RÉPONSE A 36 QUESTIONS DU LECTEUR DE VENISE

PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

DOCTEUR DES DOCTEURS DE L'ÉGLISE

(écrit authentique)

 

Editions Louis Vivès, 1857

Entièrement reprise et corrigée par Georges Comeau, 2009

Deuxième édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2009

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

INTRODUCTION_ 3

I QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIÈRE_ 3

Article 1  Les anges sont-ils les moteurs des corps célestes ?_ 3

Article 2  Quelques auteurs ont-ils pensé que cette assertion a été prouvée de façon infaillible ?  4

Article 3  Les anges meuvent-ils les corps célestes par leur commandement, en vertu du pouvoir que Dieu leur a donné ?_ 4

Article 4  Les anges qui gouvernent les corps célestes appartiennent-ils au choeur des Vertus ?  5

Article 5  Un ange peut-il, par son commandement, soulever le globe entier de la terre jusqu’à la lune ?  6

Article 6  Peut-on raisonnablement expliquer les paroles de de 1’Ecclésiaste, L’esprit se promène en rond (Qo 1, 6), au sens où l’esprit angélique fait sa ronde par l’activité dans laquelle il imprime au ciel un mouvement circulaire ?  6

Article 7  L’ange a-t-il une puissance infinie ici-bas ?_ 7

Article 8  Les anges sont-ils la cause de toutes les choses qui sont engendrées ou se corrompent naturellement en ce monde ?_ 7

Article 9  Les anges sont-ils ceux qui font tous les corps composés de façon naturelle, qu’ils soient humains ou autres ? En effet, causer quelque chose à partir de quelque chose, c’est faire. 8

Article 10  Un ouvrier serait-il incapable de manier naturellement le marteau ou de faire autre chose naturellement si les anges ne mouvaient pas les corps célestes ?_ 9

II QUESTIONS SUR LES SPHÈRES CÉLESTES 10

Article 11  Si le mouvement des corps célestes cessait, tous les corps corruptibles composés d’éléments se sépareraient-ils instantanément en ces éléments ?_ 10

III QUESTIONS SUR L'ACTION DE DIEU_ 11

Article 12  Après l’oeuvre des six jours, Dieu aucun corps n’a-t-il été mû immédiatement par Dieu ?  11

Article 13  Dieu peut-il ou veut-il mouvoir certains corps immédiatement et par lui-même ?  11

Article 14  Si les étoiles perdaient leur lumière et si les corps célestes cessaient de se mouvoir, tous les animaux corruptibles mourraient-ils à l’instant ?_ 12

Article 15  Dieu fait-il des miracles par le ministère des anges ?_ 12

Article 16  Dieu accomplit-il non seulement certains es miracles, mais tous les miracles par le ministère des anges, qu’il soit visible ou non ?_ 13

Article 17  La divinité faisait-elle des miracles dans le Christ par autorité, et son humanité faisait-elle ces miracles en tant que subordonnée ?_ 13

Article 18  Tous les miracles accomplis par le ministère d’une créature sont-ils produits par l’autorité de Dieu, c’est-à-dire sa puissance, sans laquelle rien ne peut être fait ?_ 13

IV QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS 14

Article 19  Après le jour du jugement, les corps des saints seront-ils incorruptibles de trois manières, c’est-à-dire par un bienfait de la justice divine, par un effet de la gloire éternelle, ou par nature ou naturellement ?  14

Article 20  Après le jour du jugement, les corps des damnés seront-ils incorruptibles de deux manières, par la justice divine et par nature, ou naturellement ?_ 15

Article 21  Quand les corps des damnés seront dans l’enfer, seront-ils passibles, et souffriront-ils du feu de l’enfer en recevant l’espèce du feu de l’enfer d’une manière douloureuse ou blessante ?_ 15

Article 22  Est-il permis de disputer, dans les écoles, si l’âme de Jésus-Christ et toutes les autres âmes raisonnables ont été faites par transmission héréditaire ?_ 16

V LE MOTIF DE LA REDEMPTION_ 16

Article 23  Le Christ n’est-il surtout venu sur la terre que pour effacer le péché originel ?_ 16

VI ESCHATOLOGIE_ 17

Article 24  L’enfer est-il au centre ou autour du centre de la terre ?_ 17

Article 25  Peut-on savoir la distance qu’il y a de la surface de la terre à l’enfer, étant admis que l’enfer soit au centre ou autour du centre de la terre ?_ 18

VII Philosophie du vivant 18

Article 26  L’énoncé [d’Aristote]  « La matière du sperme, avec laquelle sort l’esprit qui est la vertu du principe de l’âme, est séparée du corps et est une chose divine appelée intelligence », peut-il ou doit-il être expliqué au sens où cet esprit ou cette puissance formatrice est appelé intelligence par analogie, parce que, comme l’intelligence, il agit sans organe ?_ 18

VIII ESCHATOLOGIE (SUITE) 19

Article 27  Peut-on croire sans danger qu’après la résurrection générale, la lune aura autant d’éclat que le soleil actuel, que le soleil aura sept fois plus d’éclat que maintenant, et que les corps des bienheureux auront sept fois plus d’éclat que le soleil ?_ 19

Article 28  Est-il vrai qu’une chose entre dans la composition d’une autre de deux façons ? L’une d’elles serait par essence, en tant que principe matériel et formel ; et ainsi, rien de la nature du corps céleste n’entre en aucune façon dans la composition du corps humain ou d’autres corps mixtes. L’autre serait d’entrer dans la composition d’une chose par un effet de sa puissance, et de cette façon, la nature du corps céleste entre dans la composition du corps humain et de tous les corps mixtes. 19

QUESTIONS 29 et 30  Les anges, sans gémir ni verser de larmes, se comportent-ils à la manière de ceux qui sont dans la douleur ?_ 20

IX QUESTIONS SUR L'EUCHARISTIE_ 20

Article 31  Après la transsubstantiation de la substance du pain en la substance du Corps de Jésus-Christ, cette dernière demeure-t-elle naturellement et sans miracle dans ce sacrement, sous les espèces de l’hostie, puisque rien n’empêche cette substance, en tant que substance, d’avoir de grandes ou de petites dimensions ?  20

Article 32  Les dimensions propres du Corps du Christ et les dimensions du pain qui persistent sont-elles inégales ?  21

Article 33  Est-il vrai que le Corps du Christ dans ce sacrement ne se trouve pas dans un lieu ?  22

Article 34  Est-il vrai que, lorsqu’on déplace l’hostie, le Corps du Christ dans le sacrement ne se meut pas ?  22

Article 35  Les espèces sacramentelles, demeurant sans sujet, peuvent-elles agir naturellement et être sujettes au changement et à la corruption, comme auparavant ?_ 23

X La connaissance des démons 23

Article 36  Les démons peuvent-ils connaître toutes les pensées du coeur qui comportent des images dans l’imagination ou qui sont accompagnées de passions corporelles ?_ 23

 

 

 

Textum Taurini 1954 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Traduction par Georges Comeau, 2009

Texte édité à Turin en 1954 et copié par machine sur bandes magnétiques par Roberto Busa, S.J., puis relu et programmé par Enrique Alarcon.

Prooemium

INTRODUCTION

 [70541] De 36 articulis, pr. Lectis litteris vestris, in eis inveni articulorum multitudinem numerosam, super quibus a me responderi infra quatriduum vestra caritas postulabat. Et quamvis essem in aliis plurimum occupatus, ne tamen deessem vestrae dilectionis obsequio, dilatis parumper aliis quibus me intendere oportebat, quaestionibus a vobis propositis proposui per singula respondere.

J’ai trouvé dans les lettres que vous m’avez écrites une foule de demandes auxquelles votre charité me prie de répondre d’ici quatre jours. Quoique je sois surchargé d’occupations, pour éviter de mal répondre à votre affection, laissant de côté pour un peu de temps mes autres obligations, j’ai voulu répondre à vos questions une par une.

 

 

 

I ─ QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIÈRE

Articulus 1

[70542] De 36 articulis, a. 1 arg. Primus articulus est quod Angeli sunt motores caelestium corporum.

Article 1 ─ Les anges sont-ils les moteurs des corps célestes ?

 

 [70543] De 36 articulis, a. 1 ad arg. Super quo duxi taliter respondendum quod hoc non solum a philosophis multipliciter est probatum, verum etiam a sacris doctoribus evidenter asseritur. Dicit enim Augustinus in 3 de Trinitate, quod sicut corpora grossiora et inferiora per subtiliora et superiora quodam ordine reguntur, ita omnia corpora per spiritum vitae rationalem. In libro etiam L33 quaestionum dicit: unaquaeque res visibilis in hoc mundo habet potestatem angelicam sibi praepositam. Gregorius etiam dicit in IV dialogorum quod in hoc mundo visibili nihil nisi per creaturam invisibilem disponi potest.

