RÉPONSE À 42 QUESTIONS

DU FRÈRE JEAN DE VERCEIL

 

SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS

 

PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

 

Editions Louis Vivès, 1857

Reprise et corrigée par Jean-François Delannoy, 2008

 

Deuxième édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

PROLOGUE_ 3

I- QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIERE_ 5

Article 1 — Dieu meut-il les corps directement?_ 5

Article 2 — Tout ce qui est mû naturellement l’est-il par le ministère des anges qui gouvernent les corps célestes?_ 6

Article 3 — Les anges sont-ils les moteurs des corps célestes?_ 6

Article 4 — Est-il rigoureusement prouvé par certains auteurs que les anges sont les moteurs des corps célestes ?_ 8

Article 5 — Est-il rigoureusement prouvé que les anges sont les moteurs des corps célestes, en supposant que Dieu n’en soit pas le moteur direct et immédiat?_ 8

Article 6 — Les corps inférieurs qui sont produits naturellement par l’effet du mouvement sont-ils gouvernés par les anges au travers des mouvements des corps célestes?_ 9

Article 7 — Tous les corps inférieurs, qui sont produits naturellement, le sont-ils par les anges, par l’intermédiaire des mouvements des corps célestes, dans ce sens que leur action est l’effet des causes naturelles, c’est-à-dire qu’ils passent de la puissance à l’acte?_ 9

Article 8 — Un ouvrier peut-il appliquer la main à son œuvre sans le ministère des anges qui donnent le mouvement aux corps célestes?_ 10

Article 9 — Tous les biens extérieurs qui ont passé naturellement de la puissance à l’acte nous viennent-ils des anges moteurs des corps célestes?_ 11

Article 10 — À cause de ces biens qui nous viennent des anges, devons-nous vénérer ces intelligences célestes?_ 12

Article 11 — Les anges qui font mouvoir les corps célestes sont-ils, par ces mouvements, les auteurs naturels de tous les corps humains produits naturellement, en ce sens que leur création soit l’effet de causes naturelles, c’est-à-dire qu’ils les font passer de la puissance à l’acte?_ 12

Article 12 — Les anges, moteurs des corps célestes, sont-ils, par les mouvements des corps célestes, les auteurs naturels de tous les animaux privés de raison qui se meuvent ou qui vivent tant sur la terre que dans la mer?_ 12

Article 13 — Les anges sont-ils les auteurs de tout ce qui naît sur la terre?_ 13

Article 14 — Les anges sont-ils aussi les auteurs de tous les minéraux et autres types de matière ?_ 13

Article 15 — Les anges ont-ils une puissance infinie sur les créatures inférieures?_ 13

Article 16 — L’ange peut-il soulever toute la masse de la terre, et l’élever jusqu’à la région de la lune, bien qu’il ne l’ait jamais fait et qu’il ne le fasse jamais?_ 14

Article 17 — Les anges, moteurs de l’univers, sont-ils au nombre des vertus?_ 15

Article 18 — Peut-on interpréter ces paroles du premier chapitre de l’Ecclésiaste : "L’esprit tourne autour du monde" comme : l’esprit (angélique) fait le tour du ciel, faisant ainsi mouvoir le ciel?_ 16

II- QUESTIONS SUR LES SPHERES CELESTES_ 16

Article 19 — Si, par un changement dans l’ordre de la nature, le mouvement du ciel cessait, tous les métaux seraient-ils convertis en un instant en d’autres éléments?_ 16

Article 20 — En serait-il de même de tous les éléments?_ 17

Article 21 — Et également tout l’univers dans ce qu’il y a de corruptible?_ 17

Article 22 — Si la lumière des étoiles et des constellations perdait son éclat, tous les hommes mortels cesseraient-ils d’exister par un ordre soudain de la nature?_ 17

Article 23 — En serait-il de même de tous les animaux privés de raison?_ 17

III- QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS_ 18

Article 24 — Tous les corps des saints, après le jour du jugement, seront-ils incorruptibles par nature ou naturellement, parce que le mouvement de la sphère céleste qui est la cause de leur corruption, cessera alors?_ 18

Article 25 — Les corps des damnés le seront-ils aussi?_ 18

Article 26 — Les damnés dans l’enfer éprouvent-ils dans leurs corps les peines du feu, en recevant et subissant la substance de feu d’une manière affligeante et douloureuse?_ 19

Article 27 — La sentence du Christ au jour du jugement portera-t-elle sur le corps ou sur l’âme?_ 20

IV- QUESTIONS SUR LA RAISON DE LA REDEMPTION_ 21

Article 28 — Le Christ est-il venu effacer le péché originel seulement, ou parmi d’autres péchés?_ 21

Article 29 — Les noms des saints sont-ils écrits dans le ciel par le doigt de Dieu pour leur honneur?_ 22

V- QUESTIONS SUR L'ESCHATOLOGIE_ 22

Article 30 — Les noms des impies qui sont dans l’enfer sont- ils écrits sur la terre pour leur confusion par le doigt de Dieu?_ 22

Article 31 — L’enfer est-il au centre ou autour du centre de la terre?_ 22

Article 32 — Est-il licite de discuter de la question : l'âme de Jésus-Christ vient-elle d’un autre corps, pour l’élucider?_ 23

Article 33 — La part matérielle du sperme avec laquelle sort la vertu du principe de l’âme, peut-elle être appelée intellect?_ 24

Article 34 — Entre-t-il quelque chose de la substance du ciel dans la composition d’un corps formé naturellement des quatre éléments, par l’effet de sa propre vertu?_ 24

Article 35 — Un corps vivant et animé reçoit-il quelque chose, dans sa composition, de la substance du ciel?_ 25

Article 36 — Les corps des saints qui seront glorifiés brilleront-ils plus que le soleil ? L’éclat du soleil sera-t-il sept fois plus vif que maintenant ? Celui des corps sera-t-il sept fois plus beau que le soleil renouvelé ?_ 25

Article 37 — Les anges que Marie-Madeleine vit auprès du tombeau du Sauveur après sa résurrection, la consolèrent-ils en lui adressant la parole avec des larmes?_ 26

Article 38 — Pourrait-on voir des yeux de l’esprit tout ce qui se passe dans le coeur de l’homme, et qui laisse une certaine impression extérieure dans le corps, si on avait une vue aussi pénétrante que celle du démon?_ 27

Article 39 — Quoiqu’en montant perpendiculairement Mars soit au-dessus du soleil, quant à la position, est-il cependant immédiatement au-dessus de la lune, quant à l’influence, à la première heure de Mars?_ 28

Article 40 — Les damnés, dans l’enfer, répandront-ils des larmes matérielles?_ 29

Article 41 — Le ver qui doit ronger le cœur des damnés est-il matériel?_ 29

Article 42 — Peut-on mesurer la distance de la surface de la terre au centre?_ 30

 

 

 

 

Prooemium

PROLOGUE

 [70612] De 43 articulis, pr. Reverendo in Christo patri fratri Ioanni magistro ordinis fratrum praedicatorum, frater Thomas de Aquino cum debita reverentia seipsum ad obedientiam promptum. Paternitatis vestrae litteras feria quarta ante Pascha recepi, dum Missarum solemnia agerentur, multos articulos interclusa schedula continentes, quibus singulis mihi respondendum mandabatis, responsionis forma taxata : an scilicet sancti sint illius sententiae vel opinionis quam continet articulus. Et si sancti sint vel non illius sententiae vel opinionis quam articulus continet; an ego illius opinionis vel sententiae. Et si non sim, an tolerabiliter dici possit. Quibus articulis statim sequenti die secundum formam a vobis traditam, praetermissis aliis occupationibus, secundum quod mihi occurrit, respondere curavi. Fuisset tamen mihi facilius respondere, si vobis scribere placuisset rationes, quibus dicti articuli vel asseruntur vel impugnantur. Sic enim potuissem magis ad intentionem dubitantium respondere. Nihilominus tamen, quantum percipere potui, in singulis ad id quod dubitationem facit, respondere curavi; hoc tamen in principio protestans, quod plures horum articulorum ad fidei doctrinam non pertinent, sed magis ad philosophorum dogmata. Multum autem nocet talia quae ad pietatis doctrinam non spectant, vel asserere vel negare quasi pertinentia ad sacram doctrinam. Dicit enim Augustinus in V Confess., cap. V : cum audio Christianum aliquem ista, scilicet quae philosophi de caelo aut stellis, et de solis et lunae motibus dixerunt, nescientem, et aliud pro alio sentientem, patienter intueor opinantem hominem : nec illi obesse video, cum de te, domine creator omnium nostrum, non credat indigna, si forte situs et habitus creaturae corporalis ignoret; obest autem, si haec ad ipsam pietatis doctrinam pertinere arbitretur, et pertinacius affirmare audeat quod ignorat. Quod autem obsit, manifestat Augustinus in I super Genesim ad litteram, cap. XIX : turpe est, inquit, nimis et perniciosum, ac maxime cavendum, ut Christianum de his rebus quasi secundum Christianas litteras loquentem ita delirare quilibet infidelis audiat, ut, quemadmodum dicitur, toto caelo errare conspiciens risum tenere vix possit. Et non tam molestum est quod errans homo videatur; sed quod auctores nostri ab eis qui foris sunt, talia sensisse creduntur; et cum magno eorum exitio de quorum salute satagimus, tamquam indocti reprehenduntur, atque respuuntur. Unde mihi videtur tutius esse ut haec quae philosophi communius senserunt, et nostrae fidei non repugnant, neque sic esse asserenda ut dogmata fidei, licet aliquando sub nomine philosophorum introducantur; neque sic esse neganda tamquam fidei contraria; ne sapientibus huius mundi contemnendi doctrinam fidei, occasio praebeatur. 

