione eius quod permanet et quod est principium eius, non ratione eius quod per operationem completur.

Nous plaçons donc en Dieu la substance et l’être, mais la substance en raison de sa subsistance, non du fait d’être substrat[28], l’être en raison de sa simplicité et de sa perfection, non en raison de l’inhérence à un sujet[29]. Et de même nous attribuons à Dieu l’opération en raison de sa perfection ultime, non en raison de ce en quoi elle passe. Nous attribuons la puissance du fait qu'elle demeure et est son principe, mais non pas parce qu'elle est complétée par l'opération.

 

Solutions:

q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia non solum est operationis principium, sed etiam effectus; unde non oportet, quod si potentia in Deo ponitur quae sit effectus principium, quod essentiae divinae quae est operatio, sit aliquod principium. Vel dicendum, et melius, quod in divinis invenitur duplex relatio.

 

Una realis, illa scilicet qua personae ad invicem distinguuntur, ut paternitas et filiatio; alias personae divinae non realiter sed ratione distinguerentur, ut Sabellius dixit.

 

Alia rationis tantum, quae significatur, cum dicitur quod operatio divina est ab essentia divina, vel quod Deus operatur per essentiam suam. Praepositiones enim quasdam habitudines designant. Et hoc ideo contingit, quia cum attribuitur Deo operatio secundum suam rationem quae requirit aliquod principium, attribuitur etiam ei relatio existentis a principio, unde ista relatio non est nisi rationis tantum. Est autem de ratione operationis habere principium, non de ratione essentiae; unde licet essentia divina non habeat aliquod principium neque re neque ratione, tamen operatio divina habet aliquod principium secundum rationem.

# 1. La puissance est non seulement le principe de l’opération, mais aussi de l'effet[30]; c'est pourquoi, il ne faut pas, si on place en Dieu une puissance qui est le principe de l’effet, qu’elle soit un principe de l’essence divine, qui est l’opération. Ou pour mieux dire, on trouve en Dieu une double relation[31]:

 

a) une première relation réelle, c’est-à-dire celle par laquelle on distingue les personnes entre elles, comme la paternité et la filiation; autrement les personnes divines ne seraient pas distinguées réellement mais en raison, comme l'a dit Sabellius[32].

 

b) L’autre relation de raison[33] seulement, qu'on désigne, quand on dit que l’opération divine vient de (ab) son essence ou que Dieu opère par (per) son essence. Car ces prépositions désignent des relations. Et cela arrive, parce que, quand on attribue à Dieu une opération selon sa nature qui requiert un principe, on lui attribue une relation avec ce qui existe par ce principe. C'est pourquoi, cette relation n’est qu’en raison seulement. Mais il est de la nature de l’opération d’avoir un principe, non de celle de l’essence; c'est pourquoi, bien que l’essence divine n’ait pas de principe, ni en réalité, ni en raison, cependant l’opération divine a un principe en raison[34].

 

q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet omne perfectissimum sit Deo attribuendum, non tamen oportet quod omne illud quod Deo attribuitur, sit perfectissimum; sed oportet quod sit conveniens ad designationem perfectissimi, ad quod competit aliquid ratione suae perfectionis quod habet aliquid se perfectius, cui tamen deest illa quam aliud habet.

# 2. Bien qu'il faille attribuer tout ce qu'il y a de très parfait à Dieu, il ne faut pas cependant que tout ce qui lui est attribué le soit absolument[35], mais il faut que cela convienne pour désigner ce qui est très parfait, à quoi correspond une réalité en raison de sa perfection qui a plus parfait que lui, à qui cependant manque celle que l'autre possède[36].

 

q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia dicitur principium non quia sit ipsa relatio quam significat nomen principii sed quia est id quod est principium.

# 3. La puissance est appelée principe, non pas parce qu’elle est la relation même que signifie ce nom, mais parce qu’elle est ce qu'est un principe

 

q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod habitus numquam est in potentia activa, sed solum in passiva, et ea est perfectior: talis autem potentia Deo non attribuitur.

# 4. L’habitus n’est jamais dans la puissance active, mais seulement dans la puissance passive[37] et il est plus parfait qu’elle, aussi on n’attribue pas une telle puissance à Dieu.

 

q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ista sunt impossibilia, quod Deus ponatur agere per essentiam suam, et quod non sit in Deo potentia: hoc enim quod est actionis principium, potentia est: unde essentia divina ex hoc ipso quod ponitur Deus per ipsam agere, ponitur esse potentia. Et sic ratio potentiae in Deo non derogat neque simplicitati neque primitiae eius, quia non ponitur quasi aliquid additum essentiae.

# 5. Il est impossible de penser que Dieu agit par son essence sans penser qu’il y a de puissance en lui[38]. Car le principe de son action, c’est sa puissance; c'est pourquoi du fait qu’on pense que Dieu agit par son essence, on la pense comme puissance. Et ainsi la nature de la puissance en Dieu ne déroge ni à sa simplicité[39] ni à sa prééminence, parce qu’on ne la pense pas comme ajoutée à son essence.

 

q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur, quod in perpetuis non differt esse et posse, intelligitur passiva; et sic nihil facit ad propositum, quia talis potentia non est in Deo. Tamen quia verum est quod potentia activa est idem in Deo quod eius essentia, ideo dicendum, quod licet essentia divina et potentia sint idem secundum rem, tamen quia potentia maxime modum significandi addit, ideo speciale nomen requirit: nam nomina respondent intellectibus, secundum philosophum.

 

# 6. Quand on dit que être et pouvoir ne diffèrent pas dans ce qui est éternel, on le comprend de la puissance passive et ainsi, cela ne change rien à notre propos, puisqu’une telle puissance n’existe pas en Dieu. Cependant parce qu’il est vrai que la puissance active en Dieu est identique à son essence, il faut dire que, bien que l’essence divine et sa puissance soient identiques en réalité, cependant, parce que la puissance ajoute surtout une manière de signifier, elle requiert un nom spécial, car les noms répondent à ce que l’esprit conçoit, selon le philosophe (L'Interprétation[40], I, 16 a 4).

 

q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ratio illa probat quod in Deo non sit potentia passiva, et hoc concedimus.

# 7. Cet argument prouve qu'en Dieu il n’y a pas de puissance passive et cela nous le concédons.

 

q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod potentia Dei semper est coniuncta actui, id est operationi (nam operatio est divina essentia); sed effectus sequuntur secundum imperium voluntatis et ordinem sapientiae. Unde non oportet quod semper sit coniuncta effectui; sicut nec quod creaturae fuerint ab aeterno.

# 8. La puissance de Dieu est toujours jointe à un acte, c'est-à-dire à son opération (car l'opération est l’essence divine), mais les effets en découlent selon le pouvoir de sa volonté et l’ordre de sa sagesse. C'est pourquoi, il ne faut pas qu’elle soit toujours jointe à l’effet; ainsi les créatures n’auront pas existé éternellement.

 

q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod essentia Dei sufficit ad hoc quod per eam Deus agat, nec tamen superfluit potentia: quia potentia intelligitur quasi quaedam res addita supra essentiam, sed superaddit secundum intellectum solam relationem principii: ipsa enim essentia ex hoc quod est principium agendi, habet rationem potentiae.

# 9. L’essence suffit à Dieu pour agir et cependant sa puissance n’est pas superflue, parce qu’elle est comprise comme ajoutée à l’essence, mais elle surajoute seulement, en esprit, une relation de principe, car, l’essence elle-même, du fait qu’elle est le principe d’action, a nature de puissance.

 

q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod intellectui respondet aliquid in re dupliciter. Uno modo immediate, quando videlicet intellectus concipit formam rei alicuius extra animam existentis, ut hominis vel lapidis.

# 10. Quelque chose répond à l’esprit dans la réalité de deux manières[41]:

 

a) D’abord immédiatement, quand, par exemple, l’esprit[42] conçoit la forme de ce qui existe hors de l’âme comme celle d’homme ou de pierre.

 

Alio modo mediate, quando videlicet aliquid sequitur actum intelligendi, et intellectus reflexus supra ipsum considerat illud. Unde res respondet illi considerationi intellectus mediate, id est mediante intelligentia rei: verbi gratia, intellectus intelligit naturam animalis in homine, in equo, et multis aliis speciebus: ex hoc sequitur quod intelligit eam ut genus. Huic intellectui quo intellectus intelligit genus, non respondet aliqua res extra immediate quae sit genus; sed intelligentiae, ex qua consequitur ista intentio, respondet aliqua res. Et similiter est de relatione principii quam addit potentia supra essentiam: nam ei respondet aliquid in re mediate, et non immediate. Intellectus enim noster intelligit creaturam cum aliqua relatione et dependentia ad creatorem: et ex hoc ipso quia non potest intelligere aliquid relatum alteri, nisi e contrario reintelligat relationem ex opposito, ideo intelligit in Deo quamdam relationem principii, quae consequitur modum intelligendi, et sic refertur ad rem mediate.

 

b) D’une autre manière, indirectement, quand par exemple, un concept découle de l’acte d’intellection et que l’esprit le considère, en réfléchissant sur lui. C'est pourquoi, la chose correspond à cette considération de l’esprit indirectement, c’est-à-dire par le moyen de l’intellection de la chose: par exemple, l’esprit comprend la nature de l’animal dans l’homme, dans le cheval et dans beaucoup d’autres espèces. Il en découle que l’esprit les comprend comme genre. A cette conception par laquelle l’esprit comprend le genre, rien ne correspond immédiatement dans l’objet extérieur qui soit un genre, mais pour l’intelligence d’où découle ce concept répond une réalité. Et il en est de même de la relation de principe que la puissance ajoute à l'essence; car quelque chose lui correspond dans la réalité indirectement et non immédiatement. Car notre esprit comprend la créature en relation et en dépendance au créateur[43] et du fait qu'il ne peut comprendre une chose en rapport à une autre, à moins au contraire de comprendre de nouveau la relation, à son opposé, il comprend ainsi en Dieu une relation de principe, qui accompagne le mode de compréhension et ainsi notre esprit est indirectement en relation avec la réalité[44].

 

q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod potentia, quae est in secunda specie qualitatis, non attribuitur Deo: haec enim est creaturarum, quae non immediate per formas suas essentiales agunt, sed mediantibus formis accidentalibus: Deus autem immediate agit per suam essentiam.

# 11. Cette puissance, qui est dans la seconde espèce de qualité[45], n’est pas attribuée à Dieu, car c'est celle des créatures qui agissent non pas immédiatement par leurs formes essentielles, mais par l'intermédiaire de formes accidentelles. Mais Dieu agit par son essence sans intermédiaire.

 

q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod diversis rationibus attributorum respondet aliquid in re divina, scilicet unum et idem. Quia rem simplicissimam, quae Deus est, propter eius incomprehensibilitatem, intellectus noster cogitur diversis formis repraesentare; et ita istae diversae formae quas intellectus concipit de Deo, sunt quidem in Deo sicut in causa veritatis, in quantum ipsa res quae Deus est, est repraesentabilis per omnes istas formas; sunt tamen in intellectu nostro sicut in subiecto.

# 12. Aux diverses notions d'attributs correspond réellement quelque chose en Dieu, à savoir l'un et le même. Parce que notre esprit est forcé de représenter cet être absolument simple qu’est Dieu, à cause de son incompréhensibilité, par des formes diverses, et ainsi ces formes, que l’esprit conçoit à son sujet, sont en lui comme dans la cause de la vérité[46], en tant que ce qui est Dieu est représentable par toutes ces formes; elles sont cependant dans notre esprit comme dans un substrat.

 

q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod philosophus intelligit de potentiis activis et effectivis, et huiusmodi, quae sunt in artificialibus et in rebus humanis: nam nec etiam in rebus naturalibus verum est quod potentia activa sit semper propter suos effectus. Ridiculum enim est dicere, quod potentia solis sit propter vermes, qui eius virtute generantur; multo minus divina potentia est propter suos effectus.

# 13. Le Philosophe comprend au sujet des puissances actives et pratiques etc., celles qui sont dans les réalisations artistiques et les affaires humaines, car, dans les choses naturelles, il n’est pas vrai que la puissance active soit toujours en vue de ses effets. Il est ridicule de dire en effet que la puissance du soleil est pour les vers qui sont engendrés par son pouvoir[47]: la puissance divine est, beaucoup moins en vue de ses effets.

 

q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum quod potentia Dei non est media secundum rem, quia non distinguitur ab essentia, nisi ratione; et ex hoc habetur quod significetur ut medium. Deus autem non agit per medium realiter differens a se ipso: unde ratio non sequitur.

# 14. La puissance de Dieu n’est pas réellement un intermédiaire, parce qu’elle n’est distinguée de l’essence qu'en raison et de là vient qu’on la signifie comme intermédiaire. Mais Dieu n’agit pas par un intermédiaire différent réellement de lui-même. C'est pourquoi l’argument n’a pas de valeur pas.

 

q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod duplex est actio. Una quae est cum transmutatione materiae; alia est quae materiam non praesupponit; ut patet in creatione: et utroque modo Deus agere potest, ut infra patebit. Unde patet quod Deo recte potentia activa potest attribui, licet non semper agat transmutando.

# 15. L’action est double. L’une, avec changement de la matière, l’autre ne présuppose pas de matière, comme on le voit dans la création et Dieu peut agir de deux manières, comme cela apparaîtra plus loin[48]. Donc il est clair qu'on peut lui attribuer une puissance active, bien qu’il n’agisse pas toujours en opérant des changements.

 

q. 1 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod philosophus non loquitur universaliter, sed particulariter, quando scilicet aliquid movet se ipsum, sicut animal. Quando autem aliquid movetur ab altero, tunc non est eadem potentia passionis et actionis.

# 16. Le philosophe ne parle pas de manière universelle mais particulière[49], quand par exemple quelque chose se meut lui-même comme l’animal. Quand un être est mû par un autre, alors ce n’est pas la même puissance pour la passion et l’action.

 

q. 1 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod potentiae dicitur esse contraria privatio, scilicet impotentia; non tamen de contrarietate facienda est circa Deum mentio, quia nihil quod est in Deo, habet contrarium, cum non sit in genere.

# 17. On dit que la privation est le contraire de la puissance, c'est-à-dire que c'est l'impuissance: cependant on ne doit pas faire mention de contradiction en Dieu, parce que rien en lui n’a de contraire, puisqu’il n’est pas dans un genre.

 

q. 1 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod agere non removetur a Deo simpliciter, sed per modum rerum naturalium, quae agunt et patiuntur simul.

# 18. Agir n'est absolument pas refusé à Dieu, mais seulement par comparaison aux êtres naturels qui agissent et subissent en même temps.

 

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[1] Parall.: Ia, 25, 1, — CG. I, 16; II, 7-10 — 1 Sent. d42q1a1.— Pot. 7, 1 — In Méta 5, texte 17 — In Phys. III, texte 32.

 

[2] C’est le premier sens donné par Aristote (Métaphysique, V, 1, 1012 b 33): "Point de départ du mouvement (ici de l'opération), origine". "Le principe est ce dont quelque chose procède, de quelque manière que ce soit" (J. Elders, La Philosophie de la nature de saint Thomas d’Aquin, p. 45), soit donc dans l'ordre logique, ontologique ou chronologique.

 

[3] En Ia, 25, 1, obj.4, Thomas nous dit: "La cause et le principe sont une même chose." Mais précise-t-il (Pot. qu. 10, a. 1, ad 9) "le principe est plus commun que la cause; car la première partie du mouvement ou de la ligne est appelée principe mais pas cause. En quoi il apparaît qu’on peut dire que le principe est quelque chose qui n’est pas distinct de l’essence, comme le point de la ligne, mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause d’origine qu’est la cause efficiente." Pour Dieu, avoir un principe supposerait qu'il dépendrait d'un être supérieur à lui. De plus l'opération est son essence: "Donc rien n'est principe de son essence parce qu'elle n'est pas engendrée, et ne procède de rien" Cf. I Sent, d42qa1, obj. 4. Le mot principe évoque une idée de relation entre deux termes, alors que la cause exprime surtout une activité efficiente.

 

[4] "Il est impie (nefas) de penser que quelque chose de la nature suprême soit en quelque manière meilleur et il est nécessaire qu'elle soit absolument meilleure que ce qui n'est pas elle, car elle est la seule dont rien n'est tout à fait meilleur.." Monologium XV. Cité aussi par Bonaventure. L'axiome se retrouve plusieurs fois dans l'œuvre. Dans les dernières questions il est cité sans référence à Anselme. Ia, qu. 13, a. 3, donne les modalités propres à cette attribution.

 

[5] Pour Thomas et ses contemporains, par antonomase, le philosophe (par excellence) c'est Aristote.

 

[6] Définition classique de la puissance. (Métaphysique, Thomas, V, lectio 14). C’est à cette définition que se rattache la notion de toutes les puissances, en leur sens premier (Métaphysique, IX, 1, 1046 a 10).

 

[7] Il n’y a pas de relation réelle de Dieu à la créature, mais il y en a de la créature à Dieu. Thomas revient plusieurs fois dans cet article sur ce point de vue. Ce genre de relation sera explicité en Pot. qu. 7, a. 8, 9, 10, qu. 8. Cf. CG. II, 11 à 14.

 

[8] Habitus fait partie de ces mots difficiles à traduire en français (Cf. Ia/IIæ, qu. 49, et 50). Il n'est pas l'équivalent d'habitude, ni de possession. C'est une puissance plus achevée, intermédiaire entre l’acte et la puissance (Ia, qu. 14, a. 1, obj. 1), parce qu'elle vient parfaire la puissance. Or en Dieu, il n'y a pas de puissance passive. "On compare ceux qui ont des habitus à des gens qui dorment." (CG. I, 92, § 3) C'est en effet une possibilité, qui n'a pas toujours le pouvoir de passer de la puissance à l'acte. Les vertus et les vices sont des habitus. C'est la dernière catégorie de l'être et le neuvième et dernier accident. "Mais en Dieu l'acte est absolument parfait. Donc pas d'habitus". (CG. I, 56). En un autre sens (tiré de habere et non se habere comme le premier sens) c'est la possession.

 

[9] "…entre le possible et l'être il n'y a aucune différence, dans les choses éternelles." (Trad. H. Carteron) Thomas (n° 285) ajoute pas toujours. Texte cité à nouveau en Pot. 3, 14 et 9, 9, obj. 1.

 

[10] Si l’essence et la puissance sont identiques, on ne doit conserver que le nom de la plus noble, c'est-à-dire de l’essence. On supprime ainsi la distinction.

 

[11] La matière première est puissance passive seulement; le parallélisme entre la matière première (prima potentia) et l’acte pur est plus marqué en I Sent. d42q1a1, obj. 1: "L’acte premier se comporte vis-à-vis de la puissance comme la puissance première vis-à-vis de l’acte".

 

[12] L'objection est reprise en Pot. 2, 1, obj. 4, avec des conséquences différentes.

 

[13] Les catégories comprennent la substance et les neuf accidents. La substance n'est pas dans les accidents.

 

[14] "Dieu ne sert pas de sujet à quelque chose en lui…Donc il est interdit de dire qu'il subsiste" . § 2: appeler Dieu substance est une impropriété… "il est essence, terme juste et propre au point d'ailleurs que peut-être, le terme d'essence appartient à Dieu seul." (Trad. BA. 15 ). Car les substances les plus simples "sont la cause de ce qui est composé, au moins la substance première et simple qui est Dieu.". Dans la solution, Thomas ne répond pas directement au texte d'Augustin.

 

[15] Cf. Aristote, Catégories, 8, 9 a 13 ss. . Cf. Ia/IIæ, qu. 49, a. 1. La qualité est un accident et il n’y a pas d’accident en Dieu.

 

[16] Ratio a de nombreux sens (Thomas les énumère dans le Commentaire sur les Noms divins, ch. VII, lectio 5, n° 735). Il semble meilleur ici de distinguer deux traductions: la raison (pouvoir de connaissance quaedam cognoscitiva virtus) et la notion (la notion de puissance aliquid simplex abstractum a multis…), pour mieux comprendre la pensée de Thomas, même si c'est dans un même paragraphe.

 

[17] "Car toute puissance, tout possible et tout facteur de production n'est désirable qu'en vue d'autre chose." (Trad. J. Tricot, p.143, §1).

 

[18] Le sens de virtus est très proche de celui de puissance (active). (IIIa, qu. 1, a. 1, sc.: "…potentia Dei vel virtus…") "Il signifie la puissance à son plus haut degré." (A. Krempel, La doctrine de la relation chez saint Thomas, Paris, Vrin, 1952,, p. 183 et 213.) Il renvoie à l’Op de occultis operationibus naturae, n° 444, "…potentia secundum refertur ad ultimum in quo aliquid potest, acceptit nomen et rationem virtutis." Nous le traduisons le plus souvent par pouvoir, puisque Thomas emploie les deux mots quelquefois dans une même phrase ou un même paragraphe comme ici. Mais à cause de cet emploi, on a l’impression que par la suite, il ne parle plus tellement de puissance parce que la puissance divine correspond plus à virtus qu’à potentia. Ici le texte de Denys suggère le terme de puissance (voir note suivante).

 

[19] "Au sens de toutes les intelligence divines, on distingue en effet… trois qualités: l'essence, la puissance et l'acte" (Trad. M. de Gandillac).

 

[20] Bonaventure (I sent, d42a1q1.) donne à ce sujet plus d'importance que Thomas. Et pourtant l’objection est importante. La puissance telle que définit par Aristote ne convient pas à la création, puisqu’il n’y a pas de changement. La solution n’est pas convaincante.

 

[21] "Mais il faut savoir que ces mots: créer, faire, agir, ne peuvent être employés pour Dieu de la même manière qu'ils sont employés pour les créatures". L'argument se sert d'un texte interprété tendancieusement. Cf. Augustin, La Genèse au sens littéral, I, XVIII, 36: "…Dieu n'agit pas comme l'homme ou l'ange, par mouvements spirituels ou corporels qui se développent dans le temps" (Trad. P. Agaësse et A. Solignac; BA. 48.) L'action n'est pas refusée à Dieu mais seulement par comparaison aux créatures. – Pierre Lombard, évêque de Paris, a publié les Sentences entre 1145-1150.

 

[22] L’autorité tirée du Ps 88, 9 concerne plus la toute puissance, telle qu'elle est conçue dans l'AT que la puissance active, notion fortement imprégnée d'aristotélisme.

 

[23] Cf. le sed contra de I Sent. d42q1a1: "Tout effet est produit par la puissance de la cause efficiente. Mais Dieu est la cause efficiente des créatures. Donc il faut placer en lui la puissance". Il y a là un rapport qui n’est pas évoqué ici.

 

[24] Les deux sens de l'acte: forme, l'acte entitatif, et l'opération, l'acte opératif considéré comme second.

 

[25] Ex communi hominum intellectu: Emploi particulier du terme intellectus. Cf. J. Pesghaire, Intellectus et ratio d’après saint Thomas, p. 24.

 

[26] Ce sont deux conséquences de l'acte pur.

 

[27] Il y a ici un rapprochement évident avec la quatrième voie des preuves de l'existence de Dieu (Ia, qu. 2, a. 3). Le plus et le moins dans l'ordre qualitatif se dit par rapport à un maximum. Ici raisonnement sur la perfection, plus ou moins grande dans les créatures, maximale, absolue en Dieu.

 

[28] La substance n'est attribuée à Dieu que par analogie. Dieu est nécessaire et ne sert de support à aucun accident..

 

[29] L'inhérence est le propre de l'accident.

 

[30] Pour approfondir le sens de cette solution, on lira CG. II, 8, 9 et surtout 10 § 1. Thomas ajoute en Ia, qu. 25, a. 1, ad 3: "Donc ainsi on sauvegarde en Dieu la raison de la puissance du fait qu'elle est principe de l'effet, mais non du fait qu'elle est principe de l'action qui est son essence." Ce qui veut dire que la puissance est ce qui permet à Dieu d'étendre son action ad extra.

 

[31] L'action ad intra et ad extra est envisagée ici sous l'angle de la relation. La première en Dieu est réelle. Elle est par nécessité, l'autre est volontaire. La relation de Dieu à la créature est de raison et celle de la créature à Dieu est réelle (qu. 7, etc.).

 

[32] Sabellius est un Libyen, qui est à Rome vers 217. Il prêche le modalisme, et est condamné par le Pape Callixte. Le Sabellianisme, hérésie du IIIe et IVe siècle, est apparenté au Modalisme. Il désigne un même et unique Dieu sous trois noms différents. C’est dans les modalités de son action extérieure que Dieu prend une forme trinitaire.

 

[33] C’est le raisonnement qui la découvre mais elle n'est pas réelle.

 

[34] En Dieu il y a l’essence (sans principe), la puissance et l'opération Les deux dernières appartiennent à l'essence ("la puissance de Dieu est son essence", démontré en CG. II, 8). La puissance est son action et Dieu est acte lui-même, parce que la puissance n'est pas participée. Il n'y a rien de participé en Dieu (CG. II, 8, § 3), parce que la puissance est son être. Dieu est son être. Donc il est sa puissance (§4).

 

La puissance a une double relation: a) interne, en quelque sorte, à Dieu, puisqu'elle est principe de l'opération (qui est l'essence même de Dieu) b) externe, puisqu'elle est principe de l'effet produit par l'opération de Dieu en tant que cause. D'où la distinction entre l'action ad intra et ad extra par la puissance, étant donné la relation quasiment causale de la puissance à l'effet (le principe est proche de la cause et en relation avec l'effet.) Il distingue donc une relation réelle en Dieu (Trinité) et une relation "de raison" avec les créatures.

 

[35] C'est-à-dire ce qui n'est pas tout à fait parfait dans les créatures, mais peut l'être en Dieu.

 

[36] L’esprit humain se sert de ce qui est plus ou moins parfait pour concevoir une qualité absolument parfaite en Dieu, à condition que le terme le supporte, ou si cela correspond à une réalité en lui.

 

[37] Parce que par nature l'habitus n'est pas en acte.

 

[38] L'essence quand elle agit est aussi puissance (Cf. note 34).

 

[39] L'essence et la puissance sont une même chose, car Dieu est absolument simple. Cf. Pot. qu. 7, a. 1. Chaque fois que Thomas parle de simplicité, il faut considérer son texte comme une réponse à Avicenne.

 

[40] C'est-à-dire le Perihermeneias.

 

[41] L'esprit conçoit la réalité de trois manières.

 

a) Le concept répond immédiatement (sans intermédiaire) à l’objet extérieur. L’esprit conçoit l’image de cet objet, ou sa forme, "ce qui est conçu de ce nom ‘homme’". Le fondement est la chose réelle. "Une telle conception… par sa conformité avec l’esprit, fait que celle-ci est vraie et que le nom qui signifie ce concept est dit de la chose elle-même" (I Sent. d 2q1 a1) "Ce sont des étants complets comme l’homme ou la pierre." (I Sent. d19q5a1). Rapport avec la substance première et la substance seconde, Pot. 9, 1, note 4.

 

b) Le concept répond par l’intermédiaire d’une réflexion (conception seconde). Ce qui est conçu c'est l'abstraction, le genre, les concepts universels de temps, d’espace, de vérité, de substance, etc..

 

c) Le concept est complètement étranger au monde réel: c’est le fruit de l’imagination comme la chimère.

 

Ces trois conceptions sont évoquées en I Sent. d19q 5a1 et d30q1a3. Ici la troisième est omise, comme inutile. On retrouve les deux premières en Pot. qu. 7, a. 6 et la deuxième conception est signalée en Pot. qu. 7, a. 11: "…l’esprit découvre ces relations en considérant l’ordre qui est dans l’esprit pour ce qui est à l'extérieur, ou l’ordre des conceptions entre elles. (Cf. A. Krempel, La doctrine de la relation chez Thomas, p. 313 ss).

 

[42] Le mot qui peut le mieux traduire intellectus est intellect. Celui-ci est la faculté des êtres intellectuels sur le plan naturel (Cf. Ia, qu. 79, a. 10). "Intelligere enim est simpliciter veritatem intelligibilem apprehendere" C'est de l'extérieur que vient l'intelligible.par lequel l'intellectus possibilis est informé. (Cf. Floucat, L'intime fécondité de l'intelligence, p. 23.Mais c'est un mot peu facile à employer. Aussi nous le réservons en quelques cas à Dieu et nous traduisons le plus souvent par esprit, ce qui peut faciliter la lecture du texte. Mais il faut se souvenir de cette distinction. Dans le Commentaire des Sentences, Thomas emploie le plus souvent mens, ici dans des raisonnements semblables, il emploie exclusivement intellectus.

 

[43] "Notre manière humaine de connaître l'exigence d'une relation réelle entre Dieu et les créatures, relation descendante qui répondrait à une relation ascendante." (Geiger, La participation dans la philosophie de st Thomas d'Aquin, p. 182, note 1)

 

[44] "Ce passage fait comprendre "pourquoi nos concepts des relations de Dieu à nous manque de fondement objectif immédiat." A. Krempel, op.cit. p. 318.

 

[45] Cf. Ia / IIæ, qu. 49, a. 2, Cf. CG II, 8, § 5: La puissance en Dieu n'est pas celle qui appartient à la catégorie de qualité, qui est celle des créatures. Elle ne lui convient pas. Cf. Aristote , Les Catégories, 8, Les qualités, 9 a 15-20. Dans les créatures où la puissance n'appartient pas à la substance, elle est un accident.

 

[46] La vérité prend sa source en Dieu. "Omnis alia veritas est a prima veritate quae est Deus." (Verit. qu. 1, a. 8, sc 2.)

 

[47] Il s'agit de la génération dite spontanée, qui a une grande importance dans la science de l’époque.

 

[48] La première action, avec changement, est l'action naturelle, qui n'est jamais création pure, mais modification (l’œuvre artisanale), l'autre est la création ex nihilo par Dieu.

 

[49] Il semble qu'il faille entendre cette manière particulière comme celle qui s'applique aux créatures. De manière universelle elle s'appliquerait à Dieu et aux créatures. S'il y a puissance en Dieu, elle ne peut qu'être active, à la différence de la puissance dans les créatures.

 

 

Article 2: La puissance de Dieu est-elle infinie?

q. 1 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum potentia Dei sit infinita

Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections[1]:

1 q. 1 a. 2 arg. 1 Quia, ut dicitur in IX Metaph., frustra esset in natura aliqua potentia activa cui non responderet aliqua passiva. Sed potentiae infinitae divinae non respondet aliqua passiva in natura. Ergo frustra esset divina potentia infinita.

1. Parce que, comme il est dit en Métaphysique (IX, 1, 1046 a 18[2]), une puissance active serait vaine dans la nature si ne lui correspondait pas une puissance passive. Mais à la puissance divine infinie ne correspond pas de puissance passive dans la nature. Donc la puissance divine infinie serait sans raison.

q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea philosophus probat, non esse potentiam infinitam magnitudine infinita: quia sequeretur quod ageret in non tempore. Nam maior virtus agit in minori tempore: unde quanto virtus est maior, tanto tempus est minus. Sed potentiae infinitae ad finitam nulla est proportio. Ergo nec temporis in quo agit potentia infinita, ad tempus in quo agit potentia finita. Cuiuslibet autem temporis ad quodlibet tempus est proportio. Ergo cum potentia finita moveat in tempore, potentia infinita movebit in non tempore. Eadem ratione si potentia Dei est infinita, semper operabitur in non tempore; quod falsum est.

2. Le Philosophe prouve (Physique, VIII, 10, 266 a 24 Ð b 5) qu'il n'y a pas de puissance infinie de grandeur infinie, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle n'agirait pas dans le temps. Car un plus grand pouvoir agit dans un temps plus court; aussi, plus le pouvoir est grand, plus le temps est court. Mais il n'y a aucune proportion d'une puissance infinie à une puissance finie. Donc, non plus du temps dans lesquels agit la puissance infinie au temps dans lequel agit une puissance finie. Or d'un temps à un autre, il y a une proportion. Donc comme une puissance finie meut dans le temps, la puissance infinie le fera hors du temps. Par la même raison, si la puissance de Dieu est infinie, il opérera toujours hors du temps, ce qui est faux.

q. 1 a. 2 arg. 3 Sed dices, quod voluntas divina non determinat quanto tempore velit effectum suum compleri; et sic non oportet quod potentia divina semper agat in non tempore.- Sed contra, voluntas divina non potest immutare eius potentiam. Sed de ratione potentiae infinitae est quod agat in non tempore. Ergo hoc per voluntatem divinam immutari non potest.

3. Mais on pourrait dire que la volonté divine ne détermine pas en combien de temps elle veut que son effet soit accompli; et ainsi il ne faut pas que le puissance divine agisse toujours hors du temps. – En sens contraire, la volonté de Dieu ne peut pas modifier sa puissance. Mais il est de la nature d'une puissance infinie d'agir hors du temps. Donc cela ne peut pas être changé par la volonté divine.

q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnis potentia manifestatur per suum effectum. Sed Deus non potest facere effectum infinitum. Ergo potentia Dei non est infinita.

4. Toute puissance se manifeste par son effet. Mais Dieu ne peut pas produire un effet infini. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie.

q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, potentia proportionatur operationi. Sed operatio Dei est simplex. Ergo et potentia. Simplex autem et infinitum ad invicem repugnant. Ergo ut prius.

5. La puissance est proportionnée à l'opération. Mais l'opération de Dieu est simple. Donc sa puissance aussi. Mais le simple et l'infini s'opposent l'un à l'autre. Donc comme ci-dessus.

q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, infinitum est passio quantitatis, ut philosophus dicit. Sed Deus est absque quantitate et magnitudine. Ergo eius potentia non potest esse infinita.

6. L'infini est le support de la quantité, comme le dit Aristote (Physique, I, 2, 185 a 15 - b 33-34[3]), mais Dieu est sans quantité ni grandeur. Donc sa puissance ne peut pas être infinie.

q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, omne quod est distinctum est finitum. Sed potentia Dei est distincta a rebus aliis. Ergo est finita.

7. Tout ce qui est distinct est fini. Mais la puissance de Dieu est distincte des autres choses. Donc elle est finie.

q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, infinitum dicitur per remotionem finis. Finis autem est triplex; scilicet magnitudinis, ut punctus; perfectionis, ut forma; intentionis, ut causa finalis. Haec autem duo ultima, cum sint perfectionis, a Deo removeri non debent. Ergo divina potentia non debet dici infinita.

8. 0n parle d'infini si on exclut la fin. Mais la fin est triple: c'est-à-dire celle de la grandeur, comme le point; de la perfection comme la forme; de la fin comme la cause finale. Ces deux dernières, puisqu'elles concernent la perfection ne doivent pas être exclues de Dieu. Donc on ne peut pas dire que la puissance divine est infinie.

q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, si potentia Dei est infinita, hoc non potest esse nisi quia est effectuum infinitorum. Sed multa alia sunt quae habent effectus infinitos in potentia, ut intellectus, qui potest intelligere infinita in potentia, et sol qui potest producere effectus infinitos. Si ergo potentia Dei dicatur infinita, pari ratione et multae aliae erunt infinitae; quod est impossibile.

9. Si la puissance de Dieu est infinie, cela n'est possible que parce qu'il s'agit d'effets infinis. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui ont des effets infinis en puissance, comme l'esprit, qui peut comprendre l'infini en puissance et le soleil qui peut produire des effets infinis. Donc, si on dit que la puissance de Dieu est infinie, à raison égale, beaucoup d'autres choses seront infinies, ce qui est impossible.

q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, finis est quoddam ad nobilitatem pertinens. Sed omne quod est huiusmodi, rebus divinis debet attribui. Ergo potentia divina debet dici finita.

10. La fin a quelque rapport avec la noblesse. Mais tout ce qui est de ce genre doit être attribué à Dieu. Donc on doit dire que la puissance divine est finie.

q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, infinitum, secundum philosophum, est partis, et materiae: quae imperfectionis sunt, et Deo non conveniunt. Ergo nec infinitum est in potentia divina.

11. L'infini, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 26[4]), concerne la partie et la matière, qui sont imparfaites et ne conviennent pas à Dieu. Donc il n'y a pas d'infini dans la puissance divine.

q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum philosophum, terminus neque finitus neque infinitus est. Sed divina potentia est omnium rerum terminus. Ergo non est infinita.

12. Selon le Philosophe (Physique, I, 2, 185 b 16-18[5]), le terme n'est ni fini, ni infini. Mais la puissance divine est le terme de tout. Donc elle n'est pas infinie.

q. 1 a. 2 arg. 13 Praeterea, Deus agit tota potentia sua. Si ergo potentia eius est infinita, semper effectus eius erit infinitus; quod erat impossibile.

13. Dieu agit par toute sa puissance. Si donc elle est infinie, son effet sera toujours infini; ce qui était impossible.

En sens contraire

q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Damascenus, quod infinitum est quod neque tempore neque loco neque comprehensione finitur. Hoc autem convenit divinae potentiae. Ergo divina potentia est infinita.

1. Il y a ce que dit Jean Damascène (La foi orthodoxe, I, 4[6]): l'infini est ce qui est sans limite, ni dans le temps, ni le lieu, ni dans son appréhension[7]. Cela convient à la puissance divine. Donc la puissance divine est infinie.

q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius dicit: Deus immensae virtutis, vivens potestas, quae nusquam non adsit nec usquam desit. Omne autem immensum est infinitum. Ergo potentia Dei est infinita.

2. Hilaire dit (La Trinité, VIII, 24[8]): "Dieu d'immense pouvoir, puissance vivante, qui jamais n'est absente ni jamais ne manque". Tout ce qui est immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie[9].

Réponse

q. 1 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter. Uno modo privative; et sic dicitur infinitum quod natum est habere finem et non habet: tale autem infinitum non invenitur nisi in quantitatibus. Alio modo dicitur infinitum negative, id est quod non habet finem.

On parle de l'infini de deux manières.

a) D'une manière privative et ainsi on appelle infini ce qui est destiné à avoir une fin et n'en a pas; un tel infini ne se trouve que dans les quantités.

b) D'une autre manière, on parle d'infini de manière négative, c'est-à-dire de ce qui n'a pas de fin.

Infinitum primo modo acceptum Deo convenire non potest, tum quia Deus est absque quantitate, tum quia omnis privatio imperfectionem designat, quae longe a Deo est.

L'infini reçu en Dieu de la première manière ne peut pas convenir, d'une part parce qu'il n'y a pas de quantité en lui, d'autre part parce que toute privation désigne une imperfection, ce qui ne convient pas à Dieu.

Infinitum autem dictum negative convenit Deo quantum ad omnia quae in ipso sunt. Quia nec ipse aliquo finitur, nec eius essentia, nec sapientia, nec potentia, nec bonitas; unde omnia in ipso sunt infinita. Sed de infinitate eius potentiae specialiter sciendum est, quod cum potentia activa sequatur actum, quantitas potentiae sequitur quantitatem actus; unumquodque enim tantum abundat in virtute agendi quantum est in actu.

L'infini exprimé négativement convient à Dieu pour tout ce qui est en lui. Parce que lui-même n'est fini par rien, ni son essence, ni sa sagesse, ni sa puissance, ni sa bonté, non plus; c'est pourquoi tout en lui est infini. Mais à propos de l'infinité de sa puissance, il faut savoir spécialement que, puisque la puissance active suit l'acte, la grandeur de la puissance suit la grandeur de l'acte; car chaque chose est riche en pouvoir d'agir qu'autant qu'il est en acte.

Deus autem est actus infinitus, quod patet ex hoc quod actus non finitur nisi dupliciter. Uno modo ex parte agentis; sicut ex voluntate artificis recipit quantitatem et terminum pulchritudo domus. Alio modo ex parte recipientis; sicut calor in lignis terminatur et quantitatem recipit secundum dispositionem lignorum.

Dieu est aussi acte infini, ce qui paraît du fait que l'acte n'est fini que de deux manières:

a) Du côté de l'agent; ainsi la beauté de la maison reçoit de la volonté de l'artisan sa grandeur et sa destination.

b) Du côté de celui qui reçoit; ainsi la chaleur s'achève dans les morceaux de bois et reçoit son intensité de leur disposition[10].

Ipse autem divinus actus non finitur ex aliquo agente, quia non est ab alio, sed est a se ipso; neque finitur ex alio recipiente, quia cum nihil potentiae passivae ei admisceatur, ipse est actus purus non receptus in aliquo; est enim Deus ipsum esse suum in nullo receptum.

Mais l'acte divin même n'est limité par aucun agent, parce qu'il ne dépend pas d'un autre mais de lui-même, et il n'est pas limité par un autre qui le reçoit, parce que, rien en lui n'est mêlé à une puissance passive, il est acte pur, reçu en rien; car Dieu est son être même, reçu en rien[11].

Unde patet quod Deus est infinitus; quod sic videri potest. Esse enim hominis terminatum est ad hominis speciem, quia est receptum in natura speciei humanae; et simile est de esse equi, vel cuiuslibet creaturae. Esse autem Dei, cum non sit in aliquo receptum, sed sit esse purum, non limitatur ad aliquem modum perfectionis essendi, sed totum esse in se habet; et sic sicut esse in universali acceptum ad infinita se potest extendere, ita divinum esse infinitum est; et ex hoc patet quod virtus vel potentia sua activa, est infinita.

Par là, il apparaît que Dieu est infini: ce qu'on peut montrer ainsi: l'être de l'homme, en effet, se termine à son espèce, parce qu'il est reçu dans la nature de l'espèce humaine; et c'est pareil pour l'être du cheval ou celui de n'importe quelle créature. Mais comme l'être de Dieu n'est reçu en rien, mais qu'il est pur, il n'est pas limité à un mode de perfection d'être, mais il possède tout l'être en lui; et ainsi de même que l'être reçu en son sens universel peut s'étendre à l'infini, de même l'être divin est infini; et cela montre que son pouvoir ou sa puissance active[12] est infinie.

Sed sciendum quod quamvis potentia habeat infinitatem ex essentia, tamen ex hoc ipso quod comparatur ad ea quorum est principium, recipit quemdam modum infinitatis quem essentia non habet. Nam in obiectis potentiae, quaedam multitudo invenitur; in actione etiam invenitur quaedam intensio secundum efficaciam agendi, et sic potest potentiae activae attribui quaedam infinitas secundum conformitatem ad infinitatem quantitatis et continuae et discretae. Discretae quidem secundum quod quantitas potentiae attenditur secundum multa vel pauca obiecta; et haec vocatur quantitas extensiva: continuae vero, secundum quod quantitas potentiae attenditur in hoc quod remisse vel intense agit; et haec vocatur quantitas intensiva. Prima autem quantitas convenit potentiae respectu obiectorum, secunda vero respectu actionis. Istorum enim duorum activa potentia est principium.

Mais il faut savoir que, quoique la puissance possède l'infinité par l'essence, cependant du fait qu'elle est comparée à ce dont elle est le principe, elle reçoit un mode d'infinité que l'essence ne possède pas. Car dans ce qui présente de la puissance, on trouve une certaine pluralité; mais dans l'action aussi, on trouve un accroissement selon l'efficacité de l'action et ainsi on peut attribuer à la puissance active une infinité en conformité à l'infini d'une quantité continue et discrète. Discrète[13] selon que la quantité de la puissance est dirigée vers beaucoup ou peu d'objets; on l'appelle quantité extensive; continue, selon que la quantité de la puissance est poussée à agir doucement ou intensément et on l'appelle la quantité intensive. La première quantité convient à la puissance par rapport aux objets, la seconde par rapport à l'action. Car la puissance active est le principe des deux.

Utroque autem modo divina potentia est infinita. Nam nunquam tot effectus facit quin plures facere possit, nec unquam ita intense operatur quin intensius operari possit. Intensio autem in operatione divina non est attendenda secundum quod operatio est in operante, quia sic semper est infinita, cum operatio sit divina essentia; sed attendenda est secundum quod attingit effectum; sic enim a Deo moventur quaedam efficacius, quaedam minus efficaciter.

Des deux manières la puissance divine est infinie. Car jamais elle ne produit tant d'effets qu'elle ne puisse en produire davantage, et jamais elle n'opère de façon si intense qu'elle ne puisse opérer plus intensément. Mais l'intensité ne doit pas être établie dans l'opération divine selon que l'opération est dans celui qui opère, parce qu'elle est toujours infinie, puisque l'opération est l'essence divine; mais elle doit être établie selon qu'elle arrive à un effet; car certaines choses sont ainsi mues par Dieu plus efficacement, d'autres moins.

Solutions:

q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nihil quod est in Deo, potest dici frustra, quia frustra est quod est ad aliquem finem quem non potest attingere; Deus autem et quae in ipso sunt, non sunt ad finem, sed sunt finis. Vel dicendum, quod philosophus loquitur activa naturali. Res enim naturales coordinatae sunt ad invicem, et etiam omnes creaturae: Deus autem est extra hunc ordinem; ipse enim est ad quem totus hic ordo ordinatur, sicut ad bonum extrinsecum, ut exercitus ad ducem, secundum philosophum. Et ideo non oportet ut ei quod est in Deo, aliquid in creaturis respondeat.

# 1. Rien de ce qui est en Dieu ne peut être considéré comme vain, parce qu'est vain ce qui est en vue d'une fin qu'il ne peut atteindre. Mais Dieu, ainsi que ce qui est en lui, n'est pas en vue d'une fin, mais est la fin. Ou bien il faut dire que le Philosophe parle de puissance active naturelle. Car les choses naturelles sont coordonnées entre elles, toutes les créatures aussi: mais Dieu est hors de cet ordre; car lui-même est celui à quoi tout cet ordre est ordonné comme à un bien extrinsèque, comme l'armée est ordonnée au général, selon le Philosophe (Métaphysique, XII, 10, 1075 a 13). Et c'est pourquoi il ne faut pas que quelque chose dans les créatures corresponde à ce qui est en Dieu.

q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Commentatorem in VIII Physic., demonstratio illa de proportione temporis et potentia moventis procedit infinita in magnitudine, quae proportionatur infinito temporis cum sint unius generis determinati, scilicet continuae quantitatis, non autem tenet de infinito extra magnitudinem, quod non est proportionale infinito temporis, utpote alterius rationis existens. Vel dicendum, ut tactum est in obiiciendo, quod Deus quia agit voluntarie, mensurat motum eius quod ab eo movetur, sicut vult.

# 2. Il faut dire que, pour le Commentateur[14] (Physique, VIII, 10[15]), cette démonstration au sujet de la proportionnalité du temps et de la puissance du moteur, procède d'une puissance infinie en grandeur, proportionnée à un infini de temps, puisqu'ils sont d'un seul genre déterminé, à savoir de la quantité continue, mais elle ne tient pas d'un infini hors grandeur, qui est sans proportion avec l'infini du temps, du fait qu'il existe d'une autre manière. Ou il faut dire, comme cependant on l'a signalé dans l'objection, que parce qu'il agit volontairement, Dieu mesure le mouvement de ce qu'il meut, comme il le veut.

q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet voluntas Dei non possit mutare eius potentiam, potest tamen determinare eius effectum. Nam voluntas potentiam movet.

# 3. Quoique la volonté de Dieu ne puisse pas modifier sa puissance, il peut cependant déterminer son effet. Car c'est la volonté qui met en mouvement la puissance.

q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ipsa ratio facti vel creati repugnat infinito. Nam ex hoc ipso quod fit ex nihilo, habet aliquem defectum, et est in potentia, non actus purus; et ideo non potest aequari primo infinito ut sit infinitum.

# 4. La nature de l'objet fabriqué ou de la créature répugne à l'infini. En effet, ce qui est fait de rien a une imperfection et est en puissance et non acte pur; et c'est pourquoi, cela ne peut être égalé au premier infini pour être infini.

q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod infinitum privative dictum, quod est passio quantitatis, repugnat simplicitati, non autem infinitum quod est negative dictum.

# 5. L'infini dit privatif qui est ce qui supporte la quantité, s'oppose à la simplicité mais pas l'infini dit négatif.

q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa ratio procedit de infinito privative dicto.

# 6. Cette raison procède de l'infini dit privatif.

q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aliquid potest esse distinctum dupliciter. Uno modo per aliud sibi adiunctum, sicut homo distinguitur per rationalem differentiam ab asino, et tale distinctum oportet esse finitum, quia illud adiunctum determinat ipsum ad aliquid.

Alio modo per se ipsum; et sic Deus est distinctus ab omnibus rebus, et hoc eo ipso quia nihil addi ei est possibile; unde non oportet quod sit finitus neque ipse neque aliquid quod in ipso significatur.

# 7. Quelque chose peut être distinct de deux façons:

a) Par ce qui d'autre lui est ajouté, ainsi l'homme est distingué de l'âne par la raison et ce qui est distinct de cette façon doit être fini, parce que ce qui est ajouté, le limite à une chose.

b) Par soi-même. Ainsi Dieu est distingué de tout, et cela parce qu'il est impossible de rien lui ajouter; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit fini, ni lui-même ni rien de ce qui est signifié en lui.

q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod finis cum sit perfectionis, Deo nobilissimo modo attribuitur, scilicet ut ipse essentialiter sit finis, non denominative finitus.

# 8. Il faut dire que, comme la fin concerne la perfection, elle est attribuée à Dieu par le mode le plus noble, à savoir pour qu'il soit lui-même essentiellement la fin et qu'on ne le désigne pas comme fini.

q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut in quantitatibus potest considerari infinitum secundum unam dimensionem et non secundum aliam, et iterum infinitum secundum omnem dimensionem, ita et in effectibus. Possibile est enim aliquam creaturam posse producere effectus infinitos quantum est de se, secundum aliquid, utpote secundum numerum in eadem specie; et sic omnium illorum effectuum natura est finita, utpote ad unam speciem determinata, ut si accipiamus homines vel asinos infinitos. Non est autem possibile ut sit aliqua creatura quae possit in effectus infinitos omnibus modis et secundum numerum et secundum species et secundum genera; sed hoc solius Dei est, et ideo sola eius potentia est simpliciter infinita.

# 9. Dans les quantités, on peut considérer l'infini selon une dimension et non selon une autre, et à nouveau l'infini selon toute dimension; il en est de même pour les effets. Car il est possible qu'une créature puisse produire des effets infinis quant à elle, sous un rapport, par exemple, selon le nombre dans la même espèce; et ainsi la nature de tous ces effets est finie, en tant que limitée à une seule espèce, comme si nous admettions des hommes ou des ânes infinis. Mais il n'est pas possible qu'il y ait une créature qui puisse avoir des effets infinis de toutes les manières, selon le nombre, l'espèce et le genre; cela n'appartient qu'à Dieu seul et c'est pourquoi seule sa puissance est absolument infinie.

q. 1 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, sicut ad octavum.

# 10. Il faut dire comme pour la solution 8.

q. 1 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ratio illa procedit de infinito privative dicto.

# 11. Cette raison procède de l'infini dit privatif.

q. 1 a. 2 ad 12 Et similiter dicendum ad duodecimum.

# 12. Il faut dire de même.

q. 1 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus semper agit tota sua potentia; sed effectus terminatur secundum imperium voluntatis, et ordinem rationis.

# 13. Dieu agit toujours par toute sa puissance, mais son effet est limité selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de la raison.

 


[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 2- CG. I, 43 - I Sent. d43q1a1 – Comp. 18 - Phys. 8, lectio 23 - Métaphysique XII, lectio 8.

[2] "Il est donc manifeste que la puissance active et la puissance passive ne sont, en un sens, qu'une seule puissance (car un être est puissant, soit parce qu'il a lui-même la puissance d'être modifié, soit parce qu'un autre être a la puissance d'être modifié par lui), tandis que, en un autre sens, elles sont différentes." Trad. J. Tricot. Différentes parce que situé différemment. Cf. Thomas, lect. 21, n° 1146 ss.

[3] Physique, 1, 2, 185 a 32: "Or Mélissos dit que l'être est infini; l'être est donc une quantité; car l'infini est dans la quantité, mais la substance ne peut être infinie, ni la qualité, ni l'affection, si ce n'est par accident, existant à titre de telle ou telle quantité, car, dans la définition de l'infini, la quantité intervient...." (Trad. H. Carteron). Cf. Thomas I, lectio 3, n° 21.

[4] "...Il apparaît que l'infini rentre plutôt dans la notion de la partie que dans celle du tout; car la matière est partie du tout, comme l'airain l'est dans la statue d'airain." (Trad. H. Carteron).

[5] "...Maintenant si l'un est indivisible, on supprime quantité et qualité, alors l'être ne sera ni infini, comme le voulait Mélissos, ni fini comme le voulait Parménide." (Trad. H. Carteron).

[6] PG. 94, 79.

[7] Manière de le comprendre sous tous ses aspects. L'infini est insaisissable par l'esprit,en rapport avec le fait qu'on ne peut savoir qui est Dieu.

[8] PL. 10, 253 B.

[9] On trouve un Sed contra, basée sur le Ps. 144, 3: "Le Seigneur est grand et digne de toute louange et sa grandeur n'a pas de fin". en I Sent. D43q1a1 et CG. I, 43, § 16.

[10] "La distinction affirmée dans ce texte de deux manières au moins d'expliquer la limitation de l'acte, montre assez avec quels discernement il convient d'user du principe: actus finitur per potentiam. Non seulement il faut distinguer dans la notion d'acte par où elle s'oppose à la puissance dans l'ordre existentiel et l'aspect par lequel elle exprime une certaine plénitude dans l'ordre quodditatif, mais encore le rôle du sujet peut varier considérablement suivant son indépendance plus ou moins grande à l'égard de la cause productrice et l'action qu'il est capable d'exercer sur l'acte qu'il est censé concevoir." G.L.Geiger . La participation dans la philosophie de st Thomas d'Aquin, Paris, Vrin 1953, p. 394, note 1 et 2.

[11] "Ce qui a un esse absolu, en aucune manière reçu en quelque chose est tout à fait son être, cet être est absolument infini, et ses attributs sont infinis" (I Sent. d43q1a1.) "Tout acte, inhérent à un autre, reçoit sa limite... L'acte qui n'existe en rien n'est déterminé par rien. C'est le cas de Dieu, donc il est infini." (CG. I, 43, § 2). Cf. Les Noms divins, V, 1, n° 629. La démonstration fait appel à l'acte pur, reçu en rien sans dépendance.

[12] Un cas parmi d'autres où potentia et virtus sont employés dans une même phrase, tout en étant pratiquement synonymes.

[13] Quantité discrète: composée d'éléments séparés.

[14] Averroès. Né à Cordoue en 1126, mort à Marrakech en 1198. Il écrivit de nombreux commentaires sur Aristote, en essayant de revenir à la pure doctrine, sans le platonisme d'Avicenne.

[15] Cf. Aristote, Physique, VIII, 266 a 24 - b 5.

 

Article 3: Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?

 

q. 1 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum ea quae sunt naturae impossibilia, sint Deo possibilia. Et videtur quod non.

 

Il semble que non.

 

Objections[1]:

q. 1 a. 3 arg. 1 Dicit enim quaedam Glossa, Rom. XI, vers. 24, quod Deus cum sit auctor naturae non potest facere contra naturam. Sed ea quae sunt impossibilia naturae sunt contra naturam. Ergo Deus ea facere non potest.

1. Une glose[2], au sujet de Rm. 11, 24: ("Greffé contre nature..."), dit que, puisque Dieu est l'auteur de la nature, il ne peut pas agir contre elle. Mais ce qui est impossible à la nature est contre elle. Donc Dieu ne peut pas le faire.

 

q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut omne in natura necessarium est demonstrabile, ita omne impossibile in natura, est improbabile per demonstrationem. Sed in omni conclusione demonstrationis includuntur demonstrationis principia; in omnibus autem demonstrationis principiis includitur hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul vera. Ergo istud principium includitur in quolibet impossibili naturae. Sed Deus non potest facere quod negatio et affirmatio sint simul vera, ut respondens dicebat. Ergo nullum impossibile in natura potest facere.

. 2. Tout ce qui est nécessaire dans la nature peut être démontré, de même tout ce qui y est impossible ne peut pas être prouvé par démonstration. Mais les principes sont inclus dans toute conclusion d'une démonstration; donc dans toutes est inclus ce principe: "L'affirmation et la négation ne sont pas vraies en même temps". Donc ce principe est inclus dans tout ce qui est impossible dans la nature. Mais Dieu ne peut faire que la négation et l'affirmation soient vraies en même temps, comme un objecteur le disait. Donc il ne peut rien faire d'impossible dans la nature.

 

q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sub Deo sunt duo principia, ratio et natura. Sed Deus ea quae sunt impossibilia rationi, facere non potest, sicut quod genus non praedicetur de specie. Ergo nec illa quae sunt impossibilia naturae.

3. Il y a deux principes sous Dieu: la raison[3] et la nature. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible pour la raison, par exemple que le genre ne soit pas attribué à l'espèce. Donc il ne peut pas faire ce qui est impossible à la nature

 

q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut se habet falsum et verum ad cognitionem, ita se habet possibile et impossibile ad operationem. Sed illud quod est falsum in natura, Deus scire non potest. Ergo quod est impossibile in natura, Deus non potest operari.

4. De la même manière que le faux et le vrai se comportent par rapport à la connaissance, le possible et l'impossible le font par rapport à l'opération. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature[4]. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature.

 

q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, quando est simile de uno et omnibus, quod probatur de uno, intelligitur de omnibus esse probatum; sicut si probatur de uno triangulo, demonstrato quod habeat tres aequales duobus rectis, de omnibus intelligitur esse probatum. Sed similis ratio videtur de omni impossibili, quod Deus illud possit et non possit; tum ex parte facientis, quia divina potentia infinita est: tum ex parte facti, quia omnis res habet potentiam obedientiae ad Deum. Ergo si aliquod impossibile est naturae quod facere non possit, ut respondens dicebat, videtur quod nullum impossibile facere possit.

5. Quand la partie et le tout sont semblables, ce qui est prouvé pour la partie est compris comme prouvé pour le tout. Ainsi si on prouve, après démonstration, qu'un triangle a trois angles égaux à deux droits, on comprend que c'est prouvé pour tous les triangles. Mais une raison semblable paraît s'appliquer à tout ce qui est impossible, que Dieu le puisse ou ne le puisse pas; d'une part du côté de celui qui agit, parce que la puissance divine est infinie, d'autre part du côté de ce qui est fait, parce que toute chose a une puissance obédientielle à Dieu. Donc s'il y a quelque chose d'impossible à la nature qu'il ne puisse pas faire, comme celui qui a répondu le disait, il semble qu'il ne puisse rien faire d'impossible.

 

q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, II Timoth. II, 13, dicitur: fidelis Deus, qui se ipsum negare non potest. Negaret autem se ipsum, ut dicit Glossa, si promissum non impleret. Sicut autem promissum Dei est a Deo, ita omne verum est a Deo: quia, ut dicit Glossa Ambrosii I Cor. XII, 3, super illud: nemo potest dicere, dominus Iesus, omne verum, a quocumque dicatur, a spiritu sancto est. Ergo non potest facere contra aliquod verum. Faceret autem contra verum, si faceret aliquid impossibile. Ergo Deus non potest facere aliquid impossibile in natura.

6. En 2 Tm. 2,13, il est dit: "Le Dieu fidèle qui ne peut pas se nier lui-même...". Il se nierait lui-même, comme le dit la glose [interlinéaire[5]], s'il n'accomplissait pas ce qu'il a promis. De même que la promesse de Dieu vient de lui, de même toute vérité vient de lui, parce que, comme le dit la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) au sujet de I Co. 12, 3: "Personne ne peut dire, Seigneur Jésus...", toute vérité, qui que soit celui qui la dise, vient de l'Esprit Saint. Donc il ne peut pas agir contre la vérité. Il agirait contre elle, s'il faisait quelque chose d'impossible. Donc Dieu ne peut rien faire d'impossible dans la nature.

 

q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, Anselmus dicit, quod minimum inconveniens Deo est impossibile. Sed inconveniens esset quod affirmatio et negatio essent simul vera, quia intellectus esset ligatus. Ergo Deus non potest facere hoc; et ita non potest facere omnia impossibilia in natura.

7. Anselme dit (Cur Deus homo, livre 1, ch. 20[6]) que la plus petite inconvenance est impossible à Dieu. Mais il serait inconvenant que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que l'esprit aurait été lié. Donc Dieu ne peut pas le faire; et ainsi il ne peut pas faire tout ce qui est impossible dans la nature.

 

q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, nullus artifex potest operari contra artem suam: quia principium suae operationis est ars. Sed Deus faceret contra artem suam, si faceret aliquid impossibile in natura: quia naturae ordo, secundum quem illud est impossibile, est secundum artem divinam. Ergo Deus et cetera.

8. Aucun artisan ne peut opérer contre son art, parce que celui-ci est le principe de son opération. Mais Dieu agirait contre son art, s'il faisait quelque chose d'impossible dans la nature; parce que l'ordre de la nature, qui entraîne l'impossibilité, dépend de l'art divin. Donc Dieu, etc..

 

q. 1 a. 3 arg. 9 Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est impossibile per accidens. Sed Deus non potest facere quod est impossibile per accidens, scilicet quod id quod fuit non fuerit, ut patet per Hieronymum qui dicit, quod cum cetera Deus possit, non potest facere virginem de corrupta; et per Augustinum, et per philosophum. Ergo Deus non potest facere id quod est impossibile per se in natura.

 

9. Plus est impossible ce qui est impossible en soi que ce qui l'est par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident[7], par exemple que ce qui a existé ne l'ait pas été, comme on le voit chez Jérôme (Lettre à Eustochium sur la sauvegarde de la virginité) qui dit qu'encore que Dieu puisse toutes les autres choses, il ne peut pas rendre vierge celle qui est déflorée. Augustin (C. Faust. 26[8]) et le philosophe (Éthique, VI, 2, 1139 b 10[9]) le montrent aussi. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible en soi dans la nature[10].

 

En sens contraire[11].

q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Lucae I, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum.

1. En Lc (1, 37) il est dit: "Aucune parole[12] ne sera impossible à Dieu."

 

q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis potentia quae potest facere hoc et non illud, est potentia limitata. Si ergo Deus potest facere possibilia in natura, et non impossibilia, vel haec impossibilia et non illa, videtur quod Dei potentia sit limitata, quod est contra supra determinata. Ergo et cetera.

2. Toute puissance qui peut faire ceci et non cela est une puissance limitée. Si donc Dieu peut faire dans la nature ce qui est possible et ne pas faire ce qui y est impossible, ou certaines choses impossibles et non d'autres, sa puissance semble limitée, ce qui est contre ce qui a été expliqué ci-dessus[13] . Donc...

 

q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, omne illud quod non limitatur per aliquid quod est in re, per nihil quod est in re impediri potest. Sed Deus non limitatur per aliquid quod est in re. Ergo per nihil quod est in re potest impediri; et ita veritas huius principii: affirmatio et negatio non possunt esse simul, non potest impedire quin Deus possit facere. Et pari ratione de omnibus aliis.

3. Tout ce qui n'est pas limité par quelque chose de réel, ne peut être empêché par rien de réel. Mais Dieu n'est limité par rien de réel. Donc il ne peut être empêché par rien en réalité et ainsi la vérité de ce principe: "L'affirmation et la négation ne peuvent exister simultanément", ne peut pas empêcher que Dieu puisse agir. Et à raison égale pour tout le reste.

 

q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, privationes non suscipiunt magis et minus. Sed impossibile dicitur secundum privationem potentiae. Si ergo unum impossibile est quod Deus facere potest, ut caecum illuminare, videtur pari ratione quod potest facere omnia.

4. Les privations ne reçoivent ni plus ni moins. Mais on parle d'impossible en raison de la privation de puissance. Si donc il y a une seule chose impossible que Dieu peut faire, comme rendre la vue à un aveugle, à raison égale, il semble qu'il peut tout faire.

 

q. 1 a. 3 s. c. 5 Praeterea, omne quod resistit alicui, resistit in ratione alicuius oppositionis. Sed potentiae divinae nihil est oppositum, ut ex supra dictis patet. Ergo ei nihil potest resistere; et ita potest facere omnia impossibilia.

5. Tout ce qui résiste à quelque chose, lui résiste en raison d'une opposition. Mais rien n'est opposé à la puissance divine, comme on le voit dans ce qui a été dit ci-dessus. Donc rien ne peut lui résister et ainsi il peut accomplir tout ce qui est impossible.

 

q. 1 a. 3 s. c. 6 Praeterea, sicut caecitas opponitur visioni, ita virginitas partui. Sed Deus fecit quod virgo, manens virgo, pareret. Ergo pari ratione potest facere quod caecus, manens caecus, videat, et potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, et per consequens omnia impossibilia.

6. La cécité est opposée à la vision, comme la virginité à l'enfantement. Mais Dieu a fait qu'une vierge enfante, en demeurant vierge. Donc à raison égale, il peut faire que l'aveugle voit tout en demeurant aveugle et que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps et par conséquence il peut faire tout ce qui est impossible.

 

q. 1 a. 3 s. c. 7 Praeterea, difficilius est coniungere formas substantiales disparatas quam formas accidentales. Sed Deus coniunxit in unum formas substantiales maxime disparatas, scilicet divinam et humanam, quae differunt secundum creatum et increatum. Ergo multo amplius potest coniungere duas formas accidentales in unum, ut faciat quod idem sit album et nigrum: et sic idem quod prius.

7. Il est plus difficile d'unir des formes substantielles différentes que des formes accidentelles. Mais Dieu a réuni en un être les formes substantielles les plus éloignées, c'est-à-dire la forme divine et la forme humaine qui diffèrent en tant que créée et incréée. Donc il peut bien davantage unir deux formes accidentelles en une seule, pour faire qu'une même chose soit blanche et noire, et ainsi de même que plus haut[14].

 

q. 1 a. 3 s. c. 8 Praeterea, posito quod a definito removeatur aliquid quod cadat in eius definitione, sequitur contraria esse simul, sicut quod homo non sit rationalis. Sed terminari ad duo puncta est in definitione lineae rectae. Ergo si quis hoc removeat a linea recta, sequitur quod duo contraria sint simul. Sed Deus hoc fecit quando intravit ianuis clausis ad discipulos: tunc enim fuerunt duo corpora simul, et sic sequitur quod duae lineae fuerunt terminatae ad duo puncta tantum, et unaquaeque ad duo puncta. Ergo Deus potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, et per consequens potest facere omnia impossibilia.

8. Supposé qu'on exclut de ce qui est défini quelque chose qui tombe dans sa définition, il en découle que les contraires sont ensemble; ainsi que l'homme ne soit pas raisonnable. Mais la ligne droite est par définition terminée par deux points. Donc si on exclut cela de la ligne droite, il s'ensuit que deux contraires sont ensemble. Mais Dieu le fit quand il entra chez les disciples, les portes fermées: car il y eut deux corps en même temps, et ainsi il s'ensuit que deux lignes se sont terminées à deux points seulement, et chacune à deux points. Donc Dieu peut faire que l'affirmation et la négation soit vraies en même temps et par conséquence il peut faire tout ce qui est impossible.

 

Réponse

q. 1 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod, secundum philosophum, possibile et impossibile dicuntur tripliciter.

 

Uno modo secundum aliquam potentiam activam vel passivam; sicut dicitur homini possibile ambulare secundum potentiam gressivam, volare vero impossibile.

 

Alio modo non secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsum, sicut dicimus possibile quod non est impossibile esse, et impossibile dicimus quod necesse est non esse.

Il faut dire que, selon le Philosophe (Métaphysique, V, 12, 1019 b 23 ss.), on parle de possible et d'impossible de trois manières[15]:

 

a) Selon une puissance active ou passive; ainsi on dit qu'il est possible à un homme de marcher selon qu'il en a le pouvoir, mais voler lui est impossible.

 

b) Hors puissance mais en soi; ainsi nous appelons possible ce qui n'a pas l'impossibilité d'être et nous appelons impossible ce qui a nécessité de ne pas être.

 

Sciendum est ergo quod impossibile quod dicitur secundum nullam potentiam, sed secundum se ipsum, dicitur ratione discohaerentiae terminorum. Omnis autem discoherentia terminorum est in ratione alicuius oppositionis; in omni autem oppositione includitur affirmatio et negatio, ut probatur X Metaph.; unde in omni tali impossibili implicatur affirmationem et negationem esse simul. Hoc autem nulli activae potentiae attribui potest; quod sic patet. Omnis activa potentia consequitur actualitatem et entitatem eius cuius est.

 

Donc il faut savoir que l'impossible dont on parle hors puissance, mais en soi, est défini en raison de la contradiction des termes. Toute contradiction des termes vient d'une opposition: dans toute opposition sont incluses l'affirmation et la négation, comme c'est prouvé en Métaphysique (IV, 3, 1005 b 18[16]). C'est pourquoi en toute impossibilité de ce genre est impliqué que l'affirmation et la négation soient en même temps. Cela ne peut être attribué à aucune puissance active; ce qui paraît ainsi: toute puissance active suit l'actualité et l'entité de ce dont elle dépend.

 

Unumquodque autem agens est natum agere sibi simile; unde omnis actio activae potentiae terminatur ad esse. Etsi enim aliquando fit per actionem non esse, ut in corruptione patet, tamen hoc non est nisi in quantum esse unius non compatitur esse alterius, sicut esse calidi non compatitur esse frigidi; et ideo calor ex principali intentione generat calidum, sed quod corrumpat frigidum, hoc est ex consequenti. Hoc autem quod est affirmationem et negationem esse simul, rationem entis habere non potest, nec etiam non entis, quia esse tollit non esse, et non esse tollit esse: unde nec principaliter nec ex consequenti potest esse terminus alicuius actionis potentiae activae.

 

Tout agent est destiné à faire du semblable à soi: c'est pourquoi toute action d'une puissance active se termine à l'être. Car même si quelquefois par son action, cela devient du non être, comme cela se voit dans la corruption, cependant cela n'arrive que dans la mesure où l'être de l'un ne supporte pas celui de l'autre; ainsi l'être du chaud ne supporte pas celui du froid; et c'est pourquoi la chaleur tend principalement à engendrer le chaud, mais elle détruit le froid, en conséquence. Le fait que l'affirmation et la négation soient ensemble, ne peut avoir nature d'être, ni même de non être, parce que l'être enlève le non être et le non être enlève l'être: c'est pourquoi ni principalement, ni par conséquence, cela ne peut pas être le terme de l'action d'une puissance active.

 

Impossibile vero quod dicitur secundum aliquam potentiam potest attendi dupliciter.

 

Uno modo propter defectum ipsius potentiae ex se ipsa, quia videlicet ad illum effectum non potest se extendere, utpote quando non potest agens naturale transmutare aliquam materiam.

Ce qu'on désigne comme impossible selon la puissance peut être atteint de deux manières:

 

1) A cause de la défaillance de la puissance même par soi, parce qu'il est clair qu'elle ne peut parvenir à cet effet; par exemple quand l'agent naturel ne peut pas opérer un changement dans la matière.

 

alio modo ab extrinseco, utpote cum potentia alicuius impeditur vel ligatur. Sic ergo aliquid dicitur impossibile fieri tribus modis.

 

Uno modo propter defectum activae potentiae, sive in transmutando materiam, sive in quocumque alio;

 

alio modo propter aliquod resistens vel impediens;

 

tertio modo propter hoc quod id quod dicitur impossibile fieri, non potest esse terminus actionis.

2) De l'extérieur, par exemple, quand la puissance est empêchée ou liée. Ainsi donc, on dit qu'une chose devient impossible de trois manières:

 

a) A cause de la défaillance de la puissance active, soit dans la transformation de la matière, soit en tout autre chose d'autre.

 

b) A cause d'une résistance ou d'un empêchement.

 

c) Parce que ce qu'on dit impossible à réaliser ne peut pas être le terme de l'action.

 

Ea ergo quae sunt impossibilia in natura primo vel secundo modo, Deus facere potest. Quia eius potentia, cum sit infinita, in nullo defectum patitur, nec est aliqua materia quam transmutare non possit ad libitum; eius enim potentiae resisti non potest. Sed id quod tertio modo dicitur impossibile, Deus facere non potest, cum Deus sit actus maxime, et principale ens. Unde eius actio non nisi ad ens terminari potest principaliter, et ad non ens consequenter. Et ideo non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, nec aliquod eorum in quibus hoc impossibile includitur. Nec hoc dicitur non posse facere propter defectum suae potentiae: sed propter defectum possibilis, quod a ratione possibilis deficit; propter quod dicitur a quibusdam quod Deus potest facere, sed non potest fieri.

 

Donc ce qui est impossible dans la nature de la première ou de la deuxième manière, Dieu peut le faire. Parce que, comme sa puissance est infinie, elle ne souffre de défaillance en rien et il n'y pas de matière qu'il ne puisse transformer à sa guise, car elle ne peut résister à sa puissance. Mais pour l'impossible de la troisième manière, Dieu ne peut pas le faire, parce qu'il est acte au plus haut point et l'être principe. C'est pourquoi son action ne peut se terminer qu'à l'étant, et en conséquence au non étant. Et c'est pourquoi il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, ni rien dans ce en quoi cette impossibilité est inclue. Et on ne peut pas dire qu'il ne peut pas le faire à cause de la défaillance de sa puissance: mais à cause de la défaillance du possible, parce que celui-ci a perdu sa raison de possible, c'est pour cela que certains ont dit que Dieu peut le faire, mais cela ne peut pas être fait.

 

Solutions

q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini in Glossa illa non est intelligendum quod Deus non possit facere aliter quam natura faciat, cum ipse frequenter faciat contra consuetum cursum naturae; sed quia quidquid in rebus facit, non est contra naturam, sed est eis natura, eo quod ipse est conditor et ordinator naturae. Sic enim in rebus naturalibus videtur, quod quando aliquod corpus inferius a superiori movetur, est ei ille motus naturalis, quamvis non videatur conveniens motui quem naturaliter habet ex seipso; sicut mare movetur secundum fluxum et refluxum a luna; et hic motus est ei naturalis, ut Commentator dicit, licet aquae secundum se ipsum motus naturalis sit ferri deorsum; et hoc modo omnes creaturae quasi pro naturali habent quod a Deo in eis fit. Et propter hoc in eis distinguitur potentia duplex: una naturalis ad proprias operationes vel motus; alia quae obedientiae dicitur, ad ea quae a Deo recipiunt.

 

# 1. Par la parole d'Augustin dans cette glose, on ne doit pas comprendre que Dieu ne pourrait pas agir autrement que la nature, puisque lui-même fréquemment agit contre son cours habituel; mais parce que tout ce qu'il fait dans les choses n'est pas contre leur nature, mais c'est leur nature, du fait qu'il en est lui-même le créateur et l'ordonnateur. Ainsi dans ce qui est naturel, il semble que, quand un corps inférieur est mis en mouvement par un corps supérieur, ce mouvement lui est naturel, quoiqu'il ne paraisse pas convenir au mouvement qu'il possède naturellement de lui-même; ainsi la mer est mise en mouvement, selon le flux et le reflux, par la lune, et ce mouvement lui est naturel[17], comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde, III, com. 20), bien que le mouvement naturel de l'eau en lui-même la porte vers le bas et de cette manière ce que Dieu accomplit dans les créatures est pour ainsi dire naturel en elles. Et à cause de cela on distingue en elles une double puissance: l'une, naturelle pour les opérations ou les mouvements propres; l'autre qui est appelée obédientielle, pour ce qu'elles reçoivent de Dieu.

 

q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in quolibet impossibili implicatur affirmationem et negationem esse simul secundum hoc quod est impossibile; sed ea quae sunt impossibilia propter defectum potentiae naturalis, ut caecum, videntem fieri, vel aliquid huiusmodi, cum non sint impossibilia secundum se ipsa, non implicant huiusmodi impossibile secundum se ipsa, sed per comparationem ad potentiam naturalem cui sunt impossibilia, ut si dicamus, natura potest facere caecum videntem, implicatur praedictum impossibile, quia naturae potentia est terminata ad aliquid, ultra quod est id quod ei attribuitur.

# 2. N'importe quel impossible implique que l'affirmation et la négation sont ensemble, du fait que c'est impossible; mais ce qui est impossible à cause de la défaillance de la puissance naturelle, ainsi rendre la vue à un aveugle, ou autre chose de ce genre, puisque ce n'est pas impossible en soi, n'implique pas une telle impossibilité en soi, mais par comparaison à la puissance naturelle pour qui cela est impossible; comme si on disait: la Nature peut rendre la vue à un aveugle, cela implique une affirmation impossible, parce que la puissance de la nature est limitée à une chose au-delà de laquelle il y a ce qui lui est attribué.

 

q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibilia rationalis philosophiae non sunt secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsa: quia ea quae sunt in rationali philosophia, non sunt applicata ad materiam, vel ad aliquas potentias naturales.

# 3. Ce qui est impossible pour la philosophie rationnelle ne l'est pas selon une puissance, mais de soi, parce que ce qui est en cette philosophie n'est pas appliqué à la matière ou à des puissances naturelles.

 

q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod est falsum in natura, est falsum simpliciter, et ideo non est simile.

# 4. Ce qui est faux dans la nature est faux absolument et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est eadem ratio de omni impossibili: quia quaedam sunt impossibilia per se, quaedam per respectum ad aliquam potentiam, ut supra dictum est. Nec hoc quod dissimiliter se habent ad divinam potentiam, impedit infinitatem divinae potentiae, vel obedientiam creaturae.

# 5. Toute impossibilité n'est pas identique; parce que certaines choses sont impossibles en soi, certaines par rapport à une puissance, comme on l'a dit ci-dessus. Et ce qui se comporte différemment vis-à-vis de la puissance divine, n'entrave pas l'infinité de sa puissance, ni l'obédience de la créature.

 

q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus id quod iam verum est, non destruit; quia non facit ut quod verum fuit, non fuerit; sed facit quod aliquod non sit verum, quod alias verum esset. Sicut cum suscitat mortuum, facit quod non sit verum eum esse mortuum, quod aliter verum esset. Vel aliter dicendum, quod non est simile, quia ex hoc quod Deus non impleret promissum, sequeretur eum non esse veracem: ex hoc autem quod aliquem suum effectum destruit, hoc non sequitur: quia non ordinavit ut suus effectus perpetuo maneret, sicut ordinavit quod promissum impleret.

# 6. Dieu ne détruit pas ce qui est désormais vrai; parce qu'il ne fait pas que ce qui a été vrai n'ait pas été; mais il fait que quelque chose ne soit pas vrai, qui autrement serait vrai. Ainsi quand il ressuscite un mort, il fait que ce ne soit pas vrai qu'il soit mort, ce qui autrement serait vrai. Ou bien il faut dire autrement, ce qui n'est pas pareil; parce que du fait que Dieu n'accomplirait pas ce qu'il a promis, il en découlerait qu'il n'est pas véridique; mais cela ne découle pas du fait qu'il détruit un de ses effets, parce qu'il n'a pas disposé son effet pour demeurer toujours, de même qu'il a disposé qu'il accomplirait sa promesse.

 

q. 1 a. 3 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod illa opposita, creatum et increatum, non fuerunt in Christo secundum idem, sed secundum diversas naturas; unde non sequitur quod Deus potest facere opposita inesse eidem secundum idem.

# 7. Ces opposés, le créé et l'incréé, ne furent pas dans le Christ selon le même ordre, mais selon des natures différentes. C'est pourquoi il n'en découle pas que Dieu peut faire que des opposés soient dans le même être sous un même rapport.

 

q. 1 a. 3 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod quando Christus intravit ianuis clausis, et duo corpora fuerunt simul, non est aliquid factum contra geometriae principia. Nam ad duo puncta diversorum corporum ex una parte, non terminabatur una linea, sed duae. Quamvis enim duae lineae mathematicae non sint distinguibiles nisi secundum situm, ita quod intelligi non potest duas lineas tales simul esse; tamen duae naturales distinguuntur in subiecto; ita quod, posito quod duo corpora sint simul, sequitur quod duae lineae sint simul, et duo puncta, et duae superficies.

# 8. Quand le Christ est entré, les portes étant closes, deux corps furent ensemble, ce n'est pas quelque chose de fait contre les principes de la géométrie. Car en deux points des corps différents d'un côté se terminait une ligne mais pas deux. Car, quoique deux lignes mathématiques ne puisent pas être distinguées, sinon par le lieu, de sorte qu'on ne peut pas comprendre que deux lignes telles soient ensemble, cependant on distingue deux [lignes] naturelles dans le sujet, de sorte que, une fois les deux corps placés ensemble, il en découle que deux lignes sont ensemble, ainsi que deux points et deux surfaces.

 

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[1] Parall.: Ia, q. 25, a. 4 –CG. Il, 25 – I Sent. d42q2 – Qudl., V, q. 2 a, l – Éth., VI, 1. 2.

 

[2] Le texte en est donné en Pot. 6, 1, obj. 1: "Dieu, le créateur de toutes les natures, ne peut rien faire contre la nature."

 

[3] Il s'agit ici de logique en opposition à la réalité, les deux étant considérées comme parallèles.

 

[4] L'impossible, le faux, c'est-à-dire le non être, sont inconnaissables. Seul l'être est connaissable.

 

[5] Cet argument est repris en Pot. 3, 15, obj. 12, à propos de la bonté de Dieu.

 

[6] "Ce qui est impossible si Dieu n'a rien laissé sans ordre en son règne, mais cela est limité parce que n'importe quelle petite inconvenance est impossible en Dieu." PL 158, 392 A.

 

[7] Le syllogisme se trouve déjà en I Sent. d42q2a2: A propos de l'impossible par soi et l'impossible par accident; le premier est plus impossible que le second, mais, Dieu ne peut pas faire le deuxième. Donc encore plus le premier. C'est un argument contre Pierre Damien qui reconnaissait à Dieu le pouvoir de faire que ce qui a existé n'ait jamais existé. De divina omnipotentia, PL. 145, 620.

 

[8] C. Faustum, 26: "Celui qui dit: Dieu est tout puissant, qu'il fasse que ce qui est fait ne le soit pas, ne voit-il pas qu'en disant cela, il fait que ce qui est vrai par le fait même que cela est vrai, est faux."

 

[9] "Cela seul manque à Dieu, de faire que ce qui a été n'existe pas."

 

[10] Cf. Ia, qu. 25, a. 4, obj. 3. et I Sent. d42q2a3, obj. 3. On y lit: "Il est clair... que donner une conception à une vierge est impossible par nature." Problèmedéjà examiné par Pierre Damien. Quodl. V, qu. 2, Sed contra.

 

[11] Contrairement aux habitudes, certains des Sed contra ne représentent pas la pensée définitive de Thomas. On verra plus loin les limites à ces affirmations (Réponses aux arguments en sens contraire), qui peuvent paraître surprenantes au premier abord. On peut supposer que Thomas avait de bonnes raisons pour présenter ces objections, pour pouvoir en démontrer leur fausseté.

 

[12] Aucune parole, aucun "verbe". A propos de cette traduction, voir les Réponses aux arguments en sens contraire.

 

[13] a. 2. Sa puissance est infinie.

 

[14] C'est la liaison des deux propositions qui est mise en avant ici. Si Dieu peut unir deux formes aussi éloignées que la forme divine et la forme humaine, il peut faire la même chose pour le blanc et le noir. Mais la solution: l'union forme divine, forme humaine est différente de ce qui est annoncé. Donc la deuxième proposition: deux contraires ensemble n'est pas valable.

 

[15] Apparemment, il faut compter la puissance pour deux: puissance active et puissance passive.

 

[16] En Ia/IIæ, qu. 94, a. 2, on lit: "Ce qui est appréhendé en premier (par l'esprit), c'est l'étant dont l'intellection est incluse dans tout ce qu'on appréhende. Et c'est pourquoi le premier principe indémontrable est que affirmer et nier en même temps est impossible, ce qui se fonde sur la nature de l'étant et du non étant et tout le reste est fondé sur ce principe, comme il est dit en Métaphysique IV." Cf. I Sent. d42q2a3. c. § 1 Cf. Pot.1, 4. obj. 5, sol. 5. Cf. P.-C. Courtès, L'être et le non être, p. 134-135.

 

[17] Même argument en Pot. 4, 1, sol. 20.

 

Article 4: Faut-il juger le possible et l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures?

 

q. 1 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum sit iudicandum aliquid possibile vel impossibile secundum causas inferiores aut secundum causas superiores

Et videtur quod secundum superiores.        

Il semble que ce soit selon les causes supérieures:

Objections [1]:

q. 1 a. 4 arg. 1 Quia sicut dicit quaedam Glossa I Cor. I, 20: stultitia sapientium mundi fuit, quia iudicaverunt possibile et impossibile secundum quod videbant in rerum natura. Ergo non est iudicandum de possibili et impossibili secundum causas inferiores, sed secundum superiores.

1. Comme le dit la glose (interlinéaire) à propos de 1 Co. 1, 20: La sottise des sages de ce monde fut qu'ils jugèrent du possible et de l'impossible selon ce qu'ils voyaient dans la nature. Donc on ne doit pas en juger selon les causes inférieures, mais selon les causes supérieures.

q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, illud quod est primum in omni genere, est mensura omnium quae sunt illius generis. Sed divina potentia est prima potentia. Ergo secundum eam debet aliquid iudicari possibile et impossibile.      

2. Selon le philosophe (Métaphysique X, 1, 1052 b 18[2]) ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui appartient à ce genre. Mais la puissance divine est la première puissance. Donc c'est selon elle qu'on doit juger du possible et de l'impossible[3].

q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quanto causa magis influit in effectum, tanto secundum eam magis debet iudicium sumi. Sed causa prima magis influit in effectum quam causa secunda. Ergo secundum causam primam magis debet iudicari de effectu. Effectus ergo iudicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causas superiores.    

3. Plus une cause a d'influence sur l'effet, plus c'est sur elle qu'on doit baser son jugement. Mais la cause première influe plus sur l'effet que la cause seconde[4]. Donc c'est plus sur la cause première qu'on doit juger de l'effet. Donc les effets doivent être jugés possibles ou impossibles selon les causes supérieures.

q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, illuminare caecum est impossibile secundum causas inferiores; et tamen hoc est possibile, cum quandoque fiat. Ergo non est iudicandum si aliquid impossibile sit, secundum causas inferiores, sed secundum superiores.           

4. Rendre la vue à un aveugle est impossible par les causes inférieures et cependant cela est possible puisque cela arrive quelquefois. Donc il ne faut pas juger si quelque chose est impossible selon les causes inférieures mais selon les causes supérieures.

q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, mundum fore fuit possibile antequam mundus esset. Non autem fuit possibile secundum causas inferiores. Ergo idem quod prius.         

5. Que le monde existe a dû être possible avant qu'il existe[5]. Mais il ne fut pas possible selon les causes inférieures. Donc de même que ci-dessus.

 

En sens contraire:

q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Secundum illam causam effectus debet iudicari possibilis a qua recipit possibilitatem. Sed effectus recipit possibilitatem vel contingentiam, aut etiam necessitatem, a causa proxima, non autem a remota; sicut meritum recipit contingentiam a libero arbitrio, quod est causa proxima; non autem necessitatem a praedestinatione divina, quae est causa remota. Ergo secundum causas inferiores, quae sunt proximae, debet iudicari aliquid possibile vel impossibile.  

1. L'effet doit être jugé possible selon la cause dont il reçoit sa possibilité. Mais l'effet reçoit sa possibilité, sa contingence ou même sa nécessité de la cause la plus proche, et non d'une cause éloignée; ainsi le mérite reçoit sa contingence du libre arbitre qui est la cause la plus proche; mais il ne reçoit pas sa nécessité de la prédestination divine qui est sa cause éloignée. Donc c'est selon les causes inférieures, qui sont les plus proches, qu'on doit juger du possible ou de l'impossible.

q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quod est possibile secundum causas inferiores, est etiam possibile secundum causas superiores, et ita est possibile secundum omnem modum. Sed quod est possibile secundum omnem modum, est possibile simpliciter. Ergo secundum causas inferiores est aliquid iudicandum possibile simpliciter.           

2. Ce qui est possible selon les causes inférieures est aussi possible selon les cause supérieures, et ainsi c'est possible de toute manière. Mais ce qui est possible de toute manière est possible dans l'absolu. Donc il faut juger dans l'absolu du possible selon les causes inférieures.

q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, causae superiores sunt necessariae. Si ergo secundum eas essent iudicandi effectus, omnes effectus erunt necessarii: quod est impossibile.

3. Les causes supérieures sont nécessaires. Donc si les effets devaient être jugés selon elles, tous les effets seraient nécessaires, ce qui est impossible.

q. 1 a. 4 s. c. 4 Praeterea, Deo sunt omnia possibilia. Si ergo secundum ipsum possibile et impossibile iudicetur, omnino nihil est impossibile: quod est inconveniens.

4. Tout est possible à Dieu. Si donc on juge selon lui du possible ou de l'impossible, il n'y a absolument rien d'impossible; ce qui ne convient pas.

q. 1 a. 4 s. c. 5 Praeterea, nominibus utendum est secundum quod plures loquuntur. Sed hoc modo homines loquuntur, quod sint ita ordinatae, potentia, dispositio, necessitas et actus. Haec autem inveniuntur in causis inferioribus non superioribus. Ergo non est iudicandum de possibilitate rerum secundum causas superiores, sed secundum inferiores.

5. Il faut utiliser les noms que la plupart des hommes emploient. Mais les hommes parlent de la puissance de manière que la puissance, la disposition, la nécessité et l'acte soient ordonnés de telle sorte. Cela se trouve dans les causes inférieures et non dans les causes supérieures. Donc il ne faut pas juger de la possibilité selon les causes supérieures, mais selon les causes inférieures.

 

Réponse

q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod iudicium de possibili et impossibili potest considerari dupliciter: uno modo ex parte iudicantium; alio modo ex parte eius de quo iudicatur.  On peut juger du possible et de l'impossible de deux manières: d'abord du côté de ceux qui jugent, d'autre part de côté de ce qui est jugé.

Quantum ad primum, sciendum est, quod si sunt duae scientiae, quarum una considerat causas altiores, et alia minus altas; iudicium in utraque non eodem modo sumetur, sed secundum causas quas utraque considerat, ut patet in medico et astrologo; quorum astrologus considerat causas supremas, medicus autem causas proximas. Unde medicus dabit iudicium de sanitate vel morte infirmi secundum causas proximas, id est virtutem naturae et virtutem morbi; astrologus vero secundum causas remotas, scilicet secundum positionem siderum.

1) Pour le premier cas, il faut savoir que s'il y a deux sciences, dont l'une considère les causes les plus hautes, et l'autre les moins hautes, le jugement en l'une et l'autre n'est pas pris de la même manière, mais selon les causes que chacune considère, comme on le voit chez le médecin et l'astronome[6]; ce dernier considère les causes suprêmes, mais le médecin les causes les plus proches. Donc le médecin donnera son jugement sur la santé ou la mort du malade selon les causes les plus proches, c'est-à-dire le pouvoir de la nature et celui de la maladie; l'astronome jugera selon les causes éloignées, c'est-à-dire selon la position des astres.

Eodem modo est in proposito. Est enim duplex sapientia: scilicet mundana, quae dicitur philosophia, quae considerat causas inferiores, scilicet causas causatas, et secundum eas iudicat; et divina, quae dicitur theologia, quae considerat causas superiores, id est divinas, secundum quas iudicat. Dicuntur autem superiores causae, divina attributa, ut sapientia, bonitas, et voluntas divina, et huiusmodi.                     

Il en est de même pour notre sujet. Car la sagesse est double: c'est-à-dire celle du monde, qu'on appelle philosophie, qui considère les causes inférieures, c'est-à-dire les causes causées[7], et qui juge selon elles; et (la sagesse) divine qu'on appelle théologie qui considère les causes supérieures, c'est-à-dire divines, selon lesquelles elle juge. On appelle causes supérieures les attributs divins, comme la sagesse, la bonté, et la volonté[8], etc.

Sciendum tamen, quod ista quaestio frustra movetur de affectibus qui non possunt esse nisi superiorum causarum, id est quos solus Deus facere potest; illos enim non convenit dici possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores. Sed haec quaestio movetur de illis effectibus qui sunt causarum inferiorum: hi enim effectus sunt inferiorum et superiorum: sic enim potest in dubitationem verti. Similiter etiam ista quaestio non habet locum in illis possibilibus et impossibilibus, quae non dicuntur secundum aliquam potentiam, sed secundum se ipsa. Effectus autem causarum secundarum, de quibus est quaestio, secundum iudicium theologi, dicuntur possibiles et impossibiles secundum causas superiores; secundum autem iudicium philosophi, dicuntur possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores.

Cependant il faut savoir qu'on traite en vain cette question pour les effets qui ne peuvent être que par des causes supérieures, c'est-à-dire celles que Dieu seul peut faire; car il ne convient pas de les appeler possibles ou impossibles selon les causes inférieures. Mais on traite cette question pour ces effets qui viennent des causes inférieures; ainsi, en effet, elle peut être mise en doute. De la même manière cette question n'a pas place dans ce genre de possible ou d'impossible, dont on ne parle pas selon une puissance mais en soi. Les effets des causes secondes, dont il est question, selon le jugement du théologien, sont appelées possibles et impossibles selon les causes supérieures; mais selon le jugement du philosophe, elles sont appelées possibles ou impossibles selon les causes inférieures.

Si autem consideretur istud iudicium quantum ad naturam eius de quo iudicatur, sic patet quod effectus debent iudicari possibiles secundum causas proximas, cum actio causarum remotarum, secundum causas proximas determinetur, quas praecipue effectus imitantur: et ideo secundum eas praecipue iudicium de effectibus sumitur. Et hoc patet etiam per simile passiva. Nam materia non dicitur, proprie loquendo, in potentia ad aliquid, quae est remota, sicut terra ad scyphum; sed quae est propinqua, uno motore potens exire in actum, ut patet per philosophum, sicut aurum est potentia scyphus sola arte educente in actum. Et similiter effectus, in quantum est ex sui natura, non nisi propinquis causis possibiles vel impossibiles dicuntur.                                                    

2) Mais si on considère ce jugement quant à la nature de ce dont on le juge, il est clair ainsi que les effets doivent être jugés possibles selon les causes les plus proches, puisque l'action des causes éloignées est limitée par les causes les plus proches, que les effets imitent surtout et c'est pourquoi c'est à partir de ces effets qu'on tire surtout le jugement. Et il apparaît que c'est la même chose pour la puissance passive. Car on ne dit pas, à proprement parler, que la matière est en puissance à quelque chose, si elle en est éloignée comme l'argile pour une coupe, mais elle l'est pour celle qui est proche, qui peut par un moteur passer en acte[9] , comme on le voit chez le philosophe (Métaphysique IX, 1, 1046 a 12[10]). Ainsi l'or est une coupe en puissance par le seul art qui la conduit à l'acte. Et de même les effets, autant qu'il en est de leur nature, ne sont appelés possibles ou impossibles que par les causes proches.

Solutions:

q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum dicendum, quod sapientes mundi propter hoc stulti vocantur, quia quae secundum causas inferiores sunt impossibilia simpliciter et absolute impossibilia iudicabant, etiam Deo.   

# 1. Les sages de ce monde sont appelés des sots, parce qu'ils jugeaient simplement et absolument impossible même pour Dieu ce qui était impossible selon les causes inférieures.

q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod comparatio possibilis ad potentiam, non est sicut mensurati ad mensuram, sed sicut obiecti ad potentiam. Contingit tamen divinam potentiam omnium potentiarum esse mensuram.    

2. La comparaison du possible à la puissance n'est pas comme celle du mesurée à la mesure, mais comme celle de l'objet à la puissance. Cependant il arrive que la puissance divine soit la mesure de toutes les puissances[11].

q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet causa prima maxime influat in effectum, tamen eius influentia per causam proximam determinatur et specificatur; et ideo eius similitudinem imitatur effectus.       

# 3. Bien que la cause première soit celle qui influe le plus sur l'effet, cependant son influence est déterminée et spécifiée par la cause la plus proche; et c'est pourquoi l'effet est à sa ressemblance.

q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis illuminare caecum sit Deo possibile, non tamen potest dici omnino possibile.         

# 4. Quoique rendre la vue à l'aveugle soit possible à Dieu, on ne peut cependant le dire comme tout à fait possible[12].

q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod mundum fore, fuit possibile respectu causarum superiorum: unde hoc non pertinet ad quaestionem praesentem. Et propterea istud dictum: mundum fore, est possibile non solum secundum divinam potentiam activam, sed secundum se ipsum, quia termini non sunt discohaerentes.           

# 5. Il faut dire que le monde à venir a été possible par rapport aux causes supérieures: c'est pourquoi cela ne concerne pas la présente question. Et à cause de cela, cette parole: le monde à venir est possible non seulement selon la puissance divine active, mais en soi, parce que les termes ne sont pas contradictoires.

 

Réponses aux arguments contraires

q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Ad primum quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad naturam effectus de quo iudicatur.         

## 1. Cette raison procède de la nature de l'effet sur lequel porte le jugement.

q. 1 a. 4 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod licet illud quod est possibile secundum causas inferiores, sit etiam possibile secundum superiores, non tamen est ita de impossibili, immo magis e contrario; unde non sequitur quod iudicium debeat sumi universale sive universaliter secundum causas inferiores de possibili et impossibili.       

## 2. Bien que ce qui est possible, selon les causes inférieures, soit aussi possible selon les causes supérieures, cependant il n'en est pas de même pour l'impossible, bien au contraire. C'est pourquoi il n'en découle pas que le jugement doit être pris comme universel ou universellement selon les causes inférieures au sujet du possible et de l'impossible.

q. 1 a. 4 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod non iudicantur aliqua impossibilia vel possibilia secundum aliquas causas, quia sint similes illis causis in possibilitate vel in impossibilitate, sed quia causis illis sunt possibiles vel impossibiles.  

## 3. Le possible et l'impossible ne sont pas jugés selon des causes, parce qu'ils leur seraient semblables en possibilité et impossibilité, mais parce qu'ils sont possibles ou impossibles par ces causes.

q. 1 a. 4 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod secundum considerationem theologi, omnia illa quae non sunt in se impossibilia, possibilia dicuntur, secundum illud, Marc. IX, 22: omnia possibilia sunt credenti; et: non est impossibile apud Deum omne verbum: Luc. I, 37.          

## 4. Selon la considération du théologien, tout ce qui n'est pas en soi impossible est appelé possible, selon ce mot de Mc (9, 22): "Tout est possible à celui qui croit" et "Aucune parole n'est impossible à Dieu" (Lc 1, 37).

q. 1 a. 4 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod licet omnia illa in causis superioribus non inveniantur, tamen causis superioribus sunt subiecta; et propterea obiectio illa procedit passiva, non de activa de qua nunc loquimur.

# 5. Bien qu'on ne trouve pas tout cela[13] dans les causes supérieures, cependant cela est soumis à des causes supérieures et c'est pourquoi cette objection procède de la puissance passive et non de la puissance active dont nous parlons maintenant.

 


[1] Parall.: I Sent. d42q2a3 –Ia, 25, a.3, ad 4.

[2] L'essence de l'Un..."enfin et surtout, c'est être la mesure première de chaque genre." Cf. Thomas, lectio 2, n° 1938.

[3] Selon cet argument, la puissance divine serait la mesure de la possibilité. Cf. G Stolarski, La possibilité et l'être, p. 99.

[4] C'est la proposition I du De causis.

[5] Cela sera repris en Pot. qu. 3, a. 3 qui traite de la création. Les causes inférieures ne jouent pas puisque la création se fait à partir du néant. La solution ajoute cependant une condition supplémentaire.

[6] "Les astronomes (astrologus ou astrologues) peuvent prédire l'avenir en général mais pas dans les cas particuliers." (Ia, qu. 115, a. 4, ad 3) (Ils prévoient ce qui concerne l'astronomie, et pour le reste, les hommes peuvent résister à l'influence des astres).

[7] Ou causes secondes.

[8] Parce que c'est sa sagesse et sa bonté qui incitent Dieu à créer et il le fait selon sa volonté.

[9] Cf. I Sent. d42q2a3, c.

[10] "...la puissance passive c'est-à-dire dans l'être passif le principe du changement qui est susceptible de subir par l'action d'un autre être, ou de lui-même en tant qu'autre." (Cf. Thomas, lectio 1, n° 1773 ss.)

[11] "La puissance divine ne peut pas être la mesure des objets des autres puissances, parce que c'est l'objet de la puissance qui est appelé possible selon cette puissance. L'objet de la puissance est mesuré par elle-même, et jamais par l'autre puissance, même la puissance divine". Stolarski, p. 100 § 1.

[12] Cf. Pot. qu. 6, a. 1.

[13] C'est-à-dire puissance, disposition, nécessité (voir Sed contra).

 

 

Article 5: Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et abandonner ce qu'il fait?

 

q. 1 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum Deus possit facere quae non facit et dimittere quae facit. Et videtur quod non.

 

Il semble que non.`

 

Objections[1].

q. 1 a. 5 arg. 1 Deus non potest facere nisi quod praescit se facturum. Sed non praescit se facturum nisi quod facit. Ergo Deus non potest facere nisi quod facit.

1. Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire. Mais il ne prévoit de faire que ce qu'il fait. Donc Dieu ne peut faire que ce qu'il fait .

 

q. 1 a. 5 arg. 2 Sed dicit respondens, quod ratio ista procedit de potentia in ordine ad praescientiam, non de potentia absoluta.- Sed contra, immobiliora sunt divina humanis. Sed apud nos quae fuerunt, non possunt non fuisse. Ergo multo minus quae Deus praescivit, non potest non praescivisse. Sed praescientia manente, non potest alia facere. Ergo Deus, absolute loquendo, non potest alia facere quam quae facit.

2. Mais, dit celui qui répond: cette raison procède de la puissance en rapport avec la prescience, mais pas de puissance absolue. – En sens contraire, le divin est plus immuable que l'humain. Mais pour nous ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été. Donc encore beaucoup moins ce que Dieu a prévu, il ne peut pas ne pas l'avoir prévu. Mais si la prescience demeure, il ne peut pas faire autre chose. Donc Dieu, absolument parlant, ne peut faire autre chose que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut divina natura est immutabilis, ita et divina sapientia. Sed ponentes Deum agere ex necessitate naturae ponebant eum non posse alia quam quae fecit. Ergo similiter et nos debemus ponere, qui dicimus Deum agere secundum ordinem sapientiae.

3. La nature de Dieu est immuable, sa sagesse aussi. Mais ceux[2] qui pensaient que Dieu agissait par nécessité de nature pensaient qu'il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait. Donc, de la même façon, nous devons aussi le penser, nous qui disons que Dieu agit selon l'ordre de sa sagesse[3].

 

q. 1 a. 5 arg. 4 Sed dicet respondens, quod ratio ista procedit de potentia regulata per sapientiam, non de potentia absoluta. - Sed contra, illud quod non potest fieri secundum ordinem sapientiae absolute homini Christo impossibile dicitur; quamvis illud potuerit absoluta. Dicitur enim Ioan. VIII, 55: si dixero quod non novi eum, ero similis vobis mendax. Poterat enim Christus haec verba pronuntiare; sed quia contra ordinem sapientiae erat, dicitur absolute, quod Christus non potuerit mentiri. Ergo multo amplius quod non est secundum ordinem sapientiae, absolute loquendo, Deus non potest.

4. Mais dira celui qui nous répond: cette raison procède de la puissance ordonnée par la sagesse, non de la puissance absolue. – En sens contraire, on dit que ce qui ne peut pas être fait selon l'ordre de la sagesse est absolument impossible pour le Christ en tant qu'homme, bien qu'il l'aurait pu en puissance absolue. Car il est dit en Jn (8, 55): "Si je vous avais dit que je ne le connais pas, je serais menteur, comme vous". Le Christ pouvait, en effet, prononcer ces paroles; mais parce que c'était contre l'ordre de la sagesse, on dit de façon absolue qu'il n'a pas pu mentir. Donc beaucoup plus, Dieu ne peut pas, absolument parlant, ce qui n'est pas selon l'ordre de la sagesse.

 

q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in Deo duo contradictoria simul esse non possunt. Sed absolutum et regulatum contradictionem implicant; nam absolutum est quod secundum se consideratur; illud vero quod regulatur, ordinem ad aliud habet. Ergo in Deo non debet poni potentia absoluta et regulata.

5. Deux contradictoires ne peuvent exister en Dieu en même temps. Mais l'absolu et l'ordonné impliquent contradiction, car l'absolu est ce qui est considéré en soi, mais ce qui est ordonné a rapport à un autre. Donc en Dieu on ne doit pas poser une puissance absolue et une puissance ordonnée.

 

q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, potentia et sapientia Dei sunt aequales. Una ergo aliam non excedit; potentia ergo absque sapientia esse non potest; et ita potentia divina semper est sapientia regulata.

6. La puissance et la sagesse de Dieu sont égales. Donc l'une n'excède pas l'autre; donc la puissance ne peut exister sans la sagesse et ainsi la puissance divine est toujours ordonnée à la sagesse.

 

q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea, quod Deus fecit, est iustum. Sed non potest facere nisi iustum. Ergo non potest facere nisi quod fecit vel faciet.

7. Ce que Dieu a fait est juste. Mais il ne peut faire que ce qui est juste. Donc il ne peut faire que ce qu'il a fait ou fera.

 

q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, bonitatis divinae est ut non solum se communicet, sed ordinatissime se communicet. Sic ergo ea quae fiunt a Deo, ordinate fiunt. Sed praeter ordinem Deus facere non potest. Ergo non potest facere alia quam quae fecit.

8. Le propre de la bonté divine est non seulement de se communiquer, mais de le faire avec beaucoup d'ordre. Ainsi donc ce qui est fait par Dieu est fait de manière ordonnée. Mais il ne peut pas le faire contre l'ordre. Donc il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, Deus non potest facere nisi quod vult; quia in agentibus per voluntatem potentia sequitur voluntatem, velut imperantem. Sed non vult nisi quae facit. Ergo non potest facere nisi quod facit.

9. Dieu ne peut faire que ce qu'il veut, parce que, pour celui qui agit par volonté, la puissance suit la volonté, en tant qu'elle gouverne. Mais il ne veut que ce qu'il fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, Deus, cum sit sapientissimus operator, nihil agit sine ratione. Rationes autem quibus Deus agit, Dionysius dicit esse productivas existentium; existentia autem sunt quae sunt; et sic Deus rationes non habet nisi eorum quae sunt. Ergo non potest facere nisi ea quae facit.

10. Puisque Dieu est un "ouvrier" suprêmement sage, il ne fait rien sans raison. Denys (Les noms divins, 5) dit que les raisons[4] pour lesquelles Dieu agit, produisent ce qui existe; mais ce qui existe est ce qui est, et ainsi Dieu n'a de raisons que de ce qui est. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 11 Praeterea, secundum philosophos, res naturales sunt in primo motore, qui Deus est, sicut artificiata in artifice; et sic Deus operatur tamquam artifex. Sed artifex non operatur sine forma vel idea sui operis; domus enim quae est in materia, est a domo quae est in mente artificis, secundum philosophum. Sed Deus non habet ideas nisi eorum quae fecit, vel facit, vel facturus est. Ergo praeter hoc Deus nihil agere potest.

11. Selon les philosophes, les êtres naturels sont dans le premier moteur qui est Dieu, comme les oeuvres dans [l'esprit de] l'artisan et ainsi Dieu opère comme un artisan. Mais l'artisan n'opère pas sans forme ni idée de son oeuvre; car la maison qui est dans la matière tire son origine de la maison qui est dans l'esprit de l'artisan, selon le Philosophe (La génération des animaux, II, 1). Mais Dieu n'a d'idées que de ce qu'il a fait, de ce qu'il fait ou fera. Donc, en dehors de cela, Dieu ne peut rien faire.

 

q. 1 a. 5 arg. 12 Praeterea, Augustinus in Lib. de symbolo dicit: hoc solum Deus non potest nisi quod non vult. Sed non vult nisi quae fecit. Ergo non potest nisi quae facit.

12. Augustin dans Le symbole, dit: "Dieu ne peut pas que ce qu'il ne veut pas". Mais il ne veut que ce qu'il a fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 13 Praeterea, Deus mutari non potest. Ergo non se habet ad utrumlibet contrariorum; et sic sua potentia est determinata ad unum. Ergo non potest facere nisi quae facit.

13. Dieu ne peut pas subir de changement. Donc il n'a à faire à aucun de deux contraires; et ainsi sa puissance est limitée à un seul objet. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 arg. 14 Praeterea, quidquid Deus facit aut dimittit, facit aut dimittit optima ratione. Sed Deus non potest facere aliquid aut dimittere nisi optima ratione. Ergo non potest facere nec dimittere, nisi quod facit aut dimittit.

14. Tout ce que Dieu fait ou omet, il le fait ou l'omet pour la meilleure raison. Mais Dieu ne peut le faire ou l'omettre que pour la meilleure raison. Donc il ne peut faire ni abandonner que ce qu'il fait ou abandonne.

 

q. 1 a. 5 arg. 15 Praeterea, optimi est optima adducere, secundum Platonem, et sic Deus, cum sit optimus, optimum facit. Sed optimum cum sit superlativum, uno modo est. Ergo Deus non potest facere alio modo vel alia quam quae fecit.

15. C'est au meilleur d'être cause du meilleur selon Platon[5], et ainsi comme Dieu est le meilleur, il fait le meilleur. Mais comme le meilleur est un superlatif, il n'existe que d'une seule manière. Donc Dieu ne peut pas faire d'autre manière ou d'autre choses que ce qu'il a fait.

 

En sens contraire.

q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit Christus Deus et homo: Matth. XXVI, 53: an non possum rogare patrem? Poterat ergo Christus aliquid quod non faciebat.

1. Il y a ce que dit le Christ, Dieu et homme: (Mt. 26, 53): "Ne puis-je pas prier mon Père?" Donc le Christ pouvait faire ce qu'il ne faisait pas.

 

q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Ephes. III, 20, dicitur: ei qui potest omnia facere superabundanter quam intelligimus aut petimus. Non tamen omnia facit. Ergo potest alia facere quam quae facit.

2. En Ep. 3, 20, il est dit: "A celui qui peut tout faire bien au-delà de ce que nous pensons et demandons". C'est donc qu'il ne fait pas tout. Donc il peut faire d'autres choses que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, potentia Dei est infinita. Hoc autem non esset si determinaretur ad ea tantum quae facit: ergo potest alia facere quam quae facit.

3. La puissance de Dieu est infinie. Mais cela ne serait pas si elle était déterminée seulement à ce qu'il fait; donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 s. c. 4 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit, quod omnipotentiae Dei non adaequatur opus. Ergo potentia excedit opus: et ita plura potest facere quam quae facit.

4. Hugues de Saint Victor dit que l'oeuvre de Dieu n'égale pas sa toute-puissance. Donc sa puissance excède son oeuvre et ainsi il peut faire plus que ce qu'il fait.

 

q. 1 a. 5 s. c. 5 Praeterea, potentia Dei est actus non finitus, quia non per aliquid finitur. Hoc autem non esset, si limitaretur ad ea quae facit. Ergo idem quod prius.

5. La puissance de Dieu est un acte infini, parce qu'elle n'est limitée par rien. Cela ne serait pas, si elle se limitait à ce qu'il fait. Donc de même que ci-dessus.

 

Réponse.

q. 1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod hic error, scilicet Deum non posse facere nisi quae facit, duorum fuit:

Cette erreur, que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait, vient de deux opinions:

 

primo fuit quorumdam philosophorum dicentium Deum agere ex necessitate naturae. Quod si esset, cum natura sit determinata ad unum, divina potentia ad alia agenda se extendere non posset quam ad ea quae facit.

1. D'abord elle fut celle de certains philosophes[6] qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature. Si c'était vrai, comme sa nature serait limitée à un seul objet, la puissance divine ne pourrait parvenir à faire d'autres choses, que ce qu'il fait.

 

Secundo fuit quorumdam theologorum considerantium ordinem divinae iustitiae et sapientiae, secundum quem res fiunt a Deo, quem Deum praeterire non posse dicebant; et incidebant in hoc, ut dicerent, quod Deus non potest facere nisi quae facit. Et imponitur hic error magistro Petro Almalareo.

2. Ensuite, elle fut celle de certains théologiens qui, considérant l'ordre de sa justice et de sa sagesse selon laquelle les choses sont faites par Dieu, disaient qu'il ne pouvait passer outre, et ils en arrivaient à dire qu'il ne peut faire que ce qu'il fait. Et on attribue cette erreur au maître Pierre Abélard[7].

 

Harum ergo positionum veritatem inquiramus, vel falsitatem; et primo primae. Quod enim Deus non agat ex necessitate naturae planum est videre. Omne enim agens agit propter finem, quia omnia optant bonum. Actio autem agentis, ad hoc quod sit conveniens fini, oportet quod ei adaptetur et proportionetur quod non potest fieri nisi ab aliquo intellectu, qui finem et rationem finis cognoscat, et proportionem finis ad id quod est ad finem; aliter convenientia actionis ad finem casualis esset. Sed intellectus praeordinans in finem, quandoque quidem est coniunctus agenti vel moventi, ut homo in sua actione; quandoque separatus, ut patet in sagitta, quae ad determinatum finem tendit, non per intellectum sibi coniunctum, sed per intellectum hominis ipsam dirigentem. Impossibile est autem, id quod agit ex naturae necessitate, sibi ipsi determinare finem: quia quod est tale, est ex se agens; et quod est agens vel motum ex se ipso, in ipso est agere vel non agere, moveri vel non moveri, ut dicitur VIII Physic., et hoc non potest competere ei quod ex necessitate movetur, cum sit determinatum ad unum.

A) Cherchons donc la vérité ou la fausseté de ces positions et d'abord de la première. Il est aisé de voir que Dieu n'agit pas par nécessité de nature. Car tout agent agit en vue d'une fin, parce que tout aspire au bien. L'action de l'agent du fait qu'elle s'accorde à une fin, doit lui être adaptée et proportionnée, ce qui ne peut se faire que par un esprit qui connaît la fin, sa nature et son rapport avec la fin qui la concerne; autrement la conformité de l'action à sa fin serait fortuite. Mais l'esprit qui pré-ordonne à une fin, quelquefois est joint à l'agent ou au moteur, comme l'homme dans son action; quelquefois il en est séparé, comme cela apparaît dans la flèche qui tend à un but déterminé, non par un esprit qui lui est ajouté, mais par celui de l'homme qui la dirige. Il est impossible que ce qui agit par nécessité de nature, détermine une fin pour soi, parce que ce qui est tel est agent par soi, et ce qui est agent ou mû par soi agit ou pas, se meut ou pas, comme il est dit en Physique (VIII), et cela ne peut convenir à ce qui est mû par nécessité, puisqu'il est limité à un seul objet.

 

Unde oportet quod omni ei quod agit ex necessitate naturae, determinetur finis ab aliquo quod sit intelligens. Propter quod dicitur a philosophis, quod opus naturae est opus intelligentiae. Unde si aliquando aliquod corpus naturale adiungitur alicui intellectui, sicut in homine patet, quantum ad illas actiones quibus intellectus illius finem determinat, obedit natura voluntati, sicut ex motu locali hominis patet: quantum vero ad illas actiones in quibus ei finem non determinat, non obedit, sicut in actu nutrimenti et augmenti. Ex his ergo colligitur quod id quod ex necessitate natura agit, impossibile est esse principium agens, cum determinetur sibi finis ab alio. Et sic patet quod impossibile est Deum agere ex necessitate naturae; et ita radix primae positionis falsa est.

 

C'est pourquoi il faut que, pour tout ce qui agit par nécessité de nature, la fin soit programmée par un être intelligent. En raison de quoi les philosophes disent que l'oeuvre de la nature est l'oeuvre d'une intelligence. C'est pourquoi, si quelquefois un corps naturel est uni à un esprit, comme on le voit dans l'homme, pour ces actions pour lesquelles son esprit détermine une fin, la nature obéit à la volonté, comme cela apparaît dans ses déplacements: mais pour les actions pour lesquelles il ne détermine pas de fin, elle n'obéit pas, comme pour la nourriture ou la croissance. Par là on comprend que pour ce que fait la nature par nécessité il est impossible que ce soit un principe agent puisque sa fin est déterminée par un autre. Donc il est clair qu'il est impossible que Dieu agisse par nécessité de nature; ainsi le fondement de la première proposition est fausse.

 

Sic autem restat investigare de secunda positione. Circa quod sciendum est, quod dupliciter dicitur aliquis non posse aliquid.

 

Uno modo absolute; quando scilicet aliquid principiorum, quod sit necessariam actioni, ad actionem illam non se extendit; ut si pes sit confractus, homo non potest ambulare.

Il reste à faire des recherches sur la seconde proposition: à ce sujet il faut savoir qu'on dit que quelqu'un ne peut pas quelque chose de deux manières:

 

a) L'une, de manière absolue, quand par exemple un des principes, qui serait nécessaire pour l'action, ne s'étend pas jusqu'à là; ainsi avec un pied cassé, l'homme ne peut pas marcher.

 

Alio modo ex suppositione; posito enim opposito alicuius actionis, actio fieri non potest; non enim possum ambulare dum sedeo. Cum autem Deus sit agens per voluntatem et intellectum, ut probatum est, oportet in ipso tria actionis principia considerare; et primo intellectum, secundo voluntatem, tertio potentiam naturae. Intellectus ergo voluntatem dirigit, voluntas vero potentiae imperat quae exequitur. Sed intellectus non movet nisi in quantum proponit voluntati suum appetibile; unde totum movere intellectum est in voluntate.

 

b) L'autre par hypothèse, car si on établit ce qui s'oppose à l'action, celle-ci ne peut être accomplie; en effet, je ne peux pas marcher tant que je suis assis. Comme Dieu est un agent par volonté et esprit, comme on l'a prouvé, il faut considérer en lui trois principes d'action; l'intellect, la volonté, et la puissance de sa nature. Donc l'esprit dirige la volonté, et la volonté commande à la puissance qui l'exécute. Mais l'esprit ne met en mouvement que dans la mesure où il propose à la volonté ce qui est désirable pour elle; donc mouvoir tout l'esprit dépend de la volonté.

 

Sed dupliciter dicitur Deum absolute non posse aliquid.

Mais on dit que Dieu ne peut absolument pas quelque chose de deux manières:

 

Uno modo quando potentia Dei non se extendit in illud: sicut dicimus quod Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, ut ex supra dictis patet. Sic autem non potest dici quod Deus non potest facere nisi quod facit; constat enim quod potentia Dei ad multa alia potest se extendere.

 

a) D'une première manière quand sa puissance ne vas pas jusqu'à là; ainsi nous disons qu'il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, comme c'est clair d'après de ce qu'on a dit plus haut. Mais on ne peut pas dire que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait; car il est clair que sa puissance peut s'étendre à beaucoup d'autres effets.

 

Alio modo quando voluntas Dei ad illud se extendere non potest. Oportet enim quod quaelibet voluntas habeat aliquem finem quem naturaliter velit, et cuius contrarium velle non possit; sicut homo naturaliter et de necessitate vult beatitudinem, et miseriam velle non potest. Cum hoc autem quod voluntas velit necessario finem suum naturalem, vult etiam de necessitate ea sine quibus finem habere non potest, si hoc cognoscat; et haec sunt quae sunt commensurata fini; sicut si volo vitam, volo cibum. Ea vero sine quibus finis haberi potest, quae non sunt fini commensurata; non de necessitate vult.

 

b) D'une autre manière, quand la volonté de Dieu ne peut pas s'étendre jusqu'à là. Car il faut que n'importe quelle volonté ait une fin qu'elle veut naturellement, et qu'elle ne puisse pas vouloir le contraire; ainsi l'homme naturellement et par nécessité veut son bonheur et il ne peut pas vouloir le malheur. Mais comme la volonté veut nécessairement sa fin naturelle, elle veut aussi par nécessité ce sans quoi elle ne peut obtenir cette fin, si elle la connaît; et c'est ce qui est proportionné à la fin; ainsi si on veut la vie, on veut la nourriture. Mais ce sans quoi on ne peut atteindre la fin qui n'est pas proportionné à cette fin, elle ne le veut pas par nécessité.

 

Finis ergo naturalis divinae voluntatis est eius bonitas, quam non velle non potest. Sed fini huic non commensurantur creaturae, ita quod sine his divina bonitas manifestari non possit; quod Deus intendit ex creaturis. Sicut enim manifestatur divina bonitas per has res quae nunc sunt et per hunc rerum ordinem, ita potest manifestari per alias creaturas et alio modo ordinatas: et ideo divina voluntas absque praeiudicio bonitatis, iustitiae et sapientiae, potest se extendere in alia quam quae facit. Et in hoc fuerunt decepti errantes: aestimaverunt enim ordinem creaturarum esse quasi commensuratum divinae bonitati quasi absque eo esse non posset.

 

Donc la fin naturelle de la volonté de Dieu est sa bonté, qu'il ne peut pas ne pas vouloir. Mais les créatures ne sont pas proportionnées à cette fin, de sorte que la bonté divine ne puisse pas manifester sans elles ce que Dieu atteint par elles. Car, de même que la bonté divine se manifeste par ce qui est maintenant et par cet ordre des choses, de même elle peut se manifester par d'autres créatures, ordonnées autrement; et c'est pourquoi la volonté divine, sans préjudice de sa bonté, de sa justice et de sa sagesse, peut s'étendre à d'autres choses que ce qu'il fait. Et c'est en cela que ceux qui sont dans l'erreur se sont trompés: car ils ont pensé que l'ordre des créatures était proportionné à la bonté divine comme si, sans lui, cet ordre ne pouvait pas exister.

 

Patet ergo quod absolute Deus potest facere alia quam quae fecit. Sed quia ipse non potest facere quod contradictoria sint simul vera, ex suppositione potest dici, quod Deus non potest alia facere quam quae fecit: supposito enim quod ipse non velit alia facere, vel quod praesciverit se non alia facturum, non potest alia facere, ut intelligatur composite, non divisim.

 

Il est donc clair que Dieu peut absolument faire d'autres choses que ce qu'il fait. Mais, parce qu'il ne peut pas faire que les contradictoires soient vrais en même temps, on peut dire par hypothèse que Dieu ne peut pas faire autre chose que ce qu'il a fait: car supposé que lui-même ne veuille pas faire autre chose ou qu'il ait prévu qu'il ne ferait rien d'autre, il ne peut pas faire autre chose, pour qu'on le comprenne avec ordre et non séparément.

 

Solutions

q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec locutio, Deus non potest facere nisi quod praescit se facturum, est duplex: quia exceptio potest referri ad potentiam quae importatur per ly potest, vel ad actum, qui importatur per ly facere. Si primo modo, tunc locutio est falsa. Plura enim potest facere quam praesciat se facturum; et in hoc sensu ratio procedebat. Si autem secundo modo, sic locutio est vera; et est sensus, quod non potest esse quod aliquid fiat a Deo, et non sit a Deo praescitum. Sed hic sensus non est ad propositum.

# 1. Cette proposition: "Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire", a deux sens. La restriction peut porter sur la puissance désignée par potest (peut), ou sur l'acte désigné par facere (faire[8]). Selon le premier sens la proposition est fausse. Car il peut faire plus qu'il ne prévoit de faire; et c'est en ce sens que l'objection était avancée. Si c'est l'autre sens, la proposition est vraie, et le sens est qu'il n'est pas possible que quelque chose soit fait par Dieu sans qu'il l'ait prévu. Mais ce sens ne convient pas à notre propos.

 

q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Deo non cadit praeteritum et futurum; sed quidquid est in eo, est totum in praesenti aeternitatis. Nec praeteritum vel futurum in eo verbum significatur, nisi per respectum ad nos; unde non habet hic locum obiectio de necessitate praeteriti. Nihilominus dicendum est, quod obiectio non est ad propositum: quia praescientia non commensuratur potentiae faciendi, de qua est quaestio; sed solum divinae actioni, ut dictum est.

# 2. En Dieu, il n'y a ni passé ni futur, mais tout ce qui est en lui est tout entier dans un présent d'éternité. Le mot de passé et de futur n'a de sens en lui que par rapport à nous. C'est pourquoi l'objection sur la nécessité du passé n'a pas d'objet ici. Cependant il faut dire que l'objection est hors sujet: parce que la prescience n'est pas proportionnée à la puissance d'agir dont il est question; mais seulement à l'action divine, comme on l'a dit.

 

q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui dicebant Deum agere ex necessitate naturae, ponebant positionem de qua agitur, non solum ratione immutabilitatis naturae, sed ratione determinationis naturae ad unum. Sapientia autem divina non est determinata ad unum, sed se habet ad multa scienda; unde non est simile.

# 3. Ceux qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature, prenaient cette position, non seulement en raison de l'immutabilité de sa nature[9], mais de sa détermination à un seul objet. La sagesse de Dieu n'est pas limitée à un seul objet mais elle est pour connaître beaucoup de choses. C'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus non poterat velle dicere illa verba absolute, quae mendacium important, sine praeiudicio suae bonitatis. Sic autem non est in proposito, ut ex dictis patet; et ideo non sequitur.

# 4. Le Christ ne pouvait pas, dans l'absolu, vouloir dire ces paroles, qui apportent un mensonge, sans préjudice pour sa bonté. Mais ce n'est pas notre sujet, comme on le voit par ce qui a été dit, et c'est pourquoi cela ne vaut pas.

 

q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod absolutum et regulatum non attribuuntur divinae potentiae nisi ex nostra consideratione: quae potentiae Dei in se consideratae, quae absoluta dicitur, aliquid attribuit quod non attribuit ei secundum quod ad sapientiam comparatur, prout dicitur ordinata.

# 5. L'absolu et ce qui est ordonné ne sont attribués à la puissance divine que par notre réflexion. A cette puissance de Dieu, considérée en soi, qu'on appelle absolue, elle attribue quelque chose qu'elle ne lui a pas attribué selon qu'elle est comparée à la sagesse, dans la mesure où on la dit ordonnée.

 

q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia Dei numquam est in re sine sapientia: sed a nobis consideratur sine ratione sapientiae.

# 6. La puissance de Dieu n'est jamais en réalité sans sagesse; mais c'est nous qui la considérons sans rapport avec elle.

 

q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus fecit quidquid est iustum in actu, non autem quidquid est iustum in potentia; potest enim aliquid facere quod nunc non est iustum, quia non est: tamen si esset, faceret iustum.

# 7. Dieu a fait tout ce qui est juste en acte, mais pas tout ce qui est juste en puissance; car il peut faire une chose qui maintenant n'est pas juste, parce qu'elle n'existe pas: cependant si elle existait, il la ferait juste.

 

q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod divina bonitas potest se communicare ordinate, non solum isto modo quo res operatur, sed multis aliis.

# 8. La divine bonté peut se communiquer avec ordre, non seulement de la manière dont elle opère, mais de nombreuses autres manières.

 

q. 1 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus non velit facere nisi quae facit, potest tamen alia velle; et ideo, absolute loquendo, potest alia facere.

# 9. Bien que Dieu ne veuille faire que ce qu'il fait, il peut cependant vouloir d'autres choses, et c'est pourquoi, absolument parlant, il peut en faire d'autres.

 

q. 1 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod rationes illas, de quibus Dionysius loquitur, intelligit esse productivas existentium absolute, non solum autem eorum quae nunc sunt in actu.

# 10. Denys comprend que ces raisons dont il parle sont productives d'êtres dans l'absolu, mais pas seulement de ceux qui sont en acte maintenant.

 

q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in hac quaestione versatur, utrum eorum quae nec sunt, nec erunt, nec fuerunt, quae tamen Deus facere potest, sit idea. Videtur dicendum, quod si idea secundum completam rationem accipiatur, scilicet secundum quod idea nominat formam artis, non solum intellectu excogitatam, sed etiam per voluntatem ad opus ordinatam, sic praedicta non habent ideam; si vero accipiatur secundum imperfectam rationem, prout scilicet est solum excogitata in intellectu artificis, sic habent ideam. Patet enim in artifice creato quod excogitat aliquas operationes quas nunquam operari intendit. In Deo vero quidquid ipse cognoscit, est in eo per modum excogitati; cum in ipso non differat cognoscere actu et habitu. Ipse enim novit totam potentiam suam, et quidquid potest: unde omnium quae potest habet rationes quasi excogitatas.

 

# 11. Dans cette question, on cherche à savoir s'il y a une idée de ce qui n'est pas, ne sera pas et n'a pas été, et que cependant Dieu peut réaliser. Il semble qu'il faut dire que, si on conçoit l'idée, selon sa pleine acception, c'est-à-dire selon que l'idée désigne une forme de l'art, non seulement pensée par l'esprit, mais aussi ordonnée à l'oeuvre par la volonté, ce dont on parle n'a pas d'idée, mais si on le prend selon une acception imparfaite dans la mesure où elle est seulement pensée dans l'esprit de l'artisan, alors ce dont on parle a une idée. Car on voit dans l'oeuvre créée qu'il invente des opérations qu'il n'a jamais l'intention de faire. Mais ce qu'il connaît lui-même est en lui par mode de pensée; puisqu'il n'y a pas en lui de différence entre connaître en acte et en habitus. Car il connaît lui-même toute sa puissance, et tout ce qu'il peut. C'est pourquoi il possède les raisons de tout ce qu'il peut, en tant qu'elles sont pensées.

 

q. 1 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intelligendum est hoc Deum non posse quod non vult se posse: et sic non facit ad propositum.

# 12. Il faut comprendre que Dieu ne peut pas ce qu'il ne veut pas pouvoir et c'est à dessein qu'il ne le fait pas.

 

q. 1 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet Deus sit immutabilis, tamen eius voluntas non est determinata ad unum in his quae facienda sunt: et ideo habet liberum arbitrium.

# 13. Bien que Dieu soit immuable, cependant sa volonté n'est pas déterminée à un seul objet parmi ce qu'il doit faire et c'est pourquoi il a le libre arbitre.

 

q 1 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicen. dum, quod optima ratio, qua Deus omnia facit, est sua bonitas et sua sapientia: quae maneret, etiam si alia, vel alio modo faceret.

# 14. La meilleure raison, par laquelle Dieu fait tout, c'est sa bonté et sa sagesse, qui demeureraient même s'il faisait d'autres choses ou d'une autre manière.

 

q. 1 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod illud quod facit, est optimum per ordinem ad Dei bonitatem: et ideo quidquid aliud est ordinabile ad eius bonitatem secundum ordinem suae sapientiae, est optimum.

# 15. Ce que Dieu fait est le meilleur par rapport à sa bonté et c'est pourquoi toute autre chose qui peut être ordonnée à sa bonté selon l'ordre de sa sagesse est le meilleur.

 

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[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 5 – CG. II, 23, 26-27 – III, 98 – I Sent. d43q2a2.

 

[2] Parmi ces auteurs inconnus, il faut compter Avicenne.

 

[3] Assimilation de la soumission à la sagesse à une nécessité de nature.

 

[4] Le sens de ratio est proche de "idée". Il s'agit des idées divines. Voir objection suivante.

 

[5] Cf. Pot. 5, 1, obj. 14, où il précise que cet axiome vient du Timée.

 

[6] Héraclite, les stoïciens, les Néoplatoniciens et quelques auteurs attachés au déterminisme ou à l'optimisme. Il faut ajouter Avicenne.

 

[7] On lit sur les mns Petro Almalareo. On peut vraisemblablement conjecturer qu'il s'agit d'Abélard, car cela correspond à ce qu'il dit dans son Introduction à la Théologie, III, 5. PL 178, 1096. Denz. 726.

 

[8] Soit Dieu ne peut pas faire, ou il peut ne pas faire.

 

[9] Pour certains, dont Avicenne, l'immutabilité entraîne la nécessité de nature. Cf. ad 13.

 


Article 6: Dieu peut-il faire ce qui est possible à d'autres, comme pécher, marcher etc.?

q. 1 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum Deus possit facere quae sunt aliis possibilia, ut peccare, ambulare et huiusmodi. Et videtur quod sic.

Il semble que oui:

Objections[1]:

q. 1 a. 6 arg. 1 Quia Augustinus dicit, quod melior est natura quae potest peccare, quam quae peccare non potest. Sed omne quod est optimum, est Deo attribuendum. Ergo Deus potest peccare.

1. Parce que Augustin (Enchiridium, 105[2]) dit que meilleure est la nature qui peut pécher que celle qui ne le peut pas[3]. Mais tout ce qui est le meilleur doit être attribué à Dieu. Donc il peut pécher.

q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, illud quod est laudabilitatis, non debet Deo subtrahi. Sed in laudem viri dicitur Eccli. XXXI, 10: qui potuit transgredi et non est transgressus. Ergo posse transgredi et non transgredi Deo debet attribui.

2. Ce qui est louable ne doit pas être retiré à Dieu. Mais à la louange de l'homme, l'Ecclésiaste (Si 31, 10) dit: "Qui a pu pécher et n'a pas péché..." Donc le pouvoir de pécher et ne pas pécher doit être attribué à Dieu.

q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit: potest Deus et studiosus prava agere. Ergo Deus potest peccare.

3. Le Philosophe dit (Topique. IV, 5, 126 a 37-39[4]): "Dieu peut et avec zèle faire de mauvaises actions". Donc Dieu peut pécher.

q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, quicumque consentit in peccatum mortale, peccat mortaliter. Sed quicumque praecipit peccatum mortale, consentit, immo quodammodo principaliter facit. Cum ergo Deus praeceperit peccatum mortale Abrahae, scilicet quod interficeret filium innocentem; et Oseae, quo acciperet mulierem fornicariam, et faceret ex ea filios fornicationis, et Semei, ut malediceret David, ut habetur II Reg. XVI, 7, quem constat peccasse ex poena sibi inflicta III Reg. II, 36, videtur quod ipse peccaverit mortaliter.

4. Quiconque consent à un péché mortel, pèche mortellement. Mais quiconque l'ordonne consent; bien plus d'une certaine manière c'est surtout lui qui l'accomplit. Donc, comme Dieu a ordonné un péché mortel à Abraham, à savoir tuer son fils innocent; à Osée (Os.1, 2), de prendre pour épouse une prostituée et d'avoir d'elle des enfants de prostitution et à Shimeï (II Sam. 16, 7) de maudire David, lequel est reconnu avoir péché vu le châtiment qui lui fut infligé (I Rois 2, 36[5]), il semble que Dieu a lui-même péché mortellement.

q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, quicumque cooperatur peccanti mortaliter, ipse peccat mortaliter. Sed Deus cooperatur peccanti mortaliter: ipse enim operatur in omni operatione, et per consequens in omni eo qui mortaliter peccat. Ergo Deus peccat.

5. Quiconque coopère avec qui pèche mortellement, pèche mortellement lui aussi. Mais Dieu coopère ainsi car il agit lui-même dans toute opération[6] et par conséquent dans tout homme qui pèche mortellement. Donc Dieu pèche.

q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus operatur in cordibus hominum, inclinando voluntates eorum in quodcumque voluerit, sive in bonum, sive in malum. Sed inclinare voluntatem hominis in malum, est peccatum. Ergo Deus peccat.

6. Augustin dit (De la grâce et du libre arbitre, ch. 21), comme on le voit dans la glose, (Rm 1) que Dieu opère dans le coeur des hommes, en inclinant leur volonté vers tout ce qu'il aura voulu, soit en bien, soit en mal. Mais incliner la volonté de l'homme au mal est un péché. Donc Dieu pèche.

q. 1 a. 6 arg. 7 Praeterea, homo factus est ad imaginem Dei, ut habetur Gen. I, 26. Sed quod invenitur in imagine oportet inveniri in exemplari. Hominis autem voluntas est ad utrumlibet. Ergo et voluntas Dei; et ita potest peccare et non peccare.

7. L'homme a été créé à l'image de Dieu (Gn. 1, 26). Mais ce qu'on trouve dans l'image, on doit le trouver dans l'exemplaire[7]. Mais la volonté de l'homme penche vers le bien et vers le mal. Donc la volonté de Dieu aussi. Et ainsi il peut pécher et ne pas pécher.

q. 1 a. 6 arg. 8 Praeterea, quidquid potest virtus inferior, potest et superior. Sed homo cuius virtus est inferior divina virtute, potest ambulare, peccare et alia huiusmodi facere. Ergo et Deus.

8. Ce que peut un pouvoir inférieur, un pouvoir supérieur le peut aussi. Mais l'homme dont le pouvoir est inférieur au pouvoir divin peut marcher, pécher et accomplir d'autres actes de ce genre. Donc Dieu aussi.

q. 1 a. 6 arg. 9 Praeterea, tunc aliquis omittit quando non facit bona quae potest. Sed Deus potest multa bona facere quae non facit. Ergo omittit, et ita peccat.

9. Quelqu'un commet une négligence, quand il ne fait pas le bien qu'il peut faire. Mais Dieu peut faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas. Donc, il commet une négligence et ainsi il pèche.

q. 1 a. 6 arg. 10 Praeterea, quicumque potest prohibere peccatum et non prohibet, videtur peccare. Sed Deus potest prohibere omnia peccata. Cum ergo non prohibeat, videtur quod peccet.

10. Qui peut empêcher le péché et ne le fait pas, semble pécher. Mais Dieu peut empêcher tous les péchés. Donc, comme il ne le fait pas, il semble qu'il pèche.

q. 1 a. 6 arg. 11 Praeterea, Amos III, 6, habetur: non est malum in civitate quod Deus non faciat. Hoc autem non potest intelligi de malo poenae: nam dicitur Sap. I, 13, quod Deus mortem non fecit. Ergo oportet intelligi de malo culpae; et sic Deus est auctor mali culpae.

11. On lit dans Amos ((3, 6[8]): "Il n'y a pas de mal dans la cité sans que Dieu ne le fasse". Mais cela ne peut pas être compris du mal du châtiment. Car il est dit (Sg 1, 13) que "Dieu n'a pas fait la mort". Donc il faut le comprendre du mal de la faute et ainsi Dieu est l'auteur de ce mal.

En sens contraire:

q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra. I Ioan. I, 5, dicitur: Deus lux est, et tenebrae in eo non sunt ullae. Sed peccata sunt tenebrae spirituales. Ergo peccatum in Deo esse non potest.

1. Il est dit en I Jean 1, 5 que "Dieu est lumière et il n'y a pas de ténèbres en lui". Mais les péchés sont des ténèbres spirituelles. Donc le péché ne peut pas exister en Dieu.

q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, princeps propriis legibus astrictus non tenetur. Sed omne peccatum est contra legem divinam, ut Augustinus dicit. Ergo Deus peccato astringi non potest.

2. Le prince n'est pas assujetti à ses propres lois. Mais tout péché est contre la loi divine, comme Augustin le dit (Contre. Fauste, XXII, 27). Donc Dieu ne peut y être assujetti.

Réponse

q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod sicut supra dictum est, Deum absolute aliquid non posse dicitur dupliciter: uno modo ex parte voluntatis; alio modo ex parte potentiae.

Comme on l'a indiqué ci-dessus, on dit que Dieu ne peut absolument pas quelque chose, de deux manières: 1) du côté de sa volonté, 2) du côté de sa puissance.

Ex parte siquidem voluntatis, Deus non potest facere quod non potest velle. Cum autem nulla voluntas possit velle contrarium eius quod naturaliter vult, sicut voluntas hominis non potest velle miseriam; constat quod voluntas divina non potest velle contrarium suae bonitatis, quam naturaliter vult. Peccatum autem est defectus quidam a divina bonitate: unde Deus non potest velle peccare. Et ideo absolute concedendum est, quod Deus peccare non potest.

1) Du côté de sa volonté: Dieu ne peut pas faire ce qu'il ne peut pas vouloir. Puisque aucune volonté ne peut vouloir le contraire de ce qu'elle veut naturellement, – ainsi la volonté de l'homme ne peut pas vouloir le malheur –, il est clair que la volonté divine ne peut vouloir le contraire de sa bonté qu'il veut naturellement. Mais le péché est un manquement à la divine bonté; c'est pourquoi Dieu ne peut pas vouloir pécher. Et c'est pourquoi il faut absolument concéder que Dieu ne peut pas pécher.

Ex parte vero potentiae dicitur Deum non posse aliquid, dupliciter: uno modo ratione ipsius potentiae; alio modo ratione possibilis.

2) Du côté de sa puissance, on dit que Dieu ne peut pas une chose pour deux raisons: a) en raison de la puissance même; b) en raison de la possibilité.

Potentia siquidem eius quantum in se est, cum sit infinita, in nullo deficiens invenitur quod ad potentiam pertineat. Sed quaedam sunt quae secundum nomen potentiam important, quae secundum rem sunt potentiae defectus; sicut multae negationes sunt, quae in affirmationibus includuntur; ut cum dicitur posse deficere, videtur secundum modum loquendi, quaedam potentia importari, cum magis potentiae defectus importetur. Et propter hoc potentia aliqua dicitur esse perfecta, secundum philosophum, quando ista non potest. Sicut enim illae affirmationes habent vim negationum secundum rem, ita istae negationes habent vim affirmationum. Et propter hoc dicimus, Deum non posse deficere, et per consequens non posse moveri (quia motus et defectus quamdam imperfectionem important) et per consequens non posse eum ambulare, nec alios actus corporeos exercere, qui sine motu non fiunt.

a) Sa puissance, quant à elle, étant infinie, on ne la trouve défaillante en rien qui la concerne. Mais il y a des choses qui sous le nom de puissance apportent ce qui en réalité est une défaillance de la puissance. Ainsi il y a de nombreuses négations incluses dans les affirmations; comme quand on dit 'pouvoir défaillir', il semble, selon la manière de parler, qu'on apporte une puissance, alors que c'est plutôt sa défaillance. Et c'est pour cela qu'on dit qu'une puissance est parfaite, selon le Philosophe (Métaphysique V, 17, 1021 b 25 ss.), quand elle ne le peut pas. Car de même que ces affirmations ont force de négation en réalité, ainsi ces négations ont force d'affirmation. Et c'est pour cela que nous disons que Dieu ne peut pas avoir de défaillance et par conséquent, ne peut être mû (parce que le mouvement et la défaillance apportent une imperfection) et par conséquence, il ne peut pas marcher, ni accomplir d'autres actes corporels qui ne se font pas sans mouvement[9].

Ratione vero possibilis dicitur Deum aliquid non posse facere quia id contradictionem implicat, ut ex supra dictis, art. 5, patet; et per hunc modum dicitur quod non potest facere alium Deum aequalem sibi. Implicatur enim contradictio ex eo quod factum oportet esse in potentia aliquo modo, cum recipiat esse ab alio, et sic non potest esse actus purus, quod est proprium ipsius Dei.

b) En raison de la possibilité, on dit que Dieu ne peut pas faire une chose parce qu'elle implique contradiction, comme on l'a dit à l'article 5 et c'est pourquoi on dit qu'il ne peut faire un autre Dieu égal à lui. Car cela implique contradiction: il faut que ce qui est fait soit en puissance d'une certaine manière, puisqu'il reçoit l'être d'un autre et ainsi il ne peut pas être acte pur, ce qui est le propre de Dieu lui-même.

Solutions:

q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa comparatio non est intelligenda universaliter, sed solum inter hominem et animalia bruta.

# 1. Cette comparaison ne doit pas être comprise universellement, mais seulement de l'homme et de l'animal.

q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod dicitur in laudem hominis non semper est congruum laudi divinae, immo esset blasphemia; ut si dicerem Deum poenitere et huiusmodi. Aliquid enim, ut dicit Dionysius est in inferiori natura laudabile quod in superiori natura vituperatur.

# 2. Ce qu'on dit à la louange de l'homme ne convient pas toujours à la louange divine. Bien plus ce serait un blasphème; ainsi si je disais que Dieu se repend, etc.. Car, comme le dit Denys (Les noms divins 4), est louable dans une nature inférieure ce qui est blâmé dans une nature supérieure.

q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum philosophi est intelligendum sub conditione voluntatis. Haec enim conditionalis est vera: Deus potest prava agere si vult: nihil enim prohibet conditionalem esse veram, licet antecedens et consequens sint impossibilia; ut patet in hac: si homo volat, habet alas.

# 3. Il faut comprendre le mot du Philosophe sous condition de volonté. Car, si elle est conditionnelle, elle est vraie: Dieu peut commettre des choses perverses s'il le veut: car rien n'empêche la condition d'être vraie, bien que l'antécédent et la conséquence soient impossibles, comme cela paraît dans cet exemple: si un homme vole, il a des ailes.

q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet aliquem actum qui in se esset peccatum mortale, aliqua circumstantia addita fieri virtuosum: occidere enim hominem absolute peccatum mortale est; sed ministro iudicis occidere hominem propter iustitiam ex praecepto iudicis, non est peccatum, sed actus iustitiae. Sicut autem princeps civitatis habet disponere de hominibus quantum ad vitam et mortem, et alia quaecumque pertinent ad finem sui regiminis, qui est iustitia, ita Deus habet omnia in sui dispositione dirigere ad finem sui regiminis quod est eius bonitas. Et ideo licet occidere filium innocentem, de se possit esse peccatum mortale, tamen si hoc fiat ex praecepto Dei propter finem quem Deus praevidit et ordinavit, licet etiam sit homini ignotus, non est peccatum, sed meritum. Et similiter etiam dicendum est de fornicatione Oseae, cum constet Deum esse ordinatorem totius humanae generationis: quamvis quidam dicant, quod hoc non acciderit secundum veritatem rei, sed secundum visionem prophetiae. De praecepto autem Semei est dicendum aliter. Dicitur enim Deus dupliciter praecipere.

# 4. Rien n'empêche qu'un acte qui serait en soi un péché mortel, si on ajoute les circonstances, ne devienne vertueux; car tuer un homme est absolument un péché mortel; mais pour l'assistant du juge tuer un homme à cause de la justice et sur l'ordre du juge, ce n'est pas un péché, mais un acte de justice. De même que le prince d'une cité doit disposer des hommes à la vie et à la mort, et [prendre] d'autres décisions qui concernent le but de son gouvernement, qui est la justice; de même Dieu a tout à sa disposition pour parvenir à la finalité de son gouvernement qui est sa bonté. Et c'est pourquoi, bien que tuer son fils innocent puisse être en soi un péché mortel, cependant si cela se fait sur l'ordre de Dieu en vue d'une fin qu'il a lui-même prévue et ordonnée, même si elle est ignorée de l'homme, ce n'est pas un péché mais un mérite. Et il faut parler de la fornication d'Osée de la même manière, puisque il est clair que Dieu est celui qui ordonne toute la génération humaine. Cependant certains disent que cela ne serait pas arrivé en réalité mais selon une vision prophétique. Pour ce qui est prescrit à Shiméï, il faut parler autrement. Car on dit que Dieu donne ses prescriptions de deux manières:

Uno modo loquendo spiritualiter vel corporaliter per substantiam creatam; et sic praecepit Abrahae et prophetis.

Alio modo inclinando, sicut dicitur praecepisse vermi ut comederet hederam, Ionae I. Et per hunc modum praecepit Semei ut malediceret David, in quantum cor eius inclinavit; et hoc per modum qui infra in solutione ad sextum, dicetur.

a) La première, en parlant spirituellement ou corporellement par une substance créée, et ainsi il commande à Abraham et aux prophètes.

b) En inclinant: ainsi on dit qu'il prescrivit aux vers de manger le lierre (Jonas 4, 7). Et de cette même manière il prescrivit à Shimeï de maudire David, dans la mesure où il y inclina son coeur et par le moyen signalé ci-dessous, à la solution six.

q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod operatio peccati, quantum ad id quod habet de entitate et actualitate, refertur in Deum sicut in causam; quantum vero ad id quod habet de deformitate peccati, refertur in liberum arbitrium, non in Deum; sicut quidquid motus est in claudicatione, est a virtute gressiva; deformitas autem eius est a curvitate cruris.

# 5. L'action pécheresse quant à ce qui concerne son entité et son actualité, se réfère à Dieu comme à sa cause; mais on rapporte l'infamie du péché au libre arbitre, non à Dieu; ainsi tout mouvement dans la claudication vient du pouvoir de marcher, mais la difformité vient de la courbure de la jambe.

q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non dicitur inclinare voluntates hominum in malum, immittendo malitiam, vel ad malitiam commovendo; sed permittendo et ordinando, ut videlicet qui crudelitatem exercere consentiunt, in illos exerceant quos dignos Deus iudicat.

# 6. On ne dit pas que Dieu incline la volonté de l'homme au mal, en envoyant la malice ou en les y incitant, mais en permettant et en ordonnant; pour qu'assurément ceux qui consentent à exercer la cruauté, l'exercent contre ceux que Dieu en juge dignes.

q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non est necessarium, quidquid in homine invenitur, quamvis sit ad imaginem Dei, in Deo inveniri; et tamen in proposito voluntas Dei est ad utrumlibet, quia non est ad unum obiectum determinata. Potest enim hoc facere vel non facere, aut facere hoc vel illud: non tamen sequitur quod aliquid istorum possit male facere, quod est peccare.

# 7. Il n'est pas nécessaire que ce qu'on trouve dans l'homme, quoique qu'il soit à l'image de Dieu, se retrouve en Dieu et cependant dans le propos, la volonté de Dieu concerne deux aspects, parce qu'elle n'est pas déterminée à un seul objet. Car il peut faire ou ne pas faire, faire ceci ou cela; cependant il n'en découle pas qu'il puisse mal faire l'une d'elle, ce qui est pécher.

q. 1 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod obiectio illa tenet in his quae pertinent ad potestatis perfectionem, non autem in his quae important potestatis defectum.

# 8. Cette objection tient à ce qui concerne la perfection de la puissance, mais non à ce qui en cause la défaillance.

q. 1 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus possit multa bona facere quae non facit, non tamen omittit: quia non debet illa facere, quod requiritur ad rationem omissionis.

# 9. Bien que Dieu puisse faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas, cependant il ne commet pas d'omission, parce qu'il ne doit pas le faire, condition requise pour définir une omission.

q. 1 a. 6 ad 10 Et similiter dicendum est ad decimum; nam non est reus peccati qui peccatum non impedit nisi quando impedire debet.

# 10. Ici il faut dire la même chose, car celui qui n'empêche pas un péché n'est coupable de péché que quand il doit l'empêcher .

q. 1 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum Amos intelligitur de malo poenae. Quod autem dicitur Sap. I, 13: Deus mortem non fecit intelligitur quantum ad ipsam causam mortis, quae est meritum culpae, vel quantum ad primam naturae institutionem, qua fecit hominem suo modo immortalem.

# 11. Le mot d'Amos est à comprendre comme la peine du châtiment. Ce qui est dit en Sagesse (1, 13): "Dieu n'a pas fait la mort" est compris quant à la cause même de la mort, qui est la conséquence de la faute; ou quant à la première institution de la nature, par laquelle il rendit l'homme immortel à sa manière.

 


[1] Parall.: C. G. II, 25 – I Sent. d4q2a1 – Ia, q. 25, a. 3, ad 2.

[2] "Mais il ne fallait pas renoncer à l'ordre d'après lequel Dieu voulait faire voir quel bien représente cet animal raisonnable qui est même capable de ne pas pécher, bien qu'il fût mieux encore (pour lui) d'être incapable de pécher." BA. 9, trad. J. Rivière. Le traducteur note que "beaucoup d'éditions anciennement omettent la négation. Mais elle figure dans les manuscrits et d'ailleurs est indispensable au sens".

[3] Ce qui peut pécher est doué de raison.

[4] "...puisque même Dieu et l'honnête homme ont la capacité de faire de mauvaises actions, et pourtant ce n'est pas leur caractère..." (Trad. J. Tricot)

[5] Il fut tué sur ordre de Salomon pour ne pas avoir obéi à son ordre de ne pas quitter Jérusalem.

[6] Cette notion, le concours divin, sera expliquée longuement en Pot. qu. 3, a. 7.

[7] A comprendre comme un modèle.

[8] "Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que Yahvé en soit l'auteur?" (B.J.)

[9] Il y a deux sortes de mouvements: le mouvement physique, imparfait (parce qu'inachevé), et le mouvement parfait qui est le propre du vivant: la chose se meut elle-même. La sensation et l'intellection sont des mouvements parfaits considérés comme d'une autre espèce par Aristote (De anima, III, 7, 431 a 5 ss.); le mouvement a été défini comme l'acte de ce qui est inachevé, tandis que l'acte au sens absolu est différent (Pot. qu. 10, a. 1, c.).

Article 7: Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant?

q. 1 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur quare Deus dicatur omnipotens. Et videtur quod dicatur omnipotens quia simpliciter omnia possit.

On le dit tout puissant, semble-t-il, parce qu'il peut absolument tout.

Objections[1]:

q. 1 a. 7 arg. 1 Sicut enim Deus dicitur omnipotens, ita dicitur omnisciens. Sed dicitur omnisciens, quia simpliciter omnia scit. Ergo et omnipotens dicitur, quia simpliciter omnia potest.

1. Car de même qu'on dit Dieu tout-puissant, on le dit omniscient. Mais on le dit omniscient parce qu'il connaît absolument tout. Donc on le dit tout puissant parce qu'il peut absolument tout.

q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, si non ideo dicatur omnipotens quia simpliciter omnia possit, tunc haec distributio importata, non est absoluta, sed accommodata. Talis autem distributio non est universalis, sed determinatur ad aliquid. Ergo divina potentia esset ad aliquid determinata, et non esset infinita.

2. Si on ne le dit pas tout puissant parce qu'il pourrait absolument tout, alors cette attribution ajoutée n'est pas absolue, mais appropriée. Or une telle attribution n'est pas universelle, elle est limitée à un objet. Donc la puissance divine serait limitée à un objet et ne serait pas infinie.

Sed contra, Deus non potest facere, sicut dictum est, art. 3 et 5, ut affirmatio et negatio sint simul vera; nec potest peccare nec mori. Haec autem includuntur in hac distributione, si absolute sumatur. Ergo non debet absolute sumi; et ita Deus non potest dici omnipotens quia omnia possit absolute.

En sens contraire: Dieu ne peut pas faire, comme on l'a dit, aux articles 3 et 5, que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps; et il ne peut pas pécher ni mourir. Cela est inclus dans cette attribution, si elle est prise dans l'absolu. Donc elle ne doit pas être prise dans l'absolu, et ainsi on ne peut pas dire que Dieu soit tout-puissant parce qu'il peut absolument tout.

q. 1 a. 7 arg. 3 Item videtur quod dicatur omnipotens quia potest omnia quae vult: dicit enim Augustinus in Enchiridion: non ob aliud vocatur omnipotens, nisi quia quidquid vult, potest.

3. Il semble qu'on le dit tout-puissant "parce qu'il peut tout ce qu'il veut". Car Augustin dit (Enchiridion ch. 96): "Il n'est appelé tout-puissant pour rien d'autre sinon qu'il peut tout ce qu'il veut".

Sed contra, beati possunt quidquid volunt: aliter voluntas eorum non esset perfecta. Non tamen dicuntur omnipotentes. Ergo hoc non sufficit ad rationem omnipotentiae, quod Deus possit quidquid vult. Praeterea, voluntas sapientis non est de impossibili: unde nullus sapiens vult nisi quod potest; nec tamen quilibet sapiens est omnipotens. Ergo idem quod prius.

En sens contraire: Les bienheureux peuvent ce qu'ils veulent, autrement leur volonté ne serait pas parfaite[2]. Cependant on ne dit pas qu'ils sont tout-puissants. Donc cela ne suffit pas à la nature de la toute-puissance, que Dieu puisse tout ce qu'il veut. En plus la volonté du sage ne concerne pas l'impossible. C'est pourquoi aucun sage ne veut que ce qu'il peut; et cependant n'importe quel sage n'est pas tout-puissant. Donc de même que ci-dessus.

q. 1 a. 7 arg. 4 Item videtur quod dicatur omnipotens, quia possit omnia possibilia. Dicitur enim omnisciens, quia scit omnia scibilia. Ergo pari ratione dicitur omnipotens, quia potest omnia possibilia.

4. Il semble qu'on l'appelle tout-puissant "parce qu'il peut tout ce qui est possible". On l'appelle en effet omniscient, parce qu'il connaît tout ce qui peut être connu. Donc à raison égale, on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible.

Sed contra, si dicitur omnipotens quia potest omnia possibilia; aut hoc est quia potest omnia possibilia sibi, aut quia potest omnia possibilia naturae. Si quia potest omnia possibilia naturae, tunc eius omnipotentia naturae potentiam non excedit; quod est absurdum. Si vero quia potest omnia possibilia sibi, tunc pari ratione quilibet dicetur omnipotens, quia quilibet potest omnia possibilia sibi. Et praeterea est ibi quaedam expositio per circumlocutionem, quae non est conveniens.

En sens contraire: si on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible, ou bien c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, ou parce qu'il peut tout ce qui est possible à la nature. Si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible à la nature, alors sa toute-puissance n'excède pas la puissance de la nature, ce qui est absurde. Mais si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, alors à raison égale, n'importe qui est appelé tout-puissant parce qu'il peut ce qui est possible pour lui. Et en plus il y a là une exposition par une circonlocution qui ne convient pas.

q. 1 a. 7 arg. 5 Item quaeritur quare Deus dicitur omnipotens et omnisciens, et non omnivolens.

5. De même, on cherche pourquoi Dieu est appelé celui qui peut tout, qui sait tout et pas celui qui veut tout.

Réponse.

q. 1 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam volentes rationem omnipotentiae assignare, quaedam acceperunt quae ad rationem omnipotentiae non pertinent, sed magis sunt causa omnipotentiae, vel pertinentia ad perfectionem omnipotentiae, vel pertinentia ad rationem potentiae, vel ad modum habendi potentiam.

Certains voulant assigner une définition à la toute-puissance ont accepté des notions qui ne conviennent pas à sa définition; mais qui en sont plutôt la cause ou ce qui appartient à la perfection de la toute puissance ou à celle de la puissance ou à son mode de possession.

Quidam enim dixerunt, quod ideo Deus est omnipotens, quia habet potentiam infinitam. Qui non dicunt rationem omnipotentiae, sed causam; sicut anima rationalis est causa hominis, sed non est eius definitio. Quidam vero ideo dixerunt Deum omnipotentem, quia non potest aliquid pati nec potest deficere, nec aliquid potest in ipsum, et alia huiusmodi, quae ad perfectionem potentiae pertinent.

Certains, en effet, ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il a une puissance infinie. Ils n'en donnent pas la raison mais la cause; ainsi l'âme raisonnable est cause de l'homme, mais ce n'est pas sa définition. Certains aussi ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il ne peut rien subir, ni être défaillant et il ne peut rien en lui ni autres choses de ce genre qui concernent la perfection de sa puissance.

Quidam etiam dixerunt, quod ideo dicitur omnipotens, quia potest quidquid vult; et hoc habet a se et per se; quod pertinet ad modum habendi potentiam.

Certains même ont dit qu'on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qu'il veut, et cela il l'a de lui et par lui, ce qui concerne sa manière de posséder la puissance.

Hae autem rationes omnes ideo sunt insufficientes, quia praetermittunt rationes operationum ad obiecta, quas implicat omnipotentia. Et ideo dicendum est, quod accipienda est aliqua trium viarum quae tactae sunt in obiiciendo, et dicunt comparationem ad obiecta.

Mais toutes ces raisons sont insuffisantes, parce qu'elles omettent les raisons des opérations pour les objets qu'implique la toute-puissance. Et c'est pourquoi on doit dire qu'il faut accepter l'une des trois voies qui ont été avancées en objections et qui apportent une comparaison avec les objets.

Dicendum ergo est, quod, sicut supra dictum est, potentia Dei, quantum est de se, ad omnia illa obiecta se extendit quae contradictionem non implicant. Nec etiam instantia de illis est quae defectum important, vel corporalem motum; quia posse ea, Deo est non posse. Ea vero quae contradictionem implicant Deus non potest; quae quidem sunt impossibilia secundum se. Relinquitur ergo quod Dei potentia ad ea se extendat quae sunt possibilia secundum se. Haec autem sunt quae contradictionem non implicant. Constat ergo quod Deus ideo dicitur omnipotens quia potest omnia quae sunt possibilia secundum se.

Il faut donc dire, comme on l'a dit plus haut, que la puissance de Dieu, quant à elle, s'étend à tout ces objets qui n'impliquent pas contradiction. Et cela ne concerne pas ce qui apporte une défaillance ou un mouvement corporel, parce que ce pouvoir, Dieu ne l'a pas. Ce qui implique une contradiction Dieu ne le peut pas; cela est impossible en soi. Donc il reste que la puissance de Dieu s'étend à ce qui est possible en soi. C'est ce qui n'implique pas contradiction. Donc il est clair qu'on dit que Dieu est tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible en soi[3].

Solutions

q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur omnisciens quia scit omnia scibilia; falsa autem, quae non sunt scibilia, nescit. Impossibilia autem secundum se comparantur ad potentiam sicut falsa ad scientiam.

# 1. Dieu est appelé omniscient parce qu'il connaît tout ce qui peut être connu; il ignore l'erreur qui n'est pas connaissable. Ce qui est impossible en soi est comparé pour la puissance à l'erreur pour la science.

q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si distributio terminaretur infra genus possibilium hoc modo quod non se extenderet ad omnia possibilia.

# 2. Cette raison conviendrait si l'attribution se terminait à l'intérieur du genre des possibles; de telle manière qu'elle ne s'étendrait pas à tous les possibles.

Ad illud quod quaeritur de alia ratione omnipotentiae, dicendum, quod posse quidquid vult facere non est sufficiens ratio omnipotentiae, sed est sufficiens signum omnipotentiae; et sic intelligendum est verbum Augustini.

Pour ce qu'on cherche au sujet de l'autre raison de la toute-puissance, il faut dire que pouvoir ce qu'on veut faire n'est pas une raison suffisante de toute puissance, mais en est un signe suffisant. C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole d'Augustin.

q. 1 a. 7 ad 3 Ad illud quod arguitur de tertia ratione, dicendum, quod Deus dicitur omnipotens, quia potest omnia possibilia absolute; et ideo obiectio non recte procedit de possibilibus Deo vel naturae.

# Pour le troisième argument, il faut dire qu'on appelle Dieu le tout-puissant, parce qu'il peut absolument tout ce qui est possible et c'est pourquoi l'objection ne procède pas correctement[4] ce qui possible pour Dieu ou pour la nature.

q. 1 a. 7 ad 5 Ad illud quod ultimo quaeritur, dicendum, quod in his quae aguntur per voluntatem, ut dicitur IX Metaph., potentia et scientia determinantur ad opus per voluntatem; et ideo scientia et potentia in Deo quasi non determinata universaliter pronuntiantur, ut cum dicitur omnisciens vel omnipotens, sed voluntas quae determinat, non potest esse omnium, sed eorum tantum ad quae potentiam et scientiam determinat; et ideo Deus non potest dici omnivolens.

# 5. Pour ce qu'on cherche à la dernière objection, il faut dire que dans ce qui est fait par volonté, comme il est dit (Métaphysique IX, 5, 1048 a 10), la puissance et la connaissance sont limitées à une oeuvre par la volonté; et c'est pourquoi la science et la puissance sont annoncées en Dieu comme non limitées universellement, comme quand on le dit omniscient ou tout puissant, mais la volonté qui limite ne peut pas être pour tout, mais seulement pour ce à quoi elle limite sa puissance et sa connaissance et c'est pourquoi on ne peut pas dire que Dieu veuille tout.

 


[1] Parall.: Ia, qu. 25, a. 3 - IIIa, 13, 1 – CG. II, 22, 25 – I Sent. d42q2a2 – III Sent. d1q2a3 – Pot. 5, 3 – Qudl III, qu. 1, a. 1 – XII, qu. 2, a. 1 – Éth.,V, lectio 2.

[2] "En effet, si tu dis qu'il est appelé tout-puissant parce qu'il peut tout ce qu'il veut pouvoir, Pierre aussi peut de même être dit tout-puissant (ou n'importe lequel des saints bienheureux) car il peut tout ce qu'il veut pouvoir, et il peut faire tout ce qu'il veut faire." Pierre Lombard, I Sent. d42, ch. 3, 4.

[3] La nuance est minime entre tout ce qui est possible en soi et ce qui est possible pour lui (obj. 4). La grammaire du reste permet les deux traductions: possible en soi, possible pour lui.

[4] Elle ne tient pas compte de ce qui est impossible.

 

 

Question 2: La puissance générative en Dieu.

 

q. 2 pr. 1 Et primo quaeritur utrum in divinis sit generativa potentia.

1. Y a-t-il une puissance générative en Dieu?

q. 2 pr. 2 Secundo utrum potentia generativa in divinis dicatur essentialiter vel notionaliter.

2. Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la notion?

q. 2 pr. 3 Tertio utrum potentia generativa in actum generationis procedat per imperium voluntatis.

3. La puissance générative en son acte dépend-elle par le pouvoir de la volonté?

q. 2 pr. 4 Quarto utrum in divinis possint esse plures filii.

4. En Dieu peut-il y avoir plusieurs fils?

q. 2 pr. 5 Quinto utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur.

5. La puissance d'engendrer est-elle incluse dans la toute puissance?

q. 2 pr. 6 Sexto utrum potentia generandi et potentia creandi sint idem.

6. La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles une même puissance?

 

Article 1: Y a-t-il une puissance générative en Dieu?

 

q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum in divinis sit potentia generativa. Et videtur quod non.

Il semble que non[1]:

 

Objections.

q. 2 a. 1 arg. 1 Omnis enim potentia vel est activa vel passiva. Sed in divinis non potest esse potentia passiva aliqua; nec ibi generativa potentia potest esse activa; quia sic filius esset actus vel factus, quod est contra fidem. Ergo in divinis non est potentia generativa.

1. Car toute puissance est active ou passive. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de puissance passive, et la puissance générative ne peut pas y être active, parce que le Fils de Dieu serait un acte ou un produit[2]; ce qui est contre la foi. Donc, en Dieu, il n'y a pas de puissance générative.

 

q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, cuius est potentia, eius est actio. Sed generatio non est in divinis. Ergo nec generativa potentia. Probatio mediae. Ubicumque est generatio ibi est communicatio naturae, et receptio eiusdem. Sed cum recipere sit materiae, vel passivae potentiae, quae in divinis non est, receptio Deo competere non potest. Ergo in divinis non potest esse generatio.

2. Selon le philosophe (Le Sommeil et Veille ch.1), l'action vient de celui qui a la puissance [1]. Mais il n'y a pas de génération en Dieu [2]. Donc pas de puissance générative [3]. Preuve intermédiaire[3]: Partout où il y a génération, il y a communication d'une nature et sa réception. Mais comme recevoir est propre à la matière ou à la puissance passive, qui (toutes deux) n'existent pas en Dieu, la réception ne peut lui convenir. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir de génération.

 

q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, generans oportet esse distinctum a genito. Non autem secundum illud quod generans communicat genito, quia in hoc potius conveniunt. Ergo debet esse in genito aliquid aliud ab eo quod est sibi per generationem communicatum; et ita oportet omne genitum esse compositum, ut videtur. In divinis autem non est aliqua compositio. Ergo non potest esse genitus Deus; et sic non est ibi generatio; et ita ut prius.

3. L'engendeur doit être distinct de l'engendré. Mais pas sur ce que communique l'engendreur à l'engendré, parce que c'est en cela qu'ils se rencontrent le plus. Donc il doit y avoir dans l'engendré quelque chose d'autre que ce qui lui est communiqué par génération; et ainsi il faut, comme on le voit, que tout ce qui est engendré soit composé. Mais en Dieu il n'y a pas de composition. Donc il ne peut y avoir un Dieu engendré; et ainsi il n'y a pas de génération. Et de même que ci-dessus.

 

q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, nihil imperfectionis est Deo attribuendum. Sed omnis potentia respectu sui actus, imperfecta est, tam activa quam passiva. Ergo potentia generativa in Deo ponenda non est.

4. Il ne faut rien attribuer d'imparfait à Dieu[4]; mais toute puissance, tant active que passive, est imparfaite par rapport à son acte[5]. Donc on ne doit pas attribuer de puissance générative à Dieu.

 

q. 2 a. 1 arg. 5 Sed dicit respondens, quod hoc est verum de potentia non coniuncta actui.- Sed contra, omne quod perficitur per alterum est minus perfectum eo per quod perficitur. Sed potentia coniuncta actui perficitur per actum. Ergo actus est ea perfectior; et sic etiam potentia actui coniuncta, respectu actus, imperfecta est.

5. Mais celui qui répond dit que c'est vrai de la puissance qui n'est pas jointe à un acte l'acte – Mais en sens contraire, tout ce qui est achevé par un autre est moins parfait que ce par quoi il est achevé. Mais la puissance jointe à l'acte est achevée par lui. Donc l'acte est plus parfait qu'elle, et ainsi même la puissance jointe à l'acte, par rapport à lui, est imparfaite.

 

q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, natura divina est efficacior in agendo quam natura creata. Sed in creaturis invenitur natura aliqua quae non operatur per aliquam potentiam mediam sed per se ipsam, sicut sol illuminat aerem et anima vivificat corpus. Ergo multo fortius divina natura non per aliquam potentiam, sed per se ipsam est principium generationis; et ita in divinis non est ponenda potentia generativa.

6. La nature divine est plus efficace en agissant que la nature créée. Mais on trouve dans les créatures une nature qui n'opère pas par une puissance intermédiaire mais par elle-même; ainsi le soleil illumine l'air et l'âme donne vie au corps. Donc la nature divine, beaucoup plus intensément est principe de génération, non pas par quelque puissance, mais par elle-même, et ainsi il ne faut pas placer en Dieu de puissance générative.

 

q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, generativa potentia aut attestatur dignitati aut indignitati. Non autem attestatur dignitati, quia sic in superioribus creaturis esset magis quam in infimis, scilicet in Angelis et caelestibus corporibus magis vel potius quam in animalibus et in plantis. Ergo attestatur indignitati, et sic non est in Deo ponenda.

7. La puissance générative révèle sa dignité ou son indignité. Mais elle ne révèle pas sa dignité, sinon elle serait plus dans les créatures supérieures que dans les créatures inférieures, c'est-à-dire dans les anges et les corps célestes, plus ou mieux que dans les animaux et les plantes. Donc elle révèle son indignité et il ne faut pas la placer en Dieu.

 

q. 2 a. 1 arg. 8 Praeterea, in rebus inferioribus duplex invenitur generativa potentia: scilicet completa ut in his quorum generatio est per sexuum commixtionem; et incompleta quae est sine sexuum commixtione ut in plantis. Cum ergo completa Deo non attribuatur, quia non potest poni in divinis sexuum commixtio, videtur quod nullo modo sit ibi potentia generativa.

8. Dans les êtres inférieurs, on trouve deux sortes de puissance générative; à savoir une puissance complète, comme dans ceux dont la génération s'accomplit par union des sexes; et incomplète, sans union des sexes comme dans les plantes. Donc, comme la génération complète n'est pas attribuée à Dieu, parce qu'il n'est pas possible de placer en lui l'union des sexes, on voit bien qu'en aucune manière il n'y a en lui de puissance générative.

 

q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, sub potentia non cadit nisi possibile, cum potentia respectu possibilis dicatur. Sed generationem esse in divinis, non est possibile vel contingens, cum sit aeternum. Ergo respectu eius, potentia in divinis dici non potest; et sic non est ibi generativa potentia.

9. Sous la puissance ne tombe que le possible, puisqu'on dit que la puissance est en rapport avec lui[6]. Mais qu'il y ait de la génération en Dieu n'est ni possible, ni contingent, puisqu'il est éternel. Donc on ne peut parler de puissance en rapport avec lui et ainsi il n'y a pas de puissance générative en lui.

 

q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, potentia Dei cum sit infinita, non finitur neque ad actum neque ad obiectum. Sed si sit in Deo potentia generativa, eius actus erit generatio, effectus vero filius. Ergo potentia patris non se habebit tantum ad unum filium generandum, sed ad plures; quod est absurdum.

10. Comme la puissance de Dieu est infinie, elle ne se termine ni à l'acte, ni à l'objet. Mais s'il y a en Dieu une puissance générative, son action sera la génération, et son effet un fils. Donc la puissance du Père ne consistera pas à engendrer seulement un fils, mais plusieurs, ce qui est absurde.

 

q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea, secundum Avicennam quando res aliqua habet aliquid tantum ab altero, ei secundum se consideratae attribuitur oppositum eius, sicut aer qui non habet lumen nisi ab alio secundum se consideratus est tenebrosus, et per hunc modum omnes creaturae, quae habent ab alio esse, veritatem et necessitatem, secundum se consideratae, sunt non entes, falsae et impossibiles. Sed nihil tale potest esse in divinis. Ergo non potest ibi esse aliquis qui tantum habeat esse ab altero; et ita non potest ibi esse aliquis genitus; et per consequens nec generatio nec generativa potentia.

11. Selon Avicenne[7], quand une chose ne possède quelque chose que d'une autre, c'est son contraire qui lui est attribué[8], considérée en soi; ainsi l'air sans lumière, à moins de la recevoir d'une autre chose, considéré en soi, est ténébreux et de cette manière toutes les créatures qui tiennent d'un autre l'être, la vérité et la nécessité, considérées en soi, sont des non étants, des créatures fausses et impossibles. Mais il ne peut y avoir rien de tel en Dieu. Donc il ne peut y avoir en lui quelqu'un qui tienne son être seulement d'un autre, et ainsi il ne peut y avoir quelqu'un d'engendré, et par conséquent ni génération, ni puissance générative.

 

q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, in divinis filius non habet aliquid nisi quod a patre accipit; aliter sequeretur quod esset ibi compositio. Sed a patre accepit essentiam. Ergo in filio non est nisi essentia. Si ergo est ibi generatio, vel filius est genitus, oportebit essentiam esse genitam; quod est falsum, quia sic essentia distingueretur in divinis.

12. En Dieu, le Fils n'a rien d'autre que ce qu'il reçoit du Père, autrement il s'ensuivrait qu'il y aurait composition. Mais du Père il a reçu l'essence. Donc en lui, il n'y a que l'essence. Si donc il y a génération, ou si le Fils est engendré, il faudra que l'essence soit engendrée, ce qui est faux, parce qu'ainsi elle serait différente.

 

q. 2 a. 1 arg. 13 Praeterea, si pater generat in divinis, oportet quod ei conveniat secundum suam naturam. Sed eadem est natura in patre et filio et spiritu sancto. Ergo eadem ratione et filius et spiritus sanctus generabunt; quod est contra fidei documenta.

13. Si, en Dieu, le Père engendre, il faut que cela convienne à sa nature. Mais la nature est identique dans le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Donc pour la même raison, le Fils et l'Esprit Saint engendreront, ce qui est contre les dogmes de la foi.

 

q. 2 a. 1 arg. 14 Praeterea, natura quae perpetuo et perfecte in uno supposito invenitur, non communicatur alteri supposito. Sed natura divina perfecte invenitur in patre, et perpetuo, cum sit incorruptibilis. Ergo alteri supposito non communicatur; et ita non est ibi generatio.

14. La nature qui se trouve de façon perpétuelle et parfaitement dans un suppôt unique, n'est pas communiquée à un autre. Mais la nature divine se trouve parfaitement dans le Père, et perpétuellement, puisqu'elle est incorruptible. Donc elle n'est pas communiquée à un autre suppôt et ainsi il n'y a pas là de génération.

 

q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, generatio est species mutationis. Sed in divinis non est aliqua mutatio. Ergo nec generatio: ergo nec generativa potentia.

15. La génération est une espèce de changement. Mais en Dieu il n'y pas de changement: donc pas de génération, donc pas de puissance générative.

 

En sens contraire:

q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Secundum philosophum perfectum unumquodque est quando potest alterum tale facere quale ipsum est. Sed Deus pater est perfectus. Ergo potest alterum talem facere qualis ipse est; et sic potest filium generare.

1. Selon le philosophe (Métaphysique, V, 16, 1022 a 2[9]) un être est parfait quand il peut faire un autre tel que lui. Mais Dieu le Père est parfait. Donc il peut faire une autre tel que lui et ainsi il peut engendrer un Fils.

 

q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit quod si pater generare non potuit, impotens fuit. Sed in Deo nullo modo est impotentia. Ergo potuit generare: et sic est ibi potentia generandi.

2. Augustin (Contre Maximinien, III, ch. 7[10]) dit que, si le Père n'a pu engendrer, il a été impuissant. Mais, en Dieu, il n'y a absolument pas d'impuissance. Donc il a pu engendrer et ainsi il a la puissance d'engendrer.

 

Réponse

q. 2 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod natura cuiuslibet actus est, quod seipsum communicet quantum possibile est. Unde unumquodque agens agit secundum quod in actu est. Agere vero nihil aliud est quam communicare illud per quod agens est actu, secundum quod est possibile. Natura autem divina maxime et purissime actus est. Unde et ipsa seipsam communicat quantum possibile est. Communicat autem se ipsam per solam similitudinem creaturis, quod omnibus patet; nam quaelibet creatura est ens secundum similitudinem ad ipsam. Sed fides Catholica etiam alium modum communicationis ipsius ponit, prout ipsamet communicatur communicatione quasi naturali: ut sicut ille cui communicatur humanitas, est homo, ita ille cui communicatur deitas, non solum sit Deo similis, sed vere sit Deus.

Il est de la nature de n'importe quel acte de se communiquer autant que possible. C'est pourquoi chaque agent agit selon qu'il est en acte. Mais agir n'est rien d'autre que communiquer ce par quoi l'agent est acte, dans la mesure du possible. Mais la nature divine est au plus haut point et très exclusivement un acte[11]. C'est pourquoi elle se communique dans la mesure du possible[12]. Elle se communique par sa seule ressemblance aux créatures, ce qui se voit en toutes, car une créature est un étant à sa ressemblance. Mais la foi catholique aussi place un autre moyen de communication selon qu'elle est communiquée d'une manière pour ainsi dire naturelle[13]; ainsi de même que celui à qui est communiquée l'humanité est un homme, de même celui à qui est communiquée la divinité, non seulement est semblable à Dieu, mais il est vraiment Dieu.

 

Oportet autem circa hoc advertere, quod natura divina a formis materialibus in duobus differt:

Mais à ce sujet, il faut faire attention que la nature divine est différente des formes matérielles de deux manières:

 

primo quidem per hoc quod formae materiales non sunt subsistentes; unde humanitas in homine non est idem quod homo qui subsistit: deitas autem est idem quod Deus; unde ipsa natura divina est subsistens.

1) Du fait que ces dernières ne sont pas subsistantes; c'est pourquoi l'humanité dans l'homme n'est pas identique à l'homme qui subsiste; mais la divinité est identique à Dieu, c'est pourquoi sa nature propre est subsistante.

 

Aliud est quod nulla forma vel natura creata est suum esse; sed ipsum esse Dei est eius natura et quidditas; et inde est quod proprium nomen ipsius est: qui est, ut patet Exod. cap. III, 14, quia sic denominatur quasi a propria sua forma.

2) Nulle forme ou nature créée n'est son être, mais l'être même de Dieu est sa nature et sa quiddité[14]; et pour cela son nom propre est Qui est, comme on le voit en Ex. 3,14[15], parce qu'il est ainsi défini comme par sa propre forme.

 

Forma ergo in istis inferioribus, quia per se non subsistit, oportet quod in eo cui communicatur, sit aliquid aliud per quod forma vel natura subsistentiam recipiat: et haec est materia, quae subsistit formis materialibus et naturis. Quia vero natura materialis vel forma, non est suum esse, recipit esse per hoc quod in alio suscipitur; unde secundum quod in diversis est, de necessitate habet diversum esse: unde humanitas non est una in Socrate et Platone secundum esse, quamvis sit una secundum propriam rationem.

Donc, parce que la forme dans les êtres inférieurs ne subsiste pas par elle-même, il faut que ce en quoi elle est communiquée soit quelque chose d'autre par laquelle la forme ou la nature reçoit sa subsistance[16]; et c'est la matière qui subsiste par les formes et les natures matérielles. Mais, parce que la nature matérielle ou la forme n'est pas son être, elle le reçoit du fait qu'elle est reçue dans un autre. C'est pourquoi, selon qu'elle est dans ce qui est différent, elle a nécessairement un être différent. Ainsi l'humanité n'est pas une dans Socrate et Platon selon l'être, bien qu'elle le soit selon sa propre définition.

 

In communicatione vero qua divina natura communicatur, quia ipsa est per se subsistens, non requiritur aliquid materiale per quod subsistentiam recipiat; unde non recipitur in aliquo quasi in materia, ut sic genitus, ex materia et forma inveniatur compositus. Et quia iterum ipsa essentia est suum esse, non accipit esse per supposita in quibus est: unde per unum et idem esse est in communicante et in eo qui communicatur; et sic manet eadem secundum numerum in utroque.

Dans l'acte par lequel la nature divine se communique, parce qu'elle est subsistante par soi, elle n'a pas besoin de quelque chose de matériel pour recevoir sa subsistance; donc elle n'est pas reçue dans quelque chose comme dans la matière, de sorte que ce qui est engendré se trouverait composé de matière et de forme. Et parce que, à nouveau, sa propre essence est son être, elle ne le reçoit pas par les suppôts en qui elle est; c'est pourquoi par un seul et même être, elle est dans celui qui communique et dans celui qui est communiqué et ainsi elle demeure la même selon le nombre dans les deux.

 

Huius autem communicationis exemplum in operatione intellectus congruentissime invenitur. Nam ipsa divina natura spiritualis est, unde per exempla spiritualia melius manifestatur. Cum enim alicuius rei extra animam per se subsistentis noster intellectus concipit quidditatem, fit quaedam communicatio rei quae per se existit, prout a re exteriori intellectus noster eius formam aliquo modo recipit; quae quidem forma intelligibilis, in intellectu nostro existens, aliquo modo a re exteriori progreditur. Sed quia res exterior diversa a natura intelligentis est; aliud est esse formae intellectus comprehensae, et rei per se subsistentis.

L'exemple de cette communication, on le trouve de manière très pertinente dans l'opération de l'esprit[17]. Car la nature divine est spirituelle; c'est pourquoi elle est plus facilement révélée par des exemples spirituels. Car lorsque notre esprit conçoit la quiddité de ce qui subsiste par soi hors de l'âme, ce qui existe par soi se communique dans la mesure où notre esprit reçoit sa forme d'une certaine manière de la réalité extérieure; cette forme intelligible, qui existe dans notre esprit, vient de la réalité extérieure d'une certaine manière. Mais parce que cela est différent de la nature de celui qui la pense, l'être de la forme pensée par l'intellect et de ce qui subsiste par soi est différent.

 

Cum vero intellectus noster sui ipsius quidditatem concipit, utrumque servatur: quia videlicet et ipsa forma intellecta ab intelligente in intellectum aliquo modo progreditur cum intellectus eam format; et unitas quaedam servatur inter formam conceptam quae progreditur et rem unde progreditur, quia utrumque habet intelligibile esse, nam unum est intellectus, et aliud est intelligibilis forma, quae dicitur verbum intellectus. Quia tamen intellectus noster non est secundum suam essentiam in actu perfecto intellectualitatis, nec idem est intellectus hominis quod humana natura; sequitur quod verbum praedictum etsi sit in intellectu, et ei quodammodo conforme, non tamen sit idem quod ipsa essentia intellectus, sed eius expressa similitudo. Nec iterum in conceptione huiusmodi formae intelligibilis, natura humana communicatur, ut generatio proprie dici possit, quae communicationem naturae importat.

Mais quand notre esprit conçoit sa propre quiddité, l'un et l'autre sont conservés, parce que la forme même pensée par celui qui la pense en son esprit sort en quelque manière quand l'esprit lui donne forme et une certaine unité est conservée entre la forme conçue qui sort et ce dont elle sort, parce que les deux ont un être intelligible, car l'un est l'esprit et l'autre la forme intelligible qu'on appelle le verbe de l'esprit. Cependant parce que notre esprit n'est pas, en son essence, en acte parfait d'intelligibilité, et que l'esprit de l'homme n'est pas identique à la nature humaine, il en découle que ce verbe, même s'il est dans l'esprit et de même forme d'une certaine manière, n'est cependant pas le même que l'essence même de l'esprit, mais sa ressemblance exprimée. Et à nouveau, dans la conception d'une forme intelligible de ce genre, la nature humaine n'est pas communiquée, comme on pourrait le dire à proprement parler de la génération qui apporte communication de la nature.

 

Sicut autem in nostro intellectu seipsum intelligente invenitur quoddam verbum progrediens, eius a quo progreditur similitudinem gerens; et ita in divinis invenitur verbum similitudinem eius a quo progreditur habens. Cuius processione in duobus verbi nostri processionem superat.

Dans notre esprit qui se comprend lui-même, on trouve un verbe qui sort, portant ressemblance de ce dont il sort; et de même, en Dieu, on trouve un verbe qui a ressemblance de celui dont il sort. Par sa procession il dépasse en deux points celle de notre verbe.

 

Primo in hoc quod verbum nostrum est diversum ab essentia intellectus, ut dictum est; intellectus vero divinus qui in perfecto actu intellectualitatis est secundum suam essentiam, non potest aliquam formam intelligibilem recipere quae non sit sua essentia; unde verbum eius unius essentiae cum ipso est, et iterum ipsa divina natura eius intellectualitas est; et sic communicatio quae fit per modum intelligibilem, est etiam per modum naturae, ut generatio dici possit;

1) Premièrement, en ce que notre verbe est différent de l'essence de l'esprit comme on l'a dit; mais l'esprit divin qui est, selon son essence, en acte parfait d'intelligibilité, ne peut recevoir une forme intelligible qui ne soit pas son essence. C'est pourquoi son verbe est d'une seule essence avec lui et en plus la nature divine elle-même est son intellectualité et ainsi la communication qui se fait par mode intelligible est aussi par mode de nature pour qu'on puisse l'appeler génération.

 

in quo secundo processionem verbi nostri Dei verbum excedit. Et hunc modum generationis Augustinus assignat.

2) Deuxièmement, le verbe de Dieu dépasse la procession de notre verbe. Et c'est ce mode de génération qu'Augustin attribue à Dieu (La Trinité).

 

Quia vero de divinis loquimur secundum modum nostrum,- quem intellectus noster capit ex rebus inferioribus, ex quibus scientiam sumit,- ideo sicut in rebus inferioribus cuicumque attribuitur actio, attribuitur aliquod actionis principium, quod potentia nominatur; ita et in divinis, quamvis in Deo non sit differentia potentiae et actionis, sicut in rebus creatis. Et propter hoc, generatione in Deo posita, quae per modum actionis significatur, oportet ibi concedere potentiam generandi, vel potentiam generativam.

Parce que nous parlons de Dieu à notre manière: notre esprit prend des choses inférieurs, et il en tire sa connaissance, –aussi de même que dans les êtres inférieurs, à qui que ce soit qu'on attribue l'action, on attribue un principe d'action, qu'on appelle puissance; de même on l'attribue à Dieu, quoique en lui il n'y ait pas, comme dans les créatures, de différence entre la puissance et l'action. Et c'est pour cela qu'une fois établie la génération en Dieu qui est signifiée par son mode d'action, il faut lui accorder la puissance d'engendrer ou puissance générative.

 

Solutions

q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia quae in Deo ponitur nec proprie activa nec passiva est, cum in ipso non sit nec praedicamentum actionis nec passionis, sed sua actio est sua substantia; sed ibi est potentia per modum potentiae activae significata. Nec tamen oportet quod filius sit actus vel factus, sicut nec oportet quod proprie sit ibi actio vel passio.

# 1. La puissance qu'on place en Dieu n'est, à proprement parler, ni active ni passive, puisqu'il n'y a pas en lui les catégories d'action ou de passion[18], mais son action est sa substance, mais c'est là qu'est la puissance signifiée par le mode de puissance active. Cependant il ne faut que le Fils soit ni un acte ou un produit, de même qu'il ne faut pas qu'il y ait là proprement action ou passion.

 

q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum recipere terminetur ad habere, sicut ad finem; dupliciter dicitur aliquid esse recipiens, sicut dupliciter est, habens.

# 2. Comme la réception se termine à la possession en tant qu'elle en est la fin, on parle de deux manières de ce qui reçoit, de même que de ce qui possède.

 

Habet enim uno modo materia formam suam, et subiectum accidens, vel qualitercumque habitum est extra essentiam habentis;

a) Car la matière possède d'une seule manière sa forme et le sujet son accident, même de quelque manière que ce qui est possédé soit hors de l'essence de celui qui le possède.

 

habet autem alio modo suppositum naturam, ut hic homo humanitatem; quae quidem non est extra essentiam habentis, immo est eius essentia. Socrates enim est vere id quod homo est. Genitus ergo in humanis etiam non recipit formam generantis sicut materia formam, vel sicut subiectum accidens sed sicut suppositum vel hypostasis habet naturam speciei; et similiter est in divinis. Unde non oportet quod sit in Deo genito aliqua materia vel subiectum naturae divinae: sed quod ipse filius subsistens sit qui naturam divinam habeat.

b) Mais le suppôt possède sa nature d'une autre manière, comme cet homme possède l'humanité, qui n'est pas hors de l'essence de son possesseur, mais est tout à fait son essence. Car Socrate est véritablement ce qu'est un homme. Donc celui qui est engendré chez les hommes, ne reçoit pas la forme de celui qui l'engendre, comme la matière reçoit sa forme, ou comme le sujet l'accident, mais comme le suppôt ou l'hypostase possède la nature de l'espèce; il en est de même en Dieu. C'est pourquoi il ne faut pas qu'il y ait en ce Dieu qui est engendré de la matière ou un substrat de nature divine: mais que le Fils subsistant soit lui-même celui qui possède la nature divine[19].

 

q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus genitus non distinguitur a Deo generante per aliquam essentiam additam, cum, sicut dictum est, non requiratur aliqua materia in qua recipiatur natura divina. Distinguitur autem per ipsam relationem, quae est ab alio habere naturam, ita quod in filio ipsa relatio filiationis tenet locum omnium principiorum individuantium in rebus creatis (propter quod dicitur proprietas personalis), ipsa autem natura divina tenet locum naturae speciei. Quia autem ipsa relatio secundum rem a natura divina non differt, non fit ibi aliqua compositio, sicut apud nos ex principio speciei et ex individuantibus quaedam compositio relinquitur.

# 3. Dieu engendré n'est pas distinct du Dieu qui engendre par une essence ajoutée, puisque, comme on le dit (dans le corps de l'article), il n'a pas besoin de matière dans laquelle serait reçue la nature divine. Mais il est distingué par la relation qui consiste à posséder sa nature d'un autre, de sorte que dans le Fils la relation de filiation tient lieu de tous les principes qui individualisent dans les créatures (c'est pour cela qu'on l'appelle propriété personnelle), mais la nature divine même tient lieu de la nature de forme (species). Parce que la relation en réalité ne diffère pas de la nature divine; il ne se fait là aucune composition, comme chez nous, une certaine composition demeure par le principe de l'espèce et ce qui l'individualise.

 

q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit, quando potentia illa ab actu differt, sive sit coniuncta actui, sive non; hoc autem non habet locum in divinis.

# 4. Cette raison[20] est valable quand cette puissance est différente de l'acte, qu'elle lui soit jointe, ou non, mais cela n'a pas de place en Dieu.

 

q. 2 a. 1 ad 5 Et sic patet solutio ad quintum.

# 5. Et ainsi la solution à l'objection 5 est évidente.

 

q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omne illud quod est principium actionis, ut quo agitur, habet potentiae rationem; sive sit essentia, sive aliquod accidens medium, puta qualitas quaedam inter essentiam et actionem. In creaturis tamen corporalibus vel vix vel nunquam invenitur aliqua actio alicuius naturae substantialis nisi mediante aliquo accidente: sol enim mediante luce quae in ipso est, illuminat. Quia vero anima vivificat corpus est per essentiam animae. Sed vivificare, licet per modum actionis dicatur, non tamen est in genere actionis, cum sit actus primus magis quam secundus.

# 6. Tout ce qui est principe d'action, comme par quoi il subit, a valeur de puissance; que ce soit l'essence, ou quelque accident intermédiaire; par exemple une qualité entre l'essence et l'action. Cependant dans les créatures corporelles, rarement ou jamais, on ne trouve une action d'une nature substantielle, sinon par quelque accident intermédiaire. Le soleil, en effet, éclaire à l'aide de la lumière, qui est en lui. Ainsi parce que l'âme donne vie au corps c'est par son essence. Mais donner vie, bien qu'on le dise par mode d'action, n'est cependant pas dans le genre de l'action, puisque c'est un acte premier plus qu'un acte second[21].

 

q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in creaturis non potest esse generatio sine divisione essentiae vel naturae secundum esse, cum natura non sit suum esse; et ideo in creaturis est generatio cum aliqua indignitate: et propter hoc in creaturis nobilioribus non competit generatio. Sed in Deo potest esse generatio huiusmodi sine huiusmodi vel alia imperfectione; et ideo nihil prohibet generationem ibi ponere.

# 7. Dans les créatures il ne peut y avoir génération sans division de l'essence ou de la nature selon l'être, puisque la nature n'est pas son être et c'est pourquoi en elles, il y a une génération avec une certaine indignité et c'est pour cela que la génération ne convient pas aux créatures plus nobles. Mais en Dieu il peut y avoir une telle génération sans imperfection de ce genre ou autre et c'est pourquoi rien n'empêche de placer la génération en lui.

 

q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa ratio procedit de generatione materiali; unde ad propositum, locum non habet.

# 8. Cette raison procède de la génération matérielle; donc elle n'a pas place dans notre propos.

 

q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illud quod est obiectum potentiae activae vel passivae cuius actio vel passio est cum motu, oportet esse possibile et contingens, cum omne mobile huiusmodi sit. Talis autem non est potentia generativa in Deo, ut dictum est; unde ratio non sequitur.

# 9. Ce qui est l'objet d'une puissance active ou passive, dont l'action ou la passion est avec mouvement, doit être possible et contingent, puisque tout ce qui est mobile est de ce genre. Mais telle n'est pas la puissance générative en Dieu, comme on l'a dit; donc cette raison ne convient pas.

 

q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod filius Dei non se habet ad potentiam generativam sicut effectus, cum eum genitum, non factum confiteamur. Si tamen esset effectus, potentia generantis non finiretur ad ipsum, quamvis alius generari filius non possit, quia ipse infinitus est. Quod autem alius filius in divinis esse non potest, contingit, quia ipsa filiatio est proprietas personalis ipsius; et hoc quo, ut ita dicam, individuatur. Cuilibet autem individuo principia individuantia sunt soli sibi; alias sequeretur quod persona vel individuum esset communicabile ratione.

# 10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis-à-vis de la puissance générative comme un effet, puisque nous confessons qu'il est engendré et non créé. Si cependant il était un effet, la puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas à lui bien qu'un autre fils ne puisse être engendré, puisqu'il est lui-même infini. Mais le fait qu'un autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que la filiation même est sa propriété personnelle et ce par quoi il est personalisé pour ainsi dire. Pour n'importe quel individu les principes qui individualisent sont pour lui seul; autrement il s'ensuivrait que la personne ou l'individu serait communicable en raison.

 

q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum illud Avicennae intelligendum est, quando id quod recipitur ab alio, non idem numero est in recipiente et dante, sicut accidit in creaturis respectu Dei. Unde omne receptum in creatura, est quasi unitas respectu esse divini: quia creatura non potest esse recipere secundum illam perfectionem quae in Deo est. Sed filius in divinis accipit a patre eamdem naturam numero quam pater habet: et ideo non procedit.

# 11. Il faut comprendre que ce mot d'Avicenne s'applique quand ce qui est reçu d'un autre n'est pas identique en nombre dans celui qui reçoit et celui qui donne, comme cela arrive pour les créatures par rapport à Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reçu dans la créature est comme une unité par rapport à l'être divin; parce que la créature ne peut pas recevoir l'être selon cette perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reçoit du Père une nature identique en nombre à celle du Père; et c'est pourquoi, cette objection n'est pas valable.

 

q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod filius non habet aliquid realiter divisum ab essentia quam a patre recipit: sed hoc ipso quod a patre recipit, oportet in ipso esse relationem qua ad patrem referatur, et per quam ab eo distinguatur. Ipsa tamen relatio realiter ab essentia non differt.

# 12. Le Fils n'a rien qui soit réellement séparé de l'essence qu'il reçoit du Père; mais il faut que ce qu'il reçoit du Père soit en lui une relation par laquelle il se réfère au Père, et par laquelle il est distingué de lui. Cependant cette relation n'est pas réellement différente de l'essence[22].

 

q. 2 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet eadem natura sit in patre et filio, est tamen secundum alium modum existendi, scilicet cum alia relatione et ideo non oportet quod quidquid convenit patri per naturam suam, conveniat filio.

#13. Bien que la nature soit la même dans le Père et le Fils, elle présente un autre mode d'existence, c'est-à-dire avec une autre relation et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Père par sa nature convienne au Fils.

 

q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod creaturae per hoc quod participant naturam speciei, pertingunt ad divinam similitudinem: unde quod aliquod suppositum creatum subsistat in natura creata, est ordinatum ad alterum tamquam ad finem; et ideo ex quo sufficienter pervenitur ad finem per unum individuum, secundum perfectam et propriam participationem naturae speciei, non oportet aliud individuum in illa natura subsistere. Sed natura divina est finis: et non propter aliquem finem. Fini autem congruit ut communicetur secundum omnem possibilem modum. Unde quamvis ibi in uno supposito perfecte et proprie inveniatur; nihil prohibet quin etiam inveniatur in alio.

# 14. En participant à la nature de l'espèce, les créatures parviennent à la ressemblance divine: c'est pourquoi le fait qu'un suppôt créé subsiste dans la nature créée est ordonné à un autre comme à sa fin, et ainsi du fait qu'on parvient avec suffisance à la fin par un individu, selon la participation parfaite et propre de la nature de l'espèce, il ne faut pas qu'un autre individu demeure dans cette nature. Mais la nature divine est la fin et non en vue d'une fin. Il convient à une fin d'être communiquée, de toute manière possible. C'est pourquoi, quoique là on le trouve dans un suppôt parfaitement et en propre, rien n'empêche qu'on le trouve dans un autre.

 

q. 2 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod generatio est species mutationis ex parte illa qua natura per generationem communicata recipitur in aliqua materia, quae est mutationis subiectum. Hoc autem non accidit in divina generatione; ideo ratio non sequitur.

# 15. La génération est une espèce de changement du côté où la nature communiquée par génération est reçue dans une matière qui est le sujet du changement. Mais cela n'arrive pas dans la génération divine, c'est pourquoi l'argument ne convient pas.

 

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[1] Parall.: Ia. qu. 27. a. 2 – Ia, q. 41, a. 4 –1 Sent., d7q1a1. Contra Graecos, 3, Compendium 40, 43 – (Ad Col. 1, lectio 4).

 

[2] La puissance active est comprise ici comme dans la question I, comme puissance créatrice, puissance de faire, qui aboutit à une créature.

 

[3] Démonstration de la deuxième proposition du syllogisme. Les propositions sont ici numérotées. La génération est ici conçue à l'image de la génération des créatures où il y a communication et réception dans la matière.

 

[4]Anselme, Monologium, XV. Cf. Pot. 1, 1, obj. 2.

 

[5]Vient d'Aristote. Métaphysique, IX, 9, 1051 a 4-15. L'argument est utilisé pour la puissance en général. "Toute puissance trouve plus parfait qu'elle, à savoir la forme pour la puissance passive et l'opération pour la puissance active." Cf. obj. suivante.

 

[6] Cela a été démontré qu. 1, a. 3.

 

[7] Avicenne, Ibn Sina, 980-1037, médecin, philosophe et théologien arabe. Il vécut en Perse de 980 à 1037. Son oeuvre a eu une influence importante sur la philosophie chrétienne de l'âge scolastique. Il est souvent cité dans le De potentia. Son influence y est importante."...l'ordre du De potentia s'explique bien si on l'oppose à une philosophie émanatiste, analogue à celle d'Avicenne..." Maurice Bouyges, l'idée génératrice du De potentia de saint Thomas, p. 267.

 

L'objection courantes des Musulmans contre la Trinité est qu'elle est impossible à cause de la simplicité de Dieu. Ici c'est une seconde objection.

 

[8] La génération s'opère dans l'opposé.

 

[9] De Finance, p. 187, note 1. Les références en Pot. 3, 9, obj. 25, sont Météores IV, 3, 380 a 11-15 - L'âme, II, 4, 415 a 33. Cf. Ia, qu. 4, a. 1.

 

[10] PL 42, 762.

 

[11] Il est acte pur.

 

[12] Il s'agit du possible dans ce qui reçoit. Cf. Rosemann, P.W. Omne ens est aliquid Louvain, Paris 1996. "Puisque "l'autre" sur lequel porte l'opération porte aussi une tendance à s'épanouir qui s'opposera à celle de l'agent, aucun action ne parviendra à s'assimiler tout à fait "l'autre" avec lequel elle entre en contact." p. 66.

 

L'argumentation est la même que chez Albert. Cf. P. Vanier, Théologie trinitaire chez saint Thomas d'Aquin, Montréal, Paris, 1953, p. 46.

 

[13] Thomas démontrera que la création dépend de la volonté et la génération est de la nature (a. 3). En I Sent, d7q1a1, en parallèle à la puissance naturelle chez l'homme, il place en Dieu une puissance rationnelle (potentia rationalis), et en Ia,qu. 27,a. 2, c, un modus intelligibilis actionis (mode d'activité intellectuelle, Trad. Éd. des Jeunes). La conception de l'esprit est la ressemblance de la chose conçue, mais ici il ne parle pas de puissance, mais de communication.

 

[14] Quiddité: nature d'une chose telle qu'elle est exprimée par sa définition.

 

[15] Cf. note de la solution 9 en Pot. qu. 10, a. 1. Ce nom est considéré comme celui qui convient le mieux.

 

[16] Au sens scolastique du terme. "Car selon que la substance existe par soi et non dans un autre, elle est appelée subsistance, car nous disons que subsiste ce qui n'est pas dans un autre, mais qui existe en soi" (Ia, qu. 29, a. 2, Cf. Pot. 9, 1, c). La subsistance est "le mode substantiel terminant l'essence individuelle et la rendant incommunicable", (Gardeil, Métaphysique, p. 231). Elle est différente de l'essence et de l'existence.

 

[17] Thomas emploie ici presque exclusivement dans le de Potentia, le terme intellectus, mais dans les passages parallèles des Sentences, il se sert plutôt du mot mens.

 

[18] La substance est la première catégories, mais elle n'est pas un accident.

 

[19] On peut résumer ainsi la sol. 2: Deux réceptions, c'est-à-dire 1. Le devenir en acte: la matière reçoit la forme, le sujet l'accident. 2. La génération: le suppôt reçoit la nature de son espèce qui est son essence. C'est identique en Dieu où il n'y a pas de matière. Le Fils reçoit la nature divine.

 

[20] La puissance est imparfaite par rapport à l'acte. "Toute puissance trouve plus parfait qu'elle ..." Cf. Pot. qu. 1, a. 1. qui renvoie à Métaphysique, IX, 9,1051 a 4-15.

 

[21] Il s'agit d'une mise en forme et non d'une action réelle.

 

[22] Cf. qu. 8, a. 2.

 

 

Article 2: Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la notion ?

q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum potentia generativa in divinis dicatur essentialiter vel notionaliter. Et videtur quod notionaliter tantum.                                  

Il semble que c'est selon la notion seulement.

Objections[1][1]:

q. 2 a. 2 arg. 1 Potentia enim rationem principii habet, ut patet per definitiones positas V Metaph. Sed principium in divinis respectu divinae personae notionaliter dicitur. Cum ergo potentia generandi hoc modo principium importet, videtur quod notionaliter dicatur.                                 

1. Car la puissance a raison de principe, comme on le voit dans les définitions données au livre V de la Métaphysique (V, 12, 1019 a 15-16[2][2]). Mais on parle de principe en Dieu en rapport avec la personne divine selon la notion. Donc comme la puissance d'engendrer de cette manière apporte un principe, il semble qu'on en parle selon la notion.

q. 2 a. 2 arg. 2 Sed dicitur, quod significat simul essentiam et notionem. Sed contra, in divinis, secundum Boetium, sunt haec duo praedicamenta; substantia, ad quam pertinet essentia; et ad aliquid, ad quod pertinent notionalia. Non potest autem aliquid esse in duobus praedicamentis, quia homo albus non est aliquid unum nisi per accidens, ut habetur V Metaph. Ergo potentia generandi non potest in sua ratione utrumque complecti, scilicet substantiam et notionem.      

2. Mais on dit que la puissance signifie en même temps l'essence et la notion. – En sens contraire en Dieu, selon Boèce[3][3] (la Trinité, V), il y a ces deux catégories: la substance à laquelle se rattache l'essence; et la relation à laquelle se rattachent les notions[4][4]. Mais rien ne peut être dans deux catégories, parce que l'homme blanc n'est quelque chose d'unique que par accident, comme on le dit (Cf. Métaphysique V, 7, 1017 a 8 ss[5][5].). Donc la puissance d'engendrer ne peut pas par définition embrasser les deux, c'est-à-dire la substance et la notion.

q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, principium in divinis distinguitur ab eo cuius est principium. Sed essentia non debet distingui. Ergo non competit ei ratio principii: et ita potentia, quae rationem principii includit, non significat essentiam.     

3. En Dieu, on distingue le principe de ce dont il est le principe. Mais on ne doit pas faire de distinctions pour l'essence. Donc la raison de principe ne lui convient pas, et ainsi la puissance, qui inclut la raison du principe, ne signifie pas l'essence[6][6]. 

q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, in divinis quod est proprium, est relativum et notionale; quod vero est commune, est essentiale et absolutum. Potentia autem generandi non est communis patri et filio, sed propria patris. Ergo dicitur relative sive notionaliter, non essentialiter nec absolute.       

4. En Dieu, ce qui est en propre est relatif et notionnel[7][7], et ce qui est commun, essentiel et absolu. Mais la puissance d'engendrer n'est pas commune au Père et au Fils, mais propre au Père. Donc on la définit comme relative ou notionnelle, mais non comme essentielle ou absolue.

q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, propriae actionis est principium propria forma, non communis; sicut homo per intellectum intelligit: nam haec actio est sibi propria respectu animalium aliorum, sicut et forma rationalitatis sive intellectualitatis. Sed generatio est propria operatio patris in quantum est pater. Ergo eius principium est paternitas, quae est propria forma patris, et non deitas, quae est forma communis. Paternitas vero ad aliquid dicitur. Ergo potentia generandi non solum quantum ad rationem principii, sed etiam quantum ad id quod est principium, dicitur ad aliquid.      

5. Le principe de l'action propre est la forme propre, non commune; ainsi l'homme comprend par son esprit; car cette action lui est propre par rapport aux autres êtres animaux, de même que la forme de la rationalité ou de l'intellectualité. Mais la génération est l'opération propre du Père en tant que tel. Donc son principe est la paternité qui est la forme propre du Père et non la divinité qui est la forme commune. Et la paternité est désignée comme une relation. Donc la puissance d'engendrer, non seulement quant à la nature du principe, mais aussi quant à ce pour quoi elle est principe, est appelée relation.

q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut potentia generandi realiter ab essentia divina non differt, ita nec etiam paternitas. Sed hoc non obstante paternitas dicitur tantum ad aliquid. Ergo nec propter hoc debet dici quod potentia generandi, cum relatione significet essentiam.                                 

6. La puissance d'engendrer ne diffère pas réellement de l'essence divine, la paternité non plus. Cependant cela n'empêche pas que la paternité ne soit définie qu'en tant que relation. Donc ce n'est pas à cause de cela qu'on doit dire que la puissance d'engendrer signifie l'essence avec une relation.

q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, in divinis tria invenimus quae rationem principii habent, scilicet potentiam et scientiam et voluntatem, quae essentialiter dicuntur in Deo. Sed scientia et voluntas non simul significantur cum aliqua relatione vel notione in divinis. Ergo pari ratione nec potentia; et sic non potest dici quod potentia generandi significet simul essentiam ex parte potentiae, et notionem ex parte generationis; sed videtur quod significet tantum notionem per rationes inductas.  

7. En Dieu, nous trouvons trois attributs qui ont raison de principe, à savoir la puissance, la science et la volonté, dont on parle en lui en rapport avec l'essence. Mais on ne signifie pas la science et la volonté en même temps avec une relation ou une notion. Donc, à raison égale, la puissance non plus, et ainsi on ne peut pas dire que la puissance d'engendrer signifie en même temps l'essence du côté de la puissance et la notion du côté de la génération, mais il semble qu'elle signifie seulement la notion pour les raisons invoquées.

En sens contraire.

q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Magister dicit, 7 dist., I Senten., quod potentia generandi in patre est ipsa divina essentia.                                                 

1. Il y a ce que dit la Maître des sentences (I Sent. d7[8][8])  que la puissance d'engendrer dans le Père est l'essence divine même.

q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius dicit, quod pater generat virtute naturae divinae. Ergo ipsa natura est generationis principium; et sic rationem potentiae habet.     

2. Hilaire dit (Les synodes[9][9]) que le Père engendre par le pouvoir de sa nature divine. Donc sa propre nature est le principe de la génération et ainsi elle a raison de puissance.

q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Damascenus dicit, quod generatio est opus naturae existens; et sic idem quod prius.          

3. Jean Damascène (La foi orthodoxe, 1, 8[10][10]) dit que la génération est l'oeuvre de la nature et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 2 s. c. 4 Praeterea, in divinis est tantum una potentia. Sed potentia creandi dicitur essentialis. Ergo et potentia generandi.                                               

4. En Dieu, il n'y a qu'une seule puissance[11][11]. Mais on dit que la puissance de créer est essentielle[12][12]. Donc la puissance d'engendrer aussi.

Réponse.

q. 2 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod circa hoc est multiplex opinio.

Quidam enim dixerunt, quod potentia generandi in divinis dicitur tantum ad aliquid: et movebantur hac ratione: quia potentia secundum suam rationem est principium quoddam; principium autem relative dicitur et est notionale, si referatur ad divinam potentiam et non ad creaturas. Sed in hac ratione videntur fuisse decepti propter duo: `          

Sur ce sujet les opinions sont nombreuses.

A) Car certains ont dit qu'on parle de la puissance d'engendrer en Dieu seulement comme relation[13][13], et ils y étaient poussés parce que la puissance par nature est un principe; on dit d'un principe qu'il est relatif et il est notionnel, si on le rapporte à la puissance divine et non aux créatures.Mais dans ce raisonnement, ils paraissent s'être trompés pour deux raisons:

primo, quia licet potentiae conveniat ratio principii, quod in genere relationis est, tamen id quod est principium actionis vel passionis, non est relatio, sed aliqua forma absoluta; et id est essentia potentiae; et inde est quod philosophus ponit potentiam non in genere relationis, sed qualitatis, sicut et scientiam, quamvis utrique aliqua relatio accidat.           

a) Parce que, bien que la nature du principe, qui est dans le genre de la relation, convienne à la puissance, cependant ce qui est principe d'action ou de passion n'est pas une relation mais une forme absolue; et c'est l'essence de la puissance; et de là vient que le philosophe place la puissance non pas dans le genre de la relation mais dans celui de qualité comme la connaissance aussi, quoique en chacune des deux on trouve une relation[14][14].

Secundo, quia ea quae in divinis important principium respectu operationis, non dicuntur notionaliter, sed solum ea quae dicunt principium respectu eius quod est operationis terminus: principium enim quod notionaliter dicitur in divinis, est respectu personae subsistentis; operatio autem non significatur ut subsistens: unde ea quae respectu operationis rationem principii habent, non oportet in divinis notionaliter dici; alias voluntas et scientia et intellectus et omnia huiusmodi notionaliter dicerentur.                                              

b) Parce qu'on ne désigne pas comme notion ce qui apporte en Dieu un principe en rapport avec l'opération, mais seulement de ce qu'ils appellent le principe en rapport avec le terme de l'opération[15][15]; car le principe qu'on désigne comme notion en Dieu, est en rapport avec une personne subsistante; mais l'opération n'est pas signifiée comme subsistante. C'est pourquoi ce qui a raison de principe en rapport avec l'opération ne doit pas être signifié en Dieu comme une notion, autrement la volonté, la connaissance, l'esprit et tout ce qui est de ce genre serait signifié comme notions.

Potentia autem, licet sit principium quandoque et actionis et eius quod est per actionem productum, tamen unum accidit ei, alterum vero competit ei per se: non enim potentia activa semper, per suam actionem, aliquam rem producit quae sit terminus actionis, cum sint multae operationes quae non habent aliquid operatum, ut philosophus dicit; semper enim potentia est actionis vel operationis principium. Unde non oportet quod propter relationem principii, quam nomen potentiae importat, relative dicatur in divinis.                         

Mais bien que la puissance soit parfois principe de l'action et de ce qu'elle produit, cependant une seule chose lui arrive, et l'autre lui convient par soi; car la puissance active, par son action, ne produit pas toujours ce qui est le terme de l'action, puisqu'il y a de nombreuses opérations qui n'ont aucun résultat, comme le philosophe le dit (Éthique I, 1, 1094 a 4 et Métaphysique IX, 8, 1050 a 3[16][16]), car la puissance est toujours principe de l'action ou de l'opération. Donc il ne faut pas que, à cause de la relation de principe qu'introduit le nom de puissance, on en parle selon la relation en Dieu.

Ipsa etiam positio veritati consona non videtur. Nam si id quod est potentia, est ipsa res quae est principium actionis, oportet naturam divinam esse id quod est principium in divinis: cum enim omne agens, in quantum huiusmodi, agat simile sibi, illud est principium generationis in generante secundum quod genitus generanti similatur, homo enim virtute humanae naturae generat filium, qui sibi in natura humana similis invenitur: Deo autem patri conformis est Deus genitus in natura divina: unde natura divina est generationis principium, ut cuius virtute generat pater, sicut Hilarius dicit, loc. cit.     

Cette position ne semble pas non plus en accord avec la vérité. Car si ce qui est la puissance est ce qui est principe de l'action, il faut que la nature divine soit ce qui est le principe en Dieu; puisque, en effet, tout agent, en tant que tel, fait du semblable à lui; c'est cela le principe de la génération dans celui qui engendre selon que l'engendré lui ressemble, car l'homme par le pouvoir de sa nature, engendre un fils qui se trouve lui ressembler dans la nature humaine, mais le Dieu engendré dans la nature divine est conforme à Dieu le Père. C'est pourquoi la nature divine est principe de génération, comme de ce que le Père engendre par son pouvoir, comme le dit Hilaire (Loc. cit.).

et propter hoc alii dixerunt, quod potentia generandi significat essentiam tantum. Sed illud etiam conveniens non videtur: actio enim quae fit virtute naturae communis per aliquid sub natura communi contentum, aliquem modum accipit ex propriis illius principiis; sicut actio quae debetur naturae animalis, fit in homine secundum quod competit principiis speciei humanae: unde et homo perfectius habet actum virtutis imaginativae quam alia animalia, secundum quod competit eius rationalitati. Similiter etiam actio hominis invenitur in hoc et in illo homine secundum quod competit principiis individualibus huius vel illius, ex quibus contingit quod unus homo clarius alio intelligit. Et ideo oportet quod si natura communis sit principium alicuius operationis quae solum patri convenit, oportet quod sit principium, secundum quod competit proprietati personali patri. Et propter hoc in ratione potentiae includitur quodammodo paternitas, etiam quantum ad id quod est generationis principium.

B) Et c'est pour cela que d'autres ont dit que la puissance d'engendrer signifie l'essence seulement. Mais même cela ne paraît pas convenir. Car l'action qui se fait par le pouvoir d'une nature commune par quelque chose contenu dans la nature commune, reçoit un mode par ses propres principes; de même que l'action, due à la nature de l'animal est accomplie dans l'homme selon qu'elle répond aux principes de l'espèce humaine: c'est pourquoi l'homme a un acte de son pouvoir imaginatif  plus parfait que les autre animaux, selon qu'il répond à sa rationalité. De la même manière, on trouve l'action de l'homme dans cet homme et dans celui-là, selon qu'il répond aux principes individuels de celui-ci ou celui-là, par lesquels il se trouve qu'un homme pense plus clairement qu'un autre. Et c'est pourquoi, si la nature commune est le principe d'une opération qui convient seulement au Père, il faut qu'elle soit le principe, selon qu'elle convient par la propriété personnelle du Père. Et à cause de cela la paternité est incluse d'une certaine manière aussi dans la nature de la puissance, pour ce qui est aussi le principe de la génération.

Et propter hoc cum aliis dicendum est, quod potentia generandi simul essentiam et notionem significat.

C) Et c'est pour cela qu'il faut le dire avec d'autres[17][17], la puissance d'engendrer signifie en même temps essence et notion.

Solutions:

q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia importat rationem principii respectu operationis, quae notionaliter non dicitur in divinis, ut dictum est.           

# 1. La puissance apporte une raison de principe en rapport avec l'opération dont on ne parle pas comme une notion en Dieu, comme on l'a dit[18][18].

q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis unum praedicamentum accidit alteri, propter quod non potest ex duobus fieri unum, nisi unum per accidens; sed in divinis relatio est realiter ipsa essentia: et ideo non est simile.       

# 2. Dans les créatures, il n'y a qu'une seule catégorie qui arrive dans une autre, parce qu'on ne peut de deux en faire une à moins qu'elle ne soit une, par accident[19][19]; mais en Dieu, la relation est réellement l'essence même et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis principium generationis est duplex, scilicet generans et quo generatur: sed generans quidem per generationem distinguitur a genito, cum nulla res generet se ipsam; sed id quod generans generat, non distinguitur, sed est commune utrique, ut dictum est, in corp. art. unde non oportet naturam divinam distingui, sicut potentia generandi, cum potentia sit principium ut quo.    

# 3. Dans les créatures, le principe de la génération est double: celui qui engendre et ce par quoi il est engendré; mais celui qui engendre est différent de l'engendré par la génération, puisque rien ne s'engendre soi-même; mais ce que ce qui engendre engendre n'est pas différent, mais est commun à l'un et à l'autre, comme on l'a dit, dans le corps de l'article. C'est pourquoi il ne faut pas que la nature divine soit différent comme la puissance d'engendrer, puisque la puissance est le principe d'origine.

q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratione relationis implicitae, potentia generandi non est communis, sed propria.                                                              

# 4. Par la nature de la relation implicite, le pouvoir d'engendrer n'est pas commun, mais personnel.

q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in qualibet generatione principium generationis principaliter non est aliqua forma individualis, sed forma quae pertinet ad naturam speciei. Item non oportet quod genitum similetur generanti quantum ad conditiones individuales, sed quantum ad naturam speciei. Paternitas autem non est in patre per modum formae speciei, sicut humanitas in homine, sic enim in eo est divina natura; sed est in eo, ut ita dicam, sicut principium individuale, est enim proprietas personalis: et ideo non oportet quod sit generationis principium principaliter, sed quodammodo cointellectum ratione supradicta: aliter sequeretur quod pater per generationem non solum deitatem, sed paternitatem communicaret; quod est inconveniens.                                     

# 5. Dans n'importe quelle génération, le principe n'est pas principalement une forme individuelle, mais celle qui répond à la nature de l'espèce. D'autre part, il ne faut pas que l'engendré ressemble à celui qui engendre pour les caractères individuels, mais pour la nature de l'espèce. La paternité n'est pas dans le Père à la manière d'une forme d'espèce, comme l'humanité dans l'homme, car ainsi il y a en lui la nature divine; mais elle est en lui, pour ainsi dire, comme principe individuel, car elle est une propriété personnelle; et c'est pourquoi il ne faut pas qu'elle soit principalement le principe de la génération mais d'une certaine manière, comprise avec lui pour la raison qu'on a donnée; autrement il en découlerait que le Père communiquerait non seulement la divinité par génération mais aussi sa paternité, ce qui ne convient pas.

q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentia generandi est idem realiter cum natura divina ita quod natura includitur in ratione ipsius: non autem sic est de paternitate, unde non est simile.     

# 6. La puissance d'engendrer est identique en réalité à la nature divine, de sorte que la nature est incluse dans sa raison d'être, mais il n'en est pas ainsi de la paternité, donc ce n'est pas pareil.

q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod scientia vel voluntas non est principium generationis, cum generatio sit naturae, quae in quantum est actionis principium, rationem potentiae habet. Et inde est quod potentia consignificatur cum eo quod est ad aliquid in divinis, non autem scientia vel voluntas.    

# 7. La science ou la volonté n'est pas un principe de génération, puisque celle-ci vient de la nature, qui, en tant que principe d'action, a raison de puissance. Et de là vient que la puissance est signifiée en même temps avec ce qui est relation en Dieu, mais non la connaissance ou la volonté.

q. 2 a. 2 ad s. c. Ad ea autem quae sunt in contrarium de facili patet responsio ex praedictis.

A partir de ce qui vient d'être dit, la réponse est facile pour les arguments contraires.

 


[20][1] Parall.: Ia, qu. 41, a. 1, ad 1 et 2, a.5 – I Sent. d7q1a1,  ad 2 et a.2– d6q1a.3 – (Sur les notions voir I Sent. d33a2 - Ia, 32, a. 2). L'article revient à poser la question suivante: la puissance générative procède-t-elle de l'essence ou bien elle est une notion, c'est-à-dire la propriété caractéristique d'une personne. On désigne les notions en Dieu non comme des réalités mais des raisons formelle par lesquelles sont connues les personnes, bien que les notions ou les relations soient réellement en Dieu » (Ia, qu. 28, a.1). «L'Écriture n'en fait pas mention: mais elle signale les personnes en qui on comprend les notions comme l'abstrait dans le concret.» Ia, qu. 32, a. 2, sol. 1. Les actes qui désignent l'ordre des origines sont appelés des actes notionnels (notionales) quia notiones personarum sunt personarum habitudinem ad invicem (Cf. Ia, 32, 2, 3). Les notions personnelles sont au nombre de 3: paternité, filiation, procession. «L'origine ne peut être désignées que par des actes», C'est pourquoi il a fallu attribuer des actes notionnels aux personnes. Ia, qu. 41, a, 1 c2). Cet élément doit appartenir aux relation d'origine en dehors desquelles tout en Dieu est commun.

[21][2] . «On appelle puissance le principe du mouvement ou du changement, qui est dans un autre être, ou dans le même être en tant qu'autre.» (Trad. J.Tricot, p. 283-284). Déjà cité qu. 1. a. 1. Ici, et plusieurs fois ailleurs, Thomas ne retient que la notion de principe parce que le principe suppose une relation.

[22][3] . Boèce, philosophe chrétien, (480-   524 ou 526). Thomas a commenté son De Trinitate, et le De hebdomadibus. Il cite aussi dans le De potentia les Deux natures du Christ. Ses opuscules ont été lus et commentés par les scolastiques. Il est le dernier représentant de la philosophie occidentale avant le Moyen Age.

[23][4] . Rappelons que les Catégories (ou prédicaments) genres suprêmes de l'être, comprennent la substance et neuf accidents, la relation est le troisième (Aristote Catégories, (c. 5 et 7). On parle de substance en Dieu par analogie. Quant à la relation, vu son peu de réalité, et le fait qu'elle renvoie à autre chose, elle peut-être acceptée pour Dieu, parce qu'elle n'est pas réellement un accident.

[24][5] . L'être par accident: «Il est par accident quand, par exemple, nous disons que le juste est musicien, ou que l'homme est musicien...» "L'homme blanc" est un exemple donné par Boèce.

[25][6] . En Pot. qu. 1. a. 1, il a montré que la puissance appartient à l'essence. (v.g. ad 5, ad 9. Cf. ici sc. 1)

[26][7] . Cela sera montré plus clairement dans la question 8. En Dieu, ce qui est commun, c'est l'essence ; la personne est signifiée par la relation. A ce sujet, il cite Jean Damascène (la foi orthodoxe) I, 11. (qu. 8, a. 1, obj. 1).

[27][8] . «Le Père n'est puissant pour engendrer que par nature. Car sa puissance est sa nature ou son essence» (§6).

[28][9] . PL 10, 520 C, XXIV, 58.

[29][10] . I, 8, PG. 94, 813 A. «C'est de la nature du Père que vient la génération.» (Trad. E. Ponsoye).

[30][11] . Cette affirmation anticipe l'article 6 de la question.

[31][12] . Concerne l'essence.

[32][13] . Cf. Pot. qu. 1 a. 1, obj. 3: Le principe est une relation.

[33][14] . Cf. Aristote, Catégories, 8, 9 a 17. Il s'agit de la relation de celui qui connaît au connaissable, très souvent évoquée comme typique.

[34][15] . Cf. Pot. qu. 1, a. 1, ad 1, la puissance est non seulement le principe de l'opération, mais aussi de l'effet, mais ici l'effet est différent.

[35][16] . Il s'agit de l'action ad intra. Aristote, Éthique « Mais on observe en fait une certaine différence entre les fins: les unes consistent dans des activités, et les autres dans certaines oeuvres distinctes des activités elles-mêmes.» (Trad. J.  Tricot).

[36][17] . Cf. Ia, qu. 41, a. 5, «Il faut dire que la puissance d'engendrer signifie principalement l'essence divine, comme le Maître des Sentences le dit (I Sent. d7), mais pas la relation seulement.».

[37][18] . Voir Pot. I, qu. 1, a. 1, ad 3. Cf. I Sent. d42q1a2, ad 1. «La puissance générative désigne ce qui concerne l'essence joint à ce qui concerne la notion, comme, quand on dit Dieu engendre ... Car le Père engendre par la même puissance que le Fils naît, mais la notion demeure le propre du Père».

[38][19] . Les catégories sont ici la substance et la notion.

 

Article 3: La puissance générative en son acte de génération procède-t-elle du pouvoir de la volonté?

 

Qu. 2, a. 3q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia generativa in actum generationis procedat per imperium voluntatis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

 

Objections[1].

q. 2 a. 3 arg. 1 Hilarius enim dicit, quod non naturali ductus necessitate pater genuit filium. Sed si non genuit voluntate, genuit naturali necessitate, quia agens vel est voluntarium vel naturale. Ergo pater genuit filium voluntate; et sic potentia generativa per imperium voluntatis exit in actum generandi.

1. Hilaire dit, en effet, dans Les Synodes (PL. 10, 59[2]) que "ce n'est pas poussé par une nécessité naturelle que le Père a engendré le Fils". Mais s'il n'a pas engendré volontairement, il l'a engendré par nécessité naturelle, parce qu'un agent agit par volonté ou par nature. Donc le Père a engendré le Fils par volonté, et ainsi la puissance générative en vient à l'acte d'engendrer par le pouvoir de la volonté.

 

q. 2 a. 3 arg. 2 Sed dicebat, quod pater non genuit filium neque voluntate praecedente, neque voluntate consequente, sed concomitante.- Sed contra, videtur quod haec ratio sit insufficiens. Cum enim quidquid est in Deo sit aeternum, nihil quod est in Deo, potest tempore praecedere aliquid in Deo existens: et tamen invenitur quod aliquid habet ad aliud rationem principii, sicut voluntas Dei ad electionem qua eligit iustos ex hoc solo quod ab intellectu procedit. Ergo quamvis voluntas generationem filii tempore non praecedat, nihilominus, ut videtur, potest poni principium generationis filii ex hoc quod procedit ab intellectu.

2. Mais on pourrait dire que le Père n'a engendré le Fils, ni par volonté antécédente ni volonté conséquente, mais volonté concomitante. – En sens contraire, cette raison semble insuffisante. Comme, en effet, tout ce qui est en Dieu est éternel, rien de ce qui est en lui ne peut précéder chronologiquement ce qui existe en lui et cependant on trouve que quelque chose a raison de principe pour une autre; comme la volonté de Dieu pour l'élection par laquelle il élit les justes du seul fait que cela procède de son esprit. Donc quoique la volonté ne précède pas la génération du Fils chronologiquement, néanmoins, à ce qu'il semble, on peut poser le principe de la génération du Fils du fait qu'il procède de son esprit.

 

q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, filius procedit per actum intellectus cum procedat ut verbum: verbum enim intellectuale non est nisi cum intelligimus aliquid cogitantes, ut Augustinus dicit. Sed voluntas est principium intellectualis operationis: imperat enim actum intellectus, sicut et aliarum potentiarum, ut Anselmus dicit; intelligo enim quia volo, sicut et ambulo quia volo. Ergo voluntas est principium processionis filii.

3. Le Fils procède par un acte de l'esprit, puisqu'il procède en tant que Verbe, car le verbe intellectuel n'existe que lorsque nous saisissons quelque chose par la pensée, comme Augustin le dit (la Trinité, IX, VII, 11). Mais la volonté est le principe de l'opération intellectuelle; car elle commande l'acte de l'esprit, comme celui des autres puissances, comme le dit Anselme (De similit. 2); car je pense, parce que je le veux, de même que je me promène parce que je le veux. Donc la volonté est le principe de la procession du Fils.

 

q. 2 a. 3 arg. 4 Sed dices, quod in humanis verum est quod voluntas imperat actum intellectus, non autem in divinis.- Sed contra, praedestinatio quodammodo est actus intellectus: dicimus enim, quod Deus praedestinavit Petrum quia voluit, secundum illud Rom. IX, 18: cuius vult miseretur et quem vult indurat. Ergo non solum in humanis sed etiam in divinis voluntas imperat actum intellectus.

4. Mais on dira que chez l'homme, il est vrai que la volonté commande l'acte de l'esprit, mais pas en Dieu. – En sens contraire, la prédestination est d'une certaine manière un acte de l'esprit; car nous disons que Dieu a prédestiné Pierre parce qu'il l'a voulu, selon cette parole de Rm. 9,18: "Il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut." Donc non seulement chez l'homme mais aussi en Dieu, la volonté commande l'acte de l'esprit.

 

q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum, quod movetur ex se ipso potest moveri et non moveri; et eadem ratione quod agit ex se ipso agere potest et non agere. Sed natura non potest agere et non agere, cum sit determinata ad unum. Ergo non agit ex se ipsa, sed quasi mota ab alio. Hoc autem in divinis esse non potest. Nulla ergo actio in divinis est a natura; et sic nec generatio. Et ita generatio est a voluntate, cum omnia agentia reducantur in naturam vel voluntatem, ut patet II Physic.

5. Selon le philosophe (Physique, VIII, 5, 256 a 13), ce qui se meut de lui-même a pouvoir de se mouvoir ou pas; et pour la même raison, ce qui agit de soi-même a pouvoir d'agir ou pas. Mais la nature ne peut pas agir ou ne pas agir, puisqu'elle est déterminée à un seul objet. Donc elle n'agit pas d'elle-même, mais comme mue par un autre. Mais cela ne peut pas exister en Dieu. Donc nulle action en lui ne dépend de la nature, la génération non plus. Et ainsi la génération dépend de la volonté, puisque tous les agents sont ramenés à la nature ou à la volonté, comme on le voit en Physique (II, 4, 196 a 28[3]).

 

q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, si actio naturae praecedat actionem voluntatis, sequitur inconveniens, quod scilicet ratio voluntatis tollatur. Nam cum natura sit determinata ad unum, si voluntatem moveat, eam ad unum tantum movebit; quod est contra rationem voluntatis, quae secundum quod huiusmodi, libera est. Si vero voluntas naturam moveat, neque tolletur ratio naturae neque voluntatis, quia quod se habet ad plura, nihil prohibet quod ad unum moveat. Ergo rationabiliter actio voluntatis praecedit actionem naturae, magis quam e converso. Sed generatio filii est pura actio sive operatio. Ergo est a voluntate.

6. Si l'action de la nature précède l'action de la volonté, il en découle un inconvénient: on exclut la raison d'être de la volonté. Car, puisque la nature est déterminée à un seul objet, si elle meut la volonté, elle la mettra en mouvement pour un seul objet, ce qui est contre la nature de la volonté, qui, en tant que telle, est libre. Mais si la volonté meut la nature, et que la raison d'être de la nature et de la volonté n'est pas exclue, parce qu'elle s'étend à plusieurs objets, rien n'empêche qu'elle meuve pour un seul objet. Donc en raison, l'action de la volonté précède l'action de nature, plus que le contraire. Mais la génération du Fils est pure action ou pure opération. Donc elle dépend de la volonté.

 

q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Psalm. CXLVIII, 5, dicitur: dixit, et facta sunt, quod Augustinus exponit: id est, verbum genuit in quo erant ut fierent. Sic ergo processio verbi a patre, est ratio creaturae producendae. Si ergo filius non procedit a patre per imperium voluntatis sed naturae, videtur sequi quod omnes creaturae a Deo naturaliter et non solum voluntarie procedant, quod est erroneum.

7. Dans le Ps. 148,5 il est dit: "Il dit et ce fut fait" qu'Augustin expose ainsi (La Genèse au sens littéral, II, VI, 13 et II, VII) "C'est-à-dire il engendra le Verbe dans lequel il était que cela serait fait[4]". Ainsi donc la procession du Verbe à partir du Père est la raison de la production de la créature. Si donc le Fils ne procède pas du Père par le pouvoir de la volonté, mais par celui de la nature, il paraît en découler que toutes les créatures procèdent de Dieu naturellement et pas seulement volontairement, ce qui est une erreur[5].

 

q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, Hilarius dicit in libro de synodis: si quis nolente patre natum dicat filium, anathema sit. Non ergo pater genuit filium involuntarie; et sic idem quod prius.

8. Hilaire dit dans le livre des Synodes (57, PL. 10, 520 C, canon 25): "Si quelqu'un dit que le Fils est né sans que le Père le veuille, qu'il soit anathème". Donc le Père ne l'a pas engendré involontairement et ainsi de même que plus haut.

 

q. 2 a. 3 arg. 9 Praeterea, Ioan. III, 35, dicitur: pater diligit filium, et omnia dedit in manu eius, quod secundum unam Glossam exponitur de datione generationis aeternae. Dilectio ergo patris ad filium est signum potius quam ratio generationis aeternae. Sed dilectio est a voluntate. Ergo voluntas est principium generationis filii.

9. En Jean 3, 35, il est dit: "Le Père aime le Fils et a tout mis dans sa main", qu'on expose, selon une glose, comme le don de la génération éternelle. Donc l'amour du Père pour le Fils est le signe plus que la raison de la génération éternelle. Mais l'amour vient de la volonté. Donc la volonté est le principe de la génération du Fils.

 

q. 2 a. 3 arg. 10 Praeterea, Dionysius dicit, quod divinus amor non permittit ipsum sine germine esse. Ex quo etiam videtur idem, scilicet quod amor sit ratio generationis.

10. Denys (Les Noms divins, ch. 4) dit que l'amour de Dieu ne lui permet pas d'être sans descendance. Cela montre la même chose, à savoir que l'amour est la raison de la génération.

 

q. 2 a. 3 arg. 11 Praeterea, positio ad quam non sequitur aliquod inconveniens sive error, potest poni in divinis. Sed si ponatur quod pater genuerit filium voluntate, non sequitur aliquod inconveniens: neque enim sequitur quod filius non sit aeternus, ut videtur; neque quod non sit consubstantialis aut aequalis patri: quia spiritus sanctus, qui procedit per modum voluntatis, coaeternus est, coaequalis et consubstantialis patri et filio. Ergo videtur quod non sit erroneum dicere, quod pater genuit filium voluntate.

11. On peut émettre sur Dieu une hypothèse d'où ne découle ni inconvénient ni erreur. Si l'on pense que le Père a engendré le Fils par volonté, il n'en découle aucun d'inconvénient; en effet il n'en découle pas que le Fils n'est pas éternel, à l'évidence; ni qu'il ne soit pas consubstantiel ou égal au Père, parce que l'Esprit Saint qui procède par mode de volonté est coéternel, coégal et consubstantiel au Père et au Fils. Donc il semble que ce n'est pas une erreur de dire que le Père engendre le Fils par volonté.

 

q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, voluntas quaelibet non potest non velle suum ultimum finem. Sed finis divinae voluntatis est communicatio suae bonitatis, quae maxime fit per generationem. Ergo voluntas patris non potest non velle generationem filii: voluntate ergo genuit filium.

12. Toute volonté ne peut pas ne pas vouloir sa fin ultime. Mais la fin de la volonté divine est la communication de sa bonté, ce qui se fait au plus haut degré par génération. Donc la volonté du Père ne peut pas ne pas vouloir la génération du Fils; donc il a engendré le Fils par sa volonté.

 

q. 2 a. 3 arg. 13 Praeterea, humana generatio a divina extrahitur, secundum illud Ephes. cap. III, 15: ex quo omnis paternitas in caelo et in terra nominatur. Sed humana generatio subiacet imperio voluntatis: aliter in actu generationis peccatum non esset. Ergo etiam divina; et sic idem quod prius.

13. La génération humaine découle de celle de Dieu, selon cette parole de Ep. 3,15: "De lui toute paternité dans le ciel et sur la terre tire son nom." Mais la génération humaine est soumise au pouvoir de la volonté. Autrement, dans l'acte de génération, il n'y aurait pas de péché. Donc de même dans la génération divine et ainsi de même que plus haut.

 

q. 2 a. 3 arg. 14 Praeterea, omnis actio naturae immutabilis est necessaria. Sed natura divina omnino est immutabilis. Si ergo generatio sit operatio naturae et non voluntatis, sequitur quod sit necessaria, et ita quod pater genuit filium necessitate: quod est contra Augustinum.

14. Toute action d'une nature immuable est nécessaire. Mais la nature divine est tout à fait immuable. Si donc la génération est une opération de nature et non de la volonté, il s'ensuit qu'elle est nécessaire et ainsi que le Père a engendré le Fils par nécessité, ce qui s'oppose à Augustin (à Orose, ch. 7[6]).

 

q. 2 a. 3 arg. 15 Praeterea, Augustinus dicit, quod filius est consilium de consilio et voluntas de voluntate. Sed haec praepositio de denotat principium. Ergo voluntas est principium generationis filii, et sic idem quod prius.

15. Augustin dit (la Trinité, XV, XX, 38) que le Fils est le conseil du conseil, le volonté de la volonté[7]. Mais cette préposition de désigne un principe. Donc la volonté est le principe de la génération du Fils et ainsi de même que ci-dessus.

 

En sens contraire.

q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit: pater neque voluntate neque necessitate genuit filium.

1. Il y a ce que dit Augustin (à Orose[8]): "Le Père n'a engendré le Fils, ni par volonté, ni par nécessité".

 

q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, summa diffusio voluntatis est per modum amoris. Filius autem non procedit per modum amoris, sed potius spiritus sanctus. Ergo voluntas non est principium generationis filii.

2. La plus haute diffusion de la volonté s'accomplit par mode d'amour. Le Fils ne procède pas par mode d'amour, mais c'est plutôt l'Esprit Saint. Donc la volonté n'est pas le principe de la génération du Fils.

 

q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, filius procedit a patre ut splendor a luce, secundum illud Hebr. cap. I, vers. 3: qui cum sit splendor gloriae et figura substantiae eius. Sed splendor non procedit a luce voluntate mediante. Ergo nec filius a patre.

3. Le Fils procède du Père comme la splendeur (procède) de la lumière, selon ce mot de Héb. 1, 3: "Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance[9]". Mais la splendeur ne procède pas de la lumière par l'intermédiaire de la volonté. Donc ni le Fils du Père.

 

Réponse

q. 2 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod generatio filii potest se habere ad voluntatem ut voluntatis obiectum: pater enim et filium voluit et filii generationem ab aeterno: nullo autem modo voluntas esse potest divinae generationis principium: quod sic patet. Voluntas, inquantum voluntas, cum sit libera, ad utrumlibet se habet. Potest enim voluntas agere vel non agere, sic vel sic facere, velle et non velle. Et si respectu alicuius hoc voluntati non conveniat, hoc accidet voluntati non in quantum voluntas est, sed ex inclinatione naturali quam habet ad aliquid, sicut ad finem ultimum, quem non potest non velle; sicut voluntas humana non potest non velle beatitudinem, nec potest velle miseriam. Ex quo patet quod omne illud cuius voluntas est principium, quantum in se est, possibile est esse vel non esse, et esse tale vel tale, et tunc vel nunc (...)

Il faut dire que la génération du Fils se comporte par rapport à la volonté comme son objet. Car le Père a voulu le Fils et sa génération éternellement. Mais en aucune manière, la volonté ne peut être le principe de la génération divine; ce qu'on montre ainsi. Comme la volonté, en tant que telle, est libre, elle choisit entre deux solutions. Car la volonté peut agir ou pas, agir ainsi ou différemment, vouloir ou ne pas vouloir. Et si par rapport à quelque chose cela ne convient pas à la volonté, cela lui arrive, non en tant que telle, mais par l'inclination naturelle qu'elle a pour quelque chose comme à sa fin ultime qu'elle ne peut pas ne pas vouloir; ainsi la volonté humaine ne peut pas ne pas vouloir la béatitude, et elle ne peut vouloir le malheur. Par là il est clair que tout ce dont la volonté est le principe quant à soi, a la possibilité d'être ou ne pas être, et être tel ou tel et alors ou maintenant.

 

omne autem illud quod sic se habet, est creatum: quia in eo quod increatum est, non est potestas ad esse vel non esse. Sed per se necesse est esse, ut Avicenna probat. Si ergo ponitur filius voluntate genitus, necessario sequitur ipsum esse creaturam. Et propter hoc Ariani qui ponebant filium creaturam, dicebant eum esse genitum voluntate. Catholici autem dicunt filium non natum voluntate, sed natura. Natura enim ad unum determinata est. Et secundum hoc ex hoc quod filius est a patre genitus natura, oportet quod ipse non possit esse non genitus, et quod non possit esse alio modo quam est, aut patri non consubstantialis; cum quod naturaliter procedit, procedat in similitudinem eius a quo procedit. Et hoc est quod Hilarius dicit: omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit; sed naturam filio dedit perfecta nativitas; et ideo talia sunt cuncta qualia Deus esse voluit; filius autem talis est qualis est Deus.

Tout ce qui se comporte ainsi est créé, parce que, en ce qui est incréé, le pouvoir d'être ou ne pas être n'existe pas. Mais il lui est nécessaire d'être par soi, comme Avicenne le prouve (Métaphysique VIII, 4[10]). Donc si on pense que la Fils a été engendré par volonté, il en découle nécessairement qu'il est une créature. Et c'est pour cela que les Ariens, qui affirmaient que le Christ était une créature, disaient qu'il avait été engendré par volonté. Mais les Catholiques disent que le Fils n'est pas né par volonté mais par nature. Car la nature est déterminée à un seul but. Et du fait que le Fils a été engendré du Père par nature, il faut que lui-même ne puisse pas ne pas être engendré, et qu'il ne puisse pas exister d'une autre manière qu'il n'est, ou sans être consubstantiel au Père; puisque ce qui procède naturellement procède dans la ressemblance de ce dont il procède. Et c'est ce que Hilaire dit (Les Synodes, n°58[11]): "La volonté de Dieu apporte la substance à toutes les créatures, mais une naissance parfaite a donné la nature au Fils"; et ainsi toute chose est telle que Dieu a voulu qu'elle existe, mais le Fils est tel que Dieu.

 

Sicut autem dictum est, voluntas licet respectu aliquorum ad utrumlibet se habeat, tamen respectu finis ultimi naturalem inclinationem habet; et similiter intellectus respectu cognitionis principiorum primorum, naturalem quemdam motum habet. Principium autem divinae cognitionis est ipse Deus qui est finis suae voluntatis; unde illud quod procedit in Deo per actum intellectus cognoscentis seipsum realiter procedit; et similiter quod procedit per actum voluntatis diligentis se ipsam. Et propter hoc cum filius procedat ut verbum per actum intellectus divini in quantum pater cognoscit seipsum et spiritus sanctus per actum voluntatis in quantum pater diligit filium: sequitur quod tam filius quam spiritus sanctus naturaliter procedant, et ex hoc ulterius quod sint consubstantiales et coaequales et coaeterni patri et sibi invicem.

Comme on l'a dit, bien que la volonté choisisse entre deux solutions, cependant elle a une inclination naturelle par rapport à la fin ultime; et semblablement l'esprit a un mouvement naturel en rapport avec la connaissance des premiers principes. Mais le principe de la connaissance divine est Dieu lui-même qui est la fin de sa volonté, c'est pourquoi ce qui procède en Dieu par un acte de l'esprit qui se connaît lui-même procède réellement de lui et il en est de même pour ce qui procède par un acte de la volonté qui s'aime elle-même. Et à cause de cela, comme le Fils procède comme Verbe, par un acte de l'esprit divin, dans la mesure où le Père se connaît lui-même, et comme l'Esprit Saint procède par un acte de la volonté dans la mesure où le Père aime le Fils, il s'ensuit que tant le Fils que l'Esprit Saint procèdent naturellement et par là en plus ils sont consubstantiels et co-égaux et coéternels au Père et l'un avec l'autre.

 

Solutions:

q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hilarius loquitur de necessitate quae importat violentiam: quod patet per hoc quod subdit: non naturali necessitate ductus, cum vellet generare filium.

# 1. Hilaire parle d'une nécessité qui apporte la violence, ce qui apparaît par ce qu'il ajoute: "Il n'était pas poussé par une nécessité naturelle, quand il voulait engendrer son Fils[12]."

 

q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod respectu nullius rei est in Deo voluntas antecedens; quia quidquid aliquando Deus vult, ab aeterno voluit. Concomitans vero est respectu omnium bonorum quae sunt tam in ipso quam in creaturis; vult enim se esse et creaturam esse. Sed praecedens vel antecedens tempore quidem non est nisi respectu creaturae, quae ab aeterno non fuit; praecedens vero intellectus est respectu actuum aeternorum qui significantur ad creaturas terminari; sicut dispositio, praedestinatio et huiusmodi. Generatio vero filii, neque est creatura, neque ad creaturam significatur terminari. Unde respectu eius non est voluntas praecedens nec tempore neque intellectu, sed solum voluntas concomitans.

# 2. La volonté antécédente en Dieu n'est en rapport avec rien; parce que tout ce que Dieu veut quelquefois il l'a voulu éternellement. Mais la volonté concomitante est en rapport avec tous les biens qui sont tant en lui que dans les créatures; car il veut être et que la créature soit. Mais la [volonté] antécédente chronologiquement ne peut l'être qu'en rapport avec la créature qui n'a pas existé éternellement, mais l'esprit précédent est en rapport avec les actes éternels qui sont désignés comme se terminant aux créatures, comme la disposition, la prédestination, etc.. Mais la génération du Fils n'est pas une créature, et n'est pas signifiée comme se terminant à une créature. C'est pourquoi, par rapport à lui, il n'y a pas de volonté précédente, ni chronologiquement, ni selon l'esprit, mais seulement une volonté concomitante.

 

q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut actus intellectus videtur sequi actum voluntatis, in quantum a voluntate imperatur; ita e converso actus voluntatis videtur sequi actum intellectus, in quantum per intellectum praesentatur voluntati suum obiectum, quod est bonum intellectum. Unde esset procedere in infinitum, nisi esset ponere statum vel in actu intellectus vel in actu voluntatis. Non autem potest status poni in actu voluntatis, cum obiectum praesupponatur ad actum; unde oportet ponere statum in actu intellectus, qui naturaliter intellectum consequitur; ita quod a voluntate non imperatur. Et per hunc modum procedit filius Dei ut verbum secundum actum intellectus divini, ut ex dictis, in corp. art., patet.

# 3. De même que l'acte de l'esprit paraît suivre celui de la volonté, dans la mesure où elle le commande, ainsi à l'inverse, l'acte de la volonté parait suivre celui de l'esprit dans la mesure où son objet qui est un bien conçu est présenté à la volonté. C'est pourquoi, il faudrait procéder à l'infini, sinon il faut placer un arrêt dans l'acte de l'esprit ou dans celui de la volonté. Mais on ne peut pas le placer dans un acte de la volonté, puisque l'objet est présupposé à l'acte; c'est pourquoi il faut le placer dans l'acte de la volonté qui suit naturellement la conception de sorte qu'il ne soit pas commandé par la volonté. Et de cette manière, le Fils de Dieu procède comme Verbe selon l'acte de l'esprit divin, comme cela apparaît dans ce qui a été dit dans le corps de l'article.

 

q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus intellectus divini naturalis est secundum quod ad ipsum Deum terminatur, qui est principium suae cognitionis; secundum vero quod significatur ad creaturas terminari, ad quas sic se habet quodammodo ut intellectus noster ad conclusiones, non naturaliter ab intellectu progreditur sed voluntarie; et ideo in divinis aliqui actus intellectus significantur ut imperati a voluntate.

# 4. L'acte de l'esprit divin est naturel, dans la mesure où il se termine en Dieu même, qui est le principe de sa connaissance; mais selon qu'on le signifie comme se terminant aux créatures, envers lesquelles il se comporte d'une certaine manière comme notre esprit vis-à-vis des conclusions, il ne sort pas de l'esprit naturellement mais volontairement; et c'est pourquoi en Dieu, certains actes de l'esprit sont décrits comme commandés par la volonté.

 

q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quoad ea ad quae natura potest se extendere secundum propria principia essentialia, non indiget ut ab alio determinetur, sed ad ea tantum ad quae propria principia non sufficiunt. Unde philosophi non sunt ducti ut ponerent opus naturae, opus intelligentiae, ex operibus quae competunt calido et frigido secundum se ipsa; quia in has, etiam ponentes res naturales ex necessitate materiae accidere, omnia naturae opera reducebant. Ducti sunt autem ex illis operationibus ad quas non possunt sufficere virtus calidi et frigidi, et huiusmodi qualitatum; sicut ex membris ordinatis in corpore animalis tali modo quod natura salvatur. Quia ergo naturae divinae secundum se opus est generatio non oportet quod ad hanc actionem ab aliqua voluntate determinetur.- Vel dicendum, quod natura determinatur ab aliquo, ut in finem. Illi autem naturae quae est finis, et non ad finem, non competit ab aliquo determinari.

# 5. Jusqu'où la nature peut s'étendre selon ses propres principes essentiels, cela n'a pas besoin d'être déterminé par un autre, mais seulement pour ce à quoi les principes propres ne suffisent pas. C'est pourquoi les philosophes par ces opérations à qui conviennent le chaud et le froid en soi n'ont pas été amenés à penser l'oeuvre de la nature, comme l'oeuvre d'une intelligence. Parce que, pensant qu'en elles les choses naturelles arrivent par nécessité de la matière, ils y ramenaient toutes les oeuvres de la nature. Mais ils y ont été amenés par ces opérations où le pouvoir du chaud et du froid et les qualités de ce genre ne peuvent pas suffire; de même ils y ont été amenés par la disposition des membres dans le corps d'un animal de telle sorte que la nature se conserve. Donc parce que l'oeuvre de la nature divine en soi est la génération, il ne faut pas qu'elle soit déterminée à cette action par une volonté – Ou bien il faut dire que la nature est déterminée par quelque chose comme à sa fin. Mais à cette nature, qui est la fin, il ne convient pas d'être déterminée par quelque chose pour la fin.

 

q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in diversis considerando, actio voluntatis actionem naturae praecedit. Unde totius naturae inferioris actio ex voluntate gubernantis procedit. Sed in eodem oportet quod actio naturae praecedat actionem voluntatis. Natura enim secundum intellectum praecedit voluntatem, cum natura intelligatur esse principium quo res subsistit, voluntas vero ultimum quo ad finem ordinatur. Nec tamen sequitur quod tollatur ratio voluntatis. Quamvis enim ad inclinationem naturae voluntas ad aliquid unum determinetur, quod est ultimus finis a natura intentus, respectu tamen aliorum indeterminata manet; sicut patet in homine, qui naturaliter vult beatitudinem et de necessitate, non autem alia. Sic ergo in Deo naturae actio actionem voluntatis praecedit natura et intellectu; nam generatio filii est ratio omnium eorum quae per voluntatem producuntur, scilicet creaturarum.

# 6. En prenant en considération divers éléments, l'action de la volonté précède celle de la nature. C'est pourquoi, l'action de toute la nature inférieure procède de la volonté de celui qui gouverne. Mais dans un même être, il faut que l'action de la nature précède celle de la volonté. Car la nature selon l'esprit précède la volonté, puisqu'on comprend la nature comme le principe par lequel un être subsiste, mais la volonté est le principe ultime par lequel elle est ordonnée à sa fin. Cependant il n'en découle pas qu'on exclut la raison d'être de la volonté. Car quoique pour l'inclination de la nature la volonté soit déterminée, à un objet unique, qui est sa fin ultime décidée par la nature, cependant, par rapport aux autres, elle demeure indéterminée; comme on le voit chez l'homme qui veut la béatitude naturellement et nécessairement, mais pas autre chose. Ainsi donc en Dieu l'action de la nature précède celle de la volonté par nature et par l'esprit; car la génération du Fils est la raison de tout ce qui est produit par la volonté, à savoir les créatures[13].

 

q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet in verbo Dei a patre genito fuerit ut omnes creaturae fierent, non tamen oportet, si verbum naturaliter procedit, quod creaturae etiam naturaliter procedant; sicut nec sequitur, si intellectus noster principia naturaliter cognoscit, quod naturaliter cognoscat ea quae ex principiis consequuntur: eo enim quod naturaliter habemus, voluntas utitur ad utramque partem.

# 7. Bien que dans le Verbe de Dieu, engendré par le Père, il y ait le pouvoir de créer toutes les créatures, cependant il ne faut pas, si le Verbe procède par nature, que les créatures procèdent aussi par nature, il n'en découle pas, non plus, si notre esprit connaît naturellement les principes, qu'il connaisse naturellement ce qui découle d'eux; car la volonté se sert de ce que nous avons naturellement pour l'une et l'autre solution.

 

q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod pater voluntarie genuit; sed in hoc non designatur nisi voluntas concomitans.

# 8. La Père a engendré volontairement, mais on ne désigne par là que la volonté concomitante.

 

q. 2 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si verbum illud de generatione aeterna intelligatur, dilectio patris ad filium non est intelligenda ut ratio illius dationis qua pater filio aeternaliter omnia dat, ut signum. Similitudo enim ratio est amoris.

# 9. Si cette parole[14] est comprise de la génération éternelle, l'amour du Père pour le Fils ne doit pas être compris comme la raison de ce don, par lequel il donne tout au Fils éternellement, comme un sceau. Car la ressemblance est la raison de l'amour.

 

q. 2 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Dionysius loquitur de productione creaturae, non de generatione filii.

# 10. Denys parle de la production de la créature, non de la génération du Fils.

 

q. 2 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod spiritus sanctus procedere dicitur per modum voluntatis, quia procedit per actum qui naturaliter est a voluntate, scilicet per hoc quod pater amat filium, et e converso. Ipse enim amor est spiritus sanctus, sicut filius est verbum quo pater dixit se ipsum.

# 11. On dit que l'Esprit Saint procède par mode de volonté, parce qu'il procède par un acte qui dépend naturellement de la volonté[15], à savoir que le Père aime le Fils et inversement. Car l'Esprit Saint est l'amour même, comme le Fils est le Verbe, par lequel le Père se dit lui-même.

 

q. 2 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ex illa etiam ratione non sequitur nisi quod pater rationem filii velit; quod pertinet ad voluntatem concomitantem, quae respicit generationem sicut obiectum, non sicut id cuius sit principium.

# 12. De cette raison[16] il découle seulement que le Père veut la nature du Fils, ce qui convient à la volonté concomitante, qui regarde la génération comme objet, non comme ce dont elle est le principe.

 

q. 2 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humana generatio fit per virtutem naturalem, scilicet generativam potentiam, mediante potentia motiva, quae imperio subiacet voluntatis, non autem generativa potentia. Hoc autem non accidit in divinis; et ideo non est simile.

# 13. La génération chez l'homme se fait par un pouvoir naturel, c'est-à-dire la puissance générative; par l'intermédiaire de la puissance motrice, qui est soumise au pouvoir de la volonté, mais pas la puissance générative. Mais cela n'arrive pas en Dieu; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 2 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Augustinus non intendit negare necessitatem immutabilitatis, de qua ratio procedit, sed necessitatem coactionis.

# 14. Augustin n'entend pas nier la nécessité de l'immutabilité, d'où procède cet argument, mais la nécessité de coaction[17].

 

q. 2 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod cum dicitur filius esse voluntas de voluntate, intelligitur esse de patre, qui est voluntas. Unde haec praepositio de notat generationis principium, quod est generans, non id quo generatur, de quo est praesens quaestio.

# 15. Quand on dit que le Fils est volonté de la volonté, on comprend qu'il est du Père qui est la volonté. C'est pourquoi cette préposition de indique le principe de la génération qui est celui qui engendre, non ce par quoi il est engendré, ce dont il s'agit dans la présente question.

 

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[1] Parall.: Ia , qu. 41 a. 2 – CG. IV, 11 – I Sent. d6q1a1, 2, 3 – Pot. 10, a. 2, ad 4, 5.

 

[2] PL 520 C, canon 25 de la première profession de Sirmium (351) n° 140, Denz. 247). A propos de ce texte Ia, 41, 2 ad 1m: "Cette autorité (celle d'Hilaire) est contre ceux qui rejetaient la concomitance du vouloir paternel de la génération du Fils, en disant qu'il avait engendré le Fils par nature, de sorte qu'il n'en avait pas la volonté.. de même que nous subissons par nécessité naturelle bien des maux contre notre volonté: mort, vieillesse et autres afflictions. Cette intention de l'auteur ressort clairement du contexte."

 

[3] "Les animaux ni les plantes n'existent ni ne sont engendrés par fortune (c'est-à-dire par le hasard), la cause de cette génération étant nature, intelligence, ou quelque autre chose de tel." (Trad. H. Carteron)

 

[4] Pot. qu. 10, a. 2, obj. 19 et ailleurs: id est, Verbum genuit a quo erant, ut fierent. Augustin "Dixit: fiat, id est, in Verbo Dei aeterno erat, ut fieret. ("Il était dans le Verbe éternel que cela fut fait." (Trad. BA. 48, p. 166-167).

 

[5] Ce qui sera démontré en Pot. qu. 3, a. 15.

 

[6] Dialogue des 65 questions, qu. 7, PL 40, 736 D, "Il n'a engendré ni par volonté ni par nécessité parce qu'il n'y a pas de nécessité en Dieu". Îuvre attribuée à Augustin (La Clavis Patrum latinorum n'en parle pas), composée d'extraits de son oeuvre. La question 7 serait tirée du de Trinitate (PL, Admonitio 734-735).

 

[7] Après avoir réfuté les Eunomiens, qui prétendaient que le Fils était non de la nature de la substance et l'essence, mais de sa volonté, il ajoute:"Certains, pour ne pas dire que le verbe unique était Fils du conseil et de la volonté de Dieu, ont dit que le Verbe était le conseil même, la volonté même du Père. Il vaut mieux, à mon sens, dire que le Verbe est conseil du conseil, volonté de la volonté.", pour éviter "cette opinion absurde... que le Fils donnerait au Père sagesse et vouloir." (Trad. BA. 16).

 

[8] Contre les Ariens. (Denz. 71. Formule appelée Fides Damasi.).

 

[9] Même citation, Pot. 2, 4, obj. 13, qu. 9, a. 9 obj. 13. en 9, 9. En 2, 3 il est question de lumière, mais précise Thomas, qui admet l'image, il ne faut pas appliquer la comparaison intégralement.

 

[10] Anawati, 345. L'incréé est nécessaire; il n'a pas le pouvoir d'être ou ne pas être.

 

[11] Canon 24 de la profession de Sirmium. PL 10, 520C.

 

Le concile de Sirmium: Photin, évêque de Sirmium, passait pour reproduire les idées de Marcel d'Ancyre. Il fut condamné à Milan en 345 et 347, mais refusa de se retirer de son siège épiscopal. En 351, Constance est à Sirmium. Les orientaux en profitent, pour convoquer une assemblée contre Photin. Le concile émet une profession de foi pour combattre la doctrine antitrinitaire de Photin et établir la distinction des personnes divines. Photin est déposé et expulsé. Ce concile dont les textes sont dans le de Synodis de saint Athanase, (PG. 26, 735 ss.) présente un texte à tendance subordinationniste (3e et 4e anathèmes: nous ne plaçons pas le Fils sur la même ligne que le Père, mais nous le subordonnons au Père") Mais Hilaire qui rapporte le concile en donne une interprétation favorable (PL. 10, 518)

 

[12] Canon 25, Sirmium,PL.10, 520 C. Sur la nécessité cf. Ia, 41, 2 ad 5: "Il y a le nécessaire par soi, et le nécessaire par un autre. Nécessaire par un autre. On peut l'être par un autre de deux manières. D'abord, par une cause efficiente et contraignante; on appelle ainsi nécessaire ce qui est violent. Ensuite, par la cause finale; ainsi dans ce qui est en vue d'une fin, on appellera "nécessaire" ce sans quoi la fin ne peut se réaliser, ni bien se réaliser. Mais la génération divine est nécessaire d'aucune des deux manières; car Dieu n'est pas ordonné à une fin, et aucune contrainte n'a prise sur lui. Le nécessaire par soi, c'est ce qui ne peut pas ne pas être; ainsi est-il nécessaire que Dieu existe. Et de cette manière il est nécessaire que le Père engendre le Fils."

 

[13] C'est par le Fils que tout est créé.

 

[14] De saint Jean (obj. 9).

 

[15] L'amour est volontaire.

 

[16] A savoir la communication de la bonté.

 

[17] Nécessité de coaction: elle ne peut en aucune manière arriver à ce qui agit par volonté, puisqu'elle est liée à la violence. "La nécessité d'inclination naturelle: Dieu vit nécessairement et en telle nécessité, la volonté veut quelque chose nécessairement". (De Ver. qu. 22, a. 5, c ).

 

 


Article 4: Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu?

q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum in divinis possint esse plures filii. Et videtur quod sic.

Il semble que oui:

Objections[1]:

q. 2 a. 4 arg. 1 Operatio enim naturae quae convenit uni supposito, convenit etiam omnibus suppositis eiusdem naturae. Sed generatio, secundum Damascenum, est opus naturae, et convenit patri. Ergo etiam filio et spiritui sancto qui sunt supposita eiusdem naturae. Sed filius non generat se ipsum: nam, secundum Augustinum, nulla res potest generare se ipsam. Ergo generat alium filium, et sic in divinis possunt esse plures filii.

1.Car l'opération de nature qui convient à un suppôt, convient aussi à tous les suppôts de même nature. Mais la génération, selon Jean Damascène (la foi orthodoxe, II, 27) est l'oeuvre de la nature et convient au Père. Donc aussi au Fils et à l'Esprit Saint qui sont des suppôts de même nature. Mais le Fils ne s'engendre pas lui-même, car selon Augustin, rien ne peut s'engendrer soi-même. Donc il engendre un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, totam virtutem suam pater in filium transfundit. Sed potentia generandi pertinet ad virtutem patris. Ergo huiusmodi potentiam habet filius a patre; et sic idem quod prius.

2. Le Père a transmis tout son pouvoir au Fils. Mais la puissance d'engendrer appartient au pouvoir du Père. Donc le Fils reçoit du Père une puissance de ce genre, et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, filius est perfecta imago patris, ad quod requiritur perfecta assimilatio; quae non esset si filius non quantum ad omnia patrem imitaretur. Ergo sicut pater filium generat, ita et filius; et sic idem quod prius.

3. Le Fils est l'image parfaite du Père, cela requiert une ressemblance parfaite, qui n'existerait pas si le Fils n'imitait pas en tout le Père. Donc, comme le Père engendre le Fils, le Fils aussi engendre et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, perfectior est assimilatio ad Deum secundum conformitatem actionis quam secundum conformitatem alicuius formae, ut patet per Dionysium: sicut soli magis assimilatur quod lucet et illuminat quam quod lucet tantum. Sed filius perfectissime assimilatur patri. Ergo est ei conformis non solum in potentia, sed etiam in actu generandi; et sic idem quod prius.

4. La ressemblance à Dieu est plus parfaite en conformité avec l'action qu'avec celle d'une forme, comme le montre Denys (La hiérarchie céleste, 3[2]); ainsi ce qui brille et illumine ressemble plus au soleil que ce qui brille seulement. Mais le Fils ressemble très parfaitement au Père. Donc il lui est conforme non seulement en puissance, mais aussi dans l'acte d'engendrer; et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, ex hoc contingit quod Deus facta una creatura potest facere aliam, quia eius potentia neque exhauritur neque diminuitur in creando. Sed similiter potentia patris neque exhauritur neque diminuitur ex hoc quod generat filium. Ergo per hoc quod generat filium, non prohibetur quin possit alium filium generare; et sic possunt esse plures filii in divinis.

5. De ce fait il arrive que Dieu, ayant créé une créature, peut en créer une autre, parce que sa puissance n'est ni augmentée ni diminuée en créant. Mais de la même manière la puissance du Père n'est ni augmentée ni diminuée du fait qu'il engendre le Fils. Donc par le fait qu'il l'engendre, il n'est pas empêché de pouvoir engendrer un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 6 Sed dices, quod ideo non generat alium filium, quia sequeretur inconveniens quod Augustinus ponit, scilicet quod infinita esset divina generatio, si pater plures filios generaret vel filius patri generaret nepotem, et sic de aliis. Sed contra. In Deo nihil est in potentia quod non sit in actu: esset enim imperfectus. Si ergo est in potentia patris quod plures filios generet, nullo inconvenienti prohibente, erunt plures filii in divinis.

6. Mais on pourrait dire qu'il n'engendre pas un autre fils, parce qu'il en découlerait un inconvénient qu'Augustin expose, à savoir que la génération divine serait infinie, soit que le Père engendre plusieurs fils, soit que le Fils engendre un petit-fils au Père, etc.. – En sens contraire: en Dieu rien n'est en puissance qui ne soit en acte: car il serait imparfait. Si donc il est dans la puissance du Père d'engendrer plusieurs fils, si nul inconvénient ne l'empêche, il y aura plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, de natura geniti est ut procedat in similitudinem generantis. Sed sicut filius est similis patri, ita et spiritus sanctus; et ita spiritus sanctus est filius, et sic sunt plures filii in divinis.

7. Il est de la nature de celui qui est engendré d'aboutir à la ressemblance de celui qui l'engendre. Mais le Fils est semblable au Père, l'Esprit Saint aussi et ainsi il est aussi fils et il y a donc plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, secundum Anselmum, nihil est aliud dicere patrem filium generare, quam patrem dicere se ipsum. Sed sicut pater potest dicere se ipsum, ita et filius et spiritus sanctus. Ergo pater et filius et spiritus sanctus possunt filios generare; et sic idem quod supra.

8. Selon Anselme (Monologium, 62), que le Père engendre le Fils, ce n'est rien d'autre que le Père se dit lui-même. Mais de même que le Père peut se dire lui-même, le Fils et l'Esprit Saint aussi. Donc le Père, le Fils et l'Esprit saint peuvent engendrer des fils, et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 4 arg. 9 Praeterea, ex hoc pater dicitur filium generare, quod similitudinem suam in intellectu suo concipit. Sed hoc idem possunt facere filius et spiritus sanctus. Ergo idem quod prius.

9. On dit que du fait que le Père engendre le Fils, il conçoit sa ressemblance dans son esprit. Mais le Fils et l'Esprit Saint peuvent faire de même. Donc de même que ci-dessus.

q. 2 a. 4 arg. 10 Praeterea, potentia est media inter essentiam et operationem. Sed una est essentia patris et filii, eademque potentia. Ergo et una operatio; et sic filio convenit generare; et ita ut prius.

10. La puissance est intermédiaire entre l'essence et l'opération. Mais l'essence du Père et du Fils est une, et la puissance est la même. Donc il y a une seule opération et ainsi il convient au Fils d'engendrer et de même que plus haut.

q. 2 a. 4 arg. 11 Praeterea, bonitas est diffusionis principium. Sed sicut est infinita bonitas in patre et filio, ita etiam in spiritu sancto. Ergo sicut pater infinita communicatione suam naturam communicat filium generando, ita spiritus sanctus aliquam divinam personam producendo; non enim infinite communicatur divina bonitas creaturae; et sic videtur quod possint esse plures filii in divinis.

11. La bonté est le principe de la diffusion. Mais la bonté dans le Père et le Fils est infinie, de même aussi dans l'Esprit saint. Donc le Père communique sa nature dans une communication infinie en engendrant le Fils; de même l'Esprit Saint aussi en produisant une personne divine; car la divine bonté n'est pas communiquée de manière infinie à la créature et ainsi il semble qu'il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 12 Praeterea, nullius boni sine consortio potest esse iucunda possessio. Sed filiatio est quoddam bonum in filio. Ergo videtur oportere ad perfectam iucunditatem filii, esse alium filium in divinis.

12. Une possession agréable ne peut exister sans partage d'aucun bien[3]. Mais la filiation dans le Fils est un bien. Donc on voit bien qu'il faut pour la joie parfaite du Fils qu'il y ait un autre fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 13 Praeterea, filius procedit a patre ut splendor a luce, ut patet Hebr. I, 3: qui cum sit splendor gloriae, et figura substantiae eius. Sed splendor potest alium splendorem producere, et ille alium, et alius alium. Ergo similiter videtur esse in processione divinarum personarum, quod filius possit alium filium generare, et sic idem ut prius.

13. Le Fils procède du Père comme la splendeur de la lumière, comme il est dit en Héb. 1,3[4]: "Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance" Mais la splendeur peut produire une autre splendeur et celle-ci une autre et l'autre une autre. Donc de la même manière, il semble que dans la procession des personnes divines, il soit possible que le Fils puisse engendrer un autre fils et ainsi de même que plus haut.

q. 2 a. 4 arg. 14 Praeterea, paternitas in patre ad eius dignitatem pertinet. Sed eadem est dignitas patris et filii. Ergo paternitas convenit filio; et sic sunt plures filii in divinis.

14. La paternité dans le Père convient à sa dignité. Mais elle est identique pour le Père et le Fils. Donc la paternité convient au Fils, et ainsi il y a plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 arg. 15 Praeterea, eius est potentia cuius est actus. Sed potentia generandi est in filio. Ergo filius generat.

15. La puissance dépend de ce dont elle est l'acte. Mais la puissance d'engendrer est dans le Fils. Donc le Fils engendre.

En sens contraire.

q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Illa sunt perfectissima in creaturis quae ex tota materia sua constant, et sunt eorum in singulis speciebus singula tantum. Sed sicut creaturae materiales individuantur per materiam, ita filii persona constituitur filiatione. Ergo cum Deus filius sit perfectus filius, videtur quod in ipso solo in divinis filiatio inveniatur.

1. Sont très parfaites parmi les créatures celles qui sont composées de toute leur matière et sont seules dans leur espèce. Mais de même que les créatures matérielles sont individualisées par la matière, de même la personne du Fils est constituée par la filiation. Donc, comme Dieu le Fils est un fils parfait, il est clair qu'on ne trouve la filiation en Dieu qu'en lui seul.

q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod si pater posset generare et non generaret, invidus esset. Sed filius non est invidus. Ergo cum non generet, generare non potest. Et sic non possunt esse plures filii in divinis.

2. Augustin dit (Contre Maximinien, III, ch. 7, 18 et 23[5]) que, si le Père pouvait engendrer et n'engendrait pas, il serait envieux, mais le Fils n'est pas envieux. Donc puisqu'il n'engendre pas, il ne peut engendrer. Et ainsi il ne peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, quod perfecte dictum est semel iterum dici non oportet. Sed filius est verbum perfectum, cui nihil deest, secundum Augustinum. Ergo non oportet esse plura verba in divinis, et ita nec plures filios.

3. Ce qui est parfaitement dit une fois n'a pas besoin d'être répété. Mais le Fils est le verbe parfait à qui rien ne manque, selon Augustin (La Trinité VI, 10 et VII, 2). Donc, il ne faut pas qu'il y ait plusieurs verbes en Dieu, ni plusieurs fils non plus.

Réponse.

q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in divinis impossibile est esse plures filios; quod sic patet. Personae namque divinae cum in omnibus absolutis conveniant, utpote sibi invicem essentiales, distingui non possunt nisi secundum relationes, nec secundum alias nisi secundum relationes originis. Nam aliarum relationum quaedam distinctionem praesupponunt, ut aequalitas et similitudo; quaedam vero inaequalitatem designant, ut dominus et servus, et alia huiusmodi. Relationes vero originis ex sui ratione conformitatem important: quia quod oritur ex alio, eius similitudinem retinet in quantum huiusmodi.

Il est impossible qu'en Dieu il y ait plusieurs fils, ce qu'on montre ainsi: les personnes divines, en effet, s'accordent en tous les absolus, dans la mesure où elles sont de la même essence l'une et l'autre, elles ne peuvent être distinguées que par des relations et par rien d'autre que les relations d'origine. Car certaines présupposent qu'on les distinguent des autres relations comme l'égalité et la ressemblance; certaines désignent l'inégalité, comme maître et esclave, etc.. Mais les relations d'origine apportent une conformité par leur propre nature; parce que ce qui sort d'un autre, conserve sa ressemblance en tant qu'il est de ce genre.

Non est igitur aliquid in divinis quo filius distinguatur ab aliis personis nisi sola relatio filiationis, quae est eius personalis proprietas, et qua filius non solum est filius, sed est hoc suppositum vel haec persona.

Il n'y a rien en Dieu qui distingue le Fils des autres personnes que la seule relation de filiation qui est sa propriété personnelle, par laquelle il est non seulement le Fils, mais aussi ce suppôt ou cette personne.

Impossibile autem est quod illud quo aliquod suppositum est hoc in pluribus inveniri: quia sic suppositum ipsum esset communicabile; quod est contra rationem individui, suppositi, vel personae. Unde nullo modo potest esse alius filius in divinis quam unus. Non enim potest dici, quod una filiatio constituat hunc filium et alia alium: quia cum filiationes ratione non differant, oporteret quod si materia vel quocumque supposito distinguerentur, esset in divinis materia, aut aliquid aliud distinguens quam relatio.

Il est impossible que ce par quoi quelque chose est un suppôt se trouve en plusieurs; parce qu'ainsi le suppôt même serait communicable, ce qui est contre la notion d'individu, de suppôt ou de personne. Donc en aucune manière, il ne peut y avoir un autre fils en Dieu; il n'y en a qu'un. Car on ne peut pas dire qu'une filiation constitue ce fils et une autre filiation en constitue un autre, parce que, comme les filiations ne diffèrent pas en raison, il faudrait que, si elles sont distinguées par la matière ou un suppôt quelconque, qu'il y ait de la matière en Dieu ou quelque chose d'autre que la relation qui les distingue.

Potest autem et alia ratio specialis assignari, quare pater tantum unum filium gignere possit. Natura enim ad unum determinatur; unde cum pater natura generet filium, non potest esse nisi unus filius a patre genitus. Nec potest dici, quod sint plures numero in eadem specie existentes, sicut apud nos accidit; cum ibi non sit materia, quae est principium distinctionis secundum numerum in eadem specie.

On peut attribuer une autre raison spécifique pour laquelle le Père ne peut engendrer qu'un seul fils. Car la nature est déterminée à un seul objet, donc, comme le Père engendre le Fils par nature il ne peut y avoir qu'un fils unique engendré par le Père. Et on ne peut pas dire qu'ils soient plusieurs en nombre dans une même espèce, comme cela arrive pour nous, puisque là, il n'y a pas la matière qui est le principe de la distinction selon le nombre dans la même espèce.

Solutions:

q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio quamvis in patre sit quodammodo opus naturae divinae, est tamen eius cum quadam concomitantia personalis proprietatis patris, ut supra, art. 2, dictum est; unde non oportet quod conveniat filio, in quo natura divina sine tali proprietate invenitur.

# 1. Quoique d'une certaine manière, la génération soit dans le Père l'oeuvre de la nature divine, elle est en même temps sa propriété personnelle de Père, comme on la dit (a. 2). C'est pourquoi il ne faut pas qu'elle convienne au Fils en qui la nature divine se trouve sans une telle propriété.

q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater totam virtutem suam communicat filio, quae naturam divinam sequitur absolute. Potentia vere generandi sequitur naturam divinam cum adiunctione proprietatis patris, ut dictum est.

# 2. Le Père communique au Fils tout son pouvoir qui découle de la nature divine dans l'absolu. Mais la puissance d'engendrer suit la nature divine avec adjonction de la propriété du Père, comme on l'a dit.

q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod imago assimilatur ei cuius est imago quantum ad speciem, non quantum ad relationem. Non enim oportet quod si imago est ab aliquo quod id cuius est imago, sit ab alio: quia nec similitudo proprie secundum relationem attenditur, sed secundum formam.

# 3. L'image ressemble à celui dont il est l'image quant à la forme, non quant à la relation. Car il ne faut pas que, si l'image vient de quelque chose dont elle est l'image, elle vienne d'un autre, parce que la ressemblance n'est pas atteinte en propre par la relation, mais par la forme[6].

q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut filius assimilatur patri in natura divina, non in proprietate personali; ita et assimilatur ei in actione quae concomitatur naturam, sine concomitantia proprietatis praedictae. Talis autem actio non est generatio; unde ratio non sequitur.

# 4. Le Fils ressemble au Père dans sa nature divine, mais pas dans une propriété personnelle, et de même il lui ressemble dans l'action qui accompagne la nature, sans être accompagné de cette propriété. Mais une telle action n'est pas la génération; donc l'argument ne vaut pas.

q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet potentia generativa patris non exhauriatur neque minuatur per generationem filii; tamen eius infinitatem adaequat filius, qui est intellectus infinitus, non autem creatura finita; unde non est simile.

# 5. Bien que la puissance générative du Père ne soit ni augmentée ni diminuée par la génération du Fils, cependant le Fils, qui est un esprit infini, mais non une créature finie, égale son infinité; c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in ratione ducente ad inconveniens non oportet quod sola inconvenientis vitatio sit causa removendae positionis ex qua inconveniens sequitur, sed etiam causae manifestationis inconvenientis; unde non oportet quod propter hoc solum non sint plures filii in divinis, ne sit generatio infinita.

# 6. Si une raison conduit à un inconvénient, il ne faut pas que l'éviter soit une raison pour exclure la position d'où il vient, mais aussi la cause de sa manifestation. C'est pourquoi, il ne faut pas que pour cette seule raison il n'y ait pas plusieurs fils en Dieu, pour que la génération ne soit pas infinie.

q. 2 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod spiritus sanctus procedit per modum amoris. Amor autem non significat aliquid figuratum vel specificatum specie amantis vel amati, sicut verbum significat speciem dicentis et eius quod dicitur habens; et ideo cum filius procedat per modum verbi, ex ipsa ratione suae processionis habet, ut procedat in similem speciem generantis, et sic quod sit filius, et eius processio generatio dicatur. Non autem spiritus sanctus hoc habet ratione suae processionis, sed magis ex proprietate divinae naturae, quia in Deo non potest esse aliquid quod non sit Deus; et sic ipse amor divinus Deus est, in quantum quidem divinus, non in quantum amor.

# 7. L'Esprit Saint procède par mode d'amour. Mais l'amour ne signifie rien de figuré ou de spécifié par la forme de l'amant et de l'aimé, comme le verbe signifie la forme de celui qui parle et de celui qui est dit le posséder; et ainsi comme le Fils procède par mode de verbe, par la nature même de la procession, il peut aboutir à une forme semblable à celui qui l'engendre et ainsi parce qu'il est le Fils, sa procession est appelée génération. Mais l'Esprit saint ne l'a pas en raison de sa procession, mais plus par la propriété de la nature divine, parce qu'en Dieu, il ne peut rien y avoir qui ne soit pas Dieu, et ainsi l'amour divin même est Dieu, en tant que divin, non en tant qu' amour.

q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc verbum dicere potest accipi dupliciter: stricte et large: stricte accipiendo dicere, idem est quod verbum a se emittere; et sic est notionale, et convenit tantum patri: et sic accipit dicere Augustinus; unde ponit in principio VI de Trinitate, quod solus pater dicit se. Alio modo potest accipi communiter, prout dicere idem est quod intelligere; et sic essentiale. Et hoc modo Anselmus accipit in Monologio, ubi dicit, quod pater et filius et spiritus sanctus dicunt se.

# 8. Ce mot dire peut être compris en deux sens, au sens strict ou au sens large. En le prenant au sens strict, dire c'est la même chose qu'émettre une parole de soi, et ainsi il est notionnel et il convient seulement au Père. Et c'est ainsi que le dit Augustin; c'est pourquoi au début du livre VI de La Trinité (VII) il pense en principe que seul le Père se dit. D'une autre manière on peut le prendre communément, selon que dire est la même chose que l'intellection; et ainsi cela concerne l'essence. Et c'est de cette manière qu'Anselme le prend dans le Monologium (62[7]) où il dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint se disent.

q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut generare soli patri convenit in divinis, ita et concipere; unde solus pater suam similitudinem concipit in intellectu, quamvis filius et spiritus sanctus intelligant; quia in intelligendo nulla relatio exprimitur, nisi forte secundum modum intelligendi tantum; sed in generando et in concipiendo exprimitur realis origo.

# 9. En Dieu, engendrer convient au Père seul, concevoir aussi. C'est pourquoi, seul le Père conçoit sa ressemblance dans son esprit, quoique le Fils et l'Esprit saint pensent (intelligant), parce que, en pensant, aucune relation n'est exprimée, sinon par hasard selon le mode de l'intellection seulement; mais dans le fait d'engendrer et de concevoir s'exprime l'origine réelle.

q. 2 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio illa recte procedit de actione quae consequitur naturam absolute sine aliquo respectu ad proprietatem: talis autem non est generatio; unde ratio non sequitur.

# 10. Cette raison procède directement de l'action qui suit la nature dans l'absolu sans aucun rapport avec la propriété; mais telle n'est pas la génération, c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis non potest esse nisi spiritualis processio, quae quidem est solum secundum intellectum et voluntatem: et ideo non potest a spiritu sancto alia persona divina procedere; quia ipse procedit per modum voluntatis ut amor. Filius per modum intellectus ut verbum.

# 11. En Dieu, il ne peut y avoir qu'une procession spirituelle, qui est seulement selon l'esprit et la volonté et c'est pourquoi une autre personne divine ne peut pas procéder de l'Esprit saint, parce que lui-même procède par mode de volonté comme (l')amour. Le Fils par l'esprit (intellectus) en tant que verbe.

q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod proprietas personalis oportet ut sit incommunicabilis, ut supra dictum est; unde in ea consortium fieri non requirit iucunditas.

# 12. Il faut que la propriété personnelle soit incommunicable comme on l'a dit ci-dessus, donc y participer ne requiert pas la joie.

q. 2 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa similitudo non oportet quod teneat quantum ad omnia.

# 13. Il ne faut qu'il ait une ressemblance totale pour tout[8].

q. 2 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod sicut paternitas in patre et filiatio in filio sunt una essentia: ita et sunt una dignitas et una bonitas.

# 14. De même que la paternité dans le Père et la filiation dans Fils sont une seule essence, il y a une seule dignité et une seule bonté.

q. 2 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum quod cum dicitur potentia generandi, hoc gerundium generandi tripliciter potest accipi.

# 15. Quand on parle de la puissance d'engendrer ce gérondif d'engendrer, peut être compris en trois sens:

Uno modo prout est gerundium verbi activi; et sic ille habet potentiam generandi qui habet potentiam ad hoc quod generet

a) Selon qu'il est le gérondif d'un verbe actif, et ainsi a la puissance d'engendrer celui qui en a la puissance pour le faire

. Alio modo prout gerundium est verbi passivi; et sic ille habet generandi potentiam qui habet potentiam ad hoc ut generetur.

b) Selon que le gérondif est d'un verbe passif; et ainsi a la puissance (être engendré[9]) celui qui en a la puissance.

Tertio modo prout est gerundium verbi impersonalis; et sic dicitur ille habere potentiam generandi qui habet potentiam illam qua ab alio generatur.

c) Selon qu'il est le gérondif d'un verbe impersonnel. et ainsi on dit qu'a la puissance d'être engendré celui qui a cette puissance par laquelle il est engendré par un autre.

Primo ergo modo potentia generandi non convenit filio, sed secundo et tertio; unde ratio non sequitur.

Selon le premier mode la puissance d'engendrer ne convient pas au Fils, mais selon le second et le troisième, oui. Donc la raison ne vaut pas[10].

 



Article 5: La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance?

q. 2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum potentia generandi sub omnipotentia comprehendatur. Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections[1]:

q. 2 a. 5 arg. 1 Omnipotentia enim convenit filio, secundum illud symboli: omnipotens pater, omnipotens filius, omnipotens spiritus sanctus. Non autem convenit ei potentia generandi. Ergo sub omnipotentia non comprehenditur.

1. Car la toute puissance convient au Fils selon ce que dit le Symbole[2]: "Le Père tout-puissant, le Fils tout-puissant et l'Esprit saint tout puissant." Mais la puissance d'engendrer ne lui convient pas. Donc elle n'est pas comprise sous la toute puissance.

q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus dicitur omnipotens, quia potest omnia quae vult. Ex quo videtur quod potentia illa ad omnipotentiam pertineat quae a voluntate imperatur. Potentia autem generandi non est huiusmodi: quia pater non genuit filium voluntate, ut supra, art. 3, habitum est. Ergo potentia generandi ad omnipotentiam non pertinet.

2. Augustin dit (Enchiridion, XXIV, 96[3]) que Dieu est appelé tout-puissant, parce qu'il peut tout ce qu'il veut. Cela montre que cette puissance concerne la toute-puissance qui est commandée par la volonté. Mais la puissance d'engendrer n'est pas de ce genre; parce que le Père n'a pas engendré le Fils par volonté, comme on la dit ci-dessus (a. 3). Donc la puissance d'engendrer ne concerne pas la toute-puissance.

q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, omnipotentia Deo attribuitur, in quantum eius omnipotentia ad omnia quae sunt in se possibilia se extendit. Sed generatio filii vel ipse filius non est de possibilibus, sed de necessariis. Ergo potentia generandi sub omnipotentia non comprehenditur.

3. On attribue la toute puissance à Dieu dans la mesure où elle s'étend à tout ce qui est possible en soi. Mais la génération du Fils ou le Fils lui-même ne sont pas du domaine du possible mais de celui du nécessaire. Donc la puissance d'engendrer n'est pas comprise sous la toute-puissance.

q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, quod convenit pluribus communiter, convenit eis secundum aliquid eis commune, sicut habere tres aequilatero et gradato, secundum hoc quod triangulus sunt. Ergo quod convenit alicui soli, convenit ei secundum hoc quod sibi est proprium. Omnipotentia autem non est propria patris. Cum ergo potentia generandi soli patri conveniat in divinis, non convenit ei in quantum est omnipotens; et ita ad omnipotentiam non pertinebit.

4. Ce qui convient en commun à plusieurs leur convient selon ce qui leur est commun; ainsi avoir trois angles équilatéraux ou des côtés inégaux convient en cela au triangle. Donc ce qui convient à un seul, lui convient selon ce qui lui est propre. Mais la toute-puissance n'est pas le propre du Père. Donc, comme la puissance d'engendrer en Dieu ne convient qu'au Père seul, elle ne lui convient pas en tant que tout-puissant et ainsi elle ne concernera pas la toute-puissance.

q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, sicut est una essentia patris et filii, ita et una omnipotentia. Sed ad omnipotentiam filii non reducitur posse generare. Ergo nec ad omnipotentiam patris; et sic nullo modo potentia generandi ad omnipotentiam pertinet.

5. Il y a une seule essence pour le Père et le Fils, de même une seule toute-puissance. Mais pouvoir engendrer n'est pas ramené à la toute-puissance du Fils. Donc ni à la toute puissance du Père, et ainsi la puissance d'engendrer ne concerne en aucune manière la toute puissance[4].

q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, sub una distributione non cadunt: non enim cum dicitur omnis canis, distributio sumitur pro latrabili et caelesti. Sed generatio filii et productio aliorum quae omnipotentiae subiacent, non sunt unius rationis. Ergo cum dicitur: Deus est omnipotens, non includitur ibi potentia generandi.

6. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne tombe pas sous une seule répartition. En effet, quand on parle de n'importe quel chien, on ne l'attribue ni à celui qui aboie, ni à la constellation du chien. Mais la génération du Fils et la création des autres qui sont soumis à la toute puissance ne sont pas d'une seule nature. Donc quand on dit: Dieu est tout puissant, on n'y inclut pas la puissance d'engendrer.

q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea, illud ad quod omnipotentia se extendit, est omnipotentiae subiectum. Sed in divinis nihil est subiectum, ut Hieronymus dicit Damascenus, libro IV, capit. XIX et libro III, capit. XXI. Ergo nec generatio filii nec filius omnipotentiae subditur; et sic idem quod prius.

7. Ce à quoi s'étend la toute-puissance en est le sujet. Mais en Dieu, rien n'est sujet, comme le dit Jean Damascène, (IV, 19 et III, 21). Donc ni la génération du Fils, ni le Fils ne sont soumis à la toute-puissance; et ainsi de même que ci-dessus.

q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, secundum philosophum relatio non potest esse terminus motus per se, et per consequens nec actionis; et ita nec potentiae obiectum, quae dicitur respectu actionis. Sed generatio et filius in divinis relative dicuntur. Ergo Dei potentia ad ea se non extendit; et sic posse generare non includitur in omnipotentia.

8 Selon le philosophe (Physique, V, 2, 225 b 10[5] et précédent), la relation ne peut être le terme du mouvement par soi ni, par conséquence, celui de l'action et non plus de l'objet de la puissance dont on parle en rapport avec l'action. Mais on parle de la génération et du Fils en Dieu selon la relation. Donc la puissance de Dieu ne s'y étend pas et pouvoir engendrer n'est pas inclus dans la toute puissance.

En sens contraire:

q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, si pater non potest generare filium sibi aequalem, ubi est eius omnipotentia? Ergo omnipotentia ad generationem se extendit.

1. Augustin dit Contra Maximinien (III, c. 7, 17 et 18): "Si le Père ne peut engendrer un Fils égal à lui, où est sa toute puissance?" Donc la toute-puissance s'étend à la génération[6].

q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, omnipotentia in Deo dicitur non solum respectu actuum exteriorum, ut creare, gubernare et huiusmodi, qui ad effectus exterius terminari significantur; sed etiam respectu actuum interiorum; ut intelligere et velle. Si quis enim Deum non posse intelligere diceret, eius omnipotentiae derogaret. Sed filius procedit ut verbum per actum intellectus. Ergo respectu generationis filii omnipotentia Dei intelligitur.

2. On parle de la toute-puissance en Dieu, non seulement en rapport avec les actes extérieurs, comme créer, gouverner etc., qui sont signifiés se terminer aux effets à l'extérieur, mais aussi en rapport avec les actes intérieurs, comme penser et vouloir. Car si quelqu'un disait que Dieu ne peut pas penser, cela dérogerait à sa toute-puissance. Mais le Fils procède en tant que Verbe par un acte de l'esprit. Donc on comprend la toute-puissance de Dieu en rapport avec la génération du Fils[7].

q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, maius est generare filium quam creare caelum et terram. Sed posse creare caelum et terram est omnipotentiae. Ergo multo magis posse filium generare.

3. Il est plus grand d'engendrer le Fils que de créer le ciel et la terre. Mais pouvoir créer le ciel et la terre est le propre de la toute-puissance. Donc beaucoup plus le pouvoir d'engendrer un Fils.

q. 2 a. 5 s. c. 4 Praeterea, in quolibet genere est unum principium, ad quod omnia quae sunt illius generis, reducuntur. In genere autem potentiarum principium est omnipotentia. Ergo omnis potentia ad omnipotentiam reducitur; ergo et potentia generandi vel continetur sub omnipotentia, vel in genere potentiarum erunt duo principia, quod est impossibile.

4. Dans n'importe quel genre, il y a un seul principe auquel est ramené tout ce qui est de ce genre. Or dans le genre des puissances, le principe c'est la toute-puissance. Donc chaque puissance est ramenée à la toute-puissance. Donc la puissance d'engendrer, ou bien est contenue sous la toute puissance, ou bien elle sera dans le genre des puissances, il y aura deux principes, ce qui est impossible.

Réponse:

q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod potentia generandi pertinet ad omnipotentiam patris, non autem ad omnipotentiam simpliciter: quod sic patet. Cum enim potentia in essentia radicari intelligatur, et sit principium actionis, oportet idem esse iudicium de potentia et actione quod est de essentia. In essentia autem divina hoc considerandum est, quod propter eius summam simplicitatem quidquid est in Deo, est divina essentia; unde et ipsae relationes quibus personae ad invicem distinguuntur, sunt ipsa divina essentia secundum rem. Et quamvis una et eadem essentia sit communis tribus personis, non tamen relatio unius personae communis est tribus, propter oppositionem relationum ad invicem. Ipsa enim paternitas est divina essentia, nec tamen paternitas filio inest, propter oppositionem paternitatis et filiationis.

La puissance d'engendrer convient à la toute-puissance du Père, mais pas la toute-puissance dans l'absolu[8]; ce qui apparaît ainsi: étant donné que la puissance, en effet, est comprise comme ayant sa racine dans l'essence, et est ainsi principe d'action, il faut que le jugement sur la puissance et sur l'action soit identique, parce qu'il concerne l'essence. Il faut considérer dans l'essence divine qu'à cause de sa suprême simplicité suprême, tout ce qui est en Dieu est son essence; c'est pourquoi les relations mêmes par lesquelles les personnes se distinguent entre elles, sont réellement l'essence divine elle-même. Et quoiqu'une seule et même essence soit commune aux trois personnes, cependant la relation d'une personne n'est pas commune aux trois à cause de l'opposition des relations entre elles. Car la paternité même est l'essence divine et cependant elle n'est pas dans le Fils à cause de l'opposition de la paternité et de la filiation.

Unde potest dici, quod paternitas est divina essentia prout est in patre, non prout est in filio: non enim eodem modo est in patre et filio, sed in filio ut ab altero accepta, in patre autem non. Nec tamen sequitur quod quamvis paternitatem filius non habeat quam pater habet, aliquid habeat pater quod non habet filius: nam ipsa relatio secundum rationem sui generis, in quantum est relatio, non habet quod sit aliquid, sed solum quod sit ad aliquid. Quod sit vero aliquid secundum rem, habet ex illa parte qua inest, vel ut idem secundum rem, ut in divinis, vel ut habens causam in subiecto, sicut in creaturis. Unde cum id quod est absolutum, communiter sit in patre et filio, non distinguuntur secundum aliquid, sed secundum ad aliquid tantum; unde non potest dici quod aliquid habet pater quod non habet filius; sed quod aliquid secundum unum respectum convenit patri, et secundum alium aliquid filio.

C'est pourquoi, on peut dire que la paternité est l'essence divine selon qu'elle est dans le Père, mais non selon qu'elle est dans le Fils, car elle n'est pas de la même manière dans le Père et le Fils; elle est dans le Fils comme reçue d'un autre mais pas dans le Père. Et cependant il n'en découle pas que, quoique le Fils n'ait pas la paternité qu'a le Père, le Père a quelque chose que n'a pas le Fils; car la relation en tant que telle selon la nature de son genre n'a pas à être quelque chose mais seulement à être relation. Mais que ce soit quelque chose en réalité vient de cette partie dans laquelle elle est ou comme identique en réalité, comme en Dieu, ou comme ayant sa cause dans le sujet, comme dans les créatures. C'est pourquoi puisque ce qui est absolu est en commun dans le Père et dans le Fils, ils ne sont pas distingués par leur nature, mais par la relation seulement. C'est pourquoi on ne peut pas dire que le Père a quelque chose que le Fils n'a pas, mais que quelque chose convient selon un rapport au Père et selon un autre au Fils.

Similiter ergo dicendum est de actione et potentia. Nam generatio significat potentiam cum aliquo respectu, et potentia generandi significat potentiam cum respectu; unde ipsa generatio est Dei actio, sed prout est patris tantum; et similiter ipsa potentia generandi est Dei omnipotentia, sed prout est patris tantum. Nec tamen sequitur quod aliquid possit pater quod non possit filius. Sed omnia quaecumque potest pater, potest filius, quamvis generare non possit: nam generare ad aliquid dicitur.

Il faut en dire autant de l'action et de la puissance. Car la génération signifie la puissance avec une certaine relation et la puissance d'engendrer signifie la puissance avec une relation; c'est pourquoi la génération même est l'action de Dieu, mais en tant qu'il est Père seulement, et semblablement la puissance même d'engendrer est la toute-puissance de Dieu selon qu'elle est du Père seulement. Et cependant il n'en découle pas que le Père puisse ce que ne peut pas le Fils. Mais tout ce que peut le Père, le Fils le peut, quoiqu'il ne puisse engendrer, car on dit qu'engendrer est une relation.

Solutions

q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod posse generare, ad omnipotentiam pertinet, sed non prout est in filio, ut dictum est, in corp. articuli.

# 1. Pouvoir engendrer concerne la toute-puissance, mais pas dans la mesure où elle est dans le Fils, comme on l'a dit dans le corps de l'article.

q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus non intendit ostendere totam rationem omnipotentiae in verbis illis, sed quoddam omnipotentiae signum. Nec loquitur de omnipotentia nisi secundum quod ad creaturas se extendit.

# 2. Augustin n'a pas l'intention de montrer toute la nature de la toute-puissance dans ces paroles, mais d'en montrer un aspect. Et il n'en parle que dans la mesure où elle s'étend aux créatures.

q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod possibile ad quod omnipotentia se extendit, non est accipiendum solum pro contingenti: quia et necessaria sunt per divinam potentiam ad esse producta: et sic nihil prohibet generationem filii computari inter possibilia divinae potentiae.

# 3. Le possible à quoi s'étend la toute-puissance n'est pas à recevoir seulement pour ce qui est contingent, parce que ce qui est nécessaire est amené à l'être par la puissance divine, et ainsi rien n'empêche que la génération du Fils soit comptée parmi les possibilités de la puissance divine.

q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet omnipotentia absolute considerata non sit propria patris, tamen prout cointelligitur ei determinatus modus existendi, sive determinata relatio, propria fit patri; sicut hoc quod dicitur Deus pater, patri proprium est, quamvis Deus sit tribus commune.

# 4. Quoique la toute-puissance, considérée dans l'absolu, ne soit pas le propre du Père, cependant dans la mesure où un mode déterminé d'existence ou une relation déterminée est comprise en lui, elle devient propre au Père; ainsi ce qui est appelé Dieu Père est propre au Père, quoique Dieu soit commun aux trois personnes.

q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut una et eadem est essentia trium personarum, non tamen sub eadem relatione, vel secundum eumdem modum existendi est in tribus personis; ita est et de omnipotentia.

# 5. Une seule et même essence pour les trois personnes, non cependant sous la même relation, ou selon le même mode d'existence est dans les trois personnes, il en est de même pour la toute-puissance.

q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod generatio filii et productio creaturarum non sunt unius rationis secundum univocationem, sed secundum analogiam tantum. Dicit enim Basilius quod accipere filius habet commune cum omni creatura; et ratione huius dicitur primogenitus omnis creaturae et hac ratione potest eius generatio productionibus creaturae communicari sub una distributione.

# 6. La génération du Fils et la production des créatures ne sont pas d'une même nature selon l'univocité, mais par analogie seulement. Car Basile dit (Hom. 15 Sur le foi ) que le fait de recevoir, le Fils l'a eu en commun avec toute créature, et sous ce rapport, il est appelé "premier-né de toute créature" (Col. 1, 15) et pour cette raison sa génération peut être attribuée aux productions de la créature sous une seule attribution[9].

q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod generatio filii est subiecta omnipotentiae, non hoc modo quo subiectum inferioritatem designat sed hoc modo quo designat solummodo potentiae obiectum.

# 7. La génération du Fils est soumise à la toute-puissance, non de cette manière où elle désigne un sujet inférieur, mais de celle où elle désigne seulement l'objet de la puissance.

q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod generatio filii significat relationem per modum actionis, et filius per modum hypostasis subsistentis; et ideo nihil prohibet quin respectu horum omnipotentia dicatur.

# 8. La génération du Fils signifie une relation par mode d'action[10] et le Fils [est signifié] par mode d'hypostase subsistante[11]; et c'est pourquoi rien n'empêche qu'on désigne la toute-puissance en rapport avec cela.

q. 2 a. 5 ad s. c. Aliae vero rationes non concludunt, nisi quod posse generare ad omnipotentiam patris pertineat.

Les autres raisons n'apportent pas de conclusions, sinon que le pouvoir d'engendrer concerne la toute-puissance du Père.

 


[1] . Parall.: Ia, qu. 28, a. 3 – I Sent. d7q1a1.

[2] . Symbole Quicumque, dit d'Athanase.

[3] . Si Dieu le Père "reçoit avec raison le nom de tout puissant, c'est uniquement pour ce motif que tout ce qu'il veut il le peut, sans que la volonté d'aucune créature puisse empêcher sa volonté toute puissante de sortir son effet." Trad. BA. 9

[4] . Si on considère ce sur quoi porte la toute puissance, c'est-à-dire la création, elle n'est qu'en rapport avec les créatures. Mais si on considère l'opération, la toute puissance s'étend à celui qui engendre (le Père). I Sent. d20,q1a1, ad 4.

[5] ."Selon la substance, il n'y a pas mouvement, parce qu'il n'y a aucun être qui soit contraire à la substance. Pas davantage pour la relation; car à la suite du changement de l'un des relatifs, cela peut aussi se vérifier aussi pour l'autre sans qu'il ait changé en rien." (Trad. H. Carteron)

[6] . Id. Pot. 2, 1, sed contra. 2.

[7] .Cet argument est présenté comme solution en I Sent.d20q1a1.

[8] . Pour la raison que le Fils et l'Esprit saint n'engendrent pas. L'absolu correspond à l'essence

[9] . "La procession des créatures à partir d Dieu a pour cause exemplaire la procession même des personnes divines." (Geiger, La participation dans la philosophie de s. Thomas d'Aquin, p. 225

[10] . Elle signifie l'identité réelle de l'action notionnelle et de la relation divine.(Vanier p. 41)

[11] . "Dans cette relation signifiant l'émanation de l'action notionnelle et distincte pour l'esprit de la relation personnelle, il ne faut sans doute voir qu'une relation de raison (relatio intellecta in origine) – laissant intacte l'identification réelle et d'action notionnelle et de la relation personnelle. Vanier Théologie trinitaire chez Saint Thomas d'Aquin. p. 47.

 

 

 

 

 

Article 6:
La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles identiques?

q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum potentia generandi et potentia creandi sint idemq. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

Objections:

q. 2 a. 6 arg. 1 Generatio enim est operatio vel opus naturae, sicut Damascenus dicit; creatio vero est opus voluntatis, ut patet per Hilarium in libro de Synod. sed voluntas et natura non sunt idem principium, sed ex opposito dividuntur, ut patet II Phys. Ergo potentia generandi et potentia creandi non sunt idem.

1. Car la génération est l'opération ou l'oeuvre de la nature, comme Jean Damascène le dit (II, 27): mais la création est l'oeuvre de la volonté, comme le montre Hilaire (Les synodes). Mais la volonté et la nature ne sont pas un même principe, mais elles sont divisées par opposition, comme on le voit en Physique (II, 4, 196 a 28 et 5, 196 b 18[2]). Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas identiques.

q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, potentiae distinguuntur per actus, ut habetur II de anima. Sed generatio et creatio sunt actus multum differentes. Ergo et potentia generandi et potentia creandi non sunt una potentia.

2. On distingue les puissances par les actes, comme il est dit dans L'âme, II, 4, 415 a 20[3]. Mais la génération et la création sont des actes très différents. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas une seule puissance.

q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, minor unitas est eorum quae in aliquo univocantur, quam eorum quae habent idem esse. Sed potentia generandi et potentia creandi in nullo univocantur; sicut nec generatio et creatio nec filius et creatura. Ergo potentia generandi et potentia creandi non sunt idem secundum esse.

3. L'unité de ceux qui sont désignés par un même nom est moindre que celle de ceux qui ont un être identique. Mais la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont univoques en rien, la génération et la création, non plus, le Fils et la créature, non plus. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas identiques selon l'être.

q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit ordo. Sed potentia creandi est prior quam potentia generandi secundum intellectum, sicut essentiale notionali. Ergo praedictae potentiae non sunt idem.

4. Il n'y a pas d'ordre en ce qui est identique. Mais la puissance de créer est avant la puissance d'engendrer selon l'esprit, comme ce qui est de l'essence est avant ce qui est de la notion. Donc les puissances dont on parle ne sont pas identiques.

En sens contraire:

q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. In Deo non differt potentia et essentia. Sed una tantum est divina essentia. Ergo et una tantum potentia. Non ergo praedictae potentiae distinguuntur.

1. En Dieu la puissance et l'essence ne sont pas différentes. Il y a seulement une seule essence divine. Donc une seule puissance. Donc ces puissances ne sont pas distinguées.

q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Deus non facit per plura quod potest facere per unum. Sed per unam potentiam Deus potest generare et creare, praecipue cum generatio filii sit ratio productionis creaturae; secundum illam Augustini expositionem: dixit, et facta sunt; id est, verbum genuit, in quo erat ut fierent. Ergo una tantum potentia est generandi et creandi.

2. Dieu ne fait pas par plusieurs moyens ce qu'il peut faire par un seul. Mais par une seule puissance Dieu peut engendrer et créer, surtout parce que la génération du Fils est la raison de la production de la créature; selon ce qu'expose Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 6 et 7): "Il dit et ce fut fait, c'est-à-dire, il engendra le Verbe en qui était ce qui était à faire." Donc la puissance d'engendrer et de créer est une seulement.

Réponse:

q. 2 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut supra, dictum est, ea quae de potentia dicuntur in divinis, consideranda sunt ex ipsa essentia. In divinis autem licet una relatio ab altera distinguatur realiter propter oppositionem relationum, quae reales in Deo sunt; ipsa tamen relatio non est aliud secundum rem quam ipsa essentia, sed solum ratione differens: nam relatio ad essentiam oppositionem non habet. Et ideo non est concedendum quod aliquid absolutum in divinis multiplicetur, sicut quidam dicunt, quod in divinis est duplex esse, essentiale et personale.

Comme on l'a dit ci-dessus (a. 5) ce qui est dit de la puissance en Dieu doit être considéré à partir de l'essence même. En Dieu, bien qu'une relation soit distinguée d'une autre, réellement à cause de l'opposition des relations qui sont réelles en lui, cependant elle n'est pas autre chose en réalité que l'essence même, mais différente en raison seulement, car la relation ne s'oppose pas à l'essence. Et c'est pourquoi il ne faut pas concéder que ce qui est absolu en Dieu est multiplié, comme certains disent qu'en lui il y a une être double, essentiel et personnel.

Omne enim esse in divinis essentiale est, nec persona est nisi per esse essentiae. In potentia vero, praeter id quod est ipsa potentia, consideratur respectus quidam vel ordo ad id quod potentiae subiacet. Si ergo potentia quae est respectu actus essentialis, sicut potentia intelligendi vel creandi, comparetur ad potentiam quae est respectu actus notionalis (cuiusmodi est potentia generandi) secundum id quod est ipsa potentia, invenitur una et eadem potentia, sicut est unum et idem esse naturae et personae. Sed tamen utrique potentiae cointelligitur alius et alius respectus, secundum diversos actus ad quos potentiae dicuntur.

Car tout l'être en Dieu est essentiel et la personne n'est que par l'être de l'essence. Mais dans la puissance, au-delà de ce qu'elle est elle-même, on considère un rapport ou un ordre à ce qui lui est soumis. Donc si la puissance, qui est en rapport avec l'acte essentiel, comme la puissance de penser (intelligendi) et de créer, est assimilée à celle qui est en rapport avec l'acte notionnel (la puissance d'engendrer est de ce genre) selon ce qui est la puissance même, on trouve une seule et même puissance de même que l'être de la nature et de la personne est un et identique. Mais cependant, on comprend avec chaque puissance un rapport différent selon les actes différents pour lesquels elles sont appelées puissance.

Sic ergo potentia generandi et creandi est una et eadem potentia, si consideretur id quod est potentia; differunt tamen secundum diversos respectus ad actus diversos.

Donc ainsi la puissance d'engendrer et celle de créer sont une seule et même puissance, si on considère ce qu'est la puissance, elles diffèrent cependant selon des rapports différents à des actes différents.

Solutions:

q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet in creaturis differant natura et propositum, in divinis tamen sunt idem secundum rem. Vel potest dici, quod potentia creandi non nominat propositum sive voluntatem, sed potentiam prout a voluntate imperatur. Potentia autem generandi, secundum quod natura inclinat, agit. Hoc autem non facit diversitatem potentiae, nam nihil prohibet aliquam potentiam ad aliquem actum imperari a voluntate et ad alium inclinari a natura. Sicut intellectus noster ad credendum inclinatur a voluntate, ad intelligendum prima principia ducitur ex natura.

1. Bien que, dans les créatures, la nature et l'intention soient différentes, cependant en Dieu elles sont identiques en réalité. Ou bien, on peut dire que la puissance de créer ne désigne pas l'intention ou la volonté, mais une puissance dans la mesure où elle est commandée par la volonté. Mais la puissance d'engendrer agit selon ce à quoi la nature l'incline. Mais cela ne crée pas la diversité de la puissance, car rien n'empêche qu'une puissance soit commandée pour un acte par la volonté et inclinée à un autre par la nature. Ainsi notre esprit est poussé à croire par la volonté, il est conduit à comprendre les premiers principes par la nature.

q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quanto aliqua potentia est superior, tanto ad plura se extendit, unde minus est distinguibilis per diversitatem obiectorum; sicut imaginatio una potentia est respectu omnium sensibilium, respectu quorum sensus proprii distinguuntur. Divina autem potentia est summe elevata: unde differentia actuum in ipsa potentia, quantum ad id quod est, diversitatem non inducit, sed secundum unam potentiam Deus omnia potest.

2. Plus une puissance est supérieure, puis elle s'étend à de nombreux objets; c'est pourquoi elle est moins distincte par la diversité des objets, ainsi l'imagination est une seule puissance par rapport à tout le sensible, par le rapport dont les sens propres se distinguent. Mais la puissance divine est très au-dessus; c'est pourquoi la différence des actes dans la puissance même, quant à ce qu'il en est, n'apporte pas de diversité, mais, Dieu peut tout par une seule puissance..

q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia generandi et potentia creandi quantum ad ipsam (ut ita loquar) potentiae substantiam, non solum univocantur, sed sunt unum. Sed quod analogice dicantur, hoc est ex ordine actus.

3. La puissance d'engendrer et celle de créer, quant à la substance de la puissance, pour ainsi dire, ne sont pas univoques, mais sont une seule même puissance. Mais ce qui est dit analogiquement vient de la nature de l'acte.

q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedictae potentiae non ordinantur secundum prius et posterius, nisi prout distinguuntur. Unde ordo earum non attenditur nisi per respectum ad actus. Et ex hoc patet quod potentia generandi est prior potentia creandi, sicut generatio creatione. Quantum vero ad hoc quod ad essentiam comparantur, sunt idem, et non est in eis ordo

4. Les puissances dont on a parlé ne sont ordonnées selon l'avant et l'après, que si on les distingue. Donc leur ordre n'est atteint que par rapport à l'acte. Cela montre que la puissance d'engendrer reste avant la puissance de créer, comme la génération est avant la création. Mais dans la mesure où on les compare à l'essence, elles sont identiques et il n'y a pas d'ordre en elles.

 

 


Question 3: La création qui est le premier effet de la puissance divine.

q. 3 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit aliquid creare.

Article 1. Dieu peut-il créer?

q. 3 pr. 2 Secundo utrum creatio sit mutatio.

Article 2. La création est-elle un changement?

q. 3 pr. 3 Tertio utrum creatio sit aliquid realiter in creatura.

Article 3. La création est-elle quelque chose de réel dans la créature?

q. 3 pr. 4 Quarto utrum potentia creandi sit creaturae communicabilis.

Article 4. La puissance de créer est-elle communicable à la créature?

q. 3 pr. 5 Quinto utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum.

Article 5. Peut-il exister quelque chose qui ne soit pas créé par Dieu?

q. 3 pr. 6 Sexto utrum sit unum tantum creationis principium.

Article 6. N'y a-t-il qu'un seul principe de création?

q. 3 pr. 7 Septimo utrum Deus operetur in omni operatione naturae.

Article 7. Dieu opère-t-il dans tout opération de la nature?

q. 3 pr. 8 Octavo utrum creatio operi naturae admisceatur.

Article 8. La création est-elle mêlée à l'opération de nature?

q. 3 pr. 9 Nono utrum anima creetur.

Article 9. L'âme est-elle créée?

q. 3 pr. 10 Decimo utrum anima sit creata in corpore, vel extra corpus.

Article 10. L'âme est-elle créée dans le corps ou hors du corps?

q. 3 pr. 11 Undecimo utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem.

Article 11. L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par création ou par transmission de la semence?

q. 3 pr. 12 Duodecimo utrum sint in semine quando discinditur.

Article 12. L'âme sensitive et l'âme végétative sont-elles dans la semence dès le moment où elle se sépare?

q. 3 pr. 13 Decimotertio utrum aliquod ens ab alio, possit esse aeternum.

Article 13. Un étant qui dépend d'un autre peut-il être éternel?

q. 3 pr. 14 Decimoquarto utrum id quod est divisum a Deo per essentiam, possit semper fuisse.

Article 14. Ce qui est différent de Dieu en essence peut-il avoir toujours existé?

q. 3 pr. 15 Decimoquinto utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae.

Article 15. Les créatures procèdent-elles de Dieu par nécessité de nature?

q. 3 pr. 16 Decimosexto utrum ab uno primo possit procedere multitudo.

Article 16. La pluralité procède-t-elle d'une unité première?

q. 3 pr. 17 Decimoseptimo utrum mundus semper fuerit.

Article 17. Le monde a-t-il toujours existé?

q. 3 pr. 18 Decimoctavo utrum Angeli sint creati ante mundum visibilem.

Article 18. Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?

q. 3 pr. 19 Undevigesimo utrum potuerint esse Angeli ante mundum visibilem.

Article 19. Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?

 

 

Article 1: Dieu peut-il créer de rien?

 

q. 3 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit aliquid creare ex nihilo. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

 

Objections:

q. 3 a. 1 arg. 1 Deus enim non potest facere contra communem animi conceptionem, sicut quod totum non sit maius sua parte. Sed, sicut dicit philosophus [in I Phys., text.33], communis conceptio ex sententia philosophorum fuit, quod ex nihilo nihil fiat. Ergo Deus non potest de nihilo aliquid facere.

1. Dieu ne peut agir contre la conception commune de l'esprit: faire comme par exemple que le tout ne soit pas plus grand que la partie. Mais, comme le dit le philosophe (I Phys. 4, 187 a 26), la conception commune: "Rien ne vient à partir de rien[2]" provient de l'opinion des philosophes[3]. Donc Dieu ne peut rien faire à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod fit, antequam esset, possibile erat esse: si enim erat impossibile esse, non erat possibile fieri: nihil enim mutatur ad id quod est impossibile. Sed potentia qua aliquid potest esse, non potest esse nisi in aliquo subiecto; nisi forte ipsamet sit subiectum; nam accidens absque subiecto esse non potest. Ergo omne quod fit, fit ex materia vel subiecto. Impossibile est ergo ex nihilo aliquid fieri.

2. Tout ce qui est fait, avant d'exister, en avait la possibilité[4]: car s'il lui était impossible d'être, il ne pouvait pas être fait. Car rien ne se change en ce qui est impossible. Mais la puissance par laquelle quelque chose peut exister ne peut être que dans un substrat, à moins que par hasard elle-même soit le substrat; car un accident ne peut pas exister sans substrat. Donc tout ce qui est fait est fait à partir de la matière ou d'un substrat. En conséquence, il est impossible que quelque chose soit fait à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, infinitam distantiam non contingit pertransire. Sed non entis simpliciter ad ens est infinita distantia; quod ex hoc patet, quia quanto potentia est minus ad actum disposita, tanto magis ab actu distat; unde si omnino potentia subtrahatur, erit infinita distantia. Ergo impossibile est quod aliquid transeat simpliciter de non ente ad ens.

3. On ne peut traverser une distance infinie. Mais du non étant absolu à l'étant, la distance est infinie. Ce qui apparaît ainsi: moins une puissance est disposée à l'acte, plus elle en est distante. C'est pourquoi, si on supprime tout à fait la puissance, la distance sera infinie. Donc il est impossible que quelque chose passe du non étant absolu à l'étant.

 

q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit [in I de Gen.,comm. 48], quod omnifariam dissimile, non agit in omnifariam dissimile; oportet enim quod agens et patiens conveniant in genere et in materia. Sed non ens simpliciter et Deus in nullo conveniunt. Ergo Deus non potest agere in non ens simpliciter, et ita non potest facere aliquid de nihilo.

4. Le philosophe (De la Génération et de la corruption, I, 10[5]) dit que des objets tout à fait dissemblables n'interagissent pas entre eux. Car il faut que l'agent et le patient s'accordent dans le genre et la matière. Mais le non étant absolu et Dieu ne s'accordent en rien. Donc Dieu ne peut agir sur le non étant absolu et ainsi il ne peut pas faire quelque chose de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 5 Sed dicebat, quod ratio ista procedit de agente cuius actio differt a sua substantia, quam oportet in aliquo subiecto recipi.- Sed contra Avicenna dicit [lib. IX Metaph., cap II] quod si calor esset a materia expoliatus, per se ipsum ageret absque materia; et tamen eius actio non esset sua substantia. Ergo hoc quod actio Dei est sua essentia, non est ratio quod materia non indigeat.

5. Mais on pourrait dire que cette raison procède d'un agent dont l'action est différente de la substance, qui doit être reçue dans un substrat. En sens contraire, Avicenne (Métaphysique, IX, ch. 2) dit que si la chaleur était dépourvue de matière, elle agirait par elle-même, sans matière et cependant son action ne serait pas sa substance. Donc le fait que l'action de Dieu soit son essence n'est pas une raison pour qu'il n'ait pas besoin de matière[6].

 

q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, ex nihilo nihil concluditur: quod est quoddam fieri rationis. Sed esse rationis consequitur esse naturae. Ergo etiam in natura ex nihilo nihil fieri potest.

6. A partir de rien, on ne conclut rien, ce qui est un certain cheminement de la raison[7]. Mais l'être de raison suit l'être de nature. Donc même dans la nature, on ne peut rien faire à partir de rien

 

q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, si ex nihilo aliquid fiat, haec praepositio ex aut notat causam, aut ordinem. Causam autem non videtur notare nisi efficientem, vel materialem. Nihil autem neque efficiens causa entis esse potest, neque materia; et sic in proposito non denotat causam; similiter nec ordinem, quia, ut dicit Boetius, entis ad non ens non est aliquis ordo. Ergo nullo modo ex nihilo potest aliquid fieri.

 

7. [Dans la phrase]: “Si quelque chose est fait à partir de (ex) rien, la préposition “ex” (de[8]) désigne la cause ou une relation. Si c'est la cause, elle paraît ne signifier qu'une cause efficiente ou matérielle. Mais le néant ne peut pas être la cause efficiente de l'étant, la matière non plus et ainsi dans cette proposition, elle n'indique pas la cause, ni de la même manière la relation, parce que, comme le dit Boèce, de l'être au non-être, il n'y a pas de relation. Donc, en aucune manière, rien ne peut être fait de rien[9].

 

q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, potentia activa secundum philosophum [IV Metaph., com. 17] est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud. Potentia autem Dei non est nisi potentia activa. Ergo requirit aliquod subiectum transmutationis; et sic non potest ex nihilo aliquid facere.

8. La puissance active, selon le philosophe (Métaphysique V, 12, 1019 a 15-16), est le principe d'un changement en autre chose, en tant qu'autre. Mais la puissance de Dieu est uniquement active. Donc elle requiert un substrat à transformer et ainsi elle ne peut pas faire quelque chose à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 9 Praeterea, in rebus invenitur diversitas, prout una res est alia perfectior. Huius autem diversitatis causa non est ex parte Dei, qui est unus et simplex. Ergo oportet huius diversitatis causam assignare ex parte materiae. Oportet ergo ponere res factas esse ex materia et non ex nihilo.

9. Dans les êtres, on trouve la diversité du fait qu'une chose est plus parfaite qu'une autre. Mais la cause de cette diversité ne vient pas de Dieu qui est un et simple[10]. Donc il faut en assigner la cause à la matière. En conséquence, il faut penser que les créatures ont été faites de matière et non à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, quod ex nihilo factum est, habet esse post non esse. Est ergo considerare aliquod instans in quo ultimo non est, ex quo non esse desinit, et aliquod in quo primo est, ex quo esse incipit. Aut ergo est unum et idem instans, aut diversa. Si idem, sequitur duo contradictoria esse in eodem instanti; si diversa, cum inter duo instantia sit tempus medium, sequitur aliquid esse medium inter affirmationem et negationem: nam non potest dici non esse post ultimum instans in quo non fuit, nec esse ante primum instans in quo fuit. Utrumque autem est impossibile, scilicet contradictionem esse simul, et eam habere medium. Ergo impossibile est aliquid fieri ex nihilo.

 

10. Ce qui est fait à partir de rien possède l'être après le non être. Il faut donc considérer un instant, à la fin duquel il n'existe pas et où cesse le non être et un autre instant au début duquel il existe et auquel il commence à être. Donc ou c'est un même et unique instant ou ce sont des instants différents. Si c'est le même, il s'ensuit que deux choses contradictoires existent en même temps; s'ils sont différents, comme entre deux instants il y a un temps intermédiaire, il s'ensuit que quelque chose est intermédiaire entre l'affirmation et la négation; car on ne peut pas dire qu'il n'était pas après l'ultime instant en lequel il ne fut pas, ni qu'il est avant le premier dans lequel il a existé. L'un et l'autre sont impossibles, c'est-à-dire que les deux termes de la contradiction soient en même temps et qu'elle ait un intermédiaire. Donc il est impossible que quelque chose soit fait à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, quod factum est, necesse est aliquando fieri; et quod creatum est, aliquando creari. Aut ergo simul fit et factum est, quod creatur, aut non simul. Sed non potest dici quod non simul, quia creatura non est antequam facta sit. Si ergo fieri eius sit antequam facta sit, oportebit esse aliquod factionis subiectum, quod est contra creationis rationem. Si autem simul fit et factum est, sequitur quod simul fit et non fit, quia quod factum est in permanentibus, est; quod tamen fit, non est. Hoc autem est impossibile. Ergo impossibile est aliquid fieri ex nihilo, vel creari.

 

11. Il est nécessaire que ce qui a été fait, le soit dans un temps donné et ce qui a été créé aussi. Ou bien donc ce qui est créé est fait et a été fait en même temps ou pas. Mais on ne peut pas dire que ce n'est pas en même temps, parce que la créature n'existe pas avant d'avoir été faite. Si donc son devenir est avant d'avoir été faite, il faudra qu'il y ait quelque substrat de l'action, ce qui est contre la notion de création. S'il se fait et a été fait en même temps, il s'ensuit qu'il est fait et non fait en même temps, parce que ce qui a été fait dans ce qui demeure existe; ce qui cependant se fait n'est pas. Mais cela est impossible. Donc il est impossible que quelque chose soit fait ou créé à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne agens agit simile sibi. Omne autem agens agit secundum quod est in actu. Ergo nihil fit nisi quod est in actu. Sed materia prima non est in actu. Ergo fieri non potest, praecipue a Deo, qui est purus actus; et sic quaecumque fiunt, fiunt ex praesupposita materia, et non ex nihilo.

12. Tout agent fait du semblable à lui. Mais tout agent n'agit que selon qu'il est en acte. Donc rien n'est fait que ce qui est en acte[11]. Mais la matière première n'est pas en acte. Donc elle ne peut pas être faite, surtout par Dieu qui est acte pur; et ainsi tout ce qui est fait, est fait d'une matière présupposée, et non à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea, quidquid facit Deus, per ideam operatur, sicut artifex agit artificiata per formas artis. Sed materia prima non habet ideam in Deo: quia idea forma est, et similitudo ideati. Materia autem prima cum intelligatur secundum suam essentiam absque omni forma, non potest forma eius esse similitudo. Ergo materia prima a Deo fieri non potest; et sic idem quod prius.

13. Tout ce que Dieu fait, il l'opère par l'idée, comme l'artisan fait ses oeuvres par les formes de son art. Mais la matière première n'a pas d'idée en Dieu, parce que l'idée est une forme, et une ressemblance de l'idéat[12]. Comme on comprend la matière première, selon son essence, hors de toute forme, sa forme ne peut pas en être une ressemblance. Donc elle ne peut avoir été faite par Dieu; et de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, non potest esse idem perfectionis et imperfectionis principium. In rebus autem imperfectio invenitur, cum rerum quaedam aliis potiores sint; quod contingere non potest nisi per inferiorum imperfectionem. Cum ergo perfectionis principium sit Deus, oportebit imperfectionem in aliud principium reducere. Sed non nisi in materiam. Ergo oportebit res ex aliqua materia esse factas, et non ex nihilo.

 

14. Il ne peut pas y avoir de principe identique pour la perfection et l'imperfection. On trouve l'imperfection dans des choses, puisque certaines sont meilleures que d'autres, ce qui ne peut arriver que par l'imperfection des inférieures. Donc puisque le principe de la perfection est Dieu, il faudra ramener l'imperfection à un autre principe. Mais il n'est que dans la matière. Donc il faudra que les choses aient été faites d'une matière et non à partir de rien[13].

 

q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea, si aliquid fit ex nihilo aut fit ex eo sicut ex subiecto, sicut statua ex aere; aut sicut ex opposito, sicut figuratum ex infigurato; aut ex composito, sicut statua ex aere infigurato. Sed aliquid non potest fieri ex nihilo sicut ex subiecto, quia non ens non potest esse entis materia; neque sicut ex composito, quia sic non ens converteretur in ens, sicut aes infiguratum convertitur in aes figuratum; et ita oporteret aliquid esse commune enti et non enti, quod est impossibile; neque etiam sicut ex opposito, cum plus differant non esse simpliciter et ens quam duo entia diversorum generum, ex quorum uno non fit aliud, sicut figura non fit color, nisi forte per accidens. Ergo nullo modo aliquid potest fieri ex nihilo.

 

15. Si quelque chose est fait à partir de rien ou il en est fait comme d'un substrat; - ainsi la statue est faite d'airain, ou bien comme d'un opposé[14], comme ce qui est formé est fait de ce qui est sans forme - ou bien d'un composé comme la statue est faite de l'airain sans forme. Mais rien ne peut être fait à partir du néant comme d'un substrat, parce que le non étant ne peut être la matière d'un étant, ni fait comme d'un composé, parce qu'ainsi le non étant serait transformé en étant, comme l'airain sans forme est transformé en airain en forme et ainsi il faudrait que quelque chose soit commun à l'étant et au non étant, ce qui est impossible; ni même fait comme de l'opposé, puisque le non étant absolu et l'étant diffèrent encore plus que deux étant de genres différents; il ne devient pas autre à partir de l'un d'eux; ainsi la figure ne devient pas couleur, sinon par hasard par accident. Donc en aucune manière, quelque chose ne peut être fait à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad per se. Sed ex opposito fit aliquid per accidens, ex subiecto autem per se; sicut statua ex infigurato fit per accidens, ex aere autem per se, quia aeri accidit esse infiguratum. Si ergo aliquid fiat ex non ente, hoc erit per accidens. Ergo oportet quod fiat per se ex aliquo subiecto; et ita non fit ex nihilo.

 

16. Tout ce qui est par accident est ramené au par soi. A partir de l'opposé, on fait quelque chose par accident et à partir du substrat, on fait quelque chose par soi; ainsi la statue est faite à partir de quelque chose sans forme par accident, mais elle est faite à partir de l'airain par soi, parce qu'il arrive à l'airain d'être sans forme. Si donc quelque chose est fait à partir du non être, il le sera par accident. Donc il faut qu'il soit fait par soi à partir d'un substrat, et ainsi il n'est pas fait à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, ei quod fit faciens dat esse. Si ergo Deus facit aliquid ex nihilo, Deus alicui dat esse. Aut ergo est aliquid recipiens esse, aut nihil. Si nihil: ergo nihil constituitur in esse per illam actionem; et sic non fit aliquid. Si autem est aliquid recipiens esse, hoc erit aliud ab eo quod est Deus; quia non est idem recipiens et receptum. Ergo Deus facit ex aliquo praeexistenti, et ita non ex nihilo.

 

17. Celui qui fait donne l'être à ce qui est fait. Si donc Dieu fait quelque chose à partir de rien, il donne l'être à quelque chose. Donc, ou il y a quelque chose qui reçoit l'être, ou il n'y a rien. S'il n'a a rien, donc ce rien est constitué dans l'être par cette action, et ainsi il ne devient pas quelque chose. Mais s'il y a quelque chose qui reçoit l'être, cela sera autre chose que ce qui est Dieu, parce que celui qui reçoit et ce qui est reçu ne sont pas identiques. Donc Dieu crée à partir de quelques chose qui préexiste, et non à partir de rien.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Genes. I, 1: in principio creavit Deus caelum et terram, dicit Glossa, ex Beda, quod creare est ex nihilo facere aliquid. Ergo Deus potest facere aliquid ex nihilo.

1. "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" (Gn. 1, 1). La glose de Bède dit que “Créer, c'est faire quelque chose à partir de rien”. Donc Dieu peut faire quelque chose à partir de rien .

 

q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Avicenna dicit quod agens cui accidit agere, requirit materiam in quam agat. Sed Deo non accidit agere, immo sua actio est sua substantia. Ergo non requirit materiam in quam agat, et ita potest ex nihilo aliquid facere.

2. Avicenne (Métaphysique VII, 2) dit que l'agent qui agit par accident a besoin de la matière sur laquelle il agit. Mais Dieu n'agit pas par accident[15], au contraire son action est sa substance. Donc il n'a pas besoin de matière sur laquelle agir et ainsi il peut faire quelque chose à partir de rien.

 

q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virtus divina est potentior quam virtus naturae. Sed virtus naturae facit aliquod ens ex hoc quod erat in potentia. Ergo virtus divina aliquid amplius facit, et ita facit ex nihilo.

3. La pouvoir de Dieu est plus puissant que celui de la nature. Mais celui-ci fait un étant de ce qui était en puissance[16]. Donc le pouvoir de Dieu fait quelque chose de plus et ainsi il le fait à partir de rien.

 

Réponse

q. 3 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod tenendum est firmiter, quod Deus potest facere aliquid ex nihilo et facit. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod omne agens agit, secundum quod est actu; unde oportet quod per illum modum actio alicui agenti attribuatur quo convenit ei esse in actu. Res autem particularis est particulariter in actu: et hoc dupliciter:

 

primo ex comparatione sui, quia non tota substantia sua est actus, cum huiusmodi res sint compositae ex materia et forma; et inde est quod res naturalis non agit secundum se totam, sed agit per formam suam, per quam est in actu.

Il faut affirmer fermement que Dieu peut faire quelque chose à partir de rien et qu'il le fait. Pour le mettre en évidence, il faut savoir que tout agent agit selon qu'il est en acte. C'est pourquoi il faut que de cette manière, l'action soit attribuée à un agent à qui il convient d'être en acte. Un être particulier est en acte partiellement. Et cela de deux manières:

 

1) Par comparaison à lui-même, parce que ce n'est pas toute sa substance qui est acte, puisque les choses de ce genre sont composées de matière et de forme et de là vient qu'une chose naturelle n'agit pas tout entière par soi mais agit par la forme par laquelle elle est en acte.

 

Secundo in comparatione ad ea quae sunt in actu. Nam in nulla re naturali includuntur actus et perfectiones omnium eorum quae sunt in actu; sed quaelibet illarum habet actum determinatum ad unum genus et ad unam speciem; et inde est quod nulla earum est activa entis secundum quod est ens, sed eius entis secundum quod est hoc ens, determinatum in hac vel illa specie: nam agens agit sibi simile.

2) Par comparaison à ce qui est en acte. Car en rien de naturel ne sont inclus l'acte et les perfections de tout ce qui est en l'acte, mais n'importe lesquels parmi eux a un acte limité à un seul genre et à une seule espèce, et de là vient qu'aucun n'est actif en son être, en tant qu'étant, mais en cet étant, en tant qu'il est, limité à cette espèce-ci ou à celle-là, car l'agent fait quelque chose de semblable à lui.

 

Et ideo agens naturale non producit simpliciter ens, sed ens praeexistens et determinatum ad hoc vel ad aliud, ut puta ad speciem ignis, vel ad albedinem, vel ad aliquid huiusmodi. Et propter hoc, agens naturale agit movendo; et ideo requirit materiam, quae sit subiectum mutationis vel motus, et propter hoc non potest aliquid ex nihilo facere. Ipse autem Deus e contrario est totaliter actus,- et in comparatione sui, quia est actus purus non habens potentiam permixtam - et in comparatione rerum quae sunt in actu, quia in eo est omnium entium origo; unde per suam actionem producit totum ens subsistens, nullo praesupposito, utpote qui est totius esse principium, et secundum se totum. Et propter hoc ex nihilo aliquid facere potest; et haec eius actio vocatur creatio.

Et c'est pourquoi l'agent naturel ne produit absolument pas un étant, mais l'étant préexistant et limité à ceci ou à cela, comme par exemple limité à l'espèce du feu, à la blancheur ou à quelque chose de ce genre. Et c'est pourquoi, l'agent naturel agit en provoquant le mouvement et ainsi il a besoin de la matière qui est le substrat du changement ou du mouvement et, pour cela, il ne peut pas faire quelque chose à partir de rien. Dieu au contraire est totalement acte – et par rapport à lui-même, parce qu'il est acte pur, sans puissance mêlée – et par rapport à ce qui est en acte, parce que l'origine de tous les êtres est en lui. C'est pourquoi, par son action, il produit l'étant subsistant tout entier, sans rien de présupposé, étant donné qu'il est le principe de l'être entier et tout entier principe en soi. Et à cause de cela il peut faire quelque chose à partir de rien et cette action est appelée création.

 

Et inde est quod in Lib. de causis, dicitur, quod esse eius est per creationem, vivere vero, et caetera huiusmodi, per informationem. Causalitates enim entis absolute reducuntur in primam causam universalem; causalitas vero aliorum quae ad esse superadduntur; vel quibus esse specificatur, pertinet ad causas secundas, quae agunt per informationem, quasi supposito effectu causae universalis: et inde etiam est quod nulla res dat esse, nisi in quantum est in ea participatio divinae virtutis. Propter quod etiam dicitur in Lib. de causis, quod anima nobilis habet operationem divinam in quantum dat esse.

 

C'est pour cela qu'il est dit dans le Livre des Causes (prop. 18) que l'être existe par création, mais que la vie et les autres choses de ce genre existent par mise en forme. Car les causalités de l'être sont ramenées absolument à la cause première universelle, mais pour ce qui est ajouté à l'être ou ce par quoi il est spécifié, la causalité appartient aux causes secondes qui agissent par mise en forme, l'effet de la cause universelle étant pour ainsi dire supposée. Et de là vient que rien ne donne l'être que dans la mesure où il y a en lui participation[17] du pouvoir divin. C'est pour cela qu'on dit aussi dans le Livre des Causes (prop. 3[18]) que l'âme noble a une opération divine dans la mesure où elle donne l'être.

 

Solutions:

q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex nihilo nihil fieri, philosophus dicit esse communem animi conceptionem vel opinionem naturalium, quia agens naturale, quod ab eis consideratur, non agit nisi per motum; unde oportet esse aliquod subiectum motus vel mutationis, quod in agente supernaturali non oportet, ut dictum est.

# 1. “Rien ne vient à partir de rien”. Le philosophe dit que c'est la conception du sens commun ou l'opinion des Naturalistes, parce que l'agent naturel qu'ils considèrent n'agit que par mouvement. C'est pour cela qu'il faut qu'il y ait un substrat au mouvement ou au changement, qui n'est pas nécessaire pour l'agent surnaturel, comme on l'a dit.

 

q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum esse; non tamen oportet quod aliqua materia praeexisteret, in qua potentia fundaretur. Dicitur enim V Metaph., aliquid aliquando dici possibile, non secundum aliquam potentiam, sed quia in terminis ipsius enuntiabilis non est aliqua repugnantia, secundum quod possibile opponitur impossibili. Sic ergo dicitur, antequam mundus esset, possibile mundum fieri, quia non erat repugnantia inter praedicatum enuntiabilis et subiectum. Vel potest dici, quod erat possibile propter potentiam activam agentis, non propter aliquam potentiam passivam materiae. Philosophus autem utitur hoc argumento, in generationibus naturalibus contra Platonicos, qui dicebant formas separatas esse naturalis generationis principia.

# 2. Avant que le monde ait existé, son existence était possible: il ne faut pas cependant qu'une matière préexiste dans laquelle serait établie la puissance. Car on lit (Métaphysique V, 3, 1047 a, 24-26[19]), qu'on dit que quelque chose est quelquefois possible, non en raison d'une puissance, mais parce que, dans les termes de son énoncé, il n'y a rien qui s'y oppose, selon que le possible est opposé à l'impossible. Ainsi donc, on dit qu'avant que le monde ait existé, il était possible qu'il soit fait, parce qu'il n'y avait aucune opposition entre le prédicat de l'énoncé et le sujet. On peut dire aussi qu'il était possible à cause d'une puissance active de l'agent, non à cause de la puissance passive de la matière. Le philosophe use de cet argument (Métaphysique VII, 8, 1033 b 26[20]) dans les générations naturelles contre les Platoniciens qui disaient que les formes séparées étaient les principes de la génération naturelle.

 

q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod entis et non entis simpliciter est aliquo modo et semper infinita distantia, non tamen eodem modo: sed quandoque quidem ex utraque parte infinita, sicut cum comparatur non esse ad esse divinum quod infinitum est, ac si comparetur albedo infinita ad nigredinem infinitam; quandoque autem est finita ex una parte tantum, sicut cum comparatur non esse simpliciter ad esse creatum quod finitum est, ac si comparetur nigredo infinita ad albedinem finitam. In illud ergo esse quod est infinitum, non potest fieri transitus ex non esse; sed in illud esse quod est finitum, talis transitus fieri potest, prout distantia non esse ad illud esse ex una parte terminatur, quamvis non sit transitus proprie: sic enim est in motibus continuis, per quos transit pars post partem. Sic enim contingit nullo modo infinitum transire.

# 3. Il faut dire que de l'être au non être absolu, il y a de quelque manière et toujours une distance infinie, mais pas cependant de la même manière. Quelquefois d'une partie infinie à une autre infinie, comme lorsqu'on compare le non être à l'être divin qui est infini, comme si on comparait la blancheur infinie au noir infini. Quelquefois ce n'est fini que d'un côté, comme quand on compare le non être absolu à l'être créé qui est fini, comme si on comparaît le noir infini à une blancheur finie. Donc en cet être qui est infini, le passage à partir du non être ne peut pas se faire, mais dans celui qui est fini un tel passage peut se faire, selon que la distance du non être à cet être est limitée d'un côté, quoique ce ne soit pas à proprement parler un passage: car c'est ainsi dans les mouvements continus par lesquels passe partie après partie. Car ainsi, en aucune manière, on n'arrive à traverser l'infini[21].

 

q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, non esse, sive nihil, non se habet per modum patientis nisi per accidens, sed magis per modum oppositi ad id quod fit per actionem. Nec etiam in naturalibus oppositum se habet per modum patientis nisi per accidens, sed magis subiectum.

# 4. Quand quelque chose est fait à partir de rien, le non être ou le néant ne joue le rôle de patient que par accident, mais il joue davantage le rôle de contraire, pour qui se fait par l'action. Et même dans ce qui est naturel, l'opposé ne joue le rôle de patient que par accident, mais c'est plutôt le substrat qui le joue.

 

q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod calor, si esset expoliatus a materia, ageret quidem sine materia quae requireretur ex parte agentis, sed non sine materia quae requireretur ex parte patientis.

# 5. Si la chaleur était exclue de matière, elle agirait sans la matière requise du côté de l'agent, mais non sans celle nécessaire du côté au patient.

 

q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod concludi se habet in actibus rationis sicut moveri in actibus naturae, eo quod in concludendo ratio ab uno in aliud discurrit; et ideo sicut motus omnis naturalis est ex aliquo, ita et omnis conclusio rationis. Sicut vero intelligere principia, quod est concludendi principium, non est ex aliquo ex quo concludatur, ita creatio, quae est omnis motus principium, non est ex aliquo.

# 6. La conclusion se comporte dans les actions de raison comme le mouvement dans les actions de la nature, parce qu'en concluant, la raison passe d'un objet à une autre. Et de même que tout mouvement naturel dépend de quelque chose, toute conclusion de la raison aussi. De même que comprendre les principes, ce qui est le principe pour conclure, ne dépend pas de quelque chose d'où l'on conclut, de même la création, qui est le principe de tout mouvement, ne dépend de rien.

 

q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, duplex est sensus, ut patet per Anselmum in suo Monologio. Nam negatio importata in nihilo potest negare praepositionem ex, vel potest includi sub praepositione. Si autem neget praepositionem, adhuc potest esse duplex sensus

# 7. Quand on dit que quelque chose est fait à partir de rien, il y a deux sens, comme le montre Anselme dans son Monologium (ch. 5 et 7). Car la négation exprimée par “rien” peut nier la préposition[22] ex, ou peut être incluse sous elle[23]. Mais si elle nie la préposition, elle peut encore avoir deux sens:

 

unus, ut negatio feratur ad totum, et negetur non solum praepositio, sed etiam verbum, ut si dicatur aliquid ex nihilo fieri quia non fit, sicut de tacente possumus dicere quod de nihilo loquitur: et sic de Deo possumus dicere quod de nihilo fit, quia omnino non fit; quamvis iste modus loquendi non sit consuetus.

a) Comme la négation porte sur le tout, non seulement la préposition est niée, mais encore le mot (verbum), comme si on disait quelque chose est fait à partir de rien, parce qu'il n'est pas fait, comme on peut dire de celui qui se tait qu'il ne parle de rien (de nihilo[24]): et ainsi nous pouvons dire de Dieu qu'il est fait de rien (de nihilo), parce qu'il n'est absolument pas fait: cependant ce mode de parler n'est pas habituel.

 

Alius sensus est, ut verbum remaneat affirmatum, sed negatio feratur solum ad praepositionem; et ideo dicatur aliquid ex nihilo fieri, quia fit quidem, sed non praeexistit aliquid ex quo fiat; sicut dicimus aliquem tristari ex nihilo, quia non habet tristitiae suae causam: et hoc modo per creationem dicitur aliquid ex nihilo fieri. Si vero praepositio includit negationem, tunc est duplex sensus: unus verus, et alius falsus.

b) Autre sens: de sorte que le mot (verbum) demeure affirmé, mais la négation porte seulement sur la préposition et ainsi on dit que quelque chose est fait à partir de rien parce qu'il est fait, mais rien de ce à partir de quoi il est fait n'a préexisté. Ainsi nous disons que quelqu'un s'attriste à partir de rien parce que sa tristesse n'a pas de cause, et de cette manière, pour la création on dit, que quelque chose est fait à partir de rien. Mais si la préposition inclut la négation, alors le sens est double: l'un est vrai, l'autre faux.

 

Falsus quidem, si positio importet habitudinem causae (non ens enim esse nullo modo potest causa entis); verus autem, si importet ordinem tantum, ut dicatur aliquid fieri ex nihilo quia fit post nihilum, quod etiam verum est in creatione. Quod autem Boetius dicit, quod non entis ad ens non est ordo, intelligendum est de ordine determinatae proportionis, vel de ordine qui sit realis relatio, quae inter ens et non ens esse non potest, ut Avicenna dicit.

 

i) Faux si sa position exprime une relation de cause (car le non étant ne peut en aucune manière être cause de l'étant);

 

ii) vrai si elle exprime l'ordre seulement, comme on dit que quelque chose est fait à partir de rien parce qu'il est fait après rien, ce qui est vrai dans la création. Mais quand Boèce dit que du non étant à l'étant, il n'y a pas d'ordre, il faut le comprendre de l'ordre d'un rapport déterminé ou de celui d'une relation réelle, qui ne peut exister entre l'étant et le non étant, comme Avicenne le dit (Métaphysique, III[25]).

 

q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod definitio illa intelligitur de potentia activa naturali.

# 8. Cette définition est comprise de la puissance active naturelle.

 

q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus non producit res ex necessitate naturae, sed ex ordine suae sapientiae. Et ideo diversitas rerum non oportet quod sit ex materia, sed ex ordine divinae sapientiae; quae ad complementum universi diversas naturas instituit.

# 9. Dieu ne crée pas par nécessité de nature[26], mais selon l'ordre de sa sagesse. Et c'est pourquoi il ne faut pas que la diversité des choses[27] viennent de la matière, mais de l'ordre de la sagesse divine, qui institua des natures diverses pour parfaire l'univers[28] .

 

q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod cum fit aliquid ex nihilo, esse quidem eius quod fit, est primo in aliquo instanti; non esse autem non est in illo instanti nec in aliquo reali, sed in aliquo imaginario tantum. Sicut enim extra universum non est aliqua dimensio realis, sed imaginaria tantum, secundum quam possumus dicere quod Deus potest aliquid facere extra universum tantum, vel tantum distans ab universo; ita ante principium mundi non fuit aliquod tempus reale, sed imaginarium; et in illo possibile est imaginari aliquod instans in quo ultimo fuit non ens. Nec oportet quod inter ista duo instantia sit tempus medium, cum tempus verum et tempus imaginarium non continuentur.

 

# 10. Quand une chose est fait à partir de rien, son être est d'abord dans un instant, mais le non être n'est ni dans cet instant ni dans un instant réel, mais imaginaire seulement, En effet, hors de l'univers, il n'y a pas de dimension réelle, mais imaginaire seulement, selon laquelle nous pouvons dire que Dieu peut faire quelque chose hors de l'univers seulement ou seulement quelque chose d'éloigné de l'univers: de la même manière avant le commencement du monde, il n'y eut pas de temps réel, mais un temps imaginaire, et en lui il est possible d'imaginer un instant à la fin duquel il y eut le non étant. Et il ne faut pas, qu'entre ces deux instants, il y ait un temps intermédiaire, puisque le temps réel et le temps imaginaire n'ont pas de rapport.

 

q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod illud quod fit ex nihilo, simul fit et factum est; et similiter est in omnibus mutationibus momentaneis; simul enim aer illuminatur et illuminatus est. Ipsum enim factum esse in talibus dicitur fieri, secundum quod est in primo instanti in quo factum est. Vel potest dici quod id quod fit ex nihilo, dicitur fieri quando factum est non secundum motum, quod est ab uno termino in alterum, sed secundum effluxum ab agente in factum. Haec enim duo in generatione naturali inveniuntur, scilicet transitus de uno termino in alterum, et effluxus ab agente in factum, quorum alterum tantum proprie est in creatione.

# 11. Ce qui est fait à partir de rien, se fait et est fait en même temps[29]. Et il en est de même dans tous les changements instantanés. Car au même moment l'air s'illumine et est illuminé. Car on dit qu'avoir été fait en telles conditions, c'est être fait, selon qu'il est dans le premier instant dans lequel il a été fait. Ou bien on peut dire que ce qui est fait de rien, est dit fait, quand il a été fait non selon le mouvement, qui passe d'un terme à un autre, mais selon l'écoulement à partir de l'agent à ce qui est fait. Car on trouve les deux dans la génération naturelle, à savoir le passage d'un terme à un autre et l'écoulement à partir de l'agent dans ce qui est fait, dont l'un des deux seulement est proprement dans la création.

 

q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod neque materia neque forma neque accidens proprie dicuntur fieri; sed id quod fit est res subsistens. Cum enim fieri terminetur ad esse, proprie ei convenit fieri cui convenit per se esse, scilicet rei subsistenti: unde neque materia neque forma neque accidens proprie dicuntur creari, sed concreari. Proprie autem creatur res subsistens, quaecumque sit. Si tamen in hoc vis non fiat, tunc dicendum, quod materia prima habet similitudinem cum Deo in quantum participat de ente. Sicut enim lapis est similis Deo in quantum ens, licet non sit intellectualis sicut Deus, ita materia prima habet similitudinem cum Deo in quantum ens, non in quantum est ens actu. Nam ens, commune est quodammodo potentiae et actui.

# 12. On ne peut pas dire à proprement parler que la matière, la forme, et l'accident sont faits, mais ce qui est fait c'est ce qui subsiste. En effet, comme le devenir se termine à l'être, il convient proprement d'être fait à ce à quoi il convient d'être par soi, c'est-à-dire à ce qui subsiste; c'est pourquoi on dit que ni la matière, ni la forme, ni l'accident sont proprement créés mais concréés. Proprement c'est la chose subsistante qui est créée, quelle qu'elle soit. Si cependant le caractère essentiel n'y est pas fait, alors il faut dire que la matière première a une ressemblance avec Dieu dans la mesure où elle participe de l'étant. Car de même que la pierre est semblable à Dieu en tant qu'étant, bien qu'elle ne soit pas spirituelle comme lui, de même la matière première ressemble à Dieu en tant qu'étant, non en tant qu'étant en acte. Car l'être est commun d'un certaine manière à la puissance et à l'acte[30].

 

q. 3 a. 1 ad 13 Et sic etiam patet responsio ad decimumtertium. Nam proprie loquendo, materia non habet ideam, sed compositum, cum idea sit forma factiva. Potest tamen dici esse aliquam ideam materiae secundum quod materia aliquo modo divinam essentiam imitatur.

# 13. Et ainsi on répond à la 13e objection. Car à proprement parler la matière n'a pas d'idée[31], mais le composé en a une, puisque l'idée est une forme qui crée. Cependant on peut dire qu'il y a une idée de la matière selon qu'elle imite l'essence divine d'une certaine manière.

 

q. 3 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non oportet, si duarum creaturarum est aliqua dignior, quod minus digna habeat aliquam imperfectionem: nam imperfectio designat carentiam alicuius quod natum est haberi vel debet haberi. Unde et in gloria, quamvis unus sanctorum alium excedat, nullus tamen imperfectus erit. Si tamen aliqua imperfectio in creaturis sit, non oportet quod sit ex Deo neque ex materia; sed in quantum creatura est ex nihilo.

# 14. Il ne faut pas, si de deux créatures l'une est plus digne, que la moins digne ait une imperfection. Car l'imperfection désigne un manque de ce qu'elle est destinée à avoir ou qu'elle doit avoir. Donc dans la gloire, quoique un des saints en dépasse un autre, cependant aucun ne sera imparfait. Mais s'il y a quelque imperfection dans les créatures, il ne faut pas qu'elle vienne de Dieu ni de la matière, mais du fait que la créature ne vient de rien.

 

q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod ex nihilo dicitur aliquid fieri sicut ex opposito secundum unum sensum superius expositum. Nec tamen oportet quod ex ente unius generis fiat ens alterius generis, sicut ex colore et figura; ens enim et non ens non possunt esse simul; color autem et figura simul esse possunt. In autem ex quo aliquid fit, debet esse in contingens ei quod fit, ut dicitur I Phys., quod non contingat simul esse.

 

15. On dit que quelque chose est fait à partir de rien comme de son opposé selon le sens exposé plus haut. Cependant il ne faut pas que d'un être d'un genre soit fait un être d'un autre genre, comme de la couleur et la figure. Car l'étant et le non étant ne peuvent coexister, mais la couleur et la figure le peuvent. Mais le "dans" (in) à partir duquel la chose se fait doit être un "dans" (in) qui arrive à qui se fait, comme on le dit en I Physique, V, (188 a - 188b) parce qu'il n'arriverait pas à être en même temps.

 

q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod si ly ex nominet causam, non fit aliquid ex opposito nisi per accidens, ratione scilicet subiecti. Si vero nominet ordinem, tunc fit aliquid ex opposito etiam per se; unde et privatio dicitur principium esse fiendi, sed non essendi. Hoc autem modo dicitur aliquid fieri ex nihilo, ut prius dictum est, in corp. art.

16. Si la préposition “ex” (de) désigne la cause, ce qui se fait n'est fait à partir de son opposé que par accident, à savoir en raison du substrat. Si elle désigne l'ordre, alors ce qui est fait est fait de l'opposé même par soi, c'est pourquoi la privation est appelée principe de l'être à faire, mais non d'être. De cette manière, on dit que quelque chose est fait à partir de rien, comme on l'a dit plus haut dans le corps de l'article.

 

q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod Deus simul dans esse, producit id quod esse recipit: et sic non oportet quod agat ex aliquo praeexistenti.

17. Dieu, en même temps qu'il donne l'être, produit ce qui le reçoit. Et ainsi il ne faut pas qu'il agisse à partir de quelque chose de préexistant.

 

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[1] . Parall.: laq. 45, a. 2 – CG. II 16 –II Sent., dlqla2 – Compendium, c. 69 –Opusc. De quatuor opposit., c. 4 – VIII Phy., I, 2.

 

[2] . J'emploie sans enthousiasme cette traduction un peu lourde qui permet de faire la distinction entre ex nihilo et de nihilo.

 

[3] . Thomas puise sa documentation sur l'histoire des philosophies présocratiques chez Aristote. Physique I, 187 a 20: "Anaxagore, semble-t-il, tient aussi pour l'infinité, parce qu'il acceptait l'opinion commune des physiciens, que rien ne peut être engendré de rien." Trad. H. Carteron.

 

[4] . Cette objection se retrouve en Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1, à propos de l'éternité du monde. On y trouve plus clairement énoncé que la matière paraît nécessaire. "Mais ce qui a possibilité d'être c'est la matière qui est en puissance pour être". Si le monde a existé, il y avait la matière avant, dit l'objecteur. Mais ajoute-t-il, la matière sans forme ne peut pas exister. Donc le monde a existé avant de commencer ce qui est impossible. Cf. Pot. qu. 3, a. 17, obj. 10: "S'il était possible qu'il existât, il y avait alors une puissance par rapport à lui et même ainsi il y avait un substrat ou une matière puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat."

 

Il faut distinguer le possible, conception dans l'esprit qui le conçoit, et qui n'est pas dans la réalité, de l'objet en puissance qui a besoin d'un substrat. C'est pourquoi la création est possible, mais elle n'est pas en puissance.

 

[5] . La génération. "La mixtion (le mélange) exige que les deux corps (qui doivent se mélanger) soient dans une condition semblable"(32 7 b 3 ou 4). – Aristote démontre ensuite que certaines "mixtions", certains mélanges ne peuvent se faire parce que les éléments en question sont dissemblables (ainsi 327 b 11: bois et feu. Conclusion (20): "Tout ne peut pas être mélangé à tout". b 22: il constate que les êtres en actes et ceux qui sont en puissance ne peuvent se mélanger. "On a distingué par la suite le corpus mixtum ou les éléments sont différents du composé (comme l'eau est différente de l'oxygène et l'hydrogène) et la mixtio imperfecta ou mélange comme le sucre et l'eau." (Elders, La philosophie de la nature de saint Thomas, 189-190).

 

[6] . "Si une intelligibilité signifie pour elle-même, telle l'humanité ou la blancheur, se trouvant être subsistante (c'est-à-dire existant par soi et pour soi, et non point dans autre chose à titre d'attribut) alors elle serait nécessairement unique. Ce qui permet de conclure que toutes les choses autres que Dieu ne sauraient être leur propre être, mais ne sont qu'en participant à l'être et de l'être." (Cf. Ia, qu. 11, a. 3 et 4). Dubarle, Ontologie, p. 204.