J’ai considéré qu’il fallait répondre que non seulement cela est prouvé de plusieurs manières, par les philosophes, mais c’est affirmé positivement par les saints docteurs. Saint Augustin dit en effet, dans le livre 3 du traité De la Trinité, que « de même que les corps grossiers et inférieurs sont tenus dans un certain ordre par les corps supérieurs plus subtils, de même tous le sont par un esprit de vie doué de raison ». Il dit aussi, au livre des Quatre-vingt-trois questions, que « toute chose visible en ce monde a été confiée au pouvoir des anges ». Saint Grégoire dit, au livre IV des Dialogues, que « dans ce monde visible rien ne peut être disposé que par une créature invisible.»

Articulus 2

[70544] De 36 articulis, a. 2 arg. Secundus articulus est quod aliqui estimaverunt semper infallibiliter hoc esse probatum.

 

Article 2 ─ Quelques auteurs ont-ils pensé que cette assertion a été prouvée de façon infaillible ?

 

 

 

 [70545] De 36 articulis, a. 2 ad arg. Ad hoc respondeo quod libri philosophorum hujusmodi probationibus abundant, quas ipsi demonstrationes putant; mihi igitur videtur quod demonstrative probari potest quod ab aliquo intellectu corpora caelestia moveantur, vel a Deo immediate vel mediantibus Angelis; sed quod mediantibus Angelis ea moveat, magis congruit ordini rerum, quem Dionysius infallibilem asserit, ut inferiora a Deo per media secundum cursum communem administrentur.

Je réponds que les écrits des philosophes sont remplis de telles preuves, qu’ils considèrent être des démonstrations. Quant à moi, il me semble qu'on peut prouver par démonstration que les corps célestes sont mus par une intelligence, que ce soit par Dieu immédiatement ou par l’intermédiaire des anges. Leur médiation est plus conforme à l’ordre des choses, que Denys appelle infaillible, à savoir que les réalités inférieures, dans le cours ordinaire des choses, sont gouvernées par Dieu à travers des intermédiaires.

 

 

Articulus 3

[70546] De 36 articulis, a. 3 arg. Tertius articulus est quod Angeli movent caelestia corpora suo imperio, potestate sibi a Deo tradita.

 

Article 3 ─ Les anges meuvent-ils les corps célestes par leur commandement, en vertu du pouvoir que Dieu leur a donné ?

 

 [70547] De 36 articulis, a. 3 ad arg. Super quo quid dubium esse possit, plene non video. Non enim aestimo aliquem dubitare quin omne quod Angeli faciunt, operentur potestate a Deo donata. Si vero hoc convertatur in dubium quod dicitur eos movere caelestia corpora suo imperio, irrationabilis dubitatio videtur. Non enim possunt movere aliquod corpus per contactum quantitatis, cum sint incorporei, sed per contactum virtutis. Nihil autem est altius in Angelis quam eorum intellectus, cum et ipsi a Dionysio intellectus vel mentes nominentur: unde eorum motiones a virtute intellectus procedunt. Ipsa autem conceptio intellectus, secundum quod habet efficaciam aliquid transmutandi, imperium nominatur; unde si movent, nullo modo nisi per imperium movere possunt.

 

 

Je ne vois pas clairement comment il peut y avoir un doute sur cette question. Personne, je pense, ne doutera que tout ce que font les anges, ils le font en vertu d’un pouvoir donné par Dieu; et si on met en doute qu’ils meuvent les corps célestes par leur commandement, ce doute semble déraisonnable. Car étant des substances incorporelles, ils ne peuvent mouvoir un corps par un contact quantitatif, mais par le contact de leur puissance. Mais les anges n’ont rien de plus élevé que leur intelligence, car Denys les appelle intelligences ou esprits; donc leurs mouvements procèdent d’une puissance de leur intelligence. Or, la conception de l’intelligence, en tant qu’elle a le pouvoir de transformer quelque chose, s’appelle commandement; donc, si les anges meuvent les astres, ils ne le peuvent pas le faire autrement que par un commandement.

 

 

Articulus 4

[70548] De 36 articulis, a. 4 arg. Quartus articulus est quod Angeli moventes corpora caelestia sint de ordine virtutum.

 

Article 4 ─ Les anges qui gouvernent les corps célestes appartiennent-ils au choeur des Vertus ?

 

 [70549] De 36 articulis, a. 4 ad arg. Hoc quidem et mihi videtur: praecipue si ordo virtutum dicatur medius ordo secundae hierarchiae, ut Dionysius vult. Hic enim ordo primum locum tenet inter exequentes exteriora ministeria: unde et Dionysius dicit V3 cap. caelestis hierarchiae quod nomen virtutum ostendit divinam quandam et inconcussam fortitudinem ad omnes deiformes operationes. Nihil autem in exterioribus ministeriis majus esse videtur quam dispositio universalium causarum: unde maxime videtur administratio caelestium corporum ad ordinem virtutum pertinere. Unde Origenes exponens illud Matth. 2IV, 29 virtutes caelorum commovebuntur, dicit quod conveniens est caelorum rationabiles virtutes pati stuporem, remotas scilicet a primis functionibus suis. Hoc tamen omnino asserendum non videtur.

C’est ce qu’il me semble, surtout si le chœur des Vertus est à l’échelon du milieu de la seconde hiérarchie, comme le veut Denys. Car ce choeur tient le premier rang parmi les anges qui exercent des ministères ordonnés vers l’extérieur; c’est pourquoi Denys affirme, au chapitre V3 de la Hiérarchie céleste, que « le nom même de Vertu signifie la puissance céleste et invincible d’accomplir toutes les oeuvres d’aspect divin ». Or, rien ne paraît plus élevé dans les ministères extérieurs que la disposition des causes universelles; c’est pourquoi la direction des corps célestes semble appartenir surtout au chœur des Vertus. De là vient qu’Origène, en expliquant Mt 24, 9 (les Vertus des cieux seront ébranlées), affirme : « Il est convenable que les Vertus raisonnables des cieux soient frappées de stupeur en se voyant écartées de leurs premières fonctions. » Cependant, il ne me semble pas qu’on puisse affirmer cela de façon catégorique.

 

 

Articulus 5

[70550] De 36 articulis, a. 5 arg. Quintus articulus est quod Angelus suo imperio potest movere totam molem terrae usque ad globum lunae.

 

Article 5 ─ Un ange peut-il, par son commandement, soulever le globe entier de la terre jusqu’à la lune ?

 

 [70551] De 36 articulis, a. 5 ad arg. Istud enim asserendum non videtur. Virtutes enim creaturarum se extendunt ad naturales effectus: et ideo Angeli caelestia corpora movere possunt secundum motus convenientes naturis eorum; aliis autem motibus ea movere non possent secundum propriam virtutem, sed hoc divinitus miraculose fieri potest. Potest autem fieri non solum virtute Angeli, sed etiam virtute hominis quod aliqua pars terrae per violentiam sursum feratur: sed quod totum unum elementum extra suum ordinem naturalem ponatur, non credo subjacere angelicae potestatI : et quod virtus Angeli sit infinita inferius, non est sic intelligendum quod non determinetur ad determinatos effectus, sed quia in suis effectibus producendis non patitur lassitudinem aut defectum.

Il ne me semble pas qu’on puisse faire une telle affirmation. En effet, les forces des créatures se déploient vers des effets naturels; c’est pourquoi les anges peuvent imprimer aux corps célestes des mouvements qui conviennent à leur nature. Toutefois, ils ne peuvent pas leur imprimer d’autres mouvements par leur propre puissance, sinon miraculeusement et par la puissance divine. un ordre de Dieu. Il peut arriver, non seulement par la puissance d’un ange mais même par celle d’un homme, qu’une partie de la terre aille vers le haut par violence; mais je ne crois pas qu’il soit au pouvoir d’un ange qu’un élément tout entier se déplace hors de son cercle naturel. Quand on dit que la puissance des anges est infinie ici-bas, il ne faut pas prendre cela dans le sens qu’elle n’est pas orientée vers des effets déterminés, mais au sens où, en produisant ses effets, elle n’éprouve aucune lassitude et ne fait jamais défaut.

 

 

Articulus 6

[70552] De 36 articulis, a. 6 arg. Sextus articulus est quod id quod dicitur Eccle. I, 6: in circuitu pergit spiritus, potest sane ita exponI : spiritus angelicus pergit in circuitu, scilicet per operationem, qua movet caelum secundum circulum.

 

Article 6 ─ Peut-on raisonnablement expliquer les paroles de de 1’Ecclésiaste, L’esprit se promène en rond (Qo 1, 6), au sens où l’esprit angélique fait sa ronde par l’activité dans laquelle il imprime au ciel un mouvement circulaire ?

 

 

 [70553] De 36 articulis, a. 6 ad arg. Non video quare non possit sane exponi, cum haec sententia vera sit secundum praedicta, et iste modus loquendi a consuetudine sacrae Scripturae non discrepet; sicut dicitur Roman. V3 quod spiritus interpellat, id est interpellare facit.