Sur 43 articles, au révérend frère en J.-C.,  notre père et frère Jean de Verceil, docteur de l’ordre des frères prêcheurs, son frère Thomas d’Aquin, salut et obéissance respectueuse. J’ai reçu pendant la messe de la quatrième férie de la semaine d’avant Pâques, un paquet de votre paternité contenant plusieurs articles dans une lettre cachetée, à chacun desquels vous me priez de répondre, en m’indiquant la forme que je devais employer, pour savoir si les saints docteurs sont de l’opinion contenue dans cet écrit et si je partage moi-même leur manière de voir quelle qu’elle soit; et si, sans cependant la partager, je la crois pourtant soutenable. Mettant aussitôt toute autre occupation de côté, je me suis mis à l’œuvre dès le lendemain et j’ai tâché de faire de mon mieux, en gardant la forme que vous m’avez prescrite. Il m’eût été bien plus facile de répondre, si vous eussiez voulu me permettre de vous donner les raisons pour ou contre ces différentes propositions, car ainsi j’aurais pu bien plus facilement résoudre toutes les difficultés. Néanmoins, j’ai fait mon possible pour répondre à toutes les questions douteuses, tout en faisant observer d’abord qu’un grand nombre de ces articles ne relève pas de la doctrine de la foi, mais bien plus aux opinions des philosophes. Or, se prononcer pour ou contre des idées qui ne touchent pas à la doctrine de la foi, comme si c’était des dogmes définis, c’est nuire à la piété des fidèles : Saint Augustin dit dans son cinquième livre des Confessions : "Lors que j’entends un chrétien ignorant ce que les philosophes ont écrit du firmament et des étoiles, du cours du soleil et des phases de la lune et prenant une chose pour une autre, je regarde patiemment discourir cet homme et je ne crois pas devoir lui faire opposition lorsqu'il n’avance rien d’indigne de vous, Seigneur tout-puissant, Créateur de nous tous, quand même il ignorerait la nature et l’ordre du monde matériel." Il s’y oppose donc si on veut donner son opinion comme une vérité doctrinale et qu’on soutienne avec audace ce qu’on ignore. Saint Augustin explique pourquoi il le contredit dans son premier livre sur la Genèse ad litteram au chapitre 19 — « Il est honteux, dit-il, fatal à l’Eglise et fort regrettable de voir un chrétien qui, se mêlant de parler de la science chrétienne, s’égare comme le ferait un infidèle, et qui, comme on a l’habitude de le dire, se trompe de toute la hauteur des cieux et commet des erreurs si grossières qu’on peut à peine s’empêcher de lui rire au nez. Ce qu’il a de plus fâcheux, n’est pas sans doute de voir qu’un homme se trompe, mais de voir de si étranges opinions attribuées aux écrivains sacrés par ceux qui sont hors de la foi et qui rejettent leur autorité avec un suprême dédain en les taxant d’ignorance, au grand détriment de ceux dont le salut nous est si cher. » Il me semble donc plus opportun de ne pas affirmer comme des dogmes de foi les opinions des philosophes qui ne répugnent pas à notre foi, même si elles s’appuient sur l’autorité d’un grand nom, et de ne pas non plus les nier comme opposées à la foi, de peur de donner occasion aux sages du siècle de mépriser la doctrine chrétienne.

 

 

 

I- QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIERE

 

 

Articulus 1 [70613] De 43 articulis, a. 1 arg. Primus articulus in schedula propositus, est, an Deus moveat aliquod corpus immediate.

Article 1 — Dieu meut-il les corps directement?

[70614] De 43 articulis, a. 1 ad arg. Ad quod respondendum videtur, quod ordo communis divinitus institutus hoc habet, ut corporalis creatura ab ipso moveatur spiritu mediante. Dicit enim Augustinus in 3 de Trinit., cap. IV : quemadmodum corpora grossiora et inferiora per subtiliora et superiora quodam ordine reguntur, ita omnia corpora per spiritum vitae rationalem; et VIII super Genes. ad litteram, cap. XXII, dicit quod Deus spiritualem creaturam corporali praeposuit. Neque tamen divina potentia est huic ordini alligata, quin possit quandoque praeter ordinem causarum secundarum aliquid agere, cum sibi placuerit; ut patet in operibus miraculosis. Dicit enim Augustinus, XXVI contra Faustum : appellamus naturam cognitum nobis cursum solitum naturae, contra quem Deus cum aliquid facit, magnalia vel mirabilia nominantur.  

Je vois qu'on doit répondre à cette question, que tel est l’ordre établi de Dieu que toute créature corporelle reçoit le mouvement par l’intermédiaire d’un esprit. Saint Augustin dit dans son troisième livre de De la Trinité : « De même que les corps grossiers et inférieurs reçoivent le mouvement et l’harmonie du corps supérieur et subtil, de même tout est gouverné par un esprit raisonnable et vivant. » Et il écrit dans son traité sur la Genèse ad litteram que Dieu a préposé la créature spirituelle à la conduite de la créature corporelle. Cependant la puissance divine n’est pas enchaînée à cet ordre au point de ne pouvoir quelquefois y contrevenir, en dehors des causes secondes, lorsqu’elle le juge à propos, comme cela a lieu dans les miracles : Saint Augustin écrit dans contre Fauste, 24 : "Nous appelons nature le cours usuel apparent de la nature, et nous donnons le nom de miracle à ce que Dieu fait à son encontre." 

 

 

Articulus 2 [70615] De 43 articulis, a. 2 arg. Secundus articulus est, an omnia quae moventur naturaliter, moveantur ministerio Angelorum moventium corpora caelestia.

Article 2 — Tout ce qui est mû naturellement l’est-il par le ministère des anges qui gouvernent les corps célestes? 

 

 

Articulus 3 [70616] De 43 articulis, a. 3 arg. Tertius articulus est, an Angeli sint motores corporum caelestium.

Article 3 — Les anges sont-ils les moteurs des corps célestes?

[70617] De 43 articulis, a. 3 ad arg. His duobus articulis simul respondendum videtur, quia secundus dependet ex tertio, et tertius ex primo. Si enim corpora reguntur a Deo mediante spirituali creatura; ad ipsum autem opus regiminis divini pertinet motio corporum, ut Augustinus dicit, VIII super Genes. ad litteram, consequens est quod Deus per spiritualem creaturam moveat caelestia corpora. Et ibi expresse dicit Augustinus : sicut per tempus et locum movet corpus, ipse tamen per tempus non est conditus spiritus; ita per tempus movet conditum spiritum ipse tamen nec per tempus nec per locum motus conditor spiritus. Esse quidem animata corpora caelestia Damascenus negat in II libro, cap. VI, licet hoc Augustinus sub dubio relinquat in II super Genes. ad litteram cap. XVIII. Sed caelestia corpora a spirituali creatura moveri, a nemine sanctorum vel philosophorum negatum legisse me memini. Hoc igitur supposito quod Angeli moveant caelestia corpora, hoc in dubium nulli sapienti vertitur quin omnes motus naturales inferiorum corporum ex motu caelestis corporis causentur; quod et ratione a philosophis est probatum, et experimento patet, et auctoritatibus sanctorum confirmatur : quia, ut dictum est, Augustinus in 3 de Trinit. dicit, quod corpora grossiora et inferiora per subtiliora et superiora quodam ordine reguntur; et Dionysius dicit, IV cap. de divinis nominibus, quod solis radius ad generationem sensibilium corporum confert, et ad vitam ipsam movet, et nutrit, et auget et perficit. Unde consequens est quod omnia quae naturaliter moventur, moveantur ministerio Angelorum moventium corpora caelestia.

