Commentaire du Livre des causes[1]

Par saint Thomas d’Aquin

Traduction reprise par Serge Pronovost, 2019

 

Les œuvres complètes de saint thomas d’Aquin

https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2019

 

Cette traduction par Serge Pronovost du commentaire de Saint-Thomas sur le Livre des Causes, avec les réserves suivantes: 

  1. Ce n'est qu'une première version contenant un certain nombre de coquilles.
  2. Aucune référence précise avec numérotation n'y est présente.
  3. Elle n'est pas précédée d'une préface, ce que j'ai l'intention de faire sous peu.
  4. Je n'ai pas encore examiné ni corrigé les titres des chapitres.
  5. Bref, c'est une une première version toute nue, sujette à révision.

 

Prologue : 3

1e Toute cause première influe plus sur son effet que la cause universelle seconde 3

2) Tout être supérieur est ou bien au-dessus de l'éternité et avant elle, ou bien avec elle, ou bien après elle et au-dessus du temps 8

3) Toute âme noble a trois opérations; en effet, parmi ses opérations, il y a une opération animale, une opération intelligible et une opération divine 14

4) La première des choses créées est l'être et avant lui il n'y a pas d’autre crée 22

5) Les intelligences supérieures premières qui jouxtent la cause première impriment des formes secondes, stables qui ne périssent pas de sorte qu'il soit nécessaire de les faire à nouveau. Pour leur part, les intelligences secondes impriment des formes déclinantes et séparables, comme est l’âme 29

6) La Cause première est supérieure au discours, et les langues échouent à discourir d'elle, du moins à discourir sur son être, car elle est au-dessus de toute cause ; et on en peut discourir seulement par les causes secondes, qui sont illuminées par la lumière de la cause première. 36

7) L’intelligence est une substance qui n’est pas divisée 42

8) « Toute intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est au-dessous d'elle : mais elle connaît ce qui est au-dessous d'elle parce qu'elle en est la cause, et elle connaît ce qui est au-dessus d'elle parce qu’elle en reçoit les bontés »_ 49

9) La stabilité et l’essence de toute intelligence lui viennent du bien pur qui est la cause première. 50

10) Toute intelligence est pleine de formes; pourtant, parmi les intelligences il y en a qui contiennent des formes moins universelles et d'autres qui contiennent des formes plus universelles 59

11) Toute intelligence pense les choses perpétuelles qui ne sont pas détruites et ne tombent pas sous le temps. 64

12) Tous les êtres premiers sont les uns dans les autres selon qu'il est possible à chacun d'être en un autre 69

13) Toute intelligence intellige sa propre essence. 74

14) Les choses sensibles sont en toute âme parce qu'elle en est le modèle, et les choses intelligibles sont en elle parce qu'elle les connaît. 74

15) Tout être connaissant connaît sa propre essence, il revient donc à son essence par un retour complet. 77

16) Toutes les puissances pour lesquelles il n'y a pas de limite dépendent d'un infini premier qui est puissance des puissances, non parce que celles-ci sont acquises, stables, se tenant dans les choses, mais plutôt parce qu'elles sont puissances pour les choses recevant leur stabilité. 80

17) Toute puissance unifiée est plus infinie qu'une puissance multiple 87

18) Toutes les choses ont l'être grâce à l'étant premier, toutes les vivantes sont mues par leur essence grâce à la vie première, et toutes les intelligibles sont connaissantes grâce à l'intelligence première. 86

19) Parmi les intelligences, il y a celle qui est intelligence divine puisqu'elle reçoit en une réception abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la cause première; il y a celle qui n'est qu’intelligence puisqu'elle ne reçoit rien des bontés premières, si ce n'est par l'intermédiaire de l'intelligence première. Parmi les âmes, il y a celle qui est intelligible, puisqu'elle dépend de l'intelligence; et celle qui n'est qu'âme. Enfin parmi les corps naturels, il y a celui qui a une âme qui le gouverne et qui, au-dessus de lui, le dirige, et il y a ceux qui sont seulement corps naturels et qui n'ont pas d'âme. 92

20) « La cause première régit toutes les choses créées, sans qu'elle soit mêlée à elles ». 95

21) Le premier est riche par soi-même et il est plus riche. 98

22) « La cause première est au-dessus de tout nom dont on la nomme puisque ne lui convient ni l'inachèvement, ni même l'achèvement ». 100

23) Toute intelligence divine connaît les choses en tant qu'elle est intelligence, et les gouverne en tant qu'elle est divine. 102

24) La cause première existe en toutes choses selon une disposition une, mais toutes choses n'existent pas dans la cause première selon une disposition une. 102

25) Les substances intelligibles unifiées ne sont pas engendrées à partir d'autre chose, et toute substance se tenant par son essence n'est pas engendrée à partir de quelque chose d'autre. 105

26) Aucune substance se tenant par elle-même ne tombe sous la corruption. 111

27) Toute substance destructible et non perpétuelle est soit composée soit supportée par une autre chose. 112

28) Toute substance se tenant par son essence est simple et n'est pas divisée. 113

29) Toute substance simple se tient par elle-même, c'est-à-dire par sa propre essence. 116

30) Toute substance créée dans le temps, ou bien est toujours dans le temps et le temps ne l'excède pas, puisque sa création coïncide avec celle du temps ; ou bien elle excède le temps et le temps l'excède puisqu'elle est créée en certaines portions du temps. 115

31) Entre une chose dont la substance et l'activité sont dans le moment de l'éternité et une chose dont la substance et l'activité sont dans le moment du temps, il existe un intermédiaire : ce dont la substance relève du moment de l'éternité, et l'opération du moment du temps. 120

32) Toute substance tombant sous l'éternité en certaines de ses dispositions et sous le temps en certaines autres, est à la fois être et génération. 122

 

 

 

Prooemium

[84235] Super De causis, pr. Sicut philosophus dicit in X Ethicorum, ultima felicitas hominis consistit in optima hominis operatione quae est supremae potentiae, scilicet intellectus, respectu optimi intelligibilis. Quia vero effectus per causam cognoscitur, manifestum est quod causa secundum sui naturam est magis intelligibilis quam effectus, etsi aliquando quoad nos effectus sint notiores causis propter hoc quod ex particularibus sub sensu cadentibus universalium et intelligibilium causarum cognitionem accipimus. Oportet igitur quod simpliciter loquendo primae rerum causae sint secundum se maxima et optima intelligibilia, eo quod sunt maxime entia et maxime vera cum sint aliis essentiae et veritatis causa, ut patet per philosophum in II metaphysicae, quamvis huiusmodi primae causae sint minus et posterius notae quoad nos: habet enim se ad ea intellectus noster sicut oculus noctuae ad lucem solis quam propter excedentem claritatem perfecte percipere non potest. Oportet igitur quod ultima felicitas hominis quae in hac vita haberi potest, consistat in consideratione primarum causarum, quia illud modicum quod de eis sciri potest, est magis amabile et nobilius omnibus his quae de rebus inferioribus cognosci possunt, ut patet per philosophum in I de partibus animalium; secundum autem quod haec cognitio in nobis perficitur post hanc vitam, homo perfecte beatus constituitur secundum illud Evangelii: haec est vita aeterna ut cognoscant te Deum verum unum. Et inde est quod philosophorum intentio ad hoc principaliter erat ut, per omnia quae in rebus considerabant, ad cognitionem primarum causarum pervenirent. Unde scientiam de primis causis ultimo ordinabant, cuius considerationi ultimum tempus suae vitae deputarent: primo quidem incipientes a logica quae modum scientiarum tradit, secundo procedentes ad mathematicam cuius etiam pueri possunt esse capaces, tertio ad naturalem philosophiam quae propter experientiam tempore indiget, quarto autem ad moralem philosophiam cuius iuvenis esse conveniens auditor non potest, ultimo autem scientiae divinae insistebant quae considerat primas entium causas. Inveniuntur igitur quaedam de primis principiis conscripta, per diversas propositiones distincta, quasi per modum sigillatim considerantium aliquas veritates. Et in Graeco quidem invenitur sic traditus liber Procli Platonici, continens CCXI propositiones, qui intitulatur elementatio theologica; in Arabico vero invenitur hic liber qui apud Latinos de causis dicitur, quem constat de Arabico esse translatum et in Graeco penitus non haberi: unde videtur ab aliquo philosophorum Arabum ex praedicto libro Procli excerptus, praesertim quia omnia quae in hoc libro continentur, multo plenius et diffusius continentur in illo. Intentio igitur huius libri qui de causis dicitur, est determinare de primis causis rerum. Et, quia nomen causae ordinem quemdam importat et in causis ordo ad invicem invenitur, praemittit, quasi quoddam principium totius sequentis operis, quamdam propositionem ad ordinem causarum pertinentem, quae talis est.

Proème :

 

Comme l’affirme le Philosophe au livre X de son Ethique, la félicité ultime de l’homme consiste dans l’opération humaine la plus noble qui est celle de sa puissance la plus élevée, à savoir l’intelligence, par rapport à l’intelligible par excellence. Mais parce qu’un effet est connu par sa cause, il est évident que la cause est par nature plus intelligible que l’effet, même si parfois les effets, quant à nous, sont plus connus que leurs causes : la raison en est que nous acquérons la connaissance des causes universelles et intelligible à partir des cas particulieurs perçus par nos sens. Il faut donc, à parler absolument, que les causes premières des choses soient en elles-mêmes les intelligibles par excellence du fait qu’elles sont ce qui possède le plus d’être et de vérité puisqu’elles sont la cause de l’essence et de la vérité des autres choses, ainsi qu’on le voit chez le Philosophe au deuxième livre de sa Métaphysique, bien que, quant à nous, ces causes premières soient moins connues et viennent à notre connaissance postérieurement dans le temps: en effet, notre intelligence est à ces causes ce que l’œil de la chouette est à la lumière du soleil qu’elle ne peut parfaitement percevoir en raison de son excessive clarté. Il faut donc que la félicité ultime à laquelle l’homme peut parvenir en cette vie consiste en la considération des causes premières, car le peu qu’il puisse en connaître est encore plus désirable et plus digne d’intérêt que la totalité de ce qu’il peut connaître des choses inférieures, ainsi qu’on le voit chez le Philosophe au premier livre de son traité intitulé Des Parties des Animaux. Mais selon que c’est après la vie d’ici-bas que cette connaissance trouve en nous son achèvement, c’est alors que l’homme parvient à la félicité parfaite d’après cette parole de l’Évangile de Jean : «La vie éternelle consiste à te connaître, toi le seul véritable Dieu.

Et c’est pour cette raison que l’intention des philosophes était principalement de parvenir à la connaissance des causes premières au moyen de tout ce qu’ils considéraient dans les choses. Il résulte de là qu’ils rangeaient à la fin la science des causes premières, et destinaient à la considération de cette science la dernière période de leur vie. En premier lieu certes ils commençaient par la logique qui enseigne la manière même d’aborder les sciences ; en deuxième lieu ils procédaient à l’étude des mathématiques pour laquelle même les jeunes manifestent des capacités ; troisièmement ils passaient à l’étude de la philosophie de la nature qui exige du temps en raison de l’expérience; quatrièmement ils en venaient à la philosophie morale pour laquelle les jeunes gens ne peuvent être des auditeurs appropriés ; c’est à la fin seulement qu’ils s’arrêtaient à la science divine qui considère les causes premières des êtres. On retrouve donc certains écrits au sujet des premiers principes, répartis en différentes propositions comme à la manière de ceux qui considèrent séparément certaines vérités. C’est ainsi que nous a été transmis, écrit en grec, un livre du platonicien Proclus, lequel contient deux cents onze propositions et est intitulé Éléments de Théologie. Mais on retrouve aussi ce livre  écrit en arabe et que les Latins appellent le De Causis, qui a  certainement été traduit de l'arabe et qu'on ne retrouve pas en grec. Aussi semble-t-il avoir été tiré par quelque philosophe arabe du livre que nous avons mentionné de Proclus, pour cette raison surtout que tout ce qui est contenu dans ce livre se trouve à être expliqué de façon plus complète et plus développée dans les Eléments de Théologie.

Donc l'intention de ce livre qu’on appelle le De Causis est de traiter des causes premières des choses. Et parce que le nom de cause implique un certain ordre et qu’on retrouve un ordre entre les causes dans leurs rapports mutuels, l’auteur commence, comme à titre de principe pour tout le reste de l’œuvre, par la présentation de cette proposition qui se rapporte à l’ordre des causes :

Lectio 1

[84236] Super De causis, l. 1 Omnis causa primaria plus est influens super suum causatum quam causa secunda universalis. Ad cuius manifestationem unum corollarium inducit, per quod manifestatur primum sicut per quoddam signum; unde subdit: cum ergo removet causa secunda universalis virtutem suam a re, causa universalis prima non aufert virtutem suam ab ea. Et ad huius probationem inducit tertium, dicens: quod est quia universalis causa prima agit in causatum causae secundae antequam agat in ipsum causa universalis secunda. Et ex hoc concludit quod secundo positum est, et convenienter. Necesse est enim id quod prius advenit ultimo abscedere; videmus enim ea quae sunt priora in compositione esse ultima in resolutione. Sic igitur intentio huius propositionis in his tribus consistit, quorum primum est quod causa prima plus influit in effectum quam secunda, secundum est quod impressio causae primae tardius recedit ab effectu, tertium est quod prius ei advenit. Quae quidem tria Proclus proponit in duabus propositionibus, primum in LVI propositione sui libri, quae talis est: omne quod a secundis producitur, et a prioribus et causalioribus producitur eminentius, a quibus et secunda producebantur; alia vero proponit in sequenti propositione quae talis est: omnis causa et ante causatum operatur et post ipsum plurium est substitutiva. His autem tribus praemissis ad ea manifestanda procedit, primo quidem per exemplum, secundo per rationem, ibi: et causa prima adiuvat. Exemplum autem videtur pertinere ad causas formales in quibus quanto forma est universalior tanto prior esse videtur. Si igitur accipiamus aliquem hominem, forma quidem specifica eius attenditur in hoc quod est rationalis, forma autem generis eius attenditur in hoc quod est vivum vel animal; ulterius autem id quod est omnibus commune est esse. Manifestum est autem in generatione unius particularis hominis quod in materiali subiecto primo invenitur esse, deinde invenitur vivum, postmodum autem est homo; prius enim ipse est animal quam homo, ut dicitur in II de generatione animalium. Rursumque in via corruptionis primo amittit usum rationis et remanet vivum et spirans, secundo amittit vitam et remanet ipsum ens, quia non corrumpitur in nihilum. Et sic potest intelligi hoc exemplum secundum viam generationis et corruptionis alicuius individui. Et haec est eius intentio, quod patet ex hoc quod dicit: cum ergo individuum non est homo, id est secundum actum proprium hominis, est animal, quia adhuc remanet in eo operatio animalis quae consistit in motu et sensu; et, cum non est animal, est esse tantum, quia remanet corpus penitus inanimatum. Verificatur hoc exemplum in ipso rerum ordine: nam priora sunt existentia viventibus et viventia hominibus, quia remoto homine non removetur animal secundum continentiam, sed e converso quia, si non est animal, non est homo. Et eadem ratio est de animali et esse. Deinde cum dicit: et causa prima etc., probat tria praedicta per rationem. Primum autem, scilicet quod causa prima plus influat quam secunda, sic probat: eminentius convenit aliquid causae quam causato; sed operatio qua causa secunda causat effectum, causatur a causa prima, nam causa prima adiuvat causam secundam faciens eam operari; ergo huius operationis secundum quam effectus producitur a causa secunda, magis est causa causa prima quam causa secunda. Proclus autem expressius hoc sic probat: causa enim secunda, cum sit effectus causae primae, substantiam suam habet a causa prima; sed a quo habet aliquid substantiam, ab eo habet potentiam sive virtutem operandi; ergo causa secunda habet potentiam sive virtutem operandi a causa prima. Sed causa secunda per suam potentiam vel virtutem est causa effectus; ergo hoc ipsum quod causa secunda sit causa effectus, habet a prima causa. Esse ergo causam effectus inest primo causae primae, secundo autem causae secundae; quod autem est prius in omnibus, est magis, quia perfectiora sunt priora naturaliter. Ergo prima causa est magis causa effectus quam causa secunda. Secundum, scilicet quod impressio causae primae tardius recedat ab effectu, probat ibi: et quando removetur causa secunda et cetera. Et inducit talem rationem: quod vehementius inest, magis inhaeret; sed prima causa vehementius imprimit in effectu quam causa secunda, ut probatum est; ergo eius impressio magis inhaeret; ergo tardius recedit. Tertium, scilicet quod prius adveniat, probat ibi: et non est causatum causae secundae etc., tali ratione. Causa secunda non agit in causatum suum nisi virtute causae primae; ergo et causatum non procedit a causa secunda nisi per virtutem causae primae; sic igitur virtus causae primae dat effectui ut attingatur a virtute causae secundae; prius ergo attingitur a virtute causae primae. Hoc autem uno medio Proclus sic probat. Causa prima est magis causa quam secunda; ergo est perfectioris virtutis. Sed quanto virtus alicuius causae est perfectior, tanto ad plura se extendit; ergo virtus causae primae ad plura se extendit quam virtus causae secundae. Sed id quod in pluribus est, prius est in adveniendo et ultimum in recedendo; ergo impressio causae primae primo advenit et ultimo recedit. Est autem considerandum in quibus causis haec propositio habeat veritatem. Et siquidem ad genera causarum quaestio referatur, manifestum est quod habet veritatem in quolibet causarum genere suo modo. Et in causis quidem formalibus exemplum inductum est. In causis autem materialibus similis ratio invenitur; nam id quod primo substernitur ut materia, causa est propinquioris materiae ut et ipsa materialiter substet, sicut materia prima elementis, quae sunt quodammodo materia mixtorum corporum. Utrumque autem horum ostendit idem esse in efficientibus causis. Manifestum est enim quod, quanto aliqua causa efficiens est prior, tanto eius virtus ad plura se extendit; unde oportet ut proprius effectus eius communior sit. Causae vero secundae proprius effectus in paucioribus invenitur; unde et particularior est. Ipsa enim causa prima producit vel movet causam secundo agentem, et sic fit ei causa ut agat. Inveniuntur igitur praedicta tria quae tacta sunt, primordialiter quidem in causis efficientibus et ex hoc manifestum est quod derivatur ad causas formales: unde et hic ponitur verbum influendi et Proclus utitur verbo productionis quae exprimit causalitatem causae efficientis. Quod autem ex causis efficientibus derivetur ad causas materiales, non est adeo manifestum, eo quod causae efficientes quae sunt apud nos, non producunt materiam sed formam; sed, si consideremus causas universales a quibus procedunt et materialia rerum principia, necesse est quod hic ordo derivetur et ad materiales causas ex causis efficientibus. Quia enim primae et supremae causae efficacia seu causalitas ad plura se extendit, necesse est quod id quod primo subsistit in omnibus sit a prima omnium causa. Deinde a causis secundis adduntur dispositiones quibus materiae appropriantur singulis rebus. Quod etiam utcumque in his quae apud nos sunt, apparet: nam omnibus artificialibus materiam primam exhibet natura; deinde per artes quasdam priores materia naturalis disponitur ut congruat particularioribus artificiis; comparatur autem prima omnium causa ad totam naturam sicut natura ad artem; unde id quod primo subsistit in tota natura est a prima omnium causa, quod appropriatur singulis rebus officio causarum secundarum. In causis etiam finalibus manifestum est verificari omnia praedicta, nam propter ultimum finem, qui est universalis, alii fines appetuntur, quorum appetitus advenit post appetitum ultimi finis et ante ipsum cessat; sed et huius ordinis ratio ad genus causae efficientis reducitur, nam finis in tantum est causa in quantum movet efficientem ad agendum, et sic, prout habet rationem moventis, pertinet quodammodo ad causae efficientis genus. Si autem quaeratur in unoquoque causarum genere utrum praedicta verificentur in omnibus causis quomodolibet ordinatis, manifestum est quod non. Invenimus enim causas ordinari dupliciter: uno modo per se, alio modo per accidens. Per se quidem quando intentio primae causae respicit usque ad ultimum effectum per omnes medias causas, sicut cum ars fabrilis movet manum, manus martellum qui ferrum percussura extendit, ad quod fertur intentio artis. Per accidens autem quando intentio causae non procedit nisi ad proximum effectum; quod autem ab illo effectu efficiatur iterum aliud, est praeter intentionem primi efficientis, sicut cum aliquis accendit candelam, praeter intentionem eius est quod iterum accensa candela accendat aliam et illa aliam; quod autem praeter intentionem est, dicimus esse per accidens. In causis igitur per se ordinatis haec propositio habet veritatem, in quibus causa prima movet omnes causas medias ad effectum; in causis autem ordinatis per accidens est e converso, nam effectus qui per se producitur a causa proxima, per accidens producitur a causa prima, praeter intentionem eius existens. Quod autem est per se potius est eo quod est per accidens, et propter hoc signanter dicit: causa universalis, quae est causa per se.

1)   Toute cause première influe plus sur son effet que la cause universelle seconde

 

Pour le manifester, l'auteur introduit un corollaire au moyen duquel cette première proposition se trouve à être manifestée comme par un signe : « Donc, lorsque la cause seconde universelle retire sa puissance d’une chose, la cause première universelle n’en retire pas la sienne ». Et pour le prouver, il amène une troisième proposition, en disant : «Il en est ainsi parce que la cause première universelle agit sur l’effet de la cause seconde universelle avant même que cette dernière agisse sur lui ». Et il conclut de là  ce quil a posé à juste titre en second lieu. Il est nécessaire en effet que ce qui arrive en premier se retire en dernier; nous voyons en effet que ce qui est premier dans la composition est dernier dans la résolution. Ainsi donc l'intention de cette proposition consiste à manifester ces trois points : premièrement que la cause première agit davantage sur l’effet que la cause seconde ; deuxièmement que l’action de la cause première se retire plus tardivement de l’effet ; troisièmement qu’elle lui advient antérieurement à l’impression de la cause seconde. Et ces trois points, Proclus les présente dans deux propositions dont la première, à savoir la proposition 56 de son livre dit : « Tout ce qui est produit par des causes secondes est produit aussi d’une manière plus excellente par ce qui est premier et qui a davantage raison de cause et d’où procèdent les causes secondes elles-mêmes.». Et la deuxième[2] est présentée dans la proposition qui suivante qui dit : « Toute cause agit avant son effet et en produit après lui davantage.¨des effets plus nombreux que les siens <supplée au plus grand nombre d’autres causes[3] > ». Il procède à la manifestation de ces trois propositions et il le fait d’abord au moyen d’un exemple, deuxièmement par un raisonnement là où il dit : la cause première assiste la cause seconde etc. L’exemple semble cependant se rapporter aux causes formelles dans lesquelles la cause est d’autant plus première qu’elle est plus universelle. Supposons donc un homme dont la forme spécifique se vérifie en ceci qu’il est rationnel et la forme générique en ceci qu’il est un vivant ou un animal ; si on procède au-delà, ce qui est commun à tous est l’être. Il est manifeste cependant que dans la génération d’un homme particulier qu’on retrouve d’abord l’être dans un sujet matériel, puis la vie et enfin l’homme ; ce sujet est en effet un animal avant d’être un homme comme le dit le Philosophe au deuxième livre de la Génération des Animaux. Et à l’inverse dans le processus de la corruption c’est l’usage de la raison qui fait défaut en premier et la vie et la respiration demeurent, puis en deuxième lieu disparaît la vie et il ne reste plus que l’être car ce qui est corrompu n’est pas réduit au néant. Et ainsi cet exemple peut s’entendre suivant l’ordre de génération et de corruption d’un individu. Et telle est son intention qui devient évidente à partir de ce qu’il dit : donc, lorsque l’individu n’est plus un homme, c’est-à-dire conformément à l’opération propre de l’homme, il est un animal parce que l’opération de l’animal, qui consiste dans le mouvement et la sensation, demeure encore en lui ; et lorsqu’il n’est plus un animal, il est seulement un être, car ce qui demeure, c’est un corps totalement inanimé. Cet exemple se vérifie dans l’ordre même des choses : car les êtres sont antérieurs aux vivants et les vivants aux hommes car si on enlève l’homme, on n’enlève pas l’animal quant à sa conservation mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai car si on enlève l’animal, l’homme disparaît. Et le même raisonnement vaut pour le rapport de l’animal à l’être.

Ensuite lorsqu'il dit : « Et la cause première assiste la cause seconde etc. » il prouve au moyen du raisonnement les trois propositions dont nous avons parlé précédemment. Et premièrement il prouve de la manière qui suit que la cause première est davantage présente dans l’effet que la cause seconde ne l’est : ce qui convient à l’effet convient à la cause d’une manière qui est supérieure ; mais l’opération par laquelle la cause seconde produit son effet est elle-même causée par la cause première car la cause première assiste la cause seconde en la faisant agir ; donc la cause de cette opération selon laquelle l’effet est produit par la cause seconde est davantage la cause première que la cause seconde. Proclus cependant prouve cela d’une manière plus claire par ce qui suit : la cause seconde en effet, puisqu’elle est un effet de la cause première, tient sa substance de la cause première ; mais ce qui tient sa substance d’un autre, c’est de cet autre aussi qu’il tient sa puissance ou sa force d’opération ; donc, la cause seconde tient sa puissance ou sa force d’opération de la cause première. Mais c’est par sa puissance ou sa force que la cause seconde est la cause de son effet. Donc, le fait même d’être la cause de son effet, la cause seconde le tient de la cause première. C’est donc premièrement à la cause première, puis secondairement à la cause seconde, qu’il appartient d’être la cause d’un effet ; mais dans tout genre de choses, ce qui est premier à être tel l’est davantage car ce qui est premier est plus parfait par nature. Donc, la cause première est davantage cause de l’effet que ne l’est la cause seconde.

Puis il prouve la deuxième proposition, à savoir que l’action de la cause première se retire plus tardivement de l’effet que celle de la cause seconde, là où il dit : et lorsque se retire la cause seconde etc. Et il introduit le raisonnement suivant : ce qui appartient à une chose avec plus de puissance lui appartient davantage ; mais la cause première agit avec plus de puissance sur l’effet que ne le fait la cause seconde ainsi que nous l’avons prouvé ; donc son action est plus présente dans l’effet et s’en retire donc plus tardivement.

Il prouve enfin la troisième proposition, à savoir que l’action de la cause première survient en premier, là où il dit : et il n’y a pas d’effet de la cause seconde si ce n’est par la cause première etc., et il le fait par ce raisonnement. La cause seconde n’agit sur son effet que par la puissance de la cause première ; il est donc également vrai de dire que l’effet ne procède de la cause seconde que par la puissance de la cause première. Ainsi donc la puissance de la cause première donne à l’effet d’être atteint par la puissance de la cause seconde ; il est donc atteint en premier lieu par la puissance de la cause première. Proclus prouve cependant cela par un moyen terme de la manière qui suit. La cause première est davantage cause que la cause seconde ; elle est donc d’une puissance plus parfaite. La puissance d’une cause a d’autant plus d’extension qu’elle est plus parfaite ; donc la puissance de la cause première a plus d’extension que celle de la cause seconde. Mais puisque ce qui se retrouve dans un plus grand nombre de choses est le premier à survenir et le dernier à se retirer, il s’ensuit que l’action de la cause première est la première à survenir et la dernière à se retirer.

Mais il faut considérer dans quelles sortes de cause cette proposition conserve sa vérité. Et si la question se rapporte aux différents genres de cause, il est clair que cette proposition conserve sa vérité pour chaque genre de cause suivant sa modalité causale respective. L’exemple dont on se sert ici est certes pris dans les causes formelles mais le même raisonnement s’applique aussi aux causes matérielles; en effet, ce qui est premier à se tenir sous tout le reste en tant que matière est cause d’une matière prochaine qui devient elle-même à son tour substrat, comme la matière première l’est pour les éléments qui à leur tour sont la matière des  corps mixtes. Et il montre qu’il en est encore de même pour les causes efficientes. Il est évident en effet que la puissance d’une cause possède d’autant plus d’entension que cette même cause est première. Il résulte de là que son effet propre doit être plus universel. Mais l’effet propre de la cause seconde se retrouve de son côté dans un plus petit nombre de cas; il est donc plus particulier. En effet, la cause première elle-même produit ou meut la cause efficiente seconde et devient ainsi pour elle la cause de son efficience. Les trois points de cette question se trouvent donc à être examinés principalement à travers les causes efficientes et à partir de là il est clair qu’il y a extension aux causes formelles ; c’est la raison pour laquelle le verbe influer se trouve à être placé ici et Proclus utilise le terme de production, ces termes exprimant la causalité de la cause efficiente. Il n’est cependant pas à ce point évident que ce qu’on observe à partir des causes efficientes s’applique aux causes matérielles du fait que les causes efficientes qui nous entourent ne produisent pas la matière mais la forme. Mais si nous considérions les causes universelles d’où procèdent aussi les principes matériels des choses, nous verrions qu’il est nécessaire que cet ordre s’étende des causes efficientes aux causes matérielles. En effet, parce que la puissance ou la causalité de la cause première et suprême a plus d’extension ou s’applique à un plus grand nombre de choses, il est nécessaire que ce qui subsiste en premier dans toutes les choses vienne de la cause première de tout ce qui existe. Par la suite des dispositions sont ajoutées par les causes secondes par lesquelles les matières sont appropriées aux choses individuelles. Et il est évident que cela se vérifie aussi d’une certaine manière dans les choses qui nous sont familières, car la nature fournit une matière première à toutes les choses artificielles ; puis, au moyen de certains arts qui sont premiers la matière naturelle est disposée de manière à convenir à des métiers plus particuliers. Mais le rapport de la cause première de tout ce qui existe à l’égard de la nature est le même que celui de la nature à l’égard de l’art. Il résulte de là que ce qui subsiste en premier dans toute la nature et qui est approprié aux choses individuelles par la fonction des causes secondes vient de la cause première de tout ce qui existe. Et il est évident que tout ce que nous venons de dire se vérifie aussi des causes finales car c’est en vue de la fin ultime universelle que les autres fins sont désirées et on voit bien que ces appétits suviennent après l’appétit de la fin ultime et cessent avant elle ; mais la raison de cet ordre se ramène au genre de la cause efficiente car la fin est cause pour autant qu’elle meut l’agent à agir; et en ce sens, selon qu’elle a raison de moteur, elle relève d’une certaine manière du genre de la cause efficiente. Cependant, lorsqu’on demande si ce que nous avons dit pour chaque genre de cause se vérifie pour toutes les causes d’après n’importe quel ordre, il est évident que la réponse est non. Les causes en effet se trouvent à être ordonnées de deux manières : par soi et par accident.

Il y a certes un ordre par soi quand l’intention de la cause première parvient à l’effet ultime au moyen de toutes les causes intermédiaires, comme lorsque l’art du forgeron meut la main, puis la main meut le marteau qui par son coup étale le fer, et c’est cet étalement que visait dès le départ l’intention de l’artisan.

L’ordre n’est cependant que par accident quant l’intention de la cause ne porte que sur un effet prochain et que tout autre effet résultant de cet effet prochain échappe à l’intention de l’agent premier : par exemple, si quelqu’un allume une chandelle, s’il se trouve que cette chandelle en allume une autre et que cette dernière à son tour en allume une autre, cela n’était pas intentionnel. Mais ce qui échappe à l’intention, nous l’appelons par accident ou accidentel.

Donc, pour les causes qui sont ordonnées par soi et dans lesquelles la cause première conduit toutes les causes intermédiaires à l’effet visé, la proposition que nous examinons conserve sa vérité. Mais pour les causes qui sont ordonnées par accident, c’est l’inverse car l’effet qui est produit par soi par la cause prochaine est produit par accident par la cause première et son existence échappe ainsi à son intention.

Cependant, ce qui est par soi est préférable à ce qui est par accident et c’est pour cette raison que l’auteur dit avec insistance : ¨cause universelle¨, laquelle cause est une cause par soi.

Lectio 2

[84237] Super De causis, l. 2 Praemissa prima propositione sicut quodam principio ad totum tractatum sequentem, incipit hic agere de primis causis rerum. Et dividitur in partes duas: in prima agit de distinctione primarum causarum; in secunda de coordinatione sive dependentia earum ad invicem, in 16 propositione, ibi: omnes virtutes quibus non est finis et cetera. Prima dividitur in partes duas: in prima distinguit causas primas; in secunda determinat de singulis, in 6 propositione, ibi: causa prima superior est, et cetera. Causae autem universales rerum sunt trium generum, scilicet causa prima quae est Deus, intelligentiae et animae, unde circa primum tria facit: primo enim distinguit haec tria genera quorum primum est indivisum, quia causa prima est una tantum; secundo distinguit intelligentias, ibi 4 propositione: prima rerum creatarum etc.; in tertia distinguit animas, 5 propositione, ibi: intelligentiae superiores et cetera. Circa primum duo facit: primo distinguit tria praedicta genera; secundo ostendit quomodo uniuntur per participationem quamdam in ultimo, in 3 propositione, ibi: omnis anima nobilis et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: omne esse superius aut est superius aeternitate et ante ipsam, aut est cum aeternitate, aut post aeternitatem et supra tempus. Ad cuius propositionis intellectum oportet primo videre quid sit aeternitas, deinde quomodo praedicta propositio habeat veritatem. Nomen igitur aeternitatis indeficientiam quamdam sive interminabilitatem importat: dicitur enim aeternum quasi extra terminos existens; sed, quia, ut philosophus dicit in VIII physicorum, in omni motu est quaedam corruptio et generatio in quantum aliquid esse incipit et aliquid esse desinit, necesse est quod in quolibet motu sit quaedam deficientia; unde omnis motus aeternitati repugnat. Vera igitur aeternitas cum indeficientia essendi etiam immobilitatem importat. Et, quia prius et posterius in duratione temporis provenit ex motu, ut patet in IV physicorum, ideo tertio oportet quod sit aeternitas absque priori et posteriori tota simul existens, secundum quod Boethius definit eam in fine de consolatione, dicens: aeternitas est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio. Quaecumque igitur res cum indeficientia essendi habet immobilitatem et est absque temporali successione, potest dici aeterna, et secundum hunc modum substantias immateriales separatas Platonici et Peripatetici aeternas dicebant, superaddentes ad rationem aeternitatis quod semper esse habuit, quod fidei Christianae non est consonum. Sic enim aeternitas soli Deo convenit. Dicimus autem eas aeternas tamquam incipientes obtinere a Deo esse perpetuum et indeficiens sine motu et temporis successione, unde et Dionysius dicit X capitulo de divinis nominibus quod non simpliciter sunt coaeterna Deo quae in Scripturis aeterna dicuntur; unde aeternitatem sic acceptam quidam nominant aevum, quod ab aeternitate primo modo accepta distinguunt. Sed, si quis recte consideret, aevum et aeternitas non differunt nisi sicut anthropos et homo. In Graeco enim evon aeternitas dicitur sicut et anthropos homo. His igitur praemissis sciendum est quod haec propositio in libro Procli LXXXVIII invenitur sub his verbis: omne enter, vel existenter, ens aut ante aeternitatem est, aut in aeternitate, aut participans aeternitate. Dicitur autem enter ens per oppositum ad mobiliter ens, sicut esse stans dicitur per oppositum ad moveri; per quod datur intelligi quid est quod in hoc libro dicitur omne esse superius, quia scilicet est supra motum et tempus. Huiusmodi enim esse secundum utrumque auctorem in utroque libro in tres gradus distinguitur; non tamen est eadem omnino ratio utrobique. Proclus enim hanc propositionem inducit secundum Platonicorum suppositiones, qui, universalium abstractionem ponentes, quanto aliquid est abstractius et universalius tanto prius esse ponebant. Manifestum est enim quod haec dictio aeternitas abstractius est quam aeternum; nam nomine aeternitatis ipsa aeternitatis essentia designatur, nomine autem aeterni id quod aeternitatem participat. Rursumque ipsum esse communius est quam aeternitas: omne enim aeternum ens est, non autem omne ens est aeternum; unde secundum praedicta ipsum esse separatum est ante aeternitatem, id autem quod est cum aeternitate est ipsum esse sempiternum, id autem quod est aeternitatem participans et quasi post aeternitatem est omne id quod esse aeternum participat. Sed huius libri auctor in primo quidem aliqualiter cum praedictis positionibus concordat. Unde exponit quod esse quod est ante aeternitatem est causa prima, quoniam est causa aeternitati. Et ad hoc probandum inducit quod in ipsa, id est aeternitate, est esse acquisitum, id est participatum. Et hoc probat quia ea quae sunt minus communia participant ea quae sunt magis communia; aeternitas autem est minus commune quam esse; unde subdit: et dico quod omnis aeternitas est esse sed non omne esse est aeternitas; ergo esse est plus commune quam aeternitas. Sic igitur probat auctor quod aeternitas participat esse; ipsum autem esse abstractum est causa prima cuius substantia est suum esse; unde relinquitur quod causa prima est causa a qua acquiritur esse sempiternum cuicumque rei semper existenti. Sed in aliis duobus membris divisionis recedit auctor huius libri ab intentione Procli et magis accedit ad communes sententias et Platonicorum et Peripateticorum. Exponit enim secundum gradum quod esse cum aeternitate est intelligentia. Quia enim aeternitas, ut dictum est, importat indeficientiam cum immobilitate, illud quod secundum omnia est indeficiens et immobile, totaliter attingit aeternitatem; ponitur autem secundum praedictos philosophos quod intelligentia sive intellectus separatus habet indeficientiam et immobilitatem et quantum ad esse et quantum ad virtutem et quantum ad operationem; unde CLXIX propositio Procli est: omnis intellectus in aeternitate substantiam habet et potentiam et operationem. Et secundum hoc probatur hic quod intelligentia est cum aeternitate, quia est omnino secundum habitudinem unam ita quod non patitur aliquam alteritatem nec virtutis nec operationis neque etiam destruitur secundum substantiam. Et propter hoc etiam postea dicit quod parificatur aeternitati, quoniam extenditur cum ea et non alteratur, quia scilicet ad omne id quod est intelligentiae aeternitas se extendit. Tertium vero gradum exponit de anima quae habet esse superius, scilicet supra motum et tempus. Huiusmodi enim anima magis appropinquat ad motum quam intelligentia, quia videlicet intelligentia non attingitur a motu neque secundum substantiam neque secundum operationem. Anima autem secundum substantiam quidem excedit tempus et motum et attingit aeternitatem, sed secundum operationem attingit motum quia, ut philosophi probant, oportet omne quod movetur ab alio reduci in aliquod primum quod seipsum movet. Hoc autem secundum Platonem quidem est anima quae seipsam movet, secundum Aristotelem autem est corpus animatum cuius motus principium est anima; et sic utroque modo oportet quod primum principium motus sit anima, et ideo motus est ipsius animae operatio. Et, quia motus est in tempore, tempus attingit operationem ipsius animae; unde et Proclus dicit CXCI propositione: omnis anima participabilis substantiam quidem aeternalem habet, operationem autem secundum tempus. Et ideo hic dicitur quod connexa est cum aeternitate inferius, connexa quidem aeternitati quantum ad substantiam, sed inferius quia inferiori modo participat aeternitatem quam intelligentia. Quod probat per hoc quia est susceptibilior impressionis quam intelligentia. Anima enim non solum recipit impressionem causae primae sicut intelligentia, sed etiam suscipit impressionem intelligentiae; quanto autem aliquid magis est remotum a primo quod est aeternitatis causa, tanto debilius aeternitatem participat. Et, quamvis anima attingat ad infimum gradum aeternitatis, tamen est supra tempus sicut causa supra causatum; est enim causa temporis in quantum est causa motus ad quem sequitur tempus. Loquitur enim hic de anima quam attribuunt philosophi corpori caelesti, et propter hoc dicit quod est in horizonte aeternitatis inferius et supra tempus. Horizon enim est circulus terminans visum, et est infimus terminus superioris hemispherii, principium autem inferioris; et similiter anima est ultimus terminus aeternitatis et principium temporis. Huic autem sententiae etiam Dionysius concordat X capitulo de divinis nominibus, hoc excepto quod non asserit caelum habere animam, quia hoc Catholica fides non asserit. Dicit enim quod Deus est ante aeternum et quod, secundum Scripturas, dicuntur aliqua aeterna et temporalia, quod est intelligendum secundum modos positos in sacra Scriptura; media autem existentium et factorum, id est generabilium, sunt quaecumque secundum aliquid quidem aeternum, secundum aliquid vero tempus participant.

2) Tout être supérieur est ou bien au-dessus de l'éternité et avant elle, ou bien avec elle, ou bien après elle et au-dessus du temps

 

Cette première proposition ayant été présentée à titre de principe pour tout le traité qui suit, l’auteur commence à traiter ici des causes premières des choses, et il divise cet examen en deux parties : dans la première il traite de la distinction des causes premières ; dans la deuxième de leur coordination ou de leur interdépendance dans la proposition 16 là où il dit : toutes les puissances pour lesquelles il n’y a pas de limite etc. La première partie se divise elle-même en deux sections : dans la première il distingue les causes premières ; dans la deuxième il traite de chacune d’elles séparément dans la proposition 6 là où il dit : la cause première est supérieure etc. Mais les genres des causes universelles des choses sont au nombre de trois, à savoir la cause première qui est Dieu, les intelligences et les âmes. C’est pourquoi il fait trois choses dans la première partie : en premier lieu en effet il distingue ces trois genres dont le premier est indivisé car il n’y a qu’une seule cause première ; en deuxième lieu il distingue les intelligences entre elles dans la proposition 4 là où il dit : la première des choses créées etc. ; en troisième lieu il distingue les âmes dans la proposition 5 là où il dit : les intelligences supérieures etc.

Relativement au premier point il fait deux choses : en premier lieu il distingue les trois genres dont nous avons parlé ; en deuxième lieu il montre, dans la proposition 3, comment ils sont unis par une certaine participation à un principe ultime, là où il dit : mais toute âme supérieure etc. Au sujet du premier point il présente cette proposition : Tout être supérieur est ou bien au-dessus de l'éternité et antérieur à elle, ou bien avec elle, ou bien lui est postérieur et au-dessus du temps.

Pour avoir l’évidence de cette proposition, il faut premièrement saisir ce qu’est l’éternité, puis chercher à comprendre comment cette proposition est vraie. Donc le nom d’éternité implique une certaine perpétuité ou une absence de limite dans la durée : on appelle en effet éternel ce qui existe en dehors des limites. Mais parce que, comme le dit le Philosophe au huitième livre de la Physique, il y a dans tout mouvement corruption et génération dans la mesure où quelque chose commence ou cesse d’exister, il est nécessaire qu’on retrouve en tout mouvement une certaine fragilité ; il résulte de là que tout mouvement répugne à l’éternité. Donc la véritable éternité implique, en plus d’une existence perpétuelle, l’immutabilité. Et, parce que l’avant et l’après dans la durée du temps provient du mouvement, comme on le voit au quatrième livre de la Physique, c’est pourquoi il faut en troisième lieu que l’éternité consiste dans une existence complète et simultanée, au-delà de  l’avant et de l’après, conformément à la définition qu’en donne Boèce à la fin de la Consolation de la Philosophie, lorsqu’il dit : l’éternité est la possession complète, simultanée et parfaite d’une vie sans fin.

On peut donc dire de tout être qui se présente comme étant achevé quant à son être, étant immuable et n’étant sujet à aucune succession temporelle, qu’il est éternel ; et c’est en ce sens que les Platoniciens et les Péripatéticiens disaient que les substances immatérielles séparées sont éternelles, ajoutant à la notion d’éternité la possession de l’existence de toute éternité, ce qui ne s’accorde pas avec la foi chrétienne. Prise en ce sens en effet l’éternité ne convient qu’à Dieu. Nous disons cependant qu’elles sont éternelles parce que, leur existence ayant un commencement, elles ont reçu de Dieu une existence perpétuelle et indéfectible, indépendante du mouvement et de la succession temporelle ; c’est pourquoi Denys dit au chapitre 10 de son livre, Les Noms Divins, que les réalités qui sont appelées éternelles dans les Écritures ne sont pas purement et simplement coéternelles de Dieu et c’est pourquoi certains appellent ¨aevum¨ l’éternité prise en ce sens pour la distinguer de l’éternité telle qu’entendue dans le premier sens. Mais si on considère les choses comme il se doit, ces deux termes, à savoir ¨aevum¨ et ¨aeternitas¨, dont l’un est grec et l’autre latin et qui signifient tous deux ¨éternité¨ ne diffèrent entre eux que comme ¨anthropos¨ diffère de ¨homo¨, lesquels termes, dont l’un est grec et l’autre latin, signifient ¨homme¨.

Donc, ceci étant dit, il faut savoir que cette deuxième proposition se présente en ces termes dans le livre de Proclus à la proposition 88 : ¨Sous le rapport de l’éternité, tout être véritable lui est soit antérieur, soit intérieur, soit participant¨. Mais Proclus parle ici d’être véritable par opposition à l’être mobile, et il dit intérieur ou se tient en elle par opposition à ce qui est mû; ces expressions donnent à comprendre ce qu’on appelle dans ce livre tout être supérieur, c’est-à-dire ce qui existe au-delà du mouvement et du temps. En effet, une telle forme d’existence se trouve à être distinguée en trois degrés par les deux auteurs dans chacun des livres mais la signification n’est pas totalement la même dans les deux cas. Proclus en effet introduit cette proposition en suivant les principes des Platoniciens qui, en posant la séparation des universels, affirmaient que ce qui est davantage séparé et universel est davantage premier. Il est manifeste en effet que le terme d’éternité est plus abstrait que le terme ¨éternel¨ car c’est l’essence même de l’éternité qui est signifiée par le nom ¨éternité¨ alors que le terme éternel signifie celui qui participe de l’éternité. Et en outre, l’être lui-même est plus commun que l’éternité car tout ce qui est éternel est de l’être, mais tout être n’est pas éternel; et conformément à ces principes, l’être séparé lui-même est antérieur à l’éternité alors que l’être éternel lui-même est avec l’éternité et que tout ce qui participe de l’éternité et lui est postérieur est tout ce qui participe de l’être éternel. Mais l’auteur de ce livre, quant au premier membre de la proposition, s’accorde certes d’une certaine manière avec les positions qui précèdent et c’est pourquoi il affirme que ¨l’être qui est antérieur à l’éternité est la cause première puisqu’il est la cause de l’éternité¨. Et pour le prouver il dit que c’est en elle, c’est-à-dire dans l’éternité, qu’existe l’être acquis, c’est-à-dire l’être participé. Et il le prouve par ceci que ce qui est moins commun participe de ce qui est plus commun. Or l’éternité est moins commune que l’être ; c’est pourquoi il ajoute : ¨Et je dis que l’éternité est de l’être, tandis que tout être nest pas éternité; donc l’être est plus commun que l’éternité¨. C’est donc ainsi que notre auteur prouve que l'éternité participe de l'être; mais l’être séparé lui-même est la cause première dont la substance est son existence; c’est pourquoi il découle de là que la cause première est celle par laquelle l’existence éternelle est acquise chez tout être qui existe toujours.

Mais pour ce qui est des deux autres membres de la division, l’auteur de ce livre s’éloigne de l’intention de Proclus et se rapproche  davantage des opinions communes aux Platoniciens et aux Péripatéticiens. Il explique en effet que le deuxième degré de l’être supérieur, celui qui est l’être qui est avec l’éternité ou lui est intérieur, c’est l’intelligence.

En effet, puisque l’éternité, ainsi que nous l’avons dit, implique indéfectibilité et immutabilité, ce qui sera indéfectible et immuable sous tous les rapports accomplira parfaitement l’éternité. Or, ces philosophes posent que l’intelligence ou l’intellect séparé  possède l’indéfectibilité et l’immutabilité à la fois quant à l’être, à la puissance et à l’opération. C’est pourquoi la proposition 169 de Proclus dit : ¨Tout intellect possède sa substance, sa puissance et son opération dans l’éternité

Et c’est d’après cette proposition qu’il est ici prouvé que l’intelligence est avec l’éternité parce qu’elle se présente dans sa totalité sous un seul rapport de telle manière qu’elle ne souffre aucune altérité ni quant à la puissance ni quant à l’opération et elle n’est pas détruite quant à sa substance. Et c’est pour cette raison qu’il ajoute aussi par la suite qu’¨elle est rendue égale à l’éternité puisqu’elle lui est coextensive et n’est pas sujette à altération¨, parce que l’éternité en effet s’applique à tout ce qui est le propre de l’intelligence.

Et en troisième lieu enfin il présente le troisième degré de l’être supérieur, à savoir l’âme, qui possède une existence qui transcende le mouvement et le temps. Ce genre qui est celui de l’âme s’approche davantage du mouvement que l’intelligence car cette dernière n’est atteinte par le mouvement ni quant à sa substance ni quant à son opération. L’âme transcende certes le mouvement et le temps quant à sa substance et atteint l’éternité mais elle est atteinte par le mouvement quant à son opération car, comme les philosophes le prouvent, tout ce qui est mû par un autre doit se ramener à quelque chose de premier qui se meut soi-même. Mais cela d’après Platon est l’âme qui se meut par elle-même alors que pour Aristote c’est le corps animé dont le principe du mouvement est l’âme ; et ainsi dans les deux cas il faut que le principe du mouvement soit l’âme de sorte que le mouvement est l’opération de l’âme elle-même. Et parce que le mouvement se déroule dans le temps, le temps atteint l’opération de l’âme elle-même et c’est pourquoi Proclus dit dans sa proposition 191 : ¨Toute âme qui participe de l’éternité possède certes une substance éternelle, mais son opération s’effectue dans le temps¨. Et c’est pourquoi l’auteur dit ici que ¨l’âme est rattachée plus faiblement à l’éternit騠: elle est certes unie à l’éternité quant à sa substance, mais plus faiblement parce qu’elle participe de l’éternité selon une modalité qui est inférieure à celle de l’intelligence. Et il prouve cela en ajoutant qu’elle est plus susceptible d’impression que ne l’est l’intelligence¨.

L'âme en effet ne reçoit pas seulement l'impression de la cause première comme c’est le cas pour l'intelligence, mais elle reçoit aussi l'impression de l'intelligence; or, un être participe d’autant plus faiblement de l’éternité qu’il est davantage éloigné du principe premier qui est la cause de l’éternité.    Et bien que l’âme effleure léternité à un degré infime, elle reste cependant au-dessus du temps comme la cause est au-dessus de l’effet; l’âme est en effet la cause du temps dans la mesure où elle est la cause du mouvement d’où découle le temps. On parle en effet ici de l’âme que ces philosophes attribuent aux corps célestes et c’est pour cette raison qu’il dit de cette âme qu’elle ¨est dans la partie inférieure de l’horizon de l’éternité et au-dessus du temps¨. L'horizon en effet est comme un cercle qui est la limite du visible : il est la limite dernière de l’hémisphère supérieur, et le commencement de l’hémisphère inférieur; et de la même manière, l’âme est la fin de l’éternité et le début du temps. Même Denys, au chapitre X des Noms divins, s'accorde avec cette opinion sauf qu’il n'affirme pas que le ciel a une âme, parce que la foi catholique ne l’affirme pas. Il dit en effet que « Dieu est antérieur à léternité » et que si, d’après les Écritures certaines choses sont dites  éternelles et temporelles, cela doit s’entendre selon le sens que leur donne ces mêmes Ecritures : ¨parmi les réalités existantes et produites, c’est-à-dire les réalités engendrées, il y a celles qui sont éternelles sous un rapport et qui participent du temps sous un autre rapport.¨

Lectio 3

[84238] Super De causis, l. 3 Quia ea quae sunt superiorum, inferioribus insunt secundum aliqualem participationem, postquam divisit tres gradus superiorum entium, quorum unum est superius aeternitate, quod est Deus, aliud autem est cum aeternitate, quod est intelligentia, tertium autem post aeternitatem, quod est anima, nunc intendit ostendere quomodo tertium participat et quod est primi et quod est secundi, dicens: omnis anima nobilis tres habet operationes; nam ex operationibus eius est operatio animalis et intelligibilis et operatio divina. Quae autem dicatur anima nobilis intelligi potest ex verbis Procli qui hanc propositionem ponit CCI, sub his verbis: omnes divinae animae triplices habent operationes: has quidem ut animae, has autem ut suscipientes intellectum divinum, has autem ut diis extraiunctae. Ex quo patet quod anima nobilis dicitur hic anima divina. Ad cuius evidentiam sciendum est quod Plato posuit universales rerum formas separatas per se subsistentes. Et, quia huiusmodi formae universales universalem quamdam causalitatem, secundum ipsum, habent supra particularia entia quae ipsas participant, ideo omnes huiusmodi formas sic subsistentes deos vocabat; nam hoc nomen Deus universalem quamdam providentiam et causalitatem importat. Inter has autem formas hunc ordinem ponebat quod quanto aliqua forma est universalior, tanto est magis simplex et prior causa; participatur enim a posterioribus formis, sicut si ponamus animal participari ab homine et vitam ab animali et sic inde; ultimum autem quod ab omnibus participatur et ipsum nihil aliud participat, est ipsum unum et bonum separatum quod dicebat summum Deum et primam omnium causam. Unde et in libro Procli inducitur propositio CXVI, talis: omnis Deus participabilis est, id est participat, excepto uno. Et, quia huiusmodi formae quas deos dicebant sunt secundum se intelligibiles, intellectus autem fit actu intelligens per speciem intelligibilem, sub ordine deorum, id est praedictarum formarum, posuerunt ordinem intellectuum qui participant formas praedictas ad hoc quod sint intelligentes, inter quas formas est etiam intellectus idealis. Sed intellectus praedicti participant praedictas formas secundum modum immobilem, in quantum intelligunt eas. Unde sub ordine intellectuum ponebant tertium ordinem animarum quae mediantibus intellectibus participant formas praedictas secundum motum, in quantum scilicet sunt principia corporalium motuum per quos superiores formae participantur in materia corporali. Et sic quartus ordo rerum est ordo corporum. Inter intellectus autem, superiores quidem dicebant esse divinos intellectus, inferiores autem intellectus quidem sed non divinos, quia intellectus idealis qui est per se Deus, secundum eos, participatur quidem a superioribus intellectibus secundum utrumque, scilicet secundum quod est intellectus et secundum quod est Deus, ab inferioribus vero intellectibus secundum quod est intellectus tantum, et ideo non sunt intellectus divini; sortiuntur enim intellectus superiores non solum quod sint intellectus sed etiam quod sint divini. Similiter etiam cum animae applicentur diis mediantibus intellectibus quasi propinquioribus, ipsae etiam animae superiores sunt divinae propter intellectus divinos quibus applicantur vel quos participant; inferiores autem animae veluti applicatae intellectibus non divinis sunt non divinae. Et, quia corpora recipiunt motum per animam, consequens etiam est ut superiora corpora sint divina, secundum eos, et inferiora corpora non divina. Unde Proclus dicit CXXIX propositione: omne corpus divinum per animam deificatam est divinum, omnis autem anima divina propter divinum intellectum, omnis autem intellectus divinus secundum participationem divinae unitatis. Et, quia deos appellabant primas formas separatas in quantum sunt secundum se universales, consequenter et intellectus divinos et animas divinas et corpora divina dicebant secundum quod habent quamdam universalem influentiam et causalitatem super subsequentia sui generis et inferiorum generum. Hanc autem positionem corrigit Dionysius quantum ad hoc quod ponebant ordinatim diversas formas separatas quas deos dicebant, ut scilicet aliud esset per se bonitas et aliud per se esse et aliud per se vita et sic de aliis. Oportet enim dicere quod omnia ista sunt essentialiter ipsa prima omnium causa a qua res participant omnes huiusmodi perfectiones, et sic non ponemus multos deos sed unum. Et hoc est quod dicit V capitulo de divinis nominibus: non autem aliud esse bonum dicit, scilicet sacra Scriptura, et aliud existens et aliud vitam aut sapientiam neque multas causas et aliorum alias productivas deitates excedentes et subiectas, sed unius esse omnes bonos processus. Quomodo autem hoc esse possit, ex hoc ostendit consequenter quia, cum Deus sit ipsum esse et ipsa essentia bonitatis, quidquid pertinet ad perfectionem bonitatis et esse, totum ei essentialiter convenit, ut scilicet ipse sit essentia vitae et sapientiae et virtutis et ceterorum. Unde post aliqua subdit: etenim Deus non quodammodo est existens, sed simpliciter et incircumscripte totum in seipso esse praeaccepit. Et hoc sequitur auctor huius libri. Non enim invenitur inducere aliquam multitudinem deitatis, sed unitatem in Deo constituit, distinctionem autem in ordine intellectuum et animarum et corporum. Secundum hoc igitur dicitur anima nobilis, id est divina anima caelestis corporis, secundum opinionem philosophorum qui posuerunt caelum animatum; haec enim anima, secundum eos, habet aliquam influentiam universalem super res per motum, et ex hoc divina dicitur eo modo loquendi quo etiam apud homines qui universalem curam rei publicae habent divi dicuntur. De hac ergo anima nobilissime divina dicit quod habet operationem divinam, et exponens dicit quod operatio divina eius est quia ipsa praeparat naturam, in quantum scilicet est principium primi motus cui tota natura subiicitur. Et hoc habet per virtutem participatam a causa prima quae est universalis omnium causa ex qua sortitur quamdam universalem causalitatem in res naturales. Et ideo assignans rationem huius operationis divinae animae convenientis dicit quod ipsa est exemplum, id est imago, virtutis superioris, id est divinae. Exemplificatur enim in praedicta anima universalitas divinae virtutis, quod scilicet, sicut Deus est universalis causa omnium entium, ita praedicta anima est universalis causa naturalium rerum quae moventur. Secundam autem operationem animae nobilis seu divinae ponit intelligibilem, quae quidem, sicut ipse exponit, est in hoc quod ipsa cognoscit res in quantum participat virtutem intelligentiae. Quare autem virtutem intelligentiae participat, ostendit per hoc quod anima est creata a causa prima mediante intelligentia; unde anima est a Deo sicut a causa prima, ab intelligentia autem sicut a causa secunda. Effectus autem omnis participat aliquid de virtute suae causae; unde relinquitur quod anima, sicut facit operationem divinam in quantum est a causa prima, ita facit operationem intelligentiae in quantum est ab ea, participans eius virtutem. Hoc autem quod hic dicitur quod causa prima creavit esse animae mediante intelligentia quidam male intelligentes, existimaverunt secundum auctorem istius libri quod intelligentiae essent creatrices substantiae animarum. Sed hoc est contra positiones Platonicas. Huiusmodi enim causalitates simplicium entium ponebant secundum participationem; participatur autem non quidem id quod est participans, sed id quod est primum per essentiam suam tale: puta, si albedo esset separata, ipsa albedo simplex esset causa omnium alborum in quantum sunt alba, non autem aliquid albedinem participans. Secundum hoc ergo Platonici ponebant quod id quod est ipsum esse est causa existendi omnibus, id autem quod est ipsa vita est causa vivendi omnibus, id autem quod est ipsa intelligentia est causa intelligendi omnibus; unde Proclus dicit XVIII propositione sui libri: omne derivans esse aliis, ipsum prime est hoc quod tradit recipientibus derivationem. Cui sententiae concordat quod Aristoteles dicit in II metaphysicae quod id quod est primum et maxime ens est causa subsequentium. Est ergo intelligendum quod ipsa essentia animae, secundum praedicta, creata est a causa prima quae est suum ipsum esse, sed consequentes participationes habet ab aliquibus posterioribus principiis, ita scilicet quod vivere habet a prima vita et intelligere a prima intelligentia; unde et in 18 propositione huius libri dicitur: res omnes habent essentiam per ens primum, et res vivae sunt per vitam primam, et res intelligibiles habent scientiam propter intelligentiam primam. Sic ergo intelligit quod prima causa creavit esse animae mediante intelligentia quod causa prima sola creavit essentiam animae; sed, quod anima sit intelligibilis, hoc habet ex operatione intelligentiae. Et hic sensus ostenditur manifeste per verba quae sequuntur: postquam ergo, inquit, creavit causa prima esse animae, posuit eam sicut stramentum intelligentiae, id est substravit eam operationi intelligentiae, ut scilicet intelligentia agat in ipsam operationem suam, dans ei ut sit intelligibilis. Unde concludit quod propter hoc anima intelligibilis efficit operationem intelligibilem. Et hoc etiam concordat cum eo quod dictum est in 1 propositione quod effectus causae primae praeexistit effectui causae secundae et universalius diffunditur: esse enim quod est communissimum, diffunditur in omnia a causa prima; sed intelligere non communicatur omnibus ab intelligentia, sed quibusdam, praesupponendo esse quod habent a primo. Sed etiam haec positio, si non sane intelligatur, repugnat veritati et sententiae Aristotelis qui arguit in III metaphysicae contra Platonicos ponentes huiusmodi ordinem causarum separatarum secundum ea quae de individuis praedicantur. Quia sequitur quod Socrates erit multa animalia, scilicet ipse Socrates et homo separatus et etiam animal separatum: homo enim separatus participat animal et ita est animal; Socrates autem participat utrumque, unde et est homo et est animal; non igitur Socrates esset vere unum si ab alio haberet quod esset animal et ab alio quod esset homo. Unde, cum esse intelligibile pertineat ad ipsam naturam animae utpote essentialis differentia eius, si ab alio haberet esse et ab alio naturam intellectivam sequeretur quod non esset unum simpliciter; oportet ergo dicere quod, a prima causa a qua habet essentiam, habet etiam intellectualitatem. Et hoc concordat sententiae Dionysii supra positae, scilicet quod non aliud sit ipsum bonum, ipsum esse et ipsa vita et ipsa sapientia, sed unum et idem quod est Deus, a quo derivatur in res et quod sint et quod vivant et quod intelligant, ut ipse ibidem ostendit. Unde et Aristoteles, in XII metaphysicae, signanter Deo attribuit et intelligere et vivere, dicens quod ipse est vita et intelligentia, ut excludat praedictas Platonicas positiones. Aliquo tamen modo potest hoc habere veritatem, si referatur non ad naturam intellectualem, sed ad formas intelligibiles quas animae intellectivae recipiunt per operationem intelligentiarum; unde et Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus quod animae per Angelos fiunt participes illuminationum a Deo emanantium. Tertiam vero operationem animae nobilis sive divinae ponit animalem. Et exponit quod animalis operatio est in hoc quod ipsa movet corpus primum et per consequens omnia corpora naturalia; ipsa enim est causa motus in rebus. Et huius rationem postea assignat. Quia enim anima est inferior quam intelligentia utpote suscipiens intelligentiae impressionem, consequens est ut inferiori modo operetur in ea quae sunt sub ipsa quam intelligentia imprimat in subiecta sibi, quia causa primaria plus influit quam secunda, ut ex 1 propositione patet. Intelligentia autem imprimit in animas sine motu, in quantum scilicet facit animam cognoscere, quod est sine motu; sed anima imprimit in corpora per motum, et id quod est sub ea, scilicet corpus, non recipit impressionem animae nisi in quantum movetur ab ipsa. Et consequenter assignat causam quare dicendum sit quod motus corporum naturalium sit ab anima; videmus enim omnia corpora naturalia directe pervenire per suas operationes et motus ad debitos fines, quod non posset fieri nisi ab aliquo intelligente dirigerentur. Ex quo videtur quod motus corporum sit ab anima quae influit virtutem suam super corpora, movendo ea. Haec etiam positio non est rata in fide, scilicet quod motus caeli sit ab anima; sed Augustinus hoc sub dubio relinquit in II super Genesim ad litteram. Quod autem sit a Deo dirigente totam naturam et quod corporalis creatura moveatur a Deo mediantibus intelligentiis sive Angelis, hoc asserit Augustinus in III de Trinitate et Gregorius in IV dialogorum. Ultimo autem concludit propositum, scilicet quod anima nobilis habeat tres praedictas operationes. Ei autem quod dictum est de intellectu divino et anima divina concordat sententia Dionysii qui, in IV capitulo de divinis nominibus, superiores Angelos vocat divinas mentes, id est intellectus, per quos etiam animae deiformi dono participant secundum suam virtutem; sed divinitatem accipit secundum coniunctionem ad Deum, non autem secundum universalem influentiam in creata. Illud enim est magis divinum, quia et in ipso Deo maius est id quod ipse est quam id quod in aliis causat.