Je ne vois pas pourquoi cette explication ne serait pas raisonnable, puisque cette doctrine est vraie d’après ce qui précède et qu’elle ne s’écarte pas de la manière de parler ordinaire de l’Ecriture, d’après ce qui est écrit (Rm 8, 26) : L’esprit intercède, c’est-à-dire fait intercéder.

 

 

Articulus 7

[70554] De 36 articulis, a. 7 arg. Septimus articulus est quod Angelus habeat virtutem infinitam inferius.

 

Article 7 ─ L’ange a-t-il une puissance infinie ici-bas ?

 

 [70555] De 36 articulis, a. 7 ad arg. Hoc potest et bene et male intelligi. Si enim sic intelligatur quod Angelus habeat infinitam virtutem supra ea quae infra ipsum sunt, est falsus et erroneus intellectus; sic enim posset creare aliquid infra se, et convertere quodlibet in quodlibet, quod patet esse falsum. Est ergo sic intelligendum quod virtus Angeli consequitur naturam ipsius. Sicut ergo finitum et infinitum invenitur in natura ejus, ita et in virtute. Habet autem Angelus finitam naturam secundum operationem ad suum superius quod est Deus, qui est ens et bonum infinitum, cujus similitudo in Angelo participatur finite; cum tamen Angelus non habeat formam in materia, non limitatur vel contrahitur per aliquam naturam, sicut formae materiales. Unde virtus Angeli finita est secundum quod extenditur ad determinatos effectus, prout participat finite similitudinem primae causae; est tamen infinita quantum ad hoc quod non contrahitur virtus ejus ad agendum secundum exigentiam materiae vel organi corporalis, sicut formae materiales et corporeae, et hoc modo etiam dicendum est quod habet virtutem infinitam duratione ex parte post, quia potest in perpetuum durare ejus natura, non enim ejus duratio aliquo modo temporis mensuratur.

Cet énoncé peut être bien ou mal compris. En effet, si on le comprend au sens où les anges ont une puissance infinie sur ce qui leur est inférieur, c’est une interprétation fausse et erronée, car ils pourraient alors créer des êtres inférieurs et transformer n’importe quoi en n’importe quoi, ce qui est manifestement faux. Il faut donc comprendre cet énoncé au sens où la puissance des anges découle de leur nature. Alors, puisqu’on trouve le fini et l’infini dans leur nature, il en va de même pour leur puissance.

Or, l’ange a une nature finie dans son activité envers son supérieur, qui est Dieu, Être et Bien infini, à qui l’ange ressemble par une participation finie; cependant, puisque l’ange n’a pas une forme dans la matière, il n’est pas limité ou resserré par une nature, comme les formes matérielles. Il s’ensuit que la puissance des anges est finie en tant qu’elle vise des effets déterminés, du fait qu’elle participe de façon finie à la ressemblance de la cause première; mais leur puissance est infinie en ce qu’elle n’est pas restreinte à agir selon les exigences de la matière ou des organes corporels, comme les formes matérielles et corporelles. De cette façon, il faut également dire que l’ange a une puissance infinie dans sa durée à venir, car sa nature peut durer éternellement; en effet, sa durée n’est mesurée par aucun laps de temps.

 

 

Articulus 8

[70556] De 36 articulis, a. 8 arg. Octavus articulus est quod Angeli sunt causa omnium quae naturaliter generantur et corrumpuntur in hoc mundo.

 

Article 8 ─ Les anges sont-ils la cause de toutes les choses qui sont engendrées ou se corrompent naturellement en ce monde ?

 

 [70557] De 36 articulis, a. 8 ad arg. Hoc ex necessitate sequitur, si sunt causa motus caeli, qui est causa generationis et corruptionis in inferioribus corporibus ut Dionysius dicit IV cap. de Div. Nom. Quod enim est causa causae, est causa causati.

 

Cela est une conséquence nécessaire, s’ils sont la cause du mouvement du ciel, qui est la cause de la génération et de la corruption des corps inférieurs, comme l’affirme Denys au chapitre IV des Noms divins, car ce qui est cause de la cause est cause de l’effet.

 

 

 

Articulus 9

[70558] De 36 articulis, a. 9 arg. Nonus articulus est quod Angeli sunt factores omnium corporum naturaliter compositorum, sive humanorum, sive aliorum; quia causare aliquid ex aliquo est facere.

 

Article 9 ─ Les anges sont-ils ceux qui font tous les corps composés de façon naturelle, qu’ils soient humains ou autres ? En effet, causer quelque chose à partir de quelque chose, c’est faire.

 

 [70559] De 36 articulis, a. 9 ad arg. Hoc potest calumniam habere, eo quod verbo faciendi ut plurimum utimur in operibus artis, et non operibus naturae; non enim consuete dicitur quod pater facit filium; unde et secundum hunc modum loquendi philosophus dicit in VI Ethic. quod ars est recta ratio factibilium; et secundum hoc inconsuetum videtur quod Angeli vel caelestia corpora faciant corpora humana vel alia corpora composita naturaliter generata. Id enim videmur facere quod est in arbitrio nostro quale futurum sit; cujusmodi sunt corpora artis. Opera autem naturae non subsunt arbitrio naturalium causarum, sed consequuntur necessitatem ordinis naturalis subjectam arbitrio Dei instituentis naturam: unde facere effectus naturales magis solet attribui Deo. Invenitur tamen verbum faciendi attributum etiam causis naturalibus, secundum quod consuevit dici quod omne agens facit simile sibi; prout ignis dicitur calefacere, quod nihil est aliud quam facere calidum; et secundum istum modum loquendi dici posset quod corpora caelestia et etiam Angeli faciunt corpora composita inferiora. Sed in talibus sequendus est magis usus loquendi, quia secundum philosophum nominibus est utendum ut plures; quamvis vanum videatur contendere de nominibus, ubi constat de rebus.

Cette question peut être controversée du fait que la plupart du temps, nous employons le verbe « faire » pour les œuvres de l’art et non pour les œuvres de la nature. En effet, on n’a pas l’habitude de dire que le père fait son fils; c’est pourquoi le Philosophe, selon cette manière de parler, dit au livre VI de l’Éthique que l’art est la règle correcte des choses faisables, et en conséquence, il semble inusité de dire que les anges ou les corps célestes font les corps humains ou les autres corps composés qui sont engendrés naturellement. En effet, on voit que nous faisons ce qui est en notre pouvoir pour l’avenir, et c’est le travail de l’art. Par contre, les œuvres de la nature ne sont pas soumises au jugement des causes naturelles, mais elles découlent nécessairement de l’ordre naturel, soumis au vouloir de Dieu qui a institué la nature; c’est pourquoi il est plus courant d’attribuer à Dieu la production des effets naturels. Il arrive pourtant que le verbe « faire » soit appliqué aussi aux causes naturelles, comme on a l’habitude de dire que tout agent fait ce qui lui ressemble; ainsi, on dit que le feu réchauffe, ce qui est la même chose que faire du chaud. Selon cette manière de parler, on peut dire que les corps célestes, et aussi les anges, font les corps inférieurs composés. Mais dans de tels cas, il vaut mieux suivre l’usage le plus courant, car, d’après le Philosophe, il faut employer les mots les plus usuels; cependant, il semble bien inutile d’ergoter sur les mots, quand les choses sont évidentes.

 

 

Articulus 10

[70560] De 36 articulis, a. 10 arg. Decimus articulus est quod faber naturaliter non posset movere manum ad martellum vel aliud naturaliter operandum sine Angelis moventibus corpora caelestia.

 

Article 10 ─ Un ouvrier serait-il incapable de manier naturellement le marteau ou de faire autre chose naturellement si les anges ne mouvaient pas les corps célestes ?

 

 [70561] De 36 articulis, a. 10 ad arg. Hoc non habet explicitam veritatem. Manifestum est enim quod omnia corpora mixta conservantur in esse per motum corporum caelestium, ex hoc quod certo modo caelestis motus et conservantur et corrumpuntur et secundum aliquam elongationem vel appropinquationem aliquorum corporum caelestium generantur, conservantur et corrumpuntur. Si ergo sic intelligatur quod dictum est quod cessante motu caelestium corporum qui est per Angelos, corrumpentur humana corpora et fabrorum et martellorum et omnia corpora mixta secundum naturae ordinem nisi supernaturali virtute conservaretur in esse; veritatem habet quod dicitur; si enim corpus fabri dissolveretur, manifestum est quod non posset faber manum movere ad martellum. Si autem intelligamus quod supernaturali Dei virtute humana corpora conserventur etiam motu caeli cessante, convenienter oportet dicere quod remaneant corpora humana eamdem habitudinem habentia ad animas quam nunc habent vel etiam quod sint eis magis subjecta, unde sicut modo anima fabri potest movere manum ad martellum, ita etiam et cessante motu caeli si tamen sapientia divina hoc habeat quod martelli conserventur in illo statu sicut conservabuntur humana corpora quod tamen probabile non videtur, neque impedit quod dicitur de aeris divisione quia et si aer non sit corruptibilis motu caeli cessante, suam tamen naturam non perdet, secundum quam est facile divisibilis ratione suae humiditatis et subtilitatis, ita etiam ut instrumentum vocalis laudis esse possit.