On peut répondre à ces deux questions à la fois, parce que la seconde est contenue dans la troisième et celle-ci dans la première. "Car si Dieu gouverne la nature corporelle par l’intermédiaire d’une créature spirituelle, le mouvement des corps dépend de l’action divine dans le gouvernement du monde," comme le dit saint Augustin dans son commentaire de la Genèse ad litteram; par conséquent, Dieu meut les corps célestes par le moyen des créatures spirituelles. Et dans le même endroit il dit expressément : "Comme il donne le mouvement aux corps dans le temps et dans un certain lieu, l’esprit n’est cependant pas créé pour un temps, de même il meut l’esprit créé pour un temps, cependant l’esprit créateur n’est mû ni pour un temps, ni dans un lieu déterminé." Saint Jean Damascène soutient que les corps célestes ne sont pas animés, quoique saint Augustin laisse cette question dans le doute dans son deuxième livre de son commentaire sur la Genèse ad litteram. Mais je ne me souviens pas d’avoir vu dans aucun écrit des saints Pères et des philosophes que les corps célestes n’étaient pas mus par une créature spirituelle. Supposé donc que les anges soient les moteurs des corps célestes, aucun homme sensé ne peut en faire un doute parce que tous les mouvements naturels des corps inférieurs ont leur cause dans celui d’un corps céleste ce qui s’appuie sur la raison, les écrits des philosophes et ce que confirme également l’expérience et l’autorité des saints Pères : parce que, comme nous l’avons dit, saint Augustin écrit dans son traité de la Trinité, que "les corps grossiers et inférieurs reçoivent le mouvement et cette harmonie des corps plus légers et supérieurs." Et saint Denis dans le quatrième chapitre de son traité des Noms divins, dit que "les rayons du soleil produisent la génération des corps sensibles, leur inspirent la vie elle-même, l’entretiennent, l’accroissent et la perfectionnent. D’où il faut conclure que tout ce qui a un mouvement naturel le reçoit par le ministère des anges, qui sont les moteurs des corps célestes.

 

 

Articulus 4 [70618] De 43 articulis, a. 4 arg. Quartus articulus est, an infallibiliter sit probatum Angelos esse motores corporum caelestium apud aliquos.

Article 4 — Est-il rigoureusement prouvé par certains auteurs que les anges sont les moteurs des corps célestes ?

 

 

Articulus 5 [70619] De 43 articulis, a. 5 arg. Quintus articulus est, an infallibiliter sit probatum, Angelos esse motores caelestium corporum, supposito Deum non esse immediatum motorem illorum corporum.

Article 5 — Est-il rigoureusement prouvé que les anges sont les moteurs des corps célestes, en supposant que Dieu n’en soit pas le moteur direct et immédiat?

 [70620] De 43 articulis, a. 5 ad arg. His respondeo, quod philosophi tam Platonici quam Peripatetici hoc probare conati sunt rationibus quas efficaces putaverunt : et eorum rationes fundantur super praedicto rerum ordine, quod scilicet Deus inferiora per superiora regit, ut etiam sancti doctores tradunt. Quod autem corpora caelestia a sola natura sua moveantur, sicut gravia et levia, est omnino impossibile : unde nisi moveantur a Deo immediate, consequens est quod vel sint animata caelestia corpora, et moveantur a propriis animabus; vel quod moveantur ab Angelis, quod melius dicitur. Fuerunt tamen aliqui philosophi, qui posuerunt corpus primum caelestium corporum moveri a Deo, non mediante alia intelligentia, sed mediante anima propria; alia vero caelestia corpora moveri mediantibus intelligentiis et animabus.

Je réponds à ces deux questions que les philosophes platoniciens aristotéliciens se sont efforcés de le prouver par des raisons qu’ils ont crues péremptoires et qui s’appuient sur ce que nous avons dit de l’harmonie universelle, c’est-à-dire que Dieu gouverne les corps inférieurs au travers des corps supérieurs, comme le disent les saints docteurs eux-mêmes. Or, que les corps célestes soient mus par leur seule nature, aussi bien les plus lourds que les plus légers, est une chose tout à fait impossible ; donc, s’ils ne sont pas gouvernés immédiatement par Dieu lui-même, il s’ensuit ou bien que les corps célestes sont animés et reçoivent le mouvement de leurs propres âmes, ou bien des anges, ce qui paraît plus vraisemblable. Cependant on trouve des philosophes qui ont soutenu que le premier des corps célestes est gouverné par Dieu sans l’intermédiaire d’une autre intelligence, mais par l’intermédiaire de son âme propre et que les autres corps célestes le sont par le moyen des intelligences et des âmes.

 

 

Articulus 6 [70621] De 43 articulis, a. 6 arg. Sextus articulus est an omnia inferiora naturaliter in esse producta per viam motus, regantur per Angelos mediantibus motibus corporum caelestium.

Article 6 — Les corps inférieurs qui sont produits naturellement par l’effet du mouvement sont-ils gouvernés par les anges au travers des mouvements des corps célestes?

 

 

Articulus 7 [70622] De 43 articulis, a. 7 arg. Septimus articulus est, an omnia inferiora quae naturaliter in esse producuntur, fiant per Angelos mediantibus motibus corporum caelestium, secundum quod facere attribuitur causis naturalibus; idest educantur de potentia in actum.

Article 7 — Tous les corps inférieurs, qui sont produits naturellement, le sont-ils par les anges, par l’intermédiaire des mouvements des corps célestes, dans ce sens que leur action est l’effet des causes naturelles, c’est-à-dire qu’ils passent de la puissance à l’acte?

 [70623] De 43 articulis, a. 7 ad arg. Horum etiam responsio dependet ex praemissis. Si enim corpora caelestia per suum motum sunt causa generationis et corruptionis et omnium motuum naturalium inferiorum, consequens est quod si Angeli sunt causa motus caeli, sint etiam causa generationis et corruptionis et omnium motuum naturalium inferiorum corporum : unde et Gregorius in IV dialogorum dicit, quod in hoc mundo visibili nihil nisi per creaturam invisibilem disponi potest. Et ut breviter dicam, omnes praedicti articuli vel parum vel nihil faciunt ad doctrinam fidei, sed sunt penitus physici.  

La réponse à ces deux questions dépend des prémisses. Car si les corps célestes sont par leur mouvement la cause de la génération et de la corruption et de tous les mouvements naturels des corps inférieurs, alors si les anges sont la cause du mouvement du ciel ils sont également la cause de la génération et de la décomposition et de tous les mouvements naturels des corps inférieurs – ce qui fait dire à saint Grégoire dans son quatrième livre des Dialogues que "rien de visible ne peut être fait dans ce monde que par les créatures invisibles."  En un mot, je dirai que toutes ces questions importent peu ou pas du tout à la doctrine de la foi, mais plutôt aux sciences naturelles. 

 

 

Articulus 8 [70624] De 43 articulis, a. 8 arg. Octavus articulus est, an ordine naturae faber posset movere manum ad aliquid operandum sine angelico ministerio movente corpora caelestia.

Article 8 — Un ouvrier peut-il appliquer la main à son œuvre sans le ministère des anges qui donnent le mouvement aux corps célestes?

 [70625] De 43 articulis, a. 8 ad arg. Huic videtur per distinctionem respondendum. Quod enim aliquis non posset movere manum, potest esse dupliciter. Uno modo ex defectu animae moventis, ut scilicet animae deficiat potentia motiva corporis; et sub hoc intellectu falsum est quod dicitur : nam anima fabri movet manum per liberum arbitrium, quod non subiacet neque caelestibus corporibus neque Angelis, sed soli Deo. Alio modo potest intelligi ex defectu corporalis membri; sicut homo qui habet manum ligatam vel aridam, non potest eam movere : et hoc modo, cessante motu caeli, organum corporis non posset ab anima moveri, quia non remaneret vivum; quia corpora caelestia ad vitam movent inferiora corpora, ut patet ex auctoritate Dionysii supra inducta. Si tamen divina virtute praeter naturae ordinem corpus hominis vivum remaneret cessante motu caeli, et conservaretur in dispositione illa qua est mobile ab anima, posset homo per liberum arbitrium quamlibet partem movere corporis.

Il faut distinguer, car on peut être empêché de mettre la main à une œuvre de deux façons. La première est liée à un défaut d’une âme motrice, c'est-à-dire si l’âme n’avait pas la puissance motrice des corps. De ce point de vue, ce qu’on objecte est faux, car l’âme de l’ouvrier fait mouvoir sa main en vertu de son libre arbitre, qui ne dépend ni des corps célestes ni des anges, mais seulement de Dieu. La première est liée à un défaut des membres du corps; ainsi, un homme qui a les mains liées ou paralysées, ne peut les étendre. Et en ce sens, si le mouvement du ciel s’arrêtait, les organes corporels ne pourraient recevoir de mouvement de l’âme, parce qu’ils cesseraient de vivre, les corps célestes étant la source de la vie des corps inférieurs (selon l’opinion de saint Denis, que nous avons exposée plus haut). Si, cependant, par un miracle qui intervertirait l’ordre de la nature, le corps de l’homme continuait de vivre, malgré l’interruption du mouvement du ciel, et qu’il restât dans cet état que l’âme peut encore faire mouvoir, l’homme pourrait, par son libre arbitre, faire mouvoir toutes les parties de son corps.

