COMPENDIUM THEOLOGIAE

RÉSUMÉ DE LA THÉOLOGIE

 

PAR SAINT THOMAS D'AQUIN

DOCTEUR DE L'EGLISE

 

 

Rédigé de 1260 à 1272, cette petite somme de théologie est une oeuvre de maturité du Maître. Elle reste inachevée, suite à une extase mystique qui lui fit cesser tout travail d'écriture. Mais cette œuvre contient la pensée de saint Thomas sur l’eschatologie qui n’est pas profondément différente de celle qui transparaît dans son Commentaire des Sentences, au début de son enseignement.

 

Édition numérique à partir de la traduction du Père Jean Kreit,

Missionnaire de la Congrégation du cœur immaculé de Marie (Scheut)

 1985

 

 

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE PAR ALINE LIZOTTE_ 7

LES GRANDES DIVISIONS DU COMPENDIUM_ 10

L’espérance_ 17

Comment faut-il lire saint Thomas ?_ 17

AVANT-PROPOS DU PÈRE KREIT POUR UN COMPLÉMENT AU COMPENDIUM_ 18

RÉSUMÉ DE LA THÉOLOGIE PAR SAINT THOMAS 19

Chapitre 1 — PRÉAMBULE DE SAINT THOMAS_ 19

PREMIÈRE PARTIE — LA FOI 20

PREMIER TRAITÉ — DIEU ET L'HOMME_ 21

Chapitre 2 — PLAN DE LA DOCTRINE SUR LA FOI 21

A — Dieu (Chapitres 3 à 67) 21

1° Dieu et le Père (chapitre 3 à 36) 21

Chapitre 3 — QUE DIEU EST_ 21

Chapitre 4 — NE SE MEUT PAS_ 22

Chapitre 5 — DIEU EST ÉTERNEL_ 23

Chapitre 6 — L’EXISTENCE DE DIEU S’IMPOSE D’ELLE-MÊME_ 23

Chapitre 7 — DIEU EST TOUJOURS_ 23

Chapitre 8 — IL N’Y A PAS DE SUCCESSION EN DIEU_ 24

Chapitre 9 — DIEU EST SIMPLE_ 24

Chapitre 10 — DIEU EST SON ESSENCE_ 25

Chapitre 11 — L’ESSENCE EN DIEU N’EST PAS AUTRE QUE SON ÊTRE_ 25

Chapitre 12 — DIEU N’EST PAS UNE ESPÈCE SOUS UN GENRE_ 26

Chapitre 13 — DIEU NE PEUT ÊTRE GENRE DE QUELQUE CHOSE_ 26

Chapitre 14 — DIEU N’EST PAS UNE ESPÈCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX INDIVIDUS_ 27

Chapitre 15 — IL EST NÈCESSAIRE DE DIRE QUE DIEU EST UN_ 27

Chapitre 16 — DIEU N’EST PAS UN CORPS_ 28

Chapitre 17 — IL EST IMPOSSIBLE QU’IL SOIT FORMÉ D’UN CORPS OU VERTU DANS UN CORPS_ 28

Chapitre 18 — DIEU EST INFINI SELON SON ESSENCE_ 29

Chapitre 19 — L’INFINIE PUISSANCE DE DIEU_ 30

Chapitre 20 — L’INFINI DE DIEU NE CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION_ 30

Chapitre 21 — EN DIEU SE TROUVENT LES PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE MANIÈRE ÈMINENTE_ 31

Chapitre 22 — TOUTES LES PERFECTIONS EN DIEU SONT UNE SEULE ET MÊME CHOSE_ 32

Chapitre 23 — EN DIEU NE SE TROUVE AUCUN ACCIDENT_ 32

Chapitre 24 — LA MULTITUDE DES NOMS DONNÉS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA SIMPLICITÉ_ 33

Chapitre 25 — LES NOMS DIVERS DONNÉS A DIEU NE SONT PAS SYNONYMES_ 33

Chapitre 26 — LE SENS DE CES MÊMES NOMS NE DÉFINIT PAS CE QUE EST DIEU_ 34

Chapitre 27 — LES NOMS ET AUTRES CHOSES AU SUJET DE DIEU NE SONT PAS TOUT A FAIT UNIVOQUES NI ÉQUIVOQUES  34

Chapitre 28 — DIEU EST INTELLIGENT_ 35

Chapitre 29 — L’INTELLIGENCE EN DIEU N’EST NI UNE POTENTIALITÉ, NI UNE HABITUDE, MAIS UN ACTE_ 36

Chapitre 30 — DIEU NE PENSE QUE PAR SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE INTELLECTUELLE_ 36

Chapitre 31 — EST CE QU’IL PENSE ?_ 37

Chapitre 32 — DIEU EST VOLONTÉ_ 37

Chapitre 33 — CETTE VOLONTÉ EN DIEU NE DIFFÈRE PAS DE SON INTELLIGENCE_ 38

Chapitre 34 — LA VOLONTÉ EN DIEU EST SON VOULOIR MÊME_ 38

Chapitre 35 — TOUT CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL_ 38

Article DE FOI 38

Chapitre 36 — TOUT CE QUI PRÉCÈDE SE TROUVE DÉJÀ CHEZ LES PHILOSOPHES_ 39

2° Le Verbe (chapitre 37 à 45) 39

Chapitre 37 — QU’ENTEND-ON PAR VERBE DANS LES CHOSES DIVINES ?_ 39

Chapitre 38 — EN LE VERBE EST CONÇU_ 40

Chapitre 39 — COMMENT LE VERBE EST-IL COMPARÉ AU PÈRE ?_ 40

Chapitre 40 — COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE LA GÉNÉRATION EN DIEU ?_ 40

Chapitre 41 — LE VERBE OU FILS A LE MÊME ÊTRE ET LA MÊME ESSENCE QUE LE PÈRE_ 41

Chapitre 42 — CATHOLIQUE ENSEIGNE CES CHOSES_ 41

Chapitre 43 — EN IL N’Y A PAS DE DIFFÉRENCE DU VERBE ET DU PÈRE SELON LE TEMPS, L’ESPÈCE OU LA NATURE  41

Chapitre 44 — CONCLUSION DES PRÉMISSES_ 43

Chapitre 45 — DIEU EST EN LUI-MÊME COMME L’AIMÉ DANS L’AMANT_ 43

3° L’Esprit Saint (chapitre 46 à 49) 43

Chapitre 46 — L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE ESPRIT_ 43

Chapitre 47 — L’ESPRIT QUI EST EN EST SAINT_ 44

Chapitre 48 — L’AMOUR EN N’INTRODUIT AUCUN ACCIDENT_ 45

Chapitre 49 — L’ESPRIT SAINT PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS_ 45

4° Les relations divines (chapitre 50 à 67) 46

Chapitre 50 — LA TRINITÉ EN NE RÉPUGNE PAS À SON UNITÉ_ 46

Chapitre 51 — IL SEMBLE QU’IL Y AIT RÉPUGNANCE À UNE TRINITÉ DES PERSONNES EN DIEU_ 46

Chapitre 52 — RÉPONSE A L’OBJECTION — IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES RELATIONS_ 47

Chapitre 53 — LES RELATIONS PAR LESQUELLES SE DISTINGUENT LE PÉRE ET LE FILS ET L’ESPRIT SAINT SONT RÉLLES ET PAS SEULEMENT DE RAISON_ 50

Chapitre 54 — CES RELATIONS NE SONT PAS DES ACCIDENTS_ 50

Chapitre 55 — CES RELATIONS PRODUISENT EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE_ 51

Chapitre 56 — IL N’Y A QUE TROIS PERSONNES EN DIEU_ 51

Chapitre 57 — DES PROPRIÉTÉS OU NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE PÈRE ?_ 52

Chapitre 58 — DES PROPRIÉTÉS DU FILS ET DE L’ESPRIT SAINT — QUELLES SONT-ELLES ET COMBIEN ?_ 53

Chapitre 59 — POURQUOI CES PROPRIÉTÉS SONT-ELLES DITES NOTIONS ?_ 53

Chapitre 60 — BIEN QUE LES RELATIONS SUBSISTANTES EN SOIENT AU NOMBRE DE QUATRE, IL N’Y A CEPENDANT QUE TROIS PERSONNES_ 54

Chapitre 61 — SI PAR LA PENSÉE ON ÉCARTE LES PROPRIÉTÉS PERSONNELLES IL N’Y A PLUS D’HYPOSTASES_ 56

Chapitre 62 — ÉCARTANT EN ESPRIT LES PROPRIÉTÉS PERSONNELLES L’ESSENCE DIVINE DEMEURE_ 56

Chapitre 63 — DU RAPPORT DES ACTES PERSONNELS AUX PROPRIÉTÉS PERSONNELLES_ 57

Chapitre 64 — CE QUE SIGNIFIE LA GÉNÉRATION POUR LE PÉRE ET POUR LE FILS_ 58

Chapitre 65 — LES ACTES NOTIONNELS NE DIFFÈRENT DES PERSONNES QUE SELON LA RAISON_ 58

Chapitre 66 — LES PROPRIÉTÈS RELATIVES SONT L’ESSENCE MÊME DE DIEU_ 59

Chapitre 67 — LES RELATIONS NE SONT PAS QUELQUE CHOSE AJOUTÉ DE L’EXTÉRIEUR, COMME LE PRÉTENDENT LES DISCIPLES DE GILBERT DE LA PORRÉE_ 59

B — Les oeuvres de Dieu — la Création (chapitre 68 à 94) 60

1° En général (chapitre 68 à 70) 60

Chapitre 68 — L’ÊTRE, EFFET PREMIER DE LA DIVINITÉ_ 60

Chapitre 69 — EN CRÉANT N’A PAS UTILISÉ DE MATIÈRE_ 61

Chapitre 70 — DIEU SEUL PEUT CRÉER_ 62

2° Les choses matérielles (chapitre 71 à 74) 62

Chapitre 71 — LA DIVERSITÉ DE LA MATIÈRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITÉ DES CHOSES_ 62

Chapitre 72 — COMMENT PRODUIT LES DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE DE LEUR PLURALITÉ_ 63

Chapitre 73 — DE LA DIVERSITÉ, DU DEGRÉ, DE L’ORDRE DES CHOSES_ 63

Chapitre 74 — PARMI LES CRÉATURES IL Y EN A QUI SONT PLUS EN PUISANCE QU’EN ACTE, POUR D’AUTRES C’EST LE CONTRAIRE  64

3° Les créatures spirituelles (chapitre 75 à 94) 65

a) Les anges (chapitre 75 à 78) 65

Chapitre 75 — LES ÉTRES SUPÉRIEURS A LA MATIÈRE ONT EN PROPRE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE_ 65

Chapitre 76 — DE TELLES SUBSTANCES SONT LIBRES D’ARBITRE_ 66

Chapitre 77 — DANS CES SUBSTANCES EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRÉS SELON LA PERFECTION DE LEUR NATURE  66

Chapitre 78 — COMMENT ENTENDRE ORDRE ET DEGRÉ DANS LEUR ACTE INTELLIGENT ?_ 67

b) Les hommes (chapitre 79-94) 67

Chapitre 79 — LA SUBSTANCE QUI FAIT L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE PARMI LES INTELLECTUELLES_ 67

Chapitre 80 — DIFFÉRENCE DANS L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER_ 68

Chapitre 81 — L’INTELLECT POSSIBLE DE L’HOMME REÇOIT LES FORMES INTELLIGIBLES A PARTIR DES CHOSES SENSIBLES  69

Chapitre 82 — L’HOMME A BESOIN POUR PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES_ 69

Chapitre 83 — IL EST NÉCESSAIRE D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT AGENT_ 70

Chapitre 84 — L’ÂME HUMAINE EST INCORRUPTIBLE_ 71

Chapitre 85 — N’Y A-T-IL QU’UN INTELLECT POSSIBLE ?_ 72

Chapitre 86 — L’INTELLECT AGENT N’EST PAS UNIQUE POUR TOUS_ 76

Chapitre 87 — L’INTELLECT POSSIBLE ET L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT DANS L’ESSENCE DE L’ÂME_ 76

Chapitre 88 — COMMENT CES DEUX PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MÊME ESSENCE DE L’ÂME_ 77

Chapitre 89 — TOUTES LES PUISSANCES ONT LEUR RACINE DANS L’ÂME_ 78

Chapitre 90 — UNE SEULE ÂME EN UN SEUL CORPS_ 79

Chapitre 91 — LES RAISONS QUI SEMBLERAIENT INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ÂMES DANS L’HOMME_ 80

Chapitre 92 — SOLUTION DE CES DIFFICULTÈS_ 81

Chapitre 93 — L’ÂME RATIONNELLE N’EST PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION NATURELLE_ 83

Chapitre 94 — L’ÂME RATIONNELLE N’EST PAS DE SUBSTANCE DIVINE_ 84

C — Les créatures et leur relation à Dieu (chapitre 95 à 147) 85

1° En général (chapitre 95 à 104) 85

Chapitre 95 — DIEU EST L’AUTEUR IMMÉDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE  85

Chapitre 96 — N’AGIT PAS PAR NÈCESSITÉ NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT_ 86

Chapitre 97 — DANS SON ACTION EST IMMUABLE_ 87

Chapitre 98 — MOTIF EN FAVEUR D’UN MOUVEMENT ÉTERNEL ET LA SOLUTION_ 87

Chapitre 99 — LA MATIÈRE AURAIT-ELLE EXISTÉ ETERNELLEMENT AVANT LA CRÉATION DU MONDE ?_ 89

Chapitre 100 — DIEU FAIT TOUTES CHOSES POUR UNE FIN_ 91

Chapitre 101 — LA BONTÉ DIVINE EST LA FIN DERNIÈIŒ DE TOUTES LES CHOSES_ 91

Chapitre 102 — LA DIVINE RESSEMBLANCE EST CAUSE DE LA DIVERSITÉ DES CHOSES_ 92

Chapitre 103 — EN PLUS DE LA CAUSALITÉ DES CHOSES, LA BONTÉ DIVINE EST LA CAUSE DE LEUR MOUVEMENT ET DE LEUR ACTIVITÉ_ 93

Chapitre 104 — IL Y A DANS LES CHOSES UNE DOUBLE PUISSANCE A LAQUELLE CORRESPOND UN DOUBLE INTELLECT ET DE LA FIN DE LA CRÉATURE INTELLECTUELLE_ 95

2° La fin de l’homme (chapitre 105 à 110) 97

Chapitre 105 — COMMENT LA FIN DERNIÈRE DE LA CRÉATURE INTELLECTUELLE EST DE VOIR PAR ESSENCE ET COMMENT CELA EST POSSIBLE_ 97

Chapitre 106 — LE DÉSIR NATUREL S’APAISE DANS LA VISION DIVINE PAR ESSENCE, EN QUOI CONSISTE LA BÉATITUDE  98

Chapitre 107 — QUE LE MOUVEMENT VERS POUR LA POSSESSION DE LA BÉATITUDE S’APPARENTE AU MOUVEMENT NATUREL ET QUE LA BÉATITUDE CONSISTE PANS UN ACTE DE L’INTELLIGENCE_ 98

Chapitre 108 — DE L’ERREUR DE CEUX QUI METFENT LEUR FÉLICITÉ DANS LES CRÉATURES_ 99

Chapitre 109 — QUE SEUL EST BON ESSENTIELLEMENT ET LES CRÉATURES PAR PARTICIPATION_ 100

Chapitre 110 — DIEU NE PEUT PAS PERDRE SA BONTÉ_ 100

3° Le mal dans les créatures (chapitre 111 à 122) 101

Chapitre 111 — LA CRÉATURE PEUT PERDRE SA BONTÉ_ 101

Chapitre 112 — COMMENT LES CRÉATURES PERDENT LEUR BONTÉ PAR LEURS OPÉRATIONS_ 101

Chapitre 113 — D’UN DOUBLE PRINCIPE D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL PEUT Y AVOIR DÉFECTION_ 102

Chapitre 114 — QU’ENTEND-ON PAR BIEN OU MAL DANS LES CHOSES ?_ 103

Chapitre 115 — IL EST IMPOSSIBLE QUE LE MAL CONSTITUE UNE NATURE_ 103

Chapitre 116 — COMMENT LE BIEN ET LE MAL SONT DES DIFFÉRENCES DE L’ÊTRE, DES CONTRAIRES ET DES GENRES DE CONTRAIRES_ 104

Chapitre 117 — RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT MAUVAIS OU TRES MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN   105

Chapitre 118 — LE MAL S’APPUIE SUR LE BIEN COMME SON SUJET_ 106

Chapitre 119 — IL Y A DEUX SORTES DE MAUX_ 107

Chapitre 120 — DE TROIS SORTES D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITÉ_ 107

Chapitre 121 — QU’UN MAL REVÊT UN CARACTÈRE DE PEINE NON DE FAUTE_ 108

Chapitre 122 — TOUTE PEINE NE CONTRARIE PAS LA VOLONTÉ DE LA MÊME MANIÈRE_ 108

4° De la divine providence (chapitre 123 à 147) 109

Chapitre 123 — TOUT EST SOUMIS A LA PROVIDENCE DIVINE_ 109

Chapitre 124 — PAR LES CRÉATURES SUPÉRIEURES RÉGIT LES INFÉRIEURES_ 110

Chapitre 125 — LES SUBSTANCES INTELLECTUELLES SUPÉRIEURES RÉGISSENT LES INFÉRIEURES_ 111

Chapitre 126 — DE LA HIÉRARCHIE CÉLESTE_ 111

Chapitre 127 — LES CORPS SUPÉRIEURS AGISSENT SUR LES CORPS INFÉRIEURS NON SUR L’INTELLIGENCE DE L’HOMME  114

Chapitre 128 — LES PUISSANCES SENSITIVES QUI PERFECTIONNENT INDIRECTEMENT L’INTELLECT HUMAIN FONT QUE CELUI-CI EST AUSSI INDIRECTEMENT SOUMIS AUX CORPS CÉLESTES_ 114

Chapitre 129 — SEUL MEUT LA VOLONTÉ DE L’HOMME ET NON LA CRÉATURE_ 115

Chapitre 130 — DIEU GOUVERNE TOUTES LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES PAR LES CAUSES SECONDES_ 117

Chapitre 131 — DIEU DISPOSE TOUT DIRECTEMENT SANS PRÉJUDICE DE SA SAGESSE_ 118

Chapitre 132 — RAISONS QUI PARAISSENT MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS DES CHOSES PARTICULIÈRES  118

Chapitre 133 — SOLUTION DE CES DIFFICULTÉS_ 119

Chapitre 134 — SEUL CONNAIT EN PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS_ 121

Chapitre 135 — SE TROUVE PARTOUT PAR SA PUISSANCE, SON ESSENCE ET SA PRÉSENCE, IL DISPOSE DE TOUT DIRECTEMENT  121

Chapitre 136 — IL EST JUSTE QUE FASSE DES MIRACLES_ 122

Chapitre 137 — DES CHOSES QUI SONT FORTUITES OU ACCIDENTELLES_ 123

Chapitre 138 — LE DESTIN EST-IL UNE NATURE ET QU’EST-IL ?_ 124

Chapitre 139 — QU’EST-CE-QUE LA CONTINGENCE ?_ 125

Chapitre 140 — LA DIVINE PROVIDENCE ÉTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES SONT CONTINGENTES_ 125

Chapitre 141 — CETFE CERTITUDE N’EXCLUT PAS LE MAL_ 126

Chapitre 142 — SI DIEU PERMET LE MAL, AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA BONTÉ_ 127

Chapitre 143 — C’EST PAR SA GRACE QUE DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS L’HOMME_ 127

Chapitre 144 — DIEU PAR DES DONS GRATUITS REMET LES PÉCHÉS MÊME CEUX QUI TUENT LA GRÂCE_ 129

Chapitre 145 — LES PÉCHÉS SONT RÉMISSIBLES_ 130

Chapitre 146 — DIEU SEUL PEUT REMETFRE LES PÉCHÉS_ 130

Chapitre 147 — ARTICLES DE FOI QUI TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT DIVIN_ 131

D — La consommation des siècles (chapitre 148 à 162) 131

1° L’homme est la fin des êtres (chapitre 148 à 153) 131

Chapitre 148 — TOUT A ÈTÉ FAIT POUR L’HOMME_ 131

Chapitre 149 — QUELLE EST LA FIN DERNIÈRE DE L’HOMME ?_ 132

Chapitre 150 — COMMENT L’HOMME PARVIENT-IL A L’ÉTERNITÉ COMME EN SON ACHÈVEMENT ?_ 133

Chapitre 151 — POUR JOUIR DE LA PARFAITE BÉATITUDE L’ÂME DOIT ÈTRE UNIE AU CORPS_ 133

Chapitre 152 — CETTE SÉPARATION EST EN PARTIE NATURELLE ET EN PARTIE CONTRE NATURE_ 134

Chapitre 153 — L’ÂME REPRENDRA ABSOLUMENT LE MÊME CORPS ET NON D’UNE AUTRE NATURE_ 135

2° Notre résurrection (chapitre 154 à 162) 135

Chapitre 154 — PAR LA SEULE VERTU DIVINE, L’ÂME REPRENDRA UN MÊME CORPS IDENTIQUE_ 135

Chapitre 155 — NOUS NE RESSUSCITERONS PAS AU MÊME MODE DE VIE_ 138

Chapitre 156 — APRÈS LA RÉSURRECTION L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA GÉNÉRATION CESSERA_ 139

Chapitre 157 — CEPENDANT TOUS NOS MEMBRES RESSUSCITERONT_ 140

Chapitre 158 — NOUS RESSUSCITERONS SANS AUCUN DÉFAUT LA CONSOMMATION DES SIÈCLES_ 141

Chapitre 159 — L’HOMME RESSUSCITERA DANS LA SEULE VÉRITÉ DE SA NATURE_ 141

Chapitre 160 — DIEU SUPPLÉERA TOUT DANS LE CORPS AINSI RÉFORMÉ ET TOUT CE QUI MANQUE A LA MATIÈRE  142

Chapitre 161 — SOLUTION DE QUELQUES OBJECTIONS_ 142

Chapitre 162 — L’ARTICLE DU SYMBOLE CONCERNANT LA RÉSURRECTION DES MORTS_ 144

E — La vie future (chapitre 163 à 184) 144

Chapitre 163 — QUELLE SERA L’ACTIVITÉ DES RESSUSCITÉS_ 144

Chapitre 164 — SERA VU DANS SON ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE_ 145

Chapitre 165 — VOIR DIEU EST LA SUPRÊME PERFECTION ET JOUISSANCE_ 145

Chapitre 166 — QUE TOUT CE QUI VOIT EST CONFIRMÉ DANS LE BIEN_ 146

Chapitre 167 — LE CORPS SERA ENTIÈREMENT SOUMIS A L’ÂME_ 147

Chapitre 168 — DES PRIVILÈGES ACCORDÉS AUX CORPS GLORIFIÉS_ 147

Chapitre 169 — L’HOMME SERA ALORS RENOUVELÉ ET TOUTE LA CRÉATURE CORPORELLE_ 148

Chapitre 170 — QUELLES CRÉATURES SERONT RENOUVELÉES ET QUELLES CRÉATURES DEMEURERONT ?_ 148

Chapitre 171 — LES CORPS CÉLESTES CESSERONT LEUR MOUVEMENT_ 150

La rétribution (chapitres 172-183) 152

Chapitre 172 — DE LA RÉCOMPENSE OU DU MALHEUR DE L’HOMME SELON SES ŒUVRES_ 152

Chapitre 173 — LA RÉCOMPENSE ET LE CHÂTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE_ 153

Chapitre 174 — LE CHÂTIMENT DE L’HOMME QUANT A LA PEINE DU DAM_ 154

Chapitre 175 — LES PÉCHÉS MORTELS NE SONT PAS REMIS APRÈS CE VIE, MAIS BIEN LES VÉNIELS_ 156

Chapitre 176 — LES CORPS DES DAMNÉS SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS SANS LES DONS_ 156

Chapitre 177 — LES CORPS DES DAMNÉS QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT INCORRUPTIBLES_ 157

Chapitre 178 — LE CHÂTIMENT DES DAMNÉS EXISTE AVANT MÊME LA RÉSURRECTION_ 158

Chapitre 179 — LA PEINE DES DAMNÉS EST CORPORELLE ET SPIRITUELLE_ 158

Chapitre 180 — L’ÂME PEUT-ELLE SOUFFRIR DU FEU ?_ 159

Chapitre 181 — APRÈS CETTE VIE IL Y A DES PEINES PURIFICATRICES NON ÉTERNELLES POUR EXPIER LES PEINES DUES AUX PÉCHÉS MORTELS NON SATISFAITES EN CETFE VIE_ 160

Chapitre 182 — LES PÉCHÉS VÉNIELS DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION_ 160

Chapitre 183 — POUR UNE FAUTE TEMPORELLE, RÉPUGNE-T-IL A LA JUSTICE DIVINE QU’ON SUBISSE UNE PEINE ÉTERNELLE ?  161

Chapitre 184 — CE QU’ON A DIT PRÉCÉDEMMENT CONVIENT AUSSI AUX AUTRES SUBSTANCES SPIRITUELLES COMME AUX ÂMES  162

SECOND TRAITÉ — L'HUMANITE DU CHRIST_ 162

Chapitre 185 — DE LA FOI DANS L’HUMANITÈ DU CHRIST_ 162

A — Le régne du péché (chapitre 186 à 198) 163

Chapitre 186 — DES PRÉCEPTES DONNÉS AU PREMIER HOMME ET DE LA PERFECTION DE CELUI-CI EN SON PREMIER ÉTAT  163

Chapitre 187 — CE PARFAIT ÉTAT AVAIT NOM : JUSTICE ORIGINELLE, ET DE L’ENDROIT OÙ L’HOMME FUT PLACÉ  164

Chapitre 188 — DE L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER PRÉCEPTE DONNÉ A L’HOMME  165

Chapitre 189 — LE DIABLE SÉDUIT ÉVE_ 165

Chapitre 190 — QU’EST-CE QUI A SÉDUIT LA FEMME_ 166

Chapitre 191 — COMMENT LE PÉCHÉ PARVINT JUSQU’A L’HOMME_ 166

Chapitre 192 — CONSÉQUENCE DE LA FAUTE — RÉBELLION DES FORCES INFÉRIEURES A LA. RAISON_ 166

Chapitre 193 — DE LA PEINE PORTÉE QUANT A LA NÉCESSITÉ DE MOURIR_ 167

Chapitre 194 — DES AUTRES DÉFAUTS CONSÉCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTÉ_ 167

Chapitre 195 — COMMENT CES DÉFAUTS SE SONT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ_ 168

Chapitre 196 — LA PRIVATION DE LA JUSTICE ORIGINELLE ENTRAÎNE T ELLE UNE CULPABILITÉ CHEZ LES DESCENDANTS ?  168

Chapitre 197 — TOUS LES PÉCHÉS NE SONT PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS_ 169

Chapitre 198 — LE MÉRITE D’ADAM NE FUT PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR LA RÉPARATION_ 170

B — Le mystère de l’incarnation (chapitre 199 à 220) 170

1° Les motifs (chapitre 199 à 201) 170

Chapitre 199 — LA RÉPARATION DE LA NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST_ 171

Chapitre 200 — C’EST PAR SEUL INCARNÉ QUE LA NATURE A DÛ ÊTRE RÉPAREE_ 171

Chapitre 201 — DES AUTRES MOTIFS DE L’INCARNATION DU FILS DE DIEU_ 172

2° Les erreurs théologiques (chapitre 202 â 208) 172

Chapitre 202 — DE L’ERREUR DE PHOTIN AU SUJET DE L’INCARNATION_ 173

Chapitre 203 — L’ERREUR DE NESTORIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RÉPROBATION_ 173

Chapitre 204 — L’ERREUR D’ARIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RÉFUTATION_ 174

Chapitre 205 — DE L’ERREUR D’APOLLINAIRE ET SA RÉFUTATION AU SUJET DE L’INCARNATION_ 176

Chapitre 206 — DE L’ERREUR D’EUTYCHÈS QUI POSE UNE UNION DE NATURE_ 176

Chapitre 207 — CONTRE L’ERREUR MANICHÉENNE QUI DIT QUE LE CHRIST N’EUT PAS DE CORPS MAIS SEULEMENT UNE APPARENCE_ 177

Chapitre 208 — CONTRE VALENTIN — LE CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ÉTAIT PAS DU CIEL_ 178

3° Qu’est-ce que l’Incarnation ? (chapitres 209 à 212) 179

Chapitre 209 — QUE DIT AU SUJET DE L’INCARNATION ?_ 179

Chapitre 210 — IL N’Y A PAS EN LUI DEUX HYPOSTASES_ 181

Chapitre 211 — DANS LE CHRIST IL N’Y A QU’UN SUPPÔT ET QU’UNE PERSONNE_ 182

Chapitre 212 — DE CE QUI EST DIT DANS LE CHRIST UN OU MULTIPLE_ 185

4° La grâce du Christ (chapitre 213 à 216) 188

Chapitre 213 — IL FALLAIT QUE LE CHRIST FÛT PARFAIT EN GRÂCE ET EN SAGESSE DE VÉRITÉ_ 188

Chapitre 214 — LA PLÉNITUDE DE GRÂCE DU CHRIST_ 189

Chapitre 215 — LA GRÂCE DU CHRIST EST INFINIE_ 192

Chapitre 216 — DE LA PLÉNITUDE DE LA SAGESSE DU CHRIST_ 195

5° La nature humaine du Christ et sa conception (chapitre 217 à 226) 199

Chapitre 217 — DE LA MATIÈRE DU CORPS DU CHRIST_ 199

Chapitre 218 — LA FORMATION DU CORPS DU CHRIST N’EST PAS SÉMINALE_ 201

Chapitre 219 — QU’EST-CE QUI A FORMÉ LE CORPS DU CHRIST ?_ 201

Chapitre 220 — EXPOSITION DE L’ARTICLE DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA NAISSANCE DU CHRIST_ 202

Chapitre 221 — IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE_ 203

Chapitre 222 — LA BIENHEUREUSE VIERGE EST LA MÈRE DU CHRIST_ 204

Chapitre 223 — L’ESPRIT SAINT N’EST PAS LE PÈRE DU CHRIST_ 205

Chapitre 224 — DE LA SANCTIFICATION DE LA MÈRE DU CHRIST_ 206

Chapitre 225 — DE LA PERPÉTUELLE VIRGINITÉ DE LA MÈRE DE DIEU_ 208

C- La passion du Christ (Ch 226-235) 210

Chapitre 226 — DES DÉFECTUOSITÉS DU CHRIST_ 210

Chapitre 227 — POURQUOI LE CHRIST A-T-IL VOULU MOURIR ?_ 213

Chapitre 228 — DE LA MORT DE LA CROIX_ 214

Chapitre 229 — LA MORT DU CHRIST_ 215

Chapitre 230 — LA MORT DU CHRIST A ÉTÉ VOLONTAIRE_ 216

Chapitre 231 — DE LA PASSION DU CHRIST QUANT A SON CORPS_ 217

Chapitre 232 — L’ÂME SOUFFRANTE DU CHRIST_ 219

Chapitre 233 — LA PRIÈRE DU CHRIST A L’AGONIE_ 221

Chapitre 234 — LA SÉPULTURE DU CHRIST_ 222

Chapitre 235 — LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS_ 223

D- La résurrection et l’ascension (chapitre 236 à 240) 223

Chapitre 236 — LA RÉSURRECTION ET LE TEMPS DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST_ 223

Chapitre 237 — DE LA QUALITÉ DU CHRIST RESSUSCITÉ_ 225

Chapitre 238 — Y A-T-IL DES PREUVES CONVAINCANTES DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST ?_ 226

Chapitre 239 — DES DEUX VIES RESTAURÉES EN L’HOMME PAR LE CHRIST_ 227

Chapitre 240 — DE LA DOUBLE RÉCOMPENSE DE L’HUMILIATION DU CHRIST, C’EST-A-DIRE LA RÉSURRECTION ET L’ASCENSION   229

E — Le jugement (chapitre 241 à 245) 230

Chapitre 241 — LE CHRIST JUGERA SELON SA NATURE HUMAINE_ 230

Chapitre 242 — CELUI QUI CONNAÎT L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS_ 232

Chapitre 243 — TOUS SERONT-ILS JUGÉS ?_ 234

Chapitre 244 — L’EXAMEN LORS DU JUGEMENT NE VIENT PAS DE CE QUE LE CHRIST DEVRAIT ÊTRE INFORMÉ. LA MANIÈRE ET LE LIEU DU JUGEMENT_ 236

Chapitre 245 — LES SAINTS JUGERONT_ 238

F — Répartition des articles du symbole (chapitre 246) 239

Chapitre 246 — COMMENT SE RÉPARTISSENT LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRÈS CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT  239

DEUXIÈME PARTIE — L’ESPÉRANCE_ 240

A — En général (chapitre 1 à 4) 240

Chapitre 1 — LA VERTU D’ESPÉRANCE EST NÉCESSAIRE À LA PERFECTION DE LA VIE CHRÉTIENNE_ 240

Chapitre 2 — C’EST AVEC RAISON QU’UNE PRIÈRE A ÉTÉ PRESCRITE QUI NOUS FAIT OBTENIR CE QUE NOUS ESPÉRONS DE DIFFÉRENCE ENTRE LA PRIÈRE ADRESSÉE A ET AUX HOMMES_ 241

Chapitre 3 — POUR LA PERFECTION DE NOTRE ESPÉRANCE, IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NOUS APPRENNE LA MANIÈRE DE PRIER  242

Chapitre 4 — POURQUOI CE QUE NOUS ESPÉRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS LA PRIÈRE_ 243

B — La prière du pater (chapitre 5 à 10) 245

Chapitre 5 — A QUI NOUS DEMANDONS CE QUE NOUS ESPÉRONS EN PRIANT DOIT ÊTRE APPELÉ PAR CELUI QUI PRIE — "NOTRE PERE" ET NON PAS MON PERE_ 245

Chapitre 6 — QUE NOTRE PÈRE QUE NOUS PRIONS PUISSE NOUS ACCORDER CE QUE NOUS ESPÉRONS C’EST CE QUE DISENT LES MOTS : QUI ES AUX CIEUX_ 246

Chapitre 7 — DES CHOSES QU’IL FAUT ESPÉRER DE ET DE LA NATURE DE L’ESPÉRANCE_ 248

Chapitre 8 — DE LA PREMIÈRE DEMANDE OÙ NOUS DÉSIRONS QUE LA CONNAISSANCE DE COMMENCÉE EN NOUS SE PERFECTIONNE ET DE SA POSSIBILITÉ_ 249

Chapitre 9 — LA SECONDE DEMANDE EST QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA GLOIRE_ 246

Chapitre 10 — IL EST POSSIBLE D’OBTENIR LE RÊGNE : LA VISION DE DIEU_ 263

Ici s'achève le Compendium. Suite à une extase pendant la messe, le frère Thomas s'est refusé à poursuivre sa dictée, disant — "Face à ce que j'ai vu, tout ce que j'ai écrit est paille." La suite est une compilation de Frère Réginald. 263

TROISIÈME PARTIE — LA CHARITÉ_ 269

Article 1 — EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE CRÉÉ DANS L'AME ?_ 269

Article 2 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE VERTU ?_ 272

Article 3 — LA CHARITÉ EST-ELLE FORME DES VERTUS ?_ 274

Article 4 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE UNIQUE VERTU ?_ 275

Article 5 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE VERTU SPÉCIALE DISTINCTE DES AUTRES ?_ 277

Article 6 — LA CHARITÉ PEUT-ELLE EXISTER AVEC LE PÉCHÉ MORTEL ?_ 278

Article 7 — LA NATURE RATIONNELLE PEUT-ELLE ÊTRE AIMÉE PAR CHARITÉ ?_ 279

Article 8 — L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL DE LA PERFECTION DE CONSEIL ?_ 281

Article 9 — Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE DANS LA CHARITÉ ?_ 283

Article 10 — LA CHARITÉ PEUT-ELLE ÊTRE PARFAITE EN CETTE VIE ?_ 285

Article 11 — TOUT LE MONDE EST-IL TENU A LA CHARITÉ PARFAITE ?_ 286

Article 12 — LA CHARITÉ UNE FOIS ACQUISE PEUT-ELLE SE PERDRE ?_ 287

Article 13 — LA CHARITÉ SE PERD-ELLE PAR UN SEUL PÉCHÉ MORTEL ?_ 290

 

 

PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE PAR ALINE LIZOTTE

 

 

« C’est par la foi que nous saisissons que les siècles ont été préparés à recevoir la parole de Dieu : ainsi deviennent-ils visibles grâce aux choses invisibles » (Hébreux 11, 3)

 

L’œuvre que vous avez entre les mains est un Compendium. C’est-à-dire un abrégé, un raccourci de la foi catholique. Thomas d’Aquin l’a écrit pour son très cher « Socius », son très cher fils dans la foi, Réginald. Il l’a écrit lors de son deuxième séjour à Paris, entre 1269-1272. A ce moment Thomas est au sommet de sa puissance intellectuelle. Il a achevé les deux premières parties de la Somme Théologique. La plupart des Commentaires philosophiques sur Aristote sont terminés. La Somme contre les Gentils est aussi finie. Les grands opuscules, les grandes Questions disputées ont été menés à terme. Bref, saint Thomas a une vision complète, dans son intelligence, de ce qu’il va enseigner à son fidèle compagnon, à celui qui a été témoin de son labeur, de ses souffrances, des grâces exceptionnelles qu’il a reçues. Celui, aussi, qui l’accompagnera fidèlement jusqu’aux portes de la mort. Au milieu des luttes que représente ce deuxième séjour à Paris, au moment où il doit se battre contre Siger de Brabant et tous les Averroïstes sur la doctrine de l’intelligence, et aussi, contre ceux que l’on est convenu d’appeler les Augustiniens[1], Thomas trouve encore le temps d’écrire cette œuvre pour son bien-aimé Réginald afin que, comme il le dit lui-même « tu puisses l’avoir devant les yeux ». C’est là le testament d’un saint, d’un docteur dans la foi, de celui que récemment Pie XI appelait à la suite de saint Pie V, le docteur commun.

Est-ce uniquement un acte de piété filiale qui nous fait aujourd’hui, en notre époque, publier ce Compendium ? Non, certes ! Saint Thomas lui-même en introduisant son œuvre montre que l’humilité de Dieu lui fit « enfermer la doctrine du Salut sous un court résumé ». Ce court résumé c’est le Symbole ou le Credo. Quels que soient les temps, nous récitons toujours, du moins à la messe, notre Credo. Mais comprenons-nous toujours ce qu’il proclame de notre foi ? De plus, nous savons avec saint Paul, que toute la perfection de la vie chrétienne est contenue dans la vie selon la foi, selon l’espérance, et selon la charité. Être chrétien c’est vivre de ces trois vertus. Donner à Réginald, la présentation complète, en abrégé, des exigences de ces trois vertus, c’était l’intention de saint Thomas. La mort l’empêcha de compléter son œuvre. Mais nous trouvons encore aujourd’hui, dans l’enseignement de Thomas d’Aquin, que ce soit directement à travers les lignes du Compendium, que ce soit au travers d’autres écrits sur l’espérance et la charité, une connaissance profonde et sûre du fondement de la doctrine que l’Église nous propose pour vivre une vie chrétienne.

La connaissance de cet écrit de Thomas d’Aquin n’est donc pas donnée simplement comme un document d’archives pour faire connaître à quelques érudits ce qu’a pu être la tradition de l’École au Moyen Age, ou encore, quelles ont été les thèses fondamentales sur lesquelles s’est appuyé le Concile de Trente pour nous donner le Catéchisme qui en est sorti. On ne peut étudier cette œuvre, comme toute la pensée de saint Thomas, comme on fait pour quelque autre docteur ou maître de l’Antiquité ou du Moyen Age. Certes, le style de cette présentation de la foi n’a rien qui flatte l’imagination ou les sens. Certes, les mots, bien qu’ils ne soient pas difficiles, ont perdu une certaine actualité à cette époque qui est la nôtre, où le langage d’une philosophie phénoménologiste ou personnaliste séduit l’intelligence. Parler de forme et de matière, de substance et d’accident, d’âme, d’intelligence, de volonté, cela résonne comme un langage « dépassé », voire scolastique. Cependant, quels que soient les mérites d’une traduction, - celle qui est présentée dans ce livre se tient très près du texte - aucun écrit moderne ne peut faire l’impasse sur ce vocabulaire propre à la structure intellectuelle d’Aristote à laquelle saint Thomas emprunte son langage. Mais ces mots ont l’avantage d’être très près de l’expérience courante d’un homme ou d’une femme qui, même aujourd’hui, parle plus volontiers selon le langage qu’utilise la philosophie classique que dans les mots recherchés et quelque peu difficiles d’autres philosophies. Aussi, celui qui ouvrira ce Compendium, simplement pour y découvrir une présentation de la foi dans un style scolastique, risque de passer à côté des trésors qu’il a entre les mains. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui bien plus qu’hier, la doctrine de saint Thomas, sa méthode et sa pédagogie ont été remises en valeur dans l’actualité de l’Église. Faut-il rappeler ce que Paul VI écrivait au Maître de l’ordre des Dominicains, le Père Vincent de Coues­nongle (2) : « Il ne nous échappe pas que souvent la défiance ou l’aversion à l’égard de saint Thomas provient d’une approche superficielle et occasionnelle et, en certains cas, de l’absence complète de lecture directe et d’étude de ses œuvres. C’est pourquoi nous aussi nous recommandons avec Pie XI à qui désire se faire une conviction personnelle sur l’attitude à prendre à l’égard de cette matière : Aller à Thomas ! Recherchez et lisez les œuvres de saint Thomas... »

Et parmi les mérites que signalait Paul VI, il en est un, en particulier qu’il faut mettre en évidence, comme introduction à la lecture du Compendium : « Nous voulons signaler enfin un dernier mérite qui contribue pour une bonne part, à la validité permanente de la doctrine de saint Thomas : la propriété du langage, limpide, sobre, essentiel, qu’il est parvenu à se forger dans l’exercice de l’enseignement, la discussion et la composition de ses ouvrages. Il suffit à ce propos de reprendre ce qu’on dit dans l’ancienne liturgie dominicaine de la fête de l’Aquinate : "Un style concis, un exposé agréable, une pensée profonde, claire, robuste." Et ce n’est certainement pas la moindre raison de se tourner vers saint Thomas, en un temps comme le nôtre où l’on use souvent de langage ou trop compliqué et tortueux, ou trop frustre ou franchement ambiguë, pour pouvoir y reconnaître le rayonnement de la pensée et le moyen de communication entre esprits appelés à l’échange et à la communication de la vérité. »

Faut-il mentionner encore que l’actualité de saint Thomas a été mise en évidence au moins deux fois à l’occasion du Concile Vatican II, et qui plus est, Jean-Paul II lui-même, signale à plusieurs reprises l’importance de la connaissance et de l’approfondissement de la doctrine de saint Thomas. A l’occasion de la clôture du huitième congrès de l’Académie Pontificale saint Thomas d’Aquin, le 13 septembre 1980, Jean-Paul II dans son allocution disait : « Il n’est pas possible de passer en revue toutes les raisons qui ont amené le magistère à choisir saint Thomas d’Aquin comme guide sûr dans les disciplines théologiques et philosophiques. L’une d’elles toutefois, est certainement le fait qu’il a établi les principes de valeur universelle qui régissent les rapports entre la raison et la foi[2]. »

La synthèse des vérités de la foi, de l’espérance et de la charité que l’on trouvera dans ce Compendium est en fait celle que depuis des siècles l’Église propose à ses fidèles. Saint Thomas la présente dans une explication et un langage qui assure l’intelligence et conforte la volonté. Mais toute cette synthèse est aussi celle du Catéchisme du Con­cile de Trente. Lors de son allocution à Paris, le cardinal Joseph Ratzinger, a bien exprimé cela : « La cohésion interne entre la parole et l’organisme qui la porte trace le chemin à la catéchèse. Sa structure apparaît à travers les événements principaux de la vie de l’Église qui correspondent aux dimensions essentielles de l’existence chrétienne. Ainsi est née dès les premiers temps une structure catéchétique dont le noyau remonte aux origines de l’Église. Luther a utilisé cette structure pour son catéchisme aussi naturellement que les auteurs du Catéchisme du Concile de Trente l’ont fait. Cela fut possible parce qu’il ne s’agissait pas d’un système artificiel, mais simplement de la synthèse du matériel mnémonique indispensable à l’Eglise : le symbole des Apôtres, les Sacrements, le Décalogue, la prière du Seigneur. Ces quatre composantes classiques et maîtresses de la catéchèse ont servi pendant des siècles comme dispositifs et résumé de l’enseignement catéchétique; ils ont aussi ouvert l’accès à la Bible comme à la vie de l’Église. Nous venons de dire qu’elles correspondent aux dimensions de l’existence chrétienne. C’est ce qu’affirme le Catéchisme Romain, en disant qu’on y trouve ce que le chrétien doit croire (symbole)[3], espérer (Notre Père)[4], faire (décalogue)[5], et dans quel espace vital il doit l’accomplir (Sacrement et Eglise)[6]. »

Cette synthèse des vérités à croire et des biens à espérer que le Compendium présente et que saint Thomas a expressément voulu rattacher aux articles du Credo et aux demandes du « Notre Père» forme donc, même’ pour notre temps, un catéchisme pour adultes. Pour quiconque veut comprendre et approfondir, sans pour autant s’exercer au métier de théologien, tout ce que comporte l’expérience de la vie chrétienne, celui qui non seulement veut le comprendre pour lui mais l’enseigner à autrui, trouvera dans cette œuvre de Thomas d’Aquin, la’ lumière pour l’intelligence et la certitude particulière que compte la foi.

La foi en tant qu’elle est vertu théologale et disposition donnée par Dieu à l’intelligence de l’homme, éclaire cette même intelligence. La foi est certitude. Mais la certitude qu’elle comporte n’est pas simplement un acte de la volonté qui contraint l’intelligence à adhérer à ce qu’on lui propose sans qu’elle n’en prenne aucune part. La foi en raison de l’élévation de la vérité à laquelle elle adhère reste une épreuve pour l’intelligence dans la mesure où par les seules forces de sa nature, l’homme ne peut trouver d’argument qui démontrerait, selon les limites de son esprit, la validité de ce qui lui est proposé. Mais cette épreuve que comporte la foi n’exige pas cependant que l’intelligence de l’homme soit à ce point abaissée, à ce point contrainte que la vérité à laquelle elle adhère ne soit pas pour elle une lumière qui augmente sa vision. Autrement dit, la foi n’abaisse pas l’intelligence de l’homme, la foi, par sa lumière, rend l’homme plus intelligent. A condition, bien entendu, que l’homme utilise la totalité de son intelligence pour aller, dans la lumière de la foi, à la rencontre de la vérité révélée que Dieu lui propose. Aussi, aller à la rencontre de la vérité révélée en suivant saint Thomas d’Aquin, .cela permet, de surcroît, à l’intelligence humaine de recevoir avec plus d’abondance et de la manière la plus proportionnée possible, la vision que propose ce don reçu au baptême. La foi présentée par saint Thomas d’Aquin permet à l’esprit de l’homme d’adhérer non seulement avec tout son amour mais dans la plénitude de l’être de l’intelligence !

 

LES GRANDES DIVISIONS DU COMPENDIUM

Selon l’intention de Thomas d’Aquin, le Compendium devait comprendre trois grandes parties : la première partie devait exposer les vérités de la foi, la deuxième, les biens de l’espérance; la troisième, les exigences de la charité.

La première partie, les vérités de la foi, est complète.

Cette première partie se divise en quatre grandes parties. On y retrouve les grandes vérités que propose le Credo :

 

PREMIÈRE PARTIE : CE QUE LA RAISON PEUT DIRE DE DIEU (chap. 2 à 36)

Dans ces trente-quatre premiers chapitres, le Docteur Angélique propose à notre intelligence des vérités sur Dieu. Elles ne nécessitent pas la foi pour être acceptées, bien que la lumière de la foi permette, à la plupart des croyants, de recevoir cet enseignement avec plus de facilité, moins d’erreurs et une plus grande certitude. Saint Thomas commence d’abord par montrer que Dieu existe.

On y rencontrera les preuves classiques, mais simplement résumées, de l’existence de Dieu. Puis il montre que ce Dieu qui existe a des attributs tels la simplicité, l’unité, une infinie perfection, et principalement le fait que tout ce qui est en Lui, est Lui et surtout est aussi son existence. Le raisonnement par lequel saint Thomas explique ce que l’on peut dire de Dieu, et le sens des noms qu’on peut lui attribuer, est fondamentalement philosophique.

Est-ce à dire que toute cette philosophie est inutile ? Ici, il faudrait répondre avec ce que Jean-Paul II vient de nous dire concernant la catéchèse : « ... les passages de l’Ecriture Sainte à travers lesquels cette -révélation de la foi a été donnée, nous enseigne que l’homme possède la faculté de connaître Dieu par sa seule raison : il est capable d’une certaine « science sur Dieu » bien que d’une manière indirecte et non immédiate. Donc, près du « Je crois » se trouve un certain « je sais ». Ce « je sais » regarde l’existence de Dieu et aussi jusqu’à un certain degré, son essence. Cette connaissance intellectuelle de Dieu est traitée d’une manière systématique par une science appelée « théologie naturelle » qui a un caractère philosophique et jaillit sur le terrain de la métaphysique, c’est-à-dire de la philosophie de l’être. Elle se concentre sur la connaissance, de Dieu comme Cause Première et de même comme Fin ultime de l’univers. (...) Donc selon l’Église, toute notre pensée d’après la foi, a également un caractère « rationnel » et « intelligible ». Et l’athéisme lui-même reste dans le cercle de certaines références au concept de Dieu. En effet s’il nie l’existence de Dieu, il doit également être informé sur Celui dont il nie l’existence. Il est clair que la connaissance à travers la foi est différente de la connaissance purement rationnelle. Toutefois, Dieu n’aurait pu se révéler à l’homme si celui-ci n’élit été déjà naturellement capable de connaître quelque chose de vrai à son sujet »[7].

Ces mots du Saint-Père doivent donner aux chrétiens le courage intellectuel d’approfondir leur foi en commençant par former leur intelligence sur la base de ce qui peut être dit de certain et de démontrable sur Dieu. Cet exercice de l’intelligence, cette métaphysique de t’Être divin, permettent de comprendre ce qu’enseigne la foi, ils ne viennent pas obscurcir l’esprit de l’homme mais lui apporter une vérité plus grande sur un Etre, dont il connaît l’existence et dont il pressent la perfection.

 

LA DEUXIÈME PARTIE : LA TRINITÉ (chap. 37 à 67)

Si nous croyons en un seul Dieu, la foi nous révèle que ce Dieu est Père, Fils ou Verbe, et Esprit. C’est là l’essence même de ce Dieu dont on sait par ailleurs que cette essence est son existence.

Déjà, dans la première partie, la méditation philosophique nous a appris que Dieu est essentiellement Celui qui se pense Lui-même et dont l’acte de la volonté aime son propre Être. Saint Thomas nous apprendra que si Dieu se pense, Il se dit lui-même, et que se disant, Il fait naître en Lui un Verbe expression ou Image parfaite de tout ce qu’il Est. Mais le Verbe réfère à une Parole qui s’exprime. Cette Parole qui s’exprime est principe et elle est principe comme le Père dans la génération est principe de Fils. L’Être de Dieu n’est pas seulement Pensée, il est aussi Amour et l’amour exige une relation entre un Aimant et un Aimé. Cette relation ne peut pas être extérieure à Dieu. Qui est l’Aimant en Dieu? C’est le Père et le Fils, qui dans la mutuelle attraction qui les porte l’un vers l’autre expriment l’un pour l’autre un amour parfait en tant qu’ils sont l’un et l’autre la totalité de la perfection divine. Cette mutuelle spiration du Père et du fils fait que Dieu en tant que Dieu est aussi éternellement l’Aimé, mais comme Aimé, il est le « principe » de l’exhalaison de l’Aimant, ou mieux, il procède de cette essentielle convergence d’amour du Père vers le Fils et du Fils vers le Père. Cette convergence que saint Thomas appelle spiration d’amour fait que, pour l’éternité, l’Esprit Saint est Dieu Amour.

Ce que saint Thomas nous fait comprendre par les mots qu’il utilise et qui resteront toujours inadéquats à signifier l’être divin, c’est que cette façon d’exprimer la Révélation de la Trinité est celle qui correspond le mieux à la certitude de la Foi et à ce qu’elle nous enseigne. Saint Thomas montre bien la réalité des trois Personnes divines, il ne s’agit pas de trois façons différentes de parler de Dieu, mais d’un Dieu qui est réellement Père, Fils et Esprit. Il nous fait saisir que les relations en Dieu sont réelles, qu’elles sont la seule source de la distinction dans l’essence divine et que cette distinction tout en étant réelle et personnelle ne rompt en rien l’unité de la divinité. Sur ce point les lecteurs trouveront peut-être difficiles les derniers dix chapitres de cette partie où saint Thomas, parle des actes notionnels ou des propriétés qui sont en Diep. Il faut bien savoir que les actes notionnels signifient les propriétés que l’on peut attribuer à Dieu en tant que la Révélation nous dit qu’il est Trinité. Le terme « notion » signifie définition. Mais on ne peut définir l’essence divine. Cependant, nous savons par la Révélation quelque chose de cette essence à savoir l’existence en elle de la Paternité, de la Filiation, de la Spiration. Par cela, la raison peut connaître certaines « propriétés » de l’essence de Dieu et ainsi les lui appliquer. C’est comme si elle avait ainsi une certaine « notion » de son essence. Ces propriétés sont au nombre de cinq. Il y a d’abord la paternité qui convient à Dieu le Père et par quoi il se distingue du Fils, il y a l’innascibilité qui convient aussi au Père car il est le seul qui soit principe n’étant ni engendré comme le Fils ni procédant, comme l’Esprit Saint. Et enfin, il y a une troisième propriété qui appartient au Père et au Fils de façon commune et qui les distingue de l’Esprit Saint. C’est la Spiration. Le Fils se distingue du Père en tant qu’il est engendré, d’où la filiation lui est propre : Il a une propriété par laquelle avec le Père, il se distingue du Saint-Esprit, et c’est la Spiration. Enfin il n’y a qu’une seule propriété dite de l’Esprit Saint et c’est la procession car lui seul procède du Père et du Fils.

La précision des concepts à laquelle nous entraîne Thomas d’Aquin, est-elle quelque chose d’accessoire à notre foi ? Il faut ici répondre avec une certaine force que ce n’est pas accessoire. Il faut que nous soyons capables d’affirmer que le Père est vraiment différent du Fils et comment il l’est. Il faut de même savoir que le Fils est différent du Père en tant qu’il est son Verbe et son Image. Troisièmement, il faut savoir que l’Esprit Saint diffère du Père et du Fils en tant qu’il en est l’Amour procédant. Et il faut comprendre ce que ces mots veulent dire. Et c’est cela que nous explique saint Thomas.

 

TROISIÈME PARTIE : L’ŒUVRE DE DIEU A L’EXTÉRIEUR DE LUI-MËME

La Trinité est dans sa perfection l’être intime de Dieu.

Les relations de connaissance et d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit Saint suffisent à l’infinie perfection de la Divinité. Mais Dieu veut, d’une façon complètement gratuite faire partager son être et sa bonté. C’est pourquoi il va créer et gouverner ce qu’il crée.

 

A) la création (chap. 68 à 122)

 

1° - Considérations générales

 

Dans cette longue partie du Compendium, saint Thomas expose ce qu’est la création comme l’acte propre de Dieu appelant à l’existence tout ce à quoi il donne d’être et l’appelant à partir de rien. Son acte ne présuppose aucune matière préexistante, Dieu est au fondement par sa seule intelligence et sa seule volonté de toute la diversité des choses dans leur espèce, leur ordre et leur degré de perfection.

Dieu crée donc des êtres purement spirituels comme les anges, des êtres dont la spiritualité est jointe à une matière comme les hommes, des êtres purement matériels comme les animaux, les plantes et les minéraux. Certains, parmi les lecteurs, trouveront étrange que saint Thomas considère les astres comme des êtres incorruptibles. Il le fait à partir de la cosmologie aristotélicienne qui voyant dans les corps célestes des êtres matériels mais dont la puissance n’était ordonnée qu’à un changement de lieu et qui seraient, en raison de la perfection de leur forme, soustraits à toute altération physique. Cela entraînait une incorruptibilité de la matière. Il est sûr que cette cosmologie ne peut plus être retenue aujourd’hui. Cependant, il faut dire que tout n’est pas à rejeter en elle. Certes ! Il y a des changements chimiques à l’intérieur de tout astre, qu’ils soient étoiles ou planètes. Cependant, il faut d’abord considérer que la stabilité des mouvements astraux permettrait de penser pour qui, à la manière d’Aristote ou de saint Thomas n’aurait d’autre expérience que celle qui vient des sens, qu’il y a là incorruptibilité de la matière. Cette évolution des « théories » physiques ne touche en rien à la certitude des principes communs de la philosophie d’Aristote comme de celle de saint Thomas. Les corps célestes sont corruptibles soit, mais le mouvement local reste encore le premier mouvement de l’univers et le fondement de l’ordre de ses parties !

 

- La création de l’homme

Ayant montré la place de l’homme au sein de l’univers, saint Thomas va maintenant s’attarder à expliquer ce qu’est l’homme en son corps et en son âme. Parmi toutes les formes d’intelligence, partant de l’intelligence divine en passant par l’intelligence angélique, l’intelligence humaine qui donne à l’homme sa spécificité comme être, est la plus infime dans l’ordre de la perfection naturelle. Mais nous sommes des hommes ! Et saint Thomas considère qu’il faut comprendre ce que nous sommes. C’est pourquoi il va s’attarder à nous faire saisir ce qu’est notre intelligence. D’un côté elle est cette lumière créée par Dieu, en nous, par laquelle l’homme peut voir dans toute réalité ce qui est intelligible et le tirer du sensible. De l’autre, elle est cette capacité de recevoir en elle pour en former un verbe ou un concept, toute la perfection des choses créées. Ces deux puissances de notre unique intelligence, celle qui se comporte comme une lumière (l’intellect agent), et celle qui se comporte comme une puissance qui reçoit (l’intellect possible), forment l’intelligence qui est propre à chaque être humain. En effet, saint Thomas défend, contre tous ceux qui voudraient qu’il n’y ait qu’un intellect agent et même qu’un intellect possible, la doctrine, importante pour la foi, de l’individualité de l’intelligence à chaque personne humaine.