 

[7] . L'être de raison est l'objet de la logique. Il peut y avoir analogie avec la réalité, mais le parallélisme n'est pas toujours vrai. Thomas en donne des exemples. "On ne peut pas être surpris que les lois des concepts et celles du langage ne s'appliquent pas toujours aux relations du réel... Autres sont les agencements des choses, objet de la science, autres les agencements des êtres de raison qui sont les moyens de la science.” Sertillanges, Dieu II, (Éd. des Jeunes) note 42 p. 334. On trouve en de nombreux autres endroits une analogie entre la démarche intellectuelle et les faits naturels.

 

[8] . Ex soit "de", soit locution prépositive "à partir de".

 

[9] . Cf. Ia, qu. 45, a. 1, obj. 3: "Cette préposition " de " implique un rapport de causalité, surtout de causalité matérielle, comme lorsque nous disons qu'une statue est faite " de " bronze. Mais rien ne peut être la matière de l'être, ni en être cause d'aucune manière. Donc créer n'est pas faire quelque chose de rien." (Trad. J-M. Maldamé, Éd du Cerf).

 

[10] . Objection inspirée d'Avicenne

 

[11] L'agent est en acte. Il fait du semblable, donc quelque chose en acte. En effet, l'apport de la forme met l'étant en acte.

 

[12] . C'est-à-dire à l'effet de l'idée.

 

[13] . L'objecteur suppose deux principes, un bon et un mauvais. Cf. Pot. qu. 3, a. 6.

 

[14] La génération et le changement supposent un opposé. L'objecteur pense la création comme un changement. Cf. Pot. qu. 3, a. 2.

 

[15] . Il arrive à la créature d'agir, mais Dieu est acte pur. Il agit toujours.

 

[16] . C'est-à-dire un être potentiel. Ainsi l'enfant avant sa conception est en puissance.

 

[17]. Cette participation, c'est que Dieu donne l'être et alors les causes secondes peuvent agir. Il ne faut pas comprendre que Dieu donne le pouvoir de créer (Cf. article 4).

 

[18]. Prop. 3: "n° 27 – "Toute âme noble a trois opérations; car parmi ses opération il y l'opération animante, intellectuelle et divine." Cf. Pot. 3, 7, Concours divin; "Rien ne donne l'être que... par participation du pouvoir divin" par l'action de la cause première, et de la cause seconde. Le livre des causes, prop. 18.

 

[19] . Cf. Ia, qu. 45, a. 2, ad 4m: La distance infinie entre l'étant et le non étant: Cette objection procède d'une fausse imagination. Comme s'il y avait un intervalle infini entre le néant et l'être. Cela apparaît comme faux. Cette fausse imagination vient du fait qu'on décrit la création comme un changement entre deux termes qui existent.

 

"...du non-être à l'être il n'y a ni ordre ni proportions, ni relations. On en parle comme s'il n'y avait entre eux une succession c'est-à-dire une relation réelle, mais il ne faut pas se rendre dupe des mots... En réalité le néant ne peut rien précéder, et au néant rien ne peut suivre" Sertillanges, L'idée de création, p. 14.

 

[20] . "Il est donc évident que la causalité des Idées que certains philosophes ont coutume d'attribuer aux Idées, ne peut, en supposant qu'il existe de telles réalités, distinctes des individus, servir à rien, du moins pour la génération et la constitution des substances." (Trad. J. Tricot).

 

[21] . Cf. De Veritate 27, 3, ad 9m. les trois solutions possibles sont envisagées; infini infini, fini fini, infini fini. Puissance passive: ici le possible n'en dépend pas puisque cette puissance est la matière, qui n'existe pas avant la création, la puissance active: dernière partie de la réponse, et enfin en deuxième position le possible sans rapport avec la puissance. C'est ce qu démontre Aristote en Métaphysique, IX, 3, 1047 a 24: "Une chose est possible si son passage à acte dont elle est dite avoir la puissance n'entraîne aucune impossibilité." Cf. I Analytiques, I, 13, 32 a 18. ("Cette définition du possible ...renferme peut-être un cercle vicieux." remarque J. Tricot).

 

[22] . Si on s'en tient à la traduction à partir de, il faut parler alors de locution prépositionnelle.

 

[23] . Voir Pot. qu. 3, a. 8, obj. 4. Ex indique une cause efficiente ou une cause matérielle.

 

[24] . L'expression de nihilo est employée en deux endroits dans l'article. la nuance dans l'objection 4 est minime et n'est plus reprise dans la solution. "Le rien", le néant est considéré par l'objecteur comme un substrat, qui pourrait être "un patient", ce que nie la solution. Ici (sol. 7) le de nihilo n'est pas appliqué à la création: le silencieux parle au sujet de rien. Il n'y a pas non plus création ou passage à partir du néant pour Dieu (mode inhabituel de parler, remarque Thomas.

 

[25] . "Thomas se persuada que si Avicenne niait la création, du moins il réfutait bien le concept erroné de création des Mokekallim qui imaginaient le néant comme une privation ou une puissance." (Chossat, DTC, Dieu, 1224)

 

[26] . Cela est démontré plus loin, Pot. 3, 15.

 

[27] . L'ultime raison de la multiplicité et de la vérité des choses réside... dans l'ordo sapientiae. Cf. Pot. 3, 16. La pluralité peut-elle procéder d'un [être] premier unique? Cf. Ia, qu. 47, a. 1, - Ia , qu. 47, a. 2 - CG II, 26 etc. M.Seckler, le salut et l'histoire, p. 110. "La distinction et la pluralité dépendent de l'intention du premier agent qui est Dieu." Le principe est confirmé en Ia, qu. 42, a. 2: "La distinction et l'inégalité des choses viennent de Dieu.". l'inégalité dans la perfection parce que les choses viennent du néant (Ia, qu. 90, a. 3 ou 3)

 

[28] . Il ne faut du reste pas parler de perfection et d'imperfection. Voir Ia, qu. 90, 2 ou 3?

 

[29] . Cf. I, qu. 45, a. 2, ad 3m.

 

[30] . L'étant commun est composé de matière (en puissance) et de la forme (en acte).

 

[31] . Il s'agit de l'idée en Dieu. Dans le De veritate qu. 3, a. 5, c, on lit que 1° A la différence de Platon, il est nécessaire de placer une idée en Dieu parce que la matière première est créée et ce qui est causé par Dieu possède quelque ressemblance avec lui. 2° Cependant la matière n'a pas en Dieu d'idée distincte de celle de la forme ou du composé..

 


Article 2: La création est-elle un changement?

q. 3 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum creatio sit mutatio. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections[1]:

q. 3 a. 2 arg. 1 Mutatio enim secundum nomen suum designat hoc esse post hoc, ut patet V Phys. Sed hoc habet creatio: nam fit esse post non esse. Ergo creatio est mutatio.

1. Car un changement, d'après son nom, montre qu'une chose est après l'autre, comme on le démontre (Phys. V, 7, 224 b 35 - 225 a[2]). Mais c'est ainsi que se comporte la création: l'être, en effet, est créé après le non être. Donc la création est un changement.

q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod fit, fit aliquo modo ex non ente; quia quod est, non fit. Sicut ergo se habet generatio, secundum quam fit res secundum partem substantiae suae, ad privationem formae, quae est non esse secundum quid; ita se habet creatio, per quam fit secundum totam substantiam suam, ad non esse simpliciter. Sed privatio proprie loquendo, est terminus generationis. Ergo et non esse simpliciter, proprie loquendo, est terminus creationis; et sic creatio, proprie loquendo, est mutatio.

2. Tout ce qui est fait est fait d'une certaine manière à partir du non être, parce que ce qui est ne se fait pas. Donc, de la même manière que se comporte la génération, d'après laquelle une chose est faite selon une partie de sa substance, pour combler la privation de la forme, qui est un non être relatif, de cette même manière se comporte la création par laquelle la chose est faite selon toute sa substance pour combler le non être absolu. Mais la privation de la forme est à proprement parler le terme de la génération. Donc le non être absolu est proprement le terme de la création et ainsi, à vrai dire, la création est un changement.

q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quanto est maior distantia inter terminos, tanto maior est mutatio. Maior enim est mutatio de albo in nigrum quam de albo in pallidum. Sed plus distat non ens simpliciter ab ente quam contrarium a contrario, vel non ens secundum quid ab ente. Ergo cum transitus de contrario in contrarium, vel de non ente secundum quid in ens, fit mutatio, multo magis transitus de non ente simpliciter in ens, quod est creatio, erit mutatio.

3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement. Car le changement est plus grand de blanc à noir que de blanc à blanc pâle. Mais le non être absolu est plus distant de l'être qu'un contraire de son contraire ou le non étant relatif de l'étant[3]. Donc comme le passage d'un contraire à son contraire, ou du non être relatif de l'être, devient changement, le passage du non être absolu à l'être, qu'est la création, sera beaucoup plus un changement[4].

q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, quod non similiter habet se nunc et prius, mutatur vel movetur. Sed quod creatur non similiter se habet nunc et prius: quia prius erat simpliciter non ens, et postea fit ens. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur.

4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant qu'auparavant est soumis au changement ou au mouvement. Mais ce qui est créé ne se comporte pas de la même manière maintenant qu'auparavant; parce qu'avant c'était un non étant absolu et après il est devenu un étant. Donc, ce qui est créé est mû ou changé.

q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, illud quod exit de potentia in actum, mutatur. Sed quod creatur, exit de potentia in actum; quia ante creationem erat tantum in potentia facientis, postea autem est in actu. Ergo quod creatur, movetur vel mutatur: ergo creatio est mutatio.

5. Ce qui passe de la puissance à l'acte subit un changement. Mais ce qui est créé passe de la puissance à l'acte; parce qu'avant la création il était seulement dans la puissance du créateur, mais ensuite il est en acte. Donc ce qui est créé, a subi un mouvement ou un changement: donc la création est un changement.

En sens contraire.

q. 3 a. 2 s. c. Sed contra, species motus vel mutationis sunt sex, secundum philosophum in praedicamentis. Nulla autem earum est creatio ut patet per singula inducenti. Ergo creatio non est mutatio.

Les espèces de mouvements ou de changements sont au nombre de six, selon Aristote, dans Les catégories (chapitre sur le mouvement). Aucun d'elles n'est création, comme cela paraît à qui les examine une à une. Donc la création n'est pas un changement.

Réponse:

q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod in mutatione qualibet requiritur quod sit aliquid idem commune utrique mutationis termino. Si enim termini mutationis oppositi in nullo eodem convenirent, non posset vocari transitus ex uno in alterum. In nomine enim mutationis et transitus designatur aliquid idem, aliter se habere nunc et prius; et etiam ipsi mutationis termini non sunt incontingentes, quod requiritur ad hoc ut sint mutationis termini, nisi in quantum referuntur ad idem. Nam duo contraria si ad diversa subiecta referantur, contingit simul esse.

Dans un changement, il faut quelque chose de commun à chacun des deux termes du changement. Car si les termes opposés du changement ne concordaient en rien, on ne pourrait pas parler de passage de l'un à l'autre. En effet, sous le nom de changement et celui de passage, on désigne une même chose, qui se comporte autrement maintenant qu'auparavant. Et aussi ces termes du changement ne sont pas incompatibles, ce qui est requis pour qu'ils en soient les termes, à moins qu'ils se rapportent à un même être. Il arrive en effet que deux contraires soient ensemble s'ils se rapportent à des sujets différents.

Quandoque ergo contingit quod utrique mutationis termino est unum commune subiectum actu existens; et tunc proprie est motus; sicut accidit in alteratione et augmento et diminutione et loci mutatione. Nam in omnibus his motibus subiectum unum et idem actu existens, de opposito in oppositum mutatur. Quandoque vero est idem commune subiectum utrique termino, non quidem ens actu, sed ens in potentia tantum, sicut accidit in generatione et corruptione simpliciter. Formae enim substantialis et privationis subiectum est materia prima, quae non est ens actu: unde nec generatio nec corruptio proprie dicuntur motus, sed mutationes quaedam.//

Donc parfois il arrive que, pour chaque terme du changement, il y a un seul substrat commun[5] qui existe en acte; c'est alors proprement un mouvement, comme cela arrive dans l'altération, la croissance, la diminution et le changement de lieu. Car dans tous ces mouvements un seul et même substrat, qui existe en acte, est changé en opposé à partir de son. Mais quelquefois c'est le même substrat commun aux deux termes[6], non un étant en acte, mais en puissance seulement, comme cela arrive simplement dans la génération et la corruption. Car le substrat de la forme substantielle et celui de la privation est la matière première qui n'est pas un étant en acte. C'est pour cela que ni la génération, ni la corruption ne sont à proprement parler des mouvements, mais des changements.

Quandoque vero non est aliquod subiectum commune neque actu neque potentia existens; sed est idem tempus continuum, in cuius prima parte est unum oppositum et in secunda aliud, ut cum dicimus hoc fieri ex hoc, id est post hoc, sicut ex mane fit meridies. Sed haec non proprie vocatur mutatio, sed per similitudinem, prout ipsum tempus imaginamur quasi subiectum eorum quae in tempore aguntur.

Mais parfois il n'y a de substrat commun ni en acte ni en puissance: mais c'est le même temps continu, dans la première partie duquel il y a un opposé et dans la seconde un autre, comme quand on dit que ceci a été fait de cela, c'est-à-dire après cela, comme le midi est fait du matin. Mais on n'appelle pas cela un changement au sens propre, mais par analogie, dans la mesure où on imagine le temps lui-même comme sujet de ce qui se fait dans ce temps.

In creatione autem non est aliquid commune aliquo praedictorum modorum. Neque enim est aliquod commune subiectum actu existens, neque potentia. Tempus etiam non est idem, si loquamur de creatione universi; nam ante mundum tempus non erat. Invenitur tamen aliquod commune subiectum esse secundum imaginationem tantum, prout scilicet imaginamur unum tempus commune dum mundus non erat, et postquam mundus in esse productus est. Sicut enim extra universum non est aliqua realis magnitudo, possumus tamen eam imaginari; ita et ante principium mundi non fuit aliquod tempus, quamvis sit possibile ipsum imaginari: et quantum ad hoc creatio secundum veritatem, proprie loquendo, non habet rationem mutationis, sed solum secundum imaginationem quamdam; non proprie, sed similitudinarie.

Mais dans la création, il n'y a rien de commun avec l'un des modes dont on a parlé. Car il n'y a pas de substrat commun ni en acte ni en puissance. Le temps non plus n'est pas le même, si nous parlons de la création de l'univers[7]: car avant le monde, le temps n'existait pas. Cependant on trouve un sujet commun en imagination seulement, c'est-à-dire dans la mesure où nous imaginons un seul temps commun, pendant lequel le monde n'existait pas et après lequel il a été produit dans l'être. Car hors de l'univers il n'y a pas de grandeur réelle, nous pouvons cependant en imaginer une; de la même manière, avant le commencement du monde, le temps n'a pas existé, quoiqu'il soit possible de l'imaginer. Et pour cela, la création, à proprement parler, n'est pas véritablement définie comme un changement mais l'est seulement e n imagination; non au sens propre, mais par analogie.

Solutions:

q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mutatio secundum suum nomen designat hoc esse post hoc circa aliquid idem, ut praedictum est, in corp. art. Hoc autem in creatione non est.

# 1. Le changement, par son nom, désigne un état qui existe après un premier état, pour quelque chose de semblable, comme il a été dit dans le corps de l'article. Cela n'existe pas dans la création.

q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in generatione, secundum quam fit aliquid secundum partem substantiae suae, est aliquid commune subiectum privationi et formae, et non est in actu existens: et ideo sicut proprie ibi accipitur terminus, sic etiam et proprie accipitur ibi transitus; quod in creatione non est.

# 2. Dans la génération, d'après laquelle une chose est faite selon une partie de sa substance, il y a un substrat commun à la privation et à la forme et il n'existe pas en acte et c'est pourquoi de même qu'on prend ici le terme au sens propre, on prend aussi le passage au sens propre, ce qui n'existe pas dans la création, comme on l'a dit dans le corps de l'article.

q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ubi est maior distantia terminorum, est maior mutatio, supposita identitate subiecti.

# 3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement, si on suppose l'identité du sujet.

q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod non similiter se habet nunc et prius, mutatur, supposita consistentia subiecti: alias non ens simpliciter mutaretur; quia non ens simpliciter, non similiter se habet nunc et prius, neque dissimiliter. Oportet autem ad hoc quod sit mutatio, quod sit aliquid idem dissimiliter se habens nunc et prius.

# 4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant et avant, subit un changement, si on suppose la préservation du substrat. Autrement le non être absolu serait changé, parce qu'il ne se comporte pas d'une manière semblable maintenant et avant ni même d'une manière différente. Mais il faut, pour qu'il y ait un changement, qu'il y ait une même chose qui se comporte de manière différente maintenant et auparavant.

q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potentia passiva est subiectum mutationis, non autem activa; et ideo quod exit de potentia passiva in actum, mutatur, non autem quod de potentia activa exit: et ideo non valet obiectio.

# 5. La puissance passive est substrat de changement, mais pas la puissance active et c'est pourquoi ce qui passe de la puissance passive à l'acte est changé, mais non ce qui sort de la puissance active et c'est pourquoi l'objection ne vaut pas.

 


[1] Parall.: Ia, 45, 1, ad 2– CG. II, 17, – II Sent. d1q1a 2.

[2] Aristote, Physique, V, 224 b 35- 225 a "Or, puisque tout changement va d'un terme à un autre (c'est aussi ce que [en grec] montre le mot (metabolê): en effet, il exprime une succession, c'est-à-dire la distinction d'un antérieur et d'un postérieur."

[3] Les contraires appartiennent au même genre. Le non étant relatif est celui du changement, ce qui n'existe pas encore, mais existera.

[4] Ils sont cités au resp. § 2. Thomas fait appel à une autorité. Aristote en l'occurrence. Sinon il n'y aurait pas de preuve que le création ne soit pas un mouvement.– 6. Il s'agit de potentialité. Le créé avant la création est possible. Il n'y a aucune contradiction dans les termes. Cf. Pot. 3, 1 obj.?

[5] Différence entre le changement et le mouvement.

[6] C'est-à-dire celui de départ et celui d'arrivée.

[7] Parce qu'il y a deux sortes de création, la première, celle de l'univers, et la création contraire (celle qui se poursuit dans le temps).

 

Article 3: La création est-elle une réalité dans la créature et si oui, quelle est-elle?

q. 3 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum creatio sit aliquid realiter in creatura, et si est, quid sit. Et videtur quod non sit aliquid reale in creatura.

La création n'est pas, semble-t-il, une réalité dans la créature[1]..

Objections:

q. 3 a. 3 arg. 1 Ut enim dicitur in libro de causis, omne quod recipitur in aliquo, est in eo per modum recipientis. Sed actio Dei creantis recipitur simpliciter in non ente: quia Deus creando ex nihilo aliquid facit. Ergo creatio nihil reale ponit in creatura.

1. Comme on le dit dans le Livre des Causes (prop. 10[2]) tout ce qui est reçu en quelque chose, y est selon le mode de celui qui reçoit. Mais l'action de Dieu Créateur est entièrement reçue dans le non étant: parce que Dieu en créant fait quelque chose à partir de rien. Donc la création n'apporte rien de réel dans la créature.

q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod est in rerum natura, aut est creator aut creatura. Sed creatio non est creator, quia sic esset ab aeterno; nec etiam creatura, quia aliqua creatione crearetur; quae etiam creatio, aliqua creatione indigeret creari, et sic in infinitum. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

2. Tout ce qui est dans le nature est créateur ou créature. Mais la création n'est ni le créateur, parce qu'ainsi elle serait éternelle, ni non plus une créature, parce qu'elle serait créée par une création; laquelle aurait besoin d'être créée par une création et ainsi à l'infini. Donc la création n'est rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod est, vel est substantia vel accidens. Sed creatio non est substantia, cum non sit nec materia neque forma neque compositum, ut de facili patere potest: nec etiam accidens, quia accidens sequitur suum subiectum; creatio autem est naturaliter prior creato, quod nullum sibi supponit subiectum. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

3. Tout ce qui existe est substance ou accident. Mais la création n'est pas une substance, puisque elle n'est ni matière, ni forme, ni composé, comme on peut le découvrir facilement. Elle n'est pas non plus un accident parce que celui-ci suit son substrat. Mais la création est naturellement antérieure au créé, parce qu'il ne suppose en soi aucun substrat. Donc la création n'est rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut se habet generatio ad rem generatam, ita se habet creatio ad rem creatam. Sed generationis subiectum non est res generata, sed magis terminus; subiectum vero eius est materia prima, ut dicitur in de Generat. et Corrupt. Ergo nec subiectum creationis est res creata. Nec potest dici quod subiectum eius sit aliqua materia, cum res creata non creetur ex aliqua materia. Ergo creatio non habet subiectum aliquod, et ita non est accidens. Constat autem quod non est substantia. Ergo non est aliquid in rerum natura.

4. La création se comporte vis-à-vis de la créature comme la génération vis-à-vis de l'engendré. Mais le substrat de la génération n'est pas ce qui est engendré, mais c'est plutôt son terme. Son substrat est la matière première, comme il est dit dans La génération et la corruption (texte 1). Donc le substrat de la création n'est pas la créature. Et on ne peut pas dire que son substrat soit une certaine matière puisque la créature n'est pas créée à partir de la matière. Donc la création n'a pas de substrat et ainsi elle n'est pas un accident. Il est clair qu'elle n'est pas une substance. Donc elle n'est rien[3] dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, si creatio est aliquid in rerum natura, cum non sit mutatio, ut supra dictum est, maxime videtur esse relatio. Sed non est relatio, cum in nulla relationis specie contineri possit. Simpliciter enim non enti, ex quo est relatio, ens simpliciter neque supponitur neque aequatur. Ergo creatio non est aliquid in rerum natura.

5. Si la création est quelque chose dans la nature des choses, comme elle n'est pas changement, comme on l'a dit plus haut, elle paraît être surtout une relation. Mais ce n'en est pas une, puisqu'elle ne peut être contenue dans aucune espèce de relation. Car l'étant n'est absolument ni soumis, ni égalé au non étant absolu d'où part la relation. Donc la création n'est rien dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 arg. 6 Praeterea, si creatio importet relationem entis creati ad Deum a quo esse habet; cum ista relatio semper maneat in creatura, non solum quando incipit esse, sed quamdiu res est; continue aliquid crearetur: quod videtur absurdum. Ergo creatio non est relatio: et sic idem quod prius.

6. Si la création apporte une relation de l'étant créé à Dieu de qui il tient l'être, comme cette relation demeure toujours dans la créature, non seulement quand elle commence à être, mais aussi longtemps qu'elle existe, quelque chose serait créé continuellement, ce qui paraît absurde. Donc la création n'est pas une relation et ainsi de même que plus haut.

q. 3 a. 3 arg. 7 Praeterea, omnis relatio realiter in rebus existens, acquiritur ex aliquo quod est diversum ab ipsa relatione, sicut aequalitas a quantitate, et similitudo a qualitate. Si ergo creatio sit aliqua relatio in creatura realiter existens, oportet quod differat ab eo ex quo acquiritur relatio. Hoc autem est quod per creationem accipitur. Sequitur ergo quod ipsa creatio non sit per creationem accepta; et ita sequitur quod sit aliquid increatum: quod est impossibile.

7. Toute relation qui existe réellement dans les choses est acquise de quelque chose qui est différent de la relation même, comme l'égalité est différente de la quantité et la ressemblance de la qualité. Donc si la création est une relation qui existe réellement dans la créature, il faut qu'elle diffère de ce par quoi la relation est acquise. Mais c'est ce qui est reçu par création. Donc il s'ensuit que la création même ne serait pas reçue par une création et ainsi il en découle qu'elle serait quelque chose d'incréé, ce qui est impossible.

q. 3 a. 3 arg. 8 Praeterea, omnis mutatio reducitur ad illud genus ad quod terminatur, sicut alteratio ad qualitatem, et augmentum ad quantitatem; et propter hoc dicitur, in III Phys., quod quot sunt species entis, tot sunt species motus. Sed creatio terminatur ad substantiam; nec tamen potest dici quod sit in genere substantiae, ut supra, argum. 3, dictum est. Ergo non videtur quod sit aliquid secundum rem.

8. Tout changement est ramené au genre où il se termine, comme l'altération à la qualité et la croissance à la quantité et à cause de cela il est dit (III Physique, 201 a 8[4]) qu'il y a autant d'espèces de mouvements qu'il y a d'espèces d'étants. Mais la création se termine à la substance; et cependant on ne peut pas dire qu'elle soit dans le genre de la substance, comme on l'a dit ci-dessus à l'objection 3. Donc il ne paraît pas que ce soit quelque chose de réel.

En sens contraire:

q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Si creatio non est aliqua res, ergo nec aliquid realiter creatur. Hoc autem apparet esse falsum. Ergo creatio aliquid est in rerum natura.

1. Si la création n'est rien, donc rien n'est réellement créé. Ce qui paraît faux. Donc la création est quelque chose dans la nature des choses.

q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ex hoc Deus est dominus creaturae, quia eam creando in esse produxit. Sed dominium est quaedam relatio realiter in creatura existens. Ergo multo fortius creatio.

2. Dieu est le maître de la créature, parce qu'en la créant, il l'a fait venir à l'être. Mais son pouvoir est une relation, qui existe réellement dans la créature. Donc la création encore beaucoup plus.

Réponse:

q. 3 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod quidam dixerunt creationem aliquid esse in rerum natura medium inter creatorem et creaturam. Et quia medium neutrum extremorum est, ideo sequebatur quod creatio neque esset creator neque creatura. Sed hoc a magistris erroneum est iudicatum, cum omnis res quocumque modo existens non habeat esse nisi a Deo, et sic est creatura.

Certains ont dit que la création est quelque chose dans la nature des choses, intermédiaire entre le créateur et la créature. Et parce qu'il n'y a aucun intermédiaire entre les extrêmes, il s'ensuivrait que la création ne serait ni créateur, ni créature. Mais cela a été jugé faux par les docteurs, puisque toute chose de quelque manière qu'elle existe n'a l'être que de Dieu et est ainsi une créature.

Et ideo alii dixerunt, quod ipsa creatio non ponit aliquid realiter ex parte creaturae. Sed hoc etiam videtur inconveniens. Nam in omnibus quae secundum respectum ad invicem referuntur, quorum unum ab altero dependet, et non e converso, in eo quod ab altero dependet, relatio realiter invenitur, in altero vero secundum rationem tantum; sicut patet in scientia et scibili, ut dicit philosophus. Creatura autem secundum nomen refertur ad creatorem. Dependet autem creatura a creatore, et non e converso. Unde oportet quod relatio qua creatura ad creatorem refertur, sit realis; sed in Deo est relatio secundum rationem tantum. Et hoc expresse dicit Magister in I Sent. distinct. 30.

A cause de cela, d'autres ont dit que la création elle-même n'établit rien en réalité du côté de la créature. Mais cela ne paraît pas convenir. Car dans tout ce qui est mis en relation réciproquement sous un rapport dont l'un dépend de l'autre et non le contraire, dans ce qui dépend de l'un, on trouve réellement une relation, mais dans l'autre on la trouve en raison seulement, comme cela paraît dans la science et le savoir, comme le philosophe le dit, (Métaphysique V, 20, 1022 b 5[5]). La créature d'après son nom a rapport au créateur. Elle dépend de lui, et non le contraire. Donc il faut que la relation, par laquelle la créature est référée au créateur, soit réelle. Mais en Dieu ce n'est qu'une relation de raison seulement. Et cela le Maître le dit expressément (I Sent., d. 30).

Et ideo dicendum est, quod creatio potest sumi active et passive. Si sumatur active, sic designat Dei actionem, quae est eius essentia, cum relatione ad creaturam; quae non est realis relatio, sed secundum rationem tantum. Si autem passive accipiatur, cum creatio, sicut iam supra dictum est, proprie loquendo non sit mutatio, non potest dici quod sit aliquid in genere passionis, sed est in genere relationis.

Et c'est pourquoi il faut dire que la création peut être considérée de façon active ou passive. Si on la considère comme active, elle désigne ainsi l'action de Dieu, qui est son essence, avec relation à la créature, qui n'est pas une relation réelle, mais de raison seulement. Si on la prend au sens passif, la création, comme on l'a dit plus haut, à proprement parler n'est pas un changement, on ne peut pas dire qu'elle soit quelque chose (aliquid) dans le genre de la passivité, mais elle est dans celui en relation.

Quod sic patet. In omni vera mutatione et motu invenitur duplex processus. Unus ab uno termino motus in alium, sicut ab albedine in nigredinem; alius ab agente in patiens, sicut a faciente in factum. Sed hi processus non similiter se habent in ipso moveri, et in termino motus. Nam ipso moveri, id quod movetur recedit ab uno termino motus et accedit ad alterum; quod non est in termino motus; ut patet in eo quod movetur de albedine in nigredinem: quia in ipso termino motus iam non accedit in nigredinem, sed incipit esse nigrum. Similiter dum est in ipso moveri, patiens vel factum transmutatur ab agente; cum autem est in termino motus, non ulterius transmutatur ab agente, sed consequitur factum quamdam relationem ad agentem, prout habet esse ab ipso, et prout est ei simile quoquomodo, sicut in termino generationis humanae consequitur natus filiationem.

Ce qui apparaît ainsi: en tout vrai changement et vrai mouvement, on trouve un double processus. L'un est le mouvement d'un terme à un autre, comme de la blancheur à la noirceur; l'autre de l'agent au patient, comme de celui qui fait à ce qui est fait. Mais ces processus ne se comportent pas de la même manière, dans le mouvement lui-même et au terme du mouvement. Car par la mise en mouvement même, ce qui est mû s'éloigne d'un terme du mouvement et arrive à un autre, ce qui n'est pas dans le terme du mouvement; comme cela paraît dans ce qui passe de la blancheur à la noirceur; parce qu'au terme même du mouvement déjà, il n'arrive pas encore à la noirceur, mais il commence à être noir. De même pendant qu'il est dans le mouvement même, le patient ou ce qui est fait, est changé par l'agent, mais quand il est au terme du mouvement, il n'est plus changé par l'agent, mais ce qui est fait reçoit une relation à l'agent dans la mesure où il a l'être de lui, et où il lui est semblable d'une certaine manière, comme au terme de la génération humaine, l'enfant reçoit la filiation.

Creatio autem, sicut dictum est, non potest accipi ut moveri, quod est ante terminum motus, sed accipitur ut in facto esse; unde in ipsa creatione non importatur aliquis accessus ad esse, nec transmutatio a creante, sed solummodo inceptio essendi, et relatio ad creatorem a quo esse habet; et sic creatio nihil est aliud realiter quam relatio quaedam ad Deum cum novitate essendi.

Mais la création, comme on l'a dit (art. précéd.) ne peut être reçue comme une mise en mouvement qui est avant le terme du mouvement, mais elle est reçue comme être dans ce qui est fait; c'est pourquoi dans la création même, ce n'est pas un accès à l'être qui est apporté, ni un changement par le créateur, mais seulement un commencement d'être et une relation au créateur de qui il tient l'être et ainsi la création n'est réellement rien d'autre qu'une relation à Dieu avec la nouveauté de l'être.

Solutions:

q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatione non ens non se habet sicut recipiens divinam actionem, sed id quod creatum est, ut supra dictum est.

# 1. Dans la création, le non étant ne se comporte pas comme recevant l'action divine, mais c'est ce qui est créé, comme on l'a dit ci-dessus[6].

q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio active accepta significat divinam actionem cum quadam relatione cointellecta, et sic est increatum; accepta vero passive, sicut dictum est, realiter relatio quaedam est significata per modum mutationis ratione novitatis vel inceptionis importatae. Haec autem relatio, creatura quaedam est, accepto communiter nomine creaturae pro omni eo quod est a Deo. Nec oportet procedere in infinitum, quia creationis relatio non refertur ad Deum alia relatione reali, sed seipsa. Nulla enim relatio refertur alia relatione, ut Avicenna dicit in sua Metaph. Si vero nomen creaturae accipiamus magis stricte pro eo tantum quod subsistit (quod proprie fit et creatur, sicut proprie habet esse), tunc relatio praedicta non est quoddam creatum, sed concreatum, sicut nec est ens proprie loquendo, sed inhaerens. Et simile est de omnibus accidentibus.

# 2. La création, prise au sens actif, signifie l'action divine avec une relation conçue en même temps, et ainsi c'est de l'incréé; mais prise au sens passif, comme on l'a dit, une relation est réellement désignée par mode de changement en raison de la nouveauté, ou du commencement qui est apporté. Mais cette relation est une créature; on accepte communément le nom de créature pour tout ce qui vient de Dieu. Et il ne faut pas procéder à l'infini, parce que la relation de création n'est pas en rapport avec Dieu par une autre relation réelle, mais par elle-même. Car aucune relation n'est en rapport avec une autre relation, comme Avicenne le dit (Métaphysique l. III, ch. 10). Si nous acceptons le nom de créature plus strictement pour autant qu'elle subsiste seulement (ce qui proprement est fait et créé, comme ayant proprement l'être, alors cette relation n'est pas quelque chose de créé, mais quelque chose de concréé, de même qu'elle n'est pas un étant à proprement parler, mais quelque chose d'inhérent. Il en est de même de tous les accidents[7].

q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa relatio accidens est, et secundum esse suum considerata, prout inhaeret subiecto, posterius est quam res creata; sicut accidens subiecto, intellectu et natura, posterius est; quamvis non sit tale accidens quod causetur ex principiis subiecti. Si vero consideretur secundum suam rationem, prout ex actione agentis innascitur praedicta relatio, sic est quodammodo prior subiecto, sicut ipsa divina actio, est eius causa proxima.

# 3. Cette relation est un accident et considérée selon son être, dans la mesure où elle adhère au substrat, elle est postérieure à ce qui est créé; comme l'accident est postérieur au substrat, en esprit et par nature; bien que ce ne soit pas un accident tel qu'il soit causé à partir des principes du substrat. Si on la considère selon sa raison, dans la mesure où la relation susdite naît de l'action de l'agent, elle est ainsi d'une certaine manière avant le substrat, de même que l'action divine même, elle est sa cause la plus proche.

q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in generatione est et mutatio et relatio, qua refertur genitum ad generans. Ratione ergo mutationis non habet pro subiecto ipsum generatum, sed eius materiam; sed ratione relationis habet subiectum ipsum generatum. In creatione vero est relatio, sed non mutatio proprie, ut dictum est; et ideo non est simile.

# 4. Dans la génération il y a un changement et une relation, par laquelle l'engendré est en rapport avec celui qui l'engendre. Donc par sa raison de changement elle n'a pas pour substrat ce qui est engendré mais sa matière; mais par sa raison de relation, elle a comme substrat ce qui est engendré. Mais dans la création, il y a une relation mais pas de changement à proprement parler, comme on l'a dit; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod relatio praedicta non est intelligenda entis ad non ens; quia talis relatio non potest esse realis, ut Avicenna dicit, sed est entis creati ad creatorem; unde patet quod est relatio suppositionis.

# 5. La relation dont on a parlé, n'est pas à comprendre de l'étant au non étant, parce qu'une telle relation ne peut pas être réelle, comme le dit Avicenne (Métaphysique III, dernier chapitre) mais elle est de l'étant créé au Créateur. C'est pourquoi il apparaît que c'est une relation d'assujettissement.

q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creatio importat relationem praedictam cum novitate essendi; unde non oportet quod res, quandocumque est, creetur, licet semper referatur ad Deum: quamvis non esset inconveniens dicere quod sicut aer quamdiu lucet, illuminetur a sole, ita creatura, quamdiu habet esse, fiat a Deo, ut etiam Augustinus dicit super Genes. ad Litt. Sed in hoc non est diversitas nisi secundum nomen, prout nomen creationis potest accipi cum novitate, vel sine.

# 6. La création apporte la relation dont on a parlé avec la nouveauté de l'être; c'est pourquoi il ne faut pas que la chose, tant qu'elle existe, soit créée, bien qu'elle soit toujours en rapport avec Dieu. Cependant il n'aurait pas été inconvenant de dire que, de même que tant que l'air brille, il est illuminé par le soleil, de même la créature tant qu'elle a l'être, est créée par Dieu, comme Augustin aussi le dit (La Genèse au sens littéral, VIII, 12). Mais en cela il n'y a différence que de nom, selon que le nom de création peut être reçu avec la nouveauté ou sans elle.

q. 3 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod id ex quo acquiritur relatio creationis principaliter, est res subsistens, a qua differt ipsa creationis relatio, quae et ipsa creatura est; et non principaliter, sed quasi secundario, sicut quid concreatum.

# 7. Ce dont est acquise la relation de création principalement est ce qui subsiste, dont diffère la relation même de création, qui est elle-même créature; et non principalement, mais comme secondairement, comme quelque chose de concréé.

q. 3 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod motus reducitur ad genus sui termini, in quantum proceditur de potentia in actum: nam in ipso motu terminus motus est in potentia, et potentia et actus reducuntur ad idem genus. In creatione autem non est exitus de potentia in actum; et ideo non est simile.

# 8. Le mouvement est ramené au genre de son terme, dans la mesure où il passe de la puissance à l'acte. Car dans le mouvement même, le terme du mouvement est en puissance et la puissance et l'acte sont ramené au même genre. Dans la création, il n'y a pas de passage de puissance à l'acte et ainsi ce n'est pas pareil.

 

 

[1] . Parall.: Ia, 45, 3 – CG. II, 18 – I Sent. D. 40 q. 1, a 1. – II Sent. D. 1q. 1, a. 2, ad 4-5. La relation Dieu créature, envisagée ici sous l'angle de la création, sera étudiée plus longuement qu. 7, a. 8 à 11.

[2] . "Les intelligences secondes jettent leur regard sur la forme universelle qui est dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la séparent puisqu'elles ne peuvent recevoir ces formes selon leur unités ou leur nécessité que par la manière dont elles peuvent les recevoir c'est-à-dire la séparation et la division."– De la même manière, certaine ne reçoit de ce qui est au-dessus d'elle que par le mode selon lequel elle peut le recevoir, non par le mode selon lequel la chose est reçue.

[3] . ...n'est pas quelque chose. Cf. début §.

[4] . "Ainsi il y a autant d'espèce de mouvements que d'être".

[5] . "...entre l'artiste et son oeuvre s'insère la création. Ainsi entre ce qui porte un vêtement et le vêtement porté, il y a un intermédiaire, le port du vêtement. Il est manifeste que cette sorte d'état ne peut avoir lui-même un état car on irait ainsi à l'infini...". Commentaire de Thomas ( 1062) "Quelque chose est intermédiaire entre celui qui possède et ce qui est possédé. Car bien que posséder ne soit pas une action, cela s'exprimer par manière d'action. Et c'est pourquoi entre les deux, on comprend qu'il y a un avoir intermédiaire et comme une action, comme l'échauffement est compris comme intermédiaire entre ce qui chauffe et ce qui est chauffé."

[6] . Cf. Ia, qu. 27, a 2, ad 3: "Tout ce qui est reçu n'est pas nécessairement reçu dans un sujet; sans quoi l'on ne pourrait pas dire que toute la substance de la chose créée est reçue de Dieu, puisqu'il n'y a pas de récepteur de toute substance."

[7] . La création est créée en même temps que la créature, donc elle est un accident.

 

Article 4: Le pouvoir ou même l'acte de créer peut-il être communiqué à une créature?

 

q. 3 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum potentia creandi sit alicui creaturae communicabilis, vel etiam actus creationis Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

 

Objections:

q. 3 a. 4 arg. 1 Eodem enim modo et ordine quo res exeunt a primo principio, reordinantur in ultimum finem, cum idem sit primum principium et ultimus rerum finis. Sed inferiores creaturae ordinantur in Deum sicut in finem mediantibus superioribus creaturis; quia, sicut Dionysius dicit, lex divinitatis est, per prima, ultima ad se adducere. Ergo et creaturae inferiores exeunt a primo principio per creationem mediantibus superioribus creaturis; et ita creationis actus creaturae communicatur.

 

1. De la même manière et dans le même ordre que les créatures sortent du premier principe, elles sont réordonnées à leur fin ultime, puisque le premier principe et la fin ultime des êtres sont identiques. Mais les créatures inférieures sont ordonnées à Dieu comme à leur fin par l'intermédiaire des créatures supérieures, parce que, comme le dit Denys (La Hiérarchie céleste, 5,1) la loi de la divinité est de reconduire à elle les dernières par les premières. Donc les créatures inférieures sortent du premier principe par création, par l'intermédiaire des créatures supérieures, et c'est ainsi que l'acte de création est communiqué à la créature.

 

q. 3 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod communicatum creaturae non trahit ipsam extra terminos creaturae, est alicui creaturae communicabile per potentiam creatoris, qui potest etiam nova genera condere creaturarum. Sed posse creare, si creaturae communicaretur, non poneret ipsam extra terminos creaturae. Ergo posse creare est creaturae communicabile. Probatio mediae. Illud dicitur extra terminos creaturae rem aliquam ponere quod rationi creaturae repugnat. Posse autem creare non repugnat rationi creaturae, nisi propter infinitatem virtutis quae videtur ad creationem requiri. Non autem requiritur, ut videtur; nam unumquodque tantum distat ab uno oppositorum quantum de natura alterius participat. Tantum enim aliquid est album, quantum distat a nigro. Ens autem creatum finite participat naturam entis. Ergo finite distat a non esse simpliciter. Educere autem aliquid in esse ex distantia finita, non demonstrat potentiam infinitam; et sic relinquitur quod potentiae finitae possit esse creationis actus; et sic posse creare rationi creaturae non repugnat, nec ponit ipsam extra terminos creaturae.

2. [1] Ce qui est communiqué à la créature et ne l'entraîne pas hors de ses limites, lui est communicable par la puissance du créateur, qui peut même créer de nouveaux genres de créatures. [2] Mais le pouvoir de créer, s'il était communiqué à la créature, ne la mettrait pas hors de ses limites. [3] Donc le pouvoir de créer lui est communicable. Preuve intermédiaire[2]: [2] on dit que ce qui place une chose hors des limites de la créature s'oppose à sa nature. Mais pouvoir créer ne s'oppose à la nature de la créature qu'à cause de l'infinité du pouvoir qui semble requis pour la création. Mais ce n'est pas requis, à ce qu'il semble, car chaque chose est éloignée de l'un de ses opposés qu'autant qu'elle participe à la nature de l'autre. Car plus un objet est blanc, plus il est éloigné du noir. Mais l'étant créé participe de façon limitée à la nature de l'étant. Donc, il est éloigné du non être absolu de façon limitée. Amener quelque chose à l'être à partir d'une distance finie ne révèle pas une puissance infinie et ainsi il reste que l'acte de création pourrait appartenir à une puissance finie et ainsi le pouvoir de créer n'est pas opposé à la condition de créature et il ne la place pas hors de ses limites.

 

q. 3 a. 4 arg. 3 Sed diceretur, quod hoc quod dicitur, quod unumquodque tantum distat ab uno oppositorum quantum participat de alio, locum habet in illis oppositis quorum utrumque est natura quaedam, sicut sunt contraria; non autem in illis quorum alterum tantum est natura, sicut in privatione et habitu, affirmatione et negatione.- Sed contra, praedicta oppositio locum habet in contrariis secundum hoc quod ad invicem distant; quod quidem eis competit in quantum opposita sunt. Sed causa oppositionis in contrariis et radix, est oppositio affirmationis et negationis, ut probatur. Ergo in oppositione affirmationis et negationis maxime debet locum habere.

 

3. Mais on pourrait dire que cette assertion: chaque chose est éloignée de l'un de ses opposés qu'autant qu'elle participe de l'autre, trouve sa place dans ces opposés dont l'un et l'autre sont une certaine nature, comme le sont les contraires, mais non dans ceux dont l'un seulement est cette nature, ainsi dans la privation, et la possession, l'affirmation et la négation. En sens contraire, l'opposition susdite trouve sa place dans les contraires selon qu'ils sont éloignés l'un de l'autre, ce qui se rencontre en eux dans la mesure où ils sont opposés. Mais la cause de l'opposition dans les contraires, ainsi que sa racine est l'opposition de l'affirmation et de la négation, comme on le prouve (Cf. Métaphysique, IV, 6, 1011 b 20[3]). Donc c'est dans l'opposition de l'affirmation et de la négation qu'elle doit avoir lieu.

 

q. 3 a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum tripliciter res fieri dicuntur. Uno modo in verbo, alio modo in angelica cognitione, et tertio modo in propria natura. Propter quod Genes., I, 1-2, dicit: dixit, fiat, et factum est. Modus autem quo res dicuntur in angelica intelligentia fieri, medius est inter illos duos modos. Ergo videtur quod res creatae procedant ut sint in propria natura a verbo creatoris cognitione angelica mediante; et sic videtur quod mediantibus Angelis res creentur.

 

4. Selon Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 8, 16[4]), dit qu'une chose est faite de trois façons: 1) dans le Verbe, 2) dans la connaissance angélique, 3) dans sa nature propre. C'est pour cela que la Genèse (1, 1-2) dit: "Il dit: que cela soit fait et cela fut fait". Mais la manière dont on dit que les choses sont créées dans l'intelligence angélique est intermédiaire entre ces deux modes. Donc il semble que les créatures procèdent, pour venir à l'être dans leur propre nature, du Verbe du Créateur, par l'intermédiaire de la connaissance angélique, et ainsi il semble que les choses sont créées par l'intermédiaire des anges.

 

q. 3 a. 4 arg. 5 Praeterea, nihil et aliquid plus distant quam aliquid et esse, cum nihil et aliquid nihil habeant commune, aliquid autem sit entis pars. Deus autem facit creando, ut quod nihil erat, aliquid fiat, et per consequens quod nulla potentia fiat aliqua potentia. Ergo multo amplius facere potest quod aliqua potentia terminata, cuiusmodi est potentia creaturae, fiat omnipotentia, cuius est creare. Et sic communicari potest creaturae quod creet.

 

5. Il y a plus de distance entre le néant et une chose qu'entre une chose et l'être[5], puisque le néant et la chose n'ont rien de commun[6], alors que la chose est une partie de l'étant. Mais Dieu, en créant, fait que ce qui était néant devienne quelque chose et par conséquent qu'une puissance nulle devienne une puissance. Donc il peut faire beaucoup plus, à savoir qu'une puissance limitée, de quelque manière que soit la puissance de la créature, devienne une toute puissance qui crée. Et ainsi le pouvoir de créer peut être communiqué à la créature.

 

q. 3 a. 4 arg. 6 Praeterea, lux spiritualis est nobilior et potentior quam corporalis. Sed lux corporalis se ipsam multiplicat. Ergo Angelus, qui est lux spiritualis secundum Augustinum, potest se ipsum multiplicare. Sed hoc non potest facere nisi creando. Ergo Angelus potest creare.

6. La lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumière corporelle. Mais celle-ci se multiplie elle-même. Donc l'ange, qui est lumière spirituelle selon Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 8, 17[7]) peut se multiplier lui-même. Mais il ne peut le faire qu'en créant. Donc l'ange peut créer.

 

q. 3 a. 4 arg. 7 Praeterea, cum formae substantiales non generentur, eo quod solum compositum generatur, ut probat philosophus, non possunt deduci in esse nisi per creationem. Sed natura creata disponit materiam ad formam. Ergo ministerio aliquid operatur ad creationem; et sic communicari potest creaturae, quod habeat in creatione ministerium.

 

7. Comme les formes substantielles ne sont pas engendrées, parce que seul le composé est engendré, comme le prouve le philosophe (Métaphysique VII, 8, 1033 b 5 - 1033b 16[8]), elles ne peuvent venir à l'être que par création. Mais la nature créée dispose la matière pour la forme. Donc par fonction, quelque chose travaille pour la création, et ainsi le fait d'avoir cette fonction dans la création peut être communiqué à la créature

 

q. 3 a. 4 arg. 8 Praeterea, opus iustificationis est nobilius quam creationis, cum gratia sit supra naturam. Unde et Augustinus dicit quod maius est iustificare impium quam creare caelum et terram. Sed in iustificatione impii ministerium exhibet creatura: sacerdos enim dicitur ut minister iustificare, sive peccata remittere. Ergo multo magis potest creatura ministerium exhibere in creationis actu.

8. L'oeuvre de justification est plus noble que celle de création, puisque la grâce est au-dessus de la nature. D'où ce que dit Augustin (Sur saint Jean, traité 34) qu'il est plus important de justifier un impie que de créer le ciel et la terre. Mais dans la justification de l'impie, la créature révèle son ministère; car on dit que le prêtre justifie ou remet les péchés en tant que ministre. Donc la créature peut beaucoup plus montrer sa fonction dans l'acte de création

 

q. 3 a. 4 arg. 9 Praeterea, oportet omne factum simile esse agenti, ut probatur in VII Metaph. Sed creatura corporalis non est similis Deo neque specie neque genere. Ergo non potest a Deo per creationem procedere nisi mediante aliqua creatura, quae sit similis saltem in genere; et sic videtur quod res corporales creentur a Deo mediantibus superioribus creaturis.

 

9. Il faut que tout ce qui est fait ressemble à l'agent, comme on le prouve (Métaphysique VII, 8, 1033 b 29[9]). Mais la créature corporelle n'est semblable à Dieu ni en espèce ni en genre. Donc elle ne peut procéder de Dieu par création que par l'intermédiaire d'une créature, qui serait semblable, au moins en genre. Et ainsi il semble que ce qui est corporel est créé par Dieu par l'intermédiaire des créatures supérieures.

 

q. 3 a. 4 arg. 10 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod illa quae est intelligentia secunda, non recipit ex bonitatibus primis, quae procedunt ex causa prima, nisi mediante intelligentia superiori. Sed de primis bonitatibus est ipsum esse. Ergo intelligentia secunda non recipit esse a Deo nisi mediante intelligentia prima; et sic videtur quod Deus actum creationis alicui creaturae communicet.

 

10. Dans le Livre des Causes (prop. 19[10]), il est dit que celle qui est l'intelligence seconde ne reçoit des perfections premières qui procèdent de la cause première, que par l'intermédiaire de l'intelligence supérieure[11]. Mais l'être même vient des bontés premières. Donc l'intelligence seconde ne reçoit l'être de Dieu que par l'intermédiaire de l'intelligence première et ainsi il apparaît que Dieu communique l'action de créer à une créature.

 

q. 3 a. 4 arg. 11 Praeterea, in eodem Lib. dicitur, quod intelligentia scit quod sub se est, per modum substantiae suae, in quantum est ei causa. Sed una intelligentia cognoscit intelligentiam aliam quae est sub ipsa: ergo est eius causa. Sed non causatur nisi per creationem, cum non sit composita. Ergo intelligentia creare potest.

11. Dans le même livre (prop. 8[12]), on dit que l'intelligence connaît ce qui est sous elle, au moyen de sa substance, dans la mesure où elle en est la cause. Mais une intelligence en connaît une autre qui est sous elle. Donc elle en est la cause. Mais elle n'est causée que par création, puisqu'elle n'est pas composée. Donc l'intelligence peut créer.

 

q. 3 a. 4 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit, quod creatura spiritualis communicat corporali speciem et esse; et sic videtur quod creaturae corporales creentur mediantibus spiritualibus.

 

12. Augustin (L'immortalité de l'âme, XVI, 25[13]) dit que la créature spirituelle communique à la créature corporelle l'espèce et l'être et ainsi il semble que les créatures corporelles seraient créées par l'intermédiaire des créatures spirituelles.

 

q. 3 a. 4 arg. 13 Praeterea, duplex est cognitionis genus; una siquidem cognitio est ad rem, et alia quae est a rebus. Angelus autem cognoscit res corporales non cognitione quae est a rebus, cum careat potentiis sensitivis, quibus mediantibus pervenit cognitio sensibilium ad intellectum. Ergo cognoscit res cognitione quae est ad rem, quae est similis divinae cognitioni. Sicut ergo Deus per suam scientiam est causa rerum, ita et scientia Angeli rerum causa esse videtur.

13. Il y a deux sortes de connaissance: la première va vers l'objet, l'autre en vient. Or l'ange connaît ce qui est corporel, non par une connaissance qui vient de la réalité, puisqu'il n'a pas d'organes sensitifs par l'intermédiaire desquelles la connaissance du sensible lui parvient à l'esprit. Donc il le connaît d'une connaissance qui va vers l'objet et qui est semblable à la connaissance divine. Donc, comme Dieu, par sa science, est la cause des choses, ainsi la science de l'ange semble aussi en être la cause.

 

q. 3 a. 4 arg. 14 Praeterea, duplex est modus quo res in esse exeunt: unus secundum quod exeunt de puro non esse in esse, quod fit per creationem: alius secundum quod exeunt de potentia in actum. Virtus autem materialis, quae est rerum naturalium, potest res producere modo secundo, scilicet extrahendo res de potentia in actum. Ergo virtus immaterialis, quae est potentior, qualis est virtus Angeli, potest aliquid producere in esse modo primo, quod est maioris virtutis, scilicet de puro non esse in esse, quod est creare; et sic videtur quod Angelus possit creare.

14. Le processus par lequel les êtres viennent à l'existence est double: 1) ils passent du pur non être à l'être, ce qui se fait par création; 2) ils passent de la puissance à l'acte[14]. Mais le pouvoir matériel des choses naturelles peut produire des êtres de la seconde manière, c'est-à-dire en les faisant passer de la puissance à l'acte. Donc un pouvoir immatériel qui est plus puissant, tel celui de l'ange, peut amener à l'être de la première manière, ce qui dépend d'un plus grand pouvoir, c'est-à-dire [l'amener] du pur non être à l'être, ce qui est créer et ainsi il semble que l'ange puisse créer.

 

q. 3 a. 4 arg. 15 Praeterea, infinito non est maius aliquid. Sed infinitae potentiae est educere aliquid de nihilo in esse: alias nihil prohiberet creaturas creare. Nulla ergo potentia potest esse maior quam ista. Et sic non est maius facere creaturam ex nihilo et dare ei potentiam creandi quam creare. Primum autem Deus potest. Ergo et secundum.

15. Rien n'est plus grand que l'infini. Mais c'est le pouvoir d'une puissance infinie de faire passer quelque chose du néant à l'être; autrement, rien n'empêcherait de créer des créatures. Donc nulle puissance ne peut être plus grande que celle-la. Et ainsi ce n'est pas plus grand de faire une créature de rien et lui donner la puissance de créer que créer. Dieu peut le premier. Donc aussi le second.

 

q. 3 a. 4 arg. 16 Praeterea, quanto maior est resistentia patientis ad agens, tanto maior est difficultas in agendo. Sed contrarium magis resistit quam non ens; non ens enim agere non potest sicut agit contrarium. Cum ergo creatura possit aliquid ex contrario facere, videtur quod multo magis possit aliquid facere ex nihilo, quod est creare. Ergo potest creatura creare.

16. Plus grande est la résistance du patient à l'agent, plus grande est la difficulté de celui-ci pour agir. Mais le contraire résiste plus que le non être, car le non être ne peut agir comme agit le contraire. Comme donc la créature pourrait faire quelque chose de contraire, il semble qu'elle puisse beaucoup plus faire quelque chose de rien, ce qui est créer. Donc une créature peut créer.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Ens et non ens in infinitum distant. Sed operari aliquid ex distantia infinita est infinitae virtutis. Ergo creare est infinitae virtutis; et ita non potest alicui creaturae communicari.

1. L'étant et le non étant sont séparés par une distance infinie[15]. Mais produire quelque chose à partir d'une distance infinie dépend d'un pouvoir infini. Donc créer est le propre d'un pouvoir infini, et il ne peut être communiqué à aucune créature.

 

q. 3 a. 4 s. c. 2 Praeterea, superiores creaturae ut Angeli, secundum Dionysium dividuntur in essentiam, virtutem, et operationem: ex quo haberi potest quod nullius creaturae virtus est sua essentia, et sic nulla creatura agit se tota, cum id quo res agit sit virtus eius. Sed secundum quod agens agit, effectus agitur. Ergo nulla creatura potest aliquem effectum totum producere; et sic non potest creare, sed semper in sua actione materiam praesupponit.

 

2. Les créatures supérieures, comme les anges, selon Denys (La hiérarchie céleste, XI), sont divisées en essence, puissance et opération: de là on peut constater que le pouvoir d'aucune créature n'est son essence et ainsi aucune créature n'agit elle-même toute entière, puisque ce par quoi quelque chose agit c'est sa puissance[16]. Mais l'effet est produit selon que l'agent agit. Donc aucune créature ne peut produire un effet total, et ainsi elle ne peut créer, mais elle présuppose toujours une matière pour son action.

 

q. 3 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli non possunt esse creatores alicuius rei, nec boni nec mali. Inter ceteras vero creaturas Angelus est nobilior. Ergo multo minus aliqua alia creatura potest creare.

3. Augustin ( (La Trinité, III, ch. 8 et 9[17]) dit que les anges ne peuvent être créateurs de rien, ni les bons ni les mauvais. Parmi les autres créatures, l'ange est le plus noble. Donc les autres peuvent encore beaucoup moins créer.

 

q. 3 a. 4 s. c. 4 Praeterea, eiusdem virtutis est creare et creaturas in esse conservare. Sed creaturae non possunt in esse conservari nisi per virtutem divinam, quae si se rebus subtraheret, in momento deficerent, secundum Augustinum. Ergo res non possunt creari nisi per virtutem divinam.

 

4. Créer et conserver les créatures dans l'être est un même pouvoir. Mais les créatures ne peuvent être conservées dans l'être que par le pouvoir divin; s'il se retirait des créatures, elles retourneraient au néant à l'instant, selon Augustin (La Genèse au sens littéral, IV, 12, 22 et 23[18]). Donc les choses ne peuvent être créées que par la puissance divine.

 

q. 3 a. 4 s. c. 5 Praeterea, illud quod est alicuius proprie proprium, alteri convenire non potest. Sed creare dicitur communiter proprium esse Deo. Ergo creare non potest alteri convenire.

5. Ce qui est vraiment propre à une chose ne peut convenir à un autre. Mais on dit communément que créer est propre à Dieu. Donc créer ne peut pas convenir à un autre.

 

Réponse:

q. 3 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod quorumdam philosophorum fuit positio, quod Deus creavit creaturas inferiores mediantibus superioribus, ut patet in Lib. de causis; et in Metaphys. Avicennae, et Algazelis, et movebantur ad hoc opinandum propter quod credebant quod ab uno simplici non posset immediate nisi unum provenire, et illo mediante ex uno primo multitudo procedebat. Hoc autem dicebant, ac si Deus ageret per necessitatem naturae, per quem modum ex uno simplici non fit nisi unum.

La position de certains philosophes fut que Dieu créa les créatures inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures, comme cela apparaît dans le Livre des Causes, prop. 10[19]– Avicenne, Métaphysique, IX, 4[20] et Algazel et ils étaient poussés à le penser parce qu'ils croyaient que, d'un être unique et simple ne pouvait immédiatement provenir qu'un être unique et que c'est par son intermédiaire que la multitude procédait du premier être unique. Ils disaient cela comme si Dieu agissait par nécessité de nature, de cette manière d'un seul être simple, il n'est fait qu'un être unique.

 

Nos autem ponimus, quod a Deo procedunt res per modum scientiae et intellectus, secundum quem modum nihil prohibet ab uno primo et simplici Deo multitudinem immediate provenire, secundum quod sua sapientia continet universa. Et ideo secundum fidem Catholicam ponimus, quod omnes substantias spirituales et materiam corporalium Deus immediate creavit, haereticum reputantes si dicatur per Angelum vel aliquam creaturam aliquid esse creatum; unde Damascenus dicit: quicumque dixerit Angelum aliquid creare, anathema sit.

Nous, nous pensons que les créatures procèdent de Dieu par mode de science et d'intellect[21]; de cette manière, rien n'empêche que de Dieu, unique, premier et simple, provienne la multitude sans intermédiaire, selon que sa sagesse contient toutes choses. Et c'est pourquoi, selon la foi catholique, nous pensons que Dieu a créé toutes les substances spirituelles et la matière des êtres corporels sans intermédiaire, considérant comme hérétique de dire que quelque chose a été créé par un ange ou par quelque créature. C'est pourquoi Jean Damascène dit (La foi orthodoxe, II, 2) que "quiconque aura dit qu'un ange crée quelque chose, qu'il soit anathème".

 

Quidam tamen Catholici tractatores dixerunt quod, etsi nulla creatura possit aliquid creare, communicari tamen potuit creaturae ut per eius ministerium Deus aliquid crearet. Et hoc ponit Magister in 5 dist., IV libro Sentent.

Certains auteurs catholiques cependant ont dit que même si aucune créature ne peut créer, Dieu a pu lui communiquer le pouvoir de créer par son ministère. Le maître des Sentences le dit (4 Sent. Dist. 5[22]).

 

Quidam vero e contrario dicunt, quod nullo modo creaturae communicari potuit ut aliquid crearet; quod etiam communius tenetur.

Certains, au contraire, disent que le pouvoir de créer n'a pu en aucune manière être communiqué à la créature, ce qui est le plus communément admis.

 

Ad horum autem evidentiam sciendum est quod creatio nominat activam potentiam, qua res in esse producuntur; et ideo est absque praesuppositione materiae praeexistentis et alicuius prioris agentis: hae enim solae causae praesupponuntur ad actionem. Nam forma geniti est terminus actionis generantis, et ipsa est etiam finis generationis quae secundum esse non praecedit sed sequitur actionem.

Pour le mettre en évidence, il faut savoir que la création désigne une puissance active par laquelle les choses sont amenées à l'être et sans présupposer une matière préexistante et un agent antérieur[23]. Car seules, ces causes[24] sont présupposées pour l'action. En effet la forme de l'engendré est le terme de l'action de celui qui engendre et elle-même est la fin de la génération qui, selon l'être, ne précède pas mais suit l'action.

 

Quod enim creatio materiam non praesupponat, patet ex ipsa nominis ratione. Dicitur enim creari quod ex nihilo fit. Quod etiam non praesupponat aliquam priorem causam agentem, patet ex hoc quod Augustinus dicit, ubi probat Angelos non esse creatores, quia operantur ex seminibus naturae inditis quae sunt virtutes activae in natura.

 

Que la création, en effet, ne présuppose pas la matière, cela apparaît dans la définition même du nom. Car on dit que “créer” c'est faire quelque chose de rien. Qu'elle ne présuppose pas non plus une cause première efficiente, est éclairé par ce que dit Augustin (La Trinité, III, 8[25]), là où il prouve que les anges ne sont pas créateurs, parce qu'il opèrent à partir des semences introduites dans la nature, qui sont des pouvoirs actifs en elle[26].

 

Si igitur sic stricte creatio accipitur, constat quod creatio non potest nisi primo agenti convenire, nam causa secunda non agit nisi ex influentia causae primae; et sic omnis actio causae secundae est ex praesuppositione causae agentis.

Donc si on comprend la création au sens strict, il est clair qu'elle ne peut convenir qu'au premier agent, car la cause seconde n'agit que sous l'influence de la cause première, et ainsi toute action de la cause seconde présuppose une cause efficiente.

 

Nec etiam ipsi philosophi posuerunt Angelos vel intelligentias aliquid creare, nisi per virtutem divinam in ipsis existentem, ut intelligamus quod causa secunda duplicem actionem habere potest; unam ex propria natura, aliam ex virtute prioris causae. Impossibile est autem quod causa secunda ex propria virtute sit principium esse in quantum huiusmodi; hoc enim est proprium causae primae; nam ordo effectuum est secundum ordinem causarum.

Et les philosophes eux-mêmes ont pensé que les anges ou les intelligences ne créaient que par la puissance divine qui existait en eux, de sorte que nous comprenons que la cause seconde peut avoir une double action: l'une de sa propre nature, l'autre du pouvoir de la cause première. Il est impossible que la cause seconde de son propre pouvoir soit le principe d'être en tant que tel, cela, en effet, est le propre de la cause première, car l'ordre des effets dépend de l'ordre des causes.

 

Primus autem effectus est ipsum esse, quod omnibus aliis effectibus praesupponitur et ipsum non praesupponit aliquem alium effectum; et ideo oportet quod dare esse in quantum huiusmodi sit effectus primae causae solius secundum propriam virtutem; et quaecumque alia causa dat esse, hoc habet in quantum est in ea virtus et operatio primae causae, et non per propriam virtutem; sicut et instrumentum efficit actionem instrumentalem non per virtutem propriae naturae, sed per virtutem moventis; sicut calor naturalis per virtutem animae generat carnem vivam, per virtutem autem propriae naturae solummodo calefacit et dissolvit.

Le premier effet est l'être même, qui est présupposé à tous les autres effets; et il n'en présuppose pas d'autre; et c'est pourquoi donner l'être en tant que tel doit être l'effet de la seule cause première selon son propre pouvoir; et que toute autre cause donne l'être, cela arrive dans la mesure où il y a en elle le pouvoir et l'opération de la cause première, et non par son propre pouvoir; de la même manière, l'instrument effectue l'action instrumentale, non par le pouvoir de sa propre nature, mais par le pouvoir du moteur; ainsi la chaleur naturelle, par le pouvoir de l'âme, engendre la chair vivante mais, par le pouvoir de sa propre nature, seulement elle réchauffe et dissout.

 

Et per hunc modum posuerunt quidam philosophi, quod intelligentiae primae sunt creatrices secundarum, in quantum dant eis esse per virtutem causae primae in eis existentem. Nam esse per creationem, bonum vero et vita et huiusmodi, per informationem, ut in libro de causis habetur. Et hoc fuit idolatriae principium, dum ipsis creatis substantiis quasi creatricibus aliarum, latriae cultus exhibebatur. Magister vero in IV sententiarum ponit hoc esse communicabile creaturae non quidem ut propria virtute creet, quasi auctoritate, sed ministerio quasi instrumentum.

 

Et de cette manière, certains philosophes ont pensé que les intelligences premières sont créatrices des secondes dans la mesure où elles leur donnent l'être par le pouvoir de la cause première qui existe en elles[27]. Car l'être est par création, le bien et la vie etc. sont par mise en forme, comme on le dit dans le Livre des Causes. Et cela fut l'origine de l'idolâtrie, puisque, à ces substances créées, en tant que créatrices des autres, on offrait un culte de latrie. Mais le Maître des Sentences (IV Sent.) pense que ce pouvoir est communicable à la créature, non pour qu'elle crée par son propre pouvoir, comme par son autorité, mais par fonction en tant qu'instrument.

 

Sed diligenter consideranti apparet hoc esse impossibile. Nam actio alicuius, etiamsi sit eius ut instrumenti, oportet ut ab eius potentia egrediatur. Cum autem omnis creaturae potentia sit finita, impossibile est quod aliqua creatura ad creationem operetur, etiam quasi instrumentum. Nam creatio infinitam virtutem requirit in potentia a qua egreditur: quod ex quinque rationibus apparet.

Mais pour celui qui examine avec attention, cela paraît impossible. Car il faut que l'action de quelqu'un, même si elle est comme celle d'un instrument, vienne de sa puissance. Comme la puissance de toute créature est limitée, il est impossible qu'une créature agisse pour créer, même comme instrument. Car la création demande un pouvoir infini, à la puissance d'où elle sort: ce qui apparaît pour cinq raisons.

 

Prima est ex hoc quod potentia facientis proportionatur distantiae quae est inter id quod fit et oppositum ex quo fit. Quanto enim frigus est vehementius, et sic a calore magis distans, tanto maiori virtute caloris opus est ut ex frigido fiat calidum. Non esse autem simpliciter, in infinitum ab esse distat, quod ex hoc patet, quia a quolibet ente determinato plus distat non esse quam quodlibet ens, quantumcumque ab alio ente distans invenitur; et ideo ex omnino non ente aliquid facere non potest esse nisi potentiae infinitae.

1. Première raison: la puissance de celui qui agit est proportionnée à la distance qui est entre ce qui est fait et l'opposé dont il est fait. En effet plus le froid est violent, et plus il est éloigné de la chaleur, plus grand doit être le pouvoir de la chaleur qu'il faut pour passer du froid au chaud. Le non être absolu est éloigné de l'être à l'infini, ce qui apparaît du fait que le non être est plus éloigné de quelque étant déterminé que n'importe quel étant, à quelque distance qu'on le trouve de cet autre étant et c'est pourquoi, de ce qui est tout à fait du non étant, on ne peut absolument rien créer sans faire venir l'être d'une puissance infinie.

 

Secunda ratio est, quia hoc modo factum agitur quo faciens agit. Agens autem agit secundum quod actu est; unde id solum se toto agit quod totum actu est, quod non est nisi actus infiniti qui est actus primus; unde et rem agere secundum totam eius substantiam solius infinitae virtutis est.

2. Seconde raison: parce que ce qui est fait de cette manière subit l'action là où celui qui le fait agit. L'agent agit selon qu'il est en acte. C'est pourquoi seul agit par soi tout entier ce qui est tout entier en acte, ce qui n'est le propre que de l'acte infini qui est l'acte premier. C'est pourquoi faire une chose selon toute sa substance est le propre du seul pouvoir infini.

 

Tertia ratio est, quia cum accidens oporteat esse in subiecto, subiectum autem actionis sit recipiens actionem; illud solum faciendo aliquid recipientem materiam non requirit, cuius actio non est accidens, sed ipsa substantia sua, quod solius Dei est; et ideo solius eius est creare.

3. Troisième raison: comme l'accident doit être dans le substrat, le substrat de l'action serait ce qui la reçoit. En faisant cela seulement, il n'a pas besoin de matière pour le recevoir, celui dont l'action n'est pas un accident, mais sa substance même, ce qui est le propre de Dieu seul et ainsi il est seul à créer.

 

Quarta ratio est, quia cum omnes secundae causae agentes a primo agente habeant hoc ipsum quod agant, ut in Lib. de causis probatur; oportet quod a primo agente, omnibus secundis agentibus modus et ordo imponatur; ei autem non imponitur modus vel ordo ab aliquo. Cum autem modus actionis ex materia dependeat quae recipit actionem agentis, solius primi agentis erit absque materia praesupposita ab alio agente agere, et aliis omnibus secundis agentibus materiam ministrare.

4. Quatrième raison: parce que, comme toutes les causes efficientes secondes reçoivent du premier agent leur pouvoir d'agir, comme on le prouve dans le Livre des Causes (prop. 19 et 20[28] ), il faut que le mode et l'ordre soient imposés par le premier agent à tous les agents seconds; mais le mode ou l'ordre ne lui sont imposés par personne. Comme le mode de l'action dépend de la matière qui reçoit l'action de l'agent, ce ne sera le propre que du seul premier agent d'agir sans matière présupposée par un autre agent et de fournir la matière à tous les autres agents seconds.

 

Quinta ratio est ducens ad impossibile. Nam secundum elongationem potentiae ab actu, est proportio potentiarum de potentia in actum aliquid reducentium: quanto enim plus distat potentia ab actu, tanto maiori potentia indigetur. Si ergo sit aliqua potentia finita quae de nulla potentia praesupposita aliquid operetur, oportet eius esse aliquam proportionem ad illam potentiam activam quae educit aliquid de potentia in actum; et sic est aliqua proportio nullius potentiae ad aliquam potentiam, quod est impossibile. Non entis enim ad ens nulla est proportio, ut habetur IV Physic. Relinquitur ergo quod nulla potentia creaturae potest aliquid creare neque propria virtute, neque sicut alterius instrumentum.

5. La cinquième raison conduit à une impossibilité. Car selon l'éloignement de la puissance à l'acte, il y a un rapport des puissances qui ramènent quelque chose de la puissance à l'acte. Car plus la puissance est éloignée de l'acte, plus grande est la puissance dont elle a besoin. Si donc il y a une puissance finie qui agit à partir d'une puissance présupposée nulle, il faut qu'elle ait une proportion à cette puissance active qui conduit quelque chose de la puissance à l'acte, et ainsi il y a une proportion d'une puissance nulle à une puissance, ce qui est impossible. Car il n'y a aucune proportion du non étant à l'étant (Cf. Physique IV[29]). Donc il reste qu'aucune puissance d'une créature ne peut créer quelque chose ni par son propre pouvoir, ni en tant qu'instrument d'un autre.

 

Solutions:

q. 3 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in reducendo ad finem, praeexistunt ea quae sunt ad finem: et ideo non impossibile est per actionem alicuius cooperari Deo ad hoc quod res aliquae in finem ultimum reducantur. Sed in universali eductione rerum in esse, nihil praesupponitur; unde non est simile.

# 1. Quand on ramène les créatures à leur fin, ce qui est en vue de cette fin préexiste et c'est pourquoi il n'est pas impossible par l'action de quelque être de coopèrer avec Dieu pour que les choses soient ramenées à leur fin ultime. Mais dans la venue universelle des créatures à l'être, rien n'est présupposé, c'est pourquoi ce n'est pas pareil[30].

 

q. 3 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet aliquam distantiam imaginari infinitam ex una parte et ex alia finitam. Ex utraque autem parte infinitam imaginamur distantiam, quando utrumque oppositorum ponitur infinitum; puta si sint calor et frigus infinita. Ex parte autem altera, quando alterum est finitum; sicut si calor esset infinitus, et frigus finitum. Distantia ergo infiniti entis a non esse simpliciter, est infinita ex utraque parte. Distantia autem entis finiti a non esse simpliciter est infinita ex una parte tantum, et requirit nihilominus potentiam infinitam agentem.

# 2. Rien n'empêche d'imaginer une distance infinie d'un côté et une distance finie de l'autre. Mais on imagine la distance infinie de deux côtés, quand on pense que l'un et l'autre des opposés sont infinis; par exemple s'il y avait une chaleur et un froid infini. Mais de l'autre côté, quelquefois l'autre est fini, comme si par exemple la chaleur était infinie et le froid fini. Donc la distance de l'être infini au non être absolu est infinie de chaque côté. Mais la distance de l'étant fini au non être absolu est infinie d'un côté seulement et elle requiert néanmoins une puissance agissante infinie.

 

q. 3 a. 4 ad 3 Tertium concedimus, non enim quantum ad hoc differt, an utrumque oppositorum sit natura quaedam an alterum tantum.

# 3. Nous concédons la troisième objection, mais non pour les différence, si les deux opposés sont une certaine nature, ou l'un des deux seulement.

 

q. 3 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod res in intelligentia dicuntur fieri secundum cognitionem tantum, non secundum rationem operativae virtutis: unde res non producuntur a Deo mediantibus Angelis operantibus, sed solum Angelis cognoscentibus.

# 4. On dit que les créatures dans l'intelligence se font selon la connaissance seulement, non selon un pouvoir opératif. C'est pourquoi les êtres ne sont pas produits par Dieu par l'intermédiaire des anges qui opèrent, mais les anges en ont seulement connaissance.

 

q. 3 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur non posse fieri ab aliquo, non solum propter distantiam extremorum, sed etiam propter hoc quod omnino fieri non potest; ut si dicamus quod ex aliquo corpore non potest fieri Deus, quia Deus omnino fieri non potest. Sic ergo dicendum quod ex aliqua potentia non potest fieri omnipotentia, non solum propter distantiam utriusque potentiae, sed etiam propter hoc quod omnipotentia omnino fieri non potest. Nam omne quod fit, purus actus esse non potest, cum ex hoc ipso quod ex alio esse habeat, potentia in eo deprehendatur: et ideo non potest esse potentia infinita.

# 5. On dit qu'une chose ne peut pas être faite par une autre, non seulement à cause de la distance des extrêmes, mais aussi parce qu'elle ne peut absolument pas être faite. Comme si on disait que Dieu ne peut être fait d'un corps, parce qu'il ne peut absolument pas être fait. Donc il faut dire ainsi que d'une puissance on ne peut faire une toute-puissance, non seulement à cause de la distance de l'une à l'autre des puissances, mais aussi parce qu'une toute-puissance ne peut absolument pas être faite. Car tout ce qui est fait ne peut pas être acte pur, puisque, du fait qu'il reçoit l'être d'un autre, c'est en lui qu'est saisie la puissance. C'est pourquoi elle ne peut pas être infinie.

 

q. 3 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod lux corporalis multiplicat se non per creationem novae lucis, sed diffundendo se super materiam: quod de Angelis dici non potest, cum sint substantiae per se stantes.

# 6. La lumière corporelle se multiplie non par création d'une nouvelle lumière, mais en se diffusant sur la matière, ce qu'on ne peut pas dire des anges, puisque ce sont des substances subsistantes par soi.

 

q. 3 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod forma potest considerari dupliciter:

# 7. On peut considérer une forme de deux manières:

 

uno modo secundum quod est in potentia; et sic a Deo materia concreatur, nulla disponentis naturae actione interveniente.

A) Selon qu'elle est en puissance, et ainsi la matière est concréée par Dieu, sans l'intervention d'une action de la nature qui la dispose.

 

Alio modo secundum quod est in actu; et sic non creatur, sed de potentia materiae educitur per agens naturale; unde non oportet quod natura aliquid agat dispositive ad hoc quod aliquid creetur. Quia tamen aliqua forma naturalis est quae per creationem in esse producitur, scilicet anima rationalis, cuius materiam natura disponit; ideo sciendum est, quod cum creationis opus materiam tollat, dupliciter aliquid creari dicitur. Nam quaedam creantur nulla materia praesupposita, nec ex qua nec in qua, sicut Angeli et corpora caelestia; et ad horum creationem natura nihil operari potest dispositive.

B) Selon qu'elle est en acte et ainsi, elle n'est pas créée, mais elle est tirée de la puissance de la matière par un agent naturel. C'est pourquoi il ne faut pas que la nature agisse régulièrement en vue de créer quelque chose. Cependant, parce qu'il y a une forme naturelle qui est amenée à l'être par création, à savoir l'âme raisonnable, dont la nature dispose la matière, il faut savoir que, puisque l'oeuvre de création n'a pas besoin de la matière, une chose est dite créée de deux manières. a) Certaines choses en effet, sont créées sans aucune matière présupposée, ni d'où elles viennent , ni où elles sont, comme les anges et les corps célestes, et pour leur création, la nature ne peut rien faire par disposition.

 

Quaedam vero creantur, etsi non praesupposita materia ex qua sint, praesupposita tamen materia in qua sint, ut animae humanae. Ex parte ergo illa qua habent materiam in qua, natura potest dispositive operari; non tamen quod ad ipsam substantiam creati, naturae actio se extendat.

 

b) Mais certaines autres sont créées, même sans matière présupposée d'où elles viennent, cependant avec la matière présupposée dans laquelle elles sont, comme pour l'âme humaine. Donc de ce côté où elles ont la matière dans laquelle elles sont, la nature peut opérer par disposition, non cependant que l'action de la nature s'étende à la substance même du créé.

 

q. 3 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in opere iustificationis homo aliquid operatur ministerio tantum per hoc quod adhibet sacramenta: unde cum sacramenta iustificare dicantur instrumentaliter et dispositive, solutio redit in idem cum solutione praedicta.

 

cum solutione praedicta.

# 8. Dans l'oeuvre de justification, l'homme agit seulement par sa fonction en recourant généralement aux sacrements. C'est pourquoi, comme on dit que les sacrements justifient de manière instrumentale et par disposition, la solution revient au même que la précédente.

 

q. 3 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quamvis inter Deum et creaturam non possit esse similitudo generis vel speciei; potest tamen esse similitudo quaedam analogiae, sicut inter potentiam et actum, et substantiam et accidens.

# 9. Quoique entre Dieu et la créature, il ne puisse pas y avoir ressemblance de genre ou d'espèce, il peut cependant y avoir une certaine ressemblance par analogie, comme entre la puissance et l'acte, la substance et l'accident.

 

Et hoc dicitur uno modo in quantum res creatae imitantur suo modo ideam divinae mentis, sicut artificiata formam quae est in mente artificis.

On le dit a) dans la mesure où les créatures imitent à leur manière l'idée qui est dans l'esprit[31] divin, comme l'oeuvre d'art imite la forme qui est dans l'esprit de l'artisan.

 

Alio modo secundum quod res creatae ipsi naturae divinae quodammodo similantur, prout a primo ente alia sunt entia, et a bono bona, et sic de aliis. Tamen haec obiectio non est ad propositum: quia supposito quod creaturae a Deo procedant mediante aliqua potentia creata, adhuc redibit eadem difficultas, qualiter scilicet illa prima natura creata esse possit a Deo, similitudine non existente.

b) Selon que les créatures ressemblent d'une certaine manière à la nature divine, selon que les autres étant viennent de l'étant premier, et les biens du Bien, etc.. Cependant cette objection ne concerne pas le sujet, parce que, supposé que les créatures procèdent de Dieu par l'intermédiaire d'une puissance créée, alors reviendra la même difficulté, c'est-à-dire comment cette première nature pourrait avoir été créée par Dieu, sans ressemblance.

 

q. 3 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod error iste expresse in libro de causis invenitur, quod creaturae inferiores creatae sunt a Deo superioribus mediantibus: unde in hoc auctoritas illius non est recipienda.

# 10. On trouve cette erreur expressément dans le Livre des Causes (prop. 10): à savoir que les créatures inférieures ont été créées par Dieu, par l'intermédiaire de créatures supérieures. C'est pourquoi en cela on ne doit pas accepter son autorité.

 

q. 3 a. 4 ad 11 Et similiter dicendum ad undecimum.

# 11. Il faut dire de même.

 

q. 3 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de anima, quae communicat corpori esse et speciem non per modum creantis, sed per modum formae.

# 12. En cet endroit, Augustin parle de l'âme, qui communique l'être et l'espèce au corps, non comme un créateur, mais à la manière d'une forme.

 

q. 3 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet Angelus non cognoscat res cognitione quae est a rebus accepta, non tamen oportet quod cognoscat tali cognitione quae sit causa rerum: est enim cognitio eius media inter duas cognitiones praedictas. Cognoscit enim res naturali cognitione, quae est per rerum similitudines in eius intellectum effluxas a divino intellectu; ut sic eius cognitio non sit ad rem quasi rerum causa, sed sit quaedam similitudo divinae cognitionis, quae res causat.

# 13. Bien que l'ange ne connaisse pas les choses par une connaissance reçue d'elles, cependant il ne faut pas qu'il connaisse d'une connaissance telle qu'elle serait leur cause, car sa connaissance est intermédiaire entre les deux connaissances dont on a parlé. Car il connaît d'une connaissance naturelle par les images des êtres infusées en son esprit par l'esprit divin; de sorte que sa connaissance n'irait pas à l'être comme cause des choses, mais serait une image de la connaissance divine qui cause les êtres

 

q. 3 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod in educendo res de potentia in actum multi gradus attendi possunt, in quantum aliquid potest educi de potentia magis vel minus remota in actum, et etiam facilius vel minus faciliter: unde non oportet, si virtus Angeli virtutem naturae materialis excedat, quod possit aliquid facere de puro non esse, natura educente aliquid de potentia in actum; sed quod hoc possit multo facilius quam natura; sicut etiam Augustinus dicit, quod Daemones seminibus naturae occultius et efficacius operantur quam nos operari sciamus.

# 14. Dans le passage de la puissance à l'acte on peut passer par de nombreux degrés, selon qu'une chose peut être menée d'une puissance plus ou moins éloignée à l'acte et même plus ou moins facilement; c'est pourquoi il ne faut pas, si le pouvoir de l'ange dépasse le pouvoir d'une nature matérielle, qu'il puisse faire quelque chose du pur non être, puisque la nature fait passer une chose de la puissance à l'acte, mais qu'il puisse le faire beaucoup plus facilement que la nature. Ainsi Augustin dit (La Trinité, III, 8 et 9), que les démons opèrent avec des semences naturelles de façon plus occulte et plus efficace que nous savons le faire.

 

q. 3 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod nulla est maior potentia quam potentia creandi: nec oportet quod potentia creantis ad hoc se extendat quod alicui creaturae potentiam creandi communicet, eo quod creaturae communicabilis nullo modo est. Quod enim aliquid fieri non possit, non solum provenit ex defectum potentiae facientis, sed quandoque ex ipsa factione rei, quae fieri non potest; sicut Deus non potest facere Deum, non propter defectum suae potentiae, sed quia Deus a nullo fieri potest; et similiter potentia creandi finita esse non potest, nec creaturae communicari, cum sit infinita.

# 15. Il n'y a aucune puissance plus grande que celle de créer. Et il ne faut pas que la puissance du créateur s'étende jusqu'à communiquer la puissance de créer à une autre créature parce qu'elle ne lui est en aucune manière communicable. Car ce qui ne pourrait pas être fait non seulement provient de la défaillance de la puissance de celui qui produit, mais quelquefois de la production de la chose elle-même qui ne peut pas être accomplie. Ainsi Dieu ne peut faire un Dieu, non à cause de la défaillance de sa puissance, mais parce Dieu ne peut être fait par personne, et de la même manière la puissance de créer ne peut être limitée ni communiquée aux créatures, puisqu'elle est infinie.

 

q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in actu potest attendi difficultas dupliciter:

# 16. Dans un acte on peut atteindre une difficulté de deux manières:

 

uno modo ex hoc quod patiens resistit contra agentem; et hoc non est in omnibus generale, sed solum in his quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in quibus agens patitur ex contraria actione patientis: et sic corpora caelestia, quae contrarium non habent agendo, non patiuntur difficultatem in agendo ex contraria actione patientis; multo minus Deus

a) D'une première manière, le patient résiste à l'agent et cela n'est pas général dans toutes les créatures, mais seulement en des êtres qui agissent avec réciprocité et se supportent l'une l'autre; en eux l'agent supporte par l'action contraire du "patient". Ainsi les corps célestes qui n'ont pas de contraire, n'éprouvent pas de difficulté en agissant du fait de l'action contraire d'un patient, et Dieu encore bien moins.

 

Alio modo, qui generalis est, secundum quod patiens elongatur ab actu. Quanto enim potentia magis ab actu elongata invenitur, tanto maior est difficultas in actione agentis. Unde cum magis elongetur ab actu purum non ens quam materia cuicumque contrario subiecta, quantumcumque intenso, manifestum est maioris esse virtutis producere aliquid de nihilo quam facere contrarium de contrario.

b) D'une autre manière, qui est générale, dans la mesure où le patient est éloigné de l'acte. Car plus une puissance se trouve éloignée de l'acte, plus grande est la difficulté pour l'action de l'agent. C'est pourquoi, comme le pur non étant est plus éloigné de l'acte que la matière soumise à quelque contraire, quelque intense qu'il soit, il est clair que c'est le fait d'un plus grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire d'un contraire.

 

q. 3 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in actu potest attendi difficultas dupliciter:

 

uno modo ex hoc quod patiens resistit contra agentem; et hoc non est in omnibus generale, sed solum in his quae mutuo agunt et patiuntur in invicem, in quibus agens patitur ex contraria actione patientis: et sic corpora caelestia, quae contrarium non habent agendo, non patiuntur difficultatem in agendo ex contraria actione patientis; multo minus Deus.

 

Alio modo, qui generalis est, secundum quod patiens elongatur ab actu. Quanto enim potentia magis ab actu elongata invenitur, tanto maior est difficultas in actione agentis. Unde cum magis elongetur ab actu purum non ens quam materia cuicumque contrario subiecta, quantumcumque intenso, manifestum est maioris esse virtutis producere aliquid de nihilo quam facere contrarium de contrario.

16. Dans un acte on peut rencontrer une difficulté de deux manières:

 

a) D'une première manière, le patient résiste à l'agent et cela n'est pas général dans toutes les créatures, mais seulement en des êtres qui agissent avec réciprocité et se supportent l'une l'autre; en eux l'agent supporte par l'action contraire du "patient". Ainsi les corps célestes qui n'ont pas de contraire, n'éprouvent pas de difficulté en agissant du fait de l'action contraire d'un patient, et Dieu encore bien moins.

 

b) D'une autre manière, qui est générale, dans la mesure où le patient est éloigné de l'acte. Car plus une puissance se trouve éloignée de l'acte, plus grande est la difficulté pour l'action de l'agent. C'est pourquoi, comme le pur non étant est plus éloigné de l'acte que la matière soumise à quelque contraire, quelque intense qu'il soit, il est clair que c'est le fait d'un plus grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire d'un contraire.

 

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[1] PARALL: Ia q. 45, a. 5 – q. 65, a. 3 – q. 90, a. 3 – CG., II, 2o, 21 – II Sent., d1q1a3 – IV, d5q1a3, ad 3 – De Verit.q. 5, a. 9 – Quodl., III, qu. 3, a.1 – Compend. Theol., c. 70 – Opusc. XV, De Angeli, c, 10 – Opusc. XXXVII, De quatuor opposit, c. 4. Autre référence donnée dans II Sent. D.1 a. 3. Eccl. hierarch.ch. V, § 4.

 

[2] Les chiffres entre parenthèse indique les trois termes du syllogisme. L'objecteur donne une preuve pour la deuxième.

 

[3] Métaphysique IV, 6, 1011 b 20. "Si donc il est impossible que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps..."

 

[4] "Dans le Verbe, lumière non crée mais engendrée, dans les anges, lumière créée, parce que formée à partir d'un état informe... ciel...créature constituée en son espèce propre." Augustin commente Dieu dit que la lumière soit...

 

[5] Reprise de l'objection 1 de Pot. 3, 1: la distance entre l'étant et le néant est infinie.

 

[6] Ni relations entre eux. Cf. Pot. qu. 7, a. 9, obj. 1.

 

[7] "Car en eux est cette lumière qui fut créée la première, si nous pensons qu'ils sont la lumière spirituelle créée le premier jour."

 

[8] a) "Il est donc manifeste que la forme non plus, ou quel que soit le nom qu'il faille donner à la configuration réalisée dans le sensible n'est pas soumise au devenir, que d'elle il n'y a pas de génération". 1033 b 5. Trad. J. tricot.– Thomas n°1423: "Les formes, en effet, ne se font pas à proprement parler, mais elles sortent de la puissance de la matière en tant que telle; ce qui est en puissance à la forme devient l'acte sous la forme, ce qui est faire un composé."

 

b) "Il résulte manifestement de ce que nous venons de dire que ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendré mais ce qui est engendré, c'est le composé de matière et de forme, lequel reçoit son nom de la forme."... 1033 b 16..

 

[9] "Il est manifeste que, dans certains cas, la génération est de même espèce que l'engendré." (Trad. J. Tricot).

 

[10] Proposition 19.Texte: 149: "Parmi les Intelligences, il y a celle qui est l'Intelligence divine, puisqu'elle reçoit des bontés premières qui procèdent de la cause première, par réception multiple".

 

"a) et parmi celles-ci il y a celle qui est Intelligence seulement puisqu'elle reçoit des Bontés premières que par l'intermédiaire de l'intelligence."

 

"b) Parmi les Âmes il y a celle qui est l'âme Celle qui est de l'âme intelligible parce qu'elle dépend de l'Intelligence, et celle qui est Âme seulement."

 

Thomas n° 353: "Donc ceux qui sont les plus haut dans l'ordre des esprits ou des intelligences dépendent par une participation plus parfaite de Dieu et participent plus de sa bonté et de sa causalité universelle et c'est pourquoi elle sont appelées des Esprit divins ou des Intelligences divines, comme Denys le dit (La hiérarchie céleste, VII, 2, Les Noms divins. V,8 n° 276, 656) que les anges les plus hauts sont comme placés dans le vestibule de la divinité."

 

Thomas n° 79 cite le texte 32: "La cause première créa l'être de l'âme par l'intermédiaire de l'Intelligence", et il ajoute: "certains [sans doute parmi eux Avicenne] qui ont mal compris, ont pensé que l'auteur de ce livre voulait que les Intelligences soient créatrices de la substance des âmes. (80) Mais cela est contre les positions platoniciennes car ils établissaient de telles causalités des êtres simples selon la participation." Il explique que les Platoniciens pensaient que ce qui est l'être même est cause de l'existence pour tous. "Ce qui est la vie est la cause de vie pour tous, ce qui est intelligence est cause d'intellection pour tous."

 

[11] Les intelligence secondes. Le livre des Causes, proposition X, § 98 "Les intelligences secondes jettent leurs regard sur la forme universelle qui est dans les intelligences universelles. Elles la divisent et la séparent puisqu'elles ne peuvent recevoir ces formes selon leur unité ou leur nécessité, que par la manière dont elles peuvent les recevoir, c'est-à-dire la séparation et la division." (Il s'agit de la transmission des formes dans les intelligences.) Thomas n° 353 § 2 "Les intelligences inférieures qui ne parviennent pas par à aussi parfaite ressemblance divine, sont intelligences seulement, sans dignité divine."

 

[12] Le Livre des Causes, Proposition 8.Texte 72: "Toute intelligence sait ce qui est au-dessus d'elle et sous elle. Mais cependant elle sait ce qui est sous elle, puisqu'elle en est la cause et elle sait ce qui est au-dessus d'elle puisqu'elle en reçoit des bontés."

 

[13] Augustin, L'immortalité de l'âme, XVI, 25: "Dans l'ordre naturel les êtres plus puissants livrent aux plus faibles la forme qu'ils ont reçue de la souveraine Beauté... Si ces êtres existent, c'est qu'une forme leur est livrée par les êtres plus puissants, grâce à quoi ils "sont"".(Trad. P. de Labriolle).

 

[14] Il s'agit de la génération.

 

[15] Cf. Pot. Qu. 3, a. 1. Obj. 3. (et sol. 3)

 

[16] Cf. Pot. qu. 1, a. 1, c

 

[17] Augustin, La Trinité, III, 8, 13: "On ne saurait donner raisonnablement le nom de créateurs à ces mauvais anges sous prétexte que, grâce à eux, les magiciens qui bravaient Moïse... fabriquèrent des grenouilles et des serpents. Ils n'en furent pas les créateurs Comme on n'appelle point nos parents créateurs d'homme...pareillement ne se permet-on pas de prendre les anges pour des créateurs, les mauvais anges, c'est évident, mais les bons non plus". (Trad. BA).

 

[18] La Genèse au sens littéral XII, 22: "Car la puissance du Créateur et la vertu du Tout-Puissant et du Tout-Tenant est la cause par laquelle subsiste toute créature. Si cette puissance cessait un instant de s'exercer dans les êtres créés, du même coup ceux-ci perdraient leur forme et toute nature s'abîmerait dans le néant . (Trad. P. Agaësse, et A. Solignac, BA. 5). Ia, qu. 104, a. 2. est aussi consacré à ce sujet. Cf. Pot. qu. 5.

 

[19] Prop. 10, n° 92: "a) "Toute intelligence est pleine de formes. Des intelligences, viennent celles qui contiennent les formes les plus universelles et de ces dernières viennent celles qui contiennent les formes les moins universelles." Voir prop. 3, 9, 16 (Cf. II Sent. D1qa1).

 

[20] L'opinion d'Avicenne: II Sent. d18q2a2. CG. II, 42, 10: ... l'opinion d'Avicenne qui dit que Dieu intelligence produit une seule intelligence première, dans lequel il y a puissance et acte, qui, dans la mesure où elle comprend Dieu produit une intelligence seconde. Dans la mesure où elle se comprend, selon qu'elle est en acte, elle produit l'âme du monde. Dans la mesure où elle est en puissance, elle produit la substance du premier ciel et ainsi procédant de là, elle constitue la diversité des êtres par la cause seconde.

 

[21] Cf. Ia, qu. 14, a. 8: "La science de Dieu est la cause des choses?"

 

[22] La position de Pierre Lombard: IV Sent. d5q3 Bonaventure. p. 356 § 1) "Dieu peut aussi créer quelque chose par quelqu'un non par lui en tant qu'auteur, mais en tant que ministre, avec lequel et en qui il opère, de même qu'il opère en nous dans nos bonnes oeuvres, et nous et pas lui seulement, pas nous seulement mais lui avec nous et en nous".

 

II sent. d1q4 c. (p. 22): Il présente aussi la position du Lombard, contrairement à Pot. 3, 4 et Ia, 45, 5, il est hésitant: "C'est pourquoi d'autres ont dit que la création ne convient à aucune créature et elle n'est pas communicable; de même que l'être d'une puissance infinie qu'exige l'oeuvre de création." "D'autres ont dit que la création n'a été communiquée à aucune créature, mais cependant pouvait être communiquée: ce que le Maître (des Sentences) affirme au livre IV, d.5."

 

"Chacune des deux dernières opinions semble avoir un point d'appui. Car, comme il est de la raison de la créature que rien ne lui préexiste, au moins selon l'ordre de la nature, on peut le prendre du côté du créateur ou de celui de la créature. Si c'est du côté du créateur, on dit qu'ainsi cette action est une création qui ne s'appuie pas sur l'action d'une cause qui précède. Et ainsi c'est seulement l'action de la cause première: parce que toute action de la cause seconde s'appuie sur l'action de la cause première. C'est pourquoi, de même que le fait d'être cause première ne peut être communiqué à aucune créature, ainsi le fait de créer ne peut lui être communiquée. Si on prend du côté de la créature, la création est proprement ce à quoi rien ne préexiste en réalité et c'est cela être. C'est pourquoi on dit au Livre des Causes (proposition 4) que la première des choses créées est l'être, et ailleurs dans le même livre (proposition 1), on dit que l'être est par création et les autres perfections ajoutées par mise en forme et dans les composés surtout cette être qui est de la première partie c'est-à-dire de la matière et de cette partie en recevant la création, elle a pu être communiquée aux créatures pour que par le pouvoir de la cause première qui opère en elle, soit produit une être simple ou la matière. Et de cette manière, les philosophes ont pensé que les intelligences créaient quoique cela soit hérétique."

 

[23] Comprendre sans un agent autre que Dieu, car dans le changement, il faut la matière et un agent.

 

[24] Entendre la matière (cause matérielle) et l'agent (cause efficiente).

 

[25] Cité en note dans le Sed contra 3.

 

[26] Il s'agit des vertus séminales...

 

[27] Le Livre des causes prop. 3, n° 32: "Parce que la cause première a causé l'être de l'Âme par l'intermédiaire de l'Intelligence".Il s'agit aussi d'Avicenne: De substantiis separatis, ch. 10: "C'est la position d'Avicenne qui semble l'avoir tirée du livre des Causes".

 

[28] Proposition 20 (n° 155): "La cause première régit tout ce qui est créé sauf ce qui lui est mêlé". Voit Thomas, nn° 359-360.

 

[29] Krempel, La doctrine de la relation chez saint Thomas, Paris 1952 p. 104, Cf. qu. 7, a. 9. Avicenne le dit (Métaphysique, IV, 10)

 

[30] II Sent. d1a1q1a3, sol. 1: "Bien que les choses inférieures soient ramenés à leur fin ultime par des intermédiaires, jamais cependant l'influence de la fin dernière n'est communiquée à l'un des intermédiaires de sorte naturellement qu'il soit le désiré ultime et ainsi jamais l'influence du premier agent qui est création ne peut être communiquée à l'un des seconds principes."

 

[31] L'emploi de mens est à remarquer.

 

Article 5: Est-il possible que quelque chose ne soit pas créé par Dieu?

q. 3 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum possit esse aliquid quod non sit a Deo creatum. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections

q. 3 a. 5 arg. 1 Cum enim causa sit potentior effectu, illud quod est possibile nostro intellectui, qui a rebus notitiam sumit, videtur magis esse possibile in natura. Sed intellectus noster potest aliquid intelligere non intelligendo illud esse a Deo, cum causa efficiens non sit de natura rei, et sic sine ea res intelligi possit. Ergo multo magis in rerum natura potest aliquid esse quod non sit a Deo.

1. En effet, comme la cause est plus puissante que l'effet; ce qui est possible pour notre esprit, qui tire sa connaissance de la réalité, semble être encore plus possible dans la nature. Mais notre esprit peut comprendre quelque chose sans comprendre que cela vient de Dieu, puisque la cause efficiente ne fait pas partie de la nature de la chose et ainsi on peut la comprendre sans elle. Donc à plus forte raison, il peut exister dans la nature un être qui ne viendrait pas de Dieu.

q. 3 a. 5 arg. 2 Praeterea, omnia quae a Deo sunt facta dicuntur esse Dei creaturae. Creatio autem terminatur ad esse: prima enim rerum creatarum est esse, ut habetur in Lib. de causis. Cum ergo quidditas rei sit praeter esse ipsius, videtur quod quidditas rei non sit a Deo.

2. Tout ce qui a été fait par Dieu est appelé créature de Dieu. Mais la création se termine à l'être. Car la première des choses créées est l'être[2], comme on le dit dans le Livre des Causes (prop. 4). Donc comme la quiddité[3] est en plus de son être, elle ne semble pas venir de Dieu.

q. 3 a. 5 arg. 3 Praeterea, omnis actio terminatur ad aliquem actum, sicut et procedit ab aliquo actu: nam omne agens agit in quantum actu est, et omne agens agit sibi simile in natura. Sed materia prima est pura potentia. Ergo actio creantis ad ipsam terminari non potest; et ita non omnia sunt a Deo creata.

3. Toute action se termine à l'acte, de même qu'elle procède de l'acte: car tout agent agit en tant qu'il est en acte et fait du semblable à lui dans la nature. Mais la matière première est pure puissance. Donc l'action du créateur ne peut pas se terminer à elle, et ainsi tout n'est pas créé par Dieu.

En sens contraire:

q. 3 a. 5 s. c. Sed contra. Est quod dicitur Rom. XI, 36: ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia.

Il est dit en Rm. 11, 36: "Tout est de lui, par lui et en lui."

Réponse:

q. 3 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum ordinem cognitionis humanae processerunt antiqui in consideratione naturae rerum. Unde cum cognitio humana a sensu incipiens in intellectum perveniat priores philosophi circa sensibilia fuerunt occupati, et ex his paulatim in intelligibilia pervenerunt. Et quia accidentales formae sunt secundum se sensibiles, non autem substantiales, ideo primi philosophi omnes formas accidentia esse dixerunt, et solam materiam esse substantiam. Et quia substantia sufficit ad hoc quod sit accidentium causa, quae ex principiis substantiae causantur, inde est quod primi philosophi, praeter materiam, nullam aliam causam posuerunt; sed ex ea causari dicebant omnia quae in rebus sensibilibus provenire videntur; unde ponere cogebantur materiae causam non esse, et negare totaliter causam efficientem.

Les anciens[4] ont progressé dans la considération de la nature des choses selon l'ordre de la connaissance humaine. Ainsi, comme la connaissance chez l'homme parvient à l'esprit en commençant par les sens, les premiers philosophes se sont occupés du sensible et de là, peu à peu, en sont venus aux intelligibles. Et parce que les formes accidentelles sont du domaine du sensible en soi, mais non les formes substantielles, les premiers philosophes ont dit que toutes les formes étaient des accidents, et que seule la matière était une substance. Et parce que la substance suffit pour être la cause des accidents qui sont causés à partir de ses principes, les premiers philosophes n'ont établi aucune autre cause, en dehors de la matière, mais ils disaient que c'est d'elle qu'était causé tout ce qui semblait naître dans les choses sensibles; c'est pourquoi ils étaient forcés de penser qu'il n'y avait pas de cause pour la matière et forcés de nier totalement la cause efficiente.

Posteriores vero philosophi, substantiales formas aliquatenus considerare coeperunt; non tamen pervenerunt ad cognitionem universalium, sed tota eorum intentio circa formas speciales versabatur: et ideo posuerunt quidam aliquas causas agentes, non tamen quae universaliter rebus esse conferrent, sed quae ad hanc vel ad illam formam, materiam permutarent; sicut intellectum et amicitiam et litem, quorum actionem ponebant in segregando et congregando; et ideo etiam secundum ipsos non omnia entia a causa efficiente procedebant, sed materia actioni causae agentis praesupponebatur.

Les philosophes suivants commencèrent à considérer jusqu'à un certain point les formes substantielles. Ils ne parvinrent pas cependant à la connaissance de l'universel mais toute leur pensée était occupée avec les formes spéciales; et c'est pourquoi certains établirent des causes efficientes, non cependant pour conférer universellement l'être aux créatures, mais pour modifier la matière en une forme ou en une autre; comme l'intelligence, l'amitié et le procès dont ils établissaient qu'ils agissaient par répulsion et attraction; et c'est pourquoi, même selon eux, tous les êtres ne procédaient pas d'une cause efficiente, mais la matière était présupposée à l'action de cette cause efficiente.

Posteriores vero philosophi, ut Plato, Aristoteles et eorum sequaces, pervenerunt ad considerationem ipsius esse universalis; et ideo ipsi soli posuerunt aliquam universalem causam rerum, a qua omnia alia in esse prodirent, ut patet per Augustinum.

Les philosophes suivants, comme Platon, Aristote et leurs disciples, parvinrent à considérer l'être universel même et c'est pourquoi eux seuls ont établi une cause universelle des choses par laquelle toutes les autres créatures parviennent à l'être, comme le montre Augustin (La Cité de Dieu, VIII, 4).

Cui quidem sententiae etiam Catholica fides consentit. Et hoc triplici ratione demonstrari potest: quarum prima est haec.

La foi catholique est d'accord avec cette opinion. Et on peut le démontrer par trois raisons:

Oportet enim, si aliquid unum communiter in pluribus invenitur, quod ab aliqua una causa in illis causetur; non enim potest esse quod illud commune utrique ex se ipso conveniat, cum utrumque, secundum quod ipsum est, ab altero distinguatur; et diversitas causarum diversos effectus producit. Cum ergo esse inveniatur omnibus rebus commune, quae secundum illud quod sunt, ad invicem distinctae sunt, oportet quod de necessitate eis non ex se ipsis, sed ab aliqua una causa esse attribuatur. Et ista videtur ratio Platonis, qui voluit, quod ante omnem multitudinem esset aliqua unitas non solum in numeris, sed etiam in rerum naturis.

1. Si on trouve quelque chose de commun à plusieurs êtres, il faut que cela soit causé en eux par une cause unique[5]. Car il n'est pas possible que ce qui est commun à l'un et à l'autre vienne d'eux-mêmes, en tant que tels puisque l'un est distingué de l'autre; et la diversité des causes produit des effets divers. Comme il se trouve que l'être est commun à toutes les créatures, qui selon ce qu'elles sont, sont distinctes les unes des autres, il faut que nécessairement l'être leur soit attribué non par elles-mêmes mais par une cause unique. Et cela paraît être le raisonnement de Platon qui voulut qu'avant toute multiplicité, il y eut l'unité non seulement dans les nombres, mais encore dans la nature des choses .

Secunda ratio est, quia, cum aliquid invenitur a pluribus diversimode participatum oportet quod ab eo in quo perfectissime invenitur, attribuatur omnibus illis in quibus imperfectius invenitur. Nam ea quae positive secundum magis et minus dicuntur, hoc habent ex accessu remotiori vel propinquiori ad aliquid unum: si enim unicuique eorum ex se ipso illud conveniret, non esset ratio cur perfectius in uno quam in alio inveniretur; sicut videmus quod ignis, qui est in fine caliditatis, est caloris principium in omnibus calidis. Est autem ponere unum ens, quod est perfectissimum et verissimum ens: quod ex hoc probatur, quia est aliquid movens omnino immobile et perfectissimum, ut a philosophis est probatum. Oportet ergo quod omnia alia minus perfecta ab ipso esse recipiant. Et haec est probatio philosophi.

2. Quand une chose se trouve participée de diverses manières par plusieurs, il faut que ce soit à partir du plus parfait où on la trouve qu'on l'attribue à tout ce qui se trouve moins parfait. Car ces êtres qu'on désigne positivement selon la plus ou le moins, le possède d'une source plus éloignée ou plus proche pour un effet unique; car si cela convenait de soi à chacun d'eux, il n'y aurait pas de raison pour qu'on le trouve plus parfait dans l'un que dans l'autre. Ainsi nous voyons que le feu qui a pour but l'échauffement est principe de la chaleur dans les corps chauds. Il faut établir un être unique qui est absolument parfait et absolument vrai, ce qui est prouvé par le fait qu'il est un moteur, absolument immobile et absolument parfait, comme le prouvent les philosophes. Il faut donc que tous les autres êtres qui sont moins parfaits reçoivent de lui leur existence. C'est la preuve du philosophe (Métaphysique, II, 1, 993 b 23[6]).

Tertia ratio est, quia illud quod est per alterum, reducitur sicut in causam ad illud quod est per se. Unde si esset unus calor per se existens, oporteret ipsum esse causam omnium calidorum, quae per modum participationis calorem habent. Est autem ponere aliquod ens quod est ipsum suum esse: quod ex hoc probatur, quia oportet esse aliquod primum ens quod sit actus purus, in quo nulla sit compositio. Unde oportet quod ab uno illo ente omnia alia sint, quaecumque non sunt suum esse, sed habent esse per modum participationis. Haec est ratio Avicennae.

3. Ce qui existe par un autre est ramené comme à sa cause à ce qui est par soi. C'est pourquoi, s'il y avait une seule chaleur existant par soi, il faudrait qu'elle soit la cause de tout ce qui est chaud, qui aurait la chaleur par mode de participation. Mais c'est établir un étant qui est son être propre. On le prouve par le fait qu'il faut qu'il y ait un étant premier qui soit acte pur, en qui n'entre aucune composition. C'est pourquoi, il faut que tous les autres qui ne sont pas leur être mais qui ont l'être par participation existent à partir d'un étant unique. C'est le raisonnement d'Avicenne (Métaphysique VIII, ch. 7 et IX, ch. 4[7]).

Sic ergo ratione demonstratur et fide tenetur quod omnia sint a Deo creata.

Ainsi on démontre par la raison[8] et on tient par la foi que tout a été créé par Dieu.

Solutions:

q. 3 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet causa prima, quae Deus est, non intret essentiam rerum creatarum; tamen esse, quod rebus creatis inest, non potest intelligi nisi ut deductum ab esse divino; sicut nec proprius effectus potest intelligi nisi ut deductus a causa propria.

# 1. Bien que la cause première, qui est Dieu, n'entre pas dans l'essence des créatures, cependant l'être qui est en elles ne peut être compris que découlant de l'être divin; de même que l'effet le plus proche ne peut être compris que déduit de sa propre cause[9] .

q. 3 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod quidditati esse attribuitur, non solum esse, sed ipsa quidditas creari dicitur: quia antequam esse habeat, nihil est, nisi forte in intellectu creantis, ubi non est creatura, sed creatrix essentia.

# 2. Du fait que l'être est attribué à la quiddité, on dit que non seulement l'être mais la quiddité elle-même est créée car avant d'avoir l'être, elle n'est rien, sinon peut-être dans l'esprit du Créateur où elle n'est pas créature, mais essence créatrice .

q. 3 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa probat, quod materia prima per se non creatur; sed ex hoc non sequitur quod non creetur sub forma; sic enim habet esse in actu.

# 3. Cette raison prouve que la matière première n'est pas créée par soi, mais il n'en découle pas qu'elle ne soit pas crée sous une forme, car c'est ainsi qu'elle a l'être en acte.

 


[1] Parall.: Ia, qu. 44, a. 1-2 – Ia, qu. 65, 1 – CG. II, 15 – II Sent. d1q1a2 - I Sent. d39q1a2 – Compendium. ch. 68, Opus. XV, De angelis, ch. 9 – Les noms divins, ch. 5, 1. – Vernier p. 150 Æ.

[2] Proposition 4: "La première des choses créées est l'être et avant il n'y a rien de créé".

[3] La quiddité exprime l'essence ou la définition d'une chose.

[4] Cette histoire de l'élaboration du concept de cause efficiente, en grande partie inspiré par Aristote est repris en plusieurs endroits de son oeuvre par Thomas: Ia, qu. 44, a. 2; CG. II, 16; De subst. separ. Voir B. Decossas, Les exigences de la causalité créatrice, RThom II, 94, p. 242 et notes. Rép. 1

[5] Appel au principe premier de la participation: "Si quelque chose se trouve en un étant par participation, il est nécessaire qu'il ait été créé par celui à qui convient l'essence", “principe évident par lui-même pour ceux qui sont capables de le comprendre.” J.-H. Nicolas, Synthèse dogmatique, p. 21. Cf. Ia, qu. 44, a. 1 c.

[6] Métaphysique 10. "La chose qui, parmi les autres, possède éminemment une nature est toujours celle dont les autres choses contiennent en commun cette nature..." Thomas, lect. 2, n° 290 - 298 . Repris en Ia, q. 44, a. 1: “Ce qui est l'être et la vérité absolue est cause de tout être et de toute vérité. Comme ce qui est chaud au maximum est cause de toute chaleur”. (Ce dernier membre de phrase ne serait plus accepté aujourd'hui. Il a valeur démonstrative, selon les lois de la physique de l'époque. Cf. De causis, 340.

[7] Repris en Ia, q. 44, a. 1 resp. Cf. Parménide 164 c -165 e-. J.-M. Vernier, Théologie et métaphysique de la Création, p. 159. 2me argument du De Pot. causalité dépendance de l'imparfait vis-à-vis du parfait. Cf. II CG. 15, § 2.

[8] Thomas démontre par la métaphysique, "par la raison", la création. Il le fait aussi en II Sent. d1q1a2, mais il apporte une restriction à cette démonstration.

[9] Parce qu'une créature est un être par participation, il en découle qu'elle est causée par un autre. Donc un étant de ce genre ne peut exister que s'il est causé; de même qu'il n'y a pas d'homme qui ne soit doué du rire. Mais parce que avoir une cause ne fait pas partie de la définition de l'être dans l'absolu, on trouve un être qui n'est pas causé. Cf. Ia, q. 44, a. 1.

 

Article 6: N'y a-t-il qu'un seul principe de création?

 

q. 3 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum sit unum tantum creationis principium. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

 

Objections:

q. 3 a. 6 arg. 1 Dicit enim Dionysius: non est causa mali bonum. Aliquod autem malum est in mundo. Aut ergo est causatum ab aliqua causa quae non est bonum; aut nullo modo est causatum, sed est causa prima; et utrolibet modo oportet ponere plura creationis principia: nam constat primum principium creationis bonorum esse bonum.

1. Car Denys dit (Les noms divins, ch. 4, 14): "Le bien n'est pas la cause du mal[2]". Mais il y a du mal dans le monde. Donc, ou il a une cause qui n'est pas le bien, ou alors il n'est causé en aucune manière, mais il est la cause première; et des deux manières, il faut poser plusieurs principes de création; car il est clair que le premier principe de création des biens est le bien.

 

q. 3 a. 6 arg. 2 Sed diceretur, quod bonum non est causa mali per se, sed per accidens.- Sed contra, omnis effectus qui est alicuius causae per accidens, est alterius causae per se; cum omne per accidens ad per se reducatur. Si ergo malum est effectus boni per accidens, erit per se effectus alicuius alterius; et sic idem quod prius.

2. Mais on pourrait dire que le bien n'est pas la cause du mal par soi, mais par accident. – En sens contraire, tout effet qui dépend d'une cause par accident vient d'une autre cause par soi; puisque tout ce qui est par accident est ramené au par soi. Si donc le mal est l'effet du bien par accident, il sera l'effet par soi de quelque chose d'autre, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 6 arg. 3 Praeterea, effectus causae per accidens, accidit praeter intentionem causae, et non fit. Si ergo bonum est causa mali per accidens, sequeretur quod malum non sit factum. Sed nihil est non creatum nisi creationis principium, ut supra, art. praeced., ostensum est. Ergo malum est creationis principium.

 

3. L'effet de la cause par accident arrive au-delà de l'intention de la cause et il ne se fait pas. Donc si le bien est la cause du mal par accident, il en découlerait que le mal ne serait pas fait. Mais il n'y a rien qui ne soit créé sinon le principe de création[3], comme on l'a montré ci-dessus, à l'article précédant. Donc le mal est un principe de création.

 

q. 3 a. 6 arg. 4 Praeterea, nullum nocumentum accidit in effectu praeter intentionem agentis, nisi vel propter ignorantiam agentis qui non providet, vel propter impotentiam quam vitare non potest. Sed in Deo, qui est creator boni, non est neque impotentia neque ignorantia. Ergo malum, quod nocivum est, Dei effectibus non potest praeter intentionem provenire. Nam Augustinus dicit, quod ideo dicitur malum, quia nocet.

4. Aucun dommage n'arrive dans l'effet au-delà de l'intention de l'agent, sinon à cause de l'ignorance de l'agent qui ne le prévoit pas, ou à cause d'une impuissance qu'il ne peut pas éviter. Mais en Dieu qui est le créateur du bien, il n'y a ni impuissance, ni ignorance. Donc le mal, qui est nuisible, ne peut pas provenir par des effets qui dépendent de Dieu au-delà de son intention. Car Augustin dit (Enchiridion III, 11) qu'on l'appelle mal parce qu'il nuit.

 

q. 3 a. 6 arg. 5 Praeterea, quod est per accidens est ut in paucioribus, ut habetur in II Physic. Malum autem est ut in pluribus, ut habetur in II Topic. Ergo malum non est ab aliqua causa per accidens.

 

5. Ce qui est par accident, est, pour ainsi dire, dans le plus petit nombre, comme on le voit en Physique, II, 5, 196 b 10[4]. Mais le mal est dans le plus grand nombre, comme on le lit dans les Topiques (II, 6, 112 b 10[5] ). Donc le mal ne vient pas d'une cause par accident.

 

q. 3 a. 6 arg. 6 Praeterea, malum, secundum Augustinum, non habet causam efficientem sed deficientem. Sed causa per accidens est causa efficiens. Ergo bonum non est causa mali per accidens.

6. Le mal, selon Augustin (Cité de Dieu, XII, 7) n'a pas une cause efficiente, mais déficiente. Mais la cause par accident est une cause efficiente. Donc le bien n'est pas cause du mal par accident.

 

q. 3 a. 6 arg. 7 Praeterea, quod non est, non habet causam; quia quod non est, neque causa neque causatum est. Sed malum nihil est, secundum Augustinum. Ergo malum non habet aliquam causam nec per se nec per accidens. Falsum est ergo quod dicebatur, quod bonum est causa mali per accidens.

7. Ce qui n'existe pas n'a pas de cause, parce que ce qui n'existe pas n'est ni cause ni causé. Mais le mal n'est rien, selon Augustin (Sur Jean. Tract. 1). Donc le mal n'a de cause ni par soi, ni par accident. Donc dire que le bien est la cause du mal par accident, est faux.

 

q. 3 a. 6 arg. 8 Praeterea, secundum philosophum, illud cui aliquid inest per prius, est causa omnium in quibus illud per posterius invenitur: sicut ignis est causa caloris in omnibus calidis. Sed malitia per prius fuit in Diabolo. Ergo ipse est causa malitiae in omnibus malis; et sic est unum principium omnium malorum, sicut et bonorum.

 

8. Selon le philosophe (Métaphysique II, 1, 993 b 23[6]), ce en quoi quelque chose est d'abord, est cause de tout ce en quoi on le trouve ensuite; ainsi le feu est cause de la chaleur dans tout ce qui est chaud. Mais la malice fut d'abord dans le diable. Donc lui-même est cause de la malice dans tous les maux et ainsi il y a un principe de tous les maux comme il y en a un de tous les biens.

 

q. 3 a. 6 arg. 9 Praeterea, secundum Dionysium, bonum contingit uno modo: sed malum omnifariam. Malum ergo propinquius est ad esse quam bonum. Si ergo bonum est natura aliqua indigens creatore, et malum etiam indigebit creatore; et sic idem quod prius.

9. Selon Denys (Les noms divins, ch. IV, 22[7]), le bien arrive d'une seule manière, le mal de toutes les manières. Donc le mal est plus proche de l'être que le bien. Donc si le bien est une nature qui a besoin d'un créateur, le mal aussi en aura besoin et ainsi de même que plus haut.

 

q. 3 a. 6 arg. 10 Praeterea, quod non est non potest esse genus nec species. Sed malum ponitur genus. Dicitur enim in praedicamentis, quod bonum et malum non sunt in genere, sed sunt genera aliorum. Ergo malum est ens: et sic indiget aliquo creante: unde cum non creetur a bono, videtur quod oporteat aliquod malum ponere creationis principium.

 

10. Cequi n'est pas ne peut pas être un genre ni une espèce. Mais le mal est considéré comme un genre. Car on dit dans les Catégories (11, les contraire 14 a 24) que le bien et le mal ne sont pas dans un genre, mais sont les genres des autres. Donc le mal est un étant, et ainsi il a besoin d'un créateur; c'est pourquoi comme il n'est pas créé par le bien, il semble qu'il faille considérer un mal comme principe de création.

 

q. 3 a. 6 arg. 11 Praeterea, utrumque contrariorum est natura aliqua positive: contraria enim sunt in eodem genere. Quod autem non est, non potest esse in genere. Sed bonum et malum sunt contraria. Ergo est natura aliqua; et sic idem quod prius.

11. L'un et l'autre des contraires sont positivement une certaine nature; car les contraires sont dans un même genre. Ce qui n'existe pas ne peut pas être dans un genre. Mais le bien et le mal sont des contraires. Donc c'est une nature et ainsi de même que plus haut.

 

q. 3 a. 6 arg. 12 Praeterea, differentiae constitutivae speciei significant naturam aliquam; unde uno modo natura est unumquodque informans specifica differentia, ut Boetius dicit. Sed malum est differentia constitutiva speciei alicuius: bonum enim et malum sunt differentiae habituum. Ergo malum est natura aliqua; et sic idem quod prius.

 

12. Les différences constitutives de l'espèce indiquent une certaine nature; c'est pourquoi d'une manière la nature est une différence spécifique qui donne forme à chaque chose, comme Boèce le dit (Les deux natures, 1[8]). Mais le mal est la différence constitutive d'une espèce; car le bien et le mal sont des différences de manière d'être. Donc le mal est une nature et ainsi de même que plus haut.

 

q. 3 a. 6 arg. 13 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15: contra malum bonum est, et contra vitam mors, sic et contra virum iustum peccator. Si ergo est unum creationis principium bonum, oportet esse aliud malum quod sit ei contrarium.

13. En Eccl[9] 33, 15, on lit: "Le bien est contre le mal, la mort contre la vie, et ainsi le pécheur contre le juste". Donc s'il y a un bon principe de création, il faut qu'il en ait un autre mauvais qui lui est contraire.

 

q. 3 a. 6 arg. 14 Praeterea, intentio et remissio dicuntur per respectum ad aliquem terminum. Sed invenitur aliquid esse alio peius. Ergo oportet inveniri aliquid quod sit pessimum, in quo sit malorum terminus: et illud oportet esse principium omnium malorum, sicut summum bonum est principium bonorum.

14. On parle d'intensité et de diminution par rapport à un terme. Mais on trouve une chose plus mauvaise qu'une autre. Donc, il faut trouver quelque chose qui soit très mauvais en qui est le terme des maux; et il faut que cela soit le principe de tous les maux, comme le bien suprême est le principe des biens.

 

q. 3 a. 6 arg. 15 Praeterea, Matth. VII, 18, dicitur: non potest arbor bona fructus malos facere. Aliquid autem invenitur esse malum in mundo. Ergo non potest esse fructus, id est effectus, causae bonae, quae per arborem bonam significatur; et sic oportet quod omnium malorum sit causa aliquod primum malum.

15. En Matthieu (8, 18) on lit: "Le bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits". Mais on trouve qu'il y a du mal dans le monde. Donc ce ne peut pas être le fruit, c'est-à-dire l'effet d'une bonne cause qui est signifiée par l'arbre bon, et ainsi il faut que la cause de tous les maux soit quelque mal premier.

 

q. 3 a. 6 arg. 16 Praeterea, Genes. I, 2, dicitur quod in principio creationis rerum erant tenebrae super faciem abyssi. Sed a bono, quod habet naturam lucis, non potest esse creatio tenebrarum. Ergo creatio quae ibi describitur, non est a bono principio, sed a malo.

16. En Genèse 1, 2, on dit que, au commencement de la création, il y avait les ténèbres sur la surface de l'abîme. Mais à partir du bien, qui a la nature de la lumière, il ne peut y avoir création de ténèbres. Donc la création qui est ici décrite, ne vient pas du principe du bien mais de celui du mal.

 

q. 3 a. 6 arg. 17 Praeterea, omne quod exit ab aliquo, attestatur ei a quo exit, in quantum est ei simile. Sed malum nullo modo attestatur Deo, nec habet in ipso aliquam similitudinem. Ergo non potest esse ab ipso, sed ab alio principio.

17. Tout ce qui sort de quelque chose atteste ce dont il sort, dans la mesure où il lui est semblable. Mais le mal n'atteste Dieu en aucune manière, et il n'a pas de ressemblance avec lui. Donc il ne peut venir de lui, mais il vient d'un autre principe.

 

q. 3 a. 6 arg. 18 Praeterea, nihil exit ab aliquo, nisi quod est in ipso in potentia. Sed malum non est in Deo nec in actu nec in potentia. Ergo non est a Deo; et sic idem quod prius.

18. Rien ne sort de quelque chose qu'il n'y soit en puissance. Mais le mal n'est en Dieu, ni en acte, ni en puissance. Donc il ne vient pas de Dieu et ainsi c'est pareil que plus haut.

 

q. 3 a. 6 arg. 19 Praeterea, sicut generatio est motus naturalis, ita et corruptio. Sed corruptio terminatur ad privationem, sicut generatio ad formam. Ergo sicut forma inducitur ex intentione naturae, ita et privatio: et sic oportet quod malum, quod est privatio, habeat aliquam causam agentem per se, sicut et forma.

19. La génération est un mouvement naturel, la corruption aussi. Mais la corruption se termine à la privation, comme la génération à la forme. Donc la forme est induite par l'intention de la nature, de même la privation, et ainsi il faut que le mal, qui est privation, ait une cause agente par soi, comme la forme.

 

q. 3 a. 6 arg. 20 Praeterea, omne agens, agit ex praesuppositione primi agentis. Sed liberum arbitrium, cum peccat, non agit ex praesuppositione divinae actionis: nam aliquod peccatum est, sicut fornicatio vel adulterium, quod non potest a sua deformitate separari, quae non potest esse a Deo. Ergo oportet quod liberum arbitrium sit primum agens, vel quod reducatur ad aliquod aliud primum agens quam Deum.

20. Tout agent agit et présuppose un premier agent. Mais quand le libre arbitre pèche, il n'agit pas avec la présupposition de l'action divine, car un péché, comme la fornication ou l'adultère, ne peut pas être séparé de sa difformité, qui ne peut pas venir de Dieu. Donc il faut que le libre arbitre soit le premier agent, ou qu'il soit ramené à un premier agent autre que Dieu.

 

q. 3 a. 6 arg. 21 Sed diceretur, quod substantia actus peccati est a Deo, non autem deformitas.- Sed contra est quod Commentator dicit: impossibile est unius agentis actionem terminari ad materiam, et alterius ad formam. Sed deformitas est quasi forma actus peccati. Ergo non potest esse deformitas peccati ab uno auctore, et substantia ab alio.

 

21. Mais on pourrait dire que la nature du péché vient de Dieu, mais pas la difformité. En sens contraire le commentateur (Métaphysique VII, 28) dit: "Il est impossible que l'acte d'un seul agent se termine à la matière et celle d'un autre à la forme". Mais la difformité est pour ainsi dire la forme de l'acte du péché. Donc sa difformité ne peut pas venir d'un auteur et sa nature d'un autre.

 

q. 3 a. 6 arg. 22 Praeterea, ab uno simplici non procedit nisi simplex. Sed Deus est omnino simplex. Ergo huiusmodi composita non sunt ab ipso, sed ab alio auctore.

22. D'une chose simple ne peut procéder que du simple. Mais Dieu est tout à fait simple. Donc les composés de ce genre ne viennent pas de lui mais d'un autre créateur.

 

q. 3 a. 6 arg. 23 Praeterea, macula aliquid ponit in anima: si enim esset gratiae privatio solum, tunc per quodlibet peccatum mortale homo haberet maculam omnium peccatorum. Sed macula peccati non est a Deo, cum Deus non sit illius rei auctor cuius est ultor, secundum Fulgentium, et cum non sit ab aeterno, oportet quod habeat causam. Ergo oportet reducere in aliquam causam primam, quae non est Deus.

23. Une souillure laisse une trace dans l'âme: car si elle était privation de la grâce seulement, alors par n'importe quel péché mortel, l'homme aurait la souillure de tous les péchés. Mais la souillure du péché ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'en est pas l'auteur, mais le vengeur, selon Fulgence (liv. 1 à Monime) et comme elle n'est pas éternelle, il faut qu'elle ait une cause. Donc il faut la ramener à une cause première qui n'est pas Dieu.

 

q. 3 a. 6 arg. 24 Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur: didici quod omnia opera quae fecit Deus, perseverant in aeternum. Haec autem corruptibilia in aeternum non perseverant. Ergo non sunt opera Dei, sed oportet ea reducere in aliud principium.

24. En Eccl. (Qo) 3, 14, on lit:"J'ai appris que toutes les oeuvres que Dieu a faites, demeurent éternellement". Mais ce qui est corruptible ne demeure pas éternellement. Donc elles ne sont pas les oeuvres de Dieu, mais il faut les ramener à un autre principe.

 

q. 3 a. 6 arg. 25 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed huiusmodi corpora corruptibilia non sunt Deo similia: nam Deus spiritus est, ut habetur Ioan. IV 24. Ergo huiusmodi corruptibilia non sunt a Deo; et sic idem quod prius.

25. Tout agent fait du semblable à lui, Mais les corps corruptibles de ce genre ne sont pas semblables à Dieu, car "Dieu est esprit", comme on le lit en Jn 4, 24. Donc les corruptibles de ce genre ne viennent pas de Dieu, et ainsi c'est pareil que plus haut.

 

q. 3 a. 6 arg. 26 Praeterea, natura semper fecit quod melius est, secundum philosophum et hoc ex bonitate naturae provenit. Sed bonitas Dei est perfectior quam naturae. Ergo Deus facit aliquid quanto melius potest. Sed meliora sunt spiritualia corporalibus. Ergo corporalia non facit Deus; quia si fecisset Deus ea, dedisset eis spiritualem bonitatem; et sic relinquitur quod oportet ponere plura creationis principia.

 

26. La nature a toujours fait le meilleur, selon le philosophe (Du ciel, 2, texte 34) et cela provient de la bonté de la nature. Mais la bonté de Dieu est plus parfaite que celle de la nature. Donc Dieu fait quelque chose du mieux qu'il peut. Mais les êtres spirituels sont meilleurs que les êtres corporels. Donc Dieu ne les a pas faits, parce que, s'il les avait faits, il leur aurait donné la bonté spirituelle et ainsi il en découle qu'il faut établir plusieurs principes de création.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod habetur Isai. XLV, vers. 6: ego dominus, et non est alter Deus, formans lucem et creans tenebras, faciens pacem et creans malum; ego dominus faciens omnia haec.

1. On lit en Isaïe 45, 10: "Je suis le Seigneur, et il n'y a pas d'autre Dieu; je forme la lumière, je crée les ténèbres, je fais la paix et je crée le malheur; je suis le Seigneur qui fait tout cela[10]."

 

q. 3 a. 6 s. c. 2 Praeterea, malum non radicatur nisi in natura boni, ut manifestat Dionysius. Hoc autem non esset, si malum haberet contrarium creationis principium ei qui creat bona: alias principium malorum esset potentius quam principium bonorum, ex quo in ipsis bonis effectum suum induceret. Ergo malum non est ab aliquo alio creationis principio quam bonum.

2. Le mal ne prend racine que dans la nature du bien, comme le montre Denys (Les noms divins, ch. 4[11]). Mais cela n'arriverait pas si le mal avait un principe de création contraire à celui qui crée les biens, autrement le principe des maux serait plus puissant que le principe des biens, de là, il produirait son effet dans les biens même. Donc le mal ne vient pas d'un autre principe de création que le bien.

 

q. 3 a. 6 s. c. 3 Praeterea, philosophus probat, esse unum primum motorem. Hoc autem non esset, si essent diversa creationis principia prima: nam unum principium non gubernaret nec moveret creaturas alterius principii sibi contrarii. Non est ergo nisi unum tantum creationis principium.

 

3. Le philosophe prouve (Physique VIII, 5, 256 a 13 ss.[12]) qu'il y a un seul premier moteur. Mais cela ne serait pas s'il y avait différents principes premiers de création: car un seul principe ne gouvernerait ni me mettrait en mouvement les créatures d'un autre principe qui lui serait contraire. Donc il n'y qu'un seul principe de création.

 

Réponse:

q. 3 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dictum est, antiqui philosophi specialia principia tantum naturae considerantes, ex consideratione materiae in hunc errorem devenerunt, quod non omnia naturalia creata esse credebant: ita quod ex consideratione contrariorum, quae cum materia ponuntur principia in natura, devenerunt in hoc ut rerum duo prima principia constituerent: et hoc propter triplicem defectum qui eis aderat in contrariorum consideratione.

Comme on l'a dit (art. préc.), les anciens philosophes en s'en tenant seulement aux principes spéciaux de la nature, du fait de la considération de la matière, tombèrent dans cette erreur qu'ils ne croyaient pas que tout ce qui est naturel avait été créé; de sorte que, de la considération des contraires, qui sont placés comme principes avec la matière dans la nature, il en arrivèrent à constituer deux premiers principes des choses et cela à cause de trois erreurs, qui leur étaient venues en considérant les contraires.

 

Primus erat, quia contraria considerabant secundum hoc tantum quod diversa sunt ex natura speciei, non autem secundum quod est aliquid unum in eis ex natura generis, licet contraria in eodem genere sint: unde non attribuebant eis causam secundum id in quo conveniunt, sed secundum hoc in quo differunt: et propter hoc in duo prima contraria, sicut in duas primas causas, omnia contraria reduxerunt, ut habetur in I Physic. Sed inter eos Empedocles prima contraria etiam primas causas agentes posuit, scilicet amicitiam et litem: et hic, ut habetur I Metaph., primo posuit bonum et malum principia.

 

La première, parce qu'ils considéraient les contraires seulement du fait qu'ils sont différents par la nature de l'espèce, et non selon une unicité en eux qui vient de la nature du genre, bien que les contraires soient dans un même genre: c'est pourquoi ils ne leur attribuèrent pas une cause en raison de leur ressemblance, mais en raison de leur différence et à cause de cela, ils ramenèrent tous les contraires à deux premiers contraires, comme à deux premières causes, comme on le lit en Phys. I, 5, 188 a 19 ss[13]. Mais parmi eux, Empédocle plaça même, comme causes premières efficientes, des contraires premiers, à savoir l'amitié et le procès, et, comme on le lit en Métaphysique (I, 4, 985 a 17 ss), il y établit d'abord le bien et le mal comme principes.

 

Secundus defectus fuit, quia utrumque contrariorum aequaliter iudicabant; cum tamen oporteat semper duorum contrariorum unum esse cum privatione alterius: et propter hoc unum est perfectum et aliud imperfectum, et unum melius et aliud peius, ut habetur I Phys. Et exinde provenit quod tam bonum quam malum, quae videbantur esse generaliora contraria, ponebant quasi quasdam naturas diversas. Et inde fuit quod Pythagoras posuit duo genera rerum, scilicet bonum et malum; et in genere boni posuit omnia perfecta, ut lucem, masculum, quietem et huiusmodi; et in genere mali posuit omnia imperfecta, ut tenebras, feminam et huiusmodi.

La seconde erreur fut qu'ils jugeaient chacun des contraires à égalité, alors que cependant il faut toujours que l'un des deux contraires soit avec la privation de l'autre; et pour cela l'un est parfait et l'autre imparfait, l'un est meilleur et l'autre plus mauvais, comme on le dit en Physique I, 5, 189 a 3. Et de là vient qu'ils considéraient le bien autant que le mal, qui paraissaient être des contraires plus généraux, comme des natures différentes. Et c'est pour cela que Pythagore a établi deux genres, à savoir le bien et le mal et dans le genre du bien il plaça tout ce qui est parfait, comme la lumière, le mâle, le repos etc, et dans le genre du mal tout ce qui est imparfait comme les ténèbres, la femme, etc.

 

Tertius defectus fuit, quia iudicaverunt de rebus secundum quod in se considerantur tantum, vel secundum ordinem unius rei ad aliam rem particularem, non autem in comparatione ad totum ordinem universi. Et inde est quod si invenerunt aliquam rem esse alteri nocivam, vel esse in se imperfectam respectu aliarum perfectarum, iudicaverunt eam simpliciter malam secundum naturam suam, et non ducere originem a causa boni. Et propterea Pythagoras feminam, quae est quid imperfectum, posuit in genere mali.

La troisième erreur vient de ce qu'ils jugèrent des choses selon qu'elles sont considérées en soi seulement, ou selon le rapport d'une chose particulière à une autre, mais pas en comparaison à tout l'ordre de l'univers. Et c'est pour cela, que s'ils trouvèrent une chose nocive pour une autre, ou imparfaite en soi par rapport aux autres qui étaient parfaites, ils jugèrent qu'elle était absolument mauvaise selon sa nature et ne tirait pas son origine de la cause du bien. C'est pour cette raison que Pythagore plaça la femme, qui est quelque chose d'imparfait, dans le genre du mal.

 

Et ex hac radice provenit quod Manichaei corruptibilia, quae respectu incorruptibilium; et visibilia, quae respectu invisibilium; et vetus testamentum, quod respectu novi testamenti, imperfecta sunt, non posuerunt esse a Deo bono, sed a contrario principio. Et praecipue, cum viderent alicui creaturae bonae, utpote homini, provenire aliquod nocumentum ex aliquibus visibilium et corruptibilium creaturarum.

C'est à partir de là que les Manichéens ont pensé que le corruptible par rapport à l'incorruptible, le visible à l'invisible, l'Ancien Testament au Nouveau, sont imparfaits et ne viennent pas du Dieu bon , mais d'un principe contraire. Et surtout, quand ils virent que, pour une créature bonne, à savoir l'homme, le mal venait de quelques-unes des créatures visibles et corruptibles.

 

Hic autem error est omnino impossibilis; sed oportet omnia reducere in unum principium primum, quod est bonum: quod quidem tribus rationibus ostenditur ad praesens.

Cette erreur est tout à fait inadmissible. Il faut tout ramener à un seul principe premier qui est le bien, ce qu'on montre à présent par trois raisons:

 

Quarum prima est, quia in quibuscumque diversis invenitur aliquid unum commune, oportet ea reducere in unam causam quantum ad illud commune, quia vel unum est causa alterius, vel amborum est aliqua causa communis. Non enim potest esse quod illud unum commune utrique conveniat secundum illud quod proprie utrumque eorum est, ut in praecedenti quaestione, art. praec., est habitum. Omnia autem contraria et diversa, quae sunt in mundo, inveniuntur communicare in aliquo uno, vel in natura speciei, vel in natura generis, vel saltem in ratione essendi: unde oportet quod omnium istorum sit unum principium, quod est omnibus causa essendi. Esse autem, in quantum huiusmodi, bonum est: quod patet ex hoc quod unumquodque esse appetit, in quo ratio boni consistit, scilicet quod sit appetibile; et sic patet quod supra quaslibet diversas causas oportet ponere aliquam causam unam, sicut etiam apud naturales supra ista contraria agentia in natura ponitur unum agens primum scilicet caelum, quod est causa diversorum motuum in istis inferioribus. Sed quia in ipso caelo invenitur situs diversitas in quam sicut in causam reducitur inferiorum corporum contrarietas, ulterius oportet reducere in primum motorem, qui nec per se nec per accidens moveatur. Secunda ratio est, quia omne agens agit secundum quod actu est, et per consequens secundum quod est aliquo modo perfectum.

La première: parce que, si dans les différentes choses on trouve quelque chose de commun, il faut les ramener à une seule cause pour ce qui est commun, parce que ou l'un est la cause de l'autre ou il y a une cause commune des deux. Car il n'est pas possible que cette chose unique commune convienne à l'une et l'autre selon ce qui est proprement l'un d'eux, comme dans l'article précédent (qu. 3, a. 5, corps de l'article) on l'a dit. Mais tout ce qui est contraire ou divers dans le monde se trouve avoir un rapport commun en une chose unique, soit dans la nature de l'espèce, soit dans celle du genre, soit rarement dans sa raison d'être: c'est pourquoi il faut qu'il y ait un principe unique de toutes ces choses qui est pour tous la cause d'être. Mais l'être en tant que tel est bon; ce qui apparaît du fait que toute chose désire être, ce en quoi consiste la raison du bien, à savoir qu'il est désirable, et ainsi il apparaît que, au-dessus de certaines causes différentes, il faut placer une cause unique, comme chez les Naturalistes, au-dessus de ces agents contraires, on place dans la nature un seul agent premier, à savoir le ciel, qui est la cause des différents mouvements dans les êtres inférieurs. Mais, parce que dans le ciel même on trouve la diversité du lieu, où l'opposition des corps inférieurs est ramenée comme à une cause, il faut la ramener par la suite à un premier moteur, qui n'est mû ni par soi, ni par accident.

 

Secundum autem quod malum est, non est actu, cum unumquodque dicatur malum ex hoc quod potentia est privata proprio et debito actu. Secundum vero quod actu est unumquodque, bonum est: quia secundum hoc habet perfectionem et entitatem, in qua ratio boni consistit. Nihil ergo agit in quantum malum est, sed unumquodque agens agit in quantum bonum est. Impossibile est ergo ponere aliud activum rerum principium nisi bonum. Et cum omne agens agat sibi simile, nihil etiam fit nisi secundum quod actu est; ac per hoc, secundum quod bonum est. Ex utraque ergo parte positio est impossibilis qua ponitur malum esse principium creationis malorum. Et huic rationi concordant verba Dionysii qui dicit, quod malum non agit nisi virtute boni, et quod malum est praeter intentionem et generationem.

 

La seconde raison vient de ce que tout agent agit selon qu'il est en acte et par conséquent selon qu'il est parfait de quelque manière. En tant que mal, il n'est pas en acte, puisque on appelle mal ce dont la puissance est privée d'acte propre et normalement dû. Mais selon qu'une chose est en acte, elle est bonne, parce que, ainsi, elle a la perfection et l'entité, en quoi consiste la raison du bien. Donc rien n'agit en tant qu'il est un mal, mais chaque agent agit en tant qu'il est bon. Donc il est impossible de placer un principe actif des chose, sinon bon. Et puisque tout agent fait du semblable à soi, rien n'est fait que selon qu'il est en acte et de ce fait, selon qu'il est bon. Donc des deux côtés, cette opinion d'après laquelle on pense que le mal est un principe de création des maux est impossible. Et les paroles de Denys (Les noms divins, ch. 4) sont en accord avec cette raison, lui qui dit que le mal n'agit que par le pouvoir du bien et que le mal est au-delà de l'intention et de la génération.

 

Tertia ratio est, quia, si diversa entia essent omnino a contrariis principiis in unum principium non reductis, non possent in unum ordinem concurrere nisi per accidens. Ex multis enim non fit coordinatio nisi per aliquem ordinantem, nisi forte multa casualiter in idem concurrant. Videmus autem corruptibilia et incorruptibilia, spiritualia et corporalia, perfecta et imperfecta in unum ordinem concurrere. Nam spiritualia movent corporalia, quod ad minus in homine apparet. Corruptibilia etiam per corpora incorruptibilia disponuntur, sicut patet in alterationibus elementorum a corporibus caelestibus. Nec potest dici, quod haec casualiter eveniant, nam non contingeret ita semper vel in maiori parte, sed solum in paucioribus. Oportet ergo omnia ista diversa in aliquod unum primum principium reducere a quo in unum ordinantur: unde philosophus concludit quod unus est principatus.

Troisième raison: si des êtres étaient tout à fait différents des principes contraires non ramenées à l'unité, ils ne pourraient concourir à un ordre unique que par accident. Car il n'y a coordination de plusieurs choses que par quelque chose qui ordonne, à moins que par hasard elles ne s'accordent dans le même par une cause. Mais nous voyons que les êtres corruptibles et incorruptibles, spirituels et corporels, parfaits et imparfaits concourent à un seul ordre. Car les êtres spirituels meuvent les êtres corporels, ce qui apparaît au moins dans l'homme. Ce qui est corruptible aussi est disposé par les corps incorruptibles, comme cela apparaît dans les altérations des éléments par les corps célestes. Et on ne peut pas dire que cela arrive causalement, car cela n'arriverait pas toujours ainsi ou la plupart du temps, mais seulement dans des cas moins nombreux. Il faut donc ramener toutes ces choses différentes à un premier principe par lequel elles sont ordonnées à l'unité: c'est pourquoi le Philosophe (Métaphysique XII, 4, 1070 a 31 et XII, 6 premier moteur) conclut qu'il n'y a qu'une seule origine[14].

 

Solutions:

q. 3 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malum, sicut supra ostensum est, cum non sit ens, sed defectus entis, non potest esse per se loquendo, factum; et pro tanto dicit Dionysius, quod bonum non est causa mali; non autem ad hoc quod malum in causam primam reducatur.

# 1. Puisque le mal, comme on l'a montré, n'est pas un être mais une défaillance de l'être, il ne peut pas être à proprement parler fait par soi, et pour autant Denys dit que le bien n'est pas cause du mal, mais ce n'est pas pour cela qu'il est ramené à une cause première.

 

q. 3 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obiectio illa procedit de effectu qui potest per se causam habere. Tale autem non est malum: unde nec proprie effectus dici potest.

# 2. Cette objection procède de l'effet qui peut avoir une cause par soi. Mais tel n'est pas le mal, c'est pourquoi on ne peut pas à proprement parler d'effet.

 

q. 3 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, malum est incidens effectibus; sed non est factum, per se loquendo; quod ex hoc patet quod non est intentum. Nec tamen sequitur quod sit primum principium, nisi cum hoc adderetur quod malum esset natura quaedam. Sicut enim malum per hoc quod non est ens, sed entis privatio, caret propria ratione effectus; ita et multo amplius caret ratione causae, ut probatum est.

 

# 3. Le mal arrive dans les effets, mais il n'est pas fait à proprement parler, ce qui apparaît du fait qu'il n'est pas recherché. Et cependant il n'en découle pas qu'il soit premier principe, sauf si on ajoutait que le mal serait une certaine nature. Car de même que le mal, du fait qu'il n'est pas un être mais une privation d'être, est privé de la nature propre de l'effet, de même il est beaucoup plus privé de celle d'une cause, comme on l'a prouvé.

 

q. 3 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, secundum Augustinum, Deus est adeo bonus quod numquam aliquod malum esse permitteret, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo posset elicere bonum. Unde nec propter impotentiam nec propter ignorantiam Dei est quod mala in mundo proveniunt; sed est ex ordine sapientiae suae et magnitudine bonitatis, ex qua provenit quod multiplicantur diversi gradus bonitatis in rebus; quorum multi deficerent, si nullum malum esse permitteret; non enim esset bonum patientiae, nisi accidente malo persecutionis; nec esset bonum conservationis vitae in leone, nisi esset malum corruptionis in animalibus ex quibus vivit.

# 4. Selon Augustin (Enchiridion, ch. 1) Dieu est si bon qu'il ne permettrait jamais qu'il y ait un mal, s'il n'était pas assez puissant pour pouvoir en tirer un bien. C'est pourquoi ce n'est pas à cause de l'impuissance ni de l'ignorance de Dieu que le mal se trouve dans le monde, mais de l'ordre de sa sagesse et de la grandeur de sa bonté, que les différents degrés de bonté sont multipliés dans les êtres, dont beaucoup manqueraient s'il ne permettait aucun mal, car il n'y aurait pas le bien de la patience sans le mal de la persécution, ni celui de la conservation de la vie dans le lion sans le mal de la corruption dans les animaux dont il vit.

 

q. 3 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod malum nunquam invenitur nisi in paucioribus, si referuntur effectus ad causas proprias: quod quidem in naturalibus patet. Nam peccatum vel malum non accidit in actione naturae, nisi propter impedimentum superveniens illi causae agenti; quod quidem non est nisi in paucioribus, ut sunt monstra in natura, et alia huiusmodi. In voluntariis autem magis videtur malum esse ut in pluribus quantum ad factibilia, in quantum ars non deficit nisi ut in paucioribus, imitatur enim naturam. In agibilibus autem, circa quae sunt virtus et vitium, est duplex appetitus movens, scilicet rationalis et sensualis; et id quod est bonum secundum unum appetitum, est malum secundum alterum, sicut prosequi delectabilia est bonum secundum appetitum sensibilem, qui sensualitas dicitur, quamvis sit malum secundum appetitum rationis. Et quia plures sequuntur sensus quam rationem, ideo plures inveniuntur mali in hominibus quam boni. Sed tamen sequens appetitum rationis in pluribus bene se habet, et non nisi in paucioribus male.

# 5. On ne trouve jamais le mal que dans le plus petit nombre, si les effets sont rapportés à leurs causes propres, ce qui apparaît chez les Naturalistes. Car le péché ou le mal n'arrive dans l'action de la nature qu'à cause de l'empêchement qui survient à cette cause efficiente, ce qui n'arrive que dans le plus petit nombre, comme les monstres dans la nature, etc.. Mais dans les actes volontaires, le mal semble être comme dans le plus grand nombre pour ce qui peut être fait; en tant qu'art, il ne défaille que comme dans le plus petit nombre, car il imite la nature. Dans les actes qui concernent la vertu et le vice, il y a un double appétit qui meut, à savoir l'appétit rationnel et l'appétit sensuel; et ce qui est bon selon l'un est mal selon l'autre, ainsi poursuivre ce qui est délectable est bien selon l'appétit sensible, appelé sensualité, quoique ce soit un mal selon l'appétit de la raison. Et parce que ceux qui suivent les sens sont plus nombreux que ceux qui suivent la raison, on trouve parmi les hommes plus de mauvais que de bons. Mais cependant celui qui suit l'appétit de la raison se comporte bien en des cas plus nombreux et mal en des cas moins nombreux[15].

 

q. 3 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod duplex est causa per accidens.

# 6. La cause par accident est double.

 

Una quae aliquid operatur ad effectum; sed dicitur causa eius per accidens, quia praeter intentionem ille effectus a tali causa sequitur; sicut patet in eo qui fodiendo sepulcrum, invenit thesaurum.

a) L'une qui agit sur l'effet, mais on l'appelle cause par accident parce que cet effet dépend d'une telle cause au-delà de l'intention, comme on le voit pour celui qui en creusant un sépulcre trouve un trésor.

 

Alia causa per accidens est quae nihil operatur ad effectum; sed ex eo quod accidit causae agenti, causa per accidens nominatur; sicut album dicitur esse causa domus per accidens, eo quod accidit aedificatori.

b) L'autre cause par accident est celle qui n'opère rien pour l'effet, mais du fait que cela arrive à la cause efficiente, elle est appelée cause par accident; ainsi on dit que le blanc est cause de la maison par accident parce que cela arrive au bâtisseur.

 

Similiter duplex est effectus per accidens

De même l'effet par accident est double.

 

Unus ad quem potest terminari actio causae, licet praeter eius intentionem accidat, sicut inventio thesauri; et talis effectus licet sit huiusmodi causae per accidens, potest esse alterius causae effectus per se. Hoc autem modo malum non habet causam per accidens; quia, sicut iam dictum est, non potest esse terminus alicuius actionis.

 

a) L'un auquel peut se terminer l'action de la cause, bien qu'il arrive au-delà de l'intention, comme la découverte d'un trésor, et un tel effet, bien qu'il dépende d'une telle cause par accident peut être l'effet par soi d'une autre cause. Mais de cette manière le mal n'a pas de cause par accident parce que, comme on l'a déjà dit, il ne peut pas être le terme d'une action.

 

Alius effectus per accidens est ad quem non terminatur actio alicuius agentis; sed ex eo quod accidit effectui, effectus per accidens nominatur; sicut album accidens domui, potest dici effectus per accidens aedificatoris; et sic nihil prohibet malum habere causam per accidens.

b) L'autre effet par accident est celui auquel ne se termine pas l'action de l'agent, mais du fait qu'il est accidentel pour l'effet, on l'appelle effet par accident; comme le blanc, accident pour la maison peut être appelé effet par accident du bâtisseur et ainsi rien n'interdit que le mal ait une cause par accident.

 

q. 3 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod malum licet non sit natura aliqua, non est tamen negatio pura, sed est privatio; quae secundum philosophum est negatio alicui subiecto inhaerens: nam privatio est negatio in substantia; unde ex hoc ipso quod accidit alicui, potest ei causa per accidens assignari modo praedicto.

 

# 7. Bien que le mal ne soit pas une substance naturelle, il n'est cependant pas négation pure, mais privation, qui, selon le philosophe, est une négation inhérente à un sujet: car (selon lui, IV Métaphysique, 22) la privation est négation dans la substance; c'est pourquoi du fait que cela arrive à une chose, la cause par accident peut lui être assignée de la manière dont on a parlé.

 

q. 3 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod malum per prius inest Diabolo quam aliis, tempore, non natura, quasi malitia sit eius essentia vel accidens ex principiis propriae naturae derivatum. Nec obstat, si ipse est aliis peior, cum hoc non sit propter connaturalitatem malitiae ad ipsum, sed per accidens, quia amplius peccavit. Illa autem principia aliorum sunt de quibus aliquid maxime dicitur per se, et non secundum accidens.

 

# 8. Le mal est présent dans le diable plus tôt que dans les autres, chronologiquement, non par nature, comme si la malice était son essence ou un accident dérivé des principes de sa propre nature. Et ce n'est pas un empêchement si lui-même est pire que les autres, puisque cela ne vient pas de la connaturalité de sa malice à lui-même, mais par accident, parce qu'il a péché davantage. Mais ces principes, pour les autres, sont ceux pour lesquels on dit que quelque chose est absolument par soi et non par accident.

 

q. 3 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ex perfectione boni est quod solum uno modo contingat; nam non potest esse aliquid perfectum, nisi omnibus concurrentibus ex quibus eius perfectio quasi integratur. Quodcumque autem eorum deficiat, est imperfectum, et per consequens malum; unde ex imperfectione mali est quod malum multipliciter contingit; et ideo malum habet minus de ratione entis quam bonum.

# 9. Il est de la perfection du bien d'arriver seulement d'une seule manière, car il ne peut y avoir quelque chose de parfait que pour tout ce qui arrive dont la perfection est comme intégrée. Tout ce qui en eux est défaillant est imparfait et par conséquent un mal, c'est pourquoi c'est le propre de l'imperfection du mal qu'il arrive de multiples façons, et c'est pourquoi il a moins de raison d'être que le bien.

 

q. 3 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod verbum philosophi est accipiendum secundum opinionem Pythagorae, qui posuit bonum et malum esse genera, ut prius dictum est. Habet tamen eius opinio aliquid veritatis. Nam cum bonum positive dicatur malum vero privative, ut dictum est; sicut omnis forma habet rationem boni, ita omnis privatio habet rationem mali; et sic bonum et malum quodammodo convertuntur cum ente et cum privatione entis. In quibuslibet autem contrariis, ut probatur in X Metaph., includitur privatio et habitus; et ideo semper alterum contrariorum quod est perfectius reducitur ad bonum; et alterum quod est imperfectius reducitur ad malum. Unde philosophus dicit, quod altera pars contrarietatis ad maleficium pertinet, et pro tanto bonum et malum possunt dici contrariorum genera.

 

# 10. La parole du philosophe est à prendre selon l'opinion de Pythagore, qui a pensé que le bien et le mal étaient des genres, comme on l'a dit plus haut. Son opinion comporte cependant une part de vérité. Car comme on parle du bien de manière positive, du mal de manière privative, comme on l'a dit, de même que toute forme est un bien par nature, de même toute privation est un mal par nature et ainsi le bien et le mal d'une certaine manière sont convertibles à l'étant et à sa privation. Dans n'importe quels contraires, comme on le prouve en Métaphysique (X, 9), la privation et la possession sont incluses et c'est pourquoi toujours l'un des contraires, qui est plus parfait, est ramené au bien, et l'autre, plus imparfait, est ramené au mal. C'est pour cela que le philosophe dit (I Phys. 9, 191 b 13[16]) que l'autre partie du contraire appartient au mal, et pour autant on peut dire que le bien et le mal sont des genres de contraires.

 

q. 3 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod malum, quod est contrarium bono, non dicit privationem solam, sed habitum quemdam cum privatione; qui quidem habitus non habet rationem mali in quantum habet de ente, sed in quantum habet adiunctam privationem perfectionis debitae.

# 11. Le mal qui est le contraire du bien, ne désigne pas la seule privation, mais une possession avec la privation, cette possession n'a pas valeur de mal dans la mesure où elle possède de l'étant, mais dans la mesure où on lui ajoute la privation d'une perfection qui lui est due.

 

q. 3 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod malum, in quantum est privatio sola, non ponitur differentia constitutiva habitus vitiosi, sed secundum quod adiungitur intentioni finis indebite, in qua non invenitur ratio mali ex fine intento, nisi in quantum cum hoc fine non potest stare debitus finis: sicut cum fine delectationis carnalis non potest stare bonum rationis. Ideo autem in habitibus animae specialiter bonum et malum poni dicuntur, quia morales actus, et per consequens habitus, specificantur ex fine, qui est quasi forma voluntatis, quae est principium proprium malorum actuum. Bonum vero et malum dicuntur per comparationem ad finem.

 

# 12. Le mal, en tant que privation seule, n'est pas pensé comme une différence constitutive d'une possession vicieuse, mais selon que la fin est ajoutée indûment à l'intention; en celle-ci on ne trouve pas la nature du mal à partir de la fin visée, sinon dans la mesure où la fin normalement due ne peut pas demeurer avec cette fin; ainsi, le bien de la raison ne peut pas demeurer avec la fin de la délectation charnelle. C'est pourquoi dans les manières d'être de l'âme, on dit qu'on place spécialement le bien et le mal, parce que les actes moraux, et par conséquent les manières d'être (habitus) sont spécifiés à partir de la fin, qui est comme une forme de la volonté, qui est le principe propre des mauvaises actions. Mais le bien et le mal sont définis par comparaison à la fin.

 

q. 3 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod non intelligitur contra malum esse bonum sicut unum principium primum contra aliud principium primum, sed sicut duo provenientia ex uno primo principio; quorum unum per se provenit, et aliud per accidens; quod patet ex eo quod subditur: et sic intuere in omnia opera altissimi, et cetera.

# 13. On ne comprend pas que le bien est contre le mal, comme un principe premier est contre un autre principe premier, mais comme deux (principes) issus d'une seul premier principe, dont l'un arrive par soi et l'autre par accident, ce qui apparaît dans la suite du texte: "Et ainsi contemple toutes les oeuvres du Très Haut..." (Si. 33, 15).

 

q. 3 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod malum non intenditur per accessum ad aliquem terminum, sed per recessum ab aliquo termino: sicut enim dicitur aliquid bonum per participationem boni, ita dicitur malum per recessum a bono.

# 14. Le mal n'est pas recherché pour parvenir à un terme mais en l'abandonnant; car, de même qu'on dit qu'un bien l'est par participation, de même le mal l'est par l'abandon du bien.

 

q. 3 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod dominus per arborem bonam intelligit causam boni, non quidem primam, sed proximam ad aliquem singularem effectum; et simile est de arbore mala; unde per arborem malam haereticos vult intelligi, qui ex suis operibus cognoscuntur, quasi arbor ex fructibus: et hoc etiam patet per similitudinem attendenti; nam fructus non est arbor causa prima, sed radix. Si tamen per arborem universaliter omnem causam intelligamus, sicut Dionysius videtur accipere: tunc respondendum est, quod bonum non est per se causa mali, sicut ad primum dictum est.

 

# 15. Le Seigneur comprend par le bon arbre la cause du bien, non pas cependant la première, mais la plus proche pour un effet particulier, et il en est de même pour l'arbre mauvais; c'est pourquoi par cet arbre, il veut qu'on comprenne les hérétiques, qui sont connus par leurs oeuvres, comme l'arbre par ses fruits; et cela même apparaît par l'image à celui qui y prête attention, car l'arbre n'est pas la cause première du fruit, mais c'est sa racine qui l'est. Si cependant par l'arbre nous comprenons universellement toute cause, comme Denys semble le concevoir, alors il faut répondre que le bien n'est pas en soi cause du mal, comme on l'a dit (à la 1re solution).

 

q. 3 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod tenebrae, de quibus in principio creationis dicitur, non fuerunt aliqua creatura, sed sola carentia lucis in aere; non tamen malum, quia illa sola carentia boni et mali rationem inducit quae est eius quod potest et debet inesse. Non enim est malum in lapide, qui non habet sensum; vel in puero statim nato, qui non ambulat. Nec tamen ex imperfectione agentis provenit quod aerem sine luce creavit, sed ab eius sapientia: cuius ordo requirit quod aliquid ex imperfecto ad perfectum ducatur.

# 16. Les ténèbres, dont on parle au commencement de la création, ne furent pas une créature, mais seulement le manque de lumière dans l'air, cependant ce n'était pas un mal, parce que ce seul manque induit la nature du bien et du mal, qui est de ce qui peut et doit y être. Car le mal n'est pas dans la pierre qui n'a pas de sensation, ni dans l'enfant sitôt né, qui ne marche pas. Et cependant cela ne provient pas de l'imperfection de l'agent que l'air soit créé sans lumière, mais de sa sagesse, dont l'ordre demande que quelque chose soit mené de l'imperfection à la perfection.

 

q. 3 a. 6 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod obiectio illa procedit, ac si malum haberet causam per se, quod supra ostensum est falsum esse.

# 17. Cette objection se présente comme si le mal avait une cause en soi, on a montré plus haut que c'était faux.

 

q. 3 a. 6 ad 18 Et similiter dicendum ad decimumoctavum.

# 18. Il faut dire de même .

 

q. 3 a. 6 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod aliter se habet natura ad generationem et corruptionem. Forma enim quae est terminus generationis, est per se intenta tam a natura universali quam a natura particulari: privatio vero est praeter intentionem naturae particularis; est autem secundum intentionem naturae universalis, non quidem ut per se intenta, sed quia sine privatione alicuius formae non potest alia forma introduci; et sic generatio est naturalis omnibus modis. Corruptio vero dicitur quandoque contra naturam, habito respectu ad naturam particularem.

 

# 19. La nature se comporte différemment pour la génération et la corruption. Car la forme qui est le terme de la génération est atteinte par soi tant par la nature universelle que par la nature particulière: la privation est au-delà de l'intention de la nature particulière, mais elles est selon l'intention de la nature universelle, non comme atteinte par soi, mais parce que, sans la privation de la forme, une autre forme ne peut pas être introduite; et ainsi la génération est naturelle de toutes les manières. Mais on dit que la corruption est quelquefois contre la nature, en rapport à une nature particulière.

 

q. 3 a. 6 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod in actu peccati quidquid est entitatis vel actionis reducitur in Deum sicut in primam causam; quod vero est ibi deformitatis reducitur sicut in causam in liberum arbitrium; sicut quod est de gressu in claudicatione reducitur in virtutem motivam sicut in primam causam; quidquid autem est ibi obliquitatis provenit ex curvitate cruris.

# 20. Dans le péché, quelque chose de l'entité ou de l'action est ramené à Dieu, comme à sa cause première, mais ce qu'il y a là de difformité est ramené comme à sa cause au libre arbitre, ainsi ce qui concerne la marche est ramené à la claudication dans le pouvoir de mouvement comme à sa première cause, mais la déformation de la marche provient de la courbure de la jambe.

 

q. 3 a. 6 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod ratio illa procedit de duobus agentibus omnino disparatis, non autem quando unum agens in alio operatur: sic enim potest unus eorum esse effectus. Deus autem in omni natura et voluntate operatur; unde ratio non sequitur.

# 21. Cette raison procède des deux agents tout à fait différents, mais non quand un agent opère dans un autre, car ainsi l'un d'eux peut être l'effet. Mais Dieu opère en toute nature et volonté; c'est pourquoi la raison ne vaut pas[17].

 

q. 3 a. 6 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente per necessitatem naturae, quod si unum sit, unum effectum producit. Nec tamen oportet effectum esse simplicem sicut causam: quia nec in universalitate nec in simplicitate oportet effectum causae aequari. Deus vero non agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem: unde potest simplicia et composita mutabilia et immutabilia facere.

# 22. Cette raison procède de l'agent qui agit par nécessité de nature, parce que, s'il est seul, il produit un seul effet. Et cependant il ne faut pas que l'effet soit simple comme la cause, parce que, ni dans l'universel, ni dans la substance simple, il ne faut que l'effet égale la cause. Mais Dieu n'agit pas par nécessité de nature, mais par volonté; c'est pourquoi il peut faire des choses simples et composées, muables et immuables[18].

 

q. 3 a. 6 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod macula in anima non ponit naturam aliquam, sed solam gratiae privationem, tamen cum respectu ad actum peccati praecedentem, qui huius privationis causa fuit vel esse potuit: et sic non oportet quod habeat maculam alicuius peccati, qui actum peccati illius non commisit.

# 23. La souillure dans l'âme n'établit pas une nature, mais la seule privation de la grâce, cependant en rapport avec l'acte du péché qui l'a précédé, qui a été cause de cette privation ou a pu l'être, et ainsi il ne faut pas que celui qui n'a pas commis le péché en ait la souillure.

 

q. 3 a. 6 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod opera Dei perseverant in aeternum, non secundum numerum, sed secundum speciem vel genus, et secundum substantiam, non secundum modum essendi: praeterit enim figura huius mundi, ut dicitur I Cor. VII, 31.

# 24. Les oeuvres de Dieu demeurent éternellement, non pas selon le nombre[19], mais selon l'espèce ou le genre, et selon la substance, non selon la manière d'être. "Car elle passe la figure de ce monde", comme il est dit (1 Co 7, 31).

 

q. 3 a. 6 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod Deus licet sit spiritus, habet tamen in sua sapientia rationes corporum, quibus corpora assimilantur per modum quo artificiata artifici similantur quantum ad suam artem; nihilominus tamen corpora Deo similantur quantum ad eius naturam, in quantum sunt et bona sunt et unitatem aliquam habent.

# 25. Bien que Dieu soit un esprit, il a cependant dans sa sagesse les idées des corps auxquelles les corps ressemblent à la manière dont les oeuvres d'art ressemblent à l'artisan pour ce qui est de son art; cependant les corps ressemblent également à Dieu quant à sa nature dans la mesure où ils sont, où ils sont bons et ont une unité.

 

q. 3 a. 6 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod natura non facit semper quod melius est habito respectu ad partem, sed habito respectu ad totum; alias totum corpus hominis faceret oculum vel cor; hoc enim unicuique partium melius esset, sed non toti. Similiter licet melius esset alicui rei quod in altiori ordine poneretur, non tamen esset melius universo, quod imperfectum remaneret, si omnes creaturae unius ordinis essent.

# 26. La nature ne fait pas toujours ce qui est meilleur par rapport à la partie, mais par rapport au tout; autrement tout le corps de l'homme ferait l'oeil ou le coeur, car cela serait meilleur pour chacune des parties, mais pas pour le tout. De la même manière, même si c'était meilleur pour un être d'être placé dans un ordre plus élevé, cependant ce ne serait pas meilleur pour l'univers, qui demeurerait imparfait, si toutes les créatures étaient sous un seul ordre.

 

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[1] Parall.: Ia, qu. 44, a. 2 – qu. 65, a. 1 – qu. 49, a. 3 – CG. II, 41, III, 15 – II Sent. d1q1a1, ad 1 – d34a1, ad 4.

 

[2] n° 188: "La mal ne vient pas du bien". Cf. IV, 22, 732 c:"...le mal est au-delà de la voie, de l'intention, de la nature et de la cause." n° 244.

 

[3] Tout est créé sauf le principe de création, c'est-à-dire Dieu.

 

[4] "D'abord on reconnaîtra que l'expérience montre des faits qui se produisent toujours de même, et des faits qui se produisent fréquemment, mais puisqu'il y a des faits qui se produisent par exception à ceux-là et que tout le monde les appelle effets de la fortune, il est évident que la fortune et le hasard existent en quelque manière." (Trad. H. Carteron,) Cf. Topiques, II, 6, 112 b 1: Si par exemple les hommes sont la plupart du temps méchants... (Trad. J. Tricot).Cf. Ia, qu. 49, a. 3, ad 5: Dire que le mal est ut in pluribus (les cas les plus fréquents) est absolument faux; car ce qui s'engendre ou se corrompt en qui seulement arrive le mal de la nature, est une toute petite part de tout l'univers. Et en plus en chaque espèce les défauts de la nature arrivent dans les cas les moins nombreux. Dans les hommes seulement, le mal semble être dans les cas les plus fréquents. Pour Avicenne le mal prédomine IX, 6, 422 9 p. 155.

 

[5] "Si par exemple, les hommes sont la plupart du temps méchants, c'est qu'ils sont moins fréquemment bons..."

 

[6] Le texte est en Pot. qu. 3, a. 5, c...

 

[7] "...Le bien vient d'une seule cause totale mais le mal de défaillances nombreuses et particulières." § 3à 237 IV, 22. Commentaire Thomas: cela apparaît autant dans ce qui est naturel que dans ce qui est moral.

 

[8] "La nature est la différence spécifique qui donne sa forme à la nature des choses." Trad. H. Merle. C'est la quatrième définition de "nature". Aristote Physique, II, 1, 193 a 30 ...nature "en un autre sens c'est le type et la forme, la forme définissable." Trad. Carteron.

 

[9] Ben Sirac. Vulg.: et contra mortem vita.

 

[10] Ce texte est présenté comme une objection en Ia, qu. 49, a. 2, obj. 1. Dans la solution, il est précisé que cela concerne le mal de la peine et non le mal de la faute.

 

[11] Texte 188, § 2.

 

[12] Thomas VIII, lectio 9, n° 1040 ss..

 

[13] Le chaud et le froid (ou feu et terre) pour Parménide, le plein et le vide pour Démocrite

 

[14] Les principe contraire sont ramenés à l'unité pour concourir à un ordre unique. Il fait intervenir la notion de cas nombreux ou rares. Ia, qu. 49 a. 3 ad 5. Mais comme les contraires se rejoignent, il faut reconnaître,, au-dessus des causes particulières une cause unique commune" (premier principe d'être, Ia, 2, 3).

 

[15] Aristote en Physique II, 5, 196 b 10 oppose les faits d'expérience qui se produisent toujours de la même façon ou fréquemment: "Il est évident que la fortune n'est appelée la cause des uns ni des autres.... les effets de la fortune (tukê) ne sont ni parmi les faits nécessaires et constants, ni parmi les faits qui se produisent la plupart du temps". Thomas en dit (n° 2089) "Il est clair que la fortune est quelque chose; puisque venir par fortune et être dans le petit nombre sont convertibles." Donc il s'agit pour lui, non pas du mal, mais de la fortune, du hasard.

 

Cela sert à démontrer l'existence de la fortune ou du hasard 196 b 17. Aristote en vient à la causalité accidentelle "Quand de tels faits se produisent par accident nous disons qu'ils sont des effets de la fortune" (23 § 4).

 

[16] Thomas n° 133.

 

[17] "Le manque de forme est une privation. Mais il faut considérer que la privation appartient parfois à la raison de l'espèce; parfois non, car elle s'ajoute à une réalité qui a déjà son espèce propre. c ...sol. 2:". La difformité dans l'action atteint celle-ci dans ce qu'elle a de spécifique en tant qu'acte moral, nous l'avons dit à propos des actes humains. Une action est difforme en effet par la privation d'une forme qui lui est intrinsèque, n'étant autre que la juste mesure dans toutes les circonstances de l'acte. C'est pourquoi on ne peut jamais dire que Dieu soit cause d'un acte difforme, parce que Dieu n'est pas cause d'un pareil manque de forme, encore qu'il soit cause de l'acte en tant qu'acte. - Ou encore, il faut remarquer que le manque de forme peut impliquer non seulement la privation de la forme que l'acte devrait avoir, mais aussi la disposition contraire. De ce point de vue la difformité est à l'acte ce que la fausseté est à la foi. C'est pourquoi, de même que Dieu n'est pas l'auteur d'un acte déformé il ne l'est pas non plus d'une foi faussée. Et, de même que Dieu est l'auteur d'une foi qui n'est qu'informe, il l'est aussi des actes qui sont bons dans leur genre quoique pas informés par la charité, comme il arrive la plupart du temps chez les pécheurs." (IIa/IIæ, qu. 6, a. 2) (Éd. du Cerf).

 

[18] Réponse à Avicenne.

 

[19] C'est-à-dire chacune en particulier.

 

 

Article 7: Dieu agit-il dans l'opération de nature?

 

q. 3 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum Deus operetur in operatione naturae. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

 

Objections:

q. 3 a. 7 arg. 1 Natura enim neque deficit in necessariis neque abundat in superfluis. Sed ad actionem naturalem sufficit virtus activa ex parte agentis, et passiva ex parte recipientis. Ergo non requiritur virtus divina in rebus operans.

1. En effet, la nature[2] ne manque pas du nécessaire et n'a pas de superflu. Mais la puissance active de l'agent et la puissance passive du patient suffisent à l'action de la nature. Donc la puissance divine qui opère dans les créatures n'est pas nécessaire.

 

q. 3 a. 7 arg. 2 Sed dices, quod virtus activa naturae dependet in sua operatione ab operatione divina.- Sed contra, sicut operatio naturae creatae dependet ab operatione divina, ita operatio corporis elementaris dependet ab operatione corporis caelestis: nam corpus caeleste comparatur ad corpus elementare sicut causa prima ad secundam. Non autem dicitur, quod corpus caeleste operetur in quolibet corpore elementari agente. Ergo non est dicendum, quod Deus operetur in qualibet operatione naturae.

 

2. Mais on pourrait dire que la puissance active de la nature dépend dans son opération de celle de Dieu. – En sens contraire: de même que l'opération de la nature créée dépend de celle de Dieu, l'opération du corps élémentaire[3] dépend de celle d'un corps céleste, car celui-ci est comparé au le corps élémentaire comme la cause première à la cause seconde. Mais on ne dit pas que le corps céleste opère en n'importe quel corps élémentaire agent. Donc il ne faut pas dire que Dieu opère dans n'importe quelle opération de la nature.

 

q. 3 a. 7 arg. 3 Praeterea, si Deus operatur in qualibet operatione naturae, aut una et eadem operatione operatur Deus et natura, aut diversis. Sed non una et eadem: unitas enim operationis attestatur unitati naturae; unde quia in Christo sunt duae naturae, sunt etiam ibi duae operationes: creaturae autem et Dei constat non esse unam naturam. Similiter nec est possibile quod sint operationes diversae: nam diversae operationes non videntur ad idem factum terminari; cum motus et operationes penes terminos distinguantur. Ergo nullo modo est possibile quod Deus in natura operetur.

 

3. Si Dieu opère dans n'importe quelle opération de nature, ou bien Dieu et la nature agissent par une seule et même opération ou bien par des opérations différentes. Mais ce n'est pas une unique et même opération, car l'unité d'opération atteste l'unité de nature: c'est pourquoi, du fait qu'il y a deux natures dans le Christ, il y a aussi en lui deux opérations. Mais il est clair qu'il n'y a pas une nature unique pour la créature et pour Dieu. De même, il n'est pas possible que les opérations soient différentes, car les opérations différentes ne paraissent pas se terminer à un même résultat, puisque le mouvement et les opérations sont distingués selon leurs termes. Donc il n'est nullement possible que Dieu opère dans la nature.

 

q. 3 a. 7 arg. 4 Sed dices, quod duae operationes possunt terminari ad idem, quae se habent secundum prius et posterius.- Sed contra, ea quae immediate se habent ad aliquid unum, non habent ad invicem ordinem. Sed tam Deus quam natura immediate operatur effectum naturalem. Ergo operatio Dei et operatio naturae non se habent secundum prius et posterius.

4. Mais on pourrait dire que deux opérations qui se produisent l'une avant l'autre, peuvent aboutir à un même effet – En sens contraire les choses qui se rapportent immédiatement à un objet unique n'ont pas d'ordre entre elles. Mais autant Dieu que la nature produisent immédiatement un effet naturel. Donc l'opération de Dieu et celle de la nature ne se comportent pas selon un avant et un après.

 

q. 3 a. 7 arg. 5 Praeterea, quandocumque Deus aliquam naturam instituit, ex hoc ipso dat ei omnia illa quae sunt de ratione illius naturae; sicut ex hoc ipso quod facit hominem, dat ei animam rationalem. Sed de ratione virtutis est quod sit principium agendi, cum virtus sit ultimum potentiae, quae est principium agendi in alio secundum quod est aliud, ut dicitur in V Metaph. Ergo ex hoc ipso quod virtutes naturales rebus indidit, dedit eis quod operationes naturales perficerent. Non ergo oportet quod ulterius in rebus naturalibus operetur.

 

5. Toutes les fois que Dieu a établi une nature, par là même il lui donne tout ce qui convient à sa nature; ainsi du fait qu'il crée un homme, il lui donne une âme rationnelle. Mais il est de la définition du pouvoir[4] d'être le principe d'action, puisque le pouvoir est le sommet de la puissance, qui est le principe d'action dans un autre en tant qu'autre, comme on le dit en Métaphysique (V, 12, 1019 a 15-16). Donc du fait même qu'il a introduit des pouvoirs naturels dans les choses, il leur a donné le pouvoir d'accomplir les opérations naturelles. Il ne faut donc pas que par la suite il opère dans les choses naturelles.

 

q. 3 a. 7 arg. 6 Sed dices, quod virtutes naturales non possent durare, sicut nec alia entia, nisi virtute divina continerentur.- Sed contra, non est idem operari ad rem et operari in re. Sed operatio Dei qua virtutem naturalem vel facit vel in esse conservat, est operatio ad illam virtutem constituendam vel conservandam. Non ergo propter hoc potest dici, quod Deus in virtute naturali operante operetur.

 

6. Mais on pourrait dire que les pouvoirs naturels ne pourraient durer, de même que les autres étants, que s'il sont maintenus par le pouvoir divin. – En sens contraire: ce n'est pas la même chose d'opérer pour une chose et d'opérer en elle. Mais l'opération de Dieu, par laquelle il crée un pouvoir naturel ou il le conserve à l'être, est une opération pour le constituer ou le conserver. Donc ce n'est pas à cause de cela qu'on peut dire que Dieu opère dans un pouvoir naturel qui opère.

 

q. 3 a. 7 arg. 7 Praeterea, si Deus in natura operante operatur, oportet quod operando aliquid rei naturali tribuat: nam agens, agendo, aliquid actu facit. Aut ergo illud sufficit ad hoc quod natura possit per se operari, aut non. Si sufficit, cum etiam virtutem naturalem Deus naturae tribuerit, eadem ratione potest dici quod et virtus naturalis sufficiebat ad agendum: nec oportebit quod Deus, postquam virtutem naturae contulit, ulterius ad eius operationem aliquid operetur. Si autem non sufficit, oportet quod ibi aliquid aliud iterum faciat; et si illud non sufficit, iterum aliud, et sic in infinitum; quod est impossibile. Nam unus effectus non potest dependere ab actionibus infinitis: quia cum infinita non sit pertransire, nunquam compleretur. Ergo standum est in primo, dicendo quod virtus naturalis sufficit ad actionem naturalem, sine hoc quod Deus in ea ulterius operetur.

 

7. Si Dieu opère dans une nature qui opère, il faut en le faisant, qu'il lui accorde quelque chose, car l'agent, en agissant, met quelque chose en acte. Donc ou cela suffit pour que la nature puisse opérer par elle-même ou non. Si cela suffit, comme c'est Dieu qui aura attribué ce pouvoir naturel à la nature, on peut dire pour la même raison qu'il était suffisant pour agir. Et il ne faudra pas que Dieu, après lui avoir attribué ce pouvoir ajoute ensuite à son opération. Mais si cela ne suffit pas, il faut qu'il y fasse à nouveau quelque chose d'autre; et si cela ne suffit pas, à nouveau autre chose, et ainsi à l'infini, ce qui est impossible. Car un seul effet ne peut pas dépendre d'actions infinies, parce que, comme on ne peut traverser l'infini, jamais il ne serait achevé. Donc il faut s'en tenir à la première solution en disant que le pouvoir naturel suffit à l'action naturelle, sans que Dieu opère sur elle ensuite.

 

q. 3 a. 7 arg. 8 Praeterea, posita causa ex necessitate naturae agente, sequitur eius actio nisi per accidens impediatur, eo quod natura est determinata ad unum. Si ergo calor ignis agit ex necessitate naturae: ergo posito calore, sequitur calefactio, nec requiritur aliqua virtus superior agens in ipso.

 

8. Si on prend une cause qui agit par nécessité de nature, il en découle que son action suit à moins d'être empêchée par accident, parce que la nature est déterminée à un objet unique. Si donc la chaleur du feu agit par nécessité de nature, si on pose la chaleur, il en découle l'échauffement, et il n'y a pas besoin d'un pouvoir supérieur qui agisse en elle.

 

q. 3 a. 7 arg. 9 Praeterea, ea quae sunt omnino disparata, possunt ab invicem separari. Sed actio Dei et actio naturae sunt omnino disparatae; cum Deus agat per voluntatem, natura vero per necessitatem. Ergo actio Dei potest separari ab actione naturae; et ita non oportet quod Deus in natura agente operetur.

9. Les choses tout à fait différentes peuvent être séparées l'une de l'autre. Or l'action de Dieu et celle de la nature sont tout à fait différentes, puisque Dieu agit par volonté, et la nature par nécessité. Donc l'action de Dieu peut être séparée de celle de la nature et ainsi il ne faut pas que Dieu opère dans la nature agent.

 

q. 3 a. 7 arg. 10 Praeterea, creatura in se considerata, Dei similitudinem habet, in quantum actu est, et actu agit; et secundum hoc est divinae bonitatis particeps. Hoc autem non esset, si virtus sua ad agendum non sufficeret. Sufficit ergo creatura ad agendum sine hoc quod Deus in ea operetur.

10. La créature, considérée en soi, ressemble à Dieu, dans la mesure où elle est en acte et agit par son acte; et en cela elle participe de la divine bonté[5]. Mais cela n'existerait pas si son pouvoir ne suffisait pas pour agir. Donc la créature se suffit pour agir, sans ce que Dieu opère en elle.

 

q. 3 a. 7 arg. 11 Praeterea, duo Angeli in uno loco esse non possunt, ut a quibusdam dicitur, ne operationum confusio sequatur; quia Angelus ubi est, ibi operatur. Plus autem distat Deus a natura quam unus Angelus ab alio. Ergo Deus non potest simul in eodem cum natura operari.

 

11. Deux anges ne peuvent être dans un seul et même lieu, comme certains l'ont dit, pour qu'il ne s'ensuive pas une confusion des opérations. Parce que l'ange opère là où il est. Dieu est plus éloigné de la nature que l'ange l'est d'un autre ange. Donc Dieu ne peut, en même temps que la nature, opérer dans un même objet.

 

q. 3 a. 7 arg. 12 Praeterea, Eccli. XI, 14, dicitur, quod Deus fecit hominem, et reliquit eum in manu consilii sui. Non autem reliquisset, si semper in voluntate operaretur. Ergo non operatur in voluntate operante.

12. L'Ecclésiaste (Si) (11, 14) dit que "Dieu fit l'homme et le laissa à son conseil". Il ne l'aurait pas laissé, s'il opérait toujours dans sa volonté. Donc il n'opère pas dans la volonté en son opération.

 

q. 3 a. 7 arg. 13 Praeterea, voluntas est domina sui actus. Hoc autem non esset, si agere non posset nisi Deo in ipsa operante; cum voluntas nostra non sit domina divinae operationis. Ergo Deus non operatur in voluntate nostra operante.

13. La volonté est maîtresse de son acte. Mais cela ne serait pas, si elle ne pouvait agir que si Dieu opérait en elle, puisque notre volonté n'est pas maîtresse de l'opération divine. Donc Dieu n'opère pas dans notre volonté en son opération.

 

q. 3 a. 7 arg. 14 Praeterea, liberum est quod causa sui est, ut dicitur in I Metaph. Quod ergo non potest agere nisi causa in ipso agente non est liberum in agendo. Sed voluntas nostra est libera in agendo. Ergo potest agere, nulla alia causa in ipsa operante: et sic idem quod prius.

 

14. Est libre ce qui est cause de soi, comme il est dit (Métaphysique, I, 2, 982 b 25[6]). Donc ce qui ne peut agir que par une cause qui agit en lui n'est pas libre en agissant. Mais notre volonté est libre quand nous agissons. Donc elle peut agir, sans autre cause qui opère en elle. Et ainsi de même que plus haut.

 

q. 3 a. 7 arg. 15 Praeterea, causa prima plus est influens in causatum quam causa secunda. Si ergo Deus operetur in voluntate et natura, sicut causa prima in secunda; sequeretur quod defectus qui accidunt in operatione voluntatis et naturae, magis Deo quam naturae vel voluntati attribuerentur; quod est inconveniens.

15. La cause première[7] a plus d'influence dans l'effet que la cause seconde. Si donc Dieu opérait dans la volonté et la nature, comme cause première dans la cause seconde, il en découlerait que les défaillances qui arrivent dans l'opération de la volonté et de la nature, seraient attribuées plus à Dieu qu'à la nature ou à la volonté; ce qui ne convient pas.

 

q. 3 a. 7 arg. 16 Praeterea, posita causa sufficienter operante, superfluum est alterius causae operationem ponere. Sed constat, si Deus operetur in natura et voluntate, quod sufficienter operatur. Ergo superflueret omnis operatio naturae et voluntatis. Cum ergo in natura nihil sit superfluum; nec natura nec voluntas aliquid operaretur, sed solus Deus. Hoc autem est inconveniens. Ergo et primum, scilicet quod Deus in natura et voluntate operetur.

 

16. Si on pose une cause qui opère valablement, il est superflu de poser l'opération d'une autre. Mais il est clair que, si Dieu opérait dans la nature et la volonté, il le ferait valablement ("Car les oeuvres de Dieu sont parfaites", Dt. 32, 4[8]). Donc toute opération de la nature et de la volonté serait superflue Aussi comme dans la nature rien n'est superflu, ni la nature, ni la volonté n'opérerait, mais Dieu seul. Cela ne convient pas. Donc il faut s'en tenir à la première solution, à savoir que Dieu opèrerait dans la nature et la volonté.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Is. XXVI, vers. 12: omnia opera nostra operatus es in nobis, domine.

1. Isaïe dit. (26, 12): "Tu as accompli tous nos oeuvres en nous, Seigneur [9]."

 

q. 3 a. 7 s. c. 2 Praeterea, sicut ars praesupponit naturam, ita natura praesupponit Deum. Sed in operatione artis operatur natura; non enim sine operatione naturae, artis operatio efficitur, sicut igne emollitur ferrum ut percussione fabri extendatur. Ergo et Deus in operatione naturae operatur.

2. De même que l'art présuppose la nature, la nature présuppose Dieu. Mais la nature opère dans l'opération de l'art, car sans elle, l'opération de l'art ne se fait pas, de même que le feu ramollit le fer, de sorte qu'il s'allonge sous les coups du forgeron. Donc Dieu aussi opère dans l'opération de nature.

 

q. 3 a. 7 s. c. 3 Praeterea, secundum philosophum, homo generat hominem et sol. Sed sicut operatio hominis in generatione dependet ab actione solis, ita et multo amplius actio naturae dependet ab actione Dei. Ergo quidquid operatur natura etiam Deus operatur.

 

3. Selon le philosophe (Physique, II, 2, 194 b 13[10]), l'homme et le soleil engendrent l'homme. Mais de même que l'opération de l'homme dans la génération dépend de l'action du soleil, ainsi et beaucoup plus l'action de la nature dépend de l'action de Dieu. Donc ce que fait la nature, Dieu le fait aussi.

 

q. 3 a. 7 s. c. 4 Praeterea, nihil potest operari nisi sit ens. Sed natura non potest esse nisi Deo operante; in nihilum enim decideret nisi divinae potentiae actione conservaretur in esse, ut patet per Augustinum super Genes. ad litteram. Ergo natura non potest agere nisi Deo agente.

4. Rien ne peut opérer sinon l'étant. Mais la nature ne peut exister que si Dieu opère, car elle retournerait au néant si la puissance divine par son action ne la conservait pas dans l'être[11], comme on le lit chez Augustin (La Genèse au sens littéral). Donc la nature ne peut agir que si Dieu agit.

 

q. 3 a. 7 s. c. 5 Praeterea, virtus Dei est in qualibet re naturali, quia Deus in omnibus rebus esse dicitur per essentiam et potentiam et praesentiam. Sed non est dicendum quod virtus divina secundum quod est in rebus sit otiosa. Ergo secundum quod est in natura operatur. Nec potest dici quod aliud quam ipsa natura operetur, cum non appareat ibi nisi una operatio. Ergo in qualibet naturae operatione Deus operatur.

5. Le pouvoir de Dieu est en chaque être naturel, parce qu'on dit qu'il est en toutes choses par essence, puissance et présence[12]. Mais il ne faut pas dire que le pouvoir divin, selon qu'il est dans les choses, est inutile. Donc, selon qu'il est dans la nature, il opère. Et on ne peut pas dire qu'autre chose que la nature elle-même opère, puisque ici n'apparaît qu'une seule opération. Donc Dieu opère en chaque opération de la nature.

 

Réponse:

q. 3 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod simpliciter concedendum est Deum operari in natura et voluntate operantibus. Sed quidam hoc non intelligentes, in errorem inciderunt: attribuentes Deo hoc modo omnem naturae operationem quod res penitus naturalis nihil ageret per virtutem propriam; et ad hoc quidem ponendum sunt diversis rationibus moti.

Il faut absolument concéder que Dieu opère dans ce qui opère par nature et volonté. Mais certains, qui ne l'ont pas compris, sont tombés dans l'erreur, en attribuant à Dieu toute opération de la nature, de telle sorte que la chose naturelle ne ferait strictement rien par son pouvoir propre, et pour l'établir, ils y ont été poussés par diverses raisons .

 

Quidam enim loquentes in lege Maurorum, ut Rabbi Moyses narrat, dixerunt, omnes huiusmodi naturales formas accidentia esse: et cum accidens in aliud subiectum transire non possit, impossibile reputabant quod res naturalis per formam suam aliquo modo induceret similem formam in alio subiecto; unde dicebant quod ignis non calefacit, sed Deus creat calorem in re calefacta.

 

A) Certains parlant selon la loi des Musulmans, comme Rabbi Moyses (Maïmonide[13]) le raconte, ont dit que toutes les formes naturelles étaient des accidents[14], et comme l'accident ne peut pas passer dans un autre sujet, ils considéraient comme impossible que la chose naturelle, par sa forme, introduise d'une certaine manière une forme semblable dans un autre substrat. C'est pour cela qu'ils disaient que le feu ne chauffe pas, mais que Dieu crée la chaleur dans l'objet chauffé[15].

 

Sed si obiiceretur contra eos, quod ex applicatione ignis ad calefactibile, semper sequatur calefactio, nisi per accidens esset aliquid impedimentum igni, quod ostendit ignem esse causam caloris per se; dicebant, quod Deus ita statuit ut iste cursus servaretur in rebus, quod nunquam ipse calorem causaret nisi apposito igne; non quod ignis appositus aliquid ad calefactionem faceret.

 

Mais si on leur objectait que de l'application du feu à ce qu'on chauffe, il en découle toujours un échauffement, sauf si, par accident, le feu était empêché, ce qui montre qu'il est la cause de la chaleur en soi, ils disaient que Dieu a décidé que ce concours serait conservé dans les choses, que jamais lui-même ne causerait la chaleur sauf si le feu était placé tout près et que ce n'était pas le feu placé à côté d'un objet qui provoquait l'échauffement.

 

Haec autem positio est manifeste repugnans sensui: nam cum sensus non sentiat nisi per hoc quod a sensibili patitur (quod etsi in visu sit dubium, propter eos qui visum extra mittendo fieri dicunt, in tactu et in aliis sensibus est manifestum), sequitur quod homo non sentiat calorem ignis si per ignem agentem non sit similitudo caloris ignis in organo sentiendi. Si enim illa species caloris in organo ab alio agente fieret, tactus etsi sentiret calorem, non tamen sentiret calorem ignis nec sentiret ignem esse calidum, cum tamen hoc iudicet sensus, cuius iudicium in proprio sensibili non errat.

 

Mais cette position[16] s'oppose manifestement à nos sens: puisque en effet, ils ne perçoivent que par ce qu'ils reçoivent du sensible (même si pour la vue[17], il y a un doute à cause de ceux qui disent que la vue fonctionne en se projetant à l'extérieur, pour le toucher et les autres sens c'est clair); il s'ensuit que l'homme ne sent pas la chaleur du feu si par le feu agent, il n'y a pas la ressemblance de la chaleur du feu dans l'organe de la sensation. Car si cette espèce de chaleur était faite dans l'organe par un autre agent, même si le toucher sentait la chaleur, il ne sentirait pas la chaleur du feu ni que le feu est chaud, puisque le sens dont le jugement ne se trompe pas dans sa propre sensibilité le juge ainsi.

 

Repugnat etiam rationi, per quam ostenditur in rebus naturalibus nihil esse frustra. Nisi autem res naturales aliquid agerent, frustra essent eis formae et virtutes naturales collatae: sicut si cultellus non incideret, frustra haberet acumen. Frustra etiam requireretur appositio ignis ad ligna, si Deus absque igne ligna combureret.

Cela s'oppose aussi à la raison: par elle, on démontre que rien n'est vain dans les choses naturelles. Si elles ne faisaient rien, les formes et les pouvoirs naturels qui s'y trouvent leur seraient inutiles. Ainsi si le couteau ne coupait pas, c'est en vain qu'il aurait une lame. Et on chercherait en vain de mettre en contact le feu avec bois, si Dieu brûlait le bois sans feu[18].

 

Repugnat etiam divinae bonitati, quae sui communicativa est; ex quo factum est quod res Deo similes fierent non solum in esse, sed etiam in agere. Ratio vero quam pro se inducunt, est omnino frivola. Nam cum dicitur accidens de subiecto in subiectum aliud non transire, intelligitur de accidente eodem secundum numerum, non quia simile accidens secundum speciem possit induci in aliud subiectum virtute accidentis quod alicui subiecto naturali inest. Et hoc est necesse in omni actione naturali contingere. Falsum etiam est quod supponunt, omnes formas esse accidentia: quia sic nullum esset in rebus naturalibus esse substantiale, cuius principium forma accidentalis esse non potest, sed substantialis tantum. Periret etiam generatio et corruptio, et multa alia inconvenientia sequerentur.

Cela s'oppose aussi à la bonté divine qui se communique d'elle-même; de là vient que les créatures ressemblent à Dieu, non seulement dans leur être, mais aussi dans leur agir. Mais la raison qu'ils avancent en leur faveur est tout à fait futile. En effet, quand on dit que l'accident ne passe pas d'un substrat dans un autre, on le comprend de ce même accident selon le nombre, et non pas parce qu'un accident d'une espèce semblable pourrait être induit dans un autre substrat par le pouvoir de l'accident qui est dans un sujet naturel. Et il est nécessaire que cela arrive dans toute action naturelle. Mais qu'ils supposent que toutes les formes sont des accidents est faux, parce qu'ainsi, il n'y aurait aucun être substantiel dans les choses naturelles, dont le principe ne peut pas être une forme accidentelle, mais une forme substantielle seulement. La génération et la corruption disparaîtraient et beaucoup d'autres inconvénients en découleraient.

 

Avicebron etiam in libro fontis vitae dicit, quod nulla substantia corporalis agit, sed vis spiritualis penetrans per omnia corpora agit in eis, et tanto corpus aliquod est magis activum quanto est purius et subtilius et per consequens a virtute spirituali penetrabilius. Et ad hoc inducit tres rationes:

 

quarum prima est, quod omne agens post Deum requirit subiectam materiam in quam agat; corporali autem substantiae non subiicitur aliqua materia, et sic videtur quod agere non possit.

B) Avicebron[19] aussi, dans son livre, “La Fontaine de vie”, dit qu'aucune substance corporelle n'agit, mais que c'est une puissance spirituelle qui pénètre à travers tous les corps qui agit en elles, et plus un corps est actif, plus il est pur et subtil et par conséquent plus accessible au pouvoir spirituel. Et à cela il apporte trois raisons:

 

1. Tout agent après Dieu a besoin d'une matière qui est un substrat, dans laquelle il agit; mais la matière n'est pas subordonnée à la substance corporelle et ainsi il semble qu'elle ne puisse pas agir.

 

Secunda est quia quantitas impedit actionem et motum: cuius signum ponit, quia multitudo quantitatis retardat motum et addit corpori gravitatem; et ita substantia corporalis quae est implicita quantitati, agere non potest.

2. La quantité empêche l'action et le mouvement; il en donne comme preuve qu'une très grande quantité retarde le mouvement et ajoute de la lourdeur au corps et ainsi la substance corporelle qui est mêlée à la quantité ne peut pas agir.

 

Tertia ratio est, quod substantia corporalis est remotissima a primo agente, quod est agens tantum et non patiens, substantiae autem mediae sunt agentes et patientes; unde oportet substantiam corporalem, quae est ultima, esse patientem tantum et non agentem.

3. La substance corporelle est très loin du premier agent, qui est agent seulement et non patient; les substances intermédiaires sont agents et patients; c'est pourquoi il faut que la substance corporelle, qui est la dernière soit "patiente" seulement et non agent.

 

Sed in hoc est manifesta deceptio ex hoc quod accipitur tota substantia corporalis quasi una et eadem numero substantia, ac si non esset secundum esse substantiale distincta sed solo accidente. Si enim diversae substantiae corporales substantialiter distinctae accipiantur, tunc non quaelibet substantia corporalis erit ultima entium et remotissima a primo agente, sed una erit alia superior et primo agenti propinquior, et sic una in alia agere poterit.

 

Mais l'erreur est manifeste, du fait qu'on prend toute la substance corporelle comme une seule et même substance par le nombre, comme si elle n'était pas distincte selon son être substantiel mais seulement par l'accident. Car si on accepte que les diverses substances corporelles comme substantiellement distinctes, alors ce n'est pas une quelconque substance corporelle qui sera le dernier des étants et la plus éloignée du premier agent, mais l'une sera supérieure à l'autre et plus proche du premier agent, et ainsi l'une pourra agir dans l'autre.

 

Item in praedictis consideratur substantia corporalis tantum secundum rationem materiae, et non ratione suae formae, cum tamen ex utroque sit composita. Substantiae enim corporali competit esse ultimum entium, et non habere inferius subiectum, ratione materiae, non autem ratione formae; quia ratione formae est inferius subiectum omnis substantia in cuius materia est in potentia forma illa quam haec res designata habet in actu.

 

De même, dans ce qui a été dit, on ne considère la substance corporelle qu'en raison de la matière et non de sa forme, alors qu'elle est composée de l'une et l'autre. Il appartient, en effet, à la substance corporelle d'être le dernier des étants et de ne pas avoir un substrat plus bas, à cause de la matière, mais non de la forme; parce que, en raison de celle-ci, toute substance est un substrat plus bas, dans la matière de qui il y a en puissance cette forme que cette chose possède en acte.

 

Et inde sequitur quod est mutua actio in substantiis corporalibus, cum in materia unius sit in potentia forma alterius, et e converso. Si autem ipsa forma non est sufficiens ad agendum eadem ratione nec vis substantiae spiritualis, quam corporalis substantia per modum suum necesse est quod recipiat.

 

ICIC

Et de là découle qu'il y a une action mutuelle dans les substances corporelles, puisque dans la matière de l'une la forme de l'autre est en puissance, et inversement. Mais si la forme même n'est pas suffisante pour agir, par une même raison, le pouvoir de la substance spirituelle, qu'il est nécessaire que la substance corporelle reçoive à sa manière, non plus.

 

Quantitas etiam non tollit motum et actionem, cum nihil moveatur nisi quantum ut in VI Physic. probatur. Nec est verum quod quantitas sit causa gravitatis. Hoc enim reprobatur in IV Cael. et mundi. Unde et quantitas addit in velocitatem motus naturalis; nam corpus grave quanto est maius, tanto velocius deorsum fertur, et similiter leve sursum. Licet etiam quantitas secundum se non sit actionis principium non tamen potest assignari ratio quare actionem impediat, cum magis sit quoddam instrumentum qualitatis activae, nisi quatenus formae activae in materia subiecta quantitati receptae, esse quoddam limitatum recipiunt et individuatum ad materiam illam, ut sic per actionem in aliam materiam non se extendat. Sed quamvis esse individuatum in materia consequantur, rationem tamen speciei non amittunt, ex qua simile sibi in specie producere possunt, licet ipsaemet in alio subiecto esse non possint.

 

La quantité n'enlève ni le mouvement, ni l'action, puisque rien n'est mû si ce n'est qu'à sa mesure, comme on le prouve Physique, VI, 3, 233 b 19 – 234 a 35[20]). Il n'est pas vrai que la quantité soit la cause de la pesanteur. Car cela est rejeté au livre IV Du ciel (p. 151 B 313 a 4). C'est pourquoi la quantité ajoute à la vitesse du mouvement naturel, car plus un corps lourd est grand, plus vite il descend, et c'est pareil pour le corps léger vers le haut. Bien que la quantité en soi ne soit pas principe d'action, on ne peut trouver cependant la raison pour laquelle elle empêcherait l'action, puisqu'elle serait plus un instrument de la qualité active, sauf dans la mesure où les formes actives, reçue dans la matière soumise à la quantité, reçoivent un être limité et individualisé pour cette matière pour qu'ainsi, par son action, elle ne s'étende pas à une autre matière. Mais quoiqu'elles atteignent un être individualisé dans la matière, cependant elles ne perdent pas la nature de l'espèce, du fait qu'elles peuvent y produire quelque chose de semblable à elles, en espèce, bien qu'elles ne le puissent être elles-mêmes dans un autre sujet.

 

Non ergo sic est intelligendum quod Deus in omni re naturali operetur, quasi res naturalis nihil operetur; sed quia in ipsa natura vel voluntate operante Deus operatur: quod quidem qualiter intelligi possit, ostendendum est.

Ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre que Dieu opère en toute chose naturelle, comme si elle ne faisait rien, mais parce qu'il opère dans la nature même ou dans la volonté en son opération, il faut montrer comment on peut le comprendre.

 

Sciendum namque est, quod actionis alicuius rei res alia potest dici causa multipliciter.

Car il faut savoir qu'une chose peut être appelée cause d'une autre de multiples façons.

 

Uno modo quia tribuit ei virtutem operandi; sicut dicitur in IV Physic., quod generans movet grave et leve, in quantum dat virtutem per quam consequitur talis motus: et hoc modo Deus agit omnes actiones naturae, quia dedit rebus naturalibus virtutes per quas agere possunt, non solum sicut generans virtutem tribuit gravi et levi, et eam ulterius non conservat, sed sicut continue tenens virtutem in esse, quia est causa virtutis collatae, non solum quantum ad fieri sicut generans, sed etiam quantum ad esse, ut sic possit dici Deus causa actionis in quantum causat et conservat virtutem naturalem in esse.

1. D'une première manière, parce qu'elle lui attribue le pouvoir d'opérer, comme on le dit en Physique, IV 3, 210 a 14-24, parce que celui qui engendre met en mouvement le lourd et le léger dans la mesure où il donne un pouvoir d'où découle un tel mouvement. Et Dieu, de cette manière, accomplit toutes les actions de nature, parce qu'il a donné aux choses naturelles des pouvoirs par lesquels elles peuvent agir, non seulement comme celui qui engendre fournit un pouvoir au lourd et au léger, et ne le conserve plus, mais comme celui qui maintient continuellement ce pouvoir dans l'être, parce qu'il est cause du pouvoir qui lui est attribué, non seulement quant au devenir comme celui qui engendre, mais aussi quant à l'être, de sorte qu'ainsi on peut dire que Dieu est la cause de l'action dans la mesure où il cause et conserve en l'être le pouvoir naturel.

 

Nam etiam alio modo conservans virtutem dicitur facere actionem, sicut dicitur quod medicinae conservantes visum, faciunt videre. Sed quia nulla res per se ipsam movet vel agit nisi sit movens non motum.

2. Car d'une autre manière, on dit qu'en conservant ce pouvoir, il accomplit l'action, de même qu'on dit que les remèdes qui conservent la vue font voir. Mais parce que rien ne se meut par soi ou n'agit que s'il est un moteur non mû.

 

Tertio modo dicitur una res esse causa actionis alterius in quantum movet eam ad agendum; in quo non intelligitur collatio aut conservatio virtutis activae, sed applicatio virtutis ad actionem; sicut homo est causa incisionis cultelli ex hoc ipso quod applicat acumen cultelli ad incidendum movendo ipsum. Et quia natura inferior agens non agit nisi mota, eo quod huiusmodi corpora inferiora sunt alterantia alterata; caelum autem est alterans non alteratum, et tamen non est movens nisi motum, et hoc non cessat quousque perveniatur ad Deum: sequitur de necessitate quod Deus sit causa actionis cuiuslibet rei naturalis ut movens et applicans virtutem ad agendum.

 

3. D'une troisième manière, on dit qu'une chose est la cause de l'action d'une autre dans la mesure où elle la pousse à agir; en cela on ne comprend pas l'attribution ou la conservation du pouvoir actif, mais son application à l'action. Ainsi l'homme est la cause de l'entaille du couteau du seul fait qu'il applique son tranchant pour couper en le manipulant. Et parce que la nature, agent inférieur, n'agit que si elle est mue, de tels corps inférieurs changent en étant eux-mêmes changés. Mais le ciel provoque des changements sans être changé, et cependant il n'est moteur que mû, et cela ne cessera que jusqu'à ce qu'on parvienne à Dieu. Il découle nécessairement que Dieu est la cause de l'action d'une chose naturelle comme moteur, qui applique le pouvoir pour agir.

 

Unde quarto modo unum est causa actionis alterius, sicut principale agens est causa actionis instrumenti; et hoc modo etiam oportet dicere, quod Deus est causa omnis actionis rei naturalis. Quanto enim aliqua causa est altior, tanto est communior et efficacior, et quanto est efficacior, tanto profundius ingreditur in effectum, et de remotiori potentia ipsum reducit in actum.

 

4. C'est pourquoi, d'une quatrième manière, l'un est cause de l'action de l'autre, comme l'agent principal est cause de l'action de l'instrument, et de cette manière aussi, il faut dire que Dieu est cause de toute action de l'être naturel. Car plus une cause est élevée, plus elle est commune et efficace, et plus elle est efficace, plus elle entre profondément dans l'effet et, d'une puissance plus éloignée, elle l'amène à l'acte.

 

In qualibet autem re naturali invenimus quod est ens et quod est res naturalis, et quod est talis vel talis naturae.;

Dans n'importe quel être naturel[21], on trouve qu'il y a l'étant, la chose naturelle, et ce qui est de telle ou telle nature.

 

Quorum primum est commune omnibus entibus;

1) Le premier est commun à tous les étants;

 

secundum omnibus rebus naturalibus

2) le second à toutes les choses naturelles,

 

tertium in una specie; et quartum, si addamus accidentia, est proprium huic individuo.

 

3) le troisième à une seule espèce,

 

4) et le quatrième, si on ajoute les accidents, est propre à cet individu particulier.

 

Hoc ergo individuum agendo non potest constituere aliud in simili specie nisi prout est instrumentum illius causae, quae respicit totam speciem et ulterius totum esse naturae inferioris. Et propter hoc nihil agit ad speciem in istis inferioribus nisi per virtutem corporis caelestis, nec aliquid agit ad esse nisi per virtutem Dei. Ipsum enim esse est communissimus effectus primus et intimior omnibus aliis effectibus; et ideo soli Deo competit secundum virtutem propriam talis effectus: unde etiam, ut dicitur in Lib. de causis, intelligentia non dat esse, nisi prout est in ea virtus divina.

 

Donc ce dernier en agissant ne peut en constituer une autre dans la même espèce que dans la mesure où il est l'instrument de cette cause, qui concerne toute l'espèce et davantage tout l'être de nature inférieure. Et pour cette raison rien n'agit pour l'espèce dans ces choses inférieures que par le pouvoir d'un corps céleste, et rien n'agit pour l'être que par le pouvoir de Dieu. Car l'être lui-même est le premier effet le plus commun et plus intime[22] que tous les autres effets et c'est pourquoi il convient à Dieu seul, selon le pouvoir propre d'un tel effet: c'est pourquoi, comme aussi on le dit dans le Livre des Causes (prop. 9[23]), l'Intelligence ne donne l'être que dans la mesure où il y a en elle un pouvoir divin.

 

Sic ergo Deus est causa omnis actionis, prout quodlibet agens est instrumentum divinae virtutis operantis. Sic ergo si consideremus supposita agentia, quodlibet agens particulare est immediatum ad suum effectum. Si autem consideremus virtutem qua fit actio, sic virtus superioris causae erit immediatior effectui quam virtus inferioris; nam virtus inferior non coniungitur effectui nisi per virtutem superioris; unde dicitur in Lib. de Caus., quod virtus causae primae prius agit in causatum, et vehementius ingreditur in ipsum.

Ainsi donc Dieu est cause de toute action, dans la mesure où n'importe quel agent est l'instrument du pouvoir divin en son opération. Si donc nous considérons les suppôts agents, n'importe quel agent particulier est sans intermédiaire à son effet. Mais si nous considérons le pouvoir par lequel l'action est accomplie, alors le pouvoir de la cause supérieure sera plus immédiat dans l'effet que celui de la cause inférieure, car ce dernier n'est joint à l'effet que par le pouvoir du supérieur. C'est pourquoi il est dit dans Le livre des Causes (prop. 1), que la pouvoir de la cause première agit avant dans l'effet et entre plus fortement en lui.

 

Sic ergo oportet virtutem divinam adesse cuilibet rei agenti, sicut virtutem corporis caelestis oportet adesse cuilibet corpori elementari agenti. Sed in hoc differt; quia ubicumque est virtus divina, est essentia divina; non autem essentia corporis caelestis est ubicumque est sua virtus: et iterum Deus est sua virtus, non autem corpus caeleste.

Ainsi donc il faut que le pouvoir divin soit présent à tout ce qui agit, de même qu'il faut que le pouvoir du corps céleste le soit à tout corps élémentaire qui agit. Mais la différence c'est que partout où il y a le pouvoir divin, il y a l'essence divine. L'essence du corps céleste n'est pas partout où est son pouvoir; en plus Dieu est son propre pouvoir, mais pas le corps céleste.

 

Et ideo potest dici quod Deus in qualibet re operatur in quantum eius virtute quaelibet res indiget ad agendum: non autem potest proprie dici quod caelum semper agat in corpore elementari, licet eius virtute corpus elementare agat. Sic ergo Deus est causa actionis cuiuslibet in quantum dat virtutem agendi, et in quantum conservat eam, et in quantum applicat actioni, et in quantum eius virtute omnis alia virtus agit. Et cum coniunxerimus his, quod Deus sit sua virtus, et quod sit intra rem quamlibet non sicut pars essentiae, sed sicut tenens rem in esse, sequetur quod ipse in quolibet operante immediate operetur, non exclusa operatione voluntatis et naturae.

 

C'est pourquoi on peut dire que Dieu opère en toute chose dans la mesure où elle a besoin de son pouvoir pour agir; mais on ne peut proprement dire que le ciel agit toujours dans le corps élémentaire, bien que ce soit par son pouvoir que le corps élémentaire agisse. Ainsi donc Dieu est cause de n'importe quelle action dans la mesure où il donne le pouvoir d'agir, où il le conserve et, il l'applique à l'action et où tout autre pouvoir agit dans le sien. Et comme nous avons ajouté à cela que Dieu est son propre pouvoir, et qu'il est en n'importe quelle chose, non comme une partie de son essence, mais comme celui qui la conserve dans l'être, il en découle que lui-même opère sans intermédiaire en n'importe quel être en son opération, sans exclure l'opération de la volonté et de la nature.

 

Solutions

q. 3 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus activa et passiva rei naturalis sufficiunt ad agendum in ordine suo; requiritur tamen virtus divina, ratione iam dicta, in corp. art.

# 1. Le pouvoir actif et passif d'une chose naturelle suffisent pour agir en son ordre. Cependant elle a besoin du pouvoir divin, pour la raison déjà dite dans le corps de l'article

 

q. 3 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio virtutis naturalis ad Deum et corporis elementaris ad corpus caeleste sunt quantum ad aliquid similes, non autem quantum ad omnia.

# 2. L'opération du pouvoir naturel relativement à Dieu et celle du corps élémentaire relativement au corps céleste sont semblables en un certain point, mais pas en tout.

 

q. 3 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum quod in operatione qua Deus operatur movendo naturam, non operatur natura; sed ipsa naturae operatio est etiam operatio virtutis divinae; sicut operatio instrumenti est per virtutem agentis principalis. Nec impeditur quin natura et Deus ad idem operentur, propter ordinem qui est inter Deum et naturam.

 

# 3. Dans l'opération par laquelle Dieu opère en mettant en mouvement la nature, la nature n'opère pas. Mais l'opération même de la nature est aussi une opération du pouvoir divin, de même que l'opération de l'instrument existe par le pouvoir de l'agent principal. Et rien n'empêche que la nature et Dieu opèrent sur un même objet, à cause de l'ordre entre Dieu et la nature[24]..

 

q. 3 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tam Deus quam natura immediate operantur; licet ordinentur secundum prius et posterius, ut ex dictis patet.

 

# 4. Dieu autant que la nature opère sans intermédiaire, bien qu'ils soient ordonnés selon un avant et un après, comme cela apparaît dans ce qui a été dit.

 

q. 3 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de ratione virtutis inferioris est quod sit aliquo modo operationis principium in suo ordine, id est ut agat ut instrumentum superioris virtutis: unde, exclusa superiori virtute, inferior virtus operationem non habet.

# 5. Il appartient à un pouvoir inférieur d'être en quelque manière principe d'opération en son ordre, c'est-à-dire qu'il agisse comme instrument d'un pouvoir supérieur. C'est pourquoi, si le pouvoir supérieur est exclus, le pouvoir inférieur n'a pas d'opération..

 

q. 3 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non solum est causa operationis naturae ut conservans virtutem naturalem in esse, sed aliis modis, ut dictum est.

 

# 6. Dieu est non seulement la cause de l'opération de la nature, en tant qu'il conserve le pouvoir naturel dans l'être, mais aussi par d'autres moyens, comme on l'a dit.

 

q. 3 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus naturalis quae est rebus naturalibus in sua institutione collata, inest eis ut quaedam forma habens esse ratum et firmum in natura. Sed id quod a Deo fit in re naturali, quo actualiter agat, est ut intentio sola, habens esse quoddam incompletum, per modum quo colores sunt in aere, et virtus artis in instrumento artificis. Sicut ergo securi per artem dari potuit acumen, ut esset forma in ea permanens, non autem dari ei potuit quod vis artis esset in ea quasi quaedam forma permanens, nisi haberet intellectum; ita rei naturali potuit conferri virtus propria, ut forma in ipsa permanens, non autem vis qua agit ad esse ut instrumentum primae causae; nisi daretur ei quod esset universale essendi principium: nec iterum virtuti naturali conferri potuit ut moveret se ipsam, nec ut conservaret se in esse: unde sicut patet quod instrumento artificis conferri non oportuit quod operaretur absque motu artis; ita rei naturali conferri non potuit quod operaretur absque operatione divina.

 

# 7. Le pouvoir naturel, placé dans les choses naturelles en leur constitution est en elles comme une forme ayant un être déterminé et ferme en nature. Mais ce qui est fait par Dieu, dans un être naturel où il agit de manière actuelle est comme une intention seule avec un être incomplet, à la manière dont les couleurs sont dans l'air, et le pouvoir de l'art dans l'instrument de l'artiste. Ainsi donc on a pu donner un tranchant à la hache pour qu'il y soit forme permanente, mais on n'aurait pu lui donner le pouvoir de l'art comme forme permanente que si elle avait une intelligence. De la même manière, un pouvoir propre a pu être conféré à la chose naturelle, comme une forme permanente en elle, mais non la force par laquelle elle agit pour être comme l'instrument de la cause première, à moins de lui donner ce qui serait le principe universel d'être. Et il n'a pu, non plus, être conféré au pouvoir naturel de se mouvoir lui-même, ni de se conserver dans l'être lui-même. C'est pourquoi, de même qu'il est évident qu'il ne fallut pas qu'il soit donné à l'instrument de l'artisan d'opérer sans le mouvement de l'art, de même, il n'a pu être donné à la chose naturelle d'opérer sans l'opération divine.

 

q. 3 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod necessitas naturae, per quam calor agit, constituitur ex ordine omnium causarum praecedentium; unde non excluditur virtus causae primae.

# 8. La nécessité naturelle, par laquelle la chaleur agit, est constituée de l'ordre de toutes les causes précédentes. C'est pourquoi le pouvoir de la cause première n'est pas exclu.

 

q. 3 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet natura et voluntas sint secundum esse disparata, tamen in agendo habent aliquem ordinem. Nam sicut actio naturae praecedit actionem voluntatis nostrae, ratione cuius in operibus artis, quae a voluntate sunt, naturae operatione indiget; ita voluntas Dei, quae est origo omnis naturalis motus, praecedit operationem naturae; unde et eius operatio in omni operatione naturae requiritur.

 

# 9. Bien que la nature et la volonté soient différentes selon leur être, cependant elles ont un certain ordre en agissant. Car, de même que l'action de la nature précède l'action de notre volonté, pour la raison que dans les opérations de l'art, qui dépendent de la volonté, celle-ci a besoin de l'opération de nature; de même la volonté de Dieu, qui est l'origine de tout mouvement naturel, précède l'opération de la nature; c'est pourquoi son opération est requise dans toute opération de nature.

 

q. 3 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod creatura habet aliquam Dei similitudinem participando bonitatem ipsius, in quantum est et agit, non tamen ita quod per similitudinis perfectionem ad aequalitatem perveniat; et ideo sicut imperfectum indiget perfecto, ita virtus naturae in agendo indiget operatione divina.

# 10. La créature a une certaine ressemblance à Dieu en participant à sa bonté, dans la mesure où elle est et agit, non cependant de manière à l'égaler par la perfection de cette ressemblance. Et c'est pourquoi, de même que l'imparfait a besoin du parfait, ainsi le pouvoir de la nature dans son action a besoin de l'opération divine.

 

q. 3 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod duo Angeli minus distant secundum gradum naturae quam Deus et natura creata; tamen in ordine causae et effectus, Deus et natura conveniunt, non autem duo Angeli; unde Deus in natura operatur, non autem unus Angelus in alio.

# 11. Deux anges sont moins distants selon la hiérarchie de la nature que Dieu et la nature créée; cependant dans l'ordre de la cause et de l'effet, Dieu et la nature se rencontrent, mais pas deux anges. C'est pour cela que Dieu opère dans la nature, mais pas un ange dans un autre.

 

q. 3 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus non dicitur hominem dereliquisse in manu consilii sui, quin in voluntate operetur; sed quia voluntati hominis dedit dominium sui actus, ut non esset obligata ad alteram partem contradictionis: quod quidem dominium naturae non dedit, cum per suam formam sit determinata ad unum.

# 12. On ne dit pas que Dieu a abandonné l'homme à son conseil, au point de ne plus opérer dans sa volonté, mais parce qu'il a donné à la volonté de l'homme le pouvoir sur son action, pour qu'elle ne soit pas liée à l'autre partie de la contradiction[25]: il n'a pas donné le pouvoir à la nature, puisque par sa forme elle est déterminée à un objet unique.

 

q. 3 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod voluntas dicitur habere dominium sui actus non per exclusionem causae primae, sed quia causa prima non ita agit in voluntate ut eam de necessitate ad unum determinet sicut determinat naturam; et ideo determinatio actus relinquitur in potestate rationis et voluntatis.

# 13. On dit que la volonté a pouvoir sur son action non en excluant la cause première, mais parce que celle-ci n'agit pas dans la volonté de sorte à la déterminer nécessairement à un objet, comme elle détermine la nature et ainsi la détermination de l'acte est laissée au pouvoir de la raison et de la volonté.

 

q. 3 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quaelibet causa excludit libertatem, sed solum causa cogens: sic autem Deus non est causa operationis nostrae.

# 14. Ce n'est pas n'importe quelle cause qui enlève la liberté mais seulement une cause contraignante, mais ainsi Dieu n'est pas cause de notre opération.

 

q. 3 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod quia causa prima magis influit in effectum quam secunda, ideo quidquid perfectionis est in effectu, principaliter reducitur ad primam causam; quod autem est de defectu, reducendum est in causam secundam, quae non ita efficaciter operatur sicut causa prima.

# 15. Parce que la cause première influe plus sur l'effet que la cause seconde, ce qu'il y a de perfection dans l'effet, est ramené principalement à la cause première; mais ce qui est défaillance, doit être ramené à la cause seconde, qui n'opère pas aussi efficacement que la cause première[26].

 

q. 3 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Deus perfecte operatur ut causa prima; requiritur tamen operatio naturae ut causae secundae. Posset tamen Deus effectum naturae etiam sine natura facere; vult tamen facere mediante natura, ut servetur ordo in rebus.

 

# 16. Dieu opère de manière parfaite comme cause première; cependant l'opération de la nature est requise comme cause seconde. Dieu pourrait cependant produire un effet de nature même sans la nature, mais il veut le faire par l'intermédiaire de la nature pour conserver l'ordre des choses.

 

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[1] Ia, 105, a. 5 – CG. III, 67 – Compendium. 135 – II. Sent. d1q1a4. – [autres réf. Ia, qu. 25, a. 4 CG. III, 67-70 – I Sent. d37q1a1 ad 4 – q2a2 – II Sent. d1q1a1.]

 

[2] Pour la définition de la nature, voir Physique, II, 1, 192b.

 

[3] Un des quatre éléments.

 

[4] Il donne à virtus un sens proche de "puissance", mais il faut distinguer les deux mots puisqu'il les emploie tous les deux, en appliquant cependant à virtus la définition de la puissance par Aristote en Métaphysique V, Cf. Pot. qu. 1, a. 1, obj. 3

 

[5] Cf. C.G. III, 66, § 1: "...tous les agents inférieurs ne donnent l'être qu'en tant qu'ils agissent dans le pouvoir divin."

 

[6] "Nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre." Aristote § 29 (Trad. Tricot), Thomas n° 58. Le commentaire de Thomas s'appuie sur le texte suivant: "...homo liber, qui suimet et non alterius causa est."

 

[7] Cf. Pot. 3, 9, obj. 25. Cf. aussi De causis, Prop. 1

 

[8] L'édition Marietti ajoute la citation.

 

[9] Même sed contra en Ia, 105, 5. Ce même verset sert à démontrer la présence de Dieu en toutes choses (Ia, qu. 8, a. 1). La vulgate omet in.

 

[10] Aristote n° 116, Thomas n° 175.

 

[11] Sur la conservation voir Pot. 5, 1, et Ia, 104.

 

[12] Thomas précise dans le Compendium I, 135: "Par essence, dans la mesure où être de quelque manière est une certaine participation à l'esse divin, et ainsi l'essence divine est présente à tout existant, dans la mesure où il a l'être cause de l'effet propre [comme cause d'être, Ia, 8, 3], par puissance, dans la mesure où tout agit dans son pouvoir [dans la mesure où tout est soumis à son pourvoir, Ia, 8, 3], par présence ensuite, dans la mesure où lui-même ordonne et dispose tout sans intermédiaire [dans la mesure où tout est nu et découvert à sa vue, [Ia, qu. 8, a. 3].

 

[13] Cf. Averroès, Métaphysique IX, comment. 7 et 12, comment. 18. Cf. CG. III, 69, § 1

 

[14] Position des Musulmans: CG. III, 65 Dernier §. "Pour affirmer que le monde a besoin de Dieu pour être conservé dans l'être, ils ont prétendu que toutes les formes étaient accidentelles, et qu'un accident ne dure deux instants, et qu'ainsi le formation des êtres est en perpétuel devenir, comme si les êtres n'avaient pas besoin de cause efficiente que dans leur devenir".

 

[15] Cf. L'occasionalisme a été repris par la suite par Ockham, Malebranche, etc.

 

[16] Ces paragraphes développent ce qu'il a dit en II Sent., d1qu4: "Cette position est stupide parce qu'elle détruit l'ordre de l'univers, l'opération propre chez les êtres et elle va contre le jugement des sens."

 

[17] Il s'agit de la Sunaugeia platonicienne, c'est-à-dire la théorie de la rencontre des rayons émanant de l'objet extérieur et des rayons venant de l'oeil (Timée, 45 b–46 c et 67 c - 68 d). (Claudel thomiste p. 108)

 

[18] Cf. Ia, qu. 105, a. 5, resp.: "Les puissances d'action qui se trouvent dans les choses leur seraient attribués en vain si elles n'opéraient rien par elles. Bien plus toutes les créatures paraîtraient vaines d'une certaine manière si elles étaient privées de leur propre opération, puisque tout est en vue de son opération. Car toujours l'imparfait est en vue d'un plus parfait. Donc de même que la matière est en vue de la forme, la forme qui est l'acte premier est en vue de son opération qui est l'acte second et ainsi l'opération est la fin de la créature." Conclusion: Dieu n'opère pas à la place des choses. Il leur permet d'agir.

 

[19] Salomon Ibn Gabirol vers 1021-1058). Cf. De substantii separatis dont certains chapitres lui sont consacrés.

 

[20] Aristote n° 598, Thomas lect. n° 786 – n° 785, – Aristote n° 609, Thomas n° 795.

 

[21] La distinction de l'opération et celle de la nature: "La substance se prend, sinon en grand nombre d'acceptions, du moins en quatre principales: on pense d'ordinaire, en effet, que la substance de chaque être est soit quiddité, soit l'universel, soit le genre, soit en quatrième le sujet." Métaphysique VII, 3, 1028 a 33 (Thomas: 7, lectio 2, Ar. 568, Th. 1270-1275) (quiddité 7, 4-6,et 10-12, universel 13-14, sujet 7, 3 et 13-14 (Tricot p. 352).

 

Thomas n° 1270: la substance a au moins quatre acceptions sinon plus:

 

1) L'être premier, c'est-à-dire la quiddité ou l'essence ou bien la nature de la chose.

 

2) Thomas 1271: "Le second mode selon l'universel est appelé substance de l'être, d'après l'opinion de ceux qui pensent qu'il y a des idées, des espèces (species), attribuées à des choses particuliers et en sont les substances":

 

3) Thomas n ° 1272: Selon que "le premier genre semble être la substance de chaque chose et de cette manière, ils pensaient que l'un et l'étant étaient la substance de toute chose, en tant que premier genre du tout".

 

4) Thomas n° 1273: la substance particulière.

 

[22] Cf. II Sent. d1q1a4 c.: "... Mais les autres causes sont comme déterminantes de cet être. Car l'être entier d'aucune chose ne prend son principe d'une créature puisque la matière est de Dieu seulement; mais l'être est plus intime d'une chose que ce par quoi elle est détournée à l'être.... C'est pourquoi l'opération du créateur atteint plus l'intime de la choses que l'opération des causes secondaires; et c'est pourquoi ce qui a été créé cause d'une autre créature n'exclut pas que Dieu opère sans intermédiaire en toutes choses, dans la mesure où son pouvoir est comme l'intermédiaire qui relie le pouvoir 'une cause seconde à son effet.

 

[23] De causis (prop. 9 (8). "Omnis Intelligentia fixio (stabilité) et essentia eius est per Bonitatem puram quae est Causa prima." Remarquons que Thomas n'admet pas d'intermédiaire comme le laisse supposer cette affirmation et que "Dieu" est considéré comme Bonté suprême comme dans le Platonisme et aussi par Denys.

 

Thomas n° 210, signale que l'affirmation de Proclus est plus universelle: "La cause première de tous les étants est le Bien".

 

[24] CG. III, 70, § 5: "...Il n'est pas superflu que Dieu puisse par lui-même produire tous les effets naturels, parce qu'ils sont produits par quelques autres causes; car cela ne vient pas de l'insuffisance du pouvoir divin, mais de son immense bonté, par laquelle il a voulu communiquer sa ressemblance aux créatures. Non seulement quant à leur être, mais encore pour le fait qu'elles sont des autres." Dieu communique sa ressemblance, mais aussi il accorde à êtres d'être cause des autres.

 

Ia, qu. 105, a. 5, obj. 2: Une seule opération n'est pas en même de deux opérateurs, de même que un mouvement, unique en nombre ne peut pas être de deux mobiles. Si donc l'opération de la créature vient de Dieu, lorsqu'elle opère, elle ne peut pas venir en même temps de la créature. Et ainsi aucune créature n'opère.". Sol. 2: Ce ne sont pas deux agents de même ordre. "Rien n'empêche qu'une seule et même action procède d'un agent premier et d'un agent second. Voir CG. III, 66, § 2.

 

CG. III, 66 § 3. Amplius: "de plus quand certains agents de nature différente sont ordonnés sous un seul genre, il est nécessaire que l'effet qui est fait en commun par eux soit d'eux, selon quoi ils sont unis pour participer au mouvement et à la puissance de cet agent; car plusieurs ne fait qu'un qu'en tant qu'ils sont un; ainsi il est évident que tous ceux qui opèrent dans une armée pour causer la victoire qu'ils causent selon qu'ils sont sous l'ordre du général. il faut montrer que dans le premier le premier agent est Dieu. Donc, comme l'être est l'effet commun de tous les agents car tout agent fait l'être en acte, il faut qu'ils produisent cet effet en tant qu'ils sont ordonnés au premier agent et ils agissent dans sa puissance.".

 

[25] Le libre arbitre est une puissance rationnelle et en tant que tel il a rapport à ces contraires. Thomas donne comme exemple l'art médical qui concerne et la maladie et la santé. Ici il s'agit du choix entre les différentes solutions possibles qui peuvent être opposées: v.g. choisir le bien ou le mal.

 

[26] "Dieu est la cause première et transcendante de notre liberté et de nos décisions libres, de sorte que l'acte libre est tout entier de Dieu comme cause première et tout entier de nous comme cause seconde; parce qu'il n'y a pas une fibrille d'être qui échappe à la causalité de Dieu... pour les actes mauvais,... pour le mal, c'est tout le contraire... Dieu n'est absolument pas cause du mal de nos actes libres, c'est l'homme qui est la cause première et qui a l'initiative première du mal moral." J. Maritain, Dieu et la permission du mal, Îuvres.Complètes, XII, p. 23.

 

 

Article 8: Dieu opère-t-il dans la nature en créant, ce qui revient à chercher si la création est mêlée à l'opération de nature?

 

q. 3 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum Deus operetur in natura creando; quod est quaerere: utrum creatio operi naturae admiscetur. Et videtur quod sic.

Et il semble que oui[1].

 

Objections:

q. 3 a. 8 arg. 1 Per hoc quod dicit Augustinus: apostolus, inquit, Paulus discernens interius Deum creantem atque formantem ab operibus creaturae quae admoventur extrinsecus, de agricultura similitudinem assumens ait: ego plantavi, Apollo rigavit, sed Deus incrementum dedit.

1. D'après ce que dit Augustin (La Trinité, III, 8, 14): "L'apôtre Paul distinguant l'opération de Dieu qui crée et qui façonne au dedans, des opérations de la créature qui agit au dehors, en empruntant une image à l'agriculture, dit: “J'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a donné l'accroissement (1 Co. 3, 6)".

 

q. 3 a. 8 arg. 2 Sed dices, quod creatio accipitur ibi large pro qualibet factione.- Sed contra, Augustinus, ex auctoritate apostoli intendit in verbis praedictis distinguere operationem creaturae ab operatione Dei. Non autem distinguitur per creationem communiter acceptam pro qualibet factione, quia sic etiam natura creat; aliquid enim facit, ut ostensum est supra, art. praeced., sed non per creationem proprie acceptam. Ergo de creatione proprie accepta oportet verba praemissa intelligere.

 

2. Mais on pourrait dire que la création est prise ici au sens large pour une fabrication quelconque – En sens contraire, Augustin (ibid.) par l'autorité de l'Apôtre, vise, dans les paroles ici rapportées, à distinguer l'opération de la créature de celle de Dieu. Mais elle n'est pas distinguée par une création au sens communément accepté d'une fabrication quelconque, parce que la nature crée aussi. Car elle agit, comme on l'a montré à l'article précédent, mais non par création au sens propre. Donc il faut comprendre que ces paroles se rapportent à la création au sens propre.

 

q. 3 a. 8 arg. 3 Praeterea, idem Augustinus subdit: sicut in ipsa vita nostra mentem iustificando formare non potest nisi Deus, praedicare autem extrinsecus Evangelium etiam homines possunt; ita creationem rerum visibilium Deus interius operatur, exteriores autem operationes bonorum sive malorum Angelorum vel hominum, vel quorumcumque animalium, ita rerum naturae adhibet, in qua creat omnia, quemadmodum terrae agriculturam. Sed mentem nostram iustificando format creatione proprie accepta: nam gratia per creationem dicitur esse. Ergo et creatione proprie dicta formas naturales creat.

3. Le même Augustin ajoute: "De la même manière que dans notre vie même, il n'y a que Dieu seul qui peut façonner l'esprit en le justifiant, mais annoncer l'Évangile à l'extérieur, même les hommes peuvent le faire; de la même manière, Dieu opère de l'intérieur la création du monde visible;mais aussi les opérations extérieures des anges et des hommes, bons ou mauvais, ou de tous les animaux (...), de sorte qu'il les applique à la nature où il crée tout; comme l'agriculture pour la terre." Mais il forme notre esprit en le justifiant par une création au sens propre. Car on dit que la grâce existe par création. Donc il crée les formes naturelles par création proprement dite[2].

 

q. 3 a. 8 arg. 4 Sed dices, quod formae naturales habent causam in subiecto, non autem gratia; et pro tanto gratia proprie creatur, non autem formae naturales.- Sed contra, ut dicitur in Glossa Genes. I, creare est ex nihilo aliquid facere. Cum autem haec praepositio ex quandoque importet habitudinem causae efficientis, sicut I Corinth., VIII, 6: ex quo omnia, per quem omnia, quandoque autem habitudinem causae materialis, sicut habetur Tobiae cap. XIII, 21-22: omnis circuitus murorum eius ex lapide candido et mundo; cum dicitur aliquid ex nihilo fieri, non negatur habitudo causae efficientis (quia sic Deus rerum creatarum causa efficiens non esset), sed negatur habitudo causae materialis. Formae autem naturales habent in subiectis causas efficientes, per quod differunt a gratia; habent etiam et materiam in qua, quod et gratiae competit. Non ergo magis competit ratio creationis gratiae quam naturalibus formis, per hoc quod est habere causam in subiecto.

 

4. Mais on pourrait dire que les formes naturelles ont leur cause dans le substrat mais pas la grâce, et pour autant celle-ci est créée au sens propre, mais pas les formes naturelles. – En sens contraire, comme on le dit dans la Glose de Gn 1, 1: "Créer c'est faire quelque chose de rien[3]." Comme cette préposition “ex” ('de') apporte quelquefois une relation de cause efficiente comme en 1 Co. 8, 6: "Tout vient de lui, tout est par lui", quelquefois aussi une relation de la cause matérielle, comme on le trouve en Tobie 13, 21 - 22: "Tout le tour de ses murs: de (ex) pierre blanche et pure", quand on dit que quelque chose est fait de rien, on ne nie pas la relation à la cause efficiente, (sinon Dieu ne serait pas la cause efficiente des créatures), mais on nie la relation à la cause matérielle. Mais les formes naturelles ont dans leur substrat des causes efficientes par le fait qu'elles diffèrent de la grâce. Elles ont aussi une matière dans laquelle (elles sont), ce qui convient aussi à la grâce. Donc la création ne convient pas plus à la grâce qu'aux formes naturelles, par le fait d'avoir une cause dans le substrat.

 

q. 3 a. 8 arg. 5 Praeterea, formae artificiales non habent causam in subiecto, sed sunt totaliter ab extrinseco. Si ergo gratia propter hoc creari dicitur quia non habet causam in subiecto, pari ratione formae accidentales artificiales creabuntur.

5. Les formes artificielles n'ont pas de cause dans le substrat, mais elle viennent totalement de l'extérieur. Donc si on dit que la grâce est créée parce qu'elle n'a pas de cause dans le substrat, à raison égale les formes accidentelles artificielles seront créées.

 

q. 3 a. 8 arg. 6 Praeterea, id quod non habet materiam partem sui, non potest ex materia fieri. Sed formae non habent materiam partem sui: quia forma distinguitur et contra materiam et contra compositum, ut patet in principio secundi de anima. Cum ergo formae fiant quia de novo esse incipiunt, videtur quod non fiant ex materia; et sic fiunt ex nihilo, et per consequens creantur.

 

6. Ce qui n'a pas de partie matérielle, ne peut être fait de matière. Mais les formes n'ont pas de matière en participation, parce que la forme est distinguée de la matière et du composé, comme cela apparaît au début du livre 2 de L'âme ( 412 b 10[4]). Donc comme les formes sont faites, parce qu'elles commencent à exister de nouveau, il semble qu'elles ne sont pas faites de matière, et ainsi elles sont faites de rien et par conséquent elles sont créées.

 

q. 3 a. 8 arg. 7 Sed diceretur, quod licet formae naturales non habeant materiam partem sui ex qua sint, habent tamen materiam in qua sunt, et pro tanto non creantur.- Sed contra, sicut aliae formae naturales, ita et anima rationalis est forma in materia. Sed anima rationalis creari ponitur. Ergo et similiter est de aliis formis naturalibus ponendum.

 

7. Mais on pourrait dire que, bien que les formes naturelles n'aient pas de matière en participation d'elles-mêmes, d'où elles viennent, elles ont cependant une matière dans laquelle elles sont, et pour autant elles ne sont pas créées. – En sens contraire: comme les autres formes naturelles, l'âme rationnelle est une forme dans la matière. Mais il est établi qu'elle est créée. Donc il faut le concevoir de la même manière pour les autres formes naturelles.

 

q. 3 a. 8 arg. 8 Sed dices, quod anima rationalis non educitur de materia, sicut aliae formae naturales. Sed contra, nihil educitur de aliquo quod non est in eo. Sed ante finem generationis forma, quae est generationis terminus, non erat in materia; alias essent formae contrariae in materia simul. Ergo formae naturales non educuntur de materia.

 

8. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle n'est pas tirée de la matière, comme les autres formes naturelles.– En sens contraire: rien n'est tiré de quelque chose qui n'est pas en lui. Mais, avant la fin de la génération, la forme, qui en est le terme, n'était pas dans la matière. Autrement il y aurait dans la matière en même temps des formes contraires. Donc les formes naturelles ne sont pas tirées de la matière.

 

q. 3 a. 8 arg. 9 Praeterea, forma quae est generationis terminus, non apparebat ante generationem completam. Si ergo erat ibi, erat latens: et ita sequeretur latitatio cuiuslibet in quolibet, quam ponebat Anaxagoras, et Aristoteles improbat in I Phys.

 

9. La forme qui est le terme de la génération n'apparaissait pas avant la génération complète. Donc si elle y était, elle était cachée, et il s'ensuivrait ainsi un état latent d'une chose dans une autre, ce que professait Anaxagore et que rejette Aristote (Physique. I, 4, 186 b 22 - 187 a 32).

 

q. 3 a. 8 arg. 10 Sed dices, quod forma naturalis non existebat in materia ante completam generationem, complete, ut Anaxagoras ponebat, sed incomplete.- Sed contra, si forma aliquo modo est in materia ante terminum generationis, est ibi secundum aliquid sui. Si autem non est ibi complete secundum aliquid sui, non praeexistit. Habet ergo forma aliquid et aliquid, et sic non est simplex; cuius contrarium in principio sex principiorum habetur.

 

10. Mais on pourrait dire que la forme naturelle n'existait pas complètement dans la matière avant la génération complète, comme Anaxagore le pensait, mais de façon incomplète. – En sens contraire: si la forme est en quelque manière dans la matière avant le terme de la génération, elle y est comme la partie d'elle-même. Mais si elle n'y est pas complètement, elle ne préexiste pas comme partie. Donc la forme une chose et l'autre et ainsi, elle n'est pas simple; on trouve le contraire au commencement des “Six principes[5] ”.

 

q. 3 a. 8 arg. 11 Praeterea, si non complete praeexistit in materia, et postmodum completur, oportet quod per generationem ei adveniat complementum. Illud autem complementum in materia non praeexistebat, quia sic fuisset ibi complete. Ergo illud complementum per creationem erit ad minus.

11. Si elle ne préexiste pas complètement dans la matière, et qu'elle est complétée ensuite, il faut que le complément lui advienne par génération. Mais ce complément ne préexistait pas dans la matière, parce qu'il y aurait ainsi été en entier. Donc ce complément existera au moins par création.

 

q. 3 a. 8 arg. 12 Sed dices, quod praeexistebat in materia incomplete, non quidem secundum partem, sed quia alio modo erat ante, et alio modo post: prius enim erat in potentia, sed post est in actu.- Sed contra, ex hoc quod aliquid alio et alio modo se habet, est alteratio, non generatio. Si ergo per opus naturae non fit aliquid, nisi quod forma quae prius erat in potentia, postea fit actu; sequeretur quod per operationem naturae non sit aliqua generatio, sed alteratio sola.

12. On pourrait dire qu'elle préexistait dans la matière incomplètement, non pas en partie, mais parce qu'elle existait d'une manière différente avant et après: car avant, elle était en puissance, mais après elle est en acte. – En sens contraire, du fait que quelque chose se comporte d'une manière et d'une autre, c'est un changement d'état, non une génération. Si donc par l'oeuvre de la nature, rien n'est fait sinon que la forme, qui était avant en puissance, devient ensuite en acte, il en découlerait que par une opération de nature il n'y aurait pas génération mais changement d'état seulement.

 

q. 3 a. 8 arg. 13 Praeterea, in natura inferiori non invenitur aliquod activum principium, nisi accidens: nam ignis agit per calorem, qui est accidens; et similiter de aliis. Sed accidens non potest esse causa activa formae substantialis, quia nihil agit ultra suam speciem; effectus autem non praeeminet causae, cum tamen forma substantialis praeemineat accidenti. Ergo forma substantialis non producitur per actionem naturae inferioris; et ita oportet quod sit per creationem.

 

13. Dans la nature inférieure, on ne trouve comme principe actif que l'accident; car le feu agit par la chaleur, qui est un accident, et de même pour les autres choses. Mais l'accident ne peut être la cause active de la forme substantielle, parce que rien n'agit au-delà de son espèce; l'effet ne l'emporte pas sur la cause, encore que cependant la forme substantielle l'emporte sur l'accident. Donc la forme substantielle n'est pas produite par l'action d'une nature inférieure, et ainsi il faut qu'elle existe par création.

 

q. 3 a. 8 arg. 14 Praeterea, imperfectum non potest esse causa perfecti. Sed in semine bruti animalis non est vis animae nisi imperfecte. Ergo anima bruti non producitur per actionem naturalem virtutis seminalis; et ita oportet quod sit per creationem et pari ratione omnes aliae formae naturales.

14. L'imparfait ne peut pas être cause du parfait. Mais la force de l'âme n'est dans la semence de l'animal qu'imparfaitement. Donc l'âme de l'animal n'est pas produite par l'action naturelle du pouvoir séminal et ainsi il faut qu'elle existe par création, et à raison égale, toutes les autres formes naturelles[6].

 

q. 3 a. 8 arg. 15 Praeterea, illud quod non est animatum nec vivum, non potest esse causa rei animatae viventis. Sed animalia quae generantur ex putrefactione, sunt res animatae viventes; non autem inveniuntur in natura aliqua viventia, a quibus eis vita conferatur. Ergo oportet quod eorum animae sint per creationem a primo vivente, et pari ratione aliae formae naturales.

15. Ce qui n'est ni animé, ni vivant ne peut être cause d'un être animé vivant. Mais les animaux qui naissent de la putréfaction sont des êtres animés vivants; et on ne trouve pas dans la nature des êtres vivants par lesquels la vie leur est conférée. Donc il faut que leurs âmes existent par création à partir du premier vivant et à raison égale les autres formes naturelles.

 

q. 3 a. 8 arg. 16 Praeterea, natura non agit nisi sibi simile. Sed aliqua res naturalis invenitur generari, cuius similitudo in generante non praecessit. Mulus enim neque equo, neque asino est similis in specie. Ergo forma muli non est per actionem naturae, sed per creationem; et sic idem quod prius.

 

16. La nature ne fait que du semblable à elle-même. Mais on trouve un être naturel engendré, dont la ressemblance ne l'a pas précédé dans celui qui engendre. La mulet en effet, n'est semblable en espèce, ni au cheval ni à l'âne. Donc la forme du mulet ne vient pas de l'action de la nature, mais par création et ainsi de même que plus haut.

 

q. 3 a. 8 arg. 17 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de vera Relig., quod res naturales formis suis formatae non essent, nisi esset aliquid primum unde formarentur. Hoc autem est ipse Deus. Ergo omnes formae sunt per creationem a Deo.

17. Augustin dit (La vraie religion, Le libre arbitre, II, 17) que les êtres naturels ne seraient mis en forme que s'il y avait quelque être premier qui les forme. Mais celui-ci, c'est Dieu même. Donc toutes les formes viennent de la création de Dieu.

 

q. 3 a. 8 arg. 18 Praeterea, Boetius dicit, quod ex formis quae sunt sine materia, venerunt formae quae sunt in materia. Formae autem quae sunt sine materia, non possunt intelligi in proposito, nisi ideae rerum in mente divina existentes. Nam Angeli, qui possunt dici sine materia formae non sunt causae formarum naturalium, ut patet per Augustinum. Ergo formae naturales non sunt per actionem naturae, sed a datore creante.

18. Boèce dit (La Trinité) que les formes qui sont dans la matière sont venues des formes sans matière. Mais les formes sans matière ne peuvent être comprises que dans l'hypothèse où les idées des choses existent dans l'esprit divin. Car les anges, qui peuvent être appelés des formes sans matière, ne sont pas causes des formes naturelles, comme Augustin le montre (La Trinité III, 8 et 9). Donc les formes naturelles ne dépendent pas de l'action de la nature, mais d'un donneur qui les crée.

 

q. 3 a. 8 arg. 19 Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod esse est per creationem. Hoc autem non esset nisi formae crearentur: nam forma est essendi principium. Ergo formae sunt per creationem: ergo Deus in materia operatur aliquid creando, scilicet ipsas formas.

19. Dans le Livre des Causes (prop. 18), il est dit que l'être existe par création. Mais cela ne serait possible que si les formes étaient créées, car la forme est le principe d'être. Donc les formes existent par création; et Dieu opère dans la matière en créant quelque chose, c'est-à-dire les formes elles-mêmes.

 

q. 3 a. 8 arg. 20 Praeterea, id quod est per se, est causa eius quod non est per se. Sed formae rerum naturalium non sunt per se, sed sunt in materia. Ergo earum causa est forma per se stans; et ita oportet quod formae naturales sint per creationem ab agente extrinseco; et sic videtur quod Deus in natura operetur, formas creando.

20. Ce qui est par soi est cause de ce qui ne l'est pas. Mais les formes des êtres naturels ne sont pas par soi mais sont dans la matière. Donc leur cause est une forme qui demeure par soi et de même qu'il faut que les formes naturelles soient créées par un agent extérieur, de même il semble que Dieu opère dans la nature en créant les formes.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Opus creationis distinguitur ab opere gubernationis et propagationis. Quod autem actione naturae agitur, pertinet ad opus gubernationis et ad rerum propagationem. Ergo creatio operi naturae non admiscetur.

1.On distingue l'oeuvre de la création de celle du gouvernement et de la propagation[7]. Mais ce qui est fait par l'action de la nature, convient à l'oeuvre du gouvernement et de la propagation. Donc la création n'est pas mêlée à l'opération de la nature.

 

q. 3 a. 8 s. c. 2 Praeterea, nihil potest creare nisi solus Deus. Si ergo formae sunt per creationem, non erunt nisi a Deo; et sic omnis actio naturae frustrabitur, cuius finis est forma.

2. Rien ne peut créer, sinon Dieu seul. Si donc les formes existent par création, elles n'existeront que par Dieu; et ainsi toute l'action de la nature, dont la fin est la forme, sera vaine.

 

q. 3 a. 8 s. c. 3 Praeterea, sicut forma substantialis non habet materiam partem sui, ita nec accidentalis. Si ergo propter hoc formas substantiales oportet esse per creationem, quia non habent materiam, pari ratione et formae accidentales. Sicut autem res generata perficitur per formam substantialem, ita fit dispositio per formam accidentalem. Ergo res naturalis nullo modo erit generans, neque sicut perficiens neque sicut disponens; et sic cassa erit omnis naturae actio.

 

3. La forme substantielle n'a pas de matière en participation, la forme accidentelle non plus. Si donc, il faut que les formes substantielles soient créées, parce qu'elles n'ont pas de matière, à raison égale les formes accidentelles aussi. Mais de la même manière que ce qui est engendré est achevé par la forme substantielle, de même la disposition est faite par la forme accidentelle. Donc l'être naturel n'engendrera en aucune manière, ni en achevant, ni en disposant. Et ainsi toute action de la nature sera vaine.

 

q. 3 a. 8 s. c. 4 Praeterea, natura est ex similibus similia procreans. Sed generatum invenitur simile generanti secundum speciem et formam. Ergo ipsa forma generati fit per actionem generantis, et non per creationem.

 

4. La nature procrée du semblable à partir du semblable. Mais on trouve que l'engendré est semblable à celui qui l'engendre, selon l'espèce et la forme. Donc la forme même de l'engendré est faite par l'action de celui qui engendre, et non par création.

 

q. 3 a. 8 s. c. 5 Praeterea, diversorum agentium actiones non terminantur ad unum effectum. Sed ex materia et forma fit unum simpliciter. Ergo non potest esse quod sit aliud agens quod disponit materiam et quod inducit formam. Disponens autem materiam, est agens naturale. Ergo et inducens formam; et sic formae non sunt per creationem, et ita creatio non admiscetur operibus naturae.

5. Les actions des divers agents ne se terminent pas à un seul effet. Mais l'unité vient simplement de la matière et de la forme. Donc il est impossible que ce soit un agent différent qui dispose la matière et qui induit la forme. Mais en disposant la matière, il est agent naturel. Donc en induisant la forme aussi, et de même que les formes n'existent pas par création, de même la création n'est pas mêlée aux oeuvres de la nature.

 

Réponse:

q. 3 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, circa istam quaestionem diversae fuerunt opiniones. Quarum omnium videtur radix fuisse unum et idem principium, secundum quod natura non potest ex nihilo aliquid facere.

A propos de cette question les opinions ont été diverses. La racine de toutes semble avoir été un seul et même principe: la nature ne peut rien faire de rien.

 

Ex hoc enim aliqui crediderunt quod nulla res fieret aliter nisi per hoc quod extrahebatur a re alia in qua latebat, sicut de Anaxagora narrat philosophus, qui ex hoc videtur fuisse deceptus, quia non distinguebat inter potentiam et actum; putabat enim oportere quod actu praeextiterit illud quod generatur. Oportet autem quod praeexistat potentia et non actu; si enim non praeexisteret potentia, fieret ex nihilo; si vero praeexisteret actu, non fieret: quia quod est, non fit.

 

A. Car à partir de là, certains ont cru que rien n'était faite autrement qu'en étant tiré d'une chose en qui elle était cachée, comme le philosophe le raconte d'Anaxagore[8] (Physique, I, 4, 187 a 26), qui semble avoir été trompé parce qu'il ne distinguait pas la puissance et l'acte. Car il pensait qu'il fallait que ce qui est engendré préexiste en acte. Il faut aussi qu'il préexiste en puissance et non en acte. Car s'il ne préexistait pas en puissance, il serait fait de rien, mais s'il préexistait en acte, il ne serait pas fait, parce que ce qui est ne se fait pas .

 

Sed quia res generata est in potentia per materiam, et in actu per suam formam; posuerunt aliqui, quod res fiebat quantum ad formam materia praeexistente. Et quia operatio naturae non potest esse ex nihilo, et per consequens oportet quod sit ex praesuppositione, non operabatur, secundum eos, natura, nisi ex parte materiae disponendo ipsam ad formam. Formam vero, quam oportet fieri et non praesupponi, oportet esse ex agente qui non praesupponit aliquid, sed potest ex nihilo facere: et hoc est agens supernaturale, quod Plato posuit datorem formarum. Et hoc Avicenna dixit esse intelligentiam ultimam inter substantias separatas.

B. Mais parce qu'un être engendré est en puissance par la matière, et en acte par sa forme, certains ont pensé qu'il était fait, quant à sa forme avec une matière préexistante. Et parce que l'opération de nature ne peut pas exister à partir de rien, et que par conséquent, il faut qu'elle vienne de quelque chose de présupposé, la nature n'opérait selon eux, qu'à partir d'une partie de la matière, en la disposant à la forme. Mais il faut que la forme, qui doit être faite et non présupposée, vienne d'un agent qui ne présuppose rien, mais peut la faire de rien. Et c'est un agent surnaturel que Platon a établi comme donneur de formes. Et Avicenne a dit que c'était la dernière intelligence parmi les substances séparées.

 

Quidam vero moderni eos sequentes, dicunt hoc esse Deum. Hoc autem videtur esse inconveniens. Quia cum unumquodque natum sit simile sibi agere (nam unumquodque agit in eo quod actu est, hoc scilicet quod est in potentia id quod agendum est), non requireretur similitudo secundum formam substantialem in agente naturali, nisi forma substantialis geniti esset per actionem agentis. Ex quo etiam id quod in genito acquirendum est, actu in generante naturali invenitur, et unumquodque agit secundum quod actu est; inconveniens videtur, hoc generante praetermisso, aliud exterius inquirere.

C. Certains modernes[9] qui les suivent disent que c'est Dieu. Mais cela ne paraît pas convenir. Parce que, comme chaque chose est destinée à faire du semblable à soi[10] (car elle agit en ce qui est en acte, car il va de soi que ce qui est en puissance est ce qui doit être fait), la ressemblance ne serait requise pour la forme substantielle dans l'agent naturel que si celle de l'engendré venait de l'action de l'agent. D'où ce qui doit être acquis dans l'engendré, c'est ce qui se trouve en acte dans le géniteur naturel. Chacun agit selon qu'il est en acte; recourir à un agent extérieur sans tenir compte de ce qui engendre, ne semble pas convenir.

 

Unde sciendum est, quod istae opiniones videntur provenisse ex hoc quod ignorabatur natura formae, sicut et primae provenerunt ex hoc quod ignorabatur natura materiae. Forma enim naturalis non dicitur univoce esse cum re generata. Res enim naturalis generata dicitur esse per se et proprie, quasi habens esse, et in suo esse subsistens; forma autem non sic esse dicitur, cum non subsistat, nec per se esse habeat; sed dicitur esse vel ens, quia ea aliquid est; sicut et accidentia dicuntur entia, quia substantia eis est vel qualis vel quanta, non quod eis sit simpliciter sicut per formam substantialem: unde accidentia magis proprie dicuntur entis, quam entia, ut patet in Metaphys.

 

D. C'est pourquoi il faut savoir que ces opinions paraissent provenir de ce que la nature de la forme était ignorée, de même que les premières opinions provenaient de ce que la nature de la matière était ignorée. Car on ne dit pas que la forme naturelle est univoque avec ce qui est engendré. Mais on dit que la chose naturelle engendrée est par soi et proprement, comme ayant l'être, et subsistante en soi, mais on ne dit pas que ce n'est pas ainsi qu'existe la forme, puisqu'elle ne subsiste pas, et qu'elle n'a pas l'être par soi. Mais on l'appelle être ou étant, parce qu'elle est quelque chose, de même qu'on appelle les accidents des étants, parce que la substance pour eux est qualité ou grandeur, non parce qu'elle existe absolument pour eux, comme par une forme substantielle; c'est pourquoi les accidents sont plus proprement appelés accidents de l'étant que des étants, comme cela apparaît en Métaphysique VII, 1, 1028 a 35 - b 1[11]

 

Unumquodque autem factum, hoc modo dicitur fieri quo dicitur esse. Nam esse est terminus factionis: unde illud quod proprie fit per se, compositum est. Forma autem non proprie fit, sed est id quod fit, id est per cuius acquisitionem aliquid dicitur fieri. Nihil ergo obstat per hoc quod dicitur quod per naturam ex nihilo nihil fit, quin formas substantiales, ex operatione naturae esse dicamus. Nam id quod fit, non est forma, sed compositum; quod ex materia fit, et non ex nihilo. Et fit quidem ex materia, in quantum materia est in potentia ad ipsum compositum, per hoc quod est in potentia ad formam. Et sic non proprie dicitur quod forma fiat in materia, sed magis quod de materiae potentia educatur.

 

On dit que chaque chose faite est faite de la manière par laquelle on la dit être. Car l'être est le terme du faire: c'est pourquoi ce qui est fait proprement par soi est composé. Mais la forme n'est pas faite à proprement parler, mais elle est ce qui est fait, c'est-à-dire par l'acquisition de ce dont on dit qu'elle est faite[12]. Donc rien n'empêche, du fait qu'on dit que rien n'est fait de rien par nature, de dire que les formes substantielles viennent de l'opération de la nature. Car ce qui est fait, ce n'est pas la forme, mais le composé, qui est fait de matière et non de rien. C'est fait de matière, dans la mesure où celle-ci est en puissance pour ce composé même, parce qu'elle est en puissance pour la forme. Et ainsi ce n'est pas proprement qu'on dit que la forme est faite dans la matière, mais elle est plutôt tirée de la puissance de la matière.

 

Ex hoc autem ipso quod compositum fit, et non forma, ostendit philosophus, quod formae sunt ex agentibus naturalibus: nam, cum factum oporteat esse simile facienti, ex quo id quod factum est, est compositum, oportet id quod est faciens, esse compositum, et non forma per se existens, ut Plato dicebat; ut sic sicut factum est compositum, quo autem fit, est forma in materia in actum reducta; ita generans sit compositum, non forma tantum; sed forma sit quo generat: forma, inquam, in hac materia existens, sicut in his carnibus et in his ossibus et in aliis huiusmodi.

 

Du fait que c'est le composé qui est fait et non la forme, le philosophe montre (Métaphysique VII, 8, 1033 a 24 - b 8 – 8, 1034 b 7-16[13]):que les formes proviennent des agents naturels. Car, comme ce qui est fait doit ressembler à ce qui le fait, du fait qu'il a été fait, il est composé, il faut que celui qui le fait soit composé et non une forme existante en soi, comme Platon le disait, de sorte que, de même que ce qui a été fait est un composé, par quoi il est fait, il y a une forme dans la matière ramenée à l'acte; de même celui qui engendre serait un composé et non une forme seulement. Mais la forme serait par quoi il engendre; la forme, dis-je, qui existe dans cette matière, comme dans ces chairs et ces os[14], etc..

 

Solutions:

q. 3 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex verbis Augustini in operibus naturae creatio Deo attribuitur ratione virtutum naturalium, quas in principio materiae indidit per opus creationis, non quod in quolibet naturae opere aliquod creetur.

# 1. Par ces paroles d'Augustin, la création, dans les opérations de nature, est attribuée à Dieu, en raison des pouvoirs naturels qu'il a introduits au commencement de la matière[15] par l'oeuvre de création, non parce qu'il crée quelque chose dans n'importe quelle oeuvre de nature.

 

q. 3 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio proprie accipitur in verbis Augustini; non tamen referenda est ad effectus naturae, sed ad virtutes quibus natura operatur; quae per opus creationis naturae sunt inditae.

# 2. Dans ces paroles, Augustin prend la création au sens propre; elles ne doivent pas cependant être rapportées aux effets de nature, mais aux pouvoirs par lesquels la nature opère, qui sont introduits dans la nature par l'opération de la création.

 

q. 3 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia, cum non sit forma subsistens, nec esse nec fieri ei proprie per se competit: unde non proprie creatur per modum illum quo substantiae per se subsistentes creantur. Infusio tamen gratiae accedit ad rationem creationis in quantum gratia non habet causam in subiecto, nec efficientem, nec talem materiam in qua sit hoc modo in potentia, quod per agens naturale educi possit in actum, sicut est de aliis formis naturalibus.

# 3. Il ne convient pas à la grâce, puisqu'elle n'est pas une forme subsistante, d'exister ni d'être faite réellement par soi. C'est pourquoi, elle n'est pas proprement créée à la manière dont les substances subsistantes par soi sont créées. Cependant l'infusion de la grâce touche à la notion de création, dans la mesure où elle n'a pas de cause efficiente dans le sujet, ni telle matière en laquelle elle serait ainsi en puissance, ce qui pourrait être amenée à l'acte par l'agent naturel comme pour les autres formes naturelles.

 

q. 3 a. 8 ad 4 Unde patet solutio ad quartum. Nam cum dicitur aliquid fieri ex nihilo, negatur causa materialis. Hoc vero aliquo modo ad carentiam materiae pertinet, quod aliqua forma de naturali materiae potentiae educi non potest.

 

# 4. Ainsi paraît la solution à la 4e objection. Car, lorsqu'on dit que quelque chose est fait de rien, on nie la cause matérielle. Qu'une forme ne puisse pas être tirée de la puissance naturelle de la matière, cela concerne, d'une certaine manière, une carence de la matière.

 

q. 3 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet in natura non inveniatur principium efficiens respectu formarum artificialium, tamen huiusmodi formae non excedunt naturae ordinem, sicut gratia; immo infra subsistunt, quia omne naturale est nobilius quam artificiale.

 

# 5. Quoiqu'on ne trouve pas dans la nature de principe efficient en rapport avec les formes artificielles, cependant de telles formes ne dépassent pas l'ordre de la nature, comme la grâce. Bien au contraire, elles se situent au-dessous, parce que ce qui est naturel est plus noble que ce qui est artificiel.

 

q. 3 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex hoc quod forma non habet materiam partem sui, sequeretur quod ei creari competeret, ei proprie fieri posset sicut res per se subsistens.

# 6. Il découlerait, du fait que la forme n'a pas de partie matérielle, qu'il lui conviendrait d'être créée, cela pourrait à proprement parler être fait comme une choses subsistante par soi.

 

q. 3 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet anima rationalis habeat materiam in qua sit, non tamen educitur de potentia materiae, cum eius natura supra omnem materialem ordinem elevetur: quod eius intellectualis operatio declarat. Et iterum haec forma est res per se subsistens, cum corrupto corpore, maneat.

#7. Bien que l'âme rationnelle ait une matière en laquelle elle se situe, elle ne sort cependant pas de la puissance de la matière, puisque sa nature s'élève au-dessus de tout l'ordre de la matière, ce que montre son opération intellectuelle. Et de plus cette forme est une chose subsistante en soi, puisqu'elle demeure après la corruption du corps.

 

q. 3 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod forma, quae est generationis terminus, erat in materia ante generationem completam, non in actu, sed in potentia. Non est autem inconveniens duorum contrariorum unum esse actu et aliud in potentia.

# 8. La forme, qui est le terme de la génération, était dans la matière avant la génération complète, non en acte mais en puissance. Mais il n'y a pas d'inconvénient que l'un des deux contraires soit en acte et l'autre en puissance.

 

q. 3 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad nonum. Nam Anaxagoras non ponebat formas actu praeexistere in materia, sed latere.

# 9. Et par là apparaît la réponse à la 9e objection. Car Anaxagore ne pensait pas que les formes préexistaient en acte dans la matière mais qu'elles y étaient cachées.

 

q. 3 a. 8 ad 10 Ad decimum dicendum, quod forma praeexistit in materia imperfecte; non quod aliqua pars eius sit ibi in actu, et alia desit; sed quia tota praeexistit in potentia, et postmodum tota producitur in actu.

# 10. La forme préexiste dans la matière de façon imparfaite, non parce qu'une de ses parties y est en acte et que l'autre manque, mais parce qu'elle préexiste tout entière en puissance et ensuite elle est amenée toute entière à acte.

 

q. 3 a. 8 ad 11 Et per hoc etiam patet responsio ad undecimum; patet enim quod non perficitur esse formae in materia alio exteriori addito, quod in potentia materiae non esset.

# 11. Et par là paraît la réponse à la 11e objection, car il est clair que l'être de la forme dans la matière n'est pas achevé par une chose extérieure ajoutée, qui ne serait pas dans la puissance de la matière.

 

q. 3 a. 8 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod esse in potentia et esse in actu non dicunt diversos modos accidentales, ex quorum diversitate alteratio proveniat, sed substantiales. Nam etiam substantia dividitur per potentiam et actum, sicut et quodlibet aliud genus.

# 12. L'être en puissance et l'être en acte n'indiquent pas différents modes accidentels de la diversité desquelles proviendraient l'altération, mais ils indiquent des modes substantiels. Car la substance aussi se divise en puissance et en acte, comme n'importe quel autre genre.

 

q. 3 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod forma accidentalis agit in virtute formae substantialis quasi instrumentum eius; sicut etiam in II de anima calor ignis dicitur esse instrumentum virtutis nutritivae; et ideo non est inconveniens, si actio formae accidentalis ad formam substantialem terminetur.

# 13. La forme accidentelle agit dans le pouvoir de la forme substantielle comme son instrument. Ainsi, on dit dans le livre De L'âme (II, 4, 416 a 10[16]) que la chaleur du feu est l'instrument du pouvoir nutritif, c'est pourquoi il n'y a pas d'inconvénient si l'action d'une forme accidentelle se termine à la forme substantielle.

 

q. 3 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod etiam in semine calor seminis agit ut instrumentum virtutis animae, quae est in semine: quae quidem licet imperfecta sit, tamen est impressio quaedam animae perfectae relicta: est enim in semine ab anima generantis, et agit etiam in virtute corporis caelestis cuius est quasi instrumentum; et propter hoc non dicitur quod semen generet, sed quod anima et sol.

# 14. La chaleur de la semence agit aussi en celle-ci comme l'instrument du pouvoir de l'âme qui est en elle. Quoiqu'elle soit imparfaite, cependant elle est l'empreinte laissée par une âme parfaite. Car elle est dans la semence par l'âme de celui qui engendre et elle agit aussi dans le pouvoir du corps céleste dont elle est comme l'instrument et à cause de cela on ne dit pas que la semence engendre, mais que c'est l'âme et le soleil qui engendrent.

 

q. 3 a. 8 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod animalia generata ex putrefactione sunt minoris perfectionis aliis animalibus; unde in eorum generatione efficit vis caelestis corporis inferiori materiae impressa, quod in generatione animalium perfectorum facit eadem vis caelestis cum virtute seminis.

 

# 15. Les animaux engendrés de la putréfaction sont d'une moindre perfection que les autres. C'est pourquoi dans leur génération, la puissance d'un corps céleste imprimée dans une matière inférieure, produit ce que dans la générations des animaux parfaits la même force céleste accomplit avec le pouvoir de la semence.

 

q. 3 a. 8 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet mulus non sit similis equo vel asino in specie, est tamen similis in genere proximo: ratione cuius similitudinis ex diversis speciebus sua species, quasi media generatur.

 

# 16. Bien que le mulet ne soit semblable ni au cheval ni à l'âne selon l'espèce, il est cependant semblable (parce que) dans un genre très proche. En raison de cette ressemblance, son espèce est engendrée d'espèces différentes, pour ainsi dire intermédiaires.

 

q. 3 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod sicut virtus divina, scilicet primum agens, non excludit actionem virtutis naturalis, ita nec prima exemplaris forma, quae est Deus, excludit derivationem formarum ab aliis inferioribus formis, quae ad sibi similes formas agunt.

# 17. De même que le pouvoir divin, c'est-à-dire le premier agent n'exclut pas l'action d'un pouvoir naturel, de même, la première forme exemplaire, qui est Dieu, n'exclut pas l'émanation des formes d'autres formes inférieures, qui agissent pour des formes qui leur sont semblables.

 

q. 3 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad decimumoctavum. Nam Boetius, intelligit formas quae sunt in materia, provenire ex formis quae sunt sine materia, sicut a primis exemplaribus, non sicut a proximis.

 

# 18. Et ainsi apparaît la réponse à la 18e objection car Boèce (loc. cit.) comprend que les formes qui sont dans la matière proviennent des formes sans matières, comme si elles venaient des premiers exemplaires, mais pas comme des plus proches.

 

q. 3 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod esse per creationem dicitur, in quantum omnis causa secunda dans esse, hoc habet in quantum agit in virtute primae causae creantis; cum esse sit primus effectus nihil aliud praesupponens.

# 19. On parle d'exister par création, dans la mesure où toute cause seconde qui donne l'être, a ce pouvoir, en tant qu'elle agit dans celui de la cause première créatrice, puisque l'être est le premier effet qui ne présuppose rien d'autre.

 

q. 3 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod forma naturalis, quae est in materia, non potest reduci ad formam per se existentem eiusdem speciei, cum forma naturalis habeat materiam in sui ratione; sed reducitur ad formam per se existentem, sicut dictum est.

# 20. La forme naturelle, qui est dans la matière, ne peut être ramenée à une forme d'une même espèce, existant par soi, puisque elle possède la matière dans sa nature, mais elle est ramenée à une forme qui existe par soi, comme on l'a dit.

 

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[1] Parall.: Ia, qu. 45, a. 8 – II Sent. d1q1a3, ad 5, - a4, ad 4 - Métaphysique VII, lectio 7.

 

[2] Car la grâce existe par création. Il y a de la part de l'objecteur une assimilation abusive de la grâce et des formes naturelles.

 

[3] Cette glose de Gn. 1, 1, revient plusieurs fois. Cette analyse du sens de “ex” complète celle qui se trouve qu. 3, a. 1 sol..

 

[4] De anima, II, 412 a 3: "En un premier sens, la substance c'est la matière, c'est-à-dire ce qui, par soi, n'est pas tel être déterminé, en un deuxième sens, c'est la figure et la forme, qui dès lors valent à la matière d'être appelée tel être déterminé, en un troisième sens, c'est le composé des deux principes." (Cf. Métaphysique V, 8, 1017 b 10 ss. et 12 (L) 1, 1069 a 18 ss. (Thomas n° 215 en Physique- De anima II, 414 a 15: "...La substance, avons-nous dit, peut se prendre en trois sens, d'une part la forme, de l'autre la matière, enfin le composé (la matière étant puissance, la forme entéléchie)" (Cf. Thomas 275).

 

[5] Îuvre de Gilbert de la Porée.

 

[6] Cf. a. 12, ci-après.

 

[7] L'oeuvre de propagation est l'oeuvre de la nature. (Cf. Ia, au. 45, a. 8. Augustin les distingue (La Genèse au sens littéral, V, XI, 27): "...aliter operatur Deus omnes creaturas prima conditione a quibus operibus in die septem requievit, aliter ista eorum administratione, qua usque nunc operatur..."

 

[8] "Suivant Anaxagore, tout était mélangé à l'exception de l'Intelligence qui était seule pure et sans mélange." (Métaphysique, 989 b 15, p. 73.)

 

[9] Cf. Ia, qu. 65, a. 4, c. Autre opinion: certains hérétiques modernes... pensent que la matière est formée et disposée en espèces variées par le diable". Cf. Ia, 45, 8 c.

 

[10] "l'agent naturel produit du semblable non seulement en qualité, mais en espèce." (Cf. Ia, 54, 3, - qu. 77, a. 1, ad 3, ad 4, – qu. 77 a. 3, ad. 3 etc.– qu. 115, a. 1, ad 5

 

[11] Thomas n ° 1258.

 

[12] Métaphysique VII, 8, 1033 b 7: 7: "... la forme non plus, ou quel que soit le nom qu'il faille donner à la configuration réalisée dans le sensible, n'est pas soumise au devenir, parce que d'elle il n'y a pas génération...17.... Il résulte maintenant...que ce qu'on appelle forme ou substance n'est pas engendré, mais que ce qui est engendré c'est le composé de matière et de forme, lequel reçoit le nom de sa forme..." (Trad. J. Tricot) (Aristote, n° 611, Thomas, 1417-1423).

 

[13] Thomas, lectio 7, 1417-1423, lectio 8, 1458. Conclusion de Thomas, Ia, qu. 65, a. 4: "Les formes corporelles sont causées non comme sortant d'une forme immatérielle, mais comme si la matière était ramenée de la puissance à l'acte par un agent composé".

 

[14] Cf. Physique, II, 1, 193 b 1: "En effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature en n'existant pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reçu la forme de la chair et de l'os, j'entends la forme définissable, celle que nous énonçons pour définir l'essence de la chair ou de l'os."

 

Réponse un peu différente dans le De Veritate , 27, a. 3, ad 9: "...les formes subsistantes, qu'elles soient substantielles ou accidentelles, ne sont pas à proprement parler créées, mais elles sont concrées, Ainsi elles n'ont pas l'être par elles-mêmes, mais dans un autre, et quoique elles n'aient pas de matière d'où [elles viennent ex qua] qui serait une partie d'elles, elle ont cependant la matière dans laquelle elles sont (in qua), et par changement elles sont amenées à l'être, de sorte qu'ainsi leur propre devenir est soumis à un changement.". Cf. Métaphysique VII, (Thomas 1423: "Les forme à proprement parler ne se font pas, mais sortent de la puissance de la matière en tant que celle-ci qui est en puissance pour la forme devient en acte sous elle, ce qui est un composé" Cf. Ia. qu. 45, a. 8, c.: "Puisque le devenir et crée ne conviennent (ne se rassemblent) pas proprement dans la chose subsistante, il n'y a pas de devenir ni de création de formes mais elles sont concréées. Ce qui est fait par l'agent naturel est composé parce qu'il est fait de matière.

 

[15] Comprendre dans l'optique d'Augustin les raisons séminales.

 

[16] Thomas, lectio 8, n° 330.

 

Article 9: L'âme rationnelle est-elle amenée à l'être par création, ou par transmission de la semence?

 

q. 3 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum anima rationalis educatur in esse per creationem, vel per seminis traductionem. Et videtur quod propagetur cum semine.

Il semble qu'elle est transmise avec la semence.

 

Objections[1]

q. 3 a. 9 arg. 1 Dicitur enim Gen. XLVI, 26: cunctae animae quae ingressae sunt cum Iacob in Aegyptum, et egressae sunt de femore illius, absque uxoribus filiorum eius, sexaginta sex. Sed nihil egreditur de femore patris, nisi per seminis traductionem. Ergo anima rationalis traducitur cum semine.

1. Car on dit dans la Genèse (46, 26): "Toutes les âmes qui sont entrées avec Jacob en Égypte et sont sorties de sa cuisse, sans compter les épouses de ses fils, étaient soixante six." Mais rien ne sort de la cuisse du père que par la transmission de la semence. Donc l'âme rationnelle est transmise avec la semence.

 

q. 3 a. 9 arg. 2 Sed diceretur, quod ponitur pars pro toto, id est anima pro homine - sed contra, homo est quid compositum ex anima et corpore. Si ergo totus homo ex femore patris egreditur, non solum corpus, sed etiam anima cum semine traducetur, ut prius.

 

2. Mais on pourrait dire qu'on prend la partie pour le tout, c'est-à-dire l'âme pour l'homme. - En sens contraire, l'homme est composé d'une âme et d'un corps. Si donc tout l'homme sort de la cuisse du père, non seulement le corps mais aussi l'âme est transmise avec la semence, comme on l'a dit ci-dessus.

 

q. 3 a. 9 arg. 3 Praeterea, accidens traduci non potest nisi subiectum traducatur, eo quod accidens de subiecto in subiectum non transeat. Sed anima rationalis est subiectum peccati originalis. Cum ergo peccatum originale traducatur a parente in prolem, videtur etiam quod anima rationalis filii a parente traducatur.

3. L'accident ne peut être transmis que si le substrat est transmis, parce que l'accident ne passe pas d'un substrat à un autre. Mais l'âme rationnelle est le substrat du péché originel. Donc comme celui-ci est transmis par les parents à leur descendance, il semble que l'âme rationnelle du fils est transmise par les parents[2].

 

q. 3 a. 9 arg. 4 Sed diceretur, quod peccatum originale, licet sit in anima sicut in subiecto, est tamen in carne sicut in causa; unde per carnis traductionem traducitur.- Sed contra, Rom. V, 12, dicitur: peccatum per unum hominem in mundum intravit, et per peccatum mors: et ita mors in omnes pertransit, in quo omnes peccaverunt. Glossa autem exponit: in quo homine peccatore, vel in quo peccato. Non autem in illo peccato omnes peccassent, nisi illud unum peccatum in omnes traductum fuisset. Illud ergo unum peccatum quod in Adam fuit, in omnes traducitur; et sic anima illius, quae peccati subiectum erat, traducitur in omnes.

4. Mais on pourrait dire que, bien que le péché originel soit dans l'âme comme dans un substrat, il est cependant dans la chair comme dans sa cause. C'est pourquoi il est transmis par la chair.- En sens contraire: on lit en Rm. 5, 12: "Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. Et ainsi la mort passe en tous, en lui tous ont péché". Mais la glose (Augustin, Les mérites et la rémission des péchés, 10) explique: "Dans l'homme pécheur ou dans le péché." Mais tous n'auraient péché en lui que si cet unique péché avait été transmis en tous. Donc cet unique péché qui fut en Adam, est transmis en tous; et ainsi son âme qui avait été soumise au péché, est transmise à tous.

 

q. 3 a. 9 arg. 5 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Sed omne agens agit per virtutem formae. Ergo illud quod agit agens, est forma. Sed generans agens est. Ergo forma generati est per actionem generantis. Cum ergo homo generet hominem, et anima rationali sit forma hominis; videtur quod anima rationalis sit per generationem, et non per creationem.

5. Tout agent fait du semblable à soi. Mais tout agent agit par le pouvoir de la forme. En conséquence, ce que l'agent fait, est forme. Mais le géniteur est un agent. Aussi la forme de l'engendré vient par son action. Donc, puisque l'homme engendre l'homme et que la forme de l'homme existe par l'âme rationnelle, il semble que celle-ci viendrait par génération et non par création.

 

q. 3 a. 9 arg. 6 Praeterea, secundum philosophum in II Phys., causa efficiens in suo effectu incidit in idem specie. Sed homo sortitur speciem per animam rationalem. Ergo videtur quod id quod facit generans in genito, sit anima rationalis.

6. Selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 25[3]) la cause efficiente arrive en son effet, dans ce qui est identique en espèce. Mais l'homme reçoit l'espèce par l'âme rationnelle. Donc il semble que ce que produit le géniteur dans l'engendré soit l'âme rationnelle.

 

q. 3 a. 9 arg. 7 Praeterea, filii similantur parentibus propter hoc quod a parentibus propagantur. Similantur autem parentibus filii, non solum quantum ad dispositiones corporales, sed etiam quantum ad dispositiones animae. Ergo sicut corpora a corporibus, ita animae ab animabus traducuntur.

7. Les fils ressemblent à leurs parents, parce qu'ils sont transmis par eux. Les fils ressemblent aux parents non seulement quant aux dispositions corporelles mais aussi quant à celles de l'âme. Donc, comme les corps sont transmis par les corps, les âmes le sont par les âmes.

 

q. 3 a. 9 arg. 8 Praeterea, Moyses dicit, Levit. XVII, 11: anima carnis in sanguine est. Sed sanguis cum semine traducitur: praecipue cum sperma non sit nisi sanguis decoctus. Ergo et anima cum semine traducitur.

8. Moïse dit (Lv. 17, 11): "L'âme de la chair est dans le sang." Mais le sang est transmis avec la semence; surtout puisque que le sperme n'est que du sang cuit[4]. Donc l'âme est transmise avec la semence.

 

q. 3 a. 9 arg. 9 Praeterea, embrio antequam anima rationali perficiatur, habet aliquam operationem animae; quia augetur et nutritur et sentit. Sed operatio animae non est sine vita. Ergo vivit. Vitae vero corporis principium est anima. Ergo habet animam. Sed non potest dici quod adveniat ei alia anima; quia tunc in uno corpore essent duae animae. Ergo ipsa anima quae prius erat in semine propagata, est anima rationalis.

 

9. L'embryon avant d'être achevé par l'âme rationnelle, possède l'opération d'une âme; parce qu'il grandit, se nourrit et éprouve des sensations. Mais l'opération de l'âme n'existe pas sans la vie. Donc il vit. Mais le principe de la vie du corps est l'âme. Donc il a une âme. Mais on ne peut pas dire qu'il lui arrive une autre âme, parce que, alors, dans un seul corps, il y aurait deux âmes. Donc l'âme même qui avait été d'abord propagée dans la semence est l'âme rationnelle.

 

q. 3 a. 9 arg. 10 Praeterea, diversae animae secundum speciem, constituunt diversas animas secundum speciem. Si ergo in semine ante ipsam animam rationalem erat anima quae non erat rationalis, erat ibi animal secundum speciem diversum ab homine; et sic ex illo non poterit homo fieri; quia diversae species animalis non transeunt in invicem.

10. Les âmes différentes en espèce constituent des âmes différentes en espèce. Si donc dans la semence, avant l'âme rationnelle même, il y en avait une qui ne soit pas raisonnable, il y aurait là un animal diffèrent de l'homme en espèce et ainsi il ne sera pas possible qu'il devienne un homme, parce que les différentes espèces animales ne passent pas de l'une à l'autre.

 

q. 3 a. 9 arg. 11 Sed dices, quod huiusmodi operationes animae non conveniunt embrioni per animam, sed per aliquam virtutem animae, quae dicitur virtus formativa.- Sed contra, virtus supra substantiam radicatur; unde ponitur media inter substantiam et operationem, ut habetur a Dionysio. Si ergo est ibi virtus animae, erit ibi animae substantia.

11. Mais on pourrait dire que de telles opérations de l'âme n'arrivent pas à l'embryon par l'âme mais par quelque puissance de l'âme, appelée puissance formative - En sens contraire, la puissance s'enracine sur la substance. C'est pourquoi elle est placée entre la substance et l'opération, comme on le lit chez Denys (La Hiérarchie céleste, ch. 11, 284 D). Si donc il y a là la puissance de l'âme, il y aura là sa substance.

 

q. 3 a. 9 arg. 12 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod embrio prius vivit quam animal, et prius animal quam homo. Sed omne animal habet animam. Ergo prius est ibi aliqua anima quam sit ibi anima rationalis per quam homo est homo.

12. Le philosophe (Les animaux XVI, 3 La génération animale II, 3) dit que l'embryon vit avant l'animal et l'animal avant l'homme. Mais tout animal a une âme. Donc il y a là une âme avant qu'il y ait l'âme rationnelle par laquelle l'homme est homme.

 

q. 3 a. 9 arg. 13 Praeterea, secundum philosophum, anima est actus viventis corporis in quantum huiusmodi. Sed si embrio vivit, et operationem vitae exercet per huiusmodi virtutem formativam, ipsa virtus erit actus eius in quantum est vivens. Ergo erit anima.

13. Selon le philosophe (L'âme, II, 4, 415 b 7[5]) l'âme est "l'acte du corps vivant en tant que tel". Mais si l'embryon vit et exerce l'opération de vie par une telle puissance formative, celle-ci même sera son acte en tant qu'il est vivant. Donc elle sera l'âme.

 

q. 3 a. 9 arg. 14 Praeterea, ut dicitur in I de anima, vivere inest omnibus viventibus per animam vegetabilem. Sed manifestum est embrionem vivere ante infusionem animae rationalis, cum in eo operationes vitae inveniantur. Ergo est ibi anima vegetabilis antequam sit anima rationalis.

14. Comme on le dit (L'âme, I, 5, 411 b 28[6]), la vie est dans tous les vivants par l'âme végétative. Mais il est évident que l'embryon vit avant l'infusion de l'âme rationnelle, puisqu'on trouve en lui les opérations vitales. Donc il a une âme végétative avant l'âme rationnelle.

 

q. 3 a. 9 arg. 15 Praeterea, in II de anima, improbat philosophus quod augeri non est actus ignis sicut principalis agentis, sed magis animae vegetabilis. Sed embrio ante adventum animae rationalis augetur. Ergo habet animam vegetabilem.

15. Dans L'âme (II, 4, 416 a 10[7]) Aristote prouve que la croissance n'est pas un acte du feu, comme principal agent, mais plutôt celui de l'âme végétative. Or l'embryon grandit avant l'arrivée de l'âme rationnelle. Donc il possède une âme végétative.

 

q. 3 a. 9 arg. 16 Praeterea, si non est ibi anima vegetabilis ante adventum animae rationalis, sed virtus formativa; adveniente anima, illa virtus suam operationem non habebit; cum operatio quam illa virtus faciebat in embrione, sufficienter postmodum fiat in animali per animam. Ergo erit ibi otiosa; quod videtur esse inconveniens, cum nihil sit otiosum in natura.

16. S'il n'y a pas d'âme végétative avant l'arrivée de l'âme rationnelle, mais une puissance formatrice, à son arrivée, ce pouvoir n'exercera plus son opération, puisque l'opération que cette puissance exerçait dans l'embryon, est faite ensuite avec suffisance par l'âme dans l'animal. Donc elle y sera inutile, ce qui ne paraît pas convenir, puisqu'il n'y a rien d'inutile dans la nature.

 

q. 3 a. 9 arg. 17 Sed dices, quod illa virtus destruitur adveniente anima rationali.- Sed contra, dispositiones non destruuntur adveniente forma, sed manent, et quodammodo tenent formam in materia. Sed illa virtus erat quaedam dispositio ad animam. Ergo adveniente anima, illa virtus non destruitur.

17. Mais on pourrait dire que cette puissance est détruite quand arrive l'âme rationnelle. - En sens contraire, les dispositions ne sont pas détruites quand arrive la forme, mais elles demeurent, et d'une certaine manière, elles maintiennent la forme dans la matière. Mais cette puissance était une disposition pour l'âme. Donc quand arrive l'âme, elle n'est pas détruite.

 

q. 3 a. 9 arg. 18 Praeterea, ex actione illius virtutis pervenitur ad introductionem animae. Si ergo anima adveniente illa virtus destruitur, videtur quod aliquid agat ad sui destructionem; quod est impossibile.

18. Par l'action de cette puissance, on parvient à l'introduction de l'âme. Si donc, quand l'âme arrive, cette puissance est détruite, il semble que quelque chose agisse pour sa destruction, ce qui est impossible.

 

q. 3 a. 9 arg. 19 Praeterea, homo est homo per animam rationalem. Si ergo anima non exit in esse per generationem, nec erit verum dicere quod homo generetur; quod patet esse falsum.

19. L'homme est homme par son âme rationnelle. Si donc l'âme ne vient pas à l'existence par génération, il ne sera pas vrai de dire que l'homme est engendré, ce qui paraît faux.

 

q. 3 a. 9 arg. 20 Praeterea, corpus hominis exit in esse per actionem generantis. Si ergo anima non exit in esse a generante, erit in homine duplex esse; unum corporis, quod facit generans; et aliud animae, quod non facit; et sic ex anima et corpore non fit unum simpliciter, cum secundum esse differant.

20. Le corps de l'homme vient à l'existence par l'action de celui qui l'engendre. Si donc l'âme ne vient pas à l'existence par lui, il y aura deux êtres dans l'homme: celui du corps que fait celui qui engendre, et celui de l'âme qu'il ne fait pas. Et ainsi ce n'est absolument pas un être unique fait de l'âme et du corps, mais ils diffèrent selon l'être.

 

q. 3 a. 9 arg. 21 Praeterea, impossibile est quod actio unius agentis terminetur ad materiam, et alterius ad formam; alias ex forma et materia non esset unum simpliciter, cum unum factum sit per unam actionem. Sed actio naturae generantis terminatur ad corpus. Ergo et terminatur ad animam, quae est forma eius.

21. Il est impossible que l'action d'un agent se termine à la matière, et celle d'un autre à la forme[8]. Autrement à partir de la forme et de la matière il n'y aurait pas un être absolument unique; puisque l'objet unique est fait par une action unique. Mais l'action de la nature qui engendre se termine au corps. Donc elle se termine aussi à l'âme qui en est la forme.

 

q. 3 a. 9 arg. 22 Praeterea, secundum philosophum in libro XVI de animalibus, principia quorum actiones non sunt sine corpore, cum corpore producuntur. Sed actio animae rationalis non est sine corpore; maxime enim intelligere esset sine corpore, quod patet esse falsum; non enim est intelligere sine phantasmate, ut dicitur in I et III de anima; phantasma autem non est sine corpore. Ergo anima rationalis cum corpore traducitur.

 

22. Selon le philosophe, (Les animaux, livre 16 La génération des animaux, II, ch. 3) les principes dont les actions ne sont pas sans corps, sont produits avec lui. Mais l'action de l'âme rationnelle n'est pas sans le corps; car l'intellection en particulier se produirait sans corps, ce qui est évidemment faux. Car l'intellection ne se fait pas sans images,(phantasma), comme on le dit (De l'âme I et III). Il n'y a pas d'image sans corps. Donc l'âme rationnelle est transmise avec le corps.

 

q. 3 a. 9 arg. 23 Sed dicebat, quod anima rationalis indiget phantasmate intelligendo quantum ad acquisitionem specierum intelligibilium, non autem postquam eas iam acquisivit.- Sed contra, homo postquam acquisivit scientiam, impeditur in actione intellectus laeso organo phantasiae. Hoc autem non esset, si intellectus post acquisitionem scientiae, phantasmatibus non indigeret. Indiget ergo eis non solum in acquirendo scientiam, sed in utendo scientia acquisita.

23. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle a besoin d'images dans l'intellection pour l'acquisition des espèces intelligibles, mais non après qu'elle les a acquises. - En sens contraire, après avoir acquis la connaissance, l'homme est empêché dans l'action de son intellect quand l'organe de l'imagination est blessé. Mais cela n'existerait pas si l'intellect, après l'acquisition de la science, n'avait pas besoin d'images. Donc il en a besoin, non seulement pour acquérir la connaissance, mais encore pour l'utiliser une fois acquise.

 

q. 3 a. 9 arg. 24 Sed dices, quod impedimentum operationis intellectualis ex laesione organi phantasiae provenit non ex hoc quod intellectus indigeat phantasmatibus in utendo scientia acquisita, sed ex hoc quod imaginatio et intellectus sunt in una essentia animae: unde per accidens, imaginatione impedita, impeditur et intellectus.- Sed contra est quod coniunctio potentiarum in una essentia animae est causa quare quando una potentiarum intenditur in suo actu, alterius actus remittitur; sicut quando aliquis attente videt, minus attente audit; et est etiam causa quare una potentiarum cessante a suo actu, alia in suo actu roboratur; unde caeci plerumque acutius audiunt. Non ergo propter huiusmodi coniunctionem contingeret quod propter impedimentum potentiae imaginativae impediretur actio intellectus, sed magis roboraretur.

 

24. Mais on pourrait dire que l'empêchement de l'opération intellectuelle par la lésion de l'imagination provient, non de ce que l'intellect a besoin d'images en utilisant la science acquise, mais de ce que l'imagination et l'intellect sont dans l'unique essence de l'âme. C'est pourquoi, par accident, si l'imagination est empêchée, l'intellect aussi. - En sens contraire, la conjonction des puissances dans l'unique essence de l'âme est la raison pour laquelle, quand une des puissance est tendue à son action, l'acte de l'autre est relâchée. Ainsi quand quelqu'un regarde attentivement, il écoute moins attentivement et c'est aussi la raison pour laquelle, quand une des puissance cesse son action, l'autre est renforcée dans la sienne. C'est pourquoi les aveugles la plupart du temps entendent mieux. Donc ce n'est pas à cause d'une telle conjonction qu'il arriverait que l'action de l'intellect serait empêchée par un blocage de la puissance imaginative, mais elle serait plutôt renforcée.

 

q. 3 a. 9 arg. 25 Praeterea, quicumque dat ultimum complementum operationi alicui, ille maxime operanti cooperatur. Sed si omnes animae humanae creantur a Deo, et ab ipso corporibus infunduntur, ipse dat ultimum complementum generationi quae est ex adulterio. Ergo ipse cooperabitur adulteris; quod videtur absurdum.

25. Quiconque donne un dernier complément à une opération coopère au maximum avec celui qui opère. Mais si toutes les âmes humaines sont créées par Dieu et sont infusées par lui dans les corps, il donne un dernier complément à la génération qui provient d'un adultère. Donc lui-même coopèrera à l'adultère, ce qui paraît absurde[9].

 

q. 3 a. 9 arg. 26 Praeterea, secundum philosophum, perfectum unumquodque est quod potest sibi simile facere. Quanto ergo aliquid est perfectius, tanto magis potest sibi simile facere. Sed animae rationales sunt perfectiores materialibus formis elementorum, quae sibi similes formas producunt. Ergo virtute animae rationalis poterit anima rationalis produci per viam generationis.

26. Selon le philosophe, (Les météores, IV, 3, 380 a 11-15, L'âme II, 4, 415 a 26[10]) est parfait tout ce qui peut faire quelque chose de semblable à soi. Donc, plus une chose est parfaite, plus elle peut faire du semblable à elle. Mais les âmes rationnelles sont plus parfaites que les formes matérielles des éléments qui produisent des formes semblables à elles. Donc par sa puissance, elle pourra être produite par génération.

 

q. 3 a. 9 arg. 27 Praeterea, anima rationalis constituta est inter Deum et res corporales media; unde in libro de causis dicitur, quod est creata in horizonte aeternitatis et temporis. Sed in Deo generatio invenitur, similiter in rebus corporalibus. Ergo et anima, quae est media, per generationem producitur.

27. L'âme rationnelle est établie intermédiaire entre Dieu et les corps. C'est pourquoi, dans le Livre des Causes, (prop. 2[11]), on dit qu'elle a été créée à la limite de l'éternité et du temps. Mais on trouve la génération en Dieu, et de la même manière dans les corps. Donc l'âme qui est intermédiaire est produite par génération.

 

q. 3 a. 9 arg. 28 Praeterea, philosophus in XVI de animalibus dicit, quod spiritus qui exit cum spermate, est virtus principii animae et est res divina; et tale dicitur intellectus; et ita videtur quod intellectus propagetur cum semine.

28. Le philosophe, au ch. 16, Des animaux (La génération animale, c. 3...) dit que "l'esprit[12]" qui sort avec le sperme est la puissance du principe de l'âme et est chose divine, et on en dit autant de l'intellect et ainsi il semble transmis avec la semence.

 

q. 3 a. 9 arg. 29 Praeterea, in eodem Lib., philosophus dicit, quod in generatione femina dat corpus, et anima est ex mare; et ita videtur quod anima sit per seminis propagationem, et non per creationem.

29. Dans le même livre, (ch. 4), le philosophe dit que dans la génération, la femelle donne le corps et l'âme vient du mâle et ainsi il semble que l'âme vient de la propagation de la semence et non par création.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Isai. LVII, vers. 16: omnem flatum ego feci. Per flatum autem intelligitur anima. Ergo videtur quod anima creetur a Deo.

1. Il y a ce que dit Isaïe, 57, 16: "C'est moi qui ai fait tout souffle". Par souffle on comprend l'âme. Donc il semble que l'âme est créée par Dieu.

 

q. 3 a. 9 s. c. 2 Praeterea, in Psal. XXXII, 15, dicitur: qui finxit singillatim corda eorum. Non ergo una anima propagatur ex alia, sed omnes seorsum creantur a Deo.

2. Au Ps. 32, 15, on dit: "Il a fixé un à un leurs coeurs". Donc l'âme n'est pas propagée à partir d'une autre, mais toutes sont créées séparément par Dieu.

 

Réponse:

q. 3 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod, circa hanc quaestionem antiquitus diversa dicebantur a diversis.

 

Quidam namque dicebant, animam filii ex parentis anima propagari, sicut et corpus propagatur ex corpore.

 

Alii vero dicebant, omnes animas seorsum creari; sed ponebant a principio eas extra corpora fuisse creatas simul, et post modum corporibus seminatis coniungebantur, vel proprio motu voluntatis, secundum quosdam, vel Deo mandante et faciente, secundum alios.

 

Il faut dire, à propos de cette question que, dans l'antiquité, divers penseurs ont émis diverses opinions.

 

A) Car certains[13] disaient que l'âme du fils est propagée par l'âme du père, comme le corps est propagé par le corps.

 

B) D'autres disaient que toutes les âmes sont créées séparément, mais ils pensaient qu'au commencement elles avaient été créées en même temps hors des corps; après ce stade, elles étaient unies à des corps ensemencés soit par le propre mouvement de leur volonté selon certains, soit par ordre et agissement de Dieu, selon d'autres.

 

Alii vero dicebant, animas simul cum creantur, corporibus infundi.

C) D'autres disaient que les âmes en même temps qu'elles sont créées sont infusées dans les corps.

 

Alii vero dicebant, animas simul cum creantur, corporibus infundi. Quae quidem opiniones, quamvis aliquo tempore sustinerentur, et quae earum esset verior in dubium verteretur, ut patet ex Augustino, et in libris quos scribit de origine animae; tamen primae duae postmodum iudicio Ecclesiae sunt damnatae, et tertia approbata; unde dicitur in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus: animas hominum non esse ab initio inter ceteras intellectuales naturas, nec simul creatas credimus, sicut Origenes fingit; neque cum corporibus per coitum seminantur, sicut Luciferiani et Cyrillus et aliqui Latinorum praesumptores affirmant. Sed dicimus corpus tantum per coniugii copulam seminari, ac formato iam corpore, animam creari et infundi.

D) Quoique ces opinions aient été soutenues quelque temps, on peut se demander laquelle est la plus vraie, comme cela paraît chez Augustin dans La Genèse au sens littéral, (X, ch. 21 et 22) et dans ses livres écrits sur L'origine de l'âme. Cependant les deux premières opinions ont été condamnées par jugement de l'Église et la troisième approuvée. D'où ce qu'on lit dans Les dogmes ecclésiastiques, ch. 13: "Nous croyons que les âmes humaines ne sont pas au commencement parmi les autres natures intellectuelles et qu'elles n'ont pas été créées en même temps comme Origène l'imagine. Et elles ne sont pas semées avec les corps dans l'union conjugale, comme les Lucifériens[14], Cyrille[15] et quelques penseurs latins l'affirment. Mais nous disons que le corps seulement est semé par l'union conjugale et quand le corps est déjà formé, l'âme est créée et infusée[16].".

 

Diligenter autem consideranti apparet rationabiliter illam opinionem esse damnatam quae ponebat animam rationalem cum semine propagari, de qua nunc est quaestio. Et hoc tribus rartionibus potest videri ad praesens.

 

A celui qui examine le problème avec attention, il apparaît raisonnablement que doit être condamnée cette opinion qui établissait que l'âme rationnelle est propagée avec la semence, [opinion] dont il est maintenant question. Et on peut le voir pour trois raisons.

 

prima est, quia rationalis anima in hoc a ceteris formis differt, quod aliis formis non competit esse in quo ipsae subsistant, sed quo eis res formatae subsistant; anima vero rationalis sic habet esse ut in eo subsistens; et hoc declarat diversus modus agendi. Cum enim agere non possit nisi quod est, unumquodque hoc modo se habet ad operandum vel agendum, quomodo se habet ad esse; unde, cum in operatione aliarum formarum necesse sit communicare corpus, non autem in operatione rationalis animae, quae est intelligere et velle; necesse est ipsi rationali animae esse attribui quasi rei subsistenti, non autem aliis formis. Et ex hoc est quod inter formas, sola rationalis anima a corpore separatur.

1. Première raison: L'âme rationnelle diffère de toutes les autres formes du fait qu'il ne leur convient pas d'être là où elles subsistent mais là où subsistent ce qui est informé en elles; l'âme rationnelle a un être subsistant en soi; et ses mode d'action différents le révèlent. En effet, comme ne pourrait agir que ce qui existe, chaque chose se comporte pour opérer ou agir de la manière dont elle se comporte vis-à-vis de l'être. C'est pourquoi, comme dans l'opération des autres formes, il est nécessaire que le corps participe, mais pas dans l'opération de l'âme rationnelle qui consiste à penser (intelligere) et vouloir; il est nécessaire d'attribuer l'être à l'âme rationnelle en tant que subsistante, mais pas aux autres formes. Et de là vient que parmi les formes, seule l'âme rationnelle est séparée du corps.

 

Ex hoc ergo patet quod anima rationalis exit in esse, non sicut formae aliae, quibus proprie non convenit fieri, sed dicuntur fieri facto quodam. Sed res quae fit, proprie et per se fit. Quod autem fit, fit vel ex materia vel ex nihilo. Quod vero ex materia fit, necesse est fieri ex materia contrarietati subiecta. Generationes enim ex contrariis sunt, secundum philosophum: unde cum anima vel omnino materiam non habeat, vel ad minus non habeat materiam contrarietati subiectam, non potest fieri ex aliquo. Unde restat quod exeat in esse per creationem, quasi ex nihilo facta. Ponere autem quod per generationem corporis fiat, est ponere ipsam non esse subsistentem, et per consequens cum corpore corrumpi.

 

Et à partir de là, il est clair que l'âme rationnelle vient à l'être, non pas comme les autres formes pour lesquelles il ne convient pas à proprement parler d'être faites, mais on dit qu'elles sont faites de ce qui est fait. Mais ce qui est fait est à proprement parler fait par soi. Ce qui est fait, est fait de matière ou de rien. Mais ce qui est fait de matière doit être fait nécessairement d'une matière soumise à la contrariété. Car les générations viennent des contraires selon le philosophe (La Génération des animaux, livre 1, ch. 18). C'est pourquoi, comme l'âme n'a absolument pas de matière ou du moins pas de matière soumise à la contrariété, elle ne peut pas être faite à partir de quelque chose. Aussi, il reste qu'elle vient à l'être par création, comme faite de rien. Mais penser qu'elle est faite par génération du corps, c'est penser qu'elle n'est pas subsistante et par conséquent qu'elle se corrompt avec le corps.

 

Secunda ratio est, quia impossibile est actionem corporeae virtutis ad hoc elevari quod virtutem penitus spiritualem et incorpoream causare possit; nihil enim agit ultra suam speciem; immo agens oportet esse praestantius patiente, secundum Augustinum. Generatio autem hominis fit per virtutem generativam, quae organum habet corporale; virtus etiam quae est in semine, non agit nisi mediante calore, ut dicitur in XVI de animalibus; unde, cum anima rationalis sit forma penitus spiritualis, non dependens a corpore nec communicans corpori in operatione, nullo modo per generationem corporis potest propagari, nec produci in esse per aliquam virtutem quae sit in semine.

 

2. Seconde raison: Il est impossible que l'action d'un pouvoir corporel soit élevé à pouvoir causer un pouvoir tout à fait spirituel et incorporel; car rien n'agit au delà de son espèce; au contraire, il faut que l'agent soit plus important que le patient, selon Augustin (La Genèse au sens littéral, XII,16). La génération de l'homme se fait par une puissance générative qui a un organe corporel, cette puissance, qui est dans la semence, n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur, comme il est dit (Les animaux, 16, La génération animale, ch.3). C'est pourquoi, comme l'âme rationnelle est une forme tout à fait spirituelle, qui ne dépend pas du corps, et ne participe en aucune manière avec lui à son opération, elle ne peut être propagée par la génération du corps, ni amenée à l'existence par un pouvoir qui serait dans la semence.

 

Tertia ratio est, quia omnis forma quae exit in esse per generationem, vel per virtutem naturae, educitur de potentia materiae, ut probatur in VII Metaph. Anima vero rationalis non potest educi de potentia materiae. Formae enim quarum operationes non sunt cum corpore, non possunt de materia corporali educi. Unde relinquitur quod anima rationalis non propagetur per virtutem generantis; et haec est ratio Aristotelis.

3. Troisième raison: Toute forme qui vient à l'être par génération, ou par le pouvoir de la nature est éduite de la puissance de la matière, comme c'est prouvé en Métaphysique (VII, 1033 b 7[17]). Mais l'âme rationnelle ne peut pas être éduite de la puissance de la matière. Car les formes dont les opérations ne dépendent pas du corps, ne peuvent pas être tirées de la matière corporelle. C'est pourquoi, il reste que l'âme rationnelle n'est pas transmise par le pouvoir du géniteur et c'est la raison donnée par Aristote (Les animaux, 16, ch. 2...).

 

Solutions

q. 3 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in auctoritate inducta per synecdochem ponitur pars pro toto, id est anima pro toto homine; et hoc ideo quia anima est principalior pars hominis, et unumquodque totum videtur esse id quod est principalius in eo; unde totus homo videtur esse anima vel intellectus, secundum quod dicitur in IX Ethic., cap. IV.

# 1. Dans l'autorité citée[18], on place par synecdoque la partie pour le tout, c'est-à-dire l'âme pour l'homme entier et cela parce qu'elle en est la partie la plus importante et chaque ensemble paraît être est plus important en lui. C'est pourquoi, l'homme entier semble être âme ou intellect[19], selon ce qui est dit en Éthique, 9 ch. 4[20].

 

q. 3 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod totus homo egreditur de femore generantis, propter hoc quod virtus seminis de femore egredientis operatur ad unionem corporis et animae, disponendo materiam ultima dispositione, quae est necessitans ad formam; ex qua unione homo habet quod sit homo; non autem ita quod quaelibet pars hominis per virtutem seminis causetur.

# 2. L'homme entier sort de la cuisse du géniteur, parce que le pouvoir de la semence qui en sort travaille à l'union de l'âme et du corps, en plaçant la matière dans une ultime disposition, nécessaire pour la forme. C'est de cette union que l'homme est un homme; mais non de telle sorte que n'importe quelle partie de l'homme soit causée par le pouvoir de la semence.

 

q. 3 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum originale dicitur peccatum totius naturae, sicut peccatum actuale dicitur peccatum personale; unde quae est comparatio peccati actualis ad unam personam singularem, eadem est comparatio peccati originalis ad totam naturam humanam traditam a primo parente, in quo fuit peccati initium et per cuius voluntatem in omnibus originale peccatum quasi voluntarium reputatur. Sic ergo originale peccatum est in anima in quantum pertinet ad humanam naturam. Humana autem natura traducitur a parente in filium per traductionem carnis, cui postmodum anima infunditur; et ex hoc infectionem incurrit quod fit cum carne traducta una natura. Si enim non uniretur ei ad constituendam naturam, sicut Angelus unitur corpori assumpto, infectionem non reciperet.

# 3. Le péché originel est appelé péché de toute la nature, comme le péché actuel est appelé péché personnel. C'est pourquoi, la comparaison du péché actuel à une personne particulière, est la même que celle du péché originel à la nature humaine toute entière transmise par le premier père, en qui fut le commencement du péché et, par sa volonté, le péché originel est considéré comme volontaire en tous. Donc ainsi le péché originel est dans l'âme dans la mesure où il appartient à la nature humaine. Mais cette nature est transmise par le père au fils par la transmission de la chair, en qui l'âme est introduite par la suite et de là elle en arrive à la souillure, parce qu'elle devient une nature unique avec la chair qui lui est transmise. Car si elle ne lui était pas unie pour constituer une nature, comme l'ange est uni à un corps qu'il prend, elle ne recevrait pas la souillure[21].

 

q. 3 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in natura Adae erat natura omnium nostrum originaliter; ita et peccatum originale, quod in nobis est, erat in illo peccato originali originaliter. Nam peccatum originale, ut dictum est, per se recipit natura, anima vero ex consequenti.

# 4. De même que dans la nature d'Adam se trouvait originellement notre nature, de même, le péché originel, qui est en nous, à l'origine était dans ce péché originel. Car la nature reçoit ce péché par soi, comme on l'a dit, mais l'âme le reçoit par conséquence.

 

q. 3 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod homo generans generat sibi simile in specie per virtutem formae suae, scilicet animae rationalis; non quod ipsa sit immediatum principium in generatione humana agens, sed quia vis generativa, et ea quae in semine agunt, non disponerent materiam, ut fieret corpus perfectibile anima rationali, nisi quatenus agerent ut instrumenta quaedam rationalis animae. Et tamen ista actio non potest pertingere ad factionem animae rationalis, rationibus praedictis.

# 5. L'homme, en tant que géniteur, engendre du semblable[22] à lui en espèce par le pouvoir de sa forme, c'est-à-dire de l'âme rationnelle, non qu'elle soit le principe immédiat agissant dans la génération humaine, mais parce que le pouvoir génératif et ce qui agit dans la semence ne disposeraient la matière pour faire un corps perfectible par l'âme rationnelle que s'ils agissaient jusqu'à un certain point comme instrument de l'âme rationnelle. Et cependant cette action ne peut parvenir à faire l'âme rationnelle, pour les raisons qu'on a déjà données.

 

q. 3 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod generans generat sibi simile in specie, in quantum generatum per actionem generantis producitur ad participandum speciem eius; quod quidem fit per hoc quod generatum consequitur formam similem generanti. Si ergo forma illa non sit subsistens, sed esse suum sit solum in hoc quod uniatur ei cuius est forma; oportebit quod generans sit causa ipsius formae, sicut accidit in omnibus formis materialibus. Si autem sit talis forma quae subsistentiam habeat, et non dependeat esse suum totaliter ex unione ad materiam, sicut est in anima rationali; tunc sufficit quod generans sit causa unionis talis formae ad materiam per hoc quod disponit materiam ad formam; nec oportet quod sit causa ipsius formae.

# 6. Le géniteur engendre du semblable à lui quant à l'espèce dans la mesure où l'engendré est produit par l'action du géniteur pour participer à son espèce, ce qui arrive par le fait que l'engendré reçoit une forme semblable à celui qui engendre. Si donc cette forme n'était pas subsistante, mais que son être soit seulement dans ce qui est uni à ce dont elle est la forme; il faudra que celui qui engendre soit la cause de la forme même, comme cela arrive dans toutes les formes matérielles. Mais si la forme était telle qu'elle ait une subsistance et que son être ne dépende pas totalement de son union à la matière, comme pour l'âme rationnelle, alors il suffit que celui qui engendre soit la cause de l'union d'une telle forme à la matière par le fait qu'il dispose la matière à la forme; et il ne faut pas qu'il soit cause de la forme même.

 

q. 3 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsam dispositionem corporis sequitur dispositio animae rationalis; tum quia anima rationalis accipit a corpore; tum quia secundum diversitatem materiae diversificantur et formae. Et ex hoc est quod filii similantur parentibus etiam in his quae pertinent ad animam, non propter hoc quod anima ex anima traducatur.

# 7. La disposition de l'âme rationnelle suit la disposition même du corps; d'abord parce l'âme rationnelle reçoit du corps, ensuite parce que les formes sont aussi diversifiées selon la diversité de la matière. Et c'est pour cela que les enfants ressemblent à leurs parents, même en ce qui concernent l'âme et non parce que l'âme est transmise par l'âme.

 

q. 3 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quia anima est proprie actus corporis viventis, vivere autem est per calidum et humidum, quae in animali per sanguinem conservantur; ideo dicitur quod anima est in sanguine, ad designandum propriam dispositionem corporis, in quantum est materia perfecta per animam.

# 8. Parce que l'âme est proprement l'acte du corps vivant, vivre dépend du chaud et de l'humide conservés dans l'animal par le sang; c'est pourquoi on dit que l'âme est dans le sang, pour désigner la disposition propre du corps, dans la mesure où la matière est achevée par l'âme.

 

q. 3 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod circa embrionis vitam sunt aliqui diversimode opinati.

# 9. Au sujet de la vie de l'embryon, certains ont eu des opinions diverses.

 

Quidam namque assimilaverunt in generatione humana progressum animae rationalis progressui corporis humani, dicentes, quod sicut corpus humanum in semine est virtualiter, non tamen habens actu humani corporis perfectionem, quae in distinctione organorum consistit, sed paulatim per virtutem seminis ad perfectionem huiusmodi pervenitur; ita in principio generationis est ibi anima, virtute quadam habens omnem perfectionem quae postea apparet in homine completo, non tamen eam habens actu, cum non appareant animae actiones, sed processu temporis paulatim eam acquirit; ita quod primo apparent in ea actiones animae vegetabilis, et postmodum animae sensibilis, et tandem animae rationalis. Et hanc opinionem tangit Gregorius Nyssenus in Lib. quem fecit de homine.

A) Certains en effet ont assimilé, dans la génération humaine, le progrès de l'âme rationnelle à celui du corps humain, en disant que, de même que le corps est virtuellement dans la semence, sans en avoir cependant le perfection en acte, qui consiste dans la distinction des organes, mais que peu à peu par le pouvoir de la semence il parvient à une telle perfection; de même, au commencement de la génération, il y a une âme qui a par un certain pouvoir toute la perfection qui apparaît ensuite dans l'homme complet, mais sans l'avoir cependant en acte, puisque les actions de l'âme n'apparaissent pas; mais elle l'acquiert peu à peu par l'évolution du temps; de sorte qu'y apparaissent d'abord les actions de l'âme végétative, ensuite de l'âme sensitive et enfin de l'âme rationnelle. Et Grégoire de Nysse soutient cette opinion dans le livre qu'il fit Sur l'homme[23].

 

Sed haec opinio non potest stare, quia aut intelligit quod ipsa anima secundum speciem suam existat a principio in semine, nondum habens perfectas operationes propter organorum defectum, aut intelligit quod in semine a principio sit aliqua virtus vel forma, quae nondum habet speciem animae; sicut nec semen habet speciem humani corporis, sed paulatim producitur per actionem naturae ad hoc quod ipsa eadem sit anima primo quidem vegetabilis, secundo sensibilis et deinde rationalis.

Mais cette opinion n'est pas valable, parce que, ou bien elle sous-entend que l'âme même selon son espèce existe au début dans la semence, n'ayant pas encore les opérations parfaites à cause de la déficience de ses organes, ou bien elle sous-entend que dans la semence, dès le début, il y a un pouvoir ou une forme qui n'a pas encore la nature de l'âme; de même que la semence n'a pas la nature du corps humain, mais peu à peu, il est produite par l'action de la nature pour que la même âme soit d'abord végétative, ensuite sensitive et enfin rationnelle.

 

Prima autem pars huius divisionis destruitur:

 

primo quidem per auctoritatem philosophi. Dicitur enim in II de anima, quod potentia vitae quae est in corpore physico organico, cuius actus est anima, non est abiiciens animam, sicut semen et fructus; ex quo datur intelligi, quod semen est ita in potentia ad animam quod anima caret.

I. La première partie de cette division est réfutée.

 

a) Premièrement, par l'autorité du philosophe. Il est dit, en effet, (L'âme, II, 2, 412 b 25[24]) que la puissance de vie qui est dans le corps physique organique, dont l'acte est l'âme, ne la rejette pas, comme la semence et les fruits. Par là on donne à comprendre que la semence est celle qui est en puissance pour l'âme, parce qu'elle en est privé.

 

Secundo, quia cum semen nondum sit ultima assimilatione membris assimilatum (sic enim eius resolutio esset corruptio quaedam) sed sit superfluitas ultimae digestionis, ut dicitur in XV de animalibus, nondum fuit in corpore generantis existens anima perfectum; unde non potest esse quod in principio suae decisionis sit in eo anima.

 

b) Deuxièmement parce que, comme la semence n'est pas encore assimilée aux membres par une ultime assimilation (car ainsi cette dissolution serait une corruption) mais est une superfluité de la digestion ultime[25], comme on le dit dans Les animaux (15- La génération animale, ch. 19 II, 3, 736 b 26-27[26]), elle n'a pas encore été dans le corps de celui qui engendre, existant parfait par l'âme; c'est pourquoi ce n'est pas possible, qu'au commencement de sa séparation, il y ait une âme en elle.

 

Tertio, quia dato quod cum eo decideretur anima, non tamen potest hoc dici de anima rationali; quae cum non sit actus alicuius partis corporis, non potest deciso corpore decidi.

 

3) Troisièmement, parce que, si on suppose que l'âme est séparée de la semence, on ne peut pas cependant pas le dire de l'âme rationnelle, qui, puisqu'elle n'est pas l'acte d'une partie du corps ne peut être séparée si le corps est séparé[27] du corps séparé.

 

Secundam etiam partem divisionis praedictae patet esse falsam. Cum enim forma substantialis non continue vel successive in actum producatur, sed in istanti (alias oporteret esse motum in genere substantiae, sicut est in genere qualitatis) non potest esse quod illa virtus quae est a principio in semine, successive proficiat ad diversos gradus animae. Non enim forma ignis in aere hoc modo inducitur ut continuo procedat de imperfecto ad perfectum; cum nulla forma substantialis suscipiat magis et minus; sed solum materia per alterationem praecedentem variatur, ut sit magis et minus disposita ad formam. Forma vero non incipit esse in materia nisi in ultimo instanti alterationis.

 

II - Il apparaît que la seconde partie de cette division est fausse. En effet, comme la forme substantielle n'est pas produite en acte continuellement ou successivement, mais dans l'instant (autrement il faudrait qu'il y ait un mouvement dans le genre de la substance, comme dans le genre de la qualité) il n'est pas possible que cette puissance qui est au commencement dans la semence, parvienne successivement aux différents degrés de l'âme. Car la forme du feu, dans l'air, n'est pas amenée de manière à procéder continuellement de l'imparfait au parfait, puisque nulle forme substantielle ne reçoit le plus et le moins; mais la matière seulement est modifiée par altération précédente, de sorte qu'elle est plus ou moins disposée à la forme. Mais la forme ne commence à être dans la matière qu'au dernier moment du changement.

 

Alii vero dicunt, quod in semine primo est anima vegetabilis, et post modum ea manente, inducitur anima sensibilis ex virtute generantis, et ultimo inducitur anima rationalis per creationem, ita quod ponunt in homine esse tres animas per essentiam differentes.

B) Mais d'autre disent que dans la semence, il y d'abord l'âme végétative et ensuite, encore qu'elle y demeure, l'âme sensitive est introduite par le pouvoir de celui qui engendre et enfin l'âme rationnelle par création, de sorte qu'ils pensent qu'il y a dans l'homme trois âmes différentes en essence.

 

Sed contra hoc est quod dicitur: neque duas animas dicimus esse in uno homine sicut et Iacobus et alii Syrorum scribunt, unam animalem qua animatur corpus et immixta sit sanguini, et alteram spiritualem quae rationem ministret.

 

Et iterum impossibile est unius et eiusdem rei esse plures formas substantiales: nam cum forma substantialis faciat esse non solum secundum quid, sed simpliciter, et constituat hoc aliquid in genere substantiae, si prima forma hoc facit, secunda adveniens, inveniens subiectum iam in esse substantiali constitutum, accidentaliter ei adveniet; et sic sequeretur quod anima sensibilis et rationalis in homine corpori accidentaliter uniantur. Nec potest dici quod anima vegetabilis quae in planta est forma substantialis, in homine non sit forma substantialis, sed dispositio ad formam: quia quod est de genere substantiae nullius accidens esse potest, ut dicitur in I Physic.

 

Mais contre cela, il y a ce qu'on dit, dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, ch. 15: "Nous disons qu'il n'y a pas deux âmes dans un seul homme comme Jacques l'écrit à d'autres Syriens l'une animale qui anime le corps, mêlée au sang et l'autre spirituelle qui gouverne la raison."

 

Et à nouveau, il est impossible qu'il y ait plusieurs formes substantielles d'une seule et même chose, en effet, comme la forme substantielle fait l'être non seulement relatif, mais absolu et le place dans le genre de la substance, si la première forme le fait, la seconde, quand elle survient, trouvant un sujet déjà constitué dans l'être substantiel, lui arriverait de manière accidentelle; et ainsi il en découlerait que l'âme sensitive et l'âme rationnelle dans l'homme seraient unies accidentellement au corps. On ne peut pas dire que l'âme végétative qui est la forme substantielle dans la plante, ne soit pas la forme substantielle dans l'homme, mais une disposition pour la forme; parce que ce qui est du genre de la substance ne peut être l'accident de rien, comme on le dit (I Physique, I, 2, 184 b 30).

 

Unde alii dicunt, quod anima vegetabilis est in potentia ad animam sensibilem et sensibilis est actus eius; unde anima vegetabilis quae primo est in semine, per actionem naturae perducitur ad complementum animae sensibilis; et ulterius anima rationalis est actus et complementum animae sensibilis; unde anima sensibilis perducitur ad suum complementum, scilicet ad animam rationalem, non per actionem generantis sed per actum creantis; et sic dicunt quod ipsa rationalis anima in homine partim est ab intrinseco, scilicet quantum ad naturam intellectualem; et partim ab extrinseco, quantum ad naturam vegetabilem et sensibilem.

 

C) C'est pourquoi, d'autres disent que l'âme végétative est en puissance pour l'âme sensitive et la sensibilité est son acte; c'est pourquoi l'âme végétative qui est d'abord dans la semence, par l'action de la nature est amenée à être complétée par l'âme sensitive; et plus tard, l'âme rationnelle est l'acte et le complément de l'âme sensitive: c'est pourquoi l'âme sensitive est amenée à son complément, à savoir l'âme rationnelle, non par l'action de celui qui engendre mais par l'acte du créateur et ainsi ils disent que l'âme rationnelle elle-même dans l'homme vient en partie de l'intérieur, pour la nature intellectuelle et en partie de l'extérieur, pour la nature végétative et sensitive.

 

q. 3 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod embrio antequam habeat animam rationalem non est ens perfectum, sed in via ad perfectionem; unde non est in genere vel specie nisi per reductionem sicut incompletum reducitur ad genus vel speciem completi.

# 10. Avant de posséder l'âme rationnelle, l'embryon n'est pas un être parfait, mais il est sur le chemin de la perfection; c'est pourquoi il n'est dans le genre ou l'espèce que s'il y est amené par réduction comme l'incomplet est amené au genre ou à l'espèce de ce qui est complet.

 

q. 3 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in semine a principio quamvis non sit anima, est tamen ibi virtus animae, ut dictum est, quae quidem virtus fundatur in spiritu qui in spermate continetur, et dicitur virtus animae quia est ab anima generantis.

# 11. Dans la semence au commencement, bien qu'il n'y ait pas d'âme, il y a cependant un pouvoir de l'âme, comme on l'a dit. Celui-ci est fondé dans "l'esprit" contenu dans le sperme, et il est appelé puissance de l'âme, parce qu'il vient de l'âme de celui qui engendre.

 

q. 3 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod embrio ante animam rationalem vivit et animam habet, ut dictum est, unde hoc argumentum concedimus.

# 12. L'embryon vit avant l'âme rationnelle, et il a une âme, comme on l'a dit. C'est pourquoi nous concédons cet argument.

 

q. 3 a. 9 ad 13 Et similiter ad decimumtertium, decimumquartum et decimumquintum.

# Et de même pour les objections13, 14 et 15.

 

q. 3 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod virtus formativa quae in principio est in semine, manet adveniente etiam anima rationali; sicut et spiritus in quos fere tota substantia spermatis convertitur manent. Et illa quae prius fuit formativa corporis fit postmodum corporis regitiva. Sicut etiam calor qui fuit dispositio ad formam ignis manet forma ignis adveniente, ut instrumentum formae in agendo.

 

# 16. Le pouvoir formateur qui est au commencement dans la semence, demeure quand arrive l'âme rationnelle; de même que demeurent les esprits dans lesquels presque toute la substance du sperme est transformée. Et celle qui a été d'abord formatrice du corps devient par la suite son régisseur. De même la chaleur, qui a été une disposition pour la forme du feu, demeure, quand arrive la forme du feu, en agissant comme instrument de la forme.

 

q. 3 a. 9 ad 17 Et per hoc patet solutio ad decimumseptimum et decimumoctavum.

# 17-18 Et ainsi cela donne la solution pour la 17e et 18e objections.

 

q. 3 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet anima rationalis non sit a generante, unio tamen corporis ad eam, est quodammodo a generante, ut dictum est. Et ideo homo dicitur generari.

# 19. Bien que l'âme rationnelle ne vienne pas de celui qui engendre, cependant son union au corps vient de lui, d'une certaine manière, comme on l'a dit. Et c'est pour cela qu'on dit que l'homme est engendré.

 

q. 3 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod pro tanto in homine non est duplex esse, quia non est sic intelligendum corpus esse a generante et animam a creante, quasi corpori acquiratur esse separatum a generante, et separatim animae a creante; sed quia creans dat esse animae in corpore, et generans disponit corpus ad hoc quod huius esse sit particeps per animam sibi unitam.

# 20. Pour autant, il n'y a pas deux êtres dans l'homme, parce qu'il ne faut pas comprendre que le corps existe par celui qui engendre et l'âme par le créateur, comme si un être séparé était acquis au corps par celui qui engendre et séparément par le créateur pour l'âme; mais parce que le créateur donne l'être à l'âme dans le corps, et celui qui engendre dispose le corps pour que l'être du corps participe par l'âme qui lui est unie.

 

q. 3 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod duo agentia omnino disparata non possunt hoc modo se habere quod actio unius terminetur ad materiam, et alterius ad formam; hoc tamen contingit in duobus agentibus ordinatis, quorum unum est instrumentum alterius. Actio enim principalis agentis se extendit quandoque ad aliquid ad quod non potest se extendere actio instrumenti. Natura autem est sicut instrumentum quoddam divinae virtutis ut supra, ostensum est. Unde non est inconveniens, si virtus divina sola faciat animam rationalem, actione naturae se extendente solum ad disponendum corpus.

# 21. Deux agents totalement différents ne peuvent se comporter de manière que l'action de l'un se termine à la matière et celle de l'autre à la forme. Cependant cela arrive dans deux agents ordonnés, dont l'un est l'instrument de l'autre. Car l'action de l'agent principal s'étend quelquefois là où l'action de l'instrument ne peut parvenir. Mais la nature est comme un instrument du pouvoir divin, comme on l'a montré (art. 8, obj. 14, et art. 7, c.). Aussi il n'y a pas d'inconvénient, si seul le pouvoir divin crée l'âme rationnelle, alors que l'action de la nature s'étend seulement à la disposition du corps.

 

q. 3 a. 9 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod intellectus in corpore existens non indiget aliquo corporali ad intelligendum, quod simul cum intellectu sit principium intellectualis operationis, sicut accidit in visu: nam principium visionis non est visus tantum, sed oculus constans ex visu et pupilla. Indiget autem corpore tamquam obiecto, sicut visus indiget pariete in quo est color: nam phantasmata comparantur ad intellectum ut colores ad visum, sicut dicitur in III de anima. Et ex hoc est quod intellectus impeditur in intelligendo, laeso organo phantasiae: quia quamdiu est in corpore indiget phantasmatibus non solum quasi accipiens a phantasmatibus dum acquirit scientiam, sed etiam comparans species intelligibiles phantasmatibus dum utitur scientia acquisita. Et propter hoc exempla in scientiis sunt necessaria.

 

# 22. L'esprit (intellectus) qui existe dans un corps n'a pas besoin d'un organe corporel pour l'intellection, parce que, avec lui en même temps, il y a le principe de l'opération intellectuelle, comme cela arrive pour la vue; car le principe de vision n'est pas la vue seulement, mais l'oeil composé de la vue et de la pupille. Mais elle a besoin d'un corps comme objet, de même que la vue a besoin d'un mur sur lequel il y a de la couleur: car les images pour l'esprit sont comparées aux couleurs pour la vision, comme il est dit dans L'âme, III, 431 b 2. Et c'est pourquoi l'esprit est empêchée d'abstraire, si l'organe de l'image est blessée, parce que tant qu'elle est dans le corps, elle a besoin des images non seulement en recevant par elles, pendant qu'elle acquiert la connaissance, mais même en comparant les espèces intelligibles aux images, pendant qu'elle se sert de la connaissance acquise. Et c'est pour cela que les exemples sont nécessaires dans les sciences.

 

q. 3 a. 9 ad 23 Et per hoc patet responsio ad vicesimumtertium et vicesimum-quartum.

# Et par là on trouve la réponse à la 22e, 23e et 24e objection.

 

q. 3 a. 9 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod illa ratio est Apollinaris, ut Gregorius Nyssenus dicit. Decipiebatur autem in hoc quod non distinguebat operationem naturae, quae est generatio prolis, cui Deus dat complementum, ab operatione voluntaria adulterii in qua peccatum consistit.

# 25. Cet argument est d'Apollinaire, comme Grégoire de Nysse[28] le dit (L'âme, ch. 6). Il était trompé parce qu'il ne distinguait pas l'opération de nature qui est la génération d'une descendance, à qui Dieu accorde un complément, de l'opération volontaire de l'adultère, en quoi consiste le péché.

 

q. 3 a. 9 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod anima, cum sit perfectior formis materialibus, posset sibi similem producere si anima rationalis posset produci aliter quam per creationem, quod esse non potest; et hoc provenit ex eius perfectione, ut ex praedictis potest patere.

# 26. Comme l'âme est plus parfaite que les formes matérielles, elle pourrait produire quelque chose de semblable à elle si l'âme rationnelle pouvait être produite autrement que par création, ce qui n'est pas possible, et cela provient de sa perfection, comme on peut le découvrir dans ce qu'on a dit précédemment.

 

q. 3 a. 9 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod in solo Deo potest esse una natura in pluribus suppositis; et ideo ibi solummodo potest esse generatio sine imperfectione mutationis et divisionis; unde nobiliores creaturae, quae sunt indivisibiles nec substantialiter transmutantur, sicut anima rationalis et Angelus, non generantur; sed inferiores creaturae, quae sunt divisibiles et corruptibiles.

# 27. En Dieu seul, il peut y avoir une seule nature dans plusieurs suppôts. Et c'est pourquoi, là uniquement, il peut y avoir une génération sans l'imperfection du changement et de la division. C'est pour cela que les plus nobles créatures, qui sont indivisibles, et ne se transforment pas substantiellement, comme l'âme rationnelle et l'ange, ne sont pas engendrées; mais seules sont engendrées les créatures inférieures qui sont divisibles et corruptibles.

 

q. 3 a. 9 ad 28 Ad vicesimumoctavum dicendum, quod virtus illa quae est in semine, a philosopho vocatur intellectus, ut dicit Commentator, propter quamdam similitudinem: quia sicut intellectus operatur absque organo, ita et illa virtus.

# 28. Ce pouvoir qui est dans la semence, est appelé l'esprit (intellectus) par le philosophe, comme le dit le Commentateur (Métaphysique, VII, com. 31) à cause d'une certaine ressemblance; parce que l'intellect opère sans organe, ce pouvoir aussi.

 

q. 3 a. 9 ad 29 Ad vicesimumnonum dicendum, quod verbum illud philosophi est intelligendum de anima sensibili, non de rationali.

# 29. Cette parole du philosophe est à comprendre de l'âme sensitive, non de l'âme rationnelle.

 

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[1] PARALL.: Ia, q. 90, a. 2 - q. 118, a. 2 – CG. Il, 86, 87, 88. 89 – Il Sent., d18q2al – d19qla4 - De Verit., q. 27, a. 3, ad 9 - De Spir, creat., a. 2, ad 8 – Qdl. IX, q. 3, a.1 – Compend. c. 93; Opusc. XXVIII, De Fato, c. 5 - Opusc. XXXVII. De quatuor Oppos., c. 4; Qudl., XI, q. 5, ad 1, 4; XII, q. 7, a. 2 – Cf. Super epist. ad Romanos lectura V; lectio 3, surtout le n° 408

 

[2] II Sent. d18q2a1, obj. 3: "Les enfants contractent le péché originel de leurs parents, comme l'Apôtre l'enseigne (Rm. 5), mais un accident ne peut être transmis que si l'objet de l'être est transmis. Donc il semble que l'âme raisonnable est le substrat de ma faute originelle et qu'elle est transmise par les parents."

 

[3] "C'est un homme qui engendre un homme" Les causes "...la matière, la forme, le moteur, la cause fnale" ne font qu'un; alors que l'origine prochaine du mouvement est identique spécifiquement à celui-ci; car c'est un homme qui engendre un home." Cette affirmation, banale en soi, sert à Aristote à démontrer que trois des quatre causes se réduisent à une, en beaucoup de cas. L'essence et la cause finale ne font qu'une essence, le premier homme de l'affirmation, la fin, le second. La cause efficiente (l'homme sujet de la proposition) est identique à la cause finale (l'homme objet de la proposition).

 

[4] Ailleurs il dit que c'est un surplus de nourriture. (voir Ia, 119, a 2)

 

[5] "Il semble en outre que le principe contenu dans les végétaux est lui-même une sorte d'âme; car c'est le seul principe commun aux animaux et aux végétaux.." (Trad. E. Barbotin)

 

[6] "L'âme est pour le corps vivant, cause et principe." (Trad. E. Barbotin).

 

[7] "Certains, par contre, estiment que la nature du feu est, absolument parlant, cause de la nutrition et de la croissance." (Il s'agirait d'Héraclite) Thomas, °n° 339.

 

[8] En II Sent. d18q2a1, obj. 5, il précise que c'est le Commentateur qui le dit en II Métaphysique , com. 7: "Il est impossible qu'il y ait différents agents dont l'action de l'un se termine au substrat de la forme et l'action de l'autre à la forme, parce que pour le substrat de la forme, l'action de l'agent ne se termine que selon ce qui reçoit la forme, il en découlerait en effet, comme il le dit lui-même, que le substrat et la forme seraient deux [êtres] distincts, desquels ne serait pas fait l'un, si c'étaient les termes des différentes actions."

 

[9] Même objection II Sent. d18q2a1, obj. 2. Il y ajoute: "Parce que celui qui agit de concert avec quelqu'un d'inique n'est pas soustrait à l'iniquité. Donc il semble que l'âme humaine n'est pas infusée par Dieu mais transmise par le père."

 

[10] "La plus naturelle de toutes les fonctions, pour tout être vivant parfait, qui n'est pas incomplet ou dont la génération n'est pas spontanée, c'est de produire un autre vivant semblable à soi." (L'âme, 415 a 30) Thomas lectio 7, n° 311-314.

 

[11] Prop. 2, n° 2: "L'Être qui est après l'éternité et au-dessus du temps, c'est l'âme, parce qu'elle est en dessous dans l'horizon de l'éternité et au-dessus du temps. Thomas, n° 58:"Il parle de l'âme qui a un être supérieur à savoir au-dessus du mouvement et du temps. Car l'âme de ce genre s'approche plus du mouvement que l'Intelligence parce qu'il est évident que l'Intelligence n'est pas touchée par le mouvement ni selon sa substance, ni selon son opération. L'âme selon sa substance dépasse (excedit) le temps et le mouvement et touche à l'éternité, mais selon l'opération elle touche au mouvement; parce que, comme les philosophes le prouvent, il faut que ce qui est mû par un autre soit ramené à quelque chose de premier, qui se meut lui-même. Mais selon Platon c'est l'âme qui se meut elle-même, selon Aristote, c'est un corps animé dont le principe du mouvement est l'âme. Et ainsi des deux manières, il faut que le premier principe du mouvement, soit l'âme et c'est pourquoi le mouvement est l'opération de l'âme elle-même. Et parce que le mouvement est dans le temps, le temps touche l'opération de l'âme elle-même."

 

[12] Le sens de spiritus est à peu près équivalent à puissance. Cf. les "esprits animaux" de Descartes. ("Les esprits animaux sont des vapeurs très subtiles, par lesquelles se diffusent les pouvoirs de l'âme dans les parties du corps." (I Sent. d10q1a4 c.) Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3m: "La force active qui est dans la semence dérivée de l'âme de celui qui engendre est comme un élan (motio) qui vient d'elle... il lui faut un organe en acte et elle est fondée dans cet esprit inclus dans la semence." "Il y a un "esprit" dans le semen qui lui donne sa puissance active dans la génération" (Trad. J. Weber, l'âme humaine, (Éd. des jeunes, renseignements techniques p. 377). Cf. IIIa, qu. 32, a. 1, ad 1:"w...la puissance de l'âme qui est dans la semence est enclose par l' "esprit" qui s'y trouve forme le corps dans la génération des autres hommes," autre que le Christ.

 

[13] On trouve chez Augustin, tout particulièrement dans La Genèse au sens littéral, que Thomas connaît bien, les différentes solutions rapportées ici. Mais Augustin reste très hésitant sur le choix à faire.

 

a. Propagation par l'âme du père ou traducianisme. Augustin pense particulièrement à Tertullien (De anima), dont le traducianisme est entaché de matérialisme. L'âme est virtuellement dans la semence. C'est le seul qui soit aussi nettement traducianiste avec Lucifer de Cagliari et ses disciples; Arnobe et Lactance semblent avoir été accusés à tort. (La traducianisme a été condamné par Anastase II (496-498). Denz 170.

 

2. Le préexistentialisme: création antérieure à la formation du corps. Opinion attribuée à Origène. Ce problème est étudié à l'article 10.

 

3. Le créatianisme. Thomas n'évoque pas ici l'émanatisme, qu'il réfute dans le Commentaire des sentences et dans le CG.

 

[14] Lucifer de Cagliari (vers 354, vers 370) et ses disciples.

 

[15] Identification apparemment impossible.

 

[16] Cf. Ia, qu. 90, a. 4, resp. §1. Sur la doctrine d'Origène: "Origène a affirmé que non seulement l'âme du premier homme, mais celle de tous les hommes ont été créées avant les corps, en même temps que les anges; et cela parce qu'il croyait que toutes les substances spirituelles, tant les âmes que les anges, étaient égales sous la condition de leur nature, et qu'elles ne différaient que par leur mérite; de telle sorte que certaines seraient liées à des corps - ce sont les âmes des hommes et des corps célestes -, et que d'autres demeurent dans leur pureté, distribuées selon leurs divers ordres." Cf. Ia, qu. 47, a. 2, c.

 

[17] "Il est donc manifeste que la forme (...) ou que le nom qu'il faille donner à la configuration réalisée dans le sensible, n'est pas soumise au devenir, que d'elle il n'y a pas de génération..." (Trad. J. Tricot)

 

[18] Gn. 46, 26.

 

[19] Cf. II Sent. d18q2a1, ad 1: "Totus homo dicitur intellectus, per modum quo etiam tota civitas dicitur rector civitatis. "Tout homme est appelé "intellect" à la manière dont toute la cité est appelée chef de la cité."

 

[20] "La partie pensante de son être, qui, semble-t-il, constitue chacun de nous." (Trad. J. Voilquin). Thomas n° 1805: Ce qu'il veut il le fait par sa grâce c'est-à-dire grâce à la partie intellectuelle qui est principal dans l'homme. Chaque chose sensible est surtout ce qui est principalement en lui.

 

[21] II Sent. d18q2a1: "Quoique le péché originel soit dans l'âme comme dans un substrat, cependant elle y est causée par l'infection de la semence, et il est en elle, quoiqu'il n'y soit pas comme dans un substrat, cependant comme dans sa cause et c'est pourquoi le péché originel est transmis par la semence et pas par l'âme. (...) L'âme est le substrat du péché original mais il y est causé par la semence, qui en est comme la cause". Cf. Ia / IIæ qu. 83, a. 1, c. "Le péché originel est dans la semence comme dans sa cause instrumentale... mais dans le sujet le péché originel ne peut être en aucune manière dans la chair, mais seulement dans l'âme." Car, précise-t-il, la chair n'est pas le substrat de la faute. Donc c'est l'âme qui l'est.

 

[22] Cf. II Sent. d18q2a1, ad 4m: Faire du semblable: 1) La forme selon laquelle on atteint la ressemblance est amenée de la puissance à l'acte par l'action. 2) La matière est disposée par l'action pour être nécessité à recevoir la forme a) forme accidentelle, b) selon Avicenne, dans toutes les formes substantielles parce qu'il veut que toutes les formes essentielles viennent d'un principe séparé. Mais selon Aristote et le Commentateur les formes substantielle matérielles appartiennent à la deuxième.

 

[23] Îuvre de Némesius d'Emèse (PG. 45, 187).Ü

 

[24] De anima, II, 3, 412 b 25: "De plus, ce n'est pas le corps séparé de l'âme qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possède; à leur tour, la semence et les fruits sont en puissance un corps de cette sorte." (Trad. E.Barbotin). Thomas n° 240: "Mais il est vrai que la semence et le fruit en qui sont conservées les semences de la plante sont en puissance pour un corps vivant de ce genre, qui a une âme, car la semence n'a pas encore d'âme. C'est pourquoi il est un dans la puissance, comme séparée de l'âme."

 

[25] Thomas suit Aristote qui dit que la semence est le superflu de l'aliment. Il le démontre en Ia, qu. 119, a2.. Il a montré dans l'article 1 que les aliments deviennent la réalité (veritatem) du corps. Il considère donc (a. 2 c) que la nature humaine (puisqu'il restreint son étude à elle), possède une puissance (virtus) pour communiquer la forme à une matière étrangère dans un autre, mais aussi en lui Cette puissance permet d'assimiler peu à peu les aliments qui sont pour tout le corps, puis pour chaque partie. C'est l'ordre normal: la puissance passe à l'acte, l'imparfait au parfait. Il n'est pas possible que ce qui est devenu substance des différents membres soit la semence. (La question étudie étant la semence est-elle du superflu des aliments ou la substance de celui qui engendre, elle n'aurait pas pouvoir de convertir l'autre en une nature semblable). Donc la semence n'est pas détachée (decisum) de ce qui était tout en acte mais elle est en puissance seulement; ce qui est en puissance (de produire un corps) vient donc des aliments avant d'être converti en substance dans les membres. II Sent. d30q2a2.

 

[26] Cf. De anima, II, 4, 416 b 15. "L'aliment est encore principe de la génération non pas pour l'être qui se nourrit mais pour un être semblable à lui" (Trad. E. Barbotin). Cf. Thomas, II, lectio 9, n ° 344.

 

[27] Allusion aux animaux qui peuvent être coupé: les annelés, les vers etc..

 

[28] Némésius d'Emèse, La nature de l'homme, PG. 45,46. II Sent. d18q2a1, ad 2m: On peut considérer l'adultère de deux manières. Ou selon l'être moral et ainsi l'usage est sans forme, Dieu n'y coopère pas mais l'empêche, ou selon qu'il est dans une espèce naturelle, et ainsi est un certain bien; c'est pourquoi il n'est pas inconvenant qu'à une telle opération en tant qu'elle est bonne Dieu qui opère en tout y apporte une complément."

 

 

Article 10: L'âme rationnelle est-elle créée dans le corps ou hors du corps?

 

q. 3 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum anima rationalis sit creata in corpore, vel extra corpus. Et videtur quod sit creata extra corpus.

Il semble que l'âme est créée hors du corps[1].

 

Objections:

q. 3 a. 10 arg. 1 Eorum enim quae sunt idem secundum speciem, est idem modus prodeundi in esse. Sed animae nostrae sunt eiusdem speciei cum anima Adae. Anima autem Adae fuit extra corpus cum Angelis creata, ut Augustinus dicit. Ergo et aliae animae humanae extra corpus creantur.

1. Car la manière de venir à l'être est identique pour ce qui est identique en espèce[2]. Mais nos âmes sont de la même espèce que celle d'Adam. Or celle-ci fut créée hors de son corps avec les anges, comme Augustin (La Genèse au sens littéral, VII, 25 et 27[3]) le dit. Donc les autres âmes humaines sont créées hors du corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 2 Praeterea, omne totum imperfectum est cui deest aliqua pars quae ad eius perfectionem pertinet. Sed animae rationales magis pertinent ad perfectionem universi quam etiam substantiae corporales, cum substantia intellectualis sit nobilior corporali substantia. Si ergo animae rationales a principio non fuerunt omnes creatae, sed quotidie creantur cum corpora generantur; sequitur quod universum sit imperfectum ex eo quod desunt sibi nobilissimae partes eius. Hoc videtur esse inconveniens. Ergo animae rationales sunt a principio extra corpora creatae.

2. Tout ensemble imparfait est celui à qui manque une partie qui importe à sa perfection. Mais les âmes rationnelles concernent plus la perfection de l'univers que les substances corporelles, puisque la substance intellectuelle est plus noble que la substance corporelle. Si donc les âmes rationnelles n'ont pas toutes été créées au commencement, mais sont créées chaque jour, quand les corps sont engendrés, il en découle que l'univers est imparfait, parce que ses parties les plus nobles lui font défaut. Cela paraît ne pas convenir. Donc les âmes rationnelles ont été créées au commencement hors du corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 3 Praeterea, theatralibus ludis videtur esse simile, quod tunc universum destruatur, quando ad ultimam perfectionem devenerit. Sed mundus tunc finietur quando hominum generatio cessabit, et tunc completissima universi perfectio erit, si animae simul creantur cum corpora generantur. Ergo secundum hoc divina gubernatio, quae mundum regit, erit similis ludo; quod videtur esse absurdum.

3. La destruction de l'univers, quand il sera parvenu à son ultime perfection, ressemble à une représentation théâtrale[4]. Mais le monde sera fini, quand la génération des hommes cessera et alors la perfection de l'univers sera très complète, si les âmes sont créées en même temps que les corps sont parfaitement engendrés. Donc dans cet optique, la gouvernement divin, qui régit le monde, ressemble à une représentation théâtrale, ce qui paraît absurde.

 

q. 3 a. 10 arg. 4 Sed dices, quod nihil prohibet perfectioni universi deesse aliquid secundum numerum, cum tamen quantum ad omnes eius species sit completum.- Sed contra, species rerum ex hoc quod, quantum in ipsis est, perpetuitatem quamdam habent, pertinent ad essentialem perfectionem universi, utpote per se intentae ab universi auctore. Individua vero, quae non habent esse perpetuum, pertinent ad quamdam accidentalem universi perfectionem, utpote non propter se intenta, sed propter speciei conservationem. Animae autem rationales non solum secundum speciem, sed etiam secundum singula individua perpetuitatem habent. Ergo si a principio omnes animae rationales defuerunt; ita fuit universum imperfectum, ac si aliquae species universi defuissent.

 

4. Mais on pourrait dire que rien n'empêche qu'il manque quelque chose à la perfection de l'univers, en nombre, alors que cependant il est complet pour toutes les espèces. – En sens contraire, du fait que, quant à elles, les espèces ont une certaine perpétuité, elles conviennent à la perfection essentielle de l'univers, puisque décidées pour elles-mêmes par le créateur de l'univers. Mais les choses individuelles qui n'ont pas d'être perpétuel, conviennent à la perfection accidentelle de l'univers, n'étant pas décidées pour elles-mêmes, mais pour la conservation de l'espèce. Les âmes rationnelles non seulement selon l'espèce, mais aussi selon les individus particuliers, ont la perpétuité. Donc, si, au commencement, toutes les âmes rationnelles ont manqué, il y eut ainsi un univers imparfait, comme si quelques espèces de l'univers avaient manqué.

 

q. 3 a. 10 arg. 5 Praeterea, Macrobius super somnium Scipionis, duas portas in caelo posuit: unam deorum, et aliam animarum, in cancro scilicet, et Capricorno; per quarum alteram animae ad corpus descendebant. Sed hoc non esset, nisi animae extra corpus in caelo crearentur. Ergo animae extra corpora creatae sunt.

5. Macrobe dans Le songe de Scipion (liv. 1) a placé deux portes dans le ciel: celle des dieux et celle des âmes, dans le Cancer et le Capricorne; par l'une d'elles, les âmes descendaient dans le corps. Mais cela ne pouvait exister que si les âmes étaient créées au ciel hors du corps. Donc les âmes ont été créées hors du corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 6 Praeterea, causa efficiens praecedit tempore suum effectum. Sed anima est causa efficiens corporis, ut dicitur in II de anima. Ergo est ante corpus, et ita non creatur in corpore.

6. La cause efficiente précède son effet dans le temps. Mais l'âme est cause efficiente du corps, comme on le dit dans le livre II de L'âme, (II, 4, 415 b 10[5]). Donc elle est avant le corps et ainsi elle n'est pas créée dans le corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 7 Praeterea, in libro de spiritu et anima, dicitur, quod anima antequam corpori uniatur, habet irascibilitatem et concupiscibilitatem. Sed haec non possunt esse in anima antequam anima sit. Ergo anima est antequam corpori uniatur, et ita non creatur in corpore.

7. Dans le livre L'esprit et l'âme[6] (ch. 13), on dit que l'âme, avant d'être unie au corps, possède l'irascible et le concupiscible. Mais ils ne peuvent pas exister dans l'âme avant qu'elle existe. Donc l'âme existe, avant qu'elle soit unie au corps et ainsi elle n'est pas créée dans le corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 8 Praeterea, substantia animae rationalis tempore non mensuratur: quia, ut dicitur in Lib. de causis, est supra tempus; nec iterum mensuratur aeternitate, quia hoc solius Dei est. In Lib. etiam de causis dicitur, quod anima est infra aeternitatem. Ergo mensuratur aevo, sicut et Angeli: et ita eadem est mensura durationis Angeli et animae. Cum ergo Angeli sint creati a principio mundi, videtur quod etiam animae tunc sint creatae, et non in corporibus.

 

8. La substance de l'âme rationnelle n'est pas mesurée par le temps; parce que, comme on le dit dans le Livre des Causes, (prop. 2[7]), elle est au-dessus du temps. Elle n'est pas mesurée non plus par l'éternité, qui n'appartient qu'à Dieu seul. Mais dans le Livre des Causes (ibid.), on dit que l'âme est en dessous de l'éternité. Donc elle est mesurée par l'aevum[8], comme les anges et ainsi c'est la même mesure de durée pour l'ange et l'âme. Donc comme les anges sont créés depuis le commencement du monde, il semble que les âmes aussi ont été créées alors et non dans les corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 9 Praeterea, in aevo non est prius et posterius: alias a tempore non differret, ut quibusdam videtur. Sed si Angeli ante animas essent creati, vel una anima post aliam crearetur, esset in aevo prius et posterius, cum mensura animae sit aevum, ut ostensum est. Ergo oportet omnes animas simul creari cum Angelis.

 

9. Dans l'aevum, il n'y a pas d'avant et d'après[9], autrement il ne différerait pas du temps, comme il le semble à certains. Mais si les anges avaient été créés avant les âmes, ou qu'une âme soit créée après l'autre, il y aurait dans l'aevum un avant et un après, puisque la mesure de l'âme c'est "l'aevum", comme on l'a montré. Donc il faut que toutes les âmes aient été créées en même temps que les anges.

 

q. 3 a. 10 arg. 10 Praeterea, unitas loci attestatur unitati naturae: unde et diversorum corporum secundum naturam, diversa sunt loca. Sed Angeli et animae conveniunt in natura, cum sint substantiae spirituales et intellectuales. Ergo animae creatae sunt in caelo Empyreo, sicut Angeli, et non in corporibus.

10. L'unité de lieu atteste l'unité de nature; donc les lieux où sont les différents corps sont différents en nature[10]. Mais les anges et les âmes se ressemblent en nature, puisqu'ils sont des substances spirituelles et intellectuelles. Donc les âmes créées sont dans le ciel empyrée, comme les anges, et non dans les corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 11 Praeterea, quanto aliqua substantia est subtilior, tanto ei altior locus debetur; unde ignis locus altior est quam aeris vel aquae. Sed anima est multo simplicior substantia quam aliquod corpus. Ergo videtur quod sit creata supra omnia corpora, et non in corpore.

11. Plus une substance est subtile, plus lui est dû lieu élevé; c'est pourquoi le lieu du feu est plus haut que celui de l'air ou de l'eau. Mais l'âme est une substance beaucoup plus simple qu'un corps quelconque. Donc il semble qu'elle a été créé au-dessus de tous les corps et non dans un corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 12 Praeterea, cuiuslibet rei ultima perfectio est secundum quod est in proprio loco; cum non sit extra proprium locum nisi per violentiam quamdam. Sed ultima perfectio animae est in caelesti habitatione. Ergo ibi locus est congruens naturae eius; et ita videtur quod ibi sit creata.

12. La perfection ultime de n'importe quel être est de se situer dans son lieu propre, puisqu'il n'en est en dehors que par une violence quelconque. Mais l'ultime perfection de l'âme est dans la demeure céleste. Donc ici le lieu est conforme à sa nature et ainsi il semble qu'elle y ait été créée.

 

q. 3 a. 10 arg. 13 Praeterea, Genes. II, 2, dicitur: requievit Deus die septimo ab universo opere quod patrarat. Ex quo intelligi datur quod tunc Deus a novis creaturis creandis cessavit. Sed hoc non esset, si nunc quotidie animae crearentur. Ergo animae non creantur in corpore, sed creatae sunt a principio extra corpus.

 

13 En Genèse 2, 2 il est dit: "Dieu se reposa le septième jour de toute l'oeuvre qu'il avait accomplie". Par là, il est donné à comprendre qu'alors Dieu cessa de créer des créatures nouvelles. Mais ce ne serait pas vrai si maintenant, chaque jour, des âmes étaient créées. Donc les âmes ne sont pas créées dans le corps, mais elles l'ont été dès le commencement, hors du corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 14 Praeterea, opus creationis praecedit opus propagationis. Hoc autem non esset, si simul animae crearentur dum corpora propagantur. Ergo animae ante corpora sunt creatae.

14. L'oeuvre de la création précède celle de la propagation. Mais cela ne serait pas si les âmes étaient créées en même temps que se propagent les corps. Donc les âmes ont été créées avant les corps[11].

 

q. 3 a. 10 arg. 15 Praeterea, Deus omnia secundum iustitiam operatur. Sed secundum iustitiam non dantur diversa et inaequalia nisi in illis in quibus aliqua inaequalitas meriti praeexistit. Cum ergo in nativitate hominum circa animas multa inaequalitas attendatur: tum ex hoc quod quaedam uniuntur corporibus ad operationes animae aptis, quaedam vero ineptis; tum ex hoc quod quidam ex infidelibus nascuntur alii vero ex fidelibus, qui per sacramentorum susceptionem salvantur; videtur quod inaequalitas meriti in animabus praecesserit: et sic videtur quod animae fuerint ante corpora.

15. Dieu opère en tout selon la justice. Mais selon elle, les différences et les inégalités ne sont données que là où préexiste une inégalité du mérite. Donc, comme dans la naissance des hommes, on remarque dans les âmes beaucoup d'inégalité, cela vient d'une part de ce que certaines sont unies à des corps aptes aux opérations de l'âme, certaines à des corps inaptes, d'autre part de ce que certaines sont nées d'infidèles, d'autres de fidèles, qui sont sauvés en recevant les sacrements. Il semble que l'inégalité du mérite aurait existé auparavant dans les âmes et ainsi il semble que les âmes ont existé avant les corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 16 Praeterea, ea quorum una est inceptio, videtur quod secundum esse dependeant ad invicem. Sed anima secundum esse suum non dependet a corpore, quod patet ex hoc quod corrupto corpore manet. Ergo nec anima simul incipit cum corpore.

 

16. Il semble que les choses, dont l'une est le commencement dépendent les unes des autres pour leur existence. Mais l'âme en son être ne dépend pas du corps, ce qui le montre c'est qu'elle demeure une fois le corps corrompu. Donc l'âme ne commence pas en même temps que le corps.

 

q. 3 a. 10 arg. 17 Praeterea, ea quorum unum impedit alterum, non naturaliter uniuntur. Sed anima impeditur a sua operatione a corpore: corpus enim quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapient. cap. IX, 15. Ergo anima non naturaliter unitur corpori; et ita videtur quod prius fuerit corpori non unita quam uniretur.

17. Les choses, dont l'une entrave l'autre, ne sont pas unies naturellement. Mais l'opération de l'âme est entravée par le corps. "Car le corps corrompu appesantit l'âme", comme il est dit en Sg. 9, 15. Donc l'âme n'est pas naturellement unie au corps et ainsi il semble qu'elle n'a pas été avec le corps avant de lui être uni.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in libro de Ecclesiast. dogmatibus, quod animae ab initio inter ceteras intellectuales creaturas non simul creantur.