 

 

Articulus 9 [70626] De 43 articulis, a. 9 arg. Nonus articulus est, an omnia beneficia exteriora naturaliter de potentia ad actum reducta habeamus per Angelos moventes corpora caelestia.

Article 9 — Tous les biens extérieurs qui ont passé naturellement de la puissance à l’acte nous viennent-ils des anges moteurs des corps célestes?

[70627] De 43 articulis, a. 9 ad arg. Dico, quod huius etiam responsio dependet ex praemissis. Naturaliter enim de potentia ad actum deduci, nihil est aliud quam naturaliter moveri. Si ergo omnis motus naturalis inferiorum corporum causatur a motu superiorum corporum, consequens est quod huiusmodi beneficia proveniant ex ministerio Angelorum moventium caelestia corpora.

La réponse à cette question dépend encore des prémisses. Car, passer naturellement de la puissance à l’acte, n’est autre chose qu’être mû naturellement. Si donc tout mouvement naturel des causes inférieures est produit par le mouvement des corps supérieurs, il s’ensuit que tous ces biens nous viennent par le ministère des anges, qui sont les moteurs des corps célestes.

 

 

Articulus 10 [70628] De 43 articulis, a. 10 arg. Decimus articulus est, an propter praedicta beneficia quae habemus per Angelos, eos revereri debeamus.

Article 10 — À cause de ces biens qui nous viennent des anges, devons-nous vénérer ces intelligences célestes?

 [70629] De 43 articulis, a. 10 ad arg. Ad hoc plana est responsio : quia non debemus eos revereri reverentia latriae ut auctores dictorum beneficiorum, sed ut ministros reverentia duliae, quia propter haec beneficia debemus eos diligere. Dicit enim Augustinus in I de Doctr. Christiana : in praecepto quo debemus diligere proximum, et sancti Angeli continentur, a quibus tanta nobis officia impenduntur misericordiae

La réponse est facile : nous ne leur devons pas un culte de latrie en tant qu’auteurs de ces bienfaits, mais un culte de dulie en tant que ministres de Dieu, parce que nous devons les aimer à cause de ces bienfaits. Car saint Augustin dit dans son traité de la Doctrine chrétienne : « Le précepte de l’amour du prochain nous ordonne d’aimer les anges, de qui nous recevons tant de bons offices de charité. »

 

 

Articulus 11 [70630] De 43 articulis, a. 11 arg. Undecimus articulus est, an Angeli moventes corpora caelestia, mediantibus motibus corporum caelestium sint factores omnium corporum humanorum naturaliter in esse productorum, secundum quod facere attribuitur causis naturalibus, idest sint de potentia in actum eductores.

Article 11 — Les anges qui font mouvoir les corps célestes sont-ils, par ces mouvements, les auteurs naturels de tous les corps humains produits naturellement, en ce sens que leur création soit l’effet de causes naturelles, c’est-à-dire qu’ils les font passer de la puissance à l’acte?

 

 

Articulus 12 [70631] De 43 articulis, a. 12 arg. Duodecimus articulus est, an Angeli moventes caelestia corpora, mediantibus motibus caelestium corporum sint factores etiam omnium animalium irrationalium quae moventur vel vivunt tam in mari quam in terra, naturaliter in esse productorum.

Article 12 — Les anges, moteurs des corps célestes, sont-ils, par les mouvements des corps célestes, les auteurs naturels de tous les animaux privés de raison qui se meuvent ou qui vivent tant sur la terre que dans la mer? 

 

 

Articulus 13 [70632] De 43 articulis, a. 13 arg. Tertius decimus, an etiam omnium terrae nascentium eodem modo.

Article 13 — Les anges sont-ils les auteurs de tout ce qui naît sur la terre? 

 

 

Articulus 14 [70633] De 43 articulis, a. 14 arg. Quartus decimus, an etiam omnium metallorum et cetera.

Article 14 — Les anges sont-ils aussi les auteurs de tous les minéraux et autres types de matière ?

 [70634] De 43 articulis, a. 14 ad arg. Ad omnes istos articulos est una responsio. Quia cum corpora caelestia sint causa generationis inferiorum corporum, ut patet per auctoritatem Dionysii supra inductam, consequens est quod Angeli moventes caelestia corpora sint etiam huius generationis causa : unde Augustinus in libro LXXXIII quaestionum dicit, quod unaquaeque res visibilis in hoc mundo habet angelicam potestatem sibi praepositam.

 Il y a une réponse unique à toutes ces questions. Puisque les corps célestes sont la cause de la génération de tous les corps inférieurs, comme nous l’avons prouvé par l’autorité de saint Denis, il s’ensuit que les anges, qui font mouvoir les corps célestes, sont aussi la cause de cette production. Ce qui fait dire à saint Augustin, dans son quatre-vingt-troisième livre des Questions, que "toute créature visible dans ce monde est soumise au pouvoir des anges."

 

 

Articulus 15 [70635] De 43 articulis, a. 15 arg. Quintus decimus articulus est, an Angelus habeat virtutem infinitam inferius.

Article 15 — Les anges ont-ils une puissance infinie sur les créatures inférieures?

[70636] De 43 articulis, a. 15 ad arg. Ad quod dicendum, quod hoc potest capi dupliciter. Uno modo quod virtus Angeli non sit comprehensibilis ab aliquo inferiorum; et hoc modo inducitur in libro de causis, et a philosophis Platonicis : et Dionysius dicit, VI cap. caelestis hierarchiae : quot quidem sunt et quales supercaelestium substantiarum ornatus, et qualiter secundum ipsas hierarchiae perficiuntur, solam manifeste scire dico deificam ipsarum hierarchiam; praeterea et ipsas cognovisse proprias virtutes et illuminationes, et ipsorum sanctam et supermundanam bonam ordinationem. Impossibile est enim nos scire supercaelestium mentium ministeria. Hoc enim dicitur esse unicuique infinitum quod est ei incomprehensibile. Alio modo potest sic intelligi quod habeat infinitam virtutem supra ea quae infra ipsum sunt; et hoc est falsum et erroneum. Posset etiam dici virtus Angeli infinita inferius, quia non est finita per aliquam materiam corporalem in qua recipiatur, sicut sunt finitae virtutes formarum materialium. Est tamen simpliciter finita virtus Angeli secundum mensuram suae essentiae, quae finita est.

 Cet article quinzième peut avoir un double sens. 1° D’abord on peut se demander si quelque ordre des créatures inférieures comprend bien la puissance des anges, ce que l’on conclut de ce que l’on voit dans le livre des causes, des écrits des philosophes platoniciens, et de ce que dit, saint Denis, au sixième chapitre de la Hiérarchie céleste. « Je dis que leur divine hiérarchie seule connaît parfaitement leur nombre, la gloire de leur substance céleste, et leurs admirables perfections selon leur ordre hiérarchique, et qu’en outre ils ont la connaissance de leurs vertus particulières, leurs connaissances glorieuses et leur ordre sacré, excellent et surnaturel. » Il nous est impossible, à nous, de savoir le ministère de ces substances célestes. Car ce qui est inaccessible à notre intelligence, est infini pour nous.2° On peut l’entendre dans ce sens qu’ils ont une puissance infinie sur ce qui leur est inférieur, ce qui est faux et erroné. On pourrait dire aussi que la puissance angélique est infinie pour ce qui lui est inférieur, parce qu’elle n’est pas infinie par une matière corporelle où elle habite, comme sont infinies les vertus des formes de la matière. Cependant la vertu des anges est bornée et finie par la mesure de leur essence même, qui est finie.

 

 

Articulus 16 [70637] De 43 articulis, a. 16 arg. Sextus decimus articulus est, an Angelus possit movere totam molem terrae, et usque ad globum lunae, licet nunquam moverit vel moturus sit.

Article 16 — L’ange peut-il soulever toute la masse de la terre, et l’élever jusqu’à la région de la lune, bien qu’il ne l’ait jamais fait et qu’il ne le fasse jamais?

 [70638] De 43 articulis, a. 16 ad arg. Videtur mihi dicendum, quod naturali sua virtute hoc non potest : quia nulla virtus creaturae potest immutare ordinem principalium partium universi, ad quem pertinet quod terra sit in medio locata. Videtur tamen mihi contrarium posse tolerari absque fidei periculo, si tamen referat intentionem suam ad ponderis quantitatem, non ad praedictum ordinem universi. Certum est enim quod naturali sua virtute Angelus potest alicuius ponderis terram movere; sed usque ad quanti ponderis quantitatem movere possit, non potest a nobis determinari. Si autem quaeritur de motu circulari, per quem dictus ordo non variatur, videtur quod naturaliter terra quiescat, ut vult philosophus in Lib. de caelo.