L’homme a aussi une volonté, des sens, un corps. Cette multitude de puissances d’action est-elle commandée par une seule âme principe d’existence et de spécification de chaque individu et en même temps cause première de tout ce qu’ils font par l’intermédiaire de leur faculté? Saint Thomas répond avec sûreté : Chaque personne humaine n’a qu’une âme et cette âme lui permet d’être un être corporel doué de la vie végétative, un être sensible doué des richesses d’une sensibilité et un être intelligent, capable de penser et d’aimer. L’être humain n’est pas un composé de ces trois degrés d’existence. L’être humain est un être unique capable de toutes les opérations, de tous les actes que posent les êtres inférieurs à lui mais capables en plus d’une pensée spirituelle et de l’amour également spirituel. C’est pourquoi dira saint Thomas l’être humain n’a qu’une seule âme.

A ce point nos lecteurs seront peut-être étonnés de cette théorie par laquelle l’Aquinate montre que dans la formation de l’enfant dans le sein maternel, il y aurait, selon sa propre expression, succession de trois âmes. D’abord une âme végétative, ensuite une âme sensible, ensuite une âme intellective. Sans entrer dans les détails de cette question, disons tout de suite que la biologie moderne donne, en quelque sorte, raison au Docteur Angélique. Bien qu’il y ait dès le début, dès l’instant de la fécondation toute la détermination de la matière à l’achèvement complet de l’être conçu, la biologie reconnaîtra que les opérations de nutrition et de croissance par division cellulaire, apparaissent avant que n’apparaissent les opérations de la vie sensible, lesquelles se développent avant même que~ l’être humain soit complètement achevé dans la formation du cerveau, c’est-à-dire, dans la formation de l’instrument qui pourra lui permettre d’avoir la matière propre d’une intellection. C’est ce qui fait dire à saint Thomas que la vie humaine dans toute sa perfection ne se trouve pas dans la cellule embryonnaire dès l’instant de la conception et par le fait même l’âme humaine dans toute sa perfection ne s’y trouve pas non plus. Cela ne signifie  pas que la vie de l’embryon et celle du fœtus pourraient être qualifiées de vie non humaine. Pas plus que dans l’être achevé, ni la vie végétative dont il est animé, ni la vie sensible qui est la sienne ne sont des vies non humaines. La vie qui anime l’embryon et celle du fœtus sont ordonnées à la vie de l’intelligence et de la volonté. Et à ce titre, elles sont essentiellement humaines. Il en est de même des formes transitives que saint Thomas appelle, à juste titre, âme. Elles sont humaines en tant qu’elles sont ordonnées à l’être qui se développe et qui atteint, bien avant la naissance, son achèvement comme être humain. Il ne faudrait pas faire dire ici, à saint Thomas ce qu’il ne dit pas. Ni interpréter sa pensée dans un sens trop fixiste qui ne voit pas dans l’être intra-utérin l’ordination des formes nécessaires au plein accomplissement de la perfection de la vie humaine.

 

- La finalité de la création : Dieu lui-même en sa bonté

Il est impossible que Dieu agisse pour une fin autre que Lui. Cela signifierait que l’on peut trouver de la bonté en dehors de Dieu et que par conséquent Dieu ne soit pas infiniment bon. Tout ce que Dieu crée, Il l’ordonne à Lui. Il ordonne à Lui d’une façon immédiate les êtres intelligents comme les hommes et les anges et d’une manière immédiate, les autres êtres non intelligents. C’est pourquoi l’homme a le désir naturel d.’être uni à son principe qui est Dieu. Cela est pour Lui le plus grand bien.

Ce bien, il l’obtiendra d’une manière parfaite dans la vision béatifique si, mourant dans l’amour de Dieu il a le désir de le recevoir. Mais, si tout est créé pour la bonté, comment le mal peut-il exister? Sur l’existence du mal, saint Thomas répond (chap. 114-122) que, d’une part le mal n’est jamais une nature en soi, c’est-à-dire quelque chose ayant une existence déterminée et une essence propre  -cela contredit le manichéisme- et que, d’autre part, le mal est toujours, par rapport au bien, une privation comme la cécité est une privation de la. Cette privation concerne soit une forme ou une propriété qu’un sujet devrait avoir. Un homme devrait voir; s’il est aveugle, il est privé de la vue. La privation peut aussi concerner une fin qui n’est pas atteinte. Ainsi en est-il de l’étudiant qui échoue à un examen. La privation qui fait naître le mal est toujours dans un sujet. Ce sujet atteint soit une forme qui lui était convenable, soit une fin contraire à celle à laquelle il était ordonné. C’est en ce sens que le mal se fonde toujours sur un certain bien. Il n’est jamais sans un bien. C’est ce qui permet à saint Thomas de dire que dans l’ordre de la nature le mal est fondé dans le bien comme dans son sujet. Si le lion doit se nourrir, il faut que la gazelle périsse. Et si le grain de blé ne meurt, l’épi ne peut germer ! Mais qu’en est-il du mal moral? Ce dernier n’est pas le mal des êtres soumis à la génération et à la corruption, mais le mal de celui qui n’atteint pas une fin à laquelle il était ordonné. Si l’homme n’atteint pas une fin à laquelle il était ordonné, c’est en raison du péché. Le péché concerne essentielle ment le mal dans la volonté, la faute mesure le degré de responsabilité d’une volonté mauvaise et la peine concerne les conséquences qui résultent des œuvres faites par une mauvaise volonté.

Toute la création tend donc au bien, même le mal qui est dans la nature. Et si la créature raisonnable n’atteint pas sa fin, c’est en raison du poids de sa responsabilité qu’elle exerce dans une faute personnelle.

 

B) Du gouvernement de Dieu par la divine Providence (chap. 123 à 184)

Ce que Dieu a créé, il le gouverne pour que chaque chose puisse atteindre sa fin. Tout ce qui est créé est ainsi soumis à la divine Providence.

Dieu gouverne toute chose mais Il gouverne différemment les unes et les autres, selon qu’il s’agit d’êtres purement spirituels comme les anges ou d’êtres purement corporels comme les plantes et les animaux. Quant à l’homme, qui est à la fois spirituel et corporel, Dieu le gouverne de façon spéciale.

Dieu gouverne l’intelligence et la volonté de l’ange et de l’homme en tant qu’Il est la causé de leur existence d’une part et d’autre part en leur donnant la lumière et la possibilité d’aimer. Dieu en gouvernant respecte l’ordre naturel des êtres qu’Il a créés. Il gouverne donc les créatures inférieures par les créatures supérieures. Ainsi, comme l’enseigne saint Thomas, les anges existent selon une hiérarchie qui leur permet selon l’ordre des opérations, de rendre gloire à Dieu. Cette hiérarchie permet aussi aux anges les plus élevés en dignité de gouverner par la puissance de Dieu, les anges inférieurs. Les êtres purement, matériels, Dieu les gouverne par l’intermédiaire des mouvements du ciel, c’et-à-dire, par ce qui est le plus fondamental et le plus stable dans la nature ; le mouvement des corps célestes. Qu’en est-il de l’homme? Comme il est corporel, il est d’une certaine façon, soumis au mouvement des astres. Mais comme l’homme a le gouvernement de son corps par son intelligence et sa volonté, il est capable de libre arbitre. Il est donc soumis comme créature spirituelle au gouvernement des créatures spirituelles. Son intelligence est créée par Dieu et sa volonté est créée par Dieu. Par conséquent, l’homme reçoit des anges des illuminations intérieures qui lui font comprendre ou qui dispose son intelligence à l’influx de la divine Providence. Plus encore, il est soumis au gouvernement particulier de Dieu qui le dirige dans ses actes singuliers, qui l’ordonne quant à sa vie future et qui surtout, par sa grâce donnée gratuitement, lui remet toutes ses fautes et lui pardonne tous ses péchés. En agissant ainsi, Dieu ne fait aucun obstacle à la liberté de l’homme car l’ayant créé libre, c’est comme un être libre qu’Ille gouverne. Ce qui n’empêche pas la Providence de connaître dans l’éternité des actes libres qui bien qu’ils soient posés dans un temps, restent toujours libres.

Si Dieu gouverne l’homme pour qu’il atteigne la plénitude de la liberté, en le connaissant et en l’aimant, Dieu gouverne toutes les autres choses inférieures à l’homme pour l’homme lui-même. Et c’est ainsi que toute la nature purement matérielle atteint sa propre fin. Elle a été voulue par Dieu pour l’être humain que nous sommes. L’Homme et la Femme sont à Dieu !

L’être humain ordonné à Dieu c’est celui dont l’âme est glorifiée par Sa Grâce et dont le corps, au dernier jour, ressuscite. A l’intérieur du traité de la divine Providence, saint Thomas va donc traiter spécialement de la résurrection des corps (chap. 151 à 184). Le traité sur la résurrection permet de comprendre, d’une part que la résurrection est l’œuvre de Dieu, mais d’autre part, que l’homme ressuscité existera dans la vérité de sa nature et l’identité de sa personne. Il possédera son vrai corps dans toute son intégrité, qui lui sera pleinement et entièrement soumis. De sorte qu’il en possédera la spiritualité (agilité), la gloire (clarté), et l’incorruptibilité (impassibilité). A ces corps nouveaux, correspondront des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Saint Thomas considère que demeurera tout ce qui est incorruptible, d’une part pour la joie de l’homme et d’autre part dans la mesure où cela a un rapport essentiel au corps humain. Les astres demeureront, car selon la physique aristotélicienne, ils sont incorruptibles. Les éléments matériels demeureront car ils sont nécessaires à la vérité du corps. Mais les astres seront sans mouvement car ils n’auront plus à régler les actes de la génération et de la corruption ! Tout cela peut sembler étrange !

Ici, il ne faut point se laisser aller à l’imagination mais bien prendre ce que saint Thomas veut dire, quelle que soit la cosmologie à laquelle il emprunte l’expression de sa pensée. La matière demeure et par conséquent, la terre demeure aussi ! Mais elle est nouvelle dans le sens où plus rien ne peut, encore, être soumis à la corruption. Tout ce qui existera, aura un mode d’existence entièrement soumis à la vie spirituelle. Comment cela se passera-t-il en réalité? Personne ne peut l’imaginer !

Les cieux nouveaux et la terre nouvelle sont pour les êtres ressuscités qui partagent la gloire de l’âme. Mais il est aussi de foi de croire que ceux qui sont damnés ressusciteront. Ils partageront alors dans leur corps, la peine éternelle à laquelle ils se sont eux-mêmes soumis.

 

QUATRIÈME PARTIE : L’HUMANITÉ DU CHRIST

Dieu crée, Il gouverne, Il ordonne l’homme à sa propre fin, Il pardonne les péchés à tous ceux qui reçoivent sa grâce et se laissent, dans leur liberté, diriger par sa divine Providence. Mais si Dieu peut accomplir cette œuvre chez des hommes, c’est en raison de l’Œuvre de son propre Fils qui s’est incarné, qui a souffert pour nous et qui est ressuscité. Dieu gouverne, donc, tous les hommes dans l’humanité de son Fils : Jésus-Christ.

Le traité de saint Thomas sur Jésus-Christ s’ouvre par une considération sur le péché originel (chap. 186 à 198). Car c’est cette faute qui nous a valu un tel Rédempteur. Saint Thomas considère que l’homme fut créé dans un état de justice originelle et qu’en raison de la désobéissance des premiers parents, perpétrée à l’instigation du diable séduisant Eve, laquelle entraîne son époux à la suivre, l’homme ayant perdu la grâce de Dieu, se trouve en tant que chef de l’humanité dans un état d’incapacité de retrouver, par ses seules forces, l’intimité avec Dieu. La faute d’Adam se transmet à tous les hommes en raison de la solidarité de la génération qui fait que toute matière humaine disposée à recevoir une âme vient de l’hérédité que lui transmet les parents qui engendrent. La matière étant une part de la nature humaine, chaque enfant qui naît est affecté d’une nature blessée. L’homme incapable d’aimer parfaitement et surtout d’aimer infiniment ne peut, par lui-même réparer une offense faite à un Dieu d’Amour infiniment parfait. C’est pourquoi il était nécessaire que le Fils de Dieu s’incarne.

Le traité de l’Incarnation lui-même s’ouvre par l’exposé des erreurs théologiques qui ont faussé la doctrine sur la personne de Jésus-Christ. Certains n’ont vu dans le Christ qu’un homme déifié par la Grâce, d’autres n’ont vu dans le Christ que le Fils de Dieu qui apparaît sous forme d’homme ou que le Fils de Dieu qui habite selon la Grâce dans l’homme. D’autres ont pensé qu’il n’y a qu’une nature divine sur laquelle se greffe l’âme et le corps du Christ. Saint Thomas montre le défaut de toutes ces hérésies, puis exposant la foi catholique, il enseigne à la suite des Conciles que le Christ est une personne divine assumant une nature humaine et qu’en Lui s’il y a deux natures, il n’y a qu’un « suppôt» c’est-à-dire personne. Mais il y a cependant dans le Christ, deux intelligences : l’intelligence qui est propre à la nature divine et l’intelligence qui est propre à une nature humaine. De même, il y a deux volontés : la volonté qui est propre à la nature divine et la volonté qui est propre à la nature humaine. Ce qui intéresse saint Thomas n’est pas de savoir comment se comporte l’intelligence divine dans le Christ ni sa volonté divine, mais de réfléchir sur les rapports entre une intelligence d’homme et une volonté d’homme unie si étroitement à une personne de nature divine. Considérant que la mission du Christ est non seulement de réparer la faute de l’homme mais de devenir le chef de toute l’humanité, saint Thomas enseigne que Jésus devait avoir une nature parfaite et être disposé à recevoir la Grâce destinée à tout homme, intégralement et parfaitement. Et c’est dès cette terre qu’il devait la recevoir. L’intelligence de l’homme est faite pour atteindre à la vision de Dieu. Elle est aussi faite pour être le reflet de toute la création. Le Docteur Angélique enseigne donc avec beaucoup de mesure, que le Christ a reçu la plénitude de la sagesse et de la science et que son intelligence selon sa lumière la plus élevée est toujours intimement unie à l’intelligence de Dieu. Il en reçoit la lumière de la façon la plus totale, selon laquelle il peut être donné à une intelligence humaine de recevoir la vision de Dieu. Cela ne peut être infini, mais cela est plénier. Certains ont objecté que Jésus, s’il avait ainsi joui sur cette terre de la vision béatifique, n’aurait pas assumé en totalité notre existence humaine et les conditions de misère qui s’attachent à notre pèlerinage sur terre. En particulier, disent-ils, le Christ n’eut pas réellement souffert si dans son intelligence il avait joui de la vision parfaite de Dieu.

Avec beaucoup de maîtrise et de sagesse, saint Thomas d’Aquin répondrait à ces objections ce qu’il a déjà dit, à savoir que c’est par une volonté pleinement libre que le Christ accepte non seulement son état de pèlerin terrestre avec toutes les misères communes à notre humanité souffrante, mais aussi qu’il consent au don de sa vie. En parfaite union avec l’intelligence du Père dont il voyait l’ordre de Sagesse et la Volonté du Père dont il accepte l’Amour, il consent à abandonner à la souffrance et à la mort, toute son âme et son corps humain, sans que cela altère, en aucun cas, la contemplation qu’il a de la Sagesse du Père et la Joie de faire Sa Volonté.

La réalité de la nature humaine du Christ est manifestée par un signe indubitable : c’est sa conception et sa naissance. Le corps de Jésus fut un vrai corps humain auquel il ne manquait rien des organes essentiels qui font la parfaite intégrité du corps. Comme nous l’enseigne la foi catholique, ce corps fut formé dans le sein virginal de Marie par l’action de l’Esprit Saint. Cela ne signifie pas que l’Esprit Saint est le Père de Jésus, mais la formation du corps est attribuée à l’action d’Amour en Dieu qui est personnellement celle de l’Esprit Saint. Cependant saint Thomas enseigne que toute la Trinité concourt à l’assomption d’une nature humaine en la personne du Verbe. De même, Jésus né de Marie est véritablement son Fils et elle est véritablement sa Mère. Elle a donné ce que toute femme, devenant mère, donne à l’être qui est formé en elle. Mais les lecteurs seront peut-être surpris du langage de saint Thomas qui enseigne que la relation de filiation n’est pas égale entre le Fils et la Mère et entre la Mère et le Fils. La relation de maternité est réelle du côté de Marie. La relation de filiation est de raison du côté du Fils. Il faut bien comprendre ici, ce que veut dire le Docteur Angélique. La relation s’adresse à la personne. Or, Marie n’engendre pas la personne du Fils car cette personne est divine. Et cette personne divine est déjà le Fils de Dieu. Donc Marie ne peut donner à Jésus son être de Fils. Il l’est éternellement par sa relation au Père. Mais en voulant naître de Marie, le Fils, reçoit d’elle tout ce que donne une mère. Ce Fils déjà Fils devient ainsi réellement uni à Marie comme à sa Mère. Marie devient ainsi réellement Mère de Jésus, non seulement en tant qu’elle le met au monde, mais en tant qu’elle reçoit de Lui sa relation de maternité. Et, bien que Jésus naisse réellement de Marie, il ne reçoit pas d’elle son état de filiation, puisqu’il l’a de toute éternité. Pour exprimer cela, saint Thomas dit, très justement que la relation du Fils à la Mère est une relation de raison alors que la relation de la Mère et du Fils est une relation réelle.

La maternité de Marie est celle d’une vierge. Saint Thomas redit ici la foi de toute l’Église. Mais encore une fois, on sera peut-être surpris d’apprendre que saint Thomas ne pensait pas que Marie fut Immaculée dès sa conception. Il faut encore une fois bien comprendre ici, la position du Docteur Angélique. D’un côté, le dogme de l’Immaculée conception n’a pas encore été prononcé. D’un autre côté, les arguments par lesquels saint Thomas pense que Marie n’est pas Immaculée dès sa conception, sont d’un poids tel qu’il faudra l’infaillibilité de Pierre pour les surmonter. En effet, l’Aquinate croit que Marie doit recevoir toute sa purification de la Rédemption de son Fils. Elle ne pourrait, sans rejeter son Fils, recevoir une nature intègre comme celle d’Adam. Il faut donc, pense Thomas d’Aquin, que Marie reçoive une nature infectée par la faute originelle ce qui permet à la personne d’être entièrement purifiée, presque immédiatement après la conception. L’Église, on le sait, a levé cette objection importante en montrant que l’universalité des mérites de la Rédemption permet à Marie d’être purifiée à l’instant de sa conception, ni avant, ni après. Par conséquent, tout en gardant sauve la doctrine de saint Thomas, l’universalité de la Rédemption, le dogme de l’Immaculée conception donne à Marie toute sa dignité. Si la souffrance et la mort du Christ furent de vraies souffrances, la Résurrection n’en est pas moins réelle. Saint Thomas montre bien que Jésus fut vraiment ressuscité, que cette résurrection est une victoire sur le péché et la mort et que, avec l’Ascension elle constitue ce que saint Paul affirme être une exaltation. Jésus est exalté, par la Résurrection, de l’humiliation causée par la mort et la souffrance et par l’Ascension, de l’humiliation causée par sa mise au tombeau.

Enfin terminant cette partie du Compendium sur l’humanité du Christ, saint Thomas montre ce que sera le jugement dernier. Il appartient au Christ de juger en vertu de sa nature humaine car c’est en elle et par elle qu’il nous a rachetés. Mais le Christ ne sera pas le seul juge ! Jugeront aussi les Apôtres, saint Paul et tous les Saints qui sur terre auront exercé un « apostolat » ou, un gouvernement.

 

L’espérance

L’espérance, comme l’enseigne saint Thomas, est la substance des biens auxquels la foi nous fait adhérer. Espérer c’est aussi demander à Dieu que ces biens nous soient accordés. C’est pourquoi la prière propre de l’espérance est celle du Notre Père car c’est en elle que le Seigneur nous fait demander au Père, qui est dans les cieux, c’est-à-dire qui est tout puissant, les biens de l’âme et du corps dans un ordre conforme à sa volonté. Saint Thomas n’a pas eu le temps de terminer l’exposé du Notre Père. Le Compendium s’achève au chapitre 10 avec la deuxième demande du Pater : Que votre règne arrive. Mais le traducteur, le Père Kreit, a eu la bonne idée de continuer à partir d’autres textes de saint Thomas, l’exposé de la vertu d’espérance de même que celle de la vertu de la charité. Les lecteurs auront donc en main l’œuvre complète que saint Thomas aurait pu écrire si comme le dit frère Réginald, la mort prématurée n’avait pas, ô douleur, interrompu son œuvre.

 

Comment faut-il lire saint Thomas ?

Devant une œuvre aussi magistrale, dont la pensée est aussi dense, on peut, légitimement, se sentir déconcerté. Au premier abord il semble que la lettre soit facile. Puis tout devient difficile et la pensée de saint Thomas demandant une longue persévérance dans l’étude on se décourage et on abandonne. Il faut bien se rendre compte qu’étudier saint Thomas c’est aborder l’enseignement de l’un des plus grands docteurs de l’Église et même de celui dont on nous dit qu’il est le docteur commun. Par conséquent l’effort qu’il demande est payé d’une juste récompense : la joie d’une intelligence formée et l’approfondissement incomparable de la foi. Par ailleurs il faut savoir aussi que la pensée de saint Thomas a quelques caractères personnels qu’il vaut mieux connaître avant de l’aborder.

Sa pensée est toujours exprimée d’une manière universelle. Saint Thomas recherche et trouve l’argument le plus élevé, celui qui ne souffre aucune exception, celui qui est le plus juste et le plus capable de montrer à l’intelligence la vérité. L’universalité de l’argumentation, n’est pas une pensée abstraite mais une doctrine intellectuellement et spirituellement très profonde, c’est-à-dire, qui touche ou qui apporte les raisons les plus fondamentales. L’argumentation de saint Thomas touche donc toujours l’intelligence. Le Docteur Angélique fait rarement appel à un mouvement de la sensibilité ou à un élan du cœur. Cela ne signifie pas que son verbe soit sec et sans chaleur. Cela signifie bien, au contraire, que l’amour pour être réel demande que l’intelligence reçoive plus en plénitude la lumière qui vient de Dieu et dirige la volonté. De sorte que si l’on a le courage de lire ce qu’enseigne le Docteur Angélique, la joie naît au bout de l’effort. Cette joie n’est pas simplement la récompense d’un effort. Elle est celle de l’intelligence qui devient remplie d’admiration et d’action de grâce, lorsqu’elle entrevoit la grandeur du mystère de Dieu. La deuxième caractéristique de la pensée de saint Thomas est sa rigueur, saint Thomas recherche l’argument qui par sa valeur peut déterminer l’intelligence. Cet argument est souvent un argument philosophique car plus que tout autre, saint Thomas sait que l’intelligence droitement formée par une philosophie qui lui permet de contempler la création, est ensuite capable de s’avancer à l’écoute de la Parole Révélée. Cependant l’argument théologique n’est pas fondé sur la philosophie. Il est celui de la Révélation. Et sur ce point, saint Thomas est très conscient de la qualité d’une argumentation philosophique et de la qualité d’une argumentation théologique. Ne mêlant jamais l’un et l’autre, il fait ressortir l’importance de l’un et l’autre. En lisant le texte de saint Thomas, il faut toujours éviter de se laisser emporter par l’imagination ou par la recherche d’une confirmation dans la sensibilité. Si l’on veut comprendre il faut chercher sur quoi saint Thomas s’appuie pour avancer la conclusion à laquelle il parvient. Quand on a saisi l’argument, quand on a compris la raison profonde de sa doctrine, on peut mieux en juger. Et la plupart de toutes les objections tombent quand on voit ce que le Docteur Angélique a réellement enseigné.

Enfin la troisième qualité de l’enseignement est son objectivité, saint Thomas ne présente pas une psychologie de la foi ni une spiritualité de la foi. Saint Thomas présente l’objectivité de la foi dans l’exposition des vérités qu’il a reçu de l’enseignement de l’Eglise. Chercher en premier lieu comment doit se comporter le croyant dans la foi ou dans l’espérance déconcertera tout lecteur. Car saint Thomas ne nous dit pas quelle doit être l’attitude du sujet. Ce n’est pas là le sens de la vocation du Docteur Angélique. Mais celui qui prendra la peine de lire à fond ce Compendium, celui qui, dans l’espérance, recevra, la lumière qui en jaillit, celui-là découvrira peu à peu, au secret de sa prière et dans le cours de sa vie, comment le Docteur Angélique n’est pas simplement celui qui enseigne. Il verra comment il est aussi un maître de la vie spirituelle; comment, formant l’intelligence, il atteint la personne tout entière; comment il ne laisse pas le cœur indifférent ni la volonté sans amour.

A tous ceux qui voudront recevoir, pour leur croissance dans la foi, la lumière que donne saint Thomas d’Aquin, je souhaite la joie et le don de l’Esprit.

 

Aline Lizotte

AVANT-PROPOS DU PÈRE KREIT POUR UN COMPLÉMENT AU COMPENDIUM

 

Comme le fait remarquer la fin du Compendium, l’œuvre de saint Thomas reste inachevée ainsi que d’autres travaux qu’il avait sur le métier, soit comme le dit l’éditeur, qu’il en ait été empêché par la mort, soit que plus probablement il ait cessé d’écrire. Car le saint avait eu une extase dans laquelle il pouvait dire comme saint Paul qu’il avait vu des choses qu’il n’est pas permis aux hommes de communiquer. Dès avant sa convocation au concile général de Lyon qui s’ouvrirait le 7 mai 1274, saint Thomas a cessé tout travail : on situe la chose après le 6 décembre 1273 ; et son départ pour le concile aura lieu en février 1274 ; sa mort se plaçant le 7 mars.

Donnons la chronologie de ce qui s’est passé entre le 6 décembre et le 7 mars. Un mercredi, le 6 décembre 1273, en la fête de saint Nicolas, saint Thomas se lève de bonne heure, à son accoutumée ; pendant sa messe il est soudain agité et pris d’un trouble si profond qu’il en est comme tout changé. Après cette messe, dit son historien ou biographe, Barthélémy de Capoue, il n’a plus rien écrit ni dicté ; saint Thomas ferme son écritoire quand il en était encore au traité de la Pénitence de la Tertia Pars de la Somme théologique. Son fidèle secrétaire et confesseur, frère Réginald de Piperno s’apercevant du changement si subit dans la manière de vivre du docteur angélique lui demande : « Mon Père, pourquoi avez-vous mis de côté un si grand travail entrepris pour la ‘louange de Dieu et l’édification du monde? » Là-dessus réponse de Thomas : « Réginald, je ne peux plus ». Réginald, craignant que le saint par tant de travaux n’ait perdu son équilibre mental, insiste pour qu’il continue d’écrire et revienne à sa manière de vivre précédente, fut-ce avec plus de ménagement. Mais plus Réginald insiste plus saint Thomas se fait impatient jusqu’à ce qu’il réponde : « Réginald, je ne peux pas parce que tout ce que j’ai écrit me paraît tel que de la paille. » Réginald en est troublé mais Thomas pensait sérieusement : il ne pouvait plus continuer; il n’était plus en état ni corporellement ni mentalement. Il ne lui restait plus que la prière et l’acceptation de son incapacité de travail.

Thomas cependant, fin décembre ou début janvier, avait pu se rendre à grand peine chez sa sœur, la comtesse Théodora de San Severino ; celle-ci fut stupéfaite de l’état de son frère qui l’avait à peine saluée; ce dont elle fit part au frère Réginald qui de nouveau insiste et prie Thomas de lui dire pourquoi il refusait ainsi d’écrire et comment il se faisait qu’il était comme égaré. Après plusieurs demandes et menaces Thomas dit enfin : « Promets-moi, par le Dieu vivant et tout puissant, par fidélité à notre Ordre et par ton amour pour moi, que jamais aussi longtemps que je vivrai tu ne trahiras pas ce que je vais te dire : Tout ce que j’ai écrit n’est que de la paille en regard de ce qui m’a été révélé. »

Ce n’est que plus d’un mois après cette visite chez sa sœur, donc au début de février que le saint docteur prendra la route pour le concile de Lyon. Un incident qu’il est bon de noter marqua encore ce voyage. Barthélémy de Capoue raconte que lorsque Thomas et ses compagnons étaient en route vers Borgonuovo, chevauchant probablement un âne, il vint à être frappé d’une branche d’arbre qui surplombait la route; il en fut à moitié étourdi et pouvait difficilement se tenir debout. Sur ces entrefaites on arrive à Fossanova au monastère des Cisterciens; son état s’étant aggravé, Thomas meurt le 7 mars.

On voit donc dans quel sens il faut interpréter l’interruption du Compendium. C’est pour réaliser le plan de saint Thomas qu’il est plausible de rechercher dans les œuvres du Saint ce qui correspond le mieux à son but et dans l’esprit de sa doctrine. Certaines œuvres qu’on peut qualifier de mineures pourraient y satisfaire; mais elles ne représentent pas l’esprit dans lequel saint Thomas avait conçu le Compendium : c’est un condensé de la foi catholique offert en reconnaissance à son fidèle collaborateur Réginald de Piperno pour tout son dévouement sans lequel saint Thomas n’aurait pu mener à bien son immense effort de faire connaître sa pensée et sa conception de la connaissance en général et de la foi en particulier.

Pour compléter la seconde partie du Compendium on s’est servi des indications d’une édition allemande[8]  qui renvoie, au ch. 10 sur l’espérance, aux autres œuvres du saint docteur. Pour la troisième partie on a traduit le traité de la charité des Questions disputées, sans cependant introduire les questions par les objections que d’habitude saint Thomas met en avant de l’exposition; car il s’agissait de leçons publiques ou de disputes devant l’auditoire universitaire selon un dispositif stéréotypé.

Comme notre intention est de donner au public actuel une vue d’ensemble de la foi chrétienne, comme sans doute saint Thomas lui-même l’avait envisagé par le truchement de son secrétaire, nous intitulons le Compendium : DOCTRINE CHRÉTIENNE ou « Résumé de la foi catholique selon saint Thomas d’Aquin ». Nous espérons qu’ainsi cette œuvre ne sera pas perdue mais qu’elle servira à l’édification des hommes de bonne volonté.

 

R.P. Jean Kreit

 

 

 

RÉSUMÉ DE LA THÉOLOGIE PAR SAINT THOMAS

 

 

 

Textum Taurini 1954 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Édition numérique à partir de la traduction du Père Joseph Kreit, Missionnaire de la Congrégation du cœur immaculé de Marie (Scheut), 1985

 

 

 

Caput 1

Chapitre 1 — PRÉAMBULE DE SAINT THOMAS

[69960] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 1 Aeterni patris verbum sua immensitate universa comprehendens, ut hominem per peccata minoratum in celsitudinem divinae gloriae revocaret, breve fieri voluit nostra brevitate assumpta, non sua deposita maiestate. Et ut a caelestis verbi capessenda doctrina nullus excusabilis redderetur, quod pro studiosis diffuse et dilucide per diversa Scripturae sanctae volumina tradiderat, propter occupatos sub brevi summa humanae salutis doctrinam conclusit. Consistit enim humana salus in veritatis cognitione, ne per diversos errores intellectus obscuretur humanus; in debiti finis intentione, ne indebitos fines sectando, a vera felicitate deficiat; in iustitiae observatione, ne per vitia diversa sordescat. Cognitionem autem veritatis humanae saluti necessariam brevibus et paucis fidei articulis comprehendit. Hinc est quod apostolus ad Roman. IX, 28, dicit: verbum abbreviatum faciet Deus super terram. Et hoc quidem est verbum fidei, quod praedicamus. Intentionem humanam brevi oratione rectificavit: in qua dum nos orare docuit, quomodo nostra intentio et spes tendere debet, ostendit. Humanam iustitiam quae in legis observatione consistit, uno praecepto caritatis consummavit. Plenitudo enim legis est dilectio. Unde apostolus, I Cor. XIII, 13, in fide, spe et caritate, quasi in quibusdam salutis nostrae compendiosis capitulis, totam praesentis vitae perfectionem consistere docuit, dicens: nunc autem manent fides, spes, caritas. Unde haec tria sunt, ut beatus Augustinus dicit, quibus colitur Deus. Ut igitur tibi, fili carissime Reginalde, compendiosam doctrinam de Christiana religione tradam, quam semper prae oculis possis habere, circa haec tria in praesenti opere tota nostra versatur intentio. Primum de fide, secundo de spe, tertio vero de caritate agemus. Hoc enim et apostolicus ordo habet, et ratio recta requirit. Non enim amor rectus esse potest, nisi debitus finis spei statuatur; nec hoc esse potest, si veritatis agnitio desit. Primo igitur necessaria est fides, per quam veritatem cognoscas; secundo spes, per quam in debito fine tua intentio collocetur; tertio necessaria est caritas, per quam tuus affectus totaliter ordinetur.

Le verbe du Père éternel, embrassant toutes choses en son immensité, afin de rétablir l’homme, amoindri par le péché, en la grandeur de la gloire divine, voulut se faire petit en assumant notre petitesse sans abandon de sa majesté. Et pour que personne ne trouve excuse de ne pas devoir acquérir l’enseignement de la divine parole qu’il avait transmise abondamment et clairement à l’intention des studieux en divers livres de la Sainte Ecriture, pour ceux qui étaient trop occupés, il enferma la doctrine du salut de l’homme sous un court résumé.

En effet le salut de l’homme consiste d’abord dans la connaissance de la vérité pour que diverses erreurs n’obscurcissent pas l’intelligence humaine; ensuite dans la recherche de la fin nécessaire, de peur qu’en poursuivant des fins étrangères on ne manque la vraie félicité; enfin dans l’observance de la justice, pour échapper à la souillure des vices.

1° FOI : Or cette connaissance nécessaire au salut de l’homme, le Verbe l’a condensée en quelques brefs articles de foi. D’où cette parole de l’Apôtre aux Romains : "En raccourci, la parole du Seigneur va retentir sur la terre" (9, 28) et "C’est le verbe de la foi que nous prêchons" (10, 8).

2° ESPERANCE : La recherche humaine, il l’a rectifiée en une courte prière, dans laquelle il nous apprend à prier et où il nous montre à quoi doivent tendre notre volonté et notre espérance.

3° CHARITE : L’humaine justice qui consiste dans l’observance de la loi, il la porte à sa perfection dans l’unique précepte de la charité "en effet la plénitude de la loi est la charité" (Rom 13, 10).

D’où l’Apôtre enseigne que dans la foi, l’espérance et la charité, comme en un résumé de notre salut, consiste toute la perfection de la vie présente. Et il dit : "Maintenant demeurent la foi, l’espérance et la charité" (1 Cor 13, 13). C’est donc par ces trois choses, dit saint Augustin (Enchapitre chapitre 3), que nous honorons Dieu.

Afin donc de te donner un abrégé de la doctrine au sujet de la religion chrétienne, mon très cher fils Reginald, et pour que tu puisses l’avoir sous les yeux, toute mon intention dans le présent ouvrage se tournera vers ces trois choses : d’abord la foi, ensuite l’espérance, enfin la charité. C’est cet ordre que suit l’Apôtre et que la droite raison réclame. Car l’amour pour être droit doit proposer à l’espérance une fin qui lui est dûment proposée, ce qui ne peut être sans la connaissance de la vérité.

D’abord donc nécessité de la foi qui te fera connaître la vérité. Ensuite l’espérance qui dirigera ton intention vers la fin. Enfin nécessité de la charité qui réglera entièrement ton coeur.

 

 

Liber 1

PREMIÈRE PARTIE — LA FOI

 

PREMIER TRAITÉ — DIEU ET L'HOMME

Caput 2 [69961] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 2 tit. Ordo dicendorum circa fidem


 [69962] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 2 Fides autem praelibatio quaedam est illius cognitionis quae nos in futuro beatos facit. Unde et apostolus dicit quod est substantia sperandarum rerum: quasi iam in nobis sperandas res, idest futuram beatitudinem, per modum cuiusdam inchoationis subsistere faciens. Illam autem beatificantem cognitionem circa duo cognita dominus consistere docuit, scilicet circa divinitatem Trinitatis, et humanitatem Christi; unde ad patrem loquens, dicit: haec est vita aeterna, ut cognoscant te Deum verum, et quem misisti Iesum Christum. Circa haec ergo duo tota fidei cognitio versatur: scilicet circa divinitatem Trinitatis, et humanitatem Christi. Nec mirum: quia Christi humanitas via est qua ad divinitatem pervenitur. Oportet igitur et in via viam cognoscere, per quam possit perveniri ad finem; et in patria Dei gratiarum actio sufficiens non esset, nisi viae, per quam salvati sunt, cognitionem haberent.
Hinc est quod dominus discipulis dixit: et quo ego vado scitis, et viam scitis. Circa divinitatem vero tria cognosci oportet. Primo quidem essentiae unitatem, secundo personarum Trinitatem, tertio divinitatis effectus.

Chapitre 2 — PLAN DE LA DOCTRINE SUR LA FOI

La foi est l’avant-goût de cette connaissance qui doit nous rendre heureux dans le siècle futur. L’Apôtre dit qu’"elle est la substance des choses qu’on doit espérer" (Hébreux 11, 1). C’est comme si elle faisait subsister en nous et en son commencement la future béatitude. Cette con naissance béatifiante, nous enseigne le Seigneur, peut se ramener à deux points : la divine Trinité et l’humanité du Christ. D’où sa prière au Père : "Ceci est la vie éternelle : qu’ils te connaissent toi le vrai Dieu et celui que tu as envoyé le Seigneur Jésus" (Jean 17, 3).

Autour de ces deux points se concentre toute la connaissance de foi. Ce qui n’est pas étonnant car l’humanité du Christ est la voie qui conduit au Père. Il faut donc tant qu’on est en voyage connaître la voie par laquelle/on peut arriver au but; et dans la patrie divine on ne pour rait dignement rendre grâce sans avoir connu la voie par laquelle on est sauvé. D’où ces paroles du Sauveur à ses Apôtres : "Et vous savez où je vais et vous en connaissez la voie." (Jean 14, 4)

Sur la divinité, il faut connaître trois choses : l’unité d’essence, la Trinité des personnes, les oeuvres de la divinité.

 

 

 

 

 

A — Dieu (Chapitres 3 à 67)

 

1° Dieu et le Père (chapitre 3 à 36)

Caput 3 [69963] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 3 tit. Quod Deus sit


 [69964] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 3 Circa essentiae quidem divinae unitatem primo quidem credendum est Deum esse; quod ratione conspicuum est. Videmus enim omnia quae moventur, ab aliis moveri: inferiora quidem per superiora, sicut elementa per corpora caelestia; et in elementis quod fortius est, movet id quod debilius est; et in corporibus etiam caelestibus inferiora a superioribus aguntur. Hoc autem in infinitum procedere impossibile est. Cum enim omne quod movetur ab aliquo, sit quasi instrumentum quoddam primi moventis; si primum movens non sit, quaecumque movent, instrumenta erunt.
Oportet autem, si in infinitum procedatur in moventibus et motis, primum movens non esse. Igitur omnia infinita moventia et mota erunt instrumenta. Ridiculum est autem etiam apud indoctos, ponere instrumenta moveri non ab aliquo principali agente: simile enim est hoc ac si aliquis circa constitutionem arcae vel lecti ponat serram vel securim absque carpentario operante. Oportet igitur primum movens esse, quod sit omnibus supremum; et hoc dicimus Deum.

Chapitre 3 — QUE DIEU EST

A propos de l’unité de l’essence divine, la première chose à croire est que Dieu est; ce qui peut être manifesté par la raison. Nous voyons en effet que toutes les choses qui sont mues le sont par d’autres, les inférieures par les supérieures comme les éléments par les corps célestes. Et dans les éléments, le plus fort meut ce qui est plus faible; et aussi dans les corps célestes, les inférieurs sont sous la motion des supérieurs. Or il est impossible de remonter à l’infini. En effet puisque tout ce qui est mû par quelque chose est comme l’instrument d’un premier moteur, s’il n’y a pas de premier moteur, toutes les choses qui meuvent seront des instruments. Or si on procède à l’infini dans ce qui meut et ce qui est mû, il n’y aura pas de premier moteur; alors les réalités en nombre infini qui meuvent et qui sont mues seront des instruments. N’est-il pas ridicule même pour des ignorants, d’affirmer que des instruments ne sont pas mus par quelque agent principal ? En effet cela est semblable à celui qui, pour la construction d’un coffre ou d’un lit, ferait intervenir la scie ou la hachette sans l’opération même du menuisier. Il faut donc qu’un premier moteur existe, qui soit au-dessus de tous, et ce premier moteur nous l’appelons Dieu.

 

 

Caput 4 [69965] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 4 tit. Quod Deus est immobilis


 [69966] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 4 Ex hoc apparet quod necesse est Deum moventem omnia, immobilem esse. Cum enim sit primum movens, si moveretur, necesse esset se ipsum vel a se ipso, vel ab alio moveri. Ab alio quidem moveri non potest: oporteret enim esse aliquid movens prius eo; quod est contra rationem primi moventis. A se ipso autem si movetur, hoc potest esse dupliciter. Vel quod secundum idem sit movens et motum; aut ita quod secundum aliquid sui sit movens, et secundum aliquid motum. Horum quidem primum esse non potest. Cum enim omne quod movetur, inquantum huiusmodi, sit in potentia; quod autem movet, sit in actu; si secundum idem esset movens et motum, oporteret quod secundum idem esset in potentia et in actu; quod est impossibile. Secundum etiam esse non potest. Si enim esset aliquod movens, et alterum motum, non esset ipsum secundum se primum movens, sed ratione suae partis quae movet. Quod autem est per se, prius est eo quod non est per se. Non potest igitur primum movens esse, si ratione suae partis hoc ei conveniat. Oportet igitur primum movens omnino immobile esse. Ex iis etiam quae moventur et movent, hoc ipsum considerari potest. Omnis enim motus videtur ab aliquo immobili procedere, quod scilicet non movetur secundum illam speciem motus; sicut videmus quod alterationes et generationes et corruptiones quae sunt in istis inferioribus, reducuntur sicut in primum movens in corpus caeleste, quod secundum hanc speciem motus non movetur, cum sit ingenerabile et incorruptibile et inalterabile. Illud ergo quod est primum principium omnis motus, oportet esse immobile omnino.

Chapitre 4 — NE SE MEUT PAS

Il faut donc admettre que Dieu ne se meut pas lui qui meut tout le reste. Comme il est le premier moteur, s’il était en mouvement, il devrait se mouvoir lui-même ou l’être par un autre. Il ne peut être mû par un autre avant lui puisqu’il est le premier moteur. S’il se meut lui-même, il y a deux hypothèses : ou qu’il soit en même temps mû et moteur ou qu’une partie de lui-même soit mue et l’autre la meuve. Dans le premier cas puisque tout ce qui est mû, comme tel, est en puissance et que ce qui meut est en acte, s’il est moteur et à la fois mû, il serait à la fois puissance et acte; ce qui est impossible. Dans le second cas, il y aurait une partie qui meut et l’autre mue et il ne serait plus en lui-même le premier moteur mais seulement en fonction de la partie qui meut. Or ce qui est par soi-même existe avant ce qui n’est pas par soi. Il ne peut donc pas être le premier moteur si en raison seulement de sa partie cela lui convient. Il faut donc que le premier moteur soit totalement immobile. On peut faire la même constatation dans tout ce qui meut et est mû. En effet tout mouvement provient de quelque chose qui est immobile, c’est-à-dire qui n’est pas mû selon cette sorte de mouvement. Il en est ainsi des altérations, des générations, des corruptions dans le domaine des choses inférieures; celles-ci sont ramenées comme à leur premier moteur à un agent céleste qui lui non plus n’est pas mû selon cette sorte de mouvement mais qui est sans génération, sans corruption et sans altération. Ce qui donc est le premier principe de tout mouvement doit être absolument immobile.

 

 

Caput 5 [69967] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 5 tit. Quod Deus est aeternus


[69968] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 5 Ex hoc autem apparet ulterius Deum esse aeternum. Omne enim quod incipit esse vel desinit, per motum vel per mutationem hoc patitur. Ostensum est autem quod Deus est omnino immobilis. Est ergo aeternus.

Chapitre 5 — DIEU EST ÉTERNEL

Ceci nous amène à conclure que Dieu est éternel. En effet, tout ce qui commence ou cesse d’exister, l’est par mouvement ou par mutation. Seul le mouvement, seul le changement ont un commencement et une fin. Or nous avons montré que Dieu est absolument immobile; il est donc éternel.

 

 

Caput 6 [69969] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 6 tit. Quod Deum esse per se est necessarium


[69970] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 6 Per hoc autem ostenditur, quod Deum esse sit necessarium.
Omne enim quod possibile est esse et non esse, est mutabile. Sed Deus est omnino immutabilis, ut ostensum est. Ergo Deum non est possibile esse et non esse. Omne autem quod est, et non est possibile ipsum non esse, necesse est ipsum esse: quia necesse esse, et non possibile non esse, idem significant. Ergo Deum esse est necesse. Item. Omne quod est possibile esse et non esse, indiget aliquo alio quod faciat ipsum esse: quia quantum est in se, se habet ad utrumque. Quod autem facit aliquid esse, est prius eo. Ergo omni quod est possibile esse et non esse, est aliquid prius. Deo autem non est aliquid prius. Ergo non est possibile ipsum esse et non esse, sed necesse est eum esse. Et quia aliqua necessaria sunt quae suae necessitatis causam habent, quam oportet eis esse priorem; Deus, qui est omnium primum, non habet causam suae necessitatis: unde Deum esse per se ipsum est necesse.

Chapitre 6 — L’EXISTENCE DE DIEU S’IMPOSE D’ELLE-MÊME

On en conclut aussi que l’existence de Dieu est de soi nécessaire. En effet tout ce qui peut être ou ne pas être est changeant. Or nous avons établi que Dieu ne peut absolument pas changer; donc il n’est pas possible que Dieu soit et ne soit pas. Tout ce qui est et qui ne peut pas ne pas être doit nécessairement être par lui-même. Car être nécessairement et ne pouvoir ne pas être c’est la même chose. Il est donc nécessaire que Dieu soit.

De même tout ce qui peut être ou n’être pas exige qu’un autre le fasse exister; car quant à lui-même il y est indifférent. Or ce qui fait que quelque chose est, lui est antérieur. Donc à ce qui peut être ou n’être pas il y a quelque chose d’antérieur. Or rien n’est antérieur à Dieu. Donc il ne lui est pas possible d’être ou de n’être pas mais il est nécessaire qu’il soit. Et comme il y a des choses nécessaires qui ont une cause à leur nécessité et qui leur est antérieure, Dieu lui qui est le premier de toutes choses n’a pas de cause à sa nécessité. D’où il est nécessaire que Dieu soit de lui-même.

 

 

Caput 7 [69971] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 7 tit. Quod Deus semper est


[69972] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 7 Ex his autem manifestum est quod Deus est semper. Omne enim quod necesse est esse, semper est: quia quod non possibile est non esse, impossibile est non esse, et ita nunquam non est. Sed necesse est Deum esse, ut ostensum est. Ergo Deus semper est. Adhuc. Nihil incipit esse aut desinit nisi per motum vel mutationem. Deus autem omnino est immutabilis, ut probatum est. Impossibile est igitur quod esse inceperit, vel quod esse desinat. Item. Omne quod non semper fuit, si esse incipiat, indiget aliquo quod sit ei causa essendi: nihil enim se ipsum educit de potentia in actum, vel de non esse in esse. Deo autem nulla potest esse causa essendi, cum sit primum ens; causa enim prior est causato. Necesse est igitur Deum semper fuisse. Amplius. Quod convenit alicui non ex aliqua causa extrinseca, convenit ei per se ipsum. Esse autem Deo non convenit ex aliqua causa extrinseca, quia illa causa esset eo prior. Deus igitur habet esse per se ipsum. Sed ea quae per se sunt, semper sunt, et ex necessitate. Igitur Deus semper est.

Chapitre 7 — DIEU EST TOUJOURS

Par là il est manifeste que Dieu est toujours. En effet tout ce qui est nécessairement est toujours; car ce qui ne peut n’être pas il est impossible qu’il ne soit pas et ainsi il est toujours. Mais il est nécessaire que Dieu soit, comme on l’a montré (chapitre 6). Dieu est donc toujours.

De plus rien ne commence ni ne cesse que par mouvement et changement. Or Dieu est absolument immuable, comme on l’a montré (chapitre 4). Il est donc impossible qu’Il ait commencé ou cesse d’exister. De même ce qui ne fut pas toujours, s’il commence i exister a besoin d’un autre qui le fasse exister. Rien en effet ne peut passer de soi- même de la puissance à l’acte ou du non-être à l’être. Or Dieu ne peut avoir une cause puisqu’Il est l’être premier. En effet la cause est antérieure à ce qui est causé. Il est donc nécessaire que Dieu ait toujours été.

De plus ce qui convient à quelqu'un non en vertu d’une cause extérieure lui appartient essentiellement. Que Dieu existe ne lui vient pas d’une cause extérieure, car alors cette cause lui serait antérieure. Dieu a donc de lui-même son être. Mais les choses qui sont par elles-mêmes, sont de toujours et de nécessité. Dieu est donc depuis toujours.

 

 

Caput 8 [69973] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 8 tit. Quod in Deo non est aliqua successio


[69974] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 8 Per hoc autem manifestum est quod in Deo non est aliqua successio; sed eius esse totum est simul. Successio enim non invenitur nisi in illis quae sunt aliqualiter motui subiecta; prius enim et posterius in motu causant temporis successionem. Deus autem nullo modo est motui subiectus, ut ostensum est. Non igitur est in Deo aliqua successio, sed eius esse est totum simul. Item. Si alicuius esse non est totum simul, oportet quod ei aliquid deperire possit, et aliquid advenire. Deperit enim illud quod transit, et advenire ei potest illud quod in futurum expectatur. Deo autem nihil deperit nec accrescit, quia immobilis est. Igitur esse eius est totum simul. Ex his autem duobus apparet quod proprie est aeternus. Illud enim proprie est aeternum quod semper est, et eius esse est totum simul; secundum quod Boetius dicit, quod aeternitas est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio.

Chapitre 8 — IL N’Y A PAS DE SUCCESSION EN DIEU

Par là aussi il est manifeste qu’il n’y a pas de succession en Dieu, mais que tout son être est en une fois : la succession en effet n’existe qu’en ceux qui en quelque manière sont sujets au mouvement; en effet l’avant et l’après du mouvement sont la cause de la succession dans le temps. Or Dieu n’est pas sujet au mouvement, comme on l’a montré; il n’y a donc en Dieu aucune succession mais son être tout entier est en même temps.

De même : si l’être de quelque chose n’est pas tout entier en même temps c’est que quelque chose en lui vient à disparaître et que quelque chose lui advient. Disparaît en effet ce qui passe et ce qui lui advient est une chose à venir. Or pour Dieu rien ne dépérit ni ne s’accroît car il est immobile; donc son être est tout entier à la fois. Or ces deux choses sont propres à l’éternité. Cela en effet est proprement éternel qui est depuis toujours et dont l’être est tout entier et à fois, selon ce que dit Boèce : "L’éternité est la possession parfaite, toute à la fois, d’une vie sans fin" (La consolation de la philosophie, 5. 6).

 

 

Caput 9 [69975] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 9 tit. Quod Deus est simplex


[69976] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 9 Inde etiam apparet quod oportet primum movens simplex esse. Nam in omni compositione oportet esse duo, quae ad invicem se habeant sicut potentia ad actum.
In primo autem movente, si est omnino immobile, impossibile est esse potentiam cum actu; nam unumquodque ex hoc quod est in potentia, mobile est. Impossibile igitur est primum movens compositum esse. Adhuc. Omni composito necesse est esse aliquid prius: nam componentia naturaliter sunt composito priora. Illud igitur quod omnium entium est primum, impossibile est esse compositum. Videmus etiam in ordine eorum quae sunt composita, simpliciora priora esse: nam elementa sunt naturaliter priora corporibus mixtis. Item etiam inter ipsa elementa primum est ignis, quod est simplicissimum. Omnibus autem elementis prius est corpus caeleste, quod in maiori simplicitate constitutum est, cum ab omni contrarietate sit purum. Relinquitur igitur quod primum entium oportet omnino simplex esse.

Chapitre 9 — DIEU EST SIMPLE

De là aussi il apparaît que le premier moteur doit être simple. Car en toute composition il faut deux choses : qu'ils soient mutuellement l’une par rapport à l’autre puissance et acte. Dans le premier moteur, s’il est tout à fait immobile, on ne peut y trouver la potentialité avec l’actuation, car tout ce qui est en puissance est mobile : il est donc impossible que le premier moteur soit composé.

De plus : pour tout composé il faut nécessairement que quelque chose lui soit antérieur, car ses composants sont naturellement antérieurs au composé; celui donc qui est le premier de tous les êtres ne peut être composé. Nous constatons aussi dans l’ordre des choses composées que les plus simples existent d’abord, car leurs éléments sont naturellement antérieurs aux corps mixtes. De même aussi parmi les éléments, le feu est premier à cause de sa très grande simplicité. Plus antérieurs encore sont les corps célestes parce que constitués d’une plus grande simplicité étant purs de toute contrariété. Il reste donc que de tous les êtres le premier doit être absolument simple.

 

 

Caput 10 [69977] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 10 tit. Quod Deus est sua essentia


[69978] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 10 Sequitur autem ulterius quod Deus sit sua essentia. Essentia enim uniuscuiusque rei est illud quod significat definitio eius. Hoc autem est idem cum re cuius est definitio, nisi per accidens, inquantum scilicet definito accidit aliquid quod est praeter definitionem ipsius; sicut homini accidit albedo praeter id quod est animal rationale et mortale: unde animal rationale et mortale est idem quod homo, sed non idem homini albo inquantum est album. In quocumque igitur non est invenire duo, quorum unum est per se et aliud per accidens, oportet quod essentia eius sit omnino idem cum eo. In Deo autem, cum sit simplex, ut ostensum est, non est invenire duo quorum unum sit per se, et aliud per accidens. Oportet igitur quod essentia eius sit omnino idem quod ipse. Item. In quocumque essentia non est omnino idem cum re cuius est essentia, est invenire aliquid per modum potentiae, et aliquid per modum actus, nam essentia formaliter se habet ad rem cuius est essentia, sicut humanitas ad hominem: in Deo autem non est invenire potentiam et actum, sed est actus purus; est igitur ipse sua essentia.

Chapitre 10 — DIEU EST SON ESSENCE

Il s’en suit ultérieurement que Dieu est son essence. En effet l’essence de chaque chose est ce que signifie sa définition. Or ce dont on donne la définition est identique à ce qu’il est en réalité, à moins que par accident cette définition se voie affectée de ce qui n’est pas son être; qu’un homme soit blanc cela est étranger à son être rationnel et mortel; d’où animal rationnel et mortel est même chose qu’homme mais n’est pas identique à homme blanc en tant que blanc. En toute chose donc où ne se trouve pas de dualité où l’un est par soi et l’autre par accident, il faut que l’essence lui soit absolument identique. Or en Dieu comme Il est simple on ne trouve pas de dualité dont l’un est par soi et l’autre par accident; il faut donc que son essence soit absolument identique à lui-même.

De même en toute essence il n’y a pas absolue identité avec la chose dont elle est l’essence; on y trouve quelque chose par manière de puissance et quelque chose par manière d’acte car l’essence se rapporte formellement à la chose dont elle est l’essence comme l’humanité pour l’homme; or en Dieu on ne trouve ni puissance ni acte, mais il est acte pur; il est lui-même sa propre essence.

 

 

Caput 11 [69979] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 11 tit. Quod Dei essentia non est aliud quam suum esse


[69980] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 11 Ulterius autem necesse est quod Dei essentia non sit aliud quam esse ipsius. In quocumque enim aliud est essentia, et aliud esse eius, oportet quod aliud sit quod sit, et aliud quo aliquid sit: nam per esse suum de quolibet dicitur quod est, per essentiam vero suam de quolibet dicitur quid sit: unde et diffinitio significans essentiam, demonstrat quid est res. In Deo autem non est aliud quod est, et aliud quo aliquid est; cum non sit in eo compositio, ut ostensum est. Non est igitur ibi aliud eius essentia, quam suum esse. Item. Ostensum est quod Deus est actus purus absque alicuius potentialitatis permixtione. Oportet igitur quod eius essentia sit ultimus actus: nam omnis actus qui est circa ultimum, est in potentia ad ultimum actum. Ultimus autem actus est ipsum esse. Cum enim omnis motus sit exitus de potentia in actum, oportet illud esse ultimum actum in quod tendit omnis motus: et cum motus naturalis in hoc tendat quod est naturaliter desideratum, oportet hoc esse ultimum actum quod omnia desiderant. Hoc autem est esse. Oportet igitur quod essentia divina, quae est actus purus et ultimus, sit ipsum esse.

Chapitre 11 — L’ESSENCE EN DIEU N’EST PAS AUTRE QUE SON ÊTRE

Ensuite il s’impose que l’essence de Dieu ne soit pas autre que son être. En toute chose en effet où autre est l’essence et autre est son être, il faut que ce qu’elle est, soit autre que ce en quoi elle est; car par son être on dit de toute chose qu’elle est, par son essence on dit ce en quoi elle est. D’où la définition qui signifie l’essence montre ce en quoi une chose est. Or en Dieu autre n’est pas ce qui est et autre ce en quoi quelque chose est, puisqu’il n’y a pas en lui de composition, comme on l’a montré (chapitre 9). Chez lui donc son essence n’est autre que son être.

De même. On a montré (chapitre 4 et 9) que Dieu est acte pur sans mélange de puissance. Il faut donc que son essence soit l’acte dernier, car un acte qui est vers ce qui est dernier est en puissance à l’acte dernier. Or l’acte der nier est l’être lui-même. En effet, comme tout mouvement est sortie de la puissance vers l’acte, cela doit être l’acte dernier ce vers quoi tend tout le mouvement; et comme le mouvement naturel tend vers ce qui est naturellement désiré, cela sera l’acte dernier ce que toutes les choses désirent. Et c’est l’être. LI faut donc que l’essence divine qui est l’acte pur et dernier soit l’être même.