1. Il est dit dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, ch. 13[12], que les âmes ne sont pas créées au commencement en même temps que les autres créatures intellectuelles.

 

q. 3 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Gregorius Nyssenus dicit, quod assertio utriusque opinionis vituperatione non caret: et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu atque ordine fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant.

 

2. Grégoire de Nysse (dans La création du monde, 29, PG. 44, 234 D) dit que l'énonciation de chacune des deux opinions ne manque pas de venin, celles de ceux qui racontent que les âmes vivent d'abord dans leur statut et leur ordre, et celles de ceux qui pensent qu'elles sont créés après les corps.

 

q. 3 a. 10 s. c. 3 Praeterea, Hieronymus dicit in symbolo fidei, quem composuit: eorum condemnamus errorem qui dicunt animas ante peccasse, vel in caelis conversatas fuisse, quam in corpora immitterentur.

 

3. Jérôme dit dans Le symbole de la foi qu'il composa [Pélage dans L'exposition de la foi à Damase]: "Nous condamnons l'erreur de ceux qui disent que les âmes ont péché avant ou qu'elles ont été conservées dans les cieux avant d'être introduites dans les corps".

 

q. 3 a. 10 s. c. 4 Praeterea, proprius actus fit in propria materia. Sed anima est proprius actus corporis. Ergo in corpore anima creatur.

4. L'acte plus approprié se fait dans une matière appropriée. Mais l'âme est l'acte le plus approprié du corps. Donc l'âme est créée dans le corps.

 

Réponse:

q. 3 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quorumdam opinio fuit, quod animae omnes simul creatae fuerunt extra corpus. Cuius quidem opinionis falsitas potest ad praesens quatuor rationibus ostendi:

Comme on l'a dit plus haut (art. 9), l'opinion de certains[13] a été que toutes les âmes ont été créées en même temps hors du corps. La fausseté de cette opinion peut à présent être montrée par quatre raisons:

 

quarum prima est, quod res creatae sunt a Deo in sua perfectione naturali. Perfectum enim naturaliter praecedit imperfectum, secundum philosophum. Et Boetius dicit, quod, natura a perfectis sumit exordium. Anima autem non habet perfectionem suae naturae extra corpus, cum non sit per se ipsam species completa alicuius naturae, sed sit pars humanae naturae: alias oporteret quod ex anima et corpore non fieret unum nisi per accidens. Unde non fuit anima humana extra corpus creata.

 

1) Dont la première est que les créatures ont été créées par Dieu dans leur perfection naturelle[14]. Car le parfait précède naturellement l'imparfait, selon le philosophe (Le ciel. I, 2, 269 a 20). Et Boèce (La Consolation, 10, prose 10) dit que la nature prend son départ à partir de ce qui est parfait. Mais l'âme n'a pas la perfection de sa nature hors du corps, puisqu'elle n'est pas par elle-même une espèce complète d'une certaine nature, mais une partie de la nature humaine; autrement il faudrait que l'unité de l'âme et du corps ne soit faite que par accident. Donc l'âme humaine n'a pas été créée hors du corps.

 

Quicumque autem posuerunt animas extra corpora fuisse antequam corporibus unirentur, aestimaverunt eas esse naturas perfectas, et quod naturalis perfectio animae non est esse in hoc quod anima corpori uniretur, sed uniretur ei accidentaliter, sicut homo indumento: sicut Plato dicebat, quod homo non est ex anima et corpore, sed est anima utens corpore. Et propter hoc omnes qui posuerunt animas extra corpora creari, posuerunt transcorporationem animarum; ut sic anima exuta a corpore uno, alteri corpori uniretur, sicut homo exutus uno vestimento induit alterum.

 

Tous ceux qui ont pensé que les âme ont existé hors des corps avant de leur être unies, ont estimé qu'elles étaient des natures parfaites, et que la perfection naturelle de l'âme ne consiste pas à être unie au corps, mais qu'elle lui serait unie accidentellement, de la même manière que l'homme à son vêtement. Ainsi Platon disait que l'homme n'est pas composé d'une âme et d'un corps, mais c'est une âme qui se sert d'un corps[15]. Et c'est pourquoi tous ceux qui ont pensé que les âmes sont créées hors des corps, ont cru à la transcorporation des âmes[16], de sorte qu'une âme, ainsi sortie d'un corps, s'unirait à un autre, comme l'homme retire son vêtement et en met un autre.

 

Secunda ratio est Avicennae. Cum enim anima non sit composita ex materia et forma, distinctio animarum ab invicem esse non posset nisi secundum formalem differentiam, si solum secundum se ipsas distinguerentur. Formalis autem differentia diversitatem speciei inducit. Diversitas autem secundum numerum in eadem specie ex differentia materiali procedit: quae quidem animae competere non potest secundum naturam ex qua fit, sed secundum materiam in qua fit.

 

2) La seconde raison est donnée par'Avicenne. En effet, comme l'âme n'est pas composée de matière et de forme (car elle est distinguée de la matière et du composé dans le livre II de l'âme), la distinction des âmes l'une de l'autre ne pourrait exister que selon une différence formelle, si seulement elles se distinguaient elles-mêmes en soi. Mais la différence formelle amène la diversité de l'espèce. La diversité selon le nombre dans la même espèce provient de la différence matérielle; ce qui, pour l'âme, ne peut convenir selon la nature dont elle est faite, mais selon la matière dans laquelle elle est faite.

 

Sic ergo solum ponere possumus plures animas humanas eiusdem speciei, numero diversas esse, si a sui principio corporibus uniantur, ut earum distinctio ex unione ad corpus quodammodo proveniat, sicut a materiali principio, quamvis sicut ab efficiente principio talis distinctio sit a Deo. Si vero extra corpora animae humanae fuissent creatae oportuisset eas esse specie differentes, sublato distinctionis materiali principio, sicut et omnes substantiae separatae a philosophis ponuntur specie differentes.

 

Donc ainsi nous pouvons seulement penser que plusieurs âmes humaines de la même espèce sont différentes par le nombre, si elles sont unies au corps par leur principe, de sorte que leur distinction provient d'une certaine manière de l'union au corps, comme par un principe matériel, quoique une telle distinction vienne de Dieu comme par un principe efficient. Si les âmes humaines avaient été vraiment créées hors des corps, il aurait fallu qu'elle soient différentes en espèce, si on enlève le principe matériel de la distinction, ainsi que les philosophes ont pensé que toutes les substances séparées sont différentes en espèce[17].

 

Tertia ratio est, nam anima rationalis humana non differt secundum substantiam a sensibili et vegetabili, sicut superius est ostensum; vegetabilis autem et sensibilis animae origo non potest esse nisi in corpore, cum sint actus quarumdam partium corporis; unde nec anima rationalis potest nisi in corpore creari secundum naturae suae convenientiam, tamen absque divinae praeiudicio potestatis.

 

3) Troisième raison: en effet, l'âme rationnelle humaine ne diffère pas en substance de l'âme sensitive et végétative, comme on l'a montré plus haut, mais l'origine de l'âme végétative et de l'âme sensitive ne peut être que dans le corps, puisqu'elles sont les actes de certaines parties du corps; c'est pourquoi l'âme rationnelle ne peut être créée que dans un corps selon la convenance de sa nature, cependant sans préjudice pour la puissance divine.

 

Quarta ratio est, quia si anima rationalis extra corpus creata fuit, et ibi habuit sui esse naturalis complementum, impossibile est convenientem causam assignare unionis eius ad corpus. Non enim potest dici, quod proprio motu se corporibus adiunxit, cum videamus quod deserere corpus non subiaceat animae potestati; quod esset, si ex voluntate sua corpori esset unita. Et praeterea si sunt creatae omnino separatae, non potest dici quare unio corporis voluntatem separatae animae illexisset.

 

4) Quatrième raison: si l'âme rationnelle a été créée hors du corps, et y a trouvé le complément de son être naturel, il est impossible d'assigner une cause convenable à son union au corps. Car on ne peut pas dire qu'elle s'est jointe au corps de son propre mouvement[18], puisque nous voyons qu'abandonner le corps n'est pas en son pouvoir; ce qui serait possible si elle s'était unie à un corps par sa volonté. Et ensuite si elles sont créées tout à fait séparées, on ne peut pas dire pourquoi l'union du corps aurait attiré la volonté d'une âme séparée.

 

Nec iterum potest dici, quod post aliquos annorum circuitus naturalis ei appetitus supervenerit corpori adhaerendi; et quod ex operatione naturae huiusmodi unio sit causa. Nam ea quae certo temporis spatio secundum naturam aguntur, ad motum caeli reducuntur sicut ad causam, per quam temporum spatia mensurantur. Animas autem separatas non est possibile caelestium corporum motibus subiacere.

Et on ne peut pas dire non plus qu'après quelques années d'un circuit naturel l'envie lui viendrait d'adhérer à un corps et que l'union soit la cause d'une telle opération de la nature. Car ce qui est fait dans un certain espace de temps selon la nature, est ramené au mouvement du ciel comme à sa cause, par laquelle sont mesurées les durées. Mais il n'est pas possible que les âmes séparées se soumettent au mouvement des corps célestes[19].

 

Similiter non potest dici, quod a Deo sint corpori alligatae, si eas prius absque corporibus creavisset. Si enim dicatur, quod ad earum perfectionem hoc fecit, non fuisset ratio quare absque corporibus crearentur. Si vero in earum poenam hoc factum est, ut corporibus quasi quibusdam carceribus intruderentur, sicut Origenes dixit, propter peccata commissa, sequeretur quod institutio naturarum ex spiritualibus et corporalibus substantiis compositarum, esset per accidens, et non ex prima Dei intentione: quod est contra id quod legitur Genes. I, 31: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona: ubi manifeste ostenditur bonitatem Dei et non malitiam cuiuscumque creaturae fuisse causam bonorum operum condendorum.

 

De la même manière, on ne peut pas dire qu'elles ont été liées au corps par Dieu, s'il les a créées d'abord sans corps. Car si on disait qu'il l'a fait pour leur perfection, cela n'aurait pas été la raison pour laquelle elles auraient été créées sans corps. Mais si les introduire dans des corps comme dans des prisons, a été fait pour leur châtiment, comme Origène[20] l'a dit, à cause des péchés qu'elles ont commis, il en découlerait que la constitution des natures composées à partir des substances spirituelles et corporelles existerait par accident et non de la première intention de Dieu, ce qui est contre ce qu'on lit en Genèse 1, 31: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon", où on montre manifestement la bonté de Dieu et que ce n'est pas la malice de quelque créature qui a été cause de la création des oeuvres bonnes[21].

 

Solutions:

q. 3 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in Lib. super Gen. ad Litt., et praecipue inquirendo de origine animae, loquitur magis investigando quam asserendo, sicut ipsemet dicit.

# 1. Augustin dans La Genèse au sens littéral, surtout en enquêtant sur l'origine de l'âme, est en recherche plus qu'il n'affirme, comme il le dit lui-même[22].

 

q. 3 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod universum in sui principio fuit perfectum quantum ad species, et non quantum ad omnia individua; vel quantum ad causas rerum naturalium, ex quibus possunt postmodum alia propagari, non quantum ad omnes effectus. Animae vero rationales quamvis non fiant a causis naturalibus; tamen corpora, quibus divinitus infunduntur sicut sibi connaturalibus, per operationem naturae fiunt.

# 2. L'univers en son commencement a été parfait pour les espèces, et non pour tous les individus, ou encore pour les causes des êtres naturels d'où les autres peuvent par la suite se propager, non pour tous les effets. Mais quoique les âmes rationnelles ne soient pas faites par des causes naturelles, cependant les corps, dans lesquels elles sont insérées par l'action de Dieu comme dans ce qui leur est connaturel, sont faits par l'opération de la nature.

 

q. 3 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in ludo non quaeritur aliquid propter ludum. Sed ex motu quo Deus creaturas corporales movet, quaeritur aliquid propter ipsum motum, scilicet completus numerus electorum, quo habito motus cessabit; licet non substantia mundi.

 

# 3. Dans le jeu théâtral, on ne cherche pas quelque chose à cause du jeu. Mais du mouvement par lequel Dieu meut[23] les créatures corporelles, on cherche quelque chose à propos de ce mouvement même, à savoir le nombre complet des élus par lequel, quand il sera atteint, cessera ce mouvement, pas cependant la substance du monde.

 

q. 3 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod multitudo animarum pertinet ad essentialem perfectionem universi ultimam, sed non primam, cum tota corporum mundi transmutatio ordinetur quodammodo ad animarum multiplicationem; ad quam requiritur corporum multiplicatio, ut ostensum est, in corp.

# 4. La multitude des âmes appartient à la perfection essentielle et ultime de l'univers mais non à la première perfection puisque le changement total du monde des corps est ordonné d'une certaine manière à la multiplication des âmes; comme on l'a montré dans le corps de l'article[24].

 

q. 3 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Platonici ponebant naturam animarum per se esse completam, et accidentaliter corporibus uniri: unde etiam ponebant transitum animarum de corpore ad corpus. Ad quod ponendum praecipue inducebantur per hoc quod ponebant humanas animas immortales, et generationem numquam deficere. Unde ad infinitatem animarum removendam, ponebant fieri quemdam circulum, ut animae prius exeuntes iterato unirentur. Et secundum hanc opinionem, quae erronea est, Macrobius loquitur: unde eius auctoritas in hac parte non est recipienda.

# 5. Les Platoniciens pensaient que la nature des âmes était complète en soi, et unie accidentellement à des corps. C'est pour cela, qu'ils pensaient aussi qu'il y avait passage des âmes de corps en corps. Pour l'établir ils étaient amenés principalement à penser que les âmes humaines immortelles, et la génération ne manquaient jamais. Aussi pour éviter l'infinité des âmes, ils pensaient qu'il y avait un cycle pour que les âmes sortantes s'unissent à nouveau. Et Macrobe parle selon cette opinion, qui est erronée. C'est pourquoi on ne peut pas recevoir son autorité sur ce sujet.

 

q. 3 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus non dicit animam, efficientem esse causam corporis, sed causam unde est principium motus, in quantum est principium motus localis in corpore, et augmenti et aliorum huiusmodi, ut ipsemet exponit ibidem.

 

# 6. Le philosophe (L'âme, II, 4, 415 b 10[25]) ne dit pas que l'âme est cause efficiente du corps, mais une cause à l'origine du principe du mouvement, dans la mesure où elle est principe du mouvement local dans le corps, de la croissance etc., comme lui-même l'expose là même.

 

q. 3 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in auctoritate illa intelligitur irascibilitas et concupiscibilitas inesse animae prius quam corpori uniretur, natura, non tempore: quia anima hoc non habet a corpore, sed potius corpus ab anima.

# 7. Dans cette autorité, on comprend que l'irascible et le concupiscible sont dans l'âme avant qu'elle soit unie au corps, par nature et non dans le temps, parce que l'âme ne les tient pas du corps, mais plutôt c'est le corps qui les tient par l'âme.

 

q. 3 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod anima mensuratur tempore secundum esse quo unitur corpori; quamvis prout consideratur ut substantia quaedam spiritualis, mensuretur aevo. Non tamen oportet quod tunc inceperit aevo mensurari quando et Angeli.

# 8. L'âme est mesurée par le temps selon l'être par lequel elle est unie au corps; quoique, si elle est considérée comme substance spirituelle, elle soit mesurée par l'ævum. Il ne faut pas cependant qu'elle ait commencé à être mesurée par l'ævum en même temps que les anges.

 

q. 3 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet aevum non habeat prius et posterius quantum ad ea quae mensurat, nihil tamen prohibet quin unum altero prius aevo participet.

# 9. Bien que l'ævum n'ait ni avant ni après, pour ce qu'il mesure, rien cependant n'empêche que l'un ne participe avant à l'aevum avant un autre[26].

 

q. 3 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Angelus et anima conveniant in natura intellectuali, differunt tamen in hoc quod Angelus est quaedam natura in se completa, unde per se creari potuit; anima vero, cum perfectionem suae naturae habeat in hoc quod corpori unitur, non debuit in caelo, sed in corpore cuius est perfectio, creari.

# 10. Bien que l'ange et l'âme se rencontrent dans la nature intellectuelle, ils diffèrent cependant en ce que l'ange est une nature complète par soi; c'est pourquoi il a pu être créé en soi; mais comme l'âme a la perfection de sa nature du fait qu'elle est unie à un corps, elle n'a pas dû être créée au ciel mais dans le corps dont elle est la perfection.

 

q. 3 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod anima licet sit secundum se simplicior omni corpore, tamen est forma et perfectio corporis ex elementis compositi, cuius locus est circa medium, cum quo simul oportet eam hic creari.

# 11. Bien que l'âme soit plus simple en soi que tout corps, cependant elle en est la forme et la perfection du corps composé d'éléments, dont le lieu est autour du milieu, avec lequel il faut qu'elle soit créée en même temps[27].

 

q. 3 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod prima perfectio animae attenditur secundum esse suum naturale: quae quidem perfectio consistit in unione eius ad corpus; et ideo a principio debuit in loco corporis creari. Ultima autem perfectio eius est in hoc quod communicat cum substantiis aliis intellectualibus; et illa perfectio dabitur ei in caelo.

# 12. La première perfection de l'âme est atteinte selon son être naturel; elle consiste dans son union au corps et c'est pourquoi, au commencement, elle a dû être créée dans le lieu du corps. Mais sa perfection ultime est dans ce qu'elle communique avec les autres substances intellectuelles, et cette perfection lui sera donnée au ciel.

 

q. 3 a. 10 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod animae quae modo creantur, licet sint novae creaturae secundum numerum, tamen sunt antiquae secundum speciem suam: praecesserunt enim in operibus sex dierum in suo simili secundum speciem, id est in animabus primorum parentum.

# 13. Bien que les âmes qui sont créées à un moment, soient de nouvelles créatures en nombre, elles sont cependant anciennes par leur espèce; car elles ont existé précédemment dans les oeuvres des six jours dans quelque chose de semblable en espèce, c'est-à-dire dans les âmes des premiers parents[28].

 

q. 3 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod opus creationis quo naturae principia instituuntur, oportet praecedere opus propagationis. Non autem tale opus est animarum creatio.

# 14. Il faut que l'oeuvre de la création par laquelle les principes de nature sont institués, précède l'oeuvre de propagation. Mais une telle oeuvre n'est pas la création des âmes.

 

q. 3 a. 10 ad 15 Ad decimumquintum dicendum est, quod ad iustitiam pertinet reddere debitum; unde contra iustitiam fit, si inaequalia aequalibus dantur, quando debita redduntur, non autem quando gratis aliqua dantur: quod convenit in creatione animarum. Vel potest dici, quod ista diversitas non procedit ex diverso merito animarum, sed ex diversa dispositione corporum; unde et Plato dicebat, quod formae infunduntur a Deo secundum merita materiae.

 

# 15. Il convient à la justice de rendre ce qui est dû; c'est pourquoi, c'est contre la justice, si des dons inégaux sont donnés à des êtres égaux, quand quand on rend ce qui est dû, mais non quand c'est donné gratuitement; c'est ce qui se passe pour la création des âmes. Ou bien on peut dire que cette diversité ne procède pas du mérite différent des âmes, mais de la disposition différente des corps. C'est pourquoi Platon disait (Les lois, X) que les formes sont incluses par Dieu selon les mérites de la matière.

 

q. 3 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet anima dependeat a corpore quantum ad sui principium, ut in perfectione, suae naturae incipiat, tamen quantum ad sui finem non dependet a corpore, quia acquiritur sibi esse in corpore ut rei subsistenti: unde destructo corpore, nihilominus manet in suo esse, licet non in completione suae naturae, quam habet in unione ad corpus.

# 16. Bien que l'âme dépende du corps en son principe, pour commencer dans la perfection de sa nature, cependant quant à sa fin, elle n'en dépend pas, parce que l'être lui est acquis dans le corps, en tant qu'être subsistant; c'est pourquoi, une fois le corps détruit, elle demeure néanmoins en son être, bien que ce ne soit pas dans l'achèvement de la nature qu'elle possède, quand elle est unie au corps.

 

q. 3 a. 10 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod natura corporis non aggravat animam, sed eius corruptio, ut ex ipsa auctoritate ostenditur.

# 17. Ce n'est pas la nature du corps qui appesantit l'âme, mais sa corruption, comme on le montre à partir de cette autorité (Sg. 15)

 

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[1] Parall.: 1a, q. 90, a. 4 - q. 91, a. 4. ad 3, 5 - qu. 118, a. 3 - CG., Il, 83, 84 - lI Sent., d17q2, a. 2.

 

[2] . L'adage prend différences nuances: on y parle d'une même espèce (ici), d'une même nature (ratio) article 11 et d'une même substance ou essence (II Sent. d18q2a.3, obj. 4): "Pour ce qui est semblable en substance l'un ne peut être crée que l'autre ne le soit"..

 

[3] . Augustin émet deux hypothèses: l'âme a été créée avant le corps avec les anges, et l'âme est créée en même temps que le corps. En conclusion il n'affirme rien de façon définitive: "Sinon qu'elle est de Dieu, bien qu'elle ne soit pas la substance divine." (BA. VII, 28, 43) "Voyons donc si par hasard, il peut être vrai – opinion qui semble plus acceptable pour la pensée humaine – que Dieu ...a créé l'âme pour l'insuffler le moment venu, aux membres du corps formé de limon." (VII, 24, 35. Trad. BA. 48)

 

[4] . On peut penser à un théâtre de marionnette, dont Dieu tire les ficelles !

 

[5] ."L'âme est pour le corps vivant cause et principe..."-"Le principe premier du mouvement local c'est l'âme" (415 b 25). (Trad. E. Barbotin). Cf. Sol. 6.

 

[6] . Écrit par Alcher de Clairvaux vers le XIIe. Parmi les textes d'Augustin (PL. 40, 779-892).

 

[7]. Prop. 2: "Tout être supérieur est au-dessus de l'éternité ou avant elle ou avec elle ou après elle et au-dessus du temps". L'être avant l'éternité est la cause première (§ 20). L'être avec l'éternité est l'intelligence (§ 21, selon Proclus). L'âme est après l'éternité et au-dessus du temps (§ 22)

 

[8] . Le temps est la mesure du mouvement; il a un avant et un après. L'éternité n'a ni avant, ni après; elle est la possession parfaite tout ensemble d'une vie interminable. Elle exclut le principe de durée. L'aevum ou éviternité est entre le temps et l'éternité. (Cf. qu. 3, a. 14, ad 9.) . (Les différents système de durée conviennent à des êtres différents, éternité pour Dieu, aevum pour les créatures spirituelles, temps pour les créatures corporelles).

 

[9] . "Mais l'avant et l'après peuvent l'accompagner." (Ia, qu. 10, a. 5, c)

 

[10]. Selon les lois de la pesanteur;

 

[11] . Cf. Ia, qu. 90, a. 4, obj. 1: "Car l'oeuvre de la création précède celui de la distinction et de l'ornementation comme on l'a dit. Mais l'âme est amenée à l'être par création; et le corps a été fait en fin d'ornementation (Cf. Ia, qu. 66, a. 1). Donc l'âme de l'homme a été produite avant le corps." L'âme est crée et le corps "fait".

 

[12]. On le dit de Gennade. PL 42 , 1216, c 14,18.

 

[13] . Les opinions visées sont d'une part celle de Platon et Pythagore, et celle d'Origène (obj. 1 et sol. 1). Opinions précisées en II Sent. d17,q2a2: Pour Platon, l'âme est comme le commandant d'un navire ou comme un vêtement. "L'homme est une âme revêtue d'un corps." Pour les Pythagoriciens, l'âme passe de corps en corps. L'âme a un rapport essentiel au corps en tant qu'elle lui donne l'être, ce qui est réprouvé par Avicenne.

 

[14] . Il ne convient pas que Dieu produise une oeuvre imparfaite;"car il n'a pas fait l'homme sans main ou sans pieds, qui sont des parties naturelles. Donc encore beaucoup moins il n'a pas fait l'âme sans le corps." (Ia, qu. 118, a. 3, c (§3)

 

[15] . "Comme le marin dans son navire, ou comme un vêtement. "L'homme est une âme revêtu d'un corps." (II Sent. d17q2a.2).

 

[16] . Pythagore, mais aussi Platon.

 

[17] . Problème identique pour les anges: "Les anges ne sont pas composés de matière et de forme. Donc il ne peut y avoir deux anges de la même espèce." (Ia, qu. 50, a. 4, c).

 

[18] . Considéré en Ia, qu. 118, a. 3, c comme "inconvenant". Cette volonté serait contre la raison, si elle n'avait pas besoin du corps et voulait s'unir à lui."

 

[19] . Raison de temps. La substance spirituelle est au-dessous du temps. (Ia, qu. 118, a. 3).

 

[20] .Cf. Ia, qu. 90, a. 4, c: "Origène (Les principes, I, c 6 ss; et II, c 9) a pensé que non seulement l'âme de l'homme, mais toutes les autres avaient été créées avec les anges, c'est pour cela qu'il croyait que toutes les substances spirituelles, tant les âmes que les anges étaient égales par leur condition naturelle, mais différentes seulement par le mérite; de sorte que certaines d'entre elles étaient liées à des corps, les âmes des hommes ou des corps célestes; certaines demeureraient en leur pureté selon des ordres différents..." (Contre Léon I, Lettre à Flavien, FC 298 Ð Édit de l'empereur Justinien au Patriarche Menas, publié au Concile de Constantinople de 543 (Dz. 403).

 

[21] . Thomas a donné encore une autre raison en Ia, qu. 118, a. 3; l'homme n'est pas comme l'ange."l'homme reçoit des sens sa connaissance en se tournant vers les images. Donc l'âme a besoin d'être unie à un corps.

 

[22]. Thomas reste très réservé dans sa critique. Il faut aller chercher son point de vue développé en Ia, qu. 90, a. 4, resp. § 2: "L'âme du premier homme a été créée avant le corps avec les anges. Il pense que le corps de l'homme n'a pas été produit en acte, mais seulement selon des raisons causales (secundum causales rationes), ce qu'on ne peut pas dire de l'âme; parce qu'elle n'a pas été faite d'une matière corporelle ou spirituelle préexistante et elle n'a pu être produite d'une puissance créée. C'est pourquoi il semble que l'âme elle-même a été créée dans les oeuvres des six jours, pendant lesquels tout a été créé en même temps avec les anges et que par la suite sa propre volonté ayant été inclinée, elle fut destinée à administrer le corps. Mais il ne dit pas cela de façon affirmative comme ses paroles le montrent. Car il dit: "On pourrait croire si aucune autorité des Écritures ou raison de la vérité que l'homme a été créé le sixième jour, pour que la raison causale des corps humaines dans les éléments du monde, l'âme elle-même fut créée (La Genèse au sens littéral, VII, 24-28)"

 

[23] . Cf. note en obj. 3.

 

[24] . Distinction entre la première perfection, celle de la création, et la seconde atteinte à la fin du monde.

 

[25] . "L'âme est pour le corps vivant cause et principe...c'est elle en effet qui est le principe du mouvement." Trad. E. Barbotin. Thomas, lectio VII.

 

[26]. Cet article veut établir la possibilité de créations successives, même pour les substances spirituelles, telles que l'ange et les âmes humaines. Étant spirituelles, elles ne sont pas soumises au temps. Toute succession semble impossible. La participation à l'ævum exprime l'insertion de la créature spirituelle dans cette durée particulière qu'est l'oevum. Participare prius exprime l'ordre de succession et non pas une inégalité de perfection.

 

[27] . Dans l'obj. 11, il est question de la situation des corps selon la gravité. Plus un corps est subtil, plus il s'élève. Faut-il comprendre que l'âme, substance plus simple se situe entre le haut et le bas (au milieu) car elle est créée en même temps que le corps. Il s'agit d'une certaine manière de la localisation de l'âme dans le corps. Cf. sol. 12 "créée dans l'espace du corps:(in loco corporis creari)".

 

[28] . Cf. CG. II, 84 § 4: "Il est dit de la même manière (Gn 2, 2) que Dieu acheva son oeuvre et qu'il se reposa de tout ce qu'il avait fait. Donc de même qu'on considère selon l'espace l'achèvement ou la perfection de création et non selon les individus, de même le repos de Dieu doit être compris comme la fin de la création de nouvelles espèces, mais pas de nouveaux individus. Leurs semblables en espèces les ont précédées."

 

 

Article 11: L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par création ou par transmission de la semence?

 

q. 3 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum anima sensibilis et vegetabilis sint per creationem, vel traducantur ex semine. Et videtur quod sic, hac ratione.

Il semble que c'est par création pour la raison suivante[1].

 

Objections:

q. 3 a. 11 arg. 1 Eorum enim quae sunt eiusdem rationis, est idem modus prodeundi in esse. Sed anima sensibilis et vegetabilis in homine sunt et in brutis et in plantis eiusdem speciei vel rationis. In homine autem sunt per creationem, cum sint eiusdem substantiae cum anima rationali, quae est per creationem, ut ostensum est. Ergo etiam in brutis et in plantis vegetabilis et sensibilis sunt per creationem.

1. Car ce qui est de même nature, vient à l'être de la même manière[2]. Mais l'âme sensitive et l'âme végétative sont de même espèce ou de même nature, dans l'homme, les animaux et les plantes. Dans l'homme, elles sont créées, puisqu'elles sont de la même substance que l'âme rationnelle elle-même créée, comme on l'a montré (art. 9). Donc chez les animaux et les plantes aussi, l'âme végétative et l'âme sensitive sont créées.

 

q. 3 a. 11 arg. 2 Sed dices, quod anima sensibilis et vegetabilis est in plantis et brutis ut forma et perfectio; in hominibus autem ut dispositio.- Sed contra, quanto aliquid est nobilius, tanto nobiliori modo exit in esse. Sed nobilius est esse formam et perfectionem quam esse dispositionem. Si ergo anima sensibilis et vegetabilis in hominibus, in quibus sunt ut dispositiones, exeunt in esse per creationem, qui est nobilissimus modus prodeundi in esse cum nobilissimae creaturae hoc modo esse incipiant; videtur quod multo magis in plantis et brutis sint productae per creationem.

 

2. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive et végétative est dans les plantes et les animaux comme une forme et une perfection; et dans les hommes comme une disposition[3]. – En sens contraire, plus un être est noble, plus noble est sa manière de venir à l'être. Mais il est plus noble d'être une forme et une perfection qu'une disposition. Si donc l'âme sensitive et l'âme végétative dans les hommes, dans lesquels elles sont comme des dispositions, viennent à l'être par création, ce qui est le plus noble moyen de venir à l'être, puisque les plus nobles créatures commencent à exister de cette manière, il semble qu'elles aient été produites beaucoup plus par création dans les plantes et les animaux .

 

q. 3 a. 11 arg. 3 Praeterea, dicit philosophus: quod vere est, id est substantia, nulli est accidens. Si ergo anima sensibilis et vegetabilis sunt in brutis et in plantis ut formae substantiales, non possunt esse in homine ut dispositiones accidentales.

 

3. Le philosophe dit (Physique, I, 7, 190 a 35[4]): "Ce qui est vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est accident pour rien". Si donc l'âme sensitive et l'âme végétative sont dans les animaux et dans les plantes comme des formes substantielles, elles ne peuvent pas être dans l'homme comme des dispositions accidentelles.

 

q. 3 a. 11 arg. 4 Praeterea, ex virtute generantis producitur aliquid in esse in rebus viventibus per virtutem quae est in semine. Sed in semine non est anima sensibilis vel vegetabilis in actu. Cum ergo nihil agat nisi secundum quod est in actu, videtur quod ex virtute seminis non possit produci anima sensibilis vel vegetabilis; et ita nec per generationem, sed per creationem.

4. A partir du pouvoir du géniteur, quelque chose vient à l'être chez les vivants par le pouvoir de la semence. Mais, en elle, il n'y a pas d'âme sensitive ni végétative en acte. Donc, puisque rien n'agit que dans la mesure où il est en acte, il semble que l'âme sensitive ou l'âme végétative ne peuvent être produites par le pouvoir de la semence et ainsi par génération non plus mais par création.

 

q. 3 a. 11 arg. 5 Sed dices, quod virtus quae est in semine, licet non sit anima sensibilis actu agit tamen in virtute animae sensibilis, quae erat in patre, a quo semen deciditur.- Sed contra, quod agit in virtute alterius, agit ut instrumentum illius. Instrumentum autem non movet nisi motum; movens autem et motum oportet esse simul, ut probatur VII Phys. Cum ergo virtus quae est in semine, non sit coniuncta animae sensibili generantis, videtur quod non possit agere ut instrumentum eius, nec in virtute illius.

 

5. Mais on pourrait dire que le pouvoir qui est dans la semence, encore que celui-ci ne soit pas l'âme sensitive en acte, agit cependant dans le pouvoir de l'âme sensitive, qui était dans le père, de qui la semence a été séparée. – En sens contraire, ce qui agit dans le pouvoir d'un autre s'en sert comme de son instrument; or celui-ci ne met en mouvement que mû, mais il faut que le moteur, et ce qui est mû soient ensemble, comme on le prouve (Physique VIII, 10, 266 b 27 Ð 267 b 17). Donc comme le pouvoir qui est dans la semence n'a pas été joint à l'âme sensitive du géniteur, il semble qu'il ne peut pas agir comme son instrument, ni dans le pouvoir de celle-ci.

 

q. 3 a. 11 arg. 6 Praeterea, instrumentum se habet ad principale agens sicut virtus mota et imperata ad virtutem motivam et imperantem, quae est vis appetitiva et motiva. Sed virtus mota imperata non movet, si separetur a motiva imperante, ut patet in partibus animalis decisis. Ergo nec virtus quae est in semine deciso potest operari in virtute generantis.

 

6. L'instrument se comporte vis-à-vis de l'agent principal comme un pouvoir mû et commandé en vue d'un pouvoir qui meut et commande, qui est une force appétitive et motrice. Mais un pouvoir mû et commandé ne meut pas, s'il est séparé de ce qui met en mouvement et commande, comme cela paraît dans les organes séparés d'un animal. Donc le pouvoir qui est dans la semence séparée ne peut opérer dans le pouvoir du géniteur.

 

q. 3 a. 11 arg. 7 Praeterea, quando effectus deficit a perfectione causae, non potest se extendere in propriam causae actionem; diversitati enim naturarum attestatur diversitas actionum. Sed virtus quae est in semine, etsi sit effectus animae sensibilis generantis, tamen constat quod deficit a perfectione ipsius. Ergo non potest in actionem quae proprie competeret animae sensibili, scilicet producere animam sibi similem in specie.

 

7. Quand l'effet est défaillant par rapport à la perfection de la cause, il ne peut s'étendre à la propre action de sa cause. Car la diversité des actions atteste la diversité des natures. Mais cependant il est clair que le pouvoir, qui est dans la semence, même si c'est l'effet de l'âme sensitive du géniteur, est défaillant par rapport à sa perfection même. Donc il ne peut pas, dans l'action qui appartient proprement à l'âme sensitive, produire une âme qui lui ressemble en espèce.

 

q. 3 a. 11 arg. 8 Praeterea, ad corruptionem subiecti sequitur corruptio formae et virtutis. Sed sperma in processu generationis corrumpitur, et aliam formam recipit, ut Avicenna dicit. Ergo virtus illa corrumpitur quae erat in semine; non ergo per eam potest produci anima sensibilis in esse.

8. A la corruption du sujet succède celle de la forme et de la puissance. Mais le sperme est corrompu dans le processus de la génération et il reçoit une autre forme, comme Avicenne le dit. Donc ce pouvoir qui était dans la semence est corrompu; donc ce n'est pas par lui que l'âme sensitive peut venir à l'être.

 

q. 3 a. 11 arg. 9 Praeterea, natura inferior non agit nisi mediante calore et aliis qualitatibus activis et passivis. Sed calor non potest producere animam sensibilem in esse: quia nihil agit ultra suam speciem; nec potest esse factum nobilius faciente. Ergo anima sensibilis vel vegetabilis non potest educi in esse per aliquod agens naturale; et ita est a creatione.

9. La nature inférieure n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur et d'autres qualités actives et passives. Mais la chaleur ne peut amener l'âme sensitive à l'être, parce que rien n'agit au-delà de son espèce. Et rien de ce qui est fait n'est plus noble que ce qui le fait. Donc l'âme sensitive ou végétative ne peut pas être amenée à l'être par un agent naturel et ainsi elle l'est par création.

 

q. 3 a. 11 arg. 10 Praeterea, agens materiale non agit influendo, sed materiam transmutando. Sed per transmutationem materiae non pervenitur nisi ad formam accidentalem. Ergo per agens naturale non potest produci anima sensibilis et vegetabilis, quae sunt formae substantiales.

10. L'agent matériel n'agit pas en exerçant une influence sur la matière. Mais en la transformant, on ne parvient qu'à une forme accidentelle. Donc l'âme sensitive et l'âme végétative, qui sont des formes substantielles, ne peuvent pas être produites par un agent naturel.

 

q. 3 a. 11 arg. 11 Praeterea, anima sensibilis vel vegetabilis habent quamdam quidditatem, quae quidditas est ab alio facta. Haec autem quidditas non erat ante generationem, nisi quia materia poterat eam habere. Ergo oportet quod producatur ab aliquo agente quod operetur non ex materia; et huiusmodi est solus Deus creans.

11. L'âme sensitive ou l'âme végétative ont une quiddité, produite par un autre. Mais elle n'existait avant la génération que parce que la matière pouvait l'avoir. Donc il faut qu'elle soit produite par un agent qui n'opère pas à partir de la matière, et de tel, il n'y a que le Dieu créateur.

 

q. 3 a. 11 arg. 12 Praeterea, animalia generata ex semine sunt nobiliora animalibus ex putrefactione generatis, utpote perfectiora, et sibi similium generativa. Sed in animalibus ex putrefactione generatis animae sunt a creatione: non enim est dare aliquod agens simile in specie a quo in esse producantur. Ergo videtur multo fortius quod animae animalium ex semine generatorum sint a creatione.

 

12. Les animaux engendrés par semence sont plus nobles que les animaux engendrés de la putréfaction, ils sont plus parfaits, et peuvent engendrer des êtres semblables à eux. Mais dans les animaux engendrés de la putréfaction, les âmes viennent par création. Car ce n'est pas par un agent semblable d'une espèce semblable qu'ils sont amenés à l'être. Donc il semble bien plus que les âmes des animaux qui engendrent par la semence soient créés.

 

q. 3 a. 11 arg. 13 Sed dices, quod per virtutem caelestis corporis producitur anima sensibilis in animalibus ex putrefactione generatis, sicut et in aliis per virtutem formativam in semine.- Sed contra, sicut dicit Augustinus, substantia vivens praeeminet cuilibet substantiae non viventi. Sed corpus caeleste non est substantia vivens, cum sit inanimatum. Ergo eius virtute produci non potest anima sensibilis, quae est principium vitae.

 

13. Mais on pourrait dire que par le pouvoir du corps céleste, l'âme sensitive est produite dans les animaux issus de la putréfaction, comme pour les autres par le pouvoir formateur qui est dans la semence. – En sens contraire, comme le dit Augustin (La vraie religion, 55), la substance vivante est au-dessus de n'importe quelle substance non vivante. Mais le corps céleste n'est pas une substance vivante, puisqu'il est inanimé. Donc l'âme sensitive, qui est principe de vie ne peut être produite par son pouvoir.

 

q. 3 a. 11 arg. 14 Sed dices, quod corpus caeleste potest esse causa animae sensibilis, prout agit in virtute intellectualis substantiae quae ipsum movet. Sed contra, quod recipitur in alio, est in eo per modum recipientis, et non per modum sui. Si ergo virtus intellectualis substantiae recipitur in corpore caelesti non vivente, non erit ibi ut virtus vitalis quae possit esse principium vitae.

 

14. Mais on pourrait dire que le corps céleste peut être la cause de l'âme sensitive, en tant qu'il agit dans le pouvoir de la substance intellectuelle, qui le meut. – En sens contraire, ce qui est reçu dans un autre est en lui par le mode de celui qui reçoit, et non par son mode propre. Donc si le pouvoir de la substance intellectuelle est reçu dans un corps céleste non vivant, il n'y sera pas là comme un pouvoir vital qui puisse être principe de vie.

 

q. 3 a. 11 arg. 15 Praeterea, substantia intellectualis non solum vivit, sed etiam intelligit. Si ergo per eius virtute corpus caeleste ab ea motum potest conferre vitam, pari ratione conferre poterit intellectum; et ita anima rationalis erit a generante; quod est falsum.

 

15. La substance intellectuelle non seulement vit, mais aussi pense (intelligit). Donc si par son pouvoir, le corps céleste, mû par elle, peut conférer la vie, à raison égale, il pourra conférer l'intellect. Et ainsi l'âme rationnelle viendra de celui qui engendre, ce qui est faux.

 

q. 3 a. 11 arg. 16 Praeterea, si anima sensibilis est ab aliquo agente naturali, et non per creationem, aut ergo producetur a corpore, aut ab anima. Sed non a corpore, quia sic corpus ageret ultra suam speciem: nec iterum ab anima: quia vel oporteret totam animam patris in filium transfundi, et sic pater absque anima remaneret; vel quoad partem eius, et sic in patre non remaneret tota anima: quorum utrumque est falsum. Ergo anima sensibilis non est a generante, sed a creante.

 

16. Si l'âme sensitive vient d'un agent naturel, et non par création, elle est donc produite par le corps ou par l'âme. Mais pas par le corps, parce que, ainsi, un corps agirait au-delà de son espèce; ni à nouveau par l'âme, parce que, ou bien, il faudrait que toute l'âme du père soit transfusée dans le Fils, et ainsi le père demeurerait sans âme, ou avec une partie seulement, et ainsi dans le père, l'âme ne resterait pas entière; les deux solutions sont fausses. Donc l'âme sensitive ne vient pas de celui qui engendre mais du créateur.

 

q. 3 a. 11 arg. 17 Praeterea, Commentator dicit, quod nulla virtus cognoscitiva est ab actione elementorum commixtorum. Sed anima sensibilis est virtus cognoscitiva. Ergo non est ab actione elementorum; et ita nec per actionem naturae, cum nulla actio naturae in istis inferioribus sit absque actione elementorum.

17. Le Commentateur dit (L'âme, III) qu'aucun pouvoir connaissant vient de l'action des éléments mixtes. Mais l'âme sensitive est un pouvoir qui a la faculté de connaître. Donc elle ne dépend pas de l'action des éléments, de l'action de la nature non plus, puisque aucune de ces actions n'est dans ces choses inférieures sans l'action des éléments.

 

q. 3 a. 11 arg. 18 Praeterea, nulla forma potest esse movens, quae non est subsistens; unde formae elementorum, secundum philosophum, non sunt moventes; sed generans et removens prohibens. Sed anima sensibilis est movens, cum omne animal a sua anima moveatur. Ergo anima sensibilis non est forma tantum, sed est substantia per se existens. Constat etiam quod non est ex materia et forma composita. Omnis autem talis substantia educitur in esse per creationem, et non aliter. Ergo anima sensibilis educitur in esse per creationem.

 

18. Aucune forme, qui n'est pas subsistante, ne peut être moteur; c'est pourquoi les formes des éléments, selon le philosophe (Physique VIII, 4, 254 b35, 255 a 12) ne sont pas moteurs, mais c'est ce qui engendre et prive en empêchant. Mais l'âme sensitive est motrice, puisque tout animal est mû par son âme. Donc l'âme sensitive n'est pas une forme seulement, mais une substance existant par soi. Il est clair aussi qu'elle n'est pas composée de matière et de forme. Mais toute substance de ce genre vient à l'être par création, et non autrement. Donc l'âme sensitive vient à l'être par création.

 

q. 3 a. 11 arg. 19 Sed dices, quod anima sensibilis non movet per se corpus, sed ipsum corpus animatum movet se ipsum.- Contra, philosophus probat, quod in quolibet movente seipsum oportet unam partem esse quae sit movens tantum, et alteram quae sit mota. Sed corpus non potest esse movens tantum, quia nullum corpus movet nisi motum. Ergo oportet quod anima sit movens tantum; et ita sensibilis anima habet operationem in qua non communicat sibi corpus: et sic anima sensibilis erit substantia subsistens.

 

19. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive ne meut pas le corps par soi, mais que le corps animé se meut lui-même. – En sens contraire, le philosophe prouve (Physique VIII, 257 b 2 ss.) que dans n'importe quel être qui se meut lui-même, il faut qu'une partie de l'être soit moteur, et une autre mue. Mais le corps ne peut pas être moteur seulement, parce qu'aucun corps ne meut que mû. Donc il faut que l'âme soit moteur seulement et ainsi l'âme sensitive a une opération, où le corps ne communique pas avec elle et ainsi elle sera une substance subsistante.

 

q. 3 a. 11 arg. 20 Sed dices, quod anima sensibilis movet secundum imperium appetitivae virtutis, cuius actus communiter est animae et corporis. Sed contra, in animali non solum movet vis quae imperat motum, sed etiam est ibi vis exequens motum; cuius operatio non poterit esse animae et corpori communis, rationibus praedictis; et sic oportet quod anima sensibilis aliquam operationem per se habeat. Ergo est substantia per se subsistens; et ita per creationem educitur in esse, et non per generationem naturalem.

 

20. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive meut selon l'ordre du pouvoir de l'appétit, dont l'acte est commun au corps et à l'âme. –Mais en sens contraire, dans l'animal, non seulement il y a la force qui commande le mouvement et meut, mais encore il y a là une force qui suit le mouvement dont l'opération ne pourra pas être commune à l'âme et au corps, pour les raisons déjà données. Et ainsi il faut que l'âme sensitive ait par soi une opération. Donc elle est substance subsistante par soi, et ainsi elle est amenée à l'être par création, et non par la génération naturelle.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 11 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Genes. I, vers. 20: producant aquae reptile animae viventis; et ita videtur quod animae sensibiles reptilium et aliorum animalium sint ex actione corporalium elementorum.

1. Il y a ce qui est dit en Gn. 1, 20: "Que les eaux produisent le reptile à l'âme vivante", et ainsi il semble que les âmes sensitives des reptiles et des autres animaux viennent de l'action des corps élémentaires.

 

q. 3 a. 11 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet corpus patris ad eius animam, ita et corpus filii ad eius animam. Ergo commutatim, sicut se habet corpus filii ad corpus patris, ita et anima filii ad animam patris. Sed corpus filii traducitur a corpore patris. Ergo anima filii traducitur ab anima patris.

 

2. De la même manière que se comporte le corps du père vis-à-vis de son âme, le corps du fils se comporte vis-à-vis de la sienne. Donc inversement, de même que le corps du fils se comporte par rapport à celui du père, l'âme du fils se comporte par rapport à celle du père. Mais le corps du fils est transmis par le corps du père. Donc l'âme du fils est transmise par l'âme du père.

 

Réponse

q. 3 a. 11 co. Respondeo. Dicendum quod circa productionem formarum substantialium, philosophorum opiniones diversificantur. Nam quidam dixerunt, quod agens naturale solummodo disponit materiam; forma autem, quae est ultima perfectio, provenit a principiis supernaturalibus.

A propos de la production des formes substantielles, les opinions des philosophes ont divergé[5]. Car certains ont dit que l'agent naturel dispose seulement la matière, mais la forme, qui est l'ultime perfection, provient des principes surnaturels.

 

Quae quidem opinio ex duobus praecipue ostenditur esse falsa:

 

primo quidem ex hoc quod, cum esse formarum naturalium et corporalium non consistat nisi in unione ad materiam; eiusdem agentis esse videtur eas producere cuius est materiam transmutare.

On montre que cette opinion est fausse principalement pour deux raisons:

 

1) Du fait que l'être des formes naturelles et corporelles ne consiste qu'en une union à la matière, il semble que c'est le fait d'un même agent de les produire, dont le rôle est de transformer la matière.

 

Secundo, quia cum huiusmodi formae non excedant virtutem et ordinem et facultatem principiorum agentium in natura, nulla videtur necessitas, eorum originem in principia reducere altiora; unde philosophus dicit, quod caro et os generantur a forma quae est in his carnibus et in his ossibus: secundum cuius sententiam non solum agens naturale disponit materiam, sed educit formam in actum, e converso primae opinioni.

 

2) Parce que de telles formes n'excèdent pas le pouvoir, l'ordre et la faculté des principes agents dans la nature, on ne voit aucune nécessité de ramener leur origine à des principes plus élevés. C'est pour cela que le philosophe dit (Métaphysique VII, 1034 a 5[6], Physique, II, 1, 193 a 2) que la chair et l'os sont engendrés par une forme qui est en ces chairs et en ces os; selon cette opinion, non seulement l'agent naturel dispose la matière mais amène la forme à l'acte, contrairement à la première opinion.

 

Ab hac autem generalitate formarum oportet excludere animam rationalem. Ipsa enim est substantia per se subsistens; unde esse suum non consistit tantum in hoc quod est materiae uniri; alias separari non posset: quod falsum esse etiam eius operatio ostendit, quae est animae secundum se ipsam absque corporis communione. Nec potest aliter operari quam sit. Quod enim per se non est, per se non operatur. Et iterum intellectualis natura totum ordinem et facultatem excedit materialium et corporalium principiorum; cum intellectus intelligendo omnem corporalem naturam transcendere possit: quod non esset, si eius natura infra limites corporalis naturae contineretur.

 

De cet ensemble des formes, il faut exclure l'âme rationnelle. Car elle est elle-même une substance subsistante par soi. C'est pourquoi son être ne consiste pas seulement en ce qu'il doit être unie à la matière, autrement elle ne pourrait pas s'en séparer: son opération montre que c'est faux, elle vient de l'âme même en soi sans la participation du corps. Et elle ne peut agir autrement qu'elle est. Car ce qui n'est pas par soi, n'opère pas par soi. Et à nouveau la nature intellectuelle excède tout l'ordre et toute la faculté des principes matériels et corporels; puisque l'intellect en son intellection (intelligendo) peut transcender toute nature corporelle, ce qui ne serait pas possible si sa nature était contenue dans les limites de la nature corporelle.

 

Neutrum autem horum de anima sensibili vel vegetabili dici potest. Esse autem huiusmodi animarum non potest consistere nisi in unione ad corpus: quod eorum operationes ostendunt; quae sine organo corporali esse non possunt: unde nec esse earum est eis absolute sine dependentia ad corpus. Propter quod nec a corpore separari possunt, nec iterum in esse produci, nisi quatenus producatur corpus in esse. Unde sicut producitur corpus per actum naturae generantis, ita et animae praedictae. Ponere autem eas seorsum per creationem fieri, videtur redire in opinionem eorum qui ponebant huiusmodi animas post corpora remanere, cum utrumque simul in Lib. de Eccl. dogmatibus condemnetur.

 

Mais on ne peut utiliser ni l'un ni l'autre argument pour l'âme sensitive ou l'âme végétative. L'être des âmes de ce genre ne peut consister que dans l'union au corps; ce que leurs opérations montrent: elle ne peuvent exister sans organe corporel; c'est pourquoi leur être n'est absolument pas pour elles sans dépendance au corps. A cause de cela, elles ne peuvent être séparées du corps, ni à nouveau amenées à l'être, que dans la mesure où le corps y est amené. C'est pourquoi, de même que le corps est produit par l'action de la nature qui engendre, les âmes susdites aussi. Mais penser qu'elles soient faites séparément par création semble ramener à l'opinion de ceux qui pensaient que les âmes de ce genre demeuraient après le corps; alors que les deux opinions sont condamnées ensemble dans le livre des Dogmes ecclésiastiques.

 

Huiusmodi etiam animae ordinem principiorum naturalium non excedunt. Et hoc patet earum operationes considerantibus. Nam secundum ordinem naturarum sunt etiam ordines actionum. Invenimus autem quasdam formas quae se ulterius non extendunt quam ad id quod per principia materialia fieri potest; sicut formae elementares et mixtorum corporum, quae non agunt ultra actionem calidi et frigidi; unde sunt penitus materiae immersae.

De telles âmes ne dépassent pas l'ordre des principes naturels. Et cela est visible pour ceux qui considèrent leurs opérations. Car l'ordre des actions dépend de l'ordre des natures. Nous trouvons certaines formes qui ne s'étendent pas plus loin que ce qui peut être fait par les principes matériels; ainsi les formes élémentaires et celles des corps mixtes qui n'agissent pas au-delà de l'action du chaud et du froid. C'est pourquoi elles sont tout à fait immergées dans la matière .

 

Anima vero vegetabilis, licet non agat nisi mediantibus qualitatibus praedictis, attingit tamen operatio eius ad aliquid in quod qualitates praedictae se non extendunt, videlicet ad producendum carnem et os, et ad praefigendum terminum augmento, et ad huiusmodi; unde et adhuc retinetur infra ordinem materialium principiorum, licet non quantum formae praemissae.

Mais bien que l'âme végétative n'agisse que par l'intermédiaire de ces qualités, cependant son opération va jusqu'où elles ne s'étendent pas, à savoir produire la chair et l'os et fixer un terme à la croissance, etc.; c'est pourquoi elle est encore retenue sous l'ordre des principes matériels, bien que pas autant sur les formes annoncées.

 

Anima vero sensibilis non agit per virtutem calidi et frigidi de necessitate, ut patet in actione visus et imaginationis et huiusmodi; quamvis ad huiusmodi operationes requiratur determinatum temperamentum calidi et frigidi ad constitutionem organorum, sine quibus actiones praedictae non fiunt; unde non totaliter transcendit ordinem materialium principiorum, quamvis ad ea non tantum deprimatur, quantum formae praedictae.

 

Mais l'âme sensitive n'agit pas nécessairement par le pouvoir du chaud et du froid, comme cela paraît dans l'action de la vue, de l'imagination, etc., quoique pour de telles opérations un caractère déterminé de chaud et de froid soit requis pour la constitution des organes, sans lesquels les actions susdites ne se font pas; c'est pourquoi elle ne transcende pas totalement l'ordre des principes matériels, bien qu'elle n'y soit pas enclavée autant que les formes susdites.

 

Anima vero rationalis etiam agit actionem ad quam virtus calidi et frigidi non se extendit; nec eam exercet per virtutem calidi et frigidi, nec organo etiam corporali; unde ipsa sola transcendit ordinem naturalium principiorum; non autem anima sensibilis in brutis, vel vegetabilis in plantis.

Mais l'âme rationnelle accomplit une action là où ne s'étend pas le pouvoir du chaud et du froid, et elle ne l'exerce pas par ce pouvoir, ni par un organe matériel. C'est pour cela qu'elle seule transcende l'ordre des principes naturels, mais pas l'âme sensitive dans les animaux, ni l'âme végétative dans les plantes.

 

Solutions:

q. 3 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet anima sensibilis in hominibus et brutis sit eiusdem rationis secundum genus, non tamen est eiusdem rationis secundum speciem, sicut nec idem animal specie est homo et brutum; unde et operationes animae sensibilis sunt multo nobiliores in homine quam in brutis, ut patet in tactu et in apprehensivis interioribus. Nec oportet eorum quae sunt in genere, si specie differant, esse unum modum procedendi in esse, ut patet per animalia generata ex semine et ex putrefactione; quae in genere conveniunt, et specie differunt.

 

# 1. Bien que l'âme sensitive soit de même nature en genre dans les hommes et les animaux, cependant elle ne l'est pas en espèce; ainsi l'homme et la bête ne sont pas un être animé identique en espèce; c'est pourquoi les opérations de l'âme sensitive sont beaucoup plus nobles chez l'homme que chez les bêtes, comme cela paraît dans le toucher et dans les perceptions intérieures. Et il ne faut pas, pour ceux qui sont dans un genre, s'ils diffèrent par l'espèce, qu'il y ait un seul mode de parvenir à l'être, comme cela paraît chez les animaux engendrés de la semence et de la putréfaction, qui sont dans un même genre et diffèrent en espèce.

 

q. 3 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in homine non dicitur anima sensibilis ut dispositio, quasi sit aliud in substantia ab anima rationali, et sit dispositio ad ipsam; sed quia non distinguitur sensibile a rationali in homine, nisi sicut potentia a potentia. Anima vero sensibilis in bruto distinguitur ab anima rationali hominis sicut una forma substantialis ab alia. Et tamen sicut potentia sensibilis in homine et vegetabilis fluunt ab essentia animae, ita et in brutis et in plantis. Sed in hoc differunt quia in plantis non fluunt ab essentia animae nisi potentiae vegetabiles, et ideo ab eis anima denominatur; in brutis vero non solum vegetabiles, sed etiam sensibiles a quibus denominatur eorum anima; in homine vero praeter has etiam intellectuales a quibus denominatur.

 

# 2. Dans l'homme on ne parle pas de l'âme sensitive comme d'une disposition, comme si dans la substance elle était autre que l'âme rationnelle et disposition pour elle-même; mais parce qu'on ne distingue le sensitif du rationnel dans l'homme, que comme une puissance d'une autre puissance. Mais l'âme sensitive dans l'animal est distincte de l'âme rationnelle de l'homme comme une forme substantielle d'une autre. Cependant la puissance sensitive et végétative dans l'homme découle de l'essence de l'âme, dans les animaux et dans les plantes aussi. Mais elles diffèrent en ceci que dans les plantes, seules les puissances végétatives découlent de l'essence de l'âme, c'est pourquoi on définit leur âme par elles; dans les animaux non seulement les puissances végétatives mais aussi sensitives par lesquelles leur âme est définie, dans l'homme en plus les puissances intellectuelles par lesquelles elle est définie.

 

q. 3 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod substantia, a qua potentia sensibilis fluit, tam in brutis quam in hominibus est forma substantialis; potentia vero utrobique est accidens.

# 3. La substance, d'où découle la puissance sensitive, tant chez les animaux que chez les hommes, est une forme substantielle; mais la puissance dans les uns et les autres est un accident.

 

q. 3 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima sensibilis non est actu in semine secundum propriam speciem, sed sicut in virtute activa; sicut domus in actu est in mente artificis ut in virtute activa: et sicut formae corporales sunt in virtutibus caelestibus.

 

# 4. L'âme sensitive n'est pas en acte dans le semence pour son espèce propre, mais comme dans une puissance active; de la même manière la maison en acte est dans l'esprit de l'artisan comme dans une puissance active; et de même les formes corporelles sont dans les puissances célestes.

 

q. 3 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod instrumentum intelligitur moveri a principali agente, quamdiu retinet virtutem a principali agente impressam; unde sagitta tamdiu movetur a proiciente, quamdiu manet vis impulsus proicientis. Sicut etiam generatum tamdiu movetur a generante in gravibus et levibus quamdiu retinet formam sibi traditam a generante; unde et semen tamdiu intelligitur moveri ab anima generantis quamdiu remanet ibi virtus impressa ab anima, licet corporaliter sit divisum. Oportet autem movens et motum esse simul quantum ad motus principium, non tamen quantum ad totum motum, ut apparet in proiectis.

 

# 5. On comprend que l'instrument est mis en mouvement par l'agent principal aussi longtemps qu'il conserve ce pouvoir imprimé par cet agent; c'est pourquoi la flèche est mue par celui qui la lance tant que dure son impulsion. De même aussi, tant que l'engendré est mû par celui qui engendre dans le lourd et le léger, il conserve la forme qui lui a été donnée par lui; c'est pourquoi, on comprend que la semence est mue par l'âme de celui qui engendre, tant qu'en lui il y a le pouvoir imprimé par l'âme, bien qu'il soit divisé corporellement. Mais il faut que le moteur et le mû soit ensemble au principe du mouvement, non cependant pour tout ce qui est mû, comme cela paraît dans ce qu'on projette.

 

q. 3 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod vis appetitiva animae non habet imperium nisi super corpus unitum; unde pars decisa non obedit animae appetitivae ad votum. Sed semen non movetur ab anima generantis per imperium, sed per cuiusdam virtutis transfusionem, quae in semine manet etiam postquam fuerit decisum.

# 6. La force appétitive de l'âme n'a de pouvoir que sur le corps qui lui est uni; c'est pourquoi une partie coupée n'obéit pas au désir de l'âme appétitive. Mais la semence n'est pas mue par l'âme de celui qui engendre par pouvoir, mais par la transmission d'un certain pouvoir qui demeure dans la semence même une fois séparée.

 

q. 3 a. 11 ad 7 Ad septimum dicendum, quod anima sensibilis et vegetabilis de potentia materiae educuntur, sicut et formae aliae materiales ad quarum productionem requiritur virtus materiam transmutans. Virtus autem quae est in semine licet deficiat ab aliis actionibus animae hanc tamen habet. Sicut enim per animam materia transmutatur, ut convertatur in totum in actione nutrimenti; ita et per virtutem praedictam transmutatur materia, ut generetur conceptum; unde nihil prohibet quin virtus praedicta operetur quantum ad hoc ad actionem animae sensibilis in virtute ipsius.

# 7. L'âme sensitive et l'âme végétative sont tirées de la puissance de la matière, comme les autres formes matérielles pour la production desquelles est requis un pouvoir qui transforme la matière. Mais bien que le pouvoir qui est dans la semence soit défaillant, par les autres actions de l'âme il la possède cependant; en effet, la matière est transformée par l'âme, pour qu'elle soit convertie en tout par l'action de la nourriture, de même par le pouvoir susdit, la matière est transformée, pour engendrer ce qui est conçu; c'est pourquoi rien n'empêche que ce pouvoir opère, à ce sujet, en son pouvoir pour l'action de l'âme sensitive.

 

q. 3 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus praedicta radicatur in spiritu, qui in semine includitur, sicut in subiecto. Fere autem totum semen, ut dicit Avicenna, in spiritum convertitur. Unde licet corpulenta materia, ex qua conceptum formatur, multoties per generationem transmutetur, non tamen virtutis praedictae subiectum destruitur.

 

# 8. Ce pouvoir, prend racine dans l'esprit, qui se trouve inclus dans la semence, comme dans son sujet. Mais presque toute la semence, comme le dit Avicenne, est convertie en cet esprit. C'est pourquoi, bien que la matière corporelle, d'où ce qui est conçu est formé, soit transformée de nombreuses fois par génération, cependant le substrat de ce pouvoir n'est pas détruit.

 

q. 3 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut calor agit ut instrumentum formae substantialis ignis, ita nihil prohibet quin agat ut instrumentum animae sensibilis ad educendum animam sensibilem in actum, non quod propria virtute hoc possit.

 

# 9. La chaleur agit comme instrument de la forme substantielle du feu, de la même manière, rien n'empêche qu'elle agisse comme instrument de l'âme sensitive pour l'amener l'âme à l'acte, encore qu'elle ne le puisse pas par son propre pouvoir[7].

 

q. 3 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod materia transmutatur non tantum transmutatione accidentali, sed etiam substantiali; utraque enim forma in materiae potentia praeexistit; unde agens naturale, quod materiam transmutat, non solum est causa formae accidentalis, sed etiam substantialis.

# 10. La matière subit un changement, non seulement accidentel, mais aussi substantiel; car l'une et l'autre forme préexiste dans la puissance de la matière; c'est pourquoi l'agent naturel qui transforme la matière est non seulement la cause de la forme accidentelle, mais aussi de la forme substantielle.

 

q. 3 a. 11 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod anima sensibilis cum non sit res subsistens, non est quidditas, sicut nec aliae formae materiales, sed est pars quidditatis, et esse suum est in concretione ad materiam; unde nihil aliud est animam sensibilem produci, quam materiam de potentia in actum transmutari.

# 11. Comme l'âme sensitive n'est pas un être subsistant, elle n'est pas une quiddité, les autres formes matérielles non plus, mais elle en est une partie; et son être est dans son agrégation à la matière. C'est pourquoi, produire l'âme sensitive n'est rien d'autre que faire passer la matière de la puissance à l'acte.

 

q. 3 a. 11 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod quanto aliquid est imperfectius, tanto ad eius constitutionem pauciora requiruntur. Unde cum animalia ex putrefactione generata, sint imperfectiora animalibus quae ex semine generantur, in animalibus ex putrefactione generatis sufficit sola virtus caelestis corporis quae etiam in semine operatur, licet non sufficiat sine virtute animae ad producendum animalia ex semine generata: virtus enim caelestis corporis in inferioribus corporibus relinquitur, in quantum ab eo transmutantur, sicut a primo alterante. Et propter hoc dicit philosophus, in libro de animalibus, quod omnia corpora inferiora sunt plena virtutibus animae. Caelum autem licet non sit simile in specie cum huiusmodi animalibus ex putrefactione generatis, est tamen similitudo quantum ad hoc quod effectus in causa activa virtualiter praeexistit.

# 12. Plus une chose est imparfaite, moins elle a de besoins pour sa constitution. C'est pourquoi, puisque les animaux engendrés de la putréfaction sont plus imparfaits que ceux nés d'une semence, il suffit pour eux du seul pouvoir du corps céleste qui opère aussi dans la semence, bien qu'il ne suffise pas sans le pouvoir de l'âme pour produire les animaux engendrés par la semence. Car le pouvoir du corps céleste demeure dans les corps inférieurs, dans la mesure où ils sont transformés par lui, comme par le premier qui apporte le changement. Et c'est pour cela que le philosophe dit, dans le Livre des Animaux, que tous les corps inférieurs sont emplis des pouvoirs de l'âme. Mais bien que le ciel ne soit pas semblable en espèce avec de tels animaux engendrés de la putréfaction, il y a cependant ressemblance, parce que l'effet préexiste potentiellement dans la cause.

 

q. 3 a. 11 ad 13 Ad decimumtertium dicendum est, quod corpus caeleste etsi non sit vivum, agit tamen in virtute substantiae viventis a qua movetur, sive sit Angelus, sive sit Deus. Secundum philosophos tamen ponitur corpus caeleste animatum et vivum.

# 13. Même si le corps céleste n'est pas vivant, il agit cependant dans le pouvoir de la substance vivante par laquelle il est mû; que ce soit un ange, ou Dieu. Les philosophes, cependant, pensent qu'un corps céleste est animé et vivant.

 

q. 3 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod virtus substantiae virtualis moventis relinquitur in corpore caelesti et motu eius, non sicut forma habens esse completum in natura, sed per modum intentionis, sicut virtus artis est in instrumento artificis.

# 14. Le pouvoir de la substance, moteur virtuel, est laissé dans le corps céleste et son mouvement, non comme une forme ayant l'être complet en nature, mais par mode d'intention comme le pouvoir de l'art est dans l'instrument de l'artisan.

 

q. 3 a. 11 ad 15 Ad decimumquintum dicendum est quod anima rationalis, ut dictum est, excedit totum ordinem corporalium principiorum; unde nullum corpus potest agere etiam ut instrumentum ad eius productionem.

# 15. L'âme rationnelle, comme on l'a dit, dépasse tout l'ordre des principes corporels, c'est pourquoi aucun corps ne peut agir même comme instrument pour sa production.

 

q. 3 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum est, quod anima sensibilis producitur in concepto non per actionem corporis nec per decisionem animae, sed per actionem virtutis formativae, quae est in semine ab anima generante, ut dictum est.

# 16. L'âme sensitive est produite dans ce qui est conçu, non par l'action d'un corps ni par séparation de l'âme, mais par l'action du pouvoir formateur qui vient dans la semence par l'âme qui engendre, comme on l'a dit.

 

q. 3 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod virtus cognoscitiva negatur esse ab actione elementorum, quasi elementorum virtutes ad eam causandam sufficiant sicut sufficiunt ad causandam duritiem et mollitiem. Non autem negatur quin instrumentaliter aliquo modo cooperari possit.

 

# 17. On nie que le pouvoir cognitif vienne de l'action des éléments, comme si les pouvoir des éléments suffisaient à les causer, comme ils suffisent à causer la dureté ou la tendreté. Mais on ne nie pas qu'ils puissent coopérer de quelque manière en tant qu'instrument.

 

q. 3 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod anima sensibilis movet per appetitum. Actio vero appetitus sensibilis non est animae tantum, sed compositi; unde talis vis habet determinatum organum. Unde non oportet ponere, quod anima sensibilis aliquam operationem habeat absque corporis communione.

18. L'âme sensitive meut par l'appétit. Mais l'action de l'appétit sensible ne vient pas de l'âme seulement, mais du composé; c'est pourquoi un tel pouvoir a un organe déterminé. Aussi, il ne faut pas penser que l'âme sensitive a quelque opération hors de son union au corps.

 

q. 3 a. 11 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod corpus potest movere quasi non motum specie illa motus qua movet, licet non possit movere nisi aliquo modo motum; corpus enim caeli alterat non alteratum, sed localiter motum; et similiter organum virtutis appetitivae movet localiter non motum sed aliquo modo alteratum localiter. Operatio enim appetitivae sensibilis sine corporali alteratione non contingit, sicut patet in ira et in huiusmodi passionibus.

 

# 19. Le corps peut mouvoir comme non mû, par cette espèce de mouvement par lequel il meut, bien qu'il ne puisse mouvoir qu'en étant mû en quelque manière. Car le corps du ciel change sans être changé, mais mû localement, et de la même manière l'organe du pouvoir de l'appétit meut, localement non mû, mais changé localement d'une certaine manière. Car l'opération de l'appétit sensible n'arrive pas sans changement du corps, comme cela paraît dans la colère et les passions de ce genre.

 

q. 3 a. 11 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod vis motiva exequens motum est magis dispositio mobilis qua natum est moveri a tali motore, quam sit per se movens.

# 20. La force motrice qui accompagne le mouvement est plus une disposition mobile par laquelle elle est destinée à être mû par un tel moteur, que d'être moteur par soi.

 

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[1]. Parall.: Ia, 118,1 – CG. II, 86 – II Sent. d18q2a3 - Qdl.IX, q. 5, a. 1.

Pour la hiérarchie des degrés textes parallèles: CG. IV, 11 - Ia, qu. 18, a. 3- qu. 78, a. 1 - Q. de anima. a. 13 - Verit. Qu. 22, a. 1 - De spirit. creat. a 2. Gardeil, Initiation, Psychologie, p. 23.

 

[2] . Cf. Pot. 3, 10, obj. 1. Même objection avec une petite nuance: "secundum speciem".

 

[3] . Disposition: différence entre état (habitus) et disposition. Cf. Catégories, 8 b 27 - 9 a 13: "L'État, différent de la disposition en ce qu'il a beaucoup plus de durée et de stabilité... 9 a 4: Il est évident qu'on tend à désigner sous le nom d'états des qualités qui sont plus durables et plus difficiles à mouvoir..." Les dispotions sont des "qualités qui peuvent facilement être mues et rapidement changées (Cf. Catégories).

 

[4] . "Car seule la substance ne se dit d'aucune autre chose comme sujet et tout le reste se dit de la substance." (Thomas n° 107).

 

[5] . Platon, Avicenne, Thémestius (diacre d'Alexandrie, chef de la secte des agnoètes VIe siècle): toutes les âmes viennent d'un principe séparé, pour Platon, le principe est l'idée, pour Avicenne, l'intelligence agente et pour les théologiens qui professent cette théorie, Dieu.

 

[6] . Métaphysique VII (Z) 8, 1034 a 5: "Dès lors, le tout qui est engendré c'est une forme de telle nature, réalisée dans telle chair et dans tel os, Callias, ou Socrate, autre que son générateur dans la matière, qui est autre, mais identique à lui pour la forme, car la forme est indivisible." (Problème individuation Tricot, 392, note 2) Cf. aussi Physique, II, 1, 193,a. 2: "En effet la chair ou l'os en puissance n'ont pas encore leur propre nature et n'existent pas par nature, tant qu'ils n'ont pas reçu la forme de la chair et de l'os, j'entends la forme définissable, celle que nous énonçons pour définir l'essence de la chair et de l'os."

 

[7] . Cf. Ia, qu. 118, a. 1, ad 3: "Cette force active qui est dans la semence, dérivée de l'âme de celui qui engendre, est comme un mouvement de celle-ci, et elle n'est ni l'âme, ni partie de l'âme, sinon virtuellement... Et c'est pourquoi il faut que cette force active ait un organe en acte, mais elle est incluse dans l'esprit qui se trouve dans la semence." (Cf. Ia, qu. 76, a. 7, ad – Ia, qu. 115, a. 3 – I Sent., d10q1a4).

 

 

Article 12: L'âme sensitive ou l'âme végétative sont-elles dans la semence dès le moment où elle est séparée?

q. 3 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum anima sensibilis vel vegetabilis sint in semine a principio quando deciditur. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections[2]:

q. 3 a. 12 arg. 1 Quia, ut Gregorius Nyssenus dicit, utriusque opinionis assertio vituperatione non caret, et eorum qui prius vivere animas in suo quodam statu atque ordine fabulantur, et eorum qui eas post corpora creatas existimant. Sed si anima in semine non fuit in suo principio, oportet eam fieri post corpus. Ergo anima a principio fuit in semine.

1. Comme Grégoire de Nysse le dit (La création de l'homme, XVI): "L'affirmation des deux opinions ne manque pas de critiques: celle de ceux qui ont pensé que les âmes vivent d'abord dans un certain état et un certain ordre, et celle ceux qui pensent qu'elles sont créés après les corps." Mais si l'âme n'a pas été dans la semence en son commencement, il faut qu'elle soit faite après le corps. Donc l'âme a été dès le commencement dans la semence.

q. 3 a. 12 arg. 2 Praeterea, si anima sensibilis a principio non fuit in semine, sicut nec rationalis; eadem ratio erit de sensibili et rationali. Sed anima rationalis est a creatione. Ergo et anima sensibilis est a creatione: cuius contrarium est ostensum.

2. Si l'âme sensitive n'a pas été dès le commencement dans la semence, l'âme rationnelle non plus; la même raison s'appliquera à l'une et à l'autre. Mais cette dernière est créée. Donc l'âme sensitive aussi, alors qu'on a montré le contraire (article précédant).

q. 3 a. 12 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus quae est in semine est sicut filius de domo patris egrediens. Sed filius est eiusdem speciei cum patre. Ergo et illa virtus quae est in semine est eiusdem speciei cum anima sensibili, a qua derivatur.

3. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16, La génération animale, II, ch. 4) que le pouvoir qui est dans la semence est comme le fils qui sort de la maison de son père. Mais le fils est de la même espèce que son père. Donc ce pouvoir qui est dans la semence est de la même espèce que l'âme sensitive d'où il dérive.

q. 3 a. 12 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit in XVI de animalibus, quod virtus illa est sicut ars, quae si in materia esset, ad perfectionem artificiati operaretur. Sed in arte est species artificiati. Ergo in illa virtute seminis est species animae sensibilis quae per semen producitur.

4. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16), que ce pouvoir est comme l'art, qui, s'il était dans la matière, opérerait pour la perfection de l'oeuvre fabriquée. Mais dans l'art il y a la forme de l'oeuvre. Donc dans ce pouvoir de la semence il y a la forme de l'âme sensitive qui est produite par la semence.

q. 3 a. 12 arg. 5 Praeterea, decisio seminis est naturalis, decisio vero animalis anulosi est contra naturam. Sed in parte animalis anulosi decisi est anima, ut philosophus dicit. Ergo multo magis est in semine deciso.

5. La séparation de la semence est naturelle, mais la division du ver est contre nature[3]. Mais dans la partie séparée de cet animal il y a une âme, comme le dit le philosophe. Donc encore plus dans la semence séparée.

q. 3 a. 12 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit, in XVI de animalibus, quod mas in generatione animalis dat animam. Sed nihil est egrediens a patre nisi semen. Ergo anima est in semine.

6. Le philosophe dit (Les animaux, livre 16), que le mâle, dans la génération de l'animal, donne l'âme. Mais rien ne sort du père que la semence. Donc l'âme est dans la semence.

q. 3 a. 12 arg. 7 Praeterea, accidens non transfunditur nisi per transfusionem subiecti. Sed aliquae aegritudines transfunduntur a parentibus in filios, sicut lepra et podagra et huiusmodi. Ergo et eorum substantia transfunditur. Haec autem non sunt sine anima. Ergo anima est a principio in semine.

7. L'accident n'est transmis que par transmission de son substrat. Or certaines maladies sont transmises par les parents à leurs enfants comme la lèpre, la goutte etc.. Donc leur substance est transmise. Mais cela ne se fait pas sans l'âme. Donc l'âme est au commencement dans la semence.

q. 3 a. 12 arg. 8 Praeterea, Hippocrates dicit, quod per decisionem venae quae est iuxta aures, generatio impeditur. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur a toto corpore, quasi actio per prius existens. Ergo cum id quod est actu pars animalis, habeat animam, videtur, quod semen a principio habeat animam.

8. Hippocrate dit que la coupure de la veine qui est près des oreilles empêche la génération. Mais cela n'arriverait que si la semence était séparée du corps tout entier, comme une action préexistant. Donc comme ce qui est la partie en acte de l'animal a une âme, il semble que la semence en a une dès le commencement.

q. 3 a. 12 arg. 9 Praeterea, idem dicit, quod equus quidam propter nimium coitum inventus est sine cerebro. Hoc autem non esset, nisi semen decideretur ab eo quod est actu pars. Ergo idem quod prius.

9. Le même dit qu'un cheval à cause d'un accouplement excessif a été trouvé sans cerveau. Mais cela ne serait pas arrivé si la semence avait été séparée de ce qui est une partie en acte. Donc de même que ci-dessus.

q. 3 a. 12 arg. 10 Praeterea, quod est superfluum, non est de substantia rei. Si ergo semen sit superfluum, non erit de substantia generantis; et ita filius, qui est ex semine, non erit de substantia patris; quod est inconveniens. Ergo semen est de substantia generantis; et ita est ibi anima in actu.

10. Le superflu n'appartient pas à la substance. Donc si la semence est un superflu, elle n'appartiendra pas à la substance de celui qui engendre et ainsi le fils, qui vient de la semence ne sera pas de la substance du père, ce qui ne convient pas. Donc la semence vient de la substance de celui qui engendre, et ainsi il y a là une âme en acte.

q. 3 a. 12 arg. 11 Praeterea, omne quod caret anima, est inanimatum. Si ergo semen caret anima, erit inanimatum; et sic corpus inanimatum transmutabitur, et fiet animatum; quod videtur inconveniens. Ergo anima est a principio in semine.

11. Tout de qui n'a pas d'âme est inanimé. Donc si la semence n'en a pas, elle sera inanimée, et ainsi le corps inanimé sera transformé et deviendra animé, ce qui ne paraît pas convenir. Donc l'âme est au commencement dans la semence.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus dicit quod semen et fructus est in tali potentia ad animam, quae est abiiciens animam.

1. Le Philosophe dit (L'âme, II, 1, 412 b 25[4]) que la semence et le fruit, sont en une telle puissance pour l'âme qui est séparée.

q. 3 a. 12 s. c. 2 Praeterea, si semen a principio habet animam, hoc non videtur esse possibile nisi duobus modis; vel quod tota anima generantis in semen transeat; vel quod pars eius. Utrumque autem horum videtur esse inconveniens; quia ex primo sequitur quod non remaneat anima in patre, ex secundo autem sequitur quod non remaneat ibi tota. Ergo anima non est in semine a principio.

2. Si la semence possède une âme au commencement, cela ne parait possible que de deux manières; l'âme de celui qui engendre passe dans la semence, toute ou bien en partie. L'une et l'autre de ces solutions ne paraissent pas convenir, parce que de la première, il découle qu'il ne reste pas d'âme dans le père, et de la seconde, qu'elle n'y reste pas toute entière. Donc l'âme n'est pas dans la semence au commencement.

 

Réponse:

q. 3 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod opinio quorumdam fuit, quod anima a principio decisionis esset in semine, volentes quod sicut corpus divideretur a corpore, ita simul anima propagaretur ab anima, ut statim cum corporis particula esset etiam ibi anima.

L'opinion de certains fut que l'âme au commencement de la séparation était dans la semence; ils voulaient que, de même que le corps est séparé du corps, en même temps l'âme soit transmise par l'âme, pour qu'aussitôt elle y soit aussi avec une parcelle du corps.

Haec autem opinio non videtur esse vera: quia, secundum quod philosophus probat in XV de animalibus, semen non deciditur ab eo quod fuit actu pars, sed quod fuit superfluum ultimae digestionis; quod nondum erat ultima assimilatione assimilatum. Nulla autem corporis pars est actu per animam perfecta, nisi sit ultima assimilatione assimilata; unde semen ante decisionem nondum erat perfectum per animam, ita quod anima esset forma eius; erat tamen ibi aliqua virtus, secundum quam iam per actionem animae erat alteratum et deductum ad dispositionem propinquam ultimae assimilationi; unde et postquam decisum est, non est ibi anima, sed aliqua virtus animae. Et propter hoc, in XVI de animalibus, philosophus dicit, quod in semine est virtus principii animae.

Cette opinion ne paraît pas vraie, parce que, selon ce que le philosophe prouve (Les animaux, XV, (livre. 1 de La génération des animaux, ch. 18,19), la semence ne serait pas séparée de ce qui fut une partie en acte, mais de ce qui fut le superflu d'une ultime digestion, qui n'était pas encore assimilée tout à fait, mais aucune partie du corps n'est parfaite en acte par l'âme si elle n'est assimilée tout à fait. C'est pourquoi la semence avant la séparation n'est pas encore achevée par l'âme, de sorte que l'âme soit sa forme; cependant il y avait là un pouvoir selon lequel, déjà par l'action de l'âme, elle était changée et amenée à une disposition proche de la dernière assimilation; c'est pourquoi, après sa séparation, il n'y a pas d'âme mais un pouvoir de l'âme. Et c'est pour cela que dans le Livre 16 de La génération des animaux , la génération animale, ch. 3, le philosophe dit que dans la semence il y a le pouvoir du principe de l'âme.

Et praeterea si anima esset in semine a principio, aut esset ibi habens actu speciem animae, aut non, sed ut quaedam virtus, quae converteretur postmodum in animam. Primum esse non potest: quia cum anima sit actus corporis organici, ante qualemcumque organizationem corpus susceptivum animae esse non potest. Et etiam sic sequitur quod totum id quod agit in seminibus, non est nisi quaedam dispositio materiae, et per consequens non esset generatio, cum generatio non sequatur, sed praecedat formam substantialem. Nisi forte dicatur, quod corporis sit alia forma substantialis praeter animam; ex quo sequitur quod anima non substantialiter corpori uniretur, utpote adveniens corpori, postquam est iam per aliam formam hoc aliquid constitutum.

Et en plus si l'âme était dans la semence dès le départ, ou elle posséderait la forme de l'âme en acte, ou pas, mais comme une certaine puissance qui se transformerait ensuite en âme. La première solution n'est pas possible, parce que, comme l'âme est l'acte d'un corps organique, le corps qui reçoit l'âme ne peut pas exister avant n'importe quelle organisation. Et même ainsi il en découle que tout ce qui agit dans les semences, n'est qu'une disposition de la matière, et par conséquence ce ne serait pas une génération, puisque celle-ci ne suit pas mais précède la forme substantielle. A moins que par hasard on dise qu'il y aurait une autre forme substantielle du corps en plus de l'âme. Il en découle que l'âme ne serait pas unie substantiellement au corps, ou qu'elle arriverait en lui après qu'il soit déjà constitué par une autre forme.

Sequeretur ulterius quod generatio viventis non esset generatio, sed decisio quaedam; sicut pars ligni separatur a ligno, ut sit actu lignum.

Il découlerait par la suite que la génération du vivant ne serait pas une génération, mais une espèce de séparation; comme un morceau de bois est séparé du bois pour être du bois en acte.

Secunda pars divisionis praedictae esse non potest; quia secundum hoc sequeretur quod forma substantialis non subito sed successive in materia proveniret; et sic in substantia esset motus, sicut in quantitate et qualitate; quod est contra philosophum; et etiam formae substantiales reciperent magis et minus; quod est impossibile. Unde relinquitur quod anima non est in semine, sed virtus quaedam animae, quae agit ad animam producendam, ab anima derivata.

La seconde partie de la division dont on a parlé ne peut pas exister, parce qu'il en découlerait que la forme substantielle ne parviendrait pas dans la matière subitement, mais successivement, et ainsi il y aurait du mouvement dans la substance, comme dans la quantité et la qualité; ce qui est contre ce que dit le philosophe (V Physique, V, 2, 225 b 10-226 a 23) et même les formes substantielles recevraient du plus et du moins, ce qui est impossible. C'est pourquoi, il reste que ce n'est pas l'âme qui est dans la semence, mais un certain pouvoir de l'âme qui en est dérivé, qui agit pour la produire.

 

Solutions:

q. 3 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus viventis, utpote leonis vel olivae, non est anima, sed est semen corporis tantum ante animam, et ante virtutem quae agit ad animam. Eadem enim est proportio seminis ad virtutem huiusmodi, et corporis ad animam.

# 1. Le corps de l'être vivant, comme celui du lion ou de l'olive, n'est pas une âme, mais c'est la semence du corps seulement avant l'âme et avant son pouvoir qui agit pour l'âme. Car il y a la même proportion de la semence à un tel pouvoir que du corps à l'âme.

q. 3 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc interest inter animam rationalem et alias animas, quod anima rationalis non est ex virtute seminis sicut aliae animae; quamvis nulla anima sit in semine a principio.

# 2. Entre l'âme rationnelle et les autres âmes il y a cette différence que la première ne vient pas du pouvoir de la semence, comme les autres, bien qu'aucune âme ne soit dans la semence dès le commencement.

q. 3 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus illa non assimilatur filio egredienti de domo patris quantum ad complementum speciei, sed quantum ad acquisitionem eorum quae desunt utrique ad aliquod complementum. Perfectio enim prima plerumque manifestatur per similitudinem perfectionis secundae.

# 3. Ce pouvoir ne ressemble pas au fils qui sort de la maison du père pour compléter l'espèce, mais pour acquérir de ce qui manque à l'un et l'autre pour les compléter. Car la perfection première, la plupart du temps, se manifeste par la ressemblance de la perfection seconde[5].

q. 3 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilatio inter virtutem praedictam et artem procedit quantum ad hoc quod sicut artificiatum praeexistit in arte sicut in virtute activa, ita et res viva generanda in virtute formativa.

# 4. La ressemblance entre un tel pouvoir et l'art vient du fait que, de même que l'oeuvre préexiste dans l'art, comme dans un pouvoir actif, de même l'être vivant qui doit être engendré préexiste dans un pouvoir formateur.

q. 3 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso decisio animalis anulosi est violenta et contra naturam, quod pars decisa erat actu pars, et perfecta per animam; unde per decisionem materiae anima in utraque parte remanet; quae quidem erat in toto una in actu, et plures in potentia. Quod quidem accidit per hoc quod huiusmodi animalia fere sunt similia in toto et partibus; nam eorum animae, quia imperfectiores sunt aliis, modicam diversitatem organorum requirunt. Et inde est quod una pars decisa potest esse animae susceptiva, utpote habens tantum de organis quantum sufficit ad talem animam suscipiendam; sicut accidit in aliis corporibus similibus utpote ligno et lapide, aqua et aere. Ex hoc autem philosophus probat in XV de animalibus, quod sperma non fuit actu pars ante decisionem; quia eius decisio non fuisset naturalis, sed modus corruptionis cuiusdam. Unde non oportet quod per decisionem seminis in ipso semine anima remaneat.

# 5. La coupure du ver est violente et contre nature, parce que la partie coupée était une partie en acte, parfaite par l'âme; c'est pourquoi quand on coupe le corps, l'âme demeure dans l'une et l'autre partie, qui était une en acte dans le tout et plusieurs en puissance. Ce qui arrive parce que de tels animaux sont presque semblables dans le tout et dans la partie; parce que leurs âmes sont plus imparfaites que les autres, elles demandent peu de diversité dans leurs organes. Et de là vient qu'une partie coupée peut recevoir l'âme, comme ayant seulement[6] pour les organes autant qu'il suffit pour recevoir une telle âme, comme cela arrive dans les autres corps semblables, comme le bois et la pierre, l'eau et l'air. De là le philosophe prouve (les animaux,15, La génération animale, 18) que le sperme n'a pas été une partie en acte avant la séparation, parce que celle-ci n'aurait pas été naturelle, mais une manière de corruption. C'est pourquoi il ne faut pas que l'âme demeure en elle par la séparation de la semence.

q. 3 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mas dicitur dare animam, in quantum in semine maris continetur virtus quae agit ad animam.

# 6. On dit que la mâle donne l'âme, dans la mesure où le pouvoir qui agit pour l'âme est contenu dans sa semence.

q. 3 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aegritudines, de quibus est obiectio, non traducuntur cum semine quasi actu in semine sint, sed quia est principium eorum in semine, per aliquam seminis indispositionem.

# 7. Les maladies dont on parle dans l'objection ne sont pas transmises avec la semence, comme si elles y étaient en acte, mais parce que leur principe est dans la semence, par une mauvaise disposition.

q. 3 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum sperma sit quaedam superfluitas, habet quasdam proprias vias, sicut et aliae superfluitates, quibus intercisis generatio impeditur; non propter hoc quod aliquid ex eo quod erat actu pars, resolvatur.

# 8. Comme le sperme est une surabondance, il a ses propres voies, comme les autres surabondances, par lesquelles, si elles sont coupées, la génération est empêchée. Ce n'est pas à cause de cela que quelque chose qui était une partie en acte est détruit.

q. 3 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod sicut immoderatus aliarum superfluitatum fluxus solvit aliquid de eo quod erat iam conversum, per violentiam quamdam; et non naturaliter; ita etiam immoderatus fluxus seminis. Ea vero quae fiunt contra naturam, non sunt in consequentiam naturae trahenda.

# 9. Le flux immodéré des autres surabondances dissout quelque chose de ce qui d'elle était déjà changé par violence et non de façon naturelle; de la même manière, le flux immodéré de la semence aussi. Mais ce qui est fait contre nature, ne doit pas être considéré comme sa conséquence .

q. 3 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod semen est tale superfluum, quod licet non sit actu pars substantiae patris, est tamen potentia, tota; et ob hoc filius dicitur de substantia patris esse.

# 10. La semence est un tel superflu que, bien qu'elle ne soit pas une partie en acte de la substance du père, elle est cependant tout entière une puissance, et c'est pour cela qu'on dit que le fils vient de la substance du père.

q. 3 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet semen non sit animatum actu, est tamen animatum virtute; unde non est simpliciter inanimatum.

# 11. Bien que la semence ne soit pas animée en acte, cependant elle l'est en puissance; c'est pourquoi, elle n'est pas tout à fait inanimée.

 


[1] . Semence: voir Ia, 119, 2 La semence est-elle le superflu de l'aliment. II Sent. d30q2a. 2 – CG. II, 86-89. Cf. III, 32, 1, 1 spiritus. cf. ad 1– L'action des corps célestes CG. III, 22, § 5-9 III, 82, 7 – grave et léger mu par leur géniteur à la différence des corps célestes? III, 22– Le soleil: II, 76, § 13 - III, 69, § 24 - III, 104, § 10.

[2] . Parall.: Ia, 118,1, ad 3 et 4 - II Sent, d18q2a1.

[3]. Cf. Aristote, De l'âme, livre II, 2 (413 b 20) (p. 43 § 2): "...certaines plantes semblent conserver la vie quand on les divise et bien que leurs parties soient séparées les unes des autres, comme si l'âme présente en elle était une entéléchie dans chaque plante, mais multiple en puissance: or on voit la même chose se produire pour d'autres différenciations de l'âme dans le cas des insectes qu'on divise. Car chaque segment conserve la sensation et le mouvement local."(Trad. Barbotin). Voir Thomas, lectio 4, n° 265.

[4]. De anima: "Ce n'est pas le corps séparé de l'âme qui est en puissance de vivre, mais celui qui la possède à son tour, la semence et le fruit sont en puissance un corps de cette sorte" (Trad. E. Barbotin). Thomas n ° 240: "On dit qu'une chose est en puissance de deux manières: a) quand elle n'a pas de principe d'opération, b) quand elle l'a mais ne s'en sert pas. Mais le corps dont l'acte est l'âme, a la vie en puissance non pas de la première manière mais de la seconde. Et c'est pour cela qu'il dit que le corps est un étant en puissance de vivre, c'est-à-dire qu'il manque du principe de vie qui est l'âme, mais qu'il a un principe de ce genre. Mais c'est vrai que la semence et le fruit en qui est conservé la semence de la place est en puissance pour un tel corps vivant, qui a une âme, car la semence n'a pas encore d'âme. C'est pourquoi elle est ainsi en puissance, comme séparée de l'âme.

[5] . Comprendre par la première perfection celle du père, et la seconde celle du fils.

[6][6] . Cf. II Sent. d18q2a3.

Article 13: Un être qui dépend d'un autre peut-il être éternel?

q. 3 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum aliquod ens ab alio possit esse aeternum. Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections[1]:

q. 3 a. 13 arg. 1 Nihil enim quod est semper, indiget aliquo ad hoc quod sit. Omne autem quod est ab aliquo, indiget eo a quo est, ut sit. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.

1. Car tout ce qui n'existe pas toujours a besoin de quelque chose pour exister. Tout être qui dépend d'un autre a besoin de ce dont il vient pour exister. Donc rien de ce qui vient d'un autre n'existe toujours.

q. 3 a. 13 arg. 2 Praeterea, nihil accipit quod iam habet. Ergo quod semper est, semper esse habet; ergo quod est semper, non accipit esse. Sed omne quod est ab alio, accipit esse ab eo a quo est. Ergo nihil quod est ab alio, est semper.

2. Rien ne reçoit ce qu'il a déjà. Donc ce qui existe toujours a toujours l'être. Donc il ne le reçoit pas. Mais tout ce qui dépend d'un autre reçoit l'être de celui par lequel il existe. Donc rien de ce qui vient d'un autre n'existe toujours.

q. 3 a. 13 arg. 3 Praeterea, quod est, non generatur neque fit, neque aliquo modo in esse producitur; quia quod fit, non est. Ergo oportet quod omne quod generatur vel fit, vel producitur, aliquando non esset. Omne autem quod est ab alio, est huiusmodi. Ergo omne quod est ab alio aliquando non est. Quod autem aliquando non est, non semper est. Ergo nihil quod est ab alio, est sempiternum.

3. Ce qui est, n'est pas en train d'être engendré, ni fait, ni amené à l'être de quelque manière, parce que ce qui se fait n'est pas. Il faut donc que tout ce qui est engendré, fait ou amené à l'être n'ait pas existé à certains moments. Mais tout ce qui dépend d'un autre est de ce genre. Donc ce qui dépend d'un autre n'existe pas à certains moments, ce qui n'existe pas à certains moments, n'existe pas toujours. Donc rien de ce qui dépend d'un autre n'est éternel.

q. 3 a. 13 arg. 4 Praeterea, quod non habet esse nisi ab alio, in se consideratum, non est. Huiusmodi autem oportet aliquando non esse. Ergo oportet quod omne quod est ab alio, aliquando non esset, et per consequens non esse sempiternum.

4. Ce qui ne possède l'être que par un autre, considéré en soi, n'est pas. Pour un tel être, il faut ne pas exister à certains moments. Donc il faut que tout ce qui dépend d'un autre, n'ait pas existé à certains moments et par conséquent ne soit pas éternel.

q. 3 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis effectus est posterior sua causa. Quod autem est ab alio, est effectus eius a quo est. Ergo est posterius eo a quo est; et ita non potest esse sempiternum.

5. Tout effet est postérieur à sa cause. Mais ce qui dépend d'un autre est l'effet de celui par qui il est. Donc il lui est postérieur, et ainsi il ne peut pas être éternel.

En sens contraire:

q. 3 a. 13 s. c. Sed contra, est quod Hilarius dicit, quod ab aeterno a patre natum, aeternum esse habet quod natum est. Sed filius Dei natus est ab aeterno patre. Ergo aeternum habet quod natum est; ergo est aeternum.

Hilaire dit (La Trinité, Livre XII) que celui qui est né de toute éternité du Père a un être éternel qui est né. Mais le Fils de Dieu est né du Père éternel. Donc il possède ce qui est né comme éternel. Donc il est éternel.

Réponse:

q. 3 a. 13 co. Respondeo. Dicendum quod, cum ponamus filium Dei naturaliter a patre procedere, oportet quod ita sit a patre, quod tamen sit ei coaeternus: quod quidem hoc modo apparet. Inter voluntatem enim et naturam hoc interest, quod natura determinata est ad unum, quantum ad id quod virtute naturae producitur, et quantum ad hoc quod est producere vel non producere; voluntas vero quantum ad neutrum determinata invenitur. Potest tamen aliquis hoc vel illud per voluntatem facere, sicut artifex scamnum vel arcam, et iterum facere ea et a faciendo cessare; ignis vero non potest nisi calefacere, si subiectum suae actionis adsit; nec potest aliud inducere in materiam quam effectum similem sibi.

Quand nous pensons que le Fils de Dieu procède naturellement du Père, il faut qu'il vienne du Père de sorte à lui être cependant coéternel. Ce qui se démontre de cette manière. Entre la volonté et la nature, en effet, il y a cette différence que la nature est déterminée à un seul objet pour ce qui est produit par son pouvoir et pour produire ou ne pas produire; mais la volonté ne se trouve déterminée ni pour l'un, ni pour l'autre. Cependant quelqu'un peut faire ceci ou cela par volonté, comme l'ouvrier fait un banc ou un coffre et en plus il le fait et cesse de le faire; mais le feu ne peut que chauffer si le sujet de son action est présent et il ne peut induire dans la matière qu'un effet semblable à lui[2].

Unde etsi de creaturis, quae divina voluntate ab ipso procedunt, dici possit quod potuit creaturam talem vel talem facere et tunc vel tunc facere, de filio tamen, qui naturaliter procedit, hoc dici non potest. Non enim potuit alterius modi esse filius secundum naturam, quam se habet patris natura. Nec potuit vel prius vel posterius filius esse nisi quando fuit patris natura: non enim potest dici, quod divinae naturae aliquando perfectio naturae defuerit, qua adveniente virtute naturae, filius Dei sit generatus; cum divina natura sit simplex et immutabilis. Neque potest dici, quod huiusmodi generatio dilata fuerit propter materiae absentiam vel indispositionem, cum omnino haec generatio immutabilis sit. Unde relinquitur, quod cum natura patris ab aeterno fuerit, et filius sit a patre aeternaliter generatus, ac per consequens patri coaeternus.

C'est pourquoi, si à propos des créatures qui procèdent de Dieu par sa volonté, il est possible de dire qu'il a pu faire telle ou telle créature et la faire à un moment ou à un autre, au sujet de son Fils cependant, qui procède par nature, on ne peut pas le dire. Car le Fils n'a pu être différent en sa nature de celle du Père. Et il n'a pu être Fils avant ou après que la nature du Père n'ait existé. En effet on ne peut pas dire que la perfection de la nature divine ait manqué à certains moments, quand par le pouvoir de cette nature qui lui parvint, le Fils de Dieu a été engendré, puisque la nature divine est simple et immuable. On ne peut pas dire, non plus, qu'une telle génération aura été différée, à cause de l'absence ou de l'indisposition de la matière, puisque cette génération est tout à fait immuable. C'est pourquoi il reste que, comme la nature du Père a été éternelle et que le Fils a été engendré éternellement par le Père, il est coéternel au Père.

Ariani vero, quia ponebant filium non naturaliter a patre procedere, ponebant filium neque patri coaequalem neque coaeternum, sicut contingit in aliis quae a Deo procedunt secundum arbitrium voluntatis ipsius. Fuit autem difficile considerare generationem filii patri coaeternam, propter assuefactionem humanae cognitionis in consideratione productionis rerum naturalium, in quibus una res ab alia per motum producitur; res autem producta per motum in esse prius esse incipit in principio quam in termino motus. Cum autem principium motus de necessitate terminum motus duratione praecedat, quod necesse est propter motus successionem, nec possit esse motus principium vel initium sine causa ad producendum movente; necesse est ut causa movens ad aliquid producendum praecedat duratione id quod ab ea producitur.

Mais les Ariens qui estimaient que le Fils ne procède pas du Père par nature, pensaient qu'il n'était ni égal ni coéternel au Père, comme cela arrive dans les autres êtres qui procèdent du Père selon le libre arbitre de sa volonté. Il fut difficile de considérer la génération du Fils comme coéternelle au Père, à cause de l'habitude de la pensée humaine, quand elle considère la production des choses naturelles, dans lesquelles l'une est produite à partir d'une autre par mouvement. Mais ce qui est amené à l'être par mouvement commence à être au commencement plutôt qu'au terme du mouvement. Comme le commencement du mouvement par nécessité précède son terme dans la durée, ce qui nécessaire à cause de la succession du mouvement, le commencement du mouvement ou son début ne pourrait exister sans cause pour le produire en le mettant en mouvement, il est nécessaire que la cause motrice, pour produire quelque chose, précède en durée ce qui est produit par elle.

Unde quod ab aliquo sine motu procedit, simul est duratione cum eo a quo procedit, sicut splendor in igne vel in sole: nam splendor subito et non successive a corpore lucido procedit, cum illuminatio non sit motus, sed terminus motus. Relinquitur ergo quod in divinis, ubi omnino motus locum non habet, procedens sit simul duratione cum eo a quo procedit; et ideo cum pater sit aeternus, filius et spiritus sanctus ab eo procedentes sunt ei coaeterni.

C'est pourquoi, ce qui procède de quelque chose sans mouvement est en durée en même temps que celui d'où il procède, comme la lumière dans le feu ou le soleil; car la lumière procède du corps lumineux de façon soudaine et non successivement, puisque l'illumination n'est pas un mouvement mais son terme. Il reste donc que, en Dieu, en qui le mouvement n'a absolument pas de place, celui qui procède est dans le même temps que celui dont il procède; et c'est pourquoi, comme le Père est éternel, le Fils et l'Esprit Saint qui procèdent de lui, lui sont coéternels[3].

 

Solutions:

q. 3 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si indigentia importet defectum vel carentiam eius quo indigetur, quod semper est non indiget aliquo ad hoc quod sit. Si vero importet solum ordinem originis ad id a quo est, sic nihil prohibet id quod semper est, aliquo indigere ad hoc quod sit, in quantum non a se ipso, sed ab alio esse habet.

# 1. Si le besoin apporte une défaillance ou une carence de ce dont il manque, ce qui existe toujours n'a besoin de rien pour exister. Mais s'il apporte une seule relation d'origine à ce par lequel il est, rien ainsi n'empêche que ce qui existe toujours ait besoin de quelqu'un pour être, dans la mesure où il a l'être, non de lui-même mais d'un autre.

q. 3 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accipiens aliquid non habet illud ante acceptionem, habet vero illud quando iam accepit; unde si ad aeterno accipit, ab aeterno habet.

# 2. Celui qui reçoit quelque chose ne l'a pas avant de le recevoir, mais il l'a quand il a déjà reçu; c'est pourquoi, s'il le reçoit de toute éternité, il le possède de toute éternité.

q. 3 a. 13 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit in generatione quae est per motum; quia quod movetur ad esse, non est. Et pro tanto dicitur quod id quod generatur non est, sed quod est generatum est: unde ubi non est aliud generari et generatum esse, ibi non oportet quod generatur, aliquando non esse.

# 3. La raison donnée se produit dans la génération qui se fait par mouvement, parce que ce qui est amené à l'être n'est pas. Et pour autant, on dit que ce qui est engendré n'est pas, mais ce qui est a été engendré est. C'est pourquoi là où ce n'est pas différent d'être engendré et avoir été engendré, il ne faut pas que ce qui est engendré n'existe pas à certains moments.

q. 3 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod habet esse ab alio, in se consideratum, est non ens, si ipsum sit aliud quam ipsum esse quod ab alio accipit; si autem sit ipsum esse quod ab alio accipit, sic non potest in se consideratum, esse non ens; non enim potest in esse considerari non ens, licet in eo quod est aliud quam esse, considerari possit. Quod enim est, potest aliquid habere permixtum; non autem ipsum esse, ut Boetius dicit in libro de hebdomadibus. Prima quidem conditio est creaturae, sed secunda est conditio filii Dei.

# 4. Ce qui reçoit l'être d'un autre, considéré en soi est un non étant, s'il est autre que l'être même qu'il reçoit de lui; mais s'il est lui-même l'être qu'il reçoit d'une autre, il ne peut pas, considéré en soi, être un non étant, bien qu'en lui on puisse considérer ce qui est autre que l'être. Car ce qui existe, peut avoir quelque chose de mêlé, mais pas l'être lui-même, comme Boèce le dit dans son livre De Hebdomadibus[4]. La première condition est celle de la créature, mais la seconde celle du Fils de Dieu.

q. 3 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod filius Dei non potest dici effectus: quia non fit, sed generatur. Hoc enim fit cuius esse est diversum a faciente; unde nec patrem proprie loquendo causam filii dicimus, sed principium. Nec oportet omnem causam effectum duratione praecedere, sed natura tantum sicut patet in sole et splendore.

# 5. Le Fils de Dieu ne peut être considéré comme un effet, parce qu'il n'est pas fait, mais engendré. Car est fait ce dont l'être est différent de celui qui le fait. C'est pourquoi nous ne disons pas que le Père, à proprement parler, est la cause du Fils mais son principe. Et il ne faut pas que toute la cause précède l'effet dans la durée, mais en nature seulement, comme cela apparaît pour le soleil et la lumière.

 


[1] Parall.: Ia, 42, 2 Ð III Sent. d11a1 - Compendium. 43 -...In Jn 1, 1ectio 1 – In Decret. I.

Pour comprendre dès le départ le sens de l'article, il faut voir qu'il concerne les créatures, mais surtout le Christ, ce qui n'est révélé qu'au sed contra.

[2] Sujet développé dans l'article 15.

[3] En Ia, 42 2 c il donne trois raisons pour lesquelles le Fils est coéternel au Père:

a) Le Père engendre le Fils par volonté, et sa nature est "parfaite de toute éternité"

b) L'action de Dieu n'est pas successive. Cf. Ia, qu. 42, a. 2 c apporte quelques précisions supplémentaires

En sol. 4, il résout le problème du temps: . "Dans le temps, on distingue l'indivisible, c'est-à-dire l'instant, et ce qui dure, c'est-à-dire le temps. Mais, dans l'éternité, l'instant indivisible lui-même subsiste toujours, on l'a dit précédemment. Or, la génération du Fils ne s'accomplit ni dans un instant temporel, ni dans la durée du temps, mais dans l'éternité. C'est pourquoi, si l'on veut signifier cette présence et permanence actuelle de l'éternité, on peut dire avec Origène que le Fils "naît toujours". Cependant il vaut mieux, avec S. Grégoire et S. Augustin, dire: "Il est toujours né"; dans cette expression, l'adverbe "toujours" évoque la permanence de l'éternité, et le parfait "est né" évoque la perfection achevée de ce qui est engendré. Ainsi on n'attribue au Fils aucune imperfection, et l'on évite d'admettre, comme Arius, "un temps où il n'était pas".

[4] "En tout composé l'être est différent de l'être même." (Omni composito aliud est esse, aliud ipsum esse". Boèce 18.

 

Article 14: Ce qui est diffèrent de Dieu par essence peut-il être éternel?

 

q. 3 a. 14 tit. 1 Decimoquarto quaeritur utrum id quod est a Deo diversum in essentia, possit semper fuisse. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1]:

 

Objections[2]:

q. 3 a. 14 arg. 1 Non enim est minor potestas causae producentis totam rei substantiam super effectum suum, quam causae producentis formam tantum. Sed causa producens formam tantum, potest producere eam ab aeterno, si ab aeterno esset; quia splendor qui gignitur ab igne atque diffunditur coaeternus est illi; et esset coaeternus, si ignis esset aeternus, ut Augustinus dicit. Ergo multo fortius Deus, potest producere effectum sibi coaeternum.

1. Car la puissance de la cause, qui produit la substance totale de l'être en plus de son effet, n'est pas plus petite que celle de la cause qui produit la forme seulement. Mais celle-ci pourrait la produire de toute éternité, si elle était éternelle; parce que la lumière qui est engendrée et diffusée par le feu est simultanée et elle lui serait coéternelle si le feu était éternel, comme le dit Augustin (La Trinité). Donc Dieu, beaucoup plus, peut produire des effets qui lui sont coéternels.

 

q. 3 a. 14 arg. 2 Sed dices, quod hoc est impossibile; quia sequitur inconveniens, scilicet quod creatura parificetur creatori in duratione.- Sed contra, duratio quae non est tota simul, sed successiva, non potest aequiparari durationi quae est tota simul. Sed si mundus semper fuisset, eius duratio non semper tota simul esset; quia tempore mensuraretur, ut etiam Boetius dicit in fine de Consol. Ergo adhuc Deo non aequipararetur creatura in duratione.

 

2. Mais on pourrait dire que cela est impossible, parce qu'il en découle un inconvénient: la créature serait égalée au Créateur en durée. En sens contraire: la durée, qui n'est pas toute à la fois mais successive, ne peut être égalée à une durée qui serait toute en même temps. Mais si le monde avait toujours existé, sa durée n'aurait pas été toujours toute à la fois, parce qu'elle aurait été mesurée par le temps, comme Boèce le dit aussi à la fin De la Consolation (Livre V, dernière prose). Donc jamais la créature n'est égalée à Dieu en durée.

 

q. 3 a. 14 arg. 3 Praeterea, sicut divina persona procedit a Deo sine motu, ita et creatura. Sed divina persona potest esse Deo coaeterna, a quo procedit. Ergo similiter et creatura.

3. Une personne divine procède de Dieu sans mouvement, la créature aussi. Mais une personne divine peut être coéternelle à Dieu dont elle procède. Donc la créature aussi.

 

q. 3 a. 14 arg. 4 Praeterea, quod semper eodem modo se habet, semper potest idem facere. Sed Deus semper eodem modo se habet ab aeterno. Ergo ab aeterno potest idem facere. Si ergo aliquando produxit creaturam et ab aeterno producere potuit.

 

4. Ce qui se comporte toujours de la même manière peut toujours faire la même chose. Mais Dieu se comporte éternellement toujours de la même manière. Donc de toute éternité il peut faire la même chose. Si donc quelquefois il a produit une créature, il a pu en produire de toute éternité.

 

q. 3 a. 14 arg. 5 Sed dices, quod ratio ista procedit de agente per naturam, non autem de agente per voluntatem.- Contra, voluntas Dei non dirimit virtutem ipsius. Sed si non ageret per voluntatem, sequeretur quod ab aeterno creaturam produxisset. Ergo posito quod per voluntatem agat, non removetur quia ab aeterno producere potuerit.

 

5. Mais on pourrait dire que cette raison procède de celui qui est agent par nature, mais non de celui qui l'est par volonté – En sens contraire la volonté de Dieu n'interrompt pas son pouvoir. Mais s'il n'agissait pas par volonté, il s'ensuivrait qu'il aurait produit la créature de toute éternité. Donc une fois établi qu'il agit par volonté, on n'écarte pas le fait qu'il ait pu produire de toute éternité.

 

q. 3 a. 14 arg. 6 Praeterea, si Deus in aliquo tempore vel instanti creaturam produxit, et eius potentia non est augmentata; potuit etiam ante illud tempus vel instans creaturam producere; et eadem ratione ante illud, et sic in infinitum. Ergo potuit ab aeterno producere.

6. Si Dieu a produit la créature dans le temps ou dans un instant, et que la puissance de celle-ci n'en a pas été augmentée, il a pu aussi avant ce temps ou cet instant produire une créature; et pour la même raison encore avant et ainsi à l'infini. Donc il a pu produire de toute éternité.

 

q. 3 a. 14 arg. 7 Praeterea, plus potest facere Deus quam humanus intellectus possit intelligere; propter quod dicitur Luc. I, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed Platonici intellexerunt aliquid esse factum a Deo, quod tamen semper fuit; unde Augustinus dicit: de mundo, et de his quos in mundo deos a Deo factos, scribit Plato, apertissime dicit eos esse coepisse, et habere initium; finem tamen non habituros, sed per conditoris potentissimam voluntatem perhibet in aeternum esse mansuros. Verum id quomodo intelligat, Platonici invenerunt, non esse hoc, videlicet temporis, sed institutionis initium. Sicut enim, inquiunt, si pes ab aeternitate fuisset in pulvere, semper subesset vestigium: quod tamen a calcante factum nemo dubitaret: sic mundus semper fuit semper existente qui fecit; et tamen factus est. Ergo Deus potuit facere aliquid quod semper fuit.

 

7. Dieu peut faire plus que ce que l'esprit humain peut comprendre: c'est pour cela que Luc (1, 37) dit: "Toute parole ne sera pas impossible à Dieu", mais les Platoniciens ont compris que quelque chose avait été fait par Dieu, qui cependant a toujours existé, c'est pourquoi Augustin dit (La cité de Dieu, X, 31): "Au sujet du monde et de ceux qui ont été faits dieux dans le monde par Dieu, Platon dit très clairement qu'ils ont commencé à exister et qu'ils ont un début; ils n'auront cependant pas de fin; il raconte aussi que par la volonté toute puissante du créateur, ils demeureront éternellement. Mais de la façon dont il le comprend, les Platoniciens trouvèrent que ce n'était pas le commencement du temps, mais celui d'une institution. En effet, disent-ils, si un pied avait été de toute éternité dans la poussière, il resterait toujours son vestige, cependant personne ne douterait que cela a été fait par quelqu'un qui marchait; de la même manière, le monde a toujours existé alors qu'existait toujours celui qui l'a fait et cependant il a été fait" Donc Dieu a pu faire que quelque chose ait toujours existé.

 

q. 3 a. 14 arg. 8 Praeterea, quidquid non est contra rationem creaturae, Deus potest in creatura facere; alias non esset omnipotens. Sed semper fuisse non est contra rationem creaturae in quantum est facta; alias idem esset dicere creaturam semper fuisse et factam non esse; quod patet esse falsum. Nam Augustinus, distinguit duas opiniones; quarum una est quod mundus ita fuerit semper quod non sit a Deo factus; alia est, quod ita mundus sit semper quod tamen a Deo sit factus. Ergo Deus hoc potest facere, quod aliquid ab eo factum, sit semper.

 

8. Dieu peut faire à la créature, tout ce qui est contre sa nature, sinon il ne serait pas tout puissant. Mais avoir toujours existé n'est pas contre la notion de créature dans la mesure où elle a été créée, autrement ce serait pareil de dire que la créature a toujours existé et qu'elle n'a pas été créée, ce qui paraît faux, car Augustin (La cité de Dieu, XI, 4, et X, 31) a distingué deux opinions: l'une est que le monde aura toujours été tel qu'il n'a pas été fait par Dieu, l'autre que le monde existe toujours tel que cependant il a été créé par Dieu. Donc Dieu peut faire qu'un être créé par lui existe toujours.

 

q. 3 a. 14 arg. 9 Praeterea, sicut natura statim potest producere effectum suum, ita et agens voluntarium non impeditum. Sed Deus est agens voluntarium quod impediri non potest. Ergo creaturae quae per eius voluntatem producuntur in esse, ab aeterno produci potuerunt, sicut et filius qui naturaliter a patre procedit.

9. La nature peut produire aussitôt son effet, l'agent volontaire qui n'en est pas empêché aussi. Mais Dieu est un agent volontaire qui ne peut pas être empêché. Donc les créatures qui sont amenées à l'être par sa volonté ont pu être produites de toute éternité, comme le Fils qui procède naturellement du Père.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 14 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quia omnino incommutabilis est illa natura Trinitatis, ob hoc ita est aeterna, ut ei aliquid coaeternum esse non possit.

1. Augustin dit (La Genèse au sens littéral, VIII, 23): "Parce que la nature de la Trinité est tout à fait immuable, elle est éternelle, de sorte que rien ne peut lui être coéternel."

 

q. 3 a. 14 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit, in I libro: quod ex non ente ad esse deducitur, non est aptum natum esse coaeternum ei quod sine principio et semper est. Sed creatura de non esse ad esse producitur. Ergo non potest fuisse semper.

2. Jean Damascène dit (livre 1) que "Ce qui est amené du non être à l'être, n'est pas susceptible par nature d'être coéternel à celui qui est sans principe et existe éternellement." Mais la créature est amenée du non être à l'être. Donc elle ne peut pas avoir existé toujours.

 

q. 3 a. 14 s. c. 3 Praeterea, omne aeternum est invariabile. Sed creatura non potest esse invariabilis; quia si sibi relinqueretur, in nihilum decideret. Ergo non potest esse aeterna.

3. Tout ce qui est éternel est invariable. Mais la créature ne peut pas être invariable, parce que si elle était laissée à elle-même, elle retournerait au néant. Donc elle ne peut pas être éternelle.

 

q. 3 a. 14 s. c. 4 Praeterea, nihil quod dependet ab alio est necessarium, et per consequens nec aeternum; cum omne aeternum sit necessarium. Sed omne quod est factum, dependet ab alio. Ergo nullum factum potest esse aeternum.

4. Rien de ce qui dépend d'un autre n'est nécessaire et par conséquent n'est pas éternel, puisque tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais tout ce qui a été fait dépend d'un autre. Donc rien de ce qui a été fait ne peut être éternel.

 

q. 3 a. 14 s. c. 5 Praeterea, si Deus ab aeterno producere potuit creaturam, ab aeterno produxit; quia, secundum philosophum, in sempiternis non differt esse et posse. Sed ponere creaturam ab aeterno fuisse productam, est contra fidem. Ergo et ponere quod produci potuerit.

 

5. Si Dieu a pu produire la créature de toute éternité, il l'a fait, parce que, selon le philosophe (Physique, III, 4, 203 b 28[3]), dans ce qui est éternel être et pouvoir ne sont pas différents. Mais penser que la créature a été produite de toute éternité est contre la foi. Donc penser qu'elle aurait pu être produite [de toute éternité est aussi contre la foi].

 

q. 3 a. 14 s. c. 6 Praeterea, voluntas sapientis non differt facere quod intendit, si potest, nisi propter aliquam rationem. Sed non potest reddi ratio quare Deus tunc mundum fecerit et non prius, vel ab aeterno, si ab aeterno fieri potuit. Ergo videtur quod ab aeterno fieri non potuit.

 

6. La volonté du sage ne remet ce qu'il a l'intention de faire, s'il le peut, que pour quelque bonne raison. Mais on ne peut pas trouver la raison pour laquelle Dieu a fait le monde à un tel moment et non avant, ou de toute éternité, si cela était possible. Donc il semble qu'il n'a pas pu être fait de toute éternité.

 

q. 3 a. 14 s. c. 7 Praeterea, si creatura est facta, aut ex nihilo, aut ex aliquo. Sed non ex aliquo: quia vel ex aliquo quod est divina essentia, quod est impossibile; vel ex aliquo alio: quod si non esset factum, erit aliquid praeter Deum, non ab ipso creatum; quod supra est improbatum: quod si est factum ex alio, aut procedetur in infinitum, quod est impossibile; aut devenietur ad aliquid quod est factum de nihilo. Impossibile autem est, quod fit ex nihilo, semper fuisse. Ergo impossibile est creaturam semper fuisse.

7. Si la créature a été créée, elle l'a été ou de rien ou de quelque chose. Mais pas de quelque chose, qui est l'essence divine, ce qui est impossible, ou d'autre chose qui, si elle n'avait pas été créée, serait au-delà de Dieu, non créée par lui; ce qu'on a refusé ci-dessus; s'il est fait d'autre chose, ou on procède à l'infini ce qui est impossible, ou on en arrive à ce qui a été fait de rien. Mais il est impossible que ce qui est fait de rien existe toujours. Donc il est impossible que la créature ait toujours existé.

 

q. 3 a. 14 s. c. 8 Praeterea, de ratione aeterni est non habere principium, de ratione vero creaturae est habere principium. Ergo nulla creatura potest esse aeterna.

8. Il est de la définition de l'éternel, de ne pas avoir de principe, mais de la définition de la créature d'en avoir un. Donc nulle créature ne peut être éternelle.

 

q. 3 a. 14 s. c. 9 Praeterea, creatura mensuratur tempore vel aevo. Sed aevum et tempus differunt ab aeternitate. Ergo creatura non potest esse aeterna.

9. La créature est mesurée par le temps ou l'ævum. Mais ils diffèrent l'un et l'autre de l'éternité. Donc la créature ne peut pas être éternelle.

 

q. 3 a. 14 s. c. 10 Praeterea, si aliquid est creatum, oportet dare aliquod instans in quo creatum fuerit. Sed ante id non fuit. Ergo oportet dicere creaturam non semper fuisse.

10. Si une chose a été créée, il faut fixer un temps où elle aura été créée. Mais avant cela, elle n'a pas existé. Donc il faut dire que la créature n'a pas toujours existé.

 

Réponse:

q. 3 a. 14 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum philosophum, possibile dicitur quandoque quidem secundum aliquam potentiam, quandoque, vero secundum nullam potentiam; secundum potentiam quidem vel activam, vel passivam. Secundum activam quidem, ut si dicamus possibile esse aedificatori quod aedificet; secundum passivam vero, ut si dicamus, possibile esse ligno quod comburatur.

Selon le philosophe (Métaphysique V, 12, 1019 b 22-33[4]) on définit le possible, quelquefois selon un puissance, quelquefois sans elle: selon une puissance, ou active ou passive. Selon une puissance active, comme si nous disions qu'il est possible au bâtisseur d'édifier, selon la puissance passive, comme si nous disions qu'il est possible au bois de brûler.

 

Dicitur autem et quandoque aliquid possibile, non secundum aliquam potentiam, sed vel metaphorice, sicut in geometricis dicitur aliqua linea potentia rationalis, quod praetermittatur ad praesens; vel absolute, quando scilicet termini enuntiationis nullam ad invicem repugnantiam habent.

Mais on dit qu'une chose est possible quelquefois, non selon une puissance, mais par métaphore, comme en géométrie, on dit qu'une ligne est puissance rationnelle, parce qu'elle est omise pour l'instant; ou bien absolument, quand, par exemple, les termes d'un énoncé n'offrent pas de contradiction entre eux.

 

E contrario vero impossibile, quando sibi invicem repugnant; ut simul esse affirmationem et negationem impossibile dicitur, non quia sit impossibile alicui agenti vel patienti, sed quia est secundum se impossibile, utpote sibi ipsi repugnans.

 

Au contraire, c'est impossible, quand les termes s'opposent l'un à l'autre; ainsi on dit qu'il est impossible que l'affirmation et la négation soient ensemble, non parce que cela serait impossible à un agent ou à un patient, mais parce que c'est impossible en soi, comme s'opposant à soi.

 

Si ergo consideretur hoc enuntiabile, aliquid diversum in substantia existens a Deo fuisse semper, non potest dici impossibile secundum se, quasi sibi ipsi repugnans: hoc enim quod est esse ab alio, non repugnat ei quod est esse semper, ut supra ostensum est; nisi quando aliquid ab alio procedit per motum, quod non intervenit in processu rerum a Deo. Per hoc autem quod additur, diversum in substantia, similiter nulla repugnantia absolute loquendo datur intelligi ad id quod est semper fuisse.

 

Si donc, on considère cette proposition: quelque chose de différent existant par Dieu en substance, a toujours existé, on ne peut pas dire que c'est impossible en soi, comme si elle s'opposait à soi, car il n'est pas incompatible que l'être reçu d'un autre existe toujours, comme on l'a montré plus haut[5], sauf quand une chose procède d'une autre par mouvement, ce qui n'intervient pas dans ce qui procède de Dieu. Du fait qu'on ajoute "différent en substance", on ne donne ainsi à comprendre, absolument parlant, aucune opposition pour le fait de toujours exister.

 

Si autem accipiamus possibile dictum secundum potentiam activam, tunc in Deo non deest potentia ab aeterno essentiam aliam a se producendi. Si vero hoc ad potentiam passivam referatur, sic, supposita Catholicae fidei veritate, dici non potest, quod aliquid a Deo procedens in essentia diversum, potuerit semper esse. Supponit enim fides Catholica omne id quod est praeter Deum, aliquando non fuisse. Sicut autem impossibile est, quod ponitur aliquando fuisse, nunquam fuisse: ita impossibile est, quod ponitur aliquando non fuisse, semper fuisse. Unde et dicitur a quibusdam quod hoc quidem est possibile ex parte Dei creantis, non autem ex parte essentiae a Deo procedentis, per suppositionem contrarii, quam fides facit.

 

Mais si nous acceptons qu'on parle de possible selon la puissance active, alors la puissance ne manque pas à Dieu, pour produire de tout éternité une autre essence que lui. Mais si on se réfère à la puissance passive, en s'en tenant à la vérité de la foi catholique, on ne peut pas dire qu'un être différent en essence qui procède de Dieu aura pu toujours existé. Car la foi catholique suppose que tout ce qui existe sauf Dieu n'a pas toujours existé. Mais de même qu'il est impossible de penser que ce qui a existé une fois n'a jamais existé, de même il est impossible de penser que ce qui n'a pas toujours existé, a toujours existé. C'est pourquoi certains disent que ce qui est possible pour le Dieu créateur ne l'est pas pour l'essence qui procède de Dieu, en le supposant contraire à la foi.

 

Solutions:

q. 3 a. 14 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit ex parte potentiae facientis, non autem ex parte facti, de quo facta sit suppositio aliquando non fuisse.

# 1. Cette raison procède de la puissance du créateur, mais non de celle de la créature, dont on a supposé qu'elle n'a pas toujours pas existé.

 

q. 3 a. 14 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si creatura semper fuisset, non simpliciter Deo aequipararetur, sed secundum quod eum imitaretur; quod non est inconveniens; unde illa obviatio parum est efficax.

# 2. Même si la créature avait toujours existé, elle n'aurait absolument pas égalée Dieu, mais seulement en l'imitant, ce qui n'est pas inconvenant. C'est pourquoi ce rapprochement est peu efficace.

 

q. 3 a. 14 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in persona divina non est aliquid quod supponatur aliquando non fuisse, sicut est in omni essentia aliena a Deo.

# 3. Dans la personne divine, il n'y a rien qu'on suppose n'avoir pas toujours existé, comme cela arrive dans toute essence étrangère à Dieu.

 

q. 3 a. 14 ad 4 Ad quartum dicendum, quod obiectio procedit ex parte potentiae facientis; quae nec etiam per voluntatem diminuitur, nisi quatenus ex arbitrio voluntatis divinae fuit quod non semper fuerit creatura.

# 4. L'objection vient de la puissance de l'agent qui n'est empêché par la volonté que dans la mesure où il a dépendu du libre arbitre de la volonté divine que la créature n'ait pas toujours existé[6].

 

q. 3 a. 14 ad 5 Unde patet responsio ad quintum.

# 5. Ainsi cela répond à l'objection 5.

 

q. 3 a. 14 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si ponatur ante quodcumque tempus datum creaturam fuisse, salvatur positio fidei, qua ponitur nihil praeter Deum semper fuisse; non tamen salvatur, si ponatur eam semper fuisse; unde non est simile. Sciendum etiam, quod forma arguendi non valet. Potest enim Deus quamlibet creaturam facere meliorem, non tamen potest facere infinitae bonitatis creaturam; infinita enim bonitas rationi creaturae repugnat, non autem determinata bonitas quantacumque. Sciendum etiam, quod si dicatur, Deum potuisse facere mundum antequam fecerit; si haec prioritas ad potentiam facientis referatur, indubitanter est verum: quia ab aeterno affuit ei potentia faciendi; aeternitas vero tempus creationis praecedit. Si autem referatur ad esse facti, ita quod intelligatur ante instans creationis mundi, tempus reale fuisse, in quo potuerit fieri mundus; patet omnino esse falsum, quia ante mundum motus non fuit, unde nec tempus. Possumus tamen imaginari aliquod tempus ante mundum; sicut altitudinem vel dimensiones aliquas extra caelum; per quem modum possumus dicere, et quod altius caelum potuit elevare, et quod prius potuit facere; quia potuit facere et tempus diuturnius, et altitudinem altiorem.

 

# 6. Si on pense que la créature a existé avant un temps donné, on conserve la position de la foi, par laquelle on affirme que rien sauf Dieu n'a toujours existé; cependant on ne la conserve pas, si on affirme qu'elle a toujours existé. C'est pourquoi ce n'est pas pareil. Mais il faut savoir que la forme de la démonstration ne vaut pas. Car Dieu peut créer quelque créature meilleure, sans cependant pouvoir créer une créature d'une bonté infinie; car la bonté infinie s'oppose à la notion de créature, mais non une bonté déterminée de quelque grandeur. Mais il faut savoir que si on dit: "Dieu aurait pu faire le monde avant qu'il ne l'a fait", si cette priorité se réfère à la puissance du créateur, c'est indubitablement vrai; parce que, de toute éternité il a possédé la puissance de créer, mais l'éternité précède le temps de la création. Si on se réfère à l'être de la créature, de sorte qu'on comprend qu'avant l'instant de la création du monde, il y eut un temps réel, dans lequel le monde aurait pu être créé, il est clair que c'est tout à fait faux, parce qu'avant le monde il n'y eut pas de mouvement, et par conséquent pas de temps. Cependant nous pouvons imaginer un temps avant le monde, une altitude et des dimensions hors du ciel aussi; de cette manière nous pouvons dire qu'il aurait pu élever le ciel plus haut, et le faire avant, parce qu'il aurait pu faire un temps plus long et une altitude plus haute.

 

q. 3 a. 14 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Platonici hoc intellexerunt, fidei veritatem non supponendo, sed ab ea alieni.

# 7. Les Platoniciens l'ont compris sans supposer la vérité de la foi, car ils lui était étrangers.

 

q. 3 a. 14 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa non probat nisi quod esse factum, et esse semper, non habeant ad invicem repugnantiam secundum se considerata; unde procedit de possibili absolute.

# 8. Cette raison ne prouve seulement que ce qui a été créé et ce qui a toujours existé n'ont pas d'incompatibilité en soi; c'est pourquoi elle procède absolument du possible..

 

q. 3 a. 14 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ratio illa procedit de possibili ex parte potentiae activae.

# 9. Cette raison procède du possible du côté de la puissance active.

 

Réponses aux objections opposées:

q. 3 a. 14 ad s. c. Sed quia rationes oppositae concludere videntur, quod secundum nullam considerationem sit possibile; ideo ad eas etiam est respondendum.

Mais parce que les raisons opposées semblent conclure que c'est possible sans aucune considération, il faut aussi leur répondre.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Boetium in fine de consolatione philosophiae, etiam si mundus semper fuisset, non esset Deo coaeternus eius enim duratio non esset tota simul; quod ad aeternitatis rationem requiritur. Est enim aeternitas interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio, ut ibidem dicitur. Temporis autem successio ex motu causatur, ut ex philosopho patet. Unde quod mutabilitati subiacet, etiam si semper sit, aeternum esse non potest; et propter hoc Augustinus dicit, quod invariabili essentiae Trinitatis nulla creatura coaeterna esse potest.

## 1. Selon Boèce, à la fin de La consolation de la philosophie (livre V, dernière prose), même si le monde avait toujours existé, il n'aurait pas été coéternel à Dieu, car sa durée n'aurait pas été toute à la fois; ce qui est requis pour la notion d'éternité. Car il existe une éternité d'une vie interminable toute à la fois et possession parfaite, comme on est dit au même endroit. Mais la succession du temps est causée par le mouvement, comme le philosophe le montre (Physique, IV, 4, 219 a 22-25[7]). C'est pourquoi ce qui est soumis à mutation, même s'il a toujours existé, ne pourrait pas être éternel et à cause de cela Augustin dit (Sur la Genèse, VIII, 23) qu'aucune créature ne peut être coéternelle à l'essence immuable de la Trinité.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus loquitur supposita fidei veritate; quod patet ex hoc quod dicit, quod ex non esse ad esse deductum est, et cetera.

## 2. Jean Damascène parle en supposant la vérité de la foi; ce qui apparaît du fait qu'il dit que ce qui a été amené du non-être à l'être, etc..

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod variabilitas de sui ratione excludit aeternitatem, non autem infinitam durationem.

## 3. La variabilité par sa définition exclut l'éternité, mais non la durée infinie.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod id quod ab alio dependet, nunquam esse potest nisi per influxum eius a quo est; quod si semper fuit, et ipsum semper erit.

## 4. Ce qui dépend d'un autre ne peut jamais exister qu'en découlant de ce par quoi il est; parce que, s'il a toujours été, il sera toujours.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod non sequitur, si Deus aliquid potuit facere, quod illud fecerit, eo quod est agens secundum voluntatem, non secundum necessitatem naturae. Quod autem dicitur, quod in sempiternis non differt esse et posse, intelligendum est secundum potentiam passivam, non autem secundum activam. Potentia enim passiva actui non coniuncta, corruptionis principium est, et ideo sempiternitati repugnat; effectus vero activae potentiae actu non existens, perfectioni causae agentis praeiudicium non affert, maxime in causis voluntariis. Effectus enim non est perfectio potentiae activae sicut forma potentiae passivae.

## 5. Il n'en découle pas, que, si Dieu a pu faire quelque chose, il l'ait fait, c'est parce qu'il est agent volontaire, mais non agent par nécessité de nature. Quand on dit que dans ce qui est éternel, l'être et le pouvoir ne diffèrent pas, il faut le comprendre de la puissance passive mais non de la puissance active. Car la puissance passive qui n'est pas jointe à un acte est principe de corruption, et c'est pourquoi elle s'oppose à l'éternité: mais l'effet de la puissance active qui n'existe pas en acte, n'apporte à la perfection de la cause efficiente aucun préjudice, surtout dans les causes volontaires. Car l'effet n'est pas la perfection de la puissance active comme la forme de la puissance passive.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod circa productionem primarum creaturarum intellectus noster rationem investigare non potest, eo quod non potest comprehendere artem illam quae sola est ratio quod creaturae praedictae hunc habeant modum; unde sicut non potest ratio reddi ab homine quare caelum est tantum et non amplius; ita reddi non potest ratio quare mundus factus non fuit antea, cum tamen utrumque fuerit divinae potestati subiectum.

## 6. A propos de la production des premières créatures, notre esprit ne peut en scruter la raison parce qu'il ne peut comprendre cet art qui seul est la raison pour laquelle les créatures susdites ont ce mode. C'est pourquoi, de même que l'homme ne peut trouver la raison pour laquelle le ciel est tel, et non plus vaste; de même on ne peut donner la raison pour laquelle le monde a été fait avant, puisque cependant les deux conditions ont été soumises à la puissance divine.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod primae creaturae non sunt productae ex aliquo, sed ex nihilo. Non tamen oportet ex ipsa ratione productionis, sed ex veritate quam fides supponit, quod prius non fuerint, et postea in esse prodierint. Unus enim sensus praedictae locutionis esse potest, secundum Anselmum, ut dicatur creatura facta ex nihilo, quia non est facta ex aliquo, ut negatio includat praepositionem et non includatur ab ea, ut sic negatio ordinem ad aliquid, quem praepositio importat, neget; non autem praepositio importat ordinem ad nihil. Si vero ordo ad nihil remaneat affirmatus, praepositione negationem includente, nec adhuc oportet quod creatura aliquando fuerit nihil. Potest enim dici, sicut et Avicenna dicit, quod non esse praecedat esse rei, non duratione, sed natura; quia videlicet, si ipsa sibi relinqueretur, nihil esset: esse vero solum ab alio habet. Quod enim est natum alicui inesse ex se ipso, naturaliter prius competit ei, eo quod non est ei natum inesse nisi ab alio.

 

## 7. Les premières créatures n'ont pas été produites de quelque chose, mais de rien[8]. Cependant il faut, non à partir de la définition même de leur production, mais à partir de la vérité que suppose la foi, qu'elles n'aient pas existé avant et qu'elles soient venues à l'être ensuite. En effet, un des sens de la locution susdite peut être, selon Anselme (Monologium ch. 8), que la créature a été créée de rien, parce qu'elle n'a pas été faite de quelque chose, pour que la négation inclut la préposition et ne soit pas incluse par elle, afin que la négation nie le relation à ce qu'elle apporte; mais celle-ci n'apporte de relation à rien. Mais ainsi la relation au néant demeure affirmée, alors que la préposition inclut la négation, et il ne faut pas encore que la créature ait été un jour néant. Car on peut dire, comme Avicenne le dit, que le non être précède l'être de la chose, non dans la durée, mais dans sa nature, parce qu'il est évident que si elle était laissée à elle-même, elle ne serait rien; mais elle tient l'être seulement d'un autre. Car ce qui est destiné à être dans quelque chose par soi, lui appartient naturellement d'abord, parce qu'il est destiné à n'être que par un autre.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod de ratione aeterni est non habere durationis principium; de ratione vero creationis habere principium originis, non autem durationis; nisi accipiendo creationem ut accipit fides.

## 8. Il est de la nature de l'éternité de ne pas avoir de principe de durée, mais de la nature de la création d'avoir un principe d'origine, mais non de durée, à moins de recevoir la création comme la foi la reçoit.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 9 Ad nonum dicendum, quod aevum et tempus ab aeternitate differunt, non solum ratione principii durationis, sed etiam ratione successionis. Tempus enim in se successivum est; aevo vero successio adiungitur prout substantiae aeternae sunt quantum ad aliquid variabiles, etsi quantum ad aliquid non varientur, prout aevo mensurantur. Aeternitas vero nec successionem continet nec successioni adiungitur.

## 9. L'ævum et le temps diffèrent de l'éternité, non seulement en raison du principe de durée, mais aussi en raison de la succession. Car le temps en soi est successif; la succession est ajoutée à l'ævum, dans la mesure où les substances éternelles sont variables sur un point, même si elles ne varient en rien selon qu'elles sont mesurées par l'ævum. L'éternité ne contient pas de succession et elle n'est pas ajoutée à une succession.

 

q. 3 a. 14 ad s. c. 10 Ad decimum dicendum, quod operatio qua Deus res producit in esse, non sic est intelligenda sicut operatio artificis qui facit arcam et postea eam deserit; sed quod Deus continue influat esse, ut Augustinus dicit; unde non oportet assignare aliquod instans productionis rerum antequam productae non sint, nisi propter fidei suppositionem.

 

## 10. L'opération par laquelle Dieu fait venir les choses à l'être ne doit pas être comprise comme l'opération de l'artisan qui fait un coffre et ensuite l'abandonne, parce que Dieu insuffle l'être constamment, comme Augustin le dit (La Genèse au sens littéral, IV, 12 et VIII, 12); c'est pourquoi il ne faut pas assigner un instant de la production des choses avant qu'elles n'aient été produites qu'à cause d'une supposition de foi.

 

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[1] Parall. Ia, qu.. 46, a. 1 c et ad 6 - II Sent. d1a5 - CG. II, 31.

 

[2] La question est posée différemment en Ia, 46, 1: L'universalité des créatures a-t-elle toujours existé? La solution proposée ici est basée sur la “possibilité” évoquée déjà en Pot. 1, 3.

 

[3] "Entre le possible et l'être, il n'y a aucune différence dans les choses éternelles."

 

[4] Thomas lectio 14, 971-973. Cf. Pot. I, 3, c.

 

[5] Exemple du Fils à l'article précédent.

 

[6] "Le premier agent est un agent volontaire. Et quoique qu'il eut la volonté éternelle de produire un effet, cependant il ne l'a pas produit éternel." (Ia, qu. 46, a. 1, sol. 6).

 

[7] Thomas, lectio 17, n° 579 (Aristote n° 408- Cf. Ia, qu. 46, a. 1).

 

[8] Il faut entendre une première création, celle rapportée par la Genèse, ensuite les créatures sont produites par mouvement, changement, génération.

 

 

Article 15: Les choses procèdent-elles de Dieu par nécessité de nature ou par le libre arbitre de sa volonté?

 

q. 3 a. 15 tit. 1 Decimoquinto quaeritur utrum res processerint a Deo per necessitatem naturae vel per arbitrium voluntatis. Et videtur quod per necessitatem naturae.

Il semble que Dieu agisse par nécessité de nature[1].

 

Objections:

q. 3 a. 15 arg. 1 Dicit enim Dionysius: sicut noster sol non ratiocinans aut praeeligens, sed per ipsum suum esse omnia lumine eius participare volentia illuminat; ita divina bonitas per essentiam suam omnibus existentibus proportionaliter radios bonitatis immittit. Sed sol sine electione et ratione illuminans hoc agit ex necessitate naturae. Ergo et Deus creaturas producit suam bonitatem communicando per necessitatem naturae.

 

1. Car Denys (Les noms divins, 4, § 1 PG. 693B[2]) dit: "De même que notre soleil, sans raisonner ni choisir, mais par son être même, éclaire tout ce qui est susceptible de participer à sa lumière, de même la divine bonté, par son essence, communique proportionnellement à tout ce qui existe les rayons de sa bonté." Mais le soleil qui illumine sans choix et sans raison le fait par nécessité de nature. Donc Dieu aussi produit les créatures en communiquant sa bonté par nécessité de nature.

 

q. 3 a. 15 arg. 2 Praeterea, omnis perfectio inferioris naturae a perfectione divinae naturae derivatur. Sed ad perfectionem naturae inferioris pertinet quod sua virtute aliquid simile sibi faciat producendo effectum. Ergo multo fortius Deus similitudinem suae bonitatis creaturis communicat naturaliter, et non voluntarie.

2. Toute la perfection de la nature inférieure dérive de celle de la nature divine. Mais il convient à la perfection d'une nature inférieure, de faire, par son pouvoir, quelque chose de semblable à soi en produisant son effet. Donc Dieu communique beaucoup mieux la ressemblance de sa bonté aux créatures, par nature et non par volonté.

 

q. 3 a. 15 arg. 3 Praeterea, omne agens agit sibi simile. Ergo secundum hoc effectus agitur a causa agente, quod eius similitudinem habet. Sed creatura habet similitudinem Dei quantum ad ea quae ad Dei naturam pertinent, scilicet quantum ad esse et bonitatem et unitatem, et alia huiusmodi, non solum quantum ad ea quae sunt in voluntate vel in intellectu, sicut artificiata sunt similia artifici quantum ad formam artis, non quantum ad naturam artificis, propter quod voluntarie et non naturaliter ab artifice procedunt. Ergo creaturae procedunt a Deo per virtutem naturae divinae et non per voluntatem.

3. Tout agent fait du semblable à lui. C'est pourquoi l'effet est produit par la cause efficiente, parce qu'il lui ressemble. Mais pour ce qui concerne la nature de Dieu, la créature lui ressemble, pour ce qui concerne l'être, la bonté, l'unité, etc., et pas seulement pour ce qui est dans la volonté ou l'intellect; ainsi, de même les oeuvres faites par l'artisan lui-même ressemblent à la forme de son art, mais pas à sa nature d'artisan, parce qu'elles proviennent de lui par volonté et non par nature. Donc les créatures procèdent de Dieu par le pouvoir de la nature divine et non par volonté.

 

q. 3 a. 15 arg. 4 Sed dices, quod similitudinem naturalium attributorum communicat creaturis divina voluntas.- Sed contra, similitudo naturae communicari non potest nisi per virtutem naturae. Sed virtus naturae in nulla re subiacet voluntati; unde et in Deo generatio filii a patre, quae est naturalis, non fit per imperium voluntatis, nec etiam in hominibus vires animae vegetabiles, quae naturales dicuntur, voluntati subduntur. Ergo non potest esse quod voluntate divina, similitudo naturalium attributorum creaturis communicetur.

 

4. Mais on pourrait dire que la volonté divine communique la ressemblance de ses attributs naturels aux créatures. – En sens contraire, la ressemblance de la nature ne peut être communiquée que par son pouvoir. Mais ce pouvoir n'est subordonné en rien à la volonté; c'est pourquoi, en Dieu, la génération du Fils par le Père, qui est naturelle, ne se fait pas par le pouvoir de la volonté, et dans les hommes les puissances végétatives de l'âme, qu'on appelle naturelles, ne sont pas soumises à la volonté. Donc il n'est pas possible que la ressemblance des attributs naturels soit communiquée par la volonté divine aux créatures.

 

q. 3 a. 15 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit in libro de doctrina Christiana, quod quia Deus bonus est, sumus: et ita bonitas Dei videtur esse causa productionis creaturarum. Sed bonitas est Deo naturalis. Ergo et fluxus rerum a Deo est naturalis.

5. Augustin dit dans La doctrine chrétienne, (I, 32) que nous existons, parce que Dieu est bon; et ainsi la bonté de Dieu semble être la cause de la production des créatures. Mais cette bonté est naturelle pour Dieu. Donc le flux des êtres à partir de Dieu est naturel.

 

q. 3 a. 15 arg. 6 Praeterea, in Deo idem est natura et voluntas. Si ergo Deus producat res voluntarie, sequetur quod producat eas naturaliter.

6. En Dieu, la nature et la volonté sont identiques. Donc si Dieu produit les êtres volontairement, il s'ensuit qu'il les produit naturellement.

 

q. 3 a. 15 arg. 7 Praeterea, necessitas naturae provenit ex hoc quod natura immobiliter operatur idem, nisi impedimentum eveniat. Sed maior est immutabilitas Dei quam naturae inferioris. Ergo magis ex necessitate Deus producit effectum suum quam natura inferior.

7. La nécessité de nature provient de ce que la nature immuablement fait la même chose, sauf si intervient un empêchement. Mais l'immutabilité de Dieu est plus grande que celle de la nature inférieure. Donc Dieu produit son effet plus par nécessité que la nature inférieure.

 

q. 3 a. 15 arg. 8 Praeterea, operatio Dei est eius essentia. Sed essentia sua est ei naturalis. Ergo naturaliter operatur quidquid operatur.

8. L'opération de Dieu[3] est son essence. Mais celle-ci lui est naturelle. Donc toute opération lui est naturelle.

 

q. 3 a. 15 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum voluntas est finis, electio eorum quae sunt ad finem. Sed in Deo non est aliquis finis, cum sit infinitus. Ergo non agit ex voluntate, sed magis ex necessitate naturae.

9. Selon le Philosophe (Ethique, III, 2, 1111 b 28[4]) la volonté est une fin, le choix de ce qui est en vue de la fin. Mais en Dieu il n'y a pas de fin, puisqu'il est infini[5]. Donc il n'agit pas par volonté, mais plutôt par nécessité de nature.

 

q. 3 a. 15 arg. 10 Praeterea, Deus operatur in quantum est bonus, ut Augustinus dicit. Sed ipse est bonum necessarium. Ergo ex necessitate operatur.

10. Dieu opère en tant qu'il est bon, comme Augustin le dit (La doctrine chrétienne, I, 32). Mais il est le bien nécessaire. Donc il opère par nécessité.

 

q. 3 a. 15 arg. 11 Praeterea, omne quod est, vel est contingens, vel necessarium. Necessarium vero est aliquid tripliciter: scilicet per coactionem, ex suppositione, et absolute. Non autem potest dici quod in Deo sit aliquid possibile vel contingens: hoc enim mutabilitati attestatur, ut per philosophum patet, quia quod contingit esse, contingit non esse. Similiter non est ibi aliquid necessarium per coactionem, quia nihil ibi est violentum nec contra naturam, ut dicitur in V Metaph. Similiter nec necessarium ex suppositione: quia hoc necessarium causatur ex aliquibus causis praesuppositis, Deo autem nihil est causa. Relinquitur ergo quod quidquid est in Deo sit necessarium absolute; et ita videtur quod res ex necessitate in esse producat.

 

.

 

11. Tout ce qui est, est contingent ou nécessaire. Mais le nécessaire existe de trois manières: c'est-à-dire par contrainte, sous condition et absolument. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu, il y ait quelque chose de possible ou de contingent; car la mutabilité l'atteste, comme on le voit chez le Philosophe (Métaphysique, XI, 8, 1064 b 32[6]) que le contingent est ou n'est pas. De même, il n'y a rien ici de nécessaire par contrainte, parce que rien n'y est violent, ni contraire à la nature, comme on le dit (Métaphysique V, 5, 1015 a 25[7]). De la même manière, il n'y a pas de nécessité sous condition, parce que cette nécessité est causée par des causes présupposées. Mais, en Dieu il n'y a pas de cause. Donc il reste que ce qui est en Dieu est absolument nécessaire, et ainsi il semble qu'il fasse venir les créatures à l'être par nécessité[8].

 

q. 3 a. 15 arg. 12 Praeterea, II ad Timoth. II, 13, dicitur: Deus fidelis permanet et seipsum negare non potest. Sed cum ipse sit sua bonitas, se ipsum negaret si suam bonitatem negaret. Negaret autem suam bonitatem si eam communicando non diffunderet; cum hoc sit proprium bonitatis. Ergo Deus non potest non producere creaturam suam bonitatem communicando: ergo ex necessitate producit: quia non possibile non esse et necesse esse convertuntur, ut patet in II perihermeneias.

 

12. En 2 Tm 2, 13, il est dit: "Dieu demeure fidèle et il ne peut se (re)nier[9]". Mais, comme il est sa propre bonté, il se renierait lui-même, s'il reniait sa bonté. Il la nierait, s'il ne la diffusait pas en la communiquant, puisque c'est cela le propre de la bonté. Donc Dieu ne peut pas ne pas produire une créature en communiquant sa bonté. Donc il produit par nécessité; parce qu'il n'est pas possible que le non être et l'être nécessaire soient convertibles, comme cela paraît dans le Perihermeneias (II, 3, 22 a 3).

 

q. 3 a. 15 arg. 13 Praeterea, secundum Augustinum, patrem generare filium, est patrem dicere se suo verbo. Sed Anselmus dicit, quod eodem verbo pater dicit se et creaturam. Cum ergo generatio filii a patre sit naturaliter et non per imperium voluntatis, videtur quod etiam creaturarum productio: nam apud Deum non differt dicere et facere; cum scriptum sit, Ps. XXXII, 9: dixit, et facta sunt.

 

13. Selon Augustin, le fait que le Père engendre le Fils, c'est le Père qui se dit par son Verbe. Mais Anselme dit (Monologium 31[10]) que par le même verbe le Père se dit et dit la créature. Donc puisque la génération du Fils par le Père est naturelle et non par le pouvoir de sa volonté, il semble qu'il en est de même pour la production des créatures; car en Dieu dire et faire ne sont pas différents, puisqu'il est écrit Ps. 32, 9: "Il dit, et cela fut fait."

 

q. 3 a. 15 arg. 14 Praeterea, omnis volens de necessitate vult suum ultimum finem, sicut homo de necessitate vult esse beatus. Sed ultimus finis divinae voluntatis est suae bonitatis communicatio: propter hoc enim producit creaturas, ut suam bonitatem communicet. Ergo Deus hoc de necessitate vult, ergo et ex necessitate producit.

14. Tout ce qui veut par nécessité veut sa fin ultime, comme l'homme veut nécessairement être heureux. Mais la fin ultime de la volonté divine est la communication de sa bonté; il produit des créatures pour communiquer sa bonté. Donc Dieu le veut nécessairement, donc il produit par nécessité.

 

q. 3 a. 15 arg. 15 Praeterea, sicut Deus est per se bonum, ita est per se necessarium. Sed in Deo, quia est per se bonus, nihil est nisi bonum. Ergo et similiter in eo nihil est nisi necessarium; et ita ex necessitate producit res.

15. Dieu est bon en soi; de même il est nécessaire en soi. Mais en Dieu, parce qu'il est bon en soi, il n'y a rien sinon le bien. Donc et de la même manière, en lui il n'y a rien qui ne soit nécessaire et ainsi il produit les créatures par nécessité.

 

q. 3 a. 15 arg. 16 Praeterea, voluntas Dei est determinata ad unum, scilicet ad bonum. Sed natura propter hoc ex necessitate operatur, quia est determinata ad unum. Ergo et voluntas divina ex necessitate operatur creaturas.

16. La volonté de Dieu est déterminée à un seul objet, c'est-à-dire au bien. Mais la nature opère par nécessité, parce qu'elle est déterminée à un seul effet. Donc la volonté divine crée les créatures par nécessité.

 

q. 3 a. 15 arg. 17 Praeterea, pater virtute naturae suae est principium filii et spiritus sancti, ut Hilarius dicit. Sed eadem natura quae est in patre et filio, est etiam in spiritu sancto. Ergo eadem ratione ipse spiritus sanctus est principium naturaliter. Sed non est principium nisi creaturae. Ergo creatura naturaliter procedit a Deo.

 

17. Le Père par le pouvoir de sa nature est le principe du Fils et de l'Esprit Saint, comme Hilaire le dit (Livre des Synodes). Mais la même nature est dans le Père, le Fils et aussi dans l'Esprit Saint. Donc, pour la même raison, l'Esprit Saint lui-même est principe par nature. Mais il ne l'est que pour la créature. Donc la créature procède naturellement de Dieu.

 

q. 3 a. 15 arg. 18 Praeterea, effectus procedit a causa agente. Ergo agens non comparatur ad effectum nisi per hoc quod comparatur ad actionem vel operationem. Sed comparatio operationis vel actionis divinae ad ipsum est naturalis, cum actio Dei sit sua essentia. Ergo similiter ad effectum comparatur naturaliter producendo ipsum.

18. L'effet procède de la cause efficiente. Donc l'agent n'est comparé à l'effet que parce ce qu'il est comparé à l'action ou à l'opération. Mais la comparaison de l'opération ou de l'action de Dieu à lui-même est naturelle, puisque son action est son essence. Donc de même, il est comparé à l'effet en le produisant lui-même naturellement.

 

q. 3 a. 15 arg. 19 Praeterea, a per se bono non fit aliquid nisi bonum et bene. Ergo et a per se necessario non fit aliquid nisi necessarium et necessario. Sed Deus est huiusmodi. Ergo omnia procedunt ab ipso ex necessitate.

19. Du bien en soi ne se fait que ce qui est bon et bien. Donc du nécessaire en soi ne se fait que quelque chose de nécessaire et nécessairement. Mais Dieu est de ce genre. Donc tout procède de lui par nécessité.

 

q. 3 a. 15 arg. 20 Praeterea, cum id quod est per se, sit prius eo quod est per aliud, oportet primum agens agere per suam essentiam. Sed sua essentia et sua natura idem est. Ergo agit per naturam suam; et ita naturaliter creaturae ab eo procedunt.

 

20. Comme ce qui est par soi est avant ce qui est par un autre, il faut que le premier agent agisse par son essence. Mais son essence et sa nature sont un même attribut. Donc il agit par sa nature, et ainsi les créatures procèdent de lui naturellement.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 15 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit: omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit; et ibidem: tales sunt creaturae quales Deus eas esse voluit. Ergo Deus producit creaturas per voluntatem, non per naturae necessitatem.

1. Il y a ce qu'Hilaire dit dans le Livre des synodes: "La volonté de Dieu apporte leur substance à toutes les créatures." et au même endroit: "Les créatures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient". Donc Dieu produit les créatures par volonté, non par nécessité de nature.

 

q. 3 a. 15 s. c. 2 Praeterea, Augustinus in XII Confess., ad Deum loquens, ait duo fecisti, domine: unum prope te, scilicet Angelum, et aliud prope nihil, scilicet materiam. Neutrum tamen est de natura tua: quia neutrum est quod tu es. Sed filius pro tanto naturaliter a patre procedit, quia eamdem habet naturam quam pater, ut Augustinus dicit. Ergo creatura non procedit a Deo naturaliter.

 

2. Augustin dans Les Confessions (XII, 7) parlant à Dieu dit: Tu as fait, Seigneur, deux créatures: l'une proche de toi, à savoir l'ange et l'autre proche du néant, à savoir la matière. Cependant ni l'une, ni l'autre ne sont de ta nature, parce que ni l'une ni l'autre est ce que tu es. Mais le Fils pour autant procède du Père naturellement, parce qu'il a la même nature que lui, comme Augustin le dit (La Trinité, XV, 14[11]). Donc la créature ne procède pas de Dieu naturellement[12].

 

Réponse:

q. 3 a. 15 co. Respondeo. Dicendum quod, absque omni dubio, tenendum est quod Deus ex libero arbitrio suae voluntatis creaturas in esse produxit nulla naturali necessitate. Quod potest esse manifestum ad praesens quatuor rationibus:

Sans aucun doute, il faut croire que Dieu fit venir les créatures à l'être par le libre arbitre de sa volonté, sans aucune nécessité naturelle. Ce qui peut être montré à présent par quatre raisons:

 

quarum prima est, quod oportet dicere universum aliquem finem habere: alias omnia in universo casu acciderent; nisi forte diceretur, quod primae creaturae non sunt propter finem, sed ex naturali necessitate; posteriores vero creaturae sunt propter finem; sicut et Democritus ponebat caelestia corpora esse a casu facta, inferiora vero a causis determinatis, quod improbatur in II Phys., per hoc quod ea quae sunt nobiliora, non possunt esse minus ordinata quam indigniora. Necesse est igitur dicere, quod in productione creaturarum a Deo sit aliquis finis intentus.

1) Première raison: Il faut dire que l'univers a une fin[13]; autrement tout y arriverait par hasard; à moins qu'on dise que les premières créatures[14] ne sont pas finalisées mais dépendent d'une nécessité de nature; mais les créatures suivantes sont en vue d'une fin; ainsi Démocrite pensait que les corps célestes étaient dus au hasard, mais les êtres inférieurs à des causes déterminées, ce qui est désapprouvé en Physique (II, 4, 196 a 28 - b 4[15]), parce que, ce qui est plus noble, ne peut pas être moins ordonné que ce qui l'est moins. Donc il est nécessaire de dire que, dans la production des créatures par Dieu, il y a une fin recherchée.

 

Invenitur autem agere propter finem et voluntas et natura, sed aliter et aliter. Natura enim, cum non cognoscat nec finem nec rationem finis, nec habitudinem eius, quod est ad finem in finem, non potest sibi praestituere finem, nec se in finem movere aut ordinare vel dirigere; quod quidem competit agenti per voluntatem, cuius est intelligere et finem et omnia praedicta. Unde agens per voluntatem sic agit propter finem, quod praestituit sibi finem, et seipsum quodammodo in finem movet, suas actiones in ipsum ordinando. Natura vero tendit in finem sicut mota et directa ab alio intelligente et volente, sicut patet in sagitta, quae tendit in signum determinatum propter directionem sagittantis; et per hunc modum a philosophis dicitur, quod opus naturae est opus intelligentiae. Semper autem quod est per aliud, est posterius eo quod est per se. Unde oportet quod primum ordinans in finem, hoc faciat per voluntatem; et ita Deus per voluntatem creaturas in esse produxit, non per naturam. Nec est instantia de filio, quod naturaliter procedit a patre, cuius generatio creationem praecedit: quia filius non procedit ut ad finem ordinatus, sed ut omnium finis.

 

On trouve que la volonté et la nature agissent en vue d'une fin, mais de façons différentes. En effet, comme la nature ne connaît ni la fin ni sa raison, ni sa relation de la fin à la fin, elle ne peut s'en fixer une; ni aller vers cette fin, ni l'ordonner, ni la diriger, ce qui appartient à l'agent volontaire dont c'est le propre de comprendre (intelligere) la fin, etc.. C'est pourquoi un agent volontaire agit en vue d'une fin, parce qu'il se l'est assignée et il va lui-même d'une certaine manière vers elle, en y ordonnant ses actions. Mais la nature tend à sa fin comme mue et dirigée par un autre, pourvu d'esprit et de volonté, comme cela paraît pour la flèche qui tend à une cible déterminée par l'action dirigée par l'archer et ainsi les philosophes disent que l'oeuvre de la nature est celle d'une intelligence. Mais toujours ce qui dépend d'un autre est postérieur à ce qui est par soi. C'est pourquoi il faut que celui qui ordonne en premier vers une fin, le fasse par volonté. Et ainsi Dieu a fait venir à l'être des créatures par sa volonté, non par nature. Et ce n'est pas le cas du Fils parce qu'il procède naturellement du Père; sa génération a précédé la création: parce qu'il ne procède pas comme ordonné à une fin, mais comme la fin de tout.

 

Secunda vero ratio est, quia natura est determinata ad unum. Cum autem omne agens sibi simile producat, oportet quod natura ad illam similitudinem tendat producendam quae est determinate in uno. Cum autem aequalitas ab unitate causetur, inaequalitas vero ex multitudine quae vario modo se habet (ratione cuius non est aliquid alteri aequale nisi uno modo, inaequale vero secundum multos gradus) natura semper facit sibi aequale, nisi sit propter defectum virtutis activae, vel receptivae sive passivae. Defectus autem passivae potentiae Deo non praeiudicat, cum ipse materiam non requirat; nec iterum virtus sua est deficiens, sed infinita. Unde hoc solum ab eo procedit naturaliter quod est sibi aequale, scilicet filius. Creatura vero, quae est inaequalis, non naturaliter, sed per voluntatem procedit; sunt enim multi gradus inaequalitatis. Nec potest dici quod divina virtus ad unum determinetur tantum, cum sit infinita. Unde cum divina virtus se extendat ad diversos gradus inaequalitatis in creaturis constituendos; quod in hoc gradu determinato creaturam constituit, ex arbitrio voluntatis fuit, non ex naturali necessitate.

 

2) Seconde raison: la nature est déterminée à un seul effet[16]. Et comme tout agent produit du semblable à lui, il faut que la nature tende à produire cette ressemblance, qui est déterminée à un seul objet. Mais comme l'égalité est causée par l'unité, l'inégalité par la pluralité qui se comporte de manière variée (pour la raison que rien n'est égal à autre chose que d'une seule manière et inégal en de nombreux degrés); la nature fait toujours de l'égal à soi, sauf défaillance du pouvoir qui agit, qui reçoit ou qui subit. Mais la défaillance de la puissance passive ne porte pas préjudice à Dieu puisqu'il n'a pas besoin de matière; et en plus son pouvoir n'est pas défaillant, mais infini. C'est pourquoi, seul procède de lui naturellement, ce qui lui est égal, c'est-à-dire son Fils. Mais la créature qui est inégale, procède non pas naturellement, mais par volonté. Car il y a de nombreux degrés d'inégalité. Et on ne peut pas dire que le pouvoir divin soit déterminé à un seul effet seulement, puisqu'il est infini. C'est pourquoi, comme le pouvoir divin s'étend pour constituer différents degrés d'inégalité dans les créatures, qu'il ait établi la créature à un degré déterminé dépend du libre arbitre de sa volonté, mais non d'une nécessité naturelle.

 

Tertia ratio est, quia cum omne agens agat sibi simile aliquo modo, oportet quod effectus in sua causa aliqualiter praeexistat. Omne autem quod est in aliquo, est in eo per modum eius in quo est; unde cum ipse Deus sit intellectus, creaturae in ipso intelligibiliter praeexistunt propter quod dicitur Ioan. I, 3: quod factum est, in ipso vita erat. Quod autem est in intellectu, non producitur nisi mediante voluntate: voluntas enim est executrix intellectus et intelligibile voluntatem movet; et ita oportet quod res creatae a Deo processerint per voluntatem.

 

3) Troisième raison: puisque tout agent produit du semblable à lui, d'une certaine manière, il faut que l'effet préexiste en quelque sorte dans sa cause. Mais tout ce qui est dans une chose y est par le mode de celle en qui elle est; c'est pourquoi, comme Dieu lui-même est un esprit, les créatures préexistent en lui de façon intelligible, c'est pour cela qu'on dit en Jn 1, 3: "Ce qui a été fait, était vie en lui[17]". Mais ce qui est dans l'intellect ne procède que par l'intermédiaire de la volonté: car la volonté accompli ce qui est pensé et l'intelligible met en mouvement la volonté et ainsi il faut que les créatures procède de Dieu par volonté[18].

 

Quarta ratio est, quia, secundum philosophum, duplex est actio:

 

4) Quatrième raison[19]: Selon le Philosophe (Métaphysique, IX, 8, 1050 a 23 - B 2) l'action est double:

 

quaedam quae consistit in ipso agente, et est perfectio et actus agentis, ut intelligere, velle et huiusmodi:

 

1) L'une qui demeure dans l'agent lui-même; et est sa perfection et son acte, comme abstraire (intelligere), vouloir, etc..

 

quaedam vero quae egreditur ab agente in patiens extrinsecum et est perfectio et actus patientis, sicut calefacere, movere et huiusmodi. Actio autem Dei non potest intelligi ad modum huiusmodi secundae actionis, eo quod, cum actio sua sit eius essentia, non egreditur extra ipsum: unde oportet quod intelligatur ad modum primae actionis quae non est nisi in intelligente et volente, vel etiam sentiente; quod etiam in Deum non cadit: quia actio sensus licet non tendat in aliquid extrinsecum, est tamen ab actione extrinseci. Per hoc igitur Deus agit quidquid extra se agit, quod intelligit et vult. Nec hoc generationi filii praeiudicat quae est naturalis, quia huiusmodi generatio non intelligitur terminari ad aliquid quod sit extra divinam essentiam. Necessarium est igitur dicere omnem creaturam a Deo processisse per voluntatem, et non per necessitatem naturae.

 

2) L'autre qui sort de l'agent dans un patient extérieur et c'est la perfection et l'acte de celui qui reçoit, comme réchauffer, mouvoir et autres actions de ce genre. Mais l'action de Dieu ne peut être comprise à la manière de cette seconde action, parce que, comme elle est son essence, elle ne sort pas de lui. C'est pourquoi il faut la comprendre à la manière de la première action qui n'est que dans celui qui pense (intelligit) et veut, - ou même éprouve des sensations; ce qui n'arrive pas en Dieu -; parce que, bien que l'action du sens ne tende pas à quelque chose d'extérieur, elle dépend cependant d'une action extérieure. De ce fait donc, Dieu fait ce qu'il fait hors de lui, parce qu'il le pense (intelligit) et le veut. Et cela ne porte pas préjudice à la génération du Fils qui est naturelle, parce qu'une génération de ce genre n'est pas comprise comme se terminant à quelque chose hors de l'essence divine. Donc il est nécessaire de dire que toute créature a procédé de Dieu par volonté et non par nécessité de nature.

 

Solutions

q. 3 a. 15 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo Dionysii est intelligenda quantum ad universitatem diffusionis; sol enim in omnia corpora radios effundit, non discernendo unum ab alio, et similiter divina bonitas. Non autem intelligitur quantum ad privationem voluntatis.

# 1. Il faut comprendre l'image de Denys quant à l'universalité de la diffusion; car le soleil répand ses rayons sur tous les corps, sans distinguer l'un de l'autre. Il en est de même pour la bonté divine. Mais ce n'est pas compris comme un manque de volonté[20].

 

q. 3 a. 15 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex perfectione divinae naturae est quod virtute naturae divinae, ipsius naturae similitudo creaturis communicetur, non tamen haec communicatio fit per necessitatem naturae sed per voluntatem.

# 2. C'est à partir de la perfection de la nature divine que, par son pouvoir, sa ressemblance de la nature même est communiquée aux créatures, cependant cette communication ne se fait pas par nécessité de nature, mais par volonté.

 

q. 3 a. 15 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium.

# 3. Et par là paraît la solution à la troisième objection.

 

q. 3 a. 15 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura non subiacet voluntati in his quae sunt intima rei, sed quantum ad ea quae sunt extra rem, nihil prohibet naturam subiici voluntati; unde et in motu locali in animalibus natura musculorum et nervorum subiacet appetitui imperanti; unde nec est inconveniens, si virtute naturae divinae, creaturae producantur in esse secundum arbitrium divinae voluntatis.

 

# 4. La nature n'est pas soumise à la volonté dans ce qui est l'intime de la chose, mais quant à ce qui hors d'elle, rien n'empêche la nature d'être soumise à la volonté; c'est pourquoi dans un mouvement local chez les animaux, l'ensemble des muscles et des nerfs est soumis à l'appétit qui les gouverne; aussi ce n'est pas inconvenant si, par le pouvoir de la nature divine, les créatures sont amenées à l'existence en raison du libre arbitre de la volonté divine.

 

q. 3 a. 15 ad 5 Ad quintum dicendum, quod bonum est proprium obiectum voluntatis; unde bonitas Dei, in quantum est ad ipso volita et amata, mediante voluntate est creaturae causa.

# 5. Le bien est l'objet propre de la volonté; c'est pourquoi la bonté de Dieu, dans la mesure où elle est pour ce qu'il veut et aime, est cause de la créature par l'intermédiaire de la volonté.

 

q. 3 a. 15 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet voluntas et natura, prout in Deo sunt, sint, secundum rem, idem, differunt tamen ratione, secundum quod per ea diversimode designatur respectus ad creaturam; natura enim importat respectum ad aliquid unum determinate, non autem voluntas.

# 6. Bien que la volonté et la nature, selon qu'elles sont en Dieu, soient en réalité un même attribut, elles diffèrent cependant en raison, selon que, à travers elles, on désigne diversement le rapport à la créature; car la nature établit un rapport à une seule chose de façon déterminée, mais pas la volonté.

 

q. 3 a. 15 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non est ex immobilitate naturae solum quod aliquid ex necessitate producit, sed ex eius determinatione ad unum quae non competit divinae voluntati, licet in ea sit immobilitas summa.

# 7. Ce n'est pas par l'immutabilité de la nature seulement que quelque chose produit par nécessité, mais par sa détermination à un effet, ce qui n'appartient pas à la volonté divine; bien qu'en elle il y ait l'immutabilité suprême.

 

q. 3 a. 15 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet operatio Dei naturaliter ei competat, cum sit eius natura vel essentia, effectus tamen creaturae operationem consequitur, quae per modum intelligendi consideratur, ut principium voluntatis, sicut et effectus calefactionis sequitur secundum modum caloris.

# 8. Bien que l'opération de Dieu lui convienne naturellement, puisqu'elle est sa nature et son essence, cependant l'effet accompagne l'opération de la créature, qui est considérée par mode de compréhension, comme principe de la volonté, comme l'effet de l'échauffement découle du mode de la chaleur.

 

q. 3 a. 15 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet Deus sit infinitus, est tamen finis ad quem omnia ordinantur. Non enim est infinitus privative, sicut finitum est passio quantitatis quae nata est habere finem; hoc enim modo finis neque infinitus, neque finitus est. Dicitur autem infinitus negative, quia nullo modo finitur.

# 9. Bien que Dieu soit infini, il est cependant la fin à laquelle tout est ordonné. Car il n'est pas infini de façon privative[21], ainsi le fini est ce qui supporte une grandeur, destinée à avoir une fin, car de cette manière la fin n'est ni infinie, ni finie. Mais on désigne l'infini de façon négative, parce qu'il n'est fini en aucune manière.

 

q. 3 a. 15 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Deus operetur in quantum est bonus, et bonitas ei necessario insit, non tamen sequitur quod de necessitate operetur. Bonitas enim mediante voluntate operatur, in quantum est eius obiectum vel finis; voluntas autem non necessario se habet ad ea quae sunt ad finem; licet respectu ultimi finis necessitatem habeat.

# 10. Bien que Dieu opère dans la mesure où il est bon, et que sa bonté soit nécessairement en lui, il n'en découle cependant pas qu'il opère par nécessité. Car la bonté opère par l'intermédiaire de la volonté, dans la mesure où elle en est l'objet ou la fin; mais la volonté ne se comporte pas nécessairement pour ce qui concerne la fin, bien qu'elle soit nécessaire par rapport à la fin ultime.

 

q. 3 a. 15 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quantum ad id quod in ipso Deo est, non potest attendi aliqua possibilitas, sed sola necessitas naturalis et absoluta; respectu vero creaturae potest ibi considerari possibilitas, non secundum potentiam passivam, sed secundum potentiam activam, quae non limitatur ad unum.

# 11. Quant à ce qui est en Dieu lui-même, on ne peut atteindre aucune possibilité, mais la seule nécessité naturelle et absolue; mais par rapport à la créature, on peut y considérer la possibilité, non selon la puissance passive, mais selon la puissance active qui n'est pas limitée à un seul objet.

 

q. 3 a. 15 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod si Deus hoc modo suam bonitatem negaret quod aliquid contra suam bonitatem faceret, vel in quo sua bonitas non exprimeretur, sequeretur per impossibile quod negaret se ipsum. Non autem hoc sequeretur, si etiam nulli bonitatem suam communicaret. Suae enim bonitati nihil deperiret, si communicata non esset.

# 12. Si Dieu reniait sa bonté de cette manière en faisant quelque chose contre elle, ou quelque chose en quoi sa bonté ne serait pas exprimée, il en découlerait par impossible, qu'il se renierait lui-même. Mais cette conséquence n'existerait pas, s'il ne communiquait sa bonté à personne. Car rien ne manquerait à sa bonté si elle n'était pas communiquée[22].

 

q. 3 a. 15 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet ipsum verbum Dei naturaliter a patre oriatur, non tamen oportet quod creaturae naturaliter procedant a Deo. Hoc autem modo pater verbo suo creaturas dicit sicut in ipso patre sunt; in quo quidem sunt non ut per necessitatem producendae, sed per voluntatem.

# 13. Bien que le Verbe de Dieu lui-même naisse du Père naturellement, il ne faut cependant pas que les créatures procèdent de Dieu naturellement. Par ce moyen, le Père dit les créatures à son Verbe, comme elles sont en lui. Elles n'y sont pas pour être produites par nécessité, mais par volonté.

 

q. 3 a. 15 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod communicatio bonitatis non est ultimus finis, sed ipsa divina bonitas, ex cuius amore est quod Deus eam communicare vult; non enim agit propter suam bonitatem quasi appetens quod non habet, sed quasi volens communicare quod habet: quia agit non ex appetitu finis, sed ex amore finis.

# 14. La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, mais c'est la bonté divine elle-même (qui est la fin). Par son amour Dieu veut la communiquer; car il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il désirait ce qu'il n'a pas, mais comme voulant communiquer ce qu'il a; parce qu'il agit non par désir de la fin, mais par amour de celle-ci.

 

q. 3 a. 15 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut in Deo nihil est nisi bonum, ita in eo nihil est nisi necessarium. Non tamen oportet quod quidquid est ab eo, procedat per necessitatem.

# 15. En Dieu il n'y a rien que le bien; de même en lui, il n'y a rien que le nécessaire. Il ne faut cependant pas que ce qui vient de lui procède par nécessité.

 

q. 3 a. 15 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod voluntas Dei, sicut dictum est, in corp. art., naturaliter fertur in suam bonitatem; unde non potest velle nisi id quod est ei conveniens, scilicet bonum; non tamen determinatur ad hoc vel illud bonum; et ideo non oportet quod bona quae sunt, ab eo procedant per necessitatem.

# 16. La volonté de Dieu, comme on l'a dit, dans le corps de l'article, est portée naturellement à sa bonté; c'est pourquoi il ne peut vouloir que ce qui lui convient, à savoir le bien; cependant il n'est pas déterminé à ce bien ou à celui-là et c'est pourquoi il ne faut pas que le bien qui existe procède de lui par nécessité.

 

q. 3 a. 15 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet eadem natura sit patris et filii et spiritus sancti, non tamen eumdem modum existendi habet in tribus, et dico modum existendi secundum relationem. In patre enim est ut non accepta ab alio, in filio vero ut a patre accepta; unde non oportet quod quidquid convenit patri virtute naturae suae, conveniat filio vel spiritui sancto.

 

# 17. Bien que le Père, le Fils et l'Esprit Saint soient d'une même nature, cependant elle n'a pas le même mode d'existence dans les trois; et je parle du mode d'existence selon la relation. Car dans le Père, la nature n'est pas reçue d'un autre, dans le Fils, elle est reçue du Père, c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Père par le pouvoir de sa nature, convienne au Fils et à l'Esprit Saint.

 

q. 3 a. 15 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod effectus sequitur ab actione secundum modum principii agendi; unde cum per modum intelligendi, actionis divinae principium, prout respicit creaturam, consideretur divina voluntas quae ad creaturam non habet necessariam habitudinem, non oportet quod creatura procedat a Deo per necessitatem naturae, licet ipsa actio sit Dei essentia vel natura.

# 18. L'effet procède de l'action à la manière d'un principe d'action; c'est pourquoi, comme par la manière de le comprendre, le principe de l'action divine, selon qu'il regarde la créature, est considéré comme volonté divine, qui n'a pas de relation nécessaire à la créature, il ne faut pas que la créature procède de Dieu par nécessité de nature, bien que l'action elle-même soit son essence ou sa nature.

 

q. 3 a. 15 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod creatura assimilatur Deo quantum ad generales conditiones, non autem quantum ad modum participandi. Alio enim modo, esse est in Deo et in creatura, et similiter bonitas. Unde licet a primo bono sint omnia bona, et a primo ente sint omnia entia, non tamen a summo bono sunt omnia summe bona, nec ab ente necessario sunt omnia per necessitatem.

# 19. La créature ressemble à Dieu pour les conditions générales, mais non pour la manière de participer. Car, l'être est en Dieu d'une autre manière que dans la créature, et il en est de même pour sa bonté. C'est pourquoi, bien que tous les biens viennent du premier Bien, et tous les êtres du premier Etre, tout ce qui est suprêmement bon ne vient pas du Bien suprême, et tout ce qui est par nécessité ne vient pas de l'Etre nécessaire.

 

q. 3 a. 15 ad 20 Ad vigesimum dicendum, quod voluntas Dei est eius essentia; unde hoc quod agit per voluntatem non removet quin per essentiam suam agat. Non enim est voluntas Dei aliqua intentio addita divinae essentiae, sed ipsa essentia.

# 20. La volonté de Dieu est son essence; c'est pourquoi ce qu'il fait par volonté n'empêche pas qu'il agisse par son essence. Car la volonté de Dieu n'est pas un intention ajoutée à l'essence divine, mais son essence elle-même.

 

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[1] Parall.: Ia, qu. 19, a. 4 – CG. II, 23 - I Sent. d43q2, a. 1 – d45a3 – Pot. qu. 1, a. 5.

 

[2] Thomas, lectio 1, , Thomas n° 270-271. Ce texte se trouve cité en I Sent., d43qu2a1, Ia, qu. 19, a. 1, obj. 1.

 

[3] "Ce qui est par essence est premier dans n'importe quel ordre des choses, comme dans le genre des choses ignées est premier ce qui est feu par essence." Dieu est premier agent donc il est agent par son essence qui est sa nature. Donc il n'agit par nature mais non par volonté" Ia, qu. 19, a. 4, obj. 2. L'argument est attribué à Denys en II Sent., d43q2a1, obj. 2

 

[4] Aristote, n° 282, Thomas, lectio. 5, n° 446. "Ajoutons encore que la volonté concerne surtout le but et le choix, les moyens de l'atteindre."

 

[5] "sans fin". Voir définition de l'infini en I, 2. Il ne peut y avoir confusion (voulue). la fin peut être le terme de l'être. Et donc Dieu n'a pas de fin, mais autre sens la finalité. Dieu n'est pas finalisé. C'est lui qui est la fin de tout. La confusion sera levée par la solution.

 

[6] "Tout être, disons-nous, ou bien existe toujours et nécessairement (il ne s'agit pas de la nécessité, au sens de contrainte, mais de cette nécessité à laquelle nous faisons appel dans la démonstration) ou bien est ce qui arrive le plus souvent, ou bien n'est ni ce qui arrive le plus souvent, ni ce qui est toujours et nécessairement, mais ce qui arrive n'importe comment." (Trad. J. Tricot)

 

[7] AR n° 418: "Le nécessaire est aussi le contraint et le forcé, c'est-à-dire ce qui, contre l'impulsion et le choix délibéré, fait obstacle et empêchement. (Trad. J. Tricot)

 

[8] L'objecteur démontre qu'il y a de la nécessité en Dieu:

 

a. Pas de contingence. Dieu est immuable (ce qui est contingent est ou n'est pas suivant les époques).

 

b. Il n'est pas nécessaire par contrainte.

 

c. Par de nécessité sous condition: une nécessité qui viendrait de l'extérieur. Métaphysique V, 5, 1015 b 10. "Parmi les choses nécessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur nécessité, les autres l'ont en elles-mêmes et sont les sources des nécessités des autres choses."

 

[9] Argument déjà employé en Pot. 1, 3, à propos des promesses de Dieu et de la vérité.

 

[10] "S'il se dit lui-même et dit ce qu'il fait à son Verbe consubstantiel, il est évident qu'il n'y a qu'une seule substance du verbe par lequel il se dit et du verbe par lequel il dit la créature."

 

[11] "En tout semblable et égal au Père."

 

[12] En I Sent. d43q2a1, Sed contra: il s'appuie sur Aristote. Ce qui dépend de la nécessité de la nature est un. Donc il n'y aurait qu'un effet, ce qui est faux et contraire à la foi. Autre argument: l'agent par nécessité produit un effet dans une même durée (coaevum). Donc le monde serait coéternel.

 

[13] Cette première raison est déjà développée en Pot. qu. 1, a. 5, c. Cf. CG. II, 23, § 5.

 

[14] Quelles sont ces premières créatures? Les corps célestes?

 

[15] In Thomas 135 (45), Thomas n° 204.

 

[16] Déjà exposé en Pot. 3, 13 c. Voir Ia, qu. 47, a. 1, c.

 

[17] Ce texte supporte plusieurs interprétations. Thomas lui-même l'admet Super Ioannem, lectura I, III, n° 89 , 94: les exégètes se demandent s'il faut liés quod factum est à in ipso vita erat. (Pot 5, 3 – 9, 9 – 10, 1 c – Ia, 18 3 ad 1 –Métaphysique IX, 8, 1050 a 23. lectio I n° 1862- 6. Il s'agit des idées en Dieu.

 

[18] Seules ces trois premières raisons sont reprises plus brièvement, en Ia, qu. 19, a. 4, c.

 

[19] Elle se retrouve en CG. II, 23, § 5.

 

[20] Les Noms divins, 4, 1, Thomas, n° 271: "L'être du soleil n'est pas son intellection ou son vouloir, même s'il avait un intellect et une volonté... mais l'être divin est son intellection et son vouloir, et c'est pourquoi ce qu'il fait par son être, il le fait par l'intellect et la volonté."

 

[21] Les anciens considéraient que l'infini était ce qui étymologiquement n'est pas fini. Voir question sur l'infini, Pot. Qu. 1, a. 2.

 

[22] Ia, qu. 19, a. 3, c. "La bonté de Dieu est parfaite, rien ne l'augmente. Donc il ne veut pas les créatures par nécessité absolue, mais par nécessité conditionnelle." Cf. CG. I, 81.

 

 

 

Article 16: La pluralité peut-elle procéder d'un premier être unique?

 

q. 3 a. 16 tit. 1 Decimosexto quaeritur utrum ab uno primo possit procedere multitudo. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

 

Objections.

q. 3 a. 16 arg. 1 Sicuti enim Deus est per se bonum, et per consequens summum bonum; ita est per se et summe unum. Sed ab eo in quantum est bonum, non potest procedere nisi bonum. Ergo nec ab eo procedere potest nisi unum.

1. Car de même que Dieu est bon en soi, et par conséquent le Bien suprême, de même, il est par soi souverainement un. Mais de lui en tant qu'il est bon, ne peut provenir que le bien. Donc de lui ne peut venir qu'un effet[2].

 

q. 3 a. 16 arg. 2 Praeterea, sicut bonum convertitur cum ente, ita et unum. Sed in his quae sunt entia, oportet attendi assimilationem creaturae ad Deum, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo sicut in bonitate, ita et in unitate oportet Deo creaturam assimilari, ut scilicet sit una ab uno.

2. Le bien est convertible avec l'être, l'un aussi[3]. Mais, dans ce que sont les êtres, il faut considérer la ressemblance de la créature à Dieu, comme on l'a dit ci-dessus (a. 15). Donc dans la bonté comme dans l'unité, il faut que la créature ressemble à Dieu, à savoir qu'elle soit une à partir de l'un.

 

q. 3 a. 16 arg. 3 Praeterea, sicut bonum et malum opponuntur privative, si communiter accipiantur, licet sint contraria, prout sunt habituum differentiae; ita unum et multa opponuntur privative, ut patet in X Metaph. Sed malitiam nullo modo dicimus a Deo procedere, sed ex defectu causarum secundarum eam incidere. Ergo nec debet poni quod multitudinis Deus sit causa.

 

3. Le bien et le mal sont opposés dans le particulier; si on les considère en commun, bien qu'ils soient contraires, alors ce sont des différences de manière d'être; de la même manière l'un et le multiple sont opposés[4], si on les prend dans le particulier, comme cela paraît en Métaphysique, (X, 1056 b 32[5]). Mais en aucune manière, nous disons que le mal procède de Dieu, mais il vient de la défaillance des causes secondes. Donc on ne doit pas penser que Dieu soit la cause de la pluralité.

 

q. 3 a. 16 arg. 4 Praeterea, oportet proportionaliter accipere causas et causata, quia videlicet singularia sunt causa singularium, et universalia universalium, ut patet per philosophum. Sed Deus est causa maxime universalis. Ergo suus proprius effectus est effectus maxime universalis, scilicet esse. Sed ex hoc quod res habent esse non est multitudo, cum multitudinis sit causa diversitas vel differentia. In esse vero omnia conveniunt. Ergo multitudo non est a Deo; sed ex causis secundis, ex quibus causantur particulares rerum conditiones, secundum quas etiam differunt.

 

4. Il faut concevoir les causes proportionnellement à leurs effets, parce qu'il est évident que les singuliers sont causes des singuliers et les universels causes des universels, comme cela paraît chez le Philosophe (Physique, II, 3, 195 b 25[6]). Mais Dieu est la cause absolument universelle. Donc son effet propre est l'effet le plus universel, à savoir l'être. Mais le fait d'avoir l'être pour les choses, ce n'est pas la pluralité, puisque la diversité ou la différence en sont la cause. Mais tout se rencontre dans l'être. Donc la pluralité ne vient pas de Dieu, mais des causes secondes, qui établissent les conditions particulières des choses, selon lesquelles elles diffèrent.

 

q. 3 a. 16 arg. 5 Praeterea, uniuscuiusque effectus est aliquam propriam causam accipere. Sed impossibile est unum esse proprium multorum. Ergo impossibile est quod unum sit causa multitudinis.

5. Le propre de chaque effet est d'accueillir une cause qui lui est particulière. Mais il est impossible que l'un soit le propre du multiple. Donc il est impossible que l'un soit la cause de la pluralité.

 

q. 3 a. 16 arg. 6 Sed dices, quod hoc tenet in causis naturalibus, non in causis voluntariis.- Sed contra, artifex est causa artifici per voluntatem. Procedit autem artificiatum ab artifice secundum propriam formam illius artificiati, quae est in artifice. Ergo etiam in voluntariis effectus quilibet requirit propriam causam.

6. Mais on pourrait dire que cela arrive dans les causes naturelles, mais pas dans les causes volontaires.– En sens contraire, l'artisan est la cause de son oeuvre par volonté. L'oeuvre procède de l'artisan selon la forme propre de cet art qui est en lui. Donc, même dans ce qui est volontaire, un effet quelconque requiert sa cause propre.

 

q. 3 a. 16 arg. 7 Praeterea, oportet esse conformitatem inter causam et effectum. Sed Deus est omnino unus et simplex. Ergo in creatura, quae est eius effectus, nec multitudo nec compositio debet inveniri.

7. Il faut une conformité entre la cause et l'effet. Mais Dieu est tout à fait un et simple. Donc, dans la créature, qui est son effet, on ne doit trouver ni pluralité, ni composition.

 

q. 3 a. 16 arg. 8 Praeterea, diversorum agentium non potest esse idem effectus immediate. Sed sicut causa appropriatur effectui, ita effectus causae. Ergo nec eiusdem causae possunt esse plures immediate effectus; et sic idem quod prius.

8. Il ne peut y avoir directement un effet identique qui vient d'agents divers. Mais de même que la cause est appropriée à l'effet, l'effet l'est aussi à la cause. Donc plusieurs effets ne peuvent venir directement de la même cause, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 16 arg. 9 Praeterea, in Deo est eadem potentia generandi, spirandi et creandi. Sed potentia generandi non est nisi ad unum, similiter nec potentia spirandi: quia in Trinitate non potest esse nisi unus filius et unus spiritus sanctus. Ergo et potentia creandi terminatur tantum ad unum.

9. En Dieu, il y a une même puissance pour engendrer, spirer et créer. Mais la puissance d'engendrer n'est que pour un seul, de même pour la puissance de spirer: parce que, dans la Trinité, il ne peut y avoir qu'un Fils unique et un seul Esprit Saint. Donc la puissance de créer s'achève à l'un seulement.

 

q. 3 a. 16 arg. 10 Sed dices, quod universitas creaturarum est quodammodo unum secundum ordinem. Sed contra, effectum oportet assimilari causae. Sed unitas Dei non est unitas ordinis, quia in Deo non est prius nec posterius, nec superius et inferius. Ergo non sufficit unitas ordinis ad hoc quod ab uno Deo plura possint educi.

 

10. Mais on pourrait dire que l'universalité des créatures est d'une certaine manière l'un en son ordre.– En sens contraire, il faut que l'effet ressemble à la cause. Mais l'unité de Dieu n'est pas une unité d'ordre, parce qu'en lui, il n'y a ni avant ni après, ni supérieur ni inférieur. Donc l'unité de l'ordre ne suffit pas pour que du Dieu unique puisse sortir une pluralité.

 

q. 3 a. 16 arg. 11 Praeterea, unius simplicis non est nisi una actio. Sed ab una actione non est nisi unus effectus. Ergo ab uno simplici non potest procedere nisi unus effectus.

11. De l'un absolu ne découle qu'une action. Mais par une action, il n'y a qu'un seul effet. Donc de ce qui est un et simple ne peut procéder qu'un seul effet.

 

q. 3 a. 16 arg. 12 Praeterea, creatura procedit a Deo, non solum sicut effectus a causa efficiente, sed etiam sicut exemplatum ab exemplari. Sed unius exemplati est unum exemplar proprium. Ergo a Deo non potest procedere nisi una creatura.

12. La créature procède de Dieu, non seulement comme l'effet de la cause efficiente, mais aussi comme l'image de l'exemplaire[7]. Mais pour une seule image, il n'y a qu'un seul modèle propre. Donc de Dieu ne peut procéder qu'une créature.

 

q. 3 a. 16 arg. 13 Praeterea, Deus est causa rerum per intellectum. Agens autem per intellectum agit per formam sui intellectus. Cum igitur in divino intellectu non sit nisi una forma, videtur quod ab eo non possit procedere nisi una creatura.

13. Dieu est la cause des créatures par son esprit[8]. Mais l'agent qui agit par l'intellect agit par la forme de celui-ci. Donc comme dans l'intellect divin, il n'y a qu'une forme unique, il semble que de lui ne peut procéder qu'une seule créature.

 

q. 3 a. 16 arg. 14 Sed dices, quod licet forma divini intellectus sit una secundum rem, quae est eius essentia, tamen attenditur ibi quaedam pluralitas secundum diversos respectus ad creaturas diversas; et sic est ibi pluralitas rationis. Sed contra, aut isti respectus plures sunt in intellectu divino, aut sunt solum in ratione nostra. Si primo modo, ergo sequitur quod in intellectu divino erit pluralitas et non summa simplicitas. Si secundo modo, sequitur quod Deus non producat creaturas diversas nisi mediante ratione nostra: ex quo oportet quod diversas creaturas producat per diversos respectus ad creaturas qui non sunt nisi in ratione nostra; et sic habetur propositum, scilicet quod a Deo immediate non procedat multitudo.

 

14. Mais on pourrait dire que, bien que la forme de l'intellect divin qui est son essence, soit unique en réalité, cependant on atteint là une certaine pluralité selon les rapports divers avec des créatures diverses; et ainsi il y a une pluralité de raison. – En sens contraire, ces relations sont plusieurs dans l'esprit divin, ou bien elles sont seulement en notre raison. Dans le premier cas, il découle donc que, dans l'esprit divin, il y aura une pluralité et non une totale simplicité. Dans le second, il en découle que Dieu ne produit des créatures différentes que par l'intermédiaire de notre raison; à partir de là, il faut qu'il produise diverses créatures par divers rapports aux créatures qui ne sont que dans notre raison; et ainsi on a cette affirmation que la pluralité ne procède pas directement de Dieu.

 

q. 3 a. 16 arg. 15 Praeterea, Deus per apprehensionem intellectus sui res in esse producit. Sed in eo non est nisi una apprehensio: quia suus intellectus est eius essentia, quae est una. Ergo non producit nisi unam creaturam.

15. Dieu par la saisie de son esprit amène les choses à l'être. Mais en lui il n'y a qu'une seule saisie, parce que son esprit est son essence, qui est une. Donc il ne produit qu'une unique créature.

 

q. 3 a. 16 arg. 16 Praeterea, illud quod non habet esse nisi in ratione, non est creatum a Deo: quia huiusmodi videntur esse quaedam vana, ut Chimaera, et huiusmodi. Sed multitudo non est nisi in ratione: significatur enim per abstractionem a multis quod in rerum natura non invenitur. Ergo Deus non est causa multitudinis.

16. Ce qui n'a l'être qu'en raison n'a pas été créé par Dieu; parce que certains êtres de ce genre paraissent vains comme la chimère, etc.. Mais la pluralité n'existe qu'en raison; car elle est signifiée par l'abstraction à partir d'une multiplicité qu'on ne trouve pas dans la nature. Donc Dieu n'en est pas la cause.

 

q. 3 a. 16 arg. 17 Praeterea, secundum Platonem, optimi est optima adducere. Sed optimum non potest esse nisi unum. Cum igitur Deus sit optimus, ab eo non potest produci nisi unum.

17. Selon Platon (Le Timée), c'est au meilleur de causer le meilleur. Mais le meilleur ne peut être qu'unique. Donc comme Dieu est le meilleur, il n'y a qu'un être qui puisse être produit par lui.

 

q. 3 a. 16 arg. 18 Praeterea, unusquisque agens propter finem, facit effectum suum propinquiorem fini quantum potest. Sed Deus producendo creaturam ordinat eam in finem. Ergo facit eam propinquissimam fini quantum potest. Sed hoc non potest nisi uno modo fieri. Ergo Deus non producit nisi unam creaturam.

18. Celui qui agit pour une fin, produit son effet le plus proche qu'il peut de cette fin. Mais Dieu, en produisant la créature, l'ordonne à sa fin. Donc il la crée la plus proche qu'il peut de la fin. Mais ce ne peut être fait que d'une seule manière. Donc Dieu ne produit qu'une créature.

 

q. 3 a. 16 arg. 19 Praeterea, iniustum est quod aliquis inaequalia aliquibus tribuat, nisi aliqua inaequalitate circa eos praecedente, vel meritorum, vel quarumcumque conditionum diversarum. Sed operationem divinam non praecedit aliqua diversitas; alias ipse non esset prima causa omnium. Ergo in prima rerum creatione non dedit creaturis inaequalia dona. Sed diversitas creaturarum et multitudo attenditur secundum hoc quod plus vel minus recipiunt de donis divinis, ut patet in IV cap. Cael. Hierar. Ergo in prima rerum creatione Deus multitudinem non produxit.

19. Il est injuste d'attribuer des dons inégaux à certains, sinon à cause d'une inégalité qui précède les mérites ou de diverses conditions. Mais il n'y a pas de diversité qui précède l'opération divine, autrement il ne serait pas la cause première de tout. Donc dans la première création, il n'a pas fait de dons inégaux aux créatures. Mais la diversité des créatures et la pluralité sont atteintes selon ce qu'elles reçoivent en plus ou en moins, comme cela paraît au chapitre 4 de La hiérarchie céleste (P.G. 177 c). Donc dans la première création, Dieu n'a pas produit la pluralité.

 

q. 3 a. 16 arg. 20 Praeterea, Deus creaturis communicat suam bonitatem quantum capaces sunt. Sed natura superiorum creaturarum capax fuit huiusmodi perfectionis et dignitatis, ut essent causae inferiorum creaturarum. Id enim quod est perfectius, potest agere in id quod est eo imperfectius, et communicare ei suam perfectionem. Ergo videtur quod Deus creaturas inferiores mediantibus superioribus produxit; et ita ipse immediate non produxit nisi unam creaturam aliis superiorem, quaecumque sit illa.

 

20. Dieu communique sa bonté à ses créatures autant qu'elles sont capables [de la recevoir]. Mais la nature des créatures supérieures a été capable d'une telle perfection et d'une telle dignité, d'être cause des créatures inférieures. Car ce qui est plus parfait peut agir sur ce qui l'est moins que lui et lui communiquer sa perfection. Donc il semble que Dieu a produit les créatures inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures, et ainsi lui-même n'a produit immédiatement qu'un seule créature supérieure aux autres, quelle qu'elle soit[9].

 

q. 3 a. 16 arg. 21 Praeterea, quanto aliquae formae sunt magis immateriales, tanto sunt magis activae, utpote magis a potentia separatae; unumquodque enim agit secundum quod est in actu, non secundum quod est in potentia. Sed formae rerum quae sunt in mente Angeli, sunt magis immateriales quam formae quae sunt in rebus naturalibus. Cum ergo formae naturales sint causae formarum sibi similium, videtur quod multo fortius formae quae sunt in mente Angeli, produxerint formas rerum naturalium sibi similes. Diversitas autem rerum, et per consequens multitudo, est ex forma. Ergo videtur quod multitudo non processerit a Deo nisi mediantibus superioribus creaturis.

 

21. Plus certaines formes sont immatérielles, plus elles sont actives, comme plus éloignées de la puissance. Car chacune agit selon qu'elle est en acte, non selon qu'elle est en puissance. Mais les formes des choses qui sont dans l'esprit de l'ange sont plus immatérielles que celles qui sont dans les choses naturelles. Donc comme les formes naturelles sont causes de formes qui leur sont semblables, il semble que celles qui sont dans l'esprit de l'ange ont avec plus de force produit les formes naturelles qui leur sont semblables. Mais la diversité des choses et par conséquent la pluralité, vient de la forme. Donc il semble que la pluralité n'a procédé de Dieu que par l'intermédiaire des créatures supérieures.

 

q. 3 a. 16 arg. 22 Praeterea, quidquid Deus facit, est unum. Ergo ab eo non est nisi unum; et ita ipse non erit causa multitudinis.

22. Tout ce que Dieu fait est un. Donc, de lui, ne vient que l'un et ainsi il ne sera pas cause de la pluralité.

 

q. 3 a. 16 arg. 23 Praeterea, Deus non intelligit nisi unum: quia nihil intelligit extra se, ut probatur in XII Metaph. Sed ipse est causa rerum per intellectum suum. Ergo ipse non causat nisi unum.

 

23. Dieu n'a qu'une pensée, parce qu'il ne pense rien hors de lui, comme on le prouve en Métaphysique,(XII, 9, 1074 b 34[10]). Mais lui-même est cause des créatures par son esprit. Donc il n'est cause que d'une (créature).

 

q. 3 a. 16 arg. 24 Praeterea, Anselmus dicit, quod creatura in Deo est creatrix essentia. Sed creatrix essentia est tantum una. Ergo et creatura in Deo est tantum una. Sed hoc modo creatur creatura a Deo secundum quod in ipso praecessit. Ergo a Deo non est nisi una tantum creatura; et sic a Deo non procedit multitudo.

24. Anselme (Monologium ch. VIII) dit que l'essence créatrice est créature en Dieu[11]. Mais elle n'est qu'une. Donc la créature aussi est seulement une en Dieu. Mais de cette manière, la créature est causée par Dieu selon qu'elle existe auparavant en lui. Donc par Dieu il n'y a qu'une seule créature. Et ainsi la pluralité ne procède pas de Dieu.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 16 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sapient. cap. XI, 21: omnia in numero et pondere et mensura disposuisti, domine. Sed numerus non est sine multitudine. Ergo a Deo procedit multitudo.

1. On lit en Sg. 11, 21: "Tu as tout disposé, Seigneur, en nombre, poids et mesure." Mais il n'y a pas de nombre sans pluralité. Donc celle-ci procède de Dieu.

 

q. 3 a. 16 s. c. 2 Praeterea, virtus Dei praecedit virtutem cuiuslibet alterius rei. Sed unum punctum potest esse principium multarum linearum. Ergo sic Deus, quamvis sit unus, potest esse principium creaturarum multarum.

2. Le pouvoir de Dieu précède celui de n'importe quelle chose. Mais un seul point peut être le principe de nombreuses lignes. Donc, quoique Dieu soit un, il peut être le principe de nombreuses créatures.

 

q. 3 a. 16 s. c. 3 Praeterea, illud quod est proprium uni in quantum est unum, maxime competit ei quod est maxime unum. Sed proprium est unitatis quod sit multitudinis principium. Ergo hoc maxime competit Deo quod est summe unum, quod ab eo multitudo procedat.

3. Ce qui est propre à une chose, en tant qu'unité, convient tout à fait à ce qui est tout à fait un. Mais le propre de l'unité est d'être le principe de la pluralité. Donc il convient parfaitement à Dieu d'être l'Un suprême, parce que de lui procède la multiplicité.

 

q. 3 a. 16 s. c. 4 Praeterea, Boetius dicit in principio arithmeticae, quod secundum exemplar numeri Deus res in esse produxit. Sed exemplatum exemplari conformatur. Ergo produxit res sub multitudine et numero.

4. Boèce dit au début de l'Arithmétique (ch. 2), que Dieu a amené les choses à l'être selon l'exemplaire du nombre. Mais l'image est conforme à l'exemplaire. Donc il a produit les choses sous la pluralité et le nombre.

 

q. 3 a. 16 s. c. 5 Praeterea, in Psal. CIII, 24, dicitur: omnia in sapientia fecisti. Sed cum sapientis sit ordinare, oportet ea quae per sapientiam fiunt, ordinem habere, et per consequens multitudinem. Ergo rerum multitudo a Deo processit.

5. Dans le Ps. 103, 24, on dit: "Tu as tout fait avec sagesse". Mais comme le propre de la sagesse c'est d'ordonner, il faut que ce qui est fait avec sagesse, ait l'ordre et par conséquent la pluralité. Donc celle-ci provient de Dieu.

 

Réponse:

q. 3 a. 16 co Respondeo. Dicendum, quod multa non posse procedere ab uno principio immediate et proprie, videtur esse ex determinatione causae ad effectum, ex qua videtur debitum et necessarium ut si est talis causa, talis effectus proveniat. Causae autem sunt quatuor, quarum duae, scilicet materia et efficiens, praecedunt causatum, secundum esse internum; finis vero etsi non secundum esse, tamen secundum intentionem; forma vero neutro modo, secundum quod est forma; quia cum per eam causatum esse habeat, esse eius simul est cum esse causati; sed in quantum etiam ipsa est finis, praecedit in intentione agentis. Et quamvis forma sit finis operationis, ad quem operatio agentis terminatur, non tamen omnis finis est forma. Est enim aliquis finis intentionis praeter finem operationis, ut patet in domo. Nam forma eius est finis terminans operationem aedificatoris; non tamen ibi terminatur intentio eius, sed ad ulteriorem finem, quae est habitatio; ut sic dicatur, quod finis operationis est forma domus, intentionis vero habitatio.

Que beaucoup de choses ne puissent procéder d'un seul principe immédiatement et en propre, cela semble venir de la limitation de la cause par l'effet; par elle il semble nécessaire que, s'il y a telle cause, il en provienne tel effet. Les causes sont au nombre de quatre, dont deux, c'est-à-dire la cause matérielle et la cause efficiente, précèdent l'effet selon l'être interne. Mais la fin, même si elle ne concerne pas l'être, concerne l'intention; la forme (ne la concerne) en aucune manière, en tant que telle, parce que, comme l'être est causé par elle, elle existe en même temps que l'être de l'effet; mais dans la mesure même où elle-même est la fin, elle est avant dans l'intention de l'agent. Et quoique la forme soit la fin de l'opération, à laquelle celle de l'agent se termine, toute fin n'est pas une forme. Car il y a une fin de l'intention au delà de la fin de l'opération, comme cela paraît dans une maison. Car sa forme est la fin qui termine l'opération du bâtisseur; cependant son intention ne se termine pas là, mais à une fin ultérieure qui est l'habitation; de sorte qu'on dit que la fin de l'opération est la forme de la maison, mais celle de son intention c'est l'habitation.

 

Debitum igitur essendi tale causatum non potest esse ex forma in quantum est forma, quia sic concomitatur causatum; sed vel ex virtute causae efficientis, vel ex materia vel ex fine, sive sit finis intentionis, sive finis operationis. Non potest autem dici in Deo, quod effectus eius habeat debitum essendi ex materia. Nam cum ipse sit totius esse auctor, nihil quolibet modo esse habens praesupponitur eius actioni, ut sic ex dispositione materiae necesse sit dicere talem vel talem eius esse effectum. Similiter nec ex potentia effectiva. Nam cum eius activa potentia sit infinita, non terminatur ad unum nisi ad id quod esset aequale sibi, quod nulli effectui competere potest.

 

Un tel effet nécessaire de l'être ne peut venir de la forme en tant que telle, parce que, ainsi, elle accompagne l'effet; mais [il peut venir] du pouvoir de la cause efficiente, de la matière ou de la fin, soit que ce soit la fin de l'intention ou la fin de l'opération. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu son effet a un dû d'être de la matière[12]. En effet, comme lui-même est auteur de tout l'être, rien ayant l'être de quelque manière n'est présupposé à son action, de sorte qu'ainsi, par la disposition de la matière, il soit nécessaire de dire que son effet est tel ou tel. De la même manière, il ne peut venir de la puissance effective (efficiente) non plus. Car comme sa puissance active est infinie, elle ne se termine à l'un que pour ce qui lui serait égal, ce qui ne peut convenir à aucun effet.

 

Unde, si inferiorem sibi effectum producere sit necesse, potentia sua, quantum in se est, non terminatur ad hunc vel illum distantiae gradum, ut sic debitum sit ex ipsa virtute activa talem vel talem effectum produci.

C'est pourquoi, s'il est nécessaire de produire un effet qui lui soit inférieur, sa puissance, pour ce qui est d'elle, ne se finit pas à telle ou telle distance, de sorte à être obligée de produire tel ou tel effet. par son pouvoir actif.

 

Similiter nec ex fine intentionis. Hic enim finis est divina bonitas, cui nihil accrescit ex effectuum productione. Nec iterum per effectus potest totaliter repraesentari vel eis totaliter communicari, ut sic possit dici, quod debitum sit talem vel talem Dei effectum esse, ut totaliter divinam bonitatem participet, sed possibile est effectum multis modis eam participare; unde nullius eorum necessitas est ex fine. Sic ex fine necessitas sumitur, quando intentio finis compleri non potest vel omnino, vel inconvenienter, nisi hoc vel illo existente.

 

De la même manière, cela ne vient pas de la fin intentionnelle. Car cette fin est la bonté divine qui n'est en rien accrue par la production des effets. Et en plus par les effets il ne peut être représenté totalement ou communiqué totalement à eux, de sorte qu'on puisse dire qu'il est nécessaire qu'il y ait tel ou tel effet pour recevoir en totalité la bonté divine, mais il est possible que l'effet la reçoive de nombreuses manières. C'est pourquoi la nécessité d'aucun d'eux ne vient de la fin. Ainsi la nécessité vient de la fin quand son intention ne peut être accomplie, ou totalement ou d'une manière inconvenante, que par l'existence de ceci ou cela.

 

Relinquitur igitur quod debitum in operibus divinis esse non potest nisi ex forma, quae est finis operationis. Ipsa enim cum non sit infinita, habet determinata principia, sine quibus esse non potest; et determinatum modum essendi, ut si dicamus, quod supposito quod Deus intendat hominem facere, necessarium est et debitum quod animam rationalem ei conferat et corpus organicum, sine quibus homo esse non potest. Et similiter possumus dicere in universo. Quod enim Deus tale universum constituere voluerit, non est necessarium neque debitum, neque ex fine neque ex potentia efficientis, neque materiae, ut ostensum est.

 

Il reste donc que ce qui est dû dans les oeuvres divines ne peut exister que de la forme qui est la fin de l'opération. En effet, comme elle n'est pas infinie, elle possède des principes déterminés, sans lesquels elle ne peut exister; et un mode déterminé d'être, comme si on disait que, supposé que Dieu ait l'intention de faire un homme, il doit nécessairement lui conférer un dû qui est l'âme rationnelle et un corps organique sans lesquels il ne peut pas exister. Et nous pouvons dire la même chose pour l'univers. Car que Dieu ait voulu constituer une tel univers, ce n'est ni nécessaire ni dû à cause de la fin, de la puissance de l'efficience, ni de celle de la matière, comme on l'a montré.

 

Sed supposito quod tale universum producere voluerit, necessarium fuit quod tales et tales creaturas produxerit, ex quibus talis forma universi consurgeret. Et cum ipsa universi perfectio et multitudinem et diversitatem rerum requirat, quia in una earum inveniri non potest propter recessum a complemento bonitatis primae; necesse fuit ex suppositione formae intentae quod Deus multas creaturas et diversas produceret; quasdam simplices, quasdam compositas; et quasdam corruptibiles, et quasdam incorruptibiles.

 

Mais supposé qu'il ait voulu produire une tel univers, il lui a été nécessaire de produire telles ou telles créatures, desquelles surgirait une telle forme de l'univers. Et comme la perfection de l'univers demande la pluralité et la diversité des créatures, parce qu'elle ne peut pas y être trouvée dans l'une de ces créatures seulement, parce qu'elle est loin de la perfection de la bonté première, il a été nécessaire, en supposant cette forme recherchée, que Dieu produise des créatures nombreuses et diverses, certaines simples, d'autres composées, certaines corruptibles, d'autres incorruptibles.

 

Hoc autem quidam philosophi non considerantes, diversimode a veritate deviaverunt.

Certains philosophes[13], qui n'ont pas pris en compte ces considérations, ont dévié de la vérité de diverses manières.

 

Quidam namque non intelligentes Deum universi esse auctorem, posuerunt materiam non ab alio existentem, et ex eius necessitate rerum diversitatem produci, vel secundum raritatem vel secundum spissitudinem materiae res diversificantes, ut antiquissimi naturalium philosophorum, qui tantum causam materialem perceperunt; vel secundum actionem alicuius causae efficientis, quae secundum diversitatem materiae diversos effectus producebat, sicut Anaxagoras posuit intellectum divinum, qui diversas res producebat, eas a commixtione materiae segregando, et sicut Empedocles, qui per amicitiam et litem, secundum diversitatem materiae diversos effectus vario modo distinctos vel coniunctos ponebat.

 

A) Car certains ne comprenant pas que Dieu est l'auteur de l'univers ont pensé que la matière n'existait pas par un autre (que lui[14]), que la diversité des créatures était produite par sa nécessité, qu'ils n'apportaient la diversification selon la rareté ou la densité de la matière, comme les plus anciens des philosophes Naturalistes qui n'ont découvert que la cause matérielle, ou selon l'action d'une cause efficiente qui, selon la diversité de la matière, produisait des effets divers, comme Anaxagore qui a pensé que l'esprit divin produisait diverses choses, en extrayant ce qui était mélange dans la matière; et comme Empédocle qui pensait que par l'amitié et le procès, il y avait, selon la diversité de la matière, divers effets distincts ou conjoints sous un mode varié.

 

Quorum falsitas apparet ex duobus.

Leur erreur apparaît de deux manières.:

 

Primo ex hoc quod non ponebant omne esse a primo et summo ente effluere, quod in alia quaestione est ostensum.

 

a) Du fait qu'ils ne pensaient pas que tout être découle de l'être premier et suprême, ce qui a été montré dans une autre question.

 

Secundo, quia secundum eos sequebatur quod partium universi distinctio et earum ordo essent a casu; quia sic necesse erat propter materiae necessitatem.

 

b) Parce que, selon eux, il en découlait que la distinction des parties de l'univers et leur ordre venaient du hasard, et parce qu'il était nécessaire à cause de la nécessité de la matière.

 

Alii pluralitatem rerum et modos diversos earum ex necessitate causae efficientis ponebant, sicut Avicenna, et eius sequaces. Posuit enim, quod primum ens, in quantum intelligit se ipsum, producit unum tantum causatum, quod est intelligentia prima, quam necesse erat a simplicitate primi entis deficere, utpote in quantum potentialitas incepit admisceri actui, in quantum esse recipiens ab alio non est suum esse, sed quodammodo potentia ad illud. Et sic in quantum intelligit primum ens, procedit ab ea alia intelligentia ea inferior, in quantum vero intelligit potentiam suam procedit ab ea corpus caeli, quod movet; in quantum vero intelligit actum suum, procedit ab ea anima caeli primi; et sic consequenter multiplicantur per multa media res diversae.

 

B) D'autres ont pensé que la pluralité des choses et leurs modes divers venaient de la nécessité de la cause efficiente, comme Avicenne (Métaphysique, tr. IX, c. 4[15]) et ses successeurs. Car il a pensé que l'être premier, en tant qu'il se pense (intelligit) lui-même, produit seul un effet qui est l'Intelligence première, il était nécessaire qu'elle manque de la simplicité du premier être, vu que, autant la potentialité commence à être mêlée à l'acte, autant l'être qui reçoit d'un autre n'est pas son être propre, mais d'une certaine manière puissance pour lui[16]. Et ainsi dans la mesure où le premier être pense (intelligit), il en découle une autre intelligence qui lui est inférieure, mais dans cette mesure où elle pense sa puissance, le corps céleste qu'elle meut, procède d'elle dans la mesure où elle pense son acte, l' âme du premier ciel procède d'elle et par conséquent, les diverses choses sont multipliées par les nombreux intermédiaires.

 

Sed haec etiam positio stare non potest. Primo, quia ponit potentiam divinam terminari ad unum effectum, qui est intelligentia prima. Secundo, quia ponit alias substantias praeter Deum esse aliarum creatrices, quod esse impossibile in alia quaestione, art. 4, ostensum est. Sequitur etiam ad hanc positionem, sicut et ad primas, quod decor ordinis universi sit casualis, ex quo rerum diversitatem non adscribit intentioni finis, sed terminationi potentiarum activarum ad suos effectus.

 

Mais même cette position n'est pas valable non plus. D'abord, parce qu'il pense que la puissance divine se termine à un seul effet, qui est l'intelligence première. Deuxièmement, parce qu'il pense que des substances autres de Dieu sont créatrices d'autres êtres, ce qui est impossible, on l'a montré dans une autre question, article 4. Il découle aussi de cette opinion comme pour les premières, que la beauté de l'ordre universel serait due au hasard; par là, il n'ajoute pas la diversité des choses en vue de leur fin, mais au terme des puissances actives pour leurs effets.

 

Alii vero circa debitum causae finalis erraverunt, sicut Plato, et eius sequaces. Posuit enim quod bonitati Dei ab eo intellectae et amatae debitum esset tale universum producere, ut sic optimus optimum produceret. Quod quidem potest esse verum, si solum quantum ad ea quae sunt respiciamus; non autem si respiciamus ad ea quae esse possunt. Hoc enim universum est optimum eorum quae sunt; et quod sit sic optimum, ex summa Dei bonitate habet. Non tamen bonitas Dei est ita obligata huic universo quin melius vel minus bonum aliud universum facere potuisset.

 

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C) D'autres se sont trompés à propos de la nécessité de la cause finale, comme Platon, et ses successeurs. Car il a pensé qu'il serait nécessaire à la bonté de Dieu, comprise et aimée par lui, de produire un tel univers, pour qu'ainsi le meilleur produise le meilleur. Ce qui peut être vrai, si seulement nous regardons ce qui est, mais non pas si nous regardons ce qui peut être. Car cet univers est le meilleur de ceux qui existent, et qu'il soit ainsi le meilleur, il le tient de la suprême bonté de Dieu. Cependant celle-ci n'a pas été liée à cet univers de sorte qu'elle aurait pu faire un autre univers meilleur ou moins bon.

 

Quidam etiam debitum causae formalis non attendentes, sed solum debitum divinae bonitatis, erraverunt, sicut Manichaei; qui cum considerarent Deum esse optimum, crediderunt a Deo esse tantum illas creaturas quae inter alias sunt optimae, scilicet spirituales et incorruptibiles; corporalia vero et corruptibilia alteri attribuerunt principio.

 

Ex simili etiam fonte prodiit Origenis error, licet huic contrarius. Consideravit enim Deum esse optimum et iustum; unde ab ipso primo fuisse conditas optimas creaturarum solas et aequales existimavit, scilicet rationales creaturas; quibus ex libero arbitrio diversimode operantibus in bonum vel in malum, consecutum esse dicebat ut diversi gradus rerum in universo constituerentur, dicens: illas rationales creaturas quae ad Deum conversae sunt, in angelicam dignitatem esse promotas, et secundum diversos ordines, prout magis et minus meruerunt; e contrario vero ceteras rationales quae per liberum arbitrium peccaverunt, in inferiora dicit esse prolapsas, et corporibus alligatas; quasdam quidem soli, lunae et stellis, quae minus peccaverunt; quasdam vero corporibus hominum; quasdam in Daemones esse conversas.

 

D) D'autres qui ne font pas attention à ce qui est nécessaire à la cause formelle, mais seulement à ce qui est nécessaire à la divine bonté, se sont trompés, comme les Manichéens. Comme ils considéraient que Dieu était le meilleur, ils ont cru que venaient de lui seulement ces créatures, qui sont les meilleures parmi les autres, c'est-à-dire, les créatures spirituelles et incorruptibles; mais ils attribuèrent les créatures corporelles et corruptibles à un autre principe.

 

Et c'est de la même source que provient l'erreur d'Origène (Peri archon, I, 7 et 8) bien qu'elle leur soit contraire. Car il a considéré que Dieu était le meilleur et juste; c'est pourquoi, il pensa que d'abord seules les meilleures des créatures ont été créées, par lui d'abord seules et égales c'est-à-dire les créatures rationnelles. Celles-ci ayant opéré suivant leur libre arbitre de différentes manières en bien ou en mal, il disait qu'il en découlait que divers degrés étaient constitués dans l'univers, ajoutant: ces créatures rationnelles qui se sont tournées vers Dieu, ont été promues à la dignité d'ange, en différents ordres, selon qu'elles méritèrent plus ou moins; il dit qu'à l'inverse les autres créatures rationnelles qui péchèrent suivant leur libre arbitre, ont glissé dans les créatures inférieures et ont été liées à des corps; quelques-unes au soleil, à la lune et aux étoiles, celles qui péchèrent moins; quelques-unes aux corps des hommes, certaines ont été transformées en démons.

 

Uterque enim error ordinem universi praeterire videtur in sua consideratione, considerando tantummodo singulas partes eius. Ex ipso enim ordine universi potuisset eius ratio apparere, quod ab uno principio, nulla meritorum differentia praecedente, oportuit diversos gradus creaturarum institui, ad hoc quod universum esset complementum (repraesentante universo per multiplices et varios modos creaturarum quod in divina bonitate simpliciter et indistincte praeexistit) sicut et ipsa perfectio domus et humani corporis diversitatem partium requirit. Neutrum autem eorum esset completum si omnes partes unius conditionis existerent; sicut si omnes partes humani corporis essent oculus, aliarum enim partium deessent officia. Et similiter si omnes partes domus essent tectum, domus complementum et finem suum non consequeretur, ut scilicet ab imbribus et caumatibus defendere posset.

 

Les deux erreurs, dans leur considération, semblent détruire l'ordre de l'univers, en ne tenant compte que de ses parties particulières. Car la raison de l'univers peut apparaître de son ordre même: d'un principe unique sans différence antérieure de mérites, il fallut instituer différents degrés de créatures, pour que l'univers soit une perfection (l'univers représentant les modes multiples et variées des créatures, ce qui existe de façon simple et sans distinction, dans la bonté divine); de même que la perfection de la maison et celle du corps humain a besoin de la diversité de ses parties. Mais ni l'un ni l'autre ne seraient complets, si toutes les parties existaient sous un seul état; ainsi si tous les organes du corps humain étaient l'oeil, le rôle des autres parties manquerait. Et semblablement si toutes les parties de la maison étaient le toit, la maison ne serait pas complète et n'atteindrait pas sa fin pour, par exemple, pouvoir protéger des pluies et de la forte chaleur.

 

Sic igitur dicendum est, quod ab uno primo multitudo et diversitas creaturarum processit, non propter materiae necessitatem, nec propter potentiae limitationem, nec propter bonitatem, nec propter bonitatis obligationem; sed ex ordine sapientiae, ut in diversitate creaturarum perfectio consisteret universi.

Ainsi donc il faut dire que la pluralité et la diversité des créatures a procédé d'un seul être premier, non à cause de la nécessité de la matière, de la limitation de sa puissance, ni de sa bonté, ni de l'obligation de sa bonté, mais de l'ordre de la sagesse, pour que la perfection de l'univers consiste dans la diversité des créatures.

 

Solutions:

q. 3 a. 16 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Deus est unus, ita et unum produxit, non solum quia unumquodque in se est unum, sed etiam quia omnia quodammodo sunt unum perfectum, quae quidem unitas diversitatem partium requirit, ut ostensum est.

# 1. De même que Dieu est un, de même, il a produit l'un, non seulement parce que chacun en soi est un, mais encore, parce que tout d'une certaine manière est unité parfaite qui requiert la diversité des parties, comme on l'a montré[17].

 

q. 3 a. 16 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatura assimilatur Deo in unitate, in quantum unaquaeque in se una est, et in quantum omnes unum sunt unitate ordinis, ut dictum est.

# 2. La créature ressemble à Dieu dans l'unité, dans la mesure où chaque chose est une en soi, et où toutes sont unes par l'unité de nature, comme on l'a dit.

 

q. 3 a. 16 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malitia totaliter in non esse consistit; multitudo autem causatur ex ente. Ipsa enim differentia, per quam entia dividuntur ad invicem, quoddam ens est. Unde Deus non est auctor tendendi ad non esse, sed est omnis esse auctor; non est principium malitiae sed est principium multitudinis. Sciendum autem, quod duplex est unum;

# 3. le mal[18] consiste totalement dans le non être. Mais la pluralité est causée à partir de l'être. Car la différence même par laquelle les êtres sont divisés entre eux, est un certain être. C'est pourquoi, Dieu n'est pas le créateur de ce qui tend au non-être mais le créateur de tout être. Il n'est pas le principe du mal, mais celui de la pluralité. Mais il faut savoir que l'un est double:

 

quoddam scilicet quod convertitur cum ente, quod nihil addit supra ens nisi indivisionem; et hoc unum privat multitudinem, in quantum multitudo ex divisione causatur; non quidem multitudinem extrinsecam quam unum constituit sicut pars; sed multitudinem intrinsecam quae unitati opponitur. Non enim ex hoc quod aliquid dicitur esse unum, negatur quin aliquid sit extra ipsum quod cum eo constituat multitudinem; sed negatur divisio ipsius in multa

a) A savoir ce qui est convertible avec l'étant, qui ne lui ajoute rien sinon l'indivision; et ce "un" supprime la pluralité, dans la mesure où elle est causée par la division; non la pluralité extrinsèque que l'un a constitué comme partie; mais la pluralité intrinsèque qui est opposée à l'unité. Car ce n'est pas de ce que quelque chose est dit un, qu'est nié que quelque chose soit hors de lui qui constituerait la pluralité avec lui; mais sa division est niée dans le multiple.

 

Aliud vero unum est quod est principium numeri, quod supra rationem entis addit mensurationem; et huius unius multitudo est privatio, quia numerus fit per divisionem continui. Nec tamen multitudo privat unitatem totaliter, cum diviso toto adhuc remaneat pars indivisa; sed removet unitatem totius. Sed malitia, quantum est in se, removet bonitatem, nullo modo eam constituens, nec ab ea constituta.

b) L'autre un est ce qui est principe du nombre, qui ajoute la mesure à la nature de l'être; et la pluralité de cette unité est privation, parce que le nombre se fait par la division du continu. Cependant la pluralité n'écarte pas totalement l'unité, puisque la partie indivise demeure encore quand tout est divisé, mais elle éloigne l'unité du tout. Mais le mal, quant à lui, éloigne la bonté, en ne la constituant en aucune manière, et il n'est pas constitué par elle.

 

q. 3 a. 16 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ens alio modo se habet ad ea quae sub ente continentur, et alio modo animal vel quodlibet aliud genus ad species suas. Species enim addit supra genus, ut homo supra animal, differentiam aliquam quae est extra essentiam generis. Animal enim nominat tantum naturam sensibilem, in qua rationale non continetur; sed ea quae continentur sub ente, non addunt aliquid supra ens quod sit extra essentiam eius; unde non oportet quod illud quod est causa animalis in quantum est animal, sit causa rationalis in quantum huiusmodi. Oportet autem illud quod est causa entis in quantum est ens, esse causam omnium differentiarum entis, et per consequens totius multitudinis entium.

# 4. L'étant, pour ce qui est contenu sous lui, se comporte d'une autre manière que l'animal ou n'importe quel autre genre vis-à-vis de leurs espèces. Car l'espèce ajoute au genre, comme l'homme à l'animal, une différence qui est hors de l'essence du genre. Car l'animal désigne seulement la nature sensible qui ne contient pas le rationnel; mais ce qui est contenu sous l'étant ne lui ajoute rien qui soit hors son essence; c'est pourquoi, il ne faut pas que ce qui est cause de l'animal en tant qu'animal, soit cause du rationnel en tant que tel. Mais il faut que ce qui est cause de l'étant en tant que tel, soit cause de toutes ses différences, et par conséquent de toute la pluralité des étants.

 

q. 3 a. 16 ad 5 Ad quintum dicendum, quod appropriatio causae ad effectum attenditur secundum assimilationem effectus ad causam. Assimilatio autem creaturae ad Deum attenditur secundum hoc quod creatura implet id quod de ipsa est in intellectu et voluntate Dei; sicut artificiata similantur artifici in quantum in eis exprimitur forma artis, et ostenditur voluntas artificis de eorum constitutione. Nam sicut res naturalis agit per formam suam, ita artifex per suum intellectum et voluntatem. Sic igitur Deus propria causa est uniuscuiusque creaturae, in quantum intelligit et vult unamquamque creaturam esse. Quod autem dicitur idem non posse esse plurium proprium, intelligendum est quando fit propriatio per adaequationem; quod in proposito non contingit.

 

# 5. L'appropriation de la cause à l'effet est atteinte par la ressemblance de l'effet à la cause. Mais l'assimilation de la créature à Dieu est atteinte selon que la créature achève ce qui la concerne dans l'intellect et la volonté de Dieu; ainsi les oeuvres artificielles ressemblent à l'artisan dans la mesure où s'exprime en eux la forme de l'art, et la volonté de l'artisan se montre au sujet de leur constitution. Car de même que la chose naturelle agit par sa forme, de même, l'artisan agit par son esprit et sa volonté. Donc Dieu est ainsi la cause propre de chaque créature, dans la mesure ou il pense (intelligit) et veut que chaque créature existe. Mais ce qu'on appelle le même ne peut être le propre de plusieurs, il faut comprendre quand se fait l'appropriation par l'adéquation[19]; ce qui ne concerne pas notre propos.

 

q. 3 a. 16 ad 6 Ad sextum dicendum, quod solutio patet ex dictis.

# 6. La solution paraît dans ce qui vient d'être dit.

 

q. 3 a. 16 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet sit quaedam similitudo creaturae ad Deum, non tamen adaequatio; unde non oportet, si unitas Dei caret omni multitudine et compositione, quod propter hoc oporteat talem esse creaturae unitatem.

 

# 7. Bien qu'il existe une certaine ressemblance de la créature à Dieu, il n'y a cependant pas une adéquation; c'est pourquoi, il ne faut pas, si l'unité de Dieu manque de toute pluralité et de composition, qu'à cause de cela, il faille qu'il existe une telle unité pour la créature.

 

q. 3 a. 16 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet effectus non possit excedere causam suam, tamen causa potest excedere effectum; et ideo licet ab una causa possint procedere plures effectus, tamen non potest unus effectus a pluribus causis immediate procedere.

# 8. Bien que l'effet ne puisse pas dépasser sa cause, cependant celle-ci peut dépasser l'effet, et ainsi bien que plusieurs effets puissent procéder d'une cause unique, cependant un seul effet unique ne peut pas procéder immédiatement de plusieurs causes

 

q. 3 a. 16 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet eadem sit potentia in Deo generandi et creandi secundum rem, non tamen idem respectus in utraque connotatur: sed potentia generandi connotat respectum ad id quod procedit per naturam; et ideo oportet tantum unum esse; sed potentia creandi importat respectum ad id quod procedit per voluntatem; unde non oportet quod sit unum.

 

# 9. Bien que la puissance de Dieu soit la même en réalité pour engendrer et créer, cependant on ne comprend pas le même rapport pour l'un et l'autre; la puissance d'engendrer comprend un rapport à ce qui procède par nature, et c'est pourquoi il faut seulement un seul être, mais la puissance de créer apporte un rapport à ce qui procède par volonté; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit un.

 

q. 3 a. 16 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet, sicut dictum est, huiusmodi unitatem esse in creatura et in Deo; licet creatura Deum in unitate imitetur.

# 10. Il ne faut pas, comme on l'a dit, qu'une telle unité soit dans la créature et en Dieu, bien que la créature imite Dieu dans son unité.

 

q. 3 a. 16 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod quamvis actio Dei sit una et simplex, quia est eius essentia; non tamen oportet quod sit unus tantum effectus, sed multi; quia ex actione divina procedit effectus secundum ordinem sapientiae et arbitrium voluntatis.

 

# 11. Quoique l'action de Dieu soit une et simple, parce qu'elle est son essence; il ne faut cependant pas qu'il y ait un seul effet, mais de nombreux effets; parce que l'effet procède de l'action divine selon l'ordre de la sagesse et le libre arbitre de la volonté.

 

q. 3 a. 16 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod quando exemplatum perfecte repraesentat exemplar, ab uno exemplari non est nisi unum exemplatum, nisi per accidens, in quantum exemplata materialiter distinguuntur. Creaturae vero non perfecte imitantur suum exemplar. Unde diversimode possunt ipsum imitari, et sic esse diversa exemplata. Perfectus autem modus imitandi est unus tantum: et propter hoc filius, qui perfecte imitatur patrem, non potest esse nisi unus.

 

# 12. Quand l'effet représente parfaitement l'exemplaire, il n'y a qu'un effet sauf accident, dans la mesure où les effets sont distingués matériellement. Mais les créatures n'imitent pas parfaitement leur exemplaire. C'est pourquoi, elles peuvent l'imiter de diverses manières, et il y a différentes images. Mais le mode d'imitation parfait est unique; et à cause de cela, le Fils, qui imite parfaitement le Père, ne peut être qu'unique.

 

q. 3 a. 16 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet forma intellectus divini sit una tantum secundum rem, est tamen multiplex ratione secundum diversos respectus ad creaturam, prout scilicet intelliguntur creaturae diversimode formam divini intellectus imitari.

# 13. Bien que la forme de l'esprit divin soit une seulement en réalité, elle est cependant multiple en raison, selon les divers rapports à la créature, naturellement selon qu'on comprend que les créatures imitent de diverses manières la forme de l'esprit divin.

 

q. 3 a. 16 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod isti diversi respectus ad creaturam non solum sunt in intellectu nostro, sed etiam in intellectu divino. Nec tamen diversa aliqua sunt in intellectu divino, in quibus Deus intelligat; quia intelligit tantum uno, quod est sua essentia; sed sunt ibi multa, ut ab ipso intellecta. Sicut enim nos intelligimus quod creatura potest Deum multipliciter imitari, ita et Deus hoc intelligit; et per consequens intelligit diversos respectus creaturae ad Deum.

 

# 14. Ces différents rapports à la créature non seulement sont dans notre esprit, mais aussi dans l'esprit divin. Cependant certaines [créatures], à qui Dieu pense (intelligit) ne sont pas différentes en son esprit, parce qu'il pense seulement dans l'unité qui est son essence; mais elles y sont nombreuses, en tant que pensées par lui. Car de même que nous pensons que la créature peut imiter Dieu de multiples manières, Dieu le pense aussi, et par conséquent, il pense les différents rapports de la créature à lui.

 

q. 3 a. 16 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut Deus uno intelligit omnia, ita etiam et per unam apprehensionem. Nam actum intellectus oportet esse unum vel multos, secundum unitatem vel multitudinem principii quo intelligitur.

 

# 15. De même que Dieu pense (intelligit) tout par l'un, de même il le pense en un seul concept aussi. Car il faut que l'acte de l'intellect soit un ou multiple, selon l'unité ou la pluralité du principe par lequel il est pensé.

 

q. 3 a. 16 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet multitudo praeter multa, non sit nisi in ratione, multitudo tamen in multis est etiam in rerum natura: sicut etiam animal commune non est nisi in ratione, natura tamen animalis est in singularibus: et propter hoc multitudinem et animalis naturam oportet reducere in Deum, sicut in causam.

 

# 16. Bien que la pluralité, au-delà de nombreuses choses, ne soit qu'en raison, cependant en beaucoup elle est aussi dans leur nature; ainsi même l'animal commun n'existe qu'en raison, cependant sa nature animale est dans des individus particuliers, et c'est pour cela qu'il faut ramener à Dieu la pluralité et la nature de l'animal comme à sa cause.

 

q. 3 a. 16 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod universum quod est a Deo productum, est optimum respectu eorum quae sunt, non tamen respectu eorum quae Deus facere potest.

# 17. L'univers, produit par Dieu, est le meilleur par rapport à ce qui existe, non cependant par rapport à ce que Dieu peut faire.

 

q. 3 a. 16 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio illa tenet quando id quod est ad finem potest totaliter et perfecte consequi finem per modum adaequationis; quod in proposito non contingit.

# 18. Cette raison est valable, quand ce qui est en vue d'une fin, peut totalement et parfaitement atteindre la fin par son mode d'adéquation, ce qui ne concerne pas notre propos.

 

q. 3 a. 16 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa ratio est Origenis, nec habet magnam efficaciam. Non enim est contra iustitiam quod inaequalia aequalibus dentur nisi quando alicui redditur debitum; quod in prima rerum creatione non potest dici. Quod enim ex propria liberalitate datur, potest dari plus vel minus secundum arbitrium dantis, et secundum quod eius sapientia requirit.

 

# 19. Cette raison vient d'Origène (Peri Archon I, 7 et 8) et n'a pas grande efficacité. Car ce n'est pas contre la justice de donner ce qui est inégal à ce qui est égal, sinon quand on rend à quelqu'un ce qui lui est dû: on ne peut pas le dire de la première création. Car ce qui est donné par pure libéralité, peut l'être plus ou moins selon le libre arbitre de celui qui donne, et selon que sa sagesse le requiert.

 

q. 3 a. 16 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod licet creaturae aliae sint Angelo inferiores, tamen earum productio requirit infinitam virtutem producentis, in quantum per creationem producuntur in esse, utpote non ex praeiacenti materia factae. Et ideo omnes creaturae, quae non sunt factae ex praeiacenti materia, oportet dicere immediate a Deo esse creatas.

 

# 20. Bien que les autres créatures soient inférieures à l'ange, cependant leur production requiert un pouvoir infini du créateur, dans la mesure où elles sont amenées à l'être par création, vu qu'elles ne sont pas créées d'une matière préexistante. Et c'est pourquoi, de toutes les créatures qui n'ont pas été faites d'une matière préexistante, on doit dire qu'elles ont été créées sans intermédiaire par Dieu.

 

q. 3 a. 16 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod cum creatio terminetur ad esse tamquam ad proprium effectum, impossibile est dicere, ea quae a Deo creantur, ab Angelis formas habere, cum omne esse sit a forma.

# 21. Comme la création se termine à l'être comme à son effet propre, il est impossible de dire que ce qui est créé par Dieu, reçoit des anges sa forme, puisque tout être vient par la forme.

 

q. 3 a. 16 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod licet quidquid Deus facit, in se sit unum, tamen haec unitas, ut dictum est, non removet omnem multitudinem, sed manet illa cuius unum est pars.

# 22. Bien que, tout ce que Dieu fait soit un en lui, cependant cette unité, comme on l'a dit, n'exclut pas toute pluralité, mais demeure celle dont l'un est une partie.

 

q. 3 a. 16 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod verbum philosophi, cum dicit quod Deus nihil intelligit extra se, non est intelligendum quasi Deus ea quae sunt extra ipsum non intelligat; sed quia illa etiam quae extra ipsum sunt, non extra se, sed in se intuetur, quia per essentiam suam omnia alia cognoscit.

 

# 23. La parole du Philosophe, quand il dit que Dieu ne pense (intelligit) rien hors de lui, ne doit pas être comprise comme si Dieu ne comprenait pas ce qui est hors de lui-même, mais parce que ce qui est hors de lui, il ne le voit pas hors de lui, mais en lui, parce qu'il connaît tous les autres êtres par son essence.

 

q. 3 a. 16 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod creatura dicitur esse in Deo dupliciter.

# 24. On dit que la créature est en Dieu de deux manières:

 

Uno modo sicut in causa gubernante et conservante esse creaturae; et sic praesupponitur esse creaturae distinctum a creatore ad hoc quod creatura a Deo esse dicatur. Non enim intelligitur creatura conservari in esse nisi secundum quod iam habet esse in propria natura, secundum quod esse creaturae a Deo distinguitur. Unde creatura hoc modo in Deo existens non est creatrix essentia.

a) Comme dans la cause qui gouverne et conserve l'être de la créature, et ainsi on présuppose que l'être de la créature est différent du Créateur du fait qu'on dit que la créature existe par Dieu. Car on ne comprend que la créature soit conservée à l'être, sinon selon qu'elle l'être a déjà dans sa propre nature, en tant que selon que l'être de la créature est distingué de Dieu. C'est pourquoi la créature qui existe en Dieu, de cette manière, n'est pas essence créatrice.

 

Alio modo dicitur creatura esse in Deo sicut in virtute causae agentis, vel sicut in cognoscente; et sic creatura in Deo est ipsa essentia divina, sicut dicitur Ioannis I, 3: quod factum est in ipso vita erat. Quamvis autem hoc modo creatura in Deo existens sit divina essentia, non tamen per istum modum est ibi una tantum creatura, sed multae. Nam essentia Dei est sufficiens medium ad cognoscendum diversas creaturas, et sufficiens virtus ad eas producendas.

b) On dit que la créature est en Dieu[20] comme dans le pouvoir de la cause efficiente, ou comme dans celui qui connaît, et ainsi la créature en Dieu est l'essence même de Dieu, comme on le dit (Jn 1, 3) "Ce qui a été fait était la vie en lui". Quoique, de cette manière, la créature qui existe en Dieu soit l'essence divine, cependant de cette manière, il n'y a pas là seulement une créature, mais de nombreuse créatures. Car l'essence de Dieu est un intermédiaire suffisant pour connaître les différentes créatures, et son pouvoir est suffisant pour les produire.

 

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[1] Ia, qu. 47, a. 1 – CG II, 39-46; III, 97– Pot 3, 1 ad 9 – Compendium. 71, 72, 102, – Métaphysique, XII, lectio 2,– De causis, prop. 24

 

[2] Les deux arguments s'oppose à l'opinion d'Avicenne.

 

a) Dieu seul crée Pot. qu. 3, a. 4 c. Pour Avicenne d'autres substances que Dieu sont créatrices.

 

b) Selon cela l'universalité des êtres ne viendrait pas de l'intention de l'agent, mais du concours de nombreuses cause, c'est-à-dire du hasard.

 

[3] . Cf. Ia, qu. 11, a. 1. "L'un n'ajoute rien à l'étant, mais seulement la négation de la division: car l'un ne signifie rien d'autre que l'être non divisé. Et de là paraît qu'il est convertible avec l'étant." Cf. Quodl 6, 1, 1, c.. Autre démonstration: chaque chose en tant qu'une est un étant. C'est pourquoi l'étant et l'un sont convertibles. (Ia, 28, 2 - I Sent. d33a1 – CG 4, 14, – Pot 8, 2, Compendium. 54, 66, 67.

 

[4] Comparaison des transcendentaux.

 

[5] Thomas n° 2087.

 

[6] Thomas n° 197.

 

[7] Dieu est la cause exemplaire des créatures, le modèle à l'image de qui est faite la créature. L'exemplaire, ce sont les idées en Dieu. L'exemplatum est ce qui dépend de l'exemplaire, son effet, son image dans la réalité.

 

[8] C'est la science de Dieu qui est la cause des créatures (Ia, qu. 14, a. 8). Sa science dépend de son intellection.

 

[9] C'est la théorie d'Avicenne.

 

[10] "L'Intelligence suprême se pense donc elle-même, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus excellent et sa Pensée est pensée de pensée." Thomas, 12, lect. 11, n° 2614-2615. J. Tricot, p. 701 et note p. 702.

 

[11] Il s'agit de l'idée en Dieu, qui deviendra réalité. L'argument semble supposer une seule idée en Dieu. (Cf. De veritate, qu.3, a. 2 où le problème est longuement traité).

 

[12] . Cf. CG. II, 40, § 3: "Ce qui vient de l'intention de l'agent n'est pas dû à la matière comme à sa cause première" (Trad. C. Michon). La cause efficiente lui est antérieure comme cause, car la matière ne devient cause en cate que selon qu'elle est mue par un agent.

 

[13] La lecture de Ia, qu. 47, a. 1 c, apporte quelques précisions supplémentaires sur cet historique.

 

I. Certains: ceux qui n'ont découvert que la cause matérielle.

 

a. Les anciens naturalistes qui ne connaissaient que la cause matérielle: Thalès, Anaximandre, Anaximène, Démocrite, cités en Ia, qu. 47.

 

b. Anaxagore: les principes matériels sont en nombre infini, mêlés, confus, l'intellect les sépare pour établir la distinction des choses. (CG. II, 40, § 7).

 

II. Distinction attribuée aux agents seconds;

 

a) Avicenne: production de l'Intelligence; Dieu en se connaissant lui-même produit une première intelligence; en elle, parce qu'elle n'est pas son être, commence la composition de puissance et d'acte.

 

b) Empédocle.

 

[14] C'est-à-dire qu'elle était incréée, éternelle.

 

[15] Avicenne dit: "Dieu en se connaissant lui-même, produisit une Intelligence première, laquelle, parce qu'elle n'est pas son propre être, est nécessairement composée de puissance et d'acte (Cf. Ia, a. 2, ad 3). Ainsi cette première intelligence dans la mesure où elle comprend la cause première, produisit une seconde intelligence, en tant que se comprend selon qu'elle est en puissance, il produisit le corps du ciel, qu'elle met en mouvement, en tant qu'elle se comprend selon ce qu'elle a en acte, il produisit l'âme du ciel.

 

Métaphysique IX, 4 Le premier principe se pense lui-même. 402,15. – 404, 5 Il est donc clair que le premier des êtres existants... est numériquement un. Son essence et sa quiddité sont une, non dans une matière... le premier effet est une intelligence pure parce que c'est une forme qui ne se trouve pas dans la matière. B. c. Anawati p. 139. Suit la démonstration que ce n'est pas une forme matérielle.

 

[16] En Ia, qu. 47, a. 1, c., la phrase est simplifiée et plus claire:"L'intelligence première, du fait qu'elle n'est pas son propre être, est nécessairement composée de puissance et d'acte."

 

[17] Ia, qu. 47, a. 3 renvoie à cette solution. Il y démontre qu'il n'y existe qu'un seul monde.

 

[18] Thomas reprend en détail la comparaison de deux des transcendantaux, l'un et le bien.

 

[19] Comprendre par équivalence.

 

[20] Il s'agit des idées en Dieu.

 

 

Article 17: Le monde a-t-il toujours existé?

 

q. 3 a. 17 tit. 1 Decimoseptimo quaeritur utrum mundus semper fuerit. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

 

Objections[2]:

q. 3 a. 17 arg. 1 Quia proprium semper consequitur id cuius est proprium. Sed, sicut dicit Dionysius, proprium est divinae bonitatis ad communicationem sui ea quae sunt vocare; quod quidem fit creaturas producendo. Cum ergo divina bonitas semper fuerit, videtur quod semper creaturas in esse produxerit; et ita videtur quod semper fuerit mundus.

 

1. Ce qui appartient en propre à une chose l'accompagne toujours. Mais, comme le dit Denys (La hiérarchie céleste, IV), le propre de la bonté divine c'est d'appeler ce qui existe pour se communiquer; ce qu'il fait en produisant les créatures. Donc, comme la bonté divine a toujours existé, il semble qu'il a toujours fait venir des créatures à l'être, et ainsi il semble que le monde a toujours existé.

 

q. 3 a. 17 arg. 2 Praeterea, Deus non denegavit alicui creaturae id cuius est capax secundum suam naturam. Sed aliquae creaturae sunt quarum natura est capax ut semper fuerit; sicut caelum. Ergo videtur quod hoc fuerit caelo collatum ut semper esset. Sed caelo existente oportet ponere alias creaturas esse, sicut probat philosophus, in II de caelo et mundo. Ergo videtur quod mundus fuerit semper. Probatio mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem ut sit semper: quia si haberet virtutem ut esset aliquo tempore determinato tantum, non posset esse semper: et ita non esset incorruptibile. Caelum autem est incorruptibile. Ergo habet naturam quod sit semper.

 

2. Dieu n'a refusé à aucune créature ce dont elle est capable selon sa nature. Mais il y en a quelques-unes dont la nature est capable de toujours exister, comme le ciel[3]. Donc il semble qu'il a été attribué au ciel de toujours exister. Mais du fait que le ciel existe, il faut admettre qu'il existe d'autres créatures, comme le prouve le Philosophe, (Le ciel et le monde, II, 3, 285 b 17[4]). Donc il semble que le monde a toujours existé. Preuve intermédiaire: Tout ce qui est incorruptible a le pouvoir de toujours exister, parce que, s'il avait le pouvoir d'exister dans un temps déterminé seulement, il ne pourrait pas exister toujours; et ainsi il ne serait pas incorruptible. Mais le ciel l'est. Donc il possède une nature pour exister toujours.

 

q. 3 a. 17 arg. 3 Sed dicendum, quod caelum non est simpliciter incorruptibile; decideret enim in nihilum, nisi per virtutem Dei contineretur in esse.- Sed contra, non est reputandum aliquid esse possibile vel contingens, propter hoc quod eius destructio sequitur ex destructione consequentis; licet enim hominem esse animal sit necessarium, tamen destructio eius sequitur ad destructionem huius consequentis hominem esse substantiam. Non ergo videtur quod propter hoc possit dici caelum esse corruptibile, quia eius non esse sequitur ad aliquam positionem qua ponitur Deus suam continentiam subtrahere creaturis.

3. Mais il faut dire que le ciel n'est pas absolument incorruptible; car il retournerait au néant si Dieu, par son pouvoir, ne le maintenait pas à l'existence. –En sens contraire, il ne faut pas penser qu'une chose est possible ou contingente, parce que sa destruction découle d'une conséquence, car bien qu'il soit nécessaire que l'homme soit un animal, cependant sa destruction aboutit à la destruction de cette conséquence, à savoir que l'homme est une substance. Donc il ne semble pas qu'à cause de cela, on puisse dire que le ciel est corruptible, parce que son non-être aboutit à une position où on pense que Dieu retire ce qui est nécessaire aux créatures.

 

q. 3 a. 17 arg. 4 Praeterea, sicut Avicenna probat in sua Metaphysic., quilibet effectus, in comparatione ad suam causam est necessarius; quia si posita causa non necessario sequitur effectus, adhuc posita causa possibile erit effectum esse vel non esse; quod autem est in potentia, non reducitur in actum nisi per id quod est actu; unde oportebit quod praeter causam praedictam sit aliqua alia causa quae faciat effectum prodire in actum ex potentia qua possibile erat ipsum esse vel non esse posita causa. Ex quo potest accipi, quod posita causa sufficienti necesse est ipsum poni. Sed Deus est causa sufficiens mundi. Cum ergo Deus fuerit semper, et mundus fuit semper.

 

4. Comme Avicenne le prouve dans sa Métaphysique (livreIX, ch. 6[5]), n'importe quel effet est nécessaire en comparaison à sa cause, parce que, si on pose une cause, l'effet n'en découle pas nécessairement. La cause une fois posée, il sera possible que l'effet existe ou n'existe pas; mais ce qui est en puissance n'est amené à l'acte que par ce qui est en acte; c'est pourquoi, il faudra qu'en plus de cette cause, il y en ait une autre qui fasse passer l'effet à l'acte, à partir de la puissance par laquelle il était possible qu'il soit ou qu'il ne soit pas, une fois la cause posée. A partir de là, on peut admettre qu'une fois une cause suffisante posée, il est nécessaire de poser l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante du monde. Donc, comme il a toujours existé, le monde aussi.

 

q. 3 a. 17 arg. 5 Praeterea, omne quod est ante tempus, est aeternum; aevum enim non est ante tempus, sed incepit simul cum tempore. Sed mundus fuit ante tempus, fuit enim creatus in primo instanti temporis, quod constat esse ante tempus; dicitur enim Genes. I, 1: in principio creavit Deus caelum et terram, id est in principio temporis. Ergo mundus fuit ab aeterno.

 

5. Tout ce qui existe avant le temps est éternel; car l'ævum[6] n'existe pas avant le temps, mais il commence avec lui. Mais le monde a existé avant le temps, car il a été créé au premier instant du temps, ce qui montre qu'il est avant le temps; car on dit dans la Genèse (1, 1): "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre", (glose interlinéaire): c'est-à-dire au commencement du temps. Donc le monde a existé de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 6 Praeterea, idem manens idem, semper facit idem, nisi impediatur. Sed Deus semper idem manet, sicut in Ps. ci, 28, legitur: tu autem idem ipse es. Cum igitur in sua actione impediri non possit propter infinitatem suae potentiae, videtur quod semper idem faciat. Et ita, cum aliquando mundum produxerit, videtur quod etiam semper ab aeterno produxerit.

6. Ce qui demeure identique à lui-même fait toujours la même chose, sauf empêchement. Mais Dieu demeure toujours identique à lui-même, comme on le lit dans le Ps. 101, 28: "Toi, tu es le même". Donc, puisque, dans son action, il ne peut pas être empêché à cause de l'infinité de sa puissance, il semble qu'il fait toujours la même chose. Et ainsi, quand il a produit un jour le monde, il semble qu'il l'a produit toujours, éternellement.

 

q. 3 a. 17 arg. 7 Praeterea, sicut homo necessario vult suam beatitudinem, ita Deus necessario vult suam bonitatem et quod ad eam pertinet. Sed ad bonitatem divinam pertinet productio creaturarum in esse. Ergo hoc Deus necessitate vult; et ita videtur quod ab aeterno producere creaturas voluerit, sicut voluit ab aeterno bonitatem suam esse.

7. L'homme veut nécessairement sa béatitude, de même Dieu veut nécessairement sa bonté et ce qui la concerne. Mais la venue des créatures à l'être appartient à la bonté divine. Donc Dieu le veut nécessairement et ainsi il semble qu'il a voulu produire les créatures de toute éternité, comme il a voulu que sa bonté soit de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 8 Sed dicendum, quod ad bonitatem Dei pertinet quod creaturae producantur in esse, non autem quod producantur in esse ab aeterno.- Sed contra, maioris liberalitatis est aliquid citius dare quam tardius. Sed liberalitas divinae bonitatis est infinita. Ergo videtur quod ab aeterno esse creaturis dederit.

8. Mais il faut dire que la venue des créatures à l'être appartient à la bonté de Dieu, mais pas qu'elles le soient de toute éternité. – En sens contraire, c'est une plus grande libéralité de donner quelque chose plus tôt que plus tard. Mais la libéralité de la bonté divine est infinie. Donc il semble qu'il a donné l'être aux créatures de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit: illud dico te velle quod facis si potes. Sed Deus ab aeterno voluit mundum producere; alias fuisset mutatus, si accessisset ei nova voluntas mundi creandi. Cum ergo nulla impotentia ei conveniat, videtur quod ab aeterno mundum produxerit.

 

9. Augustin dit (Confessions, VIII, 9): "Je te dis de vouloir ce que tu fais si tu le peux[7]". Mais Dieu a voulu produire le monde de toute éternité; autrement il aurait subi un changement s'il lui était arrivé une volonté nouvelle pour créer le monde. Donc comme nulle impuissance ne lui convient, il semble qu'il a produit le monde de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 10 Praeterea, si mundus non semper fuit; antequam mundus esset, aut erat possibile ipsum esse, aut non. Si non erat possibile, ergo impossibile erat ipsum esse, et necesse non esse; et sic nunquam fuisset in esse productus. Si autem possibile erat eum esse, ergo erat aliqua potentia respectu ipsius; et ita erat aliquod subiectum sive materia, cum potentia non nisi in subiecto esse possit. Sed si fuit materia fuit et forma; cum materia non possit omnino esse a forma denudata. Ergo fuit aliquod corpus compositum ex materia et forma, et ex consequenti fuit totum universum.

 

10. Si le monde n'a pas toujours existé, avant d'exister, il était possible qu'il existe ou non[8]. Si ce n'était pas possible, il était donc impossible qu'il soit et nécessaire qu'il ne soit pas et ainsi jamais il n'aurait été amené à l'être. Mais s'il était possible qu'il existât, il y avait donc en lui une puissance par rapport à lui-même et ainsi il était un substrat ou une matière, puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat. Mais s'il avait été matière, il aurait été forme, puisque la matière ne pourrait absolument pas être dénuée de forme. Donc il y eut un corps composé de matière et de forme et en conséquence l'univers entier a existé.

 

q. 3 a. 17 arg. 11 Praeterea, omne quod fit actu postquam fuit possibile fieri, educitur de potentia in actum. Si ergo mundum fuit possibile fieri, antequam esset, oportet dicere mundum eductum esse de potentia in actum; et ita materiam praecessisse, et fuisse aeternam: ex quo sequitur idem quod prius.

11. Tout ce qui est devenu en acte après en avoir été possible, passe de la puissance à l'acte. Donc s'il a été possible que le monde soit fait, avant qu'il ne soit, il faut dire que le monde est passé de la puissance à l'acte et ainsi la matière a préexisté et a été éternelle, il en découle la même conséquence que ci-dessus.

 

q. 3 a. 17 arg. 12 Praeterea, omne agens quod de novo incipit agere, movetur de potentia in actum. Sed hoc Deo non potest competere, cum ipse sit omnino immobilis. Ergo videtur quod ipse non incepit de novo agere, sed quod ab aeterno mundum produxerit.

12. Tout agent qui recommence à agir de nouveau passe de la puissance à l'acte. Mais cela ne peut convenir à Dieu puisqu'il est absolument immuable. Donc il semble qu'il n'a pas recommencé à agir de nouveau, mais il a produit le monde de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 13 Praeterea, agens per voluntatem, si incipit facere quod prius volebat, cum antea non fecisset, oportet ponere aliquid esse nunc inducens ipsum ad agendum, quod prius non inducebat; quod est quodammodo expergefaciens ipsum. Sed non potest dici quod aliquid aliud fuerit praeter Deum ante mundum, quod de novo eum induxerit ad agendum. Cum ergo ab aeterno voluerit mundum facere (alias voluntati eius aliquid accrevisset), videtur quod ab aeterno fecerit.

 

13. Si celui qui agit par volonté commence à faire ce qu'il voulait auparavant, puisque auparavant il ne l'aura pas fait, il faut penser qu'il existe quelque chose qui l'incite alors à agir, qui d'abord ne l'incitait pas; ce qui est d'une certaine manière le "réveiller". Mais on ne peut pas dire que quelque chose d'autre ait existé en dehors de Dieu avant le monde, qui l'aurait de nouveau incité à agir. Donc, comme il a voulu faire le monde de toute l'éternité (autrement quelque chose se serait ajouté à sa volonté), il semble qu'il l'a fait de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 14 Praeterea, nihil movet voluntatem divinam ad agendum nisi bonitas eius. Sed bonitas divina semper eodem modo se habet. Ergo et voluntas Dei semper se habet ad productionem creaturarum; et ita ab aeterno creaturas produxit.

14. Rien ne pousse la volonté divine à agir sinon sa bonté. Mais celle-ci se comporte toujours de la même manière. Donc la volonté de Dieu est toujours occupée à la production des créatures et ainsi il les a produit de toute l'éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 15 Praeterea, illud quod est semper in principio et in fine sui nunquam incipit nec desinit: quia unaquaeque res est post sui principium et ante sui finem. Sed tempus semper est in sui principio et in sui fine; nihil enim est temporis nisi instans, quod est finis praeteriti et principium futuri. Ergo tempus nunquam incipit nec desinit, sed semper est; et per consequens motus semper, et mobile semper, et totus mundus; tempus enim non est sine motu, nec motus sine mobili, nec mobile sine mundo.

 

15 Ce qui est toujours à son commencement et à sa fin ne commence ni ne finit jamais; parce que chaque chose se situe après son commencement et avant sa fin. Mais le temps est toujours à son commencement et à sa fin, car rien n'appartient au temps que l'instant présent, qui est la fin du passé et le commencement du futur. Donc le temps ne commence ni ne finit jamais, mais il existe toujours, et par conséquent toujours aussi le mouvement, le mobile et le monde tout entier; car le temps n'existe pas sans mouvement, ni le mouvement sans mobile, ni le mobile sans le monde.

 

q. 3 a. 17 arg. 16 Sed dicendum, quod primum instans temporis non est finis praeteriti, nec ultimum principium futuri.- Sed contra, nunc temporis semper consideratur ut fluens, et in hoc differt a nunc aeternitatis. Sed quod fluit, ab alio in aliud fluit. Ergo oportet omne nunc a priori nunc in posterius fluere. Ergo impossibile est esse aliquod primum vel ultimum nunc.

 

16. Mais il faut dire que le premier instant du temps n'est pas la fin d'un passé, ni l'ultime commencement du futur. – En sens contraire, on considère que le présent du temps s'écoule toujours, et en cela il diffère du présent de l'éternité. Mais ce qui s'écoule, s'écoule de l'un dans un autre. Donc il faut que tout présent passe d'un instant avant dans un autre après. Donc il est impossible qu'il y ait un premier ou un dernier instant.

 

q. 3 a. 17 arg. 17 Praeterea, motus sequitur mobile, et tempus sequitur motum. Sed primum mobile, cum sit circulare, non habet principium neque finem: quia in circulo non est accipere principium et finem in actu. Ergo neque motus neque tempus habent principium; et sic idem quod prius.

 

17. Le mouvement suit le mobile, et le temps suit le mouvement; mais comme le premier mobile est circulaire, il n'a pas de commencement ni de fin: parce que, dans le cercle, on ne peut comprendre ni commencement, ni fin en acte. Donc ni le mouvement, ni le temps n'ont de commencement et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 17 arg. 18 Sed dicendum, quod licet ipsum corpus circulare non habeat principium magnitudinis, habet tamen principium durationis.- Sed contra, duratio motus sequitur mensuram magnitudinis: quia, secundum philosophum, quanta est magnitudo, tantum est et motus, et tantum tempus. Si ergo in magnitudine corporis circularis non est aliquod principium, nec in magnitudine motus et temporis erit principium, et per consequens nec in eorum duratione, cum eorum duratio, et praecipue temporis, sit eorum magnitudo.

18. Mais il faut dire que, bien que le corps circulaire même n'ait pas un principe de grandeur, cependant il a un principe de durée. – En sens contraire, la durée du mouvement est à la mesure de sa grandeur; parce que, selon le Philosophe, plus il y a de grandeur, autant il y a de mouvement et de temps. Si donc dans la grandeur du corps circulaire, il n'y a pas de principe, dans la grandeur, il n'y aura pas de principe à la grandeur du mouvement et du temps, ni par conséquent dans leur durée, puisque la durée et principalement celle du temps est leur grandeur.

 

q. 3 a. 17 arg. 19 Praeterea, Deus est causa rerum per scientiam suam. Scientia autem relative dicitur ad scibile. Cum igitur relativa sint simul natura, et scientia Dei sit aeterna, videtur quod res sint ab ipso ab aeterno productae.

 

19. Dieu est cause des choses par sa science; mais on dit que la science est relative au connaissable. Donc comme ce qui est relatif est en même temps, par nature, et que la science de Dieu est éternelle, il semble que les choses ont été produites par lui de toute l'éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 20 Praeterea, aut Deus praecedit mundum natura tantum, aut duratione. Si natura tantum, sicut causa effectum sibi coaevum, videtur quod cum Deus fuerit ab aeterno, et creaturae fuerint ab aeterno. Si autem praecedit mundum duratione, si ergo est accipere aliquam durationem priorem duratione mundi, quae se habet ad durationem mundi ut prius ad posterius. Sed duratio quae habet prius et posterius est tempus. Ergo ante mundum fuit tempus, et per consequens motus et mobile; et sic idem quod prius.

 

20. Dieu précède le monde, en nature seulement ou en durée. Si c'est en nature seulement, comme l'effet est contemporain à la cause, il semble que puisque Dieu a existé de toute éternité, les créatures aussi. Mais s'il a précédé le monde en durée, ainsi il a à recevoir une durée antérieure à la durée du monde, qui se comporte pour la durée du monde comme un avant et un après. Mais la durée qui a un avant et un après c'est le temps. Donc avant le monde, il y eut le temps et par conséquent un mouvement et un mobile et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 17 arg. 21 Praeterea, Augustinus dicit: Deum ab aeterno dominum non fuisse dicere nolo. Sed quandocumque fuit dominus, habuit creaturam sibi subiectam. Ergo non est dicendum, quod creatura non fuerit ab aeterno.

 

21. Augustin dit (La Trinité, V, 16): "Je ne veux pas dire que Dieu a été Seigneur de toute l'éternité". Mais toutes les fois qu'il a été Seigneur , il eut une créature qui lui était soumise[9]. Donc il ne faut pas dire que la créature n'a pas existé de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 22 Praeterea, Deus potuit mundum producere antequam produxerit; alias impotens fuisset. Scivit etiam ante producere; alias ignorans esset. Videtur etiam quod voluit, alias invidus fuisset. Ergo videtur quod non inceperit de novo producere creaturas.

 

22. Dieu a pu produire le monde avant le moment où il l'a produit; autrement il aurait manqué de puissance. Et il a su aussi le produire avant, autrement il aurait été ignorant. Il semble aussi qu'il l'a voulu, autrement il aurait été jaloux[10]. Donc il semble qu'il n'a pas commencé à produire des créatures de nouveau.

 

q. 3 a. 17 arg. 23 Praeterea, omne quod est finitum, est communicabile creaturae. Sed aeternitas est quoddam finitum; alias nihil posset esse ultra aeternitatem: dicitur enim Exod. XV, 18: dominus regnabit in aeternum et ultra. Ergo videtur quod creatura fuerit aeternitatis capax; et sic conveniens fuit divinae bonitati quod creaturam ab aeterno produxerit.

23. Tout ce qui est fini peut-être communiqué à la créature. Mais l'éternité est quelque chose de fini; autrement rien ne pourrait être au-delà de l'éternité[11]; on dit en effet dans Ex. 15, 18: "Le Seigneur régnera dans l'éternité et au-delà." Donc il semble que la créature aura été capable d'éternité et ainsi il a été conforme à la divine bonté d'avoir produit la créature de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 24 Praeterea, omne quod incipit, habet mensuram suae durationis. Sed tempus non potest habere aliquam mensuram suae durationis: non enim mensuratur aeternitate, quia sic semper fuisset: nec aevo, quia sic in perpetuum duraret; nec tempore, quia nihil est mensura sui ipsius. Ergo tempus non incipit esse, et ita nec mobile nec mundus.

24. Tout ce qui commence a la mesure de sa durée. Mais le temps ne peut pas l'avoir; car il n'est pas mesuré par l'éternité, parce qu'ainsi il aurait toujours existé; ni par l'ævum parce qu'ainsi il durerait toujours, ni par le temps, parce que rien n'est sa propre mesure. Donc le temps n'a pas commencé à exister, et ainsi ni le mobile, ni le monde non plus.

 

q. 3 a. 17 arg. 25 Praeterea, si tempus incepit esse, aut incepit esse in tempore, aut in instanti. Sed non incepit esse in instanti, quia in instanti tempus nondum est; nec iterum in tempore, quia sic nihil temporis ante temporis terminum esset; nihil enim rei est antequam res esse incipiat. Ergo tempus non incepit esse: et sic idem quod prius.

 

25. Si le temps a commencé à exister, ou il a commencé à exister dans le temps ou dans l'instant. Mais il n'a pas commencé à exister dans l'instant, parce que, en celui-ci, le temps n'existe pas encore; ni à nouveau dans le temps, parce qu'ainsi rien du temps ne serait avant le terme du temps; car rien d'une chose n'existe avant qu'elle commence à être. Donc le temps n'a pas commencé et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 3 a. 17 arg. 26 Praeterea, Deus ab aeterno fuit causa rerum: alias oporteret dicere, quod prius fuit causa in potentia, et postea in actu; et sic esset aliquid prius quod reduceret ipsum de potentia in actum, quod est impossibile. Nihil autem est causa, nisi causatum habeat. Ergo mundus fuit a Deo ab aeterno creatus.

 

26. Dieu fut cause des êtres de toute éternité; autrement il faudrait dire que d'abord il a été une cause en puissance et ensuite en acte; et ainsi il y aurait quelque chose avant lui qui le ferait passer de la puissance à l'acte, ce qui est impossible. Mais rien n'est cause sinon ce qui a un effet. Donc le monde a été créé par Dieu de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 27 Praeterea, verum et ens convertuntur. Sed multa sunt vera ab aeterno; sicut hominem non esse asinum, et mundum futurum esse, et multa similia. Ergo videtur quod multa sunt entia ab aeterno; et non solum Deus.

 

27. Le vrai et l'étant sont convertibles. Mais beaucoup de vérité existent de toute l'éternité; ainsi l'homme n'est pas un âne, le monde existera, et beaucoup de propositions semblables. Donc il semble que nombreux sont les étants qui existent de toute l'éternité et pas seulement Dieu.

 

q. 3 a. 17 arg. 28 Sed dicendum, quod omnia ista sunt vera veritate prima, quae Deus est.- Sed contra, alia veritass est huius propositionis, mundum futurum esse, et huius, hominem non esse asinum: quia posito per impossibile quod una sit falsa, adhuc reliqua erit vera. Sed veritas prima non est alia et alia. Ergo non sunt vera veritate prima.

 

28. Mais il faut dire que toutes ces propositions sont vraies par la vérité première qui est Dieu. – En sens contraire, la vérité de cette proposition, "le monde existera" est autre que celle-ci "l'homme n'est pas un âne", parce que, une fois établi que par impossible l'une est fausse, le reste sera encore vrai. Mais la vérité première n'est pas ceci ou cela. Donc elles ne sont pas vraies par la vérité première.

 

q. 3 a. 17 arg. 29 Praeterea, secundum philosophum in praedicamentis, ex eo quod res est vel non est, oratio vera vel falsa est. Si igitur multae propositiones verae sint ab aeterno, videtur quod res per eas signatae ab aeterno extiterint.

29. Selon le Philosophe, dans les Catégories (La substance 5, 4 b 8) du fait qu'une chose existe ou n'existe pas, la parole est vraie ou fausse. Si donc de nombreuses propositions sont vraies de toute éternité, il semble que ce qu'elles désignent aura existé de toute éternité.

 

q. 3 a. 17 arg. 30 Praeterea Deo idem est dicere quod facere; unde in Ps. 148, 5: dixit, et facta sunt. Sed dicere Dei est aeternum: alias filius qui est verbum patris non esset patri coaeternus. Ergo et facere Dei est aeternum, et ita mundus est factus ab aeterno.

30. Pour Dieu dire et faire, c'est pareil; c'est pourquoi dans le Ps. 148, 5: "Il dit et ce fut fait". Mais la parole de Dieu est éternelle: autrement le Fils qui est le Verbe du Père ne lui serait pas coéternel. Donc l'action de Dieu est éternelle et ainsi le monde a été fait de toute éternité.

 

En sens contraire:

q. 3 a. 17 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Proverb. cap. VIII, 24, ex ore divinae sapientiae: nondum erant abissi, et ego iam concepta eram: necdum fontes aquarum eruperant, necdum montes gravi mole constiterant; ante omnes colles ego parturiebar; adhuc terram non fecerat et flumina et cardines orbis terrae. Ergo cardines orbis terrae et flumina et terra non semper fuerunt. Ergo cardines orbis terrae et flumina et terra non semper fuerunt.

1. En Prov. 8, 24, il est dit de la bouche de la Sagesse divine: "Les abîmes n'existaient pas encore, et moi déjà j'avais été conçue; les fontaines n'avaient pas encore jailli, et les montagnes n'étaient pas établies dans leur lourde masse; avant toutes les collines j'étais enfantée; il n'avait pas encore fait la terre, les fleuves et les pôles du monde". Donc les pôles du monde, les fleuves et la terre n'ont pas toujours existé.

 

q. 3 a. 17 s. c. 2 Praeterea, secundum Priscinianum quanto tempore iuniores, tanto intellectu perspicaciores. Sed perspicacitas non est infinita. Ergo nec tempus quo perspicacitas creavit fuit infinitum, et per consequens nec mundus.

2. Selon Priscien[12], les plus jeunes dans le temps, sont perspicaces par l'esprit. Mais la perspicacité n'est pas infinie. Donc le temps pendant lequel la perspicacité a créé n'a pas été infini, et par conséquent le monde non plus.

 

q. 3 a. 17 s. c. 3 Praeterea, Iob XIV, 19: alluvione paulatim terra consumitur. Sed terra non est infinita. Si ergo fuisset tempus infinitum, iam totaliter esset consumpta: quod patet esset falsum.

3. En Job 14, 19, on lit: "La terre s'érode peu à peu". Mais la terre n'est pas infinie. Donc si le temps avait été infini, déjà elle serait totalement érodée, ce qui paraît faux.

 

q. 3 a. 17 s. c. 4 Praeterea, constat Deum naturaliter esse mundo priorem, sicut causam effectu. Sed in Deo idem est duratio et natura. Ergo Deus duratione prior est mundo, et ita mundus non semper fuit.

4. Il est clair que Dieu existe naturellement avant le monde, comme la cause avant l'effet. Mais en Dieu la durée et la nature sont les mêmes. Donc Dieu est avant le monde par la durée et ainsi le monde n'a pas toujours existé.

 

Réponse:

q. 3 a. 17 co. Respondeo. Dicendum quod firmiter tenendum est mundum non semper fuisse, sicut fides Catholica docet. Nec hoc potest aliqua physica demonstratione efficaciter impugnari. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut in quaestione alia est habitum, in operatione Dei non potest accipi aliquod debitum ex parte causae materialis, neque potentiae activae agentis, nec ex parte finis ultimi, sed solum ex parte formae quae est finis operationis, ex cuius praesuppositione requiritur quod talia existant qualia competunt illi formae

 

Il faut dire fermement que le monde n'a pas toujours existé, comme la foi catholique l'enseigne. Et cette croyance ne peut pas être combattue efficacement par une démonstration tirée de la physique[13]. Pour en montrer l'évidence, il faut savoir que, comme on l'a considéré dans une autre question, on ne peut accepter que dans l'opération de Dieu quelque chose soit dû du côté de la cause matérielle[14], ni de la puissance active de l'agent, ni de la fin ultime, mais seulement du côté de la forme qui est la fin de l'opération; de sa présupposition, il est requis qu'ils existent tels qu'ils conviennent à cette forme.

 

. Et ideo aliter dicendum est de productione unius particularis creaturae, et aliter de exitu totius universi a Deo. Cum enim loquimur de productione alicuius singularis creaturae, potest assignari ratio quare talis sit, ex aliqua alia creatura, vel saltem ex ordine universi, ad quem quaelibet creatura ordinatur, sicut pars ad formam totius. Cum autem de toto universo loquimur educendo in esse, non possumus ulterius aliquod creatum invenire ex quo possit sumi ratio quare sit tale vel tale; unde, cum nec etiam ex parte divinae potentiae quae est infinita, nec divinae bonitatis, quae rebus non indiget, ratio determinatae dispositionis universi sumi possit, oportet quod eius ratio sumatur ex simplici voluntate producentis ut si quaeratur, quare quantitas caeli sit tanta et non maior, non potest huius ratio reddi nisi ex voluntate producentis.

 

C'est pourquoi il faut parler autrement de la production d'une créature particulière et de la sortie de Dieu de tout l'univers[15]. En effet, quand nous parlons de la production d'une créature particulière, on peut trouver la raison pour laquelle elle est telle, à partir d'une autre créature, ou du moins à partir de l'ordre de l'univers, à qui toute créature est ordonnée, comme la partie à la forme du tout. Mais quand on parle de tout l'univers, qui parvient à l'être, nous ne pouvons plus trouver au-delà quelque chose de créé d'où on puisse tirer une raison pour laquelle il est tel ou tel. C'est pourquoi, comme ni du côté de la puissance de Dieu qui est infinie, ni du côté de sa bonté, qui n'a pas besoin des créatures, on ne peut trouver de raisons pour une disposition déterminée de l'univers, il faut admettre comme raison la volonté absolue de celui qui produit l'univers, pour que, si on cherche pourquoi l'immensité du ciel est telle, et pas plus grande, on ne puisse tirer cette raison que de la volonté du créateur.

 

Et propter hoc etiam, ut Rabbi Moyses dicit, divina Scriptura inducit homines ad considerationem caelestium corporum, per quorum dispositionem maxime ostenditur quod omnia subiacent voluntati et providentiae creatoris. Non enim potest assignari ratio quare talis stella tantum a tali distet, vel aliqua huiusmodi quae in dispositione caeli consideranda occurrunt, nisi ex ordine sapientiae Dei; unde dicitur Is. XL, 26: levate in excelsum oculos vestros; et videte quis creavit haec.

 

A cause de cela, comme le dit aussi Rabbi Moyses, l'Écriture conduit les hommes à la considération des corps célestes: leur disposition montre le mieux que tout est soumis à la volonté et à la providence du créateur. Car on ne peut donner la raison pour laquelle telle étoile est seulement à telle distance, ou pour d'autres phénomènes de ce genre qui arrivent dans la disposition du ciel quand on le considére, sinon que cela vient de l'ordre de la sagesse de Dieu. C'est pourquoi on dit en Is. 40, 26: "Levez vos yeux vers le ciel, et voyez qui a créé cela".

 

Nec obstat, si dicatur quod talis quantitas consequitur naturam caeli vel caelestium corporum, sicut et omnium natura constantium est aliqua determinata quantitas, quia sicut divina potentia non limitatur ad hanc quantitatem magis quam ad illam, ita non limitatur ad naturam cui debeatur talis quantitas, magis quam ad naturam cui alia quantitas debeatur. Et sic eadem redibit quaestio de natura, quae est de quantitate; quamvis concedamus, quod natura caeli non sit indifferens ad quamlibet quantitatem, nec sit in eo possibilitas ad aliam quantitatem nisi ad istam.

 

Rien n'empêche de dire qu'une telle grandeur découle de la nature du ciel ou des corps célestes, de même la nature de tout ce qui se maintient est une grandeur déterminée, parce que, la puissance de Dieu n'est pas plus limitée à cette grandeur qu'à cette autre, de même elle n'est pas limitée à la nature à quoi telle grandeur est due, plus qu'à la nature à quoi cette autre grandeur est due. Et ainsi reviendra la même question au sujet de la nature, en ce qui concerne la grandeur; quoique nous concédions que la nature du ciel n'est pas indifférente à n'importe quelle grandeur, et qu'il n'y a pas en elle possibilité pour une autre grandeur que pour celle-là.

 

Non sic autem potest dici de tempore vel temporis duratione. Nam tempus est extrinsecum a re, sicut et locus; unde etiam in caelo, in quo non est possibilitas respectu alterius quantitatis vel accidentis interius inhaerentis, est tamen in eo possibilitas respectu loci et situs, cum localiter moveatur; et etiam respectu temporis, cum semper tempus succedat tempori, sicut est successio in motu et in ubi; unde non potest dici, quod neque tempus neque ubi consequatur naturam eius, sicut de quantitate dicebatur. Unde patet quod ex simplici Dei voluntate dependet quod praefigatur universo determinata quantitas durationis, sicut et determinata quantitas dimensionis. Unde non potest necessario concludi aliquid de universi duratione, ut per hoc ostendi possit demonstrative mundum semper fuisse.

 

Mais il n'est pas possible de parler ainsi du temps ou de sa durée. Car il est extérieur à la chose, comme le lieu; c'est pourquoi même dans le ciel, dans lequel il n'y pas de possibilité par rapport à une autre quantité ou un accident qui adhère plus intérieurement, il y a cependant en lui possibilité par rapport au lieu et à l'espace, puisqu'il est mû localement, et aussi par rapport au temps, puisque toujours le temps succède au temps, de même qu'il y succession dans le mouvement et le lieu; c'est pourquoi on ne peut pas dire, que ni le temps, ni le lieu accompagnent sa nature, comme on le disait de la quantité. Aussi il est clair qu'il dépend de la simple volonté de Dieu qu'une quantité déterminée de temps soit fixée à l'univers, de la même manière qu'une grandeur déterminée pour la dimension. C'est pourquoi on ne peut rien conclure nécessairement de la durée de l'univers, pour pouvoir démontrer par le raisonnement que le monde a toujours existé.

 

Quidam vero non considerantes exitum universi a Deo, coacti sunt circa inceptionem mundi errare. Quidam namque causam agentem praetermittentes, solam materiam a nullo creatam ponentes, quae omnium causa esset, sicut antiquissimi naturales, necessario habuerunt dicere materiam semper fuisse. Cum enim nihil se educat de non esse in esse, oportet causam aliam habere quod incipit esse; et hi posuerunt

 

A. – Certains qui ne considèrent pas que l'univers vient de Dieu, ont été forcés de se tromper sur le commencement du monde. Car certains sans tenir compte de la cause efficiente, pensant qu'il y avait seulement une matière incréée[16], qui serait la cause de tout, comme les très anciens Naturalistes, furent obligés de dire que la matière a toujours existé. En effet, comme rien ne passe par soi du non-être à l'être, il faut que ce qui commence à être ait une autre cause et ils ont pensé:

 

vel mundum semper fuisse continue, quia non ponebant nisi naturaliter agentia quae determinabantur ad unum, ex quo oportebat quod semper idem effectus sequeretur;

a) ou bien que le monde a toujours existé en continuité, parce qu'ils ne pensaient qu'aux agents naturellement déterminés à un seul objet d'où il fallait que découle toujours le même effet,

 

vel cum interruptione sicut Democritus; qui ponebat mundum vel mundos potius multoties fuisse compositos et dissolutos casu, propter causalem motum atomorum.

b) ou bien (qu'il a existé) avec interruption, comme Démocrite le dit, qui pensait que le monde, ou plutôt les mondes, avaient été composés et désagrégés de nombreuses fois par le hasard, à cause du mouvement causal des atomes.

 

Sed quia inconveniens videbatur quod omnes convenientiae et utilitates in rebus naturalibus existentes essent a casu, cum semper vel in pluribus inveniantur; quod tamen necesse erat sequi, si solum materia poneretur, et praecipue cum inveniatur quidam effectus ad quos causalitas materiae non sufficit; ideo alii posuerunt causam agentem, sicut Anaxagoras intellectum, et Empedocles amicitiam et litem. Sed tamen isti non posuerunt huiusmodi causas agentes universi esse, sed ad modum aliorum particularium agentium, quae agunt materiam transmutando de uno in aliud. Unde necesse erat eis dicere quod materia esset aeterna, utpote non habens causam sui esse; sed mundum incepisse: quia omnis effectus causae agentis per motum sequitur suam causam in duratione, eo quod effectus non est nisi in termino motus, ante quem est principium motus, cum quo simul oportet esse agens, a quo est principium motus.

 

B. Mais parce qu'il paraissait inconvenant que toutes les aptitudes et fonctions qui existent dans les êtres naturels dépendent du hasard, puisque on les trouvait soit toujours, soit même dans le plus grand nombre des êtres: ce que cependant il était nécessaire de conclure, si on pensait qu'il n'y avait que la matière, et surtout puisqu'on trouvait un effet pour ce pourquoi la causalité de la matière ne suffit pas, d'autres ont établi une cause efficiente, comme l'intelligence pour Anaxagore, et l'amitié et le procès pour Empédocle[17]. Mais cependant ils n'ont pas établi de telles causes efficientes universelles, mais à la manière des autres agents particuliers, qui agissent sur la matière en la changeant d'une chose en une autre. C'est pourquoi il était nécessaire pour eux de dire que la matière était éternelle, c'est-à-dire comme sans cause de son être; mais que le monde a commencé; parce que tout effet d'une cause efficiente par mouvement suit sa cause dans la durée, parce que l'effet n'existe qu'au terme du mouvement, avant lequel il y a son commencement, avec lequel il faut que l'agent soit en même temps, par lequel existe un principe du mouvement.

 

Aristoteles vero, considerans, quod si ponatur causa constituens mundum agere per motum, sequeretur quod sit abire in infinitum, quia ante quemlibet motum erit motus, posuit mundum semper fuisse. Non enim processit ex consideratione illa qua intelligitur exitus universi esse a Deo, sed ex illa consideratione qua ponitur aliquod agens incipere operari per motum; quod est particularis causae, et non universalis. Et propter hoc ex motu et immobilitate primi motoris, rationes suas sumit ad mundi aeternitatem ostendendam; unde diligenter consideranti, rationes eius apparent quasi rationes disputantis contra positionem; unde et in principio VIII Phys., mota quaestione de aeternitate motus, praemittit opiniones Anaxagorae et Empedoclis, contra quas disputare intendit.

 

C. – Mais Aristote ( Physique, VIII, 1, 251 a 10-13), considérant que, si on pense qu'une cause qui constitue le monde agit par mouvement, il en découlerait que ce serait aller à l'infini, parce que, avant n'importe quel mouvement, il y a un mouvement, pensa que le monde a toujours existé. Car il part pas de cette considération par laquelle on comprend que l'univers vient de Dieu, mais de celle par laquelle on pense qu'un agent commence à opérer par mouvement, ce qui est d'une cause particulière, et non d'une cause universelle. Et ainsi il tire ses arguments du mouvement et de l'immobilité du premier moteur pour démontrer l'éternité du monde. C'est pour cela que, pour celui qui les considère avec attention, ses raisons apparaissent comme celles de quelqu'un qui réfute une opinion; et ainsi au commencement du livre VIII de la Physique (VIII, 1, 250 b 23[18]) ayant soulevé la question de l'éternité du mouvement, il présente préalablement les opinons d'Anaxagore et d'Empédocle contre lequel il a l'intention d'argumenter.

 

Sed sequaces Aristotelis considerantes exitum totius universi a Deo per suam voluntatem, et non per motum, conati sunt ostendere mundi aeternitatem per hoc quod voluntas non retardat facere quod intendit, nisi propter aliquam innovationem vel immutationem, saltem quam necesse est imaginari in successione temporis, dum vult facere hoc tunc et non prius.

D. Mais les successeurs d'Aristote considérant que l'univers est sorti de Dieu par sa volonté et non par mouvement, ont essayé de démontrer l'éternité du monde par le fait que la volonté ne tarde pas à accomplir ce qu'elle a l'intention de faire sauf nouveauté ou changement, du moins qu'il est nécessaire d'imaginer dans la succession du temps, pendant qu'il veut faire cela alors et non avant.

 

Sed isti etiam in defectum similem inciderunt in quem et praedicti. Consideraverunt enim primum agens ad similitudinem alicuius agentis quod suam actionem exercet in tempore quamvis per voluntatem agat; quod tamen non est causa ipsius temporis, sed tempus praesupponit. Deus autem est causa etiam ipsius temporis. Nam et ipsum tempus in universitate eorum quae a Deo facta sunt continetur; unde cum de exitu universi esse a Deo loquimur, non est considerandum, quod tunc et non prius fecerit. Ista enim consideratio tempus praesupponit ad factionem, non autem subiicit factioni.

Mais ceux-ci tombèrent dans une erreur semblable à celle où étaient tombés ceux dont on a parlé. Car ils ont considérè le premier agent à la ressemblance d'un agent qui exerce son action dans le temps, quoiqu'il agisse par volonté, ce qui n'est pas cause de ce temps, mais le présuppose. Mais Dieu est la cause aussi du temps lui-même. Car il est contenu dans l'universalité de ce que Dieu a créé; c'est pourquoi, quand nous parlons de l'être de l'univers sorti de Dieu, il ne faut pas considérer qu'il l'a fait alors et non avant. Car cette considération présuppose le temps pour sa formation, mais elle n'y est pas soumise.

 

Sed si universitatis creaturae productionem consideramus, inter quas est etiam ipsum tempus, est considerandum quare tali tempori talem mensuram praefixerit, non quare hoc fecit in tali tempore. Praefixio autem mensurae temporis dependet ex simplici voluntate Dei, qui voluit quod mundus non esset semper, sed quandoque esse inciperet, sicut et voluit quod caelum nec esset maius vel minus.

Mais si nous considérons la production de l'universalité des créatures, parmi lesquelles il y a le temps lui-même, il faut considérer pourquoi il a fixé à l'avance une telle mesure à tel temps, non pourquoi il a fait cela en tel temps. La détermination de la mesure du temps dépend de la simple volonté de Dieu, qui a voulu que le monde n'existe pas toujours, mais qu'un jour, il commence à exister comme il a voulu que le ciel ne soit ni plus grand ni plus petit.

 

Solutions:

q. 3 a. 17 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod bonitatis proprium est producere res in esse mediante voluntate, cuius est obiectum; unde non oportuit quod quandocumque fuit divina bonitas, res producerentur in esse, sed secundum dispositionem voluntatis divinae.

# 1. Le propre de la bonté est de faire venir les créatures à l'être par l'intermédiaire de la volonté, dont c'est l'objet. C'est pourquoi il n'a pas fallu que toutes les fois où il y eut la bonté de Dieu les créatures viennent à l'être, mais selon la disposition de la volonté divine.

 

q. 3 a. 17 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in corpore caelesti, cum sit incorruptibile, est virtus ut sit semper; sed nulla virtus neque essendi neque operandi respicit praeteritum, sed solum praesens vel futurum; nullus enim habet virtutem ad quod aliquid fecerit, quia quidquid non est factum, non potest factum fuisse; sed habet aliquis virtutem ad hoc ut nunc vel in posterum faciat; unde et virtus existendi semper, quae inest caelo, non respicit praeteritum, sed futurum.

# 2. Le corps céleste, en tant qu'incorruptible, a le pouvoir de toujours exister; mais aucun pouvoir d'être ni d'opérer ne regarde le passé, mais seulement le présent ou le futur; car personne n'a de pouvoir sur ce qui aura été fait, parce que, tout ce qui n'a pas été fait ne peut pas avoir été fait; mais quelqu'un en a le pouvoir dans le présent ou le futur. C'est pourquoi le pouvoir d'exister toujours qui est dans le ciel, ne regarde pas le passé, mais le futur.

 

q. 3 a. 17 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest dici, simpliciter loquendo, caelum esse corruptibile propter hoc quod in non esse decideret, si a Deo non contineretur. Sed tamen quia creaturam contineri in esse a Deo, dependet ex immobilitate divina, non ex necessitate naturae, ut possit dici quod sit necessarium absolute, cum sit necessarium solum ex suppositione divinae voluntatis, quae hoc immobiliter statuit, potest concedi secundum quid corruptibile esse caelum, cum hac scilicet conditione, si Deus ipsum non contineret.

# 3. On ne peut pas dire, absolument parlant, que le ciel est corruptible, pour tomber dans le non-être, s'il n'était pas maintenu par Dieu. Mais cependant, parce que le fait que la créature soit maintenue à l'être par Dieu dépend de l'immutabilité divine, non par la nécessité de nature, pour qu'on puisse dire qu'il est absolument nécessaire, puisqu'il serait nécessaire seulement, si on suppose la volonté divine, qui l'a établi de façon immobile, on peut concéder en quoi le ciel est corruptible, à cette condition que Dieu ne le maintienne pas.

 

q. 3 a. 17 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnis effectus habet necessariam habitudinem ad suam causam efficientem, sive sit causa naturalis, sive voluntaria. Sed non ponimus Deum causam mundi ex necessitate naturae suae, sed ex voluntate, ut supra dictum est, unde necessarium est effectum divinum sequi non quandocumque natura divina fuit, sed quando dispositum est voluntate divina ut esset, et secundum modum eumdem quo voluit ut esset.

# 4. Tout effet a une relation nécessaire à sa cause efficiente, qu'elle soit naturelle ou volontaire. Mais nous ne pensons pas que Dieu soit la cause du monde par la nécessité de sa nature, mais par volonté, comme on l'a dit plus haut ( qu. 3, art. 15). C'est pourquoi, il est nécessaire que l'effet divin suive, non pas chaque fois que la nature divine a existé, mais quand il a été disposé par la volonté divine à être et de la manière même dont il a voulu qu'il soit.

 

q. 3 a. 17 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ante tempus aliquid esse, potest intelligi dupliciter. Uno modo ante totum tempus, et ante omne id quod est temporis; et sic mundus non fuit ante tempus, quia instans in quo incepit mundus, licet non sit tempus, est tamen aliquid temporis, non quidem ut pars, sed ut terminus.

 

Alio modo intelligitur aliquid esse ante tempus, quia est ante temporis completionem; quod non completur nisi in instanti ante quod est aliud instans; et sic mundus est ante tempus. Non autem oportet propter hoc quod sit aeternus; quia nec ipsum instans temporis quod sic est ante tempus est aeternum.

# 5. L'existence d'un être avant le temps, peut être comprise de deux façons:

 

a) Avant tout le temps et avant tout ce qui concerne temps; et ainsi le monde n'a pas existé avant le temps, parce que l'instant où il a commencé, bien que ce ne soit pas le temps, est cependant quelque chose du temps, non comme une partie, mais comme un terme.

 

b) On comprend que quelque chose existe avant le temps parce qu'il est avant l'accomplissement du temps; parce qu'il n'est complet que dans l'instant avant lequel il y a un autre instant; et ainsi le monde est avant le temps. Mais il ne faut pas pour cela qu'il soit éternel, parce que cet instant même du temps qui est ainsi avant le temps n'est pas éternel.

 

q. 3 a. 17 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum omne agens agat sibi simile, oportet quod effectus hoc modo sequatur a causa efficaciter operante, quod similitudinem causae retineat. Sicut autem quod est a causa naturaliter agente, retinet similitudinem eius prout habet formam similem formae agentis; ita quod est ab agente voluntario, retinet similitudinem eius, prout habet formam similem causae, secundum quod hoc producitur in effectu quod est in voluntatis dispositione, ut patet de artificiato respectu artificis. Voluntas autem non disponit solum de forma effectus, sed de loco, duratione, et omnibus conditionibus eius; unde oportet quod effectus voluntatis tunc sequatur quando voluntas disponit, non quando voluntas est. Non enim secundum esse, sed secundum id quod voluntas disponit, effectus voluntati similatur. Licet igitur voluntas semper sit eadem, non tamen oportet quod semper ex ea effectus sequatur.

# 6. Comme tout agent fait du semblable à lui, il faut que l'effet découle de la cause qui opère efficacement, de manière à maintenir sa ressemblance. De même ce qui dépend d'une cause qui agit naturellement maintient la ressemblance dans la mesure où elle a une forme semblable à celle de l'agent. De la même manière ce qui maintient sa ressemblance, dans la mesure où il a une forme semblable à celle de l'agent, selon que cela se produit dans un effet qui dépend de la volonté, comme cela paraît dans l'oeuvre de l'artisan, en rapport avec lui. La volonté ne dispose pas seulement de la forme de l'effet, mais du lieu, de la durée et de toutes ses conditions. C'est pourquoi, il faut que l'effet de la volonté suive quand elle le dispose, non quand elle existe. Car ce n'est pas selon l'être, mais selon ce que la volonté dispose, que l'effet est semblable à la volonté. Donc, bien que la volonté soit toujours la même, cependant il ne faut pas que toujours l'effet en découle.

 

q. 3 a. 17 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus de necessitate vult suam bonitatem et omne id sine quo sua bonitas esse non potest. Tale autem non est creaturarum productio; unde ratio non sequitur.

# 7. Dieu veut nécessairement sa bonté et tout ce sans quoi sa bonté ne peut pas exister. Mais telle n'est pas la production des créatures. C'est pour cela que l'argument ne vaut pas.

 

q. 3 a. 17 ad 8 Ad octavum dicendum, quod cum Deus creaturas ad manifestationem sui produxerit, convenientius fuit et melius ut sic producerentur, sicut convenientius et expressius eum poterant manifestare. Expressius autem manifestatur ex creaturis, si non semper sint; quia in hoc manifeste apparet quod ab alio eductae sunt in esse, et quod Deus creaturis non indiget, et quod creaturae omnino divinae subiacent voluntati.

# 8. Comme Dieu a produit les créatures pour se manifester, il a été plus convenable et meilleur de les produire aussi comme elles pouvaient le manifester plus convenablement et mieux. Mais il est plus expressément manifesté par les créatures, si elles n'existaient pas toujours, parce que, en cela, il apparaît manifestement qu'elles viennent à l'être par un autre, que Dieu n'a pas besoin de ses créatures, et que les créatures sont soumises entièrement à sa volonté .

 

q. 3 a. 17 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus aeternam voluntatem habuit de mundi factione; non tamen ut mundus semper fieret, sed ut tunc fieret quando fecit.

# 9. Dieu a eu la volonté éternelle de créer le monde, non cependant pour qu'il existât toujours, mais pour qu'il soit créé quand il le fit.

 

q. 3 a. 17 ad 10 Ad decimum dicendum, quod antequam mundus esset, possibile erat mundum fieri, non quidem aliqua potentia passiva, sed solum per potentiam activam agentis. Vel potest dici, quod fuit possibile non per aliquam potentiam, sed quia termini non sunt invicem discohaerentes, huiusmodi scilicet propositionis: mundus est. Sic enim dicitur esse aliquid possibile secundum nullam potentiam, ut patet per philosophum, in V Metaph.

 

# 10. Avant que le monde existe, il était possible qu'il soit créé, non à cause d'une quelconque puissance passive, mais seulement par la puissance active de l'agent. Ou bien on peut dire encore qu'il a été possible, non par une puissance, mais parce que les termes ne se contrarient pas entre eux, à savoir ceux de cette proposition: "Le monde existe". Car ainsi on dit que quelque chose est possible mais pas selon la puissance, comme le Philosophe le fait voir (Métaphysique V, 15, 1021 a 24-25[19]).

 

q. 3 a. 17 ad 11 Et per hoc patet solutio ad undecimum.

11. Et ainsi apparaît la solution à la onzième objection.

 

q. 3 a. 17 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod incipit agere actione nova; sed Dei actio est aeterna, cum sit sua substantia. Dicitur autem incipere agere ratione novi effectus, qui ab aeterna actione consequitur secundum dispositionem voluntatis, quae intelligitur quasi actionis principium in ordine ad effectum. Effectus enim ab actione sequitur secundum conditionem formae, quae est actionis principium; sicut aliquid est calefactum per calefactionem ignis, ad modum caloris ignis.

12. Cette raison procède de l'agent qui commence à agir par une action nouvelle; mais l'action de Dieu est éternelle, puisqu'elle est sa substance. On dit qu'il commence à agir pour un nouvel effet, qui découle de l'action éternelle selon la disposition de sa volonté, qui est comprise comme le principe de l'action en rapport avec cet l'effet. Car l'effet découle de l'action selon la condition de la forme, qui en est le principe; ainsi quelque chose est réchauffé par la chaleur du feu, à la manière de sa chaleur.

 

q. 3 a. 17 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod ratio illa procedit de agente quod ita facit effectum suum in tempore, quod tamen non est temporis causa; quod in Deo locum non habet, ut ex supra dictis, patet.

13. Cette raison procède d'un agent qui produit son effet dans le temps, sans être la cause du temps, ce qui n'existe pas en Dieu, comme cela paraît de ce qu'on a dit plus haut (art. 15).

 

q. 3 a. 17 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod si motus proprie accipiatur, divina voluntas non movetur; sed metaphorice loquendo dicitur moveri a suo volito; et sic sola Dei bonitas movet ipsam, secundum quod Augustinus dicit quod Deus movet se ipsum sine loco et tempore. Nec tamen sequitur quod quandocumque fuit bonitas eius, tunc esset creaturarum productio; quia creaturae non procedunt a Deo ex debito vel necessitate bonitatis, cum divina bonitas creaturis non egeat, nec per eas ei aliquid accrescat, sed ex simplici voluntate.

 

14. Si le mouvement est pris au sens propre, la volonté divine n'est pas mue, mais en parlant par métaphore, on dit qu'elle est mue par ce qu'il veut, et ainsi la seule bonté de Dieu la meut elle-même, selon ce que dit Augustin (La Genèse au sens littéral VIII, 22) que Dieu se meut lui-même sans lieu ni temps. Cependant il n'en découle pas que chaque fois que sa bonté a existé, il y aurait eu production de créatures, parce qu'elles ne procèdent pas de Dieu comme un dû ou nécessité de sa bonté, puisque la bonté divine n'a pas besoin des créatures, et par elles rien n'est accru en lui, mais cela vient de sa simple volonté.

 

q. 3 a. 17 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod cum prima successio temporis causetur ex motus successione, ut dicitur in IV Phys., secundum hoc verum est quod omne instans et est principium et finis temporis, dicendum quod verum est quod omne momentum est principium et finis motus; unde si supponamus motum non semper fuisse nec semper futurum esse, non oportebit dicere quod quodlibet instans sit principium et finis temporis; sed erit aliquod instans quod est tantum principium, et aliquod quod tantum finis. Unde patet quod ratio ista est circularis, et propter hoc non est demonstratio; sed tamen est efficax secundum intentionem Aristotelis, qui eam inducit contra positionem, ut dictum est, in corp. art. Multae enim rationes sunt efficaces contra positionem propter ea quae ab adversariis ponuntur, quae non sunt efficaces simpliciter.

 

ICIC

 

q. 3 a. 17 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod instans semper consideratur ut fluens, sed non semper ut fluens ab aliquo in aliquid, sed quandoque ut fluens ab aliquo tantum, sicut ultimum instans temporis; quandoque ut fluens in aliquid tantum, sicut primum instans.

15. Comme la première succession du temps est causée par la succession du mouvement, comme on le dit (Physique IV, 218 b 9 sq.[20]), et qu'ainsi il est vrai que tout instant est commencement et fin du temps, il faut dire qu'il est vrai que tout moment est commencement et fin du mouvement; c'est pourquoi si nous supposons que le mouvement n'a pas toujours existé, et ne durera pas toujours, il ne faudra pas dire que n'importe quel instant est commencement et fin du temps, mais il y aura un instant qui est seulement commencement et un qui est seulement fin. C'est pourquoi, il apparaît que cette raison est circulaire et c'est pour cela que ce n'est pas une démonstration, mais cependant elle est efficace dans l'intention d'Aristote qui l'oppose à cette opinion, comme on l'a dit dans le corps de l'article. Car nombreuses sont les raisons efficaces contre cette opinion à cause de ce que les adversaires ont pensé, causes qui ne sont pas efficaces de façon absolue.

 

16. L'instant est toujours considéré comme fluctuant, mais pas toujours comme fluctuant de l'un dans l'autre, mais quelquefois comme fluctuant d'un seulement comme le dernier instant du temps, quelquefois comme fluctuant en l'un seulement, comme le premier instant.

 

q. 3 a. 17 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illa ratio non probat quod motus semper fuerit, sed quod motus circularis possit esse semper, quia ex mathematicis non potest aliquid efficaciter de motu concludi; unde Aristoteles, non probat ex circulatione motus, eius aeternitatem; sed supposito quod sit aeternus, ostendit quod est circularis; quia nullus alius motus potest esse aeternus.

17. Cette raison ne prouve pas que le mouvement a toujours existé, mais que le mouvement circulaire pourrait existé toujours, parce que mathématiquement on ne peut rien conclure d'efficace sur le mouvement; c'est pourquoi Aristote (Physique VIII, 8, 264 b 9 ss.) ne prouve pas de la circularité du mouvement son éternité; mais supposé qu'il soit éternel, il montre qu'il est circulaire, parce que nul autre mouvement ne peut être éternel.

 

q. 3 a. 17 ad 18 Et per hoc patet responsio ad decimumoctavum.

18. Et par là apparaît la réponse à la dix-huitième objection.

 

q. 3 a. 17 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod sicut se habet scibile ad scientiam nostram, ita se habet scientia Dei ad creaturas. Nam scientia Dei est causa creaturarum, sicut et scibile est causa scientiae nostrae; unde sicut scibile potest esse, scientia nostra non existente, ut dicitur in praedicamentis, ita Dei scientia esse potest, scibili non existente.

 

19. La science de Dieu se comporte vis-à-vis des créatures de la même manière que le connaissable vis-à-vis de notre science. Car celle de Dieu est la cause des créatures; de même que le connaissable est cause de notre science; c'est pourquoi comme le connaissable peut exister sans que notre science existe, comme on le dit (Les Catégories, ad aliquid, 7, 7 b 23), ainsi la science de Dieu peut exister sans que le connaissable existe.

 

q. 3 a. 17 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Deus praecedit mundum duratione, non quidem temporis, sed aeternitatis, quia esse Dei non mensuratur tempore. Nec ante mundum fuit tempus reale, sed solum imaginarium, prout scilicet nunc possumus imaginari infinita temporum spatia, aeternitate existente, potuisse revolvi ante temporis inceptionem.

20. Dieu précède le monde dans la durée, non du temps mais de l'éternité, parce que l'être de Dieu n'est pas mesuré par le temps. Et avant le monde il n'y eut pas de temps réel, mais seulement imaginaire, dans la mesure où nous pouvons maintenant imaginer qu'un espace infini de temps, quand existe l'éternité, a pu se dérouler avant le commencement du temps.

 

q. 3 a. 17 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod si relatio dominii intelligatur consequi actionem qua Deus actualiter creaturas gubernat, sic non est ab aeterno dominus. Si autem intelligatur consequi ipsam potestatem gubernandi, sic competit ei ab aeterno. Nec tamen oportet creaturas ab aeterno ponere, nisi in potentia.

 

21. La relation de Seigneur est comprise comme découlant de l'action par laquelle Dieu gouverne actuellement les créatures, ainsi, il n'est pas Seigneur depuis l'éternité. Mais si on comprend qu'elle découle de sa propre puissance de gouverner, alors ce nom lui convient depuis l'éternité. Cependant il ne faut pas penser que des créatures aient existé de toute éternité, sinon en puissance.

 

q. 3 a. 17 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod ratione illa utitur Augustinus, ad probandum coaeternitatem et coaequalitatem filii ad patrem; quae tamen ratio non est efficax de mundo; quia cum natura filii sit eadem cum patre, requirit aeternitatem et aequalitatem patris; quae si sibi subtraheretur, invidiae esset. Non autem hoc requirit natura creaturae; et ideo non est simile.

22. Augustin (Contre Maximinien, III, ch. 7, 8, 22) se sert de cette raison pour prouver la coéternité et la coégalité du Fils au Père; cependant elle n'est pas valable pour le monde, parce que la nature du Fils est la même que celle du Père, elle requiert l'éternité et l'égalité avec le Père. Si elle lui était enlevée, ce serait une spoliation. Mais la nature de la créature ne le requiert pas, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 3 a. 17 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod secundum Graecos dicitur: dominus regnavit in saeculum saeculi, et adhuc; quod exponens Origenes in Glossa, dicit, quod saeculum intelligitur spatium unius generationis, cuius finis notus est nobis: per saeculum saeculi immensum spatium temporis, quod finem habet, tamen nobis ignotum; sed adhuc ultra illud, regnum Dei extenditur. Et sic aeternum exponitur pro tempore diuturno. Anselmus autem in Proslog., exponit aeternum pro aevo, quod nunquam finem habet; et tamen ultra illud Deus esse dicitur propter hoc:

 

primo, quia aeviterna possunt intelligi non esse.

 

Secundo, quia non essent, nisi a Deo continerentur; et sic de se non sunt.

 

Tertio, quia non habent totum esse suum simul, cum in eis sit aliqua mutationis successio.

23. Selon les Grecs on dit: "Le Seigneur a régné pour le siècle de siècle, et au-delà"; en l'exposant, Origène, dans la glose, dit que le siècle est compris comme la durée d'une génération, dont la fin nous est connue; par siècle de siècle, un immense durée de temps, qui a une fin, cependant ignorée de nous; mais par encore, le règne de Dieu s'étend au-delà de cela. Et ainsi éternel est pris pour un temps qui dure. Mais Anselme dans le Proslogion (ch. 19 et 20) définit éternel comme l'aevum, qui jamais n'a de fin et cependant on dit que Dieu est au-delà pour cette raison:

 

a) Ce qui est éviternel peut être compris comme n'existant pas.

 

b) Cela n'existerait que si c'était maintenu par Dieu: et ainsi en soi, cela n'existe pas.

 

c) Ils n'ont pas tout leur être en même temps, puisqu'il y a en eux une succession de changements.

 

q. 3 a. 17 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod pro tanto oportet illud quod incipit, habere mensuram durationis, quia incipit per motum. Sic autem tempus non incipit per creationem, unde ratio non sequitur; et tamen potest dici, quod omnis mensura in suo genere seipsa mensuratur, sicut linea per lineam, et similiter tempus per tempus.

 

24. Pour autant, il faut que ce qui commence ait la mesure de la durée, parce qu'il commence par un mouvement. Mais ainsi le temps ne commence pas par création; c'est pourquoi cette raison n'est pas valable; et cependant on peut dire que toute mesure dans son genre est mesurée par elle-même, comme la ligne par la ligne, et semblablement le temps par le temps.

 

q. 3 a. 17 ad 25 Ad vicesimumquintum dicendum, quod tempus non se habet sicut permanentia, quorum substantia est tota simul; unde non oportet quod totum tempus sit quando incipit esse; et sic nihil prohibet dicere, quod tempus incipit in instanti esse.

25. Le temps ne se comporte pas comme ce qui est permanent dont la substance est toute en même temps; c'est pourquoi il ne faut pas que le temps en entier existe, quand il commence à exister, et ainsi rien n'empêche de dire que le temps commence à être dans l'instant.

 

q. 3 a. 17 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod actio Dei est aeterna, sed effectus non est aeternus, ut supra dictum est; unde licet Deus non semper fuerit causa, cum non semper fuerit effectus, non tamen sequitur quod non fuerit causa in potentia, quia actio eius semper fuit, nisi potentia ad effectum referatur.

 

26. L'action de Dieu est éternelle, mais l'effet ne l'est pas, comme on l'a dit plus haut;. c'est pourquoi, bien que Dieu n'ait pas toujours été cause, comme son effet n'a pas toujours existé, il n'en découle cependant qu'il n'a pas été la cause en puissance, parce que son action n'a toujours existé, que si sa puissance se rapporte pas à un effet.

 

q. 3 a. 17 ad 27 Ad vicesimumseptimum dicendum, quod secundum philosophum, verum est in mente, non in rebus; est enim adaequatio intellectus ad res. Unde omnia quae fuerunt ab aeterno, fuerunt vera per veritatem intellectus divini, quae est aeterna.

27. Selon le Philosophe (Métaphysique VI, 4, 1027 b 25), la vérité est dans l'esprit, non dans la réalité, car c'est l'adéquation de l'intellect aux choses. C'est pourquoi tout ce qui a existé de toute éternité, a été vrai par la vérité de l'intellect divin, qui éternel.

 

q. 3 a. 17 ad 28 Ad vicesimumoctavum dicendum, quod omnia illa quae ab aeterno dicuntur esse vera, non sunt alia et alia veritate vera, sed una et eadem divini intellectus veritate, ad diversas tamen res in proprio esse futuras relata; et sic ex diversa relatione potest aliqua distinctio in illa veritate designari.

28. Tout ce qui est déclaré vrai éternellement n'est pas vrai par différentes vérités mais par une seule et même vérité de l'esprit divin, relative à différentes choses futures dans leur propre être. Et ainsi du fait de la diversité de la relation, on peut opérer une distinction dans cette vérité.

 

q. 3 a. 17 ad 29 Ad vicesimumnonum dicendum, quod verbum etiam philosophi intelligitur de oratione existente in nostro intellectu vel in nostra pronuntiatione; veritas enim nostri intellectus vel verbi, ab existentia rei causatur. Sed e converso veritas divini intellectus est causa rerum.

29. Ce mot du Philosophe est compris de l'élocution dans notre intellect et dans notre expression. Car la vérité de notre esprit ou de notre parole est causée par l'existence de la chose; mais à l'inverse la vérité de l'esprit divin est la cause des choses.

 

q. 3 a. 17 ad 30 Ad tricesimum dicendum, quod ex parte ipsius Dei facere non importat aliquid quod sit aliud quam suum dicere; non enim actio Dei est accidens, sed eius substantia; sed facere importat effectum actualiter existentem in propria natura, quod per dicere non importatur.

30. Du côté de Dieu même, faire n'apporte rien d'autre que dire; car son action n'est pas un accident, mais sa substance; mais faire apporte l'effet existant actuellement dans la nature propre, ce qui n'est pas apporté par le dire.

 

q. 3 a. 17 ad s. c. Argumenta vero quae obiiciuntur in contrarium, licet verum concludant, non tamen necessario, praeter primum, quod ex auctoritate procedit. Argumentum enim perspicacitatis secundum temporis cursum, non ostendit tempus quandoque incepisse. Potuit enim esse quod scientiarum studia pluries fuerint intermissa, et postmodum post longa tempora quasi de novo incepta, ut philosophus etiam dicit. Terra etiam non ita per illuvionem ex una parte consumitur, quin etiam per mutuam elementorum conversionem ex parte alia augmentetur; duratio etiam Dei, licet sit idem quod eius natura secundum rem, tamen differt ratione; unde non oportet quod sit prior duratione, si est prior natura.

 

Bien que les objections des arguments contraires définissent ce qui est vrai, ils ne le font pas nécessairement cependant, sauf la première qui procède d'une autorité. Car l'argument de la perspicacité[21] selon le cours du temps ne montre pas que le temps a un jour commencé. Car il a pu arriver que l'étude des sciences ait été plusieurs fois interrompue, et ensuite après de long temps comme recommencée de nouveau, comme le Philosophe le dit aussi (Métaphysique XI). La terre n'est pas emportée par l'érosion d'un côté, sans que par un changement mutuel des éléments elle augmente d'un autre côté. La durée même de Dieu[22], bien qu'elle soit en réalité la même chose que sa nature, diffère cependant en raison. C'est pourquoi, il ne faut pas qu'il soit avant en durée, s'il est avant en nature.

 

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[1] Ia, qu. 46, a.1 et a. 2 – CG II, 31 sq. – Quodl III, 14, 2 – Compendium. 98 – Phys. VIII 1, 2 – I De cælo et mundo, I, l. 6, 29 –Métaphysique XII, lect. 5 – II Sent. d1qu1a5).

 

[2] Le problème de l'éternité du monde a fait couler beaucoup d'encre, tant au XIIIe qu'à notre époque. On pourra trouver des informations à ce sujet, succinctes chez J.-P. Torell, Initiation à saint Thomas d'Aquin, Paris, Fribourg, 1993, p. 286, ss., M.-D. Chenu, Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Montréal, Paris, 1974. Informations plus développées, dans E. gilson, Introduction à la philosophie de saint Thomas d'Aquin, Paris, 1948, A.-D. Sertillanges, L'idée de création, Paris, 1945, A. Wohlman, Thomas d'Aquin et Maïmonide, Paris 1988. Etc.. Chez Thomas, le problème est évoqué, dans l'ordre chronologique, dans les oeuvres suivantes: II Sent. d1qu1a5 – CG. II, 31-38 – Pot. 3, 17 – De aeternite mundi – Compendium. I, 98-99 – Ia, qu. 46, a. 2 et 3 – Quodl. III, qu. 13, a. 2 – XII, qu. 6, a. 1.

 

[3] Cf. Pot. qu. 5, a. 6.

 

[4] Ou 286 a 17, Thomas lectio 4, n°335.

 

[5] "N'importe quel effet est nécessaire par comparaison à sa cause parce que, si, une fois la cause posée, l'effet n'en découle pas nécessairement, il sera encore possible, une fois la cause posée que l'effet existe ou n'existe" (Tout ce qui existe est nécessaire et tout ce qui n'existe est impossible). Veritate 23, 5, obj. 1. (Cf., Métaphysique VI, lectio 3 n°1192-93-94 etc.. I Sent. d37q1c). "L'objecteur conclut que depuis qu'un Dieu éternel est la cause suffisante du monde, il doit normalement exister, mais exister éternellement. (B. H. Zedler, The inner unity of the De potentia? The modern schoolman, Tradition, 6/1948, p. 95) Cf Avicenne, Metaphysice compendium. (Rome 1926) I, tr 7, pp. 63-64: "Eius enim incipere non est profectio in uno nunc temporis tantum; sed est incipiens in omni tempore et aevo. Ergo impossibile est ut sit incipiens esse postquam on fuerit, quin ipsum praedecere materia ex qua inciperet esse."

 

[6] C'est le temps des créatures spirituelles qui ont commencé à exister (anges, hommes) mais à qui est promis un temps qui ne finira pas. Thomas, Ia, 10, 5 Il ajoute:"il n'a pas d'avant et d'après mais ils peuvent lui être ajoutés".

 

[7] "Imperat, inquam, ut velit". L'esprit lui commande (au corps) , dis-je, de vouloir.

 

[8] Problème déjà examiné en Pot. 3, 1, obj. 2 et aussi Ia, qu. 46, a. 1, obj. 1.

 

[9] Il faut comprendre qu'il est Seigneur dans le temps, parce que des créatures lui sont soumises. Cf. Ia, qu. 13, a. 7, c'est le sed contra. "Augustin dit: cette appellation relative Seigneur convient à Dieu dans le temps." – Ad 5: "Comme la relation de sujétion est réellement dans la créature, il en découle que Dieu est Seigneur non en raison seulement, mais réellement. Car de le même manière on l'appelle Seigneur du fait que la créature lui est sujette. Il est appelé ainsi, dans le sens où la créature lui est soumise."

 

[10] Comprendre jaloux du Fils qui l'aurait fait à sa place?

 

[11] Donc l'éternité est considérée comme un domaine fini avec en dehors le temps. Il n'est pas sûr que cet au-delà de Exode 15, 18 signifie cela. Il pourrait être considéré comme une sorte de superlatif: toute éternité et plus encore.

 

[12] Priscien, philosophe néoplatonicien du VIe siècle après J.C..

 

[13] Ia, qu. 46, a. 2, "La non éternité du monde est assurée par la foi, mais ne peut pas être démontrée."

 

[14] Dans la création ex nihilo, il n'y a pas de cause matérielle, pas de matière préexistante.

 

[15] Cf. Métaphysique, XII, 1, 1069 a 19:"...si l'univers est comme un tout..."

 

[16] Aristote, Métaphysique , I 3, 983 b, 6: "La plupart des premiers philosophes ne considéraient comme principe de toutes choses que les seuls principes de nature matérielle.” Materia est ingenita (p. 27). Voir Physique, 1, 9, 192 a 20-34, Thomas lectio 15, n° 11, De caelo et mundo, I, 3, 270 a 12-14. Thomas, lectio 6, n°1.

 

[17] Physique, VIII, 1, 250 b 25.

 

[18] Anaxagore VIII, 1, 250 b 23 et Empédocle 250 b 25. Problème s'il y a eu un temps où il n'y avait pas de mouvement. Deux solutions: Anaxagore: "...l'Intelligence qui a imprimé le mouvement et opéré le discernement." Empédocle: mouvement et repos alternent. L'Amitié fait l'un à partir du multiple ou la Haine le multiple à partir de l'un, et le repos dans les temps intermédiaires."

 

[19] Métaphysique V 15, 1021 a 24-25: "Il y a enfin des relations selon la privation de puissance, comme l'impossible et autres notions de même nature, l'invisible par exemple".

 

[20] Physique 4, 10, 218 b 9 (p. 148 en bas): "Mais puisque le temps paraît surtout être un mouvement un changement.” – "219 a, 2; "C'est en percevant le mouvement que nous percevons le temps." – 219 a 8 "Le temps est mouvement ou quelque chose du mouvement". Cf. II Sent, d1q1a5, obj. et sol. 5.

 

[21] En sens contraire 2.

 

[22] En sens contraire 4.

 

Article 18: Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?

q. 3 a. 18 tit. 1 Decimoctavo quaeritur utrum Angeli sint creati ante mundum visibilem. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections[1]:

q. 3 a. 18 arg. 1 Quia Gregorius Nazianzenus dicit, quod Deus primum excogitavit angelicas virtutes et caelestes; et excogitatio fuit opus eius. Ergo prius fecit Angelos quam mundum visibilem conderet.

1. Parce que, [comme le rapporte Jean Damascène (livre 2, ch. 3[2])], Grégoire de Naziance dit (Orat. 38) que Dieu d'abord pensa les puissances angéliques et célestes et sa pensée fut son oeuvre. Donc il créa les anges avant de fonder le monde visible

q. 3 a. 18 arg. 2 Sed dicendum, quod ly primum dicit ordinem naturae, non durationis.- Sed contra, Damascenus ibidem ponit super hoc duas opiniones: quarum una ponit, Angelos primum fuisse creatos, alia vero dicit contrarium. Sed nulla unquam opinio posuit, quin Angeli natura priores essent visibilibus creaturis. Ergo oportet quod intelligatur de ordine durationis.

2. Mais il faut dire que le mot premier indique l'ordre de la nature et non celui de la durée. – En sens contraire, Jean Damascène rapporte au même endroit à ce sujet deux opinions[3]; dont l'une établit que les anges ont été créés en premier, et l'autre dit le contraire. Mais jamais aucune opinion n'a affirmé que les anges aient existé par nature avant les créatures visibles. Donc il faut le comprendre de l'ordre de la durée.

q. 3 a. 18 arg. 3 Praeterea, Basilius dicit in principio Hexameron: erat quaedam natura ante hunc mundum intellectui nostro contemplabilis; quod postmodum exponit de Angelis; ergo videtur quod ante hunc mundum Angeli sint creati.

3. Basile dit au début de son Hexameron (Hom. 1): "Il y avait une nature avant ce monde qui pouvait être contemplée par notre esprit". Après il parle des anges. Donc il semble que les anges aient été créés avant ce monde.

q. 3 a. 18 arg. 4 Praeterea, ea quae cum mundo visibili facta sunt, Scriptura in principio Genesis prosequitur. Sed de Angelis nullam facit mentionem. Ergo videtur quod Angeli non fuerunt creati cum mundo, sed ante mundum.

4. Ce qui a été fait avec le monde visible, l'Écriture l'expose au début de la Genèse. Mais elle ne fait aucune mention des anges. Il semble donc qu'ils n'ont pas été créés avec le monde, mais avant lui.

q. 3 a. 18 arg. 5 Praeterea, illud quod ordinatur ad perfectionem alicuius sicut ad finem, est eo posterius. Sed mundus visibilis ordinatur ad perfectionem intellectualis naturae: quia, ut Ambrosius dicit, Deus, qui natura invisibilis est, opus visibile fecit, per quod cognosci posset. Et non nisi a rationali creatura. Ergo rationalis creatura facta est ante mundum visibilem.

5. Ce qui est ordonné à la perfection d'un être comme à sa fin, lui est postérieur. Mais le monde visible est ordonné à la perfection de la nature intellectuelle; parce que, comme Ambroise le dit (Hexaemeron I, 5) Dieu, qui par nature est invisible, a fait une oeuvre visible par laquelle il puisse être connu. Il ne peut être connu que par la créature raisonnable. Donc celle-ci a été créée avant le monde visible.

q. 3 a. 18 arg. 6 Praeterea, quidquid est ante tempus, est ante mundum visibilem: quia tempus cum mundo visibili incepit. Sed Angeli creati sunt ante tempus: non enim fuit tempus ante diem; Angeli autem creati sunt ante diem, ut Augustinus dicit. Ergo Angeli creati sunt ante mundum visibilem.

6. Ce qui existe avant le temps est avant le monde visible: parce que le temps a commencé avec lui. Mais les anges ont été créés avant le temps; car il n'y eut pas de temps avant le jour; mais les anges ont été créés avant le jour, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, I, 9[4]). Donc ils ont été créés avant le monde visible.

q. 3 a. 18 arg. 7 Praeterea, Hieronymus dicit super epistolam ad Titum, cap. I: sex millia necdum nostri temporis implentur annorum; et quantas prius aeternitates, quanta tempora fuisse arbitrandum est, in quibus Angeli Deo servierunt, et eo iubente substiterunt? Sed mundus visibilis cum nostro tempore incepit. Ergo Angeli ante mundum visibilem fuerunt.

7. Jérôme dit dans son commentaire sur l'Épître à Tite (ch. 1): "Six mille ans de notre temps ne sont pas encore accomplis; et il faut penser combien d'éternité avant, combien de temps ont existé pendant lesquels les anges ont servi Dieu et ont été sous son commandement." Mais le monde visible a commencé avec notre temps. Donc les anges ont existé avant le monde visible.

q. 3 a. 18 arg. 8 Praeterea, sapientis est ordinate suum effectum producere. Sed Angeli praecedunt nobilitatem creaturarum visibilium. Ergo a sapientissimo artifice Deo, primo debuerunt produci in esse.

8. C'est le propre du sage de produire son effet avec ordre (Métaphysique, I, 2, 982 a 17-18) . Mais les anges précèdent la noblesse des créatures visibles. Donc ils ont dû être amenés à l'être en premier par l'artisan très sage qu'est Dieu.

q. 3 a. 18 arg. 9 Praeterea, Deus, in quantum bonus est, suae bonitatis alios participes facit. Sed huius dignitatis capaces erant Angeli, quod creaturam visibilem duratione praecederent. Ergo videtur hoc eis per summam Dei bonitatem collatum.

9. Dans la mesure où Dieu est bon, il fait participer les autres à sa bonté. Mais les anges étaient susceptibles de recevoir cette dignité, puisqu'ils ont précédé dans la durée la créature visible. Donc il semble que cela leur a été attribué par la bonté suprême de Dieu.

q. 3 a. 18 arg. 10 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia maioris mundi similitudinem gerit. Sed in homine pars eius nobilior ante alias partes formatur, scilicet cor, ut philosophus dicit. Ergo videtur quod Angeli, qui sunt nobilior pars maioris mundi, ante visibiles creaturas sint conditi.

q. 3 a. 18 arg. 11 Praeterea, ut Augustinus dicit, in opere secundae diei et deinceps tripliciter Scriptura rerum factionem commemorat. Dicit enim primo: dixit Deus, fiat firmamentum. Secundo: et factum est ita. Tertio vero: fecit Deus firmamentum. Quorum primum refertur ad esse rerum in verbo; secundum ad esse rerum in cognitione angelica, prout Angeli accipiunt cognitionem creaturae fiendae; tertium vero ad esse creaturae in propria natura. Sed quando creatura visibilis erat fienda, nondum erat. Ergo Angeli fuerunt et habuerunt cognitionem naturae visibilis antequam esset.

10. L'homme est appelé un petit monde [microcosme], parce qu'il porte la ressemblance d'un monde plus grand. Mais dans l'homme, la partie la plus noble est formée avant les autres, à savoir le coeur, comme le dit le Philosophe (La génération des animaux, ch. 4). Donc il semble que les anges qui sont la plus noble partie du monde aient été créés avant les créatures visibles.

11. Comme Augustin le dit (La Genèse au sens littéral, II, 7, et 8) dans l'oeuvre du deuxième jour et ensuite par trois fois, l'Écriture rappelle la création. Car elle dit d'abord: "Et Dieu dit: que soit fait le firmament." Deuxièmement: "Et ainsi fut fait". Troisièmement: "Dieu fit le firmament." Le premier se rapporte à l'être des choses dans le Verbe, le second à leur être dans la connaissance angélique, dans la mesure où les anges ont reçu la connaissance des créatures à créer; le troisième à l'être de la créature dans sa propre nature. Mais quand la créature visible devait être faite, elle n'existait pas encore. Donc les anges ont existé et eurent connaissance de la nature visible avant qu'elle ait existé.

q. 3 a. 18 arg. 12 Sed dicendum, quod hic intelligitur de factione creaturae quantum ad eius formationem, non quantum ad primam creationem.- Sed contra, secundum opinionem Augustini, creatio naturae visibilis non praecedit tempore eiusdem formationem. Si ergo Angelus fuit ante formationem creaturae visibilis, fuit et ante eius creationem.

12. Mais il faut dire qu'on le comprend de la réalisation de la créature quant à sa mise en forme, non quant à sa première création. En sens contraire, selon l'opinion d'Augustin (La Genèse au sens littéral, I, XV, 29[5]) la création de la nature visible n'a pas précédé sa mise en forme dans le temps. Si donc l'ange a existé avant la formation de la créature visible, il a existé aussi avant sa création.

q. 3 a. 18 arg. 13 Praeterea, dicere Dei est causa creaturae fiendae; quod non videtur posse intelligi de aeterna verbi genitura quia illa ab aeterno fuit, nec per vices temporum repetitur; cum tamen in singulis diebus Scriptura repetat Deum aliquid dixisse. Nec etiam potest intelligi de locutione corporali; tum quia nondum erat homo, qui vocem Dei loquentis audiret; tum etiam quia oportuisset ante lucis formationem aliquod aliud corporeum formatum fuisse, cum vox corporalis non fiat nisi per alicuius corporis formationem. Ergo videtur quod intelligatur de spirituali locutione qua Deus ad Angelos loquitur; et sic videtur quod Angelorum cognitio praesupponatur ut causa ad creaturarum visibilium productionem.

13. La dire de Dieu est la cause de la créature à créer, ce qui ne semble pas pouvoir être compris de la génération éternelle du Verbe, parce qu'elle a existé de toute éternité, et n'est pas répétée dans la succession des temps, alors que cependant l'Écriture répète que chaque jour Dieu a dit une parole. Et ainsi on ne peut le comprendre de la parole corporelle, d'abord parce qu'il n'y avait pas encore d'homme pour entendre la voix de Dieu qui parle; ensuite aussi parce qu'il aurait fallu, avant la formation de la lumière, que quelque autre corps ait été formé, puisque la voix corporelle n'était émise qu'après la formation d'un corps. Donc il semble qu'on le comprend de la parole spirituelle par laquelle Dieu parle à ses anges et ainsi il semble que la connaissance des anges est présupposée comme cause pour la production des créatures visibles.

q. 3 a. 18 arg. 14 Praeterea ut supra dictum est, sacra Scriptura tripliciter actionem rerum commemorat: quorum primum pertinet ad esse rerum in verbo; secundum ad esse rerum in cognitione angelica; tertium in propria natura. Sed primum horum praecedit secundum et duratione et causa. Ergo similiter secundum praecedit tertium duratione et causa, scilicet cognitio angelica existentiam visibilis creaturae.

14. Comme on l'a dit ci-dessus, l'Écriture sainte rappelle de trois manières l'action sur les créatures. La première concerne leur être dans le Verbe; la seconde dans la connaissance angélique et la troisième dans leur propre nature. Mais la première précède la seconde par la durée et la cause. Donc, semblablement la seconde précède la troisième par la durée et la cause, c'est-à-dire que la connaissance angélique précède l'existence de la créature visible.

q. 3 a. 18 arg. 15 Praeterea, non minus requiritur ordo in exitu rerum a principio quam in reductione earum in finem. Sed in reducendo res in finem, haec est lex divinitatis statuta, ut Dionysius dicit, quod ultima reducantur in finem per media. Ergo simpliciter creaturae corporales quae sunt infimae, procedunt a Deo per angelicas creaturas, quae sunt mediae; et sic Angeli corporales creaturas praecedunt, sicut causae effectum.

15. Un ordre dans la sortie des choses de leur principe n'est pas moins requis que dans leur retour à leur fin, Mais pour les ramener à leur fin, c'est une loi établie par la Divinité, comme le dit Denys (La hiérarchie céleste, ch. 5), parce que la dernière est ramenée à la fin par des intermédiaires. Donc simplement les créatures corporelles qui sont faibles, procèdent de Dieu par les créatures angéliques qui sont intermédiaires, et ainsi les anges précèdent les créatures corporelles comme les causes leur effet.

q. 3 a. 18 arg. 16 Praeterea, eis quae sunt omnino disparata, non competit associatio. Sed Angeli et creaturae visibiles sunt omnino disparata. Ergo non sunt associati in creatione, ut simul fierent. Inordinatum etiam esset quod Angeli post creaturas visibiles fierent. Ergo ante creaturas visibiles sunt conditi.

16. Pas question d'association pour ce qui est tout à fait différent. Mais les anges et les créatures visibles sont tout à fait différents. Donc ils ne sont pas associés dans la création, pour être créés ensemble. Ce serait même contre l'ordre que les anges aient été créées après les créatures visibles. Donc ils ont été créés avant elles.

q. 3 a. 18 arg. 17 Praeterea, Eccli. I, 4, dicitur: primo omnium creata est sapientia; quod non potest intelligi de filio Dei, qui est patris sapientia; cum ipse non sit creatus, sed genitus. Ergo sapientia angelica, quae est creatura, est ante omnia alia facta.

17. On dit en Eccl.1, 4: "La sagesse a été créée la première de tout", ce qui ne peut pas être compris du Fils de Dieu, qui est la sagesse du Père, puisqu'il n'a pas été créé, mais engendré. Donc la sagesse angélique, qui est une créature, a été faite avant toutes les autres créatures.

q. 3 a. 18 arg. 18 Praeterea Hilarius dicit in Lib. de Trinitate: quid mirum, si dominum nostrum Iesum Christum ante saecula fuisse confiteamur, cum etiam Deus Angelos fecerit ante mundum? Sed Dei filius non solum ordine dignitatis, sed etiam durationis omnia saecula praecessit. Ergo et Angeli mundum visibilem.

18. Hilaire dit au livre XII de la Trinité: "Qu'y a-t-il d'étonnant si nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ a existé avant tous les siècles, puisque même Dieu a fait les anges avant le monde." Mais le Fils de Dieu non seulement dans l'ordre de la dignité mais encore dans celui de la durée, a précédé tous les siècles. Donc les anges ont précédé le monde visible.

q. 3 a. 18 arg. 19 Praeterea, creatura angelica media est inter naturam divinam et corpoream: aevum etiam, quod est Angeli mensura, medium est inter aeternitatem et tempus. Sed Deus sua aeternitate fuit ante Angelos et visibilem creaturam. Ergo et Angeli suo aevo fuerunt ante mundum visibilem.

19. La créature angélique est intermédiaire entre la nature divine et la nature corporelle; l'aevum[6] aussi, qui est la mesure de l'ange, est intermédiaire entre l'éternité et le temps. Mais Dieu a été dans son éternité avant les anges et la créature visible. Donc les anges ont existé dans leur aevum avant le monde visible.

q. 3 a. 18 arg. 20 Praeterea, Augustinus dicit, quod Angeli semper fuerunt. Sed non potest dici quod creatura corporalis semper fuerit. Ergo Angeli fuerunt ante corpoream creaturam.

20. Augustin, dans la Cité de Dieu (XI, 9), dit que les anges ont toujours existé. Mais on ne peut pas le dire de la créature corporelle. Donc les anges ont existé avant la créature corporelle.

q. 3 a. 18 arg. 21 Praeterea, motus creaturae corporeae peraguntur per ministerium spiritualis creaturae, ut patet per Augustinum, et per Gregorium. Sed motor praecedit mobile. Ergo Angeli fuerunt ante visibiles creaturas.

21. Les mouvements des créatures corporelles sont accomplis par le ministère de la créature spirituelle, comme on le voit chez Augustin (La Trinité, III) et Grégoire [le Grand] (Dialogues IV). Mais le moteur précède le mobile. Donc les anges ont existé avant les créatures corporelles [7].

q. 3 a. 18 arg. 22 Praeterea, Dionysius assimilat actionem divinam in res, actioni ignis in corpora quae ab igne patiuntur. Sed ignis prius agit in corpora propinqua quam in remota. Ergo et divina bonitas primo produxit creaturas angelicas sibi propinquas, quam creaturas corporeas magis ab eo distantes; et sic Angeli ante mundum fuerunt.

22. Denys assimile l'action divine sur les créatures à l'action du feu sur les corps qui le subissent. Mais le feu agit dans un corps proche avant d'agir sur un corps éloigné. Donc la bonté divine a produit les créatures angéliques proches de lui avant les créatures corporelles plus distantes et ainsi les anges ont existé avant le monde.

En sens contraire:

q. 3 a. 18 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur in principio Genes. I, 1: in principio creavit Deus caelum et terram; ubi Glossa Augustini dicit, quod per caelum intelligitur natura angelica, per terram vero natura corporalis. Ergo Angeli simul cum natura corporali fuerunt facti.

1. Au début de la Genèse (1, 1), il est dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre," où la glose d'Augustin dit que par le ciel il faut entendre la nature angélique, par la terre, la nature corporelle. Donc les anges ont été créés en même temps que la nature corporelle.

q. 3 a. 18 s. c. 2 Praeterea, Glossa Strabonis ibidem dicit, quod per caelum ibi intelligitur caelum Empyreum, quod mox factum sanctis Angelis est repletum. Ergo Angeli simul fuerunt facti cum caelo Empyreo, quod est visibilis creatura.

2. La glose de Strabon dit en ce même endroit, que par le ciel on comprend le ciel empyrée qui, bientôt après avoir été créé, a été rempli par les anges. Donc les anges ont été créés en même temps que le ciel empyrée, qui est une créature visible.

q. 3 a. 18 s. c. 3 Praeterea, homo minor mundus dicitur, quia habet similitudinem maioris mundi. Sed in homine simul fit corpus et anima. Ergo et in mundo maiori simul fit angelica et corporalis creatura.

3. On appelle l'homme un petit monde, [microcosme] parce qu'il ressemble au monde plus grand. Mais dans l'homme, le corps et l'âme sont faits en même temps. Donc dans le monde plus grand, la créature angélique et la créature corporelle sont faites en même temps[8].

Réponse:

q. 3 a. 18 co. Respondeo. Dicendum quod in hoc omnes Catholici doctores consenserunt, quod Angeli non semper fuerunt, utpote de nihilo in esse producti.

Tous les docteurs catholiques sont d'accord que les anges n'ont pas toujours existé, vu qu'ils ont été amenés du néant à l'être.

Quidam tamen posuerunt Angelos non simul cum mundo visibili, sed ante mundum visibilem incepisse. Ad hoc autem ponendum diversis rationibus sunt moti.

A) Certains[9] ont pensé que les anges n'ont pas commencé avec le monde visible, mais avant lui. Ils ont été amenés à le penser par diverses raisons.

Quidam namque aestimaverunt creaturas corporeas non esse productas ex prima Dei intentione, sed occasionem eas producendi ex merito vel demerito spiritualis creaturae Deum habuisse dixerunt. Posuit enim Origenes, a principio simul creatas esse omnes creaturas immateriales et rationales, et eas fuisse aequales, divina iustitia hoc exigente. Non enim videtur quod inaequalitas possit esse in datis, iustitia servata, nisi propter meriti vel demeriti diversitatem. Unde diversitatem creaturarum (quam videmus) praecessisse posuit meriti et demeriti diversitatem, ut secundum quod spiritualium creaturarum quaedam magis Deo adhaeserunt, in altiores ordines Angelorum sint promotae; quae vero magis peccaverunt, grossioribus et ignobilioribus corporibus sint alligatae; quasi ipsa meritorum diversitas exegerit diversos gradus corporum a Deo produci

Car certains ont pensé que les créatures corporelles n'avaient pas été produites dans un premier dessein de Dieu, mais ils disent qu'il eut l'occasion de les produire à cause du mérite ou du démérite de la créature spirituelle. Origène, en effet, a pensé qu'au commencement, ont été créées en même temps toutes les créatures immatérielles et rationnelles et qu'elles ont été égales, comme la justice divine l'exigeait. Car il ne semble que l'inégalité n'ait pu être dans ce qui est donné, si on conserve la justice, qu'à cause de la diversité du mérite ou du démérite. C'est pourquoi il pensa que la diversité des créatures (que nous voyons) a précédé la diversité du mérite et du démérite, de sorte que certaines des créatures spirituelles qui ont davantage adhéré à Dieu, ont été promues dans les ordres les plus hauts des anges, mais celles qui ont davantage péché ont été liées à des corps plus grossiers et moins nobles; comme si la diversité même des mérites avait réclamé les divers degrés des corps produits par Dieu.

Hanc autem positionem Augustinus reprobat. Causam enim creaturarum condendarum, tam spiritualium quam corporalium, constat nihil aliud esse quam Dei bonitatem, inquantum creaturae suae, sua bonitate creatae, bonitatem increatam secundum suum modum repraesentant. Propter quod Scriptura dicit de singulis Dei operibus, et postmodum de omnibus simul: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona; quasi diceret, quod ad hoc Deus creaturas condidit, quod bonitatem haberent. Secundum autem opinionem praedictam non ad hoc conditae fuissent creaturae corporales quia bonum esset eas esse, sed ut malitia spiritualis creaturae puniretur. Sequeretur etiam quod ordo universi quem nunc videmus a casu existeret, in quantum accidit quod diversae rationales creaturae diversimode peccaverunt. Si enim omnes peccassent aequaliter, nulla diversitas naturarum in corporibus esset, secundum eos.

Mais Augustin désapprouve cette position (La cité de Dieu, XI, 23). Car il est clair que la cause des créatures, tant spirituelles que corporelles, qui devaient être créées, n'est rien d'autre que la bonté de Dieu, en tant qu'elles sont ses créatures; créées par sa bonté, elles représentent sa bonté incréée à leur manière. C'est pourquoi l'Écriture (Gn. 1, 31) dit de chacune des oeuvres de Dieu et ensuite de toutes ensemble: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et c'était très bon," comme si elle disait qu'il a créé ses créatures pour qu'elles possèdent sa bonté. Mais selon cette opinion, les créatures corporelles n'auraient pas été créées parce qu'il serait bien qu'elles existent, mais pour que le mal de la créature spirituelle soit punie. Il s'ensuivrait que l'ordre de l'univers que nous voyons maintenant, existerait par le hasard, dans la mesure où il arrive que les diverses créatures rationnelles ont péché de diverses manières. Mais si toutes avaient péché également, il n'y aurait selon eux aucune diversité de nature dans les corps.

Unde hac positione remota, alii ex consideratione naturae spiritualium substantiarum, quae est dignior omni natura corporali, posuerunt spirituales substantias ante corporales conditas esse; ut sicut natura spiritualis creata, media est ordine naturae inter Deum et creaturam corporalem, ita etiam sit media duratione.

B) C'est pourquoi, une fois repoussée cette opinion, d'autres en considérant la nature des substances spirituelles, qui est plus digne que toute nature corporelle, ont pensé que les substances spirituelles avaient été créées avant les substances corporelles, de sorte que, de même que la nature spirituelle créée est intermédiaire dans l'ordre de la nature entre Dieu et la créature corporelle, de même elle serait intermédiaire dans la durée.

Haec autem opinio cum fuerit magnorum doctorum, scilicet Basilii, Gregorii Nazianzeni, et quorumdam aliorum, non est tamquam erronea reprobanda.

Mais cette opinion, comme elle a été celle des grands docteurs, c'est-à-dire celle de Basile, de Grégoire de Naziance et quelques autres, ne doit pas être réprouvée comme erronée[10].

Sed si diligenter consideretur alia opinio, quae est Augustini et aliorum doctorum, quae etiam modo communiter tenetur, rationabilior invenitur. Angeli enim non solum sunt considerandi absolute, sed etiam in quantum sunt pars universi; et haec consideratio eorum intantum est magis attendenda, in quantum bonum universi praeeminet bono cuiuslibet creaturae particularis, sicut bonum totius praeeminet bono partis. Secundum autem quod considerantur Angeli ut partes universi, competit eis quod simul cum creatura corporali sint conditi. Unius enim totius una videtur esse productio. Si autem seorsum essent Angeli creati, viderentur omnino alieni ab ordine creaturae corporalis, quasi aliud universum per se constituentes. Unde dicendum est, quod Angeli simul cum creatura corporali sunt conditi; tamen sine alterius opinionis praeiudicio.

C) Mais si on considère avec attention une autre opinion, celle d'Augustin et d'autres docteurs, laquelle est communément acceptée, on la trouve plus rationnelle. Car les anges, non seulement doivent être considérés dans l'absolu, mais aussi en tant que partie de l'univers; et cette considération doit être observée bien plus, dans la mesure où le bien de l'univers prévaut sur le bien de quelque créature particulière, de même que le bien du tout prévaut sur celui de la partie. Selon qu'on considère les anges comme partie de l'univers, il leur appartient d'avoir été créés en même temps que les créatures corporelles. Car il semble qu'il y a production d'un seul tout. Mais si les anges avaient été créés séparément, ils sembleraient tout à fait étrangers à l'ordre de la créature corporelle, comme s'ils constituaient un autre univers par eux-mêmes. C'est pourquoi il faut dire que les anges ont été créés en même temps que la créature corporelle, cependant sans préjuger d'une autre opinion.

Solutions

q. 3 a. 18 ad 1 Et per hoc patet responsio ad tria prima: quia procedunt secundum mediam opinionem.

# 1. 2. 3. Et ainsi apparaît la réponse aux trois premières objections qui procèdent de cette opinion intermédiaire.

q. 3 a. 18 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Basilius dicit in primo Hexameron, Moyses legislator in principio Genesis exordium visibilis creaturae incepit exponere praetermissa creatura spirituali quae ante fuerat condita, de qua mentionem non fecit, quia rudi populo loquebatur, qui ad spiritualia capienda idoneus non erat. Secundum Augustinum vero creaturam spiritualem per caelum intelligit, sicut per terram creaturam corporalem, cum dicit: in principio creavit Deus caelum et terram. Quare autem sub metaphora caeli et non expresse creationem Angelorum tradidit, potest eadem ratio assignari quae et supra, scilicet ex populi ruditate, et iterum ad vitandam idololatriam in quam proni erant; ad quam daretur eis occasio si plures substantiae spirituales ponerentur praeter unum Deum, quae essent caelo nobiliores; et praecipue cum huiusmodi substantiae a gentilibus dii dicerentur. Secundum vero Strabonem, et alios priores, per caelum quod in auctoritate inducta ponitur, intelligitur caelum Empyreum quod est habitaculum sanctorum Angelorum, per metonymiam sicut quando ponitur continens pro contento.

# 4. Comme Basile le dit dans le premier livre de l'Hexameron (hom. 2, c.1), Moïse, le législateur, commença, au début de la Genèse, par exposer l'essor de la créature visible, en passant outre la créature spirituelle qui avait été créée avant, dont il ne fit pas mention, parce qu'il parlait à un peuple rude qui n'était pas apte à comprendre ce qui était spirituel. Selon Augustin, il comprend, par le ciel, la créature spirituelle, de même que par la terre, il comprend la créature corporelle, quand il dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre". Parce qu'il décrivit, sous la métaphore du ciel et non expressément, la création des anges, on peut donner la même raison que ci-dessus, c'est-à-dire la rudesse du peuple, et en plus pour éviter l'idolâtrie à laquelle ils étaient enclins. L'occasion leur aurait été donnée, si, en plus du seul Dieu, plusieurs substances spirituelles qui étaient plus nobles que le ciel avaient été posées en principe et principalement quand de telles substances seraient appelées des dieux par les païens. Selon Strabon (II, ch. 8) et d'autres auteurs plus récents, par le ciel qui est pensé dans une autorité induite, on comprend le ciel empyrée qui est l'habitacle des saints anges, par métonymie comme quand on prend le contenant pour le contenu.

q. 3 a. 18 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicit Augustinus, Angeli non cognoscunt Deum ex visibilibus creaturis; unde creaturae visibiles non sunt factae ut Deum ostenderent Angelis, sed rationali creaturae quae est homo; unde ex hoc probatur homo esse finis creaturarum. Finis autem, licet sit prius in intentione, est tamen ultimus in operatione; unde et homo ultimo factus fuit.

# 5. Comme dit Augustin (La Genèse au sens littéral, V, ch. 5) les anges ne connaissent pas Dieu à partir des créatures visibles; c'est pourquoi, elles n'ont pas été faites pour leur montrer Dieu, mais (pour le montrer) à la créature raisonnable qu'est l'homme; c'est pourquoi, on prouve ainsi que l'homme est la fin des créatures. Mais la fin, bien qu'elle soit première dans l'intention, est cependant dernière dans l'opération; donc l'homme a été fait en dernier.

q. 3 a. 18 ad 6 Ad sextum dicendum, quod secundum Augustinum, creatio caeli et terrae non praecessit duratione lucis formationem seu productionem; et ideo non intelligit quod creatio spiritualis naturae fuerit ante primum diem duratione, sed quodam naturae ordine; quia substantia spiritualis et materia informis secundum suam essentiam considerata, alterationibus temporum non subiacent; unde per hoc etiam haberi non potest quod creatura spiritualis sit facta ante corporalem, quia etiam ante lucis factionem agitur de creatione creaturae corporalis, quae per terram intelligitur. Secundum vero alios creatio caeli et terrae ad primum diem pertinet; quia cum caelo et terra creatum est tempus; licet distinctio temporum quantum ad diem et noctem inceperit per lucem: unde tempus ponitur unum de quatuor primo creatis, quae sunt natura angelica, caelum Empyreum, materia informis et tempus.

# 6. Selon Augustin (Sur la Genèse, I, 5) la création du ciel et de la terre n'a pas précédé en durée la formation ou la production de la lumière et c'est pourquoi il ne comprend pas que la création de la nature spirituelle ait existé avant le premier jour en durée, mais dans un certain ordre de la nature; parce que la substance spirituelle et la matière informe considérées selon leur essence ne sont pas soumises à l'altération des temps: c'est pourquoi, il ne se peut pas que la créature spirituelle ait été faite avant la créature corporelle, parce que même avant la création de la lumière, il s'agit de la création d'une créature corporelle qui est comprise sous le terme de terre. Selon d'autres, la création du ciel et de la terre convient au premier jour; parce que le temps a été créé avec le ciel et la terre, bien que la distinction des temps quant au jour et à la nuit n'ait commencé qu'avec la lumière: c'est pourquoi, on pense que le temps est l'une des quatre créatures créées en premier, qui sont la nature angélique, le ciel empyrée, la matière informe et le temps.

q. 3 a. 18 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Hieronymus loquitur secundum opinionem antiquorum doctorum.

# 7. Jérôme parle selon l'opinion des anciens docteurs.

q. 3 a. 18 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procederet, si unaquaeque creatura produceretur ut existens per se absolute; sic enim conveniens esset ut unaquaeque separatim crearetur secundum gradum suae bonitatis. Sed quia omnes creaturae producuntur ut partes unius universi, conveniens est ut omnes simul producantur ad unum universum constituendum.

# 8. Cette raison serait valable si chaque créature était produite comme existant en soi absolument; car ainsi il aurait été convenable que chacune soit créée séparément selon le degré de sa bonté. Mais parce que toutes les créatures sont produites comme des parties d'un seul univers, il convient que toutes soient produites en même temps pour le constituer .

q. 3 a. 18 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet ad aliquam dignitatem creaturae spiritualis pertineret, si ante creaturam visibilem esset creata; non tamen competeret dignitati et unitati universi.

# 9. Bien qu'il convienne à une certaine dignité de la créature spirituelle d'être créée avant la créature visible, cependant cela ne s'accorde pas avec la dignité et l'unité de l'univers

q. 3 a. 18 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet cor ante alia membra formetur, tamen totius corporis animalis est una continua generatio, non quod seorsum una generatione formetur cor, et postmodum successive aliis generationibus alia membra aliquibus temporibus interiectis. Hoc autem non potest dici in creatione Angelorum et corporalium creaturarum, quod una productione sint condita, scilicet spiritualis creatura ante corporalem, quasi continue universum sit productum; producere enim successive est in producendis his quae ex materia producuntur, in qua est una pars vicinior complemento quam alia; unde in prima rerum creatione successio locum non habet, etsi in formatione rerum ex materia creata possit locum habere; unde et doctores qui posuerunt Angelos ante mundum creatos, posuerunt omnino distinctam creationem Angelorum et corporum, et multam durationem mediam intervenisse. Et praeterea cor necesse est in animali prius formari, quia virtus cordis operatur ad formationem aliorum membrorum. Creatura autem spiritualis non operatur ad creationem corporalium creaturarum, cum solius Dei sit creare. Unde et Commentator imponit Platoni, quod dixerit, quod Deus primo creavit Angelos, et postea commisit eis creationem corporalium creaturarum.

# 10. Bien que le coeur soit formé avant les autres membres, cependant il y a une seule génération continue de tout le corps animé, non parce que le coeur est formé séparément par une génération et par la suite les autres membres, successivement par d'autres générations après un certain temps. On ne peut pas dire cela pour la création des anges et des créatures corporelles, parce qu'ils ont été créés par une seule production, à savoir la créature spirituelle avant la créature corporelle, comme si l'univers était produit en continuité; car produire successivement, c'est pour ce qui est produit à partir de la matière, dans laquelle une partie est plus proche de la perfection que l'autre; c'est pourquoi, dans la première création, la succession n'a pas de place, même si dans la formation de ce qui est créé à partir de la matière, elle peut avoir lieu: c'est pourquoi, les docteurs qui ont pensé que les anges avaient été créés avant le monde, ont pensé que la création des anges était tout à fait distincte de celle des corps et qu'une grande durée intermédiaire s'était interposée. Et en plus, il est nécessaire que le coeur soit formé dans l'être animé avant, parce que son pouvoir opère pour la formation des autres membres. Mais la créature spirituelle n'opère pas pour la création des créatures corporelles, puisque Dieu seul en a le pouvoir. C'est pour cela que le Commentateur (Métaphysique, XI, com. 44) impute à Platon qu'il a dit que Dieu créa d'abord les anges et ensuite il leur confia la création des créatures corporelles.

q. 3 a. 18 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Augustinus loquitur de factione creaturarum corporalium, non quantum ad primam creationem, sed quantum ad formationem.

# 11. Augustin parle de la création des créatures corporelles, non quant à la première création mais quant à leur formation

q. 3 a. 18 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sustinendo quod omnia sint simul creata in forma et materia, creatura spiritualis dicitur habuisse cognitionem creaturae corporalis fiendae, non quia eius formatio esset tempore futura, sed quia cognoscebatur ut futura, prout considerabatur in sua causa, in qua erat ut ex ea posset procedere; sicut qui cognoscit arcam in principiis ex quibus fit, potest dici eam cognoscere ut fiendam.

# 12. En soutenant que tout a été créé en même temps dans la forme et la matière, on dit que la créature spirituelle a eu connaissance de la créature corporelle qui devait être créée, non parce que sa formation était à venir dans le temps, mais parce qu'elle la connaissait comme future, dans la mesure où elle était considérée dans sa cause, où elle était pour pouvoir en procéder; comme on peut dire que celui qui connaît un coffre dans les principes dont il est fait, le connaît comme devant être fait.

q. 3 a. 18 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dicere Dei intelligitur de aeterna verbi Dei generatione, in quo ab aeterno fuit ratio omnium creaturarum condendarum. Nec tamen ideo frequenter repetitur in singulis operibus, dixit Deus, quasi temporaliter dixerit; sed quia licet verbum in se sit unum, tamen in eo est propria ratio singularum creaturarum. Sic ergo singulis operibus praemittitur Dei verbum sicut propria ratio operis fiendi, ne facto opere necesse sit quaerere quare tale opus sit factum, cum ante operis conditionem sit dictum, dixit Deus; sicut cum aliquis volens assignare alicuius rei causam, incipit a causae cognitione.

# 13. La parole de Dieu est comprise de la génération éternelle du Verbe de Dieu, en qui, de toute éternité, il y eut la raison de toutes les créatures à créer. Et cependant elle n'est pas répétée fréquemment dans les oeuvres singulières, "Dieu dit", comme s'il avait parlé temporellement, mais parce que, bien que, en soi, le Verbe soit un, cependant en lui il y a la raison propre des créatures particulières. Donc ainsi le verbe de Dieu est envoyé pour les oeuvres particulières, comme la raison propre de l'oeuvre à faire, pour qu'une fois faite, il ne soit pas nécessaire de chercher pourquoi une telle oeuvre a été faite, puisqu'elle été annoncée avant sa fondation; "Dieu a dit", comme, lorsque quelqu'un, qui veut assigner la cause de quelque chose, il commence par connaître cette cause.

q. 3 a. 18 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod esse rerum in verbo est causa esse rerum in propria natura; sed esse rerum in cognitione angelica non est causa esse rerum in propria natura; et ideo non est simile.

# 14. L'être des choses dans le verbe est leur cause dans leur nature propre, mais l'être des choses dans la connaissance angélique n'est pas leur cause dans leur nature propre et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 18 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod res in finem ordinatur per suam operationem. Non autem producitur in esse per suam operationem, sed solum per operationem causae agentis. Unde magis est conveniens quod creaturae superiores cooperentur Deo in reducendo creaturas inferiores in finem, quam in earum productione.

# 15. Une chose est ordonnée à sa fin par son opération. Elle n'est pas amenée à l'être par elle, mais seulement par celle de la cause efficiente. C'est pourquoi il est plus convenable que les créatures supérieures coopèrent avec Dieu pour ramener les créatures inférieures à leur fin, que dans leur production.

q. 3 a. 18 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet creaturae corporales et spirituales sint disparatae secundum proprias naturas, tamen sunt connexae secundum ordinem universi; et ideo oportuit quod simul crearentur.

# 16 Bien que les créatures corporelles et spirituelles soient différentes selon leur propre nature, cependant elles sont unies selon l'ordre de l'univers, et c'est pourquoi il fallut qu'elles soient créées ensemble.

q. 3 a. 18 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illa auctoritas Eccli., secundum Augustinum, intelligitur de sapientia creata quae est in natura angelica, quae tamen secundum ipsum non prius creata est tempore sed dignitate. Secundum vero Hilarium in Lib. de synodis intelligitur de sapientia increata, quae est filius Dei; quae quidem simul dicitur et creata et genita, ut patet Prov. VIII, 22, sq., et in diversis Scripturae locis, ut omnis imperfectio a nativitate filii Dei excludatur. In creatione enim attenditur imperfectio ex parte creati, in quantum de nihilo in esse educitur; sed perfectio ex parte creantis, qui absque sui immutatione creaturas producit. In nativitate vero est e contrario; quia importatur perfectio ex parte nati in quantum accipit naturam generantis; sed imperfectio ex parte generantis secundum modum inferioris generationis, in quantum generat cum sui immutatione, vel divisione suae substantiae. Et ideo simul filius Dei et creatus et genitus dicitur, ut per creationem excludatur generantis mutatio, et ex nativitate geniti imperfectio, ut ex utroque unus intellectus constituatur perfectus.

# 17. Cette autorité (Eccl. 1, 4), selon Augustin (Confessions, XII, 15), est comprise de la sagesse créée qui est dans la nature angélique, qui cependant, selon lui, n'a pas été créée avant dans le temps, mais [avant] en dignité. Mais selon Hilaire (Les synodes), on le comprend de la sagesse incréée, qui est le Fils de Dieu, laquelle en même temps est dite, créée et engendrée, comme cela paraît dans Prov. 8, 22, ss., et dans divers lieux de l'Écriture, pour que toute imperfection soit exclue de la nativité du Fils de Dieu. Car dans la création, l'imperfection se trouve du côté du créé, dans la mesure où, du néant, il est amené à l'être; mais la perfection se trouve du côté du créateur qui produit les créatures sans changement de sa part. Mais dans la nativité c'est le contraire, parce que la perfection est apportée du côté de l'enfant dans la mesure où il reçoit la nature du géniteur, mais l'imperfection est du côté de celui qui engendre. selon le mode de la génération inférieure dans la mesure où il engendre en changeant et en divisant sa substance. Et c'est pourquoi on dit que le Fils de Dieu est en même temps créé et engendré, pour exclure le changement de celui qui engendre par création, et l'imperfection de la naissance de l'engendré, pour que de chaque coté soit constitué comme parfait un seul esprit.

q. 3 a. 18 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Hilarius loquitur secundum opinionem antiquorum doctorum.