Il me semble qu’on doit répondre qu’il ne le peut pas par la seule force de sa puissance naturelle, parce que la puissance d’aucune créature n’est capable de changer l’ordre des principales parties de l’univers, selon lequel la terre est au milieu du monde. Cependant on peut soutenir le contraire sans blesser la foi, si on veut dire seulement qu’un ange peut soulever ce poids immense, et non qu’il peut intervertir l’ordre de l’univers. Car il est certain que l’ange peut, par sa vertu naturelle, soulever le poids énorme de la terre. Mais nous ne pouvons pas dire quel poids il peut soulever. Si on nous demande quelle est la marche de l’ordre du système planétaire, sur lequel est établi l’ordre invariable du monde, nous répondrons qu’il nous semble que la terre est immobile, comme l’a dit le Philosophe, dans son traité du Ciel.

 

 

Articulus 17 [70639] De 43 articulis, a. 17 arg. Decimus septimus articulus est, an Angeli moventes orbes sint de numero virtutum.

Article 17 — Les anges, moteurs de l’univers, sont-ils au nombre des vertus?

 [70640] De 43 articulis, a. 17 ad arg. Videtur mihi quod satis probabiliter hoc dici possit; nec video quid inconveniens inde sequatur, cum et Origenes exponens illud Matth. XXIV, 29 — virtutes caelorum commovebuntur, dicat, quod conveniens est caelorum rationabiles virtutes pati stuporem remotas a primis functionibus suis. Hoc tamen omnino asserendum non videtur.

 Il me semble qu’on peut le soutenir plausiblement sans inconvénient, comme lorsqu’Origène, expliquant ces paroles de saint Matthieu, ch. 24, "les vertus des cieux seront ébranlées," dit qu’ « il convient que les vertus raisonnables des cieux seront plongées dans la stupeur de se voir privées de leurs premières fonctions ». Cependant on ne doit pas soutenir cette opinion avec trop d’assurance.

 

 

Articulus 18 [70641] De 43 articulis, a. 18 arg. Decimus octavus articulus est, an illud Eccle. I, 6 — in circuitu pergit spiritus, sic possit exponi : spiritus, puta angelicus, pergit in circuitu caeli, et pergendo caelum movere facit in circuitu.

Article 18 — Peut-on interpréter ces paroles du premier chapitre de l’Ecclésiaste : "L’esprit tourne autour du monde" comme : l’esprit (angélique) fait le tour du ciel, faisant ainsi mouvoir le ciel?

 [70642] De 43 articulis, a. 18 ad arg. Non video quare haec expositio sustineri non possit; praesertim cum dicat Augustinus in I super Gen. ad litteram cap. XX, quod ideo multis exitibus verba Scripturae exponuntur, ut se ab irrisione cohibeant litteris saecularibus inflati.

Je ne vois pas en quoi cette exposition serait fautive, surtout quand on a pour soi l’autorité de saint Augustin, qui dit dans son premier livre du commentaire de la Genèse, ad litteram, au chapitre 20, que « les paroles de l'Ecriture peuvent s’expliquer diversement, afin d’ôter tout prétexte de raillerie à ceux qui se targuent d’une vaine connaissance des lettres humaines. »

 

 

 

II- QUESTIONS SUR LES SPHERES CELESTES

Articulus 19 [70643] De 43 articulis, a. 19 arg. Decimus nonus articulus est, an si motus caeli cessaret, ordine naturae omne ferrum in elementa in instanti resolveretur.

Article 19 — Si, par un changement dans l’ordre de la nature, le mouvement du ciel cessait, tous les métaux seraient-ils convertis en un instant en d’autres éléments?

 

 

Articulus 20 [70644] De 43 articulis, a. 20 arg. Vigesimus articulus est, an similiter esset de omni elemento corruptibili.

Article 20 — En serait-il de même de tous les éléments?

 

 

Articulus 21 [70645] De 43 articulis, a. 21 arg. Vigesimus primus articulus est, an similiter totus mundus quantum ad corruptibile.

Article 21 — Et également tout l’univers dans ce qu’il y a de corruptible?

 

 

Articulus 22  [70646] De 43 articulis, a. 22 arg. Vigesimus secundus articulus est, an si non esset lux stellarum, ordine naturae omnes homines corruptibiles morerentur in instanti.

Article 22 — Si la lumière des étoiles et des constellations perdait son éclat, tous les hommes mortels cesseraient-ils d’exister par un ordre soudain de la nature?

 

 

Articulus 23 [70647] De 43 articulis, a. 23 arg. Vigesimus tertius articulus est, an similiter omnia animalia irrationalia.

Article 23 — En serait-il de même de tous les animaux privés de raison?

 [70648] De 43 articulis, a. 23 ad arg. Ad omnia ista est eadem responsio. Ut enim dictum est, superiora corpora per suum motum et lumen sunt causa generationis et corruptionis et vitae corporalis in inferioribus corporibus. Non est ergo dubium quin remota tali causa removeatur effectus : praesertim cum valde consonum fidei videatur, secundum quam ponimus, quod transeunte figura huius mundi, et motu caeli cessante per voluntatem Dei, sola elementa innovata remanebunt, et homines immortales effecti erunt virtute divina. Sed si fiat vis in hoc quod dicitur, in instanti, dicitur quod licet talis resolutio non sit in instanti, cum sit motus, principium tamen eius in instanti esse potest.

 La réponse est la même pour toutes ces questions. Comme nous l’avons dit, les corps supérieurs sont, par leur mouvement et leur lumière, la cause de la génération, de la corruption et de la vie corporelle dans les corps inférieurs. Il n’est pas douteux qu’en ôtant la cause, l’effet soit détruit, surtout lorsqu’il est si conforme à la foi, d’après laquelle nous établissons que la figure de ce monde étant détruite, et le mouvement du ciel interrompu par un ordre de la volonté de Dieu, les seuls éléments ne seront plus renouvelés et les hommes deviendront immortels par une grâce de Dieu. Mais si la révolution dont nous parlons se fait en un instant, on peut dire qu'une telle dissolution ne peut être instantanée, puisqu’elle est une commotion ; quoique sa cause puisse être instantanée.

 

 

 

III- QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS

Articulus 24 [70649] De 43 articulis, a. 24 arg. Vigesimus quartus articulus est, an post diem iudicii omnia corpora sanctorum erunt incorruptibilia per naturam, sive naturaliter, quia cessabit motus caeli, qui est causa corruptionis.

Article 24 — Tous les corps des saints, après le jour du jugement, seront-ils incorruptibles par nature ou naturellement, parce que le mouvement de la sphère céleste qui est la cause de leur corruption, cessera alors?

 

 

Articulus 25 [70650] De 43 articulis, a. 25 arg. Vigesimus quintus articulus, an similiter corpora damnatorum.

Article 25 — Les corps des damnés le seront-ils aussi?

[70651] De 43 articulis, a. 25 ad arg. Ad hoc videtur dicendum, quod cum dicitur aliquid incorruptibile esse per naturam significatur per naturam esse incorruptionis causam; cum praepositio per causam designet. Est autem duplex causa : scilicet per se, et per accidens. Per se quidem causa alicuius est quod directe est illius causa per suam virtutem, sicut aqua est causa infrigidandi; per accidens autem est causa alicuius, quod indirecte causat illud, puta removendo causam contrariam; sicut removens ignem de domo est causa infrigidationis eius. Cum ergo dicitur cessante motu caeli corpus hominis esse incorruptibile per naturam, si ly per dicit causam per se, falsum est : non enim ad hoc se extendit virtus naturae creatae, ut causare possit incorruptionem corporis ex contrariis compositi. Si autem dicit causam per accidens, sic aliquo modo verum est quod dicitur; quia subtracta causa universalis corruptionis naturalis, subtrahitur corruptio. In hoc etiam sensu melius diceretur negative quam privative; puta si sic diceretur : cessante motu caeli, corpus hominis, si divina virtute remaneat, non erit corruptibile per naturam. Verum, quia semper id quod est per se potius est eo quod est per accidens, potius videtur dicendum, quod erit corruptibile per naturam, sed incorruptibile per gratiam, vel iustitiam. Vel si contrarium dicatur, debet dici cum determinatione sanum sensum exprimente. 