 

 

Caput 12 [69981] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 12 tit. Quod Deus non est in aliquo genere sicut species


 [69982] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 12 Hinc autem apparet quod Deus non sit in aliquo genere sicut species. Nam differentia addita generi constituit speciem, ergo cuiuslibet speciei essentia habet aliquid additum supra genus.
Sed ipsum esse, quod est essentia Dei, nihil in se continet, quod sit alteri additum. Deus igitur non est species alicuius generis. Item. Cum genus contineat differentias potestate, in omni constituto ex genere et differentiis est actus permixtus potentiae. Ostensum est autem Deum esse purum actum absque permixtione potentiae. Non est igitur eius essentia constituta ex genere et differentiis; et ita non est in genere.

Chapitre 12 — DIEU N’EST PAS UNE ESPÈCE SOUS UN GENRE

D’où il appert que Dieu n’est pas dans un genre tel une espèce. Car la différence ajoutée au genre constitue l’espèce; donc l’essence de n’importe quelle espèce ajoute quelque chose au genre. Mais l’être même qui est l’essence de Dieu ne contient rien en soi qui s’ajoute à un autre. Dieu donc n’est pas espèce de quelque genre.

De même. Puisque le genre a la possibilité de contenir des différences, dans tout ce qui est constitué de genre et de différences se trouve un acte mêlé de puissance. Or on a montré (chapitre 4 et 9) que Dieu est acte pur sans mélange aucun de puissance. Son essence n’est donc pas constituée de genre et de différences; et ainsi Il n’est pas dans un genre.

 

 

Caput 13 [69983] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 13 tit. Quod impossibile est Deum esse genus alicuius


 [69984] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 13 Ulterius autem ostendendum est, quod neque possibile est Deum esse genus. Ex genere enim habetur quid est res, non autem rem esse: nam per differentias specificas constituitur res in proprio esse; sed hoc quod Deus est, est ipsum esse. Impossibile est ergo quod sit genus. Item. Omne genus differentiis aliquibus dividitur. Ipsius autem esse non est accipere aliquas differentias: differentiae enim non participant genus nisi per accidens, inquantum species constitutae per differentias genus participant. Non potest autem esse aliqua differentia quae non participet esse, quia non ens nullius est differentia. Impossibile est igitur quod Deus sit genus de multis speciebus praedicatum.

Chapitre 13 — DIEU NE PEUT ÊTRE GENRE DE QUELQUE CHOSE

Ultérieurement il faut montrer qu’il n’est pas non plus possible que Dieu soit un genre. Le genre en effet ne fait pas qu’une chose est, mais ce qu’elle est. Car c’est par les différences spécifiques qu’une chose est constituée en son être propre. Mais cela qui est Dieu c’est l’être même. Il est donc impossible qu’Il soit un genre.

De même. Tout genre se répartit en plusieurs espèces. Or on ne doit pas accepter de différences de l’être lui- même; les différences en effet ne participent pas à u genre, si ce n’est accidentellement en tant que les espèces constituées par leur différence spécifique participent à un genre : or toute différence doit participer à l’être parce que le non-être n’est pas différence de quelque chose[9]. Il est donc impossible que Dieu soit un genre qu’on attribuerait à de nombreuses espèces.

 

 

Caput 14 [69985] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 14 tit. Quod Deus non est aliqua species praedicata de multis individuis


[69986] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 14 Neque est possibile quod sit sicut una species de multis individuis praedicata. Individua enim diversa quae conveniunt in una essentia speciei, distinguuntur per aliqua quae sunt praeter essentiam speciei; sicut homines conveniunt in humanitate, sed distinguuntur ab invicem per id quod est praeter rationem humanitatis. Hoc autem in Deo non potest accidere: nam ipse Deus est sua essentia, ut ostensum est. Impossibile est igitur quod Deus sit species quae de pluribus individuis praedicetur. Item. Plura individua sub una specie contenta differunt secundum esse, et tamen conveniunt in una essentia. Ubicumque igitur sunt plura individua sub specie una, oportet quod aliud sit esse, et aliud essentia speciei. In Deo autem idem est esse et essentia, ut ostensum est. Impossibile est igitur quod Deus sit quaedam species de pluribus praedicata.

Chapitre 14 — DIEU N’EST PAS UNE ESPÈCE ATTRIBUABLE A DE NOMBREUX INDIVIDUS

Et il n’est pas non plus possible qu’Il soit comme une espèce attribuable à beaucoup d’individus. En effet ceux-ci sont communs à une même essence et se distinguent par autre chose qui n’est pas de leur essence spécifique; comme les hommes ont en commun l’humanité, mais ils se distinguent entre eux par quelque chose d’autre que leur humanité; or cela ne peut arriver en Dieu, car Dieu lui-même est son essence, comme on l’a montré (chapitre 10). Il est donc impossible que Dieu soit une espèce qui soit attribuée à plusieurs individus.

De même. Plusieurs individus contenus sous une même espèce ont chacun leur propre existence bien qu’ils soient de la même essence. Partout donc où il y a plusieurs individus sous une seule espèce, il faut qu’autre soit l’être et autre l’essence spécifique. Or en Dieu l’être et l’essence sont la même chose, comme on l’a montré (chapitre 11). Il est donc impossible que Dieu constitue une espèce attribuable à plusieurs.

 

 

Caput 15 [69987] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 15 tit. Quod necesse est dicere Deum esse unum


 [69988] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 15 Hinc etiam apparet quod necesse est unum Deum solum esse.
Nam si sint multi dii, aut aequivoce aut univoce dicuntur. Si aequivoce, hoc non est ad propositum: nihil enim prohibet quod nos appellamus lapidem, alios appellare Deum. Si autem univoce, oportet quod conveniant vel in genere vel in specie. Ostensum est autem, quod Deus non potest esse genus neque species plura sub se continens. Impossibile est igitur esse plures deos. Item. Illud quo essentia communis individuatur, impossibile est pluribus convenire: unde licet possint esse plures homines, impossibile tamen est hunc hominem esse nisi unum tantum. Si igitur essentia per se ipsam individuatur, et non per aliquid aliud, impossibile est quod pluribus conveniat. Sed essentia divina per se ipsam individuatur, quia in Deo non est aliud essentia et quod est, cum ostensum sit quod Deus sit sua essentia: impossibile est ergo quod sit Deus nisi unus tantum. Item. Duplex est modus quo aliqua forma potest multiplicari: unus per differentias, sicut forma generalis, ut color in diversas species coloris; alius per subiectum, sicut albedo. Omnis ergo forma quae non potest multiplicari per differentias, si non sit forma in subiecto existens, impossibile est quod multiplicetur, sicut albedo, si subsisteret sine subiecto, non esset nisi una tantum. Essentia autem divina est ipsum esse, cuius non est accipere differentias, ut ostensum est. Cum igitur ipsum esse divinum sit quasi forma per se subsistens, eo quod Deus est suum esse, impossibile est quod essentia divina sit nisi una tantum. Impossibile est igitur esse plures deos.

Chapitre 15 — IL EST NÈCESSAIRE DE DIRE QUE DIEU EST UN

De ceci aussi il appert qu’il est nécessaire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu Car supposons qu’il y ait beaucoup de dieux, on le dira dans un sens équivoque ou dans un sens univoque. Équivoque, ce sens n’est ici d’aucun secours : En effet rien n’empêche que ce que nous appelons pierre, d’autres l’appellent Dieu; univoque, il faut qu’ils aient en commun ou le genre ou l’espèce. Or on a montré (chapitre 13 et 14) que Dieu ne : peut être ni genre ni espèce attribuables à plusieurs. Il est donc impossible qu’il y ait plu sieurs dieux.

De même. Ce par quoi une essence commune s’individualise ne peut convenir à plusieurs : d’où, bien qu’il puisse y avoir plusieurs hommes, cependant cet homme (donné) ne sera jamais que cet homme unique. Si donc une essence vient à être individualisée en elle-même et non en vertu d’autre chose il ne sera pas possible qu’elle con vienne à plusieurs. Mais l’essence divine est par elle-même individualisée parce qu’en Dieu l’essence n’est pas autre que l’être; on a montré en effet que Dieu est son essence (chapitre 10). Il est donc impossible que Dieu ne soit pas unique.

De même, il y a deux manières pour qu’une forme soit multiple : d’une part par ses différences, comme la forme générale, comme la couleur en diverses espèces de couleurs; d’autre part par le sujet, soit la blancheur. Donc toute forme qui ne se multiplie pas par ses différences, si elle n’est pas une forme existant en un sujet, il est impossible qu’elle se multiplie, comme la blancheur qui subsisterait hors d’un sujet serait alors unique. Or l’essence divine est l’être même où il n’y a pas place pour des différences comme on l’a montré (chapitres 11 et 13). Comme donc l’être même divin est une forme subsistait par elle-même en ce que Dieu est à soi l’être, il n’est pas possible que l’essence divine soit autre qu’une seule. Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs dieux.

 

 

Caput 16 [69989] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 16 tit. Quod impossibile est Deum esse corpus [69990] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 16 Patet autem ulterius quod impossibile est ipsum Deum esse corpus. Nam in omni corpore compositio aliqua invenitur: omne enim corpus est partes habens. Id igitur quod est omnino simplex, corpus esse non potest. Item. Nullum corpus invenitur movere nisi per hoc quod ipsum movetur, ut per omnia inducenti apparet. Si ergo primum movens est omnino immobile, impossibile est ipsum esse corpus.

Chapitre 16 — DIEU N’EST PAS UN CORPS

Il est de plus évident que Dieu ne peut être un corps. Car en tout corps se trouve quelque composition; tout corps en effet est fait de parties. Donc ce qui est tout à fait simple ne peut être un corps.

De même toute l’expérience nous apprend qu’aucun corps ne meut que s’il n’est mû lui-même. Si donc le premier moteur est tout à fait immobile il est impossible qu’il soit un corps.

 

 

Caput 17 [69991] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 17 tit. Quod impossibile est esse formam corporis, aut virtutem in corpora [69992] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 17 Neque etiam est possibile ipsum esse formam corporis, aut aliquam virtutem in corpore. Cum enim omne corpus mobile inveniatur, oportet corpore moto, ea quae sunt in corpore moveri saltem per accidens. Primum autem movens non potest nec per se nec per accidens moveri, cum oporteat ipsum omnino esse immobile, ut ostensum est. Impossibile est igitur quod sit forma, vel virtus in corpore. Item. Oportet omne movens, ad hoc quod moveat, dominium super rem quae movetur, habere: videmus enim quod quanto magis virtus movens excedit virtutem mobilis, tanto velocior est motus. Illud igitur quod est omnium moventium primum, oportet maxime dominari super res motas. Hoc autem esse non posset, si esset mobili aliquo modo alligatum; quod esse oporteret, si esset forma eius, vel virtus. Oportet igitur primum movens neque corpus esse, neque virtutem in corpore, neque formam in corpore. Hinc est quod Anaxagoras posuit intellectum immixtum, ad hoc quod imperet, et omnia moveat.

Chapitre 17 — IL EST IMPOSSIBLE QU’IL SOIT FORMÉ D’UN CORPS OU VERTU DANS UN CORPS

De même il n’est pas possible qu’Il soit forme d’un corps ou vertu dans un corps. En effet comme tout corps est mobile, s’il est mû, tout ce qui est de lui doit de même être mobile au moins par accident. Or le premier moteur ne peut être mû ni par soi ni par accident, puisqu’il doit être lui-même tout à fait immobile, comme on l’a montré (chapitre 4). Donc il est impossible qu’il soit forme ou vertu[10] dans un corps.

De même. Pour mouvoir, tout moteur doit être maître de la chose qu’il meut. Nous constatons en effet que plus la vertu motrice excède la vertu du mobile, plus aussi est rapide le mouvement. Celui donc qui est le premier moteur parmi tous les autres doit maîtriser au maximum les choses mises en mouvement; or cela ne serait pas passible s’il était un tant soit peu lié au mobile; ce qui serait le cas s’il en était la forme ou la force. Il faut donc que le premier moteur ne soit pas un corps, ni une force dans un corps, ni une forme dans un corps. Anaxagore en a tiré la conclusion d’une intelligence indépendante qui puisse commander et mouvoir toutes choses.

 

 

Caput 18 [69993] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 18 tit. Quod Deus est infinitus secundum essentiam


 [69994] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 18 Hinc etiam considerari potest ipsum esse infinitum, non privative quidem secundum quod infinitum est passio quantitatis, prout scilicet infinitum dicitur quod est natum habere finem ratione sui generis, sed non habet; sed negative, prout infinitum dicitur quod nullo modo finitur. Nullus enim actus invenitur finiri nisi per potentiam, quae est vis receptiva: invenimus enim formas limitari secundum potentiam materiae. Si igitur primum movens est actus absque potentiae permixtione, quia non est forma alicuius corporis, nec virtus in corpore, necessarium est ipsum infinitum esse. Hoc etiam ipse ordo qui in rebus invenitur, demonstrat: nam quanto aliqua in entibus sunt sublimiora, tanto suo modo maiora inveniuntur. Inter elementa enim quae sunt superiora, maiora quantitative inveniuntur, sicut etiam in simplicitate; quod eorum generatio demonstrat, cum multiplicata proportione ignis ex aere generetur, aer ex aqua, aqua autem ex terra. Corpus autem caeleste manifeste apparet totam quantitatem elementorum excedere. Oportet igitur id quod inter omnia entia primum est, et eo non potest esse aliud prius, infinitae quantitatis suo modo existere. Nec mirum, si id quod est simplex, et corporea quantitate caret, infinitum ponatur, et sua immensitate omnem corporis quantitatem excedere, cum intellectus noster, qui est incorporeus et simplex, omnium corporum quantitatem vi suae cognitionis excedat, et omnia circumplectatur. Multo igitur magis id quod est omnium primum, sua immensitate universa excedit, omnia complectens.

Chapitre 18 — DIEU EST INFINI SELON SON ESSENCE

On peut de là en inférer qu’Il est infini : il ne s’agit pas de l’infini par privation qui est une passion de la quantité, c’est-à-dire d’après ce qu’on dit infini, ce qui de sa nature a une fin à cause de son genre, mais n’en a pas’. Mais il s’agit de l’infini par négation selon que ce qui est dit infini n’est en aucune manière finie. Aucun acte en effet n’est fini que par la puissance qui est une aptitude réceptive. Nous constatons en effet que les formes sont limitées selon la potentialité de la matière[11]. Si donc le premier moteur est un acte sans mélange de potentialité, car il n’est pas forme d’un corps ni une vertu dans un corps, il est nécessaire qu’il soit lui-même infini.

C’est aussi ce que démontre l’ordre même que l’on rencontre dans les choses : car parmi les êtres ceux qui sont plus élevés sont aussi plus importants à leur manière. Parmi les éléments en effet ceux qui sont supérieurs sont plus importants par la quantité, comme aussi en simplicité; ce que démontre leur genèse, comme par dilatation le feu naît de l’air, celui-ci de l’eau et l’eau de la terre. Or le corps céleste apparaît manifestement excéder toute la quantité des éléments. Ce qui donc parmi tous les êtres est premier et que rien d’autre ne peut précéder, doit être à sa manière d’une infinie grandeur.

Quoi d’étonnant si ce qui est simple et exempt de quantité corporelle soit tenu pour infini et dépasse par son immensité toute quantité corporelle; c’est aussi le cas pour notre intelligence qui est simple et incorporelle parce qu’elle connaît, elle surpasse toute quantité corporelle et elle embrasse tout. A bien plus forte raison donc celui qui est le premier de tous les êtres surpasse-t-il par son immensité tout l’univers et tout ce qu’il renferme.

 

 

Caput 19 [69995] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 19 tit. Quod Deus est infinitae virtutis


 [69996] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 19 Hinc etiam apparet Deum infinitae virtutis esse. Virtus enim consequitur essentiam rei: nam unumquodque secundum modum quo est, agere potest. Si igitur Deus secundum essentiam infinitus est, oportet quod eius virtus sit infinita. Hoc etiam apparet, si quis rerum ordinem diligenter inspiciat. Nam unumquodque quod est in potentia, secundum hoc habet virtutem receptivam et passivam; secundum vero quod actu est, habet virtutem activam. Quod igitur est in potentia tantum, scilicet materia prima, habet virtutem infinitam ad recipiendum, nihil de virtute activa participans; et supra ipsam quanto aliquid formalius est, tanto id abundat in virtute agendi: propter quod ignis inter omnia elementa est maxime activus. Deus igitur, qui est actus purus, nihil potentialitatis permixtum habens, in infinitum abundat in virtute activa super alia.

Chapitre 19 — L’INFINIE PUISSANCE DE DIEU

D’où il apparaît aussi que Dieu possède une puissance infinie. En effet la puissance d’une chose vient de son essence. Car tout ce qui est, agit selon son mode d’être. Si donc Dieu selon son essence est infini, sa puissance doit être aussi infinie.

Ceci apparaît de même si l’on considère attentivement l’ordre des choses. Car tout ce qui est en puissance, l’est selon la vertu passive qu’il a de recevoir; et selon qu’il est actué il possède une vertu active. Ce qui est donc uniquement en puissance, soit la matière première, possède un pouvoir infini de réception mais elle ne participe en rien au pouvoir d’acte. Et au-dessus de la matière première, plus une chose a de formalité, plus aussi est grand son pouvoir d’action. C’est pourquoi le feu est parmi tous les éléments actifs le plus actif. Dieu donc qui est acte pur sans aucun mélange de potentialité jouit d’une infinie puissance d’action par-dessus toutes choses.

 

 

Caput 20 [69997] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 20 tit. Quod infinitum in Deo non importat imperfectionem


 [69998] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 20 Quamvis autem infinitum quod in quantitatibus invenitur, imperfectum sit, tamen quod Deus infinitus dicitur, summam perfectionem in ipso demonstrat. Infinitum enim quod est in quantitatibus ad materiam pertinet, prout fine privatur. Imperfectio autem accidit rei secundum quod materia sub privatione invenitur; perfectio autem omnis ex forma est. Cum igitur Deus ex hoc infinitus sit quod tantum forma vel actus est, nullam materiae vel potentialitatis permixtionem habens, sua infinitas ad summam perfectionem ipsius pertinet. Hoc etiam ex rebus aliis considerari potest. Nam licet in uno et eodem, quod de imperfecto ad perfectum perducitur, prius sit aliquid imperfectum quam perfectum, sicut prius est puer quam vir, tamen oportet quod omne imperfectum a perfecto trahat originem: non enim oritur puer nisi ex viro, nec semen nisi ex animali vel planta.
Illud igitur quod est naturaliter omnibus prius, omnia movens, oportet omnibus perfectius esse.

Chapitre 20 — L’INFINI DE DIEU NE CONTIENT AUCUNE IMPERFECTION

L’infini que nous découvrons dans les quantités comporte de l’imperfection; cependant quand on dit que Dieu est infini on veut dire qu’en lui se trouve la plus haute perfection. En effet l’infini des quantités ressortit à la matière d’après qu’elle n’a pas de fin[12]. Or l’imperfection d’une chose lui vient selon que la matière inclut une privation; et toute perfection vient de la forme. Puis donc que Dieu est infini parce qu’il est forme ou acte sans mélange aucun de matière ni de potentialité son infini atteint à la suprême perfection.

On peut aussi le constater par analogie des choses habituelles; car bien que dans une et même chose, qui est amenée de l’imparfait au parfait, vienne d’abord l’imparfait avant le parfait, comme par exemple l’enfant avant l’homme fait, cependant toute imperfection tire son origine de ce qui est parfait. En effet l’enfant ne peut naître que de l’homme fait : toute semence vient d’un animal ou d’une plante. Donc celui qui est à l’origine de toutes choses et qui les meut ne peut ne pas être infiniment parfait.

 

 

Caput 21 [69999] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 21 tit. Quod in Deo est omnimoda perfectio quae est in rebus, et eminentius


 [70000] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 21 Unde etiam apparet quod omnes perfectiones in quibuscumque rebus inventas, necesse est originaliter et superabundanter in Deo esse. Nam omne quod movet aliquid ad perfectionem, prius habet in se perfectionem ad quam movet, sicut magister prius habet in se doctrinam quam aliis tradit. Cum igitur Deus sit primum movens, et omnia alia immoveat in suas perfectiones, necesse est omnes perfectiones rerum in ipso praeexistere superabundanter. Item. Omne quod habet aliquam perfectionem, si alia perfectio ei desit, est limitatum sub aliquo genere vel specie: nam per formam, quae est perfectio rei, quaelibet res in genere, vel specie collocatur. Quod autem est sub specie et genere constitutum, non potest esse infinitae essentiae: nam oportet quod ultima differentia per quam in specie ponitur, terminet eius essentiam; unde et ratio speciem notificans, definitio vel finis dicitur. Si ergo divina essentia infinita est, impossibile est quod alicuius tantum generis vel speciei perfectionem habeat, et aliis privetur, sed oportet quod omnium generum vel specierum perfectiones in ipso existant.

Chapitre 21 — EN DIEU SE TROUVENT LES PERFECTIONS DES CHOSES D’UNE MANIÈRE ÈMINENTE

 

De là aussi il apparaît que toutes les perfections de toutes les choses doivent se trouver originairement et en surabondance en Dieu. Car tout ce qui meut une autre vers sa perfection, possède déjà cette perfection qu’il veut produire, tel le maître qui possède la science avant de la communiquer au disciple. Dieu donc qui est le premier moteur et dirige toutes les choses vers leur perfection doit nécessairement posséder déjà toutes leurs perfections et d’une manière éminente.

De même. Tout ce qui possède quelque perfection sans les avoir toutes est limité sous un genre ou une espèce. Car par la forme qui est perfection d’une chose, toute chose se trouve sous un genre ou une espèce; une telle chose ne peut pas être d’une essence infinie; car la toute dernière différence qui la situe dans une espèce met un terme à son essence; c’est pourquoi le concept qui fait connaître l’espèce est dit définition ou fin.

Si donc la divine essence est infinie, il est imposé qu’elle ait la perfection seulement d’un genre ou des espèces et soit privée des autres; mais il faut que les imperfections de tous les genres et de toutes les espèces existent en elle.

 

 

 

Caput 22 [70001] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 22 tit. Quod in Deo omnes perfectiones sunt unum secundum rem


 [70002] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 22 Si autem colligamus ea quae superius dicta sunt, manifestum est quod omnes perfectiones in Deo sunt unum secundum rem.
Ostensum est enim supra, Deum simplicem esse. Ubi autem est simplicitas, diversitas eorum quae insunt, esse non potest. Si ergo in Deo sunt omnium perfectiones, impossibile est quod sint diversae in ipso: relinquitur ergo quod omnes sint unum in eo. Hoc autem manifestum fit consideranti in virtutibus cognoscitivis. Nam superior vis secundum unum et idem est cognoscitiva omnium quae ab inferioribus viribus secundum diversa cognoscuntur: omnia enim quae visus, auditus, et ceteri sensus percipiunt, intellectus una et simplici virtute diiudicat. Simile etiam apparet in scientiis: nam cum inferiores scientiae secundum diversa genera rerum circa quae versatur eorum intentio, multiplicentur, una tamen scientia est in eis superior, ad omnia se habens, quae philosophia prima dicitur. Apparet etiam idem in potestatibus: nam in regia potestate, cum sit una, includuntur omnes potestates quae per diversa officia sub dominio regni distribuuntur. Sic igitur et perfectiones quae in inferioribus rebus secundum diversitatem rerum multiplicantur, oportet quod in ipso rerum vertice, scilicet Deo, uniantur.

Chapitre 22 — TOUTES LES PERFECTIONS EN DIEU SONT UNE SEULE ET MÊME CHOSE

En conclusion des choses dites plus haut, il est manifeste que Dieu possède toutes les perfections comme une seule et même chose. On a montré plus haut (chapitre 9) que Dieu est simple; mais ce qui est simple ne peut être diversifié selon les choses qui s’y trouvent. Si donc en Dieu se trouvent les perfections de toutes choses, il est impossible qu’elles soient diverses en lui. Il reste donc que toutes sont une en lui.

Cela est manifeste quand on considère ce qui se passe dans les facultés de connaissance. Car une force supérieure, en un seul et même acte, connaît toutes les choses que connaissent les forces inférieures selon leur diversité en effet tout ce que la vue, l’ouïe et les autres sens perçoivent, l’intelligence les distingue d’une unique et simple vertu. Il en va de même dans les sciences. Car comme les sciences inférieures sont multiples selon les divers genres de choses au sujet desquelles elles appliquent leur effort cependant leur est supérieure une unique science qui embrasse tout et qu’on appelle philosophie première.

Il en est de même chez les puissances de ce monde. Car dans le pouvoir royal, qui est un, sont inclus tous les pouvoirs qui sont répartis en diverses charges sous la souveraineté du royaume. Ainsi donc les perfections qui sont multiples dans les choses inférieures selon leur diversité même doivent se réunir au sommet des choses, c’est-à-dire en Dieu.

 

 

Caput 23 [70003] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 23 tit. Quod in Deo nullum accidens invenitur


 [70004] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 23 Inde etiam apparet quod in Deo nullum accidens esse potest. Si enim in eo omnes perfectiones sunt unum, ad perfectionem autem pertinet esse, posse, agere, et omnia huiusmodi, necesse est omnia in eo idem esse quod eius essentia.
Nullum igitur eorum in eo est accidens. Item. Impossibile est infinitum esse perfectione, cuius perfectioni aliquid adiici potest. Si autem aliquid est cuius aliqua perfectio sit accidens, cum omne accidens superaddatur essentiae, oportet quod eius essentiae aliqua perfectio adiici possit. Non igitur invenitur in eius essentia perfectio infinita. Ostensum est autem, Deum secundum suam essentiam infinitae perfectionis esse. Nulla igitur in eo perfectio accidentalis esse potest, sed quidquid in eo est, substantia eius est. Hoc etiam facile est concludere ex summa simplicitate illius, et ex hoc quod est actus purus, et ex hoc quod est primum in entibus. Est enim aliquis compositionis modus accidentis ad subiectum. Id etiam quod subiectum est, non potest esse actus purus, cum accidens sit quaedam forma vel actus subiecti. Semper etiam quod est per se, prius est eo quod est per accidens. Ex quibus omnibus secundum supradicta haberi potest, quod in Deo nihil est quod secundum accidens dicatur.

Chapitre 23 — EN DIEU NE SE TROUVE AUCUN ACCIDENT

De là aussi apparaît qu’en Dieu ne peut exister aucun accident. En effet si en lui toutes les perfections sont une et que la perfection c’est d’être, de pouvoir et d’agir et le reste, il est nécessaire que tout soit en lui comme l’être identique à son essence. Aucune de ces choses donc n’est en lui un accident.

De même, il est impossible d’être infini en perfection si à cette perfection peut s’y ajouter quelque chose. Or si quelque chose doit sa perfection à un accident et comme tout accident s’ajoute à l’essence, il faut que cette perfection soit ajoutée à son essence. On ne trouve donc pas en son essence une perfection infinie. Or on a montré (chapitres 18 et 20) que Dieu selon son essence est d’une infinie perfection. En lui donc ne peut se trouver aucune perfection accidentelle, mais tout ce qui est en lui est sa substance. C’est aussi ce qu’on peut déduire de sa suprême simplicité, et de ce qu’il est l’acte pur et le premier de tous les êtres. Entre l’accident et son sujet existe en effet une sorte de composition. De même un sujet ne peut être acte pur puisque l’accident est une certaine forme ou acte du sujet. Toujours aussi ce qui est par soi-même est antérieur à l’accident. De tout ce qui précède il ressort à l’évidence que rien d’accidentel ne peut exister en Dieu.

 

 

Caput 24 [70005] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 24 tit. Quod multitudo nominum quae dicuntur de Deo, non repugnat simplicitati eius


 [70006] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 24 Per hoc autem apparet ratio multitudinis nominum quae de Deo dicuntur, licet ipse in se sit omnimode simplex. Cum enim intellectus noster essentiam eius in se ipsa capere non sufficiat, in eius cognitionem consurgit ex rebus quae apud nos sunt, in quibus inveniuntur diversae perfectiones, quarum omnium radix et origo in Deo una est, ut ostensum est. Et quia non possumus aliquid nominare nisi secundum quod intelligimus (sunt enim nomina intellectuum signa), Deum non possumus nominare nisi ex perfectionibus in aliis rebus inventis, quarum origo in ipso est: et quia hae in rebus istis multiplices sunt, oportet multa nomina Deo imponere. Si autem essentiam eius in se ipsa videremus, non requireretur nominum multitudo, sed esset simplex notitia eius, sicut est simplex essentia eius: et hoc in die gloriae nostrae expectamus, secundum illud Zachar. ultimo: in illa die erit dominus unus, et nomen eius unum.

Chapitre 24 — LA MULTITUDE DES NOMS DONNÉS A DIEU NE S’OPPOSE PAS A SA SIMPLICITÉ

 

Par là apparaît la raison des nombreux noms dont Dieu est appelé, bien qu’en lui-même il soit absolument simple. Comme en effet notre intelligence ne suffit pas à saisir son essence même, elle arrive à le connaître par les choses qui nous entourent où se trouve les diverses perfections dont la racine unique et l’origine sont en Dieu, comme on l’a montré (chapitre 22). Et comme nous ne pouvons nommer que ce que nous saisissons par l’intelligence — les noms en effet sont les signes des idées — nous ne pouvons nommer Dieu que par les perfections que nous trouvons dans les choses, dont l’origine est en lui. Et parce que ces perfections sont multiples on doit bien donner à Dieu des noms multiples.

Si nous pouvions voir son essence même, la multitude des noms ne serait pas nécessaire; cette connaissance serait très simple, comme simple est son essence. C’est ce que nous attendons dans la gloire, selon ce que dit le prophète Zacharie : "En ce jour-là il y aura un seul Seigneur et unique sera son nom (14, g)."

 

 

Caput 25 [70007] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 25 tit. Quod licet diversa nomina dicantur de Deo, non tamen sunt synonima


 [70008] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 25 Ex his autem tria possumus considerare. Quorum primum est, quod diversa nomina, licet idem in Deo secundum rem significent, non tamen sunt synonima. Ad hoc enim quod nomina aliqua sint synonima, oportet quod significent eamdem rem, et eamdem intellectus conceptionem repraesentent.
Ubi vero significatur eadem res secundum diversas rationes, idest apprehensiones quas habet intellectus de re illa, non sunt nomina synonima, quia non est penitus significatio eadem, cum nomina immediate significent conceptiones intellectus, quae sunt rerum similitudines. Et ideo cum diversa nomina dicta de Deo significent diversas conceptiones quas intellectus noster habet de ipso non sunt synonima, licet omnino eamdem rem significent.

Chapitre 25 — LES NOMS DIVERS DONNÉS A DIEU NE SONT PAS SYNONYMES

De ce qui vient d’être dit nous pouvons considérer trois choses, dont la première est que les noms divers donnés à Dieu ne sont cependant pas des synonymes. En effet pour que des noms soient synonymes, ils doivent signifier une même chose et représenter le même concept dans l’intelligence. Que si une même chose est conçue sous divers aspects, soit les saisies que l’intelligence en a, ce ne sont pas des noms synonymes; car ce n’est pas tout à fait la même signification puisque les noms signifient directement des concepts de l’intelligence et qui sont des similitudes des choses.

Et donc les divers noms que l’on donne à Dieu signifient diverses conceptions que notre intelligence en a; ils ne sont pas synonymes, bien qu’ils s’appliquent absolument à la même chose.

 

 

Caput 26 [70009] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 26 tit. Quod per definitiones ipsorum nominum non potest definiri id quod est in Deo


 [70010] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 26 Secundum est: quod cum intellectus noster secundum nullam earum conceptionum quas nomina dicta de Deo significant, divinam essentiam perfecte capiat, impossibile est quod per definitiones horum nominum definiatur id quod est in Deo, sicut quod definitio sapientiae sit definitio potentiae divinae, et similiter in aliis. Quod alio modo etiam est manifestum. Omnis enim definitio ex genere et differentiis constat: id etiam quod proprie definitur, species est.
Ostensum est autem, quod divina essentia non concluditur sub aliquo genere, nec sub aliqua specie. Unde non potest eius esse aliqua definitio.

Chapitre 26 — LE SENS DE CES MÊMES NOMS NE DÉFINIT PAS CE QUE EST DIEU

La seconde chose est que notre intelligence ne pouvant saisir parfaitement l’essence divine selon quelqu’une de ces conceptions que signifient les noms qu’on lui appli que, il est impossible de définir ce qu’est Dieu, comme la sagesse ne définit pas la puissance de Dieu et de même quant aux autres noms. Ce qui est évident aussi d’une autre manière. En effet toute définition est faite de genre et d’espèce; aussi ce qui est proprement défini c’est l’espèce. Or on a montré (chapitres 12 et 14) que 1’essenc divine n’est pas comprise sous quelque genre ni sous quelqu’espèce; d’où elle ne peut être sous quelque définition.

 

 

Caput 27 [70011] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 27 tit. Quod nomina de Deo et aliis, non omnino univoce, nec aequivoce dicuntur


 [70012] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 27 Tertium est quod nomina de Deo et aliis rebus dicta, non omnino univoce, nec omnino aequivoce dicuntur. Univoce namque dici non possunt, cum definitio eius quod de creatura dicitur, non sit definitio eius quod dicitur de Deo: oportet autem univoce dictorum eamdem definitionem esse. Similiter autem nec omnino aequivoce. In his enim quae sunt a casu aequivoca, idem nomen imponitur uni rei, nullo habito respectu ad rem aliam: unde per unum non potest ratiocinari de alio. Haec autem nomina quae dicuntur de Deo et de aliis rebus, attribuuntur Deo secundum aliquem ordinem quem habet ad istas res, in quibus intellectus significata eorum considerat; unde et per alias res ratiocinari de Deo possumus. Non igitur omnino aequivoce dicuntur ista de Deo et de aliis rebus, sicut ea quae sunt a casu aequivoca. Dicuntur igitur secundum analogiam, idest secundum proportionem ad unum. Ex eo enim quod alias res comparamus ad Deum sicut ad suam primam originem, huiusmodi nomina quae significant perfectiones aliarum, Deo attribuimus. Ex quo patet quod licet quantum ad nominis impositionem huiusmodi nomina per prius de creaturis dicantur, eo quod ex creaturis intellectus nomina imponens ascendit in Deum; tamen secundum rem significatam per nomen, per prius dicuntur de Deo, a quo perfectiones descendunt in alias res.

Chapitre 27 — LES NOMS ET AUTRES CHOSES AU SUJET DE DIEU NE SONT PAS TOUT A FAIT UNIVOQUES NI ÉQUIVOQUES

La troisième chose au sujet des noms donnés à Dieu est qu’ils ne sont pas tout à fait univoques ni équivoques. Ils ne sont pas univoques : car ce qui est dit de la créature n’est pas la définition de ce qu’on dit de Dieu. Or il faut une même définition quand il s’agit de noms univoques. De même ils ne sont pas tout à fait équivoques. Dans les choses en effet qui sont fortuitement équivoques, un même nom est donné à une chose sans aucun rapport avec une autre de sorte qu’on ne peut raisonner de l’une à l’autre. Les noms qui sont donnés à Dieu et aux choses sont attribués à Dieu selon un certain rapport qu’il a avec elles et dans lesquelles notre intelligence considère leur signification; et donc nous pouvons raisonner au sujet de Dieu par d’autres choses. Il n’y a donc pas équivoque totale comme c’est le cas des équivoques fortuites. On s’exprime donc par analogie, c’est-à-dire selon une proportion commune à Dieu et à la créature[13]. En effet de ce que nous rapportons les choses à Dieu, comme à leur première origine, ces noms qui signifient les perfections des autres choses nous les attribuons à Dieu. Bien que ces noms conviennent d’abord à la créature, du fait que des créatures l’intelligence impose un nom pour monter vers Dieu, en réalité cependant ces noms sont dits de Dieu par priorité, duquel les perfections descendent vers les choses.

 

 

Caput 28 [70013] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 28 tit. Quod oportet Deum esse intelligentem


 [70014] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 28 Ulterius autem ostendendum est, quod Deus est intelligens.
Ostensum est enim, quod in ipso praeexistunt omnes perfectiones quorumlibet entium superabundanter. Inter omnes autem perfectiones entium ipsum intelligere praecellere videtur, cum res intellectuales sint omnibus aliis potiores. Igitur oportet Deum esse intelligentem. Item. Ostensum est supra, quod Deus est actus purus absque potentialitatis permixtione. Materia autem est ens in potentia. Oportet igitur Deum esse omnino immunem a materia. Immunitas autem a materia est causa intellectualitatis: cuius signum est quod formae materiales efficiuntur intelligibiles actu per hoc quod abstrahuntur a materia et a materialibus conditionibus. Est igitur Deus intelligens. Item. Ostensum est, Deum esse primum movens. Hoc autem videtur esse proprium intellectus, nam intellectus omnibus aliis videtur uti quasi instrumentis ad motum: unde et homo suo intellectu utitur quasi instrumentis et animalibus et plantis et rebus inanimatis. Oportet igitur Deum, qui est primum movens, esse intelligentem.

Chapitre 28 — DIEU EST INTELLIGENT

Il faut ultérieurement montrer que Dieu est intelligent. Or on a montré (chapitre 21) qu’en lui préexistent toutes les perfections de tous les êtres de façon surabondante. Or parmi toutes les perfections des êtres, la pensée excelle puisque les choses intellectuelles sont supérieures à toutes les autres; il faut donc que Dieu soit intelligent.

De même : on a montré plus haut (chapitres 4 et 9) que Dieu est acte pur sans mélange de potentialité, la matière étant un être en puissance. Dieu doit donc être tout à fait exempt de matière; or cette exemption de matière est la cause de l’intellectualité; la preuve en est que les formes matérielles deviennent effectivement intelligibles parce que nous les séparons par abstraction de la matière et des conditions matérielles. Dieu est donc intelligent.

De même : on a montré que Dieu est premier moteur (chapitre 5). Ce qui est le propre de l’intelligence; car l’intelligence se sert de toutes les autres choses comme d’instruments d’action. D’où l’homme utilise au moyen de son intelligence, comme d’instruments, les animaux, les plan tes et les choses inanimées. Il faut donc que Dieu qui est le premier moteur soit intelligent.

 

 

 

 

Caput 29 [70015] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 29 tit. Quod in Deo non est intellectio nec in potentia nec in habitu, sed in actu


 [70016] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 29 Cum autem in Deo non sit aliquid in potentia, sed in actu tantum, ut ostensum est, oportet quod Deus non sit intelligens neque in potentia neque in habitu, sed actu tantum: ex quo patet quod nullam in intelligendo patitur successionem.
Cum enim aliquis intellectus successive multa intelligit, oportet quod dum unum intelligit actu, alterum intelligat in potentia. Inter ea enim quae simul sunt, non est aliqua successio. Si igitur Deus nihil intelligit in potentia, absque omni successione est eius intelligentia: unde sequitur quod omnia quaecumque intelligit, simul intelligat; et iterum, quod nihil de novo intelligat. Intellectus enim de novo aliquid intelligens, prius fuit intelligens in potentia. Inde etiam oportet quod intellectus eius non discursive intelligat, ut ex uno in cognitionem alterius deveniat, sicut intellectus noster ratiocinando patitur. Discursus enim talis in intellectu est, dum ex noto pervenimus in cognitionem ignoti, vel eius quod prius actu non considerabamus: quae in intellectu divino accidere non possunt.

Chapitre 29 — L’INTELLIGENCE EN DIEU N’EST NI UNE POTENTIALITÉ, NI UNE HABITUDE, MAIS UN ACTE

Nous avons vu qu’en Dieu rien n’est en puissance mais uniquement en acte (chapitres 4 et 9); il faut donc aussi que son intelligence exclue toute potentialité ou habitude quel conque, mais soit seulement acte. Il ressort de là qu’il ne supporte aucune succession dans ce qu’il pense. Lorsqu’en effet notre intelligence pense beaucoup de choses successivement il faut bien, pendant qu’elle pense une chose en acte qu’une autre pensée reste en puissance. En effet simultanéité et succession sont contradictoires. Si donc Dieu ne pense rien en puissance son intelligence ne connaîtra pas de succession. D’où il suit que tout ce qu’il pense, il le pense en une fois et qu’il ne revient pas sur sa pensée. Car l’intellect qui pense derechef fut d’abord pensant en puissance. Il faut aussi que son intellect ne pense pas discursivement de sorte qu’il en arriverait à penser une chose, puis une autre comme c’est le cas pour nous qui subissons la loi du raisonnement. En effet, un tel dis cours se trouve dans l’intelligence en ce qu’elle va du connu à l’inconnu, ou que nous ne considérions pas d’abord en acte; toutes choses qui dans l’intellect divin ne peuvent se produire.

 

 

Caput 30 [70017] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 30 tit. Quod Deus non intelligit per aliam speciem quam per essentiam suam


 [70018] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 30 Patet etiam ex praedictis, quod Deus non intelligit per aliam speciem quam per essentiam suam. Omnis enim intellectus intelligens per speciem aliam a se, comparatur ad illam speciem intelligibilem sicut potentia ad actum, cum species intelligibilis sit perfectio eius faciens ipsum intelligentem actu. Si igitur in Deo nihil est in potentia, sed est actus purus, oportet quod non per aliam speciem, sed per essentiam suam intelligat; et inde sequitur quod directe et principaliter se ipsum intelligat. Essentia enim rei non ducit proprie et directe in cognitionem alicuius nisi eius cuius est essentia: nam per definitionem hominis proprie cognoscitur homo, et per definitionem equi, equus.
Si igitur Deus est per essentiam suam intelligens, oportet quod id quod est intellectum ab eo directe et principaliter, sit ipse Deus. Et cum ipse sit sua essentia, sequitur quod in eo intelligens et quo intelligit et intellectum sint omnino idem.

Chapitre 30 — DIEU NE PENSE QUE PAR SON ESSENCE ET NON PAR IMAGE INTELLECTUELLE

Il ressort de ce qu’on a dit que Dieu ne pense pas par un autre concept que son essence. En effet toute intelligence pense par concepts autres qu’elle-même; elle est à ces concepts comme la puissance à l’acte puisque le concept est ce qui la perfectionne la faisant penser en acte.

Puis donc qu’en Dieu rien n’est en puissance, mais qu’il est acte pur, il faut bien qu’il ne pense pas par un autre concept que sa propre essence : d’où il suit que ce qu’il pense directement et principalement c’est lui-même. En effet l’essence d’une chose ne conduit pas proprement et directement en la connaissance de quelque chose sinon de cette même essence; ainsi définir l’homme c’est proprement connaître l’homme, définir le cheval c’est savoir ce qu’est un cheval. Si donc Dieu pense par son essence il faut que ce qu’il pense soit directement et principalement Dieu lui-même. Et comme lui-même est son essence il s’en suit que chez lui celui qui pense, et ce par quoi il pense et ce qui est pensé sont tout une et même chose.

 

 

Caput 31 [70019] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 31 tit. Quod Deus est suum intelligere


 [70020] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 31 Oportet etiam quod ipse Deus sit suum intelligere. Cum enim intelligere sit actus secundus, ut considerare (primus enim actus est intellectus vel scientia), omnis intellectus qui non est suum intelligere, comparatur ad suum intelligere sicut potentia ad actum. Nam semper in ordine potentiarum et actuum quod est prius, est potentiale respectu sequentis, et ultimum est completivum, loquendo in uno et eodem, licet in diversis sit e converso: nam movens et agens comparatur ad motum et actum, sicut agens ad potentiam.
In Deo autem, cum sit actus purus, non est aliquid quod comparetur ad alterum sicut potentia ad actum. Oportet ergo quod ipse Deus sit suum intelligere. Item. Quodammodo comparatur intellectus ad intelligere sicut essentia ad esse. Sed Deus est intelligens per essentiam; essentia autem sua est suum esse. Ergo eius intellectus est suum intelligere; et sic per hoc quod est intelligens, nulla compositio in eo ponitur, cum in eo non sint aliud intellectus, intelligere, et species intelligibilis. Et haec non sunt aliud quam eius essentia.

Chapitre 31 — EST CE QU’IL PENSE ?

Il faut aussi que Dieu lui-même soit sa propre pensée. Penser est un acte second comme par ex. considérer (le premier acte en effet est l’intellect ou le savoir) tout intellect qui n’est pas sa pensée se compare à ce qu’il pense comme la puissance à l’acte. Car toujours dans le domaine des puissances et des actes ce qui est d’abord est en puissance du suivant et le dernier est achèvement, entendons d’une et même chose, bien que dans les choses diverses on ait l’inverse, car le moteur et l’agent sont à ce qui est mû ou agi comme l’agent à la puissance. Or en Dieu comme il est acte pur il n’y a rien qui puisse être comparé à autre chose comme la puissance à l’acte. Il faut donc que Dieu lui-même soit sa propre pensée.

De même : l’intelligence est à la pensée comme l’essence à l’être; mais Dieu est la pensée par essence; or son essence est son être; donc son être est sa pensée, et ainsi parce qu’il est intelligent on ne trouve en lui aucune composition, puisqu’en lui l’intelligence, la pensée et le concept sont identiques. Et ceux-ci ne sont autres que son essence.

 

 

 

Caput 32 [70021] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 32 tit. Quod oportet Deum esse volentem [70022] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 32 Ulterius autem manifestum est quod necesse est Deum esse volentem. Ipse enim se ipsum intelligit, qui est bonum perfectum, ut ex dictis patet. Bonum autem intellectum ex necessitate diligitur. Hoc autem fit per voluntatem. Necesse est igitur Deum volentem esse. Item. Ostensum est supra, quod Deus est primum movens. Intellectus autem non utique movet nisi mediante appetitu; appetitus autem sequens intellectum, est voluntas. Oportet igitur Deum esse volentem.

 

Chapitre 32 — DIEU EST VOLONTÉ

Il en résulte ultérieurement que Dieu est nécessairement volontaire. En effet il se pense lui-même qui est le bien parfait, comme il est clair par ce qu’on a dit (chapitres 20, 21, 30). Or le bien qui est pensé on l’aime nécessairement, ce qui se fait par la volonté; il est donc de nécessité que Dieu soit volontaire.

De même : on a vu plus haut (chapitre 3) que Dieu est premier moteur; or l’intelligence ne peut mouvoir qu’au moyen d’un appétit; or l’appétit qui suit l’intelligence est la volonté. Il faut donc que Dieu soit volontaire.

 

 

Caput 33 [70023] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 33 tit. Quod ipsam Dei voluntatem oportet nihil aliud esse quam eius intellectum


 [70024] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 33 Patet autem quod oportet ipsam Dei voluntatem nihil aliud esse quam eius intellectum.
Bonum enim intellectum, cum sit obiectum voluntatis, movet voluntatem, et est actus et perfectio eius. In Deo autem non differt movens et motum, actus et potentia, perfectio et perfectibile, ut ex superioribus patet. Oportet igitur voluntatem divinam esse ipsum bonum intellectum. Idem autem est intellectus divinus et essentia divina. Voluntas igitur Dei non est aliud quam intellectus divinus et essentia eius. Item. Intra alias perfectiones rerum praecipuae sunt intellectus et voluntas, cuius signum est quod inveniuntur in rebus nobilioribus. Perfectiones autem omnium rerum sunt in Deo unum, quod est eius essentia, ut supra ostensum est. Intellectus igitur et voluntas in Deo sunt idem quod eius essentia.

Chapitre 33 — CETTE VOLONTÉ EN DIEU NE DIFFÈRE PAS DE SON INTELLIGENCE

Cette volonté en Dieu ne diffère pas de son intelligence. En effet, le bien saisi par l’intelligence étant l’objet de la volonté, meut la volonté et est son acte et sa perfection; or en Dieu le moteur et ce qui est mû, l’acte et la puissance, perfection et perfectible s’identifient comme on l’a montré (chapitre 4 et 9); il faut donc que la volonté divine soit le bien saisi par l’intelligence. Or intelligence divine et essence divine sont identiques; donc la volonté en Dieu est identique à l’intelligence divine et à son essence.

De même : parmi toutes les perfections des choses, les principales sont l’intelligence et la volonté dont le signe est qu’on les trouve dans les natures plus nobles; or les perfections de toutes les choses sont une en Dieu et c’est son essence (chapitre 22 et 23). L’intelligence et la volonté en Dieu sont donc identiques à son essence.

 

 

Caput 34 [70025] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 34 tit. Quod voluntas Dei est ipsum eius velle


 [70026] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 34 Hinc etiam patet quod voluntas divina est ipsum velle Dei. Ostensum est enim, quod voluntas in Deo est idem quod bonum volitum ab ipso. Hoc autem esse non posset, nisi velle esset idem quod voluntas, cum velle insit voluntati ex volito. Est igitur Dei voluntas suum velle. Item. Voluntas Dei idem est quod eius intellectus et eius essentia. Intellectus autem Dei est suum intelligere, et essentia est suum esse. Ergo oportet quod voluntas sit suum velle. Et sic patet quod voluntas Dei simplicitati non repugnat.

Chapitre 34 — LA VOLONTÉ EN DIEU EST SON VOULOIR MÊME

D’où il apparaît aussi que la volonté divine est son vouloir même. On vient de voir (chapitre 33) que la volonté en Dieu s’identifie au bien voulu par lui; or cela suppose que son vouloir est identique à sa volonté puisque vouloir appartient à la volonté de par l’objet voulu; donc la volonté en Dieu est son vouloir.

De même : la volonté de Dieu est identique à son intelligence et à son essence; or son intelligence est sa pensée et son essence, son être; il faut donc que la volonté soit son vouloir. Et ainsi il est clair que la volonté en Dieu ne répugne pas à sa simplicité.

 

 

Caput 35 [70027] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 35 tit. Quod omnia supradicta uno fidei articulo comprehenduntur


 [70028] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 35 Ex his autem omnibus quae praedicta sunt, colligere possumus, quod Deus est unus, simplex, perfectus, infinitus, intelligens et volens. Quae quidem omnia in symbolo fidei brevi articulo comprehenduntur, cum nos profitemur credere in Deum unum omnipotentem. Cum enim hoc nomen Deus a nomine Graeco quod dicitur Theos, dictum videatur, quod quidem a theaste dicitur, quod est videre vel considerare; in ipso Dei nomine patet quod sit intelligens, et per consequens volens. In hoc autem quod dicimus eum unum, excluditur et deorum pluralitas, et omnis compositio: non enim est simpliciter unum nisi quod est simplex. Per hoc autem quod dicimus, omnipotentem, ostenditur quod sit infinitae virtutis, cui nihil subtrahi possit, in quo includitur quod sit et infinitus et perfectus: nam virtus rei perfectionem essentiae consequitur.

Chapitre 35 — TOUT CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT EST CONTENU DANS UN SEUL
Article DE FOI

De tout ce qui a été dit auparavant nous pouvons conclure à l’unité de Dieu, à sa simplicité, à sa perfection et qu’il est infini, intelligent et volontaire. Et tout cela est compris dans un court article du Symbole de Foi, lorsque nous professons "Croire en un seul Dieu tout-puissant". En effet comme le mot vient du mot grec "theos", lequel a sa racine en "theasthai" qui veut dire "voir" ou "considérer", dans le nom même de Dieu il ressort qu’il est intelligent et par conséquent volontaire. En disant qu’il est "un", on exclut toute pluralité des dieux et toute composition; en effet n’est simplement un sinon celui qui est simple. En disant "Tout-puissant", on exprime son infinie vertu à laquelle rien n’échappe, en quoi est indu qu’il est et infini et parfait, car la vertu d’une chose est consécutive à la perfection de son essence.

 

 

Caput 36 [70029] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 36 tit. Quod haec omnia a philosophis posita sunt


 [70030] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 36 Haec autem quae in superioribus de Deo tradita sunt, a pluribus quidem gentilium philosophis subtiliter considerata sunt, quamvis nonnulli eorum circa praedicta erraverint: et qui in iis verum dixerunt, post longam et laboriosam inquisitionem ad veritatem praedictam vix pervenire potuerunt. Sunt autem et alia nobis de Deo tradita in doctrina Christianae religionis, ad quam pervenire non potuerunt, circa quae secundum Christianam fidem ultra humanum sensum instruimur.
Est autem hoc: quod cum sit Deus unus et simplex, ut ostensum est, est tamen Deus pater, et Deus filius, et Deus spiritus sanctus, et ii tres non tres dii, sed unus Deus est: quod quidem, quantum possibile nobis est, considerare intendimus.

Chapitre 36 — TOUT CE QUI PRÉCÈDE SE TROUVE DÉJÀ CHEZ LES PHILOSOPHES

Ces choses qui dans ce qui précède ont trait à Dieu, les philosophes païens les ont dites de façon très subtile, bien que d’aucuns aient erré sur certains points. Et ceux qui ont dit la vérité ne purent y parvenir que par une longue et laborieuse recherche.

Or il y a dans la religion chrétienne révélée par Dieu des vérités qu’ils n’ont pu connaître et que notre sens humain ne peut nous enseigner. Et c’est ceci : alors que Dieu est un et simple, comme on l’a vu, Dieu est cependant Dieu le Père, et Dieu le Fils, et Dieu le Saint Esprit et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu. C’est ce que, dans la mesure de nos possibilités, nous allons tenter de considérer.

 

2° Le Verbe (chapitre 37 à 45)

Caput 37 [70031] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 37 tit. Qualiter ponatur verbum in divinis


 [70032] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 37 Accipiendum autem est ex his quae supra dicta sunt, quod Deus se ipsum intelligit et diligit. Item quod intelligere in ipso et velle non sit aliud quam eius esse. Quia vero Deus se ipsum intelligit, omne autem intellectum in intelligente est, oportet Deum in se ipso esse sicut intellectum in intelligente. Intellectum autem prout est in intelligente, est verbum quoddam intellectus: hoc enim exteriori verbo significamus quod interius in intellectu comprehendimus. Sunt enim, secundum philosophum, voces signa intellectuum. Oportet igitur in Deo ponere verbum ipsius.

Chapitre 37 — QU’ENTEND-ON PAR VERBE DANS LES CHOSES DIVINES ?

De ce qui a été dit plus haut on en tire que Dieu se pense et s’aime lui-même (chapitre 30, 32, 33). De même sa pensée et son vouloir ne sont autres que son être. Parce que Dieu se pense et que toute pensée est en celui qui pense, il s’en suit que Dieu doit être en lui-même comme la pensée dans le pensant. Selon que la pensée est en celui qui pense cette pensée est verbe de l’intelligence.

Ce qu'en effet nous signifions par le verbe extérieur est ce que nous comprenons par l’intellect intérieurement. Les vocables sont, selon le Philosophe, les signes de nos pensées. Ils sont donc mettre en Dieu son propre Verbe.

 

 

 

 

Caput 38 [70033] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 38 tit. Quod verbum in divinis conceptio dicitur


 [70034] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 38 Id autem quod in intellectu continetur, ut interius verbum, ex communi usu loquendi conceptio intellectus dicitur. Nam corporaliter aliquid concipi dicitur quod in utero animalis viventis vivifica virtute formatur, mare agente, et femina patiente, in qua fit conceptio, ita quod ipsum conceptum pertinet ad naturam utriusque quasi secundum speciem conforme.
Quod autem intellectus comprehendit, in intellectu formatur, intelligibili quasi agente, et intellectu quasi patiente. Et ipsum quod intellectu comprehenditur, intra intellectum existens, conforme est et intelligibili moventi, cuius quaedam similitudo est, et intellectui quasi patienti, secundum quod esse intelligibile habet. Unde id quod intellectu comprehenditur, non immerito conceptio intellectus vocatur.

Chapitre 38 — EN LE VERBE EST CONÇU

Ce qu est contenu dans l’intelligence comme verbe intérieur s’appelle selon l’usage commun une conception de l’intelligence. Car on dit conçu selon le corps ce qui est formé dans un animal par une force vitale sous l’action du mâle et la passion de la femelle, de sorte que la chose conçue appartient à la nature de l’un et de l’autre et comme conforme selon l’espèce. Or ce que comprend l’intellect est formé en lui : l’intelligible en guise d’agent et l’intellect en guise de patient. Et cela même que l’intellect comprend, existant dans l’intellect, est conforme tant à l’intelligible qui meut dont il est une similitude qu’à l’intellect patient selon qu’il possède l’être intelligible. Ainsi ce que l’intelligence comprend s’appelle à bon droit conception de l’intelligence.

 

 

Caput 39 [70035] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 39 tit. Quomodo verbum comparatur ad patrem


 [70036] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 39 In hoc autem consideranda est differentia.
Nam cum id quod intellectu concipitur, sit similitudo rei intellectae, eius speciem repraesentans, quaedam proles ipsius esse videtur. Quando igitur intellectus intelligit aliud a se, res intellecta est sicut pater verbi in intellectu concepti; ipse autem intellectus magis gerit similitudinem matris, cuius est ut in ea fiat conceptio. Quando vero intellectus intelligit seipsum, verbum conceptum comparatur ad intelligentem sicut proles ad patrem. Cum igitur de verbo loquamur secundum quod Deus se ipsum intelligit, oportet quod ipsum verbum comparetur ad Deum, cuius est verbum, sicut filius ad patrem.

Chapitre 39 — COMMENT LE VERBE EST-IL COMPARÉ AU PÈRE ?

Mais ici il y a une distinction à faire. Car comme ce que conçoit l’intelligence est la ressemblance de la chose qui est saisie, représentation de son espèce, c’est un peu comme sa progéniture. Lors donc que l’intelligence saisit autre chose qu’elle-même, la chose qu’elle saisit est comme le père du verbe conçu en elle et l’intelligence fait plutôt fonction de mère puisque la conception y a lieu. Mais quand l’intelligence se saisit elle-même, le verbe qui est conçu est à celui qui saisit, comme la progéniture au père. Comme donc nous parlons du Verbe selon que Dieu se saisit lui-même il faut que le Verbe lui-même soit à Dieu, dont il est verbe, comme le fils est au père.