# 18. Hilaire parle selon l'opinion des anciens Docteurs.

q. 3 a. 18 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod Deus est causa naturae angelicae; non autem natura angelica causa est naturae corporalis; et ideo non est simile.

# 19. Dieu est cause de la nature angélique; mais celle-ci n'est pas cause de la nature corporelle et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 3 a. 18 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Angeli dicuntur semper fuisse, non quia ab aeterno fuerunt, sed quia omni tempore fuerunt: quia quandocumque fuit tempus, fuerunt Angeli. Et per hunc etiam modum creaturae corporales semper fuerunt.

# 20. On dit que les anges ont toujours existé, non parce qu'il ont existé depuis l'éternité, mais parce qu'ils ont existé de tout temps; parce que, quand il y eut le temps, les anges existèrent. Et de cette manière, même les créatures corporelles ont toujours existé aussi.

q. 3 a. 18 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod motor non de necessitate praecedit tempore mobile, sed dignitate, sicut patet in anima et corpore.

# 21. Le moteur ne précède pas nécessairement en temps le mobile, mais (il le précède) en dignité, comme cela apparaît dans l'âme et le corps.

q. 3 a. 18 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod in actione ignis in corpora, duplex ordo est considerandus; scilicet situs, et temporis. Ordo situs est in omni actione eius eo quod omnis actio eius est situalis et in corpora sibi magis propinqua plenius suam actionem exercet; unde ulterius procedendo in tantum debilitatur eius effectus, quod tandem totaliter deficit. Ordo autem temporis non attenditur in omni eius actione, sed solum in illa qua agit per motum. Unde cum ignis illuminet et calefaciat corpora, in calefactione servatur ordo situs et temporis; sed in illuminatione, quae non est motus sed terminus motus, attenditur tantum ordo situs. Quia ergo actio Dei quantum ad creationem est absque motu, non attenditur similitudo quantum ad ordinem temporis, sed solum quantum ad ordinem situs. Item enim est in actione spirituali diversus gradus naturae, quod in actione corporali diversus situs. Quantum ergo ad hoc attenditur similitudo Dionysii, quod sicut ignis in corpora sibi vicina plenius suam virtutem effundit, ita Deus rebus sibi propinquioribus gradu dignitatis, copiosius suam bonitatem distribuit.

# 22. Dans l'action du feu sur les corps, il faut considérer un ordre double: à savoir le lieu et le temps. Le lieu est dans toute action de sa part, parce qu'elle est locale et dans les corps qui lui sont les plus proches, il exerce plus pleinement son action. C'est pourquoi en procédant au-delà, son effet est diminué, au point qu'il est totalement affaibli. Mais l'ordre du temps n'est pas atteint dans toute son action, mais seulement dans celle où il agit par mouvement. C'est pourquoi, comme le feu éclaire et réchauffe les corps, en réchauffant on conserve l'ordre du lieu et du temps, mais dans l'éclairage, qui n'est pas un mouvement mais son terme, on atteint seulement l'ordre du lieu. Donc parce que l'action de Dieu dans la création est sans mouvement, on n'atteint pas la ressemblance pour l'ordre du temps, mais seulement pour celui du lieu. D'autre part, en effet, dans l'action spirituelle, il y a divers degrés de nature qui parce que le lieu est différent dans l'action corporelle. Donc, la ressemblance (dont parle) Denys est atteinte, parce que, de même que le feu dans les corps qui lui sont voisins, verse son pouvoir plus pleinement; de même, dans les créatures qui lui sont plus proches en dignité, Dieu distribue plus abondamment sa bonté.

 


[1] Ia, q. 61,a. 3 – II Sent. d2q1a3 – Opusc. XV, De angelis c. 17 – Opusc. XXIII, – In decretal. I.)

[2] Jean Damascène rapporte l'opinion de Grégoire de Naziance. Sa citation: "D'abord il a pensé les puissances angéliques et célestes,... et cette pensée était une oeuvre." Cf. Id. II Sent. D. 2, qu. 1, a. 3, obj. 1.

[3] Les deux opinions sont les suivantes: celle de Grégoire (Cf. Note ci-dessus) et Jean Damascène rapporte l'autre: "D'autres disent que c'est après l'apparition du premier ciel..." toujours suivant Grégoire.

[4] Si Dieu parle temporairement, il parle à une créature. Augustin considère que dans l'expression "Dieu créa le ciel et la terre" le ciel représente la création spirituelle déjà faite et formée." (I, X, 5, p. 101 § Æ).

[5] "Ce n'est pas que la matière informe soit temporellement antérieure aux choses en forme......... Voilà pourquoi, puisque Dieu a créé dans un même acte et la matière qu'il a formé et les choses en lesquelles il l'a formée."

[6] Le raisonnement est le suivant: L'ordre Dieu, ange, corps, est parallèle aux durées: éternité, aevum, temps, donc aevum dit que l'ange est avant.

[7] Il y a un argument qu'il n'a pas repris de II Sent. d2q1a3: "Selon certains les anges meuvent le ciel, mais le moteur précède le mobile..."

[8] A un mot près, la phrase se trouve déjà dans l'objection 10.

[9] Il en donne la liste en II Sent. d2q1a3: Jérôme, La lettre à Tite, Hilaire, La Trinité, Grégoire de Naziance.

[10] Il ne réprouve pas ces auteurs, parce qu'en II Sent, d2q1a3, c, il dit:"Il faut savoir qu'à propos du commencement des êtres, des saints qui sont d'accord en ce qui est de foi, à savoir que rien n'est éternel sauf Dieu, sont arrivés à dire, au moins dans la forme, des paroles variées sur ce qui n'est pas de nécessité de foi, en qui il leur est permis de penser de différentes manières, comme nous aussi." Il cite ensuite Jérôme, Hilaire, Grégoire de Naziance, qui ont pensé que les anges avaient été créés avant la créature corporelle.

 

 

 

Article 19: Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?

q. 3 a. 19 tit. 1 Decimonono quaeritur utrum potuerint esse Angeli ante mundum visibilem. Et videtur quod non.

Il semble que non:

Objections[1]:

q. 3 a. 19 arg. 1 Quaecumque enim ita se habent quod duo ex ipsis non possunt esse in uno loco distincta, requirunt loci diversitatem. Sed duo Angeli non possunt esse in eodem loco, ut communiter dicitur. Ergo non potest intelligi quod essent duo Angeli distincti nisi sint duo loca distincta. Sed ante creaturam visibilem non fuit locus, cum locus, secundum philosophum, non sit nisi ultimum corporis continentis. Ergo ante mundum visibilem Angeli esse non potuerunt.

1. Car tous les êtres qui se comportent de telle manière que deux d'entre eux ne puissent être distincts dans un seul lieu, ont besoin de lieux différents. Deux anges ne peuvent pas être en un même lieu, comme on le dit communément. Donc on ne peut comprendre que deux anges sont distincts que s'il y a deux lieux différents. Mais avant la créature visible, le lieu n'existait pas, puisque celui-ci, selon le Philosophe (Physique IV, 4, 212 a 2-6[2]) n'est que au-delà du corps qui le contient. Donc avant l'univers visible, les anges n'ont pas existé.

q. 3 a. 19 arg. 2 Praeterea, productio creaturae corporalis Angelis nihil de eorum virtute naturali ademit. Si ergo non facto mundo visibili Angeli absque loco esse potuerunt, etiam nunc mundo visibili facto absque loco esse possent; quod videtur esse falsum; quia si non essent in loco, nusquam essent, et sic viderentur non esse.

2. La production de la créature corporelle n'a rien enlevé aux anges de leur pouvoir naturel. Si donc, quand l'univers visible n'était pas créé, les anges ont pu exister sans lieu; même alors que l'univers visible a été créé, ils le peuvent aussi, ce qui semble faux, parce que, s'ils n'étaient pas dans un lieu, ils ne seraient nulle part, et ainsi il semblerait qu'ils n'existent pas[3] .

q. 3 a. 19 arg. 3 Praeterea, Boetius dicit, quod omnis spiritus creatus corpore indiget. Sed Angelus est spiritus creatus. Ergo indiget corpore, et ita ante creaturam corporalem esse non potuit.

3. Boèce dit, que toute esprit créé a besoin d'un corps. Mais l'ange est un esprit créé. Donc il a besoin d'un corps, et ainsi il n'a pas pu exister avant la créature corporelle

q. 3 a. 19 arg. 4 Sed diceretur, quod indiget corpore non quantum ad esse, sed quantum ad ministerium.- Sed contra, ministerium Angelorum exercetur ubi nos sumus, scilicet in hoc mundo. Sed Angeli habent locum corporalem etiam extra habitationem nostram, scilicet caelum Empyreum. Ergo non solum indigent corpore in loco corporali propter ministerium nostrum.

4. Mais on pourrait dire qu'il a besoin d'un corps non pour son existence, mais pour son ministère. – En sens contraire, le ministère des anges s'exerce là où nous sommes, c'est-à-dire dans ce monde. Mais les anges ont un lieu physique, même hors de notre séjour, c'est-à-dire le ciel empyrée. Donc ils n'ont pas seulement besoin d'une corps dans un lieu physique seulement pour notre service .

q. 3 a. 19 arg. 5 Praeterea, impossibile est imaginari prius et posterius sine tempore. Sed si Angeli fuissent ante mundum, prius fuisset principium quo Angeli esse coeperunt, quam principium quo mundus visibilis esse coepit. Ergo tempus incepisset ante mundum visibilem; quod est impossibile, cum tempus sequatur ad motum, et motus ad mobile. Ergo impossibile est quod Angeli fuerint ante mundum.

5. Il est impossible d'imaginer un avant et un après sans le temps. Mais si les anges avaient existé avant le monde, il y aurait eu un commencement où les anges ont commencé à exister, avant le commencement où l'univers visible a commencé à exister. Donc le temps aurait commencé avant le monde visible, ce qui est impossible, puisque le temps dépend du mouvement et le mouvement du mobile. Donc il est impossible que les anges aient existé avant l'univers.

En sens contraire:

q. 3 a. 19 s. c. Sed contra, illud quod in creaturis contradictionem non implicat, est Deo possibile. Sed Angelos esse, creatura visibili non existente, nullam contradictionem implicat. Ergo non fuit Deo impossibile producere Angelos ante mundum.

Ce qui n'implique pas contradiction dans les créatures, est possible à Dieu. Mais l'existence des anges, quand la créature visible n'existait pas, n'implique aucune contradiction. Donc il n'a pas été impossible à Dieu de créer les anges avant l'univers.

Réponse:

q. 3 a. 19 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut Boetius dicit, in divinis non oportet ad imaginationem deduci, et similiter nec in corporalibus omnibus; quia cum imaginatio sit sequela sensus, ut per philosophum patet imaginatio non potest extendi ultra quantitatem, quae est qualitatum sensibilium subiectum. Hoc autem quidam non attendentes, nec imaginationem transcendere valentes, non potuerunt aliquid intelligere nisi per modum rei situalis, et propter hoc quidam antiqui dixerunt, quod illud quod non est in loco, non est, ut in IV Physic. dicitur.

Comme Boèce le dit (dans son livre sur La Trinité), sur les affaires divines, il ne faut pas faire de déductions imaginaires, ni non plus dans tout ce qui est corporel, parce que l'imagination suit les sens, comme cela apparaît chez le Philosophe (L'âme, II, 3, 415 a 10[4]), l'imagination ne peut s'étendre au-delà de la grandeur qui est le substrat des qualités sensibles. Ceux qui ne font pas attention à cela, et n'ont pas la force de surpasser l'imagination, n'ont pu les comprendre que par le lieu et à cause de cela, certains anciens ont dit que ce qui n'est pas dans un lieu n'existe pas, comme on le dit en Physique (IV, 6, 213 a 25).

Et ex simili errore quidam moderni dixerunt, quod Angeli absque creatura corporali esse non possunt, intelligentes Angelos tamquam ea quae imaginaverunt situaliter distincta; quod quidem praeiudicat sententiae antiquorum, qui Angelos ante mundum fuisse posuerunt; praeiudicat etiam dignitati angelicae naturae quae cum naturaliter sit prior quam creatura corporalis, nullo modo a creatura corporali dependet. Et ideo simpliciter dicimus, quod Angeli esse potuerunt ante mundum.

Et par une erreur semblable, certains modernes ont dit que les anges ne peuvent pas exister sans la créature corporelle, comprenant les anges comme ce qu'ils ont imaginé distincts selon le lieu; ce qui porte préjudice à l'opinion des anciens qui ont pensé que les anges avaient existé avant le monde; cela porte aussi préjudice à la dignité de la nature angélique qui, puisqu'elle est naturellement avant la créature corporelle, ne dépend d'elle en aucune manière. Et c'est pourquoi nous disons absolument que les anges ont pu exister avant le monde.

 

Solutions:

q. 3 a. 19 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duos Angelos esse in uno loco indivisibili non impedit eorum distinctio, sed operationum confusio; unde ratio non sequitur.

# 1. Leur distinction n'empêche pas que deux anges soient en un seul lieu indivisible, mais la confusion des opérations, oui. C'est pourquoi l'objection n'est pas valable.

q. 3 a. 19 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam nunc nihil prohibet Angelos non esse in loco, si voluerint, etsi etiam semper sint in loco propter ordinem quo creatura spiritualis praesidet corporali, secundum Augustinum.

# 2. Même maintenant rien n'empêche que les anges ne soient pas dans un lieu, s'ils l'ont voulu, et même qu'ils soient toujours dans un lieu à cause de l'ordre par lequel la créature spirituelle préside à la nature corporelle, selon Augustin, (La Trinité, III, 4).

q. 3 a. 19 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ipse Boetius exponit, Angeli indigent corpore solum quantum ad ministerium non quantum ad naturae complementum.

# 3. Comme Boèce l'expose lui-même, les anges ont besoin d'un corps, seulement pour leur ministère, mais non pour compléter leur nature.

q. 3 a. 19 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli sunt in caelo Empyreo, ut in loco qui est contemplationi congruus, non tamen de necessitate contemplationis.

# 4. Les anges sont dans le ciel empyrée, comme dans un lieu qui convient à la contemplation, non cependant par la nécessité de la contemplation.

q. 3 a. 19 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa prioritas et posterioritas non cogit nos ponere ante mundum tempus reale, sed solum tempus imaginarium, ut in quaestione de aeternitate vel creatione mundi, art. 17, dictum est.

# 5. Cette priorité et cette postériorité ne nous oblige pas à penser qu'il y avait avant le monde un temps réel, mais seulement un temps imaginaire, comme on l'a dit dans la question sur l'éternité ou la création du monde (art. 17).

 


[1] Ia, 61, a. 4, ad 1 – II Sent. d2q1a3.

[2] "Si donc le lieu n'est aucune des trois choses ni la forme, ni la matière, ni un intervalle, qui serait quelque chose de différent de l'intervalle d'extension de l'objet déplacé, reste nécessairement que le lieu est la dernière des autres, à savoir la limite du corps enveloppant.." (Trad. H. Carteron) Ð en 212 a 20, on lit "Par suite la limite immobile immédiate de l'enveloppe, tel est le lieu." En II Sent. d2q1a3, il fait de cet argument un Sed contra. "Si les anges sont séparés entre eux, il leur faut un lieu. Donc ils n'ont pas existé avant les corps."

[3] Il y a quelques allusions en Physique IV.

[4] Cf. Thomas, n° 302: "Il y a des animaux qui vivent avec la seule imagination, c'est-à-dire sans esprit..."

 

 

 

Question 4: La création de la matière sans forme

q. 4 pr. 1 Et primo quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione creationem rerum.

1. La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création en durée?

q. 4 pr. 2 Secundo utrum materia informis tota simul fuerit, an successive.

2. La matière informe a-t-elle existé toute en même temps ou successivement?

 

Article 1: La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création dans la durée?

 

q. 4 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum creatio materiae informis praecesserit duratione creationem rerum.

 

Et videtur quod non.

 

Il semble que non[1].

 

Objections:

 

q. 4 a. 1 arg. 1 Quia, sicut dicit Augustinus, materia informis praecedit formatam ex ea, sicut vox cantum. Sed vox non praecedit cantum duratione, sed solum natura. Ergo materia informis, non praecedit res formatas duratione, sed solum natura.

1. Parce que, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, I, 15[2]) la matière sans forme[3] précède la matière qui est formée à partir d’elle, comme la voix précède le chant. Mais la voix ne le précède pas en durée, mais seulement en nature. Donc la matière sans forme ne précède pas les choses en forme, en durée, mais seulement en nature.

 

q. 4 a. 1 arg. 2 Sed diceretur, quod Augustinus loquitur de materia respectu formationis, quae est per formas elementorum; quae quidem formae statim a principio in materia fuerunt.- Sed contra, sicut aqua et terra sunt elementa, ita etiam ignis et aer. Sed Scriptura tradens informitatem materiae facit mentionem de terra et aqua. Ergo si materia a principio habuisset formas elementares, pari ratione fecisset mentionem de aere et igne.

2. Mais on pourrait dire qu’Augustin parle de la matière par rapport à sa formation par les formes des éléments[4]; ces formes qui ont existé aussitôt au commencement dans la matière. — En sens contraire: l’eau et la terre sont des éléments, le feu et l’air aussi. Mais l’Écriture, en rapportant l'absence de forme de la matière, fait mention de la terre et de l'eau. Donc si la matière, au commencement, avait eu des formes élémentaires, à raison égale, elle aurait fait mention de l’air et du feu.

 

q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, forma substantialis cum materia sunt causa accidentalium qualitatum, ut patet per philosophum, in I Phys. Sed qualitates activae et passivae sunt proprietates proprie accidentales elementorum. Si ergo formae substantiales fuerunt a principio in materia, fuerunt ibi ex consequenti qualitates activae et passivae; et ita nulla restabat informitas, ut videtur.

3. La forme substantielle est avec la matière la cause des qualités accidentelles, comme le montre le philosophe (Physique, I). Mais les qualités actives et passives sont des qualités proprement accidentelles des éléments. Si donc les formes substantielles ont existé dès le commencement dans la matière, en conséquence, les qualités actives et passives y ont aussi été, et ainsi il semble qu’aucune absence de forme ne demeurait.

 

q. 4 a. 1 arg. 4 Sed diceretur, quod erat informitas sive confusio quantum ad elementorum situm.- Sed contra, secundum philosophum, quantum unumquodque elementorum habet de specie, tantum habet de ubi; elementa enim sunt in propriis locis ex virtute formae. Si ergo materia a principio habebat formas substantiales, tunc ex consequenti unumquodque elementorum suum situm habebat; et ita nulla confusio in elementis restabat, secundum quam materia posset dici informis.

4. Mais on pourrait dire qu'il y avait absence de forme ou confusion au sujet de la situation des éléments[5]. En sens contraire: selon le Philosophe (Le ciel et le monde, IV, 5, 312 b 20[6]), il y a autant de lieux que d’éléments différents[7]; car les éléments sont dans leur situation[8] propre par le pouvoir de leur forme. Si donc la matière, dès le commencement, avait des formes substantielles, alors en conséquence, chaque élément avait sa situation et ainsi il ne subsistait aucune confusion dans les éléments qui permette de dire que la matière pouvait être sans forme.

 

q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, si pro tanto materia informis dicitur, quod elementa nondum proprium et naturalem situm habebant, ex consequenti videtur quod secundum hoc eius formatio intelligitur quod elementis naturalis situs attribuitur. Sed hoc non videtur in rerum distinctione; nam aquae aliquae supra caelos ponuntur, cum tamen naturalis situs aquarum sit sub aere supra terram immediate; ut patet IV caeli et mundi. Ergo non intelligitur materiae informitas propter confusionem situs praedictam.

5. Si pour autant on dit que la matière est sans forme, parce que les éléments n’avaient pas leur situation propre et naturelle, il semble en conséquence, que selon cela on comprend [qu’il s’agit de] la mise en forme, dans la mesure où une situation naturelle est attribuée aux éléments. Mais cela n’apparaît pas dans la distinction, car certaines eaux sont placées au-dessus des cieux; alors que cependant leur situation naturelle est en dessous de l’air, immédiatement sur la terre; comme on le voit dans Le ciel et le monde, (IV, 5, 312 b 5). Donc on ne comprend pas l'absence de forme de la matière comme une confusion de situation.

 

q. 4 a. 1 arg. 6 Sed dicendum, quod aquae dicuntur esse supra caelos, in quantum vaporabiliter elevantur ut sint supra caelos.- Sed contra, aquae vaporabiles non possunt supra totum aerem elevari, ut a philosophis probatur; immo solum usque ad medium aeris interstitium ascendunt. Multo ergo minus possunt elevari supra ignem, ut ulterius supra caelum.

6. Mais il faut signaler qu'on dit que les eaux sont au-dessus des cieux, dans la mesure où elles s’étaient élevées sous forme de vapeur pour s’y trouver. — En sens contraire, sous cette forme les eaux ne peuvent pas s’élever au-dessus de l’atmosphère, comme le prouvent les philosophes; au contraire elles montent seulement jusqu’à l’intermédiaire des intersticesde l’air[9]. Donc elles peuvent beaucoup moins s'élever au-dessus du feu, comme au-delà au-dessus du ciel.

 

q. 4 a. 1 arg. 7 Praeterea, informitas materiae designatur in hoc quod dicitur: terra erat inanis et vacua. Sed inanitas materiae attribuitur respectu virtutis generativae, et vacuitas respectu ornatus, ut a sanctis exponitur, quod consistit in his quae in terra moventur. Ergo informitas materiae non attenditur quantum ad situm, ut sic dici possit quod materiae informitas duratione formationem praecesserit.

7. L' absence de forme de la matière est signalée par ce qui en est dit (Gn. 1, 2) "La terre était vide et déserte". Mais le vide est attribué à la matière en rapport avec le pouvoir générateur et la vacuité avec l’ornement, qui, comme les saints l'ont exposé, consiste en ce qui se meut sur terre. Donc l'absence de forme de la matière ne concerne pas la situation, de sorte qu’on puisse dire ainsi qu’elle a précédé sa mise en forme dans la durée.

 

q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, qui potest dare aliquid simul, minus liberaliter agit si dat successive; unde Prov. III, 28: ne dicas amico tuo: vade, et revertere; cras dabo tibi. Sed Deus simul dare poterat rebus esse perfectum. Ergo cum sit liberalissimus, non fecit materiam informem ante eius formationem.

8. Qui peut donner quelque chose, en une seule fois, agit avec moins de libéralité s’il donne de manière successive. C'est pourquoi, on lit Prov. 3, 28: "Ne dis pas à ton ami: Va et reviens; demain je te le donnerai". Mais Dieu pouvait donner en même temps un être parfait aux choses. Donc comme il est suprêmement généreux, il n’a pas fait la matière sans forme avant sa formation.

 

q. 4 a. 1 arg. 9 Praeterea, motus a centro ad centrum sequitur elementa secundum quod habent naturales situs. Sed in ipsa informitate materiae apparet quod ibi fuisset motus a centro ad centrum, quia aquae vaporabiles super terram elevabantur, ut dicitur. Ergo elementa iam habebant suos naturales situs.

9. Le mouvement du centre au centre[10] suit les éléments selon qu’ils ont des situations naturelles. Mais dans l'absence de forme même de la matière, il apparaît qu’il y avait un mouvement du centre au centre, parce que les eaux qui pouvaient se vaporiser s’étaient élevées au-dessus de la terre, comme on le dit. Donc les éléments avaient déjà leurs situations naturelles.

 

q. 4 a. 1 arg. 10 Praeterea, rarum et densum sunt causa gravis et levis, ut patet IV Phys. Sed iam erat rarum et densum in elementis; quia dicitur, quod aquae erant rariores quam modo sint. Ergo erat grave et leve, et elementa habebant sua ubi, quae eis attribuuntur ratione levitatis et gravitatis.

10. Le rare et le dense sont causes du lourd et du léger, comme cela paraît en Physique, IV, 9, 217 b 11). Mais déjà le rare et le dense étaient dans les éléments, parce qu'il est dit que les eaux étaient plus rares, que maintenant. Donc il y avait le lourd et le léger, et les éléments avaient leur place, qui leur est attribuée en raison de leur légèreté ou de leur densité.

 

q. 4 a. 1 arg. 11 Praeterea, in illa rerum informitate manifeste apparet quod terra suum situm habebat, et datur intelligi quod terra erat aquis cooperta, per hoc quod dicitur, Gen. I, 9: congregentur aquae in unum locum; et appareat arida. Ergo pari ratione et alia elementa suum situm habebant; et ita nulla informitas in materia erat.

11. Dans cette absence de forme, il apparaît manifestement que la terre avait sa situation et il est donné à comprendre qu'elle était recouverte par les eaux, c’est pour cela qu’il est dit (Gn. 1, 9):"Que les eaux soient rassemblées en un seul lieu, et qu’apparaisse le terre sèche". Donc à raison égale les autres éléments avaient leur situation, et ainsi il n’y avait nulle absence de forme dans la matière.

 

q. 4 a. 1 arg. 12 Praeterea, a perfecto agente educitur perfectus effectus; quia omne agens agit sibi simile. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo a principio materiam perfectam produxit, et ita formatam, cum forma sit perfectio materiae.

12. L’effet parfait vient d’un agent parfait, parce que tout agent fait du semblable à soi. Mais Dieu est l’agent absolument parfait. Donc, au commencement, il produisit la matière parfaite et ainsi mise en forme, puisque la forme est la perfection de la matière.

 

q. 4 a. 1 arg. 13 Praeterea, si materia informis formationem rerum duratione praecessit; aut materia sic existens carebat omni forma, aut habebat aliquam formam. Si omni forma carebat, tunc erat tantum in potentia et non in actu; et ita nondum erat creata, cum creatio terminetur ad esse. Si autem habebat aliquam formam, aut illa erat aliqua forma elementaris, aut forma mixti. Si forma elementaris, aut habebat tantum unam formam, aut diversas. Si diversas, ergo iam erat diversitas per diversas elementares formas. Si unam tantum, sequitur quod aliqua forma elementi sit naturaliter prius in materia quam aliae; et ita unum elementum erat principium aliorum elementorum, sicut antiquissimi naturales posuerunt dicentes unum tantum elementum esse; quod a philosopho improbatur. Si autem habebat formam mixti, ergo forma mixti naturaliter est prius in materia quam forma elementorum; quod patet esse falsum; quia mixtio non fit nisi per hoc quod aliquid elementa movet ad formam mixti. Ergo non potest esse quod materia fuerit prius informis quam formata.

13. Si la matière sans forme a précédé la mise en forme en durée, ou bien la matière en un tel état manquait de toute forme, ou bien elle en avait une. Si elle manquait de toute forme, elle était alors seulement en puissance et non en acte; et ainsi elle n’était pas encore créée, puisque la création se termine à l’être. Mais si elle avait une forme, ou celle-ci était une forme élémentaire, ou la forme d’un mixte. Si c’était une forme élémentaire, ou bien elle avait seulement une forme ou des formes diverses. Si elles étaient diverses, donc il y avait déjà de la diversité par les diverses formes élémentaires. S'il n'y en avait qu'une, il en découle qu'une forme de l’élément serait naturellement dans la matière avant les autres, et ainsi un seul élément était le principe des autres, comme les très anciens Naturalistes le pensaient, disant qu’il n’en existait qu’un seul[11]. Ce qui est désapprouvé par le philosophe (La génération et la corruption, II, 5, 331 b 5). Si elle avait la forme d’un mixte, alors celle-ci est naturellement dans la matière avant la forme des éléments, ce qui paraît faux, parce que le mélange ne se fait que si quelque chose amène les éléments à la forme du mixte. Donc il n'est pas possible que la matière ait été sans forme avant d’être en forme.

 

q. 4 a. 1 arg. 14 Sed dices, quod materia habebat formas elementorum; sed non secundum illum modum quo nunc sunt, quia aquae erant rariores, et in modum vaporis aeri permixtae.- Sed contra, forma uniuscuiusque elementi requirit determinatam mensuram raritatis vel densitatis, sine qua esse non potest. Raritas autem per quam aliquid ascendit in locum aeris excedit conditionem aquae; quia natura aquae est ut sit gravis respectu aeris. Ergo si erat tanta subtilitas quod aquae evaporabiliter ad locum aeris ascenderent, non habebant speciem aquae; et ita non erant in materia formae elementares, cuius contrarium supra dictum est.

14. Mais on pourrait dire que la matière avait la forme des éléments; mais pas de cette manière dont ils existent maintenant, parce que les eaux étaient plus rares et mêlées à l’air sous forme de vapeur. — En sens contraire, la forme de chaque élément requiert une mesure déterminée de rare et de dense, sans laquelle elle ne peut pas exister. Mais le rare par laquelle quelque chose monte dans un espace de l’air dépasse la condition de l’eau, parce que sa nature est d'être plus lourde que l'air. Donc s'il y avait une telle subtilité que les eaux montent à la place de l'air sous forme de vapeur, elles n’avaient pas la nature de l'eau, et ainsi il n'y avait pas de formes élémentaires dans la matière; [or] on a dit le contraire ci-dessus.

 

q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, per opera sex dierum, formata sunt ex informi materia diversa rerum genera. Sed inter alia sex dierum opera, firmamentum secundo die est formatum. Si ergo materia informis subiacebat elementaribus formis sequetur quod caelum sit factum ex quatuor elementis; quod a philosopho improbatur.

15. Par l’œuvre des six jours, différents genres d’êtres ont été formés à partir de la matière informe. Mais parmi les autres œuvres des six jours, le firmament a été formé le second jour. Si donc la matière informe dépendait des formes élémentaires, il en découlerait que le ciel a été fait à partir des quatre éléments, ce qui est désapprouvé par le Philosophe (Le ciel et le monde, I, com. 5 et s[12].)

 

q. 4 a. 1 arg. 16 Praeterea, sicut se habet corpus naturale ad figuram, ita se habet materia ad formam. Sed corpus naturale non potest esse quin habeat aliquam figuram. Ergo nec materia potest esse quin sit formata.

16. De la même manière que le corps naturel se comporte vis-à-vis de son aspect, la matière se comporte vis-à-vis de la forme. Mais un corps naturel ne peut pas exister sans son aspect[13]. Donc la matière ne peut pas exister sans forme.

 

q. 4 a. 1 arg. 17 Praeterea, si formatio materiae a principio suae creationis non fuit, tunc aquarum congregatio, quae tertio die legitur, non semper fuit. Sed hoc videtur impossibile; quia si aquae undique operiebant terram, non erat ubi possent congregari. Ergo videtur quod materia informis rerum formationem non praecesserit. Quod autem aqua undique operiret terram, apparet ex hoc quod elementa sunt separata, ut probatur in III caeli et mundi.

17. Si la mise en forme de la matière n’a pas eu lieu au début de sa création, alors le rassemblement des eaux qui eut lieu le troisième jour, n’a pas toujours existé. Mais cela paraît impossible, parce que, si les eaux couvraient la terre de tous côtés, il n’y avait pas de lieu où elles puissent se rassembler. Donc il semble que la matière sans forme n’aura pas précédé la mise en forme des choses. Mais que l’eau ait couvert la terre de tous côtés, il apparaît que cela vient du fait que les éléments ont été séparés, comme on le prouve dans Le ciel et le monde (III, 7, 305 b 12 – b 26) et s.)

 

q. 4 a. 1 arg. 18 Sed diceretur, quod erat aliqua concavitas infra terram, in quam partes descenderunt et ita terram locum praebuit aquis.- Sed contra, huiusmodi concavitates vel cavernositates in terra causantur propter aliquas lapidositates, ex quibus superiores partes terrae retinentur, ne ad centrum descendant; quod quidem tunc esse non poterat; quia cum lapides sint corpora mixta, sequeretur quod corpus mixtum fuisset ante formationem elementorum. Ergo huiusmodi cavernositates esse non poterant.

18. Mais on pourrait dire qu'il y avait une cavité sous la terre où les parties descendirent et ainsi, elle offrit la terre comme lieu pour les eaux. En sens contraire, ces cavités ou ces trous ont été causés dans la terre à cause des pierrailles qui ont soutenu les parties supérieures de la terre, pour qu’elles ne descendent pas vers le centre; ce qui alors était impossible; puisque les pierres sont des corps mixtes; il en découlerait que le corps mixte aurait existé avant la mise en forme des éléments. Donc de telles cavités ne pouvaient pas exister.

 

q. 4 a. 1 arg. 19 Praeterea, si cavernositates aliquae erant in terra, non poterant esse vacuae. Ergo erant plenae aere, vel aqua; quod videtur impossibile, cum subsidere terrae sit contra naturam utriusque.

19. S'il existait des cavités dans la terre, elles ne pouvaient pas être vides. Donc elles étaient emplies d’air ou d’eau, ce qui paraît impossible, puisque se situer sous la terre serait contre la nature de ces deux éléments.

 

q. 4 a. 1 arg. 20 Praeterea, aut aqua cooperiens terram undique naturalem situm habebat, aut non. Si naturalem situm habebat, ergo ab illa dispositione non poterat removeri, nisi per violentiam; quia a loco in quo corpus quiescit naturaliter, non removetur nisi per violentiam. Hoc autem non competit primae rerum institutioni, per quam natura instituitur, cui violentia repugnat. Si autem erat ille situs aquae violentus, per suam naturam redire poterat ad illam dispositionem quam non habebat; quia a loco in quo quiescit aliquid violenter, movetur naturaliter; et ita non oportebat poni inter opera formationis quod aquae in unum locum congregarentur.

20. Ou l'eau qui recouvrait la terre de toutes parts avait une situation naturelle ou elle ne l'avait pas. Si elle en avait un, l'eau n’en pouvait être déplacée que par violence, parce qu'on ne déplace d’un lieu que par violence le corps qui y est établi naturellement. Mais cela ne fait pas partie du premier établissement des choses, par qui la nature est établie, à laquelle répugne la violence. Mais si cette situation était violente pour l’eau, elle pouvait par sa propre nature revenir à cette disposition qu'elle n'avait pas; parce qu’une chose s’éloigne naturellement d'un lieu dans lequel elle est établie avec violence, elle se meut naturellement; et ainsi il ne fallait pas placer parmi les œuvres de mise en forme le rassemblement des eaux.

 

q. 4 a. 1 arg. 21 Praeterea, secundum hunc ordinem res institutae sunt quem naturaliter habent. Sed naturaliter distincta sunt priora quam confusa, sicut simplex est naturaliter prius composito. Ergo non fuit conveniens rerum institutioni quod res primo fuerint in quadam confusione, et postmodum distinguerentur.

21. Les choses ont été établies selon l'ordre qu'elles ont naturellement. Mais elles ont été séparées naturellement avant d'être mêlées, puisque le simple est naturellement avant le composé. Donc il n'a pas été convenable pour leur institution qu'elles aient été d'abord en une certaine confusion et qu'elles soient séparées ensuite.

 

q. 4 a. 1 arg. 22 Praeterea, processus de actu in potentiam non competit rerum institutioni, sed magis corruptioni; res enim fiunt per hoc quod de potentia in actum reducuntur. Sed procedere a mixtis ad elementa, est procedere de actu in potentiam, cum elementa sint quasi materia respectu formae mixti. Ergo non fuit conveniens rerum institutioni quod prius fierent in quadam confusione et mixtione, et postmodum distinguerentur.

22. Le passage de l'acte à la puissance n'appartient pas à l'établissement des choses, mais plutôt à leur corruption: car les choses deviennent par le fait qu’elles sont amenées de la puissance à l'acte. Mais procéder des mixtes aux éléments, c'est procéder de l'acte à la puissance, puisque les éléments sont comme la matière en rapport avec la forme du mixte. Donc il n'a pas été convenable pour l'établissement des choses que d'abord elles soient faites dans une certaine confusion et un certain mélange et qu'elles soient séparées ensuite.

 

q. 4 a. 1 arg. 23 Praeterea, hoc videtur esse consonum erroribus antiquorum philosophorum; scilicet opinioni Empedoclis, qui ponebat per litem partes mundi esse ad invicem distinctas, cum prius fuerint confusae per amicitiam; et Anaxagorae, qui posuit quod cum aliquando omnia simul essent, intellectus incepit distinguere separando ab illo confuso et commixto. Quae quidem opiniones sufficienter a philosophis posterioribus improbantur. Ergo non est ponendum quod informitas vel confusio materiae rerum formationem duratione praecederet.

23.Cela paraît en accord avec les erreurs des anciens philosophes; à savoir avec l'opinion d'Empédocle qui pensait que les parties du monde avaient été distinguées les unes des autres par conflit, puisque d'abord elles avaient été mêlées par amitié; et avec celle d'Anaxagore qui a pensé que lorsque tout était ensemble à certains moments, l'intellect commençait à apporter ses distinctions en séparant de ce qui était confus et mélangé. Ces opinions ont été suffisamment désapprouvées par les philosophes suivants. Donc il ne faut pas penser que l'absence de forme ou la confusion de la matière précéderait en durée la mise en forme des choses.

 

En sens contraire:

 

q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Gregorius exponens illud Eccli. XVIII, 1: qui vivit in aeternum, creavit omnia simul, dicit quod omnia sunt simul creata per substantiam materiae, sed non per speciem formae; quod esse non posset, nisi prius fuisset substantia materiae quam species formae inesset. Ergo materia informis duratione praecessit rerum formationem.

1. Grégoire [le Grand], quand il expose ce verset de l'Eccl. 18,1: "Celui qui vit éternellement a créé tout en même temps", (les Morales, XXXII, ch. 9, dans les exemplaires nouveaux), dit que tout a été créé en même temps par la substance de la matière mais non par la nature de la forme, ce qui n'était possible que s'il y avait eu la substance avant que la nature de la forme y soit inclue. Donc la matière sans forme a précédé en durée la mise en forme des choses.

 

q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod non est, non potest habere aliquam operationem. Sed materia informis habet aliquam operationem; appetit enim formam, ut dicitur III Phys. Ergo materia potest esse sine forma; et ita non est inconveniens, si materia informis ponatur duratione rerum formationem praecessisse.

2. Ce qui n'existe pas ne peut pas avoir d'opération. Mais la matière sans forme en a une; car elle désire la forme, comme il est dit (Physique I, 9, 191 b 25). Donc la matière peut exister sans forme et ainsi il n’est pas inconvenant de penser que celle-ci a précédé en durée la mise en forme.

 

q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Deus plus potest operari quam natura. Sed natura facit de ente in potentia ens actu. Ergo Deus potest facere de ente simpliciter ens in potentia; et ita potuit facere materiam sine forma existentem.

3. Dieu peut faire plus que la nature. Mais la nature fait de l'étant en puissance un étant en acte. Donc Dieu peut faire d'un étant simplement un étant en puissance, et ainsi il a pu faire une matière qui existait sans forme.

 

q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, quod Scriptura sacra dicit fuisse aliquando, non est dicendum non fuisse; quia ut Augustinus dicit, contra Scripturam sacram nemo Christianus sentit. Scriptura autem divina dicit, terram aliquando fuisse inanem et vacuam. Ergo non est dicendum quin aliquando fuerit inanis et vacua. Hoc autem pertinet ad informitatem materiae, quocumque modo exponatur. Ergo aliquando substantia materiae praecessit formationem; alias nunquam informis fuisset.

4. L'Écriture sainte révèle qu’on ne peut dire que ce qui a existé une fois n’a pas existé, parce que, comme le dit Augustin (La Trinité, V), aucun chrétien ne pense contre l'Écriture sainte. Mais celle-ci dit que la terre fut à certains moments vide et déserte. Donc il ne faut pas dire pourquoi à un certain moment la terre aura été vide et déserte. Cela concerne l'absence de forme de la matière de quelque manière qu'on l'expose. Donc à un certain moment, la substance de la matière a précédé sa mise en forme, autrement jamais elle aurait été sans forme.

 

q. 4 a. 1 s. c. 5 Praeterea, simul condita est spiritualis et corporalis creatura, ut ex superiori quaestione iam patuit. In spirituali autem creatura informitas formationem praecessit etiam duratione. Ergo eadem ratione et in corporali. Probatio mediae. Formatio creaturae spiritualis intelligitur secundum quod ad verbum convertitur, quod est eius illuminatio. Simul autem facta luce divisum est inter lucem et tenebras. Per tenebras autem in spirituali creatura peccatum intelligitur. Peccatum autem esse non potuit in primo instanti creationis Angelorum, quia tunc Daemones nunquam fuissent boni. Ergo spiritualis creatura non fuit formata in primo instanti suae creationis.

5. La créature spirituelle et la créature corporelle ont est créées en même temps, comme cela a été montré dans la question 3, article 18. Mais, dans la créature spirituelle, l'absence de forme a précédé sa mise en forme même en durée. Donc, pour la même raison, dans la créature corporelle aussi. Preuve intermédiaire: on comprend la mise en forme de la créature spirituelle selon qu'elle se tourne vers le Verbe qui est son illumination. Mais en même temps que la lumière a été faite, il y eut la division entre la lumière et les ténèbres. Et par les ténèbres, on comprend le péché dans la créature spirituelle. Mais le péché n'a pas pu existé au premier instant de la création des anges, parce que, alors, les démons n'auraient jamais été bons[14]. Donc la créature spirituelle n'a pas été mise en forme au premier instant de la création.

 

q. 4 a. 1 s. c. 6 Praeterea, illud ex quo est aliquid, etiam tempore praecedit quod est ex eo. Sed Deus ex invisa materia, quae est materia informis secundum Augustinum, creavit orbem terrarum, ut dicitur sapientiae XI, 18. Ergo materia informis tempore praecessit orbem terrarum formatum. Probatio primae. Secundum philosophum, fieri rerum dupliciter exprimi potest.

 

Uno modo ut dicatur: hoc fit hoc per se, quod convenit subiecto; ut cum dicimus, homo fit albus; per accidens autem, ut ex privatione et contrario, ut cum dicitur: non album, vel nigrum fit album.

 

Alio modo, ut dicatur: ex hoc fit hoc; quod quidem subiecto non competit nisi ratione privationis. Non enim dicimus quod ex homine fiat albus; sed quod ex non albo vel nigro, fit album; vel etiam ex homine nigro vel non albo. Id igitur ex quo est aliquid, vel est privatio sive contrarium, vel est materia privationi vel contrario subiecta. Utroque autem modo oportet tempore praecedere ex quo aliquid fit; quia opposita non possunt esse simul, nec materia simul tempore potest subesse privationi et formae. Ergo id ex quo aliquid fit, tempore praecedit id quod fit ex eo.

6. Ce dont vient quelque chose précède dans le temps ce qui en vient. Mais Dieu, de la matière invisible, qui est la matière sans forme, selon Augustin (La Genèse au sens littéral, I, XV, 30[15]) a créé l'univers, comme le dit la Sagesse, 11, 18. Donc la matière sans forme a précédé dans le temps l'univers en forme. Preuve de la première [proposition]: Selon le philosophe (Physique 1, 6, 188 a 30 – 188 b 8) on peut exprimer le devenir des choses de deux manières:

 

1) D'abord pour dire: ceci devient cela par soi, ce qui convient au substrat, comme lorsqu’on dit: l'homme devient blanc; par accident aussi comme d'une privation et d'un contraire, comme quand on dit le non blanc, ou le noir devient blanc.

 

2) D'une autre manière, pour dire ceci est fait de cela; ce qui ne convient au substrat qu'en raison de la privation. Car nous ne disons pas qu’il devient blanc à partir d'un homme [16]; mais que de non blanc ou de noir, il devient blanc; ou aussi d'un homme noir ou non blanc. Donc ce d’où vient quelque chose, est une privation ou son contraire, ou c'est une matière sujette à la privation ou au contraire. Mais des deux manières, il faut que ce de quoi quelque chose est fait le précède dans le temps, parce que les opposés ne peuvent pas être ensemble, et la matière ne peut pas être soumise à la privation et à la forme en même temps. Donc ce de quoi une chose est faite, précède dans le temps ce qui est fait de lui.

 

q. 4 a. 1 s. c. 7 Praeterea, operatio naturae imitatur in quantum potest operationem Dei, sicut operatio causae secundae operationem causae primae. Sed naturae processus in operando est de imperfecto ad perfectum. Ergo et Deus etiam prius tempore imperfectum produxit, et postea perfectum; et sic informis materia formationem praecessit.

7. L'opération de la nature imite autant qu'elle le peut l'opération de Dieu, comme l'opération de la cause seconde imite celle de la cause première. Mais le processus de la nature, en opérant, fait passer de l'imparfait au parfait. Donc Dieu aussi a produit, dans le temps, l'imparfait avant et le parfait ensuite et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.

 

q. 4 a. 1 s. c. 8 Praeterea, Augustinus dicit, quod ubi Scriptura in principio terram et aquam commemorat, cum dicitur Genes. I, 2: terra erat inanis et vacua, et spiritus domini ferebatur super aquas; non ideo nominatur terra et aqua quia iam talis erat, sed quia talis esse poterat. Ergo aliquando materia prima nondum habebat speciem aquae vel terrae, sed tantum habere poterat; et sic materia informis formationem praecessit.

8. Augustin dit qu'au commencement, là où l'Écriture fait mention de la terre et de l'eau, comme il est dit dans Gn. 1, 2: "La terre était vide et déserte et l'Esprit du Seigneur était porté sur les eaux", la terre et l'eau ne sont pas désignées parce qu'elles étaient déjà telles, mais parce qu'elles pouvaient être telles. Donc à certains moments, la matière première n'avait pas encore la forme de l'eau ou de la terre, mais elle pouvait seulement l'avoir. Et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.

 

Réponse:

 

q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Augustinus, circa hanc quaestionem potest esse duplex disceptatio: una de ipsa rerum veritate; alia de sensu litterae, qua Moyses divinitus inspiratus principium mundi nobis exponit.

Comme le dit Augustin (Confessions, XII) à propos de cette question, il peut y avoir une double discussion: 1) sur la vérité, 2) sur le sens de la lettre, par laquelle Moïse, divinement inspiré, nous a exposé le commencement du monde.

 

Quoad primam disceptationem duo sunt vitanda;

 

quorum unum est ne in hac quaestione aliquid falsum asseratur, praecipue quod veritati fidei contradicat;

 

aliud est, ne quidquid verum aliquis esse crediderit, statim velit asserere, hoc ad veritatem fidei pertinere; quia, ut Augustinus dicit: obest, si ad ipsam doctrinae pietatis formam pertinere arbitretur falsum, scilicet quod credit, et pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Propter hoc autem obesse dicit, quia ab infidelibus veritas fidei irridetur, cum ab aliquo simplici et fideli tamquam ad fidem pertinens proponitur aliquid quod certissimis documentis falsum esse ostenditur, ut etiam dicit I super Genes. ad litteram.

Pour la première discussion, il faut éviter deux écueils:

 

1) Sur cette question qu’on n'affirme rien de faux, surtout ce qui contredirait la vérité de la foi.

 

2) Ce que quelqu'un aura cru vrai, qu’il ne veuille pas affirmer aussitôt que cela concerne la vérité de la foi; parce, comme Augustin le dit (Confessions, X): "Il fait du tort, s'il considère comme faux ce qui se rapporte à la forme même de la doctrine de la piété; à savoir qu'il croit et qu'il ose affirmer avec opiniâtreté ce qu'il ignore." Il dit qu’on fait du tort, parce la vérité de la foi est tournée en dérision par les infidèles[17], quand un simple fidèle propose, comme appartenant à la foi, ce qui peut être démontré comme faux par des preuves très sûres, comme il le dit La Genèse au sens littéral, I.

 

Circa secundam disceptationem duo etiam sunt vitanda.

 

Quorum primum est, ne aliquis id quod patet esse falsum, dicat in verbis Scripturae, quae creationem rerum docet, debere intelligi; Scripturae enim divinae a spiritu sancto traditae non potest falsum subesse, sicut nec fidei, quae per eam docetur.

 

Aliud est, ne aliquis ita Scripturam ad unum sensum cogere velit, quod alios sensus qui in se veritatem continent, et possunt, salva circumstantia litterae, Scripturae aptari, penitus excludantur; hoc enim ad dignitatem divinae Scripturae pertinet, ut sub una littera multos sensus contineat, ut sic et diversis intellectibus hominum conveniat, ut unusquisque miretur se in divina Scriptura posse invenire veritatem quam mente conceperit; et per hoc etiam contra infideles facilius defendatur, dum si aliquid, quod quisque ex sacra Scriptura velit intelligere, falsum apparuerit, ad alium eius sensum possit haberi recursus. Unde non est incredibile, Moysi et aliis sacrae Scripturae auctoribus hoc divinitus esse concessum, ut diversa vera, quae homines possent intelligere, ipsi cognoscerent, et ea sub una serie litterae designarent, ut sic quilibet eorum sit sensus auctoris. Unde si etiam aliqua vera ab expositoribus sacrae Scripturae litterae aptentur, quae auctor non intelligit, non est dubium quin spiritus sanctus intellexerit, qui est principalis auctor divinae Scripturae. Unde omnis veritas quae, salva litterae circumstantia, potest divinae Scripturae aptari, est eius sensus.

Pour la seconde controverse, il faut éviter deux écueils.

 

1) Que personne ne dise qu'on doit comprendre que ce qui paraît faux, dans les paroles de l’Écriture qui enseigne la création. Car dans l'Écriture divine rapportée par l'Esprit saint, on ne peut pas trouver d'erreur, ni non plus dans la foi, qu'elle enseigne.

 

2) Que personne ne veuille réduire ainsi l'Écriture à un seul sens, de sorte que seraient exclus complètement les autres sens qui contiennent en eux une vérité, et peuvent, si on tient compte du contexte, être conformes à l'Écriture. Car il appartient à la dignité de l'Écriture divine que sous une lettre unique, elle contienne de nombreux sens, de sorte qu’elle convient ainsi aux différents esprits des hommes, pour que chacun puisse avec admiration trouver en elle la vérité qu'il aura conçue dans son esprit; et par cela aussi, elle est défendue plus facilement contre les infidèles, puisque, si un sens que chacun veut comprendre de l'Écriture aura paru faux, on peut recourir à un autre. C'est pourquoi il n'est pas incroyable que cela ait été transmis de façon divine à Moïse et aux autres auteurs de l'Écriture sainte, pour que les hommes connaissent les diverses vérités qu’ils pourraient comprendre et ce qu’elles révèlent sous un seul sens littéral, de sorte que n’importe laquelle d’entre d'elles soit le sens de l'auteur. C'est pourquoi, si aussi quelques vérités que l'auteur ne comprend pas sont adaptées par les commentateurs de la lettre de l'Écriture sainte, il n'est pas douteux que l'Esprit saint les aura comprises, lui qui en est l'auteur principal. C'est pourquoi toute vérité qui, quand on tient compte du contexte, peut être adaptée à l'Écriture divine, est son sens[18].

 

His ergo suppositis, sciendum est quod diversi expositores sacrae Scripturae diversos sensus ex principio Genesis acceperunt; quorum nullus fidei veritati repugnat. Et quantum ad praesentem pertinet quaestionem, diversificati sunt in duas vias, dupliciter informitatem materiae accipientes, quae signatur in principio Genesis ubi dicit: terra autem erat inanis et vacua.

Cela étant supposé, il faut savoir que les divers commentateurs de l'Écriture sainte ont accepté différents sens pour le commencement de la Genèse, dont aucun ne s'oppose à la vérité de la foi. Sur la question présente, ils se sont séparés en deux voies, en admettant de deux manières la mise en forme de la matière, qui est signalée au début de la Genèse, là où il est dit: "Mais la terre était vide et déserte".

 

Quidam namque intellexerunt, praedictis verbis talem informitatem materiae significari, secundum quod materia intelligitur absque omni forma, in potentia tamen existens ad omnes formas; talis autem materia non potest in rerum natura existere, quin aliqua forma formetur. Quidquid enim in rerum natura invenitur, actu existit, quod quidem non habet materia nisi per formam, quae est actus eius; unde non habet sine forma in rerum natura inveniri.

A) Car certains ont compris qu'une telle absence de forme de la matière était signifiée par ces mots ci-dessus; selon que la matière est comprise sans aucune forme, en puissance cependant à toutes les formes, mais une telle matière ne peut pas exister dans la nature, sans que qu'elle ne soit mise en quelque forme. Car tout ce qu'on trouve dans la nature, existe en acte, ce que la matière n'a que par la forme, qui est son acte; c'est pourquoi on n'a pas à la trouver sans forme dans la nature.

 

Et iterum, cum nihil possit contineri in genere quod per aliquam generis differentiam ad speciem non determinetur, non potest materia esse ens, quin ad aliquem specialem modum essendi determinetur; quod quidem non fit nisi per formam. Unde si sic materia informis intelligatur, impossibile est quod duratione formationem praecesserit, sed praecessit tantum ordine naturae, secundum quod illud ex quo fit aliquid, naturaliter est prius eo, sicut nox est prior creata. Et haec fuit opinio Augustini.

Et en plus, comme rien ne peut être contenu dans un genre sans être déterminé par une différence de genre pour l'espèce, la matière ne peut être un étant sans être déterminée à un mode particulier d'être; ce qui ne se fait que par la forme. C'est pourquoi, si on comprend ainsi la matière sans forme, il est impossible qu'elle ait précédé en durée la mise en forme, mais elle l'a précédée seulement dans l'ordre de la nature, selon que, ce dont quelque chose est fait est naturellement avant lui, comme la nuit est créée la première. Et telle fut l'opinion d'Augustin.

 

Alii vero intellexerunt informitatem materiae non secundum quod materia omni forma caret, sed secundum quod dicitur aliquid informe quod nondum habet ultimum suae naturae complementum et decorem; et secundum hoc potest poni, quod etiam duratione informitas rerum formationem praecesserit. Quod quidem si ponatur, ordini sapientiae artificis congruere videtur, qui res ex nihilo producens in esse, non statim post nihilum in ultima perfectione naturae eas instituit, sed primo fecit eas in quodam esse imperfecto; et postea eas ad perfectum adduxit; ut sic et eorum esse ostenderetur a Deo procedere, contra illos qui ponunt materiam increatam; et nihilominus perfectionis rerum ipse etiam auctor appareret, contra eos qui rerum inferiorum formationem causis alii adscribunt. Et hoc intellexit magnus Basilius, Gregorius, et alii sequaces eorum. Quia ergo neutrum a veritate fidei discordat, et utrumque sensum circumstantia litterae patitur; utrumque sustinentes ad utrasque rationes respondeamus.

B) D'autres ont compris l'absence de forme de la matière, non parce qu'elle manque de toute forme; mais selon qu'on la désigne comme quelque chose sans forme, parce qu'elle n'a pas encore l’achèvement ultime de sa nature et sa beauté et, pour cela on peut penser que l'absence de forme a précédé en durée la mise en forme. Ainsi on pense que cela semble convenir à l'ordre de la sagesse de l'artiste, qui, amenant les choses du néant à l'être, ne les a pas établies aussitôt après le néant, dans la perfection ultime de leur nature; mais que d'abord il les fit dans un certain être imparfait, et ensuite il les a amenées à la perfection; pour montrer qu’ainsi leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière est incréée. Néanmoins il paraîtrait l'auteur même de la perfection des choses contre ceux qui attribuent à un autre la mise en forme des choses inférieures par les causes. Et c’est cela que Basile [le Grand] et Grégoire [de Naziance] et leurs successeurs ont compris. Donc parce qu'aucun des deux n'est en discordance avec la vérité de la foi, et que le contexte supporte l'un et l'autre sens, répondons en soutenant l'un et l'autre, pour ces deux raisons.

 

Solutions:

 

q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de materia informi, secundum quod intelligitur absque omni forma; et sic necesse est dicere, quod informitas solo ordine naturae formationem praecedat. Qualiter autem circa formationis ordinem opinetur, in sequenti articulo ostendetur.

# 1. Augustin parle de la matière sans forme, selon qu'elle est comprise sans forme aucune, et ainsi il est nécessaire de dire que cette absence précède la mise en forme seulement dans l'ordre de la nature. Et on montrera dans l'article suivant quelle opinion avoir sur l'ordre de la mise en forme.

 

q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa hoc multipliciter aliqui sunt opinati.

 

Plato enim Scripturam Genesis videns, sic intellexisse dicitur numerum elementorum et ordinem ibi significari, ut terra et aqua propriis nominibus exprimantur. Aqua autem super terram esse intelligitur, ex hoc quod ibi, scriptum est: congregentur aquae in locum unum; et appareat arida. Supra quae duo, aerem intellexit in hoc quod dicitur: spiritus domini ferebatur super aquas, aerem nomine spiritus intelligens. Ignem vero in nomine caeli intellexit, quod omnibus supereminet.

# 2. A ce sujet quelques-uns ont pensé de multiples façons.

 

a) Car on dit que Platon, voyant le texte la Genèse[19], a compris que le nombre des éléments et leur ordre y était signalé de sorte que la terre et l’eau sont désignées par leurs noms propres. Mais on comprend que l'eau a existé sur la terre du fait qu'il est écrit (Gn. 1, 9): "Que les eaux se rassemblent dans un lieu unique, qu'apparaisse la terre sèche". Au dessus de ces deux éléments, il a compris l'air dans ce qui est dit: "Le souffle du Seigneur était porté sur les eaux", comprenant l'air sous le nom de souffle. Et il a compris le feu sous le nom de ciel, qui est au-dessus de tout.

 

Sed quia, secundum Aristotelis probationes, caelum igneae naturae esse non potest, ut eius motus circularis demonstrat, Rabbi Moyses Aristotelis sententiam sequens, cum Platone in tribus primis concordans, ignem significatum esse dixit per tenebras, eo quod ignis in propria sphaera non luceat; et situs eius declaratur in hoc quod dicitur: super faciem abyssi. Quintam vero essentiam nomine caeli significatam esse intelligit.

b) Mais parce que, selon les preuves données par Aristote (Le ciel, II, 2, 269 a 18 – 269 a 26), il ne peut pas exister un ciel de nature ignée, comme son mouvement circulaire le montre[20], Rabbi Moyses suivant l'opinion d'Aristote, d'accord avec Platon sur les trois premiers points, a dit que le feu était signifié par les ténèbres parce que le feu ne brille pas dans sa propre sphère; et son lieu est révélé dans ce qui est dit: "sur la face de l'abîme". Mais il comprend que le nom du ciel signifie la quinte essence.

 

Sed quia, ut dicit Basilius in Hexameron, non est consuetudo sacrae Scripturae, ut per spiritum domini aer intelligatur, per corpora extrema quae posuit, dedit intelligere media; et praecipue quia aquam et terram sensui manifestum est corpora esse, aer vero et ignis non ita sunt simplicibus manifesta, quibus etiam instruendis Scriptura tradebatur.

c) Mais parce que, comme le dit Basile dans l'Hexaemeron (Homélie 2), ce n'est pas l’habitude de l'Écriture sainte de comprendre l'air comme le souffle du Seigneur, il donna à comprendre les intermédiaires par les corps extrêmes qu'il établit. Et principalement parce qu'il est clair pour les sens, que l'eau et la terre sont des corps, mais que l'air et le feu n'apparaissent pas ainsi aux simples à qui l'Écriture était transmise pour les instruire.

 

Secundum vero Augustinum, per nomina terrae et aquae, quae commemorantur ante lucis formationem, non intelliguntur elementa suis formis formata, sed ipsa materia informis omni specie carens. Ideo autem potius per haec duo materiae informitas exprimitur quam per alia elementa, quia sunt propinquiora informitati, utpote plus de materia habentia, et minus de forma; et quia etiam nobis magis sunt nota, et manifestius nobis materiam aliorum ostendunt. Ideo vero non per unum tantum, sed per duo eam significari voluit, ne si alterum tantum posuisset, veraciter crederetur hoc esse informis materia.

d) Selon Augustin (Les LXV questions[21], qu. 21) par les noms de terre et d'eau dont il est fait mention avant la formation de la lumière, on ne comprend pas les éléments mis en forme mais la matière elle-même, sans forme, sans aucune espèce. Aussi c'est plutôt par ces deux termes, que s'exprime l'absence de forme de la matière, plus que par les autres éléments, parce qu’ils sont plus proches de l'absence de forme comme ayant plus de matière, et moins de forme; et ils nous sont mieux connus et ils nous montrent plus clairement la matière des autres. C'est pourquoi il n'a pas voulu qu'elle soit signifiée par l’un seulement, mais par les deux, pour que si seulement l'autre ne l’avait pas pu, on crut vraiment que c'était une matière sans forme.

 

q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illo rerum principio informitate quadam in rebus existente secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum, non oportet ponere quod elementa suis qualitatibus naturalibus carerent. Sed utraque habebant formas, substantiales scilicet, et accidentales.

# 3. En ce commencement des créatures, selon l'opinion de Basile et des autres saints, il ne faut pas penser que par leur absence de forme les élément manquaient de leurs qualités naturelles. Mais l'une et l'autre avaient des formes, soit substantielles, soit accidentelles.

 

q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod situs elementorum dupliciter potest considerari.

 

Uno modo quantum ad naturam propriam; et sic naturaliter ignis aerem continet, aer aquam, et aqua terram.

 

Alio modo quantum ad necessitatem generationis, quae est circa locum medium; et sic necessarium est ut superficies terrae quantum ad aliquam partem sui sit aquis discooperta; ut ibi conveniens generatio et conservatio mixtorum esse possit, et praecipue animalium perfectorum, quae aere indigent propter respirationem. Dicendum est ergo, quod illa informitas primi status attenditur non quantum ad situm qui naturalis est elementis secundum se (hunc enim situm omnia elementa habebant), sed quantum ad illum situm qui elementis competit secundum ordinem ad generationem mixtorum. Iste enim situs nondum erat perfectus, quia nec ipsa corpora mixta adhuc prodierant.

# 4. La situation des éléments peut être considérée de deux manières:

 

a) Quant à sa nature propre. et ainsi le feu entoure naturellement l'air, l'air entoure l'eau et l'eau la terre.

 

b) Pour la nécessité de la génération, qui est par rapport à un lieu intermédiaire. Ainsi il est nécessaire que la surface de la terre, pour l'une de ses parties ne soit pas recouverte par les eaux; pour qu’une génération convenable et la conservation des mixtes y soient possibles, et principalement celle des animaux parfaits qui ont besoin d'air pour respirer. Il faut donc dire que cette absence de forme du premier état est atteinte non pas pour la situation, qui est naturelle aux éléments en soi (car tous les éléments ont cette situation), mais pour cette situation qui appartient aux éléments en rapport avec la génération des mixtes. Car cette situation n’était pas encore parfaite, parce que les corps mixtes n'avaient pas encore paru.

 

q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de aquis quae supra caelos sunt diversimode aliqui opinati sunt.

 

Quidam namque dixerunt, aquas illas esse spirituales naturas, quod imponitur Origeni. Sed hoc quidem non videtur ad litteram posse intelligi, cum spiritualibus naturis situs non competat; ut sic inter eas et inferiores aquas corporeas dividat firmamentum, ut Scriptura tradit.

# 5. Au sujet des eaux qui sont au-dessus des cieux, ils ont pensé de diverses manières:

 

Car certains ont dit que ces eaux étaient des natures spirituelles, ce qui est attribué à Origène. Mais cela ne semble pas pouvoir être pris au sens littéral, puisque la situation ne convient pas aux natures spirituelles; de sorte que qu’il partage le firmament entre elles et les eaux corporelles inférieures, comme l'Écriture le rapporte.

 

Unde alii dicunt, quod nomine firmamenti intelligitur caelum aëreum nobis vicinum, supra quod elevantur per vaporum ascensionem aquae vaporabiles, quae sunt materia pluviarum: ut sic inter aquas superiores quae sunt in medio aeris interstitio vaporabiliter suspensae, et aquas corporeas quas videmus supra terram consistere, medium existat aereum caelum. Et huic etiam expositioni concordat Rabbi Moyses. Sed hanc non videtur pati litterae circumstantia. Nam postea subditur in littera, quod fecit Deus duo luminaria magna, et stellas; et posuit eas in firmamento caeli.

C'est pourquoi d'autres disent que, sous le nom de firmament, on comprend le ciel aérien qui nous est proche, au-dessus duquel s'élèvent les eaux qui peuvent se sublimer par la montée des vapeurs, qui sont la matière des pluies; pour qu'ainsi, entre les eaux supérieures qui sont suspendues sous forme de vapeur dans l'intervalle intermédiaire de l'air, et les eaux corporelles que nous voyons se tenir sur la terre, il existe un ciel aérien intermédiaire. Et Rabbi Moyses (Doct. Perplex, part. II, c. 30) est d'accord avec cette exposé. Mais le contexte de la lettre ne semble pas le permettre. Car ensuite il est ajouté, dans la lettre, que Dieu fit deux grands luminaires et les étoiles, et les plaça dans le firmament.

 

Et ideo alii dicunt, quod per firmamentum intelligitur caelum sidereum, et quod aquae super caelos existentes sunt de natura aquarum elementarium, et sunt ibi positae ex divina providentia ad temperandum ignis virtutem, ex quo totum caelum constare dicebant, ut Basilius tangit. Et ad hoc astruendum, duplex argumentum Augustinus dicit a quibusdam induci. Quorum unum est, quod si aqua, aliqua rarefactione facta, potest ascendere usque ad medium aeris interstitium ubi pluviae generantur, si amplius divisa rarescat (quia est in infinitum divisibilis, sicut et omne continuum) poterit sua subtilitate supra caelum sidereum conscendere, et ibi convenienter esse. Aliud argumentum est, quod stella Saturni, quae deberet esse calidissima propter velocissimum motum, in quantum eius circulus est maior, invenitur frigidi effectus, quod dicunt ex vicinitate illius aquae contingere praedictam stellam infrigidantis.

Et c'est pourquoi, d'autres disent que, par le firmament, on comprend le ciel étoilé et que les eaux qui existent au-dessus des cieux sont de la nature des éléments aquatiques et ils y sont placés par la providence divine pour tempérer le pouvoir du feu, dont ils disaient que tout le ciel se compose, comme Basile le rapporte. Et pour l’établir, Augustin dit que certains en ont tiré un double argument (La Genèse au sens littéral, II, IV et V). L'un[22] est que si l'eau, faite par raréfaction peut monter jusqu'à l'intervalle intermédiaire de l'air où sont engendrées les pluies, si, en plus divisée, elle se raréfie (parce qu’elle est divisible à l'infini comme toute matière continue) elle pourra, par sa légèreté, monter au-dessus du ciel étoilé et s'y trouver de manière convenable. L'autre argument (La Genèse au sens littéral, II, V, 9) est que la planète Saturne qui devrait être la plus chaude à cause de son mouvement très rapide, dans la mesure où sa circonférence est plus grande, trouve l’effet du froid, ce qu'ils disent venir de la proximité de cette eau qui la refroidit.

 

Sed haec expositio in hoc videtur deficere, quod asserit quaedam per Scripturam sacram intelligi, quorum contraria satis evidentibus rationibus probantur.

Mais cette exposition semble avoir un défaut du fait qu'elle affirme qu'on comprend certaines choses par l'Écriture sainte dont le contraire est prouvé par des raisons assez évidentes[23].

 

Primo quidem quantum ad ipsam positionem, quae videtur naturalem situm corporum pervertere. Cum enim unumquodque corpus tanto debeat esse superius quanto formalius, non videtur rerum naturae congruere ut aqua, quae inter omnia corpora est materialior praeter terram, etiam supra ipsum caelum sidereum collocetur; et iterum ut ea quae sunt unius speciei, diversum locum naturalem sortiantur; quod erit, si una pars elementi aquae erit immediate supra terram, alia vero supra caelum. Nec est sufficiens responsio, quod omnipotentia Dei aquas illas contra earum naturam supra caelum sustinet; quia nunc quaeritur qualiter Deus instituerit naturas rerum, non quod ex eis aliquod miraculum potentiae suae velit operari, ut Augustinus in eodem libro dicit.

a) Quant à la situation même des corps qui paraît inverser leur situation naturelle. En effet, comme chaque corps doit être d'autant plus haut qu'il est plus formel[24], il ne semble pas convenir à la nature des éléments, que l’eau qui, parmi tous les corps, est plus matérielle, exceptée la terre, soit placée au-dessus du ciel étoilé, et en plus, que ce qui est d'une seule nature partage un lieu naturel différent, ce qui arrivera si une partie de l'élément eau est immédiatement sur la terre, l'autre au-dessus du ciel. Et, que la toute puissance de Dieu soutienne ces eaux contre leur nature au-dessous du ciel n’est pas une réponse satisfaisante; parce qu'alors on cherche comment Dieu a institué la nature, sans vouloir opérer pour elles un miracle de sa puissance, comme Augustin le dit dans le même livre.

 

Secundo, quia ratio de rarefactione vel divisione aquarum videtur omnino vana. Etsi enim corpora mathematica possint in infinitum dividi, corpora tamen naturalia ad certum terminum dividuntur, cum unicuique formae determinetur quantitas secundum naturam, sicut et alia accidentalia. Unde nec rarefactio in infinitum esse potest; sed usque ad terminum certum qui est in raritate ignis. Et praeterea aqua tantum rarefieri posset quod iam non esset aqua, sed aer vel ignis, si transcenderet modum raritatis aquae. Nec posset naturaliter excedere aeris et ignis spatia, nisi, natura aquae amissa, eorum vinceret raritatem. Nec iterum esset possibile ut corpus elementare, quod est corruptibile, formalius fieret caelo sidereo, quod est incorruptibile, et sic supra ipsum naturaliter collocaretur.

b) Parce que la raison de la raréfaction ou de la division des eaux paraît tout à fait vaine. Car même si les objets mathématiques pouvaient être divisés à l'infini, cependant les corps naturels sont divisés jusqu'à un certain point, puisque la quantité est limitée à chaque forme selon sa nature et les autres accidents. C’est pourquoi la division à l'infini n'est pas possible; mais elle (va) jusqu'à un terme déterminé qui est dans la faible densité du feu. Et en plus l'eau pourrait perdre sa densité au point qu’elle ne serait plus de l'eau, mais de l'air ou du feu, si elle dépassait la faible densité de l'eau. Et elle ne pourrait naturellement dépasser les espaces de l'air et du feu, à moins qu’ayant perdu sa nature, elle dépasse leur faible densité. Et à nouveau il ne serait pas possible que le corps élémentaire, qui est corruptible, devienne plus formel que le ciel étoilé, qui est incorruptible et ainsi soit placé naturellement au-dessus de lui.

 

Tertio, quia secunda ratio omnino frivola apparet. Nam corpora caelestia non sunt susceptiva peregrinae impressionis ut a philosophis probatur. Nec esset possibile stellam Saturni ab illis aquis infrigidari, nisi etiam omnes stellae quae sunt in octava sphaera, infrigidarentur: quarum tamen plurimae inveniuntur esse calidae secundum effectum.

c) Parce que la seconde raison apparaît comme tout à fait frivole. Car les corps célestes ne sont pas susceptibles d'une imprégnation étrangère, comme le Philosophe le prouve. Il ne serait possible que la planète Saturne soient refroidie par ces eaux, que si toutes les étoiles qui sont dans la huitième sphère étaient refroidies aussi; cependant on trouve à leurs effets que plusieurs d'entre elles sont chaudes.

 

Et ideo aliter videtur dicendum ad hoc quod Scripturae veritas ab omni calumnia defendatur; ut dicamus, quod aquae illae non sint de natura harum aquarum elementarium, sed sint de natura quintae essentiae, habentes communem cum nostris aquis diaphaneitatem, sicut et caelum Empyreum cum nostro igne communem splendorem. Et has aquas quidam vocant caelum crystallinum; non quia fit de aqua congelata in modum crystalli, quia, ut dicit Basilius in Hexameron, puerilis dementiae et insipientis mentis est, talem de caelestibus capere opinionem; sed propter illius caeli soliditatem, sicut et de omnibus caelis dicitur Iob, XXXVII, 18, quod solidissimi quasi aere fusi sunt. Et hoc caelum etiam ab astrologis ponitur nona sphaera. Unde nec Augustinus aliquam de praemissis expositionibus asserit, sed sub dubitatione dimittit, dicens in eodem Lib.: quomodo libet, et quales aquae ibi sint, esse ibi eas, minime dubitemus. Maior est quippe Scripturae huius auctoritas quam omnis humani ingenii capacitas.

Et c'est pourquoi il semble qu'il faille en parler autrement pour que la vérité de l'Écriture soit défendue contre toute calomnie, de sorte que nous disons que ces eaux ne sont pas de la nature des eaux élémentaires, mais sont de quinte essence, ayant une commune transparence avec nos eaux, comme le ciel empyrée a une commune brillance avec notre feu. Et ils appellent ces eaux le ciel cristallin, non parce qu'il est fait d'eau congelée à la ressemblance du cristal, parce que, comme le dit Basile (Hex. 3), c'est le propre d'une démence puérile et d'un esprit insensé, d'accepter une telle opinion sur les objets célestes; mais c'est à cause de la consistance de ce ciel, comme des autres cieux, comme le dit Job (37, 18[25]) que "les plus consistants ont fondu comme l'air". Et ce ciel aussi est placé par les astronomes dans la neuvième sphère. C'est pourquoi Augustin soutient l’un de ces exposés, mais il émet un doute, disant dans le même livre (La Genèse au sens littéral, II, V, 9): "De quelque manière, et quelles que soient ces eaux, ne doutons pas qu’elles y sont. Car l'autorité de cette Écriture est plus grande que la capacité de tout l'esprit humain."

 

q. 4 a. 1 ad 6 Sextum concedimus.

# 6. Nous le concédons.

 

q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si intelligatur secundum expositionem Basilii, et sequacium eius, per terram ipsum terrae elementum; sic considerari potest et in quantum est principium quarumdam rerum, scilicet plantarum, quarum ipsa est ut mater, sicut dicitur in libro de Veget., et sic respectu eorum erat inanis antequam eas produceret; inane enim vel vanum dicimus quod non pertingit ad proprium effectum vel finem. Et potest considerari in quantum est habitaculum quoddam et locus animalium, respectu quorum vacua fuisse dicitur.

# 7. Selon l'exposition de Basile (Hexameron, hom. 4) et de ses successeurs, si on comprend par le mot terre, l'élément terre, on peut la considérer ainsi dans la mesure où elle est le principe de certaines choses, à savoir des plantes dont elle est même la mère, comme on le dit au livre de la Végétation et ainsi par rapport à cela, elle était vide avant de les produire; car nous disons qu'est vide ou désert ce qui ne parvient pas à son effet ou à sa fin propres. Et elle peut être considérée dans la mesure où elle est un habitacle et un lieu pour les animaux par rapport à ce qu'on a appelé désert.

 

Vel secundum litteram Septuaginta, quae habet, invisibilis et incomposita, fuit quaedam terra invisibilis, in quantum erat aqua cooperta, etiam in quantum nondum erat lux producta, per quam posset videri; incomposita vero in quantum carebat et plantarum et animalium ornatu, et situ conveniente ad eorum generationem et conservationem. Si vero per terram intelligatur prima materia secundum opinionem Augustini, sic dicitur inanis per comparationem eius ad compositum in quo subsistit; nam inanitas firmitati et soliditati opponitur; vacua vero per comparationem ad formas quibus eius potentia non replebatur. Unde et Plato, receptionem materiae comparavit loco, secundum quod in eo locatum recipitur. Vacuum autem et plenum proprie circa locum dicuntur. Dicitur etiam materia in sua informitate considerata invisibilis, secundum quod caret forma, quae est omnis cognitionis principium; incomposita vero in quantum sine composito non subsistit.

Ou selon la lettre de la Septante, qui a "invisible et non composée", il y eut une terre invisible, dans la mesure où elle était couverte d'eau, même dans la mesure où la lumière par laquelle elle pouvait être vue n'était pas créée; non composée, dans la mesure où elle manquait de l'ornement des plantes et des animaux, et d'un lieu convenable pour leur génération et leur conservation. Mais si on comprend par la terre la matière, selon l’opinion d’Augustin (Dial. 65, qu. 21), on l’appelle vide par comparaison au composé en lequel elle subsiste; car la vacuité est opposée à la fermeté et à la solidité; mais déserte par comparaison aux formes qui ne comblaient pas sa puissance. C'est pour cela que Platon (Timée), compara la réception de la matière à un lieu, selon qu'elle est placée en lui. Mais désert ou plein se disent proprement du lieu. Car on dit que la matière dans son manque de forme est considérée comme invisible, selon qu'elle manque de forme, qui est le principe de sa connaissance, non composée dans la mesure où elle ne subsiste pas sans composé.

 

q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad liberalitatem dantis non solum pertinet quod cito det, sed etiam quod ordinate et quod convenienti tempore det unumquodque. Unde ubi dicitur: cum statim possis dare, non solum consideranda est potentia qua dare possumus aliquid absolute, sed etiam qua possumus convenientius dare. Unde ad ordinis convenientiam conservandam Deus in quadam imperfectione creaturas primo instituit, ut sic gradatim ex nihilo ad perfectum pervenirent.

# 8. Il convient à la libéralité du donateur de donner promptement, mais aussi de donner chaque chose avec ordre et au temps convenable. C’est pourquoi quand il est dit: "Aussitôt que tu pourrais donner", non seulement il faut considérer la puissance par laquelle on peut donner quelque chose absolument, mais encore par laquelle nous pouvons le donner plus convenablement. C’est pourquoi, pour garder la convenance de l’ordre, Dieu a institué d'abord des créatures dans une certaine imperfection, pour qu'elles parviennent graduellement du néant à la perfection.

 

q. 4 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod situs qui pertinet ad naturam elementorum, in elementis erat, ut dictum est; unde obiectio contra praedictam opinionem non procedit.

# 9. La situation qui convient à la nature des éléments, était en eux, comme on l’a dit; c’est pourquoi l’objection ne vaut pas contre cette opinion[26] .

 

q. 4 a. 1 ad 10 Et similiter dicendum ad decimum et undecimum.

# 10. 11. Il faut dire de même pour la dixième et onzième objection.

 

q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod perfecto agenti competit perfectum effectum producere. Sed non oportet quod statim in principio sit perfectum simpliciter secundum suae naturae modum, sed sufficit quod sit secundum tempus illud; quo modo puer mox natus perfectus dici potest.

# 12. Il convient à l’agent parfait de produire un effet parfait. Mais il ne faut pas que cet effet soit dès le commencement absolument parfait selon le mode de sa nature, mais il suffit qu’il le soit dans ce temps[27]; de cette manière, on peut dire que l’enfant sitôt né est parfait.

 

q. 4 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod materia non dicitur fuisse informis, secundum sententiam quam sustinemus ad praesens, quia omni careret forma, vel quia haberet unam tantum formam, quae esset in potentia ad omnes formas, sicut posuerunt antiqui naturales ponentes unum principium; vel sub qua continerentur plures formae virtute, sicut in mixtis accidit; sed habebat in diversis partibus formas elementares diversas. Dicebatur tamen materia informis, quia nondum formae mixtorum corporum supervenerant materiae; ad quas formae elementares sunt in potentia; nec etiam erat situs elementorum adhuc conveniens eorum generationi sicut prius dictum est.

# 13. On ne dit pas que la matière a été sans forme, selon l’opinion que nous soutenons à présent, parce qu'elle manquerait de toute forme; ou bien parce qu'elle n'aurait qu'une seule forme, qui serait en puissance à toutes les formes, comme l’ont pensé les anciens Naturalistes, qui n’admettaient qu'un seul principe; ou bien plusieurs formes seraient contenues en puissance, comme cela arrive dans les mixtes, mais la matière avait en différentes parties différentes formes élémentaires. Cependant on l'appelait matière sans forme, parce que n’étaient pas encore parvenues à la matière les formes des corps mixtes, pour lesquelles les formes élémentaires sont en puissance, et la situation des éléments n’était pas encore apte à leur génération, comme on l’a dit d’abord.

 

q. 4 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod nihil cogit nos dicere, nec Scripturae Genesis auctoritas, nec aliqua ratio, quod alio modo in illo rerum principio materia formis elementaribus subesset quam modo; etsi possibile fuerit quod ex aquis vaporabiliter aliquid ascenderit in locum aeris, sicut et modo contingit, et forte tunc amplius, cum terra totaliter aquis cooperiretur.

# 14. Rien, ni l’autorité de l’Écriture dans la Genèse, ni une raison ne nous forcent à dire, qu'en ce commencement des choses, la matière était soumise à des formes élémentaires d'une autre manière que maintenant, même s’il aura été possible que des eaux s’élèvent sous forme de vapeur dans le territoire de l’air, comme cela arrive aussi maintenant, et peut-être alors encore plus, puisque la terre était entièrement recouverte par les eaux.

 

q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod de firmamento, quod secundo die formatur, multiplex invenitur opinio.

 

Quidam namque dicunt, hoc firmamentum non esse aliud a caelo, quod prima die legitur factum; sed dicunt, quod Scriptura in principio summatim commemoravit facta, de quibus per senarium dierum explicavit quomodo sint facta. Et haec est opinio Basilii in Hexameron.

 

Alii vero dicunt, aliud esse firmamentum quod secundo die est factum, et aliud caelum, quod primo dicitur creatum; et hoc tribus modis.

# 15. Au sujet du firmament qui est formé le second jour, on trouve de nombreuses opinions.

 

Car certains disent qu’il n’est pas autre que le ciel, on lit qu'il a été créé le premier jour, mais ils disent que l’Écriture au commencement a rappelé sommairement ce qui a été fait, elle a expliqué comment cela a été fait en six jours. Et cette opinion vient de Basile dans l'Hexaemeron.

 

Mais d'autres disent que c’est un autre firmament qui a été créé le second jour, et un autre ciel qu'on dit avoir été créé d'abord, et cela de trois manières.

 

Quidam namque dixerunt, quod per caelum, quod prima die creatum legitur, intelligitur spiritualis creatura vel formata, vel adhuc informis; per firmamentum vero quod secunda die legitur factum, intelligitur caelum corporeum quod videmus. Et haec est opinio Augustini, ut patet in Lib. super Genesim ad litteram, et XII Confess.

a) Car certains ont dit que par le ciel, qui, lit-on, a été créé le premier jour, on comprend la créature spirituelle, en forme, ou encore sans forme; par le firmament qui, a été créé le second jour, on comprend le ciel corporel que nous voyons. Et c’est l’opinion d’Augustin, comme cela apparaît dans le La Genèse au sens littéral et au livre 12 des Confessions.

 

Alii vero dicunt, quod per caelum quod prima die creatum legitur, intelligitur caelum Empyreum; per firmamentum vero quod secunda die legitur factum, intelligitur caelum sidereum quod videmus. Et haec est opinio Strabi, ut patet in Glossa Genes. I.

 

b) D’autres disent que par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel empyrée, par le firmament qui a été fait le second jour, on comprend le ciel étoilé que nous voyons. Et cette opinion est celle de Strabon, comme on le voit dans la glose de Genèse 1.

 

Alii vero dicunt, quod per caelum primo die factum, intelligitur caelum sidereum; per firmamentum autem quod factum est secunda die, intelligitur istius aeris spatium terrae vicinum, quod dividit inter aquas et aquas, ut supra dictum est. Et hanc expositionem tangit Augustinus super Genes. ad litteram, et tenet eam Rabbi Moyses.

c) D’autres disent que, par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel étoilé, et par le firmament qui a été fait le second jour, l’espace de cet air voisin de la terre, qui divise les eaux entre elles, comme on l’a dit plus haut. Et Augustin parle de cette exposition dans La Genèse au sens littéral et Rabbi Moïses la soutient.

 

Secundum ergo hanc ultimam facile est solvere: quia firmamentum, quod secundo die est factum, non est de natura quintae essentiae; unde nihil prohibet quantum ad ipsum fuisse processum de informitate ad formationem, vel quantum ad eius subtiliationem, vaporibus ab aquis elevatis diminutis per aquarum congregationem in unum, vel quantum ad situm, dum in locum aquae recedentis aer successit.

Selon cette dernière exposition, il est facile de résoudre le problème; parce que le firmament, qui a été créé le second jour, n'était pas de quinte essence; c’est pourquoi, rien n’empêche, quant à lui qu'il soit passé de l'absence de forme à la mise en forme; ou bien pour sa raréfaction, que les vapeurs qui s’élevaient des eaux, ayant été raréfiées par leur rassemblement en un seul lieu, ou bien pour sa situation pendant que l’air arriva dans le lieu d'où l’eau se retirait.

 

Sed secundum tres opiniones primas, quae per firmamentum caelum sidereum intelligunt, non oportet dicere processum esse in caelo, de informitate ad formationem, quasi novam formam acquisierit, quia nec in elementis inferioribus hoc ponere cogit Scriptura; sed ut intelligamus firmamento virtutem esse collatam ad mixtorum generationem, et quantum ad hoc formationem eius intelligi; sicut inferiorum elementorum formatio intelligitur, ut dictum est, quantum ad mixtorum generationem. Nam sicut elementa inferiora sunt materia mixtorum, ita firmamentum est causa mixtorum activa.

Mais selon ces trois premières opinions, qui comprennent par le firmament le ciel étoilé, il ne faut pas dire qu’il y eut passage dans le ciel, de l'absence de forme à la mise en forme, comme s’il avait acquis une nouvelle forme, parce que l’Écriture ne force pas à l’établir dans les éléments inférieurs, mais comme nous comprenons qu'un pouvoir a été placé dans le firmament pour la génération des éléments mixtes, on peut y comprendre aussi sa mise en forme, comme on comprend celle des éléments inférieurs, comme on l’a dit (solution des arguments 13 et 4), pour la génération des mixtes. Car, de même que les éléments inférieurs sont la matière des mixtes, le firmament est leur cause active.

 

Unde divisio aquarum inferiorum a superioribus, intelligi potest per modum quo medium in confinio duorum extremorum existens, inter utrumque distinguit. Inferiores enim aquae variationi subiectae sunt, in quantum mixtionis materia fiunt per motum firmamenti, non autem superiores. Secundum tamen sententiam Augustini, si ponatur materia informis prius fuisse tempore, nihil grave occurrit; quia oportet aliquo modo materia in corpore caelesti poni, in quo invenitur etiam motus. Unde nihil prohibet eam ordine naturae intelligi ante formam, licet ex tempore nihil formationis accesserit. Nec cogimur propter hoc dicere, unam esse communem naturam corpori caelesti et inferioribus elementis; etsi aliquo uno nomine significetur, ut terrae vel aquae secundum sententiam Augustini; quia unitas ista non intelligitur secundum substantiam, sed secundum proportionem prout quaelibet materia consideratur ut in potentia ad formam.

C’est pourquoi la séparation des eaux inférieures des eaux supérieures peut être comprise au moyen d’un intermédiaire situé aux confins des deux extrêmes qui les distinguent l’une de l’autre. Car les eaux inférieures sont sujettes à variation, dans la mesure où elles deviennent la matière du mixte par le mouvement du firmament, mais pas les eaux supérieures. Cependant selon l’expression d’Augustin (La Genèse au sens littéral, II, XI, 24), si on pense que la matière informe a existé avant en temps, il n’en ressort rien de grave, parce qu’il faut d’une certaine manière placer la matière dans le corps céleste, dans lequel on trouve aussi le mouvement. C'est pourquoi, rien n'empêche qu'on la comprenne dans l'ordre de la nature avant la forme, bien que rien de la formation ne soit arrivé à partir du temps. Et nous ne sommes pas forcés, pour cela, de dire qu’il y a une seule nature commune au corps céleste et aux éléments inférieurs, même si on désigne par un seul nom les terres ou les eaux, selon l'expression d'Augustin; parce que cette unité n'est pas comprise de la substance, mais de la proportion dans la mesure où on considère n'importe quelle matière comme en puissance pour la forme.

 

q. 4 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum patet solutio ex dictis. Non enim intelligitur informitas materiae quia omni forma caret, sed sicut dictum est.

# 16. La solution est éclairée par ce qui vient d’être dit. Car on ne comprend pas l’absence de forme de la matière, parce qu'elle manque de toute forme, comme on l’a dit.

 

q. 4 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum quod secundum sententiam Augustini, qui ponit per terram et aquam prius commemoratas non elementa, sed materiam primam significatam fuisse, nihil inconveniens sequitur de aquarum congregatione. Nam, sicut ipse dicit, sicut cum dictum est: fiat firmamentum, in secunda die, significata est formatio caelestium corporum; ita cum dicitur: congregentur aquae, in tertia die, significatur formatio elementorum inferiorum; et per hoc quod dicitur: congregentur aquae, significetur quod aqua suam formam acceperit; per hoc vero quod dicitur: appareat arida, significetur idem de terra. Ideo vero his verbis usus est in horum elementorum formatione, et non verbo factionis, sicut in caelo, ut diceret: fiat aqua et terra, sicut dixerat: fiat firmamentum, ut significaret imperfectionem harum formarum, et earum propinquitatem ad informem materiam. Verbo enim congregationis usus est ad aquam, ut significaret eius mobilitatem; verbo apparentiae in terra, ut significetur eius stabilitas; unde ipse dicit: ideo de aqua dictum est, congregetur; de terra, appareat, quia aqua labiliter est fluxa, terra stabiliter fixa.

# 17. Selon l'expression d’Augustin (Dialogue, LV, quest. 21) qui pense que par la terre et l’eau dont on a fait mention auparavant, ne sont pas des éléments, mais qu'elles ont désigné la matière première, il n’en découle aucune inconvenance pour le rassemblement des eaux. Car, comme il le dit lui-même, (La Genèse au sens littéral, II, ch. 7 et 8), de même qu'il a été dit: "Que soit fait le firmament", au second jour, cela signifie la formation des éléments inférieurs, de même quand il est dit: "que les eaux se rassemblent", au troisième jour, cela signifie la mise en forme des éléments inférieurs et par ce qui est dit: "que les eaux se rassemblent" est signifié que l’eau a reçu sa forme propre est signifié que l'eau a reçu sa forme; par cette parole: "que la terre sèche apparaisse", cela signifie la même chose pour la terre. C’est pourquoi, il s'est servi de ces mots, pour la formation de ces éléments, et non du mot de faire, comme dans le ciel pour dire: que l'eau et la terre soient faites, comme il avait dit: "Que le firmament soit fait.", pour signifier l'imperfection de ces formes et leur proximité de la matière informe. Il s'est servi du mot de rassemblement, pour l'eau, pour signifier sa mobilité, et du mot apparence, dans la terre pour signifier sa stabilité. Aussi il dit lui-même: "C’est pourquoi on a dit de l’eau qu’elle se rassemble, de la terre qu’elle apparaisse, parce que l’eau s'est écoulée doucement, la terre ayant été établie fermement".

 

Si vero secundum opinionem Basilii et aliorum sanctorum dicatur, quod eadem terra hic et ibi significatur, et similiter eadem aqua, sed alio modo disposita prius et postea, multipliciter respondetur. Quidam enim dixerunt, quod aliqua pars terrae erat quae aquis non erat cooperta; in quam aqua quae terram habitabilem occupabat, Deo iubente, congregata est. Sed hoc reprobat Augustinus ex ipsa littera, dicens: si aliquid erat nudum terrae, ubi congregarentur aquae, iam prius arida apparebat, quod est contra circumstantiam litterae. Unde alii dixerunt, quod aqua rarior erat sicut nebula, et postea inspissata in minorem locum collocata est. Sed illud etiam non minorem generat difficultatem; tum quia non vere erat aqua, si formam vaporis assumpserat; tum etiam quia locum aeris occupasset, et similis difficultas relinqueretur de aere. Et ideo alii dicunt, quod terra quasdam cavernositates accepit in quibus potuit aquarum multitudinem accipere operatione Dei. Sed contra hoc videtur esse, quia hoc per accidens est quod aliqua pars terrae longius distet a centro quam alia. In illa autem rerum formatione, natura suum modum accepit, ut Augustinus in eodem Lib. dicit.

Mais si, selon l’opinion de Basile et des autres saints, on disait qu’on signifie ici et là la même terre, et de la même manière, la même eau, mais disposées d’une autre manière avant et après, on trouve de nombreuses réponses: Car certains ont dit qu’une partie de la terre était celle qui n’avait pas été recouverte par les eaux, dans laquelle l’eau qui occupait la terre habitable, avec l’aide de Dieu, a été rassemblée. Mais Augustin le réprouve à cause de la lettre même du texte, (La Genèse au sens littéral, I, 12, 26) en disant: "S'il y avait quelque lieu où la terre était nue, où les eaux se rassembleraient, c’est que déjà avant émergeait la terre sèche, ce qui est contre le contexte". C’est pourquoi d’autres ont dit que l’eau était moins dense, comme les nuées, et ensuite en s'épaississant, elle a été placée dans un lieu plus petit. Mais cela même ne diminue pas la difficulté; d'une part, parce que ce n'était pas vraiment de l’eau, si elle avait pris la forme de la vapeur, d'autre part, même parce si elle avait occupé la place de l’air, il resterait une difficulté semblable pour l'air. Et c’est pourquoi d’autres disent que la terre a reçu des cavités, dans lesquelles elle a pu recevoir un grande quantité des eaux par l'opération de Dieu. Mais cela semble être contraire, parce que c'est par accident qu'une partie de la terre est plus loin du centre que l'autre. Mais en cette formation des choses, la nature a reçu son mode, comme Augustin le dit dans le même livre. (La Genèse au sens littéral, VI, 6).

 

Et ideo melius videtur dicendum, sicut Basilius dicit, quod aquae in multas divisiones erant dispersae, et postmodum in unum congregatae; quod etiam ipse textus verbo congregationis utens, significare videtur. Etsi enim totam terram aqua tegebat, non oportet quod tanta profunditate tegeretur prius ubique, quanta nunc invenitur in aliquibus locis

Et c’est pourquoi il semble qu’il vaut mieux dire, comme le fait Basile, que les eaux s’étaient dispersées en de nombreuses parties, et ensuite ont été rassemblées en un tout, ce que le texte même usant du mot de rassemblement semble signifier. Car même si l’eau couvrait toute la terre, il ne faut pas qu'avant elle soit recouverte partout d’une profondeur telle qu’on la trouve maintenant en certains lieux.

 

q. 4 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quia corpora mineralia non habent aliquam evidentem perfectionis excellentiam supra elementa, sicut habent viventia, non seorsum ab elementis formata describuntur; sed in ipsa elementorum institutione possunt intelligi esse producta. Unde nihil prohibet aliquas cavernositates fuisse ante congregationem aquarum; ut postea terra compressa in sui superficie, aquae congregatae locum praeberet. Tamen verba Augustini hanc opinionem tangentis, videntur sonare magis quod huiusmodi concavitates non praeextiterint infra terram, sed magis in superficie terrae tunc factae fuerint, cum aquae sunt congregatae. Sic enim dicit: terra longe lateque subsidens potuit alias partes praebere concavas, quibus confluentes et corruentes aquae reciperentur, et appareret arida ex his partibus unde humor abscederet; cui etiam consonant verba Basilii Hexameron, dicentis: quando praeceptio data est ut in unam congregationem aquae coirent, tunc et susceptionis earum causa praecessit; et ita iussu Dei capacitas sufficiens parata est, unde aquarum ibi multitudo conflueret. Haec autem capacitas potest intelligi per quarumdam partium terrae depressionem; cum videamus etiam in aliquibus maiorem elevationem accidentalem, ut patet in collibus et montibus.

 

# 18. Parce que les minéraux ne dépassent pas de façon évidente les éléments en perfection, comme les êtres vivants, ils ne sont pas décrits comme formés à part des éléments; mais on peut comprendre qu'ils sont produits dans la constitution même des éléments. C’est pourquoi rien n’empêche qu’il y eut des cavités avant le rassemblement des eaux, pour que après, la terre comprimée en sa surface offre une place à l’eau rassemblée. Cependant les paroles d’Augustin à propos de cette opinion (La Genèse au sens littéral, I, XII, 26) paraissent mieux convenir, parce que les cavités de ce genre, n’auraient pas préexisté sous la terre, mais elles auraient été faites plus à sa surface, quand les eaux ont été rassemblées. Car il parle ainsi: "La terre qui s’étend en long et en large a pu fournir d'autres dépressions dans lesquelles les confluents et les eaux courantes seraient reçues, et la terre sèche apparaîtrait de ces parties d’où le liquide serait parti". Les paroles de Basile sont en accord (Hexaemeron, homélie 4). Il dit: "Quand l’ordre a été donné que les eaux se rassemblent en une seule masse, alors la cause de leur réception a précédé et ainsi par l’ordre de Dieu, un réceptacle suffisant a été préparé où les grandes quantités d'eaux se rassembleraient". Ce réceptacle peut être comprit par l'enfoncement de certaines partie de la terre, quand nous voyons même dans certaines une plus grande élévation accidentelle, comme cela se voit dans les collines et les montagnes.

 

q. 4 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod si cavernositates non praeexistebant in terra, secundum illud quod ultimo dictum est, obiectio praesens locum non habet. Si autem praeexistebant, tunc dicendum est, quod licet sit contra naturam aeris vel aquae subesse terrae sibi relictae, non tamen si terra sit a suo motu aliqualiter impedita. Sic enim videmus in cavernis quae fiunt sub terra, terram aliquibus sustentaculis suspensam aerem subingredi, eo quod natura non patitur vacuum. Si tamen dicatur, quod aquae quae erant in minori profunditate super totam terrae superficiem sparsae, sunt postmodum super aliquam partem terrae in maiorem altitudinem congregatae, ut supra dictum est, praedictae obiectiones cessabunt.

# 19. Si les cavités ne préexistaient pas dans la terre, selon ce qui a été dit en dernier, la présente objection ne vaut pas. Mais si elles préexistaient, alors il faut dire que, bien que ce soit contre la nature de l’air ou de l’eau d'être sous la terre qui lui est laissée, cependant pas si la terre était en quelque manière empêchée par son mouvement. Car ainsi nous voyons dans les cavernes qui se font sous terre, que la terre suspendue par certains supports laisse entrer l'air, parce que la nature ne supporte pas le vide. Cependant, si on dit que les eaux qui étaient d'une moins grande profondeur, dispersées sur toute la surface de la terre, ont été par la suite rassemblées sur une partie de la terre avec une plus grande profondeur, comme on l’a dit ci-dessus, les objections précédentes disparaîtront.

 

q. 4 a. 1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod si consideretur naturalis elementorum situs, qui competit ipsis naturis elementorum absolute, sic naturale est aquae quod totam terram undique contineat, sicut et aer continet aquam. Si autem considerentur elementa in ordine ad mixtorum generationem, ad quam etiam caelestia corpora movent; sic talis situs competit, qualis postea institutus est. Unde statim apparente arida in aliqua sui parte, subditur de productione plantarum. Quod autem in elementis ex impressione caelestium corporum accidit, non est contra naturam, ut dicit Commentator in III de caelo et mundo, ut patet in fluxu et refluxu maris; qui licet non sit naturalis motus aquae, in quantum gravis est, eo quod non est ad medium, est tamen naturalis motus eius in quantum est a corpore caelesti mota, sicut eius instrumentum. Hoc autem multo magis competit dicere de his quae fiunt in elementis ex ordinatione divina, per quam tota elementorum natura subsistit. In praesenti autem utrumque concurrere videtur ad aquarum congregationem; et divina virtutis principaliter, et secundario virtus caelestis. Unde statim post firmamenti institutionem subiungitur de aquarum congregatione. Potest tamen et ex ipsa natura aquae aliqua aptitudo inveniri. Cum enim in elementis continens sit formalius contento, ut patet per philosophum in VIII Physic., aqua in tantum deficit a perfecta terrae continentia, in quantum et ipsa non perfecte formalis est, sicut ignis et aer, plus accedens ad terrenam spissitudinem quam ad igneam raritatem.

# 20. Si on considère la situation naturelle des éléments, qui appartient à leur nature de façon absolue, il est naturel pour l'eau d’entourer partout toute la terre, comme l'air entoure l'eau. Mais si on considère les éléments dans leur rapport à la génération des mixtes, que les corps célestes mettent en action, alors une telle situation convient telle qu’elle a été mise en place après. C’est pourquoi aussitôt que la terre sèche est apparue dans l'une de ses parties, elle est assujettie à la production des plantes. Mais, ce qui dans les éléments vient de l’action des corps célestes n’arrive pas contre la nature, comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde , 3, com. 20), comme cela paraît dans le flux et le reflux de la mer[28], qui, bien que ce ne soit pas un mouvement naturel de l’eau, dans la mesure où elle est lourde, parce qu’elle n’est pas pour un espace intermédiaire, cependant c’est son mouvement naturel dans la mesure où elle est mue par le corps céleste, comme son instrument. Mais il convient beaucoup plus de le dire de ce qui se fait dans les éléments par la mise en ordre de Dieu, par laquelle toute la nature des éléments subsiste. À présent, l’un et l’autre semblent concourir au rassemblement des eaux, le pouvoir divin surtout, le pouvoir céleste en second. C'est pourquoi aussitôt après la constitution du firmament, on ajoute le rassemblement des eaux. On peut cependant trouver une aptitude par la nature même de l’eau. Car, comme le contenant dans les éléments est plus formel que le contenu, comme l'expose le philosophe (Physique VIII), dans la mesure où l’eau s’écarte du voisinage parfait de la terre, elle n’est pas parfaitement forme comme le feu et l’air, en parvenant plus à la densité terrestre qu’à la légèreté du feu.

 

q. 4 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum quod confusio quae in mundo inchoato praecessisse dicitur, non attenditur secundum aliquam mixtionem elementorum, sed per oppositum ad illam distinctionem quae nunc est in partibus mundi, competens viventium generationi et conservationi.

# 21. La confusion, qui, a, dit-on, précédé, dans le monde en son commencement n’est pas atteinte par le mélange des éléments, mais par l'opposition à cette distinction qui existe maintenant dans les parties du monde, en accord avec la génération des vivants et leur conservation.

 

q. 4 a. 1 ad 22 Et per hoc patet responsio ad vicesimumsecundum et vicesimumtertium.

# 22. 23. Par là apparaît le réponse à la vingt-deuxième et vingt-troisième objection.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 1 Ad ea vero quae in contrarium obiiciuntur, secundum opinionem Augustini consequenter respondendum est.

 

Ad primum dicendum est, quod Gregorius loquitur secundum opinionem quam prius sustinuimus. Non tamen sic sunt intelligenda verba Gregorii, quod in prima rerum creatione sit omnium rerum materia facta absque omni specie formae, sed absque formis quibusdam, scilicet rerum viventium, et ordinis ad eorum generationem, sicut supra est expositum.

 

Réponse aux arguments de sens contraire:

 

Selon l’opinion d’Augustin, il faut aussi répondre.

 

## 1. Grégoire [le Grand] parle selon l’opinion que nous avons d'abord soutenue. Cependant il ne faut pas comprendre qu’il dit, que, dans la première création, la matière de toutes choses a été faite sans aucune espèce de forme, mais sans certaines formes, à savoir celle des créatures vivantes, et de leur rapport à leur génération, comme on l’a exposé ci-dessus (solution aux arguments 4 et 13).

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod appetitus formae non est aliqua actio materiae, sed quaedam habitudo materiae ad formam, secundum quod est in potentia ad ipsam, sicut Commentator exponit in primo Physic.

## 2. L'appétit de la forme n'est pas une action de la matière, mais une relation de la matière à la forme, selon qu'elle est en puissance pour elle, comme le Commentateur l'expose au 1er livre de la Physique (ch. 81).

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod si Deus faceret ens in potentia tantum, minus faceret quam natura, quae facit ens in actu. Actionis enim perfectio magis attenditur secundum terminum ad quem, quam secundum terminum a quo; et tamen hoc ipsum quod dicitur, contradictionem implicat, ut scilicet aliquid fiat quod sit in potentia tantum: quia quod factum est, oporteret esse cum est, ut probatur in VI Phys. Quod autem est tantum in potentia, non simpliciter est.

## 3. Si Dieu créait un étant en puissance seulement, il ferait moins que la nature, qui le produit en acte. Car la perfection de l'action est mieux atteinte, selon le but, que selon l'origine et cependant ce qui est dit implique contradiction, quelque chose est fait, qui serait en puissance seulement; parce qu’il faudrait que ce qui est fait existe, comme il est, comme on le prouve en Physique (VI). Mais ce qui est seulement en puissance n'existe absolument pas.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod Scriptura dicit: terra erat inanis et vacua, si accipiatur de materia omnino informi, secundum Augustinum, non est intelligendum quod sic erat aliquando in actu, sed quia talis erat natura sua, si absque formis inhaerentibus consideretur.

## 4. Ce que l'Écriture dit: "La terre était vide et déserte", si on le conçoit de la matière tout à fait sans forme, selon Augustin, n'est pas à comprendre qu'elle était ainsi quelquefois en acte, mais parce que sa nature était telle, si on la considèrait sans formes inhérentes.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod formatio spiritualis creaturae dupliciter potest intelligi:

 

una per gratiae infusionem, et alia per gloriae consummationem. Prima quidem formatio, secundum sententiam Augustini, statim creaturae spirituali affuit in sui creationis principio; et tunc per tenebras, a quibus lux distinguitur, non intelligitur peccatum malorum Angelorum; sed informitas naturae, quae nondum erat formata, sed erat consequentibus operibus formanda, ut dicitur in I super Genes. ad litteram, vel, sicut dicitur quarto eiusdem libri, per diem significatur Dei cognitio, per noctem vero cognitio creaturae, quae quidem tenebra est respectu divinae cognitionis. Vel si per tenebras intelligamus Angelos peccantes, ista divisio non ad praesens peccatum refertur, sed ad futurum, quod erat in Dei praescientia: unde dicit in libro ad Orosium: quia ex Angelis quosdam per superbiam praesciebat casuros; per incommutabilem praescientiae suae ordinem divisit inter bonos et malos, malos tenebras appellans, et bonos lucem.

 

Secunda vero formatio non pertinet ad principium institutionis rerum, sed magis ad rerum decursum, quo per divinam providentiam gubernantur. Hoc enim ultimum verum est, secundum Augustinum, de omnibus in quibus operatio naturae requiritur, quod in hac formatione necesse est provenisse; quia per motum liberi arbitrii aliqui sunt conversi ut starent; aliqui aversi ut caderent.

 

## 5. La formation de la créature spirituelle peut être comprise de deux manières: l'une par l'infusion de la grâce et l'autre par l'achèvement de la gloire.

 

a) La première formation, selon l'opinion d'Augustin, arrive aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de la création et alors par les ténèbres, d'où la lumière est distinguée, on ne comprend pas le péché des mauvais anges, mais le manque de forme de la nature, qui n'était pas encore mise enforme, mais devait l’être par les œuvres suivantes, comme il est dit (la Genèse au sens littéral, I), ou bien, comme il est dit au quatrième livre, la connaissance de Dieu est signifiée par le jour, la connaissance de la créature, par la nuit, qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, (comme on le dit au même livre). Ou si, par les ténèbres, nous comprenons les anges pécheurs, cette division ne se réfère pas au péché présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu: c'est pourquoi il dit dans le livre A Orose, (Dialogue 65, qu. 24): "Parce qu’il savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que certains anges succomberaient par orgueil, il sépara les bons des méchants, appelant les méchants ténèbres, et les bons lumière.".

 

b) La seconde formation n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plutôt à leur achèvement, où elles sont gouvernées par la providence divine. Car c’est la vérité ultime, selon Augustin, pour tout ce en quoi l'opération de la nature est requise, qu'il est nécessaire qu'elle parvienne à cette formation, parce que, par le mouvement du libre arbitre, certains se sont tournés pour demeurer, certains détournés pour tomber.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 6 Ad sextum dicendum, quod mundus dicitur factus ex invisa materia, non quia informis materia tempore praecesserit, sed ordine naturae. Et similiter privatio non fuit aliquo tempore in materia ante omnem formam, sed quia materia absque forma intellecta cum privatione etiam intelligitur.

## 6. On dit que le monde a été fait de la matière invisible, non parce que la matière sans forme a précédé dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Et semblablement la privation n'a pas existé un temps dans la matière avant toute forme, mais parce que la matière comprise sans forme est comprise aussi avec la privation.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod hoc est ex imperfectione naturae operantis per motum quod ex imperfecto ad perfectum procedit; motus enim est actus imperfecti. Sed Deus propter suae virtutis perfectionem potuit statim res perfectas in esse producere; et ideo non est simile.

## 7. Cela vient de l'imperfection de la nature, qui opère par mouvement de procéder de l'imparfait au parfait; car le mouvement est d'un acte imparfait. Mais Dieu, à cause de la perfection de son pouvoir, a pu aussitôt produire les choses parfaites dans l'être, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 4 a. 1 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod verba Augustini non sunt intelligenda sic quod materia aliquo tempore fuerit in potentia ad formas elementares nullam earum habens; sed quia in sua essentia considerata, nullam formam actu includit ad omnes in potentia existens.

## 8. Les paroles d'Augustin ne sont pas à comprendre de sorte que la matière a été un temps en puissance pour les formes élémentaires, sans en avoir une; mais parce que, celle-ci considérée en son essence, quand elle existe en puissance pour toutes les formes, n'inclut aucune forme en acte.

 

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[1] Ia, qu. 66, a. 1 — Ia, qu. 69, a.1 — 1a, qu. 74 a. 2 — II Sent. d12a4.

 

[2] "Ce n’est pas que la matière informe soit temporellement antérieure aux choses formées: ces deux principes d’être sont en effet simultanément “concréés”, d’une part ce dont une choses est faite, d’autre part ce qu’elle est faite. C’est ainsi que la voix est la matière des mots et que les mots expriment une voix formée: néanmoins, celui qui parle ne commence pas par émettre une voix informe, susceptible d’être ensuite déterminée et formée en mots; pareillement, le Dieu créateur n’a pas dans un premier temps créé la matière informe, pour ensuite, dans une seconde considération, la former selon l’ordre de chaque nature: non, il a créé la matière formée." (Trad. P. Agaësse et A. Solignac, BA 48)

 

[3] Définition de la matière première chez Aristote: Physique, I, ch. 9, 192, a, 31 "…j'appelle matière première le premier sujet pour chaque chose, élément immanent et non accidentel de sa génération" (Trad. H. Carteron) — "Car je dis que la matière première est le sujet de chaque chose dont quelque chose est fait puisqu'elle est en lui mais pas comme un accident". (90 (82) Thomas n° 139. — Métaphysique 7 (Z) 1029 a 20: "J'appelle matière ce qui n'est par soi ni existence déterminée, ni d'une certaine quantité, ni d'aucune autre des catégories par lesquelles l'être est déterminé" (Trad. J. Tricot).

 

[4] Selon les anciens, la matière est composée de quatre éléments.

 

[5] Importance de la pesanteur dans les arguments; elle impose la situation des corps: "Les éléments sont dans leur situation propre par le pouvoir de leur forme.

 

[6] "Qu’il soit nécessaire de poser autant de différences que d’éléments, est chose manifeste."

 

[7] Selon Aristote chaque élément se situe selon les lois de la pesanteur, dans son lieu propre.

 

[8] Le situs (la situation) se distingue bien du lieu, lequel ne dit rien de la situation relative des parties, mais il est clair qu’il n’est qu’un prédicament dérivé, à ce titre moins significatif que les autres. Aristote n’a d’ailleurs pas toujours retenu ces deux prédicaments dans sa nomenclature." (H.-D. Gardeil, Initiation…Métaphysique, (p. 101).

 

[9] Sur les intermédiaires: Du ciel, IV, 4, 312 a 27 ss.

 

[10] Cf. Aristote, Du ciel, IV, 4, 311 b 30: "L’existence d’un centre où se portent les corps pesants, et d’où s’éloignent les corps légers est manifeste pour de multiples raisons." (Trad. P. Moraux).

 

[11] Cf. Physique, I, 4, 187 a 12-17, — I, 8, 191 a 23-24. Thomas, lect. 8 n° 2 et lect. 14, n°2.

 

[12] Car les quatre éléments ne peuvent pas subir un mouvement circulaire (269 a 17 –a 25)

 

[13] Figura, forme au sens moderne du mot: apparence, aspect visible.

 

[14] Toute créature est bonne . Cf. Gn. I: Dieu vit que tout cela était bon.

 

[15] "Il est donc vraisemblable que l’Écriture parle de cette matière, lorsqu’elle dit; "La terre était invisible… afin que nous comprenions que tous les autres mots de ce texte, bien qu’ils soient noms de choses visibles visent à désigner… cette informité de la matière." BA., p. 122-123

 

[16] Ce n'est pas de l'homme, mais du non blanc ou du noir qu'il devient blanc. C'est-à-dire non de la substance, mais de l'accident.

 

[17] "A cela doit tendre l'intention du chrétien qui dispute sur les articles de la foi pour pour la prouver mais pour la défendre." De rationibus fidei 2.

 

[18] Multiplication du sens littéral. Bull. Thomiste 1933, pp. 711-718. Voir Ia, qu. 1, a 10.

 

[19]Thomas s’inspire directement de saint Augustin, qui rapporte la légende et la réfute sur certains points. (La Cité de Dieu, VIII, 11. Cf. Timée c. 7, 31-33).

 

[20] Le mouvement du ciel est circulaire. Or le mouvement naturel du feu est vers le haut.

 

[21] Qu. Ad Simplicium (PEV 21 PL, 40)

 

[22] Dans ce paragraphe, Thomas suit le raisonnement d'Augustin: II, IV, 7. Voir BA p. 157 sq. Augustin rapporte l’opinion des "savants". Cf. Pépin, Théologie cosmique, p. 422, n°3.

 

[23] L'Écriture semble aller contre les lois de la nature.

 

[24] C'est-à-dire plus léger selon les lois de la pesanteur.

 

[25] "…durci comme un miroir fondu…" B.J.

 

[26] Pour Ambroise Dieu donne à une œuvre une loi qui se superpose en quelque sorte à son essence. Pour Augustin et Thomas, les lois sont les propriétés des essences.

 

[27] Faut-il comprendre au moment venu ou bien actuellement telles que sont les choses?

 

[28] Idem in Pot. 1, 3, sol. 1.

 

 

Article 2: La mise en forme de la matière a-t-elle eu lieu toute en même temps ou successivement?

 

q. 4 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum materiae formatio tota simul fuerit, an successive. Et videtur quod successive.

 

Il semble qu'elle fut successive[1].

 

Objections:

 

q. 4 a. 2 arg. 1 Dicitur enim Iudith, IX, 4: tu fecisti priora, et illa post illa cogitasti. Excogitatio autem Dei est eius operatio, ut Damascenus dicit; unde et in praedicta auctoritate subditur: et hoc factum est quod ipse voluisti. Ergo res quodam ordine, et non simul, sunt factae.

1. En Judith (9, 4) il est dit: "Tu as fait ce qui est avant, et cela tu l'as pensé après[2]." Mais la pensée de Dieu est son opération, comme Jean Damascène le dit (II, 3). C'est pourquoi dans la précédente autorité, il est ajouté: "Et cela a été fait parce que tu l'as voulu toi-même". Donc les choses ont été créées selon un certain ordre et non en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, plures partes temporis non possunt esse simul: quia totum tempus sub quadam successione agitur. Sed rerum formatio in diversis partibus temporis facta commemoratur Genes. I. Ergo videtur quod rerum formatio facta sit successive, et non tota simul.

2. Plusieurs parties du temps ne peuvent pas coexister; parce que tout le temps est soumis à une certaine succession; mais on rappelle, au ch. 1 de la Genèse, que la mise en forme des créatures a été faite en différentes parties du temps. Donc il semble qu'elle a été accomplie successivement et non toute en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 3 Sed dicendum, quod per illos sex dies, secundum sententiam Augustini, non intelliguntur dies consueti nobis qui sunt temporis partes, sed secundum cognitionem angelicam sexies rebus cognoscendis praesentatam, secundum rerum sex genera.- Sed contra, dies ex praesentia lucis causatur; unde dicitur Genes. I, 5, quod Deus vocavit lucem diem. Sed lux non proprie in spiritualibus invenitur, sed solum metaphorice. Ergo nec dies proprie potest intelligi Angelorum cognitio. Non videtur ergo esse litteralis expositio, quod per diem Angelorum cognitio intelligatur. Probatio mediae. Nullum per se sensibile potest in spiritualibus proprie accipi: ea enim quae sensibilibus et spiritualibus sunt communia, non sunt sensibilia nisi per accidens; sicut substantia, potentia, virtus et huiusmodi. Lux autem est per se sensibilis visu. Ergo proprie non potest in spiritualibus accipi.

3. Mais il faut dire que, durant ces six jours, selon l'opinion d'Augustin (La Cité de Dieu, II, VIII, 18), on ne comprend pas des jours semblables aux nôtres qui sont des partie du temps, mais d'après la connaissance angélique, représentée six fois pour ce qu'il y avait à connaître, selon six genres de choses. – En sens contraire, le jour est causé par la présence de la lumière. C'est pourquoi on dit en Gn. 1, 5, que Dieu a appelé la lumière jour. Mais on ne trouve pas la lumière à proprement parler dans les êtres spirituels, mais seulement par métaphore. Donc on ne peut pas comprendre le jour à proprement parler comme la connaissance des anges. Donc il ne semble pas que comprendre la connaissance des anges comme le jour soit le sens littéral. Preuve intermédiaire: Rien de sensible par soi ne peut être reçu dans les êtres spirituels, car ce qui est commun au sensible et au spirituel n'est sensible que par accident, comme la substance, la puissance, le pouvoir etc.. Mais la lumière est sensible en soi pour la vue. Donc elle ne peut pas être reçue en propre par les êtres spirituels.

 

q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, cum Angelus dupliciter res cognoscat, scilicet in verbo et in propria natura; oportet quod per alteram istarum cognitionum dies intelligatur. Non autem potest intelligi de cognitione qua cognoscit rem in verbo, quia haec cognitio est una tantum de omnibus; simul enim in verbo cognoscit Angelus quaecumque cognoscit, et una cognitione, quia scilicet verbum videt. Non ergo esset nisi una dies. Si autem intelligitur de cognitione qua cognoscit res in propria natura, sequitur quod sint multo plures quam sex dies, cum sint plura genera et species creaturarum. Non ergo videtur quod dierum senarius ad cognitionem angelicam referri possit.

4. Comme l'ange connaît de deux façons, à savoir dans le Verbe et dans sa propre nature; il faut que le jour soit compris par la deuxième de ces connaissances. Mais il n'est pas possible de le comprendre de la connaissance par laquelle il connaît un objet dans le Verbe, parce que cette connaissance est seulement une pour toute chose; car c'est en même temps que l'ange connaît dans le Verbe tout ce qu'il connaît et d'une connaissance unique, parce qu'il voit le Verbe. Donc il n'y aurait qu'un seul jour. Mais s'il est compris de la connaissance par laquelle il connaît les choses dans leur propre nature, il en découle qu'il y a bien plus de six jours, puisqu'il y a plus de genres et d'espèces de créatures. Donc il ne semble pas qu'on puisse rapporter la connaissance angélique aux six jours.

 

q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, Exod. XX, 9, dicitur: sex diebus operaberis, septimo autem die sabbatum domini Dei tui est: non facies omne opus; et postea subditur ratio: sex enim diebus fecit Deus caelum et terram, mare, et omnia quae in eis sunt, et requievit in die septimo. Sed lex ad litteram de diebus materialibus loquitur in quorum sex permittit operari, in septimo prohibet. Ergo et hoc quod dicitur de Dei operatione ad dies materiales referendum est.

5. En Exode. 20, 9, il est dit: "Tu travailleras six jours, mais le septième est le sabbat de ton Dieu; tu ne feras aucune oeuvre," et la raison en est donnée ensuite: "Car en six jours Dieu a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et il se reposa le septième jour." Mais, selon la lettre, la loi parle des jours matériels; dans six de ceux-ci, elle permet de travailler, et elle l'interdit le septième. Donc ce qui est dit de l'opération de Dieu doit être rapporté aux jours matériels.

 

q. 4 a. 2 arg. 6 Praeterea, si per diem cognitio Angeli intelligitur; facere ergo aliquid in die non est aliud quam facere in angelica cognitione. Per hoc autem quod aliquid fit in angelica cognitione non sequitur quod in sua natura existat, sed solum quod ab Angelo cognoscatur. Ergo per hoc non ostenderetur rerum in propriis naturis institutio; quod est contra Scripturam.

6. Si on comprend par jour la connaissance de l'ange, donc faire quelque chose le jour n'est pas différent que le faire dans la connaissance angélique. Mais du fait qu'une chose est faite dans la connaissance angélique, il n'en découle pas qu'elle existe dans sa nature, mais seulement qu'elle est connue par l'ange. Donc ainsi l'arrangement des choses ne serait pas montré dans leur nature propre; ce qui est contre l'Écriture.

 

q. 4 a. 2 arg. 7 Praeterea, cuiuslibet Angeli cognitio differt ab alterius cognitione. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur, oportet tot dies ponere quot sunt Angeli, et non solum sex ut Scriptura tradit.

7. La connaissance de n'importe quel ange diffère de celle d'un autre. Si donc on comprend par le mot jour la connaissance de l'ange, il faut poser autant de jours que d'anges, et pas seulement six, comme l'Écriture le rapporte.

 

q. 4 a. 2 arg. 8 Praeterea, Augustinus, II super Genes. ad litteram, dicit, quod per hoc quod dicitur: dixit Deus, fiat, intelligitur quod res fiendae praeextiterunt in verbo, per hoc quod dicitur: est ita factum, intelligimus factam rei cognitionem in creatura intellectuali: per hoc quod dicitur: fecit Deus, intelligitur in suo genere fieri creatura. Si ergo per diem cognitio Angeli intelligitur, postquam dixerat de aliquo opere: et factum est ita, in quo cognitio angelica intelligitur, superflue adderetur: factum est vespere et mane dies unus vel dies secundus.

8. Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 7 et 8[3]) dit que, du fait qu'il est dit: "Dieu dit, que cela soit fait", on comprend que les choses à faire ont préexisté dans le Verbe; du fait qu'il est dit: "Et ainsi fut fait", on comprend que la connaissance est réalisée dans la créature intellectuelle; du fait qu'on dit: “Dieu le fit”, on comprend que la créature est créée en son genre. Si donc par jour, on comprend la connaissance de l'ange, après qu'il ait parlé d'une oeuvre: "Et ainsi cela fut fait", dans lequel on comprend la connaissance angélique, il serait superflu d'ajouter: "Il y eut un soir et un matin" ou "un second jour".

 

q. 4 a. 2 arg. 9 Sed dicendum, quod hoc additur ad ostendendum duplicem modum cognitionis rerum in creatura spirituali. Unus est quo cognoscit res in verbo; et secundum hoc dicitur mane, vel cognitio matutina: alius quo cognoscit res in propria natura; et secundum hoc dicitur vespere, vel cognitio vespertina.- Sed contra, licet Angelus posset simul plura considerare in verbo, non tamen potest simul plura intelligere in propria natura, cum per diversas species diversa in suis naturis intelligat. Si ergo quilibet sex dierum non solum habet mane, sed etiam vespere; oportebit in sex diebus aliquam successionem considerare; et sic rerum formatio non tota simul fuit facta.

9. Il faut dire que cela est ajouté pour montrer le double mode de connaissance de la réalité dans la créature spirituelle. L'un est ce par quoi elle connaît dans le Verbe, et pour cela on parle du matin ou de connaissance matutinale; l'autre par laquelle elle connaît les choses en leur nature propre, et pour cela on parle du soir ou de connaissance vespérale. – En sens contraire: Bien que l'ange puisse considérer en même temps plus de choses dans le Verbe, il ne peut pas cependant en comprendre (intelligere) plus dans leur nature propre, puisqu'il comprend les choses différentes dans leur nature par différentes formes. Si donc chacun des six jours a non seulement un matin mais encore un soir, il faudra considérer en eux une succession, et ainsi la formation des choses n'a pas eu lieu entièrement en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 10 Praeterea, ab una potentia non possunt esse simul plures operationes, sicut nec una linea recta terminatur ex una parte nisi ad unum punctum: per operationem enim potentia terminatur. Sed considerare rem in verbo et in propria natura, non est una operatio, sed plures. Ergo non simul est matutina et vespertina cognitio; et sic adhuc sequitur quod in illis sex diebus sit successio.

10. Il ne peut pas exister plusieurs opérations en même temps à partir d'une seule puissance; ainsi une seule ligne droite ne se termine d'un côté qu'à un seul point: la puissance en effet se termine par l'opération. Mais considérer une chose dans le Verbe et dans sa nature propre, ce n'est pas une seule opération, mais plusieurs. Donc la connaissance matutinale et la connaissance vespérale n'existent pas en même temps et ainsi il en découle qu'il y a une succession dans ces six jours.

 

q. 4 a. 2 arg. 11 Praeterea, sicut supra dictum est, art. praeced., distinctio lucis a tenebris exponitur ab Augustino distinctio creaturae formatae, alia ab informitate materiae quae adhuc restabat formanda. Una ergo ex parte materiae formata, altera adhuc remanebat formanda: non ergo tota materia est simul formata.

11. Comme on l'a dit plus haut (article précédant, 5, la distinction de la lumière et des ténèbres est exposée par Augustin comme celle de la créature mise en forme, différente de l'absence de forme de la matière qui restait encore à former. Donc si une partie de la nature est en forme, l'autre restait encore à former: donc toute la matière n'a pas été mise en forme en même temps.

q. 4 a. 2 arg. 12 Praeterea, cognitio matutina secundum Augustinum, intelligitur cognitio verbi in quo Angelus accipit cognitionem creaturae fiendae. Hoc autem non esset si creaturae, quarum formatio diebus sequentibus deputatur, simul cum Angelo formatae essent. Ergo non omnes res sunt simul creatae.

12. La connaissance matutinale, selon Augustin, est comprise comme celle du Verbe en qui l'ange reçoit la connaissance de la créature qui doit être faite. Mais cela n'existerait pas si les créatures, dont la formation est destinée aux jours suivants, avaient été formées en même temps que l'ange. Donc tout n'a pas été créé en même temps.

q. 4 a. 2 arg. 13 Praeterea, dies in spiritualibus dicuntur ad similitudinem sensibilium dierum. Sed in sensibilibus diebus mane praecedit vespere. Ergo in istis non debet vespere praeponi ad mane, cum dicitur: factum est vespere et mane dies unus.

13. On désigne les jours dans les êtres spirituels à la ressemblance des jours sensibles[4]. Mais dans les jours sensibles, la matin précède le soir. Donc, en eux, on ne doit pas placer le soir avant le matin, quand on dit: "Il y eut un soir et un matin, un seul jour."

q. 4 a. 2 arg. 14 Praeterea, inter vespere et mane est nox, et inter mane et vespere est meridies. Ergo sicut fecit Scriptura de vespere et mane mentionem, ita debuit facere de meridie.

14. Entre le soir et le matin, il y a la nuit, et entre le matin et le soir le midi. Donc de même que l'Écriture mentionne le soir et le matin, elle devrait le faire pour le midi.

 

q. 4 a. 2 arg. 15 Praeterea, omnes dies sensibiles habent et vespere et mane. Hoc autem non invenitur in istis septem diebus; nam primus dies non habet mane, septimus non habet vespere. Ergo non convenienter dicuntur dies ad similitudinem horum dierum.

15. Tous les jours sensibles ont un soir et un matin. On ne trouve pas cela dans ces sept jours; car le premier n'a pas de matin et le septième pas de soir. Donc il ne convient pas de dire que les jours sont à la ressemblance de nos jours.

 

q. 4 a. 2 arg. 16 Sed dicendum, quod ideo primus dies non habet mane, quia per mane intelligitur cognitio creaturae fiendae, quam accepit Angelus in verbo: ipsa autem spiritualis creatura sui ipsius fiendae non potuit cognitionem in verbo accipere antequam esset.- Sed contra, secundum hoc habetur quod Angelus aliquando fuit, et aliae creaturae nondum erant factae, sed fiendae. Non ergo omnia sunt simul formata.

16. Mais il faut dire qu'ainsi le premier jour n'a pas de matin, parce que par matin, on comprend la connaissance de la créature qui doit être faite, que l'ange a reçu dans le Verbe; la créature spirituelle n'a pas pu recevoir la connaissance d'elle-même à créer dans le Verbe avant d'exister.–En sens contraire, on considère donc ainsi que l'ange exista en un temps où les autres créatures n'avaient pas encore été créées, mais où elles devaient l'être. Donc tout n'a pas été mise en forme en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 17 Praeterea, creatura spiritualis non accipit rerum inferiorum cognitionem a rebus ipsis. Ergo non indiget rerum praesentia ad hoc quod eas cognoscat. Potuit ergo eas ut fiendas cognoscere in propria natura antequam fierent, et non solum in verbo; et sic cognitio rei fiendae videtur pertinere ad vespertinam cognitionem, sicut ad matutinam; et sic secundum rationem praedictam secundus dies nec mane nec vespere debuit habere.

17. La créature spirituelle ne reçoit pas la connaissance des choses inférieures à partir de celles-ci. Donc elle n'a pas besoin de leur présence pour les connaître. Donc elle a pu les connaître comme devant être faites dans leur nature propre, avant qu'elles soient faites et non seulement dans le Verbe, et ainsi la connaissance des choses qui devaient être faites semble appartenir à la connaissance vespérale, comme à la connaissance matutinale et pour cette raison, le second jour n'aurait dû avoir ni matin ni soir.

 

q. 4 a. 2 arg. 18 Praeterea, Angelo sunt prius nota ea quae sunt priora simpliciter; quod enim ea quae sunt posteriora sint nobis prius nota, provenit ex hoc quod cognitionem a sensu accipimus. Sed rationes rerum in verbo priores sunt simpliciter ipsis rebus. Ergo per prius cognoscit Angelos res in verbo quam in propria natura; et sic mane deberet praeordinari ad vespere, cuius contrarium in Scriptura apparet.

18. L'ange connaît d'abord ce qui existe avant absolument, car le fait que nous connaissions avant ce qui après, provient de ce que nous recevons la connaissance par nos sens. Mais la nature des choses dans le Verbe est absolument avant elles. Donc l'ange connaît les choses dans le Verbe avant que dans leur nature propre[5] et ainsi la matin devrait être préordonné au soir, mais on voit le contraire dans l'Écriture.

 

q. 4 a. 2 arg. 19 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis non possunt aliquod unum constituere. Sed cognitio rerum in verbo et in propria natura est alterius et alterius rationis, cum medium cognoscendi sit omnino diversum. Ergo ex mane et vespere, secundum praedictam expositionem, non posset unus dies perfici.

19. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne peut pas constituer une unité. Mais la connaissance des choses dans le Verbe et dans leur nature propre est de nature différente, puisque le moyen de connaître est tout à fait différent. Donc du matin et du soir, selon ce qui a déjà été exposé, il ne peut être fait qu'un seul jour.

 

q. 4 a. 2 arg. 20 Praeterea, I ad Corinth. XIII, 8, dicit apostolus, quod in patria scientia destruetur: quod non potest intelligi nisi de scientia rerum in propriis naturis, quae est vespertina. In patria autem erimus similes Angelis, ut dicitur Matth. cap. XXII, 30. Ergo in Angelis non est cognitio vespertina.

20. En 1 Co 13, 8, l'Apôtre dit que dans "la patrie", la science disparaîtra, ce qu'on ne peut comprendre que de la connaissance des créatures dans leur propre nature qui est vespérale. Mais dans "la patrie", nous serons semblables aux anges, comme le dit Matthieu (22, 30). Donc il n'y pas de connaissance vespérale dans les anges.

 

q. 4 a. 2 arg. 21 Praeterea, cognitio rerum in verbo plus excedit cognitionem rerum in propriis naturis quam claritas solis excedat lumen candelae. Sed lux solis offuscat lumen candelae. Ergo multo magis matutina cognitio vespertinam.

21. La connaissance des créatures dans le Verbe dépasse cette connaissance des choses dans leur propre nature plus que la clarté du soleil dépasse la lumière de la chandelle. Mais la lumière du soleil obscurcit la lumière de la chandelle. Donc la connaissance matutinale obscurcit beaucoup plus la connaissance vespérale.

 

q. 4 a. 2 arg. 22 Praeterea, Augustinus movet quaestionem, utrum anima Adae cum Angelis facta fuerit extra corpus, an fuerit facta in corpore. Haec autem quaestio frustra moveretur si omnia simul fuissent formata; quia sic etiam corpus humanum simul fuisset formatum quando Angeli sunt facti. Ergo videtur quod non omnia fuerunt formata simul, etiam secundum sententiam Augustini.

22. Augustin (La Genèse au sens littéral, VII, 24 et 25) soulève la question de savoir si l'âme d'Adam a été faite avec les anges hors du corps, ou dans le corps. Cette question serait soulevée en vain si tout avait été mis en forme en même temps, parce que, ainsi, le corps humain aurait été mis en forme en même temps que les anges étaient créées. Donc, il semble que tout n'a pas été mis en forme en même temps, selon l'affirmation d'Augustin aussi.

 

q. 4 a. 2 arg. 23 Praeterea, pars terrae de qua factum est corpus humanum, habuit aliquam formam secundum limitationem, quia de ea dicitur Genes. I, corpus hominis formatum. Nondum autem habebat formam humani corporis. Ergo non omnes formae simul sunt inditae materiae.

23. La partie de la terre dont a été fait le corps humain eut une forme délimitée, parce qu'il est dit dans Genèse 1, que le corps de l'homme en a été formé. Elle n'avait pas encore la forme du corps humain. Donc toutes les formes n'ont pas été induites en même temps dans la matière.

 

q. 4 a. 2 arg. 24 Praeterea, cognitio rerum in propria natura in Angelis non potest intelligi nisi cognitio quae est per species eis naturaliter inditas; non enim potest dici quod a rebus cognitis species aliquas accipiant, cum careant sensuum instrumentis. Species autem illae quae sunt Angelis inditae, a rebus corporalibus non dependent. Ergo antequam res essent, potuit eas Angelus etiam in propriis naturis cognoscere. Et ita per hoc quod Angelus dicitur res aliquas cognoscere in propria natura, non datur intelligi res illas in esse produci; et sic praedicta expositio videtur inconveniens.

24. La connaissance des choses par les anges dans leur propre nature, ne peut être comprise que comme une connaissance par les formes (species) induites naturellement en eux; car on ne peut pas dire qu'ils les reçoivent de ce qu'ils connaissent, puisqu'ils n'ont pas d'organes des sens. Mais ces formes qui sont induites dans les anges, ne dépendent pas des réalités corporelles. Donc avant que les choses existent, l'ange a pu les connaître aussi dans leur propre nature. Et ainsi par le fait qu'on dit que l'ange connaît certaines choses dans leur propre nature, il n'est pas donné de comprendre que ces choses ont été amenées à l'être, et ainsi l'exposition ci-dessus ne semble pas convenir.

 

q. 4 a. 2 arg. 25 Praeterea, cognitio matutina, qua res Angelus in verbo cognovit, oportet quod per aliquam speciem fuerit; cum omnis cognitio huiusmodi sit. Non autem potuit esse per aliquam speciem a verbo effluxam, quia illa species creatura esset; et sic illa cognitio magis esset vespertina quam matutina; nam ad vespertinam cognitionem pertinet cognitio quae fit per creaturam. Nec etiam potest dici, quod praedicta cognitio fuerit per speciem quae est ipsum verbum, quia sic oportuisset quod Angelus ipsum verbum videret, quod non fuit antequam Angelus esset beatus; verbi enim visio beatos facit. Non autem in primo instanti suae creationis Angeli beati fuerunt, sicut nec e contrario Daemones in primo instanti peccaverunt. Ergo, si per mane intelligatur cognitio rerum quam Angeli habuerunt in verbo, oportet dicere, quod non omnia simul fuerunt facta.

25. La connaissance matutinale, par laquelle l'ange a connu les choses dans le Verbe, doit venir d'une forme, puisque toute connaissance est de ce genre. Elle n'a pas pu venir du Verbe par une forme, parce que celle-ci était une créature, et ainsi cette connaissance serait plus vespérale que matutinale; car à la connaissance vespérale convient la connaissance qui se fait par la créature. Et on ne peut pas dire que cette connaissance aurait été par une forme qui est le Verbe même, parce qu'ainsi il aurait fallu que l'ange voit le Verbe, ce qui n'a pas existé avant qu'il soit bienheureux. Car la vision du Verbe rend bienheureux. Ce n'est pas au premier instant de leur création que les anges ont été bienheureux. De même en sens contraire, ce n'est pas dans le premier instant que les démons ont péché. Donc, si par le matin, on comprend la connaissance que les anges ont eu dans le Verbe, il faut dire que tout n'a pas été fait en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 26 Sed dicendum, quod Angelus in statu illo videbat verbum, prout est ratio fiendorum, non autem prout est finis beatorum.- Sed contra, quod verbum dicitur finis et ratio, non differt nisi relatione quadam. Cognitio autem relationis Dei ad creaturam non facit beatos; cum talis relatio secundum rem magis se teneat ex parte creaturae; sed sola visio divinae essentiae beatos facit. Ergo quantum ad beatitudinem videntium, non differt utrum videatur ut finis beatitudinis vel ut ratio

26. Mais il faut dire que l'ange dans cette situation voyait le Verbe dans la mesure où il est la raison des êtres à créer, mais non comme la fin des bienheureux. – En sens contraire, dire que le Verbe est la fin et la raison ne diffère que par une relation. Mais la connaissance de la relation de Dieu à la créature ne rend pas bienheureux, puisqu'une telle relation en réalité a lieu surtout du côté de la créature, et seule la vision de l'essence divine rend bienheureux. Donc, quant à la béatitude de ceux qui voient, il n'y a pas de différence s'il est vu comme fin de la béatitude ou comme raison.

 

q. 4 a. 2 arg. 27 Praeterea, prophetae etiam dicuntur, in speculo aeternitatis futura vidisse, secundum quod ipsi viderunt divinum speculum, prout est ratio fiendorum. Secundum hoc ergo non esset differentia inter cognitionem Angeli matutinam et cognitionem prophetae.

27. On dit aussi que les prophètes ont vu le futur dans le miroir de l'éternité, selon qu'ils ont vu le miroir divin, dans la mesure où il est la raison des êtres à créer. Donc ainsi il n'y aurait pas de différence entre la connaissance matutinale de l'ange et celle du prophète.

 

q. 4 a. 2 arg. 28 Praeterea, Genes. II, 5, dicitur, quod Deus fecit omne virgultum agri antequam oriretur in terra, et omnem herbam regionis priusquam germinaret. Sed germinatio herbarum fuit in tertia die. Ergo aliqua fuerunt facta ante tertium diem; et ita non omnia facta sunt simul.

28. En Genèse 2, 5, il est dit que "Dieu a fait toute verdure des champs, avant qu'elle se lève de la terre et toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne germe". Mais la germination de l'herbe date du troisième jour. Donc certaines choses furent faites avant le troisième jour, et ainsi tout ne fut pas fait en même temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 29 Praeterea, ut in Psalmo CIII, 24, dicitur, Deus omnia in sapientia fecit. Sed sapientis est ordinare, ut dicitur in principio Metaphys. Ergo videtur quo Deus non omnia simul fecerit, sed secundum ordinem temporis successive.

29. Dans le Psaume 103, 24, on dit que Dieu a tout fait avec sagesse. Mais le propre du sage c'est d'ordonner, comme on le dit au début de la Métaphysique (I, 2, 982 a 17). Donc on voit comment Dieu n'a pas tout fait en même temps, mais successivement dans l'ordre du temps.

 

q. 4 a. 2 arg. 30 Sed dicendum, quod in rerum productione etsi non fuerit servatus ordo temporis, fuit tamen servatus ordo naturae.- Sed contra, secundum ordinem naturae sol et luna et stellae priores sunt plantis, cum manifestae sint causae plantarum; et tamen posterius commemorantur facta luminaria caeli quam plantae. Ergo non est observatus ordo naturae.

30. Mais il faut dire que dans la production des créatures, même si l'ordre du temps n'a pas été conservé, cependant celui de la nature le fut. – En sens contraire, selon l'ordre de la nature, le soleil, la lune et les étoiles existèrent avant les plantes, puisqu'elles ont été désignées comme leurs causes, et cependant on mentionne que les luminaires du ciel ont été faits après les plantes. Donc l'ordre de la nature n'a pas été conservé.

 

q. 4 a. 2 arg. 31 Praeterea, firmamentum caeli naturaliter est prius terra et aqua; tamen prius fit mentio in Scriptura de terra et aqua quam de firmamento, quod legitur secunda die factum.

31. Le firmament du ciel est par nature avant la terre et l'eau; cependant on fait mention dans l'Écriture de la terre et de l'eau avant le firmament: on lit qu'il a été fait le second jour.

 

q. 4 a. 2 arg. 32 Praeterea, subiectum, naturaliter est prius accidente. Lux autem quoddam accidens est, cuius primum subiectum est firmamentum. Ergo non debuisset praemitti lucis productio factioni firmamenti.

32. Le substrat est naturellement avant l'accident; mais la lumière est un accident dont le premier substrat est le firmament. Donc la production de la lumière n'aurait pas dû être signalée avant la création du firmament.

 

q. 4 a. 2 arg. 33 Praeterea, animalia gressibilia perfectiora sunt natatilibus et volatilibus, et praecipue propter similitudinem ad hominem; et tamen prius agitur de productione piscium et avium quam animalium terrestrium. Ergo non est servatus debitus ordo naturae.

33. Les animaux qui marchent sont plus perfectionnés que ceux qui nagent ou volent, et principalement à cause de leur ressemblance avec l'homme, et cependant il s'agit de la production des poissons et des oiseaux avant celle des animaux terrestres. Donc l'ordre de la nature n'a pas été conservé.

 

q. 4 a. 2 arg. 34 Praeterea, pisces et aves non minus videntur differre secundum naturam ab invicem, quam a terrestribus animalibus, et tamen pisces et aves eodem die facta commemorantur. Ergo dies non sunt intelligendi secundum diversa rerum genera, sed magis secundum temporis successionem; et sic non omnia facta sunt simul.

34. Les poissons et les oiseaux ne semblent entre eux, selon leur nature, pas moins différents que les animaux terrestres et cependant on mentionne que les poissons et les oiseaux ont été faits le même jour. Donc les jours ne sont pas à comprendre selon les différents genres d'êtres, mais plus selon la succession du temps, et ainsi tout n'a pas été créé en même temps.

 

En sens contraire:

 

q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod habetur Genes. cap. II, 4: istae sunt generationes caeli et terrae, quando creata sunt, in die quo fecit dominus Deus caelum et terram, et omne virgultum agri. Virgultum autem agri factum legitur tertia die; caelum autem et terra facta sunt prima die, vel etiam ante omnem diem. Ergo ea quae sunt facta tertio die, sunt facta simul cum illis quae sunt facta primo die, vel etiam ante omnem diem; et sic pari ratione omnia facta sunt simul.

1. Il y a ce qu'on lit dans la Genèse (2, 4): "Ce sont les générations du ciel et de la terre, quand ils ont été créés, au jour où le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs." Mais on lit que la verdure a été faite le troisième jour; et le ciel et la terre le premier jour, ou même avant tout jour. Donc ce qui a été fait le troisième jour, l'a été en même temps que ce qui a été fait le premier, ou même avant tout jour; et ainsi à raison égale tout a été fait en même temps.

 

q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Iob, 40, 10, dicitur: ecce Behemoth, quem feci tecum. Per Behemoth autem, secundum Gregorium, Diabolus intelligitur qui factus est prima die, vel ante omnem diem; homo autem, ad quem dominus loquitur, factus est sexta die. Ergo ea quae sunt facta sexto die, sunt simul facta cum illis quae facta sunt primo die; et sic idem quod prius.

2. Il est dit en Job (40, 10): "Voici Béhémot que j'ai fait avec toi." Par Béhémot, selon Grégoire [le grand] (Les Morales, XXXII, 9, dans les nouveaux exemplaires), on comprend le diable, qui a été fait le premier jour ou avant tout jour; mais l'homme à qui Dieu parle a été fait le sixième jour. Donc ce qui a été fait le sixième jour, a été fait en même temps que ce qui a été fait le premier jour, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, partes universi dependent ab invicem, et maxime inferiores a superioribus. Non ergo potuerunt fieri quaedam partes ante alias, et praecipue inferiores ante superiores.

3. Les parties de l'univers dépendent les unes des autres, et surtout les parties inférieures dépendent des parties supérieures. Certaines n'ont pas pu être faites avant les autres, et principalement les inférieures avant les supérieures.

 

q. 4 a. 2 s. c. 4 Praeterea, plus distat corporalis et spiritualis creatura quam corporales creaturae ad invicem. Sed spiritualis et corporalis creatura, ut in alia quaestione est habitum, simul factae fuerunt. Ergo multo amplius omnes spirituales creaturae.

4. La créature corporelle et la créature spirituelle sont plus distantes que les créatures corporelles entre elles. Mais la créature spirituelle et la créature corporelle, comme on l'a vu dans une autre question, ont été faites en même temps. Donc beaucoup plus toutes les créatures spirituelles.

 

q. 4 a. 2 s. c. 5 Praeterea, Deus propter suae virtutis immensitatem subito operatur. Opus ergo cuiuslibet diei subito et in instanti est factum. Ergo pro nihilo poneretur quod Deus expectasset operari sequens opus usque in alium diem, ut sic toto die ab actione vacaret.

5. Dieu opère d'un seul coup à cause de l'immensité de son pouvoir. Donc l'oeuvre de n'importe quel jour a été accomplie soudainement et dans l'instant. Donc c'est pour rien qu'on n'aurait pensé que Dieu aurait attendu d'opérer l'oeuvre suivante jusqu'à un autre jour, pour qu'ainsi pendant tout le jour il demeure sans action.

 

q. 4 a. 2 s. c. 6 Praeterea, si dies illi de quibus in rerum formatione fit mentio, dies materiales fuerunt, non videtur potuisse fieri ut totaliter nox a die distingueretur, et lux a tenebris. Nam si lux illa quae legitur primo die facta, undique terram circuibat, nusquam tenebrae erant, quae fiunt ex umbra terrae oppositae ad lumen, quod diem causat. Si autem lux illa suo motu terram circuibat, ut diem et noctem faceret, tunc semper ex una parte erat dies, et ex alia nox; et ita non totaliter erat nox a die distincta; quod est contra Genesis Scripturam.

6. Si ces jours dont on fait mention dans la mise en forme des choses, ont été des jours matériels, il ne semble pas qu'ils aient pu être faits pour que la nuit soit totalement distinguée du jour et la lumière des ténèbres. Car si cette lumière qui a été faite le premier jour, comme on le lit, entourait la terre de tous côtés, jamais il n'y avait de ténèbres, qui sont faites de l'ombre de la terre opposée à la lumière, qui cause le jour. Mais si cette lumière entourait la terre par son mouvement, pour faire le jour et la nuit, alors toujours il y avait le jour d'un côté, et la nuit de l'autre; et ainsi la nuit n'était pas totalement distinguée du jour, ce qui est contre le texte de la Genèse.

 

q. 4 a. 2 s. c. 7 Praeterea, distinctio diei et noctis fit per solem et alia caeli luminaria; unde dicitur in opere quartae diei: fiant luminaria in firmamento caeli; et postea subditur; ut sint in signa, et tempora, et dies, et annos. Ergo cum effectus causam non praecedat, non potest esse quod dies illi tres primi essent eiusdem rationis cum diebus qui nunc sole aguntur; et sic non oportet propter illos dies dicere quod omnia fuerunt facta successive.

7. La distinction du jour et de la nuit est faite par le soleil et les autres luminaires du ciel, c'est pourquoi on dit dans l'oeuvre du quatrième jour: "Que soient faits les luminaires au firmament du ciel"; et ensuite, il est ajouté; "pour qu'ils soient signes du temps, des jours et années.". Donc comme l'effet ne précède pas la cause, il n'est pas possible que ces trois premiers jours soient de la même nature que les jours qui sont produits maintenant par le soleil; et ainsi il ne faut pas à cause d'eux dire que tout a été fait successivement.

 

q. 4 a. 2 s. c. 8 Praeterea, si erat aliqua alia lux quae suo motu tunc faceret diem et noctem, oportebat quod esset aliquid aliam lucem deferens circulariter motum; ut undique terram successive illuminaret. Hoc autem deferens est firmamentum, quod legitur factum secunda die. Ergo ad minus prima dies non potuit esse eiusdem rationis cum diebus qui nunc aguntur; et eadem ratione nec cum aliis.

8. S'il y avait une autre lumière, qui par son mouvement produise le jour et la nuit, il fallait qu'il y ait quelque chose doué d'un mouvement circulaire, qui apporte une autre lumière, pour éclairer partout successivement la terre. Mais ce qui l'apporte, c'est le firmament, on lit qu'il a été fait le second jour. Donc au moins le premier jour n'a pu être de la même nature que les jours qui existent maintenant, et par la même raison, que les autres non plus.

 

q. 4 a. 2 s. c. 9 Praeterea, si lux illa ad hoc facta fuit, ut faceret diem et noctem; nunc etiam per eius motum dies et nox fieret; non enim convenienter posset dici, quod ad hoc tantum instituta esset, ut per illud triduum ante solis factionem huiusmodi officium exerceret, et postmodum esse desineret. Sed nunc non videmus aliqua alia luce fieri diem et noctem, nisi per lucem solis. Ergo nec etiam in illo triduo per aliquam corporalem lucem potest intelligi diem et noctem distincta fuisse.

9. Si cette lumière a été faite pour produire le jour et la nuit, maintenant elle ferait le jour et la nuit par son mouvement, car on ne pourrait pas dire convenablement que cela a été institué pour seulement exercer cet office pour cette période de trois jours, avant la création du soleil, et cesser d'être ensuite. Mais maintenant, nous ne voyons pas que le jour et la nuit soient produits par une autre lumière que celle du soleil. Donc aussi dans ces trois jours, on ne peut pas comprendre, que le jour et la nuit aient été distingués par une lumière corporelle.

 

q. 4 a. 2 s. c. 10 Sed dicendum, quod ex illa luce formatum est postea corpus solis.- Sed contra, omne illud quod fit ex materia praeiacente, habet materiam talem in qua possibilis est formarum successio. Talis autem non est materia solis, nec alicuius caelestium corporum, eo quod in eis non est contrarietas, ut probatur in I Cael. et Mun. Ergo non potest esse quod ex illa luce postmodum formatum sit corpus solis.

10. Mais il faut dire que le corps du soleil a été mis en forme par cette lumière par la suite. – En sens contraire, tout ce qui est fait de matière préexistante, a une matière telle qu'en elle la succession des formes y est possible. Mais telle n'est pas la matière du soleil, ni d'aucun des corps célestes, parce que, en eux, il n'y a pas de contraires, comme on le prouve (Le Ciel et le Monde, I, 3, 270 a 15[6]). Donc il n'est pas possible que le corps du soleil ait été formé de cette lumière par la suite.

 

Réponse:

 

q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod, si ponatur quod informis materia rerum formationem tempore non praecessit, sed sola origine (quod necesse est dicere, si per materiam informem materia absque omni forma intelligatur), de necessitate sequitur quod rerum formatio tota facta sit simul: non enim potest esse ut aliqua pars materiae informis omnino vel ad momentum sit. Et praeterea, quantum ad illam partem, iam materia rerum formationem tempore praecederet. Unde secundum ea quae in praecedenti quaest. determinata sunt, secundum opinionem Augustini, haec secunda quaestio locum non habet, sed oportet omnino dicere, quod omnia sunt simul formata; nisi pro tanto quod restat exponere qualiter sex dies quos Scriptura commemorat, intelligantur. Quia si intelligerentur sicut isti dies qui nunc aguntur, esset praedictae opinioni contrarium, quia tunc oporteret successione quadam dierum, rerum formationem facta intelligere.

Si on pense que la matière sans forme n'a pas précédé sa mise en forme dans le temps, mais par la seule origine, (parce qu'il est nécessaire de dire, que si on comprend par matière sans forme la matière sans aucune forme), nécessairement il en découle que toute la mise en forme des choses a été accomplie en même temps; car il n'est pas possible qu'une partie de la matière existe complètement sans forme même pour un moment. Et ensuite, pour cette partie, la matière aurait précédé en temps la formation des choses. C'est pourquoi, selon ce qui a été déterminé dans la précédente question[7] (article précédent), selon l'opinion d'Augustin, cette seconde question n'a pas lieu d'être traitée, mais il faut absolument dire que tout a été formé en même temps, à moins que pour autant il reste à exposer comment comprendre les six jours dont l'Écriture fait mention. En effet, s'ils étaient compris comme ces jours qui se déroulent maintenant, ce serait le contraire de l'opinion précédente, parce que, alors, il faudrait comprendre la formation des choses comme des oeuvres selon une certaine succession de jours.

 

Hos autem dies dupliciter exponit Augustinus. Nam in I super Genesim ad litteram, dicit intelligi per distinctionem lucis a tenebris, distinctionem materiae formatae ab informi, quae restat formanda non quidem tempore, sed naturae ordine. Ipsam vero ordinationem et formationis et informitatis, secundum quod a Deo omnia ordinantur, dicit insinuari per diem et noctem; nam dies et nox dicunt quamdam ordinationem lucis et tenebrarum. Per vesperam vero dicit intelligi consummati operis terminum. Per mane vero futuram operationis inchoationem, ut tamen futurum non accipiatur secundum ordinem temporis, sed solum ordine naturae. In primo enim opere praeexistit quasi quaedam significatio futuri operis fiendi. Secundum hoc tamen oportet hos dies diversos intelligi, prout scilicet sunt diversae formationes, et per consequens informitates.

Augustin expose ces jours de deux manières. Car dans La Genèse au sens littéral. (I, 17), il dit qu'on comprend, par la distinction de la lumière des ténèbres, la distinction de la matière en forme de celle sans forme qui reste à former, non assurément dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Il dit que l'ordonnancement de la mise en forme, ou de son absence, est suggéré par le jour et la nuit. Car ceux-ci signalent un certain ordre de la lumière et des ténèbres. Il dit qu'on comprend par le soir le terme de l'opération accomplie. Mais par le matin le commencement futur de l'opération, de sorte cependant que le futur ne soit pas compris selon l'ordre du temps, mais selon celui de la nature. Car dans la première oeuvre préexiste comme un signe de l'oeuvre future à faire. Cependant, selon cela, il faut comprendre ces jours comme différents, à savoir qu'ils ont différentes mises en forme et par conséquent des manques de forme.

 

Sed quia ex hoc sequitur quod etiam dies septimus sit alius a sex primis, si sex primi sunt alii ab invicem (ex quo videtur sequi quod vel Deus diem septimum non fecerit, vel quod aliquid fecerit post septem dies in quibus opera perfecit), ideo consequenter ponit quod per omnes illos septem dies unus dies intelligatur, ipsa scilicet Angelorum cognitio, et numerus ille ad rerum cognitarum distinctionem pertineat magis quam ad distinctionem dierum; ut videlicet per sex dies intelligatur cognitio Angeli relata ad sex rerum genera divinitus producta, unus vero dies sit ipsa cognitio Angeli relata ad quietem artificis, prout in se ipso a rebus conditis requievit; et tunc per vespere intelligitur cognitio rei in propria natura, per mane vero cognitio in verbo.

Mais parce qu'il découle de là que le septième jour est différent des six premiers, si ceux-ci sont différents l'un de l'autre (d'où il semble découler que, ou bien Dieu n'a pas fait le septième jour, ou bien qu'après le septième jour,il parfait son oeuvre), il pense en conséquence que, par ces sept jours, on n'en comprend qu'un seul, à savoir la connaissance des anges, et ce nombre convient à la distinction des choses connues plus qu'à la distinction des jours, pour qu'on comprenne, par les six jours, la connaissance de l'ange, liée aux six genres de choses créées par Dieu. [Il pense] qu'un seul jour est la connaissance de l'ange en relation avec le repos de l'artisan, dans la mesure où en lui-même il se reposa des créatures et alors, par le soir, on comprend la connaissance des créatures dans leur propre nature et par le matin la connaissance dans le Verbe.

 

La suite est de Vincent de Castrono (XVe siècle). En voici la traduction (texte de l'édition Marietti).

 

Mais selon d'autres saints, par ces jours est révélé l'ordre temporel et la succession de la production. Car, selon eux, dans l'oeuvre des six jours, on atteint non seulement l'ordre de la nature mais aussi celui du temps, et de la durée, car ils pensent que de même que l'absence de forme de la matière a précédé dans le temps sa mise en forme, de même une mise en forme a précédé aussi une autre forme dans la durée du temps. Mais ainsi que dans l'article précédent on l'a dit, l'absence de forme de la matière, selon eux, n'est pas comprise comme le manque et l'exclusion de toute forme; parce qu'il y avait déjà le ciel, l'eau et la terre, par lesquels on comprend les corps célestes, les substances spirituelles et les quatre éléments qui subsistaient sous leurs formes propres; mais ils comprennent l'absence de forme de la matière, selon qu'elle révèle seulement l'absence et l'exclusion de la distinction qui lui est due et d'une certaine beauté achevée: parce qu'elle n'avait pas cette beauté et ce charme qui apparaît maintenant dans la créature corporelle.

 

Et autant qu'on peut le comprendre de la Genèse selon la lettre, une triple beauté manquait à la nature corporelle, ce pourquoi on la disait sans forme. Car il manquait au ciel et à tout corps diaphane le charme et la beauté de la lumière, désignées par les ténèbres. Il manquait aussi l'ordre nécessaire à l'élément eau et la distinction nécessaire de l'élément terre, cette absence de forme est désignée sous le nom d'abîme; parce que ce nom signifie une immensité sans ordre des eaux, comme Augustin le dit (Contre Fauste, XXII, 11). Mais à la terre, il manquait une double beauté: l'une qu'elle possède du fait qu'elle a été découverte par les eaux et cette absence de forme est désignée par ce qu'on dit: "Mais la terre était vide ou invisible", parce qu'elle ne pouvait s'ouvrir à l'aspect corporel du fait que les eaux la recouvrait partout. Mais l'autre vient de ce qu'elle est ornée de plantes et par là, on rejoint ce qui est dit qu'elle est déserte ou sans composition, c'est-à-dire sans ornements.

 

Et ainsi, avant l'oeuvre de distinction, l'Écriture décrit plusieurs distinctions qui préexistait dans les éléments du monde au commencement de la création.

 

1) Elle traite la distinction du ciel et de la terre selon que par ciel, on comprend tout corps transparent, sous lequel on inclut le feu et l'air à cause de leur transparence, en laquelle ils s'accordent avec le ciel.

 

2) Elle rejoint la distinction des éléments quant à leurs formes substantielles du fait qu'elle désigne l'eau et la terre qui sont plus apparentes pour les sens. Par là elle donne à comprendre aussi que les deux autres éléments le sont moins.

 

3) Elle rejoint la distinction selon leur situation, parce que la terre était sous les eaux, ce qui la rendait invisible, mais on signale que l'air, qui est le substrat des ténèbres, avait été sur les eaux du fait qu'il est dit “les ténèbres”, c'est-à-dire l'air ténébreux, étaient sur la face de l'abîme".

 

Ainsi donc la mise en forme du premier corps qui est le ciel, a été accomplie le premier jour, par la production de la lumière, par laquelle la luminosité a été conférée au soleil et aux corps célestes qui les avaient précédés selon leurs formes substantielles, par qui l'absence de formes des ténèbres a été rejetée. Et par une mise en forme de ce genre a été faite la distinction du mouvement et du temps, c'est-à-dire de la nuit et du jour; car le temps suit le mouvement du ciel supérieur. C'est pourquoi il a distingué la lumière des ténèbres, parce que la cause de la lumière était dans la substance du soleil, et la cause des ténèbres dans l'opacité de la terre; et, dans un seul hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et c'est ce qu'il dit:"Il appela la lumière jour et les ténèbres nuit."

 

Le second jour, le corps intermédiaire, c'est-à-dire l'eau, est formé et distingué, recevant une distinction et un ordre, par la formation du firmament, de sorte que sous le nom d'eau, on comprend tous les corps transparents, et ainsi le firmament, c'est-à-dire le ciel étoilé, a été produit le second jour, non selon sa substance, mais selon une perfection accidentelle, il divisa les eaux qui sont au-dessus du firmament, c'est-à-dire le ciel transparent et sans étoiles, qui est appelé aqueux, ou cristallin, dont les philosophes disent qu'il est la neuvième sphère, et le premier mobile; parce qu'il déroule tout le ciel d'un mouvement diurne, pour opérer, par son mouvement la continuité de la génération; comme le ciel, en qui il y a les astres par mouvement, qui est selon le zodiaque, opère la diversité de la génération et de la corruption par flux et reflux, pour nous, par les différents pouvoirs des étoiles; par le firmament, dis-je, le ciel cristallin, qui est au-dessus du firmament, se sépare des eaux, c'est-à-dire par les autres corps transparents corruptibles qui sont sous le firmament; et ainsi les corps transparents inférieurs, désignés sous le nom d'eau reçurent, par le firmament, une mise en ordre, et la distinction qui leur était due.

 

Le troisième jour, le corps ultime, c'est-à-dire la terre, a été mis en forme par le fait qu'elle a été découverte par les eaux, et la distinction de la mer et du sable a été faite au fond. Voilà qui est assez convenable: de même qu'il avait exprimé la mise en forme de la terre, en disant que la terre était invisible ou vide; de même il exprime ainsi la mise en forme par ce qu'il dit: Qu'apparaisse aussi la terre sèche. Et les eaux ont été rassemblées en un seul lieu, à part de la terre sèche. Et il appela mer le rassemblement des eaux et terre ce qui était sec; (parce qu'elle avait d'abord été sans forme et déserte) il la décora de plantes et d'herbes.

 

Le quatrième jour, la première partie de la créature corporelle, qui le premier jour avait été séparée, fut ornée, à savoir le ciel par la production des luminaires; qui selon leur substance ont été créés au commencement: mais auparavant leur substance était sans forme, mais elle est mise en forme le quatrième jour, non pas par une forme substantielle mais en recevant un pouvoir limité, selon que celui-ci a été attribué aux luminaires pour des effets déterminés, c'est ainsi que nous voyons que le rayon du soleil a d'autres effets, que celui de la lune et des étoiles. Et c'est pour cette détermination du pouvoir que Denys dit (Les Noms divins, IV, § 6, 697 B) que la lumière du soleil qui d'abord était sans forme a été mise en forme le quatrième jour. Mais il n'a pas été fait des luminaires eux-mêmes, au commencement, comme le dit Jean Chrysostome; mais seulement le quatrième jour, pour qu'ainsi l'Écriture éloigne le peuple de l'idolâtrie, en montrant que les luminaires ne sont pas des dieux, du fait qu'ils n'existaient pas au commencement.

 

Le cinquième jour, la seconde partie de la nature corporelle qui a été séparée le second jour, est ornée par la production des oiseaux et des poissons, et c'est pourquoi, en ce cinquième jour, l'Écriture fait mention des eaux et du firmament du ciel, pour montrer qu'il répond au second dans lequel l'Écriture en a fait mention. Donc en ce jour, à partir de la matière élémentaire d'abord créée par le verbe de Dieu, il y eut les oiseaux et les poissons, produits en acte, en leur propre nature, pour l'ornement de l'air et de l'eau; dans lesquels ils sont destinés à se mouvoir convenablement d'un mouvement animé.

 

Le sixième jour, est ornée la troisième partie et le corps ultime, à savoir la terre, par la production des animaux terrestres, qui sont destinés à se mouvoir sur terre d'un mouvement animé. C'est pourquoi, comme dans l'oeuvre de la création, on désigne trois parties de la créature corporelle; la première, celle qui est désignée par le nom de ciel, l'intermédiaire par le nom d'eau, et la plus basse par le nom de terre; et la première partie, à savoir le ciel, est séparée le premier jour, et ornée le quatrième, la partie intermédiaire à savoir l'eau, est séparée le second jour et ornée le cinquième, comme on l'a dit, ainsi il convenait que la partie la plus basse, à savoir la terre, qui a été séparée le troisième jour, ait été ornée le sixième par la création des animaux terrestres, en acte, selon leurs espèces propres.

 

Par là apparaît que dans l'exposition des oeuvres des six jours, Augustin se sépare les autres saints.

 

1) Premièrement, parce que, par la terre et l'eau créées avant même par l'opération de la création, il comprend la matière première totalement sans forme; par la production du firmament, le rassemblement des eaux, et l'apparition de la terre sèche, il comprend l'induction des formes substantielles dans la matière corporelle. D'autres saints comprennent par la terre et l'eau créées d'abord, les éléments du monde existant sous leurs formes propres; mais par les oeuvres suivantes, ils comprennent la distinction dans les corps qui existait avant par des pouvoirs et des propriétés accidentelles qui leur ont été conférées, comme on l'a dit ci-dessus.

 

2) Deuxièmement leur point de vue est différent sur la production des plantes et des animaux, parce que les autres saints pensent qu'ils ont été produits en acte dans l'oeuvre des six jours, comme dans leur propre nature. Mais Augustin pense qu'ils ont été produits en puissance seulement.

 

Mais du fait qu'Augustin pense (La Genèse au sens littéral, IV, 34) que toutes les oeuvres des six jours ont été accomplies en même temps, elles ne semblent pas se diversifier des autres par leur mode de production.

 

1) Premièrement, parce que selon l'opinion des uns et les autres dans la première production, la matière était sous les formes substantielles des éléments; de sorte que la matière première n'a pas précédé en durée les formes substantielles des éléments du monde.

 

2) Deuxièmement parce que selon l'opinion des uns et des autres, dans l'institution première des choses, par l'oeuvre de création, il n'y eut ni plantes ni animaux en acte mais seulement en puissance, pour qu'ils puissent être produits de leurs éléments même par le pouvoir du Verbe.

 

Mais il reste encore une différence, entre eux quant au quatrième [jour]; parce selon d'autres saints, après la première production de la créature, par laquelle ont été produits les éléments du monde et les corps célestes selon leurs formes substantielles, il y eut un temps pendant lequel il n'y avait pas de lumière: d'une part, en ce temps-là, il n'y avait pas de firmament en forme, ni de corps transparent en ordre et séparé; d'autre part, en ce temps-là, il n'y avait pas de terre découverte par les eaux, et pas de luminaires du ciel en forme, ce qui est du quatrième [jour], ce qu'il ne faut pas admettre, selon l'exposition d'Augustin (loc. cit.) qui a pensé que tout cela a été formé en même temps, et dans le même instant. Que les oeuvres des six jours, pour d'autres saints, n'aient pas été produites en même temps, mais successivement, cela ne vient pas de la défaillance de la puissance du créateur, qui aurait pu tout produire en même temps, mais c'était pour démontrer l'ordre de la sagesse divine dans l'institution des choses, qui en faisant venir à l'être à partir du néant, ne les établit pas, aussitôt après le néant, dans l'ultime perfection de leur nature, mais d'abord il les fit exister dans une certaine imperfection et ensuite il les amena à la perfection, pour que du néant, le monde parvienne graduellement du néant à l'ultime perfection; et ainsi par divers degrés de perfection, les différents jours ont servi à montrer que leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière est incréée, et néanmoins Dieu lui-même apparaîtrait comme créateur de la perfection des choses contre ceux qui décrivent la formation des êtres inférieurs par d'autres causes.

 

Donc la première de ces expositions, à savoir celle d'Augustin, est plus subtile; elle défend davantage l'Écriture contre la dérision des infidèles, mais la seconde, à savoir celle des autres saints, est plus facile et en accord avec la lettre du texte. Cependant, parce que ni l'une ni l'autre ne contredit la vérité de la foi et que le contexte supporte les deux sens, comme ni l'une ni l'autre n'apportent de préjudice, il faut répondre en soutenant ces deux opinions par leurs raisons propres.

 

Solutions:

 

# 1. Il faut donc dire que dans la production des oeuvres divines, l'ordre de la nature et de l'origine a été conservé, mais pas celui de la durée. Car la nature spirituelle a été produite avant par nature et par origine et la nature corporelle sans forme a été formée après. Et, bien que l'une et l'autre nature aient été formées en même temps, parce que cependant la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, sa mise en forme a dû précéder celle de la nature corporelle dans l'ordre de la nature. De nouveau, parce que la nature corporelle incorruptible est plus digne que la nature corruptible, elle a dû être formée avant dans l'ordre de la nature. Et ainsi, par le premier jour la mise en forme de la nature spirituelle est désignée par la production de la lumière, par laquelle l'esprit de la créature spirituelle est éclairé en se tournant vers le Verbe, le second jour, la mise en forme de la nature corporelle céleste et incorruptible est désignée par la production du firmament, par lequel nous comprenons que tous les corps célestes ont été créés et séparés selon leurs formes; le troisième jour, la mise en forme de la nature corporelle des quatre éléments est désignée par le rassemblement des eaux et l'apparition de la terre sèche; le quatrième jour, l'ornement du ciel est désigné par la production des luminaires, qui, dans l'ordre de la nature, doit précéder l'ornement de l'eau et de la terre qui a été fait les jours suivants. Et ainsi les oeuvres divines ont été faites dans un certain ordre, à savoir celui de la nature et non celui de la durée.

 

# 2. La mise en forme des choses n'a pas été faite successivement, ni en différentes parties du temps; mais on lit que tous ces six jours, pendant lesquels Dieu a accompli ses oeuvres, sont une seul jour présenté avec six distinctions des choses, selon lesquelles on les compte; de même qu'il n'y avait qu'un seul Verbe, à savoir le Fils de Dieu, par lequel tout a été fait, quoiqu'on dise fréquemment: "Dieu a dit". Et de même que ces oeuvres, qui à partir d'elles sont propagées par l'opération de nature, sont conservées dans les suivantes; de même ces six jours demeurent dans toute la succession du temps. Et on le montre ainsi: la nature angélique, en effet, est intellectuelle, et est appelée proprement lumière, c'est pourquoi il faut que cette mise en lumière soit appelée jour. Mais la nature angélique reçoit la connaissance des choses au commencement de leur fondation, et ainsi d'une certaine manière la lumière de son intellect était représentée dans les créatures, en tant qu'elles étaient connues par la lumière de son esprit; c'est pourquoi la connaissance même des choses apportant la représentation de la lumière de l'esprit angélique sur les choses connues est appelé jour, et selon les divers genres de connaissances et leur ordre les jours sont distingués et ordonnés, de sorte que le premier jour soit la connaissance de la première oeuvre divine, en tant que mise en forme de la créature spirituelle, qui se tourne vers le Verbe, que le second jour soit la connaissance de la seconde oeuvre selon la créature corporelle supérieure a été mise en forme par la production du firmament, que le troisième jour soit la connaissance de la troisième oeuvre en tant que la mise en forme de la créature corporelle quant à sa partie inférieure, à savoir, la terre, l'eau et l'air voisin; que le quatrième jour soit la connaissance de la quatrième oeuvre en tant que partie supérieure, c'est-à-dire le firmament orné par la production des luminaires; que le cinquième jour soit la connaissance de la cinquième oeuvre divine, en tant que l'air et l'eau ont été ornés par la production des oiseaux et des poissons; que le sixième jour soit la connaissance de la sixième oeuvre, en tant que la terre est ornée par la production des animaux terrestres; que le septième jour soit la connaissance de l'ange relative au repos de l'artisan par lequel il se repose en lui des oeuvres nouvelles à fonder.

 

Mais comme Dieu est la pleine lumière, et qu'en lui il n'y a aucunes ténèbres, sa connaissance même en soi est la pleine lumière; mais parce que la créature du fait qu'elle tire son origine du néant, a en soi les ténèbres de la possibilité et de l'imperfection, il faut que la connaissance par laquelle la créature est connue, soit mêlée de ténèbres. Mais elle peut être connue de deux manières:

 

a) Ou dans le Verbe, selon qu'elle sort de l'art divin; et ainsi sa connaissance est appelée matutinale; parce que, de même que le matin est la fin des ténèbres et le commencement de la lumière, de même la créature par la lumière du Verbe, après ne pas avoir existé, reçoit le principe de la lumière.

 

b) Elle est aussi connue dans la mesure où elle existe dans sa nature propre, et une telle connaissance est appelée vespérale, du fait que, de même que le soir est le terme de la lumière, et tend vers la nuit, la créature qui subsiste en soi, est le terme de l'opération de la lumière divine du Verbe, en tant que créée par lui, et de soi en tendant aux ténèbres de la défaillance, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.

 

Et c'est pourquoi une telle connaissance distinguée en matutinale et vespérale est appelée jour; parce que, de même que par comparaison à la connaissance du verbe, elle est ténébreuse, de même, par comparaison à l'ignorance qui est uniquement ténèbres, on l'appelle lumière; et ainsi on atteint le passage entre le matin et le soir, selon que l'ange se connaissant lui-même, dans sa propre nature, rapporte cette connaissance, comme à sa fin, à la louange du Verbe, en qui il a reçu la connaissance de l'opération suivante comme en son principe. Et de même qu'un tel matin est la fin du jour précédent, de même, il est le commencement du jour suivant; car le jour est une partie du temps et l'effet de la lumière. Mais la distinction des premiers jours, n'est pas prise selon la distinction du temps, mais du côté de la lumière spirituelle, selon que les différents genres distincts de créatures sont connus par la lumière de l'esprit angélique.

 

# 3. On nie que la lumière ne soit pas proprement dans les êtres spirituels. Car Augustin (La Genèse au sens littéral, IV, 24) dit que dans les êtres spirituels la lumière est meilleure et plus assurée, et que le Christ n'est pas appelé lumière de la même manière qu'il est appelé rocher[8], un mot lui est propre, et l'autre figuré. Car tout ce qui est manifesté est lumière, comme il est dit (Ep. 5, 13). Mais la manifestation est plus proprement dans les êtres spirituels que dans les êtres corporels; c'est pourquoi Denys, (Les noms divins, IV, 4) place la lumière parmi les noms intelligibles de Dieu, mais ces noms intelligibles ont une signification propre pour les êtres spirituels. Et quand on prouve l'inverse, on dit que le nom de lumière fut d'abord imposé pour signifier ce qui se manifeste par le sens de la vue, et de cette manière, la lumière est seulement une qualité sensible par soi, et n'est pas employée proprement pour les êtres spirituels; deuxièmement, il s'est étendu de l'usage commun, pour signifier tout ce qui se manifeste par une connaissance quelconque, et ainsi il est dans l'usage commun des locuteurs; et de cette manière, on dit que la lumière est plus proprement signifiée dans les êtres spirituels.

 

# 4. Ces jours sont distingués non selon la succession de la connaissance, mais selon l'ordre naturel des choses connues, comme on l'a dit ci-dessus, c'est pourquoi Augustin veut (La cité de Dieu, XI, 7 et 9) que ces sept jours soient un seul jour représenté de sept manières. Et c'est pourquoi l'ordre des jours doit être rapporté à l'ordre naturel des oeuvres, qui sont attribuées aux jours, selon qu'elles sont connues en même temps dans le Verbe par la lumière de l'esprit angélique.

 

# 5. Par les six jours, pendant lesquels on dit que Dieu créa le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, on comprend non pas une succession temporelle, mais la connaissance angélique en rapport aux six genres de choses produites par Dieu; mais le septième jour est la connaissance même de l'ange en rapport avec le repos de l'artisan; car on dit, selon Augustin, (La Genèse au sens littéral, IV, 15) que Dieu le septième jour se reposa, un repos particulier où il se repose en lui-même des créatures, il demeure bienheureux sans avoir besoin d'elles, mais en se suffisant à lui-même, il le montra à l'esprit angélique dont il appelle jour la connaissance. Et on dit qu'il cessa l'oeuvre le septième jour, parce que, ensuite, il ne fit rien de nouveau qui n'aurait pas existé précédemment d'une certaine manière, dans les oeuvres des six jours, matériellement, causalement, ou selon une ressemblance de l'espèce ou du genre.

 

Et parce que, après toutes les oeuvres créées, Dieu, le septième jour se reposa en lui-même, l'Écriture et la Loi ordonne de sanctifier le septième jour. Car la sanctification d'une chose consiste surtout en ce qu'elle repose en Dieu; c'est pourquoi les objets consacrés à Dieu (comme le tabernacle, les vases du prêtre) sont appelés saints. Mais on dit que le septième jour consacré au culte de Dieu est sanctifié ainsi, de même que Dieu qui créa les six genres des créatures et les montra à l'esprit angélique, ne se reposa pas dans les créatures, comme en sa fin, mais des créatures mêmes en lui; il demeura en lui-même en quoi consiste sa béatitude, (quoiqu'il ne soit pas bienheureux d'avoir fait les créatures, mais du fait que, ayant sa suffisance en lui, il n'a pas besoin d'elles); ainsi, nous aussi, apprenons à nous reposer non pas dans ses oeuvres ou les nôtres, comme dans une fin; mais en Dieu même, en qui consiste notre béatitude, reposons-nous, car c'est pour cela qu'il a été institué que l'homme travaillant six jours à ses propres oeuvres, se reposerait le septième, se consacrant au culte divin et au repos de la contemplation divine, dans laquelle consiste essentiellement la sanctification de l'homme.

 

La nouveauté du monde aussi démontre précisément que Dieu existe, et qu'il n'a pas besoin des créatures, et c'est pourquoi il a été établi dans la Loi qu'elles se reposeraient et qu'elles feraient fête le septième jour où le monde a été achevé, pour que par la nouveauté du monde créé en même temps, et par les six genres différents des choses, l'homme demeure toujours dans la connaissance de Dieu et qu'il lui rende grâce du bienfait si utile et si important de la création, et qu'en lui comme en sa fin, il place le repos de son esprit dans le présent par grâce et dans le futur par la gloire.

 

# 6. On dit que n'importe quelle oeuvre nouvelle produite par Dieu en rapport avec la connaissance angélique est appelé jour; et parce qu'il y eut seulement six genres de choses produites primitivement par Dieu, et connus par l'esprit angélique, comme on l'a dit ci-dessus, il y a seulement six jours; auxquels on ajoute un septième, à savoir la connaissance même de l'ange en soi en rapport avec le repos de Dieu en lui-même. Car il n'a rien produit dans la nature des êtres, dont il n'est induit dans l'ordre de la nature d'abord la connaissance dans l'esprit angélique.

 

# 7. La solution est éclairée par ce qui a été dit ci-dessus, parce que ces jours ne sont pas distingués selon la distinction de la connaissance angélique, mais par celle des premières oeuvres en rapport avec la connaissance angélique, et ainsi cette distinction des oeuvres, et non pas celle des connaissances, apporte la distinction des premiers jours; et ainsi ces six jours sont distingués selon que la lumière de l'esprit angélique est appliquée pour connaître les six genres de choses.

 

# 8. Selon Augustin par ces trois expressions est signifié le triple être des choses.

 

a) Premièrement l'être des choses dans le Verbe, car les créatures ont l'être dans l'art divin parce qu'il est le Verbe, avant de l'avoir en elles-mêmes, et il en est fait mention quand il est dit: "Mais Dieu le dit, et ce fut fait"; c'est-à-dire le Verbe l'a engendré, en qui était l'être à créer.

 

b) Deuxièmement, l'être des choses dans l'esprit angélique, parce que Dieu n'a rien produit dans la nature qu'il ne l'ait représenté dans l'esprit angélique, et il en est fait mention quand il dit: "Ce fut fait", c'est-à-dire par induction du Verbe dans l'esprit angélique.

 

c) Troisièmement l'être des choses dans leur propre nature, et il en est fait mention par ce qu'il dit: "Il fit". Car de même que l'idée par laquelle est créée la créature, est dans le Verbe avant qu'elle ne soit créée, de même la connaissance de cette même idée est par l'ordre de la nature dans l'esprit angélique, avant la production même de la créature. Et ainsi l'ange a une triple connaissance des créatures, selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit ou dans leur propre nature; la première est appelée connaissance matutinale, les deux autres sont comprises sous le nom de connaissance vespérale.

 

Et pour montrer ce double mode de connaissance dans la créature spirituelle, il est dit: "Il y eut un soir et un matin, un jour unique (Gn, 1, 5)". Donc par les six jours pendant lesquels, on lit que Dieu créa tout, Augustin comprend (La cité de Dieu, XI, 9 [9] ) non pas ces jours ordinaires qui s'accomplissent par la course du soleil, puisqu'on lit que le soleil a été créé le quatrième jour, mais un seul jour, c'est-à-dire la connaissance angélique présentée par six genres de choses. C'est pourquoi, de même que la représentation de la lumière corporelle sur ces choses inférieures compte pour un jour temporel, de même la représentation de la lumière spirituelle de l'intellect angélique sur les créatures, compte pour un jour spirituel; de sorte qu'ainsi, ces six jours sont distingués selon que la lumière de l'intellect angélique est appliquée à connaître les six genres de choses; pour que le premier jour soit la connaissance de la première oeuvre divine, le second la connaissance de la seconde, etc..

 

Et ainsi, ces six jours sont distingués non selon l'ordre du temps ou la succession des êtres, mais selon l'ordre naturel des choses connues, selon qu'une oeuvre a été connue avant l'autre, dans l'ordre de la nature. Et de même que dans le jour ordinaire et matériel, le matin est le commencement du jour et le soir en est la fin ou le terme, de même la connaissance de chaque oeuvre, selon son être d'origine, selon qu'il a l'être dans le Verbe, est appelée matutinale, mais sa connaissance selon l'être ultime, dans la mesure où elle subsiste dans sa nature propre, est appelé vespérale. Car le principe de l'être de n'importe quelle chose chose est dans sa cause d'où elle découle, mais son terme est dans ce en quoi elle est reçue, et où l'action de la cause se termine. C'est pourquoi la connaissance première d'une chose est selon qu'elle est considérée dans sa cause d'où elle découle; mais la connaissance ultime est selon ce qui est est considéré en elle-même.

 

Donc comme l'être des créatures découle du Verbe éternel, comme d'un principe primordial, et que cet écoulement se termine à l'être qu'elles ont dans leur propre nature, il s'ensuit que la connaissance dans le Verbe qui appartient à leur être premier et d'origine doit être appelé matutinale, par ressemblance au matin qui est le commencement du jour, mais la connaissance de la créature dans sa propre nature, qui appartient à son être ultime et achevé, doit être appelée vespérale, parce que le soir est le terme du jour. C'est pourquoi de même que six genres de choses, rapportés à la connaissance angélique, distinguent les jours, de même l'unité de la chose connue qui peut être connue de diverses manières, constitue l'unité du jour, et distingue le jour par le soir et le matin.

 

# 9. L'ange ne peut pas dans sa propre nature comprendre plus au commencement, et originairement mais il peut bien comprendre plus en conséquence du fait qu'il est en relation avec l'un intelligible. Et parce que toute chose produite par sa nature propre, a d'abord été dans l'ordre de la nature, selon ses ressemblances, induites dans l'esprit angélique, l'ange en se connaissant, connaît en même temps d'une certaine manière ces six genres de choses, qui ont un ordre naturel entre eux, car en se connaissant, il connaît tout ce qui a l'être en soi.

 

# 10. Il peut y avoir deux opérations en même temps, pour une même puissance dont l'une se rapporte à l'autre et lui est ordonnée et il est clair que la volonté veut en même temps la fin et ce qui la concerne et l'esprit comprend en même temps les principes et les conclusions par les principes, quand il en a cependant acquis la science. Mais la connaissance vespérale dans les anges se rapporte à la connaissance matutinale, comme Augustin le dit (Dial. 65, qu. 26, Sur la Genèse, II, ch., 3 et 8), de même que la connaissance et l'amour naturels sont ordonnés à la connaissance et à l'amour de gloire.

 

C'est pour cela que rien n'empêche que, dans l'ange, il y ait en même temps une connaissance matutinale et vespérale, comme il y a en même temps la connaissance naturelle et la connaissance de gloire. Car deux opérations d'une seule puissance, qui procèdent de deux espèces d'un même genre, dont l'une n'a pas de rapport avec l'autre (telles sont toutes les espèces créées inhérentes à l'esprit) ne peuvent exister en même temps; c'est pourquoi l'ange ne peut pas produire en même temps par diverses formes concrètes diverses intellections. Mais si ces deux opérations procèdent des formes de genres et de raisons différents, et dont l'une est ordonnée à l'autre (telles sont la forme subsistante incréée et la forme inhérente créée), elles peuvent coexister.

 

Et parce que la connaissance par laquelle l'ange voit les choses dans leur nature propre, qui est appelée vespérale, se fait pas une espèce intelligible, créée et inhérente, et que la connaissance, par laquelle il voit les choses dans le Verbe, appelée matutinale, se fait par l'essence du Verbe qui n'est pas inhérente, ce qui est d'un autre genre et d'une autre nature, et que l'une est ordonnée à l'autre, les deux connaissances pourront exister en même temps. Car la forme concréée inhérente à l'esprit ne répugne pas à l'union de l'esprit à l'essence du Verbe, qui n'actualise pas l'intellect quant à son être, mais seulement quant à son intellection, puisqu'il n'est pas d'une seule nature, mais d'un ordre plus élevé, et cette forme inhérente même et tout ce qui est parfait dans l'intellect créé, est comme une disposition matérielle à cette union et à la vision bienheureuse par laquelle ils voient la création dans le Verbe.

 

Et c'est pourquoi, de même que la disposition à une forme et cette forme peuvent être dans un acte parfait en même temps, de même la forme intelligible inhérente se trouve en même temps dans l'acte parfait avec union à l'essence du Verbe; c'est pourquoi, en même temps, de l'esprit de l'ange bienheureux procède une double opération: a) en raison de son union à l'essence du Verbe, par laquelle il voit les êtres dans le Verbe, ce qui est appelé connaissance matutinale et b) l'autre en raison de la forme qui y est inhérente par laquelle il voit les choses dans leur propre nature, qui est appelée connaissance vespérale. Et l'une de ces actions n'est pas affaiblie ou atténuée par son attention à l'autre, mais elle en est plutôt renforcée, puisque l'une des deux est la raison de l'autre, comme l'image d'un objet vu est renforcée quand il est vu en acte par l'oeil externe. Car l'action par laquelle les bienheureux voient le Verbe, et les créatures en lui, est la raison de n'importe quelle action trouvée en eux. Mais deux actions dont l'une est la raison de l'autre, ou dont l'une est ordonnée à l'autre, peuvent venir en même temps d'une seule puissance.

 

Et alors une seule puissance, selon les diverses formes ordonnées entre elles, se termine à des actes divers, non pas dans l'identique mais dans la diversité. Car les espèces des différents genres, ordres, dont les diverses natures peuvent être unies ensemble dans un acte parfait; comme on le voit pour la couleur, l'odeur et la saveur dans un fruit.

 

Mais l'essence divine, par laquelle l'esprit angélique voit les créatures dans le Verbe, (puisqu'elle est incréée et subsistante par soi) et l'essence de l'ange par laquelle il se voit toujours lui et les choses selon qu'elles ont l'être en soi, (puisque cette essence a été créé, et qu'elle subsiste par soi dans un être reçu où subsiste son esprit), et l'espèce infuse, ou concréée, par laquelle il voit les choses dans leur propre nature (puisqu'elle est inhérente à son esprit), sont dites de différents ordres, genres, et de différentes natures; de sorte que la première est comme la raison des autres, et la seconde comme la raison de la troisième, et c'est pourquoi l'esprit angélique pourra en même temps, avoir trois opérations selon ces trois formes; de même que l'âme du Christ comprend en même temps les choses par l'espèce du Verbe, par les formes infuses et les espèces acquises.

 

# 11. Selon Augustin (A Orose, question 21), de même que l'absence de forme de la matière a précédé sa mise en forme, non dans le temps, mais dans l'ordre, comme le son et la voix précède le chant; de même la mise en forme de la nature spirituelle qui est désignée dans la production de la lumière, puisqu'elle est plus digne que la nature corporelle, elle a précédé la mise en forme de la créature corporelle, dans l'ordre de la nature et de l'origine, et non dans l'ordre du temps. Mais la mise en forme de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe, non par la gloire parfaite sans laquelle elle a été créée, mais par la grâce parfaite avec laquelle elle a été créée. Donc par cette lumière est faite la distinction des ténèbres, c'est-à-dire par ce manque de forme de la créature corporelle, pas encore mis en forme, mais dans l'ordre d'une nature à mettre en forme par la suite.

 

Car la mise en forme de la créature spirituelle peut être comprise de deux manières: 1) par l'infusion de la grâce, 2) par la conservation de la gloire.

 

a) Selon Augustin, la première grâce est parvenue aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de sa création et alors, par les ténèbres, qui se distinguent de la lumière, on ne comprend pas le péchés des mauvais anges, mais l'absence de forme de la nature, qui n'avait pas encore été formée, mais était dans l'ordre de la nature, devant être formée dans les opérations suivantes, comme il est dit dans La Genèse au sens littéral, (I, 5, VI et VII). Ou comme il est dit Sur la Genèse, (livre IV ch. XXII et XXIII), par le jour est signifiée la connaissance de Dieu, par la nuit la connaissance de la créature, qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, comme il est dit dans le même livre. Ou si, par les ténèbres nous comprenons les anges pécheurs, cette division ne se rapporte pas au péché présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu. C'est pourquoi dans le livre A Orose (question 24), il dit: "Parce que Dieu savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que quelques anges tomberaient par orgueil, il les divisa en bons et méchants; appelant les méchants ténèbres et les bons lumière."

 

b) La seconde mise en forme de la nature spirituelle n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plus à leur évolution où elles sont gouvernées par la providence divine. Donc la distinction de la lumière et des ténèbres, selon que, par les ténèbres, on comprend les péchés des démons, doit être entendue selon la prescience de Dieu. C'est pourquoi Augustin dit dans le livre XI de La Cité de Dieu, (ch. 20), que seul a pu discerner la lumière des ténèbres celui qui a pu avant qu'ils ne tombent prévoir qu'ils tomberaient. Mais selon que, par les ténèbres, on comprend l'absence de forme de la nature corporelle à former, on signale l'ordre, non pas du temps, mais de la nature, entre la formation de l'une et l'autre nature.

 

# 12. Une fois établi que tout a été créé en même temps dans la forme et la matière, il est dit que l'ange a eu connaissance de la créature corporelle à faire, non pas parce qu'elle serait future dans le temps, mais parce qu'elle était connue comme devant exister dans la mesure où elle était considérée dans sa cause, en qui elle était pour pouvoir en procéder. De même on peut dire que celui qui connaît un coffre par l'art d'où il est fait, le connaît comme devant exister. Car la connaissance des choses dans le Verbe est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire, et elle se comporte indifféremment pour le présent et le futur, parce qu'elle est conforme à la connaissance de Dieu, par laquelle il connaît absolument tout avant que ce soit fait, comme après avoir été fait. Et cependant toute connaissance de la chose dans le Verbe, concerne ce qui est à faire, déjà fait, ou non, puisque le mot fiendum (à faire) n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du créateur; il en est de même la connaissance de l'oeuvre dans l'art, qui est selon son devenir, quoique l'oeuvre n'ait pas encore été réalisée. C'est pourquoi, bien que la créature corporelle ait été faite en même temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange a reçu du Verbe une connaissance de ce qui devait être fait, pour la raison déjà dite.

 

# 13. De même que le matin précède le soir, la connaissance matutinale précède la connaissance vespérale dans l'ordre de la nature, non en rapport avec une seule et même oeuvre, mais en rapport avec différentes oeuvres; mais la connaissance vespérale de la première opération est comprise dans l'ordre de la nature, la connaissance matutinale étant celle de l'oeuvre postérieure. Car l'oeuvre du premier jour est la production de la lumière par laquelle on comprend la formation de la nature angélique par l'illumination de la grâce, mais la connaissance par laquelle la créature spirituelle se connaît elle-même naturellement suit son être dans sa nature propre. Et ainsi la créature spirituelle dans l'ordre naturel se connaît dans sa nature propre par une connaissance vespérale par laquelle elle se connaît comme déjà faite, avant de se connaître dans le Verbe en qui est connue l'oeuvre de Dieu, comme à faire.

 

Donc, dans cette connaissance par laquelle les bons anges se sont connus eux-mêmes, ils ne sont pas demeurés comme jouissant d'eux mêmes, et plaçant leur fin en eux, parce qu'ils seraient devenus nuit, comme les mauvais anges qui ont péché, mais ils ont rapporté leur connaissance à la louange de Dieu, et ainsi à partir de sa connaissance, le bon ange s'est tourné vers la contemplation du Verbe en qui il y a le matin du jour suivant, selon qu'en lui, il a reçu la connaissance de l'oeuvre suivante, à savoir celle du firmament.

 

Mais, de même que nous voyons dans le temps continu, que, dans le même instant, il y a deux temps, selon qu'il est la fin du passé et le commencement du futur, de même la connaissance matutinale du second jour est le terme du premier, et le commencement du second, et ainsi de suite jusqu'au septième jour. Et c'est pourquoi au premier jour, on désigne seulement le soir, parce que l'ange a eu d'abord la connaissance vespérale de lui-même et de celle-ci il est passé à la connaissance matutinale, selon que de la contemplation de lui-même il s'est tourné vers celle du Verbe, en qui il y a le matin du jour suivant, dans la mesure où il reçoit dans le Verbe la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. C'est pourquoi, la connaissance matutinale par rapport à une seule et même oeuvre après le première précède naturellement la connaissance vespérale de celle-ci, mais la connaissance vespérale de la première oeuvre, précède naturellement la connaissance matutinale de la suivante; c'est pourquoi, de même que le premier jour a seulement un soir, le septième jour qui signifie la contemplation de Dieu, a seulement un matin; car ce jour n'est clos par aucune limite![10].

 

# 14. Augustin appelle la connaissance matutinale, celle qui est en pleine lumière; c'est pourquoi elle contient en soi le midi. Car il appelle une telle connaissance quelquefois diurne, mais quelquefois matutinale. Ou on peut dire que toute connaissance de l'esprit angélique est mêlée de ténèbres du côté de celui qui connaît; c'est pourquoi aucune connaissance d'un esprit angélique ne peut être appelée méridienne, car seule la connaissance par laquelle Dieu connaît tout en lui-même le peut. De plus, comme Dieu est pleine lumière, qu'il n'y a aucunes ténèbres en lui, comme cette connaissance de Dieu en soi et parfaite est pleine lumière, elle peut être appelée méridienne, mais, parce que la créature du fait qu'elle vient du néant, a les ténèbres de la potentialité et de l'imperfection, aussi, la connaissance même de la créature est mêlée de ténèbres; ce mélange est signifié par le matin et le soir, selon que la créature elle-même peut être connue de deux manières; ou dans le Verbe selon qu'elle sort de l'art divin, et ainsi sa connaissance est appelée matutinale, parce que, de même que le matin est la fin des ténèbres, et le commencement de la lumière, de même la créature après les ténèbres, c'est-à-dire après qu'elle existe, prend du Verbe même le principe de la lumière. Car existant par l'espèce créée, elle peut être connue dans sa propre nature, et une telle connaissance est appelée vespérale, parce que, de même que le soir est le terme de la lumière, et tend à la nuit, de même la créature qui subsiste en soi est le terme de l'opération du Verbe, qui est lumière, comme faite par le Verbe et en tant qu'elle est de soi, la défaillance tend aux ténèbres, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.

 

Cependant cette connaissance est appelée jour, parce que, en comparaison avec la connaissance du Verbe, elle est obscure, de même par comparaison avec l'ignorance, qui est tout à fait obscure, elle est appelée lumière; comme la vie des justes est appelée obscure par comparaison à la vie de gloire, elle est appelée cependant lumière, par rapport à la vie des pécheurs. De plus, comme le matin et le soir sont des parties du jours, le jour dans les anges est la connaissance éclairée par la lumière de la grâce; c'est pourquoi la connaissance matutinale et vespérale s'étend seulement à la connaissance gratuite des biens; c'est pourquoi la connaissance même des oeuvres divines, par l'ange éclairé est appelée jour, et les jours sont distingués selon les différents genres des oeuvres divines, et sont ordonnés selon leur ordre.

 

Mais chacune de ces oeuvres est connue de deux manières par l'ange éclairé: 1) d'une première manière, dans le Verbe, sous la forme du Verbe et ainsi une telle connaissance est appelée matutinale; 2) d'une seconde manière, dans sa nature propre, ou par l'espèce créée, et les bons ne demeurent pas dans cette connaissance en y trouvant comme une fin en elle, parce qu'ils deviendraient nuit, comme les mauvais anges; mais ils la rapportent à la louange du Verbe et à la lumière de Dieu, en qui, comme dans un principe, ils connaissent tout; aussi une telle connaissance de la créature, rapportée à la louange de Dieu, n'est pas appelée nocturne, ce qui serait en tout cas, s'ils demeuraient en elle, parce qu'alors ils deviendraient nuit, comme jouissant de la créature même.

 

Donc la connaissance matutinale et la connaissance vespérale distinguent le jour, c'est-à-dire la connaissance qu'ont les bons anges illuminés des oeuvres créées. Mais la connaissance de la créature par les bons anges eux-mêmes, par un intermédiaire soit créé, soit incréé, est toujours mêlée d'obscurité; c'est pourquoi on ne l'appelle pas méridienne, comme la connaissance que Dieu a de lui-même; ni nocturne, comme la connaissance de la créature qui n'est pas rapportée à la lumière divine; mais on l'appelle seulement matutinale et vespérale; car le soir en tant que tel, se termine au matin. Et c'est pourquoi n'importe quelle connaissance des choses dans leur nature propre ne peut pas être appelée vespérale, mais seulement celle qui se rapporte à la louange du Créateur. C'est pourquoi la connaissance qu'ont les démons, n'est pas appelée proprement matutinale ou vespérale. Car le matin et le soir ne sont pas pris dans la connaissance angélique selon toute ressemblance, mais seulement selon la ressemblance quant en raison du principe et du terme.

 

# 15. Bien que l'ange ait été créé en l'état de grâce, cependant il n'a pas été bienheureux au commencement de sa création, et il n'a pas vu le Verbe de Dieu dans son essence; c'est pourquoi il n'eut pas la connaissance matutinale de lui-même, qui désigne la connaissance par la forme dans le Verbe, mais il eut d'abord une connaissance vespérale de lui-même selon qu'il se connut lui-même en lui de façon naturelle, parce que, en chacun, la connaissance naturelle précède la connaissance surnaturelle, comme son fondement, et la connaissance de l'ange découle naturellement de son être dans sa propre nature; aussi il eut une connaissance matutinale de lui-même, mais vespérale au commencement de sa création. Il reporta cette connaissance à la louange du Verbe et par cette relation il mérita de parvenir à la connaissance matutinale. C'est pourquoi on dit, de manière significative, que le premier jour eut seulement un soir, et pas de matin, parce que le soir passa au matin; parce que cette lumière spirituelle, qui, comme on le lit, a été créée le premier jour, aussitôt créée se connut elle-même, parce qu'elle fut d'une connaissance vespérale, et il reporta cette connaissance à la louange du Verbe, par qui il mérita de recevoir la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. Car ce n'est pas n'importe quelle connaissance des choses dans leur propre nature qui peut être appelée vespérale, mais celle seulement qui se rapporte à la louange du Créateur, car elle revient le soir et se termine au matin.

 

C'est pourquoi la connaissance que les démons ont des choses par eux-mêmes, n'est ni matutinale, ni vespérale; mais seulement la connaissance gratuite qui est dans les bons anges. Et ainsi la connaissance des choses dans leur nature propre, reliée à la louange du Verbe est toujours vespérale, et une telle relation ne la rend pas matutinale, mais la fait se terminer à la connaissance matutinale, et par une telle relation il mérite de la recevoir. Et de même que le premier jour, qui signifie la formation et la connaissance de la nature spirituelle dans sa propre nature, a seulement un soir, de même le septième jour, qui signifie la contemplation de Dieu, qui ne contient aucune limite[11] et qui correspond à la connaissance angélique en rapport avec le repos de Dieu en lui-même, en quoi consiste l'illumination et la sanctification de tout, [ce septième jour] a seulement un matin. Car du fait que Dieu a cessé de créer de nouvelles créatures, on dit qu'il a accompli son oeuvre et qu'il s'en repose en lui-même. Et de même que Dieu se repose en lui seul, et il est bienheureux en jouissant de lui, de même nous, nous devenons bienheureux par sa seule fruition et ainsi même il fait que nous nous reposons de ses oeuvres et des nôtres en lui-même.

 

Donc le premier jour, qui correspond à la connaissance que la nature spirituelle éclairée par la lumière de la grâce sur elle-même, a seulement un soir, mais le septième jour qui correspond à la connaissance angélique en relation avec le repos et la fruition de Dieu en lui-même, a seulement un matin; parce qu'il n'y a aucunes ténèbres en Dieu. Car on dit que Dieu se reposa le septième jour, en tant que repos propre, par lequel il se repose en lui-même des oeuvres créées; il le montra à la nature angélique; cette connaissance, Augustin l'appelle jour (Dialogue LXV, question 26); et parce que le repos de la créature, selon qu'elle est fermement établie en Dieu, n'a pas de fin, de même le repos de Dieu par lequel il se repose en lui-même des créatures, n'ayant pas besoin d'elles, n'a pas de fin, parce qu'il n'en aura jamais besoin; c'est pourquoi le septième jour qui correspond à un tel repos n'a pas de soir, mais seulement un matin; mais ces jours, qui correspondent à la connaissance angélique en rapport avec les autres créatures, ont un matin et un soir, comme on l'a dit ci-dessus.

 

# 16. De ce qui a été dit, il apparaît qu'on peut avoir la connaissance d'une chose déjà faite comme devant être faite, si on la considère dans les causes d'où elle procède; et ainsi les anges ont reçu la connaissance de ce qui était à faire dans le Verbe, qui est l'Art suprême des choses. Car toute connaissance en lui qui est appelée matutinale, on dit qu'elle est comme une chose à faire, que ce soit déjà fait, ou pas, puisque le Ôà faire' n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du Créateur, comme on la dit ci-dessus (sol. 14). Aussi, quoique la créature corporelle soit faite en même temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange par la connaissance matutinale a reçu dans le Verbe la connaissance de lui-même comme à faire. C'est pourquoi on a déclaré dans la réponse ci-dessus que le premier jour n'a pas eu de matin, mais seulement un soir,.

 

# 17. Ce n'est pas de la réalité que la créature spirituelle reçoit la connaissance, mais elle la saisit (intelligat) naturellement par les formes, innées ou concréées; mais ces formes qui sont dans l'esprit de l'ange, ne se comportent pas également pour le présent et le futur; parce que celles qui sont présentes sont assimilées aux formes en acte qui sont dans les anges, et ainsi par elles, elles peuvent être connues; mais celles qui sont futures ne sont pas encore semblables en acte à ces formes; c'est pourquoi par les formes susdites le futur n'est pas connu, puisque la connaissance se fait par l'assimilation actuelle du connaissant et du connu. Et ainsi, puisque l'ange ne connaît pas le futur en tant que tel, il a besoin de la présence des choses, pour les connaître dans leur propre nature par les formes induites en lui; parce que, avant qu'elles soit faites, elles ne ressemblent pas aux formes. On a dit plus haut que la connaissance vespérale et la connaissance matutinale sont distinguées non du côté de ce qui est connu, mais du côté de l'intermédiaire à connaître. Car la connaissance matutinale se fait par un intermédiaire incréé, surpassant la nature de celui qui connaît et de ce qui est connu: c'est pourquoi la connaissance des choses par la forme dans le Verbe est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire, mais la connaissance vespérale se fait par un intermédiaire créé proportionné avec celui qui connaît et ce qui est connu, déjà fait, ou à faire.

 

# 18. Bien que l'ange ait l'être dans le Verbe avant que dans sa propre nature, parce que, cependant, la connaissance présuppose l'être de celui qui connaît, il n'a pas pu se connaître avant d'exister, mais la connaissance de lui-même dans sa propre nature, lui est naturelle, et celle du Verbe est surnaturelle; c'est pourquoi il a fallu qu'il se connût lui-même dans sa propre nature avant que dans le Verbe; puisque la connaissance naturelle précède en chacun, par origine, la connaissance surnaturelle comme son fondement. Autrement il a connu les choses dans l'ordre de la nature dans le Verbe par la connaissance matutinale avant que par connaissance vespérale dans sa propre nature; c'est pourquoi par rapport aux oeuvres suivantes le matin précède le soir; comme on l'a dit ci-dessus.

 

# 19. De même qu'une seule science totale comprend sous elle diverses sciences particulières, par lesquelles sont connues des conclusions diverses; de même la seule connaissance de l'ange qui est comme un tout, comprend sous elle la connaissance matutinale et la connaissance vespérale comme des parties, comme le matin et le soir sont des parties du jour, bien qu'ils soient de nature différente. Car les choses de nature différente, si elles sont ordonnées entre elles, peuvent constituer quelque chose d'unique; c'est pourquoi la matière et la forme, qui sont de nature différente, constituent un composé; et les chairs, les os et les nerfs sont les parties d'un seul composé. Car l'essence divine par laquelle les êtres sont connus dans le Verbe d'une connaissance matutinale est la raison de toutes les formes concréées dans l'esprit de l'ange; de même elles en dérivent comme des images, par lesquelles les choses sont connues dans leur nature propre, par la connaissance vespérale, de même l'essence de l'ange est pour lui la raison de comprendre l'être qu'il connaît, bien qu'elle ne soit pas parfaite, c'est pourquoi il a besoin des autres formes surajoutées.

 

Et ainsi, quand l'ange voit Dieu par son essence, et lui-même et les autres par les formes concréées, d'une certaine manière, il n'en saisit (intelligit) qu'une; de même, parce que la lumière est la raison de voir la couleur, quand l'oeil voit la lumière et la couleur il y voit d'une certaine manière un seul objet. Et quoique ces opérations soient réellement distinctes, puisque l'opération par laquelle il voit Dieu, demeure toujours, et est mesurée par une éternité participée; l'opération par laquelle il se comprend, demeure toujours, et est mesurée par l'ævum; et l'opération par laquelle il saisit (intelligit) les autres êtres, par les espèces innées ne demeure pas toujours mais succède à une autre: cependant parce que l'une est ordonnée à l'autre, et que l'une est comme la raison formelle de l'autre, elles sont une d'une certaine manière; parce que, là où il y a un objet près de l'autre[12], il n'y en a qu'un, comme il est dit en Topique, (III, 2, 117 a 5) et c'est pour cela que ces opérations dont l'une est ordonnée à l'autre, peuvent être ensemble et constituer un seul tout.

 

# 20. Comme l'esprit est le lieu des espèces intelligibles, il faut dire que la connaissance, qui apporte la mise en ordre des espèces intelligibles ou une faculté et une habilitation de l'esprit lui-même pour utiliser ces espèces, demeure après la mort, comme l'esprit, qui est le substrat des espèces de ce genre; mais le mode par lequel il s'en sert en acte dans le statut de la vie présente, qui est par conversion aux images, qui sont dans les pouvoirs des sens, ne demeurera pas; parce que, comme les puissances des sens se corrompent, l'âme ne pourra pas par les espèces qu'elle a acquises ici, ni par celles induites en elle dans la séparation même, saisir en se tournant vers les images, mais par elles saisir par un mode qui lui convient à la manière d'être semblable aux anges qu'elle aura. Donc la connaissance est détruite non quant à la possession, ni quant à la substance de l'acte de connaître, qui est spécifié par l'espèce de l'objet, mais quant au mode de connaître, qui ne se fera pas en se tournant vers les images, et c'est ainsi que le comprend l'Apôtre.

 

# 21. La lumière causée par le soleil et celle causée par la chandelle dans l'air, sont de même nature. Mais deux formes d'une seule nature ne peuvent être en même temps en acte parfait dans le même substrat; c'est pourquoi une seule d'entre elles est causée dans l'air et non les deux. Mais l'essence divine, par laquelle sont connues les choses dans le Verbe, est d'une autre nature que les espèces par lesquelles l'ange connaît les choses dans leur nature propre; c'est pourquoi ce n'est pas la même raison. En effet, quand arrive ce qui est parfait, l'imparfait qui lui est opposé, est éliminé, de même, quand arrive la vision de Dieu, la foi, qui concerne ce qui ne se voit pas, est éliminée. Mais l'imperfection de la connaissance vespérale n'est pas opposée à la perfection de la connaissance matutinale; car il n'y a pas opposition entre ce qui est connu en soi, et ce qui est connu dans sa cause: et de plus ce qui est connu par deux intermédiaires, dont l'un est plus parfait que l'autre n'a rien qui s'y oppose; de même pour une même conclusion, nous pouvons avoir une raison démonstrative et une raison dialectique.

 

Et semblablement, l'ange peut connaître une chose par le Verbe incréé, et par l'espèce innée; puisque l'une n'est pas opposée à l'autre, mais elle se comporte plutôt comme une disposition matérielle envers l'autre; car la perfection qui arrive enlève l'imperfection qui lui est opposée. Mais l'imperfection de la nature n'est pas opposée à la perfection de la béatitude, mais lui est soumise, comme l'imperfection de la puissance est soumise à la perfection de la forme, et la puissance n'est pas enlevée par la forme, mais c'est la privation qui lui est opposée, qui est enlevée; semblablement aussi l'imperfection de la connaissance naturelle n'est pas opposée à la perfection de la connaissance de gloire, mais elle lui est soumise comme une disposition matérielle. Et c'est pourquoi l'ange peut connaître en même temps les choses par un intermédiaire créé et dans leur nature propre, ce qui appartient à la connaissance vespérale et naturelle, et par l'essence du Verbe, qui appartient à la connaissance de gloire et matutinale; et l'une de ces opérations n'empêche pas l'autre, puisque l'une est ordonnée à l'autre et est comme sa disposition matérielle.

 

# 22. Augustin (Sur la Genèse, livre V, ch. 12 et 14) veut qu'au commencement de la création certaines choses distinctes, par leurs espèces, aient été produites dans leur nature propre, comme les quatre éléments, qui n'ont été produit de rien, les corps célestes et les substances spirituelles. Car une telle production ne présuppose pas la matière d'où et en quoi elle viendrait. Mais il est dit que les autres ont été produites dans les raisons séminales seulement, comme les animaux, les plantes et les hommes; qui tous par la suite ont été produits dans leur nature propre, par cette oeuvre où, après six de ces jours, Dieu administre la nature créée auparavant. De cette oeuvre, Jean a dit (5, 17) "Mon Père opère jusqu'à ce jour.". Et dans la production et la distinction des choses, il ne veut pas atteindre l'ordre du temps mais celui de la nature. Car toutes les oeuvres des six jours ont été faites en même temps dans le même instant, en acte ou en puissance, selon les raisons causales, pour que, par exemple, elles puissent être faites, par la suite, à partir d'une matière préexistante ou par le Verbe ou par les puissances actives induites dans la création même de la créature.

 

C'est pourquoi, en cherchant, mais sans l'assurer, il dit que l'âme du premier homme a été créée en même temps que les anges, en acte; il ne pense pas que cela a été fait avant le sixième jour, bien qu'il pense qu'en ce sixième jour même, l'âme du premier homme a été faite en acte; ainsi que son corps selon les raisons causales; parce que Dieu a induit un pouvoir passif à la terre pour que par la puissance active du Créateur, le corps de l'homme en soit formé. Et ainsi, en même temps, l'âme en acte et le corps en puissance passive ont été faits en rapport avec la puissance active de Dieu.

 

Ou, si on pense, en vérité, que l'âme n'a pas en soi d'espèce complète, mais est unie au corps comme une forme, et est naturellement une partie de la nature humaine, comme le veut Aristote, il faut dire que l'âme du premier homme n'a pas été produite en acte avant la mise en forme du corps; mais elle a été créée et induite dans le corps en même temps que la mise en forme du corps, comme Augustin le soutient expressément pour les autres âmes, (La Genèse au sens littéral, X, 17 ss). Car Dieu a institué les choses premières dans un parfait état de leur nature, selon que leurs espèces l'exigeaient. Mais comme l'âme raisonnable est partie de la nature humaine, elle n'a de perfection naturelle que selon qu'elle est unie à un corps. C'est pourquoi naturellement elle a l'être dans le corps, et être hors du corps est au-delà de sa nature; aussi il n'aurait pas été convenable qu'une âme soit créée sans corps.

 

Donc en soutenant l'opinion d'Augustin sur les oeuvres des six jours, on peut dire que, de même que, en ces six jours le corps du premier homme n'a pas été formé et produit en acte, mais en puissance seulement selon les relations causales; de même son âme n'a pas été produite alors en acte et en elle-même, mais dans sa ressemblance, en genre: et ainsi elle a précédé dans ces six jours, non en acte et en elle-même, mais selon une certaine ressemblance en genre, selon qu'elle s'accorde avec les anges dans la nature intellectuelle. Mais ensuite, par l'oeuvre par laquelle Dieu a administré la créature créée d'abord, l'âme fut en même temps produite en acte avec un corps mis en forme.

 

# 23. La réponse est éclairée par ce qui a été dit: parce que le corps humain n'a pas été produit en acte dans ces six jours, les corps des autres animaux non plus, mais seulement selon les relations causales, parce que Dieu dans la création même a induit un pouvoir dans les éléments, ou certaines raisons pour que les animaux puissent en être produits, par les étoiles ou la semence, par le pouvoir de Dieu. Donc ce qui a été produit en eux en acte pendant ces six jours, a été créé non pas successivement mais en même temps, mais d'autres selon les raisons séminales ont été produites en même temps en leur image.

 

# 24. Il faut dire comme à la solution 16, que la connaissance des choses par les espèces induites ou proportionnées aux choses est appelée vespérale dans leur nature propre; que la chose soit faite ou à faire, et quoique ces espèces se comportent de la même manière pour le présent et le futur. Non cependant que les choses présentes et futures se comportent également vis-à-vis de leurs espèces mêmes; parce que les choses présentes en acte ressemblent à leurs espèces, elles peuvent être connues en acte en elles-mêmes. Mais les choses futures ne leur ressemblent pas en acte, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire qu'elles soient connues par elle-même. Mais on ne dit pas que la connaissance vespérale, celle des choses dans la nature propre, vient du fait que les anges saisissent les espèces mêmes, par lesquelles ils connaissent, mais parce que par celles qu'ils ont reçues de la création, ils les connaissent dans la mesure où elles subsistent dans leur propre nature.

 

# 25. Selon Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 8), les anges, au commencement, virent dans le Verbe les créatures qui devaient être faites. Car on lit que celles qui ont été faites dans les opérations des six jours, ont été faites en même temps; c'est pourquoi aussitôt dès le commencement de la création, il y eut ces six jours, et par conséquent il faut qu'au commencement le bon ange ait connu le Verbe et les créatures en lui. Car celles-ci ont un être triple, comme on l'a dit ci-dessus.

 

1) Elles ont l'être dans l'art divin, qui est le Verbe, et il est fait mention d'un tel être quand il est dit:"Dieu dit, qu'il soit fait", c'est-à-dire il a engendré le Verbe, en qui il y avait ce qu'il fallait pour faire une telle oeuvre.

 

2) Elles ont l'être dans l'intellect angélique, il en est fait mention par ce qui est dit: "Il a été fait", à savoir par leur induction à partir du Verbe.

 

3) Elles ont l'être en elle-même dans leur propre nature.

 

Ainsi, l'ange aussi a une triple connaissance des choses; à savoir selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit et dans leur propre nature. Mais l'ange a une double connaissance du Verbe, l'une naturelle par laquelle il le connaît par sa ressemblance qui brille dans sa nature, en quoi consiste sa béatitude naturelle, à laquelle par son pouvoir il peut parvenir; il a de lui une autre connaissance surnaturelle et de gloire par laquelle il le connaît par son essence, en quoi consiste sa béatitude surnaturelle, qui excède le pouvoir de sa nature. Et par l'un et l'autre, le bon ange connaît les choses ou les créatures dans le verbe; mais par sa connaissance naturelle il connaît dans le Verbe imparfaitement; mais par la connaissance de gloire, il connaît même dans le Verbe plus pleinement et plus parfaitement.

 

1) La première connaissance dans le Verbe passe dans l'ange au commencement de sa création, c'est pourquoi dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, il est dit que "les anges qui demeurèrent , non par nature mais par grâce, dans cette béatitude dans laquelle ils ont été créés, possèdent le bien qu'ils ont." De même Augustin (Fulgence) La foi pour Pierre (ch. 3) dit: "Les anges, des esprits, ont reçu divinement le don d'éternité et de béatitude dans la création spirituelle de leur nature." Par celle-ci cependant, ils n'étaient pas absolument bienheureux, puisqu'ils étaient capables d'une perfection plus grande, mais relative, c'est-à-dire selon ce temps, comme le philosophe (Éthique I, 10, 1098 a) le dit, il y a des bienheureux en cette vie, pas absolument mais comme des hommes.

 

2) La seconde connaissance, à savoir celle de gloire, n'est pas arrivée à l'ange au commencement de sa condition, parce qu'ils ne furent pas créés bienheureux dans une béatitude parfaite; mais elle leur arriva au commencement, au moment où ils sont devenus bienheureux par leur conversion parfaite au bien. Donc ces six genres de chose ont tous été créés en même temps que l'ange, et dans le même instant, il connut tout dans le Verbe d'une connaissance naturelle ce que, par la suite, il connut plus pleinement dans le Verbe d'une connaissance surnaturelle, que les anges reçurent aussitôt après qu'ils aient rapporté leur connaissance naturelle à la louange du Verbe; comme cette connaissance naturelle est mesurée par l'aevum, elle coexiste toujours avec la connaissance surnaturelle du Verbe même, et avec la connaissance par laquelle il connaît par les espèces induites les créatures dans leur propre nature; c'est pourquoi ces trois connaissances existent en même temps, et l'une ne succède pas à l'autre. Car la connaissance des choses dans le Verbe, de ce qui est fait ou à faire, est appelée matutinale; et la connaissance des choses, qu'elle soit présente ou future, par un intermédiaire créé, est appelée vespérale.

 

# 26. Il n'est pas possible que l'ange voit le Verbe, ou son essence divine en tant qu'idée de ce qui est à faire, et non dans la mesure où il est la fin des bienheureux et l'objet de la béatitude, puisque l'essence divine en soi est objet de béatitude, et fin des bienheureux. Mais il n'est pas possible que quelqu'un voit l'essence divine en tant que nature de choses à faire et ne la voit pas en soi, et c'est pourquoi on concède la totalité de l'argument.

 

# 27. Il faut dire que certains ont voulu distinguer la connaissance prophétique de la connaissance des bienheureux, ils ont dit que les prophètes voient l'essence divine elle-même, qu'ils appellent le miroir de l'éternité; non cependant selon qu'il est objet des bienheureux et la fin de la béatitude; mais selon qu'il est la raison de ce qui est à faire, selon qu'il y a en elle les raisons des événements futurs, comme on le dit dans l'objection.

 

Mais cela est tout à fait impossible; car Dieu est l'objet de la béatitude et la fin des bienheureux selon son essence même. Pour cela Augustin, au livre V des Confessions (ch.4) dit: "Bienheureux qui te connaît même si celles-là, c'est-à-dire les créatures, il ne les connaît pas." Mais ce n'est pas possible que quelqu'un voit les raisons des créatures dans l'essence divine, sans voir l'essence elle-même; d'une part parce qu'elle est la raison de tout ce qui est fait (car la raison idéale, qui est la raison des choses à faire, n'ajoute rien à l'essence divine, sinon un rapport à la créature). D'autre part, même parce que c'est d'abord connaître quelque chose en soi (qui est connaître Dieu comme objet de béatitude) que connaître ce qui par comparaison à un autre (ce qui est connaître Dieu selon les raisons qui existent en lui); et c'est pourquoi il n'est pas possible que les prophètes voient Dieu selon les raisons des créatures et non selon qu'il est objet de béatitude.

 

Mais comme ils ne voient pas l'essence divine comme objet de béatitude, (d'une part parce que la vision évacue la prophétie, comme il est dit I Cor. 13, 8[13], d'autre part parce que cette vision n'apporte pas la connaissance divine, comme lointaine, mais proche, puisqu'ils le voient face à face), il en découle donc que les Prophètes ne connaissent pas l'essence divine, en tant qu'elle est la raison de ce qui doit être fait, ni les créatures dans le Verbe, comme les anges l'ont connu par connaissance matutinale. Car la vision prophétique n'est pas la vision de l'essence divine elle-même, et les prophètes, dans l'essence divine, ne voient pas ce qu'ils voient, comme l'ont vu les anges, mais par des images, selon l'éclairage de la lumière divine, comme le dit Denys (La hiérarchie céleste, IV) et les ressemblances de ce genre éclairées dans la lumière divine, ont plus la nature d'un miroir que l'essence de Dieu; car le miroir est ce en quoi apparaissent les formes des autres choses, ce qu'on ne peut pas dire de Dieu, mais une telle illumination de l'esprit prophétique, peut être appelée miroir, dans la mesure où en résulte là la ressemblance de la prescience divine de la vérité; et à cause de cela l'esprit du Prophète est appelé miroir de l'éternité, comme représentant par ces espèces la prescience divine, qui en son éternité voit tout de manière présente. C'est pourquoi la connaissance du prophète a plus de ressemblance avec la connaissance vespérale de l'ange qu'avec la connaissance matutinale, puisque celle-ci est faite par un intermédiaire incréé, mais la connaissance du prophète par un intermédiaire créé, à savoir par les formes imprimées, ou éclairées par la lumière divine, comme on l'a dit.

 

# 28. Selon Augustin, quand il est dit: "Que la terre produise l'herbe verdoyante", on ne comprend pas que les plantes aient été alors produites en acte et dans leur propre nature, mais qu'à ce moment-là il a été donné un pouvoir germinatif à la terre, pour produire les plantes par l'oeuvre de propagation; de sorte qu'on dit qu'alors la terre a produit totalement l'herbe verdoyante et le bois porteur de fruit, c'est-à-dire qu'elle a reçu le pouvoir de produire. Et il le confirme par l'autorité de l'Écriture, Gn. 2, 4, où il est dit: "Ce sont les générations du ciel et de la terre, quand elles ont été créées au jour où Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure des champs avant qu'elle se lève sur la terre; et toute l'herbe de la campagne avant qu'elle ne produise." On en tire deux conséquences:

 

1) Toute les oeuvres des six jours ont été créées le jour où Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs; et ainsi les plantes que l'on dit avoir été créées le troisième jour, ont été produites en même temps quand Dieu créa le ciel et la terre.

 

2) Les plantes ont alors été produites, non en acte, mais dans leurs raisons causales seulement, parce que pouvoir a été donné à la terre de les produire, et cela est expliqué quand il est dit qu'elle produisit "toute verdure des champs avant qu'elle naisse en acte de la terre" par l'oeuvre d'administration et "toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne pousse en acte". Donc avant qu'elles ne se naissent en acte sur la terre, elles ont été faites causalement dans la terre.

 

C'est confirmé par cette raison: dans ces premiers jours Dieu créa la créature causalement, originellement ou actuellement par une oeuvre dont il se reposa par la suite, qui cependant, selon la gestion des créatures, par l'oeuvre de propagation opère ensuite jusqu'à maintenant. Mais produire des plantes en acte de la terre, convient à l'oeuvre de la propagation, parce que, pour leur production, le pouvoir céleste suffit comme un père et le pouvoir de la terre comme une mère; c'est pourquoi il n'y eut pas de plantes produites le troisième jour en acte mais causalement seulement. Mais après les six jours, elles furent en acte selon leurs propres espèces, et produites dans leur propre nature par l'oeuvre de gestion; et ainsi avant que les plantes aient été produites causalement, rien n'a été produit, mais elles ont été produites en même temps que le ciel et la terre, de même les poissons, les oiseaux et les animaux ont été produits dans ces six jours causalement et non en acte.

 

# 29. Pour la sagesse d'un artisan dont toutes les oeuvres sont parfaites, tel qu'est Dieu, il convient de ne pas produire le tout par la partie principale, ni les parties séparées par le tout; parce que ni le tout séparé de la partie principale, ni les parties séparées du tout ont un être parfait. Donc comme les anges, selon leurs espèces, et les corps célestes et les quatre éléments sont les parties principales constituant un univers unique, puisqu'ils sont ordonnés l'un à l'autre, et s'épaulent l'une l'autre, il convient à la sagesse de Dieu que tout l'univers soit produit en même temps et non successivement avec les autres parties. Car, il doit y avoir une production unique d'un tout unique et de toutes ses parties et l'un n'est produit avant l'autre que par défaillance de l'agent. Mais Dieu est d'une puissance infinie, sans aucune défaillance, dont l'effet principal est tout l'univers. Donc Dieu créa tout l'univers avec toutes ses parties principales en même temps par une production unique.

 

Et quoique aucun ordre du temps n'ait été conservé dans la production de l'univers, cependant l'ordre de l'origine et de la nature fut conservé. Car, selon Augustin, l'oeuvre de création a précédé celle de distinction, dans l'ordre de la nature et non du temps, de même l'oeuvre de distinction a précédé l'oeuvre d'ornement dans l'ordre de la nature. A l'oeuvre de création convient la création du ciel et de la terre. Par le ciel, on comprend la production de la nature spirituelle sans forme; par la terre, la matière sans la forme des corps; qui toutes les deux, comme elles sont hors du temps, considérées selon leur essence ne sont pas soumises aux alternances des temps, comme le dit Augustin, (Confessions, XII, 8); c'est pourquoi la création de l'un et l'autre est placée avant tout jour, non que cette absence de forme ait précédé la formation dans le temps, mais dans l'ordre de l'origine et de la nature seulement, comme le son précède le chant.

 

Et même une seule formation, selon lui, ne précède pas l'autre en durée, mais seulement dans l'ordre de la nature: selon cet ordre il est nécessaire de placer d'abord la formation de la nature spirituelle suprême, parce qu'on lit que la lumière a été faite le premier jour, parce que la nature spirituelle est plus digne et l'emporte sur la nature corporelle; c'est pourquoi elle a dû être formée avant. Elle est formée du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe de Dieu. Mais de même que la lumière spirituelle et divine est plus digne que l'ordre naturel, et l'emporte sur la nature corporelle, de même, les corps supérieurs l'emportent sur les inférieurs. C'est pourquoi, le second jour, on atteint la formation des corps supérieurs, quand il est dit: "Que soit fait le firmament!", par lequel on comprend l'induction de la forme céleste dans la matière informe, qui n'existe pas d'abord dans le temps, mais dans l'origine seulement.

 

En troisième lieu, on place l'induction des formes élémentaires dans la matière sans forme qui n'existait pas avant dans le temps, mais qui précède dans l'origine et l'ordre de la nature. C'est pourquoi par ce qu'il dit: "Que les eaux se rassemblent et que la terre sèche apparaisse", on comprend que la forme substantielle de l'eau est induite dans la matière corporelle; par cette forme, un tel mouvement lui convient, ainsi que la forme substantielle de la terre, par laquelle il lui convient d'être vue ainsi: car l'eau s'est écoulée doucement, mais la terre a été fixée de façon stable, comme il le dit lui-même (La Genèse au sens littéral, II, 11); car sous le nom d'eau, on comprend aussi, selon Augustin, les autres éléments supérieurs qui ont été formés.

 

Dans les trois jours suivants, on place l'ornement de la nature corporelle. Car il fallut que les parties du monde soit formées et distinguées avant dans l'ordre de la nature, et que par la suite les parties singulières soient ornées, du fait qu'elles sont comme remplies de leurs habitants. Car le premier jour, comme on l'a dit, la nature spirituelle est mise en forme et séparée, le second jour les corps célestes, et le quatrième ils sont ornés, mais le troisième jour sont mis en forme et séparés les corps inférieurs, c'est-à-dire l'air, l'eau et la terre. dont l'air et l'eau en tant que plus dignes sont ornés le cinquième jour, mais la terre, qui est un corps le plus bas, est ornée le sixième jour. Et ainsi la perfection des oeuvres divines répond à la perfection du nombre six[14], qui surgit de ses parties aliquotes, en même temps et prises ensemble; qui sont un, deux, trois. Car un jour est dévolu à la formation et à la distinction de la créature spirituelle, deux jours à la formation et la distinction de la nature corporelle et trois à l'ornement. Car un, deux et trois font six, et six fois un font six, et deux fois trois six et trois fois deux six. Donc parce que le nombre six est le premier nombre parfait, la perfection des choses et des oeuvres divines est désignée par le nombre six. Donc l'ordre de la nature est conservé non pour la durée, dans la productions des oeuvres divines.

 

# 30. Les luminaires ont été faits en acte et non en puissance seulement, comme les plantes, car le firmament n'a pas le pouvoir de produire les luminaires, comme la terre a le pouvoir de produire les plantes, c'est pourquoi l'Écriture ne dit pas que "Que le firmament produise les luminaires", comme elle dit: "Que la terre fasse pousser une herbe verdoyante,", c'est-à-dire qu'elle reçoive le pouvoir de produire. Donc les luminaires ont été produits en acte, avant les plantes en acte; bien que les plantes soient en puissance et produites causalement avant les luminaires en acte. De même, il a été dit que l'oeuvre de distinction dans l'ordre de la nature précède l'oeuvre d'ornement; mais les luminaires conviennent à l'ornement du ciel; et les plantes, surtout selon leur être virtuel, n'appartiennent pas à l'ornement de la terre, mais plutôt à sa perfection. Car à la perfection du ciel et de la terre, semble appartenir ce qui seulement est à l'intérieur du ciel et de la terre. Mais l'ornement appartient à ce qui est différent du ciel et de la terre; ainsi l'homme est achevé par ses parties et ses formes propres, mais il est orné par les vêtements ou quelque chose de ce genre. Mais la distinction de certains est surtout manifestée par le mouvement local, par lequel ils se séparent les uns des autres. Et c'est pourquoi. la production de ce qui a le mouvement dans le ciel ou sur la terre convient à l'oeuvre d'ornement.

 

Mais les luminaires, selon Ptolémée, ne sont pas fixés dans les sphères, mais ont un mouvement séparé d'elles; selon l'opinion d'Aristote, les étoiles sont fixées dans les orbes, et ne sont mues en vérité que par leur mouvement; cependant le mouvement des luminaires et des étoiles est perçu par les sens, mais pas celui des sphères. Mais Moïse, se mettant à portée d'un peuple rude, a suivi ce qui apparaît aux sens, en disant que les luminaires appartiennent à l'ornement du firmament. Les plantes n'appartiennent pas à l'ornement de la terre, mais les animaux seulement. Car n'importe quoi appartient à l'ornement de ce lieu en lequel il est mû ou vraiment ou apparemment, et non en celui où il se repose. Mais les plantes s'enfoncent dans la terre jusqu'à la racine, c'est pourquoi elles n'appartiennent pas à son ornement, mais elles sont comptées avec elle et sa perfection. Mais les étoiles, même si elles sont mues dans ciel par soi, sont cependant mues par accident et en apparence. Par contre, les plantes ne sont mues en aucune manière. Et c'est pourquoi les plantes qui appartiennent à la perfection intrinsèque des parties de l'univers, à savoir de la terre, durent êtres produites dans l'ordre de la nature avant les luminaires qui appartiennent à l'ornement du ciel.

 

# 31. La terre et l'eau, dont il est fait mention au commencement, avant la production du firmament, ne sont pas reçues, selon Augustin (La Genèse contre les Manichéens, VII et V), pour l'élément terre et eau mais sous le nom de la terre et de l'eau, dans le lieu susdit, on comprend la matière première sans forme dénuée de toute espèce. Car Moïse ne pouvait, parlant à un peuple rude, exprimer la matière première, que sous l'image de ce qu'ils connaissaient et qui est plus proches de l'absence de forme, à savoir ayant plus de matière et moins de forme; c'est pourquoi il l'exprime sous une image multiple, ne l'appelant pas seulement terre ou eau, mais terre et eau, pour que, s'il en exprimait seulement un autre, on croirait que c'est véritablement la matière première. Cependant elle a une ressemblance avec la terre, en tant qu'elle est à l'état latent qu'elle demeure avec les formes, comme la terre avec les plantes etc.. Mais la terre parmi tous les éléments a moins d'espèce, puisqu'elle est un élément plus concret, ayant beaucoup de matière, et peu de forme. Mais elle ressemble à l'eau, dans la mesure où elle est destinée à recevoir diverses formes. Car l'humide, qui convient à l'eau, est bien susceptible d'être reçu et limité.

 

Et selon cela, la terre est appelé vide et déserte, ou invisible et non composée, parce que la matière est connue par la forme; c'est pourquoi, considérée en soi, on la dit invisible, c'est-à-dire inconnaissable, et vide, dans la mesure où la forme est la fin à laquelle tend l'appétit de la matière; car on appelle vide, ce qui est privé de sa fin ou on l'appelle vide par comparaison au composé dans lequel elle subsiste; car la vide est opposé à la solidité et à la consistance. On l'appelle non composée parce qu'elle ne subsiste pas sans composé, et elle n'a pas la beauté de ce qui est en acte. On l'appelle déserte, parce que la puissance de la matière est complétée par la forme; c'est pourquoi Platon (dans le Timée) a dit que la matière était un lieu, parce que sa réceptivité est d'une certaine manière semblable à celle du lieu, dans la mesure où dans une matière qui demeure, se succèdent différentes formes; comme, dans un seul lieu, différents corps; c'est pourquoi ce qui appartient au lieu, est appelé matière par ressemblance; et ainsi la matière est dite déserte, parce qu'elle manque de la forme, qui comble sa capacité et sa puissance. Donc la matière première sans forme, par l'origine et la nature, est avant la formation du firmament, qui cependant par nature a été formé, avant la terre et l'eau, dont on fait mention le troisième jour, comme on l'a dit ci-dessus.

 

# 32. Augustin (La cité de Dieu, XI, 33) veut qu'il ne fut pas convenable que Moïse ait omis la production de la créature spirituelle; et pour cela quand il est dit:"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre", par ciel, il dit qu'on comprend la créature spirituelle, encore sans forme, et par terre, la matière corporelle encore sans forme. Et parce que la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, elle a dû être formée avant. Donc la formation de la nature spirituelle est signifiée par la production de la lumière, pour qu'on le comprenne de la lumière spirituelle; car la formation de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe de Dieu, non par une gloire parfaite, avec laquelle elle n'a pas été créée, mais par la lumière de la grâce, avec laquelle elle a été créée. Mais une telle lumière spirituelle précède le firmament dans l'ordre de la nature. Mais selon d'autres docteurs, la lumière produite le premier jour fut corporelle; laquelle est produite dans le ciel le premier jour, avec la substance du soleil selon la nature commune de la lumière; mais le quatrième jour son pouvoir a été réglé pour des effets déterminés.

 

# 33. Comme la production de ces animaux, appartient à l'ornement des parties de l'univers, elle est ordonnée selon l'ordre de ces parties qui sont ornées par elles, plus que selon leur propre dignité. Alors l'air et l'eau, à l'ornement desquelles appartiennent les poissons et les oiseaux sont, par ordre de nature, avant et plus dignes que la terre, à l'ornement de laquelle appartiennent les animaux qui marchent; c'est pourquoi la production des volatiles et des poissons, ou des animaux qui nagent, dut être décrite avant celle de ceux qui marchent. On pourrait dire, que la voie de la génération passe de l'imparfait imparfaites au parfait, et dans cet ordre, parce que ce qui est moins parfait est produit avant dans l'ordre de la nature. Car, dans la voie de la génération, plus quelque chose est parfait, et plus il ressemble à l'agent, plus il est tardif dans le temps, bien qu'il soit premier en nature et dignité. Et c'est pourquoi, parce que l'homme est le plus parfait des animaux, il a dû être créé en dernier parmi eux, et non immédiatement après les corps célestes, qui ne sont pas ordonnés aux corps inférieurs selon la voie de la génération, puisqu'ils ne communiquent pas dans la matière avec eux, mais ont une matière d'une autre nature[15].

 

# 34. Les oiseaux et les poissons s'accordent plus entre eux quant à la matière d'où ils sont produits, qu'avec les animaux terrestres. Car on dit que les poissons et les oiseaux sont faits d'eau; les poissons, d'une eau plus épaisse; et les oiseaux d'une eau plus subtile, parce qu'elle a été décomposée en vapeur comme intermédiaire entre l'air et l'eau; et c'est pour cela que les oiseaux s'élèvent dans l'air, et que les poissons sont laissé aux profondeurs de l'eau. Mais les animaux sont destinés à différents jours ou à un seul, selon l'unité ou la diversité de la matière dont leur corps est composé. Donc comme on dit que les poissons et les oiseaux sont composés d'eau, parce que, alourdis par leur propre structure, par comparaison à celle due au genre commun, ils ont, en leur composition, plus d'eau que les autres animaux; mais on dit que les animaux terrestres sont composés de terre, c'est pour cela qu'on compte un jour pour la production des poissons et des oiseaux, et un autre pour la production des animaux terrestres. D'autre part la production des animaux est racontée seulement selon qu'ils sont dans l'ornement des parties du monde et c'est pourquoi les jours de production des animaux sont seulement distingués selon cette convenance ou cette différence par laquelle ils se ressemblent ou diffèrent en ornant une partie du monde. Mais parce que le feu et l'eau ne sont pas distingués par le peuple parmi les parties du monde, ils ne sont pas nommés expressément par Moïse, mais comptés avec ce qui est l'intermédiaire, c'est-à-dire l'eau, surtout pour la partie inférieur de l'air. C'est pourquoi pour les oiseaux et les poissons, qui appartiennent à l'ornement de l'eau et de l'air, à la partie inférieure de l'air, qui rejoint l'eau, un jour est réservé, mais pour tous les animaux terrestres, qui appartiennent à l'ornement de la terre, c'est un autre jour.

 

Réponse aux arguments en sens contraire:

 

Si quelqu'un veut soutenir l'opinion de Grégoire et des autres, qui pensent, qu'entre ces jours, il y eut une succession temporelle et que la productions des choses a été faite successivement (de sorte que quand le ciel et la terre ont été créés, il n'y avait pas encore de lumière ni de firmament formé, et la terre n'était pas découverte par les eaux, ni les luminaires du ciel formés), on peut répondre ainsi:

 

# 1. Au premier argument, on dit que le jour où Dieu créa le ciel et la terre, c'est-à-dire les corps célestes, et les quatre éléments selon leurs formes substantielles, il créa aussi toute la verdure des champs, non en acte, avant qu'elle sorte sur la terre, mais en puissance, parce que, par la suite, le troisième jour, elle a été amenée à l'existence en acte.

 

# 2. Selon Grégoire (Les Morales, livre 33, ch. 9), quand Dieu créa l'ange, il créa aussi l'homme, non en acte, ou en soi, mais en puissance, ou en sa ressemblance, dans la mesure où il s'accorde avec les anges selon l'intellect, mais par la suite, le sixième jour, il a existé en acte et produit en lui-même.

 

# 3. Ce n'est pas la même disposition pour une chose déjà parfaite et pour celle qui est en devenir. Aussi quoique la nature du monde parfait et complet exige que toutes les parties essentielles de l'univers existent en même temps, il a pu cependant en être autrement au commencement du monde, ainsi dans l'homme parfait, le coeur ne peut pas exister sans les autres parties, et cependant, dans la formation de l'embryon, le coeur est engendré avant tous les membres. Ou on peut dire qu'en ce commencement, il y eut les corps célestes, et tous les éléments selon leurs formes substantielles, produits en même temps que les anges, qui sont les parties principales de l'univers, mais les jours suivants, il y eut dans la nature même déjà produite quelque chose de fait, concernant la perfection et la beauté de ces parties déjà produites.

 

# 4. Quoique les docteurs grecs aient tenu à ce que la créature spirituelle ait été créée avant la créature corporelle, cependant les docteurs latins pensent que les anges ont été créés en même temps que la nature corporelle, pour conserver le fait que l'univers, quant à ses parties principales avait été produit en même temps. En effet, comme les créatures corporelles sont un tout dans la matière créée, et que la matière corporelle de la créature a été créée en même temps que les anges, d'une certaine manière on peut dire que tout a été créé en même temps, en acte ou en puissance. Mais les anges ne se rencontrent pas dans la matière avec la créature corporelle, c'est pourquoi, les anges une fois créés, il n'y aurait pas eu en quelque manière une nature corporelle créée, ni par conséquent pas d'univers même; aussi il est raisonnable qu'ils aient été produits en même temps que la nature corporelle. Et ainsi tous les corps ont été créés ensemble, non en acte, mais quant à la matière sans forme d'une certaine manière; par la suite successivement par la distinction et l'ornement de la créature qui préexistaient déjà en acte, ils ont été produits d'une certaine manière.

 

# 5. De même que la créature n'a pas l'être d'elle-même, elle n'a pas non plus sa perfection d'elle-même, mais de Dieu; c'est pourquoi, comme pour montrer que la créature reçoit l'être de Dieu et non d'elle-même, il a voulu que d'abord elle ne soit pas et qu'ensuite elle soit; de même aussi pour montrer que la créature n'aurait pas sa perfection d'elle-même, il a voulu d'abord qu'elle soit imparfaite, et qu'ensuite successivement elle soit achevée par l'oeuvre de distinction et d'ornement. Ou il faut dire que, dans la création non seulement on doit montrer le pouvoir de la puissance, mais aussi l'ordre de la sagesse divine, pour que, ce qui est avant par nature soit constitué avant aussi; et ainsi ce n'est pas par l'impuissance de Dieu, comme s'il manquait de temps pour opérer, que tout n'est pas produit en même temps, distingué et orné, mais pour que l'ordre de la sagesse soit conservé dans la constitution des créatures. Et c'est pourquoi il a fallu que différents jours soient conservés pour les différentes situations du monde. Car après l'oeuvre de la création, toujours par l'oeuvre suivante, une nouvelle situation de perfection a été ajoutée au monde, et c'est pourquoi pour montrer cette perfection et cette nouveauté, Dieu a voulu qu'à chaque distinction et à chaque ornement réponde un jour et (montrer) que cela ne venait pas d'une impuissance ou d'une lassitude de l'agent.

 

# 6. Cette lumière, qui lit-on, a été créée le premier jour, selon Grégoire et Denys, est la lumière du soleil; qui, en même temps avec la substance des luminaires, qui est son substrat, fut produite le premier jour selon la nature habituelle de la lumière. Mais le quatrième jour, un pouvoir déterminé a été attribué aux luminaires pour des effets déterminés, selon que nous voyons que le rayon du soleil a des effets différents du rayon de la lune et ainsi de suite. Et c'est pour cela que Denys (Les noms divins, ch. 4) dit que cette lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, du fait qu'elle était déjà substance du soleil, et avait en commun le pouvoir d'éclairer, mais après le quatrième jour, elle a été mise en forme, non dans la forme substantielle qu'elle eut le premier jour, mais selon les conditions accidentelles par la disposition d'un pouvoir déterminé du fait que par la suite un pouvoir spécial et déterminé lui a été donné pour des effets particuliers. Et ainsi dans sa production, la lumière a été distinguée des ténèbres de trois manières:

 

1) Quant à sa cause, selon que celle-ci était dans la substance du soleil, mais la cause des ténèbres était dans l'opacité de la terre.

 

2) Elle a été distinguée, quant au lieu, parce que, dans un hémisphère il y avait la lumière, et dans l'autre, les ténèbres.

 

3) Quant au temps, parce que dans un même hémisphère, il y avait la lumière une partie du temps et les ténèbres dans l'autre. Et c'est ce qui est dit (Gn 1, 5): "Il appela lumière jour et les ténèbres nuit". Ainsi cette lumière ne recouvrait pas la terre partout, parce que, dans un hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et ce n'était pas toujours le jour d'un côté, et la nuit de l'autre, mais dans le même hémisphère, selon une partie du temps c'était le jour, et selon l'autre la nuit.

 

# 7. Le mouvement dans le ciel est double. L'un est commun à tout le ciel qui est appelé diurne, et il produit le jour et la nuit; et ce mouvement paraît avoir été institué le premier jour où a été produite sans forme la substance du soleil et des autres luminaires, comme on l'a dit. Mais l'autre est le mouvement propre qui est diversifié selon les différents corps célestes; selon lesquels le mouvement est devenu diversité des jours entre eux, des mois et des années. Le premier jour, a été faite la distinction commune du temps en jour et nuit, selon le mouvement diurne, qui est commun à tout le ciel, qui peut être compris comme ayant commencé le premier jour, et c'est pourquoi, en ce premier jour, on fit mention de la seule distinction de le nuit et du jour, qui se fait par le mouvement diurne commun à tous les cieux. Mais le quatrième jour a été faite la distinction quant aux distinctions spéciales des jours et des temps, selon qu'un jour est plus chaud qu'un autre et un temps plus qu'un autre et une année plus qu'une autre; ce qui se fait selon les mouvements spécifiques et propres des étoiles qui peuvent être compris comme ayant commencé le quatrième jour. C'est pourquoi au quatrième jour, il est fait mention de la diversité des jours, des temps, et des années, quand il est dit (ibid 14): "Et qu'il y ait dans les temps, des jours et des années". Cette diversité se fait par des mouvements propres. Et ainsi ces trois premiers jours qui ont précédé la formation des luminaires ont été de la même nature que les jours que le soleil fait maintenant quant à la commune distinction du temps selon le jour et la nuit, qui se fait par le mouvement diurne commun à tout le ciel, mais non quant aux distinctions spécifiques des jours qui se fait selon les mouvements propres.

 

# 8. Certains disent que la lumière, celle qui lit-on, a été créée le premier jour, a été une nuée brillante qui, ensuite, quand le soleil a été créé, retourna à la matière préexistante. Mais cela ne convient pas, parce que l'Écriture au commencent de la Genèse rappelle la constitution de la nature qui a demeuré par la suite; c'est pourquoi, on ne doit pas dire que quelque chose a été fait alors, qui aurait cessé après un peu de temps. Et c'est pourquoi, d'autres disent que cette nuée brillante demeure encore, et est jointe au soleil, de sorte qu'elle ne puisse pas en être discernée. Mais ainsi, cette nuée demeurerait superflue, mais rien n'est vain ou superflu dans les opérations de Dieu. Et c'est pourquoi d'autres disent, que de cette nuée a été formé le corps du soleil. Mais on ne peut pas le dire, si on pense que le corps du soleil n'est pas de la nature des quatre éléments, mais est incorruptible par nature; parce qu'alors sa matière ne peut pas exister sous une autre forme.

 

Et c'est pourquoi il faut dire, comme Denys le dit, (Les noms divins, ch. 4), que cette lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, elle était déjà substance du soleil et avait le pouvoir de tout éclairer, mais par la suite le quatrième jour lui a été donné un pouvoir spécifique et déterminé pour des effets propres et particuliers. Et ainsi le jour et la nuit devenaient par le mouvement circulaire de cette lumière où elle arrivait et d'où elle repartait. Et il n'est pas inconvenant que les substances des sphères, qui renvoyait cette lumière d'un mouvement commun et diurne, ait existé au début de la création, auxquelles par la suite des pouvoirs ont été ajoutés dans les oeuvres de distinction et d'ornement.

 

# 9. Dans la production de la lumière, on comprend la qualité de luminosité et de transparence qui est ramenée au genre de la lumière, a été alors placée dans les corps lumineux et transparents. Et parce que le soleil est principe et source de la lumière, éclairant les corps supérieurs et inférieurs, Denys comprend par elle la lumière sans forme du soleil, qui distinguait d'un mouvement commun et diurne, le jour et la nuit, comme il le fait maintenant.

 

# 10. Et cela éclaire la réponse à l'argument 10, parce que cette lumière ne fut pas vraiment une nuée selon sa substance, qui par la suite aurait cessé d'exister, mais elle pu être appelée nuée selon la ressemblance de sa nature, parce que, de même qu'une nuée lumineuse reçoit la lumière du soleil dans une clarté moindre que celle qui est dans la source, de même aussi la substance du soleil eut d'abord dans ces trois premiers jours une lumière imparfaite et comme sans forme, qui par la suite a été achevée le quatrième jour; c'est pourquoi, cette substance lumineuse du soleil a existé, parce que, au commencement de la création, elle eut une forme substantielle, mais on dit que le soleil a été fait d'elle le quatrième jour, non selon la substance, mais par addition d'un nouveau pouvoir, de même qu'on dit que de l'homme non musicien, qu'il est devenu musicien, non en substance, mais par son pouvoir.

 

[1] Ia, 66, a.1 – Ia, 69, a. 1, –Ia, q. 74, a. 2 –II Sent. d12a4.

 

[2] Trad. B. J. "C'est Toi qui as fait ce qui est passé, et ce qui arrive maintenant et ce qui arrivera plus tard." TOB. "Car tu as fait les événements d'autrefois, de maintenant et du futur; tu as médité le présent et l'avenur et ce que tu avais dans l'esprit est venu à l'existence."

 

[3] "Lors donc que nous entendons: "Et Dieu dit: que cela soit, nous comprenons qu'il était dans le Verbe de Dieu que cela fut fait". Et ainsi fut fait, suffit à nous faire comprendre que Dieu a dit cela en son Verbe et l'a fait pas son Verbe." (Trad. BA)

 

[4] C'est-à-dire réels.

 

[5] Angelos, éd. Vivès et Marieti. Je me permets de lire angelus, peut-être à tort, ne voyant pas quelle fonction donner à angelos.

 

[6] Thomas Lectio VI, n° 59.

 

[7] Il s'agit de l'article précédent qu. 4, a. 1.

 

[8] Cf. La pierre d'angle (Ps. 11, 72; Rm 9, 33; Eph. 2, 20, etc..

 

[9] "Si donc les anges prennent rang sans l'oeuvre des six jours, ils sont assurément cette lumière appelée jour et non pas le premier jour, mais un seul jour pour en recommander l'unité." (Trad; L. Moreau)

 

[10] Cf. Sol. 15, § 2.

 

[11] Cf. Sol. 14, fin.

 

[12] "Près de" est traduit en rapport avec le texte d'Aristote. "En outre quand deux choses sont très voisines l'une de l'autre... il faut les considérer en partant de leurs conséquents." (Tra. J. Tricot).

 

[13] I Co. 13, 8: "La charité ne passera jamais. Les Prophéties? Elles disparaîtront.".

 

[14] Sans doute inspiré d'Augustin .

 

[15] Cf. II Sent. d12q1a1.

 

 

 

Question 5: La conservation des créatures dans l'être par Dieu.

q. 5 pr. 1 Et primo quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta omni Dei actione, per se in esse remaneant.

1. Les créatures sont-elles conservées dans l’être par Dieu, ou encore si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en l’être par elles-mêmes?

q. 5 pr. 2 Secundo utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in esse c onservetur absque Deo.

2. Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans l’être par soi et sans lui?

q. 5 pr. 3 Tertio utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere.

3. Dieu peut-il ramener les créatures au néant?

q. 5 pr. 4 Quarto utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in nihilum redigatur.

4. Une créature doit-elle retourner au néant, ou même y retourne-t-elle?

q. 5 pr. 5 Quinto utrum motus caeli quandoque deficiat.

5. Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?

q. 5 pr. 6 Sexto utrum sciri possit ab homine quando motus caeli finiatur.

6. L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?

q. 5 pr. 7 Septimo utrum cessante motu caeli elementa remaneant.

7. Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?

q. 5 pr. 8 Octavo utrum cessante motu caeli remaneat actio et passio in elementis.

8. Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments?

q. 5 pr. 9 Nono utrum plantae et animalia bruta et corpora mineralia remaneant post finem mundi.

9. Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde?

q. 5 pr. 10 Decimo utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante.

10. Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel?

 

 

Article 1: Les créatures sont-elles conservées à l'être par Dieu ou même si on restreint toute action de sa part, demeurent-elles en l'être par elles-mêmes?

 

q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum res conserventur in esse a Deo, an etiam circumscripta omni Dei actione, per se in esse remaneant. Et videtur quod sic.

 

Il semble que oui:

 

Objections[1]:

 

q. 5 a. 1 arg. 1 Dicitur enim Deut. XXXII, 4: Dei perfecta sunt opera. Ex hoc sic arguitur. Perfectum est cui nihil deest, secundum philosophum. Ei autem aliquid deest ad suum esse quod non potest esse nisi aliquo exteriori agente. Ergo huiusmodi perfectum non est; Dei ergo talia opera non sunt.

1. Car il est dit en Dt. 32,4: "Les oeuvres de Dieu sont parfaites". On argumente ainsi: Est parfait ce à quoi rien ne manque, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 10[2]). Il manque quelque chose à l'être de celui qui ne peut pas exister sans un agent extérieur. Donc il n'est pas parfait; donc il n'y a pas de telles oeuvres qui viennent de Dieu.

 

q. 5 a. 1 arg. 2 Sed dicebat, quod opera Dei non sunt perfecta simpliciter, sed secundum suam naturam.- Sed contra, perfectum secundum suam naturam est quod habet illud cuius sua natura est capax. Sed quidquid habet totum illud cuius sua natura est capax, potest remanere in esse, omni Dei conservatione exteriori cessante. Ergo si creaturae aliquae sunt perfectae secundum suam naturam, possunt remanere in esse, Deo non conservante. Probatio mediae. Deus conservando res, aliquid agit: propter quod dicitur Ioan. V, 17: pater meus usque modo operatur, et ego operor, ut dicit Augustinus. Agente autem aliquid operante, effectus aliquid recipit. Ergo quamdiu Deus conservat res, semper res conservatae aliquid a Deo recipiunt: quamdiu ergo res conservatione indiget, nondum totum habet cuius est capax.

2. Mais on pourrait dire que les oeuvres de Dieu ne sont pas parfaites dans l'absolu, mais parfaites dans leur nature. – En sens contraire [1[3]] est parfait en sa nature ce qui a ce dont elle est capable. [2] Mais tout ce qui a tout ce dont sa nature est capable peut demeurer dans l'être, si toute conservation extérieure de Dieu cesse. [3] Donc si des créatures sont parfaites en leur nature, elles peuvent demeurer dans l'être, sans que Dieu les y conserve. Preuve de l'argument intermédiaire: [2] Dieu en conservant fait quelque chose; c'est pour cela qu'il est dit en Jn 5 ,17: "Mon Père opère jusqu'à maintenant et moi aussi j'opère", comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, V, XII, 22[4]). Si l'agent fait quelque chose, l'effet le reçoit. Donc tant que Dieu les conserve, ces êtres conservés reçoivent toujours quelque chose de Dieu: donc tant que l'être a besoin d'être conservé, il n'a pas encore tout ce dont il est capable.

 

q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, unumquodque non est perfectum nisi perficiat hoc ad quod est. Sed principia ad hoc sunt, ut rem in esse conservent. Si ergo principia creata rerum non possunt rem in esse tenere, sequitur ea esse imperfecta, et ita non esse Dei opera: quod est absurdum.

3. Tout être n'est parfait que s'il accomplit ce pour quoi il existe. Mais les principes sont pour conserver la créature dans l'être. Donc si les principes créés ne peuvent la conserver, il s'ensuit qu'ils sont imparfaits et qu'ils ne sont pas les oeuvres de Dieu, ce qui est absurde.

 

q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, Deus est causa rerum sicut efficiens. Sed cessante actione causae efficientis, remanet effectus; sicut cessante actione aedificatoris, remanet domus, et cessante actione ignis generantis, adhuc remanet ignis generatus. Ergo et cessante omni Dei actione, adhuc possunt creaturae in esse remanere.

4. Dieu est en quelque sorte la cause efficiente des créatures. Mais si l'action de la cause efficiente cesse, l'effet demeure. Ainsi quand cesse l'action du bâtisseur, la maison demeure et quand cesse l'action du feu qui engendre, reste le feu qui en est engendré. Donc quand toute action de Dieu cesse, les créatures peuvent encore demeurer dans l'être.

 

q. 5 a. 1 arg. 5 Sed dicebat, quod agentia inferiora sunt causa fiendi et non essendi; unde esse effectuum remanet remota actione causarum fieri. Deus autem est causa rebus non solum fiendi, sed essendi. Unde esse rerum remanere non potest, divina actione cessante.- Sed contra, omnis res generata habet esse per suam formam. Si ergo causae inferiores generantes non sunt causae essendi, non erunt causae formarum; et ita formae quae sunt in materia, non sunt a formis quae sunt in materia secundum sententiam philosophi, qui dicit, forma quae est in his carnibus et ossibus, est a forma quae est in his carnibus et ossibus: sed sequitur quod formae in materia sint a formis sine materia, secundum sententiam Platonis, vel a datore formarum, secundum sententiam Avicennae.

5. Mais on pourrait dire que les agents inférieurs sont causes du devenir et non de l'être; c'est pourquoi l'être des effets demeure, une fois retirée l'action des causes du devenir. Mais Dieu est la cause non seulement de leur devenir mais de leur être. C'est pourquoi l'être des choses ne peut pas demeurer, si l'action divine cesse. – En sens contraire: tout ce qui est engendré possède l'être par sa forme. Si donc les causes inférieures qui engendrent ne sont pas causes de l'être, elles ne seront pas causes des formes, et ainsi les formes qui sont dans la matière ne viennent pas des formes qui sont en elle, comme l'affirme le Philosophe, (Métaphysique, VII, 8, 1034 a 5[5]), qui dit que la forme qui est dans ces chairs et ces os vient de celle qui est dans ces chairs et ces os. Mais il s'ensuit que les formes dans la matière viennent des formes sans matière, selon l'opinion de Platon - ou du pourvoyeur de formes - selon l'opinion d'Avicenne (Métaphysique, IX, ch. 5, 410-411 et surtout 413).

 

q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea, ea quorum esse est in fieri, non possunt remanere cessante actione agentis, ut patet de motu et de agone, et similibus; illa vero quorum esse est in facto esse, possunt remanere etiam agentibus remotis. Unde Augustinus dicit: praesente lumine non factus est aer lucidus, sed fit; quia si factus esset, non fieret; sed absente lumine lucidus remaneret. Multae autem creaturae sunt quorum esse non est in fieri, sed in facto esse; ut patet de Angelis, et de corporibus etiam omnibus. Ergo, cessante actione Dei agentis, creaturae possunt remanere in esse.

6. Ceux dont l'être est en devenir ne peuvent demeurer, quand cesse l'action de l'agent, comme cela est évident pour le mouvement et la lutte, etc.. Mais ce dont l'être est dans un être produit peut demeurer, même si les agents sont écartés. C'est pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, VIII, XII, 26[6]) dit: "Quand la lumière est présente, l'air qui n'était pas devenu lumineux, le devient; parce que, s'il était devenu lumineux, il ne le deviendrait pas; mais en l'absence de lumière, il demeurerait lumineux". Mais il y a beaucoup de créatures dont l'être n'est pas en devenir, mais déjà produit; comme c'est évident pour les anges et même pour tous les corps. Donc, si l'action de Dieu agent cesse, les créatures peuvent demeurer dans l'être.

 

q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea, causae inferiores generantes sunt rebus generatis causae essendi, ut supra probatum est; non tamen sicut causae principales et primae, sed sicut causae secundae. Causa autem prima essendi, quae Deus est, rebus generatis non dat principium essendi, nisi mediantibus causis secundis praedictis. Ergo nec permanentiam in esse, quia eadem res per idem habet esse et in esse conservatur. Sed esse generatorum conservatur ex ipsis principiis essentialibus generatorum, cessantibus causis secundis agentibus. Ergo etiam cessante causa prima agente, quae Deus est.

7. Les causes inférieures qui engendrent sont causes d'être pour ce qui est engendré, comme on l'a prouvé plus haut; non cependant comme causes principales et premières, mais comme causes secondes. Mais la cause première de l'être, qui est Dieu, ne donne le principe d'être aux choses engendrées que par l'intermédiaire des causes secondes, dont on a parlé. Donc il ne donne pas non plus la permanence dans l'être, parce qu'une même chose a l'être et est conservé dans l'être par le même. Mais l'être de ce qui est engendré est conservé par les principes essentiels de ceux qui les engendrent, si cessent les causes secondes qui agissent. Donc aussi quand cesse la cause première efficiente, qui est Dieu.

 

q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea, si res aliqua deficit esse, aut hoc est propter materiam, aut propter hoc quod est ex nihilo. Materia autem non est causa corruptionis nisi secundum quod est subiecta contrarietati; non autem in omnibus creaturis est materia contrarietati subiecta. Ergo illa in quibus non est materia contrarietati subiecta, sicut sunt corpora caelestia et Angeli, non possunt deficere ratione materiae, nec iterum ratione eius quod sunt ex nihilo, quia ex nihilo nihil sequitur et nihilum nihil agit, et ita non corrumpit. Ergo cessante omni actione divina, huiusmodi res esse non deficerent.

8. Si quelque chose est défaillante en son être, c'est à cause de la matière ou parce qu'elle vient du néant. Mais la matière n'est cause de corruption que selon qu'elle est soumise à la contrariété. Ce n'est pas dans toutes les créatures que la matière y est soumise. Donc celles en qui il n'y a pas de matière soumise à la contrariété, comme les corps célestes et les anges, ne peuvent être défaillantes à cause de la matière, ni non plus en raison de ce qu'ils viennent du néant, parce que de rien, rien ne vient et rien ne fait rien et ainsi (le néant) ne corrompt pas. Donc, quand cesse toute action divine, de telles choses n'abandonnent pas leur être.

 

q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea, forma incipit esse in materia in istanti quod est ultimum factionis, in quo res non est in fieri, sed in facto esse. Sed secundum Avicennae sententiam, formae rerum generatarum infunduntur in materia ab intelligentia agente, quae est datrix formarum. Ergo illa intelligentia est causa essendi, non tantum fiendi; et ita per actionem eius res possunt conservari in esse, etiam circumscripta Dei conservatione.

9. La forme commence d'être dans la matière à l'instant ultime de sa production, où la chose n'est pas en devenir mais est déjà produite. Mais selon l'opinion d'Avicenne (Métaphysique, IX, 5, 410 etc.), les formes de ce qui est engendré sont introduites dans la matière par une Intelligence agente pourvoyeuse de formes. Donc cette intelligence est cause d'être et non seulement du devenir, et ainsi par son action, les choses peuvent être conservées dans l'être même si on écarte la conservation par Dieu.

 

q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, etiam forma substantialis est causa essendi. Si ergo causae essendi sunt quae conservant res in esse, ipsa forma rei sufficit ad hoc quod res in esse conservetur.

10. La forme substantielle aussi est cause d'être. Si donc les causes d'être sont celles qui conservent dans l'être, la forme suffit pour que la chose y soit conservée.

 

q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea, res conservantur in esse per materiam, in quantum sustinet formam. Sed materia, secundum philosophum, est ingenita et incorruptibilis, et ita non est causata ab aliqua causa; et sic remanet, omni actione causae efficientis remota. Ergo adhuc res poterunt conservari in esse, cessante actione primae causae efficientis, scilicet Dei.

11. Les choses sont conservées dans l'être par la matière, dans la mesure où elle porte la forme. Mais la matière, selon le Philosophe, n'est ni engendrée, ni corruptible, et ainsi elle n'a pas de cause, et elle demeure quand toute action de la cause efficiente est écartée. Donc les choses pourront encore être conservées dans l'être, si cesse l'action de la première cause efficiente, à savoir de Dieu.

 

q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea, Eccli. XXXIII, 15: dicitur: intuere in omnia opera altissimi: duo contra duo, unum contra unum. Sed inter opera altissimi invenitur aliquid quod indiget Dei conservatione. Ergo etiam invenitur inter opera Dei eius oppositum, scilicet quod non indiget Dei conservatione.

12. Il est dit dans l'Ecclésiaste (33, 15): "Regarde dans toutes les oeuvres du Très Haut; deux contre deux, une contre une[7]". Mais, parmi ses oeuvres, on trouve quelque chose qui a besoin d'être conservé par Dieu. Donc on trouve aussi parmi ses oeuvres l'opposé, à savoir ce qui n'en a pas besoin.

 

q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea, appetitus naturalis non potest esse cassus et vanus. Sed quaelibet res naturaliter conservationem sui esse appetit. Potest ergo res per se ipsam conservari in esse; alias appetitus naturalis esset vanus.

13. L'appétit naturel ne peut pas être vain et sans objet. Mais tout désire par nature la conservation de son être. Donc, une chose peut se conserver à l'être par soi, autrement l'appétit naturel serait vain.

 

q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus fecit singula bona, simul autem omnia valde bona: propter quod dicitur Genes. I, 31: vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona. Ipsa ergo creaturarum universitas est valde bona et optima; optimi enim est optima adducere, secundum Platonem in Timaeo. Sed melius est quod non indiget aliquo exteriori ad sui conservationem, eo quod indiget. Ergo universitas creaturarum non indiget aliquo exteriori conservante.

14. Augustin dit (Enchiridion, III, 10) que Dieu fit bonne chaque chose particulière, et, tout en même temps très bon; c'est pour cela qu'il est dit (Gn. 1, 31): "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon". Donc l'universalité des créatures est très bonne et la meilleure. Car il appartient au meilleur de causer le meilleur, selon Platon dans le Timée. Mais ce qui n'a pas besoin de quelque chose d'extérieur pour sa conservation est meilleur que ce qui en a besoin. Donc l'universalité des créatures n'a besoin de rien d'extérieur qui les conserve.

 

q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea, beatitudo est aliquid creatum in natura beatorum. Sed beatitudo est status omnium bonorum congregatione perfectus, ut Boetius dicit; quod non esset, nisi in se includeret sui conservationem, quod est unum de maxime bonis. Ergo aliquid creatum est quod per se ipsum potest conservari in esse.

15. Le bonheur est quelque chose de créé dans la nature des bienheureux. Mais le bonheur est un état parfait par la réunion de tous les biens, comme le dit Boèce (Consol. III, prose 2), ce qui ne serait, que s'il incluait en lui sa conservation, qui est l'un des biens au plus haut point. Donc il y a quelque chose de créé qui peut se conserver à l'être par soi.

 

q. 5 a. 1 arg. 16 Praeterea, dicit Augustinus, quod Deus ita administrat res sua providentia, quod tamen sinit eas agere proprios motus. Sed proprius motus naturae ex nihilo existentis est ut in nihilum tendat. Ergo dominus permittit naturam quae est ex nihilo, in nihilum tendere. Non ergo conservat res in esse.

16. Augustin dit (La cité de Dieu, VII, 30) que Dieu administre ses oeuvres par sa Providence; il leur permet cependant d'accomplir leurs propres mouvements. Mais le mouvement le plus propre de la nature qui vient du néant est d'y tendre. Donc Dieu permet à la nature qui vient du néant de tendre au néant. Donc il ne conserve pas ses créatures dans l'être.

 

q. 5 a. 1 arg. 17 Praeterea, recipiens quod est contrarium recepto, non conservat receptum, sed magis ipsum destruit. Videmus enim quod quae recipiuntur ab agentibus naturalibus per violentiam in suis contrariis, remanent ad horam, cessante actione naturalium agentium; sicut calor remanet in aqua calefacta, cessante actione ignis, ad horam. Effectus autem Dei non recipiuntur in aliquo contrario, sed in nihilo; quia ipse est auctor totius substantiae rei. Ergo multo magis remanebunt divini effectus vel ad horam, divina actione cessante.

17. Celui qui reçoit ce qui est contraire à ce qu'il a reçu, ne le conserve pas, mais plutôt il le détruit. Car nous voyons que ce que les agents naturels reçoivent par violence dans leurs contraires demeure un instant, quand cesse l'action des agents naturels; ainsi la chaleur demeure dans l'eau chauffée quand cesse un instant l'action du feu. Les effets de Dieu ne sont pas reçus dans quelque chose de contraire mais en rien, parce qu'il est l'auteur de toute la substance. Donc les effets divins demeureront beaucoup plus, même un instant, si cesse l'action de Dieu.

 

q. 5 a. 1 arg. 18 Praeterea, forma est principium cognoscendi, operandi et essendi. Sed forma absque exteriori adminiculo potest esse operandi principium et cognoscendi. Ergo et essendi; et ita cessante omni Dei actione res per formam potest conservari in esse.

18. La forme est le principe pour connaître, opérer et être. Mais la forme sans appui extérieur peut être principe d'opération et de connaissance. Donc d'être aussi et ainsi quand l'action de Dieu cesse, la chose peut être conservée à l'être par la forme.

 

En sens contraire:

 

q. 5 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Hebr. I, 3: portans omnia verbo virtutis suae; ubi dicit Glossa: sicut ab eo creata sunt, ita per eum immutabilia conservantur.

1. Il y a ce qui est dit en Hébr. 1, 3: "Soutenant tout par sa parole puissante[8]." où la glose dit: "De même qu'ils ont été créés par lui, ils sont conservé par lui, immuables.".

 

q. 5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: creatoris potentia et omnipotentis virtus causa subsistendi est omni creaturae; quae virtus ab eis quae creata sunt regendis si aliquando cessaret, simul et illorum cessaret species, omnisque natura concideret. Et infra. Mundus nec in ictu oculi stare poterit, si ei Deus regimen suum subtraxerit.

2. Augustin dit (La Genèse au sens littéral, IV, XII, 22): "La puissance du créateur et le pouvoir du tout Puissant sont la cause de la subsistance de toute créature. Si ce pouvoir cessait de s'exercer un instant, sur les créatures, en même temps leur forme cesserait et tout leur nature s'effondrerait." Et plus bas: "Le monde ne pourrait pas demeurer le temps d'un clin d'oeil si Dieu lui retirait son gouvernement ."

 

q. 5 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit, quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret.

3. Grégoire [le Grand] dit (Les Morales, VI, ch. 18) que "Tout retournerait au néant, si la main du Tout Puissant ne le contenait".

 

q. 5 a. 1 s. c. 4 Praeterea, in Lib. de causis, dicitur: omnis intelligentiae fixio, id est permanentia et essentia, est per bonitatem quae est causa prima. Multo ergo fortius aliae creaturae non figuntur in esse nisi per Deum.

4. Dans Le livre des Causes, (prop. 9), il est dit que "Toute stabilité de l'intelligence" c'est-à-dire la permanence et l'essence "vient du Bien qui est la cause première". Donc beaucoup plus les autres créatures n'ont été modelées dans l'être que par Dieu.

 

Réponse:

 

q. 5 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio concedendum est, quod res conservantur in esse a Deo, et quod in momento in nihilum redigerentur, cum a Deo desererentur. Cuius ratio hinc accipi potest. Effectum enim a sua causa dependere oportet. Hoc enim est de ratione effectus et causae: quod quidem in causis formalibus et materialibus manifeste apparet. Quocumque enim materiali vel formali principio subtracto, res statim esse desinit, cum huiusmodi principia intrent essentiam rei.

C'est sans doute aucun qu'il faut concéder que les créatures sont conservées dans l'être par Dieu, et qu'en un instant elles retourneraient au néant, si elles étaient abandonnées par lui. On peut en trouver la raison ainsi: car l'effet doit dépendre de sa cause. Car c'est la nature de l'effet et de la cause, ce qui apparaît manifestement dans les causes formelles et matérielles. Car si on écarte tout principe matériel ou formel, la chose cesse aussitôt d'exister, puisque de tels principes en pénètrent l'essence.

 

Idem autem iudicium oportet esse de causis efficientibus, et formalibus vel materialibus. Nam efficiens est causa rei secundum quod formam inducit, vel materiam disponit. Unde eadem dependentia rei est ad efficiens, et ad materiam et formam, cum per unum eorum ab altero dependeat. De finalibus autem causis oportet etiam idem esse iudicium quod de causa efficiente. Nam finis non est causa, nisi secundum quod movet efficientem ad agendum; non enim est primum in esse, sed in intentione solum. Unde et ubi non est actio, non est causa finalis, ut patet in III Metaph.

Il faut porter un même jugement pour les causes efficientes, formelles ou matérielles. Car la cause efficiente est cause selon qu'elle induit une forme, ou dispose la matière. C'est pourquoi, il y a la même dépendance de la chose à la cause efficiente, qu'à la matière et à la forme, puisque par l'un d'eux, elle dépend de l'autre. Mais pour les causes finales, il faut aussi que le jugement soit le même que pour la cause efficiente. Car la fin n'est une cause que selon qu'elle pousse l'efficience à agir; car elle n'est pas en premier dans l'être mais dans l'intention seulement. C'est pourquoi là où il n'y a pas d'action, il n'y a pas de cause finale, comme cela se voit en Métaphysique (III, 2, 996 a 26[9]).

 

Secundum hoc ergo esse rei factae dependet a causa efficiente secundum quod dependet ab ipsa forma rei facta Est autem aliquod efficiens a quo forma rei factae non dependet per se et secundum rationem formae, sed solum per accidens: sicut forma ignis generati ab igne generante, per se quidem, et secundum rationem suae speciei non dependet, cum in ordine rerum eumdem gradum teneat, nec forma ignis aliter sit in generato quam in generante; sed distinguitur ab ea solum divisione materiali, prout scilicet est in alia materia. Unde cum igni generato sua forma sit ab aliqua causa, oportet ipsam formam dependere ab altiori principio, quod sit causa ipsius formae per se et secundum propriam speciei rationem.

Donc, à ce point de vue, l'être de ce qui est produit dépend de la cause efficiente, selon qu'il dépend de sa forme produite même. Mais il y a une efficience dont la forme du produit ne dépend pas, par soi, et par sa nature, mais seulement par accident; de même que la forme du feu engendré ne dépend pas de celui qui l'engendre, par soi et selon la nature de l'espèce, puisque, dans l'ordre des choses elle occupe le même degré, la forme n'est pas autrement dans ce qui est engendré que dans celui qui l'engendre; mais elle en est distinguée seulement par division matérielle, à savoir selon qu'elle est dans une autre matière. C'est pourquoi, comme la forme pour le feu engendré vient d'une cause, il faut qu'elle dépende d'un principe plus élevé, qui serait la cause dee la forme, par soi et selon la nature propre de l'espèce

 

Cum autem esse formae in materia, per se loquendo, nullum motum vel mutationem implicet, nisi forte per accidens; omne autem corpus non agat nisi motum, ut philosophus probat, necesse est quod principium ex quo per se dependet forma, sit aliquod principium incorporeum; per actionem enim alicuius principii dependet effectus a causa agente. Et si aliquod principium corporeum est per aliquem modum causa formae, hoc habet in quantum agit virtute principii incorporei, quasi eius instrumentum; quod quidem necessarium est ad hoc quod forma esse incipiat, in quantum forma non incipit esse nisi in materia; non enim materia quocumque modo se habens potest subesse formae, quia proprium actum in propria materia oportet esse.

Mais comme l'être de la forme dans la matière, à proprement parler, n'implique nul mouvement ni changement, sinon par hasard, par accident; que tout corps n'agit que mû, comme le Philosophe le prouve (Cf. Physique, VIII, 259 b 32 Ð 260 a 19), il est nécessaire que le principe d'où dépend la forme par soi, soit un principe incorporel, car, par l'action d'un principe, l'effet dépend de la cause efficiente. Et si un principe corporel est en quelque manière cause de la forme, cela ne se peut que dans la mesure où il agit par le pouvoir d'un principe incorporel, cen tant que son instrument; ce qui est nécessaire pour que la forme commence à exister, dans la mesure où elle ne commence à exister que dans la matière; car la matière de quelque manière qu'elle se comporte ne peut pas être soumise à la forme, parce que l'acte propre doit être dans la matière propre.

 

Cum ergo est materia in dispositione quae non competit formae alicui, non potest a principio incorporeo, a quo forma dependet per se, eam consequi immediate; unde oportet quod sit aliquid transmutans materiam; et hoc est aliquod agens corporeum, cuius est agere movendo. Et hoc quidem agit in virtute principii incorporei, et eius actio determinatur ad hanc formam, secundum quod talis forma est in eo, actu (sicut in agentibus univocis) vel virtute (sicut in agentibus aequivocis).

Donc, quand la matière est dans une disposition qui ne convient pas à la forme, elle ne peut pas l'acquérir immédiatement par un principe incorporel, dont la forme dépend par soi. C'est pourquoi il faut qu'il y ait quelque chose qui transforme la matière; et c'est un agent corporel, dont le propre est d'agir en mouvant. Et il agit dans le pouvoir du principe incorporel, et son action est déterminée à cette forme, selon qu'elle est en lui, en acte (comme dans les agents univoques) ou en puissance (comme dans les agents équivoques).

 

Sic igitur huiusmodi inferiora agentia corporalia, non sunt formarum principia in rebus factis, nisi quantum potest se extendere causalitas transmutationis, cum non agant nisi transmutando, ut dictum est; hoc autem est in quantum disponunt materiam, et educunt formam de potentia materiae. Quantum igitur ad hoc, formae generatorum dependent a generantibus naturaliter, quod educuntur de potentia materiae, non autem quantum ad esse absolutum.

Ainsi donc de tels agents corporels inférieurs ne sont les principes des formes dans ce qui a été fait, que dans la mesure où la causalité du changement peut s'étendre, puisqu'ils n'agissent qu'en changeant, comme on l'a dit (q. 3, a. 7 et 8). Mais c'est dans la mesure où ils disposent la matière et sortent la forme de la puissance de la matière. Donc pour cela, les formes de ce qui engendre dépendent naturellement de ce qui les engendre, parce qu'elles sortent de la puissance de la matière, mais non quant à l'être dans absolu.

 

Unde et remota actione generantis, cessat eductio de potentia in actum quod est fieri generatorum; non autem cessant ipsae formae, secundum quas generata habent esse. Et inde est quod esse rerum generatarum manet, sed non fieri, cessante actione generantis. Si quae autem formae sunt non in materia, ut sunt substantiae intellectuales, vel in materia nullo modo indisposita ad formam, ut est in corporibus caelestibus, in quibus non sunt contrariae dispositiones; harum principium esse non potest nisi agens incorporeum, quod non agit per motum; nec dependent ab aliquo secundum fieri a quo non dependeant secundum esse.

C'est pourquoi, quand l'action de celui qui engendre est écartée, cesse le passage de la puissance à l'acte qui est le devenir de ce qui est engendré; mais les formes elles-mêmes, par lesquelles ce qui est engendré a l'être ne cessent pas. Et de là vient que l'être de ce qui est engendré demeure, mais non le devenir, si cesse l'action de celui qui engendre. Si ces formes ne sont pas dans la matière, comme les substances intellectuelles, ou bien si elles sont dans une matière en aucune manière mal ordonnée à la forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de dispositions contraires, leur principe d'être ne peut être qu'un agent incorporel qui n'agit pas par mouvement; et elles ne dépendent pas pour leur devenir de ce dont elles ne dépendent pas pour leur être.

 

Sicut igitur cessante actione causae efficientis, quae agit per motum, in ipso instanti cessat fieri rerum generatarum, ita cessante actione agentis incorporei, cessat ipsum esse rerum ab eo creatarum. Hoc autem agens incorporeum, a quo omnia creantur, et corporalia et incorporalia, Deus est, sicut in alia quaestione ostensum est, a quo non solum sunt formae rerum, sed etiam materiae. Et quantum ad propositum non differt utrum immediate, vel quodam ordine, ut quidam philosophi posuerunt. Unde sequitur quod divina operatione cessante, omnes res eodem momento in nihilum deciderent, sicut auctoritatibus est probatum in argumentis sed contra.

Donc, de même que, quand cesse l'action de la cause efficiente, qui agit par mouvement, dans l'instant même, le devenir de ce qui est engendré cesse, de même quand l'action de l'agent incorporel cesse, l'être même des choses créées par lui cesse aussi. Mais cet agent incorporel, par qui tout est créé, les êtres corporels et incorporels, est Dieu, comme on l'a montré dans une autre question (qu. 3, a. 5, 6, et 8), de qui viennent non seulement les formes des êtres mais aussi de la matière. Et l'une et l'autre à ce propos ne diffèrent pas immédiatement en ordre, comme certains philosophes l'ont pensé. C'est pourquoi, il en découle que si l'opération divine cessait, tout, dans un même moment, retomberait dans le néant, comme on l'a prouvé pour les autorités dans les arguments en sens contraire.

 

Solutions:

 

q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod creaturae Dei sunt perfectae in sua natura et in suo ordine; sed inter alia quae ad earum perfectionem requiruntur, hoc etiam est quod a Deo contineantur in esse.

# 1. Les créatures de Dieu sont parfaites dans leur nature et leur ordre, mais parmi les autres choses requises pour leur perfection, il y a ce fait aussi qu'elles sont maintenues dans l'être par Dieu.

 

q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus non alia operatione producit res in esse et eas in esse conservat. Ipsum enim esse rerum permanentium non est divisibile nisi per accidens, prout alicui motui subiacet; secundum se autem est in instanti. Unde operatio Dei quae est per se causa quod res sit, non est alia secundum quod facit principium essendi et essendi continuationem.

# 2. Ce n'est pas par une autre opération que Dieu produit les créatures dans l'être et les y conserve. Car l'être même de ce qui demeure n'est divisible que par accident, dans la mesure où il est soumis à un mouvement, mais en soi il est dans l'instant. C'est pourquoi l'opération de Dieu qui est cause par soi de l'existence de la chose, n'est pas différente selon qu'il produit le principe d'être et sa conservation.

 

q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamdiu principia essentialia rerum sunt, tamdiu res conservantur in esse; sed et ipsa rerum principia esse desinerent, divina actione cessante.

# 3. Les choses sont conservées dans l'être, aussi longtemps que leurs principes essentiels existent, mais les principes même cesseraient si l'action divine cessait.

 

q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod huiusmodi inferiora agentia sunt causa rerum quantum ad earum fieri, non quantum ad esse rerum per se loquendo. Deus autem per se est causa essendi: et ideo non est simile. Unde Augustinus dicit: non enim sicut structuram cum fabricaverit quis abscedit, atque illo cessante et abscedente stat opus eius; ita mundus vel in ictu oculi stare poterit, si ei Deus regimen suum subtraxerit.

# 4. De tels agents inférieurs sont la cause du devenir des choses, et non de leur être, à proprement parler. Mais Dieu par soi est cause d'être, et ainsi ce n'est pas pareil. C'est pourquoi Augustin dit (La Genèse au sens littéral, IV, 12): "Car ce n'est pas comme quelqu'un qui s'en va quand il a construit un bâtiment: même s'il cesse et s'en va, son oeuvre demeure, au contraire le monde ne pourrait demeurer l'instant d'un clin d'oeil, si Dieu lui avait retiré son concours[10]."

 

q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum agentia corporalia non agant nisi transmutando,- nihil autem transmutetur nisi ratione materiae,- causalitas agentium corporalium non potest se extendere nisi ad ea quae aliquo modo sunt in materia. Et quia Platonici et Avicenna non ponebant formas de potentia materiae educi, ideo cogebantur dicere quod agentia naturalia disponebant tantum materiam; inductio autem formae erat a principio separato. Si autem ponamus formas substantiales educi de potentia materiae, secundum sententiam Aristotelis, agentia naturalia non solum erunt causae dispositionum materiae, sed etiam formarum substantialium; quantum ad hoc dumtaxat quod de potentia educuntur in actum, ut dictum est, et per consequens sunt essendi principia quantum ad inchoationem ad esse, et non quantum ad ipsum esse absolute.

# 5. Comme les agents corporels n'agissent qu'en opérant des changements – rien n'est changé qu'en raison de la matière – la causalité des agents corporels ne peut s'étendre qu'à ce qui est de quelque manière dans la matière. Et parce que les Platoniciens et Avicenne ne pensaient pas que les formes étaient éduites de la puissance de la matière, ils étaient forcés de dire que les agents naturels disposaient seulement la matière; et l'induction de la forme dépendait d'un principe séparé. Mais si nous pensons que les formes substantielles sont éduites de la puissance de la matière, selon l'opinion d'Aristote, les agents naturels, non seulement sont causes des dispositions de la matière, mais encore des formes substantielles; pour seulement ce qui est amené de la puissance à l'acte, comme on l'a dit (qu. 3, art. 9 et 11) et par conséquent, ils sont les principes de l'être, quant à son commencement mais pas quant à l'être même dans l'absolu.

 

q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod formarum quae incipiunt actu esse in materia per actionem corporalis agentis, quaedam producuntur secundum perfectam rationem speciei et secundum perfectum esse in materia, sicut et forma generantis, eo quod in materia non remanent contraria principia, et huiusmodi formae remanent post actionem generantis, usque ad tempus corruptionis. Quaedam vero formae producuntur quidem secundum perfectam rationem speciei, non autem secundum perfectum esse in materia, sicut calor qui est in aqua calefacta, habet perfectam speciem caloris, non tamen perfectum esse, quod est ex applicatione formae ad materiam, eo quod in materia remanet forma contraria tali qualitati.

# 6. Parmi les formes qui commencent à exister en acte dans la matière par l'action de l'agent corporel, certaines sont produites selon la nature parfaite de l'espèce et selon l'être parfait dans la matière, comme la forme de celui qui engendre, parce que les principes contraires ne demeurent pas dans la matière, et les formes de ce genre demeurent après l'action de celui qui engendre, jusqu'au temps de la corruption. Mais certaines formes sont produites selon la nature parfaite de l'espèce, et non selon l'être parfait dans la matière, comme la chaleur, qui est dans l'eau chaude, a une nature parfaite de chaleur, non cependant un être parfait qui vient de l'application de la forme à la matière, parce que la forme contraire à une telle qualité demeure dans la matière.

 

Et huiusmodi formae possunt ad modicum remanere post actionem agentis; sed prohibentur diu permanere a contrario principio, quod est in materia. Quaedam vero producuntur in materia et secundum imperfectam speciem et secundum imperfectum esse, sicut lumen in aere a corpore lucido. Non enim lumen est in aere sicut quaedam forma naturalis perfecta prout est in corpore lucido, sed magis per modum intentionis. Unde sicut similitudo hominis non manet in speculo nisi quamdiu est oppositum homini, ita nec lumen in aere, nisi apud praesentiam corporis lucidi: huiusmodi enim intentiones dependent a formis naturalibus corporum per se, et non solum per accidens; et ideo esse eorum non manet cessante actione agentium. Huiusmodi ergo propter imperfectionem sui esse, dicuntur esse in fieri; sed creaturae perfectae non dicuntur esse in fieri propter sui esse imperfectionem, quamvis actio Dei earum factionis indeficienter permaneat.

Et de telles formes peuvent demeurer un peu après l'action de l'agent, mais elles sont empêchées de demeurer longtemps par un principe contraire qui est dans la matière. Mais certaines sont produites dans la matière et selon une espèce et un être imparfaits, comme la lumière dans l'air par un corps lumineux. Car la lumière n'est pas dans l'air comme une forme naturelle parfaite selon qu'elle est dans un corps lumineux, mais plus par mode d'intention. C'est pourquoi, de même que la ressemblance de l'homme ne demeure dans le miroir qu'aussi longtemps qu'il est en face de lui, de même la lumière n'est dans l'air que par la présence du corps lumineux; car de telles intentions dépendent des formes naturelles des corps par soi, et non seulement par accident, et c'est pourquoi leur être ne demeure pas quand cesse l'action des agents. Ainsi donc à cause de l'imperfection de leur être, on les appelle des êtres en devenir; mais on ne dit pas que les créatures parfaites sont dans le devenir à cause de l'imperfection de leur être, quoique l'action de Dieu pour leur production demeure sans défaillance.

 

q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod actio corporalis agentis non se extendit ultra motum, et ideo est instrumentum primi agentis in eductione formarum de potentia in actum, quae est per motum; non autem in conservatione earum, nisi quatenus ex aliquo motu dispositiones in materia retinentur, quibus materia fit propria formae: sic enim per motum corporum caelestium inferiora conservantur in esse.

# 7. L'action de l'agent corporel ne s'étend pas au-delà du mouvement; et c'est pourquoi il est l'instrument du premier agent dans le passage des formes de la puissance à l'acte, qui se fait par mouvement, mais pas dans leur conservation, sinon dans la mesure où sont maintenues dans la matière par un mouvement les dispositions par lesquelles la matière devient propre à la forme; car ainsi, par le mouvement des corps célestes, les corps inférieurs sont conservés dans l'être.

 

q. 5 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura deficeret divina actione cessante, non propter contrarium quod sit in materia, quia ipsum etiam cum materia cessaret: sed propter hoc quod creatura est ex nihilo; non propter hoc quod nihilum aliquid ageret ad corruptionem, sed non ageret ad conservationem.

# 8. Que la créature disparaisse si l'action divine cesse, n'est pas à cause du contraire qui serait dans la matière, parce que lui-même cesserait en même temps qu'elle, mais c'est parce que la créature vient du néant, non pas parce que celui-ci la conduirait à la corruption, mais il n'agirait pas pour sa conservation.

 

q. 5 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipse dator formarum si ponatur aliquid aliud praeter Deum, secundum sententiam Avicennae, oportet quod et ipsum deficeret cessante actione Dei, quae est sua causa.

# 9. Si on pense que le pourvoyeur de formes est autre que Dieu, selon l'opinion d'Avicenne, il faut que lui-même disparaisse quand cesse l'action de Dieu, qui est sa cause.

 

q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod etiam praedicta actione cessante, forma deficeret, unde non posset esse essendi principium.

# 10. Si l'action susdite cessait, la forme disparaîtrait, c'est pourquoi elle ne pourrait pas être le principe d'être.

 

q. 5 a. 1 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod materia dicitur ingenita quia non procedit in esse per generationem: ex hoc tamen non removetur quin a Deo sit; cum omne imperfectum oporteat a perfecto originem trahere.

# 11. Il faut dire que la matière n'est pas engendrée parce qu'elle ne parvient pas à l'être par génération; cependant cela n'empêche pas qu'elle vienne de Dieu, puisque tout ce qui est imparfait doit tirer son origine d'un [être] parfait.

 

q. 5 a. 1 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod non oportet inter opera Dei, uno contradictorie oppositorum invento, aliud inveniri (sic enim esset inter ea aliquid increatum cum sit ibi aliquid creatum) quamvis hoc verum sit de aliis oppositis. Ea vero de quibus est obiectio, sunt contradictorie opposita; unde ratio non sequitur.

# 12. Il ne faut pas, parmi les oeuvres de Dieu, si on trouve l'un des opposés en contradiction, en trouver un autre (car ainsi il y aurait entre eux quelque chose d'incréé, puisqu'il y là quelque chose de créé[11]), quoique cela soit vrai des autres opposés. Mais ce qui concerne l'objection, ce sont des opposés en contradiction; c'est pourquoi la raison n'est pas valable.

 

q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet quaelibet res naturaliter appetat sui conservationem, non tamen quod a se conservetur, sed a sua causa.

# 13. Bien que chaque chose désire naturellement sa conservation, cependant ce n'est pas pour être conservée par soi mais par sa cause.

 

q. 5 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod universitas creaturarum non est optima simpliciter, sed in genere creatorum; unde nihil prohibet ea aliquid melius esse.

# 14. L'universalité des créatures n'est pas la meilleure dans l'absolu, mais la meilleur est dans le genre des créateurs; c'est pourquoi rien n'empêche que quelque chose soit meilleur qu'elle.

 

q. 5 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod inter bona quorum congregatione status beatitudinis perficitur, principium est coniunctio ad suam causam; cum ipsa Dei fruitio sit creaturae rationalis beatitudo.

# 15. Parmi les biens dont la réunion achève l'état de béatitude, le principe est l'union à la cause; puisque la jouissance de Dieu est la béatitude de la créature rationnelle .

 

q. 5 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod tendere in nihilum non est proprie motus naturae, qui semper est in bonum, sed est ipsius defectus; unde ratio falsum supponebat.

# 16. Tendre au néant n'est pas proprement un mouvement de la nature, qui est toujours pour le bien, mais c'est sa défaillance; c'est pourquoi cette raison supposait une erreur.

 

q. 5 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod illius impressionis violentae agens violentum est causa secundum fieri, et non simpliciter secundum esse, ut ex dictis patet: unde cessante actione agentis, potest ad tempus remanere, sed non diu propter eius imperfectionem.

# 17. L'agent violent dans cette pression de la violence est la cause selon le devenir, mais absolument pas selon l'être, comme cela se voit de ce qui a été dit (solution du 6e argument); c'est pourquoi quand l'action de l'agent cesse, elle peut demeurer pour un temps, mais pas longtemps à cause de son imperfection.

 

q. 5 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut forma non potest esse principium essendi, nisi aliquo priori principio praesupposito, ita nec operandi, cum Deus in qualibet re operetur, ut in alia quaestione, ostensum est nec etiam cognoscendi, cum omnis cognitio a lumine increato derivetur.

# 18. De même que la forme ne peut être principe d'être que par quelque principe précédant présupposé, de même elle ne peut pas être principe pour l'opération, puisque Dieu opère en toutes choses, comme on l'a montré dans une autre question (qu. 3, argument 6);[elle ne peut pas être] le principe de la connaissance, puisque tout connaissance dérive de la lumière incréée.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 1 – CG. III, 65, 94 – In Ion. Ch. 5, lectio 2 (n° 739-740) – In Hébr. Ch. 1, lectio 2.

 

[2] "...nous définissons l'entier ( to olon) ce d'où rien ne manque... or entier et achevé sont absolument de même nature ou à peu près." (Trad.H. Carteron).

 

[3] Les chiffres indiquent les propositions du syllogisme.

 

[4] On trouve chez Augustin, le même texte de Jean (5, 17) en IV, X1, 20 et XX, 40?. Mais dans la référence donnée ici on trouve le texte cité par Thomas dans la solution de l'article.

 

[5] "...le tout qui est engendré, c'est une forme de telle nature, réalisée dans telles chairs et dans tels os, Callias ou Socrate, autre que son générateur, par la matière, qui est autre, mais identique à lui par la forme, car la forme est indivisible." (Trad. J. Tricot)

 

[6] "Comme de l'air qui, par la présence de la lumière, n'est pas doté d'une luminosité propre, mais devient lumineux, car s'il avait une luminosité propre et ne devenait pas lumineux, il resterait lumineux même en l'absence de lumière." Trad. BA. 49.

 

[7] Ecclésiaste 33,15:"Contemple donc toutes les oeuvres du très haut, toutes vont par paire, en vis-à-vis". (B.J.) L'argument suppose qu'il y a un opposé pour tous les aspects de l'être.

 

[8] "Lui qui soutient l'univers par sa parole puissante." ( B.J.)

 

[9] "...la fin, le "ce en vue de quoi" est fin de quelque action, et toute action s'accompagne de mouvement." (p. 125-126)

 

[10] "Il n'en est pas en effet de Dieu comme d'un architecte: la maison achevée, celui-ci s'en va, et, même lorsqu'il cesse d'agir et qu'il s'en est allé, l'oeuvre subsiste; au contraire, le monde ne pourrait subsister, fût-ce l'instant d'un clin d'oeil, si Dieu lui retirait son concours." Trad. BA. 48.

 

[11] Il veut dire que si on prend toutes les oppositions, on dire doit d'un tel être qu'il est créé, et donc celui qui est à l'opposé est un être incréé.

 

 

 

Article 2: Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi et sans lui?

q. 5 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum Deus possit alicui creaturae communicare quod per se in esse conservetur absque Deo. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections[1]:

q. 5 a. 2 arg. 1 Creare enim est maius quam per se in esse conservari. Sed creare potuit creaturae communicari, ut Magister dicit in V dist., IV Sentent. Ergo et per se in esse conservari.

1. Car créer est plus important que d'être conservé dans l'être par soi. Mais [le pouvoir de] créer a pu être communiqué à la créature, comme le dit le Maître des Sentences, (IV Sent. d. 5[2]). Et aussi le pouvoir d'être conservé dans l'être par soi.

q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, plus est in potestate rerum et Dei, quam in potestate intellectus nostri. Sed intellectus noster potest intelligere creaturam absque Deo. Ergo multo fortius Deus potest creaturae dare ut per se conservetur in esse.

2. Il y a plus dans le pouvoir des choses et celui de Dieu, que dans celui de notre esprit. Mais celui-ci peut comprendre la créature sans Dieu. Donc Dieu, beaucoup plus, peut donner à la créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi.

q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, aliqua creatura est ad imaginem Dei, ut patet Genesis I, 26. Sed secundum Hilarium imago est rei ad rem coaequandam indiscreta et unita similitudo; et sic imago adaequare potest id cuius est imago. Cum ergo Deus nullo exteriori conservante indigeat, videtur quod hoc potuit creaturae communicare.

3. Une créature est à l'image de Dieu, comme on le voit en Gn. 1, 26. Mais selon Hilaire (Le livre des Synodes) l'image d'une chose est "la ressemblance indivisible, et unie pour l'égaler." Et ainsi l'image peut égaler ce dont elle est l'image. Donc comme Dieu n'a pas besoin de quelque chose d'extérieur qui le conserve, il semble qu'il a pu communiquer ce pouvoir à la créature.

q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea, quanto agens est perfectius, tanto potest perfectiorem effectum producere. Sed agentia naturalia possunt effectus facere qui conserventur in esse sine agentibus. Ergo multo fortius Deus potest hoc facere.

4. Plus l'agent est parfait, plus l'effet qu'il peut produire est parfait. Mais les agents naturels peuvent produire des effets qui sont conservés dans l'être sans leurs agents. Donc Dieu peut le faire beaucoup plus.

En sens contraire:

q. 5 a. 2 s. c. Sed contra. Deus non potest aliquid facere in diminutionem suae auctoritatis. Hoc autem suo dominio praeiudicaret, si aliquid absque ipsius conservatione posset esse. Ergo Deus hoc facere non potest.

Dieu ne peut rien faire qui diminuerait son autorité. Cela porterait préjudice à sa puissance, si un être pouvait exister sans être conservé par lui. Donc Dieu ne peut pas le faire.

Réponse:

q. 5 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod ad omnipotentiam Dei non pertinet quod possit facere duo contradictoria esse simul. In hoc autem quod dicitur quod Deus faciat aliquid quod eius conservatione non indigeat, contradictio implicatur. Iam enim ostensum est quod omnis effectus a sua causa dependet, secundum quod est eius causa. In hoc ergo quod dicitur, quod Dei conservatione non indigeat, ponitur non esse creatum a Deo; in hoc quod dicitur, quod Deus faciat ipsum, ponitur esse creatum.

Il ne convient pas à la toute puissance de Dieu de pouvoir faire que deux choses contradictoires existent en même temps. Dire que Dieu fait quelque chose qui n'a pas besoin de sa conservation implique une contradiction. Car, déjà on a montré que tout effet dépend de sa cause, en tant que tel. Quand on dit: "Une chose n'a pas besoin de la conservation de Dieu", on pense qu'elle n'a pas été créée par lui, et quand on dit: "Dieu la fasse", on pense qu'elle a été créée.

Sicut ergo contradictionem implicaret, Deum facere aliquid quod non esset creatum ab eo, ita si quis diceret Deum facere aliquid quod eius conservatione non indigeret. Unde utrumque pari ratione Deus non potest.

Donc que Dieu fasse que quelque chose qui ne soit pas créé par lui, impliquerait une contradiction, de la même manière si on disait que Dieu fait une créature qui n'aurait pas besoin de son pouvoir de conservation. C'est pourquoi, à raison égale, Dieu ne peut faire ni l'un, ni l'autre.

Solutions:

q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum creare sit aliquid causare; non indigere autem alterius conservatione, non sit nisi eius quod causam non habet: manifestum est quod maius est non indigere conservari ab alio quam creare; sicut maius est causam non habere quam causam esse; licet et hoc non sit usquequaque verum, quod creare creaturae sit communicabile, secundum quod est actus primi agentis, ut in alia quaestione 3, dictum est.

# 1. Comme créer c'est causer quelque chose; ne pas avoir besoin de la conservation d'un autre n'existerait que pour ce qui n'a pas de cause: il est clair qu'il est plus grand de ne pas avoir besoin d'être conservé par un autre que créer; de même il est plus important de ne pas avoir de cause que d'être cause; bien qu'il ne soit pas toujours vrai que créer soit communicable à la créature, en tant qu'acte du premier agent, comme on l'a dit dans une autre question (qu. 3, a. 4).

q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis intellectus possit intelligere creaturam non intelligendo Deum, non tamen potest intelligere creaturam non conservari in esse a Deo; hoc enim implicat contradictionem, sicut et creaturam non esse creatam a Deo, ut dictum est.

# 2. Quoique l'esprit puisse comprendre (intelligere) la créature sans comprendre Dieu, cependant on ne peut pas comprendre que la créature ne soit pas conservée par Dieu; car cela implique une contradiction, de même que comprendre que la créature n'a pas été créée par Dieu, comme on l'a dit (qu. 3, a. 5).

q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non est de ratione imaginis absolute, sed perfectae; qualis Dei imago non est creatura, sed filius; unde ratio non sequitur.

# 3. L'égalité n'appartient pas dans l'absolu à la définition de l'image, mais à celle de l'image parfaite; une telle image de Dieu n'est pas une créature, mais le Fils. C'est pourquoi cette raison ne convient pas[3].

q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod responsio patet per ea quae dicta sunt in praecedenti.

# 4. La réponse est éclairée par ce qui a été dit précédemment.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 1, ad 2 – a. 2, ad 2 – CG. II, 25 – Veritate. qu. 5, a. 8, ad 8 – I Sent. d37q1a1 – d47a4.

[2] Cf. Pot. qu. 3, a. 4, où Thomas ne l'admet pas, après avoir hésité dans le Commentaire des Sentences.

[3] Le Fils est l'image parfaite, la créature une image relative

 

 

Article 3: Dieu peut-il ramener la créature au néant?

 

q. 5 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum Deus possit creaturam in nihilum redigere. Et videtur quod non.

 

Il semble que non.

 

Objections[1]:

 

q. 5 a. 3 arg. 1 Dicit enim Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum, quod Deus non est causa tendendi in non esse. Hoc autem esset, si creaturam annihilaret. Ergo Deus non potest creaturam in nihilum redigere.

1. Car Augustin, dans le livre des 83 questions (qu. 21[2]), dit que Dieu n'est pas la cause de la tendance au non-être. Or cela serait, s'il ramenait la créature au néant. Donc Dieu ne peut pas ramener la créature au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, creaturae corruptibiles, quae inter ceteras sunt debilioris esse, non desinunt esse nisi per actionem alicuius causae agentis, sicut ignis corrumpitur aliquo contrario agente in ipsum. Multo minus igitur aliae creaturae possunt desinere nisi per aliquam actionem. Si ergo Deus aliquam creaturam annihilaret, hoc non fieret nisi per aliquam actionem. Per actionem autem hoc fieri est impossibile. Nam omnis actio sicut est ab ente actu, ita in ens actu terminatur, cum oporteat factum esse simile facienti. Actio autem qua aliquid ens actu constituitur, non omnino in nihilum redigit. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

2. Les créatures corruptibles, qui, parmi les autres, ont un être plus faible, ne cessent d'exister que par l'action d'une cause efficiente; ainsi le feu est corrompu par un agent contraire en lui. Donc les autres créatures beaucoup moins ne peuvent cesser que par quelque action. Si donc Dieu ramenait une créature au néant, cela ne se ferait que par une action. Mais c'est impossible que cela soit fait par une action. Car toute action, de même qu'elle vient d'un étant en acte, se termine de même dans un étant en acte, puisqu'il faudrait que le produit soit à la ressemblance de celui qui le fait. Mais l'action par laquelle un étant est établi en acte, ne ramène absolument pas au non être. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod est per accidens, reducitur ad id quod est per se. Sed a nulla causa agente est defectus et corruptio nisi per accidens, cum nihil operetur nisi intendens ad bonum, ut Dionysius dicit: unde et ignis corrumpens aquam, non intendit privationem formae aquae, sed formam propriam in materiam introducere. Ergo non potest ab aliquo agente causari aliquis defectus, quin simul aliqua perfectio constituatur. Ubi autem aliqua perfectio constituitur, ibi non est annihilatio. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

3. Tout ce qui existe par accident est ramené à ce qui est par soi. Mais la défaillance et la corruption ne viennent d'aucune cause efficiente, sinon par accident, puisque rien n'opère sinon qu'en tendant au bien, comme le dit Denys (Les noms divins, 4). C'est pourquoi, le feu qui dénature l'eau, ne tend pas à la privation de la forme de l'eau, mais à introduire une forme propre dans la matière. Donc une défaillance ne peut être causée par un agent qu'en constituant une perfection en même temps. Là où est établie une perfection, il n'y a pas de retour au néant. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil agit nisi propter finem. Finis enim est quod movet efficientem. Finis autem divinae actionis est eius bonitas: quod quidem esse potest in rerum productione, per quam res similitudines divinae bonitatis consequuntur: non autem in annihilatione, per quam annihilatum omnino a Dei similitudine recederet. Ergo Deus non potest aliquid annihilare.

4. Rien n'agit qu'en vue d'une fin. Car la fin est ce qui met en mouvement [la cause] efficiente. La fin de l'action divine est sa bonté: ce qui peut exister dans la production des créatures, par laquelle elles obtiennent la ressemblance de la divine bonté, mais pas dans leur annihilation, par laquelle ce qui est retourné au néant s'éloignerait tout à fait de la ressemblance à Dieu. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, manente causa, necesse est permanere causatum. Si enim non est necesse, possibile erit causatum esse et non esse posita causa; et sic indigebitur alio quo causatum ad esse determinetur; et ita causa sufficiens non erit ad esse causati. Sed Deus est sufficiens causa rerum. Ergo Deo manente necesse est res in esse manere. Sed Deus non potest facere quin ipse in esse maneat. Ergo non potest creaturas reducere in non esse.

5. Tant que la cause demeure, il est nécessaire que l'effet demeure. Car, si ce n'est pas nécessaire, il sera possible que l'effet existe et n'existe pas, une fois posée la cause; et ainsi il aura besoin d'un autre par lequel l'effet est déterminé à l'être; et ainsi la cause ne sera pas suffisante pour l'être de l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante des êtres. Donc, comme Dieu demeure, il est nécessaire que les choses demeurent dans l'être. Mais Dieu ne peut pas faire que lui-même demeure dans l'être. Donc il ne peut pas ramener les créatures au non être.

 

q. 5 a. 3 arg. 6 Sed dicebatur, quod Deus non erit causa in actu, cum creaturae erunt annihilatae.- Sed contra, divina actio est eius esse; unde et Augustinus, vult quod in quantum Deus est, nos simus. Suum autem esse nunquam ei advenit. Ergo nunquam desinit esse in sua actione; et ita semper erit causa in actu.

6. Mais on pourrait dire que Dieu ne sera pas une cause en acte, lorsque les créatures retourneront au néant. – En sens contraire, l'action divine est celle de son être; c'est pourquoi Augustin (La Doctrine chrétienne, I, 32[3]) veut que nous existions en tant que Dieu est. Mais son être ne lui est jamais advenu. Donc jamais il ne cesse d'être en son action et ainsi il sera toujours une cause en acte.

 

q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea, Deus non potest facere contra communes animi conceptiones, sicut quod totum non sit maius sua parte. Communis autem animi conceptio est apud sapientes, animas rationales perpetuas esse. Ergo Deus non potest facere quod in nihilum redigantur.

7. Dieu ne peut agir contre les conceptions communes de l'esprit, comme que le tout ne soit pas plus grand que sa partie[4]. Mais la conception commune de l'esprit chez les sages est que les âmes rationnelles sont éternelles. Donc Dieu ne peut pas faire qu'elles retournent au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph., quod id quod est in se possibile esse et non esse, non potest necessitatem essendi ab alio acquirere. Quaecumque ergo creaturae habent necessitatem essendi, in eis non est possibilitas ad esse et non esse. Huiusmodi autem sunt omnia incorruptibilia, ut sunt substantiae incorporeae et corpora caelestia. Ergo omnibus his non est possibilitas ad non esse. Si ergo sibi relinquantur, divina actione subtracta, non deficient in non esse; et sic Deus non videtur quod possit ea annihilare.

8. Le Commentateur dit (La métaphysique XI à propos de la Métaphysique d'Aristote, XII, com. 41) que ce qui a possibilité d'être et ne pas être, ne peut pas acquérir sa nécessité d'être d'un autre. Donc toutes les créatures qui ont la nécessité d'être n'ont pas en elles la possibilité d'être et ne pas être. Tout ce qui est incorruptible est de ce genre, comme les substances incorporelles et les corps célestes. Donc tous ceux-là n'ont pas de possibilité au non être. En conséquence, s'ils sont laissés à eux-mêmes une fois l'action divine écartée, ils ne tomberont pas dans le non être et ainsi Dieu ne semble pas pouvoir les ramener au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea, quod recipitur in aliquo, non tollit potentiam recipientis; sed potest eam perficere. Si ergo aliquid sit possibilitatem habens ad non esse, nihil in eo receptum hanc possibilitatem ei auferre poterit. Ergo quod est in se possibile non esse, non poterit ab aliquo necessitatem essendi acquirere.

9. Ce qui est reçu dans quelque chose, n'enlève pas la puissance de ce qui reçoit, mais il peut la parfaire. Donc si quelque chose se trouve avoir la possibilité au non être, rien de ce qui est reçu en lui ne pourra enlever cette possibilité. En conséquence ce qui a possibilité en soi de ne pas être, ne pourra acquérir la nécessité d'être d'un autre.

 

q. 5 a. 3 arg. 10 Praeterea, ea secundum quae aliqua genere diversificantur, sunt de essentia rei; nam genus pars definitionis est. Secundum autem corruptibile et incorruptibile aliqua genere differunt, ut patet in X Metaph. Ergo sempiternitas et incorruptibilitas est de essentia rei. Deus autem non potest alicui rei auferre quod est de essentia eius; non enim potest facere quod homo existens homo, non sit animal. Ergo non potest rebus incorruptibilibus sempiternitatem auferre; et ita non potest ea ad nihilum redigere.

10. Ce qui différentie les genres, appartient à l'essence, car le genre est une partie de la définition. Mais certaines choses diffèrent en genre selon le corruptible et l'incorruptible, comme on le voit en Métaphysique (X, 10, 1059 a 27[5]). Donc la durée éternelle et l'incorruptibilité appartiennent à l'essence de l'être. Dieu ne peut pas enlever à un être ce qui appartient à son essence; car il ne peut pas faire qu'un homme qui existe en tant qu'homme ne soit pas un animal[6]. Donc il ne peut enlever la durée éternelle aux êtres incorruptibles, et ainsi il ne peut pas les ramener au néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, corruptibile nunquam potest mutari ut fiat incorruptibile secundum suam naturam; nam incorruptibilitas corporum resurgentium non est naturae sed gloriae; et hoc ideo est, quia corruptibile et incorruptibile differunt genere, ut dictum est. Si autem quod est in se possibile non esse, ab aliquo necessitatem essendi posset acquirere, corruptibile posset in incorruptibilitatem mutari. Ergo impossibile est esse aliquid quod in se sit possibile non esse, et acquirat necessitatem ab alio; et sic idem quod prius.

11. Le corruptible ne peut jamais être changé pour devenir incorruptible par nature; car l'incorruptibilité des corps ressuscités ne vient pas de la nature mais de la gloire, et c'est parce que le corruptible et l'incorruptible diffèrent en genre comme on l'a dit. Mais si ce qui a en soi possibilité de ne pas être pouvait acquérir sa nécessité d'être de quelque chose, la corruptibilité pourrait être changée en incorruptibilité. Donc il est impossible qu'il y ait quelque chose qui a en soi la possibilité acquiert la nécessité d'un autre et ainsi de même que plus haut.

 

q. 5 a. 3 arg. 12 Praeterea, si creaturae non habent necessitatem nisi secundum quod dependent a Deo, a Deo autem dependent secundum quod Deus est earum causa; non habebunt necessitatem nisi per modum qui competit causalitati qua Deus eorum causa est. Deus autem est rerum causa non per necessitatem, sed per voluntatem, ut est in alia quaestione, ostensum. Sic ergo erit necessitas in rebus sicut in his quae a voluntate causantur. Ea autem quae sunt a voluntate, non simpliciter et absolute sunt necessaria, sed solum necessitate conditionata, eo quod voluntas non necessario determinatur ad unum effectum. Ergo sequitur quod in rebus nihil est necessarium absolute, sed solum sub conditione; sicut est necesse Socratem moveri, si currit; vel ambulare, si vult, nullo impedimento existente. Ex quo videtur sequi quod nihil sit in creaturis simpliciter incorruptibile, sed omnia sint corruptibilia; quod est inconveniens.

12. Si les créatures n'ont de nécessité qu'en tant qu'elle dépendent de Dieu, elles dépendent de lui selon qu'il est leur cause; elles n'auront de nécessité que par le mode qui convient à la causalité par laquelle Dieu est leur cause. Mais il est la cause des êtres non par nécessité, mais par volonté, comme on l'a montré dans une autre question (Pot. 3, 15). Donc il y aura nécessité dans les choses comme dans ce qui est causé par la volonté. Mais ce qui dépend de la volonté, n'est pas simplement et absolument nécessaire, mais seulement d'une nécessité conditionnelle, parce que la volonté n'est pas déterminée nécessairement à un seul effet. Donc il en découle que, dans les créatures, rien n'est absolument nécessaire, mais seulement sous condition, de même qu'il est nécessaire que Socrate soit en mouvement s'il court, ou se promène, s'il veut, s'il n'existe aucun empêchement. Il semble en découler que rien n'est dans les créatures absolument incorruptible, mais que tout est corruptible, ce qui ne convient pas.

 

q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, sicut Deus est summum bonum, ita est perfectissimum ens. Sed in quantum est summum bonum, ei convenit quod non possit esse causa mali culpae. Ergo in quantum est perfectissimum ens, non ei competit quod possit esse causa annihilationis rerum.

13. Dieu est le souverain bien, il est aussi l'étant absolument parfait. Mais dans la mesure où il est le souverain bien, il lui appartient de ne pas pouvoir être cause du mal de la faute. Donc en tant qu'étant absolument parfait, il ne lui revient pas de pouvoir être cause du retour au néant des êtres.

 

q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus est adeo bonus quod nunquam permitteret aliquid mali fieri, nisi esset adeo potens quod de quolibet malo posset elicere aliquod bonum. Sed si creaturae annihilarentur, nullum bonum inde eliceretur. Ergo Deus non potest hoc permittere quod creaturae in nihilum decidant.

14. Augustin dit (Enchiridion, XI) que Dieu est si bon que jamais il ne permettrait que quelque chose de mal soit fait, à moins qu'il ne soit assez puissant pour pouvoir tirer un bien de n'importe quel mal. Mais si les créatures retournaient au néant, il ne pourrait en tirer aucun bien. Donc Dieu ne peut pas permettre que les créatures retombent dans le néant.

 

q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea, non minor distantia est in nihilum de ente, quam de nihilo in esse. Sed reducere aliquid de nihilo in esse, est potentiae infinitae, propter distantiam infinitam. Ergo reducere de esse in nihil, non est nisi potentiae infinitae. Nulla autem creatura habet potentiam infinitam. Ergo subtracta actione creatoris, creatura non poterit in nihilum reduci. Quo quidem solo modo dicebatur Deus res posse annihilare, scilicet per suae actionis subtractionem. Nullo ergo modo Deus potest creaturas in nihilum redigere.

15. La distance n'est pas plus pe tite de l'être au néant, que du néant à l'être. Mais amener quelque chose du néant à l'être demande une puissance infinie, à cause de la distance infinie. Donc amener de l'être au néant, ne dépend que d'une puissance infinie. Mais aucune créature n'a de puissance infinie. Donc, si on exclut l'action du Créateur, la créature ne pourra pas retourner au néant. C'est de cette seule manière qu'on disait que Dieu pouvait ramener au néant, à savoir en retirant son action. Donc Dieu ne peut pas ramener les créatures au néant.

 

En sens contraire:

 

q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod Origenes dicit in periarchon: quod datum est, auferri atque recedere potest. Sed esse, datum est creaturae a Deo. Ergo potest auferri; et sic Deus potest creaturas in nihilum redigere.

1. Origène dit dans le Periarchon: "Ce qui a été donné, peut être enlevé et se retirer". Mais l'être est donné par Dieu à la créature. Donc il peut être enlevé, et ainsi Dieu peut ramener les créatures au néant.

 

q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod dependet ex simplici Dei voluntate, potest, etiam, Deo volente, cessare. Sed totum esse creaturae dependet ex simplici Dei voluntate; cum Deus per suam voluntatem sit causa rerum, et non per naturae necessitatem. Ergo, Deo volente, possunt creaturae in nihilum redigi.

2. Ce qui dépend de la volonté absolue de Dieu peut aussi cesser, s'il le veut. Mais tout l'être de la créature dépend de la volonté absolue de Dieu, puisqu'il est leur cause par sa volonté, et non par nécessité de nature. Donc, si Dieu le veut, les créatures peuvent être ramenées au néant.

 

q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Deus non est plus debitor creaturis postquam esse incoeperunt, quam antequam esse inciperent. Sed antequam creaturae inciperent, absque omni praeiudicio suae bonitatis poterat cessare ad hoc quod esse creaturis communicaret, quia sua bonitas in nullo a creaturis dependet. Ergo Deus potest absque praeiudicio suae bonitatis suam actionem a rebus creatis subtrahere; quo posito in nihilum deciderent, ut in praecedenti articulo ostensum est. Potest ergo Deus res annihilare.

3. Dieu n'est pas plus débiteur envers les créatures, après qu'elles ont commencé à être qu'avant. Mais avant qu'elles aient commencé, sans aucun préjudice pour sa bonté, il pouvait cesser de communiquer l'être aux créatures, parce que sa bonté ne dépend d'elle en rien. Donc Dieu peut, sans préjudice pour sa bonté, retirer son action des créatures; cela établi, elles retourneraient au néant, comme on l'a montré dans l'article précédant. Dieu peut donc ramener les créatures au néant.

 

q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea, eadem actione Deus res in esse produxit et eas in esse conservat, ut supra ostensum est. Sed Deus potuit res in esse non producere. Ergo eadem ratione potest eas annihilare.

4. Par la même action, Dieu amène les choses à l'être et les y conserve, comme on l'a montré plus haut. Mais il aurait pu ne pas les amener à l'être. Donc, pour la même raison, il peut les ramener au néant.

 

Réponse:

 

Dupliciter ergo potest contingere quod in natura alicuius rei non sit possibilitas ad non esse.

 

Uno modo per hoc quod res illa sit forma tantum subsistens in esse suo, sicut substantiae incorporeae, quae sunt penitus immateriales. Si enim forma ex hoc quod inest materiae, est principium essendi in rebus materialibus, nec res materialis potest non esse nisi per separationem formae; ubi ipsa forma in esse suo subsistit nullo modo poterit non esse; sicut nec esse potest a se ipso separari.

Donc il peut arriver de deux manières que, dans la nature d'une chose, il n'y ait pas de possibilité au non être:

 

1) Par la fait qu'elle est seulement une forme subsistante en son être, comme les substances incorporelles, qui sont tout à fait immatérielles. Car si la forme, du fait qu'elle est dans la matière, est principe d'être dans ce qui est matériel, cela ne peut pas ne pas exister, sinon par séparation de la forme; là où la forme même subsiste en son être, elle ne pourra en aucune manière ne pas être; ainsi son être ne peut pas en être séparé.

 

Alio modo per hoc quod in materia non sit potentia ad aliam formam, sed tota materiae possibilitas ad unam formam terminetur; sicut est in corporibus caelestibus, in quibus non est formarum contrarietas.

2) Par le fait que, dans la matière, il n'y a pas de puissance à une autre forme, mais toute la possibilité de la matière se termine à une seule forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de formes contraires.

 

Illae ergo solae res in sua natura possibilitatem habent ad non esse, in quibus est materia contrarietati subiecta. Aliis vero rebus secundum suam naturam competit necessitas essendi, possibilitate non essendi ab earum natura sublata. Nec tamen per hoc removetur quin necessitas essendi sit eis a Deo, quia unum necessarium alterius causa esse potest, ut dicitur in V Metaphysic. Ipsius enim naturae creatae cui competit sempiternitas, causa est Deus. In illis etiam rebus in quibus est possibilitas ad non esse, materia permanet; formae vero sicut ex potentia materiae educuntur in actum in rerum generatione, ita in corruptione de actu reducuntur in hoc quod sint in potentia. Unde relinquitur quod in tota natura creata non est aliqua potentia, per quam sit aliquid possibile tendere in nihilum.

Donc les seules choses en leur nature ont la possibilité à ne pas être sont celles en quoi la matière est soumise à la contrariété. Mais la nécessité d'être appartient à d'autres choses selon leur nature, une fois enlevée de leur nature la possibilité de ne pas être. Et cependant par cela il n'est pas exclu que la nécessité d'être leur vienne de Dieu, parce qu'une chose nécessaire peut être cause d'une autre, comme on le dit (Métaphysique, V, 5, 1015 b 10[8]). Car la cause de la nature créée, à qui appartient l'éternité, est Dieu. Dans ce en quoi il y a possibilité au non être, la matière demeure, mais les formes sont comme éduites de la puissance de la matière en acte dans la génération, de même dans la corruption, elles sont ramenées de l'acte à la puissance. C'est pourquoi il reste que dans toute la nature créée, il n'y a pas de puissance par laquelle quelque chose puisse tendre au néant.

 

Si autem recurramus ad potentiam Dei facientis, sic considerandum est, quod dupliciter dicitur aliquid Deo esse impossibile:

 

uno modo quod est secundum se impossibile, quod quia non natum est alicui potentiae subiici; sicut sunt illa quae contradictionem implicant.

 

Alio modo ex eo quod est necessitas ad oppositum; quod quidem dupliciter contingit in aliquo agente.

Mais si nous recourons à la puissance de Dieu créateur, il faut considérer alors qu'il y a deux manières de dire que quelque chose est impossible à Dieu.

 

1) D'une première manière, ce qui est impossible en soi, parce que ce n'est pas destiné à être soumis à une puissance: comme est ce qui implique une contradiction.

 

2) D'une autre manière, de ce qui est nécessité pour l'opposé; ce qui arrive de deux manières dans un agent:

 

Uno modo ex parte potentiae activae naturalis, quae terminatur ad unum tantum sicut potentia calidi ad calefaciendum; et hoc modo Deus pater necessario generat filium, et non potest non generare.

 

Alio modo ex parte finis ultimi in quem quaelibet res de necessitate tendit; sicut et homo de necessitate vult beatitudinem, et impossibile est eum velle miseriam; et similiter Deus vult de necessitate suam bonitatem, et impossibile est eum velle illa cum quibus sua bonitas esse non potest; sicut dicimus quod impossibile est Deum mentiri aut velle mentiri.

a) D'une première manière du côté de la puissance active naturelle, qui se termine à un effet seulement, comme la puissance du chaud pour réchauffer; et de cette manière, Dieu le Père engendre nécessairement le Fils et il ne peut pas ne pas l'engendrer.

 

b) D'une autre manière, du côté de la fin dernière à laquelle tout tend par nécessité; ainsi l'homme veut nécessairement sa béatitude, et il est impossible qu'il veuille le malheur, et de la même manière Dieu veut nécessairement sa bonté, et il est impossible qu'il veuille ce avec quoi sa bonté ne peut pas exister, de même que nous disons qu'il est impossible que Dieu mente ou veuille mentir.

 

Creaturas autem simpliciter non esse, non est in se impossibile quasi contradictionem implicans, alias ab aeterno fuissent. Et hoc ideo est, quia non sunt suum esse, ut sic cum dicitur, creatura non est omnino, oppositum praedicati includatur in definitione, ut si dicatur, homo non est animal rationale: huiusmodi enim contradictionem implicant, et sunt secundum se impossibilia. Similiter Deus non producit creaturas ex necessitate naturae ut sic potentia Dei determinetur ad esse creaturae, ut in alia quaestione, est probatum. Similiter etiam nec bonitas Dei a creaturis dependet, ut sine creaturis esse non possit: quia per creaturas nihil bonitati divinae adiungitur

Mais que les créatures n'existent absolument pas n'est pas impossible en soi, comme si cela impliquait une contradiction, autrement elles auraient exister de toute éternité. Parce qu'elles ne sont pas leur être, comme quand on dit que la créature n'existe absolument pas, l'opposé du prédicat est inclus dans la définition, comme si on disait que l'homme n'est pas un animal rationnel, car les propositions de ce genre impliquent une contradiction, et sont en soi impossibles. De la même manière Dieu ne produit pas les créatures par nécessité de nature, de sorte que sa puissance soit ainsi limitée à l'être de la créature, comme on l'a prouvé dans une autre question (3 a. 15). De même aussi la bonté de Dieu ne dépend pas des créatures, de sorte qu'il ne puisse exister sans créatures, parce qu'elles n'ajoutent rien à sa bonté.

 

Relinquitur ergo quod non est impossibile Deum res ad non esse reducere; cum non sit necessarium eum rebus esse praebere, nisi ex suppositione suae ordinationis et praescientiae, quia sic ordinavit et praescivit, ut res in perpetuum in esse teneret.

Il reste donc qu'il n'est pas impossible que Dieu ramène les créatures au non être, puisqu'il n'est nécessaire qu'il leur fournisse l'être, que dans l'hypothèse de sa disposition et de sa prescience, parce qu'il a ordonné ainsi et préconçu que les choses demeureraient en l'être éternellement

 

Solutions:

 

q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si creaturas Deus in nihilum redigeret, non esset causa tendendi in non esse; hoc enim non contingeret per hoc quod ipse causaret non esse in rebus, sed per hoc quod desineret rebus dare esse.

# 1. Si Dieu ramenait les créatures au néant, il ne serait pas cause de la tendance au non-être, car cela n'arriverait pas parce qu'il causerait le non être dans les créatures, mais parce qu'il cesserait de leur donner l'être.

 

q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res corruptibiles desinunt esse per hoc quod earum materia aliam formam recipit, cum qua forma prior stare non potest; et ideo ad earum corruptionem requiritur actio alicuius agentis, per quam forma nova educatur de potentia in actum. Sed si Deus res in nihilum redigeret, non esset ibi necessaria aliqua actio, sed solum hoc quod desisteret ab actione qua rebus tribuit esse; sicut absentia actionis solis illuminantis causat lucis privationem in aere.

# 2. Les choses corruptibles cessent d'exister du fait que leur matière reçoit une autre forme, avec laquelle la première ne peut pas demeurer, et c'est pourquoi pour leur corruption est requise l'action d'un agent par laquelle une forme nouvelle passe de la puissance à l'acte. Mais si Dieu ramenait les choses au néant, aucune action ne serait nécessaire, mais il renoncerait seulement à l'action par laquelle il leur a attribué l'être; ainsi l'absence d'action du soleil qui éclaire cause le manque de lumière dans l'air.

 

q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si Deus agendo, res annihilare posset; quod quidem non est; sed magis ab actione desistendo, ut dictum est.

# 3. Cette raison conviendrait si Dieu en agissant, pouvait ramener les choses au néant; ce qui n'est pas le cas, mais plutôt en renonçant à son action, comme on l'a dit.

 

q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ubi non est actio, non est necessarium finem requirere. Sed quia ipsum desistere ab actione non potest esse in Deo, nisi per suam voluntatem, quae non est nisi finis, posset in ipsa annihilatione rerum finis aliquis inveniri; ut sicut in productione rerum, finis est manifestatio copiae divinae bonitatis, ita in rerum annihilatione finis esse potest sufficientia suae bonitatis, quae in tantum est sibi sufficiens, ut nullo exteriori indigeat.

# 4. Là où il n'y a pas d'action, il n'est pas nécessaire de chercher la fin. Mais parce que renoncer à l'action ne peut exister en Dieu que par sa volonté, qui n'est que sa fin, on pourrait dans cet anéantissement de la fin trouver une fin, de même que dans la production des choses, la fin est la manifestation de l'abondance de la bonté divine, de la même manière dans leur annihilation, la fin peut être la suffisance de sa bonté, qui lui est suffisante en tant qu'il n'a besoin de rien d'extérieur.

 

q. 5 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod effectus a causa sequitur, et est secundum modum causae; unde effectus voluntatem consequentes, tunc a voluntate procedunt quando voluntas statuit esse procedendum; non autem de necessitate quando voluntas est. Et ideo, quia creaturae procedunt a Deo per voluntatem, tunc esse habent cum Deus vult eas esse; non de necessitate, quandocumque Dei voluntas est; alias ab aeterno fuissent.

# 5. L'effet découle de la cause et existe selon son mode, c'est pourquoi les effets qui découlent de la volonté, procèdent d'elle quand elle a décidé qu'il fallait le produire; mais non par nécessité, quand il y a volonté. Et parce que les créatures procèdent de Dieu par volonté, elles ont l'être quand il veut qu'elles existent; non par nécessité, mais chaque fois que c'est sa volonté, autrement elles auraient existé de toute éternité.

 

q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in actione Dei qua res producit, duo est considerare: scilicet ipsam substantiam operationis, et ordinem ad effectum. Substantia quidem operationis, cum sit divina essentia, aeterna est, nec potest non esse; ordo autem ad effectum, dependet ex voluntate divina: ex qualibet enim actione facientis non sequitur effectus nisi secundum exigentiam principii actionis; secundum enim modum caloris ignis calefacit. Unde cum principium factorum a Deo sit voluntas, secundum hoc in actione divina est ordo ad effectum, prout voluntas determinat. Et ideo quamvis actio Dei cessare non possit secundum suam substantiam, ordo tamen ad effectum cessare posset, si Deus vellet.

# 6. Dans l'action de Dieu, par laquelle il produit les créatures, il faut considérer deux points de vue: à savoir la substance de l'opération et la relation à l'effet. Comme la substance de l'opération est l'essence de Dieu, elle est éternelle et elle ne peut pas ne pas exister, mais la relation à l'effet dépend de la volonté divine, car de n'importe quelle action de celui qui produit, il ne découle un effet que selon l'exigence du principe d'action; en effet, le feu réchauffe selon le mode de la chaleur. C'est pourquoi comme la volonté est le principe de ce qui est produit par Dieu, dans son action, il y a un rapport à l'effet, selon que la volonté la détermine. Et c'est pourquoi, bien que l'action ne puisse pas cesser selon sa substance, cependant la relation à l'effet pourrait cesser, si Dieu le voulait.

 

q. 5 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod communis animi conceptio dicitur illa cuius oppositum contradictionem includit; sicut, omne totum est maius sua parte; quia non esse maius sua parte est contra rationem totius. Sic autem animam rationalem non esse, non est communis animi conceptio, ut ex dictis patet; sed naturam animae rationalis non esse corruptibilem, haec est communis animi conceptio. Si autem Deus animam rationalem in nihilum redigeret, hoc non esset per aliquam potentiam ad non esse quae sit in natura animae rationalis, ut dictum est.

# 7. On dit que la conception commune de l'esprit est celle dont l'opposé inclut une contradiction; de même que "le tout est plus grand que sa partie", parce que, ne pas être plus grand que sa partie est contre la nature du tout. Mais que l'âme rationnelle n'existe pas n'est pas la conception commune de l'esprit, comme cela paraît de ce qui a été dit, mais que sa nature ne soit pas corruptible, c'est cela la conception commune. Mais si Dieu la ramenait au néant, cela ne se ferait pas par un puissance au non être, qui serait dans sa nature, comme on l'a dit.

 

q. 5 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud in cuius natura est possibilitas ad non esse, non recipit necessitatem essendi ab alio, ita quod ei competat secundum naturam, quia hoc implicaret contradictionem, scilicet quod natura posset non esse et quod haberet necessitatem essendi; sed quod habeat incorruptibilitatem ex gratia vel gloria, hoc non prohibetur. Sicut corpus Adae fuit quodammodo incorruptibile per gratiam innocentiae, et corpora resurgentium erunt incorruptibilia per gloriam, per virtutem animae suo principio adhaerentis. Non tamen removetur quin ipsa natura in qua non est possibilitas ad non esse habeat necessitatem essendi ab alio; cum quidquid perfectionis habet, sit ei ab alio; unde cessante actione suae causae, deficeret, non propter potentiam ad non esse quae in ipso sit, sed propter potestatem quae est in Deo ad non dandum esse.

# 8. Ce en quoi la nature a la possibilité au non être, ne reçoit pas la nécessité d'être d'un autre, de sorte que cela lui appartienne en nature, parce que cela impliquerait contradiction, à savoir que la nature pourrait ne pas être et qu'elle aurait la nécessité d'être, mais ce qui aurait l'incorruptibilité par grâce ou par la gloire, n'en serait pas empêché. Ainsi le corps d'Adam a été d'une certaine manière incorruptible par la grâce de l'innocence et les corps des ressuscités seront incorruptibles par la gloire, par le pouvoir de l'âme adhérant à son principe. Cependant il n'est pas exclu que la nature même dans laquelle il n'y a pas possibilité au non être ait nécessité d'être d'un autre; puisque ce qu'il a de perfection lui vient d'un autre; c'est pourquoi si l'action de sa cause cessait, elle disparaîtrait, non à cause de la puissance au non être qui serait en elle, mais à cause du pouvoir de Dieu de ne pas lui donner l'être.

 

q. 5 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod in illis quae sunt per naturam incorruptibilia, non praeintelligitur potentia ad non esse quae tollatur per aliquid a Deo receptum, secundum quod obiectio procedebat; et hoc ex dictis patet. Sed in illis quae sunt incorruptibilia per gratiam, subest possibilitas ad non esse in ipsa natura; quae tamen totaliter reprimitur per gratiam ex virtute Dei.

# 9. Dans ce qui est par nature incorruptible, on ne préconçoit pas la puissance au non être qui serait enlevée par quelque don reçu de Dieu, selon ce que l'objection avançait, et cela paraît de ce qui a été dit. Mais dans ce qui est incorruptible par grâce demeure la possibilité au non être dans la nature même; qui cependant est totalement empêchée par la grâce qui dépend du pouvoir de Dieu

 

q. 5 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si Deus creaturas incorruptibiles in nihilum redigeret, ab earum conservatione cessando, non propter hoc sempiternitatem a natura separaret, quasi remaneret natura non sempiterna; sed tota natura deficeret influxu causae cessante.

# 10. Si Dieu ramenait les créatures incorruptibles au néant, en cessant de les conserver, ce n'est pas à cause de cela qu'il enlèverait l'éternité de la nature, comme si elle ne demeurait pas éternelle; mais elle disparaîtrait tout entière par la cessation de l'influx de la cause.

 

q. 5 a. 3 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod corruptibile per naturam non potest mutari ut fiat per naturam incorruptibile, nec e converso, quamvis illud quod est per naturam corruptibile, possit per gloriam supervenientem perpetuum fieri. Non tamen ex hoc oportet ponere aliqua corruptibilia fieri per naturam incorruptibilia, quia esse desinerent causa non cessante.

# 11. Le corruptible par nature ne peut pas être changé pour devenir incorruptible par nature, ni l'inverse, quoique ce qui est corruptible par nature, puisse devenir éternel par l'arrivée de la grâce. Cependant il ne faut pas en penser que ce qui est corruptible par nature devient incorruptible par nature, parce qu'il cesserait d'être sans que la cause cesse.

 

q. 5 a. 3 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod licet creaturae incorruptibiles ex Dei voluntate dependeant, quae potest eis esse praebere et non praebere; consequuntur tamen ex divina voluntate absolutam necessitatem essendi, in quantum in tali natura causantur, in qua non sit possibilitas ad non esse; talia enim sunt cuncta creata, qualia Deus esse ea voluit, ut Hilarius dicit in libro de synodis.

# 12. Bien que les créatures incorruptibles dépendent de la volonté de Dieu, qui peut leur offrir l'être ou pas, elles en reçoivent l'absolue nécessité d'être, dans la mesure où elles sont causées en une nature où il n'y a pas possibilité au non être; car toutes les créatures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient, comme Hilaire le dit dans le livre des Synodes.

 

q. 5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus licet possit creaturas redigere in nihilum, non tamen potest facere quod eis manentibus, ipse non sit earum causa: est autem earum causa, et sicut efficiens, et sicut finis. Sicut ergo Deus non potest facere quod creatura in esse manens ab eo non sit, ita non potest facere quod ad eius bonitatem non ordinetur. Unde, cum malum culpae privet ordinem qui est in ipsum sicut in finem, eo quod est aversio ab incommutabili bono, Deus non potest esse causa mali culpae, quamvis potest esse causa annihilationis, omnino a conservatione cessando.

# 13. Bien que Dieu puisse ramener les créatures au néant, cependant ils ne peut pas faire que, si elles demeurent, lui-même ne soit pas leur cause; mais il est leur cause et cause efficiente et comme finale. Donc de même que Dieu ne peut pas faire que la créature qui demeure dans l'être ne soit pas de lui, il ne peut pas faire qu'elle ne soit pas ordonnée à sa bonté. C'est pourquoi, comme le mal de la faute prive l'ordre qui est en lui comme dans la fin, parce qu'il est détournement du bien immuable, Dieu ne peut pas être cause du mal de la faute, quoiqu'il puisse être cause du retour au néant, en cessant tout à fait la conservation.

 

q. 5 a. 3 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Augustinus loquitur de malo culpae; et si loqueretur etiam de malo poenae, annihilatio tamen rerum nullum malum est: quia omne malum fundatur in bono, cum sit privatio, ut Augustinus dicit. Unde sicut ante rerum creationem malum non erat, ita nec malum esset, si omnia Deus annihilaret.

# 14. Augustin parle du mal de la faute, et s'il parlait aussi du mal de la peine, le retour au néant des choses cependant n'est aucun mal; parce que tout mal est fondé dans le bien, puisqu'il en est la privation, comme il le dit (Enchiridion, 11). C'est pourquoi, comme avant la création des choses, il n'y avait pas de mal, ainsi il n'y aurait pas de mal si Dieu ramenait tout au néant.

 

q. 5 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod in nulla creatura est virtus quae possit vel de nihilo aliquid facere vel aliquid in nihilum redigere. Quod autem creaturae in nihilum redigerentur divina conservatione cessante, hoc non esset per aliquam actionem creaturae, sed per eius defectum, ut ex praedictis patet.

# 15. Dans aucune créature il n'y a un pouvoir qui puisse ou bien de rien faire quelque chose, ou bien ramener quelque chose au néant. Mais que les créatures soient ramenées au néant, si la conservation de Dieu cessait, cela ne viendrait pas par une action de la créature, mais de sa défaillance, comme cela paraît dans ce qui a été dit.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 3 – qu. 9, a. 2 – Veritate. qu. 5, a. 2, ad 6 – Quodl. IV, qu. 3, a. 1

 

[2] PL 40, 16.

 

[3] PL. 34, 32. Autre texte: in quantum Deus bonus est, sumus, cité Ia, qu. 104, a. 3, obj. 2.

 

[4] Cf. Pot,3, 1, obj. 1.

 

[5] Pour Aristote, le corruptible et l'incorruptible sont des contraires: "Car la privation est une impuissance déterminée" (1050 b 26) Mais ils n'appartiennent pas à l'être par accident "car rien n'est corruptible par accident...le corruptible est au nombre des attributs qui appartiennent nécessairement aux choses auxquelles ils appartiennent sinon un seul et même être serait corruptible et incorruptible, puisqu'il pourrait se faire que le corruptible ne lui appartînt pas". (Trad. J. Tricot).

 

[6] L'homme est un animal doué de raison.

 

[7] Anawati, 356, 3.

 

[8] "Parmi les choses nécessaires, les unes ont en dehors d'elles la cause de leur nécessité, les autres l'ont en elles-mêmes, et sont elles-mêmes source de nécessité pour d'autres choses."

 

 

Article 4: Une créature doit-elle retourner au néant, ou même y retournera-t-elle?

q. 5 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum aliqua creatura in nihilum sit redigenda, vel etiam in nihilum redigatur.. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections:

q. 5 a. 4 arg. 1 Sicut enim potentia finita non potest movere tempore infinito, ita nec per potentiam finitam potest aliquid esse tempore infinito. Sed omnis potentia corporis est finita, ut probatur in VIII Phys. Ergo in nullo corpore est potentia, ut possit durare tempore infinito. Quaedam autem corpora sunt quae non possunt corrumpi, eo quod non habent contrarium, sicut corpora caelestia. Ergo necesse est quod quandoque in nihilum redigantur.

1. Car une puissance finie ne peut pas mouvoir pendant un temps infini, de même rien ne peut exister par une puissance finie pendant un temps infini. Mais toute puissance d'un corps est finie, comme il est prouvé (Phys. VIII, 10, 266 a 25- 266 b 5). Donc, dans aucun corps, il n'y a de la puissance pour durer un temps infini. Il existe certains corps qui ne peuvent pas être corrompus, du fait qu'ils n'ont pas de contraire, comme les corps célestes. Donc il est nécessaire qu'un jour ils retournent au néant.

q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est propter aliquem finem adipiscendum, habito fine, ulterius eo non indigetur; sicut patet de navi, quae necessaria est mare transeuntibus, non autem iam transito mari. Sed creatura corporalis creata est propter spiritualem, ut per eam iuvetur ad suum finem consequendum. Cum ergo creatura spiritualis erit in suo fine ultimo constituta, corporali ulterius non indigebit. Cum ergo nihil sit superfluum in operibus Dei, videtur quod in ultimo rerum fine omnis creatura corporalis deficiet.

2. Ce qui est en vue d'une fin, une fois celle-ci obtenue, n'en a plus besoin, comme on le voit pour le bateau, nécessaire pour ceux qui traversent la mer, mais non quand elle est déjà traversée. Mais la créature corporelle est créée en vue de la créature spirituelle pour être aidée par elle à parvenir à sa fin. Donc quand la créature spirituelle sera installée en sa fin ultime, elle n'aura plus besoin de ce qui est corporel. Donc comme rien n'est superflu dans les oeuvres de Dieu, il semble qu'à la fin ultime du monde, toute créature corporelle cessera d'exister.

q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, nihil quod est per accidens, est infinitum. Sed esse est cuilibet creaturae per accidens, ut Avicenna dicit: unde et Hilarius Deum a creatura distinguens, dicit: esse non est accidens Deo. Ergo nulla creatura in infinitum durabit; et sic omnes creaturae quandoque deficient.

3. Rien de ce qui existe par accident n'est infini. Mais n'importe quelle créature a l'être par accident, comme le dit Avicenne (Métaphysique VIII, 4); c'est pourquoi Hilaire (La Trinité, VII), distinguant Dieu de la créature, dit: "L'être n'est pas un accident pour Dieu". Donc aucune créature ne durera éternellement, et ainsi elles disparaîtront toutes un jour

q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea, finis debet respondere principio. Sed creaturae principium sumpserunt postquam nihil erat praeter Deum. Ergo adhuc creaturae reducentur in finem, quod omnino nihil erit.

4. Le fin doit répondre au commencement. Mais les créatures ont reçu un commencement, après qu'il n'y eut rien, sauf Dieu. Donc là encore les créatures seront ramenées à une fin ce qui sera tout à fait le néant.

q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum durare. Sed illud quod non semper fuit, non habet virtutem ut sit semper. Ergo quod non semper fuit, non potest in perpetuum durare. Sed creaturae non semper fuerunt. Ergo non possunt in perpetuum durare; et sic quandoque in nihilum redigentur.

5. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas durer éternellement. Mais ce qui n'a pas toujours existé, n'a pas ce pouvoir de toujours exister. Donc ce qui n'a pas toujours existé ne peut pas durer éternellement. Mais les créatures n'ont pas toujours existé. Donc elles ne peuvent durer éternellement, et ainsi un jour elles retourneront au néant.

q. 5 a. 4 arg. 6 Praeterea, iustitia requirit hoc, ut propter ingratitudinem aliquis beneficio accepto vel suscepto privetur. Sed per peccatum mortale homo ingratus est inventus. Ergo iustitia hoc exigit ut omnibus beneficiis Dei privetur, inter quae etiam est ipsum esse. Iudicium autem Dei de peccatoribus erit iustum, secundum apostolum, Rom. II, 2. Ergo in nihilum redigentur.

6. La justice requiert qu'à cause de son ingratitude, quelqu'un soit privé d'un bienfait reçu ou concédé. Mais par le péché mortel, l'homme se montre ingrat. Donc la justice exige qu'il soit privé de tous les bienfaits de Dieu, parmi lesquels l'être lui-même. Mais le jugement de Dieu sera juste pour les pécheurs, selon l'Apôtre (Rm. 2, 2). Donc ils retourneront au néant.

q. 5 a. 4 arg. 7 Praeterea, ad hoc est quod dicitur Ierem. X, 24: corripe me, domine; verumtamen in iudicio, et non in furore tuo, ne forte ad nihilum redigas me.

7. Il y a ce qui est dit en Jérémie (10, 24) "Corrige-moi, Seigneur, dans une juste mesure cependant, et sans fureur, pour ne pas me ramener au néant".

q. 5 a. 4 arg. 8 Sed diceretur, quod Deus semper punit citra condignum, propter misericordiam, quae in Dei iudicio iustitiae admiscetur; et sic Deus non totaliter peccatores a participatione suorum beneficiorum excludet.- Sed contra, in hoc homini misericordia non praestatur quod sibi detur aliquid quod melius esset ei non habere. Sed damnato in Inferno melius esset non esse quam sic esse; quod patet per id quod dicitur Matth. XXVI, 24 de Iuda: melius erat ei si natus non fuisset homo ille. Ergo ad misericordiam Dei non pertinet quod damnatos conservet in esse.

8. Mais on pourrait dire, que Dieu punit toujours en deçà de ce qui est mérité, à cause de sa miséricorde, qui est mêlée à la justice dans son jugement; et ainsi il n'exclut pas totalement les pécheurs de la participation à ses bienfaits. – En sens contraire, la miséricorde n'est pas conservée à cet homme pour lui donner quelque chose qu'il lui serait meilleur de ne pas avoir. Mais pour celui qui est condamné à l'enfer, il eut mieux valu ne pas exister que d'être ainsi, ce qui paraît par ce qui est dit en Mt. 26, 24, au sujet de Juda: "Il était meilleur pour cet homme de n'être pas né." Donc il ne convient pas à la miséricorde de Dieu de conserver les condamnés dans l'être .

q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea, illa quae non habent materiam partem sui, corrumpuntur omnino, idest totaliter, cum esse desinunt, [ut dicitur in III Metaph.] sicut sunt accidentia. Haec autem frequenter esse desinunt. Ergo aliqua in nihilum rediguntur.

9. Ce qui n'a pas de matière en participation, est corrompus tout à fait, c'est-à-dire à dire totalement, puisqu'ils cessent d'exister [comme il est dit en Métaphysique , III], comme sont les accidents. car ceux-ci cessent fréquemment d'exister. Donc certains retournent au néant.

q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, philosophus in VI Physic. argumentatur, quod si continuum est ex indivisibilibus, necesse est quod indivisibilia dividantur. Ex quo potest accipi quod unumquodque resolvitur in ea ex quibus est. Sed omnes creaturae sunt ex nihilo. Ergo omnes in nihilum quandoque redigentur.

10. Le philosophe (Physique VI, 1, 231 b 18) démontre que, si le continu vient de l'indivisible, il est nécessaire que l'indivisible soit divisé. C'est pour cela qu'on peut accepter que chacun soit ramené en ce d'où il est . Mais toutes les créatures viennent du néant. Donc toutes, un jour, y retourneront.

q. 5 a. 4 arg. 11 Praeterea, II Petr. III, 10, dicitur: caeli magno impetu transient. Sed non possunt transire per corruptionem in aliquod aliud corpus, cum non habeant contrarium. Ergo transibunt in nihilum.

11. En II Pier, III, 10, il est dit: "Les cieux se dissiperont avec grand fracas" Mais ils ne peuvent passer par corruption en quelque autre corps, puisqu'ils n'ont pas de contraire. Donc ils iront au néant.

q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, ad idem est quod dicitur in Ps. ci, 26: opera manuum tuarum sunt caeli, ipsi peribunt; et Luc. XXI, 33, dicitur: caelum et terra transibunt.

12. Il est dit de même au Ps. 101, 26: "Les cieux sont l'oeuvre de tes mains, ils périront". et en Lc 21, 33 on lit: "La ciel et la terre passeront."

En sens contraire:

q. 5 a. 4 s. c. Sed contra est quod dicitur Eccle. I, 4: terra autem in aeternum stat. Praeterea, Eccle. III, 14, dicitur: didici quod omnia opera quae fecit Deus perseverent in aeternum. Ergo creaturae in nihilum non redigentur.

Il y a ce que dit l'Eccle 1, 4: "Mais la terre demeure éternellement." En outre Eccle. 3, 14: "J'ai appris que toutes les oeuvres faites par Dieu demeureront éternellement". Donc les créatures ne retourneront pas au néant.

Réponse:

q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod universitas creaturarum nunquam in nihilum redigetur. Et quamvis creaturae corruptibiles non semper fuerint, in perpetuum tamen secundum suam substantiam durabunt; licet a quibusdam positum fuerit, quod omnes creaturae corruptibiles in ultima rerum consummatione deficient in non esse; quod quidem Origeni ascribitur, qui tamen hoc non videtur dicere, nisi aliorum opinionem recitando.

La totalité des créatures ne retournera jamais au néant. Et quoique les créatures corruptibles n'aient pas toujours existé, elles dureront éternellement, cependant selon leur substance; bien que quelques-uns aient pensé que toutes les créatures corruptibles disparaîtront dans le non être à l'ultime consommation du monde, ce qui est rapporté d'Origène, qui cependant ne semble en parler qu'en rapportant l'opinion des autres.

Huius tamen rationem sumere possumus ex duobus.

Primo quidem ex divina voluntate, ex qua creaturarum esse dependet. Voluntas enim Dei, quamvis, absolute considerata, ad opposita se in creaturis habeat, eo quod non magis ad unum quam ad alterum obligatur; ex suppositione tamen facta aliquam necessitatem habet. Sicut enim in creaturis aliquid quod se ad opposita habet, necessarium creditur positione aliqua facta, ut Socratem possibile est sedere et non sedere; necessarium tamen est eum sedere, cum sedet; ita voluntas divina, quae, quantum est de se, potest velle aliquid et eius oppositum, ut Petrum salvare, vel non, non potest velle Petrum non salvare, dum vult Petrum salvare. Et quia eius voluntas immutabilis est, si ponitur aliquando eum aliquid velle, necessarium est ex suppositione illud eum semper velle, licet non sit necessarium ut velit quod sit semper, quod vult esse aliquando.

Cependant nous pouvons en tirer la raison de deux points de vue:

1) Car quoique la volonté de Dieu, considérée dans l'absolu, se porte vers les opposés dans les créatures, parce qu'il n'est pas plus obligé envers l'une qu'envers l'autre, cependant, par hypothèse, une fois faite, elle a une certaine nécessité. Ainsi, en effet,, on croit que dans les créatures, ce qui se porte vers les opposés est nécessaire, une fois la situation établie. De même qu'il est possible que Socrate s'assied, ou pas; cependant il est nécessaire qu'il soit assis quand il s'assied; de la même manière la volonté divine, qui, quant à elle, peut vouloir quelque chose et son opposé, comme sauver Pierre, ou non, ne peut pas vouloir que Pierre ne soit pas sauvé, pendant qu'elle veut le sauver. Et parce que sa volonté est immuable, si on pense qu'il veut quelque chose quelquefois, il est nécessaire par hypothèse qu'il le veuille toujours, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'il veuille qu'existe toujours ce qu'il veut exister quelquefois.

Quicumque autem vult aliquid propter se ipsum, vult ut illud sit semper, ex hoc ipso quod illud propter se vult. Quod enim aliquis vult quandoque esse et postmodum non esse, vult esse ut aliquid aliud perficiat; quo perfecto, eo non indiget quod propter illud perficiendum volebat. Deus autem creaturarum universitatem vult propter se ipsam, licet et propter se ipsum eam vult esse; haec enim duo non repugnant. Vult enim Deus ut creaturae sint propter eius bonitatem, ut eam scilicet suo modo imitentur et repraesentent; quod quidem faciunt in quantum ab ea esse habent, et in suis naturis subsistunt. Unde idem est dictu, quod Deus omnia propter se ipsum fecit, [quod dicitur Proverb. XVI, 4: Universa propter semetipsum operatus est Dominus Éd.Marietti]et quod creaturas fecerit propter earum esse, quod dicitur Sap. I, 14: creavit enim ut essent omnia. Unde ex hoc ipso quod Deus creaturas instituit, patet quod voluit eas semper durare; cuius oppositum propter eius immobilitatem nunquam continget.

Mais quiconque veut quelque chose pour lui, veut que cela existe toujours, du fait qu'il le veut pour lui. Car si quelqu'un veut qu'une chose existe un temps, et qu'ensuite elle n'existe plus, il veut qu'elle existe pour achever quelque chose d'autre; cela accompli, il n'a plus besoin de ce qu'il voulait pour l'accomplir. Mais Dieu veut la totalité des créatures pour elle-même, bien qu'il la veuille aussi pour lui; car ces points de vue ne s'opposent pas. Car Dieu veut que les créatures existent pour sa bonté, pour qu'elles l'imitent à leur manière et le représentent; ce qu'elles font dans la mesure où elles ont l'être par sa bonté, et qu'elles subsistent dans leur nature. C'est pourquoi c'est le même chose de dire, que Dieu fit tout pour lui (ce qui est dit en Prov. 16, 4: "Le Seigneur a tout fait pour lui-même"), et qu'il ait fait les créatures pour leur être, ce qui est dit en Sg. 1, 14, "Car [Dieu] a créé pour que tout existe". C'est pourquoi du fait que Dieu a institué les créatures, il est clair qu'il a voulu qu'elle durent toujours; et l'opposé n'arrivera jamais à cause de son immutabilité.

Secundo ex ipsa rerum natura; sic enim Deus unamquamque naturam instituit, ut ei non auferat suam proprietatem; unde dicitur Rom. XI, 24, in Glossa [ordinaria ad illa verba: Contra naturam insertus est –Marietti] quod Deus, qui est naturarum conditor, contra naturas non agit, etsi aliquando in argumentum fidei in rebus creatis aliquid supra naturam operetur. Rerum autem immaterialium, quae contrarietate carent, proprietas naturalis est earum sempiternitas; quia in eis non est potentia ad non esse, ut supra ostensum est. Unde sicut igni non aufert naturalem inclinationem, qua sursum tendit, ita non aufert rebus praedictis sempiternitatem, ut eas in nihilum redigat.

2) [Nous pouvons l'accepter] à cause de la nature même des choses; car Dieu a institué chaque nature, de sorte qu'il ne lui enlève pas son caractère propre; c'est pourquoi il est dit en Rm 11, 24, dans la Glose (ordinaire, pour cette parole: "Greffé contre nature") que Dieu qui est le créateur des natures n'agit pas contre elles, même si quelquefois pour mettre la foi en lumière, il opère dans les créatures ce qui dépasse leur nature. Mais le caractère naturel des êtres immatériels qui n'ont pas de contraire, est leur éternité; parce que, en eux, il n'y a pas de puissance au non être, comme on l'a montré ci-dessus. C'est pourquoi, de même qu'il n'enlève pas le penchant naturel du feu, qui tend vers le haut, de même il n'élève pas l'éternité aux choses dont on a parlé, pour les ramener au néant.