Il me semble qu’on doit répondre à cette question, que quand on dit qu’une chose est incorruptible par nature, on entend que la nature est la cause de l’incorruptibilité, parce que la préposition par dénote la cause. Or, il y a une double cause : la cause en soi et celle par accident. La cause en soi est celle qui produit un effet directement et en soi : par exemple, l’eau est la cause du rafraîchissement. La cause par accident est celle qui produit un effet indirectement, par exemple, en écartant une cause contraire : par exemple, ôter le feu d’un appartement cause son refroidissement. Ainsi lorsqu’on soutient que si le mouvement du ciel s’arrêtait, le corps de l’homme serait incorruptible par nature, si par la préposition « par » on veut dire qu’il est incorruptible par lui-même, cette proposition est fausse. Car la puissance de la nature créée ne va pas jusqu’à rendre incorruptible un corps composé d’éléments contraires; mais si on veut dire qu’elle en est la cause par accident, ceci est vrai, parce qu’en ôtant la cause de toute la corruption naturelle, on ôte la corruption. Mais il vaut mieux exprimer cela par une négative que par une absence, en disant que, si mouvement du ciel s’arrêtait, le corps de l’homme, s’il est maintenu par la puissance de Dieu, ne sera pas corruptible par nature. Assurément, puisque le corps de l’homme existe en soi et non par accident, il vaut mieux dire qu’il était corruptible par nature, mais incorruptible par grâce ou par justice. Si on dit le contraire, il faut l’exprimer de façon claire et justifiée.

 

 

Articulus 26 [70652] De 43 articulis, a. 26 arg. Vigesimus sextus articulus est, an damnati in suis corporibus in Inferno sentiant poenas ignis per apprehensionem et receptionem speciei ignis per modum afflictivum et laesivum.

Article 26 — Les damnés dans l’enfer éprouvent-ils dans leurs corps les peines du feu, en recevant et subissant la substance de feu d’une manière affligeante et douloureuse?

 [70653] De 43 articulis, a. 26 ad arg. Ad hoc dicendum est, quod cum secundum fidem dicamus corpora damnatorum in Inferno afflictionem ex igne pati, nec tempus consumi, secundum illud Augustini, XXI de Civit. Dei, c. II : humana corpora non solum nunquam morte dissolventur, sed in aeternorum quoque ignium durabunt tormentis, necesse est in eis ponere id quod afflictionem facit, idest receptionem speciei sensibilis. Oportet etiam removere id quod consummare posset, scilicet transmutationem naturae corporum. Nec video quid calumniae habeat articulus.

On doit répondre à ceci, que comme la foi nous enseigne que les damnés souffrent dans l’enfer la peine du feu et qu’ils ne sont pas détruits par le temps, selon ces paroles de saint Augustin du vingt et unième chap. de la Cité de Dieu : « Les corps humains non seulement ne seront pas détruits par la mort, mais ils resteront dans les tourments des flammes éternelles », il faut admettre nécessairement ce qui fait le supplice, c’est-à-dire qu’ils seront atteints du point de vue de la substance sensible. De même il faut en écarter ce qui peut se consommer, c’est-à-dire la transmutation de la nature des corps. Je ne vois pas ce que cet article contient de faux.

 

 

Articulus 27[70654] De 43 articulis, a. 27 arg. Vigesimus septimus articulus est, an sententia Christi in iudicio erit corporalis, vel spiritualis.

Article 27 — La sentence du Christ au jour du jugement portera-t-elle sur le corps ou sur l’âme?

[70655] De 43 articulis, a. 27 ad arg. Dicitur, quod licet utrumque esse possit, probabilius tamen videtur quod sit spiritualis, quia et alia quae tunc agentur, spiritualiter divina virtute agentur. Ut enim dicit Augustinus, XX de Civit. Dei, c. XIV : divina virtute fiet ut cuique opera sua vel bona vel mala, cuncta in memoriam revocentur, et mentis intuitu mira celeritate cernantur, ut accuset vel excuset scientia conscientiam, atque ita simul omnes et singuli iudicentur.

Quoique l’un ou l’autre soit possible, il est plus probable qu’elle portera sur l’âme, parce qu’alors tout ce qui est fait de spirituel est fait par la vertu spirituelle de Dieu. Car, comme dit saint Augustin dans le vingtième chap. de la Cité de Dieu : "Alors, par la puissance de Dieu, chacun se rappellera ses bonnes et ses mauvaises actions, qui se présenteront subitement aux yeux de l’âme comme un vaste tableau, afin que cette connaissance condamne ou absolve la conscience, et ainsi tous seront jugés à la fois." 

 

 

 

IV- QUESTIONS SUR LA RAISON DE LA REDEMPTION

 

 

Articulus 28 [70656] De 43 articulis, a. 28 arg. Vigesimus octavus articulus est an Christus venit tollere nisi peccatum originale principaliter, seu principalius inter omnia peccata quae tollere venit.

Article 28 — Le Christ est-il venu effacer le péché originel seulement, ou parmi d’autres péchés?

[70657] De 43 articulis, a. 28 ad arg. Ad quod dicendum, quod Christus, quantum est in se, venit tollere omnia peccata. Donum enim Christi, ut apostolus dicit Rom. V, 15, excedit peccatum Adae : nam unum tantum ex uno in condemnationem; gratia autem ex multis delictis in iustificationem. Tanto autem principalius contra aliquod peccatum venit, quanto est maius. Peccatum autem quod originaliter contrahitur, licet sit minus gravitate et reatu poenae, est tamen maximum communitate, secundum illud apostoli Rom. V, 12 — in quo omnes peccaverunt. Et quantum ad hoc potest dici, quod Christus principaliter venit tollere originale : unde super illud Ioan. I, 29 — ecce qui tollit peccatum mundi, dicit Glossa : peccatum mundi dicitur peccatum originale, quod est commune toti mundo.

On doit dire que le Christ en tant qu’il est en lui, est venu détruire tous les péchés du monde. Car le don de Jésus-Christ, comme le dit l’apôtre Paul dans le chap. 5 de son Epître aux Romains, dépasse le péché d’Adam : Car nous avons été condamnés par le jugement de Dieu par un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce pour un seul péché." Or, il est venu d’autant plus particulièrement pour un péché, qu’il est plus grand. Or le péché originel, quoique moindre en gravité et en châtiment, est cependant le plus grand par son universalité, d’après ces paroles de saint Paul aux Romains, « par lequel tous ont péché ». En ce sens, on peut dire que le Christ est venu particulièrement enlever le péché originel ; ce qu’exprime Jean I, 29 — « Celui qui enlève le péché du monde », glosé ainsi : Le ‘péché du monde’ désigne le péché originel, qui est commun au monde entier.

 

 

Articulus 29 [70658] De 43 articulis, a. 29 arg. Vigesimus nonus articulus est, an nomina sanctorum digito Dei scripta sint in caelis ad honorem eorum.

Article 29 — Les noms des saints sont-ils écrits dans le ciel par le doigt de Dieu pour leur honneur?  

[70659] De 43 articulis, a. 29 ad arg. Videtur mihi non esse verum. Si tamen dicatur quod sic, nullum est periculum.

Ceci me semble faux, bien qu’il n’y ait rien de dangereux à l’affirmer.

 

 

 

V- QUESTIONS SUR L'ESCHATOLOGIE

Articulus 30 [70660] De 43 articulis, a. 30 arg. Trigesimus articulus est, an nomina impiorum in Inferno existentium, digito Dei scripta sint in terra ad vituperium eorum.

Article 30 — Les noms des impies qui sont dans l’enfer sont- ils écrits sur la terre pour leur confusion par le doigt de Dieu?

 [70661] De 43 articulis, a. 30 ad arg. Non hoc verum puto, si corporaliter intelligatur. In nullo tamen fides obsistit, ut mihi videtur.

 Je ne crois pas cette idée vraie, prise matériellement. Mais elle ne blesse pas la foi, à mon avis.

 

 

Articulus 31 [70662] De 43 articulis, a. 31 arg. Trigesimus primus articulus est, an Infernus sit in centro vel circa centrum terrae.

Article 31 — L’enfer est-il au centre ou autour du centre de la terre?

 [70663] De 43 articulis, a. 31 ad arg. Ad hoc dicendum videtur, quod locus Inferni sit infra terram; unde Augustinus in libro Retractationum II, cap. XXIV dicit : de Infernis magis, ut videtur, dicere debuissem quod sub terris sint, quam rationem reddere cur sub terris esse dicantur. Ubi tamen sit Infernus, an circa centrum terrae, vel circa superficiem, nihil arbitror ad doctrinam fidei pertinere : et superfluum est de talibus sollicitari asserendo vel improbando.

Je crois qu’on doit dire que l’enfer est au-dessous de la terre. Car saint Augustin dit dans son livre des Rétractations : "Il semble que j’aurais à dire que l’enfer est sous la terre, plutôt que de donner les raisons pour lesquelles on le croit ainsi." Mais il importe peu à la doctrine de la foi, qu’il soit au-dessous de la terre, à son centre ou à sa surface, comme il est superflu de discuter de telles matières, qu’on tienne pour l’affirmative ou pour la négative.