La vérité de cet énoncé n’est pas claire. Il est évident, en effet, que tous les corps mixtes sont maintenus dans l’existence par le mouvement des corps célestes, car c’est parce que le ciel se meut d’une certaine façon qu’ils subsistent et se corrompent, et c’est à cause de l’éloignement ou du rapprochement de certains corps célestes qu’ils sont engendrés, subsistent et se corrompent. Si donc on prend cet énoncé au sens où, si le mouvement imprimé aux corps célestes par les anges cessait, les corps humains se corrompraient, ainsi que les ouvriers, les marteaux et tous les corps composés selon l’ordre de la nature, à moins que leur être ne soit conservé par une puissance surnaturelle, cet énoncé est vrai; il est évident en effet que si le corps de l’ouvrier se décomposait, sa main ne pourrait pas se tendre vers le marteau. Par contre, si notre interprétation est que, par la puissance surnaturelle de Dieu, les corps subsisteraient même si le mouvement du ciel avait cessé, il est convenable et obligatoire de dire que les corps garderaient avec leurs âmes le même rapport qu’ils ont actuellement, ou même qu’ils sont plus soumis à leurs âmes. C’est pourquoi, de même que maintenant l’âme de l’ouvrier peut mouvoir la main vers le marteau, elle le pourrait encore même si le mouvement du ciel cessait, pourvu que la sagesse divine dispose que les marteaux soient conservés dans leur état actuel aussi bien que les corps humains, ce qui ne semble cependant pas probable. Rien n’empêche de dire non plus, au sujet de la division de l’air, que si l’air n’était pas corruptible non plus après la cessation du mouvement du ciel, il ne perdrait quand même pas sa nature, qui le rend facilement divisible en raison de son humidité et de sa délicatesse, de sorte qu’il pourrait aussi être le transmetteur de la louange à haute voix.

 

 

 

II ─ QUESTIONS SUR LES SPHÈRES CÉLESTES

 

Articulus 11

[70562] De 36 articulis, a. 11 arg. Undecimus articulus est quod cessantibus motibus caelestium corporum, omne corpus elementatum corruptibile in elementa solveretur in momento.

 

Article 11 ─ Si le mouvement des corps célestes cessait, tous les corps corruptibles composés d’éléments se sépareraient-ils instantanément en ces éléments ?

 

 [70563] De 36 articulis, a. 11 ad arg. Hoc quidem aliquo modo intellectum credo esse verum, et aliquo modo falsum. Necesse est enim quod motus caeli, sicut et quilibet motus, cesset in momento quia ultimum instans temporis respondet ultimo instanti motus. Si ergo intelligatur corruptionem istorum corporum, vel resolutionem in elementa esse in instanti, quantum ad suum principium, verum est; si autem quantum ad suum terminum, falsum est. Corpora enim caelestia sunt causae causantes et conservantes sicut causae moventes, unde et corruptio et resolutio quae ex substractione talis causae accidit, oportet quod sit per motum. Nullius autem motus terminus et principium potest esse in eodem momento; sed omnis motus indiget aliquo tempore. Secus autem est de substractione conservationis divinae; quia enim ipse est essendi rebus, immobiliter operans, sicut in momento res in esse produxit creando et non tempore, ita ejus operatione cessante, res in momento esse deficerent, et non per aliquem motum.

Je crois que cette proposition est vraie ou fausse selon la manière de la comprendre. En effet, il est nécessaire que le mouvement du ciel, comme tout autre mouvement, cesse instantanément, car le dernier instant du temps correspond au dernier instant du mouvement. Si donc on veut dire que la corruption des corps, ou la séparation de leurs éléments, se fait instantanément, cela est vrai quant au début du changement mais faux quant à sa fin. En effet, les corps célestes causent l’existence et la conservation, ainsi que le mouvement, de sorte que la corruption et la séparation des corps provoquées par la suppression de cette cause doivent doit se faire dans un mouvement. Or, la fin et le début d’un mouvement ne peuvent jamais être au même moment, mais tout mouvement nécessite un certain temps. Il en va autrement si Dieu cesse de conserver les choses : en effet, il agit sur l’existence des choses en restant immobile, et de même qu’il a produit l’existence des choses par création en un instant et non dans le temps, de même, s’il cessait son opération, les choses cesseraient d’exister en un instant et non par suite d’un mouvement.

 

 

 

III ─ QUESTIONS SUR L'ACTION DE DIEU

Articulus 12

[70564] De 36 articulis, a. 12 arg. Duodecimus articulus est, quod post opera sex dierum nullum corpus Deus moverit immediate.

 

Article 12 ─ Après l’oeuvre des six jours, Dieu aucun corps n’a-t-il été mû immédiatement par Dieu ?

 

 [70565] De 36 articulis, a. 12 ad arg. Hoc verum est quantum ad illas corporis motiones quae per creaturam fieri possunt. Sunt enim aliquae corporis motiones quae nullo modo per creaturam fieri possunt, sicut quod corpora mortua reviviscant, quod caeci illuminentur et similia; et tales corporum transmutationes Deus immediate operatur quantum ad principalem effectum licet quantum ad aliquos effectus conjunctos non ministerium Angelorum.

Cela est vrai dans le cas des mouvements qui peuvent être imprimés aux corps par des créatures. En effet, certains mouvements corporels ne peuvent être produits en aucune façon par des créatures, comme quand les morts ressuscitent, les aveugles voient et des choses du genre : de telles transformations corporelles sont opérées immédiatement par Dieu quand à leur effet principal, même si certains effets connexes sont produits par le ministère des anges.

 

 

Articulus 13

[70566] De 36 articulis, a. 13 arg. Tertiusdecimus articulus est quod Deus non potest nec vult movere aliquod corpus immediate.

 

Article 13 ─ Dieu peut-il ou veut-il mouvoir certains corps immédiatement et par lui-même ?

 

 [70567] De 36 articulis, a. 13 ad arg. Iste articulus implicite proponitur. Ex una parte dicitur quod Deus sua virtute potest omne corpus immediate movere; quod non video quin repugnet ei quod dicitur, quod non potest corpus movere immediate, referatur ad hoc quod subditur. Ita quod movere quod est divisibile et mensuratum tempore sit actio Dei, quae est ejus essentia simplicissima; hoc enim Deus nec facere nec vult quod ejus actio quae est sua essentia sit divisibilis et tempore mensurata. Sed cum dicitur Deus movet aliquod corpus, per hoc verbum movet non importatur actio divisibilis et tempore mensurata, sed actio simplex, quae est sua essentia: nam non solum Deus sed etiam quilibet intellectus movet per imperium, ut supra dictum est. Imperium autem intellectus nihil est aliud quam conceptio effectus ordinata ad implendum. Velle autem et intelligere Dei non est aliud quam ejus essentia: unde sicut actio qua Deus creavit res, ita et actio qua Deus potest immediate movere corpus, nihil est aliud quam ejus intelligere et ejus velle.

Cette question est posée de façon complexe. D’une part, on dit que Dieu, par sa puissance, peut mouvoir tout corps immédiatement, et je ne vois pas comment cela n’est pas contraire au fait de dire qu’« il ne peut pas mouvoir un corps immédiatement », ce qui nous amène à considérer l’idée suivante : l’acte de mouvoir, qui est divisible et mesuré par le temps, est l’action de Dieu, qui est sa propre essence infiniment simple. En effet, Dien ne peut ni faire ni vouloir que son action, qui est son essence, soit divisible et mesurée par le temps. Mais quand on dit que Dieu meut un corps, le verbe « mouvoir » ne désigne pas une action divisible et mesurée par le temps, mais une action simple, qui est son essence; en effet, ce n’est pas seulement Dieu, mais aussi toute intelligence qui peut par commandement, comme je l’ai dit plus haut. Or, le commandement de l’intelligence n’est rien d’autre que la conception d’un effet qui est disposée vers l’accomplissement de cet effet. De plus, en Dieu, l’acte de vouloir et de comprendre n’est rien d’autre que son essence; il s’ensuit que l’action par laquelle Dieu peut mouvoir un corps immédiatement, tout autant que l’action par laquelle il a créé les choses, n’est rien d’autre que que son acte de vouloir et de comprendre.

 

 

Articulus 14

[70568] De 36 articulis, a. 14 arg. Quartusdecimus articulus est quod si nulla essent lumina stellarum, et nullus esset motus caelestium corporum, omnia animalia corruptibilia in momento morerentur.

 

Article 14 ─ Si les étoiles perdaient leur lumière et si les corps célestes cessaient de se mouvoir, tous les animaux corruptibles mourraient-ils à l’instant ?