3) Toute âme noble a trois opérations; en effet, parmi ses opérations, il y a une opération animale, une opération intelligible et une opération divine

 

Parce que les propriétés qui appartiennent aux êtres supérieurs se retrouvent dans les êtres inférieurs selon une certaine participation, après avoir distingué les trois degrés des êtres supérieurs dont le premier, qui est Dieu, est au-dessus de l’éternité, le second, qui est l’intelligence, est avec l’éternité, et le troisième, qui est l’âme, est postérieur à l’éternité, l’auteur cherche maintenant à montrer de quelle manière le troisième degré participe à la fois de ce qui appartient au premier et de ce qui appartient au second en disant : ¨Toute âme supérieure possède trois opérations car parmi ses opérations il y en a une qui est animale, une qui est intelligible et une autre qui est divine¨. Ce qu'il appelle ¨âme supérieure¨ peut se comprendre à partir des mots mêmes de Proclus qui, dans ses Éléments, présente cette proposition 201 en ces termes : ¨Toutes les âmes divines possèdent trois sortes d’opérations : celles qu’elles possèdent en tant qu’elles sont des âmes, celles qu’elles ont en tant qu’elles reçoivent l’intelligence divine et celles qu’elles possèdent en tant qu’elles sont rattachées aux dieux¨. À partir de ce passage il est clair que l’âme supérieure est appelée ici ¨âme divine¨.

Et pour comprendre ce passage, il faut savoir que Platon posait une existence séparée et subsistante par elle-même de formes universelles des choses. Et parce que selon lui de telles formes universelles possèdent une certaine causalité universelle sur les êtres particuliers qui en participent, c’est pourquoi il appelait ¨dieux¨ toutes ces formes subsistantes ; ce nom de « dieu », en effet, implique une providence et une causalité universelles. Et parmi ces formes, Platon établissait lordre suivant, à savoir que plus une forme est universelle, plus elle est simple et plus sa causalité est première; en effet, elle est participée par les formes qui sont secondes, comme par exemple lorsqu’on affirme que la forme animale est participée par la forme humaine et que la forme de la vie est participée par la forme animale et ainsi de suite ; mais la forme ultime qui est participée par toutes les autres formes et qui ne participe elle-même d’aucune autre forme est l’un et le bien séparé lui-même qu’il appelait le ¨Dieu suprême¨ et la cause première de tous les êtres. Et c’est pourquoi, cette proposition 116 est présentée dans le livre de Proclus : ¨Tout dieu est participable - c'est-à-dire participe -  excepté l’Un¨. Et parce que ces formes qu'ils appelaient ¨dieux¨ sont en elles-mêmes intelligibles et que l'intellect n’intellige en acte qu’au moyen de l'espèce intelligible, ils rangeaient sous l’ordre des dieux, c’est-à-dire des formes dont nous avons parlé, un ordre des intellects qui participent de ces formes pour intelliger, formes parmi lesquelles se trouve aussi une intelligence idéale. Mais ces intelligences participent de ces formes selon un mode immobile en tant qu'elles les intelligent. Et c’est pourquoi, sous cet ordre des intelligences, ils posaient aussi un troisième ordre, à savoir celui des âmes qui, par l’intermédiaires des intelligences, participent des formes selon le mouvement, c’est-à-dire en tant qu’elles sont les principes des mouvements corporels au moyen desquels la matière corporelle participe des formes supérieures. Et c’est de là que découle le quatrième ordre de réalités qui est celui des corps. Mais parmi les intelligences, ils appelaient divines celles qui sont supérieures alors que les inférieures étainet certes appelées intelligences mais non pas divines, parce que l’intelligence idéale qui est le Dieu par soi, selon eux, était certes participé par les intelligences supérieures sous les deux rapports, à savoir en tant qu’il est intelligence et en tant qu’il est Dieu, mais par les intelligences inférieures seulement en tant qu’il est intelligence et c’est pourquoi ces dernières n’étaient pas appelées intelligences divines. Les intelligences supérieures reçoivent en effet en partage non seulement d’être des intelligences mais aussi d’être divins. De même encore puisque les âmes supérieures s’approchent des dieux par l’intermédiaire d’intelligences plus rapporchées, ces âmes supérieures elles-mêmes sont en quelque sorte divines à cause des intelligences divines auxquelles elles s’attachent ou dont elles participent; les âmes inférieures cependant, comme attachées à des intelligences qui ne sont pas divines, ne sont pas non plus divines et parce que c’est par l’âme que les corps reçoivent le mouvement, il s’ensuit selon eux que les corps supérieurs sont divins et que les corps inférieurs ne le sont pas. Et c’est pourquoi Proclus dit à la proposition 129 : ¨C’est par l’intermédiaire de l’âme divinisée que tout corps divin est divin, c’est à cause d’une intelligence divine que toute âme est divine mais c’est du fait qu’il participe de l’Un divin que tout intellect est divin¨. Et parce que ces philosophes appelaient ¨dieux¨ les premières formes séparées selon qu’elles sont en elles-mêmes universelles, il en résulte que les intelligences, les âmes et les corps étaient appelés ¨divins¨ du fait qu’elles exercent une influence et une causalité universelles sur ce qui leur est subordonné dans leur genre ou dans les genres inférieurs.

Denys corrige cette position quant à ceci qu’ils affirmaient l’existence d’une succession de formes séparées distinctes qu’ils appelaient ¨dieux¨, c’est-à-dire de telle manière qu’autre était la bonté par soi, autre l’être par soi, autre la vie par soi et ainsi de suite et il en était de même pour les autres formes.Il faut dire en effet que toutes ces formes sont essentiellement la cause première de tout ce qui existe et par laquelle les choses participent de toutes les perfections de ce genre; ainsi, nous n’affirmerons pas l’existence de plusieurs dieux, mais d’un seul. Et c’est exactement ce que Denys dit au chapitre V des Noms DivinsElle, à savoir la sainte Ecriture, dit que le bien n’est pas autre, que l'être n’est pas autre, que la vie n’est pas autre, ni la sagesse, mais elle dit plutôt qu'il n'y a pas de multiples causes et qu’il n’y a  pas non plus de divinités supérieures qui seraient productrices des autres ni d’autres qui seraient subordonnées, mais qu'il n'y a qu’un seul Dieu d'où procèdent tous les biens¨.

 Et Denys montre par la suite comment cela est possible à partir de ceci que puisque Dieu est l’être même et l’essence même de la bonté, tout ce qui se rapporte à la perfection de l’être et de la bonté lui convient essentiellement et en totalité de telle manière que Lui-même est l’essence même de la vie, de la sagesse, de la puissance et de tout le reste. Et c’est pourquoi il ajoute ceci par la suite : ¨Dieu en effet n'existe pas d’après une modalité particulière et limitée, mais il contient à l’avance en lui la totalité de l’être d’une manière absolue et infinie.

L’auteur de ce livre donne son assentiment à ce que dit ici Denys. Il ne se trouve pas en effet à introduire une multiplicité de dieux, mais il  pose qu’il n’y a qu’un seul Dieu, n’établissant de distinction que dans l’ordre des intelligences, des âmes et des corps. C’est donc en demeurant cohérent avec cette position qu’il parle d’âme supérieure, c’est-à-dire de l’âme divine du corps céleste, conformément à l’opinion des philosophes qui ont posé que le ciel est animé. Selon eux en effet, cette âme exerce, par le mouvement qu’elle leur imprime, une influence universelle sur les choses. Et c’est pour cette raison qu’elle est appelée ¨divine¨, à la manière dont sont appelés ¨divins¨ parmi les hommes ceux qui ont un intérêt universel pour la chose publique.

L’auteur dit donc au sujet de cette âme supérieurement divine quelle a une opération divine, et il s’explique en disant que son opération est divine parce que c’est elle-même qui prépare la nature, c’est-à-dire dans la mesure où c’est elle-même qui est le principe du premier mouvement auquel toute la nature est soumise ; et cette opération, elle la possède parce qu’elle participe de la puissance de la cause première qui est la cause universelle de tout ce qui existe et d’où cette âme partage une certaine causalité universelle dans les choses naturelles. Et c’est pourquoi, lorsqu’il assigne la raison de cette opération convenant à l'âme divine, l’auteur dit qu' ¨elle est un exemplaire¨, c’est-à-dire une image, ¨de la puissance supérieure¨, c’est-à-dire de la puissance divine. L’universalité de la puissance divine se trouve en effet à être imitée par cette âme, c’est-à-dire de telle manière que tout comme Dieu est la cause universelle de tous les êtres, de même cette âme est la cause universelle de toutes les choses naturelles qui sont en mouvement.

Il pose que la deuxième opération de l’âme supérieure ou divine est intellectuelle, laquelle est certes intellectuelle, comme il l’explique lui-même, en ceci qu’elle connaît les choses parce qu’elle participe de la puissance de l’intelligence. Mais il montre pourquoi elle participe de la puissance de l’intelligence : c’est parce que cette âme est créée par la cause première par l’intermédiaire de l’intelligence. Il résulte de là que l’âme vient de Dieu comme de sa cause première et de l’intelligence comme de sa cause seconde. Tout effet cependant participe sous un rapport de la puissance de sa cause ; d’où il suit que l’âme, tout comme elle pose l’opération divine selon qu’elle vient de la cause première, de même elle pose l’opération de l’intelligence selon qu’elle vient d’elle en particicpant de sa puissance. Mais ce qui est dit ici, à savoir que la cause première a créé l’être de l’âme par l’intermédiaire de l’intelligence, certains l’ont mal interprété, croyant que selon l’auteur de ce livre les intelligences créent la substance de l’âme. Mais cela est contraire aux positions platoniciennes : celles-ci en effet soutenaient que ces causalités des êtres simples sont des causalités de participation ; mais l’être qui est participé n’est certes pas celui qui participe, mais c’est plutôt celui qui est premier de par son essence qui est tel : par exemple, si la blancheur existait séparément, ce serait la blancheur elle-même dans sa simplicitié qui serait la cause de toutes les choses blanches en tant qu’elles sont blanches et non pas quelque chose qui participe de la blancheur. À partir de là, les Platoniciens soutenaient que celui qui est l’être même est cause d’existence pour tout ce qui existe, que ce qui est la vie même est cause de vie pour tout ce qui vit, que ce qui est l’intelligence même est cause d’intellection pour tout ce qui intellige. C’est pourquoi Proclus dit à la proposition 18 de son livre : ¨Tout ce qui transmet l’être aux autres est lui-même le premier à être ce qu’il transmet à ceux qui bénéficient de sa transmission¨. Et Aristote est d’accord avec cette opinion lorsqu’il dit au livre 11 de sa Métaphysique que celui qui est l’être premier et le plus excellent est la cause de tout ce qui suit. Il faut donc comprendre par là, d’après ce qui a été dit, que l’essence même de l’âme est créée par la cause première qui est son être même, mais qu’elle tient ses participations ultérieures de quelques principes seconds, c’est-à-dire qu’elle tient la vie de la vie première et l’intellection de l’intelligence première ; et c’est pourquoi l’auteur de ce livre dit à la proposition 18 : ¨Toutes les choses tiennent leur être de l’être premier, les choses sont vivantes par la vie première et les réalités intellectuelles possèdent la science par l’intelligence première. Ainsi donc il entend, en disant que la cause première a créé l’être de l’âme par l’intermédiaire de l’intelligence, que la cause première seule a créé l’essence de l’âme ; mais que l’âme soit intellectuelle, elle tient cela de l’opération de l’intelligence. Et les paroles qui suivent montrent que cette interprétation est juste : Donc, dit-il, après que la cause première ait créé l’être de l’âme, elle la posa comme une matière pour l’intelligence, c’est-à-dire qu’elle la soumit à l’opération de l’intelligence, c’est-à-dire de telle manière que l’intelligence agisse sur son opération elle-même, lui donnant d’être intellectuelle. C’est pourquoi il conclut que c’est pour cette raison que l’âme intellectuelle produit une opération intellectuelle. Et cela s’accorde aussi avec ce qu’il a dit dans la proposition 1, à savoir que l’effet de la cause première préexiste à l’effet de la cause seconde et se répand plus universellement que lui. L’être en effet est ce qu’il y a de plus commun et la cause première le prodigue à tout ; mais l’intelligence ne communique pas à tous l’intellection, mais à certains en présupposant l’être qu’ils tiennent de la cause première. Mais il reste encore que cette position, si elle n’est pas interprétée correctement, répugne à la vérité et à la position d’Aristote qui argumente contre les Platoniciens au livre 3 de sa Métaphysique, lesquels soutenaient un ordre des causes séparées qui était conforme à ce qu’on attribue aux individus. Car il découle de cet ordre que Socrate soit plusieurs animaux, à savoir Socrate lui-même, l’homme séparé et l’animal séparé : en effet, puisque l’homme séparé participe de l’animal, il est lui-même un animal. Mais puisqu’il participe des deux, il résulte de là que Socrate est à la fois homme et animal. Donc Socrate ne serait pas véritablement un s’il tenait de l’un d’être animal et de l’autre d’être homme. Il résulte de là que puisque l’être intellectuel appartient à l’âme comme à titre de différence essentielle, si celle-ci tenait de l’un l’être et de l’autre sa nature intellectuelle, il s’ensuivrait que l’âme ne serait pas tout à fait une. Il faut donc dire que c’est de la cause première, d’où elle tient son essence, que l’âme tient aussi son intellectualité. Et cela s’accorde avec la position de Denys présentée plus haut, à savoir que ce ne sont pas des êtres autres qui sont tantôt le bien lui-même, tantôt l’être même, tantôt la vie même, tantôt la sagesse même, mais c’est d’un seul et même être, à savoir Dieu, que procèdent dans les choses à la fois l’être la vie et l’intellection, comme il le dit lui-même au même endroit. Et c’est pourquoi C’est pourquoi Aristote aussi, au douzième livre de sa Métaphysique, attribue à Dieu avec insistance l’intellection et la vie en disant que Dieu lui-même est vie et intelligence pour écartes les positions précédentes des Platoniciens. Cette proposition peut cependant se montrer vraie si on l’applique non pas à la nature intellectuelle, mais aux formes intelligibles que les âmes intellectuelles reçoivent par l’opération  des intelligences. C’est ainsi que Denys dit, au chapitre 1V des Noms Divins, que les âmes, par l’intermédiaire des Anges, deviennent participantes des illuminations qui émanent de Dieu.

Mais notre auteur affirme que la troisième opération de l’âme supérieure ou divine est l’opération animale. Et il explique que l’opération de l’animal consiste en ceci qu’elle est celle qui meut le corps premier et par conséquent tous les corps naturels. C’est elle en effet qui est la cause du mouvement dans les choses. Et il en donne la raison par la suite. En effet, parce que l’âme est une substance inférieure à l’intelligence, vu qu’elle reçoit une impression de l’intelligence, il s’ensuit qu’elle opère sur les choses qui lui sont subordonnées d’après une manière qui est inférieure à celle de l’intelligence agissant sur ce qui lui est soumis, car la cause première agit davantage que la cause seconde ainsi que nous l’avons vu dans la proposition 1. Mais l’intelligence produit sur les âmes une impression sans y provoquer un mouvement en tant qu’elle fait en sorte que l’âme connaisse, ce qui se fait sans mouvement.

Mais l’âme produit sur les corps une impression au moyen du mouvement et ce qui lui est soumis, à savoir le corps, ne reçoit l’impression de l’âme que dans la mesure où il est mû par elle. Et par la suite il donne la cause pour laquelle il faut dire que le mouvement des corps naturels vient de l’âme. Nous voyons en effet que tous les corps naturels parviennent directement, au moyen de leurs opérations et de leurs mouvements, aux fins attendues qui leur sont propres, ce qui ne pourrait se produire s’ils n’étaient pas dirigés dans leurs actes par un principe intelligent. Il apparaît à partir de là que le mouvement des corps vient de l’âme qui répand sur eux sa puissance en les mettant en mouvement. Mais cette position, à savoir que le mouvement du ciel vienne de l’âme, n’est pas confirmée par la foi ; mais Saint-Augustin laisse cette question en suspens au deuxième livre de La Genèse au sens littéral. Cependant, Saint-Augustin affirme au troisième livre De la Trinité et Saint-Grégoire au quatrième livre de ses Dialogues que toute la nature est dirigée par Dieu et que le mouvement de la créature corporelle vient de Dieu par l’intermédiaire des intelligences ou des Anges.

Et l’auteur termine à la fin son propos en disant que l’âme supérieure possède ces trois opérations. Et la position de Denys s’accorde avec ce qui a été dit au sujet de l’intelligence divine et de l’âme divine, lui qui, au chapitre 1V des Noms Divins, appelle esprits divins, c’est-à-dire intellects, les Anges supérieurs par lesquels les âmes participent du don déiforme selon leurs capacités ; mais cette divinité de l’Ange, Denys l’entend selon que l’Ange la reçoit de par son union à Dieu et non pas d’après une influence universelle qu’il exercerait sur les réalités créées. Cette union à Dieu est en effet plus divine car ce que l’Ange lui-même est en Dieu est plus grand que ce qu’il cause dans les autres êtres.

 

 

Lectio 4

[84239] Super De causis, l. 4 Postquam auctor huius libri distinxit triplicem gradum superioris esse et ostendit quomodo participative invenitur totum in infimo eorum, nunc intendit ostendere distinctionem secundi gradus, scilicet ipsius esse quod est cum aeternitate; nam primum gradum qui est causae primae ante aeternitatem existentis, praetermittit quasi indivisum, ut dictum est. In hoc tamen aliter procedit quam in aliis; nam in omnibus aliis praemittit propositionem et posita expositione propositionem praemissam probat, hic autem more dividentium primo praemittit quod commune est, secundo illud dividit, ibi: et esse creatum quamvis sit unum etc., tertio inter partes divisionis differentiam assignat, ibi: et omne quod ex eo sequitur et cetera. Id autem quod est commune omnibus intelligentiis distinctis est esse creatum primum, de quo quidem praemittit talem propositionem: prima rerum creatarum est esse et non est ante ipsam creatum aliud. Et hanc etiam propositionem Proclus in suo libro ponit CXXXVIII, sub his verbis: omnium participantium divina proprietate et deificatorum primum est et supremum ens. Cuius quidem ratio est, secundum positiones Platonicas, quia, sicut supra dictum est, quanto aliquid est communius, tanto ponebant illud esse magis separatum et quasi prius a posterioribus participatum, et sic esse posteriorum causam. In ordine autem eorum quae de rebus dicuntur, communissimum ponebant unum et bonum, et communius etiam quam ens, quia bonum vel unum de aliquo invenitur praedicari de quo non praedicatur ens, secundum eos, scilicet de materia prima quam Plato coniungebat cum non ente, non distinguens inter materiam et privationem, ut habetur in I physicorum, et tamen materiae attribuebat unitatem et bonitatem, in quantum habet ordinem ad formam; bonum enim non solum dicitur de fine sed de eo quod est ad finem. Sic igitur summum et primum rerum principium ponebant Platonici ipsum unum et ipsum bonum separatum, sed post unum et bonum nihil invenitur ita commune sicut ens; et ideo ipsum ens separatum ponebant quidem creatum, utpote participans bonitatem et unitatem, tamen ponebant ipsum primum inter omnia creata. Dionysius autem ordinem quidem separatorum abstulit, sicut supra dictum est, ponens eumdem ordinem quem et Platonici in perfectionibus quae ceterae res participant ab uno principio, quod est Deus; unde in IV capitulo de divinis nominibus, praeordinat nomen boni in Deo omnibus divinis nominibus, et ostendit quod eius participatio usque ad non ens extenditur, intelligens per non ens materiam primam. Dicit enim: et, si est fas dicere, bonum quod est super omnia existentia et ipsum non existens desiderat. Sed inter ceteras perfectiones a Deo participatas in rebus, primo ponit esse; sic enim dicit V capitulo de divinis nominibus: ante alias Dei participationes esse propositum est, et est ipsum secundum se esse senius, eo quod est per se vitam esse, et eo quod est per se sapientiam esse, et eo quod est per se divinam similitudinem esse. Secundum quem modum etiam auctor huius libri hoc intelligere videtur. Dicit enim quod hoc ideo est quia esse est supra sensum et supra animam et supra intelligentiam. Et quomodo sit supra ista, ostendit subdens: et non est post causam primam latius, id est aliquid communius, et per consequens neque prius causatum ipso; causa autem prima est latior quia extendit etiam se ad non entia secundum praedicta. Et ex hoc concludit quod, propter illud quod dictum est, ipsum esse factum est superius omnibus rebus creatis, quia scilicet inter ceteros Dei effectus communius est, et est etiam vehementius unitum, id est magis simplex; nam ea quae sunt minus communia videntur se habere ad magis communia per modum additionis cuiusdam. Videtur tamen non esse eius intentio ut loquatur de aliquo esse separato, sicut Platonici loquebantur, neque de esse participato communiter in omnibus existentibus, sicut loquitur Dionysius, sed de esse participato in primo gradu entis creati, quod est esse superius. Et, quamvis esse superius sit et in intelligentia et in anima, tamen in ipsa intelligentia prius consideratur ipsum esse quam intelligentiae ratio, et similiter est in anima; et propter hoc praemisit quod est supra animam et supra intelligentiam. De hoc igitur esse in intelligentiis participato, rationem assignat quare sit maxime unitum. Dicit enim quod hoc contingit propter propinquitatem suam primae causae quae est esse purum subsistens et est vere unum non participatum in quo non potest aliqua multitudo inveniri differentium secundum essentiam; quod autem est propinquius ei quod est per se unum, est magis unitum quasi magis participans unitatem; unde intelligentia quae est propinquissima causae primae habet esse maxime unitum. Deinde cum dicit: et ipsum quidem non est factum multa etc., ostendit rationem distinctionis quae potest esse in intelligentiis secundum essentiam. Ubi considerandum est quod, si aliqua forma vel natura sit omnino separata et simplex, non potest in ea cadere multitudo, sicut, si aliqua albedo esset separata, non esset nisi una: nunc autem inveniuntur multae albedines diversae quae participant albedinem. Sic igitur, si esse creatum primum esset esse abstractum, ut Platonici posuerunt, tale esse non posset multiplicari, sed esset unum tantum. Sed, quia esse creatum primum est esse participatum in natura intelligentiae, multiplicabile est secundum diversitatem participantium. Et hoc est quod dicit: et ipsum quidem, scilicet esse creatum primum, non est factum multa, id est distinctum in multas intelligentias, nisi quia, licet ipsum sit simplex et non sit in creatis aliquid simplicius eo, tamen est compositum ex finito et infinito. Quam quidem compositionem etiam Proclus ponit LXXXIX propositione, dicens: omne enter ens ex fine est et infinito. Quod quidem secundum ipsum sic exponitur: omne enim immobiliter ens infinitum est secundum potentiam essendi; si enim quod potest magis durare in esse est maioris potentiae, quod potest in infinitum durare in esse est, quantum ad hoc, infinitae potentiae. Unde ipse praemisit in LXXXVI propositione: omne enter ens infinitum est, non secundum multitudinem, neque secundum magnitudinem, sed secundum potentiam solam, scilicet existendi, ut ipse exponit. Si autem aliquid sic haberet infinitam virtutem essendi quod non participaret esse ab alio, tunc esset solum infinitum; et tale est Deus, ut dicitur infra in 16 propositione. Sed, si sit aliquid quod habeat infinitam virtutem ad essendum secundum esse participatum ab alio, secundum hoc quod esse participat est finitum, quia quod participatur non recipitur in participante secundum totam suam infinitatem sed particulariter. In tantum igitur intelligentia est composita in suo esse ex finito et infinito, in quantum natura intelligentiae infinita dicitur secundum potentiam essendi; et ipsum esse quod recipit, est finitum. Et ex hoc sequitur quod esse intelligentiae multiplicari possit in quantum est esse participatum: hoc enim significat compositio ex finito et infinito. Deinde cum dicit: et omne quod ex eo sequitur etc., ostendit differentiam inter membra divisionis, id est inter intelligentias multiplicatas, et hoc tripliciter: primo quidem quantum ad diversam perfectionem earum, secundo quantum ad influentiam quarumdam super alias, ibi: et intelligentiae primae etc., tertio quantum ad effectum intelligentiarum in animabus et hoc in sequenti propositione quae in quibusdam libris invenitur coniuncta cum isto commento, et incipit: intelligentiae superiores et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit differentiam, secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: et quia diversificatur et cetera. Circa primum ergo considerandum est quod duplicem differentiam intelligentiarum assignat, unam quidem quantum ad naturam ipsarum, aliam vero quantum ad species intelligibiles per quas intelligunt. Quantum autem ad naturas ipsarum, necesse est quod naturae earum diversificentur secundum ordinem quemdam. Non enim est in eis materialis differentia sed formalis; non enim sunt compositae ex materia et forma, sed ex natura, quae est forma, et esse participato, ut dictum est. In his autem quae materialiter differunt nihil prohibet inveniri multa ex aequo se habere, nam in substantiis individua unius speciei aequaliter speciei rationem participant; in accidentibus etiam possibile est diversa subiecta aequaliter participare albedinem. Sed in his quae formaliter differunt, semper quidam ordo invenitur. Si quis enim diligenter consideret, in omnibus speciebus unius generis semper inveniet unam alia perfectiorem, sicut in coloribus albedinem et in animalibus hominem. Et hoc ideo quia quae formaliter differunt, secundum aliquam contrarietatem differunt; est enim contrarietas differentia secundum formam, ut philosophus dicit in X metaphysicae. In contrariis autem semper est unum nobilius et aliud vilius, ut dicitur in I physicorum, et hoc ideo quia prima contrarietas est privatio et habitus, ut dicitur in X metaphysicae. Et propter hoc in VIII metaphysicae philosophus dicit quod species rerum sunt sicut numeri, qui specie diversificantur secundum additionem unius super alterum. Manifestum est autem quod quanto aliquid est perfectius, tanto propinquius est uni perfectissimo; unde hanc differentiam ponit quantum ad intelligentiarum naturam, quod illud esse intellectuale quod immediate assequitur causam primam, est intelligentia completa ultima completione quantum ad esse creatum in potentia essendi et in reliquis bonitatibus consequentibus, illud vero esse intellectuale quod est inferius in ordine intelligentiarum, retinet quidem naturam et rationem intelligentiae, sed tamen est sub superiori intelligentia in complemento naturae et in virtute essendi et operandi et in omnibus bonitatibus sive perfectionibus. Quantum autem ad secundam differentiam quae est ex speciebus intelligibilibus, supponit quod intelligentiae per quasdam species intelligibiles intelligant et quod huiusmodi intelligibiles species maiorem habeant amplitudinem et universalitatem quam in inferioribus intelligentiis, et hoc quidem nunc indiscussum dimittatur; manifestabitur enim infra in 10 propositione quae tota super hoc procedit. Deinde cum dicit: et quia diversificatur intelligentia etc., removet quamdam dubitationem. Quia enim dixerat species intelligibiles in superioribus et inferioribus intelligentiis esse differentes, posset hoc alicui falsum videri propter hoc quod res intellecta est una; et ideo ostendit quomodo huiusmodi species intelligibiles diversificentur. Et primo inducit ad hoc quoddam exemplum; secundo ostendit differentiam, ibi: verumtamen quamvis diversificentur et cetera. Circa primum considerandum est quod, sicut supra dictum est, Platonici ponebant formas rerum separatas per quarum participationem intellectus fierent intelligentes actu, sicut per earum participationem materia corporalis constituitur in hac vel illa specie. Et idem sequitur si non ponamus plures formas separatas, sed, loco omnium illarum, ponamus unam primam formam ex qua omnia deriventur, sicut supra dictum est secundum sententiam Dionysii, quam videtur sequi auctor huius libri nullam distinctionem ponens in esse divino. Sic igitur cum intelligentiae sint diversae secundum essentiam, ut supra dictum est, oportet quod formae intelligibiles participatae sint diversae et differentes in diversis intelligentiis, sicut etiam diversae formae participatae in hoc mundo sensibili inveniuntur secundum diversitatem individuorum participantium formas praedictas. Deinde cum dicit: verumtamen quamvis diversificentur etc., ostendit diversitatem in praedicto exemplo. Formae enim sensibiles participatae in diversis individuis sunt formae individuatae et ab invicem seiunguntur ea seiunctione qua unum individuum seiungitur ab alio, ita quod ambae formae non pertinent ad existentiam unius rei sed diversarum. Non sic autem seiunguntur formae intelligibiles ex eo quod sunt in diversis intelligentiis sive intellectibus, quia non efficiuntur per hoc formae individuales, sed retinent vim suae universalitatis in quantum quaelibet earum in intellectu cui inest causat universalem cognitionem eiusdem rei intellectae. Et huius ratio ex supra dictis apparet. Cum enim formae rerum, sive sint divisim per se stantes, sive uniantur in uno primo, habeant esse universalissimum et divinum, manifestum est quod, quanto magis appropinquantur ad hoc universalissimum esse formarum, tanto formae sunt universaliores; et secundum hoc dixit quod formae participatae in superioribus intellectibus sunt universaliores. Id autem quod est infimum in rebus est materia corporalis, unde recipit huiusmodi formas ut particulares absque omni universalitate. Et hoc est quod dicit quod, quamvis formae intelligibiles diversificentur in diversis intelligentiis, tamen non hoc modo dividuntur ab invicem sicut dividuntur diversa individua in rebus sensibilibus, quia simul habent unum cum multitudine, unum quidem ex parte universalitatis, multitudinem autem secundum diversum modum participationis in diversis intellectibus. Et per hoc totaliter excluditur ratio Averrois volentis probare unitatem intellectus per unitatem intelligibilis formae; existimavit enim quod, si formae intelligibiles sunt diversae in diversis intellectibus, (quod) sint individuatae et intelligibiles in potentia, non in actu: quod per praemissa frivolum esse patet. Deinde cum dicit: et intelligentiae primae etc., ponit secundam differentiam quae sequitur ex prima. Invenimus enim in quolibet rerum ordine quod id quod est in actu agit in id quod est in potentia; semper autem quod est perfectius comparatur ad minus perfectum ut actus ad potentiam; et ideo perfectiora in quolibet genere nata sunt agere in imperfectiora. Cum igitur superiores intelligentiae sint completiores in virtute et reliquis bonitatibus intelligentiis inferioribus, consequens est quod, sicut prima causa influit in superiores intelligentias, ita superiores intelligentiae influant in inferiores et sic usque ad ultima.

4) La première des choses créées est l'être et avant lui il n'y a pas d’autre chose qui soit créée.

 

Après avoir distingué les trois degrés de l'être supérieur et montré comment tout se retrouve par participation dans le dernier degré, l’auteur de ce livre cherche à manifester en quoi se distingue le deuxième degré, à savoir ¨l’être qui est avec l’éternité¨ et il passe sous silence, parce qu’il est indivisé ainsi qu’il a été dit, le premier degré qui est celui de la cause première qui existe avant l’éternité. Ce faisant, il procède cependant différemment qu'il ne le fait ailleurs car dans tous les autres cas il présente la proposition et l’ayant expliquée il la démontre, alors qu’ici, par mode de division, il présente d’abord ce qui est commun puis en deuxième lieu il le divise là où il dit : et bien que l’être créé soit un etc. ; en troisième lieu il assigne une différence entre les parties de la division, là où il dit : et tout ce qui suit de là etc. Mais ce qui est commun à toutes les intelligences distinctes, c’est l’être créé premier, au sujet duquel il présente cette proposition : la première des choses créées est l’être et rien d’autre n’est créé antérieurement à lui.

Proclus aussi présente cette même vérité dans son livre à la proposition 138, et il le fait en ces termes : ¨L’être est ce qu’il y a de premier et de plus excellent chez ceux qui participent de la divinité et qui en sont ainsi divinisés. La raison en est, selon les positions des Platoniciens dont nous avons parlé plus haut, que plus quelque chose est commun, plus il est séparé et comme participé antérieurement par ce qui est second, et en est ainsi la cause. Mais dans l’ordre de ce qui est attribué aux choses, ils affirmaient que l’un et le bien sont ce qu’il y a de plus commun et plus commun même que l’être car selon eux le bien et l’un se trouvent à être attribués même à ce qui ne reçoit pas l’attribution de l’être, à savoir à la matière première que Platon confondait avec le non-être puisqu’il ne distinguait pas la matière première de la privation, comme on l’établit au premier livre de la Physique, et il attribuait cependant l’unité et la bonté à la matière première selon qu’elle est ordonnée à la forme ; le bien en effet ne se dit pas seulement de la fin mais aussi de ce qui est en vue de la fin. Ainsi donc les Platoniciens soutenaient que le plus grand et le premier principe des choses est l’un-bien séparé.  Mais après l'un-bien, rien ne se trouve à être plus commun que l’être ; et c’est pourquoi ils affirmaient que l’être séparé lui-même est créé, comme participant de la bonté et de l’unité, mais au premier rang parmi tout ce qui est créé. Denys supprima l’ordre de toutes ces réalités séparées, comme on l’a dit plus haut, en affirmant que ce même ordre que les Platoniciens posaient dans les perfections dont les autres choses participent, provient d’un seul et mêm principe qui est Dieu ; c’est pourquoi, au chapitre 1V des Noms Divins, parmi tous les noms divins atribués à Dieu, il privilégie le nom de Bien et il montre que la participation du bien s’étend jusqu’au non-être, entendant par non-être la matière première. Il dit en effet : ¨Et, s’il est permis de parler ainsi, elle, qui n’existe pas, désire le bien qui est au-dessus de tout ce qui existe¨. Mais parmi toutes les autres perfections que les choses participent de Dieu, Denys pose d'abord l’être. C’est ainsi en effet qu’il parle au chapitre V des Noms Divins : ¨L’être est la première de toutes les  participations de Dieu,  et elle est en elle-même plus ancienne que la vie par soi, que la sagesse par soi, que la similitude divine par soi¨.

Et voici la manière selon laquelle l’auteur de ce livre semble entendre ce qu’il vient de dire : Il dit en effet qu’il en est ainsi parce que l’être transcende le sens, l’âme et l’intelligence. Et comment il les transcende, il le montre en ajoutant : ¨et après la cause première, il n’y a rien de plus vaste¨, c’est-à-dire rien de plus commun et par conséquent aucun effet n’est antérieur à lui ; la cause première est plus vaste que lui parce qu’elle s’applique même au non-être, conformément à ce qui a été dit. Et il conclut à partir de là que, à cause de ce qui a été dit, l’être lui-même ¨a été fait au-dessus de toutes les choses créées¨, c’est-à-dire parce que parmi tous les effets de Dieu il est le plus commun, et qu’il est aussi ce qu’il y a de plus puissamment un, c’est-à-dire de plus simple ; car ce qui est moins commun semble se rapporter à ce qui est plus commun à la manière d’une addition. Il semble cependanat que son intention ne soit pas de parler d’un être séparé comme le faisaient les Platoniciens, ni d’un être commun participé universellement dans tout ce qui existe comme le fait Denys, mais de l’être participé dans le premier degré de l’être crée, à savoir l’être supérieur. Et bien que l’être supérieur se retrouve dans l'intelligence et dans l’âme, cependant l’être même est considéré dans l'intelligence, tout comme dans l’âme, antérieurement à la notion d'intelligence. Et c'est pour cette raison qu’il place l’être au-dessus de l’intelligence et de l’âme.

Puis il donne la raison pour laquelle l'être participé dans les intelligences est suprêmement un. Il dit en effet qu’il en est ainsi pour cet être en raison de sa proximité de la cause première qui est l’être pur subsistant, c’est-à-dire l’un véritable non participé dans lequel on ne peut retrouver une multiplicité de différences selon l’essence ; or ce qui est le plus rapproché de l’un par soi est lui-même davantage un car il participe davantage de l’unité; il résulte de là que l’intelligence, qui est la plus proche de la casue première, possède une existence qui est suprêmement une.

 Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Et lui-même n’a pas été fait multiple etc.¨, il manifeste la raison de la distinction essentielle qui peut exister entre les intelligences. Il faut considérer ici que s’il existait une forme ou une nature entièrement séparée et simple, on ne pourrait retrouver en elle une multiplicité tout comme, s’il existait une blancheur séparée, il n’y en aurait qu’une seule alors que se présente maintenant sous nos yeux de nombreuses et différentes blancheurs qui participent de la blancheur. Ainsi donc, si le premier être créé était un être séparé, comme les Platoniciens le soutenaient, un tel être ne pourrait être multiplié et il n’y en aurait qu’un seul. Mais parce que le premier être créé est un être qui est participé dans la nature de l’intelligence, il est multipliable selon la diversité de ceux qui en participent. Et c’est là ce que l’auteur dit : ¨Et lui-même certes¨, à savoir l’être créé premier ¨n'a pas été fait multiple¨, c'est-à-dire n’a pas été différencié en de nombreuses intelligences, ¨si ce n’est que, bien qu’il soit simple en lui-même et qu'il n'y ait rien dans la nature créée qui soit plus simple que lui, il est cependant composé de fini et d'infini¨. Proclus aussi présente cette composition dans la proposition 89 des Eléments lorsqu’il dit : ¨Tout être véritable est formé de fini et d'infini¨. Et voici comment il explique cela : tout ce qui existe de manière immobile est infini selon sa puissance d’exister; si en effet ce qui peut durer davantage dans l'existence est d'une plus grande puissance, ce qui peut durer à l’infini dans l’existence est d'une puissance infinie1. D'où l’énoncé que lui-même présente dans la proposition 86 : ¨Tout être véritable est infini, non pas selon la multiplicité ou selon la grandeur, mais selon une seule puissance, à savoir celle d’exister¨, ainsi qu’il l’explique lui-même. Mais si un être possédait une telle puissance infinie d’exister sans la participer d’un autre, il serait alors le seul être à être infini; et tel est Dieu, comme on le dit plus loin à la proposition 16. Mais s’il existe un être qui possède une puissance infinie à exister d’après une existence qu’il participe d’un autre,  il est fini en tant qu’il participe de cette existence, car ce n’est pas selon toute son infinité que ce qui est participé est reçu dans celui qui en participe, mais partiellement. Donc, l’intelligence est d’autant plus composée dans son existence de fini et d’infini que la nature de l’intelligence est dite infinie selon sa puissance d’exister et que son existence même est dite finie en tant qu’elle est reçue d’un autre. Et il découle de là que l’existence de l’intelligence est multipliée selon qu’elle est une existence participée : c’est ce que signifie en effet la composition du fini et de l’infini.

Ensuite lorsqu’il dit : ¨Et tout ce qui découle de lui etc.¨, il manifeste la différence qui existe entre les membres de la division, c’est-à-dire entre les intelligences multipliées, et il le fait de trois manières : quant à leurs différentes perfections, quant l’influence qu’elles exercent sur les autres intelligences, là où il dit : ¨Et les intelligences premières exercent une influence etc.¨, et enfin quant à aux effets que ces mêmes intelligences produisent sur les âmes. Ce dernier point est traité dans la proposition suivante qui dans certains livres se trouve à être rattachée à ce commentaire et qui commence ainsi : ¨Et les intelligences supérieures etc. Au sujet du premier point il fait deux choses : premièrement il montre la différence quant aux perfections possédées par les intelligences ; deuxièmement il écarte une difficulté là où il dit : ¨Et parce que l'intelligence se diversifie etc.

Au sujet du premier point, il faut donc considérer qu'il donne deux différences entre les intelligences : la première quant à la nature de celles-ci; la deuxième quant aux espèces intelligibles par lesquelles elles intelligent. Quant à leur nature cependant, il est nécessaire que les intelligences se différencient selon un certain ordre. Il n’y a pas entre elles en effet une différence matérielle, mais une différence formelle ; en effet, elles ne sont pas composées de matière et de forme, mais d’une nature, qui est une forme, et d’une existence participée, ainsi que nous l’avons dit.

Mais dans les choses qui diffèrent par la matière, rien n’empêche de trouver une multiplicité d’individus égaux car dans le genre des substances matérielles; dans l’ordre des accidents par ailleurs, il est aussi possible que divers sujets participent également de la blancheur par exemple. Cependant, dans les choses qui différent formellement, on trouve toujours un certain ordre. Si on examine attentivement la chose, parmi toutes les espèces d’un même genre on en retrouve toujours une qui est plus parfaite qu’une autre, comme c’est le cas pour la blancheur par rapport aux couleurs et pour l’homme par rapport aux animaux. Et il en est ainsi parce que les choses qui différent formellement différent selon quelque contrariété : la contrariété est une différence formelle, comme le dit le philosophe au livre X de sa Métaphysique.

 Mais parmi les contraires, il y en a toujours un qui est supérieur et l’autre inférieur, comme le Philosophe le dit au premier livre de la Physique et il en est ainsi parce que la première des contrariétés est celle de la privation et de la possession comme on le dit au livre X de la Métaphysique. Et c'est pour cette raison que le Philosophe dit au huitième livre de la Métaphysique que les espèces des choses sont comme les nombres qui différent d’espèce par l’addition d’une unité à un autre nombre. Il est cependant manifeste que plus un être est parfait, plus il est proche de l’un qui est le plus parfait. D’où lauteur pose cette différence quant à la nature des intelligences, à savoir que l’être intellectuel qui suit immédiatement « la cause première, est une intelligence d’un achèvement accompli par excellence, quant à son existence créée, à la fois dans sa puissance d’exister, et dans les autres perfections qui en découlent; mais pour ce qui est de lêtre intellectuel qui est inférieur dans l’ordre des intelligences, il conserve certes la nature de l'intelligence, mais demeure subordonné à l’intelligence supérieure à la fois quant à l’achèvement de sa nature, quant à la puissance d’exister et d’opérer, et quant aux autres biens ou perfections.

Pour ce qui est de la deuxième différence tirée des espèces intelligibles, elle suppose que les intelligences intelligent au moyen de certaines espèces intelligibles et que ces dernières possèdent une plus grande extension et une plus grande universalité dans les intelligences supérieures que dans les intelligences inférieures. L'auteur reporte à plus tard l’étude de ce point qui n’est pas examiné ici mais qui sera manifesté plus loin à la proposition 10 qui est entièrement consacrée à ce sujet.

Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Et parce que les intelligences se différencient etc.¨, il écarte une difficulté. En effet, parce qu’il avait dit que les espèces intelligibles sont différentes dans les intelligences qui sont supérieures et dans celles qui sont inférieures, cela pourrait sembler faux à certains du fait que la réalité intelligée demeure une. Et c’est pourquoi il manifeste la manière selon laquelle ces espèces intelligibles  se trouvent à différer dans des intelligences différentes. Et pour le montrer, il introduit en premier lieu un exemple, puis en deuxième lieu il manifeste la différence là où il dit : ¨Il est cependant vrai que bien qu’elles soient différentes etc.¨.  Au sujet du premier point il faut considérer, comme nous l’avons dit plus haut, que les Platoniciens affirmaient que les formes des choses sont séparées et que c’est en participant de ces formes que les intelligences en viennent à intelliger en acte, tout comme c’est en participant de ces formes que la matière corporelle en vient à être constituée en telle ou telle autre espèce. Et la conséquence est la même si, au lieu de poser une multiplicité de formes séparées, nous posons une seule forme première et séparée de laquelle découlent toutes les autres, comme nous l’avons dit plus haut conformément à la position de Denys que semble suivre l’auteur de ce livre qui ne pose aucune distinction dans l’être divin.

Ainsi donc, puisque les intelligences diffèrent par l’essence comme on l’a dit plus haut, il faut que les formes intelligibles participées soient diverses et différentes dans les intelligences différentes tout comme les différentes formes participées se rencontrent en ce monde conformément à la diversité des individus qui participent de ces formes. Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Il est cependant vrai, bien qu’elles diffèrent etc. », il manifeste cette diversité dans l’exemple précédent. En effet, les formes sensibles dont participent les différents individus sont des formes individuées qui se distinguent les unes des autres par cette même distinction par laquelle un individu se distingue d’un autre de telle manière que deux formes ne se rapportent pas à l’existence d’une seule et même chose, mais à celle de choses différentes. Ce n’est cependant pas ainsi que les formes intelligibles se distinguent, c’est-à-dire du fait qu'elles sont dans des intelligences ou des intellects différents car elles ne deviennent pas à cause de cela individuelles; mais elles retiennent la puissance de leur universalité dans la mesure où chacune d’elles cause, dans l’intelligence à laquelle elle appartient, une connaissance universelle de la même chose intelligée. Et la raison de cela devient évidente à partir de ce que nous avons dit plus haut. En effet, puisque les formes des choses, qu’elles se tiennent d’elles-mêmes séparément ou qu’elles soient unies dans le seul premier Principe, possèdent l’existence la plus universelle et divine, il est clair que plus les formes s’approchent de cette existence la plus universelle des formes, plus elles sont universelles. C’est en ce sens qu’il a dit plus haut que les formes qui sont participées par les intelligences supérieures sont plus universelles. Mais la matière corporelle est ce qui est dernier dans l’ordre des choses et c’est pourquoi elle reçoit les formes sans aucune universalité, en tant qu’elles sont particulières. Et c’est cela que l’auteur dit, à savoir que bien que les formes intelligibles se distinguent dans les différentes intelligences, elles ne se distinguent pas les unes des autres de la même manière que le font les différents individus dans les choses sensibles car elles possèdent simultanément l’unité et la multiplicité : l’unité bien sûr du côté de l’universalité et la multiplicité d’après une modalité différente de participation propre à chaque intelligence différente. Et en disant cela, l’auteur exclut totalement le raisonnement d’Averroès qui voulait prouver l’unité de l’intelligence en s’appuyant sur l’unité de la forme intelligible. Ce dernier en effet croyait que si les formes intelligibles sont différentes dans les différentes intelligences, elles sont alors individuées et intelligibles en puissance seulement et non en acte, ce qui apparaît léger au moyen de ce qui a été dit.

Ensuite lorsqu’il dit : ¨Et les intelligences premières etc, il présente la deuxième différence qui découle de la première. Dans tout ordre de choses en effet nous voyons que ce qui est en acte agit sur ce qui est en puissance ; or, ce qui est plus parfait se compare toujours à ce qui est moins parfait comme l’acte se compare à la puissance ; c’est pourquoi, en tout genre, les réalités plus parfaites agissent par nature sur celles qui sont plus imparfaites. Donc, puisque les intelligences supérieures sont plus accomplies que les inférieures en puissances et autres biens, il s’ensuit que tout comme la cause première répand son influence bienveillante sur les intelligences supérieures, ces dernières font de même pour les intelligences inférieures et il en est ainsi jusqu’à la dernière intelligence.