Solutions:

q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, secundum Commentatorem XI Metaph., quod licet omnis potentia quae est in corpore, sit finita, non tamen oportet quod in quolibet corpore sit potentia finita ad esse, quia in corporibus corruptibilibus per naturam, non est potentia ad esse, nec finita nec infinita, sed ad moveri tantum. Sed haec solutio non videtur valere: quia potentia ad esse non solum accipitur secundum modum potentiae passivae, quae est ex parte materiae, sed etiam secundum modum potentiae activae, quae est ex parte formae, quae in rebus incorruptibilibus deesse non potest. Nam quantum unicuique inest de forma, tantum inest ei de virtute essendi; unde et in I caeli et mundi philosophus vult quod quaedam habeant virtutem et potentiam ut semper sint.

# 1. Selon le Commentateur (Métaphysique, 9, com. 41), bien que toute la puissance, qui est dans un corps, soit limitée, il ne faut pas cependant que, dans quelque corps, il y ait une puissance limitée à l'être, parce que dans les corps corruptibles par nature, il n'y a pas de puissance à être, ni finie, ni infinie, mais seulement puissance à se mouvoir. Mais cette solution ne semble pas valable, parce que la puissance à être non seulement est reçue selon le mode de la puissance passive, qui vient de la matière, mais aussi selon le mode de la puissance active, qui vient de la forme, qui ne peut pas manquer dans les choses incorruptibles. Car autant il y a de forme en chacun, autant il y a en lui de pouvoir à être; c'est pourquoi aussi dans le Ciel et le monde, I, le philosophe veut que certaines [formes] aient un pouvoir et une puissance à exister toujours.

Et ideo aliter dicendum, quod ex infinitate temporis non ostenditur habere infinitatem nisi illud quod tempore mensuratur vel per se, sicut motus, vel per accidens, sicut esse rerum quae motui subiacent, quae aliqua periodo motus durant, ultra quam durare non possunt. Esse autem corporis caelestis nullo modo attingitur nec a tempore nec a motu, cum sit omnino invariabile. Unde ex hoc quod caelum est tempore infinito, esse eius nullam infinitatem habet, sicut omnino extra continuitatem temporis existens; propter quod a theologis dicitur mensurari aevo. Unde non requiritur in caelo aliqua virtus infinita ad hoc quod sit semper.

Et c'est pourquoi il faut dire autrement: l'infinité du temps ne montre qu'on a l'infini que s'il est mesuré par le temps ou par soi, comme le mouvement, ou par accident, comme l'être des choses soumises au mouvement, dont certaines durent le temps du mouvement, au-delà duquel elles ne peuvent plus durer. Mais l'être du corps céleste n'est atteint en aucune manière, ni par le temps, ni par le mouvement, puisqu'il est tout à fait invariable. C'est pourquoi de ce que le ciel soit dans un temps infini, son être n'a aucune infinité, comme existant tout à fait hors du déroulement du temps; c'est pour cela que les théologiens disent qu'il est mesuré par l'ævum. C'est pourquoi aucun pouvoir infini n'est requis dans le ciel pour qu'il dure toujours.

q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut una pars exercitus ordinatur et ad aliam et ad ducem, ita corporalis creatura ordinatur et ad perfectionem spiritualis creaturae iuvandam, et ad divinam bonitatem repraesentandam; quod semper faciet, licet primum cesset.

# 2. De même qu'une partie de l'armée est ordonnée à l'autre et au général, de même la créature corporelle est ordonnée pour aider à la perfection de la créature spirituelle, et pour représenter la bonté divine, ce qui se fera toujours, bien que le premier cesse.

q. 5 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod esse non dicitur accidens quod sit in genere accidentis, si loquamur de esse substantiae (est enim actus essentiae), sed per quamdam similitudinem: quia non est pars essentiae, sicut nec accidens. Si tamen esset in genere accidentis, nihil prohiberet quin in infinitum duraret: per se enim accidentia ex necessitate suis substantiis insunt; unde et nihil prohibet ea in perpetuum inesse. Sed accidentia quae per accidens insunt subiectis, nullo modo in perpetuum durant secundum naturam. Huiusmodi autem esse non potest ipsum esse rei substantiale, cum sit essentiae actus.

# 3. L'être n'est pas appelé accident, parce qu'il serait dans le genre de l'accident, si nous parlons de l'être de la substance (c'est en effet l'acte de l'essence), mais par une certaine ressemblance; parce qu'il n'est pas partie de l'essence ni de l'accident non plus. Si cependant il était dans le genre de l'accident, rien n'empêcherait qu'il dure à l'infini; car par soi les accidents sont par nécessité dans leurs substances; c'est pourquoi rien n'empêche qu'ils y soient à perpétuité. Mais les accidents qui sont dans les substrats par accident, ne durent en aucune manière perpétuellement selon leur nature. L'être de ce genre ne peut être l'être même substantiel de la chose, puisqu'il est l'acte de l'essence.

q. 5 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod antequam res essent, non erat aliqua natura cuius proprietas esset ipsa sempiternitas, sicut est aliqua natura rebus iam creatis. Et praeterea hoc ipsum potuit esse ad aliquam perfectionem creaturae spiritualis quod res non semper fuerint, quia per hoc Deus expresse rerum causa ostenditur. Nulla autem utilitas sequeretur si omnia in nihilum redigerentur. Et ideo non est simile de principio et fine.

# 4. Avant que les choses existent, il n'y avait pas de nature, dont le caractère propre soit l'éternité, comme il y a une nature pour les choses déjà créées. Et en outre, cela a pu être en vue d'un perfection de la créature spirituelle, que les choses n'ont pas toujours existé, parce qu'ainsi Dieu se montre expressément comme leur cause. Mais aucune utilité n'en découlerait si tout était ramené au néant. Et c'est pourquoi ce n'est pas pareil pour le commencement et la fin.

q. 5 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa quae semper durabunt, habent virtutem ut sint semper: hanc tamen virtutem non semper habuerunt, et ideo non semper fuerunt.

# 5. Ces êtres qui dureront toujours ont pouvoir d'exister toujours; cependant ils n'ont pas eu toujours ce pouvoir, et c'est pourquoi ils n'ont pas toujours existé.

q. 5 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet Deus, de iustitia, creaturae contra se peccanti posset esse subtrahere, et eam in nihilum redigere, tamen convenientior iustitia est ut eam in esse reservet ad poenam: et hoc propter duo.

# 6. Bien que Dieu, par justice, puisse retirer l'être à la créature qui pèche contre lui, et la ramener au néant, cependant c'est une justice plus conforme de la conserver dans l'être pour le châtiment, et cela pour deux raisons.

Primo, quia illa iustitia non haberet aliquid misericordiae admixtum, cum nihil remaneret cui posset misericordia adhiberi: dicitur autem in Psal. XXIV, 10, quod universae viae domini misericordia et veritas.

a) Parce que cette justice ne serait en rien mêlée à la miséricorde, puisque rien ne demeurerait à qui il pourrait l'accorder; il est dit au Ps. 24, 10 que "toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité".

Secundo, quia ista iustitia congruentius respondet culpae in duobus. In uno quidem, quia in culpa voluntas contra Deum agit, non autem natura quae ordinem sibi a Deo inditum servat; et ideo talis debet esse poena quae voluntatem affligat, naturae nocendo, qua voluntas abutitur. Si autem creatura omnino in nihilum redigeretur, esset tantum nocumentum naturae, et non afflictio voluntatis.

b) Parce que cette justice répond plus convenablement à la faute pour deux raisons:

i) Parce que, dans la faute, la volonté agit contre Dieu, mais pas la nature qui lui conserve l'ordre inscrit par Dieu, et c'est pourquoi tel doit être le châtiment qui châtie la volonté, en blessant la nature dont la volonté abuse. Mais si la créature était ramenée tout à fait au néant, ce serait un aussi grand préjudice pour la nature et non un accablement de la volonté.

In altero vero, quia cum in peccato duo sint, scilicet aversio ab incommutabili bono et conversio ad bonum commutabile, conversio post se aversionem trahit: nullus enim peccans intendit a Deo averti, sed quaerit frui temporali bono, cum quo simul Deo frui non potest. Unde cum poena damni aversioni culpae respondeat, conversioni vero eius poena sensus pro actuali culpa, conveniens est ut poena damni non sit sine poena sensus. Si autem in nihilum creatura redigeretur, esset quidem poena damni aeterna, sed non remaneret poena sensus.

ii) Parce que, comme dans le péché, il y a deux mouvements, à savoir le détournement du bien immuable, et l'adhésion au bien changeant, cette dernière adhésion entraîne après elle le détournement; car aucun pécheur ne tend à se détourner de Dieu, mais cherche à jouir du bien temporel, avec lequel il ne peut pas en même temps jouir de Dieu. C'est pourquoi, comme la peine du châtiment répond au détournement de la faute, la peine du sens convient à l'adhésion pour la faute actuelle, il est convenable que la peine du préjudice ne soit pas sans peine du sens. Mais si la créature retournait au néant, ce serait la peine éternelle du préjudice, mais la peine du sens ne demeurerait pas.

q. 5 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod iudicium de quo propheta mentionem facit, praedictam consecutionem, congruentiam vel operationem poenae ad culpam importat. Furor enim a quo liberari petit, misericordiae temperamentum excludit.

# 7. Le jugement dont le Prophète fait mention, apporte la conséquence annoncée ou l'opération du châtiment pour la faute. Car le délire prophétique dont il demande à être libéré exclut la modération de la miséricorde.

q. 5 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod aliquid dicitur melius vel propter praesentiam magis boni, et sic melius est damnato esse quam non esse; vel propter absentiam mali: quia etiam carere malo, in rationem boni cadit, secundum philosophum. Et secundum hoc intelligitur verbum domini inductum.

# 8. On dit qu'une chose est meilleure, ou bien, à cause de la présence de plus de bien, et ainsi il est meilleur pour le condamné d'exister que de ne pas exister, ou bien, à cause de l'absence de mal; parce que le manque de mal, appartient à la définition du bien, selon le philosophe (Éth., V, 8). Et c'est ainsi qu'on comprend la parole du Seigneur qui est rapportée.

q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod formae et accidentia etsi non habeant materiam partem sui ex qua sint, habent tamen materiam in qua sunt et de cuius potentia educuntur; unde et cum esse desinunt, non omnino annihilantur, sed remanent in potentia materiae, sicut prius.

# 9. Même si les formes et les accidents n'ont pas de matière de ce dont ils viennent, ils ont cependant la matière dans laquelle ils sont et de la puissance dont ils sont éduits, c'est pourquoi, quand ils cessent d'exister, ils ne sont pas tout à fait ramenés au néant, mais ils demeurent dans la puissance de la matière, comme plus haut.

q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod sicut creaturae sunt ex nihilo, ita in nihilum sunt redigibiles, si Deo placeret.

# 10. Les créatures viennent du néant, de la même manière, de même elles sont aussi capables d'y retourner, si cela plaisait à Dieu.

q. 5 a. 4 ad 11 Ad undecimum et duodecimum dicendum, quod auctoritates illae non sunt intelligendae hoc modo quod substantia mundi pereat, sed figura, ut apostolus dicit I ad Cor. VII, 31.

# 11 et 12. Ces autorités ne sont pas à comprendre comme si la substance du monde périssait, mais en figure, comme l'Apôtre le dit (1 Co. 7, 31).

 

[1] Parall.: Ia, qu. 104, a. 4 – qu. 65, a. 1, ad 1 – Pot. qu. 5, a. 9 ad 1.

 

 

 

Article 5: Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?

 

q. 5 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum motus caeli quandoque deficit. Et videtur quod non.

 

Il semble que non[1].

 

Objections:

 

q. 5 a. 5 arg. 1 Dicitur enim Gen. VIII, 22: cunctis diebus terrae, sementis et messis, frigus et aestus, aestas et hiems, nox et dies non requiescent. Haec autem omnia ex motu caeli proveniunt. Ergo motus caeli non requiescet quamdiu terra erit. Terra autem in aeternum stat, ut dicitur Eccle. I, 4. Ergo et motus caeli in aeternum erit.

1. Car il est dit en Gn 8, 22: "Pendant tous les jours de la terre, semence et moisson, froid et chaud, été et hiver, nuit et jour ne se cesseront pas." Mais tout cela provient du mouvement du ciel. Donc son mouvement ne cessera pas tant que la terre existera. "Mais la terre demeure dans l'éternité", comme il est dit dans l'Eccle. 1, 4. Donc le mouvement du ciel sera éternel.

 

q. 5 a. 5 arg. 2 Sed diceretur quod intelligitur de terra prout servit homini secundum praesentem statum, quo per seminationem et messem homo fructus ex ea colligit ad sustentationem vitae animalis, non autem prout terra serviet homini iam glorificato, in aeternum durans ad maiorem bonorum iucunditatem.- Sed contra dicitur Ierem. XXXI, 35: haec dicit dominus qui dat solem in lumine diei, ordinem lunae et stellarum in lumine noctis; qui turbat mare, et sonant fluctus eius: dominus exercituum nomen eius. Si defecerint leges istae coram me, tunc et semen Israel deficiet ut non sit coram me gens semper. Non autem intelligitur de Israel carnali, qui iam per sui dispersionem gens dici non potest. Unde oportet quod intelligatur de Israel spirituali, qui tunc maxime coram Deo gens erit, cum per essentiam Deum videbit. Ergo in statu beatitudinis leges praemissae, quae motum caeli sequuntur non cessabunt; et sic neque per consequens motus caeli.

2. Mais on pourrait dire qu'on le comprend de la terre dans la mesure où elle sert à l'homme selon l'état présent; par l'ensemencement et la moisson, il en tire des fruits pour la conservation de sa vie physique, mais non selon qu'elle servirait à l'homme déjà glorifié, demeurant éternellement pour une plus grande jouissance des biens – En sens contraire, il est dit en Jr. (31, 35): "Le Seigneur parle, lui qui donne le soleil pour la lumière du jour, l'ordonnancement de la lune et des étoiles pour la lumière de la nuit, qui agite la mer et fait gronder ses flots. Le Seigneur des armées, c'est son nom. Si ces lois cessaient devant moi, alors la descendance d'Israël cesserait d'être un peuple devant moi toujours." Mais on ne le comprend pas de l'Israël charnel, qui déjà par sa diaspora ne peut plus être appelé un peuple. C'est pourquoi il faut le comprendre de l'Israël spirituel, qui, alors, sera surtout une peuple devant Dieu, quand il le verra par son essence. Donc dans l'état de béatitude, les lois susdites, qui suivent le mouvement du ciel ne cesseront pas, ni par conséquence le mouvement du ciel non plus.

 

q. 5 a. 5 arg. 3 Praeterea, quaecumque necessitatem ex priori necessario habent, sunt necessaria absolute, ut patet per philosophum in II Physic., sicut mors animalis, quae necessaria est propter materiae necessitatem. Operationes autem rerum incorruptibilium, inter quas motum caeli oportet ponere, sunt propter substantias eorum quorum sunt operationes, et sic necessitatem ex priori habere videntur; cum e converso sit in corruptibilibus, quorum substantiae sunt propter earum operationes; unde ex posteriori necessitatem habent, ut Commentator ibidem dicit. Ergo motus caeli necessitate absoluta necessarius est, et ita nunquam cessabit.

3. Tout ce qui tire sa nécessité d'un premier nécessaire, est absolument nécessaire, comme on le voit chez le philosophe (Physique II, 9, 199 b 33 ss[2]); comme la mort physique est nécessaire à cause de la matière. Mais les opérations des êtres incorruptibles, parmi lesquels il faut placer le mouvement du ciel, sont pour les substances de ceux d'où viennent les opérations et ainsi elles semblent avoir leur nécessité de ce qui les précède[3]; alors que, à l'inverse, cette nécessité est dans les êtres corruptibles dont les substances sont en vue de leurs opérations, c'est pourquoi ils tirent leur nécessité de ce qui suit, comme le Commentateur le dit là même. Donc le mouvement du ciel est nécessaire d'une nécessité absolue, et il ne cessera jamais.

 

q. 5 a. 5 arg. 4 Praeterea, finis motus caeli est ut caelum per motum assimiletur Deo in quantum exit de potentia in actum per situum renovationem, quos successive actualiter acquirit; unumquodque enim secundum hoc Deo, qui est purus actus, assimilatur, quod actu est. Iste autem finis cessaret cessante motu. Cum motus ergo non cesset nisi obtento fine propter quem est, nunquam motus caeli cessabit.

4. Le but du mouvement du ciel est pour qu'il ressemble à Dieu par le mouvement en tant qu'il passe de la puissance à l'acte par le renouvellement des lieux qu'il occupe successivement en acte; car chaque chose ressemble à Dieu qui est acte pur, parce qu'elle est en acte. Mais ce but n'existerait si le mouvement cessait. Donc comme le mouvement ne cessait qu'en obtenant le but pour lequel il existe, jamais le mouvement du ciel ne cessera.

 

q. 5 a. 5 arg. 5 Sed dicebatur, quod motus caeli non est propter hunc finem, sed ad complendum numerum electorum, quo completo, motus caeli quiescet.- Sed contra, nihil est propter se vilius, eo quod finis est nobilior his quae sunt ad finem, cum finis sit causa bonitatis in his quae sunt ad finem. Sed caelum, cum sit incorruptibile, est nobilius quam generabilia et corruptibilia. Ergo non potest dici, quod motus caeli sit propter aliquam generationem in istis inferioribus, per quam tamen numerus electorum posset compleri.

5. Mais on pourrait dire, que le mouvement du ciel n'est pas pour ce but, mais pour compléter le nombre des élus, et une fois celui-ci complet, il s'arrêtera. – En sens contraire, rien n'est pas plus vil par soi, parce que le but est plus noble que ce qui est pour lui, puisqu'il est la cause de la bonté. Mais puisque le ciel est incorruptible, il est plus noble que ce qui peut être engendré ou corrompu. Donc on ne peut pas dire que le mouvement du ciel soit pour une génération dans ces êtres inférieurs, par laquelle cependant le nombre des élus pourrait être complété.

 

q. 5 a. 5 arg. 6 Sed dicebatur, quod motus caeli non est propter generationem electorum sicut propter generalem finem, sed sicut propter finem secundarium.- Sed contra, habito fine secundario, non quiescit quod propter finem motus movetur. Si ergo generatio, per quam completur numerus electorum est secundarius finis motus caeli, eo habito non quiescet adhuc caelum.

6. Mais on pourrait dire que le mouvement du ciel n'est pas pour la génération des élus, comme pour une fin générale mais comme pour une fin secondaire. – En sens contraire, une fois acquise une fin secondaire, qu'il soit mû en vue du but du mouvement ne cesse. Si donc la génération par laquelle est complété le nombre des élus est une fin secondaire du mouvement du ciel, une fois obtenue, le ciel ne cessera pas encore.

 

q. 5 a. 5 arg. 7 Praeterea, omne quod est in potentia, est imperfectum, nisi ad actum reducatur. Deus autem in mundi consummatione non dimittet aliquid imperfectum. Cum ergo potentia quae est in caelo ad ubi, non reducatur in actum nisi per motum, videtur quod motus caeli etiam in mundi consummatione non quiescet.

7. Tout ce qui est en puissance est imparfait, sauf s'il est ramené à l'acte. Mais Dieu, à la consommation du monde ne laissera rien d'imparfait. Comme donc la puissance, qui dans le ciel concerne le lieu, n'est ramenée à l'acte que par mouvement, il semble que le mouvement du ciel même à la consommation du monde ne s'arrêtera pas.

 

q. 5 a. 5 arg. 8 Praeterea, si causae alicuius effectus sunt incorruptibiles et semper eodem modo se habentes, et effectus ipse est sempiternus. Sed omnes causae motus caeli sunt incorruptibiles et semper eodem modo se habentes; sive accipiamus causam moventem, sive ipsum mobile. Ergo motus caeli in sempiternum durabit.

8. Si les causes d'un effet sont incorruptibles, et se comportent toujours de la même manière, l'effet lui-même est éternel. Mais toutes les causes du mouvement du ciel sont incorruptibles, et se comportent toujours de la même manière; que nous considérions soit la cause moteur, soit le mobile lui-même. Donc le mouvement du ciel durera éternellement.

 

q. 5 a. 5 arg. 9 Praeterea, illud quod est sempiternitatis susceptivum, nunquam a Deo sua sempiternitate privabitur, ut patet in Angelo, anima rationali, et substantia caeli. Sed motus caeli est susceptivus sempiternitatis (solum enim motum circularem contingit esse perpetuum), ut probatur in VIII Physic.; ergo motus caeli in perpetuum durabit, sicut et alia quae nata sunt esse sempiterna.

9. Ce qui est susceptible d'éternité, n'en sera jamais privé par Dieu, comme c'est clair pour l'ange, l'âme rationnelle et la substance du ciel. Mais le mouvement du ciel est susceptible d'éternité (car seul le mouvement circulaire arrive à être perpétuel), comme on le prouve en Physique (VIII, 8, 264 b 7 Ð 265 a 11). Donc le mouvement du ciel durera perpétuellement, comme les autres choses destinées à être éternelles.

 

q. 5 a. 5 arg. 10 Praeterea, si motus caeli quiescet, aut quiescet in instanti aut in tempore. Si in instanti, contingit simul idem quiescere et moveri: quia cum in toto tempore praecedenti moveretur, oportet dicere quod in quolibet ipsius temporis in quo natum est moveri caelum, moveretur. In instanti autem signato in quo datum est caelum quiescere, natum est caelum moveri, cum motus et quies circa idem sint: hoc autem instans est aliquid temporis praecedentis, cum sit terminus eius. Ergo in eo moveretur. Et datum erat quod in eo quiescebat. Ergo simul in eodem instanti quiescet et movebitur; quod est impossibile. Si autem quiescit in tempore, ergo tempus erit post motum caeli. Sed tempus non est sine motu caeli, ergo motus caeli erit postquam esse desierit, quod est impossibile.

10. Si le mouvement du ciel s'arrêtait, ou il s'arrêterait dans l'instant ou dans le temps. Si c'est dans l'instant, il arrive que c'est le même qui s'arrête et se meut en même temps; parce que, comme en tout temps précédant il serait mû, il faut dire que dans n'importe quel moment du temps, dans lequel le ciel est destiné à être mû, il serait mû. Mais dans l'instant désigné où il a été donné au ciel de s'arrêter, il est destiné à être mû puisque le mouvement et le repos concernent le même sujet; mais cet instant est quelque chose du temps précédant puisqu'il est son terme. Donc il serait mû en lui. Et il avait été donné de cesser en lui. Donc, en même temps, dans le même instant, il cessera et sera mû; ce qui est impossible. Mais s'il s'arrête dans le temps, donc celui-ci existera après le mouvement du ciel. Mais le temps n'existe pas sans lui, donc il existera après qu'il aura cessé d'exister, ce qui est impossible.

 

q. 5 a. 5 arg. 11 Praeterea, si motus caeli aliquando deficiat, oportet quod tempus deficiat, quod est numerus eius, ut patet in IV Physic. Sed impossibile est tempus deficere, ergo impossibile est motum caeli deficere. Probatio mediae. Omne quod semper est in sui principio et sui fine, nunquam coepit esse, nec unquam deficiet, eo quod unumquodque est post suum principium et ante finem suum. Sed nihil est accipere temporis nisi instans, quod est principium futuri et finis praeteriti; et sic tempus semper est in sui principio et fine. Ergo tempus nunquam deficiet.

11. Si le mouvement du ciel cessait un jour, il faut que le temps cesse, puisqu'il le mesure, comme on le voit en Physique (IV, 10, 219 a 30 Ð 219 b 1). Mais il est impossible que le temps cesse, donc il est impossible que le mouvement du ciel cesse. Preuve de la proposition intermédiaire: tout ce qui est toujours en son commencement et en sa fin, n'a jamais commencé à exister, et ne cessera jamais, parce que chaque chose est après son commencement et avant sa fin. Mais rien du temps n'est à recevoir sinon l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du passé; et ainsi le temps est toujours en son commencement et en sa fin. Donc le temps ne cessera jamais.

 

q. 5 a. 5 arg. 12 Praeterea, motus caeli est naturalis caelo, sicut et motus gravium et levium est eis naturalis, ut patet in I caeli et Mun. Hoc autem differt, quod corpora elementaria non moventur naturaliter nisi cum sunt extra suum ubi, caelum autem movetur etiam in suo ubi existens; ex quibus accidi potest quod sicut se habet corpus elementare ad motum suum naturalem, cum est extra suum ubi, ita se habet caelum ad motum suum naturalem, cum est in suo ubi. Corpus enim elementare, cum est extra suum ubi, non quiescit nisi per violentiam. Ergo et caelum non potest quiescere nisi quies sit violenta; quod quidem est inconveniens. Cum enim nullum violentum possit esse perpetuum, sequeretur quod illa quies caeli non esset perpetua; sed quandoque iterum caelum moveri inciperet; quod est fabulosum. Ergo non est dicendum, quod motus caeli aliquando quiescat.

12. Le mouvement du ciel lui est naturel, de même le mouvement des corps lourds et légers est naturel aussi pour eux, comme on le voit dans Le ciel et le monde, (I, com. 78, ss.). Mais il y a cette différence que les corps élémentaires ne sont mus naturellement que quand il ne sont pas à leur place, mais le ciel est mû même en son lieu; c'est pour cela qu'il peut arriver que de même que le corps élémentaire se comporte vis-à-vis de son mouvement naturel, quand il n'est pas à sa place, de même le ciel se comporte quant à son mouvement naturel, quand il est à sa place. Car le corps élémentaire, quand il n'est pas à sa place, n'y reste que par violence. Donc le ciel aussi ne peut s'arrêter sans que son arrêt ne soit violent, ce qui ne convient pas. Car, comme nulle violence ne pourrait exister éternellement, il s'ensuivrait que ce repos du ciel ne serait pas perpétuel, mais quelquefois il recommencerait à se mouvoir, ce qui est pure imagination. Donc il ne faut pas dire que le mouvement du ciel s'arrêtera un jour.

 

q. 5 a. 5 arg. 13 Praeterea, eorum quae sibi succedunt, oportet esse aliquem ordinem et proportionem. Finiti autem ad infinitum non est aliqua proportio. Ergo inconvenienter dicitur, quod caelum finito tempore sit motum, et postmodum infinito tempore quiescat: quod tamen oportet dicere, si motus caeli incepit et finietur, et nunquam reincipiat.

13. Dans tout ce qui se succède, il faut qu'il y ait un ordre et une proportion. Mais du fini à l'infini il n'y a aucune proportion. Donc il ne convient pas de dire que le ciel, une fois le temps terminé, est mû, et qu'après un temps infini, il s'arrêtera, parce qu'il faut dire cependant que, si le mouvement du ciel commence et s'achève, jamais il ne recommencera.

 

q. 5 a. 5 arg. 14 Praeterea, quanto aliquid Deo assimilatur secundum nobiliorem actum, tanto nobilior est assimilatio; sicut nobilior est assimilatio hominis ad Deum quae est secundum animam rationalem, quam animalis bruti, quae est secundum animam sensibilem. Actus autem secundus nobilior est quam actus primus, sicut consideratio quam scientia. Ergo assimilatio qua caelum assimilatur Deo secundum actum secundum, qui est causare inferiora, est nobilior quam assimilatio secundum claritatem, quae est actus primus. Si ergo in mundi consummatione partes principales mundi meliorabuntur, videtur quod caelum non desinet moveri, aliqua maiori claritate repletum.

14. Plus l'acte par lequel une chose ressemble à Dieu est noble, plus sa ressemblance est noble. De même qu'est plus noble la ressemblance de l'homme à Dieu, avec son âme rationnelle que celle de l'animal avec son âme sensitive. Mais l'acte second est plus noble que l'acte premier, comme la considération[4] plus que la science. Donc la ressemblance, par laquelle le ciel ressemble à Dieu selon l'acte second, qui est de causer les choses inférieures, est plus noble que la ressemblance selon la lumière qui est son acte premier. Si donc à la consommation du monde, ses parties principales s'améliorent, il semble que le ciel ne cessera pas de se mouvoir, empli par une plus grande lumière.

 

q. 5 a. 5 arg. 15 Praeterea, magnitudo et motus et tempus se consequuntur quantum ad divisionem et finitatem vel infinitatem, ut probatur in VI Phys. Sed in magnitudine circulari non est principium neque finis. Ergo nec in motu circulari poterit esse aliquis finis; et sic, cum motus caeli sit circularis, videtur quod nunquam finietur.

15. La grandeur, le mouvement et le temps se suivent quant à la division, la finitude ou l'infinité, comme on le prouve en Physique (IV, 2, 209 b 32 Ð 4, 211 b 19, 211 b 29 Ð 212 a 2). Mais dans une grandeur circulaire, il n'y a ni commencement ni fin. Donc il ne pourra pas y avoir de fin dans le mouvement circulaire, et ainsi puisque le mouvement du ciel est circulaire, il semble qu'il ne finira jamais.

 

q. 5 a. 5 arg. 16 Sed dicebat, quod licet motus circularis nunquam secundum suam naturam finiatur, tamen divina voluntate finietur.- Sed contra est quod Augustinus dicit: cum de mundi institutione agitur, non quaeritur quid Deus possit facere, sed quod rerum natura patiatur ut fiat. Consummatio autem mundi, eius institutioni respondet, sicut finis principio. Ergo nec in his quae pertinent ad finem mundi, recurrendum est ad Dei voluntatem, sed ad rerum naturam.

16. Mais on pourrait dire, que bien que le mouvement circulaire ne finisse jamais par sa nature, cependant il finira par la volonté de Dieu. – En sens contraire, Il y a ce que dit Augustin (La Genèse au sens littéral, II): "Quand il s'agit de la constitution du monde, on ne cherche pas ce que Dieu pourrait faire, mais ce que la nature supporte qu'il fasse." Mais la consommation du monde correspond à son constitution, comme la fin à son commencement. Donc, en qui concerne la fin du monde, il ne faut pas recourir à la volonté de Dieu, mais à la nature des choses.

 

q. 5 a. 5 arg. 17 Praeterea, sol per suam praesentiam lumen et diem in istis inferioribus causat, per absentiam vero tenebras et noctem. Sed non potest esse sol praesens utrique hemisphaerio, nisi per motum. Ergo si motus caeli quiescat, semper sua praesentia in una parte mundi causabit diem, et in alia noctem, cui sol semper erit absens; et sic illa pars non erit meliorata, sed deteriorata, in mundi consummatione.

17. Le soleil, par sa présence, cause la lumière et le jour dans ces choses inférieures[5], et par son absence les ténèbres et la nuit. Mais le soleil ne peut être présent dans chaque hémisphère, que par mouvement. Donc si le mouvement du ciel s'arrête, sa présence toujours causera le jour dans une partie du monde, et dans l'autre, pour laquelle le soleil sera toujours absent, la nuit; et ainsi cette partie ne sera pas améliorée; mais détériorée, à la consommation du monde.

 

q. 5 a. 5 arg. 18 Praeterea, illud quod aequaliter se habet ad duo, aut utrique adhaeret aut neutri. Sed sol aequaliter se habet quantum est de sua natura ad quodlibet ubi caeli. Ergo vel erit in quolibet, aut in nullo. Sed non potest esse in nullo, quia omne corpus sensibile alicubi est. Ergo oportet quod sit in quolibet. Sed hoc non potest esse, nisi per motus successionem. Ergo semper movebitur.

18. Ce qui se comporte de façon égale vis-à-vis de deux choses, adhère à l'une et à l'autre ou à aucune. Mais le soleil se comporte de façon égale pour ce qui est de sa nature dans n'importe quel lieu du ciel. Donc, ou bien il sera en chacun ou en aucun. Mais il ne peut pas être en aucun, parce que tout corps sensible est quelque part. Donc il faut qu'il soit quelque part. Mais cela n'est possible que par succession de mouvement. Donc, il sera toujours en mouvement.

 

q. 5 a. 5 arg. 19 Praeterea, in mundi consummatione a nullo tolletur sua perfectio quod tunc remanebit, quia res quae remanebunt in illo statu non deteriorabuntur, sed meliorabuntur. Motus autem est perfectio ipsius caeli; quod patet ex hoc quia motus est entelechia mobilis in quantum huiusmodi, ut dicitur in II Phys.: et iterum, ut dicitur in II caeli et mundi, caelum per motum perfectam bonitatem consequitur. Ergo in mundi consummatione caelum motu non carebit.

19. A la consommation du monde, sa perfection, qui restera alors, ne sera enlevée par personne, parce que ce qui demeurera dans cet état ne sera pas détérioré, mais amélioré. Mais le mouvement est la perfection du ciel, ce qui apparaît du fait que le mouvement est une entéléchie mobile en tant que tel, comme il est dit en Physique, II, texte 16, et à nouveau comme il est dit dans Le ciel et le monde, (II, 12, 292 b 20), le ciel par le mouvement atteindra une bonté parfaite. Donc à la consommation du monde, il ne manquera pas de mouvement.

 

q. 5 a. 5 arg. 20 Praeterea, corpus aliquod nunquam attinget ad gradum naturae spiritualis. Hoc autem ad naturam spiritualem pertinet quod bonitatem perfectam sine motu habeat, ut patet in II caeli et mundi. Nunquam ergo caelum, si moveri desinat, perfectam bonitatem habebit; quod est contra rationem consummationis mundi.

20. Un corps n'atteint jamais le niveau de la nature spirituelle. Mais il convient à cette dernière qu'elle possède la bonté parfaite sans mouvement, comme cela paraît dans Le ciel et le monde, (II, 12, 292 a 23 Ð 292 b 20). Donc jamais le ciel, s'il cesse de se mouvoir, n'aura la bonté parfaite, ce qui est contre la nature de la consommation du monde.

 

q. 5 a. 5 arg. 21 Praeterea, nihil tollitur nisi per suum contrarium. Motui autem caeli nihil est contrarium, ut probatur in I caeli et mundi. Ergo motus caeli nunquam quiescet.

21. Rien n'est enlevé que par son contraire. Rien n'est contraire au mouvement du ciel, comme on le prouve dans Le ciel et le monde (I, 2, 269 a 10 Ð 269 b 2). Donc le mouvement du monde ne cessera jamais.

 

En sens contraire:

 

q. 5 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. X, vers. 5: Angelus quem vidi stantem super mare et super terram, levavit manum suam et iuravit per viventem in saecula saeculorum (...): quia tempus amplius non erit. Tempus autem erit quamdiu motus caeli erit. Ergo motus caeli aliquando esse desinet.

1. Il y a ce qui est dit en Apoc. , 10, 5: "L'ange que je vis debout sur la mer et sur la terre, leva sa main et jura par le vivant pour les siècles des siècles... parce qu'il n'y aura plus de temps." Mais le temps durera aussi longtemps que le mouvement du ciel existera. Donc le mouvement du ciel cessera un jour d'exister.

 

q. 5 a. 5 s. c. 2 Praeterea, dicitur Iob XIV, 12: homo, cum dormierit, non resurget, donec atteratur caelum; non evigilabit, nec consurget de somno suo. Caelum autem non potest intelligi quod atteratur secundum substantiam, quia semper remanebit, ut prius probatum est. Ergo quando resurrectio mortuorum erit, caelum atteretur quantum ad motum, qui cessabit.

2. Il est dit en Job, 14, 12: "Quand l'homme se sera endormi, il ne se relévera pas, jusqu'à ce que le ciel soit usé; il ne se réveillera pas et ne se lèvera pas de son sommeil." Mais on ne peut pas comprendre que le ciel sera usé dans sa substance, parce qu'il demeurera toujours, comme on l'a prouvé plus haut. Donc quand il y aura la résurrection des morts, le ciel sera anéanti quant à son mouvement qui cessera.

 

q. 5 a. 5 s. c. 3 Praeterea, Rom. VIII, 22, super illud: omnis creatura ingemiscit, et parturit usque adhuc, dicit Glossa Ambrosii: omnia elementa cum labore sua explent officia, sicut sol et luna non sine labore statuta sibi implent spatia; quod est causa nostri: unde quiescent nobis assumptis. Ergo in resurrectione sanctorum motus corporum caelestium quiescent.

3. En Rm 8, 22, sur ce verset: "Toute créature gémit et enfante jusqu'à maintenant", la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit: "Tous les éléments rempliront leurs devoirs avec ardeur, de même que le soleil et la lune, non sans ardeur, emplissent les espaces, qui leur sont assignés, parce qu'il est cause pour nous; c'est pourquoi ils cesseront quand nous serons enlevés." Donc, à la résurrection des saints, le mouvement des corps cessera.

 

q. 5 a. 5 s. c. 4 Praeterea, Isidorus dicit: post iudicium sol laboris sui mercedem recipiet, et non veniet ad occasum nec sol nec luna; quod non potest esse, si caelum moveatur, ergo tunc caelum non movebitur.

4. Isidore[6] dit (Le livre des créatures): "Après le jugement, le soleil recevra la récompense de son labeur, et ni le soleil ni la lune n'en arriveront à leur destruction." Ce qui n'est pas possible si le ciel se meut, donc alors le ciel ne sera plus en mouvement.

 

Réponse:

 

q. 5 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod secundum documenta sanctorum ponimus motum caeli quandoque cessaturum; quamvis hoc magis fide teneatur quam ratione demonstrari possit. Ut autem manifestum esse possit in quo huius quaestionis pendeat difficultas, attendendum est quod motus caeli non hoc modo est naturalis caelesti corpori sicut motus elementaris corporis est sibi naturalis; habet enim huiusmodi motus in mobili principium, non solum materiale et receptivum, sed etiam formale et activum. Formam enim ipsius elementaris corporis sequitur talis motus, sicut et aliae naturales proprietates ex essentialibus principiis consequuntur; unde in eis generans dicitur esse movens in quantum dat formam quam consequitur motus.

Il faut dire que, selon les enseignements des saints, nous pensons que le mouvement du ciel cessera un jour; bien que cela soit assuré plus par la foi que démontré par la raison. Mais pour que cela puisse être évident où se trouve la difficulté de cette question, il faut faire attention que le mouvement du ciel n'est pas naturel pour le corps céleste de la même manière qu'est naturel le mouvement du corps élémentaire pour lui-même; car dans ce qui peut être mû le mouvement de ce genre a un principe, non seulement matériel et réceptif, mais encore formel et actif. Un tel mouvement, en effet, suit la forme du corps élémentaire, de même aussi que les autres propriétés naturelles découlent des principes essentiels: c'est pourquoi ce qui engendre en elux est appelé moteur, dans la mesure où il donne la forme qu'atteint le mouvement.

 

Sic autem in corpore caelesti dici non potest. Cum enim natura semper in unum tendat determinate, non se habens ad multa, impossibile est quod aliqua natura inclinet ad motum secundum se ipsum, eo quod in quolibet motu difformitas quaedam est, in quantum non eodem modo se habet quod movetur; uniformitas vero mobilis est contra motus rationem.

Mais on ne peut pas parler ainsi pour le corps céleste. En effet, comme la nature tend toujours à un [effet] de manière limitée, mais pas à plusieurs, il est impossible qu'une nature incline à un mouvement selon elle-même; parce que, en n'importe quel mouvement, il y a une altération; dans la mesure où ce qui est mû ne se comporte pas de la même manière; mais l'uniformité du mobile est contre la nature du mouvement.

 

Unde natura nunquam inclinat ad motum propter movere, sed propter aliquid determinatum quod ex motu consequitur; sicut natura gravis inclinat ad quietem in medio, et per consequens inclinat ad motum qui est deorsum, secundum quod tali motu in talem locum pervenitur. Caelum autem non pervenit suo motu in aliquod ubi, ad quod per suam naturam inclinetur, quia quodlibet ubi est principium et finis motus; unde non potest esse suus motus naturalis quasi sequens aliquam inclinationem naturalis virtutis inhaerentis, sicut sursum ferri est motus naturalis ignis.

C'est pourquoi, la nature n'incline jamais au mouvement pour mouvoir, mais pour un but déterminé, qui découle de son mouvement, de même que ce qui est lourd par nature incline au repos dans un milieu qui lui convient et par conséquent incline à un mouvement vers le bas, selon que, par un tel mouvement, il parvient en un tel lieu. Mais le ciel ne parvient pas par son mouvement à quelque lieu, vers lequel il est poussé par sa nature, parce que n'importe quel lieu est le commencement et la fin de son mouvement; c'est pourquoi son mouvement naturel ne peut pas exister, comme s'il suivait une inclination de la puissance naturelle inhérente, de la même manière que s'élever est le mouvement naturel du feu.

 

:Dicitur autem motus circularis esse naturalis caelo, in quantum in sua natura habet aptitudinem ad talem motum; et sic in seipso habet principium talis motus passivum; activum autem principium motus est aliqua substantia separata, ut Deus vel intelligentia vel anima, ut quidam ponunt; quantum enim ad praesentem quaestionem nihil differt.

Mais on dit que le mouvement circulaire est naturel au le ciel, dans la mesure où dans sa nature il a une aptitude à une tel mouvement; et ainsi en lui-même, il a le principe passif d'un tel mouvement; mais le principe actif est une substance séparée, comme Dieu ou une intelligence ou une âme, comme certains le pensent, car pour la présente question, il n'y a aucune différence[7].

 

Ratio ergo permanentiae motus non potest sumi ex natura aliqua caelestis corporis, ex qua tantum est aptitudo ad motum; sed oportet eam sumere ex principio activo separato. Et quia agens omne propter finem agit, oportet considerare quis est finis motus caeli; si namque fini eius congruat quod motus aliquando terminetur, caelum quandoque quiescet; si autem fini eius non competat quies, motus eius erit sempiternus; non enim potest esse quod motus deficiat ex mutatione causae moventis, cum voluntas Dei sit immutabilis sicut etiam natura; et per eam immobilitatem consequantur, si quae sunt causae mediae moventes.

Donc la raison de la permanence du mouvement ne peut venir de la nature du corps céleste, par laquelle il possède seulement l'aptitude au mouvement, mais il faut la prendre d'un principe actif séparé. Et parce que tout agent agit en vue d'une fin, il faut considérer quelle est la fin du mouvement du ciel; si en effet il convient à sa fin que le mouvement se termine un jour, le ciel s'arrêtera quelque jour; mais si l'arrêt ne convient pas à sa fin, son mouvement sera éternel, car il ne peut arriver que le mouvement s'arrête à cause du changement de la cause moteur, puisque la volonté de Dieu est immuable, comme sa nature aussi, et par elle ils obtiendront l'immobilité, s'il y a des causes moteurs intermédiaires.

 

In hac autem consideratione tria oportet vitare:

 

quorum primum est, ne dicamus caelum moveri propter ipsum motum; sicut dicebatur caelum esse propter ipsum esse, in quo Deo assimilatur. Motus enim, ex ipsa sui ratione, repugnat ne possit poni finis, eo quod motus est in aliud tendens; unde non habet rationem finis, sed magis eius quod est ad finem. Cui etiam attestatur quod est actus imperfectus, ut dicitur in III de anima. Finis autem est ultima perfectio.

Mais dans cette considération, il faut éviter trois erreurs:

 

1) La première: Ne disons pas que le ciel est mû pour le mouvement en lui-même, comme si on disait qu'il existe pour son être même, en quoi il ressemble à Dieu. Car le mouvement, de sa propre nature, répugne à ce qu'il ne puisse pas y avoir une fin, parce qu'il tend à un autre lieu; c'est pourquoi il n'a pas la nature de fin, mais plutôt de ce qui est en vue de la fin. Il est attesté qu'il est un acte imparfait, comme on le dit dans L'âme (III, 7, 431 a 5) et en Physique( III, 2 201 b 31[8]). Mais la fin est la perfection ultime.

 

Secundum est, ut non ponatur motus caeli esse propter aliquid vilius; nam cum finis sit unde ratio sumitur, oportet finem praeeminere his quae sunt ad finem. Potest autem contingere quod vilior sit terminus operationis rei nobilioris; non autem ut sit finis intentionis: sicut securitas rustici est terminus quidam, ad quem operatio regis gubernantis terminatur; non tamen regimen regis est ordinatum ad huius rustici securitatem sicut in finem sed in aliquid melius, scilicet in bonum commune. Unde non potest dici, quod generatio istorum inferiorum sit finis motus caeli, etsi sit effectus vel terminus, quia et caelum his inferioribus praeeminet, et motus eius motibus et mutationibus horum.

2) La seconde: qu'on ne pense pas que le mouvement du ciel est pour quelque chose de plus vil; en effet, comme c'est sa fin, d'où on tire sa raison, il faut que celle-ci soit prééminente sur ce qui est en vue de la fin. Mais il peut arriver que le terme d'une opération d'une chose plus noble soit plus vil; mais non pour qu'elle soit la fin de l'intention: ainsi la sécurité du paysan est le terme où s'achève l'opération du roi qui gouverne; cependant l'administration du roi n'est pas ordonnée à la sécurité de ce paysan, comme à sa fin, mais à quelque chose de meilleur, à savoir le bien commun. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la génération des êtres inférieurs soit la fin du mouvement du ciel, même si elle en est l'effet ou le terme, parce que d'une part le ciel l'emporte sur ces êtres inférieurs, et d'autre part son mouvement [l'emporet] sur leurs mouvements et leurs changements.

 

Tertium est, ut non ponatur finis motus caeli aliquid infinitum, quia, ut dicitur in II Metaphys., qui ponit infinitum in causa finali destruit finem et naturam boni. Pertingere enim quod infinitum est, impossibile est. Nihil autem movetur ad id quod impossibile est ipsum consequi, ut dicitur in I caeli et mundi. Unde non potest dici, quod finis motus caeli sit ut consequatur in actu ubi ad quod est in potentia, licet hoc Avicenna dicere videatur. Hoc enim impossibile est consequi, cum infinitum sit; quia dum in uno ubi fit in actu, erit in potentia ad aliud ubi, in quo prius actu existebat.

3) La troisième: qu'on ne pense pas que la fin du mouvement du ciel soit quelque chose d'infini, parce que, comme il est dit en Métaphysique (II, 2, 994 b 13[9]), celui qui place l'infini dans la cause finale détruit la fin et la nature du bien. Car il est impossible d'atteindre ce qui est infini. Mais rien ne se meut vers ce qu'il est impossible d'atteindre, comme on le dit dans Le ciel et le monde, I. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la fin du mouvement du ciel soit d'atteindre en acte un lieu où il est en puissance, bien qu'Avicenne semble le dire. Car il est impossible de l'atteindre, puisqu'il est infini, parce que, pendant qu'il est en acte dans un lieu, il sera en puissance à un autre, dans lequel il existait avant en acte.

 

Oportet ergo finem motus caeli ponere aliquid quod caelum per motum consequi possit, quod sit aliud a motu, et eo nobilius. Hoc autem dupliciter potest poni.

Il faut donc penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose que le ciel pourrait atteindre par mouvement, ce qui est différent du mouvement et plus noble que lui. Mais cela on peut le penser de deux manières:

 

Uno modo ut ponatur finis motus caeli aliquid in ipso caelo, quod simul cum motu existit; et secundum hoc a quibusdam philosophis ponitur, quod similitudo ad Deum in causando est finis motus caeli; quod quidem fit ipso motu durante; unde secundum hoc non convenit quod motus caeli deficiat, quia deficiente motu, finis ex motu proveniens cessaret.

1) Penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose dans le ciel même, qui existe en même temps que le mouvement, et à cause de cela certains philosophes pensent, que la ressemblance à Dieu, en tant que cause, est la fin du mouvement du ciel; ce qui se fait tant que dure le mouvement; c'est pourquoi, il ne convient pas que le mouvement du ciel cesse, parce que s'il cessait, la fin qui provient du mouvement disparaitrait.

 

Alio modo potest poni finis motus caeli aliquid extra caelum, ad quod pervenitur per motum caeli; quo cessante illud potest remanere: et haec est nostra positio.

2) On peut penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose hors de lui, auquel il parvient par son mouvement, et quand il cesse, cela peut demeurer; et telle est notre position.

 

Ponimus enim quod motus caeli est propter implendum numerum electorum. Anima namque rationalis quolibet corpore nobilior est, et ipso caelo. Unde nullum est inconveniens, si ponatur finis motus caeli multiplicatio rationalium animarum: non autem in infinitum, quia hoc per motum caeli provenire non posset; et sic moveretur ad aliquid quod consequi non potest; unde relinquitur quod determinata multitudo animarum rationalium sit finis motus caeli. Unde ea habita motus caeli cessabit.

Car nous pensons que le mouvement du ciel est pour compléter le nombre des élus. L'âme rationnelle, en effet, est plus noble que n'importe quel corps et que le ciel même. C'est pourquoi il n'est nullement inconvenant de penser que la fin du mouvement du ciel est la multiplication des âmes rationnelles, mais pas à l'infini, parce que cela ne pourrait pas provenir du mouvement du ciel; et alors il serait mû vers quelque chose qu'il ne peut pas atteindre; c'est pourquoi il reste que la multitude limitée des âmes rationnelles est la fin du mouvement du ciel. C'est pourquoi une fois cela atteint, le mouvement du ciel cessera.

 

Licet autem utraque positionum praedictarum possit rationabiliter sustineri, tamen secunda, quae fidei est, videtur esse probabilior propter tres rationes.

Bien que l'une et l'autre des positions annoncées puissent être soutenues raisonnablement, cependant la seconde, qui est de foi, paraît plus probable, pour trois raisons:

 

Primo quidem, quia nihil differt dicere finem alicuius esse assimilationem ad Deum secundum aliquid, et illud secundum quod assimilatio attenditur; sicut supra dictum est, quod finis rerum posset dici vel ipsa assimilatio divinae bonitatis, vel esse rerum, secundum quod res Deo assimilantur. Idem ergo est dictu, finem motus caeli esse assimilari Deo in causando et causare. Causare autem non potest esse finis, cum sit operatio habens operatum et tendens in aliud: huiusmodi enim operationibus meliora sunt operata, ut dicitur in principio Ethic.; unde huiusmodi factiones non possunt esse fines agentium, cum non sint perfectiones facientium, sed magis factorum; unde et ipsa facta sunt magis fines, ut patet IX Metaph., et in I Ethic. Ipsa autem operata non sunt fines, cum sint viliora caelo, ut supra dictum est. Unde relinquitur non convenienter dici, quod finis motus caeli sit assimilari ad Deum in causando.

1) Parce qu'il n'y a pas de différence entre dire que la fin d'un être est une ressemblance relative à Dieu, et dire en quoi la ressemblance est atteinte, comme on a affirmé ci-dessus qu'il est possible de dire que la fin des choses est ou bien la ressemblance même à la bonté divine, ou bien leur être selon qu'elles ressemblent à Dieu. Donc c'est la même chose de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en causant et être cause. Mais être cause ne peut être une fin, puisque c'est une opération qui a un résultat et tend à autre chose; car pour de telles opérations les résultats sont meilleurs, comme il est dit au début de l'Éthique (I, 1, 1094 a 5); c'est pourquoi de telles productions ne peuvent pas être le but des agents, puisqu'ils ne sont pas la perfection de ceux qui les font, mais plutôt de ce qui est fait; c'est pourquoi ce qui est produit est davantage la fin, comme on le voit en Métaphysique, (IX, 8, 1050 a 30), et en Éthique, (I, 1, 1094 a 3). Les résultats des opérations ne sont pas des fins, puisqu'ils sont plus vils que le ciel, comme on l'a dit ci-dessus. C'est pourquoi, il reste qu'il ne convient pas de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en étant cause.

 

Secundo vero, quia cum caelum moveatur in ipso existente sola aptitudine ad motum, principio vero activo existente extra, ut dictum est; movetur et agit sicut instrumentum haec est enim dispositio instrumenti, ut patet in artificialibus, nam in securi est sola aptitudo ad talem motum; principium autem motus in artifice est. Unde et secundum philosophos, quod movet motum, movet ut instrumentum. In actione autem quae est per instrumentum, non potest esse finis aliquis in ipso instrumento nisi per accidens, in quantum instrumentum accipitur ut artificiatum et non ut instrumentum; unde non est probabile quod finis motus caeli sit aliqua perfectio ipsius, sed magis aliquid extra ipsum.

2) Parce que, comme le ciel se meut tout en existant lui-même par sa seule aptitude au mouvement, alors que son principe actif existe à l'extérieur, comme on l'a dit, il se meut et agit comme instrument, car c'est la manière d'agir de l'instrument, comme on le voit dans les oeuvres artificielles, ainsi la hache a seulement l'aptitude à un tel mouvement, mais le principe du mouvement est dans l'artisan. C'est pourquoi selon les philosophes, ce qui meut ce qui est mû, le meut comme instrument. Mais dans l'action, accomplie par un instrument, il ne peut y avoir une fin dans l'instrument lui-même que par accident, dans la mesure où il est pris comme oeuvre et non comme instrument; c'est pourquoi il n'est pas probable que la fin du mouvement du ciel soit sa propre perfection, mais plutôt un objet hors de lui.

 

Tertio, quia si similitudo ad Deum in causando est finis motus caeli, praecipue attenditur haec similitudo secundum causalitatem eius quod a Deo immediate causatur, scilicet animae rationalis, ad cuius causalitatem concurrit caelum et per motum suum materiam disponendo. Et ideo probabilius est quod finis motus caeli sit numerus electorum quam assimilatio ad Deum in causalitate generationis et corruptionis, secundum quod philosophi ponunt. Et ideo concedimus quod motus caeli completo numero electorum finietur.

3) Parce que si la ressemblance à Dieu dans le fait qu'il est cause, est la fin du mouvement du ciel, cette ressemblance est principalement atteinte selon la causalité de ce qui est causée immédiatement par Dieu, à savoir celle de l'âme rationnelle: à sa causalité concourt le ciel en disposant la matière par son mouvement. Et c'est pourquoi il est plus probable que la fin du mouvement du ciel est le nombre des élus que la ressemblance à Dieu lorsqu'il cause la génération et corruption, selon ce que pensent les philosophes. Et c'est pourquoi nous concédons que le mouvement du ciel se terminera quand le nombre des élus sera complet.

 

Solutions:

 

q. 5 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur de duratione terrae secundum quod est transmutationi subiecta; sic enim in ea seminatur et metitur. Tali autem statu terrae durante motus caeli non cessabit.

# 1. [La Genèse] parle de la durée de la terre selon qu'elle est soumise au changement; car ainsi on sème et on moissonne sur elle. Mais tant que dure un tel état de la terre, le mouvement du ciel ne cessera pas.

 

q. 5 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritas illa non est intelligenda de Israel carnali, sed de Israel spirituali; non tamen secundum quod est in patria coram Deo, contemplando ipsum per speciem, sed secundum quod est in via coram Deo per fidem; ut sic idem sit quod dicitur hic, et quod dominus discipulis loquens ait, Matth. XXVIII, 20: ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi.

# 2. Cette autorité n'est pas à comprendre de l'Israël charnel, mais de l'Israël spirituel; cependant non selon qu'il est dans la patrie devant Dieu, en le contemplant par sa forme (per speciem), mais selon qu'il est en chemin devant lui par la foi, pour que ce soit une même chose ce qui est dit ici et que le Seigneur parlant à ses disciples leur dit (Mt. 18, 20): "Voici, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles."

 

q. 5 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec praepositio propter denotat causam; unde quandoque denotat causam finalem, quae est posterior in esse; quandoque autem materialem vel efficientem, quae sunt prior. Cum autem dicitur in rebus incorruptibilibus, actus sunt propter agentia, ly propter non denotat causam finalem, sed causam efficientem, ex qua est necessitas ibi, et non ex fine. Motus ergo caeli si comparetur ad ipsum mobile, non habet ex eo necessitatem sicut ex causa efficiente, ut ostensum est; habet autem hanc necessitatem ex movente. Quod, quia est voluntarie movens, secundum hoc necessitatem in motu inducit secundum quod determinatum est per ordinem sapientiae divinae, et non ad moveri semper.

# 3. Cette préposition propter (pour) signale une cause; c'est pourquoi quelquefois elle signifie la cause finale, qui est postérieure dans l'être, quelquefois la cause matérielle, ou la cause efficiente qui sont avant. Quand on dit que dans ce qui est incorruptible, les actes sont pour les agents, le propter ne signifie pas la cause finale, mais la cause efficiente, d'où elle tire sa nécessité et non de la fin. Donc, si le mouvement du ciel est comparé à un mobile même, il n'en a pas nécessité comme d'une cause efficiente, comme on l'a montré; mais il tient cette nécessité du moteur. Parce qu'il est moteur volontairement, il introduit la nécessité dans le mouvement selon qu'il est déterminé par l'ordre de la sagesse divine, et non pour se mouvoir toujours.

 

q. 5 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod assimilari Deo secundum hoc quod actu acquirit successive diversos situs ad quos prius erat in potentia, non potest esse finis motus caeli: tum quia hoc infinitum est, ut supra ostensum est; tum quia sicut ex una parte per motum acceditur ad divinam similitudinem, per hoc quod situs qui erant in potentia, fiunt actu; ita ab alia parte receditur a divina similitudine per hoc quod situs qui erant in actu, fiunt in potentia.

# 4. Ressembler à Dieu selon qu'il acquiert en acte successivement les divers lieux, pour lesquels il était avant en puissance, ne peut pas être la fin du mouvement du ciel; d'une part, parce que cela est infini, comme on l'a montré ci-dessus, d'autre part, parce que, de même que d'un côté il atteint par mouvement la ressemblance divine, du fait que les lieux qui étaient en puissance, deviennent en acte; de même d'un autre côté, il s'éloigne de la ressemblance divine par le fait que les lieux qui étaient en acte deviennent en puissance.

 

q. 5 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet generabilia et corruptibilia sint viliora caelo, tamen animae rationales sunt corpore caeli nobiliores, quae tamen a Deo producuntur ad esse in materia disposita per motum caeli.

# 5. Bien que ce qui peut être engendré ou corrompu soit plus vil que le ciel, cependant les âmes rationnelles sont plus nobles que le corps du ciel; cependant elles sont amenées à l'être par Dieu dans la matière disposée par le mouvement du ciel.

 

q. 5 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod completio numeri electorum, secundum doctrinam fidei non ponitur secundarius finis motus caeli, sed principalis, licet non ultimus, quia finis ultimus uniuscuiusque rei est bonitas divina, in quantum creaturae quoquomodo ad eam pertingunt vel per similitudinem vel per debitum famulatum.

# 6. On ne pense pas que, selon la doctrine de la foi, l'achèvement du nombre des élus est la fin seconde du mouvement du ciel, mais sa fin principale, bien qu'elle ne soit pas la dernière, puisque la fin ultime de chaque chose est la bonté divine, dans la mesure où les créatures d'une certaine manière y parviennent ou par ressemblance ou par le service qui lui est dû.

 

q. 5 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod res non dicitur esse imperfecta, quacumque potentia in ipsa non reducta ad actum, sed solum quando per reductionem in actum res suum consequitur complementum. Non enim homo qui est in potentia ut sit in India, imperfectus erit, si ibi non fuerit; sed imperfectus dicitur, si scientia vel virtute careat, qua natus est perfici. Caelum autem non perficitur per locum, sicut corpora inferiora, quae in proprio ubi conservantur. Unde licet potentia qua potest esse in aliquo ubi, nunquam reducatur ad actum, non tamen sequitur quod sit imperfectum. Nam si secundum se consideretur, non maior est sibi perfectio quod sit in uno situ quam in alio, sed indifferenter se habet ad omnia ubi, cum ad quodlibet moveatur naturaliter. Ipsa autem indifferentia magis inducit ad quietem quam ad perpetuitatem motus, nisi consideretur voluntas moventis et intendentis finem; sicut etiam quidam philosophi assignaverunt causam quietis terrae in medio, propter indifferentiam eius, respectu cuiuslibet partis circumferentiae caeli.

# 7. On ne dit pas qu'une chose est imparfaite, par quelque puissance en elle qui n'est pas ramenée à l'acte, mais seulement, étant ramenée à l'acte, elle reçoit son achèvement. Car l'homme, qui est en puissance pour être en Inde, ne sera pas imparfait, s'il n'y est pas allé, mais on le dit imparfait, s'il manque de la science ou du pouvoir, qui sont destinés à le parfaire. Mais le ciel n'est pas achevé par le lieu comme les corps inférieurs, qui se conservent en leur lieu propre. C'est pourquoi, bien que la puissance, par laquelle il peut être dans un lieu, ne soit jamais ramenée à l'acte, il n'en découle pas cependant qu'il soit imparfait. Car considéré en soi, il n'a pas une perfection plus grande qu'il soit dans un lieu ou un autre, mais il se comporte indifféremment pour tout lieu, puisqu'il est mû naturellement vers n'importe lequel. Mais l'indifférence elle-même conduit plus au repos qu'à la perpétuité du mouvement, à moins de considérer la volonté du moteur et de celui qui cherche la fin. Ainsi certains philosophes ont assigné la cause du repos de la terre, dans un juste milieu à cause de son indifférence par rapport à n'importe quelle partie de la circonférence du ciel.

 

q. 5 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet causae motus caeli omnes sint sempiternae, tamen movens, ex quo necessitas eius dependet, movet per voluntatem et non est necessarium quod semper moveat, sed secundum quod exigit ratio finis.

# 8. Bien que les causes du mouvement du ciel ne soient pas toutes éternelles, cependant le moteur d'où dépend sa nécessité, meut par volonté, et il n'est pas nécessaire qu'il meuve toujours, mais selon ce qu'exige la raison de la fin.

 

q. 5 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod alio modo caelum est secundum suam naturam capax sempiternitatis motus et sui esse. Nam suum esse dependet ex principiis suae naturae, ex quibus consequitur necessitas essendi, cum non sit in eis possibilitas ad non esse, ut prius ostensum est; suus autem motus in natura eius non habet nisi aptitudinem; necessitatem vero habet ex movente. Unde etiam secundum Commentatorem, sempiternitas essendi in caelo est ex principiis suae naturae, non autem sempiternitas motus, sed ab extrinseco. Unde etiam secundum eos qui dicunt motum nunquam deficere, causa durationis motus caeli et eius sempiternitatis, est voluntas divina; quamvis eius immobilitas non de necessitate concludere possit sempiternitatem motus caeli, ut ipsi volunt. Non enim est mobilis voluntas, si velit quod diversa sibi invicem succedant secundum quod exigit finis quem immobiliter vult. Et ideo potius est inquirenda ratio sempiternitatis motus ex fine quam ex immobilitate moventis.

# 9. C'est d'une autre manière que le ciel est selon sa nature capable de l'éternité du mouvement, et de celle son être. Car son être dépend des principes de sa nature d'où il tire sa nécessité d'être, puisqu'il n'y a pas en lui de possibilité au non être, comme on l'a montré plus haut; son mouvement dans sa nature n'a qu'une aptitude, mais tire sa nécessité du moteur. C'est pourquoi, selon le Commentateur (Métaphysique II, et dans le livre La Substance du monde), l'éternité de l'être dans le ciel vient des principes de sa nature, mais pas l'éternité du mouvement, qui vient de l'extérieur. C'est pourquoi, même selon ceux qui disent que le mouvement ne cesse jamais, la cause de la durée du mouvement du ciel et de son éternité, c'est la volonté divine, quoique son immobilité ne puisse enclore nécessairement l'éternité du mouvement du ciel, comme ceux-ci le veulent. Car sa volonté ne change pas, s'il veut que diverses choses se succèdent entre elles, selon ce qu'exige la fin qu'il veut immuablement. Et c'est pourquoi il faut chercher plutôt la raison de l'éternité du mouvement dans la fin que dans l'immobilité du moteur.

 

q. 5 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod motus caeli terminabitur in instanti, in quo quidem neque erit motus neque quies, sed terminus motus et principium quietis. Quies autem sequens non erit in tempore; nam quies non mensuratur a tempore primo, sed secundario, ut dicitur in IV Phys.; unde si sit quies alicuius corporis, quae nulli motui subiiciatur, non mensurabitur tempore. Quamvis, si in hoc fiat vis, possit dici, quod erit post motum in caelo immobilitas quaedam, etsi non quies.

# 10. Le mouvement du ciel se terminera dans l'instant, où il n'y aura ni mouvement, ni arrêt, mais le terme du mouvement, et le commencement de l'arrêt. Mais l'arrêt suivant ne sera pas dans le temps, car il n'est pas mesuré par le temps premier, mais second, comme on dit en Physique (IV, 12, 221 b 20-22[10]); c'est pourquoi s'il y a arrêt d'un corps, qui ne serait plus soumis à aucun mouvement, il ne sera pas mesuré par le temps. Cependant, si en cela il y a violence, on pourrait dire qu'il y aura dans le ciel après le mouvement, l'immobilité, même si ce n'est pas l'arrêt.

 

q. 5 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod sicut motus caeli deficiet, ita et tempus deficiet, ut per auctoritatem Apocalypsis inductam apparet. Ultimum autem nunc totius temporis erit quidem finis praeteriti non autem principium futuri. Quod enim nunc simul sit et finis praeteriti et principium futuri, habet in quantum sequitur motum circularem continuum, cuius quodlibet signum indivisibile est principium et finis respectu diversorum. Unde si motus cesset, sicut erit aliquod ultimum indivisibile in motu, ita et in tempore.

# 11. Le mouvement du ciel s'arrêtera, le temps aussi, comme le montre l'autorité tirée de l'Apocalypse (8, 6). Mais le dernier moment de tout le temps sera la fin du passé mais pas le commencement du futur, Car, que ce temps soit en même temps la fin du passé et le commencement du futur, il l'a dans la mesure où il suit un mouvement circulaire continu, dont le signe indivisible est le commencement et la fin par rapport à différents [temps]. C'est pourquoi si le mouvement cesse, il y aura une chose ultime indivisible dans le mouvement, et dans le temps aussi.

 

q. 5 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod motus caeli, ut dictum est, non est naturalis propter activam inclinationem formalis principii in corpore caelesti ad talem motum, sicut est in elementis; unde non sequitur, si caelum quiescit, quod eius quies sit violenta.

# 12. Le mouvement du ciel, comme on l'a dit, n'est pas naturel à cause de l'inclination active d'un principe formel dans le corps céleste pour un tel mouvement, comme il l'est dans les éléments; c'est pourquoi il n'en découle pas que si le ciel s'arrête, son arrêt soit violent.

 

q. 5 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod si motus caeli non esset propter aliquid aliud tunc oporteret attendere proportionem eius ad quietem sequentem, si non sempiternus poneretur; sed quia est ordinatus ad alium finem; eius proportio attenditur in ordine ad finem, et non in ordine ad quietem sequentem: ut intelligamus quod Deus ex nihilo universas creaturas in esse producens, primam universi perfectionem, quae consistit in partibus essentialibus universi, et diversis speciebus, per seipsum instituit. Ad ultimam vero perfectionem, quae erit ex consummatione ordinis beatorum, ordinavit diversos motus et operationes creaturarum: quosdam quidem naturales, sicut motum caeli et operationes elementorum, per quas materia praeparatur ad susceptionem animae rationalis; quosdam vero voluntarios, sicut Angelorum ministeria, qui mittuntur propter eos qui haereditatem capiunt salutis. Unde hac consummatione habita, et immutabiliter permanente, quae ad eam ordinabuntur, in perpetuum cessabunt.

# 13. Si le mouvement du ciel n'était pas en vue de quelque chose d'autre, il lui faudrait alors atteindre sa limite à l'arrêt suivant, si on ne le pensait pas éternel, mais parce qu'il est ordonné à une autre fin; sa limite est atteinte par rapport à sa fin et non par rapport à l'arrêt suivant; pour que nous comprenions que Dieu a amené du néant à l'être l'ensemble des créatures, en instituant lui-même la première perfection de l'univers qui consiste dans ses parties essentielles et en diverses espèces. Pour l'ultime perfection, qui viendra de l'accomplissement de l'ordre des bienheureux, il a ordonné différents mouvements et opérations des créatures: certains naturels, comme le mouvement du ciel et les opérations des éléments, par lesquelles la matière est préparée à recevoir l'âme rationnelle; certains volontaires comme le ministère des anges, qui sont envoyés pour ceux qui reçoivent l'héritage du salut. C'est pourquoi, une fois cet accomplissement réalisé et, en demeurant immuablement, ce qui lui sera ordonné cessera éternellement.

 

q. 5 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod obiectio illa procedit de actu secundo, qui est operatio manens in operante, quae est finis operantis, et per consequens excellentior quam forma operantis. Actus autem secundus, qui est actio tendens in aliquod factum, non est finis agentis, nec nobilior quam eius forma; nisi ipsa facta sint nobiliora facientibus, sicut artificiata sunt nobiliora artificialibus instrumentis, ut eorum fines.

# 14. Cette objection procède de l'acte second, qui est l'opération qui demeure dans celui qui opère, qui est sa fin, et par conséquent meilleure que sa forme. Mais l'acte second, qui est une action qui tend à un produit, n'est pas la fin de l'agent, et n'est pas plus noble que sa forme, à moins que ce qui est produit soit plus noble que ceux qui le produisent, comme les oeuvres artisanales sont plus nobles que les instruments de l'artisan, en tant que leurs fins.

 

q. 5 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet in circulari magnitudine non sit principium vel finis in actu, potest tamen designari principium vel finis in ea per inclinationem vel terminationem motus alicuius.

# 15. Bien que dans une grandeur circulaire, il n'y ait ni commencement, ni fin en acte, on peut cependant y désigner un commencement ou une fin par l'inclination ou la limite d'un mouvement.

 

q. 5 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in mundi principio natura instituebatur: et ideo in his quae ad principium spectant, non oportet naturae proprietatem praetermittere; in mundi autem fine naturae operatio consequitur finem a Deo sibi institutum: unde oportet ibi recurrere ad voluntatem Dei, quae talem finem instituit.

# 16. Au commencement du monde, la nature était instituée, et c'est pourquoi dans ce qui regarde au principe, il ne faut pas oublier la propriété de la nature, mais à la fin du monde, l'opération de la nature suit la fin instituée pour elle par Dieu; c'est pourquoi il faut ici recourir à la volonté de Dieu qui a décidé une telle fin.

 

q. 5 a. 5 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet caelo quiescente semper sit futurus sol ex una parte terrae non tamen ex alia parte terrae erunt omnino tenebrae et obscuritas, propter claritatem quae a Deo elementis tradetur. Unde habetur Apoc. XXI, 23, quod civitas non eget sole neque luna nam claritas Dei illuminavit eam. Si tamen sit amplior claritas ex illa parte terrae quae fuit inhabitata a sanctis, nullum inconveniens sequitur.

# 17. Même si le ciel s'arrête, il y aura toujours le soleil d'un côté de la terre, cependant de l'autre, il n'y aura pas tout à fait les ténèbres, ni l'obscurité, à cause de la lumière accordée aux éléments par Dieu. C'est pourquoi il est dit dans Apocalypse, 21, 23, que "La cité n'aura pas besoin de soleil, ni de lune, car la lumière de Dieu l'éclairera." Si cependant la lumière est plus forte de ce côté de la terre qui a été inhabitée par les saints, il n'en découle aucun inconvénient.

 

q. 5 a. 5 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quamvis caelum aequaliter se habeat ad quemlibet situm sibi possibilem, non tamen motus est propter acquisitionem situs, sed propter aliquid aliud: unde in quocumque situ remaneat, impleto eo ad quod erat, nihil differt.

# 18. Quoique le ciel se comporte de la même manière pour n'importe quel lieu possible pour lui, cependant le mouvement n'est pas pour acquérir un lieu, mais pour quelque chose d'autre: c'est pourquoi, en quelque lieu qu'il demeure, il n'y a pas de différence une fois accomplie ce pourquoi il existait.

 

q. 5 a. 5 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod motus etsi sit actus mobilis, est tamen actus imperfectus. Unde per hoc quod motus aufertur, non potest concludi quod simpliciter perfectio auferatur, et praecipue si per motum mobili nihil acquiratur. Quod autem philosophus dicit, quod acquirit perfectam bonitatem per motum, loquitur secundum primam dictarum opinionum de fine motus caeli, qui competit ad sempiternitatem motus.

# 19. Même si le mouvement est un acte du mobile, il est cependant un acte imparfait. C'est pourquoi, du fait que le mouvement est enlevé, on ne peut pas conclure que la perfection est absolument enlevée, et principalement, si rien n'est acquis pour le mobile par le mouvement. Quand le philosophe dit qu'il acquiert la bonté parfaite par le mouvement, il parle selon la première des opinions rapportées à propos de la fin du mouvement du ciel, qui appartient à l'éternité du mouvement.

 

q. 5 a. 5 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod perfectio spiritualis naturae est ut possit esse causa aliorum sine suo motu; quod caelum nunquam acquiret. Nec tamen propter hoc deteriorabitur, cum finis suus non sit in causando alia, ut dictum est.

# 20. La perfection de la nature spirituelle est de pouvoir être cause des autres sans son mouvement, ce que le ciel n'acquerra jamais. Et cependant il ne sera pas détérioré, à cause de cela, puisque sa fin n'est pas de causer d'autres choses, comme on l'a dit.

 

q. 5 a. 5 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod motus caeli non quiescet propter aliquod contrarium, sed propter voluntatem moventis tantum.

# 21. Le mouvement du ciel ne cessera pas à cause d'un contraire, mais par la volonté du moteur seulement.

 

[1] Parall.: II Sent. D11q2a6,ad 3 –d33q2a1 – IV Sent. S44q3a1qla3, c. – Qdl. VII, a. 11 – Opusc. III, c. 1, 76.

 

[2] Thomas lectio 15, n° 270.

 

[3] Ex priori comprend la cause, ex posteriori comprend la cause finale ou l'effet.

 

[4] Cf. De veritate, qu. 2,a. 1 obj. 7:"La science dénote une imperfection puisqu'elle est signifiée à la manière d'un habitus, c'est-à-dire d'un acte premier, alors que la considération est signifiée à la manière d'un acte second." (Trad. S. Bonino, La science de Dieu. Cf. note 15, p. 358. La considération désigne l'exercice d'un habitus scientifique.

 

[5] C'est-à-dire dans notre monde.

 

[6] Isidore de Séville (560 636), docteur de l'Église.

 

[7] Il veut dire qu'on peut parler d'intelligence ou d'âme, comme les néoplatoniciens, même si c'est faux, cela n'entraîne ici aucune conséquence.

 

[8] Ajouté dans l'Éd. Marietti.

 

[9] "Mais ceux qui posent une série infinie ne sÔaperçoivent pas qu'ils ruinent la notion même de bien." (Trad. J. Tricot). Thomas n° 317: "Ceux qui posent l'infinité dans les causes finales les écartent".

 

[10] "...le corps mû n'est pas absolument mesurable par le temps, en tant qu'il est une certaine quantité, mais en tant que son mouvement est une certaine quantité...".

 

 

 

Article 6: L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?

 

q. 5 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum possit sciri ab homine quando motus caeli finiatur. Et videtur quod sic.

Et il semble que oui[1].

 

Objections:

 

q. 5 a. 6 arg. 1 Quia, secundum Augustinum in fine de Civit. Dei, sexta aetas currit ab adventu Christi usque ad finem mundi. Sed scitur quantum praecedentes aetates duraverunt. Ergo sciri potest quantum ista aetas durare debet per comparationem ad alias; et ita potest sciri quando motus caeli finietur.

1. Parce que, selon Augustin, à la fin de la Cité de Dieu, le sixième âge court de la venue du Christ jusqu'à la fin du monde[2]. Mais on sait combien de temps ont duré les âges précédents. Donc on peut savoir combien cet âge doit durer par comparaison aux autres et ainsi quand le mouvement du ciel s'arrêtera.

 

q. 5 a. 6 arg. 2 Praeterea, finis uniuscuiusque rei respondet suo principio. Sed principium mundi scitum est per revelationem, ex qua Moyses dixit: in principio creavit Deus caelum et terram. Ergo et finis mundi sciri potest per revelationem in Scripturis traditam.

2. La fin de chaque chose correspond à son commencement, mais celui du monde est connu par la révélation: Moïse a dit (Gn 1, 1): "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Donc la fin du monde peut être connue par la révélation rapportée dans les Écritures.

 

q. 5 a. 6 arg. 3 Praeterea, causa incertitudinis mundi ponitur esse, ut homo semper sit in sollecitudinem de suo statu. Sed ad hanc sollecitudinem habendam sufficit mortis incertitudo. Ergo non fuit necessarium, incertum esse defectum mundi; nisi forte propter illos quorum temporibus finis mundi erit.

3. On pense que la cause de l'incertitude du monde est que l'homme soit toujours dans l'inquiétude au sujet de sa situation. Mais pour avoir cette inquiétude, l'incertitude de la mort suffit. Donc il n'a été pas nécessaire que la fin du monde soit incertaine sauf par hasard pour ceux qui vivront dans les temps où elle aura lieu.

 

q. 5 a. 6 arg. 4 Praeterea, dicitur aliquibus propria mors esse revelata, sicut patet de beato Martino. Dicit autem Augustinus in epistola ad Orosium, quod talis unusquisque in iudicio comparebit, qualis fuit in morte: et sic eadem ratio est occultandi mortem et occultandi diem iudicii. Ergo et dies iudicii, qua ad omnes pertinet, debuit in Scriptura sacra, quae omnes instruit, revelatus fuisse.

4. On dit que leur propre mort a été révélée à certains, comme on le voit pour le bienheureux Martin. Augustin dit dans La lettre à Orose, que chacun comparaîtra au jugement tel qu'il a été dans sa mort, et ainsi c'est pour la même raison que la mort et le jour du jugement sont cachés. Donc même le jour du jugement, qui concerne tous les hommes, a dû être révélé dans la sainte Écriture qui les a tous instruits.

 

q. 5 a. 6 arg. 5 Praeterea, signum ordinatur ad aliquid cognoscendum. In Evangeliis autem ponuntur aliqua signa adventus domini, qui erit in fine mundi, ut patet Matth. XXIV, 24 sq. et Luc. XXI, 9 sq. et similiter ab apostolis, ut patet I ad Tim. IV, 1, sq. et II ad Tim. III, 2 sq., et II ad Thess. II, 3 sq. Ergo videtur quod possit sciri tempus adventus domini, et finis mundi.

5. Un signe est en vue de faire connaître quelque chose. Mais certains signes de la venue du Seigneur sont placés, dans les Évangiles, qui aura lieu à la fin du monde, comme on le voit en Mt. 24, 24 ss. et Lc 21, 9 ss. et de même par l'Apôtre comme on le voit en 1 Tm 4, 1 ss., 2 Tm 3, 2 ss. et 2 Thess.2, 3. Donc il semble que le temps de la venue du Seigneur et la fin du monde puissent être connus.

 

q. 5 a. 6 arg. 6 Praeterea, nullus hic reprehenditur vel punitur pro eo quod non est in sua potestate. Sed aliqui reprehenduntur in Scriptura et puniuntur pro eo quod tempora non cognoscunt; unde dominus, Matth. XVI, 4, ad Pharisaeos: faciem caeli diiudicare nostis, signum autem istud non potestis scire? Et Lucae XIX, 44: non relinquent in te lapidem super lapidem, eo quod non cognoveris tempus visitationis tuae; et Ierem. VIII, 7: milvus in caelo cognovit tempus suum; turtur et hirundo et ciconia custodierunt tempus adventus sui; populus autem meus non cognovit iudicium domini. Ergo possibile est sciri diem iudicii, vel tempus finis mundi.

6. Personne ici n'est réprimandé ou puni pour ce qui n'est pas en son pouvoir. Mais certains sont réprimandés dans l'Écriture et punis parce qu'ils ne connaissent pas "les temps". C'est pourquoi le Seigneur (Mt. 16, 4) dit aux Pharisiens: "Vous savez juger l'état du ciel, mais ce signe, ne pouvez-vous pas le connaître?" et Lc 19, 44: "Ils ne laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu fus visité." et Jér. 8, 7: "Le milan dans le ciel a connu son temps, la tourterelle, l'hirondelle et la cigogne ont conservé mémoire du temps de leur arrivée, mais mon peuple n'a pas connu le jugement de Dieu." Donc il est possible de connaître le jour du jugement, ou le temps de la fin du monde.

 

q. 5 a. 6 arg. 7 Praeterea, in secundo adventu, Christus magis manifeste veniet quam in primo; tunc enim videbit eum omnis populus, et qui eum pupugerunt, ut habetur Apoc. I, 7. Sed primus adventus praenuntiatus fuit in Scriptura futurus etiam quantum ad determinatum tempus, ut patet Dan. IX, 24-27. Ergo videtur quod et secundus adventus debuerit in Scripturis praenuntiari quantum ad certum tempus.

7. A sa seconde venue, le Christ viendra plus ouvertement qu'à sa première: car tout le peuple le verra, même ceux qui l'ont frappé, comme il est dit (Apoc. 1, 7[3]). Mais le première venue fut annoncée dans l'Écriture, comme devant arriver à un moment déterminé, comme on le lit en Dan. 9, 24-27. Donc il semble que la seconde venue a dû être annoncée dans les Écritures pour le temps fixé.

 

q. 5 a. 6 arg. 8 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia in se maioris mundi similitudinem gerit. Sed finis vitae humanae potest praesciri determinate. Ergo et finis mundi potest praesciri.

8. L'homme est appelé un microcosme, parce qu'il porte en lui la ressemblance d'un monde plus grand. Mais la fin de la vie humaine peut être connue à l'avance de manière précise. Donc la fin du monde aussi.

 

q. 5 a. 6 arg. 9 Praeterea, magnum et parvum, diuturnum et breve, relative dicuntur de uno per comparationem ad aliud. Sed tempus illud quod est ab adventu Christi usque ad finem mundi, dicitur esse breve, ut patet I Corinth. VII, 29: tempus breve est; et eiusdem X, 11: nos sumus in quos fines saeculorum devenerunt; et I Ioan. II, 18: novissima hora est. Ergo hoc dicitur per comparationem ad tempus praecedens. Ergo saltem hoc videtur sciri posse, quod multo brevius est tempus ab adventu Christi usque ad finem mundi quam a principio mundi usque ad Christum.

9. On parle du grand et du petit, du long et du bref, relativement en comparaison de l'un avec l'autre. Mais le temps, qui existe depuis la venue du Christ jusqu'à la fin du monde, est qualifié de bref, comme on le voit en I Co 7, 29: "Le temps est bref"; et du même (10, 11) "(Nous sommes)à la fin des siècles[4]" et I Jn, 2, 18: "C'est la dernière heure". Donc cela est dit par comparaison au temps précédant. Donc du moins cela paraît pouvoir être connu, parce que le temps est beaucoup plus bref depuis la venue du Christ jusqu'à la fin du monde que depuis son commencement jusqu'au Christ.

 

q. 5 a. 6 arg. 10 Praeterea, Augustinus dicit in libro de civitate Dei, quod ignis ille qui exuret faciem terrae in fine mundi, erit ex conflagratione omnium ignium mundanorum. Sed potest sciri a considerantibus motum caeli, usque ad quantum tempus ipsa corpora caelestia, quae sunt nata generare calorem in istis inferioribus, erunt in situ efficacissimo ad hoc implendum; ut sic per concursum actionis caelestium corporum et inferiorum ignium, universalis illa conflagratio fiat. Ergo potest sciri quando erit finis mundi.

10. Augustin dit (La cité de Dieu, XX, 16) que ce feu qui brûlera la face de la terre à la fin monde, viendra de la conflagration de tous les feux de l’univers. Mais ceux qui considèrent le mouvement du ciel peuvent savoir jusqu'à quel temps les corps célestes eux-mêmes, qui sont destinés à engendrer la chaleur dans les choses inférieures seront dans le lieu le plus efficace pour l'accomplir, pour qu'avec de l'action des corps célestes et des feux inférieurs, cette conflagration universelle se fasse. Donc on peut savoir quand aura lieu la fin du monde.

 

En sens contraire:

 

q. 5 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Matth. cap. XXIV, 36: de die illa et hora nemo scit, neque Angeli caelorum.

1. Il est dit Mt. 24, 36:"Personne ne connaît ce jour et cette heure, les anges des cieux non plus."

 

q. 5 a. 6 s. c. 2 Praeterea, si aliquid deberet aliquibus hominibus revelari, praecipue revelatum fuisset quaerentibus apostolis, qui doctores totius mundi instituebantur. Eis autem de finali adventu domini quaerentibus responsum est, Act. I, 7: non est vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate. Ergo multo minus est aliis revelatum.

2. Si une chose devait être révélée à des hommes, elle aurait été révélée surtout aux apôtres qui le demandaient, eux qui étaient établis docteurs du monde entier. Mais à ceux qui s'enqueraient de la dernière venue du Seigneur, il a été répondu: "(Act. I, 7) "Ce n'est pas à vous de connaître ni le temps ni le moment, que Dieu a décidés dans sa puissance." Donc cela a encore beaucoup moins été révélé aux autres.

 

q. 5 a. 6 s. c. 3 Praeterea, credere veritati et revelationi acceptae in Scriptura non prohibemur. Sed apostolus, II ad Thess. II, 2, prohibet credere quocumque modo annuntiantibus, quasi instet dominus. Ergo illi qui nituntur tempus diei domini denuntiare, sunt tamquam seductores cavendi. Nam et ibidem subditur: nemo vos seducat ullo modo.

3. Nous ne sommes pas empêchés de croire à la vérité et à la révélation reçue de l'Écriture. Mais l'Apôtre (Thess. 2, 2) interdit de croire ceux qui l’annoncent de quelque manière, "comme si le Seigneur était là". Donc ceux qui s'efforcent d'annoncer le temps du jour du Seigneur, sont comme des séducteurs à éviter. Car là même il est ajouté: "Que personne ne vous séduise en aucune manière."

 

q. 5 a. 6 s. c. 4 Praeterea, Augustinus dicit in epistola ad Hesychium: quaero utrum sic saltem possit definiri tempus adventus, ut eum adventurum esse dicamus intra istos, verbi gratia, vel centum annos, vel quodlibet seu maioris numeri, seu minoris annorum. Hoc autem omnino ignorantes sumus. Ergo non potest sciri quocumque numero annorum dato, vel decem millium, vel viginti millium, vel duorum, vel trium, utrum infra illud tempus finis mundi futurus sit.

4. Augustin dit dans la lettre à Hésichius (lettre 80): "Je cherche si du moins on peut définir le temps de la venue, de manière à dire qu'il viendra, parmi ces nombres: par exemple dans cent ans, ou dans un nombre plus ou moins grand d'années." Mais nous en sommes totalement ignorants. Donc on ne peut savoir dans quel nombre d'années données, ou dix mille, vingt mille, deux ou trois, ou moins, la fin du monde aura lieu.

 

Réponse:

 

q. 5 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod tempus determinatum finis mundi omnino nescitur, nisi a solo Deo et ab homine Christo. Cuius ratio est, quia duplex est modus quo possumus praescire futura: scilicet, per cognitionem naturalem, et per revelationem.

Le temps du monde est tout à fait inconnu, sinon de Dieu seul, et d'un homme, le Christ. La raison en est que la manière de connaître à l’avance le futur est double; à savoir par la connaissance naturelle, et par la révélation.

 

Naturali quidem cognitione aliqua futura praenoscimus per causas quas praesentes videmus, ex quibus futuros expectamus effectus: vel per certitudinem scientiae, si sint causae quas de necessitate sequitur effectus, vel per coniecturam, si sint causae ad quas sequitur effectus ut in pluribus, sicut astrologus praescit eclypsim futuram, et medicus mortem futuram. Hoc autem modo non potest praecognosci tempus determinate finis mundi, quia causa motus caeli et cessationis eius non est alia quam divina voluntas, ut prius ostensum est; quam quidem causam naturaliter cognoscere non possumus. Alia vero quorum causa est motus caeli vel quaecumque alia causa sensibilis, possunt naturali cognitione praecognosci, sicut particularis destructio alicuius partis terrae, quae prius fuit habitabilis, et postea fit inhabitabilis.

1) Par la connaissance naturelle, nous connaissons à l’avance des événements futurs par les causes que nous voyons devant nous, dont nous attendons des effets futurs: ou par la certitude de la science, si ce sont des causes dont l’effet découle nécessairement, ou par la conjecture, si ce sont des causes dont l'effet découle généralement, de même que l'astrologue connaît à l’avance une éclipse future, et le médecin une mort future. Mais de cette manière, on ne peut pas connaître à l'avance de manière précise le temps de la fin du monde, parce que la cause du mouvement du ciel et de sa cessation n'est autre que la volonté divine, comme on l'a montré plus haut. Cette cause, nous ne pouvons pas la connaître de façon naturelle. D'autres (événements) dont la cause est le mouvement du ciel ou quelque autre cause accessible, peuvent être connus à l'avance d'une connaissance naturelle, comme la destruction particulière d'une partie de la terre, qui d'abord a été habitée, et ensuite inhabitée.

 

Per revelationem vero licet sciri possit, si Deus vellet revelare, non tamen congruum esset quod revelaretur nisi homini Christo. Et hoc propter tres rationes.

2) Mais, bien qu'on puisse le savoir par la révélation, si Dieu voulait le révéler, ce ne serait pas cependant convenable que ce soit révélé sinon au Christ homme. Et cela pour trois raisons:

 

Primo quidem, quia finis mundi non erit nisi completo numero electorum; cuius completio est quasi quaedam executio totius divinae praedestinationis; unde non competit revelationem fieri de fine mundi nisi ei cui fit revelatio de tota praedestinatione divina, scilicet homini Christo, per quem tota divina praedestinatio humani generis quodammodo adimpletur. Unde dicitur Ioan. V, 20: pater diligit filium, et omnia demonstrat ei quae ipse facit.

a) Parce que la fin du monde n'existera que lorsque le nombre des élus sera complet; sa plénitude est comme l'exécution de toute la prédestination divine; c'est pourquoi il convient que la révélation ne soit faite sur la fin du monde qu'à celui à qui en est faite toute la révélation, à savoir le Christ homme[5], par lequel toute la prédestination divine du genre humain est accomplie d'une certaine manière. C'est pourquoi il est dit en Jn 5, 20: "La Père aime le fils, et il lui montre tout ce qu'il fait".

 

Secundo, quia per hoc quod ignoratur quamdiu iste status mundi durare debeat, utrum ad modicum vel ad magnum tempus, habentur res huius mundi quasi statim transiturae; unde dicitur I Cor. VII, 31: qui utuntur hoc mundo, sint tamquam non utantur; praeterit enim figura huius mundi.

b) Parce que du fait qu'on ignore combien de temps cet état du monde doit durer, un peu ou beaucoup, les choses de ce monde se comportent comme devant passer sur le champ pour ainsi dire; c'est pourquoi il est dit en I Co. 7, 31: "Que ceux qui se servent de ce monde soient comme ne s'en servant pas; car elle passe la figure de ce monde."

 

Tertio, ut homines semper sint parati ad Dei iudicium expectandum, dum omnino determinatum tempus nescitur; unde dicitur Matth. XXIV, 42: vigilate, quia nescitis qua hora dominus vester venturus sit. Et ideo, ut dicit Augustinus, ille qui dicit se ignorare quando dominus sit venturus, utrum ad breve tempus vel ad magnum evangelicae sententiae concordat. Inter duos autem qui scire se dicunt, periculosius errat qui dicit in proxime Christum venturum, vel finem mundi instare, quia haec potest esse occasio ut omnino desperaretur esse futurum, si tunc non erit quando futurum esse praedicitur.

c) Pour que les hommes soient toujours prêts à attendre le jugement de Dieu, pendant que le temps fixé est tout à fait inconnu; c'est pourquoi, il est dit en Mt. 24, 42: "Veillez, parce que vous ne connaissez pas l'heure à laquelle votre Seigneur doit venir." Et c'est ainsi, comme le dit Augustin (Lettre 80, à Hésychius) celui qui dit qu'il ignore quand le Seigneur doit venir, dans un temps bref ou long, est en accord avec les textes évangéliques. Parmi deux personnes qui se disent savoir, il se trompe de façon plus dangereuse celui qui dit que le Christ doit venir prochainement, ou que la fin du monde est toute proche, parce que cela peut être l'occasion de désespérer tout à fait[6], si l'événement n'arrive pas alors que son arrivée est annoncée.

 

Solutions:

 

q. 5 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Augustinus, ultima aetas mundi comparatur ultimae aetati hominis, quae determinato numero annorum non definitur, sicut aliae aetates definiuntur; sed quandoque tantum durat quantum omnes aliae, vel etiam amplius; unde et ista aetas ultima mundi non potest determinato annorum vel generationum numero definiri.

# 1. Comme le dit Augustin, (Les 83 questions, question 58), le dernier âge du monde est comparé au dernier âge[7] de l'homme, qui n'est pas défini par un nombre fixe d'années, comme les autres âges, mais quelquefois il dure autant que tous les autres, et même plus, c'est pourquoi ce dernier âge du monde ne peut être défini par un nombre fixe d'années ou de générations.

 

q. 5 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revelatio principii mundi utilis erat ad manifestandum Deum esse omnium causam; sed sciri tempus determinatum finis mundi, ad nihil esset utile, sed magis nocivum; et ideo non est simile.

# 2. La révélation du commencement du monde était utile pour manifester que Dieu est la cause de tout; mais connaître le temps fixé pour la fin du monde n'est utile en rien, mais plutôt nocif, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 5 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo naturaliter non solum de se ipso sollicitatur, sed etiam de statu communitatis cuius est pars, sicut vel domus vel civitatis, aut etiam totius orbis; et ideo utrumque fuit necessarium ad hominis cautelam occultari, et finem propriae vitae, et finem totius mundi.

# 3. L'homme naturellement est inquiet de lui même, mais aussi au sujet de la situation de la communauté à laquelle il appartient, ainsi sa famille ou sa cité, ou même le monde entier, et c'est pourquoi il a été nécessaire pour la défense de l’homme que soit cachée la fin de sa propre vie, et la fin du monde entier.

 

q. 5 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod revelatio finis vitae propriae, est quaedam particularis revelatio; revelatio vero finis totius mundi dependet ex revelatione totius divinae praedestinationis; et ideo non est simile.

# 4. La révélation de la propre fin de la vie est une révélation particulière; mais celle du monde entier dépend de la révélation de toute la prédestination divine et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

 

q. 5 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa signa posita sunt ad manifestandum quod quandoque mundus finietur; non autem ad manifestandum determinatum tempus quando finietur, ponuntur enim inter illa signa, aliqua quae quasi a mundi exordio fuerunt, sicut quod surget gens contra gentem, et quod terraemotus erit per loca; sed instante mundi fine haec abundantius evenient. Quae autem sit ista mensura horum signorum quae circa finem mundi erit, manifestum nobis esse non potest.

# 5. Ces signes sont placés pour manifester qu'un jour le monde finira; mais non pour révéler le temps précis, où il finira; en effet parmi ces signes, certains ont été mis là depuis le commencement du monde: ainsi les nations s'opposeront entre elles et des tremblements de terre auront lieu; mais quand la fin du monde arrivera, ces événements se produiront avec plus d’abondance. Mais le sens de ces signes qui arrivera autour de la fin du monde, ne peut être connu par nous.

 

q. 5 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa reprehensio domini pertinet ad eos qui determinatum tempus primi adventus non cognoverunt; non autem ad eos qui ignorant tempus determinatum secundi adventus.

# 6. Ce reproche du Seigneur convient à ceux qui n'ont pas connu le temps fixé pour sa première venue; mais non à ceux qui ignorent le temps fixé pour la seconde venue.

 

q. 5 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod primus adventus Christi nobis viam ad merendum parabat per fidem et alias virtutes; et ideo ex parte nostra requirebatur primi adventus notitia, ut credendo in eum qui venerat, per eius gratiam mereri possemus. In secundo autem adventu praemia redduntur pro meritis; et sic ex parte nostra non requiretur quid agamus aut quid cognoscamus, sed quid recipiamus; unde non oportet praecognoscere determinate tempus illius adventus. Dicitur autem ille adventus manifestus: non quia manifeste praecognoscatur, sed quia manifestus erit cum fuerit praesens.

# 7. La première venue du Christ préparait le chemin pour mériter par la foi et les autres vertus; et c'est pourquoi la connaissance de la première venue était requise de notre part pour qu’en croyant en celui qui était venu, nous puissions mériter par sa grâce. Dans la seconde venue les récompenses sont rendues pour les mérites, et ainsi il ne nous est pas demandé ce que nous ferons et ce que nous connaîtrons, mais ce que nous recevrons; c'est pourquoi il ne faut pas connaître à l'avance de manière précise le temps de cette venue. Mais on dit qu'elle est évidente, non parce qu'elle est manifestement connue à l'avance, mais parce qu’elle sera évidente quand elle sera là.

 

q. 5 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod corporalis hominis vita ex aliquibus prioribus et corporalibus causis dependet, ex quibus circa finem eius aliquid prognosticari potest; non autem ita est de toto mundo; et ideo quantum ad hoc non est simile, licet in aliquibus homo, qui dicitur minor mundus, similitudinem maioris mundi obtineat.

# 8. La vie corporelle de l'homme dépend de quelques causes supérieures et corporelles, par lesquelles il peut faire des pronostics à propos de sa fin; mais il n'en est pas ainsi du monde entier, c'est pourquoi ce n'est pas pareil, bien que, chez certains, l'homme qui est appelé un microcosme, obtienne la ressemblance du macrocosme.

 

q. 5 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod verba illa quae videntur in Scripturis ad brevitatem temporis pertinere, vel etiam ad finis propinquitatem, non tam sunt ad quantitatem temporis referenda quam ad status mundi dispositionem. Non enim legi evangelicae alius status succedit, quae ad perfectum adduxit; sicut ipsa successit legi veteri, et lex vetus legi naturae.

# 9. Ces paroles qui paraissent dans les Écritures concerner la brièveté du temps, ou même l'approche de la fin, ne sont pas tant pour être rapportée à la quantité du temps, que pour la disposition de la situation du monde. Car une autre situation ne succèdera pas à la loi évangélique, qui a mené à la perfection; comme elle-même a succédé à la loi ancienne, et la loi ancienne à la loi de nature.

 

q. 5 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa conflagratio ignium mundanorum non creditur esse futura ex aliqua naturali causa, ut sic per considerationem caelestis motus, eius tempus possit praesciri; sed proveniet ex imperio divinae voluntatis.

# 10. On ne croit pas que cette conflagration des feux de l’univers arrivera par une cause naturelle, de sorte qu'ainsi par la considération du mouvement céleste, son temps pourrait être connu à l'avance; mais elle proviendra du pouvoir de la volonté divine.

 

[1] Parall.: IV Sent. d43a3 q1a2 — d47q1 a1, qla 3c — d48q2a2, ad 8.

 

[2] Augustin emprunte les six âges de l’humanité à la tradition qui prend sa source dans les Apocalpyses juives. Ils sont parallèles aux six jours de la création du monde et aux six âges de la vie. Les prédécesseurs d’Augustin (Pseudo Barnabé, Justin, Hippolyte) ont des tendances millénaristes, lui envisage cette divsion sous un aspect historique. Premier âge, d’Adam à Noé, deuxième celui de Noé à Abraham, le troisième d’Abraham à David, le cinquième De David à l’exil de Babylone jusqu’à l’enfantement de la Vierge. "Le sixième âge a commencé avec la Nativité du Seigneur et c’est lui qui dure actuellement jusqu’au terme inconnu du temps." (Trin. IV, 4, 7)

 

[3] "Chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé…"

 

[4]. Dans BJ. "nous touchons la fin des temps."

 

[5] Cf. Marc 13, 32: "…ni le Fils, personne que le Père." (!)

 

[6] . Nous en avons eu des exemples.

 

[7] . L'âge ultime est la vieillesse à partir de soixante ans.

 

 

 

Article 7: Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?

q. 5 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum cessante motu caeli, elementa remaneant. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

q. 5 a. 7 arg. 1 Dicitur enim II Petri, cap. III, 7, quod in fine mundi elementa calore solventur. Quod autem dissolvitur, non manet. Ergo elementa non manebunt.

1. Car il est dit (2 P. 3, 7) qu'à la fin du monde, les éléments seront détruits par la chaleur. Ce qui est détruit, ne demeure pas. Donc les éléments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7 arg. 2 Sed dicebat, quod manebunt secundum substantiam; sed non manebunt secundum qualitates activas et passivas.- Sed contra, manente causa, remanet effectus. Sed principia essentialia sunt causa propriorum accidentium. Cum ergo qualitates activae et passivae sint propria elementorum accidentia, videtur quod principiis essentialibus manentibus, sine quibus substantia esse non potest, etiam qualitates activae maneant.

2. Mais on pourrait dire qu'ils demeureront selon leur substance, mais non selon les puissances actives et passives. — En sens contraire, si la cause demeure, l'effet demeure aussi. Mais les principes essentiels sont les causes des accidents les plus spécifiques. Donc comme les puissances actives et passives sont les accidents propres des éléments, il semble que, si les principes essentiels demeurent, sans lesquels la substance ne peut pas exister, les puissances actives demeurent aussi.

q. 5 a. 7 arg. 3 Praeterea, accidens inseparabile nunquam actu a subiecto separatur. Sed calidum est accidens inseparabile ignis. Ergo non potest ignis remanere quin in eo calor remaneat; et eadem ratione de aliis elementis.

3. L'accident inséparable n'est jamais séparé en acte de son substrat. Mais le chaud est un accident inséparable du feu. Donc le feu ne peut demeurer que si la chaleur demeure en lui; et c'est la même raison pour les autres éléments.

q. 5 a. 7 arg. 4 Sed dicebat, quod divina virtute hoc fiet, quod elementa sine qualitatibus activis et passivis remanebunt, licet hoc per naturam esse non possit.- Sed contra, sicut in mundi principio fuit naturae institutio, ita in mundi fine erit naturae consummatio. Sed in principio mundi, ut Augustinus dicit, non sufficit dicere quid Deus possit facere, sed quid habeat rerum natura. Ergo et hoc etiam in fine mundi attendendum est.

4. Mais on pourrait dire que c’est par le pouvoir divin que les éléments demeureront sans les puissances actives et passives, bien que cela ne puisse exister par la nature. — En sens contraire, de même qu'au commencement du monde il y eut l'institution de la nature, de même à sa fin il y aura sa consommation. Mais au commencement du monde, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, II), il ne suffit pas de dire ce que Dieu pourrait faire, mais ce que possèderait la nature. Donc cela aussi doit être atteint à la fin du monde.

q. 5 a. 7 arg. 5 Praeterea, qualitates activae et passivae sunt in omnibus elementis. Dicit autem Glossa Bedae super auctoritate Petri, superius inducta, quod ignis ille qui erit in fine mundi, duo elementa ex toto assumet, duo autem alia in meliorem speciem commutabit. Non ergo potest intelligi elementorum solutio quantum ad qualitates activas et passivas, quia sic non tantum duo dicerentur assumenda.

5. Les puissances actives et passives sont dans tous les éléments. La glose (ordinaire) de Bède, en s'appuyant sur l'autorité de Pierre rapportée plus haut (obj. 1), dit que ce feu qui existera à la fin du monde emploiera deux des éléments et changera les deux autres en une espèce meilleure. Donc on ne peut pas comprendre la dissolution des éléments quant aux puissances actives et passives, parce qu'on ne dirait pas ainsi que ce sont seulement deux (éléments) qui doivent être employés.

q. 5 a. 7 arg. 6 Sed dicebat, quod in duobus elementis, scilicet igne et aqua, praecipue vigent qualitates activae, sicut calidum et frigidum; et ideo haec duo prae aliis assumenda dicuntur.- Sed contra, in fine mundi elementa meliorabuntur. Sed, secundum Augustinum, agens honorabilius est patiente. Ergo magis deberent remanere elementa in quibus vigent qualitates activae quam in quibus vigent qualitates passivae.

6. Mais on pourrait dire que dans deux éléments, à savoir le feu et l'eau, les qualités actives sont très importantes, comme le chaud et le froid, et c'est pourquoi ces deux-là, dit-on, doivent être employés avant les autres. — En sens contraire, à la fin du monde, les éléments seront améliorés. Mais selon Augustin (La Genèse au sens littéral XII, 16[2]), l'agent est plus honorable que le patient. Donc les éléments en lesquels dominent les puissances actives devraient demeurer plus que ceux dans lesquelles dominent les puissances passives.

q. 5 a. 7 arg. 7 Praeterea, Augustinus dicit, quod ad patiendum humor et humus, ad faciendum aer et ignis aptitudinem praebent. Ergo si propter virtutem activam aliqua elementa assumenda dicuntur, videtur quod hoc non debeat intelligi de igne et aqua, sed magis de igne et aere.

7. Augustin (Sur le Genèse, III, 10) dit que le liquide et la terre ont une aptitude à supporter, l'air et le feu une aptitude à agir. Donc, si à cause d'un pouvoir actif, on dit que quelques éléments doivent être choisis, il semble qu'on ne doit pas le comprendre du feu et de l'eau, mais plus du feu et de l'air.

q. 5 a. 7 arg. 8 Praeterea, sicut naturales qualitates elementorum sunt calidum et frigidum, humidum et siccum, ita grave et leve. Si ergo qualitates illae non remanent in elementis, nec gravitas et levitas remanebit in eis. Per naturam autem gravitatis et levitatis, elementa loca sua naturalia sortiuntur. Si ergo qualitates elementorum non remanent post finem mundi, non remanebit in eis situs distinctus, ut terra sit deorsum, et ignis sursum.

8. Les puissances naturelles des éléments sont le chaud et le froid, l'humide et le sec, et le lourd et le léger aussi. Si donc ces puissances ne demeurent pas dans les éléments, ni la lourdeur, ni la légèreté ne demeureront en eux, Mais par leur gravité, et leur légèreté, les éléments s'établissent d'eux-mêmes dans leurs sites naturels. Si donc les puissances des éléments ne demeurent pas après la fin du monde, il ne leur restera pas de site distinct, pour la terre soit en bas et le feu en haut.

q. 5 a. 7 arg. 9 Praeterea, elementa facta sunt propter hominem, in beatitudinem tendentem. Sed habito fine, cessant ea quae ad finem sunt. Ergo homine totaliter iam in beatitudine collocato (quod erit in fine mundi), elementa cessabunt.

9. Les éléments ont été faits pour l'homme qui tend à la béatitude. Mais quand il possède sa fin, ce qui est en vue de la fin cesse. Donc une fois l'homme établi totalement dans la béatitude (ce qui arrivera à la fin du monde) les éléments cesseront.

q. 5 a. 7 arg. 10 Praeterea, materia est propter formam, quam per generationem acquirit. Elementa autem comparantur ad omnia alia corpora mixta sicut materia. Ergo cum generatio mixtorum post finem mundi cesset, videtur quod elementa non maneant.

10. La matière est en vue de la forme qu'elle acquiert par génération. Mais les éléments sont comparés à tous les autres corps mixtes comme la matière. Donc comme la génération des mixtes cessera après la fin du monde, il semble que les éléments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7 arg. 11 Praeterea, Luc. XXI, 33, super illud: caelum et terra transibunt, dicit Glossa: deposita priori forma. Cum ergo esse sit a forma, videtur quod elementa in fine mundi esse desinant.

11. A propos de cette parole de Luc (21, 33): "Le ciel et la terre passeront", la glose (interlinéaire) dit: "Après avoir abandonné leur première forme.". Donc comme l'être vient de la forme, il semble que les éléments cesseront d'exister à la fin du monde.

q. 5 a. 7 arg. 12 Praeterea, secundum philosophum corruptibile et incorruptibile non sunt unius generis; et eadem ratione mutabile et immutabile. Si ergo aliquid de mutabilitate in immutabilitatem mutetur, videtur quod in genere suae naturae non remaneat. Elementa autem mutabuntur de mutabilitate in immutabilitatem, ut patet per Glossam quae super illud Matth. cap. V, 18: donec transeat caelum et terra, etc., dicit: donec transeat a mutabilitate ad immutabilitatem. Ergo ista natura elementorum non remanebit.

12. Selon le philosophe (Métaphysique, X, 10, 1058 b 27[3]), le corruptible et l'incorruptible n’appartiennent pas à un même genre. et pour la même raison, le muable et l'immuable. Si, donc, quelque chose passe de la mutabilité à l'immutabilité, il semble qu’il ne demeure pas dans son genre naturel. Mais les éléments seront changés de mutabilité en immutabilité, comme cela paraît dans la glose (interlinéaire) sur cette parole de Mt 5, 18: "Jusqu'à ce que passent le ciel et la terre", etc, elle dit: "Jusqu'à ce qu'il passe de la mutabilité à l'immutabilité." Donc cette nature des éléments ne demeurera pas.

q. 5 a. 7 arg. 13 Praeterea, haec dispositio, quam modo habent elementa, est naturalis. Si ergo ista remota aliam accipient, illa erit eis innaturalis. Sed quod est innaturale et violentum, non potest esse perpetuum, ut patet per philosophum in Lib. caeli et mundi. Ergo illa dispositio non posset in perpetuum remanere in elementis; sed iterum ad hanc dispositionem reverterentur: quod videtur esse inconveniens. Ergo ipsa elementa secundum substantiam cessabunt, non autem eorum dispositio, substantia manente.

13. Cette disposition qu'ont maintenant les éléments, est naturelle. Si donc, celle-ci une fois retirée, ils en reçoivent une autre, elle ne leur sera pas naturelle. Mais ce qui est contre nature, et violent, ne peut pas durer toujours, comme on le voit chez le philosophe, dans Le Ciel et le monde, (II, 1, 248 a 27 et 3, 285 b 17[4]). Donc cette disposition ne pourrait pas demeurer éternellement dans les éléments; mais en plus ils y retournerait; ce qui ne paraît pas convenir. Donc les éléments eux-mêmes cesseront selon la substance, mais pas leur disposition, si la substance demeure.

q. 5 a. 7 arg. 14 Praeterea, illud solum potest esse incorruptibile et ingenerabile quod totam materiam suam sub forma habet ad quam est in potentia, sicut patet de corporibus caelestibus. Hoc autem elementis non competit: quia materia quae est sub forma unius elementi, est in potentia ad formam alterius. Ergo elementa non possunt esse incorruptibilia, et ita non possunt in perpetuum manere.

14. Seul ne peut pas être corruptible et engendré ce qui a toute sa matière sous la forme à laquelle il est en puissance, comme c'est le cas pour les corps célestes. Mais cela ne convient pas aux éléments; parce que la matière qui est sous la forme d'un des éléments, est en puissance pour la forme d'un autre. Donc les éléments ne peuvent pas être incorruptibles, et ainsi ils ne peuvent demeurer toujours.

q. 5 a. 7 arg. 15 Praeterea, illud quod non habet virtutem ut sit semper, non potest in perpetuum manere. Sed elementa, cum sint corruptibilia, non habent virtutem ut sint semper. Ergo non possunt in perpetuum remanere, motu caeli cessante.

15. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas demeurer toujours. Mais comme les éléments sont corruptibles, ils n'ont pas le pouvoir d'exister toujours. Donc ils ne peuvent demeurer toujours, quand le mouvement du ciel cessera.

q. 5 a. 7 arg. 16 Sed dicebat, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet sint corruptibilia secundum partem.- Sed contra, hoc competit elementis per motum caeli, in quantum una pars elementi corrumpitur, et alia generatur; sic enim ipsius elementi totalitas conservatur. Motu ergo caeli cessante, non poterit assignari causa incorruptionis in toto elemento.

16. Mais on pourrait dire que les éléments sont incorruptibles en totalité, bien qu'ils soient corruptibles en partie. — En sens contraire, cela convient aux éléments par le mouvement du ciel dans la mesure où une partie de l'élément est corrompue et l’autre engendrée; car ainsi la totalité de l'élément même est conservée. Donc quand cessera le mouvement du ciel, on ne pourra pas attribuer la cause de son incorruption à l'élément entier.

q. 5 a. 7 arg. 17 Praeterea, philosophus dicit quod motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus; et Rabbi Moyses dicit, quod motus caeli in universo est sicut motus cordis in animali, a quo dependet vita totius animalis. Cessante autem motu cordis, omnes partes animalis dissolvuntur. Ergo cessante motu caeli omnes partes universi peribunt; et ita elementa non remanebunt.

17. Le philosophe dit (Physique, VIII,1, 250 b 14) que le mouvement du ciel est comme une vie qui existe en tous par nature; et Rabbi Moyses dit que le mouvement du ciel dans l'univers est comme le mouvement du cœur dans l'animal dont dépend la vie de tout l'animal. Mais quand cesse le mouvement du cœur, toutes ses parties se dissolvent Donc quand cessera le mouvement du ciel, toutes les parties de l'univers périront, et ainsi les éléments ne demeureront pas.

q. 5 a. 7 arg. 18 Praeterea, esse cuiuslibet est a sua forma. Sed motus caeli est causa formarum in istis inferioribus: quod patet ex hoc quod nihil in inferioribus agit ad speciem nisi ex virtute motus caeli, ut philosophi dicunt; ergo cessante motu caeli, elementa esse desinent formis eorum destructis.

18. Tout être existe par sa forme. Mais le mouvement du ciel est la cause des formes dans les (êtres) inférieurs, ce qui paraît du fait que rien en eux n'agit pour l'espèce sinon par le pouvoir du mouvement du ciel, comme le disent les philosophes, donc quand cessera le mouvement du ciel, les éléments disparaîtront, une fois leurs formes détruites.

q. 5 a. 7 arg. 19 Praeterea, apud praesentiam solis elementa superiora vincunt semper inferiora, sicut accidit in aestate propter caloris fortificationem; sed apud solis absentiam e converso. Motu autem caeli cessante, sol semper ex una parte praesens erit, et ex alia parte absens. Ergo ex una parte totaliter destruentur elementa frigida, et ex alia elementa calida, et sic elementa non remanebunt motu caeli cessante.

19. En présence du soleil, les éléments supérieurs gagneront toujours les inférieurs, comme cela arrive en été à cause de l'intensification de la chaleur, mais en l'absence du soleil, c’est l'inverse. Mais quand cessera le mouvement du ciel, le soleil sera toujours présent d'un côté, et absent de l’autre. Donc d'un côté les éléments froids seront totalement détruits et de l'autre les éléments chauds, et ainsi les éléments ne demeureront pas quand cessera le mouvement du ciel.

 

En sens contraire:

q. 5 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod ad Rom. VIII, 20 super illud: vanitati creatura etc. dicit Glossa Ambrosii: omnia elementa, sua cum labore explent officia: unde quiescent nobis assumptis. Quiescere autem non est nisi existentis. Ergo elementa in fine mundi remanebunt.

1. A propos de Rm 8, 20[5], sur cette parole: "Créature assujettie à la vanité…", la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) dit: "Tous les éléments remplissent leurs devoirs avec ardeur: c'est pourquoi ils s'arrêteront quand nous serons enlevés". S'arrêter n’est possible que pour ce qui existe. Donc les éléments demeureront à la fin du monde.

q. 5 a. 7 s. c. 2 Praeterea, elementa facta sunt ad divinam bonitatem manifestandam. Sed tunc maxime oportebit divinam bonitatem manifestari, quando res ultimam consummationem accipient. Ergo in fine mundi elementa remanebunt.

2. Les éléments ont été faits pour manifester la bonté de Dieu. Mais alors il faudra que sa bonté se manifeste, quand les choses recevront l'ultime consommation. Donc à la fin du monde, les éléments demeureront.

 

Réponse:

q. 5 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod apud omnes communiter dicitur, quod elementa quodammodo manebunt et quodammodo transibunt. Sed in modo manendi et transeundi est diversa opinio.

Tout le monde dit communément que les éléments demeureront d'une certaine manière, et passeront d'une autre. Mais les opinions sont diverses sur la manière de demeurer ou de passer.

Quidam enim dixerunt quod omnia elementa manebunt quantum ad materiam, sed quaedam nobiliorem formam accipient, scilicet aqua et ignis, quae accipient formam caeli; ut sic tria elementa possint dici caelum, aer scilicet (qui ex sua natura habet ut caelum quandoque in Scripturis dicatur) et aqua et ignis, quae formam caeli assument: ut sic intelligatur verificari quod dicitur Apoc. XXI, vers. 1: vidi caelum novum et terram novam, sub caeli nomine tribus comprehensis, scilicet igne, aere et aqua.

A) Certains, en effet, ont dit que tous les éléments demeureront quant à la matière, mais ils revêtiront une forme plus noble, par exemple l'eau et le feu, qui revêtiront la forme du ciel; de sorte qu'ainsi les trois éléments puissent être appelés ciel, à savoir l'air (qui par sa nature est quelquefois appelé ciel dans l'Écriture), l'eau et le feu, qui prendront la forme du ciel; pour qu'on comprenne ainsi qu'est vérifié ce qui est dit dans Apoc. 21, 1: "J'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle," sous le nom de ciel sont comprises trois choses: le feu, l'air et l'eau.

Sed ista positio est impossibilis. Elementa enim non sunt in potentia ad formam caeli, eo quod forma caeli contrarium non habet, et sub forma caeli sit tota materia quae est in potentia ad ipsam. Sic enim caelum esset generabile et corruptibile; quod philosophus ostendit esse falsum. Ratio etiam, qua hoc asseritur, frivola est: quia in Scriptura, sicut Basilius in Hexameron dicit, per extrema, media intelliguntur, ut Genes. I, 1, cum dicitur: in principio creavit Deus caelum et terram. Nam per creationem caeli et terrae etiam elementa media intelliguntur. Quandoque etiam sub terrae nomine omnia inferiora comprehenduntur, ut patet in Psalm. CXLVIII, 7: laudate dominum de terra; et postea subditur: ignis, grando, et cetera. Unde nihil prohibet dicere, quod per innovationem caeli et terrae Scriptura innovationem etiam mediorum elementorum intellexit, vel quod sub nomine terrae omnia elementa comprehendat.

Mais cette position est impossible. Car les éléments ne sont pas en puissance pour la forme du ciel, parce que celle-ci n'a pas de contraire, et que sous cette forme il y aurait toute la matière, qui est en puissance pour elle. Car ainsi le ciel pourrait être engendré et corrompu: le philosophe montre que c'est faux (Le ciel et le monde, I, 3, 269 b 13). Et la raison pour laquelle on la soutient est frivole; parce que dans l'Écriture, comme Basile le dit dans l'Hexameron, par les extrêmes, on comprend les intermédiaires, comme en Gn. 1, 1, quand il est dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Car par la création du ciel et de la terre, on comprend aussi les éléments intermédiaires. Quelquefois aussi sous le nom de terre, on comprend tous les êtres inférieurs, comme on le voit dans le Ps. 148, 7: "Louez le Seigneur depuis la terre" et ensuite il est ajouté: Le feu, la grêle, etc. C'est pourquoi, rien n'empêche de dire que par le renouvellement du ciel et de la terre, l'Écriture a compris le renouvellement des éléments intermédiaires, ou que sous le nom de terre, elle comprend tous les éléments.

Et ideo alii dicunt, quod omnia elementa manebunt secundum substantiam non solum quantum ad materiam, sed etiam quantum ad formas substantiales. Sicut enim, secundum opinionem Avicennae, remanent formae substantiales elementorum in mixto, qualitatibus activis et passivis non remanentibus in suis excellentiis, sed ad medium redactis, ita possibile erit quod in ultimo statu mundi absque praedictis qualitatibus remaneant elementa; cui videtur consonare quod Augustinus dicit: in illa conflagratione mundana, elementorum corruptibilium qualitates, quae corporibus nostris congruebant, ardendo penitus interibunt, atque ipsa substantia eas qualitates habebit quae corporibus immortalibus mirabili mutatione convenient.

B) Et c'est pourquoi d'autres disent, que tous les éléments demeureront selon la substance non seulement quant à la matière, mais aussi quant aux formes substantielles.De même que, en effet, selon l'opinion d'Avicenne, les formes substantielles des éléments demeureront dans le mixte, les qualités actives et passives ne demeurant pas dans leur meilleur état, mais ramenées à un état intermédiaire, de même il sera ainsi possible que dans l’état ultime du monde, les éléments demeurent sans ces puissances, ce qui semble en d'accord avec que ce dit Augustin (La cité de Dieu, 20, 16): "En cette conflagration de l’univers, les qualités[6] des éléments corruptibles, qui s’accordaient avec nos corps, périront tout à fait en brûlant et la substance même aura ces puissances qui, par un changement admirable, conviennent aux corps immortels".

Sed hoc non videtur rationabiliter dictum.

Mais cela ne paraît pas dit selon la raison:

Primo quidem, quia cum qualitates activae et passivae sint per se elementorum accidentia, oportet quod a principiis essentialibus causentur; unde non potest esse quod principiis essentialibus manentibus in elementis praedictis, qualitates deficiant, nisi per violentiam; quod non potest esse diuturnum. Et ideo nec opinio Avicennae videtur esse probabilis, quod formae elementorum actu maneant in mixto; sed solum virtute, ut philosophus dicit; quia oporteret quod diversorum elementorum formae, in diversis partibus materiae conservarentur; quod non esset, nisi essent etiam situ distinctae; et sic non esset vera commixtio, sed solum secundum sensum; et tamen in mixto impediuntur qualitates unius elementi per qualitates alterius; quod non potest dici in mundi consummatione ubi omnino cessabit violentia.

1) Parce que, comme les puissances actives et passives sont en soi des accidents des éléments, il faut qu'elles soient causées par des principes essentiels; c'est pourquoi il n'est pas possible que s'ils demeurent dans ces éléments, les qualités cessent sinon par violence, ce qui ne peut pas durer longtemps. Et c'est pourquoi, l'opinion d'Avicenne ne semble pas probable: à savoir que les formes des éléments en acte demeurent dans le mixte; mais seulement en puissance, comme le Philosophe le dit; parce qu'il faudrait que les formes des différents éléments soient conservées dans les différentes parties de la matière, ce qui ne serait possible que si elles étaient dans un lieu différent; et ainsi ce ne serait pas un vrai mélange, mais seulement pour les sens, et cependant dans le mixte les puissances d'un éléments sont empêchées par les qualités d'un autre; ce qu'on ne peut pas dire de la consommation du monde, où cessera tout à fait la violence.

Secundo autem, quia cum qualitates activae et passivae sint de integritate naturae elementorum, sequeretur quod elementa imperfecta remanerent; unde auctoritas Augustini inducta non loquitur de qualitatibus activis et passivis, sed de dispositionibus eorum quae generantur et corrumpuntur et alterantur.

2) Parce que, comme les puissances actives et passives appartiennent à l'intégrité de la nature des éléments, il s'ensuivrait que les éléments demeureraient imparfaits; c'est pourquoi le texte cité d'Augustin ne parle pas des qualités actives et passives mais des dispositions de ce qui est engendré, corrompu et altéré.

Et ideo videtur dicendum, quod elementa in sua substantia remanebunt, et etiam in suis qualitatibus naturalibus; sed mutuae generationes et corruptiones et alterationes cessabunt; per huiusmodi enim elementa ordinantur ad completionem numeri electorum, sicut et caelum per motum suum; sed substantiae elementorum manebunt, sicut et substantia caeli. Cum enim universum in perpetuum remaneat, ut supra ostensum est, oportet quod ea quae sunt de perfectione universi, primo et per se remaneant.

C) Et c'est pourquoi il semble qu'il faut dire, que les éléments demeureront dans leur substance, et aussi dans leurs qualités naturelles, mais les générations mutuelles, les corruption et les changements cesseront; car ils sont ordonnés par les éléments de ce genre à la plénitude du nombre des élus, comme le ciel par son mouvement, mais les substances des éléments demeureront, comme la substance du ciel; en effet comme l'univers demeure toujours, comme on l'a montré plus haut, il faut que ce qui appartient à sa perfection demeure d'abord et par soi.

Hoc autem competit elementis, cum sint essentiales partes universi ipsius, ut philosophus probat. Si enim est corpus circulare, oportet esse centrum ipsius, quod est terra. Posita autem terra, quae est simpliciter gravis, utpote in medio constituta, oportet ponere contrarium eius, scilicet ignem, qui sit simpliciter levis; quia si unum contrariorum est in una natura, et reliquum. Suppositis autem extremis, necesse est poni et media; unde oportet ponere aerem et aquam, quae sunt ad ignem quidem levia, ad terram autem gravia, quorum unum est propinquius terrae.

Mais cela convient aux éléments puisqu'ils sont les parties essentielles de l'univers, comme le philosophe le prouve (Du ciel et du monde, II, com. 34, 35, ss.). Car si celui-ci est un corps circulaire, il faut qu'il soit le centre de lui-même qui est la terre. Mais la terre, qui est tout à fait lourde, une fois placée, établie pour ainsi dire au milieu, il faut placer son contraire, à savoir le feu, qui est tout à fait léger, parce que, si un des contraires est dans une nature, etc.. Mais si on suppose les extrêmes, il est nécessaire de placer aussi les intermédiaires, c'est pourquoi il faut placer l'air et l'eau qui sont légers pour le feu, lourds pour la terre, dont l'un est plus proche de la terre.

Unde ex ipso situ universi patet quod elementa sunt essentiales partes universi. Quod patet esse manifestum, ordine causarum et effectuum considerato. Nam sicut caelum est universale activum eorum quae generantur, ita elementa sunt eorumdem universalis materia. Unde ad perfectionem universi requiritur quod elementa secundum suam substantiam maneant; et ad hoc etiam habent ex sui natura aptitudinem. Corruptio autem aliter accidit in corporibus mixtis et elementis; in corporibus enim mixtis inest corruptionis activum principium, propter hoc quod sunt ex contrariis composita; in elementis vero, quae contrarium exterius habent, ipsa autem non sunt ex contrariis composita, non inest principium corruptionis activum, sed passivum tantum, in quantum habent materiam cui inest aptitudo ad aliam formam qua privantur. Et ab hoc principio generatio et corruptio in elementis sunt motus vel mutationes naturales; et non propter principium activum ut dicit Commentator.

C'est pourquoi par la situation même de l'univers, il apparaît que les éléments en sont les parties essentielles. Ce qui est évident, si on considère l'ordre des causes et des effets. Car le ciel est universellement actif pour ce qui est engendré, de même les éléments en sont la matière universelle. C'est pourquoi il est requis, pour la perfection de l'univers que les éléments demeurent selon leur substance et pour cela aussi ils ont l'aptitude de leur nature. Mais la corruption arrive autrement dans les corps mixtes et les éléments, car dans les corps mixtes, il y a un principe actif de corruption, parce qu’ils sont composées de contraires; mais dans les éléments, qui ont leur contraire à l'extérieur, eux-mêmes n'étant pas composés de contraires, il n'y a pas de principe de corruption actif, mais passif seulement dans la mesure où ils ont la matière en laquelle se trouve l'aptitude à une autre forme dont ils sont privés. Et par ce principe, la génération et la corruption dans les éléments sont des mouvements ou des changements naturels, mais pas à cause du principe actif, comme le dit le Commentateur (Physique, II).

Sicut ergo quia corpus caeleste principium sui motus activum habet extra, potest esse quod eius motus cesset ipso manente, absque violentia, ut supra dictum est; ita potest esse ut corruptio elementorum cesset eorum substantiis manentibus, exteriori corruptivo cessante, quod oportet reducere in motum caeli sicut in primum generationis et corruptionis principium.

Donc, parce que le corps céleste a le principe actif de son mouvement de l’extérieur, il peut arriver que son mouvement cesse alors que lui demeure, sans violence, comme on l'a dit ci-dessus; de même il est possible que la corruption des éléments cesse, même si leurs substances demeurent, si cesse ce qui corrompt de l'extérieur, qu'il faut ramener au mouvement du ciel, comme au premier principe de la génération et de la corruption.

 

Solutions:

q. 5 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa elementorum solutio non est referenda ad destructionem substantiae elementorum, sed ad elementorum purgationem, quae erit per ignem, qui faciem iudicis praecedet. Post illam autem purgationem remanebunt elementa secundum substantiam et naturales qualitates, ut dictum est.

# 1. Cette destruction des éléments n'est pas à rapprocher de la destruction de la substance des éléments, mais à leur purification, qui se fera par le feu qui précédera la face du Juge[7]. Après cette purification les éléments demeureront selon leur substance et leurs qualités naturelles, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 2 Unde secundum et tertium concedimus.

# 2. 3. C'est pourquoi nous concédons les objections deux et trois.

q. 5 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in mundi principio instituta est natura corporum secundum quod ordinatur ad generationem et corruptionem, per quam numerus electorum completur. In mundi autem consummatione remanebit substantia elementorum secundum quod est ad perfectionem universi. Unde non oportet omnia inesse elementis in illo finali statu quae oportuit habere in mundi principio.

# 4. Au commencement du monde la nature des corps a été constituée en rapport à la génération et à la corruption, qui complète le nombre des élus. Mais, à la consommation du monde la substance des éléments demeurera selon qu’elle est pour la perfection de l'univers. C'est pourquoi il ne faut pas que tout ce qu'il fallait avoir au commencement du monde soit dans les éléments dans cet état final

q. 5 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Glossa Bedae non est intelligenda quod hoc modo duo elementa secundum substantiam destruantur; sed secundum statum mutationis, quae praecipue in duobus elementis apparet: scilicet in aere et aqua, de quibus quidam praedictam Glossam intelligunt; quamvis secundum alios intelligatur de igne et aqua in quibus vigent qualitates activae.

# 5. La Glose de Bède n'est pas à comprendre de manière que deux éléments seront détruits en substance, mais [elle est à comprendre] selon l'état de changement, qui apparaît surtout dans deux éléments; à savoir dans l'air et dans l'eau, comme certains comprennent cette glose; quoique d'autres la comprennent du feu et de l'eau dans lesquels les puissances actives sont fortes.

q. 5 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod actio magis dependet ab agente quam a patiente, ex hoc ipso quod agens est honorabilius patiente; unde destructio mutationis in elementis et mutuae actionis, convenientius exprimitur per subtractionem activorum quam per subtractionem passivorum.

# 6. L'action dépend plus de l'agent que du patient, du fait que l'agent est plus honorable que le patient; c'est pourquoi une destruction par changement dans les éléments ou par celle d’une action mutuelle est plus convenablement exprimée par la soustraction des puissances actives que par celle des puissances passives.

q. 5 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si consideretur actio et passio in elementis secundum principia substantialia, sic verum est quod Augustinus dicit loc. cit. quod ad patiendum humor et humus aptitudinem praebent, ad agendum ignis et aer; quia ignis et aer habent plus de forma, quae est actionis principium; de materia vero terra et aqua, quae est principium patiendi. Si vero consideretur secundum qualitates activas et passivas, quae sunt immediata principia actionis, sic ignis et aqua sunt magis activa, aer et terra magis passiva.

# 7. Si on considère l'action et la passion dans les éléments selon les principes substantiels, alors est vrai ce que dit Augustin dit (loc. cit.) que le liquide et le sol fournissent une aptitude à supporter, le feu et l'air une aptitude à agir; parce que le feu et l'air ont plus de forme qui est le principe de l'action; mais la terre et l'eau [plus] de matière, qui est le principe de passion. Mais si on les considèrait selon les qualités actives ou passives, qui sont les principes immédiats de l'action, le feu et l'eau sont plus actifs, l'air et la terre plus passifs.

q. 5 a. 7 ad 8 Octavum concedimus.

# 8. Nous concédons la huitième objection.

q. 5 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod elementa, quantum ad sui mutationem, facta sunt propter hominem in beatitudinem tendentem; sed quantum ad suam substantiam, sunt facta et propter perfectionem universi et propter substantiam ipsius hominis, quae ex elementis constituitur.

# 9. Les éléments, quant à leur changement, ont été faits pour l'homme à la recherche de sa béatitude; mais quant à leur substance, ils ont été faits en vue de la perfection de l'univers et de la substance de l'homme lui-même, qui est constitué d’éléments.

q. 5 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in mundi consummatione non cessabunt omnia mixta, quia corpora humana remanebunt. Unde decens est, si partes eorum remanent in corpore hominis qui est minor mundus, quod ipsa tota remaneant in mundo maiori.

# 10. A la consommation du monde, tous les mixtes ne cesseront pas, parce que les corps humains demeureront. C'est pourquoi il convient, si leurs parties demeurent dans le corps de l'homme qui est un microcosme, que tout demeure dans le macrocosme.

q. 5 a. 7 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod forma, quam elementa deponent, est ipsa mutabilitas, non forma quae sit principium essendi.

# 11. La forme que les éléments déposent est le principe du changement, mais pas la forme principe de l'être.

q. 5 a. 7 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod mutabilis dispositio tolletur ab elementis, quia mutatio in eis non erit; non quod naturam mutabilem amittant.

# 12. L’aptitude au changement est enlevée par les éléments; parce qu'il n'y aura pas de changement en eux, non parce qu'ils perdront leur nature changeante.

q. 5 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dispositio istorum elementorum, secundum quam generantur et corrumpuntur et mutantur, est eis naturalis, motu caeli manente: non autem postquam motus caeli cessaverit.

# 13. La disposition de ces éléments selon laquelle ils sont engendrés, corrompus et changés, leur est naturelle, tant que le mouvement du ciel demeure; mais non après qu'il aura cessé.

q. 5 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio illa probat quod in elementis est principium corruptionis materiale, non autem activum; unde non sequitur mutatio, motu caeli subtracto, qui est principium mutationis.

# 14 Cette raison prouve que dans les éléments il y a un principe matériel de corruption, mais non actif, c'est pourquoi il n'en découle pas un changement, si on enlève le mouvement du ciel qui en est le principe.

q. 5 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod elementum sicut non habet virtutem ut sit semper, propter hoc quod potest ab exteriori corrumpi, ita non habet virtutem ut quandoque deficiat, nisi materialem, ut dictum est.

# 15. L'élément n'a pas le pouvoir d’exister toujours, du fait qu'il peut être corrompu par l'extérieur, de même il n’a pas de pouvoir de cesser un jour, sinon un pouvoir matériel, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod elementa sunt incorruptibilia secundum totum, partibus generatis et corruptis, quamdiu motus caeli durat; sed motu caeli cessante, erit in eis alia incorruptionis causa, quia scilicet non possunt corrumpi nisi ab extrinseco; corruptivum autem extrinsecum, deficiente motu caeli, cessabit.

# 16. Les éléments sont incorruptibles selon le tout, les parties étant engendrées et corrompues, tant que dure le mouvement du ciel; mais s'il cesse, il y aura en eux une autre cause d'incorruptibilité, parce qu’ils ne peuvent être corrompus que de l'extérieur; ce qui corrompt à l'extérieur, à l'arrêt du mouvement du ciel, cessera.

q. 5 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod motus caeli est ut vita quaedam omnibus rebus naturalibus secundum statum mutationis, qui in consummatione mundi tolletur.

# 17. Le mouvement du ciel est comme une vie pour toutes les choses naturelles, selon leur situation de changement, qui [leur] sera enlevée à la consommation du monde.

q. 5 a. 7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet eductio formarum de potentia in actum dependeat ex motu caeli, tamen eorum conservatio dependet a principiis altioribus, ut dictum est.

# 18. Bien que le passage des formes de la puissance à l'acte dépende du mouvement du ciel, cependant leur conservation dépend de principes plus élevés, comme on l'a dit.

q. 5 a. 7 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod sol est causa caliditatis per motum, ut philosophus dicit: unde cessante motu tollitur corruptionis causa in elementis, quae est per superexcedentiam caloris.

# 19. Le soleil est la cause de la chaleur par son mouvement, comme le Philosophe le dit (Le ciel,. II, 7, 289 a 20): c'est pourquoi quand cesse le mouvement, la cause de la corruption est enlevée dans les éléments, qui se fait par un excès de chaleur.

 

[1] Parall.: CG. IV, 97 - Sent IV, d47q2a2, q.la 2 c — d44q2a1, q.la 1 — d48qa4, q.la 2 ad 3; Opusc. III, c. 3 - c. 171, Opusc. XI, a. 19.

[2] Cf. aussi III, X, 14.

[3] Thomas n° 2137 et 21372 où Thomas reprend la démonstration.

[4] Thomas n° 297 et 335.

[5] Cf. Sed contra, 3, Pot. 5, 5

[6] Les qualités: "Ce en vertu de quoi on est dit être tel." (Catégories, 8, 8 b 25). Aristote distingue trois sens: 1) État ou disposition: "L’état diffère de la disposition en ce qu’il a beacoup plus de durée et de stabilité." (8 b 28); 2)Aptitude ou inaptitude naturelle (9 a 18); 3) Qualités affectives et affections (9 a 28). Thomas suit ici le texte d’Augustin. En certains de ces emplois, le sens est très proche de "puissance".

[7] Allusion au jugement dernier.

 

 

Article 8: Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments?

q. 5 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum cessante motu caeli, remaneat actio et passio in elementis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui.

Objections[1]:

q. 5 a. 8 arg. 1 Potentiae enim naturales sunt determinatae ad unum; unde virtus ignis, cum sit naturalis potentia, se habet tantum ad calefaciendum, non autem ad non calefaciendum. Sed in illa mundi consummatione remanebit virtus ignis et aliorum elementorum, ut prius dictum est, art. praec. Ergo impossibile est quin ignis et alia elementa agant.

1. Car les puissances naturelles sont limitées à un seul objet; ainsi, le pouvoir du feu étant une puissance naturelle, n’agit que pour chauffer, mais pas pour le contraire. Mais à la consommation du monde le pouvoir du feu et celui des autres éléments demeureront comme on l'a dit dans art. précéd. Donc il est impossible que le feu et les autres éléments n'agissent pas.

q. 5 a. 8 arg. 2 Praeterea, sicut dicit philosophus, ad hoc quod fiat mutua actio et passio, requiritur quod agens et patiens sint similia secundum materiam, et dissimilia secundum formam. Hoc autem erit in elementis cessante motu caeli, quia eorum substantiae manebunt, principiis essentialibus non mutatis. Ergo erit actio et passio in elementis, motu caeli cessante.

2. Comme le dit le Philosophe, (La génération, I, 6, 322 b 13 à 25 — 7, 324 a 5) pour que l'action et la passion deviennent réciproques, il est requis que l'agent et le patient soient semblables par la matière et différents par la forme. Mais cela existera dans les éléments, quand cessera le mouvement du ciel; parce que leurs substances demeureront, sans que les principes essentiels ne soient changés. Donc il y aura l'action et la passion dans les éléments, quand cessera le mouvement du ciel.

q. 5 a. 8 arg. 3 Praeterea, causa actionis et passionis in elementis est ex hoc quod in materia elementi semper est appetitus ad aliam formam, licet materia per unam formam sit perfecta. Sed iste appetitus in materia remanebit, etiam motu caeli cessante, non enim una forma elementi poterit totam potentiam materiae implere. Ergo in illa mundi consummatione remanebit actio et passio in elementis.

3. La cause de l'action et de la passion dans les éléments vient de ce que dans leur matière il y a toujours l'appétit d'une autre forme, bien qu'elle soit parfaite par une seule forme. Mais cet appétit demeurera dans la matière, même quand le mouvement du ciel cessera, car une seule forme de l'élément ne pourra pas compléter toute la puissance de la matière. Donc, en cette consommation du monde, l'action et la passion demeureront dans les éléments.

q. 5 a. 8 arg. 4 Praeterea, illud quod est de perfectione elementi non aufertur ei. Hoc autem est de perfectione uniuscuiusque entis, quod agat sibi simile: diffusio enim ipsius esse derivatur a primo bono in omnia entia. Ergo videtur quod elementa in illa consummatione agent sibi simile; et sic erit in eis actio et passio.

4. Ce qui concerne la perfection de l'élément ne lui est pas enlevé. Mais il appartient à la perfection de chaque être qu'il fasse du semblable à soi: car sa diffusion est dérivée du premier bien dans tous les êtres. Donc il semble que dans cette consommation les éléments feront du semblable à eux, et ainsi il y aura en eux l'action et la passion.

q. 5 a. 8 arg. 5 Praeterea, sicut proprium est ignis esse calidum, ita etiam proprium eius est calefacere; sicut enim calor derivatur a principiis essentialibus ignis, ita calefactio derivatur a calore. Si ergo in illa rerum consummatione ignis et eius calor remanebit, videtur quod etiam calefactio remanebit.

5. Le propre du feu c'est d'être chaud, et aussi de chauffer: car de même que la chaleur est dérivée des principes essentiels du feu, l'échauffement est dérivé de la chaleur. Si donc dans cette consommation du monde, le feu et la chaleur demeurent, il semble que l'échauffement demeurera aussi.

q. 5 a. 8 arg. 6 Praeterea, omnia corpora naturalia se tangentia aliquo modo se alterant, ut patet in I de Generat. Sed elementa in illo statu mundi se tangent. Ergo se invicem alterabunt, et ita erit ibi actio et passio.

6. Tous les corps naturels qui se touchent s'altèrent d'une certaine manière, comme cela paraît dans La Génération (I, com. 53). Mais les éléments dans cet état du monde se touchent. Donc ils s'altèreront l'un l'autre, et ainsi il aura là l'action et la passion.

q. 5 a. 8 arg. 7 Praeterea, in illa mundi consummatione erit lux lunae sicut lux solis, et lux solis erit septempliciter. Sed modo sol et luna sua luce illuminant corpora inferiora. Ergo multo fortius tunc illuminabunt; et ita remanebit aliqua actio et passio in istis inferioribus, nam medium illuminatum illuminabit ultimum.

7. A la consommation du monde, la lumière de la lune sera comme celle du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus fois" (Is. 30, 26). Mais le soleil et la lune éclairent seulement les corps inférieurs de leur lumière. Donc alors ils éclaireront beaucoup plus; et ainsi l'action et la passion demeureront dans ces êtres inférieurs, car l'intermédiaire éclairé éclairera le dernier.

q. 5 a. 8 arg. 8 Praeterea, sancti videbunt visu corporeo res huius mundi. Sed visio non potest esse sine actione et passione, quia visus patitur a visibili. Ergo erit actio et passio etiam motu caeli cessante.

Les saints verront de leurs yeux de chair les choses de ce monde. Mais la vision ne peut exister sans l'action et la passion, parce que la vue subit le visible. Donc il y aura l'action et la passion même quand le mouvement du ciel cessera.

En sens contraire:

q. 5 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Remota causa, removetur effectus. Sed motus caeli est causa actionis et passionis in istis inferioribus, secundum doctrinam philosophi. Ergo remoto motu caeli, removebitur actio et passio in istis inferioribus.

1. Si on écarte la cause, l'effet est écarté. Mais le mouvement du ciel est la cause de l'action et de la passion, dans les choses inférieures selon la doctrine du Philosophe (Météor, I, Du ciel, II, com. 56). Donc une fois le mouvement du ciel écarté, l'action et la passion seront écartées dans les choses inférieures.

q. 5 a. 8 s. c. 2 Praeterea, actio et passio in rebus corporalibus sine motu esse non potest. Remoto autem primo motu, qui est motus caeli, ut probatur in VIII Physic., oportet posteriores motus cessare. Remoto ergo motu caeli, non erit actio et passio in istis inferioribus.

2. L'action et la passion ne peuvent pas exister sans mouvement dans les choses corporelles. Si on enlève le premier mouvement, qui est celui du ciel, comme on le prouve (Physique, VIII, 9, 265 a 26 ss.), il faut que les mouvements suivants cessent. Donc une fois écarté le mouvement du ciel, il n'y aura pas d'action et de passion dans les choses inférieures.

Réponse:

q. 5 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut habetur in libro de causis, quando causa prima retrahit actionem suam a causato, oportet etiam quod causa secunda retrahat actionem suam ab eodem, eo quod causa secunda habet hoc ipsum quod agit, per actionem causae primae, in cuius virtute agit. Cum autem omne agens agat secundum quod est in actu, oportet secundum hoc accipere ordinem causarum agentium, secundum quod est ordo earum in actualitate.

Comme on le lit dans le livre Des causes, quand la cause première retire son action de l'effet, il faut aussi que la cause seconde la lui retire, parce qu'elle possède ce qui agit par l'action de la cause première, dans le pouvoir de laquelle elle agit. Mais comme tout agent agit selon qu'il est en acte, il faut qu'il reçoive l'ordonnancement des causes efficientes, selon que celui-ci est en acte.

Corpora autem inferiora minus habent de actualitate quam corpora caelestia, nam in corporibus inferioribus non est tota potentialitas completa per actum, eo quod materia substans uni formae remanet in potentia ad formam aliam; quod non est in corporibus caelestibus, nam materia corporis caelestis non est in potentia ad aliam formam; unde sua potentialitas tota est terminata per formam quam habet.

Mais les corps inférieurs ont moins d' "actualité" que les corps célestes, car en eux il n'y a pas toute la potentialité complète par l'acte, parce que la matière qui est le substrat d'une forme demeure en puissance pour une autre forme; ce qui n'existe pas pour les corps célestes, car la matière du corps céleste n'est pas en puissance pour une autre forme. C'est pourquoi toute sa potentialité se termine à la forme qu'il possède.

Substantiae vero separatae sunt perfectiores in actualitate quam etiam corpora caelestia, quia non sunt compositae ex materia et forma, sed sunt formae quaedam subsistentes; quae tamen deficiunt ab actualitate Dei, qui est suum esse, quod de aliis substantiis separatis non contingit; sicut etiam videmus quod elementa etiam se superant invicem secundum gradum actualitatis, eo quod aqua habet plus de specie quam terra, aer quam aqua, et ignis quam aer; ita etiam est in corporibus caelestibus, et in substantiis separatis.

Mais les substances séparées sont plus parfaites dans leur "actualité" que même les corps célestes, parce qu'elles ne sont pas composées de matière et de forme, mais sont des formes subsistantes, qui cependant sont différentes de l’état d’acte de Dieu qui est son être propre, ce qui n'arrive pas pour les autres substances séparées; de même nous voyons que les éléments l'emportent l'un sur l'autre selon le degré de leur "actualité", parce que l'eau a plus de forme (species) que la terre, l'air que l'eau, et le feu que l'air, de même il en est ainsi pour les corps célestes et les substances séparées.

Elementa ergo agunt in virtute corporum caelestium et corpora caelestia agunt in virtute substantiarum separatarum; unde cessante actione substantiae separatae, oportet quod cesset actio corporis caelestis; et ea cessante oportet quod cesset actio corporis elementaris.

Donc les éléments agissent dans le pouvoir des corps célestes et ceux-ci dans le pouvoir des substances séparées, c'est pourquoi si l'action de la substance séparée cesse, il faut que cesse celle du corps céleste, et si elle cesse, il faut que cesse celle du corps élémentaire.

Sed sciendum quod corpus habet duplicem actionem:

Mais il faut savoir que le corps a une double action:

unam quidem secundum proprietatem corporis, ut scilicet agat per motum (hoc enim proprium est corporis, ut motum moveat et agat);

1) L'une selon sa propriété, ainsi il agit par le mouvement (car c'est le propre du corps de mouvoir le mû et d'agir);

aliam autem actionem habet, secundum quod attingit ad ordinem substantiarum separatarum, et participat aliquid de modo ipsarum; sicut naturae inferiores consueverunt aliquid participare de proprietate naturae superioris, ut apparet in quibusdam animalibus, quae participant aliquam similitudinem prudentiae, quae propria est hominum. Haec autem est actio corporis, quae non est ad transmutationem materiae, sed ad quamdam diffusionem similitudinis formae in medio secundum similitudinem spiritualis intentionis quae recipitur de re in sensu vel intellectu, et hoc modo sol illuminat aerem, et color speciem suam multiplicat in medio.

2) Le corps a aussi une autre action, en tant qu'il confine à la nature des substances séparées, et participe en quelque point de leur mode; ainsi les natures inférieures participent d'habitude en quelque chose de la propriété de la nature supérieure[2], comme on le voit chez certains animaux, qui ont un semblant de prudence, (vertu) qui est propre à l'homme[3]. Mais cela c'est l'action du corps, non pour transformer la matière, mais pour diffuser la ressemblance de la forme dans l'intermédiaire selon la ressemblance de l'intention spirituelle qui est reçue dans les sens ou l'intellect, et de cette manière, le soleil illumine l'air et la couleur multiplie son image (speciem) dans l'intermédiaire.

Uterque autem modus actionis in istis inferioribus causatur ex corporibus caelestibus. Nam et ignis suo calore transmutat materiam, ex virtute corporis caelestis; et corpora visibilia multiplicant suas species in medio, virtute luminis, cuius fons est in caelesti corpore. Unde si actio utraque corporis caelestis cessaret, nulla actio in istis inferioribus remaneret. Sed cessante motu caeli, cessabit prima actio, sed non secunda; et ideo cessante motu caeli, erit quidem actio in istis inferioribus illuminationis et immutationis medii a sensibilibus; non autem erit actio per quam transmutatur materia, quam sequitur generatio et corruptio.

Mais les deux modes d'action dans les choses inférieures sont causés par les corps célestes. Car le feu par sa chaleur change la matière par le pouvoir du corps céleste, et les corps visibles multiplient leurs images (species) dans l'intermédiaire, par le pouvoir de la lumière, dont la source est dans le corps céleste. C'est pourquoi si l'une et l'autre action de chaque corps céleste cessait, aucune action ne demeurerait dans ces corps inférieurs. Mais si le mouvement du ciel cesse, la première action cessera, mais pas la seconde, et c'est pourquoi si le mouvement du ciel cesse, il y aura dans ces corps inférieurs l'action de l'éclairage et du manque de changement intermédiaire par ce qui est sensible (?), mais il n'y aura pas d'action par laquelle sera transformée la matière, qui accompagne la génération et de la corruption.

Solutions:

q. 5 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus ignis semper est determinata ad calefaciendum, praesuppositis tamen causis prioribus quae ad actionem ignis requiruntur.

# 1. La pouvoir du feu est toujours limité au réchauffement, si cependant on présuppose les causes supérieures requises pour son action.

q. 5 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo secundum materiam et contrarietas formae non sufficit in istis inferioribus ad passionem et actionem, nisi motu caeli praesupposito, in cuius virtute agunt omnes inferiores activae potentiae.

# 2. La ressemblance selon la matière et la contrariété de la forme ne suffisent pas dans les êtres inférieurs pour la passion et l'action, sauf si on suppose le mouvement du ciel au pouvoir en qui toutes les puissances actives inférieures agissent.

q. 5 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia non sufficit ad actionem, nisi principium activum ponatur. Unde appetitus materiae non sufficienter probat actionem in elementis, motu caeli subtracto, a quo est primum principium actionis.

# 3. La matière ne suffit à l'action que si on place un principe actif. C'est pourquoi l'appétit de la matière ne suffit pas à prouver l'action dans les éléments, si on retire le mouvement du ciel d'où vient le premier principe de l'action.

q. 5 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inferiora nunquam attingunt ad gradum perfectionis superiorum. Hoc autem est de ratione perfectionis supremi agentis, quod sua perfectio sibi sufficiat ad agendum alio agente remoto; unde hoc inferioribus agentibus attribui non potest.

# 4. Les corps inférieurs n'atteignent jamais le degré de perfections des êtres supérieurs. Mais c'est de la nature de la perfection de l'agent suprême que sa perfection lui suffise pour agir, quand un autre agent est écarté; c'est pourquoi on ne peut l'attribuer aux agents inférieurs.

q. 5 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ignis est proprium calefacere, supposito quod habeat aliquam actionem; sed eius actio dependet ab alio, ut dictum est.

# 5. Le feu est propre à chauffer, si on suppose qu’il a une action; mais celle-ci dépend d’un autre, comme on l’a dit.

q. 5 a. 8 ad 6 Et similiter ad sextum dicendum, quod tactus non sufficit in elementis ad agendum, nisi motu caeli supposito.

# 6. Il faut dire de même que le toucher ne suffit pour agir dans les éléments que si on suppose le mouvement du ciel.

q. 5 a. 8 ad 7 Alia duo concedimus: nam procedunt de actionibus quibus materia non transmutatur, sed species quodammodo multiplicatur per modum intentionis spiritualis.

# 7. 8. Nous concédons les deux autres objections; car elles procèdent des actions par lesquelles la matière n'est pas changée mais l'espèce d'une certaine manière est multipliée par le mode de l'intention spirituelle.

 

[1]Parall.:IISent. D11q2a6, ad 3 – d33q2a1, ad 3 – IV Sent. D44q3a1 qla 3 c. –Qdl VII, a. 11­ Opus III c 176.

[2]Idée reprise en qu. 5, a. 9, obj. 11, où elle est attribuée à Denys.

[3]Il y a de la prudence dans les chiens. Pour Aristote la prudence ne peut exister que pour des êtres qui ont de la mémoire. (980 a 28 texte n° 3 d'Aristote). Thomas commente: la prudence vient de la mémoire des événements. Mais elle est différente chez l'homme et les animaux. Les hommes délibèrent selon la raison. Le jugement ches les animaux doués de mémoire dépend "d'un certain instinct de la nature" (Thomas n° 11)

 

 

Article 9: Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde?

q. 5 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum plantae et bruta animalia et corpora mineralia remaneant post finem mundi. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections:

q. 5 a. 9 arg. 1 Habetur enim Eccle. III, 14: didici quod omnia opera Dei perseverent in aeternum. Sed corpora mineralia, plantae et bruta sunt opera Dei. Ergo in aeternum manebunt.

1. Car on lit en Eccl. 3, 14: "J'ai appris que toutes les oeuvres de Dieu demeureront éternellement." Mais les minéraux, les plantes et les animaux sont des oeuvres de Dieu. Donc ils demeureront éternellement.

q. 5 a. 9 arg. 2 Sed dicebat, quod hoc intelligitur de istis operibus Dei quae aliquo modo habent ordinem ad incorruptionem, sicut elementa quae sunt incorruptibilia secundum totum, licet secundum partem corrumpantur.- Sed contra, sicut elementa sunt incorruptibilia secundum totum, licet secundum partem corrumpantur, ita praedictae res sunt incorruptibiles secundum speciem, licet secundum individua corrumpantur. Ergo videtur quod praedictae etiam res in aeternum remaneant.

2. Mais on pourrait dire, qu'on le comprend de ces oeuvres de Dieu qui ont rapport d'une certaine manière avec l'incorruptibilité, comme les éléments qui sont incorruptibles en leur totalité, bien qu'ils se corrompent en partie. En sens contraire, de même que les éléments sont incorruptibles en totalité, bien qu'ils se corrompent en partie, de même ce dont on a parlé[2] est incorruptible selon l'espèce, bien qu'il secorrompt quant à l'individu. Donc il semble que ces choses aussi demeurent éternellement.

q. 5 a. 9 arg. 3 Praeterea, impossibile est quod intentio naturae frustretur, cum naturae intentio sit ex hoc quod natura a Deo in finem dirigitur. Sed natura intendit per generationem et corruptionem perpetuitatem speciei servare. Ergo nisi praedicta secundum speciem conserventur, frustrabitur naturae intentio; quod est impossibile, ut dictum est..

3. Il est impossible que l'objectif de la nature soit vain; puisqu'il vient du fait qu'elle est dirigée par Dieu vers sa fin. Mais la nature tend par la génération et la corruption à conserver la perpétuité de l'espèce. Donc si les plantes, les animaux et les minéraux ne sont pas conservés en l'espèce, l'objectif de la nature sera vain, ce qui est impossible comme on l'a dit.

q. 5 a. 9 arg. 4 Praeterea, decor universi pertinebit ad gloriam beatorum; unde dicitur a sanctis, quod in maiorem beatorum gloriam elementa mundi in statum meliorem reformabuntur. Sed plantae, mineralia et bruta animalia pertinent ad decorem universi. Ergo non subtrahentur in illa ultima consummatione beatorum.

4. La beauté de l'univers s'appliquera à la gloire des bienheureux; c'est pourquoi les saints disent que pour la plus grande gloire des bienheureux, les éléments du monde seront reformés dans un état meilleur. Mais les plantes, les minéraux et les animaux font partie de la beauté de l'univers. Donc ils ne seront pas retranchés dans cette ultime consommation des bienheureux.

q. 5 a. 9 arg. 5 Praeterea, Rom. I, 20, dicitur quod invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur inter quae etiam facta, plantae et animalia numerari possunt. Sed in illo statu perfectae beatitudinis necessarium est homini invisibilia Dei cognoscere. Ergo indecens erit quod praedicta Dei opera de medio subtrahantur.

5. En Rm 1, 20, on dit que "ce qui est invisible en Dieu, se laisse voir à l'intelligence par ses oeuvres[3]". Parmi ce qui a été créé, on peut compter les plantes et les animaux. Mais dans cet état de béatitude parfaite, il est nécessaire pour l'homme de connaître ce qui est invisible en Dieu. Donc il ne conviendra pas que ces oeuvres de Dieu soient retirées.

q. 5 a. 9 arg. 6 Praeterea, Apoc. XXII, 2, dicitur: ex utraque parte fluminis lignum afferens fructus duodecim. Ergo cum ibi loquatur de ultima consummatione beatitudinis sanctorum, videtur quod in illo statu plantae remaneant.

6.On dit en Apoc. 22, 2: "De chaque côté du fleuve des arbres fructifient douze fois." Donc, comme on y parle de l'ultime consommation de la béatitude des saints, il semble que les plantes demeureront dans cet état.

q. 5 a. 9 arg. 7 Praeterea, ab esse divino omnibus entibus inest desiderium perpetuitatis, in quantum assimilantur primo enti, quod est perpetuum. Quod autem inest rebus ex similitudine divini esse, non auferetur ab eis in ultima consummatione. Ergo remanebunt plantae et animalia perpetua, saltem secundum speciem.

7. Par l'être de Dieu, le désir d'éternité est dans tous les étants, dans la mesure où ils ressemblent à l'Étant premier, qui est éternel. Mais ce qui est dans les choses par ressemblance de l'être divin ne leur sera pas enlevé à l'ultime consommation. Donc les plantes et les animaux demeureront éternellement, au moins selon l'espèce.

q. 5 a. 9 arg. 8 Praeterea, in ultimo statu consummationis rerum non auferetur a rebus id quod ad rerum perfectionem pertinet. Sed opus ornatus est consummatio quaedam creationis. Cum ergo animalia ad opus ornatus pertineant, videtur quod non desinant esse in illo mundi ultimo statu.

8. Dans le dernier état de l'achèvement des choses, ce qui concerne la perfection ne leur sera pas enlevé. Mais l'oeuvre d'ornement est l'accomplissement de la création. Donc comme les animaux appartiennent à cette oeuvre d'ornement, il semble qu'ils ne cesseront pas d'exister dans le dernier état du monde.

q. 5 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut elementa servierunt homini in statu viae, ita et animalia et plantae. Sed elementa remanebunt. Ergo et animalia et plantae; et sic non videtur quod cessent.

9. Les éléments ont servi à l'homme dans l'état de vie, de même les animaux et les plantes. Mais les éléments demeureront. Donc les animaux et les plantes aussi, et ainsi il ne semble pas qu'ils cesseront d'exister.

q. 5 a. 9 arg. 10 Praeterea, quanto aliquid magis participat de proprietate primi perpetui, quod est Deus, tanto magis videtur esse perpetuum. Sed animalia et plantae plus participant de proprietatibus Dei quam elementa, quia elementa sunt tantum existentia, plantae autem etiam vivunt, animalia vero etiam super haec cognoscunt. Ergo magis debent in perpetuum remanere animalia et plantae quam elementa.

10. Plus une chose participe de la nature du premier éternel, qui est Dieu, plus elle semble éternelle. Mais les animaux et les plantes participent plus des propriétés de Dieu que les éléments, parce que ces derniers ont l'existence seulement, mais les plantes ont la vie, et les animaux la connaissance en plus. Donc les animaux et les plantes doivent demeurer éternellement plus que les éléments.

q. 5 a. 9 arg. 11 Praeterea, effectus divinae sapientiae est, ut Dionysius dicit, quod supremum inferioris naturae coniungatur infimo naturae superioris. Hoc autem non erit si animalia et plantae desinant esse, quia elementa in nullo attingunt ad perfectionem humanam, ad quam attingunt quodammodo quaedam animalia; ad animalia vero appropinquant plantae; ad plantas vero corpora mineralia, quae immediate post elementa sequuntur. Ergo in illo mundi fine, cum non debeat illud amoveri quod pertinet ad ostensionem divinae sapientiae, videtur quod animalia et plantae cessare non debeant.

11. L'effet de la divine sagesse est, comme le dit Denys (Les noms divins, VII, § 3 872 A[4][5]) que le degré le plus haut d'une nature inférieure rejoint le plus bas de la nature supérieure. Mais cela n'existera pas si les animaux et les plantes cessent d'exister, parce que les éléments n'atteignent en rien la perfection humaine, qu'atteignent de quelque manière certains animaux; mais les plantes sont proches des animaux, et les plantes des minéraux, qui suivent immédiatement après les éléments. Donc en cette fin du monde, comme ce qui sert à montrer de la sagesse divine ne doit pas être écarté, il semble que les animaux et les plantes ne doivent pas cesser d'exister.

q. 5 a. 9 arg. 12 Praeterea, si in creatione mundi animalia et plantae non fuissent productae, non fuisset mundus perfectus. Sed maior erit perfectio mundi ultima quam prima. Ergo videtur quod omnino animalia et plantae remaneant.

12. Si dans la création du monde, les animaux et les plantes n'avaient pas été produits, le monde n'aurait pas été parfait. Mais la perfection ultime du monde sera plus grande que la première. Donc il semble que les animaux et les plantes dureront sans exception.

q. 5 a. 9 arg. 13 Praeterea, quaedam corpora mineralia et quaedam animalia bruta in poenam damnatorum deputantur, sicut in Psal. X, 7: ignis, sulphur et spiritus procellarum pars calicis eorum; et Isa. LXIV, 24: vermis eorum non morietur, et ignis non extinguetur. Poenae autem damnatorum erunt perpetuae. Ergo videtur quod animalia et corpora mineralia in aeternum remaneant.

13. Certains minéraux et certains animaux ont été destinés à punir les damnés, comme il est dit dans le Ps. 10, 7: "Le feu, le soufre, les vents des tempêtes sont une part de leur destin"; et Is. 64, 24: "Leur ver ne mourra pas, et le feu ne s'éteindra pas". Mais les peines des damnés seront éternelles. Donc il semble que les animaux et les minéraux demeureront éternellement.

q. 5 a. 9 arg. 14 Praeterea, in ipsis elementis sunt rationes seminales corporum mixtorum et animalium et plantarum, ut Augustinus dicit. Hae autem rationes frustra essent, nisi praedicta ex eis orirentur. Cum ergo in illa mundi consummatione elementa remaneant et per consequens rationes seminales in eis, nec aliquid in operibus Dei sit frustra, videtur quod animalia et plantae in illa mundi novitate remaneant.

14. Dans les éléments même, il y a les raisons séminales des corps mixtes, des animaux et des plantes, comme le dit Augustin (La Trinité, III, 8 et 9). Mais elles seraient inutiles, à moins que les plantes, les animaux et les minéraux ne proviennent d'elles. Donc comme à la consommation du monde, les éléments demeurent, et par conséquence les raisons séminales en eux, et que rien ne paraît inutile dans les oeuvres de Dieu, il semble que les animaux et les plantes demeurent dans cette renovation du monde.

q. 5 a. 9 arg. 15 Praeterea, ultima mundi purgatio erit per actionem ignis. Sed quaedam mineralia sunt ita fortis compositionis, quod nec ab igne consumuntur, sicut patet de auro. Ergo videtur quod ad minus illa post illum ignem remaneant.

15. La purification ultime du monde se fera par l'action du feu. Mais certains minéraux sont d'une composition si résistante qu'ils ne seront pas consumés par le feu, comme on le voit pour l'or. Donc il semble qu'au moins ceux-là demeurent après ce feu.

q. 5 a. 9 arg. 16 Praeterea, universale est semper. Sed universale non est nisi in singularibus. Ergo videtur quod cuiuslibet universalis singularia semper erunt; ergo et bruta animalia et plantae et corpora mineralia semper erunt.

16. L'universel existe toujours. Mais il n'existe que dans le particulier. Donc il semble que le particulier de n'importe quel universel existera toujours; donc les animaux, les plantes et les minéraux existeront toujours .

En sens contraire:

q. 5 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod Origenes dicit: non est opinandum venire ad finem illum animalia, vel pecora, vel bestias terrae, sed nec ligna, nec lapides.

1. Il y a ce que dit Origène: "Il ne faut pas penser que les animaux, les troupeaux ou les bêtes de la terre parviendront à cette fin, ni le bois, ni les pierres."

q. 5 a. 9 s. c. 2 Praeterea, animalia et plantae ad vitam animalem hominis ordinantur: unde dicitur Genes. IX, 3: quasi olera virentia dedi vobis omnem carnem. Sed vita animalis hominis cessabit. Ergo et animalia et plantae cessabunt.

2. Les animaux et les plantes sont ordonnés à la vie charnelle de l'homme: c'est pourquoi il est dit en Gn. 9, 3: "Je vous ai donné toute chair, au même titre[6] que les légumes verts.." Mais la vie des hommes cessera. Donc les animaux et les plantes aussi.

Réponse:

q. 5 a. 9 co. Respondeo. Dicendum, quod in illa mundi innovatione nullum corpus mixtum remanebit praeter corpus humanum. Ad huius autem rationem sumendam, procedendum est ordine quem docet philosophus, ut scilicet prius consideretur causa finalis, et postmodum principia materialia et formalia et causae moventes. Finis autem mineralium corporum et plantarum et animalium duplex potest considerari:

Dans cette rénovation du monde, aucun corps mixte ne demeurera sauf le corps humain. Pour en comprendre la raison, il faut procéder dans l'ordre qu'enseigne le Philosophe (Physique, II, 9, 200 a 7), à savoir qu'on considère la cause finale d'abord, ensuite les principes matériels et formels et les causes moteurs. Mais la fin des minéraux, des plantes et des animaux peut être considérée de deux façons:

primus quidem completio universi, ad quam omnes partes universi ordinantur sicut in finem; ad quem quidem finem res praedictae non ordinantur sicut per se et essentialiter de perfectione universi existentes, cum nihil in eis existat quod non inveniatur in principalibus partibus mundi (quae sunt corpora caelestia et elementa) sicut in principiis activis et materialibus. Unde res praedictae sunt quidam particulares effectus causarum universalium, quae sunt essentiales partes universi; et ideo de perfectione sunt universi secundum hoc tantum quod a suis causis progrediuntur, quod quidem fit per motum. Unde pertinent ad perfectionem universi sub motu existentis, non autem ad perfectionem universi simpliciter. Et ideo cessante mutabilitate universi, oportet quod praedicta cessent.

1) D'abord, la plénitude de l'univers, à laquelle toutes ses parties sont ordonnées, comme à leur fin: les plantes, les animaux et les minéraux ne sont pas ordonnés à cette fin comme par soi et en existant essentiellement pour la perfection de l'univers, puisque rien n'existe en elles qu'on ne retrouve dans les principales parties du monde (que sont les corps célestes et les éléments) comme dans les principes actifs et matériels. C'est pourquoi de telles choses sont les effets particuliers des causes universelles, qui sont les parties essentielles de l'univers, et c'est pourquoi elles concernent la perfection de l'univers en cela seulement qu'elles sortent de leurs causes, ce qui se fait par mouvement. C'est pourquoi elles conviennent à la perfection d'un univers soumis au mouvement, mais non à celle de l'univers dans l'absolu. Et c'est pourquoi si le changement cesse dans l'univers, il faut qu'elles cessent.

Alius autem finis est homo; quia, ut philosophus in sua politica, dicit, ea quae sunt imperfecta in natura, ordinantur ad perfecta sicut ad finem: unde, sicut ibidem dicit, cum animalia habeant vitam imperfectam respectu vitae humanae, quae simpliciter perfecta est, et plantae respectu animalium; plantae sunt propter animalia, praeparatae eis in cibum a natura; animalia vero propter hominem, necessaria ei ad cibum et ad alia auxilia. Ista autem necessitas est, vita animalis hominis durante; quae quidem in illa rerum innovatione tolletur, quia corpus resurget non animale, sed spirituale, ut dicitur I Corinth. XV, 44; et ideo tunc etiam animalia et plantae cessabunt.

2) Mais la fin de l'homme est autre, parce que, comme le Philosophe le dit dans sa Politique (ch. 5), ce qui est imparfait en nature, est ordonnée à ce qui est parfait, comme à sa fin; c'est pourquoi, comme il le dit là même, comme les animaux ont une vie imparfaite par rapport à la vie humaine, qui est absolument parfaite, et les plantes par rapport aux animaux; les plantes sont pour les animaux, préparées en nourriture pour eux par la nature, les animaux pour l'homme, nécessaires pour sa nourriture et autres aides. Mais cette nécessité existe tant que dure la vie physique de l'homme; elle est enlevée dans cette rénovation des choses, parce que le corps ressuscitera, non animal, mais spirituel, comme il est dit en I Co. 15, 44; et c'est pourquoi alors même les animaux et les plantes cesseront.

Et ad hoc idem habent aptitudinem praedictarum rerum materia et forma. Cum enim sint ex contrariis composita, habent in se ipsis principium activum corruptionis. Unde si a corruptione prohiberentur ab exteriori principio tantum, hoc esset quodammodo violentum et non conveniens perpetuitati, quia quae sunt violenta non possunt esse semper, ut patet per philosophum in libris caeli et mundi. Interius autem principium non habent quod possit a corruptione prohibere, quia eorum formae sunt per naturam corruptibiles, utpote nec per se subsistentes, sed esse habentes a materia dependens: unde non possunt in perpetuum remanere eadem numero, nec eadem specie, generatione et corruptione cessante.

Et pour cette même raison, la matière et la forme ont l'aptitude des choses ci-dessus. Car, comme elles sont composées de contraires, elles ont en elles-mêmes un principe actif de corruption. C'est pourquoi si elles étaient empêchées de se corrompre par un principe extérieur seulement, cela serait d'une certaine manière violent et ne conviendrait pas pour une durée illimitée, parce que ce qui est violent ne peut pas exister toujours, comme le Philosophe le montre dans le livre Le ciel et du monde (II, 1, 248 a 27[7]). Mais elles n'ont pas un principe plus intérieur, qui puisse empêcher la corruption, parce que leurs formes sont corruptibles par nature, de sorte qu'elles ne sont pas subsistantes par soi, mais elles ont un être qui dépend de la matière: c'est pourquoi elles ne peuvent demeurer toujours les mêmes ni en nombre, ni en espèce, si la génération et la corruption cessent.

Hoc autem idem invenitur ex consideratione causae moventis; esse enim plantarum et animalium quoddam vivere est, quod in rebus corporalibus sine motu non existit; unde animalia deficiunt cessante motu cordis, et plantae cessante nutrimento. In his autem rebus non est aliquod motus principium non dependens a primo mobili, quia ipsae animae animalium et plantarum totaliter subiiciuntur impressionibus caelestium corporum. Unde motu caeli cessante, non poterit in eis motus remanere, nec vita. Et sic patet quod in illa mundi innovatione res praedictae non poterunt remanere.

On trouve le même résultat si on considère la cause moteur; car l'être des plantes et des animaux c'est une certaine manière de vivre, qui n'existe pas dans les corps sans mouvement; c'est pourquoi les animaux périssent lorsque cesse le mouvement du coeur, et les plantes quand cesse leur nourriture. Mais il n'y a pas en elles un principe de mouvement indépendant d'un premier mobile, parce que les âmes même des animaux et des plantes sont soumises totalement aux pressions des corps célestes. C'est pourquoi, si le mouvement du ciel cesse, le mouvement ne pourra pas demeurer en elles, ni la vie non plus. Et ainsi il est clair que dans cette rénovation du monde, les plantes, les animaux et les minéraux ne pourront pas demeurer.

Solutions:

q. 5 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnia opera Dei in aeternum perseverant vel secundum se, vel in suis causis: sic enim et animalia et plantae remanebunt manentibus caelestibus corporibus et elementis.

# 1. Toutes les oeuvres de Dieu demeureront éternellement en soi, ou dans leurs causes, car ainsi les animaux et les plantes demeureront tant que les corps célestes et les éléments demeureront.

q. 5 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perpetuitas quae est secundum speciem et non secundum numerum, est per generationem; quae, cessante motu caeli, non erit.

# 2. La perpétuité selon l'espèce, et non selon le nombre existe par génération, si le mouvement du ciel cesse, elle n'existera plus.

q. 5 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intentio naturae est ad perpetuitatem in specie conservandam, durante motu caeli, per quem huiusmodi perpetuitas conservari potest.

# 3. L'intention de la nature est de toujours conserver l'espèce, tant que dure le mouvement du ciel, par lequel une telle perpétuité peut être conservée.

q. 5 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedictae res faciunt ad decorem universi secundum statum mutabilitatis in mundo et animalis vitae in homine, et non aliter, ut dictum est.

# 4. Les choses susdites participent à la beauté de l'univers, selon l'état de mutabilité dans le monde et de la vie physique dans l'homme, mais pas autrement, comme on l'a dit.

q. 5 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum quod in illa beatitudine sancti non indigebunt invisibilia Dei per creaturas conspicere, sicut in hoc statu, pro quo loquitur apostolus; sed tunc invisibilia Dei per se ipsa videbunt.

# 5. Dans cette béatitude, les saints n'auront pas besoin de voir par les créatures ce qui est invisible en Dieu, comme dans cet état (de vie), dont parle l'Apôtre; mais alors ils verront par eux-mêmes ce qui est invisible en Dieu.

q. 5 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod lignum vitae accipitur ibi metaphorice pro Christo, vel pro sapientia, de qua Proverb. cap. III, 18: lignum vitae est his qui apprehenderint eam.

# 6. La bois de la vie est pris métaphoriquement pour le Christ, ou pour la Sagesse, dont parle les Proverbes (3, 18): "Le bois de vie est pour ceux qui l'auront saisie."

q. 5 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod desiderium perpetuitatis est in rebus creatis ex assimilatione ad Deum; unicuique tamen secundum suum modum.

# 7. Le désir d'éternité est dans les créatures par ressemblance à Dieu; chacun à sa manière cependant.

q. 5 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod opus creationis per ornatum animalium et plantarum consummatur quantum ad primam mundi consummationem, quae attenditur secundum statum mutabilitatis mundi, in ordine ad complendum numerum electorum; non autem ad consummationem mundi simpliciter, ut dictum est.

# 8. L'oeuvre de création est achevée par l'ornement des animaux et des plantes, quant à la première consommation du monde, qui est atteinte selon le statut de sa mobilité, dans l'ordre pour compléter le nombre des élus, mais non pour la consommation absolue du monde, comme on l'a dit.

q. 5 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod elementa non dicuntur remunerari secundum se, quia non secundum se aliquid meruerunt; sed dicuntur remunerari in quantum homines in eis remunerabuntur, prout scilicet eorum claritas in gloriam electorum cedet. Animalibus autem et plantis homines non indigebunt, sicut elementis, quae erunt locus quasi gloriae ipsorum; et ideo non est simile.

# 9. On ne dit pas que les éléments sont récompensés en soi, parce qu'en soi, ils n'ont rien mérité; mais on dit qu'ils sont récompensés en tant que les homme seront récompensés en eux, selon que leur clarté se changera en la gloire des élus. Mais les hommes n'auront pas besoin des animaux et des plantes, comme des éléments, qui seront, pour ainsi dire, le lieu de leur gloire; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 5 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet quantum ad vitam et cognitionem, plantae et animalia sint meliora quam elementa, tamen quantum ad simplicitatem, quae facit ad incorruptionem, sunt elementa Deo similiora.

# 10. Bien que, en ce qui concerne la vie et la connaissance, les plantes et les animaux soient meilleurs que les éléments, cependant, par leur simplicité, qui les rend incorruptibles, les éléments sont plus semblables à Dieu.

q. 5 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in ipso homine continuatio quaedam naturarum apparebit, in quantum in eo congregatur et natura corporis mixti et natura vegetabilium et animalium.

# 11. Dans l'homme même, la continuation des natures apparaîtra, en tant qu'en lui se rassemblent la nature du corps mixte, et celle des végétaux et des animaux.

q. 5 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod alia fuit perfectio mundi creati et mundi consummati, ut supra dictum est; et ideo non oportet ut sit de secunda perfectione quod fuit de prima.

# 12. La perfection du monde créée a été autre que celle du monde consumé, comme on la dit ci-dessus, et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui est de la seconde perfection soit ce qui a été de la première.

q. 5 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod vermis ille qui ad poenam impiorum deputatur, non est intelligendus corporaliter, sed spiritualiter; ut per vermem stimulus suae conscientiae intelligatur, ut Augustinus dicit; et secundum eumdem modum possunt exponi si qua similia inveniantur.

# 13. Ce vers qui est destiné à la peine des impies, n'est pas à comprendre corporellement, mais spirituellement, pour que par lui on comprenne l'aiguillon de la conscience, comme Augustin le dit (La Cité de Dieu, XX), et si on trouve d'autres expressions semblables, on peut les expliquer de la même manière

q. 5 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod rationes seminales quae sunt in elementis, ad effectum producendum non sufficiunt nisi motu caeli coadiuvante; et ideo motu caeli cessante non sequitur quod oporteat animalia vel plantas esse; nec tamen sequitur quod rationes seminales sint frustra, quia sunt de perfectione ipsorum elementorum.

# 14. Les raisons séminales, qui sont dans les éléments, ne suffisent pour produire un effet que si le mouvement du ciel vient à leur aide; et c'est pourquoi s'il cesse, il n'en découle pas qu'il faille que les animaux ou les plantes existent, et cependant il n'en découle pas que les raisons séminales soient vaines, parce qu'elles concernent la perfection des éléments eux-mêmes.

q. 5 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet aliqua sint quae ad horam ab igne non consumantur, nihil tamen est quod finaliter ab igne non consumatur, si diu in igne remaneat, ut Galenus dicit; et tamen ille ignis conflagrationis mundi erit multo violentior quam iste ignis quo utimur. Nec iterum ex sola ignis actione corpora mixta in illo igne destruentur, sed etiam ex cessatione motus caeli.

# 15. Bien que certaines choses existent qui ne sont pas consumées sur l'heure par le feu, il n'y a rien cependant qui ne soit consumé finalement par le feu, s'il lui demeure longtemps, comme Galien le dit; et cependant ce feu de la conflagration du monde sera beaucoup plus violent que celui dont nous nous servons. Et à nouveau de sa seule action les corps mixtes seront détruits en lui, mais aussi par la cessation du mouvement du ciel.

q. 5 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod universale tripliciter considerari potest; et secundum quemlibet modum considerationis aliquo modo verum est quod universale est semper.

# 16. On peut considérer l'universel de trois manières; et sous quel que mode qu'on le considère il est vrai d'une certaine manière qu'il existe toujours .

Potest enim uno modo considerari natura universalis secundum quod abstrahit a quolibet esse: et sic verum est quod universale est semper, magis per remotionem causae determinantis ad aliquod tempus, quam per positionem causae perpetuitatis; de ratione enim naturae universalis non est quod sit magis hoc tempore quam illo; per quem etiam modum materia prima dicitur esse una.

a) Car on peut d'une manière considérer la nature universelle selon qu'elle est séparée de n'importe quel être; et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours plus par éloignement de la cause déterminante pour un temps, que par la position de la cause de la perpétuité, car il n'est pas de la définition de la nature universelle qu'elle existe plus dans un temps que dans un autre; de cette manière on dit que la matière première est une.

Alio modo potest considerari secundum esse quod habet in singularibus: et sic verum est quod est semper, quia est quandocumque est suum singulare; sicut etiam dicitur esse ubique, quia est ubicumque est suum singulare, cum tamen multa loca sint ubi sua singularia non sunt; unde nec ibi est universale.

b) D'une autre manière, elle peut être considérée selon son être dans les choses particulières, et ainsi il est vrai qu'elle existe toujours parce qu'elle existe toutes les fois qu'existe son être particulier. De même on dit aussi qu'elle est partout, n 'importe où existe un être particulier qui la représente, alors que cependant il y a de nombreux endroits où ses êtres particuliers ne sont pas: c'est pourquoi ici non plus ce n'est pas universel.

Tertio modo potest considerari secundum esse quod habet in intellectu: et sic etiam verum est quod universale est semper, praecipue in intellectu divino.

c) D'une troisième manière, on peut la considérer selon l'être qu'elle a dans l'intellect et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours , principalement dans l'intellect divin.

 

[1] Parall.: CG. IV, 97 – IV Sent. d43q1a4, - q2a. 6 – d48q2a.5 c. – d50q2a.3, q.la 2 c.

[2] Les plantes, les animaux et les minéraux.

[3] "Ce qu'il y a d'invisible depuis la création du monde se laisse voit à l'intelligence à travers ses oeuvres." Rm 1, 20 B.J.)

[4] Cité en qu. 6, a. 6, obj. 12.

[5] Cité à nouveau Pot. qu. 6, a. 6, obj. 12.

[6] B.J.

[7] Thomas n° 297.

 

 

Article 10: Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel?

q. 5 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum corpora humana remaneant, motu caeli cessante. Et videtur quod non.

Il semble que non[1]

Objections:

q. 5 a. 10 arg. 1 Quia dicitur I Cor. cap. XV, 50: caro et sanguis regnum Dei non possidebunt. Sed corpus hominis est ex carne et sanguine. Ergo in illo rerum fine humana corpora non remanebunt.

1. Parce qu'il est dit en I Cor. 15, 50: "La chair et le sang ne posséderont pas le Royaume de Dieu." Mais le corps de l'homme est de la chair et du sang. Donc en cette fin du monde, les corps humains ne demeureront pas.

q. 5 a. 10 arg. 2 Praeterea, omnis mixtio elementorum ex motu caeli causatur, cum ad mixtionem alteratio requiratur. Sed corpus humanum est corpus mixtum ex elementis. Ergo motu caeli cessante, remanere non potest.

2. Tout mixte des éléments est causé par le mouvement du ciel, puisque le changement est nécessaire pour la mixtion. Mais le corps humain est un corps mixte d'éléments. Donc, si le mouvement du ciel cesse, il ne peut pas demeurer.

q. 5 a. 10 arg. 3 Praeterea, necessitas quae est ex materia, est necessitas absoluta, ut patet in II Physic. Sed in corpore composito ex contrariis est necessitas ad corruptionem ex ipsa materia. Ergo impossibile est quin talia corpora corrumpantur; et ita impossibile est quod remaneant post statum generationis et corruptionis. Corpora autem humana sunt huiusmodi. Ergo impossibile est quod in illo rerum fine remaneant.

3. La nécessité qui vient de la matière est une nécessité absolue, comme cela est exposé en Physique (II, 9, 200 a 1 Ð 200 a 14). Mais dans un corps composé de contraires, il y a nécessairement la corruption qui vient de la matière même. Donc il est impossible que de tels corps ne soient pas corrompus et qu'ainsi ils demeurent après un état de génération et de corruption. Mais les corps humains sont de ce genre. Donc il est impossible qu'ils demeurent en cette fin du monde.

q. 5 a. 10 arg. 4 Praeterea, homo cum brutis convenit in hoc quod habet corpus sensibile. Sed corpora sensibilia brutorum non remanebunt in illo mundi fine. Ergo nec corpora humana.

4. L'homme se rencontre avec les animaux du fait qu'il a un corps sensible. Mais les corps sensibles des animaux ne demeureront pas en cette fin du monde. Donc les corps humains non plus.

q. 5 a. 10 arg. 5 Praeterea, finis hominis est perfecta assimilatio ad Deum. Sed Deo, qui incorporeus est, magis assimilatur anima corpore absoluta, quam corpori unita. Ergo in illo statu finalis beatitudinis, animae absque corporibus erunt.

5. La fin de l'homme est la ressemblance parfaite à Dieu[2]. Mais l'âme séparée du corps ressemble plus à Dieu, qui est incorporel qu'unie au corps. Donc en cet état de béatitude finale, les âmes seront sans corps.

q. 5 a. 10 arg. 6 Praeterea, ad perfectam hominis beatitudinem requiritur perfecta operatio intellectus. Sed operatio animae intellectivae a corpore absolutae est perfectior quam animae corpori unitae, quia, ut dicitur in Lib. de causis, omnis virtus unita plus est infinita quam multiplicata. Formae autem separatae in se unitae sunt: materiae vero coniunctae, quodammodo ad plura diffunduntur. Ergo in illa perfecta beatitudine animae non erunt corpori unitae.

6. Pour la parfaite béatitude de l'homme, une parfaite opération de l'intellect est requise. Mais l'opération de l'âme intellectuelle est plus parfaite séparée du corps qu'unie au corps, comme on le dit dans le Livre des Causes ( prop. 17), toute puissance unie est plus infinie qu'une puissance multipliée. Les formes séparées sont unies en soi, mais les matières jointes, sont répandues d'une certaine manière en plusieurs. Donc dans cette parfaite béatitude, les âmes ne seront pas unies au corps.

q. 5 a. 10 arg. 7 Praeterea, elementa quae sunt in mixto, appetunt naturali appetitu propria ubi. Appetitus autem naturalis non potest esse vanus; unde quod est contra naturam, non potest esse perpetuum. Non potest ergo esse quin elementa in corpore mixto existentia quandoque ad sua loca tendant, et sic corpus mixtum corrumpatur; ergo post corruptionis statum non remanebunt humana corpora, quae sunt mixta.

7. Les éléments qui sont dans le mixte recherchent d'un appétit naturel leur propre site. Mais cet appétit naturel ne peut pas être vain. C'est pourquoi ce qui est contre la nature ne peut pas être perpétuel. Il n'est donc pas possible que les éléments qui existent dans le corps mixte parfois ne tendent pas à leur site, et ainsi le corps mixte est corrompu; donc après l'état de corruption, les corps humains qui sont des mixtes ne demeureront pas.

q. 5 a. 10 arg. 8 Praeterea, omnis motus naturalis cuiuscumque corporis a motu caeli dependet. Sed motus cordis, sine quo non potest esse humani corporis vita, est motus naturalis. Ergo cessante motu caeli remanere non poterit, et per consequens nec humani corporis vita.

8. Tout mouvement naturel d'un corps quelconque dépend du mouvement du ciel. Mais le mouvement du coeur, sans quoi la vie du corps humain ne peut pas exister, est un mouvement naturel. Donc quand cessera le mouvement du ciel, il ne pourra pas demeurer, et par conséquent, la vie du corps humain non plus.

q. 5 a. 10 arg. 9 Praeterea, membra humani corporis, pro maiori parte sunt ordinata ad usus competentes vitae animalis, sicut patet de venis et stomacho et huiusmodi, quae ordinatur ad nutrimentum. Animalis autem vita in homine non remanebit in illa beatitudine. Ergo nec membra corporis (alias enim frustra essent); et sic nec corpus humanum remanebit.

9. Les membres du corps humain, pour une majeure partie sont ordonnés à l'usage approprié de la vie physique, comme on le voit pour les veines, l'estomac, etc., qui sont ordonnés à la nutrition; mais la vie physique dans l'homme ne demeurera pas dans cette béatitude. Donc les membres du corps non plus (car autrement ils seraient inutiles) et ainsi le corps humain ne demeurera pas.

En sens contraire:

q. 5 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I ad Cor. cap. XV, 53: oportet corruptibile hoc induere incorruptionem. Hoc autem corruptibile, corpus est. Ergo corpus remanebit incorruptione indutum.

1. Il y a ce qui est dit en I Co., 15, 53: "Il faut que cet être corruptible revête l'incorruptibilité." Ce qui est corruptible, c'est le corps. Donc le corps demeurera revêtu d'incorruptibilité.

q. 5 a. 10 s. c. 2 Praeterea, Philip. III, 21, dicitur: reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae. Sed Christus corpus quod semel in resurrectione resumpsit, nunquam deposuit nec deponet: Rom. VI, 9: Christus resurgens ex mortuis iam non moritur. Ergo et sancti in perpetuum vivent cum corporibus cum quibus resurgent; et sic humana corpora post finem mundi manebunt.

2. En Phil. 3, 21, il est dit: "Il transfigurera notre corps d'humilité pour le conformer à son corps de gloire[3]" Mais le Christ n'a jamais abandonné et n'abandonnera pas le corps qu'il a repris une fois ressuscité. Rm 6, 9: "Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus." Donc les saints vivront éternellement dans les corps avec lesquels ils ressusciteront, et ainsi les corps humains demeureront après la fin du monde.

Réponse:

q. 5 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod sicut Augustinus dicit, Porphyrius ponebat, ad perfectam beatitudinem humanae animae, omne corpus fugiendum esse; et sic, secundum eum, anima in perfecta beatitudine existens, corpori unita esse non potest. Quam opinionem tangit Origenes in suo periarchon dicens: quosdam opinatos fuisse, sanctos corpora in resurrectione resumpta quandoque deposituros, ut sic ad Dei similitudinem in perfecta beatitudine vivant.

Comme le dit Augustin (La cité de Dieu, XXII, 26), Porphyre pensait que, pour la parfaite béatitude de l'âme humaine, il fallait fuir tout corps, et ainsi selon lui, l'âme dans la parfaite béatitude, ne peut pas être unie à un corps. Origène parle de cette opinion dans son Periarchon, en disant que certains ont pensé qu'un jour les saints abandonneront les corps qu'ils auront repris à la résurrection, pour vivre ainsi dans une béatitude parfaite à l'image de Dieu.

Sed haec positio praeter hoc quod est fidei contraria, ut ex auctoritatibus inductis et pluribus aliis patere potest, etiam a ratione discordat. Non enim perfectio beatitudinis esse poterit ubi deest naturae perfectio. Cum autem animae et corporis naturalis sit unio, et substantialis, non accidentalis, non potest esse quod natura animae sit perfecta, nisi sit corpori coniuncta; et ideo anima separata a corpore, non potest ultimam perfectionem beatitudinis obtinere. Propter quod etiam dicit Augustinus in fine super Genes. ad Litt., quod animae sanctorum, ante resurrectionem, non ita perfecte fruuntur divina visione sicut postea; unde in ultima perfectione beatitudinis oportebit corpora humana esse animabus unita.

Mais cette opinion, en plus qu'elle est contraire à la foi, comme on peut le voir des autorités d'où elle est tirée et de plusieurs autres, est aussi contraire à la raison. Car la perfection de la béatitude ne pourra pas exister là où manque la perfection de la nature. Mais comme l'union du corps et de l'âme est naturelle, substantielle, et non accidentelle, il n'est pas possible que la nature de l'âme soit parfaite, si elle n'est pas unie à un corps, et c'est pourquoi l'âme séparée du corps ne peut pas obtenir la perfection suprême de la béatitude. Pour cette raison, Augustin dit à la fin de La Genèse au sens littéral, (XII, 35), que les âmes des saints ne jouiront pas avant la résurrection, de manière aussi parfaite de la vision de Dieu, comme après; c'est pourquoi dans la suprême perfection de la béatitude, il faudra que les corps humains soit unis aux âmes.

Positio autem praemissa procedit secundum opinionem illorum qui dicunt: animam accidentaliter uniri corpori, sicut nautam navi, aut hominem indumento. Unde et Plato dixit quod homo est anima corpore induta, ut Gregorius Nyssenus narrat..

Mais la position ci-dessus procède de l'opinion de ceux qui disent que l'âme est unie accidentellement au corps, comme la marin à son navire, comme l'homme à son vêtement. C'est pourquoi Platon aussi a dit que l'homme est une âme revêtue d'un corps, comme Grégoire de Nysse le raconte (De l'âme, X).

Sed hoc stare non potest, quia sic homo non esset ens per se, sed per accidens; nec esset in genere substantiae, sed in genere accidentis, sicut hoc quod dico vestitum, et calceatum. Patet etiam quod rationes supra inductae de corporibus mixtis, non habent locum in homine, nam homo ordinatur ad perfectionem universi ut essentialis pars ipsius, cum in homine sit aliquid quod non continetur virtute nec in elementis nec in caelestibus corporibus, scilicet anima rationalis. Corpus etiam hominis ordinatur ad hominem, non secundum animalem vitam tantum, sed ad perfectionem naturae ipsius. Et quamvis corpus hominis sit ex contrariis compositum, inerit tamen principium incorruptibile, quod poterit praeservare a corruptione absque violentia, cum sit intrinsecum. Et hoc poterit esse sufficiens principium motus, motu caeli cessante, cum a motu caeli non dependeat.

Mais cela n'est pas possible parce que, ainsi, l'homme ne serait pas un être par soi, mais par accident, et il ne serait pas dans le genre de la substance mais celui de l'accident, comme ce qu'on dit vêtu, ou chaussé. Car il est clair que les raisons présentées plus haut au sujet des corps mixtes, n'ont pas de place dans l'homme, car il est ordonné à la perfection de l'univers, comme sa partie essentielle, puisqu'en lui, il y a quelque chose qui n'est pas contenu par le pouvoir, ni dans les éléments, ni dans les corps célestes, à savoir l'âme rationnelle. Mais le corps de l'homme lui est ordonné, pas seulement pour la vie physique, mais pour la perfection de sa nature. Et quoique son corps soit composé de contraires, il y a en lui cependant un principe incorruptible, qui pourra le préserver de la corruption sans violence, puisqu'il est intrinsèque. Et cela pourra être un principe suffisant de mouvement, si le mouvement du ciel cesse, puisqu'il n'en dépend pas.

Solutions:

q. 5 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per carnem et sanguinem intelligitur corruptio carnis et sanguinis; unde in eadem auctoritate subditur: neque corruptio incorruptelam possidebit.

# 1. Par la chair et le sang on comprend leur corruption; c'est pourquoi dans la même autorité il est ajouté:La corruption ne possédera pas l'incorruptibilité".

q. 5 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus est causa mixtionis secundum fieri; sed conservatio eius est per formam substantialem, et ulterius per principia caelo altiora, ut in superioribus quaestionibus patet.

# 2. Le mouvement est la cause du mixte en son devenir; mais sa conservation vient par la forme substantielle et plus tard par des principes plus élevés que le ciel, comme cela paraît dans les questions précédentes.

q. 5 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima rationalis ex perfecta unione ad Deum, omnino super materiam victoriam habebit; et sic licet materia sibi relicta corruptibilis sit, tamen ex virtute animae incorruptionem sortiretur.

# 3. L'âme rationnelle, par son union parfaite à Dieu, aura tout à fait la victoire sur la matière; et ainsi, bien que la matière laissée à elle-même soit corruptible, elle obtiendra l'incorruptibilité par le pouvoir de l'âme.

q. 5 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sensibilitas in homine est a principio incorruptibili, scilicet ab anima rationali; in brutis autem est a principio corruptibili; et ideo corpus sensibile hominis in perpetuum potest remanere, non autem corpus sensibile bruti.

# 4. La sensibilité dans l'homme vient d'un principe incorruptible, c'est-à-dire de l'âme rationnelle; mais dans les animaux elle vient d'un principe corruptible; et c'est pourquoi le corps physique de l'homme peut demeurer éternellement, mais pas celui de l'animal.

q. 5 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima corpori unita plus assimilatur Deo quam a corpore separata, quia perfectius habet suam naturam. Intantum enim unumquodque Deo simile est, in quantum perfectum est, licet non sit unius modi perfectio Dei et perfectio creaturae.

# 5. L'âme unie au corps ressemble plus à Dieu que séparée du corps, parce qu'elle possède plus parfaitement sa nature. Car chaque être est parfait, en tant qu'il est semblable à Dieu, bien que la perfection de Dieu et celle de la créature ne relève pas d'un seul mode.

q. 5 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod anima corpori unita non multiplicatur per modum formarum materialium quae sunt divisibiles divisione subiecti, sed in se remanet simplex et una; unde eius operatio non impedietur ex corporis unione, quando corpus omnino erit subiectum animae; nunc autem impeditur ex corporis unione, propter hoc quod anima non perfecte dominatur in corpus.

# 6. L'âme unie au corps n'est pas multipliée à la manière des formes matérielles qui sont divisibles par la division du sujet, mais elle demeure en soi une et simple; c'est pourquoi son opération ne sera pas empêchée par l'union au corps, quand celui-ci sera tout à fait assujetti à l'âme; mais maintenant elle en est empêchée du fait qu'elle n'en est pas parfaitement maîtresse.

q. 5 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod appetitus naturalis elementorum tendendi in propria loca, per dominium animae in corpus retinebitur, ne dissolutio elementorum fiat, quia elementa perfectius esse habebunt in corpore hominis quam in suis locis haberent.

# 7. L'appétit naturel des éléments qui tendent à leurs sites propres, est retenu par la domination de l'âme sur le corps, pour que la dissolution des éléments ne se fasse pas, parce qu'ils auront un être plus parfait dans le corps de l'homme qu'ils ne l'auraient dans leurs sites propres.

q. 5 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod motus cordis in homine causabitur ex natura animae rationalis, quae a motu caeli non dependet; et ideo motus ille non cessabit, motu caeli cessante.

# 8. Le mouvement du coeur dans l'homme sera causé par la nature de l'âme rationnelle, qui ne dépend pas du mouvement du ciel, et c'est pourquoi ce mouvement ne cessera pas, quand le mouvement du ciel cessera.

q. 5 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod omnia membra corporis remanebunt, non propter usus animalis vitae, sed propter perfectionem naturae hominis.

# 9. Tous les membres du corps demeureront, non à cause de l'usage de la vie physique, mais de la perfection de la nature de l'homme.

 

[1] Parall.: IV Sent. d43q2a4, c – d48q2a5 c – d50q2a3q.la 2 c – Opus. III, c. 171.

[2] À comprendre comme la divinisation.

[3] Phil. 3, 21: "Le Seigneur J.C. qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire." B.J.

 

 

Question 6: Les miracles

q. 6 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter causas naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae.

1. Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes naturelles, contre la nature ou contre son cours?

q. 6 pr. 2 Secundo utrum omnia quae Deus facit contra cursum naturae, possint dici miracula.

2. Peut-on appeler miracle tout ce que Dieu fait contre le cours de la nature?

q. 6 pr. 3 Tertio utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint miracula facere.

3. Les créatures spirituelles peuvent-elles faire des miracles par leur pouvoir naturel?.

q. 6 pr. 4 Quarto utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae miracula facere possint.

4. Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?

q. 6 pr. 5 Quinto utrum Daemones cooperentur ad miracula facienda.

5. Les démons coopèrent-ils aux miracles?

q. 6 pr. 6 Sexto utrum Daemones vel Angeli habeant corpora sibi naturaliter unita.

6. Les démons ou les anges ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement?

q. 6 pr. 7 Septimo utrum Angeli vel Daemones possint corpora assumere.

7. Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?

q. 6 pr. 8 Octavo utrum Angelus vel Daemon, vel corpus assumptum possit operationes viventis corporis exercere.

8. L’ange ou le démon, en assumant un corps peut-il pratiquer les opération d’un corps vivant

q. 6 pr. 9 Nono utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei.

9. Opérer un miracle doit-il être attribué à la foi?

q. 6 pr. 10 Decimo utrum Daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus rebus, factis aut verbis ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri videntur.

10. Les démons sont-ils forcés, par des objets sensibles et corporels, des événements ou des paroles, d’accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques?

 

 

Article 1: Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours?

 

q. 6 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum Deus possit in rebus creatis aliquid operari praeter causas naturales, vel contra naturam, vel contra cursum naturae. Et videtur quod non.

 

Il semble que non[1].

 

Objections:

 

q. 6 a. 1 arg. 1 Quia in Glossa Rom. XI, 24, dicitur: Deus omnium naturarum conditor, nihil contra naturam facit.

1. La glose de Rm. 11, 24 (glose ordinaire): "Il a été greffé contre nature" dit: "Dieu, créateur de toutes les natures, ne fait rien contre la nature."

 

q. 6 a. 1 arg. 2 Praeterea, alia Glossa dicit ibidem: contra legem naturae tam Deus facere non potest quam contra se ipsum. Contra se ipsum autem nullo modo facere potest: quia se ipsum negare non potest, ut dicitur II Tim. cap. II, 13. Ergo nec contra naturae ordinem, qui est lex naturae, Deus facere potest.

2. Une autre glose dit au même endroit: "Dieu ne peut pas agir contre la loi de la nature, pas plus que contre lui-même." Il ne peut agir en aucune manière contre lui-même, parce qu'il "ne peut se nier lui-même", comme il est dit 2 Tm, 2, 13. Donc Dieu ne peut agir contre l'ordre de la nature qui en est la loi.

 

q. 6 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut ordo humanae iustitiae derivatur a divina iustitia, ita ordo naturae derivatur a divina sapientia; ipsa enim est quae disponit omnia suaviter, ut dicitur Sap. cap. VIII, 1. Sed contra ordinem humanae iustitiae Deus facere non potest: sic enim esset causa peccati, quod solum ordini iustitiae repugnat. Cum ergo non minor sit Dei sapientia, quam eius iustitia, videtur quod nec contra ordinem naturae facere possit.

3. De même que l'ordre de la justice humaine est dérivé de la justice de Dieu, celui de la nature est dérivé de la sagesse divine[2]; car c'est elle qui "dispose tout avec bienfaisance" comme il est dit Sg. 8, 1. Mais Dieu ne peut pas agir contre l'ordre de la justice humaine; car ainsi il serait cause du péché, qui seul s'oppose à l'ordre de la justice. Donc comme la sagesse de Dieu n'est pas inférieure à sa justice, il semble qu'il ne peut pas agir contre l'ordre de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 4 Praeterea, quandocumque Deus operatur in creaturis per rationes seminales, non fit aliquid contra naturae cursum. Sed non potest Deus aliquid convenienter operari in natura praeter rationes seminales naturae inditas. Ergo Deus non potest convenienter contra cursum naturae facere. Probatio mediae. Augustinus enim dicit, quod visibiles apparitiones patribus exhibitae sunt mediante ministerio Angelorum, ex hoc quod Deus corpora regit per spiritus. Sed similiter corpora inferiora regit per superiora, ut ipse dicit; et similiter potest dici, quod effectus quoslibet regit per causas. Cum ergo in causis naturalibus rationes seminales sint inditae, videtur quod Deus convenienter non possit operari in effectibus naturalibus, nisi rationibus seminalibus mediantibus: et sic nihil fiet ab eo contra cursum naturae.

4. [1]Toutes les fois que Dieu opère dans les créatures par raisons séminales, rien n'est fait contre le cours de la nature. [2] Mais il ne peut pas opérer convenablement dans la nature en dehors de celles de la nature qui y sont induites. [3] Donc, il ne peut pas agir avec convenance contre le cours de la nature. Preuve de la proposition intermédiaire [2]: En effet, Augustin dit (La Trinité, III, 11 et 12) que les apparitions vues par les patriarches ont été accomplies par l'intermédiaire du ministère des anges, du fait que Dieu gouverne les corps par les esprits. Mais de la même manière, il gouverne les corps inférieurs par les corps supérieurs, comme il le dit lui-même, (dans le même livre, ch. IV), et, de la même manière, on peut dire qu'il gouverne n'importe quel effet par les causes. Donc comme les raisons séminales sont induites dans les causes naturelles, il semble que Dieu ne puisse agir convenablement dans les effets naturels que par l'intermédiaire des causes séminales et ainsi il ne fera rien contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 5 Praeterea, Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, quia cum hoc sit contra rationem entis in quantum est ens, est etiam contra rationem creaturae; prima namque rerum creaturarum est esse, ut dicitur in libro de causis. Praedictum autem principium, cum sit primum inter omnia principia, in quod omnia alia resolvuntur, ut probatur in IV Metaph., oportet quod in qualibet necessaria propositione includatur, et quod eius oppositum includatur in quolibet impossibili. Cum ergo ea quae sunt contra cursum naturae sint impossibilia in natura,- sicut caecum fieri videntem, et mortuum fieri viventem,- in huiusmodi oppositum dicti principii includetur. Ergo ea quae sunt contra cursum naturae, Deus facere non potest.

5. Dieu ne peut faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que, comme c'est contre la nature de l'étant en tant que tel, c'est aussi contre celle de la créature; car la première des choses créées est l'être, comme il est dit dans le livre Des causes (prop. 4). Il faut que ce principe, puisqu'il est le premier de tous les principes en qui tous les autres sont résolus, comme on le prouve (Métaphysique IV, 3, 1005 b 19[3]), soit inclus en n'importe quelle proposition nécessaire et que son opposé soit inclus en tout ce qui est impossible. Donc, comme ce qui est contre le cours de la nature est impossible en elle, – ainsi qu'un aveugle voit et qu'un mort revive – cela est inclus dans un tel contraire à ce principe. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 6 Praeterea, quaedam Glossa dicit, Ephes. cap. III, 7 sq. quod Deus contra causas quas voluntate instituit, mutabili voluntate, nihil facit. Sed causas naturales Deus voluntate sua instituit. Ergo contra eas nihil facit nec facere potest, sicut non potest esse mutabilis; mutabilitas enim voluntatis videtur cum aliquis facit contra id quod prius voluntate instituit.

6. Une glose dit (Eph. 3, 7) que Dieu ne fait rien contre les causes qu'il a établi par sa volonté, s'il change de volonté. Mais Dieu a établi les causes naturelles par sa volonté. Donc il ne fait rien et il ne peut rien faire contre elles, de même qu'il ne peut pas changer; car le changement de volonté apparaît quand quelqu'un agit contre ce qu'il a décidé d'abord par elle.

 

q. 6 a. 1 arg. 7 Praeterea, bonum universi est bonum ordinis, ad quem pertinet cursus naturalium rerum. Sed Deus non potest facere contra bonum universi, quia ex sua bonitate summa provenit quod omnia sint valde bona secundum ordinem universi. Ergo Deus non potest facere contra cursum naturalium rerum.

7. Le bien de l'univers est celui de l'ordre auquel se rattache le cours des choses naturelles. Mais Dieu ne peut pas agir contre le bien de l'univers, parce que de sa bonté suprême provient que tout est tout à fait bon, dans l'ordre universel. Donc, il ne peut agir contre le cours des choses naturelles.

 

q. 6 a. 1 arg. 8 Praeterea, Deus non potest esse causa mali. Malum autem, secundum Augustinum, est privatio modi, speciei et ordinis. Ergo Deus non potest facere, contra cursum naturae, qui pertinet ad ordinem universi.

8. Dieu ne peut pas être la cause du mal. Mais selon Augustin (La nature du bien, IV), le mal est la privation du mode, de l'espèce et de l'ordre. Donc Dieu ne peut pas agir contre le cours de la nature qui appartient à l'ordre de l'univers.

 

q. 6 a. 1 arg. 9 Praeterea, Genes. II, 2, dicitur, quod Deus die septimo cessavit ab omni opere quod patrarat; et hoc ideo secundum Glossam ordinariam, quia cessavit a novis operibus condendis. Sed in operibus sex dierum non fecit aliquid contra cursum naturae. Unde Augustinus dicit, quod in operibus sex dierum non quaeritur quid Deus miraculose facere possit, sed quid rerum natura patiatur, quam tunc Deus instituit. Ergo nec postea Deus aliquid fecit contra naturae cursum.

9. Il est dit en Gn . 2, 2,: "(Dieu) acheva le septième jour toute l'oeuvre qu'il avait accomplie" et selon la glose ordinaire, parce qu'il cessa de créer des oeuvres nouvelles. Mais dans les oeuvres des six jours, il ne fit rien contre le cours de la nature. C'est pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, II) dit que, dans les oeuvres des six jours, on ne cherche pas ce que Dieu pouvait faire miraculeusement, mais ce que supporte la nature que Dieu institua alors. Donc par la suite Dieu ne fit rien contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 10 Praeterea, secundum philosophum, natura est causa ordinationis in omnibus. Sed Deus non potest facere aliquid nisi ordinatum, quia, ut dicitur Rom. cap. XIII, 1: quae a Deo sunt, ordinata sunt. Ergo non potest facere aliquid contra naturam.

10. Selon le Philosophe (Métaphysique, VII, 3, 1029 a 20[4]), la nature est la cause de la mise en ordre en tout. Mais Dieu ne peut rien faire qu'ordonné, parce que, comme on le dit en Rm. 13, 1[5]: "Ce qui vient de Dieu a été mis en ordre". Donc il ne peut rien faire contre la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 11 Praeterea, sicuti ratio humana a Deo est, ita et natura. Sed contra principia rationis Deus facere non potest, sicut quod genus de specie non praedicetur, vel quod latus quadrati sit commensurabile diametro. Ergo nec contra principia naturae Deus facere potest.

11. La raison de l'homme vient de Dieu, la nature aussi. Mais Dieu ne peut pas agir contre les principes de la raison: par exemple faire en sorte que le genre ne soit pas attribué à l'espèce ou que le côté du carré soit commensurable à la diagonale. Donc Dieu ne peut pas agir non plus contre le principe de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 12 Praeterea, totus naturae cursus a divina sapientia progreditur, sicut artificiata ab arte humana, ut Augustinus dicit super illud Ioan., cap. I, 3-4: quod factum est in ipso vita erat. Sed artifex non facit aliquod contra artem suam nisi per errorem, qui in Deo esse non potest. Ergo nec Deus facit aliquid contra cursum naturae.

12. Tout le cours de la nature vient de la sagesse divine, de même que les oeuvres artisanales de l'art humain, comme Augustin le dit (Commentaire sur saint Jean, 1, 3-4) à propos de ce verset: "Ce qui a été fait était la vie en lui". Mais l'artisan ne fait rien contre son art sinon par erreur, erreur impossible à Dieu. Donc Dieu ne fait rien contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 13 Praeterea, philosophus dicit, quod sicut agitur unumquodque, ita natum est agi. Sed quod ita natum est agi sicut agitur, non fit contra cursum naturae. Ergo nihil fit contra naturae cursum.

13. Le philosophe dit (Physique, II, 8, 199 a 8 ss[6].): chaque chose est faite, comme elle est destinée à être faite. Mais ce qui est destiné à être fait, comme il est fait, n'est pas fait contre le cours de la nature. Donc rien n'est fait contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 14 Praeterea, Anselmus dicit, Lib. I: cur Deus homo, quod minimum inconveniens Deo est impossibile. Inconveniens autem est quod cursus naturae mutetur, conveniens est autem quod servetur. Ergo impossibile est quod Deus contra cursum naturae faceret.

14. Anselme (Cur Deus homo, I, 20) dit que la plus petite inconvenance est impossible à Dieu. Il est inconvenant de changer le cours de la nature, il convient de le conserver. Donc il est impossible que Dieu agisse contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 arg. 15 Praeterea, sicut se habet scientia ad falsum, ita se habet potentia ad impossibile. Sed Deus non potest scire id quod est falsum in natura. Ergo Deus non potest facere id quod est contra cursum naturae, quia hoc est impossibile in natura.

15. Le rapport de la science à l'erreur est le même que celui de la puissance à l'impossible. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature[7]. Donc il ne peut pas faire ce qui est contre son cours, parce que cela y est impossible.

 

q. 6 a. 1 arg. 16 Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se quam quod est impossibile per accidens, quia quod per se est tale, magis est tale. Sed id quod fuit non fuisse est impossibile per accidens; quod tamen Deus facere non potest, ut Hieronymus dicit et etiam philosophus. Ergo nec quae sunt contra cursum naturae, quae sunt impossibilia per se, ut caecum videre, facere Deus non potest.

16. Est plus impossible ce qui est impossible par soi que ce qui est impossible par accident, parce que ce qui est tel par soi, l'est davantage. Mais il est impossible par accident que ce qui a existé ne l'ait pas été; ce que cependant Dieu ne peut pas faire, comme Jérôme le dit et aussi le Philosophe (Eth. VI, 2, 1139 b 10[8]). Donc ce qui est contre le cours de la nature, qui est impossible en soi, comme que l'aveugle voit, Dieu ne peut pas le faire.

 

q. 6 a. 1 arg. 17 Praeterea, secundum philosophum, violentum est cuius principium est extra, nil conferente vim passo. Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae, res naturales conferre non possunt. Ergo si a Deo fiant, erunt violenta: et sic non erunt permanentia; quod videtur inconveniens, nam caecis illuminatis divinitus permanet visum.

17. Selon le Philosophe, (Eth. III, 1109 b 35[9]), est violent ce dont le principe est extérieur, il n'apporte rien à celui qui supporte la violence. Mais ces choses naturelles ne peuvent pas le conférer à ce qui est contre le cours de la nature. Donc si elles sont faites par Dieu, elles seront violentes et ainsi elles ne demeureront pas, ce qui ne paraît pas convenir, car la vue demeure de manière divine pour les aveugles à qui la vue a été rendue.

 

q. 6 a. 1 arg. 18 Praeterea, cum omne genus per potentiam et actum dividatur, ut patet in III Physic., ad potentiam autem potentia passiva pertineat, ad actum autem activa; oportet quod illa sola potentia passiva inveniatur in natura ad quae invenitur potentia activa naturalis, hoc enim est eiusdem generis; et hoc etiam dicit Commentator in IX Metaph. Sed ad ea quae sunt contra cursum naturae non invenitur aliqua potentia activa naturalis; ergo nec potentia passiva. Sed illa respectu quorum non est potentia passiva in creatura, dicimus non posse fieri, quamvis Deus per suam omnipotentiam omnia facere possit. Ergo ea quae sunt contra cursum naturae, fieri non possunt propter defectum creaturae, etsi non propter defectum divinae potentiae.

18. Comme tout genre se divise en puissance et acte, comme on le voit en Physique, (III, 1, 201 a 9), la puissance passive appartient à la puissance, la puissance active à l'acte: il faut qu'on trouve cette seule puissance passive dans la nature pour laquelle on trouve une puissance active naturelle, car c'est du même genre et cela le Commentateur le dit (Métaphysique IX, 8, 1050 b 8). Mais pour ce qui est contre le cours de la nature, on ne trouve pas de puissance active naturelle, donc de puissance passive non plus. Mais celles en considération desquelles il n'y a pas de puissance passive dans la créature, nous disons qu'elle ne peut pas être faite, quoique Dieu par sa toute puissance puisse tout faire. Donc ce qui est contre le cours de la nature ne peut pas être fait à cause de la défaillance de la créature, même si ne n'est pas à cause de celle de la puissance divine.

 

q. 6 a. 1 arg. 19 Praeterea, quidquid Deus aliquando facit non esset inconveniens, etiam si semper faceret. Esset autem inconveniens, si Deus omnes effectus naturales crearet non mediantibus causis naturalibus, quia tunc res naturales suis operationibus destituerentur. Ergo inconveniens est quod aliquem effectum in istis inferioribus faciat aliquando non mediantibus causis naturalibus. Eis autem mediantibus non facit aliquid contra cursum naturae. Ergo Deus nihil facit contra cursum naturae.

19. Ce que Dieu fait quelquefois ne serait pas inconvenant, même s'il le faisait toujours. Mais il serait inconvenant que Dieu crée tous les effets naturels sans l'intermédiaire des causes naturelles, parce que les êtres naturels seraient privés de leurs opérations. Donc il ne convient pas qu'il produise quelquefois un effet dans ces êtres inférieurs sans l'intermédiaire des causes naturelles. Par leur intermédiaire, il ne fait rien contre le cours de la nature. Donc il ne fait rien contre lui.

 

q. 6 a. 1 arg. 20 Praeterea, causa per se essentialem ordinem habet ad suum effectum, et e converso. Sed Deus non potest alicui rei auferre quod est sibi essentiale, ea manente, sicut quod sit homo et non sit animal. Ergo non potest effectum aliquem producere sine causa naturali quae ad huiusmodi effectum habet essentialem ordinem, sicut quod faciat visum sine causis naturalibus ex quibus visus natus est causari.

20. La cause en soi a un rapport essentiel à son effet et inversement. Mais Dieu ne peut enlever à une chose ce qui lui est essentiel, tant qu'elle demeure; par exemple qu'il soit un homme, sans être un animal. Donc il ne peut produire un effet sans la cause naturelle qui a un rapport essentiel à un tel effet; ainsi rendre la vue sans les causes naturelles à partir desquelles elle est destinée à être causée.

 

q. 6 a. 1 arg. 21 Praeterea, inconveniens est ut maius bonum dimittatur pro minori bono. Sed bonum universi est maius quam aliquod bonum particulare cuiuscumque, unde Augustinus dicit, quod Deus facit bona etiam singula, simul autem omnia valde bona propter ordinem universi. Ergo inconveniens est quod propter salutem alicuius hominis vel alicuius gentis, Deus mutet cursum naturae, qui pertinet ad ordinem universi, in quo bonum eius consistit. Numquam ergo Deus facit contra cursum naturae.

21. Il ne convient pas que l'homme, en tant qu'il est un bien plus grand, soit abandonné pour un bien plus petit; mais le bien de l'univers est plus grand que le bien particulier de n'importe quoi. C'est pourquoi Augustin dit (Enchiridion II, 10) que Dieu a produit des biens particuliers, mais en même temps tous les biens en vue de l'ordre de l'univers. Donc il ne convient pas qu'à cause du salut d'un homme ou d'un peuple, Dieu change le cours de la nature, qui appartient à l'ordre de l'univers, en quoi consiste son bien. Donc jamais Dieu n'agit contre le cours de la nature.

 

En sens contraire:

 

q. 6 a. 1 s. c. 1 Sed contra. A privatione in habitum non potest fieri regressus secundum naturam; fit autem operatione divina; unde dicitur Matth., XI, 5: caeci vident (...), surdi audiunt et cetera. Ergo Deus facit aliquid contra cursum naturae.

1. Après avoir été privée de ce qu'elle a, la nature ne peut faire un retour en arrière, mais il est fait par l'opération divine; c'est pour cela qu'il est dit en Mt. 11, 5:"Les aveugles voient... les sourds entendent" etc. Donc Dieu agit contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 s. c. 2 Praeterea, potestas superioris non dependet a potestate inferioris, nec secundum eam limitatur. Sed Deus est superior quam natura. Ergo non limitatur eius potentia secundum potentiam naturae; et sic nihil prohibet ipsum operari aliquid contra cursum naturae.

2. Le pouvoir du supérieur ne dépend pas du pouvoir de l'inférieur, et n'est pas limité par lui. Mais Dieu est supérieur à la nature. Donc sa puissance n'est pas limitée par la puissance de la nature; et ainsi rien ne l'empêche d'opérer contre le cours de la nature.

 

Réponse:

 

q. 6 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod absque omni dubio Deus in rebus creatis potest operari praeter causas creatas, sicut et ipse operatur in omnibus causis creatis, ut alibi ostensum est; et operando praeter causas creatas potest operari eosdem effectus quos eisdem mediantibus operatur, et eodem ordine, vel etiam alios, et alio ordine; et sic potest aliquid facere contra communem et solitum cursum naturae. Cuius veritatis manifestabitur ratio, si ea consideremus quae huic veritati adversari videntur: quae quidem sunt tria.

Il faut dire que, sans doute aucun que Dieu peut opérer dans les créatures, en dehors des causes créées, de même que lui-même opère en toutes les causes, comme on l'a montré ailleurs[10]; et en opérant en dehors des causes créées, il peut opérer les mêmes effets que ceux qu'il produit par leur intermédiaire et dans le même ordre, ou d'autres aussi dans un ordre différent; et ainsi il peut agir contre le cours commun et habituel de la nature. La raison de cette vérité deviendra manifeste, si nous considérons ce qui paraît s'opposer à la vérité; les objections sont au nombre de trois:

 

Primum est quorumdam antiquorum philosophorum opinio, qui posuerunt istas res corporeas non habere aliam causam superiorem quae sit eis causa essendi; et sic posuerunt eorum aliqui, ut Anaxagoras, intellectum causam alicuius motus in eis, ut segregationis. Secundum autem hanc positionem, a nulla causa supernaturali naturales formae, quae sunt naturalium actionum principia, possunt immutari, nec earum operationes impediri; et sic nihil potest fieri contra cursum naturae qui ex necessitate harum causarum corporalium ordinatur. Sed haec positio est falsa, quia oportet illud quod est principium in entibus, esse causam essendi omnibus aliis, sicut summe calidum est causa caliditatis omnibus aliis, ut dicitur in II Metaphys. Et de hoc plenius alibi tractatum est, ubi ostensum est quod nihil potest esse nisi a Deo.

1) La première objection est l'opinion de quelques philosophes anciens qui pensèrent que les corps n'avaient pas une autre cause supérieure qui soit pour eux cause d'être; et ainsi quelques-uns d'entre eux, comme Anaxagore, ont pensé que l'intellect était la cause du mouvement en eux, comme la séparation. Selon cette opinion, les formes naturelles, qui sont principes des actions naturelles, ne peuvent être modifiées par aucune cause surnaturelle ni leurs opérations empêchées; et ainsi rien ne peut être fait contre le cours de la nature qui est ordonné par la nécessité de ces causes corporelles. Mais cette position est fausse, parce qu'il faut que ce qui est le principe dans les êtres soit la cause d'être de tous les autres, de même que ce qui est suprêmement chaud est cause de la chaleur de toutes les autres objets, comme il est dit en Métaphysique (II, 1, 993 b 25[11]). Et on a traité cela plus abondamment ailleurs (Ia, qu. 44, a. 1), où on a montré que rien ne peut exister sinon par Dieu.

 

Secundum autem quod praedictam veritatem impedire potest, est opinio aliorum philosophorum, qui dixerunt, Deum esse causam omnium entium per eius intellectum. Sed dixerunt quod Deus de entibus habet universalem quamdam cognitionem in quantum cognoscit seipsum, et quod ipse est principium essendi omnibus entibus, non autem propriam de unoquoque. A scientia autem communi et universali non sequuntur particulares effectus, nisi mediantibus particularibus conceptionibus. Si enim sciam quod omnis fornicatio est fugienda, non fugiam hunc actum nisi accipiam hunc actum esse fornicationem. Et secundum hoc dicunt quidam, quod a Deo non progrediuntur effectus particulares nisi mediantibus causis aliis per ordinem, quarum superiores sunt magis universales, inferiores vero magis particulares; et secundum hoc Deus nihil poterit facere contra cursum naturae. Sed ista positio est falsa, nam cum Deus seipsum perfecte cognoscat, oportet quod cognoscat quidquid in ipso quocumque modo est. In eo autem est similitudo cuiuslibet causati, in quantum nihil esse potest quod eum non imitetur; unde oportet quod de omnibus propriam cognitionem habeat, sicut alibi plenius ostensum est.

2) La seconde objection qui peut s'opposer à cette vérité, c'est l'opinion d'autres philosophes qui ont dit que Dieu est cause de tous les êtres par son intelligence. Mais ils ont dit que Dieu a une connaissance universelle des êtres dans la mesure où il se connaît lui-même et qu'il est principe d'être pour tous, mais qu'il n'a pas une connaissance particulière de chacun. De la science commune et universelle ne découlent des effets particuliers, que par l'intermédiaire de conceptions particulières. Car si on savait qu'il faut fuir toute fornication, on ne la fuirait que si on sait que cet acte en est une. Et c'est pourquoi, ils disent que les effets particuliers ne viennent de Dieu que par l'intermédiaire d'autres causes dont les supérieures sont plus universelles et les inférieures plus particulières, et ainsi Dieu ne pourra rien faire contre le cours de la nature. Mais cette position est fausse, car, puisque Dieu se connaît parfaitement, il faut qu'il connaisse ce qui est en lui de quelque manière. En lui, il y a l'image de tout ce qui est causé dans la mesure où rien ne peut exister sans l'imiter. C'est pourquoi il faut qu'il ait une connaissance propre de tout, comme on l'a montré plus largement ailleurs ( Ia, qu. 14, per totum).

 

Tertium quod posset praedictam veritatem impedire, est positio quorumdam philosophorum, qui dixerunt, Deum ex necessitate naturae res agere; et sic oportet quod eius operatio determinetur ad istum cursum rerum qui est secundum naturam ordinatus; unde contra eum facere non poterit. Sed hoc etiam patet esse falsum, nam supra omne quod ex necessitate naturae agit, oportet aliquid esse quod naturam ad unum determinet, sicut alibi, ostensum est; unde impossibile est quod Deus, qui est primum agens, ex necessitate naturae agat; quod etiam in alia quaestione multipliciter ostensum est.

3) La troisième objection: qui pourrait aller contre cette vérité, est la position de certains philosophes[12] qui ont dit que Dieu crée par nécessité de nature; et ainsi il faut que son opération soit limitée à ce cours des choses qui est ordonné selon la nature, c'est pourquoi il ne pourrait pas agir contre lui. Mais il est clair que c'est faux, car au-dessus de tout ce qui agit par nécessité de nature, il faut qu'il existe quelque chose qui détermine la nature à un seul objet, comme on l'a montré ailleurs (Ia, qu. 19, a. 4); c'est pourquoi il est impossible que Dieu, qui est le premier agent, agisse par nécessité de nature, ce qui a été montré de multiples manières dans une autre question (qu.3, a.15).

 

His ergo tribus habitis, scilicet quod Deus sit rebus naturalibus causa essendi, et quod propriam cognitionem et providentiam habeat de unoquoque, et quod non agat ex necessitate naturae, sequitur quod potest praeter cursum naturae aliquid agere in particularibus effectibus, vel quantum ad esse, in quantum aliquam novam formam inducit rebus naturalibus quam natura inducere non potest, sicut formam gloriae; aut huic materiae, sicut visum in caeco; vel quantum ad operationem: in quantum retinet operationes rerum naturalium ne agant quod natae sunt agere, sicut quod ignis non comburat, ut patet Daniel. III, 24, vel quod aqua non fluat, ut patet de aqua Iordanis.

De ces trois objections 1) à savoir que Dieu est cause d'être dans les êtres naturels, 2) qu'il a une connaissance propre et une providence pour chacun, et 3) qu'il n'agit pas par nécessité de nature, il découle qu'il peut, en dehors du cours de la nature, agir dans des effets particuliers, ou quant à l'être dans la mesure où il peut induire une nouvelle forme dans les choses naturelles que la nature ne peut pas induire, comme la forme de gloire; ou à cette matière, comme la vue dans l'aveugle; ou quant à l'opération, dans la mesure où il empêche les opérations des choses naturelles de faire ce qu'elles sont destinées à faire, ainsi que le feu ne brûle pas, comme on le voit dans le livre de Daniel (3, 24) ou que l'eau ne coule pas , comme on le voit pour les eaux du Jourdain (Jos. 3, 16).

 

Solutions:

 

q. 6 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contra naturam particularem et Deus facit et etiam res naturales; quod enim ignis corrumpatur contra naturam particularem huius ignis est. Unde philosophus dicit, quod corruptio et senium et defectus omnis contra naturam est. Contra naturam vero universalem nulla res naturalis agit; dicitur enim natura particularis secundum ordinem particularis causae ad particularem effectum; natura vero universalis secundum ordinem primi agentis in natura, quod est caelum ad omnia inferiora agentia. Cum autem nullum inferiorum corporum agat nisi per virtutem caelestis corporis, impossibile est quod aliquod corpus naturale agat contra naturam universalem. Sed hoc ipsum quod aliquid agit contra naturam particularem, est secundum naturam universalem.

# 1. Dieu contre la nature particulière fait aussi des choses naturelles, car que le feu soit corrompu est contre sa nature particulière. C'est pourquoi Aristote dit (Le ciel et le monde, II, 6, 288 b 15[13]) que la corruption, la vieillesse et toute défaillance sont contre la nature. Rien de naturel n'agit contre la nature universelle, car on appelle particulière la nature selon le rapport d'une cause particulière à un effet particulier; mais on appelle universelle la nature selon le rapport du premier agent dans la nature qui est le ciel pour tous les agents inférieurs. Comme aucun des corps inférieurs n'agit que par la puissance du corps céleste, il est impossible qu'un corps naturel agisse contre la nature universelle. Mais agir contre la nature particulière dépend de la nature universelle.

 

Sicut autem caelum est causa universalis respectu inferiorum corporum, ita Deus est causa universalis respectu omnium entium, respectu cuius etiam ipsum caelum est causa particularis. Nihil enim prohibet unam et eamdem causam esse universalem respectu inferiorum et particularem respectu superiorum, sicut et in praedicabilibus accidit; nam animal, quod est universale respectu hominis, est particulare respectu substantiae. Sicut ergo per virtutem caeli potest aliquid fieri contra hanc naturam particularem, nec tamen est hoc contra naturam simpliciter, quia hoc est secundum naturam universalem, ita virtute Dei potest aliquid fieri contra naturam universalem, quae est ex virtute caeli; non tamen erit contra naturam simpliciter, quia erit secundum naturam universalissimam, quae consideratur ex ordine Dei ad omnes creaturas. Et ex hoc intellectu Augustinus dicit in Glossa inducta, quod Deus nihil contra naturam facit. Unde subiungitur, quia hoc est unicuique natura quod Deus facit.

Le ciel est cause universelle par rapport aux corps inférieurs, de même Dieu est cause universelle par rapport à tous les êtres, rapport dont le ciel même est la cause particulière. Car rien n'empêche qu'une seule et même cause soit universelle par rapport aux êtres inférieurs et particulière par rapport aux êtres supérieurs, comme cela arrive dans les prédicables[14], car l'animal qui est universel par rapport à l'homme, est particulier par rapport à la substance. Donc de même que quelque chose peut être fait par le pouvoir du ciel contre cette nature particulière et cependant ce n'est pas simplement contre la nature, parce que c'est selon la nature universelle, de même par le pouvoir de Dieu quelque chose peut être fait contre la nature universelle qui vient du pouvoir du ciel: cependant ce ne sera pas absolument contre la nature, parce que ce sera selon la nature la plus universelle qui est considérée par rapport de Dieu à toutes les créatures. Et pour l'avoir compris, Augustin dit, dans la glose citée, que Dieu ne fait rien contre la nature. C'est pourquoi il est ajouté parce que "C'est la nature que Dieu fait pour chacun".

 

q. 6 a. 1 ad 2 Et ex hoc etiam patet responsio ad secundum; nam in illa Glossa loquitur Augustinus de summa lege naturae quae attenditur secundum ordinem Dei ad omnes creaturas.

# 2. Et par là paraît la réponse à la seconde objection, car, dans cette glose, Augustin parle de la loi suprême de la nature qui s'étend selon l'ordre de Dieu à toutes les créatures.

 

q. 6 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ex dictis patet, licet Deus possit facere contra ordinem qui est unius creaturae ad aliam, quod est quasi naturae particularis respectu ipsius, non tamen potest facere contra ordinem creaturae ad se ipsum. Iustitia autem hominis consistit principaliter in debito ordine hominis ad Deum; unde contra ordinem iustitiae Deus facere non potest. Cursus autem naturae est secundum ordinem unius creaturae ad aliam, et ideo contra cursum naturae Deus facere potest.

# 3. Comme le montre ce qui a été dit, bien que Dieu puisse agir contre le rapport d'une créature à une autre, ce qui est pour ainsi dire d'une nature particulière par rapport à lui, cependant il ne peut agir contre le rapport de la créature à elle-même. La justice de l'homme consiste principalement dans le rapport que l'homme doit à Dieu, c'est pourquoi Dieu ne peut pas agir contre l'ordre de la justice. Mais le cours de la nature dépend du rapport d'une créature à une autre, et c'est pourquoi Dieu peut agir contre le cours de la nature.

 

q. 6 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Deus potest facere praeter causas naturales effectus in rebus corporalibus, ita potest facere praeter ministerium Angelorum; non tamen est eadem ratio faciendi praeter utrumque. Nam praeter causas naturales facit ut homo effectum, quem causis visibilibus attribuere non potest, in aliquam superiorem causam reducere cogatur, ut si ex visibili miraculo divina potentia manifestetur. Operationes autem Angelorum non sunt visibiles; unde eorum ministerium non impedit quin homo in divinae potentiae considerationem adducatur. Et propter hoc Augustinus non dicit quod praeter ministerium Angelorum non possit operari, sed quod non operatur.

# 4. Dieu peut produire en dehors des causes naturelles des effets dans les corps, de même il peut agir en dehors du ministère des anges; cependant ce n'est pas la même raison d'agir au-delà de l'un et l'autre. Car, au-delà des causes naturelles, il fait que l'homme est forcé de ramener l'effet qu'il ne peut pas attribuer à des causes visibles à une cause supérieure, comme si la puissance divine se manifestait par un miracle visible. Mais les opérations des anges ne sont pas visibles; c'est pourquoi leur ministère n'empêche pas que l'homme soit amené à considérer la puissance divine; et à cause de cela, Augustin ne dit pas qu'il ne pourrait pas opérer au-delà du ministère des anges mais qu'il n'opère pas.

 

q. 6 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut Deus non potest facere quod affirmatio et negatio sint simul vera, ita non potest facere ea quae sunt impossibilia in natura, in quantum praedictum impossibile in se claudunt sicut patet quod mortuum vivificare, claudit in se contradictionem, si ponatur a principio intrinseco naturaliter mortuus ad vitam redire, nam de ratione mortui est quod sit privatus principio vitae: unde Deus hoc non facit, sed facit quod mortuus ab exteriori principio vitam iterato acquirat; quod contradictionem non includit. Et eadem ratio est de aliis quae sunt impossibilia naturae, quae facere potest.

# 5. Dieu ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient vraies simultanément, de même il ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature, en tant que cela enferme en soi une chose qu'on affirme impossible, de même qu'il est clair que redonner vie à un mort, renferme en soi une contradiction, si on pense que le mort retourne à la vie naturellement par un principe intrinsèque, car il est de la nature du mort d'être privé du principe de vie. C'est pourquoi Dieu ne le fait pas, mais il fait que le mort acquiert la vie une seconde fois, à partir d'un principe extérieur; ce qui n'inclut pas de contradiction. Et c'est la même raison pour les autres impossibilités de la nature qu'il peut accomplir.

 

q. 6 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Deus non facit contra rationes naturales mutabili voluntate, nam Deus ab aeterno praevidit et voluit se facturum quod in tempore facit. Sic ergo instituit naturae cursum, ut tamen praeordinaretur in aeterna sua voluntate quod praeter cursum istum quandoque facturus erat.

# 6. Dieu n'agit pas contre les raisons naturelles en changeant de volonté, car il a prévu de toute éternité et il a voulu faire ce qu'il fait dans le temps. Ainsi donc il a institué le cours de la nature, de sorte cependant qu'il soit préordonné dans sa volonté éternelle qu'il agirait quelquefois en dehors de ce cours.

 

q. 6 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus faciendo praeter cursum naturae, non removet totum ordinem universi, in quo consistit bonum ipsius, sed ordinem alicuius particularis causae ad suum effectum.

# 7. Dieu, en agissant en dehors du cours de la nature, ne détourne pas tout le cours de l'univers, en quoi consiste son bien, mais le rapport de la cause particulière à son effet.

 

q. 6 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod malum poenae est contra ordinem unius partis universi ad aliam partem, et similiter malum cuiuslibet defectus naturalis; sed malum culpae est contra ordinem totius universi ad finem ultimum, eo quod voluntas, in qua est malum culpae, ab ipso ultimo fine universi deordinatur per culpam; et ideo huiusmodi mali Deus causa esse non potest; contra hunc enim ordinem agere non potest, licet posset agere contra ordinem primum.

# 8. Le mal du châtiment est contre l'ordre d'une partie de l'univers pour une autre et de même le mal d'une défaillance naturelle, mais le mal de la faute est contre l'ordre de tout l'univers quant à la fin dernière, parce que la volonté, en qui se trouve le mal de la faute est détournée de sa fin ultime de l'univers par la faute, et c'est pourquoi Dieu ne peut pas être cause d'un mal de ce genre. Car il ne peut pas agir contre cet ordre, bien qu'il le puisse contre l'ordre premier.

 

q. 6 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod miraculum non fit a Deo nisi in creaturis praeexistentibus, quae alio modo in operibus sex dierum praeextiterunt. Unde opera miraculosa materialiter in operibus sex dierum praecesserunt, licet tunc non oportuerit aliquid miraculose fieri contra cursum naturae, quando natura instituebatur.

# 9. Dieu ne fait un miracle que dans les créatures préexistantes, qui ont préexisté d'une autre manière dans les opérations des six jours. C'est pourquoi les opérations miraculeuses ont précédé matériellement dans les opérations des six jours, bien qu'alors il n'aurait pas fallu que quelque chose soit fait miraculeusement contre le cours de la nature, quand elle était instituée.

 

q. 6 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod natura est causa ordinationis in omnibus naturalibus, non autem in omnibus simpliciter.

# 10. La nature est la cause de la mise en ordre dans tout ce qui est naturel, mais pas absolument dans tout.

 

q. 6 a. 1 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod logicus et mathematicus considerant tantum res secundum principia formalia; unde nihil est impossibile in logicis vel mathematicis, nisi quod est contra rei formalem rationem. Et huiusmodi impossibile in se contradictionem claudit, et sic est per se impossibile. Talia autem impossibilia Deus facere non potest. Naturalis autem applicat ad determinatam materiam: unde reputat impossibile etiam id quod est huic impossibile. Nihil autem prohibet Deum posse facere quae sunt inferioribus agentibus impossibilia.

# 11. Le logicien et le mathématicien considèrent les objets seulement selon les principes formels; c'est pourquoi rien n'est impossible en logique ou en mathématiques, sinon ce qui est contre la raison formelle de l'objet. Et une telle impossibilité enferme en soi une contradiction et ainsi elle est impossible par soi. Des telles impossibilités, Dieu ne peut pas les faire. Le naturel ajoute à une matière limitée, c'est pourquoi il évalue comme impossible ce qui est impossible pour lui. Mais rien n'empêche Dieu de pouvoir faire ce qui est impossible aux agents inférieurs.

 

q. 6 a. 1 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod ars divina non totam seipsam explicat in creaturarum productione; et ideo secundum artem suam potest alio modo aliquid operari quam habeat cursus naturae; unde non sequitur quod si potest facere contra cursum naturae, possit facere contra suam artem: nam et homo artifex potest aliud artificiatum facere per suam artem contrario modo quam prius fecit.

# 12. L'art divin ne se déploie pas tout lui-même dans la production des créatures, et ainsi selon son art, il peut opérer d'une autre manière que celle du cours de la nature; c'est pourquoi il n'en découle pas que, s'il peut agir contre le cours de la nature, il puisse le faire contre son art, car l'artisan peut faire un autre ouvrage par son art, d'une manière contraire à ce qu'il a fait d'abord.

 

q. 6 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod philosophus loquitur de his quae in natura aguntur: ea enim aguntur sicut apta nata sunt agi.

# 13. Le philosophe parle de ce qui est fait dans la nature; car ces choses sont faites comme elles sont destinées à être faites

 

q. 6 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod cursum naturae servari est conveniens, secundum quod est a divina providentia ordinatus; unde si ordo divinae providentiae habet quod aliquid secus agatur, non est inconveniens.

# 14. Il convient de conserver le cours de la nature, selon qu'il est ordonné par la providence divine, c'est pourquoi si l'ordre de la providence divine a quelque chose à faire autrement, cela ne présente pas d'inconvénient.

 

q. 6 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod non dicitur aliquid esse falsum simpliciter et alicui, sicut aliquid dicitur esse impossibile simpliciter et alicui, sed esse falsum simpliciter; unde Deus non potest scire aliquod falsum, sicut non potest facere aliquid impossibile: quod simpliciter est impossibile; et tamen sicut potest facere aliquid impossibile alicui, ita potest facere aliquid ignotum alicui.

# 15. On ne dit pas que quelque chose est faux absolument et pour quelqu'un; de même qu'on ne dit pas qu'une chose est impossible absolument et pour quelqu'un, mais est absolument fausse; c'est pourquoi, Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux, de même qu'il ne peut pas faire ce qui est impossible; parce que c'est absolument impossible et cependant de même qu'il peut faire quelque chose d'impossible à quelqu'un, de même il peut faire quelque chose ignoré de quelqu'un.

 

q. 6 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod omne per accidens reducitur ad aliquid quod est per se: unde nihil prohibet aliquid quod est per accidens, ad id quod est per se reductum, esse magis tale: sicut nix sua albedine disgregat visum magis quam albedo parietis, eo quod albedo nivis est maior albedine parietis: similiter remotio cursus Socratis est impossibilis per hoc quod reducitur ad hoc impossibile per se, praeteritum non fuisse, quod contradictionem implicat: unde nihil prohibet hoc esse magis impossibile quam id quod est impossibile alicui, quamvis non sit impossibile per accidens.

# 16. Tout ce qui est par accident est ramené à ce qui est par soi; c'est pourquoi rien n'empêche que ce qui est par accident, ramené ramené à ce qui est par soi, soit plus de telle nature. Ainsi la neige abîme la vue par sa blancheur plus que la blancheur du mur, parce qu'elle est plus grande en blancheur que lui. De même supprimer la marche de Socrate est impossible, parce que c'est ramené à cet impossible par soi que le passé n'ait pas existé, ce qui implique contradiction; c'est pourquoi rien n'empêche que cela soit plus impossible par soi, que ce qui est impossible à quelqu'un, quoiqu'il ne soit pas impossible par accident.

 

q. 6 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in re qualibet naturali est naturalis ordo et habitudo ad causas omnes superiores: et inde est quod illa quae fiunt in corporibus inferioribus ex impressione caelestium corporum, non sunt violenta, licet videantur esse contraria naturalibus motibus inferiorum corporum, ut patet in fluxu et refluxu maris, qui sequitur motum lunae. Et multo minus est violentum quod a Deo fit in istis inferioribus.

# 17. Dans n'importe quelle chose naturelle, il y a un ordre naturel[15] et une relation à toutes les causes supérieures, et de là vient que ce qui est fait dans les corps inférieurs par l'induction des corps célestes n'est pas violent, bien que cela paraisse être contraire aux mouvements naturels des corps inférieurs, comme on le voit dans le flux et le reflux de la mer qui suit le mouvement de la lune. Et ce qui est fait par Dieu dans les (corps) inférieurs est beaucoup moins violent.

 

q. 6 a. 1 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod quanto aliqua virtus activa est altior, tanto eamdem rem potest perducere in altiorem effectum: unde natura potest ex terra facere aurum aliis elementis commixtis, quod ars facere non potest; et inde est quod res aliqua est in potentia ad diversa secundum habitudinem ad diversos agentes. Unde nihil prohibet quin natura creata sit in potentia ad aliqua fienda per divinam potentiam, quae inferior potentia facere non potest: et ista vocatur potentia obedientiae, secundum quod quaelibet creatura creatori obedit.

# 18. Plus un pouvoir actif est élevé, plus il peut mener une même chose à un effet plus élevé: c'est pourquoi la nature peut faire de l'or avec de la terre et d'autres éléments mélangés, ce que l'art ne peut pas faire et de là vient qu'une chose est en puissance à différents objets selon la relation à des agents différents. C'est pourquoi rien n'empêche que la nature créée ait la puissance de faire quelque chose par la puissance divine, ce qu'une puissance inférieure ne peut pas faire; et on l'appelle puissance d'obédience, selon que n'importe quelle créature obéit au créateur.

 

q. 6 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod ordinatio cuiuslibet rei creatae ad suam operationem est a Deo; unde si ex divina providentia praeter rerum naturalium operationem producitur aliquis effectus, non est inconveniens.

# 19. La mise en rapport de n'importe quelle créature à son opération vient de Dieu; c'est pourquoi si la providence divine produit un effet au-delà de l'action de l'opération des choses naturelles, cela n'a pas d'inconvénient.

 

q. 6 a. 1 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod licet Deus faciat aliquem effectum praeter actionem causae naturalis, non tamen tollit ordinem causae ad suum effectum; unde et in igne fornacis remanebat ordo ad comburendum, licet non combureret tres pueros in camino.

# 20. Bien que Dieu produise un effet au-delà de l'action de la cause naturelle, il n'enlève cependant pas le rapport de la cause à son effet. C'est pourquoi dans le feu de la fournaise demeurait le pouvoir de brûler, bien qu'il n'y brûlât pas les trois enfants.

 

q. 6 a. 1 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod quando Deus agit aliquid contra cursum naturae, non tollitur totus ordo universi, sed cursus qui est ex ordine unius particularis rei ad aliam. Unde non est inconveniens, si aliquando contra cursum naturae aliquid fiat ad salutem hominis, quae consistit in ordinatione ipsius ad ultimum finem universi.

# 21. Quand Dieu agit contre le cours de la nature, il n'enlève pas tout l'ordre de l'univers, mais il change le cours du rapport d'une chose particulière à une autre. C'est pourquoi il n'y a aucune inconvenance si quelquefois il agit contre le cours de la nature pour le salut de l'homme, ce qui consiste à l'ordonner à la fin ultime de l'univers.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 105, a. 6 – qu. 106, a. 3– CG. III, 98, 99* Ð Compendium. 136.

 

[2] En Ia, qu. 105, a. 6, obj. 2, l'ordre de la nature vient de la justice de Dieu.

 

[3] Il s'agit du principe de contradiction .

 

[4] Métaphysique, VII, 3, 1029 a 20: "J'appelle nature ce qui n'est par soi ni existence déterminée, ni d'une certaine quantité, ni d'aucune autre des catégories par lesquelles l'Etre est déterminé." (Trad. J. Tricot).

 

[5] Rm. 13, 1: "Non est enim potestas nisi a Deo, quae autem sunt, a Deo ordinatae sunt". "Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu." B.J.

 

[6] "...selon qu'on fait une chose, ainsi se produit-elle par nature, et selon que la nature produit une chose ainsi la fait-on à moins d'empêchements." Texte d'Aristote, Thomas, II, lect. 13, n° 257.

 

[7] Cf. qu. 1, a. 3, obj. 4.

 

[8] "Car il y a une seule chose dont Dieu même est privé: c'est de faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été." (Citation d'Agathon, tragique grec du Ve siècle a.c..

 

[9] On admet d'ordinaire qu'un acte est involontaire quand il est fait sous la contrainte... Est fait par contrainte tout ce qui a son principe hors de nous, c'est-à-dire un principe dans lequel on ne relève aucun concours de l'agent ou du patient". Trad. J. Tricot.

 

[10] Pot. qu. 3, a. 7.

 

[11] "...la chose qui, parmi les autres, possède éminemment une nature est toujours celle dont les autres choses tiennent en commun cette nature, par exemple le feu est chaud par excellence, parce que, dans les autres êtres, il est la cause de la chaleur." (Trad. J. Tricot).

 

[12] Dont Avicenne.

 

[13] Texte Aristote: "Chez les animaux, tous les manques de force, comme la vieillesse et l'affaiblissement, sont, eux, contraire à la nature."

 

[14] Les prédicables sont au nombre de cinq: le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident.

 

[15] Cf. Ia, qu. 105, a. 6, ad 1m.

 

 

Article 2: Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature?

q. 6 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum omnia quae Deus facit praeter causas naturales vel contra cursum naturae, possint dici miracula.Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

Objections:

q. 6 a. 2 arg. 1 Quia sicut ex verbis Augustini haberi potest, miraculum est aliquid arduum et insolitum, supra facultatem naturae et praeter spem admirantis apparens. Aliquando autem Deus operatur contra cursum naturae etiam in minimis rebus, sicut cum ex aqua fecit vinum, Ioan. II; quae tamen operatio praeter operationem causarum naturalium fuit. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, miracula dici possunt.

1. Parce que, comme on peut le conclure des paroles d'Augustin (Sur l'Évangile de Jean, 8 et Trin. III, 5) le miracle est "quelque chose d'ardu et d'insolite qui dépasse les possibilités de la nature et apparaît au-delà de l'espérance de celui qui le voit avec étonnement." Quelquefois Dieu opère contre le cours de la nature, même dans les plus petites choses: par exemple, quand il fit du vin avec de l'eau (Jn 2): cette opération fut cependant au-delà de celle des causes naturelles. Donc ce n'est pas tout ce que Dieu fait au-delà des causes naturelles qui peut être appelé miracle.

q. 6 a. 2 arg. 2 Praeterea, quod frequenter accidit, non potest insolitum dici. Sed huiusmodi operationes divinae praeter causas naturales apostolorum tempore frequenter fiebant: unde dicitur Act. V, 15, quod in plateis ponebantur infirmi, et cetera. Ergo huiusmodi non erant insolita, et ita non erant miracula.

2. On ne peut pas dire que ce qui arrive fréquemment soit inhabituel. Mais de telles opérations divines au-delà des causes naturelles arrivaient fréquemment du temps des Apôtres. C'est pourquoi il est dit (Act 5, 15) qu'on mettait les malades sur les places, etc.. Donc les événements de ce genre n'étaient pas inhabituels et ainsi ce n'étaient pas des miracles.

q. 6 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod natura potest operari non est supra facultatem naturae. Sed quandoque divinitus fiunt praeter naturales causas quae etiam natura facere posset, sicut patet cum dominus curavit socrum Petri a febribus quibus tenebatur, ut dicitur Luc. IV, 38-39. Ergo non fuit supra facultatem naturae, et ita non fuit miraculum.

3. Ce que la nature peut opérer n'est pas au-dessus de ses possibilités. Mais quelquefois ce que la nature pourrait faire aussi se fait de manière divine au-delà des causes naturelles, comme on le voit quand le Seigneur a guéri la belle-mère de Pierre des fièvres qui la tenaient, comme il est dit en Lc 4, 38 s.. Donc ce ne fut pas au-dessus des possibilités de la nature et ainsi ce ne fut pas un miracle.

q. 6 a. 2 arg. 4 Praeterea, mortuum reviviscere, non potest contingere per operationem naturalis causae. Sed resuscitatio mortuorum, qua Deus in fine omnes mortuos vivificabit, est a sanctis expectata; unde in symbolo dicitur: expecto resurrectionem mortuorum. Ergo non omne illud quod Deus operatur praeter causas naturales, est praeter spem humanam, et ita non est miraculum.

4. Faire revenir à la vie un mort ne peut pas arriver par l'opération d'une cause naturelle. Mais la résurrection des morts par laquelle Dieu ramènera à la vie tous les morts à la fin, est attendue par les saints; c'est pourquoi il est dit dans le "symbole" (des Apôtres): "J'attends la résurrection des morts". Donc ce n'est pas tout ce que Dieu opère au-delà des causes naturelles qui dépasse l'espérance des hommes. Et ainsi ce n'est pas un miracle.

q. 6 a. 2 arg. 5 Praeterea, creatio caeli et terrae, et etiam creatio animarum rationalium est a Deo praeter alias causas agentes: solus enim Deus creare potest, ut in alia quaestione, est habitum. Sed tamen haec non possunt dici miracula: quia haec non fiunt ad gratiae ostensionem, propter quam solam fiunt miracula, ut Augustinus dicit, sed ad naturae institutionem. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, possunt dici miracula.

5. La création du ciel et de la terre et même celle des âmes douées de raison vient de Dieu au-delà des autres causes efficientes; car seul il peut créer, comme on l'a vu dans une autre question (qu. 3 a. 1 et 4). Mais cependant on ne peut pas appeler cela des miracles; parce que ce n'est pas fait pour montrer la grâce, ce pourquoi seul sont faits les miracles, comme Augustin le dit, mais c'est pour la constitution de la nature. Donc tout ce que Dieu fait au-delà des causes naturelles ne peut pas être appelé miracle.

q. 6 a. 2 arg. 6 Praeterea, iustificatio impii fit a solo Deo praeter causas naturales; nec est miraculum, sed magis finis miraculi: ad hoc enim miracula fiunt, ut homines convertantur ad Deum. Ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt miracula.

6. La justification de l'impie est accomplie par Dieu seul au-delà des causes naturelles; ce n'est pas un miracle, mais plutôt le but du miracle. Car les miracles sont faits pour convertir les hommes à Dieu. Donc tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles n'est pas miracle.

q. 6 a. 2 arg. 7 Praeterea, magis est mirum quod aliquid fiat a minus potente quam a magis potente. Sed Deus est potentior quam natura: cum autem natura aliquid operatur, non dicitur esse miraculum, sicut cum operatur sanationem infirmi, vel aliquid huiusmodi. Ergo multo minus potest dici miraculum, quando Deus illud operatur.

7. Plus étonnant est ce qui est fait par quelqu'un de moins puissant que par un plus puissant. Mais Dieu est plus puissant que la nature; or quand la nature fait quelque chose, on ne l'appelle pas miracle, comme quand elle opère la guérison d'un malade, ou autres choses de ce genre. Donc on peut beaucoup moins l'appeler miracle quand Dieu le fait.

q. 6 a. 2 arg. 8 Praeterea, monstra fiunt contra naturam, nec tamen dicuntur miracula. Ergo non omnia quae contra naturam fiunt, miracula dici possunt.

8. Les prodiges se font contre la nature et cependant on ne les appelle pas miracles. Donc tout ce qui est fait contre la nature ne peut être appelé miracle.

q. 6 a. 2 arg. 9 Praeterea, miracula fiunt ad fidei confirmationem. Sed incarnatio verbi non est ad confirmationem fidei tamquam fidei argumentum, sed magis est sicut fidei obiectum. Ergo non est miraculum: et tamen hoc solus Deus facit nulla alia causa agente: ergo non omnia quae Deus facit praeter causas naturales, sunt miracula.

9. Les miracles sont faits pour affermir la foi. Mais l'Incarnation du Verbe n'est pas pour l'affermir en tant qu'argument de foi, mais plutôt en tant qu'objet de foi. Donc ce n'est pas un miracle et cependant Dieu seul le fait sans aucune autre cause efficiente; donc ce n'est pas tout ce que Dieu fait au-delà des causes naturelles qui est un miracle

En sens contraire:

q. 6 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Augustinus, dicit, quod triplex est rerum cursus: naturalis, voluntarius et mirabilis. Ea autem quae solus Deus operatur praeter causas naturales, non pertinent ad cursum rerum naturalium, nec ad voluntarium, quia nec natura, nec voluntas creata in eis operatur. Ergo pertinet ad cursum mirabilem, et ita sunt miracula.

1. Augustin (Anselme, Le péché originel, ch. 2) dit que le cours des choses est triple: naturel, volontaire et merveilleux. Ce que Dieu seul opère au-delà des causes naturelles n'appartient pas à un concours des choses naturelles, ni à ce qui est volontaires, parce que, ni la nature, ni la volonté créée n'opèrent en eux. Donc il appartient à un concours admirable et ainsi c'est un miracle.

q. 6 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Richardus de s. Victore dicit, quod miraculum est opus creatoris, manifestativum divinae virtutis. Huiusmodi autem sunt quae a Deo praeter causas naturales fiunt. Ergo sunt miracula.

2. Richard de Saint Victor dit que le miracle est l'oeuvre du Créateur, qui manifeste sa puissance divine. Ce qui est fait par Dieu au-delà des causes naturelles est de ce genre. Donc ce sont des miracles.

Réponse:

q. 6 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod miraculi nomen a mirando est sumptum. Ad admirationem autem duo concurrunt, ut potest accipi ex verbis philosophi in principio metaphysicorum: quorum unum est, quod causa illius quod admiramur, sit occulta; secundum est quod in eo quod miramur, appareat aliquid per quod videatur contrarium eius debere esse quod miramur, sicut aliquis posset mirari si videret ferrum ascendere ad calamitam, ignorans calamitae virtutem, cum videatur quod ferrum naturali motu debeat tendere deorsum.

Le nom miracle vient de "admirer" (s'étonner). Deux aspects concourent à l'admiration, comme on peut le tirer des paroles du philosophe au début de la Métaphysique (I, 2, 982 b 11-21.[2]).

1) Dont l'une est que la cause de ce qui étonne est cachée.2) La seconde est que dans ce qui nous étonne apparaît ce par quoi il semble que c'est son contraire dont on devrait s'étonner; par exemple quelqu'un pourrait s'étonner s'il voyait le fer monter vers un aimant, ignorant son pouvoir[3]. Puisqu'il semble que le fer par un mouvement naturel doit tendre vers le bas.

Hoc autem contingit dupliciter: uno modo secundum se; alio modo quo ad nos.

Quo ad nos quidem, quando causa effectus quem miramur, non est occulta simpliciter, sed occulta huic vel illi; nec in re quam miramur est dispositio repugnans effectui quem miramur, secundum rei veritatem, sed solum secundum opinionem admirantis: et ex hoc contingit quod id quod est uni mirum vel admirabile, non est mirum vel admirabile alteri, sicut sciens virtutem calamitae per doctrinam vel per experimentum, non miratur praedictum effectum; ignorans autem miratur.

Cela arrive de deux manières: en soi, et selon nous.

1) Selon nous, quand la cause de l'effet qui nous étonne n'est pas absolument cachée, mais cachée à celui-ci ou à celui-là. Et dans ce qui nous étonne, il n'y a pas de disposition qui s'oppose à l'effet dont nous nous étonnons, selon la vérité de la chose, mais selon l'opinion de celui qui s'étonne, et de là vient que ce qui est étonnant ou admirable pour l'un, ne l'est pas pour un autre, de même que celui qui connaît le pouvoir de l'aimant par science ou expérience, ne s'étonne pas de cet effet, mais l'ignorant s'en étonne.

Secundum se autem aliquid est mirum vel admirabile, cuius causa simpliciter est occulta, et quando in re est contraria dispositio secundum naturam effectui qui apparet, et ista non solum possunt dici mira in actu, vel mira in potentia, sed etiam miracula, quasi habentia in se admirationis causam. Causa autem occultissima et remotissima a nostris sensibus est divina, quae in rebus omnibus secretissime operatur: et ideo illa quae sola virtute divina fiunt in rebus illis in quibus est naturalis ordo ad contrarium effectum vel ad contrarium modum faciendi, dicuntur proprie miracula; ea vero quae natura facit, nobis tamen vel alicui nostrum occulta, vel etiam quae Deus facit, nec aliter nata sunt fieri nisi a Deo, miracula dici non possunt, sed solum mira vel mirabilia.

2) En soi est étonnant ou admirable ce dont la cause est simplement cachée et quand il y a dans la chose selon la nature une disposition contraire à l'effet qui apparaît, et on peut non seulement appeler cela étonnant en acte ou en puissance, mais encore l'appeler miracle, comme ayant en soi une cause d'étonnement. Mais la cause la plus cachée et la plus éloignée de nos sens est divine, elle qui agit très secrètement en tout; et c'est pourquoi ce qui est fait par le seul pouvoir divin dans ces choses où il y a un ordre naturel à un effet contraire ou à une manière contraire de le produire, est appelé proprement miracle; ce que la nature fait, cependant caché pour nous ou pour l'un des nôtres, ou même ce que Dieu fait, et qui n'est destiné à être produit autrement que par Dieu, ne peut pas être appelé miracle, mais seulement étonnant ou merveilleux[4].

Et ideo in definitione miraculi ponitur aliquid quod excedit naturae ordinem, in hoc quod dicitur, supra facultatem naturae, cui ex parte rei mirabilis respondet quod dicitur arduum. Et ponitur etiam aliquid quod excedit nostram cognitionem, in hoc quod dicitur praeter spem admirantis apparens; cui ex parte rei mirabilis respondet quod dicitur insolitum. Nam per consuetudinem aliquid in nostram notitiam familiarius venit.

C'est pourquoi dans la définition du miracle, on place quelque chose qui excède l'ordre de la nature, en disant (qu'il est) au-dessus des possibilités de la nature, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce qui est appelé ardu. Et on pense à quelque chose qui dépasse notre connaissance, en disant que ce qui apparaît est au-delà de l'espérance de celui qui le voit avec étonnement, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce qu'on appelle inhabituel. Car par l'habitude quelque chose devient plus familier à notre connaissance.

Solutions:

q. 6 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod arduum quod ponitur in definitione miraculi, non pertinet ad rei magnitudinem secundum se consideratam, sed per comparationem ad facultatem naturae. Unde quod in quacumque parva re Deus operatur quod natura operari non potest, hoc arduum reputatur.

# 1. Ardu qui appartient à la définitions du miracle, ne convient pas à la grandeur de l'événement considérée en soi, mais par comparaison aux possibilités de la nature. C'est pourquoi ce que fait Dieu en chaque petite chose, que la nature ne peut pas faire, est considéré comme "ardu".

q. 6 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod insolitum dicitur miraculum, quia est contra consuetum cursum naturae, etiam si quotidie iteraretur, sicut transubstantiatio panis in corpus Christi frequentatur quotidie, nec tamen desinit esse miraculum: magis enim debet dici solitum quod in toto ordine universi communiter accidit quam quod in una sola re contingit.

# 2. On dit que le miracle est inhabituel, parce qu'il est contre le cours habituel de la nature, même s'il se renouvelle chaque jour, comme la transsubstantiation du pain en corps du Christ est réitérée fréquemment chaque jour, et cependant elle ne cesse pas d'être un miracle; car on doit le dire habituel que ce qui arrive communément dans tout l'ordre de l'univers plus que ce qui arrive dans une seule chose.

q. 6 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa ea quae Deus miraculose facit, talis solet adhiberi distinctio, quod quaedam dicantur fieri supra naturam, quaedam contra naturam, quaedam praeter naturam.

# 3. A propos de ce que Dieu accomplit miraculeusement, on a l'habitude d'appliquer une distinction telle que certaines actions sont dites au-dessus de la nature, certaines contre, et d'autres au-delà.

Supra naturam quidem, in quantum in illum effectum quem Deus facit, natura nullo modo potest; quod quidem contingit dupliciter:

A) Au-dessus de la nature dans la mesure où dans cet effet que Dieu produit, la nature ne peut rien faire en aucune manière, ce qui arrive de deux façons:

vel quia ipsa forma inducta a Deo, omnino a natura induci non potest, sicut forma gloriae, quam inducet Deus corporibus electorum, et sicut etiam incarnatio verbi;

a) Ou bien parce que la forme même, induite par Dieu, ne peut absolument pas l'être par la nature, comme la forme de gloire que Dieu induit dans le corps des élus, et aussi l'Incarnation du Verbe.

vel quia etsi talem formam possit in aliquam materiam inducere, non tamen in istam: sicut ad causandum vitam natura potens est; sed quod in hoc mortuo natura vitam causet, hoc facere non potest.

b) Ou parce que, même si elle pouvait induire une telle forme dans la matière, ce n'est cependant pas dans celle-ci: ainsi la nature a pouvoir de causer la vie; mais la nature ne peut pas la causer dans ce mort.

Contra naturam esse dicitur, quando in natura remanet contraria dispositio ad effectum quem Deus facit, sicut quando conservavit pueros illaesos in camino, remanente virtute comburendi in igne, et quando aqua Iordanis stetit, remanente gravitate in ea, et simile est quod virgo peperit.

B) On dit que c'est contre la nature quand en elle demeure une disposition contraire à l'effet que Dieu produit, comme quand il a conservé sans blessure les enfants dans la fournaise, alors que le pouvoir de brûler demeurait dans le feu et comme quand l'eau du Jourdain s'arrêta, tout en conservant sa gravité, et il en est de même pour l'enfantement de la Vierge.

Praeter naturam autem dicitur Deus facere, quando producit effectum quem natura producere potest, illo tamen modo quo natura producere non potest, vel quia deficiunt instrumenta quibus natura operatur (sicut cum Christus convertit aquam in vinum, Ioan. II, 3-11, quod tamen natura aliquo modo facere potest, dum aqua in nutrimentum vitis assumpta, suo tempore in succum uvae per digestionem producitur), vel quia est in divino opere maior multitudo quam natura facere consuevit, sicut patet de ranis quae sunt productae in Aegypto; vel quantum ad tempus, sicut cum statim ad invocationem alicuius sancti aliquis curatur, quem natura non statim, sed successive, et alio tempore, non in isto curare posset: et sic accidit in miraculo inducto de socru Petri. Unde patet quod omnia huiusmodi, si accipiatur et modus et factum, facultatem naturae excedunt.

C) On dit que Dieu agit au delà de la nature, quand est produit un effet que la nature peut produire, cependant d'une manière dont la nature ne peut pas le produire, ou parce que les instruments par lesquels la nature opère sont défaillants (ainsi quand le Christ change l'eau en vin (Jn 2, 3-11), ce que cependant la nature peut faire d'une autre manière, quand l'eau est prise en nourriture par la vigne, en son temps, et devient le suc du raisin par absorption), ou bien parce que dans l'oeuvre divine il y a une plus grande multitude que la nature n'a pas coutume de produire, comme on le voit pour les grenouilles produites en Égypte; ou quant au temps, comme quand à l'invocation d'un saint quelqu'un est aussitôt guéri, ce que la nature ne (peut faire) aussitôt mais successivement, et dans un autre temps, [mais] elle ne pourrait le guérir en ce temps; et cela arriva ainsi dans le miracle rapporté à propos de la belle-mère de Pierre. C'est pourquoi il apparaît que tous les événements de ce genre, si on prend la manière et le résultat, dépassent le pouvoir de la nature.

q. 6 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod resurrectio mortuorum futura est praeter spem naturae, licet non sit praeter spem gratiae: de qua duplici spe habetur Rom. IV, 18: in spem contra spem credidit.

# 4. La résurrection future des morts est au-delà de l'espérance de la nature, bien qu'elle ne soit pas au-delà de l'espérance de la grâce. De cette double espérance, il est question en Rm 4, 18: "Il crut contre toute espérance."

q. 6 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caelum et terra et etiam animae rationales non sunt secundum ordinem naturalem nata creari ab alia causa quam a Deo: et ideo huiusmodi rerum creationes non sunt miracula.

# 5. Le ciel et la terre et aussi les âmes rationnelles dans l'ordre de la nature ne sont pas destinés à être créés par une autre cause que Dieu. Et c'est pourquoi de telles créations ne sont pas des miracles.

q. 6 a. 2 ad 6 Et similiter dicendum ad sextum de iustificatione impii.

# 6. On doit en dire autant de la justification de l'impie.

q. 6 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ea quae fiunt a natura, fiunt etiam a Deo; sed ea quae Deus miraculose facit, non fiunt a natura, et ideo ratio non procedit. Et praeterea, natura operans est causa manifesta nobis. Deus autem est causa occulta; et propter hoc magis miramur opera Dei quam opera naturae.

# 7. Ce qui est fait par la nature, est aussi fait par Dieu; mais ce que Dieu accomplit miraculeusement n'est pas fait par la nature et c'est pourquoi cette raison ne convient pas. Et en outre la nature qui opére est une cause évidente pour nous. Mais Dieu est une cause cachée; et c'est pour cela que nous admirons plus les oeuvres de Dieu que les oeuvres de la nature.

q. 6 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod monstra licet fiant contra naturam particularem, non tamen fiunt contra naturam universalem.

# 8. Bien que les prodiges soient faits contre une nature particulière, ils ne sont pas faits contre la nature universelle.

q. 6 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod incarnatio verbi est miraculum miraculorum, ut sancti dicunt, quia est maius omnibus miraculis, et ad istud miraculum omnia alia ordinantur: et propter hoc non solum est inducens ad alia credendum, sed etiam alia miracula inducunt ad hoc quod ipsum credatur. Nihil enim prohibet unum miraculum inducere ad fidem alterius, sicut resuscitatio Lazari inducit ad futuram resurrectionem credendam.

# 9. L'Incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme le disent les saints, parce qu'il est plus grand que tous les miracles et tous les autres lui sont ordonnés et c'est pour cela qu'il n'incite pas seulement à croire à d'autres choses mais aussi les autres miracles amènent à croire en lui. Car rien n'empêche un miracle de conduire à la foi pour un autre, comme la résurrection de Lazare amène à croire à la résurrection future.

[1] Ia, qu. 105, a. 7 – CG. III, 101 – II Sent. d18q1a3 – <sp

 

Article 3: Les créatures spirituelles peuvent-elles accomplir des miracles par leur pouvoir naturel?

q. 6 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum creaturae spirituales sua naturali virtute possint miracula facere. Et videtur quod sic.

Il semble oui.

Objections[1]:

q. 6 a. 3 arg. 1 Quod enim potest virtus inferior, multo magis potest virtus superior. Sed virtus creaturae spiritualis est supra virtutem naturae corporalis: unde dicitur Iob XLI, 24: non est potestas super terram quae ei possit comparari. Ergo creatura spiritualis potest facere illos effectus quos natura facit. Quando autem effectus naturalis fit non a causa naturali, sed occulta, est miraculum. Ergo creatura spiritualis potest facere miracula.

1. Car ce que peut un pouvoir inférieur, un pouvoir supérieur le peut beaucoup plus. Mais le pouvoir de la créature spirituelle est au-dessus de celui de la nature corporelle: c’est pourquoi il est dit en Job, 41, 24: "Il n’y a pas de pouvoir sur terre qui puisse lui être comparé[2]." Donc la créature spirituelle peut produire les effets que produit la nature. Mais quand l’effet naturel se produit non par une cause naturelle, mais par une cause cachée, c’est un miracle. Donc la créature spirituelle peut faire des miracles.

q. 6 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est magis actu, tanto est magis activum, eo quod unumquodque agit in quantum actu est. Sed formae quae sunt creaturae rationales, sunt magis actuales quam formae quae sunt in creatura corporali, eo quod sunt magis immateriales. Ergo sunt magis activae. Sed formae quae sunt in natura corporali, producunt sui similes in natura. Ergo multo magis possunt hoc facere formae quae sunt in mente creaturae spiritualis; et sic poterit creatura rationalis facere effectus naturales praeter causas naturales: quod est miraculosum.

2. Plus une chose est en acte, plus elle peut agir, parce que chacun agit en tant qu'il est en acte. Mais les formes que sont les créatures raisonnables, sont plus en acte que celles qui sont dans la créature corporelle, parce qu’elles sont plus immatérielles. Donc elles sont plus actives. Mais les formes qui sont dans une nature corporelle, produisent du semblable à elles en nature. Donc les formes qui sont dans l’esprit de la créature spirituelle peuvent beaucoup plus le faire et ainsi la créature raisonnable pourra produire des effets naturels au-delà des causes naturelles; ce qui est miraculeux.

q. 6 a. 3 arg. 3 Praeterea, intellectus Angeli est propinquior divino intellectui quam intellectus humanus. Sed in intellectu humano sunt aliquae formae activae, quae scilicet sunt in intellectu practico, ut formae artis. Ergo multo fortius in intellectu Angeli sunt formae activae: nam ideas intellectus divini constat esse maxime activas.

3. L’esprit de l’ange est plus proche de l’esprit divin que l’esprit humain. Mais en ce dernier il y a des formes actives, qui sont naturellement dans l’esprit pratique, comme les formes de l'art. Donc ces formes actives sont beaucoup plus importantes dans l’esprit de l’ange: car il est clair que les idées de l’esprit divin sont très actives.

q. 6 a. 3 arg. 4 Sed dices, quod formae activae quae sunt in intellectu Angeli, applicantur ad effectum mediante corporali agente, sicut etiam formae intellectus humani.- Sed contra, omnis virtus quae non potest exire in actum nisi mediante instrumento corporali, frustra datur alicui, nisi detur ei organum corporale: frustra enim potentia motiva esset data animali, nisi darentur ei instrumenta motus. Sed Angelo non est naturaliter corpus unitum. Ergo virtus sua non requirit ad sui operis executionem corporeum activum.

4. Mais on pourrait dire que les formes actives qui sont dans l’esprit de l’ange sont appliquées à l'effet par l’intermédiaire d’un agent corporel, comme les formes de l’esprit humain. — En sens contraire, tout pouvoir, qui ne peut devenir en acte que par l’intermédiaire d’un instrument corporel, est donné en vain à quelqu'un, à moins qu’il lui soit donné un organe corporel: car c’est en vain que la puissance motrice serait donnée à l’animal si les organes du mouvement ne lui étaient pas donnés. Mais l'ange n'a pas de corps naturellement uni à lui. Donc c'est que son pouvoir ne demande pas un corps actif pour l’exécution de son œuvre.

q. 6 a. 3 arg. 5 Praeterea, omnis virtus quae excedit proportionem sui organi, potest habere aliquam actionem praeter illud organum: quia enim oculus non adaequat virtutem totius animae, efficit anima multas operationes non per oculum. Sed corpus non potest esse proportionatum ad totam virtutem Angeli. Ergo potest Angelus effectus aliquod facere non mediantibus corporibus; et sic videtur quod virtute naturae suae possit miracula facere.

5. Tout pouvoir qui dépasse les limites de son organe, peut avoir une action au-delà de celui-ci; parce qu'en effet, l’œil n’égale pas le pouvoir de toute l’âme, celle-ci effectue de nombreuses opérations mais pas par lui. Mais un corps ne peut pas être proportionné à tout le pouvoir de l’ange. Donc celui-ci peut causer des effets sans l’intermédiaire des corps; et ainsi il semble qu’il puisse faire des miracles par le pouvoir de sa nature.

q. 6 a. 3 arg. 6 Praeterea, plus excedit virtus Angeli omnem virtutem corpoream quam corpus caeli excedat elementaria corpora. Sed ex virtute caelestis corporis fiunt aliqui effectus in istis inferioribus absque actionibus qualitatum activarum et passivarum, quae sunt propriae virtutes elementorum. Ergo multo fortius ex virtute Angeli possunt aliqui effectus in rebus naturalibus produci, non mediantibus virtutibus corporum naturalium.

6. Le pouvoir de l’ange dépasse tout pouvoir corporel plus que le corps du ciel dépasse les corps élémentaires. Mais des effets sont produits par le pouvoir du corps céleste dans les choses inférieures, sans les actions des puissances actives et passives, qui sont les pouvoirs propres des éléments. Donc le pouvoir de l’ange peut produire des effets beaucoup plus intensément dans les choses naturelles, sans l’intermédiaire des pouvoirs des corps naturels.

q. 6 a. 3 arg. 7 Praeterea, secundum Augustinum omnia corpora a Deo per spiritum vitae rationalem reguntur: et hoc idem dicit Gregorius: et sic videtur quod motus caeli et totius naturae sit ab Angelis, sicut motus humani corporis est ab anima. Sed ab anima imprimuntur formae in corpus praeter virtutes naturales corporis activas: ex sola enim imaginatione aliquis calescit et infrigidatur, et incurrit quandoque febrem vel etiam lepram, ut medici dicunt. Ergo multo fortius ex sola conceptione Angeli moventis caelum, praeter actionem causarum naturalium, possunt sequi aliqui effectus in istis inferioribus; et sic potest Angelus facere miraculum.

7. Selon Augustin (La Trinité, III, IV, 9[3]) "Tous les corps sont régis par Dieu par un esprit de vie doué de raison"; et Grégoire [le Grand] dit la même chose (Dialogues, IV[4]): et ainsi il semble que le mouvement du ciel et de toute la nature vient des anges, comme le mouvement du corps humain dépend de l’âme. Mais les formes sont induites par l'âme dans le corps au-delà des pouvoirs naturels actifs du corps: car par la seule imagination quelqu’un s'échauffe ou se refroidit, et attrape quelquefois la fièvre ou même la lèpre, comme le disent les médecins[5]. Donc beaucoup plus intensément de la seule conception de l’ange qui meut le ciel, au-delà de l’action des causes naturelles, des effets peuvent s'écouler dans les êtres inférieurs et ainsi l’ange peut faire des miracles.

q. 6 a. 3 arg. 8 Sed dices, quod hoc accidit ex eo quod anima est forma corporis: non autem Angelus est forma corporalis creaturae.- Sed contra, quidquid provenit ex anima per eius operationem, provenit ex ea in quantum est motor, non in quantum est forma: non enim per operationem anima est forma corporis, sed motor. Praedictae autem impressiones quae fiunt in corpus ab anima, sequuntur impressionem animae aliquid imaginantis. Ergo non sunt ab anima in quantum est forma, sed in quantum est motor.

8. Mais on pourrait dire, que cela vient du fait que l’âme est la forme du corps. Or l’ange n’est pas la forme d'une créature corporelle. — En sens contraire, tout ce qui provient de l’âme par son opération, provient d’elle en tant que moteur, non en tant que forme; car par son opération l’âme n'est pas la forme du corps, mais elle en est moteur. Mais ces impressions qui se font dans le corps par l’âme, découlent de l’impression de l’âme quand elle imagine. Donc elles ne viennent pas de l’âme en tant que forme mais en tant que moteur.

q. 6 a. 3 arg. 9 Praeterea, ex hoc Deus mirabilia facere potest, quia eius virtus est infinita. Sed in libro de causis, dicitur quod virtus intelligentiae est infinita, praecipue ad inferius; quod etiam probari potest ex hoc quod movet motum caeli, ut ostensum est, qui natus est esse sempiternus: sempiternum enim motum movere non potest nisi virtus infinita, ut probatur in VII Phys. Ergo videtur quod Angeli possint miracula facere etiam naturali virtute.

9. Dieu peut faire des miracles, parce sa puissance est infinie. Mais dans le livre Des Causes (prop.16), il est dit que la puissance de l’intelligence est infinie, surtout pour ce qui est inférieur, ce qui peut aussi être prouvé, comme on l’a montré, du fait qu’elle provoque le mouvement du ciel destiné à être éternel; car il n'y a qu'un pouvoir infini qui peut produire un mouvement éternel, comme on le prouve en Physique, (VIII, 10, 266 a 12[6]). Donc il semble que les anges puissent faire des miracles même par un pouvoir naturel.

q. 6 a. 3 arg. 10 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod virtus omnis unita plus est infinita quam virtus multiplicata; et ibidem Commentator dicit, quod quanto virtus intelligentiae magis aggregatur et unitur, magnificatur et vehementior fit et efficit operationes mirabiles. Loquitur autem ibi Commentator de naturali virtute intelligentiae: nam virtutem gratiae non cognovit. Ergo Angelus sua virtute naturali mirabilia facere potest.

10. Dans le livres des Causes, (prop. 17), il est dit que toute puissance unie est plus infinie qu’une puissance multipliée; et sur ce même sujet, le Commentateur dit que plus la puissance de l’intelligence est rassemblée et unie, plus elle croît, se fortifie et plus elle accomplit d'opérations admirables. Mais le Commentateur y parle de la puissance naturelle de l’intelligence: car il n'a pas connu le pouvoir de la grâce. Donc l’ange peut faire des miracles par sa puissance naturelle.

q. 6 a. 3 arg. 11 Sed dicendum, quod Angelus potest mirabilia facere non virtute propria, sed virtute naturalibus rebus a Deo indita, applicando huiusmodi res ad effectum quem intendit.- Sed contra, applicatio huiusmodi seminum naturalium, in quibus existunt activae virtutes naturae, ad effectum aliquem, esse non potest nisi per motum localem. Sed eiusdem rationis esse videtur quod corpora obediant vel non obediant substantiae spirituali ad motum localem et alios motus, nam quilibet motus naturalis habet proprium et determinatum motorem. Ergo si possunt Angeli suo imperio applicare huiusmodi semina ad effectum naturae per motum localem, poterunt etiam per motum alterationis vel generationis formam aliquam in materia inducere ex solo imperio: quod est mirabilia facere.

11. Mais il faut dire que l’ange peut faire des miracles, non par sa puissance propre, mais par celle induite par Dieu dans les choses naturelles, en les appliquant à l’effet auquel il tend. — En sens contraire, l’application des semences naturelles[7] de ce genre, en qui existent les puissances actives de la nature, pour un effet, ne peut exister que par mouvement local. Mais il semble que c'est pour une même raison que les corps obéissent ou non à la substance spirituelle pour le mouvement local, et les autres mouvements, car n’importe quel mouvement naturel a un moteur propre et déterminé. Donc, si les anges peuvent par leur pouvoir appliquer des semences de ce genre à un effet de nature, par mouvement local, ils ont pu aussi par mouvement de changement ou de génération induire une forme dans la matière de leur seul pouvoir; ce qui est faire des miracles.

q. 6 a. 3 arg. 12 Praeterea, eiusdem virtutis secundum genus est imprimere formam in materia et impedire ne imprimatur: sicut enim virtute corporis forma ignis inducitur in materia, ita virtute alicuius corporis talis formae inductio impeditur. Sed virtute spiritualis creaturae impeditur ne ab agente naturali forma in materia imprimatur: dicitur enim esse expertum quod virtute alicuius scripti aliquis, in igne positus, non fuit combustus: quod planum est non fuisse operationis divinae, quae pro meritis, sine aliquibus scriptis, poenas a sanctis suis repellit: et sic remanet quod fuerit factum Daemonis virtute. Ergo videtur quod pari ratione fieri possit quod spiritualis creatura ex solo imperio formam in materia inducere possit absque corporali agente. Et nihilominus hoc ipsum miraculosum videtur quod homo in igne positus non comburatur, sicut patet in miraculo trium puerorum.

12. Il appartient à une même puissance en genre, d’induire une forme dans la matière et de l'en empêcher: en effet, de même que la forme du feu est introduite dans la matière par la puissance d’un corps, de la même manière l’induction d’une telle forme est empêchée par le pouvoir d'un corps. Mais la puissance de la créature spirituelle empêche que la forme soit imprimée dans la matière par un agent naturel: car on dit qu'il s'est trouvé que quelqu'un, par le pouvoir d'un écrit, placé dans le feu, n’a pas été brûlé; il est clair que ce n'est pas arrivé par l’opération divine qui, pour les mérites, repousse sans écrits les châtiments de ses saints. Et ainsi il reste que cela a été fait par la puissance du démon. Donc il semble que, à raison égale, la créature spirituelle puisse de son seul pouvoir induire une forme dans la matière, sans agent corporel. Et cependant il paraît miraculeux que l’homme, placé dans le feu, ne brûle pas, comme on le voit dans le miracle des trois enfants.

q. 6 a. 3 arg. 13 Praeterea, nobilior est forma quae est in imaginatione et in sensu, quam forma quae est in materia corporali, quanto est magis immaterialis. Sed spiritualis creatura in phantasiam et sensum potest imprimere aliquam formam, ut videatur aliquid aliter quam sit: unde dicit Augustinus: nec sane Daemones naturas creant; sed specie tenus quae a Deo vero sunt creata, commutant; et postea subiungit, quod hoc fit per immutationem phantasiae. Ergo multo fortius potest imprimere formam in materiam corporalem; et sic idem quod prius.

13. La forme, dans l’imagination et les sens, est plus noble que celle qui est dans la matière corporelle; d’autant qu’elle est plus immatérielle. Mais la créature spirituelle peut introduire une forme dans l'imagination et les sens pour qu'une chose paraisse autre qu’elle n’est: c’est pourquoi Augustin dit (La cité de Dieu, XVIII, 18[8]): "Ce n’est pas réellement que les démons créent des natures; mais ils changent seulement d'apparence ce qui a été créé par Dieu", et ensuite il ajoute que cela se fait par un changement dans l'imagination. Donc il peut beaucoup plus induire une forme dans la matière corporelle, et ainsi de même que ci-dessus.

q. 6 a. 3 arg. 14 Sed dicendum, quod immutatio phantasiae a Daemone non fit per hoc quod novae formae imprimantur, sed per compositionem et divisionem formarum praeexistentium.- Sed contra, anima est nobilior quam natura corporalis. Si ergo Daemon per suam virtutem potest facere illud quod est propria operatio animae sensitivae, scilicet componere et dividere imagines, videtur quod multo fortius possit facere sua virtute operationes naturae corporeae; et sic idem quod prius.

14. Mais il faut dire que le changement dans l'imagination par le démon ne se fait pas en imprimant de nouvelles formes, mais par composition et division des formes qui existent déjà. — En sens contraire, l’âme est plus noble que la nature corporelle. Si donc le démon par sa puissance peut faire ce qui est l’opération propre de l’âme sensitive, à savoir composer et diviser les images, il semble qu'il puisse beaucoup plus accomplir par sa puissance les opérations de la nature corporelle, et ainsi de même que ci-dessus.

q. 6 a. 3 arg. 15 Praeterea, sicut se habet virtus ad virtutem, ita se habet operatio ad operationem. Sed virtus Angeli non dependet a virtute creaturae corporalis. Ergo nec eius operatio ab operatione creaturae corporalis; et sic praeter naturales causas potest miraculose operari.

15. De la même manière que se comporte la puissance vis-à-vis d'elle-même, l’opération se comporte vis-à-vis d'elle-même. Mais le pouvoir de l’ange ne dépend pas de la puissance de la créature corporelle. Donc son opération non plus, et ainsi il peut opérer miraculeusement au-delà des causes naturelles.

De potentia, q. 6 a. 3 arg. 16 Praeterea, sicut facere aliquid ex nihilo est infinitae virtutis propter infinitam distantiam entis ad nihil, ita reducere aliquid in actum de potentia, subest virtuti finitae. Inter virtutes autem finitas maxima est virtus Angeli. Ergo Angelus sua virtute potest educere in actum omnes formas quae sunt in potentia materiae, absque actione alicuius causae naturalis; et sic idem quod prius.

16. De même que faire quelque chose de rien demande une puissance infinie, à cause de la distance infinie entre l’étant et le néant, de même ramener quelque chose de la puissance à l'acte, est soumis à une puissance finie. Parmi les puissances finies, la plus grande est celle de l’ange. Donc l’ange par son pouvoir peut amener à l’acte toutes les formes qui sont dans la puissance de la matière, sans l’action d’une cause naturelle, et ainsi de même que ci-dessus.

De potentia, q. 6 a. 3 arg. 17 Praeterea, omne agens non impeditum agit et patitur. Sed Angelus agens in ista corporalia nullo modo patitur ab eis. Ergo non impeditur quin sua actione possit miracula facere praeter causas naturales agendo.

17. Tout agent s’il n’est pas empêché agit et supporte. Mais l'ange qui agit dans ce qui est corporel n'en supporte rien. Donc rien n'empêche son action de pouvoir faire des miracles, en agissant au-delà des causes naturelles.

En sens contraire:

q. 6 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Ex hoc Deus miracula facit quod natura est ei subiecta. Non est autem subiecta Angelis: non enim Angelis subiecit Deus orbem terrae, ut dicitur ad Hebr. II. Ergo Angeli sua naturali virtute miracula facere non possunt.

1. Dieu fait des miracles parce que la nature lui est soumise; mais elle n’est pas soumise à l’ange: car Dieu n’a pas soumis la terre aux anges, comme il est dit en Hébr. 2, 5[9]. Donc les anges ne peuvent pas faire de miracles par leur pouvoir naturel.

59828] De potentia, q. 6 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod non est putandum Angelis transgressoribus ad nutum servire corporalium rerum materiam. Serviret autem eis, si ex virtute suae naturae creatura spiritualis miracula facere posset. Ergo miracula facere non possunt.

2. Augustin dit (la Trinité, III, VIII, 13[10]), qu’il ne faut pas penser que la matière des choses corporelles se soumet aux anges transgresseurs sur un signe de leur part. Elle leur serait soumise, si par le pouvoir de sa nature, la créature spirituelle pouvait faire des miracles. Donc ils ne peuvent pas faire de miracles.

Réponse:

q. 6 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod Augustinus in II Lib. de Trinitate, postquam quaestionem istam pertractaverat diligenter, concludit in fine: mihi omnino utile est ut meminerim virium mearum, fratresque meos admoneam ut meminerint suarum, ne ultra quam tutum est humana progrediatur infirmitas; quemadmodum enim hoc faciant Angeli, vel potius quemadmodum Deus hoc faciat per Angelos suos, nec oculorum acie penetrare, nec fiducia rationis enucleare, nec provectu mentis comprehendere valeo; ut tam certus loquar ad omnia quae requiri de his rebus possunt, quam si essem Angelus aut propheta aut apostolus. Unde et hac moderatione adhibita, absque assertione et sententiae melioris praeiudicio, procedendum est, quantum ratio et auctoritas poterit adiuvare.

Il faut dire qu’Augustin (La Trinité, III, X, 21), après avoir traité attentivement cette question, conclut à la fin: "Pour moi il est tout à fait utile de me souvenir de mes forces, et d'avertir mes frères, qu’ils se souviennent des leurs, pour que la faiblesse humaine ne progresse pas au delà de la prudence; car de quelque manière que les anges le fassent, ou plutôt de quelque manière que Dieu le fasse par les anges, je ne peux pas le discerner par l'acuité de ma vue, ni le comprendre par la perspicacité de mon esprit, de sorte que je puisse parler avec autant d'assurance de tout ce qu'on peut en rechercher que si j'étais un ange, un prophète ou un apôtre." C’est pourquoi une fois cette modération acquise, il faut avancer, sans assertion ni préjudice d’une expression meilleure, autant que la raison et l’autorité peuvent nous aider.

Sciendum est ergo, quod circa hanc quaestionem inveniuntur philosophi dissensisse:

Il faut donc savoir qu’à propos de cette question, on constate que les philosophes ne sont pas d’accord:

Avicenna namque posuit, quod substantia spiritualis quae caelos movet, non solum mediante caelesti motu effectus in inferioribus corporibus causat, sed etiam praeter omnem corporis actionem, volens quod materia corporalis multo magis obediat conceptioni et imperio praedicto spiritualis substantiae quam contrariis agentibus in natura, vel cuicumque corpori agenti. Et ex hac causa provenire dicit, quod quandoque inusitatae permutationes fiunt aeris, et infirmitatum curationes, quae nos miracula appellamus. Et ponit exemplum de anima quae corpus movet; ad cuius imaginationem, absque omni alio corporali agente, transmutatur corpus et ad calorem et ad frigus, et quandoque ad febrem vel lepram.

A. Car Avicenne a pensé que la substance spirituelle[11] qui met en mouvement les cieux, cause des effets dans les corps inférieurs, non seulement par l’intermédiaire du mouvement du ciel, mais aussi au-delà de toute action du corps, il voulait que la matière corporelle obéisse beaucoup plus à la conception et au pouvoir déjà signalé de la substance spirituelle qu’aux agents contraires dans la nature ou à quelque agent corporel. Et il dit que par cette cause quelquefois se produisent des changements inhabituels de l’air, et des guérisons de maladies que nous, nous appelons miracles. Et il propose l’exemple de l’âme qui meut le corps, par l'imagination de laquelle, sans aucun autre agent corporel, le corps subit la chaleur et le froid et quelquefois (attrape) la fièvre et la lèpre.

Haec autem positio satis convenit principiis ab eo suppositis; ponit enim quod agentia naturalia solummodo disponunt materiam; formae autem substantiales sunt a substantia spirituali, quam appellat datorem formarum; unde materia ex naturali ordine obedit spirituali substantiae ad recipiendum ab ea formam; et ideo non est mirum, si etiam praeter ordinem corporalium agentium, aliquas formas solo imperio in materiam imprimat. Si enim materia obedit substantiae separatae ad receptionem formae substantialis, non erit inconveniens si obediat ad recipiendum etiam dispositiones ad formam; hoc enim patet esse minoris virtutis.

Mais cette opinion[12] convient assez aux principes qu'il suppose, car il pense que les agents naturels disposent seulement la matière; mais les formes substantielles viennent d'une substance spirituelle qu’il appelle le donneur de formes; c’est pourquoi la matière par ordre naturel obéit à la substance spirituelle, pour en recevoir la forme; et ce n’est pas étonnant non plus, si, en dehors de l’ordre des corps agents, il imprime quelques formes dans la matière par son seul pouvoir. Car si la matière obéit à la substance séparée, pour recevoir la forme substantielle, il ne sera pas inconvenant qu'elle obéisse pour recevoir aussi les dispositions à la forme; car il est clair que cela dépend d’une puissance moindre.

Sed secundum opinionem Aristotelis et sequentium eum, hoc non potest stare; probat enim Aristoteles duplici ratione, quod formae non imprimuntur in materiam ab aliqua substantia separata, sed reducuntur in actum de potentia materiae per actionem formae in materia existentis.

Mais selon l’opinion d’Aristote et de ceux qui le suivent, cela n'est pas possible, car il prouve, par deux raisons, que les formes ne sont pas imprimées dans la matière par quelque substance séparée, mais sont amenées de la puissance de la matière à l'acte par l’action de la forme qui est dans la matière.

Quorum primam ponit in VII Metaph., quia secundum quod ibi probatur, id quod fit proprie est compositum, non forma vel materia; compositum enim est quod proprie habet esse. Omne autem agens agit sibi simile; unde oportet quod id quod est faciens res naturales actu existere per generationem, sit compositum, non forma sine materia, hoc est substantia separata.

1) La première raison, il la donne en Métaphysique (VII, 8, 1033 b 16, 1033 b 23 et 1034 a 5), parce que, selon ce qui y est prouvé, ce qui est fait, c'est proprement le composé, non la forme, ni la matière; car le composé est ce qui a l’être en propre. Mais tout agent fait du semblable à lui; c’est pourquoi il faut que ce qui fait exister les choses naturelles en acte par génération, soit un composé et non une forme sans matière, (car) cela c’est la substance séparée.

Alia probatio ponitur in VIII Phys.: quia cum idem semper natum sit idem facere; quod autem generatur vel corrumpitur vel alteratur, aut augetur vel diminuitur, non semper eodem modo se habet,- oportet quod illud quod est generans et movens secundum huiusmodi motus, non sit semper eodem modo se habens, sed aliter et aliter. Hoc autem non potest esse substantia separata, quia omnis talis substantia est immobilis: omne enim quod movetur, corpus est, ut in VI Physic. probatur. Unde id quod est immediata causa reducens formam de potentia in actum, per generationem et alterationem, est corpus aliter et aliter se habens, secundum quod accedit et recedit per motum localem.

2) L’autre preuve se trouve en Physique, VIII: parce que, comme le même est destiné à toujours faire le même, ce qui est engendré, corrompu, changé, augmenté ou diminué ne se comporte pas toujours de la même manière, — il faut que ce qui engendre ou meut, selon de tels mouvements, ne se comporte pas toujours de la même manière, mais différemment. Mais cela ne peut pas être une substance séparée, parce que toute substance de ce genre est immobile; car tout ce qui est mû est un corps, comme on le prouve en Physique, (VI, 10, de 240 b 8 à 241 a 25). C'est pourquoi, ce qui est la cause immédiate qui ramène la forme de la puissance à l’acte, par génération et changement, est un corps qui se comporte différemment, selon qu'il s’approche ou s’éloigne par mouvement local.

Et inde est quod substantia separata suo imperio in corpore causat immediate motum localem, et eo mediante causat alios motus, quibus mobile acquirit aliquam formam. Et hoc rationabiliter accidit: nam motus localis est primus et perfectissimus motuum, utpote qui non variat rem quantum ad rei intrinseca, sed solum quantum ad exteriorem locum; et ideo per primum motum suum, scilicet localem, corporalis natura a spirituali movetur. Secundum hoc ergo corporalis creatura obedit imperio spiritualis secundum naturalem ordinem ad motum localem, non autem ad alicuius formae receptionem; quod quidem intelligendum est de natura spirituali creata cuius virtus et essentia est limitata secundum determinatum genus, non de substantia spirituali increata, cuius virtus est infinita, non limitata ad aliquod genus secundum regulam alicuius generis.

De là vient que la substance séparée, par son pouvoir, cause immédiatement dans le corps un mouvement local, et par son intermédiaire, elle cause d'autres mouvements, par lesquels le mobile acquiert une forme. Et cela arrive conformément à la raison. Car le mouvement local est le premier et le plus parfait des mouvements, à savoir qu'il ne change pas la chose de l'intérieur, mais seulement sa situation locale extérieure. Et c’est pourquoi par son premier mouvement, à savoir le mouvement local, la nature corporelle est mue par la nature spirituelle. Ainsi donc, la créature corporelle obéit au pouvoir de la créature spirituelle selon l’ordre naturel pour le mouvement local, mais pas pour recevoir une forme, ce qu’il faut comprendre de la nature spirituelle créée dont le pouvoir et l’essence sont limités à un genre déterminé, (mais) non de la substance spirituelle incréée, dont le pouvoir est infini, non limité à un genre selon la règle du genre.

Et huic opinioni quantum ad hoc consentit fides; unde Augustinus dicit, quod Angelis non servit ad nutum materia corporalis. In hoc tamen differt sententia fidei a positione philosophorum; philosophi enim praedicti ponunt substantias separatas movere suo imperio caelestia corpora motu locali; motum autem localem in istis inferioribus non causari immediate a substantia separata, sed ab aliis moventibus naturaliter aut voluntarie aut violenter.

La foi est en accord avec cette opinion; c’est pourquoi Augustin dit (La Trinité, III, ch. 8 et 9), que la matière des corps n’est pas soumise à la volonté des anges. Cependant en cela la règle de foi diffère de la position des philosophes; car ceux-ci pensent que les substances séparées meuvent par leur pouvoir les corps célestes d’un mouvement local; mais le mouvement local dans les êtres inférieurs n’est pas causé immédiatement par une substance séparée, mais par d'autres moteurs, de façon naturelle, volontaire ou violente.

Unde et Alexander, Commentator, omnes effectus qui attribuuntur a nobis Angelis vel Daemonibus in istis inferioribus, attribuit impressioni corporum caelestium; quod non videtur sufficienter esse dictum. Nam huiusmodi effectus non fiunt aliquo determinato cursu, sicuti ea quae fiunt per actionem naturalem superiorum vel inferiorum corporum. Et praeterea aliqui effectus inveniuntur in quos nullo modo corpora caelestia possent, sicut quod virgae converterentur statim in serpentes, et multa huiusmodi.

C. C’est pourquoi, Alexandre[13], le commentateur, attribue tous les effets que nous attribuons aux anges ou aux démons dans les choses inférieures à l’impression des corps célestes, ce qui ne semble pas avoir été assez dit. Car les effets de ce genre ne se font pas par un cours déterminé, comme ce qui se fait par l’action naturelle des corps supérieurs ou inférieurs. Et en plus on trouve des effets en qui les corps célestes ne peuvent rien, comme les bâtons transformés aussitôt en serpent, et beaucoup d'autres choses de ce genre.

Fidei autem sententia est, quod non solum corpora caelestia suo imperio moveant localiter, sed etiam alia corpora, Deo ordinante et permittente. Movent ergo localiter suo imperio corpora in quibus est vis activa naturalis ad aliquem effectum producendum, quae Augustinus, appellat naturae semina; et sic operatio eorum non erit per modum miraculi, sed per modum artis. In miraculis enim producuntur effectus absque actionibus naturalibus, a causa supernaturali. Producere autem aliquem effectum quem vel natura producere non potest, vel non ita convenienter, mediante actione principiorum naturalium, artis est. Unde philosophus dicit in II Phys., quod ars imitatur naturam, et quaedam perficit quae natura facere non potest, in quibusdam etiam naturam iuvat; sicut medicus iuvat naturam ad sanandum, alterando et digerendo per appositionem eorum quae ad hoc naturalem virtutem habent.

D. Mais la formule de la foi est que non seulement les corps célestes mais encore les autres corps, meuvent localement par leur pouvoir, si Dieu l’ordonne et le permet. Donc ils meuvent localement par leur pouvoir les corps dans lesquels il y a un pouvoir actif naturel pour produire un effet; Augustin (Sur la Genèse, IX, 18) appelle ce pouvoir les semences de la nature[14]; et ainsi leur opération ne se fera pas par un miracle, mais par l’art. Car, dans les miracles, les effets sont produits sans actions naturelles, par une cause surnaturelle. Mais produire un effet que ou bien la nature ne peut pas produire, ou bien pas convenablement, par l’intermédiaire de l’action des principes naturels, c’est de l’art. C’est pourquoi le philosophe dit (Physique, II, 2, 193 b 21 et II, 8, 198 b 15) que l’art imite la nature, et parvient à des effets que la nature ne peut pas faire, mais où elle lui vient en aide; comme le médecin aide la nature à guérir, en changeant, en éliminant, par opposition à ce qui a un pouvoir naturel pour cela.

In effectibus autem huiusmodi producendis ars Angeli boni vel mali efficacior est et meliores effectus facit quam ars humana; et hoc propter duo: primo,

Pour produire des effets de ce genre, l’art de l’ange, bon ou mauvais, est plus efficace et il produit de meilleurs effets que l’art des hommes, et cela pour deux raisons:

quia cum effectus corporales in inferioribus maxime dependeant a caelestibus corporibus tunc praecipue ars potest sortiri effectum, quando virtus caelestis corporis ad hoc cooperatur. Unde in operibus agriculturae et medicinae valet consideratio motus et situs solis et lunae et aliarum stellarum, quarum virtutes, situs et motus multo certius cognoscunt Angeli naturali cognitione quam homines. Unde horas eligere possunt melius, in quibus virtus caelestis corporis ad effectus intentos magis cooperetur. Et haec videtur esse ratio quare nigromantici in invocationibus Daemonum situs stellarum observant.

1) La première, parce que, comme les effets corporels dans les êtres inférieurs dépendent surtout des corps célestes, alors l’art peut surtout obtenir un effet, quand le pouvoir du corps céleste y coopère. C’est pourquoi dans les opérations de l’agriculture et de la médecine, la considération du mouvement et de la situation du soleil, de la lune et des autres étoiles est efficace; les anges en connaissent les pouvoirs, les lieux et les mouvements avec plus de certitude que les hommes. C’est pourquoi ils peuvent mieux choisir les heures, où le pouvoir du corps céleste participe davantage aux effets recherchés. Et cela semble être la raison pour laquelle les nécromanciens dans leurs invocations aux démons observent la situation des étoiles.

Secunda ratio est, quia virtutes activas et passivas in corporibus inferioribus melius noverunt quam homines, et facilius et celerius applicare possunt ad effectum, utpote qui imperio suo corpora localiter movent; unde etiam medici mirabiliores effectus in sanando faciunt, quia plura de virtutibus rerum naturalium sciunt.

2) Seconde raison, parce qu'ils connaissent mieux que les hommes, les puissances actives et passives dans les corps inférieurs, et ils peuvent les appliquer plus facilement et plus rapidement pour un effet, en tant qu’ils meuvent les corps localement par leur pouvoir; c’est pourquoi, même les médecins provoquent des effets plus admirables en soignant parce qu'ils connaissent mieux les pouvoirs des choses naturelles.

Tertia ratio potest esse, quia cum instrumentum agat non solum in virtute sua, sed in virtute moventis,- (inde etiam corpus caeleste aliquem effectum habet ex virtute substantiae spiritualis moventis, sicut quod est causa vitae, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis, et calor naturalis, in quantum est instrumentum animae vegetabilis, agit ad speciem carnis),- non est inconveniens ponere quod ipsa corpora naturalia, in quantum sunt mota a spirituali substantia, sortiantur maiorem effectum; quod videri potest ex hoc quod Gen. VI, 4, dicitur: gigantes erant super terram in diebus illis; postquam enim ingressi sunt filii Dei ad filias hominum, illaeque genuerunt, isti sunt potentes a saeculo viri famosi; et Glossa quaedam ibidem dicit, quod non est incredibile, a quibusdam Daemonibus, qui mulieribus sunt incubi, huiusmodi homines, scilicet gigantes, esse procreatos.

3) Il peut exister une troisième raison, parce que, comme l’instrument agit non seulement dans son pouvoir, mais dans celui du moteur, — (c'est de là même que le corps céleste a un effet par le pouvoir de la substance spirituelle motrice, comme ce qui est la cause de la vie, comme on le voit dans les animaux engendrés de la putréfaction. La chaleur naturelle, dans la mesure où elle est l’instrument de l’âme végétative, agit pour la forme de la chair), — il n’est pas inconvenant de penser que les corps naturels eux-mêmes, dans la mesure où ils sont mus par la substance spirituelle, obtiennent un effet plus grand; ce qu'on peut voir de ce qui est dit en Gn. 6, 4: "Les géants étaient sur la terre en ces jours-là; car après que les fils de Dieu sont entrés chez les filles des hommes, elles engendrèrent, ce sont les héros, hommes fameux de cette époque;" et une glose (ordinaire) dit qu’il n’est pas incroyable que par certains démons, qui ont couché avec les femmes, aient été procréés de tels hommes, à savoir les géants.

Sic ergo patet quod Angeli boni vel mali virtute naturali miracula facere non possunt; sed quosdam mirabiles effectus, in quibus eorum operatio est per modum artis.

Ainsi donc il est clair que les anges, bons ou mauvais, ne peuvent pas faire de miracles par un pouvoir naturel, mais ils produisent des effets étonnants dans lesquels leur opération vient de l’art.

Solutions:

q. 6 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet naturalis potestas Angeli vel Daemonis sit maior quam naturalis potestas corporis, non tamen est ad hoc quod immediate formam in materia inducat, sed mediante corpore; unde hoc facit nobilius quam corpus, quia primum movens principalius est in agendo quam secundum.

# 1. Bien que la puissance naturelle de l’ange ou du démon soit plus grande que celle du corps, cependant elle n'est pas pour induire une forme dans la matière immédiatement, mais par l'intermédiaire d’un corps; c’est pourquoi elle le fait plus noblement que le corps, parce que le premier moteur est plus important en agissant que le second.

q. 6 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae rerum naturalium in mente angelica existentes sunt magis actuales quam formae quae sunt in materia; et propter hoc sunt immediatum principium perfectioris operationis, quae est intelligere; operationis vero quae est actio materiam transmutans, non sunt immediatum principium; sed mediante voluntate, et voluntas mediante virtute, et virtus immediate movet motum localem; quo motu mediante, est causa aliorum motuum, et est causa aliqua inductionis formae in materia.

# 2. Les formes des choses naturelles qui existent dans l'esprit de l’ange sont plus en acte que celles qui sont dans la matière; et pour cela, elles sont le principe immédiat d'une opération plus parfaite, qui est l'intellection (intelligere): mais elles ne sont pas le principe immédiat de l’opération qui transforme la matière; mais par l’intermédiaire de la volonté, et la volonté par l’intermédiaire du pouvoir, et le pouvoir immédiatement provoque le mouvement local; par ce mouvement, intermédiaire, il est la cause des autres mouvements, et une cause d’induction de la forme dans la matière.

q. 6 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod formae etiam quae sunt in intellectu humano, non sunt activae rerum artificialium, nisi mediante voluntate et virtute motiva et organis naturalibus et instrumentis artificialibus.

# 3. Les formes qui sont dans l’esprit humain, n'agissent sur ce qui est artificiel, que par l’intermédiaire de la volonté, d'un pouvoir moteur, des organes naturels et des instruments artificiels.

q. 6 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus cui potest aliquod organum adhiberi, quod sibi respondeat quantum ad omnem operationem, debet habere organum coniunctum, sicut virtus visiva oculum. Nullum autem corpus poterat hoc modo Angelo respondere, quod eius virtutem adaequaret; et ideo non habuit Angelus corporeum organum naturaliter coniunctum. Unde et philosophi qui posuerunt substantias separatas non habere effectus in istis inferioribus nisi mediante caelo, posuerunt aliquam substantiam spiritualem uniri caelo ut proprio instrumento, quam animam caeli dicebant. Aliam vero non unitam dicebant intelligentiam, a qua movetur anima caeli, sicut desiderans a desiderato.

# 4. Le pouvoir auquel un organe peut adhérer, qui lui correspond quant à toute opération, doit avoir un organe joint, comme le pouvoir de la vue a l’œil. Mais aucun corps ne pourrait de cette manière convenir à l’ange qui égalerait son pouvoir; aussi il n’a pas eu d’organe corporel uni naturellement. C’est pourquoi les philosophes qui ont pensé que les substances séparées n’avaient d’effet dans les choses inférieures que par l’intermédiaire du ciel, ont pensé qu’une substance spirituelle était unie au ciel comme à son instrument propre, qu’ils appelaient l’âme du ciel. Mais ils ne parlaient pas d'une autre intelligence non unie, par laquelle l’âme du ciel était mue, comme celui qui désire par ce qui est désiré.

q. 6 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus etsi caelum moveat, potest tamen habere actionem in haec inferiora absque motu caeli movendo alia corpora, et absque omni corpore intelligendo; licet forma in materia absque corporali agente imprimere non possit.

# 5. Même si l’ange meut le ciel, il peut cependant avoir une action dans les choses inférieures sans le mouvement du ciel, en mettant en mouvement d'autres corps, et sans comprendre tout corps, bien que par la forme il ne puisse induire dans la matière, sans agent corporel.

q. 6 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caelum cum sit agens corporeum, potest esse immediatum alterans et movens ad formam; non est autem simile de Angelis.

# 6. Comme le ciel est un agent corporel, il peut changer sans intermédiaire et amener à la forme; ce n’est pas pareil pour les anges.

q. 6 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod anima, naturali ordine suo imperio, movet corpus localiter, nam vis eius appetitiva est imperans motum, et corpus obedit ad nutum; quod etiam est per virtutes motivas quae sunt organis affixae et fluunt ab anima in corpus, quod est ab anima formatum. Aliae vero alterationes, ut calefactionis, infrigidationis, et similium, sequuntur ab anima mediante motu locali. Patet etiam quod ex ipsa imaginatione sequitur passio per quam aliquo modo variatur motus cordis et spirituum; ex quibus vel retractis ad cor vel diffusis in membra, sequitur aliqua alteratio in corpore; quae etiam potest esse infirmitatis causa, praecipue si sit materia disposita.

# 7. L’âme dans l’ordre naturel, par son pouvoir, meut localement le corps, car sa force appétitive commande le mouvement, et le corps obéit à son ordre; ce qui se fait aussi par les pouvoirs moteurs qui sont liés aux organes, et passent de l’âme dans le corps, qui est mis en forme par l’âme. Mais les autres changements, comme le réchauffement, le refroidissement etc., découlent de l’âme par l’intermédiaire du mouvement local. Il est clair aussi que par l’imagination même découle la passion par laquelle d’une certaine manière le mouvement du cœur et des esprits est modifié; de ceux-ci rétractés au cœur ou diffusés dans les membres, découle un changement dans le corps qui aussi peut être cause de maladie surtout si la matière y est disposée.

q. 6 a. 3 ad 8 Et per hoc patet solutio ad octavum.

# 8. Et par là apparaît la solution 8.

q. 6 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod virtus Angeli dicitur infinita inferius, in quantum non est virtus in materia recepta, et per hoc non limitatur ab inferiori recipiente; non tamen est infinita superius, ut supra dicitur, quia a Deo recipitur in Angelo esse finitum; et ideo eius substantia determinatur ad aliquod genus, et per consequens eius virtus determinatur ad aliquem modum agendi; quod de Deo dici non potest.

# 9. On dit que le pouvoir de l’ange est d’un infini inférieur dans la mesure où ce n’est pas un pouvoir reçu dans la matière et par cela il n’est pas limité par un recepteur inférieur; son pouvoir n’est cependant pas d’un infini supérieur, comme on l’a dit ci-dessus, parce qu'un être fini est reçu dans l'ange et c’est pourquoi sa substance est limitée à un genre, et par conséquent, son pouvoir est déterminé à un mode d’action, qu'on ne peut pas dire de Dieu.

q. 6 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet Angelus faciat res mirabiles per modum artis, ut supra dictum est, non tamen facit miracula.

# 10. Bien que l’ange fasse des œuvres admirables par son art, comme on l’a dit ci-dessus, il ne fait cependant pas de miracles.

q. 6 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet motus locales inferiorum corporum sint a determinatis motoribus naturalibus, sicut et alii motus, tamen corporalis creatura naturali ordine obedit spirituali ad motum localem, non ad alios motus, ratione supradicta; et praecipue si virtus eius non est determinata ad aliquod corpus sicut est virtus animae ad corpus sibi coniunctum.

# 11. Bien que les mouvements locaux des corps inférieurs viennent de moteurs naturels limités, comme les autres mouvements aussi, cependant la créature corporelle obéit par l'ordre naturel à la créature spirituelle pour le mouvement local, non pour les autres mouvements, pour la raison donnée plus haut; et surtout si son pouvoir n’est pas limité à un corps comme le pouvoir de l’âme à un corps qui lui est uni.

q. 6 a. 3 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod sicut substantia spiritualis creata non potest suo imperio imprimere formam in materia, ita non potest suo imperio impedire quin imprimatur ab agente naturali; et si hoc aliquando faciat, facit per appositionem alicuius impedimenti naturalis, quamvis sensus humanos lateat; et praecipue cum possit flammam ignis localiter movere, ut combustibili non tantum appropinquet.

# 12. La substance spirituelle créée ne peut pas induire par son pouvoir une forme dans la matière; de la même manière, elle ne peut pas par son pouvoir l'empêcher qu’elle soit introduite par l’agent naturel, et si elle le fait quelquefois, elle le fait en opposant un empêchement naturel, quoiqu'il soit caché aux sens humains, et surtout puisqu’il peut mouvoir localement la flamme du feu, pour qu’elle n'approche pas autant du combustible.

q. 6 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod creatura spiritualis separata potest immutare phantasiam naturali virtute, non per imperium inducendo formas in organo phantasiae, sed per aliquam commotionem spirituum et humorum; patet enim quod aliqua transmutatione in his facta, phantasmata apparent, ut in phreneticis et dormientibus. Et ad hanc phantasiae immutationem etiam quaedam res naturales dicuntur efficaciam habere, quibus nigromantici uti dicuntur ad visus illudendos

# 13. La créature spirituelle séparée peut changer l’imagination par un pouvoir naturel, non en induisant par pouvoir des formes dans l'organe de l’imagination, mais par un ébranlement des esprits et des humeurs; car il est clair que par la transformation qui y est opérée, il y a des apparitions comme chez les malades mentaux et les dormeurs. Et pour ce changement de l’imagination on dit que certaines choses naturelles ont une puissance efficace; dont les nécromanciens, dit-on, se servent pour tromper la vue.

q. 6 a. 3 ad 14 Et per hoc patet responsio ad decimumquartum.

# 14. Et par là la réponse à la quatorzième solution est claire.

q. 6 a. 3 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod sicut virtus Angeli est supra virtutem corporis caelestis, ita et operatio, ut dictum est; non tamen ad hoc quod immediate formam in materia solo imperio inducat.

# 15. De même que le pouvoir des anges est au-dessus de celui du corps céleste, leur opération aussi comme on l’a dit, non cependant pour pouvoir induire immédiatement une forme dans la matière par leur seul pouvoir.

59845] De potentia, q. 6 a. 3 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod finita virtus potest de potentia in actum aliquid adducere, non tamen quaelibet finita, nec quolibet modo; quaelibet enim virtus finita habet determinatum modum agendi

#16. Un pouvoir fini peut faire passer quelque chose de la puissance à l’acte, mais pas cependant n'importe quel pouvoir fini, ni de n’importe quelle manière, car un pouvoir fini a une manière limitée d’agir.

q. 6 a. 3 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod etsi nihil impediat agens aliquod, non potest id ad quod virtus sua non se extendit; sicut ignis non potest infrigidare, etiam si nihil exterius impediat. Unde non sequitur, quod si Angeli non possunt imperio suo formam in materia inducere, quod ab extrinseco impediantur, sed quia ad hoc virtus eorum naturalis non se extendit.

#17. Même si rien ne fait obstacle à l'agent, il ne peut pas ce à quoi son pouvoir ne s’étend pas; ainsi le feu ne peut pas refroidir, même si rien d’extérieur ne l’empêche. Aussi il n’en découle pas qu'ainsi les anges ne peuvent pas par leur pouvoir induire une forme dans la matière, parce qu’ils sont empêchés de l’extérieur, mais parce que leur pouvoir naturel ne s’étend pas jusqu’à là.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 110, a. 2, 3 et 4; qu. 65, a. 4; qu. 91, a. 2; qu. 94, a. 4; CG. III, 102 et 103, De Mal. Qu. 16, a. 9, a. 1n ad 14, qu. 16, a. 1O, Qdl IX, qu. 4, a. 5, Galat., c. 3, lect. 1; Compendium c. 136,

[2] Il s'agit de Léviathan. Cité à nouveau en 6, 10, sed contra 1, où il s'agit du diable.

[3] "Ita omnia corpora per spiritum vitae, et spiritus vitae irrationalis, per spiritum vitae rationalem…" Ainsi tous les corps le sont-ils (gouvernées) par un vivant. p. 288-289.

[4] Voir les textes en 6, 4, obj. 6.

[5] Opinion d'Avicenne, comme c'est signalé c. § 2.

[6] Thomas, VIII, lect. 21, n° 1142.

[7] Les raisons séminales?

[8] . "…les démons ne créent pas de nouvelles natures, mais ils modifient tellement dans leurs apparence, celles que le vrai Dieu a créé, qu'elles semblent être ce qu'elles ne sont pas." La cité de Dieu, XVIII, 18.

[9] Héb. 2, 5: "En effet ce n'est pas à des anges qu'il (Dieu) a soumis le monde à venir dont nous parlons." (B.J.)

[10] "Il ne faut pas croire pour autant que les anges prévaricateurs font ce qu’ils veulent de la matière des choses visibles." BA, p. 297

[11] Il s'agir d'une Intelligence. Cf. Ia, qu. 65, a. 4, c.

[12] Voir Ia, qu. 65, a. 4, c. Avicenne, Métaphysique IX, 5.

[13] Alexandre d'Aphrodise, philosophe péripatéticien,. Commentateur d’Aristote, il a dirigé de Lycée de 198 à 211.

[14] Les raisons séminales.

 

 

Article 4: Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?

q. 6 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum boni Angeli et homines per aliquod donum gratiae miracula facere possint. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections:

q. 6 a. 4 arg. 1 Ordines enim Angelorum non sunt constituti nisi ad ea quae Angeli faciunt. Sed ordo aliquis Angelorum institutus est ad miracula faciendum. Dicit enim Gregorius in homilia quadam, quod virtutes sunt per quas signa et miracula frequentius fiunt. Ergo Angeli per gratiam miracula facere possunt.

1. Car les hiérarchies des anges ne sont constituées que par les œuvres qu'ils accomplissent. Mais une hiérarchie d'anges a été instituée pour faire des miracles. En effet Grégoire [Le Grand] dit dans une homélie (Hom. 34, sur l'Évangile) que les Vertus sont ce par quoi les signes et les miracles se font le plus souvent. Donc les anges peuvent faire des miracles par grâce.

q. 6 a. 4 arg. 2 Praeterea, Act. VI, 8, dicitur: Stephanus plenus gratia et fortitudine, faciebat prodigia et signa magna in populo. Non autem praemitteretur Dei gratia, nisi actus sequens ex gratia procederet. Ergo per virtutem gratiae etiam homines miracula facere possunt.

2. En Act. 6, 8, il est dit: "Étienne, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et de grands signes parmi le peuple". Mais la grâce de Dieu ne serait envoyée préalablement que si l’acte suivant procédait d'une grâce. Donc par le pouvoir de la grâce, les hommes aussi peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 4 arg. 3 Praeterea, donum gratiae non datur nisi ad id quod per habentem gratiam fieri potest. Sed aliquibus datur donum gratiae gratis datae ad miracula facienda; unde dicitur I ad Cor. XII, 9: alii datur gratia sanitatum in uno spiritu, alii operatio virtutum. Ergo sancti per gratiam miracula facere possunt.

3. Le don de la grâce n’est donné que pour ce qui peut être fait par celui qui la possède. Mais à certains le don de la grâce est donné gratuitement pour faire des miracles: ainsi il est dit en I Co. 12, 9-10[2]: "A l'un est donnée la grâce de guérison dans l'unique Esprit, à l'autre l’opération des miracles." Donc les saints peuvent faire des miracles par grâce.

q. 6 a. 4 arg. 4 Sed dicebatur, quod sancti dicuntur miracula facere non agendo, sed impetrando a Deo ut fiant.- Sed contra, impetratio orationis fit per ea quae reddunt orationem Deo acceptam. Hoc autem fit per fidem, caritatem et alias virtutes pertinentes ad gratiam gratum facientem. Non ergo oportet ad signa facienda dari sanctis aliquod donum gratiae gratis datae.

4. Mais on pourrait dire que les saints font des miracles non pas en agissant, mais en obtenant de Dieu de le faire. En sens contraire, que la prière soit exaucée arrive par ce qui fait que la prière est acceptée par Dieu. Cela se fait par la foi, la charité et les autres vertus qui conviennent à la grâce qui rend agréable à Dieu. Il ne faut donc pas, pour faire des signes, que soit donné aux saints un don de la grâce gratuitement donnée.

q. 6 a. 4 arg. 5 Praeterea, in II dialogorum, Gregorius dicit, quod qui devota mente Deo adhaerent, cum rerum necessitas exposcit, exhibere signa modo utroque solent, ut mira quaeque aliquando ex prece faciant, aliquando ex potestate. Quod autem aliquis ex potestate facit, operando facit, non solum impetrando. Ergo Angeli et sancti homines etiam agendo miracula faciunt.

5. Dans le livre II des Dialogues, ch. 30, Grégoire [le Grand] dit que "Ceux qui s'attachent à Dieu avec un esprit dévot, lorsque la nécessité le demande, ont coutume de causer les signes de deux manières, de sorte qu'ils les accomplissent quelquefois par la prière, quelquefois par leur pouvoir." Ce que quelqu’un fait par son pouvoir, il le fait en opérant, [et] non seulement en l’obtenant. Donc les anges et les saints aussi, en agissant font des miracles.

q. 6 a. 4 arg. 6 Praeterea, triplex est rerum cursus secundum Anselmum, naturalis, voluntarius et mirabilis. Sed in cursu rerum naturali, Angeli tamquam medii inter Deum et corpora naturalia aliquid agunt, ut dicit Augustinus: omnia corpora a Deo reguntur per spiritum vitae rationalem; et Gregorius dicit: nihil in hoc mundo visibili, nisi per creaturam invisibilem disponi potest. Similiter etiam cursum rerum voluntarium, nam ipsi Angeli sunt medii inter nos et Deum, illuminationes a Deo acceptas in nos deferentes. Ergo etiam in cursu rerum mirabilium Angeli sunt medii, ita quod eis agentibus miracula fiant.

6. Le cours des événements est triple selon Anselme (Le livre du Péché originel ch. 11): naturel, volontaire et merveilleux[3]. Mais dans le cours naturel des choses, les anges en tant qu'intermédiaires entre Dieu et les corps naturels "agissent, comme le dit Augustin (La Trinité, III, IV, 9[4]). Tous les corps sont dirigés par Dieu, par un esprit de vie doué de raison", et Grégoire (Dialogues, IV, 5) dit: "Rien en ce monde visible ne peut être établi que par la créature invisible." Il en est de même pour le cours volontaire des choses, car les anges eux-mêmes sont intermédiaires entre nous et Dieu, nous apportant les lumières reçues de Dieu. Donc, même dans le cours étonnant des choses, les anges sont intermédiaires, de sorte que les miracles sont faits avec eux en tant qu’agents.

q. 6 a. 4 arg. 7 Sed dicendum, quod Angeli sunt medii non sicut agentes virtute propria, sed virtute divina.- Sed contra, quicumque operatur in virtute alterius, aliquo modo agit id quod fit per illam virtutem. Si ergo Angeli in virtute divina operantur ad miracula facienda, ipsi aliquo modo agunt.

7. Mais il faut dire que les anges sont des intermédiaires, non pas comme des agents, par leur propre pouvoir, mais par le pouvoir divin. En sens contraire, quiconque opère dans le pouvoir d’un autre, accomplit en quelque manière ce qui est fait par ce pouvoir. Donc si les anges opèrent dans le pouvoir divin pour faire des miracles, ce sont eux qui agissent d'une certaine manière.

q. 6 a. 4 arg. 8 Praeterea, lex vetus miraculose a Deo est tradita; unde habetur Exod. XIX, quod coeperunt audiri tonitrua ac micare fulgura, et nubes densissimas operire montem. Sed lex data est per Angelos, sicut habetur Galat. III. Ergo per Angelos miracula fiunt.

8. La Loi ancienne a été transmise miraculeusement par Dieu, c’est pourquoi il est dit en Ex. 19, qu’ils commencèrent à entendre le tonnerre et à voir briller des éclairs, et des nuages épais couvrirent la montagne. Mais la loi a été donnée par les anges, comme il est dit en Gal. 3, 19. Donc les miracles sont faits par les anges.

q. 6 a. 4 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit: omnis res quae habetur et non datur, si in dando deficit, nondum habetur quomodo habenda est. Sed potestas faciendi miracula est in Deo; et si alteri daret in eo non deficeret. Ergo si non dedit aliis hanc potestatem, videtur quod non habeat eam qualiter habenda est; et ita videtur quod Angelis et hominibus Deus dederit potentiam miracula faciendi.

9. Augustin dit à la fin du livre I de La doctrine chrétienne: "Tout ce qu'on a et qui n'est pas donné, s'il manque quand on le donne, n’est pas encore possédé comme il doit l'être". Mais le pouvoir de faire des miracles est en Dieu; et s’il le donnait à un autre, il ne lui manquerait pas. Donc s’il n'a pas donné ce pouvoir à d’autres, il semble qu’il ne l'a pas comme il devrait l'avoir et ainsi il semble que Dieu a donné la puissance de faire des miracles aux anges et aux hommes.

En sens contraire:

q. 6 a. 4 s. c. Sed contra, est quod dicitur in Psal. LXXI, 18: qui facit miracula magna solus.

1. Il y a ce qui est dit au Ps. 71, 18: "Lui seul fait de grands miracles."

Praeterea, sicut dicit Bernardus, ille solus potest legem immutare vel dispensare in lege, qui legem condidit; sicut patet in legibus humanis, quod solus imperator potest legem immutare qui legem condidit. Sed solus Deus legem naturalis cursus instituit. Ergo ipse solus potest miracula facere, praeter cursum naturalem agendo.

2. En outre, comme le dit Bernard[5] (La dispense et les préceptes), seul peut changer la loi ou en dispenser celui qui l’a établie; comme on le voit dans les lois humaines: seul l’empereur peut changer la loi qu'il a établie. Mais Dieu seul a institué la loi de la nature. Donc seul il peut faire des miracles en agissant au-delà de son cours.

Réponse:

q. 6 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod Angeli supra naturalem potestatem quam habent agendi, possunt aliquid per donum gratiae, in quantum sunt divinae virtutis ministri. Et potest dici, quod ad miracula facienda Angeli tripliciter operantur.

Les anges, en plus de leur puissance naturelle d'action, peuvent quelque chose par le don de la grâce, dans la mesure où ils sont les ministres du pouvoir divin. Et on peut dire que pour faire des miracles ils agissent de trois manières:

Uno modo precibus impetrando; qui modus et hominibus et Angelis potest esse communis. Alius modus est secundum quod Angeli materiam disponunt sua naturali virtute ad hoc quod miraculum fiat; sicut dicitur quod in resurrectione colligent pulveres mortuorum, qui divina virtute reducentur ad vitam. Sed hic modus proprius est Angelorum, nam humani spiritus, cum sint corporibus uniti, in exteriora operari non possunt nisi corpore mediante, ad quod sunt quodammodo naturaliter alligati.

1) En l'obtenant par des prières; ce mode peut être commun aux hommes et aux anges.

2) Selon que les anges disposent la matière par leur pouvoir naturel pour que le miracle s'accomplisse; ainsi on dit qu'à la résurrection, ils rassembleront les cendres des morts, qui seront ramenés à la vie par le pouvoir divin. Mais cette manière est propre aux anges car les esprits humains, étant unis à des corps, ne peuvent agir à l’extérieur que par l’intermédiaire du corps, auquel ils sont en quelque manière liés naturellement.

Tertius modus est quod operentur etiam aliquid coagendo; quem quidem modum Augustinus sub dubio relinquit, sic dicens: sive enim Deus ipse per se ipsum miro modo, sive per suos ministros etiam faciat, sive etiam per martyrum spiritus, sive per homines adhuc in corpore constitutos, sive omnia ista per Angelos, quibus invisibiliter imperat, operetur (ut quae per martyres fieri dicuntur, eis orantibus tantum et impetrantibus, non etiam operantibus fiant), sive aliis modis, qui nullo modo comprehendi a mortalibus possunt; tamen attestantur haec miracula fidei, in qua carnis in aeternum resurrectio praedicatur.

3) Ils opèreraient même en coopérant. A ce sujet, Augustin laisse un doute dans le livre 22 de la Cité de Dieu, disant: "Car, soit Dieu le fait par lui-même d’une manière étonnante, soit par ses ministres, soit aussi par l’esprit des martyrs, soit par les hommes encore établis dans leur corps, soit tout cela par des anges auxquels il commande invisiblement, il opère (pour que ce qu'on dit fait par les martyrs, soit fait seulement pour ceux qui prient et sont exaucés, mais non par ceux qui opèrent), soit de quelques autres manières, tout à fait incompréhensibles par les mortels; cependant ces miracles rendent témoignage de la foi qui annonce la résurrection de la chair pour l'éternité."

Sed Gregorius, hanc quaestionem determinare videtur, dicens, quod sancti homines etiam in carne viventes non solum orando et impetrando, sed etiam potestative, ac per hoc, cooperando miracula faciunt; quod probat et ratione et exemplis.

Mais Grégoire (Dialogues, II, 30) semble limiter ce problème en disant que les saints, même vivants en leur corps, non seulement en priant et exaucés, mais aussi de plein droit et par cela en coopérant, font des miracles, ce qu’il prouve par la raison et des exemples.

Primo ratione quidem: quia si hominibus data est potestas filios Dei fieri, non est mirum, si ex potestate mira facere possunt.

a) D'abord par la raison: parce que, si le pouvoir de devenir enfants de Dieu a été donné aux hommes, il n’est pas étonnant qu’ils puissent faire des miracles par ce pouvoir.

Exemplis autem: quia Petrus Ananiam et Saphiram mentientes morti increpando tradidit, nulla oratione praemissa, ut habetur Act. V, 1-11. Beatus etiam Benedictus dum ad brachia cuiusdam ligati rustici oculos deflexisset, tanta se celeritate coeperunt illigata brachiis lora dissolvere, ut dissolvi tam concite nulla hominum festinatione potuissent. Unde concludit, quod sancti quandoque faciunt miracula orando, quandoque ex potestate.

b) Par des exemples: parce que Pierre, en les réprimandant livra à la mort Ananie et Saphire qui mentaient, sans avoir prié auparavant, comme on le constate en Act. 5, 1-11. Le bienheureux Benoît aussi ayant détourné son regard sur les bras d’une chef paysan, que les lanières qui y étaient attachées commencèrent à se détacher si vite qu'aucun homme, même rapide, n'aurait pu le faire. C’est pourquoi il conclut que les saints quelquefois font des miracles par leurs prières, quelquefois par leur pouvoir.

Qualiter autem hoc esse possit, considerandum est. Constat autem quod Deus solo imperio miracula operatur. Videmus autem quod imperium divinum ad inferiores rationales spiritus, scilicet humanos, mediantibus superioribus, scilicet Angelis, pervenit, ut in legis veteris latione apparet; et per hunc modum per spiritus angelicos vel humanos, imperium divinum ad corporales creaturas pervenire potest, ut per eas quodammodo naturae praesentetur divinum praeceptum; et sic agant quodammodo spiritus humani vel angelici ut instrumentum divinae virtutis ad miraculi perfectionem; non quasi aliqua virtute habitualiter in eos manente, vel gratuita vel naturali, in actum miraculi possunt quia sic quandocumque vellent, miracula facere possent: quod tamen Gregorius non esse verum testatur; et probat per exemplum Pauli, qui stimulum a se removeri petiit, nec impetravit; et per exemplum Benedicti, qui detentus fuit contra suam voluntatem per pluviam, sororis precibus, impetratam; sed virtus ad cooperandum Deo in miraculis in sanctis intelligi potest ad modum formarum imperfectarum, quae intentiones vocantur, quae non permanent nisi per praesentiam agentis principalis, sicut lumen in aere et motus in instrumento.

Il faut considérer comment cela est possible. Il est clair que Dieu par son seul pouvoir opère des miracles. Mais nous voyons que le pouvoir divin parvient à des esprits rationnels inférieurs, c'est-à-dire des hommes, par l’intermédiaire des esprits supérieurs, c'est-à-dire des anges, comme cela apparaît dans la transmission de la Loi ancienne[6], et par ce moyen, le pouvoir divin peut parvenir par les esprits angéliques ou humains à des créatures corporelles, de sorte que, par elles, d’une certaine manière, le commandement divin soit rendu présent à la nature; et ainsi d’une certaine manière les esprits humains ou angéliques agissent comme des instruments du pouvoir divin pour accomplir des miracles; ils peuvent parfaire un miracle, non comme par quelque pouvoir qui demeure habituellement en eux, ou gratuit ou naturel, parce qu’ainsi, chaque fois qu’ils le voudraient, ils pourraient faire des miracles; ce que cependant Grégoire (Dialogue II, Homélies sur Ézéchiel, I) assure ne pas être vrai; et il le prouve par l’exemple de Paul, qui demanda que l’aiguillon s’éloigne de lui et il ne l’obtint pas. et par celui de Benoît qui fut retenu contre sa volonté par la pluie, obtenue par les prières de sa sœur, mais le pouvoir pour coopérer à Dieu dans les miracles peut être compris chez les saints à la manière des formes imparfaites qui sont appelées intentions, qui ne demeurent que par la présence de l’agent principal comme la lumière dans l’air et le mouvement dans l’instrument.

Et talis virtus potest intelligi donum gratiae gratis datae, quae est gratia virtutum vel curationum; ut sic haec gratia quae datur ad operandum supernaturaliter, sit similis gratiae prophetiae, quae datur ad supernaturaliter cognoscendum, per quam propheta non potest quandocumque vult prophetare, sed solum cum spiritus prophetiae cor eius tangit, ut Gregorius probat. Nec est mirum, si per hunc modum spirituali creatura Deus instrumentaliter utitur ad faciendum mirabiles effectus in natura corporali, cum etiam corporali creatura utatur instrumentaliter ad spirituum iustificationem, ut in sacramentis patet.

Et un tel pouvoir peut être compris comme le don d’une grâce donnée gratuitement, qui est la grâce des pouvoirs et des guérisons, pour qu’ainsi cette grâce qui est donnée pour opérer surnaturellement, soit semblable à la grâce de prophétie, qui est donnée pour connaître surnaturellement, par laquelle le prophète ne peut pas chaque fois qu’il le veut prophétiser, mais seulement quand l’esprit prophétique touche son cœur, comme le prouve Grégoire (Homélie I sur Ezéchiel). Et ce n’est pas étonnant, si, par ce moyen, Dieu se sert de la créature spirituelle comme d'un instrument pour produire des effets admirables, dans la nature corporelle, puisqu’il se sert de la créature corporelle comme instrument pour la justification des esprits comme cela paraît dans les sacrements.

Solutions:

q. 6 a. 4 ad arg. Et per hoc patet responsio ad obiecta. Nam verum est quod solus Deus miracula facit per auctoritatem; verum est etiam quod potestatem miracula faciendi creaturae communicat secundum capacitatem creaturae, et divinae sapientiae ordinem; ita quod creatura per gratiam miracula ministerio operetur.

# Et ainsi s’éclaire la réponse aux objections. Car il est vrai que Dieu seul fait des miracles par son autorité, il est vrai aussi qu’il communique à la créature le pouvoir d'en faire, selon sa capacité, et l’ordre de la sagesse divine, de sorte que, par la grâce, la créature opère des miracles par son ministère.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 110, a. 4 et ad 1 —IIIa, qu. 13, a. 2, ad 3 — qu. 78, a. 4, ad 2 — CG. III, 103 — Ia. qu. 117, a. 3, ad. 1 — IIa/IIæ qu. 178, a. 1, ad 1 — IIIa, qu. 84, a. 3, ad 4. — Pot. Qu. 6, a. 9

[2] "…à tel autre le don de guérison dans l'Unique Esprit, à un autre la puissance d'opérer des miracles." B.J.

[3] Déjà dit en 6, 1, sens contraire.

[4] Voir Pot. 6, 3, obj. 3, pour les deux textes.

[5] Bernard de Claivaux, 1090 - 1153.

[6] Allusion à la Loi au Sinaï Ga. (3, 19)

 

 

Article 5: Les démons aussi travaillent-ils à faire des miracles?

q. 6 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum etiam Daemones operentur ad miracula facienda. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections:

q. 6 a. 5 arg. 1 Dicitur enim Matth. cap. XXIV, 24: surgent pseudochristi et pseudoprophetae, et dabunt signa magna et prodigia. Sed haec non operabuntur nisi per virtutem Daemonum. Ergo Daemones operantur ad miracula facienda.

1. Car il est dit en Mt. 24, 24: "De faux christs et de faux prophètes se lèveront, et ils feront de grands signes et des prodiges." Mais ils n’opéreront que par le pouvoir des démons. Donc les démons travaillent à faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 2 Praeterea, subito sanare infirmum, miraculum est, sicut miraculum fuisse dicitur quod Christus socrum Petri sanavit, ut habetur Luc. IV, 38-40. Hoc autem etiam Daemones possunt facere: nam medicinae adhibitae infirmo sanitatem accelerant; possunt autem Daemones agilitate suae naturae medicinas efficaces ad sanandum, quas bene cognoscunt, adhibere ad sanandum, et sic, ut videtur, possunt subito sanare. Ergo possunt subito miracula facere.

2. Guérir tout d’un coup un malade c’est un miracle; on dit que c'est ainsi que fut le miracle par lequel le Christ guérit la belle-mère de Pierre, comme on le lit en Lc 4, 38-40. Mais cela aussi les démons peuvent le faire, car les remèdes employés pour un malade accélèrent sa guérison; ils peuvent aussi par l’agilité de leur nature employer des remèdes efficaces pour guérir qu’ils connaissent bien, et ainsi, à ce qu'il semble, ils peuvent guérir tout à coup. Donc ils peuvent faire tout à coup des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 3 Praeterea, facere mutos loqui est miraculum. Maius autem miraculum videtur esse quod canis loquatur vel cantet; quod Simon magus faciebat, ut legitur, virtute Daemonis. Ergo potest facere miraculum.

3. Faire parler les muets est un miracle. Mais qu’un chien parle ou chante semble un plus grand miracle, ce que Simon le magicien[2] faisait, comme on le lit, par le pouvoir du démon. Donc il peut faire un miracle.

q. 6 a. 5 arg. 4 Praeterea, Valerius maximus narrat quod fortunae simulacrum, quod Romae erat via Latina, non semel sed bis ita locutum est his verbis: rite me matronae vidistis, riteque dedicastis. Quod autem lapides loquantur, maius est miraculum quam quod muti loquantur; quod tamen est miraculosum. Ergo videtur quod Daemones miracula facere possunt.

4. Valère-Maxime[3] raconte (Les livres des Faits et Dits mémorables, livre XI, ch. 8) que la statue de la Fortune, qui était à Rome sur la Via Latina, non pas une mais deux fois, a parlé en ces termes: "Selon le rite, vous m’avez vue matrones, selon le rite, vous m’avez consacrée." Que les pierres parlent est un miracle plus grand que faire parler les muets, ce qui cependant est miraculeux. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 5 Praeterea, legitur in historiis, quod quaedam virgo Vestalis in signum pudicitiae conservatae, aquam in vase perforato de Tiberi portavit, nec tamen aqua effusa est: quod fieri non potuit nisi per hoc quod retinebatur aqua ne flueret, aliqua non naturali virtute; quod patet esse miraculum in Iordanis divisione et eius statione. Ergo Daemones possunt facere miracula.

5. On lit dans les histoires, (rapportées par Augustin dans La cité de Dieu, X, 26) qu’une vestale vierge pour montrer qu'elle avait conservé sa pudeur, porta de l’eau du Tibre dans un vase percé, et cependant l’eau ne s'écoula pas; ce qui n’a pu se faire que parce que l’eau étaient empêchée de couler par un pouvoir qui n’était pas naturel; ce qui est clairement un miracle dans la division des eaux du Jourdain et son arrêt. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 6 Praeterea, multo difficilius est hominem transformari in aliquod animal brutum quam aquam transformari in vinum. Sed aquam transformari in vinum, est miraculum, ut patet Ioan. II, 9. Ergo multo fortius hominem transformari in aliquod animal brutum. Sed Daemonis virtute homines transformantur in bruta, sicut Varro narrat, socios Diomedis a Troia revertentes in aves fuisse conversos, quae longo tempore post circa templum Diomedis volabant; narrat etiam quod Cyrces famosissima maga socios Ulyssis mutavit in bestias, et quod Arcades, quodam stagno transito, convertebantur in lupos. Ergo Daemones possunt miracula facere.

6. Il est beaucoup plus difficile de transformer un homme en animal que de transformer de l’eau en vin. Mais transformer l’eau en vin est un miracle, comme on le voit en Jn 2, 9. Donc c'est beaucoup plus fort de transformer un homme en animal. Mais par le pouvoir du démon des hommes ont été transformés en animaux, comme Varron[4] le raconte (Augustin le rapporte dans La cité de Dieu, XVIII, ch. 16, 17, 18), les compagnons de Diomède revenant de Troie, ont été transformés en oiseaux, qui volaient longtemps après autour du temple de Diomède; il raconte aussi que Circé, la fameuse magicienne, a transformé les compagnons d’Ulysse en animaux, que les Arcadiens, ayant traversé un étang, se transformèrent en loups. Donc les démons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 7 Praeterea, adversitates Iob, Daemone agente, procuratae sunt: quod patet ex hoc quod dominus dedit ei potestatem in omnia quae erant Iob. Sed huiusmodi adversitates non sine miraculo contigerunt, ut patet in igne de caelo descendente, et de vento domum ad interitionem filiorum eius evertente. Ergo Daemones miracula facere possunt.

7. Les adversités ont été procurées à Job par l’action du démon; ce qui apparaît du fait que le Seigneur lui donna pouvoir sur tous ses biens (Jb 2, 6). Mais les adversités de ce genre n’arrivèrent pas sans miracles, comme c'est évident pour le feu descendu du ciel, et le vent qui renversa la maison pour faire mourir ses fils (I, 19). Donc les démons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 8 Praeterea, quod Moyses virgam in serpentes mutavit, miraculum fuit. Sed hoc similiter fecerunt magi Pharaonis, virtute Daemonum, ut habetur Exod. VII, 8-13. Ergo videtur quod Daemones miracula facere possunt.

8. Le fait que Moïse transforma son bâton en serpent fut un miracle. Mais les magiciens du Pharaon firent de même, par le pouvoir des démons, comme on le lit en Ex. 7, 8-13. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

q. 6 a. 5 arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt; unde ex persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22: in nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per Daemones vera miracula fieri possunt.

9. Opérer des miracles est plus éloigné du pouvoir de l'homme que de celui de l’ange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des méchants; c’est pourquoi, il est dit de la personne des réprouvés (Mt. 7, 22):"En ton nom, nous avons prophétisé… et nous avons fait de nombreuses miracles." Donc les démons peuvent faire de vrais miracles.

En sens contraire:

q. 6 a. 5 s. c. Sed contra, tempore Antichristi Daemon maximam virtutem habebit ad operandum, quia, ut dicitur Apoc. XX, 3, oportebit eum solvi modico tempore, quod intelligitur tempus Antichristi. Sed tunc non operabitur vera miracula: quod patet per hoc quod dicitur II ad Thess. II, 9, quod adventus Antichristi erit in omni virtute et signis et prodigiis mendacibus. Ergo Daemones vera miracula facere non possunt.

Au temps de l’Antéchrist, le démon aura un très grand pouvoir pour agir, parce que, comme le dit l'Apoc. (20, 3), il faudra qu’il soit libéré un peu de temps, ce qui est interprété comme le temps de l’Antéchrist. Mais alors il n’opérera pas de vrais miracles, ce qui est montré par ce qui est dit Thess. II, 2, 9, que la venue de l'antéchrist sera "dans tout pouvoir, signes et prodiges mensongers." Donc les démons ne peuvent faire de vrais miracles.

Réponse:

q. 6 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut Angeli boni per gratiam aliquid possunt ultra naturalem virtutem, ita Angeli mali minus possunt, ex divina providentia eos reprimente, quam possint secundum naturalem virtutem: quia, ut Augustinus dicit, quaedam quae Angeli mali possent facere si permitterentur, ideo facere non possunt quia non permittuntur (unde secundum hoc ligari dicuntur, quod impediuntur ab illis agendis ad quae eorum naturalis virtus se extendere posset; solvi autem, cum permittuntur agere divino iudicio quae secundum naturam possunt). Quaedam vero non possunt etiam si permittantur, ut ibidem dicitur, quia naturae modus eis a Deo praestitus hoc non permittit.

De même que les bons anges peuvent faire par grâce quelque chose au-delà de leur pouvoir naturel, de même les mauvais anges peuvent à cause de la providence divine qui les arrête, moins qu’ils ne le peuvent par leur pouvoir naturel, parce que, comme le dit Augustin (La Trinité, III, 9) ils ne peuvent pas faire certaines choses qu'ils pourraient faire, si cela leur était permis, parce cela ne leur est pas permis (aussi on dit qu’ils sont liés, parce qu’ils sont empêchés de faire ce jusqu'où peut s’étendre leur pouvoir naturel; mais ils en sont délivrés quand il leur est permis par le jugement divin de faire ce qui est possible à leur nature). Mais certains ne le peuvent pas même s'ils en ont la permission, comme on le dit au même endroit, parce que le pouvoir de leur nature, fourni par Dieu, ne le permet pas.

Ad huiusmodi autem quae sunt supra facultatem naturae ipsorum, eis a Deo nulla datur potestas, quia,- cum operatio miraculosa sit quoddam divinum testimonium indicativum divinae virtutis et veritatis,- si Daemonibus, quod quorum est tota voluntas ad malum, aliqua potestas daretur faciendi miracula, Deus falsitatis eorum testis existeret; quod divinam bonitatem non decet. Unde ea tantum interdum opera faciunt quae miracula hominibus videntur, quando permittuntur a Deo, ad quae eorum naturalis virtus se potest extendere.

Pour ce qui est au-dessus de la faculté de leur nature, Dieu ne leur a donné aucune puissance, parce que — comme le miracle est un témoignage divin, qui montre le pouvoir et la vérité divines — si aux démons, dont toute la volonté est tournée vers la mal, une puissance était donnée pour faire des miracles, Dieu se montrerait garant de leur mensonge, ce qui ne convient pas à sa bonté. C'est pourquoi ces œuvres qu'ils font parfois, qui paraissent des miracles aux hommes, quand ils sont autorisés par Dieu, sont celles auxquelles leur pouvoir naturel peut parvenir.

Sicut etiam ex supra dictis, patet, naturali virtute hos solos effectus producere possunt per modum artis ad quos inveniuntur virtutes aliquae naturales in corporibus, quae eis ad motum localem obediunt, ut sic ea possint ad aliquem effectum celeriter applicare. Huiusmodi autem virtutibus verae transmutationes corporum fieri possunt, sicut secundum naturalem cursum rerum videmus unum ex alio generari. Possunt nihilominus, aliqua mutatione corporali facta, quaedam quae non sunt in rerum natura, in imaginatione facere apparere per commotionem organi phantasiae, secundum diversitatem spirituum et humorum: ad quod etiam aliqua corpora exteriora efficaciam habent, ut eis aliquo modo adhibitis, videatur esse aliquid alterius formae quam sit, sicut patet in phreneticis et mente captis.

Comme aussi il est clair, d'après ce qu'on a dit ci-dessus (art. précédent), qu'ils peuvent produire, par le pouvoir naturel, ces seuls effets par mode d'art pour lesquels se trouvent des pouvoir naturels dans les corps, qui leur obéissent pour le mouvement local, de sorte qu'ils peuvent ainsi les appliquer rapidement à un effet. Mais par les pouvoirs de ce genre, de vrais changements peuvent être opérés; ainsi selon le cours naturel des choses, nous voyons l'un engendré par l'autre. Néanmoins ils peuvent, en effectuant un changement naturel, faire apparaître dans l'imagination certaines choses qui ne sont pas dans la nature, en agissant sur l'imaginaire, selon la diversité des esprits et des humeurs. A quoi aussi quelques corps extérieurs apportent leur efficacité, de sorte que ceux-ci ayant été employé de quelque manière, il semble qu'il y a quelque chose d'une forme autre que ce qu'elle est, comme c'est évident chez les agités et les malades mentaux

Possunt ergo Daemones mirabiliter in nobis operari dupliciter: uno modo per veram corporis transmutationem; alio modo per quamdam illusionem sensuum ex aliqua immutatione imaginationis. Neutra tamen operatio est miraculosa, sed est per modum artis, ut supra diximus; et ideo simpliciter dicitur, quod per Daemones vera miracula fieri non possunt.

Les démons peuvent donc opérer étonnamment en nous de deux manières: 1) par un vrai changement du corps; 2) par une illusion des sens qui vient du changement de l'imagination. Cependant ni l'une ni l'autre des opérations est miraculeuse, mais elles viennent de l'art, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4), et c'est pourquoi on dit absolument que les démons ne peuvent pas faire de vrais miracles.

Solutions:

q. 6 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod signa et prodigia dicuntur aliqua quae virtute naturali fieri possunt, hominibus tamen mira; vel etiam per sensum illusionem, ut dictum est.

# 1. On appelle signes et prodiges certaines choses qui peuvent être faites par un pouvoir naturel, cependant étonnantes pour les hommes, ou aussi par l'illusion des sens, comme on l'a dit.

q. 6 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet, Daemonum arte, velocius aliquem posse sanari quam per naturam si sibi relinquatur, quia hoc etiam videmus per artem hominis fieri; non tamen videtur quod possint subito sanare (licet aliquos alios effectus possint facere quasi subito), quia medicinae corpori humano exhibitae operantur ad sanitatem quasi instrumenta; natura autem est sicut agens principale; unde debent talia adhiberi quae possint a natura moveri; et si plura adhiberentur, non conferrent ad sanitatem, sed magis impedirent. Unde etiam illae infirmitates ad quarum sanitatem naturae virtus nullo modo potest, operatione Daemonum sanari non possunt. Secus autem est de illis effectibus qui dependent ab exteriori agente, sicut a causa principali. Sciendum autem est, quod etiam si subito sanitatem Daemones perficerent, non esset miraculum, ex quo id agerent mediante naturali virtute, si id agerent.

# 2. Rien n'empêche que par l'art des démons, quelqu'un puisse être guéri plus vite que par la nature, si elle est laissée à elle-même, parce que nous le voyons faire par l'art de l'homme; il ne semble pas cependant qu'ils puissent guérir tout à coup (bien qu'ils puissent faire quelques autres effets comme soudainement) parce que les remèdes apportés au corps opèrent pour la santé comme des instruments; mais la nature est à vrai dire l'agent principal; c'est pourquoi de telles choses doivent être employées à ce qui peut être mû par la nature, et si plusieurs étaient employées, elles n'apporteraient pas la santé, mais elles l'empêcheraient plutôt. C'est pourquoi même ces maladies pour la guérison desquelles le pouvoir de la nature ne peut rien, ne peuvent pas être soignées par l'action des démons. Mais il en est autrement de ces effets qui dépendent d'un agent extérieur, comme d'une cause principale. Mais il faut savoir que même si les démons achevaient soudain la guérison, ce ne serait pas un miracle, parce qu'ils agiraient par l'intermédiaire d'un pouvoir naturel, s'ils le faisaient.

q. 6 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locutio canum, et alia huiusmodi quae Simon magus faciebat, potuerunt fieri per illusionem, et non per effectus veritatem. Si tamen per effectus veritatem hoc fieret, nullum sequitur inconveniens, quia non dabat cani Daemon virtutem loquendi, sicut datur mutis per miraculum, sed ipsemet per aliquem motum localem sonum formabat, litteratae et articulatae vocis similitudinem et modum habentem; per hunc enim modum etiam asina Balaam intelligitur fuisse locuta Angelo tamen bono operante.

# 3. Faire parler des chiens, et autres choses de ce genre que Simon le magicien faisait, a pu être fait par illusion, et non par un effet réel. Si cependant il l'avait fait par un effet réel, il n'en découle aucun inconvénient, parce que le démon ne donnait pas à un chien le pouvoir de parler, comme il est donné aux muets par miracle, mais lui-même formait le son par mouvement local, ayant la ressemblance et le mode d'une voix qui parle et articule. Car par ce moyen, on comprend que l'âne de Balaam[5] aussi a parlé par l'action d'un bon ange.

q. 6 a. 5 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum de locutione simulacri; hoc enim factum fuit Daemone, per motum aeris, sonum formante, similem humanae locutioni.

# 4. Il faut dire de même pour l'objection 4, à propos de la parole de la statue, car cela a été fait par le démon, par mouvement de l'air, en formant un son semblable à la parole humaine.

q. 6 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est remotum quin sit in commendationem castitatis, quod Deus verus per suos Angelos bonos huiusmodi miraculum per retentionem aquae fecisset, quia si qua bona in gentilibus fuerunt, a Deo fuerunt. Si autem per Daemones factum est, nec hoc repugnat praedictis. Nam quiescere et moveri localiter, ab eodem principio secundum genus sunt, quia per quam naturam aliquid movetur ad locum, quiescit in loco. Unde sicut Daemones possunt movere corpora localiter, ita possunt et a motu retinere. Nec tamen est miraculum, sicut quando fit divinitus, quia hoc secundum naturalem virtutem Daemonis contingit ad huiusmodi effectum determinatum.

# 5. Il n'est pas exclus que ce soit pour recommander la chasteté que le vrai Dieu ait fait par ses bons anges un miracle de ce genre, en retenant l'eau, parce que, s'il y eut quelques biens chez les païens, ils vinrent de Dieu. Mais si cela a été fait par les démons, cela ne s'oppose pas à ce qui a été dit. Car arrêter ou être mû localement, dépend d'un même principe en genre, parce que ce qui est mû vers un lieu par cette nature s'arrête en lui. C'est pourquoi, de même que les démons peuvent mouvoir les corps localement, de même ils peuvent les retenir par mouvement. Et cependant ce n'est pas un miracle, comme quand il a été fait divinement, parce que cela selon le pouvoir naturel du démon arrive à un tel effet déterminé.

q. 6 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illae transformationes, de quibus Varro loquitur, non fuerunt secundum veritatem, sed secundum apparentiam, per operationem Daemonis, phantastico hominis secundum aliquam corporalem speciem immutato, sicut dicit Augustinus.

# 6. Les transformations dont parle Varron, ne furent pas réelles, mais en apparence, par l'opération du démon; l'imagination de l'homme ayant été changée par une image corporelle, comme le dit Augustin (La cité de Dieu, XVIII, 18).

q. 6 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod per aliquem motum aeris, Daemones, Deo permittente, possunt aliquas tentationes concitare, cum etiam per ventorum motum naturaliter fieri videamus; et per hunc modum fuerunt adversitates Iob, operantibus Daemonibus, procuratae.

# 7. Par un mouvement de l'air, les démons, avec la permission de Dieu, peuvent susciter certaines épreuves, quand nous voyons aussi que c'est fait naturellement par le mouvement du vent, et de cette manière, les démons par leur action ont provoqué les malheurs de Job.

q. 6 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod de operatione magorum Pharaonis duplex opinio in Glossa tangitur: una est quod non fuerit vera conversio virgarum in serpentes, sed hoc fuerit secundum apparentiam tantum per aliquam praestigiosam illusionem. Augustinus autem in Glossa, ibidem posita, dicit quod fuit conversio vera virgarum in serpentes; quod ex hoc verisimiliter probat, quia Scriptura eodem vocabulo nominat et virgas magorum et virgam Moysi; quam constat vere in serpentem esse conversam. Quod autem operatione Daemonum virgae in serpentes sint conversae, miraculum non fuit; hoc enim fecerunt Daemones per aliqua semina collecta, quae habebant vim putrefaciendi virgas, et in serpentes convertendi. Sed quod Moyses fecit, miraculum fuit, quia, divina virtute, absque omnis naturalis virtutis operatione, hoc effectum est.