 

 [70569] De 36 articulis, a. 14 ad arg. De hoc quid mihi videtur, supra dictum est. Mors enim est per separationem animae a corpore; quae non fit nisi per aliquam mutationem corporis a naturali dispositione, quae non potest esse in instanti tota, sed ejus causa et principium potest esse in instanti.

J’ai déjà dit ce que j’en pense, car la mort est la séparation de l’âme et du corps, qui ne se produit que par un changement où le corps perd sa disposition naturelle, changement qui ne peut être complet instantanément, bien que sa cause et son principe puissent être instantanés.

 

 

Articulus 15

[70570] De 36 articulis, a. 15 arg. Quintusdecimus articulus est quod Deus facit miracula ministerio Angelorum.

 

Article 15 ─ Dieu fait-il des miracles par le ministère des anges ?

 

 [70571] De 36 articulis, a. 15 ad arg. Hoc puto verum esse; ita tamen quod in omnibus miraculis operatio Angelorum se potest extendere ad principales effectus.

Je pense que c’est vrai, mais au sens où, dans tous les miracles, l’action des anges peut s’étendre jusqu’aux aux effets principaux.

 

 

Articulus 16

[70572] De 36 articulis, a. 16 arg. Sextusdecimus articulus est, quod Deus non tantum aliqua miracula sed etiam omnia miracula faciat ministerio Angelorum sive visibili.

 

Article 16 ─ Dieu accomplit-il non seulement certains es miracles, mais tous les miracles par le ministère des anges, qu’il soit visible ou non ?

 

 [70573] De 36 articulis, a. 16 ad arg. Et hoc etiam verum puto quantum ad aliquod Angelorum ministerium; ita tamen quod ministerium Angelorum non extendatur ad omnia quae fiunt in miraculo, sicut in praedictis exemplis patet, et in formatione corporis Christi ex virgine.

Je pense que cela aussi est vrai quant au fait que les anges exercent un certain ministère, mais de sorte que le ministère des anges n’accomplit pas tout ce qui se fait dans un miracle, comme il est évident pour les exemples précédents et pour la formation du corps du Christ dans le sein de la Vierge.

 

 

Articulus 17

[70574] De 36 articulis, a. 17 arg. Septimusdecimus articulus est quod divinitas in Christo faciebat miracula auctoritate, et humanitas in eodem faciebat eadem miracula ministerio.

 

Article 17 ─ La divinité faisait-elle des miracles dans le Christ par autorité, et son humanité faisait-elle ces miracles en tant que subordonnée ?

 

 [70575] De 36 articulis, a. 17 ad arg. Dicendum quod hoc verum est; nam divinitas Christi operabatur per humanitatem sicut per organum, ut Damascenus dicit. Eadem autem est in operando ratio organi et ministri, quia utrumque movet per hoc quod est ab alio motu.

Il faut affirmer que c’est vrai, car la divinité du Christ agissait par l’humanité comme par un instrument, comme le dit saint Jean Damascène. Or, l’instrument et le subordonné exercent la même fonction dans l’action, car les deux meuvent du fait qu’ils sont mus par un autre.

 

 

Articulus 18

[70576] De 36 articulis, a. 18 arg. Octavusdecimus articulus est quod omnia miracula quae fiunt ab aliqua creatura ministerio, fiunt auctoritate divina, id est per virtutem divinam, sine qua nihil fieri potest.

 

Article 18 ─ Tous les miracles accomplis par le ministère d’une créature sont-ils produits par l’autorité de Dieu, c’est-à-dire sa puissance, sans laquelle rien ne peut être fait ?

 

 [70577] De 36 articulis, a. 18 ad arg. Hoc verum est, si intelligatur de veris miraculis et dico vera miracula quae nulla naturali virtute alicujus creaturae perfici possunt. Sunt tamen aliqua miracula non simpliciter, sed quoad aliquos, qui eorum causas ignorant; sicut quaedam etiam arte humana facta, miracula ignorantibus artem videntur, et multo magis arte angelica, et talia possunt fieri virtute alicujus creaturae, licet non exclusa virtute divina.

 

Cela est vrai si on parle des vrais miracles, et j’appelle vrais miracles ceux qui ne peuvent jamais être accomplis par la puissance naturelle d’une créature. Cependant, certains faits sont des miracles, non de façon absolue, mais aux yeux de certains qui en ignorent la cause; ainsi, même certaines œuvres de la technique ou de l’art humains semblent être des miracles pour ceux qui ignorent ces techniques, et bien plus encore les œuvres des anges semblent miraculeuses; ces choses peuvent être accomplies par la puissance d’une créature, sans cependant en exclure l’intervention divine.

 

 

 

IV ─ QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS

Articulus 19

[70578] De 36 articulis, a. 19 arg. Nonusdecimus articulus est quod post diem judicii corpora sanctorum erunt incorruptibilia tribus modis; scilicet per divinam justitiam, item per gloriam, item per naturam sive naturaliter.

 

Article 19 ─ Après le jour du jugement, les corps des saints seront-ils incorruptibles de trois manières, c’est-à-dire par un bienfait de la justice divine, par un effet de la gloire éternelle, ou par nature ou naturellement ?

 

 [70579] De 36 articulis, a. 19 ad arg. Hoc quidem quantum ad duo prima calumniam habere non potest; quantum autem ad tertium posset habere calumniam, si intelligatur quod ad corruptionem humani corporis sola natura sufficiat, quasi corruptio humani corporis ex natura causetur sicut ab agente. Non enim ad hoc se extendit virtus alicujus naturae creatae ut rebus corruptibilibus incorruptibilitatem possit conferre. Dictum est etiam supra quod secundum ordinem naturae corpora humana et omnia corpora mixta cessante motu caeli dissoluta corrumperentur. Immortalitas ergo humanorum corporum post resurrectionem non erit ex virtute naturae, sed ex virtute divina, per quam corpora humana conservabuntur in esse. Sed verum est quod naturalis causa corruptionis, quae est motus caeli, subtracta erit. Motus enim caeli sicut est causa generationis et conservationis mixtorum corporum, ita etiam est causa corruptionis eorum. Supposita ergo conservatione humanorum corporum per virtutem divinam, non erit aliqua causa agens ad corruptionem. Et secundum hoc aliquo modo posset sustineri quod illa incorruptio esset per naturam: quia scilicet causa naturalis corruptionis subtracta erit: eo modo loquendi quo dici posset, quod submersio navis est per gubernatorem, quia per ejus essentiam periclitatur.

 

On ne peut rien trouver à redire quant aux deux premiers points; quant au troisième, on peut le contester si on considère que la nature seule est une cause siffisante de la corruption du corps humain, au sens où la corruption du corps humain est causée par la nature comme par un agent. En effet, aucune nature créée n’a une puissance telle qu’elle aille jusqu’à conférer l’immortalité aux choses corruptibles. Nous avons déjà dit en effet que, selon l’ordre de la nature, les corps humains et tous les corps mixtes se corrompraient par désagrégation si le mouvement du ciel cessait. Donc, les corps humains ne seront pas immortels après la résurraction du fait de la nature, mais de par la puissance divine, qui maintiendra les corps humains dans l’existence. Mais il est vrai que la cause naturelle de la corruption, qui est le mouvement du ciel, aura disparu. En effet, le mouvement du ciel, de même qu’il est la cause de la génération et de la conservation des corps mixtes, est aussi la cause de leur corruption. Donc, une fois admise la conservation des corps humains par la puissance divine, il n’y aura pas de cause agente de corruption. En ce sens, on peut soutenir que d’une certaine façon ils sont incorruptibles par nature, du fait que la cause naturelle de leur corruption sera supprimée, de la même manière qu’on dit que le pilote est la cause du naufrage parce que le navire, de par son essence, va à sa perte.

 

 

Articulus 20

[70580] De 36 articulis, a. 20 arg. Vicesimus articulus est quod post diem judicii corpora damnatorum erunt incorruptibilia duobus modis; scilicet per divinam justitiam, item per naturam sive naturaliter.

 

Article 20 ─ Après le jour du jugement, les corps des damnés seront-ils incorruptibles de deux manières, par la justice divine et par nature, ou naturellement ?

 

 [70581] De 36 articulis, a. 20 ad arg. Hoc habet eamdem rationem cum praecedenti.

Cette question est résolue de la même manière que la précédente.

 

 

Articulus 21

[70582] De 36 articulis, a. 21 arg. Vicesimus primus articulus est quod corpora damnatorum cum erunt in Inferno erunt passibilia, et patientur ab igne Inferni, quia recipient speciem ignis Inferni per modum afflictivi vel laesivi.

 

Article 21 ─ Quand les corps des damnés seront dans l’enfer, seront-ils passibles, et souffriront-ils du feu de l’enfer en recevant l’espèce du feu de l’enfer d’une manière douloureuse ou blessante ?

 

 [70583] De 36 articulis, a. 21 ad arg. Hoc non video quam calumniam habere posset. Si enim impassibilitas ponitur communiter dos corporis gloriosi, consequens est quod corpora non gloriosa passibilia erunt. Quod autem speciem ignis in se per modum afflictivi recipiant, hoc negari non potest nisi ab eo qui negat huiusmodi corpora ignem Inferni sentire. Necesse est enim speciem sensibilis fieri in sensu ad hoc quod sequatur afflictio.