 

Lectio 5

[84240] Super De causis, l. 5 Postquam in praecedenti propositione manifestavit auctor distinctionem intelligentiarum, hic agit de distinctione animarum, quam quidem assignat secundum differentiam intelligentiarum eas quodammodo causantium secundum eius positionem. Unde quod hic agitur de distinctione animarum potest referri ad distinctionem intelligentiarum secundum quod distinctio causarum manifestatur per distinctionem effectuum. Unde et in quibusdam libris haec non ponitur propositio per se, sed adiungitur commento praecedentis propositionis; quod etiam apparet ex epilogo quod hic ponitur, quod commune est utrique propositioni. Est autem propositio talis: intelligentiae superiores primae imprimunt formas secundas, stantes, quae non destruuntur ita ut sit necessarium iterare eas vice alia. Intelligentiae autem secundae imprimunt formas declines, separabiles, sicut est anima. Huic autem propositioni Proclus ponit duas propositiones correspondentes, scilicet CLXXXII, quae talis est: omnis divinus intellectus ab animabus divinis participatur, et CLXXXIII, quae talis est: omnis intellectus participatus quidem intellectualis autem solum, participatur ab animabus neque divinis neque factis in transmutatione intellectus et ignorantiae. Ad evidentiam autem huius propositionis tria oportet considerare: primo quidem de impressione animae, secundo de distinctione animarum, tertio de differentia animarum distinctarum. Circa impressionem vero animae primo oportet considerare quomodo animae conveniat imprimi, secundo a quo imprimatur. Quod autem animae conveniat imprimi, manifeste apparet si quis impressionis rationem consideret, ad quam duo requiruntur: primo quidem ut quod est impressum sit in aliquo existens, secundo ut non sit in eo superficialiter secundum extrinsecum contactum solum, sed sit intimum quasi penetrans in profundum. Et haec duo conveniunt animae secundum propriam eius rationem. Dictum est enim supra in 3 propositione quod operatio propria animae est ut moveat corpus, eo quod operatio ipsius animae est infra operationem propriam intelligentiae, cuius est cognoscere res absque motu; oportet autem principium motus applicari mobili quia, ut probatur in VII physicorum, movens et motum sunt simul; unde animae secundum propriam rationem convenit in corpore mobili esse. Motus autem quo anima movet corpus est motus viventis corporis, qui quidem non est a movente extrinseco, sicut motus violentus vel sicut motus levium et gravium a generante, sed est a movente intrinseco; unde res vivae dicuntur seipsas movere. Et ideo oportet animam quae movet corpus, esse in corpore intrinsecus ei unitam, et propter hoc dicitur esse impressa. Si autem quaeratur a quo sit impressa, secundum opinionem auctoris huius libri impressa est ab intelligentia. Dicit enim: ipsa namque, scilicet anima inferior, est ex impressione intelligentiae secundae, id est secundi ordinis intelligentiarum, quae, scilicet intelligentia secunda, sequitur esse creatum inferius, id est in inferiori parte ipsius esse primi creati quod est esse intelligentiarum; vel, hoc quod dicit: quae sequitur esse etc., potest referri ad animam, quae est infra aeternitatem intelligentiae, ut in 2 propositione dictum est. Sed haec sententia non est usquequaque rata. Possumus enim loqui de animae impressione dupliciter: uno modo ex parte ipsius animae impressae, alio modo ex parte materiae cui imprimitur. Et haec quidem distinctio locum habet in qualibet anima per se stante, qualis est quaelibet anima intelligens, ut infra patebit, quia esse substantiae eius non totaliter consistit in unione sui ad materiam corporalem, sicut esse animae non subsistentis quales sunt animae brutorum et plantarum, unde in his praedicta distinctio necessaria non est, quia simul consideratur esse talium animarum et ex parte materiae recipientis et ex parte ipsius animae. Si ergo loquamur de anima per se stante scilicet intellectuali quacumque, sive caelesti si ponantur corpora caelestia animata secundum quod auctor huius libri supponit, sive de anima humana ex parte ipsius animae, tunc secundum radices positionum Platonicarum, quas in multis auctor huius libri sequitur, talis anima est ex impressione intelligentiae quia, sicut supra dictum est in 3 propositione, Platonici posuerunt quod ab alio principio causatur in aliqua re id quod est commune, et ab alio inferiori principio id quod est magis proprium. Secundum hoc igitur anima per se stans suum esse habet a prima causa, quod autem sit intellectualis et quod sit anima habet a secundis causis quae sunt intelligentiae; unde, cum ad rationem animae pertineat quod sit corpori impressa, consequens erit quod haec anima ab intelligentia habeat scilicet quod sit corpori impressa. Sed, quia, sicut supra ostendimus, praedicta positio veritatem non habet et contrariatur sententiae Aristotelis, oportet dicere quod a prima causa a qua talis anima habet suum esse habeat etiam quod sit intellectualis et quod sit anima et per consequens quod sit corpori impressa; est ergo secundum hoc anima non ex impressione intelligentiae sed ex impressione causae primae. Si vero loquamur de anima huiusmodi ex parte susceptibilis cui imprimitur, sic quantum ad animam caelestem, si caelum haberet animam, esset similis ratio; non enim natura caelestium corporum aliquo modo ab intelligentiis causatur, sed a causa prima a qua habent esse. Sed, si loquamur de anima humana ex parte susceptibilis, sic aliquo modo est ex impressione intelligentiae, in quantum scilicet ipsum corpus humanum disponitur ad hoc quod sit susceptivum talis animae per virtutem caelestis corporis operantem in semine, ratione cuius dicitur quod homo generat hominem et sol; corpora autem caelestia, etiam secundum doctores fidei Christianae, scilicet Augustinum et Gregorium, ponuntur a creaturis spiritualibus moveri, quae dicuntur Angeli sive intelligentiae vel intellectus separati; et ex hoc sequitur quod intelligentiae aliquid operentur ad hoc quod anima humana corpori imprimatur ex parte susceptibilis. Et per hunc modum potest dici quod aliae animae quae non sunt per se stantes, sunt ex impressione intelligentiarum et caelestium corporum. Deinde restat considerandum de secundo, scilicet de distinctione animarum. Et ponit eamdem rationem distinctionis sive multiplicationis in animabus quam in intelligentiis posuerat: sicut enim esse intelligentiae compositum est ex infinito et finito, in quantum esse eius non est subsistens sed participatum ab aliqua natura ratione cuius potest distingui in multa, ita etiam est et de esse animae. Et hoc est quod dicit: et non multiplicantur animae nisi per modum quo multiplicantur intelligentiae, quod est quia esse animae iterum habet finem, sed quod ex eo est inferius est infinitum. Inferius autem dicit ipsam naturam participantem esse, quam vocat infinitum propter virtutem ad durandum in esse in infinitum; ipsum autem esse participatum vocat finitum quia non participatur secundum totam infinitatem suae universalitatis sed secundum modum naturae participantis. Est tamen advertendum quod, quia natura intelligentiae est penitus absoluta a corpore, distinctio intelligentiarum attenditur secundum gradum naturae propriae absque comparatione ad aliqua corpora. De ratione vero animae est quod sit corpori impressa, et ideo distinctio animarum attenditur secundum comparationem ad corpora animata. Unde, si corpora animata sunt diversarum specierum, animae eis impressae erunt diversae secundum speciem, sicut oporteret dicere si corpora caelestia essent animata; si autem corpora animata sunt unius speciei, animae etiam impressae sunt unius speciei multiplicatae numero solo, sicut patet de animabus humanis. Deinde considerandum est tertium, scilicet differentia animarum distinctarum. Et ponit tres differentias, quarum prima accipitur secundum diversam perfectionem animarum. Dicit enim quod animae, scilicet superiores sicut sunt caelestium corporum, quae sequuntur intelligentiam, quasi immediate post eam ordinatae, sunt completae, scilicet in perfectione naturae animalis. Et signum perfectionis ostendit, subdens: paucae declinationis et separationis. Dictum est enim supra in 2 propositione, quod anima in quantum deficit a complemento intelligentiae appropinquat ad motum; et ideo, quanto animae fuerint altiores et intelligentiae propinquiores, tanto minus habent de motu. Animae enim inferiores habent motum non solum quantum ad hoc quod movent corpus, sed etiam quantum ad hoc quod non semper sunt coniunctae suis corporibus et quod non semper intelligunt; sed animae superiores semper sunt coniunctae suis corporibus et semper sunt intelligentes, habent tamen de motu hoc quod movent caelestia corpora. Et ideo dicit quod sunt paucae declinationis, quia parum declinant ab immobilitate intelligentiae, et paucae separationis, quia parum in diversa separantur, ut quandoque in hoc quandoque in illo inveniantur scilicet quantum ad solum motum localem caelestium corporum. Inferiores vero animae deficiunt in complemento et paucitate declinationis seu separationis a superioribus animabus. Secunda differentia sumitur penes influentiam animarum in invicem. Sicut enim supra dixit quod intelligentiae primae influunt supra secundas bonitates quas recipiunt a causa prima, ita nunc dicit quod superiores animae influunt bonitates quas recipiunt ab intelligentia super animas inferiores. Et utrobique est ratio eadem: quia quod est imperfectius natum est perfici a completiori, sicut potentia ab actu. Tertia differentia sumitur ex parte effectus. Sicut enim de intelligentiis dixit quod superiores imprimunt nobiliores animas, ita nunc dicit de animabus quod anima superior recipiens virtutem immediate ab intelligentia habet fortiorem impressionem, quia semper causa superior vehementius agit, ut in 1 propositione dictum est; et ideo id quod imprimitur a superiori anima in suo corpore est fixum, stans, id est firmum et immobile, et motus eius est aequalis, id est uniformis, et continuus, ut patet in corpore caelesti. Anima vero inferior ad quam pertinet virtus intelligentiae, mediante superiori anima, habet debiliorem impressionem in suum corpus sicut causa inferior; et ideo id quod imprimit corpori sicut vita et huiusmodi est debile, propter passibilitatem corporis ab exteriori agente, evanescens, a principio interiori transmutatum, destructibile, quia finaliter totaliter desinit esse id quod ab anima in corpore efficitur. Et tamen corpus quodammodo participat sempiternitatem, scilicet secundum speciem, et hoc per generationem. In hoc autem melius sensit auctor huius libri attribuens corruptibilitatem humanorum corporum debilitati impressionis ipsius animae, quam Platonici qui posuerunt etiam animam humanam habere quoddam corpus incorruptibile sibi semper unitum. Patet etiam quod, secundum sententiam huius auctoris, quando anima humana fuerit perfecta per coniunctionem ad causam primam, poterit corpori suo imprimere vitam perpetuam; et secundum hoc fides Catholica confitetur futuram vitam aeternam non solum in animabus sed etiam in corporibus post resurrectionem. Ultimo epilogat quae in duabus propositionibus dicta sunt. Quae autem diximus de animabus caelorum non asserendo diximus, sed aliorum opiniones recitando.

5) Les intelligences supérieures premières voisines de la cause première impriment[4] des formes secondes, stables qui ne périssent pas de sorte qu'il n’est pas nécessaire de les faire à nouveau. Pour leur part, les intelligences secondes impriment des formes déclinantes et séparables, comme celle de l’âme.

 

Après avoir manifesté la distinction des intelligences dans la proposition précédente, l’auteur traite ici de la distinction des âmes qu’il assigne en s’appuyant sur la distinction des intelligences qui les causent en quelque sorte suivant son opinion. C’est pourquoi ce qu’on traite ici au sujet de la distinction des âmes peut se rapporter à la distinction des intelligences selon que la distionction des causes se manifeste par la distinction des effets. Et c’est pourquoi dans certains livres cette proposition n’est pas présentée à part mais rattachée au commentaire de la proposition précédente, ce qui devient évident si on considère l’épilogue qui est commun aux deux propositions.

Mais voici comment se présente cette proposition : ¨Les intelligences supérieures premières impriment des formes secondes stables qui ne périssent pas de sorte qu'il n’est pas nécessaire de les renouveler. Pour leur part, les intelligences secondes impriment des formes qui, comme l’âme, sont déclinantes et séparables¨. Proclus cependant présente deux propositions qui correspondent à celle-là, dont voici la première, à savoir la proposition 182 : ¨Tout intellect divin est participé par des âmes divines¨, et la seconde, la proposition 183 qui dit : ¨Tout intellect participé mais qui est seulement intellect, est participe par des âmes qui ne sont ni divines ni sujettes à passer de l’intelligence à l'ignorance¨. Pour avoir l’évidence de cette proposition, il faut porter son attention sur trois choses : d'abord sur l'impression de l'âme; puis sur la distinction des âmes; enfin sur la différence des âmes distinctes. Mais au sujet de l’impression de l'âme, il faut considérer  en premier lieu comment il convient à lâme de recevoir une impression, puis en deuxième lieu d’où elle la reçoit. Mais il est manifeste qu’il convient à l’âme de recevoir une impression si on considère la notion même d’impression qui implique obligatoirement deux attributs : il faut certes en premier lieu que ce qui est imprimé soit dans quelque chose qui existe et deuxièmement qu’il n’y soit pas présent d’une manière superficielle selon un contact extérieur seulement, mais intimement et comme le pénétrant en profondeur. Et ces deux attributs conviennent à l’âme selon la définition qui lui est propre. Nous avons dit en effet plus haut dans la proposition 3 que l’opération propre de l’âme consiste à mouvoir le corps du fait que son opération est inférieure à l’opération propre de l’intelligence à laquelle il appartient de connaître les choses sans que s’opère un mouvement en elle ; or il faut qu’un principe de mouvement s’applique au mobile car comme le Philosophe le prouve au livre 7 de la Physique, le moteur et le mobile sont simultanés ; il suit de là qu’il convient à l’âme selon sa définition propre d’exister dans un corps en mouvement. Mais le mouvement par lequel l’âme meut le corps est le mouvement du corps vivant qui ne vient certes pas d’un moteur extérieur comme c’est le cas pour le mouvement violent ou pour le mouvement des corps lourds ou légers provoqué par celui qui le produit, mais plutôt d’un moteur intérieur ; c’est pourquoi on dit des êtres vivants qu’ils se meuvent par eux-mêmes. Et c’est pourquoi il faut que l’âme qui meut le corps soit à l’intérieur du corps auquel elle est unie et c’est pour cette raison qu’on dit qu’elle lui est imprimée. Mais si on demandait d’où procède cette impression, il faut répondre que, d’après l’opinion de cet auteur, elle vient d’une intelligence. C’est lui-même en effet qui dit : car elle-même, à savoir l’âme inférieure, procède d’une impression d’une intelligence seconde, c’est-à-dire du deuxième ordre des intelligences, laquelle, à savoir l’intelligence seconde, découle de l’être créé inférieur, c’est-à-dire de celui qui se trouve dans la partie inférieure de l’être créé premier lui-même qui est l’être des intelligences ; ou bien encore lorsqu’il dit ceci, à savoir qui suit l’être etc., cela peut se rapporter à l’âme qui se range sous l’éternité de l’intelligence comme nous l’avons dit à la proposition 2.

Mais cette position n’est pas tout à fait confirmée. En effet, il existe deux manières selon lesquelles il nous est possible de parler de l’impression de l’âme : premièrement du côté de l’âme elle-même qui reçoit l’impression ; deuxièmement du côté de la matière à laquelle l’âme s’imprime. Et cette distinction vaut certes pour toute âme qui subsiste par elle-même, c’est-à-dire pour toute âme intellectuelle comme nous le verrons plus loin, car l’existence de sa substance subsistante ne se réduit pas totalement à son union à la matière corporelle contrairement à l’existence des substances non-subsistantes que sont les âmes des brutes et des plantes et c’est pourquoi dans ce dernier cas la distinction qui précède ne tient plus puisque l’existence de telles âmes se considère simultanément, à la fois du côté de la matière qui reçoit et de celui de l’âme elle-même. Si donc nous parlons de l’âme subsistante, c’est-à-dire de toute âme intellectuelle, qu’il s’agisse de l’âme céleste si on pose, comme le suppose l’auteur de ce livre, que les corps célestes sont animés, ou de l’âme humaine du côté de l’âme elle-même, alors, d’après les fondements des positions platoniciennes que l’auteur de ce livre suit en plusieurs points, cette âme intellectuelle procède de l’impression d’une intelligence car comme nous l’avons dit plus haut dans la proposition 3, les Platoniciens ont soutenu que ce qu’il y a de commun dans une chose est causé par un principe qui est autre que le principe inférieur par lequel ce qu’il y a de plus propre y est causé. Conformément à cette position l’âme qui subsiste par elle-même tient son être de la cause première, mais son intellectualité et le fait d’être une âme, elle le doit aux causes secondes que sont les intelligences ; il résulte de là que puisqu’il appartient à la définition de l’âme d’être imprimée ou unie à un corps, il s’ensuit que cette âme tient de l’intelligence d’être unie à un corps. Mais parce que, comme nous l’avons dit, la position qui précède n’a pas pour elle la vérité et qu’elle s’oppose à la pensée d’Aristote, il faut dire que c’est de la cause première d’où elle tient son existence qu’une telle âme tient aussi d’être intellectuelle et d’être une âme, et par conséquent aussi d’être imprimée ou unie à un corps. Suite à cela, l’âme ne procède donc pas de l'impression de l'intelligence mais de l'impression de la cause première. Mais si nous parlons d’une telle âme du côté de la matière réceptrice à laquelle elle s’imprime, alors, quant à l’âme céleste, si le ciel possédait une âme, le raisonnement serait le même. En effet, la nature des corps célestes n’est pas causée de quelque manière par les intelligences, mais par la cause première de laquelle elle tient son existence. Mais si nous parlons de l’âme humaine du côté de ce qui la reçoit, alors d’une certaine manière elle procède de l’impression d’une intelligence, c’est-à-dire dans la mesure où le corps humain lui-même est disposé à recevoir une telle âme par la puissance du corps céleste qui opère dans la semence, en raison de quoi on dit que c’est à la fois l’homme et le soleil qui engendrent un homme. Certains posent cependant, même des docteurs de la foi chrétienne comme Saint-Augustin et Saint-Grégoire, que les corps célestes sont mus par des créatures spirituelles qu’on appelle Anges, Intelligences ou intellects séparés ; et il suit de là que les Intelligences posent une opération pour que l’âme humaine soit imprimée au corps du côté de ce qui reçoit. Et en ce sens on peut dire que les autres âmes, celles qui ne subsistent pas par elles-mêmes, procèdent d’une impression des intelligences et des corps célestes.

Il reste ensuite à considérer le deuxième point, à savoir la distinction des âmes. Et il présente la même cause de distinction et de multiplication pour les âmes que celle qu’il avait présentée pour les intelligences : en effet, tout comme l’existence d’une intelligence est composée d’infini et de fini selon que son existence n’est pas subsistante mais participée d’une certaine nature en raison de quoi elle peut se distinguer en une multiplicité, il en est aussi de même pour l’existence de l’âme. Et c’est cela qu’il dit en ces termes : ¨les âmes ne se multiplient qu’à la manière dont les intelligences se multiplient et il en est ainsi parce que l’existence de l’âme a  de son côté une fin, mais aussi parce que ce qui provient de là et est inférieur est sans limite¨.

Il dit cependant que la nature même qui participe de l’existence est inférieure et il l’appelle infinie en raison de sa puissance de durer à l’infini dans l’existence ; ce qu’il appelle cependant finie, c’est l’existence participée elle-même parce que l’existence n’est pas participée selon toute l’infinité de son universalité mais à la manière de la nature qui participe. Il faut cependant remarquer que parce que la nature de l’intelligence est tout à fait séparée de la nature corporelle, la distinction des intelligences se vérifie d’après le degré de leur nature propre sans aucune référence à quelque chose de corporel. Mais il appartient à la nature même de l’âme d’être imprimée à un corps et c’est pourquoi la distinction des âmes se vérifie par référence aux corps animés. Il suit de là que si les corps animés sont d’espèces différentes, les âmes qui leur sont imprimées seront d’espèces différentes, et c’est là ce qu’il faudrait dire aussi des corps célestes s’ils étaient des corps animés ; mais si les corps animés sont de même espèce, les âmes qui leur sont imprimées seront elles aussi de même espèce et ne seront multipliées que par le nombre comme c’est le cas pour les âmes humaines.

Il faut ensuite examiner le troisième point, à savoir la différence entre les âmes distinctes. Et l’auteur présente trois différences dont la première se prend d’après la différence de perfection qu'il y a entre les âmes. Il dit en effet que les âmes, à savoir entendons celles qui sont supérieures comme celles des corps célestes, lesquelles suivent l’intelligence, c’est-à-dire qui se rangent immédiatement après elle, sont accomplies, c’est-à-dire quant à la perfection de la nature animale. Et il donne un signe de cette perfection lorsqu’il ajoute : peu portées à se détourner et à se séparer. Nous avons dit en effet plus haut à la proposition 2 que l’âme, en tant qu'elle s’écarte de la perfection de l’intelligence, se rapproche du mouvement et c’est pourquoi les âmes participent d’autant moins du mouvement qu’elles sont plus élevées et plus proches de l’intelligence. Les âmes inférieures en effet participent du mouvement non seulement en tant qu'elles meuvent le corps, mais aussi en tant qu’elles ne sont pas toujours unies à leur corps et qu’elles ne posent pas toujours l’acte d’intellection. Mais les âmes supérieures, à l’inverse, sont toujours unies à leur corps et sont toujours en acte d'intellection. Elles ont cependant part au mouvement en tant qu’elles meuvent les corps célestes. C’est pourquoi, il dit qu'elles sont peu portées à se détourner, parce qu’elles s’écartent très peu de l'immobilité de l’intelligence, et peu portées à se séparer, parce qu’elles sont peu portées à adopter des états différents, de telle manière qu’on les retrouve tantôt ici et tantôt là, c’est-à-dire changées quant au seul mouvement local des corps célestes. Mais les âmes inférieures quant à elles s’éloignent de l’achèvement et des rares manquements et changements qui caractérisent les âmes supérieures.

La deuxième différence se tire de l’influence des âmes les unes sur les autres. En effet, tout comme il disait plus haut que les intelligences premières répandent sur les intelligences secondes les bienfaits qu’elles reçoivent de la cause première, de même il dit maintenant que les âmes supérieures répandent sur les âmes inférieures les bienfaits qu’elles reçoivent de l’intelligence. Et dans les deux cas le raisonnement est le même, car ce qui est plus imparfait est fait par nature pour être achevé par ce qui plus parfait, comme la puissance l’est par l’acte.

La troisième différence se tire du côté de l’effet. Tout comme il a dit en effet au sujet des intelligences que celles qui sont supérieures exercent une impression sur les âmes supérieures, de même il dit maintenant au sujet des âmes que l’âme supérieure qui reçoit sa puissance immédiatement de l’intelligence possède une impression plus forte car une cause supérieure agit toujours avec plus de force, comme on l’a dit à la proposition 1 et c’est pourquoi ce qui est imprimé à son corps par une âme supérieure y est posé comme étant fixe et stable, c’est-à-dire avec fermeté et immobilité, et son mouvement est égal, c’est-à-dire uniforme et continu ainsi qu’on le voit chez les corps célestes.

Mais pour ce qui  est de l’âme inférieure à laquelle parvient la puissance de l’intelligence par l’intermédiaire de l'âme supérieure, elle garde quant à elle une impression plus faible sur son corps en tant qu’elle est une cause inférieure ; et c’est pourquoi ce qu’elle imprime au corps y est établi faiblement, en raison de la passibilité de ce dernier à l’égard des agents extérieurs, de manière fugitive en raison du principe intérieur de changement, et y est soumis à la destruction, car ce que l’âme produit dans le corps doit, à la fin, cesser d’exister en totalité. Et le corps participe cependant d’une certaine manière de l’éternité, c’est-à-dire quant à l’espèce grâce à la génération. Et sur ce point l’auteur de ce livre, lorsqu’il attribue la corruptibilité des corps humains à la faiblesse de l’impression de l’âme elle-même, fait preuve d’un meilleur jugement que les Platoniciens qui soutenaient encore que l’âme humaine possède un corps incorruptible qui lui est toujours uni. Il est clair aussi, d’après la position de cet auteur, que lorsque l’âme humaine aura été rendue parfaite par son union à la cause première, elle pourra imprimer à son corps une vie éternelle ; et conformément à cela la foi catholique confesse une vie future éternelle non seulement pour les âmes mais aussi pour les corps suite à la résurrection.

Notre auteur termine enfin en résumant ce qui a été dit dans les deux propositions 4 et 5. Il précise cependant que ce qui a été dit au sujet des âmes des corps célestes ne doit pas être pris comme une affirmation de sa part, mais seulement comme étant la mention d’une opinion provenant d’autres auteurs.

Lectio 6

[84241] Super De causis, l. 6 Postquam auctor huius libri distinxit esse superius generaliter in tres gradus quorum primus est supra aeternitatem, quod convenit causae primae, secundus cum aeternitate, quod convenit intelligentiae, tertius est infra aeternitatem et supra tempus, quod convenit animae, hic incipit prosequi de singulis gradibus, et primo de causa prima, secundo de intelligentia, in 7 propositione, ibi: intelligentia est substantia etc., tertio de anima, 14 propositione, ibi: in omni anima et cetera. De causa autem prima hoc est quod potissime scire possumus quod omnem scientiam et locutionem nostram excedit; ille enim perfectissime Deum cognoscit qui hoc de ipso tenet quod, quidquid cogitari vel dici de eo potest, minus est eo quod Deus est. Unde Dionysius dicit I capitulo mysticae theologiae, quod homo secundum melius suae cognitionis unitur Deo sicut omnino ignoto, eo quod nihil de eo cognoscit, cognoscens ipsum esse supra omnem mentem. Et ad hoc ostendendum inducitur haec propositio: causa prima superior est narratione. Per narrationem autem oportet affirmationem intelligi, quia quidquid de Deo affirmamus non convenit ei secundum quod a nobis significatur; nomina enim a nobis imposita significant per modum quo nos intelligimus, quem quidem modum esse divinum transcendit. Unde Dionysius dicit II capitulo caelestis hierarchiae quod negationes in divinis sunt verae, affirmationes vero incompactae vel inconvenientes. Hanc etiam propositionem Proclus ponit CXXIII sui libri, sub his verbis: omne quod ens ipsum quidem propter supersubstantialem unionem indicibile est et incognoscibile omnibus secundis, a participantibus autem capabile est et cognoscibile: propter quod solum primum penitus ignotum tamquam amethectum ens. Per hoc autem quod dicit quod ens, intelligit omnem formam idealem secundum Platonicorum positiones, puta per se hominem, per se vitam et cetera huiusmodi, quae deos dicebant, ut supradictum est; huiusmodi autem habent unitatem, secundum ipsos, supersubstantialem, quia excedunt omnia subiecta participantia; et ideo dicit quod neque dici neque cognosci potest unumquodque eorum ab inferioribus, sed a superioribus cognosci possunt, puta idea vitae cognosci potest ab idea entis. Et, quamvis non possint perfecte cognosci vel dici ab inferioribus, aliqualiter tamen capi et cognosci possunt a participantibus, id est per participantia, sicut per ea quae participant vitam aliquid cognoscitur de ipsa vita. Sed illud quod est primum simpliciter, quod, secundum Platonicos, est ipsa essentia bonitatis, est penitus ignotum, quia non habet aliquid supra se quod possit ipsum cognoscere; et hoc significat quod dicitur amethectum, id est non post existens alicui. Et, quia auctor huius libri non concordat cum Platonicis in positione aliarum naturarum separatarum idealium, sed ponit solum primum, ut supra dictum est, ideo praetermissis aliis de hac causa prima dicit quod est superior narratione. Et causam assignat propter suam supersubstantialitatem, sicut et Proclus, et hoc est quod subdit in propositione: et non deficiunt linguae a narratione eius nisi propter narrationem ipsius, quoniam ipsa est super omnem causam. Qualiter autem narretur, ostendit subdens: et non narratur nisi per causas secundas quae illuminantur lumine causae primae; et hoc est idem ei quod Proclus dixit quod a participantibus capabile est et cognoscibile. Hoc autem quod dictum est in propositione probatur per hunc modum; tripliciter enim aliquid cognoscitur: uno modo sicut effectus per causam, alio modo per seipsum, tertio modo per effectum. Primo ergo ostendit quod causa prima non cognoscitur primo modo, scilicet per causam, cum dicit quod causa prima non cessat illuminare causatum suum, et ipsa non illuminatur lumine alio, quoniam ipsa est lumen purum supra quod non est lumen. Ad cuius intellectum considerandum est quod per lumen corporale visibilia sensibiliter cognoscuntur, unde illud per quod aliquid cognoscitur, per similitudinem lumen dici potest; probat autem philosophus in IX metaphysicae quod unumquodque cognoscitur per id quod est in actu; et ideo ipsa actualitas rei est quoddam lumen ipsius et, quia effectus habet quod sit in actu per suam causam, inde est quod illuminatur et cognoscitur per suam causam. Causa autem prima est actus purus, nihil habens potentialitatis adiunctum; et ideo ipsa est lumen purum a quo omnia alia illuminantur et cognoscibilia redduntur. Et ex hoc concludit ulterius quod sola causa prima sic est prima quod non potest narrari, quia non habet causam superiorem per quam narretur; res enim consueverunt narrari per suas causas. Et, quia a cognitione processit ad narrationem, ostendit consequenter quod causa prima, cum sit supra cognitionem, oportet quod sit supra narrationem: et hoc ideo quia narratio, id est affirmatio, fit per loquelam, id est per aliquem sermonem significativum, loquela autem est per intelligentiam, quia voces significativae sunt signa intellectuum, intelligentia autem fit per cogitationem, id est per rationem,- et hoc est verum in hominibus, qui ratiocinando perveniunt ad intellectum veritatis,- et cogitatio per meditationem, id est per imaginationem et ceteras vires sensitivas interiores quae deserviunt rationi humanae, et meditatio fit per sensum, quia phantasia est motus factus a sensu secundum actum ut dicitur in libro de anima; unde, cum causa prima sit super omnes res, excedit omnia praedicta. Et hoc etiam Dionysius ponit I capitulo de divinis nominibus, dicens: et neque sensus est eius, neque fantasia, quod iste nominat meditationem, neque opinio, quod iste nominat rationem, neque nomen, quod iste nominat loquelam, neque sermo, quod iste nominat narrationem, neque scientia, quod iste nominat intelligentiam. Secundo vero ostendit quod non cognoscitur secundo modo, scilicet per seipsam. Et hoc probat per diversos modos cognitionum: eorum enim quae per se cognoscuntur, quaedam cognoscuntur sensu, sicut res sensibiles, quaedam meditatione sive imaginatione, sicut res imaginabiles quae sensui non subiacent, quaedam vero intellectu, sicut res necessariae et immobiles, quaedam vero ratione sive cogitatione, sicut res generabiles et corruptibiles, secundum quem modum philosophus in VI Ethicorum dicit quod ratiocinativum est circa ea quae contingit aliter se habere; unde, cum causa prima sit supra omne huiusmodi genus rerum, nullo istorum modorum cognosci potest. Hanc etiam probationem inducit Proclus nisi quod meditationem ponit loco cogitationis et opinionem loco meditationis. Et quidem circa hanc rationem manifestum est quod causa prima est supra res sensibiles et imaginabiles et corruptibiles; sed, quod sit supra res intelligibiles sempiternas, non est manifestum. Et haec probatio hic praetermittitur, sed Proclus probat per hoc quod omnis cognitio intellectualis vel rationalis est entium: illud enim quod primo acquiritur ab intellectu est ens, et id in quo non invenitur ratio entis non est capabile ab intellectu; unde, cum causa prima sit supra ens, consequens est quod causa prima sit supra res intelligibiles sempiternas. Causa autem prima, secundum Platonicos quidem, est supra ens in quantum essentia bonitatis et unitatis, quae est causa prima, excedit etiam ipsum ens separatum, sicut supra dictum est. Sed secundum rei veritatem causa prima est supra ens in quantum est ipsum esse infinitum, ens autem dicitur id quod finite participat esse, et hoc est proportionatum intellectui nostro cuius obiectum est quod quid est ut dicitur in III de anima, unde illud solum est capabile ab intellectu nostro quod habet quidditatem participantem esse; sed Dei quidditas est ipsum esse, unde est supra intellectum. Et per hunc modum inducit hanc rationem Dionysius I capitulo de divinis nominibus, sic dicens: si cognitiones omnes existentium sunt, et si existentia finem habent, in quantum scilicet finite participant esse, qui est supra omnem substantiam ab omni cognitione est segregatus. Tertio ostendit quomodo causa prima cognoscitur per effectum. Et dicit quod causa prima non significatur in his quae de ipsa dicuntur, nisi ex causa secunda quae est intelligentia: sic enim loquimur de Deo quasi de quadam substantia intelligente; et hoc ideo quia intelligentia est suum causatum primum, unde est Deo simillima et per ipsam maxime cognosci potest. Sed tamen non sufficienter cognoscitur per eam, quia illud quod est intelligentia est in causa prima altiori modo, causa autem excedens effectum non sufficienter cognosci potest per suum effectum. Sic ergo patet quod causa prima superior est narratione, quia neque per causam, neque per seipsam, neque per effectum sufficienter cognosci aut dici potest.

 

6) La Cause première est supérieure au discours, et les langues échouent à discourir d'elle, du moins à discourir sur son être, car elle est au-dessus de toute cause ; et on en peut discourir seulement par les causes secondes, qui sont illuminées par la lumière de la cause première.

 

Après avoir distingué l’être supérieur dans son ensemble en trois degrés dont le premier, propre à la cause première, est au-dessus de l’éternité, le second, attribué à l’intelligence, est avec l’éternité, et le troisième, appartenant à l’âme, est au-dessous de l’éternité et au-dessus du temps, l’auteur de ce livre commence ici à traiter de chacun de ces degrés séparément en commençant d’abord par la cause première, puis en examinant en deuxième lieu l’intelligence à la proposition 7 là où il dit : l’intelligence est la substance etc. Enfin en troisième lieu il traite de l’âme à la proposition 14 là où il dit : en toute âme etc.

Au sujet de la cause première cependant, ce que nous pouvons savoir de meilleur c’est qu’elle dépasse toute science et tout discours humains. En effet, celui qui connait le plus parfaitement Dieu est celui qui tient de lui ceci, à savoir que tout ce qui peut être pensé et dit de Lui est bien en-deça de ce que Dieu est en réalité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 1 de sa Théologie mystique que l’homme, d’après la meilleure connaissance qu’il peut avoir de Dieu, est uni à Lui comme à ce qui lui est absolument inconnu du fait qu’il ne connaît rien de lui en reconnaissant que son être transcende tout esprit. Et pour le montrer il présente cette proposition : la cause première dépasse tout discours. Mais par discours il faut entendre affirmation car tout ce que nous affirmons de Dieu ne lui convient pas dans le sens où cela est signifié par nous ; en effet, les noms qui sont imposés par nous signifient selon le mode par lequel nous connaissons alors que l’être divin transcende ce mode. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 2 de La Hiérarchie Céleste qu’en ce qui concerne Dieu, les négations sont vraies alors que les affirmations sont inconvenantes. Aussi, c’est en ces termes que Proclus présente cette proposition 123 : ¨tout ce qui est de l’être par soi est indicible et inconnaissable par tout ce qui lui est inférieur en raison de son unité suprasubstantielle mais peut être saisi et connu par ce qui en participe : c’est pour cette raison que seul Celui qui est premier  est totalement inconnu du fait qu’il est imparticipable ou que rien ne peut en participer.¨ En parlant d’¨être¨, il entend toute forme idéale conformément aux positions des Platoniciens, par exemple l’homme par soi, la vie par soi, et les autres formes de cette sorte qu’ils appelaient des dieux ainsi que nous l’avons dit plus haut ; et selon eux de telles formes possèdent une unité suprasubstantielle parce qu’elles transcendent tous les sujets qui en participent ; et c’est pourquoi il dit qu’aucune d’elle ne peut être nommée ou connue par ce qui lui est inférieur, mais seulement par ce qui lui est supérieur : par exemple, l’idée de vie peut être connue par l’idée d’être. Et bien que ces formes ne peuvent être parfaitement connues et nommées par les formes inférieures, elles peuvent cependant être saisies et connues en quelque sorte par ceux qui en participent, c’est-à-dire au moyen de ceux qui y prennent part, tout comme quelque chose peut être connu au sujet de la vie au moyen de ceux qui participent de la vie. Mais ce qui est premier absolument, c’est-à-dire l’essence même du bien selon les Platoniciens, cela demeure totalement ignoré car il n’y a rien au-dessus de lui qui puisse Le connaître ; et c’est là ce que l’auteur veut signifier lorsqu’il dit ¨imparticipable¨, c’est-à-dire qu’il n’existe pas suite à un autre. Et parce que l’auteur de ce livre ne partage pas ce point de vue avec les Platoniciens qui consiste à poser d’autres natures séparées idéales alors que lui-même n’en pose qu’une seule ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est pourquoi, mettant de côté ces autres formes, il dit au sujet de cette cause première qu’elle est supérieure à tout discours. Et il en donne la cause en disant, tout comme Proclus, que c’est en raison de suprasubstantialité, et c’est ce qu’il ajoute par cette proposition : ¨Et les langues ne sont impuissantes à discourir sur la cause première qu’en raison du sujet même sur lequel porte le discours, à savoir elle-même, puisqu’elle est elle-même au-dessus de toute cause¨. Et il montre par la suite de quelle manière il est possible de discourir à son sujet en ajoutant : et on ne peut en discourir qu’au moyen des causes secondes qui sont illuminées par la lumière de la cause première. Et cela est identique à ce que Proclus a dit, à savoir qu’elle peut être saisie et connu par ce qui en participe.

Et ce qui est dit dans cette proposition est prouvé de cette façon. C’est de trois manières en effet que quelque chose peut être connu. Premièrement à la manière dont un effet est connu par sa cause ; deuxièmement comme une chose est connue par elle-même ; troisièmement comme lorsque quelque chose est connu au moyen de son effet. Il montre donc en premier lieu que la cause première ne peut être connue de la première façon, c’est-à-dire par sa cause lorsqu’il dit que la cause première ne cesse d’éclairer ses effets et qu’elle-même n’est éclairée par aucune lumière car elle est elle-même une pure lumière au-dessus de laquelle il n’y a aucune autre lumière. Et pour comprendre cela il faut considérer que c’est au moyen de la lumière corporelle que ce qui est visible devient connu par les sens et c’est pourquoi ce qui sert à faire connaître quelque chose peut être appelé ¨lumière¨ par analogie. Mais le Philosophe prouve au neuvière livre de la Métaphysique que tout est connu au moyen de ce qui existe en acte et c’est pourquoi l’actualité même d’une chose est en un sens sa lumière et parce que c’est par sa cause qu’un effet tient d’être en acte, il suit de là qu’il est illuminé et connu par sa cause. Mais la cause première est acte pur sans aucun mélange avec de la potentialité et c’est pourquoi elle est une pure lumière par laquelle tous les autres êtres sont éclairés et deviennent connaissables. Et à partir de là il conclut par la suite que seule la cause première est première à ce point qu’on ne puisse en former aucun discours car il n’existe pas de cause qui lui soit supérieure et au moyen de laquelle on pourrait en discourir ; on a l’habitude en effet de discourir des choses au moyen de leurs causes. Et parce que c’est par la connaissance qu’on procède à un discours, il montre par la suite que la cause première, parce qu’elle est au-dessus de la connaissance, est aussi au-dessus de tout discours : et il en est ainsi parce que le discours, c’est-à-dire l’affirmation, est produit au moyen de la parole, c’est-à-dire par un langage qui porte une signification, et que la parole est l’effet de l’intelligence puisque les sons de voix significatifs sont les signes des concepts, et que l’acte d’intelligence est le résultat de la pensée, c’est-à-dire qu’il est produit par la raison, et cela est vrai chez les hommes qui parviennent à l’intelligence de la vérité par le raisonnement, et que la pensée est produite par la méditation, c’est-à-dire par l’imagination et les autres puissances sensibles intérieures qui sont au service de la raison humaine, et que la méditation s’effectue par le sens car l’image est un mouvement produit par le sens en acte ainsi qu’on le dit dans le livre intitulé de l’Âme, il résulte de là, puisque la cause première transcende toute réalité, qu’elle transcende aussi tout ce que nous venons d’énumérer. Et c’est aussi ce qu’affirme Denys au chapitre 1 des Noms Divins lorsqu’il dit : et à son sujet il ne peut exister aucune sensation ni aucune image, ni aucune opinion, ni aucun nom, ni aucun discours, ni aucune science, termes que notre auteur remplace respectivement par méditation, raison, parole, langage et intelligence.

Mais en deuxième lieu  l’auteur montre que la cause première ne peut être connue de la deuxième manière, c’est-à-dire par elle-même et il le prouve par différentes sortes de connaissances : en effet, parmi les choses qui peuvent être connues par elles-mêmes, il y a celles qui sont connues par les sens, comme les réalités sensibles, d’autres sont connues par la méditation ou l’imagination, comme les choses qu’on peut imaginer et qui ne sont pas soumises à la sensation, d’autres par l’intelligence, comme ce qui est nécessaire et immobile,  d’autres par la raison ou la pensée, comme les réalités qui sont sujettes à la génération et à la corruption et c’est au sujet de cette modalité de connaissance que le Philosophe dit au livre 6 de l’Éthique que le raisonnement porte sur les réalités qui peuvent être autrement ; il résulte de là, puisque la cause première transcende tous ces genres de choses, qu’elle ne peut être connue par aucune de ces formes de connaissance. C’est cette même preuve qui est introduite par Proclus, sauf qu’il parle de méditation au lieu de pensée, d’opinion au lieu de méditation. Et suivant ce raisonnement il est certes évident que la cause première transcende les réalités sensibles imaginables et corruptibles, mais qu’elle transcende les réalités intelligibles éternelles, cela l’est moins. Et cette preuve est ici omise mais Proclus le prouve par ceci que toute connaissance intellectuelle ou rationnelle est relative aux êtres : en effet, ce qui est saisi en premier par l’intelligence, c’est l’être et ce en quoi ne se retrouve pas la notion d’être ne peut être saisi par l’intelligence ; il résulte de là que puisque la cause première transcende l’être, que la cause première transcende même les réalités intelligibles éternelles. Mais la cause première selon les Platoniciens transcende l’être selon que l’essence même de la bonté et de l’unité, qui est la cause première, transcende aussi l’être séparé lui-même ainsi que nous l’avons dit plus haut. Mais en vérité la cause première transcende tout ce qui existe en tant qu’elle est l’être même dans son infinité alors qu’on appelle ¨êtres¨ ceux qui participent de l’être d’une manière qui est limitée et la connaissance qui est proportionnée à notre intelligence est celle dont l’objet est ¨ce qu’est la chose¨ ainsi qu’on le dit au troisième livre de l’Âme d’où il résulte que seul ce qui possède une quiddité qui participe de l’être peut être saisi par notre intelligence ; mais la quiddité de Dieu est son être même et c’est pourquoi il transcende toute intelligence. Et c’est de cette manière que Denys introduit ce raisonnement au chapitre 1 des Noms Divins lorsqu’il dit : si toutes les connaissances se rapportent à ce qui existe et si tout ce qui existe a une fin, c’est-à-dire selon qu’ils participent de l’être d’une manière finie, celui qui transcende toute substance est en-dehors ou inaccessible à toute connaissance.   

En troisième lieu il montre comment la cause première est connue par ses effets. Et il dit que la cause première n’est pas signifiée dans les choses qui lui sont attribuées, si ce n’est à partir de la cause seconde qui est l’intelligence : c’est ainsi en effet que nous parlons de Dieu comme d’une certaine intelligence et il en est ainsi parce que l’intelligence est son premier effet, ce qui explique qu’elle est ce qui Lui est le plus semblable et que c’est par elle qu’Il peut le mieux être connu. Cependant la cause première n’est pas suffisamment bien connue par elle parce que la nature de l’intelligence existe dans la cause première d’une manière plus excellente encore qu’elle n’existe en elle-même et que la cause qui dépasse l’effet ne peut être suffisamment bien être connue par son effet. Ainsi donc il est clair que la cause première transcende tout discours parce qu’elle ne peut être connue ni par une cause, ni par elle-même, et qu’elle ne peut pas même être connue et exprimée suffisamment bien par ses effets.

 

 

Lectio 7

[84242] Super De causis, l. 7 Postquam primum gradum superioris esse, scilicet primam causam, dixit inenarrabilem esse, nunc accedit ad secundum gradum, scilicet ad intelligentias; et primo determinat de intelligentia quantum ad sui substantiam, secundo quantum ad eius cognitionem, in 8 propositione, ibi: omnis intelligentia scit et cetera. Circa primum sciendum est quod ea quae sunt superioris ordinis cognosci non possunt sufficienter per ea quae sunt ordinis inferioris, eo quod superiora excedunt inferiorum modum et virtutem. Quia vero humana cognitio a sensu initium sumit, ea quae nostris sensibus offeruntur, cognoscere sufficienter possumus; sed ex his in superiorum cognitionem pervenire non possumus, nisi secundum ea quae cum sensibilibus nobis notis habent communia. Ea vero quae totaliter nostris sensibus offeruntur, sunt inferiora corpora cum quibus superiora corpora in essentiae specie non conveniunt nec in naturae conditione; conveniunt autem in ratione quantitatis et luminis et eorum quae ad haec sequuntur, et ideo pertingere possumus ad cognoscendum de superioribus corporibus et claritatem ipsorum, secundum quam sunt nobis visibilia, et quantitatem magnitudinis et motus ipsorum, et figuram, et etiam genus ipsorum secundum modum quo conveniunt in genere cum inferioribus corporibus; propriam autem naturam ipsorum secundum rationem speciei scire non possumus, nisi per negationem in quantum transcendit inferiorum corporum naturam, unde Aristoteles in I de caelo probat caeleste corpus non esse neque grave, neque leve, neque generabile, neque corruptibile. Similiter etiam intelligentia transcendit totum ordinem corporalium rerum. Quia tamen sua quidditas vel essentia non est ipsum suum esse, sed est res subsistens in suo esse participato, ideo quodammodo convenit in genere cum corporibus quae etiam in suo esse subsistunt; et sic secundum logicam intentionem utrumque ponitur in genere substantiae. Et ideo intelligentia quidem notificari potest enarrative sive affirmative quantum ad suum genus, ut dicatur esse substantia; sed quantum ad differentiam specificam enarrari non potest, sed oportet quod per negationem nobis notificetur in quantum transcendit totum ordinem corporalium rerum quibus convenit divisibilitas. Et ideo, notificans intelligentiae essentiam prout a nobis notificari potest, proponit hanc propositionem: intelligentia est substantia quae non dividitur. Causa autem prima non est natura subsistens in suo esse quasi participato, sed potius est ipsum esse subsistens, et ideo est supersubstantialis et simpliciter inenarrabilis. Ponit autem et Proclus in suo libro hanc propositionem CLXXI, sub his verbis: omnis intellectus impartibilis est substantia. Quod autem dictum est probatur per divisionem et, quantum ex verbis hic positis apparet, praemittitur duplex divisio. Quarum prima est ex parte ipsius rei dividendae quae habet magnitudinem stantem et quantitatem fluentem, sicut est in tempore et motu; et hoc est quod dicit: quod est quia si non est cum magnitudine neque corpus neque movetur, tunc procul dubio non dividitur. Per hoc enim quod dicit: si non est cum magnitudine neque corpus, excludit magnitudinem stantem, id est habentem situm; et dicit: neque cum magnitudine neque corpus, quia corpus est magnitudo completa divisibilis secundum omnem dimensionem, superficies autem et linea sunt magnitudines incompletae secundum unam vel duas partes; vel, hoc quod dicit: si non est cum magnitudine, ponitur ad excludendum ea quae sunt quanta per accidens, sicut albedo et similia. Aliam divisionem ponit ex parte ipsius divisionis; et dicit quod omne quod dividitur, vel dividitur secundum multitudinem, id est secundum quantitatem discretam, vel secundum magnitudinem, quae est divisio secundum quantitatem continuam habentem situm, vel secundum motum, quae est divisio quantitatis continuae non habentis situm. Eadem enim est divisio temporis et motus, ut probatur in VI physicorum. In prima autem divisione praetermisit de multitudine, quia divisio quae est secundum numerum consequitur divisionem continui, ut patet in III physicorum; et ideo in quibus non est divisio secundum magnitudinem, non est divisio secundum multitudinem. His autem divisionibus positis, ostendit quod nullo praedictorum modorum intelligentia dividitur. Et videtur esse probatio talis: omne quod dividitur, dividitur in tempore; est enim divisio quidam motus ab unitatem in multitudinem; sed intelligentia non est in tempore, sed est in aeternitate totaliter, ut supra habitum est in 2 propositione; ergo excedit omnem praedictum divisionis modum. Et haec quidem est expositio huius propositionis secundum quod ex verbis hic positis apparet. Sed sciendum est verba hic posita ex vitio translationis esse corrupta, ut patet per litteram Procli, quae talis est: si enim est sine magnitudine et incorporeus et immobilis, impartibilis est. Quod vero sequitur, non inducitur per modum alterius divisionis, sed per modum probationis; sic enim subdit: omne enim qualitercumque partibile aut secundum multitudinem, aut secundum magnitudinem, aut secundum operationes est partibile. Et statim probat quod non sit partibile secundum operationes, nam addit: in tempore latas, quasi dicat: omnes operationes partibiles sunt in tempore. Et subdit: intellectus autem secundum omnia est aeternalis et ultra corpora, et unita est quae in ipso multitudo; impartibilis ergo est. Singulum praedictorum supra positorum ostendit. Et primo prosequitur de incorporeitate, sic dicens: quod quidem igitur incorporeus sit intellectus, quae ad seipsum conversio manifestat, est autem conversio intellectus ad seipsum in hoc quod seipsum intelligit; corporum enim nullum ad seipsum convertitur. Et hoc quidem supra probaverat, praemittens XV propositionem talem: omne quod ad seipsum conversivum est, incorporeum est. Quod sic probat: nullum enim corporum ad seipsum natum est converti. Si enim quod convertitur ad aliquid copulatur illi ad quod convertitur, palam itaque quia et omnes partes corporis, eius quod ad seipsum convertitur, ad omnes copulabuntur. Quod est impossibile in omnibus partibilibus, propter partium separationem, aliis earum alibi iacentibus. Et haec quidem probatio hic subditur satis confuse, cum dicitur: et significatio quidem illius, scilicet quod intelligentia non sit corpus, est reditio super essentiam suam, id est quia convertitur supra seipsam intelligendo se, quod convenit sibi quia non est corpus vel magnitudo habens unam partem ab alia distantem. Et hoc est quod subdit: scilicet quia non extenditur, extentione scilicet magnitudinis, cum re extensa, id est magnitudinem habente, ita quod sit una suarum extremitatum secunda ab alia, id est ordine situs ab alia distincta. Et, quia posset aliquis credere quod intelligentia extenderetur intelligendo corpora quasi contingendo ipsa, hoc excludit subdens: quod est quia quando vult scientiam rei corporalis, non extenditur cum ea, ut scilicet sua magnitudine magnitudinem intelligat, sicut Empedocles voluit, sed ipsa stat fixa secundum suam dispositionem, id est non distrahitur in diversas partes. Et hoc probat per hoc quod subdit: quoniam est forma a qua non pertransit aliquid. Magnitudo enim non est nisi in materia, sed intelligentia est forma immaterialis a qua aliquid non pertransit, vel quia una pars eius non distat ab alia, vel quia, licet sit indivisibilis, nihil de re habente magnitudinem praeterit eius cognitionem; subdit autem: et corpora quidem non sunt ita. Ex quo concludi potest quod intelligentia non sit corpus. Deinde, secundum quod apparet ex verbis hic positis, inducitur alia probatio ad ostendendum quod intelligentia non sit corpus, quia scilicet tam eius substantia quam eius operatio est indivisibilis, et utrumque habet unitatem indivisibilitatis quod in corporibus esse non potest; nam corpus et secundum substantiam suam dividitur divisione magnitudinis et secundum operationem suam dividitur divisione temporis, quorum neutrum convenit intelligentiae. Sed in libro Procli inducitur hoc ad probandum aliud membrum, scilicet ad ostendendum quod intelligentia non dividitur secundum motum; dicit enim sic: quod autem intellectus sit aeternalis, manifestat operationis ad substantiam identitas. Et est virtus probationis huius quia res illa cui sua operatio accidentaliter advenit, secundum illam operationem variationem recipit, ut quandoque operetur et quandoque non operetur, vel quandoque magis quandoque minus operetur; res autem illa cui convenit sua operatio secundum suam essentiam, invariabiliter operatur, et talis est intelligentia cui convenit intellectualis operatio secundum naturam suae essentiae. Deinde ostendit tertium membrum, scilicet quod intelligentia non dividatur secundum multitudinem, et ad hoc manifestandum inducit quod oportet aliquam multitudinem in intelligentia ponere. Proveniunt enim bonitates multae a causa prima, cuius multiplicationis ratio est quia intelligentia non potest attingere ad simplicitatem unitatis primae causae, et ideo perfectio bonitatis quae in prima causa est unita et simplex, multiplicatur in intelligentia in plures bonitates. Et tamen, quamvis sit multitudo bonitatum in intelligentia, tamen ista multa indivisibiliter sibi invicem cohaerent; non enim potest esse quod retineat esse et amittat vitam, vel quod retineat vitam et amittat cognitionem, sicut accidit in istis inferioribus. Et hoc ideo quia, cum intelligentia sit primum creatum, propinquissima est primae causae; et ideo, quae sunt in intelligentia, nobilissimo modo conveniunt ei post primam causam, unitas autem et indivisibilitas nobilior est quam divisio; unde intelligentia indivisibiliter habet multitudinem bonitatum quas participat a causa prima. Et ad idem etiam redit probatio quam Proclus inducit. Ultimo autem concludit propositum, quasi iam probatum, cum dicit: iam ergo verificatum est et cetera.

7) L’intelligence est une substance qui n’est pas divisée

 

Après avoir dit que le premier degré de l’être supérieur, à savoir la cause première, est indicible, l’auteur en vient à traiter du second degré, c’est-à-dire des intelligences ; et en premier lieu il traite de l’intelligence quant à sa substance, deuxièmement quant à sa connaissance à la proposition 8 où il dit : ¨toute intelligence sait etc. ».

Au sujet du premier point, il faut savoir que les êtres qui sont d'un ordre supérieur ne peuvent être suffisamment connus par ceux qui sont d'un ordre inférieur, du fait que ceux qui sont supérieurs transcendent la manière d’être et la puissance de ceux qui sont inférieurs. Mais parce que la connaissance humaine tire son commencement de la sensation, nous pouvons suffisamment connaître les réalités qui s’offrent à nos sens; mais à partir d’elles nous ne pouvons parvenir à la connaissance des réalités supérieures que selon ce qu’elles ont en commun avec les réalités sensibles connues de nous. Or les réalités qui s'offrent totalement à nos sens sont les corps inférieurs avec lesquels les corps supérieurs ne se rencontrent ni par l’espèce de l’essence ni par la condition de nature. Ils ont cependant du commun avec eux sous le rapport de la quantité, de la lumière et des autres attributs qui en découlent et c’est pourquoi nous pouvons parvenir à connaître au sujet des corps supérieurs à la fois leur clarté du fait que nous pouvons les voir, la quantité de leur grandeur et de leur mouvement, leur figure et même leur genre d’après la manière par laquelle ils entrent dans le même genre que les corps inférieurs ; mais nous ne pouvons connaître la nature propre de ces corps sous le rapport de l’espèce que par la négation pour autant qu’elle transcende la nature des corps inférieurs, d’où Aristote prouve au premier livre du traité intitulé Du Ciel et du Monde que le corps céleste n’est ni léger ni lourd et qu’il n’est soumis ni à la génération ni à la corruption.

De la même manière aussi l’intelligence transcende tout l’ordre des choses corporelles. Cependant, parce que sa quiddité ou son essence n’est pas son être même mais qu’elle est une chose subsistante dans son existence qui est participée, c’est pourquoi elle ressemble en un sens au genre des corps qui subsistent eux aussi dans une existence participée et c’est ainsi que les deux sont rangés, sous le rapport de l’intention logique, dans le genre de la substance. Il suit de là que l’intelligence peut certes faire l’objet d’une connaissance sous la forme d’un discours explicatif par l’affirmation quant à son genre, comme lorsqu’on dit qu’elle est une substance ; mais elle ne peut faire l’objet d’un tel discours quant à sa différence spécifique et c’est plutôt par la négation qu’il faut qu’elle nous soit alors connue en tant qu’elle transcende tout l’ordre des choses corporelles  auxquelles convient la divisibilité. Et c’est pourquoi, pour nous faire connaître l’essence de l’intelligence dans la mesure où elle peut nous être connue, l’auteur présente cette proposition : l’intelligence est la substance qui n’est pas divisée. Mais la cause première n’est pas une nature qui subsiste dans une existence  qui est participée mais elle est plutôt l’être subsistant lui-même et c'est pourquoi elle est suprasubstantielle et absolument indicible. De son côté Proclus se trouve à dire la même chose par cette proposition 171 dans son livre : toute intelligence est une substance indivisible.