# 8. Au sujet des opérations des magiciens du Pharaon, on rapporte une double opinion dans la Glose (ordinaire):1) Il n'y a pas eu un vrai changement des bâtons en serpents mais cela fut fait en apparence seulement par un illusion de prestidigitation. Mais Augustin dans la glose, placée là même, dit que ce fut un vrai changement des bâtons en serpents. Ce qu'il prouve de façon vraisemblable par le fait que l'Écriture nomme avec le même mot les bâtons des magiciens et celui de Moïse; ce qui montre, qu'il a été vraiment changé en serpent. Mais que par l'opération des démons, les bâtons aient été changés en serpents ne fut pas un miracle, car les démons le firent avec des semences ramassées, qui avaient le pouvoir de faire pourrir les bâtons, et de les changer en serpents. Mais que Moïse le fit, c'est un miracle, parce que cela a été fait par le pouvoir divin, sans l'intervention de tout pouvoir naturel.

q. 6 a. 5 arg. 9 Praeterea, operatio miraculorum magis est remota a virtute humana quam a virtute angelica. Sed per malos homines interdum miracula fiunt; unde ex persona reproborum dicitur Matth. cap. VII, 22: in nomine tuo prophetavimus, (...) et virtutes multas fecimus. Ergo et per Daemones vera miracula fieri possunt.

# 9. Opérer des miracles est plus éloigné du pouvoir de l'homme que de celui de l’ange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des méchants; c’est pourquoi, il est dit de la personne des réprouvés (Mt. 7, 22):"En ton nom, nous avons prophétisé… et nous avons fait de nombreuses miracles." Donc les démons peuvent faire de vrais miracles.

q. 6 a. 5 ad s. c. Ad ultimum, quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod tempore Antichristi Diaboli potestas solvenda dicitur, in quantum ei multa facere permittentur, quae modo non permittuntur; unde et operabitur multa ad eorum seductionem qui hoc meruerunt non acquiescendo veritati. Operabitur autem quaedam praestigiose, in quibus nec erit verus effectus nec miracula. Operabitur etiam quaedam per veram corporum immutationem, in quibus si erunt veri effectus, non tamen vera miracula, quia erunt per causas naturales operata. Quae etiam mendacia dicuntur quantum ad intentionem facientis, qui per huiusmodi mirabilia opera inducit homines ad credendum mendaciis.

# Pour le dernier argument en sens contraire: Il faut dire qu'on annonce que la puissance du diable sera libérée au temps de l'Antéchrist, dans la mesure où il lui sera permis de faire de nombreuses œuvres, c'est pourquoi il fera beaucoup pour la séduction de ceux qui l'ont mérité en n'acquiesçant pas à la vérité; mais il fera certaines choses par prestidigitation, dans lesquels il n'y aura ni vrais effets ni vrais miracles. Il fera aussi certaines choses par un vrai changement des corps dans lesquels si les effets sont vrais, il n'y aura pas cependant de miracles, parce qu'ils auront été opérés par les causes naturelles. On dit que ce sont des mensonges dans l'intention de celui qui les opère qui par des miracles de ce genre, incite les hommes à croire à ses mensonges.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 114, a. 4, — qu. 110, a. 4, ad 2 — IIa / IIæ qu. 178, a. 1, ad 2.— CG. III, 154 — De malo, qu. 16, a. 9 — II Sent. d7.q3a1 — In Matth, c. 24 — II Thess. , c. 2, lectio 2 – Opus III, c. 136.

[2] Cf. Act. 8, 9-24, où ce détail n'est pas signalé.

[3] Auteur du Ier siècle av. J.C.. Son ouvrage est un recueil d'anecdotes.

[4] Écrivain encyclopédiste romain (de 116 à 28 av. J. C.).

[5] Nombres, 22, 28.

 

 

Article 6: Les anges et les démons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement?

 

q. 6 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum Angeli et Daemones habeant corpora naturaliter sibi unita. Et videtur quod sic.

 

Il semble que oui[1].

 

Objections:

 

q. 6 a. 6 arg. 1 In quolibet enim animali est corpus naturaliter spiritui unitum. Sed Angeli et Daemones sunt animalia: dicit enim Gregorius in homilia Epiphaniae, quod Iudaeis, tamquam ratione utentibus, rationale animal, id est Angelus annuntiare debuit. De Daemonibus vero dicit Augustinus: Daemones aerea sunt animalia, quia corporum aereorum natura vigent. Ergo Angeli et Daemones habent corpora naturaliter sibi unita.

1. Car n'importe quel être animé a un corps naturellement uni à l'esprit. Mais les anges et les démons sont des êtres animés; en effet, Grégoire [le grand] dit dans une homélie sur l'Épiphanie (Hom. X, sur l'Évangile), qu'"un être animé raisonnable, c'est-à-dire l'ange, a dû l'annoncer aux Juifs, en tant qu'ils se servent de raison." Augustin dit des démons (La Genèse au sens littéral, III, X, 14: "Les démons sont des êtres animés aériens, parce que par nature ils ont des corps aériens." Donc, les anges et les démons ont des corps qui leur sont unis naturellement.

 

q. 6 a. 6 arg. 2 Praeterea, Origenes dicit in periarchon, quod nulla substantia spiritualis sine corpore esse potest, nisi solus Deus. Cum ergo Angeli et Daemones sint substantiae creatae, videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.

2. Origène dit dans le Peri Archôn (Livre I, ch. 6[2]) qu'aucune substance spirituelle ne peut exister sans corps, sinon Dieu seul[3]. Donc, comme les anges et les démons sont des substances créées, il semble qu'ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

 

q. 6 a. 6 arg. 3 Praeterea, phantasia et irascibilis et concupiscibilis sunt vires organis utentes. Haec autem sunt in Daemonibus, et eadem ratione in Angelis: dicit enim Dionysius, quod malum Daemonis est furor irascibilis, concupiscentia amoris, phantasia proterva. Ergo habent corpora naturaliter sibi unita.

3. L'imagination, l'irascible et le concupiscible sont des forces qui se servent d'organes. Mais ils sont dans les démons, et pour la même raison dans les anges. Car Denys dit (Les Noms divins, IV, 23, 725 B.[4]) que le mal chez le démon est une fureur irascible, une convoitise de l'amour, une imagination effrontée[5]." Donc ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

 

q. 6 a. 6 arg. 4 Praeterea, aut Angeli sunt compositi ex materia et forma, aut non. Si sunt compositi ex materia et forma, oportet eos esse corpora; cum enim materia in se considerata sit una, quia non diversificatur nisi per formas, oportet quod omnium diversorum materiam habentium intelligantur diversae formae, in diversis partibus materiae receptae, nam secundum idem materia diversas formas recipere non potest. Diversitas autem partium intelligi non potest in materia sine eius divisione, nec divisio sine dimensione, quia sine quantitate substantia indivisibilis est, ut dicitur in Lib. I Phys.

4. Ou bien les anges sont composés de matière et de forme, ou non. S'ils le sont, il faut qu'ils soient des corps, puisque en effet la matière considérée en soi est une, parce qu'elle n'est différenciée que par les formes, il faut qu'on comprenne que les différentes formes de tous les différents êtres pourvus de matière, soient reçues dans les différentes parties de la matière, car la matière ne peut pas recevoir différentes formes selon le même. Mais on ne peut comprendre la diversité des parties dans la matière sans sa division, ni sa division sans dimension, parce que, sans quantité la substance est indivisible, comme il est dit, en Physique (I, 2, 185 b 1 ss.).

 

Ergo oportet quod omnia habentia materiam habeant dimensionem, et per consequens corpora. Si autem non sunt compositi ex materia et forma, aut sunt formae per se stantes, aut formae corporibus unitae. Si sunt formae per se stantes, oportet, quod non habeant esse ab alio causatum; cum enim forma sit essendi principium in quantum huiusmodi, illud quod est forma tantum, non habet esse causatum, sed solum est aliis causa essendi. Si autem sunt formae corporibus unitae, oportet quod habeant corpora naturaliter sibi unita: unio enim formae et materiae est naturalis. Relinquitur ergo quod oportet unum istorum trium ponere, scilicet quod Angeli vel sint corpora, vel sint substantiae increatae, vel habeant corpora naturaliter unita. Sed prima duo sunt impossibilia. Ergo tertium est ponendum.

Donc il faut que tout ce qui a de la matière ait une dimension et par conséquent un corps. Mais s'ils ne sont pas composés de matière et de forme, ce sont des formes subsistantes par soi, ou des formes unies à des corps. Si ce sont des formes subsistantes par soi, il ne faut pas qu'elles aient un être causé par un autre; car, comme la forme est le principe d'être, en tant que tel, ce qui est forme seulement n'a pas un être causé, mais est seulement cause d'être pour d'autres. Mais si ce sont des formes unies à des corps, il faut qu'elles aient un corps qui leur soit naturellement uni, car l'union de la forme et de la matière est naturelle. Il reste donc qu'il faut admettre l'une de ces trois solutions, à savoir que les anges sont des corps, ou des substances incréées, ou ils ont un corps qui leur est naturellement uni. Mais les deux premières solutions sont impossibles. Donc il faut prendre la troisième.

 

q. 6 a. 6 arg. 5 Praeterea, forma, in quantum huiusmodi, est secundum quam aliquid formatur. Id ergo quod est forma tantum, est formans nullo modo formatum; quod est solius Dei, qui est species prima, a qua omnia sunt speciosa, ut dicit Augustinus, VIII de Civit. Dei. Ergo Angeli non sunt formae tantum, et ita sunt corporibus unitae.

5. La forme, en tant que telle, est selon ce quoi une chose est formée. Donc ce qui est forme seulement donne la forme, sans être mis en forme en aucune manière; ce qui appartient à Dieu seul qui est une forme (species) première par laquelle toutes choses sont spécifiées, comme le dit Augustin (La Cité de Dieu, VIII). Donc les anges ne sont pas des formes seulement mais des formes unies à des corps.

 

q. 6 a. 6 arg. 6 Praeterea, sicut anima non potest operari aliquem effectum in exterioribus corporibus nisi mediantibus corporeis instrumentis, ita nec Angelus nisi corporalibus aliquibus virtutibus, quibus utitur velut instrumentis. Sed anima ad exercendas suas operationes habet corporea organa naturaliter sibi unita. Ergo et Angeli.

6. De même que l'âme ne peut produire un effet dans les corps extérieurs que par l'intermédiaire d'organes corporels, de même l'ange ne le peut que par des pouvoirs corporels qu'il utilise comme instruments. Mais l'âme pour exercer ses opérations a des organes corporels qui lui sont unis naturellement. Donc l'ange aussi.

 

q. 6 a. 6 arg. 7 Praeterea, primus motus in corporibus est quo movetur corpus a substantia incorporea. Primus autem motus est moventis se ipsum, ut habetur in VIII Physic.: quia quod per se est, prius est eo quod per aliud est. Ergo quod immediate movetur a substantia incorporea, movetur sicut motum ex se. Sed hoc non potest esse, nisi substantia incorporea movens sit corpori naturaliter unita. Cum ergo Angeli et Daemones moveant immediate corpora, ut supra dictum est, videtur quod habeant corpora naturaliter sibi unita.

7. Le premier mouvement dans les corps est celui par lequel le corps est mû par une substance incorporelle. Mais le premier mouvement vient de celui qui se meut lui-même, comme on le dit en Physique VIII; parce que ce qui est par soi, est avant ce qui est par un autre. Donc ce qui est mû sans intermédiaire par une substance incorporelle est mû comme par lui-même. Mais cela n'est possible que si la substance incorporelle qui meut est naturellement unie à un corps. Donc, comme les anges et les démons meuvent immédiatement les corps, comme on l'a dit ci-dessus (art. 2 de cette question), il semble qu'ils ont un corps qui leur est uni naturellement.

 

q. 6 a. 6 arg. 8 Praeterea, nobilius habet vitam quod vivit et vivificat, quam quod vivit tantum, sicut perfectius est lux in eo quod lucet et illuminat, quam in eo quod tantum lucet. Sed anima humana vivit, et vivificat corpus naturaliter sibi unitum. Ergo et Angelus non minus nobiliter vivit quam anima.

8. Plus noble est ce qui vit et vivifie que ce qui vit seulement, de même plus parfaite est la lumière là où elle éclaire et prend source, que là où elle éclaire seulement. Mais l'âme humaine vit, et donne la vie au corps qui lui est naturellement uni. Donc l'ange ne vit pas moins noblement que l'âme.

 

q. 6 a. 6 arg. 9 Praeterea, omnis motus corporis diversimode moti, est motus moventis se ipsum, quia quod movetur uno motu tantum, non videtur esse movens se ipsum, ut dicitur in VIII Phys. Sed corpus caeleste movetur diversis motibus; unde planetae ab astrologis quandoque dicuntur recti, quandoque retrogradi, quandoque stationarii. Ergo motus superiorum corporum est mobilium moventium seipsa; et sic corpora illa sunt composita ex substantia corporali et spirituali. Sed illa spiritualis substantia non est anima humana, nec est Deus. Ergo est Angelus. Angelus ergo habet corpus naturaliter sibi unitum.

9. Tout mouvement d'un corps mû de différentes manières, est le mouvement de celui qui se meut lui-même, parce que ce qui est mû par un seul mouvement ne semble pas être moteur lui-même, comme on le dit en Physique (VIII, 4, 255 a 5). Mais le corps céleste est mû par différents mouvements; c'est pourquoi les astronomes disent que quelquefois les planètes avancent droit, quelquefois reculent, quelquefois sont stationnaires. Donc le mouvement des corps supérieurs est celui des mobiles qui se meuvent eux-mêmes, et ainsi ces corps sont composés de substance corporelle et spirituelle. Mais cette substance spirituelle n'est pas une âme humaine, ni Dieu. Donc c'est un ange. Donc il a un corps qui lui est naturellement uni.

 

q. 6 a. 6 arg. 10 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem. Sed corpora caelestia causant vitam in istis inferioribus, ut patet in animalibus ex putrefactione generatis per virtutem caelestium corporum. Cum ergo substantia vivens sit nobilior non vivente, ut dicit Augustinus, videtur quod corpora caelestia habeant vitam et ita habeant substantias spirituales sibi naturaliter unitas; et sic idem quod prius.

10. Rien n'agit au-delà de son espèce; mais les corps célestes causent la vie dans les corps inférieurs, comme on le voit dans les animaux engendrés de la putréfaction par leur pouvoir. Donc comme la substance vivante est plus noble que celle sans vie, comme le dit Augustin (La vraie religion, XXIX et XL), il semble que les corps célestes ont une vie et qu'ainsi ils ont des substances spirituelles qui leur sont unies naturellement, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 6 a. 6 arg. 11 Praeterea, primum mobile est corpus caeleste. Sed philosophus probat, quod omnia mota reducuntur ad primum mobile, quod ex se movetur. Ergo caelum est ex se motum. Ergo est compositum ex corpore moto et movente immobili, quod est substantia spiritualis; et sic idem quod prius.

11. Le premier mobile est le corps céleste. Mais le Philosophe prouve (Physique, VIII, 2, 252 b 12 ss.) que tous les mouvements sont ramenés au premier mobile qui se meut de lui-même. Donc le ciel se meut de lui-même. Donc il est composé d'un corps mû et d'un moteur immobile, qui est une substance spirituelle, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 6 a. 6 arg. 12 Praeterea, secundum Dionysium, supremum inferioris naturae semper attingit ad infimum naturae superioris, divina sapientia res taliter ordinante. Sed supremum in natura corporali est corpus caeleste, cum sit nobilissimum corporum. Ergo attingit ad naturam spiritualem et ei unitur; et sic idem quod prius.

12. Selon Denys (Les noms divins, VII, § 3, 872 A[6]), le plus haut de la nature inférieures touche toujours au plus bas de la nature supérieure, la divine sagesse ayant organisé les choses ainsi. Mais le supérieur dans la nature corporelle est le corps céleste, puisqu'il est le plus noble des corps. Donc il touche à la nature spirituelle et lui est uni, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 6 a. 6 arg. 13 Praeterea, corpus caeli est nobilius corpore humano, sicut perpetuum corruptibili. Sed corpus humanum est unitum naturaliter substantiae spirituali. Ergo multo magis corpus caeleste, cum nobilioris corporis sit nobilior forma; et sic idem quod prius.

13. Le corps du ciel est plus noble que le corps humain, comme l'éternel est plus noble que le corruptible. Mais le corps humain est uni naturellement à une substance spirituelle. Donc beaucoup plus le corps céleste, puisqu'il est la forme plus noble d'un corps plus noble, et ainsi de même que ci-dessus.

 

q. 6 a. 6 arg. 14 Praeterea, invenimus quaedam animalia ex terra formata, sicut homines et bestias; quaedam ex aquis, ut pisces et volatilia, ut patet Gen. I. Ergo et quaedam erunt aerea, quaedam ignea, et caelestia. Haec autem non sunt alia quam Angeli et Daemones, quia cum illa sint nobiliora corpora, oportet in eis esse nobiliora animalia. Ergo Angeli et Daemones sunt animalia, et ita habent corpora naturaliter unita.

14. Nous trouvons des êtres animés[7], formés de la terre comme les hommes et les animaux; certains de l'eau comme les poissons et les volatiles, comme on le voit en Gn. 1. Donc aussi certains seront aériens, certains ignés et célestes. Mais ils ne sont pas autres que les anges et les démons, parce que ce sont des corps plus nobles, il faut qu'il y ait en eux des êtres animés plus nobles. Donc les anges et les démons sont des êtres animés, et ainsi ils ont un corps qui leur est naturellement uni.

 

q. 6 a. 6 arg. 15 Praeterea, hoc idem videtur per Platonem, qui in Timaeo ponit esse quoddam animal terrena soliditate firmatum, quoddam vero liquoribus accommodatum, quoddam autem aeri vagum, aliud divinitate plenum; quod non potest intelligi nisi Angelus. Ergo Angelus est animal; et sic idem quod prius.

15. Platon semble dire la même chose dans le Timée; il considère qu’il y a un être animé, fortifié d’une solidité terrestre, adapté aux liquides, flottant dans l'air, un autre plein de divinité, ce qui ne peut être compris que de l’ange. Donc l’ange est un être animéet ainsi c’est la même chose que ci-dessus.

 

q. 6 a. 6 arg. 16 Praeterea, nihil movetur nisi corpus, ut probatur in VI Physic. Sed Angelus movetur. Ergo vel est corpus, vel habet corpus naturaliter sibi unitum.

16. Rien n'est mû qu'un corps, comme on le prouve en Physique (VI, 10, 240 a 24 à 241 a 14). Mais l’ange est mû. Donc ou bien il est un corps ou il a un corps qui lui est uni naturellement.

 

q. 6 a. 6 arg. 17 Praeterea, verbum Dei est nobilius quolibet Angelo. Sed verbum Dei est corpori unitum. Ergo non est contra dignitatem Angeli, si ponatur corpori naturaliter unitus.

17. Le Verbe de Dieu est plus noble que n’importe quel ange; mais il est uni à un corps. Donc il n’est pas contraire à la dignité de l’ange de penser qu’il est naturellement uni à un corps.

 

q. 6 a. 6 arg. 18 Praeterea, Porphyrius dicit in praedicabilibus, quod mortale additum in definitione hominis, separat nos a diis per quod non possunt nisi Angeli intelligi. Ergo Angeli sunt animalia, et sic habent corpora naturaliter unita.

18. Porphyre[8] dit (Les prédicables, chapitre de la différence) que "mortel" ajoutée à la définition de l’homme nous sépare des dieux, terme par lesquels on ne peut comprendre que les anges. Donc ce sont des êtres animés, et ainsi ils ont des corps naturellement unis a eux.

 

En sens contraire:

 

q. 6 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Damascenus dicit, quod Angelus est substantia intellectualis, semper mobilis, arbitrio libera, incorporea.

1. Jean Damascène dit (La Foi orthodoxe, livre II, ch. 3) que "l’ange est une substance intellectuelle, toujours en mouvement, douée du libre arbitre, incorporelle."

 

q. 6 a. 6 s. c. 2 Praeterea, in libro de causis, dicitur, quod intelligentia est substantia quae non dividitur; et dicit ibi Commentator, quod neque est magnitudo neque super magnitudinem delata. Sed Angelus est intelligentia; quod patet per Dionysium, qui vocat Angelos divinas mentes et divinos intellectus. Ergo Angelus nec est corpus, nec corpori unitus.

2. Dans le livre des causes, (prop. 7), il est dit que l’intelligence est une substance indivisible; et le Commentateur dit à ce sujet qu'elle est pas une grandeur, et ni au-delà de la grandeur. Mais l’ange est une intelligence, ce que montre Denys (Les noms divins, ch. 7) qui appelle les anges des esprits et des intellects divins. Donc l’ange n’est pas un corps et il n’est pas uni à un corps.

 

q. 6 a. 6 s. c. 3 Praeterea, differentiae dividentes Angelum ab anima, sunt unibile et non unibile corpori. Si ergo Angelus esset unitus corpori, in nullo ab anima differret; quod est inconveniens.

3. Les différences qui séparent l’ange de l’âme, sont la possibilité ou non de s'unir à un corps. Donc si l’ange était uni à un corps, il ne différerait en rien de l’âme, ce qui ne convient pas.

 

q. 6 a. 6 s. c. 4 Praeterea, invenitur quaedam substantia spiritualis quae dependet a corpore quantum ad principium et quantum ad finem, sicut anima vegetabilis et sensibilis; quaedam autem quae dependet a corpore quantum ad principium et non quantum ad finem, sicut anima humana. Ergo erit quaedam quae non indiget corpore neque quantum ad principium neque quantum ad finem; et huiusmodi non potest esse alia quam Angelus vel Daemon. Quod autem sit aliqua quae indigeat corpore quantum ad finem et non quantum ad principium, non est possibile.

4. On trouve une substance spirituelle qui dépend du corps, pour son principe et sa fin[9], comme l'âme végétative et l'âme sensitive; mais une qui dépend du corps pour le principe et non pour la fin, comme l'âme humaine. Donc il y en aura une qui n'a pas besoin de corps ni pour le principe ni pour la fin; et de ce genre, il n'est pas possible qu'il y en ait d'autres que l'ange ou le démon. Mais il est impossible qu'il y en ait une qui a besoin du corps, pour la fin et non pour son principe.

 

q. 6 a. 6 s. c. 5 Praeterea, quaedam forma est quae nec est anima nec spiritus, sicut forma lapidis; quaedam etiam est quae est anima, sed non spiritus, sicut forma bruti; quaedam quae est anima et spiritus, sicut forma hominis. Quaedam ergo erit quae erit spiritus et non anima: et huiusmodi est Angelus; et sic non est corpori unitus naturaliter, quod est de ratione animae.

5. Il y a une forme qui n'est ni âme ni esprit, comme la forme de la pierre, une aussi qui est âme et non esprit comme la forme de l'animal; une qui est âme et esprit, comme la forme de l'homme. Donc il y en aura une qui sera esprit et non âme, et l'ange est de ce genre; et ainsi il n'est pas uni naturellement à un corps, ce qui est de la nature de l'âme.

 

Réponse:

 

q. 6 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod circa substantias incorporeas ponendas, antiqui diversimode processerunt.

A propos des substances incorporelles, les anciens philosophes ont procédé de différentes manières.

 

Quidam namque antiqui philosophi dixerunt, nullam substantiam incorpoream esse, sed omnes substantias esse corpora; in quo etiam errore se quandoque fuisse Augustinus confitetur.

A. Car certains philosophes anciens ont dit qu'il n'existe aucune substance incorporelle, mais que toutes sont corporelles, Augustin confesse être tombé quelquefois dans cette erreur (les Confessions).

 

Haec autem positio est etiam per philosophos improbata: Aristoteles autem hac via improbavit eam, quod oportet esse aliquam virtutem moventem infinitam; alias motum perpetuum movere non posset. Ostendit iterum quod omnis virtus in magnitudine est virtus finita. Unde relinquitur quod oporteat esse aliquam virtutem penitus incorpoream, quae continuitatem motus causet.

Cette position est désapprouvée par les philosophes; Aristote (Physique, VIII) la réprouve de cette manière: il faut qu'il y ait un pouvoir moteur infini, autrement il ne pourrait pas produire un mouvement éternel. Il montre de plus que tout pouvoir est fini en grandeur. C'est pourquoi il reste qu'il faut qu'il y ait un pouvoir tout à fait incorporel, qui cause la continuité du mouvement.

 

Iterum hoc probavit alio modo, quia actus est prius potentia, et natura et tempore, simpliciter loquendo; quamvis in uno aliquo quod de potentia exit in actum, potentia tempore praecedat: sed quia oportet quod in actum reducatur per aliquod ens actu, oportet quod actus sit simpliciter prior potentia etiam tempore. Unde cum omne corpus sit in potentia, quod ipsius mobilitas ostendit, oportet ante omnia corpora esse substantiam immobilem sempiternam.

En plus il le prouve d’une autre manière Métaphysique XIII); parce que l'acte[10] est avant le puissance, par nature et en temps, absolument parlant, quoique dans ce qui passe de la puissance à l'acte, la puissance précède en temps; mais parce qu'il faut qu'elle soit ramenée à l'acte par un étant en acte, il faut que l'acte soit absolument avant la puissance même dans le temps. C'est pourquoi comme tout corps est en puissance, ce que montre sa mobilité, il faut qu'avant tout corps il y ait une substance immobile éternelle.

 

Tertia autem ratio potest sumi ad hoc ex sententiis Platonicorum: oportet enim ante esse determinatum et particulatum, praeexistere aliquid non particulatum, sicut si ignis natura particulariter, et quodammodo participative, invenitur in ferro, oportet prius inveniri igneam naturam in eo quod est per essentiam ignis; unde, cum esse et reliquae perfectiones et formae inveniantur in corporibus quasi particulariter, per hoc quod sunt in materia receptae, oportet praeexistere aliquam substantiam incorpoream, quae non particulariter, sed cum quadam universali plenitudine perfectionem essendi in se habeat. Quod autem posuerunt sola corpora esse substantias, ex hoc decepti fuerunt quod imaginationem transcendere intellectu non valentes (quae solum est corporum) ad substantias incorporeas cognoscendas (quae solo intellectu capiuntur) pertingere non valuerunt.

On peut tirer une troisième raison des opinions des Platoniciens; car, avant qu'existe une chose déterminée et particularisée, il faut qu'il en préexiste une non particularisée, ainsi si la nature du feu particulièrement et d'une certaine manière par participation, se trouve dans le fer, il faut trouver avant une nature ignée en ce qui est feu par essence; c'est pourquoi, comme l'être, les autres perfections et les formes se trouvent dans les corps pour ainsi dire de façon particulière, du fait qu'ils sont reçus dans la matière, il faut que préexiste une substance incorporelle, non particularisée, mais qui, avec une plénitude universelle, ait la perfection de l'être en soi. Mais ayant pensé que seuls les corps étaient des substances, ils se sont trompés, parce qu'ils n'étaient pas capables de dépasser en esprit l'imagination qui concerne seulement les corps, ils n'ont pas pu parvenir à connaître les substances incorporelles, qui sont saisies seulement par l'esprit.

 

Alii vero fuerunt substantiam incorpoream ponentes; sed eam dixerunt esse corpori unitam, nec aliquam substantiam incorpoream inveniri quae non sit corporis forma. Unde ponebant ipsum Deum esse animam mundi, sicut de Varrone dicit Augustinum in VII libro de civitate Dei quod Deus est anima, motu et ratione mundum gubernans. Unde dicebat, quod totus mundus est Deus propter animam et non propter corpus, sicut et homo dicitur propter animam sapiens, et non propter corpus. Et propter hoc gentiles toti mundo et omnibus partibus eius divinitatis cultum exibebant.

B) Il y en a d'autres qui ont pensé que la substance incorporelle existait, mais ils dirent qu'elle était unie à un corps, et qu'on ne trouvait pas de substance incorporelle qui ne soit la forme d'un corps. C'est pourquoi ils pensaient que Dieu était l'âme du monde, comme dit Augustin à propos de Varron, (La cité de Dieu, IV, 31) parce que Dieu est une âme qui gouverne le monde par mouvement et raison. C'est pourquoi il disait que le monde tout entier est Dieu en raison de l'âme et non du corps, comme on dit que l'homme est appelé sage en raison de son âme, et non en raison de son corps. Et c'est pour cela que les païens rendaient un culte divin au monde entier et à toutes ses parties.

 

. Sed haec etiam positio per ipsos philosophos est improbata multipliciter

Mais cette opinion est désapprouvée de multiples manières par les philosophes eux-mêmes.

 

Primo quidem, quia virtus unita alicui corpori ut forma, habet determinatam actionem, ex eo quod tali corpori unitur; unde, cum oporteat esse aliquod agens universale influentiam habens per omnia corpora, eo quod primum movens non potest esse corpus, ut supra ostensum est, relinquitur quod oportet esse aliquod incorporeum, quod nulli corpori est unitum; unde Anaxagoras posuit intellectum immixtum, ut imperet, sicut dicitur in VIII Physic.; imperium enim est alicuius praeeminentis his quibus imperat, et eis non subditi nec ad ea obligati.

1) Parce qu'un pouvoir uni à un corps comme forme a une action limitée, du fait qu'il est uni à tel corps; c'est pourquoi, puisqu'il faut qu'il y ait un agent universel qui a de l'influence par tous les corps, parce que le premier moteur ne peut pas être un corps, comme on l'a montré ci-dessus, il reste qu'il faut qu'il y ait un être incorporel, qui ne soit uni à aucun corps; c'est pourquoi Anaxagore a pensé à un l'intellect sans mélange, pour commander, comme il est dit en Physique (VIIII, 5, 256 b 24-26[11]); car le pouvoir appartient à quelqu'un qui domine ce qu'il commande, sans lui être ni soumis ni obligé.

 

Secundo, quia si quaelibet substantia incorporea est corpori unita ut forma, oportet primum quod movetur, movere seipsum ad modum animalis, quasi compositum ex substantia corporali et spirituali. Movens autem seipsum, movet se per voluntatem, in quantum aliquid appetit: appetitus enim est movens motum, appetibile autem est movens non motum. Oportet ergo supra substantiam corpoream coniunctam corpori, esse aliquid aliud superius quod moveat eam, sicut appetibile movet appetitum; et hoc oportet esse intellectuale bonum, quia hoc est appetibile, quia est simpliciter bonum; sensibile autem appetibile appetitur, quia est hic et nunc bonum.

2) Parce que, si quelque substance incorporelle est unie à un corps comme une forme, il faut d'abord que ce qui est mû se meuve lui-même à la manière de l'animal; comme composé de substance corporelle et spirituelle. Mais celui qui se meut lui-même se meut par volonté, dans la mesure où il a un désir, car l'appétit est un moteur mû, mais l'appétible un moteur non mû. Il faut donc qu'au-dessus d'une substance corporelle jointe à un corps il y ait quelque chose de supérieur qui la mette en mouvement, comme l'appétible meut l'appétit et il faut que ce soit un bien intellectuel, parce qu'il est l'appétible, parce que c'est simplement un bien, mais l'appétible sensible est désiré, parce que c'est un bien d'ici et maintenant.

 

Intellectuale autem bonum oportet esse incorporeum, quia nisi esset absque materia, non intelligeretur; et ex hoc ipso oportet ipsum esse intelligens: substantia enim quaelibet est intelligens ex hoc quod est a materia immunis. Oportet ergo supra substantiam coniunctam corpori, esse aliam substantiam superiorem incorpoream vel intellectualem corpori non unitam. Et haec est probatio Aristotelis in XI Metaph.: non enim potest dici, quod movens seipsum, nihil desideret extra se, quia nunquam moveretur: motus enim est ad acquirendum aliquid extrinsecum aliquo modo.

Mais le bien de l'esprit doit être incorporel, parce que, s'il n'était pas sans matière, il ne serait pas compris, et de ce fait, il faut qu'il soit doué d'esprit, car une substance est “intellige” du fait qu'elle est exempte de matière. Donc il faut qu'au-dessus de la substance jointe au corps, il y en ait une autre supérieure, incorporelle ou intellectuelle, non unie à un corps. Et c'est la démonstration d'Aristote en Métaphysique XI; car on ne peut pas dire que ce qui se meut soi-même ne désirerait rien hors de lui, parce qu'il ne se mettrait jamais en mouvement: car le mouvement est d'une certaine manière pour acquérir quelque chose d'extérieur.

 

Tertio, quia cum movens seipsum possit moveri et non moveri, ut dicitur in VII Phys., si aliquid motum ex se continue movetur, oportet quod stabiliatur in movendo ab aliquo exteriori, quod est omnino immobile. Caelum autem, cuius animam dicebant Deum, videmus continue moveri; unde oportet supra illam substantiam quae est anima mundi, si qua est, esse aliam superiorem substantiam, quae nulli corpori est coniuncta, quae est per seipsam subsistens.

3) Parce que celui qui se meut lui-même peut se mouvoir ou pas, comme on le dit en Physique (VII, 4, 249 a 8); si un moteur est mû continuellement par lui-même, il faut qu'il soit maintenu en mouvement par quelque chose d'extérieur, qui est tout à fait immobile. Mais nous voyons le ciel, dont ils disaient que Dieu était l'âme, se mouvoir continuellement, c'est pourquoi il faut, au-dessus de cette substance qui est l'âme du monde, s'il y en a une, une autre substance supérieure, jointe à aucun corps, et subsistante par soi.

 

Illi autem qui posuerunt omnem substantiam corpori unitam, ex hoc videntur fuisse decepti quod materiam credebant causam subsistentiae et individuationis in omnibus entibus, sicut est in rebus corporalibus; unde substantias incorporeas non credebant posse subsistere nisi in corpore, sicut etiam per modum obiectionis tangitur in Comment. Lib. de causis.

Mais ceux qui ont pensé que toute substance était unie à un corps, semblent de ce fait s'être trompés, parce qu'ils croyaient que la matière était la cause de la subsistance et de l'individuation dans tous les êtres, comme c'est le cas dans les corps, c'est pourquoi ils croyaient que les substances incorporelles ne pouvaient subsister que dans un corps, comme on en parle par manière d'objection dans le commentaire du livre Des Causes.

 

His opinionibus abiectis, Plato et Aristoteles posuerunt aliquas substantias esse incorporeas; et earum quasdam esse corpori coniunctas, quasdam vero nulli corpori coniunctas. Plato namque posuit duas substantias separatas, scilicet Deum patrem totius universitatis in supremo gradu; et postmodum mentem ipsius, quam vocabat paternum intellectum, in qua erant rerum omnium rationes vel ideae, ut Macrobius narrat. Substantias autem incorporeas corporibus unitas ponebat multiplices: quasdam quidem coniunctas caelestibus corporibus, quas Platonici deos appellabant; quasdam autem coniunctas corporibus aeris, quas dicebant esse Daemones. Unde Augustinus in VIII de civitate Dei, introducit hanc definitionem Daemonum ab Apuleio datam: Daemones sunt animalia mente rationalia, animo passiva, corpore aerea, tempore aeterna. Et omnibus praedictis substantiis incorporeis, ratione suae sempiternitatis, gentiles Platonici dicebant cultum divinitatis exhibendum. Ponebant etiam ulterius substantias incorporeas grossioribus terrae corporibus unitas, terrenis scilicet et aqueis, quae sunt animae hominum et aliorum animalium.

C. Ces opinions une fois rejetées, Platon et Aristote ont pensé qu'il y avait des substances incorporelles, et que certaines d'entre elles étaient unies à un corps, certaines non. Platon, en effet, a posé deux substances séparées, à savoir Dieu, le père de tout l'univers, au degré suprême, et ensuite son esprit, qu'il appelait l'intellect paternel, en qui il y a avait toutes les raisons ou idées des choses, comme Macrobe[12] le raconte dans Le songe de Scipion (1). Mais il pensait que les substances incorporelles unies à ces corps étaient multiples, certaines unies aux corps célestes, que les Platoniciens appelaient des dieux; certains unies à des corps aériens, qu'ils appelaient des démons. C'est pourquoi Augustin (La cité de Dieu VIII, 16) rapporte cette définition des démons donnée par Apulée[13]: "Les démons sont des êtres animés à l'esprit doué de raison, passifs par l'âme, aériens par le corps, éternel dans le temps." Et pour toutes ces substances incorporelles, en raison de leur éternité, les Platoniciens païens disaient qu'il fallait leur rendre un culte divin. Mais ils plaçaient plus loin des substances incorporelles unies à des corps de terre plus grossiers, à savoir terreux ou aqueux, que sont les âmes des hommes et des autres êtres animés.

 

Aristoteles autem in duobus cum Platone concordat, et in duobus differt. Concordat quidem in ponendo supremam substantiam nec corpoream nec corpori unitam; et iterum in ponendo caelestia corpora esse animata. Differt autem in hoc quod ponebat plures substantias incorporeas corpori non unitas, scilicet secundum numerum caelestium motuum; et iterum in hoc quod non ponit esse aliqua animalia aerea; quod rationabilius posuit.

Aristote est en accord sur deux points avec Platon, et en désaccord sur deux autres. Il est d'accord quand il pense que la substance suprême n'est ni corporelle, ni unie à un corps, et à nouveau quand il pense que les corps célestes sont animés. Il est en désaccord sur le fait qu'il pensait qu'il y avait plusieurs substances incorporelles non unies à un corps, à savoir selon le nombre des mouvements célestes; et à nouveau dans le fait qu'il ne pense pas qu'il y a des êtres animés aériens; sa pensée est plus raisonnable.

 

Quod patet ex tribus. Primo quidem, quia corpus mixtum nobilius est corpore elementari, et maxime quantum ad formam: quia elementa mixtorum corporum materia sunt. Unde oportet quod substantiae incorporeae, quae sunt nobilissimae formae, corporibus mixtis uniantur, et non puris elementis. Nullum autem corpus mixtum esse potest, in quo terra et aqua non magis abundent secundum materiae quantitatem, cum etiam superiora elementa magis habeant de virtute activa, utpote magis formalia. Si autem haec in quantitate excederent, non servaretur aliqua proportio debita mixtionis, quia superiora omnino vincerent inferiora. Et ideo non potest esse quod substantiae incorporeae uniantur ut formae corporibus aereis, sed corporibus mixtis, in quibus materialiter superabundet terra et aqua.

Ce qui apparaît par trois raisons:1) Parce que le corps mixte est plus noble que le corps élémentaire, surtout par la forme, parce que les éléments sont la matière des corps mixtes. C'est pourquoi il faut que les substances incorporelles qui sont les formes les plus nobles soient unies à des corps mixtes et non à de purs éléments. Car il ne peut y avoir aucun corps mixte, en qui la terre et l'eau n'abondent pas plus selon la quantité de matière, puisque les éléments supérieurs ont davantage de puissance active, en tant que plus formels. Mais s'ils dépassaient en quantité, la proportion due aux mixtes ne serait pas conservée, parce que les supérieurs écraseraient complètement les inférieurs. Et c'est pourquoi il n'est pas possible que les substances incorporelles soient unies comme formes à des corps aériens, mais à des corps mixtes, dans lesquels la terre et l'eau sont matériellement en abondance.

 

Secundo, quia corpus homogeneum et uniforme oportet quod habeat eamdem formam in toto et in partibus. Totum autem aeris corpus videmus esse unius naturae; unde oportet, si substantiae aliquae spirituales aliquibus partibus aeris sunt unitae, quod etiam toti aeri uniantur: et sic totus aer erit animal, quod irrationabiliter dici videtur; quamvis et hoc quidam antiqui ponerent, ut dicitur in I de anima, qui dicebant aerem totum esse plenum diis.

2) Parce qu'un corps homogène et uniforme doit avoir une même forme en son tout et en ses parties. Mais nous voyons que tout le corps de l'air est d'une seule nature; c'est pourquoi il faut si certaines substances spirituelles sont unies aux parties de l'air, qu'elles soient unies aussi à la totalité de l'air, et ainsi tout l'air sera un être animé, ce qui semble énoncé contre la raison; quoique aussi cela certains anciens l'aient pensé, comme il est dit dans l'âme (I, 411 a 8[14]): ils disaient que tout l'air était plein de dieux.

 

Tertio, quia si substantia spiritualis non habet in se aliam potentiam quam intellectum et voluntatem, frustra corpori unitur, cum hae operationes absque corpore compleantur: omnis enim forma corporis corporaliter aliquam actionem efficit. Si autem habent alias potentias, quod videntur Platonici sensisse de Daemonibus, dicentes eos esse animo passivos,- cum autem passio non sit nisi in parte animae sensitiva, ut probatur in VII Phys.,- oportet quod tales substantiae corporibus organicis uniantur, ut actiones talium potentiarum per determinata organa exequantur. Tale autem non potest esse corpus aereum, eo quod non est figurabile. Unde patet quod substantiae spirituales non possunt aereis corporibus naturaliter esse unitae.

3) Parce que si la substance spirituelle n'a pas en soi une autre puissance que l'intellect et la volonté, elle est unie en vain à un corps, puisque ces opérations sont accomplies sans corps; car toute forme du corps accomplit une action corporellement. Mais s'ils ont d'autres puissances (ce que semblent penser les Platoniciens des démons, disant qu'ils ont l'âme passive, — puisque la passion n'est que dans une partie de l'âme sensitive, comme on le prouve en Physique, (VII, 3, 248 a 6), — il faut que de telles substances soient unies à des corps organiques, pour que les actions de telles puissances soient exécutées par les organes déterminés. Mais tel ne peut pas être le corps aérien, puisqu'on ne peut pas le figurer. C'est pourquoi il est clair que les substances spirituelles ne peuvent pas être unies naturellement à des corps aériens.

 

Utrum autem aliquae substantiae incorporeae sint caelestibus corporibus unitae ut formae, Augustinus sub dubio relinquit. Hieronymus autem asserere videtur (super illud Eccle. I: lustrans universa per circuitum spiritus), et etiam Origenes. Quod tamen a pluribus modernorum reprobatum videtur, propter hoc quod cum numerus beatorum ex solis hominibus et Angelis secundum Scripturam divinam constituatur, non possent illae substantiae spirituales nec inter hominum animas computari, nec inter Angelos, qui sunt incorporei. Sed tamen Augustinus hoc etiam sub dubio relinquit sic dicens: nec illud quidem certum habetur, utrum ad eamdem societatem, scilicet Angelorum, pertineat sol, luna et cuncta sidera; quamvis nonnullis lucida esse corpora non cum sensu vel intelligentia videantur. Sed in hoc certissime, a doctrina tam Platonis quam Aristotelis, doctrina fidei discordat, quod ponimus multas substantias penitus corporibus non unitas, plures quam aliquis eorum ponat.

D. Des substances incorporelles sont-elles unies aux corps célestes en tant que formes, Augustin en doute (La Genèse au sens littéral, II, dernier chapitre[15]). "Jérôme semble l'affirmer (sur cette parole de l'Eccl., 1: "Illuminant toutes choses par le cercle de l'esprit" et Origène aussi (Peri archôn, I, ch. 7). Ce qui cependant est désapprouvé par plusieurs modernes, parce que, comme le nombre des bienheureux est constitué selon l'Écriture sainte seulement des hommes et des anges, ces substances spirituelles ne peuvent être comptées ni parmi les âmes humaines, ni parmi les anges qui sont sans corps. Mais cependant Augustin (Enchiridion, 58[16]), garde un doute, en disant: "On ne considère pas comme certain, que le soleil, la lune et les autres astres appartiennent à une même société (c'est-à-dire celle des anges). Quoique pour certains les corps semblent être lumineux non dépourvus de sens ni d'intelligence. Mais en cela, très certainement, la doctrine de la foi est en désaccord avec celle tant de Platon que d'Aristote, parce que nous pensons que les nombreuses substances qui ne sont pas totalement unies à des corps, sont plus nombreuses que chacun d'eux le pense."

 

Quae quidem positio etiam rationabilior videtur propter tria.

 

Primo quidem, quia sicut corpora superiora digniora sunt inferioribus, ita substantiae incorporeae corporibus sunt etiam digniores; corpora autem superiora in tantum inferiora excedunt, quod terra habet comparationem ad caelum sicut punctum ad sphaeram, ut astrologi probant. Unde et substantiae incorporeae sicut Dionysius dicit, omnem multitudinem materialium specierum transcendunt; quod significatur Daniel. VII, 10, cum dicitur: millia millium ministrabant ei, et decies millies centena millia assistebant ei. Quod quidem affluentiae divinae bonitatis concordat, ut scilicet ea quae nobiliora sunt illa copiosius in esse producat. Et cum superiora ab inferioribus non dependeant, nec ad ea limitentur eorum virtutes, non oportet illa solum in superioribus ponere quae per inferiores effectus manifestantur.

Cette opinion aussi semble plus rationnelle pour trois raisons.

 

1) Parce que, de même que les corps supérieurs sont plus dignes que les corps inférieurs, de même les substances incorporelles sont plus dignes que les corps mais les corps supérieurs dépassent les inférieurs, tellement que la terre est comparée au ciel, comme le point à la sphère, comme les astrologues le prouvent. C'est pourquoi, les substances incorporelles, comme Denys le dit (La hiérarchie céleste, 15) dépassent toute la multitude des espèces matérielles; ce que montre Daniel (Daniel, 7, 10) quand il est dit: "Mille milliers le servaient, et des dizaines de centaines de milliers étaient devant lui[17]." Cela concorde avec la profusion de la bonté divine: il amène à l'être plus abondamment ce qui est plus noble. Et comme les supérieurs ne dépendent pas des inférieurs, et que leurs pouvoirs ne se limitent pas à eux; il ne faut pas placer seulement parmi les supérieurs ce qui se manifeste par des effets inférieurs.

 

Secundo autem quia rerum naturalium ordine, inter naturas distantes multi gradus medii inveniuntur, sicut inter animalia et plantas inveniuntur quaedam animalia imperfecta, quae et cum plantis communicant quantum ad fixionem, et cum animalibus quantum ad sensum. Cum ergo substantia suprema, quae Deus est, a corporum natura maxime distet, rationabile videtur quod multi gradus naturarum inter utraque inveniantur, et non solum illae substantiae quae sunt principia motuum.

2) Parce que dans l'ordre des choses naturelles, parmi les natures différentes, on trouve de nombreux degrés intermédiaires. Ainsi entre les animaux et les plantes, on trouve certains animaux imparfaits qui ressemblent aux plantes du fait qu'ils sont fixes, et aux animaux du fait qu'ils éprouvent des sensations. Donc comme la substance suprême, qui est Dieu, est extrêmement différente de la nature des corps, il semble conforme à la raison qu'on trouve beaucoup de degrés entre chacune des natures et non seulement ces substances qui sont les principes des mouvements.

 

Tertio, quia cum Deus non solum universalem providentiam de rebus corporalibus habeat, sed etiam ad res singulas eius providentia se extendat, in quibus interdum, ut dictum est, praeter ordinem causarum universalium operatur,- non solum oportet ponere substantias incorporeas Deo deservientes in universalibus causis naturae, quae sunt motus corporum caelestium, sed etiam in aliis quae Deus particulariter in singulis operatur, et praecipue quantum ad homines, quorum mentes caelestibus motibus non subiiciuntur. Sic ergo, fidei veritatem sequendo, dicimus Angelos et Daemones non habere corpora naturaliter unita, sed omnino incorporeos, sicut dicit Dionysius.

3) Parce que, comme Dieu non seulement a une providence universelle, sur les corps, mais encore qu'elle s'étend aussi aux êtres particuliers, en qui, parfois, comme on l'a dit, il opère en dehors de l'ordre des causes universelles, — non seulement il faut placer des substances incorporelles qui le servent dans les causes universelles de la nature, que sont les mouvements des corps célestes, mais aussi dans d'autres choses où Dieu opère particulièrement dans les choses particulières et surtout pour les hommes dont les esprits ne sont pas soumis aux mouvements célestes. Ainsi donc, en suivant la vérité de la foi, nous disons que les anges et les démons n'ont pas de corps unis naturellement, mais ils sont tout à fait incorporels, comme le dit Denys.

 

Solutions:

 

q. 6 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in pluribus locis suorum librorum, quantum ad corpora Angelorum et Daemonum, absque assertione utitur Platonicorum sententia. Unde et XXI de Civit. Dei utramque opinionem prosequitur de poena Daemonum tractans, et eorum scilicet qui dicebant Daemones aerea corpora habere, et eorum qui dicebant eos esse penitus incorporeos. Gregorius vero Angelum animal appellat, large sumpto animalis vocabulo pro quolibet vivente.

# 1. Augustin en plusieurs endroits de ses ouvrages, au sujet du corps des anges et des démons, se sert, sans l'affirmer, de la formule des Platoniciens. C'est pourquoi au livre XXI de La Cité de Dieu, (ch. 10), il suit deux opinions en traitant du châtiment des démons, celle de ceux qui disaient que les démons ont des corps aériens, et celle de ceux qui disaient qu'ils étaient tout à fait incorporels. Mais Grégoire appelle l'ange un animal, ce mot étant pris au sens large pour un être vivant.

 

q. 6 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Origenes in pluribus Platonicorum opinionem sectatur; unde huius opinionis fuisse videtur quod omnes substantiae creatae incorporeae sint corporibus unitae, quamvis etiam hoc non asserat, sed sub dubitatione proponat, aliam etiam opinionem tangens.

# 2. Origène suit en plusieurs points l'opinion des Platoniciens; c'est pourquoi il semble qu'il a été de cette opinion que toutes les substances incorporelles créées sont unies à des corps, bien qu'il ne l'affirme pas, mais il la met en doute, en rapportant aussi une autre opinion.

 

q. 6 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Dionysius absque dubio Angelos et Daemones incorporeos esse voluit. Utitur autem metaphorice nomine furoris et concupiscentiae pro voluntate inordinata, et nomine phantasiae pro intellectu errante in eligendo, secundum quod malus omnis est ignorans, ut philosophus dicit in III Ethicorum, et Proverb. XIV, 22, dicitur: Errant qui operantur malum.

# 3. Denys a voulu que les anges et les démons soient sans aucun doute incorporels. Mais il se sert métaphoriquement des noms de fureur et de concupiscence à la place d'une volonté sans ordre et du nom d'imagination pour un intellect errant dans ses choix, selon que tout méchant est ignorant, comme le Philosophe le dit (Ethique, III, 1, 1110 b 28[18]) et en Proverbes 14, 22, il est dit:"Ils se trompent ceux qui font le mal."

 

q. 6 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Angeli ponantur ex materia et forma compositi, non propter hoc oportet quod sint corporei ex ratione praedicta, nisi ponatur quod sit eadem materia Angelorum et corporum. Posset autem dici, quod esset alia materia corporum divisa, non quidem dimensionis divisione, sed per ordinem ad alterius generis formam, nam potentia actui proportionatur. Magis tamen credimus, quod non sint Angeli ex materia et forma compositi, sed sint formae tantum per se stantes. Nec oportet quod propter hoc non sint creati: forma enim est principium essendi ut quo aliquid est, cum tamen et esse formae et esse materiae in composito sit ab uno agente. Si ergo sit aliqua substantia creata quae sit forma tantum, potest habere principium essendi efficiens, non formale.

# 4. Si les anges sont considérés comme composés de matière et de forme, ce n'est pas pour cette raison qu'il faut qu'ils soient corporels, sauf si on pense que c'est la même matière pour les anges et les corps. Mais on pourrait dire qu'il y aurait une autre matière séparée des corps, non par division de la dimension, mais par rapport à une forme d'un autre genre, car la puissance est proportionnée à l'acte. Cependant nous croyons davantage que les anges ne sont pas composés de matière et de forme, mais qu'ils sont seulement des formes subsistantes par soi. Et il ne faut pas qu'à cause de cela, ils n'aient pas été créés: car la forme est le principe d'être, comme par quoi quelque chose existe, alors que cependant l'être de la forme et celui de la matière est dans le composé par un seul agent. Si donc, il y avait quelque substance créée qui soit seulement forme, elle peut avoir un principe d'être efficient, non formel.

 

q. 6 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum, etiam in causis formalibus prius et posterius invenitur; unde nihil prohibet unam formam per alterius formae participationem formari; et sic ipse Deus, qui est esse tantum, est quodammodo species omnium formarum subsistentium quae esse participant et non sunt suum esse.

# 5. Selon le Philosophe (Physique, II), même dans les causes formelles, on trouve un avant et un après: c'est pourquoi rien n'empêche qu'une forme soit formée par la participation d'une autre forme; et ainsi Dieu lui-même qui est être seulement, est d'une certaine manière la forme (species) de toutes les formes subsistantes qui participent de l'être et ne sont pas son être.

 

q. 6 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtus Angeli, secundum naturae ordinem, est superior, et per consequens universalior quam virtus animae humanae: unde non poterat habere corporeum organum sibi sufficienter respondens ad actiones quibus in exteriora corpora agit; ideo non debuit aliquibus corporeis organis alligari, sicut anima per unionem ligatur.

# 6. La pouvoir de l'ange, dans l'ordre de la nature, est supérieur et par conséquent plus universel que le pouvoir de l'âme humaine; c'est pourquoi il ne pouvait pas avoir un organe corporel qui réponde suffisamment à ses actions par lesquelles il agit sur les corps extérieurs. Aussi il ne dut pas être lié à quelques organes corporels, comme l'âme est liée par union.

 

q. 6 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod movens seipsum est primum inter mota, ratione moventis immobilis; unde si movens immobile moveat sive corpus sibi naturaliter unitum, sive non, eadem prioritatis ratio manet.

# 7. Ce qui se meut soi-même est premier parmi ce qui est mû en tant que moteur immobile; c'est pourquoi si le moteur immobile meut le corps naturellement uni à lui ou s'il ne le meut pas, la même raison de priorité demeure.

 

q. 6 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod anima unita corpori vivificat corpus non solum effective, sed formaliter: sic autem corpus vivificare minus est quam per se vivere tantum, simpliciter loquendo. Nam anima hoc modo corpus vivificare potest, in quantum habet esse infimum, quod sibi et corpori potest esse commune in composito ex utroque. Esse autem Angeli cum sit altius, non potest hoc modo communicari corpori. Unde vivit tantum, et non vivificat formaliter.

# 8. L'âme unie à un corps le vivifie, non seulement effectivement, mais formellement, mais vivifier ainsi un corps est moins que vivre seulement par soi, à proprement parler. Car l'âme peut de cette manière vivifier le corps, dans la mesure où il a un être faible, qui peut être commun à elle et au corps, dans le composé des deux. Mais comme l'être de l'ange est plus élevé, il ne peut pas être communiqué de cette manière à un corps. C'est pourquoi il vit seulement et il ne le vivifie pas formellement.

 

q. 6 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum, quod retrogradatio quae videtur in planetis, et statio et directio non provenit ex difformitate motus unius et eiusdem mobilis, sed ex diversis motibus diversorum mobilium, vel ponendo eccentricos et epicyclos secundum Ptolomaeum vel ponendo diversitatem motuum secundum diversitates polorum, sicut alii posuerunt. Et tamen si etiam difformiter moverentur caelestia corpora, per hoc non magis ostenderetur quod moverentur a motore voluntario coniuncto quam quod a separato.

# 9. La recul, l'immobilité et le mouvement rectiligne qu'on voit dans les planètes, ne proviennent pas de la difformité d'un seul mouvement et d'un même mobile, mais de différents mouvements, de différents mobiles, ou en posant des excentriques et des épicycles selon Ptolémée[19] ou la diversité des mouvements selon la diversité des pôles, comme d'autres l'ont pensé. Et cependant si les corps célestes étaient mus aussi d'une façon différente, on ne montrerait pas plus par là qu'ils sont mus par un moteur volontaire joint que par un moteur séparé.

 

q. 6 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod corpora caelestia etiamsi non sint animata, moventur a substantia vivente separata, cuius virtute agunt, sicut instrumentum virtute principalis agentis; et ex hoc causant in inferioribus vitam.

# 10. Même si les corps célestes ne sont pas animés, ils sont mus par une substance vivante séparée, par son pouvoir ils agissent comme instrument pour le pouvoir de l'agent principal; et c'est par cela qu'ils causent la vie dans les êtres inférieurs.

 

q. 6 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod philosophus demonstrationes suas ad duas conclusiones sub disiunctione terminat, scilicet: quod mobilia vel reducuntur statim ad movens immobile, vel ad movens seipsum, cuius una pars est movens immobile; quamvis ipse magis secundam partem praeeligere videatur. Si quis tamen primam partem eligat, nullum inconveniens ex suis demonstrationibus sequetur.

# 11. Le Philosophe termine ses démonstrations par deux conclusions séparées, à savoir que les mobiles sont ramenés aussitôt ou bien à un moteur immobile, ou à ce qui se meut soi-même, dont une partie est un moteur immobile; quoique lui-même semble préférer la seconde solution. Cependant si quelqu'un choisit la première, rien d'inconvenant ne découle de ses démonstrations.

 

q. 6 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod id quod est supremum in corporibus, attingit ad infimum spiritualis naturae per aliquam participationem proprietatum eius sicut per hoc quod est incorruptibile, non autem per hoc quod ei uniatur.

# 12. Ce qui est le plus haut dans les corps touche au plus bas de la nature spirituelle, par une participation de ses propriétés, par le fait qu'il est incorruptible mais non par le fait qu'il lui est uni.

 

q. 6 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod corpus humanum quantum ad materiam ignobilius est caelesti corpore, sed corpus humanum formam habet nobiliorem, si corpora caelestia sunt inanimata. Nobiliorem tamen dico secundum se, non tamen secundum quod corpus format. Perfectiori enim modo forma caeli perficit materiam, cui praebet esse incorruptibile, quam anima rationalis corpus. Hoc autem ideo est, quia substantia spiritualis quae movet caelum, est altioris dignitatis quam ut corpori uniatur.

# 13. Le corps humain, quant à sa matière, est moins noble que le corps céleste, mais il a une forme plus noble, si les corps célestes sont inanimés. Je la dis cependant plus noble en soi, non cependant selon qu'elle met en forme le corps. Car la forme du ciel achève la matière, à qui elle fournit un être incorruptible par un mode plus parfait, que l'âme rationnelle achève le corps. C'est pour cela, que la substance spirituelle qui meut le ciel, est d'une plus grande dignité que d'être unie à un corps.

 

q. 6 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod aerea corpora esse non possunt, rationibus praedictis.

# 14. Les corps aériens ne peuvent pas exister pour les raisons qu'on a déjà données.

 

q. 6 a. 6 ad 15 Et per hoc patet responsio ad decimumquintum quod procedit de opinione Platonis.

# 15. Et par là apparaît la réponse à la quinzième objection qui procède de l'opinion de Platon.

 

q. 6 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod Angelus non movetur commensurando se spatio, sicut corpora moventur, sed aequivoce motus dicitur de motu Angelorum et de motu corporum.

# 16. L'ange n'est pas mû en se mesurant à l'espace, comme les corps, mais le mouvement des anges et de celui des corps sont appelés mouvement de manière équivoque.

 

q. 6 a. 6 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod verbum Dei non unitur corpori ut forma, quia sic fieret una natura ex verbo et carne: quod est haereticum.

# 17. Le Verbe de Dieu n'est pas uni à un corps comme une forme, parce qu'ainsi le Verbe et la chair deviendraient une seule nature, ce qui est hérétique.

 

q. 6 a. 6 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Porphyrius in hoc opinionem Platonis sequitur, quod deos nominat Daemones, quos ponebant animalia, et etiam corpora caelestia.

# 18. Porphyre suit sur ce point l'opinion de Platon: il appelle les démons des dieux, qu'ils pensaient être des êtres animés et les corps célestes aussi.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 51, a. 1 - CG. II, 91—II Sent. D. 8, a. 1. — De Malo qu. 16, a. 1— De Spir. Creat. a. 5 — Opusc. XV, De Angelis,c. 18. (Cf. Les noms divins, IV, XIX; n° 538 ss..

 

[2] L XI, 170. Le texte en est donné en Ia, qu. 51, a. 1, obj. 1: "C'est le propre de la seule nature de Dieu (c'est-à-dire du Père, du Fils et de l'Esprit Saint) d'exister sans substance matérielle et en dehors de toute union corporelle." (Trad. Du Cerf)

 

[3] Cette persistance de croyance que les êtres spirituels ont un corps dure encore jusqu'à Teilhard de Chardin (Lettres intimes).

 

[4] Thomas n° 540.

 

[5] . Trad. de Denys: "Une colère sans raison, une convoitise sans intelligence, une imagination entreprenante. (p. 119 l. 20). Demens concupiscentia: anou" epiqumia.

 

[6] Cité en 5, 9, obj. 11.

 

[7] Il semble meilleur de traduire "être animé" plutôt que par animal.

 

[8] Porphyre 233-305, disciple de Plotin.

 

[9] C'est un raisonnement logique. Thomas explore toutes les possibilités logiques. Id. pour sed contra 5.

 

[10] Cf. démonstration plus développée en Pot. 7, 1, c, première raison, où il démontre la simplicité de Dieu.

 

[11] "C'est pourquoi également Anaxagore a raison de proclamer que l'intellect est impassible et sans mélange, puisque justement il en fait le principe du mouvement… s'il peut dominer c'est à conditions d'être sans mélange".(Trad. H. Carteron).

 

[12] Écrivain et grammairien latin. Début du Ve siècle. Il s’inspire de Platon.

 

[13] Écrivain latin, disciple de Platon (125-180).

 

[14] "Certains penseurs déclarent que l'âme est mêlée à l'univers entier; peut-être est-ce l'origine de l'opinion de Thalès que tout est plein de dieux." (Trad. E. Barbotin).

 

[15] II, XVIII, 38: "On se demande encore si ces brillants luminaires du ciel sont seulement des corps ou s’il ont pour les régir des esprits attachés à chacun d’eux."

 

[16] "Sed ne illud quidem certum habere utrum ad eamdem societatem pertineant sol et luna et cuncta sidera: quamvis nonnullis lucida corpora esse, non cum sensu et intelligentia, videantur." Ench. 58. (je n'ai pas trouvé la suite.

 

[17] B.J.: "Mille milliers le servaient, myriades de myriades, debout devant lui". (BJ).

 

[18] Ignorat quidem igitur omnis malus quas oportet operari et a quibus fugiendum."

 

[19] Claudius Ptolémée, 100-178, post Christ., astronome, mathématicien, physicien, géographe.

 

 

Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?

q. 6 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum Angeli vel Daemones possint corpus assumere. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

Objections:

q. 6 a. 7 arg. 1 Corpus enim substantiae incorporeae unitum esse non potest, nisi vel quantum ad esse, vel quantum ad motum. Sed Angeli non possunt habere unita sibi corpora quantum ad esse, quia sic essent eis naturaliter unita: quod est contra praedicta. Ergo relinquitur quod non possint corporibus uniri, nisi in quantum movent ea. Sed hoc non sufficit ad rationem assumptionis; quia sic Angelus et Daemon assumeret omne corpus quod movet, quod patet esse falsum; movit enim Angelus linguam asinae Balaam, nec tamen dicitur eam assumpsisse. Ergo non potest dici, quod Angelus vel Daemon corpus assumat.

1. Car un corps ne peut être uni à une substance incorporelle, que pour l'être ou le mouvement. Mais les anges ne peuvent avoir des corps qui leur seraient unis pour l'être, puisque, ainsi, ils leur seraient unis naturellement, ce qui est contre ce qui a été dit (article 6). Donc il reste qu'ils ne pourraient être unis à des corps, que dans la mesure où ils les meuvent. Mais cela ne suffit pas pour les assumer, parce qu'ainsi l'ange et le démon assumerait tout corps qu'il meut, ce qui parait faux, car un ange a mis en mouvement la langue de l'âne de Balaam, et cependant on ne dit pas qu'il l'ait assumée. Donc on ne peut pas dire que l'ange ou le démon assume un corps.

q. 6 a. 7 arg. 2 Praeterea, si Angeli vel Daemones corpora assumant, hoc non est propter eorum necessitatem, sed vel propter nos instruendos quantum ad bonos, vel decipiendos quantum ad malos. Sed ad utrumque sufficit sola imaginaria visio. Ergo non videtur quod corpora assumant.

2. Si les anges ou les démons assument des corps, ce n'est pas par nécessité pour eux, mais pour que les bons anges nous instruisent ou que les méchants nous trompent. Mais dans l'un et l'autre cas, il suffit d'une vision imaginaire. Donc il ne semble pas qu'ils assument des corps.

q. 6 a. 7 arg. 3 Praeterea, Deus in veteri testamento patribus apparuit, sicut et Angeli apparuisse leguntur, ut Augustinus probat. Sed non est dicendum quod Deus corpus assumpserit, nisi per mysterium incarnationis. Ergo nec Angeli apparentes corpora assumunt.

3. Dans l'Ancien Testament, Dieu apparut aux Pères, de même on lit que les anges apparurent, comme Augustin le prouve (La Trinité, III, 11 et 12). Mais il ne faut pas dire que Dieu a assumé un corps, sinon par le mystère de l'Incarnation. Donc les anges qui apparaissent n'assument pas de corps.

q. 6 a. 7 arg. 4 Praeterea, sicut uniri corpori naturaliter convenit animae, ita non esse unitum naturaliter convenit Angelo. Sed anima non potest a corpore separari cum vult. Ergo nec Angelus potest corpus assumere.

4. Être uni naturellement à un corps convient à l'âme, de même ne pas être uni naturellement convient à l'ange; mais l'âme ne peut pas être séparée du corps quand elle veut. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

q. 6 a. 7 arg. 5 Praeterea, nulla substantia finita potest simul in plures operationes. Angelus est quaedam substantia finita. Non potest ergo simul et nobis ministrare et corpus assumere.

5. Aucune substance finie ne peut être en même temps dans plusieurs opérations. Mais l'ange est une substance finie. Donc il ne peut pas en même temps s'occuper de nous et assumer un corps.

q. 6 a. 7 arg. 6 Praeterea, inter assumens et assumptum debet esse aliqua proportio. Sed inter Angelum et corpus non est aliqua proportio, cum sint omnino generum diversorum, et per consequens incompossibilia. Ergo Angelus non potest assumere corpus.

6. Entre ce qui assume et ce qui est assumé, il doit y avoir un rapport. Mais entre l'ange et le corps, il n'y en a aucun, puisqu'ils sont de genres tout à fait différents, et par conséquent incompatibles entre eux. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

q. 6 a. 7 arg. 7 Praeterea, si Angelus assumit corpus: aut corpus caeleste, aut aliquod de natura quatuor elementorum. Non quidem corpus caeleste, cum corpus caeli dividi non possit, nec a loco suo divelli; similiter nec corpus igneum, quia sic consumeret alia corpora quibus adhaereret; nec aereum, quia aer non est figurabilis; nec aqueum, aqua enim figuram non retinet; similiter autem nec terrenum, cum subito dispareant, ut patet de Angelo Tobiae. Ergo nullo modo corpus assumunt.

7. Si l'ange assume un corps: ou c'est un corps céleste, ou quelque chose de la nature des quatre éléments. Ce n'est certes pas un corps céleste, puisque celui-ci ne pourrait pas être divisé, ni enlevé de son lieu; ni non plus de la même manière un corps igné, parce qu'ainsi il consumerait les autres corps auxquels il s'attacherait; ni aérien, parce l'air n'est pas susceptible de recevoir une figure; ni aqueux, car l'eau ne retient pas de figure, ni terrestre non plus, puisqu'il disparaît aussitôt, comme on le voit pour l'ange de Tobie (XII, 21). Donc ils n'assument en aucune manière un corps.

q. 6 a. 7 arg. 8 Praeterea, omnis assumptio ad aliquam unionem terminatur. Sed ex Angelo et corpore non potest fieri unum aliquo illorum trium modorum unitatis quos ponit philosophus in I Physic.: non enim possunt fieri unum continuatione, neque indivisibilitate, neque ratione. Ergo Angelus non potest corpus assumere.

8. Toute assomption se termine à une union. Mais l'ange et le corps ne peuvent devenir un par l'un de ces trois modes d'unité, que signale le Philosophe en Physique, (I, 2, 185 b 5[2]); car ils ne peuvent devenir un ni par continuité, ni par indivisibilité, ni logiquement. Donc l'ange ne peut assumer un corps.

q. 6 a. 7 arg. 9 Praeterea, si Angeli corpus assumunt, aut corpora ab eis assumpta habent veras species quae videntur aut non. Si quidem habent veras species, cum ergo quandoque videantur in specie hominis, corpus ab eis assumptum erit verum corpus humanum: quod est impossibile, nisi dicatur quod Angelus assumit hominem; quod videtur inconveniens. Si autem non sunt verae species, hoc etiam inconveniens videtur; non enim decet aliqua fictio Angelos veritatis. Nullo ergo modo Angelus corpus assumit.

9. Si les anges assument un corps, les corps qu'ils assument ont des formes qui paraissent réelles ou pas. Dans le premier cas, comme donc quelquefois on les voit sous la forme d'un homme, le corps assumé par eux sera un vrai corps d'homme, ce qui est impossible, à moins qu'on dise que l'ange assume un homme, ce qui ne semble pas convenir. Mais si ce ne sont pas des formes véritables, cela semble ne pas convenir non plus, car feindre la vérité ne convient pas aux anges. Donc en aucune manière l'ange ne peut prendre un corps.

q. 6 a. 7 arg. 10 Praeterea, sicut supra habitum est. Angeli et Daemones virtute suae naturae non possunt facere in istis corporibus effectus aliquos, nisi mediantibus virtutibus naturalibus. Sed virtutes naturales non insunt rebus corporalibus ad formandum speciem humani corporis, nisi per determinatum modum generationis, et nisi ex determinato semine: qualiter constat quod Angeli corpus non assumunt; et eadem ratio est de aliis formis corporum in quibus Angeli aliquando apparent. Ergo non potest esse hoc, per hoc quod Angeli assumant corpora.

10. Comme on l'a vu plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question) les anges et les démons ne peuvent, par le pouvoir de leur nature, produire des effets dans ces corps que par l'intermédiaire des pouvoirs naturels. Mais ceux-ci ne sont dans les corps pour former l'aspect du corps humain, que par un mode déterminé de génération, et que par une semence déterminée. De cette manière il est bien certain que les anges n'assument pas un corps; et c'est la même raison pour les autres formes des corps dans lesquels les anges apparaissent quelquefois. Donc, ainsi il n'est pas possible que les anges assument un corps.

q. 6 a. 7 arg. 11 Praeterea, oportet quod movens aliquid influat corpori moto. Non potest autem influere, nisi aliquo modo contingat. Cum ergo non possit esse contactus Angelorum ad corpora, videtur quod non possit movere, et per consequens nec assumere.

11. Il faut que le moteur insinue quelque chose dans le corps mû. Mais il ne le peut que s'il y arrive par quelque moyen. Donc, comme il ne serait pas possible qu'il y ait un contact des anges avec les corps, il semble qu'il ne puisse ni mouvoir, ni par conséquent assumer.

q. 6 a. 7 arg. 12 Sed dicendum quod Angeli imperio solo movent corpus motu locali.- Sed contra, movens et motum oportet esse simul, ut probatur in VII Phys. Sed ex hoc quod Angelus aliquid imperat voluntate sua, non est simul cum corpore quod per ipsum moveri dicitur. Ergo solo imperio movere non potest.

12. Mais il faut dire que les anges par leur seul pouvoir meuvent les corps d'un mouvement local. — En sens contraire, le moteur et le mû doivent être ensemble, comme c'est prouvé en Physique (VII, 2, 242 b 6 – 245 b 15). Mais du fait que l'ange commande quelque chose par sa volonté, il n'est pas en même temps avec le corps qu'on dit qu'il meut. Donc par son seul commandement il ne peut pas mouvoir.

q. 6 a. 7 arg. 13 Praeterea, motus corporalis non obedit Angelis ad nutum quantum ad sui formationem, sicut supra habitum est. Figura autem quaedam forma est. Ergo non potest, solo imperio Angeli, corpus aliquod figurari ut habeat effigiem hominis aut alicuius huiusmodi, in quo Angelus appareat.

13. Le mouvement corporel n'obéit pas au commandement des anges pour être formé, comme on l'a dit plus haut (art. 3, 4 et 5 de cette question). Mais la figure est une forme. Donc, par le seul pouvoir de l'ange, un corps ne peut pas être modelé pour avoir une forme humaine ou quelque chose de ce genre, en qui l'ange apparaît.

q. 6 a. 7 arg. 14 Praeterea, super illud Ps. X, 4: dominus in templo sancto suo, dicit Glossa, quod etsi Daemones exterius simulacris praesideant, intus tamen esse non possunt; et eadem ratione nec in aliis corporibus. Sed si corpora assumunt, oportet eos in corporibus assumptis esse. Ergo non est dicendum, quod corpora assumant.

14. Sur le Ps. 10, 4: "Le Seigneur dans son temple saint", la glose interlinéaire dit que, même si les démons commandaient aux statues à l'extérieur, cependant ils ne le peuvent pas à l'intérieur; et pour la même raison dans les autres corps non plus. Mais s'ils assument un corps, il faut qu'ils soient en lui. Donc on ne doit pas dire qu'ils l'assument.

q. 6 a. 7 arg. 15 Praeterea, si assumunt aliquod corpus, aut toti corpori uniuntur, aut alicui parti eius: si solum alicui parti, non poterunt totum corpus movere, nisi unam partem moveant altera mediante; quod non videtur posse contingere, nisi corpus assumptum habeat partes organicas determinatas ad motum, quod est solum corporum animatorum. Si autem toti corpori uniuntur immediate, oportet quod sit in qualibet parte corporis assumpti Angelus; et constat quod totus, cum sit impartibilis. Ergo erit in pluribus locis simul: quod est solius Dei. Non ergo Angelus potest corpus assumere.

15. S'ils assument un corps, ou bien ils sont unis à tout le corps ou bien à une de ses parties. Si c'est seulement à une partie, ils n'ont pu mouvoir tout le corps, qu'en mettant en mouvement une partie par l'intermédiaire d'une autre; ce qui ne semble pas pouvoir arriver, à moins que le corps assumé ait des parties organiques déterminées au mouvement, ce qui appartient seulement à des corps qui donnent vie. Mais s'ils sont unis à tout le corps sans intermédiaire, il faut qu'il soit dans une quelconque partie du corps assumé, et il est évident que c'est le tout, puisqu'il n'est pas divisible en parties. Donc il sera dans plusieurs endroits en même temps; ce qui n'appartient qu'à Dieu seul. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

 

En sens contraire:

q. 6 a. 7 s. c. Sed contra est quod legitur de Angelis apparentibus Abrahae, ut habetur in Gen. XVIII, v. 2, qui in corporibus assumptis apparuerunt; et similiter de Angelo qui Tobiae apparuit

On lit au sujet des anges apparus à Abraham, comme on le voit en Gn. 18, 2, qu'ils apparurent dans des corps qu'ils avaient assumés. Et de même pour l'ange qui apparut à Tobie (Tob. 3, 25).

 

Réponse:

q. 6 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod quidam eorum qui sacrae Scripturae credunt, in qua apparitiones Angelorum leguntur, dixerunt quod Angeli nunquam corpora assumunt, sicut patet de Rabbi Moyse, qui hanc opinionem ponit; unde dicit, quod omnia quaecumque in sacra Scriptura leguntur de apparitione Angelorum, contingunt in visione prophetiae, secundum scilicet imaginariam visionem, quandoque quidem in vigilando, quandoque vero in dormiendo.

Certains de ceux qui croient à l'Écriture sainte, où on lit qu'il y eut des apparitions d'anges, ont dit que les anges n'assument jamais un corps, comme c'est clair chez Rabbi Moyses, qui a émis cette opinion: c'est pourquoi il dit que tout ce qu'on lit dans l'Écriture sainte sur l'apparition des anges arrive en vision prophétique, selon une vision apparemment imaginaire, le prophète étant quelquefois éveillé, mais quelquefois endormi.

Et haec positio veritatem Scripturae non salvat. Ex ipso enim modo loquendi quo Scriptura utitur, datur intelligi quid significetur ut res gesta, et quid per modum propheticae visionis. Cum enim aliqua apparitio per modum visionis debeat intelligi, ponuntur aliqua verba ad visionem pertinentia: sicut quod dicitur Ezech. cap. VIII, 3: elevavit me spiritus inter caelum et terram, et adduxit me in Ierusalem in visionibus domini. Unde patet quod illa quae fieri simpliciter narrantur simpliciter etiam intelligi debent esse gesta. Sic autem legitur de pluribus apparitionibus in veteri testamento.

Et cette opinion ne garde pas la vérité de l'Écriture. Car par la manière même de parler dont elle use, il est donné à comprendre ce qu'elle signale comme récit et [d’autre part] ce qui dépend d'une vision prophétique. Car lorsqu'une apparition doit être comprise comme une vision, il y a des mots qui s'y rapportent: comme ce qui est dit (Ez. 8, 3): "L'esprit m'a élevé entre ciel et terre, et m'a conduit à Jérusalem dans des visions divines." C'est pourquoi il est clair que ce qui est fait simplement est raconté simplement et doit être compris simplement comme une histoire. C'est ce qu'on le lit pour plusieurs apparitions dans l'Ancien Testament.

Unde simpliciter concedendum est quod Angeli quandoque corpus assumunt, formando corpus sensibile, exteriori sive corporali visioni subiectum; sicut et quandoque aliquas species in imaginatione formando apparent secundum imaginariam visionem. Hoc autem conveniens est propter tres rationes:

C'est pourquoi il faut simplement concéder que quelquefois les anges assument un corps, donnant forme à un corps sensible, susceptible d'être vu extérieurement ou corporellement, comme aussi quelquefois ils apparaissent en formant des images dans l'imagination selon une vision imaginaire. Cela convient pour trois raisons:

primo quidem et principaliter, quia omnes illae apparitiones veteris testamenti ad illam apparitionem ordinantur in qua filius Dei visibilis mundo apparuit, ut Augustinus dicit. Unde cum filius Dei verum corpus assumpserit, et non phantasticum ut Manichaei fabulantur, conveniens fuit ut etiam vera corpora assumendo, Angeli hominibus apparerent.

1) Principalement parce que toutes ces apparitions de l'Ancien Testament sont ordonnées à cette apparition en laquelle le Fils de Dieu apparut visiblement dans le monde, comme Augustin le dit (La Trinité, III, ch. 11 et 12). C'est pourquoi, quand le Fils de Dieu a pris un vrai corps, et non un corps imaginaire, comme les Manichéens le racontent, il a été convenable que les anges aussi, en prenant de vrais corps, apparaissent aux hommes.

Secunda ratio potest sumi ex verbis Dionysii in epistola quam scribit ad Titum; dicit enim quod ideo in divina Scriptura res divinae nobis sub sensibilibus traduntur, inter alias rationes, ut totus homo, quantum possibile est, ex participatione divinorum perficiatur, non solum intellectu capiendo intelligibilem veritatem, sed etiam in natura sensibili per sensibiles formas, quae sunt velut quaedam imagines divinorum. Unde similiter cum Angeli hominibus appareant ad eos perficiendos, conveniens est ut non solum intellectum illuminent per intellectualem visionem, sed quod etiam imaginationi provideant et exteriori sensui per imaginariam visionem, corporum scilicet assumptorum. Unde et haec triplex visio assignatur ab Augustino.

2) La seconde raison peut être tirée des paroles de Denys dans la lettre qu'il écrivit à Tite; car il dit qu'ainsi, dans l'Écriture sainte, ce qui est divin nous est transmis sous des formes sensibles, parmi d'autres raisons, pour que tout l'homme, autant que c'est possible, soit achevé par la participation du divin, non seulement en captant, par l'esprit, la vérité intelligible, mais aussi dans la nature sensible par les formes sensibles qui sont comme des images du divin. C'est pourquoi, de la même manière, comme les anges apparaissent aux hommes pour les perfectionner, il convient que, non seulement ils éclairent l'esprit, par une vision intellectuelle, mais encore pourvoient à l'imagination, et à la sensation extérieure par une vision imaginaire, à savoir celles des corps assumés. C'est pourquoi cette triple vision est concédée par Augustin (La Genèse au sens littéral, XI, ch. 7 et 24).

Tertia ratio potest esse, quia etsi Angeli natura sint nobis superiores, per gratiam tamen adipiscimur eorum aequalitatem et societatem, sicut habetur Matth. XXII, 30: erunt sicut Angeli in caelo. Et ideo, ut suam familiaritatem et affinitatem ad nos ostendant, nobis suo modo per corporum assumptionem conformantur, ut quod nostrum est accipientes, nostrum intellectum in illud assurgere faciant quod proprium est ipsorum, sicut et filius Dei, dum ad nos descendit, ad sua nos elevavit. Daemones autem quando in Angelos lucis se transfigurant, quod boni Angeli ad nostrum profectum faciunt, ipsi ad deceptionem facere moliuntur.

3) Il peut y avoir une troisième raison, parce que, même si les anges nous sont supérieurs en nature, nous obtenons cependant par grâce l'égalité et la communion avec eux, comme on le voit en Mt. 22, 30: "Ils seront comme les anges dans le ciel." Et c'est pourquoi pour nous montrer leur familiarité et leur affinité, ils se conforment à nous à leur manière en assumant un corps, pour que recevant ce qui est de nous, ils élèvent notre esprit à ce qui leur est propre, comme le Fils de Dieu, en descendant vers nous, nous élève à ce qui lui est propre. Mais les démons, quelquefois se transforment en anges de lumière, ce que les bons anges font pour notre progrès, eux travaillent à le faire pour nous tromper.

Solutions:

q. 6 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omne corpus quod movet Angelus assumit. Assumere enim dicitur quasi ad se sumere. Assumit ergo Angelus corpus non ut suae naturae uniat, sicut homo assumit cibum; neque ut uniat suae personae, sicut filius Dei assumpsit humanam naturam; sed ad suam repraesentationem, illo modo quo intelligibilia per sensibilia repraesentari possunt. Tunc ergo Angelus corpus assumere dicitur quando corpus aliquod hoc modo format quod ad repraesentationem suam est aptum; sicut patet per Dionysium in fine caelestis hierarchiae, ubi ostendit quod per corporales formas, Angelorum proprietates intelliguntur.

# 1. L'ange n'assume pas tout corps qu'il meut. Car on dit assumer comme prendre pour soi. Donc l'ange assume le corps non pour s'unir à sa nature, comme l'homme assume la nourriture, ni pour s'unir à sa personne, comme le Fils de Dieu a assumé la nature humaine; mais pour sa représentation de cette manière par laquelle les intelligibles peuvent être représentés par les sensibles. Alors donc on dit que l'ange assume un corps quand il forme de cette manière un corps susceptible de le représenter; comme cela est évident chez Denys à la fin de la Hiérarchie céleste (ch. 5), où il montre que par les formes corporelles, on comprend les propriétés des anges.

q. 6 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum imaginaria visio est utilis ad nostram instructionem, sed etiam corporalis, ut dictum est.

# 2. Non seulement la vision imaginaire est utile à notre instruction, mais même la vision corporelle, comme on l'a dit.

q. 6 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus, omnes Dei apparitiones quae in veteri testamento leguntur, factae sunt ministerio Angelorum, qui aliquas species vel imaginarias vel corporeas formant, per quas animum hominis videntis in Deum reducerent; sicut et sensibilibus figuris possibile est hominem in Deum reduci. Corpora ergo apparentia, in apparitionibus praedictis Angeli assumpserunt; sed in eis Deus apparuisse dicitur quia ipse Deus erat finis in quem, per repraesentationem huiusmodi corporum, Angeli mentem hominis elevare intendebant. Et ideo in illis apparitionibus Scriptura quandoque commemorat Deum apparuisse, quandoque Angelum.

# 3. Comme le dit Augustin (La Trinité, III, ch. 11 et 12) toutes les apparitions de Dieu qu'on lit dans l'Ancien Testament, ont été réalisées par le ministère des anges, qui forment des espèces, imaginaires ou corporelles, par lesquelles ils ramènent à Dieu l'âme de l'homme qui les voit; de même il est possible que l'homme soit ramené à Dieu par des figures sensibles. Donc les anges assument les corps apparents dans les apparitions dont on a parlé, mais on dit que c'est Dieu qui est apparu parce qu'il était lui-même la fin pour laquelle, par la représentation des corps de ce genre, les anges tendaient à élever l'esprit de l'homme. Et c'est pourquoi dans ces apparitions, l'Ecriture rappelle que quelquefois c'est Dieu qui est apparu, quelquefois c'est un ange.

q. 6 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla res habet potestatem supra suum esse: omnis enim rei virtus ab essentia eius fluit, vel essentiam praesupponit. Et quia anima per suum esse unitur corpori ut forma, non est in potestate eius ut ab unione corporis se absolvat; et similiter non est in potestate Angeli quod se uniat corpori secundum esse ut formam; sed potest corpus assumere modo praedicto, cui unitur ut motor, et ut figuratum figurae.

# 4. Rien n'a de pouvoir au-dessus de son être; car tout pouvoir d'un être découle de son l'essence, ou la présuppose. Et parce que l'âme par son être est unie à un corps comme une forme, il n'est pas en son pouvoir de se séparer du corps; et semblablement il n'est pas au pouvoir de l'ange de s'unir à un corps selon l'être en tant que forme; mais selon le mode déjà dit, il peut assumer un corps, à qui il est uni comme moteur, et comme le figuré à la figure.

q. 6 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae duae operationes, assumere corpus et ministrare, sunt ad invicem ordinatae; et ideo nihil prohibet quin ea Angelus simul exequatur.

# 5. Ces deux opérations: assumer un corps et servir sont ordonnées l'une à l'autre; et c'est pourquoi rien n'empêche que l'ange les accomplissent en même temps.

q. 6 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si proportio secundum commensurationem accipiatur, non potest esse Angeli ad corpus proportio, cum eorum magnitudines non sint unius generis, nec rationis eiusdem: nihil tamen prohibet quin sit aliqua habitudo Angeli ad corpus, ut motoris ad motum et figurati ad figuram; quae proportio potest dici.

# 6. Si on accepte une proportion selon la mesure, il ne peut pas y en avoir de l'ange au corps, puisque leurs grandeurs ne sont pas d'un seul et même genre ni d'une même nature. Cependant rien n'empêche qu'il y ait un rapport de l'ange au corps comme du celui du moteur au mû et du figuré à la figure, rapport qu'on peut appeler proportion.

q. 6 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ex quolibet elemento potest Angelus corpus assumere, vel etiam ex pluribus elementis commixtis. Magis tamen competit quod ex aere corpus assumat, qui potest inspissari faciliter, et sic figuram recipere et retinere et per alicuius lucidi corporis oppositionem diversimode colorari, sicut in nubibus patet; ut quantum ad praesens non sit differentia inter purum aerem et vaporem seu fumum, qui in aeris naturam tendunt.

# 7. Avecn'importe quel élément, l'ange peut assumer un corps ou même avec plusieurs éléments mêlés. Cependant il convient plus qu'il prenne un corps de l'air, qui peut facilement s'épaissir et ainsi recevoir une figure et la retenir, et par l'opposition d'un corps lumineux être coloré de diverses manières, comme on le voit dans les nuages, pour qu'à ce moment-là il n'y ait pas de différence entre l'air pur, la vapeur ou la fumée, qui déploient leur nature dans les airs.

q. 6 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa divisione dividitur unum simpliciter. Sic autem Angelus corpori non unitur, sed secundum quid, sicut motor mobili et ut figuratum figurae, sicut supra dictum est.

# 8. L'unité est simplement divisée par cette division. Ainsi l'ange n'est uni à un corps que relativement, comme le moteur au mobile, le figuré à la figure, comme on l'a dit ci-dessus.

q. 6 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod corpora illa quae Angeli assumunt, habent quidem veras formas quantum ad id quod sensus percipere potest, quae sunt sensibilia per se, sicut color et figura; non autem quantum ad naturam speciei, quae est sensibile per accidens. Nec propter hoc oportet quod sit ibi aliqua fictio, quia formas humanas non obiiciunt oculis Angeli, ut homines esse credantur, sed ut per humanas proprietates, Angelorum virtutes cognoscantur; sicut nec etiam metaphoricae locutiones sunt falsae, in quibus ex aliorum similitudinibus res aliae significantur.

# 9. Ces corps que les anges assument ont de vraies formes, quant à ce qui peut être perçu par les sens; ils sont sensibles par soi, comme la couleur et la figure; mais non quant à la nature de la forme, qui est sensible par accident. Et ce n'est pas pour ça qu'il faut qu'il y ait un subterfuge, parce que les anges n'offrent pas aux yeux des formes humaines, pour qu'on croit que ce sont des hommes; mais pour que, par des caractères humains, leurs pouvoirs soient connus, de même que les expressions métaphoriques, qui signifient certaines choses par des images d'autres choses ne sont pas fausses.

q. 6 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet virtutes naturales corporum non sufficiant ad inducendum veram speciem humani corporis nisi per debitum modum generationis, sufficiunt tamen ad inducendum similitudinem humanorum corporum quantum ad colorem et figuram et ad huiusmodi accidentia exteriora, et praecipue cum ad plura horum sufficere videatur motus localis aliquorum corporum, per quem et vapores condensantur, et rarefiunt, et nubes diversimode figurantur.

# 10. Bien que les vertus naturelles des corps ne suffisent pas pour induire la forme réelle d'un corps humain sinon par le mode nécessaire à la génération, elles suffisent cependant pour induire une ressemblance des corps humains pour la couleur, la figure et les accidents extérieurs de ce genre; et surtout comme le mouvement local des corps parait suffire à plusieurs de ceux-ci par lequel les vapeurs sont condensées et raréfiées et les nuages figurées de diverses manières.

q. 6 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Angelus movens corpus assumptum influit ei motum, et tangit non tactu corporali sed spirituali, per suam virtutem.

# 11. L'ange qui meut un corps assumé lui communique le mouvement et le touche par son pouvoir non d'un toucher corporel mais spirituel.

q. 6 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod imperium Angeli requirit executionem virtutis; unde oportet quod sit quidam tactus spiritualis ad corpus quod movet.

# 12. Le pouvoir de l'ange requiert l'accomplissement d'un pouvoir; c'est pourquoi il faut que ce soit un toucher spirituel pour le corps qu'il meut.

q. 6 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod figura est quaedam forma quae, per abscissionem materiae et condensationem vel rarefactionem, vel ductionem aut aliquem motum huiusmodi, potest fieri in materia. Unde non est eadem ratio de hac forma et aliis.

# 13. La figure est une forme qui par épaississement de la matière et condensation ou raréfaction, ou induction ou un mouvement de ce genre, peut être produite dans la matière. C'est pourquoi cette forme n'a pas la même nature que les autres.

q. 6 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod esse in aliquo corpore potest intelligi dupliciter: uno modo ut sit infra terminos quantitatis: et sic nihil prohibet Diabolum in aliquo corpore esse;

alio modo ut sit intra rei essentiam ut dans esse rei et operans in re, quod est solius Dei proprium, quamvis Deus non sit pars essentiae alicuius rei. Potest autem et secundum Glossam intelligi Daemon in simulacro non esse sicut idololatrae putabant, ut scilicet ex simulacro et spiritu habitante fieret unum.

# 14. Etre dans un corps peut être compris de deux manières:

1) Il est en dessous des termes de quantité; et ainsi rien n'empêche le diable d'être dans un corps.

2) Il est dans l'essence de la chose, comme lui donnant l'être et opérant en elle; ce qui est le propre de Dieu seul, quoique Dieu ne soit pas une partie de l'essence d'une chose. Mais on peut et selon la glose, comprendre que le démon n'est pas dans une statue comme les idolâtres le pensaient, au point que la statue et l'esprit qui l'habite deviennent un.

q. 6 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod Angelus est totus in toto corpore assumpto et in qualibet parte eius, eadem ratione qua et anima: licet enim non sit forma corporis assumpti ut anima, est tamen motor. Movens autem et motum oportet esse simul. Et tamen non sequitur ut sit in pluribus locis simul, comparatur enim totum corpus assumptum ad Angelum sicut unus locus.

# 15. L'ange est tout entier dans tout le corps assumé, et en chacune de ses partie, pour la même raison que l'âme, car bien qu'il ne soit pas la forme du corps assumé, en tant qu'âme, il en est cependant le moteur. Mais le moteur et le mû doivent être ensemble. Et cependant il n'en découle pas qu'il soit en plusieurs endroits en même temps, car tout corps assumé par l'ange équivaut pour ainsi dire à un seul lieu.

 

[1] Parall.: Ia, qu. 51, a. 2, - II sent. d8a2.

[2] "Or l'un se dit du continu, soit de l'indivisible, soit de ce qui a une même définition et une quiddité une…" (Trad. H. Carteron).

 

 

Article 8: L'ange ou le démon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les opérations d'un corps vivant?

q. 6 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum Angelus vel Daemon per corpus assumptum possit operationes viventis corporis exercere. Et videtur quod non.

Il semble que non[1].

Objections:

q. 6 a. 8 arg. 1 Cuicumque enim competit habere virtutem ad aliquod opus, competit ei habere ea sine quibus illud opus haberi non potest; alias talis virtus frustra ei adesset. Sed huiusmodi opera viventium corporum sine corporeis organis exerceri non possunt. Cum ergo Angelus non habeat corporea organa naturaliter sibi unita, videtur quod non possit praedicta opera exercere.

1. Car à quiconque il convient d'avoir le pouvoir d'accomplir une œuvre, il convient d'avoir ce sans quoi cette œuvre ne peut être accomplie; autrement un tel pouvoir serait en vain en lui. Mais de telles œuvres des corps vivants ne peuvent pas être exercées sans les organes corporels. Donc comme l'ange n'a pas d'organe corporel naturellement uni à lui, il semble qu'il ne peut pas accomplir ces œuvres.

q. 6 a. 8 arg. 2 Praeterea, anima est nobilior quam natura. Sed Angelus non potest opus naturae facere nisi mediante virtute naturali. Ergo multo minus potest facere opera animae per corpus assumptum quod anima caret.

2. L'âme est plus noble que la nature. Mais l'ange ne peut accomplir l'œuvre de la nature que par l'intermédiaire d'un pouvoir naturel. Donc il peut beaucoup moins accomplir les œuvres de l'âme par le corps sans âme qu'il assume.

q. 6 a. 8 arg. 3 Praeterea, inter omnes operationes animae, quae per organa complentur, actus sensuum sunt propinquiores intellectuali operationi, quae est propria Angeli. Sed Angelus per corpus assumptum non potest sentire vel imaginari. Ergo multo minus potest opera alia animae facere.

3. Parmi toutes les opérations de l'âme, qui sont accomplies par les organes, les actions des sens sont plus proches de l'opération intellectuelle qui est le propre de l'ange. Mais il ne peut ni sentir ni imaginer par le corps qu'il assume. Donc il peut beaucoup moins accomplir les autres œuvres de l'âme.

q. 6 a. 8 arg. 4 Praeterea, locutio non fit sine voce. Vox autem est sonus ab ore animalis prolatus. Cum ergo Angelus utens corpore assumpto non sit animal, videtur quod loqui non possit per corpus assumptum, et multo minus alia facere: nam locutio propinquissima sibi videtur, cum sit intellectus signum.

4. La parole ne se fait pas sans la voix. Mais celle-ci est le son proféré par la gueule de l'animal[2]. Donc comme l'ange, qui se sert d'une corps assumé, n'est pas un animal, il semble qu'il ne puisse pas parler par ce corps qu’il assume, et beaucoup moins faire d'autres choses: car la parole lui semble très proche puisqu'elle est le signe de l'esprit.

q. 6 a. 8 arg. 5 Praeterea, ultima operatio animae vegetabilis in uno et eodem individuo est generatio: prius enim nutritur et augetur animal quam generet. Sed non potest dici quod Angelus, vel corpus assumptum ab ipso, nutriatur vel motu augmenti moveatur. Ergo non potest esse quod corpus assumptum generet.

5. La dernière opération de l'âme végétative dans un seul et même individu est la génération; car l'animal se nourrit, et il grandit avant d'engendrer. Mais on ne peut pas dire que l'ange ou le corps qu'il assume est nourri ou mû par un mouvement de croissance. Dons il n'est pas possible qu'un corps assumé engendre.

q. 6 a. 8 arg. 6 Sed dicendum, quod Angelus vel Daemon per corpus assumptum generare potest, non quidem semine ex corpore assumpto deciso, sed semine hominis in muliere transfuso, sicut et adhibendo alia propria semina quosdam veros effectus naturales causat.- Sed contra: semen animalis praecipue ad generationem operatur per calorem naturalem. Si autem Daemon semen portaret per aliquam magnam distantiam, impossibile videtur quin calor naturalis evaporaret. Ergo non posset fieri generatio hominis per modum praedictum.

6. Mais il faut dire que l'ange ou le démon peut engendrer par le corps qu'il assume, cependant pas par séparation de la semence d'avec le corps assumé; mais par la semence d'un homme transfusée dans la femme, et en employant d'autres semences propres, il cause de vrais effets naturels. — En sens contraire: la semence de l'être animé opère surtout pour la génération par la chaleur naturelle. Mais si le démon portait la semence sur une grand distance, il semble impossible que la chaleur naturelle ne soit pas détruite. Donc il ne serait pas possible que la génération de l'homme se fasse de cette manière.

q. 6 a. 8 arg. 7 Praeterea, secundum hoc, ex tali semine homo non generaretur nisi secundum virtutem humani seminis. Ergo illi qui dicuntur a Daemonibus generari, non essent maioris staturae et robustiores aliis qui communiter per semen humanum generantur; cum tamen dicatur Genes. VI, 4, quod cum ingressi essent filii Dei ad filias hominum illaeque genuerunt, nati sunt gigantes, potentes a saeculo, viri famosi.

7. Ainsi, l'homme n'est engendré d'une telle semence que selon le pouvoir de la semence humaine. Donc ceux qu'on dit engendrés par les démons, ne seraient pas d'une plus grande stature, ni plus robustes que les autres, qui sont engendrés communément par la semence humaine, alors que cependant, on dit en Genèse VI, 4, que, comme "ils s'etaient introduits chez les filles des hommes, et elles engendrèrent, des géants naquirent, les puissants de cette époque, hommes fameux."

q. 6 a. 8 arg. 8 Praeterea, comestio ad nutrimentum ordinatur. Si ergo Angeli in corporibus assumptis non nutriuntur, videtur quod nec etiam comedant.

8. Manger est ordonné à la nutrition. Si donc les anges dans les corps qu'ils assument ne sont pas nourris, il semble qu'ils ne mangent pas non plus.

q. 6 a. 8 arg. 9 Praeterea, ad ostendendum veritatem corporis humani resurgentis, Christus post resurrectionem comedere voluit. Si autem Angeli vel Daemones in corporibus assumptis comedere possent, non esset comestio efficax argumentum resurrectionis, quod patet esse falsum. Non ergo Angeli vel Daemones per corpus assumptum comedere possunt.

9. Pour montrer la vérité de son corps humain ressuscité, le Christ, après sa résurrection, a voulu manger. Mais si les anges et les démons dans les corps assumés pouvaient manger, cette action de manger ne serait pas efficace comme l'argument de la résurrection, ce qui paraît faux. Donc les anges ou le démons ne peuvent pas manger par le corps qu'ils assument.

En sens contraire:

q. 6 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Gen. capit. XVIII, 9, de Angelis qui apparuerunt Abrahae: cum comedissent, dixerunt ad eum: ubi est Sara uxor tua? Ergo et comedunt et loquuntur Angeli in corporibus assumptis.

1. Il y a ce qui est dit en Gn. 18, 9 au sujet des anges qui apparurent à Abraham: "Comme ils avaient mangé, ils lui dirent: Où est Sara ton épouse?" Donc les anges mangent et parlent dans les corps qu'ils avaient assumés.

q. 6 a. 8 s. c. 2 Praeterea, Genes. VI, 2, super illud: videntes filii Dei, etc., dicit Glossa Hieron.: verbum Hebraicum Eloim utriusque numeri est: Deum enim et deos significat. Ideo aquila filios deorum dicere ausus est deos, sanctos vel Angelos intelligens. Ergo videtur quod Angeli generent.

2. En Gn. 6, 2 sur cette parole: "Les fils de Dieu voyant…", la glose de Jérôme dit: "Le mot hébreux Elohim est de deux nombres: Car il signifie Dieu et des dieux. C'est pourquoi Aquila a osé appelé les fils des dieux des dieux, comprenant les saints et les anges." Donc il semble que les anges engendrent.

q. 6 a. 8 s. c. 3 Praeterea, sicut per artem hominis nihil fit frustra, ita nec per artem Angeli. Frustra autem assumerent corpora disposita ad modum organici corporis, nisi illis organis uterentur. Ergo videtur quod exerceant in corporibus assumptis opera organis convenientia, sicut quod videant per oculos, et audiant per aures, et sic de aliis.

3. Rien n'est fait en vain par l'art de l'homme, ni non plus par l'art de l'ange. C'est en vain qu'ils assumeraient des corps disposés à la manière d'un corps organique, s'ils n'en utilisaient pas les organes. Donc il semble qu'ils exercent dans les corps assumés des œuvres qui conviennent à ces organes, comme voir de leurs yeux, entendre avec leurs oreilles, etc..

Réponse:

q. 6 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod actio aliqua ex duobus naturalem speciem accipere videtur: scilicet ex agente et termino. Calefactio enim ab infrigidatione differt, quia una earum ex calore procedit et ad calorem terminatur; alia vero a frigore et ad frigus. Proprie tamen actio, sicut et motus, a termino speciem habet; a principio autem habet proprie quod sit naturalis. Motus enim et actiones naturales dicuntur quae sunt a principio intrinseco.

Il faut dire qu'une action semble recevoir une forme naturelle de deux manières: à savoir de l'agent et du terme[3]. Car l'échauffement est différent du refroidissement, parce que l'un des deux procède de la chaleur et s'y termine, l'autre du froid et s'y termine. Cependant l'action, comme le mouvement, reçoit proprement sa forme de son terme; mais du principe, elle a en propre ce qui lui est naturel. Car on appelle mouvement et actions naturelles ce qui vient d'un principe intrinsèque.

Considerandum est ergo, quod in operationibus animae, quaedam sunt quae non sunt solum ab anima sicut a principio, sed etiam terminantur ad animam et ad corpus animatum; et huiusmodi actiones Angelis in corporibus assumptis attribui non possunt neque secundum similitudinem speciei neque secundum naturalitatem actionis sicut sentire, augeri, nutrire et similia. Sensus enim est secundum motum a rebus ad animam; similiter nutrimentum et augmentum est per hoc quod aliquid generatur et additur corpori viventi.

Donc il faut considérer que dans les opérations de l'âme, il y en a certaines qui ne viennent pas seulement de l'âme comme de leur principe, mais se terminent aussi à l'âme et au corps animés et les actions de ce genre ne peuvent être attribuées aux anges dans les corps qu'ils assument, ni selon la ressemblance de la forme (species), ni selon le caractère naturel de l'action: exemple éprouver des sensations, grandir, se nourrir etc.. Car la sensation dépend du mouvement des objets vers l'âme; de même la nourriture et la croissance viennent de quelque chose qui est engendré et ajouté au corps vivant.

Quaedam vero actiones sunt animae quae quidem sunt ab anima sicut a principio, terminantur tamen ad aliquem exteriorem effectum; et si quidem talis effectus per solam corporis divisionem vel motum localem produci possit, talis actio attribuetur Angelo per corpus assumptum quantum ad similitudinem speciei in effectu, non tamen erit vere naturalis actio, sed similitudo talis actionis; sicut patet in locutione, quae formatur per motum organorum et aeris, et comestione, quae perficitur per divisionem cibi et traiectionem in partes interiores.

Mais il y a certaines actions de l'âme qui viennent d'elle comme d'un principe, cependant elles se terminent à un effet extérieur; et même si un tel effet pouvait se produire par la seule division du corps, ou un mouvement local; une telle action serait attribuée à l'ange par le corps qu'il assume quant à la ressemblance de la forme dans l'effet, cependant ce ne sera pas vraiment une action naturelle, mais une imitation, comme cela apparaît dans la parole qui est formée par le mouvement des organes et de l'air, et le fait de manger qui s'achève par la division de la nourriture et son passage dans les organes intérieurs.

Unde locutio quae attribuitur Angelis in corporibus assumptis, non est vere naturalis locutio, sed quaedam similitudinaria per similitudinem effectus; et similiter dicendum est de comestione. Unde et Tobiae XII, 18, dicit Angelus: cum essem vobiscum (...) videbar quidem vobiscum manducare et bibere; sed ego cibo invisibili et potu (...) utor. Si autem talis effectus requirat transmutationem secundum formam, tunc non poterit fieri per Angelum; nisi forte mediante naturali actu, sicut patet de generatione.

C'est pourquoi la parole qui est attribuée aux anges dans les corps qu’ils assument, n'est pas vraiment une parole naturelle, mais quelque chose de similaire par imitation de l'effet; et il faut en dire autant de la nutrition. C'est pourquoi en Tobie, 12, 18, l'ange dit: "Quand j'étais avec vous… vous m'avez vu manger, et boire; mais je me nourris d'une nourriture invisible et je me sers d'un breuvage invisible." Si un tel effet demandait un changement de forme, alors il ne pourrait pas être fait par lui, à moins par hasard d'un acte naturel intermédiaire comme cela se voit dans la génération.

Solutions:

q. 6 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi operationes non naturaliter Angelus exercet, et ideo non oportet quod habeat naturaliter organa unita.

# 1. L'ange n'exerce pas naturellement des actions de ce genre et c'est pourquoi il ne faut pas qu'il ait des organes qui lui soient unis naturellement.

q. 6 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veras operationes animae Angelus non facit, sed similitudinarias, ut dictum est.

# 2. L'ange ne fait pas de vraies opérations de l'âme, mais ce sont des imitations, comme on l'a dit.

q. 6 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod iam dictum est, quare sensus non potest Angelis in corporibus assumptis attribui.

# 3. On a déjà dit (dans le corps de l'article), pourquoi on ne peut pas attribuer la sensation aux anges dans le corps qu'ils assument.

q. 6 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vera locutio attribui non potest Angelo in corpore assumpto, sed solum similitudinaria, ut dictum est, ubi supra.

# 4. Une vraie parole ne peut pas être attribuée à l'ange dans le corps qu'il assume, mais seulement des imitations de la parole, comme on l'a dit ci-dessus.

q. 6 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelis bonis generare nunquam attribuitur; sed de Daemonibus est duplex opinio:

quidam enim dicunt, quod Daemones etiam nullo modo generare possunt in corporibus assumptis, propter rationes in obiiciendo inductas.

# 5. Engendrer n'est jamais attribué aux anges; pour les démons il y a deux opinions:

1) Certains en effet disent que les démons ne peuvent en aucune manière engendrer dans les corps qu'ils assument, à cause des raisons données dans l'objection.

Quibusdam vero videtur quod generare possunt, non quidem per semen a corpore assumpto decisum, vel per virtutem suae naturae, sed per semen hominis adhibitum ad generationem, per hoc quod unus et idem Daemon sit ad virum succubus, et semen ab eo receptum in mulierem transfundit, ad quam fit incubus. Et hoc satis rationabiliter sustineri potest, cum etiam alias res naturales causent, propria semina adhibendo, ut Augustinus dicit.

2) Il semble à certains qu'ils peuvent engendrer, non par une semence qui vient du corps qu'ils assument, ni par le pouvoir de sa nature, mais par la semence d'un homme employée pour la génération, par le fait qu'un seul et même démon est un succube pour l'homme et la semence reçue par lui est introduite dans la femme, pour laquelle il devient l'incube. Et cela peut être soutenu assez raisonnablement, puisqu'ils sont causes même d'autres choses naturelles, en employant des semences particulières[4], comme Augustin le dit (La Trinité, III, 8 et 9).

q. 6 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod circa evaporationem seminis potest Daemon remedium adhibere, tum per velocitatem motus, tum adhibendo aliqua fomenta, per quae calor naturalis conservetur in semine.

# 6. Le démon peut apporter remède à l'évaporation de la semence, tant par la rapidité du mouvement, qu'en recevant quelque combustible, par lequel il conserve la chaleur naturelle dans la semence.

q. 6 a. 8 ad 7 Ad septimum dicendum, quod procul dubio generatio, praedicto modo facta, virtute humani seminis fit. Unde homo sic genitus, non esset filius Daemonis, sed viri cuius fuit semen. Et tamen possibile est quod per talem modum homines fortiores generentur et maiores, quia Daemones volentes in suis effectibus mirabiles videri, observando determinatum situm stellarum, et viri et mulieris dispositionem, possunt ad hoc cooperari. Et praecipue si semina, quibus utuntur sicut instrumentis, per talem usum aliquod augmentum virtutis consequantur.

# 7. Sans doute la génération, accomplie d'une telle manière, est faite par le pouvoir de la semence humaine. C'est pourquoi l'homme ainsi engendré ne serait pas fils du démon, mais de l'homme dont vient la semence. Et cependant il est possible que par un tel mode les hommes engendrés soient plus forts et plus grands, parce que les démons voulant paraître admirables dans leurs effets, en observant la position déterminée des étoiles, et la disposition de l'homme et de la femme, peuvent y participer. Et surtout si les semences qu'il utilisent comme instrument, par tel usage obtiennent une augmentation de la puissance.

q. 6 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod comestio attribuitur Angelis in corporis assumptis, non quantum ad finem, qui est nutritio, sed simpliciter quantum ad comestionis actum; et similiter etiam Christo post resurrectionem cuius, corpori non erat tunc aliquid addibile. In hoc tamen differt, quod comestio Christi fuit vere naturalis comestio, utpote eius existens qui animam vegetabilem habebat; et sic potuit esse argumentum veritatis naturae. In utraque tamen comestione cibus non est conversus in carnem et sanguinem, sed resolutus in materiam praeiacentem.

# 8. Le fait de manger est attribuée aux anges dans les corps qu'ils assument, non quant à son but, qui est la nutrition, mais simplement pour l'action de manger, et il en est de même aussi pour le Christ, après la résurrection: rien ne pouvait être ajouté à son corps. Cependant il y a une différence du fait que manger pour le Christ fut vraiment naturel; en tant qu'ayant existé auparavant, il avait une âme végétative, et ainsi il a pu démontrer la vérité de sa nature. Dans l'une et l'autre repas, la nourriture n'a pas été changée en chair et sang, mais dissoute dans la matière qui existait auparavant.

q. 6 a. 8 ad 9 Et per hoc patet responsio ad nonum.

# 9. Et cela donne réponse à l'objection 9.

Arguments en sens contraire:

q. 6 a. 8 ad s. c. 1 Ad primum vero quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod comestio et locutio qualiter Angelis sit attribuenda, dictum est, in corp. art.

# 1. Il faut dire qu'on a parlé dans le corps de l'article de la nutrition et de la parole telles qu'elles sont attribuées aux anges.

q. 6 a. 8 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod per filios Dei intelligit quidem filios Seth, qui erant Dei filii per gratiam, et Angelorum per imitationem. Filii autem hominum dicebantur filii Cain, qui a Deo recesserant, carnaliter viventes.

# 2. Par les fils de Dieu, on comprend les fils de Seth, qui étaient fils de Dieu par grâce; et des anges par imitation. Mais les fils des hommes, qui se sont éloignés de Dieu en vivant charnellement, sont appelés fils de Caïn.

q. 6 a. 8 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod instrumenta sensuum assumunt Angeli, non ad utendum, sed ad signandum. Unde etsi per ea non sentiant, non tamen frustra assumunt.

# 3. Les anges assument les organes des sens, non pour s'en servir, mais comme un signe. C'est pourquoi, même s'ils n'éprouvent pas de sensations, ils ne l'assument pas en vain.

 

[1] Ia, qu. 41, a. 3 - II Sent. d8a4.

[2] Penser à l'âne de Balaam.

[3] Ou du but recherché.

[4] Augustin (loc. cit.) parle de semences de végétaux et d'animaux invisibles, créées par Dieu, qui ont pu servir à de premières naissances que les anges ou les démons découvrent et dont ils assurent l'éclosion (III, VIII, 13).

 

 

Article 9: Faut-il attribuer le miracle à la foi?

 

q. 6 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum operatio miraculi sit attribuenda fidei. Et videtur quod non.

 

Il semble que non[1].

 

Objections:

 

q. 6 a. 9 arg. 1 Gratiae enim gratis datae a virtutibus differunt, eo quod virtutes sanctis omnibus sunt communes, gratiae vero gratis datae diversis distribuuntur, secundum illud I ad Cor. XII, 4: divisiones gratiarum sunt. Sed facere miracula est gratiae gratis datae; unde in eodem capitulo dicitur: alii operatio virtutum, et cetera. Ergo facere miracula non est attribuendum fidei.

1. Car les grâces données gratuitement différent des vertus, parce que celles-ci sont communes à tous les saints, mais les grâce données gratuitement, sont distribuées à diverses personnes selon ce mot de I Co. 12, 4: "Il y a diversité des grâces[2]". Mais faire des miracles vient de la grâce donnée gratuitement. C’est pourquoi dans le même chapitre il est dit (verset 10): "A un autre l’opération des miracles, etc.". Donc faire des miracles ne doit pas être attribué à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 2 Sed dicendum, quod attribuitur fidei tamquam merenti, gratiae gratis datae tamquam exequenti.- Sed contra, est quod dicit Glossa ordinaria super illud Matth. VII, 22: Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus? etc.: prophetare, virtutes facere, Daemones eiicere, interdum non est meriti illius qui operatur, sed invocatio nominis Christi. Ergo videtur quod non sit fidei attribuendum.

2. Mais il faut dire qu'on l'attribue à la foi, en tant que méritoire, et à la grâce donnée gratuitement en tant qu'elle l'accompagne. — En sens contraire, il y a ce que dit la Glose ordinaire sur cette parole de Mt. 7, 12: "Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom", etc. "Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, parfois ne dépend pas du mérite de celui qui opère, mais de l’invocation du nom du Christ." Donc il semble qu’il ne faut pas l’attribuer à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 3 Praeterea, caritas est principium et radix merendi, sine qua fides informis mereri non potest. Si ergo fidei propter meritum attribuitur operatio miraculorum, magis est attribuenda caritati.

3. La charité est le principe et la racine du mérite sans laquelle la foi informelle ne peut pas mériter. Si donc à cause du mérite, on attribue à la foi l’accomplissement des miracles, il est mieux de l’attribuer à la charité.

 

q. 6 a. 9 arg. 4 Praeterea, cum sancti orando miracula faciant, illi virtuti praecipue debet miraculorum operatio attribui quae facit ut oratio exaudiatur. Hoc autem facit caritas; unde dicitur Matth. XVIII, 19: Si duo ex vobis consenserint super terram de omni re, quamcumque petierint, fiet illis a patre meo, ut in Psal. XXXVI, 4, dicitur: Delectare in domino, et dabit tibi petitiones cordis tui; caritas enim est quae facit homines delectari in Deo per amorem Dei, et consentire hominibus per amorem proximi. Ergo caritati debet attribui miraculorum operatio.

4. Comme les saints font des miracles en priant, l’accomplissement des miracles doit être attribué à ce qui fait que la prière est exaucée. C'est la charité qui le fait; c’est pourquoi il est dit en Mt. 18, 19[3]: "Si deux d’entre vous se sont mis d'accord sur la terre sur tout ce qu’ils demanderont, mon Père les exaucera." Comme il est dit dans le Ps. 36, 4: "Réjouis-toi dans le Seigneur et il te donnera tout ce que ton cœur demande."; car c'est la charité qui fait que les hommes se réjouissent en Dieu par son amour, et sont en sympathie avec les hommes par l’amour du prochain. Donc on doit attribuer l’accomplissement des miracles à la charité.

 

q. 6 a. 9 arg. 5 Praeterea, dicitur Ioan. IX, 31: Scimus quia peccatores Deus non audit. Caritas autem est quae sola peccata removet, quia, ut dicitur Prov. X, 12, universa delicta operit caritas. Ergo caritati et non fidei debet attribui miraculorum operatio.

5. Il est dit en Jn 9, 31: "Nous savons que Dieu n’écoute pas les pêcheurs[4]". Mais la charité est la seule qui éloigne les péchés, parce que, comme on le dit en Prov. 10, 12: "La charité couvre tous les pêchés". Donc on doit attribuer l’accomplissement des miracles à la charité et non à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 6 Praeterea, sancti homines non solum orando impetrant miracula fieri, sed etiam miracula faciunt ex potestate, ut Gregorius dicit. Hoc autem est inquantum homo Deo unitur, ut sic divina virtus homini coassistat: quam quidem unionem caritas facit, quia qui adhaeret Deo, scilicet per caritatem, unus spiritus est, ut dicitur I Cor. VI, 17. Ergo caritati debet attribui miracula facere.

6. Les saints obtiennent de faire des miracles, non seulement en priant, mais aussi ils en font par puissance, comme le dit Grégoire [le grand] (Dialogues, II, ch. 30). Mais c’est dans la mesure où l’homme est uni à Dieu, que le pouvoir divin l'assiste: cette union, c’est la charité qui l’accomplit, parce que "celui qui s'unit a Dieu, à savoir par charité, est un seul esprit [avec lui]", comme il est dit en 1 Co. 6, 17[5]. Donc on doit attribuer l’accomplissement des miracles à la charité.

 

q. 6 a. 9 arg. 7 Praeterea, caritati praecipue opponitur invidia, nam caritas congaudet bonis, de quibus invidia tristatur. Sed immutatio in malum per fascinationem attribuitur invidiae, ut dicitur in Glossa Gal. III, 1 (ordinaria super illud: quis fascinavit?). Ergo et miraculorum operatio est attribuenda caritati.

7. On oppose surtout l’envie à la charité, car celle-ci se réjouit avec les bons, l’envie s’en attriste. Mais le changement en mal est attribué à l’envie par l'ensorcellement, comme on le dit dans la glose de Gal. 3, 1, glose ordinaire sur cette parole: "Qui vous a ensorcelés?". Donc l’accomplissement des miracles doit être attribué à la charité.

 

q. 6 a. 9 arg. 8 Praeterea, intellectus non est principium operationis nisi mediante voluntate. Fides autem est in intellectu, caritas autem in voluntate. Ergo nec fides operatur nisi per caritatem; unde dicitur Galat. V, 6: fides quae per dilectionem operatur. Sicut ergo operatio actuum virtutis magis attribuitur caritati quam fidei, ita et operatio miraculorum.

8. L’intellect n’est le principe de l’opération que par l’intermédiaire de la volonté. Mais la foi est dans l’esprit, et la charité dans la volonté. Donc la foi n’opère que par la charité; c’est pourquoi en Gal. 5, 6[6], il est parlé de: "la foi qui opère par l'amour". Donc l’accomplissement des actes de vertu est attribué à la charité plus qu’à la foi, et l’accomplissement du miracle aussi.

 

q. 6 a. 9 arg. 9 Praeterea, omnia alia miracula ad incarnationem Christi ordinantur, quae est miraculum miraculorum. Sed incarnatio Christi attribuitur caritati; unde dicitur Ioan. III, 16: Sic Deus dilexit mundum ut filium suum unigenitum daret. Ergo et alia miracula sunt caritati attribuenda, et non fidei.

9. Tous les autres miracles sont ordonnés à l'Incarnation du Christ, qui est le miracle des miracles. Mais celle-ci est attribuée à la charité; c'est pourquoi il est dit en Jn 3, 16: "Le Seigneur a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique." Donc il faut attribuer les autres miracles à la charité et non à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 10 Praeterea, quod Sara anus et sterilis de vetulo concepit filium, miraculosum fuit. Hoc autem attribuitur spei, ut dicitur Rom. IV, 18: Qui contra spem in spem credidit. Ergo operari miracula attribuendum est spei, non fidei.

10. Que Sara, vieille femme stérile, conçut un fils d'un vieillard, a été miraculeux. Mais on l'attribue à l'espérance, comme il est dit en Rm 4, 18: "(Abraham) a cru contre tout espérance." Donc opérer des miracles est attribué à l'espérance, non à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 11 Praeterea, miraculum est aliquod arduum et insolitum, ut Augustinus dicit. Arduum autem est obiectum spei. Ergo spei debet attribui operatio miraculorum.

11. Le miracle est quelque chose d'ardu et d'insolite[7], comme Augustin le dit, (Sur l'Evangile de Jean 8, et La Trinité, II, ch. 4). Mais l'objet de l'espérance est ardu. Donc l'accomplissement des miracles doit être attribué à l'espérance.

 

q. 6 a. 9 arg. 12 Praeterea, miraculum est manifestativum divinae potentiae. Sed sicut bonitati, quae appropriatur spiritui sancto, respondet caritas; et veritati, quae appropriatur filio, respondet fides; ita potestati, quae appropriatur patri, respondet spes. Ergo facere miracula est attribuendum spei, et non fidei.

12. Le miracle manifeste la puissance de Dieu. Mais comme à la bonté qui est appropriée à l'Esprit saint, répond la charité, et à la vérité, qui est appropriée au Fils, répond la foi, ainsi à la puissance qui est appropriée au Père, répond l'espérance. Donc faire des miracles doit être attribué à l'espérance, non à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit, quod mali homines interdum faciunt miracula per publicam iustitiam. Ergo operatio miraculorum est attribuenda iustitiae, et non fidei.

13. Augustin dit (Les 83 Questions, qu. 79) que les méchants font quelquefois des miracles par justice publique. Donc l’accomplissement des miracles est attribué à la justice, non à la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 14 Praeterea, Act. VI, 8, dicitur, quod Stephanus plenus gratia et fortitudine faciebat prodigia et signa magna in populo. Ergo videtur quod sit attribuendum fortitudini.

14. Il est dit en Act. 6, 8, qu' "Étienne, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et des signes importants dans le peuple". Donc il semble qu'il faille l'attribuer à la (vertu de) force.

 

q. 6 a. 9 arg. 15 Praeterea, Matth. XVII, 20, dicit dominus discipulis, qui daemoniacum sanare non poterant: Hoc genus Daemoniorum non eiicitur nisi oratione et ieiunio. Sed eiicere Daemonia inter miracula computatur: ieiunium autem est actus virtutis abstinentiae. Ergo ad abstinentiam pertinet miracula facere.

15. En Mt. 17, 20, le Seigneur dit aux disciples qui ne pouvaient pas guérir le démoniaque: "Ce genre de démon n'est chassé que par la prière et le jeûne". Mais chasser les démons est compté parmi les miracles. Et le jeûne est l'acte de la vertu d'abstinence. Donc c'est par elle qu'il convient de faire des miracles.

 

q. 6 a. 9 arg. 16 Praeterea, Bernardus dicit quod cum muliere semper esse et feminam non cognoscere, maius est quam mortuum suscitare. Hoc autem facit castitas. Ergo castitatis est miracula facere, et non fidei.

16. Bernard dit qu'être toujours avec une femme sans la connaître est plus grand que ressusciter un mort. Mais c'est la chasteté qui le fait. Donc faire des miracles est le propre de la chasteté et non de la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 17 Praeterea, illud quod est in derogationem fidei, non est fidei attribuendum. Sed miracula sunt in derogationem fidei, quia infideles imputabant ea magicae arti. Ergo fidei non debet attribui facere miracula.

17. Il ne faut pas attribuer à la foi ce qui y déroge. Mais les miracles sont dans la dérogation de la foi, parce que les infidèles les imputent à l'art magique. Donc faire des miracles ne doit pas être attribué a la foi.

 

q. 6 a. 9 arg. 18 Praeterea, fides Petri et Andreae commendatur a Gregorio, de hoc quod, nullis miraculis visis, crediderunt. Ergo operatio miraculorum derogat fidei; et sic idem quod prius.

18. La foi de Pierre et d'André est louée par Grégoire le grand (Hom. 5, sur l'Evangile), du fait que, sans avoir vu les miracles, ils ont cru. Donc l'opération des miracles déroge à la foi, et ainsi de même que ci-dessus.

 

En sens contraire:

 

q. 6 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Marci XVI, 17: Signa autem eos qui crediderint, haec sequentur: in nomine meo Daemonia eiicient, et cetera.

1. Il y a ce qui est dit en Mc 16,17: "Mais voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru: ils chasseront les démons en mon noms, etc."

 

q. 6 a. 9 s. c. 2 Praeterea, Matth. XVII, 19. Dominus dicit: Si habueritis fidem sicut granum sinapis, dicetis monti huic: transi hinc illuc, et transibit; et nihil impossibile erit vobis.

2. En Mt. 17, 19, le Seigneur dit: "Si vous aviez eu la foi comme un grain de moutarde, nous diriez à cette montagne: Pars d'ici, et elle partira, et rien ne vous sera impossible."

 

q. 6 a. 9 s. c. 3 Praeterea, si unum oppositum est causa oppositi, et reliquum oppositum est causa reliqui. Sed incredulitas est causa impediens miraculorum operationem: unde dicitur Marc. VI, 5, de Christo: non poterat ibi, hoc est in patria sua, facere miracula, nisi paucos infirmos impositis manibus curavit: et mirabatur propter incredulitatem illorum: et Matth. XVII, 18, dicitur, dominum respondisse discipulis quaerentibus: quare non potuimus eiicere Daemonium? Propter incredulitatem, inquit, vestram. Ergo et fides est causa faciendi miracula.

3. Si l'opposé est la cause de l'opposé, l'opposé restant est la cause du reste. Mais l'incrédulité est la cause qui empêche l'opération des miracles; c'est pourquoi il est dit en Mc 6, 5, à propos du Christ: "Il ne pouvait pas faire de miracle là (c'est-à-dire dans sa patrie) sinon qu'il guérit peu de malades en leur imposant les mains, et il s'étonnait de leur incrédulité." Et en Mt 17, 18, il est dit que le Seigneur répondit à ses disciples qui le questionnaient: "Pourquoi n'avons-nous pas pu chasser, les démons?- A cause de votre incrédulité, dit-il." Donc la foi est la cause (qui permet de) faire des miracles.

 

Réponse:

 

q. 6 a. 9 co. Respondeo Dicendum quod homines sancti miracula faciunt dupliciter, secundum Gregorium in II Dialog.: scilicet, oratione impetrando ut miracula divinitus fiant, et per potestatem. Utroque autem modo fides idoneum reddit hominem ad miracula facienda, ipsa enim meretur proprie ut oratio exaudiatur de miraculis faciendis.

Les saints font des miracles de deux manières, selon Grégoire (Dialogue, II, 30): à savoir: en obtenant par la prière, de les faire avec l'aide de Dieu, et par leur pouvoir. Mais de l'une et l'autre manière, la foi rend l'homme capable de faire des miracles, car il mérite en propre pour que sa prière soit exaucée pour faire des miracles.

 

Quod hac ratione videri potest: sicut enim in rebus naturalibus videmus quod a causa universali omnes particulares causae sumunt efficaciam agendi,- tamen effectus determinatus et proprius attribuitur causae particulari, sicut patet de virtutibus activis inferiorum corporum respectu virtutis caelestis corporis, et de ordinibus inferioribus (qui etsi sequantur motum primi orbis, habent tamen singuli proprios motus),- ita etiam est de virtutibus quibus meremur: nam omnes habent efficaciam merendi a caritate, quae nos unit Deo a quo meremur et voluntatem perficit per quam meremur, singulae tamen virtutes merentur singularia quaedam praemia eis proportionaliter respondentia; sicut humilitas meretur exaltationem, et paupertas regnum.

Ce qui peut-être montré par cette raison: car de même que nous voyons dans les choses naturelles que par la cause universelle toutes les causes particulières tirent l’efficacité de leur action, — cependant l'effet déterminé et plus propre est attribué à une cause particulière, comme on le voit dans les pouvoirs actifs des corps inférieurs, par rapport à la puissance du corps céleste, et des ordres inférieurs, (qui, même s'ils suivent le mouvement du premier ciel ont cependant chacun des mouvements propres), — de même aussi il y a des vertus par lesquelless nous méritons: Car toutes ont un mérite efficace par la charité, qui nous unit à Dieu, par lequel nous méritons et il parfait la volonté par laquelle nous méritons, cependant les puissance particulières méritent des récompenses particulières qui leur correspondent proportionnellement; ainsi l'humilité mérite l'élévation et la pauvreté le Royaume.

 

Unde quandoque caritate cessante, per actum aliarum virtutum, etsi aliquis nihil mereatur ex condigno, ex quadam tamen divina liberalitate aliqua congrua beneficia retribuit pro huiusmodi actibus, saltem in hoc mundo: unde dicitur, quod per ea quae sunt ex genere bona, extra caritatem facta, merentur aliqui ex congruo interdum bonorum temporalium multiplicationem.

C'est pourquoi, si quelquefois la charité cesse, par l'action des autres vertus, même si quelqu'un ne mérite rien d'une manière convenable, cependant de par sa libéralité, Dieu accorde des bienfaits convenables pour des actions de ce genre, du moins en ce monde; c'est pourquoi on dit que par ce qui est bon en son genre, produit sa charité, certains méritent parfois d'une manière adéquate la multiplication des biens temporels.

 

Per hunc autem modum fides meretur miraculorum operationem, licet radix merendi sit ex caritate. Cuius ratio potest triplex assignari:

Par ce moyen la foi mérite d'opérer des miracles bien que la racine du mérite vienne de la charité. On peut lui en assigner trois raisons.

 

primo quidem, quia miracula sunt quaedam argumenta fidei, dum per ea facta quae naturam excedunt, illorum veritas comprobatur quae naturalem transcendunt rationem; unde Marc. ult., vers. 20, dicitur. Illi profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis.

1) Première raison, parce que les miracles sont des arguments de foi, tant que les faits, qui dépassent la nature, confirme la vérité de ce qui dépasse la raison naturelle; c'est pourquoi en Mc, (16, 20) il est dit: "Une fois partis, ils prêchèrent partout avec l'aide du Seigneur, et en confirmant leurs paroles par les signes qui les accompagnaient."

 

Secunda ratio est, quia fides potissime divinae potentiae innititur, quam accipit ut rationem vel medium ad assentiendum his quae supra naturam esse videntur: et ideo divina potentia in operatione miraculorum praecipue fidei coassistit.

2) La seconde raison: parce que la foi s'appuie très fortement sur la puissance divine, qu'elle reçoit comme raison ou intermédiaire pour approuver ce qui semble être au-dessus de la nature; et c'est pourquoi la puissance divine vient en aide à la foi surtout en accomplissant des miracles.

 

Tertia ratio est, quia miracula praeter naturales causas fiunt; fides autem est quae non ex rationibus naturalibus et sensibilibus argumenta assumit, sed ex rebus divinis.

3) La troisième raison: parce que les miracles se font au-delà des causes naturelles; mais la foi tire argument non pas des raisons naturelles et sensibles, mais de ce qui est divin.

 

Unde sicut paupertas temporalium rerum meretur divitias spirituales, et humilitas meretur caelestem dignitatem, ita fides, quasi contemnendo ea quae naturaliter fiunt, quodammodo miraculorum operationem meretur, quae praeter naturalem virtutem fit.

C'est pourquoi, de même que la pauvreté en biens temporels mérite les richesses spirituelles, et que l'humilité mérite la possession du ciel, de même la foi, comme méprisant ce qui arrive naturellement, d'une certaine manière mérite d'opérer des miracles, ce qui se fait au-delà du pouvoir naturel.

 

Similiter autem et per fidem homo maxime disponitur ut ex potestate miracula faciat. Quod etiam ex tribus rationibus patet:

Mais de la même manière, et par la foi l'homme est parfaitement mis en état de faire des miracles par son pouvoir. Ce qui apparaît pour trois raisons:

 

primo quidem, quia sicut supra dictum est, sancti ex potestate miracula dicuntur facere, non quasi miraculorum principales auctores, sed sicut divina instrumenta, imperium divinum, cui natura obedit in miraculis, quodammodo ipsis rebus naturalibus praesentantes. Quod autem divinum verbum in nobis habitet, est per fidem, quae est quaedam participatio in nobis divinae veritatis; unde per ipsam fidem homo disponitur ad miracula facienda.

1) Parce que, comme on l'a dit ci-dessus (art. 4 de cette question), les saints font des miracles par leur pouvoir, non comme leurs auteurs principaux, mais comme des instruments divins, révélant d'une certaine manière dans les choses naturelles le gouvernement divin, à qui la nature obéit dans les miracles. Mais, c'est par la foi qui est une participation en nous à la vérité divine que la parole divine habite en nous; c'est pourquoi par la foi même, l'homme a possibilité de faire des miracles.

 

Secundo, quia sancti, qui ex potestate miracula faciunt, operantur in virtute Dei agentis in natura. Actio enim Dei ad totam naturam comparatur, sicut actio animae ad corpus; corpus autem ab anima transmutatur praeter ordinem principiorum naturalium praecipue per aliquam imaginationem fixam, ex qua corpus calefacit per concupiscentiam vel iram, aut etiam immutatur ad febrem vel lepram. Illud ergo facit hominem dispositum ad miracula facienda quod dat eius apprehensioni quamdam fixionem et firmitatem. Hoc autem facit fides firma: unde firmitas fidei praecipue operatur ad miracula facienda. Quod patet ex hoc quod dicitur Matth. XXI, 21: si habueritis fidem et non haesitaveritis, non solum de ficulnea facietis, sed et si monti huic dixeritis: tolle, et iacta te in mare, fiet; et Iacob. I, 6: postulet autem in fide, nihil haesitans.

2) Parce que les saints, qui font des miracles par leur pouvoir, opèrent dans la puissance de Dieu qui agit dans la nature. Car son action est comparée à la nature toute entière, comme l'action de l'âme sur le corps, mais le corps est changé par l'âme, au-delà de l'ordre des principes naturels, surtout, par une imagination assujettie par laquelle le corps s'échauffe par concupiscence ou colère, et même subit la fièvre ou la lèpre. Donc cela dispose l'homme à faire des miracles, qui donne à sa connaissance fixité et fermeté. Cela affermit aussi la foi; c'est pourquoi la fermeté de la foi travaille surtout à faire des miracles. Ce qui apparaît de ce qui est dit en Mt. 21, 21: "Si vous aviez eu la foi et si vous n'aviez pas hésité, non seulement vous l'auriez fait à ce figuier et si vous aviez dit à cette montagne: Lève-toi et jète-toi dans la mer, cela se ferait" et en Jc. 1, 6: "Qu'il demande avec foi sans aucune hésitation."

 

Tertio, quia cum miracula ex potestate per modum cuiusdam imperii fiant, illud praecipue facit idoneum ad miracula facienda ex potestate quod reddit aptum ad imperandum. Hoc autem est per quamdam separationem et abstractionem ab illis quibus debet imperare. Unde et Anaxagoras dicit quod intellectus erat immixtus, ad hoc quod imperet. Fides autem animum abstrahit a rebus naturalibus et sensibilibus, et eum in rebus intelligibilibus fundat. Unde per fidem redditur homo aptus ad hoc quod per potestatem miracula faciat.

 

Et inde est etiam quod illae virtutes ad facienda miracula praecipue cooperantur, quae animum hominis a rebus maxime corporalibus abstrahunt: sicut continentia et abstinentia quae retrahunt ab electionibus quibus homo sensibilibus rebus immergitur. Aliae vero virtutes quae ad disponenda temporalia ordinant, non ita ad facienda miracula disponunt.

3) Parce que comme les miracles sont faits par la puissance à la manière du commandement, cela surtout rend capable de faire des miracles par la puissance qui rend apte à commander. Mais c'est par une séparation et une abstraction de ce par quoi il doit commander. C'est pourquoi Anaxagore dit aussi que l'intelligence était sans mélange pour commander. Mais la foi abstrait l'esprit des choses naturelles et sensibles, et le fonde dans l'intelligible. C'est pourquoi par la foi l'homme est rendu apte à faire des miracles par sa puissance.

 

Et de là vient que ces vertus pour faire des miracles aident surtout à tirer l’esprit de l’homme de ce qui est tout à fait corporel; de même que la continence et l’abstinence qui retire des élus âr lesquel l’homme est Immergé dans le sensible. Mais les autres vertus qui sont ordonnent à ce qui dispose au temporel mais ils ne disposent pas à faire des miracles.

 

Solutions:

 

q. 6 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod facere miracula attribuitur gratiae gratis datae, sicut principio proximo fidei, autem sicut disponenti ad huiusmodi gratiam consequendam.

#1. Faire des miracles est attribué à la grâce donnée gratuitement, comme au plus proche principe de la foi ou comme à ce qui dispose à acquérir une grâce de ce genre.

 

q. 6 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet interdum aliquis peccator miracula faciat, non est hoc ex merito eius,- ex merito dico condigno - sed est ex quadam congruitate, in quantum fidem constanter confitetur, in cuius protestationem Deus miracula facit.

#2. Bien que quelquefois un pécheur fasse des miracles, ce n'est pas par son mérite, — je parle du mérite convenable — mais c'est par une certaine conformité, en tant qu'il confesse fermement la foi, dans le pouvoir de laquelle Dieu fait des miracles.

 

q. 6 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod caritas est maior virtus fide, largitur ipsi fidei efficaciam merendi; fides tamen magis congruit ad particulariter merendum miraculorum operationes: fides enim est perfectio intellectus, cuius operatio consistit in hoc quod res intellectae aliquo modo sunt in ipso; caritas autem est perfectio voluntatis, cuius operatio consistit in hoc quod voluntas in ipsam rem tendit. Unde per caritatem homo in Deo ponitur, et cum eo unum efficitur: per fidem autem ipsa divina ponuntur in nobis: unde dicitur Hebr. XI, 1, quod est, sperandarum substantia rerum. Et praeterea, miracula fiunt ad confirmationem fidei, non autem ad confirmationem caritatis.

# 3. Du fait que la charité est une plus grande vertu que la foi, elle accorde à la foi l'efficacité du mérite; cependant elle correspond plus aux opérations pour mériter particulièrement des miracles, car la foi est la perfection de l'esprit, son opération consiste en ce que les choses comprises sont en lui d'une certaine manière, mais la charité est la perfection de la volonté, dont l'opération consiste en ce que la volonté tend à la chose même. C'est pourquoi, par la charité, l'homme est placé en Dieu, et devient un avec lui, mais par la foi ce qui est divin est placé en nous; c'est pourquoi il est dit en Hé. 11, 1[8], que "c'est la réalité des biens espérés". Et en outre les miracles sont faits pour confirmer la foi mais pas la charité.

 

q. 6 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas meretur, ut dictum est, petitionum exauditionem, sicut universale principium merendi; sed specialiter exaudiri in miraculis faciendis meretur fides, ut dictum est.

# 4. La charité mérite, comme on l'a dit, l'écoute des demandes, comme principe universel de mérite, mais spécialement la foi mérite d'être exaucée pour faire des miracles, comme on l'a dit.

 

q. 6 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut Glossa ibidem dicit, verbum illud est caeci, qui nondum erat totaliter sapientia illuminatus; unde sententiam falsam continet, nam interdum Deus peccatores audit ex sua liberalitate, licet non ex eorum merito. Et sic oratio eorum impetrat, licet non sit meritoria; sicut et aliquando iusti oratio meretur sed non impetrat: nam impetratio pertinet ad id quod petitur, et innititur soli gratiae; meritum autem pertinet ad finem quem quis meretur, et innititur iustitiae.

# 5. Comme la glose ici même le dit (Augustin, Sur saint Jean, tract. 44), ce mot est de l'aveugle, qui n'est pas encore éclairé par la sagesse, c'est pourquoi il contient une phrase fausse, car parfois Dieu écoute les pêcheurs par sa libéralité, bien que ce ne soit pas pour leur mérite. Et ainsi leur prière est exaucée, bien qu'elle ne soit pas méritoire, comme quelquefois la prière du juste mérite mais n'est pas exaucée; car être exaucé appartient à ce qui est demandé, et s'appuie sur la grâce seule, mais la mérite appartient à la foi par laquelle quelqu'un mérite, et s'appuie sur la justice.

 

q. 6 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas unit Deo sicut hominem in Deum trahens: per fidem vero divina ad nos trahuntur, ut dictum est prius.

# 6. La charité unit à Dieu, comme si elle attirait l'homme vers lui, mais par la foi, le divin est tiré à nous, comme on l'a dit plus haut.

 

q. 6 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod invidia in fascinatione effectum habere non posset, nisi imaginatio fixa ad hoc cooperaretur.

# 7. L'envie dans l'ensorcellement ne pourrait avoir d'effet si une image assujettie n'y contribuait.

 

q. 6 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa probat quod fides per caritatem meretur; et hoc supra concessum est. Et praeterea, obiectio tenet in illis quae propria virtute homo facit, in quibus intellectus voluntatem dirigit, quae potentiae imperat exequenti. In his autem in quibus virtus divina est exequens, sola fides, quae divinae potentiae innititur, sufficit ad operandum.

# 8. Cette raison prouve que la foi mérite par la charité, et cela on l'a concédé ci-dessus. Et ensuite, l'objection tient en ce que l'homme fait par son propre pouvoir, en qui l'intelligence dirige la volonté qui commande à la puissance qui en découle. Mais pour ce en quoi le pouvoir divin est exécuté, la foi seule, qui s'appuie sur la puissance divine, suffit pour opérer.

 

q. 6 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod obiectio illa procedit de operatione miraculi secundum quod est a Deo, qui ad omnia quae in creaturis operatur, ex amore movetur. Nam divinus amor non permisit eum sine germine esse, ut dicit Dionysius. Nos autem loquimur de operatione miraculi secundum quod est ab homine. Unde ratio non est ad propositum.

# 9. Cette objection procède de l'opération du miracle selon qu'il vient de Dieu, qui est poussé par amour pour tout ce qu'il opère dans les créatures. Car l'amour divin ne permet pas que ce soit sans résultat, comme le dit Denys (Les noms divins, IV). Mais nous, nous parlons de l'accomplissement du miracle selon qu'il vient de l'homme. C'est pourquoi cette raison ne convient pas à ce sujet.

 

q. 6 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod spei non proprie attribuitur miracula facere; spes enim ordinatur ad aliquid consequendum, unde est solum de aeternis. Fides autem est de aeternis et temporalibus; unde potest se extendere ad facienda. Et propter hoc in auctoritate inducta principalius fit mentio de spe quam de fide, cum dicitur, quod in spem credidit.

# 10. Faire des miracles n'est pas proprement attribué à l'espérance, car elle est ordonnée à acquérir quelque chose, c'est pourquoi elle concerne seulement l'éternité. Mais la foi concerne l'éternité et le temps; c'est pourquoi elle peut parvenir à agir. Et pour cela, dans l'autorité rapportée, il est fait plus mention de l'espérance que de la foi, quand on dit qu'il a cru "contre toute espérance."

 

q. 6 a. 9 ad 11 Ad decimumprimum dicendum, quod obiectum spei est arduum consequendum, non autem arduum faciendum.

# 11. L'objet de l'espérance est d'obtenir ce qui est ardu, non de le faire.

 

q. 6 a. 9 ad 12 Ad decimumsecundum dicendum, quod spei respondet divina potentia secundum sublimitatem suae maiestatis, in cuius consecutionem spes tendit; sed ipsi potentiae, secundum quod est mirabilium effectiva, praecipue innititur fides.

# 12. A l'espérance répond la puissance divine, selon la sublimité de sa majesté, que l'espérance tend à obtenir. Mais la foi s'appuie surtout sur la puissance même selon qu'elle fait de miracles.

 

q. 6 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod publica iustitia est ex fide, per quam tota Ecclesia iustificatur, secundum illud Rom. III, 22: iustitia autem Dei per fidem Iesu Christi.

# 13. La justice publique vient de la foi, par laquelle toute l'Église est justifiée, selon cette parole de Rm. 3, 22: "La justice de Dieu par la foi en Jésus Christ."

 

q. 6 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod fortitudo in passionibus tolerandis, et constantia confessionis erat in martyribus propter fidei firmitatem.

# 14. Les martyrs possédaient la force pour supporter les passions, et la fermeté de la confession à cause de la fermeté de leur foi.

 

q. 6 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod etiam abstinentia ad miracula facienda cooperatur, non tamen ita principaliter sicut fides.

# 15. Même l'abstinence coopère pour faire des miracles, non cependant de façon aussi importance que la foi.

 

q. 6 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet feminam non cognoscere et semper cum femina commorari, sit difficile, non tamen est miraculum, proprie miraculo sumpto; cum ex virtute creata dependeat, scilicet libero arbitrio.

# 16. Bien que ne pas connaître une femme et demeurer toujours avec elle soit difficile, ce n'est cependant pas un miracle, en prenant le miracle au sens propre, puisqu'il dépend de la vertu créée, c'est-à-dire du libre arbitre.

 

q. 6 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod abusus miraculorum in his qui miraculis detrahebant non aufert eorum efficaciam ad fidem confirmandam, quantum ad illos qui erant bene dispositi.

# 17. Le mauvais usage des miracles en ceux qui les dénigraient, n'enlève pas leur efficacité pour confirmer la foi, pour ceux qui étaient bien disposés.

 

q. 6 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod fides Petri et Andreae commendatur propter promptitudinem credendi, quae tanto maior fuit, quanto minoribus adminiculis indiguit ad credendum: inter quae adminicula per se sunt miracula.

# 18. La foi de Pierre et d'André est recommandée à cause de leur promptitude à croire, qui est d'autant plus grande qu'elle a eu besoin de plus petites aides pour croire. Parmi ces aides en soi, il y a les miracles.

 

q. 6 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod fides non est sufficiens causa ad miracula facienda, sed dispositio quaedam. Fiunt autem miracula secundum ordinem divinae providentiae, quae hominibus congrua remedia pro variis causis diversimode dispensat.

# 19. La foi n'est pas une cause suffisante pour faire des miracles, il y faut une certaine disposition. Mais les miracles sont faits selon l'ordre de la providence divine, qui dispense aux hommes de diverses manières des remèdes convenables pour des causes variées.

 

[1] Parall.: II/IIæ, qu. 178, a. 1, ad 5 — I/II, qu. 111, a. 4 — CG. III, 154 – Pot. qu. 6, a. 4.— I sent. d48q1a.2, ad. 3 — Opusc. LX, a. 15.

 

[2] Il s'agit des charismes.

 

[3] "…si deux d'entre vous unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père." (B.J.)

 

[4] Id. en B.J. Il s'agit des paroles de l'aveugle-né, guéri par Jésus.

 

[5] "Celui qui s'unit au Seigneur…n'est avec lui qu'un seul esprit." (B.J.).

 

[6] "(Ni circoncision, ni incirconcision ne comptent), mais seulement la foi, opérant par la charité." (B.J.).

 

[7] Cf. qu. 6, a. 2, obj. 6.

 

 

 

Article 10: Les démons sont-ils forcés par des objets sensibles et corporels, des événements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques?

 

q. 6 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum Daemones cogantur aliquibus sensibilibus et corporalibus rebus, factis aut verbis, ad miracula facienda, quae per magicas artes fieri videntur. Et videtur quod sic.

Il semble que oui[1].

Objections:

q. 6 a. 10 arg. 1 Dicit enim Augustinus, introducens verba Porphyrii, quod quidam in Chaldaea tactus invidia, adiuratas spirituales potentias precibus alligavit, ne ab alio postulata concederent. Et in 21 eiusdem Lib. dicit: non potuit primum nisi, Daemonibus dicentibus, disci: quid quisque illorum appetat, quid exhorreat, quo invitetur nomine, quo cogatur. Ergo Daemones a magis coguntur ad magica facienda.

1. Car Augustin dit (La cité de Dieu, X, 9[2]), rapportant les paroles de Porphyre, que quelqu'un, en Chaldée, touché par l'envie, lia des puissances spirituelles conjurées par des prières, pour qu'elles n'accordent pas ce qui était demandé par un autre. Et au chapitre 21 du même livre, il dit: "Il ne put apprendre que par des démons qui parlaient, ce que chacun d'eux demande, ce qu'il déteste, par quel nom il est invité, par qui il est contraint." Donc les démons sont forcés par des magiciens à faire des choses magiques.

q. 6 a. 10 arg. 2 Praeterea, quicumque facit aliquid contra suam voluntatem, aliquo modo cogitur. Sed Daemones aliquando faciunt aliquid contra suam voluntatem per magos adiurati. Est enim voluntas Daemonis semper ad inducendum homines in peccatum, et tamen aliquis magica arte, ad turpem amorem incitatus, eadem arte a violentia incitationis solvitur. Ergo Daemones coguntur a magis.

2. Quiconque agit contre sa volonté, est forcé en quelque manière. Mais les démons quelquefois agissent contre leur volonté, adjurés par des magiciens. Car c'est la volonté du démon de toujours pousser les hommes au péché, et cependant quelqu'un, par un art magique, incité à un amour honteux, est affranchi, par le même art, de la violence de l'incitation. Donc les démons sont contraints par les magiciens.

q. 6 a. 10 arg. 3 Praeterea, de Salomone legitur, quod quosdam exorcismos fecit quibus Daemones cogebantur ut ex obsessis corporibus recederent. Ergo per adiurationes Daemones cogi possunt.

3. On lit à propos de Salomon, qu'il fit quelques exorcismes par lesquels les démons étaient forcés de partir des corps possédés. Donc les démons peuvent être forcés par des adjurations

q. 6 a. 10 arg. 4 Praeterea, si Daemones advocati a mago veniunt, aut hoc est quia alliciuntur, aut quia coguntur. Sed non semper advocati alliciuntur: advocantur enim per quaedam quae Daemones odiunt, sicut per virginitatem imprecantis, cum tamen ipsi ad incestos concubitus homines deducere non morentur. Ergo videtur quod aliquando cogantur.

4. Si les démons, appelés par un magicien viennent, ou c'est parce qu'ils sont attirés ou parce qu'ils sont forcés, mais appelés, ils ne sont pas toujours attirés, car ils sont appelés par certaines choses qu'ils haïssent, comme la virginité de celui qui prie, alors que cependant eux-mêmes n'hésitent pas à amener les hommes à des enlacements incestueux. Donc il semble que quelquefois ils sont contraints.

q. 6 a. 10 arg. 5 Praeterea, studium Daemonum est ut homines a Deo avertant. Sed ipsi advocati per aliqua quae reverentiam Dei sonant, sicut per invocationem divinae maiestatis, adveniunt. Ergo non propria voluntate hoc faciunt, sed coacti.

5. Les démons ont du zèle pour détourner les hommes de Dieu. Mais appelés par ce qui célèbre la révérence de Dieu, comme par l'invocation de sa majesté divine, ils viennent. Donc ils ne font pas cela par leur propre volonté, mais contraints.

q. 6 a. 10 arg. 6 Praeterea, si alliciantur aliquibus sensibilibus, non alliciuntur eis sicut animalia cibis, sed sicut spiritus signis, quaecumque delectationi congruunt, per varia genera lapidum, herbarum, lignorum, animalium, carminum, rituum, ut Augustinus dicit. Sed signis allici non videntur: eius enim allici signis est cuius est signis uti, quod quidem est solum habentis sensum, nam signum est quod praeter speciem quam ingerit sensibus facit aliquid aliud in agnitionem venire. Ergo Daemones nullo modo alliciuntur, sed magis coguntur.

6. S'ils sont attirés par ce qui est sensible, ils ne le sont pas comme les animaux par la nourriture, mais comme les esprit par les signes, à quelque plaisir qu'ils s'accordent par les différents espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, de chants, de rites comme Augustin le dit (La cité de Dieu, XX1, 6[3]). Mais ils ne semblent pas être attirés par les signes, car être attiré par les signes (convient) à celui qui s'en sert, ce qui n'appartient seulement qu'à celui qui a des sens, car le signe au-delà de l'image, qu'il insère dans les sens, fait venir quelque chose d'autre à la connaissance. Donc les démons ne sont attirés en aucune manière, mais ils sont plutôt contraints.

q. 6 a. 10 arg. 7 Praeterea, Matth. XVII, 14, dixit quidam ad Iesum: Domine, miserere filio meo, quia lunaticus est et male patitur. In Marco autem, cap. IX, 16, dicitur: Attuli filium meum ad te habentem spiritum mutum. Dicit autem Glossa super verbo praedicto Matth.: hunc Marcus surdum et mutum dicit quem Matthaeus nominat lunaticum, non quod luna Daemonibus serviat, sed Daemon lunae cursum observans homines corrumpit. Videtur ergo quod per observationem caelestium corporum et aliorum corporalium, Daemones ad aliquid faciendum cogantur.

7. En Mt. 17, 14, quelqu'un dit à Jésus: "Seigneur, aie pitié de mon fils, parce qu'il est lunatique et il souffre beaucoup." En Mc 9, 16, il est dit: "Je t'ai amené mon fils; il a un esprit muet." La glose (ordinaire) dit sur le mot de Mt.: "Marc appelle sourd et muet, celui que Matthieu appelle lunatique, non que la lune soit soumise aux démons, mais le démon en observant le cours de la lune, corrompt les hommes." Donc il semble que par l'observation des corps célestes, et d'autres choses corporelles, les démons soient forcés à faire quelque chose.

q. 6 a. 10 arg. 8 Praeterea, cum Daemones ex superbia peccaverint, non est probabile quod alliciantur illis quae eorum excellentiae derogare videntur. Advocantur autem per convocationes virtutis ipsorum, et per mendacia incredibilia quae derogant scientiae ipsorum. Unde Augustinus dicit in X Lib. de civitate Dei, introducens verba Porphyrii, sic dicentis: Quid enim homo vitio cuilibet obnoxius intendit minas, eosque territat falso ut eis extorqueat veritatem, nam et caelum se collidere minatur et cetera similia, homini impossibilia, ut illi dii, tamquam insipientissimi pueri, falsis et ridiculosis comminationibus territi quae imperantur efficiant? Ergo Daemones non alliciuntur sed coguntur advocati.

8. Comme les démons ont péché par orgueil, il n'est pas probable qu'ils soient attirés par ce qui semble déroger à leur excellence. Mais on les fait venir par un appel à leur vertu, et par les mensonges incroyables qui dérogent à leur science. C'est pourquoi Augustin (La cité de Dieu, X, 11[4]) rapporte les paroles de Porphyre, qui parle ainsi, "Car en quoi l'homme attaché à n'importe quel vice les menace, et les frappe d'épouvante par un mensonge, pour leur extorquer la vérité, car il menace le ciel de se détruire et autres choses semblables, impossibles à l'homme, pour que ces dieux, comme des enfants tout à fait stupides, terrifiés par des menaces fausses et ridicules, accomplissent ce qui est commandé?" Donc les démons ne sont pas attirés mais une fois appelés, ils sont contraints.

q. 6 a. 10 arg. 9 Praeterea voluntas Daemonis ad hoc tendit, ut homines in culturam idolorum deiiciat; quod quidem praecipue fit per hoc quod spiritus Daemonum imaginibus adsunt. Si autem propria sponte advocati venirent, semper ad talia venirent. Non autem veniunt, nisi certis temporibus observatis, et determinatis carminibus et ritibus, imaginibus consecratis, vel potius execratis. Non ergo Daemones advocantur quasi allecti, sed quasi coacti.

9. La volonté du démon tend à faire tomber les hommes dans le culte des idoles, ce qui se fait surtout parce que les esprits des démons sont présents dans les images. Mais si appelés, ils venaient toujours de leur propre mouvement, ils viendrait toujours à de tels appels. Mais ils ne viennent qu'à certaines époques qu'ils ont observées, et par des chants et des rites précis, par les images consacrées, ou plutôt maudites. Donc les démons sont appelés non pas comme attirés, mais comme contraints.

q. 6 a. 10 arg. 10 Praeterea aliquando Daemones magicis artibus advocantur, ut homines ad turpem amorem inclinent. Hoc autem Daemones propria voluntate facere intendunt. Non ergo esset opus ut allicerentur si semper hoc facerent advocati. Non semper autem hoc faciunt. Ergo quando faciunt, advocantur non ut allecti, sed quasi coacti.

10. Quelquefois les démons sont appelés par les arts magiques, pour pousser les hommes à un amour honteux. Mais cela les démons tendent à le faire de leur propre volonté. Donc ce ne serait pas la peine de les attirer si toujours ils le faisaient une fois appelés. Mais ils ne le font pas toujours. Donc quand il le font, ils sont appelés, non comme attirés mais comme contraints.

En sens contraire:

q. 6 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Iob XLI, 24: Non est potestas super terram quae ei possit comparari scilicet Diabolo. Maior autem potestas non cogitur a minori. Ergo per nihil terrenum Daemones cogi possunt.

1. En Job, (41, 24) il est dit: "Il n'y a pas sur terre de puissance qui puisse lui être comparée[5]", à savoir à celle du diable. Mais un plus grande puissance n'est pas contrainte par une plus petite. Donc les démons ne peuvent être contraints par rien de terrestre.

q. 6 a. 10 s. c. 2 Praeterea, non est eiusdem invocari et cogi. Invocantur enim maiores, ut Porphyrius dicit, sed peioribus imperatur. Daemones autem veniunt advocati. Ergo non coguntur.

2. Ce n'est pas la même chose d'être appelé et d'être forcé. Car on appelle les plus grands, comme Porphyre le dit, mais on commande aux plus mauvais; mais des démons viennent (s'ils sont) appelés. Donc ils ne sont pas contraints.

q. 6 a. 10 s. c. 3 Sed dicendum, quod coguntur virtute divina.- Sed contra, cogere Daemones ex virtute divina est per donum gratiae, quo perficitur ordo caelestium potestatum. Hoc autem donum gratiae non adest infidelibus, et hominibus sceleratis quales sunt magi. Ergo nec etiam virtute divina Daemones cogere possunt.

3. Mais il faut dire qu'ils sont contraints par le pouvoir divin.— En sens contraire contraindre les démons par le pouvoir divin vient par un don de la grâce, par lequel l'ordre des puissances célestes est achevé. Mais ce don de la grâce n'est pas pour les infidèles, ni pour les scélérats, tels que les magiciens. Donc les démons ne peuvent pas non plus contraindre par la puissance divine.

q. 6 a. 10 s. c. 4 Praeterea, facere ea quae divina virtute principaliter fiunt, non est peccatum, sicut facere miracula. Si ergo magi virtute divina Daemones cogerent, utendo magicis artibus non peccarent, quod patet esse falsum. Non ergo Daemones aliquo modo magicis artibus coguntur.

4. Faire ce qui est fait principalement par la puissance divine n'est pas un péché, comme faire des miracles. Donc si les magiciens contraignaient les démons par la puissance divine, en se servant d'arts magiques, ils ne pècheraient pas, ce qui évidemment faux. Donc les démons ne sont pas contraints de quelque manière par les arts magiques.

Réponse:

q. 6 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod circa effectus magicarum artium multiplex fuit opinio.

Quidam enim dixerunt, sicut Alexander, quod effectus magicarum artium fit per aliquas potentias et virtutes in rebus inferioribus generatas ex virtutibus quorumdam inferiorum corporum, cum observatione caelestium motuum. Unde Augustinus dicit, quod Porphyrio videtur, herbis et lapidibus et animantibus et sonis certis quibusdam ac vocibus et figurationibus atque figmentis quibusdam, etiam observatis in caeli conversione motibus sidereis, fabricari in terra ab hominibus potestates idoneas siderum variis effectibus exequendis.

A propos des effets des arts magiques, il y eut de nombreuses opinions.

a) Certains ont dit, comme Alexandre[6], que l'effet des arts magiques se fait par des puissances et des pouvoirs engendrés dans les choses inférieures, par les pouvoirs de certains corps inférieurs, et en observant les mouvements du ciel. C'est pourquoi Augustin dit (La Cité de Dieu, X, 1) qu'il semble à Porphyre, que par des herbes, des pierres, des êtres animés, certains sons, des voix, des images, et aussi certaines représentations observées dans le ciel par les mouvements des étoiles, des pouvoir capables d'accompagner différents effets des astres sont fabriqués sur terre par des hommes.

Haec autem positio insufficiens videtur. Licet enim ad aliqua quae magicis artibus fieri videntur, naturalium corporum superiorum et inferiorum vires sufficere possint,- sicut ad quasdam corporum transmutationes,- quaedam tamen fiunt magicis artibus ad quae nulla vis corporalis se extendere potest. Constat vero quod locutio non est nisi ab intellectu. Per magicas autem artes aliquae locutiones aliquorum respondentium audiuntur; unde et oportet quod hoc fiat per aliquem intellectum, et praecipue cum de aliquibus occultis per huiusmodi responsa homines doceantur.

Mais cette opinion semble insuffisante. Car, bien que pour certaines choses qui semblent faites par les arts magiques, les forces des corps naturels supérieurs et inférieurs puissent suffire, — comme pour certaines transformations des corps, — certaines, cependant sont faites par les arts magiques, auxquels nulle puissance corporelle ne peut s'étendre. Mais il est clair que l'expression ne vient que de l'esprit. Mais par les arts magiques, on entend certaines paroles de personnes qui répondent; c'est pourquoi il faut que cela soit fait par un esprit et surtout quand les hommes apprennent de telles réponses de manière occulte sur des choses cachées.

Nec potest dici, quod hoc fiat per immutationem imaginationis solius per modum praestigii: quia tunc istae voces non ab omnibus circumstantibus audirentur, nec a vigilantibus et habentibus sensus solutos istae voces audiri possent.

Et on ne peut pas dire que cela se fait par le changement de la seule imagination par imposture, parce que, alors, ces voix ne seraient pas entendues par tous ceux qui sont autour, ni par des personnes éveillées et qui ont des sens sans entraves.

Unde relinquitur quod fiant vel ex virtute animae hominis magicis artibus utentis, aut fiant ab aliquo exteriori intellectum habente.

Primum autem esse non potest: quod patet ex duobus:

primo quidem, quia anima hominis ex sua virtute non potest venire ad cognitionem ignotorum nisi per aliqua sibi nota; unde ex voluntate animae hominis non potest fieri revelatio occultorum quae fit per magicas artes, cum ad huiusmodi occulta facienda non sufficiant principia rationis.

C'est pourquoi il reste que c'est fait par le pouvoir de l'âme d'un hommes qui se sert des arts magiques, ou c'est fait par quelqu'un d'extérieur qui a un esprit.

1) Premièrement cela est impossible, ce qui paraît pour deux raisons:

a) Parce que l'âme de l'homme par son pouvoir ne peut en venir à connaître ce qu'il ignore que par l'intermédiaire du connu; c'est pourquoi la révélation de ce qui est caché qui se fait par les arts magiques ne peut pas se faire par la volonté de l'âme humaine, puisque pour faire des choses cachées de ce genre, les principes de la raison ne suffisent pas.

Secundo, quia si sua virtute huiusmodi effectus anima magi faceret, non indigeret uti invocationibus aut aliquibus huiusmodi exterioribus rebus.

Constat autem quod huiusmodi effectus magicarum artium per aliquos exteriores spiritus fiunt, non autem per spiritus iustos et bonos: quod quidem ex duobus patet:

primo, quia boni spiritus familiaritatem suam sceleratis hominibus non exhiberent, quales plerumque sunt magicarum artium executores;

secundo, quia non cooperarentur hominibus ad illicita perpetranda, quod plerumque fit per magicas artes. Restat ergo hoc fieri per malos spiritus quos Daemones dicimus.

b) Parce que, si par son pouvoir, l'âme du magicien provoquait un effet de ce genre, il ne manquerait pas d'utiliser des invocations ou des choses extérieures de ce genre.

2) Il est clair que de tels effets des arts magiques sont faits par des esprits extérieurs, mais pas par des esprits justes et bons, ce qui paraît de deux manières:

a) Parce que les bons esprits ne montreraient pas leur familiarité aux scélérats, tels que sont la plupart de ceux qui exercent les arts magiques.

b) Parce qu'ils ne collaboreraient pas avec les hommes pour perpétrer des actes illicites, ce qui se fait la plupart du temps par les arts magiques. Donc il reste que cela est fait par des esprits mauvais que nous appelons démons.

Huiusmodi autem Daemones possunt intelligi cogi dupliciter:

uno modo per aliquam superiorem virtutem, quae eis necessitatem faciendi inducat;

alio modo per modum allectionis, sicut homines dicuntur ad aliquid cogi cuius concupiscentia alliciuntur.

Mais on comprend que de tels démons peuvent être contraints de deux manières:

1) Par un pouvoir supérieur, qui les conduit à la nécessité de le faire;

2) au moyen d'un enrôlement, de même que pour les hommes on dit qu'ils sont forcés de faire ce qui les attire par concupiscence.

Neutro autem modo rebus corporalibus, per se loquendo, Daemones cogi possunt nisi supponantur habere corpora aerea naturaliter sibi unita et per consequens habere sensibiles affectiones ad modum aliorum animalium, sicut et Apuleius posuit Daemones esse animalia corpore aerea, anima passiva. Sic enim cogi possent, utroque modo, corporali virtute et corporum caelestium (ex quorum impressionibus in aliquas passiones inducerentur) et etiam inferioribus corporibus in quibus delectarentur, sicut Apuleius dicit: et delectantur in fumis sacrificiorum et in aliquibus talibus. Sed huius opinionis falsitas ostensa est in praecedentibus quaestionibus.

En aucune manière les démons ne peuvent être contraints par des corps, à proprement parler, à moins qu'on suppose qu'ils ont des corps aériens naturellement unis à eux et par conséquent qu'ils ont des affections sensibles, à la manière des autres êtres animés. Ainsi Apulée a pensé que les démons étaient des êtres animés, au corps aérien, à l'âme passive (tiré d'Augustin la Cité de Dieu, VIII, 16). Car ainsi ils peuvent être contraints de deux manières, par le pouvoir corporel et celui des corps célestes (par les pressions desquels ils sont amenés à certaines passions) et même par les corps inférieurs dont ils se délectent, comme Apulée le dit: "Et ils se délectaient dans la fumée des sacrifices et autres choses de ce genre". Mais l'erreur de cette opinion a été démontrée dans les précédentes questions.

Restat ergo quod Daemones, per quos magicae artes complementum habent, et coguntur et alliciuntur. Coguntur quidem a superiori; quandoque quidem ab ipso Deo, quandoque vero a sanctis et Angelis et hominibus virtute Dei. Nam ad ordinem potestatum pertinere dicitur Daemones arcere. Sancti autem homines sicut dono virtutum participant, in quantum miracula faciunt, ita dono potestatum, in quantum eiiciunt Daemones. Coguntur etiam interdum ab ipsis superioribus Daemonibus; quae quidem sola coactio per magicas artes fieri potest. Coguntur etiam quasi allecti per artes magicas, non quidem rebus corporalibus propter seipsas, sed propter aliquid aliud.

B) Il reste donc que les démons, qui apportent un complément aux arts magiques, sont contraints et attirés. Ils sont contraints par un supérieur, quelquefois par Dieu lui-même, quelquefois par les saints, les anges et les hommes, avec le pouvoir de Dieu. Car on dit qu'il convient à l'ordre des Puissances d'écarter les démons. Mais de même que les saints participent au don des vertus, dans la mesures où ils font des miracles, de même ils participent au don des pouvoirs, dans la mesure où ils rejettent les démons. Des démons sont forcés aussi quelquefois par les démons supérieurs, eux-mêmes, seule cette contrainte peut être faite par les arts magiques. Ils sont contraints aussi comme attirés par les arts magiques, non par ce qui est corporel en lui-même, mais quelque chose d'autre.

Primo quidem, quia per huiusmodi res corporales sciunt facilius posse compleri effectum ad quem invocantur; et hoc ipsi appetunt, ut scilicet eorum virtus admirabilis habeatur; et propter hoc sub certa constellatione advocati magis adveniunt.

1) Parce que, par les corps de ce genre, ils savent qu'ils peuvent plus facilement accomplir un effet auquel ils sont appelés et ils le désirent pour que leur pouvoir passe pour admirable, et pour cela ils arrivent plutôt appelés sous certaines positions des astres.

Secundo, inquantum huiusmodi corporalia sunt signa aliquorum spiritualium quibus delectantur. Unde Augustinus dicit, quod alliciuntur Daemones in his rebus, non tamquam animalia cibis, sed quasi spiritus signis. Quia enim homines in signum subiectionis Deo sacrificium offerunt et prostrationes faciunt, gaudent huiusmodi reverentiae signa sibi exhiberi. Alliciuntur autem diversi Daemones diversis signis, secundum quod diversis vitiis ipsorum magis conveniunt.

2) Dans la mesure où les corps de ce genre sont des signes de certaines choses spirituelles, dont ils se délectent. C'est pourquoi Augustin dit (La cité de Dieu XXI, 6) que les démons sont attirés dans ces choses, non comme les animaux par la nourriture, mais comme l'esprit par des signes. Car, parce que les hommes en signe de soumission offrent un sacrifice à Dieu et font des prosternations, ils se réjouissent qu'on leur montre des signes de révérences de ce genre. Mais différents démons sont attirés par des signes différents, ce qui convient à leurs différents vices.

Tertio alliciuntur his corporalibus rebus, inquantum homines per eas in peccatum adducuntur; et inde est quod alliciuntur mendaciis, et his quae homines in errorem vel peccatum inducere possunt.

3) Ils sont attirés par les corps, dans la mesure où les hommes sont conduits par eux au péché et de là vient qu'ils sont attirés par les mensonges et par ce qui peut conduire les pécheurs dans l'erreur et le péché.

Solutions:

q. 6 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Daemones dicuntur cogi per magicas artes modis praedictis.

# 1. On dit que les démons sont contraints par les arts magiques selon les manières dont on a parlé.

q. 6 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso Daemoni satisfit, si per hoc quod aliquod malum impedit et ad aliquod bonum cooperatur, facilius in sui familiaritatem et admirationem homines trahit. Nam et ipsi se transfigurant in Angelos lucis, sicut habetur II Cor. XI, 14.

# 2. Cela satisfait le démon, si par ce qui empêche un mal et coopère à un bien, il entraîne les hommes plus facilement à être familiers avec lui et à l'admirer. Car eux-mêmes se transforment en anges de lumière, comme il est dit en II Co. 11, 14.

q. 6 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si Salomon exorcismos suos eo tempore fecit quando erat in statu salutis, potuit esse in illis exorcismis vis cogendi Daemones ex virtute divina. Si autem tempore illo fecit quo idola adoravit, ut intelligatur eum per magicas artes fecisse, non fuit in illis exorcismis vis cogendi Daemones, nisi modo praedicto.

# 3. Si Salomon a pratiqué des exorcismes au temps où il était dans l'état de salut, il a pu avoir pour cela une force pour contraindre les démons par le pouvoir divin. Mais s'il l'a fait au temps où il a adoré les idoles, pour comprendre alors qu'il l'a fait par les arts magiques, c’est qu’il n'y eutpas en ces exorcismes la force de contraindre les démons, que par la manière dont on a parlé.

q. 6 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod a virginibus advocati adveniunt, ut ex hoc in suae divinitatis opinionem homines adducant, quasi munditiam ament.

# 4. Appelés par les vierges, ils arrivent pour conduire par cela les hommes à l'opinion de leur divinité, comme s'ils aimaient la pureté.

q. 6 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in hoc etiam quod ad invocationem divinae virtutis adveniunt, volunt intelligi quod non sint a divina iustitia omnino exclusi; non enim sic divinitatem appetunt ut summo Deo velint aequari omnino, sed sub eo, divinitatis cultum sibi ab hominibus exhiberi gaudent.

# 5. En cela aussi qu'ils arrivent à l'appel du pouvoir divin, ils veulent qu'on comprenne qu'ils ne sont pas exclus tout à fait de la justice divine, car ils ne désirent pas la divinité pour vouloir tout à fait égaler le Dieu Très Haut, mais sous lui, ils se réjouissent du culte de la divinité que les hommes leur montrent.

q. 6 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Daemones non dicuntur allici signis quasi ipsi signis utantur, sed quia homines signis uti consueverunt, delectantur in signis quibus homines utuntur propter signatum.

# 6. On ne dit pas que les démons sont attirés par des signes comme s'ils s'en servaient, mais parce que les hommes ont l'habitude de s'en servir, ils se délectent dans les signes dont usent les hommes, en vue de ce qui est signifié.

q. 6 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut Glossa ordinaria ibidem dicit, Daemones certis periodis lunae homines magis affligunt, ut creaturas Dei infament, in hoc scilicet quod credantur Daemonibus servire, et per hoc homines in errorem mittant.

# 7. Comme la glose ordinaire le dit ici, les démons affligent plus les hommes pendant certaines périodes de lune, pour déshonorer les créatures de Dieu, en cela qu'on croit qu'ils sont asservis aux démons et par là ils font tomber les hommes dans l'erreur.

q. 6 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet praedicta mendacia in derogationem virtutis Daemonum esse videantur, tamen hoc ipsum eis est delectabile, quod homines in mendaciis confidant: quia ipse est mendax et pater eius.

# 8. Bien que les mensonges rapportés paraissent être dans une dérogation du pouvoir des démons, cependant cela leur est agréable que les hommes aient confiance dans leur mensonge, parce que le démon est lui-même menteur et le père du mensonge.

q. 6 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ad imagines advocati adveniunt certis horis et certis signis, rationibus praedictis.

# 9. Appelé à se manifester, ils viennent à des heures et des signes déterminés, pour les raisons déjà dites.

q. 6 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet semper Daemones homines desiderent pertrahere in peccata, tunc tamen magis adhuc nituntur quando magis ad hoc inclinantur, et quando plures possunt inducere in peccatum.

# 10 Bien que les démons désirent toujours faire tomber les hommes dans les péchés, ils s'y efforcent plus quand ils y sont forcés et quand ils peuvent en pousser plusieurs au péché.

 

[1] . Ia, qu. 113, a. 3 , ad 3 — qu. 110, a. 4, ad 2 et ad 3.

[2] "Un homme de bien de Chaldée, dit-il, se plaint que son zèle à purifier son âme n'ait pas eu de succès parce qu'un envieux, redoutable théurge, avait lié les puissances en les conjurant par des prières sacrées." — Voir Cité de Dieu, X, 10 et X, 11.

[3] "Car lorsque les démons s'insinuent dans les créatures qui ne sont pas leur ouvrage, mais l'ouvrage de Dieu, ils sont attirés par des charmes divers comme leur génie; ils ne cèdent pas comme les animaux à l'attrait des aliments, mais en tant que natures spirituelles à des signes conformes à la fantaisie de chacun, différentes espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, enchantements et rites divers." . (Cité de Dieu, XXI, 6, trad. L. Moreau, p. 235-236)

[4] Cite de Dieu, X, 11, 2: "Comment se fait-il qu'un homme en proie à n'importe quel vice menace et terrifie par ses mensonges, non un démon, ni l'âme d'un mort, mais le soleil lui-même, même la lune ou n'importe quel astre, pour leur extorquer la vérité?"

[5] Il s'agit de Léviathan. Cf. Pot. 6, 3, obj. 1.

[6] Cf. Pot. 6, 3, c.

 

 

Question 7: La simplicité de l’essence divine.

 

q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus sit simplex.

1. Dieu est-il simple?

q. 7 pr. 2 Secundo utrum in Deo sit substantia vel essentia idem quod esse.

2. La substance ou l'essence en Dieu sont-elles la même chose que son être?

q. 7 pr. 3 Tertio utrum Deus sit in aliquo genere.

3. Dieu est-il dans un genre?

q. 7 pr. 4 Quarto utrum bonum, iustum, sapiens et huiusmodi praedicent in Deo accidens.

4. Bon, juste, sage, etc., attribuent-ils un accident à Dieu?

q. 7 pr. 5 Quinto utrum nomina praedicta significent divinam substantiam.

5. Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?

q. 7 pr. 6 Sexto utrum ista nomina sint synonyma.

6. Ces noms sont-ils synonymes?

q. 7 pr. 7 Septimo utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et creaturis univoce, vel aequivoce.

7. Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière univoque ou équivoque?

q. 7 pr. 8 Octavo utrum sit aliqua relatio inter Deum et creaturam.

8. Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?

q. 7 pr. 9 Nono utrum relationes quae sunt inter Deum et creaturas, sint relativae in ipsis creaturis.

9. Les relations entre Dieu et les créatures sont-elles relatives dans les créatures même?

q. 7 pr. 10 Decimo utrum Deus realiter referatur ad creaturam, ita quod relatio ipsa sit res aliqua in Deo.

10. Dieu est-il réellement en relation avec la créature, de sorte que la relation même soit une réalité en Dieu?

q. 7 pr. 11 Undecimo utrum istae relationes temporales sint in Deo secundum rationem.

11. Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?

 

1 Ia, qu. 3, a. 7 — CG. I, 16, 18 —I sent. d8q4a1— Compendium. ch. 9 — Opus 37 De quat. oppos. ch. 4 — De causis 21.

2 Cf. Pot., qu. 2, a. 16. C’est le raisonnement de tous ceux, dont Avicenne, qui considèrent la création par intermédiaire (De causis prop. 3, 9, 16, etc..

3 Entendre appréhendé par l'esprit.

4 "Ces trois relations, la paternité, la filiation et la procession sont appelées les propriétés personnelles, comme les constituant." (Ia, qu. 30, a. 2 c). Chaque personne de la Trinité sous une même essence a ses propriétés personnelles.

5 Le fait de donner un prédicat, ici une catégorie.

6Trad. de M. de Gandillac: "…l'essence, la puissance, l'acte…"

7 Cf. I Sent. d8q4a1, obj. 4.

8 Il s'agit de l'un transcendental.

9 Cf. Raisonnement semblable mais simplifié en Pot. 6, 6, c.

10 Thomas, n° 183.

11 Suite du texte cité en Ia, qu. 3, a. 7, c.

12 Thomas précise en I Sent. d8,q4,a1, ad 4m. que la propriété personnelle ne diffère pas en réalité, et il ajoute: "Mais comparée à son corrélatif, elle produit une distinction réelle, mais de ce côté il n'y a pas union (Cf. ici ad 10m) et c'est pourquoi il n'y a pas composition. Cela montre que les noms personnels ne signifient aucune composition en Dieu."

13 "Et rien, ne croyez-vous pas, n'empêche que le même acte appartiennent à deux choses, non comme identique quant à l'essence, mais comme ce qui est en puissance en face de ce qui est en acte." (Trad. H. Carteron).

14 Entendre l'essence et la relation.

15 Ce qui est "intelligé". La forme est dans l'esprit.

16 Les relations seront étudiées dans les articles 8 à 11 et dans la question 8.

17 Cf. I Sent. d8q4a1, ad 3m.

18 Comprendre: il ne peut y avoir d'union entre elles. La composition est une union, ce qui n'est pas le cas ici.

 

 

 

Article 1: Dieu est-il simple?

q. 7 pr. 1 Et primo quaeritur utrum Deus sit simplex. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 7 a. 1 arg. 1 Ab uno enim simplici non est natum esse nisi unum: idem enim semper facit idem, secundum philosophum. Sed a Deo procedit multitudo. Ergo ipse non est simplex.

1. Car d'un être simple et unique, ne peut venir qu'un seul être2. Car le même fait toujours le même, selon le Philosophe (La génération II.) Mais la multiplicité procède de Dieu. Donc il n'est pas simple.

q. 7 a. 1 arg. 2 Praeterea, simplex si attingitur, totum attingitur. Sed Deus a beatis attingitur: quia, ut dicit Augustinus, attingere mente Deum magna est beatitudo. Si ergo sit simplex, totus attingitur a beatis. Sed quod totum attingitur, comprehenditur. Ergo Deus a beatis comprehenditur, quod est impossibile. Ergo Deus non est simplex.

2. Si ce qui est simple est atteint, il est atteint tout entier. Mais Dieu est atteint par les bienheureux, parce que, comme le dit Augustin (De videndo Deo), c'est une grande béatitude d'atteindre Dieu par l'esprit. Si donc il est simple, il est atteint tout entier par les bienheureux. Mais ce qui est atteint tout entier, est saisi3. Donc Dieu est saisi par les bienheureux, ce qui est impossible. Donc Dieu n'est pas simple.

q. 7 a. 1 arg. 3 Praeterea, idem non se habet in ratione diversarum causarum. Sed Deus se habet in ratione diversarum causarum, ut patet XI Metaph. Ergo in eo oportet esse diversa; ergo oportet eum esse compositum.

3. Le même ne se comprte pas en raison de causes diverses Mais Dieu oui, comme on le voit en Métaphysique XI. Donc en lui, il faut qu'il y ait la diversité. Donc il faut qu'il soit composé.

q. 7 a. 1 arg. 4 Praeterea, ubicumque est aliquid et aliquid, est compositio. Sed in Deo est aliquid et aliquid, scilicet proprietas et essentia. Ergo in Deo est compositio.

4. Là où il y a une chose et une autre, il y a composition, mais en Dieu il y a une chose et une autre, à savoir la propriété4 et l'essence. Donc en lui il y a composition.

q. 7 a. 1 arg. 5 Sed dicendum, quod proprietas est idem quod essentia.- Sed contra: affirmatio et negatio non verificantur de eodem. Sed essentia divina est communicabilis tribus personis, proprietas autem est incommunicabilis. Ergo proprietas et essentia non sunt idem.

5. Mais il faut dire que la propriété est la même chose que l'essence — En sens contraire: l'affirmation et la négation ne se vérifient pas d'un même objet. Mais l'essence divine est communicable aux trois personnes, mais la propriété est incommunicable. Donc la propriété et l'essence ne sont pas une même chose.

q. 7 a. 1 arg. 6 Praeterea, de quocumque praedicantur diversa praedicamenta, illud est compositum. Sed in divina praedicatione venit substantia et relatio, ut dicit Boetius. Ergo Deus est compositus.

6. Celui à qui on attribue diverses catégories est composé; mais dans l'attribution divine5, on trouve la substance et la relation, comme le dit Boèce (La Trinité). Donc Dieu est composé.

q. 7 a. 1 arg. 7 Praeterea, in qualibet re est substantia, virtus et operatio, ut dicit Dionysius; ex quo videtur quod operatio sequitur virtutem et substantiam. Sed in operationibus divinis est pluralitas. Ergo in substantia eius invenitur multitudo et compositio.

7. En toutes choses il y a la substance, la puissance et l'opération, comme le dit Denys (La hiérarchie céleste, XI, § 2, 284 D6). A partir de cela, il semble que l'opération découle de la puissance et de la substance. Mais il y a pluralité dans les opérations divines. Donc dans sa substance on trouve la pluralité et la composition.

q. 7 a. 1 arg. 8 Praeterea, ubicumque invenitur multitudo formarum, ibi oportet esse compositionem. Sed in Deo invenitur multitudo formarum; quia, sicut dicit Commentator, omnes formae sunt actu in primo motore, sicut sunt in potentia in prima materia. Ergo in Deo est compositio.

 

8. Partout où l'on trouve la pluralité de formes, il faut qu'il y ait composition. Mais en Dieu on trouve la pluralité des formes, parce que, comme le dit le Commentateur (Métaphysique XI, com. 18), toutes les formes sont en acte dans le premier moteur, comme elles sont en puissance dans la matière première. Donc en Dieu il y a composition.

q. 7 a. 1 arg. 9 Praeterea, quidquid advenit alicui rei post esse completum, inest ei accidentaliter. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore, sicut quod sit creator et dominus. Ergo insunt ei accidentaliter. Accidentis autem ad subiectum est aliqua compositio. Ergo in Deo est compositio.

9. Tout ce qui arrive à une chose après son être complet, est en elle de manière accidentelle. Mais certains ont parlé de Dieu à partir du temps, comme Créateur et Seigneur. Donc ces attributs sont en lui de manière accidentelle. Mais il y a composition de l'accident avec le sujet. Donc en Dieu il y a composition.

q. 7 a. 1 arg. 10 Praeterea, ubicumque sunt multae res, ibi est compositio. Sed in Deo sunt tres personae, quae sunt tres res, ut dicit Augustinus. Ergo in Deo est compositio.

 

10. Partout où les éléments sont nombreux7, il y a composition, mais en Dieu il y a trois Personnes, qui sont trois "choses", comme le dit Augustin (La doctrine chrétienne, I, 5). Donc en Dieu il y a composition.

En sens contraire:

q. 7 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit: Non humano modo ex compositis est Deus, ut in eo aliud sit quod habet, et aliud sit ipse qui habet.

1. Il y a ce qu’Hilaire dit au livre 8 de la Trinité: «Dieu n'est pas par ses composés à la manière humaine, de sorte qu'en lui, ce qu'il a et celui qui l'a soient différents».

q. 7 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit: Hoc vere unum est in quo nullus est numerus. Ubicumque autem est compositio, est aliquis numerus. Ergo Deus est absque compositione omnino simplex.

2. Boèce dit (La Trinité ) «Est vraiment un ce en quoi il n’y a aucun nombre8». Partout où il y a composition, il y a un nombre. Donc Dieu est tout à fait simple, sans composition.

Réponse:

q. 7 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod Deum esse simplicem modis omnibus tenendum est. Quod quidem ad praesens tribus rationibus potest probari,

Il faut tenir pour assuré que Dieu est simple de toutes les manières. Ce qui peut à présent être prouvé par trois raisons, dont la première est la suivante:

quarum prima talis est: ostensum est enim in alia disputatione, omnia entia ab uno primo ente esse, quod quidem primum ens Deum dicimus. Quamvis autem in uno et eodem quod quandoque invenitur in actu, quandoque in potentia, potentia tempore prius sit actu, natura autem posterius, simpliciter tamen oportet actum esse priorem potentia, non solum natura sed tempore, eo quod omne ens in potentia reducitur in actum ab aliquo ente actu. Illud ergo ens quod omnia entia fecit esse actu, et ipsum a nullo alio est, oportet esse primum in actu, absque aliqua potentiae permixtione. Nam si esset aliquo modo in potentia, oporteret aliud ens prius esse per quod fieret actu. In omni autem composito qualicumque compositione, oportet potentiam actui commisceri. In compositis enim vel unum eorum ex quibus est compositio est in potentia ad alterum, ut materia ad formam, subiectum ad accidens, genus ad differentiam; vel saltem omnes partes sunt in potentia ad totum. Nam partes ad materiam reducuntur, totum vero ad formam, ut patet in II Physic., et sic nullum compositum potest esse actus primus. Ens autem primum, quod Deus est, oportet esse actum purum, ut ostensum est. Impossibile est ergo Deum compositum esse; unde oportet quod sit omnino simplex.

 

1) Première raison: On a montré, en effet, dans une autre discussion (Pot. 3, 5) que tous les étants venaient d'un premier étant, que nous appelons Dieu. Mais quoique dans un seul et même étant, que l'on trouve quelquefois en acte, quelquefois en puissance, la puissance soit chronologiquement avant l'acte, et selon la nature après, dans l'absolu, il faut que l'acte soit avant la puissance, non seulement en nature mais chronologiquement, parce que tout étant en puissance est ramené à l'acte par un étant en acte. Donc cet étant qui a fait que tous les étants sont en acte, et qui lui-même ne dépend d'aucun autre, doit être l'être premier en acte sans aucun mélange de puissance. Car s'il était en quelque manière en puissance, il faudrait qu'un autre étant existe avant par lequel il deviendrait en acte9. Dans tout composé, quel qu'il soit en composition, il faut que la puissance soit mêlée à l'acte. Car dans les composés, ou bien l'un d'eux d'où vient la composition est en puissance pour l'autre, comme la matière pour la forme, le sujet pour l'accident, le genre pour la différence, ou bien au moins toutes les parties sont en puissance pour le tout. Car les parties sont ramenées à la matière, le tout à la forme, comme on le montre en Physique (III, 3, 195 a 15 ss10), et ainsi aucun composé ne peut être acte premier. Mais l'étant premier, qui est Dieu, doit être acte pur, comme on l'a montré. Donc il est impossible qu'il soit composé, c'est pourquoi il faut qu'il soit tout à fait simple.

Secunda ratio est quia cum compositio non sit nisi ex diversis, ipsa diversa indigent aliquo agente ad hoc quod uniantur. Non enim diversa, inquantum huiusmodi, unita sunt. Omne autem compositum habet esse, secundum quod ea, ex quibus componitur, uniuntur. Oportet ergo quod omne compositum dependeat ab aliquo priore agente. Primum ergo ens, quod Deus est, a quo sunt omnia, non potest esse compositum.

2) Seconde raison, parce que, comme la composition ne vient que de parties diverses, celles-ci ont besoin d'un agent pour les unir. Car en tant que tel, ce qui est divers n'est pas uni. Mais tout composé a l'être selon que ses composants sont unis. Donc il faut que tout composé dépende d'un agent premier. Donc l'étant premier, qui est Dieu, d'ou vient tout, ne peut pas être composé.

Tertia ratio est, quia oportet primum ens, quod Deus est, esse perfectissimum, et per consequens optimum; non enim rerum principia imperfecta sunt, ut Pythagoras et Leucippus aestimaverunt. Optimum autem est in quo nihil est quod careat bonitate, sicut albissimum est in quo nihil nigredinis admiscetur. Hoc autem in nullo composito est possibile. Nam bonum quod resultat ex compositione partium, per quod totum est bonum, non inest alicui partium. Unde partes non sunt bonae illa bonitate quae est totius propria. Oportet ergo id quod est optimum, esse simplicissimum, et omni compositione carere. Et hanc rationem ponit philosophus et Hilarius ubi dicit, quod Deus, quia lux est, non ex obscuris coarctatur, neque quia virtus est, ex infirmis continetur.

 

3) Troisième raison: il faut que le premier étant, qui est Dieu, soit absolument parfait, et par conséquent le meilleur, car les principes des choses ne sont pas imparfaits, comme Pythagore et Leucippe l'ont pensé. Mais le meilleur est celui en qui il n'y a rien qui manque de bonté, comme le blanc suprême est ce en quoi rien de noir n'est mêlé. Mais cela n'est possible dans aucun composé. Car le bien qui résulte de la composition des parties, par lequel le tout est bon, n'est dans aucune partie. C'est pourquoi les parties ne sont pas bonnes de cette bonté qui est le propre du tout. Il faut donc que le meilleur soit absolument simple et ne comporte aucune composition. Et le Philosophe donne cette raison (Métaphysique XI) et Hilaire, (La Trinité, VII, 27, PL. 10, 223 AB11) où il dit que «Parce que Dieu est lumière, il n'est pas contraint par l'obscurité, et parce qu'il est puissance il n'est pas contenu par ce qui est faible

Solutions:

q. 7 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio Aristotelis non est quod ab uno non possit procedere multitudo. Cum enim agens agat sibi simile, et effectus deficiant a repraesentatione suae causae, oportet quod illud quod in causa est unitum, in effectibus multiplicetur; sicut in virtute solis sunt quasi unum omnes formae generabilium corporum, et tamen in effectibus distinguuntur. Et exinde contingit quod per unam suam virtutem res aliqua potest inducere diversos effectus, sicut ignis per suum calorem liquefacit et coagulat, et mollificat et indurat, et comburit et denigrat. Et homo per virtutem rationis acquirit diversas scientias, et operatur diversarum artium opera; unde et multo amplius Deus per unam suam simplicem virtutem potest multa creare. Sed philosophus intendit, quod aliquid manens idem non facit diversa in diversis temporibus, si sit agens per necessitatem naturae; nisi forte per accidens hoc contingat ex diversitate materiae, vel alicuius alterius accidentis. Hoc tamen non est ad propositum.

# 1. La pensée d'Aristote n'est pas que la pluralité ne puisse pas procéder de l'unité. En effet, comme l'agent fait du semblable à lui et que les effets sont déficients par rapport à la représentation de leur cause, il faut que ce qui est uni dans une cause, devienne multiple dans les effets; ainsi dans le pouvoir du soleil, il y a comme une unité toutes les formes des corps qui peuvent être engendrés, et cependant elles sont distinguées dans les effets. Et de là vient que par une seule puissance, une chose peut entraîner différents effets, comme le feu par sa chaleur liquéfie, coagule, ramollit, durcit, brûle et noircit. Et l'homme par le pouvoir de sa raison acquiert diverses sciences, et produit les opérations de divers arts. C'est pourquoi, et beaucoup plus, Dieu par sa puissance une et simple peut créer beaucoup d'êtres. Mais le philosophe soutient que ce qui demeure le même ne fait pas de choses diverses dans des temps différents, s'il est agent par nécessité de nature; à moins que par hasard cela arrive par accident par la diversité de la matière ou de quelque autre accident. Mais cela n'est pas dans notre propos.

q. 7 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus a beatis mente attingitur totus, non tamen totaliter, quia modus cognoscibilitatis divinae excedit modum intellectus creati in infinitum; et ita intellectus creatus non potest Deum ita perfecte intelligere sicut intelligibilis est, et propter hoc non potest ipsum comprehendere.

# 2. Dieu tout entier est atteint par l'esprit des bienheureux, non cependant totalement, parce que le mode par lequel Dieu peut être connu excède à l'infini l'esprit créé; et ainsi celui-ci ne peut pas comprendre Dieu aussi parfaitement qu'il est intelligible, et c'est pour cela qu'il ne peut pas le saisir.

q. 7 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per unum et idem Deus in ratione diversarum causarum se habet: quia, per hoc quod est actus primus, est agens, et est exemplar omnium formarum, et est bonitas pura, et per consequens omnium finis.

# 3. Dieu ne se comporte pas d'une seule et même manière, en raison de causes diverses; parce qu'il est acte premier, il est l'agent et l'exemplaire de toutes les formes, il est bonté pure et par conséquent fin de tout.

 

q. 7 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas et essentia in divinis non differunt re, sed ratione tantum: ipsa enim paternitas est divina essentia, ut post patebit.

# 4. La propriété et l'essence ne différent pas réellement en Dieu12, mais en raison seulement; car la paternité elle-même est l'essence divine, comme on le montrera (qu. 8, a. 1).

q. 7 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de eo quod est idem re et differens ratione, nihil prohibet contradictoria praedicari, ut dicit philosophus, sicut patet quod idem punctum re, differens ratione, est principium et finis; et secundum quod est principium, non est finis, et e contrario. Unde cum essentia et proprietas sint idem re et differant ratione, nihil prohibet quin unum sit communicabile et aliud incommunicabile.

# 5. Pour ce qui est le même en réalité et différent en raison, rien n'empêche d'attribuer des termes contradictoires, comme le dit le philosophe (Physique, III, 3, 202 b 813), ainsi il apparaît que le point, le même en réalité, différent en raison, est principe et fin; et selon qu'il est principe, il n'est pas fin, et inversement. C'est pourquoi comme l'essence et la propriété sont une même chose en réalité et différente en raison, rien n'empêche que l'une soit communicable et l'autre incommunicable.

q. 7 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod absoluta et relativa in divinis non differunt secundum rem, sed solum secundum rationem, ut dictum est; et ideo ex hoc nulla compositio relinquitur.

# 6. L'absolu et le relatif14 ne diffèrent pas en Dieu en réalité, mais seulement en raison, comme on l'a dit, et c'est pourquoi à partir de cela il ne reste nulle composition.

 

q. 7 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod operatio Dei potest considerari vel ex parte operantis vel ex parte operati. Si ex parte operantis, sic in Deo non est nisi una operatio, quae est sua essentia: non enim agit res per actionem aliquam quae sit media inter Deum et suum velle, quae sunt ipsius esse. Si vero ex parte operati, sic sunt diversae operationes, ipsum factum, sed per suum intelligere et diversi effectus divinae operationis. Hoc autem compositionem in ipso non inducit.

# 7. L'opération de Dieu peut être considérée du côté de celui qui produit ou de ce qui est produit. Si c'est du côté de celui qui produit, il n'y a qu'une opération en Dieu, qui est son essence; car il ne fait rien par une action intermédiaire entre lui et son vouloir, qui sont son être propre. Si c'est du côté de ce qui est produit, il y a différentes opérations, ce qui est produit mais par son intellection, les différents effets de l'opération divine. Mais cela n'entraîne pas de composition en lui.

q. 7 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod forma effectus invenitur aliter in agente naturali, et aliter in agente per artem. In agente namque per naturam, invenitur forma effectus secundum quod agens in sua natura assimilat sibi effectum, eo quod omne agens agit sibi simile. Quod quidem contingit dupliciter:

# 8. La forme de l'effet se trouve autrement dans l'agent naturel que dans l'agent par art. Dans l'agent par nature, on trouve la forme de l'effet selon que l'agent fait du semblable à lui dans sa propre nature, ce que fait tout agent. Cela arrive de deux façons:

 

quando enim effectus perfecte assimilatur agenti, utpote adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus est in agente secundum eamdem rationem, ut patet in agentibus univocis, ut cum ignis generat ignem;

a) en effet, lorsque l'effet ressemble parfaitement à l'agent, en tant qu'il égale sa puissance, alors la forme de l'effet est dans l'agent selon la même nature, comme cela apparaît dans les agents univoques, comme quand le feu engendre le feu;

quando vero effectus non perfecte assimilatur agenti, utpote non adaequans agentis virtutem, tunc forma effectus est in agente non secundum eamdem rationem, sed sublimiori modo; ut patet in agentibus aequivocis, ut cum sol generat ignem.

b) mais quand l'effet n'est pas parfaitement semblable à l'agent, à savoir qu'il n'égale pas la puissance de l'agent, alors la forme de l'effet n'est pas dans l'agent selon la même nature, mais sur un mode plus sublime; comme cela apparaît dans les agents équivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

In agentibus autem per artem, formae effectuum praeexistunt secundum eamdem rationem, non autem eodem modo essendi, nam in effectibus habent esse materiale, in mente vero artificis habent esse intelligibile. Cum autem in intellectu dicatur esse aliquid sicut id quod intelligitur, et sicut species qua intelligitur, formae artis sunt in mente artificis sicut id quo intelligitur. Nam ex hoc quod artifex concipit formam artificiati, producit eam in materia.

Mais dans les agents qui agissent par art, les formes des effets préexistent selon une même raison, mais non selon la même manière d'être, car ils ont l'être matériel dans les effets, et l'être intelligible dans l'esprit de l'artisan. Mais comme on dit qu'il y a une chose dans l'esprit comme ce qui est pensé15, et comme la forme (species) par laquelle on la pense, les formes de l'art sont dans l'esprit de l'artisan comme ce qui est pensé. Car du fait que l'artisan conçoit la forme de l'œuvre, il la produit dans la matière.

Utroque autem modo formae rerum sunt in Deo: cum enim ipse agit res per intellectum, non est sine actione naturae. In inferioribus autem artificibus ars agit virtute extraneae naturae, qua utitur ut instrumento, sicut figulus igne ad coquendum laterem. Sed ars divina non utitur exteriori natura ad agendum, sed virtute propriae naturae facit suum effectum. Formae ergo rerum sunt in natura divina ut in virtute operativa, non secundum eamdem rationem, cum nullus effectus virtutem illam adaequet. Unde sunt ibi ut unum omnes formae quae in effectibus multiplicantur; et sic nulla provenit inde compositio. Similiter in intellectu eius sunt multa intellecta per unum et idem, quod est sua essentia. Quod autem per unum intelligantur multa, non inducit compositionem intelligentis; unde nec ex hac parte sequitur compositio in Deo.

Les formes des choses sont en Dieu de l'une et l'autre manière. Quand, en effet, lui-même fait les choses par son intellect, ce n'est pas sans l'action de la nature. Mais dans les œuvres d'art inférieures, l'art agit avec le pouvoir de la nature extérieure, dont il se sert comme d'un instrument, comme le briquetier pour cuire l'argile par le feu. Mais l'art divin ne se sert pas de la nature extérieure pour agir, mais il produit son effet par la puissance de sa propre nature. Donc les formes sont dans la nature divine comme dans un pouvoir opératif, non selon la même nature, puisque aucun effet n'égale son pouvoir. C'est pourquoi, il y a là en tant qu'unité toutes les formes qui sont multipliées dans les effets et ainsi il n'en provient aucune composition. De la même manière, dans son intellect, il y a beaucoup de choses saisies par l'un et le même, qui est son essence. Le fait que beaucoup de choses soient pensées dans l'unité, n'entraîne pas la composition de celui qui les pense, c'est pourquoi de ce côté il ne découle pas de composition en Dieu.

q. 7 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod relationes quae dicuntur de Deo ex tempore, non sunt in ipso realiter, sed solum secundum rationem. Ibi enim est realis relatio ubi realiter aliquid dependet ab altero, vel simpliciter vel secundum quid. Et propter hoc scientiae est realis relatio ad scibile, non autem e converso, sed secundum rationem tantum, ut patet per philosophum. Et ideo cum Deus ab altero nullo dependeat, sed e converso omnia ab ipso dependeant, in rebus aliis sunt relationes ad Deum reales, in ipso autem ad res secundum rationem tantum, prout intellectus non potest intelligere relationem huius ad illud, nisi e converso intelligat relationem illius ad hoc.

# 9. Les relations16 qui sont dites de Dieu dans le temps, ne sont pas en lui réellement, mais seulement en raison. Car il y a relation réelle là où une chose dépend réellement d'une autre, ou absolument ou relativement. Et c'est pour cela que la relation de la science au connaissable est réelle, pas inversement; mais en raison seulement, comme le montre le Philosophe (Métaphysique V, 5, 1021 a 26 ss). Et c'est pourquoi, comme Dieu ne dépend d'aucun autre, mais qu'inversement tout dépend de lui, dans les autres choses les relations à Dieu sont réelles, mais en lui la relation aux créatures est en raison seulement, dans la mesure où l'esprit ne peut comprendre la relation de celui-ci à celui-là, qu'en ne comprenant inversement la relation de celui-là à celui-ci17.

q. 7 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod pluralitas personarum nullam compositionem in Deo inducit. Personae enim dupliciter possunt considerari.

# 10. La pluralité des personnes n'amène aucune composition en Dieu. Car les personnes peuvent être considérées de deux manières:

 

Uno modo secundum quod comparantur ad essentiam, cum qua sunt idem re; et sic patet quod non relinquitur aliqua compositio.

a) Selon qu'on les compare à l'essence, avec laquelle elles sont réellement identiques, et ainsi il apparaît qu'il ne reste aucune composition.

Alio vero modo secundum quod comparantur ad invicem; et sic comparantur ut distinctae, non adunatae. Et propter hoc nec ex hac parte potest esse compositio, nam omnis compositio est unio.

b) Selon qu'on les compare entre elles; et ainsi on les compare comme distinctes, sans être unies. Et c'est pour cela qu’il ne peut pas y avoir de composition de ce côté car toute composition est union18.

 

1 Ia, qu. 3, a. 7 — CG. I, 16, 18 —I sent. d8q4a1— Compendium. ch. 9 — Opus 37 De quat. oppos. ch. 4 — De causis 21.

2 Cf. Pot., qu. 2, a. 16. C’est le raisonnement de tous ceux, dont Avicenne, qui considèrent la création par intermédiaire (De causis prop. 3, 9, 16, etc..

3 Entendre appréhendé par l'esprit.

4 «Ces trois relations, la paternité, la filiation et la procession sont appelées les propriétés personnelles, comme les constituant.» (Ia, qu. 30, a. 2 c). Chaque personne de la Trinité sous une même essence a ses propriétés personnelles.

5 Le fait de donner un prédicat, ici une catégorie.

6Trad. de M. de Gandillac: «…l'essence, la puissance, l'acte…»

7 Cf. I Sent. d8q4a1, obj. 4.

8 Il s'agit de l'un transcendental.

9 Cf. Raisonnement semblable mais simplifié en Pot. 6, 6, c.

10 Thomas, n° 183.

11 Suite du texte cité en Ia, qu. 3, a. 7, c.

12 Thomas précise en I Sent. d8,q4,a1, ad 4m. que la propriété personnelle ne diffère pas en réalité, et il ajoute: «Mais comparée à son corrélatif, elle produit une distinction réelle, mais de ce côté il n'y a pas union (Cf. ici ad 10m) et c'est pourquoi il n'y a pas composition. Cela montre que les noms personnels ne signifient aucune composition en Dieu.»

13 «Et rien, ne croyez-vous pas, n'empêche que le même acte appartiennent à deux choses, non comme identique quant à l'essence, mais comme ce qui est en puissance en face de ce qui est en acte.» (Trad. H. Carteron).

14 Entendre l'essence et la relation.

15 Ce qui est « intelligé ». La forme est dans l'esprit.

16 Les relations seront étudiées dans les articles 8 à 11 et dans la question 8.

17 Cf. I Sent. d8q4a1, ad 3m.

18 Comprendre: il ne peut y avoir d'union entre elles. La composition est une union, ce qui n'est pas le cas ici.

 

Article 2: La substance ou l’essence en Dieu sont-elles la même chose que son être?

 

q. 7 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 7 a. 2 arg. 1 Dicit enim Damascenus, in I Lib. Orth. fidei: [cap. 1 et III] Quoniam quidem Deus est, manifestum est nobis; quid vero sit secundum substantiam et naturam, incomprehensibile est omnino et ignotum. Non autem potest esse idem notum et ignotum. Ergo non est idem esse Dei et substantia vel essentia eius.

1. Car Jean Damascène dit (La foi orthodoxe, I, ch. 1 et 3): "Que Dieu existe est évident pour nous; mais ce qui concerne sa substance et sa nature, est tout à fait incompréhensible et ignoré." Le connu et l'inconnu ne peuvent pas être une même chose. Donc l'être de Dieu, et sa substance ou son essence ne sont pas une même chose.

q. 7 a. 2 arg. 2 Sed diceretur, quod etiam ipsum esse Dei ignotum est nobis quid sit, sicut et eius substantia.- Sed contra: duae quaestiones diversae sunt, an est, et quid est; ad quarum unam respondere scimus, ad aliam vero non, ut etiam ex praedicta auctoritate patet. Ergo id quod respondet ad an est de Deo, et quod respondet ad quid est, non est idem; sed ad an est respondet esse; ad quid est, substantia vel natura.

2. Mais on pourrait dire, que nous ignorons ce qu'est l'être de Dieu, comme aussi sa substance2. — En sens contraire, il y a deux questions différentes: est-il, et qu'est-il; à l'une nous savons répondre, mais à l'autre non, comme on le voit par l'autorité ci-dessus3. Donc ce qui répond à "est-il?" au sujet de Dieu, et ce qui répond à "qu'est-il" ne sont pas une même chose, mais au "est-il?" répond l'existence, au "quel est-il?", la substance ou la nature.

q. 7 a. 2 arg. 3 Sed dicendum, quod esse Dei cognoscitur non per se ipsum, sed per similitudinem creaturae.- Sed contra: in creatura est esse et substantia vel natura; et cum utrumque habeat a Deo, secundum utrumque Deo assimilatur, eo quod agens agit sibi simile. Si ergo esse Dei cognoscitur per similitudinem esse creati, oportet quod eius substantia cognoscatur per similitudinem substantiae creatae: et sic de Deo sciremus non solum quoniam est, sed quid est.

3. Mais il faut dire que l'être de Dieu est connu, non en soi, mais par ressemblance avec la créature. — En sens contraire: dans la créature, il y a l'être et la substance ou la nature, et comme elle possède l'un et l'autre de Dieu, elle lui ressemble selon l'un et l'autre, parce que l'agent fait du semblable à soi. Si donc l'être de Dieu est connu par sa ressemblance avec l'être créé, il faut que sa substance soit connue par la ressemblance de la substance créée, et ainsi nous saurions de Dieu non seulement qu'il est, mais ce qu'il est.

q. 7 a. 2 arg. 4 Praeterea, unumquodque dicitur differre ab altero per suam substantiam. Per id autem quod est omnibus commune, nihil ab altero differt; unde et philosophus dicit, quod ens non debet poni in definitione, quia per hoc, definitum a nullo distingueretur. Ergo nullius rei ab aliis distinctae substantia est ipsum esse, cum sit omnibus commune. Sed Deus est res ab omnibus aliis rebus distincta. Ergo suum esse non est sua substantia.

4. On dit que chaque chose est différente d'une autre par sa substance. Rien ne diffère d'un autre par ce qui est commun à tous; c'est pourquoi le philosophe dit (Métaphysique III, 3, 998 b 224), que l'étant ne doit pas être placé dans une définition, parce que par là ce qui est défini ne serait distingué de rien. Donc, la substance de rien de ce qui est distingué des autres n'est l'être même, puisque l'être est commun à tout. Mais Dieu est différent de toutes les autres choses. Donc son être n'est pas sa substance.

q. 7 a. 2 arg. 5 Praeterea, non sunt diversae res nisi quarum est diversum esse. Sed esse huius rei non est diversum ab esse alterius in quantum est esse, sed in quantum est in tali vel in tali natura. Si ergo aliquod esse sit, quod non sit in aliqua natura, quae differat ab ipso esse, hoc non erit diversum ab aliquo alio esse. Et ita sequitur, si divina substantia est eius esse, quod ipse sit esse cuilibet commune.

5. Les choses ne sont différentes que dans la mesure où leur être est différent. Mais l'être d'une chose n'est pas différent de celui d'une autre en tant qu'être, mais en tant qu'il est en telle ou telle nature. Donc s'il y avait un être tel qu'il ne soit pas dans une nature différente de l'être même, il ne serait pas différent d'un autre être. Et ainsi il en découle que si la substance de Dieu est son être, lui-même serait un être commun à n'importe quel autre.

q. 7 a. 2 arg. 6 Praeterea, ens cui non fit additio, est ens omnibus commune. Sed si Deus sit ipsum suum esse, erit ens cui non fit additio. Ergo erit commune; et ita praedicabitur de unoquoque, et erit Deus mixtus rebus omnibus; quod est haereticum, et contra philosophum dicentem in Lib. de causis, quod causa prima regit omnes res praeterquam quod commisceatur cum eis.

6. Un étant à qui n'est pas fait d'addition, est l’étant commun à tous5. Mais si Dieu est son être même, il sera un étant sans addition. Donc il sera commun, et ainsi il sera attribué à n'importe quoi, et il sera un Dieu mêlé à toutes choses; ce qui est hérétique, et contre le philosophe qui dit dans le Livre des Causes (prop. 20), que la cause première régit toutes choses sans leur être mêlée.

q. 7 a. 2 arg. 7 Praeterea, ei quod est omnino simplex, non convenit aliquid in concretione dictum. Esse autem huiusmodi est: sic enim videtur se habere esse ad essentiam sicut album ad albedinem. Ergo inconvenienter dicitur quod divina substantia sit esse.

7. Rien de ce qui est dit dans le concret ne convient à ce qui est tout à fait simple. Mais l'être est de ce genre; car il semble se comporter vis-à-vis de l'essence comme le blanc vis-à-vis de la blancheur. Donc il ne convient pas de dire que la substance de Dieu est son être.

q. 7 a. 2 arg. 8 Praeterea, Boetius dicit: Omne quod est participat eo quod est esse, ut sit; alio vero participat ut aliquid sit. Sed Deus est. Ergo praeter esse suum est in eo aliquid aliud quo habet ut aliquid sit.

8. Boèce dit (De Hebdom. n° 16, PL 1311 B6): "Tout ce qui est participe à l'être, pour être; et participe à autre chose pour être quelque chose". Mais Dieu existe. Donc au-delà de son être il y a en lui quelque chose par laquelle il a d'être quelque chose.

q. 7 a. 2 arg. 9 Praeterea, Deo, qui est perfectissimus, id quod est imperfectissimum non est attribuendum. Sed esse est imperfectissimum, sicut prima materia: sicut enim materia prima determinatur per omnes formas, ita esse, cum sit imperfectissimum, determinari habet per omnia propria praedicamenta. Ergo sicut materia prima non est in Deo, ita nec esse debet divinae substantiae attribui.

9. On ne doit pas attribuer à Dieu, qui est très parfait, ce qui est très imparfait7. Mais l'être est très imparfait, comme la matière première; car de même qu'elle est limitée par toutes les formes, il en est de même pour l'être, puisqu'il est très imparfait, il doit être limité par toutes les catégories particulières. Donc de même qu’il n’y a pas de matière première en Dieu, de même, on ne doit pas attribuer l'être à la substance divine.

q. 7 a. 2 arg. 10 Praeterea, id quod significatur per modum effectus, non convenit substantiae primae, quae non habet principium. Sed esse est huiusmodi: nam omne ens per principia suae essentiae habet esse. Ergo substantia Dei inconvenienter dicitur quod sit ipsum esse.

10. Ce qui est signifié à la manière de l'effet ne convient pas à la substance première qui n'a pas de principe. Mais l'être est de ce genre; car tout étant a l'être par les principes de son essence. Donc il ne convient pas de dire que la substance de Dieu est l'être même.

q. 7 a. 2 arg. 11 Praeterea, omnis propositio est per se nota, in qua idem de ipso praedicatur. Sed si substantia Dei sit ipsum suum esse, idem erit in subiecto et praedicato, cum dicitur, Deus est. Ergo erit propositio per se nota: quod videtur esse falsum, cum sit demonstrabilis. Non ergo ipsum esse Dei est substantia.

11. Est connue par soi toute proposition dans laquelle le même est attribué à lui-même. Mais si la substance de Dieu est son être propre, il y aura la même chose dans le sujet et le prédicat, quand on dit: Dieu est. Donc la proposition sera connue par soi; ce qui paraît faux, puisqu'elle peut être démontrée. Donc l'être de Dieu n'est pas sa substance.

En sens contraire:

q. 7 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit in Lib. de Trinit.: Esse non est accidens Deo, sed subsistens veritas. Id autem quod est subsistens, est rei substantia. Ergo esse Dei est eius substantia.

1. Hilaire dit au livre de la Trinité (VII, PL. 10, 208 B): "L'être n'est pas un accident en Dieu, mais vérité subsistante". Mais ce qui est subsistant est la substance. Donc l'être de Dieu est sa substance.

q. 7 a. 2 s. c. 2. Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod Deus est ens non in essentia, et vivens non in vita, et est potens non in potentia, et sapiens non in sapientia. Ergo in Deo non est aliud essentia quam suum esse.

2. Rabbi Moyses8 dit que Dieu est l'étant sans essence, le vivant sans vie, le puissant sans puissance, et le sage sans sagesse9. Donc en Dieu l'essence n'est pas autre que son être.

q. 7 a. 2 s. c. 3 Praeterea, unaquaeque res proprie denominatur a sua quidditate: nomen enim proprie significat substantiam et quidditatem, ut habetur IV Metaphys. Sed hoc nomen quid est, est inter cetera magis proprium nomen Dei, ut patet Exod. IV. Cum ergo hoc nomen imponatur ab hoc quod est esse, videtur quod ipsum esse Dei sit sua substantia.

3. Toute chose est dénommée en propre par sa quiddité; car le nom signifie proprement la substance et la quiddité, comme on le lit en Métaphysique IV. Mais ce nom "qui est" est parmi tous les autres le nom le plus propre de Dieu, comme on le voit en Ex. 4. Comme ce nom est imposé du fait qu'il est l'être, il semble que l'être même de Dieu est sa substance.

Réponse:

q. 7 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod in Deo non est aliud esse et sua substantia. Ad cuius evidentiam considerandum est quod, cum aliquae causae effectus diversos producentes communicant in uno effectu, praeter diversos effectus, oportet quod illud commune producant ex virtute alicuius superioris causae cuius illud est proprius effectus. Et hoc ideo quia, cum proprius effectus producatur ab aliqua causa secundum suam propriam naturam vel formam, diversae causae habentes diversas naturas et formas oportet quod habeant proprios effectus diversos.

En Dieu, l’être et la substance ne sont pas différents. Pour le mettre en évidence il faut considérer que, quand des causes qui produisent divers effets se rencontrent dans un seul effet, en dehors des effets différents, il faut qu'elles produisent ce qui est commun par le pouvoir d’une cause supérieure dont c'est l’effet propre. Et cela, parce que, quand l'effet le plus propre est produit par une cause selon sa propre nature ou sa propre forme, il faut que les causes diverses ayant diverses natures et formes, aient divers effets qui leur sont propres.

Unde si in aliquo uno effectu conveniunt, ille non est proprius alicuius earum, sed alicuius superioris, in cuius virtute agunt; sicut patet quod diversa complexionata conveniunt in calefaciendo, ut piper, et zinziber, et similia, quamvis unumquodque eorum habeat suum proprium effectum diversum ab effectu alterius. Unde effectum communem oportet reducere in priorem causam cuius sit proprius, scilicet in ignem. Similiter in motibus caelestibus, sphaerae planetarum singulae habent proprios motus, et cum hoc habent unum communem, quem oportet esse proprium alicuius sphaerae superioris omnes revolventis secundum motum diurnum.

C'est pourquoi, si elles se rassemblent en un seul effet, celui-là n'est pas plus propre à l'une d'elle, mais à une cause supérieure, dans le pouvoir de qui elles agissent; ainsi il est clair que divers ingrédients mélangés s'unissent en chauffant, comme le poivre et le gingembre, et autres épices, quoique chacun d'eux ait son propre effet, différent de celui de l'autre. C'est pourquoi il faut ramener l'effet commun à une cause première dont elle serait la cause la plus propre, à savoir le feu. De la même manière, dans les mouvements célestes, chacune des sphères des planètes a ses propres mouvements, et comme elles en ont un en commun, il faut qu'il soit propre à une sphère supérieure qui les met toutes en mouvement selon le mouvement diurne.

Omnes autem causae creatae communicant in uno effectu qui est esse, licet singulae proprios effectus habeant, in quibus distinguuntur. Calor enim facit calidum esse, et aedificator facit domum esse. Conveniunt ergo in hoc quod causant esse, sed differunt in hoc quod ignis causat ignem, et aedificator causat domum. Oportet ergo esse aliquam causam superiorem omnibus cuius virtute omnia causent esse, et eius esse sit proprius effectus. Et haec causa est Deus.

Mais toutes les causes créées ont une part en commun dans un seul effet qui est l'être, bien qu'elles aient chacune des effets propres, qui les distinguent. Car la chaleur chauffe, et l'architecte fait exister une maison. Donc ils se rassemblent en cela qu'ils causent l'être, mais ils sont différents en cela que le feu cause le feu et l'architecte cause la maison. Il faut donc qu'il y ait une cause supérieure à toutes, que par sa puissance toutes causent l'être, et que son être soit l'effet le plus propre. Et cette cause c'est Dieu.

Proprius autem effectus cuiuslibet causae procedit ab ipsa secundum similitudinem suae naturae. Oportet ergo quod hoc quod est esse, sit substantia vel natura Dei. Et propter hoc dicitur in Lib. de causis, quod intelligentia non dat esse nisi in quantum est divina, et quod primus effectus est esse, et non est ante ipsum creatum aliquid.

Mais l'effet le plus propre de n'importe quelle cause procède d'elle selon la ressemblance de sa nature. Il faut donc que ce qui est l'être, soit substance ou nature de Dieu. Et c'est pourquoi on dit au livre des Causes (prop. 9) que l'intelligence ne donne l'être que dans la mesure où elle est divine, et que le premier effet est l'être, et avant lui, il n'y a rien de créé.

Solutions:

q. 7 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ens et esse dicitur dupliciter, ut patet V Metaph. Quandoque enim significat essentiam rei, sive actum essendi; quandoque vero significat veritatem propositionis, etiam in his quae esse non habent: sicut dicimus quod caecitas est, quia verum est hominem esse caecum. Cum ergo dicat Damascenus, quod esse Dei est nobis manifestum, accipitur esse Dei secundo modo, et non primo. Primo enim modo est idem esse Dei quod est substantia: et sicut eius substantia est ignota, ita et esse. Secundo autem modo scimus quoniam Deus est, quoniam hanc propositionem in intellectu nostro concipimus ex effectibus ipsius.

# 1. L'étant et l'être se disent de deux manières, comme on le voit en Métaphysique (V, 7, 1017 a 7 — 1017 a 31). Car quelquefois il signifie l'essence de la chose, ou l'acte d'être, mais quelquefois la vérité de la proposition, même en ce qui n'a pas l'être, ainsi nous disons que la cécité10 existe parce qu'il est vrai qu'un homme est aveugle. Donc, comme Jean Damascène dit que l'être de Dieu est pour nous évident, c'est prendre l'être au second sens, et non au premier. Car, pour le premier, l'être de Dieu est le même que sa substance; et de même que sa substance est inconnue, son être aussi. De la seconde manière, nous savons que Dieu existe, puisque nous concevons cette proposition dans notre esprit, à partir de ses effets.

q. 7 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum et tertium.

# 2. 3. Et cela donne la solution à la deuxième et la troisième objection.

q. 7 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod esse divinum, quod est eius substantia, non est esse commune, sed est esse distinctum a quolibet alio esse. Unde per ipsum suum esse Deus differt a quolibet alio ente.

# 4. L'être de Dieu qui est sa substance, n'est pas un être commun, mais un être différent de n'importe quel autre. C'est pourquoi par son être propre Dieu diffère de n'importe quel autre étant.

q. 7 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicitur in libro de Causis, ipsum esse Dei distinguitur et individuatur a quolibet alio esse, per hoc ipsum quod est esse per se subsistens, et non adveniens alicui naturae quae sit aliud ab ipso esse. Omne autem aliud esse quod non est subsistens, oportet quod individuetur per naturam et substantiam quae in tali esse subsistit. Et in eis verum est quod esse huius est aliud ab esse illius, per hoc quod est alterius naturae; sicut si esset unus calor per se existens sine materia vel subiecto, ex hoc ipso ab omni alio calore distingueretur: licet calores in subiecto existentes non distinguantur nisi per subiecta.

# 5. Comme on le dit au Livre des Causes (prop. 4), l'être même de Dieu est distingué et séparé de n'importe quel autre être, par le fait qu'il est l'être subsistant par soi et qu'il ne s'ajoute à aucune nature qui serait autre que l'être même. Mais tout autre être qui n'est pas subsistant, doit être individualisé par la nature et la substance qui subsiste dans un tel être. Et en eux, il est vrai que l'être de l'un est différent de l'être de l'autre, par le fait qu'il est d'une autre nature, comme s'il y avait une seule chaleur subsistante par soi sans matière ou sujet, du fait qu'elle serait distinguée de toute autre chaleur; bien que les chaleurs qui existent dans un sujet ne soient distinguées que par les sujets (eux-mêmes).

q. 7 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ens commune est cui non fit additio, de cuius tamen ratione non est ut ei additio fieri non possit; sed esse divinum est esse cui non fit additio, et de eius ratione est ut ei additio fieri non possit; unde divinum esse non est esse commune. Sicut et animali communi non fit additio, in sua ratione, rationalis differentiae; non tamen est de ratione eius quod ei additio fieri non possit; hoc enim est de ratione animalis irrationalis, quae est species animalis.

# 6. L'étant commun est celui à qui n'est pas fait d'addition. Il n'est pas cependant de sa nature qu'une addition ne puisse pas lui être faite, mais l'être divin est un être à qui ne se fait pas d'addition et il est de sa nature qu'elle ne puisse pas lui en être fait. C'est pourquoi l'être divin n'est pas un être commun. De même l'addition d'une différence rationnelle n'est pas faite à l'animal commun dans sa nature, cependant il n'est pas de sa nature que l'addition ne puisse pas lui être faite; car c'est de la nature de l'animal sans raison, qui est l'espèce animale.

q. 7 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod modus significandi in dictionibus quae a nobis rebus imponuntur sequitur modum intelligendi; dictiones enim significant intellectuum conceptiones, ut dicitur in principio Periher. Intellectus autem noster hoc modo intelligit esse quo modo invenitur in rebus inferioribus a quibus scientiam capit, in quibus esse non est subsistens, sed inhaerens. Ratio autem invenit quod aliquod esse subsistens sit: et ideo licet hoc quod dicunt esse, significetur per modum concreationis, tamen intellectus attribuens esse Deo transcendit modum significandi, attribuens Deo id quod significatur, non autem modum significandi.

# 7. La manière de s'exprimer dans des paroles dont nous nous servons pour les choses, découle de la manière de les comprendre; les paroles, en effet, signifient les conceptions de l'esprit, comme on le dit au commencement du Periher. (I, 16 a 10 ss.). Mais notre esprit comprend l'être par la manière dont il se trouve dans les choses inférieures d'où il titre sa science, en qui l'être n'est pas subsistant, mais inhérent. Mais la raison découvre qu'il y a un être subsistant; et c'est pourquoi, bien que ce qu'ils appellent l'être soit signifié par manière de concréation11, cependant l'esprit attribuant l'être à Dieu transcende le mode de signifier, attribuant à Dieu ce qui est signifié, mais non le mode de le signifier.

q. 7 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dictum Boetii intelligitur de illis quibus esse competit per participationem, non per essentiam; quod enim per essentiam suam est, si vim locutionis attendamus, magis debet dici quod est ipsum esse, quam sit id quod est.

# 8. La parole de Boèce est comprise de ce à quoi l'être convient par participation, non par essence, car ce qui est par son essence, si on tient compte de la force de l’expression, doit être appelé ce qui est l’être même plus que d’être ce qu’il est.

q. 7 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc quod dico esse est inter omnia perfectissimum: quod ex hoc patet quia actus est semper perfectio potentia. Quaelibet autem forma signata non intelligitur in actu nisi per hoc quod esse ponitur. Nam humanitas vel igneitas potest considerari ut in potentia materiae existens, vel ut in virtute agentis, aut etiam ut in intellectu: sed hoc quod habet esse, efficitur actu existens. Unde patet quod hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum, et propter hoc est perfectio omnium perfectionum. Nec intelligendum est, quod ei quod dico esse, aliquid addatur quod sit eo formalius, ipsum determinans, sicut actus potentiam: esse enim quod huiusmodi est, est aliud secundum essentiam ab eo cui additur determinandum. Nihil autem potest addi ad esse quod sit extraneum ab ipso, cum ab eo nihil sit extraneum nisi non-ens, quod non potest esse nec forma nec materia. //

. # 9 Ce que j'appelle être est entre tout le plus parfait, ce qui le montre c'est que l'acte est toujours perfection en puissance. N'importe quelle forme signalée n'est comprise en acte que par le fait qu'on lui donne l’être. Car l'humanité ou l''ignéité' peuvent être considérées comme existant dans la puissance de la matière, ou comme dans le pouvoir de l'agent, ou aussi comme dans l'esprit; mais ce qui a l'être devient un existant en acte. C'est pourquoi il est clair que ce que j'appelle l'être est l'actualité de tous les actes et c'est pour cela qu'il est la perfection de toutes les perfections. Et il ne faut pas comprendre qu'à ce que j'appelle être on ajoute quelque chose de plus formel que lui, qui le détermine, comme l'acte (détermine) la puissance; car un être qui est de ce genre est différent selon l'essence de ce à quoi il faut ajouter pour le particulariser. Mais rien ne peut être ajouté à l'être qui lui soit extérieur, puisque rien en lui n'est extérieur sinon le non être12, qui ne peut être ni forme ni matière.

Unde non sic determinatur esse per aliud sicut potentia per actum, sed magis sicut actus per potentiam. Nam et in definitione formarum ponuntur propriae materiae loco differentiae, sicut cum dicitur quod anima est actus corporis physici organici. Et per hunc modum, hoc esse ab illo esse distinguitur, in quantum est talis vel talis naturae. Et per hoc dicit Dionysius, quod licet viventia sint nobiliora quam existentia, tamen esse est nobilius quam vivere: viventia enim non tantum habent vitam, sed cum vita simul habent et esse.

C'est pourquoi, l'être n'est pas ainsi particularisé par autre chose comme la puissance par l'acte, mais plutôt comme l'acte par la puissance. Car dans la définition des formes, on place les matières propres par la différence du lieu, comme quand on dit que l'âme est l'acte du corps organique. Et de cette manière, cet être est distingué de cet autre dans la mesure où il est de telle ou telle nature. Et par cela Denys dit (Les noms divins, V, 1, § 5, 820 B13) que, bien que ce qui vit soit plus noble que ce qui existe, cependant l'être est plus noble que la vie, car ce qui vit n'a pas seulement la vie, mais avec elle, en même temps, a aussi l'être14.

q. 7 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod secundum ordinem agentium est ordo finium, ita quod primo agenti respondet finis ultimus, et proportionaliter per ordinem alii fines aliis agentibus. Si enim considerentur rector civitatis et dux exercitus et unus singularis miles, constat quod rector civitatis est prior in ordine agentium, ad cuius imperium dux exercitus ad bellum procedit; et sub eo est miles, qui secundum ordinationem ducis exercitus manibus pugnat. Finis autem militis est prosternere hostem; quod ulterius ordinatur ad victoriam exercitus, quod est finis ducis; et hoc ulterius ordinatur ad bonum statum civitatis vel regni, quod est finis rectoris et regis. Esse ergo quod est proprius effectus et finis in operatione primi agentis oportet quod teneat locum ultimi finis. Finis autem licet sit primum in intentione, est tamen postremum in operatione, et est effectus aliarum causarum. Et ideo ipsum esse creatum, quod est proprius effectus respondens primo agenti, causatur ex aliis principiis, quamvis esse primum causans sit primum principium.

# 10. L'ordre des fins dépend de celui des agents, de sorte que, la fin ultime répond au premier agent, et proportionnellement par ordre les autres fins aux autres agents. Car si on considère le dirigeant de la cité, le général de l'armée et un soldat particulier, il est clair que le dirigeant est avant dans l'ordre des agents; par son pouvoir le général procède à la guerre; et sous lui il y a le soldat, qui selon l'organisation de l’armée du général combat de ses mains. Mais le but du soldat est d'abattre l'ennemi, ce qui est ordonné ensuite à la victoire de l'armée, qui est le but poursuivi par le général, et cela est ensuite ordonné au bien être de la cité ou du royaume, qui est le but du gouverneur et du roi. Donc il faut que l'être qui est l'effet le plus proche et le but dans l'opération du premier agent, tienne lieu de but ultime. Mais bien que le but soit premier dans l'intention, il est cependant dernier dans l'opération, et elle est l'effet des autres causes. Et c'est pourquoi l'être même, créé, qui est le plus propre effet qui correspond au premier agent, est causé par d'autres principes, quoique l'être premier qui cause soit le premier principe.

q. 7 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod aliqua propositio est per se nota de se, quae tamen huic vel illi non est per se nota; quando scilicet praedicatum est de ratione subiecti, et tamen ratio subiecti est alicui ignota; sicut si aliquis nesciret quid est totum, non esset ei nota ista propositio per se, omne totum est maius sua parte; huiusmodi enim propositiones fiunt notae cognitis terminis, ut dicitur I posteriorum. Haec autem propositio, Deus est, quantum est de se, est per se nota, quia idem est in subiecto et praedicato; sed quantum ad nos non est per se nota, quia quid est Deus nescimus: unde apud nos demonstratione indiget, non autem apud illos qui Dei essentiam vident.

# 11. En soi une proposition est connue par soi qui cependant n'est pas connue par soi par celui-ci ou celui-là15; quand quelquefois le prédicat concerne la notion du sujet, et que cependant celle-ci est ignorée par quelqu'un; comme si quelqu'un ignorait ce qu'est le tout, cette proposition le tout est plus grand que sa partie ne lui serait connue par soi; car les propositions de ce genre deviennent connues quand on connaît les termes, comme il est dit (Les analytiques postérieurs, I, 74 b 26). Mais cette proposition: Dieu est, quant à elle, est connue par soi, parce que c'est la même notion qui est dans le sujet et le prédicat; mais quant à nous, elle n'est pas connue par soi, parce que nous ignorons ce que Dieu est. C'est pourquoi nous avons besoin d'une démonstration, mais pas ceux qui voient l'essence de Dieu.

 

Article 3: Dieu est-il dans un genre?

 

q. 7 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum Deus sit in aliquo genere. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1.

Objections:

q. 7 a. 3 arg. 1 Dicit enim Damascenus [libro III, caput IV]: Substantia in divinis significat communem speciem similium specie personarum; hypostasis autem demonstrat individuum, scilicet patrem et filium et spiritum sanctum, Petrum et Paulum. Comparatur ergo Deus ad patrem et filium et spiritum sanctum sicut species ad individua. Sed ubicumque est invenire speciem et individuum, ibi est invenire genus: quia species constituitur ex genere et differentia. Ergo videtur quod Deus sit in aliquo genere.

1. Car Jean Damascène dit (La foi orthodoxe III, 4): "La substance en Dieu signifie la forme commune des personnes de même espèce; mais l'hypostase désigne l'individu à savoir le Père, le Fils et l'Esprit saint, Pierre et Paul2." Donc Dieu est comparé au Père, au Fils, à l'Esprit saint, comme l'espèce à l'individu. Mais partout où on doit trouver l'espèce et l'individu, on doit trouver le genre: parce que l'espèce est constituée du genre et de la différence. Donc il semble que Dieu est dans un genre3.

q. 7 a. 3 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt penitus eadem. Sed Deus non est idem rebus aliis. Ergo aliquo modo differt ab eis. Omne autem quod ab alio differt, aliqua differentia ab eo differt. Ergo in Deo est aliqua differentia, qua differt a rebus aliis. Non autem accidentalis, cum in Deo nullum sit accidens, ut Boetius dicit in Lib. de Trin. Omnis autem substantialis differentia est alicuius generis divisiva. Ergo Deus est in aliquo genere.

2. Tout ce qui est et ne diffère en aucune manière, est tout à fait le même. Mais Dieu n'est pas le même que les autres choses. Donc d'une certaine manière il est différent d'elles. Mais tout ce qui est diffèrent d'un autre en diffère par une certaine différence. Donc en Dieu il y a une différence par laquelle il diffère des autres choses. Mais elle n'est pas accidentelle, puisqu'en Dieu il n'y a aucun accident, comme Boèce le dit (La Trinité). Mais toute différence substantielle partage le genre. Donc Dieu est dans un genre.

q. 7 a. 3 arg. 3 Praeterea, idem dicitur genere et specie et numero, ut habetur I Topic., cap. VI. Ergo et diversum similiter: nam si multipliciter dicitur unum oppositorum, et reliquum. Aut ergo Deus est diversus a creatura numero tantum vel numero et specie tantum; et sic, sequitur quod, cum creatura in genere conveniat, et sic erit in genere. Si autem genere a creatura differat, oportebit etiam quod sit in aliquo alio genere quam creatura: nam diversitas ex multitudine causatur, et sic diversitas generis multitudinem generum requirit. Ergo quolibet modo dicatur, oportet quod Deus sit in genere.

3. On dit la même chose du genre, de l'espèce et du nombre, comme on le voit en Topique (I, 6 102 b 274). Donc il en est de même pour ce qui est différent, car on parle ainsi de multiples manières de l'un des opposés, et du reste. Donc ou Dieu est différent de la créature en nombre5 seulement, ou en nombre et espèce seulement et si c'est ainsi, il en découle que puisque la créature se trouve dans un genre, lui sera aussi dans un genre. Mais s'il diffère de la créature par le genre, il faudra aussi qu'il soit dans un autre genre que la créature; car la diversité est causée par la pluralité, et ainsi la diversité en genre requiert la pluralité des genres. Donc on dirait de chaque manière qu'il faut que Dieu soit dans un genre.

q. 7 a. 3 arg. 4 Praeterea, cuicumque convenit ratio generis substantiae, est in genere. Sed ratio substantiae est per se existere, quod maxime convenit Deo. Ergo Deus est in genere substantiae.

4. Quiconque à qui convient la notion du genre de la substance6 est dans un genre. Mais la nature de la substance est d'exister par soi7, ce qui convient au plus haut degré à Dieu. Donc Dieu est dans le genre de la substance.

q. 7 a. 3 arg. 5 Praeterea, omne quod definitur, oportet quod sit in genere. Sed Deus definitur: dicitur enim quod est actus purus. Ergo Deus est in aliquo genere.

5. Tout ce qui reçoit une définition8 doit être dans un genre. Mais Dieu est défini, car on dit qu'il est acte pur. Donc Dieu est dans un genre.

q. 7 a. 3 arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de alio in eo quod quid, et est in plus, vel se habet ad ipsum sicut species, vel sicut genus. Sed omnia quae praedicantur de Deo, praedicantur in eo quod quid: nam omnia praedicamenta, cum in divinam praedicationem venerint, in substantiam vertuntur, ut dicit Boetius: patet etiam quod non soli Deo conveniunt, sed etiam aliis; et ita sunt in plus. Ergo vel comparantur ad Deum sicut species ad individuum vel sicut genus ad speciem; et utrolibet modo oportet Deum esse in genere.

6. Tout ce qui est attribué à autre chose en ce qui est essence et est en plus, ou bien se comporte vis-à-vis d'elle comme une espèce, ou comme un genre. Mais tout ce qui est attribué à Dieu est attribué à l'essence. Car, comme toutes les catégories, sont venues dans l'attribution à Dieu, elles se changent en substance, comme le dit Boèce (La Trinité); il est clair aussi qu'elles ne conviennent pas à Dieu seul, mais aussi aux autres; et ainsi elles sont en plus. Donc elles sont associées à Dieu ou bien comme l'espèce à l'individu, ou bien comme le genre à l'espèce; et des deux manières, il faut que Dieu soit dans un genre.

q. 7 a. 3 arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur minimo sui generis, ut dicitur X Metaph. Sed, sicut dicit Commentator ibidem, id quo mensurantur omnes substantiae, est Deus. Ergo Deus est in eodem genere cum aliis substantiis.

7. Chaque chose est mesurée au plus près de son genre, comme il est dit (Métaphysique X, 1, 1053 a 259). Mais, comme le dit le Commentateur en ce même endroit (Métaphysique, X, com. 4), ce par quoi sont mesurées toutes les substances, c'est Dieu. Donc il est dans le même genre que les autres substances.

En sens contraire:

q. 7 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Omne quod est in genere, addit aliquid supra genus, et per consequens est compositum. Sed Deus est omnino simplex. Ergo non est in genere.

1. Tout ce qui est dans un genre ajoute quelque chose à celui-ci et par conséquent est composé. Mais Dieu est tout à fait simple. Donc il n'est pas dans un genre.

q. 7 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omne quod est in genere, potest definiri, vel sub aliquo definito comprehendi. Sed Deus cum sit infinitus, non est huiusmodi. Ergo non est in genere.

2. Tout ce qui est dans un genre, peut être défini ou compris sous une certaine définition. Mais comme Dieu est infini, il n'est pas d’un tel genre. Donc il n'est pas dans un genre.

Réponse:

q. 7 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod Deus non est in genere: quod quidem ad praesens tribus rationibus ostendi potest:

Dieu n'est pas dans un genre, ce qui à présent peut être montré par trois raisons:

primo quidem, quia nihil ponitur in genere secundum esse suum, sed ratione quidditatis suae; quod ex hoc patet, quia esse uniuscuiusque est ei proprium, et distinctum ab esse cuiuslibet alterius rei; sed ratio substantiae potest esse communis: propter hoc etiam philosophus dicit, quod ens non est genus. Deus autem est ipsum suum esse: unde non potest esse in genere.

a) Rien n'est placé dans un genre selon son être propre, mais en raison de sa quiddité10; ce qui paraît du fait que l'être de n'importe quelle chose lui est propre, et différent de l'être de n'importe quelle autre, mais la nature de la substance peut être commune; c'est pourquoi le philosophe aussi dit (Métaphysique III, 3, 998 b 2211), que l'être n'est pas un genre12. Mais Dieu est son être propre, c'est pourquoi il ne peut pas être dans un genre.

Secunda ratio est, quia quamvis materia non sit genus, nec forma sit differentia, tamen ratio generis sumitur ex materia, et ratio differentiae sumitur ex forma: sicut patet quod in homine natura sensibilis ex qua sumitur ratio animalis, est materialis respectu rationis, ex qua sumitur differentia rationalis. Nam animal est quod habet naturam sensitivam; rationale autem quod rationem habet. Unde in omni eo quod est in genere, oportet esse compositionem materiae et formae, vel actus et potentiae; quod quidem in Deo esse non potest, qui est actus purus, ut ostensum est. Unde relinquitur quod non potest esse in genere.

b) Quoique la matière ne soit pas un genre, et que la forme ne soit pas une différence, cependant la notion de genre est tirée de la matière, et celle de la différence de la forme; ainsi il apparaît que dans l'homme, la nature sensible d'où est prise la notion d'animal est matérielle par rapport à la notion d'où est prise la différence rationnelle. Car l'animal est ce qui a une nature sensible; mais l’[animal] raisonnable celui qui a la raison. C'est pourquoi dans tout ce qui est dans un genre, il faut qu'il y ait composition de matière et de forme, ou d'acte et de puissance; ce qui ne peut pas exister en Dieu, qui est acte pur, comme on l'a montré (a. 1). C'est pourquoi il en découle qu'il ne peut pas être dans un genre.

Tertia ratio est, quia, cum Deus sit simpliciter perfectus, comprehendit in se perfectionem omnium generum: haec enim est ratio simpliciter perfecti, ut dicitur V Metaph. Quod autem est in aliquo genere, determinatur ad ea quae sunt illius generis; et ita Deus non potest esse in aliquo genere: sic enim non esset infinitae essentiae, nec absolutae perfectionis, sed eius essentia et perfectio limitaretur sub ratione alicuius generis determinati. Ex hoc ulterius patet quod Deus non est species, nec individuum, nec habet differentiam, nec definitionem: nam omnis definitio est ex genere et specie; unde nec de ipso demonstratio fieri potest nisi per effectum, cum demonstrationis propter quid medium sit definitio.

c) Comme Dieu est absolument parfait, il comprend en lui la perfection de tous les genres: car c'est là la notion de ce qui est absolument parfait, comme il est dit en Métaphysique (V, 16, 1021 b 3013). Mais ce qui est dans un genre, est limité a ce qui est ce genre, et de cette manière, Dieu ne peut pas être dans un genre; car ainsi il ne serait pas d'essence infinie, ni d’une perfection absolue, mais son essence et sa perfection seraient limitées par la nature d'un genre limité. Cela montre en plus que Dieu n'est pas une espèce, ni un individu, il n'a ni différence ni définition; car toute définition vient du genre et de l'espèce; c'est pourquoi on ne peut pas faire de démonstration à son sujet que par l'effet, puisque la définition est l'intermédiaire de la démonstration par la cause.

Solutions:

q. 7 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur similitudinarie, et non secundum proprietatem: habet enim nomen Dei, quod est Deus, similitudinem ad speciem in hoc quod de pluribus numero distinctis substantialiter praedicatur; non tamen species proprie dici potest, quia species non est aliquid unum numero pluribus commune, sed ratione solum; substantia vero divina una numero, est communis tribus personis: unde pater et filius et spiritus sanctus sunt unus Deus, non autem Petrus et Paulus et Marcus sunt unus homo.

# 1. Jean Damascène parle de façon approximative et non au sens propre: car le nom de Dieu parce qu'il est Dieu, ressemble à l'espèce du fait qu'il est attribué substantiellement à plusieurs choses distinctes14 en nombre; cependant on ne peut pas parler d'espèce au sens propre, parce que l'espèce est une chose unique, commune à plusieurs, non pas en nombre, mais en raison seulement; mais la substance divine, une en nombre est commune aux trois personnes, c'est pourquoi le Père, le Fils et l'Esprit saint sont un seul Dieu, mais Pierre, Paul et Marc ne sont pas un seul homme.

q. 7 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod differens et diversum differunt, ut philosophus dicit. Nam diversum absolute dicitur quod non est idem; differens vero dicitur ad aliquid: nam omne differens aliquo differt. Si ergo proprie accipiamus hoc nomen differens, sic propositio ista est falsa: quaecumque sunt et nullo modo differunt, sunt eadem. Si autem hoc nomen differens large sumatur, sic est vera; et sic ista est concedenda, quod Deus a rebus aliis differat. Non tamen sequitur quod aliqua differentia differat, sed quod differat ab aliis per suam substantiam: hoc enim necesse est in primis et simplicibus dici. Homo enim differt ab asino, rationali differentia; rationale autem ulterius non differt ab asino aliqua differentia (quia sic esset abire in infinitum), sed se ipso.

# 2. Différent et divers15 ont un sens différent comme le philosophe le dit (Métaphysique X, 3, 1054 b 2316). Car est appelé divers absolument ce qui n'est pas le même, mais on l'appelle différent en rapport à quelque chose, car tout ce qui est différent diffère par quelque chose. Donc si nous acceptons au sens propre ce nom différent, la proposition suivante est fausse: "Tout ce qui est et ne diffère en aucune manière, est le même." Mais si ce nom différent est pris au sens large, elle est vraie, et ainsi cette phrase doit être concédée: "Dieu diffère de toutes choses". Cependant il n'en découle pas qu'il diffère par une différence, mais qu'il diffère des autres par sa substance; car il est nécessaire de le dire dans ce qui est premier et simple. Car l'homme diffère de l'âne, par une différence de raison, mais le rationnel ensuite ne diffère pas de l'âne par une différence (parce qu'ainsi ce serait aller à l'infini), mais en soi17.

q. 7 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus dicitur diversus genere ab aliis creaturis, non quasi in alio genere existens, sed omnino existens extra genus.

# 3. On dit que Dieu est différent en genre des autres créatures, non pas comme s'il existait dans un autre genre, mais comme tout à fait en dehors du genre.

q. 7 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ens per se non est definitio substantiae, ut Avicenna dicit. Ens enim non potest esse alicuius genus, ut probat philosophus, cum nihil possit addi ad ens quod non participet ipsum; differentia vero non debet participare genus. Sed si substantia possit habere definitionem, non obstante quod est genus generalissimum, erit eius definitio: quod substantia est res cuius quidditati debetur esse non in aliquo. Et sic non conveniet definitio substantiae Deo, qui non habet quidditatem suam praeter suum esse. Unde Deus non est in genere substantiae, sed est supra omnem substantiam.

# 4. L'étant par soi n'est pas une définition de la substance, comme Avicenne le dit (Métaphysique III, ch. 8). Car l'étant ne peut pas être le genre de quelque chose, comme le prouve le philosophe (Métaphysique III, 3, 998 b 22), puisque rien ne peut être ajouté à l'étant qui ne participe pas de lui; mais la différence ne doit pas participer au genre. Mais si la substance pouvait avoir une définition, malgré le genre qui est le plus général, sa définition sera: "La substance est une chose à la quiddité de laquelle il est dû de ne pas être dans quelque chose." Et ainsi la définition de la substance ne conviendra pas à Dieu qui n'a pas sa quiddité en plus de son être. C'est pourquoi Dieu n'est pas dans le genre de la substance, mais est au dessus de toute substance.

q. 7 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus definiri non potest. Omne enim quod definitur, in intellectu definientis comprehenditur; Deus autem est incomprehensibilis ab intellectu; unde cum dicitur quod Deus est actus purus, haec non est definitio eius.

# 5. Dieu ne peut pas être défini. Car tout ce qui est défini, est saisi dans l'esprit de celui qui définit. Mais Dieu est insaisissable par l'esprit; c'est pourquoi, quand on dit que Dieu est acte pur, on ne donne pas sa définition.

q. 7 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ad rationem generis requiritur quod univoce praedicetur. Nihil autem de Deo potest et creaturis univoce praedicari, ut infra patebit. Unde licet ea quae de Deo dicuntur, praedicentur de ipso substantialiter, nihilominus tamen non praedicantur de ipso ut genus.

# 6. Il est nécessaire à la notion du genre d'être attribuée de manière univoque. Mais rien ne peut être attribué de manière univoque à Dieu et à la créature, comme plus bas (art. 7) on le verra. C'est pourquoi, bien que ce qui est dit de Dieu lui soit attribué substantiellement, néanmoins ce ne lui est pas attribué de lui comme genre.

q. 7 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus non pertineat ad genus substantiae quasi in genere contentum,- sicut species vel individuum sub genere continentur,- potest tamen dici quod sit in genere substantiae per reductionem, sicut principium, et sicut punctum est in genere quantitatis continuae, et unitas in genere numeri; et per hunc modum est mensura substantiarum omnium, sicut unitas numerorum.

# 7. Bien que Dieu n'appartienne pas au genre de la substance, comme s'il était contenu en un genre, — comme l'espèce ou l'individu sont contenus sous le genre, — cependant on peut dire qu'il est dans le genre de la substance par réduction18, comme principe, et, comme le point dont le genre de la quantité continue et l'unité dans celui du nombre; et de cette manière il est la mesure de toutes substance19, comme l'unité pour les nombres.

 

1 Parall. Ia, 3, 5— CG. I, 25 — I Sent. d8q4a1 et 2: — d19q4a2 — Compendium. 12, — De Ente c. 4.

Ia, 3, 5 démontre que, selon Aristote, l'être ne peut être un genre, sol. 1.etc.

2 "L'essence c'est la forme commune, qui réunit (periektiko) des hypostases de même espèce, (comme Dieu, homme) hypostase par contre désigne l'individu c'est-à-dire le Père, le Fils, le saint Esprit, Pierre, Paul."

3 Aristote définit le genre ainsi: "Le genre est ce qui est attribué essentiellement à des choses multiples et différentes spécifiquement entre elles." (Topiques, I, 5, 102 a 31) Trad. J. Tricot.

4 "Ce qui a trait au propre, au genre et à l'accident…" (Trad. J. Tricot)."Numero" traduit l'identité ou l'unité du substrat. Ce qui correspond au "propre" de la trad. de J. Tricot.

5 Comprendre par l'identité.

6 Ce qu'analyse I Sent. d8q4a2.

7 Cf. Ia, 3, 5, obj. 1.

8 Parce que toute définition vient du genre et de l'espèce. Voir c.

9 "La mesure est toujours du même genre que l'objet mesuré; les grandeurs se mesurent par la grandeur…" (Trad. J. Tricot) Aristote n° 826, Thomas n° 1954 ss..

10 La quiddité exprime l'essence ou la nature d'une chose, en tant qu'exprimée par une définition (quod quid erat esse. De ente I, 3). La quiddité s'oppose à l'être.

11 Thomas: lectio 8, n° 432 ss..

12 Cf. Ia, 3, 5, sol. 2.

13 "Ce qui est dit parfait par soi est donc appelé ainsi en tout genre…tantôt d'une manière générale, et c'est ce qui ne peut être surpassé dans chaque genre et n'a aucune partie en dehors de soi." Thomas (n° 1040) conclut que ce que dit Aristote c'est la condition du premier principe, c'est-à-dire Dieu.

14 Entendre les trois Personnes.

15 . Voir I Sent. d8q1a2, ad 3.

16 "Mais la différence et l'altérité sont des notions distinctes l'une de l'autre. Pour deux êtres qui sont autres, en effet, il n'est pas nécessaire que l'altérité porte sur quelque chose de défini, car tout ce qui est existant est autre ou le même; par contre ce qui est différent doit différer d'une chose déterminée par quelque endroit déterminé, de sorte qu'il faut nécessairement qu'il y ait un élément identique par quoi les choses différent. Cet élément identique, c'est le genre, ou l'espèce. Car tout ce qui diffère, diffère soit en genre, soit en espèce." (Trad. J. Tricot).

17 Cf. I Sent. d8q1a.2, ad 3m. "…Dieu et l'être créé ne diffèrent pas par des différences ajoutées à l'un ou à l'autre, mais par eux-mêmes. C'est pourquoi on ne dit pas qu'ils sont différents au sens propre mais qu'ils sont divers, car est divers l'absolu, mais différent selon le relatif d'après le philosophe. (Métaphysique , X, texte 13)

18 Ia, qu. 3, a. 5 c: "Il est clair que Dieu n'est pas dans un genre, par réduction, du fait que le principe qui est ramené à un genre ne s'étend pas au-delà de ce genre. Comme le point n'est principe que de la quantité continue, et l'unité celle de la quantité discrète. Mais Dieu est le principe de tout l'être. C'est pourquoi il n'est pas contenu dans un genre comme principe".

19 "Dieu est la mesure suprême des substances." (Averroès, Métaphysique, X, com. 7).

 

Article 4: 'Bon', 'sage', 'juste' etc. attribuent-ils un accident à Dieu?

 

q. 7 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum bonum, sapiens, iustum et huiusmodi, praedicent de Deo accidens. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1:

Objections:

q. 7 a. 4 arg. 1 Quod enim praedicatur de aliquo non significans substantiam, sed illud quod naturam assequitur, praedicat accidens. Sed Damascenus dicit, quod bonum et iustum et sanctum, dicta de Deo, assequuntur naturam, non autem ipsam substantiam significant. Praedicant ergo de Deo accidens.

1. Car ce qui est attribué à quelque chose sans signifier sa substance, mais reflète sa nature, attribue un accident. Mais Jean Damascène dit (la foi orthodoxe, I, 92), que bon, juste, saint, employés pour Dieu, reflètela nature, mais ils ne signifient pas la substance même. Donc ils attribuent un accident à Dieu.

q. 7 a. 4 arg. 2 Sed dicebatur, quod Damascenus loquitur quantum ad modum significandi.- Sed contra, modus significandi qui sequitur rationem generis, oportet quod ad rem referatur: genus enim praedicatum significat substantiam subiecti, cum praedicetur in eo quod quid. Sed praedictis nominibus competit significare per modum assequentis naturam ratione generis: sunt enim in genere qualitatis, quae secundum propriam rationem ad subiectum respectum habet, nam qualitas est secundum quam quales dicimur. Ergo oportet quod iste modus significandi referatur ad rem, ut scilicet ea quae per praedicta nomina significantur, sint assequentia naturam eius de quo praedicantur, et per consequens accidentia.

2. Mais on pourrait dire que Jean Damascène parle [selon une manière de signifier]. — En sens contraire, la manière de s’exprimer sur ce qui accompagne la nature du genre doit faire référence à la réalité; car le genre attribué signifie la substance du sujet, puisqu'il est attribué à ce qui est essence. Mais il convient à ces noms attribués, d’exprimer à la manière de ce qui reflète la nature en raison du genre; car ils sont dans le genre de qualité, qui selon leur raison propre a rapport au sujet, car la qualité c'est ce selon quoi on les dit telles. Donc il faut que ce mode de signifier se réfère à la réalité, pour que ce qui est signifié par ces noms reflète la nature de ce à quoi ils sont attribués, et par conséquent les accidents.

q. 7 a. 4 arg. 3 Sed dicendum, quod ista nomina non praedicantur de Deo quantum ad genus suum, quod est qualitas; non enim proprie dicuntur de Deo nomina a nobis imposita.- Sed contra, a quocumque removetur genus, falso praedicatur de eo species: quod enim non est animal, falso dicitur homo. Si ergo genus praedictorum, quod est qualitas, non praedicatur de Deo, praedicta nomina non solum praedicabuntur improprie, sed falso de Deo, et ita erit falsum quod dicitur, quod Deus est iustus, vel quod Deus est sanctus; quod est inconveniens. Ergo oportet dicere, quod praedicta nomina in Deo praedicent accidens.

3. Mais il faut dire que ces noms ne sont pas attribués à Dieu quant à leur genre, qui est la qualité, car ce n'est pas au sens propre qu'on donne à Dieu les noms dont nous nous servons. — En sens contraire, pour quelque raison que le genre soit exclu, l'espèce lui est attribuée faussement, car ce qui n'est pas animal est faussement appelé homme. Si donc le genre de de prédicat qu’est la qualité, n'est pas attribué à Dieu, ces noms non seulement seront attribués improprement, mais faussement à Dieu, et ainsi il sera faux de dire qu'il est juste ou qu'il est saint; ce qui ne convient pas. Donc il faut dire que ces noms attribuent un accident à Dieu.

q. 7 a. 4 arg. 4 Praeterea. Philosophus dicit, quod id quod vere est, id est substantia, nulli accidit. Ergo eadem ratione, quod secundum se est accidens, ubique est accidens. Sed iustitia et sapientia et huiusmodi sunt per se accidentia. Ergo et in Deo sunt accidentia.

4. Le philosophe dit (Physique, I, 3, 186 b 43) que ce qui existe vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est accident pour rien. Donc pour la même raison, ce qui est un accident en soi est partout accident. Mais la justice, la sagesse, etc.. sont en soi des accidents. Donc ce sont aussi des accidents en Dieu.

q. 7 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnia quae sunt in rebus creatis, exemplantur a Deo, qui est forma exemplaris omnium. Sed sapientia, iustitia et huiusmodi, in rebus creatis sunt accidentia. Ergo et in Deo sunt accidentia.

5. Tout ce qui est dans les créatures ressemble à Dieu, qui est la forme exemplaire de tout4. Mais la sagesse, la justice, etc., sont des accidents. Donc en Dieu aussi.

q. 7 a. 4 arg. 6 Praeterea, ubicumque est quantitas et qualitas, ibi est accidens. Sed in Deo videtur esse quantitas et qualitas: est enim in Deo similitudo et aequalitas; dicimus enim filium similem patri et aequalem. Similitudo autem causatur ex uno in qualitate, aequalitas ex uno in quantitate. Ergo in Deo est accidens.

6. Partout où il y a quantité et qualité5, il y a un accident. Mais en Dieu il semble qu'il y a quantité et qualité; car il y a en lui la ressemblance et l'égalité; nous disons en effet que le Fils est semblable et égal au Père. Mais la ressemblance est causée d'une part dans la qualité et l'égalité, d'autre part par la quantité. Donc en Dieu il y a un accident.

q. 7 a. 4 arg. 7 Praeterea, unumquodque mensuratur primo sui generis. Sed Deus non solum est mensura substantiarum, sed omnium accidentium, quia ipse est creator et substantiae et accidentis. Ergo in Deo non tantum est substantia, sed accidens.

7. Chaque chose est mesurée par le premier de son genre. Mais Dieu non seulement est la mesure des substances, mais de tous les accidents, parce qu'il est lui-même créateur de la substance et aussi de l'accident. Donc en Dieu il y a non seulement la substance mais aussi l'accident.

q. 7 a. 4 arg. 8 Praeterea, illud sine quo potest aliquid intelligi, accidentaliter de eo praedicatur. Ex hoc enim probat Porphyrius separabilia quaedam accidentia esse, quia potest intelligi corvus albus, et Aethiops nitens candore. Sed Deus potest intelligi sine bono, ut patet per Boetium. Ergo bonum significat accidens in Deo, et eadem ratione alia.

8. Ce sans quoi on peut comprendre quelque chose, lui est attribué accidentellement. Porphyre en effet (dans Les prédicables, ch. l'accident) prouve ainsi que certains choses séparables sont des accidents, parce que le corbeau peut être envisagé comme blanc et l'éthiopien comme brillant de blancheur. Mais Dieu peut être envisagé sans le bien, comme on le voit chez Boèce (De hebdomadibus 36, PL. 64, 1312 B6). Donc le bien et d'autres choses encore pour la même raison signifient un accident en Dieu.

q. 7 a. 4 arg. 9 Praeterea, in significatione nominis duo est considerare: scilicet id a quo imponitur, et id cui imponitur. Quantum ad utrumque autem hoc nomen sapientia videtur accidens significare; imponitur enim ab eo quod est facere sapientem, quod videtur actio esse sapientiae; id autem a quo imponitur, est qualitas quaedam. Ergo omnibus modis hoc nomen et alia similia significant accidens in eo de quo praedicantur; et ita in Deo est aliquod accidens.

9. Il faut considérer deux aspects dans la signification du mot: à savoir ce par quoi et ce à quoi il est imputé et à quoi. Sous ces deux aspects ce nom de sagesse semble signifier un accident; car il est imputé par ce qui est rendre sage, ce qui semble l’action de la sagesse, mais ce par quoi il est imputé est une qualité. Donc de toutes les manières ce nom et d'autres semblables signifient un accident en ce à quoi ils sont attribués; et ainsi en Dieu il y a un accident.

En sens contraire:

q. 7 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Boetius dicit, quod Deus, cum sit forma simplex, subiectum esse non potest. Omne autem accidens est in subiecto. Ergo in Deo non potest esse aliquod accidens.

1. Il y a ce que Boèce dit (La Trinité, 2, PL., 64, 12507): comme Dieu est une forme simple, il ne peut pas être substrat. Or tout accident est dans un substrat. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

q. 7 a. 4 s. c. 2 Praeterea, omne accidens habet dependentiam ab alio. Sed nihil tale potest esse in Deo, quia quod dependet ab alio, oportet esse causatum; Deus autem est causa prima nullo modo causata. Ergo in Deo accidens esse non potest.

2. Tout accident dépend d'autre chose. Mais rien de tel ne peut exister en Dieu, parce que, ce qui dépend d'un autre doit avoir une cause; mais Dieu est la cause première en aucune manière causée. Donc en Dieu il ne peut y avoir d'accident.

q. 7 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Rabbi Moyses dicit, quod huiusmodi nomina non significant in Deo intentiones additas supra eius substantiam. Omne enim accidens significat intentionem additam supra substantiam sui subiecti. Ergo praedicta nomina non significant accidens in Deo.

3. Rabbi Moyses dit que de tels noms ne signifient pas en Dieu des concepts ajoutés à sa substance. Car tout accident signifient un concept ajouté à la substance de son substrat. Donc ces noms attribués ne signifient pas un accident en Dieu.

q. 7 a. 4 s. c. 4 Praeterea, accidens est quod adest et abest praeter subiecti corruptionem. Sed hoc in Deo esse non potest, cum ipse sit immutabilis ut probatur a philosopho. Ergo in Deo accidens esse non potest.

4. L'accident est ce qui est présent ou absent au-delà de la corruption du substrat. Mais cela n’est pas possible en Dieu, puisqu'il est immuable, comme le philosophe le prouve (Physique, VIII, 6, 259 b 23 – 259 b 328). Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

 

Réponse:

q. 7 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, absque omni dubitatione, tenendum est quod in Deo nullum sit accidens; quod quidem ad praesens potest ostendi tribus rationibus.

Sans doute aucun, il faut affirmer qu'en Dieu il n'y a aucun accident, ce qui à présent peut être montré par trois raisons:

Prima ratio est, quia nulli naturae vel essentiae vel formae aliquid extraneum adiungitur, licet id quod habet naturam vel formam vel essentiam, possit aliquid extraneum in se habere; humanitas enim non recipit in se nisi quod est de ratione humanitatis. Quod ex hoc patet, quia in definitionibus quae essentiam rerum significant quodlibet additum vel subtractum variat speciem, sicut etiam in numeris, ut dicit philosophus.

a) Première raison: parce que rien d'étranger n'est ajouté à aucune nature, essence ou forme, bien que ce qui a une nature, une forme ou une essence puisse avoir en soi quelque chose d'étranger; car l'humanité ne reçoit en soi que ce qui est de la nature de l'humanité. Ce qui apparaît parce que dans les définitions qui signifient l'essence, quoi que ce soit d'ajouté ou de soustrait fait varier l'essence, comme dans les nombres, comme le dit le philosophe (Métaphysique, VIII, 3, 1044 a 19).

Homo autem qui habet humanitatem, potest aliquid aliud habere quod non sit de ratione humanitatis, sicut albedinem et huiusmodi, quae non insunt humanitati, sed homini. In qualibet autem creatura invenitur differentia habentis et habiti. In creaturis namque compositis invenitur duplex differentia, quia ipsum suppositum sive individuum habet naturam speciei, sicut homo humanitatem, et habet ulterius esse: homo enim nec est humanitas nec esse suum; unde homini potest inesse aliquod accidens, non autem ipsi humanitati vel eius esse.

Mais l'homme qui a l'humanité peut avoir autre chose qui ne la concerne pas, comme la blancheur et autres choses identiques, qui ne sont pas dans l'humanité, mais dans l'homme. En n'importe quelle créature on trouve la différence de celui qui a et de ce qu’il a. Car dans les créatures composées, on trouve une double différence, parce que le suppôt lui-même ou l'individu a la nature de l'espèce10, comme l'homme a l'humanité et il a ensuite l'être; car l'homme n'est pas l'humanité, ni son être; c'est pourquoi il peut y avoir dans l'homme un accident, mais non dans l'humanité, ni dans son l'être.

In substantiis vero simplicibus est una tantum differentia, scilicet essentiae et esse. In Angelis enim quodlibet suppositum est sua natura: quidditas enim simplicis est ipsum simplex, ut dicit Avicenna; non est autem suum esse; unde ipsa quidditas est in suo esse subsistens. Unde in huiusmodi substantiis potest inveniri aliquod accidens intelligibile, non autem materiale.

Dans les substances simples il y a une seule différence à savoir celle de l'essence et de l'être. Car dans les anges n'importe quel suppôt est sa nature, car la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même, comme le dit Avicenne (Métaphysique, V ch. 5), mais ce n'est pas son être; aussi la quiddité même subsiste en son être. C'est pourquoi dans de telles substances, on peut trouver un accident intelligible, mais pas matériel.

In Deo autem nulla est differentia habentis et habiti, vel participantis et participati; immo ipse est et sua natura et suum esse; et ideo nihil alienum vel accidentale potest ei inesse. Et hanc rationem videtur tangere Boetius, dicens: id quod est, habere potest aliquod praeterquam quod ipsum est; ipsum vero esse, nihil aliud praeter se habet admixtum.

Mais en Dieu il n'y a nulle différence entre celui qui a et ce qu'il a, ou entre participant et de ce qui est participé; mais au contraire il est lui-même sa nature et son être11, et c'est pourquoi rien d'étranger ou d'accidentel ne peut être en lui. Et Boèce semble traiter de cette question (De hebdom., règle 4, n° 13, PL. 64, 1311 B) quand il dit: ""Ce qui est" peut avoir quelque chose en sus de lui-même; mais l'être en soi ne peut avoir rien d'ajouté en dehors de lui."

Secunda ratio est quod, cum accidens sit extrinsecum ab essentia subiecti, et diversa non coniungantur nisi per aliquam causam, oportet, si accidens Deo adveniat, quod hoc sit ab aliqua causa. Non autem potest esse ex aliqua causa extrinseca, quia sequeretur quod illa causa extrinseca ageret in Deum, et esset prior eo, sicut movens moto, et faciens facto. Sic enim causatur accidens in aliquo subiecto ab extrinseco in quantum exterius agens agit in subiectum in quo causatur accidens.

b) Seconde raison: comme l'accident est extérieur à l'essence du sujet, et que les diverses parties ne sont jointes que par une cause, il faut, si un accident advenait en Dieu, que cela dépende d'une cause. Mais cela ne peut pas venir d'une cause extérieure, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle agirait en Dieu, et serait avant lui, comme le moteur avant le mû, et le producteur avant le produit. Car l'accident est causé dans un sujet par l'extérieur, en tant qu'un agent extérieur agit dans le sujet en qui l'accident est causé.

Similiter etiam non potest esse ex causa intrinseca, sicut est per se in accidentibus, quae habent causam in subiecto. Subiectum enim non potest esse causa accidentis ex eodem ex quo suscipit accidens, quia nulla potentia movet se ad actum. Unde oportet quod ex alio sit susceptivum accidentis, et ex alio sit causa accidentis, et sic est compositum; sicut ista quae recipiunt accidens per naturam materiae, et causant accidens per naturam formae. Ostensum autem est supra, Deum non esse compositum. Unde impossibile est quod sit in eo accidens.

De la même manière aussi, il ne peut pas venir d'une cause intérieure12, comme elle est en soi dans les accidents qui ont une cause dans le sujet. Car le sujet ne peut pas être cause de l'accident par ce même pouvoir par lequel il reçoit l'accident, parce que nulle puissance ne se mène à l'acte. C'est pourquoi il faut qu'il soit susceptible de recevoir l'accident d'un autre et qu'il soit cause par un autre, et ainsi il est composé, de même que ce qui reçoit l'accident par la nature de la matière et cause l'accident par la nature de la forme. Mais on a montré plus haut (a. 1) que Dieu n'est pas composé. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait en lui un accident.

Tertia ratio est, quia accidens comparatur ad subiectum sicut actus ad potentiam, cum sit quaedam forma ipsius. Unde cum Deus sit actus purus absque alicuius potentiae permixtione, non potest esse accidentis subiectum. Sic ergo patet ex praehabitis quod in Deo non est compositio materiae et formae, et quarumcumque partium substantialium, nec generis et differentiae, nec subiecti et accidentis; patet etiam quod praedicta nomina in Deo non praedicant accidens.

c) Troisième raison13: parce que l'accident est comparé au substrat comme l'acte à la puissance, puisqu'il en est la forme. C'est pourquoi comme Dieu est acte pur, sans mélange de puissance, il ne peut pas être le substrat d'un accident. Donc ainsi il est clair par ce qui a été dit, qu'en Dieu, il n'y a pas de composition de matière et de forme, et de toutes parties substantielles ni de genre et de différence, ni de sujet et d'accident; ainsi il est clair que ces noms n' attribuent pas un accident à Dieu.

Solutions:

q. 7 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur de istis nominibus non quantum ad id quod praedicant de Deo, sed quantum ad id a quo imponuntur ad significandum. Imponuntur enim a nobis ad significandum ex formis accidentalibus quibusdam, in creaturis repertis. Vult enim ex hoc probare quod per nomina dicta de Deo non notificatur nobis eius substantia.

# 1. Jean Damascène parle de ces noms, non pour ce qu'ils attribuent à Dieu, mais pour ce à quoi ils sont imputés pour signifier. Car nous les imputons pour signifier à partir de certaines formes accidentelles trouvées dans les créatures. Ill veut, en effet, prouver que la substance de Dieu n'est pas signifiées par les noms qu'on lui donne.

q. 7 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet bonitatis humanae et sapientiae et iustitiae, qualitas sit genus; non tamen est genus eorum secundum quod de Deo praedicantur, eo quod qualitas, in quantum huiusmodi, dicitur ens eo quod inhaeret aliqualiter subiecto. Sapientia autem et iustitia non ex hoc nominantur, sed magis ex aliqua perfectione vel ex aliquo actu; unde talia veniunt in divinam praedicationem secundum rationem differentiae et non secundum rationem generis. Et propter hoc Augustinus dicit: intelligamus quantum possumus sine qualitate bonum, sine quantitate magnum. Unde non oportet quod modus iste qui est assequi naturam, inveniatur in Deo.

# 2. Bien que les qualités de bonté, de sagesse et de justice soient un genre chez l'homme, cependant ce n'est pas leur genre qui est attribué à Dieu, parce que la qualité, en tant que telle, est appelée étant, parce qu'elle adhère d'une certaine manière à un substrat. Mais la sagesse et la justice ne tirent pas leur nom de cela, mais plutôt d'une perfection ou d'un acte; c'est pourquoi de tels prédicats viennent dans l’attribution à Dieu en raison de la différence et non du genre. Et c'est pour cela qu'Augustin dit (La Trinité, V, 1): "Nous comprenons bon autant que nous pouvons sans la qualité, grand sans la quantité." C'est pourquoi il ne faut pas que ce mode qui suit la nature se trouve en Dieu.

q. 7 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si bonum et iustum univoce de Deo praedicarentur, sequeretur quod falsa esset praedicatio, remoto genere. Nihil autem de Deo creatura univoce praedicatur, ut infra ostendetur; unde ratio non sequitur.

# 3. Si bon et juste étaient attribués de manière univoque à Dieu, il s'ensuivrait que l'attribution serait fausse, si on excluait le genre. Mais rien n'est attribué à Dieu de façon univoque avec la créature, comme on le montrera plus loin (art. 7): C'est pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 7 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapientia, quae est accidens, in Deo non est; sed sapientia alia non univoce dicta; et propter hoc ratio non sequitur.

# 4. La sagesse, qui est un accident, n'est pas en Dieu, mais c'est une autre sagesse désignée de manière non univoque, et c'est pour cela que cette raison ne vaut pas.

q. 7 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod exemplata non semper repraesentant perfecte exemplar; unde quandoque quod est in exemplari deficienter et imperfecte invenitur in exemplato; et praecipue in his quae exemplantur a Deo, qui est exemplar omnem creaturae proportionem excedens.

# 5. Les images ne représentent pas toujours parfaitement l'exemplaire; c'est pourquoi quelquefois on trouve dans l'image ce qui est dans l'exemplaire de manière déficiente et imparfaite et surtout dans ce qui est image de Dieu qui est l'exemplaire qui dépasse toute proportion avec la créature.

q. 7 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod similitudo et aequalitas in Deo dicuntur non quia sit ibi qualitas vel quantitas, sed quia de eo dicimus quaedam quae apud nos significant qualitatem vel quantitatem, cum dicimus Deum magnum et sapientem et huiusmodi, et cetera.

# 6. On parle de la ressemblance et de l'égalité en Dieu non pas parce qu'il y a qualité et quantité, mais parce que nous disons certaines choses qui signifient pour nous la qualité ou la quantité, quand nous disons que Dieu est grand et sage etc..

q. 7 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod accidentia non dicuntur entia nisi per relationem ad substantiam tamquam ad primum ens; unde non oportet quod accidentia mensurentur uno primo quod est accidens, sed uno primo quod est substantia.

# 7. Les accidents ne sont appelés étants que par relation à la substance en tant que premier étant; c'est pourquoi il ne faut pas que les accidents soient mesurés par un premier qui est accident, mais par un premier qui est la substance.

q. 7 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omne illud sine quo res aliqua potest intelligi secundum suam substantiam intellecta, habet rationem accidentis: non enim potest esse quod non intelligatur id quod est de substantia rei, re secundum suam substantiam intellecta; sicut quod intelligatur quid est homo, et non intelligatur quid est animal. Deum autem nos non videmus hic per essentiam, sed consideramus eum ex eius effectibus. Unde nihil prohibet considerare ipsum ex effectu essendi, et non considerare ex effectu bonitatis; sic enim loquitur Boetius. Sciendum tamen quod licet nos intelligamus aliqualiter Deum, non intelligendo eius bonitatem, non tamen possumus intelligere Deum intelligendo eum non esse bonum, sicut nec hominem intelligendo eum non esse animal: hoc enim removeret substantiam Dei, quae est bonitas. Sancti vero in patria qui vident Deum per essentiam, videndo Deum, vident eius bonitatem.

# 8. Tout ce sans quoi on peut comprendre une chose envisagée selon sa substance, a natured'accident; car il n'est pas possible que ne soit pas compris ce qui est de sa substance, une fois qu'elle est comprise selon sa substance; de même qu'on comprendrait ce qu'est un homme, et qu'on ne comprendrait pas ce qu'est un animal. Mais nous ne voyons pas ici Dieu par son essence mais nous le considérons à partir de ses effets. C'est pourquoi rien n'empêche de le considérer par l'effet d'être, et ne pas le considérer par celui de sa bonté, car Boèce en parle ainsi. Cependant il faut savoir que, bien que nous comprenions également Dieu, sans comprendre sa bonté, nous ne pouvons cependant pas comprendre Dieu sans comprendre qu'il est bon; de même qu'on ne comprend pas que c'est un homme en comprenant qu'il n'est pas un animal: car cela exclurait la substance de Dieu qui est sa bonté. Mais les saints, dans la patrie, qui voient Dieu par son essence, en le voyant, voient sa bonté.

q. 7 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod hoc nomen sapientia verificatur de Deo quantum ad illud a quo imponitur nomen. Non autem imponitur nomen ab hoc quod est sapientem facere, sed ab hoc quod est sapientialia intellectualiter habere. Scientia enim, in quantum scientia, refertur ad scibile; sed in quantum est accidens vel forma, refertur ad scientem. Hoc autem quod est sapientialia habere, est accidentale homini, non autem Deo.

# 9. Ce nom de sagesse est vérifié au sujet de Dieu quant à ce par quoi on impute ce nom. Mais il n’est pas imputé par ce qui rend sage, mais par ce que c'est avoir de manière intelligible ce qui concerne la sagesse. Car la science, en tant que telle, a rapport au connaissable. Mais en tant qu'accident ou forme, elle se rapporte au savant. Mais le fait d'avoir ce qui concerne la sagesse est accidentel pour l'homme, mais pas pour Dieu.

 

 

Article 5: Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?

 

De potentia, q. 7 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum praedicta nomina significent divinam substantiam. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 7 a. 5 arg. 1 Dicit enim Damascenus IV libro: oportet singulum eorum quae in Deo dicuntur, non quid est secundum substantiam significare existimare; sed quod non est ostendere, aut habitudinem quamdam, aut aliquid eorum a quibus separatur, aut aliquid eorum quae assequuntur naturam aut operationem. Esse autem quod substantialiter de aliquo praedicatur significat quid est substantia eius. Praedicta ergo nomina non praedicantur substantialiter de Deo, tamquam eius substantiam significantia.

1. En effet, Jean Damascène dit (La foi orthodoxe, IV, ch. 4, PL. 94, 836 A): "Il faut penser que chacun des noms donnés à Dieu ne signifie pas ce qu'il est selon sa substance, mais montre ce qu'il n'est pas, soit une relation, soit une séparation, soit quelque chose de ce qui touche sa nature ou son opération." Mais l'être attribué selon la substance signifie ce qu'elle est. Donc ces noms ne sont pas attribués selon la substance à Dieu comme la signifiant.

q. 7 a. 5 arg. 2 Praeterea, nullum nomen quod significat substantiam alicuius rei, vere potest de eo negari. Dicit enim Dionysius, quod in divinis negationes sunt verae, affirmationes vero incompactae. Ergo talia nomina non significant substantiam divinam.

2. Aucun nom qui signifie la substance d'une chose ne peut vraiment être nié de lui. Car Denys dit (Les hiérarchie céleste, II, § 3, 141 A2) qu'en Dieu les négations sont vraies mais les affirmations inadéquates. Donc de tels noms ne signifient pas la substance divine.

q. 7 a. 5 arg. 3 Praeterea, haec nomina significant processus divinae bonitatis in res, sicut dicit Dionysius. Sed bonitates a Deo procedentes non sunt ipsa divina substantia. Ergo huiusmodi nomina non significant divinam substantiam.

3. Ces noms signifient ce qui procède de la divine bonté dans les êtres, comme le dit Denys (Les noms divins, I, 2, 591 D3). Mais les bontés qui procèdent de Dieu ne sont pas sa substance. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

q. 7 a. 5 arg. 4 Praeterea, Origenes dicit quod Deus dicitur sapiens quia sapientia nos implet. Hoc autem non significat divinam substantiam, sed effectum. Ergo praedicta nomina non significant divinam substantiam.

4. Origène dit que Dieu est appelé sage parce qu'il nous comble de sagesse. Mais cela ne signifie pas la substance de Dieu, mais son effet. Donc ces noms ne signifient pas la substance divine.

q. 7 a. 5 arg. 5 Praeterea, in Lib. de causis dicitur quod causa prima non nominatur nisi nomine causati primi, quod est intelligentia. Cum autem causa nominatur nomine sui causati, non est praedicatio per essentiam, sed per causam. Ergo nomina quae de Deo dicuntur, non praedicantur de Deo substantialiter, sed causaliter tantum.

5. Dans le livre des Causes (prop. 6, n° 63), on dit que la cause première n'est appelée que par le nom du premier effet, qui est l'intelligence. Mais comme la cause est appelée par le nom de l'effet, ce n'est pas une attribution par l'essence, mais par la cause. Donc les noms dont on se sert pour Dieu ne lui sont pas attribués selon la substance, mais selon la cause seulement.

q. 7 a. 5 arg. 6 Praeterea, nomina significant conceptiones intellectuum, ut patet per philosophum. Sed nos divinam substantiam intelligere non possumus: non enim scimus de eo quid est, sed quoniam est, ut dicit Damascenus. Ergo non possumus eum nominare aliquo nomine, nec significare eius substantiam.

6. Les noms signifient les conceptions de l'esprit, comme le montre le philosophe (au début du Periher. 16 a 10 ss). Mais nous ne pouvons pas saisir (intelligere) la substance divine; car nous ne savons pas ce qu'il est, mais nous savons qu'il est, comme le dit Jean Damascène (liv. I, ch. 44). Donc nous ne pouvons lui donner un nom, ni signifier sa substance.

q. 7 a. 5 arg. 7 Praeterea, omnia divinam bonitatem participant, ut patet per Dionysium. Sed non omnia participant eius substantiam, quae est solum in tribus personis. Ergo divina bonitas non significat eius substantiam.

7. Tout participe de la bonté de Dieu, comme le montre Denys (Les noms divins, IV, § 1, 693 B5). Mais tout ne participe pas de sa substance, qui est seulement dans les trois personnes. Donc la bonté de Dieu ne signifie pas sa substance.

q. 7 a. 5 arg. 8 Praeterea, Deum cognoscere non possumus nisi ex similitudine creaturae, quia, ut dicit apostolus, Rom. I, 20, invisibilia Dei a creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed secundum quod ipsum cognoscimus, ita ipsum nominamus. Ergo non nominamus ipsum nisi ex similitudine creaturarum. Sed quando aliquid nominatur ex similitudine alterius, nomen illud non praedicatur de ipso substantialiter, sed metaphorice: quod per hoc patet quod per posterius de Deo dicitur, et per prius de eo a quo sumitur similitudo; cum tamen quod significat substantiam alicuius primo de eo praedicetur.

8. Nous ne pouvons connaître Dieu que par la ressemblance de la créature, parce que, comme le dit l'Apôtre (Rm 1, 20) "Ce qu'il y a d'invisible en Dieu depuis la création du monde, se laisse voir pour l'intelligence par ses œuvres." Mais nous lui donnons un nom selon que nous le connaissons. Donc nous ne le nommons que par la ressemblance des créatures. Mais quand nous nommons une chose selon la ressemblance d'une autre, ce nom ne lui est pas attribué selon la substance, mais par métaphore: par là i lest clair que ce qu’ont de Dieu est aperès, et ce dont on tire la ressemablance est avant; puisque cependant nous attribuons d'abord à une chose ce que signifie sa substance.

q. 7 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum, significare substantiam est significare hoc, et nihil aliud. Si ergo hoc nomen bonum significat substantiam divinam, nihil erit in substantia divina quod non hoc nomine significetur, sicut etiam nihil est in substantia humana quod non significetur hoc nomine homo. Sed hoc nomen bonum non significat sapientiam. Ergo sapientia non erit substantia divina, et pari ratione nec omnia alia; ergo non potest esse quod huiusmodi omnia nomina significent divinam substantiam.

9. Selon le philosophe (Métaphysique, VIII), désigner une substance c'est la désigner elle et rien d'autre. Si donc ce mot bon signifie la substance divine, rien ne sera dans sa substance qui ne soit pas signifié par ce nom, de même que rien n'est dans la substance humaine qui ne soit signifié par ce nom homme. Mais ce mot bon ne signifie pas la sagesse. Donc la sagesse ne sera pas la substance divine, à raison égale, tous les autres attributs non plus; donc il n'est pas possible que tous les noms de ce genre signifient la substance divine.

q. 7 a. 5 arg. 10 Praeterea, sicut quantitas est causa aequalitatis, et similitudinis qualitas, ita et substantia identitatis. Si ergo omnia huiusmodi nomina significent substantiam Dei, secundum ea non attenderetur vel aequalitas vel similitudo, sed magis identitas; et ita creatura dicetur idem Deo, ex hoc quod eius sapientiam vel bonitatem imitatur, vel aliquid huiusmodi; quod est inconveniens.

10. De même que la quantité est la cause de l'égalité, et la qualité celle de ressemblance, de même la substance est celle de l'identité. Si donc tous les noms de ce genre signifiaient la substance de Dieu, selon eux on n'atteindrait ni l'égalité, ni la ressemblance, mais plutôt l'identité, et ainsi on dirait que la créature serait identique à Dieu du fait qu'elle imite sa sagesse et sa bonté, etc., ce qui ne convient pas.

q. 7 a. 5 arg. 11 Praeterea, in Deo, qui est principium totius naturae, nihil potest esse contra naturam; nec ipse etiam aliquid contra naturam facit, sicut habetur in Glossa Rom. XI (Ord. super illud: contra naturam insertus es). Hoc autem est contra naturam quod accidens sit substantia. Cum ergo sapientia, iustitia et huiusmodi secundum se sint accidentia, non potest esse quod in Deo sint substantia.

11. En Dieu, qui est le principe de toute la nature, rien ne peut être contre elle; et il ne fait rien contre elle, comme le dit la Glose (ordinaire, Rm. 11, 24, sur ce passage: "Greffé contre nature6…"). Mais c'est contre la nature qu'un accident soit une substance. Donc, comme la sagesse, la justice, etc, sont en soi des accidents, il n'est pas possible qu'ils soient substance en Dieu.

q. 7 a. 5 arg. 12 Praeterea, cum dicitur Deus bonus, iste terminus est complexus. Nulla autem esset complexio, si bonitas Dei esset ipsa eius substantia. Ergo non videtur quod bonum significet divinam substantiam; et eadem ratione nec alia similia nomina.

12. Quand on appelle Dieu bon, ce terme est complexe. Mais il n'y aurait pas de complexité si la bonté de Dieu était sa substance même. Donc il ne semble pas que bon signifie la substance de Dieu, et pour une même raison les autres noms semblables non plus.

q. 7 a. 5 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit quod Deus omnem formam nostri intellectus subterfugit, et ideo intellectui permixtus esse non potest. Hoc autem non esset, si ista nomina significarent divinam substantiam, quia Deus corresponderet formae nostri intellectus. Ergo huiusmodi nomina non significant divinam substantiam.

13. Augustin dit que Dieu se dérobe à toute forme de notre esprit, et c'est pourquoi il ne peut pas lui être uni. Mais cela n'existerait pas, si ces noms signifiaient la substance divine, parce que Dieu correspondrait à la forme de notre esprit. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

q. 7 a. 5 arg. 14 Praeterea, Dionysius dicit quod optime homo Deo unitur in cognoscendo quod cognoscens de ipso nihil cognoscit. Hoc autem non esset, si ista quae concipit et significat, essent divina substantia. Ergo idem quod prius.

14. Denys (La théologie mystique,1 §1 997 B) dit que l'homme est le mieux uni à Dieu en reconnaissant qu'il ne connaît rien de lui. Mais cela ne serait pas possible si ce qu'il conçoit et signifie était la substance divine. Donc de même que plus haut.

En sens contraire:

q. 7 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit: Deo est hoc esse quod est fortem esse, vel sapientem esse; et si quid de illa simplicitate dixeris quae eius substantiam significat. Ergo omnia huiusmodi significant divinam substantiam.

1. Il y a cette parole d'Augustin (la Trinité, VI, 4, 67): "Pour Dieu c'est être que d'être fort, ou sage; et ainsi on dit quelque chose de cette simplicité qui signifie sa substance." Donc tous les mots de ce genre signifient la substance divine.

q. 7 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Boetius dicit, quod cum quis alia praedicamenta praeter relationem in divinam vertit praedicationem, cuncta mutantur in substantiam; sicut iustus, etsi qualitatem significare videatur, significat tamen substantiam, et similiter magnus, et huiusmodi alia.

2. Boëce dit (La Trinité VI8) que lorsque quelqu'un change les autres catégories au-delà de la relation dans la prédication divine, tout est changé en sa substance; comme juste, même s'il semble signifier une qualité, signifie cependant la substance, et de la même manière grand, etc..

q. 7 a. 5 s. c. 3 Praeterea, omne quod dicitur per participationem, reducitur ad aliquid per se et essentialiter dictum. Sed praedicta nomina de creaturis dicuntur per participationem. Ergo cum reducantur in Deum sicut in causam primam, oportet quod de Deo dicantur essentialiter; et ita sequitur quod significent eius substantiam.

3. Tout ce qui est dit par participation est ramené à quelque chose par soi et dit selon l'essence. Mais ces noms attribués sont dits des créatures par participation. Donc comme ils sont ramenés à Dieu comme à la cause première, il faut qu’on en parle en Dieu selon l'essence, et ainsi il en découle qu'ils signifient sa substance.

 

Réponse:

q. 7 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod:

Il faut dire que:

quidam posuerunt, quod ista nomina dicta de Deo, non significant divinam substantiam, quod maxime expresse dicit Rabbi Moyses. Dicit autem, huiusmodi nomina de Deo dupliciter esse intelligenda:

A – Certains ont pensé que ces noms donnés à Dieu, ne signifient pas la substance divine, ce que dit de façon très expresse Rabbi Moyses (Doctrina Perplexorum, part. 1, c. 58). Mais il dit que de tels noms sur Dieu doivent être interprétés de deux manières:

uno modo per similitudinem effectus, ut dicatur Deus sapiens non quia sapientia aliquid sit in ipso, sed quia ad modum sapientis in suis effectibus operatur, ordinando scilicet unumquodque ad debitum finem; et similiter dicitur vivens in quantum ad modum viventis operatur, quasi ex se ipso agens.

1) Par la ressemblance de l'effet, ainsi on dit que Dieu est sage, non parce que la sagesse est quelque chose en lui, mais parce qu'il opère à la manière du sage dans ses effets, c'est-à-dire en ordonnant chaque chose à la fin qui lui est due, et de même on le dit vivant en tant qu'il opère à la manière d'un vivant, comme agissant par lui-même.

Alio modo per modum negationis; ut per hoc quod dicimus Deum esse viventem, non significemus vitam in eo aliquid esse, sed removeamus a Deo illum modum essendi quo res inanimatae existunt. Similiter cum dicimus Deum intelligentem, non intelligimus significare intellectum aliquid in ipso esse, sed removemus a Deo illum modum essendi quo bruta existunt; et sic de aliis.

2) Par mode de négation; ainsi en disant que Dieu est vivant, nous ne signifions pas que la vie est quelque chose en lui, mais que nous excluons de lui cette manière d'être par laquelle des êtres existent sans vie. De même quand nous disons que Dieu est intelligent, nous n'entendons pas signifier quelque intellection en lui, mais nous excluons de lui cette manière d'être par laquelle les bêtes existent, et ainsi de suite...

Uterque autem modus videtur esse insufficiens et inconveniens.

L'une et l'autre manière semble insuffisante et ne pas convenir.

Primus quidem duplici ratione:

quarum prima est, quia secundum expositionem nulla differentia esset inter hoc quod dicitur, Deus est sapiens et Deus est iratus, vel Deus ignis est. Dicitur enim iratus quia operatur ad modum irati dum punit: hoc enim homines irati facere consueverunt. Dicitur etiam ignis, quia operatur ad modum ignis dum purgat, quod ignis suo modo facit. Hoc autem est contra positionem sanctorum et prophetarum loquentium de Deo, qui quaedam de Deo probant, et quaedam ab eo removent; probant enim eum esse vivum, sapientem et huiusmodi, et non esse corpus, neque passionibus subiectum. Secundum autem praedictam opinionem omnia de Deo pari ratione possent dici et removeri, non magis haec quam illa.

1) La première manière9 d'abord pour une double raison:

a) Dont la première est parce que, selon l'exposé, il n'y a aucune différence entre ce qui est dit, que Dieu est sage et Dieu est en colère ou Dieu est feu. Car on le dit irrité parce qu'il opère à la manière de quelqu'un en colère quand il punit. Cela les hommes en colère ont l'habitude de le faire. On l'appelle aussi feu; parce qu'il agit à la manière du feu quand il purifie, ce que le feu fait à sa manière. Mais cela est contre l'opinion des saints et des prophètes parlant de Dieu, qui prouvent certaines choses à son sujet et en excluent d'autres; car ils prouvent qu'il est vivant, sage, etc., et qu'il n'est pas un corps, ni qu'il est soumis aux passions. Selon cette opinion tout pourrait être dit ou exclu de Dieu à raison égale, pas plus ceci que cela

Secunda ratio, quia cum secundum fidem nostram ponamus creaturam non semper fuisse, quod et ipse concedit, sequeretur quod non possemus dicere fuisse sapientem vel bonum antequam creaturae essent. Constat enim quod antequam creaturae essent, nihil in effectibus operabatur, nec ad modum boni nec ad modum sapientis. Hoc autem omnino sanae fidei repugnat: nisi forte dicere velit quod ante creaturas sapiens dici poterat, non quia operaretur ut sapiens, sed quia poterat ut sapiens operari. Et sic sequeretur quod aliquid existens in Deo per hoc significetur, et sit per consequens substantia, cum quidquid est in Deo sit sua substantia.

b) Seconde raison: parce que, comme selon notre foi nous pensons que la créature n'a pas toujours existé, ce que lui-même concède, il en découlerait que nous ne pourrions pas dire qu'il a été sage ou bon avant que les créatures existent. Car il est clair qu'avant qu'elles existent, il n'opérait rien dans les effets, ni selon sa bonté, ni selon sa sagesse. Mais cela s'oppose à la vraie foi, à moins que par hasard, il veuille dire qu'avant les créatures, il pouvait être appelé sage, non parce qu'il opérait en tant que sage, mais parce qu'il pouvait le faire. Et ainsi il en découlerait que par là serait signifié quelque chose qui existe en Dieu, et est par conséquent sa substance, puisque tout ce qui est en Dieu est sa substance.

Secundus autem modus eadem ratione videtur esse inconveniens. Non enim est aliquod nomen alicuius speciei per quod non removeatur aliquis modus qui Deo non competit. In nomine enim cuiuslibet speciei includitur significatio differentiae, per quam excluditur alia species quae contra eam dividitur: sicut in nomine leonis includitur haec differentia quae est quadrupes, per quam leo differt ab ave. Si ergo praedicationes de Deo non essent introductae nisi ad removendum, sicut dicimus Deum esse viventem,- quia non habet esse ad modum inanimatorum, ut ipse dicit - ita possemus dicere Deum esse leonem, quia non habet esse ad modum avis. Et praeterea intellectus negationis semper fundatur in aliqua affirmatione: quod ex hoc patet quia omnis negativa per affirmativam probatur; unde nisi intellectus humanus aliquid de Deo affirmative cognosceret, nihil de Deo posset negare. Non autem cognosceret, si nihil quod de Deo dicit, de eo verificaretur affirmative.

2) La seconde manière10 ne semble pas convenir pour la même raison. Car il n'y a pas de nom d’une espèce par lequel ne serait pas exclu un mode qui ne convient pas à Dieu. Car dans le nom de n'importe quelle espèce, est inclue une signification de différence, par laquelle est exclue l'autre espèce, qui s'oppose à elle, comme dans le nom de lion est incluse cette différence qu'il est quadrupède, par laquelle il est différent de l'oiseau. Donc ainsi les attributions à Dieu n'auraient été introduites que pour exclure, comme nous disons que Dieu est vivant — parce qu'il n'a pas un être à la manière des objets inanimés, comme il le dit lui-même — de sorte que nous puissions dire que Dieu est un lion, parce qu'il n'a pas d'être à la manière de l'oiseau. Et en plus le concept de négation est toujours fondé sur une affirmation: ce qui parait du fait que toute négation est prouvée par une affirmation; c'est pourquoi à moins que l'intellect humain ne connaisse de façon affirmative quelque chose de Dieu, il ne peut rien nier de lui. Mais ils ne connaîtrait pas si rien de ce qu'il dit de Dieu n'était vérifié affirmativement.

Et ideo, secundum sententiam Dionysii, dicendum est, quod huiusmodi nomina significant divinam substantiam, quamvis deficienter et imperfecte: quod sic patet. Cum omne agens agat in quantum actu est, et per consequens agat aliqualiter simile, oportet formam facti aliquo modo esse in agente: diversimode tamen: quia quando effectus adaequat virtutem agentis, oportet quod secundum eamdem rationem sit illa forma in faciente et in facto; tunc enim faciens et factum coincidunt in idem specie, quod contingit in omnibus univocis: homo enim generat hominem, et ignis ignem. Quando vero effectus non adaequat virtutem agentis, forma non est secundum eamdem rationem in agente et facto, sed in agente eminentius; secundum enim quod est in agente habet agens virtutem ad producendum effectum. Unde si tota virtus agentis non exprimitur in facto, relinquitur quod modus quo forma est in agente excedit modum quo est in facto. Et hoc videmus in omnibus agentibus aequivocis, sicut cum sol generat ignem.

B. — Et c'est pourquoi, selon l'expression de Denys (Les Noms divins, XII), il faut dire que les noms de ce genre signifient la substance divine, quoique de manière déficiente et imparfaite; ce qui paraît ainsi: puisque tout agent agit en tant qu'il est en acte, et par conséquent fait en quelque manière du semblable, il faut que la forme de ce qui est produit soit en quelque manière dans l'agent; de diverses manières cependant; parce que, quand l'effet égale le pouvoir de l'agent, il faut que cette forme soit selon une même raison dans ce qui produit et ce qui est produit; car alors celui qui produit et ce qui est produit se retrouve dans l'identique en espèce, ce qui arrive dans tout ce qui est univoque; l'homme, en effet, engendre un homme et le feu le feu. Mais quand l'effet n'égale pas le pouvoir de l'agent, la forme n'est pas selon la même nature dans l'agent et dans ce qui est produit, mais de manière plus éminente dans l'agent, car l'agent a le pouvoir de produire l'effet selon qu’il est en lui. C'est pourquoi si tout le pouvoir de l'agent n'est pas exprimé dans ce qu'il produit, il reste que le mode par lequel la forme est dans l'agent dépasse le mode par lequel elle est dans ce qui est produit. Et nous voyons cela dans tous les agents équivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

Constat autem quod nullus effectus adaequat virtutem primi agentis, quod Deus est; alias ab una virtute ipsius non procederet nisi unus effectus. Sed cum ex eius una virtute inveniamus multos et varios effectus procedere, ostenditur nobis quod quilibet eius effectus deficit a virtute agentis. Nulla ergo forma alicuius effectus divini est per eamdem rationem, qua est in effectu in Deo: nihilominus oportet quod sit ibi per quemdam modum altiorem; et inde est quod omnes formae quae sunt in diversis effectibus distinctae et divisae ad invicem, in eo uniuntur sicut in una virtute communi, sicut etiam omnes formae per virtutem solis in istis inferioribus productae, sunt in sole secundum unicam eius virtutem, cui omnia generata per actionem solis secundum suas formas similantur.

Mais il est clair qu'aucun effet n'égale la puissance du premier agent qui est Dieu; autrement il ne proviendrait qu'un seul effet de son pouvoir unique. Mais comme nous trouvons que de son seul pouvoir procèdent des effets nombreux et variés, cela nous montre que n'importe quel effet est déficient par rapport à la puissance de l'agent. Donc aucune forme d'un effet divin n'est d'une même nature que dans l'effet en Dieu: il faut néanmoins qu'il y soit par quelque mode plus élevé et de là vient que toutes les formes qui sont distinctes et divisées entre elles dans les divers effets, y sont unies, comme dans un pouvoir commun, comme aussi toutes les formes produites par le pouvoir du soleil dans les choses inférieures sont dans le ciel selon son unique pouvoir, à qui tout ce qui est engendré par l'action du soleil ressemble selon les formes.

Et similiter perfectiones rerum creatarum assimilantur Deo secundum unicam et simplicem essentiam eius. Intellectus autem noster cum a rebus creatis cognitionem accipiat, informatur similitudinibus perfectionum in creaturis inventarum, sicut sapientiae, virtutis, bonitatis et huiusmodi. Unde sicut res creatae per suas perfectiones aliqualiter,- licet deficienter,- Deo assimilantur, ita et intellectus noster harum perfectionum speciebus informatur.

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Et de même, les perfections des créatures ont une ressemblance avec Dieu quant à son essence unique et simple. Mais comme notre esprit reçoit la connaissance des créatures, il est mis en forme par les ressemblances des perfections trouvées dans les créatures comme celle de la sagesse, de la vertu, de la bonté, etc.. C'est pourquoi, de même que les créatures ressemblent à Dieu de quelque manière par leurs perfections — bien que de manière déficiente, — de même notre esprit reçoit les formes de ces perfections.

Quandocumque autem intellectus per suam formam intelligibilem alicui rei assimilatur, tunc illud quod concipit et enuntiat secundum illam intelligibilem speciem verificatur de re illa cui per suam speciem similatur: nam scientia est assimilatio intellectus ad rem scitam. Unde oportet quod illa quae intellectus, harum specierum perfectionibus informatus, de Deo cogitat vel enuntiat, in Deo vero existant, qui unicuique praedictarum specierum respondet sicut illud cui omnes similes sunt. Si autem huiusmodi intelligibilis species nostri intellectus divinam essentiam adaequaret in assimilando, ipsam comprehenderet, et ipsa conceptio intellectus esset perfecta Dei ratio, sicut animal gressibile bipes est perfecta ratio hominis.

Quelquefois l'esprit par sa forme intelligible ressemble à une chose, alors ce qu'il conçoit et énonce selon cette forme intelligible est vérifié de cette chose à laquelle elle ressemble par sa forme; car la science est la ressemblance de l'esprit à la chose connue. C'est pourquoi, il faut que ce que l'esprit, informé par les perfections de ces formes, pense ou énonce de Dieu, existe réellement en lui, qui correspond à chacune de ces formes, comme ce à quoi toutes sont semblables. Mais si une telle espèce intelligible de notre esprit égalait l'essence divine en lui ressemblant, il l'appréhenderait et la conception même de l'esprit serait la définition parfaite de Dieu, comme "animal marcheur à deux pieds" est une parfaite définition de l'homme.

Non autem perfecte divinam essentiam assimilat species praedicta, ut dictum est; et ideo licet huiusmodi nomina, quae intellectus ex talibus conceptionibus Deo attribuit, significent id quod est divina substantia, non tamen perfecte ipsam significant secundum quod est, sed secundum quod a nobis intelligitur.

La forme dont on a parlé n'imite pas parfaitement l'essence divine, comme on l'a dit, et c'est pourquoi, bien que les noms de ce genre, que l'esprit attribue à Dieu par de telles conceptions, signifient ce qu'est la substance divine, ils ne la signifient cependant pas parfaitement selon ce qu'elle est mais selon ce que nous en comprenons.

Sic ergo dicendum est, quod quodlibet istorum nominum significat divinam substantiam, non tamen quasi comprehendens ipsam, sed imperfecte: et propter hoc, nomen qui est, maxime Deo competit, quia non determinat aliquam formam Deo, sed significat esse indeterminate. Et hoc est quod dicit Damascenus, quod hoc nomen qui est, significat substantiae pelagus infinitum.

Ainsi donc il faut dire que n'importe lequel de ces noms signifie la substance divine, non cependant comme si elle l'appréhendait, mais imparfaitement, et c'est pour cela que ce nom Qui est convient tout à fait à Dieu, parce qu'il ne détermine pas une forme en Dieu, mais signifie l'être sans détermination. Et c'est ce que dit Jean Damascène (La foi orthodoxe, I, 12, PG. 94, 833) que ce nom Qui est signifie une mer infinie de substance11.

Haec autem solutio confirmatur per verba Dionysii, qui dicit, quod quia divinitas omnia simpliciter et incircumfinite in seipsa existentia praeaccipit, ex diversis convenienter laudatur et nominatur. Simpliciter dicit, quia perfectiones quae in creaturis sunt secundum diversas formas, Deo attribuuntur secundum simplicem eius essentiam: incircumfinite dicit, ad ostendendum quod nulla perfectio in creaturis inventa divinam essentiam comprehendit, ut sic intellectus sub ratione illius perfectionis in seipso Deum definiat. Confirmatur etiam per hoc quod habetur V Metaph., quod simpliciter perfectum est quod habet in se perfectiones omnium generum; quod Commentator ibidem de Deo exponit.

Cette solution est confirmée par les paroles de Denys, qui dit (les Noms divins, I, § 7, 597 A) que "parce que la Divinité contient par avance tout ce qui existe en elle de façon simple et indéfinissable, elle est convenablement louée et nommée par différents termes12." De façon simple, dit-il, parce que les perfections qui sont dans les créatures en différentes formes, lui sont attribuées selon son essence simple; d'une façon indéfinissable, pour montrer qu'aucune perfection trouvée dans les créatures ne saisit l'essence divine, de sorte qu'ainsi l'esprit définisse Dieu en raison de cette perfection en lui. C'est confirmé aussi par ce qui est dit en Métaphysique (V, 16, 1021 b 14) qu'est absolument parfait ce qui a en soi les perfections de tous les genres, ce que le Commentateur expose à ce même endroit au sujet de Dieu.

Solutions:

q. 7 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus intelligit, quod huiusmodi nomina non significant quid est Deus, quasi eius substantiam definiendo et comprehendendo; unde et subiungit quod hoc nomen qui est, quod indefinite significat Dei substantiam, propriissime Deo attribuitur.

# 1. Jean Damascène comprend que les noms de ce genre ne signifient pas ce qu'est Dieu comme définissant et saisissant sa substance; c'est pourquoi il ajoute que ce nom Qui est, qui signifie de manière indéfinie la substance de Dieu, est attribué à Dieu d’une manière très appropriée.

q. 7 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ita Dionysius dicit negationes horum nominum esse veras de Deo quod tamen non asserit affirmationes esse falsas et incompactas: quantum enim ad rem significatam, Deo vere attribuuntur, quae in eo aliquo modo est, ut iam ostensum est; sed quantum ad modum quem significant de Deo negari possunt: quodlibet enim istorum nominum significat aliquam formam definitam, et sic Deo non attribuuntur, ut dictum est. Et ideo absolute de Deo possunt negari, quia ei non conveniunt per modum qui significatur: modus enim significatus est secundum quod sunt in intellectu nostro, ut dictum est; Deo autem conveniunt sublimiori modo; unde affirmatio incompacta dicitur quasi non omnino convenienter coniuncta propter diversum modum. Et ideo, secundum doctrinam Dionysii, tripliciter ista de Deo dicuntur.

# 2. Ainsi Denys (La hiérarchie céleste, PG. 3, 141 A13) dit, que les négations de ces noms sont vraies de Dieu, il ne prétend pas cependant que les affirmations soient fausses et inadéquates, dans ce qu’elles signifient; on attribue réellement à Dieu ce qui est en lui d’une certaine manière, comme on l'a montré, mais quant au mode signifié, elles peuvent être niées de Dieu, car n'importe quel de ces noms signifie une forme définie et ainsi elles ne sont pas attribuées à Dieu, comme on l'a dit. Et c'est pourquoi elles ne peuvent absolument pas être niées de Dieu, parce qu'elles ne lui conviennent pas par le mode qui est signifié. Car celui-ci est selon ce qu'elles sont dans notre esprit, comme on l'a dit, mais elles conviennent à Dieu d'une manière plus sublime; c'est pourquoi on dit que l'affirmation est inadéquate14 comme si elle n’était pas attribuée convenablement en raison d’un mode différent. Et ainsi, selon la doctrine de Denys (La théologie mystique, I, la Hiérarchie céleste, II, et Les noms divins, II et III) on emploie de trois manières ces affirmations à propos de Dieu.

Primo quidem affirmative, ut dicamus, Deus est sapiens; quod quidem de eo oportet dicere propter hoc quod est in eo similitudo sapientiae ab ipso fluentis: quia tamen non est in Deo sapientia qualem nos intelligimus et nominamus, potest vere negari, ut dicatur, Deus non est sapiens. Rursum quia sapientia non negatur de Deo quia ipse deficiat a sapientia, sed quia supereminentius est in ipso quam dicatur aut intelligatur, ideo oportet dicere quod Deus sit supersapiens.

a) Affirmativement: pour dire que Dieu est sage; ce qu'il faut dire de lui, parce qu'il y a en cela une ressemblance de la sagesse qui découle de lui;

b) parce que cependant il n'y a pas en Dieu une sagesse telle que nous la comprenons et la nommons, elle peut être réellement niée, pour dire: Dieu n'est pas sage.

c) A nouveau parce que la sagesse n'est pas niée de Dieu parce que lui-même manquerait de sagesse, mais parce qu'elle est en lui de manière superéminente qu'on le dit et le comprend, de sorte qu’il faut dire que Dieu est super sage.

Et sic per istum triplicem modum loquendi secundum quem dicitur Deus sapiens, perfecte Dionysius dat intelligere qualiter ista Deo attribuantur.

Et ainsi par cette triple manière de parler, selon laquelle on dit qu'il est sage, Denys donne à comprendre parfaitement de quelle manière on donne ces attributs à Dieu.

q. 7 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista nomina dicuntur significare divinos processus, quia primo sunt imposita ad significandum istas processiones secundum quod sunt in creaturis et ab earum similitudine intellectus noster manuducitur ut huiusmodi Deo eminentiori modo attribuat.

# 3. On dit que ces noms signifient ce qui procède de Dieu, parce qu'ils sont d'abord imposés pour signifier ces processions telles qu'elles sont dans les créatures et par cette ressemblance notre esprit est conduit à l'attribuer à Dieu de manière plus éminente.

q. 7 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Origenis non est intelligendum quod hoc intendimus significare cum dicimus, Deus est sapiens, quod Deus est causa sapientiae, sed quia ex sapientia quam causat, intellectus noster manuducitur ut sibi sapientiam supereminenter attribuat, ut dictum est.

# 4. Le mot d'Origène n'est pas à comprendre que nous entendons signifier, quand nous disons Dieu est sage, que Dieu est la cause de la sagesse mais, parce que par la sagesse qu'il cause, notre esprit est conduit à lui attribuer la sagesse de manière suréminente, comme on l'a dit.

q. 7 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum quod, cum dicitur Deus intelligens, nominatur nomine sui causati: quia nomen quod sui causati substantiam significat, sibi non definite attribui potest, secundum quem modum nomen significat; et sic hoc nomen quamvis ei aliquo modo conveniat, non tamen convenit ei ut nomen eius, quia id quod significat nomen, est definitio; causato vero convenit ut nomen eius.

# 5. Quand on dit que Dieu est intelligent, on le désigne du nom de son effet; parce que le nom qui signifie la substance de son effet, ne peut pas lui être attribué de manière définie, selon le mode que ce nom signifie; et ainsi quoique ce nom lui convienne de quelque manière, il ne lui convient cependant pas comme son nom, parce que ce que signifie le nom est une définition, il convient comme nom à l'effet.

q. 7 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa probat quod Deus non potest nominari nomine substantiam ipsius definiente vel comprehendente vel adaequante: sic enim de Deo ignoramus quid est.

# 6. Cette raison prouve que Dieu ne peut pas être désigné d'un nom qui signifie, saisit ou égale sa substance; car nous ignorons ce qu'il est.

q. 7 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum quod, sicut omnia participant Dei bonitatem,- non eamdem numero, sed per similitudinem - ita participant per similitudinem esse Dei. Sed in hoc differt: nam bonitas importat habitudinem alicuius causae, est enim bonum diffusivum sui; essentia autem significatur in eo in quo est, ut quiescens.

# 7. De même que tout participe de la bonté de Dieu — non la même en nombre, mais par ressemblance — de même tout participe par ressemblance à l'être de Dieu. Mais il y a une différence: car la bonté apporte la relation d'une cause, car le bien se donne; mais l'essence est signifiée en ce en quoi elle est, comme s'y reposant.

q. 7 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in effectu invenitur aliquid per quod assimilatur suae causae, et aliquid per quod a sua causa differt: quod quidem convenit ei vel ex materia vel ex aliquo huiusmodi, sicut patet in latere indurato per ignem. Nam in hoc quod lutum calefiat ab igne, igni similatur; in hoc vero quod calefactum ingrossetur et induretur differt ab igne; sed habet hoc ex materiae conditione. Si ergo id in quo later igni similatur, de igne dicatur, proprie dicetur de eo, et eminentius et per prius. Ignis enim est calidior quam later, et iterum eminentius: nam later est calidus quasi calefactus, ignis autem naturaliter. Si vero id in quo later ab igne differt, dicamus de igne, falsum erit; et nomen huiusmodi conditionem in suo intellectu habens, de igne non poterit dici nisi metaphorice. Falsum est enim ignem, qui est subtilissimum corporum, grossum dici. Durus autem dici potest propter violentiam actionis, et non facilem potentiam passionis.

# 8. On trouve dans l'effet une chose par laquelle il ressemble à sa cause, et une autre par laquelle il en diffère: ce qui lui arrive par la matière ou quelque chose de ce genre, comme on le voit dans la brique durcie par le feu. Car du fait que l'argile est chauffée par le feu, elle lui ressemble et alors en tant qu'elle est chauffée, elle s'épaissit et se durcit, elle devient différente du feu; mais elle le tient de la condition de sa matière. Si donc ce en quoi la brique ressemble au feu est dit du feu, on le dit de lui au sens propre, et de manière plus éminente et auparavant. Car le feu est plus chaud que la brique et aussi plus éminemment; car la brique est chaude en tant que chauffée, mais le feu l'est naturellement. Si donc ce en quoi la brique diffère du feu, nous l'appelons du feu, ce sera faux; et le nom qui a un tel sens dans son concept, ne pourra être employé pour le feu que métaphoriquement. Car il est faux d’appeler épais le feu qui est le plus subtil des corps. Mais on peut l'appeler dur à cause de la violence de son action, mais non à cause de sa facilité à subir.

Similiter consideranda sunt in creaturis quaedam secundum quae Deo similantur, quae quantum ad rem significatam, nullam imperfectionem important, sicut esse, vivere et intelligere et huiusmodi; et ista proprie dicuntur de Deo, immo per prius de ipso et eminentius quam de creaturis. Quaedam vero sunt secundum quae creatura differt a Deo, consequentia ipsam prout est ex nihilo, sicut potentialitas, privatio, motus et alia huiusmodi: et ista sunt falsa de Deo. Et quaecumque nomina in sui intellectu conditiones huiusmodi claudunt, de Deo dici non possunt nisi metaphorice, sicut leo, lapis et huiusmodi, propter hoc quod in sui definitione habent materiam. Dicuntur autem huiusmodi metaphorice de Deo propter similitudinem effectus.

De même il faut considérer dans les créatures certains attributs selon qu'elles ressemblent à Dieu, qui n'entraînent quant à ce qui est signifié aucune imperfection, comme être, vivre, comprendre, etc. et ceux-ci sont dits proprement de Dieu, bien plus d'abord de lui, et plus éminemment que des créatures. Mais il y a certains attributs en quoi la créature est différente de Dieu, conséquence de ce qu'elle vient du néant, comme la potentialité, la privation, le mouvement, etc. et ceux-ci sont faux pour Dieu. Et tous ces noms qui enferment des extensions de sens de ce genre en leur concepts ne peuvent être dits de Dieu que métaphoriquement, comme lion, pierre, etc., parce que la matière fait partie de leur définition. Mais on parle des effets de ce genre par métaphore au sujet de Dieu à cause de la ressemblance.

q. 7 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod significat substantiam definitive vel circumscriptive. Sic autem nullum istorum nominum substantiam Dei significat, ut dictum est.

# 9. Cette raison procède de ce qui signifie la substance d'une manière déterminée ou indéfinissable. Mais ainsi aucun de ces noms ne signifient la substance de Dieu, comme on l'a dit (dans le corps de l'article).

q. 7 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quamvis huiusmodi perfectiones in Deo sint ipsa divina substantia, tamen in creatura non sunt substantiales praedictae divinae perfectiones, ideo secundum eas creaturae non dicuntur Deo eadem, sed similes.

# 10. Quoique les perfections de ce genre soient en Dieu la substance divine elle-même, cependant dans la créature, il n'y a pas ces perfections substantielles divines, c'est pourquoi à cause d'elle, on ne dit pas que les créatures sont identiques a Dieu, mais lui sont semblables.

q. 7 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc esset contra naturam, si sapientia eiusdem rationis cum ea quae est accidens, in Deo esset: hoc autem non est verum, ut ex praedictis patet. Nec tamen auctoritas inducta est ad propositum: nihil enim contra naturam Deus facit in se ipso, quia in se ipso nihil facit.

# 11. Ce serait contre la nature si la sagesse était en Dieu de la même nature que celle qui est un accident. Mais cela n'est pas vrai, comme on l'a vu dans ce qui a été dit. Cependant l'autorité15 n'a pas été introduite pour cela. Car Dieu ne fait rien contre la nature en lui-même, parce qu'il ne fait rien en lui.

q. 7 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod complexio huius termini, cum dicitur Deus bonus, non refertur ad aliquam compositionem quae sit in Deo, sed ad compositionem quae est in intellectu nostro.

# 12. La complexité de ce terme, quand on dit Dieu est bon, ne se réfère pas à une composition qui serait en Dieu, mais à celle de notre esprit.

q. 7 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus subterfugit formam intellectus nostri quasi omnem formam intellectus nostri excedens; non autem ita quod intellectus noster secundum nullam formam intelligibilem Deo assimiletur.

# 13. Dieu se dérobe à la forme de notre esprit en tant qu'il en excède toute forme, mais pas de telle manière que notre esprit ne ressemble à Dieu selon aucune forme intelligible.

q. 7 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ex quo intellectus noster divinam substantiam non adaequat, hoc ipsum quod est Dei substantia remanet, nostrum intellectum excedens, et ita a nobis ignoratur: et propter hoc illud est ultimum cognitionis humanae de Deo quod sciat se Deum nescire, in quantum cognoscit, illud quod Deus est, omne ipsum quod de eo intelligimus, excedere.

# 14. Du fait que notre esprit n’atteint pas la substance divine, cela même qui est la substance de Dieu demeure, dépassant notre esprit et ainsi nous l’ignorons et à cause de cela c’est le sommet de la connaissance de Dieu par l'homme de savoir qu’il ne connaît pas Dieu, autant qu’il connaît, ce que Dieu est, dépasse tout ce nous comprendons de lui.

 

1 Ia, 13, a. 2, 3 et 11. — CG. I, 31 — I Sent. d2a2

2 "Ainsi puisque les négations sont vraies, en ce qui concerne les mystères divins, tandis que toute affirmation demeure inadéquate…"

3 (I, lect. 2, n°13, § 4 p. 14: "… nominationes Dei ad bonos Thearchiae processus…" Commentaire de Thomas: "c'est-à-dire selon les processus des perfections qui proviennent de la bonté de Dieu dans les créatures."

4 "Dieu est; cela est clair, mais qu'est-il par essence et nature? Voilà qui est absolument incompréhensible et inconnaissable." (p. 16).

5 n° 95. Les théologiens affirment …"que l’être du bien en tant que bien essentiel, étend sa bonté à tout être…"

6 Cf/. Pot. 1, 3, obj. 1.

7 B.A. 15, 480/482. Thomas n'a retenu que ce qui le concernait directement. Trad.: "Pour Dieu, c'est être que d'être fort ou juste ou sage et tout ce que vous attribuez à cette multiplicité simple ou à cette multiple simplicité, pour désigner sa substance."

8 "Mais lorsqu'on se tournera vers Dieu, pour lui attribuer ces catégories, alors il y aura une transformation de tous les attributs. (p. 135) (Trad. H. Merle).

9 C'est-à-dire par la ressemblance.

10 C'est-à-dire par mode de négation.

11 Expression empruntée à Grégoire de naziance, Or. XLV, 3, PG. 36, 625.

12 Noms divins Trad. M. de Gandillac: "Mais il faut ajouter qu'elle contient d'avance en soi tout être de façon simple et indéfinissable, par le don… en sorte qu'on peut la louer ou la nommer convenablement à partir de tout être."

13 "Ainsi puisque les négations sont vraies en ce qui concerne les mystères divins, tandis que toute affirmation demeure inadéquate…" (p. 191).

14 "Dionysius dicit affirmationes de Deo esse incompactas." Ia, qu. 13, a. 12 — I Sent. d4q2a1 (Cerf: "les affirmations sont inconsistantes", et ad1m "inconsistante ou sans convenance".

15 La glose de Rm 11, 24.

 

 

Article 6: Ces noms sont-ils synonymes?

q. 7 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum ista nomina sint synonyma. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1.

Objections:

q. 7 a. 6 arg. 1 Synonyma enim nomina dicuntur quae omnino idem significant. Sed omnia ista nomina de Deo dicta significant idem: quia significant divinam substantiam, quae est omnino simplex et una, ut ostensum est. Ergo omnia ista nomina sunt synonyma.

1. Car on appelle synonymes les noms qui ont tout à fait même signification. Mais tous ces noms donnés à Dieu signifient la même chose; parce qu'ils signifient sa substance, qui est tout à fait simple et une, comme on l'a montré. Donc tous ces noms sont synonymes.

q. 7 a. 6 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit quod in divinis omnia sunt unum, praeter ingenerationem, generationem et processionem. Sed nomina significantia unum sunt synonyma. Ergo omnia nomina dicta de Deo, praeter ea quae significant proprietates personales, sunt synonyma.

2. Jean Damascène (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un2, sauf la non-génération, la génération et la procession3. Mais les noms qui signifient une seule chose sont synonymes. Donc tous les noms dont on se sert pour Dieu, en dehors de ceux qui signifient des propriétés personnelles sont synonymes.

q. 7 a. 6 arg. 3 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed sapientia in Deo est idem quod sua substantia; similiter voluntas et potentia. Ergo sapientia, potentia et voluntas in Deo omnino sunt idem, et sic sequitur quod ista nomina sunt synonyma.

3. Toutes les choses qui sont les mêmes pour l'un et le même, sont les mêmes entre elles. Mais la sagesse en Dieu est la même chose que sa substance; de même sa volonté et sa puissance. Donc la sagesse, la puissance et la volonté sont en Dieu tout à fait identique, et ainsi il en découle que ces noms sont synonymes.

q. 7 a. 6 arg. 4 Sed dicendum, quod ista nomina significant unum secundum rem, significant tamen rationes diversas, et ideo non sunt synonyma.- Sed contra: ratio cui non respondet aliquid in re, falsa est et vana. Sed si rationes horum nominum sint multae, et res est una, videtur quod rationes istae sint vanae et falsae.

4. Mais il faut dire que ces noms signifient une seule chose en réalité, ils signifient cependant des notions diverses, et ainsi ils ne sont pas synonymes. — Mais en sens contraire, la notion à quoi rien ne répond dans la réalité, est fausse et vaine. Mais si les notions de ces noms sont nombreuses, et la chose réelle une, il semble que ces notions sont vaines et fausses.

q. 7 a. 6 arg. 5 Sed dicendum, quod rationes istae non sunt vanae, cum eis aliquid respondeat quod est in Deo.- Sed contra, secundum hoc res creatae Deo assimilantur secundum quod ab ipso processerunt per similitudinem idealem. Sed pluralitas idearum vel rationum idealium non attenditur secundum respectus ad creaturas: nam ipse Deus secundum unam suam essentiam est idea omnium. Ergo nec rationes nominum quae de Deo dicimus, ex similitudine creaturarum, habent aliquid respondens ex parte divinae substantiae.

5. Mais il faut dire que ces notions ne sont pas vaines, puisque quelque chose leur répond, qui est en Dieu. — Mais en sens contraire, les créatures ressemblent à Dieu selon qu'elles procèdent de lui par ressemblance idéale4. Mais on ne parvient pas à la pluralité des idées ou des notions idéales en rapport avec les créatures; car Dieu lui-même avec une seule essence est l'idée de toutes choses. Donc les notions des noms dont nous nous servons à propos de Dieu, à partir de la ressemblance des créatures, n'ont rien qui corresponde du côté de la substance divine.

q. 7 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est maxime unum non potest esse radix et fundamentum multitudinis. Sed divina essentia est maxime una. Ergo rationes praedictorum nominum non possunt in divina substantia fundari vel radicari.

6. Ce qui est tout à fait un ne peut pas être la racine et le fondement de la pluralité. Mais l'essence divine est tout à fait une. Donc les notions des noms attribués ne peuvent être fondées ni enracinées dans la substance divine.

q. 7 a. 6 arg. 7 Praeterea, distinctio relationum quae realiter sunt in Deo, facit pluralitatem personarum. Si ergo istis rationibus communibus attributorum aliquid responderet in Deo, etiam secundum multitudinem attributorum esset in Deo multitudo personarum; et sic essent in Deo plures personae quam tres; quod est haereticum: et ita videtur quod penitus ista nomina sint synonyma.

7. La distinction des relations qui sont réellement en Dieu, produit la pluralité des personnes. Si donc par ces notions communes quelque chose des attributs correspondait en Dieu, selon la multitude des attributs, il y aurait en lui une multitude de personnes; et ainsi il y aurait en Dieu plus de trois personnes; ce qui est hérétique; et ainsi il semble que ces noms sont tout à fait synonymes.

 

En sens contraire:

q. 7 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Nomina synonyma sibi invicem adiuncta nugationem inducunt sicut si diceretur, vestis et indumentum. Si ergo ista nomina sint synonyma, erit nugatio, cum Deus dicitur bonus, Deus sapiens: quod est falsum.

1. Des noms synonymes ajoutés l'un à l'autre reviennent à une plaisanterie, comme si on parlait de vêtement et d'habit5. Si donc ces noms sont synonymes, ce sera une plaisanterie quand on dit que Dieu est bon, Dieu est sage, ce qui est faux.

q. 7 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque negat unum synonymorum de aliquo, negat et reliquum. Sed aliqui negaverunt eius potentiam qui non negaverunt eius scientiam vel bonitatem. Ergo ista nomina non sunt synonyma.

2. Quiconque nie un des synonymes à propos d'une chose, nie les autres. Mais certains ont nié sa puissance qui n'ont pas nié sa science ou sa bonté. Donc ces noms ne sont pas synonymes.

q. 7 a. 6 s. c. 3 Praeterea, hoc patet per Commentatorem XI Metaph., qui dicit, quod haec nomina dicta de Deo non sunt synonyma.

3. Cela est éclairé par le commentateur (IX Métaphysique, comm. 39) qui dit que ces noms donnés à Dieu ne sont pas synonymes.

Réponse:

q. 7 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod ab omnibus intelligentibus communiter dicitur, quod haec nomina non sunt synonyma. Quod quidem facile esset sustinere secundum illos qui dicebant haec nomina non significare divinam substantiam, sed intentiones quasdam additas essentiales, aut modos operandi in effectibus, vel etiam creaturarum negationes.

Tous les connaisseurs disent en commun que ces noms ne sont pas synonymes. Ce qui serait facile à soutenir pour ceux qui disaient que ces noms ne signifient pas la substance divine, mais des concepts essentiels ajoutés, ou des manières d'opérer dans les effets ou même les négations dans les créatures.

Sed supposito quod haec nomina significent divinam substantiam, sicut supra ostensum est, quaestio videtur maiorem difficultatem continere: quia sic invenitur unum et idem simplex significatum per omnia ista nomina, quod est divina substantia.

Mais supposé que ces noms signifient la substance divine, comme ci-dessus (article précédant) on l’a montré, la question paraît contenir une plus grand difficulté; parce qu’ainsi par ces noms se trouve signifier une seul et même chose simple qui est la substance divine.

Sed sciendum quod significatio nominis non immediate refertur ad rem, sed mediante intellectu: sunt enim voces notae earum quae sunt in anima passionum, et ipsae intellectus conceptiones sunt rerum similitudines, ut patet per philosophum in principio Periherm.

Mais il faut savoir que la signification d'un nom ne se réfère pas immédiatement à l'objet mais par l'intermédiaire de l'esprit: car il y a des mots connus qui dépendent des passions6 dans l'âme et ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances de la réalité comme le montre le philosophe, au commencement du Periherm. (1, 16 a 47).

Quod ergo aliqua nomina non sint synonyma, potest impediri vel ex parte rerum significatarum, vel ex parte rationum intellectarum per nomina, ad quas significandas nomina imponuntur. Horum ergo nominum quae de Deo dicuntur, synonyma impediri non possunt per diversitatem rerum significatarum secundum praehabita, sed solum per rationes nominum quae sequuntur conceptiones intellectuum.

Donc que des noms ne soient pas synonymes peut être empêché ou bien du côté de ce qui est signifié ou bien de celui des notions comprises par les noms, dont on se sert pour les signifier. Donc, les synonymes de ces noms qui s'emploient à propos de Dieu ne peuvent pas être empêchés par la diversité des choses signifiées en tant qu'établies d'avance, mais seulement par les notions des noms qui suivent les conceptions de l'esprits.

Et ideo dicit Commentator XI metaphysicorum, quod multiplicitas in Deo est solum secundum differentiam in intellectu, et non in esse, quod nos dicimus unum secundum rem, et multa secundum rationem. Istae autem diversae rationes in intellectu nostro existentes, non possunt tales rationes esse quibus nihil respondeat ex parte rei: ea enim quorum sunt istae rationes, intellectus noster Deo attribuit. Unde si nihil esset in Deo vel secundum ipsum vel secundum eius effectum, quod his rationibus responderet, intellectus esset falsus in attribuendo, et omnes propositiones huiusmodi attributiones significantes; quod est inconveniens.

Et c'est pourquoi le Commentateur (Métaphysique XI, texte 39) dit que la multiplicité en Dieu dépend de la différence dans l'esprit, et non dans l'être, parce que nous parlons de l'un en réalité, et du multiple en raison. Mais ces diverses notions qui existent dans notre esprit ne peuvent être des notions telles que rien ne corresponde du côté de la réalité; car notre esprit a attribué à Dieu ce dont elles sont les notions. C'est pourquoi s'il n'y avait rien en Dieu qui corresponde à ces notions, quant à lui ou à ses effets, l'esprit se tromperait en les attribuant, ainsi qu'en attribuant toutes les propositions qui signifient de tels attributs; ce qui ne convient pas.

Sunt autem quaedam rationes quibus in re intellecta nihil respondet; sed ea quorum sunt huiusmodi rationes, intellectus non attribuit rebus prout in se ipsis sunt, sed solum prout intellectae sunt; sicut patet in ratione generis et speciei, et aliarum intentionum intellectualium: nam nihil est in rebus quae sunt extra animam, cuius similitudo sit ratio generis vel speciei. Nec tamen intellectus est falsus: quia ea quorum sunt istae rationes, scilicet genus et species, non attribuit rebus secundum quod sunt extra animam, sed solum secundum quod sunt in intellectu. Ex hoc enim quod intellectus in se ipsum reflectitur, sicut intelligit res existentes extra animam, ita intelligit eas esse intellectas: et sic, sicut est quaedam conceptio intellectus vel ratio,- cui respondet res ipsa quae est extra animam,- ita est quaedam conceptio vel ratio, cui respondet res intellecta secundum quod huiusmodi; sicut rationi hominis vel conceptioni hominis respondet res extra animam; rationi vero vel conceptioni generis aut speciei, respondet solum res intellecta.

A) Mais il y a des notions auxquelles rien ne correspond en réalité; mais ce de quoi sont de telles notions, l'esprit ne l’a pas attribué au choses en soi mais seulement en tant qu'elles sont saisies par l'esprit. Comme cela se voit dans la notion de genre et d'espèce et des autres concepts intellectuels, car rien n'est dans ce qui est hors de l'âme dont la ressemblance soit une notion de genre ou d'espèce8. Et cependant l'esprit n'est pas faux: parce que ce dont viennent ces notions, à savoir le genre et l'espèce, il ne l'attribua pas à la réalité en tant qu'elle est hors de l'âme, mais seulement selon qu'elle est dans l'esprit. Car du fait que l’esprit réfléchit sur lui, de même qu'il comprend les choses qui existent hors de l'âme, il comprend ainsi qu'elles sont saisies: et ainsi, de même qu'il y a un concept de l'esprit ou une notion à quoi correspond ce qui est hors l'âme, de même il y a une conception ou notion à quoi correspond ce qui est compris en tant que tel; ainsi à la raison ou au concept d'homme, correspond une réalité hors de l'âme, mais à la notion ou au concept de genre ou d'espèce, correspond seulement ce qui est saisi par l' esprit.

Non autem est possibile huiusmodi esse rationes horum nominum quae de Deo dicuntur: quia sic intellectus non attribueret ea Deo secundum quod in se est, sed secundum quod intelligitur; quod patet esse falsum: esset enim sensus, cum dicitur Deus est bonus, quod Deus sic intelligitur non autem quod sit.

Mais il n'est pas possible qu'il y ait des notions de ce genre pour ces noms dont on se sert pour Dieu; parce qu'ainsi l'esprit ne les attribuerait pas à Dieu selon ce qui est en lui, mais selon ce qui en est compris; ce qui paraît faux: car le sens, quand on dit que Dieu est bon, serait qu'il est compris mais non pas qu'il est.

Et ideo dicunt quidam, quod istis diversis rationibus nominum respondent diversa connotata, quae sunt diversi Dei effectus: volunt enim quod cum dicitur, Deus est bonus, significetur eius essentia cum aliquo effectu connotato, ut sit sensus, Deus est et bonitatem causat: sicut diversitas harum rationum causatur ex diversitate effectuum.

B. Et c'est pourquoi certains disent qu'à ces diverses notions des noms correspondent divers connotations que sont les divers effets de Dieu; car ils veulent que quand on dit: Dieu est bon, son essence soit signifiée avec un effet connoté, de sorte que le sens serait Dieu est et il cause la bonté; ainsi la diversité de ces notions est causée par la diversité des effets.

Sed hoc non videtur conveniens: quia cum effectus a causa secundum similitudinem procedat, prius oportet intelligere causam aliqualem quam effectus tales. Non ergo sapiens dicitur Deus quoniam sapientiam causet, sed quia est sapiens, ideo sapientiam causat. Unde Augustinus dicit, quod quia Deus est bonus, sumus; et in quantum sumus, boni sumus.

Mais cela semble ne pas convenir; parce que, comme l'effet procède de la cause selon la ressemblance, il faut comprendre une cause quelconque avant de tels effets. Donc on ne dit pas que Dieu est sage parce qu'il causerait la sagesse, mais parce qu'il est sage, de sorte qu’il cause la sagesse. C'est pourquoi Augustin dit (La doctrine chrétienne, 32) que, parce que Dieu est bon, nous existons, et en tant que nous existons, nous sommes bons.

Et praeterea secundum hoc sequeretur quod huiusmodi nomina per prius dicerentur de creatura quam de creatore; sicut sanitas prius dicitur de sano quam de sanativo, quod sanum dicitur ea ratione, quia sanitatem causat. Item si nihil aliud intelligitur, cum dicitur Deus est bonus nisi Deus est et est bonitatis causator: sequeretur quod eadem ratione omnia nomina effectuum divinorum de eo possent praedicari, ut diceretur, Deus est caelum, quia caelum causat.

Et en plus il en découlerait que de tels noms aurait été employés pour la créature avant que pour le Créateur; ainsi on parle de la santé à propos de ce qui est sain avant que de ce qui soigne, parce que ce qui est sain est appelé ainsi pour cette raison qu'il cause la santé. De même si on ne comprend rien d'autre, quand on dit que Dieu est bon, sinon que "Dieu est et est celui qui cause la bonté": il en découlerait que pour la même raison tous les noms des effets divins pourraient lui être attribués, de sorte qu'on dirait qu'il est le ciel, parce qu'il en est la cause.

Et iterum si hoc dicatur de causalitate in actu, patet esse falsum: quia secundum hoc non possumus dicere quod Deus ab aeterno fuerit bonus vel sapiens vel aliquid huiusmodi: non enim ab aeterno fuit causa in actu.

Et à nouveau si on disait cela de la causalité en acte, il est clair que c'est faux; parce que nous ne pouvons pas dire que Dieu a été éternellement bon ou sage, etc. Car il n'a pas été éternellement cause en acte.

Si autem hoc intelligatur de causalitate secundum virtutem,- ut dicatur bonus quia est et habet virtutem bonitatem infundendi,- tunc oportebit dicere, quod hoc nomen bonum significat illam virtutem. Sed illa virtus est quaedam supereminens similitudo sui effectus, sicut et quaelibet virtus agentis aequivoci. Unde sequeretur quod intellectus concipiens bonitatem, assimilaretur ad id quod est in Deo et quod est Deus. Et sic rationi vel conceptioni bonitatis respondet aliquid quod est in Deo et quod est Deus.

Mais si on le comprend de la causalité selon sa vertu, — comme on le dirait bon parce qu'il existe et a le pouvoir de diffuser la bonté, — alors il faudra dire que ce mot bon signifie cette vertu. Mais celle-ci est une ressemblance suréminente de son effet, de même que n'importe quelle vertu d'un agent équivoque. C'est pourquoi il en découlerait que l'esprit qui conçoit la bonté ressemblerait à ce qui est en Dieu et qui est Dieu. Et ainsi à la notion ou au concept de bonté correspond quelque chose qui est en Dieu et qui est Dieu.

Et ideo dicendum est quod omnes istae multae rationes et diversae habent aliquid respondens in ipso Deo, cuius omnes istae conceptiones intellectus sunt similitudines. Constat enim quod unius formae non potest esse nisi una similitudo secundum speciem, quae sit eiusdem rationis cum ea; possunt tamen esse diversae similitudines imperfectae, quarum quaelibet a perfecta formae repraesentatione deficiat. Cum ergo, ut ex superioribus patet, conceptiones perfectionum in creaturis inventarum, sint imperfectae similitudines et non eiusdem rationis cum ipsa divina essentia, nihil prohibet quin ipsa una essentia omnibus praedictis conceptionibus respondeat, quasi per eas imperfecte repraesentata. Et sic omnes rationes sunt quidem in intellectu nostro sicut in subiecto: sed in Deo sunt ut in radice verificante has conceptiones. Nam non essent verae conceptiones intellectus quas habet de re aliqua, nisi per viam similitudinis illis conceptionibus res illa responderet.

C. Et c'est pourquoi il faut dire que toutes ces notions diverses et nombreuses ont quelque chose qui correspond en Dieu même, dont toutes ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances. Car il est clair que d'une seule forme, il ne peut y avoir qu'une ressemblance unique en espèce, qui soit de la même nature qu'elle. Il peut cependant y avoir diverses ressemblances imparfaites, dont certaines sont défaillantes par rapport à la représentation parfaite de la forme. Comme, donc, ainsi qu'on le voit plus haut, les conceptions des perfections trouvées dans les créatures, sont des ressemblances imparfaites, et non d'une même nature que l'essence même de Dieu, rien n'empêche qu'une seule essence corresponde aux conceptions susdites, comme représentée imparfaitement par elles. Et ainsi toutes les notions sont dans notre esprit comme dans un sujet, mais en Dieu, elles sont comme dans la racine qui assure la vérité de ces conceptions. Car ce ne serait pas les vraies conceptions que l'esprit a d'une chose à moins que par voie de ressemblance cette réalité corresponde à ces conceptions.

Diversitatis ergo vel multiplicitatis nominum causa est ex parte intellectus nostri, qui non potest pertingere ad illam Dei essentiam videndam secundum quod est, sed videt eam per multas similitudines eius deficientes, in creaturis quasi in speculo resultantes. Unde si ipsam essentiam videret, non indigeret pluribus nominibus, nec indigeret pluribus conceptionibus. Et propter hoc, Dei verbum, quod est perfecta conceptio ipsius, non est nisi unum; propter hoc dicitur Zach. XIV, 9: in die illa erit dominus unus et erit nomen eius unum, quando ipsa Dei essentia videbitur et non colligetur Dei cognitio ex creaturis.

La cause de la diversité ou de la multiplicité des noms vient de notre esprit, qui ne peut parvenir à voir cette essence de Dieu telle qu'elle est, mais la voit à travers de nombreuses ressemblances déficientes, qui apparaissent dans les créatures comme dans un miroir. C'est pourquoi s'il voyait l'essence même, il n'aurait pas besoin de plusieurs noms, ni de plusieurs concepts. Et pour cela, le Verbe de Dieu, qui est sa conception parfaite n'est qu'un; pour cela Zacharie (14, 9) dit: "En ce jour-là, le Seigneur sera un et son nom sera unique", quand l'essence même de Dieu sera vue et que la connaissance de Dieu ne sera pas acquise à partir des créatures.

 

Solutions:

q. 7 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet ista nomina significent unam rem, multis tamen rationibus, ut dictum est; et propter hoc non sunt synonyma.

# 1. Bien que ces noms signifient une chose unique, il le font cependant selon de nombreuses notions, comme on l'a dit; et c'est pour cela qu'ils ne sont pas synonymes.

q. 7 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus intelligit quod in divinis omnia sunt unum secundum rem, praeter proprietates personales quae realem personarum distinctionem constituunt; tamen non excludit quin ea quae de Deo dicuntur, ratione differant.

# 2. Jean Damascène comprend qu'en Dieu tout est un en réalité, au delà des propriétés personnelles qui constituent la distinction réelle des personnes; cependant il n'exclut pas que ce qu'on dit de Dieu diffère en raison.

q. 7 a. 6 ad 3 Ad tertium per hoc patet responsio: quia sicut bonitas et sapientia sunt unum secundum rem cum divina essentia, ita et ad invicem; cum tamen rationes horum nominum differant, ut dictum est.

# 3. Par là la réponse à la troisième objection est claire, parce que de même que la bonté et la sagesse sont une en réalité avec l'essence divine, il en est de même à l'inverse; puisque cependant les notions de ces noms diffèrent, comme on l'a dit.

q. 7 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod iam patet ex praedictis quod licet Deus sit omnino unus, tamen istae multae conceptiones vel rationes non sunt falsae, quia omnibus eis respondet una et eadem res imperfecte per eas repraesentata. Essent autem falsae, si nihil eis responderet.

# 4. Il apparaît désormais de ce qui vient d'être dit, que quoique Dieu soit tout à fait un, cependant ces multiples conceptions ou notions ne sont pas fausses, parce qu'une seule et même chose représentée de façon imparfaite leur correspond. Mais elles seraient fausses, si rien ne leur correspondait.

q. 7 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum omnimoda unitas sit ex parte Dei, et multiplicitas ex parte creaturarum, sicut oportet quod in Deo intelligente plures creaturas sit una forma intelligibilis per essentiam, et multi respectus ad diversas creaturas; ita in intellectu nostro ex multiplicitate creaturarum in Deum ascendente, oportet quod sint multae species habentes relationes ad unum Deum.

# 5. L'unité, quelle qu'elle soit, est du côté de Dieu et la multiplicité est du côté des créatures, de même il faut qu'en Dieu qui pense de nombreuses créatures, il y ait une seule forme intelligible par essence, et beaucoup de rapports aux diverses créatures; ainsi dans notre esprit, qui s'élève de la multiplicité des créatures en Dieu, il faut qu'il y ait de nombreuses formes qui ont des relations à un seul Dieu.

q. 7 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod istae rationes non fundantur in divina essentia sicut in subiecto, sed sicut in causa veritatis, vel sicut in repraesentato per omnes; quod eius simplicitati non derogat.

# 6. Ces notions ne sont pas fondées dans l'essence divine comme dans un substrat, mais comme dans la cause de la vérité ou comme dans ce qui est représenté par tous, ce qui ne déroge pas à sa simplicité.

q. 7 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod paternitas et filiatio habent oppositionem ad invicem; et ideo exigunt realem distinctionem suppositorum: non autem bonitas et sapientia.

#7. La paternité et la filiation s'opposent entre elles; c'est pourquoi elles exigent une distinction réelle des suppôts, mais pas la bonté, ni la sagesse.

 

1 Ia, qu. 13, a. 4. — CG. I, 35, — I Sent d2a3; d22a3 — Compendium. 25.

2 Le mot unité traduit l'être, il dit l'individu (dans les créatures). Nihil enim est aliud unum quam ens indivisum. Cum unum addat supra ens unam negationem, secundum quod aliquid est indivisum." (Pot. 9, a. 7) Il s'agit du transcendantal et non du nombre.

3 Il s'agit des trois propriétés personnelles dans la Trinité. Elle signifie l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu. 40, a. 2, c. L'origine et la relation sont les propriétés personnelles des Personnes en Dieu.

4 Comprendre relative aux idées.

5 L'exemple est tiré de Physique III, 3, 202 b 12.

6 Dans le commentaire du Perihermeias Thomas dit (n° 15) que les passions sont des affections, comme la colère ou la joie, etc.. Et il est vrai qu'elles signifient naturellement certaines paroles. C'est un emploi inhabituel du mot qui a fait penser à certains (Andronicus) que l'œuvre n'était pas authentique, mais ajoute-t-il: "Il (Aristote) appelle passion de l'âme toutes les opérations de l'âme et cette conception de l'esprit peut être appelée passion." (n° 16)

7 "Les mots émis sont les symboles des états de l'âme…" (Trad. J. Tricot).

8 Cf. Pot. qu. 1, a. 1, ad 10. Note sur les trois conceptions.

 

 

 

Article 7: Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière univoque ou équivoque?

q. 7 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum huiusmodi nomina dicantur de Deo et creaturis univoce vel aequivoce. Et videtur quod univoce.

Il semble que c'est de manière univoque1.

Objections:

q. 7 a. 7 arg. 1 Mensura enim et mensuratum sunt unius rationis. Sed divina bonitas est mensura omnis bonitatis creaturae, et eius sapientia omnis sapientiae. Ergo univoce dicuntur de Deo et creatura.

1. Car la mesure et ce qui est mesuré sont sous une seule notion. Mais la bonté divine est la mesure de toute bonté de la créature et sa sagesse celle de toute sagesse. Donc on parle de façon univoque de Dieu et de la créature.

q. 7 a. 7 arg. 2 Praeterea, similia sunt quae communicant in forma. Sed creatura potest Deo similari; quod patet Genes. I, 26: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Ergo creaturae ad Deum est aliqua communicatio in forma. De omnibus autem communicantibus in forma potest aliquid univoce praedicari. Ergo de Deo et creatura potest aliquid praedicari univoce.

2. Tout ce qui participe à une [même] forme est semblable. Mais la créature peut ressembler à Dieu, ce que montre Gn. 1, 26. "Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance." Donc de la créature à Dieu, il y a un partage de forme. A tout ce qui est partage de forme, on peut attribuer quelque chose de manière univoque. Donc on peut dire qu’on attribue quelque chose de manière univoque à Dieu et à la créature.

q. 7 a. 7 arg. 3 Praeterea, maius et minus non diversificant speciem. Sed cum creatura dicatur bona et Deus bonus, in hoc videtur differre quod Deus est melior omni creatura. Ergo bonitas Dei et creaturae non diversificatur secundum speciem; et sic univoce bonum praedicatur de Deo et creatura.

3. Le plus et le moins n’apportent pas de changement à l’espèce. Mais, comme on dit que la créature est bonne et que Dieu est bon, il semble y avoir une différence, parce que Dieu est meilleur que toute créature. Donc la bonté de Dieu et celle de la créature ne sont pas différentes en espèce et ainsi on attribue le bien de manière univoque à Dieu et à la créature.

q. 7 a. 7 arg. 4 Praeterea, inter ea quae sunt diversorum generum non potest esse comparatio, sicut philosophus probat: non enim comparabilis est velocitas alterationis velocitati motus localis. Sed inter Deum et creaturam attenditur aliqua comparatio: dicitur enim quod Deus est summe bonus, et creatura est bona. Ergo Deus et creatura sunt unius generis, et ita aliquid de eis potest univoce praedicari.

4. Il ne peut y avoir de point de comparaison entre ce qui est de genres différents, comme le philosophe le prouve (Physique, VII, 4, 249 a 12 — 249 a 21); car la vitesse du changement n’est pas comparable à celle du mouvement local. Mais entre Dieu et la créature, on rencontre un point commun; car on dit que Dieu est tout à fait bon et que la créature est bonne. Donc Dieu et la créature sont d’un seul genre et ainsi on peut leur attribuer quelque chose de manière univoque.

q. 7 a. 7 arg. 5 Praeterea, nihil cognoscitur nisi per speciem unius rationis; non enim albedo quae est in pariete per speciem quae est in oculo cognosceretur, nisi esset unius rationis. Sed Deus per suam bonitatem cognoscit omnia entia, et sic de aliis. Ergo bonitas Dei et creaturae sunt unius rationis, et sic univoce bonum de Deo et creatura praedicatur.

5. Rien n’est connu que par la forme d’une seule nature, car la blancheur qui est sur le mur ne serait connue par la forme qui est dans l'œil que si elle était d’une seule nature. Mais Dieu par sa bonté connaît tout ce qui existe, et il en est de même pour ses autres attributs. Donc sa bonté et celle de la créature sont d’une seule nature, et ainsi on attribue de manière univoque le bien à Dieu et à la créature.

q. 7 a. 7 arg. 6 Praeterea, domus quae est in mente artificis et domus quae est in materia, sunt unius rationis. Sed omnes creaturae processerunt a Deo sicut artificiata ab artifice. Ergo bonitas quae est in Deo, est unius rationis cum bonitate quae est in creatura; et sic idem quod prius.

6. La maison qui est dans l’esprit de l’architecte et celle qui est dans la matière sont d'une même nature. Mais toutes les créatures ont procédé de Dieu comme les œuvres procèdent de l’architecte. Donc la bonté qui est en Dieu est d’une seule nature avec la bonté qui est dans la créature et ainsi de même que plus haut.

q. 7 a. 7 arg. 7 Praeterea, omne agens aequivocum reducitur ad aliquid univocum. Ergo primum agens, quod Deus est, oportet esse univocum. Sed de agente univoco et effectu eius proprio aliquid univoce praedicatur. Ergo de Deo et creatura praedicatur aliquid univoce.

7. Tout agent équivoque est ramené à un agent univoque. Donc il faut que le premier agent qui est Dieu soit univoque. Mais on attribue de manière univoque quelque chose à l’agent univoque et à son effet propre. Donc on attribue quelque chose de manière univoque à Dieu et à la créature.

En sens contraire:

q. 7 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus dicit, quod aeterno et temporali nihil est commune nisi nomen. Sed Deus est aeternus, et creaturae temporales. Ergo Deo et creaturis nihil potest esse commune nisi nomen; et sic praedicantur aequivoce pure nomina de Deo et creaturis.

1. Le philosophe dit (Métaphysique X, 10, 1050 b 27) que, entre l’éternel et le temporel, il n’y a rien de commun sinon le nom. Mais Dieu est éternel et les créatures temporelles. Donc entre Dieu et les créatures, il ne peut y avoir rien de commun que le nom et ainsi les noms sont attribués à Dieu et aux créatures de manière purement équivoque

q. 7 a. 7 s. c. 2 Praeterea, cum genus sit prima pars definitionis, ablato genere removetur significata ratio per nomen; unde si aliquod nomen imponatur ad significandum id quod est in alio, erit nomen aequivocum. Sed sapientia dicta de creatura est in genere qualitatis. Cum ergo sapientia dicta de Deo non sit qualitas, ut supra ostensum est, videtur quod hoc nomen sapientia aequivoce praedicetur de Deo et creaturis.

2. Comme le genre est la première partie de la définition, si on l'exclut, on enlève la nature signifiée par le nom; c'est pourquoi si on emploie un nom pour signifier ce qui est dans un autre, le nom sera équivoque. Mais la sagesse, attribuée aux créatures, est dans le genre de la qualité. Comme donc la sagesse, quand on parle de Dieu, n’est pas une qualité, comme on l’a montré plus haut, il semble que ce nom de sagesse est attribué de manière équivoque à Dieu et aux créatures.

q. 7 a. 7 s. c. 3 Praeterea, ubi nulla est similitudo, ibi non potest aliquid communiter praedicari, nisi aequivoce. Sed inter creaturam et Deum nulla est similitudo; dicitur enim Is., XL, 18: cui ergo similem fecistis Deum? Ergo videtur quod nihil possit praedicari univoce de Deo et creaturis.

3. Là où il n’y a pas de ressemblance, on ne peut rien attribuer de commun, sinon de manière équivoque. Mais entre la créature et Dieu il n’y a aucune ressemblance; car il est dit (Is. 40,18): "A qui donc as-tu fait Dieu semblable?". Donc il semble qu’on ne peut rien attribuer de manière univoque à Dieu et aux créatures.

q. 7 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet Deus non possit dici similis creaturae, creatura tamen potest dici similis Deo.- Sed contra est quod dicitur Psal. LXXXII, 2: Deus, quis similis erit tibi? Quasi dicat, nullus.

4. Mais il faut dire que, quoiqu'on ne puisse pas dire que Dieu est semblable à la créature, on peut cependant dire que la créature est semblable à Dieu.— En sens contraire, il y a ce que dit le Ps. 87, 2: "Dieu, qui sera semblable à toi?", comme si on disait personne.

q. 7 a. 7 s. c. 5 Praeterea, secundum accidens non potest esse aliquid simile substantiae. Sed sapientia in creatura est accidens, in Deo autem est substantia. Ergo homo non potest divinae sapientiae similari per suam sapientiam.

5. En outre, pour l'accident, il ne peut y avoir rien de semblable à la substance. Mais la sagesse est un accident dans la créature, mais elle est en Dieu la substance. Donc l’homme par sa sagesse ne peut ressembler à la sagesse divine.

q. 7 a. 7 s. c. 6 Praeterea, cum in creatura aliud sit esse, et aliud sit forma vel natura, per formam vel naturam nihil similatur ei quod est esse. Sed ista nomina praedicata de creaturis significant aliquam naturam vel formam: Deus autem est hoc ipsum quod est suum esse. Ergo per huiusmodi quae dicuntur de creatura, non potest creatura Deo similari; et sic idem quod prius.

6. Comme dans la créature, l’être est différent de la forme ou nature, rien ne ressemble à ce qu'est l'être par la forme ou la nature. Mais ces noms attribués aux créatures signifient une nature ou une forme. Or Dieu est ce qu'est son être propre. Donc par ce qu'on dit de tel de la créature, elle ne peut pas ressembler à Dieu, et ainsi de même que plus haut.

q. 7 a. 7 s. c. 7 Praeterea, magis differt Deus a creatura quam numerus ab albedine. Sed stultum est dicere numerum similari albedini, aut e converso. Ergo stultius est dici, quod aliqua creatura sit similis Deo; et sic idem quod prius.

7. Dieu diffère plus de la créature que le nombre de la blancheur. Mais il est sot de dire que le nombre est semblable à la blancheur, ou le contraire. Donc il est plus sot de dire qu'une créature est semblable à Dieu, et ainsi de même que plus haut.

q. 7 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaecumque similantur ad invicem, in aliquo uno conveniunt; quae vero in uno conveniunt, sunt transmutabilia invicem. Deus autem est omnino intransmutabilis. Ergo non potest esse aliqua similitudo inter Deum et creaturam.

8. Tout ce qui se ressemble se rencontre en un seul genre; mais ce qui se rencontre ainsi est interchangeable. Or Dieu est tout à fait immuable. Donc il ne peut y avoir une ressemblance entre Dieu et la créature.

Réponse:

q. 7 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod impossibile est aliquid univoce praedicari de Deo et creatura; quod ex hoc patet: nam omnis effectus agentis univoci adaequat virtutem agentis. Nulla autem creatura, cum sit finita, potest adaequare virtutem primi agentis, cum sit infinita. Unde impossibile est quod similitudo Dei univoce in creatura recipiatur.

Il faut dire qu'il est impossible d'attribuer quelque chose d'univoque à Dieu et à la créature, ce qui se démontre ainsi: car tout effet d'un agent univoque égale son pouvoir. Mais aucune créature, puisqu'elle est finie, ne peut égaler le pouvoir du premier agent puisqu’il est infini. Donc il est impossible que la ressemblance de Dieu soit reçue de manière univoque dans la créature.

Item patet quod, etsi una sit ratio formae existentis in agente et in effectu, diversus tamen modus existendi impedit univocam praedicationem; licet enim eadem sit ratio domus quae sit in materia et domus quae est in mente artificis,- quia unum est ratio alterius,- non tamen domus univoce de utraque praedicatur, propter hoc quod species domus in materia habet esse materiale, in mente vero artificis immateriale.

D'autre part, il est clair que même si est unique la nature de la forme qui existe dans l’agent et dans l’effet, cependant une manière différente d’exister empêche l'attribution univoque, car bien que l'idée de la maison qui est dans la matière soit la même que celle qui est dans l’esprit de l’architecte, — parce que l'une est l'idée de l’autre, — cependant la maison n'est pas attribuée de manière univoque à l'une et à l'autre; parce que la forme (species) de la maison dans la matière a une existence matérielle, mais dans l’esprit de l’artisan un existence immatérielle.

Dato ergo per impossibile quod eiusdem rationis sit bonitas in Deo et creatura, non tamen bonum univoce de Deo praedicaretur; cum quod in Deo est immaterialiter et simpliciter, in creatura sit materialiter et multipliciter. Et praeterea ens non dicitur univoce de substantia et accidente, propter hoc quod substantia est ens tamquam per se habens esse, accidens vero tamquam cuius esse est inesse. Ex quo patet quod diversa habitudo ad esse impedit univocam praedicationem entis. Deus autem alio modo se habet ad esse quam aliqua alia creatura; nam ipse est suum esse, quod nulli alii creaturae competit. Unde nullo modo univoce de Deo creatura dicitur; et per consequens nec aliquid aliorum praedicabilium inter quae est ipsum primum ens. Existente enim diversitate in primo, oportet in aliis diversitatem inveniri; unde de substantia et accidente nihil univoce praedicatur.