 

Je ne trouve rien à redire à cette idée. Si on croit généralement que l’impassibilité est un don conféré aux corps glorieux, il s’ensuit que les corps non glorieux pourront souffrir. La seule manière de nier qu’ils recevront en eux l’espèce du feu de façon douloureuse est de nier que ces corps percevront le feu de l’enfer. En effet, pour être affligés, il faut nécessairement qu’ils perçoivent l’espèce sensible par leurs sens.

 

 

Articulus 22

[70584] De 36 articulis, a. 22 arg. Vicesimus secundus articulus est quod potest disputari in scholis an anima Christi et omnes aliae animae rationales sint ex traduce.

 

Article 22 ─ Est-il permis de disputer, dans les écoles, si l’âme de Jésus-Christ et toutes les autres âmes raisonnables ont été faites par transmission héréditaire ?

 

 [70585] De 36 articulis, a. 22 ad arg. Non video cur hoc non liceat; nisi forte in casu si ex hoc apud aliquos scandalum oriretur; sicut aliquando contingit quod aliqui supplices audientes etiam de hiis quae sunt fidei, disputari in scholis, credunt ea ratione de his disputari, quasi dubitetur de fidei veritate. Sed in tali casu posset disputans ad hanc opinionem amputandam protestari quod disputaret non propter dubitationem de veritate, sed propter inquirendam veritatis rationem.

Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas permis, sauf peut-être dans le cas où cela scandaliserait quelqu'un, comme il arrive parfois que des gens simples, qui entendent qu’on discute même les questions qui sont de foi dans les écoles, croient qu’on en discute parce qu’on en met la vérité en doute. Mais dans un tel cas, pour prévenir une telle pensée, celui qui débat la question pourrait avertir qu’il ne le fait pas parce qu’il doute de la vérité, mais pour chercher les raisons sur lesquelles s’appuie la vérité.

 

 

 

V ─ LE MOTIF DE LA REDEMPTION

Articulus 23

[70586] De 36 articulis, a. 23 arg. Vicesimus tertius articulus est quod Christus principaliter non venerit tollere nisi peccatum originale. Ad quod dicendum est quod Christus principaliter venit ad introducendum homines in vitam aeternam, sicut dicit ipse Joan. X, 10: ego veni ut vitam habeant; unde omne impedimentum vitae aeternae venit removere ex consequenti et ideo venit tollere omne peccatum.

 

Article 23 ─ Le Christ n’est-il surtout venu sur la terre que pour effacer le péché originel ?

 

 [70587] De 36 articulis, a. 23 ad arg. Sed sicut bonum commune est melius quam bonum particulare unius, ita malum multorum est pejus; unde principalius venit tollere peccatum originale quod totam humanam naturam infecerat, quam singulorum particularia peccata: unde super illud Joan. I, 29: ecce qui tollit peccatum mundi, dicit Glossa: peccatum mundi dicitur originale peccatum est quod commune totius mundi, et infra: quod originale et omnia peccata superaddita gratia relaxat. Melius ergo dicendum videtur affirmative quod Christus venit principalius tollere originale peccatum quam alia quam negative; sicut ponitur quod Christus principaliter non venit tollere nisi originale peccatum: nam etiam tollere actualia peccata pertinet ad principalem intentionem Christi, qui venit mundum salvare, secundum illud Luc. V, 32: veni vocare peccatores in poenitentiam.

 

Il faut répondre que le Christ est venu surtout pour faire entrer les hommes dans la vie éternelle, comme il le dit en Jn 10, 10 : Je suis venu pour qu’ils aient la vie. C’est par voie de conséquence qu’il est venu écarter tout empêchement à la vie éternel, et donc effacer tout péché. Mais de même que le bien commun est meilleur que le bien d’un seul, de même le mal d’un grand nombre est pire; c’est pourquoi il était plus important d’effacer le péché originel, qui avait infecté toute la nature humaine, que les péchés individuels de chacun; de là vient que la Glose, commentant Jn 1, 29 (Voici celui qui enlève le péché du monde), affirme que « le péché du monde signifie le péché originel, qui est commun à tout le genre humain », et plus loin : « il délie par sa grâce le péché originel et tous les péchés qui s’y sont ajoutés ». Il semble donc qu’il vaut mieux répondre affirmativement, que le Christ est venu effacer le péché originel plus spécialement que les autres péchés, que négativement, en disant que le Christ n’est venu principalement que pour effacer le péché originel. En effet, le fait d’effacer les péchés actuels relève de l’intention principale du Christ, qui est venu sauver le monde, comme il est écrit (Lc 5, 32) : Je suis venu appeler les pécheurs au repentir.

 

 

 

VI ─ ESCHATOLOGIE

Articulus 24

[70588] De 36 articulis, a. 24 arg. Vicesimus quartus articulus est quod Infernus est in centro vel circa centrum terrae.

 

Article 24 ─ L’enfer est-il au centre ou autour du centre de la terre ?

 

 [70589] De 36 articulis, a. 24 ad arg. Circa quod nihil mihi temere asserendum videtur, praecipue cum Augustinus neminem arbitretur scire in quo loco sit. Non enim aestimo quod sit in centro terrae, quia ille est locus, quo naturaliter feruntur gravia: nec videtur intentionem non frustrari, convenienter dici quod sequeretur, si ad centrum corpora gravia non pervenirent. Et iterum si naturaliter terra circa centrum esset concava, non posset assignari naturalis causa quae totum pondus terrae sustineret, ne perveniret ad centrum. Si autem dicatur hoc miraculose fieri divina virtute, nulla subest miraculi ratio. Praeparatio autem Inferni ab initio mundi fuit, secundum illud Isai. 3, 33: praeparata est ab heri Tophet, secundum expositionem Glossae. In prima autem rerum institutione non est considerandum quid Deus facere possit, sed quid natura rerum habeat ut fiat, sicut Augustinus dicit 2 super Genes. ad litteram. Non autem dicitur Christus descendisse ad infimas partes terrae sed ad inferiores; ad cujus veritatem sufficit qualitercumque inferiores nobis dicantur.

 

Il me semble qu’on ne doit faire aucune affirmation téméraire à ce sujet, surtout quand saint Augustin pense que personne ne sait où l’enfer se trouve. En effet, je ne crois pas qu’il soit au centre de la terre, car c’est le lieu vers lequel tendent naturellement les corps pesants, et rien n’indique que cette tendance est contrecarrée; or, il convient de dire qu’elle serait si les corps pesants ne parvenaient pas jusqu’au centre de la terre. De plus, si le centre de la terre était naturellement creux, on ne saurait trouver une cause naturelle qui soutiendrait tout le poids de la terre et l’empêcherait de parvenir au centre. Si on dit par contre que cela se fait miraculeusement par la puissance divine, aucune raison ne justifierait ce miracle. Or, l’enfer a été préparé dès le commencement du monde, selon l’explication de la Glose sur le verset : Topheth est dès longtemps préparé (Is 30, 33). Dans la fondation du monde, il ne faut pas réfléchir à ce que Dieu pouvait faire, mais à ce qui peut résulter de la nature des choses, comme le dit saint Augustin au livre 2 du Commentaire de la Genèse au sens littéral. On ne dit pas que le Christ est descendu au plus profond de la terre, mais dans les parties inférieures, et pour que cet énoncé soit vrai, il suffit que ces lieux soient inférieurs à nous de quelque faécon.

 

 

Articulus 25

[70590] De 36 articulis, a. 25 arg. Vicesimus quintus articulus est quod possit sciri distantia a superficie terrae usque ad Infernum, supposito Infernum esse in centro vel circa centrum terrae.

 

Article 25 ─ Peut-on savoir la distance qu’il y a de la surface de la terre à l’enfer, étant admis que l’enfer soit au centre ou autour du centre de la terre ?

 

 [70591] De 36 articulis, a. 25 ad arg. Puto sciri posse distantiam a superficie terrae usque ad centrum, non tamen usque ad Infernum, quia non credo ab homine sciri ubi sit Infernus.

 

Je pense qu’on peut connaître la distance de la surface de la terre au centre, mais non à l’enfer, car je ne crois pas qu’il soit possible à l’homme de savoir où est l’enfer.

 

 

 

VII ─ Philosophie du vivant

Articulus 26

[70592] De 36 articulis, a. 26 arg. Vicesimus sextus articulus est an corpus spermatis, cum quo exit spiritus, qui est virtus principii animae, est separatum a corpore et est res divina et talis dicitur intellectus sic potest vel debet exponI : id est ille spiritus sive virtus formativa dicitur intellectus per similitudinem, quia sicut intellectus operatur sine organo, ita et illa virtus.