Et ce qui a été dit, l’auteur le prouve par une division et, quant à ce qu’il semble à partir des termes utilisés, c’est une double division qui est avancée, dont la première se tient du côté de la chose même à diviser qui a une grandeur fixe et une quantité changeante, comme c’est le cas pour ce qui est dans le temps et le mouvement. Et c'est ce qu'il dit en ces termes: ¨Il en est ainsi parce que si elle n'a ni grandeur, ni corps, ni mouvement, sans aucun doute l’intelligence n'est pas divisée¨. En effet, en disant : si elle n’a ni grandeur ni corps, il écarte la grandeur fixe, c’est-à-dire celle qui possède une position ; et il dit : ni grandeur ni corps, parce que le corps est une grandeur complète qui est divisible selon toutes ses dimensions alors que les surfaces et les lignes sont des grandeurs incomplètes selon une ou deux dimensions ; ou bien encore, lorsqu’il dit: ¨si elle est sans grandeur¨, il l’affirme aussi pour écarter ce qui n’est quantité que par accident, comme la blancheur et les accidents de cette sorte. La deuxième division est posée à partir de la division elle-même alors qu’il dit que tout ce qui est divisé est divisé ou bien selon la multiplicité, c’est-à-dire selon la quantité discrète, ou bien selon la grandeur, ce qui constitue une division selon la quantité continue qui possède une position, ou bien selon le mouvement, à savoir une division de la quantité continue qui ne possède pas une position. La division du temps et celle du mouvement ne sont en effet qu’une seule et même division comme le prouve le Philosophe au sixième livre de la Physique. Mais dans la première division il a omis de parler de la multiplicité parce que la division selon le nombre suit celle du continu comme on le voit au troisième livre de la Physique et c’est pourquoi, là où il n’y a par de division selon la grandeur, il n’y a pas non plus de division selon la multiplicité. Ayant présenté ces divisions, l’auteur montre que l’intelligence n’est divisée selon aucune de ces modalités. En voici la preuve : tout ce qui est divisé est divisé dans le temps; toute division en effet est un certain mouvement de l’unité vers la multiplicité. Or l’intelligence n’est pas dans le temps mais elle est plutôt en totalité dans l’éternité comme nous l’avons montré dans la proposition 2 ; elle transcende donc toutes les sortes de division dont nous avons parlé. Telle est certes l’explication de cette proposition telle qu’elle se manifeste à nous à partir des termes mêmes qui ont été utilisés ici. Mais il faut savoir que les termes présentés ici ont été altérés par un vice de transcription comme on le voit par le texte de Proclus que voici : si en effet elle est sans dimension, incorporelle et immobile, elle est indivisible. Et ce qui suit n’est pas introduit à la manière d’une autre division mais à la manière d’une preuve ; et c’est ainsi qu’il ajoute : en effet, tout ce qui est divisible de quelque manière que ce soit est divisible ou bien par la multiplicité, ou bien par la grandeur, ou bien par les opérations. Et tout de suite après, Proclus prouve que l’intelligence n’est pas divisible selon ses opérations, car il ajoute : répandues dans le temps, comme s’il disait que toutes les opérations sont divisibles dans le temps. Et il ajoute : ¨L'intelligence cependant est éternelle et au-delà des corps sous tous les rapports, et la multiplicité qui est en elle est unifiée ; elle est donc indivisible¨. Puis il manifeste chacun des points qu’il vient de présenter et le premier qu’il examine est celui qui se rapporte à l’incorporéité de l’intelligence : Ce qui manifeste certes que l'intelligence soit incorporelle, c’est ce que manifeste le retour qu’elle fait sur elle-même et il y a retour de l’intelligence sur elle-même en ce sens qu’elle se saisit elle-même par son intellection alors qu’aucun corps n’est capable d’un tel retour sur lui-même Et il avait certes prouvé cela plus haut à la proposition 15 où il dit : tout ce qui a la capacité de faire un retour sur soi-même est incorporel, ce qu’il prouve de la manière qui suit : rien de corporel ne possède l’aptitude à faire un retour sur soi-même ; si en effet ce qui se tourne vers quelque chose doit s’unir à ce vers quoi il se tourne, il est clair que toutes les parties du corps de celui qui fait un retour sur lui-même seront unies à toutes ses parties : ce qui est impossible pour tout ce qui est divisible en raison de la séparation des parties, les parties différentes occupant un endroit différent. Et certes cette preuve est ajoutée ici d’une manière assez confuse puisqu’il dit : et certes la signification de cela, à savoir que l’intelligence n’est pas un corps, c’est le retour qu’elle fait sur son essence, c’est-à-dire qu’elle fait un retour sur elle-même en se saisissant elle-même par son acte d’intellection, ce qui lui convient parce qu’elle n’est pas un corps ou une grandeur ayant des parties éloignées les unes des autres. Et c’est là ce qu’il ajoute : à savoir parce qu’elle n’est pas coextensive, c’est-à-dire par une extension de la grandeur, à la chose étendue, à savoir à celle qui a une grandeur, de telle manière qu’une de ses extrémités soit après l’autre, c’est-à-dire distincte de l’autre dans l’ordre de la position. Et parce qu’on pourrait croire que l’intelligence prendrait de l’extension en intelligeant les choses corporelles et comme en les atteignant, il écarte cela en ajoutant : et il en est ainsi parce que lorsqu’elle veut la science des choses corporelles, elle ne lui devient pas coextensive de telle manière qu’elle saisirait la grandeur par la grandeur comme le voulait Empédocle, mais elle-même demeure la même suivant sa disposition, c’est-à-dire qu’elle ne se répand pas en différentes parties. Et il le prouve au moyen de ce qu’il ajoute : parce qu’elle n’est pas une forme de laquelle s’écoule quelque chose. La grandeur en effet n’existe que dans la matière mais l’intelligence est une forme immatérielle d’où rien ne s’écoule soit parce que ses parties ne sont pas distantes les unes des autres, soit parce que, bien qu’elle soit indivisible, rien de ce qui appartient à la chose qui possède de la grandeur n’est inaccessible à sa connaissance ; il ajoute cependant : mais il n’en est certes pas ainsi pour les corps. Il résulte de là qu’on peut conclure que l’intelligence n’est pas un corps. Ensuite, d’après ce qui semble en s’appuyant sur les termes utilisés ici, une autre preuve est introduite pour montrer que l'intelligence n’est pas un corps, c’est-à-dire puisque sa substance, tout comme son opération, est indivisible et que les deux possèdent une unité d’indivisibilité qu’on ne peut retrouver dans les corps ; car le corps est divisé à la fois selon sa substance par une division de la grandeur et selon son opération par une division du temps et aucune de ces divisions ne convient à l’intelligence. Mais voici ce qui est introduit dans le livre de Proclus pour prouver un autre membre de la division, à savoir pour montrer que l’intelligence n’est pas divisée selon le mouvement, lorsqu’il parle ainsi : mais ce qui manifeste que l’intelligence soit éternelle, c’est l’identité de l’opération et de la substance. Et la puissance de cette preuve consiste en ceci que cette réalité à laquelle l’opération advient accidentellement reçoit un changement suivant cette opération puisque parfois elle pose une opération et parfois non, ou qu’elle la pose parfois davantage et parfois moins ; mais au contraire cette réalité, à savoir celle à laquelle son opération convient selon son essence, pose son opération d’une manière invariable et c’est le cas de l’intelligence à laquelle l’opération intellectuelle convient selon la nature de son essence. Il manifeste ensuite le troisième membre de la division, à savoir que l’intelligence n’est pas divisée selon la multiplicité, et pour le manifester il avance qu’il faut poser une certaine multiplicité dans l’intelligence. Il y a en effet une multiplicité de biens qui procèdent de la cause première et la raison en est que l’intelligence ne peut parvenir à la simplicité de l’unité de la cause première et c’est pourquoi la perfection du bien qu’on retrouve dans la cause première est unifiée et simple, alors que dans l’intelligence elle se trouve à être multipliée en de nombreux biens. Cependant, bien qu’il y ait une multiplicité de biens dans l’intelligence, ces derniers forment en elle un tout indivisible ; il ne lui est pas possible en effet de retenir l’existence sans la vie et la vie sans la connaissance comme cela est possible chez les réalités inférieures. Et il en est ainsi parce que, puisque l’intelligence est le premier être créé, elle est l’être qui est le plus proche de la cause première et c’est pourquoi, vu que l’indivisibilité est supérieure à la division, les biens qui se trouvent dans l’intelligence lui conviennent selon une modalité qui, après celle de la cause première, est la plus élevée ; d’où il résulte que l’intelligence possède de manière indivisible cette multiplicité de biens qu’elle tient grâce à une participation de la cause première. Et la preuve que Proclus introduit revient au même. Et finalement il termine son propos comme ayant déjà été prouvé lorsqu’il dit : ¨nous avons donc déjà manifesté la vérité de cette proposition etc.¨

 

Lectio 8

[84243] Super De causis, l. 8 Posita notificatione intelligentiae quantum ad eius substantiam, hic incipit manifestare cognitionem ipsius. Et primo declarat modum quomodo cognoscat alia a se, secundo quomodo cognoscat seipsam et hoc 13 propositione, ibi: omnis intelligentia intelligit essentiam suam et cetera. Circa primum tria facit. Primo declarat modum quomodo cognoscit intelligentia et superiora et inferiora; secundo ostendit quid sit ea superius, 9 propositione, ibi: omnis intelligentiae fixio etc.; tertio ostendit quomodo se habeat in cognitionem inferiorum, ibi: omnis intelligentia est plena formis, 10 propositione. Ad declarandum igitur modum quomodo intelligentia cognoscat et superiora et inferiora, ponit talem propositionem: omnis intelligentia scit quod est supra se et quod est sub se: verumtamen scit quod est sub se quoniam est causa ei, et scit quod est supra se quia acquirit bonitates ab eo. Cuius quidem propositionis intellectus quantum ad superficiem videtur esse quod causalitas sit intelligentiae ratio intelligendi. Et hoc quidem, si recte consideretur, non habet veritatem, neque quantum ad id a quo causatur intelligentia, neque quantum ad ea quae causat: non enim causatur a sua causa per suam scientiam, sed potius per scientiam causae causantis ipsam; ea vero quae sub se sunt, quamvis intelligentia causet per suam scientiam, non tamen ideo scit ea quia causat ea, sed potius ideo causat ea quia scit ea. Verus autem intellectus huius propositionis est sic accipiendus. Manifestum est enim quod in ordine rerum causa altiorem gradum obtinet quam causatum; si igitur aliquid sit et causa et causatum, medium gradum obtinet inter utrumque, et huiusmodi est intelligentia, nam ipsa causatur a causa prima et est infra eam, causat autem quodammodo ea quae sunt sub ipsa, ut in 3 propositione est expositum, et ita est supra ea. Vult ergo dicere quod, secundum gradum suum quo est causa et causatum, medio modo se habet in intelligendo, nam intelligit id quod est supra se inferiori modo quam illud sit in seipso, quae autem sunt infra se intelligit altiori modo quam sint in seipsis. Et in hoc etiam sensu inducitur in libro Procli CLXXIII propositione, quae talis est: omnis intellectus intellectualiter est et quae ante ipsum et quae post ipsum; quia scilicet tam superiora quam inferiora sunt in intellectu secundum modum eius, id est intellectualiter. Et ad hunc etiam sensum inducitur haec probatio. Dicit enim quod intelligentia quidem est substantia intelligibilis, quia scilicet esse intelligibile convenit ei ratione suae essentiae; ergo secundum modum suae substantiae scit res quas acquirit desuper et res quibus est causa. Et huius ratio est quia unaquaeque res operatur secundum modum formae suae quae est operationis principium, sicut calidum calefacit secundum modum sui caloris; unde oportet quod omne cognoscens cognoscat secundum formam quae est cognitionis principium, scilicet secundum similitudinem rei cognitae, quae quidem est in cognoscente secundum modum substantiae eius; unde oportet quod omne cognoscens secundum modum suae substantiae cognoscat quidquid cognoscit. Cum ergo intelligentia secundum modum suae substantiae sit causa et causatum, erit ipsa quasi quidam terminus vel limes determinans sive distinguens superiora ab inferioribus, ita scilicet quod superiora cognoscit per modum suae substantiae inferiori modo quam res superior sit in seipsa, inferiora vero cognoscit altiori modo quam sint in seipsis. Quod quidem est intelligendum ut modus cognitionis accipiatur ex parte cognoscentis, quia scilicet, quamvis causa prima sit superintellectualis, intelligentia non cognoscit eam superintellectualiter sed intellectualiter, et similiter, quamvis corpora sint materialia et sensibilia in seipsis, intelligentia tamen non cognoscit ea sensibiliter et materialiter sed intellectualiter. Si vero accipiatur modus cognitionis ex parte rei cognitae, sic cognoscit unumquodque prout est in seipso: cognoscit enim intelligentia quod causa prima est superintellectualiter in seipsa et quod res corporales habent in seipsis esse materiale et sensibile. Et ex his patet intellectus omnium eorum quae hic dicuntur.

8) « Toute intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est au-dessous d'elle : mais elle connaît ce qui est au-dessous d'elle parce qu'elle en est la cause, et elle connaît ce qui est au-dessus d'elle parce qu’elle en reçoit les bontés »

 

Ayant avoir manifesté ce qu'est l’intelligence quant à sa substance, l’auteur commence ici à en traiter sous le rapport de sa connaissance. Et en premier lieu annonce le mode selon lequel elle connait les choses qui sont autres quelle; en deuxième lieu, à la proposition 13, comment elle se connaît elle-même, où il dit : ¨Toute intelligence saisit son essence par son intellection etc¨. Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu il signifie le mode selon lequel l’intelligence connait à la fois ce qui lui est supérieur et ce qui lui est inférieur; en deuxième lieu il montre à la proposition 9 ce qui lui est supérieur, là où il dit : ¨La stabilité de toute intelligence etc; il montre enfin en troisième lieu, à la proposition 10, comment elle connaît ce qui lui est inférieur, là où il dit : ¨toute intelligence est pleine de formes etc.¨

Donc, pour signifier le mode selon lequel l’intelligence connaît à la fois ce qui lui est supérieur et ce qui lui est inférieur, il présente cette proposition : ¨toute intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est au-dessous d’elle mais cependant elle connaît ce qui est au-dessous d’elle parce qu’elle en est la cause alors qu’elle connaît ce qui est au-dessus d’elle parce que c’est de là qu’elle tient ses biens.¨ Certes, le sens de cette proposition semble être au premier coup d’œil que la causalité de l’intelligence soit la raison de son intellection. Mais si on considère attentivement et correctement cette interprétation, elle n’est vraie ni quant à ce par quoi l’intelligence est causée, ni quant aux choses qu’elle cause : en effet, ce n’est pas au moyen de sa science à elle qu’elle est causée par sa cause mais c’est plutôt au moyen de la science de la cause qui la cause ; mais pour ce qui est des choses qui sont sous elle, bien que l’intelligence les cause par sa science, ce n’est cependant pas parce qu’elle les cause qu’elle les connaît, mais plutôt parce qu’elle les connaît qu’elle les cause. C’est ainsi que doit se prendre la vraie interprétation de cette proposition. Il est manifeste en effet que dans l’ordre des choses la cause tient un rang plus élevé que l’effet. Si donc il existe un être qui est à la fois cause et effet, il tient un rang intermédiaire entre l’un et l’autre, et l’intelligence est un être de cette sorte car elle se trouve à être causée par la cause première et lui est inférieure mais elle cause en quelque sorte les choses qui sont sous elle, ainsi que nous l’avons expliqué à la proposition 3, et elle leur est par conséquent supérieure. L’auteur veut donc dire ici que d’après son rang par lequel l’intelligence est cause et effet, elle intellige d’une manière intermédiaire ; car elle intellige ce qui est au-dessus d’elle d’une manière qui est inférieure à la manière dont cet Être existe en lui-même, mais elle intellige les choses qui sont sous elle d’une manière qui est supérieure à la manière dont ces choses existent en elles-mêmes. Et c’est pour signifier la même chose que Proclus introduit l’énoncé suivant à la proposition 173 de son livre : ¨toute intelligence est intellectuellement à la fois ce qui lui est antérieur et ce qui lui est postérieur¨, c’est-à-dire parce que les réalités supérieures, tout comme celles qui sont inférieures, existent dans l’intelligence selon le mode qui lui est propre, c’est-à-dire d’une manière intellectuelle. Et c’est aussi à cette signification qu’il faut ramener cette preuve de la proposition 8. L’auteur dit en effet que l’intelligence est certes une substance intelligible, c’est-à-dire parce que l’intelligibilité lui convient en raison de son essence ; c’est donc suivant le mode de sa substance qu’elle connaît les choses qu’elle acquiert d’en haut et celles dont elle est la cause. Et la raison en est que toute réalité opère suivant la modalité de sa forme qui est le principe de l’opération tout comme le chaud réchauffe suivant la modalité de sa chaleur ; c’est pourquoi il faut que tout être connaissant connaisse selon la forme qui et le principe de la connaissance, à savoir d’après une similitude de la chose connue, laquelle chose existe certes dans celui qui connaît suivant le mode de sa substance à lui ; il résulte de là qu’il faut que tout être connaissant connaisse tout ce qu’il connaît suivant le mode de sa substance. Donc, puisque c’est suivant le mode de sa substance que l’intelligence est cause et effet, elle sera elle-même comme un certain terme ou une limite qui détermine ou distingue les réalités supérieures de celles qui sont inférieures, c’est-à-dire de telle manière que, suivant le mode de sa substance, elle connaisse celles qui sont supérieures d’une manière qui est inférieure à celle par laquelle ces dernières existent en elles-mêmes, mais les réalités inférieures d’une manière qui est supérieure à celle par laquelle ces réalités existent en elles-mêmes. Et cela doit certes s’entendre de telle manière que le mode de connaissance doit se prendre du côté de celui qui connaît, c’est-à-dire que bien que la cause première soit supra-intellectuelle, l’intelligence ne la connaît pas supra-intellectuellement, mais intellectuellement et de la même manière, bien que les corps soient matériels et sensibles en eux-mêmes, cependant l’intelligence ne les connaît pas d’une manière sensible et matérielle, mais intellectuellement. Mais si on considère le mode de connaissance du côté de la chose connue, l’intelligence connaît alors chaque chose selon ce qu’elle est en elle-même : l’intelligence connaît en effet que la cause première existe supra-intellectuellement en elle-même et que les choses corporelles possèdent en elles-mêmes une existence matérielle et sensible. Et c’est ainsi, suite à tout ce que nous avons dit ici, que cette proposition devient claire.

 

Lectio 9

[84244] Super De causis, l. 9 Postquam posuit modum quo intelligentia cognoscit quod supra se est et id quod sub ipsa est, hic ostendit quid sit supra ipsam, inducens propositionem ad manifestandum quod intelligentia dependet ex causa prima, quae talis est: omnis intelligentiae fixio et essentia est per bonitatem puram quae est per causam primam. Hanc autem propositionem Proclus ponit sed universalius, dicens XII propositione sui libri: omnium entium principium et causa prima bonum est. Idem autem significatur in hac propositione quod dicitur bonitas pura et quod in propositione Procli dicitur bonum. Bonitas enim pura dicitur bonitas non participata, sed ipsa essentia bonitatis subsistens, quam Platonici vocabant ipsum bonum; quod quidem essentialiter et pure et prime bonum oportet quod sit prima causa omnium, quia, ut Proclus probat, semper causa est melior causato, unde oportet id quod est prima causa esse optimum; hoc autem est id quod est ipsa bonitatis essentia, unde oportet id quod est essentialiter bonum esse primam omnium causam. Et hoc est quod Dionysius dicit I capitulo de divinis nominibus: quoniam autem Deus est ipsa bonitatis essentia per ipsum suum esse, omnium est existentium causa. Unde et intelligentiae quae habent esse et bonitatem participatam, oportet quod dependeant a bonitate pura sicut effectus a causa; et hoc est quod dicit quod intelligentiae fixio et essentia est per bonitatem puram, quia scilicet intelligentia ex prima bonitate habet esse fixum, id est immobiliter permanens. Hoc autem probat dupliciter, primo quidem per effectum ipsius intelligentiae. Et consistit vis suae probationis in hoc quia, si alicuius rei propria operatio inveniatur in re alia, oportet ex necessitate quod res illa habeat ex participatione alterius hanc operationem sicut effectus habet aliquid a causa: puta, si ferrum ignitum faciat propriam operationem ignis adurendo, oportet dicere quod hoc ferrum habeat ab igne sicut effectus a causa. Est autem propria operatio ipsius Dei quod sit universalis causa regitiva omnium, ut in 3 propositione habitum est; unde ad hanc operationem nihil pertingere potest nisi in quantum participat illud a prima causa sicut effectus eius. Quia vero causa prima est maxime una, quanto aliqua res fuerit magis simplex et una, tanto magis appropinquat ad causam primam et magis participat propriam operationem ipsius. Intelligentiae vero sunt maioris unitatis et simplicitatis quam res inferiores; cuius signum est quia quaecumque sunt infra intelligentiam habentia cognoscitivam virtutem, non possunt attingere ad cognoscendum intelligentiae substantiam propter excessum simplicitatis ipsius, per quam etiam rationem sensus corporeus deficit a cognitione rei intelligibilis. Et quod sit simplicior ex hoc manifestatur quia est causa rerum inferiorum per modum quod supra dictum est in 3 propositione; et hoc manifestatur per id quod subsequitur quia intelligentia regit omnes res quae sunt sub ea per virtutem divinam quae est in ea, intelligitur autem in regimine ordinatio et motio inferiorum ad finem, et per huiusmodi virtutem divinam in se existentem retinet, id est conservat, res ab impedimentis sui regiminis,- haec enim duo, scilicet regere et retinere, sunt propria causae in comparatione ad effectum,- ideo intelligentia per virtutem divinam regit res et retinet eas, quia per ipsam est causa rerum. Quomodo autem retineat res inferiores manifestat per hoc quod subdit quod ipsa retinet causas omnes quae sunt sub ea, et comprehendit eas, imprimendo scilicet eis virtutem suam; non enim est causa omnium inferiorum immediate, nisi mediantibus causis inferioribus. Hoc autem quod dixerat probat consequenter per hoc quia omne quod est primum in rebus et causa eis, retinet illas res et regit eas, ut dictum est. Et nihil eorum quae subsunt alicui causae, possunt eximi a regimine et retentione suae causae per aliquam virtutem extraneam. Et ideo cum intelligentia sit prima respectu inferiorum, et per consequens causa eorum per modum praemissum, consequens est quod habeat respectu inferiorum quasi officium principis in retinendo et regendo. Sic enim videmus quod etiam ea quae sunt infra intelligentiam habent virtutem regitivam per virtutem intelligentiae, sicut per naturam, quae est principium motus in rebus naturalibus, reguntur et retinentur ea quae subsunt naturae; unde similiter intelligentia regit naturam et alia quae sibi subsunt per virtutem divinam. Sic igitur ex superioribus probatum est quod intelligentia quasi princeps regit et retinet inferiora per virtutem superioris causae, et hoc ideo quia ipsa est causa earum; et quod sit causa procedit ex hoc quod est vehementioris unitatis. Sed quomodo ex hoc quod est causa, sequatur quod retineat causata et regat, nondum erat probatum. Et ideo huius probationem subdit: et intelligentia quidem non est facta retinens res quae sunt post ipsam et regens eas et suspendens virtutem suam super eas, nisi quoniam ipsae non sunt virtus substantialis ipsi, immo ipsa est virtus virtutum substantialium, quoniam est causa eis. Cuius probationis haec virtus est quia unaquaeque res regitur et conservatur per aliquam virtutem suam, per quam aliquid operatur ad finem et impedimentis resistit; sed virtus causati dependet ex virtute causae et non e converso. Cum enim virtus sit operandi principium in unoquoque, necesse est quod illud sit virtus virtutis alicuius rei a quo habet quod sit operandi principium. Dictum est autem in 1 propositione quod causa inferior operatur per virtutem causae superioris, unde virtus causae superioris est virtus virtutis causae inferioris; et per hunc modum dicit quod virtus intelligentiae est virtus virtutum substantialium, id est virtutum quae sunt propriae substantiis inferiorum rerum. Sic igitur patet quod intelligentia regit et retinet res inferiores, virtutem suam expandens super eas, ex hoc quod est causa eis. Quae autem sint inferiora quae regit, ostendit subdens quod intelligentia comprehendit generata, id est continet sub se sicut effectus quos regit et retinet, res generabiles et corruptibiles, et naturam, quae est principium motus in ipsis et invenitur primo in primo corporum; comprehendit etiam horizontem naturae, scilicet animam - dictum est enim supra in 2 propositione quod anima est in horizonte aeternitatis et temporis, existens infra aeternitatem et supra tempus - quia ipsa est supra naturam, quae est principium motus qui tempore mensuratur. Quod autem intelligentia comprehendat omnia supradicta, probat per hoc quod natura continet generationem, id est res generatas, tamquam principium generationis existens: particularis quidem natura generationis particularis; universalis autem natura quae est in corpore caelesti comprehendit universaliter omnem generationem sicut suum effectum. Anima vero continet naturam, quia secundum opinionem ponentium corpora caelestia animata, quam auctor huius libri supponit, anima est principium motus primi corporis et consequenter omnium motuum naturalium, ut in 3 propositione habitum est. Et iterum intelligentia continet animam, quia anima ab intelligentia participat intelligibilem operationem, sicut in eadem propositione dictum est. Unde concludit quod intelligentia continet omnes res, quia quidquid continetur a contento continetur a continente, et repetit causam quare hoc conveniat intelligentiae, scilicet propter virtutem causae primae cuius est proprium supereminere omnibus, non per virtutem alterius, sed per propriam virtutem; ipsa enim per suam virtutem divinam est causa intelligentiae et animae et naturae et reliquarum rerum scilicet generabilium et corruptibilium. Sic igitur ostensum est quod intelligentia dependet a causa prima per hoc quod ab ea habet virtutem universalem continendi inferiora. Deinde cum dicit: et causa quidem prima etc., ostendit idem ex conditione causae primae, quasi demonstratione ostendente propter quid; nam praemissa probatio fuit magis per signum. Et primo ponit probationem, secundo excludit obiectionem, ibi: quod si dixerit aliquis et cetera. Dicit ergo primo, quasi proponens quod probare intendit, quod causa prima neque est intelligentia neque anima neque natura, sed est supra omnia ista, quasi creatrix eorum cum quodam ordine, nam intelligentiam creat immediate, animam vero et naturam et reliquas res mediante intelligentia. Quod intelligendum est, sicut supra dictum est in 3 propositione, non quod esse eorum sit creatum ab intelligentia, sed quia ista secundum suam essentiam sunt creata solum a causa prima, per intelligentiam vero sortiuntur quasdam perfectiones superadditas. Hoc autem quod causa prima creet omnia praedicta, incipit probare, ibi: et scientia quidem divina et cetera. Ad cuius probationis intellectum sciendum est quod perfectionum provenientium in rebus a causa prima aliquid est quod pervenit ad omnia etiam usque ad generabilia et corruptibilia, scilicet esse; aliquid autem est quod non pervenit ad effectus in quantum sunt effectus, sed solum ad causas in quantum sunt causae, scilicet virtus, unde participatio virtutis pervenit usque ad naturam quae habet rationem principii; aliquid vero est quod pervenit usque ad animam intellectualem, scilicet scientia, quae tamen inferiori modo est in anima quam in intelligentia, nam intelligentiae convenit sine motu in quantum statim apprehendit veritatem, animae vero convenit cum quodam motu prout ex uno procedit ad aliud. Sic igitur ad intelligentiam et animam pervenit et esse et virtus et scientia, ad naturam esse et virtus, ad generata esse tantum. Si igitur causa prima est causa omnis scientiae et virtutis et totius esse, consequens est quod ab ipsa omnia creentur. Quod autem sit omnium horum causa probat per hoc quod id quod est primum et excellentissimum in unoquoque ordine est causa omnium consequentium in ordine illo; sed causa prima habet scientiam excellentiorem omni scientia, et virtutem excellentiorem omni virtute, et esse excellentius omni ente: est igitur causa omnis scientiae et virtutis et esse. Et ex hoc sequitur quod sit creatrix et intelligentiae et animae et naturae et reliquorum. Primo ergo manifestat de scientia, et dicit quod scientia divina non est sicut scientia intelligibilis, quia scientia intelligentiae est per participationem rei intellectae, et multo minus est sicut scientia animalis, quae non solum est per participationem rei intellectae sed etiam per participationem luminis intellectualis ab intelligentia mobiliter se habens circa scientiam. Immo scientia divina est supra scientiam intelligentiae et supra scientiam animae, quia immobiliter et absque omni participatione intelligibilis luminis vel rei intellectae habet scientiam essentialem, per suam essentiam cognoscens res, et hoc ideo est quia ipsa est creatrix omnis scientiae; unde oportet quod sit omni scientia superior. Idem autem prosequitur de virtute, et dicit quod virtus divina est supra omnem virtutem intelligibilem et animalem et naturalem, quia et intelligentia et anima et natura habent virtutem participatam ab alio, sicut virtus causae secundae participatur a virtute causae primae quae non est participata ab alio, sed ipsa est causa omnis virtutis. Similiter etiam prosequitur quantum ad esse, ostendens quod causa prima habet altiori modo esse quam omnia alia. Nam intelligentia habet yliatim, id est aliquid materiale vel ad modum materiae se habens; dicitur enim yliatim ab yle, quod est materia. Et quomodo hoc sit, exponit subdens: quoniam est esse et forma. Quidditas enim et substantia ipsius intelligentiae est quaedam forma subsistens immaterialis, sed quia ipsa non est suum esse, sed est subsistens in esse participato, comparatur ipsa forma subsistens ad esse participatum sicut potentia ad actum aut materia ad formam. Et similiter etiam anima est habens yliatim, non solum ipsam formam subsistentem sed etiam ipsum corpus cuius est forma. Similiter etiam natura est habens yliatim, quia corpus naturale est vere compositum ex materia et forma. Causa autem prima nullo modo habet yliatim, quia non habet esse participatum, sed ipsa est esse purum et per consequens bonitas pura quia unumquodque in quantum est ens est bonum; oportet autem quod omne participatum derivetur ab eo quod pure subsistit per essentiam suam; unde relinquitur quod essentia intelligentiae et omnium entium sit a bonitate pura causae primae. Sic igitur patet ratio quare supra dixit quod causa prima non est intelligentia neque anima neque natura, quia eius scientia excedit scientiam intelligentiae et animae, et eius virtus excedit omnem virtutem, et eius esse omne esse. Deinde cum dicit: quod si dixerit aliquis etc., excludit quamdam obiectionem. Posset enim aliquis dicere quod, si causa prima sit esse tantum, videtur quod sit esse commune quod de omnibus praedicatur et quod non sit aliquid individualiter ens ab aliis distinctum; id enim quod est commune non individuatur nisi per hoc quod in aliquo recipitur. Causa autem prima est aliquid individuale distinctum ab omnibus aliis, alioquin non haberet operationem aliquam; universalium enim non est neque agere neque pati. Ergo videtur quod necesse sit dicere causam primam habere yliatim, id est aliquid recipiens esse. Sed ad hoc respondet quod ipsa infinitas divini esse, in quantum scilicet non est terminatum per aliquod recipiens, habet in causa prima vicem yliatim quod est in aliis rebus. Et hoc ideo quia, sicut in aliis rebus fit individuatio rei communis receptae per id quod est recipiens, ita divina bonitas et esse individuatur ex ipsa sui puritate per hoc scilicet quod ipsa non est recepta in aliquo; et ex hoc quod est sic individuata sui puritate, habet quod possit influere bonitates super intelligentiam et alias res. Ad cuius evidentiam considerandum est quod aliquid dicitur esse individuum ex hoc quod non est natum esse in multis; nam universale est quod est natum esse in multis. Quod autem aliquid non sit natum esse in multis hoc potest contingere dupliciter. Uno modo per hoc quod est determinatum ad aliquid unum in quo est, sicut albedo per rationem suae speciei nata est esse in multis, sed haec albedo quae est recepta in hoc subiecto, non potest esse nisi in hoc. Iste autem modus non potest procedere in infinitum, quia non est procedere in causis formalibus et materialibus in infinitum, ut probatur in II metaphysicae; unde oportet devenire ad aliquid quod non est natum recipi in aliquo et ex hoc habet individuationem, sicut materia prima in rebus corporalibus quae est principium singularitatis. Unde oportet quod omne illud quod non est natum esse in aliquo, ex hoc ipso sit individuum; et hic est secundus modus quo aliquid non est natum esse in multis, quia scilicet non est natum esse in aliquo, sicut, si albedo esset separata sine subiecto existens, esset per hunc modum individua. Et hoc modo est individuatio in substantiis separatis quae sunt formae habentes esse, et in ipsa causa prima quae est ipsum esse subsistens.

9) La stabilité et l’essence de toute intelligence lui viennent du bien pur qui est la cause première.

 

Après avoir présenté le mode par lequel l'intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est en dessous d'elle, l’auteur montre ici ce qui est au-dessus d'elle, en introduisant cette proposition destinée à manifester que l’intelligence dépend de la cause première : ¨La stabilité et l’essence de toute intelligence lui viennent de la pure  bonté qui procède de la cause première¨. Cependant Proclus présentte cette proposition, mais plus universellement, lorsqu’il dit à la proposition 12 de son livre : ¨Le principe et la cause première de tous les êtres est le bien¨. Mais ce que notre auteur appelle  pure bonté dans cette proposition signifie la même chose que ce que Proclus appelle bien. Ce qu’on appelle ¨bonté pure¨, c'est la bonté non participée, l’essence subsistante même de la bon que les Platoniciens appellaient  ¨le bien en soi¨. Mais il faut que le bien pris essentiellement, absolument et dans son origine soit la cause première de tous les êtres car, comme le prouve Proclus, la cause est toujours supérieure à son effet, d’où il s’ensuit que la cause première soit ce qu’il y a de plus parfait ; or ce qu’il y a de plus parfait est précisément l’essence même de la bonté ou du bien ; d’où il faut que ce qui est le bien pris dans son essence même soit la cause première de tous les êtres. Et c’est justement ce que dit Denys au livre I des Noms Divins[5] : ¨Mais puisque Dieu est l’essence même de la bonté par son existence même, il est la cause de tout ce qui existe¨. Et c'est pourquoi il faut que les intelligences qui possèdent une existence et une bonté participées dépendent de la bonté pure à la manière dont un effet dépend de sa cause. Et c’est ce que dit notre auteur, à savoir que la stabilité et l’essence de l’intelligence  procède de la bonté pure, c’est-à-dire que l’intelligence tient de la bonté première son existence stable et toujours immobile. Mais l’auteur prouve ceci de deux manières, et premièrement au moyen de l’effet de l’intelligence. Et la force de sa preuve consiste en ceci que si lopération propre d'une chose se retrouve dans une autre, il faut nécessairement que cette chose possède cette opération par une participation de la première à la manière dont un effet tient quelque chose de sa cause : par exemple, si le fer enflammé pose l’opération propre du feu en brûlant, il faut dire que le fer tient cela du feu comme l’effet qui le tient de sa cause. Mais l’opération propre de Dieu est qu’il soit la cause universelle qui gouverne tous les êtres comme nous l’avons établi à la proposition 3 ; il résulte de là qu’aucun être ne peut parvenir à poser cette opération que par une participation de la cause première dont il est l’effet. Mais parce que la cause première est suprêmement une, une réalité s’approchera davantage de la cause première et participera davantage de son opération propre qu’elle sera davantage simple et une. Mais l’unité et la simplicité des intelligences est plus grande que celle des réalités inférieures, et le signe en est que toutes les choses qui sont inférieures à l'intelligence et qui possèdent une puissance cognitive ne peuvent parvenir à connaitre la substance de l’intelligence en raison de la transcendance de sa simplicité, et c’est pour la même raison que le sens corporel est impuissant à connaître la réalité intelligible. Et il est manifeste que l’intelligence possède une plus grande simplicité parce qu’elle est la cause des réalités inférieures à la manière que nous avons dite à la proposition 3 ; et cela est manifesté par ce qui suit : l’intelligence gouverne toutes les réalités qui sont sous elle par la puissance divine qui est en elle ; mais par gouvernement on entend l’ordonnance et la motion des réalités inférieures vers leur fin, et c’est par cette puissance divine qui existe en elle qu’elle conserve, c’est-à-dire qu’elle protège les choses de ce qui fait obstacle à son gouvernement ; et ces deux opérations, à savoir gouverner et conserver, sont propres à la cause par rapport à l’effet, et c’est pourquoi l'intelligence gouverne les choses et les conserve parce que c’est par la puissance divine qu’elle est cause des choses. Mais l’auteur manifeste de quelle manière l’intelligence conserve les choses inférieures au moyen de ce qu’il ajoute : ¨l’intelligence elle-même conserve toutes les causes qui sont sous elle et les contient¨, c’est-à-dire en leur imprimant sa puissance; en effet, ce n’est pas d’une manière immédiate qu’elle est la cause de toutes les réalités inférieures, mais par l’intermédiaire des causes inférieures. Mais il prouve par la suite ce qu’il a dit par ceci que  tout ce qui est premier pour les choses et qui les cause est aussi ce qui les conserve et les gouverne, comme nous l’avons dit. Et rien de ce qui est subordonné à une cause ne peut se soustraire au gouvernement et à la conservation de sa cause au moyen d’une puissance étrangère.  C’est pourquoi, puisquie l’intelligence est première par rapport aux réalités inférieures et qu’elle est par conséquent leur cause de la manière que nous avons dite, il s’ensuit qu’elle tient comme le rôle d’un chef par rapport aux réalités inférieures en les conservant et en les gouvernant. Nous voyons en effet que même les réalités qui sont sous l’intelligence ont un pouvoir de gouverner par la puissance de l'intelligence, tout comme c’est par la nature, laquelle est un principe de mouvement dans les choses naturelles, que les choses qui sont soumises à la nature sont gouvernées et conservées ; de la même manière, il résulte de là que c’est par la puissance divine que l’intelligence gouverne la nature et les autres choses qui sont sous elle.  

Ainsi donc, il a été prouvé que l'intelligence, un peu à la manière d’un prince, gouverne et conserve les réalités inférieures par la puissance de la cause supérieure et il en est ainsi parce qu’elle est leur cause. Et que l’intelligence soit cause, cela lui vient de ce qu’elle est plus profondément unifiée. Mais comment il découle, du fait qu’elle soit cause, que l’intelligence conserve ses effets et les gouverne, cela n’a pas encore été  prouvé et c’est pourquoi l’auteur en ajoute ici la preuve : et l’intelligence n’a certes été faite pour conserver les réalités qui viennent à sa suite, les gouverner et répandre au-dessus d’elles sa puissance que parce qu’elles ne sont pas pour elle une puissance substantielle, et qu’au contraire c’est elle qui est la puissance des puissances substantielles puisqu’elle est leur cause.

Et la puissance de cette preuve tient à ceci que chaque chose est gouvernée et conservée par sa puissance par laquelle cette chose agit en vue de sa fin et résiste aux obstacles ; mais la puissance de l’effet dépend de la puissance de la cause et non inversement. En effet puisqu’en chaque chose la puissance est principe d’opération, il est nécessaire que cela même d’où une puissance tient d’être un principe d’opération soit la puissance de cette puissance.

 Mais nous avons dit à la proposition 1 que la cause inférieure agit par la puissance de la cause supérieure et c’est pourquoi la puissance de la cause supérieure est la puissance de la puissance de la cause inférieure et c’est en ce sens que l’auteur dit que la puissance de l’intelligence est la puissance des puissances substantielles, c’est-à-dire des puissances qui sont propres aux substances des réalités inférieures. Ainsi donc il apparaît que l’intelligence gouverne et conserve les réalités inférieures en déployant sur elles sa puissance du fait qu’elle en est la cause. Mais il manifeste quelles sont ces réalités inférieures que l’intelligence gouverne en ajouant que l’intelligence embrasse les réalités qui sont engendrées, c’est-à-dire qu’elle contient sous elles, comme des effets qu’elle gouverne et protège, les choses qui sont soumises à la génération et à la corruption, ainsi que la nature, laquelle est le principe de mouvement dans ces choses et qu’on retrouve en premier lieu dans le premier des corps ; elle embrasse aussi l’horizon de la nature, c’est-à-dire l’âme ; nous avons dit en effet à la proposition 2 que l’âme est dans l’horizon de l’éternité et du temps, et qu’elle existe sous l’éternité et au-dessus du temps, laquelle est le principe du mouvement qui est mesuré par le temps. Mais que l’intelligence embrasse tout ce qui précède, il le prouve par ceci que la nature, à titre de principe de la génération, contient la génération, c’est-à-dire les choses engendrées : certes la nature particulière est principe d’une génération particulière alors que la nature universelle qui est dans le corps céleste embrasse universellement toute génération comme son effet propre. Mais l’âme embrasse la nature, car selon l’opinion de ceux qui soutenaient que les corps célestes sont animés, ce que l’auteur de ce livre suppose, l’âme est le principe du mouvement du premier corps et par conséquent de tous les mouvements naturels, ainsi que cela a été établi à la proposition 3. Et en outre l’intelligence embrasse ou contient l’âme, parce que l’âme tient de l’intelligence sa participation de l’opération intelligible, ainsi que cela a été dit dans la même proposition. D’où il conclut que l’intelligence contient toutes les réalités, car tout ce qui est contenu par ce qui est aussi contenu est soi-même contenu par ce qui le contient et il rappelle la raison pour laquelle cela convient à l’intelligence, à savoir la puissance de la cause première à laquelle il est propre de dominer toute autre réalité, non pas par la puissance d’un autre, mais par sa puissance propre ; en effet, la cause première elle-même, par sa puissance divine, est cause à la fois de l’intelligence, de l’âme, de la nature et de toutes les autres réalités, à savoir de celles qui sont sujettes à la génération et à la corruption. Ainsi donc il a été montré que l’intelligence dépend de la cause première par ceci que c’est d’elle qu’elle tient sa puissance universelle de contenir les réalités inférieures. Ensuite lorsqu’il dit : et la cause première n’est certes pas etc., il montre la même chose à partir de la condition de la cause première comme par une démonstration procédant par la cause ; car la preuve précédente procédait davantage d’un signe. Et en premier lieu il présente la preuve et en deuxième lieu il écarte une objection où il dit : mais si on disait etc. Il dit donc en premier lieu, comme en présentant ce qu’il cherche à prouver, que la cause première n’est ni l’intelligence, ni l’âme, ni la nature, mais, comme à titre de créatrice, elle les transcende toutes en suivant un ordre  car elle crée l’intelligence de façon immédiate, mais elle crée l’âme, la nature et le reste des choses par l’intermédiaire de l’intelligence. Et il faut entendre cela de la manière que nous avons dite à la proposition 3, c’est-à-dire non pas dans le sens où leur existence serait créée par l’intelligence, car ces réalités, sous le rapport de leur essence, ne sont créées que par la cause première, mais elles reçoivent en partage des perfections supplémentaires par l’intermédiaire des intelligences. Mais il commence à prouver que la cause première crée toutes les réalités dont nous venons de parler où il dit : et la science divine etc.  Mais pour comprendre cette preuve il faut savoir que parmi les perfections qui procèdent de la cause première vers ces choses, il y en a une qui parvient à toutes ces réalités et même à celles qui sont sujettes à la génération et à la corruption, à savoir l'existence ; il y en a une autre qui ne parvient pas à des effets en tant qu’ils sont effets, mais seulement à des causes en tant que causes, comme la puissance et c’est pourquoi la participation de la vertu parvient jusqu’à la nature qui a raison de principe ; il y en a une autre qui parvient jusqu’à l’âme intellectuelle , à savoir la science, laquelle existe cependant dans l’âme selon une modalité qui est inférieure à celle qu’on retrouve dans l’intelligence, car il convient à l’intelligence d’appréhender la vérité de manière immédiate et sans aucun mouvement alors qu'il convient à l’âme d’appréhender la vérité d’après un certain mouvement selon qu’elle procède d’un point à un autre. Ainsi donc l’existence, la puissance et la science parviennent à l’intelligence et à l’âme, l’existence et la puissance à la nature mais l’existence seulement aux choses engendrées. Ainsi donc la cause première est la cause de toute science, de toute puissance et de toute existence et il découle de là que toutes les réalités sont créées par elle. Mais il prouve que la cause première est la cause de toutes ces réalités par ceci que tout ce qui est premier et le plus excellent dans un tout ordre donné est la cause de tout ce qui est second dans cet ordre ; mais la cause première possède une science qui est plus excellente que toute autre science, une puissance qui est plus excellente que toute autre puissance, et une existence qui est plus excellente que toute autre existence : elle est donc la cause de toute science, de toute puissance et de toute existence. Et il découle de là que c’est elle, la cause première, qui est la cause de l’intelligence, de l’âme, de la nature et de tout le reste.  Il le manifeste donc en premier lieu au sujet de la science, et il dit que la science divine n’est pas comme la science intelligible,  car la science de l’intelligence a lieu par une participation de la chose intelligée, et elle est encore moins comme la science de l’animal, laquelle a lieu non seulement par une participation de la chose intelligée,  mais aussi par une participation de la lumière intellectuelle qui procède de l’intelligence, lumière qui se présente avec mouvement par rapport à cette science. Au contraire la science divine transcende à la fois la science de l’intelligence et la science de l’âme, parce qu’elle possède une science essentielle sans aucun mouvement et sans aucune participation de la lumière intelligible ou de la chose intelligée, connaissant la chose par sa seule essence, et il en est ainsi parce qu’elle est elle-même créatrice de toute science ; d’où il faut qu’elle soit supérieure à toute science.  Et il poursuit le même objectif au sujet de la puissance, et il dit que la puissance divine transcende toute puissance, qu’elle soit intelligible, animale ou naturelle car l’intelligence, l’âme et la nature possèdent une puissance qu’elles participent d’une autre, tout comme la puissance de la cause seconde participe de la puissance de la cause première, laquelle ne participe pas d’une autre, mais elle est la cause de toute puissance. Et il continue de la même manière au sujet de l’existence en montrant que la cause première possède l’existence selon une modalité qui est plus excellente que celle de tous les autres êtres. Car l’intelligence possède une yliatin, c’est-à-dire quelque chose de matériel ou qui se présente à la manière d’une matière. Le nom yliatin vient de ylè qui signifie matière en grec. Et notre auteur explique comment cela est possible en ajoutant : puisqu’elle est à la fois existence et forme. En effet, la quiddité ou la substance de l’intelligence est une certaine forme immatérielle subsistante, mais parce qu’elle n’est pas son existence même, mais qu’elle est subsistante dans une existence qui est participée, la forme subsistante elle-même se compare à l’existence participée comme une puissance à un acte ou comme une matière à une forme. Et de la même manière encore l’âme possède une yliatin, à savoir non seulement la forme susbistante elle-même mais aussi le corps dont elle est la forme. Et il en est encore de même pour la nature qui possède une yliatin, car le corps naturel est véritablement composé de matière et de forme. Mais la cause première est absolument séparée de toute yliatin, car son existence n’est pas participée mais elle est pure existence et par conséquent pure bonté car toute chose est bonne en tant qu’elle est un être ou qu’elle existe ; mais il faut que tout ce qui est participé dérive de ce qui subsiste de la façon la plus pure de par son essence même. D’où il s’ensuit que l’essence de l’intelligence et de tous les êtres procède de la pure bonté de la cause première. On voit donc ainsi la raison pour laquelle il a dit plus haut que la cause première n’est ni l’intelligence, ni l’âme, ni la nature, car sa science transcende la science de l’intelligence et celle de l’âme, sa puissance transcende toute puissance et son existence est infiniment élevée au-dessus de toute existence. Ensuite lorsqu’il dit : mais si quelqu’un disait etc., il écarte une objection. Quelqu’un pourrait dire en effet que, si la cause première est seulement existence, elle apparaîtra comme étant l’être commun qui est attribué à tout ce qui existe et non pas comme un être individuel distinct de tous les autres ; en effet, ce qui est commun n’est individué que par ceci qu’il est reçu dans quelque chose. Mais la cause première est quelque chose d’individuel qui est distinct de tous les autres êtres, autrement elle ne posséderait aucune opération ; l’action et la passion ne se trouvent en effet à être attribuées en aucune manière à l’universel. Il semble donc nécessaire de dire que la cause première possède une yliatin, c’est-à-dire quelque chose qui reçoit l’existence. Mais il répond à cela que l’infinité même de l’existence divine, c’est-à-dire en tant qu’elle n’est pas limitée par quelque chose qui la reçoit, tient la place de l’yliatin qui se trouve dans les autres choses. Et il en est ainsi parce que tout comme dans les autres choses il y a individuation de l’être commun reçu par quelque chose qui le reçoit, de même la bonté ou l’existence divine tient son individuation de sa propre pureté, c’est-à-dire par ceci qu’elle n’est reçue en rien ; et du fait qu’elle soit individuée par sa seule pureté, elle tient sa capacité de répandre ses bontés sur l’intelligence et les autres réalités. Et pour en avoir l’évidence il faut considérer qu’une réalité est dite individuée du fait qu’elle n’est pas apte par nature à se retrouver dans une multiplicité, contrairement à l’universel qui est apte par nature à se retrouver dans une multiplicité. Mais il peut y avoir deux façons pour un être de ne pas être apte à se retrouver dans une multiplicité. Premièrement par ceci qu’il est déterminé à se trouver dans quelque chose d’unique : par exemple si la blancheur est apte à se trouver dans une multiplicité de par la nature de son espèce, cependant telle blancheur qui est reçue dans un sujet ne peut se retrouver qu’en lui. Mais on ne peut procéder à l’infini dans cette modalité car on ne peut procéder à l’infini dans les causes formelles et matérielles comme le Philosophe le prouve au onzième livre de la Métaphysique ; c’est pourquoi il faut en venir à quelque chose qui n’est pas apte par nature à être reçu en autre chose et qui tient de cela même son individuation, comme la matière première qui est principe d’individuation pour les choses corporelles. C’est pourquoi il faut que tout ce qui n’est pas apte par nature à se retrouver dans quelque chose d’autre tienne de cela même son individuation. Et c’est là la deuxième manière pour un être de ne pas pouvoir se retrouver dans une multiplicité, c’est-à-dire parce qu’il n’est pas apte à se retrouver dans quelque chose, comme ce serait le cas par exemple si la blancheur existait séparément et indépendamment de tout sujet, elle serait du coup individuée de cette manière. Et c’est de cette manière qu’il y a individuation chez les substances séparées qui sont des formes possédant l’existence et chez la cause première elle-même qui est l’existence subsistante.

 

Lectio 10

[84245] Super De causis, l. 10 Postquam auctor huius libri ostendit qualiter scit intelligentia quod est supra se et quod est sub se, et quod est supra ipsam, nunc incipit ostendere qualiter intelligat alia a se praeter causam primam. Et primo ostendit communiter qualiter cognoscat omnia alia a se, secundo specialiter quomodo cognoscit res sempiternas, in 11 propositione, ibi: omnis intelligentia et cetera. Primo ergo praemittit talem propositionem: omnis intelligentia est plena formis: verumtamen ex intelligentiis sunt quae continent formas plus universales, et ex eis sunt quae continent formas minus universales. Et hoc etiam invenitur in libro Procli, CLXXVII propositione, sub his verbis: omnis intellectus plenitudo ens specierum, hic quidem universaliorum, hic autem particulariorum est contentivus specierum. Circa hanc igitur propositionem duo oportet considerare: primo id quod est commune omnibus intelligentiis vel intellectibus separatis, scilicet plenitudo formarum vel intelligibilium specierum, secundo differentiam universalitatis et particularitatis in ipsis. Circa primum igitur considerandum est quod, sicut supra iam diximus, Platonici, ponentes formas rerum separatas, sub harum formarum ordine ponebant ordinem intellectuum. Quia enim omnis cognitio fit per assimilationem intellectus ad rem intellectam, necesse erat quod intellectus separati ad intelligendum participarent formas abstractas; et huiusmodi participationes formarum sunt istae formae vel species intelligibiles de quibus hic dicitur. Sed quia, secundum sententiam Aristotelis quae circa hoc est magis consona fidei Christianae, non ponimus alias formas separatas supra intellectuum ordinem, sed ipsum bonum separatum ad quod totum universum ordinatur sicut ad bonum extrinsecum, ut dicitur in XII metaphysicae, oportet nos dicere quod, sicut Platonici dicebant intellectus separatos ex participatione diversarum formarum separatarum diversas intelligibiles species consequi, ita nos dicamus quod consequuntur huiusmodi intelligibiles species ex participatione primae formae separatae, quae est bonitas pura, scilicet Dei. Ipse enim Deus est ipsa bonitas et ipsum esse, in seipso virtualiter comprehendens omnium entium perfectiones. Nam ipse solus per essentiam suam omnia cognoscit absque participatione alicuius alterius formae; inferiores vero intellectus, cum eorum substantiae sint finitae, non possunt per suam essentiam omnia cognoscere, sed ad habendum rerum cognitionem necesse est quod, ex participatione causae primae, speciebus intelligibilibus receptis res intelligant. Unde Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus, quod ex ipsa divina sapientia intelligibiles et intellectuales angelicarum mentium virtutes, simplices et beatos habent intellectus. Et est considerandum, sicut Augustinus dicit II super Genesim ad litteram, quod sicut ex verbo Dei procedunt formae in materiam corporalem ad rerum constitutionem, ita ab eodem, scilicet verbo, in Angelis fit rerum cognitio per huiusmodi specierum intelligibilium receptionem; quia et Platonici ponebant secundum participationem idearum, et intellectus separatos res cognoscere, et materiam corporalem secundum diversas species variari. Sed sciendum est quod eadem diversitas participationis invenitur in intellectibus et in materia corporali. Materia enim inferiorum corporum participat quidem formam aliquam ad esse specificum, sed tamen illa forma non repletur materiae potentia, quae adhuc ad alias formas se extendit; materia vero caelestium corporum repletur forma quam participat, quia non remanet in ea potentia ad aliam formam. Similiter etiam intellectus inferiores humani non replentur intelligibilibus speciebus; sed a principio quidem intellectus possibilis humanus est sicut tabula in qua nihil est scriptum, ut dicitur in III de anima; postmodum autem ordine quodam species recipit, nec tamen in hac vita repletur. Sed intellectus separati statim a principio sunt repleti speciebus intelligibilibus ad cognoscendum omnia ad quae se extendit naturalis facultas ipsorum. Unde Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus, quod intellectus supermundane intelligunt et illuminantur secundum existentium rationes. Et hoc est quod dicitur quod intelligentia est plena formis vel, sicut Proclus expressius dicit, est plenitudo formarum quia ipsa intellectualitas ad propriam naturam intelligentiae vel intellectus separati pertinet. Circa differentiam universalitatis et particularitatis specierum intelligibilium, hoc primo attendendum est quod, sicut hic dicitur et in libro Procli, superiores habent formas magis universales, inferiores vero minus universales. Et hoc etiam Dionysius dicit XII capitulo caelestis hierarchiae, ubi dicit quod Cherubim ordo participat sapientia et cognitione altiori, sed inferiores substantiae participant sapientia et scientia particulariori. Quae quidem universalitas et particularitas non est referenda ad res cognitas, sicut aliqui male intellexerunt existimantes quod Deus non cognosceret nisi universalem naturam entis; cui consequens esset quod in inferioribus intellectibus tanto uniuscuiusque cognitio magis in universali sisteret, quanto esset altior; puta quod unus intellectus cognosceret solum naturam substantiae, inferior vero naturam corporis, et sic usque ad individuas species. Quae quidem estimatio aperte continet falsitatem: cognitio enim qua cognoscitur aliquid solum in universali, est cognitio imperfecta, cognitio vero qua cognoscitur aliquid in propria specie, est cognitio perfecta; cognitio enim speciei includit cognitionem generis, sed non e converso; sequeretur igitur quod, quanto intellectus esset superior, tanto esset eius cognitio imperfectior. Est ergo haec differentia universalitatis et particularitatis attendenda solum secundum id quo intellectus intelligit. Quanto enim aliquis intellectus est superior, tanto id quo intelligit est universalius, ita tamen quod illo universali eius cognitio extendatur etiam ad propria cognoscenda multo magis quam cognitio inferioris intellectus qui per aliquid magis particulare cognoscit. Et hoc etiam experimento in nobis percipimus: videmus enim quod illi qui sunt excellentioris intellectus ex paucioribus auditis vel cognitis totam veritatem alicuius quaestionis vel negotii comprehendunt, quod alii, grossioris intellectus existentes, percipere non possunt nisi manifestetur eis per singula; ratione cuius oportet frequenter inducere. Et ideo Deus cuius intellectus est excellentissimus, uno solo, scilicet essentia sua, omnia comprehendit; aliorum vero intellectuum separatorum, tanto unusquisque paucioribus speciebus et ad plura se extendentibus rerum notitiam habet, quanto est altior, ita quod intellectus humanus qui est infimus, rerum scientiam habere non potest nisi singulis speciebus singularum rerum naturas cognoscat; materia vero corporalis et sensus corporeus omnino ab universali participatione specierum deficere invenitur. Huius igitur differentiae, quae est secundum universalitatem et particularitatem specierum, probatio eadem ponitur hic et in Proclo, et est sumpta ex effectu. Sicut enim intelligentiae per intelligibiles formas cognoscunt, ita et per intelligibiles formas suos effectus producunt, quia omnis intellectus intelligendo operatur, ut infra dicetur. Superiorum autem intelligentiarum sunt maiores virtutes; et hoc ideo quia sunt magis simplices et minoris quantitatis, id est compositionis, utpote uni primo propinquiores; ergo oportet quod virtutes operativae ipsarum ad plura se extendant, et tamen ipsae virtutes sint magis simplices; et ex hoc apparet quod formae superiorum intelligentiarum sunt universaliores. Quomodo autem formae quae sunt in superioribus intelligentiis unitae, multiplicentur in intelligentiis secundis, manifestat consequenter rationem huius assignans, sicut et Proclus, ex parte intelligentiarum inferiorum. Intelligentiae enim inferiores consequuntur intelligibiles species ex superioribus intelligentiis quodammodo ad eas respiciendo, quia intelligentia, sicut omne quod agit intelligendo agit, ita omne quod recipit intelligibiliter recipit, secundum modum scilicet propriae naturae. Et quia natura inferioris intelligentiae non est tantae simplicitatis et unitatis quantae natura superioris intelligentiae, ideo nec formae intelligibiles recipiuntur in intelligentia inferiori in illa unitate in qua sunt in superioribus intelligentiis. Et propter hoc formae intelligibiles magis multiplicantur in inferioribus intelligentiis quam in superioribus; ita quod ea quae intelliguntur a superiori intelligentia per unam speciem intelligibilem, inferior intelligentia intelligit per plures. Sed, quia, sicut dictum est, intelligentia quidquid operatur intelligendo operatur, sicut et intelligendo recipit quod recipit, potest ratio huius multiplicationis specierum assignari, non solum ex parte intelligentiae recipientis, sed etiam ex parte intelligentiae imprimentis, cuius provisione multiplicantur species in inferiori intelligentia secundum suam capacitatem. Unde Dionysius dicit XV capitulo caelestis hierarchiae: unaquaeque essentia intellectualis, donatam sibi a diviniore uniformem intelligentiam, provida virtute dividit et multiplicat ad inferioris ductricem analogiam, id est secundum proportionem inferioris substantiae.

10) Toute intelligence est pleine de formes; pourtant, parmi les intelligences il y en a qui contiennent des formes moins universelles et d'autres qui contiennent des formes plus universelles

 

Après avoir montré  de quelle manière l'intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est sous elle, ainsi que la nature de ce qui est au-dessus d'elle, l'auteur de ce livre commence maintenant à montrer de quelle manière l'intelligence intellige les choses qui sont autres qu’elle, à l'exception de la cause première. Et en premier lieu il montre de quelle manière elle connaît en général les choses qui sont autres qu’elle, et en deuxième lieu, à la proposition 11, comment elle connaît en particulier les réalités éternelles, où il dit : toute intelligence pense etc. En premier lieu il fait donc précéder cette proposition : toute intelligence est pleine de formes : cependant parmi elles il y a celles qui contiennent des formes plus universelles et celles qui contiennent des formes moins universelles. Et on retrouve aussi la même pensée dans le livre de Proclus à la proposition 177, formulée en ces termes : l’être de tout intellect est une plénitude d’espèces, mais celui-ci contient des espèces plus universelles, celui-là des espèces plus particulières. Il y a deux choses à considérer dans cette proposition : premièrement ce qu’il y a de commun à toutes les intelligences ou à tous les intellects séparés, à savoir la plénitude ou l’abondance des formes ou des espèces intelligibles et deuxièmement la différence d’universalité et de particularité qu’on retrouve en elles.

Au sujet du premier point il faut donc considérer que, comme nous l’avons déjà dit, les Platoniciens, en soutenant que les formes des choses existent séparément, posaient, sous l’ordre de ces formes, un ordre des intelligences. En effet, parce que toute connaissance se réalise par une assimilation de l’intellect à la chose intelligée, il était nécessaire que les intellects séparés, pour poser leur acte d’intellection, participent des formes séparées ; et ce sont ces participations des formes qui sont ces formes ou ces espèces intelligibles dont on parle ici. Mais parce que, conformément à la pensée d’Aristote qui s’accorde davantage avec la foi chrétienne à ce sujet, nous ne posons pas d’autres formes séparées au-dessus de l’ordre des intelligences mais seulement le bien séparé lui-même auquel l’univers est ordonné dans sa totalité comme à un bien extérieur, comme le Philosophe le dit au douzième livre de la Métaphysique, il nous faut dire que bien que les Platoniciens disaient que les intellects séparés parviennent à saisir les différentes espèces intelligibles par une participation des différentes formes séparées, de même nous disons par ailleurs que les intellects séparés parviennent à saisir ces espèces intelligibles par la seule participation de la forme séparée première qui est la bonté pure, à savoir Dieu. En effet, c’est Dieu lui-même qui est la bonté même et l’être même qui contient virtuellement en lui les perfections de tous les êtres. Car il est le seul à connaître par son essence tous les êtres sans participer d’aucune autre forme ; mais puisque les intelligences inférieures ont une substance finie, elles ne peuvent connaître tous les êtres par leur essence mais pour acquérir la connaissance des choses il leur est nécessaire des les intelliger après avoir reçu les espèces intelligibles par une participation de la cause première. C’est pourquoi Denys dit au chapitre septième des Noms Divins que c’est de la sagesse divine elle-même que les puissances intelligibles et intellectuelles des esprits angéliques tiennent leur intelligence simple et bienheureuse.