 

 

Articulus 32 [70664] De 43 articulis, a. 32 arg. Trigesimus secundus articulus est, an liceat disputare an anima Christi sit ex traduce, determinando quod verum est.

Article 32 — Est-il licite de discuter de la question : l'âme de Jésus-Christ vient-elle d’un autre corps, pour l’élucider?

 [70665] De 43 articulis, a. 32 ad arg. Hic articulus dubie positus est. Si enim intelligatur quod liceat disputare et determinare hoc esse verum quod anima Christi sit ex traduce, erroneum est, quia nullius hominis anima est ex traduce : multo ergo minus anima Christi, cuius etiam corpus est virtute spiritus sancti formatum. Si autem intelligatur quod liceat disputare an anima Christi sit ex traduce, et circa hoc determinare illud quod veraciter fides Catholica tenet, scilicet quod non, non video quare hoc non liceat, cum quotidie in scholis magistrorum disputetur et de Trinitate et de aliis articulis fidei, non propter dubitationem, sed propter veritatis intellectum et manifestationem et confirmationem. Posset tamen hoc per accidens in aliquo casu esse malum : puta si coram simplicibus et paratis ad errandum talia disputarentur.

Cet article trente et un est posé de façon ambiguë. S’il s’agit de discuter, pour élucider cette question, de se demander s’il est vrai que l’âme de Jésus-Christ lui vienne d’un autre : cette proposition est fausse, parce que l’âme d’aucun homme ne lui a été donnée de cette manière, et à plus forte raison l’âme de Jésus-Christ dont le corps a été formé par la vertu du Saint-Esprit. Mais s’il s’agit de discuter si l’âme de Jésus-Christ lui a été donnée par un intermédiaire et de tâcher de rappeler ce qu’enseigne la foi catholique à cet égard, ou ce qu’elle condamne, je ne vois pas comment cela serait coupable, alors qu’on dispute tous les jours dans les chaires des docteurs sur la Trinité et sur d’autres articles de foi, non pour soulever le doute sur ces questions mais pour en faciliter l’intelligence, en fixer le sens et en établir les preuves. Cependant ceci pourrait être coupable par accident dans certain cas, par exemple, si on agitait ces questions devant des personnes simples ou disposées à l’erreur.

 

 

Articulus 33 [70666] De 43 articulis, a. 33 arg. Trigesimus tertius articulus est, an illud verbum philosophi de animalibus

Article 33 — La part matérielle du sperme avec laquelle sort la vertu du principe de l’âme, peut-elle être appelée intellect?

Lib. XVI, cap. VI, scilicet : corpus spermatis, cum quo exit spiritus, qui est virtus principii animae, qui est separatus a corpore, et est res divina; et talis dicitur intellectus, sic possit vel debeat exponi, idest : ille spiritus seu virtus formativa dicitur intellectus per similitudinem, quia sicut intellectus operatur sine organo, ita illa virtus.

[70667] De 43 articulis, a. 33 ad arg. Dicitur, quod illam auctoritatem philosophi hoc modo exponit Commentator eius Meteororum VII. Nec dicitur res divina quia sit per essentiam Deus, sed per quandam similitudinis participationem; sicut quodlibet magnum et admirabile solet dici divinum. Nec video quid pertineat ad doctrinam fidei, qualiter philosophi verba exponantur.

 Le trente-troisième article contient cette question d’Aristote dans son Traité des Animaux, chap. 14, savoir : la part matérielle du sperme avec laquelle sort l’esprit qui est la vertu du principe de l’âme, lequel est séparé du corps, et est un être divin et ainsi défini, est appelé intellect, peut-elle et doit-elle être entendue ainsi, c’est-à-dire, cet esprit ou cette puissance de production est appelée intellect par similitude, parce que de même que l’intellect opère sans les organes, de même cette puissance. Le commentateur de ce philosophe l’explique aussi dans son Traité des Météores, 7 : "On ne l’appelle pas une chose divine parce qu’elle est Dieu par essence, mais par une certaine participation de ressemblance, on a coutume d’appeler divin ce qui est grand et admirable." Et je ne pense pas que cette explication de la pensée d’Aristote porte atteinte à la foi.

 

 

Articulus 34 [70668] De 43 articulis, a. 34 arg. Trigesimus quartus articulus est, an aliquid de substantia caeli intret compositionem corporis naturaliter compositi ex quatuor elementis per effectum suae virtutis.

Article 34 — Entre-t-il quelque chose de la substance du ciel dans la composition d’un corps formé naturellement des quatre éléments, par l’effet de sa propre vertu? 

 

 

Articulus 35 [70669] De 43 articulis, a. 35 arg. Trigesimus quintus articulus est, an aliquid de substantia caeli intret compositionem corporis vivi et animati.

Article 35 — Un corps vivant et animé reçoit-il quelque chose, dans sa composition, de la substance du ciel?

[70670] De 43 articulis, a. 35 ad arg. Dicitur, quod cum aliquid dicitur de substantia caeli, si haec praepositio de designet causam materialem, sic credo esse falsum, non tamen periculosum, nec contra fidem. Si autem designet habitudinem causae efficientis, sic puto non solum esse verum, sed necessarium, ut patet per auctoritatem Dionysii supra inductam : et hic sensus determinatur per hoc quod dicitur, per effectum suae virtutis.

 On répond que lorsqu’on dit qu’une chose est de la substance du ciel, si cette préposition de, désigne une cause matérielle, je crois cette idée fausse, mais sans danger et nullement opposée à la foi. Et si on entend l’effet de la cause efficiente, je la crois non seulement vraie, mais nécessaire, comme le prouve saint Denis que nous avons cité plus haut, et ce sens est fixé par ces mots, par l’effet de sa vertu.

 

 

Articulus 36 [70671] De 43 articulis, a. 36 arg. Trigesimus sextus articulus est, an corpora sanctorum glorificata lucebunt plus quam sol, et sol septuplum quam nunc, et corpora sanctorum septuplum quam tunc sol.

Article 36 — Les corps des saints qui seront glorifiés brilleront-ils plus que le soleil ? L’éclat du soleil sera-t-il sept fois plus vif que maintenant ? Celui des corps sera-t-il sept fois plus beau que le soleil renouvelé ?

 [70672] De 43 articulis, a. 36 ad arg. Dicitur ad primum, quod Chrysostomus exponens illud Matth. XIII, 43 — tunc iusti fulgebunt sicut sol in regno patris eorum, dicit : non quia ita solum sicut sol, sed quia hoc sidere nihil lucidius scimus. Alia vero quae sequuntur, non occurrit quare tute dici non possint; praesertim cum in innovatione mundi certum sit secundum Catholicam doctrinam quod tota creatura corporalis meliorabitur, quae revelationem filiorum Dei expectat, ut dicitur Rom. VIII, 19. Hieronymus etiam dicit super illud Matth. XXIV, 29 — sol obscurabitur, et luna non dabit lumen suum : non hoc diminutione luminis accidet, cum solem legamus septuplum luminis habiturum; sed comparatione verae lucis, omnia visui apparebunt tenebrosa.

On répond à la première question que saint Jean Chrysostome expliquant ces paroles de S. Mathieu, ch. 33, "Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père," dit : "Ils ne brilleront pas seulement comme le soleil, mais nous parlons ainsi parce que nous ne connaissons rien de plus brillant que le soleil." Ce n’est pas le cas d’exposer ce qui suit, parce qu’on ne peut le faire qu’en tâtonnant; surtout quand on est certain, d’après la foi catholique, que dans la rénovation du monde, toute créature corporelle qui attend la révélation des enfants de Bien, sera perfectionnée, selon les paroles de saint Paul aux Romains, ch. 8 Saint Jérôme dit aussi sur ces paroles de saint Matthieu, ch. 24 : "Le soleil sera couvert de ténèbres et la lune perdra sa lumière." Cela n’aura pas lieu à cause de la diminution de la lumière, puisque nous lisons que le soleil sera sept fois plus lumineux, mais tout paraîtra ténébreux à nos regards, en comparaison de la véritable lumière.

 

 

Articulus 37 [70673] De 43 articulis, a. 37 arg. Trigesimus septimus articulus est, an Angeli quos vidit Maria Magdalena circa sepulcrum domini post eius resurrectionem, lacrymabili voce consolati sint eam.

Article 37 — Les anges que Marie-Madeleine vit auprès du tombeau du Sauveur après sa résurrection, la consolèrent-ils en lui adressant la parole avec des larmes?