 

Article 26 ─ L’énoncé [d’Aristote] ─ « La matière du sperme, avec laquelle sort l’esprit qui est la vertu du principe de l’âme, est séparée du corps et est une chose divine appelée intelligence », peut-il ou doit-il être expliqué au sens où cet esprit ou cette puissance formatrice est appelé intelligence par analogie, parce que, comme l’intelligence, il agit sans organe ?

 

 [70593] De 36 articulis, a. 26 ad arg. Hanc expositionem Commentator ponit in V2 Metaph. super illud: ergo sicut dictum est quod in substantiis est principium et cetera, et sunt haec ejus verba. Ideo dicit Aristoteles in libro de animalibus quod virtutes quae sunt in seminibus, sunt similes intellectui, scilicet quia agunt actione intellectus, et quod istae virtutes assimilantur intellectui in hoc quod non agunt per instrumentum corporale.

 

C’est l’explication donnée par le Commentateur au sujet du passage suivant du livre V2 des Métaphysiques : « donc, comme nous avons dit qu’il y a dans les substances un principe, etc. ». Voici son commentaire : « C’est pourquoi Aristote, dans les Mouvements des animaux, dit que la puissance qui se trouve dans le sperme est semblable à l’intelligence, du fait qu’elle agit par une action de l’intelligence et que cette puissance est comparée à l’intelligence parce qu’elle n’agit pas par un moyen d’action corporel. »

 

 

 

VIII ─ ESCHATOLOGIE (SUITE)

Articulus 27

[70594] De 36 articulis, a. 27 arg. Vicesimus septimus articulus est quod opinari est sine periculo, quod post communem resurrectionem, luna lucebit quantum nunc sol, sol autem in septuplum quam modo luceat; corpora vero beatorum septies magis sole.

 

Article 27 ─ Peut-on croire sans danger qu’après la résurrection générale, la lune aura autant d’éclat que le soleil actuel, que le soleil aura sept fois plus d’éclat que maintenant, et que les corps des bienheureux auront sept fois plus d’éclat que le soleil ?

 

 [70595] De 36 articulis, a. 27 ad arg. Nullum periculum hic video si assertio desit, quae posset ad praesumptionem imputari.

 

Je ne vois aucun danger si cette assertion est fausse, mais elle peut avoir été faite avec présomption.

 

 

Articulus 28

[70596] De 36 articulis, a. 28 arg. Vicesimus octavus articulus est quod aliquid dicitur venire ad compositionem alterius duobus modis. Uno modo per essentiam suam per modum principii materialis et formalis: et sic nullo modo aliquid de natura corporis caelestis venit in compositionem corporis humani, vel aliorum corporum mixtorum. Secundo modo venit aliquid ad compositionem alterius per effectum suae virtutis; et hoc modo natura corporis caelestis venit ad compositionem corporis humani et omnium corporum mixtorum.

 

Article 28 ─ Est-il vrai qu’une chose entre dans la composition d’une autre de deux façons ? L’une d’elles serait par essence, en tant que principe matériel et formel ; et ainsi, rien de la nature du corps céleste n’entre en aucune façon dans la composition du corps humain ou d’autres corps mixtes. L’autre serait d’entrer dans la composition d’une chose par un effet de sa puissance, et de cette façon, la nature du corps céleste entre dans la composition du corps humain et de tous les corps mixtes.

 

 [70597] De 36 articulis, a. 28 ad arg. Hoc est ex necessitate verum: cum corpora caelestia sunt causa generationis et corruptionis in istis inferioribus, ut Dionysius dicit.

Cela est nécessairement vrai, puisque les corps célestes sont la cause de la génération et de la corruption des corps inférieurs, comme le dit Denys.

 

 

 

 

Articulus 30

[70598] De 36 articulis, a. 30 arg. Vicesimus nonus et tricesimus articuli continent quod Angeli nec dolent nec lacrymantur, sed ad modum dolentium se habent.

 

QUESTIONS 29 et 30 ─ Les anges, sans gémir ni verser de larmes, se comportent-ils à la manière de ceux qui sont dans la douleur ?

 

 [70599] De 36 articulis, a. 30 ad arg. Hoc ex necessitate verum est; et sententia est Augustini, qui dicit in IX de Civit. Dei c. V : sancti Angeli et sine ira puniunt quos accipiunt aeterna Dei lege puniendos, et miseris sine miseriae compassione subveniunt, et periclitantibus eis quos diligunt, sine timore opitulantur; et tamen istarum nomina passionum per consuetudinem locutionis humanae etiam in eos usurpantur propter quamdam operum similitudinem, non propter affectionum infirmitatem.

Cela est nécessairement vrai, et c’est la doctrine de saint Augustin, qui écrit au livre IX de la Cité de Dieu : « les saints anges punissent sans colère ceux que la loi éternelle de Dieu leur ordonne de punir, comme ils assistent les misérables sans éprouver la compassion, et secourent ceux qu’ils aiment dans leurs périls sans ressentir la crainte; et cependant, le langage ordinaire leur attribue ces passions humaines à cause d’une certaine ressemblance entre nos actions et les leurs et non parce qu’ils sont atteints par la faiblesse des passions ».

 

 

 

IX ─ QUESTIONS SUR L'EUCHARISTIE

Articulus 31

[70600] De 36 articulis, a. 31 arg. Tricesimus primus articulus est quod facta transubstantiatione substantiae panis in substantiam corporis Christi naturaliter sine miraculo in hoc sacramento est sub dimensionibus hostiae, quae remanserunt, eo quod substantia ex hoc quod est substantia, non prohibetur esse in magna et parva dimensione.

 

Article 31 ─ Après la transsubstantiation de la substance du pain en la substance du Corps de Jésus-Christ, cette dernière demeure-t-elle naturellement et sans miracle dans ce sacrement, sous les espèces de l’hostie, puisque rien n’empêche cette substance, en tant que substance, d’avoir de grandes ou de petites dimensions ?

 

 [70601] De 36 articulis, a. 31 ad arg. Credo primum esse falsum. Sicut enim non naturaliter, sed miraculose substantia panis in substantiam corporis Christi convertitur; ita etiam miraculose sub dimensionibus conservatur et non naturaliter. Ut Augustinus enim dicit V3 super Genes. ad litteram, Deus eo modo conservat res quo eas operatur. Non enim est sicut aedificator, qui operatur tantum ad domus factionem et postea eam dimittit; sed Deus continue certam rem operatur. Quod autem pro ratione inducitur quod substantia ex hoc quod est substantia, non prohibetur esse in magna et parva dimensione, non est sic intelligendum, quod de ratione cujuslibet substantiae sit quod possit esse in magna vel parva dimensione; sed contrarium non est de ratione substantiae in quantum est substantia; sicut non est de ratione animalis quod sit rationale; non tamen est de ratione animalis quod sit sine ratione. Sic ergo esset de ratione substantiae quod non prohiberetur esse in parva vel magna dimensione, sequeretur quod substantia corporis Christi secundum suam naturam haberet ut esset aequaliter sub magna vel parva dimensione. Sed quia hoc non est de ratione substantiae, quod possit esse in magna vel parva dimensione, nec tamen est vel contra rationem substantiae, patet quod substantiam corporis Christi in magna vel parva dimensione, non implicat contradictionem, si aliquid attribuatur alicui quod repugnat ejus rationi. Ad hoc ergo inducitur illa ratio quod excludatur contradictio, non ad hoc quod ostendatur esse naturale.

 

Je crois que le premier point est faux. En effet, de même que la substance du pain n’est pas transformée naturellement, mais miraculeusement en la substance du Corps du Christ, de même elle est conservée miraculeusement et non naturellement dans les dimensions de l’hostie. En effet, comme le dit saint Augustin au livre V3 du Commentaire de la Genèse au sens littéral, Dieu conserve les choses de la même manière qu’il les fait. En effet, Dieu n’est pas comme un constructeur, qui ne travaille qu’à bâtir une maison, puis ne s’en occupe plus, mais il exerce une action continuelle sur son œuvre. Quant à la raison avancée (que rien n’empêche la substance, sous sa raison de substance, d’occuper un grand ou un petit espace), on ne doit pas la prendre au sens où il est inclus dans la notion de toute substance de pouvoir occuper un grand ou un petit espace, mais au sens où cela n’est pas contraire à la notion de substance en tant que substance, comme cela n’est pas contraire à la notion d’animal d’être raisonnable; mais il n’est pas non plus contraire à la notion d’animal d’être dépourvu de raison. Donc, s’il faisait partie de la notion de substance de ne pas être empêchée d’occuper un grand ou un petit espace, il s’ensuivrait que la substance du Corps du Christ aurait, par sa nature, l’égale capacité d’occuper un grand ou un petit espace. Mais, comme le fait d’occuper un grand ou un petit espace n’est pas inclus dans la notion de substance, sans être pourtant contraire à la notion de substance, il est évident que la présence du Corps du Christ dans un grand ou un petit espace n’entraîne pas une contradiction comme si on attribuait à un objet une propriété contraire à sa nature. Cet argument a donc pour effet de montrer qu’il n’y a pas contradiction, et non de montrer que cela est une chose naturelle.