 

 

Caput 40 [70037] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 40 tit. Quomodo intelligitur generatio in divinis


 [70038] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 40 Hinc est quod in regula Catholicae fidei, patrem et filium in divinis confiteri docemur, cum dicitur: credo in Deum patrem et filium eius.
Et ne aliquis audiens nomen patris et filii, carnalem generationem suspicaretur, secundum quam apud nos pater dicitur et filius, Ioannes Evangelista, cui revelata sunt secreta caelestia, loco filii ponit verbum, ut generationem intelligibilem cognoscamus.

Chapitre 40 — COMMENT FAUT-IL COMPRENDRE LA GÉNÉRATION EN DIEU ?

De là vient que dans la règle de la foi catholique, on nous apprend à confesser le Père et le Fils en Dieu lorsqu’on dit : Je crois en Dieu le Père et en son Fils. Et pour qu’en entendant les noms de Père et de Fils on ne soupçonne pas une génération charnelle, comme lorsque nous disons père et fils, Jean l’évangéliste, à qui ont été révélés les secrets célestes, au lieu de Fils a mis "Verbe" pour qu’on reconnaisse une génération intelligible.

 

 

Caput 41 [70039] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 41 tit. Quod verbum, quod est filius, idem esse habet cum Deo patre, et eamdem essentiam


 [70040] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 41 Considerandum est autem, quod cum in nobis sit aliud esse naturale et intelligere, oportet quod verbum in nostro intellectu conceptum, quod habet esse intelligibile tantum, alterius naturae sit quam intellectus noster, qui habet esse naturale. In Deo autem idem est esse et intelligere. Verbum igitur Dei quod est in Deo, cuius verbum est secundum esse intelligibile, idem esse habet cum Deo, cuius est verbum. Et per hoc oportet quod sit eiusdem essentiae et naturae cum ipso, et quod omnia quaecumque de Deo dicuntur, verbo Dei conveniant.

Chapitre 41 — LE VERBE OU FILS A LE MÊME ÊTRE ET LA MÊME ESSENCE QUE LE PÈRE

Il est à considérer que comme en nous l’être naturel est autre que la pensée, il faut que le verbe conçu en notre esprit, et qui est un être intelligible seulement, soit autre que notre esprit qui a une existence naturelle. Or en Dieu l’être et la pensée sont identiques. Le Verbe donc de. Dieu et qui est en Dieu dont il est le Verbe selon, l’être intelligible a le même être que Dieu dont il est le Verbe. Et par là il faut qu’il soit de même nature et essence avec lui et que tout ce qui est dit de Dieu lui convienne.

 

 

Caput 42 [70041] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 42 tit. Quod Catholica fides haec docet


 [70042] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 42 Et inde est quod in regula Catholicae fidei docemur confiteri filium consubstantialem patri, per quod duo excluduntur. Primo quidem ut non intelligatur pater et filius secundum carnalem generationem, quae fit per aliquam decisionem substantiae filii a patre, ut sic oporteat filium non esse patri consubstantialem.
Secundo ut etiam non intelligamus patrem et filium secundum generationem intelligibilem, prout verbum in mente nostra concipitur, quasi accidentaliter superveniens intellectui, et non de eius essentia existens.

Chapitre 42 — CATHOLIQUE ENSEIGNE CES CHOSES

De là vient que dans la règle de foi catholique nous confessons le Fils "consubstantiel au Père". Deux choses sont ainsi exclues. D’abord qu’on n’entende pas Père et Fils selon la génération de la chair qui serait comme une séparation de la substance d’un fils à partir d’un père, de sorte que le Fils ne serait pas consubstantiel au Père. Ensuite aussi pour que nous n’entendions pas le Père et le Fils selon une génération intelligible comme le verbe est conçu dans notre esprit, survenant quasi accidentellement à l’intelligence et n’étant pas de son essence.

 

 

Caput 43 [70043] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 43 tit. Quod in divinis non est differentia verbi a patre secundum tempus, vel speciem, vel naturam


 [70044] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 43 Eorum autem quae in essentia non differunt, impossibile est esse differentiam secundum speciem, tempus et naturam.
Quia ergo verbum patri est consubstantiale, necesse est quod secundum nihil dictorum a patre differat. Et quidem secundum tempus differre non potest. Cum enim hoc verbum in Deo ponatur per hoc quod Deus se ipsum intelligit, sui verbum intelligibile concipiendo, oportet quod si aliquando Dei verbum non fuit, quod tunc Deus se ipsum non intellexerit. Semper autem quando Deus fuit, se intellexit, quia eius intelligere est eius esse. Semper ergo et verbum eius fuit: et ideo in regula Catholicae fidei dicimus: ex patre natum ante omnia saecula. Secundum speciem etiam est impossibile verbum Dei a Deo quasi minoratum differre, cum Deus seipsum non minus intelligat quam sit. Verbum autem perfectam speciem habet: quia id cuius est verbum, perfecte intelligitur. Oportet igitur Dei verbum omnino perfectum secundum speciem divinitatis esse. Inveniuntur autem quaedam quae ex aliis procedunt, perfectam eorum speciem non consequi, ex quibus procedunt. Uno modo sicut in generationibus aequivocis: a sole enim non generatur sol, sed quoddam animal. Ut ergo talis imperfectio a generatione divina excludatur, confitemur natum Deum de Deo. Alio modo quod procedit ex aliquo, differt ab eo propter defectum puritatis, dum scilicet ab eo quod est in se simplex et purum, per applicationem ad extraneam materiam aliquid producitur a prima specie deficiens: sicut ex domo quae est in mente artificis, fit domus quae est in materia; et a lumine recepto in corpore terminato, fit color; et ex igne adiuncto aliis elementis, fit mixtum; et ex radio per oppositionem corporis opaci, fit umbra. Ut hoc ergo a divina generatione excludatur, additur lumen de lumine. Tertio modo quod ex aliquo procedit, non consequitur speciem eius propter defectum veritatis, quia scilicet non vere recipit eius naturam, sed quamdam eius similitudinem tantum, sicut imago in speculo vel sculptura, aut etiam similitudo rei in intellectu vel sensu. Non enim imago hominis dicitur verus homo, sed similitudo; nec lapis est anima, ut dicit philosophus, sed species lapidis. Ut igitur haec a divina generatione excludantur, additur: Deum verum de Deo vero. Secundum naturam etiam impossibile est verbum a Deo differre, cum hoc sit Deo naturale quod se ipsum intelligat. Habet enim omnis intellectus aliqua quae naturaliter intelligit, sicut intellectus noster habet prima principia. Multo ergo magis Deus, cuius intelligere est suum esse, seipsum naturaliter intelligit. Verbum ergo ipsius naturaliter ex ipso est, non sicut ea quae praeter naturalem originem procedunt, ut a nobis procedunt res artificiales, quas facere dicimur. Quae vero naturaliter a nobis procedunt, dicimur generare, ut filius. Ne igitur Dei verbum non naturaliter a Deo procedere intelligatur, sed secundum potestatem suae voluntatis, additur: genitum, non factum.

Chapitre 43 — EN IL N’Y A PAS DE DIFFÉRENCE DU VERBE ET DU PÈRE SELON LE TEMPS, L’ESPÈCE OU LA NATURE

Chez ceux qui sont identiques dans l’essence aucune différence n’est possible selon l’espèce, le temps ou la nature. Parce que le Verbe est consubstantiel, il s’en suit nécessairement qu’il n’y a pas de différence avec le Père selon ces trois choses. Et vraiment selon le temps, car ce Verbe est en Dieu du fait que Dieu se pense lui-même, se concevant à lui-même un verbe intelligible. Or s’il fut un temps où le Verbe de Dieu n’était pas, Dieu aurait cessé de penser. Or Dieu s’est pensé depuis toujours puisque sa pensée est son essence; toujours donc fut aussi son Verbe : et c’est pourquoi dans la règle de foi catholique nous disons : "Né du Père avant tous les siècles."

Selon l’espèce, il est impossible que le Verbe diffère comme moindre que le Père puisque Dieu ne se pense pas moins qu’il n’est. Or le Verbe est d’une espèce parfaite parce que ce dont il est Verbe cela est parfaitement pensé.

Il faut donc que le Verbe de Dieu soit absolument parfait selon l’espèce divine.

On trouve des choses qui procèdent des autres et qui n’ont pas la parfaite espèce de ce dont elles procèdent. D’une part comme dans les générations équivoques : le soleil en effet n’engendre pas le soleil, mais un animal[14]. Donc pour exclure une telle imperfection dans la génération divine nous professons : "Dieu, né de Dieu." D’autre part ce qui procède de quelque chose en diffère par défaut de pureté; comme à partir de ce qui est simple et pur, car ce qui est appliqué à une matière extérieure, est quelque chose de déficient par rapport à son modèle : comme la maison qui est dans l’esprit de l’architecte et qui devient une maison dans la matière; ou la lumière reçue dans un corps limité qui se change en couleur; ou le rayon rencontrant un obstacle devient ombre. Pour exclure cela de la génération en Dieu on ajoute : "Lumière née de la lumière."

Enfin ce qui procède d’un autre n’en a pas l’espèce, par manque de vérité, parce qu’il n’en reçoit pas la nature mais seulement sa ressemblance comme l’image dans le miroir, ou une peinture, ou une sculpture, ou la ressemblance d’une chose dans l’intelligence ou les sens.

En effet l’image d’un homme n’est pas un vrai homme mais une ressemblance; et la pierre n’est pas dans mon âme, comme dit Aristote, mais son image. Pour exclure ces choses de la génération divine, on ajoute : "Dieu né du vrai Dieu."

Aussi selon la nature, le Verbe ne peut différer de Dieu puisqu’il est naturel à Dieu de se penser. En effet toute intelligence possède certaines choses qu’elle pense naturellement, comme notre intelligence des premiers principes. Dieu donc à plus forte raison dont la pensée est son être se pense-t-il naturellement. Son Verbe donc vient de lui naturellement, non pas comme ces choses qui procèdent non d’une origine naturelle, comme le sont chez nous les choses artificielles, que nous faisons; mais celles qui pro cèdent de nous naturellement sont dites engendrées, comme le fils. Afin donc qu’on ne comprenne pas que le Verbe de Dieu ne procèderait pas naturellement de Dieu, mais selon quelque pouvoir de sa volonté, on ajoute : "Engendré non pas créé."

 

 

Caput 44 [70045] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 44 tit. Conclusio ex praemissis


 [70046] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 44 Quia ergo, ut ex praemissis patet, omnes praedictae divinae generationis conditiones ad hoc pertinent quod filius est patri consubstantialis, ideo post omnia subiungitur quasi summa universorum: consubstantialem patri.

Chapitre 44 — CONCLUSION DES PRÉMISSES

Puis donc qu’il est clair de ce qui précède (chapitre 41 et 43) que toutes les conditions de la susdite génération divine font conclure à la consubstantialité du Fils avec le Père, on ajoute donc en résumé de tout cela : "Consubstantiel au Père."

 

 

Caput 45 [70047] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 45 tit. Quod Deus est in se ipso sicut amatum in amante


 [70048] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 45 Sicut autem intellectum est in intelligente inquantum intelligitur, ita et amatum esse debet in amante inquantum amatur. Movetur enim quodammodo amans ab amato quadam intrinseca motione. Unde cum movens contingat id quod movetur, necesse est amatum intrinsecum esse amanti.
Deus autem sicut intelligit seipsum, ita necesse est quod seipsum amet: bonum enim intellectum secundum se amabile est. Est igitur Deus in seipso tanquam amatum in amante.

Chapitre 45 — DIEU EST EN LUI-MÊME COMME L’AIMÉ DANS L’AMANT

De même que la pensée est en celui qui pense en tant qu’elle est pensée, ainsi celui qui est aimé doit être dans celui qui l’aime en tant qu’il est aimé. En effet celui qui aime est en quelque sorte mû par celui qui est aimé comme par un mouvement intérieur. D’où comme ce qui meut est en contact avec ce qui est mû, il est nécessaire que celui qui est aimé soit intérieur à celui qui aime. Or de même que Dieu se pense ainsi faut-il qu’Il s’aime lui- même. En effet le bien pensé est en lui-même aimable. Dieu est donc en lui-même comme l’aimé dans l’amant.

 

3° L’Esprit Saint (chapitre 46 à 49)

Caput 46 [70049] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 46 tit. Quod amor in Deo dicitur spiritus


 [70050] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 46 Cum autem intellectum sit in intelligente, et amatum in amante, diversa ratio eius quod est esse in aliquo, utrobique consideranda est. Cum enim intelligere fiat per assimilationem aliquam intelligentis ad id quod intelligitur, necesse est id quod intelligitur, in intelligente esse, secundum quod eius similitudo in ea consistit. Amatio autem fit secundum quamdam motionem amantis ab amato: amatum enim trahit ad seipsum amantem. Igitur non perficitur amatio in similitudine amati, sicut perficitur intelligere in similitudine intellecti, sed perficitur in attractione amantis ad ipsum amatum. Traductio autem similitudinis principalis fit per generationem univocam, secundum quam in rebus viventibus generans pater, et genitus filius nominatur. In eisdem etiam prima motio fit secundum speciem. Sicut igitur in divinis modus ille quo Deus est in Deo ut intellectum in intelligente, exprimitur per hoc quod dicimus filium, qui est verbum Dei; ita modum quo Deus est in Deo sicut amatum in amante exprimimus per hoc quod ponimus ibi spiritum, qui est amor Dei: et ideo secundum regulam Catholicae fidei credere in spiritum iubemur.

Chapitre 46 — L’AMOUR EN DIEU S’APPELLE ESPRIT

Comme ce qui est pensé est dans celui qui pense et celui qui est aimé dans celui qui aime, diverse étant leur façon d’être dans l’autre, il faut considérer de part et d’autre ce qu’il en est. Car comme penser se fait par assimilation du penseur à la chose pensée, celle-ci doit nécessairement être dans le penseur selon qu’il y a en lui une ressemblance. Mais l’amour est produit selon un mouvement de l’amant à partir de l’aimé. Celui-ci en effet tire après lui l’amant. Il n’y a donc pas dans l’amour une similitude de l’aimé, comme dans la pensée est reproduite la ressemblance[15] de la chose pensée; mais il y a une attraction de celui qui aime vers l’aimé.

La transmission de la ressemblance principale se fait par génération univoque selon laquelle chez les vivants celui qui engendre est père et l’engendré fils. Chez eux aussi le mouvement premier se produit selon leur espèce. De même donc que dans les choses divines la manière par laquelle Dieu est en Dieu comme la pensée dans le pensant s’exprime en notre langage en disant Fils qui est le Verbe de Dieu, ainsi la manière par laquelle Dieu est en Dieu comme l’aimé dans l’amant nous l’exprimons posant là l’Esprit qui est l’amour de Dieu; et voilà pourquoi selon la règle de la foi catholique devons-nous croire dans l’Esprit.

 

 

Caput 47 [70051] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 47 tit. Quod spiritus, qui est in Deo, est sanctus


 [70052] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 47 Considerandum est autem, quod cum bonum amatum habeat rationem finis, ex fine autem motus voluntarius bonus vel malus reddatur, necesse est quod amor quo ipsum summum bonum amatur, quod Deus est, eminentem quamdam obtineat bonitatem, quae nomine sanctitatis exprimitur, sive dicatur sanctum quasi purum, secundum Graecos, quia in Deo est purissima bonitas ab omni defectu immunis: sive dicatur sanctum, idest firmum, secundum Latinos, quia in Deo est immutabilis bonitas, propter quod omnia quae ad Deum ordinantur, sancta dicuntur, sicut templum et vasa templi, et omnia divino cultui mancipata. Convenienter igitur spiritus, quo nobis insinuatur amor quo Deus se amat, spiritus sanctus nominatur.
Unde et regula Catholicae fidei spiritum praedictum nominat sanctum, cum dicitur credo in spiritum sanctum.

Chapitre 47 — L’ESPRIT QUI EST EN EST SAINT

Il faut considérer que puisque le bien qu’on aime a rai son de fin et que de la fin le mouvement volontaire est rendu bon ou mauvais, il est nécessaire que l’amour du bien suprême qui est Dieu obtienne une bonté éminente, qu’on exprime du nom de sainteté, soit que par saint on entende pur, en grec, parce qu’en Dieu est la bonté toute pure, préservée de toute déficience; soit qu’on entende ‘ferme' en latin parce qu’en Dieu est la bonté immuable c’est pour cela que tout ce qui a rapport à Dieu est dit saint, comme le temple et les vases du temple et tout ce qui est affecté au culte divin. L’esprit par lequel l’amour en nous s’insinue et par lequel Dieu s’aime lui-même est à juste titre appelé Esprit Saint. D’où la régie de la foi catholique appelle saint cet esprit en disant : "Je crois au Saint-Esprit."

 

 

Caput 48 [70053] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 48 tit. Quod amor in divinis non importat accidens


 [70054] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 48 Sicut autem intelligere Dei est suum esse, ita et eius amare. Non igitur Deus amat seipsum secundum aliquid suae essentiae superveniens, sed secundum suam essentiam. Cum igitur amet seipsum secundum hoc quod ipse in seipso est ut amatum in amante, non est Deus amatus in Deo amante per modum accidentalem, sicut et res amatae sunt in nobis amantibus accidentaliter, sed Deus est in seipso ut amatum in amante substantialiter. Ipse ergo spiritus sanctus, quo nobis insinuatur divinus amor, non est aliquid accidentale in Deo, sed est res subsistens in essentia divina, sicut pater et filius. Et ideo in regula Catholicae fidei ostenditur coadorandus, et simul glorificandus cum patre et filio.

Chapitre 48 — L’AMOUR EN N’INTRODUIT AUCUN ACCIDENT

De même que la pensée en Dieu est son être ainsi aussi est son amour. Dieu donc ne s’aime pas lui-même selon quelque chose survenant à son essence, mais selon son essence. Donc comme il s’aime lui-même selon ce qu’il est en lui-même, comme l’aimé dans l’amant, il n’est pas Dieu aimé en Dieu qui s’aime par manière d’accident, comme les choses aimées sont en nous qui les aimons de façon accidentelle, mais Dieu est en lui-même comme l’aimé dans l’amant substantiellement. Donc l’Esprit Saint lui-même par qui nous est insinué l’amour divin n’est pas quelque chose d’accidentel en Dieu, mais il est réellement subsistant dans l’essence divine, comme le sont le Père et le Fils. Et donc dans la règle de foi catholique on montre qu’il doit être adoré et glorifié.., en même temps que le Père et le Fils.

 

 

 

 

Caput 49 [70055] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 49 tit. Quod spiritus sanctus a patre filioque procedit


 [70056] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 49 Est etiam considerandum, quod ipsum intelligere ex virtute intellectus procedit.
Secundum autem quod intellectus actu intelligit, est in ipso id quod intelligitur. Hoc igitur quod est intellectum esse in intelligente, procedit ex virtute intellectiva intellectus, et hoc est verbum ipsius, ut supra dictum est. Similiter etiam id quod amatur est in amante secundum quod amatur actu. Quod autem aliquid actu ametur, procedit et ex virtute amativa amantis, et ex bono amabili actu intellecto. Hoc igitur quod est amatum esse in amante, ex duobus procedit: scilicet ex principio amativo, et ex intelligibili apprehenso, quod est verbum conceptum de amabili. Cum igitur in Deo seipsum intelligente et amante verbum sit filius; is autem cuius est verbum, sit verbi pater, ut ex dictis patet, necesse est quod spiritus sanctus, qui pertinet ad amorem, secundum quod Deus in seipso est ut amatum in amante, ex patre procedat, et filio: unde et in symbolo dicitur: qui ex patre filioque procedit.

Chapitre 49 — L’ESPRIT SAINT PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS

Il faut aussi considérer que la pensée procède du pouvoir de l’entendement selon quoi, lorsqu’il pense, ce qu’il pense est en lui. Ce qui donc procède du pouvoir de l’entendement et lui est immanent nous l’avons appelé verbe (chapitre 37). De même aussi ce qui est aimé est dans l’amant qui l’aime en acte. Or que quelque chose soit aimé en acte cela procède du pouvoir d’aimer de l’amant et du bien aimable pensé en acte. Donc le fait que l’aimé est dans l’amant procède de deux choses c’est-à-dire du principe qui aime (l’amant) et de l’intelligible appréhendé qui est le verbe conçu de la chose aimable.

Comme donc en Dieu qui se pense lui-même et qui s’aime, le Verbe est Fils, et que celui dont est le Verbe, est Père du Verbe, comme on l’a vu (chapitre 39), il est nécessaire que l’Esprit Saint, qui appartient à l’amour selon que Dieu est en lui-même comme l’aimé dans l’amant, procède du Père et du Fils; d’où on dit dans le Symbole : "procède du Père et du Fils."

 

 

4° Les relations divines (chapitre 50 à 67)

Caput 50 [70057] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 50 tit. Quod in divinis Trinitas personarum non repugnat unitati essentiae


 [70058] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 50 Ex omnibus autem quae dicta sunt, colligi oportet, quod in divinitate quendam trinarium ponimus, qui tamen unitati et simplicitati essentiae non repugnat. Oportet enim concedi Deum esse ut existentem in sua natura, et intellectum et amatum a seipso. Aliter autem hoc accidit in Deo et in nobis. Quia enim in sua natura homo substantia est, intelligere autem et amare eius non sunt eius substantia, homo quidem, secundum quod in natura sua consideratur, quaedam res subsistens est; secundum autem quod est in suo intellectu, non est res subsistens, sed intentio quaedam rei subsistentis, et similiter secundum quod est in seipso ut amatum in amante. Sic ergo in homine tria quaedam considerari possunt: idest homo in natura sua existens, et homo in intellectu existens, et homo in amore existens; et tamen hi tres non sunt unum, quia intelligere eius non est eius esse, similiter autem et amare: et horum trium unus solus est res quaedam subsistens, scilicet homo in natura sua existens. In Deo autem idem est esse, intelligere, et amare. Deus ergo in esse suo naturali existens, et Deus existens in intellectu, et Deus existens in amore suo, unum sunt; unusquisque tamen eorum est subsistens. Et quia res subsistentes in intellectuali natura personas Latini nominare consueverunt, Graeci vero hypostases, propter hoc in divinis Latini dicunt tres personas, Graeci vero tres hypostases, patrem scilicet, et filium, et spiritum sanctum.

Chapitre 50 — LA TRINITÉ EN NE RÉPUGNE PAS À SON UNITÉ

De tout ce qui a été dit (chapitres 37 à 49) nous devons conclure à une trinité dans la divinité qui cependant ne répugne pas à l’unité ni à la simplicité de l’essence. En effet on doit admettre un Dieu comme existant en sa nature et qui se connaît et qui s’aime lui-même. Cependant cela se passe en Dieu autrement qu’en nous. Car en effet dans sa nature l’homme est une substance mais sa pensée et son amour ne sont pas de sa substance; considéré dans sa nature il est une chose subsistante, mais selon ce qui est en son intellect il n’est pas chose subsistante, et semblablement selon ce qui est en lui comme l’aimé dans l’amant. Ainsi donc en l’homme on peut considérer trois choses : l’homme existant en sa nature, l’homme existant en son intelligence, et l’homme existant dans l’amour : et cependant ces trois choses ne sont pas une, parce que sa pensée n’est pas son être et ainsi de l’amour et de ces trois une seule est subsistante, l’homme existant en sa nature. Or en Dieu sont identiques son être, la pensée et l’amour. Dieu donc existant en son être naturel, et Dieu existant dans sa pensée, et Dieu existant dans son amour sont un, cependant chacune de ces choses est subsistante. Et parce que les choses subsistant dans une nature intellectuelle ont été appelées selon les Latins des PERSONNES et selon les Grecs des HYPOSTASES, voilà pour quoi en Dieu les Latins disent trois personnes et les Grecs trois hypostases, c’est-à-dire le Père, le Fils et l’Esprit Saint.

 

 

Caput 51 [70059] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 51 tit. Quomodo videtur esse repugnantia Trinitatis personarum in divinis


 [70060] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 51 Videtur autem ex praedictis repugnantia quaedam suboriri. Si enim in Deo ternarius aliquis ponitur, cum omnis numerus divisionem aliquam consequatur, oportebit in Deo aliquam differentiam ponere, per quam tres ab invicem distinguantur: et ita non erit in Deo summa simplicitas.
Nam si in aliquo tres conveniunt, et in aliquo differunt, necesse est ibi esse compositionem, quod superioribus repugnat. Rursus si necesse est esse unum solum Deum, ut supra ostensum est, nulla autem res una oritur vel procedit a seipsa, impossibile videtur quod sit Deus genitus, vel Deus procedens. Falso igitur ponitur in divinis nomen patris et filii, et spiritus procedentis.

Chapitre 51 — IL SEMBLE QU’IL Y AIT RÉPUGNANCE À UNE TRINITÉ DES PERSONNES EN DIEU

Il semble qu’après ce qui a été dit (chapitres 37 à 50) certaines difficultés surgissent. Si en effet un nombre ternaire est introduit en Dieu, ce nombre comme tout nombre vient d’une division. Il faudra donc introduire en Dieu une différence qui distingue les trois personnes entre elles et donc en Dieu il n’y aura pas leur suprême simplicité. Car si les trois conviennent en quelque chose et diffèrent par ailleurs, nécessairement il y a composition, ce qui contredit ce qu’on a vu plus haut (chapitre 9).

D’autre part, s’il est nécessaire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu, comme on l’a montré plus haut (chapitres 13 à 15) et qu’aucune chose unique ne puisse se produire ou procéder d’elle-même, il paraît impossible que Dieu soit engendré ou procédant. C’est donc à tort que l’on introduit en Dieu le nom de Père, et celui de Fils, et celui d’Esprit qui procède.

 

 

Caput 52 [70061] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 52 tit. Solutio rationis: et quod in divinis non est distinctio nisi secundum relationes


 [70062] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 52 Principium autem ad dissolvendum hanc dubitationem, hinc sumere oportet, quia secundum diversitatem naturarum est in diversis rebus diversus modus aliquid ex alio oriendi vel procedendi. In rebus enim vita carentibus, quia non sunt seipsa moventia, sed solum extrinsecus possunt moveri, oritur unum ex altero quasi exterius alteratum et immutatum, sicut ab igne generatur ignis, et ab aere aer. In rebus vero viventibus, quarum proprietas est ut seipsas moveant, generatur aliquid in ipso generante, sicut foetus animalium et fructus plantarum. Est autem considerare diversum modum processionis secundum diversas vires et processiones earumdem. Sunt enim quaedam vires in eis, quarum operationes non se extendunt nisi ad corpora, secundum quod materialia sunt, sicut patet de viribus animae vegetabilis, quae sunt nutritiva et augmentativa et generativa: et secundum hoc genus virium animae non procedit nisi aliquid corporale corporaliter distinctum, et tamen aliquo modo coniunctum in viventibus ei a quo procedit. Sunt autem quaedam vires, quarum operationes etsi corpora non transcendant, tamen se extendunt ad species corporum, sine materia eas recipiendo, sicut est in omnibus viribus animae sensitivae. Est enim sensus susceptivus specierum sine materia, ut philosophus dicit. Huiusmodi autem vires, licet quodammodo immaterialiter formas rerum suscipiant, non tamen eas suscipiunt absque organo corporali. Si qua igitur processio in huiusmodi viribus animae inveniatur, quod procedit, non erit aliquod corporale, vel corporaliter distinctum, vel coniunctum ei a quo procedit, sed incorporaliter et immaterialiter quodammodo, licet non omnino absque adminiculo organi corporalis. Sic enim procedunt in animalibus formationes rerum imaginatarum, quae quidem sunt in imaginatione non sicut corpus in corpore, sed quodam spirituali modo: unde et ab Augustino imaginaria visio spiritualis nominatur.
Si autem secundum operationem imaginationis procedit aliquid non per modum corporalem, multo fortius hoc accidet per operationem partis intellectivae, quae nec etiam in sui operatione indiget organo corporali, sed omnino eius operatio immaterialis est. Procedit enim verbum secundum operationem intellectus, ut in ipso intellectu dicentis existens, non quasi localiter in eo contentum, nec corporaliter ab eo separatum, sed in ipso quidem existens secundum ordinem originis: et eadem ratio est de processione quae attenditur secundum operationem voluntatis, prout res amata existit in amante, ut supra dictum est. Licet autem vires intellectivae et sensitivae secundum propriam rationem sint nobiliores viribus animae vegetabilis, non tamen in hominibus aut in aliis animalibus secundum processionem imaginativae partis, aut sensitivae procedit aliquid subsistens in natura speciei eiusdem, sed hoc solum accidit per processionem quae fit secundum operationem animae vegetabilis: et hoc ideo est, quia in omnibus compositis ex materia et forma, multiplicatio individuorum in eadem specie fit secundum materiae divisionem. Unde in hominibus, et aliis animalibus, cum ex forma et materia componantur secundum corporalem divisionem, quae invenitur secundum processionem quae est secundum operationem animae vegetabilis, et non in aliis operationibus animae, multiplicantur individua secundum eamdem speciem. In rebus autem quae non sunt ex materia et forma compositae, non potest inveniri nisi distinctio formalis tantum. Sed si forma, secundum quam attenditur distinctio, sit substantia rei, oportet quod illa distinctio sit rerum subsistentium quarumdam; non autem si forma illa non sit rei subiecta. Est igitur commune in omni intellectu, ut ex dictis patet, quod oportet id quod in intellectu concipitur, ab intelligente quodammodo procedere, inquantum intelligens est, et sua processione ab ipso quodammodo distinguitur, sicut conceptio intellectus quae est intentio intellecta, distinguitur ab intellectu intelligente; et similiter oportet quod affectio amantis, per quam amatum est in amante, procedat a voluntate amantis inquantum est amans. Sed hoc proprium habet intellectus divinus, quod cum intelligere eius sit esse ipsius, oportet quod conceptio intellectus, quae est intentio intellecta, sit substantia eius, et similiter est de affectione in ipso Deo amante. Relinquitur ergo quod intentio intellectus divini, quae est verbum ipsius, non distinguitur a producente ipsum in hoc quod est esse secundum substantiam, sed solum in hoc quod est esse secundum rationem processionis unius ex alio: et similiter est de affectione amoris in Deo amante, quae ad spiritum sanctum pertinet. Sic igitur patet quod nihil prohibet verbum Dei, quod est filius, esse unum cum patre secundum substantiam, et tamen distinguitur ab eo secundum relationem processionis, ut dictum est. Unde et manifestum est quod eadem res non oritur neque procedit a seipsa: quia filius, secundum quod a patre procedit, ab eo distinguitur; et eadem ratio est de spiritu sancto per comparationem ad patrem et filium.

Chapitre 52 — RÉPONSE A L’OBJECTION — IL N’Y A DE DISTINCTIONS EN QUE LES RELATIONS

Pour résoudre ce doute il faut poser en principe que selon la diversité des natures il y a en diverses choses un mode différent de naître d’un autre ou d’en procéder. En effet dans les choses qui n’ont pas la vie parce qu’elles ne se meuvent pas d’elles-mêmes mais seulement peuvent l’être extérieurement, l’une naît de l’autre comme altérée et changée extérieurement ainsi le feu produit le feu et l’air produit l’air.

Dans les êtres vivants, dont le propre est de se mouvoir eux-mêmes, quelque chose est engendré chez celui qui engendre comme le foetus chez l’animal et le fruit dans la plante. Or il faut considérer un mode différent de procession selon leurs différents pouvoirs et processions.

Chez eux en effet il y a des pouvoirs dont les opérations ne s’étendent qu’aux corps en tant qu’ils sont maté riels, comme cela est clair dans l’âme végétative : pouvoirs nutritifs, de croissance et de génération; et selon ce genre de pouvoirs de l’âme, ne peut provenir que du corporel distinct corporellement, et cependant d’une certaine façon conjoint à ce dont il procède dans les vivants.

Il y a des forces qui, bien que leurs opérations ne dépassent pas le corps, s’étendent cependant aux espèces des corps et qui les reçoivent sans la matière, comme c’est le cas dans l’âme sensitive. En effet le sens perçoit les impressions (des choses) sans leur matérialité, comme le dit Aristote. Si l’opération est immatérielle, elle ne se fait pas cependant sans un organe corporel. Si donc on trouve quelque procession dans les forces de telle âme, ce qui en procède ne sera pas quelque chose de corporel ou corporellement distinct, ou uni à ce dont il procède, mais d’une certaine façon, incorporel et immatériel bien que non tout à fait privé de l’aide d’un organe corporel. Ainsi en effet proviennent chez les animaux les formes imaginaires des choses, elles sont sans doute dans l’imagination non comme un corps dans le corps, mais d’une certaine manière spirituelle. D’où chez saint Augustin[16] la vision imaginaire est-elle appelée spirituelle.

Si selon l’opération de l’imagination quelque chose en procède non selon un mode corporel, combien à plus forte raison cela arrivera-t-il pour l’opération de la partie intellectuelle qui aussi n’a pas besoin d’un organe corporel, mais son opération est tout à fait immatérielle. En effet le verbe procède selon l’opération de l’intellect comme existant dans l’intellect de celui qui le dit, non contenu localement ni séparé corporellement mais existant en lui selon un ordre d’origine; et on peut en dire autant de la procession qui se fait selon l’opération de la volonté en tant que la chose aimée est en celui qui aime, comme on l’a vu plus haut (chapitre 45).

Bien que les forces intellectuelles et sensitives selon leur propre nature soient plus nobles que les végétatives cependant chez les hommes et les animaux par procession de leurs parties imaginative ou sensitive rien de subsistant ne procède en leur nature spécifique; mais cela se fait seulement par procession selon l’opération de l’âme végétative; et cela parce que dans tous les composés de matière et de forme la multiplication des individus dans la même espèce se fait par division de la matière. D’où chez les hommes et les animaux, comme ils sont composés de matière et de forme les individus sont multipliés selon la même espèce par division de la matière; et ceci a lieu pour l’opération de l’âme végétative mais non pour les autres opérations de l’âme Parmi les choses qui ne sont pas composées de matière et de forme on ne trouve pas de distinction sinon formelle seulement. Mais si la forme dont on considère la distinction est la substance de la chose en procède selon le mode corporel, combien à plus forte raison cela arrivera-t-il pour l’opération de la partie intellectuelle qui aussi n’a pas besoin d’un organe corporel, mais son opération est tout-à-fait immatérielle. En effet le verbe procède selon l’opération de l’intellect comme existant dans l’intellect de celui qui le dit, non contenu localement ni séparé corporellement mais existant en lui selon l’ordre d’origine ; et on peut en dire autant de la procession qui se fait selon l’opération de la volonté en tant que la chose aimée est en celui qui aime, comme on l’a vu plus haut (ch. 45).

Bien que les forces intellectuelles et sensitives selon leur propre nature soient plus nobles que les végétatives cependant chez les hommes et les animaux par procession de leurs parties imaginatives et sensitives rien de subsistant ne procède en leur nature spécifique ; mais cela se fait seulement par procession selon l’opération de l’âme végétative ; et parce que dans tous les composés de matière et de forme, la multiplication des individus se fait par division de la matière. D’où chez les hommes et chez les animaux, comme ils sont composés de matière et de forme, les individus sont multipliés dans la même espèce par division de la matière ; et ceci a lieu pour l’opération de l’âme végétative mais non pour les autres opérations de l’âme[17]. Parmi les choses qui ne sont pas composées de matière et de forme, on ne trouve pas de distinction sinon formelle seulement. Mais si la forme dont on considère la distinction est la substance de la chose, il faut que cette distinction soit celle de choses subsistantes; mais non pas si cette forme n’est pas substance (sujet) de la chose[18].

Il est donc commun à tout intellect, comme il ressort de ce qu’on vient de dire, que ce qu’il conçoit procède en quelque sorte de celui qui pense en tant qu’il pense et il en est en quelque sorte distinct par sa procession... comme la conception de l’intellect qui est image intellectuelle, se distingue de l’intellect qui pense. Et semblablement il faut que l’affection de l’amant par laquelle l’aimé est dans l’amant procède de la volonté de l’amant en tant que tel.

Mais ceci est propre à l’intelligence divine, sa pensée étant son être même, que la conception de l’intellect qui est image intellectuelle soit sa substance et semblablement en est-il de l’affection en le même Dieu qui aime. Il reste donc que l’image intellectuelle divine et qui est son Verbe, ne se distingue pas de celui qui la produit en ce qu’elle est l’être selon la substance, mais seulement (s’en distingue) selon la manière de procéder l’un de l’autre; et semblablement en est-il de l’affection amoureuse en Dieu qui aime et qui appartient à l’Esprit Saint.

Ainsi donc est-il clair que rien n’empêche que le Verbe de Dieu, qui est le Fils, soit un avec le Père selon la substance et cependant soit distinct selon la relation de procession, comme on l’a dit (chapitres 41 à 44 et 49). D’où aussi est-il manifeste qu’une même chose ne naît ni ne procède d’elle-même; car le Fils selon qu’il procède du Père en est distinct et il en est de même pour l’Esprit Saint comparé au Père et au Fils.

 

 

Caput 53 [70063] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 53 tit. Quod relationes quibus pater et filius et spiritus sanctus distinguuntur, sunt reales, et non rationis tantum


 [70064] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 53 Istae autem relationes, quibus pater et filius et spiritus sanctus ab invicem distinguuntur, sunt relationes reales et non rationis tantum. Illae enim relationes sunt rationis tantum quae non consequuntur ad aliquid quod est in rerum natura, sed ad aliquid quod est in apprehensione tantum, sicut dextrum et sinistrum in lapide non sunt relationes reales, sed rationis tantum, quia non consequuntur aliquam virtutem realem in lapide existentem, sed solum acceptionem apprehendentis lapidem ut sinistrum quia est alicui animali ad sinistram; sed sinistrum et dextrum in animali sunt relationes reales, quia consequuntur virtutes quasdam in determinatis partibus animalis inventas. Cum igitur relationes praedictae, quibus pater et filius et spiritus sanctus distinguuntur, sint realiter in Deo existentes, oportet quod relationes praedictae sint relationes reales, non rationis tantum.

Chapitre 53 — LES RELATIONS PAR LESQUELLES SE DISTINGUENT LE PÉRE ET LE FILS ET L’ESPRIT SAINT SONT RÉLLES ET PAS SEULEMENT DE RAISON

En effet ces relations-là sont de raison seulement qui ne résultent pas de quelque chose de naturel, mais de quelque chose qui est seulement dans une appréhension de l’esprit, comme la droite et la gauche d’une pierre ne sont pas des relations réelles, mais seulement de raison, parce quelles ne résultent pas de quelque faculté réelle existant dans la pierre mais seulement selon le point de vue de celui qui saisit la pierre comme étant à gauche, parce qu’elle est à gauche de quelqu’animal; mais la gauche et la droite dans l’animal sont des relations réelles qui résultent de certaines réalités qui se trouvent être des parties déterminées d’un animal. Comme les relations susdites qui distinguent le Père et le Fils et l’Esprit Saint existent réellement en Dieu, de telles relations doivent être réelles et non pas seulement de raison.

 

 

Caput 54 [70065] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 54 tit. Quod huiusmodi relationes non sunt accidentaliter inhaerentes


 [70066] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 54 Non est autem possibile quod sint accidentaliter inhaerentes: tum quia operationes ad quas sequuntur directe relationes, sunt ipsa Dei substantia, tum etiam quia supra ostensum est quod in Deo nullum accidens esse potest. Unde si relationes praedictae realiter sunt in Deo, oportet quod non sint accidentaliter inhaerentes, sed subsistentes. Quomodo autem id quod est in aliis rebus accidens, in Deo substantialiter esse possit, ex praemissis manifestum est.

Chapitre 54 — CES RELATIONS NE SONT PAS DES ACCIDENTS

Il n’est pas possible qu’elles soient des accidents dont elles, les personnes divines, sont affectées soit parce que les relations qui en sont l’origine sont la substance même de Dieu soit parce que comme on l’a montré (chapitre 23) en Dieu il ne peut y avoir d’accident. Si donc ces relations sont en Dieu réellement, elles ne peuvent être accidentellement inhérentes, mais subsistantes. On a vu plus haut comment ce qui est accident dans les autres choses peut être en Dieu substantiellement (chapitres 22 et 23).

 

 

Caput 55 [70067] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 55 tit. Quod per praedictas relationes in Deo personalis distinctio constituitur


 [70068] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 55 Quia ergo in divinis distinctio est per relationes quae non accidunt, sed sunt subsistentes, rerum autem subsistentium in natura quacumque intellectuali est distinctio personalis, necesse est quod per praedictas relationes in Deo personalis distinctio constituatur.
Pater igitur et filius et spiritus sanctus sunt tres personae, et similiter tres hypostases, quia hypostasis significat aliquid subsistens completum.

Chapitre 55 — CES RELATIONS PRODUISENT EN UNE DISTINCTION PERSONNELLE

Or comme en choses divines il y a distinction par relations non accidentelles mais subsistantes et qu’en toute nature intellectuelle ce qui est subsistant constitue la distinction de personne il faut nécessairement qu’en Dieu en vertu des dites relations soit constituée une distinction personnelle. Donc le Père et le Fils et l’Esprit Saint sont trois personnes, et également trois hypostases[19] car l’hypostase signifie quelque chose de complet et de subsistant.

 

 

 

Caput 56 [70069] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 56 tit. Quod impossibile est plures personas esse in divinis quam tres


 [70070] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 56 Plures autem in divinis personas tribus esse impossibile est, cum non sit possibile divinas personas multiplicari per substantiae divisionem, sed solum per alicuius processionis relationem, nec cuiuscumque processionis, sed talis quae non terminetur ad aliquod extrinsecum. Nam si terminaretur ad aliquod extrinsecum, non haberet naturam divinam, et sic non posset esse persona aut hypostasis divina. Processio autem in Deo ad exterius non terminata non potest accipi nisi aut secundum operationem intellectus, prout procedit verbum; aut secundum operationem voluntatis, prout procedit amor, ut ex dictis patet. Non igitur potest esse aliqua persona divina procedens, nisi vel ut verbum, quod dicimus filium, vel ut amor, quod dicimus spiritum sanctum. Rursus. Cum Deus omnia uno intuitu per suum intellectum comprehendat, et similiter uno actu voluntatis omnia diligat, impossibile est in Deo esse plura verba aut plures amores. Si igitur filius procedit ut verbum, et spiritus sanctus procedit ut amor, impossibile est in Deo esse plures filios, vel plures spiritus sanctos. Item. Perfectum est extra quod nihil est. Quod igitur extra se aliquid sui generis patitur, non simpliciter perfectum est, propter quod et ea quae sunt simpliciter in suis naturis perfecta, numero non multiplicantur, sicut Deus, sol et luna, et huiusmodi. Oportet autem tam filium quam spiritum sanctum esse simpliciter perfectum, cum uterque eorum sit Deus, ut ostensum est. Impossibile est igitur esse plures filios, aut plures spiritus sanctos. Praeterea. Illud per quod aliquid subsistens est hoc aliquid, et ab aliis distinctum, impossibile est quod numero multiplicetur, eo quod individuum de pluribus dici non potest. Sed filiatione filius est haec persona divina in se subsistens et ab aliis distincta, sicut per principia individuantia, Socrates est haec persona humana. Sicut ergo principia individuantia, quibus Socrates est hic homo, non possunt convenire nisi uni, ita etiam filiatio in divinis non potest nisi uni convenire. Et simile est de relatione patris et spiritus sancti. Impossibile est igitur in divinis esse plures patres, aut plures filios, aut plures spiritus sanctos. Adhuc. Ea quae sunt unum secundum formam non multiplicantur numero nisi per materiam, sicut multiplicatur albedo per hoc quod est in pluribus subiectis. In divinis autem non est materia. Quidquid igitur est unum specie et forma in divinis, impossibile est multiplicari secundum numerum. Huiusmodi autem sunt paternitas et filiatio et spiritus sancti processio. Impossibile est igitur in divinis esse plures patres, aut filios, aut spiritus sanctos.

Chapitre 56 — IL N’Y A QUE TROIS PERSONNES EN DIEU

Qu’il y ait plus de trois personnes en Dieu c’est impossible, comme il n’est pas possible que soient multipliées les personnes par divisions de la substance divine; mais seulement par relation de procession, ni de n’importe quelle procession mais telle qu’elle ne se termine pas à quelque chose d’extérieur. Car dans ce cas, ce quelque chose n’aurait pas la nature divine et donc ne pourrait pas être une personne ou hypostase divine. Or une pro- cession en Dieu si elle ne se termine pas à l’extérieur, ne peut être qu’une opération intellectuelle, telle la procession du verbe, ou une opération de la volonté telle celle de l’amour, comme on l’a dit (chapitre 52). Il n’est donc pas possible qu’une personne divine procède sinon comme verbe que nous appelons Fils, ou comme amour que nous appelons Esprit Saint.

De plus, étant donné que Dieu d’un seul regard de son intelligence embrasse tout et que d’un seul acte de sa volonté il aime tout ce qui est, il ne peut y avoir en Dieu plusieurs verbes ni plusieurs amours. Si donc le Fils pro cède en tant que verbe et l’Esprit Saint en tant qu’amour il ne peut y avoir en Dieu plusieurs Fils ni plusieurs Esprits Saints.

De même. Parfait est ce hors duquel rien n’est. Ce qui donc en dchors de soi suppose un autre de son genre n’est pas simplement parfait. A cause de cela les choses qui sont parfaites de leur nature ne se multiplient pas, tels Dieu, le soleil et la lune, etc. Il faut donc que le Fils et l’Esprit Saint soient parfaits simplement puisque l’un et l’autre sont Dieu, comme on l’a montré (chapitres 41 et 48). Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs Fils ou plusieurs Esprits Saints.

En outre, ce par quoi quelque chose qui subsiste est ce quelque chose, et distinct des autres ne peut être multiplié numériquement, car l’individuel ne peut être attribué à plusieurs. Mais par sa filiation le Fils est cette personne divine en soi subsistante et distincte des autres, comme par des principes individuants Socrate est cette personne humaine. De même que les principes individuants qui, font que Socrate est cet homme ne peuvent convenir qu’à lui seul, ainsi aussi dans les choses divines la filiation ne peut convenir qu’à un seul; et on peut en dire autant de la relation du Père et de l’Esprit Saint. Il n’y a donc pas en Dieu plusieurs pères, ni plusieurs fils, ni plusieurs esprits saints.

Enfin : les choses qui sont une selon la forme ne se multiplient numériquement que par la matière, comme la couleur appliquée à plusieurs objets; donc tout ce qui est un par l’espèce et la forme en Dieu ne peut être multiplié numériquement : telles la paternité, la filiation et la pro cession de l’Esprit Saint. Il est donc impossible qu’en Dieu il y ait plusieurs pères, ou fils, ou esprits saints.

 

 

Caput 57 [70071] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 57 tit. De proprietatibus seu notionibus in divinis, et quot sunt numero in patre


 [70072] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 57 Huiusmodi autem existente numero personarum in divinis, necesse est personarum proprietates, quibus ab invicem distinguuntur, in aliquo numero esse, quarum tres oportet patri convenire. Una qua distinguatur a filio solo, et haec est paternitas; alia qua distinguatur a duobus, scilicet filio et spiritu sancto, et haec est innascibilitas, quia pater non est Deus procedens ab alio, filius autem et spiritus sanctus ab alio procedunt; tertia est qua ipse pater cum filio a spiritu sancto distinguitur; et haec dicitur communis spiratio. Proprietatem autem qua pater differat a solo spiritu sancto, non est assignare, eo quod pater et filius sunt unum principium spiritus sancti, ut ostensum est.

Chapitre 57 — DES PROPRIÉTÉS OU NOTIONS EN ET COMBIEN SONT-ELLES DANS LE PÈRE ?

Après avoir fixé le nombre des personnes en Dieu, il faut savoir par quelles propriétés elles diffèrent entre elles et leur nombre. Il y en a trois qui conviennent au Père : une par laquelle il se distingue du Fils seul et c’est la paternité; une seconde qui le distingue des deux autres soit le Fils et l’Esprit Saint et c’est l’innascibilité parce le Père n’est pas un Dieu procédant d’un autre, or le Fils et l’Esprit Saint procèdent du Père; une troisième (propriété) par laquelle le Père lui-même avec le Fils est distinct de l’Esprit Saint : et c’est la spiration commune. Il n’y a pas de propriété par laquelle le Père est distinct du Saint Esprit seul, parce que le Père et le Fils sont un seul principe de l’Esprit Saint comme on l’a montré (chapitre 49).

 

 

Caput 58 [70073] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 58 tit. De proprietatibus filii et spiritus sancti, quae et quot sunt


 [70074] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 58 Filio autem necesse est duas convenire. Unam scilicet qua distinguatur a patre, et haec est filiatio; aliam qua simul cum patre distinguatur a spiritu sancto, quae est communis spiratio. Non autem est assignare proprietatem qua distinguatur a solo spiritu sancto, quia, ut iam dictum est, filius et pater sunt unum principium spiritus sancti. Similiter etiam non est assignare proprietatem unam qua spiritus sanctus et filius simul distinguantur a patre. Pater enim ab eis distinguitur una proprietate, scilicet innascibilitate, inquantum est non procedens. Sed quia filius et spiritus sanctus non una processione procedunt, sed pluribus, duabus proprietatibus a patre distinguuntur. Spiritus autem sanctus habet unam proprietatem tantum, qua distinguitur a patre et filio, et dicitur processio. Quod autem non possit esse aliqua proprietas qua spiritus sanctus distinguatur a filio solo, vel a patre solo, ex dictis patet. Sunt igitur quinque quae personis attribuuntur: scilicet innascibilitas, paternitas, filiatio, spiratio et processio.

Chapitre 58 — DES PROPRIÉTÉS DU FILS ET DE L’ESPRIT SAINT — QUELLES SONT-ELLES ET COMBIEN ?

Deux (propriétés) conviennent nécessairement au Fils : celle où il se distingue du Père et c’est la filiation et celle où avec le Père il se distingue de l’Esprit Saint et c’est la spiration commune. Mais il ne faut pas lui assigner de propriété qui le distingue de l’Esprit Saint, parce que comme on vient de le voir (chapitre 57) le Fils et le Père sont un unique principe de l’Esprit Saint. De même aussi ne faut-il pas assigner une propriété par laquelle l’Esprit Saint et le Fils sont ensemble distincts du Père. Le Père en effet est distinct de ceux-ci par une propriété, c’est-à-dire l’innascibilité en tant qu’il n’est pas procédant. Mais comme le Fils et l’Esprit Saint ne procèdent pas d’une seule procession, mais de plusieurs, ils se distinguent du Père par deux propriétés. Le Saint-Esprit n’a qu’une propriété par laquelle il est distinct du Père et du Fils et on l’appelle procession. Qu’il ne puisse y avoir de propriété par laquelle l’Esprit Saint est distinct du seul Père ou du seul Fils cela est clair par ce qu’on a dit (chapitres 57 et 58).

Elles sont donc cinq qui sont attribuées : c’est à dire l’innascibilité, la paternité, la filiation, la spiration et la procession.

 

 

Caput 59 [70075] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 59 tit. Quare illae proprietates dicantur notiones


 [70076] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 59 Haec autem quinque notiones personarum dici possunt, eo quod per eas nobis innotescit in divinis distinctio personarum, non tamen haec quinque possunt dici proprietates, si hoc in proprietatis ratione observetur, ut proprium esse dicatur quod convenit uni soli: nam communis conspiratio patri et filio convenit. Sed secundum illum modum quo aliquid dicitur proprium aliquibus per respectum ad aliud sicut bipes homini et avi per respectum ad quadrupedia, nihil prohibet etiam communem spirationem proprietatem dici. Quia vero in divinis personae solis relationibus distinguuntur, notiones autem sunt quibus divinarum personarum distinctio innotescit, necesse est notiones aliqualiter ad relationem pertinere. Sed earum quatuor verae relationes sunt, quibus divinae personae ad invicem referuntur. Quinta vero notio, scilicet innascibilitas, ad relationem pertinet, sicut relationis negatio; nam negationes ad genus affirmationum reducuntur, et privationes ad genus habituum, sicut non homo ad genus hominis, et non album ad genus albedinis. Sciendum tamen quod relationum, quibus personae ad invicem referuntur, quaedam nominatae sunt, ut paternitas et filiatio, quae proprie relationem significant; quaedam vero innominatae, illae scilicet quibus pater et filius ad spiritum sanctum referuntur, et spiritus sanctus ad eos; sed loco relationum utimur nominibus originum.
Manifestum est enim quod communis spiratio et processio originem significant; non autem relationes originem consequentes: quod potest perpendi ex relationibus patris et filii. Generatio enim significat activam originem, quam consequitur paternitatis relatio; nativitas vero significat passivam filii, quam consequitur relatio filiationis. Similiter igitur ad communem spirationem sequitur aliqua relatio, et etiam ad processionem. Sed quia relationes innominatae sunt, utimur nominibus actuum pro nominibus relationum.

Chapitre 59 — POURQUOI CES PROPRIÉTÉS SONT-ELLES DITES NOTIONS ?

On peut parler de cinq notions parce qu’elles nous permettent de distinguer en Dieu des personnes. Cependant des cinq ne peuvent pas être dites propriétés dans le sens que “propre” voudrait dire ce qui convient à un seul; car une commune spiration convient au Père et au Fils. Mais selon la manière que quelque chose est dit propre à quelques-uns par rapport à un autre comme bipède à l’homme et à l’oiseau par rapport aux quadrupèdes, ainsi rien n’empêche de dire aussi comme propriété leur commune spiration.

Mais comme ce sont les relations seules qui distinguent les personnes divines et que les notions, elles, nous font connaître comment sont ces relations, il est nécessaire que les notions soient quelque peu des relations; mais celles-là seules sont des relations vraies qui se rapportent aux personnes divines l’une envers l’autre et il y en a quatre. La cinquième notion est une négation de relation soit l’innascibilité; car les négations peuvent se ramener au genre des affirmations et les privations au genre des habitus comme ne pas être homme se rapporte au genre homme et n’être pas blanc au genre blancheur.

On doit savoir cependant que parmi les relations qui font se rapporter les personnes divines entre elles, certaines ont un nom, telles : paternité et filiation, qui proprement signifient des relations; d’autres n’ont pas de noms : celles -par lesquelles le Père et le Fils se rapportent à l’Esprit Saint et celui-ci à eux; mais au lieu de relations nous nous servons de noms d’origine. Il est évident en effet que la spiration et la procession signifient une origine, mais ne disent rien des relations qui résultent de l’origine.

On peut s’en rendre compte aux relations de père et de fils. La génération exprime une origine active dont on tire la relation de paternité; la naissance exprime au con traire, le côté passif de l’origine chez le fils, d’où la relation de filiation. Semblablement la commune spiration est en conséquence une relation, comme aussi la procession.

Mais parce que ces relations n’ont pas de nom approprié nous employons à leur place le nom de leurs activités[20].

 

 

Caput 60 [70077] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 60 tit. Quod licet relationes in divinis subsistentes sint quatuor, tamen non sunt nisi tres personae


 [70078] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 60 Considerandum autem, quod quamvis relationes subsistentes in divinis sint ipsae personae divinae, ut supra dictum est, non tamen oportet esse quinque, vel quatuor personas secundum numerum relationum.
Numerus enim distinctionem aliquam consequitur. Sicut autem unum est indivisibile vel indivisum, ita pluralitas est divisibile vel divisum. Ad pluralitatem enim personarum requiritur quod relationes vim distinctivam habeant ratione oppositionis, nam formalis distinctio non est nisi per oppositionem. Si ergo praedictae relationes inspiciantur, paternitas et filiatio oppositionem ad invicem habent relativam, unde non se compatiuntur in eodem supposito: propter hoc oportet quod paternitas et filiatio sint duae personae subsistentes. Innascibilitas autem opponitur quidem filiationi, non autem paternitati: unde paternitas et innascibilitas possunt uni et eidem personae convenire. Similiter communis spiratio non opponitur neque paternitati, neque filiationi, nec etiam innascibilitati. Unde nihil prohibet communem spirationem inesse et personae patris, et personae filii. Propter quod communis spiratio non est persona subsistens seorsum a persona patris et filii. Processio autem oppositionem relativam habet ad communem spirationem. Unde, cum communis spiratio conveniat patri et filio, oportet quod processio sit alia persona a persona patris et filii. Hinc autem patet quare Deus non dicitur quinus, propter quinarium numerum notionum, sed dicitur trinus propter trinarium personarum. Quinque enim notiones non sunt quinque subsistentes res, sed tres personae sunt tres res subsistentes. Licet autem uni personae plures notiones aut proprietates conveniant, una tamen sola est quae personam constituit. Non enim sic constituitur persona proprietatibus quasi ex pluribus constituta, sed eo quod proprietas ipsa relativa subsistens persona est. Si igitur intelligerentur plures proprietates ut seorsum per se subsistentes, essent iam plures personae, et non una. Oportet igitur intelligi, quod plurium proprietatum seu notionum uni personae convenientium illa quae procedit secundum ordinem naturae, personam constituit; aliae vero intelliguntur ut personae iam constitutae inhaerentes. Manifestum est autem quod innascibilitas non potest esse prima notio patris quae personam eius constituat, tum quia nihil negatione constituitur, tum quia naturaliter affirmatio negationem praecedit. Communis autem spiratio ordine naturae praesupponit paternitatem et filiationem, sicut processio amoris processionem verbi. Unde nec communis spiratio potest esse prima notio patris, sed nec filii. Relinquitur ergo quod prima notio patris sit paternitas, filii autem filiatio, spiritus autem sancti sola processio notio est. Relinquitur igitur quod tres sunt notiones constituentes personas, scilicet paternitas, filiatio et processio. Et has quidem notiones necesse est proprietates esse. Id enim quod personam constituit, oportet soli illi personae convenire, principia enim individuationis non possunt pluribus convenire. Dicuntur igitur praedictae tres notiones personales proprietates, quasi constituentes tres personas modo praedicto. Aliae vero dicuntur proprietates seu notiones personarum, non autem personales, quia personam non constituunt.

Chapitre 60 — BIEN QUE LES RELATIONS SUBSISTANTES EN SOIENT AU NOMBRE DE QUATRE, IL N’Y A CEPENDANT QUE TROIS PERSONNES

Bien que les relations subsistantes en Dieu soient les personnes divines elles-mêmes, comme on l’a vu (chapitre 55) cependant il n’y a pas quatre ou cinq personnes selon le nombre des relations.