Et il faut considérer, comme le dit Saint-Augustin dans son deuxième livre Sur la Genèse au sens littéral, que tout comme c’est du verbe de Dieu que procèdent les formes dans la matière pour la constitution des choses, de même c’est de Lui, c’est-à-dire du verbe que se réalise la connaissance des choses chez les Anges par la réception de telles espèces intelligibles ; car les Platoniciens soutenaient que c’est par la participation des idées que les intellects séparés connaissent les choses et que la matière corporelle se différencie suivant différentes espèces. Mais il faut savoir que c’est la même différence de participation qu’on retrouve dans les intelligences et dans la matière corporelle. En effet, la matière des corps inférieurs participe certes d’une certaine forme en vue d’une existence spécifique et cependant la puissance de la matière n’est pas comblée par cette même forme puisqu’elle s’étend en outre à d’autres formes ; mais la matière des corps célestes est comblée par la forme dont elle participe parce qu’il ne demeure pas en elle une puissance à l’égard d’une autre forme. De la même manière encore les intelligences inférieures des humains ne sont pas remplies d’espèces intelligibles mais au début l’intellect possible humain est certes comme une table dénudée sur laquelle rien n’est écrit comme le dit le Philosophe au troisième livre de L’Âme ; par la suite cependant il reçoit les espèces suivant un certain ordre sans en être cependant rempli en cette vie. Mais les intelligences séparées au contraire sont aussitôt remplies d’espèces intelligibles dès le début pour connaître tout ce qui est accessible à leur faculté naturelle de connaissance. C’est pourquoi Denys dit au chapitre quatrième des Noms Divins que  les intelligences intelligent et sont illuminées sur les notions des êtres d’une manière qui est au-delà du monde. Et c’est ce que dit notre auteur lorsqu’il affirme que l’intelligence est pleine de formes, tout comme Proclus lorsqu’il dit plus clairement qu’elle est une plénitude de formes car l’intellectualité appartient en propre à la nature de l’intelligence ou de l’intellect séparé. Mais sur la différence de l’universalité et de la particularité des espèces intelligibles, il faut en premier lieu remarquer que tout comme on le dit ici et dans le livre de Proclus, les intelligences supérieures possèdent des espèces intelligibles plus universelles  alors que celles qui sont inférieures en possèdent des moins universelles. Et c’est aussi ce que dit Denys au livre 12 de La Hiérarchie Céleste où il affirme que l’ordre des Chérubins participe d’une sagesse et d’une connaissance supérieures mais que les substances inférieures participent d’une sagesse et d’une science plus particulière. Mais cette universalité et cette particularité ne doivent certes pas se rapporter aux choses connues elles-mêmes comme l’ont pensé à tort ceux qui ont cru que Dieu ne connaîtrait que la nature universelle de l’être, d’où il s’ensuivrait que chez les intellects inférieurs la connaissance de chacun se tiendrait d’autant plus dans l’universel que cette intelligence serait plus élevée : par exemple, un intellect connaîtrait seulement la nature de la substance, un intellect inférieur seulement la nature du corps, et d’autres plus inférieures encore seulement les espèces individuelles. Ce jugement contient certes une fausseté évidente : en effet, la connaissance par laquelle quelque chose n’est connu que dans l’universel est une connaissance imparfaite alors que celle par laquelle une chose est connue dans l’espèce qui lui est propre est une connaissance parfaite ; en effet, la connaissance inclut la connaissance du genre mais non inversement ; donc, d’après cette position, il s’ensuivrait que plus une intelligence est supérieure, plus sa connaissance est imparfaite. Il s’ensuit donc que la différence d’universalité et de particularité doit se vérifier uniquement d’après ce par quoi l’intelligence intellige. En effet, plus une intelligence est supérieure, plus ce par quoi elle intellige  est universel, de telle manière cependant que par cet universel sa connaissance s’étende même à ce qui doit être connu en propre et bien davantage que la connaissance de l’intelligence inférieure qui connaît au moyen d’espèces plus particulières.  Et cela, nous le percevons chez nous par l’expérience : nous voyons en effet que ceux qui possèdent une intelligence plus excellente saisissent toute la vérité d’une question ou d’une affaire à partir d’un petit nombre de choses entendues ou connues, vérité que d’autres, doués d’une intelligence moins fine, n’arrivent à saisir  que si elle leur est manifestée par une multiplicité de cas particuliers, en raison de quoi il faut souvent produire des inductions. Et c’est pourquoi Dieu, dont l’intelligence est la plus excellente, comprend tous les êtres dans l’unicité, c’est-à-dire par sa seule essence ; mais pour les autres intelligences séparées, plus chacune d’elles acquiert la connaissance des choses par un petit nombre d’espèces qui s’appliquent à un plus grand nombre de choses, plus elle est supérieure, de telle manière que l’intelligence humaine, laquelle est la dernière des intelligences, ne peut acquérir la science des choses que si elle connaît les natures des choses individuelles par leurs espèces individuelles ; mais la matière corporelle et le sens corporel se trouvent à être totalement écartés d’une participation universelle des espèces. Donc la preuve de cette différence relative à l’universalité et à la particularité des espèces, à savoir celle qui est présentée ici et celle que présente Proclus, est véritablement la même et elle est tirée de l’effet. En effet, tout comme les intelligences connaissent au moyen des formes intelligibles, de même c’est par les formes intelligibles qu’elles produisent leurs effets car tout intellect opère par son acte d’intellection comme on le dira plus loin. Mais les puissances des intelligences supérieures sont plus grandes ; et il en est ainsi parce qu’elles sont plus simples et d’une moindre quantité, c’est-à-dire parce qu’elles sont moins composées vu qu’elles sont plus proches de l’un premier ; il faut donc que leurs puissances d’opération s’étendre à une plus grande multiplicité bien que leurs puissances elles-mêmes soient plus simples ; et c’est à partir de là qu’il devient clair que les formes des intelligences supérieures  sont plus universelles. Mais de quelle manière les formes qui sont unes dans les intelligences supérieures se trouvent à se multiplier dans les intelligences secondes, il en manifeste par la suite la raison en l’identifiant, tout comme le fait Proclus, du côté des intelligences inférieures. En effet, les intelligences inférieures acquièrent les espèces intelligibles  à partir des intelligences supérieures, en ayant le regard tourné vers elles d’une certaine manière car l’intelligence, tout comme elle fait tout ce qu’elle fait en intelligeant, de même elle reçoit tout ce qu’elle reçoit d’une manière intelligible, c’est-à-dire selon le mode de sa nature propre. Et parce que la nature d’une intelligence inférieure ne possède pas autant de simplicité et d’unité que la nature de l’intelligence supérieure, c’est pourquoi les formes intelligibles reçues dans l’intelligence inférieure ne présentent pas cette unité qu’elles ont dans les intelligences supérieures. Et c’est pour cette raison que les formes intelligibles se multiplient davantage dans les intelligences inférieures que dans celles qui sont supérieures, de telle manière que ce qui est saisi par une intelligence supérieure au moyen d’une seule espèce intelligible est saisi au moyen d’une multiplicité d’espèces par une intelligence inférieure. Mais parce que, comme nous l’avons dit, tout ce qu’une intelligence opère, elle l’opère par son acte d’intellection, tout comme c’est par le même acte qu’elle reçoit ce qu’elle reçoit, la raison de cette multiplication des espèces peut être assignée non seulement du côté  de l’intelligence qui reçoit mais aussi du côté de l’intelligence qui imprime, par la prévoyance de laquelle les espèces se multiplient dans l’intelligence inférieure selon sa capacité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 15 de La Hiérarchie céleste : toute essence intellectuelle divise et multiplie par une prévoyante  puissance l’intelligence uniforme qui lui a été donnée par une intelligence plus divine pour la conduire par analogie à une intelligence inférieure, c’est-à-dire proportionnellement aux capacités de la substance inférieure.  

 

Lectio 11

[84246] Super De causis, l. 11 Ostenso quomodo intelligentia intelligat alia a se, quia per formas intelligibiles quibus est plena, hic specialiter agitur de cognitione qua intelligentia cognoscit res aeternas. Et primo ostendit quod cognoscit res aeternas sive incorruptibiles, secundo ostendit modum quo eas cognoscit, ibi: primorum omnium quaedam sunt et cetera. Circa primum proponit talem propositionem: omnis intelligentia intelligit res sempiternas quae non destruuntur neque cadunt sub tempore. Et intelligit per res sempiternas, ea quae sunt supra tempus et motum, ut expositum est in 2 propositione; signanter autem dicit quae non destruuntur neque cadunt sub tempore: quaedam enim cadunt sub tempore quae tamen non destruuntur, sicut motus caeli qui, cum tempore mensuretur, non destruetur nec cessabit secundum philosophorum positionem. Videtur ergo secundum superficiem intellectus huius propositionis esse quod intelligentia non cognoscat res corruptibiles et cadentes sub tempore, sed solum res incorruptibiles supra tempus existentes. Sed quod non sit hic intellectus propositionis patet ex probatione quae subditur, in qua non probatur quod intelligentia cognoscat sempiterna et non corruptibilia, sed quod non causet immediate nisi sempiterna; unde exponendum est: omnis intelligentia intelligit, id est intelligendo causat res sempiternas. Et hoc patet ex libro Procli qui ad hoc inducit duas propositiones. Quarum una est CLXXII: omnis intellectus perpetuorum est proxime et intransmutabilium secundum substantiam substitutor. Alia est CLXXIV: omnis intellectus intelligendo instituit quae post ipsum. Ex quibus duabus propositionibus auctor huius libri conflavit unam; et dum brevitati studuit, obscuritatem induxit. Probat autem sub hoc sensu hanc propositionem eo modo quo et Proclus, et in hac probatione duo facit: primo enim ostendit quod intelligentia non producit immediate res corruptibiles vel cadentes sub tempore, sed solum res sempiternas, secundo unde veniat corruptibilitas in rebus. Primum autem ostendit sic: intelligentia producit suum effectum secundum suum esse; et hoc ideo quia suum intelligere est sibi connaturale et essentiale, nihil autem producit nisi intelligendo, ut supra manifestavimus; unde relinquitur quod quidquid producit producat per suum esse. Sed esse intelligentiae est incorruptibile et supra tempus aeternitati parificatum, ut in 2 propositione habitum est. Ergo immediatus intelligentiae effectus est sempiternus, non cadens sub corruptione vel tempore. Secundum autem manifestat dicens quod, cum intelligentia immediate non causet res corruptibiles, sequitur quod res corruptibiles non sunt immediate ab intelligentia, sed sunt ab aliqua causa corporea temporali; nam corruptio et generatio in his inferioribus rebus causantur per motum caeli, ipse autem motus caeli non est immediate ab intelligentia sed ab anima, sicut supra dictum est in 3 propositione. Si quis autem hunc processum reducere velit ad intellectum qui superficialiter ex propositione apparet, poterit dicere ulterius quod res corruptibiles cognoscuntur ab intelligentia ut sempiternae; sunt enim in intelligentia sicut non materialiter, quamvis in se sint materiales, ita nec temporaliter sed sempiterne. Quod manifestatur per effectum: quia immediatus effectus intelligentiae est sempiternus; id enim quo intelligentia cognoscit, est principium factivum in ipsa, sicut et artifex per formam artis operatur. Haec autem probatio quae hic inducitur, etsi a quibusdam philosophis concedatur, non tamen necessitatem habet. Hac enim probatione suscepta, multa fundamenta Catholicae fidei tollerentur: sequeretur enim quod Angeli nihil de novo in his inferioribus immediate facere possent, et multo minus Deus qui non solum est aeternus, sed ante aeternitatem, ut supra dictum est, et sequeretur ulterius mundum semper fuisse. Haec enim videtur esse efficacissima ratio ponentium aeternitatem mundi, quae sumitur ex immobilitate factoris. Non enim videtur posse contingere quod aliquod agens nunc incipiat operari, cum prius non operatus fuerit, si omnino immobiliter se habeat, nisi forte aliqua exteriori mutatione praesupposita, quia, ut Averroes in commento VIII physicorum prosequitur, si aliquod agens voluntarium vult aliquid facere post et non prius, ad minus oportet quod imaginetur tempus, quod est numerus motus. Et ideo concludit impossibile esse quod, ex voluntate immobili et aeterna, proveniat effectus novus, nisi praesupposito motu. Et quia haec videtur esse efficacior ratio qua utuntur ad probandum aeternitatem mundi, diligenter est huius rationis solutio attendenda. Considerandum est igitur aliter loquendum esse de agente quod producit aliquid in tempore, atque aliter de agente quod producit tempus simul cum re quae in tempore producitur. Cum enim aliquid in tempore producitur, oportet accipere aliquam proportionem ad tempus, vel solum eius quod producitur, vel etiam producentis ipsius; quandoque enim actio est in tempore,  non solum ex parte eius quod agitur, sed etiam ex parte agentis; in tempore enim est aliquid secundum quod est in motu, cuius numerus tempus est. Quando igitur aliqua mutatio invenitur ex parte eius quod agitur et ex parte agentis, tunc actio secundum utrumque est in tempore; puta cum aliquis alteratus a frigore, de novo sibi venit in mentem ut ignem accendat ad frigus pellendum. Hoc autem non semper contingit: est enim aliquid cuius substantia non est in tempore, sed operatio in tempore est, ut infra dicetur. Huiusmodi ergo agens, absque aliqua sui mutatione, effectum producit in tempore, qui prius non fuerat. Et sic etiam Deus aliquid potest producere in tempore de novo, quod prius non fuerat, secundum certam proportionem huius effectus ad hoc tempus, sicut contingit in omnibus miraculosis effectibus qui fiunt immediate a Deo. Nec obstat quod dicitur quod producit per suum esse, quia suum esse est suum intelligere; et, sicut suum esse est unum, intelligit tamen multa, et propter hoc potest multa producere, quamvis eius intelligere unum et simplex remaneat, ita, quamvis sit suum esse aeternum et immobile, potest tamen intelligere aliquod esse temporale et mobile, et ideo, etsi suum intelligere sit sempiternum, per ipsum tamen producere potest effectum novum in tempore. Cuius indicium aliqualiter in nobis apparet: potest enim homo, voluntate immobili permanente, opus suum in futurum differre, ut faciat illud determinato tempore. Sed si tu dicas quod, quotiens hoc contingit, oportet praeintelligere alium motum ex quo contingat quod aliquid prius non fuerit conveniens fieri, postmodum indicatur ut conveniens ad fiendum, ad minus ipsum temporis decursum qui sine motu intelligi non potest, dicemus hoc quidem verum esse in particularibus Dei effectibus quos in tempore operatur. Quod enim Lazarum suscitavit quarta die et non prius, habito respectu ad aliquam rerum mutationem praecedentem hoc fecit. Sed in universi productione hoc locum non habet, quia simul cum mundo fit etiam tempus et totus universaliter motus; non est ergo aliud tempus praecedens vel motus, ad quem oporteat novitatem huius effectus proportionari, sed solum ad rationem facientis prout intellexit et voluit hunc effectum ab aeterno non fore, sed incipere post non esse. Sic enim tempus est mensura operationis vel motus, sicut dimensio est mensura magnitudinis corporalis. Si igitur quaeramus de aliquo particulari corpore, puta de terra, quare infra hos magnitudinis limites coercetur et non extenditur ultra, potest eius ratio esse ex proportione ipsius ad totum mundum. Sed si rursum quaeramus de tota corporum universitate, quare huiusmodi determinatae magnitudinis terminos non excedat, non potest huius ratio esse ex proportione eius ad aliquam aliam magnitudinem, sed vel oportet dicere magnitudinem corporalem esse infinitam, sicut antiqui naturales posuerunt, vel oportet huiusmodi determinatae magnitudinis rationem accipi ex sola intelligentia et voluntate facientis. Sicut igitur infinitus Deus finitum universum produxit secundum suae sapientiae rationem, ita aeternus Deus potuit novum mundum producere secundum eamdem sapientiae rationem.

11) Toute intelligence pense les choses perpétuelles qui ne sont pas détruites et ne tombent pas sous le temps.

 

Ayant montré comment l'intelligence comprend les êtres qui sont autres qu'elle, à savoir par les formes intelligibles dont elle est pleine, l'auteur traite ici de façon plus spéciale de la connaissance par laquelle l’intelligence connaît les réalités éternelles. Et en premier lieu il montre qu’elle connaît les réalités éternelles ou incorruptibles, deuxièmement il montre la manière par laquelle elle les connaît, là où il dit : ¨Parmi tous les êtres premiers certains sont etc.¨ Au sujet du premier point il présente cette proposition : toute intelligence saisit les réalités éternelles qui ne peuvent être détruites et qui ne sont pas soumises au temps. Et par réalités éternelles, il entend celles qui transcendent le temps et le mouvement ainsi qu’on l’explique dans la proposition 2 ; c’est avec insistance cependant qu’il dit : qui ne peuvent être détruites et ne sont pas soumises au temps ; en effet, il y a des réalités qui sont soumises au temps sans être détruites, comme le mouvement du ciel qui, bien qu’il soit mesuré par le temps, ne sera pas détruit et ne cessera pas selon ce qu’en pensent les philosophes. Il semble donc, d’après un examen superficiel,  que cette proposition signifie que l’intelligence ne connaît pas les choses corruptibles et qui sont soumises au temps mais seulement les réalités incorruptibles dont l’existence transcende le temps. Mais il est clair, à partir de la preuve qui est ajoutée et dans laquelle on ne prouve pas que l’intelligence connaisse les réalités éternelles sans connaître celles qui sont corruptibles mais plutôt qu’elle ne cause immédiatement que les réalités éternelles, que ce n’est pas là ce qu’entend cette proposition ; c’est pourquoi il faut expliquer la signification de ces termes : toute intelligence intellige, qui est que c’est par son acte d’intellection que l’intelligence cause les réalités éternelles. Et cela devient clair si on s’appuie sur le livre de Proclus qui introduit deux propositions pour le montrer dont la première est la proposition 172 : tout intellect, de par sa substance, est le  fondateur des êtres perpétuels et immuables de façon immédiate ; la deuxième est la proposition 174 : c’est par son acte d’intellection que tout intellect établit les réalités qui viennent de lui. Et à partir de ces deux propositions l’auteur de ce livre en forme une seule, mais alors qu’il recherche la brièveté, il introduit une obscurité. Il prouve cependant cette proposition avec cette signification de la même manière que le fait Proclus et dans cette preuve il fait deux choses : premièrement en effet il montre que l’intelligence ne produit pas immédiatement les réalités corruptibles ou qui sont soumises au temps mais seulement les réalités éternelles ; deuxièmement il montre d’où vient la corruptibilité dans les choses. Mais c’est de la manière suivante qu’il prouve le premier point : l’intelligence produit son effet conformément à son existence à elle ; et il en est ainsi parce que son acte d’intellection lui est connaturel et essentiel, et que tout ce qu’elle produit, elle ne le produit que par cet acte comme nous l’avons manifesté plus haut ; d’où il s’ensuit que c’est par son existence qu’elle produit tout ce qu’elle produit. Mais l’existence de l’intelligence est incorruptible et, transcendant le temps, est rendue égale à l’éternité comme nous l’avons établi à la proposition 2. Donc l’effet immédiat de l’intelligence est éternel et n’est pas soumis à la corruption ou au temps.

Mais il manifeste le deuxième point en disant que, puisque l’intelligence ne cause pas immédiatement les réalités corruptibles, il s’ensuit que les réalités corruptibles ne procèdent pas immédiatement de l’intelligence mais d’une cause corporelle et temporelle ; car la corruption et la génération dans les réalités inférieures sont causées par le mouvement du ciel alors que ce même mouvement du ciel n’est pas causé immédiatement par l’intelligence mais par l’âme ainsi que nous l’avons dit plus haut dans la proposition 3. Mais si on voulait ramener ce processus à l’intelligence d’après le sens superficiel de la proposition, on pourrait dire à la fin que les réalités corruptibles sont connues par l’intelligence en tant qu’elles sont éternelles ; ces réalités en effet, bien qu’elles soient matérielles en elles-mêmes, n’existent pas matériellement dans l’intelligence de telle manière qu’elles n’y existent pas d’une manière temporelle mais éternelle. Et cela est manifesté par l’effet : car l’effet immédiat de l’intelligence est éternel ; en effet, ce par quoi l’intelligence connaît est en elle un principe efficient, tout comme l’artisan pose son opération par la forme de l’art. Mais cette preuve qui est introduite ici, bien qu’elle soit concédée par certains philosophes, ne contient pas en elle-même une nécessité. En effet, si on admettait cette preuve, de nombreux principes fondamentaux de la foi catholiques seraient détruits : il s’ensuivrait en effet que les Anges ne pourraient rien faire de nouveau de façon immédiate dans les réalités inférieures, et encore moins Dieu qui non seulement est éternel, mais antérieur à l’éternité comme on l’a dit plus haut, et il s’ensuivrait ultimement que le monde a toujours existé. En effet, ce raisonnement qui s’appuie sur l’immutabilité de l’Artiste semble avoir été le meilleur pour ceux qui veulent conclure que le monde est éternel. En effet, il ne semble pas possible qu’un agent commence maintenant à agir alors qu’il n’agissait pas avant s’il est absolument immobile, à moins  peut-être qu’on ne  présuppose un changement extérieur  car, comme l’avance Averroes dans son Commentaire au huitième livre de la Physique, si un agent volontaire veut faire quelque chose après et non avant il faut au moins imaginer un temps qui est le nombre du mouvement. Et c’est pourquoi il conclut qu’il est impossible, à moins de présupposer le mouvement, qu’un effet nouveau procède  d’une volonté immobile et éternelle. Et parce que tel semble être le raisonnement le plus efficace dont ils se servent pour prouver l’éternité du monde, il faut rechercher avec soin la solution de ce raisonnement. Il faut donc considérer qu’il faut parler autrement de l’agent qui produit quelque chose dans le temps et autrement de l’agent qui produit un temps simultanément avec la chose qui est produite dans le temps. En effet, lorsqu’une chose est produite dans le temps, il faut prendre quelque rapport au temps, soit seulement du côté de ce qui est produit, soit aussi du côté de de celui-là même qui produit. Parfois en effet l’action est dans le temps non seulement du côté de ce qui est fait, mais aussi du côté de celui qui fait ; une chose en effet est dans le temps selon qu’elle est en mouvement dont le nombre est le temps. Donc, quand un changement se retrouve à la fois du côté de ce qui est fait et du côté de celui qui fait, alors l’action est dans le temps des deux côtés ; par exemple, lorsque quelqu’un est altéré par le froid, il lui vient aussitôt à l’esprit d’allumer un feu pour repousser le froid. Mais il n’en est pas toujours ainsi : il y a en effet un être dont la substance n’est pas dans le temps mais son opération est dans le temps comme on le dira plus loin. Donc un tel agent, sans subir lui-même aucun changement, produit dans le temps un effet qui n’existait pas avant. Et en ce sens Dieu aussi peut produire dans le temps quelque chose de nouveau qui n’existait pas avant selon un certain rapport de cet effet à ce temps, comme cela se produit pour tous les effets miraculeux qui sont produits immédiatement par Dieu. Et il n’y a pas de difficulté à dire qu’Il produit son effet par son existence car son existence est son intellection ; et, tout comme son existence est une et qu’il saisi cependant une multiplicité par son intellection et que pour cette raison il peut produire une multiplicité de choses bien que son intellection demeure une et simple, de même, bien que son existence soit éternelle et immobile, il peut cependant concevoir une existence temporelle et mobile et c’est pourquoi, bien que son intellection soit éternelle, elle peut cependant produire un effet nouveau dans le temps. Et on peut en voir un indice en nous : l’homme peut en effet, par une volonté immobile et durable, reporter son ouvrage pour le faire à un moment déterminé dans le futur. Mais si tu dis que, toutes les fois que cela se produit, il faut concevoir à l’avance un autre mouvement à partir duquel il soit possible à la chose à laquelle il ne convenait pas en premier lieu de devenir, se révèle par la suite comme  devant être fait, au moins le cours du temps qui ne peut être conçu sans le mouvement, nous dirons que cela est certes vrai en ce qui concerne les effets particuliers que Dieu opère dans le temps. Il ressuscita en effet Lazare le quatrième jour et non avant, et il fit cela en tenant compte d’un certain changement des choses qui a précédé. Mais dans la production de l’univers cela n’a pas lieu car c’est en même temps que l’univers que Dieu produisit aussi le temps et tout mouvement de l’univers universellement ; il n’y a donc pas à rechercher un autre temps ou une autre mouvement qui précéderait et à l’égard duquel  il faudrait que la nouveauté de cet effet soit proportionné mais seulement à l’égard de la raison de l’Agent en tant qu’il a conçu et voulu que cet effet n’existe pas de toute éternité mais commence à exister après n’avoir pas existé. Ainsi en effet le temps est la mesure de l’opération ou du mouvement tout comme la dimension est la mesure de la grandeur corporelle. Si donc nous nous demandons au sujet d’un corps particulier, par exemple la terre, pourquoi il est contenu à l’intérieur de ces limites de la grandeur et ne s’étend pas au-delà, la raison de cela peut se tirer de son rapport à l’ensemble de l’univers. Mais si à l’inverse la question porte sur la totalité de la nature corporelle, à savoir pourquoi elle ne dépasse pas les termes de cette grandeur déterminée, la raison ne peut s’en tirer de son rapport à une autre grandeur, mais ou bien il faut dire que la grandeur corporelle est infinie, comme les anciens physiciens l’ont soutenu, ou bien il faut tirer la raison de cette grandeur déterminé uniquement du côté de l’intelligence et de la volonté de l’Agent. Donc, tout comme Dieu qui est infini a produit un univers fini conformément à la nature de sa sagesse, de même le Dieu éternel a pu produire un univers nouveau conformément à cette même nature de sa sagesse.

 

Lectio 12

[84247] Super De causis, l. 12 Postquam ostendit quod intelligentia intelligit res sempiternas, hic inducit propositionem ad manifestandum qualiter intelligentiae, quae sunt res sempiternae, mutuo se intelligant. Per hoc autem aliquid intelligitur quod est in intelligente, et ideo ostendit in hac propositione quomodo unum de entibus superioribus sit in alio. Et est propositio talis: primorum omnium sunt quaedam in quibusdam per modum quo licet ut sit unum eorum in alio. Haec etiam propositio proponitur CIII in libro Procli sub his verbis: omnia in omnibus, proprie autem in unoquoque. Idem autem est quod Proclus dicit: proprie autem in unoquoque, et quod hic dicitur: per modum quo licet ut sit unum eorum in alio; utrobique enim significatur quod unum est in alio secundum convenientem modum ei in quo est. Sed a Proclo quidem inducitur haec propositio secundum positiones Platonicas quibus ponuntur formae separatae subsistentes quarum, ut supra dictum est, unaquaeque tanto est altior quanto est universalior et ad plura suam participationem extendens; et, secundum hoc, ipsum esse est superius quam ipsa vita, et haec quam ipse intellectus. Et ideo Proclus hoc determinans in sua propositione addit: et enim in ente vita et intellectus, et in vita esse et intelligere, et in intellectu esse et vivere. Et sic etiam videtur auctor huius libri loqui huiusmodi separata prima nominans. Subdit enim quasi exponens: quod est quia in esse sunt vita et intelligentia, et in vita sunt esse et intelligentia, et in intelligentia sunt esse et vita, quod est omnino idem cum verbis Procli. Addit autem Proclus in sua propositione expositionem modi quo unum horum sit in alio, dicens: sed alicubi quidem intellectualiter, alicubi autem vitaliter, alicubi vero enter (id est per modum entis) entia omnia; quasi dicat quod omnia tria praedicta sunt in intellectu intellectualiter, in vita vitaliter, in esse essentialiter. Sed hoc quod ponitur loco huius in hoc libro, videtur esse corruptum et malum intellectum habere. Sequitur enim: verumtamen esse et vita in intelligentia sunt duae intelligentiae, debet enim intelligi quod ista duo, scilicet esse et vita, sunt in intelligentia intellectualiter; et esse et intelligentia in vita sunt duae vitae, id est ambo sunt in vita vitaliter; et intelligentia et vita in esse sunt duo esse, id est ambo sunt in ipso esse essentialiter. Si autem intelligatur secundum quod verba sonant, falsum continent intellectum: vivere enim viventis est ipsum esse eius, ut dicitur in II de anima et ipsum intelligere primi intelligentis est vita eius et esse ipsius, ut in XII metaphysicae dicitur; unde et hoc Proclus excludens dicit quod esse intellectus est cognitivum et vita eius est cognitio. Alioquin sequeretur inconveniens quod Aristoteles inducit in III metaphysicae contra Platonicos, quod scilicet Socrates esset tria animalia, quia et ipse est animal, et de eo praedicatur idea animalis communis quam participat, et similiter idea hominis qui item est animal; sequeretur enim quod unumquodque istorum trium esset non unum sed multa. Apponit autem Proclus probationem manifestam ad ea quae dicta sunt, distinguens quod tripliciter aliquid de aliquo dicitur: uno modo causaliter, sicut calor de sole, alio modo essentialiter sive naturaliter, sicut calor de igne, tertio modo secundum quamdam posthabitionem, id est consecutionem sive participationem, quando scilicet aliquid non plene habetur sed posteriori modo et particulariter, sicut calor invenitur in corporibus elementatis non in ea plenitudine secundum quam est in igne. Sic igitur illud quod est essentialiter in primo, est participative in secundo et tertio; quod autem est essentialiter in secundo, est in primo quidem causaliter et in ultimo participative; quod vero est in tertio essentialiter, est causaliter in primo et in secundo. Et per hunc modum omnia sunt in omnibus. Sed quia auctor huius libri non videtur ponere formas separatas, quod hic dicitur esse et vitam et intelligentiam in se invicem esse, est intelligendum secundum quod inveniuntur in habentibus esse, vivere et intelligere; quia in ipso esse secundum propriam rationem invenitur causaliter vivere et intelligere, secundum illum modum quo in 1 propositione dictum est quod esse est causa prima, vivere et intelligere posteriores causae. Non tamen ita est intelligendum sicut verba sonant, quod intelligentia et vita sint in ipso esse duo esse, sed quia haec duo, prout sunt in ipso esse, non sunt aliud quam esse, et similiter esse, prout est in vita, est ipsa vita, cum vita nihil addat supra esse nisi determinatum modum essendi seu determinatam naturam entis. Et idem intelligendum est in aliis comparationibus secundum quas unum istorum dicitur esse in alio. Sed quia, secundum intellectum huius auctoris, haec tria non sunt quaedam res subsistentes, sicut dictum est, consequenter applicat istam propositionem ad res quae per se subsistunt, quae sunt: esse primum quod est Deus, intelligentia, anima intellectiva et anima sensitiva. Et dicit quod hoc modo causa est in effectu et e converso, secundum quod causa agit in effectum et effectus recipit actionem causae; causa autem agit in effectum per modum ipsius causae, effectus autem recipit actionem causae per modum suum; unde oportet quod causa sit in effectu per modum effectus et effectus sit in causa per modum causae. Sic igitur ea quae sunt in sensu sensibiliter, sunt in anima intellectiva per modum ei convenientem, et ea quae sunt in anima per modum animalem, sunt in intellectu per modum proprium, et quae sunt in intelligentia intelligibiliter, sunt in causa prima essentialiter, secundum modum suum; et e converso priora sunt in posterioribus secundum modum posteriorum. Ex quo accipi potest qualiter intelligentiae se invicem intelligant et causam primam: unaquaeque enim intelligit aliam secundum quod alia est in ipsa, per modum eius in quo est; quia etiam in superioribus sunt inferiores secundum quasdam excellentiores similitudines seu species, superiores vero in inferioribus secundum quasdam deficientiores similitudines et species.

12) Tous les êtres premiers sont les uns dans les autres selon qu'il est possible à chacun d'être en un autre

 

Après avoir montré que l'intelligence pense les réalités perpétuelles, l'auteur introduit ici une proposition en vue de manifester comment les intelligences, qui sont des réalités éternelles, se pensent mutuellement les unes les autres. Mais quelque chose est intelligé du fait qu’il est dans l'intelligence, et c’est pourquoi l'auteur montre dans cette proposition comment un des êtres supérieurs est dans un autre. Et telle est cette proposition : pour tous les êtres premiers, les uns sont dans les autres suivant la manière qui convient à chacun d’être dans un autre. Cette proposition est aussi présentée en ces termes dans le livre de Proclus à la proposition 103 : Tout est dans tout, mais de la manière qui est propre à chacun. Mais ce que dit Proclus, à savoir mais de la manière qui est propre à chacun, est identique  à ce que dit ici notre auteur : suivant la manière qui convient à chacun d’être dans un autre ; dans les deux cas en effet on signifie que l’un est dans l’autre suivant le mode de celui dans lequel il est. Mais cette proposition est certes introduite par Proclus conformément aux opinions platoniciennes qui posent des formes séparées subsistantes dont chacune, comme nous l’avons dit, est d’autant plus supérieure qu’elle est plus universelle et qu’elle étend sa participation à un plus grand nombre ; et, d’après cette position, l’être lui-même est supérieur à la vie elle-même et cette dernière est supérieure à l’intelligence lui-même. Et c’est pourquoi Proclus, précisant cela, ajoute dans sa proposition : et en effet la vie et l’intelligence sont dans l’être, et l’être et l’intellection dans la vie, et l’être et la vie sont dans l’intelligence. Et c’est ainsi aussi que l’auteur de ce livre semble parler lorsqu’il nomme les premiers êtres séparés. Il ajoute en effet comme à titre d’explication : il en est ainsi parce que la vie et l’intelligence sont dans l’être, que l’être et l’intelligence sont dans la vie et que l’être et la vie sont dans l’intelligence, ce qui est tout à fait identique aux paroles de Proclus.

Mais dans sa proposition Proclus ajoute une explication sur la manière par laquelle l’un de ces êtres est dans l’autre en disant : mais dans un cas tous les êtres sont dans un autre à la manière de l’intelligence, dans un autre à la manière de la vie et dans un autre encore véritablement, (c’est-à-dire à la manière de l’être) ; c’est comme s’il disait que les formes qui précèdent sont toutes les trois dans l’intelligence à la manière de l’intelligence, dans la vie à la manière de la vie et dans l’être essentiellement, c’est-à-dire à la manière de l’être. Mais ce qui est affirmé dans ce livre à la place de cela semble être altéré et mal compris. En effet, ce qui suit, à savoir : il est cependant vrai que l’être et la vie dans l’intelligence sont deux intelligences, cela doit en effet s’entendre dans le sens où ces deux formes, à savoir l’être et la vie, sont dans l’intelligence à la manière de l’intelligence ; et l’être et l’intelligence dans la vie sont deux vies, cela soit s’entendre dans le sens où les deux sont dans la vie à la manière de la vie ; et l’intelligence et la vie dans l’être sont deux êtres, dans le sens où les deux sont dans l’être essentiellement. Mais si on entend ces énoncés d’une façon purement littérale, ils contiennent une fausseté : en effet, la vie est l’être même du vivant comme le dit le Philosophe au deuxième livre de l’Âme, et l’intellection même de la première Intelligence est sa vie même et son être même comme le dit encore le Philosophe au douzième livre de la Métaphysique ; c’est pourquoi Proclus, pour écarter cette fausse interprétation, dit que l’être de l’intellect est cognitif et que sa vie est une connaissance. Autrement, s’il n’en était pas ainsi, il s’ensuivrait une difficulté qu’Aristote présente contre les Platoniciens au troisième livre de la Métaphysique, à savoir que dans ce cas Socrate serait trois animaux, car il est d’abord lui-même un animal, puis on lui attribue l’idée commune d’animal dont il participe, et enfin l’idée d’homme à laquelle s’attribue aussi l’idée d’animal ; il s’ensuivrait en effet que chacune de ces trois formes ne formerait pas une unité mais constituerait une multiplicité. Proclus ajoute cependant une preuve claire de ce qui a été dit en faisant la distinction suivante, à savoir qu’il y a trois façons pour un prédicat de s’attribuer à un sujet : premièrement à la manière d’une cause, comme la chaleur s’attribue au soleil ; deuxièmement d’une manière essentielle ou naturelle, comme la chaleur s’attribue au feu ; troisièmement d’après une possession secondaire, c’est-à-dire d’après une consécution ou une participation, c’est-à-dire lorsque quelque chose n’est pas possédé dans sa plénitude mais comme secondairement et partiellement, tout comme la chaleur se retrouve dans les corps élémentaires et non dans cette plénitude selon laquelle on la retrouve dans le feu. Ainsi donc ce qui existe essentiellement dans ce qui est premier existe par participation dans ce qui est second et ce qui est troisième ; mais ce qui existe essentiellement dans ce qui est second se retrouve certes à la manière d’une cause dans ce qui est premier et par participation dans ce qui est troisième ; mais se qui se retrouve essentiellement dans ce qui est troisième se retrouve à la manière d’une cause à la fois dans ce qui est premier et dans ce qui est second. Et c’est en ce sens qu’on peut dire que tout est en tout. Mais parce que l’auteur de ce livre ne semble pas affirmer l’existence de formes séparées, ce qui est dit ici, à savoir que l’être, la vie et l’intelligence sont l’un dans l’autre, cela doit s’entendre pour autant qu’on les retrouve dans les sujets qui possèdent l’être, la vie et l’intelligence ; car c’est dans l’être même selon sa définition propre que se retrouvent comme dans une cause la vie et l’intelligence, selon ce mode par lequel nous avons dit à la proposition 1 que  l’être est la cause première et que la vie et l’intelligence sont des causes secondes. Mais cela ne doit certes pas s’entendre d’une manière purement littérale, au sens où la vie et l’intelligence sont, dans l’être lui-même, deux êtres, mais parce que ces deux formes, en tant qu’elles sont dans l’être lui-même, ne sont pas autres que l’être ; et de la même manière l’être, en tant qu’il est dans la vie, est la vie elle-même puisque la vie n’ajoute à l’être qu’une modalité déterminée d’être ou une nature déterminée de l’être. Et il faut l’entendre de la même manière pour les autres rapports selon lesquels selon lesquels on dit de l’un qu’il est dans un autre. Mais parce que, selon l’intention de cet auteur, ces trois formes ne sont pas des réalités subsistantes, comme nous l’avons dit, c’est pourquoi il applique par conséquent cette proposition aux réalités qui subsistent par elles-mêmes à savoir : l’être premier qui est Dieu, l’intelligence, l’âme intellectuelle et l’âme sensible. Et il dit que c’est de cette manière que la cause est dans l’effet et inversement, à savoir en ce sens que la cause agit sur son effet et que l’effet reçoit l’action de la cause ; mais la cause agit sur son effet à la manière de la cause elle-même alors que l’effet reçoit l’action de la cause selon sa modalité à lui ; d’où il faut que la cause soit dans l’effet selon la modalité de l’effet et que l’effet soit dans la cause selon la modalité de la cause. Ainsi donc ce qui se retrouve dans le sens selon le mode du sens  existe dans l’âme intellectuelle de la manière qui convient à celle-ci, ce qui se retrouve dans l’âme selon le mode de l’animal  existe dans l’intelligence suivant le mode propre à cette dernière et ce qui se retrouve dans l’intelligence selon un mode intellectuel existe dans la cause première selon le mode qui lui est propre, c’est-à-dire essentiellement ; et inversement ce qui est premier se retrouve dans ce qui est second selon son mode à lui, c’est-à-dire suivant le mode de ce qui est second ; et c’est à partir de là qu’on peut saisir comment les intelligences s’intelliger mutuellement et intelliger la cause première : chacune en effet intellige l’autre selon que l’autre est en elle, selon le mode de celui dans lequel elle est ; car les intelligences inférieures sont dans les intelligences supérieures selon des similitudes ou des espèces plus excellentes alors que les intelligences supérieures sont dans les inférieures d’après certaines similitudes ou espèces plus faibles.

 

 

Lectio 13

[84248] Super De causis, l. 13 Ostenso quomodo intelligentia intelligat alia, nunc ad ostendendum quomodo intelligat seipsam inducitur haec propositio quae etiam invenitur CLXVII in libro Procli, sub his verbis: omnis intellectus seipsum intelligit. Sed huius propositionis et probationis eius intellectum oportet nos accipere ex his quae Proclus dicit. Ut enim supra dictum est, secundum opiniones Platonicas ordo intellectuum ponitur sub ordine formarum separatarum ex quarum participatione fiunt intelligentes in actu; unde formae separatae comparantur ad eos sicut intelligibile ad intellectum. Sicut autem aliarum rerum ponebant quasdam ideas, ita et ipsorum intellectuum, quam vocabant primum intellectum. Iste ergo intellectus idealis in quantum est intellectus intelligit, et in quantum est forma idealis est forma intellecta; sic igitur in eo unitur omnino intellectus et intellectum, et per hoc perfecte seipsum intelligit, quia essentia sua totaliter est intelligibile non solum intelligens. Omnis autem intellectus secundum Platonicos habet intellectum participatum; sed superiores intellectus participant ipsum intellectum perfectius, unde participant de ipso non solum quod sint intellectus sed etiam quod sint intelligibiles et quodammodo formales intellectus; sic igitur coniungitur in eis secundum eorum substantiam quodammodo intelligens et intellectum, et ideo etiam ipsi intelligunt suam essentiam, sed diversimode a primo intellectu. Nam primus intellectus idealis non participat aliquam priorem formam intellectualitatis, sed ipsemet est prima forma intellectualitatis: unde suum intelligibile non est aliud quam ipse. Posteriores vero intellectus sic habent aliquid de forma intellectualitatis in sua substantia quod tamen illud derivatur a superiori intellectu ideali; sic ergo intelligunt suam essentiam quod etiam intelligunt superiorem intellectum quem participant. Et hoc est quod Proclus addit in praedicta propositione: sed primus quidem seipsum solum, et unum secundum numerum in hoc intellectus et intelligibile. Unusquisque autem consequentium seipsum simul et quae ante ipsum, et intelligibile huic hoc quidem quod est, hoc autem a quo est. Quia vero secundum sententiam Aristotelis, quae in hoc magis Catholicae doctrinae concordat, non ponimus multas formas supra intellectus sed unam solam quae est causa prima, oportet dicere quod, sicut ipsa est ipsum esse, ita est ipsa vita et ipse intellectus primus. Unde et Aristoteles in XII metaphysicae probat quod intelligit seipsum tantum, non ita quod desit ei cognitio aliarum rerum, sed quia intellectus eius non informatur ad intelligendum alia specie intelligibili nisi seipso. Sic igitur superiores intellectus separati, tanquam ei propinqui, intelligunt seipsos et per suam essentiam et per participationem superioris naturae. Et ideo ad probandum hanc propositionem, primo hic inducitur quod intelligens et intellectum in intellectibus separatis sunt simul, in quantum scilicet secundum substantiam suam non solum sunt intellectus sed intelligibiles, utpote propinquissime participantes primum intellectum. Unde concludit quod intelligentia intelligit essentiam suam; et quia essentia sua est essentia intelligentis, sequitur quod, intelligendo essentiam suam, intelligat se intelligere essentiam suam. Consequenter autem ostendit quomodo, per hoc quod intelligit essentiam suam, intelligat etiam alia. Habetur enim ex praemissa propositione quod omnes aliae res sunt in intelligentia per modum intelligibilem, et ita sunt unum intelligentia et res intellectae secundum quod in intelligentia, et ideo quando intelligit essentiam suam, intelligit res alias; et eadem ratione quandocumque intelligentia intelligit res alias, intelligit seipsam. Sed utrum haec conveniant animae intellectuali, infra considerabimus.

13) Toute intelligence intellige sa propre essence.

 

Ayant montré comment une intelligence saisit les autres par son intellection, l'auteur, afin de montrer comment l'intelligence se saisit elle-même, introduit cette proposition qu'on retrouve aussi en ces termes à la proposition 167 du livre de Proclus : Tout intellect se saisit lui-même par son intellection. Mais ces des termes mêmes de Proclus qu’il nous faut tirer la compréhension de cette proposition et de sa preuve.

En effet, comme nous l’avons dit plus haut conformément aux positions des Platoniciens, l’ordre des intelligences est posé sous l’ordre des formes séparées par la participation desquelles elles deviennent intelligeantes en acte ; c’est pourquoi les formes séparées se comparent à elles comme l’intelligible se compare à l’intellect. Cependant, tout comme ils posaient des Idées pour les autres choses, de même ils en posaient une pour les intelligences elles-mêmes, Idée qu’ils appelaient intellect premier. Donc cet intellect idéal intellige en tant qu’il est intellect et une forme intelligée ou un concept en tant qu’il est une forme idéale ; ainsi donc en lui l’intellect et le concept sont tout à fait unis et à cause de cela il s’intellige parfaitement parce que son essence est totalement intelligible et non seulement intelligeante. Mais  selon les Platoniciens tout intellect possède un intellect participé, mais les intellects supérieurs participent plus parfaitement de l’intellect lui-même et c’est pourquoi ils participent de lui non seulement le fait d’être des intellects, mais aussi d’être intelligibles et en quelque sorte des intellects formels ; ainsi donc en eux l’intelligibilité et l’intellectualité se trouvent en quelque sorte à être unis substantiellement et c’est pourquoi encore ces intellects intelligent leur essence mais différemment de l’intellect premier. Car l’intellect premier et idéal ne participe pas d’une forme d’intellectualité qui lui serait antérieure mais il est lui-même la forme première d’intellectualité : d’où il suit que son intelligible n’est pas autre que lui-même. Mais les intellects seconds possèdent dans leur essence quelque chose de l’intellectualité de telle manière cependant que cela dérive de l’intellect supérieur idéal ; ainsi donc ils intelligent leur essence en intelligeant aussi l’intellect supérieur dont ils participent. Et c’est cela que Proclus ajoute dans la proposition qui précède : mais l’Intellect premier n’intellige que lui-même et en cela l’intelligible et l’intellect ne font qu’un par le nombre. Cependant chacun de ceux qui suivent intellige simultanément soi-même et les intellects qui lui sont antérieurs et alors son intelligible est à la fois ce qu’il est et ce par quoi il est.

Mais parce que, conformément à la pensée d’Aristote qui en cela s’accorde davantage avec la doctrine catholique,  nous ne posons pas une multiplicité de formes au-dessus des intellects mais une seule qui est la cause première, il faut dire que tout comme cette dernière est l’être même, de même elle est aussi la vie même et l’intellect premier lui-même. Et c’est pourquoi Aristote prouve au douzième livre de la Métaphysique que cette cause première n’intellige qu’elle-même, non pas de telle manière que la connaissance des autres choses lui ferait défaut mais parce que son intellect pour intelliger n’est pas informé par une espèce intelligible qui serait autre qu’elle-même. Ainsi donc, les intellects supérieurs séparés, parce qu’ils sont plus rapprochés de l’intellect premier, s’intelligent eux-mêmes à la fois par leur essence et par participation de la nature supérieure. Et c’est pourquoi, pour prouver cette proposition, l’auteur avance d’abord ici que chez les intellects séparés l’intelligence et l’intelligible sont simultanés, c’est-à-dire dans la mesure où selon leur substance ils ne sont pas seulement des intellects mais aussi des intelligibles en tant qu’ils participent le plus prochainement du premier intellect.

L’auteur conclut de là que l’intelligence intellige son essence ; et parce que son essence est l’essence de l’intelligence il s’ensuit qu’en intelligeant son essence, elle intellige qu’elle intellige son essence. Il montre cependant par la suite de quelle manière, par ceci qu’elle intellige son essence, elle intellige aussi tout le reste. Il a été établi en effet à partir de la proposition qui précède que toutes les autres choses sont dans l’intelligence à la manière de l’intelligible et qu’ainsi l’intelligence et la chose intelligée, en tant qu’elle est dans l’intelligence, ne font qu’un ; et c’est pourquoi l’intelligence, quand elle intellige son essence, intellige aussi les autres choses ; et pour la même raison, à chaque fois qu’elle intellige les autres choses, l’intelligence s’intellige elle-même. Mais nous examinerons plus loin si cela convient aussi à l’âme intellectuelle.

 

Lectio 14

[84249] Super De causis, l. 14 Postquam determinavit de causa prima et de intelligentia, hic determinat de anima. Et primo determinat de ea secundum habitudinem quam habet ad res alias, secundo determinat de ea secundum seipsam, ibi: omnis sciens et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: in omni anima res sensibiles sunt per hoc quod est exemplum eis, et res intelligibiles in ea sunt quia scit eas. Ad intellectum autem huius propositionis, videamus id quod scribitur in libro Procli circa hoc. Ponitur enim ibi CXCV propositio talis: omnis anima est omnes res, exemplariter quidem sensibilia, yconice autem intelligibilia. Et dicitur yconice id est per modum imaginis: imago enim est quod fit ad similitudinem alterius, sicut exemplar est id ad cuius similitudinem fit aliud. Haec autem propositio probatur tam hic quam in libro Procli hoc modo. Anima enim, ut habitum est in 2 propositione, media est inter res intelligibiles quae sunt omnino separatae a motu et per hoc parificantur aeternitati, et inter res sensibiles quae moventur et cadunt sub tempore; et quia priora sunt causa posteriorum, sequitur quod anima sit causa corporum et intelligentia sit causa animae per modum supra expositum. Manifestum est autem quod oportet effectus praeexistere in causis exemplariter, quia causae producunt effectus secundum suam similitudinem; et e converso causata habent imaginem suarum causarum, ut etiam Dionysius dicit II capitulo de divinis nominibus. Sic igitur res sensibiles quae causantur ex anima sunt in ea per modum exempli, ita scilicet quod huiusmodi res quae sunt infra animam causantur ad exemplum et similitudinem animae, res autem quae sunt supra animam sunt in anima per modum acquisitum, id est per quamdam participationem, ita scilicet quod comparantur ad animam sicut exemplaria, et anima ad ipsa quodammodo sicut imago: sic igitur patet quod sensibilia praeexistunt in anima sicut in causa quae quodammodo est exemplar effectuum. Exponit autem consequenter de qua anima intelligat, dicens: intelligo per animam virtutem agentem res sensibiles. Secundum illos enim qui ponunt corpora caelestia animata, anima caeli est causa omnium sensibilium corporum; sicut inferiorum animarum unaquaeque est causa proprii corporis. Nulla ergo inferior anima habet universalem causalitatem respectu sensibilium; et ideo sensibilia non sunt in ea per modum causae, sed solum in anima caeli quae supra sensibilia habet universalem causalitatem; et hanc hic appellat: virtutem agentem res sensibiles. Unaquaeque vero animarum quae sunt hic habet quidem causalitatem respectu proprii corporis, sed non causat ipsum neque per sensum neque per intellectum; unde non praehabet sui corporis intelligibiles et exemplares rationes, causat autem ipsum per virtutem naturalem. Unde et in II de anima dicitur quod anima est efficiens causa corporis, tale autem agens non agit per aliquam rationem exemplarem proprie sumptam nisi ipsam naturam per quam agit dicamus exemplar effectus qui ad eius similitudinem producitur aliquo modo; et per hunc modum in natura animae virtute praeexistunt omnes partes sensibiles sui corporis, coaptantur enim potentiis animae quae ex eius natura procedunt. Et quamvis res sensibiles sint in anima quae est causa earum, non tamen sunt in ea per modum quo sunt in seipsis. Nam virtus animae est immaterialis, quamvis sit causa materialium, et est spiritualis, quamvis sit causa corporum, et est sine dimensione corporea, quamvis sit causa rerum habentium dimensionem. Et quia effectus sunt in causa secundum virtutem causae, oportet quod corpora sensibilia sint in anima indivisibiliter et immaterialiter et incorporaliter. Et sicut res inferiores anima sunt in ea altiori modo quam in seipsis, ita res superiores, scilicet intelligentiae, sunt in anima inferiori modo quam in seipsis, scilicet yconice vel per modum imaginis, ut Proclus dicit; loco cuius hic dicitur: per modum accidentalem, id est per quemdam inferiorem modum participationis, ita scilicet quod res intelligibiles quae sunt in seipsis indivisae et unitae et immobiles, sunt in anima divisibiliter et multipliciter et mobiliter per comparationem ad intelligentiam,- sunt enim ad hoc proportionatae ut sint causae multitudinis et divisionis et motus rerum sensibilium,- vel dicit quod res immobiles sunt in anima per modum motus, quia, secundum Platonicos, animae proprium est quod sit movens seipsam, secundum Aristotelem autem est principium motus rei moventis seipsam. Ultimo autem epilogando concludit propositum, et est manifestum ex praemissis. Et ex his quae dicta sunt apparere potest qualiter superiores animae caelorum, si caeli sunt animati, possint cognoscere sensibilia et intelligibilia: sic enim cognoscunt ea secundum quod sunt in eis.

14) Les choses sensibles sont en toute âme parce qu'elle en est le modèle, et les choses intelligibles sont en elle parce qu'elle les connaît.

 

  1. Après avoir traité de la cause première et de l'intelligence, l'auteur examine ici ce qu’il en est de l'âme. Et il en traite premièrement d’après son rapport aux autres réalités et deuxièmement il la considère en elle-même où il dit : Tout connaissant etc. ». Au sujet du premier point il présente cette proposition : Les choses sensibles sont en toute âme parce qu'elle en est le modèle, alors que les choses intelligibles sont en elle parce qu'elle les connaît. Mais pour bien entendre cette proposition, examinons ce qui est écrit à ce sujet dans le livre de Proclus. Voici en effet ce qu’il en dit à la proposition 195 : toute âme est toutes les choses, celles qui sont sensibles y étant comme dans un modèle, celles qui sont intelligibles yconice, c’est-à-dire comme dans une image. Et yconice signifie ici sous la forme d’une image : une image en effet est ce qui est produit pour ressembler à quelque chose d’autre ou à la ressemblance de quelque chose d’autre tout comme le modèle est cela même à la ressemblance de quoi quelque chose d’autre est produit. Et cette proposition se trouve à être prouvée aussi bien ici que dans le livre de Proclus de la manière qui suit :

L'âme en effet, comme nous l’avons établi à la proposition 2, est intermédiaire entre les réalités intelligibles qui sont totalement séparées du mouvement et par là rendues égales à l’éternité, et les choses sensibles qui sont en mouvement et sont soumises au temps ; et parce que ce qui est premier est la cause de ce qui est second, il s’ensuit que l’âme est la cause des corps et que l’intelligence est la cause de l’âme de la manière que nous avons expliquée plus haut. Il est cependant évident qu’il faut que l’effet existe dans la cause comme dans un modèle car c’est à leur ressemblance que les causes produisent leurs effets ; et inversement les effets contiennent comme une image de leur cause comme le dit aussi Denys au chapitre 2 des Noms Divins. Ainsi donc les réalités sensibles qui sont causées par l’âme sont en elle comme dans un modèle, c’est-à-dire de telle manière que ces réalités qui sont inférieures à l’âme  sont causées à sa ressemblance et en se référant à elle comme à un modèle, mais les réalités qui sont supérieures à l’âme sont en elle à la manière de ce qui est acquis, c’est-à-dire par une  certaine participation, c’est-à-dire qu’elles se comparent à l’âme comme des modèles alors que l’âme se compare à elles comme une image en quelque sorte : ainsi donc il est clair que les réalités sensibles préexistent dans l’âme comme dans leur cause qui est d’une certaine manière comme le modèle de ses effets. Il explique par la suite à quelle âme il pense en disant cela lorsqu’il dit : j’entends par âme la puissance qui produit les réalités sensibles. En effet, d’après ceux qui posent que les corps célestes sont animés, l’âme du ciel est la cause de tous les corps sensibles, tout comme chacune des âmes inférieures ou particulières est la cause du corps qui lui est propre. Donc, aucune âme inférieure ne possède une causalité universelle à l’égard des réalités sensibles et c’est pourquoi ces dernières ne sont pas en chacune des âmes particulières comme dans une cause, mais c’est seulement dans l’âme du ciel, qui possède une causalité universelle sur les réalités sensibles, qu’elles se trouvent suivant cette modalité, et c’est pour cette raison que notre auteur l’appelle ici : la puissance qui produit les réalités sensibles. Mais chacune des âmes qui sont ici-bas possède certes une causalité à l’égard du corps qui lui est propre mais elle ne le cause lui-même ni par le sens ni par l’intelligence ; c’est pourquoi elle ne contient pas à l’avance en elle les notions intelligibles et exemplaires de son corps mais elle le cause plutôt par une puissance naturelle. Et c’est pourquoi on dit au deuxième livre de l’Âme que l’âme est la cause efficiente du corps mais qu’un tel agent n’agit pas par une notion exemplaire prise au sens propre mais par la nature même par laquelle il agit et que nous appelons à cause de cela le modèle de l’effet qui est produit en quelque sorte à sa ressemblance ; et c’est de cette manière que toutes les parties de son corps préexistent virtuellement dans la nature de l’âme alors qu’elles sont en effet rattachées aux puissances qui procèdent de la nature de l’âme. Et bien que les réalités sensibles soient dans l’âme qui en est la cause, elles ne s’y trouvent cependant pas de la manière par laquelle elles sont en elles-mêmes. Car la puissance de l’âme, bien qu’elle soit la cause des réalités matérielles, est immatérielle, et elle est spirituelle bien qu’elle soit la cause des corps, et elle existe sans aucune dimension corporelle bien qu’elle soit la cause des réalités qui possèdent une dimension. Et parce que les effets existent dans la cause conformément à la puissance de la cause, il faut que les corps sensibles existent dans l’âme d’une manière indivisible, immatérielle et incorporelle. Et comme les réalités qui sont inférieures à l’âme existent en elle selon un mode qui est supérieur à celui qu’elles possèdent en elles-mêmes, de même les réalités qui lui sont supérieurs, à savoir les intelligences,  existent en elle selon un mode inférieur à celui qu’elles possèdent en elles-mêmes, c’est-à-dire yconice où selon le mode de l’image, comme le dit Proclus ; au lieu de cela notre auteur dit ici : par un mode accidentel, c’est-à-dire d’après un mode inférieur de participation, c’est-à-dire de telle manière que les réalités intelligibles qui en elles-mêmes sont indivisée, une et immobiles, se retrouvent dans l’âme selon le mode de la division, de la multiplicité et du mouvement, par opposition au mode de l’intelligence, et y  trouvent la proportion nécessaire à être les causes de la multiplicité, de la division et du mouvement des corps sensibles ; ou bien il dit que les réalités immobiles sont dans l’âme selon le mode du mouvement, car selon les Platoniciens, le propre de l’âme est de se mouvoir elle-même alors que pour Aristote l’âme est le principe du mouvement de la chose qui se meut elle-même. Et à la fin, comme par un résumé, il termine son propos qui est évident suite à ce qui a été dit.