 

 

Articulus 32

[70602] De 36 articulis, a. 32 arg. Tricesimus secundus articulus est quod dimensiones propriae corporis Christi et dimensiones panis, quae remanserunt, non sunt aequales.

 

Article 32 ─ Les dimensions propres du Corps du Christ et les dimensions du pain qui persistent sont-elles inégales ?

 

 [70603] De 36 articulis, a. 32 ad arg. Istud enim manifestatur verum et contrarium dicere est haereticum: sequeretur enim quod sub una particula parva hostiae non esset totum corpus Christi.

 

Cette proposition est manifeste et le contraire est hérétique, car il s’ensuivrait que le Corps du Christ ne pourrait être contenu tout entier dans une petite parcelle de l’hostie.

 

 

Articulus 33

[70604] De 36 articulis, a. 33 arg. Tricesimus tertius articulus est quod corpus Christi in hoc sacramento non est in loco.

 

Article 33 ─ Est-il vrai que le Corps du Christ dans ce sacrement ne se trouve pas dans un lieu ?

 

 [70605] De 36 articulis, a. 33 ad arg. Istud non est verum. Verum enim est dicere corpus Christi esse in altari vel in Ecclesia, sed hoc verum est quod corpus Christi non est in sacramento ut in loco; non enim comparatur ad sacramentum ut locatum ad locum, quia non commensuratur ei secundum proprias dimensiones.

 

Non, ce n’est pas vrai. En effet, il est vrai de dire que le Corps du Christ est sur l’autel ou dans l’église, mais il est également vrai de dire que le Corps du Christ n’est pas dans le sacrement en tant que lieu; en effet, il ne se compare pas au sacrement comme l’objet dans un lieu et le lieu, parce qu’il ne lui est pas proportionné par ses dimensions propres.

 

 

Articulus 34

[70606] De 36 articulis, a. 34 arg. Tricesimus quartus articulus est quod corpus Christi in hoc sacramento ad motum hostiae non movetur.

 

Article 34 ─ Est-il vrai que, lorsqu’on déplace l’hostie, le Corps du Christ dans le sacrement ne se meut pas ?

 

 [70607] De 36 articulis, a. 34 ad arg. Verum est quod non movetur per se vel per accidens in loco; quia nec hoc modo est in loco in quo est sacramentum, sicut corpora sunt in loco per se vel per accidens, cum aliam habeat comparationem ad dimensiones sacramentales quam corpus ad dimensiones proprias secundum quas movetur per se et ad vehiculum, secundum quod movetur per accidens. Sed eo modo quo convenit corpori Christi esse in loco ratione dimensionum sacramentalium, convenit sibi moveri in loco.

 

Il est vrai que son Corps ne se meut localement ni en soi ni par accident, car il n’est pas dans le lieu où se trouve le sacrement de la même façon que les corps sont dans un lieu en soi ou par accident, puisque son rapport avec l’espace occupé par le sacrement diffère du rapport entre un corps et son espace propre selon lequel il se meut par soi ou sous l’action d’un principe qui le fait se mouvoir par accident. Mais, de la même façon qu’il convient au Corps du Christ d’être dans un lieu en raison des dimensions sacramentelles, il lui convient aussi de se mouvoir localement.

 

 

Articulus 35

[70608] De 36 articulis, a. 35 arg. Tricesimus quintus articulus est quod species sacramentales sine subjecto remanentes possunt naturaliter agere, immutare et corrumpi, sicut prius.

 

Article 35 ─ Les espèces sacramentelles, demeurant sans sujet, peuvent-elles agir naturellement et être sujettes au changement et à la corruption, comme auparavant ?

 

 [70609] De 36 articulis, a. 35 ad arg. Quantum ad aliquid verum est et quantum ad aliquid non. Nihil enim potest agere vel pati nisi praesupposito suo esse. Quod autem in esse conserventur absque subjecto, miraculosum est; et quantum ad hoc actio consequens miraculosa est, et similiter passio, sed supposita conservatione in esse actio procedit ulterius secundum habitudinem naturalem et etiam quodam modo passio, secundum quod dimensio miraculose subsistens, miraculose habet officium subjecti et materiae, cujus est pati.

 

Cette proposition est vraie sous un aspect et fausse sous un autre aspect. Car rien ne peut agir ou subir, s’il n’existe pas pour commencer. Or, la conservation des espèces sans sujet est un miracle; à ce point de vue, l’agir qui s’ensuit est un miracle, et le fait de subir également. Cependant, une fois admise la conservation de l’existence, l’agir en découle selon la façon d’être naturelle, et le pâtir également d’une certaine façon, du fait que les dimensions, subsistant miraculeusement, remplissent par un miracle la fonction du sujet et de la matière, qui est de subir.

 

 

 

X ─ La connaissance des démons

Articulus 36

[70610] De 36 articulis, a. 36 arg. Ultimus articulus est quod omnes cogitationes cordis quae habent imagines in phantasia vel quas concomitantur aliquae passiones in corpore, Daemones scire possunt.

 

Article 36 ─ Les démons peuvent-ils connaître toutes les pensées du coeur qui comportent des images dans l’imagination ou qui sont accompagnées de passions corporelles ?

 

 [70611] De 36 articulis, a. 36 ad arg. Puto hoc verum esse de illis cogitationibus quas comitantur aliqui motus corporales quicumque et hoc etiam Augustinus dicit in libro de divinatione Daemonum: hominum, inquit, dispositiones Daemones non solum voce prolatas, verum etiam cogitatione conceptas, consignant; quae dum ex anima exprimuntur in corpore, tota facultate perdiscunt, et de hoc verbo in libro Retractationum faciens mentionem, sic dicit: dixi hoc audaciore asseveratione quam debui; nam pervenire ista ad notitiam Daemonum, per nonnulla etiam experimenta compertum est. Sed utrum signa quaedam dentur ex corpore cogitantium illis sensibilia, nos autem latentia, aut alia vi spirituali cognoscant, aut difficillime potest ab hominibus, aut omnino non potest inveniri. Sed si spirituali vi cogitationes cognoscunt, multo magis motus corporales, ex quibus etiam homines interdum interiores dispositiones cognoscunt: unde secundum non excludit primum, sed amplius dicit. Solas autem species in phantasia existentes non reputo sufficiens esse ad hoc quod Daemones cogitationes humanas cognoscere possint; quia homo virtute rationis et liberi arbitrii potest una specie in vi imaginativa conservata multipliciter uti ad diversas cogitationes, vel etiam totaliter actu non uti. Haec igitur karissime, quae ad articulos a vobis transmissos respondeo, diffusius quam petistis; non enim absolute responderi poterat ad ea quae diversum sensum poterant continere; praesertim cum non scripseritis quid contra huiusmodi articulos obiiceretur. Sic enim potuisset, et absolutius et certius responderi. Valeat caritas vestra diu et pro hoc labore mihi orationum suffragia rependatis.

 

Je crois que cela est vrai dans le cas des pensées qui sont accompagnées de quelque mouvement corporel que ce soit; c’est aussi ce que dit saint Augustin dans le livre De la Divination des démons : « les démons, dit-il, connaissent avec une parfaite facilité les dispositions des hommes, non seulement proférées par la parole, mais conçues dans la pensée, lorsque quelques signes de l’âme s’expriment par le corps. » Dans le livre des Rétractations, Il revient sur ce qu’il a dit, en ces termes : « J’ai écrit là avec plus d’assurance que je n’aurais dû, car plusieurs expériences établissent bien que les démons parviennent à cette connaissance; mais il est très difficile, ou plutôt impossible, de découvrir si le corps de ceux qui pensent donne des signes qui soient sensibles pour eux mais cachés pour nous, ou s’ils connaissent nos dispositions par quelque autre faculté spirituelle. » Mais s’ils connaissent nos pensées par une puissance spirituelle, ils connaissent bien davantage les mouvements corporels, grâce auxquels même les hommes connaissent parfois les dispositions intérieures de quelqu’un; c’est pourquoi la deuxième affirmation, loin de contredire la première, dit encore davantage. Mais je ne crois pas que les seules espèces qui existent dans l’imagination suffisent pour permettre aux démons de connaître les pensées des hommes, car l’homme, grâce à sa raison et à son libre arbitre, peut utiliser de multiples façons et pour diverses pensées, ou ne pas du tout utiliser en acte, la même espèce conservée dans sa puissance imaginative.

Voilà donc, très cher, ce que je réponds aux questions que vous m’avez envoyées, et plus longuement que vous ne l’avez demandé; en effet, on ne pouvait pas répondre de façon catégorique à des énoncés qui se prêtaient à plusieurs sens, étant donné surtout que vous ne m’avez pas indiqué quelles étaient vos objections à ces questions; en effet, cela aujrait permis d’y répondre de façon plus catégorique et plus certaine. Je souhaite à votre charité une santé durable. En retour de ce travail, veuillez prier pour moi.