Le nombre en effet suppose une distinction. De même en effet que l’unité est indivise et indivisible, ainsi la pluralité est divisible et divisée. Pour la pluralité des personnes il est requis que les relations tirent leur distinction sous forme d’opposition; car il n’y a de distinction formelle que par opposition. Or si nous examinons les dites relations, la paternité et la filiation ont entre elles une opposition de relation, d’où elles ne sont pas compatibles dans un seul sujet; à cause de cela il faut que la paternité et la filiation soient deux personnes subistantes. L’innascibilité s’oppose à la filiation, mais non à la paternité et donc la paternité et l’innascibilité peuvent convenir à une et même personne. De même la commune spiration ne s’oppose ni à la paternité, ni à la filiation, ni aussi à l’innasCibilité. D’où rien n’empêche que la commune spi- ration, se trouve tant chez le Père que chez le Fils. Or la procession comporte une opposition relative à la commune spiration. D’où comme la commune spiration con vient au Père et au Fils, il faut que cette procession soit une personne autre que le Père et le Fils.

D’où il est clair que Dieu n’est pas dit “cinq” suite au nombre cinq des notions mais trine de par la trinité des personnes. Car les cinq notions ne sont pas cinq choses subsistantes, mais les trois personnes sont trois choses subsistantes. Si même à une seule personne conviennent plusieurs notions ou propriétés une seule cependant constitue la personne. La personne en effet n’est pas ainsi, constituée de propriétés multiples mais de ce que la propriété même de relation subsistante est une personne. Si l’on figurait plusieurs propriétés comme subsistantes séparément, il y aurait alors plusieurs personnes et non une seule. Il faut donc comprendre que de plusieurs propriétés ou notions qui conviennent à une personne, c’est celle qui procède selon l’ordre de nature qui constitue la personne, les autres sont inhérentes à la personne déjà constituée. Or il est manifeste que I’innascibilité ne peut pas être la première notion de Père et puisse constituer une personne; car d’abord rien n’est constitué par négation, ensuite l’affirmation prime la négation naturellement. La commune spiration selon l’ordre naturel présuppose la paternité et la filiation, comme la procession d’amour la procession du verbe. D’où la commune spiration ne peut être la première notion du Père ni du Fils.

Il reste donc que la première notion du Père est la paternité, celle du Fils la filiation, quant au Saint-Esprit sa seule notion est la procession. Il y a donc en tout trois notions constituant les personnes. Et ces notions sont nécessairement des propriétés. Ce qui en effet constitue la personne doit convenir à cette seule personne. Car les principes d’individuation ne peuvent s’appliquer à plusieurs. Ces trois notions sont donc dites propriétés personnelles, constituant trois personnes, comme nous l’avons dit. Les autres propriétés, ou notions des personnes ne sont pas personnelles ne constituant pas de personne.

 

 

Caput 61 [70079] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 61 tit. Quod remotis per intellectum proprietatibus personalibus, non remanent hypostases


 [70080] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 61 Ex hoc autem apparet quod remotis per intellectum proprietatibus personalibus, non remanent hypostases. In resolutione enim quae fit per intellectum, remota forma, remanet subiectum formae, sicut remota albedine remanet superficies, qua remota, remanet substantia, cuius forma remota remanet materia prima; sed remoto subiecto nihil remanet. Proprietates autem personales sunt ipsae personae subsistentes, nec constituunt personas, quasi praeexistentibus suppositis advenientes: quia nihil in divinis potest esse distinctum quod absolute dicitur, sed solum quod relativum est. Relinquitur igitur quod proprietatibus remotis personalibus per intellectum, non remanent aliquae hypostases distinctae; sed remotis notionibus non personalibus, remanent hypostases distinctae.

Chapitre 61 — SI PAR LA PENSÉE ON ÉCARTE LES PROPRIÉTÉS PERSONNELLES IL N’Y A PLUS D’HYPOSTASES

Il ressort de cela que si par la pensée on écarte les propriétés personnelles il n’y a plus d’hypostases. En effet dans l’abstraction qui se fait dans l’intelligence, la forme étant écartée, le sujet de la forme demeure, de même que en écartant la blancheur, la surface demeure; cette dernière écartée reste la substance, dont si l’on retire la forme reste la matière première; mais si l’on supprime le sujet plus rien ne reste. Or les propriétés personnelles sont les personnes elles-mêmes subsistantes et elles ne constituent pas des personnes comme quelque Chose s’ajoutant à des sujets préexistants. Car dans les personnes divines ce qui est absolu ne peut être distinct mais seulement ce qui est relatif. Il reste donc que si l’on retire par l’intelligence les propriétés personnelles, il n’y a plus d’hypostases distinctes; quant aux autres notions non personnelles, même retirées, les hypostases restent distinctes.

 

 

Caput 62 [70081] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 62 tit. Quomodo, remotis per intellectum proprietatibus personalibus, remaneat essentia divina


 [70082] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 62 Si quis autem quaerat, utrum remotis per intellectum proprietatibus personalibus remaneat essentia divina, dicendum est quod quodam modo remanet, quodam vero modo non. Est enim duplex resolutio quae fit per intellectum. Una secundum abstractionem formae a materia, in qua quidem proceditur ab eo quod formalius est, ad id quod est materialius: nam id quod est primum subiectum, ultimo remanet; ultima vero forma primo removetur.
Alia vero resolutio est secundum abstractionem universalis a particulari, quae quodammodo contrario ordine se habet: nam prius removentur conditiones materiales individuantes, ut accipiatur quod commune est. Quamvis autem in divinis non sit materia et forma, neque universale et particulare, est tamen in divinis commune et proprium, et suppositum naturae communi. Personae enim comparantur ad essentiam, secundum modum intelligendi, sicut supposita propria ad naturam communem. Secundum igitur primum modum resolutionis quae fit per intellectum, remotis proprietatibus personalibus, quae sunt ipsae personae subsistentes, non remanet natura communis; modo autem secundo remanet.

Chapitre 62 — ÉCARTANT EN ESPRIT LES PROPRIÉTÉS PERSONNELLES L’ESSENCE DIVINE DEMEURE

Si quelqu’un s’enquerrait, une fois écartées par la pensée les propriétés personnelles, si l’essence divine demeurerait, il faut distinguer. Car l’intelligence peut abstraire de deux manières[21]. On peut abstraire la forme de la matière et l’on va ainsi de ce qui est plus formel à ce qui est plus matériel; car ce qui est d’abord sujet, reste en dernier lieu; mais la forme ultime est d’abord enlevée. L’abstraction ensuite peut se faire de l’universel à partir du particulier, ce qui est en quelque sorte l’ordre contraire. Car d’abord sont écartées les conditions matérielles individuantes pour obtenir ce qui est commun.

Bien qu’en Dieu il n’y ait ni matière ni forme, ni l’universel ni le particulier, il y a cependant ce qui est commun et ce qui est propre, et le sujet d’une commune nature (chapitre 10). En effet les personnes sont à l’essence, selon notre mode de penser, comme les individus à la nature commune. Et donc selon la première abstraction qui écarte les propriétés personnelles, et qui sont les personnes subsistantes, il n’y a plus de nature commune; mais bien dans le second cas[22].

 

 

 

Caput 63 [70083] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 63 tit. De ordine actuum personalium ad proprietates personales


 [70084] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 63 Potest autem ex dictis manifestum esse, qualis sit ordo secundum intellectum actuum personalium ad proprietates personales. Proprietates enim personales sunt subsistentes personae: persona autem subsistens in quacumque natura agit communicando suam naturam in virtute suae naturae; nam forma speciei est principium generandi simile secundum speciem. Cum igitur actus personales ad communicationem naturae divinae pertineant, oportet quod persona subsistens communicet naturam communem virtute ipsius naturae. Et ex hoc duo possunt concludi. Quorum unum est quod potentia generativa in patre sit ipsa natura divina, nam potentia quodcumque agendi, est principium cuius virtute aliquid agitur.
Aliud est quod actus personalis, scilicet generatio, secundum modum intelligendi praesupponit et naturam divinam et proprietatem personalem patris, quae est ipsa hypostasis patris, licet huiusmodi proprietas, inquantum relatio est, ex actu consequatur. Unde si in patre attendatur quod subsistens persona est, dici potest, quod quia pater est, generat; si autem attendatur quod relationis est, e converso dicendum videtur, quod quia generat, pater est.

Chapitre 63 — DU RAPPORT DES ACTES PERSONNELS AUX PROPRIÉTÉS PERSONNELLES

De ce qui a été dit on voit clairement quel rapport existe, selon l’intelligence, entre les actes personnels et les propriétés personnelles. En effet les propriétés personnel les sont des personnes subsistantes : or une personne subsistante quelque soit sa nature agit en communiquant sa nature en vertu même de sa nature, car la forme spécifique est le principe de la génération du semblable selon l’espèce. Comme donc les actes personnels appartiennent à la communication de la nature divine, il faut que la personne subsistante communique une nature commune en vertu de la nature même.

On peut en tirer une double conclusion : dont une est : que le pouvoir générateur du Père est la nature divine elle-même. Car tout pouvoir d’agir est le principe de ce qui est fait. La seconde conclusion est que l’acte personnel, c’est-à-dire, la génération, d’après notre mode de penser, présuppose et la nature divine et la propriété personnelle du Père et qui est son hypostase même, quoique une telle propriété en tant que relation vienne après l’acte. D’où en considérant dans le Père la personne subsistante on peut dire qu’il est Père parce qu’il engendre. Mais si on considère la relation il faudra dire au contraire que parce qu’il engendre il est Père[23].

 

 

Caput 64 [70085] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 64 tit. Quomodo oportet recipere generationem respectu patris, et respectu filii


 [70086] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 64 Sciendum est tamen, quod alio modo oportet accipere ordinem generationis activae ad paternitatem, alio modo generationis passivae, sive nativitatis ad filiationem. Generatio enim activa praesupponit ordine naturae personam generantis; sed generatio passiva sive nativitas ordine naturae praecedit personam genitam, quia persona genita nativitate sua habet ut sit.
Sic igitur generatio activa secundum modum intelligendi praesupponit paternitatem, secundum quod est constitutiva personae patris; nativitas autem non praesupponit filiationem, secundum quod est constitutiva personae filii, sed secundum intelligendi modum praecedit eam utroque modo, scilicet et secundum quod est constitutiva personae, et secundum quod est relatio. Et similiter intelligendum est de his quae pertinent ad processionem spiritus sancti.

Chapitre 64 — CE QUE SIGNIFIE LA GÉNÉRATION POUR LE PÉRE ET POUR LE FILS

Il faut entendre d’une autre façon la génération active à partir de la paternité et d’une autre façon la génération passive, soit la naissance en relation avec la filiation. La génération active présuppose naturellement existante la personne qui engendre; mais la génération passive ou la naissance précède naturellement la personne engendrée parce que celle-ci a l’être de par sa naissance. Ainsi donc, d’après notre mode de penser, la génération active, pré suppose la paternité, selon qu’elle est constitutive de la personne du Père tandis que la naissance ne présuppose pas la filiation selon qu’elle est constitutive de la personne du Fils, mais selon notre manière de penser elle la précède de deux façons, c’est-à-dire selon qu’elle est constitutive de la personne et selon qu’elle signifie une relation. Et semblablement doit-on l’entendre des choses qui concernent la procession de l’Esprit Saint.

 

 

Caput 65 [70087] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 65 tit. Quomodo actus notionales a personis non differunt nisi secundum rationem


 [70088] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 65 Ex ordine autem assignato inter actus notionales et proprietates notionales, non intendimus quod actus notionales, secundum rem a proprietatibus personalibus differant, sed solum secundum modum intelligendi. Sicut enim intelligere Dei est ipse Deus intelligens, ita et generatio patris est ipse pater generans, licet alio modo significentur. Similiter etiam licet una persona plures notiones habeat, non tamen in ea est aliqua compositio. Innascibilitas enim, cum sit proprietas negativa, nullam compositionem facere potest. Duae vero relationes quae sunt in persona patris, scilicet paternitas et communis spiratio, sunt quidem idem secundum rem prout comparantur ad personam patris: sicut enim paternitas est pater, ita et communis spiratio in patre est pater, et in filio est filius.
Differunt autem secundum ea ad quae referuntur: nam paternitate pater refertur ad filium, communi spiratione ad spiritum sanctum; et similiter filius filiatione quidem ad patrem, communi vero spiratione ad spiritum sanctum.

Chapitre 65 — LES ACTES NOTIONNELS NE DIFFÈRENT DES PERSONNES QUE SELON LA RAISON

Selon l’ordre assigné entre les actes notionnels et les propriétés notionnelles nous n’entendons pas que les actes notionnels diffèrent réellement des propriétés personnelles mais seulement selon le mode de penser. En effet de même que penser, en Dieu c’est Dieu lui-même qui pense, ainsi aussi la génération chez un père est identique au géniteur, le père, quoique de signification différente.

De même, bien qu’une personne possède plusieurs notions, cependant il n’y a chez elle aucune composition. L’innascibilité étant une propriété négative il n’y a pas de composition possible. Quant aux deux relations, chez le Père, de paternité et de commune spiration, elles sont une et même chose dans le réel en tant qu’elles se rapportent à la personne du Père. Car de même que la paternité est le Père, ainsi la commune spiration est le Père en tant qu’elle est dans le Père et elle est le Fils en tant qu’elle est dans le Fils. Elles diffèrent entre elles sans doute dans la mesure où elles signifient une relation différente; car par la paternité le Père se trouve en relation avec le Fils et par la commune spiration avec le Saint-Esprit. Et semblablement le Fils par la filiation se rapporte au Père, par la commune spiration au Saint-Esprit.

 

 

Caput 66 [70089] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 66 tit. Quod proprietates relativae sunt ipsa divina essentia


 [70090] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 66 Oportet autem quod ipsae proprietates relativae sint ipsa divina essentia. Proprietates enim relativae sunt ipsae personae subsistentes. Persona autem subsistens in divinis non potest esse aliud quam divina essentia: essentia autem divina est ipse Deus, ut supra ostensum est. Unde relinquitur quod proprietates relativae sint secundum rem idem quod divina essentia. Item. Quidquid est in aliquo praeter essentiam eius, inest ei accidentaliter. In Deo autem nullum accidens esse potest, ut supra ostensum est. Proprietates igitur relativae non sunt aliud ab essentia divina secundum rem.

Chapitre 66 — LES PROPRIÉTÈS RELATIVES SONT L’ESSENCE MÊME DE DIEU

Les propriétés qui définissent une relation constituent nécessairement la divine essence. Elles sont déjà identiques aux personnes subsistantes; or en Dieu une personne subsistante ne peut être autre que la divine essence (chapitre 10). La divine essence est Dieu lui-même. D’où il suit que les propriétés de relation sont en réalité identiques à Dieu.

De même ce qui s’ajoute à l’essence de quelque chose est comme un accident; or en Dieu, comme on l’a vu, tout est son être (chapitre 23). Donc les propriétés relatives en Dieu ne sont pas autre chose que son essence.

 

 

Caput 67 [70091] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 67 tit. Quod relationes non sunt exterius affixae, ut Porretani dixerunt


 [70092] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 67 Non autem dici potest quod proprietates praedictae non sint in personis, sed exterius ad eas se habeant, sicut Porretani dixerunt. Relationes enim reales oportet esse in rebus relatis, quod quidem in creaturis manifestum est: sunt enim relationes reales in eis sicut accidentia in subiectis. Relationes autem istae quibus personae distinguuntur in divinis, sunt relationes reales, ut supra ostensum est. Igitur oportet quod sint in personis divinis, non quidem sicut accidentia: nam et alia quae in creaturis sunt accidentia, ad Deum translata a ratione accidentium cadunt, ut sapientia et iustitia, et alia huiusmodi, ut supra ostensum est. Praeterea. In divinis non potest esse distinctio nisi per relationes: nam quaecumque absolute dicuntur, communia sunt. Si igitur relationes exterius se habeant ad personas, nulla in ipsis personis distinctio remanebit. Sunt igitur proprietates relativae in personis, ita tamen quod sunt ipsae personae, et etiam ipsa essentia divina; sicut sapientia et bonitas dicuntur esse in Deo, et sunt ipse Deus et essentia divina, ut supra ostensum est.

Chapitre 67 — LES RELATIONS NE SONT PAS QUELQUE CHOSE AJOUTÉ DE L’EXTÉRIEUR, COMME LE PRÉTENDENT LES DISCIPLES DE GILBERT DE LA PORRÉE

 

On ne peut pas dire que les dites propriétés n’existe pas dans les personnes divines mais elles leur seraient, extérieures, comme disent les disciples de Gilbert de la Porrée. En effet dans les choses qui sont en relation, 'relations doivent être réelles. Ce qui est manifeste dans créatures où les relations réelles en elles sont comme accidents dans leurs sujets. Or ces relations qui distinguent les personnes en Dieu sont des relations réelles comme on l’a vu (chapitre 53). Il faut donc qu’elles soient dans les personnes divines non comme des accidents; car les autres choses qui sont des accidents dans les créat transférées en Dieu perdent leur condition d’accidents, telles la sagesse, la justice et autres, comme on l’a montré. (chapitre 23).

En outre, en Dieu il ne peut se trouver de distinction ce n’est au moyen des relations; car tout ce qui est absolument est commun aux trois personnes. Si donc les relations sont ajoutées de l’extérieur aux personnes, il ne restera rien qui distingue les personnes. Il y a donc des propriétés relatives dans les personnes et qui sont les personnes elles-mêmes, comme aussi la sagesse et la bonté sont en Dieu et sont Dieu lui-même et son essence, comme on l’a exposé.

 

 

 

B — Les oeuvres de Dieu — la Création (chapitre 68 à 94)

 

1° En général (chapitre 68 à 70)

Caput 68 [70093] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 68 tit. De effectibus divinitatis, et primo de esse


 [70094] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 68 His igitur consideratis quae ad unitatem essentiae divinae pertinent et ad personarum Trinitatem, restat de effectibus Trinitatis considerandum. Primus autem effectus Dei in rebus est ipsum esse, quod omnes alii effectus praesupponunt, et supra quod fundantur. Necesse est autem omne quod aliquo modo est, a Deo esse. In omnibus autem ordinatis hoc communiter invenitur, quod id quod est primum et perfectissimum in aliquo ordine, est causa eorum quae sunt post in ordine illo; sicut ignis, qui est maxime calidus, est causa caliditatis in reliquis corporibus calidis. Semper enim imperfecta a perfectis inveniuntur habere originem, sicut semina ab animalibus et plantis. Ostensum est autem supra, quod Deus est primum et perfectissimum ens: unde oportet quod sit causa essendi omnibus quae esse habent.
Adhuc. Omne quod habet aliquid per participationem, reducitur in id quod habet illud per essentiam, sicut in principium et causam; sicut ferrum ignitum participat igneitatem ab eo quod est ignis per essentiam suam. Ostensum est autem supra, quod Deus est ipsum suum esse, unde esse convenit ei per suam essentiam, omnibus autem aliis convenit per participationem: non enim alicuius alterius essentia est suum esse, quia esse absolutum et per se subsistens non potest esse nisi unum, ut supra ostensum est. Igitur oportet Deum esse causam existendi omnibus quae sunt.

Chapitre 68 — L’ÊTRE, EFFET PREMIER DE LA DIVINITÉ

Après avoir étudié ce qui a trait à Dieu et à la Trinité des personnes il reste à traiter des oeuvres de la Trinité. La première oeuvre de Dieu dans les choses est l’être lui-même que toutes les autres oeuvres présupposent et sur lequel elles sont fondées. Il est nécessaire que ce qui est de quelque manière soit de Dieu. Dans les choses qui ont un ordre on trouve ceci communément que ce qui est premier et le plus parfait dans cet ordre, est la cause de ce qui en cet ordre vient après comme le feu, qui est très I chaud, cause la chaleur dans les autres corps chauds. Toujours en effet ce qui est imparfait a son origine en ce qui est parfait, telles les semences des animaux et des plantes. Or on a vu plus haut (chapitres 3, 18, 20 et 21) que Dieu est le premier être et le plus parfait; d’où il faut qu’il soit la cause de l’être de tout ce qui est.

Encore : tout ce qui possède quelque chose par participation doit être ramené à ce qui est par essence, comme en son principe et sa cause, comme le fer en fusion partage sa propriété nouvelle à partir de ce qui est le feu par essence. Or on a montré plus haut (chapitre 11) que Dieu est l’être même et dont l’être est son essence tandis que toi le reste tient son être par participation. Car aucune essence des choses n’est leur être; l’être absolu et subsitant par lui-même ne peut être qu’un seul, comme on l'a vu (chapitre 15). Dieu est donc nécessairement la cause de tout ce qui est.

 

 

Caput 69 [70095] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 69 tit. Quod Deus in creando res non praesupponit materiam


 [70096] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 69 Hoc autem ostendit quod Deus in creando res non praeexigit materiam ex qua operetur. Nullum enim agens praeexigit ad suam actionem id quod per suam actionem producit, sed solum ea praeexigit quae sua actione producere non potest: aedificator enim lapides et ligna ad suam actionem praeexigit, quia ea sua actione producere non potest; domum autem producit in agendo, sed non praesupponit. Necesse est autem materiam produci per actionem Dei, cum ostensum sit, quod omne quod quolibet modo est, Deum habeat causam existendi.
Relinquitur igitur quod Deus in agendo materiam non praesupponit. Adhuc. Actus naturaliter prior est potentia, unde et per prius competit sibi ratio principii. Omne autem principium quod in creando aliud principium praesupponit, per posterius habet rationem principii. Cum igitur Deus sit principium rerum sicut actus primus, materia autem sicut ens in potentia, inconveniens est quod Deus in agendo materiam praesupponat. Item. Quanto aliqua causa est magis universalis, tanto effectus eius est universalior. Nam causae particulares, effectus universalium causarum ad aliquid determinatum appropriant, quae quidem determinatio ad effectum universalem comparatur sicut actus ad potentiam. Omnis igitur causa quae facit aliquid esse in actu, praesupposito eo quod est in potentia ad actum illum, est causa particularis respectu alicuius universalioris causae. Hoc autem Deo non competit, cum ipse sit causa prima, ut supra ostensum est. Non igitur praeexigit materiam ad suam actionem. Ipsius igitur est producere res in esse ex nihilo, quod est creare: et inde est quod fides Catholica eum creatorem confitetur.

Chapitre 69 — EN CRÉANT N’A PAS UTILISÉ DE MATIÈRE

Ceci nous fait admettre que Dieu comme créateur n'a pas été soumis à quelque matière préexistante pour en façonner quelque chose. Car aucun agent ne préexige pour son action ce qu’il produit par cette action, mais seulement ce qu’il ne peut produire par Son action. En effet un constructeur a besoin au préalable de pierre et de bois pour son travail parce qu’il ne petit lui-même i s produire. Il faut donc qu’aussi la matière soit produite par Dieu, puisque nous avons montré (chapitre 68) que tout ce qui est de quelque façon a Dieu comme cause de son existence. Il reste donc qu’en agissant Dieu n’a pas utilisé de matière.

Encore : l’acte de sa nature est avant la puissance d’où lui revient d’abord d’être le principe. Et tout principe qui dans la création en suppose un autre n’a que par après d’être principe. Puisque Dieu est le principe des choses comme leur acte premier et la matière comme l’être en puissance, il ne convient pas que Dieu dans son action présuppose une matière.

De même. Plus une cause est universelle, plus universel est son effet. Car les causes particulières adaptent à quel que chose de déterminé l’action des causes universelles; cette détermination est à l’effet universel comme l’acte à la puissance. Donc toute cause qui fait être quelque chose en acte, étant présupposé ce qui est en puissance à cet acte, est une cause particulière par rapport à une cause plus universelle. Ce qui ne peut être en Dieu puisqu’il est cause premières comme on l’a montré (chapitre 3 et 68). La matière donc ne préexiste pas à son action. A lui donc appartient de produire l’être du néant, ce qui est proprement créer. Et voilà pourquoi la foi catholique reconnaît qu’il est Créateur.

 

 

Caput 70 [70097] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 70 tit. Quod creare soli Deo convenit


 [70098] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 70 Hoc etiam apparet, quod soli Deo convenit esse creatorem.
Nam creare illi causae convenit quae aliam universaliorem non praesupponit, ut ex dictis patet. Hoc autem soli Deo competit. Solus igitur ipse est creator. Item. Quanto potentia est magis remota ab actu, tanto oportet esse maiorem virtutem per quam reducatur in actum. Sed quantacumque distantia potentiae ad actum detur, semper remanet maior distantia, si ipsa potentia subtrahatur. Creare igitur aliquid ex nihilo requirit infinitam virtutem. Sed solus Deus est infinitae virtutis, cum ipse sit infinitae essentiae. Solus igitur Deus potest creare.

Chapitre 70 — DIEU SEUL PEUT CRÉER

 

Ceci est aussi évident : Dieu seul a le pouvoir de créer. Car créer suppose chez son auteur qu’il n’est pas conditionné par une autre cause plus universelle. Et c’est ce qui se vérifie en Dieu, comme on vient de le voir. Il est donc seul créateur.

De même. Plus une puissance est éloignée de l’acte, plus aussi doit être grand le pouvoir qui la réduit en acte.

Mais quelque grande que soit la distance de la puissance à l’acte elle reste toujours plus grande si la puissance elle- même lui est soustraite. Donc créer quelque chose de rien requiert un pouvoir infini. Mais Dieu seul possède un pouvoir infini puisqu’il possède une essence infinie. Dieu seul donc peut créer.

 

2° Les choses matérielles (chapitre 71 à 74)

Caput 71 [70099] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 71 tit. Quod materiae diversitas non est causa diversitatis in rebus


 [70100] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 71 Manifestum est autem ex praeostensis, quod causa diversitatis in rebus non est materiae diversitas. Ostensum est enim, quod materia non praesupponitur actioni divinae, qua res in esse producit. Causa autem diversitatis rerum non est ex materia, nisi secundum quod materia ad rerum productionem praeexigitur, ut scilicet secundum diversitatem materiae diversae inducantur formae. Non igitur causa diversitatis in rebus a Deo productis est materia. Adhuc. Secundum quod res habent esse, ita habent pluralitatem et unitatem, nam unumquodque secundum quod est ens, est etiam unum. Sed non habent esse formae propter materiam, sed magis materiae propter formas: nam actus melior est potentia, id autem propter quod aliquid est, oportet melius esse. Neque igitur formae ideo sunt diversae ut competant materiis diversis, sed materiae ideo sunt diversae, ut competant diversis formis.

Chapitre 71 — LA DIVERSITÉ DE LA MATIÈRE N’EST PAS CAUSE DE LA DIVERSITÉ DES CHOSES

 

Ce qui vient d’être dit montre à l’évidence que la cause de la diversité des choses n’est pas la diversité de la matière. On a montré en effet (chapitre 69) qu’aucune matière ne conditionne l’action divine qui produit l’être des choses. Mais la cause de la diversité des choses ne vient pas de la matière pour autant qu’elle est préexigée à leur production c’est-à-dire selon que par sa diversité des formes diverses seraient produites. Donc la matière n’est pas la cause de la diversité des choses que Dieu produit.

Encore. Selon que les choses ont l’être ainsi ont-elles pluralité et unité, car toute chose selon qu’elle est un être, est aussi une. Mais les formes n’ont pas l’être à cause de la matière mais plutôt les matières à cause des formes; car l’acte vaut plus que la puissance et ce pourquoi quelque chose est doit prévaloir. Et donc les formes ne sont pas diverses pour convenir aux matières, mais les matières sont diverses pour convenir à des formes diverses.

 

 

Caput 72 [70101] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 72 tit. Quomodo Deus diversa produxit, et quomodo pluralitas rerum causata est


 [70102] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 72 Si autem hoc modo se habeant res ad unitatem et multitudinem, sicut se habent ad esse, totum autem esse rerum dependet a Deo, ut ostensum est, pluralitatis rerum causam ex Deo esse oportet. Quod quidem qualiter sit, considerandum est. Necesse est enim quod omne agens agat sibi simile, secundum quod possibile est. Non autem erat possibile quod similitudinem divinae bonitatis res a Deo productae consequerentur in ea simplicitate secundum quam invenitur in Deo: unde oportuit quod id quod est unum et simplex, repraesentaretur in rebus causatis diversimode et dissimiliter.
Necesse igitur fuit diversitatem esse in rebus a Deo productis, ut divinam perfectionem rerum diversitas secundum suum modum imitaretur. Item. Unumquodque causatum finitum est: solius enim Dei est essentia infinita, ut supra ostensum est. Quodlibet autem finitum per additionem alterius redditur maius. Melius igitur fuit diversitatem in rebus creatis esse, ut sic plura bona essent, quam quod esset unum tantum genus rerum a Deo productum. Optimi autem est optima adducere. Conveniens igitur fuit Deo quod in rebus diversitatem produceret.

Chapitre 72 — COMMENT PRODUIT LES DIVERSES CHOSES ET QUELLE EST LA CAUSE DE LEUR PLURALITÉ

Si les choses sont ainsi à l’unité et à la multitude comme elles sont à l’être, et comme tout être des choses dépend de Dieu, comme on l’a montré (chapitres 68 et 69), il faut aussi que la cause de cette pluralité vienne de Dieu. Ce qui peut se montrer comme suit : il est nécessaire en effet que tout agent produise quelque chose de semblable à soi-même autant que possible; or il n’était pas possible à Dieu de produire des choses qui reproduisent sa boni... selon la simplicité qui est en lui. Il fallut donc que celui qui est un et simple fut représenté dans les choses produites de diverses manières et différemment. Il fut donc nécessaire que la diversité existât dans les choses produites par Dieu pour qu’à leur manière elles imitent la perfection divine.

De même : tout ce qui a une cause est fini; Dieu seul possède une essence infinie, comme on l’a vu (chapitre 18). Tout ce qui est fini peut grandir par ajout d’un autre. Il était donc plus opportun que parmi les choses créées intervienne la diversité pour qu’ainsi il y eut plusieurs biens plutôt qu’un seul genre de choses que Dieu aurait créées. Celui qui est le meilleur devait donc produire les meilleures choses. Il convenait donc que Dieu produisit la diversité des choses.

 

 

Caput 73 [70103] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 73 tit. De diversitate rerum, gradu et ordine


 [70104] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 73 Oportuit autem diversitatem in rebus cum ordine quodam institui, ut scilicet quaedam aliis essent potiora. Hoc enim ad abundantiam divinae bonitatis pertinet, ut suae bonitatis similitudinem rebus causatis communicet, quantum possibile est.
Deus autem non tantum in se bonus est, sed etiam alia in bonitate excellit, et ea ad bonitatem adducit. Ut igitur perfectior esset rerum creatarum similitudo ad Deum, necessarium fuit, ut quaedam res aliis constituerentur meliores, et ut quaedam in alia agerent, ea ad perfectionem ducendo. Prima autem diversitas rerum principaliter in diversitate formarum consistit. Formalis autem diversitas secundum contrarietatem est. Dividitur enim genus in diversas species differentiis contrariis. In contrarietate autem ordinem necesse est esse, nam semper alterum contrariorum perfectius est. Oportet igitur rerum diversitatem cum quodam ordine a Deo esse institutam, ut scilicet quaedam sint aliis potiora.

Chapitre 73 — DE LA DIVERSITÉ, DU DEGRÉ, DE L’ORDRE DES CHOSES

La multiplicité des choses exigeait aussi qu’un ordre y fut instauré en sorte qu’il y en eut de plus excellentes. Il convient en effet à l’abondante bonté de Dieu de communiquer une ressemblance de sa bonté aux choses dont il est la cause, dans la mesure du possible. Dieu n’est pas seulement bon en lui-même, il dépasse infiniment les autres choses en bonté et il leur communique sa bonté.

 Pour rendre plus parfaite avec Dieu la ressemblance des choses créées, il était nécessaire que certaines soient mieux gratifiées et que d’aucunes agissent sur d’autres pour les amener à la perfection. La diversité fondamentale des choses consiste principalement dans la diversité des formes; ce qui donne les contraires. Le genre en effet se partage en espèces diverses par des différences contraires. Or dans ces contraires il faut un certain ordre, car un contraire est toujours plus parfait qu’un autre (voir chapitre 116, fin). Il a donc fallu que la diversité des choses soit établie par Dieu dans un certain ordre, c’est-à-dire que certaines soient placées au-dessus des autres.

 

 

Caput 74 [70105] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 74 tit. Quomodo res creatae quaedam plus habent de potentia, minus de actu, quaedam e converso


 [70106] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 74 Quia vero unumquodque intantum nobile et perfectum est, inquantum ad divinam similitudinem accedit, Deus autem est actus purus absque potentiae permixtione; necesse est ea quae sunt suprema in entibus, magis esse in actu, et minus de potentia habere, quae autem inferiora sunt magis in potentia esse. Hoc autem qualiter sit, considerandum est. Cum enim Deus sit sempiternus et incommutabilis in suo esse, illa sunt in rebus infima, utpote de similitudine divina minus habentia, quae sunt generationi et corruptioni subiecta, quae quandoque sunt, et quandoque non sunt. Et quia esse sequitur formam rei, sunt quidem huiusmodi quando formam habent, desinunt autem esse quando forma privantur. Oportet igitur in eis esse aliquid quod possit quandoque formam habere, quandoque vero forma privari, quod dicimus materiam. Huiusmodi igitur quae sunt in rebus infima, oportet esse ex materia et forma composita. Illa vero quae sunt suprema in entibus creatis, ad similitudinem divini esse maxime accedunt, nec est in eis potentia ad esse et non esse, sed a Deo per creationem sempiternum esse adepta sunt. Cum autem materia hoc ipsum quod est, sit potentia ad esse quod est per formam, huiusmodi entia in quibus non est potentia ad esse et non esse, non sunt composita ex materia et forma, sed sunt formae tantum subsistentes in suo esse, quod acceperunt a Deo. Necesse est autem huiusmodi substantias incorporales incorruptibiles esse. In omnibus enim corruptibilibus est potentia ad non esse. In iis autem non est, ut dictum est. Sunt igitur incorruptibiles.
Item. Nihil corrumpitur nisi per separationem formae ab ipso, nam esse semper consequitur formam. Huiusmodi autem substantiae, cum sint formae subsistentes, non possunt separari a suis formis, et ita esse amittere non possunt. Ergo sunt incorruptibiles. Sunt autem inter utraque praedictorum quaedam media, in quibus etsi non sit potentia ad esse et non esse, est tamen in eis potentia ad ubi. Huiusmodi autem sunt corpora caelestia, quae generationi et corruptioni non subiiciuntur, quia in iis contrarietates non inveniuntur, et tamen sunt mutabilia secundum locum: sic autem invenitur in aliquibus materia sicut et motus, est enim motus actus existentis in potentia. Habent igitur huiusmodi corpora materiam non subiectam generationi et corruptioni, sed solum loci mutationi.

Chapitre 74 — PARMI LES CRÉATURES IL Y EN A QUI SONT PLUS EN PUISANCE QU’EN ACTE, POUR D’AUTRES C’EST LE CONTRAIRE

Toute chose est d’autant plus noble et parfaite qui se rapproche davantage de la ressemblance divine. Or Dieu est l’acte pur sans mélange de potentialité. Il est donc nécessaire que les êtres suprêmes soient davantage en acte et moins en puissance tandis que les inférieurs sont davantage en puissance. Qu’entend-on par là ?

Puisque Dieu est éternel et immuable en son être celles-là sont les moindres parmi les choses en tant qu’ayant moins de la ressemblance divine; elles sont sujettes à la génération et à la corruption; elles sont pour un temps puis ne sont plus. Et parce que l’être est en fonction de la forme, de telles choses existent quand elles ont leur forme et elles cessent d’être quand elles en sont privées. Il faut donc qu’il y ait en elles ce qui fait qu’elles puissent avoir une forme ou de ne pas en avoir et c’est ce que nous appelons la matière. Ces choses donc qui sont les moindres sont nécessairement composées de matière et de forme. Celles qui sont plus nobles se rapprochent au maximum de la ressemblance divine; d’où elles sont libres de toute possibilité de perdre leur existence; bien plus, de par leur création par Dieu elles ont obtenu une existence sans fin. Or ce qu’est la matière c’est d’être en puissance à l’être qui est par la forme; ces êtres donc qui ne sont pas en puissance à être ou ne pas être ne sont pas composés de matière ni de forme; bien plus, ce sont de pures formes qui dans leur être reçu de Dieu possèdent en elles mêmes leur subsistance. Il est nécessaire que ces substances incorporelles soient incorruptibles. Dans toutes les choses corruptibles en effet il y a possibilité au non-être. Or en celles-là la potentialité n’entre pas; elles sont donc incorruptibles.

De même : rien ne se corrompt si ce n’est par séparation de sa forme; les substances dont il s’agit, étant d formes subsistantes par elles-mêmes, ne sont pas séparables de leur forme et ainsi ne peuvent perdre l’existence elles sont donc incorruptibles.

Il y a d’ailleurs entre ces deux degrés d’être des substances mixtes; dans lesquelles bien qu’il n’y ait pas de puissance à l’être et au non être, il y a cependant en elles une possibilité de lieu. Ce sont les corps célestes qui eux ne sont pas sujets à génération ni corruption, parce qu’en eux on ne trouve pas de contraires, mais ils se meuvent localement; ainsi en trouve-t-on qui ont mouvement et matière, car “le mouvement est l’actuation d’une puissance en devenir[24]. De tels corps ont une matière qui n’est pas sujette à la corruption comme à la génération, mais seulement au changement local.

 

 

 

3° Les créatures spirituelles (chapitre 75 à 94)

 

a) Les anges (chapitre 75 à 78)

Caput 75 [70107] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 75 tit. Quod quaedam sunt substantiae intellectuales, quae immateriales dicuntur


 [70108] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 75 Praedictas autem substantias, quas immateriales diximus, necesse est etiam intellectuales esse.
Ex hoc enim aliquid intellectuale est quod immune est a materia, quod ex ipso intelligendi modo percipi potest. Intelligibile enim in actu et intellectus in actu sunt unum. Manifestum est autem aliquid esse actu intelligibile per hoc quod est a materia separatum: nam et de rebus materialibus intellectualem cognitionem habere non possumus nisi per abstractionem a materia. Unde oportet idem iudicium de intellectu esse, ut scilicet quae sunt immaterialia, sint intellectualia. Item. Substantiae immateriales sunt primae et supremae in entibus, nam actus naturaliter est prior potentia. Omnibus autem rebus apparet intellectus esse superior: intellectus enim utitur corporalibus quasi instrumentis. Oportet igitur substantias immateriales intellectuales esse. Adhuc. Quanto aliqua sunt superiora in entibus, tanto magis pertingunt ad similitudinem divinam. Videmus enim res quasdam infimi gradus participare divinam similitudinem quantum ad esse tantum, velut inanimata; quaedam autem quantum ad esse et vivere, ut plantae; quaedam autem quantum ad sentire, ut animalia; supremus autem modus est per intellectum, et maxime Deo conveniens. Supremae igitur creaturae sunt intellectuales: et quia inter caeteras creaturas magis ad Dei similitudinem accedunt, propter hoc dicuntur ad imaginem Dei constitutae

Chapitre 75 — LES ÉTRES SUPÉRIEURS A LA MATIÈRE ONT EN PROPRE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE

Ces substances dont nous avons parlé et qui sont immatérielles sont nécessairement aussi intellectuelles. Est intellectuel en effet ce qui est exempt de matière; leur mode de penser le prouve. En effet l’intelligible en acte et l’intelligence en acte ne font qu’un. Il est manifeste que quelque chose est intelligible en acte du fait qu’il est séparé de la matière; car des choses matérielles nous en avons connaissance par abstraction de la matière (Comp. chapitre 83). Or on doit faire la même supposition pour l’intelligence c’est-à-dire ce qui est immatériel est aussi intelligent.

De même : les êtres immatériels sont premiers et suprêmes parmi les êtres. Car l’acte est naturellement avant la potentialité. Or l’intelligence apparaît supérieure à toutes les choses; elle se sert en effet des choses corporelles comme d’instruments. Il faut donc que les substances immatérielles soient intellectuelles.

Encore : plus une chose occupe un rang élevé dans la série des êtres plus grande aussi est sa ressemblance avec Dieu. Il y en a qui n’ont de ressemblance que par le fait : de leur existence, comme les minéraux; d’autres parce qu’ils ont l’être et la vie, comme les plantes; d’autres parce qu’ils sont sensibles, comme les animaux; au sommet est la connaissance intellectuelle laquelle est suprêmement en Dieu; donc les créatures les plus hautes sont intellectuelles en Dieu. Et parce que parmi toutes les créatures celles-ci sont le plus semblables à Dieu, nous sommes dits "créés à l’image de Dieu ".

 

 

Caput 76 [70109] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 76 tit. Quomodo tales substantiae sunt arbitrio liberae


 [70110] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 76 Per hoc autem ostenditur, quod sunt arbitrio liberae.
Intellectus enim non agit aut appetit sine iudicio, sicut inanimata; neque est iudicium intellectus ex naturali impetu, sicut in brutis, sed ex propria apprehensione: quia intellectus et finem cognoscit, et id quod est ad finem, et habitudinem unius ad alterum; et ideo ipse sui iudicii causa esse potest, quo appetat et agat aliquid propter finem. Liberum autem dicimus quod sui causa est. Appetit igitur et agit intellectus libero iudicio, quod est esse liberum arbitrio. Supremae igitur substantiae sunt arbitrio liberae. Adhuc. Liberum est quod non est obligatum ad aliquid unum determinatum. Appetitus autem substantiae intellectivae non est obligatus ad aliquid unum determinatum bonum: sequitur enim apprehensionem intellectus, quae est de bono universaliter. Igitur appetitus substantiae intelligentis est liber, utpote communiter se habens ad quodcumque bonum.

Chapitre 76 — DE TELLES SUBSTANCES SONT LIBRES D’ARBITRE

Par là on démontre qu’elles sont libres d’arbitre. L’intelligence en effet n’agit pas et ne désire pas sans jugement, comme les choses inanimées; et le jugement de l’intelligence ne vient pas d’une impulsion naturelle comme chez les brutes, mais par propre appréhension car l’intelligence connaît la fin et ce qui conduit à la fin et le rapport de l’une à l’autre; et donc elle peut être cause de son jugement par lequel elle désire et fait quel que chose pour une fin. Et nous appelons libre ce qui est sa propre cause. L’intelligence donc désire et agit d’un jugement libre et cela est être libre d’arbitre. Donc les substances suprêmes sont libres d’arbitre[25].

De plus, libre est ce qui n’est pas déterminé à quelque chose d’unique; or le désir de la substance intellectuelle n’est pas tenu à quelque bien déterminé, car il suit l’appréhension de l’intelligence qui perçoit le bien universellement. Donc le désir de la substance intelligente est libre comme se portant indifféremment vers tout ce qui est bon.

 

 

Caput 77 [70111] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 77 tit. Quod in eis est ordo et gradus secundum perfectionem naturae


 [70112] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 77 Sicut autem hae substantiae intelligentes quodam gradu aliis substantiis praeponuntur, ita etiam ipsas substantias necesse est aliquibus gradibus ab invicem distare. Non enim ab invicem differre possunt materiali differentia, cum materia careant: unde si in eis est pluralitas, necesse est eam per distinctionem formalem causari, quae diversitatem speciei constituit.
In quibuscumque autem est speciei diversitatem accipere, necesse est in eis gradum quemdam et ordinem considerare: cuius ratio est, quia sicut in numeris additio vel subtractio unitatis speciem variat, ita per additionem et subtractionem differentiarum res naturales specie differentes inveniuntur; sicut quod est animatum tantum, ab eo differt quod est animatum et sensibile; et quod est animatum et sensibile tantum, ab eo quod est animatum, sensibile et rationale. Necesse est igitur praedictas immateriales substantias secundum quosdam gradus et ordines esse distinctas.

Chapitre 77 — DANS CES SUBSTANCES EXISTE UN ORDRE ET DES DEGRÉS SELON LA PERFECTION DE LEUR NATURE

De même que ces substances intellectuelles surpassent d’un certain degré les autres substances ainsi aussi ces mêmes substances entre elles doivent se distancer par quelques degrés. Elles ne peuvent en effet différer entre elles par une différence matérielle, comme elles sont exemptes de la matière. Donc s’il s’y trouve une pluralité cela vient nécessairement de leur distinction formelle qui constitue la diversité de l’espèce. Or n’importe où il y a diversité de l’espèce on doit y découvrir un ordre et des degrés; la raison en est que comme dans les nombres l’addition ou la soustraction d’une unité fait varier l’espèce, ainsi par l’addition et la soustraction de leur différence les choses naturelles se trouvent être différentes par l’espèce, comme ce qui est seulement animé diffère de ce qui est animé et sensible, et ce dernier de ce qui est au plus rationnel. Il est donc nécessaire que les dites substances immatérielles soient distinctes selon des degrés et des ordres.

 

 

Caput 78 [70113] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 78 tit. Qualiter est in eis ordo et gradus in intelligendo


 [70114] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 78 Et quia secundum modum substantiae rei est modus operationis, necesse est quod superiores earum nobilius intelligant, utpote formas intelligibiles et virtutes magis universales et magis unitas habentes: inferiores autem esse debiliores in intelligendo, et habere formas magis multiplicatas et minus universales.

Chapitre 78 — COMMENT ENTENDRE ORDRE ET DEGRÉ DANS LEUR ACTE INTELLIGENT ?

Et parce que le mode substantiel d’une chose détermine son mode d’opération il faut que celles qui sont supérieures pensent plus noblement comme ayant des formes intelligibles et des vertus plus universelles et plus unifiées (celles qui sont inférieures sont de pensée plus débile et elles ont des formes plus nombreuses et moins universelles).

 

b) Les hommes (chapitre 79-94)

Caput 79 [70115] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 79 tit. Quod substantia per quam homo intelligit, est infima in genere substantiarum intellectualium


 [70116] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 79 Cum autem non sit in rebus in infinitum procedere, sicut est invenire supremam in praedictis substantiis, quae propinquissime accedit ad Deum, ita necesse est inveniri infimam, quae maxime appropinquat materiae corporali.
Et hoc quidem taliter potest esse manifestum. Intelligere enim homini supra alia animalia convenit. Manifestum est enim quod homo solus universalia considerat, et habitudines rerum, et res immateriales, quae solum intelligendo percipiuntur. Impossibile est autem quod intelligere sit actus exercitus per organum corporale, sicut visio exercetur per oculum. Necesse est enim quod omne instrumentum virtutis cognoscitivae careat illo genere rerum quod per ipsum cognoscitur, sicut pupilla caret coloribus ex sua natura: sic enim cognoscuntur colores, inquantum colorum species recipiuntur in pupilla; recipiens autem oportet esse denudatum ab eo quod recipitur. Intellectus autem cognoscitivus est omnium naturarum sensibilium. Si igitur cognosceret per organum corporale, oporteret illud organum esse denudatum ab omni natura sensibili, quod est impossibile. Item. Omnis ratio cognoscitiva eo modo cognoscitur quo species cogniti est apud ipsam, nam haec est sibi principium cognoscendi. Intellectus autem cognoscit res immaterialiter, etiam eas quae in sua natura sunt materiales, abstrahendo formam universalem a materialibus conditionibus individuantibus. Impossibile est ergo quod species rei cognitae sit in intellectu materialiter: ergo non recipitur in organo corporali, nam omne organum corporale est materiale. Idem etiam apparet ex hoc quod sensus debilitatur et corrumpitur ab excellentibus sensibilibus, sicut auditus a magnis sonis, et visus a rebus valde fulgidis, quod accidit, quia solvitur organi harmonia. Intellectus autem magis roboratur ex excellentia intelligibilium: nam qui intelligit altiora intelligibilium, non minus potest intelligere alia, sed magis. Si igitur homo inveniatur intelligens, et intelligere hominis non sit per organum corporale, oportet quod sit aliqua substantia incorporea, per quam homo intelligat. Nam quod per se potest operari sine corpore, etiam eius substantia non dependet a corpore. Omnes enim virtutes et formae quae per se subsistere non possunt sine corpore, operationem habere non possunt sine corpore: non enim calor per se calefacit, sed corpus per calorem. Haec igitur substantia incorporea per quam homo intelligit, est infima in genere substantiarum intellectualium, et maxime materiae propinqua.

Chapitre 79 — LA SUBSTANCE QUI FAIT L’HOMME INTELLIGENT EST LA MOINDRE PARMI LES INTELLECTUELLES

 

Comme il n’existe nulle part de processus à l’infini, de même qu’on trouve des êtres qui approchent très près de Dieu, ainsi en trouve-t-on dans les êtres intellectuels qui se rapprochent très près de la matière. On peut s’en rendre compte de la façon suivante. Penser met l’homme au- dessus des autres animaux. Il est manifeste en effet que seul l’homme considère les choses universellement comme aussi leurs rapports et les choses immatérielles qui ne sont perçues que par la pensée. Or il est impossible que penser soit un acte exercé par un organe corporel, comme la vision qui se sert de l’oeil. Il est nécessaire en effet que tout instrument d’une vertu cognitive soit exempt de ce genre de choses par quoi il connaît, comme la pupille par nature n’est pas colorée. Ainsi en effet les couleurs sont connues en tant que leurs images sont reçues dans l’œil; ce qui perçoit doit être dépouillé des choses qu’il reçoit. Or l’intelligence connaît toutes les choses sensibles. Si donc elle connaissait par un organe corporel, il faudrait que cet organe soit dépouillé de toute nature sensible; Ce qui est impossible.

De même, toute faculté de connaissance connaît selon que l’image de la chose connue est en elle car cette image est pour elle principe de connaissance. Or l’intelligence connaît les choses sans la matière, même celles qui de leur nature sont faites de matière, en abstrayant la forme universelle des conditions matérielles individuantes. Il est donc impossible que l’image de la chose connue soit matériellement dans l’intelligence. Donc elle n’est pas reçue dans un organe corporel, car tout organe cor est matériel.

De même : les sens s’affaiblissent et se corrompent si leur objet est trop violent comme l’ouïe par des sons trop stridents ou la vue par des objets trop brillants; cela arrive parce que les éléments de l’organe sont atteints dans leur structure. Or l’intelligence se fortifie au contraire par l’excellence des choses intelligibles; car celui qui saisit des choses plus élevées n’est pas moins capable d’en comprendre d’autres, bien au contraire. Ainsi donc comme l’homme est intelligent et que penser pour lui ne se fait pas par un organe corporel il faut qu’il y ait une substance incorporelle par laquelle l’homme pense. Car ce qui peut opérer par soi-même sans un corps, sa substance aussi ne dépend pas du corps. En effet toutes les facultés et formes qui ne peuvent subsister par elles-mêmes sans un corps ne peuvent avoir d’opération sans un corps. En effet la chaleur ne chauffe pas en elle-même mais un corps qui est chaud donne de la chaleur. Donc cette substance incorporelle par laquelle l’homme pense est la plus humble dans le genre des substances intellectuelles et très proche de la matière.

 

 

Caput 80 [70117] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 80 tit. De differentia intellectus, et modo intelligendi


 [70118] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 80 Cum autem esse intelligibile sit supra esse sensibile, sicut intellectus supra sensum, ea autem quae sunt inferiora in entibus, imitantur ut possunt superiora, sicut corpora generabilia et corruptibilia imitantur aliquo modo circulationem caelestium corporum, necesse est et sensibilia intelligibilibus suo modo assimilari; et sic ex similitudine sensibilium utcumque possumus devenire in notitiam intelligibilium. Est autem in sensibilibus aliquid quasi supremum quod est actus, scilicet forma, et aliquid infimum quod est potentia tantum, scilicet materia, et aliquid medium, scilicet compositum ex materia et forma. Sic etiam in esse intelligibili considerandum est: nam supremum intelligibile, quod est Deus, est actus purus; substantiae vero intellectuales aliae sunt habentes aliquid de actu et de potentia secundum esse intelligibile; infima vero intellectualium substantiarum, per quam homo intelligit, est quasi in potentia tantum in esse intelligibili. Huic etiam attestatur quod homo invenitur a principio potentia tantum intelligens, et postmodum paulatim reducitur in actum; et inde est quod id per quod homo intelligit, vocatur intellectus possibilis.

Chapitre 80 — DIFFÉRENCE DANS L’INTELLECT ET LE MODE DE PENSER

Comme ce qui est intelligible est au-dessus de ce qui est sensible, tout comme l’intelligence est au-dessus des sens, ceux qui sont inférieurs parmi les êtres imitent autant que possible les êtres supérieurs, tels les corps engendrés et corruptibles qui en quelque sorte imitent le mouvement des corps célestes : il est donc nécessaire que ce qui est sensible soit à sa manière assimilé à ce qui est intelligible et ainsi par analogie nous pouvons des choses sensibles en arriver quelque peu à la connaissance des choses intelligibles. Or dans les choses sensibles il y a quelque chose quasi extrême qui est leur acte ou leur forme et quelque chose d’infime qui est uniquement potentialité soit la matière et il y a quelque chose de mixte soit le composé de matière et de forme. Ainsi aussi faut-il considérer l’être intelligible. Car l’intelligible suprême c’est Dieu qui est l’acte pur. Les autres substances intellectuelles selon l’être intelligible sont en possession d’acte et de potentialité; la plus humble des substances intelligibles, celle par quoi l’homme pense, est presque uniquement potentialité dans l’être intelligible. La preuve en est aussi que, au début, l’homme ne pense qu’en puissance seulement, et ensuite peu-à-peu il est amené à l’acte; de la vient que ce par quoi l’homme pense est appelé intellect possible.

 

 

Caput 81 [70119] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 81 tit. Quod intellectus possibilis in homine accipit formas intelligibiles a rebus sensibilibus


 [70120] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 81 Quia vero, ut dictum est, quanto substantia intellectualis est altior, tanto formas intelligibiles universaliores habet, consequens est ut intellectus humanus, quem possibilem diximus, inter alias intellectuales substantias formas habeat minus universales, et inde est quod formas intelligibiles a rebus sensibilibus accipit. Hoc etiam aliter consideranti manifestum esse potest. Oportet enim formam esse proportionatam susceptibili. Sicut igitur intellectus possibilis humanus inter omnes substantias intellectuales propinquior invenitur materiae corporali, ita necesse est quod eius formae intelligibiles rebus materialibus sint maxime propinquae.

Chapitre 81 — L’INTELLECT POSSIBLE DE L’HOMME REÇOIT LES FORMES INTELLIGIBLES A PARTIR DES CHOSES SENSIBLES

 

Parce que, comme on l’a vu (chapitre 76), plus une intelligence est élevée, plus universelles sont en elles les formes intelligibles, il s’en suit que l’intellect humain, que nous avons qualifié de possible, possédera parmi les autre substances intellectuelles des formes moins universelles, et de la vient qu’il reçoit les formes intelligibles à partir des choses sensibles.

On peut aussi envisager la chose sous un autre aspect. Il faut en effet que la forme Soit proportionnée à ce qui la reçoit. De même donc que l’intellect possible de l’homme parmi toutes les substances intellectuelles se trouve plus proche de la matière corporelle, ainsi est-il nécessaire que ses formes intelligibles soient les plus proches des choses matérielles.

 

 

Caput 82 [70121] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 82 tit. Quod homo indiget potentiis sensitivis ad intelligendum


 [70122] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 82 Considerandum autem quod formae in rebus corporeis particulares sunt, et materiale esse habentes; in intellectu vero universales sunt, et immateriales: quod quidem demonstrat intelligendi modus.
Intelligimus enim universaliter et immaterialiter. Modus autem intelligendi speciebus intelligibilibus, quibus intelligimus, necesse est quod respondeat. Oportet igitur, cum de extremo ad extremum non perveniatur nisi per medium, quod formae a rebus corporeis ad intellectum perveniant per aliqua media. Huiusmodi autem sunt potentiae sensitivae, quae formas rerum materialium recipiunt sine materia: fit enim in oculo species lapidis, sed non materia, recipiuntur tamen in potentiis sensitivis formae rerum particulariter, nam potentiis sensitivis non nisi particularia cognoscimus. Necesse igitur fuit hominem, ad hoc quod intelligat, etiam sensus habere. Huius autem signum est quod cui deficit unus sensus, deficit scientia sensibilium quae illo sensu comprehenduntur, sicut caecus natus de coloribus scientiam habere non potest.

Chapitre 82 — L’HOMME A BESOIN POUR PENSER DE PUISSANCES SENSITIVES

Il faut noter que les formes des choses corporelles sont particulières et ont un être matériel; mais dans l’intelligence elles sont universelles et immatérielles; c’est ce que démontre le mode de penser. Nous pensons en effet les choses universellement et immatériellement. Notre mode de penser doit nécessairement correspondre aux espèces intellectuelles par lesquelles nous pensons. Comme on ne passe d’un extrême à l’autre que par un milieu, il faut donc que les formes à partir des choses corporelles parviennent à l’intelligence par des intermédiaires. Or de cette nature sont les puissances sensitives qui reçoivent les formes des choses matérielles sans la matière; l’image de la pierre est dans l’oeil, mais non la matière; cependant les formes des choses sont reçues particulièrement dans les puissances sensitives; car par celles-ci nous connaissons seulement le particulier. Il fat donc nécessaire que l’homme pour penser ait aussi des sens.

La preuve en est que celui qui est privé d’un de ses sens ne peut connaître les choses sensibles qui sont saisies par ce sens, comme l’aveugle-né ne peut avoir la science des couleurs.