Et à partir de ce qui a été dit, on peut voir de quelle manière les âmes supérieures des cieux, si les cieux possèdent une âme, peuvent connaître les réalités sensibles et intelligibles qui leur sont inférieures : elles les connaissent en effet suivant le mode d’existence qu’elles possèdent dans ces mêmes âmes supérieures.

  

Lectio 15

[84250] Super De causis, l. 15 Ostenso qualiter anima se habeat ad alia, hic ostendit qualiter anima se habeat ad seipsam; et proponitur talis propositio: omnis sciens scit essentiam suam, ergo est rediens ad essentiam suam reditione completa. Et ad huius propositionis intellectum considerandae sunt quaedam propositiones quae in libro Procli ponuntur. Quarum una est XV libri eius, quae talis est: omne quod ad seipsum conversivum est incorporeum est. Et hanc propositionem supra manifestavit in 7 propositione libri huius. Secundam propositionem sumamus quae est XVI in libro Procli, quae talis est: omne ad seipsum conversivum habet substantiam separabilem ab omni corpore. Et huius probatio est quia, cum corpus ad seipsum converti non possit, ut ex praemissa propositione habetur, sequitur quod conversio ad seipsum sit operatio separata a corpore; cuius autem operatio est a corpore separabilis, necesse est quod et substantia sit separabilis; unde omne quod ad seipsum converti potest, est a corpore separabile. Tertiam propositionem sumamus XLIII libri eius, quae talis est: omne quod ad seipsum conversivum est, authypostaton est, id est per se subsistens. Quod probatur per hoc quod unumquodque convertitur ad id per quod substantificatur; unde, si aliquid ad seipsum convertitur secundum suum esse, oportet quod in seipso subsistat. Quartam propositionem sumamus XLIV (propositionem) libri eius: omne quod secundum operationem ad seipsum est conversivum, et secundum substantiam est ad se conversum. Et hoc probatur per hoc quod, cum converti ad seipsum sit perfectionis, si secundum substantiam ad seipsum non converteretur quod secundum operationem convertitur, sequeretur quod operatio esset melior et perfectior quam substantia. Quintam propositionem sumamus LXXXIII libri eius, quae talis est: omne suiipsius cognitivum ad seipsum omniquaque conversivum est. Cuius probatio est quia quod seipsum cognoscit convertitur ad seipsum per suam operationem, et per consequens per suam substantiam, ut patet per propositionem praemissam. Sextam propositionem accipiemus CLXXXVI libri eius, quae talis est: omnis anima est incorporea substantia et separabilis a corpore. Quae sic probatur secundum praemissa: anima cognoscit seipsam, ergo convertitur ad seipsam omniquaque, ergo est incorporea et a corpore separabilis. His igitur visis, considerandum est quod in hoc libro tria ponuntur. Quorum primum est quod anima sciat essentiam suam; de anima enim est intelligendum quod hic dicitur. Secundum est quod ex hoc concluditur, quod redeat ad essentiam suam reditione completa. Et hoc est idem ei quod in propositione Procli dictum est, quod omne suiipsius cognitivum ad seipsum omniquaque conversivum est; et intelligitur reditio sive conversio completa et secundum substantiam et secundum operationem, ut dictum est. Quod autem hoc secundum sequatur ex primo probat sic quia, cum dico quod sciens scit essentiam suam, ipsum scire significat operationem intelligibilem, ergo patet quod in hoc quod sciens scit essentiam suam, redit, id est convertitur, per operationem suam intelligibilem ad essentiam suam, intelligendo scilicet eam. Et quod hoc debeat vocari reditus vel conversio, manifestat per hoc quod, cum anima scit essentiam suam, sciens et scitum sunt res una, et ita scientia qua scit essentiam suam, id est ipsa operatio intelligibilis, est ex ea in quantum est sciens et est ad eam in quantum est scita: et sic est ibi quaedam circulatio quae importatur in verbo redeundi vel convertendi. Ex hoc autem quod secundum suam operationem redit ad essentiam suam, concludit ulterius quod etiam secundum substantiam suam est rediens ad essentiam suam; et ita fit reditio completa secundum operationem et substantiam. Et exponit consequenter quid sit redire secundum substantiam ad essentiam suam. Illa enim dicuntur secundum substantiam ad seipsa converti quae subsistunt per seipsa, habentia fixionem ita quod non convertantur ad aliquid aliud sustentans ipsa, sicut est conversio accidentium ad subiecta; et hoc ideo convenit animae et unicuique scienti seipsum, quia omne tale est substantia simplex, sufficiens sibi per seipsam, quasi non indigens materiali sustentamento. Et hoc potest esse tertium, quod scilicet anima sit separabilis a corpore, ut proponitur in propositione Procli. Primum autem horum, scilicet quod anima sciat essentiam suam, hic non probatur. Probatur autem in libro Procli sic: at vero quod cognoscat seipsam, manifestum est: si enim et quae super ipsam cognoscit, et seipsam nata est cognoscere multo magis, tamquam a causis quae sunt ante ipsam cognoscens seipsam. Ubi diligenter considerandum est quod supra, cum de intellectuum cognitione ageret, dixit quod primus intellectus intelligit seipsum tantum, ut in 13 propositione dictum est, quia scilicet est ipsa forma intelligibilis idealis; alii vero intellectus tamquam ei propinqui participant a primo intellectu et formam intelligibilitatis et virtutem intellectualitatis, sicut Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus quod supremae substantiae intellectuales sunt et intelligibiles et intellectuales; unde unusquisque eorum intelligit et seipsum et superiorem quem participat. Sed quia anima intellectiva inferiori modo participat primum intellectum, in substantia sua non habet nisi vim intellectualitatis; unde intelligit substantiam suam, non per essentiam suam, sed, secundum Platonicos, per superiora quae participat, secundum Aristotelem autem, in III de anima, per intelligibiles species quae efficiuntur quodammodo formae in quantum per eas fit actu.

15) Tout être connaissant connaît sa propre essence, il revient donc à son essence par un retour complet.

 

Ayant montré le rapport qu’il y a entre l’âme et les autres choses, l’auteur montre ici le rapport de l’âme à elle-même en présentant cette proposition : tout être connaissant connaît sa propre essence et revient donc à son essence par un retour complet.

Et pour bien entendre cette proposition, il faut considérer certaines propositions présentées par Proclus dans son livre, dont la première est la proposition 15 de son livre où il dit : tout ce qui fait un retour sur soi-même est incorporel. Et il a manifesté cet énoncé précédemment à la proposition 7 de ce livre. La deuxième proposition que nous prenons est la seizième dans le livre de Proclus et qui se lit ainsi : tout ce qui est capable d’un retour sur soi-même possède une substance qui est séparable de tout corps. Et la preuve en est que puisque le corps ne peut faire un retour sur lui-même ainsi que l’établit la proposition qui précède, il s’ensuit que le retour sur soi soit une opération indépendante du corps ; mais ce dont l’opération est indépendante du corps possède une substance qui est indépendante du corps ; d’où il suit que tout est séparable ou indépendant du corps. Prenons maintenant la troisième proposition qui est la quarante-troisième de ce livre et que voici : tout ce qui fait un retour sur soi-même est authypostaton, c’est-à-dire subsistant par soi. Ce qui est prouvé par ceci que chaque chose se tourne vers ce par quoi elle reçoit sa substance ; d’où il résulte que si un être fait un retour sur soi selon son être, il faut qu’il subsiste en lui-même. Prenons la quatrième proposition qui est la quarante-quatrième de ce livre : tout ce qui fait un retour sur soi-même quant à l’opération fait aussi un retour sur soi-même quant à la substance. Et cela, Proclus le prouve de la manière qui suit : puisque faire un retour sur soi-même constitue une perfection, si ce qui fait un retour sur soi-même quant à l’opération ne faisait pas un retour sur soi-même quant à la substance, il s’ensuivrait que son opération serait meilleure et plus parfaite que sa substance. Prenons maintenant la cinquième proposition qui est la quatre-vingt-troisième du livre de Proclus : tout être qui se connaît soi-même fait un retour sur soi-même de toutes les façons. La preuve en est que ce qui se connaît soi-même fait un retour sur soi-même par son opération et par conséquent par sa substance, comme on peut le voir grâce à la proposition précédente. Nous tirons maintenant la sixième proposition de la cent quatre-vingt-sixième du livre de Proclus, que voici : toute âme est une substance incorporelle et séparable du corps. Cette proposition est prouvée conformément à ce qui précède : l’âme, en se connaissant elle-même, se tourne donc vers elle-même de toutes les façons, et elle est donc incorporelle et séparable du corps.

Ayant donc examiné ces propositions, il faut considérer que trois énoncés sont affirmés dans notre livre, dont le premier est que l’âme connaît son essence ; et il nous faut en effet comprendre que c’est de l’âme dont il est sujet ici. Le deuxième énoncé est ce qui est conclu à partir de là, à savoir qu’elle revient à son essence par un retour complet. Et cela est identique à ce qui est dit dans la proposition de Proclus, à savoir que tout ce qui se connaît soi-même fait un retour sur soi de toutes les façons. Et ce retour sur soi ou cette conversion complète s’entend à la fois selon la substance et selon l’opération comme nous l’avons déjà dit.  Mais que ce deuxième énoncé découle du premier, il le prouve ainsi : car lorsque je dis celui qui connaît connaît son essence, puisque connaître signifie en soi-même l’opération intelligible, il est donc clair qu’en ceci qu’en connaissant il connaît son essence, il fait un retour, c’est-à-dire qu’il se convertit, par son opération intelligible, vers son essence, c’est-à-dire par son intellection.

Et que cela doive s’appeler retour  ou conversion, il le manifeste par ceci que lorsque l’âme connaît son essence, celui qui connaît et ce qui est connu ne font qu’un, et ainsi la science par laquelle elle connaît son essence, c’est-à-dire son opération intelligible elle-même, procède d’elle en tant qu’elle est ce qui connaît et elle lui est ordonnée en tant qu’elle est ce qui est connu : et ainsi il y a là comme un certain cercle qui est impliqué dans les termes de retour et de conversion. Mais du fait que selon son opération il y a un retour sur son essence, il conclut par la suite que c’est aussi selon sa substance qu’il y a un retour sur son essence ; et ainsi il se fait un retour complet à la fois selon l’opération et selon la substance. Et il explique par la suite ce que c’est que de faire un retour sur l’essence selon l’opération. On dit en effet que ce sont les réalités qui subsistent par elles-mêmes qui font un retour sur elles-mêmes selon la substance, c’est-à-dire celles qui possèdent une stabilité telle qu’elles ne se tournent pas vers quelque chose d’autre qui les soutiendrait, tout comme c’est le cas pour les accidents qui se tournent vers leurs sujets ; et c’est pourquoi cela convient à l’âme et à chacun de ceux qui se connaissent eux-mêmes, à savoir parce qu’ils sont tous des substances simples, qui se suffisent par elles-mêmes sans avoir besoin d’un support matériel. Et ceci peut constituer le troisième point, à savoir que l’âme soit séparable du corps comme on l’affirme dans la proposition de Proclus. Mais le premier de ces points, à savoir que l’âme connaît son essence, n’est pas prouvé ici, mais il est prouvé de la manière qui suit dans le livre de Proclus : mais il est manifeste que l’âme se connaisse elle-même : si en effet elle connaît à la fois les réalités qui sont au-dessus d’elle, il est clair qu’elle est bien davantage capable de se connaître elle-même alors qu’elle se trouve à se connaître elle-même comme par des causes qui lui sont antérieures. Et il faut ici considérer avec attention que précédemment, lorsqu’il a été question de la connaissance des intelligences, il a été dit que l’intellect premier ne connaît que lui seul, comme l’auteur l’a dit à la proposition 13, à savoir parce qu’il est la forme intelligible idéale elle-même ; mais les autres intellects qui sont comme voisins de lui participent, de par  l’intellect premier, à la fois de la forme et de la puissance de l’intelligibilité, tout comme Denys dit au livre 4 des Noms Divins que les substances intellectuelles suprêmes sont à la fois intelligibles et intellectuelles ; il résulte de là que chacune d’elles intellige à la fois soi-même et la l’intellect supérieur dont elle participe. Mais parce que l’âme intellectuelle participe de l’intellect premier d’après une modalité plus faible, elle ne possède dans sa substance que la puissance de l’intellectualité ; il suit de là qu’elle intellige sa substance non pas par son essence mais, d’après les Platoniciens, par les réalités supérieures dont elle participe, mais selon Aristote comme il le dit au troisième livre de l’Âme, par les espèces intelligibles qui jouent en quelque sorte le rôle de formes puisque c’est par elles que l’âme intellectuelle intellige en acte.

 

Lectio 16

[84251] Super De causis, l. 16 Posita distinctione superiorum causarum et prosecutis singulis partibus divisionis, hic accedit ad ostendendum comparationem earum ad invicem. Et circa hoc tria facit: primo ostendit quomodo inferiora dependent a superioribus, secundo ostendit quomodo superiora influunt in inferiora, 20 propositione, ibi: causa prima regit etc., tertio ostendit quomodo inferiora diversimode recipiunt influxum primi influentis, 24 propositione, ibi: causa prima existit et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit quomodo inferiora a superioribus dependeant secundum virtutem, secundo quomodo dependeant secundum substantiam et naturam suam, 18 propositione, ibi: res omnes habent essentiam. Circa primum duo facit: primo ostendit quod omnes virtutes infinitae dependent a prima infinita virtute, secundo ostendit quomodo magis vel minus ei assimilantur, 17 propositione, ibi: omnis virtus unita et cetera. Circa primum ponit hanc propositionem: omnes virtutes quibus non est finis, pendentes sunt per infinitum primum quod est virtus virtutum, non quia ipsae sint acquisitae, fixae, stantes in rebus entibus, immo sunt virtus rebus habentibus fixionem. Haec autem secunda propositionis pars in omnibus libris videtur esse corrupta; deberet enim singulariter dici: non quia ipsa sit acquisita, fixa, stans in rebus entibus, immo est virtus etc., ut referatur hoc ad virtutem virtutum. Et hoc patet ex libro Procli cuius propositio XCII talis est: omnis multitudo infinitarum potentiarum ab una prima infinitate exorta est, quae non ut participata potentia est, neque in potentibus subsistit, sed secundum seipsam, non alicuius participantis ens potentia, sed omnium causatorum entium. Ubi primo considerandum est quod infinita potentia dicitur cuiuslibet semper existentis, sicut supra dictum est in 4 propositione, in quantum scilicet videmus quod ea quae plus durare possunt, habent maiorem virtutem essendi; unde illa quae in infinitum durare possunt, habent quantum ad hoc infinitam potentiam. Secundum autem Platonicas positiones, omne quod in pluribus invenitur oportet reducere ad aliquod primum, quod per suam essentiam est tale, a quo alia per participationem talia dicuntur. Unde, secundum eos, virtutes infinitae reducuntur ad aliquod primum, quod est essentialiter infinitas virtutis, non quod sit virtus participata in aliqua re subsistente, sed quia est subsistens per seipsam. Hoc autem, secundum Platonicos, non est ipsa idea entis, quia huiusmodi ens separatum habet quidem potentiam infinitam sed cum hoc etiam habet finitatem, sicut supra in 4 propositione est habitum; unde relinquitur quod non sit prima potentia quae est essentialiter ipsa infinitas. Neque tamen ponebant quod ista infinitatis idea sit primum simpliciter, quia ipsa infinitas participat unitate et bonitate, unde primum simpliciter est unum et bonum; hoc autem infinitum ideale, a quo omnes virtutes infinitae dependent, est medium inter unum et bonum quod est primum simpliciter, et inter ens. Et ita hanc propositionem Proclus exponit. Sed quia auctor huius libri non ponit diversitatem realem inter huiusmodi formas ideales abstractas quae per essentiam suam dicuntur, sed omnia attribuit uni primo quod est Deus, ut supra etiam patuit ex verbis Dionysii, ideo, secundum intentionem huius auctoris, hoc primum infinitum a quo omnes virtutes infinitae dependent, est primum simpliciter quod est Deus. Per ens autem de quo Proclus mentionem facit, quod est sub infinito, non intelligit ideam entis, sed potius ens primum creatum quod est intelligentia; et quod Proclus probat de idea entis, hic probatur de ente primo creato, quod est intelligentia. Dicit ergo: si aliquis velit dicere quod primum ens creatum, quod est intelligentia, sit virtus infinita, non tamen erit dicendum quod ipsa sit essentialiter virtus, immo est habens virtutem, unde non est illud primum infinitum a quo dependent omnes virtutes infinitae. Et quia non sit prima virtus infinita, manifestatur per hoc quod non est infinita omnibus modis et respectu cuiuslibet, sed est infinita solum inferius, non superius. Dicitur quidem inferius infinita virtus intelligentiae quia non comprehenditur ab his quae sunt infra ipsam; non est autem infinita superius quia exceditur a suo superiori cuius comprehensione finitur. Unde et Proclus dicit XCIII propositione: omne infinitum in entibus neque suprapositis infinitum est neque sibiipsi; quia, sicut ipse probat ibidem, a seipso unumquodque et a superioribus circumscribitur et terminatur, ab inferioribus autem circumscribi aut terminari non potest. Ideo autem virtus intelligentiae non est respectu omnium infinita, quia non est ei virtus pura, id est non est essentialiter virtus ut scilicet sit virtus subsistens; talis enim res, quae essentialiter virtus est, neque finitur inferius neque superius; non enim habet aliquid prius a quo possit circumscribi. Sed intelligentia quae est primum ens creatum, habet finem, et eius finis est secundum quem remanet, id est secundum quod deficit a suo superiori, quasi post ipsum remanens velut ipsum assequi non valens. Deinde ostendit quid sit illud primum infinitum a quo dependent omnes virtutes infinitae. Et hoc quidem accipitur hic ens primum creans, scilicet Deus, quod est primum infinitum purum, quasi essentialiter existens virtus infinita. Et hoc probat quia intelligentiae, quas vocat hic scientes et fortes propter magnitudinem virtutis quam habent, sunt infinitae propter acquisitionem suam, id est participationem, a primo quod est infinitum purum, id est essentialiter, a quo habent non solum infinitatem sed etiam esse. Et si ens primum creans est quod sui participatione facit res esse infinitas, tunc oportet quod ipsum sit supra infinitum: quod quidem, secundum ea quae hic dicuntur, oportet intelligere quod ens primum sit supra infinitum participatum et creatum, sed secundum Proclum hoc dicitur de idea unius et boni quae est secundum  Platonicos supra ideam infiniti; et ideo, exponens quod dixerat ens primum esse supra infinitum, subdit quod intelligentia est infinitum, scilicet participative non autem essentialiter, ita scilicet quod ipsamet sit id quod est infinitum. Concludit igitur ex praemissis quod, cum ens primum det intelligentiis esse et infinitatem, ipsum est mensura primorum entium scilicet intelligibilium, et per consequens secundorum entium scilicet sensibilium, secundum quod primum in quolibet genere est mensura illius generis, in quantum, per accessum ad ipsum vel recessum ab ipso, cognoscitur aliquid esse perfectius vel minus perfectum in genere illo. Sed ipse exponit ens primum esse mensuram omnium entium, quia creavit omnia entia cum debita mensura quae convenit unicuique rei secundum modum suae naturae: quod enim aliqua magis vel minus accedant ad ipsum, est ex eius dispositione. Ultimo autem colligit ex praemissis quasi epilogando principalem intentionem, et dicit quod ens primum creans est supra infinitum, illud scilicet quod participatione est infinitum; sed ens secundum, quod est creatum, scilicet intelligentia, est infinitum participative; illud autem quod est medium inter ens primum creatum, quod est intelligentia, et ens secundum creatum, quod est corpus corruptibile, est infinitum, scilicet corpus caeleste; sed Proclus hoc posuit tamquam idea infiniti sit media inter ideam boni et ideam entis. Hoc autem rerum ordine instituto circa infinitum, subdit similiter de aliis, et dicit quod omnes aliae bonitates simplices, scilicet vita et lumen et similia, sunt causae rerum habentium huiusmodi bonitates; sicut enim causa prima est ipsum infinitum et omnia alia ab eo habent infinitatem, ita etiam causa prima est ipsa vita et ipsum lumen, et ab ipsa creatum primum, scilicet intelligentia, habet vitam et lumen intelligibile; et similiter etiam aliae bonitates descendunt a causa prima primo quidem super creatum primum, quod est intelligentia, et deinde super alia mediante intelligentia, sive illa alia accipiantur animae intellectuales, sive res spirituales.

16) Toutes les puissances pour lesquelles il n'y a pas de limite dépendent d'un infini premier qui est puissance des puissances, non parce que celles-ci sont acquises, stables, se tenant dans les choses, mais plutôt parce qu'elles sont puissances pour les choses recevant leur stabilité.

 

Après avoir posé la distinction des causes supérieures et expliqué chacune des parties de la division, l'auteur commence ici à les comparer les unes aux autres. Et à ce sujet il fait trois choses : premièrement il montre comment les causes inférieures dépendent de celles qui sont supérieures; deuxièmement il montre comment les causes supérieures influent sur les inférieures, à la proposition 20 où il dit : la cause première gouverne etc.; troisièmement il montre comment les causes inférieures reçoivent différemment l'influence  de la cause première, à la proposition 24 où il dit : la cause première existe etc. Au sujet du premier point, il fait deux choses: premièrement il montre comment les causes inférieures dépendent des supérieures quant à leur puissance; deuxièmement comment elles en dépendent quant à leur substance et à leur nature, à la proposition 18 là où il dit : toutes les choses possèdent une essence etc. Touchant le premier point il fait deux choses : premièrement il montre que toutes les puissances infinies dependent de la puissance infinie première ; deuxièmement il montre comment elles lui sont plus ou moins assimilées, à la proposition 17 où il dit : toute puissance qui est une etc.

Au sujet du premier point il présente cette proposition : toutes les puissances pour lesquelles il n’y a pas de limite sont suspendues à un infini premier qui est la puissance des puissances, non pas parce qu’elles-mêmes sont acquises, stables et se tiennent dans les choses qui existent mais plutôt parce qu’elles sont une puissance pour les choses qui possèdent une stabilité. Mais cette deuxième partie de la proposition  semble avoir été altérée dans tous les livres ; on devrait plutôt formuler l’énoncé au singulier et dire : non pas parce qu’elle-même est acquise, stable et se tient dans les choses qui existent mais elle est plutôt la puissance etc., de manière à rapporter ces mots  à la puissance des puissances.

 Et apparaît clairement si on se rapporte à la proposition  92 du livre de Proclus : toute la multiplicité des puissances infinies est née de l’infinité première qui n’est pas comme une puissance participée et ne subsiste pas dans les sujets qui possèdent ces puissances, mais elle subsiste en elle-même, n’étant pas la puissance de quelque participant que ce soit, mais la puissance de tous les êtres qui sont causés.

Et il faut premièrement considérer que Proclus appelle ici puissance infinie celle qui appartient à un être qui existe toujours comme cela a été dit à la proposition 4, c’est-à-dire dans le sens où nous voyons que les êtres qui peuvent durer plus longtemps possèdent une puissance d’existence plus grande ; d’où il suit que ce qui peut durer infiniment possède quant à cela une puissance infinie. Cependant, selon les positions Platoniciennes, ce qui se retrouve dans une multiplicité, il faut le ramener à quelque chose de premier qui est tel de par son essence même et duquel les autres tiennent d’être dits tels par participation. C’est pourquoi, selon eux, les puissances infinies se ramènent à un principe premier qui est de par son essence même l’infinité de la puissance, non pas parce qu’elle est une puissance participée dans quelque réalité subsistante, mais parce qu’elle est subsistante par elle-même. Mais cela, selon les Platoniciens, n’est pas l’idée même d’être car un tel être séparé possède certes une puissance infinie, mais avec cela il possède certes un caractère fini comme il a été établi plus haut à la proposition 4 ; d’où il suit qu’il ne soit pas lui-même la première puissance qui est par essence l’infini même. Et cependant ils ne posaient pas que cette idée d’infini est première absolument car l’infini lui-même participe de l’un qui est le bien, d’où il suit que c’est l’un-bien qui est premier absolument ; mais cet infini idéal duquel toutes les puissances infinies dépendent, est intermédiaire entre l’un-bien d’une part, qui est premier absolument, et l’être.  Et c’est ainsi que Proclus explique cette proposition. Mais parce que l’auteur de ce livre ne pose pas une différence réelle entre de telles formes idéales qui sont dites séparées par leur essence mais les attribue toutes au seul premier principe qui est Dieu, comme nous l’avons vu aussi plus haut à partir des paroles de Denys, c’est pourquoi, conformément à l’intention de cet auteur, ce premier infini duquel toutes les puissances infinies dépendent est ce qui est premier  absolument, à savoir Dieu. Mais quand Proclus fait mention de l’être qui est sous l’infini, il n’entend pas l’idée d’être mais plutôt l’être créé premier qui est l’intelligence ; et ce que Proclus prouve au sujet de l’idée d’être, l’auteur le prouve ici au sujet de l’être créé premier qui est l’intelligence. Il dit donc : si quelqu’un veut dire que l’être créé premier qui est l’intelligence est la puissance infinie, il ne faudra cependant pas  dire qu’elle est elle-même essentiellement la puissance, mais plutôt qu’elle est ce qui possède de la puissance, et par conséquent qu’elle n’est pas ce premier infini duquel dépendent toutes les puissances infinies. Et parce qu’elle n’est pas la première puissance infinie, il est manifeste à cause de cela qu’elle n’est pas infinie de toutes les manières et par rapports à tout mais qu’elle est infinie seulement par rapport à ce qui est inférieur et non par rapport à ce qui est supérieur. Et on dit certes que la puissance de l’intelligence est infinie par rapport à ce qui est inférieur parce qu’elle ne peut être comprise par les réalités qui lui sont inférieures ; mais elle n’est pas infinie par rapport à ce qui lui est supérieur parce qu’elle est dépassée par son supérieur par la compréhension duquel elle est délimitée. Et c’est pourquoi Proclus dit à la proposition 93 : tout ce qui est infini chez les êtres n’est infini ni par rapport à ce qui le dépasse ni par rapport à soi-même ; car comme il le prouve au même endroit, chacun de trouve à être délimité et circonscrit à la fois par soi-même et par ce qui lui est supérieur mais il ne peut l’être par ce qui lui est inférieur. Et c’est pourquoi la puissance de l’intelligence n’est pas infinie par rapport à tout ce qui existe, à savoir parce que la puissance qui est la sienne n’est pas pure, c’est-à-dire parce qu’elle n’est pas essentiellement vertu de telle sorte qu’elle serait une vertu subsistante ; une telle réalité en effet qui est une vertu subsistante n’est finie ni par le bas ni par le haut ; en effet, il n’y a rien qui lui soit antérieur et par quoi elle pourrait être circonscrite. Mais l’intelligence, qui est le premier être créé, a une limite et sa limite est ce derrière quoi elle demeure, c’est-à-dire que selon qu’elle est en défaut à l’égard de ce qui lui est supérieur, elle demeure comme à sa suite du fait qu’elle ne peut l’atteindre. Par la suite il montre quel est ce premier infini duquel dépendent toutes les puissances infinies ; et ce premier être se prend ici comme celui qui crée, à savoir Dieu, qui est le premier infini pur et qui existe essentiellement en tant que puissance infinie. Et il prouve cela parce que les intelligences, qu’il appelle ici savantes et fortes à cause de la grandeur de la puissance qu’elles possèdent, sont infinies à cause de l’acquisition, c’est-à-dire de la participation du premier qui est le pur infini, c’est-a-dire celui qui est essentiellement infini et duquel elles tiennent non seulement l’infini mais aussi l’existence. Et si l’être premier créateur est celui par la participation duquel les choses sont rendues infinies, alors il faut que lui-même transcende l’infini : et, conformément à ce qui est dit ici, il faut entendre cela dans le sens où l’être premier est au-dessus de l’infini participé et créé mais selon Proclus cela se dit de l’idée de l’un-bien qui est au-dessus de l’idée d’infini selon les Platoniciens ; et c’est pourquoi, pour expliquer ce qu’il vient de dire en disant que l’être premier est au-dessus de l’infini, il ajoute que l’intelligence est infinie, mais par participation et non essentiellement, c’est-à-dire de telle manière qu’elle soit elle-même ce qui est infini. Il conclut donc de ce qui précède que, puisque l’être premier donne aux intelligences à la fois l’être et l’infini, Il est lui-même la mesure des premiers êtres, à savoir des intelligibles, et par conséquent des êtres seconds, à savoir des réalités sensibles, selon que ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui est contenu dans ce genre dans la mesure où on connaît que quelque chose, soit par proximité soit par éloignement par rapport à ce qui est premier, est plus parfait ou moins parfait dans ce genre. Mais il explique que l’être premier est la mesure de tous les êtres parce qu’il a créé tous les êtres avec la mesure appropriée qui est due à chaque chose selon le mode de sa nature : en effet, que les choses s’approchent plus ou moins de l’être premier, cela procède de leur disposition ou de leur nature. À la fin cependant, à partir de ce qui précède et comme en résumé, il resserre son propos principal et dit que l'être premier créateur est au-dessus de l’infini, c’est-à-dire au-dessus de ce qui est infini par participation ; mais l’être second qui est créé, à savoir l’intelligence, est infini par participation ; mais ce qui est intermédiaire entre l’être premier créé qui est l’intelligence et l’être second créé qui est le corps corruptible, à savoir le corps céleste, est infini ; mais c’est Proclus qui a posé ceci que l’idée d’infini serait comme intermédiaire entre l’idée de bien et l’idée de l’être. Mais ayant établi cet ordre des choses relativement à l’infini, notre auteur fait de même pour le reste et ajoute  que tous les autres biens qui sont simples, à savoir la vie, la lumière et les autres biens semblables sont les causes des choses qui possèdent de tels biens ; en effet, tout comme la cause première est l’infinité même et que tout le reste tient d’elle l’infinité, de même encore la cause première est la vie même et la lumière même et c’est d’elle que le premier créé, à savoir l’intelligence, tient la vie et la lumière intelligible ; et semblablement encore les autres biens descendent de la cause première pour se  répandre certes en premier lieu sur le premier créé, à savoir sur l’intelligence,  et ensuite sur  les autres créatures par l’intermédiaire de l’intelligence, que ces autres créatures soient les âmes intellectuelles ou les réalités spirituelles.

 

 

 

Lectio 17

[84252] Super De causis, l. 17 Postquam in praecedenti propositione ostensum est quod omnes virtutes infinitae dependent a prima virtute infinita, in hac propositione consequenter ostenditur quomodo una virtus magis accedat ad primam infinitatem quam alia. Et dicit quod: omnis virtus unita plus est infinita quam virtus multiplicata. Et haec eadem propositio ponitur in libro Procli XCV sub his verbis: omnis potentia unitior existens est infinitior quam plurificata. Probatur autem utrobique dupliciter. Primo quidem per rationem, hoc modo. Sicut ex praemissa propositione habetur, omnes virtutes infinitae dependent a primo infinito quod est virtus virtutum; oportet igitur quod, quanto virtus propinquior fuit illi primae virtuti, tanto magis participet de eius infinitate. Illa autem prima virtus est essentialiter unum; oportet ergo quod, quanto aliquid est magis unum, tanto habeat virtutem magis infinitam. Et inde est quod virtus intelligentiae, quae est prima inter virtutes creatas infinitas, est maxime infinita utpote propinquior uni primo; virtutes vero quae multiplicantur, ex hoc ipso deficiunt ab unitate, et ideo minoratur earum posse. Et huius exemplum apparet in virtutibus cognoscitivis: intellectus enim, qui non dividitur in multas potentias, est efficacior in cognoscendo quam sensus, qui in multas potentias diversificatur; et eadem ratione, virtus cognoscitiva intelligentiae, quae non dividitur per sensitivam et intellectivam, est fortior quam virtus cognoscitiva humana, tam circa sensibilia singularia quam circa intelligibilia cognoscenda. Secundo probatur per signum. Videmus enim in rebus corporalibus partibilibus quod, quando multa aggregantur et uniuntur, fit vehementior eorum virtus, ex qua consequuntur mirabiles operationes, sicut patet in multis hominibus simul trahentibus navem, qui divisim non possent eam trahere nec partes eius proportionales, et, quanto magis dividitur virtus rei corporalis, tanto debilior fit et facit operationes viliores, sicut tota domus a magno igne aggregato calefit, quod fieri non potest si ignis dividatur per diversas partes domus. Ex quibus duabus propositionibus concludit propositum, ut in littera patet.

 

17) Toute puissance unifiée est plus infinie qu'une puissance multiple

 

Après avoir montré dans la proposition précédente que toutes les puissances infinies dépendent de la première puissance infinie, l’auteur montre par la suite dans cette proposition comment une puissance se rapproche davantage de la première infinité qu'une autre. Et il dit que toute puissance unifiée est plus infinie qu'une puissance multipliée. Et cette même proposition est présentée en ces termes à la proposition 95 du livre de Proclus : toute puissance qui existe sous une forme plus unifiée est davantage infinie que celle qui est multipliée. Et cette proposition est prouvée dans les deux cas de deux manières.

 Et elle est certes prouvée en premier lieu par un raisonnement de la manière qui suit. Comme on établit à la proposition précédente que toutes les puissances infinies dépendent du premier infini qui est la puissance des puissances, il faut donc que plus une puissance est proche de cette première puissance, plus elle participe de son infinité. Mais cette première puissance est essentiellement une ; il faut donc que plus un être est un, plus il possède une puissance infinie. Et il résulte de là que la puissance de l’intelligence, qui est la première parmi les puissances créées infinies, est la plus infinie en tant qu’elle est la plus rapprochée de l’un premier ; mais les puissances qui sont multipliées s’écartent de ce fait même de l’unité et c’est pourquoi leur puissance s’en trouve est diminuée. Et on peut voir un exemple de cela dans les puissances cognitives : l’intellect en effet, lequel ne se divise pas en plusieurs puissances, est plus efficace que le sens, lequel se différencie en de nombreuses facultés de connaissance, pour l’acte de connaître ; et pour la même raison, la puissance cognitive de l’intelligence, laquelle ne se divise pas en faculté sensible et faculté intellectuelle, est plus forte que la puissance cognitive humaine, aussi bien pour connaître les singuliers sensibles que les intelligibles.

La même proposition est prouvée en deuxième lieu par un signe. Nous voyons en effet dans les choses corporelles divisibles que, lorsque plusieurs d’entre elles s’assemblent et s’unissent, leur puissance s’en trouve augmentée considérablement, d’où s’en suivent des opérations admirables, comme on le voit lorsque plusieurs hommes tirent simultanément un navire qu’ils ne pourraient pas tirer isolément, ni même ses parties prises proportionnellement à chaque individu ; et on observe que plus la puissance de la chose corporelle est divisée, plus elle s’affaiblit et plus son opération devient ordinaire comme c’est le cas lorsque toute la maison devient chaude par la réunion d’un seul grand feu, résultat qui ne peut être obtenu si le feu est divisé dans chacune des parties de la maison. Et à partir de ces deux propositions il conclut son propos comme on le voit dans le document.

 

 

Lectio 18

[84253] Super De causis, l. 18 Postquam ostensum est quod res omnes dependent a primo secundum suam virtutem, hic ostendit quod dependent omnia a primo secundum suam naturam. Et circa hoc duo facit: primo ostendit universalem dependentiam rerum a primo secundum omnia quae pertinent ad naturam vel substantiam earum, secundo ostendit diversum gradum appropinquationis ad primum a quo dependent, sicut et de dependentia virtutis dixerat, et hoc 19 propositione, ibi: ex intelligentiis est et cetera. Primo ergo ponit talem propositionem: res omnes habent essentiam per ens primum, et res vivae omnes sunt motae per essentiam suam propter vitam primam, et res intelligibiles omnes habent scientiam propter intelligentiam primam. Et hoc idem dicitur in libro Procli CII propositione, sub his verbis: omnia quidem qualitercumque entia ex fine sunt et infinito, propter prime ens. Omnia autem viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam. Omnia autem cognitiva cognitione participant propter intellectum primum. Dicit autem quod omnia sunt ex fine et infinito propter prime ens quia, ut supra habitum est in 4 propositione, ens creatum compositum est ex finito et infinito. Ad huius autem propositionis intellectum primo quidem considerandum est quod omnes rerum gradus ad tria videtur reducere quae sunt esse, vivere et intelligere. Et hoc ideo quia unaquaeque res tripliciter potest considerari: primo quidem secundum se, et sic convenit ei esse, secundo prout tendit in aliquid aliud, et sic convenit ei moveri, tertio secundum quod alia in se habet, et sic convenit ei cognoscere quia secundum hoc cognitio perficitur quod cognitum est in cognoscente non quidem materialiter sed formaliter. Sicut autem habere aliquid in se formaliter et non materialiter, in quo consistit ratio cognitionis, est nobilissimus modus habendi vel continendi aliquid, ita moveri a seipso est nobilissimus mobilitatis modus, et in hoc consistit ratio vitae; nam ea dicimus viventia quae se aliqualiter movent. Esse igitur, quod est primum, commune est omnibus, sed non omnia pertingunt ad illam perfectionem ut sint suiipsorum motiva; unde non omnia sunt viventia, sed quaedam quae sunt perfectiora in entibus. Rursumque eorum quae sunt motiva suiipsorum vel aliorum, non omnia sunt motiva per modum cognitionis, sed per aliquod materiale principium sicut accidit in plantis; unde etiam non omnia viventia pertingunt ad gradum cognitionis, sed solum illa in quibus principium motionis est aliquid formale absque materia; nam et ipse sensus est susceptivus specierum sensibilium sine materia, ut dicitur in II de anima. Secundo considerandum est quod in unoquoque genere est causa illud quod est primum in genere illo, a quo omnia quae sunt illius generis in illo genere constituuntur, sicut inter elementaria corpora ignis est primum calidum a quo omnia caliditatem sortiuntur; non est autem in aliquo rerum ordine in infinitum procedere. Oportet igitur in ordine entium esse aliquod primum quod dat omnibus esse, et hoc est quod dicit quod res omnes habent essentiam per ens primum. Similiter oportet in genere viventium esse aliquod primum, et ab hoc omnia viventia habent quod vivant; et quia viventis proprium est quod sit suiipsius motivum, ideo dicit quod res vivae omnes sunt motae per essentiam suam, id est sunt moventes seipsas, propter vitam primam; unde et in libro Procli dicitur: omnia viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam. Et quod movere seipsum procedit a prima vita, probat subdens: quoniam vita est processio procedens ex ente primo quieto sempiterno. Ad cuius intellectum sciendum est quod prius est aliquid esse in se quam moveri in alterum; unde moveri praesupponit esse. Quod si ipsum esse sit sicut subiacens motui, iterum oportebit praesupponi aliquod principium motus, et sic quousque deveniatur ad aliquod ens immobile quod est principium movendi seipsum omnibus; et hoc est prima vita. Unde manifestum est quod vita in omnibus viventibus est processio quaedam procedens a quodam primo ente quieto et sempiterno, id est nulli motioni subiecto. Similiter etiam in ordine cognoscentium oportet esse aliquod primum. Manifestum est autem quod ordine perfectionis et naturae cognitio intellectiva prior est sensitiva, quia est magis immaterialis; unde et per intellectum de cognitione sensitiva iudicamus, sicut de inferiori per superius. In ipsa autem intellectiva cognitione, manifestum est quod ratiocinativa inquisitio a principiis per se notis procedit, quorum est intellectus; unde ratio sequitur intellectum. Primum igitur in ordine cognoscentium est intellectus, et ideo oportet quod omnes res intelligibiles, id est cognoscitivae, habeant scientiam, id est cognitionem, propter intelligentiam primam; unde et in libro Procli dicitur quod omnia cognitiva cognitionem participant propter intellectum primum. Et ratio huius assignatur quia omnis scientia radicaliter non est nisi intelligentia; intelligentia enim est summitas quaedam, ut Proclus dicit, omnis cognitionis; unde intelligentia est primum cognoscens et influens cognitionem supra omnia cognoscentia. Sicut autem supra dictum est, secundum Platonicos primum ens, quod est idea entis, est aliquid supra primam vitam, id est supra ideam vitae, et prima vita est aliquid supra primum intellectum idealem; sed secundum Dionysium primum ens et prima vita et primus intellectus sunt unum et idem quod est Deus; unde et Aristoteles in XII metaphysicae primo principio attribuit quod sit intellectus et quod suum intelligere sit vita, et secundum hoc ab eo omnia habent esse et vivere et intelligere. Tertio considerandum quod ista tria diversimode causantur in rebus, sive a diversis principiis secundum Platonicos, sive ab eodem principio secundum fidei doctrinam et Aristotelis. Est enim duplex modus causandi: unus quidem quo aliquid fit praesupposito altero, et hoc modo dicitur fieri aliquid per informationem, quia illud quod posterius advenit se habet ad illud quod praesupponebatur per modum formae; alio modo causatur aliquid nullo praesupposito, et hoc modo dicitur aliquid fieri per creationem. Quia ergo intelligere praesupponit vivere et vivere praesupponit esse, esse autem non praesupponit aliquid aliud prius; inde est quod primum ens dat esse omnibus per modum creationis. Prima autem vita, quaecumque sit illa, non dat vivere per modum creationis, sed per modum formae, id est informationis; et similiter dicendum est de intelligentia. Ex quo patet quod, cum supra dixit intelligentiam esse causam animae, non intellexit quod esset causa eius per modum creationis, sed solum per modum informationis, ut supra expositum est.

18) Toutes les choses ont l'être grâce à l'étant premier, toutes les vivantes sont mues par leur essence grâce à la vie première, et toutes les intelligibles sont connaissantes grâce à l'intelligence première.

 

Après avoir montré que toutes les choses dépendent de l’Être premier quant à leur puissance, l'auteur montre ici qu'elles en dépendent toutes quant à leur nature. Et à ce sujet il fait deux choses : premièrement il montre la dépendance l'universelle des choses à l’égard de l’Être premier selon tous les rapports qui appartiennent à leur nature ou à leur substance; deuxièmement il montre les différents degrés de proximité qu'elles entretiennent à l'égard de l’Être premier dont elles dépendent, comme il l’avait dit au sujet de leur puissance, ce qu’il fait à la proposition 19 où il dit : parmi les intel­ligences, il y a celle etc. En premier lieu il présente donc cette proposition : toutes les choses tiennent leur essence de l’Être premier, toutes celles qui sont vivantes sont mues par leur essence à cause de la Vie première et toutes celles qui sont intelligibles possèdent leur science à cause de l’intelligence première.

Et c’est la même chose qui est dite en ces termes dans le livre de Proclus à la proposition 102: tout ce qui existe d’une manière ou d’une autre tient de l’Être premier d’être constitué d’une fin et d’infini. Mais tous les vivants tiennent leur mouvement autonome de la Vie première. Tous ceux qui connaissent tiennent leur connaissance participée de l’Intellect premier. Mais il dit que tous les êtres tiennent de l’Être premier d’être constitués de fin et d’infini parce que, comme cela a été établi plus haut à la proposition 4, l’être créé est composé de fini et d’infini.

Mais pour comprendre cette proposition, il faut certes considérer en premier lieu que tous les degrés du réel semblent se ramener à trois, à savoir : exister, vivre et intelliger. Et il en est ainsi parce que chaque chose peut être considérée de trois manières : premièrement en elle-même et c’est ainsi que l’existence lui convient ; deuxièmement selon qu'elle tend vers quelque chose d'autre, et c’est alors le mouvement qui lui convient; troisièmement selon qu’elle contient en elle d’autres choses et à ce titre il lui convient de connaître,  parce la connaissance tire sa perfection de ce que l’objet connu est présent dans celui qui connaît, non pas matériellement mais formellement. Mais tout comme posséder quelque chose en soi formellement et non matériellement, ce en quoi consiste la définition même de la connaissance, est la modalité la plus noble de posséder ou de contenir quelque chose, de même le mouvement autonome est la forme de mouvement la plus noble et c’est en cela que consiste la définition même de la vie car nous appelons vivants les êtres qui se meuvent eux-mêmes en quelque sorte.

Donc l’existence, qui est première, est commune à tous les êtres, mais ce ne sont pas tous les êtres qui parviennent à cette perfection de se mouvoir par soi-même ; d’où il suit que tous ne sont pas vivants et que certains des êtres sont plus parfaits. En outre, ce ne sont pas tous les êtres qui se meuvent eux-mêmes ou qui en meuvent d’autres qui possèdent cette forme de mouvement qu’est la connaissance, mais certains se meuvent par un principe matériel comme on le voit chez les plantes ; d’où il résulte que ce ne sont pas tous les vivants qui parviennent à ce degré qu’est la connaissance, mais seulement ceux chez lesquels le principe du mouvement est quelque chose de formel et dégagé de la matière ; car même le sens reçoit les espèces sensibles sans la matière comme le Philosophe le dit au deuxième livre de l’Âme.

Deuxièmement il faut considérer qu’en tout genre la cause, par laquelle tout ce qui appartient à ce genre est constitué dans ce genre, est ce qui est premier dans ce genre, tout comme parmi les corps élémentaires le feu est le premier à être chaud duquel tout le reste reçoit sa chaleur ; mais il n’existe aucun ordre de choses dans lequel on puisse procéder à l’infini. Il faut donc qu’il y ait dans l’ordre des êtres un être qui soit premier et qui donne à tous les autres d’être ou d’exister et c’est ce que notre auteur veut signifier lorsqu’il dit : toutes les choses tiennent leur essence de l’Être premier. De la même manière il faut qu’il y ait quelque chose de premier dans le genre des vivants et d’où tous les vivants tirent leur vie ; et parce que le propre du vivant est de se mouvoir soi-même, c’est pourquoi l’auteur dit que tous les vivants se meuvent par leur essence, c’est-à-dire qu’ils se meuvent eux-mêmes, à cause de la Vie première ; c’est pourquoi Proclus dit dans son livre : tous les vivants se meuvent eux-mêmes à cause de la Vie première. Et que le fait de se mouvoir soi-même procède de la Vie première, il le prouve en ajoutant : puisque la vie est une procession qui procède de l’Être premier, immobile et éternel. Et pour le comprendre il faut savoir que pour une chose exister en elle-même est antérieur à se mouvoir vers quelque chose d’autre, d’où le mouvement présuppose l’existence. Et si l’existence même est comme sous-jacente au mouvement, il faudra en outre présupposer un principe du mouvement jusqu’à en venir ainsi à un être immobile qui soit pour tous les vivants le principe par lequel ils se meuvent eux-mêmes et qui est la Vie première. D’où il est évident que chez tous les vivants la vie est une procession qui procède d’un Être premier immobile et éternel, c’est-à-dire d’un être qui n’est soumis à aucun mouvement.

De la même manière encore il faut qu’il y ait quelque chose de premier dans l’ordre des êtres qui connaissent. Mais il est manifeste que la connaissance intellectuelle est antérieure à la connaissance sensible dans l’ordre de perfection et de nature, car elle est    plus immatérielle ; et c’est pourquoi c’est par l’intelligence que nous jugeons de la connaissance sensible, tout comme c’est par le supérieur que nous jugeons de l’inférieur. Mais dans la connaissance intellectuelle elle-même, il est manifeste que la recherche rationnelle procède de principes connus par eux-mêmes qui sont l’objet même de l’intelligence ; par conséquent la raison suit l’intelligence. L’intelligence est donc ce qui est premier dans l’ordre des êtres connaissants, et c’est pourquoi il faut que toutes les réalités intelligibles, c’est-à-dire celles qui sont cognitives, possèdent la science, c’est-à-dire la connaissance, à cause de l’Intelligence première ; c’est pourquoi il est dit dans le livre de Proclus que tous ceux qui sont capables de connaissance tiennent de l’Intelligence première le fait qu’ils participent de la connaissance. Et il en donne la raison en disant que toute science ne se fonde ultimement que sur l’Intelligence ; l’intelligence en effet, comme le dit Proclus, est un certain sommet pour toute connaissance ; d’où l’intelligence est ce qui est premier à connaître et qui répand la connaissance sur tous ceux qui sont capables de connaître. Mais comme nous l’avons dit plus haut, l’Être premier qui selon les Platoniciens est l’Idée même d’être, est quelque chose qui est au-dessus de la Vie première, c’est-à-dire au-dessus de l’Idée de vie, et la vie première est quelque chose qui est au-dessus de l’Intellect premier idéal ; mais selon Denys l’Être premier, la Vie première et l’Intellect premier ne sont qu’une seule et même réalité, à savoir Dieu ; et même Aristote au douzième de sa Métaphysique dit au sujet du premier Principe qu’il est Intellect et que son intellection est la Vie même et par conséquent que c’est de Lui que tous les êtres tiennent l’existence, la vie et l’intellection.  

Il faut considérer en troisième lieu que ces trois degrés d’existence sont causés différemment dans les choses : soit par des principes différents selon les Platoniciens, soit par un seul et même principe selon la doctrine de la foi et selon celle d’Aristote. Il y a en effet deux façons pour une chose d’être causée : la première est certes celle par laquelle quelque chose est produit en présupposant quelque chose d’autre et c’est de cette manière qu’on dit d’une chose qu’elle est produite par information car c’est à la manière d’une forme que ce qui advient par la suite se rapporte à ce qui était présupposé ; la deuxième façon c’est lorque quelque chose est causé sans que quelque chose d’autre soit présupposé, et c’est de cette manière qu’on dit d’une chose qu’elle est produite par création. Donc, parce que l’intellection présuppose la vie et que la vie elle-même présuppose l’existence mais que l’existence ne présuppose pas quelque chose d’autre qui lui serait antérieur, il résulte de là que l’Être premier donne l’existence à tous les êtres par mode de création. Mais la vie première, quelle que soit cette vie, ne donne pas la vie par mode de création, mais par mode de forme, c’est-à-dire par mode d’information ; et il faut dire la même chose au sujet de l’intelligence. Et il est clair à partir de là que lorsqu’il disait plus haut que l’intelligence est la cause de l’âme, il n’entendait pas par là qu’elle en était la cause par mode de création mais seulement par mode d’information comme nous venons de l’expliquer.

  

Lectio 19

[84254] Super De causis, l. 19 Postquam ostendit in praecedenti propositione quod omnes res secundum suam naturam dependent a primo, hic ostendit quomodo quaedam diversimode ei appropinquant secundum participationem naturalis perfectionis et ponit talem propositionem: ex intelligentiis est quae est intelligentia divina, quoniam ipsa recipit ex bonitatibus primis quae procedunt ex causa prima receptione multa. Et de eis est quae est intelligentia tantum, quoniam non recipit ex bonitatibus primis nisi mediante intelligentia. Et ex animabus est quae est anima intelligibilis, quoniam est ipsa pendens per intelligentiam; et ex eis est quae est anima tantum. Et ex corporibus naturalibus est cui est anima regens ipsum et faciens directionem super ipsum; et de eis sunt quae sunt corpora naturalia tantum quibus non est anima. Haec autem propositio invenitur in libro Procli CXI sub his verbis: omnis intellectualis seirae (id est ordinationis), hii quidem sunt divini intellectus suscipientes deorum posthabitiones (id est participationes), hii autem intellectus solum; et omnis animalis (scilicet seirae) hae quidem sunt intellectuales animae ad intellectus suspensae proprios, hae autem animae solum; et omnis corporalis naturae, hae quidem et animas habent astantes desuper, hae autem sunt naturae solum, animarum expertes praesentia. Ad cuius evidentiam sciendum est quod secundum Platonicos quadruplex ordo invenitur in rebus. Primus erat ordo deorum, id est formarum idealium inter quas erat ordo secundum ordinem universalitatis formarum, ut supra dictum est; sub hoc autem ordine est ordo intellectuum separatorum, sub quo est ordo animarum, sub quo iterum est ordo corporum. Et hii tres inferiores ordines accipiuntur secundum tria quae in praemissa propositione sunt tacta; nam corpora participant esse tantum, animae autem secundum propriam naturam participant ulterius esse et vivere, intellectus autem participant esse, vivere et intelligere. Causalitas autem horum ad ordinem divinum pertinet, sive ponantur multi dii ordinati sub uno secundum Platonicos, sive unus tantum in se omnia habens secundum nos: universalitas enim causalitatis propria est Deo. Huiusmodi autem ordines, cum ab uno primo procedant, continuitatem quamdam habent ad invicem, ita quod ordo corporum attingit ordinem animarum et ordo animarum attingit ordinem intellectuum qui attingit ad ordinem divinum. Ubicumque autem diversi ordines sub invicem coniunguntur, oportet quod id quod est supremum inferioris ordinis propter propinquitatem ad superiorem ordinem aliquid participet de superioris ordinis perfectione. Et hoc manifeste videmus in rebus naturalibus: nam quaedam animalia participant aliquam rationis similitudinem et quaedam plantae participant aliquid de distinctione sexus, quae est propria generi animalium. Unde et Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus quod per divinam sapientiam fines primorum coniunguntur principiis secundorum. Sic igitur illi qui sunt supremi in ordine intellectuum vel intelligentiarum dependent per quamdam perfectiorem participationem propinquius a Deo, et magis participant de bonitatibus eius et de universali causalitate ipsius; et ideo dicuntur divini intellectus vel divinae intelligentiae, sicut et Dionysius dicit quod supremi Angeli sunt quasi in vestibulis deitatis collocati. Inferiores vero intellectus qui non pertingunt ad tam excellentem participationem divinae similitudinis sunt intellectus tantum, non habentes illam divinam dignitatem. Et eadem ratio est de animabus respectu intellectuum; nam supremae animae sunt intellectuales utpote propinquae ordini intellectuum, aliae vero animae inferiores non sunt intellectuales, sed habent solum id quod est animae ut scilicet sint vivificativae, sicut maxime patet de animabus animalium et plantarum. Et eadem ratio est de ordine corporum respectu animarum; nam corpora nobiliora quae perfectiori ratione sunt constituta, sunt animata, alia vero corpora sunt inanimata. Et eadem ratio est de omnibus aliis ordinibus in quos praedicti generales ordines distinguuntur, quia etiam in corporibus sunt diversi ordines et similiter in animabus et intellectibus.

19) Parmi les intelligences, il y a celle qui est intelligence divine puisqu'elle reçoit en une réception abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la cause première; il y a celle qui n'est qu’intelligence puisqu'elle ne reçoit rien des bontés premières, si ce n'est par l'intermédiaire de l'intelligence première. Parmi les âmes, il y a celle qui est intelligible, puisqu'elle dépend de l'intelligence; et celle qui n'est qu'âme. Enfin parmi les corps naturels, il y a celui qui a une âme qui le gouverne et qui, au-dessus de lui, le dirige, et il y a ceux qui sont seulement corps naturels et qui n'ont pas d'âme.

 

Après avoir montré dans la proposition précédente que toutes les choses dépendent pour leur nature du premier Être, l'auteur montre ici comment celles-ci s’approchent différemment de lui quant à la participation de leur perfection naturelle et il présente la proposition suivante : parmi les intelligences, il y a celle qui est l’intelligence divine, puisqu'elle-même reçoit par  une réception abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la cause première; et il y a aussi celle qui est intelligence seulement puisqu’elle ne reçoit quelque chose des bontés premières que par l’intermédiaire de l’intelligence première. Et parmi les âmes il y a celle qui est intelligible puisqu’elle-même dépend de l’intelligence; et il y a celle qui est âme seulement. Et parmi les corps naturels il y a celui auquel l’âme commande et lui donne sa direction et il y a aussi ceux qui ne sont que des corps naturels qui ne possèdent pas une âme.