S'il était donne par impossible que la bonté soit de la même nature en Dieu et dans la créature, on n'attribuerait pas le bien de façon univoque à Dieu, puisque ce qui est en lui y est nature immatérielle et simple, et dans la créature de nature matérielle et plurielle. Et en plus l’étant n'est pas défini de manière univoque pour la substance et l’accident, parce que la substance est un étant comme ayant l'être par soi, et l’accident comme inhérent à un autre. Cela montre qu'une relation différente à l’être empêche une attribution univoque de l'étant. Mais Dieu se comporte quant à l'être d’une autre manière que n'importe quelle créature; car il est son être propre, ce qui n’appartient à aucune autre créature. C'est pourquoi en aucune manière on ne parle d'univocité de la créature à Dieu et ni par conséquent d'aucun des autres prédicables2 parmi lesquels est l’étant premier lui-même. Car si la diversité existe dans le premier, il faut la trouver dans les autres, c'est pourquoi on n'attribue rien d'univoque à la substance et à l’accident.

Quidam autem aliter dixerunt, quod de Deo et creatura nihil praedicatur analogice, sed aequivoce pure. Et huius opinionis est Rabbi Moyses, ut ex suis dictis patet.

D’autres ont parlé autrement, disant qu'on n'attribuait rien de manière analogique à Dieu et à la créature, mais de manière équivoque seulement. Et Rabbi Moyses est de cette opinion comme cela apparaît dans ce qu'il a dit.

Ista autem opinio non potest esse vera: quia in pure aequivocis, quae philosophus nominat a casu aequivoca, non dicitur aliquid de uno per respectum ad alterum. Omnia autem quae dicuntur de Deo et creaturis, dicuntur de Deo secundum aliquem respectum ad creaturas, vel e contrario, sicut patet per omnes opiniones positas de expositione divinorum nominum. Unde impossibile est quod sit pura aequivocatio.

Mais cette opinion ne peut pas être vraie, parce que, dans ce qui est purement équivoque, ce que le philosophe appelle équivoque par hasard, on ne dit rien d’une chose par rapport à une autre; mais tout ce qui est dit de Dieu et des créatures, est dit de lui selon un rapport aux créatures ou le contraire, comme cela apparaît par toutes les opinions sur l’exposé des noms divins. C'est pourquoi il est impossible qu’il y ait une équivocation pure.

Item, cum omnis cognitio nostra de Deo ex creaturis sumatur, si non erit convenientia nisi in nomine tantum, nihil de Deo sciremus nisi nomina tantum vana, quibus res non subesset.

D'autre part, comme toute notre connaissance de Dieu est tirée des créatures, s’il n’y avait un certain accord que dans le nom seulement, on ne connaîtrait rien de Dieu, sinon des noms inutiles, sans que la réalité y corresponde.

Sequeretur etiam quod omnes demonstrationes a philosophis datae de Deo, essent sophisticae; verbi gratia, si dicatur, quod omne quod est in potentia, reducitur ad actum per ens actu,- et ex hoc concluderetur quod Deus esset ens actu, cum per ipsum omnia in esse educantur,- erit fallacia aequivocationis; et sic de omnibus aliis. Et praeterea oportet causatum esse aliqualiter simile causae; unde oportet de causato et causa nihil pure aequivoce praedicari, sicut sanum de medicina et animali.

Il s'ensuivrait que toutes les démonstrations faites par les philosophes sur Dieu, seraient fausses; par exemple, si on disait que tout ce qui est en puissance est ramené à l’acte par l’étant en acte,— et que de cela on conclut que Dieu serait un être en acte, puisque par lui tout vient à l’être — ce serait une erreur de l'équivocation et ainsi pour toutes les autres choses. Et ensuite il faut que l'effet soit d’une certaine manière semblable à la cause, c'est pourquoi il ne faut attribuer rien de purement équivoque à l'effet et à la cause, comme ce qui est sain au sujet de la médecine et de l’animal.

Et ideo aliter dicendum est, quod de Deo et creatura nihil praedicetur univoce; non tamen ea quae communiter praedicantur, pure aequivoce praedicantur, sed analogice.

Huius autem praedicationis duplex est modus. Unus quo aliquid praedicatur de duobus per respectum ad aliquod tertium, sicut ens de qualitate et quantitate per respectum ad substantiam.

Alius modus est quo aliquid praedicatur de duobus per respectum unius ad alterum, sicut ens de substantia et quantitate.

Et c’est pourquoi il faut dire autrement: on n'attribue rien à Dieu ni à la créature de manière univoque; cependant ce qui est attribué communément ne l'est pas de manière purement équivoque, mais analogique.

Et de cette attribution le mode est double:

a) L’un par lequel un attribut est donné à deux sujets par rapport à un troisième, comme l’étant à la qualité et à la quantité par rapport à la substance.

b) L’autre mode est celui par lequel un attribut est donné à deux sujets par rapport de l’un à l’autre, comme l’étant à la substance et à la quantité.

In primo autem modo praedicationis oportet esse aliquid prius duobus, ad quod ambo respectum habent, sicut substantia ad quantitatem et qualitatem; in secundo autem non, sed necesse est unum esse prius altero. Et ideo cum Deo nihil sit prius, sed ipse sit prior creatura, competit in divina praedicatione secundus modus analogiae, et non primus.

Au premier mode d'attribution, il faut qu’il y ait quelque chose avant les deux, à quoi les deux ont rapport comme la substance à la quantité et à la qualité; mais dans le second, non, mais il est nécessaire que l’un soit avant l’autre. Et c’est pour cela, comme rien n’existe avant Dieu, mais qu’il est lui-même avant la créature, le second mode de l’analogie convient à l'attribution divine et non le premier.

 

Solutions:

q. 7 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de mensura cui mensuratum potest coaequari vel commensurari; talis autem mensura non est Deus, cum in infinitum omnia excedat per ipsum mensurata.

# 1. Il faut dire que cette raison procède de la mesure à laquelle le mesuré peut être égalé ou proportionné, mais Dieu n’est pas une mesure de ce genre, puisqu’il excède par lui-même à l'infini tout ce qui est mesuré.

q. 7 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo creaturae ad Deum deficit a similitudine univocorum in duobus.

Primo, quia non est per participationem unius formae, sicut duo calida secundum participationem unius caloris; hoc enim quod de Deo et creaturis dicitur, praedicatur de Deo per essentiam, de creatura vero per participationem; ut sic talis similitudo creaturae ad Deum intelligatur, qualis est calidi ad calorem, non qualis calidi ad calidius.

Secundo, quia ipsa forma in creatura participata deficit a ratione eius quod Deus est, sicut calor ignis deficit a ratione virtutis solaris, per quam calorem generat.

# 2. La ressemblance de la créature à Dieu est défaillante par rapport à la ressemblance de ce qui est univoque en deux points.

a) Premièrement, parce que ce n’est pas par participation d’une seule forme, comme deux corps chauds qui participent à une seule chaleur, car ce qui est dit de Dieu et des créatures est attribué à Dieu par essence, mais à la créature par participation; de sorte qu’on comprend ainsi la ressemblance de la créature à Dieu, telle que celle du chaud à la chaleur, non telle que celle du chaud à plus chaud.

b) Deuxièmement, parce que la forme elle-même participée dans la créature est inférieure à la nature de Dieu, comme la chaleur du feu est défaillante par rapport à la nature du pouvoir du soleil par lequel il engendre la chaleur.

q. 7 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magis et minus tripliciter potest considerari, et sic praedicari.

Uno modo secundum solam quantitatem participati; sicut nix dicitur albior pariete, quia perfectior est albedo in nive quam in pariete, sed tamen unius rationis; unde talis diversitas secundum magis et minus non diversificat speciem.

Alio modo secundum quod unum participatur, et aliud per essentiam dicitur; sicut diceremus, quod bonitas est melior quam bonum.

Tertio modo secundum quod modo eminentiori competit idem aliquid uni quam alteri, sicut calor soli quam igni; et hi duo modi impediunt unitatem speciei et univocam praedicationem; et secundum hoc aliquid praedicatur magis et minus de Deo et creatura, ut ex dictis patet.

# 3. On peut considérer le plus et le moins de trois manières et l'attribuer ainsi:

a) Selon la seule quantité du participé; ainsi on dit que la neige est plus blanche que le mur, parce que la blancheur est plus parfaite dans la neige que sur le mur, mais cependant elle est d’une même nature. C'est pourquoi une telle diversité selon le plus et le moins ne diversifie pas l’espèce.

b) Selon que l’un est participé et que l’autre est désigné par essence; comme si on disait que la bonté est meilleure que le bien.

c) Selon qu’une même chose appartient à un mode plus éminent qu’à un autre, comme la chaleur au soleil plus qu'au feu et ces deux modes empêchent l’unité de l’espèce et une attribution univoque et ainsi quelque chose est attribué en plus ou en moins à Dieu et à la créature, comme le montre ce qu’on a dit.

q. 7 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non comparatur creaturis in hoc quod dicitur melior, vel summum bonum, quasi participans naturam eiusdem generis cum creaturis, sicut species generis alicuius, sed quasi principium generis.

# 4. Dieu n’est pas comparé aux créatures, parce qu'on le dit meilleur ou bien suprême, comme s'il participait d’une nature d'un même genre avec les créatures, comme l’espèce d’un genre, mais comme principe d'un genre.

q. 7 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quanto species intelligibilis eminentior est in aliquo, tanto ex ea relinquitur perfectior cognitio; sicut ex specie lapidis in intellectu quam in sensu. Unde per hoc Deus perfectissime potest cognoscere res per suam essentiam, inquantum sua essentia est supereminens similitudo rerum, et non adaequata.

# 5. Plus la forme intelligible est éminente dans une chose, plus sa connaissance est parfaite, ainsi (elle est plus parfaite) par la forme de la pierre dans l’esprit que dans les sens. C'est pourquoi Dieu peut connaître ainsi très parfaitement les choses par son essence, dans la mesure où celle-ci est ressemblance des choses, suréminente et inégalée.

q. 7 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter creaturam et Deum est duplex similitudo.

Una creaturae ad intellectum divinum: et sic forma intellecta per Deum est unius rationis cum re intellecta, licet non habeat eumdem modum essendi; quia forma intellecta est tantum in intellectu, forma autem creaturae est etiam in re.

Alio modo secundum quod ipsa divina essentia est omnium rerum similitudo superexcellens, et non unius rationis. Et ex hoc modo similitudinis contingit quod bonum et huiusmodi praedicantur communiter de Deo et creaturis, non autem ex primo. Non enim haec est ratio Dei cum dicitur, Deus est bonus, quia bonitatem creaturae intelligit; cum iam ex dictis pateat quod nec etiam domus quae est in mente artificis cum domo quae est in materia univoce dicatur domus.

# 6. Entre la créature et Dieu, il y a une double ressemblance.

a) Une de la créature à l’esprit divin, et ainsi la forme pensée par Dieu est d’une même nature que ce qui est pensé, bien qu'elle n’ait pas le même mode d'être; parce que la forme pensée est seulement dans l’esprit, mais la forme de la créature est aussi dans la réalité.

b) D’une autre manière selon que l’essence divine même est ressemblance suréminente de toutes choses et non d’une seule nature. Et par ce mode de ressemblance, il arrive que le bien, etc. est attribué en commun à Dieu et aux créatures, mais pas de la première manière. En effet, quand on dit que Dieu est bon, ce n’est pas sa nature parce qu'elle désigne la bonté de la créature, comme déjà c'est clair par ce qui a été dit, que la maison non plus qui est dans l’esprit de l’architecte n’est pas signifiée non plus de manière univoque de la maison qui est dans la matière.

q. 7 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod agens aequivocum oportet esse prius quam agens univocum, quia agens univocum non habet causalitatem super totam speciem, alias esset causa sui ipsius, sed solum super aliquod individuum speciei; agens autem aequivocum habet causalitatem super totam speciem; unde oportet primum agens esse aequivocum.

# 7. Il faut que l’agent équivoque soit avant l’agent univoque, parce que ce dernier n’a pas de causalité sur toute l’espèce, autrement il serait sa propre cause, mais seulement sur un individu de l’espèce; mais l’agent équivoque a causalité sur toute l’espèce; donc il faut que le premier agent soit équivoque.

q. 7 a. 7 ad s. c. 1 Ad primum ergo dicendum, quod in contrarium obiicitur, dicendum, quod philosophus loquitur de communitate naturaliter et non logice. Ea vero quae habent diversum modum essendi, non communicant in aliquo secundum esse quod considerat naturalis; possunt tamen communicare in aliqua intentione quam considerat logicus. Et praeterea etiam secundum naturalem corpus elementare et caeleste non sunt unius generis; sed secundum logicum sunt. Nihilominus tamen philosophus non intendit excludere analogicam communitatem, sed solum univocam. Vult enim ostendere quod corruptibile et incorruptibile non communicant in genere.

En sens contraire, sur ce qui a été objecté, il faut dire:

# 1. Le philosophe parle de communauté de manière naturelle et non logique. Ce qui a un mode différent d’être ne communique en rien selon l’être que le naturaliste considère. Cependant cela peut être commun dans un concept que le logicien considère. Et en outre aussi selon le naturaliste le corps élémentaire et le corps céleste ne sont pas d'un même genre. Mais ils le sont selon le logicien. Cependant le Philosophe n’entend pas exclure la communauté analogique mais seulement celle qui est univoque. Car il veut montrer que le corruptible et l'incorruptible ne communique pas dans un genre commun. (Métaphysique, X, 10, 1050 b 27)

q. 7 a. 7 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod licet diversitas generis tollat univocationem, non tamen tollit analogiam. Quod sic patet. Sanum enim, secundum quod dicitur de urina, est in genere signi; secundum vero quod dicitur de medicina, est in genere causae.

# 2. Bien que la différence de genre exclut l'univocité, elle n’exclut cependant pas l’analogie. Ce qui apparaît ainsi: en effet ce qui est sain, selon qu'on parle d'urine, est dans le genre du signe, mais si on parle de médecine, il est dans le genre de la cause.

q. 7 a. 7 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod Deus nullo modo dicitur esse similis creaturae, sed e contrario, quia, ut dicit Dionysius, in causa et causatis non recipimus similitudinis conversionem, sed solum in coordinatis; homo enim non dicitur similis suae imagini, sed e contrario, propter hoc quod forma illa secundum quam attenditur similitudo, per prius est in homine quam in imagine. Et ideo Deum creaturis similem non dicimus, sed e contrario.

# 3. On ne dit en aucune manière que Dieu est semblable à la créature, mais le contraire, parce que, comme le dit Denys (Les Noms divins, 9) dans la cause et l'effet nous ne recevons pas la réciprocité de la ressemblance, mais seulement en ce qui est coordonné; car on ne dit pas que l’homme est semblable à son image, mais on dit le contraire, parce que cette forme selon que la ressemblance l'atteint, est dans l’homme avant que dans l’image. Et c’est pourquoi nous ne disons pas que Dieu est semblable aux créatures, mais nous disons le contraire.

q. 7 a. 7 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, nulla creatura est similis Deo, ut eodem cap. dicit Dionysius, hoc intelligendum est secundum quod causata minus habent a sua causa, ab ipsa incomparabiliter deficientia. Quod non est intelligendum secundum quantitatem participati, sed aliis duobus modis, sicut supra dictum est.

# 4. Quand on dit qu'aucune créature n’est semblable à Dieu, comme Denys le dit dans le même chapitre (9), il faut le comprendre selon que l'effet reçoit moins de sa cause, incomparablement par sa déficience même. Ce qu’il ne faut pas comprendre selon la quantité de ce qui participe, mais par les deux autres modes, comme on l’a dit ci-dessus.

q. 7 a. 7 ad s. c. 5 Ad quintum dicendum, quod secundum accidens non potest esse aliquid simile substantiae, similitudine quae attenditur secundum formam unius rationis, sed secundum similitudinem quae est inter causatum et causam, nihil prohibet. Nam primam substantiam oportet esse causam omnium accidentium.

# 5. Pour l’accident, il ne peut y avoir rien de semblable à la substance, par une ressemblance qui est atteinte selon la forme d'une nature, mais rien ne l'empêche selon la ressemblance qui est entre l'effet et la cause. Car il faut que la substance première soit cause de tous les accidents.

q. 7 a. 7 ad s. c. 6 Et similiter dicendum ad sextum.

# 6. Et il faut dire de même pour le sixième.

q. 7 a. 7 ad s. c. 7 Ad septimum dicendum, quod albedo nec est in genere numeri, nec est principium generis; et ideo nulla similitudo unius ad alterum attenditur. Deus autem est principium omnis generis; et ideo ei omnia aliqualiter similantur.

# 7. La blancheur n’est pas dans le genre du nombre et n’est pas le principe du genre, et c’est pourquoi on n'atteint aucune ressemblance de l'une à l’autre. Mais Dieu est le principe de tout genre, et c’est pourquoi tout est semblable à lui de manière égale.

q. 7 a. 7 ad s. c. 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procedit de his quae communicant in genere vel in materia; qualis conditio non est Dei ad creaturas.

# 8. Cette raison procède de ce qui communique dans le genre ou dans la matière, une telle condition n’existe pas entre Dieu et les créatures.

 

1 Parall.: Ia, qu. 13, a. 5 — CG. I, 32, 33, 34- I sent. Prol. a.2, ad.2 — d19q5a2, ad 1 — d35a4 — De Verit. 2, 2 —Compendium.27.

2 Prédicables: attributs universels communs à plusieurs: ils sont au nombre de cinq: le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident. Cf. Ia, qu. 77, a. 1, ad 5.

 

 

Article 8: Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?

q. 7 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum sit aliqua relatio inter Deum et creaturam. Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections1:

q. 7 a. 8 arg. 1 Relativa enim sunt simul, secundum philosophum. Sed creatura non potest simul esse cum Deo: Deus enim omnibus modis est prior creatura. Ergo nulla relatio potest esse inter creaturam et Deum.

1. Car ce qui est relatif est simultané, selon le philosophe (les catégories, les relations, 7, 7 b 152). Mais la créature ne peut pas être en même temps que Dieu, car il est à tous les points de vue antérieur à la créature. Donc aucune relation ne peut exister entre la créature et Dieu.

q. 7 a. 8 arg. 2 Praeterea, inter quaecumque est aliqua relatio, est etiam eorum aliqua ad invicem comparatio. Sed inter Deum et creaturam non est comparatio; ea enim quae non sunt unius generis, non sunt comparabilia, sicut numerus et linea. Ergo non est aliqua relatio inter Deum et creaturam.

2. Entre chaque chose où il y a une relation, il y a aussi un certain rapport de l’une à l’autre. Mais entre Dieu et la créature il n’y en a pas, car ce qui n’est pas d’un seul et même genre, n’est pas comparable, comme le nombre et la ligne. Donc il n’y a pas de relation entre Dieu et la créature.

q. 7 a. 8 arg. 3 Praeterea, in quocumque genere est unum relativorum, est etiam aliud. Sed Deus non est in eodem genere cum creatura. Ergo non possunt relative ad invicem dici.

3. En quelque genre où il y a l'un des relatifs, l'autre y est aussi. Mais Dieu n’est pas dans le même genre que la créature. Donc on ne peut les dire relatifs entre eux.

q. 7 a. 8 arg. 4 Praeterea, creatura non potest esse opposita creatori: quia oppositum non est causa sui oppositi. Sed relativa ad invicem opponuntur. Ergo non potest esse relatio inter creaturam et Deum.

4. La créature ne peut être opposée au Créateur, parce que l’opposé n’est pas la cause de son opposé. Mais les choses relatives s’opposent l’une à l’autre. Donc on ne peut pas parler de relation entre la créature et Dieu

q. 7 a. 8 arg. 5 Praeterea, de quocumque aliquid de novo incipit dici, aliquo modo potest dici factum. Ergo sequitur, si aliquid relative ad creaturam de Deo dicitur, quod Deus aliquo modo sit factus; quod est impossibile, cum ipse sit immutabilis.

5. De tout ce dont on commence à parler nouvellement, on peut dire, d’une certaine manière, que cela a été fait [créé]. Donc il en découle, si on parle de quelque chose de relatif qui va de Dieu à la créature, que Dieu d’une certaine manière a été fait; ce qui est impossible, puisqu’il est immuable.

q. 7 a. 8 arg. 6 Praeterea, omne quod praedicatur de aliquo, praedicatur de eo aut per se aut per accidens. Sed ea quae important relationem ad creaturam, non praedicantur de Deo per se, quia huiusmodi praedicata ex necessitate et semper praedicantur; nec iterum per accidens. Ergo nullo modo aliqua talia relativa de Deo praedicari possunt.

6. Tout ce qui est attribué, l'est par soi ou par accident. Mais ce qui apporte une relation à la créature, n’est pas attribué à Dieu par soi, parce que les attributs de ce genre sont attribués par nécessité et toujours, et pas à nouveau par accident. Donc en aucune manière de telles relations ne peuvent être attribuées à Dieu.

En sens contraire:

q. 7 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit, quod creator relative dicitur ad creaturam, sicut dominus ad servum.

Augustin dit (La Trinité, V, XIII, 143) qu’on parle du créateur en relation à la créature, comme du maître à son serviteur.

Réponse:

q. 7 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod relatio in hoc differt a quantitate et qualitate: quia quantitas et qualitas sunt quaedam accidentia in subiecto remanentia; relatio autem non significat, ut Boetius dicit, ut in subiecto manens, sed ut in transitu quodam ad aliud; unde et Porretani dixerunt, relationes non esse inhaerentes, sed assistentes, quod aliqualiter verum est, ut posterius ostendetur.

La relation diffère de la quantité et de qualité4, parce que celles-ci sont des accidents qui demeurent dans un sujet5 . Mais la relation ne signifie pas, comme Boèce le dit (La Trinité, V) qu'elle demeure dans le sujet mais c'est comme si elle passait vers un autre. C'est pourquoi les disciples de G. de la Porrée6 ont dit que les relations ne sont pas inhérentes, mais assistantes7, ce qui est vrai d’une certaine manière, comme on le montrera plus tard (qu. 8, a. 2, c).

Quod autem attribuitur alicui ut ab eo in aliud procedens non facit compositionem cum eo, sicut nec actio cum agente. Et propter hoc etiam probat philosophus V Phys., quod in ad aliquid non potest esse motus: quia, sine aliqua mutatione eius quod ad aliud refertur, potest relatio desinere ex sola mutatione alterius, sicut etiam de actione patet, quod non est motus secundum actionem nisi metaphorice et improprie; sicut exiens de otio in actum mutari dicimus, quod non esset si relatio vel actio significaret aliquid in subiecto manens.

Ce qui est attribué à une chose comme procédant d'elle dans une autre, ne fait pas composition avec elle, de même que l'action ne fait pas composition avec l’agent8 . Et c’est pour cela que le philosophe prouve (Physique, V, 2, 226 a 239) que dans la relation il ne peut pas y avoir de mouvement; parce que, sans le changement de ce qui se réfère à l'autre, la relation peut cesser par le seul changement de l’autre10, comme on le voit aussi pour l’action, parce que ce n’est un mouvement selon l’action que métaphoriquement et improprement. Ainsi nous disons que passer du repos à l’action c’est changer, ce qui ne serait pas si la relation ou l’action signifiait quelque chose qui demeure dans le sujet.

Ex hoc autem apparet quod non est contra rationem simplicitatis alicuius multitudo relationum quae est inter ipsum et alia; immo quanto simplicius est tanto concomitantur ipsum plures relationes. Quanto enim aliquid est simplicius, tanto virtus (eius) est minus limitata, unde ad plura se extendit sua causalitas. Et ideo in libro de causis dicitur, quod omnis virtus unita plus est infinita quam virtus multiplicata.

Cela montre que la pluralité des relations qui est entre lui et les autres, n’est pas contre le concept d'une certaine simplicité; bien plus il est d’autant plus simple que les relations qui l'accompagnent sont plus nombreuses. Car plus une chose est simple, moins sa puissance est limitée, c'est pourquoi sa causalité s’étend à davantage d’effets. Et c’est pour cela que dans le livre Des Causes (prop. 17) on dit que "toute puissance unie est infinie plus qu’une puissance multipliée 11."

Oportet autem intelligi aliquam relationem inter principium et ea quae a principio sunt, non solum quidem relationem originis, secundum quod principiata oriuntur a principio, sed etiam relationem diversitatis: quia oportet effectum a causa distingui, cum nihil sit causa sui ipsius

Mais il faut comprendre une relation entre le principe et ce qui en découle12, non seulement comme relation d’origine, selon que ce qui dépend du principe en découle, mais encore comme relation de diversité; parce qu’il faut que l’effet soit distingué de la cause, puisque rien n’est sa propre cause.

Et ideo ad summam Dei simplicitatem consequitur quod infinitae habitudines sive relationes existant inter creaturas et ipsum, secundum quod ipse creaturas producit a seipso diversas, aliqualiter tamen sibi assimilatas.

Et c’est pourquoi pour la simplicité suprême de Dieu, il découle que les relations infinies ou celles qui existent entre les créatures et lui, selon qu’il les crée différentes de lui, lui ressemblent cependant d’une certaine manière.

Solutions:

q. 7 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa relativa sunt simul natura quae pari ratione mutuo referuntur, sicut pater ad filium, dominus ad servum, duplum ad dimidium. Illa vero relativa in quibus non est eadem ratio referendi ex utraque parte, non sunt simul natura, sed alterum est prius naturaliter, sicut etiam philosophus dicit, de sensu et sensibili, scientia et scibili. Et sic patet quod non oportet quod Deus et creatura sint simul natura, cum non sit eadem ratio referendi ex utraque parte. Nihilominus autem non est necesse in illis etiam relativis quae sunt simul natura, quod subiecta sint naturaliter simul sed relationes solae.

# 1. Ces relatifs qui sont en rapport à raison égale13 entre eux sont ensemble par nature, comme le père avec fils, le maître avec serviteur, le double à la moitié. Les relatifs dans lesquels il n’y a pas la même raison de référence de chaque côté, ne sont pas ensemble par nature, mais l’un est naturellement avant, comme le philosophe le dit (Les catégories, les relations, 7, 7 b 23-25 ) de la sensation et du sensible, de la connaissance et du connaissable . Et ainsi il apparaît qu’il ne faut pas que Dieu et la créature soient simultanément par nature, puisque ce n'est pas la même nature de référence des deux côtés. Cependant il n’est pas nécessaire pour ces relatifs, qui sont ensemble par nature, que les sujets soient ensemble, mais que les relations seules le soient.

q. 7 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnium est comparatio quorum est relatio ad invicem, sed solum illorum quorum est relatio secundum unam quantitatem vel qualitatem, ut ex hoc possit unum altero dici maius aut melius, vel albius vel aliquid huiusmodi. Relationum autem diversitates possunt ad invicem referri etiam quae diversorum generum sunt: ea enim quae diversorum generum sunt, sunt ad invicem diversa. Nihilominus tamen quamvis Deus in eodem genere non sit cum creatura sicut contentum sub genere, est tamen in omnibus generibus sicut principium generis: et ex hoc potest esse aliqua relatio inter creaturam et Deum sicut inter principiata et principium.

# 2. La comparaison n’est pas pour tout ce en quoi il y a une relation réciproque, mais seulement pour ceux dont la relation est selon une quantité ou une qualité; pour que par là l’un puisse être dit plus grand ou meilleur que l’autre, ou plus blanc, etc.. Mais les relations en leur diversité peuvent se référer l'une à l'autre, même celles qui sont de genres différents; car celles-ci sont différentes l'une de l'autre. Cependant, quoique Dieu ne soit pas dans le même genre que la créature, en tant que limitée à un genre, il est cependant dans tous les genres, en tant que principe du genre, et par là il peut y avoir une relation entre la créature et Dieu comme entre ce qui dépend d'un principe et le principe [même].

q. 7 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet subiecta relationum esse unius generis, sed solum relationes ipsas; ut patet in hoc quod quantitas a quidditate diversa dicitur. Et tamen, ut dictum est, non est eadem ratio de Deo et creaturis, sicut de his quae sunt in diversis generibus ad invicem nullo modo coordinata.

# 3. Il n'est pas nécessaire que les substrats des relations soit d’un seul genre, mais seulement les relations elles-mêmes, comme cela apparaît dans le fait qu'on dit que la quantité est différente de la quiddité. Et cependant, comme on l’a dit, ce n’est pas la même raison pour Dieu et les créatures, comme de celles qui sont dans différents genres, en aucune manière coordonnées entre elles.

q. 7 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum, quod oppositio relationis in duobus differt ab aliis oppositionibus: quorum primum est quod in aliis oppositis unum dicitur alteri opponi, in quantum ipsum removet: negatio enim removet affirmationem, et secundum hoc ei opponitur; oppositio vero privationis et habitus et contrarietatis includit oppositionem contradictionis, ut IV Metaph. dicitur. Non autem est hoc in relativis. Non enim per hoc opponitur filius patri quod ipsum removeat, sed propter rationem habitudinis ad ipsum.

# 4. L’opposition de la relation est différente des autres oppositions en deux points

a) Dans les autres opposés, l’un est dit opposé à l’autre, dans la mesure où il l'exclut lui-même, car la négation exclut l’affirmation et c'est en cela qu'elle lui est opposée, mais l’opposition de privation, de possession et de contrariété inclut celle de contradiction, comme il est dit en Métaphysique (IV, 3, 1005 b 25). Mais cela n’est pas dans les relatifs. Car le fils n’est pas opposé au père, parce qu’il l’exclut lui-même, mais à cause de la nature de sa relation avec lui:

Et ex hoc causatur secunda differentia, quia in aliis oppositis semper alterum est imperfectum; quod accidit ratione negationis quae includitur in privatione et altero contrariorum. Hoc autem in relativis non oportet, immo utrumque considerari potest ut perfectum, sicut patet maxime in relativis aequiparantiae, et in relativis originis, ut aequale, simile, pater et filius. Et ideo relatio magis potest attribui Deo quam aliae oppositiones. Ratione quidem primae differentiae potest attendi oppositio relationis inter creaturam et Deum, non autem alia oppositio,- cum ex Deo sit magis creaturarum positio quam earum remotio; est tamen aliqua habitudo, creaturarum ad Deum. Ratione vero secundae differentiae est in ipsis divinis personis (in quibus nihil imperfectum esse potest) oppositio relationi, et non alia, ut posterius, apparebit.

b) Et cela cause une seconde différence, parce que, dans les autres opposés, l’autre est toujours imparfait, ce qui arrive par la nature de la négation qui est incluse dans la privation et dans l’autre des contraires. Mais il ne faut pas dans les relatifs, que l’un et l’autre puissent être considérés comme parfaits, comme cela paraît au plus haut point dans les relatifs d’équivalence et dans ceux d'origine, en tant qu'égal, semblable, père et Fils. Et c’est pourquoi la relation peut davantage être attribuée à Dieu que les autres oppositions. Par la nature de la première différence, on peut atteindre l’opposition de relation entre la créature et Dieu, mais non une autre opposition — puisque la situation des créatures vient plus de Dieu que leur éloignement; cependant il y a une relation des créatures à Dieu. Mais par la nature de la seconde différence, il y a dans les personnes divines mêmes (en qui rien ne peut être imparfait) une opposition à la relation et non une autre opposition comme cela apparaîtra plus loin (question 8).

q. 7 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum fieri sit proprie mutari, non est secundum relationem nisi per accidens, scilicet mutato eo ad quod consequitur relatio: ita nec fieri. Corpus enim mutatum secundum quantitatem fit aequale, non quod mutatio per se aequalitatem respiciat, sed per accidens se habet ad ipsam. Et tamen non oportet, ad hoc quod de aliquo relatio aliqua de novo dicatur, quod aliqua mutatio in ipso fiat, sed sufficit quod fiat mutatio in aliquo extremorum: causa enim habitudinis inter duos est aliquid inhaerens utrique. Unde ex quacumque parte fiat mutatio illius quod habitudinem causabat, tollitur habitudo quae est inter utrumque. Et secundum hoc, per hoc quod in creatura aliqua mutatio fit, aliqua relatio de Deo incipit dici. Unde ipse non potest dici factus,- nisi metaphorice,- quia se habet ad similitudinem facti, in quantum de Deo aliquid novum dicitur. Et sic dicimus: domine, refugium factus es nobis.

# 5. Comme être fait c’est à proprement parler subir un changement, ce n’est selon la relation que par accident, à savoir une fois changé ce qu’atteint la relation. Ainsi il en est de même pour ne pas être fait. Car un corps changé en quantité devient égal, non parce que le changement atteint en soi l’égalité, mais il se comporte vis-à-vis d'elle par accident. Et cependant il ne faut pas parler de relation nouvelle si un changement se fait en quelque chose, mais il suffit que le changement se fasse dans l’un des extrêmes; car la cause de la relation entre deux choses est quelque chose d’inhérent à l’un et à l’autre. C'est pourquoi le changement se fait de chaque côté de ce qui causait la relation; celle qui était entre l’un et l’autre est exclue. Et par le fait que dans la créature il se fait un changement, on peut commencer à parler d’une relation à Dieu. C'est pourquoi on ne peut pas dire qu’il est lui-même fait — sinon métaphoriquement — parce qu’il se comporte à la ressemblance de ce qui est fait dans la mesure où on parle de quelque chose de nouveau pour lui. Et ainsi nous disons: "Seigneur, tu es devenu pour nous un refuge" (Ps. 89, 1).

q. 7 a. 8 ad 6 Ad sextum dicendum, quod huiusmodi relationes cum Deo dici incipiant propter mutationem in creatura factam, patet quod causa quare de Deo dicantur, est ex parte creaturae, et per accidens de Deo dicuntur. Non quidem accidens quod in Deo sit, ut Augustinus dicit, sed secundum aliquid extra ipsum existens, quod ad ipsum accidentaliter comparatur. Non enim esse Dei a creatura dependet, sicut nec esse aedificatoris a domo. Unde sicut accidit aedificatori quod domus sit, ita Deo quod creatura. Omne enim dicimus per accidens se habere ad aliquid, sine quo illud esse potest.

# 6. Si on commence à parler des relations de ce genre avec Dieu à cause du changement opéré dans la créature, il est clair que la cause pour laquelle on n'en parle pas en Dieu vient du côté de la créature et on en parle pour Dieu par accident. Ce n'est pas un accident qui serait en Dieu, comme le dit Augustin, mais qui existe selon la relation hors de lui; parce qu'il lui est accouplé accidentellement. Car l’être de Dieu ne dépend pas de la créature, comme celui du bâtisseur ne dépend pas de la maison non plus. C'est pourquoi c'est comme un accident pour lui que la maison existe, de même pour Dieu que la créature existe. Car nous appelons accidentel tout ce qui se comporte vis-à-vis de ce sans quoi il ne pourrait être autre.

 

1 Ia, qu. 28, a. 1 ad 3 — I Sent. d14q1a1 — CG II, 11.

2 "On appelle relatives ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles sont dites dépendre d'autres choses, ou se rapporter de quelque autre façon à autre chose.(Catégories, 7, 6a 36) — 7 b 15: "Il semble bien qu'entre les relatifs il y ait simultanéité naturelle" Mais il ajoute plus loin (7 b 23):"Cependant il n'est pas vrai, semble-t-il bien, que dans tous les cas, les relatifs soient naturellement simultanés"

3 "Créateur dit relation à la créature."

4 On retrouve la même chose en Pot. 7, 2, c (§2).

5 Thomas distingue l'aspect accident, la relation est dans le substrat et l'aspect relation ou ordre: elle est pour un autre en tant que passant en lui. Pot. qu.7, a. 9, ad 7.

6 Ce n’est un hasard si Thomas cite les disciples de Gilbert de la Porrée, après Boèce. Ce dernier avait dit: "Quand on dit Dieu, le Père, Dieu, le Fils, Dieu, l’Esprit saint, la répétition semble plus qu’une énumération." Gilbert, évêque de POITIERS (vers 1076 -? 1154) l’interpétait comme une répétition. Il admettait une distinction réelle entre la divinité et les relations constitutives des trois personnes en Dieu: "Les trois personnes sont éternelle, les relations, propriétés, singularités ou unités, etc. qui sont en Dieu, ne sont pas éternelles et ne sont pas Dieu" (texte condamné). Gilbert fut attaqué au concile de Reims qui se réunit en présence du pape Eugène, le 21 mars 1148. Gilbert obtint, grâce à un plaidoirie habile, que le pape ne condamne pas les chapitres qu’il avait écrit comme hérétiques. Saint Bernard attaque dans son œuvre Sur le Cantique (80, 6), non Gilbert lui-même, mais ceux qui lisent ou répandent l’ouvrage incriminé.

7 7. Cf. Ia, qu. 28, a. 2, c "[Gilbert] a dit que les relations en Dieu sont"assistantes", c'est-à-dire accolées au dehors. (extrinsèques affixae." ] Cf. Pot. 7, 9, ad 7.

8 8. Le fait que l'agent agisse n'amène pas composition d'un agent et d'une action.

9 225 b 10: "Pas de mouvement pour la relation…226 a 23: "Puisqu'il n'y a pas de mouvement, ni de la substance, ni du relatif, ni de l'action et passion, reste qu'il y a seulement mouvement selon la qualité, la quantité et le lieu; car dans chacune de ces catégories, il y a contrariété." (Trad. H. CARTERON)

10 Cf. BOÈCE, Trin. V, si on supprime, dit-il en substance, le terme "esclave" dans la relation maître esclave, on supprime le terme "maître", mais si on supprime le terme "blanc" on ne supprime pas ce qui est blanc.

11 Thomas démontre ainsi l’assertion (n° 331): "Toutes les puissances infinies dépendent d’un premier infini qui est la Puissance des puissances. Il faut donc que plus cette puissance a été proche de cette première puissance, plus elle participe à son infinité, mais cette puissance première est unique par essence. Il faut donc que, plus une chose est unique, plus infinie soit sa puissance. Et de là vient que la puissance de l’intelligence qui est première parmi les puissances causées infinies, est tout à fait infinie en tant que plus proche de l’UN premier. Mais du fait que les puissances qui sont multipliées soient défaillantes par rapport à l’unité, leur pouvoir en est limité."

12 A comprendre comme cause et effet.

13 En Ia, qu. 13, a 7, ad 6, il dit plus clairement que si l’une des deux inclut l’autre et réciproquement, alors elles sont simultanées. Si l’une inclut, sans que ce soit réciproque, alors il n’y a pas simultanéité.

 

 

Article 9: De telles relations entre les créatures et Dieu sont-elles réellement en elles? i

q. 7 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum huiusmodi relationes, quae sunt inter creaturas et Deum, sint realiter in ipsis creaturis. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 7 a. 9 arg. 1 Aliquae enim relationes inveniuntur in quibus ex nulla parte relatio aliquid realiter ponit, sicut Avicenna dicit de relatione quae est inter ens et non ens. Sed nulla extrema relationis magis ad invicem distant quam Deus et creatura. Ergo ista relatio non ponit aliquid realiter ex parte neutra.

1. Car on trouve des relations dans lesquelles la relation n’établit rien de reel d’aucun côté., comme Avicenne le dit (Métaphysique, IV, ch. 102 ) de la relation entre l’étant et le non étant. Mais aucune des extrémités réciproques de la relation n’est plus distante que Dieu et la créature. Donc cette relation n’établit réellement rien d'aucun côté.

q. 7 a. 9 arg. 2 Praeterea, omne illud negandum est ad quod sequitur processus in infinitum. Sed si in creatura relatio ad Deum sit res aliqua, erit procedere in infinitum: relatio enim illa aliquid creatum erit, si est res quaedam; et ita erit alia relatio ipsius ad Deum pari ratione, et sic in infinitum. Non ergo ponendum est quod in creatura ad Deum relatio sit res aliqua.

2. Il faut nier tout ce pour quoi découle une progression à l’infini. Mais si dans la créature la relation à Dieu est une réalité, il faudra aller jusqu'à l’infini: car cette relation sera quelque chose de créé, si elle est réelle et ainsi ce sera une autre relation d'elle-même à Dieu à raison égale, et ainsi à l’infini. Il ne faut donc pas penser que la relation à Dieu est réelle dans la créature.

q. 7 a. 9 arg. 3 Praeterea, nihil refertur nisi ad determinatum et unum; unde duplum non refertur ad quodlibet, sed ad dimidium, et pater ad filium, et sic de aliis. Oportet ergo secundum differentiam eorum quae referuntur, esse differentias eorum ad quae fit relatio. Sed Deus est unum ens simpliciter. Ergo non potest ad ipsum fieri relatio omnium creaturarum, aliqua relatione reali.

3. Rien n’est en rapport qu’avec quelque chose de déterminé et d’unique (comme il est dit en Métaphysique, IV, 15, 1020 b 32 ss.); ainsi le double ne se réfère pas à n’importe quoi, mais à la moitié, le père au fils et ainsi de suite. Donc il faut donc que selon la différence de ce qui se réfère, il y ait les différences de ce pour quoi se fait la relation. Mais Dieu est un être absolument un. Donc la relation de toutes les créatures ne peut pas être établie pour lui par une relation réelle.

q. 7 a. 9 arg. 4 Praeterea, secundum hoc, creatura refertur ad Deum secundum quod ab ipso procedit. Sed creatura procedit a Deo secundum ipsam substantiam. Ergo secundum suam substantiam refertur ad Deum, et non secundum aliquam relationem supervenientem.

4. La créature se réfère à Dieu selon qu'elle procède de lui. Mais la créature procède de Dieu selon la substance même. Donc c'est par elle qu'elle se réfère à Dieu et non par une relation ajoutée.

q. 7 a. 9 arg. 5 Praeterea, relatio est aliquid medium inter extrema relationis. Sed nihil potest esse realiter medium inter Deum et creaturam immediate a Deo creatam. Ergo relatio ad Deum non est aliqua res in creatura.

5. La relation est quelque chose d'intermédiaire entre les extrêmes de la relation. Mais rien ne peut être réellement intermédiaire entre Dieu et la créature qu'il a créée sans intermédiaire. Donc la relation à Dieu n'est pas une réalité dans la créature.

q. 7 a. 9 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit, quod si omnia apparentia essent vera, res sequeretur opinionem nostram et sensum. Sed constat quod omnes creaturae sequuntur aestimationem, sive scientiam, sui creatoris. Ergo creaturae omnes substantialiter referuntur ad Deum, et non per aliquam relationem inhaerentem.

6. Le philosophe (Métaphysique IV, 5, 1010 a 73) dit que, si tout ce qui apparaît était vrai, la réalité découlerait de notre opinion et nos sens. Mais il est clair que toutes les créatures découlent de l'évaluation ou de la science de leur créateur. Donc toutes se réfèrent substantiellement à Dieu et non par une relation inhérente.

q. 7 a. 9 arg. 7 Praeterea, inter quae est maior distantia, minus videtur esse relatio. Sed est maior distantia creaturae ad Deum quam unius creaturae ad aliam. Non est autem relatio creaturae ad creaturam res aliqua, ut videtur, nam cum non sit substantia, oportet quod sit accidens; et ita, quod subiecto insit, et quod ab eo removeri non possit sine mutatione subiecti: cuius contrarium supra de relatione est dictum. Ergo nec relatio creaturae ad Deum est res aliqua.

7. La relation paraît plus petite entre ce en quoi la distance est plus grande. Mais la distance de la créature à Dieu est plus grande que celle d'une créature à une autre. Et la relation d'une créature à une autre n'est pas réelle, à ce qu'il semble, car, comme la relation n'est pas substance, il faut qu'elle soit accident; et ainsi, qu'elle soit dans un substrat, et qu'elle ne puisse en être exclue sans changement de substrat; on a dit ci-dessus le contraire pour la relation. Donc celle de la créature à Dieu n'est pas réelle.

q. 7 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut ens creatum distat a non ente in infinitum, ita etiam a Deo in infinitum distat. Sed inter ens creatum et non ens purum, non est aliqua relatio, ut Avicenna dicit. Ergo nec inter ens creatum et ens increatum.

8. L'étant créé est éloigné du non étant à l'infini, de même il est éloigné de Dieu à l'infini. Mais entre l'étant créé et le pur néant, il n'y a aucune relation, comme Avicenne le dit (Métaphysique, IV, 11). Donc ni entre l'étant créé, et l'étant incréé.

En sens contraire:

q. 7 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit: quod temporaliter dici incipit Deus quod antea non dicebatur, manifestum est relative dici, non tamen secundum accidens Dei, quod ei aliquid acciderit; sed plane secundum accidens eius ad quod Deus incipit dici relative. Sed accidens res aliqua in subiecto est. Ergo relatio ad Deum est res aliqua in creatura.

1. Augustin dit (La Trinité, V, 164) "Le fait qu'on commence à dire de Dieu temporairement ce qu'on ne disait pas auparavant manifeste qu'on parle de relation", non cependant selon un accident en Dieu, parce que quelque chose lui serait arrivé, mais absolument, selon l'accident de ce en quoi Dieu commence à être appelé de façon relative. Mais l'accident est une réalité dans le sujet. Donc la relation à Dieu est quelque chose dans la créature.

q. 7 a. 9 s. c. 2 Praeterea, omne quod refertur ad aliquid per sui mutationem realiter refertur ad ipsum. Sed creatura refertur ad Deum per sui mutationem. Ergo realiter refertur ad Deum.

2. Tout ce qui se rapporte à quelque chose par son changement se réfère réellement à lui-même. Mais la créature se réfère à Dieu par son changement. Donc elle se réfère réellement à lui.

Réponse:

q. 7 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod relatio ad Deum est aliqua res in creatura. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut dicit Commentator in XI Metaph., quia relatio est debilioris esse inter omnia praedicamenta, ideo putaverunt quidam eam esse ex secundis intellectibus. Prima enim intellecta sunt res extra animam, in quae primo intellectus intelligenda fertur. Secunda autem intellecta dicuntur intentiones consequentes modum intelligendi: hoc enim secundo intellectus intelligit in quantum reflectitur supra se ipsum, intelligens se intelligere et modum quo intelligit.

Il faut dire que la relation à Dieu est une réalité dans la créature. Pour éclaircir cette question, il faut savoir que, comme le dit le Commentateur en Métaphysique, XI, (texte 19), parce que la relation est d’un être plus faible parmi toutes les catégories, certains5 ont pensé qu’elle venait des intellections secondes6. Car ce qui est compris en premier, c'est ce qui est hors de l’âme7 que l'intellect est d'abord porté à saisir. Mais on appelle ce qui est compris en second les concepts qui découlent du mode d'intellection; car cela l’esprit le comprend en second dans la mesure où il réfléchit en comprenant qu'il se comprend et le mode par lequel il comprend.

Secundum ergo hanc positionem sequeretur quod relatio non sit in rebus extra animam, sed in solo intellectu, sicut intentio generis et speciei, et secundarum substantiarum.

Il découlerait de cette opinion que la relation ne serait pas dans la réalité [qui est] hors de l'âme, mais dans l'esprit seulement, comme le concept de genre, d’espèce et de substances secondes.

Hoc autem esse non potest. In nullo enim praedicamento ponitur aliquid nisi res extra animam existens. Nam ens rationis dividitur contra ens divisum per decem praedicamenta ut patet V Metaph. Si autem relatio non esset in rebus extra animam non poneretur ad aliquid unum genus praedicamenti. Et praeterea perfectio et bonum quae sunt in rebus extra animam, non solum attenditur secundum aliquid absolute inhaerens rebus, sed etiam secundum ordinem unius rei ad aliam, sicut etiam in ordine partium exercitus, bonum exercitus consistit: huic enim ordini comparat philosophus ordinem universi.

Mais cela n'est pas possible. Car, on ne place en aucune catégorie ce qui existe hors de l'âme. Car l'étant de raison est séparé de l'étant qui se divise en dix catégories, comme cela apparaît en Métaphysique (V, 7, 1017 a 238). Mais, si la relation n'était pas dans la réalité hors de l'âme, on ne la placerait pas comme un genre de catégorie. Et en outre, la perfection et le bien qui sont dans la réalité hors de l'âme, non seulement sont atteints selon une relation absolument inhérente aux choses, mais selon un rapport de l'un à l'autre, de même le bien de l'armée consiste dans l'ordre de ses parties: car c'est à lui que le philosophe compare l'ordre de l'univers. (Métaphysique XII, 1075 a 11).

Oportet ergo in ipsis rebus ordinem quemdam esse; hic autem ordo relatio quaedam est. Unde oportet in rebus ipsis relationes quasdam esse, secundum quas unum ad alterum ordinatur. Ordinatur autem una res ad aliam vel secundum quantitatem, vel secundum virtutem activam seu passivam. Ex his enim solum duobus attenditur aliquid in uno, respectu extrinseci. Mensuratur enim aliquid non solum a quantitate intrinseca, sed etiam ab extrinseca. Per virtutem etiam activam unumquodque agit in alterum et per passivam patitur ab altero; per substantiam autem et qualitatem ordinatur aliquid ad seipsum tantum, non ad alterum, nisi per accidens; scilicet secundum quod qualitas,- vel forma substantialis aut materia,- habet rationem virtutis activae vel passivae, et secundum quod in eis consideratur aliqua ratio quantitatis, prout unum in substantia facit idem, et unum in qualitate simile, et numerus, sive multitudo, dissimile et diversum in eisdem, et dissimile secundum quod aliquid magis vel minus altero consideratur: sic enim albius aliquid altero dicitur. Et propter hoc philosophus in V Metaph. species assignans relationis, quasdam ponit ex quantitate causatas, quasdam vero ex actione et passione.

Il faut donc qu’il y ait un rapport dans les choses mêmes, et ce rapport est une relation. C'est pourquoi, il faut qu’il y ait des relations dans les choses, selon lesquelles l’une est ordonnée à l’autre. Mais une chose est ordonnée à une autre, selon la quantité ou selon la puissance active ou passive9. Car c'est seulement par ces deux relations qu'une chose est atteinte dans une autre par un rapport extérieur. Car une chose est mesurée non seulement par une quantité intérieure mais aussi extérieure. Mais par la puissance active chacun agit sur l’autre et par la puissance passive supporte de l'autre. Par sa substance et sa qualité une chose est ordonnée à elle-même seulement, non à une autre, sinon par accident, c’est-à-dire selon que la qualité — ou la forme substantielle ou la matière — a raison de puissance active ou passive, et selon qu'on considère une notion de quantité en elles, selon que l’un fait le même dans la substance, et l'autre du semblable dans la qualité et le nombre ou la pluralité, du différent et du divers dans les mêmes, et dissemblable selon que quelque chose est considéré en plus ou en moins dans l’autre; en effet on dit ainsi qu'une chose est plus blanche qu’une autre. Et c’est pour cela que le Philosophe (Métaphysique V, 1021 a 15 ss.) en attribuant l’espèce de relation pense que quelques-unes sont causées par la quantité, mais quelques autres par l’action et la passion.

Sic ergo oportet quod res habentes ordinem ad aliquid, realiter referantur ad ipsum, et quod in eis aliqua res sit relatio. Omnes autem creaturae ordinantur ad Deum et sicut ad principium et sicut ad finem, nam ordo qui est partium universi ad invicem, est per ordinem qui est totius universi ad Deum; sicut ordo qui est inter partes exercitus, est propter ordinem exercitus ad ducem, ut patet XII Metaph. Unde oportet quod creaturae realiter referantur ad Deum, et quod ipsa relatio sit res quaedam in creatura.

Ainsi donc il faut que ce qui a un rapport à une chose, se réfère réellement à elle et qu'en elle quelque chose soit la relation. Mais toutes les créatures sont ordonnées à Dieu comme à leur principe et à leur fin; car l’ordre qui concerne ces parties de l’univers entre elles, dépend de celui de tout l’univers à Dieu, comme l’ordre qui est entre les parties de l’armée est en raison de l’ordre de l’armée au général, comme on le voit en Métaphysique (XII, 10, 1075 a 12). C'est pourquoi il faut que les créatures se réfèrent réellement à Dieu et que cette relation soit une réalité dans la créature.

Solutions:

q. 7 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliqua relatio est inter creaturas ad invicem quae in neutro extremorum aliquid ponat, non est propter creaturarum distantiam, sed propter hoc quod aliqua relatio non attenditur secundum ordinem aliquem qui sit in rebus, sed secundum ordinem qui est in intellectu tantum; quod non potest dici de ordine creaturarum ad Deum.

# 1. S'il existe une relation des créatures entre elles, qui ne place rien dans aucun des deux extrêmes, ce n'est pas en raison de la distance des créatures, mais parce qu'une relation n'est pas atteinte selon un ordre qui serait dans la réalité, mais dans l'esprit seulement; ce qu'on ne peut pas dire du rapport des créatures à Dieu.

q. 7 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes ipsae non referuntur ad aliud per aliam relationem sed per se ipsas, quia essentialiter relationes sunt. Non autem est simile de his quae habent substantiam absolutam; unde non sequitur processus in infinitum.

# 2. Les relations elles-mêmes ne se réfèrent pas à autre chose par une autre relation mais par elles-mêmes, parce qu'elles sont essentiellement relations. Mais ce n'est pas pareil pour ce qui a une substance absolue; c'est pourquoi le processus ne va pas à l'infini.

q. 7 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus ibidem concludit, quod si omnia referantur ad optimum, oportet infinitum specie esse optimum. Et sic ad id quod est infinitum specie, nihil prohibet infinita referri. Tale autem est Deus, cum perfectio suae substantiae ad nullum genus determinetur, ut supra habitum est. Et propter hoc nihil prohibet infinitas creaturas ad Deum referri.

# 3. Le philosophe conclut là même (Métaphysique, IV, 15, 1020 b 32 ss.) que si tout est référé au meilleur, il faut que l'infini en espèce soit le meilleur. Et ainsi pour ce qui est de l'infini en espèce, rien n'empêche ce qui est infini de s'y référer. Mais tel est Dieu, puisque la perfection de sa substance n'est déterminée à aucun genre, comme on l'a vu plus haut. Et à cause de cela rien n'empêche des créatures infinies de se référer à Dieu.

q. 7 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod creatura refertur ad Deum secundum suam substantiam, sicut secundum causam relationis; secundum vero relationem ipsam formaliter; sicut aliquid dicitur simile secundum qualitatem causaliter, secundum similitudinem formaliter: ex hoc enim creatura similis denominatur.

# 4. La créature se réfère à Dieu selon sa substance, de même que selon la cause de la relation, mais formellement selon la relation même; de même on dit que quelque chose est semblable selon la cause, quand à la qualité et formellement quant à la ressemblance, car c'est à cause de cela que l'on définit la créature comme semblable.

q. 7 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur creatura immediate a Deo procedere, excluditur causa media creans, non tamen excluditur mediata realis habitudo, quae naturaliter sequitur ad productionem creaturae; sicut aequalitas sequitur productionem quantitatis indeterminate, ita habitudo realis naturaliter sequitur ad productionem substantiae creatae.

# 5. Quand on dit que la créature procède de Dieu sans intermédiaire, on exclut la cause créatrice intermédiaire, cependant on n'exclut pas la relation réelle intermédiaire, qui naturellement se rattache à la production de la créature; de même que l'égalité découle de façon indéterminée du changement de la quantité; de même la relation réelle découle naturellement pour la production de la substance créée.

q. 7 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creaturae sequuntur Dei scientiam sicut effectus causam, non sicut propriam rationem essendi, ut sic nihil aliud sit creaturam esse quam a Deo sciri. Hoc autem modo ponebant, dicentes omnia apparentia esse vera, et rem sequi opinionem et sensum, ut scilicet unicuique hoc esset esse quod ab alio sentiri vel opinari.

# 6. Les créatures découlent de la science de Dieu10, comme l'effet de sa cause, non comme propre raison d'être, de sorte qu'ainsi être créature n'est rien d'autre que d'être connu par Dieu. C'est ainsi qu'ils11 le pensaient, disant que tout ce qui est apparence est vrai et que l'opinion et les sens suivent la réalité, de sorte que pour cet être serait ce qui est senti et pensé par un autre.

q. 7 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ipsa relatio quae nihil est aliud quam ordo unius creaturae ad aliam, aliud habet in quantum est accidens et aliud in quantum est relatio vel ordo. In quantum enim accidens est, habet quod sit in subiecto, non autem in quantum est relatio vel ordo; sed solum quod ad aliud sit quasi in aliud transiens, et quodammodo rei relatae assistens. Et ita relatio est aliquid inhaerens, licet non ex hoc ipso quod est relatio; sicut et actio ex hoc quod est actio, consideratur ut ab agente; in quantum vero est accidens, consideratur ut in subiecto agente. Et ideo nihil prohibet quod esse desinat huiusmodi accidens sine mutatione eius in quo est, quia sua ratio non perficitur prout est in ipso subiecto, sed prout transit in aliud; quo sublato, ratio huius accidentis tollitur quidem quantum ad actum, sed manet quantum ad causam; sicut et subtracta materia, tollitur calefactio, licet maneat calefactionis causa.

# 7. La relation elle-même, qui n'est rien d'autre que le rapport d'une créature à une autre, a quelque chose de différent en tant qu'accident et en tant que relation ou rapport. Car en tant qu'elle est accident, elle est dans un substrat, mais pas en tant que relation ou ordre, mais elle est seulement relation pour un autre en tant que passant en lui, et d'une certaine manière assistante pour ce qui est12. Et de même cette relation est quelque chose d'inhérent, bien que ce ne soit pas du fait qu'elle est relation: et de même l'action, en tant que telle, est considérée comme venant d'un agent, mais en tant qu'accident, elle est considérée comme dans le substrat agent. Et ainsi rien n'empêche qu'elle cesse d'être un accident de ce genre sans changement de ce en quoi elle est, parce que sa nature n'est pas achevée du fait qu'elle est dans le sujet même, mais du fait qu'elle passe dans un autre; si on l'exclut, la nature de cet accident est enlevé, quant à l'acte mais elle demeure quant à la cause, comme une fois la matière soustraite, le réchauffement est enlevé, bien que sa cause demeure.

q. 7 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ens creatum non habet ordinem ad non ens, habet autem ordinem ad ens increatum; et ideo non est simile.

# 8. L'étant créé n'a pas de relation au non étant, mais il en a une à l'étant incréé, et ainsi ce n'est pas pareil.

 

1 Parall: Ia, qu. 13, 7 - Ia, qu. 34, a. 3, ad 2 — qu. 6 a. 2 ad 1— qu. 28 a.1 ad 3; a.4, c — qu. 45, a.3, ad 1 — IIIa , 2, 7 c — I Sent. d30a1 — d37q2a3 — De Verit. q. 4, a.5 — Pot. q. 3, a. 3.

2 . Cf. Pot. 3, 4 Non entis enim ad ens…Pot. 3, 1 ad 7. Boèce –

3 Thomas, lectio 12, n° 683.

4 p. 466 là où il y a (924), cité mot à mot. Trad. BA.

5 Peut-être Avicebron (La source vie) "ce que l'intelligence distingue doit être également distingué dans la réalité." Ia, qu. 50, a. 2, c.

6 Sur le fonctionnement de l'intellect et les intellection première et seconde, voir qu. 1, a. 1, sol. 10.et 8, 1, obj. 2, avec même référence."On appelle substances secondes les espèces dans lesquelles les substances prises au sens premier sont contenues, et aux espèces, il faut ajouter les genres de ces espèces." (Catégories, 5, 20, 14).

7 Cette expression, reprise plusieurs fois, semble une insistance: l'intellection première, la relation sont des réalités. Ce n'est pas ce que l'agent conçoit.

8 "L'être par essence reçoit toutes les acceptions qui sont indiquées par les types de catégories, car les sens de l'être sont en nombre égal à ces catégories."

9 Quantité, fondement de la relation égalité, inégalité. L'action et la passion, fondements de la relation de cause. Aristote, Métaphysique , V, 15, 1021 a 15. La relation de l'actif au passif est relation de la puissance active à la puissance passive et des actes de ces puissances.

10 Cf. Ia, qu. 14, a. 8.

11 C'est-à-dire les philosophes. Cf. l'objection. .

12 Cf. Pot. 7, 8, c note C'est l'opinion de Gilbert de la Porrée.

 

 

Article 10: Dieu se réfère-t-il à la créature, de telle sorte que cette relation soit une réalité en lui?

q. 7 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum Deus realiter referatur ad creaturam, ita quod ipsa relatio sit res aliqua in Deo. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1.

Objections:

q. 7 a. 10 arg. 1 Movens enim realiter refertur ad motum; unde philosophus, V Metaph., ponit relationem moventis et moti ut species praedicamenti relationis. Sed Deus comparatur ad creaturam ut movens ad motum. Ergo refertur realiter ad creaturam.

1. Car le moteur est réellement en relation avec le mû; c'est pourquoi le philosophe (Physique, V, 2, 225 b 10) place la relation du moteur et du mû comme une espèce de catégorie de relation. Mais Dieu est comparé2 à la créature comme le moteur au mû. Donc il se réfère réellement à la créature.

q. 7 a. 10 arg. 2 Sed diceretur, quod movet creaturas sine sui mutatione; et ideo non realiter refertur ad rem motam.- Sed contra, unum, relative oppositorum, non est causa quod alterum dicatur de eodem: non enim propter hoc aliquid est duplum, quia est dimidium; nec ideo Deus est pater, quia est filius. Si ergo movens et motum relative dicuntur, non ideo relatio moventis est in aliquo, quia est in eo relatio moti. Quod ergo Deus non movetur non impedit quin realiter referatur ut movens ad motum.

2. Mais on pourrait dire qu'il meut les créatures sans changement pour lui et c'est pourquoi il ne se réfère pas réellement à ce qui est mû.— En sens contraire, l'un, relativement aux opposés, n'est pas une raison pour parler d'une même chose à propos d'un autre. Car une chose n'est pas double, parce qu'elle est moitié; et ainsi Dieu n'est pas Père, parce qu'il y a le Fils. Si donc on parle relativement du moteur et du mû, ce n'est pas parce que la relation du moteur est dans une chose, parce qu’il y a en lui une relation de mû. Donc que Dieu ne soit pas mû, n'empêche pas qu'il soit réellement en relation comme le moteur à ce qui est mû.

q. 7 a. 10 arg. 3 Praeterea, sicut pater dat esse filio, ita creator dat esse creaturae. Sed pater realiter refertur ad filium. Ergo et creator ad creaturam.

3. De même que le Père donne l'être au Fils, le Créateur donne l'être à la créature. Mais le Père se réfère réellement aux Fils. Donc le Créateur à la créature aussi.

q. 7 a. 10 arg. 4 Praeterea, ea quae proprie dicuntur de Deo et non metaphorice, rem significatam ponunt in Deo. Sed inter ista nomina commemorat Dionysius hoc nomen dominus. Ergo res significata per hoc nomen dominus, realiter est in Deo. Haec autem est relatio ad creaturam. Ergo, et cetera.

4. Ce qui est dit proprement de Dieu, sans métaphore, place ce qui est signifié en Dieu. Mais Denys rappelle, parmi ces noms, celui de Seigneur (Les Noms divins, 1). Donc ce qui est signifié par ce nom Seigneur est réellement en Dieu. Mais c'est une relation à la créature. Donc, etc.

q. 7 a. 10 arg. 5 Praeterea, scientia realiter refertur ad scibile, ut patet V Metaph. Sed Deus comparatur ad res creatas ut sciens ad scitum. Ergo in Deo est aliqua relatio ad creaturam.

5. La connaissance se réfère réellement au connaissable, comme on le voit en Métaphysique (V, 15, 1021 a 26-313). Mais Dieu est comparé aux créatures comme celui qui connaît au connu. Donc en Dieu il y a une relation à la créature.

q. 7 a. 10 arg. 6 Praeterea, illud quod movetur, semper habet realem relationem ad movens. Sed voluntas comparatur ad volitum ut ad movens motum: nam appetibile est movens non motum; appetitus, movens motum, ut dicitur XII Metaph. Cum ergo Deus velit res esse, videtur quod realiter referatur ad creaturam.

6. Ce qui est mû a toujours une relation réelle avec le moteur. Mais la volonté est comparée à ce qui est voulu, comme le mû au moteur; car l'appétible est moteur non mû, l'appétit un moteur mû, comme il est dit en Métaphysique, ( XII, 7, 1072 a 26). Donc comme Dieu veut que les choses existent (Car "tout ce qu'il a voulu, il l'a fait." Ps. 113, 314), il semble qu'il est réellement en relation avec les créatures.

q. 7 a. 10 arg. 7 Praeterea, si Deus ad creaturas non referatur, non videtur esse alia ratio, nisi quia a creaturis non dependet, et quia creaturas excedit. Sed similiter corpora caelestia a corporibus elementaribus non dependent, et ea quasi improportionaliter excedunt. Ergo secundum hoc sequeretur quod nulla esset realis relatio corporum superiorum ad inferiora.

7. Si Dieu ne se réfère pas aux créatures, il n'y a pas d'autre raison, semble-t-il, sinon qu'il ne dépend pas des créatures, et qu'il les surpasse. Mais de la même manière les corps célestes ne dépendent pas des corps élémentaires et les surpassent pour ainsi dire sans aucune proportion. Donc il en découlerait qu'il n'y aurait aucune relation réelle des corps supérieurs aux corps inférieurs.

q. 7 a. 10 arg. 8 Praeterea, omnis denominatio est a forma. Forma autem est aliquid inhaerens ei cuius est. Cum ergo Deus nominetur a relationibus ad creaturam, videtur quod ipsae relationes aliquid sint in Deo.

8. Toute dénomination vient de la forme. Mais elle est quelque chose d'inhérent à ce dont elle est. Donc comme Dieu est nommé par les relations aux créatures, il semble que celles-ci soient réelles en Dieu.

q. 7 a. 10 arg. 9 Praeterea, proportio, quaedam relatio realis est, sicut duplum ad dimidium; sed aliqua proportio videtur esse Dei ad creaturam, cum inter movens et motum oporteat esse proportionem. Ergo videtur quod Deus ad creaturam realiter referatur.

9. La proportion est une relation réelle, comme le double à la moitié; mais il semble qu'il y ait une proportion de Dieu à la créature, puisque, entre le moteur et le mû, il faut qu'il y ait une proportion. Donc il semble que Dieu se réfère réellement à la créature.

q. 7 a. 10 arg. 10 Praeterea, cum intellectus sit rerum similitudines, et voces sint signa rerum, ut dicit philosophus, aliter ordinantur ista apud discipulum, et aliter apud doctorem. Doctor enim incipit a rebus in quibus scientiam accipit in suo intellectu, cuius conceptiones voces signant; discipulus autem incipit a vocibus per quas in conceptiones intellectus magistri pervenit; et ab eis in rerum cognitionem. Oportet autem quod huiusmodi quae de relationibus praedictis dicuntur, ab aliquo doctore sint prius accepta. Ergo apud eum huiusmodi nomina relativa consequuntur conceptiones intellectus sui, quae consequuntur rem; et ita videtur quod huiusmodi relationes sint reales.

10. Comme l'esprit est l'image des choses et les mots en sont les signes, comme le dit le philosophe (De l'Interprétation, I, 16 a 3-5), ils sont dans un ordre différent dans le disciple et le maître. Car celui-ci part de la réalité d'où il reçoit la connaissance dans son esprit, dont les conceptions définissent les mots, mais le disciple commence par les mots par lesquelles il parvient aux concepts de l'esprit du maître et d'elles à la connaissance de la réalité. Mais il faut que ce qui est dit de tel pour ces relations soit d'abord reçu par le maître. Donc chez lui de tels noms relatifs découlent des conceptions de son esprit qui découlent de la réalité et ainsi il semble que de telles relations sont réelles.

q. 7 a. 10 arg. 11 Praeterea, huiusmodi relativa quae de Deo dicuntur ex tempore, aut sunt relativa secundum esse, aut secundum dici. Si sunt relativa secundum dici, in neutro extremorum aliquid ponunt realiter. Hoc autem est falsum, secundum praedicta: nam in creatura relata ad Deum realiter existunt. Relinquitur ergo quod sunt relativa secundum esse; et ita videtur quod in utroque extremorum aliquid ponant realiter.

11. De tels relatifs signifiés temporellement pour Dieu, sont des relatifs quant à l'être, ou en parole5. Si elles sont transcendantales, elles ne placent réellement rien dans aucune des extrémités. Mais cela est faux d'après ce qui a été dit: car, dans les créatures, les relations à Dieu existent réellement. Il reste donc qu'elles sont des relations prédicamentales et ainsi il semble qu'elles placent réellement quelque chose à l'une et à l'autre des extrémités.

q. 7 a. 10 arg. 12 Praeterea, haec est natura relativorum, quod posito uno ponitur aliud, et uno interempto aliud interimitur. Si igitur in creatura est aliqua realis relatio, oportet quod in Deo relatio ad creaturam sit realis.

12. Il est de la nature des relatifs que, si on en place un, on place l'autre et si on enlève l'un, on enlève l'autre aussi. Si donc dans la créature il y a une relation réelle, il faut qu'en Dieu la relation à la créature soit réelle.

En sens contraire:

q. 7 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, V de Trin.: manifestum est Deum relative dici secundum accidens eius ad quod dici Deus aliquid incipit relative. Ergo videtur quod istae relationes dicantur de Deo, non secundum aliquid quod in ipso sit, sed secundum aliquid quod extra ipsum est; et ita nihil realiter in ipso ponunt.

1. Il y a ce que dit Augustin (La Trinité V, XVI, 17): "Il est clair qu'on parle relativemen de Dieu t à la suite de l’accident pour lequel Dieu commence à être appelé d’un nom relatif6". Donc il semble qu'on parle de ces relations en Dieu, non selon ce qui est en lui, mais hors de lui, et ainsi on ne place réellement rien en lui.

q. 7 a. 10 s. c. 2 Praeterea, sicut scibile est mensura scientiae, ita Deus est mensura omnium rerum, ut Commentator dicit, X Metaph. Sed scibile non refertur ad scientiam per relationem quae in ipso realiter sit, sed potius per relationem scientiae ad ipsum, ut patet per philosophum, V Metaph. Ergo videtur quod nec Deus dicatur relative ad creaturam propter aliquam relationem quae sit realiter in eo.

2. De même que le connaissable est la mesure de la connaissance, de même Dieu est la mesure de toutes choses, comme le dit le Commentateur (Métaphysique, X). Mais le connaissable ne se réfère pas à la connaissance par une relation qui est réellement en lui, mais plutôt par une relation de la connaissance en lui, comme on le voit chez le philosophe (Métaphysique, V, 15, 1021 a 287). Donc il semble qu'on ne parle pas de Dieu relativement à la créature à cause d'une relation qui est réellement en lui.

q. 7 a. 10 s. c. 3 Praeterea, Dionysius dicit: in causis et causatis non recipimus conversionem similitudinis: nam effectus dicitur similis causae, non autem e contrario. Eadem autem ratio videtur de relatione similitudinis et de aliis relationibus. Ergo videtur quod nec quantum ad alias relationes fiat conversio a Deo ad creaturam: ut quia creatura realiter refertur ad Deum, Deus realiter referatur ad creaturam.

3. Denys dit (les Noms divins, IX 913D8): "Dans les causes et les effets, nous ne prenons pas en compte la réciprocité de la ressemblance; car l'effet est dit semblable à la cause, mais pas le contraire." C'est la même raison qui semble exister pour la relation de ressemblance et les autres relations. Donc il semble que pour les autres relations non plus, il n'y a pas retour de Dieu à la créature, de sorte que, parce que la créature se réfère réellement à Dieu, Dieu se réfère réellement à elle.

Réponse:

q. 7 a. 10 co. Respondeo. Dicendum quod relationes, quae dicuntur de Deo ad creaturam, non sunt realiter in ipso. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum relatio realis consistat in ordine unius rei ad rem aliam, ut dictum est; in illis tantum mutua realis relatio invenitur in quibus ex utraque parte est eadem ratio ordinis unius ad alterum: quod quidem invenitur in omnibus relationibus consequentibus quantitatem. Nam cum quantitatis ratio sit ab omni sensibili abstracta, eiusdem rationis est quantitas in omnibus naturalibus corporibus. Et pari ratione qua unum habentium quantitatem realiter refertur ad alterum, et aliud ad ipsum.

Il faut dire que les relations de Dieu à la créature ne sont pas réellement en lui. Pour éclaircir la question, il faut savoir que, comme la relation réelle consiste dans le rapport d’une chose à une autre, comme on l’a dit, on trouve seulement une relation mutuelle réelle dans celles où de chaque côté il y a la même nature de rapport de l'une à l’autre: ce qu’on trouve dans toutes les relations qui dépendent de la quantité. En effet, comme la nature de la quantité est abstraite de ce qui est sensible, elle est de même nature dans tous les corps naturels. Et à raison égale, c'est pourquoi l’un de ceux qui a la quantité se réfère réellement à l’autre et l’autre à lui.

Habet autem una quantitas absolute considerata ad aliam ordinem secundum rationem mensurae et mensurati, et secundum nomen totius et partis, et aliorum huiusmodi quae quantitatem consequuntur. In relationibus autem quae consequuntur actionem et passionem, sive virtutem activam et passivam, non est semper motus ordo ex utraque parte. Oportet namque id quod semper habet rationem patientis et moti, sive causati, ordinem habere ad agens vel movens, cum semper effectus a causa perficiatur, et ab ea dependeat: unde ordinatur ad ipsam sicut ad suum perfectivum.

Une quantité considérée dans l’absolu a un rapport à une autre en raison de la mesure et du mesuré, et selon le nom du tout et de la partie et d’autres choses de ce genre qui découlent de la quantité. Mais dans les relations qui découlent de l’action et de la passion, soit de la puissance active et passive, le mouvement n'est pas toujours le rapport de l'une à l'autre. Car il faut que ce qui a toujours un rapport de patient, de mû, ou de causé, ait rapport à l’agent ou au moteur, puisque toujours l’effet est achevé par la cause, et en dépend. C'est pourquoi, il est en rapport avec elle comme à ce qui le rend parfait.

Agentia autem, sive moventia, vel etiam causae, aliquando habent ordinem ad patientia vel mota vel causata, in quantum scilicet in ipso effectu vel passione vel motu inductis, attenditur quoddam bonum et perfectio moventis vel agentis; sicut maxime patet in agentibus univocis quae per actionem suae speciei similitudinem inducunt, et per consequens esse perpetuum quod est possibile, conservant.

Les agents, les moteurs ou même les causes ont quelquefois rapport à ce qui subit, est mû ou est causé, dans la mesure où une fois induits dans l'effet lui-même, dans ce qui supporte ce qui est mû, sont atteintes une certain bien et la perfection du moteur ou de l'agent, comme c'est tout à fait manifeste dans les agents univoques qui par leur action induisent une ressemblance de leur espèce, et par conséquent conservent l’être perpétuel qui est possible.

Patet hoc etiam idem in omnibus aliis quae mota movent vel agunt vel causant; nam ex ipso suo motu ordinantur ad effectus producendos; et similiter in omnibus in quibus quodcumque bonum causae provenit ex effectu. Quaedam vero sunt ad quae quidem alia ordinantur, et non e converso, quia sunt omnino extrinseca ab illo genere actionum vel virtutum quas consequitur talis ordo; sicut patet quod scientia refertur ad scibile, quia sciens, per actum intelligibilem, ordinem habet ad rem scitam quae est extra animam. Ipsa vero res quae est extra animam, omnino non attingitur a tali actu, cum actus intellectus non sit transiens in exteriorem materiam mutandam; unde et ipsa res quae est extra animam, omnino est extra genus intelligibile. Et propter hoc relatio quae consequitur actum intellectus, non potest esse in ea.

On voit la même chose dans tous les autres qui meuvent, agissent ou causent; car par leur mouvement même ils sont ordonnés à produire des effets et de la même manière dans tout en quoi tout bien provient de la cause par l’effet. Mais il y en a certains à qui les autres sont ordonnés, et non le contraire, parce qu'ils sont tout à fait en dehors de ce genre d’action ou de pouvoir d'où découle un tel rapport; ainsi il est clair que la connaissance est en rapport avec le connaissable, parce que celui qui connaît, par un acte intelligible, a rapport à la chose connue qui est hors de l'âme. Mais ce qui est hors de l'âme n'est absolument pas atteint par un tel acte, puisque l'acte de l'esprit ne transite pas pour changer la matière extérieure, c'est pourquoi ce qui est hors de l'âme est tout à fait hors du genre intelligible. Et pour cela la relation qui suit l'acte de l'esprit ne peut être en elle.

Et similis ratio est de sensu et sensibili: licet enim sensibile immutet organum sensus in sua actione, et propter hoc habeat relationem ad ipsum,- sicut et alia agentia naturalia ad ea quae patiuntur ab eis,- alteratio tamen organi non perficit sensum in actu, sed perficitur per actum virtutis sensitivae: cuius sensibile quod est extra animam, omnino est expers. Similiter homo comparatur ad columnam ut dexter, ratione virtutis motivae quae est in homine, secundum quam competit ei dextrum et sinistrum, ante et retro, sursum et deorsum. Et ideo huiusmodi relationes in homine vel animali reales sunt, non autem in re quae tali virtute caret. Similiter nummus est extra genus illius actionis per quam fit pretium; quae est conventio inter aliquos homines facta: homo etiam est extra genus artificialium actionum, per quas sibi imago constituitur.

C'est la même raison pour la sensation et le sensible. Car, bien que le sensible modifie l'organe des sens dans son action, et à cause de cela, il a une relation à lui-même.— comme les autres agents naturels à ce qui est supporté par eux, — cependant la modification de l'organe n'atteint pas le sens en acte, mais il l'achève par l'acte du pouvoir sensitif; dont le sensible hors de l'âme, est tout à fait dépourvu. De même l'homme est comparé à la colonne, comme à droite, parce qu'il peut se mouvoir, selon que lui conviennent la droite et la gauche, l'avant et l'après, le dessus et le dessous. Et c'est pourquoi les relations de ce genre dans l'homme ou l'animal sont réelles, mais pas dans ce qui manque d'un tel pouvoir. De même la pièce de monnaie est hors du genre de l'action par laquelle elle devient une valeur; celle-ci étant une convention établie entre des hommes9; l'homme aussi est hors du genre des actions artificielles, qui constitue une image pour lui.

Et ideo nec homo habet relationem realem ad suam imaginem, nec nummus ad pretium, sed e contrario. Deus autem non agit per actionem mediam, quae intelligatur a Deo procedens, et in creaturam terminata: sed sua actio est sua substantia, et quidquid in ea est, est omnino extra genus esse creati, per quod creatura refertur ad Deum. Nec iterum aliquod bonum accrescit creatori ex creaturae productione, unde sua actio est maxime liberalis, ut Avicenna dicit. Patet etiam quod non movetur ad hoc quod agat, sed absque omni sua mutatione mutabilia facit.

Et c'est pourquoi l'homme n'a pas de relation réelle à son image, ni la pièce de monnaie à sa valeur, mais c'est le contraire. Mais Dieu n'agit pas par une action intermédiaire qui est comprise comme procédant de lui et terminée à la créature; mais son action est sa substance et tout ce qui est en lui est tout à fait en dehors du genre de l'être créé, par lequel la créature se réfère à Dieu. Et en plus aucun bien ne s'ajoute au Créateur par la production de la créature. C'est pourquoi son action est tout à fait libre, comme Avicenne le dit (Métaphysique, VII, 7). Il est clair aussi qu'il n'est pas poussé à agir mais il fait ce qui change sans aucun changement de sa part.

Unde relinquitur quod in eo non est aliqua relatio realis ad creaturam, licet sit relatio creaturae ad ipsum, sicut effectus ad causam.

C'est pourquoi il reste qu'en lui il n'y a pas de relation réelle à la créature, bien qu'elle existe de la créature à Dieu, comme l'effet à la cause.

In hoc autem deficit multipliciter Rabbi, qui voluit probare quod non esset relatio inter Deum et creaturam, quia cum Deus non sit corpus, non habet relationem ad tempus nec ad locum. Consideravit enim solam relationem quae consequitur quantitatem, non eam quae consequitur actionem et passionem.

Rabi Moyses10 se trompe en cela de multiples façons, lui qui a voulu prouver qu'il n'y avait pas de relation entre Dieu et la créature parce que, comme Dieu n'est pas un corps, il n'a de relation ni avec le temps, ni avec le lieu. Car il a considéré la seule relation qui découle de la quantité, non celle qui découle de l'action et la passion.

Solutions:

q. 7 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod movens et agens naturale movet et agit actione vel motu medio, qui est inter movens et motum, agens et passum. Unde oportet quod saltem in hoc medio conveniant agens et patiens, movens et motum. Et sic agens, in quantum est agens, non est extraneum a genere patientis in quantum est patiens. Unde utriusque est realis ordo unius ad alterum, et praecipue cum ipsa actio media sit quaedam perfectio propria agentis; et per consequens id ad quod terminatur actio, est bonum eius. Hoc autem in Deo non contingit, ut dictum est; et ideo non est simile.

# 1. Le moteur et l'agent naturel meuvent et agissent par une action ou par un mouvement intermédiaire, entre le moteur et le mû, l'agent et le patient. C'est pourquoi il faut au moins que l'agent et le patient, le moteur et le mû se rencontrent dans cet intermédiaire. Et ainsi, l'agent, en tant que tel, n'est pas étranger au genre du patient en tant que tel. C'est pourquoi le rapport de l'un à l'autre est réel et surtout puisque l'action intermédiaire même est une perfection propre de l'agent; et par conséquent ce à quoi se termine l'action est son bien. Mais cela n'arrive pas en Dieu, comme on l'a dit, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 7 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod movens movetur, non est causa quare relatio moventis in eo sit realiter, sed signum quoddam. Ex hoc enim apparet quod aliquo modo coincidit in genus moti, ex quo et ipsum movet motum; et iterum apparet quod ipsum ad quod movetur, sit quoddam bonum eius, ex quo ad hoc per suum motum ordinatur.

# 2. Le fait que le moteur soit mû n'est pas la raison pour laquelle la relation du moteur est réellement en lui, mais c'est un signe. Car il apparaît de là que, d'une certaine manière, il tombe dans le genre du mû, par lequel lui-même meut le mû, et à nouveau il apparaît que ce pourquoi il est mû, est son bien par lequel il lui est ordonné par son mouvement.

q. 7 a. 10 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pater dat esse filio sui generis, cum sit agens univocum; non autem tale esse dat Deus creaturae; et ideo non est simile.

# 3. Le père donne l'être à un fils de son genre, puisqu'il est agent univoque; mais ce n'est pas un tel être que Dieu donne à la créature, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 7 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen, dominus, tria in suo intellectu includit: scilicet, potentiam coercendi subditos, et ordinem ad subditos qui consequitur talem potestatem, et terminationem ordinis subditorum ad dominum; in uno enim relativo est intellectus alterius relativi. Salvatur ergo huius significatio nominis in Deo quantum ad primum et tertium, non autem quantum ad secundum. Unde Ambrosius dicit, quod hoc nomen, dominus, nomen est potestatis; et Boetius dicit, quod dominium est potestas quaedam qua servus coercetur.

# 4. Ce nom, Seigneur, inclut trois sens en son concept, à savoir la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis, le rapport à ceux qui sont soumis qui découle d'un tel pouvoir et la limite du rapport de ceux qui sont soumis au Seigneur; car dans ce qui est relatif, il y a le concept d'un autre relatif. Donc la signification de ce nom est conservé en Dieu, quand au premier et au troisième sens, mais non quant au second. C'est pourquoi, Ambroise dit (La foi, I, 711) que ce nom, Seigneur, est celui de la puissance et Boèce dit que la domination du Seigneur est un pouvoir auquel le serviteur est soumis.

q. 7 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod scientia Dei aliter comparatur ad res quam scientia nostra; comparatur enim ad eas sicut et causa et mensura. Tales enim res sunt secundum veritatem, quales Deus sua scientia eas ordinavit. Ipsae autem res sunt causa et mensura scientiae nostrae. Unde sicut et scientia nostra refertur ad res realiter, et non e contrario: ita res referuntur realiter ad scientiam Dei, et non e contrario. Vel dicendum, quod Deus intelligit res alias intelligendo se; unde relatio divinae scientiae non est ad res directe, sed ad ipsam divinam essentiam.

# 5. La science de Dieu est dans un rapport aux choses différent de celui de notre science; car elle est en rapport avec elles comme cause et mesure. Car les choses sont en vérité telles que Dieu par sa science les a ordonnées. Mais elles sont la cause et la mesure de notre science. C'est pourquoi de même que notre science se réfère réellement à la réalité et non le contraire, de même les choses se réfèrent réellement à la science de Dieu et non le contraire. Ou bien, il faut dire que Dieu comprend les autres choses en se comprenant lui-même, c'est pourquoi la relation de la connaissance en Dieu à la réalité n'est pas directe mais elle est relation à l'essence divine même.

q. 7 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetibile quod movet appetitum, est finis; ea vero quae sunt ad finem non movent appetitum nisi ratione finis. Finis autem divinae voluntatis non est aliquid aliud quam divina bonitas. Unde non sequitur quod res aliae comparentur ad divinam voluntatem sicut movens ad motum.

# 6. L'appétible qui meut l'appétit est une fin. Ce qui concerne la fin ne meut l'appétit qu'en raison de la fin. Mais la fin de la volonté divine n'est pas quelque chose d'autre que sa bonté. C'est pourquoi il n'en découle pas que les autres choses sont en rapport avec la volonté divine, comme le moteur au mû.

q. 7 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod corpora caelestia referuntur realiter ad inferiora secundum relationes consequentes quantitatem, propter hoc quod est eadem ratio quantitatis in utrisque; et iterum quantum ad relationes consequentes virtutem activam et passivam, quia movent mota per actionem mediam quae non est eorum substantia, cum aliquod bonum ipsorum attendatur in hoc quod sunt inferiorum causa.

# 7. Les corps célestes sont réellement en rapport avec choses inférieures selon des relation qui découlent de la quantité, parce que la même nature de quantité est dans chacune et à nouveau quant aux relation qui découlent de la puissance active et passive, parce qu'ils meuvent ce qui est mû par une action intermédiaire qui n'est pas leur substance, puisque l'un de leurs biens est atteint du fait qu'ils sont la cause des choses inférieures.

q. 7 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod illud a quo aliquid denominatur, non oportet quod sit semper forma secundum rei naturam, sed sufficit quod significetur per modum formae, grammatice loquendo. Denominatur enim homo ab actione et ab indumento, et ab aliis huiusmodi, quae realiter non sunt formae.

# 8. Ce par quoi on désigne une chose ne doit pas être toujours la forme selon sa nature, mais il suffit qu'elle soit signifiée à la manière d'une forme, grammaticalement parlant. Car l'homme est désigné par l'action et le vêtement, et autres choses, qui ne sont pas réellement des formes.

q. 7 a. 10 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si proportio intelligatur aliquis determinatus excessus, nulla est Dei ad creaturam proportio. Si autem per proportionem intelligatur habitudo sola, sic patet quod est inter creatorem et creaturam; in creatura quidem realiter, non autem in creatore.

# 9. Si on comprend une proportion comme un écart déterminé, il n'y en a aucune de Dieu à la créature. Mais si par la proportion on comprend la relation seule, alors il est clair qu'elle existe entre le Créateur et la créature; réellement dans la créature, mais pas dans le Créateur.

q. 7 a. 10 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet doctor incipiat a rebus, tamen alio modo recipiuntur rerum conceptiones in mente doctoris quam sint in natura rei, quia unumquodque recipitur in altero per modum recipientis: patet enim quod conceptiones in mente doctoris sunt immaterialiter, et materialiter in natura.

# 10. Bien que le maître commence par la réalité, cependant les conceptions des choses sont reçues d'une autre manière dans son esprit qu'elles le sont dans la nature, parce que chaque chose est reçue dans l'autre par le mode de ce qui reçoit. Car il est clair que les conceptions sont immatériellement dans l'esprit du maître, et matériellement dans la nature.

q. 7 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod distinctio ista relativorum secundum esse et secundum dici, nihil facit ad hoc quod sit relatio realis. Quaedam enim sunt relativa secundum esse quae non sunt realia, sicut dextrum et sinistrum in columna; et quaedam sunt relativa secundum dici, quae tamen important relationes reales, sicut patet de scientia et sensu. Dicuntur enim relativa secundum esse, quando nomina sunt imposita ad significandas ipsas relationes; relativa vero secundum dici, quando nomina sunt imposita ad significandas qualitates vel aliquid huiusmodi principaliter, ad quae tamen consequuntur relationes. Nec quantum ad hoc differt, utrum sint relationes reales vel rationis tantum.

# 11. Cette distinction des choses relatives selon l'être et la parole, ne fait rien pour qu'elle soit une relation réelle. Car certaines sont relatives quant à l'être, qui ne sont pas réelles comme la droite et la gauche dans une colonne, et certaines sont relatives en parole qui apportent cependant des relations réelles, comme c'est évident pour la connaissance et la sensation. Car on parle des relations selon l'être, quand ces noms sont imposés pour les signifier, mais de relatifs en parole, quand les noms sont imposés pour signifier des qualités ou principalement quelque chose de ce genre, pour lesquelles cependant découlent des relations. Et à ce sujet, il n'y a pas de différence si les relations sont réelles ou de raison seulement.

q. 7 a. 10 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod licet posito uno relativorum ponatur aliud, non tamen oportet quod eodem modo ponatur utrumque, sed sufficit quod unum ponatur secundum rem, et aliud secundum rationem.

# 12. Bien que, si on pose l'un des relatifs, on pose l'autre, il ne faut pas cependant que l'un et l'autre soient établis de la même manière, mais il suffit que l'un soit établi en réalité et l'autre en raison.

 

1 Parall.: Ia, qu. 13, a. 7 ad 2 et ad 4 — qu. 28, a. 1, ad 3 et ad 4 — CG. II, 12,13 — I Sent. d26q2a3, ad 2.

2 En plus de l'idée de comparaison il y a celle d'équivalence.

3 "Le relatif est aussi comme le mesuré à la mesure, le connaissable à la connaissance, le sensible à la sensation."

4 Ajouté dans l’Éd. Marietti.

5 Relations prédicamentales ou relations transcendantales.

6 "…Les nom d'origine temporelle donnés à Dieu et qui ne l’étaient point auparavant, ont manifestement un sens relatif. Cependant ils ne l'ont point en faction d'un accident de Dieu, comme si quelque chose lui arrivait à lui, mais bien à la suite d'un accident de l'être par rapport auquel Dieu reçoit un nom relatif nouveau." (BA Trinité V, XVI, 7).

7 "Tout au contraire le mesurable, le connaissable, le pensable ne sont pas dits relatifs en ce sens qu'une autre chose est relative à eux." (Thomas, lect. 17, n° 1028).

8 913 D "Mais quand il s'agit de la relation de cause à effet, nous ne pouvons admettre aucune réciprocité." (Trad. M. de Gandillac)

9 Ce passage est inspiré d’Aristote (Métaphysiquen V, 15, 1021 b. les deux emples: colonnes et monnaies, sont repris dans son commentaire n° 1027.

10 Maïmonide.

11 PL. 16, 530 B

 

 

Article 11: Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?

q. 7 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum istae relationes temporales sint in Deo secundum rationem. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 7 a. 11 arg. 1 Ratio enim cui non respondet res, est cassa et vana, sicut Boetius dicit. Sed istae relationes non sunt in Deo secundum rem ut ex praedictis patet. Esset ergo ratio cassa et vana, si essent in Deo secundum rationem.

1. Car une notion (ratio2) à quoi rien ne correspond est vide et vaine, comme Boèce le dit (Préambule de Porphyre dans les Prédicables). Mais ces relations ne sont pas réellement en Dieu, comme cela apparaît de ce qui a été dit. Donc la notion (ratio) serait vide et vaine, si en Dieu elles étaient de raison.

q. 7 a. 11 arg. 2 Praeterea, quae sunt secundum rationem tantum, non attribuuntur rebus nisi secundum quod sunt in intellectu, sicut genus et species et ordo. Sed huiusmodi relationes temporales non attribuuntur Deo secundum quod est in intellectu nostro tantum: sic enim nihil esset dictu, Deus est dominus, quoniam Deus intelligitur creaturis praeesse; quod patet esse falsum. Ergo huiusmodi relationes non sunt secundum rationem in Deo.

2. Ce qui est de raison seulement, n'est attribué aux choses que selon qu'elles sont dans l'esprit, comme le genre, l'espèce et l'ordre3. Mais des relations temporelles de ce genre ne sont pas attribuées à Dieu selon ce qui est dans notre esprit seulement, car ainsi ce ne serait rien dire. Dieu est Seigneur, puisqu'on comprend qu'il a existé avant les créatures; ce qui paraît faux. Donc de telles relations ne sont pas de raison en Dieu.

q. 7 a. 11 arg. 3 Praeterea, hoc nomen, dominus, relationem significat, cum sit relativum secundum esse. Sed Deus est dominus non secundum rationem tantum. Ergo nec huiusmodi relationes sunt in Deo secundum rationem tantum.

3. Ce nom, Seigneur, signifie une relation, puisqu'il est relatif selon l'être. Mais Dieu est Seigneur, mais pas en raison seulement. Donc de telles relations en Dieu ne sont pas en raison seulement.

q. 7 a. 11 arg. 5 Praeterea, id quod est secundum rationem nostram tantum, non fuit ab aeterno. Sed aliquae relationes Dei ad creaturam fuerunt ab aeterno, sicut relationes importatae in nomine scientiae et praedestinationis. Ergo huiusmodi relationes non sunt in Deo secundum rationem tantum.

5. Ce qui est selon notre raison seulement n'a pas existé éternellement. Mais certaines relations de Dieu à la créature ont été éternelles, comme les relations apportées au nom de connaissance4 et de prédestination. Donc de telles relations ne sont pas en Dieu selon la raison seulement.

En sens contraire:

q. 7 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nomina significant rationes, sive intellectus, ut dicitur in principio Periher. Constat autem ista nomina relative dici. Ergo oportet huiusmodi relationes secundum rationem esse.

Les noms signifient des notions (ratio) ou des concepts, comme il est dit au début de l'Interprétation. (2, 16 a 18). Il est clair que ces noms sont dits de façon relative. Donc il faut que de telles relations soient de raison5.

Réponse:

q. 7 a. 11 co. Respondeo. Dicendum quod sicut realis relatio consistit in ordine rei ad rem, ita relatio rationis consistit in ordine intellectuum; quod quidem dupliciter potest contingere:

Il faut dire que de même que la relation réelle consiste dans le rapport d'une chose à une autre, de même la relation de raison consiste dans le rapport des significations, ce qui peut arriver de deux manières:

uno modo secundum quod iste ordo est adinventus per intellectum, et attributus ei quod relative dicitur; et huiusmodi sunt relationes quae attribuuntur ab intellectu rebus intellectis, prout sunt intellectae, sicut relatio generis et speciei: has enim relationes ratio adinvenit considerando ordinem eius quod est in intellectu ad res quae sunt extra, vel etiam ordinem intellectuum ad invicem.

1) Première manière, selon que cet ordre est découvert par l'esprit et attribué à ce dont on parle relativement, et telles sont les relations attribuées par l'esprit à des pensées, dans la mesure où elles sont comprises comme relation de genre et d'espèce6; car la raison découvre ces relations en considérant l'ordre ce qui est dans l'esprit à ce qui est à l'extérieur ou même l'ordre des concepts entre eux.

Alio modo secundum quod huiusmodi relationes consequuntur modum intelligendi, videlicet quod intellectus intelligit aliquid in ordine ad aliud; licet illum ordinem intellectus non adinveniat, sed magis ex quadam necessitate consequatur modum intelligendi. Et huiusmodi relationes intellectus non attribuit ei quod est in intellectu, sed ei quod est in re.

2) Seconde manière: les relations de ce genre résultent du mode de penser, à savoir que l'esprit pense une chose en rapport à une autre, bien qu'il ne parvienne pas à ce rapport, mais plutôt résulte du mode de penser par une certaine nécessité. Et l'esprit n'attribue pas de telles relations à ce qui est en lui mais à ce qui est en réalité.

Et hoc quidem contingit secundum quod aliqua non habentia secundum se ordinem, ordinate intelliguntur; licet intellectus non intelligat ea habere ordinem, quia sic esset falsus. Ad hoc autem quod aliqua habeant ordinem, oportet quod utrumque sit ens, et utrumque distinctum (quia eiusdem ad seipsum non est ordo) et utrumque ordinabile ad aliud.

Et cela arrive selon que certaines choses n'ayant pas de rapport en soi, sont comprises avec rapport, bien que l'esprit ne comprenne pas qu'elles en ont un, parce qu'ainsi ce serait faux. Mais du fait que certaines choses ont un rapport, il faut que l'une et l'autre soient un étant et l'une et l'autre soient distinctes (parce qu'il n'y a pas de rapport d'un même à lui-même et l'une et l'autre en rapport possible avec l'autre.

Quandoque autem intellectus accipit aliqua duo ut entia, quorum alterum tantum vel neutrum est ens: sicut cum accipit duo futura, vel unum praesens et aliud futurum, et intelligit unum cum ordine ad aliud, dicens alterum esse prius altero; unde istae relationes sunt rationis tantum, utpote modum intelligendi consequentes.

Quelquefois l'esprit reçoit les deux comme des étants dont l'un seulement un étant ou ni l'un, ni l'autre; ainsi quand il reçoit deux étants futurs, ou l'un présent et l'autre futur, il comprend l'un en rapport avec l'autre, en disant que l'un est avant l'autre; c'est pourquoi ces relations sont de raison seulement; en tant qu'elles résultent du mode de penser.

Quandoque vero accipit unum ut duo, et intelligit ea cum quodam ordine: sicut cum dicitur aliquid esse idem sibi; et sic talis relatio est rationis tantum.

Quelquefois il reçoit l'une comme deux et il les comprend avec un certain rapport. Comme quand on dit que quelque chose est identique à lui-même, et ainsi une telle relation est de raison seulement7.

Quandoque vero accipit aliqua duo ut ordinabilia ad invicem, inter quae non est ordo medius, immo alterum ipsorum essentialiter est ordo: sicut cum dicit relationem accidere subiecto; unde talis relatio relationis ad quodcumque aliud rationis est tantum.

Quelquefois il reçoit les deux comme pouvant être en rapport l'un avec l'autre, entre lesquels il n'y a pas de rapport intermédiaire. Bien plus l'un d'eux est essentiellement rapport: comme quand on dit que la relation arrive au substrat; c'est pourquoi une telle relation de relation à quelque chose d'autre est de raison seulement.

Quandoque vero accipit aliquid cum ordine ad aliud, in quantum est terminus ordinis alterius ad ipsum, licet ipsum non ordinetur ad aliud: sicut accipiendo scibile ut terminum ordinis scientiae ad ipsum; et sic cum quodam ordine ad scientiam, nomen scibilis relative significat; et est relatio rationis tantum. Et similiter aliqua nomina relativa Deo attribuit intellectus noster, in quantum accipit Deum ut terminum relationum creaturarum ad ipsum; unde huiusmodi relationes sunt rationis tantum.

Quelquefois il reçoit une chose avec rapport à une autre, en tant qu'elle est le terme d'un autre rapport à lui, bien qu'il ne soit pas ordonnée à l'autre; comme en recevant le connaissable, comme terme du rapport de la connaissance à lui, et ainsi avec un rapport à la connaissance, le nom connaissable signifie relativement et c'est une relation de raison seulement. Et de même notre esprit attribue des noms relatifs à Dieu en tant qu'il le reçoit comme terme des relations des créatures à lui; c'est pourquoi les relations de ce genre sont de raison seulement.

Solutions:

q. 7 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in huiusmodi relationibus aliquid respondet ex parte rei, scilicet relatio creaturae ad Deum. Sicut enim scibile dicitur relative, non quia ipsum referatur ad scientiam, sed quia scientia referatur ad ipsum, ut habetur V Metaph., ita Deus dicitur relative, quia creaturae referuntur ad ipsum.

# 1. Il faut donc dire que dans les relations de ce genre, quelque chose répond du côté de la chose, à savoir la relation de la créature à Dieu. Car de même qu'on parle du connaissable relativement, non parce qu'il se réfère à la connaissance, mais parce que la connaissance se réfère à lui, comme on le trouve en Métaphysique (V, 15, 1020 b 318), de même on parle de Dieu relativement, parce que les créatures se réfèrent à lui.

q. 7 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de illis relationibus rationis quae sunt per rationem inventae, et rebus in intellectu existentibus attributae. Tales autem non sunt relationes istae, sed consequentes modum intelligendi.

# 2. Cette raison procède de ces relations de raison, trouvées par raison et attribuées à ce qui existe dans l'esprit. Mais ces relations ne sont pas telles, mais elles suivent le mode de penser.

q. 7 a. 11 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut aliquis est idem sibi realiter, et non solum secundum rationem, licet relatio sit secundum rationem tantum, propter hoc quod relationis causa est realis, scilicet unitas substantiae quam intellectus sub relatione intelligit: ita potestas coercendi subditos est in Deo realiter, quam intellectus intelligit in ordine ad subditos propter ordinem subditorum ad ipsum; et propter hoc dicitur dominus realiter, licet relatio sit rationis tantum. Et eodem modo apparet quod dominus esset, nullo existente intellectu.

# 3. De même que quelqu'un est réellement identique à lui-même et non seulement en raison, bien que la relation soit en raison seulement, du fait que la cause de la relation est réelle, à savoir l'unité de la substance que l'esprit comprend sous la relation, de même la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis est réellement en Dieu. L'esprit la comprend en rapport à ceux qui sont soumis à cause du rapport de ceux qui sont soumis à lui9 et c'est pour cela qu'on l'appelle Seigneur, réellement, bien que la relation soit de raison seulement. Et de la même manière, il apparaît qu'il serait le Seigneur même s'il n'existait aucun esprit.

q. 7 a. 11 ad 4 Unde patet solutio ad quartum.

# 4. Par la apparaît la solution à l'objection 4.

q. 7 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod relatio scientiae Dei ad creaturam non est primo et per se, ut dictum est prius, sed ad essentiam creatoris, per quam Deus omnia scit.

# 5. La relation de la science de Dieu à la créature n'est pas en premier et par soi, comme on l'a dit d'abord (dans le corps de l'article) mais c'est la relation à l'essence du créateur, par laquelle Dieu connaît tout.

 

1 Parall.: Ia, qu. 6, a. 2, ad 1 —qu. 13, a. 7 — qu. 28, a. 1, ad 3 — qu. 32, a. 2,— qu. 45,a. 1, ad 3 — IIIa, qu. 35, a. 5 — I Sent. d8q4a1, ad 3 — d30q1a1, ad 1, a3 c. — CG. II, 13 — Quodl. I, a. 2, — Quodl. IX, a. 4.

2 Thomas emploie trois fois le mot ratio (mot aux nombreux sens). Il semble évident que les deux premiers emplois n'ont pas le même sens que le troisième. C'est pourquoi nous nous sommes permis deux traductions différentes.

3 ce qui correspond aux secondes intellections.

4 Connaissance en Dieu des créatures avant la création (idées).

5 La relation de raison est attribuée paradoxalement à Dieu, puisque c'est l'esprit humain qui le conçoit!

6 Il s'agit des intellections secondes, ou conceptions secondes. Cf. qu. 1, a. 1 ad 10 — qu. 7, a. 8…

7 Cf. Ia, qu. 13, a. 7 c.

8 Voir qu. 7, a. 1, obj. 5

9 Il exprime ici un rapport réciproque: rapport de Dieu à ceux qui lui sont soumis; rapport de ceux qui sont soumis à Dieu.

 

 

Question 8: Ce qu'on appelle relations éternelles en Dieu

q. 8 pr. 1 Et primo quaeritur utrum relationes dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus pater et filius, sint relationes reales vel rationis tantum.

1. Les relations appelées éternelles en Dieu, rapportées sous les noms de "Père" et de "Fils", sont-elles réelles ou de raison seulement?

q. 8 pr. 2 Secundo utrum relatio in Deo sit eius substantia.

2. La relation en Dieu est-elle sa substance?

q. 8 pr. 3 Tertio utrum relationes constituant et distinguant personas et hypostases.

3. Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes et les hypostases?

q. 8 pr. 4 Quarto utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis.

4. Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?

 

 

Article 1: Les relations appelées éternelles en Dieu, rapportées par les noms de "Père" et "Fils", sont-elles réelles ou de raison seulement?

q. 8 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum relationes dictae de Deo ab aeterno, quae importantur his nominibus pater et filius, sint relationes reales, vel rationis tantum. Et videtur quod non sint reales.

Il semble qu'elles ne soient pas réelles1 .

Objections:

q. 8 a. 1 arg. 1 Quia, ut dicit Damascenus, in substantiali Trinitate commune quidem et unum re consideratur, cognitione vero et intellectu est quod diversum vel distinctum est. Sed distinctio personarum fit per relationes. Ergo relationes in divinis sunt rationis tantum.

1 Parce que, comme le dit Jean Damascène (La foi orthodoxe I, 11): "2." Mais la distinction des personnes se fait par les relations. Donc3 les relations en Dieu sont de raison seulement.

q. 8 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius dicit: similis est relatio patris ad filium in Trinitate, et utriusque ad spiritum sanctum, ut eius quod est idem ad id quod idem est. Sed relatio identitatis est rationis tantum. Ergo et relatio paternitatis et filiationis.

2. Boèce dit (La Trinité, VI4): "Semblable est la relation du Père au Fils dans le Trinité et de l'un et l'autre à l'Esprit saint, comme ce qui est du même au même5". Mais la relation d'identité est de raison seulement. Donc celle de paternité et de filiation aussi.

q. 8 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Deo ad creaturam non est relatio realis, propter hoc quod Deus sine sui mutatione creaturas producit, ut Augustinus dicit. Sed multo magis sine mutatione producit pater filium, et filius procedit a patre. Ergo non est aliqua realis relatio patris ad filium in divinis, vel e contrario.

3. En Dieu il n'y a pas de relation réelle à la créature, du fait qu'il les produit sans changement de sa part, comme Augustin le dit (La Trinité. V, XVI, 17). Mais c'est encore avec beaucoup moins de changement que le Père produit le Fils, et que le Fils procède du Père. Donc il n'y a pas de relation réelle du Père au Fils ou inversement.

q. 8 a. 1 arg. 4 Praeterea, ea quae non sunt perfecta, Deo non attribuuntur, sicut privatio, materia et motus. Sed relatio inter omnia entia habet debilius esse intantum quod eam quidam aestimaverunt de secundis intellectis, ut patet per Commentatorem. Ergo in Deo esse non potest.

4. Ce qui n'est pas parfait n'est pas attribué à Dieu, comme la privation, la matière et le mouvement. Mais la relation entre tous les étants a l’être le plus faible au point que certains l'ont considérée comme des intellections secondes6, comme on le voit chez le Commentateur (Métaphysique XI, 19). Donc elle ne peut pas exister en Dieu.

q. 8 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis relatio in creaturis compositionem facit cum eo cuius est relatio: non enim potest una res alteri inesse sine compositione. Sed in Deo nulla compositio esse potest. Ergo in eo non potest esse realis relatio.

5. Toute relation dans les créatures amène une composition avec ce dont elle est relation: car une chose ne peut être en une autre sans composition. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir en lui de relation réelle.

q. 8 a. 1 arg. 6 Praeterea, simplicissima seipsis differunt. Sed divinae personae sunt simplicissimae. Ergo seipsis differunt, et non per relationes aliquas; ergo non oportet relationes in Deo ponere, cum ad nihil aliud ponantur nisi ad distinguendas personas.

6. Les choses les plus simples diffèrent entre elles. Mais les personnes divines sont extrêmement simples. Donc elles diffèrent entre elles, mais ce n'est pas par des relations7; donc il ne faut pas en placer en Dieu, puisqu'on les placerait pour rien d'autre que de distinguer les personnes.

q. 8 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates personarum divinarum, ita attributa absoluta sunt proprietates essentiae. Sed attributa absoluta sunt in Deo secundum rationem tantum. Ergo relationes sunt in Deo secundum rationem et non reales.

7. Les relations sont les propriétés des personnes divines, de même les attributs absolus sont les propriétés de l'essence. Mais en Dieu ces attributs sont en raison seulement. Donc les relations en Dieu sont en raison et non réelles.

q. 8 a. 1 arg. 8 Praeterea, perfectum est cui nihil deest, ut dicitur III Phys. Sed substantia divina est perfectissima. Ergo nihil quod ad perfectionem pertineat, ei deest. Superfluum est ergo ponere relationes in Deo.

8. Est parfait ce à quoi rien ne manque, comme il est dit en Physique (III, 6, 207 a 8 – 207 a 138). Mais la substance divine est absolument parfaite. Donc rien qui concerne la perfection ne lui manque. Donc il est superflu de poser des relations en Dieu.

q. 8 a. 1 arg. 9 Praeterea, cum Deus sit summum rerum principium et ultimus finis, ea quae oportet in alia priora reduci, in Deo esse non possunt, sed solum ea ad quae alia reducuntur: sicut esse mobile reducitur ad immobile, et per accidens ad per se; et propter hoc Deus non movetur, nec est in eo aliquod accidens. Sed omne quod dicitur ad aliud, reducitur ad absolutum quod ad se est. Ergo nihil est in Deo ad aliud, sed solum ad se tantum dictum.

9. Comme Dieu est le principe suprême des choses et leur fin ultime, ce qui doit être ramené à d'autres choses antérieures, ne peut pas exister en lui, mais seulement ce à quoi les autres choses sont ramenées; ainsi l'être mobile est ramené à l'immobile et ce qui est par accident au par soi, et c’est pour cela que Dieu n'est pas mû, et qu’il n'y a en lui aucun accident. Mais tout ce qu'on appelle relatif est ramené à l'absolu qui est pour soi. Donc rien n'est en Dieu qui est relatif mais seulement ce qui est dit pour soi.

q. 8 a. 1 arg. 10 Praeterea, Deum esse per se necesse est. Sed omne quod est per se necesse esse, est absolutum: relativum enim non potest esse sine correlativo. Quod autem est per se necesse esse, etiam alio remoto esse potest. Ergo in Deo non est aliqua relatio realis.

10. Il est nécessaire que Dieu soit par soi. Mais tout ce qui est nécessaire par soi est absolu; le relatif en effet ne peut pas exister sans corrélatif. Mais ce qui est par soi a nécessité d'être, même si l'autre est exclu, il peut exister. Donc en Dieu il n'y a pas de relation réelle.

q. 8 a. 1 arg. 11 Praeterea, omnis relatio realis, ut in praecedenti quaestione, est habitum, consequitur aliquam quantitatem vel actionem vel passionem. Sed quantitas in Deo non est: dicimus enim Deum sine quantitate magnum, ut Augustinus dicit. Numerus etiam in eo non est, ut dicit Boetius, quem relatio consequi posset, etsi ponatur numerus quem relatio facit. Oportet ergo, si est relatio realis in Deo, quod competat Deo secundum aliquam eius actionem. Non autem potest secundum actionem qua creaturas producit, quia in quaestione praecedenti, est habitum quod in Deo non est realis relatio ad creaturam. Nec iterum secundum actionem personalem quae ponitur in divinis, sicut est generare: nam cum generare in divinis non sit nisi suppositi distincti, distinctionem autem sola relatio facit in divinis, oportet praeintelligere relationem tali actioni; et sic relatio talem actionem consequi non potest. Restat ergo, si aliquam actionem consequatur relatio realiter in Deo existens quod consequatur actionem eius aeternam vel essentialem quae est intelligere et velle. Sed etiam hoc esse non potest: huiusmodi enim actionem consequitur relatio intelligentis ad intellectum, quae in Deo reales non sunt,- alias oporteret quod intelligens et intellectum realiter in divinis distinguerentur,- quod patet esse falsum, quia utrumque de singulis personis praedicatur: non solum enim pater est intelligens, sed et filius et spiritus sanctus; similiter et quilibet eorum est in intellectu. Nulla ergo relatio realis in Deo esse potest, ut videtur.

11. Toute relation réelle, comme on l'a vu dans la précédente question (qu. 7, a. 9), découle de la quantité, de l'action ou de la passion. Mais il n'y a pas de quantité en Dieu; car nous disons que Dieu est grand sans quantité, comme Augustin le dit (La Trinité, V, 1, 29). Mais il n'y a pas non plus de nombre en lui, comme le dit Boèce (La Trinité, V) dont puisse découler une relation, même si on place un nombre que la relation établit. Il faut donc, si la relation est réelle en Dieu, qu'elle lui convienne selon une de ses actions. Mais il ne le peut pas avec l'action par laquelle il produit les créatures, parce que dans la question précédente (qu. 7, a. 10) on a vu qu'en Dieu il n'y a pas de relation réelle avec la créature. Ni à nouveau avec une action personnelle placée en lui, comme la génération, car engendrer en Dieu ne venant que d'un suppôt distinct, seule la relation apporte en lui la distinction, il faut la concevoir avant une telle action. Et ainsi la relation ne peut pas en découler. Donc il reste, si la relation qui existe réellement en Dieu découle d'une action, elle découlerait de son action éternelle ou essentielle qui est l'intellection et le vouloir. Mais cela non plus n'est pas possible; car la relation de celui qui pense à ce qui est pensé, qui en Dieu ne sont pas des relations réelles, découle d'une action de ce genre — autrement il faudrait que celui qui pense et ce qui est pensé soient réellement distingués en Dieu — ce qui paraît faux, parce que l’un et l’autre sont attribués à chaque personne en particulier; car non seulement la Père pense mais le Fils et l'Esprit saint pensent aussi; il en est de même pour n’importe lequel d’entre eux qui est dans l'esprit. Donc aucune relation réelle ne peut exister en Dieu, à ce qu'il semble.

q. 8 a. 1 arg. 12 Praeterea, ratio naturalis humana potest pervenire ad cognitionem divini intellectus; probatum est enim demonstrative a philosophis quod Deus est intelligentia. Si ergo actionem intellectus consequantur relationes reales, quae in divinis personas distinguere dicuntur, videtur quod per rationem humanam Trinitas personarum inveniri posset, et sic non esset articulus fidei: nam fides est sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium.

12. La raison humaine naturelle peut parvenir à la connaissance de l'esprit divin, car il a été prouvé démonstrativement par les philosophes que Dieu est une intelligence. Donc si les relations réelles, qui, dit-on distinguent les personnes en Dieu, découlent de l'action de l'intellect, il semble que la Trinité des personnes pourrait être découverte par le raison humaine, et ainsi ce ne serait pas un article de foi: Car "la foi est la substance de ce qu’on espère, réalité de ce qu’on ne voit pas." (Hé. 11, 1).

q. 8 a. 1 arg. 13 Praeterea, relativa opposita contra alia opposita dividuntur. In Deo autem alia genera oppositionis poni non possunt. Ergo nec relatio.

13. Les opposés relatifs sont séparés des autres opposés. Mais en Dieu on ne peut pas placer d'autres genres d'opposition. Donc pas de relation non plus.

En sens contraire:

q. 8 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit, quod sola relatio multiplicat Trinitatem. Haec autem multiplicatio non est secundum rationem tantum, sed secundum rem, ut patet per Augustinum, qui dicit, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres res. Ergo oportet quod relatio sit in divinis non solum rationis, sed etiam rei.

1. Boèce dit (La Trinité, V, 110) que seule la relation multiplie la Trinité. Cette multiplication n'est pas en raison seulement, mais réelle, comme on le voit chez Augustin qui dit (La Trinité I, IV, 7) que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois réalités (res). Donc il faut que la relation existe en Dieu non seulement en raison, mais en réalité.

q. 8 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla res constituitur nisi per rem. Sed relationes in divinis sunt proprietates constituentes personas; persona autem est nomen rei. Ergo oportet et relationes in divinis res esse.

2. Rien n'est constitué qu'en réalité. Mais les relations en Dieu sont les propriétés qui constituent les personnes, or la personne est le nom de la réalité. Donc il faut que les relations soit réelles en Dieu.

q. 8 a. 1 s. c. 3 Praeterea, perfectior est generatio in divinis quam in creaturis. Sed ad generationem in creaturis sequitur relatio realis, scilicet patris et filii. Ergo multo fortius in divinis sunt relationes reales.

3. La génération est plus parfaite en Dieu que dans les créatures. Mais de la génération dans les créatures découle une relation réelle, à savoir celle du père et du fils. Donc à plus forte raison les relations sont réelles en Dieu.

Réponse:

q. 8 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod, sententiam fidei Catholicae sequentes, oportet dicere in divinis relationes reales esse. Ponit enim fides Catholica tres personas in Deo unius essentiae. Numerus autem omnis aliquam distinctionem consequitur: unde oportet quod in Deo sit aliqua distinctio non solum respectu creaturarum, quae a Deo per essentiam differunt, sed etiam respectu alicuius in divina essentia subsistentis.

Ceux qui suivent la doctrine de la foi catholique doivent dire que les relations sont réelles en Dieu. Car la foi établit qu'il y a trois personnes d'une seule essence. Mais tout nombre découle d'une distinction: c'est pourquoi il faut qu'il y ait en Dieu une distinction non seulement par rapport aux créatures, qui diffèrent de lui par l'essence, mais aussi par rapport à ce qui subsiste dans l'essence divine.

Haec autem distinctio non potest esse secundum aliquod absolutum: quia quidquid absolute in divinis praedicatur, Dei essentiam significat; unde sequeretur quod personae divinae per essentiam distinguerentur, quod est haeresis Arii. Relinquitur ergo quod per sola relativa distinctio in divinis personis attenditur.

Cette distinction ne peut pas être un absolu: parce que ce qui est attribué à Dieu dans l’absolu signifie son essence. Aussi il en découlerait que les personnes divines seraient distinguées par l'essence, ce qui est l'hérésie d'Arius11. Donc il reste que la distinction dans les personnes divines est atteinte par les seules relations..

Haec tamen distinctio non potest esse rationis tantum: quia ea quae sunt sola ratione distincta, nihil prohibet de se invicem praedicari, sicut dicimus principium esse finem, quia punctum unum secundum rem est principium et finis, licet ratione differat; et ita sequeretur quod pater est filius et filius pater, quia, cum nomina imponantur ad significandum rationes nominum, sequeretur quod personae in divinis non distinguerentur nisi secundum nomina: quod est haeresis Sabelliana.

Cette distinction ne peut pas être que de raison seulement: car rien n’empêche que ce qui est distingué en raison seulement ne soit attribué réciproquement à soi. Ainsi nous disons que le principe est la fin, parce qu'un seul point est en réalité principe et fin, bien qu'ils diffèrent en raison, et ainsi il en découlerait que le Père est le Fils et le Fils est le Père, parce que, comme les noms sont employés pour signifier leurs relations, il en découlerait que les personnes ne seraient distinguées que par les noms. Ce qui est l'hérésie de Sabellius12.

Relinquitur ergo quod oportet dicere, relationes in Deo quasdam res esse: quod qualiter sit, sequendo sanctorum dicta, investigari oportet, licet ad plenum ad hoc ratio pervenire non possit. Sciendum est ergo, quod cum realis relatio intelligi non possit, nisi consequens quantitatem vel actionem seu passionem, oportet quod aliquo istorum modorum ponamus in Deo relationem esse.

Donc il reste qu'il faut dire que les relations en Dieu sont des réalités; de quelque manière que ce soit, en suivant les paroles des saints, il faut faire des recherches, bien que la raison ne puisse y parvenir parfaitement. Donc il faut savoir que, comme la relation ne pourrait être comprise que si elle découlait de la quantité, de l'action ou de la passion, il faut que par l'une de ces manières nous établissions qu'il y a en Dieu une relation.

In Deo autem quantitas esse non potest, neque continua neque discreta, nec aliquid cum quantitate similitudinem habens, nisi multitudo quam relatio facit, cui oportet relationem praeintelligere, et unitas quae essentiae competit, ad quam relatio consequens non est realis, sed rationis tantum; sicut relatio quam importat hoc nomen idem, ut supra dictum est.

Or en Dieu la quantité ne peut pas exister, ni continue, ni discrète13 ni rien qui ressemble à la quantité, sinon une pluralité que la relation établit; il faut y comprendre cette relation avant, et l'unité qui appartient à l'essence, pour laquelle la relation qui en découle n'est pas réelle, mais de raison seulement; comme la relation qu'apporte le mot identique, comme on l'a dit ci-dessus (qu. 7, 10 c.).

Relinquitur ergo quod oportet in eo ponere relationem actionem consequentem. Actionem dico non quae in aliquod patiens transeat: quia in Deo nihil potest esse patiens, cum non sit ibi materia; ad id autem quod est extra Deum, non est in Deo realis relatio, ut ostensum est.

Il reste donc qu'il faut placer en lui une relation qui découle de l'action. Je dis action, mais pas celle qui passe dans un patient, car en Dieu rien ne peut être un patient, puisqu'il n'y a pas de matière, car il n'y a pas de relation réelle avec ce qui est hors de lui, comme on l'a montré (qu. 7, a. 10).

Relinquitur ergo quod consequatur relatio realis in Deo actionem manentem in agente: cuiusmodi actiones sunt intelligere et velle in Deo. Sentire enim, cum organo corporeo compleatur, Deo non potest competere, qui est omnino incorporeus. Et propter hoc dicit Dionysius, quod in Deo est paternitas perfecta, idest non corporaliter nec materialiter, sed intelligibiliter. Intelligens autem in intelligendo ad quatuor potest habere ordinem: scilicet ad rem quae intelligitur, ad speciem intelligibilem, qua fit intellectus in actu, ad suum intelligere, et ad conceptionem intellectus.

Il reste donc que la relation réelle en Dieu découle de l'action immanente dans l'agent: les actions de ce genre sont l'intellection et le vouloir. En effet, la sensation étant effectuée par un organe corporel, ne peut appartenir à Dieu qui est tout à fait incorporel. Et c'est pour cela que Denys (Les noms divins, XI) dit qu'en Dieu la paternité est parfaite, c'est-à-dire ni corporelle, ni matérielle, mais intellectuelle. Dans l’intellection celui qui pense peut avoir rapport à quatre choses: à savoir a) à ce qui est pensé, b) à l'espèce intelligible, qui le constitue en acte, c) à son intellection et d) au concept de l'esprit14.

Quae quidem conceptio a tribus praedictis differt.

A re quidem intellecta, quia res intellecta est interdum extra intellectum, conceptio autem intellectus non est nisi in intellectu; et iterum conceptio intellectus ordinatur ad rem intellectam sicut ad finem: propter hoc enim intellectus conceptionem rei in se format ut rem intellectam cognoscat.

Differt autem a specie intelligibili: nam species intelligibilis, qua fit intellectus in actu, consideratur ut principium actionis intellectus, cum omne agens agat secundum quod est in actu; actu autem fit per aliquam formam, quam oportet esse actionis principium.

Ce dernier concept diffère des trois autres:

a) De ce qui est pensé, parce qu’elle est parfois hors de l'esprit, mais la conception de l'esprit n'est qu'en lui, et en plus cette conception est ordonnée à ce qui est pensé, comme à sa fin. Car c'est pour la connaître que l'intellect forme en lui la conception de la chose.

b) Il diffère aussi de l’espèce (species) intelligible: car celle-ci, par laquelle l'esprit devient en acte, est considérée comme le principe de son action, puisque tout agent agit selon qu'il est en acte, mais il devient en acte par une forme qui doit être le principe de l'action.

Differt autem ab actione intellectus: quia praedicta conceptio consideratur ut terminus actionis, et quasi quoddam per ipsam constitutum. Intellectus enim sua actione format rei definitionem, vel etiam propositionem affirmativam seu negativam. Haec autem conceptio intellectus in nobis proprie verbum dicitur: hoc enim est quod verbo exteriori significatur: vox enim exterior neque significat ipsum intellectum, neque speciem intelligibilem, neque actum intellectus, sed intellectus conceptionem qua mediante refertur ad rem.

c) Il diffère de l’action de l’esprit, parce que cette conception en est considérée comme le terme, et comme quelque chose de constitué par elle. Car l'intellect, par son action, forme la définition ou aussi la proposition affirmative ou négative. Cette conception de l'esprit en nous est proprement appelée verbe. Car c'est lui qui est signifié par le verbe extérieur, car la voix extérieure ne signifie pas l'esprit même, ni l'espèce intelligible, ni l'acte de l'esprit, mais sa conception par l'intermédiaire de laquelle elle a rapport à la réalité.

Huiusmodi ergo conceptio, sive verbum, qua intellectus noster intelligit rem aliam a se, ab alio exoritur, et aliud repraesentat. Oritur quidem ab intellectu per suum actum; est vero similitudo rei intellectae. Cum vero intellectus seipsum intelligit, verbum praedictum, sive conceptio, eiusdem est propago et similitudo, scilicet intellectus seipsum intelligentis. Et hoc ideo contingit, quia effectus similatur causae secundum suam formam: forma autem intellectus est res intellecta. Et ideo verbum quod oritur ab intellectu, est similitudo rei intellectae, sive sit idem quod intellectus, sive aliud.

Donc un tel concept, ou verbe, par lequel notre esprit comprend ce qui est autre que lui, vient d'un autre et représente un autre. Il prend naissance de l'esprit par son acte, il est l’image de ce qui est pensé. Mais quand l'esprit se pense lui-même, ce verbe dont on parle, ou son concept est son rejeton et son image, celle de l'esprit qui se pense lui-même. Et cela arrive, parce que l'effet ressemble à sa cause quant à la forme; mais la forme de l'esprit est ce qui est pensé. Et c'est pourquoi le verbe qui prend naissance de l'esprit est l’image de ce qui est pensé, qu’il soit identique à l'esprit ou autre15.

Huiusmodi autem verbum nostri intellectus, est quidem extrinsecum ab esse ipsius intellectus (non enim est de essentia, sed est quasi passio ipsius), non tamen est extrinsecum ab ipso intelligere intellectus, cum ipsum intelligere compleri non possit sine verbo praedicto.

Un tel verbe de notre esprit est extérieur à l'être de l'esprit lui-même (car il ne vient pas de l'essence, mais est pour ainsi dire sa passion), l'intellection n'est cependant pas extérieure à lui, puisqu’elle ne peut pas être complétée sans ce verbe.

Si ergo aliquis intellectus sit cuius intelligere sit suum esse, oportebit quod illud verbum non sit extrinsecum ab esse ipsius intellectus, sicut nec ab intelligere. Huiusmodi autem est intellectus divinus: in Deo enim idem est esse et intelligere. Oportet ergo quod eius verbum non sit extra essentiam eius, sed ei coessentiale.

Si donc il y a un esprit dont l'intellection soit son être propre, il faudra que ce verbe ne soit pas hors de l’esprit, ni non plus de son intellection. Mais l'esprit divin est tel. Car en Dieu l’être et l’intellection sont identiques. Il faut donc que son verbe ne soit pas hors de son essence, mais lui soit coessentiel.

Sic ergo in Deo potest inveniri origo alicuius ex aliquo, scilicet verbi et proferentis verbum, unitate essentiae servata. Ubicumque enim est origo alicuius ab aliquo, ibi oportet ponere realem relationem vel tantum ex parte eius quod oritur, quando non accipit eamdem naturam quam habet suum principium, sicut patet in exortu creaturae a Deo; vel ex parte utriusque, quando scilicet oriens attingit ad naturam sui principii, sicut patet in hominum generatione, ubi relatio realis est et in patre et in filio. Verbum autem in divinis est coessentiale suo principio, ut ostensum est. Relinquitur ergo quod in divinis sit realis relatio et ex parte verbi et ex parte proferentis verbum.

Ainsi donc en Dieu on peut trouver l'origine de l'un à partir de l'autre, à savoir celle du Verbe et de celui qui le profère, tout en conservant l'unité de l'essence. Car partout où il y a origine d'une chose à partir d'un autre, il faut placer une relation réelle surtout du côté de ce dont elle est issue, quand elle ne reçoit pas la même nature que son principe, comme cela apparaît dans la sortie de la créature de Dieu, ou du côté de l'un et l'autre, quand par exemple ce qui en est issu atteint la nature de son principe, comme cela apparaît dans la génération de l'homme où la relation est réelle dans le père et le fils. Mais le Verbe en Dieu est coessentiel à son principe, comme on l'a montré. Il reste donc qu'en Dieu il y a une relation réelle, du côté du Verbe et de celui qui le profère

 

Solutions:

q. 8 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in divinis personis re quidem essentiali est unitas; distinctio vero ratione, id est relatione, quae non differt ab essentia re, sed sola ratione, ut infra patebit.

# 1. Dans les personnes divines l'unité est de l’essence, et la distinction est de raison, c'est-à-dire par une relation qui ne diffère pas réellement de l’essence, mais seulement en raison, comme cela apparaîtra plus bas.

q. 8 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relatio quae est in divinis personis habet quidem similitudinem cum relatione identitatis, si unitas essentiae consideretur; sed si consideretur origo unius ab alio in eadem natura, ex hoc relationes praedictas oportet esse reales.

# 2. La relation, dans les personnes divines, ressemble à la relation d'identité, si on considère l'unité de l'essence, mais si on considère l'origine de l'un à partir de l'autre dans une même nature, alors il faut que ces relations soient réelles.

q. 8 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut Deus non mutatur in productione suae creaturae, ita non mutatur in productione sui verbi: sed tamen creatura non attingit ad essentiam et naturam divinam; unde essentia divina non communicatur creaturae. Et propter hoc relatio Dei ad creaturam non fit propter aliquid quod sit in Deo, sed solum secundum id quod fit ex parte creaturae. Sed verbum producitur ut coessentiale ipsi Deo; et ideo secundum id quod in Deo est, refertur Deus ad suum verbum, non solum secundum id quod ex parte verbi est. Tunc enim est relatio realis ex parte unius et non ex parte alterius, quando relatio consequitur per id quod est ex uno, et non per id quod ex alio, sicut patet in scibili et scientia: huiusmodi enim relationes causantur per actum scientis, non per aliquid scibile.

# 3. Dieu ne subit pas de changement dans la production de sa créature, de même il n’en subit pas non plus dans le production de son Verbe, mais cependant la créature ne concerne pas l'essence et la nature divine; c'est pourquoi l'essence divine n'est pas communiquée à la créature. Et la relation de Dieu à la créature ne se fait pas à cause de quelque chose qui serait en Dieu, mais seulement selon ce qui se fait du côté de la créature. Mais le Verbe est produit comme coessentiel à Dieu même; et c'est pourquoi Dieu, selon ce qui est en lui, est en relation avec son Verbe, et pas seulement selon ce qui est du côté du verbe. Car alors c'est une relation réelle du côté de l'un et non du côté de l'autre, quand la relation découle de ce qui vient de l'un et non de ce qui vient de l'autre, comme on le voit pour le connaissable et la connaissance, car les relations de ce genre sont causées par l'acte de celui qui connaît, non par quelque chose de connaissable.

q. 8 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio habet esse debilissimum quod est eius tantum; sic tamen non est in Deo: non enim habet aliud esse quam esse substantiae, ut infra patebit; unde ratio non sequitur.

# 4. La relation possède un être très faible, parce qu'elle ne vient que d'elle seulement, cependant il n’en est pas ainsi en Dieu, car elle n'a pas d'autre être que celui de la substance, comme on le verra plus loin (8, 2); c'est pourquoi celle raison ne vaut pas.

q. 8 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de relatione reali, quae habet aliud esse ab esse substantiae cui inest; sic autem non est in proposito, ut infra patebit.

# 5. Cette raison procède de la relation réelle, qui a un être différent de celui de la substance en qui elle est; mais ainsi elle ne concerne pas notre propos, comme on le verra plus loin.

q. 8 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum personae divinae relationibus distinguantur, non alio differunt quam seipsis, quia relationes sunt ipsae personae subsistentes, ut infra, patebit.

# 6. Comme les personnes divines sont distinguées par des relations, elles ne diffèrent de l'autre que par elles-mêmes, parce que les relations sont les personnes même subsistantes, comme cela apparaîtra plus bas (article 4).

q. 8 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod attributa essentialia quae sunt proprietates essentiae, sunt in Deo realiter, et non secundum rationem. Bonitas enim Dei est res quaedam, et similiter eius sapientia, et ita de aliis, licet ab essentia non differant nisi ratione; sic etiam est de relationibus, ut infra patebit.

# 7. Les attributs essentiels, qui sont les propriété de l'essence sont en Dieu réellement et non en raison. Car la bonté de Dieu est une réalité et sa sagesse aussi, de même pour les autres attributs, bien qu'ils ne diffèrent de l'essence qu'en raison et il en est ainsi des relations, comme cela paraîtra plus loin.

q. 8 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod substantia Dei esset imperfecta si aliquid ei inesset quod non esset ipsa. Relatio autem in Deo est substantia eius, ut infra patebit; unde ratio non sequitur.

# 8. La substance de Dieu serait imparfaite, s'il y avait quelque chose en lui qui ne soit pas sa substance. Or la relation en Dieu est sa substance, comme on le verra plus loin, c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

q. 8 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod mobile et accidens reducuntur ad aliquid prius sicut imperfectum ad perfectum. Nam accidens imperfectum est, et similiter motus est imperfecti actus. Sed hoc quod dicitur ad aliud, quandoque sequitur perfectionem rei, sicut patet in intellectu: nam consequitur eius operationem quae est eius perfectio; et ideo perfectio divina non prohibet relationem in Deo ponere sicut prohibet ibi ponere motum et accidens.

# 9. Le mobile et l'accident sont ramenés à ce qui est avant comme l'imparfait au parfait. Car l'accident est imparfait, et semblablement le mouvement est d'un acte imparfait. Mais ce qui est appelé relation, quelquefois découle de la perfection, comme on le voit dans l'esprit; car il poursuit son opération qui est sa perfection, et c'est pourquoi la perfection divine n'empêche pas de poser une relation en Dieu, comme elle empêche d'y poser le mouvement et l'accident.

q. 8 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod id quod necesse est per se esse, non refertur ad aliquid quod sit extraneum ab ipso: nihil tamen prohibet quin referatur ad aliquid intra ipsum. Unde cum non dicatur esse necesse per aliud, dicitur esse necesse per se ipsum.

# 10. Ce qui est nécessairement être par soi n’a rapport à rien d'extérieur à lui; cependant rien n'empêche qu'il ait rapport à quelque chose en lui. C'est pourquoi, comme on ne dit pas qu'il est nécessaire par un autre, on dit qu'il est nécessaire par soi.

q. 8 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod relatio realis in Deo consequitur actionem intellectus, non quidem ita quod relatio realis intelligatur intelligentis ad intellectum, sed ad verbum: quia intellectum non oritur ab intelligente, sed verbum.

# 11. La relation réelle en Dieu découle de l'action de l'esprit, non de sorte qu’on comprenne la relation réelle de celui qui pense à la pensée, mais au verbe; parce que la pensée ne prend pas son origine dans celui qui pense, mais c'est le verbe.

q. 8 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet ratio naturalis possit pervenire ad ostendendum quod Deus sit intellectus, modum tamen intelligendi non potest invenire sufficienter. Sicut enim de Deo scire possumus quod est, sed non quid est; ita de Deo scire possumus quod intelligit, sed non quo modo intelligit. Habere autem conceptionem verbi in intelligendo, pertinet ad modum intelligendi: unde ratio haec sufficienter probare non potest; sed ex eo quod est in nobis aliqualiter per simile coniecturare.

# 12. Bien que la raison naturelle puisse parvenir à montrer que Dieu est un esprit, cependant on ne peut pas arriver à le comprendre suffisamment. En effet, de même que nous pouvons savoir que Dieu existe, mais non ce qu'il est, de même nous pouvons savoir qu'il pense mais non de quelle manière il le fait. Avoir la conception du verbe en pensant convient au mode de penser, c'est pourquoi cette raison ne peut pas prouver suffisamment, mais elle peut le conjecturer en nous en quelque manière par ce qui lui ressemble.

q. 8 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in aliis oppositionibus semper alterum est ut imperfectum, vel non ens vel ut habens aliquid de non ente: negatio enim est non ens, et privatio est quaedam negatio, et duorum contrariorum alterum semper habet aliquid privationis; unde aliae oppositiones in Deo esse non possunt sicut oppositio relationis, quae ex neutra parte importat imperfectionem.

# 13. Dans les autres oppositions, toujours l'un est comme imparfait ou comme non étant ou comme ayant quelque chose du non étant: car la négation n'est pas le non étant, et la privation est une certaine négation et l'un des deux contraires a toujours quelque chose d'une privation: c'est pourquoi les autres oppositions en Dieu ne peuvent pas exister comme une opposition de relation, qui n'apporte d'imperfection ni d'un côté ni de l'autre.

 

1 Parall.: 1a, qu. 28, a. 1 — a. 2, —qu. 29, a. 4 c. — qu. 39, a. 1,— qu. 40, a. 1 — CG. IV, 14—I sent. d26q2a1. — d33q1a1 — Pot. qu. 2, a. 1, ad 3, ad 12 — Quodl. VI, a. 1, — Comp. 53.

2 Déjà évoqué en Pot. qu. 2, a. 1, obj. 4, à propos de la puissance générative du Père.

3 Pourquoi cette conclusion? Parce que la relation n'est ni commune, ni une.

4 PL. 64 1255 A – 1256 A.

5 "…c'est une relation de ce type qui est, dans la Trinité, celle du Père au Fils et de l'un à l'autre à l'Esprit saint, celle de ce qui est le même à ce qui est le même." (Courts traités de Théologie, Trad. H. Merle, p. 143). Le Père est Dieu, le Fils est Dieu: la relation est de Dieu à Dieu.

6 Sur les intellections secondes, ("intentions secondes" ou aspect logique de la réalité) voir Pot. qu. 1, a. 1 – qu. 7, a. 8 – qu. 7, a. 9— qu.7, a. 11.

7 Ce serait donc du fait d'étants différents.

8 La chose qui n’a plus rien au-delà est achevée et entière …Mais ce à quoi manque quelque chose qui reste au dehors n'est pas un tout si peu qu'il lui manque, car nous définissons l'entier ce dont rien n'est absent. (Physique, III, 6, 207 a 8)

9 "Concevons donc Dieu, si nous pouvons, autant que nous pouvons, bon sans qualité, grand sans quantité…" (Trad. BA. 15, p. 427)

10 "Ainsi donc, la substance maintient l'unité, la relation introduit un éléments multiple dans la Trinité." (Trad. H. Merle).

11 Pour Arius, voir Pot. qu. 2, a. 3.

12 Hérésie du Modalisme reprochée à Sabellius (IIIe siècle). La monarchianisme de Praxéas et de Noët (IIe siècle) est proche de cette hérésie. Les noms de Père, Fils, Esprit désignent une même personne et sont des attributs ou des modes accidentels d’un même Dieu, personnel et créateur, Rédempteur et sanctificateur.

13 "La quantité est soit discrète, soit continue." (Les Catégories, 6, 4 b 20. Trad. J. Tricot.)

14 Thomas désigne fréquemment la parole intérieure comme conception, conceptum, conceptus. On peut hésiter pour traduire conceptio entre conception et concept. Thomas emploi plusieurs mots pour désigner la même chose. En Ia, qu. 34, a. 1 d: il emploie conceptio, intellectus. Il emploie encore intentio ou ratio. H.-F. Dondaine traduit (La Trinité,I, Éd. des Jeunes, p. 217) a) chose connue, b) la species intelligible qui le constitua en acte de connaissant, c) l'acte de connaître, d) la conception de l'esprit. "Quiconque connaît (intelligit) du fait qu'il sait que quelque chose procède de lui, qui est le concept de ce qui est connu (quod est conceptio rei intellectae)…on l'appelle "verbe intérieur" (verbum cordis). Cf Veritate qu. 4, a. 1 c:Le verbe intérieur qui n'est rien d'autre que ce qui est considéré en acte par l'intellect…

15 Le verbe a deux aspects: il est objet de la pensée – il vient d’autre chose.

 

 

Article 2: La relation en Dieu est-elle sa substance?

q. 8 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum relatio in Deo sit eius substantia. Et videtur quod non.

Il semble que non1:

Objections:

q. 8 a. 2 arg. 1 Nulla enim substantia est relatio: haec est quaedam propositio immediata, sicut et haec: nulla substantia est quantitas. Ergo nec divina substantia est relatio.

1. Car aucune substance n'est une relation: proposition évidente, de même que celle-ci: Aucune substance n'est une quantité2. Donc la substance divine n'est pas une relation.

q. 8 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod divina substantia est relatio secundum rem, non tamen secundum rationem.- Sed contra, ratio cui nihil respondet in re, est cassa et vana. Sed nihil vane in Deo debet poni. Ergo non potest esse quod relatio differat ab essentia ratione existente.

2. Mais il faut dire que la substance divine est une relation en réalité, mais non en raison — En sens contraire, le concept à quoi rien ne correspond en réalité est vide et vain. Mais on ne doit rien placer de vain en Dieu. Donc il n'est pas possible que la relation diffère de l'essence si elle existe en raison.

q. 8 a. 2 arg. 3 Praeterea, personae divinae distinguuntur relationibus, sola enim relatio multiplicat Trinitatem, ut dicit Boetius. Si ergo personae divinae secundum substantiam non distinguuntur,- relatio autem nihil addit supra substantiam secundum rem, sed solum secundum rationem,- sequetur quod personae divinae distinguantur solum secundum rationem, quod est haeresis Sabellianae.

3. Les personnes divines se distinguent par les relations, car seule la relation multiplie la Trinité, comme le dit Boèce (La Trinité VI3). Si donc les personnes divines ne se distinguent pas par la substance — la relation n'ajoute rien à la substance en réalité, mais seulement en raison — il en découle que les personnes divines se distinguent seulement en raison, ce qui est l'hérésie de Sabellius4.

q. 8 a. 2 arg. 4 Praeterea, personae divinae non distinguuntur secundum aliquid absolutum, quia sequeretur quod distinguerentur secundum essentiam, ex hoc quod ea quae de Deo dicuntur absolute significant eius essentiam, ut bonitas, sapientia, et huiusmodi. Si ergo relationes sunt idem quod divina substantia, oportebit quod vel personae non distinguantur secundum relationes, vel quod distinctio personarum sit secundum essentiam.

4. Les personnes divines ne se distinguent pas dans l’absolu, parce qu'il en découlerait qu'elles se distingueraient selon l'essence, du fait que ce qui est dit selon l'absolu de Dieu signifie son essence, comme la bonté, la sagesse5, etc.. Donc si les relations sont identiques à la substance divine, il faudra que, ou bien les personnes ne se distinguent pas par les relations ou bien que la distinction des personnes vienne de l'essence.

q. 8 a. 2 arg. 5 Praeterea, si relatio est ipsa substantia Dei, sequeretur quod sicut Deus et sua magnitudo pertinet ad praedicamentum substantiae in divinis,- ex hoc quod Deus est sua magnitudo - ita pari ratione paternitas pertinebit ad praedicamentum substantiae; et sic omne quod de Deo dicitur, dicetur secundum substantiam; quod est contra Augustinum qui dicit, quod non omne quod de Deo dicitur, dicitur secundum suam substantiam: dicitur enim Deus ad aliquid, sicut pater ad filium.

5. Si la relation est la substance même de Dieu, il en découlera que, de même que Dieu et sa grandeur conviennent à la catégorie de la substance — du fait qu'il est sa propre grandeur — de même, à raison égale, la paternité conviendra à la catégorie de la substance et ainsi tout ce qu'on dit de Dieu, sera attribué à la substance; ce qui est contre Augustin (La Trinité V, 4 et 5) qui dit que ce n'est pas tout ce qu'on dit de Dieu qui est appelé sa substance; car on parle de Dieu comme relation, en tant que Père vis-à-vis du Fils.

q. 8 a. 2 arg. 6 Praeterea, quidquid praedicatur de praedicato, praedicatur de subiecto. Sed si relatio est ipsa essentia divina, haec praedicatio erit vera: essentia divina est paternitas; et pari ratione ista: filiatio est divina essentia. Ergo sequetur quod filiatio est paternitas.

6. Tout ce qui est attribué à un prédicat, est attribué au sujet. Mais si la relation est l'essence divine elle-même, l'attribution suivante est vraie: L'essence divine est la paternité; et à raison égale: La filiation est l'essence divine. Donc il en découlera que la filiation est la paternité.

q. 8 a. 2 arg. 7 Praeterea, quaecumque sunt idem, ita se habent, quod quidquid praedicatur de uno, praedicetur de alio, quia, secundum philosophum, quantamcumque differentiam assignaverimus, ostendentes erimus quod non idem. Sed de essentia divina praedicatur quod sit sapiens, quod creet mundum, et huiusmodi; quae non videntur praedicari posse de paternitate vel filiatione. Ergo relatio in divinis non est essentia divina.

7. Tout ce qui est identique se comporte de sorte que tout ce qui est attribué à l'un, est attribué à l'autre, parce que, selon le philosophe (Topiques, I, 18, 108 b 26) si petite que soit la différence que nous aurons attribuée, nous aurons montré que ce n'est pas la même chose. Mais on attribue à l'essence divine la sagesse, la création du monde, etc.; ces deux notions qui ne semblent pas pouvoir être attribuées à la paternité et ni à la filiation. Donc la relation en Dieu n'est pas l'essence divine.

q. 8 a. 2 arg. 8 Praeterea, id quod facit distinctionem in divinis personis, non est idem cum eo quod non distinguit nec distinguitur. Sed relatio in divinis distinguit; essentia autem non distinguit neque distinguitur. Ergo non sunt idem.

8. Ce qui apporte une distinction dans les personnes divines n'est pas identique à ce qui n'a apporté ni subit de distinction. Mais la relation a apporté une distinction en Dieu; et l'essence n'apporte ni ne subit de distinction. Donc elles ne sont pas identiques.

q. 8 a. 2 arg. 9 Praeterea, idem per suam essentiam non potest esse principium contrariorum, nisi per accidens. Sed distinctio, cuius est principium relatio in divinis, opponitur unitati, cuius est principium essentia. Ergo relatio et essentia non sunt idem.

9. Ce qui est identique par essence ne peut être le principe des contraires que par accident. Mais la distinction, dont la relation en Dieu est le principe, s'oppose à l'unité, dont le principe est l'essence. Donc la relation et l'essence ne sont pas identiques.

q. 8 a. 2 arg. 10 Praeterea, eorum quae sunt idem, in quocumque est unum et aliud. Si ergo essentia divina et paternitas est idem, in quocumque est essentia divina, erit et paternitas. Sed essentia divina est in filio. Ergo et paternitas; quod patet esse falsum.

10. Parmi chacune de ces choses qui sont identiques, il y en a une et une autre. Donc si l'essence divine et la paternité sont identiques, partout où il y a l'essence divine, il y aura la paternité aussi. Mais l'essence divine est dans le Fils. Donc la paternité sera aussi en lui, ce qui paraît faux.

q. 8 a. 2 arg. 11 Praeterea, relatio et essentia differunt saltem ratione in divinis. Sed ubi est diversa ratio, sive definitio, est diversorum esse: quia definitio est oratio indicans quid est esse. Ergo aliud erit esse relationis in divinis, et aliud substantiae. Ergo relatio et substantia differunt secundum esse, et ita realiter.

11. La relation et l'essence diffèrent au moins en raison en Dieu. Mais là où il y a une nature (ratio) ou une définition différentes, cela vient d'êtres différents, parce que la définition est une proposition qui indique ce qu'est l'être. Donc l'être de la relation en Dieu sera différent de celui de la substance. Donc la relation et la substance diffèrent selon l'être et donc réellement.

q. 8 a. 2 arg. 12 Praeterea, ad aliquid dicuntur quorum esse est ad aliud se habere, ut dicitur in praedicamentis. Esse ergo relationis est in respectu ad aliud, non autem esse substantiae. Ergo relatio et substantia non sunt idem secundum esse; et sic idem quod prius.

12. On appelle relation ce dont l'être a rapport avec autre chose, comme on le dit dans Les Catégories, (les relations 7, 6 a 367). Donc l'être de la relation est en rapport à autre chose, mais pas l'être de la substance. Donc la relation et la substance ne sont pas identiques selon l'être et ainsi de même que ci-dessus.

q. 8 a. 2 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit, quod aliquid dicitur in Deo non substantive sed relative. Quod autem substantiam divinam significat, dicitur substantialiter. Ergo relatio in divinis non significat substantiam divinam; et sic idem quod prius.

13. Augustin déclare (la Trinité, V, 4, 5 et 68) qu'on dit qu’il y a quelque chose en Dieu qui n’est pas substance mais relation. On parle substantiellement de ce que la substance divine signifie. Donc la relation ne signifie pas la substance, et ainsi de même que plus haut.

q. 8 a. 2 arg. 14 Praeterea, Augustinus dicit, quod Deus non eo Deus est quo pater est. Sed essentia divina est Deus; paternitate autem est pater. Ergo essentia non est paternitas; et sic relationes in Deo non sunt divina substantia.

14. Augustin dit (La Trinité, VII, 6) que Dieu n'est pas tant Dieu que Père. Mais l'essence divine est Dieu, et par la paternité il est Père. Donc l'essence n'est pas la paternité, et ainsi les relations en Dieu ne sont pas la substance divine.

En sens contraire:

q. 8 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Quidquid est in Deo, Deus est, ut Augustinus dicit. Sed relatio est in Deo, sicut paternitas in patre. Ergo relatio est ipse Deus, et divina substantia.

1. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, comme Augustin le dit (La Trinité V, 5 et sq.). Mais la relation est en Dieu, comme la paternité dans le Père. Donc la relation est Dieu lui-même, et la substance divine.

q. 8 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne suppositum in quo sunt diversae res, est compositum. Sed in persona patris est paternitas et essentia. Si igitur paternitas et essentia divina sunt duae res, sequeretur quod persona patris sit composita; quod patet esse falsum. Oportet ergo quod relatio in divinis sit ipsa substantia.

2. Tout suppôt en qui il y a diverses parties est composé. Mais dans la personne du Père, il y a la paternité et l'essence. Si donc la paternité et l'essence divine sont deux réalités, il en découlera que la personne du Père est composée; il est clair que c’est faux. Il faut donc que la relation en Dieu soit sa propre substance.

Réponse:

q. 8 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod, supposito quod relationes in divinis sint, de necessitate oportet dicere quod sint essentia divina: alias oporteret ponere compositionem in Deo, et quod relationes in divinis essent accidentia, quia omnis res inhaerens alicui praeter suam substantiam est accidens. Oporteret etiam quod aliqua res esset aeterna, quae non erit substantia divina; quae omnia sunt haeretica.

Si on suppose qu’il y a des relations en Dieu, il faut nécessairement dire qu'elles sont l'essence divine, autrement il faudrait placer une composition en Dieu et les relations seraient des accidents, parce que tout ce qui est inhérent à quelque chose au-delà de sa substance est un accident. Il faudrait aussi qu'une chose qui ne serait pas la substance divine, soit éternelle, toutes opinions qui sont hérétiques.

Ad huius ergo evidentiam sciendum est, quod inter novem genera quae continentur sub accidente, quaedam significantur secundum rationem accidentis: ratio enim accidentis est inesse; et ideo illa dico significari per modum accidentis quae significantur ut inhaerentia alteri, sicut quantitas et qualitas; quantitas enim significatur ut alicuius in quo est, et similiter qualitas. Ad aliquid vero non significatur secundum rationem accidentis: non enim significatur ut aliquid eius in quo est, sed ut ad id quod extra est. Et propter hoc etiam dicit philosophus, quod scientia, in quantum est relatio, non est scientis, sed scibilis.

Donc pour éclaircir cette question, il faut savoir que parmi les neuf genres qui sont contenus sous l'accident, certains sont signifiés en tant que tel; car la nature de l'accident est d'être inhérent et c'est pourquoi je dis qu'est signifié à la manière de l'accident ce qui est signifié comme inhérent à autre chose, comme la quantité et la qualité, car la quantité est signifiée comme de ce en quoi elle est, et de même la qualité. Mais la relation n'est pas signifiée comme ayant nature d'accident, car on ne la définit pas comme quelque chose de ce en quoi elle est, mais comme dirigée vers ce qui est à l'extérieur. Et c'est pour cela aussi que le Philosophe dit (Métaphysique, V, 15, 1021 a 259) que la connaissance, en tant que relation, ne vient pas de celui qui connaît mais du connaissable10.

Unde quidam attendentes modum significandi in relativis, dixerunt, ea non esse inhaerentia substantiis, scilicet quasi eis assistentia: quia significantur ad quoddam medium inter substantiam quae refertur, et id ad quod refertur. Et ex Et ex hoc sequebatur quod in rebus creatis relationes non sunt accidentia, quia accidentis esse est inesse. hoc sequebatur quod in rebus creatis

C'est pourquoi certains examinant la manière de s'exprimer dans les relatifs, ont dit qu'ils ne sont pas inhérents aux substances, c'est-à-dire comme une assistance pour elles, parce qu'ils sont signifiés pour quelque chose d'intermédiaire entre la substance qui est référée et ce à quoi elle est référée. Et de là il découlait que dans les créatures, les relations ne sont pas des accidents, parce que le propre de l'accident est d'être inhérent.

Unde etiam quidam theologi, scilicet Porretani, huiusmodi opinionem usque ad divinam relationem extenderunt, dicentes, relationes non esse in personis, sed eis quasi assistere. Et quia essentia divina est in personis, sequebatur quod relationes non sunt essentia divina; et quia omne accidens inhaeret, sequebatur quod non essent accidentia. Et secundum hoc solvebant verbum Augustini inductum, quod scilicet relationes non praedicantur de Deo secundum substantiam, nec secundum accidens. Sed ad hanc opinionem sequitur quod relatio non sit res aliqua, sed solum secundum rationem: omnis enim res vel est substantia vel accidens.

C'est pourquoi aussi, d’anciens théologiens11, à savoir les Porrétains, ont étendu une telle opinion à la relations en Dieu, disant qu'elle n'est pas dans les personnes, mais c'est comme si elles les assistaient12. Et parce que l'essence divine est dans les personnes, il en découlait que les relations ne sont pas l'essence divine, et parce que tout accident est inhérent, il en découlait qu'elles n'étaient pas des accidents. Et ils rejetaient ainsi la parole citée d'Augustin, disant que les relations ne sont pas attribuées à Dieu selon la substance, ni selon l'accident. Mais il découle de cette opinion que la relation n'est pas une réalité, mais elle est seulement de raison, car tout est substance ou accident.

Unde etiam quidam antiqui posuerunt relationes esse de secundis intellectis, ut Commentator dicit XI Metaph. Et ideo oportet hoc etiam Porretanos dicere, quod relationes divinae non sunt nisi secundum rationem. Et sic sequetur quod distinctio personarum non erit realis; quod est haereticum.

C'est pourquoi certains anciens ont pensé que les relations venaient des intellections secondes, comme le dit le Commentateur (Métaphysique, XI, com. 19). Et c'est pourquoi les Porrétains sont obligés de dire que les relations divines n'existent qu'en raison. Et ainsi il en découlera que la distinction des personnes ne sera pas réelle, ce qui est hérétique.

Unde dicendum est, quod nihil prohibet aliquid esse inhaerens, quod tamen non significatur ut inhaerens, sicut etiam actio non significatur ut in agente, sed ut ab agente, et tamen constat actionem esse in agente. Et similiter, licet ad aliquid non significetur ut inhaerens, tamen oportet ut sit inhaerens. Et hoc quando relatio est res aliqua; quando vero est secundum rationem tantum, tunc non est inhaerens. Et sicut in rebus creatis oportet quod sit accidens, ita oportet quod sit in Deo substantia, quia quidquid est in Deo, est eius substantia. Oportet ergo relationes secundum rem, esse divinam substantiam; quae tamen non habent modum substantiae, sed habent alium modum praedicandi ab his quae substantialiter praedicantur in Deo.

C'est pour cela qu'il faut dire que rien n'empêche quelque chose d'être inhérent, qui n'est pas cependant signifié en tant que tel, ainsi l'action n'est pas signifiée comme étant dans l'agent, mais comme venant de lui et cependant il est clair qu’elle est en lui. Et de même, bien que la relation ne soient pas signifiée comme inhérente, il faut cependant qu'elle le soit. Et cela quand la relation est réelle, mais quand elle est de raison seulement, alors elle n'est pas inhérente. Et de même que dans les créatures, il faut qu'elle soit un accident, de même il faut qu'elle soit en Dieu la substance, parce que tout ce qui est en Dieu est sa substance. Donc il faut que les relations réelles soient la substance divine; elles n'ont pas cependant le mode de la substance, mais un autre mode d'attribution que ce qui attribué substantiellement à Dieu

Solutions:

q. 8 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nulla substantia quae est in genere, potest esse relatio, quia est definita ad unum genus; et per consequens excluditur ab alio genere. Sed essentia divina non est in genere substantiae, sed est supra omne genus, comprehendens in se omnium generum perfectiones. Unde nihil prohibet id quod est relationis, in ea inveniri.

# 1. Aucune substance, qui est dans un genre, ne peut être relation, parce qu'elle est limitée à un seul genre, par conséquent elle est exclue d'un autre. Mais l'essence divine n'est pas dans le genre de la substance, mais est au-dessus de tout genre, comprenant en soi les perfections de tous les genres. C'est pourquoi rien n'empêche qu'on trouve en elle ce qui est une relation.

q. 8 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alia est ratio substantiae et relationis, et utrique respondet aliquid in re, quae Deus est; non tamen aliqua res diversa, sed una et eadem. Et hoc praecipue convenit quod duabus rationibus respondet una res, quando natura perfecte comprehendit ipsam rem; et sic est in proposito.

# 2. La nature de la substance est autre que celle de la relation, et à chacune correspond quelque chose dans la réalité, qui est Dieu. Cependant ce n'est pas une chose différente, mais une seule et même réalité. Et surtout il convient qu'une seule réalité corresponde aux deux natures, quand la nature exprime parfaitement la réalité même; et ainsi cela concerne notre sujet.

q. 8 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet relatio non addat supra essentiam aliquam rem, sed solum rationem, tamen relatio est aliqua res, sicut etiam bonitas est aliqua res in Deo, licet non differat ab essentia nisi ratione; et similiter est de sapientia. Et ideo sicut ea quae pertinent ad bonitatem vel sapientiam, realiter Deo conveniunt, ut intelligere et alia huiusmodi, ita etiam id quod est proprium realis relationis, scilicet opponi et distingui, realiter in divinis invenitur.

# 3. Bien que la relation n'ajoute rien à l'essence, mais seulement un rapport (ratio), elle est réelle, comme la bonté aussi est une réalité en Dieu, bien qu'elle ne diffère de l'essence qu'en raison; et il en est de même de la sagesse. Et ainsi de même que ce qui concerne la bonté et la sagesse convient réellement à Dieu, comme l'intellection, etc.; de même aussi ce qui est le propre de la relation réelle, à savoir l'opposition et la distinction, se trouvent réellement en Dieu.

q. 8 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod attributa essentialia non solum significant id quod est essentia divina, sed etiam significant per talem modum, quia significant aliquid ut in Deo existens; et propter hoc differentia, quae esset secundum absoluta, redundaret in diversitatem essentiae. Relationes autem divinae, licet significent id quod est divina essentia, non tamen per modum essentiae, quia non per modum inexistentis, sed per modum se habentis ad aliud. Unde distinctio quae attenditur secundum relationes in divina, non designat distinctionem in essentia, sed solum in hoc quod est ad aliud se habere per modum originis, ut supra expositum est.

# 4. Les attributs essentiels signifient non seulement ce qu'est l'essence divine, mais ils la signifient aussi d’une certaine manière, parce qu'ils signifient quelque chose comme existant en Dieu et à cause de cela une différence selon l'absolu, apporterait quelque chose en trop dans la différence qui est dans l'essence. Mais bien que les relations en Dieu signifient ce qu'est son essence, ce n'est pas cependant à la manière de l'essence, parce que ce n'est pas par la manière de ce qui n'existe pas mais à celle de ce qui a rapport à autre chose. C'est pourquoi la distinction qui est atteinte selon les relations en Dieu, ne désigne pas une distinction dans l'essence, mais seulement dans ce qui se comportent comme relation par mode d'origine, comme on l'a exposé ci-dessus.

q. 8 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet relatio sit substantia divina, non tamen significat per modum substantiae, ut supra expositum est; et ideo non dicitur secundum substantiam, quia dici secundum substantiam pertinet ad modum significandi.

# 5. Bien que la relation soit la substance divine, elle n'a cependant pas de signification à la manière de la substance, comme on l'a exposé ci-dessus et ainsi on n'en parle pas selon la substance, parce qu'en parler ainsi convient à la manière de la signifier.

q. 8 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa tenet in praedicabilibus per se. Per se autem praedicatur aliquid de aliquo, quod praedicatur de eo secundum propriam rationem; quod vero non secundum propriam rationem praedicatur, sed propter rei identitatem, non etiam praedicatur per se. Cum ergo dicitur: essentia divina est paternitas, non praedicatur paternitas de essentia divina propter identitatem rationis, sed propter identitatem rei; et similiter nec essentia de paternitate, ut iam dictum est, quia alia est ratio essentiae et relationis. Et ideo in praedicto processu incidit fallacia accidentis: licet enim in Deo nullum sit accidens, est tamen quaedam similitudo accidentis, in quantum ea quae de se invicem praedicantur secundum accidens et differunt ratione, sunt unum subiecto.

# 6. Cette raison tient aux prédicables par soi13. Mais quelque chose est attribué par soi à quelque chose qui lui est attribué selon sa nature propre. Mais ce qui est attribué non pas selon sa nature propre mais à cause de son identité14 n'est pas attribué par soi. Donc quand on dit que la paternité est l'essence divine, on n'attribue pas la paternité à l'essence divine à cause d'une identité de raison, mais d'une identité réelle. Et de la même manière on n'attribue pas l'essence à la paternité, comme on l'a déjà dit, parce que la nature de l'essence est autre que celle de la relation. Et c'est pourquoi dans le développement déjà signalé15 on en arrive à une erreur à propos de l'accident; car bien qu'en Dieu il n'y ait nul accident, il y a cependant quelque chose qui y ressemble, dans la mesure où ce qui est attribué à soi réciproquement selon l'accident et qui diffère en raison, est un dans le substrat.

q. 8 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut philosophus dicit in III Phys., non oportet quod omnia eadem praedicentur quolibet modo de eisdem, sed solum de eisdem secundum rationem. Essentia autem divina et paternitas, etsi sint idem re, non sunt idem ratione; et ideo non oportet quod quidquid praedicatur de aliquo uno, praedicetur de alio. Sciendum tamen, quod quaedam sunt quae consequuntur proprias rationes essentiae et relationis: sicut quod esse commune sequitur ad essentiam, distinguere sequitur ad relationem. Unde unum horum ab alio removetur, neque enim essentia distinguit, neque relatio est communis. Quaedam vero non quantum ad principale significatum, sed quantum ad modum significandi, habent aliquam differentiam a ratione essentiae vel relationis; et ista praedicantur quidem de essentia vel relatione, licet non proprie; et huiusmodi sunt adiectiva, et verba substantialia, ut bonus, sapiens, intelligere, et velle: huiusmodi enim quantum ad rem significatam, significant ipsam essentiam; sed tamen significant eam per modum suppositi, et non in abstracto. Et ideo propriissime dicuntur de personis, et de nominibus essentialibus concretis, ut Deus, vel pater bonus, sapiens, creans, et alia huiusmodi; de essentia autem in abstracto significata, et non per modum suppositi, sed improprie. Adhuc autem minus proprie de relationibus, quia huiusmodi conveniunt supposito secundum essentiam, non autem secundum relationem: Deus enim est bonus, vel creans, ex eo quod habet essentiam, non ex eo quod habet relationem.

# 7. Comme le philosophe le dit (Physique, III, 3, 202 b 1516), il ne faut pas attribuer tout ce qui est identique d'une certaine manière à l'identique mais, seulement à ce qui est identique en raison. Mais même si l'essence divine et la paternité sont identiques en réalité, elles ne le sont pas en raison; c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui est attribué à l'un le soit à l'autre. Il faut savoir cependant qu'il y a certaines choses qui suivent leur propre nature d'essence et de relation: ainsi l'être commun se rattache à l'essence, et la distinction se rattache à la relation. C'est pourquoi l'une de ces choses est exclue par l'autre, car l'essence n'a pas distingué, et la relation n'est pas commune. Mais certaines, non pas pour le signifié principal, mais quant au mode de signifier, ont une différence par la nature de l'essence ou de la relation, et ces choses sont attribuées à l'essence ou à la relation, bien que non au sens propre. Les adjectifs sont de ce genre et les mots substantiels comme bon, sage, intellection, vouloir. Car de cette manière, pour ce qui est signifié, ils signifient l'essence, mais cependant il la signifie par le mode de suppôt, et non dans l'abstrait. Et c'est pourquoi on les dit les plus propres pour les personnes et les noms essentiels concrets, comme Dieu ou Père bon, sage, créateur, etc., pour l'essence signifiée dans l'abstrait aussi et non par mode de suppôt, mais improprement. Mais encore moins proprement des relations, parce qu'elles conviennent en tant que telles au suppôt selon l'essence mais non selon la relation: car Dieu est bon ou créateur du fait qu'il a l'essence, mais non du fait qu'il a la relation.

q. 8 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud quod facit distinctionem, potest esse cum eo quod nec distinguit nec distinguitur, idem re, sed non ratione.

# 8. Ce qui fait la distinction peut être avec ce qui ne l'apporte, ni ne la subit; identique en réalité, mais pas en raison.

q. 8 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unitas essentiae non opponitur distinctioni relationum: unde non sequitur quod relatio et essentia sint causae oppositorum.

# 9. L'unité de l'essence n'est pas opposée à la distinction des relations. C'est pourquoi il n'en découle pas que la relation et l'essence sont les causes des opposés.

q. 8 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quaecumque sunt eadem re et ratione oportet quod in quocumque est unum, sit aliud. Non autem hoc oportet de his quae sunt eadem re, sed non ratione; sicut instans est idem quod est principium futuri et finis praeteriti, non tamen principium futuri dicitur esse in praeterito, sed id quod est futuri principium; et similiter non dicitur quod paternitas est in filio, sed id quod est, scilicet essentia.

# 10. Tout ce qui est identique en réalité et en raison doit être autre en chaque chose où il est en tant qu’unité. Mais il ne le faut pas pour ce qui est identique en réalité, mais non en raison, comme l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du passé est le même, on ne dit pas cependant que le commencement du futur est dans le passé, mais on dit que c’est ce qui est le commencement du futur, et de même on ne dit pas que la paternité est dans le Fils, mais ce qu’il est, à savoir l'essence.

q. 8 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis nullo modo est esse nisi essentiae, sicut nec intelligere nisi intellectus; et propter hoc, sicut in Deo est tantum unum intelligere, ita etiam unum esse. Et ideo nullo modo concedendum est, quod aliud sit esse relationis in divinis, et aliud essentiae. Ratio autem non significat esse, sed esse quid, id est quid aliquid est. Unde duae rationes unius rei non demonstrant duplex esse eius sed demonstrant quod dupliciter de illa re potest dici quid est; sicut de puncto potest dici quid est sicut principium et ut finis, propter diversam rationem principii et finis.

# 11. En Dieu, il n'y a en aucune manière d’être que celle de l'essence, de même qu'il n'y a d'intellection sinon de l'esprit, et ainsi, de même qu'en Dieu, il n'y a qu’une seule intellection, il n'y a aussi qu'un seul être. Et c'est pourquoi en aucune manière il ne faut concéder que l'être de la relation en Dieu est autre que celui de l'essence. Mais la raison ne signifie pas l'être mais être quelque chose, c'est-à-dire ce qu’il est. C'est pourquoi deux natures d'une même chose unique ne révèlent pas que son être est double; mais qu'on peut parler de deux manières de ce qu'elle est; comme d'un point, on peut dire qu'il est aussi bien le commencement que la fin, à cause de la nature différente du commencement et de la fin.

q. 8 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, cum relatio sit accidens in creaturis, esse suum est inesse; unde esse suum non est ad aliud se habere; sed esse huius secundum quod ad aliquid, est ad aliud se habere.

# 12. Comme la relation est un accident dans les créatures, son être est d'être inhérente. C'est pourquoi son être n’a pas rapport à un autre mais l'être de ce selon quoi il y a relation apporte une relation à un autre.

q. 8 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod dicuntur relativa de Deo praedicari non substantialiter, quia non praedicantur per modum existentis in substantia, sed per modum ad aliud se habentis, non ideo quin illud quod significant, sit substantia.

# 13. On dit que les relatifs ne sont pas attribués à Dieu substantiellement, parce qu'ils ne sont pas attribués par mode d'existence dans la substance mais à la manière de ce qui est en relation à un autre, non de telle sorte que ce qu'ils signifient soit la substance.

q. 8 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod Deus dicitur non eo Deus quo pater, propter diversum modum significandi divinitatis et paternitatis, ut expositum est.

14. On dit que Dieu n'est pas tant Dieu que Père à cause de la manière différente de signifier sa divinité et sa paternité, comme on l'a exposé (dans le corps de l'article).

 

1 Parall.: Ia, qu. 28, a. 2 — I Sent. d33q1a1 — CG. IV, 14 —Qdl. VI, q. 1 — Comp. 54, 66, 67. — Qdl. VI, 1, c.: "Il en découlerait qu'en Dieu il y aurait composition…La propriété personnelle diffère cependant de l'essence selon la manière de la comprendre ou de la signifier, car on parle de l'essence dans l'absolu, mais la propriété personnelle apporte une relation.

2 Cf. qu. 9, a. 4, obj. où les termes sont inversés.

3 Cité Pot. qu. 8, a. 1, sed contra. 1.

4 Cf. qu. 8, a. 1, c.

5 Cf. ce qu’il précise qu. 8, 1, a.sol. 7.

6 "Car une fois que nous aurons découvert une différence, quelle qu'elle soit, entre les objets qui nous sont proposés, nous aurons par là même montré qu'ils ne sont pas une seule et même chose."

7 "On appelle relatives ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles sont dites dépendre d'autres choses, ou se rapporte de quelque autre façon à autre choses." (Trad. J. Tricot).

8 "Il ne s'ensuit pas, toutefois que toute attribution ait un sens substantiel, il y a en effet, la relation, par exemple, le Père est relatif au Fils et le Fils relatif au Père, qui n'est pas un accident…"

9 Aristote n° 496, Thomas, 1028.

10 C’est le connaissable qui devient inhérent à celui qui connaît.

11 Antiqui théologi (Éd. Marietti) désignent les théologiens des XIe et XIIe siècles.

12 "Les relations so sont assistantes, c'est-à-dire accolées du dehors. (relationes in divinis sunt assistentes, sive extrinsecus affixae)" Ia, qu. 28, a. 2, c..

13 Les prédicables sont cinq: le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident. Cf. Ia, qu. 77, a. 1, ad 5.

14 Identitas opposé à diversitas.

15 L'opinion des Porrétains.

16 Thomas, lectio 5, n° 317: "…car l'identité totale n'appartient pas aux choses qui sont identiques d'une façon quelconque, mais seulement à celle dont l'essence est identique."

 

 

               

 

Article 3: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?

 

q. 8 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis. Et videtur quod sic.         

Il semble que oui1.

Objections:

q. 8 a. 4 arg. 1 Ea enim quae sunt in creaturis, sunt exemplata ab his quae sunt in Deo. Sed in humanis, remotis relationibus et proprietatibus hypostasis, adhuc remanent hypostases. Ergo et similiter in divinis.

1. Car ce qui est dans les créatures est l'image (exemplata) de ce qui est en Dieu. Mais chez les hommes, si on exclut leurs relations et leurs propriétés, les hypostases demeurent encore. Et il en est donc de même en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 2 Praeterea, pater non habet ab eodem quod sit quis et quod sit pater, cum etiam filius sit quis et non sit pater. Remoto ergo a patre quod sit pater, remanet quod sit quis. Est autem quis in quantum est hypostasis. Remota ergo paternitate per intellectum, adhuc remanet hypostasis patris.                                                                         

2. Le Père ne tient pas d'une même [nature] d'être ce qu'il est et d'être Père, puisque le Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas Père. Donc si on exclut du Père qu'il est Père, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il est ce qu’il est en tant qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

q. 8 a. 4 arg. 3 Praeterea, cum quaelibet res intelligatur per suam definitionem, potest unaquaeque res intelligi remoto eo quod in eius definitione non ponitur. Sed relatio non ponitur in definitione hypostasis. Ergo remota relatione adhuc intelligitur hypostasis.             

3. Comme chaque chose est comprise par sa définition, elle peut être comprise si on exclut ce qui n'est pas placé dans sa définition. Mais la relation n'est pas placée dans la définition de l'hypostase. Donc si on exclut la relation, on comprend encore l'hypostase.

q. 8 a. 4 arg. 4 Praeterea, Iudaei et gentiles intelligunt in Deo hypostasim: intelligunt enim Deum esse rem quamdam per se subsistentem, nec tamen intelligunt in eo paternitatem et filiationem, et huiusmodi relationes. Ergo remotis huiusmodi relationibus per intellectum, remanent adhuc hypostases in divinis.                                                                    

4. Les Juifs et les païens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils comprennent que Dieu est un être qui subsiste par soi et cependant ils ne comprennent pas en lui la paternité, la filiation et les relations de ce genre. Donc si on exclut en esprit ces relations, les hypostases demeurent en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 5 Praeterea, omne quod se habet ex additione, remota additione, remanet id cui fit additio; sicut homo addit supra animal rationale: est enim homo animal rationale; unde remoto rationale, remanet animal. Sed persona addit proprietatem supra hypostasim: est enim persona hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota proprietate a persona secundum intellectum, remanet hypostasis.                

5. Pour tout ce qui comporte un ajout, si on l'enlève, demeure ce à quoi est fait cet ajout; ainsi homme ajoute le raisonnable à animal, car il est un animal raisonnable; c'est pourquoi, si on enlève le raisonnable, l'animal demeure. Mais la personne ajoute une propriété à l'hypostase. Car elle est hypostase par une propriété distincte, qui se rattache à sa dignité. Donc si on exclut en esprit cette propriété de la personne, l'hypostase demeure.

q. 8 a. 4 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod verbum est sapientia genita. Sapientia vero hypostasim supponit, genitum autem proprietatem. Remoto ergo a verbo quod sit genitum, remanet hypostasis verbi, et eadem ratione in aliis personis.

 6. Augustin dit (la Trinité VII, 2) que le Verbe est la Sagesse engendrée. Mais la Sagesse suppose une hypostase, et le fait d'être engendré une propriété. Donc si on exclut du Verbe qu'il est engendré, son hypostase demeure et pour la même raison, elle demeure dans les autres personnes.

q. 8 a. 4 arg. 7 Praeterea, remota paternitate et filiatione secundum intellectum, adhuc remanet in divinis qui ab alio, et a quo alius. Haec autem hypostases designant. Ergo remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

7. Si on exclut en esprit la paternité, la filiation, il demeure encore dans la divinité ce qui vient d’un autre, et par quoi il est autre. Mais cela les hypostases le désignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 8 Praeterea, remota differentia constitutiva, adhuc remanet genus. Sed proprietates personales, cum constituant personas, sunt in divinis sicut differentiae constitutivae. Ergo remotis proprietatibus, remanet genus personae, quod est hypostasis.

 8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure encore, mais comme les propriétés personnelles constituent les personnes, elles sont en Dieu comme des différences constitutives. Donc si on les exclut, le genre de la personne, qui est l'hypostase, demeure.

q. 8 a. 4 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod remoto hoc quod est pater, adhuc remanet ingenitus. Sed ingenitus est quaedam proprietas cuius suppositum esse non potest nisi hypostasis. Ergo remota paternitate, adhuc remanet hypostasis patris.          

9. Augustin dit (La Trinité, V, 6), que si on exclut ce qui est le Père, demeure encore l'inengendré. Mais être inengendré est une propriété dont le suppôt ne peut être que l'hypostase. Donc si on exclut la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

q. 8 a. 4 arg. 10 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates hypostasum, ita attributa sunt proprietates essentiae. Sed remoto per intellectum attributo essentiali, adhuc remanet intellectus divinae substantiae. Boetius enim dicit quod remota bonitate a Deo per intellectum, adhuc remanet quod sit Deus. Ergo similiter remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

10. Les relations sont les propriétés des hypostases; de même les attributs sont les propriétés de l'essence. Mais si on exclut en esprit un attribut essentiel, le concept de la substance divine demeure encore. Car Boèce dit (De hebdomadibus) que si on exclut en esprit la bonté de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc de la même manière, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum Boetium, proprium est intellectus, coniuncta secundum naturam dividere. Proprietas autem et hypostasis sunt realiter coniuncta in Deo. Ergo intellectus potest ea ab invicem separare.

 11. Selon Boèce (Sur le Préambule de Porphyre, dans les prédicables) le propre de l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la propriété et l'hypostase sont réellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut les séparer l'une de l'autre.

q. 8 a. 4 arg. 12 Praeterea, remoto eo quod est in aliquo, potest intelligi id in quo est; sicut remoto accidente potest intelligi subiectum. Sed relationes ponuntur in divinis hypostasibus esse. Ergo remotis relationibus secundum intellectum, adhuc remanent hypostases.        

12. Si on exclut ce qui est dans une chose, on peut connaître ce en quoi elle est; ainsi si on exclut l'accident, on peut connaître le sujet. Mais les relations sont placées pour être dans les hypostases divines. Donc, si on les exclut en esprit, restent encore les hypostases.

En sens contraire :

q. 8 a. 4 s. c. Sed contra. In divinis distinctio non potest esse nisi secundum relationes. Sed hypostasis dicit aliquid distinctum. Ergo remotis relationibus non remanet hypostasis. Cum enim in divinis non ponantur nisi duo modi praedicandi, scilicet secundum substantiam, et ad aliquid, remotis relationibus non remanent nisi ea quae ponuntur secundum substantiam. Haec autem sunt quae pertinent ad essentiam; et sic non remanent hypostases distinctae.                                                

En Dieu la distinction ne peut exister que selon les relations. Mais l'hypostase désigne ce qui est distinct. Donc, si on exclut les relations, l'hypostase ne demeure pas. En effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes d'attribution, à savoir selon la substance et selon la relation, si on exclut les relations, il ne demeure que ce qui est placé selon la substance, mais c'est ce qui concerne l'essence et ainsi les hypostases ne demeurent pas distinctes.

Réponse :

q. 8 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quidam posuerunt hypostases in divinis non constitui nec distingui relationibus, sed per solam originem. Relationes autem dicebant consequi ipsam originem personarum, sicut originis terminos, quibus complementum originis designatur, et sic ad quamdam dignitatem pertinent. Unde cum persona videatur esse nomen dignitatis, intellectis huiusmodi relationibus supra hypostases, dicebant constitui personas; et sic huiusmodi relationes dicebant esse constitutivas personarum, sed non hypostasum.

 Comme ci-dessus (article précédant2) on l'a dit, certains ont pensé que les hypostases en Dieu ne sont pas constituées ni distinguées par les relations, mais par leur seule origine, Mais ils disaient que les relations découlaient de l'origine même des personnes, comme ses limites, par lesquelles est désigné ce qui la complète et ainsi elles se rattachent à une certaine dignité. C'est pourquoi, comme la personne semble être un nom de dignité, si de telles relations sont comprises en plus des hypostases, ils disaient que les personnes étaient constituées et ainsi ils disaient que de telles relations étaient constitutives des personnes mais pas des hypostases.

Et pro tanto apud quosdam huiusmodi relationes personalitates dicuntur; et ideo sicut apud nos, remotis ab aliquo homine his quae ad dignitatem pertinent, quae faciunt eum esse personam, remanet eius hypostasis, ita in divinis, remotis per intellectum huiusmodi relationibus personalibus a personis, dicunt, quod remanebant hypostases, non tamen personae.

 Et pour autant chez certains, les relations de ce genre sont appelées les ‘personnalités’: et c'est pourquoi, de même que pour nous, si on exclut de l’homme ce qui concerne sa dignité, qui en fait une personne, son hypostase demeure, de même en Dieu, si une fois exclues en esprit de telles relations des personnes, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les personnes.

Sed quia iam supra ostensum est quod relationes praedictae et hypostases constituunt et distinguunt, ideo secundum alios dicendum est, quod remotis per intellectum huiusmodi relationibus, sicut non remanent personae, ita non remanent hypostases. Remoto enim eo quod est constitutivum alicuius, non potest remanere id quod per ipsum constituitur.Mais parce que déjà ci-dessus, on a montré que ces relations constituent et distinguent les hypostases, il faut en conséquence dire selon d'autres, que, si on exclut en esprit de telles relations, les personnes ne demeurent pas, et les hypostases non plus. Car si on exclut ce qui est constitutif, ce qui en est constitué par soi ne peut pas demeurer.

Solutions:

q. 8 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hominibus hypostases non constituuntur neque per relationes neque per proprietates, sicut constituuntur in divinis, ut ostensum est; et ideo non est simile.       

# 1. Chez les hommes les hypostases ne sont constituées ni par les relations, ni par les propriétés, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a montré, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater ab eodem habet quod sit quis et quod sit pater: ab eodem, inquam, secundum rem, et non secundum rationem, sed differenti secundum rationem, vel sicut differt generale a speciali, vel commune a proprio: sicut patet quod homo ab eadem forma substantiali habet quod sit animal et quod sit homo; non enim sunt unius rei plures formae substantiales secundum rem diversae: et tamen ab anima, inquantum est anima sensibilis, tantum habet quod sit animal; inquantum vero est anima sensibilis et rationalis, habet ab ea quod sit homo. Et propter hoc et equus est animal, sed non est homo, quia non habet animam sensibilem eamdem numero quam habet homo: et pro tanto etiam non est idem animal numero. Similiter dico in proposito, quod pater habet quod sit quis et quod sit pater a relatione; sed quod sit quis, habet a relatione communiter sumpta; quod autem sit hic quis, habet ab hac relatione quae est paternitas; et propter hoc etiam filius, in quo est relatio, sed non haec relatio quae est paternitas, est quis, sed non est hic quis qui est pater.            

# 2. Par une même [nature], le Père a qu'il est tel et est Père; par un même [nature], dis-je, en réalité, et non en raison, mais différente en raison; comme le général diffère du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est propre; ainsi il est clair que l'homme par la même forme substantielle est animal et homme; car il n'existe pas plusieurs formes substantielles d'une seule chose différentes en réalité. Et cependant par l'âme en tant qu'elle est sensitive, il est seulement animal, mais par l’âme, en tant que sensitive et raisonnable, il est un homme. Et le cheval est un animal, et pas un homme, parce qu'il a une âme sensitive la même en nombre que celle de l'homme, et pour autant il n'est pas le même animal en nombre. Je dis qu'il en est de même pour notre propos, parce que le Père est tel et est Père par relation, mais qu'il soit tel vient d'une relation assumée en commun, mais qu'il soit ce qu’il est, il l'a par cette relation qui est la paternité et à cause de cela le Fils aussi, en qui est la relation, mais cette relation qui est la paternité n'est pas ce qu’il est et ce n’est pas ce qu’il est qui est Père.

q. 8 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid in relatione alicuius potest poni dupliciter: scilicet explicite, sive in actu, et implicite sive in potentia. In ratione enim animalis non ponitur anima rationalis explicite et in actu, quia sic omne animal haberet animam rationalem; sed implicite et in potentia, quia animal est substantia animata sensibilis. Sicut autem sub anima in potentia continetur anima rationalis, ita sub animato rationale: et ideo quando definitio animalis actu attribuitur homini, oportet quod rationale sit de definitione animalis explicite, secundum quod animal est idem homini. Et similiter est in proposito; hypostasis enim, communiter sumpta, est substantia distincta: unde cum in divinis non possit esse distinctio nisi per relationem, cum dico hypostasim divinam, oportet quod intelligatur relatione distincta. Et ita relatio, quamvis non cadat in definitione hypostasis quod est homo, cadit tamen in definitione hypostasis divinae.

                                     

# 3. On peut placer quelque chose en relation de deux manières : à savoir explicitement, ou en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans la nature de l'animal on ne place pas l'âme raisonnable explicitement et en acte, parce qu'ainsi tout animal aurait une âme raisonnable, mais implicitement et en puissance, parce que l'animal est une substance animée, douée de sensibilité. De même que l'âme raisonnable est contenue en puissance sous l'âme; de même le raisonnable sous l'animé; et ainsi quand la définition de l'animal en acte est attribuée à l'homme, il faut que le raisonnable soit de la définition de l'animal explicitement selon que l’animal est identique à l'homme. Et il en est de même pour notre propos: car l'hypostase prise communément est une substance distincte: c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne peut y avoir de distinction que par la relation, quand je parle de l'hypostase divine, il faut comprendre qu'elle est distincte par une relation. Et ainsi, quoique la relation ne soit pas comprise dans la définition de l'hypostase, parce qu'il est l'homme, elle s’applique cependant à la définition de l'hypostase divine.

q. 8 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Iudaei et gentiles non intelligunt essentiam distinctam nisi ab his quae sunt alterius naturae, quae quidem distinctio fit per ipsam divinam essentiam. Sed apud nos hypostasis intelligitur ut distincta ab eo quod est eiusdem naturae, a quo non potest distingui nisi per relationem tantum: et ideo ratio non procedit.          

# 4. Les Juifs et les Païens ne comprennent une essence distincte que par ce qui est d’une autre nature. Cette distinction se fait par l'essence divine elle-même. Mais pour nous, l'hypostase est comprise comme distincte de ce qui est d’une même nature3, elle ne peut en être distinguée que par relation seulement; et c'est pourquoi cette raison ne vaut pas.

q. 8 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod alius est modus quo definiuntur accidentia, et quo definiuntur substantiae. Substantiae enim non definiuntur per aliquid quod sit extra essentiam eorum: unde id quod primo ponitur in definitione substantiae est genus, quod praedicatur in eo quod quid de definito. Accidens vero definitur per aliquid quod est extra essentiam eius, scilicet per subiectum, a quo secundum suum esse dependet. Unde id quod ponitur in definitione eius, loco generis, est subiectum; sicut cum dicitur: simum est nasus curvus. Sicut ergo in definitionibus substantiarum, remotis differentiis, remanet genus; ita in definitione accidentium, remoto accidente, quod ponitur loco differentiae, remanet subiectum; aliter tamen et aliter. Remota enim differentia remanet genus, sed non idem numero: remoto enim rationali, non remanet idem numero animal, quod est animal rationale; sed remoto eo quod ponitur loco differentiae in definitionibus accidentium, remanet idem subiectum numero: remoto enim curvo vel concavo, remanet idem nasus numero. Et hoc est, quia accidens non complet essentiam subiecti sicut differentia complet essentiam generis. Cum ergo dicitur: persona est hypostasis, proprietate distincta ad dignitatem pertinente, non ponitur hypostasis in definitione personae ut subiectum, sed ut genus. Unde remota proprietate ad dignitatem pertinente, non remanet hypostasis eadem, scilicet numero vel specie, sed solum secundum genus, prout salvatur in substantiis non rationalibus.

                                     

# 5. La manière dont on définit les accidents est différente de celle dont on définit les substances. Car ces dernières ne sont pas définies par quelque chose qui est en dehors de leur essence ; c'est pourquoi ce qui est d'abord placé dans la définition de la substance est le genre, qui est attribué en ce qui est l'essence de ce qui est défini. Mais l'accident est défini par quelque chose qui est hors de son essence, à savoir par le sujet, de qui il dépend selon son être. C'est pourquoi ce qui est placé dans sa définition, à la place du genre, c’est le sujet; ainsi quand on parle de camus4 c’est le nez concave. Donc, de même que dans les définitions des substances, si on exclut les différences, le genre demeure, de même dans celle des accidents, si on exclut l'accident qui est mis à la place de la différence, le sujet demeure; de façon différente cependant. Car si on exclut la différence, le genre demeure, mais non le même en nombre; mais si on exclut le rationnel, l'animal ne demeure pas le même en nombre parce que c'est un animal raisonnable; car si on exclut le courbe ou le concave, le même nez demeure en nombre. Et c'est parce que l'accident n'achève pas l'essence du sujet comme la différence achève l'essence du genre. Donc quand on dit: la personne est une hypostase par une propriété distincte, qui convient à sa dignité, on ne place pas une hypostase dans la définition de la personne comme sujet, mais comme genre. C'est pourquoi, si on exclut la propriété qui concerne la dignité, l'hypostase ne demeure pas la même, à savoir en nombre ou en espèce, mais seulement en genre dans la mesure où elle est conservée dans les substances sans raison.

q. 8 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur: verbum est sapientia genita, ly sapientia supponit pro hypostasi, non tamen significat hypostasim; et ideo in significatione eius non clauditur proprietas, sed oportet quod addatur; sicut si dicam, quod Deus est filius genitus.                                     

# 6. Quand on dit : le Verbe est la sagesse engendrée, la "sagesse" remplace l'hypostase mais ne la signifie cependant pas; et c'est pourquoi sa propriété n'est pas enfermée dans sa signification, mais il faut l’ajouter: comme si je disais que Dieu est le Fils engendré.

q. 8 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qui ab alio et a quo alius, non differunt a paternitate et a filiatione, nisi sicut commune a proprio, quia filius significat eum qui est ab alio per generationem; et pater significat eum a quo alius per generationem; nisi forte dicamus, quod a quo alius et qui ab alio, importent originem, et pater et filius relationes originis consequentes. Sed ex supradictis iam patet quod per origines non constituuntur hypostases, sed per relationes.

                                     

# 7. Celui qui vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne diffèrent de la paternité et de la filiation que comme le commun du propre5, parce que le Fils signifie celui qui dépend d'un autre par génération; et le Père signifie celui d'où (vient) un autre par génération; à moins que, par hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui qui vient d’un autre révèlent l'origine et Père et Fils apportent les relations qui en dépendent . Mais on a montré déjàci-dessus que les hypostases ne sont pas constituées par les origines, mais par les relations.

q. 8 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum quod, remota differentia constitutiva, remanet genus in communi, non in eodem secundum speciem vel numerum.             

# 8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure dans ce qui est commun, non dans le même selon l'espèce et le nombre.

 

q. 8 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod intentio Augustini non fuit dicere: quod Deus pater remaneat ingenitus, remota paternitate, nisi forte prout ingenitus tunc importaret conditionem naturae, et non proprietatem personae. Fuit autem eius intentio ostendere quod, remota paternitate, potest remanere ingenitum in communi. Non enim oportet quod quidquid est ingenitum, sit pater.           

 

# 9. L'intention d'Augustin n'a pas été de dire que Dieu le Père demeure inengendré, si on exclut la paternité, à moins que par hasard inengendré apporte une condition de nature et non une propriété de la personne. Son intention a été de montrer que, si on exclut la paternité, il peut demeurer l’inengendré en commun. Car il ne faut pas que tout ce qui est inengendré soit le Père.

q. 8 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio bonitatis non constituit rationem essentiae, immo intelligitur bonum ut informativum entis; sed proprietas constituit hypostasim; et ideo non est simile.              

 

# 10. La nature de la bonté ne constitue pas celle de l'essence, bien plus on comprend le bien comme formateur de l'être, mais la propriété a constitué l'hypostase et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet intellectus possit aliqua coniuncta dividere, non tamen omnia: non enim potest dividere illa quorum unum est de ratione alterius; non enim potest dividere animal ab homine. Proprietas autem est de ratione hypostasis, et ideo ratio non sequitur.             

 

# 11. Bien que l'intellect puisse séparer6 certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout; car il ne peut pas séparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en effet, séparer l'animal de l'homme. Mais la propriété dépend de la nature de l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

q. 8 a. 4 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod remoto eo quod est in aliquo sicut in subiecto, vel sicut in loco, remanet id in quo est; non autem remoto eo quod est in aliquo sicut pars essentiae eius. Non enim remoto rationali, remanet homo; et similiter nec remota proprietate, remanet hypostasis.                

# 12. Si on exclut ce qui est en quelque chose, comme dans un sujet, ou comme dans un lieu, demeure ce en quoi il est; mais pas si on exclut ce qui est dans quelque chose comme une partie de son essence. Car si le raisonnable n’est pas exclu, l'homme demeure, et de même si la propriété n’est pas exclue, l'hypostase demeure.

 

1 Parall.: Ia, qu. 40, a. 3 — I Sent. d26q1a2 — Comp. 61.

2 Cf. 8, 3, resp. § 4.

3 Ce qui est d’une même nature, c’est l’essence.

4 Cf. Métaphysique, VII, 10, 1035 a 4 (p. 401, note 5). Par exemple, ce n’est pas de la concavité que la chair est une partie (car la chair est la matière dans laquelle la concavité se réalise), c’est du camus qu’elle est une partie (camus : nez concave est le composé, la concavité est la forme.) Thomas n° 1472

5 Propre: primo modo; ce qui convient à une seule espèce, mais pas à tous les individus de cette espèce (médecin) , secundo modo; propre à tous les individus d'une même espèce, mais pas à eux seuls (bipèdes).

6 Il s'agit d'analyse.

Article 4: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?

q. 8 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum remota relatione secundum intellectum, remaneat hypostasis in divinis. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1.

Objections:

q. 8 a. 4 arg. 1 Ea enim quae sunt in creaturis, sunt exemplata ab his quae sunt in Deo. Sed in humanis, remotis relationibus et proprietatibus hypostasis, adhuc remanent hypostases. Ergo et similiter in divinis.

1. Car ce qui est dans les créatures est l'image (exemplata) de ce qui est en Dieu. Mais chez les hommes, si on exclut leurs relations et leurs propriétés, les hypostases demeurent encore. Et il en est donc de même en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 2 Praeterea, pater non habet ab eodem quod sit quis et quod sit pater, cum etiam filius sit quis et non sit pater. Remoto ergo a patre quod sit pater, remanet quod sit quis. Est autem quis in quantum est hypostasis. Remota ergo paternitate per intellectum, adhuc remanet hypostasis patris.

2. Le Père ne tient pas d'une même [nature] d'être ce qu'il est et d'être Père, puisque le Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas Père. Donc si on exclut du Père qu'il est Père, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il est ce qu’il est en tant qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

q. 8 a. 4 arg. 3 Praeterea, cum quaelibet res intelligatur per suam definitionem, potest unaquaeque res intelligi remoto eo quod in eius definitione non ponitur. Sed relatio non ponitur in definitione hypostasis. Ergo remota relatione adhuc intelligitur hypostasis.

3. Comme chaque chose est comprise par sa définition, elle peut être comprise si on exclut ce qui n'est pas placé dans sa définition. Mais la relation n'est pas placée dans la définition de l'hypostase. Donc si on exclut la relation, on comprend encore l'hypostase.

q. 8 a. 4 arg. 4 Praeterea, Iudaei et gentiles intelligunt in Deo hypostasim: intelligunt enim Deum esse rem quamdam per se subsistentem, nec tamen intelligunt in eo paternitatem et filiationem, et huiusmodi relationes. Ergo remotis huiusmodi relationibus per intellectum, remanent adhuc hypostases in divinis.

4. Les Juifs et les païens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils comprennent que Dieu est un être qui subsiste par soi et cependant ils ne comprennent pas en lui la paternité, la filiation et les relations de ce genre. Donc si on exclut en esprit ces relations, les hypostases demeurent en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 5 Praeterea, omne quod se habet ex additione, remota additione, remanet id cui fit additio; sicut homo addit supra animal rationale: est enim homo animal rationale; unde remoto rationale, remanet animal. Sed persona addit proprietatem supra hypostasim: est enim persona hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota proprietate a persona secundum intellectum, remanet hypostasis.

5. Pour tout ce qui comporte un ajout, si on l'enlève, demeure ce à quoi est fait cet ajout; ainsi homme ajoute le raisonnable à animal, car il est un animal raisonnable; c'est pourquoi, si on enlève le raisonnable, l'animal demeure. Mais la personne ajoute une propriété à l'hypostase. Car elle est hypostase par une propriété distincte, qui se rattache à sa dignité. Donc si on exclut en esprit cette propriété de la personne, l'hypostase demeure.

q. 8 a. 4 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod verbum est sapientia genita. Sapientia vero hypostasim supponit, genitum autem proprietatem. Remoto ergo a verbo quod sit genitum, remanet hypostasis verbi, et eadem ratione in aliis personis.

6. Augustin dit (la Trinité VII, 2) que le Verbe est la Sagesse engendrée. Mais la Sagesse suppose une hypostase, et le fait d'être engendré une propriété. Donc si on exclut du Verbe qu'il est engendré, son hypostase demeure et pour la même raison, elle demeure dans les autres personnes.

q. 8 a. 4 arg. 7 Praeterea, remota paternitate et filiatione secundum intellectum, adhuc remanet in divinis qui ab alio, et a quo alius. Haec autem hypostases designant. Ergo remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

7. Si on exclut en esprit la paternité, la filiation, il demeure encore dans la divinité ce qui vient d’un autre, et par quoi il est autre. Mais cela les hypostases le désignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 8 Praeterea, remota differentia constitutiva, adhuc remanet genus. Sed proprietates personales, cum constituant personas, sunt in divinis sicut differentiae constitutivae. Ergo remotis proprietatibus, remanet genus personae, quod est hypostasis.

8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure encore, mais comme les propriétés personnelles constituent les personnes, elles sont en Dieu comme des différences constitutives. Donc si on les exclut, le genre de la personne, qui est l'hypostase, demeure.

q. 8 a. 4 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod remoto hoc quod est pater, adhuc remanet ingenitus. Sed ingenitus est quaedam proprietas cuius suppositum esse non potest nisi hypostasis. Ergo remota paternitate, adhuc remanet hypostasis patris.

9. Augustin dit (La Trinité, V, 6), que si on exclut ce qui est le Père, demeure encore l'inengendré. Mais être inengendré est une propriété dont le suppôt ne peut être que l'hypostase. Donc si on exclut la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

q. 8 a. 4 arg. 10 Praeterea, sicut relationes sunt proprietates hypostasum, ita attributa sunt proprietates essentiae. Sed remoto per intellectum attributo essentiali, adhuc remanet intellectus divinae substantiae. Boetius enim dicit quod remota bonitate a Deo per intellectum, adhuc remanet quod sit Deus. Ergo similiter remotis relationibus, adhuc remanent hypostases in divinis.

10. Les relations sont les propriétés des hypostases; de même les attributs sont les propriétés de l'essence. Mais si on exclut en esprit un attribut essentiel, le concept de la substance divine demeure encore. Car Boèce dit (De hebdomadibus) que si on exclut en esprit la bonté de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc de la même manière, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

q. 8 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum Boetium, proprium est intellectus, coniuncta secundum naturam dividere. Proprietas autem et hypostasis sunt realiter coniuncta in Deo. Ergo intellectus potest ea ab invicem separare.

11. Selon Boèce (Sur le Préambule de Porphyre, dans les prédicables) le propre de l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la propriété et l'hypostase sont réellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut les séparer l'une de l'autre.

q. 8 a. 4 arg. 12 Praeterea, remoto eo quod est in aliquo, potest intelligi id in quo est; sicut remoto accidente potest intelligi subiectum. Sed relationes ponuntur in divinis hypostasibus esse. Ergo remotis relationibus secundum intellectum, adhuc remanent hypostases.

12. Si on exclut ce qui est dans une chose, on peut connaître ce en quoi elle est; ainsi si on exclut l'accident, on peut connaître le sujet. Mais les relations sont placées pour être dans les hypostases divines. Donc, si on les exclut en esprit, restent encore les hypostases.

En sens contraire:

q. 8 a. 4 s. c. Sed contra. In divinis distinctio non potest esse nisi secundum relationes. Sed hypostasis dicit aliquid distinctum. Ergo remotis relationibus non remanet hypostasis. Cum enim in divinis non ponantur nisi duo modi praedicandi, scilicet secundum substantiam, et ad aliquid, remotis relationibus non remanent nisi ea quae ponuntur secundum substantiam. Haec autem sunt quae pertinent ad essentiam; et sic non remanent hypostases distinctae.

En Dieu la distinction ne peut exister que selon les relations. Mais l'hypostase désigne ce qui est distinct. Donc, si on exclut les relations, l'hypostase ne demeure pas. En effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes d'attribution, à savoir selon la substance et selon la relation, si on exclut les relations, il ne demeure que ce qui est placé selon la substance, mais c'est ce qui concerne l'essence et ainsi les hypostases ne demeurent pas distinctes.

Réponse:

q. 8 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut supra dictum est, quidam posuerunt hypostases in divinis non constitui nec distingui relationibus, sed per solam originem. Relationes autem dicebant consequi ipsam originem personarum, sicut originis terminos, quibus complementum originis designatur, et sic ad quamdam dignitatem pertinent. Unde cum persona videatur esse nomen dignitatis, intellectis huiusmodi relationibus supra hypostases, dicebant constitui personas; et sic huiusmodi relationes dicebant esse constitutivas personarum, sed non hypostasum.

Comme ci-dessus (article précédant2) on l'a dit, certains ont pensé que les hypostases en Dieu ne sont pas constituées ni distinguées par les relations, mais par leur seule origine, Mais ils disaient que les relations découlaient de l'origine même des personnes, comme ses limites, par lesquelles est désigné ce qui la complète et ainsi elles se rattachent à une certaine dignité. C'est pourquoi, comme la personne semble être un nom de dignité, si de telles relations sont comprises en plus des hypostases, ils disaient que les personnes étaient constituées et ainsi ils disaient que de telles relations étaient constitutives des personnes mais pas des hypostases.

Et pro tanto apud quosdam huiusmodi relationes personalitates dicuntur; et ideo sicut apud nos, remotis ab aliquo homine his quae ad dignitatem pertinent, quae faciunt eum esse personam, remanet eius hypostasis, ita in divinis, remotis per intellectum huiusmodi relationibus personalibus a personis, dicunt, quod remanebant hypostases, non tamen personae.

Et pour autant chez certains, les relations de ce genre sont appelées les ‘personnalités’: et c'est pourquoi, de même que pour nous, si on exclut de l’homme ce qui concerne sa dignité, qui en fait une personne, son hypostase demeure, de même en Dieu, si une fois exclues en esprit de telles relations des personnes, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les personnes.

Sed quia iam supra ostensum est quod relationes praedictae et hypostases constituunt et distinguunt, ideo secundum alios dicendum est, quod remotis per intellectum huiusmodi relationibus, sicut non remanent personae, ita non remanent hypostases. Remoto enim eo quod est constitutivum alicuius, non potest remanere id quod per ipsum constituitur.

Mais parce que déjà ci-dessus, on a montré que ces relations constituent et distinguent les hypostases, il faut en conséquence dire selon d'autres, que, si on exclut en esprit de telles relations, les personnes ne demeurent pas, et les hypostases non plus. Car si on exclut ce qui est constitutif, ce qui en est constitué par soi ne peut pas demeurer.

Solutions:

q. 8 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hominibus hypostases non constituuntur neque per relationes neque per proprietates, sicut constituuntur in divinis, ut ostensum est; et ideo non est simile.

# 1. Chez les hommes les hypostases ne sont constituées ni par les relations, ni par les propriétés, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a montré, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater ab eodem habet quod sit quis et quod sit pater: ab eodem, inquam, secundum rem, et non secundum rationem, sed differenti secundum rationem, vel sicut differt generale a speciali, vel commune a proprio: sicut patet quod homo ab eadem forma substantiali habet quod sit animal et quod sit homo; non enim sunt unius rei plures formae substantiales secundum rem diversae: et tamen ab anima, inquantum est anima sensibilis, tantum habet quod sit animal; inquantum vero est anima sensibilis et rationalis, habet ab ea quod sit homo. Et propter hoc et equus est animal, sed non est homo, quia non habet animam sensibilem eamdem numero quam habet homo: et pro tanto etiam non est idem animal numero. Similiter dico in proposito, quod pater habet quod sit quis et quod sit pater a relatione; sed quod sit quis, habet a relatione communiter sumpta; quod autem sit hic quis, habet ab hac relatione quae est paternitas; et propter hoc etiam filius, in quo est relatio, sed non haec relatio quae est paternitas, est quis, sed non est hic quis qui est pater.

# 2. Par une même [nature], le Père a qu'il est tel et est Père; par un même [nature], dis-je, en réalité, et non en raison, mais différente en raison; comme le général diffère du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est propre; ainsi il est clair que l'homme par la même forme substantielle est animal et homme; car il n'existe pas plusieurs formes substantielles d'une seule chose différentes en réalité. Et cependant par l'âme en tant qu'elle est sensitive, il est seulement animal, mais par l’âme, en tant que sensitive et raisonnable, il est un homme. Et le cheval est un animal, et pas un homme, parce qu'il a une âme sensitive la même en nombre que celle de l'homme, et pour autant il n'est pas le même animal en nombre. Je dis qu'il en est de même pour notre propos, parce que le Père est tel et est Père par relation, mais qu'il soit tel vient d'une relation assumée en commun, mais qu'il soit ce qu’il est, il l'a par cette relation qui est la paternité et à cause de cela le Fils aussi, en qui est la relation, mais cette relation qui est la paternité n'est pas ce qu’il est et ce n’est pas ce qu’il est qui est Père.

q. 8 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid in relatione alicuius potest poni dupliciter: scilicet explicite, sive in actu, et implicite sive in potentia. In ratione enim animalis non ponitur anima rationalis explicite et in actu, quia sic omne animal haberet animam rationalem; sed implicite et in potentia, quia animal est substantia animata sensibilis. Sicut autem sub anima in potentia continetur anima rationalis, ita sub animato rationale: et ideo quando definitio animalis actu attribuitur homini, oportet quod rationale sit de definitione animalis explicite, secundum quod animal est idem homini. Et similiter est in proposito; hypostasis enim, communiter sumpta, est substantia distincta: unde cum in divinis non possit esse distinctio nisi per relationem, cum dico hypostasim divinam, oportet quod intelligatur relatione distincta. Et ita relatio, quamvis non cadat in definitione hypostasis quod est homo, cadit tamen in definitione hypostasis divinae.

# 3. On peut placer quelque chose en relation de deux manières: à savoir explicitement, ou en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans la nature de l'animal on ne place pas l'âme raisonnable explicitement et en acte, parce qu'ainsi tout animal aurait une âme raisonnable, mais implicitement et en puissance, parce que l'animal est une substance animée, douée de sensibilité. De même que l'âme raisonnable est contenue en puissance sous l'âme; de même le raisonnable sous l'animé; et ainsi quand la définition de l'animal en acte est attribuée à l'homme, il faut que le raisonnable soit de la définition de l'animal explicitement selon que l’animal est identique à l'homme. Et il en est de même pour notre propos: car l'hypostase prise communément est une substance distincte: c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne peut y avoir de distinction que par la relation, quand je parle de l'hypostase divine, il faut comprendre qu'elle est distincte par une relation. Et ainsi, quoique la relation ne soit pas comprise dans la définition de l'hypostase, parce qu'il est l'homme, elle s’applique cependant à la définition de l'hypostases divine.

q. 8 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Iudaei et gentiles non intelligunt essentiam distinctam nisi ab his quae sunt alterius naturae, quae quidem distinctio fit per ipsam divinam essentiam. Sed apud nos hypostasis intelligitur ut distincta ab eo quod est eiusdem naturae, a quo non potest distingui nisi per relationem tantum: et ideo ratio non procedit.

# 4. Les Juifs et les Païens ne comprennent une essence distincte que par ce qui est d’une autre nature. Cette distinction se fait par l'essence divine elle-même. Mais pour nous, l'hypostase est comprise comme distincte de ce qui est d’une même nature3, elle ne peut en être distinguée que par relation seulement; et c'est pourquoi cette raison ne vaut pas.

q. 8 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod alius est modus quo definiuntur accidentia, et quo definiuntur substantiae. Substantiae enim non definiuntur per aliquid quod sit extra essentiam eorum: unde id quod primo ponitur in definitione substantiae est genus, quod praedicatur in eo quod quid de definito. Accidens vero definitur per aliquid quod est extra essentiam eius, scilicet per subiectum, a quo secundum suum esse dependet. Unde id quod ponitur in definitione eius, loco generis, est subiectum; sicut cum dicitur: simum est nasus curvus. Sicut ergo in definitionibus substantiarum, remotis differentiis, remanet genus; ita in definitione accidentium, remoto accidente, quod ponitur loco differentiae, remanet subiectum; aliter tamen et aliter. Remota enim differentia remanet genus, sed non idem numero: remoto enim rationali, non remanet idem numero animal, quod est animal rationale; sed remoto eo quod ponitur loco differentiae in definitionibus accidentium, remanet idem subiectum numero: remoto enim curvo vel concavo, remanet idem nasus numero. Et hoc est, quia accidens non complet essentiam subiecti sicut differentia complet essentiam generis. Cum ergo dicitur: persona est hypostasis, proprietate distincta ad dignitatem pertinente, non ponitur hypostasis in definitione personae ut subiectum, sed ut genus. Unde remota proprietate ad dignitatem pertinente, non remanet hypostasis eadem, scilicet numero vel specie, sed solum secundum genus, prout salvatur in substantiis non rationalibus.

# 5. La manière dont on définit les accidents est différente de celle dont on définit les substances. Car ces dernières ne sont pas définies par quelque chose qui est en dehors de leur essence; c'est pourquoi ce qui est d'abord placé dans la définition de la substance est le genre, qui est attribué en ce qui est l'essence de ce qui est défini. Mais l'accident est défini par quelque chose qui est hors de son essence, à savoir par le sujet, de qui il dépend selon son être. C'est pourquoi ce qui est placé dans sa définition, à la place du genre, c’est le sujet; ainsi quand on parle de camus4 c’est le nez concave. Donc, de même que dans les définitions des substances, si on exclut les différences, le genre demeure, de même dans celle des accidents, si on exclut l'accident qui est mis à la place de la différence, le sujet demeure; de façon différente cependant. Car si on exclut la différence, le genre demeure, mais non le même en nombre; mais si on exclut le rationnel, l'animal ne demeure pas le même en nombre parce que c'est un animal raisonnable; car si on exclut le courbe ou le concave, le même nez demeure en nombre. Et c'est parce que l'accident n'achève pas l'essence du sujet comme la différence achève l'essence du genre. Donc quand on dit: la personne est une hypostase par une propriété distincte, qui convient à sa dignité, on ne place pas une hypostase dans la définition de la personne comme sujet, mais comme genre. C'est pourquoi, si on exclut la propriété qui concerne la dignité, l'hypostase ne demeure pas la même, à savoir en nombre ou en espèce, mais seulement en genre dans la mesure où elle est conservée dans les substances sans raison.

q. 8 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur: verbum est sapientia genita, ly sapientia supponit pro hypostasi, non tamen significat hypostasim; et ideo in significatione eius non clauditur proprietas, sed oportet quod addatur; sicut si dicam, quod Deus est filius genitus.

# 6. Quand on dit: le Verbe est la sagesse engendrée, la "sagesse" remplace l'hypostase mais ne la signifie cependant pas; et c'est pourquoi sa propriété n'est pas enfermée dans sa signification, mais il faut l’ajouter: comme si je disais que Dieu est le Fils engendré.

q. 8 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod qui ab alio et a quo alius, non differunt a paternitate et a filiatione, nisi sicut commune a proprio, quia filius significat eum qui est ab alio per generationem; et pater significat eum a quo alius per generationem; nisi forte dicamus, quod a quo alius et qui ab alio, importent originem, et pater et filius relationes originis consequentes. Sed ex supradictis iam patet quod per origines non constituuntur hypostases, sed per relationes.

# 7. Celui qui vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne diffèrent de la paternité et de la filiation que comme le commun du propre5, parce que le Fils signifie celui qui dépend d'un autre par génération; et le Père signifie celui d'où (vient) un autre par génération; à moins que, par hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui qui vient d’un autre révèlent l'origine et Père et Fils apportent les relations qui en dépendent . Mais on a montré déjàci-dessus que les hypostases ne sont pas constituées par les origines, mais par les relations.

q. 8 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum quod, remota differentia constitutiva, remanet genus in communi, non in eodem secundum speciem vel numerum.

# 8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure dans ce qui est commun, non dans le même selon l'espèce et le nombre.

q. 8 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod intentio Augustini non fuit dicere: quod Deus pater remaneat ingenitus, remota paternitate, nisi forte prout ingenitus tunc importaret conditionem naturae, et non proprietatem personae. Fuit autem eius intentio ostendere quod, remota paternitate, potest remanere ingenitum in communi. Non enim oportet quod quidquid est ingenitum, sit pater.

# 9. L'intention d'Augustin n'a pas été de dire que Dieu le Père demeure inengendré, si on exclut la paternité, à moins que par hasard inengendré apporte une condition de nature et non une propriété de la personne. Son intention a été de montrer que, si on exclut la paternité, il peut demeurer l’inengendré en commun. Car il ne faut pas que tout ce qui est inengendré soit le Père.

q. 8 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio bonitatis non constituit rationem essentiae, immo intelligitur bonum ut informativum entis; sed proprietas constituit hypostasim; et ideo non est simile.

# 10. La nature de la bonté ne constitue pas celle de l'essence, bien plus on comprend le bien comme formateur de l'être, mais la propriété a constitué l'hypostase et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

q. 8 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet intellectus possit aliqua coniuncta dividere, non tamen omnia: non enim potest dividere illa quorum unum est de ratione alterius; non enim potest dividere animal ab homine. Proprietas autem est de ratione hypostasis, et ideo ratio non sequitur.

# 11. Bien que l'intellect puisse séparer6 certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout; car il ne peut pas séparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en effet, séparer l'animal de l'homme. Mais la propriété dépend de la nature de l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

q. 8 a. 4 ad 12 Ad ultimum dicendum, quod remoto eo quod est in aliquo sicut in subiecto, vel sicut in loco, remanet id in quo est; non autem remoto eo quod est in aliquo sicut pars essentiae eius. Non enim remoto rationali, remanet homo; et similiter nec remota proprietate, remanet hypostasis.

# 12. Si on exclut ce qui est en quelque chose, comme dans un sujet, ou comme dans un lieu, demeure ce en quoi il est; mais pas si on exclut ce qui est dans quelque chose comme une partie de son essence. Car si le raisonnable n’est pas exclu, l'homme demeure, et de même si la propriété n’est pas exclue, l'hypostase demeure.

 

1 Parall.: Ia, qu. 40, a. 3 — I Sent. d26q1a2 — Comp. 61.

2 Cf. 8, 3, resp. § 4.

3 Ce qui est d’une même nature, c’est l’essence.

4 Cf. Métaphysique, VII, 10, 1035 a 4 (p. 401, note 5). Par exemple, ce n’est pas de la concavité que la chair est une partie (car la chair est la matière dans laquelle la concavité se réalise), c’est du camus qu’elle est une partie (camus: nez concave est le composé, la concavité est la forme.) Thomas n° 1472

5 Propre: primo modo; ce qui convient à une seule espèce, mais pas à tous les individus de cette espèce (médecin) , secundo modo; propre à tous les individus d'une même espèce, mais pas à eux seuls (bipèdes).

6 Il s'agit d'analyse.

 

 

 

 

Question 9: Les personnes divines

q. 9 pr. 1 Et primo quaeritur utrum quomodo se habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim.

1. Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase?

q. 9 pr. 2 Secundo quid sit persona.

2. Qu'est-ce que la personne?

q. 9 pr. 3 Tertio utrum in Deo possit esse persona.

3. Le nom de personne peut-il être en Dieu?

q. 9 pr. 4 Quarto utrum hoc nomen persona in divinis significet aliquid relativum vel absolutum.

4. Ce nom personne signifie-t-il, en Dieu, le relatif ou l'absolu?

q. 9 pr. 5 Quinto utrum numerus personarum sit in divinis.

5. Le nombre des personnes est-il en Dieu?

q. 9 pr. 6 Sexto utrum nomen personae convenienter possit pluraliter praedicari in divinis.

6. Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au pluriel?

q. 9 pr. 7 Septimo quomodo termini numerales praedicentur in divinis, utrum scilicet positive, vel remotive tantum.

7. Comment les termes numéraux sont-ils attribués aux personnes divines, positivement ou négativement?

q. 9 pr. 8 Octavo utrum in Deo sit aliqua diversitas.

8. Y a-t-il une certaine diversité en Dieu?

q. 9 pr. 9 Nono utrum in divinis sint tres personae tantum, an plures vel pauciores.

9. Y a-t-il trois Personnes seulement en Dieu, ou plus, ou moins?

 

 

Article 1: Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase?

q. 9 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur quomodo se habeat persona ad essentiam, subsistentiam et hypostasim. Et videtur quod omnino sint idem.

Il semble que ces termes sont tout à fait tout à fait synonymes1.

Objections:

q. 9 a. 1 arg. 1 Dicit enim Augustinus in VII de Trin., quod idem intelligunt Graeci cum confitentur in Deo tres hypostases, et Latini cum confitentur tres personas. Ergo hypostasis et persona significant idem.

1. Car Augustin dit (la Trinité, VII, 3) que les grecs comprennent quelque chose d’identique quand ils confessent en Dieu trois hypostases et les latins trois personnes. Donc hypostase et personne sont synonymes.

q. 9 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod persona differt ab hypostasi in hoc quod hypostasis significat individuum cuiuscumque naturae in genere substantiae, persona vero solum individuum rationalis naturae.- Sed contra est quod Boetius dicit, quod Graeci utuntur hoc nomine hypostasis solum pro individuo rationalis naturae. Si ergo persona significat individuum rationalis naturae, omnino sunt idem hypostasis et persona.

2. Mais il faut dire que la personne diffère de l'hypostase du fait que celle-ci signifie un individu de quelque nature dans le genre de la substance, mais la personne signifie un seul individu de nature raisonnable. — En sens contraire, Boèce dit (Les deux natures, III, PL. 64, 13442) que les Grecs se servent de ce nom hypostase, seulement pour un individu de nature raisonnable. Si donc la personne signifie la même chose, hypostase et personne sont tout à fait synonymes.

q. 9 a. 1 arg. 3 Praeterea, nomina imponuntur a rationibus rerum quas significant. Sed eadem ratio individuationis est in his quae sunt rationalis naturae, et in aliis substantiis. Ergo individuum rationalis naturae non debet habere speciale nomen prae aliis individuis in genere substantiae, ut per hoc sit differentia inter hypostasim et personam.

3. Les noms s’imposent par la nature de ce qu'ils signifient, mais on trouve la même nature d'individuation dans ce qui est d'une nature raisonnable que dans les autres substances. Donc l'individu de nature raisonnable ne doit pas avoir un nom spécial en comparaison d'autres êtres individuels dans le genre de la substance, pour qu’il y ait une différence entre l'hypostase et la personne.

q. 9 a. 1 arg. 4 Praeterea, nomen subsistentiae a subsistendo sumitur. Nihil autem subsistit nisi individua in genere substantiae, in quibus sunt et accidentia et secundae substantiae, quae sunt genera et species, ut dicitur in praedicamentis. Sola ergo individua in genere substantiae sunt subsistentiae. Individuum autem in genere substantiae est hypostasis vel persona. Ergo idem est subsistentia quod hypostasis et persona.

4. Le nom de subsistance est pris de subsister. Mais rien ne subsiste que l'individu dans le genre de la substance, en qui il y a les accidents et les substances secondes3, que sont les genres et les espèces, comme il est dit dans Les Catégories (5, 2 a 11 ss.). Donc seuls les individus dans le genre de la substance sont des subsistances, mais un tel individu est l’hypostase ou la personne. Donc la subsistance est identique à l’hypostase et à la personne.

q. 9 a. 1 arg. 5 Sed dicendum, quod genera et species in genere substantiae subsistunt, eo quod eorum est subsistere, ut Boetius dicit, in Lib. de duabus naturis.- Sed contra, subsistere nihil aliud est quam per se existere. Quod ergo existit solum in alio, non subsistit. Sed genera et species sunt solum in alio: sunt enim solum in primis substantiis, quibus interemptis, impossibile est aliquid aliorum remanere, ut dicitur in praedicamentis. Non est ergo subsistere, generum et specierum, sed solum individuorum in genere substantiae; et sic remanet quod subsistentia sit idem quod hypostasis.

5. Mais il faut dire que les genres et les espèces subsistent dans le genre de la substance, parce que c’est leur nature de subsister, comme Boèce le dit (Les deux Natures, 3, PL. 64, 1342). — Mais en sens contraire, subsister n’est rien d'autre qu'exister par soi4 . Donc ce qui existe seulement dans un autre, ne subsiste pas5. Mais les genres et les espèces sont seulement dans un autre: car ils sont seulement dans les substances premières, lesquelles une fois enlevées, il est impossible que quelque chose d'autre demeure, comme on le dit dans les Catégories (5, Les substances). Donc ce n'est pas le propre des genres et des espèces de subsister, mais seulement des individus dans le genre de la substance, et ainsi il reste que la subsistance est synonyme d'hypostase.

q. 9 a. 1 arg. 6 Praeterea, Boetius dicit, quod ousia id est essentia, significat compositum ex materia et forma. Hoc autem oportet esse individuum: nam materia est individuationis principium. Ergo essentia significat individuum; et sic idem est persona, hypostasis, essentia, et subsistentia.

6. Boèce dit (dans le commentaire des Catégories) que l'ousia, c'est-à-dire l'essence, signifie le composé de matière et de forme. Mais il faut que ce soit l'individu; car la matière est principe d’individuation. Donc l'essence signifie l'individu, et ainsi la personne, l'hypostase, l'essence et la subsistance sont synonymes.

q. 9 a. 1 arg. 7 Praeterea, essentia est quam significat definitio, cum per definitionem sciatur quid est res. Definitio autem rei naturalis, quae est ex materia et forma composita, non solum continet formam, sed etiam materiam, ut patet per philosophum. Ergo essentia est aliquid compositum ex materia et forma.

7. L'essence est ce que signifie la définition, puisque c’est par elle qu’on sait ce que c’est. Mais la définition d’une chose naturelle, composée de matière et de forme, non seulement contient la forme, mais aussi la matière, comme le montre le philosophe (Métaphysique, VI et VII, com. 33 ss.). Donc l'essence est un composé de matière et de forme.

q. 9 a. 1 arg. 8 Sed dicendum, quod essentia significat naturam communem, alia vero tria, scilicet subsistentia, hypostasis et persona, significant individuum in genere substantiae.- Sed contra universale et particulare inveniuntur in quolibet genere. In aliis autem generibus non distinguitur nomen particularis et universalis: eodem enim nomine nominatur qualitas aut quantitas, sive sit universalis sive sit particularis. Ergo nec in genere substantiae debent esse distincta nomina ad significandum substantiam universalem et particularem: et sic videtur quod praedicta nomina non differant.

8. Mais il faut dire que l'essence signifie la nature commune, et les trois autres, à savoir la subsistance, l'hypostase et la personne signifient l'individu dans le genre de la substance.— Mais en sens contraire, l'universel et le particulier se trouve en n'importe quel genre. Mais dans les autres genres, on ne fait pas la distinction entre le nom particulier et le nom universel; car on désigne par un même nom la qualité ou la quantité, qu'elles soient universelles et particulières. Donc les noms, dans le genre de la substance, ne doivent pas être différents pour signifier la substance universelle et la substance particulière et de fait il semble que ces noms ne le soient pas.

 

En sens contraire:

q. 9 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Boetius dicit in commento praedicamentorum quod ousia id est essentia, significat compositum ex materia et forma; ousiosis id est subsistentia, significat formam; hypostasis vero materiam. Ergo praedicta differunt.

1. Boèce dit dans le commentaire des Catégories que l'ousia, c'est-à-dire l'essence, signifie le composé de matière et de forme, ousiôsis, c'est-à-dire la subsistance, signifie la forme; et l'hypostase signifie la matière. Donc ces noms sont différents.

q. 9 a. 1 s. c. 2 Praeterea, idem videtur ex hoc quod idem auctor assignat praedictorum nominum differentiam in Lib. de duobus naturis.

2. En plus on voit la même chose du fait que le même auteur assigne une différence à ces noms dans le livre des deux Natures (3).

 

Réponse:

q. 9 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod philosophus ponit substantiam dupliciter dici:

Le philosophe (Métaphysique, V, 8, 1017 b 136 ) pense qu'on peut parler de la substance en deux sens.

dicitur enim uno modo substantia ipsum subiectum ultimum, quod non praedicatur de alio: et hoc est particulare in genere substantiae;

a) Car on dit dans un premier sens que la substance est le sujet ultime qui n'est pas attribué à un autre et cela est particulier au genre de la substance7.

alio modo dicitur substantia forma vel natura subiecti.

b) Dans un autre sens, on dit qu'elle est la forme ou la nature du sujet.

Huius autem distinctionis ratio est, quia inveniuntur plura subiecta in una natura convenire, sicut plures homines in una natura hominis. Unde oportuit distingui quod est unum, ab eo quod multiplicatur: natura enim communis est quam significat definitio indicans quid est res; unde ipsa natura communis, essentia vel quidditas dicitur.

La raison de cette distinction est qu'on trouve que plusieurs sujets se rencontrent dans une seule nature, ainsi un grand nombre d’hommes dans la seule nature humaine. C'est pourquoi il a fallu distinguer ce qui est un de ce qui est multiplié; car la nature commune est ce que signifie la définition, qui indique ce qu'est la chose; c'est pourquoi la nature commune même est appelée essence ou quiddité.

Quidquid ergo est in re ad naturam communem pertinens, sub significatione essentiae continetur, non autem quidquid est in substantia particulari, est huiusmodi. Si enim quidquid est in substantia particulari ad naturam communem pertineret, non posset esse distinctio inter substantias particulares eiusdem naturae. Hoc autem quod est in substantia particulari praeter naturam communem, est materia individualis quae est singularitatis principium, et per consequens accidentia individualia quae materiam praedictam determinant.

Donc tout ce qui dans une chose se rattache à la nature commune est contenu sous la signification d'essence, mais tout ce qui est dans une substance particulière n'est pas de ce genre. Car si tout ce qui est dans la substance particulière se rattachait à la nature commune, il ne pourrait pas y avoir de distinction entre les substances particulières de nature identique. Mais ce qui est dans la substance particulière au-delà de la nature commune, c’est la matière individuelle qui est le principe de l’individuation, et par conséquence les accidents individuels qui la déterminent.

Comparatur ergo essentia ad substantiam particularem ut pars formalis ipsius, ut humanitas ad Socratem. Et ideo in rebus, ex materia et forma compositis, essentia non est omnino idem quod subiectum; unde non praedicatur de subiecto: non enim dicitur quod Socrates sit una humanitas.

Donc on compare l'essence à la substance particulière, comme sa part formelle, comme l'humanité à Socrate. Et c'est pourquoi, dans ce qui est composé de matière et de forme, l'essence n'est pas tout à fait identique au sujet; aussi on ne l'attribue pas au sujet; car on ne dit pas que Socrate est une [seule] humanité.

In substantiis vero simplicibus, nulla est differentia essentiae et subiecti, cum non sit in eis materia individualis naturam communem individuans, sed ipsa essentia in eis est subsistentia. Et hoc patet per philosophum et per Avicennam, qui dicit, in sua metaphysica, quod quidditas simplicis est ipsum simplex.

Mais, dans les substances simples, il n'y a pas de différence entre l'essence et la sujet, puisqu'il n'y a pas en elles de matière individuelle qui individualise la nature commune, mais l'essence elle-même est en eux subsistance. Et cela, le philosophe le montre (Métaphysique, VII 6, passim) et aussi Avicenne, qui dit, en sa Métaphysique, que la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même.

Substantia vero quae est subiectum, duo habet propria:

Mais la substance qui est le sujet, a deux propriétés:

quorum primum est quod non indiget extrinseco fundamento in quo sustentetur, sed sustentatur in seipso; et ideo dicitur subsistere, quasi per se et non in alio existens.

a) La première est qu'elle n'a pas besoin d'un fondement extrinsèque en qui elle serait soutenue, mais elles se soutient d'elle-même; et c'est pourquoi, on la dit subsister, comme par soi et sans exister dans un autre.

Aliud vero est quod est fundamentum accidentibus substentans ipsa; et pro tanto dicitur substare.

b) L'autre est qu'elle est, elle-même fondement subsistant pour les accidents. Et pour autant, on dit qu’elle est sujet8.

Sic ergo substantia quae est subiectum, in quantum subsistit, dicitur ousiosis vel subsistentia; in quantum vero substat, dicitur hypostasis secundum Graecos, vel substantia prima secundum Latinos. Patet ergo quod hypostasis et substantia differunt ratione, sed sunt idem re.

Donc ainsi la substance, qui est le sujet, en tant qu'elle subsiste, est appelé ousiôsis ou subsistance, en tant qu’elle est sujet, elle est appelée hypostase chez les Grecs, ou substance première chez les latins. Il est donc clair que l'hypostase et la substance diffèrent en raison, mais sont identiques en réalité.

Essentia vero in substantiis quidem materialibus non est idem cum eis secundum rem, neque penitus diversum, cum se habeat ut pars formalis; in substantiis vero immaterialibus est omnino idem secundum rem, sed differens ratione. Persona vero addit supra hypostasim determinatam naturam: nihil enim est aliud quam hypostasis rationalis naturae

Mais l'essence dans les substances matérielles n'est pas identique à elles en réalité, ni tout à fait différente, puisqu'elle se comporte comme une partie formelle, mais dans les substances immatérielles, elle est tout à fait identique en réalité, mais différente en raison. Et la personne ajoute à l'hypostase une nature déterminée, car elle n'est rien d’autre que l'hypostase de nature raisonnable.

 

Solutions:

q. 9 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod, ex quo persona non addit supra hypostasim nisi rationalem naturam, oportet quod hypostasis et persona in rationali natura sint penitus idem; sicut cum homo addat supra animal, rationale, oportet quod animal rationale sit homo; et ideo verum est quod Augustinus dicit, quod idem significant Graeci cum confitentur in Deo tres hypostases, et Latini cum confitentur tres personas.

# 1. Donc il faut dire que, du fait que la personne n'ajoute à l'hypostase que la nature raisonnable, il faut que l'hypostase et la personne soient tout à fait identiques dans cette nature raisonnable; ainsi quand homme ajoute raisonnable à animal, il faut que l'animal raisonnable soit un homme, et c'est pour cela que ce que dit Augustin est vrai (La Trinité VII, 4): lorsque les Grecs confessent qu'en Dieu il y a trois hypostases et les Latins trois personnes, ils signifient la même chose.

q. 9 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen hypostasis, in Graeco ex proprietate significationis habet quod significet individuam substantiam cuiuscumque naturae; sed ex usu loquentium habet quod significet individuum rationalis naturae tantum.

# 2. Ce nom hypostase, en grec, au sens propre, signifie une substance individuelle de n’importe quelle nature; mais par l'usage des locuteurs, il signifie l'individu d'une nature raisonnable seulement.

q. 9 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut substantia individua proprium habet quod per se existat, ita proprium habet quod per se agat: nihil enim agit nisi ens actu; et propter hoc calor sicut non per se est, ita non per se agit; sed calidum per calorem calefacit. Hoc autem quod est per se agere, excellentiori modo convenit substantiis rationalis naturae quam aliis. Nam solae substantiae rationales habent dominium sui actus, ita quod in eis est agere et non agere; aliae vero substantiae magis aguntur quam agant. Et ideo conveniens fuit ut substantia individua rationalis naturae, speciale nomen haberet.

# 3. La substance individuelle a en propre d’exister par soi; de la même manière elle a en propre d’agir par soi; car rien n'agit qu'un étant en acte, et c'est pourquoi de même que cette chaleur n'est pas par soi, de même elle n'agit pas par soi, mais elle chauffe par la chaleur. Mais agir par soi convient aux substances de nature raisonnable d'une manière plus excellente qu'aux autres. Car seules elles ont pouvoir sur leurs actes, de sorte que c’est leur nature d'agir et ne pas agir, mais les autres substances sont "agies" plus qu'elles n'agissent. Et c'est pourquoi il a été convenable que la substance individuelle de nature raisonnable porte un nom spécial.

q. 9 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis nihil subsistat nisi individua substantia, quae hypostasis dicitur, tamen non eadem ratione dicitur subsistere et substare: sed subsistere in quantum non est in alio; substare vero in quantum alia insunt ei. Unde si aliqua substantia esset quae per se existeret, non tamen esset alicuius accidentis subiectum, posset proprie dici subsistentia, sed non substantia.

# 4. Quoique rien ne subsiste sinon la substance individuelle, qui est appelée hypostase, cependant on ne dit pas subsistere (subsister) et substare (être sujet) pour la même raison. Subsister c’est en tant qu’elle n’est pas dans un autre. Etre sujet c’est en tant que les autres9 sont en elle. C'est pourquoi, si quelque substance existait par soi, sans être cependant le substrat d'un accident, elle pourrait être proprement appelé subsistance, mais pas substance.

q. 9 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Boetius loquitur secundum opinionem Platonis, qui posuit genera et species esse quasdam formas separatas subsistentes, ab accidentibus denudatas; et secundum hoc poterant dici subsistentiae, sed non hypostases. Vel dicendum, quod subsistere attribuitur generibus et speciebus, non quia subsistant, sed quia individua in eorum naturis subsistunt, etiam omnibus accidentibus remotis.

# 5. Boèce parle selon l'opinion de Platon10 qui a pensé que les genres et les espèces étaient des formes séparées subsistantes, sans accident, et ainsi, on pouvait les appeler subsistances et non hypostases. Ou bien il faut dire que subsister est attribué aux genres et aux espèces, non pas parce qu'ils subsistent, mais parce que les individus subsistent dans leur nature, même si on exclut tous les accidents.

q. 9 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod essentia in substantiis materialibus significat compositum ex materia et forma, non tamen ex materia individuali, sed ex materia communi: definitio enim hominis quae significat eius essentiam, continet quidem carnes et ossa, sed non has carnes vel haec ossa. Sed materia individualis comprehenditur in significatione hypostasis et subsistentiae in rebus materialibus.

# 6. L'essence dans les substances matérielles signifie le composé de matière et de forme; cependant pas de la matière individuelle, mais de la matière commune. Car la définition de l'homme qui signifie son essence, contient les chairs et les os, mais non ces chairs et ces os11. Mais la matière individuelle est comprise dans la signification de l'hypostase et de la subsistance dans ce qui est matériel.

q. 9 a. 1 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum.

# 7. Cela éclaire la septième objection.

q. 9 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod accidentia non individuantur nisi ex suis subiectis. Sola autem substantia per seipsam individuatur, et per propria principia; et ideo convenienter in solo genere substantiae particulare habet proprium nomen.

# 8. Les accidents ne sont individualisés que par leurs substrats, mais seule la substance est individualisée par elle-même et par ses propres principes, et c'est pourquoi il est convenable qu’elle ait, dans le seul genre particulier de la substance, un nom qui lui est propre

q. 9 a. 1 ad s. c. Rationes quae sunt in oppositum, concedimus; tamen sciendum, quod Boetius aliter accipit ista nomina in commento praedicamentorum, quam sit communis usus eorum, prout exponit ea in Lib. de duabus naturis. Attribuit enim nomen hypostasis materiae quasi primo principio substandi, ex qua habet substantia prima quod substet accidenti: nam forma simplex subiectum esse non potest, ut dicit idem Boetius in Lib. de Trinit. Nomen autem ousiosis vel subsistentiae attribuit formae quasi essendi principio, per ipsam enim est res in actu; nomen autem ousia vel essentiae attribuit composito. Unde ostendit quod in substantiis materialibus tam forma quam materia sunt essentialia principia.

Les raisons qui sont en sens contraire, nous les concédons. Cependant, il faut savoir que Boèce prend ces noms, dans le commentaire des Catégories d'une autre manière que leur usage commun, tel qu’il les expose dans le livre des deux Natures. Car il a attribué le nom d'hypostase à la matière comme au premier principe du sujet, par laquelle la substance première est sujet d'un accident. Car la forme simple ne peut pas être substrat, comme le dit le même Boèce dans La Trinité. Mais le nom ousiôsis, ou subsistance, il l'a attribué à la forme comme principe d'être, car par elle la chose est en acte, mais le nom d'ousia ou d'essence, il l'a attribué au composé. C'est pourquoi il montre que dans les substance matérielles, tant la forme que la matière sont des principes essentiels.

 

1 Parall.: .Ia. qu. 29. a. 2 — 1 Sent., d23a1.

2 Le texte est en Ia, qu. 29, a. 2, obj. 1. Graeci "naturae rationabilis individuam substantiam hypostaseos nomine vocaverunt.".

3 La substance première (ex. l’homme individuel). La substance seconde: les espèces et les genres. S’il n’y a pas de substance première, il n’y pas de substance seconde, puisque c’est à partir d’elle que l’esprit conçoit la substance seconde. Catégories, V, 2 a 11: La substance première: "Ce qui n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un sujet, par exemple l'homme individuel…"— Métaphysique, V, lectio 10, n° 903: La substance particulière diffère de la substance universelle en trois points: a) La substance particulière n’est pas attribuée à quelque chose d’inférieur, comme la substance universelle. b) La substance universelle n'existe qu'en raison du particulier qui subsiste par soi.. c) La substance universelle est en de nombreuses choses, mais elle est séparable et distincte de toutes les autres.

4 "Sub-siste, en effet, ce qui par soi-même pour pouvoir être n’a pas besoin d’accident." (Boèce) La différence entre subsistere et substare est chez Boèce, Les deux Natures III. "Les genres ou les espèces "subsistent" uniquement car il n'advient pas d'accident aux genres et aux espèces. Les choses individuelles, en revanche, non seulement subsistent, mais sont aussi substances ( substant) …elles donnent aux accidents la possibilité d'exister, en même temps qu'elles ont, bien entendu, un substrat (subjectum) pour eux."

5 "Le caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet". (Catégories, 5, 3 a 7).

6 (1) "Toutes ces choses sont appelées substances, parce qu’elles ne sont pas prédicats d’un sujet, mais que, au contraire, les autres choses sont prédicats d’elles." (2) 17: "Ce sont aussi les parties immanentes de tels êtres, parties qui les limitent et marquent leur individualité et dont la destruction serait la destruction de tout." (Trad. J. Tricot)

7 Catégories, 5, 3 a 7: "Le caractère commun à toute substance, c’est de n’être pas dans un sujet."

8 Sub-stat: se tient en dessous. Elle en est le substant.

9 C'est-à-dire les accidents.

10 Phaedon ch. 48-49 (voir Ia, qu. 29, a. 2)

11 Au sens concret.

 

 

Article 2: Qu'est-ce que la personne?

q. 9 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur quid sit persona. Videtur quod inconvenienter definiat eam Boetius in Lib. de duabus naturis dicens quod persona est: rationalis naturae individua substantia.

Il semble que Boèce dans le livre Des deux Natures, donne une définition qui ne convient pas, en disant que la personne est "une substance individuelle de nature raisonnable."

Objections1:

q. 9 a. 2 arg. 1 Nullum enim singulare definitur, ut patet per philosophum. Sed persona significat singulare in genere substantiae, ut dictum est. Ergo non potest definiri.

1. Car on ne définit rien de singulier, comme le montre le philosophe (Métaphysique, VII, 15, 1039 b 272). Mais la personne signifie quelque chose de singulier dans le genre de la substance, comme on l'a dit. Donc elle ne peut pas être définie.

q. 9 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod licet id quod est persona sit quoddam singulare, tamen ratio personae communis est, et pro tanto persona in communi definiri potest.- Sed contra, id quod est commune omnibus substantiis individuis rationalis naturae, est intentio singularitatis, quae quidem non est in genere substantiae. Ergo non debet in definitione personae poni substantia quasi genus.

2. Mais il faut dire que, bien que ce qu’est une personne soit quelque chose de singulier, cependant sa notion est commune, et pour autant la personne peut avoir une définition commune. — En sens contraire, ce qui est commun à toutes les substances individuelles de nature raisonnable est le concept de singularité3, qui n'est pas dans le genre de la substance. Donc la substance ne doit pas être placée dans la définition de la personne en tant que genre.

q. 9 a. 2 arg. 3 Sed dicendum, quod hoc nomen persona non significat tantum intentionem, sed intentionem simul cum subiecto intentionis.- Sed contra est quod philosophus probat, quod compositum ex subiecto et ex accidente, non potest definiri,- sequeretur enim nugatio in definitione,- cum enim in definitione accidentis ponatur subiectum, sicut nasus in definitione simi, oportebit quod in definitione compositi ex subiecto et accidente, ponatur bis subiectum: semel pro se, et semel pro accidente. Si ergo persona significat intentionem et subiectum, inconveniens est quod definiatur.

3. Mais il faut dire que ce nom de personne ne signifie pas seulement le concept, mais un concept en même temps que son sujet. — En sens contraire, il y a ce que le philosophe prouve (Métaphysique, VII, 5, 1031 a 44.) qu'on ne peut pas définir ce qui est composé d’un sujet et d'un accident — en effet, il en découlerait une niaiserie dans la définition —car comme on place le substrat dans la définition de l’accident, comme le nez dans la définition du camus, il faudra que, dans ce qui est composé d’un sujet et d’un l'accident, on place deux fois le sujet: une fois pour lui et une fois pour l'accident. Si donc la personne signifie le concept et le substrat, il ne convient pas de la définir.

q. 9 a. 2 arg. 4 Praeterea, subiectum huius intentionis communis est aliquod singulare. Si ergo persona significat simul intentionem et subiectum intentionis, adhuc sequeretur quod, definita persona, definiatur singulare; quod est inconveniens.

4. Le sujet de ce concept commun est quelque chose de singulier. Donc si la personne signifiait en même temps le concept et le substrat du concept, il en découlerait alors, qu’une fois définie la personne, on aurait défini ce qui est singulier, ce qui ne convient pas.

q. 9 a. 2 arg. 5 Praeterea, intentio non ponitur in definitione rei, nec accidens in definitione substantiae. Persona autem est nomen rei et substantiae. Inconvenienter igitur in definitione personae ponitur individuum, quod est nomen intentionis et accidentis.

5. Le concept n'est pas placé dans la définition de la chose, ni l'accident dans la définition de la substance. Mais la personne est le nom de la chose et de la substance. Donc il ne convient pas de placer dans la définition de la personne l’individu qui est le nom du concept et de l’accident

q. 9 a. 2 arg. 6 Praeterea, illud in cuius definitione ponitur substantia pro genere, oportet quod sit species substantiae. Sed persona non est species substantiae, quia condivideretur contra alias substantiae species. Ergo inconvenienter ponitur substantia in definitione personae quasi genus.

6. Si la substance est mise à la place du genre, cela doity être l’espèce de la usbstance. Mais la personne n’est pas l’espèce de la substance, parce qu’elle serait séparée des autres espèces de substances. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la définition de la personne comme genre.

q. 9 a. 2 arg. 7 Praeterea, substantia dividitur per primam et secundam. Sed substantia secunda non potest poni in definitione personae: esset enim oppositio in adiecto,- cum dicitur substantia individua,- nam substantia secunda est substantia universalis. Similiter autem neque substantia prima, nam substantia prima est substantia individua; et sic esset nugatio cum additur individuum supra substantiam in definitione personae. Inconvenienter ergo substantia ponitur in definitione personae.

7. La substance est divisée en première et en seconde5, mais la substance seconde ne peut être placée dans la définition de la personne, car il y aurait une opposition dans ce qui serait ajouté — quand on parle de la substance individuelle — car la substance seconde est la substance universelle. De même la substance première non plus, car elle est substance individuelle, et ainsi ce serait une niaiserie d’ajouter l’individu à une substance dans la définition de la personne. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la définition de la personne.

q. 9 a. 2 arg. 8 Praeterea, nomen subsistentiae propinquius esse videtur personae quam substantia: dicimus enim in Deo tres subsistentias, sicut et tres personas; non autem dicimus tres substantias, sed unam. Magis ergo debuit persona per subsistentiam quam per substantiam definiri.

8. Le noms de subsistance paraît plus proche de la personne que la substance; car nous disons qu'il y a trois subsistances en Dieu comme aussi trois personnes; nous ne disons pas trois substances, mais une. Donc la personne aurait dû être définie plutôt par la subsistance que par la substance.

q. 9 a. 2 arg. 9 Praeterea, quod ponitur in definitione tamquam genus, multiplicato definito multiplicatur, plures enim homines sunt plura animalia. Sed in Deo sunt tres personae, non autem tres substantiae. Ergo substantia non debet poni in definitione personae quasi genus.

9. Ce qui est placé dans la définition en tant que genre, est multiplié si on multiplie ce qui est défini, car plus il y a d'hommes plus il y a d'animaux, mais en Dieu il y a trois personnes, mais pas trois substances. Donc la substance ne doit pas être placée dans la définition de la personne en tant que genre.

q. 9 a. 2 arg. 10 Praeterea, rationale est differentia animalis. Sed persona invenitur in his quae non sunt animalia, scilicet in Angelis et in Deo. Ergo rationale non debuit poni in definitione personae.

10 Le rationnel est la différence avec l'animal; mais on trouve la personne dans ces (êtres) qui ne sont pas des animaux, à savoir les anges et Dieu. Donc le raisonnable ne doit pas être placé dans la définition de la personne.

q. 9 a. 2 arg. 11 Praeterea, natura est tantum in rebus mobilibus: est enim principium motus, ut dicitur in II Phys. Sed essentia est tam in rebus mobilibus quam in immobilibus. Ergo convenientius fuit in definitione personae ponere essentiam quam naturam, cum etiam persona inveniatur tam in rebus mobilibus quam in immobilibus: est enim in hominibus, in Angelis et in Deo.

11. La nature n’est que dans ce qui est mobile; car elle est le principe du mouvement, comme on le dit (Physique, II, 1, 192 b 206). Mais l'essence est autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile. Donc, dans la définition de la personne, il a été plus convenable de placer l'essence que la nature, puisque la personne se trouve autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile, car elle est dans les hommes, les anges et Dieu.

q. 9 a. 2 arg. 12 Praeterea, definitio debet converti cum definito. Non autem omne quod est rationalis naturae individua substantia, est persona. Essentia enim divina, secundum quod est essentia, non est persona, alioquin esset in Deo una persona, sicut est una essentia. Ergo inconvenienter definitur persona definitione praedicta.

12. La définition doit être convertible avec ce qu’elle définit. Mais tout ce qui est substance individuelle de nature rationnelle est une personne. L'essence divine, en effet, en tant que telle, n'est pas une personne, autrement il n'y aurait qu'une seule personne en Dieu, comme il n’y a qu’une seule essence. Donc la personne est mal caractérisée par la définition.

q. 9 a. 2 arg. 13 Praeterea, humana natura in Christo est rationalis naturae individua substantia: neque enim est accidens, neque universalis substantia, neque irrationalis naturae; non tamen humana natura in Christo est persona: sequeretur enim quod persona divina quae assumpsit humanam naturam, assumpsisset humanam personam; et sic essent in Christo duae personae, scilicet divina assumens, et humana assumpta; quod est haeresis Nestorianae. Non ergo omnis individua substantia rationalis naturae est persona.

13. La nature humaine dans le Christ est une substance individuelle de nature rationnelle: car elle n'est ni un accident, ni une substance universelle, ni d'une nature sans raison: cependant la nature humaine dans le Christ n'est pas une personne, car il en découlerait que la personne divine qui a assumé la nature humaine, aurait assumé une personne humaine; et ainsi il y aurait dans le Christ deux personnes, à savoir la personne divine, qui assume et la personne humaine, qui est assumée; ce qui est l'hérésie nestorienne. Donc toute substance individuelle de nature rationnelle n'est pas une personne.

q. 9 a. 2 arg. 14 Praeterea, anima separata a corpore per mortem, non dicitur esse persona; et tamen est rationalis naturae individua substantia. Non ergo haec est conveniens definitio personae.

14. L'âme séparée du corps par la mort n'est pas appelée personne, et cependant c'est une substance individuelle d'une nature raisonnable. Donc ce ne n'est pas une définition convenable de la personne .

Réponse:

q. 9 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod rationabiliter, individuum in genere substantiae speciale nomen sortitur: quia substantia ex propriis principiis individuatur,- et non ex alio extraneo,- sicut accidens ex subiecto. Inter individua etiam substantiarum rationabiliter individuum in rationali natura, speciali nomine nominatur, quia ipsius est proprie et vere per se agere, sicut supra dictum est.

Selon la raison (comme cela se voit dans ce qui a été dit7) l'individu reçoit un nom spécial dans le genre de la substance, parce que celle-ci est individuée par ses propres principes8 — et non par quelque autre chose extérieure, — comme l'accident l’est par son substrat. Parmi les individus des substances individuelles, raisonnable dans une nature raisonnable, elle est nommée par un nom spécial, parce qu'il lui appartient réellement et vraiment d’agir par soi, comme on l'a dit ci-dessus.

Sicut ergo hoc nomen hypostasis, secundum Graecos, vel substantia prima secundum Latinos, est speciale nomen individui in genere substantiae; ita hoc nomen persona, est speciale nomen individui rationalis naturae. Utraque ergo specialitas sub nomine personae continetur.

Donc de même que ce nom d'hypostase, selon les grecs, ou de substance première, selon les Latins, est le nom spécial d'un individu dans le genre de la substance, de même ce nom de personne est le nom spécial d'un individu de nature raisonnable. Donc l’une et l’autre particularités sont contenues sous le nom de personne.

Et ideo ad ostendendum quod est specialiter individuum in genere substantiae, dicitur quod est substantia individua; ad ostendendum vero quod est specialiter in rationali natura, additur rationalis naturae. Per hoc ergo quod dicitur substantia, excluduntur a ratione personae accidentia quorum nullum potest dici persona. Per hoc vero quod dicitur individua, excluduntur genera et species in genere substantiae quae etiam personae dici non possunt; per hoc vero quod additur rationalis naturae, excluduntur inanimata corpora, plantae et bruta quae personae non sunt.

Et c'est pourquoi, pour montrer que l'individu est spécialement dans le genre de la substance, on dit que c'est une substance individuelle; mais pour montrer qu’il est spécialement dans la nature raisonnable, on ajoute de nature raisonnable. Donc du fait qu’il est appelé substance, les accidents sont exclus de la nature de la personne, dont aucun ne peut être appelé personne. Par le fait qu’on parle d’individus sont exclus les genres et les espèces dans le genre de la substance qui ne peuvent pas être appelés non plus des personne; du fait qu'on ajoute de nature raisonnable, sont exclus les corps inanimés, les plantes, les animaux qui ne sont pas des personnes.

Solutions:

q. 9 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in substantia particulari, est tria considerare:

quorum unum est natura generis et speciei in singularibus existens;

secundum est modus existendi talis naturae, quia in singulari substantia existit natura generis et speciei, ut propria huic individuo, et non ut multis communis;

# 1. Dans la substance particulière, il faut considérer trois aspects:

a) L'un est la nature du genre et de l'espèce, qui existe dans les objets particuliers

b) Le mode d'existence d'une telle nature, parce que la nature du genre et de l'espèce existe dans la substance particulière, comme propre à cet individu et non comme commun à beaucoup. objets particuliers.

tertium est principium ex quo causatur talis modus existendi.

c) Le troisième est le principe qui cause un tel mode d'existence.

Sicut autem natura in se considerata communis est, ita et modus existendi naturae; non enim invenitur natura hominis existens in rebus nisi aliquo singulari individuata: non enim est homo qui non sit aliquis homo, nisi secundum opinionem Platonis, qui ponebat universalia separata. Sed principium talis modi existendi quod est principium individuationis, non est commune; sed aliud est in isto, et aliud in illo; hoc enim singulare individuatur per hanc materiam, et illud per illam. Sicut ergo nomen quod significat naturam, est commune et definibile,- ut homo vel animal,- ita nomen quod significat naturam cum tali modo existendi, ut hypostasis vel persona. Illud vero nomen quod in sua significatione includit determinatum individuationis principium, non est commune nec definibile, ut Socrates et Plato.

Mais de même que la nature, considérée en soi, est commune, son mode d'existence aussi, car on ne trouve la nature d'un homme qui existe en réalité qu'individualisée par quelque chose de particulier, car il n'y a pas d'homme qui ne soit pas un certain homme, sinon selon l'opinion de Platon qui plaçait des universels séparés. Mais le principe d'un tel mode d'existence qui est un principe d'individuation n'est pas commun; mais il est différent dans l'un et dans l'autre; car cet être singulier est individué par cette matière et cet autre par celle-là. De même donc que le nom qui signifie la nature est commun et définissable, — comme homme ou animal — de même le nom qui signifie la nature avec un tel mode d'existence, comme hypostase, ou personne. Mais ce nom qui inclut dans sa signification un principe déterminé d'individuation, n'est ni commun, ni définissable, comme Socrate et Platon.

q. 9 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum intentio singularitatis est communis omnibus individuis substantiis, sed etiam natura generis cum tali modo existendi; et hoc modo significat hoc nomen hypostasis naturam generis substantiae ut individuatam; hoc autem nomen persona solum naturam rationalem sub tali modo existendi. Et propter hoc neque hypostasis neque persona est nomen intentionis, sicut singulare vel individuum, sed nomen rei tantum; non autem rei et intentionis simul.

# 2. Non seulement le concept de singularité est commun à toutes les substances individuelles, mais la nature du genre aussi avec un tel mode d'existence; et de cette manière le nom d'hypostase signifie la nature du genre de la substance en tant qu’individualisée; mais ce nom de personne signifie seulement la nature raisonnable qui existe sous un tel mode d’existence. Et c'est pour cela que ni hypostase, ni personne, ne sont le nom du concept en tant que singulier ou individuel; mais le nom de la chose seulement; mais pas celui de la chose et du concept en même temps.

q. 9 a. 2 ad 3 Unde patet solutio ad tertium et quartum.

# 3. 4. Ainsi s’éclaire la solution à la troisième et quatrième objection.

q. 9 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum quod, quia essentiales rerum differentiae sunt ignotae frequenter et innominatae, oportet interdum uti accidentalibus differentiis ad substantiales differentias designandas, sicut docet philosophus, et hoc modo individuum ponitur in definitione personae, ad designandum individualem modum essendi.

# 5. Parce que les différences essentielles sont fréquemment ignorées et sans nom, il faut parfois se servir des différences accidentelles, pour désigner des différences substantielles, comme le montre le philosophe (Métaphysique, VIII, 2, 1043 a 5) et de cette manière on place l’individu dans la définition de la personne pour désigner le mode individuel d'être.

q. 9 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum quod, cum dividitur substantia in primam et secundam, non est divisio generis in species,- cum nihil contineatur sub secunda substantia quod non sit in prima,- sed est divisio generis secundum diversos modos essendi. Nam secunda substantia significat naturam generis secundum se absolutam; prima vero substantia significat eam ut individualiter subsistentem. Unde magis est divisio analogi quam generis. Sic ergo persona continetur quidem in genere substantiae, licet non ut species, sed ut specialem modum existendi determinans.

# 6. Quand la substance est divisée en première et seconde, ce n'est pas une division du genre en espèce — puisque rien n'est contenu sous la substance seconde qui ne soit dans la substance première — mais c'est une division du genre selon les diverses manières d'être. Car la substance seconde signifie la nature absolue du genre en soi; mais la substance première signifie celle en tant qu’elle subsiste individuellement. C'est pourquoi c'est plus une division de l’analogue que du genre. Ainsi donc la personne est contenue dans le genre de la substance, bien qu'elle n’y soit pas comme espèce, mais comme ce qui détermine un mode spécial d'existence.

q. 9 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quidam dicunt, quod substantia ponitur in definitione personae prout significat hypostasim, sed cum de ratione hypostasis sit individuum, secundum quod opponitur communitati universalis vel parti,- quia nullum universale, nec aliqua pars, ut manus vel pes, potest dici hypostasis,- ulterius de ratione personae est individuum, secundum quod opponitur communitati assumptibilis. Dicunt enim, quod humana natura in Christo est hypostasis, sed non persona. Et ideo ad excludendum assumptibilitatem additur individuum in definitione personae.

# 7. Certains disent que la substance est placée dans la définition de la personne dans la mesure où elle signifie l'hypostase, mais comme l’individu concerne le concept d'hypostase, selon qu'il est opposé au caractère commun de l'universel ou à la partie — parce que rien d'universel, ni une partie, comme la main ou le pied ne peut être appelé hypostase — l'individu concerne en plus le concept de personne selon qu’il est opposé à l’état commun de ce qui ne peut être assumé. Car ils disent que la nature humaine dans le Christ est une hypostase, mais non une personne. Et c'est pourquoi pour exclure qu’elle puisse être assumée, on ajoute individu dans la définition de la personne.

Sed hoc videtur esse contra intentionem Boetii, qui in Lib. de duabus naturis, per hoc quod dicitur individuum, excludit universalia a ratione personae. Et ideo melius est ut dicatur, quod substantia non ponitur in definitione personae pro hypostasi, sed pro eo quod est commune ad substantiam primam, quae est hypostasis, et substantiam secundam, et dividitur in utraque. Et sic illud commune, per hoc quod additur individuum, contrahitur ad hypostasim, ut idem sit dicere: substantia individua rationalis naturae, ac si diceretur hypostasis rationalis naturae.

Mais cela paraît opposé à la pensée de Boèce, qui dans le livre Des deux natures, du fait qu'on parle d’individu, est exclu ce qui est universel de la nature de la personne. Et c'est pourquoi il est meilleur de dire que la substance n'est pas placée dans la définition de la personne à la place de l’hypostase, mais pour ce qui est commun à la substance première, qui est l'hypostase, et à la substance seconde et elle est divisée en l'une et l'autre. Et ainsi ce qui est commun, par le fait qu'on ajoute individu, est réunie à l'hypostase pour que ce soit la même chose de dire: substance individuelle de nature raisonnable comme si on parlait d’une hypostase de nature raisonnable.

q. 9 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum quod, secundum praedicta, ratio non procedit: quia substantia accipitur non pro hypostasi, sed pro eo quod est commune ad omnem substantiae acceptionem. Si tamen acciperetur substantia pro hypostasi, adhuc ratio non sequeretur: substantia enim quae est hypostasis, propinquius se habet ad personam quam subsistentia; cum tamen persona dicat aliquid subiectum, sicut substantia prima, et non solum sicut subsistens ut subsistentia. Sed quia nomen substantiae refertur etiam apud Latinos ad significationem essentiae, ideo ad vitandum errorem non dicimus tres substantias, sicut tres subsistentias. Graeci vero apud quos est distinctum nomen hypostasis a nomine ousias indubitanter in Deo tres hypostases confitentur.

# 8. Selon ce qui a été dit, cette raison ne vaut pas, parce que la substance est prise non pour une hypostase mais pour ce qui est commun à toute l'acception de la substance. Si cependant la substance était prise à la place de l'hypostase, la raison ne vaudrait pas non plus, car la substance qui est l’hypostase se montre plus proche de la personne que la subsistance; étant donné que la personne désigne un substrat, de même que la substance première et non seulement en tant que subsistant comme subsistance. Mais parce que le nom de substance est rapporté aussi chez les Latins à la signification de l'essence, pour éviter une erreur, nous parlons de trois substances, comme de trois subsistances. Mais les Grecs, chez qui le nom hypostase est distingué de ousia, confessent, sans doute aucun, trois hypostases en Dieu.

q. 9 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum quod, sicut dicimus in Deo tres personas, ita possumus dicere tres substantias individuas; unam tamen substantiam quae est essentia.

# 9. De même que nous disons qu'il y a trois personnes en Dieu, de même nous pouvons parler de trois substances individuelles, cependant d’une seule substance qui est l'essence.

q. 9 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod rationale est differentia animalis, secundum quod ratio, a qua sumitur, significat cognitionem discursivam, qualis est in hominibus, non autem in Angelis nec in Deo. Boetius autem sumit rationale communiter pro intellectuali, quod dicimus convenire Deo et Angelis et hominibus.

# 10. Raisonnable désigne la différence de l'animal selon que la notion, d'où il est pris, signifie la connaissance discursive telle qu'elle est dans l'homme, mais non dans les anges9, ni en Dieu. Mais Boèce prend raisonnable communément pour intellectuel, que nous disons convenir à Dieu, aux anges et aux hommes.

q. 9 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum quod natura in definitione personae non accipitur prout est principium motus, sicut definitur a philosopho, sed sicut definitur a Boetio: quod natura est unumquodque informans specifica differentia. Et quia differentia complet definitionem et determinat definitum ad speciem, ideo nomen naturae magis competit in definitione personae,- quae specialiter in quibusdam substantiis invenitur,- quam nomen essentiae, quod est communissimum.

# 11. La nature, dans la définition de la personne n'est pas prise selon qu'elle est le principe du mouvement comme le philosophe la définit (Physique, II, 193 a 3010), mais comme elle est définie par Boèce (dans Les deux natures, III) parce que la nature est une différence spécifique qui donne forme à chaque chose. Et parce que la différence complète la définition et détermine le défini à l'espèce, le nom de nature appartient plus à la définition de la personne — qui se trouve spécialement en certaines substances — que le nom essence qui est très commun.

q. 9 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod individuum, in definitione personae, sumitur pro eo quod non praedicatur de pluribus; et secundum hoc essentia divina non est individua substantia secundum praedicationem,- cum praedicetur de pluribus personis,- licet sit individua secundum rem. Richardus tamen de sancto Victore, corrigens definitionem Boetii, secundum quod persona in divinis accipitur, dixit: quod persona est divinae naturae incommunicabilis existentia, ut per hoc quod dicitur incommunicabilis, essentia divina, persona non esse, ostenderetur.

# 12. L’individu, dans la définition de la personne, est pris pour ce qui est attribué à plusieurs, et ainsi l'essence divine n'est pas une substance individuelle selon l'attribution — puisqu'elle est attribuée à plusieurs personnes — bien qu'elle soit individuelle en réalité; cependant Richard de saint Victor (La Trinité, IV, 18 et 23), corrigeant la définition de Boèce, selon que la personne est reçue en Dieu, a dit que: "La personne est une existence incommunicable de nature divine." pour montrer que parce qu’on la dit incommunicable, l'essence divine n’est pas une personne.

q. 9 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod cum substantia individua sit quoddam completum per se existens, humana natura in Christo, cum sit assumpta in personam divinam, non potest dici substantia individua,- quae est hypostasis,- sicut nec manus nec pes nec aliquid eorum quae non subsistunt per se ab aliis separata; et propter hoc non sequitur quod sit persona.

# 13. Comme la substance individuelle est quelque chose de complet existant par soi, comme la nature humaine dans le Christ a été assumée dans la personne divine, elle ne peut pas être appelée substance individuelle — qui est une hypostase,— de même que ni la main ni le pied, ni quelque chose de ce qui ne subsiste pas par soi séparé des autres; et pour cela il n'en découle pas qu’elle soit une personne.

q. 9 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum quod anima separata est pars rationalis naturae, scilicet humanae, et non tota natura rationalis humana, et ideo non est persona.

# 14. L'âme séparée est une partie de la nature raisonnable, à savoir de la nature humaine, et non toute la nature raisonnable humaine et c'est pour cela que ce n'est pas une personne.

 

1 PARALL.: Ia, qu. 29, a. 1 — a. 3, ad 2, 4 — IIIa, qu. 2, a. 2— I Sent. D. 25, a. 1. De unione Verbi. a. 1, (§ 1: définition de la nature, § 2, définition de la personne. )

2 "Et la raison pour laquelle des substances sensibles individuelles il n’y a ni définition, ni démonstration, c’est que ces substances ont une matière dont la nature est de pouvoir et être et n’être pas…" (p. 434) Thomas 1606-1612) Cf. Anal. Post. I, 8, 75 b 24: l’universalité de la définition ne peut porter que sur des universaux.

3 Singularitas: le fait d’être unique, individualité.

4 "On voit donc que c’est de la substance seule qu’il y a définition." (Trad. Tricot, p. 369).

5 Voir qu. 9, a. 1, note 6.

6 "Car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non pas accident." (Trad. H. Carteron). Cf. De Caelo, I, 2, 268 b 15: "Tous les corps naturels et toutes les grandeurs sont, prétendons-nous, mobiles, de par soi, selon le lieu, nous disons en effet que la nature est le principe de leur mouvement."

7 Éd. Marietti ajoute: [sicut ex praemissis patet].

8 Cf. Ia, qu. 29, a. 1, c. "La substance est individuée par elle-même, les accidents le sont pas le sujet.".

9 La connaissance dans les anges; Voir Péchaire, Intellectus et ratio selon saint Thomas. V.g. p. 71.

10 "Mais en un autre sens, c’est le type et la forme, la forme définissable.

 

 

Article 3: Peut-il y avoir une personne en Dieu?

q. 9 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum in Deo possit esse persona. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 9 a. 3 arg. 1 Sicut enim dicit Boetius nomen personae sumitur a personando, quia homines larvati personae dicebantur, quia in comoediis vel tragoediis aliquid personabant. Sed esse larvatum non competit Deo, nisi forte metaphorice. Ergo nomen personae non potest dici de Deo, nisi forte metaphorice.

1. Car, comme le dit Boèce (Les deux Natures, III, PL. 64, 1344 A), le nom de personne vient de personare (c'est-à-dire résonner): les hommes qui portaient un masque étaient appelés des personnes, parce que, dans les comédies et les tragédies, leurs voix résonnaient. Mais porter un masque ne convient pas à Dieu sinon par métaphore. Donc le nom de personne ne peut être employé pour Dieu, sinon éventuellement par métaphore.

q. 9 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, de nullo eorum quae dicuntur de Deo, possumus scire quid est, prout ei conveniunt. Sed de persona scimus quid est, per definitionem praemissam. Ergo persona non competit Deo, ad minus secundum definitionem praedictam.

2. Comme le dit Jean Damascène (La foi orthodoxe I, 1, 2 et 4), de tout ce qu'on dit à propos de Dieu, nous ne pouvons savoir ce qu’il est, dans la mesure où cela lui convient. Mais pour la personne, nous savons ce qu’elle est, par la définition rapportée ci-dessus (a. 2). Donc le nom de personne ne convient pas à Dieu, au moins selon la définition qu’on en a donnée.

q. 9 a. 3 arg. 3 Praeterea, Deus non est in aliquo genere; cum enim sit infinitus, sub nullius generis terminis comprehendi potest. Persona autem significat aliquid quod est in genere substantiae. Ergo persona Deo non convenit.

3. Dieu n'est pas dans un genre, car comme il est infini, il ne peut être compris sous les termes d'aucun genre. Mais la personne signifie quelque chose qui est dans le genre de la substance. Donc la personne ne convient pas à Dieu.

q. 9 a. 3 arg. 4 Praeterea, in Deo nulla est compositio. Sed persona significat aliquid compositum; singulare enim humanae naturae, quod est persona, est maximae compositionis; partes etiam definitionis personae demonstrant personam esse compositam. Non est ergo in Deo persona.

4. Il n'y a nulle composition en Dieu. Mais la personne signifie quelque chose de composé; car l'individu particulier de nature humaine, qui est une personne est d’une très grande composition; les parties de la définition de la personne montrent aussi qu'elle est composée. Donc il n'y a pas de personne en Dieu.

q. 9 a. 3 arg. 5 Praeterea, in Deo nulla est materia. Principium autem individuationis materia est. Cum ergo persona sit substantia individua, non potest Deo convenire.

5. En Dieu il n'y a pas de matière. Mais le principe d'individuation est la matière. Comme la personne est une substance individuelle, elle ne peut convenir à Dieu.

q. 9 a. 3 arg. 6 Praeterea, omnis persona est subsistentia. Sed Deus non potest dici subsistentia, quia non existit sub aliquo. Ergo non est persona.

6. Toute personne est une subsistance. Mais Dieu ne peut pas être appelé subsistance, parce qu'il n'est placé sous rien2 . Donc il n'est pas une personne.

q. 9 a. 3 arg. 7 Praeterea, persona sub hypostasi continetur. Sed in Deo non potest esse hypostasis, quia non est in eo aliquod accidens, cum hypostasis dicat subiectum accidentis, ut supra dictum est. Ergo in Deo non est persona.

7. La personne est contenue sous l'hypostase. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir d'hypostase, parce qu'en lui, il n'y a pas d'accident, puisqu’on dit que l’hypostase est le substrat de l’accident, comme ci-dessus (art. 13) on l'a dit. Donc en Dieu il n'y a pas de personne.

En sens contraire:

q. 9 a. 3 s. c. Sed contrarium, apparet per Athanasium in symbolo quicumque vult, etc., et per Augustinum in VII de Trinit., et per communem Ecclesiae usum, quae a spiritu sancto edocta non potest errare.

Le contraire apparaît dans le Symbole d'Athanase4:"Quiconque veut… etc." et chez Augustin (La Trinité, VII, 6) et par l'usage commun de l'Église, qui, instruite par l'Esprit saint, ne peut pas se tromper.

Réponse:

q. 9 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod persona, sicut dictum est, significat quamdam naturam cum quodam modo existendi. Natura autem, quam persona in sua significatione includit, est omnium naturarum dignissima, scilicet natura intellectualis secundum genus suum. Similiter etiam modus existendi quem importat persona est dignissimus, ut scilicet aliquid sit per se existens

La personne, comme il a été dit, signifie une nature avec un certain mode d'existence. Mais la nature, que "personne" inclut dans sa signification est la plus digne de toutes les natures, à savoir, selon son genre, la nature intellectuelle. De même aussi le mode d'existence qu'apporte la personne est le plus digne, en tant que réalité qui existe en soi.

Cum ergo omne quod est dignissimum in creaturis, Deo sit attribuendum, convenienter nomen personae Deo attribui potest, sicut et alia nomina quae proprie dicuntur de Deo.

Donc, comme tout ce qui est le plus digne dans les créatures doit être attribué à Dieu, il convient que le nom de personne puisse lui être attribué, comme les autres noms qui lui sont attribués en propre.

Solutions:

q. 9 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod in nomine aliquo est duo considerare: scilicet, illud ad quod significandum nomen imponitur, et illud a quo imponitur ad significandum. Frequenter enim imponitur nomen aliquod ad significandum rem aliquam, ab aliquo accidente aut actu aut effectu illius rei; quae tamen non sunt principaliter significata per illud nomen, sed potius ipsa rei substantia, vel natura sicut hoc nomen lapis sumitur a laesione pedis, quam tamen non significat, sed potius corpus quoddam in quo tale accidens frequenter invenitur. Unde laesio pedis magis pertinet ad etymologiam huius nominis lapis, quam ad eius significationem.

# 1. Dans un nom il y a deux aspects à considérer: l’un s’impose pour signifier pour quoi? et l’autre par quoi? Car fréquemment le nom sert pour signifier quelque chose par un accident, un acte ou un de ses effets; cependant cela n'est pas signifié principalement par ce nom, mais plutôt par la substance de la chose, ou sa nature; ainsi le nom pierre est pris de "qui blesse le pied5". Ce que cependant il ne signifie pas, mais il signifie plutôt un corps dans lequel se trouve fréquemment un tel accident. C'est pourquoi la blessure du pied appartient à son étymologie plus qu'à sa signification.

Quando ergo illud ad quod significandum nomen imponitur, Deo non competit,- sed aliqua proprietas eius secundum similitudinem quamdam,- tunc illud nomen de Deo metaphorice dicitur: sicut Deus nominatur leo, non quia natura illius animalis Deo conveniat, sed propter fortitudinem quae in leone invenitur. Quando vero res significata per nomen Deo convenit, tunc illud nomen proprie de Deo dicitur, sicut bonum, sapiens et huiusmodi; licet etiam quandoque illud a quo tale nomen imponitur, non conveniat Deo. Sic ergo licet personare ad modum larvati hominis a quo impositum fuit nomen personae, Deo non conveniat, tamen illud quod significatur per nomen, scilicet subsistens in natura intellectuali, competit Deo; et propter hoc nomen personae proprie sumitur in divinis.

Donc quand ce à quoi sert le nom pour signifier quelque chose ne lui convient pas — mais une de ses propriétés selon une ressemblance quelconque — alors ce nom est employé pour Dieu métaphoriquement; ainsi Dieu est appelé lion, non pas parce que la nature animale lui convient, mais à cause de la force qui est dans le lion. Mais quand une chose signifiée par le nom lui convient, alors il est employé au sens propre, comme bon, sage, etc.; bien que quelquefois aussi ce par quoi on se sert d'un tel nom ne lui convienne pas. Ainsi donc, bien que crier à voix forte à la manière d’un homme masqué, par qui a été imposé le nom de personne, ne convienne pas à Dieu, cependant ce qu’il signifie, à savoir qui subsiste dans une nature intellectuelle, lui convient, et à cause de cela le nom de personne est pris en lui au sens propre.

q. 9 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum quod tam nomen personae quam definitio de persona data, si recte intelligatur, convenit Deo: non tamen ita quod sit definitio eius, quia plus est in Deo quam significetur per nomen. Unde id quod Dei est, per rationem nominis non definitur.

# 2. Tant le nom de personne que la définition qu’on lui donne, si on les comprend bien, conviennent à Dieu, non cependant de sorte que ce soit sa définition, parce qu'il y a plus en Dieu que ce qui est signifié par le nom. C'est pourquoi ce qui appartient à Dieu n'est pas défini par la signification de ce nom.

q. 9 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet Deus non sit in genere substantiae tamquam species, pertinet tamen ad genus substantiae sicut generis principium.

# 3. Bien que Dieu ne soit pas dans le genre de la substance, comme espèce, il se rapporte cependant au genre de la substance comme principe du genre.

q. 9 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum quod accidit personae, in quantum huiusmodi, quod sit composita, ex hoc quod complementum vel perfectio, quae requiritur ad rationem personae, non invenitur statim in uno simplici, sed requirit adunationem multorum, sicut in hominibus patet. In Deo autem, cum summa simplicitate est summa perfectio; et ideo est ibi persona absque compositione. Partes vero positae in definitione personae non ostendunt aliquam compositionem personae, nisi in substantiis materialibus: individuum autem cum sit negatio, per hoc quod substantiae additur, nulla compositio importatur. Unde remanet ibi sola compositio individuae substantiae, id est hypostasis ad naturam: quae duo, in substantiis immaterialibus, secundum rem, sunt idem omnino.

# 4. Il arrive à la personne en tant que telle, d’être composée, du fait que ce qui l'achève ou la parfait, requis pour sa nature, ne se trouve pas constamment dans ce qui est un et simple, mais requiert l'union de beaucoup de parties, comme on le voit pour l'homme. Mais en Dieu, comme la perfection surpême vient de sa suprême simplicité, il y a une personne sans composition. Aussi les parties placées dans la définition de la personne ne montrent une composition de la personne que dans les substance matérielles; mais comme l’individu est une négation, du fait qu'il est ajouté à la substance, il n’apporte aucune composition. C'est pourquoi la seule composition de la substance individuelle y demeure, c'est-à-dire l'hypostase pour la nature; les deux, dans les substances immatérielles, sont tout à fait identiques en réalité.

q. 9 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum quod rebus materialibus, in quibus formae non sunt per se subsistentes, sed materiae inhaerentes, oportet quod principium individuationis sit ex materia: formae vero immateriales, cum sint per se subsistentes, ex seipsis individuantur; ex hoc enim quod aliquid est subsistens, habet quod de pluribus praedicari non potest: et ideo nihil prohibet in rebus immaterialibus substantiam individuam et personam inveniri.

# 5. Pour les choses matérielles, en qui les formes ne sont pas subsistantes par soi, mais inhérentes à la matière, il faut que le principe d'individuation vienne de la matière: mais comme les formes immatérielles sont subsistantes par soi, elles sont individuées par elles-mêmes; car du fait que quelque chose est subsistant, il a ce qui ne peut pas être attribué à plusieurs; et c'est pourquoi rien n'empêche de trouver dans les choses immatérielles, une substance individuelle et une personne.

q. 9 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum quod, licet in Deo non sit compositio, ut in eo aliquid sub alio intelligi possit, tamen secundum intellectum nostrum, seorsum accipimus esse eius et substantiam ipsius sub esse eius existentem, ut huic subsistens dicatur. Vel dicendum, quod licet subesse,- a quo imponitur vocabulum subsistendi,- Deo non conveniat, tamen per se esse,- ad quod significandum imponitur,- competit ei.

# 6. Bien qu'en Dieu, il n'y ait pas de composition, qui puisse faire penser qu'une chose en lui est soumise à une autre, cependant, selon notre esprit, nous avons admis ci-dessus que son être et sa substance existent sous son être, pour le dire subsistant. Ou bien il faut dire, que bien qu' "être sujet"— notion qu’impose le terme de subsister, ne convienne pas à Dieu cependant être par soi, — ce à quoi il sert à le signifier — lui convient.

q. 9 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum quod, licet in Deo non sint accidentia, sunt tamen in eo proprietates personales, quibus hypostases substant.

# 7. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas d'accidents, il y a cependant des propriétés personnelles6 dont les hypostases sont le substrat.

 

1 Parall.: Ia, qu. 29, a. 3 — I Sent. d23a2.

2 Sub-sistence selon l’étymologie: ‘qui demeure sous’.

3 Boèce, Les deux natures, 3, PL. 64, 1344.

4 IVe siècle. Denz. 75-76 Symbole et des définitions de la foi. Il exprime la foi de l’Église: trois Personnes en une seule nature.

5Étymologie classique mais fantaisiste pour nous. "Attendu que les essences des étants nous sont foncièrement cachées… ce ne sont pas les essences, mais les accidents des choses" qui servent au langage. "Peu importe, dit-il, que cette explication des origines soit fausse… Ce que ce mot lapis vise par sa signification — la pierre en tant que pierre, c'est-à-dire l’essence de pierre — va bien au-delà de ce qu’il exprime étymologiquement." Philipp. W. Rosemann, Omne ens est aliquid. Louvain-Paris 1996, p. 148-149.

6 Pot. 7, 5, obj. 2. "Jean Damascène (I, 11) dit qu'en Dieu tout est un, sauf la non-génération, la génération et la procession" Il s'agit des trois propriétés personnelles dans la Trinité. Elle signifie l'origine comme un acte. Cf. Ia, qu. 40, a. 2, c. L'origine et la relation sont les propriétés personnelles des Personnes en Dieu.

 

 

Article 4: Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu1?

q. 9 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum hoc nomen persona in divinis significet relativum, vel aliquid absolutum. Et videtur quod significet aliquid absolutum.

Il semble qu'il signifie l'absolu2.

 

Objections:

q. 9 a. 4 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod cum Ioannes dicit: tres sunt qui testimonium dant in caelo, pater, verbum et spiritus sanctus; et quaereretur quid tres essent, responsum est quod sunt tres personae. Sed quid quaerit de essentia. Ergo hoc nomen persona in divinis significat essentiam.

1. Car Augustin rapporte (La Trinité, VII, IV, 73) que Jean dit: "Il y en a trois qui donnent leur témoignage dans le ciel, le Père, le Fils et l'Esprit saint.", et si on cherche ce qu’ils sont, on répond: ce sont trois personnes. Mais quid interroge sur l'essence. Donc ce nom de personne signifie l'essence en Dieu.

q. 9 a. 4 arg. 2 Praeterea, in eodem Lib. Augustinus dicit, quod idem est Deo esse quod personam esse. Sed esse in divinis significat essentiam, et non relationem. Ergo et persona.

2. Dans le même livre (La Trinité, VII, VI, 114), Augustin dit que c’est pareil pour Dieu d’être et d’être une personne. Mais l'être en Dieu signifie l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

q. 9 a. 4 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit ibidem: ad se proprie dicitur persona, non ad filium vel spiritum sanctum, sicut ad se dicitur Deus, et magnus et bonus et iustus. Sed haec omnia essentiam significant, et non relationem. Ergo et persona.

3. Augustin dit au même endroit5: "On parle de personne absolument au sens propre, mais pas en rapport au Fils ou à l'Esprit saint, comme on dit absolument Dieu, grand, bon et juste." Mais tous ces noms signifient l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

q. 9 a. 4 arg. 4 Praeterea, Augustinus ibidem dicit quod, quamvis commune est illis, scilicet patri et filio et spiritui sancto, nomen essentiae, ita ut singulus quisque dicatur essentia, tamen illis commune est personae vocabulum. Sed relatio in divinis non est commune, sed distinctivum. Ergo persona in divinis non significat relationem.

4. Augustin au même endroit (ch. 4) dit que, quoique le nom d’essence leur soit commun, à savoir au Père, au Fils et à l'Esprit saint, de sorte que chacun en particulier est appelé essence, cependant, le nom de personne leur est commun. Mais la relation en Dieu n'est pas commune mais distinctive. Donc la personne n'y signifie pas la relation.

q. 9 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod persona est commune ratione et non re in divinis.- Sed contra, in divinis non est universale; unde Augustinus in eodem libro improbat opinionem illorum qui dicebant quod essentia in divinis est sicut genus vel sicut species; persona vero sicut species vel individua. Quod autem est commune ratione et non re, est commune per modum universalis. Ergo persona non est commune in divinis ratione tantum, sed etiam re; et ita non potest significare relationem.

5. Mais il faut dire que le nom personne est commun en Dieu en raison, mais pas en réalité. — En sens contraire, en Dieu l'universel n’existe pas. C'est pourquoi, Augustin dans le même livre (Trinité, VII, VI, 11) réprouve l'opinion de ceux qui disaient que l'essence lui est comme un genre ou une espèce et la personne comme une espèce ou un individu. Mais ce qui est commun en raison et non en réalité est commun à la manière de l'universel. Donc la personne n'est pas commune en lui, en raison seulement, mais aussi en réalité, et ainsi elle ne peut pas signifier une relation.

q. 9 a. 4 arg. 6 Praeterea, nullum nomen significat res diversorum generum, nisi aequivoce: acutum enim aequivoce dicitur in saporibus et magnitudinibus. Manifestum est autem quod persona in Angelis et hominibus non significat relationem, sed aliquid absolutum. Si ergo in Deo significet relationem, erit aequivoce dictum.

6. Aucun nom ne signifie des choses de genres différents sinon de manière équivoque. Important, en effet, se dit de manière équivoque dans les saveurs et les grandeurs6. Mais il est clair que la personne dans les anges et dans les hommes ne signifie pas une relation, mais quelque chose d'absolu. Si donc en Dieu, elle signifie la relation, on en parlera de manière équivoque.

q. 9 a. 4 arg. 7 Praeterea, quod accidit rei significatae per nomen, est extra significationem nominis; sicut extra significationem hominis est album, quod accidit homini. Res autem significata per hoc nomen persona est substantia individua rationalis naturae; quia ratio quam significat nomen, est definitio, secundum philosophum, in IV Metaph.: substantiae autem tali accidit ad aliud referri. Relatio ergo est extra significationem huius nominis persona.

7. Ce qui s’ajoute à ce qui est signifié par le nom est hors de sa signification; comme le blanc, accident dans l'homme, est hors de sa signification; mais ce qui est signifié par le nom de personne est la substance individuelle de nature raisonnable; parce que la notion que signifie le nom est la définition, selon le philosophe (Métaphysique, IV, 7, 1012 a 237), mais, il arrive à une telle substance de se référer à autre chose. Donc la relation est hors de la signification de ce nom de personne.

q. 9 a. 4 arg. 8 Praeterea, nullum nomen potest intelligi de aliquo vere praedicari, cui non intelligitur convenire res significata per nomen; sicut non potest intelligi esse homo quod intelligitur non esse animal rationale mortale. Iudaei autem et Pagani confitentur Deum esse personam; non tamen confitentur in eo relationes, quas nos ponimus secundum fidem. Ergo hoc nomen persona in divinis non significat huiusmodi relationes.

8. On peut comprendre qu’aucun nom ne soit vraiment attribué à une chose, si on ne comprend pas que ce qu’il signifie lui convient; ainsi il est impossible de comprendre "être homme" sans comprendre être un animal raisonnable mortel — Mais les Juifs et les Païens confessent que Dieu est une personne; mais ils ne confessent cependant pas en lui les relations que nous, nous posons selon notre foi. Donc ce nom de personne en Dieu ne signifie pas des relations de ce genre.

q. 9 a. 4 arg. 9 Sed dicendum, quod Iudaei et Pagani erroneam habent opinionem de Deo; unde ex eorum opinione non potest accipi argumentum.- Sed contra, error opinionis non variat nominis significationem, nec etiam veritas. Si ergo apud errantes de Deo nomen persona non significat relationem, nec etiam significabit apud recte sentientes de Deo.

9. Mais il faut dire que les Juifs et les Païens ont une opinion erronée sur Dieu. C'est pourquoi, on ne peut pas tirer argument de leur opinion. — En sens contraire, l'erreur dans l'opinion ne change pas la signification du nom, la vérité non plus du reste. Si donc parmi ceux qui se trompent sur Dieu, le om de personne ne signifie pas la relation, il ne le signifiera pas non plus chez ceux qui pensent sur Dieu avec rectitude.

q. 9 a. 4 arg. 10 Praeterea, voces, secundum philosophum, sunt signa intellectuum: intellectus enim qui concipitur ex hoc nomine persona est in intellectu substantiae primae. Ergo hoc nomen persona significat substantiam primam, qua nihil est magis absolutum, cum sit per se existens; ergo hoc nomen persona non significat relationem, sed aliquid absolutum.

10. Les mots, selon le philosophe (Perih. I) sont les signes du concept, car celui-ci qui est conçu par ce nom de personne est dans le concept de substance première. Donc ce nom de personne signifie la substance première, dont rien n'est plus absolu, puisqu'elle existe par soi; donc ce nom de personne ne signifie pas une relation mais l'absolu.

q. 9 a. 4 arg. 11 Sed dicendum, quod hoc nomen persona significat relationem per modum substantiae.- Sed contra, haec propositio est immediata: nulla relatio est substantia, sicut et haec: nulla quantitas est substantia, sicut patet per philosophum. Si ergo hoc nomen persona significat substantiam, ut probatum est, impossibile est quod significatum eius sit relatio.

11. Mais il faut dire que ce nom personne signifie une relation à la manière de la substance. — En sens contraire, cette proposition est évidente: "Aucune relation n'est une substance", de la même manière que: "Aucune quantité n'est une substance8", comme le montre le philosophe (Posteriorum, I, 34) — Si donc ce nom personne signifie la substance, comme cela a été prouvé, il est impossible que ce qui est signifié soit sa relation.

q. 9 a. 4 arg. 12 Praeterea, opposita non possunt verificari de eodem. Sed esse per se et esse ad aliud, sunt opposita. Si ergo quod significatur nomine personae est substantia, quae est ens per se, impossibile est quod sit ad aliquid.

12. Les opposés ne peuvent pas se présenter comme vrais sous un même rapport. Mais être par soi et être pour un autre sont des opposés9. Si donc ce qui est signifié par le nom de personne est une substance, qui est un étant par soi, il est impossible que ce soit une relation.

q. 9 a. 4 arg. 13 Praeterea, omne nomen significans relationem, refertur ad aliquid quod consignificat, sicut dominus et servus. Sed patet quod hoc nomen persona non refertur ad aliud. Ergo non significat relationem, sed aliquid absolutum.

13. Tout nom qui signifie une relation se réfère à une réalité dont il révèle la relation, comme maître et serviteur. Mais il est clair que ce nom personne ne se réfère pas à autre chose. Donc il ne signifie pas une relation, mais l'absolu.

q. 9 a. 4 arg. 14 Praeterea, persona dicitur quasi per se una. Unitas autem in divinis pertinet ad essentiam. Ergo hoc nomen persona significat essentiam, et non relationem.

14. On dit que la personne est pour ainsi dire unique par soi. Mais l'unité en Dieu appartient à l'essence. Donc ce nom personne signifie l'essence et non la relation.

q. 9 a. 4 arg. 15 Sed dicendum, quod hoc nomen significat unum distinctum, et quia distinctio in divinis est per relationem, ideo significat relationem.- Sed contra, filius et spiritus sanctus dicuntur distingui in divinis secundum modum originis: nam filius procedit per modum intellectus, ut verbum, sed spiritus sanctus per modum voluntatis, ut amor. Non ergo per solas relationes est distinctio in divinis; et sic non oportet quod persona relationem significet.

15. Mais il faut dire que ce nom signifie une réalité distincte et parce que la distinction en Dieu se fait par relation, elle la signifie. — En sens contraire, on dit que le Fils et l'Esprit saint sont distingués en Dieu par le mode d'origine; car le Fils procède par mode d'intellect, comme Verbe, mais l'Esprit saint par mode de volonté comme amour. Donc la distinction en Dieu n'est pas par les relations seules et ainsi il ne faut que la personne signifie une relation.

q. 9 a. 4 arg. 16 Praeterea, si relatio in divinis est distinguens; persona autem est quid distinctum, non distinguens; non significabit relationem nomen personae.

16. Si la relation en Dieu apporte une distinction, (mais la personne est ce qui est distingué et qui ne distingue pas), le nom de personne ne signifiera pas une relation.

q. 9 a. 4 arg. 17 Praeterea, relationes in divinis dicuntur esse proprietates. Persona autem significat aliquid substans proprietati. Non ergo significat relationem.

17. On dit que les relations en Dieu sont des propriétés. Mais la personne signifie quelque chose qui est le substant de la propriété. Donc elle ne signifie pas la relation.

q. 9 a. 4 arg. 18 Praeterea, quatuor sunt relationes in divinis: scilicet paternitas, filiatio, processio, communis spiratio: innascibilitas enim, quae est quinta notio, non est relatio. Sed hoc nomen persona nullam harum significat. Si enim significaret paternitatem, non diceretur de filio; si filiationem, non diceretur de patre; si autem processione spiritus sancti, non diceretur neque de patre neque de filio; si vero communem spirationem, non diceretur de spiritu sancto. Non ergo significat relationem hoc nomen persona.

18. Les relations en Dieu sont quatre: la paternité, la filiation, la procession, la spiration commune; car l'innascibilité qui est la cinquième notion n'est pas une relation. Mais ce nom de personne ne signifie aucune d'entre elles. Car si elle signifiait la paternité, on ne l’emploierait pas pour le Fils, si elle signifiait la filiation, on ne l’emploierait pas pour Père, et si elle signifiait la procession de l’Esprit saint, on ne l’emploierait ni pour le Père ni pour le Fils; si elle signifiait la spiration commune, on ne l’emploierait pas pour l'Esprit saint. Donc ce nom de personne ne signifie pas une relation.

En sens contraire:

q. 9 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Boetius dicit, quod omne nomen, ad personas pertinens, relationem significat. Sed nullum nomen magis pertinet ad personas quam hoc nomen persona. Ergo hoc nomen persona relationem significat.

1. Boèce dit (La Trinité, VI) que tout nom en rapport avec les personnes, signifie une relation. Mais aucun nom ne se rapporte plus aux personnes que celui de personne. Donc il signifie une relation.

q. 9 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sub persona in divinis continentur pater et filius et spiritus sanctus. Sed haec nomina relationem significant. Ergo et nomen personae.

2. En Dieu le Père, le Fils et l'Esprit saint sont contenus sous le nom de personne. Mais ces noms signifient une relation. Donc le nom de personne aussi.

q. 9 a. 4 s. c. 3 Praeterea, nullum absolutum distinguitur in divinis. Sed persona distinguitur. Ergo non est absolutum, sed relativum.

3. Rien de ce qui est absolu n’est distingué en Dieu. Mais on distingue la personne. Donc elle n'est pas absolue, mais relative.

Réponse:

q. 9 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod hoc nomen persona habet commune cum nominibus absolutis in divinis quod de qualibet persona praedicatur, nec secundum nomen ad aliud defertur; cum nominibus vero relationem significantibus, quod distinguitur, et pluraliter praedicatur. Et ideo videtur quod utraque significatio et relativi et absoluti pertineat ad personam. Qualiter autem utraque significatio ad nomen personae pertineat est diversimode a diversis assignatum.

Ce nom de personne a en commun avec les noms absolus d’être attribué à n’importe quelle personne et il n’est pas déféré nominativement à autre chose; mais avec les noms qui signifient une relation, il distingue et est attribué au pluriel. Et c'est pourquoi il semble que l'une et l'autre signification, du relatif et de l'absolu, se rapporte à la personne. Mais de quelque manière que l'une et l'autre signification se rapporte au nom de personne, cela est conféré de diverses manières par diverses choses.

Dicunt enim quidam quod persona significat utrumque, sed per modum aequivocationis. Dicunt enim quod hoc nomen persona, quantum est de se, absolute significat essentiam, tam in singulari quam in plurali, sicut hoc nomen Deus, aut bonus, aut magnus: sed propter insufficientiam nominum ad loquendum de Deo, accommodatum est hoc nomen persona a sanctis patribus in Nicaeno Concilio, ut quandoque possit sumi pro relativo, et praecipue in plurali, cum dicimus quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres personae, vel cum termino partitivo adiuncto, ut cum dicitur: alia est persona patris, alia filii; vel cum dicitur: filius est alius a patre in persona. In singulari autem cum absolute praedicatur, potest indifferenter significare essentiam vel personam, ut cum dicitur: pater est persona, vel filius est persona.- Et haec videtur esse opinio Magistri in I sententiarum.

A. Car certains disent que la personne signifie l'un et l'autre10, mais de manière équivoque. Ils disent en effet que ce nom de personne, quant à lui, signifie l'essence dans l'absolu, tant au singulier qu'au pluriel, comme ce nom Dieu, ou bon, ou grand; mais à cause de l'insuffisance des noms pour parler de Dieu, celui-ci a été adopté par les saints Pères au Concile de Nicée, pour que, quelquefois il puisse être pris pour relation, et surtout au pluriel, quand nous disons que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois personnes, ou avec un terme partitif joint, comme quand on dit: Autre est la personne du Père; autre celle du Fils; ou quand on dit: Le Fils est autre que le Père en personne. Au singulier, quand il est attribué dans l'absolu, il peut indifféremment signifier l'essence ou la personne, comme quand on dit: Le Père est une personne, ou Le Fils est une personne. — Et cela paraît être l'opinion du Maître dans le livre I des Sentences (D. 25).

Sed non videtur sufficienter dici: non enim absque ratione ex propria significatione nominis sumpta, sancti patres divinitus inspirati, hoc nomen invenerunt ad confessionem verae fidei exprimendam; et praecipue quia dedissent occasionem erroris dicendo tres personas, si hoc nomen persona significat essentiam absolute.

Mais on voit bien que ce n’est pas suffisant. Car ce n'est pas sans une raison tirée de la propre signification du nom, que les saints Pères, divinement inspirés, ont trouvé ce nom pour exprimer la confession de la vraie foi; et surtout parce qu'ils auraient donné une occasion d'erreur en parlant de trois personnes, si ce nom personne signifiait l'essence dans l’absolu.

Et ideo alii dixerunt quod simul significat essentiam, et relationem, sed non aequaliter; sed unum in recto, et aliud in obliquo. Quorum quidam dixerunt, quod significat essentiam in recto, et relationem in obliquo; quidam e converso.

B. Et c'est pourquoi d'autres ont dit qu'il signifie l'essence et la relation en même temps, mais pas à égalité: l'une directement, l'autre indirectement. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence directement et la relation indirectement, certains ont dit le contraire.

Sed neutri dubitationem solvunt: quia si essentiam in recto significant, non deberet pluraliter praedicari; si vero relationem, non deberet ad se dici, nec de singulis praedicari. Et ideo alii dixerunt quod significat utrumque in recto.

Mais aucune des deux opinions ne supprime l’incertitude; parce que, s'ils signifient l'essence directement, on ne devrait pas l’attribuer au pluriel, mais si c’est la relation, on ne devait pas en parler dans l’absolu, ni l’attribuer à chaque personne

Quorum quidam dixerunt, quod significat essentiam et relationem ex aequo, et neutrum circa aliud ponitur.

C. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence et la relation à égalité et aucune des deux n'est placée en rapport avec autre chose.

Sed hoc non est intelligibile: quia quod non significat unum nihil significat. Unde omne nomen significat unum in una acceptione, ut dicit philosophus in IV Metaph.

Mais cela n'est pas compréhensible; parce que ce qui ne signifie pas l'unité ne signifie rien. C'est pourquoi tout nom signifie l’unité dans une seule acception, comme le dit le philosophe (Métaphysique, IV, 2, 1003 b 25 ss.11)

Et ideo alii dixerunt quod relatio ponitur circa absolutum. Quod quidem difficile est videre, cum relationes non determinent essentiam in divinis.

D. Et c'est pourquoi, d'autres ont dit que la relation est en rapport avec l'absolu. Ce qui est difficile à voir, puisque les relations ne déterminent pas l'essence en Dieu.

Sed sciendum, quod aliquid significat dupliciter: uno modo formaliter, et alio modo materialiter.

Mais il faut savoir qu’une chose signifie de deux manières; formellement et matériellement

Formaliter quidem significatur per nomen ad id quod significandum nomen est principaliter impositum, quod est ratio nominis; sicut hoc nomen homo significat aliquid compositum ex corpore et anima rationali.

a) Est signifié formellement par ce nom dont on se sert principalement pour le signifier, et qui en est la notion, comme ce nom homme signifie quelque chose de composé d'un corps et d'une âme raisonnable.

Materialiter vero significatur per nomen, illud in quo talis ratio salvatur; sicut hoc nomen homo significat aliquid habens cor et cerebrum et huiusmodi partes, sine quibus non potest esse corpus animatum anima rationali

b) Est signifié matériellement par ce nom ce en quoi une telle notion est conservée, comme ce nom homme signifie un être qui a un corps, un cerveau et des organes de ce genre, sans lesquels il ne peut pas être un corps animé par une âme raisonnable.

. Secundum hoc ergo dicendum est, quod hoc nomen persona communiter sumpta nihil aliud significat quam substantiam individuam rationalis naturae. Et quia sub substantia individua rationalis naturae continetur substantia individua,- id est incommunicabilis et ab aliis distincta, tam Dei quam hominis quam etiam Angeli,- oportet quod persona divina significet subsistens distinctum in natura divina, sicut persona humana significat subsistens distinctum in natura humana; et haec est formalis significatio tam personae divinae quam personae humanae.

Selon cela, il faut donc dire que ce nom personne, pris communément ne signifie rien d'autre que la substance individuelle de nature raisonnable. Et parce que sous la substance individuelle de nature raisonnable est contenue la substance individuelle,— c'est-à-dire incommunicable et distincte des autres, tant de Dieu que de l'homme, et de l'ange aussi — il faut que la personne divine signifie le subsistant distinct dans la nature divine, comme la personne humaine signifie un subsistant distinct dans la nature humaine et c'est la signification formelle tant de la personne divine que de la personne humaine.

Sed quia distinctum subsistens in natura humana non est nisi aliquid per individualem materiam individuatum et ab aliis diversum, ideo oportet quod hoc sit materialiter significatum, cum dicitur persona humana.

Mais parce que le subsistant distinct dans la nature humaine n’est que quelque chose d'individué par la matière individuelle, et différente des autres choses, il faut que cela soit signifié matériellement, quand on parle de la personne humaine.

Distinctum vero incommunicabile in natura divina non potest esse nisi relatio, quia omne absolutum est commune et indistinctum in divinis. Relatio autem in Deo est idem secundum rem quod eius essentia. Et sicut essentia in Deo idem est et habens esse essentiam, ut deitas et Deus: ita idem est relatio et quod per relationem refertur. Unde sequitur quod idem sit relatio et distinctum in natura divina subsistens.

Mais ce qui est distinct et incommunicable dans la nature divine ne peut être qu’une relation, parce que tout ce qui est absolu est commun et indistinct en Dieu. Mais en lui la relation est en réalité identique à son essence. Et de même que l'essence est identique à ce qui possède l’essence, comme la Divinité et Dieu, de même la relation et ce qui est référé par relation est identique. C'est pourquoi il en découle que la relation et ce qui subsiste de distinct dans la nature divine est identique.

Patet ergo quod persona, communiter sumpta, significat substantiam individuam rationalis naturae; persona vero divina, formali significatione, significat distinctum subsistens in natura divina. Et quia hoc non potest esse nisi relatio vel relativum, ideo materiali significatione significat relationem vel relativum. Et propter hoc potest dici, quod significat relationem per modum substantiae, non quae est essentia, sed quae est hypostasis; sicut et relationem significat non ut relationem, sed ut relativum, idest ut significatur hoc nomine pater, non ut significatur hoc nomine paternitas. Sic enim relatio significata includitur oblique in significatione personae divinae, quae nihil aliud est quam distinctum relatione subsistens in essentia divina.

Il est donc clair que la personne, prise communément, signifie la substance individuelle de nature raisonnable, mais la personne divine, par sa signification formelle, signifie un subsistant distinct dans la nature divine. Et parce que cela ne peut être que relation ou relatif, elle signifie par signification matérielle la relation ou le relatif. Et ainsi on peut dire qu'il signifie la relation par mode de substance, qui n’est pas l'essence, mais l'hypostase; de même elle signifie aussi la relation, non comme telle, mais comme relatif, c'est-à-dire qu’elle est signifié par ce nom Père et non par ce nom paternité. Car ainsi la relation signifiée est incluse indirectement dans la signification de la personne divine, qui n'est rien d'autre qu’un subsistant, distinct par relation dans l'essence divine.

 

Solutions:

q. 9 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quid non solum quaerit de essentia sed quandoque etiam de supposito, ut: quid natat in mari? Piscis. Et sic, ad quid respondendum est per nomen persona.

# 1. Quid non seulement interroge sur l'essence, mais quelquefois aussi sur le suppôt; comme “Qui nage dans la mer?" — "un poisson". Et ainsi à quid il faut répondre par le nom de personne.

q. 9 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum quod, propter modum significandi huius nominis persona, dicit Augustinus: idem est Deo esse quod persona esse. Non enim significat per modum relationis, sicut pater et filius.

#2. A cause de la manière de signifier de ce nom personne, Augustin dit (La Trinité, VII, 6): "C'est la même chose d'être pour Dieu que d'être une personne.". Car il ne signifie pas par mode de relation, comme Père et Fils.

q. 9 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum quod hoc provenit ex formali significatione personae quod ad se dicitur et ad aliud non refertur.

# 3. Ce qui est dit pour soi et ne se réfère pas à un autre provient de la signification formelle de la personne.

q. 9 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum quod essentia est communis re in divinis, sed persona secundum rationem tantum, sicut et hoc nomen relatio.

# 4. En Dieu, l’essence est commune en réalité, mais la personne en raison seulement, en tant que nom de relation.

q. 9 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum quod in divinis nihil est diversificatum secundum esse, cum ibi sit tantum unum esse. Hoc autem est contra rationem universalis; et ideo non est ibi universale, licet sit ibi unum secundum rationem, et non secundum rem.

# 5. En Dieu rien n'est différencié selon l'être, puisqu'il n'y en a qu'un seul. Or c'est contre la notion de l'universel, et c'est pourquoi il n’y en a pas, bien qu'il y ait l’unité en raison et non en réalité.

q. 9 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum quod, hoc quod persona aliud significat in Deo et homine, pertinet ad diversitatem suppositionis magis quam ad diversam significationem huius communis, quod est persona. Diversa autem suppositio non facit aequivocationem, sed diversa significatio.

# 6. Que le nom de personne signifie autre chose en Dieu et dans l'homme appartient à la diversité de la supposition12 plus qu'à la signification différente de ce qui est commun, qui est la personne. Mais être suppôt de manière différente n’apporte pas d'équivoque mais une signification différente.

q. 9 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet relatio accidat ei quod significatur communiter per hoc nomen persona, non tamen accidit personae divinae, sicut ostensum est.

# 7. Bien que la relation arrive à ce qui est signifié communément par ce nom de personne, elle n'arrive cependant pas à la personne divine, comme on l'a montré.

q. 9 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod obiectio illa procedit de formali significatione nominis, et non de materiali.

# 8. Cette objection procède de la signification formelle du nom et non de sa signification matérielle.

q. 9 a. 4 ad 9 Et similiter dicendum ad nonum.

# 9. Et il faut dire de même pour cette objection.

q. 9 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod substantia prima dicitur absoluta, quasi ab alio non dependens. Relativum autem in divinis non excludit absolutum quod est ab alio dependens; sed excludit absolutum quod ad aliud non refertur.

# 10. La substance première est dite absolue, comme ne dépendant pas d'un autre. Mais le relatif en Dieu n'exclut pas l'absolu, qui dépend d'un autre, mais il exclut celui qui ne se réfère pas à un autre.

q. 9 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ista propositio, nulla relatio est substantia, est immediata, si accipiatur relatio et substantia quae sunt in genere. Sed Deus non limitatur terminis alicuius generis, sed habet in se perfectiones omnium generum. Unde non distinguitur in eo secundum rem relatio et substantia.

# 11. Cette proposition: Aucune relation n'est une substance est évidente, si on prend la relation et la substance qui sont dans le genre. Mais Dieu n'est pas limité par les termes d'un genre: il a en lui les perfections de tous les genres. C'est pourquoi on ne distingue pas réellement en lui la relation et la substance.

q. 9 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod per se existens opponitur ad non per se existens, non autem ei quod est ad aliquid.

# 12. Ce qui existe par soi est opposé à ce qui n'existe pas par soi, mais pas à ce qui est relation.

q. 9 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod persona secundum nomen ad aliud non refertur, propter modum quem significat.

# 13. La personne par son nom ne se réfère pas à autre chose, à cause de la manière d’être qu'elle signifie.

q. 9 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum in divinis se habet communiter ad essentiam et relationem; dicimus enim quod essentia est una, et quod pater est unus.

# 14. L’unité en Dieu est se comporte de manière commune vis-à-vis de l'essence et de la relation; car nous disons que l'essence est une, et que le Père est un.

q. 9 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod forte modus ille processionis diversus,- quo dicitur filius procedere per modum intellectus, spiritus sanctus vero per modum voluntatis,- non sufficit ad distinguendum personaliter spiritum sanctum a filio, cum voluntas et intellectus non distinguantur personaliter in divinis. Si tamen concedatur quod hoc ad eorum distinctionem sufficiat, manifestum est quod uterque a patre per relationem distinguitur, prout unus eorum procedit a patre ut genitus, alius ut spiratus; et hae relationes constituunt eorum personas.

# 15. C’est par hasard que ce mode différent de procession — par lequel on dit que le Fils procède par mode d'intellection et l'Esprit saint par mode de volonté — ne suffit pas à distinguer personnellement l'Esprit saint du Fils, puisque la volonté et l'intellect ne sont pas distingués pour chaque personne en Dieu. Cependant si on concède que cela suffit à leur distinction, il est clair que l'un et l'autre sont distingués du Père par relation, dans la mesure où l'un d'eux procède du Père comme engendré, l'autre comme spiré; et ces relations constituent leurs personnes.

q. 9 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut relatio significat ut distinguens in divinis, ita relatum significatur ut distinctum. In Deo autem non est aliud relatio et relatum, sicut nec essentia et quod est; et ideo nec distinguens et distinctum in Deo differunt.

# 16. De la même manière que la relation apporte une signification en tant qu’elle apporte une distinction en Dieu, le relatif est signifié comme distinct. Mais en Dieu, la relation et le relaté ne sont pas différents, de même que l'essence et ce qui est, non plus; et c'est pourquoi ce qui apporte la distinction et ce qui la subit n’est pas différent en Dieu.

q. 9 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod proprietas in divinis non est accidentalis, sed est idem secundum rem ei cuius est proprietas; sed differt secundum modum intelligendi. Persona ergo non significat relationem prout est proprietas, sed prout est proprietati et essentiae subsistens.

# 17. La propriété en Dieu n'est pas accidentelle, mais elle est identique en réalité à ce dont elle est la propriété; mais elle diffère selon la manière de la comprendre. Donc la personne ne signifie pas la relation en tant que propriété, mais selon qu'elle subsiste à la propriété et à l'essence.

q. 9 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet universale non possit esse praeter singularia, potest tamen intelligi, et per consequens significari. Et propter hoc sequitur, si non est aliquod singularium, quod non sit universale. Non tamen sequitur, si non intelligitur aut significatur aliquod singularium, quod non intelligatur vel significetur universale: hoc enim nomen homo non significat aliquem singularium hominum, sed solum hominem in communi; et similiter hoc nomen persona, etsi non significet paternitatem neque filiationem neque communem spirationem aut processionem, tamen significat relationem in communi, per modum iam dictum, sicut et hoc nomen relatio suo modo.

# 18. Bien que l'universel ne puisse pas exister en dehors du singulier, on peut cependant le comprendre, et par conséquent le signifier. C’est pour cela qu’il en découle, s’il n’y a pas de singulier, qu'il n’y a pas d’universel. Il n'en découle pas cependant, si quelque chose de particulier n'est pas compris, ni signifié, que l’universel n'est pas compris ni signifié; car ce nom d'homme ne signifie pas l’un des hommes particuliers, mais seulement l'homme en commun, et semblablement ce nom de personne, même s'il ne signifie pas la paternité ou la filiation, ni la spiration commune ou la procession, signifie cependant la relation en commun par la manière déjà dite (dans le corps de l'article) comme ce nom relation le fait aussi à sa manière.

 

1 A savoir, la signification du mot "personne" l’essence ou la relation?

2 Ia, qu. 29, a. 4 — I Sent. d23a3 — d26q1a1.

3 "Le Père, le Fils, le saint Esprit sont trois, nous cherchons donc trois quoi?." (BA p. 530-531). Augustin ne cite pas Jean (Éd. Jeunes, note 50, p. 183) Ce texte n’appartient pas à la Vulgate. Il n’y apparaît qu’au IXe siècle. Note 57 p. 186. Thomas s’est inspiré de Pierre Lombard.

4 "Car pour Dieu, être et être une personne n'est pas différent, c'est absolument la même chose." (BA).

5 ""Personne" est un terme absolu; non un terme relatif au Fils, ou au saint Esprit, comme sont des termes absolus, Dieu, grand, bon, juste" (BA p. 540). Augustin dit avant ce texte: "…de même que la substance du Père est le Père lui-même, non par ce qui fait le Père, mais ce qui le fait être, pareillement la Personne du Père n’est pas autre chose que le Père lui-même…"

6 Il est difficile de trouver en français un terme qui convienne aux deux significations.

7 "Ratio namque cuius nomen est signum definitio est", "La notion…signifiée par le nom est la définition."

8 Donc il rappelle que la relation est une catégorie. En Pot. 8, 2, obj. 1, on trouve les mêmes phrases mais inversées: aucune substance n’est une relation…

9 C'est-à-dire la substance et l'accident.

10 Le relatif et l’absolu.

11 Aristote n° 301."Maintenant, l’Etre et l’un sont identiques et de même nature, en ce qu’ils sont corrélatifs l’un de l’autre,…"

12 Comprendre le fait d’être suppôt.

 

 

Article 5: Le nombre des personnes est-il en Dieu?

q. 9 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum numerus personarum sit in divinis. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 9 a. 5 arg. 1 Dicit enim Boetius: hoc vere unum est in quo nullus est numerus. Sed Deus est verissime unus. Ergo in eo nullus est numerus.

1. Car Boèce dit (La Trinité, 3, PL. 64, 1251 A): "Est vraiment un ce en quoi il n'y a aucun nombre". Mais Dieu est absolument un. Donc il n'y a aucun nombre en lui2.

q. 9 a. 5 arg. 2 Sed dicendum, quod in Deo non est numerus simpliciter, sed numerus personarum.- Sed contra, semper ad secundum quid sequitur simpliciter, quando determinatio non est diminuens; sequitur enim: est homo albus; ergo est homo; sed non sequitur: est homo mortuus; ergo est homo. Sed hoc quod dicitur numerus personarum, non est determinatio diminuens, cum persona sit quoddam completissimum. Ergo sequitur, si est in divinis numerus personarum, quod sit ibi numerus simpliciter.

2. Mais il faut dire qu'en Dieu il n'y a absolument pas de nombre, mais le nombre des personnes. — En sens contraire, toujours pour ce qui en découle dans l’absolu, quand la défintion partielle ne s’affaiblit pas, car il en découle: "L'homme est blanc, donc c'est un homme", mais il n'en découle pas: "L'homme est mort, donc c'est un homme". Mais ce qui est dit du nombre des personnes n'est pas une définition partielle qui limite, puisque la personne est quelque chose de très complet. Donc il en découle, s'il y a en Dieu le nombre des personnes, qu'il y aurait un nombre dans l'absolu.

q. 9 a. 5 arg. 3 Praeterea, uni opponitur multitudo, secundum philosophum. Sed opposita non insunt eidem. Cum ergo in Deo sit summa unitas, non potest in eo esse aliquis numerus vel aliqua pluralitas.

3. La pluralité s'oppose à l'unité, selon le philosophe (Métaphysique, X, 6, 1056 b 323). Mais les opposés ne sont pas dans une même réalité. Donc comme en Dieu, il y a unité suprême, il ne peut pas y avoir en lui de nombre ou de pluralité.

q. 9 a. 5 arg. 4 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi est pluralitas unitatum. Ubi autem sunt plures unitates, ibi est multiplex esse: aliud enim est esse huius unitatis, et aliud illius. Si ergo in Deo est numerus, oportet quod sit in eo multiplex essentia; quod patet esse falsum.

4. Partout où il y a un nombre, il y a pluralité d'unités. Mais là où il y a plusieurs unités, l'être est multiple: car l'être de cette unité est différent de celui de cette autre. Si donc il y a un nombre en Dieu, il faut qu'il y ait en lui une essence multiple; il est évident que c’est faux.

q. 9 a. 5 arg. 5 Sicut unum est indivisum, ita multitudo non est sine divisione. Sed in Deo non potest esse aliqua divisio, cum non sit ibi aliqua compositio. Ergo non potest esse in divinis aliquis numerus.

5. De même que l'un est indivisible, de même la pluralité n'est pas sans division. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir de division, puisqu'il n'y a aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5 arg. 6 Praeterea, omnis numerus habet partes: componitur enim ex unitatibus. Sed in Deo non sunt aliquae partes, cum non sit ibi compositio. Ergo in Deo non est numerus.

6. Tout nombre a des parties; car il est composé d'unités, mais en Dieu, il n'y a pas de parties, puisqu'il n'y a pas de composition. Donc il n'y a pas de nombre en lui.

q. 9 a. 5 arg. 7 Praeterea, illud per quod creatura differt a Deo, non debet Deo attribui. Creatura autem differt a Deo per hoc quod in numero quodam constituta est, secundum illud Sap. cap. XI, 21: omnia in numero, pondere et mensura constituisti. Numerus ergo non debet poni in divinis.

7. Ce par quoi la créature diffère de Dieu ne doit pas être attribué à Dieu. Car elle diffère de lui par le fait qu'elle a été constituée dans un nombre, selon cette parole de la Sagesse (11, 21): "Tu as tout constitué en nombre, poids et mesure". Donc on ne doit pas placer de nombre en Dieu.

q. 9 a. 5 arg. 8 Praeterea, numerus est species quantitatis. In Deo autem non est aliqua quantitas; propter quod si aliquid quantitatem significans in divinam praedicationem venerit, mutatur in substantiam, ut dicit Boetius. Aut ergo numerus nullo modo est in divinis, aut ad substantiam pertinet, quod est contra fidem.

8. Le nombre est une espèce de la quantité. Mais en Dieu il n'y a pas de quantité, parce que, si un élément signifiant la quantité est venu dans l'attribution divine, il est changé en sa substance, comme le dit Boèce (La Trinité). Ou bien donc le nombre n'est en aucune manière en Dieu, ou il convient à sa substance, ce qui est contre la foi.

q. 9 a. 5 arg. 9 Praeterea, ubicumque est numerus, ibi sunt numeri passiones, ut perfectum et diminutum, multiplicatio et divisio, et alia huiusmodi quae consequuntur numerum. Haec autem in Deo esse non possunt. Ergo in Deo non potest esse numerus.

9. Partout où il y a un nombre, il y a ce qui supporte le nombre, comme ce qui est parfait et ce qui est limité, la multiplication et la division, et autres choses, qui découle du nombre. Mais cela n'est pas possible en Dieu. Donc, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5 arg. 10 Praeterea, omnis numerus finitus est. Quod ergo infinitum, non est numerabile. Ergo cum Deus sit infinitus, in eo non potest esse numerus.

10. Tout nombre est fini. Donc ce qui est infini n'est pas mesurable. Donc, comme Dieu est infini, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

q. 9 a. 5 arg. 11 Sed dicendum, quod Deus etsi est infinitus nobis, est tamen finitus sibi.- Sed contra, verius competit Deo quod competit ei secundum seipsum quam quod competit ei secundum nos. Si ergo Deus est finitus sibi, infinitus autem nobis, verius est finitus, quam infinitus; quod patet esse falsum.

11. Mais il faut dire que, même si Dieu est infini pour nous, il est cependant fini pour lui.— En sens contraire, ce qui appartient à Dieu d’après lui-même, lui appartient vraiment plus que ce qui lui appartient d’après nous. Si donc Dieu est fini pour lui, mais infini pour nous, il est plus vraiment fini qu'infini; il est clair que c’est faux.

q. 9 a. 5 arg. 12 Praeterea, secundum philosophum, numerus est multitudo mensurata per unum. Deus est mensura non mensurata. Ergo in Deo non est numerus.

12. Selon le philosophe (Métaphysique, X, 6, 1057 a 34), le nombre est la pluralité mesurée par l'un. Dieu est la mesure non mesurée. Donc en Dieu il n'y a pas de nombre.

q. 9 a. 5 arg. 13 Praeterea, in omni natura quae non differt a suo supposito, impossibile est multiplicari supposita illius naturae: propter hoc enim possibile est esse plures homines in una natura humana, quia hic homo non est sua humanitas; et ideo multiplicatio individuorum in una natura humana, consequitur diversitatem principiorum individualium, quae non sunt de ratione naturae communis. In substantiis autem immaterialibus in quibus ipsa natura speciei est suppositum subsistens, non est possibile esse plura individua unius speciei. Sed in Deo est idem natura et suppositum, quia ipsum esse divinum,- quod est natura divina,- est subsistens. Impossibile est ergo quod in natura divina sint plura supposita vel plures personae.

13. Dans toute nature qui n’est pas différente de son suppôt, il est impossible de multiplier les suppôts de cette nature, car, c'est pour cela qu'il est possible qu'il y ait plusieurs hommes dans la nature humaine, parce que cet homme n'est pas son humanité; et c'est pourquoi la multiplication des individus dans une seule nature humaine, suppose la diversité des principes individuels, qui ne sont pas du concept de la nature commune. Mais dans les substances immatérielles, en qui la nature de l'espèce est un suppôt subsistant, il n'est pas possible qu'il y ait plusieurs individus d'une seule espèce. Mais en Dieu, la nature et le suppôt sont identiques, parce que l’être divin — qui est la nature divine — est subsistant. Donc il est impossible que dans la nature divine il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

q. 9 a. 5 arg. 14 Praeterea, persona est nomen rei. Ergo ubi non est numerus rerum, non est numerus personarum. Sed in Deo non est numerus rerum; dicit enim Damascenus, quod in divinis pater et filius et spiritus sanctus re quidem sunt unum, ratione autem et cogitatione differunt. Ergo in Deo non est numerus personarum.

14. La personne est le nom d’une réalité. Donc là où il n'y a pas le nombre des réalités, il n'y a pas le nombre des personnes. Mais en Dieu il n'y a pas le nombre des réalités, car Jean Damascène dit (la foi orthodoxe, I, 11) que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont un en réalité, mais ils diffèrent en raison et en pensée. Donc en Dieu il n'y a pas le nombre des personnes.

q. 9 a. 5 arg. 15 Praeterea, impossibile est in aliquo uno esse rerum pluralitatem absque rerum compositione: Deus autem unus est. Si ergo in Deo sunt plures personae, quod est esse plures res, sequitur quod in eo sit compositio; quod simplicitati divinae repugnat.

15. Il est impossible que dans un être unique, il y ait pluralité sans composition. Mais Dieu est un. Si donc en lui il y a plusieurs personnes, ce qui correspond à plusieurs réalités, il en découle qu'il y a en lui composition, ce qui s'oppose à la simplicité divine.

q. 9 a. 5 arg. 16 Praeterea, absolutum perfectius est quam relatum. Sed proprietates absolutae, idest attributa essentialia, ut sapientia, iustitia et huiusmodi, non constituunt in Deo plures personas. Ergo nec proprietates relativae, ut paternitas et filiatio.

16. L'absolu est plus parfait que le relatif. Mais les propriétés absolues, c'est-à-dire les attributs essentiels, comme la sagesse la justice, etc., ne constituent pas plusieurs personnes en Dieu. Donc, les propriétés relatives, comme la paternité et la filiation non plus.

q. 9 a. 5 arg. 17 Praeterea, ea quibus aliqua ab invicem distinguuntur, comparantur ad ipsa sicut differentiae constitutivae ipsorum. Si ergo personae in divinis relationibus distinguuntur, oportet quod relationes sint quasi differentiae constitutivae personarum; et ita in personis divinis erit aliqua compositio, cum differentia adveniens generi constituat speciem.

17. Ce par quoi certaines choses se distinguent les unes des autres est assimilé à elles, comme leurs différences constitutives. Si donc les personnes en Dieu se distinguent par des relations, il faut qu'elles soient comme les différences constitutives des personnes et ainsi en elles, il y aura une composition, puisqu’une différence qui s’ajoute à un genre constitue une espèce.

q. 9 a. 5 arg. 18 Praeterea, ea quae distinguuntur per formas specie differentes, necesse est specie differre; sicut homo et equus differunt specie sicut rationale et irrationale. Paternitas autem et filiatio sunt relationes specie differentes. Ergo si personae divinae solis relationibus distinguuntur, necesse est quod specie differant; et ita non erunt unius naturae, quod est contra fidem.

18. Ce qui est distingué par des formes différentes en espèces, diffère nécessairement en espèce; comme l'homme et le cheval diffèrent en espèce, en tant que raisonnable et non raisonnable. Mais la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Donc si les personnes divines se distinguent par les seules relations, il est nécessaire qu'elles différent en espèce, et ainsi elles ne seront pas d'une seule nature, ce qui est contre la foi.

q. 9 a. 5 arg. 19 Praeterea, non est intelligibile quod aliqua sint supposita diversa, quorum est unum esse. Sed in divinis non est nisi unum esse. Ergo impossibile est quod sint ibi plura supposita vel plures personae.

19. Il n'est pas pensable qu'il y ait des suppôts différents dont l'être soit unique. Mais en Dieu il n'y a qu'un seul être. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

q. 9 a. 5 arg. 20 Praeterea, cum creatio sit proprie actio Dei, oportet quod procedat a quolibet supposito divinae naturae. Impossibile est autem quod haec actio, cum sit una, proveniat a pluribus suppositis, quia una actio non est nisi ab uno agente. Ergo impossibile est quod divinae naturae sint plura supposita sive plures personae.

20. Comme la création est proprement l'action de Dieu, il faut qu'elle procède d'un suppôt de nature divine. Mais il est impossible que cette action, puisqu'elle est unique, provienne de plusieurs suppôts, parce qu'une action unique ne vient que d'un seul agent. Donc il est impossible qu’il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes de nature divine.

q. 9 a. 5 arg. 21 Praeterea, diversitas proprietatum non facit diversa supposita in istis inferioribus: non enim per hoc quod hic est albus et ille niger, est hoc suppositum humanae naturae aliud ab illo. Sed per diversitatem materiae individualis, quae est substantia individuorum, hoc suppositum est aliud ab illo. Si ergo in divinis non est distinctio nisi per proprietates relativas, impossibile est quod sit ibi pluralitas suppositorum vel personarum.

21. La diversité des propriétés ne rend pas différents les suppôts dans les choses inférieures; car ce n'est pas par cela que celui-ci est blanc et celui-là noir, et ce suppôt de nature humaine différent de celui-là. Mais par la diversité de la matière individuelle qui est la substance des individus, ce suppôt est différent de celui-là. Donc si en Dieu il n'y a de distinction que par les propriétés relatives, il est impossible qu'il y ait pluralité de suppôts ou de personnes.

q. 9 a. 5 arg. 22 Praeterea, supremae creaturae sunt Deo similiores quam infimae. In infimis autem creaturis sunt plura supposita in una natura, non autem in supremis sicut in corporibus caelestibus. Ergo nec in Deo sunt plures personae in una natura.

22. Les créatures les plus hautes sont plus semblables à Dieu que les plus petites. Mais dans ces dernières, il y a plusieurs suppôts dans une seule nature; mais pas dans les plus hautes, comme dans les corps célestes. Donc il n'y a pas plusieurs personnes en Dieu dans une seule nature.

q. 9 a. 5 arg. 23 Praeterea, quando tota perfectio speciei invenitur in uno supposito, non sunt plura supposita illius naturae, sicut philosophus probat, quod est unus tantum mundus, quia constat ex tota sua materia. Tota autem perfectio divinae naturae invenitur in uno supposito. Non ergo sunt plura supposita vel personae in una natura.

23. Quand toute la perfection de l'espèce se trouve dans un seul suppôt, il n'y en a pas plusieurs de cette nature; ainsi le philosophe prouve (Le ciel et le monde I, 1, 268 b 65), qu'il n’y a qu’un seul monde, parce qu'il est composé de toute sa matière. Mais toute la perfection de la nature divine se trouve en un suppôt. Donc il n'y a pas plusieurs suppôts ou personnes dans une seule nature.

q. 9 a. 5 arg. 24 Sed dicendum, quod ad plenitudinem gaudii requiritur quod sit consortium plurium in divina natura, quia nullius rei sine consortio potest esse iucunda possessio, ut dicit Boetius. Oportet etiam ad perfectionem amoris ut unus diligat alterum quantum seipsum.- Sed contra, plenitudinem gaudii et amoris habere in alio, est eius qui non habet bonitatis sufficientiam in seipso. Unde philosophus dicit, quod mali, qui non habent delectabile in seipsis, quaerunt cum aliis conversari; boni autem quaerunt conversari secum, quasi in seipsis causam iucunditatis habentes. Divina autem natura non potest esse absque omni sufficientia bonitatis. Ergo cum unum suppositum divinae naturae habeat in se omnem plenitudinem gaudii et amoris, non propter hoc oportet ponere in divinis plura supposita vel plures personas.

24. Mais il faut dire qu'il est requis pour la plénitude de la joie qu'il y ait une association de plusieurs dans la nature divine, parce que rien, sans association il ne peut pas y avoir une joyeuse possession, comme le dit Boèce. Il faut aussi pour la perfection de l'amour que l'un aime l'autre autant que lui-même. En sens contraire, posséder la plénitude de la joie et de l’amour dans un autre appartient à celui qui n’a pas en lui suffisamment de bonté. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique, IX, 4, 1166 b 206) que les méchants qui n'ont rien de délectable en eux-mêmes cherchent à être avec les autres; mais les bons cherchent à demeurer avec eux-mêmes, comme possédant la cause de leur joie. Mais la nature divine ne peut pas exister sans toute la suffisance de la bonté. Donc comme un suppôt de nature divine a en lui toute la plénitude de la joie et de l'amour, ce n'est pas pour cela qu’il faut placer en Dieu plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

En sens contraire:

q. 9 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Ioan. cap. V, 7: tres sunt qui testimonium dant in caelo: pater, verbum et spiritus sanctus.

1. Il y a ce que dit Jean (I Jn V, 7): "Ils sont trois à donner leur témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit saint7".

q. 9 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Athanasius dicit in symbolo: totae tres personae aeternae sibi sunt et coaequales. Ergo est in divinis numerus personarum.

2. Athanase dit dans son symbole: "Toutes les trois personnes coéternelles sont aussi coégales entre elles8". Donc le nombre des personnes est en Dieu.

Réponse:

q. 9 a. 5 co. Respondeo. Dicendum quod pluralitas personarum in divinis est de his quae fidei subiacent, et naturali ratione humana nec investigari nec sufficienter intelligi potest; sed in patria intelligendum expectatur, cum Deus per essentiam videbitur visione fidei succedente. Sed tamen sancti patres propter instantiam eorum qui fidei contradicunt, coacti sunt et de hoc disserere, et de aliis quae spectant ad fidem, modeste tamen et reverenter absque comprehendendi praesumptione. Nec talis inquisitio est inutilis, cum per eam elevetur animus ad aliquid veritatis capiendum quod sufficiat ad excludendos errores. Unde Hilarius dicit: hoc credendo, scilicet pluralitatem personarum in divinis, incipe, percurre, persiste; et si non perventurum me sciam, tamen gratulabor profecturum. Qui enim pie infinita prosequitur, etsi non contingat aliquando, tamen proficiet prodeundo.

Il faut dire que la pluralité des personnes en Dieu fait partie des notions qui dépendent de la foi et qui ne peuvent être examinées ni comprises suffisamment par la raison naturelle de l'homme; mais on espère le comprendre dans la patrie, puisque Dieu sera vu par son essence dans une vision qui succèdera à la foi. Mais cependant les saints Pères, à cause de l’acharnement de ceux qui contredisent la foi, ont été forcés de disserter sur ce sujet, et sur d’autres qui regardent la foi, avec modestie cependant et révérence, sans la prétention de comprendre. Et une telle recherche n'est pas inutile, puisqu’elle élève l'esprit à comprendre une part de la vérité qui suffit à exclure les erreurs. C'est pourquoi Hilaire dit (La Trinité, II): "En croyant cela, à savoir la pluralité des personnes en Dieu, entreprends, parcours, persiste, et si je savais ne pas y parvenir, cependant je me satisferais d'avancer. Car qui recherche ce qu’est l'infini avec piété, même s’il n'y arrive pas quelquefois, cependant fera des progrès en avançant ."

Ad manifestationem ergo aliqualem huius quaestionis, et praecipue secundum quod Augustinus eam manifestat, considerandum est quod omne quod est perfectum in creaturis oportet Deo attribui, secundum id quod est de ratione illius perfectionis absolute; non secundum modum quo est in hoc vel in illo. Non enim bonitas est in Deo vel sapientia secundum aliquod accidens sicut in nobis, quamvis in eo sit summa bonitas et sapientia perfecta.

Donc pour une réelle découverte sur cette question et surtout selon ce qu'Augustin en révèle, il faut considérer que tout ce qui est parfait dans les créatures doit être attribué à Dieu, selon la nature de cette perfection dans l’absolu; non selon le mode par lequel il est en ceci ou en cela. Car la bonté n'est pas en Dieu, ni la sagesse, comme un accident, comme en nous, quoique en lui la bonté soit suprême et la sagesse parfaite.

Nihil autem nobilius et perfectius in creaturis invenitur quam intelligere; cuius signum est quod inter ceteras creaturas, intellectuales substantiae sunt nobiliores, et secundum intellectum ad Dei imaginem factae dicuntur. Oportet ergo quod intelligere Deo conveniat et omnia quae sunt de ratione eius, licet alio modo conveniat sibi quam creaturis.

Mais on ne trouve rien de plus noble et de plus parfait dans les créatures que l’intellection: le signe en est que, parmi les autres créatures, les substances intellectuelles sont plus nobles et, on les dit faites à l'image de Dieu selon l’esprit. Il faut donc que l’intellection et tout ce qui la concerne convienne à Dieu, bien qu'elle lui convienne d'une autre manière qu'aux créatures.

De ratione autem eius quod est intelligere, est quod sit intelligens et intellectum. Id autem quod est per se intellectum non est res illa cuius notitia per intellectum habetur, cum illa quandoque sit intellecta in potentia tantum, et sit extra intelligentem, sicut cum homo intelligit res materiales, ut lapidem vel animal aut aliud huiusmodi: cum tamen oporteat quod intellectum sit in intelligente, et unum cum ipso. Neque etiam intellectum per se est similitudo rei intellectae, per quam informatur intellectus ad intelligendum: intellectus enim non potest intelligere nisi secundum quod fit in actu per hanc similitudinem, sicut nihil aliud potest operari secundum quod est in potentia, sed secundum quod fit actu per aliquam formam. Haec ergo similitudo se habet in intelligendo sicut intelligendi principium, ut calor est principium calefactionis, non sicut intelligendi terminus.

Mais en raison de ce qu’est l’intellection, il faut qu’il y ait celui qui pense et ce qui est pensé. Car ce qui est pensé par soi n'est pas cette chose dont on a la connaissance par l'esprit, puisque quelquefois celle-ci est pensée en puissance seulement et est hors de celui qui pense; ainsi quand l’homme pense les choses matérielles, comme la pierre ou l'animal et autres de ce genre; alors que cependant il faut que ce qui est pensé soit dans celui qui pense, et soit un avec lui. Et aussi ce qui est pensé par soi est la ressemblance de la réalité pensée; par laquelle l'esprit est mis en forme pour penser. Car l'esprit ne peut penser que selon qu'il devient en acte par cette ressemblance, puisque rien d'autre ne peut opérer selon qu'il est en puissance, mais selon qu'il devient en acte par la forme. Donc cette ressemblance se comporte dans l'intellection comme son principe, comme la chaleur est le principe de l’échauffement, non comme son terme de l’intellection.

Hoc ergo est primo et per se intellectum, quod intellectus in seipso concipit de re intellecta, sive illud sit definitio, sive enuntiatio, secundum quod ponuntur duae operationes intellectus, in III de anima. Hoc autem sic ab intellectu conceptum dicitur verbum interius, hoc enim est quod significatur per vocem; non enim vox exterior significat ipsum intellectum, aut formam ipsius intelligibilem, aut ipsum intelligere, sed conceptum intellectus quo mediante significat rem: ut cum dico, homo vel homo est animal. Et quantum ad hoc non differt utrum intellectus intelligat se, vel intelligat aliud a se. Sicut enim cum intelligit aliud a se, format conceptum illius rei quae voce significatur, ita cum intelligit se ipsum, format conceptum sui, quod voce etiam potest exprimere.

Donc est compris d’abord par soi ce que l’esprit comprend en lui-même de la réalité comprise, que ce soit ou bien une définition ou bien un énoncé, selon que sont placées les deux opérations de l'esprit, (L'âme, III, VI, 43 b 279). Ce qui est ainsi conçu par l'esprit est appelé verbe intérieur10, car c'est ce qui est signifié par le mot; le mot extérieur ne signifie pas, en effet, ce qui est pensé ou sa forme intelligible ou son intellection, mais le concept de l'esprit par l'intermédiaire duquel il signifie la réalité, comme, lorsque je dis "homme", ou "l'homme est un animal". Et à ce sujet, il n'y a pas de différence si l'esprit se comprend, ou comprend autre chose que lui. Car, de même que, lorsqu’il comprend quelque chose d'autre que lui, il forme le concept de cette réalité qui est signifiée par le mot, de même, quand il se comprend lui-même, il en forme un concept, qu'il peut aussi exprimer par un mot.

Cum ergo in Deo sit intelligere, et intelligendo seipsum intelligat omnia alia, oportet quod ponatur in ipso esse conceptio intellectus, quae est absolute de ratione eius quod est intelligere. Si autem possemus comprehendere intelligere divinum quid et quomodo est sicut comprehendimus intelligere nostrum, non esset supra rationem conceptio verbi divini, sicut neque conceptio verbi humani.

Donc comme en Dieu il y a l'intellection et qu'en se pensant lui-même, il pense toutes les autres choses, il faut placer en lui une conception de l'intellect, qui est dans l’absolu la nature de ce qu’est intellection. Mais si nous pouvions comprendre l'intellection divine, ce qu’elle est et comment elle est, comme nous appréhendons notre intellection, la conception du verbe divin, ni la conception du verbe humain ne seraient pas au-dessus de la raison.

Possumus tamen scire quid non sit et quomodo non sit illud intelligere; per quod possumus scire differentiam verbi concepti a Deo, et verbi concepti ab intellectu nostro. Scimus enim primo quod in Deo est tantum unum intelligere, non multiplex sicut in nobis: aliud enim est intelligere nostrum quo intelligimus lapidem et quo intelligimus plantam; sed unum est Dei intelligere, quo Deus intelligit et se et omnia alia. Et ideo intellectus noster concipit multa verba, sed verbum conceptum a Deo est unum tantum.

Cependant nous pouvons savoir ce que cela n'est pas et comment cette intellection n’est pas; ainsi nous pouvons connaître la différence du verbe conçu par Dieu et de celui qui est conçu par notre esprit. Car nous savons d'abord qu'en Dieu il n’y a qu’une seule intellection, non pas une intellection multiple comme en nous. Car notre intellection est différente pour concevoir la pierre et la plante; mais en Dieu il y en a une seule, par laquelle il se pense, lui et toutes les autres choses. Et c'est pourquoi notre esprit conçoit de nombreuses paroles, mais le verbe conçu par Dieu est seulement un.

Iterum intellectus noster imperfecte plerumque intelligit et seipsum et alia; intelligere autem divinum non potest esse imperfectum. Unde verbum divinum est perfectum, perfecte omnia repraesentans: verbum autem nostrum frequenter est imperfectum.

Par contre, la plupart du temps, notre esprit se conçoit imparfaitement, lui-même et les autres choses; mais l'intellection de Dieu ne peut pas être imparfaite. C'est pourquoi le Verbe divin est parfait et représente tout parfaitement; mais notre verbe est fréquemment imparfait.

Iterum in intellectu nostro aliud est intelligere et aliud est esse; et ideo verbum conceptum in intellectu nostro, cum procedat ab intellectu in quantum est intellectus, non unitur ei in natura, sed solum in intelligere. Intelligere autem Dei est esse eius; unde verbum quod procedit a Deo in quantum est intelligens, procedit ab eo in quantum est existens; et propter hoc verbum conceptum habet eamdem essentiam et naturam quam intellectus concipiens. Et quia quod recipit naturam in rebus viventibus dicitur genitum et filius, verbum divinum dicitur genitus et filius. Verbum autem nostrum non potest dici genitum ab intellectu nostro nec filius eius, nisi metaphorice.

A nouveau, dans notre esprit, intellection et être sont différents et c'est pourquoi comme le verbe conçu dans notre esprit en procède en tant que concept, il ne nous est pas uni en nature, mais il est seulement dans l'intellection. Mais l'intellection de Dieu est son être; c'est pourquoi le verbe qui procède de lui en tant qu'il pense, procède de lui en tant qu'il existe; et c'est pour cela que le verbe conçu a la même essence et la même nature que l'intellect qui le conçoit. Et parce que ce qui reçoit la nature dans le vivant est appelé engendré et fils, le verbe divin est appelé engendré et Fils. Mais le nôtre ne peut pas être dit engendré par notre esprit, ni appelé son fils, sinon par métaphore.

Sic ergo relinquitur quod cum verbum intellectus nostri ab intellectu differat in duobus, in hoc scilicet et quod est ab eo, et est alterius naturae, subtracta a divino verbo naturae differentia, ut ostensum est, relinquitur quod sit differentia secundum hoc solum quod est ab alio. Cum ergo differentia causet numerum, relinquitur quod in Deo sit solum numerus relationum. Relationes autem in divinis non sunt accidentia, sed unaquaeque earum est realiter divina essentia. Unde et unaquaeque earum est subsistens, sicut divina essentia; et sicut divinitas est idem quod Deus, ita paternitas est idem quod pater, et per hoc pater idem quod Deus. Numerus ergo relationum est numerus rerum subsistentium in divina natura. Res autem subsistentes in divina natura sunt divinae personae, ut ex praecedenti articulo patet. Et propter hoc ponimus personarum numerum in divinis.

Ainsi donc il reste que, comme le verbe de notre esprit diffère de lui en deux points, à savoir ce qui est de lui, et ce qui est d'une autre nature, si on exclut la différence de nature du verbe divin, comme on l'a montré, (qu. 8, a. 1), il reste qu'il y a une différence seulement selon qu'il vient d'un autre. Donc comme la différence cause le nombre, il reste qu'en Dieu il y a seulement le nombre des relations. Elles ne sont pas des accidents, mais chacune d'elles est réellement l'essence divine. C'est pourquoi chacune est subsistante, comme l'essence divine; et de même que ce qu’est la divinité est identique à Dieu, la paternité est identique au père, et par là le Père est identique à Dieu. Donc le nombre des relations est celui des réalités subsistantes dans la nature divine. Mais ce qui est subsistant, ce sont les personnes divines, comme on le montre dans l'article précédant. Et c'est pour cela que nous plaçons le nombre des personnes en Dieu.

Solutions:

q. 9 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Boetius per verba illa intendit excludere numerum a divina essentia; de hoc enim agit.

# 1. Boèce, par ces paroles, tend à exclure le nombre de l'essence divine, car c'est de cela qu'il s'agit.

q. 9 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet personae, in quantum sunt subsistentes, non habeant quod diminuant de ratione numeri, habent hoc tamen in quantum sunt relationes; nam distinctio secundum relationes est minima, sicut et relatio minimum habent de ente inter omnia genera.

# 2. Bien que les personnes, en tant que subsistantes, ne puissent apporter de limite en raison du nombre, elles le peuvent cependant en tant que relations; car la distinction dans les relations est minimale, comme la relation aussi, elles sont ce qui a le moins d’être parmi tous les genres.

q. 9 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unitas et pluralitas attribuuntur Deo non secundum idem, sed unitas secundum essentiam, pluralitas secundum personas; vel unitas secundum absoluta, pluralitas secundum relationes.

# 3. L'unité et la pluralité sont attribuées à Dieu, non à l’identique, mais l'unité selon l'essence, la pluralité selon les personnes, ou l'unité selon l'absolu, la pluralité selon les relations.

q. 9 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum pluralitas unitatum ex aliqua distinctione causetur, ubi est distinctio secundum esse, oportet quod unitates secundum esse differant; ubi autem est distinctio secundum relationes, oportet quod unitates ex quibus consistit pluralitas, solum relationibus ab invicem distinguantur.

# 4. La pluralité des unités étant causée par une distinction, là où elle est selon l'être, il faut que les unités diffèrent selon l'être. Mais là où elle est selon les relations, il faut que les unités, en quoi consiste la pluralité, soient distinguées seulement par les relations entre elles.

q. 9 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quaelibet distinctio sufficit ad pluralitatem similem constituendam. Unde, sicut in Deo non est divisio secundum absoluta,- quae sine compositione esse non potest,- sed solum distinctio relationum; ita non est in Deo pluralitas quantum ad absoluta, sed solum quantum ad relationes, ut iam dictum est.

# 5. N'importe quelle distinction suffit pour constituer une pluralité semblable. C'est pourquoi, de même qu'en Dieu, il n'y a pas de divisions dans l'absolu11 — celle-ci ne peut pas exister sans composition — mais seulement une distinction des relations, de même il n'y a pas en Dieu de pluralité quant à l'absolu, mais seulement quant aux relations; comme on l'a déjà dit (dans le corps de l'article).

q. 9 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod unitates semper sunt partes numeri, si loquamur de numero absoluto quo numeramus; si autem loquamur de numero qui est in rebus, tunc non est ratio totius et partis in numero, nisi sicut invenitur totum et pars in rebus numeratis. Diversae autem relationes in divinis non sunt partes, sicut paternitas et filiatio non sunt partes Socratis, quamvis sit pater et filius diversorum. Unde nec unitates relationum comparantur ad numerum relationum ut partes.

# 6. Les unités sont toujours les parties du nombre, si nous parlons de nombre absolu par lequel nous comptons, mais si nous parlons du nombre qui est dans la réalité, alors il n’y a pas la raison du tout et de la partie dans le nombre, à moins que ce soit comme on trouve le tout et la partie dans les choses dénombrées12. Mais différentes relations en Dieu ne sont pas des parties, de même que la paternité et la filiation ne sont pas des parties de Socrate, bien qu'il soit père et fils d’êtres différents. C'est pourquoi les unités des relations ne sont pas associées au nombre des relations comme des parties.

q. 9 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod creatura differt a Deo in hoc quod producitur in numero essentialium principiorum. Talis autem non est numerus personarum.

# 7. La créature est diffèrente de Dieu du fait qu'elle est produite dans le nombre des principes essentiels. Mais tel n'est pas le nombre des personnes.

q. 9 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod numerus qui est species quantitatis, causatur ex divisione continui; unde sicut quantitas continua est quid mathematicum,- quia est separata a materia sensibili secundum rationem, et non secundum esse,- ita et numerus qui est species quantitatis, qui est etiam subiectum arithmeticae, cuius principium est unum quod est prima mensura quantitatis. Unde patet quod hic numerus non potest esse in rebus immaterialibus, sed est in eis multitudo, quae opponitur uni quod convertitur cum ente; quae quidem causatur ex divisione formali, quae est per quasdam formas oppositas, vel absolutas vel relativas. Et talis numerus est in divinis.

# 8. Le nombre qui est une espèce de quantité est causé par la division du continu; c’est pourquoi, de même que la quantité continue est un concept mathématique,— parce qu’elle est séparée de la matière sensible en raison et non selon l’être — de même le nombre aussi qui est l’espèce de la quantité, lui-même sujet de l’arithmétique; son principe est l’unité qui est la première mesure de la quantité. C’est pourquoi il est clair que ce nombre ne peut pas être dans les réalités immatérielles, mais il y a en elles une pluralité, opposée à l’un qui est convertible avec l’étant; elle est causée par la division formelle, qui est par des formes opposées, ou absolues ou relatives; et un tel nombre est en Dieu.

q. 9 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illae passiones consequuntur numerum qui est species quantitatis, qui non competit in divinis, ut dictum est.

# 9. Ces passions supposent le nombre, qui est de l’espèce de la quantité, ce qui ne convient pas Dieu, comme on l’a dit.

q. 9 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus est infinitus secundum perfectionem magnitudinis et sapientiae et huiusmodi: unde in Ps. CXLVI, 5, dicitur, quod sapientiae eius non est numerus; sed processio in divinis, secundum quam multiplicantur personae divinae, non est in infinitum; non enim est immoderata divina generatio, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit.; et ideo nec personarum numerus est infinitus.

# 10. Dieu est infini selon la perfection de la grandeur, de la sagesse, etc.. C’est pourquoi au Ps. 146, 5, il est dit: "Il n'y a pas de nombre pour sa sagesse." mais la procession en Dieu selon laquelle les personnes divines sont multipliées, n’est pas dans l’infini: car la génération en Dieu n’est pas sans limite, comme Augustin le dit, (La Trinité) et c’est pourquoi le nombre des personnes n’est pas infini.

q. 9 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod Deus dicitur esse finitus sibi, non quia cognoscat se esse finitum, sed quia ita comparatur ad se sicut ad nos comparantur finita, in quantum comprehendit seipsum.

# 11. On dit que Dieu est fini pour lui, non pas parce qu’il se connaît comme tel, mais parce qu’il est comparé à lui comme le fini est comparé à nous, en tant qu’il se comprend lui-même.

q. 9 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod illa definitio datur de numero secundum quod est in genere quantitatis, ad quod pertinet ratio mensurae.

# 12. On donne cette définition du nombre en tant qu’il est dans le genre de la quantité, à quoi se rattache la notion de mesure.

q. 9 a. 5 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in rebus creatis principia individuantia duo habent:

quorum unum est quod sunt principium subsistendi (natura enim communis de se non subsistit nisi in singularibus);

13. Dans les créatures il y a deux prinicipes qui individualisent:

a) L’un est qu’ils sont le principe de subsistance (car la nature commune ne subsiste de soi que dans les êtres particuliers).

aliud est quod per principia individuantia supposita naturae communis ab invicem distinguuntur.

In divinis autem proprietates personales hoc solum habent quod supposita divinae naturae ab invicem distinguuntur, non autem sunt principium subsistendi divinae essentiae: ipsa enim divina essentia est secundum se subsistens; sed e converso proprietates personales habent quod subsistant ab essentia: ex eo enim paternitas habet quod sit res subsistens, quia essentia divina, cui est idem secundum rem, est res subsistens; ut inde sequatur quod sicut essentia divina est Deus, ita paternitas est pater. Et ex hoc est etiam quod essentia divina non multiplicatur secundum numerum ex pluralitate suorum suppositorum, sicut accidit in istis inferioribus. Nam ex eo aliquid secundum numerum multiplicatur, ex quo subsistentiam habet. Licet autem divina essentia secundum seipsam, ut ita dicam, individuetur, quantum ad hoc quod est per se subsistere, tamen, ipsa una existente secundum numerum, sunt in divinis plura supposita ab invicem distincta per relationes subsistentes.

b) L’autre est qu’ils se distinguent entre eux par des principes qui individualisent les suppôts de nature commune.

Mais en Dieu, les propriétés personnelles sont telles seulement que les suppôts de nature divine se distinguent entre eux, mais elles ne sont pas le principe de subsistance de l’essence divine; car celle-ci est subsistante par soi, mais à l’inverse, les propriéts personnelles sont telles qu’elles subsistent par l’essence; car ainsi la paternité est telle qu’elle est une réalité subsistante, parce que l’essence divine, à laquelle elle est identique en réalité est ce qui subsiste; de sorte qu’ainsi il en découle que de même que l’essence divine est Dieu, la paternité est le Père. Et de là vient aussi que l’essence divine n’est pas multipliée en nombre par la pluralité de ses suppôts, comme cela arrive dans les êtres inférieurs. Car une chose est multipliée en nombre, par le fait qu’elle a sa subsistance. Mais bien qu’en soi l’essence divine, soit pour ainsi dire individuée, pour ce qui est subsister par soi, cependant comme cette unité existe selon le nombre, il y a plusieurs suppôts en Dieu distingués entre eux, par les relations subsistantes.

q. 9 a. 5 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod si pater et filius et spiritus sanctus non re, sed solum ratione differunt, nihil prohibet unum de altero praedicari: sicut vestis et tunica de se invicem praedicantur; et similiter pater esset filius, et e converso; quod est haeresis Sabellianae. Unde dicendum est, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt tres res, ut Augustinus dicit in Lib. I de Doctr. Christ., si tamen res pro re relativa accipiatur; si enim sumatur pro absoluto, sic sunt una res, ut idem Augustinus dicit. Et hoc modo sumendum est quod Damascenus dicit, quod sunt unum re. Quod autem dicit, quod ratione tantum distinguuntur, communiter exponitur, id est relatione. Nam relatio etsi per comparationem ad relationem oppositam, distinctionem realem faciat in divinis, tamen ab essentia divina non differt nisi ratione; cum hoc etiam relatio inter omnia genera debiliori modo res est.

# 14. Si le Père, le Fils et l’Esprit saint diffèrent non pas en réalité mais seulement en raison, rien n’empêche d’attribuer l’un à l’autre; comme le vêtement et la tunique s’attribuent de l’un à l’autre13; et de la même manière, le Père serait le Fils et à l’inverse; ce qui est l’hérésie de Sabellius14. C’est pourquoi il faut dire que le Père, le Fils et l’Esprit saint sont trois réalités, comme Augustin le dit au livre I de La doctrine chrétienne (ch. V15), si cependant la réalité est reçue comme chose relative, car si elle est prise pour l’absolu, ils sont une seule réalité, comme le même Augustin le dit. Et de cette manière, il faut prendre ce que Jean Damascène dit qu’ils sont un en réalité. Mais ce qu’il dit qu’ils sont distingués en raison, c’est ce qu’on expose communément, c’est-à-dire par la relation. Car même si la relation apporte une distinction réelle par comparaison à la relation opposée, en Dieu, l’essence divine ne diffère qu’en raison; avec cela aussi la relation est d’un mode plus faible parmi tous les genres.

q. 9 a. 5 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod pluralitas rerum in divinis est pluralitas relationum subsistentium oppositarum, ex quo non sequitur compositio in divinis. Nam relatio, comparata ad essentiam divinam, non differt re, sed ratione solum; unde non facit compositionem cum ipsa, sicut nec bonitas nec aliud essentialium attributorum; sed per comparationem ad oppositam relationem est pluralitas rerum, non tamen compositio; quia relationes oppositae, in quantum huiusmodi, ab invicem distinguuntur. Compositio vero non est ex aliquibus distinctis in quantum distincta sunt.

# 15. La pluralités des réalités en Dieu est une pluralité de relations subsistantes opposées, d’où ne découle pas de la composition. Car la relation, comparée à l’essence divine n’en diffère pas en réalité, mais en raison seulement; c’est pourquoi elle ne fait pas composition avec elle; la bonté non plus, ni aucun autre des attributs essentiels; mais par comparaison à la relation opposée, il y a la pluralité des réalités, mais cependant pas composition, parce que les relations opposées, en tant que telles, se distinguent entre elles. Mais la composition ne vient pas de certaines choses distinctes en tant que telles.

q. 9 a. 5 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod attributa essentialia nullam ad invicem habent oppositionem sicut relationes; et ideo licet subsistant sicut relationes, non tamen constituunt pluralitatem suppositorum ab invicem distinctorum, cum pluralitas distinctionem sequatur; distinctio vero formalis fit ex aliqua oppositione.

# 16. Les attributs essentiels n’ont aucune opposition entre eux, comme les relations; et c’est pourquoi, bien qu’ils subsistent comme les relations, ils ne constituent pas une pluralité de suppôts distincts les uns des autres, puisque la pluralité ne découle pas de la distinction; mais la distinction formelle se fait par une opposition.

q. 9 a. 5 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in divinis non differt quod significatur per modum formae et quod significatur per modum suppositi: ut divinitas et Deus, paternitas et pater; et ideo non oportet quod, licet proprietates relativae sint quasi differentiae constituentes personas, faciant compositionem aliquam cum personis constitutis.

# 17. En Dieu, il n’y a pas de différence entre ce qui est signifié par la forme et par le suppôt; comme la divinité et Dieu, la paternité et le Père; et c’est pourquoi il ne faut pas que, bien que les propriétés relatives soient comme des différences qui constituent les personnes, elles apportent une composition avec les personnes constituées.

q. 9 a. 5 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod licet pater et filius non distinguantur ab invicem nisi paternitate et filiatione, non tamen oportet quod pater et filius quasi specie differant in divinis: quia paternitas et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Non enim istae relationes se habent ad divinas personas ut speciem dantes, sed magis ut supposita distinguentes et constituentes. Illud autem quod se habet ad personas divinas ut speciem dans, est natura divina, in qua filius est similis patri: nam generans generat sibi similem secundum speciem, non secundum individuales proprietates. Sicut ergo Socrates et Plato licet non distinguerentur ad invicem individualiter nisi albedine et nigredine, quae sunt diversae qualitates secundum speciem, non tamen specie differrent: quia id quod est species albo et nigro, non est species Socrati et Platoni; ita nec sequitur quod pater et filius specie differant propter differentiam paternitatis et filiationis secundum speciem: licet in divinis non possit proprie dici aliquid differre secundum speciem, cum non sit ibi species et genus.

# 18. Bien que le Père et le Fils ne se distinguent l’un de l’autre que par la paternité et la filiation, il ne faut cependant pas qu’ils diffèrent comme en espèce; parce que la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Car elles ne se comportent pas vis-à-vis des personnes divines comme donnant une espèce, mais plutôt comme distinguant les suppôts et les constituant. Mais ce qui se comporte vis-à-vis des personnes divines, comme donnant l’espèce, c’est la nature divine, en laquelle le Fils est semblable au Père. Car celui qui engendre engendre du semblable à lui en espèce, mais pas selon les propriétés individuelles. Donc ainsi, bien que Socrate et Platon ne soient distingués l’un de l’autre individuellement que par la blancheur et la noirceur, qui sont des qualités diverses en espèce, ils ne diffèrent cependant pas en espèce, parce que ce qui est l’espèce, pour le blanc et le noir, n’est pas une espèce pour Socrate et Platon; ainsi il n’en découle pas que le Père et le Fils soient différents en espèce à cause d’une différence de paternité et de filiation en espèce; bien qu’en Dieu on ne puisse à proprement parler d’une différence en espèce, puisqu’il n’y a en lui ni espèce, ni genre.

q. 9 a. 5 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod omnino concedendum est quod in divinis non sit nisi unum esse: cum esse semper ad essentiam pertineat, et praecipue in Deo, cuius esse est sua essentia. Relationes autem quae distinguunt supposita in divinis, non addunt aliud esse super esse essentiae, quia non faciunt compositionem cum essentia, ut dictum est. Omnis autem forma addens aliquod esse super esse substantiale, facit compositionem cum substantia, et ipsum esse est accidentale, sicut esse albi et nigri. Diversitas ergo secundum esse sequitur pluralitatem suppositorum, sicut et diversitas essentiae, in rebus creatis. Neutrum autem in divinis.