 

 

Caput 83 [70123] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 83 tit. Quod necesse est ponere intellectum agentem


 [70124] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 83 Inde manifestum fit quod scientia rerum in intellectu nostro non causatur per participationem aut influxum aliquarum formarum actu intelligibilium per se subsistentium, sicut Platonici posuerunt, et alii quidam ipsos sequentes, sed intellectus acquirit eam a rebus sensibilibus, mediantibus sensibus.
Sed cum in potentiis sensitivis formae rerum sint particulares, ut dictum est, non sunt intelligibiles actu, sed potentia tantum. Intellectus enim non nisi universalia intelligit. Quod autem est in potentia, non reducitur in actum nisi ab aliquo agente. Oportet igitur quod sit aliquod agens quod species in potentiis sensitivis existentes faciat intelligibiles actu. Hoc autem non potest facere intellectus possibilis, ipse enim magis est in potentia ad intelligibilia quam intelligibilium activus. Necesse est igitur ponere alium intellectum, qui species intelligibiles in potentia faciat intelligibiles actu, sicut lumen facit colores visibiles potentia, esse visibiles actu, et hunc dicimus intellectum agentem, quem ponere non esset necesse, si formae rerum essent intelligibiles actu, sicut Platonici posuerunt. Sic igitur ad intelligendum primo necessarius est nobis intellectus possibilis, qui est receptivus specierum intelligibilium; secundo intellectus agens qui facit intelligibilia actu. Cum autem intellectus possibilis iam fuerit per species intelligibiles perfectus, vocatur intellectus in habitu, cum species intelligibiles iam sic habet ut eis possit uti cum voluerit, medio quodam modo inter potentiam puram et actum completum. Cum vero praedictas species in actu completo habuerit, vocatur intellectus in actu. Sic enim actu intelligit res, cum species rei facta fuerit forma intellectus possibilis: propter quod dicitur quod intellectus in actu est intellectum in actu

Chapitre 83 — IL EST NÉCESSAIRE D’ADMETTRE L’EXISTENCE D’UN INTELLECT AGENT

De là ressort manifestement que la connaissance des choses dans notre intellect ne se fait pas par participation ou influx de quelques formes intelligibles en acte et subsistantes par elles-mêmes, comme les Platoniciens et leurs adeptes l’ont prétendu; mais cette connaissance l’intelligence l’acquiert à partir des choses sensibles par le moyen des sens; mais comme dans les puissances sensitives les formes des choses sont particulières, comme on l’a dit (chapitre 82) elles ne sont pas intelligibles en acte mais seulement en puissance. L’intelligence en effet ne pense que les choses universelles. Or ce qui est en puissance n’est amené à l’acte que par quelqu’agent qui fera que les images des facultés sensitives soient intelligibles en acte. C’est ce que ne peut faire l’intellect possible; lui en effet est plutôt en puissance aux intelligibles qu’actif à les rendre intelligibles. Il est donc nécessaire d’admettre un autre intellect qui fasse intelligibles en acte les espèces intelligibles en puissance, comme la lumière rend visibles en acte les couleurs visibles en puissance : et cet intellect nous l’appelons agent, qu’il ne faudrait pas poser, si les formes des choses étaient intelligibles en acte, comme le veulent les Platoniciens. Ainsi donc pour penser il faut d’abord un intellect possible capable de recevoir les espèces intelligibles, ensuite un intellect agent qui les fasse intelligibles en acte.

Une fois l’intellect possible en possession des espèces intelligibles, on l’appelle intellect habituel, lorsqu’il possède les espèces ainsi qu’il puisse s’en servir quand il veut, tenant en quelque sorte le milieu entre la pure puissance et l’acte complet. C’est alors qu’il est appelé intellect en acte lorsqu’il possède les espèces complètement en acte... Ainsi en effet il pense les choses en acte quand l’image de la chose sera devenue la forme de l’intellect possible. C’est pourquoi on dit que l’intellect en acte est la pensée en acte.

 

 

Caput 84 [70125] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 84 tit. Quod anima humana est incorruptibilis


 [70126] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 84 Necesse est autem secundum praemissa, intellectum quo homo intelligit, incorruptibilem esse. Unumquodque enim sic operatur secundum quod habet esse. Intellectus autem habet operationem in qua non communicat sibi corpus, ut ostensum est, ex quo patet quod est operans per seipsum. Ergo est substantia subsistens in suo esse. Ostensum est autem supra, quod substantiae intellectuales sunt incorruptibiles. Ergo intellectus quo homo intelligit, est incorruptibilis. Adhuc. Proprium subiectum generationis et corruptionis est materia. Intantum igitur unumquodque a corruptione recedit, inquantum recedit a materia: ea enim quae sunt composita ex materia et forma, sunt per se corruptibilia; formae autem materiales sunt corruptibiles per accidens, et non per se; formae autem immateriales, quae materiae proportionem excedunt, sunt incorruptibiles omnino. Intellectus autem omnino secundum suam naturam supra materiam elevatur, quod eius operatio ostendit: non enim intelligimus aliqua nisi per hoc quod ipsa a materia separamus. Est igitur intellectus secundum naturam incorruptibilis. Item. Corruptio absque contrarietate esse non potest, nihil enim corrumpitur nisi a suo contrario: unde corpora caelestia, in quibus non est contrarietas, sunt incorruptibilia. Sed contrarietas longe est a natura intellectus, in tantum quod ea quae secundum se sunt contraria, in intellectu contraria non sunt: est enim contrariorum ratio intelligibilis una, quia per unum intelligitur aliud. Impossibile est igitur quod intellectus sit corruptibilis.

Chapitre 84 — L’ÂME HUMAINE EST INCORRUPTIBLE

De ce qu’on vient de dire il est évident que l’intelligence par laquelle l’homme pense est incorruptible. Chaque agent en effet opère selon sa nature; or l’intelligence agit sans communication avec un corps comme on l’a vu (chapitre 79). C’est donc qu’elle agit par elle-même. Elle est donc une substance subsistant en son être. Or on a montré plus haut (chapitre 74) que les substances intellectuelles sont incorruptibles; donc l’intelligence par laquelle l’homme pense est incorruptible.

De plus : le sujet propre de la génération et de a corruption est la matière; plus donc une chose est éloignée de la corruption, plus elle est éloignée de la matière; car ce qui est composé de matière et de forme est de soi corruptible; les formes matérielles sont corruptibles par acquis dent et non de soi; les formes immatérielles, qui excèdent la matière sont absolument incorruptibles. Or l’intelligence selon sa nature s’élève absolument au-dessus de la matière, comme son opération le montre. En effet nous ne pensons rien que nous ne le séparions de la matière; l’intelligence est donc de sa nature incorruptible.

De même la corruption ne va pas sans son contraire; rien en effet ne se corrompt que par ce qui lui est contraire, d’où les corps célestes qui eux n’ont pas de contraires sont incorruptibles (chapitre 74). Mais la contrariété est étran gère à la nature de l’intelligence en tant que les choses qui sont de soi contraires ne le sont pas dans l’intelligence. En effet il est de la nature des contraires de ne se rapporter qu’à un seul concept, car l’un fait comprendre l’autre[26]. Il est donc impossible que l’intelligence soit corruptible.

 

 

Caput 85 [70127] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 85 tit. De unitate intellectus possibilis


 [70128] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 85 Forte autem aliquis dicet, quod intellectus quidem incorruptibilis est, sed est unus in omnibus hominibus, et sic quod post corruptionem omnium hominum remanet, non est nisi unum. Quod autem sit unus tantum intellectus in omnibus, multipliciter adstrui potest. Primo quidem ex parte intelligibilis. Quia si est alius intellectus in me, alius in te, oportebit quod sit alia species intelligibilis in me, et alia in te, et per consequens aliud intellectum quod ego intelligo, et aliud quod tu. Erit ergo intentio intellecta multiplicata secundum numerum individuorum, et ita non erit universalis, sed individualis. Ex quo videtur sequi quod non sit intellecta in actu, sed in potentia tantum: nam intentiones individuales sunt intelligibiles in potentia, non in actu. Deinde quia, cum ostensum sit quod intellectus est substantia subsistens in suo esse, substantiae autem intellectuales plures numero non sint in specie una, ut supra etiam ostensum est, sequitur quod si alius est intellectus in me et alius in te secundum numerum, quod sit etiam alius specie, et sic ego et tu non sumus eiusdem speciei. Item. Cum in natura speciei omnia individua communicent, oportet poni aliquid praeter naturam speciei, secundum quod ab invicem individua distinguuntur. Si igitur in omnibus hominibus est unus intellectus secundum speciem, plures autem secundum numerum, oportet ponere aliquid quod faciat numero differre unum intellectum ab alio. Hoc autem non potest esse aliquid quod sit de substantia intellectus, cum intellectus non sit compositus ex materia et forma. Ex quo sequitur quod omnis differentia quae accipi posset secundum id quod est de substantia intellectus, sit differentia formalis et diversificans speciem. Relinquitur ergo quod intellectus unius hominis non possit esse alius numero ab intellectu alterius, nisi propter diversitatem corporum. Corruptis ergo corporibus diversis, videtur quod non remaneant plures intellectus, sed unus tantum. Hoc autem quod impossibile sit, evidenter apparet. Ad quod ostendendum, procedendum est sicut proceditur contra negantes principia, ut ponamus aliquid quod omnino negari non possit. Ponamus igitur quod hic homo, puta Socrates vel Plato, intelligat: quod negare non posset respondens, nisi intelligeret esse negandum. Negando igitur ponit: nam affirmare et negare intelligentis est. Si autem hic homo intelligit, oportet quod id quo formaliter intelligit, sit forma eius, quia nihil agit nisi secundum quod est actu. Illud ergo quo agit agens, est actus eius, sicut calor quo calidum calefacit, est actus eius. Intellectus igitur quo homo intelligit, est forma huius hominis, et eadem ratione illius. Impossibile est autem quod forma eadem numero sit diversorum secundum numerum, quia diversorum secundum numerum, non est idem esse. Unumquodque autem habet esse per suam formam. Impossibile est igitur quod intellectus quo homo intelligit, sit unus in omnibus. Huius autem rationis difficultatem aliqui cognoscentes, conantur invenire viam evadendi. Dicunt enim, quod intellectus possibilis, de quo supra est habitum, recipit species intelligibiles, quibus fit in actu. Species autem intelligibiles sunt quodammodo in phantasmatibus. Inquantum igitur species intelligibilis est in intellectu possibili et in phantasmatibus quae sunt in nobis, intantum intellectus possibilis continuatur et unitur nobiscum, ut sic per ipsum intelligere possimus. Haec autem responsio omnino nulla est. Primo quidem, quia species intelligibilis secundum quod est in phantasmatibus, est intellecta in potentia tantum, secundum autem quod est in intellectu possibili, est intellecta in actu. Secundum igitur quod est in intellectu possibili non est in phantasmatibus, sed magis a phantasmatibus abstracta. Nulla ergo remanet unio intellectus possibilis ad nos. Deinde dato quod sit aliqua unio, non tamen sufficeret ad hoc quod faceret nos intelligentes. Per hoc enim quod species alicuius est in intellectu, non sequitur quod se ipsum intelligat, sed quod intelligatur: non enim lapis intelligit, etiam si eius species sit in intellectu possibili. Neque igitur per hoc quod species phantasmatum quae sunt in nobis, sunt in intellectu possibili, sequitur quod nos simus intelligentes, sed magis quod nos simus intellecti, vel potius phantasmata quae sunt in nobis. Hoc autem evidentius apparet, si quis consideret comparationem quam facit Aristoteles in III de anima, dicens, quod intellectus se habet ad phantasmata sicut visus ad colores. Manifestum est autem quod per hoc quod species colorum qui sunt in pariete, sunt in visu, non habet paries quod videat, sed magis videatur. Neque ergo etiam ex hoc quod species phantasmatum quae sunt in nobis, fiunt in intellectu, sequitur quod nos simus intelligentes, sed quod simus intellecti. Amplius, si nos per intellectum formaliter intelligimus, oportet quod ipsum intelligere intellectus, sit intelligere hominis, sicut eadem est calefactio ignis et caloris. Si igitur idem est intellectus numero in me et in te, sequitur de necessitate quod respectu eiusdem intelligibilis sit idem intelligere meum et tuum, dum scilicet simul aliquid idem intelligimus; quod est impossibile: non enim diversorum operantium potest esse una et eadem numero operatio. Impossibile est igitur quod sit unus intellectus in omnibus. Sequitur ergo quod si intellectus est incorruptibilis, ut ostensum est, quod destructis corporibus remaneant plures intellectus secundum numerum hominum. Ea vero quae in contrarium obiiciuntur, facile est solvere. Prima enim ratio multipliciter deficit. Primo quidem concedimus idem esse intellectum ab omnibus hominibus: dico autem intellectum id quod est intellectus obiectum; obiectum autem intellectus non est species intelligibilis, sed quidditas rei. Non enim scientiae intellectuales omnes sunt de speciebus intelligibilibus, sed sunt de naturis rerum, sicut etiam obiectum visus est color, non species coloris, quae est in oculo. Quamvis igitur sint plures intellectus diversorum hominum, non tamen est nisi unum intellectum apud omnes, sicut unum coloratum est quod a diversis inspicientibus videtur. Secundo, quia non est necessarium, si aliquid est individuum, quod sit intellectum in potentia et non in actu, sed hoc est verum in illis tantum quae individuantur per materiam: oportet enim illud quod est intellectum in actu, esse immateriale. Unde substantiae immateriales, licet sint quaedam individua per se existentia, sunt tamen intellecta in actu: unde et species intelligibiles, quae sunt immateriales, licet sint aliae numero in me et in te, non propter hoc perdunt quin sint intelligibiles actu; sed intellectus intelligens per eas suum obiectum reflectitur supra se ipsum intelligendo ipsum suum intelligere, et speciem qua intelligit. Deinde considerandum est, quod si ponatur unus intellectus omnium hominum, adhuc est eadem difficultas, quia adhuc remanet multitudo intellectuum, cum sint plures substantiae separatae intelligentes, et ita sequeretur secundum eorum rationem quod intellecta essent secundum numerum diversa, et per consequens individualia, et non intellecta in actu primo. Patet igitur quod praemissa ratio si aliquid necessitatis haberet, auferret pluralitatem intellectuum simpliciter, et non solum in hominibus. Unde cum haec conclusio sit falsa, manifestum est quod ratio non ex necessitate concludit. Secunda ratio solvitur facile, si quis consideret differentiam intellectualis animae ad substantias separatas. Anima enim intellectiva ex natura suae speciei hoc habet ut uniatur alicui corpori ut forma, unde et in definitione animae cadit corpus, et propter hoc secundum habitudinem ad diversa corpora diversificantur animae secundum numerum, quod non est in substantiis separatis. Ex quo etiam patet qualiter tertia ratio sit solvenda. Non enim anima intellectiva ex natura suae speciei habet corpus partem sui, sed unibilitatem ad ipsum: unde per hoc quod est unibilis diversis corporibus, diversificatur secundum numerum, quod etiam manet in animabus, corporibus destructis: sunt enim unibiles corporibus diversis, licet non actu unitae.

Chapitre 85 — N’Y A-T-IL QU’UN INTELLECT POSSIBLE ?

Quelqu’un dira peut-être que sans doute l’intelligence est incorruptible mais qu’elle est une pour tous les hommes. Et ce qui reste après la corruption de toute l’humanité ne peut être qu’une seule chose (une seule intelligence). Or qu’il n’y ait qu’un seul intellect pour tous peut être démontré de beaucoup de manières : on nous dira donc d’abord du côté de l’intelligible que si autre est mon intellect et autre le tien, il faudra que soit différente l’image intelligible chez toi et chez moi et par conséquent autre ma pensée et autre la tienne. Le contenu de pensée[27] sera donc multiplié selon le nombre des individus et ainsi il ne sera pas universel mais individuel. D’où il paraît que cette pensée n’est pas en acte mais en puissance; car les contenus individuels sont intelligibles en puissance, et non pas en acte. Ensuite, comme on l’a montré, l’intelligence est une substance subsistant en son être (chapitre 74 et 79); or les substances intellectuelles ne sont pas multiples dans une même espèce, comme on l’a montré plus haut (chapitre 77); il s’en suit que si autre est l’intelligence en moi, et autre en toi numériquement qu’elle est aussi d’une autre espèce et nous ne sommes donc pas de la même espèce. De même : comme dans une même nature spécifique tous les individus communiquent, il faut au-delà de cette nature poser quelque chose qui distingue les individus entre eux. Si donc chez tous les hommes il y a un seul intellect selon l’espèce et plusieurs numériquement[28], il faut admettre quelque chose qui fasse qu’un intellect diffère d’un autre; or cela ne peut se trouver dans la substance de l’intellect qui n’est pas composé de matière et de forme. D’où il suit que toute différence possible selon la substance est une différence formelle et diversifiant l’espèce. Il reste donc que l’intelligence d’un homme ne peut différer numériquement de l’intelligence d’un autre si ce n’est à cause dé la diversité des corps. Donc une fois corrompus il semble bien qu’il ne reste plus plusieurs intelligences, mais une seule.

Que tout cela soit impossible c’est l’évidence même. Pour le montrer il faut procéder comme on le fait avec ceux qui nient les principes, en affirmant une chose qu’on ne peut absolument pas nier. Nous supposons donc que cet homme que voici, Socrate ou Platon, pense; ce que notre objectant ne peut nier que s’il admet la possibilité de mer. Donc tout en niant il admet; car affirmer et nier est le fait de celui qui pense. Si donc cet homme pense il faut que ce qu’il pense formellement soit sa forme, car rien n’agit qu’en étant en acte. Ce que donc l’agent fait est son acte, comme la chaleur est l’acte de ce qui produit la chaleur. Donc l’intelligence par laquelle l’homme pense est la forme de cet homme, comme aussi de l’autre. Or il est impossible que la même forme numériquement le soit de divers numériquement, car ces choses qui sont diverses numériquement n’ont pas le même être; chacune a son être par sa forme. Il est donc impossible que l’intelligence par laquelle l’homme pense soit la même et unique chez tous.

Se rendant compte de la difficulté de pouvoir y répondre certains tentent d’y échapper. Ils disent en effet que l’intellect possible, dont on a traité plus haut (chapitre 81) entre en acte par les espèces intelligibles qu’il reçoit. Or ces espèces sont d’une certaine façon dans des phantasmes. En tant donc que l’image intelligible se trouve dans l’intellect possible, et dans les phantasmes qui sont en nous, par là même il y a un lien direct et une union entre l’intellect possible et nous, de sorte que par lui tous puis sent penser.

Cette réponse est tout à fait nulle. D’abord parce que l’image intelligible selon qu’elle se trouve dans les phantasmes n’est pensée qu’en puissance; or selon qu’elle est dans l’intellect possible, elle est pensée en acte; elle n’est donc plus dans les phantasmes mais plutôt abstraite à partir de ceux-ci; il n’y a donc plus d’union de l’intellect possible avec nous. Ensuite, même s’il y avait quelqu’union elle ne serait pas capable de nous faire penser. Car de ce que l’image intelligible d’une chose se trouve dans l’intellect il ne s’en suit pas que cette chose se connaisse mais seulement qu’elle est connue; en effet la pierre ne pense pas, même si son image est dans l’intellect possible. Donc de ce que les images des phantasmes qui sont en nous soient aussi dans l’intellect possible il ne s’en suit pas que nous sommes pensant mais plutôt pensés, ou mieux encore, les phantasmes qui sont en nous. Cela devient encore plus évident si on considère la comparaison d’Aristote au livre 3 "de anima" que l’intellect est aux phantasmes comme la vue aux couleurs. Or il e manifeste de ce que les images des couleurs qui sont sur la muraille sont dans l’oeil que ce n’est pas la muraille qui voit mais qu’elle est plutôt vue. Donc aussi de ce que les images des phantasmes qui sont en nous se produisent dans l’intellect il ne s’en suit pas que nous sommes pensants mais que nous sommes pensés. De plus si nous pensons formellement par l’intelligence, il faut que la pensée même de l’intelligence soit la pensée de l’homme comme c’est la même chaleur du feu et de qui chauffe. Si donc l’intellect est le même en toi et moi numériquement il s’en suit nécessairement que par rapport au même intelligible ma pensée et la tienne soit la même, c’est-à-dire que nous pensons en même temps même chose; ce qui est impossible; en effet de divers agents il n’y a pas d’opération une et même numériquement. Il est donc impossible qu’il y ait un seul pour tous. On en conclut donc que si l’intellect est incorruptible, comme on l’a montré (chapitre 84), les corps étant détruits, il reste autant d’intellects numériquement qu’il y a d’hommes.

Ce qu’on apporte de contraire est facilement réfutable. La première raison apportée est plus d’une fois déficiente. D’abord nous voulons bien admettre que tous les hommes pensent de même, j’entends par là l’objet de leur pensée : or cet objet de l’intellect n’est pas l’image intelligible mais la quiddité de la chose, c’est-à-dire ce qu’elle est. En effet toutes les connaissances intellectuelles ne sont pas des espèces intellectuelles, mais elles portent sur la nature des choses, comme aussi l’objet de la vue est la couleur (telle qu’elle existe) et non l’image de la couleur qui est dans l’oeil. Donc bien qu’il y ait plusieurs intellects de divers hommes, il n’y a cependant qu’une chose pensée chez tous, de même qu’il n’y a qu’une seule chose colorée que plusieurs observent.

Ensuite parce qu’il n’est pas nécessaire, si quelque chose est individuel, qu’il soit pensé en puissance et non en acte, mais cela est vrai seulement pour ces choses qui sont individualisées par la matière; il faut en effet que ce qui est pensé en acte soit immatériel. C’est pourquoi les substances immatérielles bien qu’elles soient des individus existant en soi, sont cependant pensées en acte; d’où les images intelligibles aussi qui sont immatérielles, bien qu’elles soient autres numériquement en moi et en toi, n’en conservent pas moins leur intelligibilité en acte. Mais l’intellect qui par elles pense son objet fait retour sur lui- même pensant sa propre pensée et l’image par laquelle il pense.

Ensuite qu’on y pense bien, même si l’on admet une seule intelligence pour tous les hommes, on est devant la même difficulté. Car la multitude des intellects demeure, puisqu’il y a plusieurs substances séparées qui pensent; et ainsi il s’en suivrait, selon leur raison, que les choses pensées seraient numériquement diverses et par conséquent individuelles et non pas pensées directement en acte. Il est donc clair que la raison invoquée si elle avait quelque nécessité enlèverait tout simplement la pluralité des intelligences et non seulement chez les hommes. Or une telle conclusion est fausse et donc une telle raison ne conclut nullement.

La deuxième raison se résout facilement si l’on considère la différence entre l’âme intellectuelle et les substances séparées. En effet l’âme intellective par sa nature spécifique a d’être unie à un corps comme sa forme. D’où dans sa définition intervient le corps; et à cause de cela d’après leur relation à divers corps les âmes se diversifient numériquement; ce qui n’est pas le cas pour les substances séparées.

De là doit se résoudre la troisième raison. En effet l’âme intellective de par sa nature spécifique ne fait pas partie avec le corps, mais lui est unie. D’où comme elle peut être unie à divers corps se diversifie-t-elle numériquement; ce qui aussi subsiste dans les âmes après la destruction des corps. Elles peuvent en effet s’unir à divers corps, bien que non unies en acte.

 

 

Caput 86 [70129] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 86 tit. De intellectu agente, quod non est unus in omnibus


 [70130] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 86 Fuerunt autem quidam, qui licet concederent intellectum possibilem diversificari in hominibus, posuerunt tamen intellectum agentem unum respectu omnium esse. Quae quidem opinio licet sit tolerabilior quam praemissa, similibus tamen rationibus confutari potest. Est enim actio intellectus possibilis recipere intellecta et intelligere ea; actio autem intellectus agentis facere intellecta in actu abstrahendo ipsa. Utrumque autem horum huic homini convenit: nam hic homo, ut Socrates vel Plato, et recipit intellecta, et abstrahit, et intelligit abstracta. Oportet igitur quod tam intellectus possibilis quam intellectus agens uniatur huic homini ut forma, et sic oportet quod uterque multiplicetur numero secundum numerum hominum. Item. Agens et patiens oportet esse ad invicem proportionata, sicut materia et forma, nam materia fit in actu ab agente; et inde est quod cuilibet potentiae passivae respondet potentia activa sui generis. Actus enim et potentia unius generis sunt. Intellectus autem agens comparatur ad possibilem sicut potentia activa ad passivam, ut ex dictis patet. Oportet igitur utrumque esse unius generis. Cum igitur intellectus possibilis non sit secundum esse separatus a nobis, sed unitus nobis ut forma, et multiplicetur secundum multitudinem hominum, ut ostensum est, necesse est etiam quod intellectus agens sit aliquid unitum nobis formaliter, et multiplicetur secundum numerum hominum.

Chapitre 86 — L’INTELLECT AGENT N’EST PAS UNIQUE POUR TOUS

Il y en a qui tout en ne concédant pas un intellect possible unique pour tous les hommes admettent cependant un intellect agent unique pour tous. Cette opinion quoi que plus admissible que la précédente, peut cependant se réfuter par les mêmes arguments. En effet l’action de l’intellect possible est de recevoir les espèces intelligibles et de les comprendre; or l’activité de l’intellect agent est d’effectuer les espèces intelligibles en les abstrayant. L’une et l’autre chose conviennent à tel homme, soit Pla ton, soit Socrate; et il reçoit ce qui est compris, il l’abs trait et il comprend cette abstraction. Il faut donc que tant l’intellect possible que l’intellect agent deviennent la forme de cet homme et que tous deux soient multipliés numériquement pour le nombre d’hommes.

De même. L’agent et le patient doivent se correspondre, comme la matière et la forme, car la matière est actuée par la forme; et de la vient que pour toute puissance passive correspond une puissance active du même genre. En effet l’acte et la puissance sont de même genre. L’intellect agent peut se comparer à l’intellect possible comme puissance active, comme on l’a montré (chapitre 83). Il faut donc que tous deux soient du même genre. Puis donc que l’intellect possible dans son être n’est pas séparé de nous, mais fait un avec nous comme forme, et est multiplié selon la multitude des hommes, comme on l’a montré (chapitre 85), il est aussi nécessaire que l’intellect agent nous soit formellement uni et qu’il le soi autant de fois qu’il y a d’hommes.

 

 

Caput 87 [70131] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 87 tit. Quod intellectus possibilis et agens fundantur in essentia animae


 [70132] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 87 Cum autem intellectus agens et possibilis nobis formaliter uniantur, necesse est dicere quod in eadem essentia animae conveniant.
Omne enim quod alicui unitur formaliter, unitur ei per modum formae substantialis, aut per modum formae accidentalis. Si igitur intellectus possibilis et agens uniantur homini per modum formae substantialis, cum unius rei non sit nisi una forma substantialis, necesse est dicere quod intellectus possibilis et agens conveniant in una essentia formae, quae est anima. Si vero uniantur homini per modum formae accidentalis, manifestum est quod neutrum potest esse accidens corpori; et ex hoc quod operationes eorum sunt absque organo corporali, ut supra ostensum est, sequitur quod uterque eorum sit accidens animae. Non est autem in uno homine nisi una anima. Oportet igitur quod intellectus agens et possibilis in una essentia animae conveniant. Item. Omnis actio quae est propria alicui speciei, est a principiis consequentibus formam quae dat speciem. Intelligere autem est operatio propria humanae speciei. Oportet igitur quod intellectus agens et possibilis, qui sunt principia huius operationis, sicut ostensum est, consequantur animam humanam, a qua homo habet speciem. Non autem sic consequuntur eam quasi ab ipsa procedentia in corpus, quia, ut ostensum est, praedicta operatio est sine organo corporali. Cuius autem est potentia, eius et actio. Relinquitur ergo quod intellectus possibilis et agens conveniant in una essentia animae.

Chapitre 87 — L’INTELLECT POSSIBLE ET L’INTELLECT AGENT S’ENRACINENT DANS L’ESSENCE DE L’ÂME

Puisque l’intellect agent et l’intellect possible nous sont formellement unis il faut dire qu’ils sont dans la seule et même essence de l’âme. En effet tout ce qui est formellement uni à un autre lui est uni comme forme substantielle ou comme forme accidentelle. Si c’est comme forme substantielle, comme il ne peut y avoir qu’une forme substantielle d’une chose, il est nécessaire de dire que les intellects possible et agent sont une seule essence formelle qui est l’âme. Si l’on supposait qu’ils sont unis à l’homme par mode de forme accidentelle il devient manifeste qu’aucun des deux ne peut être accident du corps; et de ce que leurs Opérations se font sans organe corporel, comme on l’a montré (chapitre 74) il s’en suit que l’un et l’autre est accident pour l’âme. Or il n’y a en tout homme qu’une âme. Il faut donc que les intellects agent et possible se rencontrent en la même essence de l’âme. De même. Toute action qui est propre à une espèce vient des principes consécutifs à la forme qui donne l’espèce. Or penser est une opération propre à l’espèce humaine. Il faut donc que les intellects agent et possible, qui sont les principes de cette opération (chapitres 79 et 83) soient consécutifs à l’âme humaine de laquelle l’homme tient son espèce. Mais ils ne lui sont pas consécutifs comme s’ils procédaient de l’âme dans le corps parce que comme on l’a vu (chapitre 79) cette opération se fait sans organe corporel. Or ce à quoi est la puissance, à cela aussi est l’action. Il reste donc que les deux intellects s’enracinent dans l’essence même de l’âme.

 

 

Caput 88 [70133] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 88 tit. Qualiter istae duae potentiae conveniant in una essentia animae


 [70134] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 88 Considerandum autem relinquitur quomodo hoc possit esse.
Videtur enim circa hoc aliqua difficultas suboriri. Intellectus enim possibilis est in potentia ad omnia intelligibilia. Intellectus autem agens facit intelligibilia in potentia esse intelligibilia in actu, et sic oportet quod comparetur ad ea sicut actus ad potentiam. Non videtur autem possibile quod idem respectu eiusdem sit in potentia et in actu. Sic igitur impossibile videtur quod in una substantia animae conveniant intellectus possibilis et agens. Haec autem dubitatio de facili solvitur, si quis consideret qualiter intellectus possibilis sit in potentia respectu intelligibilium, et qualiter intellectus agens faciat ea esse in actu. Est enim intellectus possibilis in potentia ad intelligibilia secundum quod non habet in sui natura aliquam determinatam formam rerum sensibilium, sicut pupilla est in potentia ad omnes colores. Inquantum ergo phantasmata a rebus sensibilibus abstracta sunt similitudines determinatarum rerum sensibilium, comparantur ad intellectum possibilem sicut actus ad potentiam: sed tamen phantasmata sunt in potentia ad aliquid quod anima intellectiva habet in actu, scilicet esse abstractum a materialibus conditionibus. Et quantum ad hoc anima intellectiva comparatur ad ipsam ut actus ad potentiam. Non est autem inconveniens quod aliquid respectu eiusdem sit in actu et in potentia secundum diversa: propter hoc enim naturalia corpora agunt et patiuntur ad invicem, quia utrumque est in potentia respectu alterius. Sic igitur non est inconveniens quod eadem anima intellectiva sit in potentia respectu omnium intelligibilium, prout ponitur in ea intellectus possibilis, et comparetur ad ea ut actus, prout ponitur in ea intellectus agens. Et hoc manifestius apparebit ex modo quo intellectus facit intelligibilia in actu. Non enim intellectus agens sic facit intelligibilia in actu quasi ab ipso effluant in intellectum possibilem. Sic enim non indigeremus phantasmatibus et sensu ad intelligendum; sed facit intelligibilia in actu abstrahendo ea a phantasmatibus, sicut lumen facit quodammodo colores in actu, non quasi habeat eos apud se, sed inquantum dat eis quodammodo visibilitatem. Sic igitur aestimandum est unam esse animam intellectivam quae caret naturis rerum sensibilium et potest eas recipere per modum intelligibilem, et quae phantasmata facit intelligibilia in actu abstrahendo ab eis species intelligibiles. Unde potentia eius secundum quam est receptiva intelligibilium specierum, dicitur intellectus possibilis; potentia autem eius secundum quam abstrahit species intelligibiles a phantasmatibus, vocatur intellectus agens, qui est quasi quoddam lumen intelligibile, quod anima intellectiva participat ad imitationem superiorum substantiarum intellectualium.

Chapitre 88 — COMMENT CES DEUX PUISSANCES SE TROUVENT DANS UNE MÊME ESSENCE DE L’ÂME

Il reste donc à considérer comment cela peut se faire. Ici en effet une difficulté se soulève. L’intellect possible est en puissance à tous les intelligibles. Or l’intellect agent fait que les choses intelligibles en puissance soient intelligibles en acte et donc il faut qu’il soit à ces choses comme l’acte à la puissance. Or il ne paraît pas possible que le même soit en acte et en puissance par rapport au même. Ainsi donc il semble impossible que dans une même substance de l’âme se rencontrent intellect agent et intellect possible.

Mais on résout facilement cette difficulté si l’on considère comment l’intellect possible est en puissance par rap port aux choses intelligibles et comment l’intellect agent Y les fait être en acte. En effet l’intellect possible n’a pas naturellement de forme déterminée des choses sensibles il est comme l’oeil qui est en puissance à toutes les couleurs. Pour autant donc que les phantasmes abstraits des choses sensibles sont des ressemblances de ces choses, ils sont à l’intellect possible comme l’acte à la puissance mais ces phantasmes sont en puissance à quelque chose que l’âme intellective a en acte, c’est-à-dire l’être abstrait des conditions matérielles. Et quant à cela l’âme intellective est à elle-même comme l’acte à la puissance. Or il n’y a pas d’inconvénient que le même par rapport au même soit en acte et en puissance selon la différence des points de vue; c’est pour cela en effet que les corps naturels agissent et pâtissent l’un sur l’autre parce que chacun des deux est en puissance par rapport à l’autre. Ainsi donc il n’y a pas d’inconvénient que la même âme intellective soit en puissance à tous les intelligibles, selon qu’on met en elle un intellect possible et qu’elle leur soit comparée comme acte, selon qu’on met en elle un intellect agent. Et cela apparaîtra plus manifeste par la manière dont l’intellect fait les intelligibles en acte. En effet l’intellect agent ne fait pas que les intelligibles soient en acte comme s’ils s’écoulaient de lui dans l’intellect possible. Alors en effet nous n’aurions pas besoin de phantasmes ni de sens pour connaître; mais il les rend intelligibles en acte par abstraction des phantasmes, comme la lumière fait en quelque sorte que les couleurs soient actuées, non comme si elle les avait auprès d’elle, mais en tant qu’elle leur donne en quelque sorte la visibilité.

Ainsi donc faut-il admettre l’existence d’une âme intellective qui sans posséder en elle la nature des choses sensibles peut les recevoir par mode intelligible et qui rend les phantasmes intelligibles en abstrayant de ceux-ci les espèces intelligibles. D’où la puissance selon laquelle elle reçoit les espèces intelligibles est appelée intellect possible et la puissance selon laquelle elle abstrait les mêmes espèces de leurs phantasmes est appelée intellect agent, qui est comme une lumière intelligible à laquelle l’âme intellective participe en ressemblance des substances intellectuelles supérieures[29].

 

 

Caput 89 [70135] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 89 tit. Quod omnes potentiae in essentia animae radicantur


 [70136] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 89 Non solum autem intellectus agens et possibilis in una essentia animae humanae conveniunt, sed etiam omnes aliae potentiae, quae sunt principia operationum animae. Omnes enim huiusmodi potentiae quodammodo in anima radicantur: quaedam quidem, sicut potentiae vegetativae et sensitivae partis, in anima sunt sicut in principio, in coniuncto autem sicut in subiecto, quia earum operationes coniuncti sunt, et non solum animae: cuius est enim actio, eius est potentia; quaedam vero sunt in anima sicut in principio et in subiecto, quia earum operationes sunt animae absque organo corporali, et huiusmodi sunt potentiae intellectivae partis.
Non est autem possibile esse plures animas in homine. Oportet igitur quod omnes potentiae animae ad eamdem animam pertineant.

Chapitre 89 — TOUTES LES PUISSANCES ONT LEUR RACINE DANS L’ÂME

Ce ne sont pas seulement les intellects agent et possible qui se rencontrent en la même essence de l’âme, mais encore toutes les autres puissances qui sont les principes de l’activité de l’âme. Toutes ces Puissances en effet sont comme enracinées dans l’âme; certaines comme les puissances de la partie végétative et sensitive, sont dans l’âme comme en leur principe, dans le composé comme en leur sujet parce que les opérations sont du composé et pas seulement de l’âme, car l’action appartient à la puissance Certaines puissances sont dans l’âme, et comme leur principe et comme leur sujet, parce que leur activité vient de l’âme sans organe corporel et ce sont les opérations de la partie intellective Or il ne peut y avoir Plusieurs âmes dans l’homme. Donc toutes les puissances de l’âme ressortissent à une même âme.

 

 

Caput 90 [70137] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 90 tit. Quod unica est anima in uno corpore


 [70138] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 90 Quod autem impossibile sit esse plures animas in uno corpore, sic probatur.
Manifestum est enim animam esse formam substantialem habentis animam, ex hoc quod per animam animatum genus et speciem sortitur. Impossibile est autem plures formas substantiales eiusdem esse rei. Forma enim substantialis in hoc differt ab accidentali, quia forma substantialis facit esse hoc aliquid simpliciter; forma autem accidentalis advenit ei quod iam est hoc aliquid, et facit ipsum esse quale vel quantum, vel qualiter se habens. Si igitur plures formae substantiales sint unius et eiusdem rei, aut prima earum facit hoc aliquid, aut non. Si non facit hoc aliquid, non est forma substantialis. Si autem facit hoc aliquid, ergo omnes formae consequentes adveniunt ei quod iam est hoc aliquid. Nulla igitur consequentium erit forma substantialis, sed accidentalis. Sic igitur patet quod impossibile est formas substantiales esse plures unius et eiusdem rei. Neque igitur possibile est plures animas in uno et eodem esse. Adhuc: patet quod homo dicitur vivens secundum quod habet animam vegetabilem, animal autem secundum quod habet animam sensitivam, homo autem secundum quod habet animam intellectivam. Si igitur sunt tres animae in homine, scilicet vegetabilis, sensibilis et rationalis, sequitur quod homo secundum aliam animam ponatur in genere, et secundum aliam speciem sortiatur. Hoc autem est impossibile: sic enim ex genere et differentia non fieret unum simpliciter, sed unum per accidens, vel quasi congregatum, sicut musicum et album, quod non est esse unum simpliciter. Necesse est igitur in homine unam tantum animam esse.

Chapitre 90 — UNE SEULE ÂME EN UN SEUL CORPS

Qu’il soit impossible qu’il y aient plusieurs âmes en un seul corps en Voici la preuve. Il est manifeste en effet que l’âme est la forme substantielle de celui qui a une âme, en ce que par l’âme ce qui est animé obtient genre et espèce. Or il est impossible qu’il y ait Plusieurs formes substantielles dans le même être d’une chose. En effet la forme substantielle diffère de la forme accidentelle en ce que la forme substantielle fait ce quelque chose simplement; et la forme accidentelle est adjointe à ce qui est déjà ce quelque chose : elle lui donne la qualité, la quantité ou toute autre qualification. Si donc une seule et même chose a plusieurs formes substantielles, la première fait ou ne fait pas ce quelque chose : si elle ne le fait pas, elle n’est pas la forme substantielle; si elle le fait, toutes les autres formes adviennent à ce qui est déjà ce quelque chose; aucune donc n’en sera forme substantielle mais accidentelle. Si cela est, appliquant la chose à l’âme il n’est pas possible qu’il y ait plusieurs âmes dans un seul et même être. Encore. Il est clair que l’homme est vivant en tant qu’ayant une âme végétative; il est animal selon son âme sensitive; il est homme selon son âme intellective. Si donc il y avait trois âmes en l’homme, c’est-à-dire végétative, sensitive et intellective il s’en suivrait que l’homme selon une âme serait dans le genre et que selon une autre âme il serait de l’espèce. Or cela est impossible; alors en effet il ne serait pas simplement par le genre et l’espèce, mais un par accident, ou comme un assemblage, comme musicien blanc, ce qui n’est pas être simplement. Il est donc nécessaire qu’il n’y ait qu’une seule âme en l’homme.

 

 

Caput 91 [70139] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 91 tit. Rationes quae videntur probare quod in homine sunt plures animae


 [70140] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 91 Videntur autem quaedam huic sententiae adversari. Primo quidem quia differentia comparatur ad genus ut forma ad materiam.
Animal autem est genus hominis, rationale autem est differentia constitutiva eius. Cum igitur animal sit corpus animatum anima sensitiva, videtur quod corpus animatum anima sensitiva adhuc sit in potentia respectu animae rationalis, et sic anima rationalis esset anima alia a sensitiva. Item. Intellectus non habet organum corporale; sensitivae autem potentiae et nutritivae habent organum corporale. Impossibile igitur videtur quod eadem anima sit et intellectiva et sensitiva, quia non potest esse idem separatum et non separatum. Adhuc. Anima rationalis est incorruptibilis, ut supra ostensum est, vegetabilis autem anima et sensibilis sunt corruptibiles, quia sunt actus corruptibilium organorum. Non est igitur eadem anima vegetabilis et sensibilis et rationalis, cum impossibile sit idem esse corruptibile et incorruptibile. Praeterea. In generatione hominis apparet vita, quae est per animam vegetabilem, antequam conceptum appareat esse animal per sensum et motum, et prius demonstratur animal esse per motum et sensum quam habeat intellectum. Si igitur est eadem anima per quam conceptum primo vivit vita plantae, secundo vita animalis, et tertio vita hominis, sequeretur quod vegetabilis, sensibilis et rationalis sint ab exteriori principio, vel etiam intellectiva sit ex virtute quae est in semine. Utrumque autem horum videtur inconveniens: quia cum operationes animae vegetabilis et sensibilis non sint sine corpore, nec earum principia sine corpore possunt esse; operatio autem animae intellectivae est sine corpore, et sic impossibile videtur quod aliqua virtus in corpore sit eius causa. Impossibile igitur videtur quod eadem anima sit vegetabilis, sensibilis et rationalis.

Chapitre 91 — LES RAISONS QUI SEMBLERAIENT INDIQUER QU’IL Y AURAIT PLUSIEURS ÂMES DANS L’HOMME

 

Certains motifs sembleraient s’opposer à cette sentence.

Parce que la différence est au genre comme la forme à la matière. Or l’animal est le genre chez l’homme, le rationnel est la différence qui le Constitue. Comme donc l’animal est un corps animé par une âme sensitive, il semble que le corps ainsi animé soit encore en puissance à l’âme rationnelle; et celle-ci serait donc autre que l’âme sensitive.

L’intelligence n’a pas d’organe corporel or les puissances sensitives et nutritives en ont. Il semble donc impossible que la même âme soit et intellective et sensitive; car elle ne peut pas en même temps être séparée d’un organe et le posséder en même temps.

L’âme rationnelle est incorruptible, on l’a montré plus haut (chapitre 84); or l’âme végétative et l’âme sensitive sont corruptibles parce qu’elles sont des actes d’organes corporels. Ce n’est donc pas la même âme végétative, et sensitive et rationnelle, puisqu’il est impossible qu’une même chose soit corruptible et incorruptible.

Dans la génération de l’homme apparaît la vie qui vient de l’âme végétative avant que ce qui est conçu apparaisse être animal par les sens et le mouvement et il se montre tel avant que d’être intellectif. Si donc c’est la même âme par laquelle ce qui est conçu vit d’abord de la vie de la plante, ensuite de la vie animale et enfin de la vie de l’homme, il s’en suivrait que la vie végétative, sensitive et rationnelle vient d’un principe extérieur ou que la vie intellective vient d’une vertu qui se trouve dans la semence; or ni l’un ni l’autre ne semble se justifier; car comme les actions de l’âme végétative et de l’âme sensitive ne sont pas sans le corps leurs principes non plus sont pas sans le corps; or l’opération de l’âme intellective se fait sans le corps; et ainsi il paraît impossible que sa cause se trouve dans une aptitude du corps. Il semble donc impossible que la même âme soit végétative, sensitive et rationnelle.

 

 

Caput 92 [70141] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 92 tit. Solutio rationum praemissarum


 [70142] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 92 Ad huiusmodi igitur dubitationes tollendas considerandum est, quod sicut in numeris species diversificantur per hoc quod una earum super alteram addit, ita etiam in rebus materialibus una species aliam in perfectione excedit.
Quidquid enim perfectionis est in corporibus inanimatis, hoc habent plantae, et adhuc amplius; et rursus quod habent plantae, habent animalia, et aliquid plus; et sic quousque veniatur ad hominem, qui est perfectissimus inter creaturas corporeas. Omne autem quod est imperfectum, se habet ut materia respectu perfectioris. Et hoc quidem in diversis manifestum est. Nam elementa sunt materia corporum similium partium; et rursus corpora similium partium sunt materia respectu animalium. Et similiter in uno et eodem considerandum est. Quod enim in rebus naturalibus ad altiorem gradum perfectionis attingit, per suam formam habet quidquid perfectionis convenit inferiori naturae, et per eamdem habet id quod eidem de perfectione superadditur, sicut planta per suam animam habet quod sit substantia, et quod sit corporea, et ulterius quod sit animatum corpus. Animal autem per suam animam habet haec omnia, et ultra, quod sit sentiens; homo autem super haec omnia habet per suam animam quod sit intelligens. Si igitur in re aliqua consideretur id quod ad inferioris gradus perfectionem pertinet, erit materiale respectu eius quod pertinet ad perfectionem superioris gradus, puta, si consideretur in animali quod habet vitam plantae, hoc est quodammodo materiale respectu eius quod pertinet ad vitam sensitivam, quae est propria animali. Genus autem non est materia, alioquin non praedicaretur de toto, sed est aliquid a materia sumptum: denominatio enim rei ab eo quod est materiale in ipsa, est genus eius; et per eumdem modum differentia sumitur a forma. Et propter hoc, corpus vivum seu animatum, est genus animalis, sensibile autem differentia constitutiva ipsius; et similiter animal est genus hominis, et rationale differentia constitutiva eius. Quia igitur forma superioris gradus habet in se omnes perfectiones inferioris gradus, non est alia forma secundum rem a qua sumitur genus, et a qua sumitur differentia, sed ab eadem forma, secundum quod habet inferioris gradus perfectionem, sumitur genus; secundum vero quod habet perfectionem superioris gradus, sumitur ab ea differentia. Et sic patet quod quamvis animal sit genus hominis, et rationale sit differentia constitutiva eius, non tamen oportet quod sit in homine alia anima sensitiva et alia intellectiva, ut prima ratio obiiciebat. Per eadem autem apparet solutio secundae rationis. Dictum est enim quod forma superioris speciei comprehendit in se omnes inferiorum graduum perfectiones. Considerandum est autem, quod tanto species materialis est altior, quanto minus fuerit materiae subiecta, et sic oportet quod quanto aliqua forma est nobilior, tanto magis super materiam elevetur: unde anima humana, quae est nobilissima materialium formarum, ad summum elevationis gradum pertingit, ut scilicet habeat operationem absque communicatione materiae corporalis; tamen quia eadem anima inferiorum graduum perfectiones comprehendit, habet nihilominus et operationes in quibus communicat materia corporalis. Manifestum est autem quod operatio procedit a re secundum eius virtutem. Oportet igitur quod anima humana habeat aliquas vires sive potentias quae sunt principia operationum quae exercentur per corpus, et has oportet esse actus aliquarum partium corporis, et huiusmodi sunt potentiae vegetativae et sensitivae partis. Habet etiam aliquas potentias quae sunt principia operationum quae sine corpore exercentur, et huiusmodi sunt intellectivae partis potentiae, quae non sunt actus aliquorum organorum. Et ideo intellectus tam possibilis quam agens dicitur separatus, quia non habent organa quorum sunt actus, sicut visus et auditus, sed sunt tantum in anima, quae est corporis forma. Unde non oportet, propter hoc quod intellectus dicitur separatus et caret organo corporali, non autem sensus, quod alia sit anima intellectiva et sensitiva in homine. Ex quo etiam patet quod nec ex hoc cogimur ponere aliam animam intellectivam et aliam sensitivam in homine, quia anima sensitiva est corruptibilis, intellectiva incorruptibilis, ut alia ratio procedebat. Esse enim incorruptibile competit intellectivae parti inquantum est separata. Sicut igitur in eadem essentia animae fundantur potentiae quae sunt separatae, ut dictum est, et non separatae, ita nihil prohibet quasdam potentiarum animae simul cum corpore deficere, quasdam autem incorruptibiles esse. Secundum etiam praedicta patet solutio quartae obiectionis. Nam omnis motus naturalis paulatim ex imperfecto ad perfectum procedit; quod tamen aliter accidit in alteratione et generatione. Nam eadem qualitas suscipit magis et minus: et ideo alteratio, quae est motus in qualitate, una et continua existens, de potentia ad actum procedit de imperfecto ad perfectum. Forma vero substantialis non recipit magis et minus, quia esse substantiale uniuscuiusque est indivisibiliter se habens. Unde naturalis generatio non procedit continue per multa media de imperfecto ad perfectum, sed oportet esse ad singulos gradus perfectionis novam generationem et corruptionem. Sic igitur in generatione hominis conceptum quidem primo vivit vita plantae per animam vegetabilem; deinde remota hac forma per corruptionem, acquirit quadam alia generatione animam sensibilem, et vivit vita animalis; deinde remota hac anima per corruptionem, introducitur forma ultima et completa, quae est anima rationalis, comprehendens in se quidquid perfectionis in praecedentibus formis erat.

Chapitre 92 — SOLUTION DE CES DIFFICULTÈS

Donc pour lever ces doutes il faut considérer que comme dans les nombres leur espèce est différente selon qu’on y ajoute quelque chose, ainsi dans les choses matérielles une espèce excède l’autre en perfection. En effet tout ce qui est perfection dans le monde inanimé, les plantes l’ont et quelque chose en plus et de nouveau, ce que les plantes ont, les animaux l’ont et quelque chose de plus; et ainsi on en vient à l’homme qui est la plus par faite des créatures corporelles. Or tout ce qui est imparfait est comme la matière par rapport â ce qui est plus parfait.

Et cela est manifeste en diverses choses. Car les éléments sont la matière de corps aux parties semblables; et de nouveau ces corps aux parties semblables sont matière par rapport aux animaux. Cela on peut aussi le considérer dans une et même chose. Dans les choses naturelles en effet ce qui atteint un plus haut degré de perfection possède par sa forme toute la perfection qui convient à la nature inférieure, et par la même forme il possède de quoi la perfectionner, telle la plante qui par son âme est une substance corporelle et de plus un corps animé. L’animal possède tout cela par son âme et de plus il sent; et l’homme en plus de tout cela de par son âme est intelligent.

Si donc on considère dans une chose ce qui appartient à la perfection d’un grade inférieur ce sera comme la matière par rapport à ce qui appartient à la perfection d’un degré supérieur, par exemple dans l’animal qui possède la vie de la plante, laquelle est en quelque sorte la matière par rapport à ce qui appartient à la vie sensitive propre à l’animal. Mais le genre n’est pas matière, car il ne serait pas attribut du tout, mais il est quelque chose pris hors de la matière; la dénomination en effet d’une chose à partir de ce qui est matériel en elle est son genre, et de la même manière ce qui fait la différence vient de la forme Et à cause de cela le corps vivant ou anime est le genre animal, ce qui est sensible en constitue la différence; et semblablement ce qui est animal est le genre de l’homme et ce qui est rationnel en constitue la différence Puis donc que la forme d’un degré supérieur a en elle toutes les perfections du degré inférieur ce n’est pas une autre forme en réalité d’ou vient le genre et d’ou vient la différence. Ainsi, bien que l’animalité soit le genre pour l’homme et le rationnel sa différence constitutive, il est clair cependant qu’il ne faut pas en l’homme une âme sensitive et une autre intellective comme le prétendait la première objection.

Pour les mêmes raisons est résolue la seconde difficulté. En effet on a dit que la forme d’une espèce supérieure comprend en elle toutes les perfections des degrés inférieurs. Or il faut noter que plus l’espèce matérielle est élevée d’autant moins est-elle soumise à la matière et ainsi il faut que, plus noble est une forme, plus élevée est-elle au- dessus de la matière. Donc l’âme humaine qui est la plus noble des formes matérielles atteint au plus haut degré d’élévation : c’est-à-dire que son activité ne communique pas avec la matière corporelle; cependant comme cette âme comprend aussi des perfections d’un degré inférieur elle a néanmoins des opérations où communique la matière corporelle.

Il est manifeste que l’activité d’une chose en procède selon sa possibilité. Il faut donc que l’âme humaine ait des ressources ou des puissances qui soient des principes d’opérations exercées par le corps et qui doivent être les actes de certaines parties du corps, telles les puissances végétatives et sensitives. Elle a aussi des puissances qui sont les principes d’opérations exercées sans le corps telles les puissances de la partie intellective qui ne sont pas des actes organiques. Et par conséquent tant l’intellect possible que l’intellect agent sont dits séparés parce qu’ils n’ont pas d’organes dont sont des actes, comme la vue et l’ouïe, mais ils sont uniquement dans l’âme qui est la forme du corps. De ce que l’intellect est dit séparé et n’a pas d’organe corporel, contrairement aux sens, il ne faut pas conclure qu’autre est chez l’homme l’âme intellective et autre la sensitive. D’où il est clair aussi qu’il n’y a pas chez l’homme deux âmes, l’une intellective, l’autre sensitive, de ce que, comme le prétendait la troisième objection, l’une est incorruptible l’autre corruptible. En effet l’incorruptibilité est propre à la partie intellective en tant que séparée. De même donc que dans une même essence de l’âme s’enracinent des puissances séparées, comme on l’a vu (chapitre 89) et d’autres non séparées, ainsi rien n’empêche que des puissances de l’âme disparaissent avec le corps et que d’autres soient incorruptibles.

Selon ces mêmes principes on a la réponse à la quatrième difficulté. Car tout mouvement naturel procède insensiblement de l’imparfait au parfait; cependant il en est autrement pour l’altération et la génération. Car une même qualité est susceptible de plus ou de moins; et donc l’altération qui est mouvement dans la qualité, demeurant semblable à elle-même de la puissance à l’acte, procède de l’imparfait au parfait. Mais la forme substantielle n’est pas susceptible de plus ou de moins; car tout être substantiel se tient dans l’indivisibilité. D’où la génération naturelle ne procède pas de façon continue et par nombre de degrés de l’imparfait au parfait; mais pour chaque degré nouveau de perfection une génération et une corruption nouvelles sont nécessaires. Ainsi donc dans la génération de l’homme ce qui est conçu vit d’abord de la vie végétative; ensuite cette première forme étant éliminée par corruption il acquiert par une autre génération une âme sensible pour vivre d’une vie animale; enfin l’âme sensible éliminée par corruption une dernière forme inter vient qui est complète, c’est-à-dire l’âme rationnelle comprenant en elle toutes les perfections des formes précédentes[30].

 

 

Caput 93 [70143] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 93 tit. De productione animae rationalis, quod non sit ex traductione


 [70144] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 93 Haec autem ultima et completa forma, scilicet anima rationalis, non educitur in esse a virtute quae est in semine, sed a superiori agente. Virtus enim quae est in semine, est virtus corporis cuiusdam.
Anima autem rationalis excedit omnem corporis naturam et virtutem, cum ad eius intellectualem operationem nullum corpus pertingere possit. Cum igitur nihil agat ultra suam speciem, eo quod agens est nobilius patiente, et faciens facto, impossibile est quod virtus alicuius corporis producat animam rationalem: neque igitur virtus quae est in semine. Adhuc. Secundum quod unumquodque habet esse de novo, sic de novo competit ei fieri: nam eius est fieri cuius est et esse, ad hoc enim aliquid fit ut sit. Eis igitur quae secundum se habent esse, competit per se fieri, sicut rebus subsistentibus; eis autem quae per se non habent esse, non competit per se fieri, sicut accidentibus, et formis materialibus. Anima autem rationalis secundum se habet esse, quia secundum se habet operationem, ut ex dictis patet. Animae igitur rationali secundum se competit fieri. Cum igitur non sit composita ex materia et forma, ut supra ostensum est, sequitur quod non possit educi in esse nisi per creationem. Solius autem Dei est creare, ut supra ostensum est. A solo igitur Deo anima rationalis in esse producitur. Hoc etiam rationabiliter accidit. Videmus enim in artibus ad invicem ordinatis, quod suprema ars inducit ultimam formam; artes autem inferiores disponunt materiam ad ultimam formam. Manifestum est autem quod anima rationalis est ultima et perfectissima forma quam potest consequi materia generabilium et corruptibilium. Convenienter igitur naturalia agentia in inferiora causant praecedentes dispositiones et formas; supremum vero agens, scilicet Deus, causat ultimam formam, quae est anima rationalis.

Chapitre 93 — L’ÂME RATIONNELLE N’EST PAS PRODUITE PAR TRANSMISSION NATURELLE

Cette dernière forme complète c’est-à-dire l’âme relationnelle n’arrive pas à l’existence par un pouvoir qui se trouverait dans la semence mais par un agent supérieur. Le pouvoir de la semence est celui d’un corps. Or l’âme rationnelle excède le pouvoir d’une nature corporelle puisque pour son activité intellectuelle aucun corps n’y peut atteindre. Comme donc rien n’agit au-delà de son espèce parce que l’agent est plus noble que le patient et celui qui fait, plus que ce qui est fait, aucun pouvoir corporel ne pourra produire une âme rationnelle; pas davantage non plus le pouvoir qui est dans la semence.

De plus, selon que toute chose acquiert un nouvel être, ainsi lui arrive-t-il un nouveau devenir; car l’être est la raison du devenir; en effet quelque chose devient en vue d’exister. Aux choses donc qui par elles-mêmes ont l’existence le devenir leur est propre, comme c’est le cas pour les choses subsistantes. A celles qui par elles-mêmes n’ont pas l’être il ne leur appartient pas de devenir de par elles- mêmes, comme les accidents et les formes matérielles. Or l’âme rationnelle possède l’être par elle-même en ce sens que son opération lui est propre, comme on l’a dit (chapitre 84). Donc il appartient à l’âme rationnelle de devenir par elle-même. Or comme elle n’est pas composée de matière et de forme il s’ensuit qu’elle ne peut être amenée à l’existence que par création; Dieu seul peut créer; donc Dieu seul crée l’âme rationnelle en son être.

Nous constatons cela aussi par analogie. Nous voyons en effet dans les métiers une sorte de hiérarchie : c’est le dernier artisan qui produit la forme ultime, les artisans inférieurs préparant la matière en vue de la dernière forme. Or il est manifeste que l’âme humaine est la forint la plus parfaite et ultime que peut atteindre la matière de ce qui est engendré ou qui se corrompt. Il est donc convenable que les agents naturels inférieurs préparent ce qui dispose à recevoir la dernière forme. L’agent suprême, c’est-à-dire Dieu est la cause de la dernière forme qui est l’âme rationnelle.