Mais cette proposition se retrouve aussi en ces termes dans livre de Proclus à la proposition 111 : de toute la série (c’est-à-dire de l’ordre) des intelligences, certaines sont divines parce qu’elles reçoivent des dieux des dons, c’est-à-dire des participations, alors que d’autres sont seulement des intelligences ; et de toute la série ou de l’ordre des âmes, certaines sont des âmes intellectuelles suspendues aux intelligences qui leur sont propres tandis que d’autres sont des âmes seulement ; et dans toute la nature corporelle, il y a des corps qui possèdent certes une âme qui se tient au-dessus d’eux et les commande alors que d’autres ne sont que des corps naturels privés de la présence d’une âme.

 Et pour avoir l’évidence de cela il faut savoir que d’après les Platoniciens, le réel se divise en quatre catégories. La première est l’ordre des dieux qui est celui des formes idéales parmi lesquelles se présente une hiérarchie qui découle de l’ordre d’universalité des formes, comme nous l’avons dit plus haut ; sous cet ordre cependant il y a l’ordre des intelligences séparées sous lequel se range l’ordre des âmes sous lequel à son tour est placé l’ordre des corps. Et ces trois ordres inférieurs qui précèdent se prennent conformément aux trois ordres mentionnés dans la proposition précédente ; car les corps participent de l’existence seulement ; les âmes par la suite, conformément à leur nature propre participent à la fois de l’existence et de la vie alors que les intelligences participent à la fois de l’existence, de la vie et de l’intellection.

 Mais la causalité de ces trois ordres de réalités se ramène à l’ordre divin, soit qu’on pose une multiplicité de dieux qui se range sous un seul comme le font les Platoniciens, soit qu’on pose, comme nous le soutenons, un seul Dieu qui contient à l’avance tout en lui : en effet, l’universalité de la causalité est propre à Dieu. Mais de tels ordres, puisqu’ils procèdent tous d’un seul et même premier Principe, entretiennent entre eux une certaine continuité d’une manière telle que l’ordre des corps touche à celui des âmes, que l’ordre des âmes touche à celui des intelligences et que celui des intelligences touche à l’ordre divin.

Mais partout où différents ordres sont rattachés les uns aux autres, il faut que ce qui est premier dans l’ordre inférieur, à cause de sa proximité immédiate à l’égard de l’ordre supérieur, participe de la perfection de l’ordre supérieur. Et nous pouvons constater cela avec évidence dans les choses naturelles car certains animaux participent d’une certaine ressemblance de la raison et certaines plantes participent d’une certaine distinction des sexes, laquelle est propre au genre animal. Aussi Denys dit-il au chapitre 7 des Noms Divins que c’est par la sagesse divine que ce qui est dernier dans les ordres premiers est rattaché à ce qui est premier dans les ordres seconds. Ainsi donc ceux qui sont premiers dans l’ordre des intellects ou des intelligences dépendent plus immédiatement de Dieu  par une participation plus parfaite et participent davantage de ses bontés et de sa causalité universelle : et c’est pourquoi on les appelle intellects divins ou intelligences divines comme le fait Denys lorsqu’il dit que les Anges suprêmes sont comme rassemblés dans les vestibules de la divinité. Mais les intellects inférieurs qui ne parviennent pas à une participation aussi excellente de la ressemblance divine ne sont que des intellects qui ne possèdent pas cette dignité divine. Et le même raisonnement vaut pour les âmes par rapport aux intelligences ; car les âmes supérieures sont intellectuelles en tant qu’elles sont proches de l’ordre des intelligences alors que les autres âmes, celles qui sont inférieures, ne sont pas intellectuelles mais ne possèdent que ce qui appartient à l’âme en tant qu’elle est vivifiante ou principe de vie, comme on le voit le plus clairement pour les âmes des animaux et celles des plantes. Et le même raisonnement vaut encore pour l’ordre des corps par rapport à celui des âmes car les corps plus nobles qui sont constitués d’une nature plus parfaite sont animés alors que les autres corps sont inanimés. Et le même raisonnement vaut aussi pour tous les autres ordres qui se trouvent à diviser les ordres généraux qui précèdent car à l’intérieur même des corps il y a des ordres différents et il en est de même pour les âmes et les intellects.

 

Lectio 20

[84255] Super De causis, l. 20 Postquam ostensum est qualiter inferiora a superioribus dependeant, hic ostenditur qualiter superiora inferioribus influant per suum regimen. Et circa hoc duo facit: primo agit de universali regimine causae primae, secundo de regimine intelligentiae, 23 propositione, ibi: omnis intelligentia divina et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit modum universalis regiminis causae primae, secundo ostendit idoneitatem causae primae ad regendum, 21 propositione, ibi: primum est dives et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: causa prima regit omnes res creatas praeter quod commisceatur cum eis. Ad cuius evidentiam considerandum est quod in humano regimine hoc contingere videmus quod ille qui habet curam regiminis plurimorum, necesse est ut ex suo regimine ad plura distrahatur; qui vero a cura regiminis aliorum est liber, magis in seipso potest uniformitatem conservare, unde et Epicurei philosophi, ut quietem et uniformitatem divinam conservarent, posuerunt deos nullius regiminis curam habere, sed omnino otiosos et nihil curantes, ut sic videantur esse felices. Et ideo contra hoc in hac propositione inducitur quod haec duo in causa prima non sunt contraria nec se invicem impediunt universale regimen rerum et summa unitas, per quam Deus exaltatur supra omnia. Unde statim in principio expositionis ponitur: quod est quia regimen non debilitat unitatem eius exaltatam super omnem rem neque destruit eam, quia scilicet nec in toto nec in parte per universale regimen unitati divinae derogatur; et e converso subdit: neque prohibet eam essentia unitatis eius seiuncta a rebus quin regat res. Et hoc totum in CXXII propositione Procli ponitur sub his verbis: omne divinum et providet secundis, et ereptum est ab his quibus providetur; neque providentia submittente suam immixtam et unialem excellentiam, neque separata unitione providentiam exterminante. Ad huius autem propositionis manifestationem tria inducuntur. Primo namque ostenditur diversus modus recipiendi influentias causae primae ex parte rerum recipientium, secundo ostenditur unitas ex parte causae primae influentis, ibi: et bonitas prima etc., tertio ex his duobus concluditur propositum, scilicet quod regimen causae primae extat absque hoc quod commisceatur rebus, ibi: redeamus autem et dicamus. Dicit ergo primo quod omnes bonitates quae inveniuntur in rebus, effluunt a causa prima; et huiusmodi bonitates recipit unaquaeque res secundum modum et proprietatem suae substantiae et virtutis - sunt autem diversarum rerum diversae naturae et virtutes - et inde est quod, quamvis causa prima influat uno influxu super omnia, diversimode tamen influxus eius in diversis rebus recipitur. Cuius exemplum evidens est in lumine quod quidem a corpore lucido uno modo procedit, sed secundum quod radii diversi transeunt per vitra diversimode colorata, diversam apparentiam faciunt. Deinde ostendit quod causa prima unico influxu influat in res omnes; influit enim in res secundum rationem boni; habet enim bonitatem bonificam, id est quae est principium bonitatis in omnibus. Bonitas autem causae primae est ipsum suum esse et sua essentia, quia causa prima est ipsa essentia bonitatis; unde cum essentia eius sit maxime una, quia primum principium est secundum se unum et bonum, consequens est quod causa prima uno modo, quantum est ex parte sua, agat in res et influat in eas; sed ex eius influxu res diversimode recipiunt, quaedam plus et quaedam minus, unaquaeque secundum suam proprietatem. Deinde ex praemissis concludit impermixtionem causae primae ad res alias. Et huius conclusionis intellectus plenus haberi potest si accipiamus verba quae sunt in commento Procli, qui sic dicit: neque igitur providentes (scilicet dii) habitudinem recipiunt ad ea quibus providetur; per esse enim quod sunt omnia bonificant, omnia autem per esse faciens sine habitudine facit: habitudo enim appositio est ad esse, propter quod praeter naturam. Vocat autem habitudinem aliquam dispositionem per quam agens coaptatur seu proportionatur patienti seu recipienti; et quod sic agit in diversa, necesse est quod habeat diversas dispositiones quibus diversis coaptetur, et secundum hoc cadit in huiusmodi rem quaedam multitudo quae diversimode agit in diversa secundum diversas suas dispositiones quae sunt praeter naturam sive essentiam eius, quae est una. Et sic tale agens secundum diversas dispositiones commiscetur rebus in quas agit secundum quamdam coaptationem ad ea; sed causa prima agit per esse suum, ut probatum est. Unde non agit per aliquam habitudinem vel dispositionem superadditam per quam coaptetur et commisceatur rebus. Et huiusmodi habitudo vocatur hic continuator vel res media, quia scilicet per huiusmodi dispositionem vel habitudinem coaptatur agens recipienti, et est quodammodo media inter essentiam agentis et ipsum patiens. Quia igitur causa prima est agens per esse suum, oportet quod uno modo regat res; sic enim regit res quemadmodum agit: unde patet quod regimen eius est optimum et pulcherrimum. Ad hoc enim tendit quilibet rector multitudinis quod reducat multos quos regit in unum; et hoc maxime invenitur in divino regimine, quod est unum secundum se et non diversificatur in effectibus nisi secundum diversitatem, quasi secundum diversa merita, subditorum.

20) « La cause première régit toutes les choses créées, sans qu'elle soit mêlée à elles ».

 

Après avoir montré de quelle manière les ordres inférieurs dépendent des supérieurs, l’auteur montre ici de quelle manière les ordres supérieurs influent sur les inférieurs par leur gouvernement. À ce sujet il fait deux choses : premièrement il traite du gouvernement universel de la cause première; deuxièmement, à la proposition 23, du gouvernement de l'intelligence où il dit : toute intelligence divine etc. Au sujet du premier point il fait deux choses : premièrement il manifeste la modalité du gouvernement universel de la cause première; deuxièmement il montreà la proposition 21 la capacité de la cause première à gouverner, où il dit : l’Être premier premier est riche par soi-même etc. Au sujet du premier point il présente la proposition suivante : la cause première gouverne toutes les réalités créées sans se mélanger à aucune d’elles. Pour avoir l’évidence de cela il faut considérer que nous voyons cela se produire dans les gouvernements humains alors qu’il est nécessaire que celui qui a soin du gouvernement de la multitude soit partagé entre plusieurs choses du fait de ce gouvernement ; mais celui qui est libéré du soin de gouverner les autres peut davantage conserver en lui-même une égalité d’âme et c’est pourquoi les philosophes épicuriens, pour garantir aux dieux leur tranquillité et leur égalité d’âme, ont soutenu que les dieux n’ont aucun souci de gouverner, demeurent oisifs et n’ont soin de rien de manière à paraître ainsi heureux. Et c’est pourquoi, à l’encontre de cette position on avance dans cette proposition que ces deux termes, à savoir le soin de gouverner et la tranquillité d’âme, ne s’opposent pas chez la cause première et que le gouvernement universel des choses et l’unité suprême, par laquelle Dieu est élevé au-dessus de tous les êtres, ne s’excluent pas mutuellement. C’est pourquoi il affirme aussitôt au début de son explication : il en est ainsi parce que l’acte de gouverner n’affaiblit pas son unité, laquelle est élevée au-dessus de toute chose, et ne la détruit pas, c’est-à-dire que jamais il ne s’écarte en totalité ou en partie de son unité par le gouvernement universel. Et l’auteur ajoute à l’inverse : et l’essence de son unité, séparée des choses, ne l’empêche pas de les diriger. Et tout cela est repris en ces termes à la proposition 122 du livre de Proclus : le divin tout entier pourvoit au bien de ses sujets et en même temps il échappe à ceux-là même sur lesquels il veille, et ni l’abaissement de sa providence ne supprime l’excellence sans mélange de son unité, ni son unité séparée n’empêche sa providence.

Et l’auteur avance trois choses pour manifester cette proposition. En premier lieu il montre différentes modalités de recevoir les influences de la cause première du côté des êtres qui les reçoivent ; en deuxième lieu il manifeste l’unité de cette modalité du côté de la cause première qui répand ses biens, là où il dit : et la bonté première etc. ; troisièmement, s’appuyant sur ces deux points, il conclut son propos en disant que le gouvernement de la cause première subsiste sans se mélanger aux choses, là où il dit : revenons cependant à notre propos et disons etc.

Il dit donc en premier lieu que tous les biens qui se retrouvent dans les choses s’écoulent de la cause première ; et chaque chose reçoit ces biens conformément aux modalités et aux propriétés de sa substance et de sa puissance, car à des choses différentes appartiennent des natures et des puissances différentes, et il résulte de là que,  bien que la cause première répande ses biens sur tous les êtres comme par un seul et même souffle, ce même souffle est cependant reçu différemment dans différentes choses. On trouve un exemple évident de cette vérité dans la lumière qui procède certes d’une seule manière d’un corps lumineux, mais selon que ses rayons traversent diffémment les vitres qui sont teintes de différentes couleurs, ils produisent une apparence différente. Ensuite il montre que la cause première répand ses biens sur tous les êtres comme par un seul souffle. En effet, c’est en ayant en vue le bien qu’elle se répand sur les choses car elle possède en elle la bonté bienfaisante, c’est-à-dire celle qui est le principe du bien qu’on retrouve dans tous les êtres. Mais la bonté de la cause première est son être même et son essence car la cause première est l’essence même de la bonté ; d’où il suit que, puisque son essence est suprêmement une, car le principe premier est en lui-même un et bon, la cause première, quant à ce qui la concerne, n’agit sur les choses et ne se répand sur elles que d’une seule et unique façon ; mais à partir de ce même souffle les choses reçoivent différemment, certaines plus et d’autre moins, chacune conformément à la nature qui lui est propre. Ensuite, s’appuyant sur ce qui précède, il conclut que la cause première est étrangère à tout mélange avec les autres choses. Et on peut parvenir à une compréhension plus entière de cette conclusion si on prend les paroles qui sont contenues dans le commentaire de Proclus : et ceux qui pourvoient (à savoir les dieux) ne reçoivent aucune relation de ceux sur lesquels ils veillent car c’est par leur être même qu’ils sont bienfaisants à l’égard de tous et ceux qui agissent par leur être même le font sans recevoir de relation : la relation en effet est un ajout à l’être et pour cette raison elle est extérieure à la nature. Mais par relation, Proclus entend une certaine disposition par laquelle l’agent s’adapte ou se proportionne au patient ou à celui qui reçoit ; et il est nécessaire que celui qui agit de cette manière sur différents êtres possède différentes dispositions par lesquelles il s’adapte à eux et c’est suivant cela qu’il échoit en partage à une telle chose une certaine multiplicité qui agit différemment sur différents êtres d’après ses différentes dispositions qui sont extérieures à sa nature ou à son essence qui est une. Et ainsi un tel agent, conformément à ces différentes dispositions, se trouve à se mélanger aux choses sur lesquelles il agit suivant une certaine adaptation à elles ; mais la cause première agit sur les  choses par son existence ainsi que cela a été prouvé. D’où il résulte qu’elle n’agit pas sur elles par une relation ou une disposition surajoutée par laquelle elle s’adapterait aux choses et se mélangerait à elles. Et une telle relation, l’auteur l’appelle ici lien ou intermédiaire car c’est au moyen d’une telle disposition ou relation que l’agent s’adapte à celui qui reçoit et qui est comme un lien entre l’essence de l’agent et le patient lui-même. Donc, parce que la cause première agit par son existence, il faut qu’elle gouverne les choses d’après une seule modalité ; elle gouverne en effet les choses de la même manière qu’elle agit : d’où il est clair que son gouvernement est le plus excellent et le plus beau. C’est à cela en effet que tend tout être qui gouverne une multitude d’êtres, c’est-à-dire à  ramener à l’unité la multiplicité de ceux qu’il gouverne. Et c’est dans le gouvernement divin, lequel est un en lui-même et ne se différencie dans ses effets que selon la différence relative aux mérites différents de ses sujets,  qu’on retrouve cela le plus parfaitement.

 

Lectio 21

[84256] Super De causis, l. 21 Postquam assignavit modum divini regiminis, hic ostendit sufficientiam Dei ad regendum. Quae quidem attenditur secundum duo: primo quidem secundum Dei abundantiam, secundo secundum eius superexcellentiam, et hoc ibi: causa prima et cetera. Haec enim duo necessaria sunt regenti, primo quidem ut habeat bonorum abundantiam, ex quibus possit subditis providere; unde et Dionysius dicit XII capitulo de divinis nominibus quod dominatio est omnis pulchrorum et bonorum perfecta possessio, et regnum est omnis finis et legis et ordinis distributio. Ad ostendendum autem in Deo abundantem sufficientiam proponit hanc propositionem: primum est dives propter seipsum et est dives magis. Ad cuius evidentiam accipiatur propositio CXXVII Procli, quae talis est: omne divinum simplex prime est et maxime, et propter hoc maxime per se sufficiens. Probat autem quod Deus sit prime et maxime simplex ex ratione unitatis: nam Deus est maxime unum cum sit prima unitas sicut et prima bonitas; simplicitas autem ad rationem unitatis pertinet - dicitur enim simplex quod est unum non ex pluribus aggregatum; unde Deus in quantum est prime et maxime unum, in tantum etiam est prime et maxime simplex. Et ex hoc ulterius procedit ad ostendendam secundam partem suae propositionis, scilicet quod Deus sit maxime per se sufficiens, quia per se sufficientia consequitur ad simplicitatem. Omne enim compositum indiget pluribus ex quibus sua bonitas constituitur, et non solum indiget illis ex quibus componitur ut ex partibus, sed etiam indiget aliquo alio quod causat et conservat compositionem, sicut patet in corporibus mixtis; non enim diversa in unum convenirent nisi per aliquam causam ea unientem. Cum igitur Deus sit primo et maxime simplex utpote habens totam bonitatem suam in uno perfectissimo, sequitur quod Deus sit primo et maxime per se sufficiens. Sed auctor huius libri praetermittit primam partem propositionis quae est de simplicitate, quasi eam supponens, et loquitur solum de per se sufficientia quam divitiarum nomine signat: et loco eius quod in propositione Procli dicitur quod Deus est per se sufficiens, dicit quod primum est dives propter seipsum. In quolibet enim genere est primum id quod est propter seipsum; quod enim est per se, prius est eo quod est per aliud; loco autem eius quod ibi dicitur quod est maxime sufficiens, hic dicitur quod est dives magis, scilicet quam omnia alia. Probatio autem propositi est eadem utrobique. Nam primo dicit quod unitas divina quae non est dispersa in multas partes, sed est unitas pura, est significatio huius quod Deus sit in fine simplicitatis, id est maxime simplex. Et ex hoc ulterius probat quod Deus sit maxime per se sufficiens per indigentiam quae in compositis invenitur, sicut iam dictum est. Sed quia in nomine divitiarum non solum intelligitur sufficientia, sed etiam copia potens in alios redundare, addit ulterius, ad ostendendum Deum esse divitem, de influxu bonitatis eius in res, quia propter abundantiam suae bonitatis influit in res alias et nihil est quod influat super ipsum; omnes autem aliae res, sive sint intelligibiles sicut intelligentiae et animae, sive sint in corpore, non sunt divites per seipsas, quasi ex seipsis habentes abundantiam bonitatis, sed indigent participare bonitatem a primo vere uno quod influit super eas gratis, absque hoc quod aliquid ei inde accrescat, omnes bonitates et perfectiones.

21) Le premier est riche par soi-même et il est plus riche.

 

Après avoir déterminé le mode du gouvernement divin, l'auteur manifeste ici la suffisance de Dieu à gouverner, laquelle se considère sous deux rapports : premièrement selon l’abondance même de Dieu, deuxièmement selon son ineffable excellence là où il dit : la cause première est au-dessus de tout nom etc. Ces deux conditions sont en effet nécessaires à celui qui gouverne, et premièrement certes celle qui consiste à posséder une abondance de biens qu’il peut répandre sur ses sujets ; et c’est pourquoi Denys dit au chapitre douzième des Noms Divins que le pouvoir absolu consiste dans la possession parfaite de toute beauté et de tout bien et le gouvernement dans la distribution de toute fin, de toute loi et de tout ordre. Mais pour manifester la plénitude de cette abondance, l’auteur présente cette proposition : ce qui est premier à être riche est plus riche. Et pour en avoir l’évidence on prend la proposition 127 tirée du livre de Proclus qui se présente en ces termes : Dieu, qui est la source de toute simplicité de la manière la plus excellente, pour cette raison se suffit à lui-même de la manière la plus parfaite.

Mais l’auteur prouve que Dieu est le premier à être simple et qu’il l’est dans toute sa perfection en partant de la notion d’unité : car Dieu est parfaitement un puisqu’il est la première unité et le premier bien ; mais la simplicité appartient à la notion d’unité (car on appelle simple ce qui est un mais non en tant que résultat de la composition d’une multiplicité) ; d’où il résulte que Dieu, en tant qu’Il est le premier à être un et qu’il l’est parfaitement, est aussi le premier à être simple et il l’est parfaitement. Et en partant de là il procède par la suite à la manifestation de la deuxième partie de sa proposition, à savoir que Dieu se suffit parfaitement à lui-même puisque se suffire essentiellement à soi-même découle de la simplicité.

En effet, tout ce qui est composé a besoin d’une multiplicité à partir de laquelle sa bonté est constituée, et non seulement il a besoin des éléments dont il est composé en tant que parties mais il a aussi besoin d’un autre qui soit capable de causer et de conserver la composition comme on le voit pour les corps mixtes ; de nombreux éléments en effet ne peuvent se retrouver dans une unité que par une cause qui les unit. Donc, puisque Dieu est parfaitement simple et qu’il l’est au premier titre en tant que possédant tout son bien dans une parfaite unité, il s’ensuit que Dieu se suffit à lui-même de la façon la plus parfaite et au premier titre. Mais l’auteur de ce livre omet la première partie de la proposition qui porte sur la simplicité comme s’il la prenait pour acquise et il parle seulement de la suffisance par soi qu’il signifie par le nom de richesse : et au lieu de dire comme dans la proposition de Proclus que Dieu est suffisant par soi, il dit qu’il est le premier à être riche à cause de lui-même. En tout genre en effet est premier ce qui existe par soi-même ou à cause de soi-même ; mais ce qui existe par soi-même est antérieur à ce qui existe par un autre ; mais au lieu de ce qui est dit là par Proclus, à savoir que Dieu se suffit parfaitement à lui-même, l’auteur dit ici que Dieu est plus riche, c’est-à-dire que tous les autres êtres. Mais la preuve de ce propos est la même dans les deux cas. Car il dit premièrement que l’unité divine n’est pas dispersée en une multitude de parties, mais qu’elle est une unité pure signifie que Dieu est au sommet de la simplicité, c’est-à-dire qu’il est parfaitement simple. Et à partir de là il prouve par la suite que Dieu se suffit parfaitement à lui-même par opposition à l’indigence qu’on retrouve dans les réalités composées dont nous avons déjà parlé. Mais parce que par le nom de richesse on n’entend pas seulement la suffisance mais une abondance qui peut déborder sur les autres, il ajoute par la suite, pour montrer que Dieu est riche, il ajoute quelque chose sur l’écoulement de sa bonté sur les choses, car c’est à cause de l’abondance de sa bonté qu’il répand ses biens sur les autres choses alors que rien ne se répand sur lui ; mais toutes les autres réalités, qu’elles soient intelligibles comme les intelligences et les âmes ou corporelles, ne sont par riches par elles-mêmes comme si elles tenaient d’elles-mêmes l’abondance de leur bonté, mais elles ont besoin de participer de la bonté par une participation qu’elles tirent de l’Être premier et véritablement un qui répand gratuitement sur elles tous les biens et toutes les perfections qu’elles reçoivent sans que Lui-même ne s’y trouve le moindrement grandi.

 

 

Lectio 22

[84257] Super De causis, l. 22 Ostensa abundantia divinae bonitatis, hic ostendit excellentiam ipsius, dicens: causa prima est super omne nomen quod nominatur. Ad cuius propositionis intellectum considerandum est quod id quod hic sub uno colligitur, Proclus in suo libro per diversa distinguit, cuius est CXV propositio talis: omnis Deus supersubstantialis est et supervitalis et superintellectus. Quod quidem Proclus dupliciter probat, primo probatione communi quae talis est: Deus est unitas per se perfecta; unumquodque autem aliorum quae sunt sub Deo, non est ipsa unitas, sed est aliquid participans unitate; manifestum est igitur quod Deus est ultra omnia huiusmodi. Secundo probat probatione speciali, quia scilicet substantiae non est idem esse et substantiam esse et unum esse, sed quaelibet substantia subsistens participat esse et uno; unde relinquitur quod Deus, qui est ipsum unum et ens per seipsum, sit supra substantiam et per consequens supra vitam et intellectum quae praesupponunt substantiam, ut patet etiam in hoc libro ex 18 propositione supra inducta. Sed quia auctor huius libri propositionem in communi inducit, contentus est sola probatione communi. In omnibus enim quae sunt infra causam primam, quaedam inveniuntur perfecte existentia sive completa, quaedam imperfecta sive diminuta. Perfecta quidem videntur esse ea quae per se subsistunt in natura, quae a nobis significantur per nomina concreta ut homo, sapiens et huiusmodi; imperfecta autem sunt illa quae per se non subsistunt, sicut formae ut humanitas, sapientia et huiusmodi, quae significantur apud nos nominibus abstractis. Inter quae duo est haec differentia quod illud quod non est completum, non potest perficere operationem perfectam; non enim calor calefacit sed calidum, neque sapientia sapit sed sapiens. Illud autem quod est completum apud nos, quamvis sit per se subsistens, in hoc sibi quodammodo sufficiens quod non indiget alio cui innitatur sicut subiecto, tamen quia forma quae est principium actionis est in ipso limitata et participata, non potest agere per modum creationis aut influxus sicut agit id quod totum est forma, quod sui participatione secundum se totum est aliorum productivum. Cum ergo ita sit apud nos in his quae sunt diminuta et concreta, sequitur quod Deus neque sit diminutus neque completus simpliciter, sed magis supercompletus; neque enim caret actione sicut diminuta, et agit per modum creantis et influentis, quod non possunt ea quae sunt completa apud nos, et hoc est quod subdit: quia ipse est creans res et influens bonitates super eas influxione completa. Et hoc ideo est quoniam ipse est bonitas subsistens cui non est finis, id est non est bonitas terminata ad aliquam naturam participantem incorpoream, sicut est bonitas intelligentiae, neque sunt ei dimensiones ad quas terminetur, sicut est de bonitate corporali. Ex quo ulterius concludit quod, quia causa prima est ipsa bonitas interminata, sequitur quod ipsa sit prima bonitas et quod repleat omnia saecula, id est omnes distinctiones rerum et temporum, bonitatibus suis, licet non omnia recipiant eodem modo et aequaliter bonitatem eius, sed unumquodque secundum modum suae potentiae, ut supra habitum est in 20 propositione. Tota ergo virtus huius probationis ad hoc redit quod Proclus breviter tangit, quod scilicet Deus et est ipsa unitas, non unitum aliquid sicut completa quae sunt apud nos, et tamen est per se perfecta, a quo deficiunt diminuta, id est formae non subsistentes quae apud nos sunt. Ex quo hic ulterius concluditur quod causa prima est altior omni nomine quod a nobis imponitur, quia omne nomen a nobis impositum, vel significat per modum completi participantis sicut nomina concreta, vel significat per modum diminuti et partis formalis sicut nomina abstracta. Unde nullum nomen a nobis impositum est condignum divinae excellentiae.

22) « La cause première est au-dessus de tout nom dont on la nomme puisque ne lui convient ni l'inachèvement, ni même l'achèvement ».

 

Après avoir montré en quoi consiste l’abondance de la bonté divine, l'auteur en manifeste ici l'excellence en disant : la cause première transcende tout nom par lequel on la nomme. Et pour comprendre cette proposition il faut considérer que se qui se trouve à être colligé ici en une seule proposition, Proclus le distingue en plusieurs, dont la proposition 115 que voici : tout dieu est supra-substance, supra-vie et supra-intelligence. Et cela, Proclus le prouve de deux manières et premièrement par une preuve commune que voici : Dieu est une unité qui est parfaite par elle-même ; mais chacun des autres êtres qui sont inférieurs à Dieu n’est pas l’unité même mais plutôt quelque chose qui participe de l’unité ; il est donc manifeste que Dieu est au-delà de tous les êtres de cette sorte. Il le prouve en deuxième lieu par une preuve plus particulière, à savoir que pour la substance, ce n’est pas la même chose que d’être, être une substance et être une, mais toute substance subsistance participe de l’être et de l’un ; d’où il suit que Dieu, qui est l’un lui-même et l’être par soi, soit au-dessus de la substance et par conséquent au-dessus de la vie et de l’intelligence qui présupposent la substance comme on le voit aussi dans ce livre à la proposition 18 présentée plus haut. Mais parce que l’auteur de ce livre présente la proposition en général, il se contente de la seule preuve commune. En effet, pour tous les êtres qui se retrouvent sous la cause première, certains possèdent une existence parfaite ou complète, d’autres une existence imparfaite ou incomplète. Les réalités complètes semblent être celles qui subsistent par elles-mêmes dans la nature et que nous signifions par des noms concrets, comme les termes homme, sage, etc. ; cependant les réalités qui sont imparfaites sont celles qui ne subsistent pas par elles-mêmes comme c’est le cas pour les formes d’humanité et de sagesse, et que nous signifions par des noms abstraits. Et entre ces deux sortes de réalité il y a cette différence que ce qui n’est pas complet ne peut réaliser une opération parfaite ; en effet, ce n’est pas la chaleur qui réchauffe mais seulement ce qui est chaud et ce n’est pas la sagesse qui discerne mais le sage. Mais ce qui est complet dans notre environnement naturel, bien qu’il soit subsistant par soi et qu’il se suffise d’une certaine façon à lui-même en ceci qu’il n’a pas besoin d’un autre à titre de sujet sur lequel s’appuyer pour exister, cependant parce que la forme qui est principe d’action en lui est limitée et participée, il ne peut agir par mode de création ou d’influx comme le fait ce qui est forme dans sa totalité et qui produit selon sa totalité les autres êtres par sa participation. Donc, puisqu’il en est ainsi autour de nous pour les choses qui sont complètes et celles qui sont incomplètes, il s’ensuit que Dieu n’est ni incomplet ni complet absolument, mais il est plutôt supra-complet ; en effet, il n’est pas impuissant à agir comme ce qui est incomplet et il agit par mode de création et d’influx, ce dont sont incapables les réalités complètes qui nous entourent, et c’est ce que notre auteur ajoute : lui-même crée les choses et répand sur elles ses biens par un écoulement complet. Et il en est ainsi parce que lui-même est la bonté subsistante sur laquelle aucune limite n’a de prise, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une bonté limitée à une nature participante incorporelle comme c’est le cas pour la bonté de l’intelligence, ni à des dimensions déterminées comme c’est le cas pour la bonté corporelle. D’où il conclut par la suite que, puisque la cause première est la bonté infinie même, il s’ensuit qu’elle est elle-même la première bonté et qu’elle remplit tous les siècles, c’est-à-dire toutes les distionctions des choses et des temps, de ses biens quoique toutes les choses ne reçoivent pas sa bonté de la même manière ni d’une façon égale, mais chacune suivant le mode de sa puissance, ainsi que cela a été établi à la proposition 20. Donc, toute la puissance de cette preuve revient à ce que Proclus a considéré brièvement, à savoir que Dieu est l’unité même et non pas quelque chose qui est uni comme les réalités complètes qui nous entourent, et cependant cette unité est parfaite en elle-même, ce qui n’est pas le cas pour les réalités incomplètes, c’est-à-dire les formes non subsistantes qui nous entourent. Et ici, à partir de là, il conclut par la suite que la cause première est au-dessus de tout nom dont nous la nommons parce que tout nom que nous lui imposons signifie soit à la manière d’un participant complet comme les noms concrets, soit à la manière d’une partie formelle incomplète comme les noms abstraits. D’où il suit qu’aucun nom imposé par nous n’est à la hauteur de l’excellence divine.

 

Lectio 23

[84258] Super De causis, l. 23 Postquam tradidit modum divini regiminis et ostendit sufficientiam Dei ad regendum, hic agit de regimine secundae causae, scilicet intelligentiae, quod quidem regimen fit ex virtute causae primae. Et ponit hanc propositionem: omnis intelligentia divina scit res per hoc quod ipsa est intelligentia, et regit eas per hoc quod est divina. Et similis propositio invenitur in libro Procli CXXXIV, sub his verbis: omnis divinus intellectus intelligit quidem ut intellectus, providet autem ut Deus. Ad cuius evidentiam considerandum est quod supra, 19 propositione, dictum est: ex intelligentiis quaedam est divina et quaedam non divina. Supremi quidem intellectus vel intelligentiae divini vocantur propter abundantem participationem divinae bonitatis ex propinquitate ad Deum. Quod autem abundanter participat proprietatem alicuius rei, assimilatur ei non solum in forma sed etiam in actione; sicut patet quod, eorum quae illuminantur a sole, quaedam participant lumen solis solum quantum ad hoc quod videantur, quaedam vero quantum ad hoc quod alia illuminent quod est propria actio solis, sicut patet de luna. Quia vero forma est principium actionis, necesse est quod omne illud quod ex abundanti participatione influxus superioris agentis acquirit actionem eius, habeat duas actiones, unam scilicet secundum propriam formam, aliam vero secundum formam participatam a superiori agente, sicut cultellus ignitus secundum propriam formam incidit, in quantum vero est ignitus urit. Sic igitur et supremarum intelligentiarum unaquaeque quae divina dicitur habet duplicem actionem, unam quidem in quantum participat abundanter bonitatem divinam, aliam autem secundum propriam naturam. Est autem proprium intelligentiae in quantum huiusmodi cognoscere res, et ideo intelligentia divina in quantum est intelligentia est rerum cognoscitiva. Proprium autem est Dei, qui est ipsa essentia bonitatis, ut se aliis communicet; videmus quod unumquodque, in quantum est perfectum et actu ens, similitudinem suam aliis tradit. Unde id quod est essentialiter actus et bonitas, scilicet Deus, essentialiter et primordialiter communicat suam bonitatem rebus, et hoc pertinet ad regimen ipsius; nam regentis proprium est perducere ea quae reguntur ad debitum finem, quod est bonum. Sic igitur intelligentia divina, in quantum participat abundanter bonitatem divinam, ipsa fit regitiva rerum. Manifestum est autem quod unumquodque quod agit secundum propriam et naturalem formam aliquam actionem, vehementius et perfectius agit illam actionem quam illud quod agit eam per participationem virtutis superioris agentis, sicut ignis vehementius calefacit quam corpus ignitum et sol magis illuminat quam luna. Oportet igitur regimen Dei, quod est actio eius secundum suam essentialem bonitatem, esse altius et efficacius quam regimen intelligentiae, quod convenit ei secundum participationem bonitatis divinae. Et inde est quod regimen causae primae, quod est secundum essentiam bonitatis, se extendit ad omnes res, cuius signum est quod omnia desiderant bonum vel appetitu intellectuali vel animali vel naturali. Regimen autem intelligentiae, quod est ei proprium, non se extendit ad omnia; non enim diffundit bonitatem intellectualem in omnia, sed solum in illa quae sunt nata intelligere. Unde nec omnia intellectuale bonum appetunt, sed solum bonum absolute.

23) Toute intelligence divine connaît les choses en tant qu'elle est intelligence, et les gouverne en tant qu'elle est divine.

 

Après avoir traité de la modalité du gouvernement divin et manifesté la suffisance de Dieu à gouverner, l’auteur traite ici du gouvernement de la cause seconde, à savoir de celui de l’intelligence, lequel se tire certes de la puissance de la cause première. Et pour le montrer il présente cette proposition : toute intelligence divine connaît les choses du fait qu'elle est intelligence, et les gouverne du fait qu'elle est divine. Et on retrouve le même énoncé à la proposition 134 du livre de Proclus : tout intellect divin intellige certes en tant qu’il est un intellect, mais pourvoit au bien des autres en tant qu’il est divin..

Pour en avoir l’évidence, il faut considérer ce qui a été dit plus haut à la proposition 19 : parmi les intelligences certaines sont divines et certaines ne le sont pas. Les intellects suprêmes sont appelés intelligences divines parce qu’ils participent abondamment de la bonté divine en raison de leur proximité de Dieu. Mais ce qui participe abondamment de la propriété d’une chose lui est assimilé non seulement quant à la forme mais aussi quant à l’action : on voit par exemple que parmi les choses qui sont éclairées par le Soleil, certaines participent de la lumière du Soleil seulement quant à ceci qu’elles peuvent être vues alors que d’autres illuminent à leur tour, comme c’est le cas pour la Lune, ce qui est le propre de l’action du soleil. Mais parce que la forme est le principe de l’action, il est nécessaire que tout ce qui acquiert son action à partir d’une participation abondante de l’influx d’un agent supérieur possède deux actions, à savoir une qui est conforme à la forme qui lui est propre et l’autre qui est conforme à la forme participée qui procède de l’agent supérieur, comme le couteau brûlant qui coupe conformément à la forme qui lui est propre et qui brûle parce qu’il est incandescent. Ainsi donc, de même aussi chacune des intelligences suprêmes qu’on appelle divine possède deux actions : une en tant qu’elle participe abondamment de la bonté divine et l’autre par ailleurs qui découle de sa nature propre. Il est cependant propre à l’intelligence en tant que telle de connaître les choses et c’est pourquoi l’intelligence divine, en tant qu’intelligence, connaît les choses. Mais c’est le propre de Dieu, qui est l’essence même de la bonté, de se communiquer aux autres ; nous voyons que chaque chose, en tant qu’elle est parfaite et qu’elle est en acte, transmet aux autres sa ressemblance. D’où il résulte que ce qui est essentiellement en acte, à savoir Dieu, communique essentiellement et à titre de principe sa bonté aux choses et cela appartient à son gouvernement ; car le propre de celui qui gouverne est de conduire ceux qu’il gouverne à la fin qui leur est due et qui est le bien. Ainsi donc l’intelligence divine, en tant qu’elle participe abondamment de la bonté divine participe elle-même au gouvernement des choses. Il est cependant manifeste que chaque être qui produit une action conformément à la forme naturelle qui lui est propre produit plus fortement et plus parfaitement cette action que celui qui la produit grâce à une participation de la puissance qui procède d’un agent supérieur, comme le feu qui réchauffe plus puissamment que ne le fait le corps allumé et le Soleil éclaire davantage que ne le fait la Lune. Il faut donc que le gouvernement de Dieu, qui est son action selon sa bonté essentielle, soit plus élevée et plus efficace que le gouvernement de l’intelligence, lequel lui convient par participation de la bonté divine. Et il résulte de là que le gouvernement de la cause première, qui procède de l’essence même de la bonté, s’applique à toutes les réalités ; le signe en est que toutes les choses désirent le bien, que ce soit par un appétit intellectuel, un appétit animal ou un appétit naturel. D’un autre côté, le gouverment qui est propre à l’intelligence ne s’étend pas à tous les êtres ; en effet l’intelligence ne répand pas la bonté intellectuelle sur tous les êtres mais seulement sur ceux qui sont aptes par nature à intelliger. C’est pourquoi tous ne désirent pas le bien intellectuel, mais seulement le bien pris absolument.

 

Lectio 24

[84259] Super De causis, l. 24 Postquam ostendit modum divini regiminis et sufficientiam ipsius ad regendum, hic incipit ostendere quomodo divinum regimen diversimode participatur a diversis. Et primo manifestat hoc in generali, secundo prosequitur in speciali de diversitate rerum quae subsunt divino regimini, 25 propositione, ibi: substantiae unitae et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: causa prima existit in rebus omnibus secundum dispositionem unam, sed res omnes non existunt in causa prima secundum dispositionem unam. Ad cuius evidentiam considerandum est quod aliquid dicitur esse in alio multipliciter: uno quidem modo realiter, alio modo secundum habitudinem actionis et passionis. Secundum igitur primum modum dicendum est quod omnia sunt in causa prima uno modo, quia scilicet illud secundum quod omnia sunt in causa prima, est una et eadem res, scilicet virtus divina; sunt enim effectus virtute in sua causa. Causa autem prima secundum hunc modum est in rebus diversimode, quia scilicet causa prima in rebus causatis est secundum quod eis similitudinem suam imprimit; diversae autem res diversimode similitudinem causae primae recipiunt. Sed modo secundo est e converso. Nam causa prima secundum unum modum agit in omnia et ideo dicitur esse in rebus omnibus secundum dispositionem unam; non autem omnes res recipiunt eodem modo actionem causae primae et ideo dicitur quod res omnes non existunt in causa prima secundum dispositionem unam. Ad cuius propositionis manifestationem tria subsequuntur: nam primo manifestatur propositio, secundo probatur, ibi: et diversitas quidem etc., tertio infertur quoddam corollarium, ibi: ergo secundum modum et cetera. Dicit ergo primo quod ideo dicuntur res omnes non esse in causa prima secundum dispositionem unam quia, etsi causa prima existat in rebus omnibus, in quantum scilicet attingit res omnes per effectum suae actionis, tamen unaquaeque res recipit actionem eius secundum modum suae virtutis. Et exemplificat hoc secundum tres diversitates primas inventas in rebus, quarum prima est secundum diversitatem unitatis et multitudinis, quae quidem diversitas pertinet ad ipsas substantias; nam ea quorum substantia est simplex, recipiunt causae primae actionem unite, illa vero quorum substantia est composita, recipiunt eam multipliciter, scilicet secundum modum suae substantiae. Secunda diversitas sumitur ex parte durationis rerum in suo esse. Quaedam enim recipiunt actionem causae primae receptione aeterna, illa scilicet quorum esse non subditur motui; unde eorum duratio in suo esse non variatur secundum prius et posterius. Quaedam vero recipiunt actionem causae primae receptione temporali, illa scilicet quorum esse subditur motui, et per consequens eorum duratio continuatur secundum successionem prioris et posterioris. Tertiam diversitatem ponit ex parte speciei seu formae ipsius rei secundum quod quaedam sunt incorporea secundum suam speciem et ista recipiunt influentiam causae primae spiritualiter, quaedam vero sunt secundum suam speciem corporea et huiusmodi recipiunt influentiam causae primae receptione corporali. Hoc autem totum quod praemissum est, continet propositio quae ponitur in libro Procli CXLII, quae talis est: omnibus quidem dii assunt eodem modo, non autem omnia eodem modo diis assunt, sed singula secundum ipsorum ordinem et potentiam transumunt illorum praesentiam, haec quidem uniformiter, haec autem multiplicatim, et haec quidem perpetuo, haec autem secundum tempus, et haec quidem incorporee, haec autem corporaliter. Deinde cum dicit: et diversitas quidem etc., probat quod praemissum est hoc modo. Diversitas enim receptionis ex duobus potest contingere: quandoque quidem ex agente sive influente, quandoque autem ex recipiente. Quia enim diversitas causae causat diversitatem in effectibus, necesse est ut, si agens sit diversum et recipiens unum (quod) diversitas receptionis causetur ex agente non ex recipiente, sicut aqua quae ex frigido congelatur et ex calido dissolvitur. Si autem e converso agens fuerit unum et recipiens diversum, erit diversitas receptionis ex parte recipientis non ex parte agentis, sicut patet de sole qui indurat lutum et dissolvit ceram. Manifestum est autem quod causa prima est una, nullam diversitatem habens, sed ea quae recipiunt influentiam causae primae sunt diversa; diversitas ergo receptionis non est ex causa prima quae est bonitas pura influens bonitatem rebus omnibus, sed est propter diversitatem recipientium. Sic igitur patet quod causa prima invenitur in omnibus per modum unum, sed non e converso. Est autem attendendum quod duplex est actio causae primae: una quidem secundum quam instituit res, quae dicitur creatio, alia vero secundum quam res iam institutas regit. In prima igitur actione non habet locum quod hic dicitur, quia, si oportet omnem diversitatem effectuum reducere in diversitatem recipientium, oportebit dicere quod sint aliqua recipientia quae non sint a causa prima, quod est contra id quod dictum est supra, 18 propositione: res omnes habent essentiam per causam primam. Unde oportet dicere quod prima diversitas rerum secundum quam habent diversas naturas et virtutes, non sit ex aliqua diversitate recipientium sed ex causa prima, non quia in ea sit aliqua diversitas sed quia est diversitatem cognoscens, est enim agens secundum suam scientiam; et ideo diversos rerum gradus producit ad complementum universi. Sed in actione regiminis de quo nunc agitur, diversitas receptionis est secundum diversitatem recipientium. Deinde cum dicit: ergo secundum modum etc., infert quoddam corollarium ex praedictis. Si enim diversitas receptionis influxus causae primae provenit in rebus secundum diversam virtutem recipientium, cum illa quae sunt propinquiora causae primae sint maioris virtutis, sequitur quod perfectius recipiant causam primam et eius influxum. Et quia omnis substantia cognoscens quanto perfectius habet esse tanto perfectius cognoscit causam primam et influxum bonitatis eius, et quanto hoc magis recipit et cognoscit tanto magis in eo delectatur, consequens est quod quanto aliquid est propinquius causae primae tanto magis delectetur in ea.

24) La cause première existe en toutes choses selon une disposition une, mais toutes choses n'existent pas dans la cause première selon une disposition une.

 

Après avoir montré le mode du gouvernement divin et sa suffisance  à gouverner, l'auteur commence ici à montrer comment les différents êtres participent différemment de  ce gouvernement. Et premièrement il manifeste cela en général; deuxièmement, à la proposition 25, il le fait plus précisément en considérant la diversité des choses qui sont soumises au gouvernement divin, où il dit : les substances intelligibles unifiées etc. Au sujet du premier point il présente cette proposition : la cause première existe en toutes choses selon une seule disposition, mais toutes les choses n'existent pas dans la cause première selon une disposition une.

Pour  en avoir l’évidence, il faut considérer que c’est d’après plusieurs significations qu’on peut dire d’une chose qu’elle est dans une autre : soit réellement, soit selon le mode de l’action et de la passion. Selon le premier mode il faut donc dire que tous les êtres sont dans la cause première d’une seule manière, à savoir parce que ce par quoi tous les êtres sont dans la cause première est une seule et même réalité, à savoir la puissance divine ; les effets existent en effet en puissance dans leur cause. La cause première cependant, toujours selon ce même mode, est dans les choses de différentes façons, c’est-à-dire parce que la cause première est dans les choses causées selon qu’elle leur imprime sa ressemblance ; mais les différentes choses reçoivent différemment la ressemblance de la cause première.

Mais si on examine maintenant la deuxième modalité pour une chose d’être dans une autre,  c’est l’inverse qui se produit. Car la cause première agit dans tous les êtres d’une seule manière et c’est pourquoi on dit qu’elle est dans tous les êtres selon une seule disposition. Mais toutes les choses ne reçoivent pas de la même manière l'action de la cause première, c'est pourquoi on dit que toutes les choses n'existent pas dans la cause première selon une seule et unique disposition

Et pour manifester cette proposition l’auteur fait suivre trois considérations : en premier lieu il manifeste cette proposition ; en deuxième lieu il la prouve là où il dit : et la diversité de la réception etc. ; troisièmement il en tire un corollaire là où il dit : c’est donc le degré de proximité etc.

Il dit donc en premier lieu qu’on dit que toutes les choses ne sont pas dans la cause première selon une seule et unique disposition parce que, bien que la cause première existe dans toutes les choses, c’est-à-dire dans la mesure où elle atteint toutes les choses par l’effet de son action, cependant chaque chose ne reçoit son action que selon le mode de la puissance qui lui est propre. Et il illustre cela d’après les trois premières diversités qu’on découvre dans les choses, dont la première est la diversité selon l’unité et la multiplicité, diversité qui appartient certes aux substances elles-mêmes ; car les choses dont la substance est simple reçoivent l’action de la cause première d’une seule manière alors que celles dont la substance est composée la reçoivent de plusieurs manières, c’est-à-dire conformément au mode de leur substance. La deuxième diversité se tire du côté de la durée des choses dans leur existence. Certaines réalités en effet, à savoir celles dont l’existence n’est pas soumise au mouvement, reçoivent l’action de la cause première par une réception éternelle, d’où leur durée dans l’existence ne change pas suivant l’avant et l’après. Mais d’autres réalités, à savoir celles dont l’existence est soumise au mouvement, reçoivent l’action de la cause première par une réception temporelle, et par conséquent leur durée se continue selon la succession de l’avant et de l’après. Il présente la troisième diversité du côté de l’espèce ou de la forme de la chose selon que certaines choses sont incorporelles quant à leur espèce et celles-là reçoivent l’influence de la cause première selon un mode qui est spirituel, alors que d’autres sont corporelles quant à leur espèce et c’est pourquoi ces dernières reçoivent l’influence de la cause première par une réception corporelle. Cependant, tout ce qui est avancé ici est contenu en ces termes dans la proposition 142 du livre de Proclus : les dieux sont certes présents à toutes les choses de la même manière mais tous les êtres ne sont pas également présents aux dieux, mais chacun d’eux, conformément à son rang et à sa puissance, reçoit leur présence, certains selon un mode unique et d’autres de plusieurs  manières, les premiers dans l’éternité et les seconds dans le temps, les uns de manière incorporelle et les autres de manière corporelle.

Ensuite, lorsqu’il dit : et la diversité certes etc., il prouve ce qu’il vient d’avancer de la manière qui suit. La diversité de la réception peut en effet procéder de deux choses : elle procède parfois certes de l’agent ou de celui qui influe mais parfois aussi de celui qui reçoit. En effet, parce que la diversité de la cause entraîne une diversité dans les effets, il est nécessaire que, si l’agent diffère et que celui qui reçoit reste le même, la diversité de la réception vienne de l’agent et non de celui qui reçoit, tout comme la même eau peut geler par le froid et se dissoudre par la chaleur. Mais si au contraire l’agent reste le même et que celui qui reçoit diffère, cela entraînera une diversité de réception en raison de celui qui reçoit et non en raison de l’agent, comme on le voit pour le Soleil qui durcit la boue et amollit la cire. Il est cependant manifeste que la cause première reste toujours la même et ne présente aucune diversité mais que les êtres qui reçoivent l’influence de la cause première sont différents ; donc dans ce cas la diversité de la réception ne peut provenir de la cause première, laquelle est la bonté pure qui répand la bonté sur toutes les choses, mais de la diversité de ceux qui la reçoivent. Ainsi donc il est clair que la cause première se retrouve dans tous les êtres selon un seul et même mode mais non inversement. Il faut cependant remarquer que l’action de la cause première est double : il y en a certes une par laquelle il établit les choses dans l’existence et qu’on appelle création, mais il y en a une autre selon laquelle il gouverne les choses qu’il a créées. Par conséquent ce qui est dit ici ne se rapporte pas à la première action divine car s’il fallait ramener toute diversité des effets à la diversité de ceux qui reçoivent, il faudrait dire que certains de ceux qui reçoivent ne procèdent pas de la cause première, ce qui est contraire à ce qui a été dit plus haut à la proposition 18, à savoir : toutes les choses tiennent leur essence de la cause première. D’où il faut dire que la première diversité des choses, à savoir celle selon laquelle elles possèdent différentes natures et différentes puissances, ne procède pas de la diversité de ceux qui reçoivent mais de la cause première ; et il en est ainsi non pas parce qu’il y a en cette dernière quelque diversité, mais parce qu’elle connaît la diversité et que c’est par sa science qu’elle agit ; et c’est pourquoi elle produit différents degrés d’êtres pour la perfection de l’univers. Mais pour ce qui est de l’action de gouverner dont il s’agit ici, la diversité de réception se tire de la diversité de ceux qui reçoivent.

Ensuite lorsqu’il dit : selon le deuxième mode d’action etc., il tire un corollaire de ce qui précède. Si en effet la diversité de réception de l’influx de la cause première se produit dans les choses d’après une différence de puissance qui se tient du côté de ceux qui reçoivent, puisque ceux qui sont plus près de la cause première sont d’une puissance plus grande, il s’ensuit qu’ils reçoivent plus parfaitement la cause première et son influx. Et parce que toute substance connaissante connaît d’autant plus parfaitement la cause première et l’influx de sa bonté que son existence est plus parfaite, et qu’elle se délecte d’autant plus en lui qu’elle le reçoit et le connaît davantage, il s’ensuit qu’un être se délecte d’autant plus en elle qu’il  est plus proche de la cause première.

 

 

Lectio 25

[84260] Super De causis, l. 25 Supra dictum est quod creaturae recipiunt diversimode regimen causae primae secundum triplicem diversitatem, scilicet unitatis et multitudinis, quod pertinet ad simplicitatem et compositionem, aeternitatis et temporis, et spiritualis et corporei (corporeo autem accidit corruptio et spirituali incorruptio): unde hic incipit prosequi de praedictis diversitatibus rerum, et primo de diversitate corruptibilis et incorruptibilis, secundo de diversitate simplicis et compositi, 28 propositione, ibi: omnis substantia stans per essentiam suam est simplex etc., tertio de diversitate aeternitatis et temporis, 30 propositione, ibi: omnis substantia creata in tempore. Circa primum duo facit: primo ostendit substantias quasdam esse ingenerabiles, secundo agit de incorruptione earum, 26 propositione, ibi: omnis substantia stans per seipsam est non cadens et cetera. Circa primum ponit duas propositiones quarum prima talis est: substantiae unitae intelligibiles non sunt generatae ex re alia. Vocat autem substantias unitas substantias simplices, eo quod omne compositum quamdam multitudinem in se continet; intelligibiles autem substantias vocat quae sunt aptae natae intelligere, quae etiam, cum sint immateriales, sunt intelligibiles actu. Quod autem dicit: non sunt generatae ex re alia, potest intelligi, vel sicut ex materia secundum quod haec praepositio ex importat habitudinem causae materialis, vel sicut ex causa agente secundum quod praedicta praepositio importat habitudinem causae efficientis; et hic intellectus magis videtur consonare his quae in probatione commenti ponuntur. Secunda propositio est talis: omnis substantia stans per essentiam suam est non generata ex re alia. Dicitur autem substantia stans per essentiam suam quae est per seipsam subsistens, sed, cum per seipsum subsistere sit proprium substantiae, sequetur secundum hoc quod nulla substantia sit generata. Est ergo dicendum quod substantia et essentia rei principaliter est forma quam principaliter significat definitio. Quaecumque igitur habent formam in materia fundatam, huiusmodi substantiae non sunt stantes per essentiam suam; immo eorum essentiae, id est formae, innituntur fundamento materiae. Illae ergo substantiae sunt stantes per essentiam suam, quae sunt formae tantum, non in materia, et huiusmodi impossibile est quod sint generatae. Est autem considerandum quod prima propositio concluditur ex hac secunda. Supra enim probatum est quod omnes substantiae intelligentes sunt stantes per essentiam suam, quod habitum est in propositione 15: omnis sciens scit et cetera. Si igitur omnis substantia stans per essentiam suam est non generata, sequitur quod omnis substantia intellectualis sit non generata. Duarum autem propositarum propositionum prima in libro Procli non invenitur, sed solum secunda quae est XLV sui libri, talis: omne authypostaton, id est per se subsistens, ingenerabile est. Et haec sola propositio probatur consequenter eodem modo hic sicut et in libro Procli. Manifestum est enim quod omne generatum est de se imperfectum, quia est ens in potentia, et ideo indiget quod compleatur sive perficiatur per illud ex quo generatur, id est per generans quod reducit ipsum de potentia in actum. Et huius signum est quod generatio nihil est aliud quam via quaedam de incompleto ad completum oppositum scilicet ad incompletum praeexistens: termini enim generationis sunt privatio et forma, materia autem secundum quod existit sub privatione habet rationem imperfecti, secundum autem quod existit sub forma habet rationem perfecti, et sic patet quod generatio est via sive transmutatio de imperfecto ad perfectum oppositum. Si igitur est aliquid quod non indigeat aliquo alio ad sui formationem sed ipsum est causa suae formationis, quia scilicet est substantia eius forma, sequitur quod talis res sit semper completa sive perfecta. Et sic in ea non potest esse transitus de imperfecto ad perfectum, sed statim per seipsam est ens et unum, ut dicitur in VIII metaphysicae: relinquitur ergo quod omnis substantia quae est forma subsistens est non generabilis. Sed, ne ex hoc male intelligeret aliquis quod huiusmodi substantiae non haberent causam sui esse, cum supra dictum sit quod res omnes habent essentiam per ens primum, manifestat consequenter quomodo sit intelligendum quod dictum est. Quod enim dictum est quod sit causa suae formationis et complementi, non est sic intelligendum quasi non dependeat ex alia causa superiori, sed dicitur esse causa suae formationis per hoc quod habet sempiternam relationem ad causam suam primam: unde per comparationem ad suam causam habet simul, id est statim, formationem et complementum. Ad cuius evidentiam considerandum est quod unumquodque participat esse secundum habitudinem quam habet ad primum essendi principium. Res autem composita ex materia et forma non habet esse nisi per consecutionem suae formae: unde per suam formam habet habitudinem ad primum essendi principium; sed quia materia tempore praeexistit formae in hac re generata, consequens est quod non semper habeat praedictam habitudinem ad principium essendi neque simul, cum fuerit materia, sed postmodum superveniente forma. Si ergo aliqua substantia sit ipsa forma, sequitur quod semper habeat habitudinem praedictam ad causam primam nec adveniat ei post tempus, sed sit simul concomitans cum sua substantia quae est forma. Sic ergo manifestum est quod omnis substantia stans per essentiam suam non generatur ex aliquo.