 [70674] De 43 articulis, a. 37 ad arg. Ad hoc mihi dicendum videtur, quod ea quae in apparitione Angelorum contingunt, ad quandam significationem sunt referenda, non ad proprietatem substantiae ipsorum, ut patet per Dionysium, ult. cap. Cael. Hierarch.; unde sicut in Scripturis sacris aliqua per similitudinem leguntur de Deo ad iram vel tristitiam vel aliquid humanum pertinentia; ita etiam nihil prohibet in apparitionibus Angelorum aliquid tale propter aliquam significationem demonstrari. Et licet Angelis resurrectionis nuntiis magis congruant signa gaudii propter rem nuntiatam, nihil tamen prohibet quin aliqua doloris signa ostenderent, ut tales se mulieri flenti ostenderent, qualem se ipsam interius exhibebat, sicut Gregorius dicit de domino apparente duobus discipulis in effigie peregrini.

 Il me semble qu’on doit répondre que ce qui arriva dans cette apparition des anges, a trait plutôt à leur mission qu’aux propriétés de leur substance, d’après ce que dit saint Denis au chapitre de la Hiérarchie céleste, comme de ce qu’on lit dans l’Ecriture sainte sur la colère, la tristesse de Dieu, et à toutes les différentes situations de la nature humaine. Or rien n’empêche de supposer que quelque chose de semblable n’arrive dans l’apparition des anges, pour signifier quelque sentiment particulier. Et malgré que les signes de la joie semblent mieux convenir aux anges qui annoncent la résurrection de Jésus-Christ, à cause de l’objet de leur mission, rien ne s’oppose néanmoins à ce qu’ils donnent quelques signes de douleur en apparaissant à cette femme en pleurs, exhalant avec des larmes la douleur de son âme, comme saint Grégoire le dit du Sauveur qui apparut, sous la figure d’un voyageur, aux deux disciples d’Emmaüs.

 

 

Articulus 38 [70675] De 43 articulis, a. 38 arg. Trigesimus octavus articulus est, an homo posset videre oculo mentis omnia quae aguntur in corde hominis habentia impressionem exterius in corpore, si haberet visum acutum ut Diabolus.

Article 38 — Pourrait-on voir des yeux de l’esprit tout ce qui se passe dans le coeur de l’homme, et qui laisse une certaine impression extérieure dans le corps, si on avait une vue aussi pénétrante que celle du démon?

 [70676] De 43 articulis, a. 38 ad arg. De hoc ita dicit Augustinus in libro de divinatione Daemonum : hominum dispositiones non solum voce prolatas, sed et cogitatione conceptas Daemones consignant; quae cum ex anima exprimuntur in corpore, tota facilitate perdiscunt; et in libro II Retractationum c. XXX dicit : pervenire ista ad notitiam Daemonum, per nonnulla experimenta compertum est. Verum signa quaedam dantur ex corpore cogitantium, illis sensibilia, nos autem latentia. An autem alia in speciali cognoscant, aut difficillime potest ab hominibus, aut omnino non potest inveniri. Ex quibus patet quod Daemones cogitatione cordium cognoscere possunt quae per aliquos corporis motus manifestantur. Nec hoc est mirum, cum etiam subtiles medici per pulsum deprehendant interiores animae passiones; et dicitur Eccli. XIX, 26 — ex visu cognoscitur vir, et ab occursu faciei cognoscitur sensatus.

Saint Augustin répond à ceci dans son Traité de la divination des démons : "Ils comprennent, dit-il, non seulement les dispositions des hommes exprimées verbalement, mais encore leurs pensées intimes, et les saisissent avec une merveilleuse facilité, lorsqu’elles s’impriment de l’esprit clans le corps." Et il ajoute dans le livre des Rétractations : "Il est constant, par une multitude d’expériences, que tout ceci arrive à la connaissance des démons. Ils reconnaissent même dans les corps humains, des signes de la pensée qui nous restent tout à fait inconnus. Nous pouvons très difficilement : et il est peut-être tout à fait impossible de savoir s’ils connaissent autre chose en particulier, d’où on puisse conclure que les démons saisissent les pensées du cœur, qui sont exprimées par quelque mouvement du corps. Ceci n’est pas étonnant, puisque des médecins habiles connaissent les passions de l’âme par les battements du pouls. Et on lit au ch. 19 de l’Ecclésiastique : "On connaît l’homme au regard, et l’homme sage se fait connaître à ses traits."

 

 

Articulus 39 [70677] De 43 articulis, a. 39 arg. Trigesimus nonus articulus est, an licet ascendendo immediate Mars sit supra solem quantum ad situm, tamen sit immediate supra lunam quantum ad dominium in prima hora Martis.

Article 39 — Quoiqu’en montant perpendiculairement Mars soit au-dessus du soleil, quant à la position, est-il cependant immédiatement au-dessus de la lune, quant à l’influence, à la première heure de Mars?

 [70678] De 43 articulis, a. 39 ad arg. Ad hoc dicendum videtur, quod si dominium Martis et lunae referatur ad liberum arbitrium, est erroneum. Si autem referatur ad corporales et naturales res, nulla sequitur absurditas in fidei doctrina. Dicit enim Augustinus, V de Civ. Dei, c. VI : non usquequaque dici potest ad solam corporum differentiam afflatus quosdam valere sidereos; immo etiam hoc verum est secundum ordinem dierum; nam cum septem planetis septem horae secundum astrologos deputentur, cum vigintiquatuor horae sint naturalis diei, consequens est ut prima feria in vigesima secunda hora diei luna dominium habeat, sicut et in prima eiusdem : unde reincipiendo a Saturno, vigesimatertia hora ei deputabitur, et vigesimaquarta Iovi, prima diei sequentis Marti deputabitur. Sed hoc nihil ad doctrinam fidei pertinet nec asserere nec improbare.

On doit répondre à ceci que, si l’influence de Mars et de la lune a rapport au libre arbitre, cette pensée est erronée. Si on ne l’applique qu’aux choses naturelles et sensibles, il n’y a rien qui puisse porter atteinte à la foi. Or saint Augustin dit dans La Cité de Dieu : "On ne peut pas toujours dire que certaines influences des astres agissent seulement d’après la différence des corps; bien plus, ceci est vrai d’après l’ordre des jours, car les astrologues comptent sept heures, d’après les sept planètes, et comme le jour ordinaire se compose de vingt-quatre heures, il s’ensuit que la lune exerce son influence à la vingt-deuxième heure du jour de la première férie, comme dans la première heure du même jour; en sorte qu’en recommençant depuis Saturne, il aura la vingt-troisième heure, la vingt-quatrième à Jupiter, et la première du jour suivant à Mars. Mais qu’on prenne telle ou telle opinion, ceci ne touche pas à la foi.

 

 

Articulus 40 [70679] De 43 articulis, a. 40 arg. Quadragesimus articulus est, an in Inferno erit fletus corporalis quantum ad lacrymarum resolutionem.

Article 40 — Les damnés, dans l’enfer, répandront-ils des larmes matérielles?

 [70680] De 43 articulis, a. 40 ad arg. Puto quod non erit : quia cum fletus ille sit infinitus, et nihil corporibus damnatorum adiiciatur per nutrimentum, sequeretur quod aliquando per fletum corpora resolverentur et consumerentur; quod est contra fidem.

Je pense que non; car comme ces pleurs sont éternels, et que leurs corps ne seront pas entretenus par la nourriture, il s’ensuivrait que quelques corps seraient entièrement consommés et cesseraient d’être, ce qui est contre la foi.

 

 

Articulus 41 [70681] De 43 articulis, a. 41 arg. Quadragesimus primus articulus est, an in Inferno erit corporalis vermis.

Article 41 — Le ver qui doit ronger le cœur des damnés est-il matériel?

 [70682] De 43 articulis, a. 41 ad arg. Hoc Augustinus sub dubio relinquit, XXI de Civ. Dei, licet in XX eiusdem dicat hoc probabilius videri, quod ignis referatur ad corpus, vermis tropice ad animam : quod etiam mihi probabilius videtur.

Saint Augustin laisse cette question douteuse dans le vingt-et-unième livre de la Cité de Dieu, quoiqu’il dise dans le vingtième qu’il lui semble plus probable que le feu s’applique au corps, et que le ver entoure l’âme de ses replis, et cette opinion est la mienne.

 

 

Articulus 42 [70683] De 43 articulis, a. 42 arg. Quadragesimus secundus articulus est, an sciri possit distantia superficiei terrae ab eius centro.

Article 42 — Peut-on mesurer la distance de la surface de la terre au centre?

[70684] De 43 articulis, a. 42 ad arg. Videtur quod sic, secundum tamen modum demonstrationis astrologicae, non geometricae. Haec sunt, pater reverende, quae pro nunc occurrunt, licet plura sint extra theologiae limites requisita.

Il me semble que la chose est possible, non géométriquement, mais seulement par l’astrologie[1]. Voilà, mon Révérend Père, ce que je puis vous dire pour le moment sur ces différentes questions, dont plusieurs sont en dehors des limites de la théologie.

 

Fin

 

 



[1] Pourquoi pas plutôt par « astronomie » ?