 

 

 

Caput 94 [70145] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 94 tit. Quod anima rationalis non est de substantia Dei


 [70146] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 94 Non tamen credendum est animam rationalem esse de substantia Dei, secundum quorumdam errorem. Ostensum est enim supra quod Deus simplex et indivisibilis est. Non igitur animam rationalem corpori unit quasi eamdem a sua substantia separando. Item. Ostensum est supra quod impossibile est Deum esse formam alicuius corporis. Anima autem rationalis unitur corpori ut forma. Non igitur est de substantia Dei. Adhuc. Ostensum est supra quod Deus non movetur neque per se neque per accidens, cuius contrarium in anima rationali apparet: mutatur enim de ignorantia ad scientiam, et de vitio ad virtutes. Non est igitur de substantia Dei.

Chapitre 94 — L’ÂME RATIONNELLE N’EST PAS DE SUBSTANCE DIVINE

Cependant il ne faut pas croire que l’âme rationnelle soit de substance divine, comme certains l’ont prétendu erronément. On a montré en effet (chapitre 9) que Dieu est simple et indivisible. Il n’unit donc pas l’âme au corps comme s’il la détachait de sa substance à lui.

De même, on l’a vu plus haut (chapitre 17), il est impossible pour Dieu d’être la forme d’un corps. Or l’âme rationnelle est unie au corps en tant que sa forme. Elle n’est donc pas de la substance de Dieu.

Et encore, on a montré plus haut (chapitre 4) que Dieu ne se meut ni par lui-même ni par accident; c’est ce qui se passe dans l’âme rationnelle; elle passe en effet de l’ignorance à la connaissance et du vice à la vertu. Elle n’est donc pas de la substance de Dieu.

 

C — Les créatures et leur relation à Dieu (chapitre 95 à 147)

 

1° En général (chapitre 95 à 104)

Caput 95 [70147] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 95 tit. Quod illa quae dicuntur inesse a virtute extrinseca, sunt immediate a Deo


 [70148] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 95 Ex his autem quae supra ostensa sunt, ex necessitate concluditur, quod illa quae non possunt produci in esse nisi per creationem, a Deo immediate sint.
Manifestum est autem quod corpora caelestia non possunt produci in esse nisi per creationem. Non enim potest dici quod ex materia aliqua praeiacenti sunt facta, quia sic essent generabilia et corruptibilia et contrarietati subiecta, quod eis non competit, ut motus eorum declarat: moventur enim circulariter, motus autem circularis non habet contrarium. Relinquitur igitur quod corpora caelestia sint immediate in esse a Deo producta. Similiter etiam elementa secundum se tota non sunt ex aliqua materia praeiacenti, quia illud quod praeexisteret, haberet aliquam formam; et sic oporteret quod aliquod corpus aliud ab elementis esset prius eis in ordine causae materialis. Si tamen materia praeexistens elementis haberet formam aliam, oporteret quod unum eorum esset aliis prius in eodem ordine, si materia praecedens formam elementi haberet formam aliam. Oportet igitur etiam ipsa elementa immediate esse a Deo producta. Multo igitur magis impossibile est substantias incorporeas et invisibiles ab aliquo alio creari: omnes enim huiusmodi substantiae immateriales sunt. Non enim potest esse materia nisi dimensioni subiecta, secundum quam materia distinguitur, ut ex una materia fieri possint. Unde impossibile est quod ex materia praeiacenti causentur. Relinquitur igitur quod per creationem solum a Deo producuntur in esse: et propter hoc fides Catholica confitetur Deum esse creatorem caeli et terrae, et omnium visibilium, nec non etiam invisibilium.

Chapitre 95 — DIEU EST L’AUTEUR IMMÉDIAT DE CES CHOSES QUI SONT DITES EXISTER PAR UN POUVOIR EXTERNE

De ce qui a été dit au chapitre précédent, on en conclut nécessairement que ces choses qui ne peuvent arriver à l’existence sinon que par création, viennent directement de Dieu. Les corps célestes ne peuvent être produits que par création, c’est évident. En effet on ne peut pas dire qu’ils sont faits d’une matière préexistante; car alors ils seraient soumis au devenir et à la disparition et à leur contraire, ce qui ne leur convient pas comme leur mouvement le fait apparaître : ils se meuvent en circuit; or le mouvement circulaire n’a pas de contraire. Il reste donc que les corps célestes ont été produits en leur être immédiatement par Dieu.

De même aussi les premiers éléments en leur entièreté ne viennent pas d’une matière préexistante; car ce qui préexisterait aurait une forme; et ainsi il faudrait qu’un corps autre que les éléments précède ceux-ci dans l’ordre de la cause matérielle. Si cependant la matière préexistant aux éléments avait une autre forme, il faudrait que l’un d’eux soit avant les autres dans le même ordre, à supposer que la matière ait une autre forme que la forme de l’élément qui doit suivre. Il faut donc qu’aussi les éléments eux-mêmes soient immédiatement produits par Dieu.

Il est donc encore beaucoup plus impossible que les substances incorporelles et invisibles soient créées par quelqu’un d’autre; en effet ces substances sont toutes immatérielles. En effet il n’existe pas de matière sans dimension, laquelle fait la distinction de la matière; elles ne sont pas multiples selon la matière. Il est donc impossible qu’une matière préexistante en soit leur cause. Il reste donc que par création seulement Dieu leur a donné l’existence. Et c’est pour cela que la foi catholique con fesse que Dieu est"le créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles ", et aussi"des invisibles ".

 

 

Caput 96 [70149] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 96 tit. Quod Deus non agit naturali necessitate, sed a voluntate


 [70150] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 96 Ex hoc autem ostenditur quod Deus res in esse produxerit non naturali necessitate, sed voluntate. Ab uno enim naturali agente non est immediate nisi unum; agens autem voluntarium diversa producere potest: quod ideo est, quia omne agens agit per suam formam.
Forma autem naturalis, per quam naturaliter aliquid agit, unius una est; formae autem intellectivae, per quas aliquid voluntate agit, sunt plures. Cum igitur a Deo immediate plura producantur in esse, ut iam ostensum est, manifestum est quod Deus in esse res produxit voluntate, et non naturali necessitate. Adhuc. Agens per intellectum et voluntatem est prius in ordine agentium agente per necessitatem naturae: nam agens per voluntatem praestituit sibi finem propter quem agit; agens autem naturale agit propter finem sibi ab alio praestitutum. Manifestum est autem ex praemissis, Deum esse primum agens. Est igitur agens per voluntatem, et non per necessitatem naturae. Item. Ostensum est in superioribus, Deum esse infinitae virtutis. Non igitur determinatur ad hunc effectum vel illum, sed indeterminate se habet ad omnes. Quod autem indeterminate se habet ad diversos effectus, determinatur ad unum producendum per desiderium, vel per determinationem voluntatis; sicut homo qui potest ambulare et non ambulare, quando vult ambulat. Oportet igitur quod effectus a Deo procedant secundum determinationem voluntatis. Non igitur agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem. Inde est quod fides Catholica Deum omnipotentem non solum creatorem, sed etiam factorem nominat: nam facere proprie est artificis qui per voluntatem operatur. Et quia omne agens voluntarium, per conceptionem sui intellectus agit, quae verbum ipsius dicitur, ut supra ostensum est, verbum autem Dei filius est: ideo fides Catholica confitetur de filio, quod per eum omnia facta sunt.

Chapitre 96 — N’AGIT PAS PAR NÈCESSITÉ NATURELLE MAIS VOLONTAIREMENT

De là on montre aussi que Dieu n’a pas produit les choses dans leur être par nécessité naturelle mais par volonté. En effet tout agent naturel ne peut produire dans l’immédiat qu’une seule chose; mais un agent volontaire peut en produire plusieurs; la raison en est que tout agent agit en vertu de sa forme. Or une forme naturelle par quoi quelque chose agit naturellement est uniforme en son action; les formes intellectives par lesquelles on agit volontairement ont plus d’un effet. Puis donc que Dieu produit plusieurs choses immédiatement dans leur être, il est évident qu’Il les produit dans leur être par sa volonté et non par nécessité naturelle.

Encore : celui qui agit par intelligence et volonté vient avant celui qui agit pas nécessité naturelle dans l’ordre des agents; car il s’est proposé une fin pour laquelle il agit; mais l’agent naturel agit en vertu d’une fin qui lui est fournie par un autre. Or il est évident par ce qu’on a dit (chapitre 3) que Dieu est le premier moteur. Il agit donc par sa volonté et non par nécessité de nature.

De même : on a montré plus haut (chapitre 19) que Dieu possède un Pouvoir infini. Il n’est donc pas déterminé à tel effet plutôt qu’à un autre, mais est indifférent à tout effet quelconque. Or il peut y être décide par un désir ou une détermination de sa volonté, comme quelqu’un qui peut aller se promener ou non selon qu’il le veut. Il faut donc que les oeuvres divines procèdent selon une détermination de la volonté de Dieu et non par nécessité naturelle. D’où la foi catholique dit que Dieu est tout-puissant, non seulement créateur mais aussi "facteur". Car faire est le propre de l’artisan qui opère par sa volonté. Et parce que l’agent volontaire agit selon la conception de son intelligence qui est dite son "verbe", comme on l’a montré plus haut (chapitre 38) et que le Verbe de Dieu est son Fils, la foi catholique confesse donc au sujet du Fils que "par lui tout a été fait ".

 

 

 

 

Caput 97 [70151] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 97 tit. Quod Deus in sua actione est immutabilis


 [70152] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 97 Ex hoc autem quod voluntate res in esse producit, manifestum est quod absque sui mutatione res de novo in esse producere potest. Haec est enim differentia inter agens naturale et agens voluntarium: quod agens naturale eodem modo agit quamdiu eodem modo se habet, eo quod quale est, talia agit; agens autem voluntarium agit qualia vult. Potest autem contingere absque eius mutatione quod velit nunc agere, et prius non agere. Nihil enim prohibet adesse alicui voluntatem de operando in posterum, etiam quando non operatur, absque sui mutatione. Ita absque Dei mutatione contingere potest quod Deus, quamvis sit aeternus, res in esse produxerit non ab aeterno.

Chapitre 97 — DANS SON ACTION EST IMMUABLE

De ce que Dieu par sa volonté produit l’être des choses, il est manifeste qu’il peut produire sans changement en lui-même de nouvelles choses dans leur être. Telle est en effet la différence entre un agent naturel et un agent volontaire que l’agent naturel agit toujours de la même manière aussi longtemps qu’il est tel parce qu’étant tel, ainsi il agit; tandis que l’agent volontaire fait ce qu’il veut. Il peut lui arriver, sans qu’il change, de vouloir agir maintenant et qu’avant il ne le voulait pas. Rien n’empê che en effet que quelqu’un veuille faire quelque chose plus tard, même quand il ne le fait pas, sans pour cela qu’il y ait changement chez lui. Ainsi sans changement pour Dieu il peut arriver que Dieu, bien qu’éternel, ait produit l’être des choses non de toute éternité.

 

 

Caput 98 [70153] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 98 tit. Ratio probans motum ab aeterno fuisse, et solutio eius


 [70154] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 98 Videtur autem quod si Deus voluntate aeterna et immutabili novum effectum producere possit, tamen oporteat quod novum effectum aliquis motus praecedat. Non enim videmus quod voluntas illud quod vult facere, retardet, nisi propter aliquid quod nunc est et cessat in posterum, vel quod non est, et expectatur futurum; sicut homo in aestate habet voluntatem ut induat se aliquo indumento, quod tamen ad praesens induere non vult, sed in futurum, quia nunc est calor, qui cessabit frigore adveniente in posterum. Si igitur Deus ab aeterno voluit aliquem effectum producere, et non ab aeterno produxit, videtur quod vel aliquid expectaretur futurum quod nondum erat, vel esset aliud auferendum, quod tunc erat. Neutrum autem horum sine motu contingere potest. Videtur igitur quod a voluntate praecedente non posset effectus aliquis produci in posterum nisi aliquo motu praecedente: et sic si voluntas Dei fuit aeterna de rerum productione, et res non sunt ab aeterno productae, oportet quod earum productionem praecedat motus, et per consequens mobilia; quae si a Deo producta sunt, et non ab aeterno, iterum oportet praeexistere alios motus et mobilia usque in infinitum. Huius autem obiectionis solutio facile potest perpendi, si quis differentiam consideret universalis et particularis agentis. Nam agens particulare habet actionem proportionatam regulae et mensurae quam agens universale praestituit, quod quidem in civilibus apparet. Nam legislator proponit legem quasi regulam et mensuram, secundum quam iudicari oportet ab aliquo particulari iudice. Tempus autem est mensura actionum quae fiunt in tempore. Agens enim particulare habet actionem tempori proportionatam, ut scilicet nunc et non prius agat propter aliquam determinatam rationem. Agens autem universale, quod Deus est, huiusmodi mensuram, quae tempus est, instituit, et secundum suam voluntatem. Inter res igitur productas a Deo etiam tempus est. Sicut igitur talis est uniuscuiusque rei quantitas et mensura, qualem Deus ei tribuere voluit, ita et talis est quantitas temporis qualem ei Deus dare voluit: ut scilicet tempus et ea quae sunt in tempore tunc inciperent quando Deus ea esse voluit. Obiectio autem praemissa procedit de agente quod praesupponit tempus et agit in tempore, non autem instituit tempus. Quaestio ergo qua quaeritur quare voluntas aeterna producit effectum nunc, et non prius, praesupponit tempus praeexistens, nam nunc et prius partes sunt temporis. Circa universalem igitur rerum productionem, inter quas etiam consideratur tempus, non est quaerendum quare nunc et non prius, sed quare huius temporis voluit esse mensuram: quod ex divina voluntate dependet, cui indifferens est vel hanc quantitatem vel aliam tempori assignare. Quod quidem et circa quantitatem dimensivam mundi considerari potest. Non enim quaeritur quare Deus corporalem mundum in tali situ constituit et non supra vel subtus vel secundum aliam positionis differentiam, quia non est locus extra mundum; sed hoc ex divina voluntate provenit quod talem quantitatem mundo corporali tribueret, ut nihil eius esset extra hunc situm secundum quamcumque positionis differentiam. Licet autem ante mundum tempus non fuerit, nec extra mundum sit locus, utimur tamen tali modo loquendi, ut si dicamus, quod antequam mundus esset, nihil erat nisi Deus, et quod extra mundum non est aliquod corpus, non intelligentes per ante et extra, tempus aut locum nisi secundum imaginationem tantum.

Chapitre 98 — MOTIF EN FAVEUR D’UN MOUVEMENT ÉTERNEL ET LA SOLUTION

Il semble que si Dieu de volonté éternelle et immuable pouvait produire une nouvelle oeuvre celle-ci devrait être précédée de quelque mouvement. Nous ne voyons pas en effet que la volonté remette à plus tard ce qu’elle veut faire si ce n’est à cause de quelque chose qui est mainte nant et cessera par la suite, ou qui n’est pas encore et qu’on attend dans le futur, comme celui qui projette en été de se vêtir en hiver d’un vêtement qu’il ne mettra qu’en hiver parce que maintenant il fait suffisamment chaud. Si donc Dieu a voulu de toute éternité produire un effet, mais que de toute éternité il n’a pas produit, il semble que ou bien quelque chose était attendu qui n’était pas encore, ou bien une autre chose devait disparaître qui existait alors. Or ni l’un ni l’autre ne peut se faire sans mouvement. Il semble donc qu’avec une volonté précédente on ne puisse produire dans l’avenir sans quelque mouvement qui précède. Et ainsi si la volonté de Dieu fut éternelle de produire les choses, et les choses ne sont pas éternellement, il faut qu’un mouvement précède leur production et par conséquent elles sont mobiles. Si elles sont produites par Dieu mais non éternelles, de nouveau d’autres mouvements et des choses mobiles devront préexister indéfiniment. La réponse à cette objection est aisée si l’on veut bien faire la distinction entre un agent universel et un agent particulier. Car l’agent particulier règle et mesure son action selon les directives de l’agent universel, comme c’est le cas dans les affaires civiles. Car la loi que propose le législateur est comme la règle et la mesure que le juge particulier devra appliquer. Or le temps est la mesure des actions qui se font dans son écoulement. En effet l’agent particulier exerce une activité proportionnée au temps c’est-à-dire que c’est maintenant et non pas avant qu’il agit pour une raison déterminée. Quant à l’agent universel qu’est Dieu il est l’auteur de cette mesure qu’est le temps et il l’a voulu ainsi. Le temps est donc aussi une créature de Dieu. Etant donné la quantité et la mesure que Dieu a voulu attribuer à chaque chose ainsi en sera-t-il de la quantité de temps que Dieu aura voulu lui accorder; c’est-à-dire que le temps et ce qui y est indu commenceront quand Dieu l’aura voulu. L’objection présuppose le temps chez un agent qui agit dans le temps mais qui n’en est pas l’auteur. Quand donc on interroge Pourquoi la volonté éternelle produit tel effet maintenant et non pas avant on préjuge d’un temps préexistant, car le maintenant et l’avant sont des parties du temps. Au sujet donc de la production universelle des choses parmi lesquelles le temps vient en considération il ne faut pas chercher le pourquoi du maintenant et du plus tôt, mais pourquoi Dieu a voulu établir la mesure du temps; or comme telle est sa volonté il lui est indifférent d’assigner telle ou telle autre quantité au temps. Ce qui peut aussi très bien s’appliquer à la quantité mesurable du monde. On ne doit donc pas demander pourquoi Dieu a établi le monde des corps en telle position, que ce soit au-dessus ou en-bas ou toute autre position; car hors du monde il n’y a pas de lieu, mais c’est de la volonté de Dieu que provient la grandeur du monde des corps de sorte que rien ne soit en dchors de tel endroit, quelque différente que soit sa position.

Bien qu’avant le monde le temps n’ait pas existé, ni hors du monde le lieu, nous usons cependant d’une telle manière de parler, comme de dire avant que le monde fût rien n’existait sinon Dieu, ou que hors du monde il n’y a pas de corps, nous n’entendons pas par avant et après, le temps ou le lieu si ce n’est seulement par l’imagination.

 

 

Caput 99 [70155] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 99 tit. Rationes ostendentes quod est necessarium materiam ab aeterno creationem mundi praecessisse, et solutiones earum


 [70156] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 99 Videtur autem quod etsi rerum perfectarum productio ab aeterno non fuerit, quod materiam necesse sit ab aeterno fuisse.
Omne enim quod habet esse post non esse, mutatur de non esse ad esse. Si igitur res creatae, ut puta caelum et terra et alia huiusmodi, ab aeterno non fuerint, sed inceperunt esse postquam non fuerant, necesse est dicere eas mutatas esse de non esse ad esse. Omnis autem mutatio et motus subiectum aliquod habet: est enim motus actus existentis in potentia; subiectum autem mutationis per quam aliqua res in esse producitur, non est ipsa res producta, hoc enim est terminus motus; non est autem idem motus terminus et subiectum; sed subiectum praedictae mutationis est id quo res producitur, quod materia dicitur. Videtur ergo, si res in esse productae sint postquam non fuerant, quod oporteat eis materiam praeextitisse: quae si iterum producta est postquam non fuerat, oportet quod habeat aliam materiam praecedentem. Non autem est procedere in infinitum. Relinquitur igitur quod oporteat devenire ad aliquam materiam aeternam, quae non sit producta postquam non fuerat. Item. Si mundus incepit postquam non fuerat, antequam mundus esset, aut erat possibile mundum esse vel fieri, aut non possibile. Si autem non possibile erat esse vel fieri, ergo ab aequipollenti impossibile erat mundum esse vel fieri. Quod autem impossibile est fieri, necesse est non fieri. Necesse est igitur mundum non esse factum. Quod cum manifeste sit falsum, necesse est dicere, quod si mundus incepit esse postquam non fuerat, quod possibile erat antequam esset, ipsum esse vel fieri. Erat igitur aliquid in potentia ad fieri et esse mundi. Quod autem est in potentia ad fieri et esse alicuius, est materia eius, sicut lignum se habet ad scamnum. Sic igitur videtur quod necesse est materiam semper fuisse, etiam si mundus semper non fuit. Sed cum ostensum sit supra quod etiam materia non est nisi a Deo, pari ratione fides Catholica non confitetur materiam esse aeternam, sicut nec mundum aeternum. Oportet enim hoc modo exprimi in ipsis rebus causalitatem divinam, ut res ab eo productae esse inciperent postquam non fuerant. Hoc enim evidenter et manifeste ostendit eas non a se ipsis esse, sed ab aeterno auctore. Non autem praemissis rationibus arctamur ad ponendum aeternitatem materiae: non enim universalis rerum productio proprie mutatio dici potest. In nulla enim mutatione subiectum mutationis per mutationem producitur, quia non est idem subiectum mutationis et terminus, ut dictum est. Cum igitur universalis productio rerum a Deo, quae creatio dicitur, se extendat ad omnia quae sunt in re, huiusmodi productio rationem mutationis proprie habere non potest, etiam si res creatae producantur in esse postquam non fuerant. Esse enim post non esse non sufficit ad veram rationem mutationis, nisi supponatur quod subiectum nunc sit sub privatione, et nunc sub forma: unde in quibusdam invenitur hoc post illud, in quibus proprie ratio motus aut mutationis non est, sicut cum dicitur quod ex die fit nox. Sic igitur etsi mundus esse inceperit postquam non fuerat, non oportet quod hoc per aliquam mutationem sit factum, sed per creationem, quae vere mutatio non est, sed quaedam relatio rei creatae, a creatore secundum suum esse dependentis, cum ordine ad non esse praecedens. In omni enim mutatione oportet esse aliquid idem, aliter et aliter se habens, utpote quod nunc sit sub uno extremo, et postmodum sub alio: quod quidem in creatione secundum rei veritatem non invenitur, sed solum secundum imaginationem, prout imaginamur unam et eamdem rem prius non fuisse, et postmodum esse: et sic secundum quamdam similitudinem creatio mutatio dici potest. Similiter etiam secunda obiectio non cogit. Licet enim verum sit dicere quod antequam mundus esset, possibile erat mundum esse vel fieri, non tamen oportet hoc secundum aliquam potentiam dici. Dicitur enim possibile in enuntiabilibus quod significat aliquem modum veritatis: quod scilicet neque est necessarium neque impossibile: unde huiusmodi possibile non secundum aliquam potentiam dicitur, ut philosophus docet in VII Metaphysic. Si autem secundum aliquam potentiam dicitur possibile mundum esse, non est necessarium quod dicatur secundum potentiam passivam, sed secundum potentiam activam: ut quod dicitur, quod mundum possibile fuit esse antequam esset, sic intelligatur quod Deus potuit mundum in esse producere antequam produceret: unde non cogimur ponere materiam praeextitisse mundo. Sic ergo fides Catholica nihil Deo coaeternum ponit, et propter hoc creatorem et factorem omnium visibilium et invisibilium confitetur.

Chapitre 99 — LA MATIÈRE AURAIT-ELLE EXISTÉ ETERNELLEMENT AVANT LA CRÉATION DU MONDE ?

Bien que la production des choses accomplie par Dieu ne soit pas depuis l’éternité il semble nécessaire que la matière soit éternelle. En effet tout ce qui a l’être après le non-être change du non-être à l’être. Si donc les choses créées, comme le ciel et la terre et le reste, ne furent pas depuis l’éternité, mais commencèrent d’être après n’avoir pas été il est nécessaire d’admettre qu’elles furent changées du non-être à l’être. Or tout changement ou mouvement se trouve en un sujet : le mouvement en effet est l’acte de ce qui est en puissance; or le sujet du changement par quoi une chose vient à être, n’est pas la chose elle-même produite, terme du mouvement; et le terme du mouvement n’est pas le même que le sujet; mais le sujet du dit changement est ce par quoi la chose est produite et qui s’appelle matière. Il semble donc, si les choses furent produites après n’avoir pas été, que la matière les a précédées; laquelle si elle est de nouveau produite après n’avoir pas été, il faut une autre matière précédente mais on ne peut pas remonter ainsi indéfiniment II reste donc qu’il faille en venir à une matière éternelle qui n’a pas été produite après n’avoir pas été.

De même. Si le monde a commencé après n’avoir pas été, avant qu’il ne fût, ou bien il était possible qu’il soit ou devienne ou bien ce n’était pas possible. Or si ce n’était pas possible qu’il soit ou devienne cela veut dire équivalemment qu’il était impossible que le monde soit ou devienne. Or ce qui ne peut être nécessairement ne peut devenir. Il s’en suit donc nécessairement que le monde n’a pas été fait. Comme ceci est évidemment faux, il faut dire que si le monde a commencé après n’avoir pas été, qu’il était possible, avant qu’il ne fût, d’exister ou de devenir. Il y avait donc quelque chose en puissance au devenir et à l’existence du monde. Or ce qui est ainsi en puissance est la matière, comme le bois par rapport au banc. Ainsi donc il est nécessaire que la matière ait toujours été, même si le monde n’a pas toujours été.

Mais puisqu’on a montré plus haut (chapitre 69) que la matière est aussi créée par Dieu, pour la même raison la foi catholique ne confesse pas que la matière est éternelle, comme aussi le monde. Il faut en effet exprimer la causalité divine de cette manière que les choses commencèrent d’être produites par Dieu après n’avoir pas été. Cela en effet montre à l’évidence et manifestement qu’elles n’ont pas été d’elles-mêmes mais par l’auteur éternel. Et nous ne sommes pas contraints par les raisons qu’on vient d’apporter d’admettre l’éternité de la matière; c effet la production universelle des choses n’est pas à proprement parler un changement. En nul changement en effet le sujet du changement n’est le produit du changement parce que le sujet du changement n’est pas le même que le terme, comme on l’a dit plus haut. Puis donc qu la production universelle des choses par Dieu, et s’appelle création, s’étend à tout ce qui existe, en une telle production ne peut proprement pas être changement, même si les choses créées sont proc après n’avoir pas été. Être en effet après n’avoir pas n’est pas la raison suffisante du changement, à moins supposer que le sujet se trouve actuellement sous privation et maintenant sous une forme; d’où en certaines choses on retrouve ceci après cela, bien que proprement la notion de changement ne s’y trouve pas, comme quand on dit que la nuit succède au jour. Ainsi donc quoique le monde ait commencé après n’avoir pas été il n’a pas fallu que cela se fit par une mutation, mais par création, qui en vérité n’est pas une mutation, mais une relation de la chose créée, dépendant de son créateur pour son être et par rapport à son non-être précédent. En effet en tout changement il y a nécessairement quelque chose d’identique se comportant tantôt ainsi tantôt autrement, en tant que maintenant il est sous un extrême et ensuite sous un autre; ce qui n’a pas lieu en réalité dans la création, mais selon notre imagination, d’après que nous imaginons une et même chose n’avoir pas d’abord été et par après être. Et ainsi selon une certaine ressemblance la création peut être dite un changement.

De même aussi la seconde objection ne tient pas. En effet bien qu’on puisse dire qu’avant que le monde fût, il était possible qu’il soit ou devienne, ce ne doit pas être entendu d’une quelconque possibilité. En effet est dit possible dans le discours ce qui signifie un mode de la vérité comme quelque chose qui n’est ni nécessaire ni impossible; d’où un tel possible n’est pas entendu d’une quelconque possibilité, comme l’enseigne le philosophe au Livre des Métaphysiques (Liv. 4, chapitre 12). Quand on parle donc de possibilité pour l’être du monde on ne doit pas entendre nécessairement une possibilité passive, mais active, sorte que quand on dit que le monde était possible avant qu’il ne soit, on entend par là que Dieu peut produire l’être du monde avant même de le produire; d’où rien ne nous force à admettre que la matière ait préexisté au monde. Ainsi donc la foi catholique affirme que rien n’est coéternel à Dieu et pour cela elle confesse qu’il est "le créateur et l’auteur de toutes les choses visibles invisibles".

 

 

Caput 100 [70157] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 100 tit. Quod Deus operatur omnia propter finem


 [70158] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 100 Quoniam autem supra ostensum est quod Deus res in esse produxit non per necessitatem naturae, sed per intellectum et voluntatem, omne autem tale agens agit propter finem, operativi enim intellectus finis principium est: necesse est igitur omnia quae a Deo sunt facta, propter finem esse. Adhuc. Productio rerum a Deo optime facta est: optimi enim est optime facere unumquodque. Melius est autem fieri aliquid propter finem quam absque finis intentione: ex fine enim est ratio boni in his quae fiunt. Sunt igitur res a Deo factae propter finem. Huius etiam signum apparet in his quae a natura aguntur, quorum nihil in vanum est, sed propter finem unumquodque.
Inconveniens autem dicere est, magis ordinata esse quae fiunt a natura quam ipsa institutio naturae a primo agente, cum totus ordo naturae exinde derivetur. Manifestum est igitur res a Deo productas esse propter finem.

Chapitre 100 — DIEU FAIT TOUTES CHOSES POUR UNE FIN

Puisqu’on a montré (chapitre 96) que Dieu produit l’être des choses non par nécessité de nature mais avec intelligence et volonté et qu’un tel agent agit pour une fin — car l’opération intelligente a comme principe d’agir pour un fin — il faut donc que tout ce que Dieu fait soit fait pour une fin. De plus, la production des choses par Dieu est la meilleure qui soit; en effet c’est le propre du plus parfait de faire chaque chose au plus parfait. Or c’est mieux de faire quelque chose pour une fin que sans intention de la fin; car c’est de la fin que provient la bonté des choses qui sont faites. Les choses sont donc faites par Dieu en vue d’une fin.

On en trouve aussi une preuve dans les choses que la nature produit dans lesquelles rien n’est inutile mais chacune ayant sa raison d’être. Or il ne convient pas qu’on dise que ce que fait la nature est mieux ordonné que l’institution même de cette nature par le premier agent, puis que tout l’ordre de la nature dérive de lui. Il est donc évident que les choses sont produites par Dieu en vue d’une fin.

 

 

Caput 101 [70159] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 101 tit. Quod ultimus finis omnium est divina bonitas


 [70160] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 101 Oportet autem ultimum finem rerum divinam bonitatem esse.
Rerum enim factarum ab aliquo agente per voluntatem, ultimus finis est quod est primo et per se volitum ab agente, et propter hoc agit agens omne quod agit. Primum autem volitum divinae voluntatis est eius bonitas, ut ex superioribus patet. Necesse est igitur omnium rerum factarum a Deo, ultimum finem divinam bonitatem esse. Item. Finis generationis uniuscuiusque rei generatae est forma eiusdem, hac enim adepta generatio quiescit. Unumquodque enim generatum, sive per artem sive per naturam, secundum suam formam similatur aliquo modo agenti, nam omne agens agit aliqualiter sibi simile. Domus enim quae est in materia, procedit a domo quae est in mente artificis. In naturalibus etiam homo generat hominem; et si aliquid sit genitum vel factum secundum naturam, quod non sit simile generanti secundum speciem, similatur tamen suis agentibus sicut imperfectum perfecto. Ex hoc enim contingit quod generatum generanti secundum speciem non similatur, quia ad eius perfectam similitudinem non possit pervenire, sed aliqualiter eam imperfecte participat; sicut animalia et plantae quae generantur ex virtute solis. Omnium igitur quae fiunt, finis generationis sive perfectionis est forma facientis vel generantis, ut scilicet ad eius similitudinem perveniatur. Forma autem primi agentis, scilicet Dei, non est aliud quam eius bonitas. Propter hoc igitur omnia facta sunt ut divinae bonitati assimilentur.

Chapitre 101 — LA BONTÉ DIVINE EST LA FIN DERNIÈIŒ DE TOUTES LES CHOSES

Or il faut que la fin dernière de toutes les choses soit la bonté divine. En effet des choses qu’un agent fait volontairement leur dernière fin est ce que l’agent veut d’abord et en soi, et c’est pour cela que l’agent fait ce qu’il fait. Or la première chose que veut la divine volonté c’est sa bonté, comme il est clair par ce qu’on a dit plus haut (chapitre 32). Il est donc nécessaire que de toutes les choses faites par Dieu la fin dernière soit la bonté divine.

De même. La fin de la génération de toute chose engendrée est sa forme, laquelle une fois obtenue, la génération cesse. En effet tout ce qui est engendré soit artificiellement, soit naturellement ressemble en manière à son auteur, car tout agent produit en une certaine mesure quelque chose qui lui ressemble. En effet la maison matérielle provient du modèle qui est dans l’esprit de l’artisan. Dans les choses de la nature également, un homme engendre un homme; et si quelque chose est fait ou engendré selon la nature qui ne soit pas semblable â son auteur quant à l’espèce il ressemble cependant à auteurs comme l’imparfait au parfait. En effet il arrive que ce qui est engendré ne ressemble pas à ce qui engendre parce qu’il ne peut parvenir à sa ressemblance par faite, il y participe cependant imparfaitement, comme certains animaux ou plantes sous l’action du soleil. La fin de la génération ou de la perfection de toutes les choses qu se font est la forme de leur auteur ou de leur géniteur c’est-à-dire qu’elles puissent parvenir à sa ressemblance. Or la forme du premier agent, c’est-à-dire Dieu, n’est autre que sa bonté. A cause de cela donc toutes les choses ont été faites pour être assimilées à la divine bonté.

 

 

Caput 102 [70161] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 102 tit. Quod divina assimilatio est causa diversitatis in rebus


 [70162] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 102 Ex hoc igitur accipienda est ratio diversitatis et distinctionis in rebus. Quia enim divinam bonitatem perfecte repraesentari impossibile fuit propter distantiam uniuscuiusque creaturae a Deo, necessarium fuit ut repraesentaretur per multa, ut quod deest ex uno, suppleretur ex alio. Nam et in conclusionibus syllogisticis quando per unum medium non sufficienter demonstratur conclusio, oportet media multiplicari ad conclusionis manifestationem, ut in syllogismis dialecticis accidit. Nec tota tamen universitas creaturarum perfecte divinam bonitatem repraesentat per aequiparantiam, sed secundum perfectionem creaturae possibilem. Item. Illud quod inest causae universali simpliciter et unite, invenitur in effectibus multipliciter et distincte: nobilius est enim aliquid in causa quam in effectibus.
Divina autem bonitas una et simplex principium est et radix totius bonitatis quae in creaturis invenitur. Necesse est igitur sic creaturas divinae bonitati assimilari sicut multa et indistincta assimilantur uni et simplici. Sic igitur multitudo et distinctio provenit in rebus non casualiter aut fortuito, sicut nec rerum productio est a casu vel a fortuna, sed propter finem. Ex eodem enim principio est esse et unitas et multitudo in rebus. Neque enim distinctio rerum causatur ex materia: nam prima rerum institutio est per creationem, quae materiam non requirit. Similiter quae solum ex necessitate materiae proveniunt, casualia esse videntur. Similiter autem neque multitudo in rebus causatur propter ordinem mediorum agentium, puta quod ab uno primo simplici procedere immediate non potuerit nisi unum, distans tamen a primo in simplicitate, ita quod ex eo iam procedere potuerit multitudo, et sic deinceps quanto magis a primo simplici receditur, tanto numerosior multitudo invenitur, ut aliqui posuerunt. Iam enim ostensum est quod plura sunt quae in esse prodire non potuerunt nisi per creationem, quae solius Dei est, ut supra ostensum est. Unde relinquitur quod ab ipso Deo sunt plura immediate creata. Manifestum est etiam quod secundum hanc positionem, rerum multitudo et distinctio casualis esset, quasi non intenta a primo agente. Est enim multitudo rerum et distinctio ab intellectu divino excogitata et instituta in rebus ad hoc quod diversimode divina bonitas a rebus creatis repraesentetur, et eam secundum diversos gradus diversa participarent, ut sic ex ipso diversarum rerum ordine quaedam pulchritudo resultet in rebus quae divinam sapientiam commendaret.

Chapitre 102 — LA DIVINE RESSEMBLANCE EST CAUSE DE LA DIVERSITÉ DES CHOSES
 

De là vient la diversité et la distinction dans les choses. Car il était impossible que la divine bonté soit parfaitement représentée dans la créature infiniment distante de Dieu. Il était donc nécessaire qu’elle soit représentée en beaucoup de choses afin que ce qui manque à l’une soit suppléé par l’autre. Car dans les argumentations, quand par un terme moyen on ne peut arriver à conclure, il faut multiplier les termes pour pouvoir conclure, comme c’est le cas dans le syllogisme dialectique. Ni cependant toute l’universalité des choses ne parvient pas à égaler la divine bonté parfaitement mais selon une perfection relative.

De même, ce qui se trouve simplement et de manière unique dans la cause universelle se retrouve dans ses effets d’une manière multiple et distincte; car une c se trouve plus noblement dans la cause que dans se effets. L’unique et simple bonté divine est le principe et h source de tout le bien qui se trouve dans les Donc il est nécessaire que les créatures soient assimilées à la bonté divine comme les choses multiples et indistincte le sont à l’unique et au simple. Ainsi donc la multiplicité et la distinction ne vient pas du hasard et fortuitement dans les choses comme aussi ne l’est leur production par le hasard et fortuitement mais en vertu d’une fin. Du même principe vient en effet l’être et l’unité et la multipicité dans les choses. Et en effet la distinction des choses n’a pas sa cause dans la matière; car leur première formation s’est produite par création laquelle ne requiert pas la matière. De même ce qui provient de la seule matiière, se produit au hasard.

De même ni la multiplicité dans les choses n’est produite par succession d’agents intermédiaires, par exemple qu’à partir d’un être premier simple ne peut procéder immédiatement qu’un seul être, distant cependant en simplicité de sorte que de lui puisse désormais procéder la multitude et ainsi de suite, et plus on s’éloigne du premier qui est simple plus grande est la multiplicité, comme certains l’ont avancé. En effet on a déjà montré (chapitre 95) que le multiple peut, seulement par création, venir à l’existence; ce qui appartient uniquement à Dieu, comme on l’a vu (chapitre 70). D’où il ressort que c’est Dieu lui-même qui peut directement créer le multiple.

Selon leur position, il est évident que la multitude des choses et leur distinction seraient l’oeuvre du hasard, n’étant pas voulues par leur premier auteur. Car cette multiplicité et cette distinction ont été conçues par l’intellect divin et réalisées dans les choses dans le but de représenter diversement la bonté divine; par leur création et par leur diversité elles y participent selon divers degrés. Et ainsi de l’ordonnance même des différentes choses il en résulte une beauté des choses qui met en valeur la Sagesse divine.

 

 

Caput 103 [70163] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 103 tit. Quod non solum divina bonitas est causa rerum, sed etiam omnis motus et operationis


 [70164] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 103 Non solum autem institutionis rerum finis est divina bonitas, sed etiam omnis operationis et motus creaturae cuiuslibet necesse est divinam bonitatem finem esse.
Unumquodque enim quale est talia agit, sicut calidum calefacit. Quaelibet autem res creata secundum suam formam similitudinem quamdam participat divinae bonitatis, ut ostensum est. Ergo et omnis actio et motus creaturae cuiuslibet in divinam bonitatem ordinatur sicut in finem. Praeterea. Omnis motus et operatio rei cuiuslibet in aliquid perfectum tendere videtur. Perfectum autem habet rationem boni, perfectio enim cuiuslibet rei est bonitas eius. Omnis igitur motus et actio rei cuiuslibet ad bonum tendit. Bonum autem quodlibet est similitudo quaedam summi boni, sicut et ens quodlibet est similitudo primi entis. Igitur motus et actio cuiuslibet rei tendit in assimilationem bonitatis divinae. Praeterea. Si sint multa agentia ordinem habentia, necesse est quod omnium agentium actiones et motus ordinentur in bonum primi agentis sicut in finem ultimum. Cum enim a superiori agente inferiora agentia moveantur, et omne movens moveat ad finem proprium, oportet quod actiones et motus inferiorum agentium tendant in finem primi agentis: sicut in exercitu omnium ordinum actiones ordinantur sicut in ultimum ad victoriam, quae est finis ducis. Ostensum autem est supra quod primum movens et agens est Deus; finis autem eius non est aliud quam sua bonitas, ut etiam supra ostensum est. Necesse est igitur quod omnes actiones et motus quarumcumque creaturarum sint propter divinam bonitatem, non quidem causandam, neque augendam, sed suo modo acquirendam, participando siquidem aliquam similitudinem eius. Divinae autem bonitatis similitudinem res creatae per suas operationes diversimode consequuntur, sicut et diversimode secundum suum esse ipsam repraesentant: unumquodque enim operatur secundum quod est. Quia igitur omnibus creaturis commune est ut divinam bonitatem repraesentent inquantum sunt, ita omnibus commune est ut per operationes suas consequantur divinam similitudinem in conservatione sui esse et communicatione sui esse ad alterum. Unaquaeque enim creatura in sua operatione primo quidem se in esse perfecto secundum quod est possibile conservare nititur, in quo suo modo tendit in similitudinem divinae perpetuitatis. Secundo vero per suam operationem unaquaeque creatura suum esse perfectum alteri communicare conatur secundum suum modum, et per hoc tendit in similitudinem divinae causalitatis. Sed creatura rationalis per suam operationem tendit in divinam similitudinem singulari quodam modo prae ceteris, sicut et prae ceteris creaturis nobilius esse habet: esse enim creaturarum ceterarum, cum sit per materiam constrictum, est finitum, ut infinitatem non habeat nec actu nec potentia. Omnis vero natura rationalis infinitatem habet vel actu vel potentia, secundum quod intellectus continet in se intelligibilia. In nobis igitur intellectualis natura in suo primo esse considerata est in potentia ad sua intelligibilia, quae cum sint infinita, infinitatem quamdam habent in potentia. Unde intellectus est species specierum, quia non habet tantum speciem determinatam ad unum, ut lapis, sed speciem omnium specierum capacem. Natura vero intellectualis in Deo infinita est in actu, utpote in se praehabens totius entis perfectionem, ut supra ostensum est. Creaturae vero aliae intellectuales medio modo se habent inter potentiam et actum. Tendit igitur intellectualis creatura per suam operationem in divinam similitudinem, non in hoc solum quod se in esse conservet, vel suum esse quodammodo communicando multiplicet, sed ut in se habeat actu quod per naturam in potentia habet. Est igitur finis intellectualis creaturae, quem per suam operationem consequitur, ut intellectus eius totaliter efficiatur in actu secundum omnia intelligibilia quae in potentia habet: secundum hoc enim maxime Deo similis erit.

Chapitre 103 — EN PLUS DE LA CAUSALITÉ DES CHOSES, LA BONTÉ DIVINE EST LA CAUSE DE LEUR MOUVEMENT ET DE LEUR ACTIVITÉ

Non seulement la fin de la formation des choses est la bonté de Dieu, mais celle-ci est aussi le but de toute activité et mouvement de toutes les créatures. En effet tout ce qui est, agit selon la nature, comme ce qui est chaud produit de la chaleur. Or toute chose créée selon sa forme participe à une certaine ressemblance de la bonté de Dieu comme on l’a montré (chapitre 101). Donc toute action ou mouvement de n’importe quelle créature est ordonné au bien divin comme en vue d’une fin.

En outre, tout mouvement ou activité de n’importe qu’elle chose tend vers quelque chose de parfait. Or qui est parfait a raison de bien, car la perfection de la chose est ce qui fait sa bonté. Donc tout mouvement ou action d’une chose tend vers le bien. Or tout bien est une ressemblance du bien suprême tout comme l’être est similitude de l’être premier. Donc le mouvement ou l’activité de n’importe quelle chose est ordonné à la bonté comme à sa fin.

En outre, s’il y a beaucoup d’agents ordonnés entre eux, il est nécessaire que les actions et mouvements de tous les agents soient ordonnés au bien du premier agent comme vers leur fin dernière. Comme en effet un agent supérieur qui met en mouvement les agents inférieurs et que tout moteur meut vers sa propre fin, il faut que les actions et les mouvements des agents inférieurs tendent à la fin du premier agent, comme dans une armée les actions de tous ont comme dernier but la victoire qui est la fin par le chef. Or, on a montré plus haut (chapitre 3) que le premier moteur et auteur est Dieu; et sa fin n’est autre que sa bonté, comme on l’a montré (chapitres 32 et 101). Il est donc nécessaire que toutes les actions et mouvements de n’importe quelle créature se fassent en vue de la bonté divine, non pour la causer ou pour l’augmenter, mais pour l’acquérir selon leur manière comme une Participation à sa ressemblance.

Diversement les choses créées par leur activité obtiennent-elles la ressemblance divine, comme diversement aussi selon leur être elles la représentent; en effet chaque chose opère selon ce qu’elle est. Parce que donc il est commun à toutes les créatures de représenter la bonté divine en tant qu’elles existent ainsi est-il commun à toutes d’arriver par leurs opérations à la divine ressemblance tant pour la conservation de leur être que pour le communiquer à d’autres. En effet toute créature dans son activité s’efforce d’abord de conserver son être aussi parfaitement que possible; en cela elle tend à sa manière de ressembler à la perpétuité divine; ensuite par son opération chaque créature s’efforce selon son mode de communiquer à une autre son être parfait selon sa manière et en cela elle tend à ressembler à la causalité divine.

Quant à la créature rationnelle, elle tend par son opération à la ressemblance divine d’une façon singulière au-dessus des autres créatures, de même qu’au-dessus d’elles elle jouit d’une plus noble existence. En effet l’être des autres créatures étant restreint par la matière, il est fini de sorte qu’il ne possède l’infini ni en acte ni en puissance. Toute nature rationnelle au contraire possède cet infini soit en acte soit en puissance selon que l’intellect contient en soi les choses intelligibles. Chez nous donc la nature intelligible considérée dans son être premier est en puissance à ses intelligibles qui étant infinis possèdent l’infini au moins en puissance. D’où l’intelligence est représention d’images qui n’est pas déterminée à une seule image comme la pierre mais elle est capable de représenter toutes les images des choses. Mais la nature intellectuelle en Dieu est infinie en acte en tant qu’elle possède dans la perfection de tout l’être, comme on l’a montré haut (chapitre 21). Mais les autres créatures intellectuelles tiennent le milieu entre la puissance et l’acte La nature intellectuelle tend donc par son opération vers la ressemblance divine non seulement en ce qu’elle conserve son être ou qu’elle la multiplie à sa manière en le communiquant mais pour posséder en acte ce que par sa elle a en puissance. La fin donc de la créature intellectuelle, qu’elle obtient par son opération propre, est de faire que son intelligence réalise totalement en acte tous les intelligibles qu’elle a en puissance; c’est ainsi en effet qu’elle se rendra la plus semblable à Dieu.

 

 

Caput 104 [70165] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 104 tit. De duplici potentia, cui in rebus respondet duplex intellectus, et quis sit finis intellectualis creaturae


 [70166] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 104 Est autem aliquid in potentia dupliciter: uno modo naturaliter, respectu eorum scilicet quae per agens naturale possunt reduci in actum; alio modo respectu eorum quae reduci non possunt in actum per agens naturale, sed per aliquod aliud agens, quod quidem in rebus corporalibus apparet.
Quod enim ex puero fiat vir, est in potentia naturali, vel quod ex semine fiat animal. Sed quod ex ligno fiat scamnum, vel ex caeco fiat videns, non est in potentia naturali. Sic autem et circa intellectum nostrum accidit. Est enim intellectus noster in potentia naturali respectu quorumdam intelligibilium, quae scilicet reduci possunt in actum per intellectum agentem, qui est principium innatum nobis, ut per ipsum efficiamur intelligentes in actu. Est autem impossibile nos ultimum finem consequi per hoc quod intellectus noster sic reducatur in actum: nam virtus intellectus agentis est ut phantasmata, quae sunt intelligibilia in potentia, faciat intelligibilia in actu, ut ex superioribus patet. Phantasmata autem sunt accepta per sensum. Per intellectum igitur agentem intellectus noster in actum reducitur respectu horum intelligibilium tantum in quorum notitiam per sensibilia possumus devenire. Impossibile est autem in tali cognitione ultimum hominis finem consistere. Nam ultimo fine adepto, desiderium naturale quiescit. Quantumcumque autem aliquis proficiat intelligendo secundum praedictum modum cognitionis quo a sensu scientiam percipimus, adhuc remanet naturale desiderium ad alia cognoscenda. Multa enim sunt ad quae sensus pertingere non potest, de quibus per sensibilia non nisi modicam notitiam accipere possumus, ut forte sciamus de eis quod sint, non autem quid sint, eo quod substantiarum immaterialium quidditates alterius generis sunt a quidditatibus rerum sensibilium, et eas quasi improportionabiliter transcendentes. Circa ea etiam quae sub sensum cadunt, multa sunt quorum rationem cognoscere per certitudinem non possumus, sed quorumdam quidem nullo modo, quorumdam vero debiliter. Unde semper remanet naturale desiderium respectu perfectioris cognitionis. Impossibile est autem naturale desiderium esse vanum. Consequimur igitur ultimum finem in hoc quod intellectus noster fiat in actu, aliquo sublimiori agente quam sit agens nobis connaturale, quod quiescere faciat desiderium quod nobis inest naturaliter ad sciendum. Tale est autem in nobis sciendi desiderium, ut cognoscentes effectum, desideremus cognoscere causam, et in quacumque re cognitis quibuscumque eius circumstantiis, non quiescit nostrum desiderium, quousque eius essentiam cognoscamus. Non igitur naturale desiderium sciendi potest quietari in nobis, quousque primam causam cognoscamus, non quocumque modo, sed per eius essentiam. Prima autem causa Deus est, ut ex superioribus patet. Est igitur finis ultimus intellectualis creaturae, Deum per essentiam videre.

Chapitre 104 — IL Y A DANS LES CHOSES UNE DOUBLE PUISSANCE A LAQUELLE CORRESPOND UN DOUBLE INTELLECT ET DE LA FIN DE LA CRÉATURE INTELLECTUELLE

Quelque chose est en puissance de deux manières d’une part naturellement c’est-à-dire par rapport aux choses qu’un agent naturel peut réduire en acte; d’autre part quant aux choses qui ne peuvent pas être réduites en acte par un agent naturel mais par un autre; ce qui apparaît dans les choses naturelles.

En effet qu’un enfant devienne un homme ou que d’une semence provienne un animal il s’agit d’une puissance naturelle. Mais que du bois devienne un banc ou qu’un aveugle Voie n’est pas dans la puissance naturelle. Or il en est ainsi de notre intellect. En effet notre intelligence est en puissance naturelle à des intelligibles qui peuvent être actués par l’intellect agent qui nous est un principe inné afin que par lui nous devenions intelligents en acte.

Mais il est impossible que nous obtenions la fin dernière du fait que notre intellect est ainsi actué; car c’est le propre de l’intellect agent de faire.que les phantasme qui sont des intelligibles en puissance deviennent des intelligibles en acte, comme on l’a vu plus haut (chapitre 83). Or les phantasmes nous viennent des sens. Par l'intellect agent notre intelligence est réduite en acte par les seuls intelligibles venus des choses sensibles. Or il est impossible que dans une telle connaissance puisse consister la fin dernière de l’homme. Car la fin dernière étant atteinte, tout désir naturel vient à cesser. Or aussi loin que quelqu’un progresse dans l’intelligence des choses, selon ce mode de connaissance qui puise la science à partir des sens, le désir naturel de connaître d’autres choses demeure. En effet y a bien des choses que nos sens ne peuvent atteindre ou qui ne nous en donnent qu’une faible notion, comme peut-être de savoir qu’elles sont mais non pas ce qu’elles sont; car les quiddités des substances immatérielles sont autres que celles des choses sensibles et elles les dépassent presque sans comparaison possible.

Quant à ces choses qui tombent sous les sens, il y en a beaucoup dont nous ne pouvons connaître la nature avec certitude; certaines ne sont nullement connues et d’autres faiblement. D’où le désir naturel demeure toujours d’une connaissance plus parfaite. Or il n’est pas possible que le désir naturel soit vain.

Nous obtenons donc notre dernière fin en ce que notre intelligence passe à l’acte par un agent supérieur à celui qui nous est connaturel et qui fasse cesser en nous le désir naturel de connaître. Or tel est en nous le désir de con naître que connaissant un effet nous désirons en connaître la cause; et en toute chose, connaissant toutes les circonstances, notre désir ne cesse que nous n’ayons saisi son essence. Donc ce désir naturel de savoir ne peut être assouvi en nous que si nous connaissons la cause première, non pas n’importe comment mais par son essence. Or la cause première est Dieu, comme on l’a vu plus haut (chapitres 3 et 68). La fin dernière de la créature intellectuelle est donc de voir Dieu par essence.

 

2° La fin de l’homme (chapitre 105 à 110)

Caput 105 [70167] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 105 tit. Quomodo finis ultimus intellectualis creaturae est Deum per essentiam videre, et quomodo hoc possit


 [70168] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 105 Hoc autem quomodo possibile sit considerandum est. Manifestum est autem quod cum intellectus noster nihil cognoscat nisi per aliquam speciem eius, impossibile est quod per speciem rei unius cognoscat essentiam alterius; et quanto magis species per quam cognoscit intellectus, plus distat a re cognita, tanto intellectus noster imperfectiorem cognitionem habet de essentia rei illius, ut puta, si cognosceret bovem per speciem asini, cognosceret eius essentiam imperfecte, scilicet quantum ad genus tantum; magis autem imperfecte si cognosceret per lapidem, quia cognosceret per genus magis remotum. Si autem cognosceret per speciem alicuius rei quae nulli bovi communicaret in genere, nullo modo essentiam bovis cognosceret. Manifestum est autem ex superioribus quod nullum creatum communicat cum Deo in genere. Per quamcumque igitur speciem creatam non solum sensibilem, sed intelligibilem, Deus cognosci per essentiam non potest. Ad hoc igitur quod ipse Deus per essentiam cognoscatur, oportet quod ipse Deus fiat forma intellectus ipsum cognoscentis, et coniungatur ei non ad unam naturam constituendam, sed sicut species intelligibilis intelligenti.
Ipse enim sicut est suum esse, ita est sua veritas, quae est forma intellectus. Necesse est autem quod omne quod consequitur aliquam formam, consequatur dispositionem aliquam ad formam illam. Intellectus autem noster non est ex ipsa sua natura in ultima dispositione existens respectu formae illius quae est veritas, quia sic a principio ipsam assequeretur. Oportet igitur quod cum eam consequitur, aliqua dispositione de novo addita elevetur, quam dicimus gloriae lumen: quo quidem intellectus noster a Deo perficitur, qui solus secundum suam naturam hanc propriam formam habet, sicut nec dispositio caloris ad formam ignis potest esse nisi ab igne: et de hoc lumine in Psal. XXXV, 10, dicitur: in lumine tuo videbimus lumen.

Chapitre 105 — COMMENT LA FIN DERNIÈRE DE LA CRÉATURE INTELLECTUELLE EST DE VOIR PAR ESSENCE ET COMMENT CELA EST POSSIBLE

Or il nous faut savoir comment cela est possible. Et comme il est manifeste que notre intelligence ne peut con naître une chose que par son espèce, il est impossible que l’espèce de l’une en fasse connaître une autre. Et plus l’espèce par laquelle l’intelligence connaît diffère de la chose connue, d’autant plus aussi notre intelligence connaîtra-t-elle imparfaitement l’essence de cette chose : par exemple savoir ce qu’est un boeuf sachant ce qu’est un âne, on en connaîtrait l’essence imparfaitement, c’est-à-dire quant à son genre seulement; et encore moins si elle ne connaît que l’espèce de la pierre qui est un genre encore plus éloigné. Si elle connaissait par l’espèce d’une chose qui n’aurait rien du boeuf en aucun genre, elle ne connaîtrait aucunement ce que peut être un boeuf.

Il est évident par ce qu’on a dit plus haut (chapitres 12, 13 et 14) qu’aucune créature ne communique en genre avec Dieu. Aucune espèce créée, non seulement sensible mais intelligible, ne peut me faire connaître ce que Dieu est. Pour ce faire il faut alors que Dieu devienne forme de mon intelligence et qu’il lui soit uni non pour constituer une nature mais comme espèce intelligible en celui qui connaît. Lui-même en effet comme il est son être, est aussi sa vérité laquelle est la forme de l’intelligence.

Or il faut pour tout ce qui acquiert une forme qu’il y soit disposé. Or de par sa nature l’intelligence n’est pas dans l’ultime disposition par rapport à cette forme qu’est la vérité, car dès le début elle l’aurait atteinte. Il faut donc que pour l’atteindre elle soit élevée par une nouvelle disposition et que nous appelons lumière de gloire, par quoi Dieu parfait notre intelligence, lui seul ayant naturellement cette forme qui lui est propre, tout comme la dis position à la forme du feu ne peut Venir que du feu. Et de cette lumière il est question au Ps 35 : "En ta lumière nous verrons la lumière"

 

 

Caput 106 [70169] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 106 tit. Quomodo naturale desiderium quiescit ex divina visione per essentiam, in qua beatitudo consistit


 [70170] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 106 Hoc autem fine adepto, necesse est naturale desiderium quietari, quia essentia divina, quae modo praedicto coniungetur intellectui Deum videntis, est sufficiens principium omnia cognoscendi, et fons totius bonitatis, ut nihil restare possit ad desiderandum.
Et hic etiam est perfectissimus modus divinam similitudinem consequendi, ut scilicet ipsum cognoscamus eo modo quo se ipse cognoscit, scilicet per essentiam suam, licet non comprehendamus ipsum sicut ipse se comprehendit: non quod aliquam partem eius ignoremus, cum partem non habeat, sed quia non ita perfecte ipsum cognoscemus sicut cognoscibilis est, cum virtus intellectus nostri in intelligendo non possit adaequari veritati ipsius secundum quam cognoscibilis est, cum eius claritas seu veritas sit infinita, intellectus autem noster finitus. Intellectus autem eius infinitus est, sicut et veritas eius, et ideo ipse tantum se cognoscit quantum cognoscibilis est. Sicut conclusionem demonstrabilem ille comprehendit qui eam per demonstrationem cognoscit, non autem qui cognoscit eam imperfectiori modo, scilicet per rationem probabilem. Et quia ultimum finem hominis dicimus beatitudinem, in hoc consistit hominis felicitas, sive beatitudo, quod Deum videat per essentiam, licet in perfectione beatitudinis multum distet a Deo, cum hanc beatitudinem Deus per suam naturam habeat, homo vero eam consequatur per divini luminis participationem, ut supra dictum est.