# 19. Il faut absolument concéder qu’en Dieu il n’y a qu’un seul être, puisque l’être se rapporte toujours à l’essence, et surtout en Dieu, dont l’être est l’essence. Mais les relations qui distinguent les suppôts n’ajoutent pas un autre être à celui de l’essence; parce qu’ils ne font pas composition avec elle, comme on l’a dit. Mais toute forme qui ajoute quelque chose à l’être substantiel, apporte une composition avec la substance et l’être même est accidentel, comme l’être du blanc et du noir. Donc la diversité selon l’être découle de la pluralité des suppôts, comme la diversité de l’essence, dans les créatures. Mais ni l’un ni l’autre n’est en Dieu.

q. 9 a. 5 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod operatio egreditur ab agente ratione formae vel virtutis, quae est principium operationis; et ideo nihil prohibet a tribus personis, quae sunt unius naturae et virtutis, unam creationem procedere: sicut si trium calidorum esset unus numero calor, una numero ab eis calefactio proveniret.

# 20. L’opération sort de l’agent en raison de la forme ou du pouvoir, qui est le principe de l’opération; et c’est pourquoi rien n’empêche qu’une seule création procède des trois personnes qui sont d’une seule nature et d’un seul pouvoir, comme si de trois chaleurs il n’y en avait qu’une seule en nombre, des trois proviendrait un seul réchauffement en nombre.

q. 9 a. 5 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod formae individuantes in rebus creatis non sunt subsistentes sicut in divinis; et ideo non est simile.

# 21. Les formes qui individualisent dans les créatures ne sont pas subsistantes comme en Dieu, et c’est pourquoi ce n’est pas pareil.

q. 9 a. 5 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod in rebus creatis ad multitudinem suppositorum sequitur multiplicatio essentiae, quod non accidit in divinis; unde ratio non sequitur.

# 22. Dans les créatures, la pluralité de l’essence amène à la pluralité des suppôts, ce qui n’arrive pas en Dieu. C’est pourquoi la raison ne vaut pas.

q. 9 a. 5 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum quod, licet tota et perfecta divinitas sit in qualibet trium personarum secundum proprium modum existendi, tamen ad perfectionem divinitatis pertinet ut sint plures modi existendi in divinis ut scilicet sit ibi a quo alius et ipse a nullo, et aliquis qui est ab alio. Non enim esset omnimoda perfectio in divinis, nisi esset ibi processio verbi et amoris.

# 23. Bien que la divinité parfaite soit toute entière en chacune des trois personnes selon leur propre mode d’existence, cependant il convient à la perfection de la divinité qu’il y ait plusieurs modes d’existence en Dieu, à savoir qu’il y en a un par lequel il est autre, et lui-même qui ne dépend de personne et un qui est par un autre16. Car il n’y aurait de toute manière de perfection en Dieu, que s’il y avait la procession du verbe et de l’amour.

q. 9 a. 5 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod ratio illa procedit ac si divinae personae per essentiam distinguerentur. Sic enim plenitudo gaudii quam habet pater in filio, esset in aliquo extrinseco, et non haberet pater hoc in seipso; sed quia filius est in patre ut verbum ipsius, non posset esse patri plenum gaudium de seipso nisi in filio; sicut nec homo de seipso gaudet nisi per conceptionem quam de seipso habet.

# 24. Cet argument est avancé, comme si les personnes divines se distinguaient par l’essence. Car ainsi la plénitude de joie que le Père a dans le Fils dépendrait de quelqu’un d’extérieur et le Père ne l’aurait pas en lui; mais parce que le Fils est dans le Père comme son verbe, il ne pourrait y avoir la pleine joie pour le Père de lui-même, que dans le Fils; ainsi l’homme ne se réjouit lui-même que par la conception qu’il se fait de lui-même.

 

1 Parall.: Ia, qu. 30, a. 1 — I Sent. D. 2 q. 4 — D. 23, a. 4 — Compendium C. 50, 55 — Quodl. VII, 3, qu. a. 1

2 En Ia, qu. 30, a. 3, l’objecteur tire une autre conclusion: "Donc, il y n’a pas plusieurs personnes en Dieu". Mais c’est en fait un autre aspect de cet article. Cf. obj. 13.

3 "L’un et la Pluralité dans les nombres sont donc opposés comme mesure au mesurable, notions qui sont opposées comme les relations qui ne sont pas des relations par soi." Aristote, n° 874 (Trad. J. Tricot). Thomas, n° 2087.

4 "Le nombre est une multiplicité mesurable par l’UN." Trad. J. Tricot, p. 562. (Aristote, 875)

5 Thomas I, lectio 2, n° 18.

6 Aristote 1308, Thomas, 1817.

7 Cf. Pot. 9, 4, obj. 1. Le texte n’est pas dans saint Jean avant le IXe siècle.

8 Denz. 39. (?75)

9 Trad. p. 94, Th. 177)

10 Verbum interius est ipsum interius intellectum. ——— Verbum intellectum…id est ad quod operatio intellectus nostri terminatur, quod est ipsum intellectum, quod dicitur conceptio intellectus. (Veritate, qu. 4, a. 1 c.).

11 Selon l’essence.

12 Cf. Ia, qu. 30, a. 1: En Dieu pour le nombre pris au sens absolu,"rien n’empêche qu’on y vérifie le tout et la partie; cela n’existe que dans la considération de notre esprit, car le nombre tel qu’il est dans les choses dénombrées, ne se trouve que dans la pensée." Choses dénombrées; dans les créatures un, deux ou trois sont comme la partie au tout, en Dieu cela ne vaut pas. Le Père est aussi grand que la Trinité.

13 Voir Métaphysique, Thomas n° 545.

14 Sur Sabellius voir note Pot. 1, 1, sol. 1; (cf. Pot. 8, 1 & 2 et 9,??? c)

15 "On ne peut trouver facilement, en effet, un nom qui convienne à pareille excellence…Ainsi le Père et le Fils et le Saint Esprit sont-ils Dieu ainsi que chacun séparéement…" (Trad. J.-Y. Boriaux) Comment en effet traduire res

16 Il y a trois personnes dans la Trinité, le Fils, différent du Père, et l’Esprit saint. En 9, 9, on retrouve deux expressions semblables; duae relationes, scilicet a quo alius et qui ab alio.

 

 

Article 6: Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au pluriel?

q. 9 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum nomen personae convenienter possit praedicari pluraliter in divinis. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objections:

q. 9 a. 6 arg. 1 Persona enim est substantia, ut ex definitione Boetii patet. Sed substantia non praedicatur pluraliter in divinis. Ergo nec persona.

1. Car la personne est une substance, comme le montre la définition de Boèce. Mais la substance n’est pas attribuée au pluriel à Dieu. Donc la personne non plus.

q. 9 a. 6 arg. 2 Praeterea, alia nomina absoluta praedicantur tantum singulariter in divinis, ut sapiens, bonus et huiusmodi. Sed hoc nomen persona est nomen absolutum. Ergo non debet praedicari pluraliter in divinis.

2. Tous les noms absolus sont attribués à Dieu seulement au singulier, comme sage, bon, etc.. Mais ce nom personne est un nom absolu. Donc il ne doit pas être attribué au pluriel.

q. 9 a. 6 arg. 3 Item, nomen personae a subsistendo sumi videtur, cum significet individuum in genere substantiae, et persona dicatur quasi per se una. Subsistere autem ad essentiam pertinere videtur, quae non multiplicatur in divinis. Ergo nec nomen personae pluraliter potest praedicari.

3. Le nom de personne semble pris de "subsister" puisqu’il signifie l’individu dans le genre de la substance et on parle de la personne comme unique par soi. Mais subsister semble appartenir à l’essence qui n’est pas multipliée en Dieu. Donc le nom de personne ne peut pas être attribué au pluriel.

q. 9 a. 6 arg. 4 Sed dicendum, quod licet subsistere sumatur ab essentia, tamen dicere possumus quod in divinis sunt tres subsistentes, et similiter quod tres personae.- Sed contra, ea quae significant essentiam in divinis, non possunt praedicari pluraliter, nisi sint adiectiva, quae non trahunt numerum a forma significata, sed a suppositis, cum e converso sit in substantivis. Unde dicimus, quod in Deo sunt tres aeterni, si ly aeterni adiective sumatur; si vero substantive, tunc verum est quod Athanasius dicit in Symb. quod non sunt tres aeterni, sed unus aeternus. Hoc autem nomen persona est substantivum, non adiectivum. Ergo non debet praedicari in plurali.

4. Mais il faut dire, que bien que subsister soit pris de l’essence, nous pouvons cependant dire qu’en Dieu il y a trois (êtres) subsistants et de même qu’il y a trois personnes — Mais en sens contraire, ce qui signifie l’essence en Dieu ne peut être attribué au pluriel à moins que ce soient des adjectifs qui n’entraînent pas un nombre par la forme qu’ils signifient mais par les suppôts2, alors que c’est l’inverse dans les substantifs. C’est pourquoi nous disons qu’en Dieu il y a trois éternels, si "éternel" est pris comme adjectif; mais s’il est pris substantivement, alors est vrai ce qu’Athanase dit dans le symbole qu’il n’y a pas trois éternels, mais un seul. Mais ce nom de personne est un substantif, non un adjectif. Donc il ne doit pas être attribué au pluriel.

q. 9 a. 6 arg. 5 Praeterea, licet adiectiva essentialia praedicentur pluraliter in divinis, tamen formae significatae non praedicantur pluraliter, sed singulariter tantum. Etsi enim aliquo modo dicamus pluraliter tres aeternos in divinis, nullo tamen modo dicimus tres aeternitates. Etsi ergo aliquo modo possit dici quod sint tres personae in divinis, nullo tamen modo poterit dici quod sint tres personalitates.

5. Bien que les adjectifs essentiels soient attribués à Dieu au pluriel, cependant les formes signifiées ne le sont pas au pluriel, mais au singulier seulement. Car même si, de quelque manière, nous parlons au pluriel de trois éternels en Dieu, cependant nous ne disons en aucune manière trois éternités. Donc, même si d’une certaine manière, on pourrait dire qu’il y a trois personnes en Dieu, en aucune manière, on ne pourrait dire qu’il y a trois personnalités.

q. 9 a. 6 arg. 6 Praeterea, sicut Deus significat divinitatem habentem, ita persona divina significat subsistentem in divinitate. Sed sicut dicimus in divinis tres subsistentes in divinitate, ita tres habentes divinitatem. Si ergo hac ratione potest dici quod in divinis sint tres personae, similiter poterit dici quod sint ibi tres dii, quod est haereticum.

6. De même que Dieu signifie celui qui a la divinité, la personne divine signifie ce qui subsiste dans la divinité. Mais de même que nous disons qu’il y en a trois qui subsistent, de même nous disons qu’il y en a trois qui ont la divinité. Donc si pour cette raison, on peut dire qu’il y a trois personnes, de la même manière, on pourra dire qu’il y a trois dieux, ce qui est hérétique.

q. 9 a. 6 arg. 7 Praeterea, Boetius dicit, quod ideo non sunt tres dii, quia Deus non differt a Deo in divinitate. Sed similiter persona divina non differt a persona divina aliqua personalitatis differentia, ut videtur, cum commune sit eis hoc quod est esse personam. Ergo persona non potest pluraliter praedicari in divinis.

7. Boèce dit (La Trinité, III) qu’il n’y a pas trois dieux, parce que Dieu n’est pas diffèrent de Dieu dans la divinité. Mais de la même manière la personne divine ne diffère pas de la personne divine par une différence de personnalité, à ce qu’il semble puisque le fait d’être une personne leur est commun. Donc la personne ne peut pas être attribuée à Dieu au pluriel.

En sens contraire:

q. 9 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit, quod quaerentibus quid tres essent pater et filius et spiritus sanctus, responsum est, quod sunt tres personae. Ergo persona pluraliter in divinis praedicatur.

1. Augustin dit (La Trinité, VIII, 4) que à ceux qui cherchent qui sont les trois, le Père, le Fils et l’Esprit saint, il faut répondre que ce sont trois personnes. Donc on attribue le nom de personne au pluriel en Dieu.

q. 9 a. 6 s. c. 2 Praeterea, Athanasius dicit, ubi Sup., quod alia est persona patris, alia filii, alia spiritus sancti. Distinctio autem est causa numeri. Ergo persona pluraliter debet praedicari in divinis.

2. Athanase, à la suite de ce qui est écrit ci-dessus (obj. 4) dit qu’"Autre est la personne du Père, celle du Fil,s celle de l’Esprit saint". Mais la distinction est cause du nombre. Donc le nom de personne doit être attribué au pluriel en Dieu.

 

Réponse:

q. 9 a. 6 co. Respondeo. Dicendum quod nomina substantiva, sicut iam supra dictum est, trahunt numerum a forma significata, adiectiva vero a suppositis. Cuius ratio est, quia nomina substantiva significant per modum substantiae, adiectiva vero per modum accidentis quod individuatur et multiplicatur per subiectum, substantia vero per seipsam.

Il faut dire que les substantifs, comme on l’a dit ci-dessus, entraînent un nombre par la forme qu’ils signifient, et les adjectifs par les suppôts. La raison en est que les substantifs signifient en tant que substance, et les adjectifs en tant qu’accident; celui-ci est individualisé et multiplié par le sujet, mais la substance l’est par elle-même.

Cum ergo hoc nomen persona sit substantivum, oportet ex forma significata ipsius considerare, utrum possit pluraliter praedicari. Forma autem significata nomine personae non est natura absolute: quia sic idem significaretur nomine hominis et nomine personae humanae, quod patet esse falsum; sed nomine personae significatur formaliter incommunicabilitas, sive individualitas subsistentis in natura, sicut ex praemissis patet.

Donc, comme ce nom personne est un substantif, il faut considérer par la forme qu’il signifie s’il est possible de l’attribuer au pluriel. Mais la forme signifiée par le nom de personne n'est pas absolument la nature, parce qu’ainsi ce qui serait signifié par le nom d’homme et celui de personne humaine serait identique; ce qui paraît faux. Mais par le nom de personne est signifié formellement l’incommunicabilité ou l’individualité de ce qui subsiste dans la nature, comme on le voit par ce qui a été dit plus haut.

Cum ergo proprietates facientes esse distinctum et incommunicabile in divinis sint plures, oportet quod nomen personae pluraliter praedicetur in divinis; sicut etiam in humanis pluraliter praedicatur nomen personae propter pluralitatem principiorum individuantium.

Donc comme les propriétés qui rendent l’être distinct et incommunicable en Dieu sont plusieurs, il faut que le nom de personne soit attribué au pluriel; comme aussi pour les homme le nom de personne est attribué au pluriel à cause de la pluralité des principes qui les individualisent.

 

Solutions:

q. 9 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod persona est substantia individua, quae est hypostasis; et hoc pluraliter praedicatur, sicut patet ex usu Graecorum.

# 1. La personne est la substance individuelle, qui est une hypostase; et cela est attribué au pluriel, comme on le voit par l’usage des Grecs.

q. 9 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen personae est absolutum ex modo significandi; significat tamen relationem, sicut ex praemissis patet.

# 2. Le nom de personne est absolu par la manière de signifier; cependant il signifie la relation comme on le voit de ce qui a été dit.

q. 9 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nomen personae non designat hoc solum quod est subsistere, quod videtur ad essentiam pertinere, sed etiam hoc quod est distinctum esse et incommunicabile, quod est propter proprietates relativas in divinis.

# 3. Le nom de personne ne désigne pas seulement ce qui subsiste, qui semble convenir à l’essence, mais aussi le fait d’être différent et incommunicable, qui est à cause des propriétés relatives en Dieu.

q. 9 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod forma significata per nomen personae non est essentia absolute, sed illud quod est principium incommunicabilitatis sive individuationis; et ideo pluraliter praedicatur, licet sit nomen substantivum: et propter hoc etiam, quia sunt plures proprietates distinguentes in divinis, dicuntur esse plures personalitates.

# 4. La forme signifiée par le nom de personne n’est pas l’essence dans l’absolu, mais ce qui est le principe d’incommunicabilité ou d’individuation; et c’est pourquoi il est attribué au pluriel, bien qu’il soit un substantif; et aussi, parce qu’il y a plusieurs propriétés, qui apportent la distinction en Dieu, on dit qu’il y a plusieurs personnalités.

q. 9 a. 6 ad 5 Unde patet solutio ad quintum.

# 5. Et ainsi la solution 5 est claire.

q. 9 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc nomen persona significat subsistentem in natura divina, cum distinctione et incommunicabilitate; hoc autem nomen Deus significat habentem divinam naturam nihil importans de distinctione vel incommunicabilitate; ideo non est simile.

# 6. Ce nom de personne signifie ce qui subsiste dans la nature divine, avec distinction et incommunicabilité; mais ce nom de Dieu signifie celui qui a la nature divine sans rien apporter dans la distinction et l’incommunicabilité; et c’est pourquoi ce n’est pas pareil.

q. 9 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet Deus a Deo non differat aliqua differentia divinitatis,- quia non est nisi una divinitas numero,- persona tamen divina differt a persona divina differentia personalitatis, quia ad personalitatem pertinet in divinis etiam proprietas distinguens personas.

# 7. Bien que Dieu ne diffère pas de Dieu par une différence de divinité, — parce qu’il n’y a qu’une seule divinité en nombre — cependant la personne divine diffère de la personne divine par une différence de personnalité, parce qu’en Dieu aussi la propriété qui distingue les personnes convient à cette personnalité.

 

1. Parall.: Ia, qu. 30, a. 4 — I Sent. d25a3.

2 L’adjectif représente un accident dans un suppôt. Ce sont les suppôts eux-mêmes et non les accidents qui apportent le nombre. Pour plus d’explication, voir Ia, 39, 5, ad 5m

 

 

Article 7: Comment les termes numériques sont-ils attribués aux personne divines, est-ce positivement ou négativement seulement?

q. 9 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur quomodo termini numerales praedicentur de divinis personis, utrum scilicet positive vel remotive tantum. Et videtur quod positive.

Et il semble que c’est positivement1.

Objections:

q. 9 a. 7 arg. 1 Si enim nihil ponunt in divinis, tunc qui dicit tres personas, nihil dicit quod sit in Deo. Ergo et qui negat tres personas, nihil negat de Deo quod sit in ipso. Non ergo contra veritatem loquitur, et ita non est haereticus.

1. Car si on ne place rien en Dieu, alors celui qui parle de trois personnes, ne dit rien de ce qui est en lui. Donc celui qui nie les trois personnes, ne nie rien de ce qui est en lui. Donc il ne parle pas contre la vérité, et ainsi il n’est pas hérétique.

q. 9 a. 7 arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium in Lib. de Divin. Nom., tribus modis dicitur aliquid de Deo: scilicet per negationem, per eminentiam et per causam. Quocumque autem istorum modorum termini numerales praedicentur in divinis, oportet quod aliquid ponant. Quod quidem manifestum est, si quidem praedicentur per eminentiam vel per causam similiter autem et si praedicentur negative. Non enim sic aliqua negantur de Deo, ut idem Dionysius dicit, quasi omnino ei desint, sed quia non eodem modo ei conveniunt sicut et nobis. Oportet ergo omnibus modis quod termini numerales aliquid ponant.

2. Selon Denys (les Noms divins, Théologie mystique, I), on parle de quelque chose en Dieu de trois manières; à savoir par négation, par éminence, et par la cause. De n’importe quelle de ces manières que les termes numériques sont attribués à Dieu, il faut qu’ils y établissent quelque chose. Ce qui est clair, s’ils sont attribués par éminence ou par cause, de la même manière aussi s’ils sont attribués négativement. Car ce n’est pas ainsi que certaines choses sont niées de Dieu, comme le même Denys le dit (La Hiérarchie céleste, II, Les Noms divin, IV et XI), comme si elles lui manquaient tout à fait, mais parce qu’elles ne se rencontrent pas en lui de la même manière qu’en nous. Il faut donc que de toutes les manières, les termes numériques placent quelque chose.

q. 9 a. 7 arg. 3 Praeterea, quidquid praedicatur de Deo et creaturis, nobiliori modo de Deo quam de creaturis praedicatur. Termini autem numerales de creaturis praedicantur positive. Ergo multo magis de Deo.

3. Tout ce qui est attribué à Dieu et aux créatures, est attribué d’une manière plus noble à Dieu qu’aux créatures. Mais les termes numériques sont attribués positivement aux créatures. Donc beaucoup plus à Dieu.

q. 9 a. 7 arg. 4 Praeterea, multitudo et unitas importata per terminos numerales, secundum quod praedicatur de Deo, non sunt in intellectu tantum: quia sic non essent tres personae in Deo nisi secundum intellectum; quod pertinet ad haeresim Sabellianam. Ergo oportet quod sint aliquid in ipso Deo secundum rem; et ita positive de Deo dicuntur.

4. La pluralité et l’unité apportées par les termes numériques, selon ce qui est attribué à Dieu, ne sont pas dans l’esprit seulement: parce qu’ainsi il n’y aurait trois personnes en Dieu que selon l’esprit; ce qui appartient à l’hérésie sabellienne2. Donc il faut qu’elles soient quelque chose en Dieu même, en réalité, et ainsi on en parle positivement en Dieu.

q. 9 a. 7 arg. 5 Praeterea, sicut unum est in genere quantitatis, ita bonum est in genere qualitatis; in Deo autem nec est quantitas nec qualitas nec aliquod accidens; et tamen bonum non praedicatur de Deo remotive sed positive. Ergo similiter unum, et per consequens multitudo, quam constituit unum.

5. Le ‘un’ est dans le genre de la quantité, de même le bien est dans le genre de la qualité; mais en Dieu, il n’y a ni quantité, ni qualité, ni accident; et cependant le bien n’est pas attribué à Dieu négativement, mais positivement. Donc de la même manière le ‘un’ et par conséquent la pluralité que constitue l’unité.

q. 9 a. 7 arg. 6 Praeterea, quatuor prima entia dicuntur, scilicet ens, unum, verum et bonum. Sed tria eorum, scilicet ens, verum et bonum, dicuntur de Deo positive. Ergo et unum, et per consequens multitudo.

6. On dit qu’il y a quatre êtres premiers3 à savoir l’étant, l’un, le vrai et le bien. Mais on parle positivement pour Dieu de trois d’entre eux, à savoir l’étant, le vrai et le bien. Donc l’un aussi et par conséquent la pluralité.

q. 9 a. 7 arg. 7 Praeterea, multitudo et magnitudo pertinent ad duas species quantitatis, quae sunt discreta quantitas et continua. Sed magnitudo praedicatur de Deo positive, cum dicitur Ps. CXLVI, 5: magnus dominus et magna virtus eius. Ergo et multitudo et unum.

7. La pluralité et la grandeur appartiennent à deux espèces de quantité, la quantité discrète et la quantité continue. Mais la grandeur est attribuée positivement à Dieu quand il est dit (Ps. 146, 5): "Le Seigneur est grand et grande est sa puissance". Donc la pluralité et l’unité aussi.

q. 9 a. 7 arg. 8 Praeterea, creaturae Dei similitudinem praeferunt, secundum quod in eis vestigium divinitatis apparet. Sed secundum Augustinum, quaelibet creatura vestigium quoddam divinae Trinitatis in se habet, in quantum est aliquid unum et specie formatur et ordinem aliquem habet. Ergo creatura est una ad similitudinem Dei. Sed unum praedicatur de creatura positive: ergo et de Deo.

8. Les créatures de Dieu manifestent la ressemblance selon qu’apparaît en elles un vestige de la divinité. Mais selon Augustin (La Trinité, X, 11), n’importe quelle créature porte en elle un vestige de la divine Trinité, en tant qu’elle est une et est mise en forme en l’espèce et a un ordre. Donc la créature est une à la ressemblance à Dieu. Mais l’unité est attribuée positivement à la créature. Donc à Dieu aussi.

q. 9 a. 7 arg. 9 Praeterea, si unum praedicatur de Deo privative, oportet quod aliquid removeat, et non nisi multitudinem. Multitudinem autem non removet; non enim sequitur, si est una persona, quod non sint plures. Unum ergo non dicitur remotive de Deo, et per consequens nec multitudo.

9. Si on attribue négativement l’unité à Dieu, il faut qu’elle exclut quelque chose et pas seulement la pluralité. Mais elle ne l’exclut pas; car il n’en découle pas, s’il y a une personne qu’il y en ait pas plusieurs. Donc on ne parle pas de l’unité négativement en Dieu et par conséquent de la pluralité non plus.

q. 9 a. 7 arg. 10 Praeterea, privatio nihil constituit. Unum autem constituit multitudinem. Non ergo dicitur privative.

10. La privation n’a rien constitué. Mais l’unité a constitué la pluralité. Donc on n’en parle pas négativement.

q. 9 a. 7 arg. 11 Praeterea, nulla privatio est in Deo, quia privatio omnis pertinet ad defectum. Unum autem praedicatur de Deo. Ergo non significat privationem.

11. Il n’y aucune privation en Dieu, parce que toute privation concerne une défaillance. Mais l’unité est attribuée à Dieu. Donc elle ne signifie pas une privation.

q. 9 a. 7 arg. 12 Praeterea, Augustinus dicit, quod quidquid praedicatur de Deo, praedicatur secundum substantiam, vel secundum relationem. Et Boetius etiam dicit, quod omnia quae veniunt in divinam praedicationem, mutantur in substantiam praeter ad aliquid. Si ergo termini numerales praedicantur de Deo, oportet quod significent substantiam vel relationem; et ita oportet quod positive de Deo praedicentur.

12. Augustin dit (la Trinité, V, 5) que tout ce qui est attribué à Dieu l’est selon la substance ou selon la relation. Et Boèce dit aussi (dans son livre sur La Trinité) que tout ce qui vient dans l’attribution divine est changé en substance hormis la relation. Donc si les termes numériques sont attribués à Dieu, il faut qu’ils signifient la substance ou la relation; et ainsi il faut qu’ils soient attribués positivement à Dieu.

q. 9 a. 7 arg. 13 Praeterea, unum et ens convertuntur et videntur esse synonyma. Sed ens praedicatur de Deo positive. Ergo et unum, et per consequens multitudo.

13. L’unité et l’étant sont convertibles et semblent synonymes. Mais l’étant est attribué positivement à Dieu. Donc l’unité aussi et par conséquent la pluralité.

q. 9 a. 7 arg. 14 Praeterea, si unum praedicatur de Deo remotive, oportet quod removeat multitudinem tamquam sibi oppositam. Hoc autem non potest esse, cum multitudo constituatur ex unitatibus; unum autem oppositorum non constituitur ex alio. Ergo unum non praedicatur de Deo remotive.

14. Si l’unité est attribuée à Dieu négativement, il faut exclure la pluralité, comme s’opposant à elle. Mais cela n’est pas possible, puisque la pluralité est constituée d’unités; mais l’un des opposés n’est pas constitué par un autre. Donc l’unité n’est pas attribuée à Dieu négativement.

q. 9 a. 7 arg. 15 Praeterea, si unum dicitur per remotionem multitudinis, oportet quod unum opponatur multitudini, sicut privatio habitui. Habitus autem est naturaliter prior privatione, et etiam secundum rationem, quia privatio non potest definiri nisi per habitum. Ergo multitudo erit prior uno secundum naturam et secundum rationem; quod videtur inconveniens.

15. Si l’unité est définie par l’exclusion de la pluralité, il faut que l’unité soit opposée à la pluralité, comme la privation à la possession. Mais la possession est naturellement avant la privation et aussi en raison, parce qu’elle ne peut être définie que par une possession. Donc la pluralité sera avant l’unité en nature et en raison, ce qui ne paraît pas convenir.

q. 9 a. 7 arg. 16 Praeterea, si unum et multa in divinis praedicantur remotive, oportet quod unum removeat multitudinem et multitudo removeat unitatem. Hoc autem est inconveniens, quia sequeretur circulus unius et multi, ut dicatur, quod unum est quod non est multa, et multa sunt quae non sunt unum; et sic per ista nihil fieret notum. Non est ergo dicendum, quod unum et multa in Deo dicantur privative.

16. Si l’un et le multiple sont attribués négativement à Dieu, il faut que l’unité exclut la pluralité et que celle-ci exclut l’unité. Mais cela ne convient pas, parce qu’il en découlerait un cercle entre l’unité et le multiple, de sorte qu’on dirait que l’un est ce qui n’est pas multiple et le multiple est ce qui n’est pas un; et ainsi on ne connaîtrait rien. Donc il ne faut pas dire qu’on parle négativement de l’un et du multiple en Dieu.

q. 9 a. 7 arg. 17 Praeterea, unum et multa cum se habeant ut mensura et mensuratum, videntur opponi ad invicem relative. In relative autem oppositis utrumque dicitur positive. Ergo tam unum quam multa positive praedicantur de Deo.

17. Comme l’un et le multiple ne se comportent pas comme la mesure et le mesuré, ils semblent opposés relativement entre eux. Mais dans ce qui est opposé relativement, on parle de l’un et de l’autre positivement. Donc on attribue positivement à Dieu autant l’un que le multiple.

En sens contraire:

q. 9 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, IV de Divin. nominibus: unitas laudata et Trinitas, quae est super omnia divinitas, non est neque unitas neque Trinitas quae a nobis aut alio quodam existentium sit cognita. Videtur ergo quod termini numerales per remotionem dicantur de Deo.

1. Denys dit (les Noms divins, IV, 13): "L’unité est louée et la Trinité qui est la divinité au-dessus de tout, n’est ni unité, ni Trinité, pour qu’elle soit connue par nous ou par quelqu’un d’autre parmi ceux qui existent". Il semble donc qu’on parle par éloignement des termes numéraux en Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: quaesivit humana inopia quid tria diceret, et dixit substantias sive personas. Quibus nominibus non diversitatem intelligi voluit sed singularitatem noluit. Sunt ergo huiusmodi termini numerales introducti in divinis magis ad removendum quam ad ponendum.

2. Augustin dit (La Trinité, VII, 4, 9): "La pauvreté humaine a cherché ce que trois voulait dire et elle a dit: les substances ou les personnes. Par ces noms elle a voulu ne pas comprendre la diversité, mais elle n'a pas voulu comprendre la singularité." Donc il y a des termes numéraux de ce genre qui sont introduits en Dieu, plus pour exclure que pour poser.

q. 9 a. 7 s. c. 3 Praeterea, unum et multitudo, sive numerus, sunt in genere quantitatis. In Deo autem non potest esse aliqua quantitas, cum quantitas sit accidens et dispositio materiae. Termini ergo numerales in Deo nihil ponunt.

3. L’un et la pluralité ou le nombre sont dans le genre de la quantité. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de quantité, puisqu’elle est un accident et une disposition de la matière. Donc les termes numéraux ne placent rien en Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 4 Sed dicendum, quod licet quantitas secundum rationem sui generis, vel secundum rationem accidentis, non possit esse in Deo, tamen secundum rationem speciei aliqua quantitas potest praedicari de Deo, sicut aliqua qualitas, ut scientia vel iustitia.- Sed contra, illae solae species qualitatis in divinam praedicationem assumuntur quae secundum rationem suae speciei nullam imperfectionem important, sicut scientia, iustitia et aequitas; non autem ignorantia nec albedo. Omnis autem quantitas secundum rationem suae speciei imperfectionem importat: cum enim quantum sit quod est indivisibile, species quantitatis distinguuntur secundum diversos modos divisionis; sicut pluralitas est quae divisibilis est in non continua, linea autem quae est divisibilis secundum unam dimensionem, superficies autem secundum duas, corpus vero secundum tres. Divisio autem perfectioni divinae simplicitatis repugnat. Nulla ergo quantitas secundum rationem suae speciei potest praedicari de Deo.

4. Mais il faut dire que, bien que la quantité en raison de son genre, ou en raison de l’accident, ne puisse pas exister en Dieu, cependant en raison de l’espèce, on peut attribuer certaine quantité à Dieu, de même que certaine qualité, comme la science et la justice.— En sens contraire, on admet dans l’attribution divine ces seules espèces de qualité qui n’apportent aucune imperfection en raison de leur espèce, comme la science, la justice et l’équité; mais pas l’ignorance ni la blancheur. Mais toute quantité en raison de son espèce apporte une imperfection; comme, en effet, quant à ce qui est indivisible, les espèces de quantité sont distinguées selon divers modes de division, ainsi la pluralité est ce qui est divisible dans ce qui n’est pas continu, la ligne ce qui est divisible selon une dimension, la superficie selon deux, le corps selon trois4, mais la division s’oppose à la perfection de la simplicité divine. Donc aucune quantité en raison de son espèce ne peut être attribuée à Dieu.

q. 9 a. 7 s. c. 5 Sed dicendum, quod distinctio per relationes quae facit numerum personarum in divinis, non importat imperfectionem in Deo.- Sed contra, omnis divisio vel distinctio aliquam multitudinem causat. Non autem omnis multitudo est numerus qui est species quantitatis: cum multitudo et unum circumeant omnia genera. Non ergo omnis divisio vel distinctio sufficit ad constituendum numerum qui est species quantitatis, sed sola illa divisio quae est secundum quantitatem, qualis non est distinctio relationum.

5. Mais il faut dire que la distinction par les relations qui apportent le nombre des personnes en Dieu, ne lui apporte pas d’imperfection.— En sens contraire, toute division ou distinction cause une pluralité, mais toute pluralité n’est pas un nombre qui est une espèce de quantité, puisque la pluralité et l’unité enferment tous les genres. Donc toute division ou distinction ne suffit pas à constituer un nombre, qui est une espèce de quantité, mais cette seule division qui est selon la quantité; telle n’est pas la distinction des relations.

q. 9 a. 7 s. c. 6 Sed dicendum, quod omnis multitudo est species quantitatis, et omnis divisio sufficit ad constituendam speciem quantitatis.- Sed contra, ad positionem substantiae non sequitur positio quantitatis, cum substantia possit esse sine accidente. Sed positis solis formis substantialibus, sequitur distinctio in substantiis. Ergo non quaelibet distinctio constituit multitudinem quae est accidens et species quantitatis.

6. Mais il faut dire que toute pluralité est une espèce de quantité, et toute division suffit à constituer une espèce de quantité. — En sens contraire, placer la quantité ne revient pas à placer la substance, puisque celle-ci peut exister sans accident. Mais si on place les seules formes substantielles, il en découle une distinction dans les substances. Donc ce n’est pas n’importe quelle distinction qui constitue la pluralité qui est accident et espèce de quantité.

q. 9 a. 7 s. c. 7 Praeterea, discretio quae constituit numerum, quae est species quantitatis, opponitur continuo. Discretio autem continuo opposita est, quae consistit in divisione continui. Ergo sola divisio continui, quae non competit Deo, causat numerum qui est species quantitatis; et ita non potest praedicari de Deo numerus qui est species quantitatis.

7. Ce qui constitue le nombre discret qui est espèce de quantité, s’oppose à ce qui constitue le nombre continu. Mais "cette discrétion" est opposée au continu qui consiste dans la division du contenu. Donc la seule division du contenu, qui ne convient pas à Dieu, cause le nombre qui est l’espèce de quantité, et ainsi on ne peut pas attribuer à Dieu un nombre qui est une espèce de quantité.

q. 9 a. 7 s. c. 8 Praeterea, quaelibet substantia dicitur una. Aut ergo est una per essentiam suam, aut per aliquid aliud. Si per aliquid aliud, cum et illud oporteat esse unum, necesse est quod et illud per se sit unum, vel per aliquid aliud, et illud iterum per aliud. Impossibile est autem quod hoc procedat in infinitum. Ergo statur alicubi. Melius est ergo quod stetur in primo, ut scilicet substantia per seipsam sit una. Non ergo unum est aliquid additum substantiae; et ita non videtur significare aliquid positive.

8. On dit que n’importe quelle substance est une. Ou bien donc elle est une par son essence, ou bien par quelque chose d’autre. Si c’est par quelque chose d’autre, puisque aussi cela doit être un, il est nécessaire que cela soit un par soi, ou par quelque chose d’autre et celui-ci à nouveau par quelque chose d’autre. Mais il est impossible que cela procède à l’infini. Donc on s’arrête quelque part. Donc il est meilleur de s’arrêter au premier stade, pour que la substance soit une par elle-même5. Donc l’un n’est pas quelque chose d’ajouté à la substance, et ainsi il ne semble pas avoir une signification positive.

q. 9 a. 7 s. c. 9 Sed dicendum, quod substantia non est una per seipsam, sed per unitatem ei accidentem; unitas autem est per se una; prima enim denominant seipsa, sicut bonitas est bona, veritas est vera, et similiter unitas est una.- Sed contra, huiusmodi seipsa denominant propter hoc quod sunt primae formae, nam secundae formae non denominant seipsas, sicut albedo non est alba. Quae autem se habent ex additione ad aliud, non sunt prima. Ergo unitas et bonitas non se habent ex additione ad substantiam.

9. Mais il faut dire que la substance n’est pas une par elle-même, mais par une unité qui lui est accidentelle; mais l’unité est une par soi; car les transcendantaux se nomment eux-mêmes, ainsi la bonté est bonne, la vérité vraie et de la même manière l’unité une.— En sens contraire, ceux de ce genre se nomment eux-mêmes parce qu’ils sont des formes premières; car les formes secondes ne se nomment pas elles-mêmes, ainsi la blancheur n’est pas blanche. Ce qui se comporte par addition à autre chose n’est pas premier (transcendantal). Donc l’unité et la bonté ne se comportent pas par addition à la substance.

q. 9 a. 7 s. c. 10 Praeterea, secundum philosophum, omnia dicuntur unum in quantum non dividuntur. Hoc autem quod est non dividi, non ponit aliquid, sed solum removet. Ergo unum non praedicatur positive sed remotive in divinis; et per consequens multitudo, quae constituitur ex unis.

10. Selon le philosophe (Métaphysique V, 6, 1018 a 18 passim), on appelle un tout ce qui n’est pas divisé. Mais ce qui n’est pas divisé ne place rien, mais exclut seulement. Donc l’un n’est pas attribué positivement à Dieu, mais négativement; et par conséquent la pluralité qui est constituée par des unités aussi.

Réponse:

q. 9 a. 7 co. Respondeo. Dicendum quod de uno et multo diversa inveniuntur, quae etiam apud philosophos fuerunt occasio diversa sentiendi. Invenitur enim de uno, quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente; similiter invenitur de multo, quod pertinet ad quamdam speciem quantitatis, quae dicitur numerus, et iterum quod circuit omne genus, sicut et unum, cui videtur multitudo opponi.

Pour l’un et le multiple, on trouve différentes questions qui ont été l’occasion pour les philosophes d’opinions différentes. Car on trouve l'un, qui est le principe du nombre, et qui est convertible avec l’étant; de même on trouve le multiple qui se rapporte à une certaine espèce de quantité qui est appelée le nombre, et à nouveau ce qui comprend tout genre, comme l’un à qui semble opposée la pluralité.

Fuerunt ergo aliqui inter philosophos qui non distinxerunt inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri, aestimantes quod neutro modo dictum unum aliquid super substantiam adderet; sed unum quolibet modo dictum significaret substantiam rei. Ex quo sequebatur quod numerus, qui ex unis componitur, sit substantia omnium rerum secundum opinionem Pythagorae et Platonis.

A. Donc il y en eut certains parmi les philosophes qui n’ont pas distingué entre l’un qui est convertible avec l’étant, et l’un qui est le principe du nombre, pensant que d’aucune des deux manières ce qui est appelé un ajouterait quelque chose à la substance, mais l’un qui est employé de n’importe quelle manière signifierait la substance. Et il en découlait que le nombre qui serait composé d’unités, serait la substance de toutes les choses selon l’opinion de Pythagore et de Platon6.

Quidam vero non distinguentes inter unum quod convertitur cum ente, et unum quod est principium numeri, crediderunt e contrario, quod utrolibet modo dictum unum, adderet aliquod esse accidentale supra substantiam; et per consequens omnis multitudo oportet quod sit aliquod accidens pertinens ad genus quantitatis. Et haec fuit positio Avicennae, quam quidem videntur secuti fuisse omnes antiqui doctores. Non enim intellexerunt per unum et multa nisi aliquod pertinens ad genus quantitatis discretae.

B. Mais certains qui ne distinguent pas entre l’un qui est convertible avec l’étant, et l’un principe du nombre, ont cru au contraire que de l’une et l’autre manière, ce qui est appelé un ajouterait un être accidentel à la substance et par conséquence il faut que toute pluralité soit un accident qui concerne le genre de la quantité. Et ce fut la position d’Avicenne7 qu’assurément toutes les docteurs anciens semblent avoir suivi. Car ils n’ont compris par un et beaucoup que quelque chose qui appartenait au genre de la quantité discrète.

Quidam vero fuerunt qui attendentes quod in Deo nulla quantitas esse potest, posuerunt quod termini significantes unum vel multa de Deo non ponunt aliquid, sed removeant tantum. Non enim possunt ponere nisi quod significant, scilicet quantitatem discretam, quae nullo modo potest esse in Deo. Sic ergo secundum eos unum dicitur de Deo ad removendum multitudinem quantitatis discretae; termini vero significantes pluralitatem, dicuntur de Deo ad removendum unitatem, quae est principium quantitatis discretae.

C. Mais certains, qui ont été attentifs à ce qu’en Dieu il ne peut y avoir aucune quantité, ont pensé que les termes qui signifiaient l’un ou beaucoup ne placent rien en Dieu, mais excluent seulement. Car ils ne peuvent placer que ce qu’ils signifient, à savoir la quantité discrète, qui ne peut en aucune manière être en Dieu. Donc ainsi selon eux, on parle de l’un en Dieu pour exclure la multiplicité de la quantité discrète; mais les termes que signifient la pluralité en Dieu, pour exclure l’unité, qui est le principe de la quantité discrète.

Et haec videtur fuisse opinio Magistri, quae ponitur in 24 dist. I sententiarum. Quae quidem, supposita suae opinionis radice, scilicet quod omnis multitudo significaret quantitatem discretam, et omne unum esset eiusdem quantitatis principium, inter omnes rationabilior invenitur. Nam et Dionysius dicit, quod negationes sunt maxime verae in Deo; affirmationes vero sunt incompactae. Non enim scimus de Deo quid est, sed magis quid non est, ut Damascenus dicit.

Et cela semble avoir été l’opinion du Maître qu’on trouve exposé dans la I Sent. d24. Si on suppose l’origine de son opinion, à savoir que toute pluralité signifierait une quantité discrète, et toute unité serait le principe d’une même quantité, cette opinion est trouvée plus rationnelle parmi toutes. Car Denys aussi (La Hiérarchie céleste, II) dit que les négations sont tout à fait vraies en Dieu, mais les affirmations sont inadéquates. Car nous ne savons pas de Dieu ce qu’il est, mais plutôt ce qu’il n’est pas, comme Jean Damascène le dit (I, 4).

Unde et Rabbi Moyses omnia quae affirmative videntur dici de Deo, dicit magis esse introducta ad removendum quam ad aliquid ponendum. Dicimus enim Deum esse vivum ad removendum ab eo illum modum essendi quem habent res quae apud nos non vivunt, non ad ponendum vitam in ipso, cum vita et omnia huiusmodi nomina sint imposita ad significandum quasdam formas et perfectiones creaturarum quae longe absunt a Deo; quamvis hoc non sit usquequaque verum, nam, sicut dicit Dionysius, sapientia et vita et alia huiusmodi non removentur a Deo quasi ei desint, sed quia excellentius habet ea quam intellectus humanus capere, vel sermo significare possit; et ex illa perfectione divina descendunt perfectiones creatae, secundum quamdam similitudinem imperfectam. Et ideo de Deo, secundum Dionysium, non solum dicitur aliquid per modum negationis et per modum causae, sed etiam per modum eminentiae.

C’est pourquoi Rabbi Moyses dit que tout ce qui paraît être dit affirmativement de Dieu est plus introduit plus pour exclure que pour poser quelque chose. Car nous disons que Dieu est vivant pour éloigner de lui ce mode d’être qu’ont les choses qui chez nous ne vivent pas, mais pas pour placer la vie en eux, puisque la vie et tous les noms de ce genre sont imposés pour signifier des formes et les perfections des créatures, qui sont très loin de Dieu; quoique cela ne soit pas toujours vrai, car, comme le dit Denys (Les Noms divins, 12), la sagesse et la vie, etc., ne sont pas exclues de Dieu, comme si elles lui manquaient, mais parce qu’il les possède plus excellemment que ce que l’esprit humain peut en saisir ou la parole signifier; et de cette perfection divine descendent les perfections crées selon une ressemblance imparfaite. Et c’est pourquoi au sujet de Dieu, selon Denys (La Théologie mystique I et La Hiérarchie céleste, I, et Les Noms divins, II) non seulement on parle par mode de négation et de cause , mais aussi par mode d’éminence.

Sed quidquid sit de spiritualibus perfectionibus, certum est quod materiales dispositiones removentur omnino a Deo. Unde cum quantitas sit dispositio materiae, si termini numerales non significant nisi quod est in genere quantitatis, necesse est quod de Deo non dicatur nisi ad removendum quae significant, sicut Magister posuit, loc. cit. Nec sequitur ex eius positione circulus,- dum unitas removet multitudinem, multitudo unitatem,- quia removentur a Deo unitas et multitudo, quae sunt in genere quantitatis, quorum neutrum de Deo dicitur. Et sic unitas dicta de Deo, quae removet multitudinem, non removetur, sed alia unitas, quae de Deo dici non potest.

Mais quoi qu’il en soit des perfections spirituelles, il est certain que les dispositions matérielles sont tout à fait exclues de Dieu. C’est pourquoi, puisque la quantité est une disposition de la matière, si les termes numéraux ne signifient que ce qui est dans le genre de la quantité, il est nécessaire qu’on n’en parle au sujet de Dieu que pour exclure ce qu’ils signifient, comme le Maître l’a pensé (loc. cit.). Et il ne découle pas que cette disposition est circulaire — en tant que l’unité exclut la pluralité, et la pluralité l’unité — parce que l’unité et la pluralité, qui sont dans le genre de la quantité sont exclues de Dieu. On ne parle d’aucun des deux à propos de lui. Et ainsi l’unité dont on parle en lui, qui exclut la pluralité, n’est pas exclue, mais c’est l’autre unité dont on ne peut parler en Dieu.

Quidam vero, non intelligentes quod nomina affirmativa ad removendum possint in praedicationem divinam induci, nec iterum ponentes unum et multa,- nisi quod est in genere quantitatis discretae, quam in Deo ponere non audebant,- dixerunt quod termini numerales non praedicantur de Deo quasi dictiones significantes aliquam rem conceptam sed quasi dictiones officiales, exercentes aliquid in divinis, scilicet distinctionem ad modum syncategorematicae distinctionis. Quod quidem fatuum apparet, cum nihil tale ex horum terminorum significatione possit haberi.

D. Certains, ne comprenant pas que des noms affirmatifs puissent être introduits dans l’attribution divine pour exclure, et en plus n’y plaçant l’un et le multiple — qui est dans le genre de la quantité discrète qu’ils n’osaient pas placer en Dieu — certains, donc, ont dit que les termes numéraux ne sont pas attribués à Dieu comme des expressions qui signifient une espèce de concept, mais comme des expressions officielles qui ont quelque pouvoir en Dieu, à savoir une distinction pour un mode de distinction catégorique. Ce qui paraît insensé, puisque rien de tel ne peut être possédé par la signification de ces termes.

Et ideo alii dixerunt, quod praedicti termini aliquid positive ponunt in Deo, licet supponant quod unum et multa sunt solum in genere quantitatis; dicunt enim quod non est inconveniens aliquam speciem quantitatis Deo attribui, licet genus removeatur a Deo; sicut et aliquae species qualitatis, ut sapientia et iustitia, dicuntur de Deo positive, licet in Deo qualitas esse non possit.

E. Et c’est pourquoi, d’autres, ont dit que les termes en question placent positivement quelque chose en Dieu, bien qu’ils supposent que ni l’un et ni multiple sont seulement dans le genre de la quantité: car ils disent qu’il n’y a pas d’inconvénient à attribuer une espèce de quantité à Dieu, bien que le genre soit exclu de lui; comme on parle positivement de certaines espèces de qualités comme la sagesse, et la justice, bien qu’il ne puisse y avoir en lui de qualité.

Sed illud non est simile, ut in obiiciendo est tactum, nam omnes species quantitatis ex ratione suae speciei habent imperfectionem, non autem omnes species qualitatis. Et praeterea quantitas proprie est dispositio materiae; unde omnes species quantitatis sunt mathematica quaedam, quae secundum esse non possunt a materia sensibili separari, nisi tempus et locus quae sunt naturalia, et magis materiae sensibili annexa. Unde patet quod nulla species quantitatis potest in rebus spiritualibus convenire, nisi secundum metaphoram. Qualitas autem sequitur formam, unde quaedam qualitates sunt omnino immateriales, quae attribui possunt rebus spiritualibus.

Mais cela n’est pas pareil que ce qu’on en dit dans l’objection, car toutes les espèces de quantité ont une imperfection en raison de leur espèce, mais pas toutes les espèces de qualité. Et ensuite la quantité est en propre une disposition de la matière; c’est pourquoi toutes les espèces de quantité sont mathématiques qui, selon l’être, ne peuvent pas être séparés de la matière sensible sauf le temps et le lieu, qui sont naturels, et plus attachés à la matière sensible. C’est pourquoi il est clair qu’aucune espèce de quantité ne peut convenir aux êtres spirituels, sinon par métaphore. Mais la qualité suit la forme, c’est pourquoi il y a certaines qualités tout à fait immatérielles, qui peuvent être attribuées aux choses spirituelles.

Hae igitur opiniones processerunt, supposito quod idem sit unum quod convertitur cum ente et quod est principium numeri, et quod non sit aliqua multitudo nisi numerus qui est species quantitatis. Quod quidem patet esse falsum: nam cum divisio multitudinem causet, indivisio vero unitatem, oportet secundum rationem divisionis de uno et multo iudicium sumi.

F. Donc ces opinions ont progressé, en supposant que soient identiques l’un qui est convertible avec l’étant et celui qui est le principe du nombre, et qu’il n’y ait pas d’autre pluralité que le nombre qui est une espèce de la quantité. Ce qui paraît faux. Comme la division, en effet, cause la pluralité, et l’indivision l’unité, il faut juger de l’un et du multiple en raison de la division.

Est autem quaedam divisio quae omnino genus quantitatis excedit, quae scilicet est per aliquam oppositionem formalem, quae nullam quantitatem concernit. Unde oportet quod multitudo hanc divisionem consequens, et unum quod hanc divisionem privat, sint maioris communitatis et ambitus quam genus quantitatis.

Il y a une division qui transcende tout à fait le genre de la quantité, celle qui vient par une opposition formelle qui ne concerne aucune quantité. C’est pourquoi il faut que la pluralité qui découle de cette division, et l’un qui en prive, soient plus communs et d’une plus grande amplitude que le genre de la quantité.

Est autem et alia divisio secundum quantitatem quae genus quantitatis non transcendit. Unde et multitudo consequens hanc divisionem, et unitas eam privans, sunt in genere quantitatis. Quod quidem unum, aliquid accidentale addit supra id de quo dicitur, quod habet rationem mensurae; alias numerus ex unitate constitutus, non esset aliquod accidens, nec alicuius generis species. Unum vero quod convertitur cum ente, non addit supra ens nisi negationem divisionis, non quod significet ipsam indivisionem tantum, sed substantiam eius cum ipsa: est enim unum idem quod ens indivisum. Et similiter multitudo correspondens uni nihil addit supra res multas nisi distinctionem, quae in hoc attenditur quod una earum non est alia; quod quidem non habent ex aliquo superaddito, sed ex propriis formis.

Mais il y a aussi une autre division, relative à la quantité, qui n’en dépasse pas le genre. C’est pourquoi la pluralité qui suit cette division et l’unité qui en prive, sont dans le genre de la quantité. L’un ajoute quelque chose d’accidentel à ce dont on parle, ayant raison de mesure, autrement le nombre constitué par l’unité ne serait pas un accident, ni l’espèce d’un genre. Mais l’un qui est convertible avec l’étant, n’y ajoute que la négation de la division, non qu’il signifie seulement l’indivision elle-même, mais il signifie sa substance avec elle, car il y a une unité identique à l’étant indivis. Et de la même manière la pluralité qui correspond à l’un n’ajoute rien à la multiplicité des choses, sinon la distinction qui consiste en ce que l’une d’elle n’est pas l’autre; ce qui ne vient pas de quelque chose ajouté, mais de leurs propres formes.

Patet ergo quod unum quod convertitur cum ente, ponit quidem ipsum ens, sed nihil superaddit nisi negationem divisionis. Multitudo autem ei correspondens addit supra res, quae dicuntur multae, quod unaquaeque earum sit una, et quod una earum non sit altera, in quo consistit ratio distinctionis. Et sic, cum unum addat supra ens unam negationem,- secundum quod aliquid est indivisum in se,- multitudo addit duas negationes, prout scilicet aliquid est in se indivisum, et prout est ab alio divisum. Quod quidem dividi est unum eorum non esse alterum.

Il est évident que l’un qui est convertible avec l’étant pose l’étant lui-même, mais il n’ajoute que la négation de la division. Mais la pluralité qui lui correspond ajoute à ce qui est dit multiple, que chacune d’elles est une et que l’une d’elle n’est pas l’autre, en quoi consiste la raison de la distinction. Et ainsi, comme l’unité ajoute une négation à l’étant — selon que quelque chose est indivis en soi, la pluralité ajoute deux négations, dans la mesure où une chose est indivise en soi, et dans la mesure où elle est divisée par un autre. Être divisé est l’unité de ceux qui ne sont pas autres.

Dico ergo, quod in divinis non praedicantur unum et multa quae pertinent ad genus quantitatis, sed unum quod convertitur cum ente, et multitudo ei correspondens. Unde unum et multa ponunt quidem in divinis ea de quibus dicuntur; sed non superaddunt nisi distinctionem et indistinctionem, quod est superaddere negationes, ut supra expositum est. Unde concedimus, quod quantum ad id quod superaddunt eis de quibus praedicantur, remotive in Deo accipiuntur; in quantum autem includunt in sua significatione ea de quibus dicuntur, positive accipiuntur. Unde ad utrasque rationes respondendum est.

G. Je dis donc qu’en Dieu ne sont attribués ni l’un et ni le multiple qui se rapportent au genre de la quantité, mais l’un qui est convertible avec l’étant et la pluralité qui lui correspond. C’est pourquoi l’un et le multiple placent en Dieu ce dont on parle; mais ils ne surajoutent que la distinction et la non distinction, ce qui est ajouter des négations, comme on l’a exposé plus haut. C’est pourquoi, nous concédons que pour ce qu’ils ajoutent à ce à quoi ils sont attribués, il sont reçus en Dieu négativement; en tant qu’ils incluent dans leur signification ce dont nous parlons, ils sont reçus positivement. C’est pourquoi il faut répondre aux deux raisons.

Solutions:

q. 9 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod qui dicit tres personas, aliquid in Deo dicit, scilicet distinctionem personarum; quam qui negat, haereticus est. Ista autem distinctio non addit aliquid supra personas distinctas.

# 1. Qui dit trois personnes dit une réalité en Dieu, à savoir la distinction des personnes; qui la nie est hérétique, mais cette distinction n’ajoute rien aux personnes distinctes.

q. 9 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet in remotione quorumdam a Deo, sit cointelligenda praedicatio eorumdem de Deo per eminentiam et per causam, tamen quaedam solummodo negantur de Deo et nullo modo praedicantur; sicut cum dicitur: Deus non est corpus. Et hoc modo posset dici secundum opinionem Magistri, quod omnino negatur a Deo quantitas numeralis; et similiter secundum id quod ponimus, omnino negatur ab eo essentiae divisio, cum dicitur: essentia divina est una.

# 2. Bien qu’en excluant certaines choses de Dieu, il faille comprendre leur attribution par éminence, et par cause, cependant, certaines sont seulement niées et ne lui sont attribuées en aucune manière, comme quand on dit: Dieu n’est pas un corps. Et de cette manière on pourrait dire selon l’opinion du Maître, que la quantité numérale est tout à fait niée pour Dieu; et de la même manière selon ce que nous y plaçons, cela nie tout à fait la division de l’essence, quand on dit: l’essence divine est une.

q. 9 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in rebus creatis termini numerales non ponunt aliquid superadditum rebus de quibus dicuntur, nisi prout significant id quod est in genere quantitatis discretae, secundum quem modum non praedicantur de Deo; et hoc pertinet ad perfectionem ipsius.

# 3. Dans les créatures, les termes numéraux ne placent rien de surajouté à ce dont on parle, sinon dans la mesure où ils signifient ce qui est dans le genre de la quantité discrète; sous ce mode, elles ne sont pas attribuées à Dieu; et cela convient à sa perfection.

q. 9 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unitas et multitudo quae significantur per terminos numerales dictos de Deo, non sunt solum in intellectu nostro, sed sunt in Deo secundum rem; non tamen propter hoc significatur aliquid positive praeter intellectum eorum quibus ista attribuuntur.

# 4. L’unité et la pluralité qui sont signifiées par les termes numéraux employés pour Dieu, ne sont pas seulement dans notre esprit, mais ils sont en Dieu en réalité; ce n’est pas cependant à cause de cela que quelque chose est signifié positivement au-delà du concept de ceux à qui ils sont attribués.

q. 9 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum quod bonum quod est in genere qualitatis, non est bonum quod convertitur cum ente, quod nullam rem supra ens addit; bonum autem quod est in genere qualitatis, addit aliquam qualitatem qua homo dicitur bonus; et simile est de uno, sicut ex dictis patet. Sed in hoc differt quod bonum utroque modo acceptum potest venire in divinam praedicationem, non autem unum: non enim est eadem ratio de quantitate et qualitate, sicut ex dictis patet.

# 5. Le bien qui est dans le genre de la qualité, n’est pas le bien qui est convertible avec l’étant, parce qu’il n’ajoute rien à l’étant; mais le bien qui est dans le genre de la qualité ajoute une qualité par laquelle on dit que l’homme est bon; et c’est pareil pour l’unité, comme on le voit d’après ce qui a été dit. Mais il y a une différence: le bien reçu de l’une et l’autre manière peut venir dans l’attribution divine, mais pas l’unité; car la quantité et la qualité n’ont pas une nature identique, comme on le voit de ce qui a été dit.

q. 9 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter ista quatuor prima, maxime primum est ens: et ideo oportet quod positive praedicetur; negatio enim vel privatio non potest esse primum quod intellectu concipitur, cum semper quod negatur vel privatur sit de intellectu negationis vel privationis. Oportet autem quod alia tria super ens addant aliquid quod ens non contrahat; si enim contraherent ens, iam non essent prima. Hoc autem esse non potest nisi addant aliquid secundum rationem tantum; hoc autem est vel negatio, quam addit unum (ut dictum est), vel relatio ad aliquid quod natum sit referri universaliter ad ens; et hoc est vel intellectus, ad quem importat relationem verum, aut appetitus, ad quem importat relationem bonum; nam bonum est quod omnia appetunt, ut dicitur in I Ethic.

# 6. Parmi les quatre transcendantaux, celui qui est absolument le premier est l’étant et c’est pourquoi il faut qu’il soit attribué positivement; car la négation ou la privation ne peuvent être ce qui est conçu en premier par l’esprit, puisque toujours ce qui est nié ou privé est du concept de négation ou de privation. Mais il faut que les trois autres ajoutent à l’étant quelque chose qui ne le limite pas; car s’ils le limitaient , ils ne seraient plus des transcendantaux. Mais cela n’est pas possible à moins qu’ils ajoutent quelque chose en raison seulement. Mais c’est ou bien la négation qui ajoute l’unité (comme on l’a dit) ou bien une relation ou ce qui est destiné à être référé à l’étant selon l’universel: et c’est ou bien le concept, à qui le vrai apporte une relation ou bien l’appétit, à laquelle le bien apporte la relation; car le bien est ce que tous recherchent, comme on le dit dans l’Éthique (I, 1, 1094 a 2).

q. 9 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum philosophum, multum dicitur dupliciter:

# Selon le philosophe (Métaphysique X, 6, 1056 b 17 ss.), on parle de beaucoup en plusieurs sens:

`uno modo absolute, et sic dicitur per oppositum ad unum;

a) D’une première manière, selon l’absolu et ainsi on l’emploie par opposition à l’unité:

alio modo dicitur comparative, prout importat excessum quemdam respectu minoris numeri, et sic multum opponitur pauco.

b) D’une autre manière, on en parle comparativement dans la mesure où il apporte un surplus par rapport à un nombre plus petit, et ainsi beaucoup est opposé à peu.

Similiter autem et magnum potest dupliciter dici:

De la même manière on parle de grand de deux manières:

uno modo absolute, prout importat quantitatem continuam quae dicitur magnitudo;

a) D’une première manière selon l’absolu, dans la mesure où le terme apporte une quantité continue qui est appelée grandeur.

alio modo comparative, rout importat excessum respectu minoris quantitatis..

b) D’une autre manière, comparativement, dans la mesure où il apporte un surplus par rapport à une quantité plus petite.

Primo ergo modo magnum non praedicatur de Deo; sed secundo, ut importetur eius eminentia super omnem creaturam

Donc de la première manière, grand n’est pas attribué à Dieu, mais de la seconde, il est attribué pour apporter son éminence au-dessus de tout créature.

q. 9 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod unum quod pertinet ad vestigium Dei in creaturis, est unum quod convertitur cum ente, quod quidem ponit aliquid, in quantum ponit ipsum ens, cui solam negationem superaddit, ut dictum est.

# 8. L’unité qui appartient au vestige de Dieu dans les créatures est l’un qui est convertible avec l’étant, qui place quelque chose en tant qu’il place l’étant à qui il ajoute seulement une négation, comme on l’a dit.

q. 9 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod unum oppositorum non excludit aliud, nisi ab eo de quo praedicatur. Non enim sequitur, si Socrates est albus, quod nihil sit nigrum: sed quod ipse non est niger. Sic ergo sequitur quod si patris persona est una, patris personae non sunt plures; non autem sequitur quod non sint plures personae in divinis.

# 9. L’un des opposés n’exclut l’autre que par ce qui lui est attribué. Car il n’en découle pas, si Socrate est blanc, que rien ne soit noir; mais que lui-même n’est pas noir. Ainsi donc il en découle que si la personne du Père est une, les personnes du Père ne sont pas plusieurs, mais il n’en découle pas qu’il n’y ait pas plusieurs personnes en Dieu.

q. 9 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod unum non constituit multitudinem ex parte privationis, sed ex parte illa qua ponit ens.

# 10. L’un n’a pas constitué la pluralité du côté de la privation mais de ce côté où il place l’étant.

q. 9 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod sicut dicitur in V Metaph., privatio tribus modis dicitur:

uno modo proprie, quando removetur ab aliquo quod natum est habere, et in quo tempore natum est habere; sicut carere visu est privatio visus in homine.

Alio modo communiter, quando removetur ab aliquo quod ipsum quidem non est natum habere, sed genus eius; sicut si non habere visum dicatur esse privatio visus in talpa.

# 11. Comme il est dit en Métaphysique, (V, 22, 1022 b 21 ss.), on parle de la privation de trois manières:

a) Au sens propre, quand est exclu de quelque chose ce qu’il est destiné à avoir et, en quel temps, il est destiné à l’avoir, comme ne pas avoir la vue est la privation de la vue dans l’homme.

b) D’une autre manière, communément, quand est exclu d’une chose ce qu’elle n’est pas destinée à avoir, mais que son genre est destiné à ne pas avoir; ainsi, si ne pas avoir la vision était appelé privation de la vue pour la taupe.

Tertio modo communissime, quando removetur ab aliquo id quod a quocumque alio natum est haberi, non tamen ab ipso, nec ab alio sui generis: sicut si non habere visum, dicatur esse privatio visus in planta. Et haec privatio medium est inter privationem veram et simplicem negationem, habens commune aliquid cum utroque; cum privatione quidem vera, in hoc quod est negatio in aliquo subiecto, unde non competit simpliciter non enti; cum negatione vero simplici, in hoc quod non requirit aptitudinem in subiecto. Per hunc autem modum unum privative dicitur, et potest simili modo praedicari in divinis, sicut et alia quae simili modo praedicantur in divinis, ut invisibilis et immensus et huiusmodi.

c) De manière très commune, quand est exclu d’une chose ce qu’elle est destinée à avoir par n’importe quel autre, cependant pas par elle-même, ni par un autre de son genre; comme si on disait que ne pas avoir la vue, c’est la privation de la vue dans la plante. Et cette privation est intermédiaire entre la vraie privation et la négation simple, ayant quelque chose de commun avec l’une et l’autre; avec une vraie privation, du fait que c’est une négation dans un sujet; c’est pourquoi il n’appartient pas simplement au non-être; avec une négation simple du fait qu’il ne requiert pas d’aptitude dans le sujet. Par ce moyen l’un est dit négativement et peut être attribué à Dieu d’une manière semblable, comme les autres qui sont attribués à Dieu d’une manière semblable, comme invisible, immense, etc.

q. 9 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod termini numerales non addunt aliquid in divinis supra id de quo praedicantur; et ideo quando praedicantur de essentialibus, significant essentiam; quando vero de personalibus, significant relationem.

# 12. Les termes numéraux n’ajoutent rien en Dieu, au-dessus de ce à quoi ils sont attribués; et c’est pourquoi quand ils sont attribués à ce qui est l’essence, ils la signifient, mais s’ils sont attribués à ce qui est personnel, ils signifient la relation.

q. 9 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unum et ens convertuntur secundum supposita; sed tamen unum addit secundum rationem, privationem divisionis; et propter hoc non sunt synonyma, quia synonyma sunt quae significant idem secundum rationem eamdem.

#13. L’un et l’être sont convertibles selon les suppôts; mais cependant l’un ajoute en raison la privation de division, et c’est pour cela qu’ils ne sont pas synonymes, parce que les synonymes signifient une chose identique sous le même rapport.

q. 9 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod unum potest considerari dupliciter: uno modo quantum ad illud quod ponit, et sic constituit multitudinem;

alio modo quantum ad negationem quam superaddit, et sic opponitur unum multitudini privative.

# 14. L’un peut être considéré de deux manières;

a) Quant à ce qu’il pose; et ainsi il a constitué une pluralité.

b) D’une autre manière quant à la négation qu’il ajoute et ainsi l’un est opposé négativement à la pluralité.

q. 9 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod secundum philosophum, multitudo est prior uno secundum sensum, sicut totum partibus et compositum simplici; sed unum est prius multitudine naturaliter et secundum rationem. Hoc autem non videtur sufficere ad hoc quod unum opponatur multitudini privative. Nam privatio est posterior secundum rationem, cum in intellectu privationis sit eius oppositum, per quod definitur: nisi forte hoc referatur solum ad nominis rationem, prout hoc nomen unum significat privative, nomen vero multitudinis positive; nomina enim imponuntur a nobis secundum quod cognoscimus res. Unde ad hoc quod aliquid significetur per nomen ut privatio, sufficit qualitercumque sit posterius in nostra cognitione; quamvis hoc non sufficiat ad hoc quod res ipsa sit privativa, nisi sit posterius secundum rationem.

# 15. Selon le philosophe (Métaphysique, X, 3, 1054 a 288), la pluralité est avant l’unité, selon le sens, comme le tout avant les parties et le composé avant le simple. Mais l’un est naturellement et en raison avant la pluralité. Mais cela ne paraît pas suffire, pour que l’un soit opposé négativement à la multitude, car la privation est après en raison, puisque dans le concept de privation il y a son opposé, par lequel il est défini; à moins que par hasard cela se rapporte seulement à la nature du nom, dans la mesure où il signifie négativement l’unité, mais positivement le nom de pluralité. Car les noms s’imposent à nous selon que nous connaissons la réalité. C’est pourquoi, pour qu’une chose soit signifiée par un nom comme privation, il suffit de quelque manière qu’il soit postérieur dans notre connaissance; quoique cela ne suffise pas pour que la chose soit négative, à moins qu’elle soit postérieure en raison.

Et ideo potest melius dici, quod divisio est causa multitudinis, et est prior secundum intellectum quam multitudo; unum autem dicitur privative respectu divisionis, cum sit ens indivisum, non autem respectu multitudinis. Unde divisio est prior, secundum rationem, quam unum; sed multitudo posterius. Quod sic patet:

Et c’est pourquoi on peut dire mieux: la division est la cause de la pluralité, et elle est avant elle en esprit; mais on parle d’unité négativement par rapport à la division, puisqu’elle est l’étant non divisé, sans rapport avec la pluralité. C’est pourquoi la division est en raison avant l’unité; mais la pluralité après. Ce qui paraît ainsi:

primum enim quod in intellectum cadit, est ens;

a) En premier ce qui arrive dans l’esprit c’est l’étant;

secundum vero est negatio entis;

b) en second, la négation de l’étant;

ex his autem duobus sequitur tertio intellectus divisionis (ex hoc enim quod aliquid intelligitur ens, et intelligitur non esse hoc ens, sequitur in intellectu quod sit divisum ab eo);

c) mais de ces deux découle en troisième le concept de division (car du fait que quelque chose est compris comme étant, et que cet étant est compris comme n’étant pas celui-là, il découle en esprit, qu’il est séparé de lui);

quarto autem sequitur in intellectu ratio unius, prout scilicet intelligitur hoc ens non esse in se divisum;

d) quatrièmement: la nature de l’un découle dans l’esprit, dans la mesure où cet étant est compris comme non divisé en soi,

quinto autem sequitur intellectus multitudinis, prout scilicet hoc ens intelligitur divisum ab alio, et utrumque ipsorum esse in se unum. Quantumcumque enim aliqua intelligantur divisa, non intelligetur multitudo, nisi quodlibet divisorum intelligatur esse unum.

e) cinquièmement, il en découle le concept de pluralité dans la mesure où cet étant est compris comme séparé d’un autre et l’un et l’autre d’entre eux sont uniques en soi. Car chaque fois que quelque chose est compris comme séparé d’un autre, la pluralité n’est pas comprise à moins que l’une des choses divisées soit comprise comme un être.

Et sic etiam patet quod non erit circulus in definitione unius et multitudinis.

Et ainsi il est clair qu’il n’y aura pas de cercle vicieux dans la définition de l’un et de la pluralité.

q. 9 a. 7 ad 16 Unde patet responsio ad decimumsextum.

# 16. Ainsi s’éclaire la réponse à la 16me objection.

q. 9 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod unum quod est principium numeri, comparatur ad multitudinem ut mensura ad mensuratum; quod quidem unum positive aliquid supra substantiam addit, ut dictum est.

# 17. L’un qui est le principe du nombre est comparé à la pluralité, comme la mesure au mesuré; cette unité ajoute positivement quelque chose à la substance, comme on l’a dit (dans le corps de l’article).

q. 9 a. 7 ad s. c. Ad ea quae in oppositum obiiciuntur, secundum praemissa, facile est respondere considerantibus secundum quid veritatem concludant. Unum tamen quod in illis obiectionibus tangebatur considerandum est, quod huiusmodi prima, scilicet essentia, unitas, veritas et bonitas, denominant seipsa ea ratione, quia unum, verum et bonum consequuntur ad ens. Cum autem ens sit primum quod in intellectu concipitur oportet quod quidquid in intellectum cadit, intelligatur ut ens, et per consequens ut unum, verum et bonum. Unde cum intellectus apprehendat essentiam, unitatem, veritatem et bonitatem in abstracto, oportet quod de quolibet eorum praedicetur, ens, et alia tria concreta. Et inde est quod ista denominant seipsa, non autem alia quae non convertuntur cum ente.

Pour ce qui est objecté en sens contraire, selon ce qui a été dit, il est facile de répondre à ceux qui considèrent en quoi ils limitent la vérité. Cependant il faut considérer que ce qui était abordé dans ces objections les transcendantaux de ce genre, à savoir l’essence, l’unité, la vérité et la bonté, signifient eux-mêmes par cette raison que l’un, le vrai et le bien supposent l’étant. Mais comme l’étant est le premier qui est conçu par l’esprit, il faut que quelque chose arrive dans l’esprit et soit compris comme étant, et par conséquent comme un, vrai et bon. C’est pourquoi, comme l’esprit saisit l’essence, l’unité, la vérité et la bonté dans l’abstrait, il faut que soit attribué à chacun d’eux l’étant et les trois autres concrets. Et de là vient qu’ils se signifient eux-mêmes, mais pas les autres qui ne se convertissent pas avec l’étant.

 

1 Parall.: Ia, qu. 30, a. 3 — I Sent. d24a3 —Qdl, X, qu. 1, a. 1. "Son énoncé met en discussion l’opinion du Lombard… qui a recours à la voie négative. ‘un’ et ‘trois’, à propos de Dieu, n’y disent rien de positif, mais en nient quelque limite" Éd. des Jeunes, p. 189, Cf. I Sent., d24q1.

2 Sabellius Cf. Pot. 1, 1, note, et 8, 1 et 8, 2.

3 Les transcendantaux.

4 Cf. Métaphysique, V, 6, 1016 b 26 ss..

5 Thomas dit cela de manière plus abstraite dans le de veritate, qu. 1, a. 1, c: "De même que dans ce qu’on démontre il faut en revenir à des principes connus par soi par l’esprit (donc évident), de même en cherchant ce que c’est, autrement dans les deux cas on irait à l’infini et ainsi périrait toute connaissance."

6 "Et parce que le nombre est composé d’unités (Pythagore et Platon) ont cru que les nombres seraient la substance de toutes choses" (Ia, qu. 11, a. 1, ad 1. Il y a chez eux confusion entre l’unité transcendantale et l’unité prédicamentale qui est l’unité d’une chose quantifiée, considérée comme indivisible et reçue comme mesure de quantité.

7 Avicenne, Métaphysique, Trad. III, c. 2, 3 (p. 160 ss)

8 "…de sorte que la pluralité est logiquement antérieure à l’indivisible, en raison des conditions de perception." (Trad. J. Tricot)

 

 

Article 8: Y a-t-il de la diversité en Dieu?

q. 9 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum in Deo sit aliqua diversitas. Et videtur quod sic.

Il semble que oui1.

Objections:

q. 9 a. 8 arg. 1 Quia, secundum philosophum, unum in substantia facit idem, multitudo autem in substantia facit diversum. In divinis autem est multitudo secundum substantiam, dicit enim Hilarius, quod pater et filius et spiritus sanctus sunt per substantiam tria, per consonantiam vero unum. Ergo in divinis est diversitas.

1. Parce que, selon le philosophe (Métaphysique V, 6, 1015 b 18), l’unité dans la substance fait l’identique, mais la pluralité apporte en elle la diversité. Mais en Dieu, il y a pluralité selon la substance, car Hilaire dit (Les Synodes) que le Père, le Fils et l’Esprit saint sont trois par la substance, mais un par accord. Donc en Dieu il y a de la diversité.

q. 9 a. 8 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, diversum dicitur absolute, differens vero relative; unde omne differens est diversum, non autem omne diversum est differens. Sed in divinis conceditur esse differentia; dicit enim Damascenus: differentiam personarum in tribus proprietatibus, id est paternali et filiali et processibili recognoscimus. Ergo in divinis est diversitas.

2. Selon le philosophe (Métaphysique X, 3, 1054 b 23 ss2.) on parle de divers absolument, de différent relativement; c’est pourquoi tout ce qui est différent est divers, mais tout ce qui est divers n’est pas différent. Mais en Dieu on concède qu’il y a des différences; car Jean Damascène (La foi orthodoxe III) dit: "Nous reconnaissons la différence des personnes en trois propriétés, c'est-à-dire la paternité, la filiation et la procession." Donc il y a de la diversité en Dieu.

q. 9 a. 8 arg. 3 Praeterea, differentia accidentalis facit alterum solum; differentia vero substantialis facit aliud, idest diversum. Cum ergo in divinis sit differentia, et non possit ibi esse accidentalis differentia,- et per consequens oportet quod sit differentia substantialis,- oportet quod sit ibi diversitas.

3. La différence accidentelle rend différent seulement, mais la différence substantielle fait que quelque chose est autre, c'est-à-dire divers. Donc comme en Dieu il y a une différence et qu’il ne peut pas y avoir là de différence accidentelle, — par conséquent il faut que ce soit une différence substantielle — il faut qu’il y ait diversité.

q. 9 a. 8 arg. 4 Praeterea, multitudo causatur ex divisione, sicut iam dictum est. Ubi autem est divisio sequitur diversitas. Ergo in divinis cum sit multitudo, erit ibi diversitas.

4. La pluralité est causée par la division, comme on l’a déjà dit (article précédent, qu. 9, a. 7, sol. 15). Mais là où il y a division découle la diversité. Donc en Dieu, comme il y a pluralité, il y a diversité.

q. 9 a. 8 arg. 5 Praeterea, idem et diversum sufficienter dividunt ens. Sed pater non est idem filio: non enim conceditur quod pater generando filium, generet se Deum. Ergo filius est diversus a patre.

5. Le même et le divers divisent suffisamment l’étant. Mais le Père n’est pas le même que le Fils, car il n’a pas été concédé que le Père en engendrant le Fils s’engendrerait Dieu3. Donc le Fils est différent du Père.

En sens contraire:

q. 9 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Est quod Hilarius dicit: nihil in divinis novum, nihil diversum, nihil alienum, nihil separabile.

1. Il y a ce que dit Hilaire (La Trinité, VII): "Rien de nouveau en Dieu, rien de divers, rien d’étranger, rien de séparable."

q. 9 a. 8 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: pater et filius divinitate unum sunt, nec est ibi substantiae differentia, nec ulla diversitas.

2. Ambroise dit (La Trinité): "Le Père et le Fils sont un par la divinité, et il n’y a pas de différence de substance, ni aucune diversité."

Réponse:

q. 9 a. 8 co. Respondeo. Dicendum quod, sicut dicit Hieronymus, ex verbis inordinate prolatis, incurritur haeresis. Et ideo sic loquendum est de divinis ut nulla errori occasio praebeatur. Fuerunt autem circa divina duo errores, praecipue cavendi ab illis qui de unitate et Trinitate in divinis loquuntur: scilicet error Arii, qui unitatem essentiae negavit, ponens aliam essentiam esse patris et aliam filii. Alius error est Sabelli, qui negavit pluralitatem personarum dicens, eumdem esse patrem qui est filius.

Il faut dire, comme Jérôme, que l’hérésie provient des paroles proférées sans mesure. Et c’est pourquoi il faut parler de Dieu, de sorte qu’il n’y ait aucune occasion donnée à l’erreur. Mais il y a surtout deux erreurs à propos de Dieu, qui doivent être évitées par ceux qui parlent d’unité et de Trinité: à savoir l’erreur d’Arius qui a nié l’unité de l’essence, en établissant que celle du Père était différente de celle du Fils. L’autre erreur est celle de Sabellius, qui a nié la pluralité des personnes, en disant que le Père était le même que le Fils.

Ad evitandum ergo errorem Arii sunt nobis quatuor cavenda in fidei confessione:

primo diversitas per quam tollitur unitas essentiae, quam confitemur dicendo esse unum Deum;

secundo divisio, quae obviat divinae simplicitati;

Donc pour éviter l’erreur d’Arius, il faut faire attention dans la confession de la foi à quatre sujets:

a) La diversité par laquelle on enlève l’unité de l’essence que nous confessons en disant qu’il y a un seul Dieu.

b) La division qui s’oppose à la simplicité divine.

tertio disparitas, quae repugnat aequalitati divinarum personarum;

quarto ut non confiteamur filium esse alienum a patre, per quod tollitur similitudo.

c) La disparité qui s’oppose à l’égalité des personnes divines.

d) Ne pas confesser que le Fils est étranger au Père, ce qui supprime la ressemblance.

Similiter contra errorem Sabelli sunt quatuor cavenda.

Primo singularitas, per quam tollitur naturae divinae communicabilitas;

secundo nomen unici, per quod tollitur realis distinctio personarum;

De la même manière contre l’erreur de Sabellius, il faut faire attention à quatre sujets:

a) La singularité par laquelle est supprimée la communicabilité de la nature divine

b) Le nom d’unique par lequel est supprimée la réelle distinction des personnes.

tertio confusio, per quam tollitur ordo qui est in divinis personis;

c) La confusion, par laquelle est supprimé l’ordre qui est dans les personnes divines.

quarto solitudo, per quam tollitur consociatio divinarum personarum.

d) La solitude par laquelle est supprimée la communion des personnes divines.

Confitemur autem contra diversitatem, unitatem essentiae; contra divisionem, simplicitatem; contra disparitatem, aequalitatem; contra alienum, similitudinem; contra singularitatem personarum, pluralitatem; contra unicum, distinctionem; contra confusionem, discretionem; contra solitarium, consonantiam et connexionem amoris.

Aussi nous confessons contre la diversité, l’unité de l’essence; contre la division, la simplicité, contre la disparité, l’égalité, contre la rupture la ressemblance, contre la singularité des personnes la pluralité, contre l’unicité, la quantité discrète, contre la confusion, la distinction, contre la solitude, l’accord et l’union de l’amour.

Solutions:

q. 9 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia accipitur ibi pro hypostasi, non pro essentia, cuius multitudo faceret diversitatem.

# 1. Donc il faut dire que la substance y est reçue pour l’hypostase, non pour l’essence, dont la pluralité causerait la diversité.

q. 9 a. 8 ad 2 Ad secundum dicendum quod, licet a quibusdam doctoribus Ecclesiae inveniatur nomen differentiae circa divina, non tamen est communiter utendum, nec ampliandum, quia differentia importat distinctionem aliquam secundum formam, quae non potest esse in divinis, cum forma Dei sit divina natura, ut Augustinus dicit. Sed exponenda est differentia, ut ponatur pro distinctione, quae minimum distinctionis importat; cum etiam secundum relationes vel secundum solam rationem aliqua distingui dicantur. Sic etiam exponendum est, si inveniatur diversitas in divinis; utpote si dicatur quod diversa est persona patris a persona filii, accipiendum est diversum pro distincto. Magis tamen cavendum est nomen diversitatis in divinis quam differentiae; quia diversitas magis pertinet ad essentialem divisionem, nam qualiscumque formarum multitudo facit differentiam; diversitas autem fit solum per formas substantiales.

# 2. Bien que certains docteurs de l’Église emploient le nom de différence à propos de Dieu, il ne faut cependant pas s’en servir communément, ni élargir son emploi, parce que la différence apporte une distinction selon la forme qui ne peut pas exister en Dieu, puisque la forme de Dieu est sa nature divine, comme Augustin le dit. Mais il faut exposer la différence pour poser comme distinction ce qui apporte un minimum de distinction, puisqu’on dit aussi que certaines choses sont distinguées selon les relations par la seule raison. Mais il faut montrer aussi, si on trouve la diversité en Dieu, que, si on disait que la personne du Père est ‘diverse’ de celle du fils, il faut prendre diverse pour distinct. Cependant il faut faire attention plus au nom de diversité en Dieu qu’à celui de différence; parce que la diversité convient plus à la division essentielle, car n’importe quelle pluralité des formes fait la différence; mais la diversité se fait seulement par les formes substantielles.

q. 9 a. 8 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet in divinis non sit accidens, est tamen ibi relatio, cuius oppositio distinctionem facit in divinis, non autem diversitatem.

# 3. Bien qu’en Dieu il n’y ait pas d’accident, il y a cependant une relation, dont l’opposition produit la distinction en lui mais pas la diversité.

q. 9 a. 8 ad 4 Ad quartum dicendum quod, licet in divinis non sit proprie loquendo divisio, est tamen ibi distinctio per relationes, quae sufficit ad numerum personarum.

# 4. Bien qu’en Dieu il n’y ait pas à proprement parler de division, il y a cependant une distinction par les relations qui suffit pour le nombre des personnes.

q. 9 a. 8 ad 5 Ad quintum dicendum quod filius est idem Deus cum patre; non tamen potest dici quod pater se Deum genuerit, filium generando: quia ly se, cum sit reciprocum, refert idem suppositum: pater autem et filius sunt duo supposita in divinis.

# 5. Le Fils est un même Dieu que le Père; on ne peut cependant pas dire que le Père s’est engendré comme Dieu, en engendrant le Fils, parce que, comme le pronom se est réciproque, il remplace le même suppôt; mais le Père et le Fils sont deux suppôts en Dieu.

 

1 Parall.: Ia, qu. 31, a. 3 — I Sent. D. 9, qu. 1 — D. 19, qu. 1, a. 1, ad 2 — D. 24, qu. 2, a. 1.

2 "Pour deux êtres qui sont autres, il n’est pas nécessaire que l’altérité porte sur quelque chose de défini; car tout ce qui existant est autre ou le même; par contre ce qui est différent doit différer d’une chose déterminée par quelque endroit déterminé, de sorte qu’il faut nécessairement qu’il y ait un élément identique par quoi les choses diffèrent." (Autre correspond ici à divers)Thomas, lectio 4, n° 2017: "…car deux [choses] dont l’une est ‘diverse’ de l’autre, il n’est pas nécessaire qu’elle le soit par quelque chose (per aliquid)…". 2018: "Mais ce qui est différent doit être différent par quelque chose. C’est pourquoi il est nécessaire que ce par quoi ils diffèrent, soit quelque chose de semblable (idem) en ce qui ne diffèrent pas ainsi. Ce qui est le même en plusieurs c’est le genre ou l’espèce. Donc tout ce qui est différent diffère en genre ou en espèce."

3 Cf. I sent. d4q1a2.

 

 

Article 9: En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins?

q. 9 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum in divinis sint tres personae tantum, an plures vel pauciores. Et videtur quod plures.

Il semble qu’il y en a plus.

Objections1:

q. 9 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus in libro contra Maximinum: filius non genuit creatorem; neque enim non potuit, sed non oportuit. In divinis autem non differt esse et posse, quia nec in aliquibus sempiternis. Ergo filius genuit alium filium; et sic sunt duo filii in divinis, et per consequens plures personae quam tres.

1. Augustin dit (Contre Maximinien, III, 11): "Le Fils n’a pas engendré le créateur, car ce n’est pas qu’il ne l’a pas pu, mais il ne l’a pas fallu". Mais en Dieu être et pouvoir ne diffèrent pas, parce qu’ils ne diffèrent pas dans les êtres éternels non plus (selon le philosophe, Physique III, 4 203 b 282). Donc le Fils a engendré un autre Fils et ainsi il y a deux fils en Dieu et par conséquent il y a plus de trois personnes.

q. 9 a. 9 arg. 2 Sed diceretur, quod hoc quod dicit: neque enim non potuit, exponendum est: idest, non ex impotentia fuit.- Sed contra, unicuique supposito alicuius naturae convenit actus naturae illius, nisi propter eius impotentiam. Generatio autem est actus ad perfectionem naturae divinae pertinens; alioquin non conveniret patri, in quo non est nisi quod perfectionis est. Si ergo filius non generat alium filium, hoc erit ex impotentia eius.

2. Mais on pourrait dire que ce qu’il dit: "Car c’est qu’il ne l’a pas pu" doit être exposé ainsi: cela ne vient pas de l’impuissance — En sens contraire, à chaque suppôt d’une certaine nature convient l’acte de cette nature, à moins que ce soit à cause de son impuissance. Mais la génération est un acte qui convient à la perfection de la nature divine, autrement elle ne conviendrait pas au Père en qui il n’y a que perfection. Si donc le Fils n’a pas engendré un autre fils, cela viendra de son impuissance.

q. 9 a. 9 arg. 3 Praeterea, si filius non potest generare, potest autem generari; habet ergo potentiam ut generetur, non potentiam ut generet. Aliud autem est generare, et aliud generari. Cum ergo potentiae distinguantur penes obiecta, non erit eadem potentia patris et filii, quod est haereticum.

3. Si le Fils ne peut engendrer, il peut cependant être engendré; donc il a la puissance d’être engendré et pas celle d’engendrer. Mais engendrer et être engendré sont deux [puissances] différentes. Donc puisqu’elles sont distinguées par leurs objets, il n’y aura pas la même puissance pour le Père et le Fils, ce qui est hérétique.

q. 9 a. 9 arg. 4 Praeterea, actio et passio in his quae agunt et patiuntur, reducuntur ad diversa principia; nam agit aliquid per rationem formae in rebus creatis, patitur vero ratione materiae. Generare autem et generari significantur per modum actionis et passionis. Ergo oportet quod ad diversa principia referantur; et sic non potest esse una potentia qua pater generat, et qua filius generatur.

4. L’action et la passion, en ce qui agit ou subit, sont ramenées à des principes différents; car une chose agit en raison de la forme dans les créatures, et subit en raison de la matière. Mais engendrer et être engendré sont signifiés par l’action et la passion. Donc il faut qu’ils soient référés à des principes différents et ainsi il ne peut pas n’y avoir qu’une seule puissance par laquelle le Père engendre et le Fils est engendré.

q. 9 a. 9 arg. 5 Sed diceretur, quod est eadem potentia, in quantum utraque radicatur in essentia divina, quae una est patris et filii.- Sed contra, potentia calefaciendi et desiccandi radicantur in uno subiecto, scilicet igne; nec tamen est una et eadem potentia: alia enim qualitas est calor, qui est principium calefaciendi, et alia siccitas, quae est principium desiccandi. Ergo unitas divinae essentiae non sufficit ad hoc quod sit eadem potentia qua pater generat et filius generatur.

5. Mais on pourrait dire que c’est la même puissance, dans la mesure où l’une et l’autre prennent leur source dans l’essence divine, qui est unique pour le Père et le Fils. En sens contraire, la puissance de chauffer et celle de sécher prennent leur source dans un seul sujet, à savoir le feu; et cependant ce n’est pas une seule et même puissance; car la qualité de la chaleur qui est le principe de l’échauffement est différente de l’assèchement qui est le principe du séchage. Donc l’unité de l’essence divine ne suffit pas pour que la puissance par laquelle le Père engendre et celle par laquelle le Fils est engendré soient identiques.

q. 9 a. 9 arg. 6 Praeterea, omnis sapiens et intelligens ex sua sapientia aliquam conceptionem habet. Sed filius est sapiens et intelligens, sicut et pater. Ergo habet aliquam conceptionem. Conceptio autem patris est verbum: quod est filius. Ergo filius etiam habet alium filium.

6. Tout être sage et intelligent tire une conception par sa sagesse. Mais le Fils est sage et intelligent, comme le Père. Donc il a une conception3. Mais celle du Père est le Verbe, qui est le Fils. Donc le Fils aussi a un autre fils.

q. 9 a. 9 arg. 7 Sed diceretur, quod verbum dicitur in divinis non solum personaliter, sed essentialiter; et sic verbum essentialiter dictum potest esse conceptio filii.- Sed contra, verbum dicit speciem conceptam ordinatam ad manifestationem, et ita importat originem. Quae autem important originem in divinis, dicuntur personaliter, et non essentialiter. Ergo verbum essentialiter dici non potest.

7. Mais on pourrait dire qu’on parle du verbe en Dieu, non seulement personnellement mais aussi selon l’essence; et ainsi le verbe, si on en parle selon l’essence peut être la conception du Fils. — En sens contraire, le verbe annonce l’espèce conçue ordonnée à une manifestation et ainsi il apporte l’origine. Mais on parle de ce qui apporte l’origine en Dieu selon la personne et non selon l’essence. Donc on ne peut pas parler du verbe selon l’essence.

q. 9 a. 9 arg. 8 Praeterea, Anselmus dicit in Monologio, quod sicut pater dicit se, ita et filius et spiritus sanctus. Idem autem est patrem dicere se, quod generare filium, ut ipse ibidem dicit. Ergo filius generat alium filium; et sic idem quod prius.

8. Anselme dit dans le Monologium (62), que, de même que le Père se dit; le Fils et l’Esprit saint aussi. C’est la même chose pour le Père de se dire et d’engendrer le Fils, comme Anselme lui même le dit. Donc le Fils engendre un autre Fils et ainsi de même que ci-dessus.

q. 9 a. 9 arg. 9 Praeterea, ex hoc probatur quod Deus generat, quia generationem aliis tribuit, secundum illud Isai. LXVI, 9: si ego qui generationem caeteris tribuo, sterilis ero? Dicit dominus. Sicut autem pater dat generationem, ita et filius, quia indivisa sunt opera Trinitatis, et filius generat filium.

9. On prouve que Dieu engendre, du fait qu’il accorde la génération à d’autres, selon cette parole d’Isaïe (65, 9): "Ainsi moi, qui apporte la génération aux autres, serai-je stérile? dit le Seigneur." De même que le Père donne la génération, le Fils aussi parce que les œuvres de la Trinité ne sont pas divisées et le Fils engendre un fils.

q. 9 a. 9 arg. 10 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. ad Orosium, quod pater generat filium natura. Damascenus etiam dicit, quod generatio est opus naturae. Eadem autem est natura patris et filii. Ergo sicut pater generat, ita et filius; sunt ergo plures filii in divinis, et ita plures personae quam tres.

10. Augustin dit (A Orose, Dialogue sur les 65 quest. ch. 74) que le Père engendre le Fils par nature; Jean Damascène dit aussi que la génération est l’œuvre de la nature. La nature du Père est identique à celle du Fils. Donc de même que le Père engendre, le Fils aussi, donc il y a plusieurs fils en Dieu et ainsi plus de trois personnes.

q. 9 a. 9 arg. 11 Sed dicendum, quod ea ratione non possunt esse plures filii in divinis, quia non potest ibi esse nisi una filiatio; forma enim unius speciei non multiplicatur nisi per divisionem materiae, quae nulla est in divinis.- Sed contra, omnis differentia nata est facere pluralitatem. Potest autem esse differentia inter duas filiationes, non solum ex materia, sed etiam ex hoc quod haec filiatio est talis, illa vero talis. Ergo nihil prohibet plures filiationes ponere in divinis, licet ibi non sit materia.

11. Mais il faut dire qu’il ne peut pas y avoir plusieurs fils en Dieu, parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule filiation; car la forme d’une espèce n’est multipliée que par la division de la matière, qui n’existe pas en Dieu. — En sens contraire, toute différence est destinée à provoquer la pluralité. Mais il peut y avoir une différence entre deux filiations, non seulement par la matière, mais aussi du fait que cette filiation est différente d’une autre. Donc rien n’empêche de placer plusieurs filiations en Dieu, bien qu’il n’y ait pas de matière.

q. 9 a. 9 arg. 12 Praeterea, filius procedit a patre sicut splendor a sole, secundum illud Hebr., I, 3: cum sit splendor gloriae. Sed splendor etiam potest alium splendorem producere. Ergo et filius potest alium filium generare; et sic sequitur quod in divinis sint plures filii, et personae plures tribus.

12. Le Fils procède du Père comme la splendeur procède du soleil, selon ce mot de Héb. 1, 3: "Puisqu’il est la splendeur de gloire" Mais la splendeur peut aussi produire une autre splendeur. Donc le Fils aussi peut engendrer un autre Fils et ainsi il en découle qu’en Dieu il y a plusieurs fils et plus de trois personnes.

q. 9 a. 9 arg. 13 Praeterea, spiritus sanctus est amor quo pater diligit filium. Sed etiam spiritum sanctum amat pater. Ergo oportet quod sit alius spiritus quo pater amat spiritum sanctum; et sic quatuor sunt personae in divinis.

13. L’Esprit saint est l’amour par lequel le Père aime le Fils. Mais il aime aussi l’Esprit saint. Donc il faut qu’il y ait un autre esprit par lequel le Père aime l’Esprit et ainsi il y a quatre personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 arg. 14 Praeterea, secundum Dionysium bonum est communicativum sui. Bonitas autem spiritui sancto appropriatur, sicut potentia patri et sapientia filio. Ergo propriissime ad spiritum sanctum pertinere videtur quod naturam divinam alii personae communicet; et sic sunt plures tribus personis in divinis.

14. Selon Denys (Les Noms divins, 45), le bien se communique. Mais la bonté est appropriée à l’Esprit saint, comme la puissance au Père et la sagesse au Fils. Donc il semble convenir tout à fait au sens propre que l’Esprit saint communique la nature divine à une autre personne et ainsi il y a plus de trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in IV Meteororum, perfectum unumquodque est, quando potest sibi simile ex se producere. Spiritus autem sanctus est perfectus Deus. Ergo potest aliam divinam personam producere; ergo, et cetera.

15. Selon le philosophe (Météores IV, de l’Âme II, 4, 415 a 25), chaque chose est parfaite quand elle peut produire du semblable à elle. Mais l’Esprit saint est un Dieu parfait. Donc il peut produire une autre personne divine, donc, etc..

q. 9 a. 9 arg. 16 Praeterea, filius a patre divinam naturam non recipit perfectius quam spiritus sanctus. Recipit autem filius a patre divinam naturam non solum passive (ut ita dixerim) quasi ab eo genitus, sed etiam active, quia potest eamdem naturam alii communicare. Ergo et spiritus sanctus divinam naturam potest alii personae communicare.

16. Le Fils n’a pas reçu du Père la nature divine plus parfaitement que l’Esprit saint, mais il a reçu du Père la nature divine non seulement de façon passive (pour ainsi dire) comme engendré par lui, mais aussi de façon active, parce qu’il peut communiquer cette même nature à un autre. Donc l’Esprit saint peut communiquer la nature divine à une autre personne.

q. 9 a. 9 arg. 17 Praeterea, quod est perfectionis in rebus creatis, oportet Deo attribui. Communicare autem naturam ad perfectionem in rebus creatis pertinet, licet modus communicandi aliquam imperfectionem habeat, in quantum talem communicationem consequitur aliqua divisio, vel aliqua transmutatio generantis. Ergo communicare divinam naturam est perfectionis in Deo; et ita spiritui sancto est attribuendum. Procedit ergo a spiritu sancto aliqua divina persona; et sic sequitur quod in divinis sint personae plures tribus.

17. Ce qui concerne la perfection dans les créatures, doit être attribué à Dieu, mais communiquer la nature convient à la perfection, bien que ce mode de communication ait quelque imperfection, dans la mesure où il en découle une division, ou quelque changement de celui qui engendre. Donc communiquer la nature divine appartient à la perfection de Dieu; et ainsi il faut l’attribuer à l’Esprit saint. Donc une personne divine procède de l’Esprit saint et il en découle qu’il y a plus de trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 arg. 18 Praeterea, sicut divinitas est quoddam bonum in patre, ita et paternitas. Ex eo autem quod nullius boni sine consortio potest esse iucunda possessio, probatur a quibusdam quod sunt plures habentes divinam naturam. Ergo pari ratione sunt plures patres in divinis; et similiter plures filii, et plures spiritus sancti; et ita personae plures tribus.

18. De même que la divinité est un bien dans le Père, la paternité aussi. Du fait qu’une possession agréable6 ne peut exister sans partage d’aucun bien, certains prouvent qu’il y a plus de personnes qui ont la nature divine. Donc à raison égale, il y a plusieurs pères et de même plusieurs fils et plusieurs esprits saints. Et ainsi les personnes sont plus de trois.

q. 9 a. 9 arg. 19 Praeterea, filius et spiritus videntur distingui ab invicem in hoc quod filius procedit a patre per modum intellectus ut verbum: spiritus sanctus per modum voluntatis ut amor. Sunt autem plura attributa essentialia quam voluntas et intellectus, ut bonitas, potentia et huiusmodi. Ergo plures personae procedunt a patre quam filius et spiritus sanctus.

19. Le Fils et l’Esprit semblent se distinguer entre eux du fait que le Fils procède du Père par mode d’intellect comme Verbe, l’Esprit saint par mode de volonté comme amour. Mais il y a plus d’attributs essentiels que la volonté et l’intellect, comme la bonté, la puissance, etc.. Donc il y a plus de personnes qui procèdent du Père que le Fils et l’Esprit saint.

q. 9 a. 9 arg. 20 Praeterea, processio naturae plus videtur differre a processione intellectus quam processio voluntatis. In rebus autem creatis processionem intellectus semper concomitatur processio voluntatis, quia quaecumque aliquid intelligunt, etiam aliquid volunt; processionem autem naturae non semper concomitatur processio intellectus quia non in omnibus quae naturaliter generant, intellectus invenitur. Si ergo persona quae procedit per modum voluntatis ut amor, est alia in divinis a persona quae procedit per modum intellectus ut verbum, etiam erit persona quae procedit per modum intellectus ut verbum, alia a persona quae procedit per modum naturae ut filius. Sunt ergo tres personae procedentes in divinis, et una non procedens; et sic sunt quatuor personae.

20. La procession de nature paraît différer davantage de la procession de l’esprit que de celle de la volonté. Dans les créatures, la procession de la volonté est toujours concomitante avec celle de l’esprit, parce que tout ce qui comprend quelque chose le veut aussi; mais la procession de l’esprit n’est pas toujours concomitante avec celle de la nature, parce que ce n’est pas dans tout ce qui engendre naturellement qu’on trouve l’esprit. Donc si la personne qui procède par mode de volonté comme amour, est autre en Dieu que la personne qui procède par mode d’intellect, comme verbe, la personne qui procède de l'esprit comme verbe sera autre que celle qui procède par nature comme fils. Donc il y a trois personnes qui procèdent en Dieu et une qui ne procède pas et ainsi il y a quatre personnes.

q. 9 a. 9 arg. 21 Praeterea, personae multiplicantur in divinis propter relationes, quae subsistunt. Ponuntur autem in divinis quinque relativae notiones, scilicet paternitas, filiatio, processio, innascibilitas, et communis spiratio. Sunt ergo quinque personae in divinis.

21. Les personnes sont multipliées en Dieu en raison des relations qui subsistent. Mais on place en lui cinq notions relatives, à savoir: la paternité, la filiation, la procession, l’innascibilité et la spiration commune. Donc il y a cinq personnes.

q. 9 a. 9 arg. 22 Praeterea, relationes quae ab aeterno de Deo dicuntur, non sunt in creaturis, sed in Deo. Quidquid autem est in Deo, est subsistens, cum in Deo non sit aliquod accidens. Omnes ergo relationes quae ab aeterno Deo conveniunt, sunt subsistentes, et per consequens sunt personae. Tales autem sunt infinitae; nam ideae rerum creatarum ab aeterno sunt in Deo, quae non distinguuntur ab invicem nisi per respectus ad creaturas. Sunt ergo infinitae personae in divinis.

22. Les relations qu’on dit éternelles en Dieu n’existent pas dans les créatures, mais en lui. Tout ce qui est en lui est subsistant puisqu’il n’y a en lui aucun accident. Donc toutes les relations, qui conviennent éternellement à Dieu, sont subsistantes et par conséquent sont des personnes. De telles relations sont infinies, car les idées des créatures sont éternellement en Dieu; elles ne sont distinguées entre elles que par des rapports aux créatures. Donc les personnes sont en Dieu à l’infini.

q. 9 a. 9 arg. 23 Sed contra, videtur quod sint pauciores tribus.

23. En sens contraire: il semble qu’elles sont moins de trois.

In una enim natura non est nisi unus modus communicationis illius naturae; unde, secundum Commentatorem, animalia quae generantur ex semine, non sunt unius speciei cum animalibus ex putrefactione generatis. Divina autem natura est maxime una. Ergo non potest communicare nisi uno modo. Sic ergo non possunt esse nisi duae personae, una divinitatem communicans per aliquem modum, et persona per illum modum divinitatem recipiens.

Car dans une seule nature il n'y a qu’un mode de communication; c’est pourquoi, selon le Commentateur (Physique VIII), les animaux qui sont engendrés par semence ne sont pas de la même espèce que les animaux engendrés par putréfaction. Mais la nature divine est tout à fait une. Donc elle ne peut communiquer que d’une seule manière. Donc ainsi il ne peut y avoir que deux personnes, une qui communique la divinité d’une manière et la personne qui la reçoit de cette manière.

q. 9 a. 9 arg. 24 Praeterea, Hilarius, ostendit filium naturaliter a patre procedere, quia talis existit qualis Deus est; creaturas vero a Deo procedere voluntarie, quia tales sunt quales eas voluit Deus esse, non qualis est Deus. Sed spiritus sanctus, sicut et filius, talis est qualis est Deus pater. Ergo spiritus sanctus procedit naturaliter a patre, sicut et filius. Non ergo est distinctio inter spiritum sanctum et filium ex eo quod filius procedit per modum naturae non autem spiritus sanctus.

24. Hilaire (Les Synodes7) montre que le Fils procède naturellement du Père, parce qu’il existe tel que Dieu est; mais les créatures procèdent de Dieu volontairement, parce qu’elles sont telles qu’il les a voulues, non telles que Dieu. Mais l’Esprit saint comme le Fils aussi est tel que Dieu le Père. Donc l’Esprit saint procède naturellement du Père comme le Fils. Il n’y a donc pas de distinction entre l’Esprit saint et le Fils du fait que celui-ci procède par mode de nature mais pas l’Esprit saint.

q. 9 a. 9 arg. 25 Praeterea, natura voluntatis et intellectus non differunt in Deo nisi secundum rationem tantum. Ergo processio per modum naturae et intellectus et voluntatis non differunt in Deo nisi ratione tantum. Si ergo per hoc distinguuntur filius et spiritus sanctus, quod unus procedit per modum naturae vel intellectus, et alius per modum voluntatis, non erunt distincti nisi secundum rationem. Ergo non erunt duae personae, cum pluralitas personarum, rerum pluralitatem importet.

25. La nature de la volonté et celle de l’intellect en Dieu ne sont différentes qu’en raison seulement. Donc la procession par mode de nature, celle par mode d’intellect et celle par mode de volonté ne diffèrent qu’en raison seulement. Si donc le Fils et l’Esprit saint sont distingués, parce que l’un procède par mode de nature ou d’intellect, l’autre par mode de volonté, ils ne sont différents qu’en raison. Donc il n’y aura que deux personnes, puisque la pluralité des personnes apporte la pluralité des réalités.

q. 9 a. 9 arg. 26 Praeterea, personae in divinis distinguuntur solum secundum relationes originis. Ad designandam autem originem sufficiunt duae relationes, scilicet a quo alius, et qui ab alio. Ergo in divinis non sunt nisi duae personae.

26. Les personnes en Dieu se distinguent seulement selon les relations d’origine. Pour désigner l’origine, il suffit de deux relations, à savoir "celui par qui il est autre" et "celui qui est d’un autre8". Donc en Dieu il n’y a que deux personnes.

q. 9 a. 9 arg. 27 Praeterea, omnis relatio exigit duo extrema. Sicut ergo in divinis personae non distinguuntur nisi secundum relationem: ita oportet quod sint in divinis vel duae relationes, et sic erunt quatuor personae; vel una relatio tantum, et sic erunt solum duae personae.

27. Toute relation exige deux extrêmes. Donc de même qu’en Dieu les personnes ne sont distinguées que par la relation, il faut qu’il y ait en lui ou bien deux relations et ainsi il y aura quatre personnes, ou bien une seule et il y aura seulement deux personnes.

En sens contraire:

q. 9 a. 9 s. c. 1 Sed contra, videtur quod sint tantum tres personae in divinis, per hoc quod dicitur I Ioan. V, 7: tres sunt qui testimonium dant in caelo. Interrogantibus autem quid tres, respondit Ecclesia, quod tres personae, ut dicit Augustinus. Ergo in divinis sunt tres personae.

# 1.Il semble qu’il n’y a que trois personnes en Dieu. Par le fait qu’il est dit en I Jn 5, 7: "Ils sont trois qui portent témoignages dans le ciel9.". Mais à ceux qui demandent qui sont ces trois, l’Église répond: trois personnes, comme le dit Augustin (La Trinité, VII, 4). Donc en Dieu il y a trois personnes.

q. 9 a. 9 s. c. 2 Praeterea, ad perfectionem divinae bonitatis, felicitatis et gloriae requiritur, quod sit in Deo vera et perfecta caritas; nihil enim est caritate melius, nihil caritate perfectius, ut dicit Richardus in III de Trinitate. Felicitas autem absque iucunditate non est, quae maxime per caritatem habetur. Ut enim in eodem libro dicitur, nihil caritate dulcius, nihil caritate iucundius, caritatis deliciis rationalis vita nihil dulcius experitur, nulla delectatione delectabilius fruitur. Perfectio etiam gloriae in quadam magnificentia perfectae communicationis consistit, quam caritas facit. Vera autem et perfecta caritas requirit in divinis ternarium numerum personarum. Amor enim quo aliquis se tantum diligit, est amor privatus, et non caritas vera. Alium autem summe Deus diligere non potest qui non sit summe diligibilis; nec summe diligibilis est, nisi sit summe bonus. Unde patet quod vera caritas in Deo summa esse non potest si sit ibi tantum una persona; nec etiam perfecta, si sint duae tantum: quia ad perfectionem caritatis requiritur quod amans velit id quod ab eo amatur, etiam aeque ab alio diligi. Indicium namque magnae infirmitatis est non posse pati consortium amoris; posse vero pati, signum magnae perfectionis. Magis gratanter suscipere, maximo est desiderio requirere, ut dicit Richardus in eodem Lib. Oportet ergo, si sit in Deo perfectio bonitatis, felicitatis et gloriae, quod sit in divinis ternarius personarum numerus.

#2. Pour la perfection de la divine bonté, de son bonheur et de sa gloire, il est requis qu’il y ait en Dieu une charité vraie et parfaite, car rien n’est meilleur, rien de plus parfait que la charité comme le dit Richard (La Trinité, III, 2). Mais le bonheur n’existe pas sans la joie; qui est surtout possédée par la charité. En effet, comme il est dit dans le même livre ( ch. 5):"Rien n’est plus doux que la charité, rien de plus joyeux. La vie raisonnable n’éprouve rien de plus doux que les délices de la charité, ne jouit plus agréablement d’aucun plaisir". Mais la perfection de la gloire consiste dans une certaine magnificence de la communication parfaite qu’opère la charité. Mais la charité vraie et parfaite requiert en Dieu le nombre de trois personnes. Car l’amour par lequel quelqu’un s’aime seulement est un amour privé, et non une charité vraie. Dieu ne peut pas aimer un autre absolument qui ne soit pas absolument digne d’amour; et il n’est pas absolument digne d’amour s’il n’est pas suprêmement bon. C’est pourquoi il est clair que la vraie charité en Dieu ne peut pas être parfaite, s’il n’y a qu’une personne seulement, et elle n’est pas parfaite, s’il y a deux personnes seulement, parce que pour la perfection de la charité il est requis que celui qui aime veuille ce que l’autre aime, et aussi être aimé également par un autre. Car c’est une marque de grande faiblesse de ne pas pouvoir supporter l’accord de l’amour; mais pouvoir supporter est le signe d’une grande perfection. "Recevoir avec plus de reconnaissance c’est rechercher avec un très grand désir" comme le dit Richard dans le même livre. Il faut donc, s’il y a en Dieu la perfection de la bonté, du bonheur et de la gloire qu’il y ait en Dieu le nombre de trois personnes.

q. 9 a. 9 s. c. 3 Praeterea, cum bonum sit communicativum sui, perfectio divinae bonitatis requirit quod Deus summe sua communicet. Si autem esset tantum una persona in divinis, non summe communicaret suam bonitatem: creaturis enim non summe se communicat; si vero essent solum duae personae, non communicarentur perfecte deliciae mutuae caritatis. Oportet ergo esse secundam personam, cui perfecte communicetur divina bonitas, et tertiam cui perfecte communicentur divinae caritatis deliciae.

# 3. Comme le bien se communique, la perfection de la divine bonté requiert que Dieu communique au plus haut point ce qui est à lui10. Mais s’il n’y avait seulement qu’une personne en Dieu, il ne communiquerait pas sa bonté au plus haut point; car il ne se communique pas au plus haut point aux créatures; mais s’il n’y avait que deux personnes, les délices mutuelles de la charité ne seraient pas parfaitement communiqués. Il faut donc qu’il y ait une seconde personne à qui la bonté divine est communiquée parfaitement et une troisième à qui sont communiqués parfaitement les délices de la charité divine.

q. 9 a. 9 s. c. 4 Praeterea, ad amorem tria requiruntur, scilicet amans, id quod amatur, et ipse amor, ut Augustinus dicit in VIII de Trinitate. Duo autem mutuo se amantes, sunt pater et filius; amor autem qui est eorum nexus est spiritus sanctus. Sunt ergo tres personae in divinis.

4. Trois choses sont requises pour l’amour, à savoir celui qui aime, ce qui est aimé et l’amour même; comme Augustin le dit (La Trinité, VIII, livre IX, 1 et 2). Les deux qui s’aiment mutuellement sont le Père et le Fils; mais l’amour qui est leur lien est l’Esprit saint. Donc il y a trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 s. c. 5 Praeterea, sicut Richardus dicit, in V de Trinitate, in rebus humanis videbis quod persona de personis procedit tribus modis: quandoque immediate tantum, sicut Eva de Adam; quandoque mediate tantum, sicut Enoch de Adam; quandoque immediate et mediate simul, sicut Seth de Adam; immediate in quantum eius filius fuit, mediate vero in quantum fuit filius Evae quae ab Adam processit. In divinis autem non potest procedere persona de persona mediate tantum, quia non esset ibi summa germanitas. Relinquitur ergo quod in divinis sit una persona quae non procedit ab alia, scilicet persona patris, a qua procedunt aliae personae; una immediate tantum, scilicet filius; alia mediate simul et immediate, scilicet spiritus sanctus, qui ex patre filioque procedit. Ergo est personarum ternarius in divinis.

5. Comme Richard le dit (La Trinité, V, 6) chez les hommes, on verra que la personne procède de la personne par trois moyens: quelquefois sans intermédiaire, seulement, comme Ève d’Adam, quelquefois avec intermédiaire seulement, comme Énoch à partir d’Adam; quelquefois avec et sans intermédiaire, en même temps, comme Seth d’Adam; sans intermédiaire en tant qu’il fut son fils, avec intermédiaire seulement en tant qu’il fut le fils d’Ève qui a procédé d'Adam. Mais en Dieu la personne ne peut pas procéder avec intermédiaire parce qu’il n’y aurait pas une communauté d’origine parfaite. Il reste donc qu’il y a une personne, qui ne procède pas d’une autre, à savoir celle du Père, de laquelle procèdent les autres, une seulement sans intermédiaire à savoir le Fils, l’autre avec ou sans intermédiaire en même temps, à savoir l’Esprit saint, qui procède du Père et du Fils. Donc il y a trois personnes en Dieu.

q. 9 a. 9 s. c. 6 Praeterea, inter dare plenitudinem divinitatis et non accipere, et accipere et non dare, medium est dare et accipere. Dare autem plenitudinem divinitatis et non accipere, pertinet ad personam patris; accipere vero et non dare, pertinet ad personam spiritus sancti. Oportet ergo esse tertiam personam, quae plenitudinem divinitatis et det et accipiat; et haec est persona filii. Sunt ergo tres personae in divinis.

6. Entre donner la plénitude de la divinité et ne pas recevoir et entre recevoir et ne pas donner, l’intermédiaire est donner et recevoir. Mais donner la plénitude de la divinité et ne pas la recevoir convient à la personne du Père, recevoir et ne pas donner convient à la personne de l’Esprit saint. Il faut donc qu’il y ait une troisième personne qui donne et reçoit la plénitude de la divinité et cette personne c’est celle du Fils. il y a donc trois personnes en Dieu.

Réponse:

q. 9 a. 9 co. Respondeo. Dicendum quod, secundum positionem haereticorum, nullo modo potest poni certus personarum numerus in divinis.

Selon l’opinion des hérétiques, on ne peut en aucune manière poser un nombre certain de personnes en Dieu.

Intellexit enim Arius personarum Trinitatem hoc modo, quod filius et spiritus sanctus essent quaedam creaturae; quod etiam Macedonius de spiritu sancto sensit. Processio autem creaturarum a Deo non de necessitate certo numero terminatur, cum divina virtus ex sua infinitate hoc habeat quod omnem creaturae modum, speciem et numerum excedat. Unde si Deus pater omnipotens creavit duas excellentissimas creaturas, quas Arius dicit filium et spiritum sanctum, non est remotum quin alias aequales vel etiam maiores creare poterit.

Car Arius11, a compris la Trinité des personnes de telle manière que le Fils et l’Esprit saint seraient des créatures. Ce que Macédonius12 a pensé de l’Esprit saint. Mais la procession des créatures de Dieu ne se termine pas nécessairement à un certain nombre, puisque le pouvoir divin par son infinité dépasse tout mode de créature, toute espèce et nombre. C’est pourquoi, si Dieu, le Père tout-puissant, a créé deux super créatures, qu’Arius appelle le Fils et l’Esprit saint, il n’est pas exclus qu’il ait pu en créer d’autres, égales ou même plus grandes.

Sabellius autem posuit quod pater et filius et spiritus sanctus non distinguuntur nisi nomine et ratione; quae etiam patet in infinitum posse multiplicari, secundum quod ratio nostra infinitis modis de Deo cogitare potest ex variis effectibus, et eum diversimode nominare.

Sabellius13 aussi a pensé que le Père, le Fils et l’Esprit saint ne se distinguent que par le nom et la nature; ce qui paraît pouvoir être multiplié à l’infini selon que notre raison peut penser à propos de Dieu par des modes infinis, par des effets variées et donner des noms divers.

Sola autem Catholica fides, quae ponit unitatem divinae naturae in personis realiter distinctis, ternarii numeri potest rationem in divinis assignare. Impossibile enim est quod una natura simplex sit nisi in uno sicut in principio. Unde Hilarius dicit, quod qui confitetur in divinis duos innascibiles, confitetur duos deos; unum enim Deum praedicari natura unius innascibilis Dei exigit.

Mais seule la foi catholique, qui pose l’unité de la nature divine dans des personnes réellement distinctes peut donner la raison du nombre trois en Dieu. Car il est impossible qu’une nature simple existe sinon dans une seule réalité, comme en son principe. C’est pourquoi Hilaire (Les Synodes14) dit que celui qui confesse en Dieu deux [personnes] incréées confessent deux dieux; car la nature d’un Dieu incréé exige d’attribuer un seul Dieu.

Unde et quidam philosophi dixerunt, quod in rebus quae sunt sine materia non potest esse pluralitas nisi secundum originem. Una enim natura potest in pluribus esse ex aequo propter materiae divisionem, quae in Deo locum non habet.

C’est pourquoi certains philosophes ont dit que, dans les êtres immatériels, il ne peut y avoir de pluralités que selon l’origine. Car une seule nature peut être en plusieurs à égalité à cause de la division de la matière; ce qui n’a pas de place en Dieu.

Unde impossibile est ponere in divinis nisi unam personam innascibilem quae ab alio non procedat. Si autem ab eo aliae personae procedant, oportet quod hoc sit per aliquam actionem. Non autem per actionem transeuntem in id quod est extra agentem, sicut calefacere vel secare sunt actiones ignis et serrae, et creatio ipsius Dei; quia sic personae procedentes essent extra naturam divinam.

A partir de là, il n’est possible de poser en Dieu qu’une seule personne incréée qui ne procède pas d’une autre. Mais si d’autres personnes procèdent de lui, il faut que cela soit par une action. Mais pas par une action transitive hors de l’agent, comme réchauffer ou couper sont les actions du feu et de la scie et la création, de Dieu lui-même; parce qu’ainsi les personnes procéderaient hors de la nature divine.

Relinquitur ergo quod processio personarum in unam naturam divinam non sit nisi secundum operationes quae non transeunt extra, sed manent in operante. Hae autem in natura intellectuali sunt solum duae, scilicet intelligere et velle. Secundum autem utramque earum invenitur aliquid procedens cum hae operationes perficiuntur. Ipsum enim intelligere non perficitur nisi aliquid in mente intelligentis concipiatur, quod dicitur verbum; non enim dicimur intelligere, sed cogitare ad intelligendum, antequam conceptio aliqua in mente nostra stabiliatur. Similiter etiam ipsum velle perficitur amore ab amante per voluntatem procedente, cum amor nihil sit aliud quam stabilimentum voluntatis in bono volito.

Il reste donc que la procession des personnes dans une seule nature divine n’est que selon les opérations qui ne passent pas à l’extérieur, mais demeurent dans celui qui opère. Mais celles-ci, dans une nature intellectuelle, ne sont que deux, l’intellection et le vouloir. Selon l’une et l’autre on trouve quelque chose qui procède quand ces opérations s’accomplissent. Car l’intellection n’est achevée que si quelque chose est conçu dans l’esprit de celui qui pense; ce qui est appelé le verbe; car on ne dit pas qu’on comprend mais qu’on pense pour comprendre avant qu’une conception s’établisse dans notre esprit. De même aussi le vouloir est achevé par l’amour de celui qui aime et procède par volonté, puisque l’amour n’est rien d’autre que le soutien de la volonté dans le bien qui est voulu.

Verbum autem et amor in creatura quidem non sunt personae subsistentes in natura intelligente et volente. Intelligere enim et velle creaturae non est esse eius. Unde verbum et amor sunt quaedam supervenientia creaturae intelligenti et volenti, sicut accidentia quaedam. Cum autem in Deo idem sit esse, intelligere et velle, necessarium est quod verbum et amor in Deo non accidant, sed subsistant in natura divina. Non autem est in Deo nisi unum simplex intelligere et unum simplex velle, quia intelligendo essentiam suam, intelligit omnia; et volendo bonitatem suam, vult omnia quae vult. Non est ergo nisi unum verbum et unus amor in divinis.

Mais le verbe et l’amour dans la créature ne sont pas des personnes subsistantes dans une nature intellectuelle et volontaire. Car l’intellection et le vouloir de la créature ne sont pas son être. C’est pourquoi le verbe et l’amour s’ajoutent à la créature qui pense et qui veut, comme des accidents. Mais comme en Dieu l’être, l’intellection et le vouloir sont identiques, il est nécessaires que le verbe et l’amour n’arrivent pas en lui comme des accidents, mais subsistent dans sa nature. Il n’y a en lui qu’une intellection une et simple et un vouloir un et simple, parce qu’en pensant son essence, il pense tout; et en voulant sa bonté, il veut tout ce qu’il veut. Donc, il n’y a qu’un verbe et un amour en Dieu.

Ordo autem intelligendi et volendi aliter se habet in Deo et nobis. Nos enim cognitionem intellectivam a rebus exterioribus accipimus; per voluntatem vero nostram in aliquid exterius tendimus tamquam in finem. Et ideo intelligere nostrum est secundum motum a rebus in animam; velle vero secundum motum ab anima ad res. Deus autem non accipit scientiam a rebus, sed per scientiam suam causat res; nec per voluntatem suam tendit in aliquid exterius sicut in finem, sed omnia exteriora ordinat in se sicut in finem. Est ergo tam in nobis quam in Deo circulatio quaedam in operibus intellectus et voluntatis; nam voluntas redit in id a quo fuit principium intelligendi: sed in nobis concluditur circulus ad id quod est extra, dum bonum exterius movet intellectum nostrum, et intellectus movet voluntatem, et voluntas tendit per appetitum et amorem in exterius bonum; sed in Deo iste circulus clauditur in se ipso. Nam Deus intelligendo se, concipit verbum suum, quod est etiam ratio omnium intellectorum per ipsum, propter hoc quod omnia intelligit intelligendo seipsum: et ex hoc verbo procedit in amorem omnium et sui ipsius. Unde dixit quidam, quod monas monadem genuit, et in se suum reflectit ardorem. Postquam vero circulus conclusus est, nihil ultra addi potest; et ideo non potest sequi tertia processio in natura divina, sed sequitur ulterius processio in exteriorem naturam.

Mais l’ordre de l’intellection et du vouloir se comporte différemment en Dieu et en nous; car nous recevons la connaissance intellectuelle de l’extérieur; par notre volonté nous tendons à quelque chose d’extérieur comme à une fin. Et c’est pourquoi notre intellection est selon le mouvement de la réalité [qui arrive] dans l’âme, mais le vouloir selon le mouvement de l’âme vers la réalité. Mais Dieu ne reçoit pas sa science des choses, mais il les cause par elle, et par sa volonté il ne tend pas à quelque chose d’extérieur comme à une fin, mais il ordonne à lui tout ce qui est extérieur comme à sa fin; c’est donc tant en nous qu’en Dieu un mouvement circulaire dans les opérations de l’esprit et de la volonté; car la volonté revient à ce d’où est venu le principe de l’intellection; mais en nous le cercle se limite à ce qui est extérieur, pendant que le bien extérieur meut notre esprit et celui-ci meut la volonté et cette dernière tend par appétit et amour au bien extérieur; mais en Dieu ce cercle se ferme sur lui-même. Car Dieu, en se pensant, conçoit son verbe, qui est aussi la raison de toutes les intellections par lui, parce qu’il pense tout en se pensant lui-même. Et par ce verbe, il procède dans l’amour de tout et de lui-même. C’est pourquoi quelqu’un a dit (Mercure ou Hermès Trimégiste) que "la monade a engendré la monade et réfléchit en elle son ardeur". Mais une fois le cercle fermé, rien d’autre ne peut être ajouté, et c’est pourquoi il ne peut pas découler une troisième procession dans la nature divine, mais il en découle une en plus dans la nature extérieure.

Sic ergo oportet quod in divinis sit una tantum persona non procedens, et duae solae personae procedentes; quarum una persona procedit ut amor, et alia ut verbum; et sic est personarum ternarius numerus in divinis.

Ainsi donc il faut qu’en Dieu il y ait une seule personne qui ne procède pas, deux personnes seulement qui procèdent. L’une d’elles procède comme amour et l’autre comme verbe; et ainsi le nombre des personnes en Dieu est de trois.

Cuius quidem ternarii similitudo in creaturis apparet tripliciter:

primo quidem sicut effectus repraesentat causam; et hoc modo principium totius divinitatis, scilicet pater, repraesentatur per id quod est primum in creatura, scilicet per hoc quod est in se una subsistens; verbum vero per formam cuiuslibet creaturae: nam in his quae ab intelligente aguntur, forma effectus a conceptione intelligentis derivatur; amor vero in ordine creaturae. Nam ex eo quod Deus amat seipsum, omnia ordine quodam in se convertit; et ideo haec similitudo dicitur vestigii, quod repraesentat pedem sicut effectus causam.

La ressemblance de ce nombre trois apparaît de trois manières dans les créatures:

a) Comme l’effet représente la cause, et de cette manière, le principe de toute la divinité, à savoir le Père est représenté par ce qui est premier dans la créature, c'est-à-dire par ce qui est en soi une seule réalité subsistante; mais le verbe est représenté par la forme de n’importe quelle créature; car en ce qui est agi par celui qui pense, la forme de l’effet est dérivée de sa conception; mais l’amour est dans l’ordre de la créature. Car du fait que Dieu s’aime lui-même, il tourne tout vers lui par un ordre, et c’est pourquoi cette ressemblance est appelée vestige, qui représente le pied comme l’effet [représente] la cause.

Alio modo secundum eamdem rationem operationis; et sic repraesentatur in creatura rationali tantum, quae potest se intelligere et amare, sicut et Deus, et sic verbum et amorem sui producere, et haec dicitur similitudo naturalis imaginis; ea enim imaginem aliorum gerunt quae similem speciem praeferunt.

b) D’une autre manière selon la même nature d’opération; et ainsi est représenté dans la créature raisonnable seulement, ce qui peut se comprendre et aimer, comme Dieu aussi et ainsi produire le verbe et son amour et cela est appelé la ressemblance de l’image naturelle; car ce qui révèle une espèce semblable porte l’image des autres.

Tertio modo per unitatem obiecti, in quantum creatura rationalis intelligit et amat Deum; et haec est quaedam unionis conformitas, quae in solis sanctis invenitur qui idem intelligunt et amant quod Deus.

c) Troisième manière par l’unité de l’objet, en tant que la créature raisonnable pense et aime Dieu et c’est une certaine conformité de l’union qui se trouve dans les seuls saints qui pensent et aiment la même chose que Dieu.

De prima quidem similitudine dicitur Iob XI, 7: forsitan vestigia Dei comprehendes? De secunda Genes. I, 26: faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram; et dicitur imago creationis. De tertia II Cor. III, 18: nos enim omnes revelata facie gloriam domini speculantes, in eamdem imaginem transformamur; et haec dicitur imago recreationis.

De la première ressemblance, il est dit en Job (7, 117): "Peut-être comprendras-tu les vestiges de Dieu". De la seconde, il est dit dans la Genèse (1, 26) dit: "Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance", et on l’appelle l’image de la création; de la troisième, en 2 Co. 3, 18, il est dit:"Car nous tous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image". Et celle-ci est appelée l’image de la recréation.

Solutions:

q. 9 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ideo dicit Augustinus quod non est dicendum quod filius non potuit generare, sed non oportuit: quia non ex impotentia filii est quod non generat, ut hoc quod dicit non potuit sumatur privative, et non simpliciter negative; per hoc autem quod dicit quod non oportuit, significat quod sequeretur inconveniens, si in divinis filius alium filium generaret. Quod quidem inconveniens ex quatuor potest considerari:

primo quidem quia cum filius in divinis procedat ut verbum, si filius filium generaret, sequeretur quod in Deo verbum ex verbo procederet, quod quidem esse non potest nisi in intellectu inquisitivo et discursivo in quo verbum ex verbo procedit, dum ex consideratione unius veritatis in alterius veritatis considerationem procedit; quod nullo modo convenit perfectioni et simplicitati intellectus divini, qui uno intuitu omnia simul videt.

# 1. Augustin écrit qu’il ne faut pas dire que le Fils n’a pas pu engendrer, mais il ne l’a pas fallu: parce que ce n’est pas par impuissance que le Fils n’engendre pas; ce que dit il n’a pas pu est pris de façon privative, et non absolument négative; et par le fait qu’il dit qu’il ne l’a pas fallu, il signifie qu’il en découlerait un inconvénient si le Fils en engendrait un autre; cet inconvénient peut-être considéré à quatre points de vue:

a) Parce que, si le Fils procédant en Dieu, comme Verbe, engendrait un fils, il en découlerait qu’en Dieu le verbe procéderait du Verbe, ce qui ne peut être que dans un esprit discursif en recherche, dans lequel le verbe procède du verbe, pendant qu’il passe de la considération d’une vérité à une autre; ce qui ne convient en aucune manière à la perfection et à la simplicité de l’intellect divin, qui voit tout en même temps en un seul regard.

Secundo, quia illud per quod aliquid individuatur et incommunicabile efficitur, impossibile est pluribus esse commune. Id enim per quod Socrates est hoc aliquid, nec intelligi potest pluribus inesse. Unde si filiatio in divinis pluribus conveniret, non esset filiatio constituens incommunicabilem filii personam; et ita oporteret quod filius individua persona constitueretur per aliquid absolutum, quod essentiae divinae unitati non convenit.

b) Parce qu’il est impossible que ce par quoi une chose est individuée et devient incommunicable, soit commune à plusieurs. Car, on ne peut pas comprendre que ce par quoi Socrate est une réalité soit en plusieurs. C’est pourquoi, si la filiation en Dieu convenait à plusieurs, il n’y aurait pas la filiation qui constitue la personne incommunicable du Fils et ainsi il faudrait que le Fils, personne individuelle, soit constitué par quelque chose d’absolu, ce qui ne convient pas à l’unité de l’essence divine.

Tertio, quia nihil unum secundum speciem existens, potest secundum numerum multiplicari nisi ratione materiae; et hac ratione in divinis non potest esse nisi una essentia, quia divina essentia est immaterialis omnino. Si autem essent plures filii in divinis, oporteret etiam esse filiationes plures; et ita oporteret eas secundum materiam subiectam multiplicari; quod divinae immaterialitati non convenit.

c) Parce que rien d’une unique espèce ne peut être multiplié en nombre que par la matière; et pour cette raison, il ne peut y avoir en Dieu qu’une seule essence, parce que l’essence divine est tout à fait immatérielle. S’il y avait plusieurs fils en Dieu, il faudrait qu’il y ait aussi plusieurs filiations, et ainsi il faudrait qu’elles soient multipliées selon une matière sujette; ce qui ne convient pas à l’immatérialité de Dieu.

Quarto, quia filius dicitur aliquis ex hoc quod naturaliter procedit; natura autem ad unum se habet determinate, nisi per accidens ex aliquo naturaliter plura proveniant propter materiae divisionem; et ideo ubi est omnino immaterialis natura, oportet solum filium unum esse.

d) Parce que le Fils est appelé quelqu’un15 du fait qu’il procède naturellement; mais la nature ne se comporte pas de manière déterminée vis-à-vis de l’un à moins que par accident plusieurs proviennent naturellement de quelqu’un à cause de la division de la matière et c’est pourquoi où la nature est tout à fait immatérielle, il faut qu’il n’y ait qu’un seul fils.

q. 9 a. 9 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dupliciter aliquid potest esse naturae alicuius: uno modo secundum quod absolute consideratur; et sic oportet ut quae ad aliquam naturam pertinent, conveniant omnibus suppositis in natura illius; et sic convenit naturae divinae esse omnipotentem, creatorem, et alia huiusmodi, quae sunt communia tribus personis. Alio modo pertinet aliquod ad naturam secundum quod consideratur in aliquo uno supposito; et sic non oportet quod id quod convenit naturae, conveniat cuilibet supposito illius naturae: sicut enim natura generis habet aliquid in una specie quod alteri speciei non convenit,- quemadmodum ad naturam sensitivam consequuntur quaedam in homine, non autem in animalibus brutis, ut habere excellentissimum tactum et reminisci, et alia huiusmodi,- ita etiam aliquid pertinet ad naturam speciei prout est in uno individuo, quod non convenit alii individuo eiusdem speciei; sicut patet quod naturae humanae prout fuit in Adam convenit quod non sit per generationem naturalem accepta, quod tamen in aliis individuis humanae naturae non invenitur; et per hunc modum posse generare, consequitur naturam divinam, prout est in persona patris; quod patet ex hoc quod pater non constituitur persona incommunicabilis nisi ex ipsa paternitate, quae competit ei secundum quod est generans; et ideo non sequitur quod filius, licet sit perfectum suppositum divinae naturae possit generare.

# 2. Une chose peut exister d’une certaine nature de deux manières:

a) Selon qu’on la considère dans l'absolu; et ainsi il faut que ce qui convient à une nature, convienne à tous les suppôts dans cette nature; et ainsi il convient à la nature divine d’être un créateur tout puissant, et autres qualités de ce genre qui sont communes aux trois personnes.

b) Une chose convient à la nature, selon ce qu’elle est considérée dans un suppôt unique; et ainsi il ne faut pas que ce qui convient à la nature convienne à n’importe quel suppôt de cette nature. Car de même que la nature du genre a quelque chose dans une espèce qui ne convient pas à une autre espèce — de quelque manière que certaines échoient à la nature sensible dans l’homme, mais pas dans les animaux, comme avoir un toucher excellent, et se souvenir, et autres choses de ce genre — de même aussi une chose convient à la nature de l’espèce dans la mesure où elle est dans un individu, ce qui ne convient pas à un autre individu de même espèce; ainsi il est clair qu’il convient à la nature humaine, dans la mesure où elle a été en Adam, de ne pas être reçue par une génération naturelle, ce que cependant on ne trouve pas dans les autres individus de la nature humaine et pouvoir engendrer de cette manière, découle de la nature divine, dans la mesure où elle est dans la personne du Père. Ainsi il est clair que le Père n’est constitué comme personne incommunicable que par sa paternité, qui lui convient selon qu’il engendre; et c’est pourquoi il n’en découle pas bien que le Fils soit un parfait suppôt de nature divine, qu’il puisse engendrer.

q. 9 a. 9 ad 3 Ad tertium dicendum quod, licet pater possit generare, non autem filius, non tamen sequitur quod potentiam aliquam habeat pater quam non habet filius. Eadem enim potentia est patris et filii, per quam et pater generat et filius generatur. Nam potentia absolutum quiddam est; et ideo non distinguitur in divinis, sicut nec bonitas, nec aliquid sic dictum. Generare vero et generari in divinis non significant aliquid absolutum, sed solam relationem in divinis. Relationes autem oppositae, in uno et eodem absoluto communicant in divinis, et ipsum non dividunt; sicut patet quod in patre et filio est una essentia, unde nec potentia distinguitur in divinis per hoc quod est ad generare et generari. Non enim etiam in creaturis oportet quod per quamcumque obiectorum distinctionem potentia distinguatur sed per differentiam formalem obiectorum, et quae in eodem genere accipiatur; sicut potentia visiva non distinguitur per hoc quod est videre hominem et videre asinum, quia ista differentia non est sensibilis in quantum est sensibile; et similiter in divinis absolutum per relationem non distinguitur.

# 3. Il faut dire que, bien que le Père puisse engendrer, mais pas le Fils, il n’en découle cependant pas que le Père a une puissance que n’a pas le Fils. Car la puissance du Père et celle du Fils, par laquelle le Père engendre et le Fils est engendré sont identiques. Car la puissance est quelque chose d’absolu 16; et c’est pourquoi elle n’est pas distinguée en Dieu, ni la bonté non plus, ni ce qu’on appelle ainsi. Mais engendrer et être engendré en Dieu ne signifient pas quelque chose d’absolu, mais seulement une relation. Mais les relations opposées communiquent dans un seul et même absolu et ne le divisent pas; ainsi il est clair que dans le Père et dans le Fils il y a une seule essence. C’est pourquoi la puissance n’est pas distinguée par une distinction quelconque des objets, mais par le fait d’engendrer ou d’être engendré. Car il ne faut pas non plus dans les créatures que la puissance soit distinguée par la différence formelle des objets et ce qui est reçu en un même genre comme la puissance de la vision n’est pas distinguée par le fait de voir un homme ou un âne, parce que cette différence n’est pas sensible en tant telle, et de la même manière en Dieu l’absolu n’est pas distingué par la relation.

q. 9 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omni operatione quae transit ab agente in rem exteriorem, requiritur aliud principium in agente, per quod est agens, et aliud principium in patiente, per quod est patiens. In operatione autem quae non transit in rem exteriorem, sed manet in operante, non requiritur nisi unum operationis principium; sicut ad volendum requiritur principium ex parte volentis, per quod possit velle. In creaturis autem est generatio secundum operationem transeuntem in rem exteriorem: unde oportet quod sit alia potentia activa in generante, et alia passiva in generato. Sed generatio divina attenditur secundum operationem non quidem in aliquid exterius transeuntem, sed interius manentem, idest secundum conceptionem verbi. Unde non oportet quod alia sit potentia activa in patre, et alia passiva in filio.

# 4. En toute opération qui passe d’un agent dans un objet extérieur, il est requis un principe dans l’agent, par lequel il est agent et un autre principe dans le patient, par lequel il est patient. Mais dans l’opération qui ne passe pas à l’extérieur, mais demeure dans celui qui opère, il n’est requis qu’un seul principe d’opération, ainsi pour vouloir il est requis un principe de la part de celui qui veut, par lequel il puisse vouloir. Mais, dans les créatures, la génération est selon une opération qui passe à l’extérieur; c’est pourquoi il faut qu’il y ait une autre puissance active dans celui qui engendre, différente de la puissance passive de celui qui est engendré. Mais la génération divine ne tend pas par son opération à quelque chose qui passe à l’extérieur, mais à ce qui demeure à l’intérieur, c'est-à-dire selon la conception du Verbe. C’est pourquoi il ne faut pas qu'il y ait une puissance dans le Père et une autre puissance passive dans le Fils.

q. 9 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod calor et sapor prout in se considerantur, sunt qualitates quaedam, possunt tamen dici potentiae secundum quod sunt actuum quorumdam principia; unde patet quod licet radix prima et remota, quae est subiectum, sit una radix, tamen propinqua, quae est qualitas, non est una.

# 5. La chaleur et la saveur, considérées en soi, sont des qualités, on peut cependant les appeler des puissances en tant que principes de certains actes; c’est pourquoi il est clair que bien que l’origine première et éloignée qui est le sujet, soit une seule origine, cependant l’origine proche, qui est la qualité, n’est pas unique.

q. 9 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum quod, sicut pater est Deus generans, filius autem est Deus genitus: ita dicendum est quod pater est sapiens ut concipiens, filius vero sapiens ut verbum conceptum. Filius enim in eo quod est verbum, est quaedam conceptio sapientis. Sed quia quidquid est in Deo, est Deus, oportet quod ipsa conceptio sapientis Dei sit Deus, et sapiens, et potens, et quidquid aliud competit Deo.

# 6. De même que le Père est le Dieu qui engendre, le Fils est le Dieu engendré, de même il faut dire que le Père est sage en tant qu’il conçoit le Fils sage comme verbe conçu. Car le Fils, en ce qui est le Verbe est une conception du sage. Mais parce que tout ce qui est en Dieu est Dieu, il faut que cette conception du Dieu sage soit Dieu, et aussi sage et puissant, et tout ce qui d’autre convient à Dieu.

q. 9 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod verbum in divinis non potest dici nisi personaliter, si proprie accipiatur. Nulla enim alia origo in divinis esse potest nisi immaterialis, et quae sit conveniens intellectuali naturae, qualis est origo verbi et amoris; unde si processio verbi et amoris non sufficit ad distinctionem personalem insinuandam, nulla poterit esse personalis distinctio in divinis. Unde et Ioannes tam in principio sui Evangelii quam in prima canonica sua, nomine verbi pro filio utitur, nec est aliter loquendum de divinis quam sacra Scriptura loquatur.

# 7. On ne peut parler du Verbe en Dieu que personnellement, si on le prend au sens propre. Car aucune autre origine ne peut être en Dieu qu’immatérielle et celle qui convient à sa nature intellectuelle, telle qu’est l’origine du verbe et de l’amour; c’est pourquoi si la procession du verbe et de l’amour ne suffit pas à introduire la distinction des personnes, il ne pourra y avoir aucune distinction personnelle en Dieu. C’est pourquoi Jean, tant au commencement de son Évangile que dans sa première épître, se sert du nom de Verbe pour le Fils, et il ne faut pas parler de Dieu autrement que l’Écriture sainte en parle.

q. 9 a. 9 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dicere potest dupliciter sumi:

uno modo proprie secundum quod dicere idem est quod verbum concipere; et sic dicit Augustinus, quod non singulus quisque in divinis, sed solus pater est dicens. Alio modo communiter, prout dicere nihil est aliud quam intelligere; et sic dicit Anselmus, quod non solum pater est dicens, sed etiam filius et spiritus sanctus; et tamen licet sint tres dicentes, est unum solum verbum,- quod est filius,- quia solus filius est conceptio patris intelligentis et concipientis verbum.

# 8. Dire peut être pris en deux sens:

a) D’une première manière, au sens propre selon que dire est la même chose que concevoir un verbe; et en ce sens Augustin (La Trinité, VII) dit que "ce n’est pas chaque personne particulière qui dit [parle] en Dieu, mais le Père seul".

b) D’une autre manière au sens commun, selon que dire n’est rien d’autre que l’intellection; et ainsi Anselme dit (loc. cit. dans l’argument17) que non seulement le Père parle, mais aussi le Fils et l’Esprit saint; et cependant, bien qu’il y en ait trois qui parlent, il n’y a qu’un seul verbe — qui est le Fils — parce que seul le Fils est la conception du Père qui pense et conçoit le verbe.

q. 9 a. 9 ad 9 Ad nonum dicendum, quod non sequitur quod sit generatio in divinis ex hoc solum quod tribuit generationem aliis sicut causa effectiva, quia pari ratione sequeretur quod in Deo sit motus, quia tribuit aliis motum. Sequitur autem quod sit in Deo generatio ex hoc quod tribuit aliis generationem ut causa effectiva et exemplaris: pater autem est exemplar generationis ut generans, sed filius ut genitus; unde non oportet quod generet.

# 9. Il ne découle pas qu’il y a génération en Dieu du seul fait qu’il a attribué la génération à d’autres, comme cause efficiente, parce qu’à raison égale, il en découlerait qu’il y a en Dieu du mouvement, parce qu’il en a attribué aux autres. Mais il découle qu’il y a en Dieu une génération par le fait qu’il a attribué aux autres la génération comme cause efficiente et exemplaire; le Père est l’exemplaire de la génération, en tant qu’il engendre; et le Fils en tant qu’engendré; c’est pourquoi il ne faut pas qu’il engendre.

q. 9 a. 9 ad 10 Ad decimum dicendum, quod generatio est opus divinae naturae, prout est in persona patris, ut supra dictum est, unde non oportet quod conveniat filio.

# 10. La génération est l’œuvre de la nature divine, dans la mesure où elle est dans la Personne du Père, comme on l’a dit ci-dessus, c’est pourquoi il ne faut pas que cela convienne au Fils.

q. 9 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum quod, cum filiatio sit relatio consequens determinatum modum originis,- scilicet quae est per modum naturae,- impossibile est quod filiatio a filiatione differat differentia formali; nisi forte secundum differentiam naturarum, quae per generationem communicantur, sicut potest dici quod alia species filiationis est qua hic homo est filius, et qua hic equus est filius. In divinis autem non est nisi una natura; unde non possunt ibi esse plures filiationes formaliter differentes; et patet etiam quod nec materialiter. Et sic sequitur quod ibi sit tantum una filiatio et unus filius.

# 11. Comme la filiation est une relation qui suit un mode déterminé d’origine, — à savoir, qu’elle est par le mode de nature — il est impossible qu’une filiation diffère de la filiation par une différence formelle; à moins que par hasard, ce soit selon la différence des natures, qui sont communiquées par génération, comme on peut dire qu’il y a une autre espèce de filiation par laquelle cet homme est fils et par laquelle ce cheval est fils. En Dieu il n’y a qu’une seule nature, c’est pourquoi il ne peut pas y avoir plusieurs filiations formellement différentes; et il est clair aussi que [ce n’est pas possible] matériellement non plus. Et ainsi il en découle qu’il y a là seulement une filiation et un seul Fils.

q. 9 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod unus splendor ab alio splendore procedit, ex eo quod lux diffunditur ad aliud subiectum: et sic patet quod hoc fit per divisionem materialem, quae non potest esse in divinis.

# 12. Une splendeur procède d’une autre, du fait que la lumière est diffusée vers un autre sujet, et ainsi il est clair que cela se fait par une division matérielle, qui ne peut pas exister en Dieu.

q. 9 a. 9 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod unumquodque amatur in quantum est bonum; unde cum una et eadem sit bonitas patris et filii et spiritus sancti, eodem amore, qui est spiritus sanctus, pater diligit et filium et spiritum sanctum, et totam creaturam; sicut eodem verbo, quod est filius, dicit se et filium et spiritum sanctum, et totam creaturam.

# 13. Chaque chose est aimée en tant qu’elle est bonne. C’est pourquoi, comme la bonté du Père, du Fils et de l’Esprit saint est une et la même, par un même amour qui est l’Esprit saint, le Père aime le Fils et l’Esprit saint et toute la créature, de même par un même Verbe qui est le Fils, il se dit et dit aussi le Fils et l’Esprit saint et toute la créature.

q. 9 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod bonitas est id ad quod terminatur operatio viventis, quae manet in operante. Primo enim intelligitur aliquid ut verum, et sic deinceps desideratur ut bonum; et ibi sistit et quiescit operatio intranea, sicut in fine. Sed ex hinc incipit processus operationis ad exteriora, quia ex hoc quod intellectus desiderat et amat aliquid praeconsideratum ut bonum, incipit exterius operari ad illud. Unde ex hoc ipso quod bonitas spiritui sancto appropriatur, convenienter accipi potest quod processio divinarum personarum ultra non porrigitur. Sed quod sequitur, est processio creaturae, quae est extra naturam divinam.

# 14. La bonté est ce à quoi se termine l’opération du vivant qui demeure dans celui qui opère. Car d’abord on comprend quelque chose comme vrai et ainsi immédiatement après il est désiré comme bien; et là se tient et s’achève l’opération interne, comme dans sa fin. Mais de là commence le processus de l’opération à l’extérieur, parce que du fait que l’esprit désire et aime, ce qu’il a considéré auparavant comme bien, il commence à agir à l’extérieur vers ce bien. C’est pourquoi du fait que la bonté est appropriée à l’Esprit saint, on peut interpréter comme ce qui convient que la procession des personnes divines ne s’étend pas plus loin. Mais il en découle que c’est la procession de la créature qui est hors de la nature divine.

q. 9 a. 9 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod inter omnes lineas linea circularis est perfectior, quia non recipit additionem. Unde hoc ipsum ad perfectionem spiritus sancti pertinet quod sua processione quasi quemdam circulum divinae originis concludit, ut ultra iam addi non possit, sicut supra, iam ostensum est.

# 15. Parmi toutes les lignes, le cercle est plus parfait parce qu’il ne reçoit pas d’addition. C’est pourquoi cela convient à la perfection de l’Esprit saint qu'il se ferme en sa procession comme un cercle d’origine divine, pour que (rien) ne puisse être ajouté, comme on l’a déjà montré ci-dessus [dans le corps de l’article].

q. 9 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod in hoc quod est accipere vel communicare naturam divinam, non attenditur differentia nisi solum secundum relationes; quae quidem differentia inaequalitatem perfectionis constituere non potest, quia, ut dicit Augustinus contra Maximinum, cum quaeritur quis de quo sit, est quaestio originis, non aequalitatis vel inaequalitatis.

# 16. Pour ce qui est recevoir ou communiquer la nature divine, la différence ne s’étend seulement que selon les relations. Cette différence ne peut pas constituer une inégalité de perfection, parce que, comme le dit Augustin (Contre Maximinien III, 18): "Quand on cherche qui vient de qui, c’est une question d’origine, non d’égalité ou d’inégalité."

q. 9 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod sicut communicare divinam naturam, est perfectionis de patre in filio, ita perfecte accipere communicatam est perfectionis in spiritu sancto; et utraque perfectio non differt secundum quantitatem, sed secundum relationem, quae inaequalitatem non constituit, ut dictum est.

# 17. De même que communiquer la nature divine est de la perfection du Père dans le Fils, de même recevoir parfaitement la nature communiquée est de la perfection de l’Esprit saint et l’une et l’autre perfection ne diffère pas en quantité mais en une relation, qui n’a pas constitué une inégalité, comme on l’a dit.

q. 9 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod illud per quod aliqua persona est incommunicabilis, non potest esse multis commune, ut supra dictum est. Unde habere consortium in illo non faceret iucunditatem, sed destructionem distinctionis personarum. Unde si pater in paternitate haberet consortem in divinis, sequeretur confusio personarum; et eadem ratio est de filiatione et processione.

# 18. Ce par quoi une personne n'est pas communicable ne peut être commun à plusieurs, comme on l’a dit ci-dessus. C’est pourquoi la participation en cela n’apporterait pas la joie, mais la destruction de la distinction des personnes. C’est pourquoi, si le Père avait quelqu’un qui participe à la paternité, il en découlerait une confusion des personnes; et la raison est la même pour la filiation et la procession.

q. 9 a. 9 ad 19 Ad decimumnonum dicendum est quod alia attributa non habent operationem intrinsecam, secundum quam possit attendi processus divinae personae, sicut intellectus et voluntas.

# 19. Les autres attributs n’ont pas d’opération intrinsèque qui puisse parvenir à une procession de la personne divine comme l’intellect et la volonté.

q. 9 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod processio naturae et intellectus conveniunt in hoc quod in utraque processione procedit unum ab uno ut similitudo eius a quo procedit. Amor autem qui procedit secundum voluntatem, procedit a duobus mutuo se amantibus. Nec ex hoc quod est amor, habet quod id sit similitudo amantis; et ideo in divinis idem procedit per modum naturae et intellectus, scilicet ut filius et verbum; sed alia persona est quae procedit per modum voluntatis ut amor.

# 20. La procession de nature et celle de l’esprit se rencontrent en ceci que dans les deux processions, l’un procède d’un autre comme image de celui dont elle procède. Mais l’amour qui procède selon la volonté procède de deux [êtres] qui s’aiment mutuellement. Et du fait que c’est l’amour, il n’a pas l’image de celui qui aime, et c’est pourquoi, en Dieu le même procède par mode de nature et d’intellect, à savoir comme fils et verbe; mais l’autre personne est celle qui procède par mode de volonté, comme amour.

q. 9 a. 9 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod licet sint quinque notiones in divinis, tamen solum sunt tres proprietates personales constituentes personas; et propter hoc solum sunt tres personae.

# 21. Bien qu’il y ait cinq notions en Dieu, seules cependant trois propriétés personnelles constituent les personnes et c’est pour cela qu’il y a seulement trois personnes.

q. 9 a. 9 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod relationes ideales sunt Dei ad id quod est extra, scilicet ad creaturas; et ideo per eas non distinguuntur personae in divinis. Oportet etiam respondere ad rationes alias, quibus concludebatur quod personae divinae sunt tribus pauciores.

# 22. Les relations idéales18 sont de Dieu vers l’extérieur, à savoir vers les créatures; c’est pourquoi par elles les personnes ne sont pas distinguées par elles.

Il faut aussi répondre aux autres raisons, par lesquelles on concluait que les personnes divines sont moins de trois.

q. 9 a. 9 ad 23 Ad quorum primum dicendum, quod in qualibet natura creata inveniuntur multi modi processionum, non tamen secundum quemlibet eorum natura speciei communicatur; et hoc est propter imperfectionem naturae creatae, in qua non subsistit quidquid in ea est; sicut verbum hominis, quod procedit ab intellectu eius, non est aliquid subsistens, nec etiam amor qui procedit a voluntate humana. Sed filius, qui generatur per operationem naturae, est subsistens in natura humana; et propter hoc hic est solus modus quo natura communicatur, licet in eo sint plures modi processionum. Sed in Deo est subsistens quidquid in ipso est; et ideo secundum quemlibet modum processionis communicatur natura in divinis.

# 1. En n’importe quelle nature créée, on trouve de nombreux modes de procession, cependant la nature de l’espèce n’est pas communiquée par n’importe lequel d’entre eux et c’est à cause de l’imperfection de la nature créée, dans laquelle il ne subsiste rien de ce qui est en elle; ainsi le verbe de l’homme, qui procède de son esprit n’est pas quelque chose de subsistant, ni non plus l’amour qui procède de la volonté humaine. Mais le Fils, qui est engendré par une opération de nature subsiste dans la nature humaine et c’est pour cela qu’il y a un seul mode par lequel la nature est communiquée, bien qu’en lui il y ait plus de modes de processions. Mais en Dieu, tout ce qui est en lui est subsistant et c’est pourquoi la nature est communiquée en Dieu selon n’importe quel mode de procession.

q. 9 a. 9 ad 24 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet etiam a voluntate aliquid naturaliter procedere: nam et voluntas aliquid naturaliter vult et amat, scilicet felicitatem et veritatis cognitionem, et ideo nihil prohibet quin spiritus sanctus naturaliter procedat a patre et filio, quamvis procedat per modum voluntatis.

# 2. Rien n’empêche non plus que quelque chose procède naturellement de la volonté, car elle veut et aime naturellement, à savoir le bonheur et la connaissance de la vérité, et c’est pourquoi rien n’empêche que l’Esprit saint procède naturellement du Père et du Fils, quoiqu’il procède par mode de volonté.

q. 9 a. 9 ad 25 Ad tertium dicendum quod, licet voluntas et intellectus non differant in Deo nisi secundum rationem, tamen oportet illum qui procedit per modum intellectus, realiter distingui ab eo qui procedit per modum voluntatis. Nam verbum, quod procedit per modum intellectus, procedit ab uno tantum, sicut a dicente; spiritus vero sanctus, qui procedit per modum voluntatis ut amor, oportet quod procedat a duobus mutuo se amantibus, vel etiam ex dicente et verbo: nihil enim potest amari cuius verbum in intellectu non praeconcipitur. Et sic oportet quod ille qui procedit per modum voluntatis, sit ab eo qui procedit per modum intellectus, et per consequens quod distinguatur ab eo.

# 3. Bien que la volonté et l’intellect ne diffèrent en Dieu qu’en raison, il faut cependant que celui qui procède par mode d’intellect soit réellement distingué de celui qui procède par volonté. Car le Verbe qui procède par mode d’intellect, procède de l’un seulement, comme de celui qui parle. Mais l’Esprit saint, qui procède par mode de volonté comme amour, doit procéder de deux (personnes) qui s’aiment mutuellement, ou aussi de celui qui parle et du verbe: car rien ne peut être aimé dont le verbe ne soit pas préconçu dans l’esprit. Et ainsi il faut que celui qui procède par mode de volonté soit de celui qui procède par mode d’intellection et par conséquent qu’il soit distingué de lui.

q. 9 a. 9 ad 26 Ad quartum dicendum, quod qui est ab alio in divinis, potest esse dupliciter: scilicet vel per modum verbi, vel per modum amoris; et ideo qui est ab alio secundum quod communiter dicitur, non sufficit ad constituendum personam incommunicabilem, sed solum secundum quod ad propria determinatur.

# 4. Celui qui est d’un autre en Dieu peut l’être de deux manières: à savoir par mode de verbe ou par mode d’amour, et c’est pourquoi ce qui est d’un autre selon ce qu’on dit communément, ne suffit pas pour constituer une personne incommunicable, mais seulement selon ce qui est déterminé à ce qui lui est propre.

q. 9 a. 9 ad 27 Ad quintum dicendum, quod in divinis sunt quatuor relationes, nedum duae; sed solum tres ex eis sunt personales, nam una earum,- scilicet communis spiratio,- non est proprietas personalis, cum sit communis duabus personis: et ideo non sunt in divinis nisi tres personae.

# 5. En Dieu, il y a quatre relations, et pas seulement deux; mais seules trois d’entre elles sont personnelles, car l’une d’elle, à savoir la spiration commune, n’est pas une propriété personnelle, puisqu’elle est commune à deux personnes, et c’est pourquoi il n’y a en Dieu que trois personnes.

q. 9 a. 9 ad s. c. Alias rationes concedimus.

Les autres raisons, nous les concédons.

 

1 Parall.:Ia, qu. 30, a. 2. — Qu. 31, a. 1 — I sent. d24qu2a2 — CG. IV, 26 — II Sent. d10a.5 — d33a.2, ad 1 — Compend. 56, 60.

2 "En effet, entre le possible et l’être, il n’y a aucune différence, dans les choses éternelles." p. 97.

3 Il s’agit d’une conception intellectuelle, comme celle du verbe.

4 PL. 40, 736. Voir note qu. 2, a. 3, obj. 15.

5 § 1 693 B:"…l'être même du bien, en tant que Bien essentiel, étend sa bonté à tout être." (Trad. M. de Gandillac).

6 Iucunda possessio. Cf. qu. 2, a. 4, obj. 12.

7 Synodes, 58, PL. 10, 520 C. Canon 24 profession de foi de Sirmium.

8 Cf. Pot. 9, 5, ad 23.

9 Sur l'authenticité de ce texte, le 13 janvier 1897, le saint office a répondu non. Voir Denz 3681, 3682 . Réponse du st office 2 juin 1927. Ils inclinent vers une conception opposée à l'authenticité. L'expression trois personnes ou trois hypostases dévint authentique à la fin de la crise arienne. Concile d'Antioche, 362, Rome (382, Tomus Damasi) et Constantinople 382. (Denz 78, Symbole>172

10 "Sed contra qui est explicitement le principe dionysien de la diffusion du bien." (Vanier, … p. 46).

11 Sur Arius, voir qu. 2, a. 4.

12 Évêque de Constantinople, 342-346, semi arien, considéré comme hérésiarque après sa mort. Les Macédoniens sont des hérétiques opposés à l'Esprit saint. Premier concile de Constantinople, (mai 30 juillet 381)contre les ariens contre les Macédoniens. Anathème concile de Rome 381 (Tomus Damasi).

13 Doctrine monarchienne, d'abord enseignée par Noël (Smyrne entre 180 et 200). Sa doctrine: un seul Dieu: le Père. C'est lui qui était né, qui avait souffert et était mort. Condamné vers 200. Ensuite Praxéas réfuté par Tertullien.. Sabellius (lybien?) vient à Rome peut avant 217. La doctrine se propagea après sa condamnation en Asie Mineure sous la forme du modalisme. Dieu s'exprime par des modes différents (Épiphane, Haeres. LXII, PG. 41, 1052) "Dieu, monade simple et indivisible est une personne unique. On le nomme Père, Fils mais en tant qu'il le monde il prend le nom de Vereb… Les trois états successifs de la monade ne constituent pas trois personnes distinctes; ils sont seulement trois aspects, trois virtualités, trois modalités er comme trois noms d'un même être." (Sabellius, CG. IV, 5… réfuté 259-268 Lettre à Denys.

14 PL. 10, 521 A. canon 28. Denz 140.

15 Aliquis est, Aliquid est un des transcendantaux par lequel l’être s’affirme comme quelque chose par rapport à ce qui l’entoure. Cf. Gardeil, Métaphysique, p. 73, § 2.

16 C'est-à-dire selon l’essence.

17 Monologium, 61.

18 Il s’agit des idées.

 

Question 10: Les processions des Personnes divines

q. 10 pr. 1 Et primo quaeritur utrum sit aliqua processio in divinis.

1. Y a-t-il une procession en Dieu?

q. 10 pr. 2 Secundo utrum in divinis sit tantum una processio.

2. N’y a-t-il qu’une seule procession en Dieu?

q. 10 pr. 3 Tertio de ordine processionum ad relationem in divinis.

3. L’ordre des processions à la relation en Dieu.

q. 10 pr. 4 Quarto utrum spiritus sanctus procedat a filio.

4. L’Esprit saint procède-t-il du Fils?

q. 10 pr. 5 Quinto utrum spiritus sanctus remaneret a filio distinctus, si ab eo non procederet.

5. L’esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s’il ne procédait pas de lui?

 

 

Article 1: Y a-t-il une procession dans les personnes divines?

q. 10 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum sit aliqua processio in divinis personis. Et videtur quod non.

Il semble que non1.

Objection:

q. 10 a. 1 arg. 1 Omne enim quod procedit ab aliquo, distat ab eo. Sed divinarum personarum non est aliqua distantia ab invicem: dicit enim filius, Ioan. XIV, 10: ego in patre et pater in me est; et idem dici potest de spiritu sancto, quod scilicet sit in patre et filio, et e converso. Ergo in divinis una persona non procedit ab alia.

1. Car tout ce qui procède de quelque chose en est différent. Mais il n'y pas de différence dans les personnes divines entre elles. Car le Fils dit (Jn 14,10): "Moi je suis dans le Père et le Père est en moi" et on peut dire de même pour l'Esprit saint, parce qu'il est assurément dans le Père et le Fils et inversement. Donc en Dieu une personne ne procède pas d'une autre.

q. 10 a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil quod ad motum pertinet, Deo proprie attribui potest, sicut nec aliquid quod materiam importat. Processio autem significat quemdam motum. Ergo non proprie potest dici in divinis.

2. On ne peut rien attribuer en propre à Dieu qui concerne le mouvement, ni rien qui apporte de la matière. Mais la procession signifie un mouvement. Donc en Dieu on ne peut pas en parler au sens propre.

q. 10 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne procedens praeintelligitur processioni: nam procedens est processionis subiectum: sed in divinis non potest esse aliquid procedens processioni praeintellectum: essentia enim divina non est procedens, sicut nec genita; relatio autem non praeintelligitur processioni, sed e converso, sicut iam dictum est. Non ergo potest esse processio in divinis.

3. Tout ce qui procède est conçu avant la procession; car ce qui procède en est le sujet. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir quelque chose qui procède qui soit conçu avant la procession: car l'essence divine ne procède pas, de même qu'elle n'est pas engendrée; et la relation n'est pas comprise avant la procession, mais c'est le contraire, comme on l'a déjà dit (qu. 8, a. 3). Donc il ne peut pas y avoir de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne procedens sicut ab aliquo procedit, ita oportet quod procedat in aliquid. Quod autem in aliquid procedit, non est per se subsistens. Cum ergo personae divinae sint per se subsistentes, non videtur eis competere quod procedant.

4. Tout ce qui procède, procède d’une chose, et doit procéder dans une autre. Mais ce qui procède en une chose n'est pas subsistant par soi. Donc comme les personnes divines sont subsistantes par soi, apparemment il ne leur convient pas de procéder.

q. 10 a. 1 arg. 5 Praeterea, cum creaturae nobiliores sint etiam Deo similiores, quod invenitur in inferioribus creaturis, non autem in superioribus, nec etiam in Deo invenitur sicut quantitas dimensiva, materia, et alia huiusmodi. Processio autem invenitur in inferioribus creaturis, in quibus unum individuum generat aliud eiusdem speciei; quod non contingit in creaturis superioribus. Ergo neque in Deo processio invenitur.

5. Comme les créatures plus nobles ressemblent davantage à Dieu, ce qui se trouve dans les créatures inférieures, mais pas dans les créatures supérieures, ne se retrouve pas non plus en Dieu, comme la quantité mesurable, la matière, etc.. Mais on trouve la procession dans les créatures inférieures dans lesquelles un des individus en engendre un autre de la même espèce; ce qui n'arrive pas dans les créatures supérieures. Donc on ne trouve pas non plus de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod derogat divinae dignitati, nullo modo est Deo attribuendum. In hoc autem maxime consideratur divina dignitas, quod est prima causa essendi non habens ab alio esse, cui videtur repugnare processio: nam omne procedens quodammodo ab alio est. Non ergo dicendum est quod aliquid sit procedens in divinis.

6. Ce qui déroge à la dignité de Dieu ne doit en aucune manière lui être attribué. Mais en cela on considère surtout sa dignité, parce qu'il est la cause première de l’être, sans avoir l'être d'un autre: la procession apparemment ne lui convient pas; car tout ce qui procède en quelque manière dépend d'un autre. Donc il ne faut pas dire que quelque chose procède en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 7 Praeterea, persona est hypostasis proprietate distincta ad dignitatem pertinente. Accipere autem ab alio (quod importat processio), non videtur ad dignitatem pertinere. Non ergo processio debet attribui divinis personis sicut aliqua personalis proprietas.

7. La personne est une hypostase, avec une propriété distincte qui convient à sa dignité. Mais recevoir d'un autre (ce que la procession apporte) ne semble pas convenir à sa dignité. Donc la procession ne doit pas être attribuée aux personnes divines comme une quelconque propriété personnelle.

q. 10 a. 1 arg. 8 Praeterea, illud a quo aliquid procedit, oportet esse aliquo modo causam illius. Sed una persona non potest esse causa alterius: neque enim esse potest una alterius causa intrinseca, formalis scilicet vel materialis, cum in divinis non sit compositio formae et materiae; nec iterum causa extrinseca, cum una persona sit in alia. Non ergo est processio in divinis.

8. Ce dont quelque chose procède doit être d'une certaine manière sa cause. Mais une personne ne peut pas être cause d'une autre. Elle ne peut pas, en effet, être la seule cause intrinsèque d'une autre, c'est-à-dire la cause formelle ou matérielle, puisqu'en Dieu il n'y a pas composition de forme et de matière; elle ne peut non plus être la cause extrinsèque, puisqu'une personne est dans l'autre. Donc il n'y a pas de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 9 Praeterea, omne procedens procedit ab aliquo sicut a principio. Una autem persona non potest dici alterius principium, quia,- cum principium ad principiatum dicatur,- oportet aliquam personam principiatam dici, quod videtur solis creaturis competere. Non ergo est processio in divinis.

9. Tout ce qui procède procède de quelque chose comme d’un principe. Mais on ne peut pas dire qu'une personne est le principe d'une autre, parce que, — comme on parle de principe pour ce qui en dépend, — il faut dire qu'il y a une personne qui dépend d’un principe, ce qui semble ne convenir qu’aux seules créatures. Donc pas de procession en Dieu.

q. 10 a. 1 arg. 10 Praeterea, nomen principii a prioritate sumptum esse videtur. Sed in personis divinis nihil est prius et posterius, ut Athanasius dicit. Non est ergo una persona principium alterius; et sic non debet dici una procedens ab alia.

10. Le nom de principe semble être pris de "priorité2". Mais dans les personnes divines rien n'est avant ou après, comme Athanase le dit (dans le Symbole3). Donc une personne n'est pas le principe d'une autre; et ainsi on ne doit pas dire que l'une procède d'une autre.

q. 10 a. 1 arg. 11 Praeterea, omne principium est operativum vel factivum. Sed una persona non est factiva alterius nec operativa, alioquin in divinis personis esset aliquid factum vel creatum. Ergo divina persona non habet principium, neque est procedens.

11. Tout principe peut opérer ou produire. Mais une personne ne peut en produire une autre, ou opérer, autrement dans les personnes divines il y aurait quelque chose de produit ou de créé. Donc la personne divine n'a pas de principe, et elle ne procède pas.

q. 10 a. 1 arg. 12 Praeterea, quandocumque est aliquid ab aliquo procedens, oportet esse aliquid commune utrique, quod scilicet procedenti communicatur ab eo a quo procedit, et aliquid proprium, per quod procedens distinguitur ab eo a quo procedit: nihil enim procedit a se ipso. Ubicumque autem est aliquid et aliquid, ibi est compositio. Ergo ubicumque est processio, ibi est compositio. In divinis autem non est compositio. Ergo neque processio.

12. Chaque fois qu'une chose procède d'une autre, il faut qu'il y ait quelque chose de commun à l'une et à l'autre, qui naturellement est communiqué à celle qui procède par celle de qui il procède, et quelque chose de propre, par lequel celui qui procède est distingué de celui dont il procède; car rien ne procède de soi. Mais partout où il y a une chose et une autre, il y a composition. Donc partout où il y a procession, il y a composition. Mais en Dieu il n'y a pas de composition. Ni en conséquence de procession.

q. 10 a. 1 arg. 13 Praeterea, omne procedens ab alio, recipit aliquid ab eo. Quod autem recipit aliquid, est indigentis naturae: nisi enim indigeret, non reciperet; propter quod etiam in rebus naturalibus receptibilitas attribuitur materiae. Ergo omne procedens est indigentis naturae. In divinis autem non est aliqua indigentia, sed summa perfectio. Ergo non est ibi processio.

13. Tout ce qui procède d'un autre en reçoit quelque chose. Parce qu’il reçoit, il en a naturellement besoin. Car s’il n’en avait pas besoin il ne le recevrait pas; c'est pour cela aussi que dans ce qui est naturel aussi la réceptivité est attribuée à la matière. Donc tout ce qui procède est ce qui éprouve un besoin par nature. Mais en Dieu il n'y a pas de besoin, mais une perfection suprême. Donc il n'y a pas de procession.

q. 10 a. 1 arg. 14 Sed dices, quod recipiens quando praeexistit receptioni, est indigens, quando vero iam recipit, habet et non est indigens; filius autem et spiritus sanctus recipiunt quidem a Deo patre, non tamen praeexistunt receptioni; et sic in eis nulla est indigentia.- Sed contra, creatura quaelibet est indigentis naturae, et tamen non praeexistit receptioni qua recipit esse a Deo. Non ergo excludit indigentiam a recipiente hoc quod receptioni non praeexistit.

14. Mais on dira que celui qui reçoit, quand il préexiste à la réception, en a besoin, mais quand il l'a reçu, il n’en a plus besoin. Le Fils et l'Esprit saint reçoivent de Dieu le Père, cependant ils ne préexistent pas à la réception; et ainsi il n'y a en eux aucun besoin. — En sens contraire n'importe quelle créature est d'une nature dans le besoin et cependant elle ne préexiste pas à la réception par laquelle elle reçoit l'être de Dieu. Donc, ce qui ne préexiste pas à la réception n'exclut pas le besoin de celui qui reçoit.

q. 10 a. 1 arg. 15 Praeterea, omne quod non habet aliquid nisi secundum quod recipit illud ab alio, in se consideratum caret illo; sicut aer in se consideratus caret lumine, quod ab alio recipit. Si ergo filius et spiritus sanctus non habent esse nisi per hoc quod recipiunt a patre (quod oportet dicere, si a patre procedunt), necesse est quod si in se considerentur, nihil sint. Quod autem in se consideratum nihil est, si habeat esse ab alio, oportet quod ex nihilo est, et ita quod sit creatura. Si ergo filius et spiritus sanctus procedunt a patre, oportet quod sint creaturae; quod est Arianae impietatis. Non ergo est processio in divinis personis.

15. Tout ce qui n'a que dans la mesure où il le reçoit d'un autre, considéré en soi, en manque; ainsi l'air considéré en soi manque de lumière, qu'il reçoit d'un autre. Donc si le Fils et l'Esprit n'ont l'être que par ce qu'ils reçoivent du Père (ce qu'il faut dire, s'ils procèdent de lui), il est nécessaire que, si on les considère en soi, ils ne soient rien. Mais ce qui n'est rien en soi, s'il a l'être d'un autre, doit venir du néant et ainsi être une créature. Donc si le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père, il faut qu'ils soient des créatures, ce qui est l'hérésie Arienne. Il n’y a donc pas de procession dans les personnes divines.

q. 10 a. 1 arg. 16 Praeterea, quod procedit ab aliquo, ad hoc procedit ut sit. Quod autem procedit ut sit, non semper fuit; sicut quod procedit ad locum, non semper fuit in loco illo. Personae autem divinae sunt sempiternae. Ergo nulla persona divina est procedens.

16. Ce qui procède de quelque chose, en procède pour exister. Mais ce qui procède pour exister n'a pas toujours existé; ainsi ce qui ‘procède’ vers un lieu n'y a pas toujours été. Mais les Personnes divines sont éternelles. Donc aucune ne procède.

q. 10 a. 1 arg. 17 Praeterea, principium a quo aliquid procedit, habet aliquam auctoritatem respectu illius quod procedit a principio. Si ergo aliqua persona divina procedit ab alia, utpote filius et spiritus sanctus a patre, oportet quod in patre sit aliqua auctoritas respectu filii et spiritus sancti: et ita, cum auctoritas sit quaedam dignitas, aliqua dignitas erit in patre quae non est in filio et spiritu sancto; et sic erit inaequalitas in divinis personis: quod est contra Athanasium dicentem quod in Trinitate nihil est prius et posterius; nihil maius aut minus: sed totae tres personae coaeternae sibi sunt et coaequales. Non ergo est processio in divinis personis.

17. Le principe d'où quelque chose procède, a une autorité par rapport à ce qui procède de lui. Donc si une personne divine procède d'une autre, à savoir si le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père, il faut qu’il y ait dans le Père une autorité sur le Fils et l'Esprit saint, et comme l’autorité est une dignité, il y aura dans le Père une dignité qui n’est pas dans le Fils et l’Esprit saint et ainsi il y aura une inégalité dans les personnes divines, ce qui est contre Athanase qui dit (dans le Symbole) que "dans la Trinité, rien n’est avant ni après; rien de plus grand ou plus petit, mais les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles". Donc il n'y a pas de procession dans les personnes divines.

En sens contraire:

q. 10 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicit filius Ioan. cap. VIII, 42: ego ex Deo processi et veni.

1.Il y a ce que dit le Fils (Jn, 8, 42): "Moi, j’ai procédé4 et je suis venu de Dieu."

q. 10 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Ioan. XV, 26, dicitur, quod spiritus veritatis, qui a patre procedit. Est ergo processio in divinis personis.

2. En Jn 15, 26, il est dit que "L'Esprit de vérité…, (qui) procède du Père…" Donc il y a procession dans les personnes divines.

Réponse:

q. 10 a. 1 co. Respondeo. Dicendum quod cognitio intellectiva in nobis sumit principium a phantasia et sensu, quae ultra continuum se non extendunt; et inde est quod ex his quae in continuo inveniuntur, transumimus nomina ad omnia quae capimus intellectu; sicut patet in nomine distantiae, quae primo invenitur in loco, et exinde transumitur ad quamcumque formarum differentiam, propter quod omnia contraria, in quocumque sint genere, dicuntur esse maxime distantia, licet distantia primo inveniatur in ubi, ut philosophus dicit in X Metaph

Il faut dire que la connaissance intellectuelle prend en nous son principe de l'imagination et de la sensation qui ne s'étendent pas au-delà de ce qui est continu5 et de là vient que, de ce qui se trouve dans le continu, nous transférons les noms à tout ce que nous saisissons par l'esprit; comme cela apparaît dans le nom de distance qui se trouve d'abord dans le lieu, et de là est transféré à n’importe quelle différence de formes, en raison de quoi on dit que tous les contraires, en n'importe quel genre qu'ils soient, sont très distants, bien que la distance se trouve d'abord dans le lieu, comme le dit le philosophe (Métaphysique X, 4, 1055 a 86).

Similiter autem nom processionis primo est inventum ad significandum motum localem, secundum quem aliquid ordinate ab uno loco per media ordinatim in extremum transit; et ex hoc transumitur ad significandum omne illud in quo est aliquis ordo unius ex alio, vel post aliud; et inde est quod in omni motu utimur nomine processionis; sicut dicimus, quod corpus procedit ab albedine in nigredinem, et de parva quantitate ad magnam et de non esse in esse, et e converson, et similiter utimur nomine processionis, ubi est aliqua emanatio alicuius ab aliquo; sicut dicims quod radius procedit a sole, et omnis operatio ab operante, et etiam operatum, sicut artificiatum ab artifice, vel genitum a generante; et universaliter omnium huiusmodi ordinem nomine processionis significamus.

Mais de la même manière on a trouvé d'abord le nom de procession pour signifier le mouvement local selon lequel quelque chose passe avec ordre d'un lieu à son extrémité par des intermédiaires et de là il est transféré pour signifier tout ce en quoi il y a un ordre de l'un par un autre, ou après l'autre; et de là vient que dans tout mouvement nous utilisons le nom de procession; ainsi nous disons, que le corps ‘procède’ de la blancheur à la noirceur, d'une petite quantité à une grande, et du non être à l'être, et inversement, et de la même manière nous utilisons le nom de procession là ou il y a une émanation d’une chose à partir d’une autre7, comme nous disons que le rayon procède du soleil, et toute opération de celui qui opère, et aussi l’œuvre, comme œuvre artisanale procède de l'artisan, l'engendré de celui qui engendre, et universellement nous désignons du nom de procession l'ordre de toutes choses de ce genre.

Est autem duplex operatio:

quaedam quidem transiens ab operante in aliquid extrinsecum, sicut calefactio ab igne in lignum; et haec quidem operatio non est perfectio operantis, sed operati: non enim aliquid acquiritur igni ex hoc quod est calefaciens, sed calefactio acquiritur calor.

Alia vero est operatio non transiens in aliquid extrinsecum, sed manens in ipso operante, sicut intelligere, sentire, velle, et huiusmodi. Hae autem operationes sunt perfectiones operantis: intellectus enim non est perfectus nisi per hoc quod est intelligens actu; et similiter nec sensus, nisi per hoc quod actu sentit.

Mais l'opération est double:

a) L'une qui passe de celui qui opère en quelque chose d'extérieur, comme l'échauffement dans le bois par le feu, et cette opération n'est pas la perfection de celui qui opère, mais de ce qui subit l’opération; car rien n'est acquis pour le feu du fait qu'il chauffe, mais l'échauffement est acquis comme chaleur.

b) L’autre est l’opération qui ne passe pas sur quelque chose d’extérieur, mais demeure dans celui qui opère, comme comprendre, sentir, vouloir, etc.. Ces opérations sont les perfections de celui qui opère; car l’intellect n’est parfait que par celui qui comprend en acte; et de la même manière, les sens non plus à moins qquil éprouve une sensation en acte.

Primum autem operationum genus commune est viventibus et non viventibus, sed secundum operationum genus est proprium viventium; unde, si largo modo accipiamus motum pro qualibet operatione, sicut philosophus accipit in III de anima, ubi dicitur, quod sentire et intelligere sunt motus quidam, non quidem motus qui est actus imperfecti, ut definitur III Physic., sed motus qui est actus perfecti, sic proprium videtur esse viventis, et in hoc ratio videtur consistere, quod aliquid sit movens se ipsum. Nam quidquid invenimus per se et in se operari quocumque modo, dicimus vivere; et per hunc modum Plato posuit, quod primum movens movet se ipsum.

Le premier genre d'opération est commun aux vivants et aux non vivants, mais le second est le propre des vivants; c'est pourquoi, si nous considérons le mouvement au sens large pour une opération quelconque, comme le Philosophe l'admet (L’âme, III, 7, 431 a 7), là où il est dit que la sensation et l'intellection sont des mouvements8, non cependant le mouvement qui est d’un acte imparfait, comme il est défini en Physique (III, 1, 200 b 30 – 201 a 29), mais le mouvement qui est d'un acte parfait, alors il apparaît comme le propre du vivant, et c’est en cela que semble consister la raison pour laquelle une chose se meut elle-même. Car nous disons que vit tout ce que nous trouvons qui opère par soi et en soi de quelque manière, et de cette manière Platon a pensé (Timée) que le premier moteur se meut lui-même.

Secundum autem utrumque operationis genus invenitur in creaturis aliqua processio: nam secundum primum genus dicimus, quod generatum procedit a generante, et factum a faciente. Quantum autem ad secundum operationis genus, dicimus, quod verbum procedit a dicente, et amor ab amante. Huiusmodi autem duplex operationis genus Deo attribuimus. Genus quidem operationis in aliud extrinsecum transeuntis Deo attribuimus, in quantum dicimus, quod creat, conservat et gubernat omnia. Ex quo quidem operationis genere nulla perfectio Deo advenire significatur, sed magis quod proveniat in creatura perfectio ex perfectione divina.

On trouve une procession dans les créatures selon ces deux genres d'opération. Car selon le premier genre, nous disons que l'engendré procède de celui qui engendre, et ce qui est fait de ce qui le fait. Quant au second genre, nous disons que le verbe procède de celui qui parle, et l'amour de celui qui aime. On attribue à Dieu ce double genre d'opération. Celui de l'opération qui passe en un autre qui est extérieur, nous l'attribuons à Dieu dans la mesure où nous disons qu'il crée, conserve et gouverne tout. Ce genre d'opération signifie qu'aucune perfection ne peut venir en Dieu, mais plutôt que la perfection parvient à la créature à partir de la perfection divine.

Aliud vero operationis genus Deo attribuimus, in quantum ipsum intelligentem et volentem dicimus, in quo ipsius perfectio significatur. Non enim esset perfectus, nisi esset intelligens et volens actu; et inde est quod confitemur eum viventem.

Mais l’autre genre d’opération, nous l’attribuons à Dieu dans la mesure où nous parlons de son intellection et de sa volonté, en quoi est signifiée sa perfection. Car il ne serait pas parfait s'il n’était intelligent et volontaire en acte; et de là vient que nous confessons qu'il est vivant.

Secundum ergo utramque operationem Deo processionem attribuimus: secundum quidem primum operationis genus dicimus divinam sapientiam aut bonitatem in creaturas procedere, ut Dionysius dicit, IX cap. de Divin. Nomin.: et etiam quod creaturae procedunt a Deo. Secundum vero aliud operationis genus dicimus in divinis processionem verbi et amoris; et haec est processio personae filii a patre, qui est verbum ipsius, et spiritus sancti, qui est amor eius et spiramen vivificum. Unde Athanasius in quodam sermone Nicaeni Concilii dicit, quod Ariani ponentes filium et spiritum sanctum non esse coessentiales patri, per consequens videbantur dicere Deum non viventem et intelligentem, sed mortuum et sine mente.

Donc nous attribuons la procession à Dieu selon l’une et l’autre opérations. Selon le premier genre, nous disons que la sagesse ou la bonté divines procèdent dans les créatures, comme Denys le dit (Les Noms divins, 9) et aussi que les créatures procèdent de Dieu. Mais, selon l'autre genre d'opération, nous parlons en Dieu de la procession du verbe et de l'amour, et c'est celle de la personne du Fils à partir du Père, qui est son Verbe, et celle de l'Esprit saint qui est son amour et le souffle vivificateur. C'est pourquoi Athanase, dans un sermon du Concile de Nicée (dans la lettre contre ceux qui disent que l'Esprit saint est une créature), dit que les Ariens pensant que le Fils et l'Esprit saint n'étaient pas coessentiels au Père, paraissaient par conséquent dire que Dieu n'était ni vivant ni intelligent, mais mort et sans esprit

Solutions:

q. 10 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obiectio illa procedit de processione quae attenditur secundum operationem in aliquid extrinsecum transeuntem. Sic autem non procedunt divinae personae, sed magis per modum processionis quae attenditur secundum operationem in operante manentem; quod enim sic procedit non distat ab eo a quo procedit; sicut etiam humanum verbum est in intellectu loquentis, non distans ab eo.

# 1. Cette objection provient de la processions qui concerne l'opération qui passe dans quelque chose d'extérieur. Mais ce n'est pas ainsi que les personnes divines procèdent, mais plutôt à la manière de la procession qui s’étend à l'opération qui demeure dans celui qui opère; car ce qui procède ainsi n'est pas éloigné de ce dont il procède; ainsi le verbe humain est dans l'intellect de celui qui parle, sans être éloigné de lui.

q. 10 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio prout significat motum localem, non ponitur in divinis personis, sed secundum quod importat quemdam emanationis ordinem.

# 2. Dans la mesure où elle signifie le mouvement local, la procession n'est pas établie dans les personnes divines, mais selon qu'elle apporte un certain ordre d'émanation.

q. 10 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in processione quae est motus localis, necesse est quod procedens processioni praeintelligatur, cum sit eius subiectum; sed in processione quae importat originis ordinem procedens se habet ad processionem ut terminus. Unde si procedens sit ex materia et forma compositum, et per viam generationis in esse productum, materia quidem praeexistit processioni ut subiectum, forma vero vel etiam compositum, sequitur secundum intellectum ad processionem ut terminus; sicut cum ignis ab igne per generationem procedit. Cum vero id quod procedit, non est compositum, sed forma tantum, vel etiam per creationem in esse eductum,- cuius terminus est tota rei substantia,- tunc nullo modo procedens praeintelligitur processioni, sed e converso; sicut creatura non praeintelligitur creationi, nec splendor processioni ipsius a sole, nec verbum processioni eius a dicente; et similiter nec verbum processioni eius a patre.

# 3. Dans la procession qui est un mouvement local, il est nécessaire que ce qui procède soit préconçu à la procession, puisqu'il est son substrat, mais dans la procession qui apporte un rapport à l'origine, ce qui procède se comporte comme le terme. C'est pourquoi si ce qui procède est composé de matière et de forme, et a été amené à l'être par voie de génération, la matière préexiste à la procession comme substrat, mais la forme ou aussi le composé arrive selon le concept à la procession comme à son terme; comme quand le feu procède du feu par génération. Mais quand ce qui procède n'est pas composé, mais est une forme seulement, ou encore est amené à l’être par création,— dont le terme est toute la substance de la chose — alors ce qui procède n’est conçu en aucune manière avant la procession, mais c’est le contraire; ainsi la créature n'est pas conçue avant la création, ni la splendeur à sa procession du soleil, ni le verbe avant la procession de celui qui l'énonce et semblablement ni le Verbe avant sa procession du Père.

q. 10 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum processionem quae importat originis ordinem, potest aliquid procedere ut in se subsistens, non relatum ad aliud; quamvis secundum processionem localem procedat aliquid, non ut simpliciter in se subsistat, sed ut sit in loco. Talis autem processio non est in divinis personis.

# 4. Selon la procession qui apporte un rapport à l'origine, quelque chose peut procéder comme subsistant en soi, et sans rapport à autre chose, quoique quelque chose procède selon la procession locale, non pour subsister simplement en soi, mais pour être en un lieu. Mais une telle procession n'est pas dans les personnes divines.

q. 10 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectualibus substantiis, quae sunt nobilissimae creaturae, est etiam processio secundum operationem intellectus et voluntatis; et quantum ad hoc invenitur in eis increatae Trinitatis imago. Sed verbum et amor in eis non sunt personae subsistentes: earum enim intelligere et velle non est ipsarum substantia, sed hoc proprium Dei est; unde verbum et amor procedunt in Deo ut personae subsistentes, non autem in intellectualibus creaturis.

# 5. Dans les substances intellectuelles, qui sont les créatures les plus nobles, il y a aussi une procession selon l'opération de l'esprit et de la volonté; et c'est en cela qu'on trouve en elles l'image de la Trinité incréée. Mais le verbe et l'amour ne sont pas en elles des personnes subsistantes; car leur intellection et leur volonté ne sont pas leur substance, mais c’est le propre de Dieu; c'est pourquoi le verbe et l'amour procèdent en Dieu comme personnes subsistantes, mais non pas dans les créatures intellectuelles.

q. 10 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habere originem ab aliquo quod sit in essentia diversum, derogat dignitati divinae: hoc enim est proprium creaturae; sed habere originem ab aliquo coessentiali, magis ad perfectionem divinam pertinet. Non enim esset in divinitate perfectio, nisi esset ibi intelligere et velle in actu. Quibus positis necesse est poni verbi et amoris processionem.

# 6. Tirer une origine de quelque chose qui est différent en essence déroge à la dignité divine; car c’est le propre de la créature; mais avoir une origine de quelqu'un de coessentiel, convient mieux à la perfection divine. Car il n'y aurait pas de perfection en Dieu, s'il n'y avait pas d'intellection et de vouloir en acte. Ceux-ci établis, il est nécessaire de placer la procession du verbe et de l'amour.

q. 10 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet accipere, in quantum huiusmodi, perfectionem non dicat, tamen ex parte eius a quo accipitur, perfectionem importat, et praecipue in divinis personis, quae accipiunt plenitudinem deitatis.

# 7. Bien que recevoir, en tant que tel, n'indique pas une perfection, cependant du côté de ce qui est reçu, cela apporte une perfection, et principalement dans les personnes divines qui reçoivent la plénitude de la divinité.

q. 10 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Latini doctores raro vel nunquam ad significandum originem divinarum personarum, nomine causae utuntur: tum quia causae apud nos respondet effectus,- unde ne cogamur filium vel spiritum sanctum factos dicere, patrem non dicimus causam eorum,- tum quia apud nos nomen causae significat aliquid in essentia diversum; dicimus enim causam ad quam sequitur aliud; tum etiam quia apud gentiles philosophos nomen causae dictum de Deo, habitudinem ipsius ad creaturas designat. Dicunt enim Deum esse primam causam, et creaturas esse eius causata. Unde ne aliquis filium et spiritum sanctum inter creaturas secundum essentiam a Deo diversas suspicetur esse ponendas, nomen causae refugimus in divinis. Graeci tamen absolutius in divinis utuntur nomine causae, ex ipso solam originem significantes; et ideo in divinis personis utuntur nomine causae. Aliquid enim inconvenienter in lingua Latina dicitur quod propter proprietatem idiomatis convenienter in lingua Graeca dici potest. Non autem oportet si nomen causae confitemur in divinis secundum Graecos, quod eodem modo accipiatur sicut cum de creaturis dicitur, prout in quatuor genera secundum philosophos dividitur.

# 8. Les docteurs latins, utilisent rarement ou même jamais le nom de cause pour signifier l'origine des personnes divines; d’une part, parce que l'effet ne répond pas à la cause pour nous — c'est pourquoi pour ne pas être forcés de dire que le Fils ou le Saint Esprit ont été faits, nous ne disons pas que le Père est leur cause, - d’autre part, parce que, pour nous, le nom de cause signifie quelque chose de différent dans l'essence; car nous parlons de la cause pour ce d’où découle une autre chose; enfin aussi, parce que chez les philosophes païens le nom de cause employé pour Dieu désigne sa relation aux créatures. Car ils disent que Dieu est la cause première et que les créatures sont ses effets. C'est pourquoi pour que personne ne soupçonne qu'on place le Fils et l'Esprit saint parmi les créatures différentes de Dieu selon l'essence, nous refusons le nom de cause en Dieu. Cependant les Grecs usent du nom de cause de façon plus absolue, en signifiant sa seule origine; et c'est pourquoi pour les personnes divines, ils se servent de ce nom de cause. Car on dit quelque chose de manière inconvenante en latin, qui à cause de la propriété de la langue peut être dit convenablement en grec. Mais, il ne faut pas, si nous utilisons le nom de cause en Dieu, selon les grecs, qu'il soit reçu de la même manière dont on parle des créatures, selon que la cause est divisée en quatre genres par les philosophes.

q. 10 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod inter omnia ad originem spectantia magis convenit in divinis hoc nomen principium. Quia enim divina comprehendi a nobis non possunt, convenientius a nobis significantur per nomina communia quae indefinite aliquid significant, quam per nomina specialia, quae definite rei species exprimunt; unde hoc nomen qui est, quod secundum Damascenum significat substantiae pelagus infinitum, convenientissimum nomen dicitur esse, ut patet Exod. III, 14. Sicut autem causa communior est quam elementum, quod significat aliquid primum et simplex in genere causae materialis, ita etiam principium est communius quam causa; nam prima pars motus vel lineae dicitur principium sed non causa. In quo patet quod principium potest dici aliquid quod non est secundum essentiam distinctum, ut punctum lineae; non autem causa, maxime si loquamur de causa originante, quae est causa efficiens. Quamvis autem pater dicatur esse principium filii et spiritus sancti, non tamen videtur indifferenter dicendum, quod filius sit principiatum, vel etiam spiritus sanctus, licet etiam hoc modo loquendi Graeci utantur, et possit apud sane intelligentes concedi; tamen ea quae minorationem aliquam importare videntur, refugere debemus, ne filio vel spiritui sancto attribuantur, propter Arianorum errorem vitandum; sicut Hilarius, etsi concedat patrem esse maiorem filio propter auctoritatem originis, non tamen concedit quod filius sit minor patre cui est aequale esse donatum a patre. Et similiter non est extendendum nomen subauctoritatis vel principiati in filio, licet nomen auctoritatis, vel principii concedatur in patre.

# 9. Pour tout ce qui concerne l'origine, le nom de principe convient plus en Dieu. En effet, parce que nous ne pouvons pas comprendre ce qui concerne Dieu, on le signifie par des noms communs qui ont une signification indéfinie plus convenablement que par les noms spéciaux qui expriment l'espèce de manière définie; c'est pourquoi ce nom "qui est" , qui, selon Jean Damascène, signifie une mer infinie de substance, est considéré comme le nom qui convient le mieux, comme on le voit dans Ex. 3, 1410. De même que la cause est plus commune que l'élément qui signifie quelque chose de premier et de simple, dans le genre de la cause matérielle, de même le principe est plus commun que la cause; car la première partie du mouvement ou de la ligne est appelée principe mais non pas cause. En quoi il apparaît qu’on peut dire que le principe est quelque chose de distinct selon l'essence, comme le point de la ligne; mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause d'origine qu’est la cause efficiente. Mais quoiqu'on dise que le Père est le principe du Fils et de l'Esprit saint, cependant il ne semble pas qu'on doive dire indifféremment que le Fils ou aussi l'Esprit saint dépendent d’un principe, bien que les Grecs utilisent cette manière de parler, et on pourrait l’accepter de ceux qui pensent juste; par contre nous devons refuser ce qui semble apporter une diminution, pour ne pas l'attribuer au Fils ou à l'Esprit saint, pour éviter l'erreur des Ariens; selon Hilaire (la Trinité, 7), même s'il concède que le Père est plus grand que le Fils à cause de l'autorité d'origine, il ne concède cependant pas que le Fils soit plus petit que le Père11, lui en qui il y a un être égal donné par le Père. Et de la même manière, il ne faut pas étendre au Fils le nom de soumission ou de dépendance à un principe, bien que le nom d'autorité ou de principe soit concédé au Père.

q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod filius Dei non se habet ad potentiam generativam sicut effectus, cum eum genitum, non factum confiteamur. Si tamen esset effectus, potentia generantis non finiretur ad ipsum, quamvis alius generari filius non possit, quia ipse infinitus est. Quod autem alius filius in divinis esse non potest, contingit, quia ipsa filiatio est proprietas personalis ipsius; et hoc quo, ut ita dicam, individuatur. Cuilibet autem individuo principia individuantia sunt soli sibi; alias sequeretur quod persona vel individuum esset communicabile ratione.

# 10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis-à-vis de la puissance générative comme un effet, puisque nous confessons qu’il est engendré et non créé. Si cependant il était un effet, la puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas à lui quoiqu'un autre fils ne puisse être engendré, puisqu’il est lui-même infini. Mais le fait qu’un autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que la filiation même est sa propriété personnelle et ce par quoi il est personalisé pour ainsi dire. Pour n’importe quel individu les principes qui individualisent sont pour lui seul; autrement il s’ensuivrait que la personne ou l’individu serait communicable en raison.

q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum illud Avicennae intelligendum est, quando id quod recipitur ab alio, non idem numero est in recipiente et dante, sicut accidit in creaturis respectu Dei. Unde omne receptum in creatura, est quasi unitas respectu esse divini: quia creatura non potest esse recipere secundum illam perfectionem quae in Deo est. Sed filius in divinis accipit a patre eamdem naturam numero quam pater habet: et ideo non procedit.

# 11. Il faut comprendre que ce mot d’Avicenne s’applique quand ce qui est reçu d’un autre n’est pas identique en nombre dans celui qui reçoit et celui qui donne, comme cela arrive pour les créatures par rapport à Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reçu dans la créature est comme une unité par rapport à l’être divin; parce que la créature ne peut pas recevoir l’être selon cette perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reçoit du Père une nature identique en nombre à celle du Père; et c’est pourquoi, cette objection n'est pas valable.

q. 10 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod non omne est aliquid commune patri, scilicet essentia; et aliquid per quod a patre distinguitur, scilicet relatio. Non tamen est ibi compositio, quia relatio est secundum rem essentia, sicut ex superioribus disputationibus patet.

# 12. Tout n’est pas commun avaec Père, comme l'essence; il y a quelque chose par quoi il est ditingué du Père à savoir la relation. Cependant il n'y a pas composition, parce que la relation est réellement l'essence, comme cela paraît dans les discussions ci-dessus (qu. 8, a. 2).

q. 10 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum quod recipiens, antequam recipiat, indiget,- ad hoc enim accipit, ut indigentiam repleat,- sed postquam iam acceperit non indiget, habet enim quo indigebat. Si ergo aliquid est quod receptioni non praeexistit, sed semper est in recepisse, hoc nullo modo est indigens. Filius autem non sic accipit a patre quasi prius non habens et postea accipiens; sed quia hoc ipsum quod est, habet a patre. Unde non sequitur quod sit indigens.

# 13. Ce qui reçoit, avant de recevoir en éprouve le besoin — car il reçoit cela pour combler son manque, — mais après qu'il a reçu il n'en a plus besoin, car il a ce qui lui manquait. Donc s'il y a quelque chose qui ne préexiste pas à la réception, mais est toujours comme ayant reçu, il n’en éprouve le besoin en aucune manière. Mais le Fils ne reçoit pas du Père, comme s’il n’avait pas auparavant, et recevait ensuite; mais parce que ce qu’il est, il le tient du Père. C'est pourquoi il n'en découle pas qu'il en a besoin.

q. 10 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod creatura accipit a Deo esse quoddam, quod non esset permanens, nisi divinitus conservaretur; et ideo etiam postquam esse accepit, indiget divina operatione ut conservetur in esse, et sic est naturae indigentis. Filius autem accipit a patre idem numero esse et eamdem naturam numero quam pater habet; unde non est naturae indigentis.

# 14. La créature reçoit de Dieu un être, qui ne serait pas permanent s'il n'était divinement conservé et c'est pourquoi même après qu'elle l'a reçu, elle a besoin de l'opération divine pour être conservée à l'être, et ainsi elle est d'une nature qui est dans le besoin. Mais le Fils reçoit du Père le même être en nombre, la même nature en nombre12, que le Père; c'est pourquoi il n'est pas d'une nature dans le besoin.

q. 10 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod filius in se consideratur secundum illud quod absolute habet, quod est patris essentia; et secundum hoc non est nihil, sed unum cum patre. Secundum vero quod refertur ad patrem, consideratur ut recipiens esse a patre: unde nec sic etiam est nihil; et ita nullo modo filius est nihil. Esset autem in se consideratus nihil, si esset in eo aliquid absolutum distinctum a patre, sicut est in creaturis.

# 15. Le Fils est considéré en soi, selon ce qu'il a dans l’absolu, qui est l'essence du Père, et selon cela il n'est pas néant, mais un avec le Père. Mais pour ce qui se rapporte au Père, il est considéré comme recevant l’être de lui; c'est pourquoi ainsi non plus il n'est pas néant, et ainsi en aucune manière le Fils n’est néant. Mais il le serait, considéré en soi, s'il y avait en lui quelque chose d'absolu distinct du Père, comme dans les créatures.

q. 10 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod filius ad hoc procedit ut sit; sed processio eius est aeterna, sicut processio splendoris a sole est ei coaeva; et propter hoc etiam filius est aeternus.

# 16. Le Fils procède pour être, mais sa procession est éternelle, comme la procession de la splendeur du soleil lui est contemporaine. Et c'est pour cela que le Fils est éternel.

q. 10 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod auctoritas in patre non est aliud quam relatio principii. Secundum relationem autem non dicitur aliquid aequale vel inaequale, sed secundum quantitatem, ut Augustinus dicit et propter hoc filius non est inaequalis patri.

# 17. L'autorité dans le Père n'est pas autre chose qu'une relation de principe. Mais pour la relation, on ne parle pas d’égalité ou d’inégalité, mais on en parle selon la quantité13, comme Augustin le dit (La Trinité, VI, III, 5) et à cause de cela le Fils n'est pas inégal au Père.

 

1 Parall.: Ia, 27, 1 — 1 Sent. D. 13, a. 1— CG. IV, 11.

2 Ce qui se trouve premier (princeps: primum caput).

3 Symbole "Quicumque", dit d’Athanase. Denz. 75 (25-26). 25. Dans la trinité, rien n'est antérieur ou postérieur, rien n'est plus grand ou moins grand. (Symbole et définitions).

4 B.J. ".…c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens."

5 "Le continu est ce dont les extrémités sont une seule chose… Il est impossible qu’un continu soit formé d’indivisible" (Physique, VI, 1, 231 a 20) "Le continu en tant que tel est divisible à l’infini" Ia, qu. 3, a. 1, c. Le sens de continu comme proche de matière.

6 "Or la distance des extrêmes, et, par conséquent aussi des contraires, est la distance maxima…" (Trad. J. Tricot, p. 546).

7 Vanier, p. 46: "On a cru voir dans ce texte le thème de tout le De Potentia" p. 46.

8 Opération ad intra corporelle (sens) et spirituelle (intelligence et volonté).

9 "…Il n’y a pas de mouvement hors des choses; en effet, ce qui change, change toujours substantiellement, ou quantitativement, ou localement… il n’y aura ni mouvement ni changement en dehors des choses qu’on vient de dire, puisqu’il n’y a rien hors de ces choses." (Physique III, 1, 200 b 30- 201 a 2).

10 L’article 11 de la qu. 13, dans la Somme Théologique, est consacré à ce sujet. La formule est la plus propre pour Dieu, a) parce qu’elle signifie l’esse. b) à cause de son universalité. Les autres noms ont moins d’extension. c) Elle signifie l’être dans le présent. Cf. I Sent. D. 8 qu. 1, a. 1. — Pot. qu. 2, a. 1,— qu. 7, a. 5 — Les noms divins, c. 5, lectio 1.

11 Contra errores Graecorum, c 1, ch. 2.

12 "La communication qui se fait ainsi du Père aux autres personnes est perçue comme une diffusion." Vanier p. 46.

13 Qui n’existe pas en Dieu.

 

Article 2: En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs?

q. 10 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum in divinis sit una tantum processio vel plures. Et videtur quod sit una tantum.

Il semble qu'il n'y en a qu'une seulement1.

Objections:

q. 10 a. 2 arg. 1 Dicit enim Boetius in libro de Trinitate, quod processio in Deo est substantialis. Substantialia autem non multiplicantur in divinis. Ergo processiones in divinis non sunt plures.

1. Car Boèce dit (La Trinité) que la procession en Dieu est selon la substance. Mais ce qui est substantiel n'est pas multiplié en lui. Donc il n’y a pas plusieurs processions.

q. 10 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod processiones in divinis non distinguuntur per distinctionem substantiae, quae secundum processionem communicatur, ratione cuius processiones substantiales dicuntur; sed distinguuntur seipsis.- Sed contra, quaecumque ab invicem distinguuntur, vel distinguuntur per divisionem materiae, sicut individua eiusdem speciei; vel formaliter, sicut ea quae differunt vel genere vel specie. Processione autem non distinguuntur in divinis ad modum eorum quae materialiter distinguuntur, cum Deus sit omnino immaterialis. Relinquitur ergo quod omnis distinctio quae est in divinis, sit ad modum eorum quae formaliter distinguuntur. Omnis autem formalis distinctio est per aliquam oppositionem, et maxime eorum quae sunt unius generis: nam genus dividitur contrariis differentiis, per quas species distinguuntur, ut dicitur in X Metaph. Oportet ergo, si processiones distinguantur in divinis, quod hoc sit ratione alicuius oppositionis. Processiones autem et actiones et motus non habent oppositionem ad invicem nisi ratione principiorum vel ratione terminorum, sicut patet de calefactione et infrigidatione, ascensu et descensu. Ergo impossibile est quod processiones in divinis distinguantur seipsis: sed si distinguuntur, oportet quod distinguantur ex parte principii processionis, vel ex parte termini, id est personae ad quam processio terminatur.

2. Mais il faut dire que les processions en Dieu ne se distinguent pas par la substance, qui est communiquée selon la procession, pour la raison que les processions sont appelées substantielles; mais elles se distinguent d'elles-mêmes — Mais en sens contraire, tout ce qui se distingue l'un de l'autre se distingue par la division de la matière, comme les individus d'une même espèce, ou formellement, comme ce qui diffère en genre ou en espèce. Mais les processions ne se distinguent pas en Dieu à la manière de ce qui est distingué par la matière, puisque Dieu est tout à fait immatériel. Il reste donc qu’en lui toute distinction serait à la manière de ce qui se distingue par la forme. Mais toute distinction formelle se fait par une opposition et surtout pour ce qui est d'un seul genre; car le genre est divisé par des différences contraires, par lesquelles les espèces se distinguent, comme il est dit en Métaphysique X, 8, 1058 a 282. Il faut donc, si les processions se distinguent en Dieu, que ce soit en raison d'une opposition entre elles. Mais les processions, les actions et les mouvements n’ont d’oppositions entre eux, qu’en raison des principes ou en raison des termes, comme cela apparaît pour le réchauffement ou le refroidissement, la montée ou la descente. Donc il est impossible que les processions en Dieu se distinguent par elles-mêmes, mais si elles se distinguent, il faut qu'elles le soient du côté du principe de la procession, ou du côté du terme, c'est-à-dire de la personne à laquelle la procession se termine.

q. 10 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea quae possunt simul esse, non sunt distinctiva aliquorum: sicut album et dulce non sunt distinctiva duorum substantivorum, quia possunt eidem inesse; ex hoc enim unumquodque ab altero distinguitur quod unum eorum alterum esse non potest. Quod aliqua autem non possint esse simul, hoc contingit ex natura alicuius oppositionis; ea enim dicuntur esse opposita quae simul esse non possunt. Nihil igitur distinguitur ab altero nisi ratione alicuius oppositionis; nam et in divisione quae est secundum materiam, attenditur oppositio secundum situm, cum eadem divisio sit secundum quantitatem. Si ergo oppositio processionum esse non potest nisi ratione terminorum vel principiorum, ut dictum est, impossibile est quod processiones distinguantur seipsis.

3 Ce qui peut être ensemble n’apporte pas de distinction; comme la blancheur et la douceur n’apportent pas de distinction entre deux substances (??), parce qu'elles peuvent être dans une même réalité, car l'une se distingue de l'autre, parce que l'une ne peut pas être l’autre. Que certains ne puissent pas être ensemble, cela arrive en raison d'une opposition; car on dit que les opposés ne peuvent pas être ensemble. Donc une chose ne se distingue d’une autre qu’en raison d’une opposition, car dans la division d’après la matière, une opposition est atteinte suivant le lieu, puisque c'est la même division pour la quantité. Si donc l'opposition des processions ne peut exister qu'en raison des termes ou des principes, comme on l'a dit, il est impossible que les processions se distinguent d'elles-mêmes.

q. 10 a. 2 arg. 4 Sed dicendum, quod processiones distinguuntur in divinis ex eo quod una est per modum naturae, scilicet processio filii, et altera per modum voluntatis, scilicet processio spiritus sancti.- Sed contra, quod procedit naturaliter, procedit per modum naturae. Spiritus sanctus autem procedit a patre naturaliter: dicit enim Athanasius quod est naturalis spiritus patris. Ergo procedit per modum naturae.

4. Mais il faut dire que les processions se distinguent en Dieu parce que l'une est par mode de nature, à savoir la procession du Fils, l'autre par mode de volonté, à savoir celle de l'Esprit saint. — En sens contraire, ce qui procède naturellement procède par mode de nature. L'Esprit saint procède du Père naturellement. Car Athanase dit (Lettre contre ceux qui disent que l'Esprit saint est une créature et qui commence: Ta lettre, très saint…) qu'il est l'Esprit naturel du Père. Donc il procède par mode de nature.

q. 10 a. 2 arg. 5 Praeterea, voluntas libera est. Quod ergo procedit per modum voluntatis procedit per modum libertatis. Si ergo spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, oportet quod procedat per modum libertatis. Quod autem procedit per modum libertatis, potest procedere et non procedere, et in tantum vel non in tantum procedere; quia quae libere fiunt, non sunt determinata ad unum, ergo pater potuit producere spiritum sanctum vel non producere, et dare ei quamcumque mensuram magnitudinis vellet. Sequitur ergo quod spiritus sanctus sit ens possibile, et non ens per se necesse esse: et sic non erit divinae naturae; quod est haeresis Macedonianae.

5. La volonté est libre. Donc ce qui procède par mode de volonté procède par mode de liberté. Si donc l’Esprit saint procède par mode de volonté, il faut qu’il procède par mode de liberté. Mais ce qui procède ainsi, peut procéder ou ne pas procéder; et procéder dans telle mesure ou pas; parce que ce qui se fait librement n’est pas limité à un seul effet, donc le Père a pu produire l’Esprit saint ou ne pas le produire, et lui donner n’importe quelle grandeur qu’il voulait. Il en découle donc que l’Esprit saint est un étant possible et non un étant qui est nécessairement par soi; et ainsi il ne sera pas de nature divine; ce qui est l’hérésie de Macédonius.

q. 10 a. 2 arg. 6 Praeterea, Hilarius dicit, differentiam assignans inter creaturas et filium, quod omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit, filius autem naturali nativitate substantiam a patre accepit. Si ergo spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, sequitur quod procedit sicut creatura.

6. Hilaire dit (dans le livre des Synodes), assignant une différence entre les créatures et le Fils, que la volonté de Dieu apporte à toutes créatures la substance, mais le Fils reçoit la sienne du Père par une naissance naturelle. Si donc l’Esprit saint procède par mode de volonté, il en découle qu’il procède comme les créatures.

q. 10 a. 2 arg. 7 Praeterea, natura et voluntas in Deo non differunt nisi secundum rationem. Si ergo processio filii et spiritus sancti distinguantur ex eo quod una est per modum naturae, altera vero per modum voluntatis, sequitur quod processio filii et spiritus sancti non differant nisi ratione tantum; et ita filius et spiritus sanctus personaliter non distinguuntur.

7. La nature et la volonté en Dieu ne diffèrent qu’en raison. Si donc la procession du Fils et celle de l’Esprit saint sont distinguées par le fait que l’une est par mode de nature, l’autre par mode de volonté, il en découle que la procession du Fils et celle de l’Esprit saint ne diffèrent qu’en raison seulement, et ainsi le Fils et l’Esprit saint ne sont pas distingués personnellement.

q. 10 a. 2 arg. 8 Sed dicendum quod vis spirativa et generativa in patre differunt ratione tantum, et tamen haec est distinctio realis in filio et spiritu sancto; et similiter natura et voluntas possunt realem distinctionem in processionibus et procedentibus constituere, licet differant ratione tantum.- Sed contra, filius et spiritus sanctus distinguuntur per ea quae in eis sunt. Vis autem generativa non est in filio, nec spirativa in spiritu sancto. Ergo per haec filius et spiritus sanctus non distinguuntur.

8. Mais il faut dire que la puissance de spiration et la puissance générative dans le Père différent en raison seulement et cependant c’est une distinction réelle dans le Fils et l’Esprit saint; et de la même manière, la nature et la volonté peuvent constituer une distinction réelle dans les processions et dans ce qui procède, bien qu’ils diffèrent en raison seulement.— En sens contraire, le Fils et l’Esprit saint se distinguent par ce qui est en eux. Mais la puissance générative n’est pas dans le Fils, ni la puissance de spiration dans l’Esprit saint. Donc ce n’est pas cela qui distingue le Fils et l’Esprit saint.

q. 10 a. 2 arg. 9 Praeterea, ex hoc ostenditur quod generatio, quae est processio per modum naturae, est in divinis, quod eius similitudo creaturae communicatur, ut patet Is., LXVI, 9: numquid ego qui (...) generationem aliis tribuo sterilis ero? Processio autem quae est per modum voluntatis non communicatur creaturae, non enim invenitur in creaturis aliquid quod naturam accipiat nisi per modum generationis. Non est ergo aliqua processio in divinis personis per modum voluntatis.

9. Par là, on montre que la génération, qui est une procession par mode de nature, est en Dieu, parce que sa ressemblance est communiquée à la créature, comme cela paraît en Is. 66, 9: "Est-ce que moi qui… accorde la génération aux autre, je serai stérile?" Mais la procession qui est par mode de volonté n’est pas communiquée aux créatures, car on ne trouve rien en elles qui reçoit la nature sinon par mode de génération. Donc il n’y a pas de procession dans les personnes divines par mode de volonté.

q. 10 a. 2 arg. 10 Praeterea, modus aliquid adiicit rei et per consequens compositionem facit; et multo magis, si sit modorum pluralitas. Sed in divinis est omnimoda simplicitas. Ergo non est ibi modorum pluralitas, ut possit dici, quod filius procedit uno modo, scilicet per modum naturae, et spiritus sanctus alio modo, scilicet per modum voluntatis.

10. Une modalité est un ajout et par conséquent produit une composition, et beaucoup plus, s’il y a pluralité de modalités. Mais en Dieu il y a la simplicité de toutes les manières. Donc il n’y a pas pluralité de modalités, pour qu’on puisse dire que le Fils procède d’une manière, à savoir celui de la nature, et l’Esprit saint d’une autre, à savoir celui de la volonté.

q. 10 a. 2 arg. 11 Praeterea, in divinis voluntas non plus differt a natura quam intellectus. Sed non est alia processio in divinis per modum intellectus ab ea quae est per modum naturae. Ergo etiam non est alia processio quae est per modum voluntatis, ab ea quae est per modum naturae.

11. En Dieu la volonté ne diffère pas plus de la nature que l’intellect. Mais il n’y a d’autre procession par mode d’esprit que celle qui est par mode de nature. Donc il n’y a pas d’autre procession qui est par mode de volonté que celle qui est par mode de nature.

q. 10 a. 2 arg. 12 Sed dicendum, quod processio spiritus sancti differt a processione filii, ex eo quod processio filii est a non procedente tantum, scilicet a patre; processio autem spiritus sancti est a non procedente et procedente, et simul, scilicet a patre et filio.- Sed contra, si ponantur duae processiones in divinis, oportet quod differant numero tantum aut specie. Si numero tantum, sequitur quod utraque processio debeat dici generatio vel nativitas, et uterque procedens debeat dici filius; si autem differant specie, oportet quod natura per processionem communicata specie differat: sic enim specie differt processio hominis et equi a suo principio, non autem processio Socratis et Platonis. Cum ergo una tantum sit natura divina, non possunt esse plures processiones specie differentes, per hoc quod una est a procedente, alia vero non.

12. Mais il faut dire que la procession de l’Esprit saint diffère de celle du Fils, par le fait que celle du Fils est seulement par quelqu’un qui ne procède pas, à savoir par le Père; mais la procession de l’Esprit saint est par l’un qui ne procède pas et l’autre qui procède, en même temps, à savoir par le Père et le Fils. — En sens contraire, si on place deux processions en Dieu, il faut qu’elles diffèrent en nombre seulement ou en espèce. Si c’est en nombre seulement, il en découle que l’une et l’autre processions doivent être appelées génération ou naissance, et l’un et l’autre qui procèdent doivent être appelé fils, mais si elles diffèrent en espèce, il faut que la nature communiquée par la procession diffère en espèce: car ainsi la ‘procession’ de l’homme et du cheval diffère en espèce par son principe, mais pas celle de Socrate et de Platon. Donc comme la nature divine est une seulement, il n’est pas possible qu’il y ait plusieurs processions différentes en espèces, par le fait que l’une vient de celui qui procède et l’autre non.

q. 10 a. 2 arg. 13 Praeterea, filius et spiritus sanctus non distinguuntur ad modum eorum quae specie differunt in creaturis: sunt enim unius naturae hypostases. Processiones autem quibus procedunt aliqua quae sunt specie unum, numero vero differentia, non differunt secundum speciem, sicut generatio Socratis et generatio Platonis. Ergo processio filii et processio spiritus sancti non sunt distinctae processiones secundum speciem.

13. Le Fils et l’Esprit saint ne se distinguent pas à la manière de ceux qui dans les créatures diffèrent en espèce; car les hypostases sont d’une seule nature. Les processions par lesquelles procèdent ce qui est un en espèce, mais différent en nombre, ne diffèrent pas en espèce, comme la génération de Socrate et celle de Platon. Donc la procession du Fils et celle de l’Esprit saint ne sont pas des processions différentes en espèce.

q. 10 a. 2 arg. 14 Praeterea, sicut aliquid potest esse procedens a procedente, ita potest esse aliquis natus a nato, ut patet in hominibus, in quibus qui nascitur ab uno habet alium de se natum. Si ergo in divinis sunt duae processiones per hoc quod a procedente alius procedit, pari ratione poterunt esse duae generationes per hoc quod a genito alius generatur.

14. Quelque chose peut procéder de celui qui procède, de même il peut y avoir quelqu’un né de quelqu’un qui est né, comme on le voit chez les hommes, en qui celui qui naît de l’un a un autre né de lui. Donc si en Dieu il y a deux processions par le fait qu’un autre procède de celui qui procède, à raison égale, il pourra y avoir deux générations par le fait qu’un autre est engendré par celui qui est engender.

q. 10 a. 2 arg. 15 Praeterea, si processio spiritus sancti distinguitur a processione filii per hoc quod spiritus sanctus procedit a non procedente et procedente, id est a patre et filio, aut procedit ab eis in quantum sunt unum, aut in quantum sunt plures. Si in quantum sunt plures sequitur quod spiritus sanctus sit compositus: nam processio unius simplicis non potest esse nisi ab uno sicut a principio. Si autem procedit ab eis in quantum sunt unum, nihil differt quod procedit a pluribus, aut quod procedit ab uno solo. Non ergo potest processio spiritus sancti distingui a processione filii per hoc quod filius procedit ab uno solo, sed spiritus sanctus a duobus.

15. Si la procession de l’Esprit saint se distingue de celle du Fils par le fait que l’Esprit saint procède de celui qui ne procède pas et de celui qui procède, c'est-à-dire du Père et du Fils, ou bien il procède d’eux en tant qu’ils sont un, ou en tant qu’ils sont plusieurs. Si c’est en tant qu’ils sont plusieurs, il en découle que l’Esprit saint est composé; car la procession d’un être simple ne peut venir que par un seul en tant que principe. Mais s’il procède d’eux en tant qu’ils sont un, il n’y a aucune différence qu’il procède de plusieurs ou qu’il procède d’un seul. Donc la procession de l’Esprit saint ne peut pas être distinguée de celle du Fils par le fait que celui-ci procède d’un seul, mais l’Esprit saint de deux.

q. 10 a. 2 arg. 16 Praeterea, processio condividitur paternitati et filiationi: dicuntur enim tres esse proprietates personales. Sed in divinis est tantum una paternitas et una filiatio. Ergo etiam tantum una processio.

16. La procession est divisée en paternité et filiation: car on dit qu’il y a trois propriétés personnelles3. Mais en Dieu il y a une seule paternité et une seule filiation. Donc aussi une seule procession.

q. 10 a. 2 arg. 17 Praeterea, in creaturis non invenitur nisi unus processionis modus per quem communicetur natura, propter quod Commentator dicit, quod non sunt eadem specie animalia quae generantur ex semine, et quae generantur sine semine per putrefactionem. Natura autem divina est una tantum. Ergo non potest communicari nisi per unum modum processionis: non sunt ergo plures processiones in divinis.

17. Dans les créatures, on ne trouve qu'un mode de procession, par lequel la nature est communiquée; c'est pourquoi le Commentateur (Physique, VII, com. 23) dit que les animaux qui sont engendrés de la semence ne sont pas de la même espèce que ceux qui le sont sans semence, par putréfaction. Mais la nature divine est une seulement. Donc elle ne peut être communiquée que par un seul mode de procession; donc il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2 arg. 18 Praeterea, filius procedit a patre ut splendor, secundum illud Hebr. I, 3: qui cum sit splendor gloriae; et hoc ideo, quia filius procedit a patre ut coaeternus ei, sicut splendor a sole vel ab igne. Sed similiter spiritus sanctus procedit a patre coaeternus ei. Ergo procedit ab eo eodem modo sicut filius; et ita non sunt plures processiones in divinis.

18. Le Fils procède du Père comme splendeur, selon ce mot d'Hébr. 1, 3: "Celui qui est splendeur de gloire…"; parce que le Fils procède du Père, et lui est coéternel comme la splendeur est contemporaine du soleil ou du feu. Mais de la même manière, l'Esprit saint procède du Père et lui est coéternel. Donc il procède de la même manière que le Fils, et ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2 arg. 19 Praeterea, processio aeterna divinae personae est ratio et causa temporalis processionis creaturae et eius quod in creatura est. Unde Augustinus super Genesim ad litteram, sic exponit illud quod dicit Genes. I: dixit et factum est; id est: verbum genuit, in quo erat ut fieret. Filius autem est perfecte ratio et causa productionis creaturae. Non ergo oportet esse aliam processionem divinae personae praeter processionem filii.

19. La procession éternelle de la personne divine est la raison et la cause temporelle de la procession de la créature et de ce qui est dans la créature. C'est pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, II, 6, 14) expose ainsi ce qui est dit en Gn. 1: "Il dit et cela fut fait", c'est-à-dire "il engendra le Verbe dans lequel il y avait que cela serait fait4". Mais le Fils est raison et cause parfaites de la production de la créature. Donc il ne faut pas qu'il y ait une autre procession de la personne divine en dehors de celle du Fils.

q. 10 a. 2 arg. 20 Praeterea, quanto natura est perfectior, tanto per pauciora operatur. Sed natura divina est perfectissima. Cum ergo natura creata una non communicetur nisi per unum modum processionis, nec divina natura communicari poterit nisi per unum processionis modum.

20. Plus la nature est parfaite, plus les moyens par lesquels elle opère sont petits. Mais la nature divine est absolument parfaite. Donc comme une seule nature créée n'est communiquée que par un mode de procession, la nature divine ne pourra être communiquée que par une seul mode de procession.

q. 10 a. 2 arg. 21 Praeterea, ab uno simplici non potest esse nisi unum. Sed pater est unum simplex. Ergo ab eo non potest esse nisi processio una; non sunt ergo processiones plures in divinis.

21. D’une chose simple ne peut venir qu'une seule chose. Mais le Père est unique et simple. Donc de lui il ne peut y avoir qu'une procession; ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

q. 10 a. 2 arg. 22 Praeterea, unumquodque ex hoc generari dicitur quod accipit formam; nam generatio in rebus creatis est mutatio ad formam. Sed spiritus sanctus sua processione accipit formam, id est essentiam divinam, de qua dicitur Philipp. II, 6: cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo. Ergo processio spiritus sancti est generatio; et ita non differt a generatione filii.

22. On dit que chaque chose est engendrée du fait qu'elle reçoit sa forme5; car la génération dans les créatures est changement pour la forme. Mais l'Esprit saint reçoit la forme, c'est-à-dire l'essence divine, par sa procession, dont il est dit (Phil. 2, 6): "Comme il était de forme divine, il n'a pas jugé comme une usurpation d’être égal à Dieu6". Donc la procession de l'Esprit saint est une génération, et ainsi elle ne diffère pas de la génération du Fils.

q. 10 a. 2 arg. 23 Praeterea, nativitas est via in naturam, sicut ipsum nomen demonstrat. Sed per processionem spiritus sancti communicatur ei divina natura. Ergo processio spiritus sancti est nativitas; non ergo differt a processione filii; et ita non sunt duae processiones in divinis.

23. La naissance est un processus naturel, comme le nom même le montre. Mais la nature divine est communiquée à l’Esprit saint par une procession. Donc celle-ci est une naissance; donc elle ne diffère pas de celle du Fils, et ainsi il n’y a pas deux processions en Dieu.

q. 10 a. 2 arg. 24 Videtur quod sint in divinis plures processiones quam duae. Est enim processio per modum naturae, secundum quam filius nominatur, et processio per modum intellectus, secundum quod nominatur verbum, et processio per modum voluntatis, secundum quam nominatur in divinis amor procedens. Sunt ergo in divinis tres processiones.

24. Il semble qu’il y ait plus de deux processions. Car il y a la procession par mode de nature, selon lequel on désigne le Fils, celle par mode d’intellect selon lequel on l’appelle le Verbe et celle par mode de volonté selon laquelle on désigne l’amour qui procède en Dieu. Donc en Dieu il y a trois processions.

En sens contraire7:

q. 10 a. 2 s. c. Sed contra, videtur quod in divinis sint duae tantum processiones. Dicit enim Augustinus in V de Trinit., quod processio filii, genitura vel nativitas est, processio autem spiritus sancti, nativitas non est; utraque tamen ineffabilis est. Sunt ergo in divinis duae tantum differentes processiones.

On voit bien qu'en Dieu il n'y a que deux processions seulement. Car Augustin dit (La Trinité, V) que la procession du Fils est engendrement et naissance, mais celle de l'Esprit saint, n'est pas naissance; cependant l'une et l'autre sont ineffables. Donc en Dieu il n'y a seulement que deux processions différentes.

Réponse:

q. 10 a. 2 co. Respondeo. Dicendum quod haereticorum instantia coegit antiquos fidei doctores de his quae sunt fidei disputare.

La pression des hérétiques a forcé les anciens docteurs à disserter sur la foi.

Arius enim aestimavit quod esse ab alio, divinae repugnaret naturae; unde posuit quod filius et spiritus sanctus, qui in Scripturis sanctis ab alio esse dicuntur, sint creaturae. Ad cuius erroris destructionem necessarium fuit sanctis patribus manifestare quod non est impossibile esse aliquid procedens a Deo patre quod sit ei coessentiale, in quantum accipit ab eo eamdem naturam quam pater habet

A. Car Arius a estimé que dépendre d'un autre s’oppose à la nature de Dieu; c'est pourquoi il a pensé que le Fils et l'Esprit saint, dont l’Écriture sainte dit qu’ils sont d’un autre, sont des créatures. Pour détruire cette erreur il a été nécessaire aux saints Pères de montrer qu'il n'est pas impossible que ce qui procède de Dieu le Père lui soit coessentiel, dans la mesure où cela reçoit de lui la même nature que lui.

. Sed quia filius ex eo quod accipit a patre eius naturam, dicitur ab eo natus vel genitus, spiritus sanctus autem non dicitur in Scripturis natus vel generatus, et tamen dicitur esse a Deo, aestimavit Macedonius quod spiritus sanctus non sit coessentialis patri, sed sit eius creatura; non enim credebat quod aliquis possit ab alio naturam eius accipere nisi ab eo nasceretur et eius filius esset. Unde aestimavit infallibiliter sequi, si spiritus sanctus accipit a patre naturam et essentiam eius, quod sit genitus et filius. Et ideo ad huius erroris exclusionem necessarium fuit quod doctores nostri manifestarent quod divina natura potest communicari duplici processione; quarum una est generatio vel nativitas, alia vero non; et hoc est quaerere processionum distinctionem in divinis.

B. Mais parce qu’on dit que le Fils, du fait qu'il reçoit sa nature du Père, est né de lui ou est engendré, et que l'Esprit Saint, n'est pas appelé dans les Écritures né ou engendré, et cependant il est de Dieu, Macédonius a estimé que l'Esprit saint n'était pas coessentiels au Père, mais qu'il était sa créature; car il ne croyait pas que quelqu'un puisse recevoir sa nature d'un autre, à moins qu'il ne soit né de lui et soit son fils. C'est pourquoi, il a estimé qu’il en découlait infailliblement, si l'Esprit saint reçoit du Père sa nature et son essence, qu'il serait engendré et fils. Et c'est pourquoi pour repousser cette erreur il a été nécessaire que nos docteurs démontrent que la nature divine peut être communiquée par une double procession; dont l'une est la génération ou naissance, mais pas l'autre, et c'est cela chercher la distinction des processions en Dieu.

Quidam ergo dixerunt, quod processiones in divinis distinguuntur seipsis; et ratio huius positionis fuit, quia ponebant quod relationes non distinguunt divinas hypostases, sed earum distinctionem manifestant tantum, aestimantes quod relationes in divinis essent ad modum proprietatum individualium in rebus creatis, quae distinctionem individuorum non causant, sed manifestant tantum. Dicunt ergo quod hypostases in divinis distinguuntur solum per originem. Et quia ea quibus primo aliqua distinguuntur, oportet quod seipsis distinguantur, sicut differentiae oppositae, quibus species differunt, distinguuntur seipsis,- ne in infinitum procedatur,- ideo dicunt, quod processiones in divinis distinguuntur se ipsis

I. Donc certains ont dit que les processions se distinguent d’elles-mêmes en Dieu; et la raison de cette position a été qu'ils pensaient que les relations ne distinguent pas les hypostases divines, mais manifestent leur distinction seulement, estimant que les relations en Dieu sont à la manière des propriétés individuelles, dans les créatures, qui ne causent pas la distinction des individus, mais la manifestent seulement. Donc ils disent que les hypostases se distinguent en Dieu seulement par l'origine. Et parce qu’il faut que ce par quoi certaines choses se distinguent d’abord, ce soit qu’elles se distinguent d’elles-mêmes, de même que les différences opposées par lesquelles les espèces diffèrent se distinguent d’elles-mêmes — pour ne pas procéder à l'infini, — à cause de cela donc, ils disent que les processions en Dieu se distinguent d’elles-mêmes.

Hoc autem non potest esse verum: nam unumquodque distinguitur ab alio secundum speciem per id a quo speciem habet, et secundum numerum per id a quo individuatur. Differentia autem inter processiones divinas oportet quod sit non solum sicut ea quae differunt numero tantum, sed etiam sicut ea quae differunt specie, cum una sit generatio, alia vero non. Relinquitur ergo quod processiones divinae distinguantur secundum id a quo speciem habent. Nulla autem processio nec operatio nec motus habet speciem a se, sed sortitur speciem a termino vel a principio. Unde nihil est dictu, quod processiones aliquae distinguantur seipsis; sed oportet quod distinguantur penes principia vel penes terminos.

Mais cela ne peut pas être vrai; car toute chose se distingue d'une autre selon l'espèce par ce par quoi elle a l'espèce, et selon le nombre par ce par quoi elle est individuée. Mais il faut que la différence entre les processions divines soit non seulement comme ce qui diffère en nombre seulement, mais aussi comme ce qui diffère par l'espèce, puisqu'il y a une seule génération, et pas d’autre. Il reste donc que les processions divines se distinguent par ce par quoi elles ont l'espèce. Mais aucune procession ni opération ni mouvement n'a l'espèce par soi, mais il la reçoit du terme ou du principe. C'est pourquoi que certaines processions se distinguent d’elles-mêmes, c’est ne rien dire, mais il faut qu'elles soient distinguées selon les principe ou les termes8.

Et ideo dixerunt quidam, quod processiones in divinis distinguuntur penes principia; secundum hoc, dico, quod una processio est per modum naturae vel intellectus, alia vero per modum voluntatis; nomina enim intellectus et voluntatis significare videntur quaedam operationum et processionum principia.

II. Et c'est pourquoi certains ont dit que les processions en Dieu se distinguent en raison des principes; à ce sujet, je dis qu’une procession est par mode de nature ou d’esprit, l’autre par mode de volonté; car les noms d’esprit et de volonté semblent signifier certaines des opérations et les principes des processions.

Sed, si quis diligenter consideret, de facili videre potest quod hoc non sufficit ad divinarum processionum distinctionem, nisi aliud addatur. Cum enim oporteat in procedente inveniri similitudinem eius quod est processionis principium, sicut in rebus creatis similitudinem formae generantis necesse est esse in genito; oportet, quod si processiones in divinis distinguuntur per hoc quod principium unius est natura vel intellectus, alterius vero voluntas, quod in procedente secundum unam processionem inveniatur tantum id quod naturae est vel intellectus; in altero vero id quod est voluntatis tantum; quod patet esse falsum. Nam per unam processionem, quae est filii a patre, communicat pater filio quidquid habet, et naturam et intellectum et potentiam et voluntatem, et quidquid absolute dicitur: ut sicut filius est verbum, id est sapientia genita, ita posset dici natura vel voluntas vel potentia genita, idest per generationem accepta, vel magis huiusmodi per generationem accipiens.

Mais, si on considère avec attention, on peut voir facilement que cela ne suffit pas pour la distinction des processions divines, à moins d’ajouter autre chose. Comme il faut, en effet, trouver dans celui qui procède la ressemblance avec le principe de la procession, de même qu’il est nécessaire dans les créatures que la ressemblance de la forme qui engendre soit dans celui qui est engendré; il faut que, si les processions en Dieu se distinguent du fait que le principe de l’une est la nature ou l’esprit, mais celui de l’autre la volonté, qui procède selon une seule procession on trouve seulement ce qui est de la nature ou de l’esprit; et dans l’autre ce qui est de la volonté seulement, il est clair que c’est faux. Car par une seule procession, celle du Fils par le Père, celui-ci communique au Fils ce qu’il a, la nature, l’esprit, la puissance, et la volonté et tout ce qui est appelé absolu: pour que, de même que le Fils est le Verbe, c'est-à-dire la sagesse engendrée, de même on puisse dire qu’il est la nature, la volonté, la puissance engendrées, c'est-à-dire reçues par génération ou celui qui reçoit plus de ce genre par génération.

Unde patet quod ex quo omnia attributa essentialia concurrunt in unam processionem filii, non possit processionum differentia inveniri secundum rationes attributorum diversas; ita quod per unam processionem attendatur communicatio unius attributi, et per aliam communicatio alterius. Cum autem processionis terminus sit habere (cum ad hoc procedat persona divina ut habeat quod accipit procedendo) processiones autem secundum terminos distinguantur, necesse est ut sicut habens distinguitur in divinis, ita distinguatur et procedens. Habens autem non distinguitur in divinis ab habente per hoc quod hic habeat haec attributa, ille vero alia; sed per hoc quod eadem unus habet ab alio. Nam omnia quae habet pater habet filius; sed in hoc distinguitur filius a patre, quia filius habet ea a patre.

C’est pourquoi il est clair que par le fait que tous les attributs essentiels arrivent dans la seule procession du Fils, on ne pourrait trouver une différence des processions selon la nature diverse des attributs, de sorte que, par une seule procession, soit atteinte la communication d’un seul attribut et par une autre la communication d’un autre. Mais comme le terme de la procession c’est la possession (puisque la personne divine procède pour avoir ce qu’elle reçoit en procédant) les processions se distinguent par les termes, il est nécessaire que celui qui a, pour ainsi dire, soit distingué en Dieu, de même celui qui procède. Mais celui qui a n’est pas distingué d’un autre parce que l’un a ces attributs, et l’autre en a d’autres; parce que l’un a les mêmes choses d’un autre. Car tout ce qu’a le Père le Fils l’a; mais le Fils est distingué du Père parce qu’il l’a du Père.

Sic ergo procedens ab alio procedente distinguitur non quia unus haec procedendo accipiat, alius illa, sed quia unus eorum ab alio accipit. Quidquid ergo invenitur in processione divina quod statim in una processione potest intelligi, nulla alia praeintellecta, unius tantum processionis est; ibi vero statim alia processio inveniri potest, ubi eadem quae per prima processionem sunt accepta, iterum derivantur in aliam.

Ainsi donc celui qui procède d’un autre qui procède est distingué, non parce que l’un reçoit ces choses en procédant, et l’autre d’autres choses, mais parce que l’un d’eux le reçoit d’un autre. Donc tout ce qu’on trouve dans la procession divine qui peut être compris aussitôt dans une seule procession, sans rien d’autre de préconçu, vient d’une seule procession; mais aussitôt on peut trouver une autre procession, là où les mêmes choses qui sont reçues par la première procession, à nouveau sont détournées dans une autre.

Et sic solus ordo processionum qui attenditur secundum originem processionis, multiplicat in divinis. Unde convenienter dixerunt qui posuerunt unam processionem esse per modum naturae et intellectus, aliam per modum voluntatis, quantum ad id quod processio quae est secundum naturam vel intellectum non praeexigit aliam processionem; processio autem quae est per modum voluntatis, aliam processionem praeexigit: nam amor alicuius rei non potest a voluntate procedere nisi praeintelligatur processisse ab intellectu illius rei verbum conceptum; bonum enim intellectum est obiectum voluntatis.

Et ainsi le seul ordre de procession qui est atteint selon l’origine de la procession apporte la multiplication en Dieu. C’est pourquoi ils ont parlé convenablement ceux qui ont pensé qu’une seule procession était par mode de nature et d’esprit, l’autre par mode de volonté, du fait que la procession qui est par nature ou esprit n’exige pas auparavant une autre procession, mais la procession, par mode de volonté, en exige une autre auparavant: car aimer quelque chose ne peut procéder de la volonté sans que soit compris auparavant que le verbe conçu ait procédé du concept de cette chose; le bien en effet est compris comme l’objet de la volonté.

Solutions:

q. 10 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio in divinis dicitur esse substantialis quia non secundum aliquod accidens attenditur; sed per eam, substantiam recipit persona procedens.

# 1. On dit que la procession en Dieu est substantielle, parce qu’on ne la considère pas comme un accident; mais, par elle la personne qui procède reçoit sa substance.

q. 10 a. 2 ad 2 Secundum et tertium concedimus.

# 2. 3. Les seconde et troisième objections, nous les concédons.

q. 10 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum est, quod nihil prohibet a voluntate aliquid naturaliter procedere. Voluntas enim naturaliter tendit in ultimum finem, sicut et quaelibet alia potentia naturaliter operatur ad suum obiectum; et inde est quod homo naturaliter appetit felicitatem; et eodem modo Deus naturaliter amat suam bonitatem, sicut etiam naturaliter intelligit suam veritatem. Sicut ergo filius naturaliter procedit a patre ut verbum, ita spiritus sanctus naturaliter procedit ab eo ut amor. Nec tamen spiritus sanctus procedit per modum naturae: hoc enim procedere dicitur in divinis per modum naturae quod procedit sicut ea quae in creaturis a natura producuntur, et non a voluntate. Sic ergo differt naturaliter produci, et produci per modum naturae; dicitur enim aliquid produci naturaliter propter naturalem habitudinem quam habet ad suum principium: per modum vero naturae produci dicitur quod producitur ab aliquo principio sic producente sicut natura producit.

# 4. Il faut dire que rien n’empêche que quelque chose procède naturellement de la volonté. Car celle-ci tend naturellement à la fin ultime, comme n’importe quelle autre puissance opère naturellement en vue de son objet; et de là vient que l’homme recherche naturellement son bonheur et de la même manière Dieu aime naturellement sa bonté; comme aussi il comprend naturellement sa vérité. Donc de même que le Fils procède naturellement du Père, comme verbe, de même l’Esprit saint procède naturellement de lui comme amour. Et cependant l’Esprit saint ne procède pas par mode de nature: car on appelle en Dieu procéder par mode de nature procéder comme ce qui est produit dans les créatures par la nature, et non par la volonté. Donc ainsi il y a une différence entre être produit naturellement et être produit par mode de nature; car on dit qu’une chose est produite naturellement à cause de la relation naturelle qu’elle a à son principe; mais on dit qu’est produit par mode de nature ce qui est produit par un principe qui produit comme la nature produit.

q. 10 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalis necessitas secundum quam voluntas aliquid ex necessitate velle dicitur, ut felicitatem, libertati voluntatis non repugnat, ut Augustinus docet. Libertas enim voluntatis violentiae vel coactioni opponitur. Non est autem violentia vel coactio in hoc quod aliquid secundum ordinem suae naturae movetur, sed magis in hoc quod naturalis motus impeditur: sicut cum impeditur grave ne descendat ad medium; unde voluntas libere appetit felicitatem, licet necessario appetat illam. Sic autem et Deus sua voluntate libere amat seipsum, licet de necessitate amet seipsum. Et necessarium est quod tantum amet seipsum quantum bonus est, sicut tantum intelligit seipsum quantum est. Libere ergo spiritus sanctus procedit a patre, non tamen possibiliter, sed ex necessitate. Nec possibile fuit ipsum procedere minorem patre; sed necessarium fuit ipsum patri esse aequalem, sicut et filium, qui est verbum patris.

# 5. La nécessité naturelle, selon laquelle on dit que la volonté veut quelque chose par nécessité, comme le bonheur, ne s’oppose pas à la liberté de la volonté, comme Augustin l’enseigne (la Cité de Dieu, V, 10). La liberté de la volonté, en effet, s’oppose à la violence et à la contrainte. Il n’y a ni violence, ni contrainte dans ce qui est mis en mouvement selon l’ordre de sa nature, mais il y a plus si le mouvement naturel est empêché: comme quand ce qui est lourd est empêché de descendre en son juste milieu; c’est pourquoi la volonté cherche librement le bonheur, qu’elle désire nécessairement. Mais ainsi Dieu s’aime lui-même librement par sa volonté, bien qu’il s’aime nécessairement. Et il est nécessaire qu’il s’aime autant qu’il est bon, comme il se comprend autant qu’il est. Donc l’Esprit saint procède librement du Père, non cependant selon le possible mais par nécessité. Et il ne lui a pas été possible de procéder moindre que le Père; mais il a été nécessaire qu’il soit égal au Père, comme le Fils qui est le Verbe du Père.

q. 10 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod creatura non procedit a voluntate divina naturaliter neque ex necessitate; licet enim Deus sua voluntate naturaliter et ex necessitate amet suam bonitatem, et talis amor procedens sit spiritus sanctus; non tamen naturaliter aut ex necessitate vult creaturas produci, sed gratis. Non enim creaturae sunt ultimus finis voluntatis divinae, neque ab eis dependet bonitas Dei, qui est ultimus finis, cum ex creaturis divinae bonitati nihil accrescat; sicut etiam homo ex necessitate vult felicitatem, non tamen ea quae ad felicitatem ordinantur.

# 6. La créature ne procède de la volonté divine ni naturellement ni par nécessité; car bien que Dieu aime sa bonté naturellement par sa volonté et par nécessité, et qu’un tel amour qui procède soit l’Esprit saint, cependant il ne veut pas produire les créatures naturellement ou par nécessité mais gratuitement. Car les créatures ne sont pas la fin ultime de la volonté divine, et sa bonté, qui est la fin ultime, ne dépend pas d’elles, puisque elles n’ajoutent rien à sa bonté; ainsi l’homme veut le bonheur par nécessité, et cependant [il ne vient] pas ce qui est ordonné au bonheur9 .

q. 10 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod licet natura et voluntas in Deo non differant re, sed ratione tantum, tamen ille qui procedit per modum voluntatis, oportet quod realiter differat ab eo qui procedit per modum naturae, et una processio realiter ab alia differat. Dictum est enim, quod processio per modum naturae intelligitur quando aliquid procedit ab aliquo sicut illud quod procedit a natura; et similiter per modum voluntatis quando procedit sicut id quod procedit a voluntate. Semper enim voluntas aliquid producit aliqua processione praesupposita. Non enim voluntas in aliquid tendit nisi praeexistente productione intellectus aliquid concipientis: cum bonum intellectum moveat voluntatem. Processio autem quae est a naturali agente, non praesupponit aliam processionem nisi per accidens, in quantum scilicet unum naturale agens dependet ab alio naturali agente: sed tamen hoc non pertinet ad rationem naturae in quantum natura est. Unde illa processio per modum naturae intelligitur in divinis quae nullam aliam praesupponit; illa vero per modum voluntatis quae ex praesupposita processione principium sumit. Et sic oportet processionem esse ex processione, et procedentem ex procedente; hoc autem facit realem differentiam in divinis.

# 7. Bien que la nature et la volonté en Dieu ne diffèrent pas en réalité, mais en raison seulement, cependant celui qui procède par mode de volonté doit différer réellement de celui qui procède par mode de nature, et une procession diffère réellement d’une autre. Car il a été dit que la procession par mode de nature est comprise quand une chose procède d’une autre comme ce qui procède par nature; et de la même manière par mode de volonté, quand il procède comme ce qui procède de la volonté. Car toujours la volonté produit quelque chose de présupposé à la procession. Car la volonté ne tend à une chose que par une production préexistante de l’esprit qui la conçoit; puisque le bien conçu met en mouvement la volonté. Mais la procession qui vient d’un agent naturel, ne présuppose une autre procession que par accident, en tant qu’un agent naturel dépend d’une autre; mais cependant cela ne convient pas à la raison de la nature, en tant que telle. C’est pourquoi cette procession par mode de nature est comprise en Dieu sans rien présupposer; mais c’est celle qui est par mode de volonté qui prend son principe d’une procession présupposée. Et ainsi il faut que la procession vienne de la procession et celui qui procède de celui qui procède; et cela fait une différence réelle en Dieu.

q. 10 a. 2 ad 8 Octavum concedimus.

# 8. Nous la concédons.

q. 10 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod utriusque processionis similitudinem Deus indidit creaturis: sed tamen per processionem quae est per modum naturae, natura in rebus creatis communicari potest: effectus enim est similis agenti in quantum est agens; unde per actionem cuius natura est principium, effectus naturam recipere potest; sed per actionem cuius voluntas est principium, effectus non potest recipere nisi similitudinem eius quod est in voluntate, sicut finis vel formae, ut in artificialibus patet. Quidquid autem est in Deo, est divina natura; unde oportet quod per utramque processionem natura communicetur.

# 9. Dieu induit dans les créatures la ressemblance de l’une et l’autre procession10; mais cependant, par celle qui est par mode de nature, la nature peut être communiquée dans les créatures; car l’effet est semblable à l’agent en tant que tel; c’est pourquoi par l’action dont la nature est le principe, l’effet peut recevoir la nature, mais par l’action dont le principe est la volonté, l’effet ne peut recevoir que la ressemblance de ce qui est dans la volonté, comme la fin ou les formes, comme on le voit dans les œuvres artisanales. Mais tout ce qui est en Dieu est nature divine; c’est pourquoi il faut que la nature soit communiquée par l’une et l’autre procession.

q. 10 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod cum dicitur in divinis processio per modum naturae vel voluntatis, non ponitur in Deo modus qui sit qualitas divinae substantiae superaddita, sed ostenditur similitudinis cuiusdam comparatio inter processiones divinas et processiones quae sunt in rebus creatis.

# 10. Quand on parle en Dieu de la procession par mode de nature ou de volonté, on ne place pas une modalité qui serait une qualité surajoutée à la substance divine, mais on montre la comparaison d’une certaine ressemblance entre les processions en Dieu et celles qui sont dans les créatures.

q. 10 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod in divinis processio quae est per modum intellectus, non distinguitur a processione quae est per modum naturae; distinguitur autem ab utraque processio quae est per modum voluntatis. Et hoc propter tria:

# 11. En Dieu la procession, par mode d’esprit, n’est pas distinguée de celle par mode de nature; mais la procession par mode de volonté est distinguée de l’une et l’autre. Et cela pour trois raisons:

primo quidem, quia sicut processio quae est per modum naturae, non praeexigit aliam processionem, ita nec processio quae est per modum intellectus; processio autem quae est per modum voluntatis, de necessitate praeexigit processionem quae est per modum intellectus.

a) Parce que de même que la procession par mode de nature, n’exige pas auparavant une autre procession, la procession par mode d’esprit non plus, mais celle qui est par mode de volonté, exige nécessairement auparavant la procession par mode d’esprit.

Secundo, quia sicut natura producit aliquid in similitudinem sui, ita et intellectus tam intra quam extra; intra quidem, sicut verbum est similitudo rei intellectae, et intellectus intelligentis seipsum; extra autem, sicut forma intellecta inducitur in artificiatum. Voluntas autem non producit suam similitudinem nec intus, nec extra. Intus quidem non, quia amor, qui est intranea processio voluntatis, non est similitudo aliqua voluntatis vel voliti, sed quaedam impressio relicta ex volito in voluntate, aut quaedam unio unius ad alterum. Extra autem non, quia voluntas imprimit in artificiatum formam intellectam prius quam volitam secundum ordinem rationis; unde principaliter est similitudo intellectus, licet secundario voluntatis.

b) Parce que de même que la nature produit quelque chose à sa ressemblance, l’esprit aussi tant à l’intérieur qu’à l’extérieur; à l’intérieur de même que le verbe est la ressemblance de ce qui est pensé et de l’esprit de celui qui se pense; de même à l’extérieur la forme conçue est induite dans l’objet fabriqué. Mais la volonté ne produit pas de ressemblance, ni à l’intérieur ni à l’extérieur11. A l’intérieur non, parce que l’amour, qui est la procession intérieure de la volonté n’est pas une ressemblance de la volonté ou de ce qui est voulu, mais une impression laissée par la volonté dans celui qui est voulu, ou une union de l’un à l’autre. A l’extérieur, non plus, parce que la volonté imprime dans l’objet fabriqué la forme conçue, avant la forme voulue selon l’ordre de la raison; c’est pourquoi principalement c’est la ressemblance de l’esprit, bien que secondairement ce soit celle de la volonté.

Tertio, quia processio naturae est tantum ab uno sicut ab agente, si sit perfectum agens. Nec obstat quod in animalibus generatur aliquid ex duobus, scilicet ex patre et matre; nam solus pater est agens in generatione, mater vero patiens. Similiter autem processio intellectus est ab uno solo; sed amicitia, quae est amor mutuus, procedit ex duobus ad invicem se amantibus.

c) Parce que la procession de nature vient seulement d’un seul, comme d’un agent, s’il est agent parfait. Et rien n’empêche que dans les animaux quelque chose soit engendré de deux (êtres) à savoir du père et de la mère; car seul le Père est agent dans la génération, et la mère le patient. Mais de la même manière la procession de l’esprit est d’un seul; mais l’amitié, qui est l’amour mutuel, procède de deux (êtres) qui s’aiment mutuellement.

q. 10 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum quod, licet in divinis non proprie dicatur genus et species, vel universale et particulare, tamen,- ut de divinis secundum quamdam similitudinem creaturarum loquamur,- pater et filius et spiritus sanctus distinguuntur sicut plura individua unius speciei, ut etiam Damascenus dicit. Sed attendendum est, quod in aliquo individuo in genere substantiae possumus speciem dupliciter considerare:

# 12. Bien qu’en Dieu on ne puisse parler au sens propre ni de genre et d’espèce, ni d’universel et de particulier, cependant, — comme on parle à son sujet d’une certaine ressemblance avec les créatures, — le Père, le Fils et l’Esprit saint se distinguent comme plusieurs individus d’une même espèce, comme Jean Damascène le dit aussi (La foi orthodoxe, III, 4). Mais il faut remarquer que dans un individu dans le genre de la substance, nous pouvons considérer l’espèce de deux manières:

uno modo speciem hypostasis ipsius;

a. Selon l’espèce de l’hypostase elle-même.

alio modo speciem proprietatis individualis.

b. Selon l’espèce de la propriété individuelle.

Dato enim quod Socrates sit albus et Plato sit niger, et posito quod albedo et nigredo sint proprietates individuantes Socratem et Platonem, verum erit dicere, quod Socrates et Plato sunt unum specie, sub qua specie hypostases continentur. Conveniunt enim in humanitate, sed distinguuntur secundum speciem proprietatis; albedo enim et nigredo specie differunt; et similiter est in patre et filio. Considerantur enim ut unum specie, cuius istae hypostases sunt supposita, in quantum conveniunt in una natura deitatis; sed secundum speciem proprietatis personalis inveniuntur differre; paternitas enim et filiatio sunt relationes secundum speciem diversae. Sciendum est etiam, quod generatio in rebus creatis per se ordinatur ad speciem: natura enim intendit generare hominem; unde et natura speciei per generationem multiplicatur in rebus creatis. Processio autem in divinis est ad multiplicationem hypostasum, in quibus natura divina una numero invenitur: unde processiones in divinis sunt differentes quasi secundum speciem, propter differentiam proprietatum personalium, licet in procedentibus sit una natura communis.

Car étant donné que Socrate est blanc et Platon est noir, et une fois admis que la blancheur et la noirceur sont des propriétés qui individualisent Socrate et Platon, il sera vrai de dire qu’ils sont un en espèce, sous laquelle ces hypostases sont contenues. Car ils se rencontrent dans l’humanité, mais se distinguent selon l’espèce de la propriété; car la blancheur et la noirceur diffèrent en espèce, et il en est de même dans le Père et dans le Fils. Car ils sont considérés comme un en espèce, dont ces hypostases sont les suppôts, en tant qu’ils se rencontrent dans la seule nature divine; mais selon l’espèce de la propriété personnelle ils se trouvent différer; car la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Mais il faut savoir que la génération dans les créatures est ordonnée par soi à l’espèce, car la nature tend à la génération de l’homme: c’est pourquoi la nature de l’espèce est multipliée par la génération dans les créatures. Mais la procession en Dieu est pour la multiplication des hypostases, en qui la nature divine se trouve une en nombre: c’est pourquoi les processions en Dieu sont différentes pour ainsi dire en espèce, à cause de la différence des propriétés personnelles, bien que dans celles qui procèdent il y ait une seule nature commune.

q. 10 a. 2 ad 13 Et per hoc patet solutio ad decimumtertium et ad decimumquartum.

# 13. 14. Et cela éclaire les solutions 13 et 14.

q. 10 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod spiritus sanctus procedit a patre et filio in quantum sunt plures, si habeatur respectus ad supposita spirantia. Cum enim spiritus sanctus sit amor mutuus et nexus duorum, oportet quod a duobus spiretur. Sed si habetur respectus ad id quo spirantes spirant, sic procedit ab eis, in quantum sunt unum in natura divina: non enim potest ab aliquo procedere Deus nisi a Deo.

# 15. L’Esprit saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont plusieurs, si on considère le rapport aux suppôts qui spirent. Comme l’Esprit saint, en effet, est amour mutuel et lien des deux, il faut qu’il soit spiré par les deux. Mais si on considère le rapport à ce par quoi spirent ceux qui spirent, il procède ainsi d’eux, en tant qu’ils sont un dans la nature divine: car Dieu ne peut procéder que de Dieu.

q. 10 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum est quod processio, quae condividitur paternitati et filiationi, est proprietas personalis spiritus sancti; quae licet sit relatio, quia tamen non est nominata, sicut paternitas et filiatio, significatur nomine processionis, ac si filiatio esset innominata et significaretur nomine nativitatis, quod est speciale nomen processionis filii. Processio autem spiritus sancti non habet speciale nomen, eo quod per talem modum processionis non invenitur in creaturis aliqua natura communicari, ut iam dictum est. Nomina vero a creaturis in divina transferimus; unde non sequitur quod processio communis in divinis sit una tantum.

# 16. La procession, qui est divisée en paternité et filiation est la propriété personnelle de l’Esprit saint; bien qu’elle soit relation, parce que cependant elle n’a pas de nom, comme la paternité et la filiation, elle est signifiée par le nom de procession, comme si la filiation était sans nom et signifiée par le nom de naissance, qui est le nom spécifique de la procession du Fils. Mais la procession de l’Esprit saint n’a pas de nom spécial, parce qu’on ne trouve pas dans les créatures que quelque nature soit communiquée par un tel mode de procession, comme déjà on l’a dit. Mais nous transférons en Dieu les noms qui viennent des créatures; c’est pourquoi il n’en découle pas que la procession commune soit seulement une en Dieu.

q. 10 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod in creatura quae est accidentium susceptiva, potest aliquid esse quod non est rei natura; non autem in Deo: et propter hoc in divinis secundum quemlibet modum processionis communicatur natura, non autem in creaturis; licet enim sint in eis processiones diversae, tamen natura non communicatur nisi per unum modum.

# 17. Dans la créature susceptible d'accueillir des accidents, il peut y avoir quelque chose qui ne soit pas sa nature, mais pas en Dieu, et c’est pour cela qu’en lui la nature est communiquée selon n’importe quelle mode de procession, mais pas dans les créatures; car bien qu’il y ait en elles des processions diverses, cependant la nature n’est communiquée que d’une seule manière.

q. 10 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod procedere a patre secundum modum coaeternitatis competit processioni filii in quantum est processio divina: unde convenit etiam processioni spiritus sancti; tamen non competit processioni filii secundum quod distinguitur a processione spiritus sancti.

# 18. Procéder du Père selon le mode de la coéternité appartient à la procession du Fils en tant qu’elle est procession divine: c’est pourquoi cela convient aussi à la procession de l’Esprit saint; cependant il n’appartient pas à la procession du Fils de se distinguer de la procession de l’Esprit saint.

q. 10 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod filius est sufficiens ratio processionis temporalis creaturae ut verbum et exemplar; sed oportet quod spiritus sanctus sit ratio processionis creaturae ut amor. Sicut enim dicitur Sap. IX, 1, quod Deus facit omnia suo verbo, ita dicitur Sap. XI, 25; quod diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae fecit; et Dionysius dicit, quod divinus amor non permisit ipsum sine germine esse.

# 19. Le Fils est la raison suffisante de la procession temporelle de la créature en tant qu’il est Verbe et exemplaire; mais il faut que l’Esprit saint soit la raison de la procession de la créature comme amour. Car de même qu’il est dit en Sg. 11, 1, que Dieu fait tout par son Verbe, de même il est dit en Sg. 11, 25 qu’il aime tout ce qui est, et qu’il ne hait rien de ce qu’il a fait, et Denys dit (Les noms divins, IV), que l’amour divin ne lui a pas permis d’être sans descendance.

q. 10 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura perfecta in multas operationes potest, licet ad unamquamque operationem ei pauca sufficiant.

# 20. Il faut dire que la nature peut être parfaite en de nombreuses opérations, bien que peu lui suffise pour chaque opération.

q. 10 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod a patre uno et solo, est una sola processio, scilicet filii; a patre autem et a filio simul, est alia processio, scilicet spiritus sancti.

# 21. Du Père, un et seul, il n’y a qu’une seule procession, à savoir celle du Fils; mais du Père et du Fils ensemble, il y a une autre procession, à savoir celle de l’Esprit saint.

q. 10 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod processio spiritus sancti est processio amoris. Per processionem autem amoris non producitur aliquid ut recipiens formam eius a quo procedit, sive naturam; et ideo processio amoris non habet rationem generationis vel nativitatis. Sed quod spiritus sanctus naturam et formam Dei patris recipiat sua processione, hoc habet in quantum est amor Dei, in quo non est aliquid quod non sit de natura ipsius.

# 22. La procession de l’Esprit saint est une procession d’amour. Mais par cette procession rien n’est produit comme recevant de ce dont il procède, la forme ou la nature; et c’est pour cela que la procession d’amour n’a pas nature de génération ou de naissance. Mais que l’Esprit saint reçoive la nature et la forme de Dieu le Père, par sa procession, cela il l’a en tant qu’il est l'amour de Dieu en qui il n’y a rien qui ne soit de sa nature.

q.10 a. 2 ad 23 Et per hoc patet responsio ad vicesimumtertium.

# 23. Et par là s'éclaire la réponse à la vingt-troisième objection.

Ad ea etiam quibus ostendebatur quod sunt in divinis plures processiones quam duae, respondendum est.

Et il faut répondre à ce par quoi on montrait qu'il y a en Dieu plus de deux processions:

q. 10 a. 2 ad 24 Ad quorum primum dicendum, quod in divinis una et eadem est processio quae est per modum intellectus et quae est per modum naturae, ut supra, ostensum est.

## 1. En Dieu, c’est une seule et même procession qui est par mode d’esprit et qui est par mode de nature, comme on l’a montré ci-dessus (sol. 7 et 11).

q. 10 a. 2 ad 25 Ad secundum dicendum quod natura humana materialis est, id est ex materia et forma composita; et ideo in hominibus processio per modum naturae non potest esse nisi secundum aliquam transmutationem naturalem; processio autem quae est per modum intellectus, semper est immaterialis, secundum quod ipse intellectus immaterialis est; unde in hominibus non potest esse una et eadem processio quae est per modum naturae et quae est per modum intellectus; in divinis autem est una et eadem, eo quod natura divina immaterialis est.

##2. La nature humaine est matérielle, c'est-à-dire composée de matière et de forme; et c’est pourquoi chez les hommes la procession par mode de nature ne peut exister que selon un changement naturel; mais la procession qui est par mode d’esprit est toujours immatérielle; du fait que l’esprit lui-même est immatériel, c’est pourquoi dans les hommes il ne peut pas y avoir une seule et même procession par mode de nature et par mode d’esprit, mais en Dieu c’est une seule et même procession, parce que la nature divine est immatérielle.

q. 10 a. 2 ad 26 Ad tertium dicendum, quod aliud est procedere in alterum, et aliud est procedere ab alio; procedere enim in alterum est suam similitudinem alteri communicare: et per hunc modum est intelligenda divinae bonitatis processio in creaturas, secundum Dionysium; procedere autem ab alio est esse ab alio habere; et sic loquimur hic de processione, secundum quem modum constat quod non convenit patri procedere.

## 3. Procéder dans un autre est different de procéder d’un autre; car procéder dans un autre c’est communiquer sa ressemblance à un autre, et il faut comprendre de cette manière la procession de la bonté divine dans les créatures, selon Denys; mais procéder d’un autre c’est avoir l’être d’un autre; et nous parlons ici de procession de sorte qu’il est clair qu’il ne convient pas au Père de procéder de cette manière.

 

1 Parall.: Ia, 27, a. 3 - I Sent. d13a2 — CG. IV, 19 — Contra errores Graecorum , c.3

2 Thomas, lectio 10, n° 2126.

3 La paternité, la filiation, la procession.

4 Cf. Même citation, Pot. qu. 2, a. 3, obj. 7. On y trouvera le texte d’Augustin .

5 Argument d’Avicenne, et de divers auteurs.

6 "Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu". BJ.

7 Ici encore les sed contra sont des objections d’ordre différent des premières, ils ne représentent pas la réponse au problème.

8 Le terme, c’est le but atteint. Du Père, principe procède le Fils en tant que terme. Plus loin il dit que le terme de la procession, c’est la possession, c'est-à-dire ce que la personne reçoit en procédant.

9 C'est-à-dire les moyens pour y parvenir. C’est là qu’il commet des erreurs..

10 Par mode de nature ou par mode de volonté.

11 "Ce qui procède par mode d’esprit , comme verbe procède avec une certaine ressemblance, comme qui ce qui procède par mode de nature, …mais l’amour en tant que tel ne procède pas avec une ressemblance (bien qu’en Dieu l’amour soit coessentiel en tant que divin) et c’est pourquoi on n’appelle pas cette procession une génération." (Ia, qu. 30, a. 2, ad 2).

 

 

Article 3: L’ordre de la procession à la relation en Dieu

q. 10 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur de ordine processionis ad relationem in divinis. Et videtur quod processio secundum intellectum sit prior relatione in divinis.

Il semble que selon l’esprit la procession soit avant la relation en Dieu.

 

Objections 1:

q. 10 a. 3 arg. 1 Dicit enim Magister in XXVII distinct. I Lib. Sentent., quod pater semper est pater, quia semper genuit filium. Generatio autem processionem significat, pater autem relationem. Ergo processio secundum intellectum praecedit relationes in divinis.

1. Car le Maître (I Sent. d27), dit que le Père est toujours le Père, parce qu’il a toujours engendré le Fils. Mais la génération signifie la procession, et Père signifie une relation. Donc la procession, selon l’esprit, précède les relations en Dieu.

q. 10 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod relationes ex actionibus nascuntur, vel ex quantitatibus. Constat autem quod relationes divinae non innascuntur ex quantitate. Ergo secundum modum intelligendi consequitur ex actione. Processiones autem in divinis personis significantur per modum personalium actionum. Ergo processiones in divinis praecedunt secundum intellectum relationes.

2. Le philosophe dit (Métaphysique, V, 15; 1020 b 25 ss.2) que les relations naissent des actions, ou des quantités. Mais il est clair que les relations divines ne prennent pas leur source de la quantité. Donc selon la manière de comprendre, cela découle de l’action. Mais les processions dans les personnes divines sont signifiées à la manière des actions personnelles. Donc selon l’esprit les processions en Dieu précèdent les relations.

q. 10 a. 3 arg. 3 Praeterea, absolutum est prius relativo, sicut unum est prius quam multa. Sed actiones magis ad absoluta accedunt quam relationes. Ergo priores sunt secundum intellectum.

3. L’absolu est avant le relatif, comme l’un est avant le multiple. Mais les actions s’approchent plus de l’absolu que les relations. Donc selon l’esprit elles sont avant.

q. 10 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne relativum ad aliud dicitur. Non autem potest esse aliud ubi non est distinctio. Ergo relatio distinctionem praesupponit. Distinctio autem in divinis personis est secundum originem, prout scilicet unus procedit ab alio. Ergo processiones secundum intellectum praecedunt relationes in divinis.

4. On parle de tout relatif en rapport à autre chose. Mais il ne peut pas y en avoir un autre là où il n’y a pas de distinction. Donc la relation présuppose une distinction. Mais celle-ci dans les personnes divines dépend de l’origine, selon que l’une procède de l’autre. Donc les processions selon l’esprit précèdent les relations en Dieu.

q. 10 a. 3 arg. 5 Praeterea, omnis processio praecedit secundum intellectum processionis terminum. Filiatio autem quae est relatio filii, est terminus nativitatis, quae est eiusdem filii processio. Ergo processio filii praecedit filiationem. Sed filiatio et paternitas sunt simul non solum natura et tempore, sed etiam intellectu; quia unum relativorum est de intellectu alterius. Nativitas ergo filii praecedit paternitatem secundum intellectum, et multo magis generatio, quae est actus patris. Processiones ergo simpliciter relationes praecedunt secundum intellectum in divinis.

5. Toute procession precede son terme, selon l’esprit. Mais la filiation qui est la relation du fils est le terme de la naissance, qui est la procession de ce même Fils. Donc celle-ci précède la filiation. Mais la filiation et la paternité sont en même temps non seulement en nature et en temps, mais aussi en esprit; parce que l’un des relatifs est de l’esprit de l’autre. Donc la naissance du Fils précède la paternité selon l’esprit, et beaucoup plus la génération, qui est l’acte du Père. Donc les processions précèdent absolument les relations selon l’esprit.

En sens contraire:

q. 10 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Prius secundum intellectum est persona quam actio personalis. Relationes autem sunt constitutivae personarum, processiones autem sunt quasi personales actiones. Ergo prius secundum intellectum sunt relationes quam processiones.

1. La personne est selon l’esprit avant l’action personnelle. Les relations sont constitutives des personnes, et les processions sont comme des actions personnelles. Donc elles sont avant les processions selon l’esprit.

q. 10 a. 3 s. c. 2 Praeterea, processio oportet quod sit alicuius ab alio; sicut enim nulla res generat seipsam ut sit, ut Augustinus dicit, ita nulla res a seipsa procedit. Processio ergo distinctionem in divinis requirit. Distinctio autem non est in divinis nisi per relationes. Ergo processiones in divinis praesupponunt relationes.

2. Il faut que la procession vienne à quelqu’un par un autre3; car de même que rien ne s’engendre soi-même pour exister, comme Augustin le dit (La Trinité, I, 1), de même rien ne procède de soi. Donc la procession requiert une distinction en Dieu. Mais celle-ci n’est en lui que par les relations. Donc les processions en Dieu préspposent les relations.

Réponse:

q. 10 a. 3 co. Respondeo. Dicendum quod ordo absque distinctione non est. Unde ubi non est distinctio secundum rem, sed solum secundum modum intelligendi, ibi non potest esse ordo nisi secundum modum intelligendi. Distinctio autem secundum rem in divinis non est, nisi personarum ad invicem, et oppositarum relationum; unde in divinis non est ordo realis nisi quantum ad personas, inter quas est ordo naturae, secundum Augustinum, prout est alter ex altero, non quod alter sit prior altero.

Il faut dire que l’ordre n’existe pas sans distinction. C’est pourquoi où il n’y a pas de distinction, en réalité mais seulement selon la manière de comprendre, il ne peut y avoir d’ordre que de cette manière de comprendre. Mais la distinction en Dieu n’est en réalité que celle des personnes entre elles, et celle des relations opposées; c’est pourquoi en lui il n’y a d’ordre réel que pour les personnes, entre lesquelles il y a l’ordre de la nature, selon Augustin, dans la mesure où l’un vient de l’autre, non que l’un soit avant l’autre.

Processiones autem et relationes non distinguuntur in divinis secundum rem, sed solum secundum modum intelligendi. Unde et Augustinus dicit quod proprium patris est quod genuit filium. In quo datur intelligi, quod generare filium sit proprietas patris; nec est alia proprietas quam paternitas, quae dicitur esse patris proprietas personalis. Non est ergo inter processionem et relationem in divinis quaerendus ordo secundum rem, sed secundum modum intelligendi tantum.

Mais les processions et les relations ne sont pas réellement distinguées en Dieu, mais seulement selon la manière de les comprendre. C’est pourquoi Augustin (Fulgence) dit (La foi à Pierre, II) que le propre du Père est d’avoir engendré le Fils. En quoi il est donné à comprendre qu’engendrer le Fils est la propriété du Père; et il n’y a pas d’autre propriété que la paternité, qu’on appelle la propriété personnelle du Père. Donc entre la procession et la relation il n’y a pas à chercher un ordre en réalité, mais selon la manière de le comprendre seulement.

Sicut autem relatio et processio in divinis sunt idem secundum rem, et differunt secundum rationem tantum, ita et ipsa relatio, quamvis sit una secundum rem, est tamen multiplex secundum modum intelligendi. Intelligimus enim ipsam relationem ut constitutivam personae; quod quidem non habet in quantum est relatio. Quod ex hoc patet, quia relationes in rebus humanis non constituunt personas, cum relationes sint accidentia; persona vero est aliquid subsistens in genere substantiae; substantia autem per accidens constitui non potest. Sed habet hoc relatio in divinis quod personam constituat in quantum est divina relatio; ex hoc enim habet quod sit idem cum divina essentia, cum in Deo nullum accidens esse possit: relatio enim, quia secundum rem est ipsa natura divina, hypostasim divinam constituere potest. Est ergo alius modus intelligendi quo intelligitur relatio ut constitutiva divinae personae, et alius quo intelligitur relatio ut relatio est. Unde nihil prohibet quod quantum ad unum modum intelligendi, relatio praesupponat processionem, quantum vero ad alium sit e converso.

Mais de même que la relation et la procession sont identiques en réalité, et diffèrent en raison seulement, de même la relation elle-même, quoiqu’elle soit une en réalité, est cependant multiple selon la manière de la comprendre. Car nous comprenons la relation elle-même comme constitutive de la personne; ce qu’elle n’a pas en tant qu’elle est relation. De ce fait il est clair que les relations chez les hommes ne constituent pas les personnes, puisqu’elles sont des accidents; mais la personne est quelque chose de subsistant dans le genre de la substance; la substance ne peut pas être constituée par un accident. Mais la relation en Dieu elle constitue la personne en tant qu’elle est relation divine; car du fait qu’elle est identique à l’essence divine, car en Dieu il ne peut pas y avoir d’accidents, elle peut constituer une hypostase divine. Donc il y a une manière de comprendre la relation comme constitutive de la personne divine, et une autre manière par laquelle on comprend la relation comme telle. C’est pourquoi rien n’empêche selon la première manière de comprendre, que la relation présuppose les processions, selon l’autre, c’est le contraire.

Sic ergo dicendum est, quod si consideretur relatio ut relatio est, praesupponit processionis intellectum; si autem consideretur ut est constitutiva personae, sic relatio quae est constitutiva personae, a qua est processio, est prior secundum intellectum quam processio; sicut paternitas in quantum est constitutiva personae patris, est prior secundum intellectum quam generatio. Relatio autem quae est constitutiva personae procedentis etiam in quantum est constitutiva personae, est posterior secundum intellectum quam processio, sicut filiatio quam nativitas; et hoc ideo quia persona procedens intelligitur ut terminus processionis.

Ainsi il faut donc dire que, si on considère la relation comme telle, elle présuppose le concept de procession; mais si on la considère comme constitutive de la personne, alors cette relation, d’où vient la procession, est selon l’esprit avant la procession; de même que la paternité en tant que constitutive de la personne du Père est selon l’esprit avant la génération. Mais la relation qui est constitutive de la personne qui procède aussi en tant que constitutive de la personne, est selon l’esprit après la procession, comme la filiation est après la naissance; et cela parce que la personne qui procède est comprise comme le terme de la procession.

Solutions:

q. 10 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Magister loquitur de paternitate considerata secundum quod relatio est.

# 1. Le Maître parle de la paternité considérée comme relation.

q. 10 a. 3 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum et tertium.

# 2. 3. Il faut dire la même chose pour la seconde et la troisième objection.

q. 10 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in rebus in quibus relationes sunt accidentia, oportet quod relatio praesupponat distinctionem; in divinis autem relationes constituunt tres personas distinctas.

# 4. Dans ce en quoi les relations sont des accidents, il faut que la relation présuppose la distinction; mais en Dieu les relations constituent trois personnes distinctes.

q. 10 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod paternitas est de intellectu filiationis, et e converso, secundum quod utrumque consideratur ut relatio quaedam. Sic autem dicimus, quod relationes sequuntur processiones ordine intellectus.

# 5. La paternité fait partie du concept de filiation et inversement, selon que l’une et l’autre sont considérées comme une relation. Ainsi nous disons que les relations suivent les processions dans l’ordre du concept.

q. 10 a. 3 ad s. c. Aliae duae rationes procedunt de relationibus secundum quod sunt constitutivae personarum.

Les deux autres raisons procèdent des relations selon qu’elles sont constitutives des personnes.

 

1 Parall.: Ia, qu. 42, a. 3, — I Sent. D. 12, a. 1 — D. 20, a. 3 — Contra errores Graecorum, P. II, c. 31.

2 Thomas 1001-1002. Tricot p. 294.

3 Celui qui procède vient d’un autre.

 

 

 

Article 4: L’Esprit saint procède-t-il du Fils?

q. 10 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum spiritus sanctus procedat a filio. Et videtur quod non.

Il semble que non.

Objections1:

 

q. 10 a. 4 arg. 1 Dicit enim Dionysius, quod filius et spiritus sanctus sunt sicut flores deigenae divinitatis. Flos autem non est a flore. Ergo spiritus sanctus non est a filio.

1. Car Denys (les Noms divins, III) dit que le Fils et l’Esprit saint sont comme les fleurs de la divinité qui engendre Dieu. Mais la fleur ne vient pas de la fleur. Donc l’Esprit saint ne vient pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 2 Praeterea, si filius est principium spiritus sancti, aut hoc habet a se, aut ab alio. A se non habet: non enim filio in quantum filius est, convenit esse principium, sed magis esse a principio. Si autem habet a patre, oportet quod hoc modo sit principium sicut pater. Pater autem est principium per generationem. Ergo filius erit principium spiritus sancti per generationem; et ita spiritus sanctus erit filius filii.

2. Si le Fils est le principe de l’Esprit saint ou bien il le tient de lui-même ou d’un autre. Il ne le tient pas de lui, car ce n’est pas au Fils en tant que tel qu’il convient d’être principe, mais plutôt de dépendre du principe. Mais s’il le tient du Père, il faut que de cette manière, il soit principe comme (le) père. Mais le Père est le principe par génération. Donc le Fils sera principe de l’Esprit saint par génération; et ainsi l’Esprit saint sera le fils du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 3 Praeterea, quidquid est commune patri et filio, similiter convenit utrique. Si ergo esse principium est commune patri et filio, filius erit principium eo modo quo pater. Pater autem est principium per generationem. Ergo et filius; et sic idem quod prius.

3. Tout ce qui est commun au Père et au Fils convient de la même manière à l’un et à l’autre. Si donc être principe est commun au Père et au Fils, le Fils sera principe à la manière du Père. Mais le Père est le principe par génération. Donc le Fils aussi; et ainsi de même que ci-dessus.

q. 10 a. 4 arg. 4 Praeterea, filius ideo filius est, quia procedit a patre et est verbum ipsius; spiritus autem sanctus dicitur verbum filii, secundum Basilium, qui hoc accipit ex eo quod apostolus dicit Hebr. I, 3, quod filius portat omnia verbo virtutis suae. Si ergo spiritus sanctus procedit a filio, oportet quod sit filius filii.

4. Le Fils est ainsi, parce qu’il procède du Père et est son Verbe; mais on dit que l’Esprit saint est le verbe du Fils, selon Basile (Contre Eunome, V, ch. commençant par propterea) qui le reçoit du fait que l’Apôtre dit en Hébr. I, 3, que le Fils porte "tout par le verbe de sa puissance2". Si donc l’Esprit saint procède du Fils, il faut qu’il soit le fils du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 5 Praeterea, licet secundum rem paternitas et filiatio per prius sit in Deo quam in nobis, secundum illud apostoli ad Ephes. III, 15: ex quo, scilicet Deo patre, omnis paternitas in caelo et in terra nominatur; tamen secundum nominis impositionem haec nomina translata sunt ab humanis ad divina. Sed in humanis procedens a filio vocatur nepos. Si ergo spiritus sanctus procedit a filio, erit nepos patris; quod est absurdum.

5. Bien qu’en réalité la paternité et la filiation soient en Dieu avant d’être en nous, selon cette parole de l’Apôtre Eph. III, 15: De qui, à savoir de Dieu le Père, toute paternité tire son nom au ciel et sur terre…"; cependant selon leur dénomination, ces noms ont été transférés de ce qui est humain à ce qui est divin. Mais chez les hommes celui qui procède du fils est appelé petit-fils. Si donc l’Esprit saint procède du Fils, il sera le petit-fils du Père, ce qui est absurde.

q. 10 a. 4 arg. 6 Praeterea, proprietas filii est in accipiendo: ex hoc enim filius dicitur quod accipit naturam patris per generationem. Si ergo filius ex se emittat spiritum sanctum, erunt in filio proprietates contrariae; quod est inconveniens.

6. La propriété du Fils est dans la réception; du fait qu’on dit que le Fils reçoit la nature du Père par génération. Si donc le Fils émet l’Esprit saint à partir de lui-même, il y aura en lui deux propriétés contraires, ce qui ne convient pas.

q. 10 a. 4 arg. 7 Praeterea, quidquid est in divinis, aut est commune, aut proprium. Emittere autem spiritum sanctum non est commune toti Trinitati: non enim convenit spiritui sancto. Ergo est proprium patris, et sic non convenit filio.

7. Tout ce qui est en Dieu, est commun ou propre. Mais émettre l’Esprit saint n’est pas commun à toute la Trinité; car cela ne convient pas à l’Esprit saint. Donc c’est le propre du Père, et ainsi cela ne convient pas au Fils.

q. 10 a. 4 arg. 8 Praeterea, spiritus sanctus amor est, ut Augustinus probat in Lib. de Trinit. Amor autem patris in filium gratuitus est; non enim amat filium quasi aliquid ab eo accipiens, sed solum quasi aliquid ei dans. Amor autem filii in patrem, est amor debitus; sic enim amat patrem quasi aliquid ab eo accipiens. Amor autem debitus est alius ab amore gratuito. Si ergo spiritus sanctus sit amor a patre et filio procedens, sequitur quod sit alius a seipso.

8. L’Esprit saint est amour, comme Augustin le prouve dans La Trinité. Mais l’amour du Père dans le Fils est gratuit, car il n’aime pas le Fils comme celui qui reçoit quelque chose de lui, mais seulement comme lui donnant quelque chose. Mais l’amour du Fils dans le Père est un amour dû; car il aime le Père en tant qu’il reçoit de lui. Mais l’amour dû est autre que l’amour gratuit. Si donc l’Esprit saint est l’amour qui procède du Père et du Fils, il en découle qu’il est autre que lui-même.

q. 10 a. 4 arg. 9 Praeterea, spiritus sanctus est amor gratuitus; unde et ab eo profluunt divisiones gratiarum, secundum illud I Cor. XII, 4: divisiones gratiarum sunt, idem vero spiritus. Si ergo amor filii in patrem non est amor gratuitus, spiritus sanctus non erit amor filii; non ergo procedit a filio.

9. L’Esprit saint est l’amour gratuit; c’est pourquoi coule de lui la diversité de grâces, selon ce mot de I Co. 12, 4: Il y a diversité des grâces, mais c’est le même Esprit." Si donc l’amour du Fils dans le Père n’est pas un amour gratuit, l’Esprit saint ne sera pas l’amour du Fils; donc il ne procède pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 10 Praeterea, si spiritus sanctus procedit a filio ut amor, cum filius amet patrem sicut mater filium, oportebit quod spiritus sanctus sicut procedit a patre in filium, ita procedat a filio in patrem. Hoc autem est impossibile, ut videtur; sequeretur enim quod pater aliquid a filio reciperet, quod penitus esse non potest.

10. Si l’Esprit saint procède du Fils comme amour, puisque le Fils aime le Père comme une mère aime son fils, il faudra que l’Esprit saint procède du Père dans le Fils, de même qu’il procède du Fils dans le Père. Mais cela est impossible, semble-t-il; car il en découlerait que le Père recevrait quelque chose du Fils, ce qui est tout à fait impossible.

q. 10 a. 4 arg. 11 Praeterea, sicut pater et filius diligunt se, ita filius et spiritus sanctus, vel pater et spiritus sanctus. Si ergo spiritus sanctus procedit a patre et filio, quia pater et filius diligunt se; pari ratione quia pater et spiritus sanctus diligunt se, procedit spiritus sanctus a seipso, quod est impossibile.

11. De même que le Père et le Fils s’aiment, de même aussi le Fils et l’Esprit saint, ou le Père et l’Esprit saint. Si donc l’Esprit saint procède du Père et du Fils, parce que le Père et le Fils s’aiment, à raison égale, parce que le Père et l’Esprit saint s’aiment, l’Esprit saint procède de lui-même, ce qui est impossible.

q. 10 a. 4 arg. 12 Praeterea, Dionysius dicit: universaliter non est audendum dicere aliquid nec etiam cogitare de supersubstantiali occulta divinitate, praeter ea quae divinitus nobis ex sacris eloquiis sunt expressa.

12. Denys dit (les Noms divins, I, PG, 3, 588 A3): "Généralement il ne faut pas oser dire quelque chose ni le penser de la divinité supersubstantielle cachée, au-delà de ce qui nous a été divinement exprimé par les paroles sacrées".

In Scriptura autem sacra non exprimitur quod spiritus sanctus procedat a filio, sed solum quod procedat a patre, secundum illud Ioan. XV, 26: cum venerit Paraclitus quem ego mittam vobis a patre, spiritum veritatis, qui a patre procedit. Non ergo dicendum est nec cogitandum quod spiritus sanctus procedit a filio.

Mais dans l’Écriture sainte, il n’est pas dit que l’Esprit saint procède du Fils, mais seulement qu’il procède du Père, selon cette parole de Jean, 15, 26: "Quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai par le Père, l’Esprit de vérité, qui procède du Père…". Donc il ne faut ni dire ni penser que l’Esprit saint procède du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 13 Praeterea, in gestis I Ephesinae synodi sic dicitur, quod perlecto symbolo Nicenae synodi decrevit sancta synodus aliam fidem nulli licere proferre vel conscribere vel componere, praeter definitam a sanctis patribus, qui in Nicaea congregati sunt cum spiritu sancto; praesumentes autem aut componere fidem alteram aut protendere aut proferre volentibus converti ad notitiam veritatis vel ex Paganitate vel ex Iudaismo, vel ex haeresi aliqua; hos, si quidem sint episcopi aut clerici, alienos esse episcopos ab episcopatu, et clericos a clericatu; si vero sint laici, anathematizari. Et similiter in gestis Chalcedonensis synodi, post recitatam determinationem Conciliorum subditur: eos autem qui ausi sunt componere fidem alteram, aut proferre aut docere aut tradere alterum symbolum volentibus vel ex gentilitate ad cognitionem veritatis, vel Iudaeis, vel ex haeresi quacumque converti; hoc, si episcopi fuerint aut clerici, alienos esse episcopos ab episcopatu, et clericos a clero; si vero monachi aut laici fuerint, anathematizari. In praemissa autem Concilii determinatione non habetur quod spiritus sanctus procedit a filio, sed solum quod procedat a patre. Legitur etiam in symbolo Constantinopolitanae synodi: credimus in spiritum sanctum dominum et vivificantem, ex patre procedentem, cum patre et filio adorandum et conglorificandum. Nullo ergo modo debuit addi in symbolo fidei quod spiritus sanctus procedat a filio.

13. Dans les actes du Concile d’Éphèse, I4, on dit ainsi qu’ayant parcouru le Symbole du Concile de Nicée, le saint Concile décréta "ne permettre à personne de proférer, d’écrire ou d’établir une autre foi, que celle définie par les pères qui se sont rassemblés à Nicée, avec l’Esprit saint; mais ceux qui osent établir une autre foi, la répandre, ou la proférer à ceux qui veulent se convertir pour connaître la vérité, qu’ils soient du paganisme, du Judaïsme, ou d’une hérésie, si ceux-ci sont des Évêques ou des clercs, que les évêques soient dépossédés de l’épiscopat, et les clercs de la cléricature; mais si ce sont des laïcs, qu’il soient anathèmes." Et de la même manière dans les actes du Concile de Chalcédoine5, après avoir lu la décision des conciles, il est ajouté: "Ceux qui ont osé présenter une autre foi, ou proférer ou enseigner ou rapporter un autre symbole à ceux qui voulaient se convertir du paganisme pour la connaissance de la vérité ou des Juifs, ou d’une hérésie quelconque, que si ce sont des évêques ou des clercs, si ce sont des évêques qu’ils soient dépossédés de l’épiscopat, les clercs de la cléricature, si ce sont des moines ou des laïcs qu’ils soient anathèmes." Dans la décision annoncée du concile, il n’y a pas que l’Esprit saint procède du Fils, mais seulement qu’il procède du Père. On lit aussi dans le Symbole du Concile de Constantinople6: "Nous croyons dans l’Esprit saint Seigneur et vivificateur, qui procède du Père, qui doit être adoré et glorifié avec le Père et Fils" En aucune manière il n’a dû être ajouté dans le symbole de la foi que l’Esprit saint procède du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 14 Praeterea, si spiritus sanctus dicitur a filio procedere, aut hoc dicitur propter aliquam auctoritatem Scripturae, aut propter aliquam rationem. Auctoritas quidem sacrae Scripturae ad hoc ostendendum nulla videtur esse sufficiens; habetur siquidem in sacris Scripturis, quod spiritus sanctus sit filii; sicut dicitur Galat. IV, 6: misit Deus spiritum filii sui in corda vestra; et Rom. VIII, 9: si quis spiritum Christi non habet, hic non est eius. Habetur etiam quod spiritus sanctus sit missus a filio: dicit enim Christus, Ioan. XVI, 7: si enim non abiero, Paraclitus non veniet ad vos, si autem abiero, mittam eum ad vos. Non autem sequitur quod spiritus sanctus procedat a filio ex eo quod est filii, quia hoc huius multipliciter dicitur, secundum philosophum. Similiter etiam neque ex eo quod spiritus sanctus dicitur missus a filio; quia licet filius non sit a spiritu sancto dicitur tamen a spiritu sancto missus, secundum illud Is. XLVIII, 16, ex persona Christi: et nunc misit me dominus Deus, et spiritus eius; et Is., LXI, 1: spiritus domini super me (...) ad evangelizandum mansuetis misit me: quod in se dicit Christum esse completum.- Similiter etiam non potest per rationem efficaciter probari. Licet enim spiritus sanctus non sit a filio, adhuc tamen, ut videtur, distincti ad invicem remanebunt: differunt enim suis proprietatibus personalibus. Nihil ergo videtur cogere ad dicendum spiritum sanctum procedere a filio.

14. Si on dit que l’Esprit saint procède du Fils, ou on le dit à cause d’une autorité de l’Écriture, ou pour une autre raison. Aucune autorité de l’Écriture sainte ne semble suffisante pour le montrer; il y a toutefois dans l’écriture sainte que l’Esprit saint est du Fils; comme il est dit en Ga. 4, 6:"Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs;" et Rm. 8, 9: "Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là n’est pas de lui". On trouve aussi que l’Esprit saint a été envoyé par le Fils; car le Christ dit (Jn 16, 7): "Car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous, mais si je m’en vais, je vous l’enverrai." Mais il n’en découle pas que l’Esprit saint procède du Fils, du fait qu’il est du Fils, parce que huius (de celui-ci7) est employé de nombreuses manières, selon le philosophe. De la même manière aussi, ce n’est pas du fait qu’on dit que l’Esprit saint est envoyé par le Fils, parce que, bien que le Fils ne soit pas de l’Esprit saint, on dit cependant qu’il a été envoyé par lui selon cette parole d’Is . 48, 16: "Et maintenant le Seigneur Dieu et son Esprit m’ont envoyé" et Is. 61, 1:"L’esprit du Seigneur est sur moi… il m’a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux doux", ce qui dit en soi que le Christ est un être complet.— De la même manière on ne peut pas le prouver efficacement par la raison. Car bien que l’Esprit saint ne soit pas du Fils, cependant jusqu’ici, à ce qu’il semble, ils demeureront distincts entre eux: car ils diffèrent par leurs propriétés personnelles. Donc rien ne semble forcer à dire que l’Esprit saint procède du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 15 Praeterea, omne quod procedit ab aliquo, habet aliquid ab eo. Si ergo spiritus sanctus procedit a duobus, scilicet a patre et filio, oportet quod a duobus accipiat; et sic videtur sequi quod sit compositus.

15. Tout ce qui procède de quelqu’un a quelque chose de lui. Si donc l’Esprit saint procède des deux, à savoir du Père et du Fils, il faut qu’il reçoive des deux; et ainsi il semble en découler qu’il est composé.

q. 10 a. 4 arg. 16 Praeterea, de ratione principii est quod non sit ab alio, secundum philosophum. Sed filius est ab alio, scilicet a patre. Ergo filius non est principium spiritus sancti.

16. C’est la nature du principe de ne pas dépendre d’un autre, selon le philosophe (Physique I, 6, 189 a 30). Mais le Fils est d’un autre, à savoir du Père. Donc le Fils n’est pas le principe de l’Esprit saint.

q. 10 a. 4 arg. 17 Praeterea, voluntas movet intellectum ad operandum, homo enim intelligit quando vult. Sed spiritus sanctus procedit per modum voluntatis ut amor, filius autem per modum intellectus ut verbum. Non ergo videtur quod spiritus procedat a filio, sed magis e converso.

17. La volonté met en mouvement l’esprit pour opérer; car l’homme comprend quand il le veut. Mais l’Esprit saint procède par mode de volonté comme amour, et le Fils par mode d’esprit comme Verbe. Il ne semble pas que l’Esprit saint procède du Fils, mais c’est plutôt le contraire.

q. 10 a. 4 arg. 18 Praeterea, nihil procedit ab eo in quo quiescit. Sed spiritus sanctus a patre procedit et in filio quiescit, ut scribitur in passione beati Andreae. Ergo spiritus sanctus non procedit a filio.

18. Rien ne procède de celui en qui il se repose. Mais l’Esprit saint procède du Père et se repose dans le Fils, comme il est écrit dans la passion du bienheureux André8. Donc l’Esprit saint ne procède pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 19 Praeterea, simplex non potest procedere a duobus, quia effectus esset simplicior et prior quam causa. Sed spiritus sanctus est simplex. Non ergo procedit a duobus, scilicet a patre et filio.

19. Ce qui est simple ne peut pas procéder de deux êtres, parce que l’effet serait encore plus simple et avant la cause. Mais l’Esprit saint est simple. Donc il ne procède pas des deux, à savoir du Père et du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 20 Praeterea, si aliquid perfecte procedit ab uno, superfluum est quod procedat a duobus. Sed spiritus sanctus perfecte procedit a patre. Ergo superfluum esset quod procederet a patre et filio simul.

20. Si quelque chose procède parfaitement de l’un, il est superflu qu’il procède des deux. Mais l’Esprit saint procède parfaitement du Père. Donc il serait superflu qu’il procède du Père et du Fils en même temps.

q. 10 a. 4 arg. 21 Praeterea, sicut pater et filius sunt unum in substantia et natura, ita pater et spiritus sanctus. Sed spiritus sanctus non convenit cum patre in generatione filii. Ergo nec filius convenit cum patre in emissione spiritus sancti.

21. De même que le Père et le Fils sont un en substance et nature, de même le Père et l’Esprit saint. Mais l’Esprit saint ne se rencontre pas avec le Père dans la génération du Fils. Donc le Fils ne se rencontre pas avec le père dans l’émission de l’Esprit saint.

q. 10 a. 4 arg. 22 Praeterea, filius est radius patris, ut patet per Dionysium. Spiritus autem sanctus est splendor. Splendor autem non est a radio. Ergo nec spiritus sanctus est a filio.

22. Le Fils est le rayon du Père, comme on le voit chez Denys (La hiérarchie céleste). Mais l’Esprit saint est la splendeur. Mais celle-ci ne vient pas du rayon. Donc l’Esprit saint ne vient pas non plus du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 23 Praeterea, filius est quoddam lumen patris, cum sit verbum eius. Spiritus autem sanctus est sicut calor, est enim amor quidam; unde et super apostolos in specie ignis apparuit. Calor autem non est a lumine. Ergo nec spiritus sanctus a filio.

23. Le Fils est une lumière du Père, puisqu’il est son verbe. Mais l’Esprit saint est comme la chaleur, car il est l’amour; c’est pourquoi il apparut sur les Apôtres, sous l’espèce du feu (Act. 2, 3). Mais la chaleur ne vient pas de la lumière. Donc l’Esprit saint ne vient pas du Fils.

q. 10 a. 4 arg. 24 Praeterea, Damascenus dicit, quod spiritus sanctus dicitur esse filii, sed non a filio.

24. Jean Damascène rapporte qu’on dit que l’Esprit saint est du Fils, mais non par le Fils.

En sens contraire:

q. 10 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod Athanasius dicit: spiritus sanctus a patre et filio non factus nec creatus nec genitus, sed procedens.

1. Il y a ce qu’Athanase dit (dans le Symbole9): "L’Esprit saint par le Père et par le Fils, ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant d’eux".

q. 10 a. 4 s. c. 2 Praeterea, spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona, secunda filius, prima pater. Ternarius autem procedit ab unitate mediante binario. Ergo spiritus sanctus procedit a patre mediante filio.

2. L’Esprit saint est appelé la troisième personne de la Trinité, le Fils la seconde, le Père la première. Mais le troisième procède d’une double unité intermédiaire. Donc l’Esprit saint procède du Père par l’intermédiaire du Fils.

q. 10 a. 4 s. c. 3 Praeterea, cum inter divinas personas sit summa convenientia, quaelibet divinarum personarum ad aliam habet immediatam germanitatem. Hoc autem non esset, si spiritus sanctus non esset a filio; tunc enim filius et spiritus sanctus non haberent germanitatem ad invicem immediate, sed solum mediante patre, in quantum ambo sunt ab uno. Ergo spiritus sanctus est a filio.

3. Comme parmi les personnes divines, il y a un accord suprême, n’importe laquelle des personnes a une parenté immédiate avec l’autre. Mais cela n’existerait pas, si l’Esprit saint ne venait pas du Fils, car alors le Fils et l’Esprit saint n’aurait pas de parenté immédiate entre eux; mais seulement par l’intermédiaire du Père, en tant que les deux viennent d’un seul. Donc l’Esprit saint est du Fils.

q. 10 a. 4 s. c. 4 Praeterea, divinae personae non distinguuntur ab invicem nisi secundum originem. Si ergo spiritus sanctus non esset a filio, non distingueretur ab eo, quod est inconveniens.

4. Les personnes divines ne se distinguent entre elles que selon l’origine. Si donc l’Esprit saint n’était pas du Fils, il ne serait pas distingué de lui, ce qui ne convient pas.

Réponse:

q. 10 a. 4 co. Respondeo. Dicendum quod, secundum ea quae supra determinata sunt, necesse est spiritum sanctum a filio procedere; oportet enim, si filius et spiritus sanctus sunt duae personae, quod alia sit processio unius et alia alterius. Ostensum autem est supra, quod non possunt esse duae processiones in divinis nisi secundum ordinem processionum, ut scilicet a procedente secundum unam processionem sit alia processio. Necesse est ergo quod spiritus sanctus sit a filio.

Selon ce qui a été déterminé ci-dessus, il est nécessaire que l’Esprit saint procède du Fils; car il faut, si le Fils et l’Esprit saint sont deux personnes, que la procession de l’une soit différente de celle de l’autre. Mais on a montré ci-dessus (art. 2) qu’il ne peut y avoir deux processions en Dieu que selon leur ordre, pour qu’il y ait une autre procession de celui qui procède par une première procession. Donc il est nécessaire que l’Esprit saint vienne du Fils.

Sed praeter hanc rationem etiam ex aliis rationibus de necessitate probatur quod spiritus sanctus sit a filio. Oportet enim quod omnis differentia aliquorum sequatur ex prima radice distinctionis ipsorum; nisi forte sit differentia per accidens, sicut ambulans differt a sedente; et hoc ideo quia quaecumque per se insunt alicui, vel sunt de essentia eius, vel consequuntur essentialia principia, ex quibus est prima radix distinctionis rerum. In divinis autem non potest esse aliquid per accidens; quia omne quod inest alicui per accidens, cum sit extraneum a natura eius, oportet quod conveniat ei ex aliqua exteriori causa: quod non potest dici in divinis.

Mais en dehors de cette raison, on prouve nécessairement par d’autres raisons que l’Esprit saint est du Fils. Car il faut que toute la différence des choses découle de la première racine de leur distinction; à moins que par hasard, il y ait une différence par accident, ainsi celui qui marche est différent de celui qui est assis. Et cela parce que tout ce qui est par soi dans une autre chose, ou est de son essence, ou bien accompagne les principes essentiels, par lesquels il y a la première racine de la distinction. Mais en Dieu il ne peut rien y avoir par accident; parce qu’il faut que tout ce qui est en quelqu’un par accident, comme cela est étranger à sa nature, lui convienne par quelque cause extérieure; ce qu’on ne peut pas dire en Dieu.

Oportet ergo quod omnis differentia divinarum personarum ad invicem sequatur ex prima radice distinctionis earum. Prima autem radix distinctionis patris et filii, est ex paternitate et filiatione. Oportet ergo quod omnis differentia quae est inter patrem et filium, sequatur ex hoc quod ipse est pater, et ille filius. Esse autem principium spiritus sancti non convenit patri in quantum pater est, ratione paternitatis: sic enim non refertur nisi ad filium; unde sequeretur quod spiritus sanctus esset filius.

Il faut donc que toute différence des personnes divines entre elles découle par la première racine de leur distinction. Mais cette première racine du Père et du Fils vient de la paternité et de la filiation. Il faut donc que toute différence entre le Père et le Fils, découle du fait que l’un est le Père et l’autre le Fils. Mais être le principe de l’Esprit saint ne convient pas au Père en tant que Père, en raison de sa paternité: car ainsi il ne se réfère qu’au Fils: aussi il en découlerait que l’Esprit saint serait le Fils.

Similiter autem nec hoc repugnat rationi filiationis, quia, secundum filiationem, non refertur ad aliud nisi ad patrem. Non ergo potest esse differentia inter patrem et filium in hoc quod pater sit principium spiritus sancti, non autem filius.

De la même manière, cela ne s’oppose pas à la nature de la filiation, parce que, selon elle, il ne se réfère à un autre qu’au Père. Donc il ne peut pas y avoir de différence entre le Père et le Fils du fait que le Père est le principe de l’Esprit saint , mais pas le Fils.

Item, sicut in libro de synodis dicitur, creaturae proprium est quod voluntate sua Deus eam produxerit. Quod Hilarius ex hoc probat quod creatura non est talis qualis est Deus, sed qualem Deus eam voluit esse. Quia vero filius est talis qualis est pater, dicitur quod pater genuit filium naturaliter. Eadem autem ratione spiritus sanctus est a patre naturaliter, quia est similis et aequalis patri: natura enim producit sibi simile. Oportet autem quod creatura, quae est a patre secundum suam voluntatem, sit etiam a filio: quia eadem est voluntas patris et filii. Similiter autem et eadem est natura utriusque.

De même, comme il est dit dans le livre des Synodes, le propre de la créature est que Dieu l’ait produit par sa volonté. Ce qu’Hilaire prouve du fait que la créature n’est pas telle que Dieu, mais telle que Dieu a voulu qu’elle soit. Mais parce que le Fils est tel que le Père, on dit que le Père a engendré le Fils par nature. Mais, pour la même raison, l’Esprit saint est du Père par nature, parce qu’il est semblable et égal au Père; car la nature produit du semblable à elle. Il faut que la créature qui est du Père selon sa volonté, soit aussi du Fils; parce que la volonté du Père et celle du Fils sont identiques. De la même manière la nature de l’un et l’autre est identique.

Oportet ergo quod sicut spiritus sanctus est a patre, ita sit a filio. Nec tamen sequitur quod filius vel spiritus sanctus sint a spiritu sancto, licet et ipse habeat unam naturam cum patre; sicut sequitur quod creatura est ab eo in quantum habet unam voluntatem cum patre, propter repugnantiam quae sequeretur, si spiritus sanctus diceretur esse a seipso, vel si ab eo diceretur esse filius, qui est eius principium.

Il faut donc que, de même que l’Esprit saint est du Père, il soit aussi du Fils. Et cependant il n’en découle pas que le Fils ou l’Esprit saint soit de l’Esprit saint, bien que lui-même ait une seule nature avec le Père; ainsi il découle que la créature est par lui en tant qu’il a une seule volonté avec le Père, à cause de l’incompatibilité qui en découlerait, si on disait que l’Esprit saint est de lui-même, ou si on disait que le Fils, est de celui qui est son principe.

Hoc autem apparet alio modo: non enim potest esse in divinis personis distinctio nisi secundum relationes; ea enim quae absolute dicuntur in divinis, essentiam significant, et communia sunt, ut bonitas, sapientia et huiusmodi. Relationes autem diversae non possunt facere distinctionem nisi ratione suae oppositionis; diversae enim relationes possunt esse unius ad idem: patet enim quod idem eiusdem potest esse filius, discipulus, aequalis, et quaecumque aliae relationes quae oppositionem non includunt.

Mais cela apparaît d’une autre manière. Car il n’est pas possible qu’il y ait une distinction dans les personnes divines, sinon par les relations; car ce qui est dit dans l’absolu en Dieu, signifie l’essence, et est commun, comme la bonté, la sagesse etc. Mais les différentes relations ne peuvent apporter de distinction qu’en raison de leur opposition; car les relations différentes ne peuvent être d’un seul au même; car il est clair que le même du même peut être fils, disciple, égal et toutes les autres relations qui n’incluent pas d’opposition.

Patet autem quod filius distinguitur a patre per hoc quod aliqua relatione ad ipsum refertur, et similiter spiritus sanctus a patre distinguitur propter aliquam relationem. Istae ergo relationes quantumcumque videantur disparatae, nullo modo poterunt distinguere spiritum sanctum a filio, nisi sint oppositae. Oppositio autem alia in divinis esse non potest nisi secundum originem, prout scilicet unus est ab alio. Nullo ergo modo filius et spiritus sanctus poterunt esse distincti per hoc quod uterque diversimode referatur ad patrem, nisi unus eorum referatur ad alterum ut ab eo existens.

Mais il est clair que le Fils se distingue du Père, parce qu’il se réfère à lui par une relation et de la même manière l’Esprit saint se distingue du Père à cause d’une relation. Donc ces relations pour si différentes qu’elles paraissent, n’ont pu en aucune manière distinguer l’Esprit saint du Fils, à moins qu’elles ne soient opposées. Mais une autre opposition en Dieu ne peut exister que selon l’origine, dans la mesure où l’un est par l’autre. Donc en aucune manière le Fils et l’Esprit saint n’ont pu être distincts parce que l’un et l’autre sont en rapport de manières diverses au Père, sauf si l’un d’eux est en rapport avec l’autre comme existant par lui.

Constat autem quod filius non est a spiritu sancto: de ratione enim filii est quod non referatur nisi ad patrem ut ab eo existens. Relinquitur, ergo de necessitate quod spiritus sanctus sit a filio.

Mais il est bien certain que le Fils n’est pas par l’Esprit saint: car il est de sa nature de n’avoir rapport qu’au Père comme existant par lui. Il reste donc nécessairement que l’Esprit saint est du Fils.

Sed quia potest aliquis dicere, quod ea quae sunt fidei non sunt solum rationibus sed auctoritatibus confirmanda, restat ostendere per auctoritates sacrae Scripturae quod spiritus sanctus sit a filio. Habetur enim in pluribus sacrae Scripturae locis quod spiritus sanctus sit filii; sicut Rom. VIII, 9: qui spiritum Christi non habet, hic non est eius; et Galat., IV, 6: misit Deus spiritum filii sui in corda vestra; et Act. XVI, 7: tentabant ire Bithyniam, et non permisit eos spiritus Iesu. Non enim potest intelligi quod spiritus sanctus sit spiritus Christi solum secundum humanitatem, quasi ipsum replens, quia spiritus sanctus est alicuius hominis ut habentis, non autem ut dantis. Filii autem est spiritus sanctus ut dantis ipsum, secundum illud I Ioan. IV, 13: in hoc cognoscimus quoniam in eo manemus, et ipse in nobis, quia de spiritu suo dedit nobis; et Act. V, 32, dicitur, quod dedit spiritum sanctum obedientibus sibi.

Mais parce qu’on peut dire que ce qui concerne la foi ne dépend pas seulement de raisonnements mais doit être confirmé par les autorités de l’Écriture sainte, il reste à montrer par les autorités que l’Esprit saint est du Fils. Car on trouve en plusieurs endroits de l’Écriture sainte, que l’Esprit saint est du Fils; comme en Rm, 16, 7: "Qui n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là n’est pas de lui"; et Ga. 4, 6: "Dieu a envoyé l’Esprit du Fils dans vos cœurs;" et Act. 16, 7: "Ils tentaient d’aller en Bithynie, et l’Esprit de Jésus ne le permit pas". Car on ne peut pas comprendre que l’Esprit saint soit l’Esprit du Christ seulement selon l’humanité, comme le complétant, parce que l’Esprit saint est d’un homme en tant qu’il possède, mais non en tant qu’il donne10. Mais l’Esprit saint est du Fils en tant qu’il le donne selon ce mot de Jn 4, 13: "A cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui-même en nous, parce qu’il nous l’a donné de son Esprit" et en Act. 5, 32, il est dit qu’il a donné son Esprit saint à ceux qui lui obéissent.

Oportet ergo quod dicatur esse spiritus sanctus filii, in quantum est divina persona. Aut ergo dicitur esse absolute eius, aut dicitur esse eius ut spiritus eius. Si autem absolute, tunc oportet quod sit aliqua auctoritas filii respectu spiritus sancti. Apud nos enim potest dici aliquis esse alterius secundum quid, qui non habet auctoritatem respectu ipsius, sicut cum dicitur, Petrus est socius Ioannis; sed non potest dici, Petrus esse Ioannis absolute, nisi sit quaedam possessio eius, sicut servus, hoc ipsum quod est, dicitur esse domini. In divinis autem non potest esse aliquid serviens vel subiectum; sed intelligitur ibi auctoritas secundum solam originem. Oportebit ergo quod spiritus sanctus habeat originem a filio.

Il faut donc dire que l’Esprit saint est du Fils, en tant que personne divine. Donc, ou bien on dit qu’il est de lui selon l’absolu, ou bien comme son esprit. Si c’est selon l’absolu, alors il faut qu’il y ait une autorité du Fils par rapport à l’Esprit saint. Chez nous en effet on peut dire de quelqu’un qu’il est d’un autre sous un certain rapport, qui n’a pas d’autorité par rapport à lui, comme quand on dit; Pierre est le compagnon de Jean; mais on ne peut pas dire que Pierre est de Jean dans l’absolu, à moins qu’il soit sa possession, comme esclave, ce qu’il est est dit du maître. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir un serviteur ou un sujet, mais on comprend l’autorité selon la seule origine. Donc il faudra que l’Esprit saint tire une origine du Fils.

Et idem sequitur, si dicatur spiritus sanctus esse filii ut spiritus eius; quia spiritus, secundum quod est nomen personale, importat relationem originis ad spirantem, sicut filius ad generantem. Similiter etiam invenitur in Scripturis quod filius mittit spiritum sanctum, sicut supra dictum est. Semper autem mittens videtur habere auctoritatem supra missum. Auctoritas autem in divinis, ut dictum est, non est nisi secundum originem. Unde sequitur quod spiritus sanctus originem habeat a filio.

Et il en découle la même chose, si on dit que l’Esprit saint est du Fils comme son esprit; parce que l’Esprit , selon qu’il est un nom personnel, apporte une relation d’origine à celui qui spire, comme le Fils à celui qui engendre. De la même manière aussi on trouve dans les Écritures que le Fils envoie l’Esprit saint, comme on l’a dit ci-dessus. Mais toujours celui qui envoie semble avoir l’autorité sur celui qui est envoyé. Mais l’autorité en Dieu, comme on l’a dit, ne dépend que de l’origine. C’est pourquoi il en découle que l’Esprit saint tire son origine du Fils.

Habetur autem ex sacra Scriptura quod per spiritum sanctum configuramur filio, secundum illud Rom. VIII, 15: accepistis spiritum adoptionis filiorum; et Galat. IV, 6: quoniam estis filii, misit Deus spiritum filii sui in corda vestra. Nihil autem configuratur alicui nisi per eius proprium characterem. In naturis etiam creatis ita est quod id quod conformat aliquid alicui, est ab eo; sicut semen hominis non assimilatur equo, sed homini a quo est. Spiritus autem sanctus est a filio tamquam proprius character eius; unde dicitur de Christo, II Cor. I, 21-22: quod signavit nos, et unxit nos et dedit pignus spiritus in cordibus nostris. Expressius autem filii, de spiritu sancto dicentis: ille me clarificabit quia de meo accipiet. Constat autem quod non accipit a filio spiritus sanctus, quasi prius non habens: quia sic esset mutabilis et indigentis naturae. Constat ergo quod ab aeterno accipit a filio; nec potuit accipere aliquid quod non sit eius essentia ab aeterno. Ergo accepit spiritus sanctus essentiam de filio.

On voit aussi par l’Écriture sainte que nous sommes configurés au Fils par l’Esprit saint, selon cette parole de Rm 8, 15: "Vous avez reçu un Esprit d’adoption de fils11" et Ga. 4, 6: "Parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils en vos cœurs". Mais rien n’est configuré à quelqu’un que par sa propre marque. Dans les créatures aussi ce qui conforme quelque chose à quelqu’un vient de lui; ainsi la semence de l’homme n’est pas semblable à celle du cheval; mais à l’homme d’où elle vient. Mais l’Esprit saint est du Fils comme sa marque la plus propre; c’est pourquoi il est dit du Christ II Co. 1, 21-22: "Il (le Père) nous a marqué du sceau, donné l’onction et le gage de l’Esprit dans nos cœurs12." Mais plus expressément du Fils qui dit au sujet de l’Esprit saint: "Il m’a glorifié parce qu’il a reçu de moi." Il est clair que l’Esprit saint n’a pas reçu du Fils comme n’ayant pas avant lui: parce qu’ainsi il serait changeant et d’une nature dans le besoin. Donc il est clair qu’il a reçu du Fils de toute éternité; et n’a pu recevoir rien qui ne soit pas son essence de toute éternité. Donc l’Esprit saint a reçu l’essence du Fils.

Rationem autem quare de filio acceperit spiritus sanctus, ipsemet filius subiunxit, dicens, Ioan. XVI, 15: omnia quaecumque habet pater mea sunt. Propterea dixi: quia de meo accipiet; quasi diceret quia eadem est essentia patris et mea, non potest spiritus sanctus esse de essentia patris, quin sit de mea essentia. Traditur etiam in sacra Scriptura quod filius per spiritum operatur, sicut habetur Rom. XV, 18: per me effecit Christus, scilicet miracula, et alia bona in spiritu sancto, idest per spiritum sanctum; et Hebr. IX, 14, dicitur quod per spiritum sanctum obtulit semetipsum. Quandocumque autem aliquis per aliquem dicitur operari, oportet quod vel operans det virtutem operativam ei per quem operatur, sicut rex dicitur operari per praepositum vel ballivum; vel e converso, sicut cum dicitur ballivus operari per regem.

La raison pour laquelle l’Esprit saint a reçu du Fils, le Fils lui-même l’a ajouté, en disant Jn 16, 15:"Tout ce qu’a le Père est à moi. C’est pourquoi j’ai dit: parce qu’il a reçu de moi…", comme s’il disait que l’essence du Père et la mienne est la même, l’Esprit saint ne peut pas être de l’essence du Père, qu’il ne soit de la mienne. L’Écriture sainte rapporte aussi que le Fils opère par l’Esprit, comme on le voit en Rm 15, 18: "Le Christ l’a fait par moi", à savoir les miracles et autres biens (dit l’Apôtre) dans l’Esprit saint", c'est-à-dire par l’Esprit saint et en Hébr. 9, 14: il est dit que "par l’Esprit saint il s’est offert lui-même" . Quelquefois aussi on dit que quelqu’un opère par un autre, il faut que ou bien celui qui opère lui donne le pouvoir d’opérer, par lequel il opère, comme on dit que le roi opère par un prévôt ou un bailli, ou au contraire comme quand on dit que le bailli opère par le roi.

Oportet ergo, si filius operatur per spiritum sanctum, quod vel spiritus sanctus det virtutem operativam filio, vel filius spiritui sancto; et ita quod unus alteri det essentiam, cum virtus operativa utriusque non sit aliud quam eius essentia. Constat autem quod spiritus sanctus non dat essentiam filio, cum filius non sit filius nisi patris. Relinquitur ergo quod spiritus sanctus sit a filio.

Il faut donc, si le Fils opère par l’Esprit saint que ou bien celui-ci donne le pouvoir d’opérer au Fils ou bien que le Fils le donne à l’Esprit saint; et ainsi que l’un donne l’essence à l’autre, puisque le pouvoir d’opérer de l’un et l’autre n’est pas autre que son essence. Mais il est clair que l’Esprit saint ne donne pas l’essence au Fils, puisque celui-ci n’est le Fils que du Père. Il reste donc que l’Esprit saint est du fils.

Ex hac ergo ratione per ea quae Graeci confitentur, potest idem haberi: confitentur enim ipsi quod spiritus sanctus est a patre per filium, et quod pater spirat spiritum sanctum per filium. Semper autem illud per quod aliquid producitur est principium eius quod producitur. Oportet ergo quod filius sit principium spiritus sancti. Si autem refugiant confiteri quod spiritus sanctus sit a filio, quia filius est ab alio,- et sic non est prima radix originis spiritus sancti,- manifestum est quod vane moventur; nullus enim refugit dicere lapidem moveri a baculo, licet baculus moveatur a manu; nec Iacob esse ab Isaac, licet Isaac sit ab Abraham. Sed adhuc minus est in proposito refugiendum; est enim una vis productiva patris et filii; quod non accidit in moventibus et agentibus creatis.

Et pour cette raison par ce que les Grecs confessent, on peut avoir le même résultat. Car ils confessent eux-mêmes que l’Esprit saint est du Père par le Fils et que le Père spire l’Esprit saint par le Fils. Mais toujours ce qui produit est le principe de ce qui est produit. Il faut donc que le Fils soit le principe de l’Esprit saint. Mais s’ils refusaient de confesser que l’Esprit saint est du Fils, parce que le Fils est d’un autre — et ainsi il n’est pas la première racine de l’origine de l’Esprit saint — il est clair qu’ils s’agitent en vain; car personne ne refuse de dire que la pierre est mue par le bâton, bien que le bâton soit mû par la main; et que Jacob n’est pas d’Isaac, bien que ce dernier soit d’Abraham. Mais il faut encore moins le refuser, car il y a une force productive du Père et du Fils; ce qui n’arrive pas dans les moteurs et les agents créés.

Unde sicut confitendum est quod creaturae sunt a filio, licet filius sit a patre, ita confitendum est quod spiritus sanctus sit a filio, licet filius sit a patre. Manifestum est ergo quod dicentes spiritum sanctum esse a patre per filium, non autem a filio, propriam vocem ignorant, sicut Aristoteles de Anaxagora dicit: volentes enim esse legis doctores, non intelligunt neque de quibus loquuntur, neque de quibus affirmant, ut dicitur I Timoth. cap. I, 7.

C’est pourquoi de la même manière qu’il faut confesser que les créatures sont du Fils, bien que le Fils soit du Père, de même il faut confesser que l’Esprit saint est du Fils, bien que le Fils soit du Père. Donc il est clair que ceux qui disent que l’Esprit saint est du Père par le Fils, mais pas du Fils, ignorent ce qu’ils disent; comme Aristote le dit d’Anaxagore. "Car voulant être des docteurs de la loi, ils ne comprennent pas ni de quoi ils parlent ni ce qu’ils affirment", comme il est dit en 1 Tm. 1, 7.

Solutions:

q. 10 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filius et spiritus sanctus dicuntur flores deigenae divinitatis, id est paternae, prout uterque a patre est. Sed quantum ad hoc quod spiritus sanctus a filio est, potest dici filius esse radix, et spiritus sanctus flos; non enim oportet ut similitudo rerum corporalium observetur quantum ad omnia in divinis.

# 1. Il faut donc dire que le Fils et l’Esprit saint sont appelés des fleurs engendrées de Dieu, c'est-à-dire des fleurs paternelles dans la mesure où l’un et l’autre sont du Père. Mais quant à ce que l’Esprit saint est du Fils, on peut dire que le Fils est la racine, et l’Esprit saint la fleur; car il ne faut pas tenir compte de la ressemblance avec ce qui est corporel pour tout ce qui est en Dieu.

q. 10 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius hoc habet a patre quod ex se spiritum sanctum emittat: unde et eodem modo convenit ei sicut et patri. Sed pater non est principium divinae personae uno modo tantum, sed duobus, scilicet per generationem et spirationem. Unde non potest concludi quod filius sit principium spiritus sancti per generationem; sed est fallacia consequentis, et praecipue cum nec etiam pater sit principium spiritus sancti per generationem.

# 2. Le Fils tient du Père qu’il émet l’Esprit saint de lui: c’est pourquoi et de la même manière cela lui convient comme au Père. Mais le Père n’est pas le principe de la personne divine d’une seule manière, mais de deux, à savoir par génération et spiration. C’est pourquoi on ne peut conclure que le Fils est le principe de l’Esprit saint, par génération, mais c’est une erreur de raisonnement et surtout puisque le Père n’est pas le principe de l’Esprit saint par génération.

q. 10 a. 4 ad 3 Et similiter dicendum est ad tertium.

# 3. Il faut dire de même pour la troisième objection.

q. 10 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spiritus sanctus non potest dici verbum proprie, sed communiter, prout omne quod est manifestativum alicuius verbum ipsius dicitur. Spiritus enim sanctus est manifestativus filii, secundum quod de spiritu sancto filius dicit Ioan. XVI, 14: ille me clarificabit, quia de meo accipiet. Filius autem proprie dicitur verbum, quasi conceptio intellectus divini.

# 4. L’Esprit saint ne peut pas être appelé verbe au sens propre, mais communément, dans la mesure où tout ce qui manifeste quelque chose est appelé son verbe. Car l’Esprit saint manifeste le Fils, selon ce que le Fils dit de lui: Jn 16,14: "Il me glorifiera, parce qu’il a reçu de moi". Mais le Fils est appelé le Verbe au sens propre, comme une conception de l’esprit divin.

q. 10 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in humana origine dicitur nepos qui eodem modo procedit a filio sicut filius a patre. Spiritus autem sanctus non procedit in divinis a filio sicut filius a patre; et ideo ratio non sequitur.

# 5. Dans la génération chez les hommes, on appelle petit-fils celui qui procède de la même manière du fils comme le fils procède du Père. Mais l’Esprit saint ne procède pas du Fils en Dieu, comme le fils du Père, et c’est pourquoi la raison n’est pas valable.

q. 10 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse principium non est contrarium ei quod est esse a principio, nisi intelligatur respectu eiusdem: non enim potest esse aliquid principium eius a quo est sicut a principio. Unde non sequitur quod in filio sint contrariae proprietates, si sit a patre sicut a principio et sit principium spiritus sancti.

# 6. Être principe n’est pas contraire à celui qui vient du principe à moins qu’on le comprenne par rapport à lui-même; car rien ne peut être le principe de ce dont il vient comme par son principe. C’est pourquoi il n’en découle pas que dans le Fils il y ait des propriétés contraires, s’il était du Père, comme de son principe et qu’il soit le principe de l’Esprit saint

q. 10 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omne quod est in divinis, est commune vel proprium. Sed proprium dupliciter dicitur:

uno modo simpliciter et absolute, quod uni soli convenit, sicut risibile homini;

alio modo dicitur aliquid proprium non simpliciter, sed ad aliquid; ut si dicatur, quod rationale est proprium homini in comparatione ad equum, licet et alii conveniat, scilicet Angelo. Est ergo in divinis aliquid commune quod convenit tribus personis, ut esse Deum et huiusmodi; aliquid quod est proprium simpliciter, quod convenit uni personae tantum; et aliquid quod est proprium quoad aliquid, sicut spirare spiritum sanctum est proprium patri et filio per respectum ad spiritum sanctum; tale enim proprium oportet in divinis poni, etiam si spiritus sanctus non sit a filio; quia esse ab alio, adhuc remanet proprium filio et spiritui sancto in comparatione ad matrem.

# 7. Tout ce qui est en Dieu est commun ou propre; mais on parle de ce qui est propre de deux manières:

a) Simplement et absolument; ce qui convient à un seul, comme le risible à l’homme.

b) D’une autre manière, on dit que c’est propre non pas selon l’absolu mais selon la relation; comme si on disait que le raisonnable est propre à l’homme en comparaison au cheval, bien qu’il convienne à un autre, comme l’ange. Donc il y a en Dieu quelque chose de commun qui convient aux trois personnes, comme être Dieu, etc. et quelque chose qui est propre selon l’absolu; qui ne convient qu’à une seule personne, et ce qui est propre selon un rapport, comme spirer l’Esprit saint est propre au Père et au Fils par rapport à l’Esprit saint; car il faut placer ce qui est propre en Dieu ainsi, même si l’Esprit saint n’est pas du Fils; parce que être d’un autre, demeure encore propre au Fils et à l’Esprit saint en comparaison de l’origine.

q. 10 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod nomen debiti in personis divinis, si quis recte diiudicare velit, non omnino recte sonat; quia debitum quamdam subiectionem et obligationem importat, quae in divinis esse non possunt. Richardus tamen de sancto Victore, utitur distinctione amoris gratuiti et debiti; nec intelligit per gratuitum nisi quod non est ab alio, per debitum vero quod ab alio est; secundum quem modum nihil prohibet intelligi eumdem amorem esse gratuitum ut est patris, debitum vero ut est filii; idem est enim amor quo pater et quo filius amat; sed hunc amorem filius a patre habet, pater vero a nullo.

# 8. Le nom de dans les personnes divines, si on veut en juger droitement, ne sonne pas tout à fait juste; parce que ce qui est dû apporte une sujétion et une obligation, qui ne peut pas exister en Dieu. Richard de saint Victor cependant (La Trinité, III, c. 3, et V, c. 17 et 18), se sert de la distinction de l’amour gratuit et de l’amour dû, et il ne comprend par gratuit que ce qui ne vient pas d’un autre, par dû ce qui en vient; de cette manière rien n’empêche de comprendre que le même amour est gratuit, comme il est du Père, mais dû comme il est du Fils; car l’amour par lequel le Père aime et le Fils aime est identique; mais le Fils tient cet amour du Père, mais le Père de personne.

q. 10 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod spiritus sanctus est tantum gratuitus amor, secundum quod amori gratuito contraponitur mercenarius amor, quo aliquid non propter seipsum amatur, sed propter aliquem extrinsecum fructum. Secundum vero quod gratuitus amor dicitur, propter hoc quod ab alio sumit originem, non est contra rationem spiritus sancti quod sit gratuitus amor: nam et ille amor quo per spiritum sanctum Deum diligimus, originem habet ex his quae nobis a Deo sunt data; et sic nihil prohibet etiam amorem filii, qui ab alio habet quod amat, spiritum sanctum esse.

# 9. L’Esprit saint est seulement l’amour gratuit, selon que l’amour mercenaire est opposé à l’amour gratuit, par lequel une chose est aimée non à cause d’elle-même, mais à cause d’un gain extérieur. Mais selon qu’on parle d’amour gratuit, du fait qu’il prend son origine d’un autre ce n’est pas contre la nature de l'Esprit saint, parce que cet amour est gratuit; car cet amour par lequel nous aimons par l’Esprit saint tire son origine de ce qui nous a été donné par Dieu, et ainsi rien n’empêche aussi l’amour du Fils, qui tient d’un autre d’aimer, d’être l’Esprit saint.

q. 10 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod spiritus sanctus et a patre procedit in filium, et a filio in patrem, non quidem sicut in recipientem, sed sicut in obiectum amoris. Dicitur enim spiritus sanctus a patre in filium procedere, in quantum est amor quo pater amat filium; et simili ratione potest dici quod spiritus sanctus est a filio in patrem, in quantum est amor quo filius patrem amat; potest autem intelligi quod procedat a patre in filium, in quantum filius a patre accipit virtutem spiritum sanctum spirandi; sed sic non potest dici quod procedat a filio in patrem, cum a filio nihil accipiat pater.

# 10. L’Esprit saint procède du Père dans le Fils et du Fils dans le Père, non comme dans celui qui reçoit, mais comme dans un objet d’amour. Car on dit que l’Esprit saint procède du Père dans le Fils, en tant qu’il est l’amour par lequel le Père aime le Fils, et pour une raison semblable on peut dire que l’Esprit saint est du Fils dans le Père, en tant qu’il est l’amour par lequel le Fils aime le Père, mais on peut aussi comprendre qu’il procède du Père dans le Fils, en tant que le Fils reçoit du Père le pouvoir de spirer l’Esprit saint; mais ainsi on ne peut pas dire qu’il procède du Fils dans le Père, puisque le Père ne reçoit rien du Fils.

q. 10 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod hoc verbum diligit non solum dicit missionem amoris, sed etiam quamdam affectionem vel dispositionem secundum amorem. Ea vero quae in divinis emissionem dicunt, personaliter tantum accipi possunt, ut generare, spirare et huiusmodi: quae vero non important emissionem, sed magis ad informationem eius pertinent de quo dicuntur, essentialiter in divinis dicuntur, ut esse bonum, intelligentem et huiusmodi. Et inde est quod spiritus sanctus dicitur diligere non quasi amorem emittens,- sic enim convenit tantum patri et filio,- sed secundum quod diligere sumitur essentialiter in divinis.

# 11. Ce mot: il aime non seulement dit encore la mission de l’amour, mais aussi une certaine affection ou une disposition selon l’amour. Ce qu’ils appellent émission en Dieu, ils peuvent l’accepter personnellement seulement, comme engendrer, spirer, etc; ce qui n’apporte pas d’émission, mais qui convient plus à l’information de ce dont ils parlent, ils en parlent selon l’essence, comme être bon, intelligent etc. Et de là vient qu’on dit que l’Esprit saint aime non comme émettant l’amour, — en effet il convient ainsi seulement au Père et au Fils — mais dans la mesure où aimer est pris selon l’essence en Dieu.

q. 10 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod hoc regulariter in sacra Scriptura invenitur, quod id quod dicitur de patre, oportet quod de filio intelligatur; et quod dicitur de utroque vel altero eorum, oportet intelligi de spiritu sancto, etiam si dictio exclusiva ponatur, praeter illa tantum quibus personae divinae ab invicem distinguuntur; sicut quod dicitur Ioan. XVII, 3: haec est vita aeterna: ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Iesum Christum. Non enim potest dici, quod filio non conveniat esse Deum verum, quod ipse filius soli patri attribuit; quia cum pater et filius unum sint, licet non unus, oportet quod de patre dicitur, de filio quoque intelligi. Nec etiam negandum est in cognitione spiritus sancti vitam aeternam non esse, cum sit una cognitio trium. Similiter autem non est subtrahenda spiritui sancto patris filiique cognitio, licet Matth. XI, 27, dicatur: nemo novit filium nisi pater; neque patrem quis novit nisi filius. Unde, cum hoc quod est habere ex se spiritum sanctum procedentem, non pertineat ad rationem paternitatis et filiationis, quibus pater et filius distinguuntur, oportet ut cum dicitur in Evangelio, quod spiritus sanctus de patre procedit, in hoc ipso intelligatur quod procedat a filio.

# 12. Il faut dire qu’on trouve régulièrement dans l’Écriture sainte, que ce qui est dit du Père doit être compris du Fils; et ce qui est dit de l’un et l’autre ou de l’un d’eux, doit être compris de l’Esprit saint, même si on place un propos exclusif, au-delà de ce par quoi les personnes divines se distinguent entre elles, comme ce qui est dit en Jn. 17, 3:"C’est la vie éternelle: qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ". Car on ne peut pas dire qu’il ne convient pas au Fils d’être le vrai Dieu, ce que le Fils lui-même a attribué au Père seul, parce que, comme le Père et le Fils sont un, bien qu’ils ne soient pas un seul13, il faut que ce qui est dit du Père, soit compris aussi du Fils. Et aussi il ne faut pas nier (parce qu’on n’a pas là mention de l’Esprit saint) que dans la connaissance de l’Esprit saint il n’y a pas de vie éternelle, puisqu’il y a une seule connaissance pour les trois. De la même manière, il ne faut pas soustraire la connaissance qu’ont le Père et le Fils de l’Esprit saint, bien qu’en Mt. 11, 27 il soit dit: "Personne ne connaît le Fils, sinon le Père; et personne ne connaît le Père sinon le Fils". C’est pourquoi, comme la possession de l’Esprit saint qui procède de soi, ne convient pas à la nature de la paternité et de la filiation, par lesquelles le Père et le Fils se distinguent, il faut, comme il est dit dans l’Évangile, que par le fait que l’Esprit saint procède du Père, on comprenne qu’il procède du Fils.

q. 10 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod doctrina Catholicae fidei sufficienter tradita fuit in symbolo Nicaeno; unde sancti patres in sequentibus synodis non intenderunt aliquid addere, sed propter insurgentes haereses id quod implicite continebatur explicare studuerunt; unde in determinatione Chalcedonensis synodi dicitur: praesens nunc sancta et magna atque universalis synodus praedicationem hanc ab initio inconcussam docens, definivit principaliter trecentorum decem et octo sanctorum patrum, qui scilicet in Nicaea convenerunt fidem manere intentabilem; et propter illos quidem qui adversum spiritum sanctum pugnant, posteriori tempore a patribus apud Constantinopolim centum quinquaginta congregatis, de substantia spiritus traditam doctrinam corroborat, quam illi omnibus notam fecerunt, non quasi quidem aliquid esset minus in praecedentibus, inferentes; sed de spiritu sancto intellectum eorum adversus eos qui dominium eius respuere tentaverunt, Scripturarum testimoniis declarantes.

# 13. La doctrine de la foi catholique a été suffisamment rapportée dans le symbole de Nicée; c’est pourquoi les saints Pères dans les Conciles suivants ne tentèrent point d’ajouter quelque chose, mais ils s’appliquèrent à expliquer, à cause des hérésies qui surgissaient, ce qu’il contenait implicitement. C’est pourquoi dans la décision, du Concile de Chalcédoine, il est dit: Maintenant le présent Concile grand, saint et universel enseignant cette prédication inébranlable depuis le début principalement celle des 318 saints Pères, qui se sont rassemblés à Nicée, a décidé de maintenir la foi incorruptible; et à cause de ceux qui combattent contre l’Esprit saint, plus tard, par les cent cinquante Pères rassemblés à Constantinople, il renforce la doctrine rapportée sur la substance de l’Esprit, qu’ils ont fait connaître à tous, en la rapportant non comme quelque chose d’inférieur dans les précédents Conciles, mais au sujet de l’Esprit saint en annonçant par le témoignage des Écritures leur concept contre ceux qui tentèrent de repousser leur pouvoir, en proclamant le témoignage des Écritures."

Et per hunc modum dicendum est, quod processio spiritus sancti a filio implicite in symbolo Constantinopolitano continetur, in quantum continetur ibi quod procedit a patre, quia quod de patre intelligitur, oportet et de filio intelligi, cum in nullo differant, nisi quia hic est filius et ille pater. Sed propter insurgentes errores eorum qui spiritum a filio esse negabant, conveniens fuit ut in symbolo poneretur, non quasi aliquid additum, sed explicite interpretatum quod implicite continebatur. Sicut si insurgeret haeresis quae negaret spiritum sanctum esse factorem caeli et terrae, oporteret hoc explicite poni, cum in praedicto symbolo hoc non dicatur nisi de patre. Sicut autem posterior synodus potestatem habet interpretandi symbolum a priore synodo conditum, ac ponendi aliqua ad eius explanationem, ut ex praedictis patet; ita etiam Romanus pontifex hoc sua auctoritate potest, cuius auctoritate sola synodus congregari potest, et a quo sententia synodi confirmatur, et ad ipsum a synodo appellatur. Quae omnia patent ex gestis Chalcedonensis synodi.

Et il faut dire par ce moyen que la procession de l’Esprit saint du Fils est contenue implicitement dans le Symbole de Constantinople, en tant qu’il contient là qu’il procède du Père, parce que ce qu’on comprend du Père, il faut le comprendre aussi du Fils; puisqu’ils ne diffèrent en rien, sinon parce que l’un est le Fils et l’autre le Père. Mais à cause de ceux qui soulèvaient les erreurs de ceux qui niaient que l’Esprit était du Fils, il a été convenable qu’on le place dans le Symbole, non comme quelque chose d’ajouté, mais interprété explicitement parce qu’il y était contenu implicitement. De même, si se levait une hérésie qui nierait que l’Esprit saint soit le Créateur du ciel et de la terre, il faudrait l’exposer explicitement, puisque dans ce symbole on ne le dit que du Père. Mais de même que le Concile suivant a le pouvoir d’interpréter le symbole fondé par le précédant, et de poser quelque chose pour son explicitation, pour qu’il devienne clair à partir de ce qui a été dit, de même aussi le Pontife romain le peut par son autorité; par sa seule autorité il peut réunir le Concile et en confirmer l’avis, et le concile l’appelle à lui. Tout cela est éclairé par les actes du Concile de Chalcédoine.

Nec est necessarium quod ad eius expositionem faciendam universale Concilium congregetur, cum quandoque id fieri prohibeant bellorum dissidia, sicut in septima synodo legitur, quod Constantinus Augustus dixit, quod propter imminentia bella universaliter episcopos congregare non potuit; sed tamen illi qui convenerunt, quaedam dubia in fide exorta, sequentes sententiam Agathonis Papae, determinaverunt, scilicet quod in Christo sint duae voluntates et duae actiones; et similiter patres in Chalcedonensi synodo congregati, secuti sunt sententiam Leonis Papae, qui determinavit Christum esse in duabus naturis post incarnationem.

Et il n’est pas nécessaire que pour en faire l’exposition soit rassemblé un Concile universel puisque quelquefois les menaces de guerre empêchent que ce soit fait, ainsi pour le septième Concile, on lit que Constantin Auguste a dit, qu’à cause des guerres imminentes il n’a pas pu ressembler les Évêques du monde entier. Mais cependant ceux qui se rassemblèrent, quelques doutes s’étant élevés sur la foi, suivant l’opinion du Pape Agathon14, déterminèrent que dans le Christ il y a deux volontés, et deux actions; et de la même manière les Pères rassemblés au Concile de Chalcédoine, ont suivi l’avis du Pape Léon15, qui détermina que le Christ est dans deux natures après l’Incarnation.

Attendi tamen debet, quod ex determinatione principalium Conciliorum habetur, quod spiritus sanctus procedit a filio. Suscepit enim Chalcedonensis synodus, sicut in eius determinatione dicitur, epistolas beati Cyrilli Alexandrinae Ecclesiae praesulis synodicas ad Nestorium et ad alios per orientem. In quarum una sic legitur: quoniam ad demonstrationem suae divinitatis Christus utebatur suo spiritu ad magnas operationes, glorificari se dicebat ab eo, velut si quispiam dicat eorum qui secundum nos sunt insita sibi fortitudine vel disciplina, vel de quolibet, quia glorificabunt me. Sic enim et est in subsistentia spiritus speciali, vel certe intelligitur per se, secundum quod spiritus est et non filius; sed tamen non est alienus ab eo: spiritus enim veritatis nominatur, et est spiritus veritatis, et profluit ab eo, sicut denique et ex Deo patre. Nec obstat quod dicit: profluit, et non procedit; quia sicut ex praedictis patet, hoc verbum procedit, est communissimum eorum quae ad originem spectant. Unde quidquid emittitur vel profluit vel quocumque modo exoritur, ex hoc sequitur quod procedat. Habetur etiam in determinatione quinti Concilii Constantinopolitani: sequimur per omnia sanctos patres et doctores Ecclesiae, Athanasium, Hilarium, Basilium, Gregorium theologum, et Gregorium Nicaenum, Ambrosium, Augustinum, Theophilum, Ioannem Constantinopolitanum, Gulielmum, Leonem, Proculum; et suscipimus omnia quae de recta fide ad condemnationem haereticorum exposuerunt. Patet autem quia a pluribus horum in doctrina fidei traditum est, quod spiritus sanctus procedit a filio; a nullo vero eorum invenitur esse negatum. Unde non est contra Concilia, sed eis consonum, quod spiritus sanctus procedere dicatur a filio.

Cependant on doit être attentif au fait qu’on sait par la décision des principaux Conciles, que l’Esprit saint procède du Fils. Car le concile de Chalcédoine a reçu, comme il est dit dans sa décision, du bienheureux Cyrille qui préside l’église d’Alexandrie les lettres conciliaires pour Nestorius, et pour d’autres en orient. Dans l’une de celles-ci, on peut lire ainsi: "Puisque pour la démonstration de sa divinité le Christ se servait de son Esprit en vue de grandes opérations, il disait qu’il était glorifié par lui, comme si quelqu’un de ceux qui, selon nous, ont été introduits en lui par force et discipline, ou au sujet de quelque chose disait qu’il me glorifieront. Car ainsi il est dans une subsistance spéciale de l’Esprit, ou bien il est compris certainement par soi selon qu’il est l’Esprit et non le Fils; mais cependant il ne lui est pas étranger; car il est appelé Esprit de vérité, et il l’est et il découle de lui, comme en dernier lieu de Dieu le Père." Et rien n’empêche qu’il dise il découle, et non il procède; parce que, comme on le voit de ce qui a été dit, ce mot il procède, est le plus commun de ceux qui concernent l’origine. C’est pourquoi, tout ce qui est émis ou découle, procède ou sort de quelque manière. On trouve aussi dans la conclusion du cinquième Concile de Constantinople: "Nous suivons pour tout les saints Pères et docteurs de l’Église, Athanase, Hilaire, Basile, Grégoire le théologien (de Naziance) et Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Théophile, Jean de Constantinople, Guillem, Léon, Procule; et nous recevons tout ce qui a été exposé concernant la foi droite, pour la condamnation des hérétiques". Mais il est clair, parce que cela a été rapporté par plusieurs d’entre eux dans la doctrine de la foi, que l’Esprit saint procède du Fils; et on ne l’a trouvé nié par aucun d’eux. C’est pourquoi ce n’est pas contre les Conciles, mais en accord avec eux qu’on dit que l’Esprit saint procède du Fils.

q. 10 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet hoc huius multipliciter dicatur, tamen in divinis hoc intelligi non potest nisi secundum habitudinem originis. Circa missionem vero sciendum est, quod in hoc omnes doctores conveniunt, quod persona non mittitur nisi quae ab alio est; unde patri, qui a nullo est, penitus non convenit mitti. Sed quantum ad personam a qua fit missio, diversa est doctorum sententia:- Athanasius autem et quidam alii dicunt, quod nulla persona mittitur temporaliter nisi ab illa a qua est aeternaliter, sicut filius mittitur temporaliter a patre, a quo ab aeterno processit; et secundum hoc infallibiliter concludi potest, si spiritus sanctus a filio mittitur, quod aeternaliter ab eo existat. Quod vero dicitur filius a spiritu sancto mitti, intelligendum est de filio secundum humanam naturam, qui a spiritu sancto missus est ad praedicandum; unde significanter dicitur Isai. LXI, 1: ad evangelizandum pauperibus misit me; et sic exponit Ambrosius in libro de spiritu sancto, licet Hilarius hoc exponat, ut per spiritum intelligatur pater, secundum quod spiritus aeternaliter sumitur in divinis.- Augustinus vero ponit quod persona procedens temporaliter mittatur ab ea etiam a qua aeternaliter non procedit. Nam cum missio divinae personae intelligatur secundum aliquem effectum in creatura, quae est a tota Trinitate, persona Missa a tota Trinitate mittitur; ut in missione non intelligatur auctoritas mittentis ad personam quae mittitur, sed causalitas ad effectum, secundum quem dicitur mitti persona. Non autem excluditur ratio probans spiritum sanctum a filio procedere per distinctionem ipsorum, per hoc quod proprietatibus distinguuntur; quia proprietates illae relativae sunt, et distinguere non possunt nisi ad invicem opponantur, sicut ex dictis patet.

# 14. Bien que ce huius (de celui-ci) soit employé de multiples façons, cependant en Dieu on ne peut le comprendre que selon la relation d’origine. Mais à propos de la mission, il faut savoir que tous les docteurs sont d’accord, que n’est envoyée que la personne qui est d’un autre; c’est pourquoi au Père, qui ne dépend de personne, il ne convient absolument pas d’être envoyé. Mais quant à la personne qui accomplit la mission, l’avis des docteurs est diverse. — Athanase (dans sa lettre contre ceux qui disent que l’Esprit saint est une créature, qui commence "Ta lettre, très saint homme…") et certains autres disent qu’aucune personne n’est envoyée temporairement que par celle par qui elle est éternellement, comme le Fils est envoyé temporairement par le Père, duquel il procède éternellement. Et selon cela, on peut conclure infailliblement que si l’Esprit saint est envoyé par le Fils, il existe éternellement par lui. Mais dire que le Fils est envoyé par l’Esprit saint, doit être compris du Fils selon la nature humaine, qui a été envoyé par l’Esprit saint pour prêcher; c’est pourquoi il est dit d’une manière expressive, Is. 61, 1: "Il m’a envoyé pour évangéliser les pauvres" et ainsi l’expose Ambroise (L’Esprit saint, III, 1), bien qu’Hilaire (La Trinité, VIII) expose que la Père est pensé à travers l’Esprit, selon que l’esprit est assumé éternellement en Dieu. — Mais Augustin (La Trinité et l’unité, X) pense que la personne qui procède temporairement est envoyée par celle aussi d’où elle ne procède pas éternellement. Car, comme la mission de la personne divine est comprise selon un effet dans la créature, qui est de toute la Trinité, la personne envoyée l’est par toute la Trinité; pour que dans la mission on ne comprenne pas l’autorité de celui qui envoie pour la personne qui est envoyée, mais la causalité pour l’effet, selon qu’on dit que la personne est envoyée. Et la raison qui prouve que l’Esprit saint procède du Fils par leur distinction n’est pas exclue par le fait qu’ils sont distingués par les propriétés, parce que celles-ci sont relatives, et ne peuvent distinguer que si elles sont opposées entre elles, comme on le voit par ce qui a été dit (qu. 8, a. 3 et 4).

q. 10 a. 4 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod licet spiritus sanctus sit a duobus, non tamen est compositus, quia illi duo, scilicet pater et filius, sunt per essentiam unum.q. 10 a.

# 15. Bien que l’Esprit saint vienne des deux, il n’est pas cependant composé, parce que ces deux, à savoir le Père et le Fils, existent par une seule essence.

q. 10 a. 4 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod philosophus attribuit principiis non esse ab alio, in quantum sunt prima. Principium autem primum, est principium non de principio, quod est pater.

# 16. Le philosophe (Physique, I, 6, 189 a 3016) montre que les principes ne sont pas d’un autre, en tant qu’ils sont premiers. Mais le principe premier (pour ainsi dire) est principe mais pas d’un principe qui est le Père.

q. 10 a. 4 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet voluntas moveat intellectum ad aliquid intelligendum, non tamen voluntas aliquid velle potest, nisi sit praeintellectum; unde cum non sit procedere in infinitum, oportet devenire ad hoc quod intellectus aliquid intelligit naturaliter non ex imperio voluntatis. Filius autem procedit a patre naturaliter; unde quamvis procedat per modum intellectus, non sequitur quod sit a spiritu sancto, sed e converso.

# 17. Bien que la volonté meuve l’esprit pour penser, elle ne peut cependant vouloir que ce qui est connu d’avance: c’est pourquoi comme on ne peut pas procéder à l’infini, il faut en arriver à ce que l’intellect pense naturellement non par le pouvoir de la volonté. Mais le Fils procède du Père naturellement; c’est pourquoi bien qu’il procède par mode d’esprit, il n’en découle pas qu’il vienne de l’Esprit saint, mais c’est le contraire.

q. 10 a. 4 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod spiritus sanctus potest dici quiescere in filio tripliciter:

uno modo secundum humanam naturam, secundum illud Is., XI, 1: egredietur virga de radice Iesse, et flos de radice eius ascendet, et requiescet super eum spiritus domini.

# 18. On peut dire que l’Esprit saint se repose dans le Fils de trois manières:

a) Selon la nature humaine, d’après cette parole d’Isaïe (11, 1): "Un rameau sortira de la souche de Jessé et une fleur montera de sa souche, et l’Esprit du Seigneur reposera sur lui."

Alio modo, ut intelligatur spiritus in filio requiescere, quia virtus spirativa a patre datur filio, et ultra non protenditur.

Tertio modo secundum quod amor dicitur requiescere in amato, in quo quietatur amantis affectus. Nullo autem istorum modorum excluditur processio spiritus sancti a filio.

b) Pour qu’on comprenne que l’Esprit se repose dans le Fils, parce que le pouvoir de spirer est donné au Fils par le Père, et ne s’étend pas au-delà.

c) Selon qu’on dit que l’amour se repose dans l’aimé, en qui l’affection de de celui qui aime se repose. Mais par aucune de ces manières n’est exclue du Fils la procession de l’Esprit saint dans le Fils.

q. 10 a. 4 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod non repugnat simplicitati spiritus sancti, quod procedit a duobus, scilicet patre et filio, cum sint per essentiam unum.

# 19. Que l’Esprit saint procède des deux, à savoir qu’il procède du Père et du Fils, puisqu’ils existent par une seule essence ne s’oppose pas à sa simplicité.

q. 10 a. 4 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod eadem est perfectio patris et filii: unde per hoc quod spiritus sanctus procedit a patre perfecte, non excluditur quin procedat a filio; alioquin sequeretur quod creatura non creetur a filio cum perfecte creetur a patre.

# 20. La perfection du Père et celle du Fils sont identiques; c’est pourquoi par le fait que l’Esprit saint procède du Père parfaitement, il n’est pas exclu qu’il procède du Fils, autrement il en découlerait que la créature ne serait pas créée par le Fils, puisqu’elle est créée parfaitement par le Père.

q. 10 a. 4 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod unitas essentiae non inducit confusionem personarum; unde ex unitate essentiae non possunt concludi illa quae repugnant distinctioni relativae; et sic ex hoc quod pater et spiritus sanctus sunt unum, non potest concludi quod filius sit a spiritu sancto, licet filius sit a patre: quia spiritus sanctus est ab eo; et iterum quia sequeretur quod spiritus sanctus esset pater, cum nihil aliud sit esse patrem quam habere filium de se procedentem.

# 21. L’unité de l’essence n’induit pas la confusion des personnes; c’est pourquoi de l’unité de l’essence, on ne peut pas tirer des conclusions sur ce qui s’oppose à la distinction relative; et ainsi du fait que le Père et l’Esprit saint sont un, on ne peut pas conclure que le Fils soit de l’Esprit saint, bien que le Fils soit du Père, parce que l’Esprit saint est de lui, et à nouveau parce qu’il en découlerait que l’Esprit saint serait le Père, alors qu’être Père ce n’est rien d’autre qu’avoir un Fils qui procède de soi.

q. 10 a. 4 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod splendor est a radio, cum nihil aliud sit quam reverberatio radii ad corpus clarum; et tamen splendor filio attribuitur, Heb. I, 3: cum sit splendor gloriae.

# 22. La splendeur vient du rayon, puisqu’elle n’est rien d’autre que la réflexion du rayon dans un corps clair; et cependant la splendeur est attribuée au Fils: Hébr. 1, 3: "Puisqu’il est la splendeur du Père…"

q. 10 a. 4 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod calor est a splendore: nam corpora caelestia in istis inferioribus per suos radios causant calorem.

# 23. La chaleur vient de la splendeur; car les corps célestes causent la chaleur par leurs rayons dans ces (corps) inférieurs.

q. 10 a. 4 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod positio Nestorianorum fuit quod spiritus sanctus non sit a filio; unde in quodam symbolo Nestorianorum, condemnato in I Ephesina synodo, dicitur sic: spiritum sanctum neque filium putamus, neque per filium essentiam accepisse. Propter quod Cyrillus contra Nestorium, in epistola praedicta, posuit spiritum sanctum esse a filio. Theodorus vero, in quadam epistola ad Ioannem Antiochenum sic dicit: spiritus sanctus non ex filio aut per filium habens substantiam, sed procedens quidem a patre; spiritus vero filii, eo quod et ei consubstantialis sit, nominatus. Haec autem verba Theodorus praedictus imponit Cyrillo, tamquam ab eo sint dicta in epistola quam ad Ioannem Antiochenum scripsit, licet in illa epistola hoc non legatur; sed dicitur ibi sic: spiritus Dei patris procedit quidem ex ipso, est autem et a filio non alienus secundum unius essentiae rationem. Hanc autem Theodori sententiam secutus est postmodum Damascenus, quamvis dogmata eiusdem Theodori sint in quinta synodo condemnata. Unde in hoc non est standum sententiae Damasceni.

# 24. La position des Nestoriens17 a été que l’Esprit saint n’est pas du Fils; c’est pourquoi, dans un symbole des Nestoriens, condamné au premier Concile d’Éphèse; il est dit ainsi: "Nous pensons que l’Esprit saint n’a pas reçu le Fils, ni son essence par le Fils." C’est pourquoi Cyrille dans la lettre contre Nestorius dont on a parlé, a établi que l’Esprit saint était du Fils. Mais Théodoret, dans une lettre à Jean d’Antioche (Epist. 171) dit ainsi: "L’Esprit saint n’est pas du Fils ou n’a pas sa substance par le Fils, mais il procède du Père; et il a été nommé l’Esprit du Fils, parce qu’il lui est consubstantiel". Mais ces paroles, Théodoret dont on a parlé, les attribue à Cyrille comme dites par lui dans une lettre qu’il écrivit à Jean d’Antioche, bien qu’on ne les lise pas dans cette lettre; mais il y est dit ainsi: "L’Esprit de Dieu le Père procède de lui, il n’est pas étranger au Fils selon la nature d’une unique essence." Et par la suite Damascène18 a suivi cette opinion de Théodoret, quoique ses dogmes soient condamnés dans le cinquième Concile. C’est pourquoi dans ce cas il ne faut pas s’en tenir à l’opinion de Jean Damascène.

 

1 Parall.: Ia, qu. 36, a. 2 — CG. IV, 24, 26 — I Sent. d11a1— Opusc. Contra errores Graecorum P. II, c. 27-32; Comp. C. 49 —Opusc. Contra Graeco s c. 4, In Ioan. ch. 15, lectio 6, ch. 16, lectio 4.

2 B. J. "qui soutient l’univers par sa parole puissante."

3 Thomas lectio 1. Cf. Ia, qu. 36, a. 2, obj. 1.

4 En 431. Denz. 125.

5En 451. Le concile d’Éphèse, puis celui de Chalcédoine interdisent, sous peine de déposition et d’excommunication d’ajouter au symbole de Nicée. Le filioque fut ajouté au symbole au VIe siècle en Espagne. Il ne fut adopté par la liturgie romaine qu’au XIe siècle.

6 Premier concile 381. Denz. 86.

7 Génitif de possession.

8 Légende de saint André, PG. 2, 1257 A. Il salue "ceux qui croient en un seul Esprit saint qui procède du Père, et qui demeure dans le Fils."

9 Denz 39/

10 Comprendre l’Esprit saint est de Jésus, homme. C’est Jésus qui possède. Mais il n’apporte à l’Esprit en tant que tel qu'en tant que Fils.

11 BJ. Un esprit de fils adoptif.

12 2 Co 1, 21-22 B.J.: "Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est Dieu lui qui nous a aussi marqué du sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit." (TOB id.)

13 Une seule unité (même essence), et un parmi trois (personnes).

14 Agathon pape de 678-681. 6e concile œcuménique (680) à Constantinople, contre le monothélitisme.

15 Léon le Grand, 440-461. Concile (451) contre Eutychès.

16 "Or le principe ne peut s’attribuer à aucun sujet; car il y aurait principe de principe." (Trad. H. Carteron). Thomas, lectio 11, 91: "…comme le sujet est le principe de l’accident qui lui est attribué, et qu’il est naturellement avant lui, il en découlerait que si le premier principe était l’accident attribué au sujet, il serait le principe de principe et que quelque chose serait avant ce qui est premier."

17 Nestorius (vers 380, vers 451), condamné en 431 au Concile d’Éphèse.

18 L’opinion du Damascène (La foi orthodoxe, I, 8) est rapportée dans Ia, qu. 36, a. 2, obj. 3. "Nous disons que l’Esprit saint est du Père (ex) et nous l’appelons l’Esprit du Père, nous ne disons pas que l’Esprit est du Fils (ex) mais nous l’appelons l’Esprit du Fils (génitif).

 

FIN

1 Parall.: Ia, qu. 36, a. 2 et 4, — CG. IV, 25 —I Sent. D. 11, q. 2 a. 4 — D. 29, a. 4.

2 La foi orthodoxe, I, 12 Damascène fut fidèle aux formules des Pères grecs. Voir article précédant.

3 Cf. Pot. 8, 1: "Tout ce qui est attribué selon l’absolu en Dieu signifie l’essence".

4 Thomas, lectio 3, n° 1722.