25) Les substances intelligibles unifiées ne sont pas engendrées à partir d'autre chose, et toute substance se tenant par son essence n'est pas engendrée à partir de quelque chose d'autre.

 

On a dit plus haut que les créatures reçoivent différemment le gouvernement de la cause première selon une triple diversité, à savoir celle de l'unité et de la multiplicité qui se rapporte à la simplicité et à la composition ; celle de l’éternité et du temps, et celle enfin du spirituel et du corporel (la corruption s’attribuant au corporel et l’incorruptibilté au spirituel) : c’est pourquoi il commence ici à examiner plus précisément les diversités des choses dont il a parlé, et en premier lieu la diversité du corruptible et de l’incorruptible, deuxièmement celle du simple et du composé à la proposition 28 où il dit : toute substance se tenant par sa seule essence est simple etc. et enfin celle de l’éternité et du temps à la proposition 30 où il dit : toute substance créée dans le temps etc.

Au sujet du premier point il fait deux choses : premièrement il montre que certaines substances ne peuvent être engendrées et en deuxième lieu il traite de leur incorruptibilité à la proposition 26 où il dit : toute substance qui se tient par elle-même ne peut déchoir etc.

Au sujet du premier point il présente deux propositions dont voici la première : les substances intelligibles unifiées ne sont pas engendrées à partir d’autre chose. Il appelle substances unifiées les substances qui sont simples du fait que tout composé contient en lui une certaine multiplicité ; et il appelle substances intelligibles celles qui sont aptes à intelliger et qui aussi, puisqu’elles sont immatérielles, sont intelligibles en acte. Et ce qu’il ajoute, à savoir qu’elles ne sont pas engendrées à partir d’autre chose, cela peut s’entendre soit comme à partir d’une matière selon que la préposition ¨ex¨ implique un rapport de cause matérielle, soit comme à partir d’une cause agente selon que la préposition précédente implique un rapport de cause efficiente ; et cette dernière interprétation est davantage en accord avec ce qui a été posé dans la preuve du commentaire.

Voici maintenant la deuxième proposition : toute substance qui se tient par son essence n’est pas engendrée à partir d’autre chose. Il appelle substance se tenant par son essence celle qui est subsistante par elle-même mais, puisque subsister par soi-même est le propre de la substance, il s’ensuivrait selon cet énoncé qu’aucune substance ne serait engendrée. Il faut donc dire que la substance et l’essence de la chose est principalement la forme que signifie principalement la définition. Donc, tous les êtres qui possèdent une forme qui se fonde dans une matière sont des substances telles qu’elles ne se tiennent pas par leur essence ; au contraire leur essence, c’est-à-dire leur forme, s’appuie sur la base de la matière. Mais ces substances qui se tiennent par leur essence sont celles qui sont des formes seulement, lesquelles n’existent pas dans une matière et il leur est impossible d’être engendrées. Il faut cependant considérer que la première proposition est conclue à partir de cette deuxième. Plus haut en effet on prouve que toutes les substances intelligibles se tiennent par leur essence, ce qui est établi à la proposition 15 : tout connaissant sait etc. Alors, si aucune substance qui se tient par son essence n’est pas engendrée, il s’ensuit qu’aucune substance intellectuelle n’est pas engendrée. Cependant parmi les deux propositions qui sont présentées, la première ne se retrouve pas dans le livre de Proclus, mais seulement la deuxième qui est la quarante-cinquième de son livre que voici : tout ¨authypostaton¨, c’est-à-dire tout ce qui subsiste par soi, est inengendrable. Et c’est cette seule proposition qui est prouvée ici par la suite de la même manière que dans le livre de Proclus. Il est manifeste en effet que tout ce qui est engendré est de soi imparfait car il est de l’être en puissance et c’est pourquoi il a besoin d’être complété  ou achevé par celui à  partir duquel il est engendré, c’est-à-dire par celui qui engendre et qui le fait passer de la puissance à l’acte. Et le signe en est que la génération n’est rien d’autre qu’un certain chemin qui va de l’incomplet au complet qui est opposé à l’incomplet qui préexiste : en effet, les termes de la génération sont la privation et la forme mais la matière, selon qu’elle existe sous la privation, a raison de perfection, et ainsi il est clair que la génération est comme un chemin ou un passage de l’imparfait au parfait qui lui est opposé. Si donc il existe quelque chose qui n’a pas besoin d’un autre pour sa formation mais qu’il est lui-même cause de sa formation, c’est-à-dire parce que sa substance est sa forme, il s’ensuit qu’une telle réalité est toujours complète ou parfaite, mais elle est en permanence ce qui existe et est un par soi-même comme le Philosophe le dit au huitième livre de la Métaphysique : il reste donc que toute substance qui est une forme subsistante se trouve dans l’impossibilité d’être engendrée.

Mais afin que quelqu’un n’entende pas à tort par là qu’une telle substance n’a pas de cause de son existence, puisqu’il a été dit plus haut que toutes les choses tiennent leur essence de l’Être premier, il manifeste par la suite de quelle manière il faut entendre ce qui a été dit. Ce qui a été dit en effet, à savoir s’il existe quelque chose qui soit cause de sa formation et de sa perfection, cela ne doit pas s’entendre au sens où elle ne dépendrait pas d’une autre cause supérieure, mais on dit qu’elle est cause de sa formation dans le sens où elle possède une relation éternelle à sa cause première : d’où il suit que par rapport à sa cause elle possède simultanément, c’est-à-dire immédiatement, sa formation et sa perfection.

Et pour en avoir l’évidence il faut considérer que chaque chose participe de l’existence selon la relation qu’elle entretient avec le premier principe de l’existence. Mais une réalité composée de matière et de forme ne possède l’existence que conséquemment à sa forrme : par conséquent, c’est par sa forme qu’elle possède une relation avec le premier principe de l’existence ; mais parce que dans l’ordre du temps la matière préexiste à la forme pour telle chose individuelle, il s’ensuit qu’elle ne possède pas toujours la relation dont nous venons de parler à l’égard du premier principe de l’existence, ni simultanément, alors qu’elle était matière, mais seulement lorsque la forme lui survient. Si donc une substance est sa propre forme, il s’ensuit qu’elle possède toujours la dite relation à l’égard de la cause première et qu’elle ne lui advient pas après un certain temps mais qu’elle accompagne simultanément ou en permanence sa substance qui est forme. Ainsi donc il est manifeste que toute substance qui se tient par son essence est dans l’impossibilité d’être engendrée par quelque chose d’autre. 

 

Lectio 26

[84261] Super De causis, l. 26 Supra actum est de ingenerabili, hic agitur de corruptibili et incorruptibili; et primo de incorruptibili, secundo de corruptibili 27 propositione: omnis substantia destructibilis et cetera. Circa primum ponitur talis propositio: omnis substantia stans per seipsam est non cadens sub corruptione. Quae quidem ponitur in libro Procli XLVI, sub his verbis: omne authypostaton incorruptibile est. Ad cuius propositionis evidentiam considerandum est quod, cum praepositio per denotet causam, illud dicitur per se stare sive subsistere quod non habet aliam causam essendi nisi seipsum. Est autem duplex causa essendi, scilicet forma per quam aliquid actu est et agens quod facit actu esse. Si ergo dicatur stans per seipsum quod non dependet a superiori agente, sic stare per seipsum convenit soli Deo qui est prima causa agens a qua omnes secundae causae dependent, ut ex superioribus patet. Si autem dicatur per se stans illud quod non formatur per aliquid aliud sed ipsummet est forma, sic esse stans per seipsum convenit omnibus substantiis immaterialibus. Substantia enim composita ex materia et forma non est stans per seipsam nisi ratione partium, quia scilicet materia est actu per formam et forma sustentatur in materia, sicut etiam dicitur aliquid movens seipsum ratione partium, quia una pars eius est movens et alia pars eius est mota. Sic igitur patet quod stare per seipsum non potest convenire nisi substantiae quae est forma sine materia; huiusmodi autem substantia ex necessitate est incorruptibilis. Manifestum est enim in rebus corruptibilibus quod corruptio accidit per hoc quod aliquid separatur a sua causa formali per quam aliquid habet esse in actu; sicut enim generatio quae est via ad esse, est per acquisitionem formae, ita corruptio quae est via ad non esse, est per amissionem formae; si igitur substantia stans per essentiam suam corrumperetur, oporteret quod separaretur a sua causa formali, sed sua forma est eius essentia, ergo separaretur a sua essentia, quod est impossibile. Non ergo est possibile quod substantia stans per seipsam corrumpatur. Sed ne aliquis credat quod huiusmodi substantiae stantes per essentiam suam non dependeant ab aliqua superiori causa agente, excludit hoc consequenter, ibi: et non fit causa suiipsius et cetera. Et dicit quod hoc non sic intelligendum est quod huiusmodi substantia sit causa suiipsius quasi non dependeat ab aliqua superiori causa agente; sed hoc dicitur quia huiusmodi substantia per seipsam habet relationem ad causam primam in quantum scilicet est causa suae formationis. Videmus enim quod res materiales referuntur ad causam primam ut accipiant esse ab ea per suam formam; et ideo substantia cuius tota essentia est forma, habet per seipsam relationem semper ad causam suam et non causatur ista relatio in huiusmodi substantiam per aliquam aliam formam. Et inde est quod dicitur esse causa suiipsius per modum praedictum. Et inde est quod non potest corrumpi, sicut ostensum est. Patet igitur quod omnis substantia stans per seipsam est incorruptibilis.

26) Aucune substance se tenant par elle-même ne tombe sous la corruption.

 

Après avoir traité de l’inengendrable, l'auteur traite ici du corruptible et de l’incorruptible. Et en premier lieu il traite de l’incorruptible, puis du corruptible à la proposition 27 où il dit : toute substance destructible etc. Au sujet du premier point il présente cette proposition : toute substance se tenant par elle-même ne tombe pas sous la corruption. Ce même énoncé est présenté dans le livre de Proclus à la proposition 46 en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est incorruptible.

Pour avoir l’évidence de cette proposition il faut considérer que, puisque la préposition ¨par¨ signifie une cause, ce qui est dit se tenir ou subsister par soi-même est ce qui ne possède pas d’autre cause de son existence que soi-même. Mais il y a deux sortes de cause qui expliquent l’existence, à savoir la forme par laquelle quelque chose existe en acte et l’agent qui fait exister en acte. Si donc ce qui se tient par soi-même ne se dit que de celui-là même qui ne dépend pas d’un agent supérieur, alors se tenir par soi-même ne peut s’attribuer qu’à Dieu seulement qui est la cause efficiente première de laquelle dépendent toutes les causes secondes comme nous l’avons vu plus haut. Mais si on dit se tenir par soi-même de ce qui n’est pas formé au moyen d’autre chose mais qui est soi-même forme, alors se tenir par soi-même s’attribue à toutes les substances immatérielles. En effet, la substance qui est composée de matière et de forme ne se tient par elle-même qu’en raison des parties, c’est-à-dire parce que c’est par la forme que la matière est en acte et que c’est sur la matière que la forme s’appuie, tout comme nous disons aussi que quelque chose se meut par soi-même en raison des parties, c’est-à-dire parce qu’une des ses parties meut et que l’autre est mue. Ainsi donc il est clair qu’il ne peut convenir qu’à une substance qui est forme sans matière de se tenir par soi-même ; et une telle substance est nécessairement incorruptible. Il est manifeste en effet dans les choses corruptibles que la corruption survient par ceci que quelque chose est séparé de sa cause formelle par laquelle quelque chose possède l’existence en acte ; en effet, tout comme la génération, qui est un chemin vers l’être, a lieu par l’acquisition d’une forme, de même la corruption, qui est un chemin vers le non-être, a lieu par l’abandon d’une forme ; si donc la substance qui se tient par son essence, sa forme, devait se corrompre, il faudrait qu’elle soit séparée de sa cause formelle alors que sa forme est son essence, et donc qu’elle soit séparée de son essence, ce qui est impossible. Il n’est donc pas possible que la substance qui se tient par elle-même se corrompe. Mais afin qu’on ne pense pas que ces substances qui se tiennent par leur essence ne dépendent pas d’une cause agente supérieure, il écarte par la suite cette hypothèse où il dit : et elle n’est cependant pas cause d’elle-même etc. Et l’auteur dit que ce qui vient d’être dit ne doit pas s’entendre dans le sens où une telle substance serait cause de soi-même comme si elle ne dépendait pas d’une cause agente supérieure ; mais cela est dit parce qu’une telle substance possède par elle-même une relation à la cause première en tant qu’elle est la cause de sa formation. Nous voyons en effet que les choses matérielles se rapportent à la cause première pour recevoir d’elle l’existence au moyen de leur forme ; et c’est pourquoi la substance dont toute l’essence est la forme possède toujours par elle-même sa relation à sa cause, et cette relation dans une telle substance n’est pas causée par une autre forme. Et il résulte de là que c’est de la manière que nous avons dite qu’on dit de cette substance qu’elle est cause d’elle-même. Et il suit de là qu’elle ne peut être corrompue, comme nous l’avons montré. Il est donc clair que toute substance qui se tient par elle-même est incorruptible.

 

Lectio 27

[84262] Super De causis, l. 27 Postquam ostendit quae sit conditio substantiae incorruptibilis, hic ostendit conditionem substantiae corruptibilis, ponens hanc propositionem: omnis substantia destructibilis non sempiterna aut est composita aut est delata super rem aliam. Et haec eadem propositio ponitur in libro Procli XLVIII. Huius autem propositionis probatio est quia, si omne quod est stans per seipsum est incorruptibile, ut probatum est, necesse est quod omne quod corrumpitur non sit stans per seipsum sed indigeat aliquo sustentante. Quod quidem contingit duobus modis: uno modo sicut totum indiget partibus ad sui constitutionem, unde partibus ab invicem discedentibus sequitur corruptio; alio modo quia forma non est subsistens sed indiget ad sui fixionem subiecto deferente. Et ideo quando subiectum deferens sit indispositum ad talem formam, necesse est quod fiat separatio formae a subiecto, et ita sequitur corruptio. Unde manifestum est quod omnis substantia corruptibilis vel est composita ex diversis partibus per quarum dissolutionem sequitur corruptio totius, sicut patet in corporibus mixtis, aut forma indiget materia vel subiecto ad sui sustentationem, et ita per transmutationem subiecti sequitur corruptio, sicut patet in corporibus simplicibus et in accidentibus. Et ideo possumus hoc corollarium accipere quod, si aliqua substantia non est composita sed est simplex, neque est delata super subiectum, quasi indigens eo ad suum esse, sed est stans in seipso, hoc omnino est incorruptibile; sicut patet in intelligentia et in anima intellectuali, de qua manifestum est quod non est forma delata super materiam cui dat esse, ita scilicet quod ei totaliter innitatur, quia sequeretur quod nulla eius operatio esset sine communione materiae corporalis, quod patet esse falsum ex his quae probantur in III de anima.

27) Toute substance destructible et non perpétuelle est soit composée soit supportée par une autre chose.

 

Après avoir montré quelle est la nature de la substance incorruptible, l'auteur montre ici la nature de la substance corruptible en posant cette proposition : toute substance destructible non-éternelle est soit composée soit supportée par une autre réalité. Et ce même énoncé se retrouve à la proposition 48 du livre de Proclus. Et la preuve de cette proposition est que si tout ce qui se tient par soi-même est incorruptible, comme nous l’avons prouvé, il est nécessaire que tout ce qui se corrompt ne se tienne pas par soi-même, mais ait besoin au contraire de quelque chose pour le supporter. Et cela est certes possible de deux manières : premièrement comme le tout a besoin de ses parties pour sa constitution, d’où il suit que si les parties se séparent les unes des autres il s’ensuit la corruption ; deuxièmement parce que la forme n’est pas subsistante mais a besoin pour sa stabilité d’être porté par un sujet. Et c’est pourquoi, lorsque le sujet qui la porte est indisposé à l’égard d’une telle forme, il est nécessaire que la forme se sépare du sujet et qu’il s’ensuive ainsi une corruption. C’est pourquoi il est manifeste que toute substance corruptible est ou bien composée de différentes parties par la dissolution desquelles s’ensuit la corruption du tout comme on le voit dans les corps mixtes, ou bien la forme a besoin d’une matière ou d’un sujet pour la supporter et ainsi la corruption découle d’un changement du côté du sujet ainsi qu’on le voit pour les corps simples et les accidents. Et c’est pourquoi nous pouvons tirer de là ce corollaire, à savoir que si une substance n’est pas composée mais est simple et qu’elle n’est pas portée sur un sujet dont elle aurait besoin pour exister mais qu’elle se tient en elle-même, cette substance est absolument incorruptible ; et c’est ce qu’on voit dans le cas de l’intelligence et celui de l’âme intellectuelle, au sujet desquelles il est manifeste qu’elles ne sont pas des formes portées sur une matière à laquelle elles donnent l’existence, c’est-à-dire de telle manière qu’elles lui serait totalement rattachées, car il s’ensuivrait qu’aucune de leurs opérations n’aurait lieu sans que la matière corporelle y prenne part, ce qui est évidemment faux à partir de ce qui a été prouvé au troisième livre du traité intitulé de l’Âme.

 

 

Lectio 28

[84263] Super De causis, l. 28 Postquam prosecutus est diversitatem substantiarum secundum generationem et corruptionem, hic prosequitur de diversitate substantiarum quae potest attendi secundum simplicitatem et compositionem. Et inducit ad hoc duas propositiones quarum secunda videtur esse conversa prioris. Prima ergo talis est: omnis substantia stans per essentiam suam est simplex et non dividitur. Quae etiam propositio ponitur in libro Procli XLVII, sub his verbis: omne authypostaton impartibile est et simplex. Ubi primo considerandum videtur quod simplex et impartibile est idem subiecto, differunt autem ratione: nam impartibile dicitur aliquid per privationem divisionis, quia scilicet non est in multa divisibile; simplex autem dicitur aliquid per privationem compositionis, quia scilicet non est ex multis compositum. Primo ergo probatur quod substantia per se stans sit indivisibilis, secundo quod sit simplex. Primum autem melius probatur in libro Procli quam hic. Est enim haec eius probatio. Si enim, inquit, partibile est, authypostaton ens, id est per se subsistens, instituet partibile seipsum, et totum ipsum vertetur ad seipsum, et omne in omni seipso erit. Hoc autem impossibile. Impartibile ergo authypostaton. Ad cuius evidentiam considerandum est quod hic accipitur esse aliquid stans per seipsum non ratione partis, ut scilicet una pars eius stet per aliam sicut accidit in substantiis materialibus, sed ratione totius, ut scilicet totum stet per se totum. Unumquodque autem convertitur ad id per quod stat sicut effectus ad causam, et oportet quod sit in eo sicut in suo fundamento. Si ergo aliquid partibile sit stans per seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius stet per quamlibet et quaelibet fundetur in qualibet; quod est impossibile, quia sic sequeretur quod una et eadem pars eius esset causa et effectus simul respectu eiusdem, quod est impossibile. In hoc autem libro probatur sic. Illud quod convenit alicui per seipsum, convenit cuilibet parti eius, si sit partibile. Si igitur aliquid partibile sit stans per seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius stet per seipsam, et ita non innitetur alteri ad constitutionem totius. Haec autem probatio non est adeo efficax, quia non est necessarium quod quidquid per se convenit alicui toti conveniat singulis partibus eius. Est enim quoddam totum similium partium ut aer et aqua, et quoddam dissimilium ut animal et domus. Quod autem id quod est stans per seipsum sit simplex, id est non compositum ex multis, probatur duplici ratione. In omni composito ex pluribus partibus necesse est ponere quemdam partium ordinem, ut scilicet una pars eius sit melior et alia vilior. Multa enim ad unum constituendum ordine quodam perveniunt sicut et ab uno multitudo ordine quodam progreditur. Unde videmus quod in compositione corporis naturalis forma est praestantior materia et in compositione corporis mixti unum elementum dominatur et in compositione partium animalis unum membrum est principalius alio et in partibus alicuius continui una pars magis accedit ad punctum, quod est principium magnitudinis, quam alia. Si ergo aliquid compositum ex pluribus partibus sit stans per seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius sit stans ex qualibet et ita pars melior dependebit ex parte viliori et e converso. Secunda ratio est quia omne quod est stans per seipsum, est sibi sufficiens in suo esse, non indigens alio ad sui subsistentiam; per quod non excluditur dependentia a causa agente sed a causa formali et materiali subsistentiam praestante. Omne autem compositum ex partibus non est sibi sufficiens, sed indiget ad sui subsistentiam partibus ex quibus componitur, quae se habent in habitudine causae materialis ad totum. Ergo nullum compositum ex partibus est per se stans. Omnis igitur substantia per se stans est simplex. Sciendum tamen est quod haec secunda ratio distincte ponitur in libro Procli, sed in hoc libro inducitur per modum conclusionis.

28) Toute substance se tenant par son essence est simple et n'est pas divisée.

 

Après avoir traité de la diversité des substances selon la génération et la corruption, l'auteur poursuit en traitant de la diversité des substances qui peut se prendre selon la simplicité et la composition. Et il avance pour cela deux propositions dont la seconde semble être une conversion de la première. Voici donc la première proposition : toute substance qui se tient par son essence est simple et n'est pas divisée. Cette proposition se retrouve aussi en ces termes à la proposition 47 du livre de Proclus : tout ¨authypostaton¨ est indivisible et simple.

Il semble qu’il faille d’abord considérer que simple et indivisible sont identiques par le sujet mais différents par la raison : car on appelle indivisible ce qui est privé de division, c’est-à-dire parce qu’il ne peut être divisé en une multiplicité ; mais on appelle simple ce qui est privé de composition, c’est-à-dire parce qu’il n’est pas composé d’une multiplicité.

On prouve donc en premier lieu que la substance qui se tient par elle-même est indivisible et deuxièmement qu’elle est simple. Mais la première conclusion à prouver est mieux prouvée dans le livre de Proclus qu’elle ne l’est ici. Voici en effet la preuve qu’il en donne : si en effet, dit-il, l’être authypostaton, c’est-à-dire l’être qui est par soi subsistant, était divisible, il s’établirait lui-même divisible, et la totalité de lui-même se tournerait vers lui-même et il serait en totalité dans chacune de ses parties. Mais cela est impossible. L’¨authypostaton¨ est donc indivisible.

Pour en avoir l’évidence, il faut considérer que ce qu’on prend ici comme étant ce qui se tient par soi-même ne l’est pas en raison d’une partie de telle manière qu’une partie d’un être se tient grâce à une autre comme on le voit chez les substances matérielles, mais en raison du tout, c’est-à-dire dans le sens où le tout se tient par lui-même dans sa totalité. Mais toute chose se tourne vers ce grâce à quoi elle se tient comme l’effet se tourne vers sa cause et il faut qu’elle soit en cela comme dans son fondement. Si donc quelque chose de divisible se tient par soi-même, il faudra que n’importe quelle de ses parties se tienne par n’importe quelle autre et que n’importe quelle se fonde sur n’importe quelle ; ce qui est impossible car il s’ensuivrait alors qu’une seule et même de ses parties serait à la fois cause et effet sous le même rapport, ce qui est impossible. Mais dans ce même livre on le prouve de la manière suivante. Ce qui convient à un être par lui-même convient à chacune de ses parties s’il est divisible. Si donc quelque chose de divisible se tient par soi-même, il faudra que chacune de ses parties se  tienne par soi-même et ainsi qu’elle ne s’appuie pas sur une autre pour constituer le tout. Mais cette preuve n’est pas si efficace parce qu’il n’est pas nécessaire que tout ce qui convient par soi à un tout convienne à chacune de ses parties. Il y a en effet des touts qui sont consitués de parties semblables, comme l’air et l’eau, et d’autres qui sont constitués de parties dissemblables, comme l’animal et la maison.

Mais on prouve par deux raisonnements que ce qui se tient par soi-même est simple ou n’est pas composé d’une multiplicité de parties. Dans tout ce qui est composé de plusieurs parties, il est nécessaire de poser un ordre entre les parties, c’est-à-dire de telle manière qu’une des parties soit supérieure et une autre inférieure. En effet, c’est grâce à un ordre qu’une multiplicité parvient à constituer une unité tout comme c’est en suivant un ordre qu’une multiplicité procède de l’unité. C’est pourquoi nous voyons que dans la composition du corps naturel la forme est supérieure à la matière et que dans la composition du corps mixte un élément est dominant et que dans la composition des parties de l’animal un membre est premier par rapport à un autre et que dans les parties d’une réalité continue une partie s’approche davantage du point, lequel est le principe de la grandeur, qu’une autre. Si donc quelque chose qui est composé de plusieurs parties se tient par soi-même, il faudra que n’importe quelle de ses parties subsiste à partir de n’importe quelle autre et ainsi une partie supérieure dépendra d’une partie inférieure et inversement.

Le deuxième raisonnement est que tout ce qui se tient par soi-même se suffit à soi-même pour sa propre existence et n’a pas besoin d’un autre pour subsister ; et par là on n’exclut pas la dépendance à l’égard de la cause agente, mais seulement la dépendance à l’égard d’une cause formelle et d’une cause matérielle garantissant la subsistance. Mais rien de ce qui est composé de partie ne se suffit à soi-même mais dépend pour sa subsistance des parties dont il est composé qui se rapportent au tout dans la relation d’une cause matérielle. Donc, rien de ce qui est composé de parties ne subsiste ou ne se tient par soi-même. Donc, toute substance qui subsiste ou se tient par soi-même est simple. Il faut cependant savoir que ce deuxième raisonnement est distinctement présenté dans le livre de Proclus mais dans ce livre il n’est avancé par l’auteur qu’à la manière d’une conclusion.

 

Lectio 29

[84264] Super De causis, l. 29 Hic ponitur propositio conversa prioris, quae talis est: omnis substantia simplex est stans per seipsam, scilicet per essentiam suam. Sciendum tamen est quod haec propositio in commento non probatur, sed interponitur quiddam quod probatur, scilicet quod substantia stans per seipsam est creata sine tempore et est in substantialitate sua superior substantiis temporalibus. Et haec est LI propositio libri Procli sub his verbis: omne authypostaton exemptum est ab his quae tempore mensurantur secundum suam substantiam. Ubi considerandum est quod hoc quod dicitur secundum suam substantiam potest referri vel ad ipsas substantias temporales, quarum esse substantiale variationi subiacet, unde secundum suam substantiam tempore mensurari dicuntur, vel potest referri ad substantias per se stantes, quae secundum suam substantiam sunt substantiis temporalibus superiores. Huius ergo propositionis superinductae ponitur probatio talis. Ostensum est enim supra quod nulla substantia stans per seipsam cadit sub generatione. Omnes autem substantiae quae mensurantur tempore secundum suam substantiam cadunt sub generatione. Per hoc enim secundum suam substantiam a tempore mensurantur quod eorum esse substantiale variatur per generationem et corruptionem. Relinquitur ergo quod nulla substantia stans per seipsam cadat sub tempore, sed est superior omnibus substantiis temporalibus. Possumus autem ex hac propositione sic probata concludere illam quae praemittitur. Si enim hoc est proprium substantiae per se stantis quod sit non cadens secundum suam substantiam sub tempore, hoc autem convenit omni substantiae simplici, quia omnis substantia generabilis cadens sub tempore est composita ex materia et forma. Relinquitur quod omnis substantia simplex sit stans per seipsam, quod fuit primo propositum.

29) Toute substance simple se tient par elle-même, c'est-à-dire par sa propre essence.

 

L'auteur présente ici la proposition qui est la conversion de la proposition précédente où il dit : toute substance simple se tient par soi-même, c'est-à-dire l’essence qui lui est propre. Il faut cependant savoir que cette proposition n’est pas prouvée dans ce livre, mais un raisonnement y est intercallé qui lui est prouvé, à savoir que la substance qui se tient par soi est créée en dehors du temps et est supérieure aux substances temporelles dans sa substantialité. Et cette proposition est équivalente à la proposition 51 du livre de Proclus qui se présente en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est tout à fait étranger aux réalités qui sont mesurées par le temps quant à leur substance. Il faut ici remarquer que l’expression ¨quant à leur substance¨ peut se rapporter soit aux substances temporelles elles-mêmes dont l’existence substance substantielle est soumise au changement, et c’est pourquoi on dit à leur sujet qu’elles sont mesurées par le temps quant à leur substance ; soit aux substances qui se tiennent par elles-mêmes qui, de par leur substance même, sont supérieures aux substances temporelles.

Voici donc la preuve de la proposition qui vient d’être avancée. Il a été montré plus haut qu’aucune substance qui se tient par elle-même n’est soumise à la génération. Mais toutes les substances qui sont mesurées par le temps quant à leur substance sont soumises à la génération. En effet, elles sont mesurées par le temps quant à leur génération par ceci que leur existence substantielle est modifiée par la génération et la corruption. Il s’ensuit donc qu’aucune substance qui se tient par elle-même n’est soumise au temps mais transcende toutes les substances temporelles. Mais nous pouvons, à partir de cette proposition ainsi prouvée, conclure celle qui précède. Si en effet il est propre à la substance qui se tient par elle-même de ne pas être soumise au temps selon sa substance, cela convient à toute substance simple parce que toute substance engendrable soumise au temps est composée de matière et de forme. Il reste donc que toute substance simple se tient par elle-même, ce qui était le propos principal.

 

 

Lectio 30

[84265] Super De causis, l. 30 Postquam prosecutus est de diversitate rerum quae est secundum generationem et corruptionem, et simplicitatem et compositionem, hic tertio prosequitur de diversitate quae est secundum temporale et aeternum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo aliqua dupliciter sunt sempiterna et temporalia, secundo ostendit quomodo est simul et aeternum et temporale, ibi: inter rem cuius substantia etc.; vel in prima ponit ordinem temporalium ad invicem, in secunda ordinem aeternorum ad invicem, ibi: inter rem cuius substantia et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: omnis substantia creata in tempore aut est semper in tempore et tempus non superfluit ab ea quoniam est creata et tempus aequaliter, aut superfluit super tempus et tempus superfluit ab ea quia est creata in quibusdam horis temporis. Ad cuius evidentiam considerandum est quod, quia tempus est numerus motus, omnis substantia mobilis dicitur esse creata in tempore. Est autem duplex substantia mobilis. Una quidem cuius motus est in toto tempore, sicut corpus caeleste cuius motus tempori adaequatur eo quod tempus est primo et per se mensura motus caeli et per illum motum mensurat omnes alios motus. Et hoc sive ponamus quod motus caeli semper fuerit et semper sit futurus, ut Aristoteles posuit et quidam alii philosophi, sive etiam motus caeli non semper fuerit nec semper sit futurus, ut fides Ecclesiae docet, quia sic etiam motus caeli adaequatur tempori; non enim tempus fuit antequam motus caeli inciperet nec erit tempus postquam motus caeli esse desierit. Unde omnibus modis substantia caelestis corporis ratione sui motus est semper in tempore et tempus non excedit ipsam, sed ad invicem adaequantur. Quaedam vero substantiae mobiles sunt, quarum esse et motus non est in toto tempore sed in aliqua parte temporis, sicut patet de substantiis generabilibus et corruptibilibus. Et quia huiusmodi substantia non habet habitudinem ad totum tempus sed ad partem temporis, invenitur autem aliqua pars temporis maior duratione eorum et aliqua pars minor. Inde est quod huiusmodi substantia excedit tempus quantum ad aliquam eius partem, quae scilicet est minor duratione eius; et iterum exceditur a tempore quantum ad illam partem quae est maior duratione eius. In libro enim Procli invenitur haec propositio LV planius et brevius, sic: omne quod secundum tempus subsistit, aut eo quod semper tempore est, aut aliquando in parte temporis hypostasim habens. Ad praemissae autem propositionis manifestationem primo ponitur probatio, secundo infert quoddam corollarium, ibi: iam ergo ostensum est ex hoc et cetera. Probatio autem ponitur eadem in utroque libro. Ita enim procedit ordo rerum ut similia se invicem subsequantur; ea vero quae sunt penitus dissimilia non subsequuntur se invicem in gradibus rerum, nisi per aliquod medium. Sicut videmus quod animal perfectum et planta sunt dissimilia penitus quantum ad duo: nam animal perfectum est sensitivum et mobile motu processivo, planta autem neutrum horum habet; natura ergo non procedit immediate ab animalibus perfectis ad plantas, sed producit in medio animalia imperfecta, quae sunt sensibilia cum animalibus et immobilia cum plantis. Manifestum est autem quod substantiae spirituales quae parificantur aeternitati, ut supra dictum est, et substantiae generabiles et corruptibiles, sunt penitus dissimiles: nam substantiae spirituales et sunt semper et sunt immobiles, quorum neutrum convenit substantiis generabilibus et corruptibilibus. Unde oportet ponere inter haec duo extrema aliquod medium quod sit simile utrique extremo, ut sic gradus rerum procedant per similia. Et sic Proclus investigando procedit. Inter id quod est semper immobiliter ens et id quod est aliquando mobiliter, non potest inveniri nisi triplex medium: scilicet id quod semper movetur, id quod aliquando immobiliter est, id quod aliquando est. Hoc autem tertium non potest esse medium, quia id quod aliquando est idem est ei quod aliquando movetur, quod diximus esse extremum. Similiter etiam nec potest esse medium id quod aliquando immobiliter est. Impossibile est enim esse aliquod tale: nihil enim desinit esse nisi per aliquam transmutationem, unde id quod immobiliter est non potest esse aliquando ens sed est semper ens. Relinquitur ergo quod medium inter id quod semper est immobiliter et inter id quod aliquando est mobiliter sit id quod semper movetur. Hoc enim convenit cum superiori quidem in hoc quod est semper esse, cum inferiori vero extremo in hoc quod est moveri. Utitur autem nomine generationis communiter pro qualibet transmutatione, quia in quolibet motu includitur generatio et corruptio, ut dicitur in VIII physicorum. Sic igitur substantiae quae semper moventur, scilicet caelestia corpora, contingunt secundum quamdam similitudinem utrumque extremum; et per ea coniunguntur quodammodo substantiae superiores immobiles substantiis inferioribus generabilibus et corruptibilibus, in quantum scilicet virtus superiorum substantiarum defertur ad generabilia et corruptibilia per motum caelestium corporum. Ex his autem inducit consequenter quoddam corollarium, scilicet quod duplex est perpetuitas vel perpetua durabilitas: una quidem per modum aeternitatis, alia vero per modum totius temporis, et differunt hae perpetuae durationes tripliciter. Primo quidem quia perpetuitas aeternalis est fixa, stans, immobilis; perpetuitas autem temporalis est fluens et mobilis, in quantum tempus est mensura motus, aeternitas autem accipitur ut mensura esse immobilis. Secundo quia perpetuitas aeternalis est tota simul quasi in uno collecta; perpetuitas autem temporalis habet successivam extensionem secundum prius et posterius quae sunt de ratione temporis. Tertio quia perpetuitas aeternalis est simplex, tota secundum seipsam existens; sed universalitas sive totalitas perpetuitatis temporalis est secundum diversas partes sibi succedentes.

30) Toute substance créée dans le temps, ou bien est toujours dans le temps et le temps ne l'excède pas, puisque sa création coïncide avec celle du temps ; ou bien elle excède le temps et le temps l'excède puisqu'elle est créée en certaines portions du temps.

 

Après avoir traité de la diversité des choses selon la génération et la corruption, puis selon la simplicité et la composition, l'auteur traite ici en troisième lieu de la diversité selon le temps et l'éternité. Et à ce sujet il fait deux choses. En premier lieu il montre comment certaines substances sont éternelles et temporelles de deux manières; en deuxième lieu il montre en quel sens l’éternel et le temporel sont simultanés, où il dit : entre une chose dont la substance etc. ; ou bien dans la première partie il présente l’ordre des choses temporelles entre elles et dans la deuxième l’ordre des choses éternelles entre elles, où il dit : entre une chose dont la substance etc.

Au sujet du premier point il présente cette proposition : toute substance créée dans le temps est ou bien toujours dans le temps et le temps de la déborde pas puisqu’elle est créée avec le temps, ou bien elle déborde le temps la déborde puisqu’elle est créée dans certaines limites ou parties du temps. Pour en avoir l’évidence il faut considérer que parce que le temps est le nombre du mouvement, toute substance mobile est dite être créée dans le temps. Mais il y a deux sortes de substances mobiles. La première est celle dont le mouvement est dans la totalité du temps, comme le corps céleste dont le mouvement est égal au temps du fait que le temps est par soi et premièrement la mesure du mouvement céleste et que c’est par ce mouvement que le temps mesure tous les autres mouvements. Et à partir de là soit nous posons que le mouvement du ciel a toujours existé et existera toujours, comme Aristote et certains autres philosophes l’ont soutenu, soit nous posons que le mouvement du ciel n’a pas toujours existé et n’existera pas toujours, comme l’enseigne la foi de l’Église, car dans ce cas aussi le mouvement du ciel est égal au temps ; en effet, le temps n’existait pas avant que le mouvement du ciel ne commence à exister et il n’existera plus après que le mouvement du ciel aura cessé d’exister. C’est pourquoi, d’une manière ou d’une autre,  la substance du corps céleste est toujours dans le temps en raison de son mouvement et le temps ne la déborde pas mais ils sont réciproquement égaux l’un à l’autre. Mais il existe certaines substances mobiles dont l’existence et le mouvement ne sont pas dans la totalité du temps mais seulement dans une de ses parties comme c’est le cas pour les substances sujettes à la génération et à la corruption. Et parce qu’une telle substance ne possède pas une relation à la totalité du temps mais à une partie seulement, on retrouve une partie du temps qui est plus grande et une autre qui est plus petite que leur durée. Il résulte de là qu’une telle substance déborde le temps quant à une des parties de ce dernier, à savoir celle dont la durée est la plus petite mais en outre elle est débordée par le temps quant à cette partie du temps dont la durée est la plus grande. On retrouve en effet plus clairement et plus brièvement en ces termes ce même énoncé à la proposition 55 du livre de Proclus : tout ce qui subsiste dans le temps le fait soit en étant toujours dans le temps, soit en étant dans une partie du temps.

Mais pour manifester cette proposition, il présente premièrement la preuve puis en deuxième lieu il tire un corollaire où il dit : il a donc déjà été montré etc. Mais la preuve qui est présentée est la même dans les deux livres. L’ordre des choses en effet procède de telle manière que les semblables se suivent immédiatement les uns les autres ; mais les choses qui sont tout à fait dissemblables ne se suivent immédiatement les uns les autres dans les degrés des choses que par un intermédiaire. Par exemple, nous voyons que l’animal parfait et la plante sont tout à fait dissemblables sous deux rapports : car l’animal parfait est sensible et se meut d’un mouvement progressif alors que la plante ne possède aucune de ces caractéristiques ; donc la nature ne procède pas immédiatement des animaux parfaits aux plantes, mais elle produit au milieu des animaux imparfaits qui sont sensibles comme les animaux mais immobiles comme les plantes. Il est cependant manifeste que les substances spirituelles d’une part, qui sont égales à l’éternité comme nous l’avons dit, et les substances sujettes à la génération et corruptibles d’autre part sont tout à fait dissemblables car les substances spirituelles sont à la fois éternelles et immobiles, propriétés qu’on ne retrouve en aucune manière dans les substances sujettes à la génération et corruptibles. D’où il faut poser entre ces deux extrêmes un intermédiaire qui soit semblable en quelque point aux deux extrêmes  afin qu’ainsi les degrés des choses procèdent par le semblable. Et c’est ainsi que Proclus procède dans sa recherche. Entre ce qui est toujours un être immobile et ce qui est parfois mobile on ne peut retrouver que trois intermédiaires, à savoir ce qui se meut toujours, ce qui est parfois immobile et ce qui est parfois. Mais ce troisième cas ne peut être un intermédiaire car ce qui est parfois est identique à ce qui se meut parfois dont nous avons dit qu’il est un des extrêmes. De la même manière ce qui est parfois immobile ne peut non plus être un intermédiaire. Il est impossible en effet qu’il existe quelque chose de tel : rien en effet ne cesse d’exister si ce n’est au moyen d’un changement et c’est pourquoi ce qui est immobile ne peut  être parfois un être mais il est toujours un être. Il reste donc que l’intermédiaire entre ce qui est toujours immobile et ce qui est parfois mobile est ce qui est toujours mobile. Ce dernier cas en effet ressemble à l’extrême supérieur en ceci qu’il existe toujours mais à l’extrême inférieur en ceci qu’il se meut. On use cependant du nom de génération dans un sens large pour signifier n’importe quel changement car la génération et la corruption sont compris dans n’importe quel mouvement comme le dit le Philosophe au huitième livre de la Physique. Ainsi donc les substances qui sont toujours en mouvement, à savoir les corps célestes, se trouvent à toucher chacun des extrêmes par une certaine ressemblance ; et c’est par eux que sont jointes en quelque sorte les substances supérieures immobiles aux substances inférieures sujettes à la génération et corruptibles, c’est-à-dire pour autant que la puissance des substances supérieures se rapporte aux substances corruptibles et sujettes à la génération par le mouvement des corps célestes. Et à partir de là il tire par la suite un corollaire, à savoir qu’il y a deux sortes de perpétuité ou de durée perpétuelle : la première qui se présente à la manière de l’éternité et l’autre à la manière de la totalité du temps et ces deux sortes de durée perpétuelle diffèrent de trois manières :  premièrement parce que la perpétuité éternelle est fixe, stable et immobile alors que la perpétuité temporelle est coulante et mobile pour cette raison que le temps est la mesure du mouvement et que l’éternité se prend comme la mesure de l’être immobile ; deuxièmement parce que la perpétuité éternelle est entière, simultané et comme rassemblée dans l’unité alors que la pertétuité temporelle possède une extension successive selon l’avant et l’après qui font partie de la définition du temps ; troisièmement parce que la perpétuité éternelle est simple et existe en elle-même en totalité alors que l’universalité ou la totalité de la perpétuité temporelle existe selon différentes parties qui se succèdent les unes aux autres.

 

Lectio 31

[84266] Super De causis, l. 31 In praecedenti propositione manifestatus est ordo temporalium ad invicem, hic autem manifestatur ordo aeternorum ad invicem. Et primo ponitur inter aeterna aliquid quod est omnimodo aeternum et aliquid quod est quodammodo aeternum et quodammodo temporale. Secundo manifestatur conditio eius quod est quodammodo aeternum et quodammodo temporale, 32 propositione, ibi: omnis substantia et cetera. Circa primum ponitur talis propositio: inter rem cuius substantia et actio sunt in momento aeternitatis et inter rem cuius substantia et actio sunt in momento temporis existens est medium, et est illud cuius substantia est ex momento aeternitatis et operatio ex momento temporis. Et videtur hic sumi momentum aeternitatis vel temporis pro mensuratione, ut scilicet illud dicatur esse in momento aeternitatis quod aeternitate mensuratur, et in momento temporis quod tempore mensuratur. Haec etiam propositio ponitur CVI in libro Procli, sub his verbis: omnis eius quod omniquaque aeternale est secundum substantiam et operationem, et eius quod substantiam habet in tempore, medium est quod hac quidem aeternale est, hac autem tempore mensuratur. Posset autem alicui videri quod hoc medium sit corpus caeleste, quod quidem secundum substantiam suam incorruptibile est, sed motus eius tempore mensuratur. Sed hoc non bene dicitur. Nam in praecedenti propositione illud quod semper movetur positum est simpliciter inter temporalia. Ut enim in IV physicorum philosophus dicit: sicut tempus mensurat motum, ita nunc temporis mensurat mobile. Unde corpus caeleste quod movetur, non est in momento aeternitatis, sed in momento temporis. Et praeterea motus non est actio eius. Quod movetur, sed magis passio: est autem actio moventis, ut dicitur in III physicorum. Principium autem motus est anima, ut in 2 propositione habitum est. Quia ergo anima nobilis secundum se est immobilis, actio autem eius est motus, consequens est ut anima secundum suam substantiam sit in momento aeternitatis, eius vero actio sit in tempore. Corporis vero quod movetur et substantia et operatio est in tempore; intelligentiae vero et substantia et actio est in momento aeternitatis. Huius autem propositionis probatio est similis probationi praemissae propositionis. Supra enim dictum est quod gradus entium continuantur sibi invicem secundum quamdam similitudinem; unde ea quae sunt totaliter dissimilia consequuntur se invicem in ordine rerum per aliquod medium quod habet similitudinem cum utroque extremorum. Res autem illa cuius substantia et actio est in tempore, totaliter dissimilis est illi cuius substantia et actio est in aeternitate, ergo necesse est ut inter eas sit tertia res media, vel ita quod substantia eius cadat sub aeternitate et actio sub tempore, vel e converso. Sed hoc esse non potest quod alicuius rei substantia sit in tempore et actio in aeternitate, quia sic actio esse altior et melior quam substantia et effectus quam causa, quod est impossibile. Relinquitur ergo quod illa res media sit secundum substantiam suam in momento aeternitatis et secundum operationem in tempore. Et hoc est quod probare intendimus.

31) Entre une chose dont la substance et l'activité sont dans le moment de l'éternité et une chose dont la substance et l'activité sont dans le moment du temps, il existe un intermédiaire : ce dont la substance relève du moment de l'éternité, et l'opération du moment du temps.

 

On a manifesté dans la proposition précédente l'ordre des réalités temporelles entre elles, alors qu’ici l'auteur manifeste l'ordre des réalités éternelles entre elles. Et en premier lieu il présente, parmi ce qui est éternel, ce qui est éternel absolument, puis ce qui est éternel sous un rapport et temporel sous un autre rapport. En deuxième lieu il manifeste à la proposition 32 une condition de ce qui est en partie éternel et en partie temporel, où il dit : toute substance etc.

Au sujet du premier point il présente cette proposition : il existe un intermédiaire entre la chose dont la substance et l’action sont dans le moment de l’éternité et la chose dont la substance et l’action sont dans le moment du temps, et c’est la réalité dont la substance se tire du moment de l’éternité et l’opération du moment du temps. Et ici le moment de l’éternité ou du temps semble être pris à titre de mesure, c’est-à-dire de telle manière que ce qu’on dit être dans le moment de l’éternité est ce qui est mesuré par l’éternité et que ce qu’on dit être dans le moment du temps est ce qui est mesuré par le temps. Ce même énoncé est prosenté en ces termes à la proposition 106 du livre de Proclus : entre ce qui est absolument éternel selon la substance et l’opération et ce qui possède une substance qui est dans le temps, il y a un intermédiaire qui d’un côté est éternel mais d’un autre côté est mesuré par le temps. Certains pourraient cependant croire que cet intermédiaire est le corps céleste, lui qui est certes incorruptible quant à sa substance alors que son mouvement est mesuré par le temps. Mais ce serait à tort. Car dans la proposition précédente ce qui se meut toujours est présenté simplement comme existant parmi les réalités temporelles. En effet, comme le Philosophe le dit au quatrième livre de la Physique : tout comme le temps mesure le mouvement, de même l’instant du temps mesure le mobile. D’où il s’ensuit que le corps céleste qui est mû n’est pas dans le moment de l’éternité mais dans le moment du temps. Et en outre le mouvement n’est pas action de ce qui est mû mais plutôt sa passion, alors qu’il est l’action du moteur comme le dit le Philsosophe au troisième livre de la Physique. Or le principe du mouvement est l’âme, ainsi que cela a été établi à la proposition 2. Donc, parce que l’âme supérieure est en elle-même immobile mais que son action est le mouvement, il s’ensuit que l’âme est dans le moment de l’éternité quant à sa substance mais que son action est dans le temps ; mais pour l’intelligence, c’est à la fois la substance et l’action qui est dans le moment de l’éternité. Cependant la preuve de cette proposition est semblable à celle de la proposition précédente. Il a été dit plus haut en effet que les degrés des êtres se suivent les uns les autres selon une certaine ressemblance ou similitude ; d’où il faut que les réalités qui sont totalement dissemblables se suivent les unes les autres dans l’ordre des choses au moyen d’un intermédiaire qui possède une ressemblance avec chacun des extrêmes. Mais ces réalités dont la substance et l’action sont dans le temps sont totalement dissemblables de celles dont la substance et l’action sont dans l’éternité, et il est donc nécessaire qu’il y ait entre elles une troisième sorte de réalité qui soit intermédiaire, soit de telle manière que sa substance tombe sous l’éternité et son action sous le temps, soit inversement. Mais il est impossible pour une même chose que sa substance soit dans le temps et son action dans l’éternité, car alors son action serait supérieure à sa substance et meilleure qu’elle, et ainsi l’effet serait supérieur à sa cause, ce qui est impossible. Il reste donc que cette réalité doit être intermédiaire quant à sa substance dans le moment de l’éternité et selon son opération dans le temps. Et c’est ce que nous cherchions à prouver.

 

Lectio 32

[84267] Super De causis, l. 32 Quia in praecedenti propositione probatum est esse aliquam rem cuius substantia est in aeternitate et actio in tempore, consequenter huiusmodi substantiae conditionem ostendit in hac ultima propositione, dicens: omnis substantia cadens in quibusdam suis dispositionibus sub aeternitate et cadens in quibusdam suis dispositionibus sub tempore est ens et generatio simul. Et haec eadem propositio ponitur CVII in libro Procli, sub his verbis: omne quod hac quidem aeternale hac autem temporale, et ens est simul et generatio. Ad huius autem propositionis manifestationem tria facit. Primo praemittit probationem propositionis inductae, quae quidem tota dependet ex significatione nominum. Quia enim aeternitas est tota simul, carens successione praeteriti et futuri, ut supra habitum est, id quod est in aeternitate dicitur ens, quia semper est in actu. Tempus autem consistit in successione praeteriti et futuri, unde id quod est in tempore est quasi in fieri, quod significat nomen generationis. Quod ergo est totaliter in aeternitate, est totaliter ens; quod autem est totaliter in tempore, est totaliter generatio. Quod vero est secundum aliquid in tempore et secundum aliquid in aeternitate, est simul ens et generatio. Secundo ibi: iam ergo manifestum est etc., inducit quoddam corollarium. Est enim talis dispositio entium quod inferiora a superioribus dependent. Unde necesse est quod id quod est totaliter generatio, quasi substantiam et operationem habens in tempore, dependeat ab eo quod est simul ens et generatio, habens substantiam in aeternitate et operationem in tempore. Hoc autem necesse est quod dependeat ab eo quod est totaliter in aeternitate secundum substantiam et operationem; et hoc ulterius dependeat ab ente primo quod est supra aeternitatem, quod est principium durationis rerum omnium et sempiternarum et corruptibilium. Tertio ibi: necessarium est unum faciens etc., ostendit quod ab isto uno primo omnia dependeant. Et ad intellectum huius quod hic dicitur, sumenda est CXVI propositio Procli, quae talis est: omnis Deus participabilis est, excepto uno. Quae quidem propositio ponitur ab eo ad ostendendum quomodo Platonici ponebant plures deos. Non enim ponebant omnes ex aequo, sed unum ponebant primum, qui nihil participabat, sed est essentialiter unum et bonum; alios vero deos ponebant inferiores participantes ipsum unum et bonum. Et huius probationem inducit quia de primo et supremo Deo manifestum est quod nihil participat, alioquin non esset prima causa omnium; semper enim participans praesupponit aliquid prius quod est per essentiam. Sed quod omnes alii dii sint participantes, probat per hoc quia si primus Deus est unum essentialiter et non participative, aut aliquis aliorum deorum est similiter unum et sic in nullo differt a primo, aut oportet quod sit unum participative. Si enim ipsum unum est essentia primi, oportet quod si aliquid ab eo differat, quasi secundum post ipsum existens, non sit tale quod essentia eius sit ipsum unum, sed sit participans unitatem. Et hoc est quod hic proponitur, quod necesse est ponere unum primum faciens adipisci unitates, id est a quo participant unitatem quaecumque sunt unum, et ipsum non adipiscitur, id est non participat unitatem ab aliquo alio. Et huius quidem probatio inducitur quae praemissa est.

32) Toute substance tombant sous l'éternité en certaines de ses dispositions et sous le temps en certaines autres, est à la fois être et génération.

 

Parce qu'on a prouvé dans la proposition précédente qu'il existe une réalité dont la substance est dans l'éternité et l'action dans le temps, l'auteur manifeste par la suite, dans cette dernière proposition, la nature d’une telle substance en disant : toute substance qui tombe sous l'éternité quant à certaines de ses dispositions et sous le temps quant à certaines autres, est simultanément être et génération. Et cette même proposition se retrouve en ces termes dans le livre de Proclus à la proposition 107 : tout ce qui est à la fois éternel sous un rapport et temporel sous un autre est simultanément être et génération.

Mais pour manifester cette proposition l'auteur fait trois choses. En premier lieu il avance la preuve de la proposition présentée, laquelle dépend en totalité de la signification des noms. En effet, parce que l’éternité est tout entière simultanée, étrangère à toute succession du passé et de l’avenir comme il a été établi plus haut, ce qui est dans l’éternité est appelé ¨être¨ parce qu’il est toujours en acte. Mais le temps consiste dans la succession du passé et de l’avenir, d’où il suit que ce qui est dans le temps est comme dans le devenir, ce que signifie le nom ¨génération¨. Donc ce qui est en totalité dans l’éternité est en totalité de l’être ; mais ce qui est en totalité dans le temps est en totalité dans la génération ou le devenir. Mais ce qui est en partie dans l’éternité et en partie dans le temps est simultanément être et génération.

Deuxièmement, où il dit : il est donc déjà manifeste etc., il présente un corollaire. En effet, les êtres sont disposés les uns à l’égard des autres de telle manière que les inférieurs dépendent des supérieurs. C’est pourquoi il est nécessaire que les substances qui sont en totalité génération, parce qu’elles ont à la fois leur substance et leur opération dans le temps, dépendent de celles qui sont simultanément être et génération, à savoir celles qui possèdent leur substance dans l’éternité et leur opération dans le temps. Mais il est nécessaire que ces dernières substances dépendent de celles qui sont en totalité dans l’éternité, c’est-à-dire à la fois selon la substance et l’opération ; et ces dernières à leur tour dépendent de l’Être premier qui est au-dessus de l’éternité et qui est le principe de la durée  pour tous les êtres, à la fois pour ceux qui sont éternels et pour ceux qui sont corruptibles.

Et en troisième lieu, là où il dit : et il est nécessaire que l’un fasse etc., il montre qu’il est nécessaire que tous les êtres dépendent de cet Un premier. Et pour comprendre ce qui est dit ici, il faut examiner cette proposition 116 du livre de Proclus que voici : tout dieu est participable, sauf l’Un. Et il présente cette proposition montrer en quel sens les Platoniciens posaient plusieurs dieux. En effet, ils n’affirmaient pas qu’ils sont tous égaux, mais plutôt que l’un d’eux est le premier, qui ne participe de rien et qui est essentiellement l’Un et le Bien, et que les autres dieux sont inférieurs et participent de l’Un et du Bien. Et l’auteur en avance la preuve en disant qu’il est manifeste que ce Dieu premier et suprême ne participe de rien car autrement il ne serait pas la cause première de tous les êtres ; en effet, tout être qui participe présuppose un quelque chose qui lui est antérieur et qui existe par essence et non par participation. Mais que tous les autres dieux soient des ¨participants¨, il le prouve par ceci que si le Dieu premier est un essentiellement et non par participation, ou bien un des autres dieux est un de la même manière et alors il ne diffère en rien de celui qui est le Premier, ou bien il faut qu’il soit un par participation. Si en effet l’Un lui-même est l’essence même de ce qui est premier, il faut que, si quelque chose en diffère comme un être second existant après lui, ce quelque chose ne soit pas tel que son essence soit l’Un lui-même mais plutôt qu’il participe de l’Un. Et c’est ce que l’auteur affirme ici, à savoir qu’il est nécessaire de soutenir que l’Un premier est celui qui fait acquérir les unités, c’est-à-dire que c’est par Lui que tout ce qui est un participe de l’Unité, et que Lui-même n’acquiert pas, c’est-à-dire qu’Il ne participe pas d’une unité qui procède d’un autre. Et ce qui le prouve, c’est certes ce qui vient d’être avancé.

 

 

 

 

Et sic terminatur totus liber de causis. Sint gratiae Deo omnipotenti, qui est prima omnium causa.

C’est ainsi que s’achève tout le Livre des causes. Rendons grâces au Dieu tout-puissant qui est la cause première de tout.

 



[1] Les traducteurs ont pris pour texte de base l'édition critique de H.-D. Saffrey, Sancti Thomae de Aquino super Librum de causis expositio, Fribourg, 1954; reed. Paris, Vrin, 2002. Les rares fois où ils ont préféré les choix de l'édition Marietti (1955) établie par Pera, ils le précisens. Quant à la traduction française du Liber de Causis, c'est celle de La demeure de l'être. Autour d'un anonyme. Etudes et traduction du Liber de Causis, trad. P. Magnard, O. Boulnois, B. Pinchard et J. -L. Solere, Paris, Vrin, 1990. Le texte latin de cette version numérique est celui du Père  Busa (consulter le site http://www.corpusthomisticum.org du professeur Enrique Alarcón.

[2] Eléments, prop. 57.

[3] Cf. 3, 736 a 2.

 

[4] Imprimere, c'est imprimer au sens de communiquer une impression.

 

[5] Les noms divins, I, § 5, 593 C.