Chapitre 106 — LE DÉSIR NATUREL S’APAISE DANS LA VISION DIVINE PAR ESSENCE, EN QUOI CONSISTE LA BÉATITUDE

Cette fin une fois atteinte il est nécessaire que le désir naturel soit au repos, car l’essence divine qui de cette façon est jointe à l’intelligence de celui qui voit Dieu est le principe suffisant de toute connaissance et la source de tout bien en sorte qu’il ne reste plus rien à désirer.

Et c’est aussi le mode le plus parfait d’atteindre à la ressemblance divine c’est-à-dire que nous le connaissions de la même manière qu’il se connaît, soit par son essence, bien que nous ne le comprenions pas comme il se connaît. Non que nous en ignorerions une partie puisqu’il n’a pas de partie, mais parce que nous ne le connaissons pas aussi parfaitement qu’il est connaissable; car le pouvoir de notre intelligence dans son acte de penser ne peut égaler sa vérité selon qu’elle est connaissable; sa clarté ou sa verité est infinie et notre intelligence est finie. Or son intelligence est infinie comme aussi sa vérité et donc lui se connaît autant qu’il est connaissable. Comme celui qui comprend une conclusion démontrable parce qu’il en saisit la démonstration, mais non pas celui qui la connaît de manière plus imparfaite c’est-à-dire par une raison probable.

Et parce que nous appelons béatitude la fin dernière de l’homme en cela consiste la félicité ou la béatitude de l’homme qu’il voit Dieu en son essence, bien que dans la perfection de la béatitude il soit très distant de Dieu. Cette béatitude, Dieu la possède naturellement et l’homme l’obtient par participation à la lumière divine.

 

 

Caput 107 [70171] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 107 tit. Quod motus in Deum ad beatitudinem consequendam assimilatur motui naturali, et quod beatitudo est in actu intellectus


 [70172] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 107 Considerandum est autem, quod cum procedere de potentia in actum vel sit motus, vel sit simile motui, circa processum huius beatitudinis consequendum similiter se habet sicut in motu vel in mutatione naturali. In motu enim naturali primo quidem consideratur aliqua proprietas per quam proportionatur vel inclinatur mobile ad talem finem, sicut gravitas in terra ad hoc quod feratur deorsum: non enim moveretur aliquid naturaliter ad certum finem, nisi haberet proportionem ad illum. Secundo autem consideratur ipse motus ad finem. Tertio autem ipsa forma vel locus. Quarto autem quies in forma vel in loco. Sic igitur in intellectuali motu ad finem, primum quidem est amor inclinans in finem; secundum autem est desiderium, quod est quasi motus in finem, et operationes ex tali desiderio provenientes; tertium autem est ipsa forma, quam intellectus consequitur; quartum autem est delectatio consequens, quae nihil est aliud quam quietatio voluntatis in fine adepto.
Sicut igitur naturalis generationis finis, est forma et motus localis locus, non autem quies in forma vel loco, sed hoc est consequens finem, et multo minus motus est finis, vel proportio ad finem: ita ultimus finis creaturae intellectualis est videre Deum, non autem delectari in ipso, sed hoc est comitans finem, et quasi perficiens ipsum. Et multo minus desiderium vel amor possunt esse ultimus finis, cum etiam hoc ante finem habeatur.

Chapitre 107 — QUE LE MOUVEMENT VERS POUR LA POSSESSION DE LA BÉATITUDE S’APPARENTE AU MOUVEMENT NATUREL ET QUE LA BÉATITUDE CONSISTE PANS UN ACTE DE L’INTELLIGENCE

Puisque passer de la puissance à l’acte est un mouvement, ou quelque chose de semblable, il faudra considérer le passage vers la béatitude comme quand il s’agit d’un mouvement ou d’un changement naturel. Dans celui-ci en effet ce qu’on considère d’abord est une propriété qui le proportionne ou l’incline vers telle fin, comme la gravité terrestre qui attire vers le bas. Quelque chose en effet ne se meut pas naturellement vers une fin s’il n’a pas de proportion à celle-ci. Ensuite on considère le mouvement lui-même vers la fin; en troisième lieu la forme elle-même ou l’endroit; enfin le repos dans la forme ou da l’endroit.

Ainsi dans le mouvement intellectuel vers la fin on d’abord l’amour qui porte vers la fin; ensuite le désir qui est comme le mouvement vers la fin et les opérations proviennent d’un tel désir; en troisième lieu la forme que l’intelligence atteint; enfin la délectation conséquente qui n’est autre que le repos de la volonté dans la fin obtenue.

De même donc que la forme est la fin de la naturelle et le lieu la fin du mouvement local, et non le repos dans la forme ou le lieu qui est la conséquence de la fin obtenue, et beaucoup moins encore le mouvement est une fin ou proportion à la fin : ainsi la fin de la créature intellectuelle est de voir Dieu et non de se délecter en lui, mais cela accompagnant la fin et comme le perfectionnant. Et beaucoup moins le désir ou l’amour être la fin dermère puisqu’ils ont lieu avant la fin.

 

 

Caput 108 [70173] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 108 tit. De errore ponentium felicitatem in creaturis


 [70174] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 108 Manifestum est ergo quod felicitas falso a quibusdam quaeritur, in quibuscumque praeter Deum quaeratur, sive in voluptatibus corporalibus, quae sunt et brutis communes; sive in divitiis, quae ad conservationem habentium proprie ordinantur, quae est communis finis omnis entis creati; sive in potestatibus, quae ordinantur ad communicandam perfectionem suam aliis, quod etiam diximus omnibus esse commune; sive in honoribus vel fama, quae alicui debentur secundum quod finem iam habet, vel ad finem bene dispositus est; sed nec in cognitione quarumcumque rerum etiam supra hominem existentium, cum in sola divina cognitione desiderium hominis quietetur.

Chapitre 108 — DE L’ERREUR DE CEUX QUI METFENT LEUR FÉLICITÉ DANS LES CRÉATURES

Il est donc manifeste que c’est à tort que c'est à tort que certains recherchent la félicité s’ils la recherchent en tout autre chose que Dieu : soit dans les plaisirs charnels qui leur sont communs avec les animaux; soit dans les richesses qui sont ordonnées à la conservation de ceux qui les possèdent, ce qui est la fin commune à tout ce qui est créa- turc; soit dans le pouvoir qui est ordonné à communiquer sa perfection aux autres, ce que nous avons aussi dit être commun à tous (chapitre 103); soit dans les honneurs ou la renommée que l’on doit à quelqu’un selon qu’il a déjà atteint sa fin ou qu’il y est bien disposé; ni même enfin dans la connaissance de choses fussent-elles au-dessus de l’homme, puisqu’aussi bien c’est dans la seule connaissance de Dieu que le désir de l’homme trouve son repos.

 

 

Caput 109 [70175] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 109 tit. Quod solus Deus est bonus per essentiam, creaturae vero per participationem


 [70176] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 109 Ex praemissis igitur apparet quod diversimode se habent ad bonitatem Deus et creaturae, secundum duplicem modum bonitatis quae in creaturis potest considerari. Cum enim bonum habeat rationem perfectionis et finis, secundum duplicem perfectionem et finem creaturae attenditur duplex eius bonitas. Attenditur enim quaedam creaturae perfectio secundum quod in sua natura persistit, et haec est finis generationis aut factionis ipsius. Alia vero perfectio ipsius attenditur, quam consequitur per suum motum vel operationem, et haec est finis motus vel operationis ipsius.
Secundum utramque vero creatura deficit a bonitate divina: nam cum forma et esse rei sit bonum et perfectio ipsius secundum quod in sua natura consideratur, substantia composita neque est sua forma neque suum esse; substantia vero simplex creata etsi sit ipsa forma, non tamen est suum esse. Deus vero est sua essentia et suum esse, ut supra ostensum est. Similiter etiam omnes creaturae consequuntur perfectam bonitatem ex fine extrinseco. Perfectio enim bonitatis consistit in adeptione finis ultimi. Finis autem ultimus cuiuslibet creaturae est extra ipsam, qui est divina bonitas, quae quidem non ordinatur ad ulteriorem finem. Relinquitur igitur quod Deus modis omnibus est sua bonitas, et est essentialiter bonus; non autem creaturae simplices, tum quia non sunt suum esse, tum quia ordinantur ad aliquid extrinsecum sicut ad ultimum finem. In substantiis vero compositis manifestum est quod nullo modo sunt sua bonitas. Solus igitur Deus est sua bonitas et essentialiter bonus; alia vero dicuntur bona secundum participationem aliquam ipsius.

Chapitre 109 — QUE SEUL EST BON ESSENTIELLEMENT ET LES CRÉATURES PAR PARTICIPATION

De ce que nous venons de dire, il apparaît donc que Dieu et les créatures se rapportent diversement à la bonté, selon le double mode de bonté que l’on peut considérer dans les créatures. Puisqu’en effet le bien a raison de perfection et de fin, selon une double perfection et fin qu'on peut noter dans la créature, double aussi est sa bonté. Car on peut considérer la perfection de la créature selon qu’elle persiste en sa nature qui est la fin de sa génération ou de sa production; l’autre perfection est celle qu’elle atteint par son propre mouvement ou opération et c’est la fin de son mouvement ou de son opération.

Dans ces deux cas la créature se sépare de la bonté divine : car comme la forme et l’être d’une chose est son bien et sa perfection selon qu’elle est considérée dans sa nature, une substance composée n’est ni sa forme ni son être. Quant à une substance simple créée même si elle est sa propre forme, elle n’est cependant pas son propre être. Mais Dieu est son essence et son être, comme on l’a montré plus haut (chapitre 10 et 11).

De même aussi toutes les créatures atteignent à leur bonté parfaite par une fin qui leur est extérieure. En effet la bonté parfaite consiste dans la fin dernière. Or celle-ci est extérieure à la créature et c’est la divine bonté qui elle n’est pas ordonnée à une fin ultérieure. Il reste donc que Dieu est sa propre bonté absolument il est essentiellement bon. Les créatures simples ne le sont pas et parce qu’elles ne sont pas leur être et parce qu’elles sont ordon nées à quelque chose d’extérieur comme à leur fin dernière. Quant aux créatures composées il est évident qu’elles ne sont en aucune façon leur propre bonté.

Dieu seul donc est sa propre bonté, il est bon essentiellement; les autres choses sont dites bonnes par une certaine participation avec Lui.

 

 

Caput 110 [70177] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 110 tit. Quod Deus non potest suam bonitatem amittere


 [70178] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 110 Per hoc autem apparet quod Deus nullo modo potest deficere a bonitate.
Quod enim alicui essentialiter inest, non potest ei abesse, sicut animal non potest ab homine removeri. Neque igitur Deum possibile est non esse bonum. Et ut magis proprio utamur exemplo, sicut non potest esse quod homo non sit homo, ita non potest esse quod Deus non sit perfecte bonus

Chapitre 110 — DIEU NE PEUT PAS PERDRE SA BONTÉ

D’où il ressort que Dieu ne peut en aucune façon perdre sa bonté. Car ce qui appartient à quelque chose essentiellement ne peut lui faire défaut, comme l’animalité ne peut être séparée de l’homme. Donc aussi il n’est pas possible que Dieu ne soit pas bon. Et pour nous servir d’un exemple encore plus adéquat, de même qu’un homme ne peut pas ne pas être homme ainsi il ne se peut que Dieu ne soit pas parfaitement bon.

 

3° Le mal dans les créatures (chapitre 111 à 122)

Caput 111 [70179] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 111 tit. Quod creatura possit deficere a sua bonitate


 [70180] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 111 In creaturis autem considerandum est, qualiter possit esse bonitatis defectus. Manifestum est autem quod duobus modis aliqua bonitas inseparabiliter inest creaturae: uno modo ex hoc quod ipsa bonitas est de essentia eius; alio modo ex hoc quod est determinata ad unum. Primo ergo modo in substantiis simplicibus ipsa bonitas, quae est forma, inseparabiliter se habet ad ipsas, cum ipsae essentialiter sint formae. Secundo autem modo bonum quod est esse, amittere non possunt. Non enim forma est sicut materia, quae se habet ad esse et non esse, sed forma consequitur esse, etsi etiam non sit ipsum esse. Unde patet quod substantiae simplices bonum naturae in qua subsistunt amittere non possunt, sed immutabiliter se habent in illo. Substantiae vero compositae, quia non sunt suae formae nec suum esse, bonum naturae amissibiliter habent, nisi in illis in quibus potentia materiae non se habet ad diversas formas, neque ad esse et non esse, sicut in corporibus caelestibus patet.

Chapitre 111 — LA CRÉATURE PEUT PERDRE SA BONTÉ

Il faut maintenant considérer dans les créatures comment elles peuvent perdre leur bonté. Il est manifeste que quelque chose est inséparable de la créature de deux manières : d’une part de ce que la bonté est de son essence; d’autre part de ce qu’elle est déterminée à une chose. Donc de la première manière dans les substances simples la bonté même qui leur est forme en est inséparable puisqu’elles sont essentiellement des formes. De la seconde manière le bien qui est leur être elles ne peuvent le perdre. La forme en effet n’est pas comme la matière qui peut être ou ne pas être, mais la forme est conséquence de l’être, même si elle n’est pas l’être lui-même. D’où il est clair que les substances simples ne peuvent perdre le bien naturel en quoi elles subsistent mais elles s’y tiennent immuablement. Quant aux substances composées, comme elles ne sont pas à elles-mêmes leur forme ni leur être elles peuvent perdre le bien naturel, à l’exception de celles où la potentialité de la matière est déterminée à une seule forme comme à être ou ne pas être, comme cela est clair dans les corps célestes.

 

 

Caput 112 [70181] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 112 tit. Quomodo deficiunt a bonitate secundum suas operationes


 [70182] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 112 Et quia bonitas creaturae non solum consideratur secundum quod in sua natura subsistit, sed perfectio bonitatis ipsius est in hoc quod ordinatur ad finem, ad finem autem ordinatur per suam operationem, restat considerare quomodo creaturae deficiant a sua bonitate secundum suas operationes, quibus ordinantur ad finem. Ubi primo considerandum est, quod de operationibus naturalibus idem est iudicium sicut et de natura, quae est earum principium: unde quorum natura defectum pati non potest, nec in operationibus eorum naturalibus defectus accidere potest; quorum autem natura defectum pati potest, etiam operationes eorum deficere contingit. Unde in substantiis incorruptibilibus, sive incorporeis sive corporeis, nullus defectus naturalis actionis contingere potest: in Angelis enim semper virtus naturalis manet potens ad suas operationes exercendas; similiter motus corporum caelestium nunquam exorbitare invenitur. In corporibus vero inferioribus multi defectus naturalium actionum contingunt propter corruptiones et defectus in naturis eorum accidentes. Ex defectu enim alicuius naturalis principii contingit plantarum sterilitas, monstruositas in generatione animalium, et aliae huiusmodi inordinationes.

Chapitre 112 — COMMENT LES CRÉATURES PERDENT LEUR BONTÉ PAR LEURS OPÉRATIONS

Et parce que la bonté de la créature se trouve non seulement en ce qui constitue sa nature, mais en ce que la perfection de sa nature est d’être ordonnée à une fin et cela par son opération, il reste à savoir comment les créatures manquent à leur bonté selon leurs opérations qui les conduisent à leur fin. Ici il faut d’abord considérer qu’il en est des opérations comme de la nature qui est leur principe. Si donc leur nature ne peut faire défaut, pas davantage dans leurs opérations naturelles ne pourra-t-il se trouver quelque défection. D’où pour les substances incorruptibles, soit corporelles soit incorporelles, aucune défection ne sera possible dans leur action naturelle. En effet chez les anges, toujours leur pouvoir naturel est en mesure d’exercer ses opérations; de même pour les mouvements des corps célestes, ils suivent toujours leur trajectoire. Mais dans les corps inférieurs, on trouve nombre de défections dans leur action naturelle causées par les corruptions et les défections qui s’y produisent. Il arrive en effet par le défaut du principe naturel que des plantes soient stériles, que des monstres naissent chez les animaux et ainsi d’autres désordres.

 

 

Caput 113 [70183] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 113 tit. De duplici principio actionis, et quomodo aut in quibus potest defectus esse


 [70184] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 113 Sunt autem quaedam actiones quarum principium non est natura, sed voluntas, cuius obiectum est bonum, et finis quidem principaliter, secundario autem quod est ad finem.
Sic igitur se habet operatio voluntaria ad bonum, sicut se habet naturalis operatio ad formam per quam res agit. Sicut igitur defectus naturalium actionum accidere non potest in illis quae non patiuntur defectum secundum suas formas, sed solum in corruptibilibus, quorum formae deficere possunt: ita voluntariae actiones deficere possunt in illis in quibus voluntas potest a fine deficere. Sicubi autem non potest voluntas a fine deficere, manifestum est quod ibi defectus voluntariae actionis esse non potest. Voluntas autem deficere non potest respectu boni quod est ipsius volentis natura: quaelibet enim res suo modo appetit suum esse perfectum, quod est bonum uniuscuiusque; respectu boni vero exterioris deficere potest bono sibi connaturali contenta. Cuius igitur volentis natura est ultimus finis voluntatis ipsius, in hoc defectus voluntariae actionis contingere non potest. Hoc autem solius Dei est: nam eius bonitas, quae est ultimus finis rerum, est sua natura. Aliorum autem volentium natura non est ultimus finis voluntatis eorum: unde potest in eis defectus voluntariae actionis contingere per hoc quod voluntas remanet fixa in proprio bono non tendendo ulterius in summum bonum, quod est ultimus finis. In omnibus igitur substantiis intellectualibus creatis potest defectus voluntariae actionis contingere.

Chapitre 113 — D’UN DOUBLE PRINCIPE D’ACTION ET COMMENT OU CHEZ QUI IL PEUT Y AVOIR DÉFECTION

Or il y a des actions dont le principe n’est pas la nature mais la volonté dont l’objet est le bien et principalement la fin, secondairement ce qui se rapporte à la fin. Ainsi donc l’opération volontaire est au bien, comme l’opération naturelle est à la forme par laquelle une chose agit. De même donc qu’un défaut des actions naturelles dans ces choses qui ne subissent pas de défection dans leurs formes, mais seulement dans les choses corruptibles dont les formes peuvent faire défaut, ainsi les actions volontaires peuvent faire défaut dans ces choses où la volonté peut manquer à la fin. S’il se trouve une volonté qui ne peut faire défaut à la fin il est manifeste qu’il ne peut y avoir de défection dans l’action volontaire. Or la volonté ne peut faire défaut quant au bien qui fait partie de la nature de celui qui veut : car toute chose désire à sa manière la perfection de son être et qui est le bien de chaque être; quant au bien extérieur elle peut faire défection se contentant d’un bien connaturel. Si donc la nature de celui qui veut constitue la fin dernière de sa volonté il ne peut se rencontrer de défaut dans l’action volontaire. Or cela n’appartient qu’à Dieu : car sa bonté qui est la fin dernière des choses constitue sa nature. Mais la nature des autres êtres doués de volonté ne constitue pas la fin dernière de leur volonté; il peut donc se trouver chez eux un défaut d’action volontaire en ce que leur volonté se fixe en leur propre bien sans tendre ultérieurement vers le bien suprême qui est leur fin dernière. Chez toutes les substances intellectuelles créées peut donc se trouver quelque défection de la part de la volonté.

 

 

Caput 114 [70185] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 114 tit. Quid nomine boni vel mali intelligatur in rebus


 [70186] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 114 Est igitur considerandum, quod sicut nomine boni intelligitur esse perfectum, ita nomine mali nihil aliud intelligitur quam privatio esse perfecti. Quia vero privatio proprie accepta, est eius quod natum est, et quando natum est, et quomodo natum est haberi, manifestum est quod ex hoc aliquid dicitur malum quod caret perfectione quam debet habere. Unde homo si visu careat, malum est ei, non autem malum est lapidi, quia non est natus visum habere.

Chapitre 114 — QU’ENTEND-ON PAR BIEN OU MAL DANS LES CHOSES ?

Puisque sous l’appellation de bien on entend ce qui est parfait, sous l’appellation de mal on doit entendre toute privation en ce qui doit être parfait. Car dans le propre sens du terme la privation regarde ce qui est de la nature d’un être, le quand et le comment de cet être. Il est dont manifeste que quelque chose est un mal s’il n’atteint pas à la perfection qu’il doit avoir. Ainsi quand un homme ne voit pas c’est pour lui un mal, mais non pour une pierre parce que sa nature n'est pas de voir.

 

 

Caput 115 [70187] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 115 tit. Quod impossibile est esse aliquam naturam malum


 [70188] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 115 Impossibile est autem malum esse aliquam naturam. Nam omnis natura vel est actus, vel potentia, aut compositum ex utroque. Quod autem est actus, perfectio est, et boni obtinet rationem, cum id quod est in potentia, appetat naturaliter esse actu: bonum vero est quod omnia appetunt. Unde et compositum ex actu et potentia, inquantum participat actum, participat bonitatem. Potentia autem inquantum ordinatur ad actum, bonitatem habet: cuius signum est quod quanto potentia est capacior actus et perfectionis, tanto magis commendatur. Relinquitur igitur quod nulla natura secundum se sit malum. Item. Unumquodque secundum hoc completur quod fit in actu, nam actus est perfectio rei. Nullum autem oppositorum completur per admixtionem alterius, sed magis destruitur vel minuitur, et sic neque malum completur per participationem boni. Omnis autem natura completur per hoc quod habet esse in actu: et sic cum esse bonum sit ab omnibus appetibile, omnis natura completur per participationem boni. Nulla igitur natura est malum. Adhuc. Quaelibet natura appetit conservationem sui esse, et fugit destructionem quantum potest. Cum igitur bonum sit quod omnia appetunt, malum vero e contrario quod omnia fugiunt, necesse est dicere, quod esse unamquamque naturam sit bonum secundum se, non esse vero malum. Esse autem malum non est bonum, sed magis non esse malum sub boni comprehenditur ratione. Nulla igitur natura est malum.

Chapitre 115 — IL EST IMPOSSIBLE QUE LE MAL CONSTITUE UNE NATURE

Il est impossible que le mal soit une nature. Car toute nature est soit acte ou puissance ou un compose des deux Ce qui est acte est perfection et a raison de bien, tandis que ce qui est en puissance désire naturellement son être en acte, et le bien est ce que tous désirent D’ou ce qui est composé d’acte et de puissance en tant qu’il participe à l’acte participe au bien. La puissance, en tant qu’ordon née à l’acte, possède la bonté, dont le signe est que plus la puissance est capable d’acte et de perfection, plus elle se valorise. Il reste donc qu’aucune nature n’est en elle-même un mal.

De même. Tout être se complète selon qu’il est en acte, car l’acte est la perfection d’une chose. Or aucun opposé n’est achevé par mélange de l’autre opposé, mais est plu tôt détruit ou diminué et ainsi le mal ne se complète pas par participation du bien. Toute nature est achevée par ce qu’elle a d’être en acte; et ainsi comme toute chose veut être bonne, toute nature trouve son achèvement en participation au bien. Aucune nature donc n’est un mal.

De plus. Toute nature désire conserver son être et elle fuit sa destruction autant qu’elle le peut. Comme le bien est ce que tout être désire et le mal au contraire ce qu’il fait, il est nécessaire de dire qu’il est bon en soi que soit toute nature et qu’il serait mal qu’elle ne soit pas. Or que doit-on entendre par bien sinon que ce qui est un mal ne peut être un bien, mais plutôt que n’être pas mal est compris dans la notion de bien. Donc aucune nature n’est mauvaise.

 

 

Caput 116 [70189] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 116 tit. Qualiter bonum et malum sunt differentiae entis, et contraria, et genera contrariorum


 [70190] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 116 Considerandum igitur restat quomodo bonum et malum dicantur contraria, et contrariorum genera, et differentiae aliquas species, scilicet habitus morales, constituentes. Contrariorum enim utrumque est aliqua natura. Non ens enim non potest esse neque genus neque differentia, cum genus praedicetur de re in eo quod quid, differentia vero in eo quod quale quid. Sciendum est igitur, quod sicut naturalia consequuntur speciem a forma, ita moralia a fine, qui est voluntatis obiectum, a quo omnia moralia dependent. Sicut autem in naturalibus uni formae adiungitur privatio alterius, puta formae ignis privatio formae aeris, ita in moralibus uni fini adiungitur privatio finis alterius. Cum igitur privatio perfectionis debitae sit malum in naturalibus, formam accipere cui adiungitur privatio formae debitae, malum est, non propter formam, sed propter privationem ei adiunctam: sicut igniri malum est ligno. Et in moralibus etiam inhaerere fini cui adiungitur privatio finis debiti, malum est, non propter finem, sed propter privationem adiunctam; et sic duae actiones morales, quae ad contrarios fines ordinantur, secundum bonum et malum differunt, et per consequens contrarii habitus differunt bono et malo quasi differentiis existentibus, et contrarietatem ad invicem habentibus, non propter privationem ex qua dicitur malum, sed propter finem cui privatio adiungitur.
Per hunc etiam modum quidam intelligunt ab Aristotele dictum, quod bonum et malum sunt genera contrariorum, scilicet moralium. Sed si recte attendatur, bonum et malum in genere moralium magis sunt differentiae quam species. Unde melius videtur dicendum, quod bonum et malum dicuntur genera secundum positionem Pythagorae, qui omnia reduxit ad bonum et malum sicut ad prima genera: quae quidem positio habet aliquid veritatis, inquantum omnium contrariorum unum est perfectum, et alterum diminutum, ut patet in albo et nigro, dulci et amaro, et sic de aliis. Semper autem quod perfectum est, pertinet ad rationem boni, quod autem diminutum ad rationem mali.

Chapitre 116 — COMMENT LE BIEN ET LE MAL SONT DES DIFFÉRENCES DE L’ÊTRE, DES CONTRAIRES ET DES GENRES DE CONTRAIRES

Il faut maintenant considérer comment le bien et le mal sont dits contraires, des genres de contraires et des différences constituant des espèces c’est-à-dire les dispositions morales. En effet les contraires ont chacun leur nature. Le non-être en effet ne peut être ni genre ni différence puisque le genre est attribut de la chose qui est et la différence du comment elle est.

Il faut donc savoir que comme les choses naturelles tiennent leur espèce de la forme, ainsi aussi les choses morales de leur fin qui est objet de la volonté et dont dépendent toutes les choses morales. Or de même que dans les choses naturelles à une forme donnée est adjointe la privation d’une autre forme comme par exemple le feu qui est accompagné d’une privation d’air, ainsi dans les choses morales à une fin donnée s’oppose la privation d’une autre fin[31]. Puisque la perte d’une perfection qui leur est due est un mal dans les choses naturelles, c’est un mal d’acquérir une forme à laquelle s’adjoint la perte d’une forme qui leur est due, non à cause de la forme mais à cause de la privation qui y est ajdointe, par exemple il est mauvais pour le bois de brûler. Et de même dans les choses morales adhérer à une fin à laquelle s’adjoint la perte d’une fin obligée est un mal, non à cause de cette fin mais à cause de la privation qui l’accompagne. Et ainsi deux actions morales qui sont ordonnées à des fins contraires diffèrent en bien ou en mal comme étant des différences qui sont contraires l’une à l’autre, non à cause de la privation qui qualifie le mal mais à cause de la fin à laquelle est jointe une privation.

C’est dans ce sens aussi que certains entendent ce que dit Aristote (Categ. c. 11) que le bien et le mal sont des genres de contraires c’est-à-dire de choses morales. Mais à bien faire attention, le bien et le mal dans le genre des choses morales sont plutôt des différences[32] que des espèces. D’où il vaut mieux dire que le bien et le mal sont des genres, selon la position de Pythagore qui ramène toutes les choses au bien et au mal en tant que genres premiers. Cette position a quelque chose de vrai en tant que de tous les contraires l’un est parfait et l’autre diminué, comme le blanc et le noir, le doux et l’amer et autres. Toujours ce qui est parfait est bon, ce qui est moindre est mal[33].

 

 

Caput 117 [70191] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 117 tit. Quod nihil potest esse essentialiter malum, vel summe, sed est corruptio alicuius boni


 [70192] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 117 Habito igitur quod malum est privatio perfectionis debitae, iam manifestum est qualiter malum bonum corrumpit, inquantum scilicet est eius privatio, sicut et caecitas dicitur corrumpere visum, quia est ipsa visus privatio. Nec tamen totum bonum corrumpit: quia supra dictum est quod non solum forma est bonum, sed etiam potentia ad formam, quae quidem potentia est subiectum privationis, sicut et formae. Unde oportet quod subiectum mali sit bonum, non quidem quod est oppositum malo, sed quod est potentia ad ipsum. Ex quo etiam patet quod non quodlibet bonum potest esse subiectum mali, sed solum bonum quod est in potentia respectu alicuius perfectionis qua potest privari: unde in his quae solum actus sunt, vel in quibus actus a potentia separari non potest, quantum ad hoc non potest esse malum. Patet etiam ex hoc, quod non potest esse aliquid quod sit essentialiter malum, cum semper oporteat malum in alio subiecto bono fundari: ac per hoc nihil potest esse summe malum, sicut est summe bonum, quod est essentialiter bonum. Secundum idem etiam patet quod malum non potest esse desideratum, nec aliquid agere nisi virtute boni adiuncti. Desiderabile enim est perfectio et finis, principium autem actionis est forma. Quia vero uni perfectioni vel formae adiungitur privatio alterius perfectionis aut formae, contingit per accidens quod privatio seu malum desideratur, et est alicuius actionis principium, non inquantum est malum, sed propter bonum adiunctum, sicut musicus aedificat non inquantum musicus, sed inquantum domificator. Ex quo etiam patet quod impossibile est malum esse primum principium, eo quod principium per accidens est posterius eo quod est per se.

Chapitre 117 — RIEN N’EST ESSENTIELLEMENT MAUVAIS OU TRES MAUVAIS MAIS EST UNE CORRUPTION DU BIEN

Si donc on admet que le mal est une privation d’une perfection nécessaire il devient manifeste dans quel sens le mal peut corrompre le bien c’est-à-dire en tant qu’il est sa privation, comme on dit que la cécité corrompt la vue parce qu’elle est la privation même de la vue. Cependant elle ne corrompt pas tout le bien; car on a dit plus haut (chapitre 115) que non seulement la forme est bonne, mais encore la puissance à la forme, et cette puissance est sujet de privation comme aussi de forme. D’où il faut que le sujet du mal soit un bien qui n’est pas l’opposé du mal mais qui est en puissance au mal.

D’où aussi il ressort que ce n’est pas n’importe quel bien qui puisse être sujet du mal mais seulement le bien qui est en puissance par rapport à une perfection donnée et dont il peut être privé. D’où dans les choses qui ne sont qu’acte ou dans celles où l’acte ne peut être séparé de la puissance, pour elles il ne peut y avoir du mal.

Il ressort aussi de cela que rien ne peut être essentiellement mauvais puisqu’il faut que toujours le mal ait un fondement dans un bien. Et par là rien n’est le mal suprême, au contraire du bien suprême qui est essentiellement bon.

Pour la même raison, il est clair que le mal ne peut être désiré et qu’il ne fait rien qu’en vertu du bien qui lui est adjoint. Ce qui est désirable en effet sont la perfection et la fin; or la forme est le principe de l’action. Parce que à une perfection ou forme peut s’adjoindre la privation d’une autre perfection ou forme, il arrive accessoirement que cette privation ou ce mal sont désirés et deviennent principe d’une action non comme étant un mal mais à cause du bien qui accompagne, comme un musicien construit une maison non comme musicien mais comme constructeur.

II ressort aussi de cela que le mal ne peut être le premier principe parce que le principe accidentel vient après celui qui l’est en soi.

 

 

Caput 118 [70193] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 118 tit. Quod malum fundatur in bono sicut in subiecto


 [70194] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 118 Si quis autem contra praedicta obiicere velit, quod bonum non potest esse subiectum mali, et quod unum oppositorum non sit subiectum alterius, nec unquam in aliis oppositis invenitur quod sint simul, considerare debet, quod alia opposita sunt alicuius generis determinati, bonum autem et malum communia.
Nam omne ens, inquantum huiusmodi, bonum est; omnis autem privatio, inquantum talis, est mala. Unde sicut subiectum privationis oportet esse ens, ita et bonum; non autem subiectum privationis oportet esse album, aut dulce, aut videns, quia haec non dicuntur de ente inquantum huiusmodi; et ideo nigrum non est in albo, nec caecitas in vidente; sed malum est in bono, sicut et caecitas est in subiecto visus; sed quod subiectum visus non dicatur videns, hoc est quia videns non est commune omni enti.

Chapitre 118 — LE MAL S’APPUIE SUR LE BIEN COMME SON SUJET

Quelqu’un pourrait peut-être objecter que le bien ne peut être sujet du mal et que de deux choses opposées l’une ne peut de l’autre en être le sujet et qu’on ne trouvera jamais ensemble les autres opposés’. Or on répond qu’en ce dernier cas les oppositions sont dans un genre déterminé[34], et que le bien et le mal sont pris en général[35]. Car tout être en tant que tel est bon; or toute privation en tant que telle est mauvaise. De même donc que le sujet d’une privation est nécessairement l’être, ainsi est-il bon, mais il n’est pas nécessaire que le sujet d’une privation soit blanc, ou doux, ou voyant, parce que ce n’est pas dit de l’être en tant que tel; c’est pourquoi le noir n’est pas dans le blanc, ni la cécité dans le voyant; mais le mal est dans le bien comme la cécité est dans le sujet de la vue; mais que le sujet de la vue ne soit pas dit voyant c’est parce que voir n’est pas commun à tout être.

 

 

 

Caput 119 [70195] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 119 tit. De duplici genere mali


 [70196] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 119 Quia igitur malum est privatio et defectus; defectus autem, ut ex dictis patet, potest contingere in re aliqua non solum secundum quod in natura sua consideratur, sed etiam secundum quod per actionem ordinatur ad finem, consequens est ut malum utroque modo dicatur, scilicet secundum defectum in ipsa re, prout caecitas est quoddam malum animalis, et secundum defectum in actione prout claudicatio significat actionem cum defectu. Malum igitur actionis ad aliquem finem ordinatae, ad quem non debito modo se habet, peccatum dicitur tam in voluntariis quam in naturalibus. Peccat enim medicus in actione sua, dum non operatur convenienter ad sanitatem; et natura etiam peccat in sua operatione, dum ad debitam dispositionem et formam rem generatam non perducit, sicut cum accidunt monstra in natura.

Chapitre 119 — IL Y A DEUX SORTES DE MAUX

Puis donc que le mal est privation et défaut il ressort de ce qu’on a dit (chapitres 111 à 112) qu’un défaut peut se trouver dans une chose non seulement selon qu’on la con sidère dans sa nature, mais aussi selon l’action qui la conduit à sa fin. La conséquence en est que nous avons ainsi deux sortes de maux, c’est-à-dire selon le défaut en la chose même d’après que la cécité est dite le mal de l’animal et selon un défaut dans l’action d’après que la claudication signifie une action défectueuse. Donc une action ordonnée à une fin si elle est mauvaise parce qu’elle n’est pas ordonnée convenablement à cette fin est dite faute, dans les choses de la volonté comme dans les choses naturelles. En effet un médecin est en faute s’il ne s’y prend pas bien en vue de la guérison; et la nature aussi est fautive si elle n’amène pas, dans son action, à la disposition et à la forme voulues la chose engendrée, comme quand dans la nature se produisent des monstres.

 

 

Caput 120 [70197] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 120 tit. De triplici genere actionis, et de malo culpae


 [70198] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 120 Et sciendum, quod aliquando est actio in potestate agentis, ut sunt omnes voluntariae actiones. Voluntariam autem actionem dico, cuius principium est in agente sciente ea in quibus actio consistit. Aliquando vero actiones non sunt voluntariae: huiusmodi sunt actiones violentae, quarum principium est extra, et actiones naturales, vel quae per ignorantiam aguntur, quia non procedunt a principio cognoscitivo. Si igitur in actionibus non voluntariis ordinatis ad finem defectus accidat, peccatum tantum dicitur; si autem in voluntariis, dicitur non solum peccatum, sed culpa, eo quod agens voluntarium, cum sit dominus suae actionis, vituperio dignus est et poena. Si quae vero actiones sunt mixtae, habentes scilicet aliquid de voluntario et aliquid de involuntario, tanto ibi minoratur culpa, quanto plus de involuntario admiscetur. Quia vero naturalis actio naturam rei consequitur, manifestum est quod in rebus incorruptibilibus, quarum natura transmutari non potest, naturalis actionis peccatum accidere non potest.
Voluntas autem intellectualis creaturae defectum pati potest in voluntaria actione, ut supra ostensum est. Unde relinquitur quod licet carere malo naturae omnibus incorruptibilibus sit commune, carere tamen ex necessitate suae naturae malo culpae, cuius sola rationalis natura est capax, solius Dei proprium invenitur.

Chapitre 120 — DE TROIS SORTES D’ACTIONS ET DE LA CULPABILITÉ

Mais il faut savoir que parfois l’action est au pouvoir d’un agent, comme sont toutes les actions volontaires. Or je dis action volontaire celle dont le principe est dans un agent qui connaît ce en quoi son action consiste. Mais il a des actions qui ne sont pas volontaires, telles les actions violentes dont le principe est extérieur, et les actions naturelles ou celles qui se font par ignorance parce qu’elles ne proviennent pas d’un principe qui connaît. Si donc dans les actions non volontaires ordonnées à une fin se trouve une défection on n’a qu’une faute; s’il s’agit d’actions volontaires, non seulement il y a faute mais encore coulpe parce que l’agent volontaire étant maître de son acte est digne de reproche et d’une peine. S’il s’agit d’actions où le volontaire et l’involontaire sont mêlés, la culpabilité sera d’autant moindre qu’il y aura mêlé davantage d’involontaire.

Comme une action naturelle est consécutive à la nature de la chose, il est évident que dans les choses incorruptibles, dont la nature ne peut être changée, il ne peut se produire de faute dans cette action naturelle. Or la volonté d’une créature intellectuelle peut souffrir défection dans son action volontaire, comme on l’a montré plus haut (chapitre 113). D’où il reste que si même il est commun à tout ce qui est incorruptible d’être exempt du mal naturel, cependant être exempt de par nécessité naturelle de culpabilité, ce dont seule la créature rationnelle est susceptible, on ne peut le trouver proprement qu’en Dieu.

 

 

Caput 121 [70199] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 121 tit. Quod aliquod malum habet rationem poenae, et non culpae


 [70200] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 121 Sicut autem defectus actionis voluntariae constituit rationem peccati et culpae, ita defectus cuiuslibet boni pro culpa illatus contra voluntatem eius cui infertur, poenae obtinet rationem. Poena enim infertur ut medicina culpae, et ut ordinativa eius. Ut medicina quidem, inquantum homo propter poenam retrahitur a culpa dum ne patiatur quod est suae contrarium voluntati, dimittit agere inordinatam actionem, quae suae foret placita voluntati.
Est etiam ordinativa ipsius, quia per culpam homo transgreditur metas ordinis naturalis, plus suae voluntati tribuens quam oportet. Unde ad ordinem iustitiae fit reductio per poenam, per quam subtrahitur aliquid voluntati. Unde patet quod conveniens poena pro culpa non redditur, nisi plus contrarietur voluntati poena quam placeat culpa.

Chapitre 121 — QU’UN MAL REVÊT UN CARACTÈRE DE PEINE NON DE FAUTE

De même qu’un défaut dans l’acte volontaire revêt un caractère de faute et de coulpe ainsi la privation d’un bien par suite d’une faute et imposé contre la volonté qui la subit revêt un caractère de peine. La peine en effet est appliquée comme remède pour une faute commise et elle en est comme son redressement. C’est un remède en ce que l’homme évite la faute à cause de la peine; et pour ne pas devoir subir ce qui contrarie sa volonté il abandonne un acte désordonné qui plairait à sa volonté. C’est aussi son redressement parce que par la faute l’homme transgresse les limites de l’ordre naturel attribuant à sa volonté plus qu’il ne faut. On revient ainsi à l’ordre de la justice par le moyen de la peine qui soustrait quelque chose à la volonté. Il est clair donc qu’une peine pour être proportionnée à la faute doit contrarier la volonté plus que le plaisir de la faute.

 

 

Caput 122 [70201] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 122 tit. Quod non eodem modo omnis poena contrariatur voluntati


 [70202] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 122 Non eodem autem modo omnis poena est contra voluntatem.
Quaedam enim poena est contra id quod homo actu vult, et haec poena maxime sentitur. Quaedam vero non contrariatur voluntati in actu, sed in habitu, sicut cum aliquis privatur re aliqua, puta filio, vel possessione, eo ignorante. Unde per hoc non agitur actu aliquid contra eius voluntatem, esset autem contrarium voluntati, si sciret. Quandoque vero poena contrariatur voluntati secundum naturam ipsius potentiae. Voluntas enim naturaliter ordinatur ad bonum. Unde si aliquis privatur virtute, quandoque quidem non est contra actualem voluntatem eius, quia virtutem forte contemnit, neque contra habitualem, quia forte est dispositus secundum habitum ad volendum contraria virtuti; est tamen contra naturalem rectitudinem voluntatis, qua homo naturaliter appetit virtutem. Ex quo etiam patet quod gradus poenarum dupliciter mensurari possunt: uno modo secundum quantitatem boni quod per poenam privatur; alio modo secundum quod magis vel minus est contrarium voluntati: est enim magis contrarium voluntati maiori bono privari quam privari minori.

Chapitre 122 — TOUTE PEINE NE CONTRARIE PAS LA VOLONTÉ DE LA MÊME MANIÈRE

Toute peine n’est pas de la même manière contraire à la volonté. Il est une peine qui contrarie ce que l’homme veut actuellement et une telle peine est fortement ressentie. Il y a une autre peine qui ne contrarie pas la volonté actuelle mais habituelle comme quand quelqu’un est privé d’une chose, d’un fils par exemple, ou d’une possession, mais à son insu. D’où rien n’est fait actuellement contre la volonté, mais serait contraire s’il le savait. Mais j arrive que la peine contrarie la volonté selon la nature même de la volonté. En effet la volonté de par sa nature est ordonnée au bien; d’où si quelqu’un n’est pas vertueux, ou bien ce ne sera pas contraire à son vouloir actuel parce que peut-être il méprise la vertu, ou bien non plus contre sa volonté habituelle parce que peut-être dispositions habituelles le portent à agir contre la vertu; c’est cependant contraire à la rectitude de la volonté qu fait que l’homme naturellement recherche la vertu.

D’où il est clair aussi que les degrés des peines peuvent se mesurer de deux manières : d’une part selon la quantité de bien dont nous prive la peine; d’autre part selon le plus ou moins grand déplaisir de la volonté. En effet la privation d’un bien plus grand contrarie plus que celle d’un moindre.

 

4° De la divine providence (chapitre 123 à 147)

Caput 123 [70203] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 123 tit. Quod omnia reguntur divina providentia


 [70204] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 123 Ex praedictis autem manifestum esse potest quod omnia divina providentia gubernantur. Quaecumque enim ordinantur ad finem alicuius agentis, ab illo agente diriguntur in finem, sicut omnes qui sunt in exercitu, ordinantur ad finem ducis, qui est victoria, et ab eo diriguntur in finem.
Supra autem ostensum est quod omnia suis actibus tendunt in finem divinae bonitatis. Ab ipso igitur Deo, cuius hic finis proprius est, omnia diriguntur in finem. Hoc autem est providentia alicuius regi et gubernari. Omnia igitur divina providentia reguntur. Adhuc. Ea quae deficere possunt, et non semper eodem modo se habent, ordinari inveniuntur ab his quae semper eodem modo se habent, sicut omnes motus corporum inferiorum, qui defectibiles sunt, ordinem habent secundum invariabilem motum caelestis corporis. Omnes vero creaturae mutabiles et defectibiles sunt. Nam in creaturis intellectualibus, quantum ex eorum natura est, defectus voluntariae actionis inveniri potest; creaturae vero aliae motum participant vel secundum generationem et corruptionem, vel secundum locum tantum: solus autem Deus est in quem nullus defectus cadere potest. Relinquitur igitur quod omnia alia ordinantur ab ipso. Item. Ea quae sunt per participationem, reducuntur in id quod est per essentiam, sicut in causam: omnia enim ignita suae ignitionis ignem causam habent aliquo modo. Cum igitur solus Deus per essentiam sit bonus, cetera vero omnia per quamdam participationem complementum obtineant bonitatis, necesse est quod omnia ad complementum bonitatis perducantur a Deo. Hoc autem est regi et gubernari; secundum hoc enim aliqua gubernantur vel reguntur, quod in ordine boni statuuntur. Omnia ergo gubernantur et reguntur a Deo.

Chapitre 123 — TOUT EST SOUMIS A LA PROVIDENCE DIVINE

De tout ce qui précède on peut se rendre compte que la divine providence gouverne toutes choses. En effet tout ce qu’un agent entreprend pour une fin il le dirige vers cette fin, comme tous ceux qui sont sous les armes sont organisés pour la fin du chef qui est la victoire et c’est par lui qu’ils y sont dirigés. Or on a montré plus haut (chapitre 103) que tous les êtres par leurs actes tendent à réaliser la divine bonté. Donc c’est par Dieu lui-même dont cette fin lui est propre que toutes choses sont dirigées vers cette fin; c’est ce qui s’appelle être régi et gouverné par la providence de quelqu’un. Toutes choses sont donc régies par la divine providence.

Encore. Tout ce qui peut faire défection et qui n’est pas toujours stable doit être ordonné par ce qui est stable, comme les mouvements des corps inférieurs qui s défectibles reçoivent leur ordonnance selon le mouvement invariable des corps célestes. Or toutes les créatures changeantes et défectibles. Car dans les natures intellectuelles en tant que naturelles on peut y trouver une déficience de l’action volontaire; quant aux autres créatures, elles participent au changement soit par génération ou corruption, soit localement. Dieu seul est celui chez qui aucune déficience n’est possible. Il reste donc que tout le reste est ordonné par Lui.

De même. Ce qui est par participation est ramené à ce qui est par essence comme en sa cause; en effet tout ce qui brûle a d’une certaine façon comme cause le feu. Comme donc Dieu seul est bon essentiellement et quE tout le reste reçoit par une certaine participation son complément de bonté, il est nécessaire que toutes choses reçoivent de Dieu leur complément de bonté. C’est cela être régi et gouverné. En effet cela est régi et gouverné qui est établi en vue du bien. Toutes les choses sont donc gouver nées et régies par Dieu.

 

 

Caput 124 [70205] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 124 tit. Quod Deus per superiores creaturas regit inferiores


 [70206] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 124 Secundum hoc autem apparet quod inferiores creaturae a Deo per superiores reguntur. Secundum hoc enim aliquae creaturae superiores dicuntur quod in bonitate perfectiores existunt: ordinem autem boni creaturae consequuntur a Deo inquantum reguntur ab ipso. Sic igitur superiores creaturae plus participant de ordine gubernationis divinae quam inferiores. Quod autem magis participat quamcumque perfectionem comparatur ad id quod minus ipsam participat, sicut actus ad potentiam, et agens ad patiens. Superiores igitur creaturae comparantur ad inferiores in ordine divinae providentiae sicut agens ad patiens. Per superiores igitur creaturae inferiores gubernantur. Item. Ad divinam bonitatem pertinet quod suam similitudinem communicet creaturis; sic enim propter suam bonitatem Deus omnia dicitur fecisse, ut ex supradictis patet. Ad perfectionem autem divinae bonitatis pertinet et quod in se bonus sit, et quod alia ad bonitatem reducat. Utrumque igitur creaturae communicat: et quod in se bona sit, et quod una aliam ad bonum inducat. Sic igitur per quasdam creaturas, alias ad bonum inducit: has autem oportet esse superiores creaturas.
Nam quod participat ab aliquo agente similitudinem formae et actionis, perfectius est eo quod participat similitudinem formae, et non actionis, sicut luna perfectius recipit lumen a sole, quae non solum fit lucida, sed etiam illuminat, quam corpora opaca, quae illuminantur tantum, et non illuminant. Deus igitur per creaturas superiores inferiores gubernat. Adhuc. Bonum multorum melius est quam bonum unius tantum, et per consequens est magis divinae bonitatis repraesentativum, quae est bonum totius universi. Si autem creatura superior, quae abundantiorem bonitatem a Deo participat, non cooperaretur ad bonum inferiorum creaturarum, illa abundantia bonitatis esset unius tantum: per hoc autem fit communis multorum quod ad bonum multorum cooperatur. Pertinet igitur hoc ad divinam bonitatem ut Deus per superiores creaturas inferiores regat.

Chapitre 124 — PAR LES CRÉATURES SUPÉRIEURES RÉGIT LES INFÉRIEURES

Or d’après cela il apparaît que les créatures inférieures sont régies de Dieu par les supérieures. En effet on peut dire que des créatures sont supérieures selon qu’elles sont d’une plus parfaite bonté; or les créatures obtiennent de Dieu leur ordonnance au bien en tant que Lui les régit. Ainsi donc les créatures supérieures ont une plus grande part au gouvernement divin que les inférieures. Or ce qui participe davantage à quelque perfection est comparable à ce qui y participe moins, comme l’acte à la puissance et comme l’agent au patient. Donc les créatures supérieures sont aux inférieures dans l’ordre de la divine providence comme l’agent l’est au patient. Donc les créatures supérieures gouvernent les inférieures.

De même. C’est propre à la bonté divine de communiquer sa ressemblance à des créatures; c’est en effet ainsi que Dieu a fait toutes choses en vue de sa bonté, comme on l’a vu plus haut (chapitre 101). Or il importe à la perfection de la bonté divine et qu’Il soit bon en lui-même et qu’Il en amène d’autres à la bonté. Et donc il communique ces deux choses à la créature et d’être bonne en elle- même et que l’une conduise une autre au bien. Ainsi donc par certaines créatures il en conduit d’autres au bien; j faut donc que celles-là soient supérieures. Car ce qui participe à partir d’un agent en ressemblance de forme et d’action est plus parfait que de lui ressembler en sa f seulement, telle la lune, qui reçoit du soleil la lumière et qui illumine, est plus parfaite que les corps opaques qui reçoivent la lumière sans illuminer. Dieu gouverne donc les créatures inférieures par les supérieures.

De plus. Le bien de beaucoup vaut mieux que le bien d’un seul et par suite il représente mieux la bonté divine qui est le bien de tout l’univers. Si la créature qui a une plus grande part à la bonté de Dieu ne coopérait pas bien des créatures inférieures leur abondance de bien demeurerait isolée; et cette abondance devient commune à beaucoup si elle est communiquée au bien de beaucoup.

Il importe donc à la divine bonté que Dieu régisse les créatures inférieures par les supérieures.

 

 

Caput 125 [70207] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 125 tit. Quod inferiores substantiae intellectuales reguntur per superiores


 [70208] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 125 Quia igitur intellectuales creaturae ceteris creaturis sunt superiores, ut ex praemissis patet, manifestum est quod per creaturas intellectuales omnes aliae creaturae gubernantur a Deo. Item. Cum inter ipsas creaturas intellectuales quaedam aliis sint superiores, per superiores inferiores reguntur a Deo. Unde fit ut homines, qui infimum locum secundum naturae ordinem in substantiis intellectualibus tenent, gubernantur per superiores spiritus, qui ex eo quod divina hominibus nuntiant, Angeli vocantur, idest nuntii. Ipsorum etiam Angelorum inferiores per superiores reguntur, secundum quod in ipsis diversae hierarchiae, idest sacri principatus, et in singulis hierarchiis diversi ordines distinguuntur.

Chapitre 125 — LES SUBSTANCES INTELLECTUELLES SUPÉRIEURES RÉGISSENT LES INFÉRIEURES

Les créatures intellectuelles étant donc supérieures aux autres créatures, comme il est clair par ce qui précède (chapitres 74 et 75), il est évident que Dieu gouverne les autres créatures par les créatures intellectuelles.

De même. Comme parmi les créatures intellectuelles certaines sont supérieures à d’autres Dieu gouverne les inférieures par les supérieures. D’où il se fait que les hommes, qui tiennent le bas de l’échelle dans l’ordre naturel des choses parmi les substances intellectuelles, sont gouvernés par les esprits supérieurs qui sont appelés anges, c’est-à-dire messagers parce qu’ils annoncent aux hommes les choses divines. Et ceux qui sont inférieurs parmi les anges sont régis par ceux qui sont supérieurs ainsi y a-t-il chez eux diverses hiérarchies c’est-à-dire des principats sacrés et ces hiérarchies se distinguent en divers ordres.

 

 

Caput 126 [70209] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 126 tit. De gradu et ordine Angelorum


 [70210] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 126 Et quia omnis substantiae intellectualis operatio, inquantum huiusmodi, ab intellectu procedit, oportet quod secundum diversum intelligentiae modum diversitas operationis et praelationis et ordinis in substantiis intellectualibus inveniatur. Intellectus autem quanto est sublimior seu dignior, tanto magis in altiori et universaliori causa rationes effectuum considerare potest. Superius etiam dictum est quod superior intellectus species intelligibiles universaliores habet. Primus igitur intelligendi modus substantiis intellectualibus conveniens est, ut in ipsa prima causa, scilicet Deo, effectuum rationes participent, et per consequens suorum operum, cum per eas Deus inferiores effectus dispensat. Et hoc est proprium primae hierarchiae, quae in tres ordines dividitur secundum tria quae in qualibet operativa arte considerantur: quorum primum est finis, ex quo rationes operum sumuntur; secundum est rationes operum in mente artificis existentes; tertium est applicationes operum ad effectus. Primi ergo ordinis est in ipso summo bono, prout est ultimus finis, rerum de effectibus edoceri: unde ab ardore amoris Seraphim dicuntur, quasi ardentes vel incendentes: amoris enim obiectum est bonum. Secundi vero ordinis est effectus Dei in ipsius rationibus intelligibilibus contemplari, prout sunt in Deo: unde Cherubim dicuntur a plenitudine scientiae. Tertii vero ordinis est considerare in ipso Deo, quomodo a creaturis participetur rationibus intelligibilibus ad effectus applicatis: unde ab habendo in se Deum insidentem throni sunt dicti. Secundus autem intelligendi modus est rationes effectuum prout sunt in causis universalibus considerare, et hoc est proprium secundae hierarchiae, quae etiam in tres ordines dividitur secundum tria quae ad universales causas, et maxime secundum intellectum agentes pertinent. Quorum primum est praeordinare quae agenda sunt, unde in artificibus supremae artes praeceptivae sunt, quae architectonicae vocantur: et ex hoc primus ordo hierarchiae huius dicuntur dominationes: domini enim est praecipere et praeordinare. Secundum vero quod in causis universalibus invenitur, est aliquid primo movens ad opus quasi principatum executionis habens, et ex hoc secundus ordo huius hierarchiae principatus vocatur, secundum Gregorium, vel virtutes secundum Dionysium, ut virtutes intelligantur ex eo quod primo operari maxime est virtuosum. Tertium autem quod in causis universalibus invenitur, est aliquid impedimenta executionis removens, unde tertius ordo huius hierarchiae est potestatum, quarum officium est omne quod possit obviare executioni divini imperii, coercere; unde et Daemones arcere dicuntur. Tertius vero modus intelligendi est rationes effectuum in ipsis effectibus considerare, et hoc est proprium tertiae hierarchiae, quae immediate nobis praeficitur, qui ex effectibus cognitionem de ipsis effectibus accipimus: et haec etiam tres ordines habet. Quorum infimus Angeli dicuntur, ex eo quod hominibus nuntiant ea quae ad eorum gubernationem pertinent, unde et hominum custodes dicuntur.
Supra hunc autem est ordo Archangelorum, per quem hominibus ea quae sunt supra rationem nuntiantur, sicut mysteria fidei. Supremus autem huius hierarchiae ordo secundum Gregorium virtutes dicuntur, ex eo quod ea quae sunt supra naturam operantur, in argumentum eorum quae nobis supra rationem nuntiantur: unde ad virtutes pertinere dicitur miracula facere. Secundum Dionysium vero supremus ordo huius hierarchiae principatus dicitur, ut principes intelligamus qui singulis gentibus praesunt, Angelos qui singulis hominibus, Archangelos qui singularibus hominibus ea quae sunt ad communem salutem pertinentia denuntiant. Et quia inferior potentia in virtute superioris agit, inferior ordo ea quae sunt superioris exercet, inquantum agit eius virtute; superiores vero ea quae sunt inferiorum propria excellentius habent. Unde omnia sunt in eis quodammodo communia, tamen propria nomina sortiuntur ex his quae unicuique secundum se conveniunt. Infimus autem ordo commune nomen sibi retinuit quasi in virtute omnium agens. Et quia superioris est in inferiorem agere, actio vero intellectualis est instruere vel docere, superiores Angeli inquantum inferiores instruunt, dicuntur eos purgare, illuminare, et perficere. Purgare quidem, inquantum nescientiam removent; illuminare vero, inquantum suo lumine inferiorum intellectus confortant ad aliquid altius capiendum; perficere vero, inquantum eos ad superioris scientiae perfectionem perducunt. Nam haec tria ad assumptionem scientiae pertinent, ut Dionysius dicit. Nec tamen per hoc removetur quin omnes Angeli, etiam infimi, divinam essentiam videant. Licet enim unusquisque beatorum spirituum Deum per essentiam videat, unus tamen alio perfectius eum videt, ut ex superioribus potest patere. Quanto autem aliqua causa perfectius cognoscitur, tanto plures effectus eius cognoscuntur in ea. De effectibus igitur divinis quos superiores Angeli cognoscunt in Deo prae aliis, inferiores instruunt, non autem de essentia divina, quam immediate vident omnes.

Chapitre 126 — DE LA HIÉRARCHIE CÉLESTE

Parce que toute opération intellectuelle en tant que telle procède de l’intelligence il faut qu’on trouve d’après le mode différent de connaissance une diversité d’opération, de prééminence et de rang parmi les substances intellectuelles. Plus une intelligence est élevée en dignité d’autant plus peut-elle considérer dans une cause plus élevée et plus universelle les raisons de ses effets. On a dit aussi plus haut (chapitre 78) qu’une intelligence supérieure a des idées plus universelles.

Donc le premier mode de connaissance qui conviennent aux substances intellectuelles est de participer dans la cause première même, c’est-à-dire Dieu, à la raison de ses effets, et, en conséquence, de ses oeuvres puisque par elles Dieu dispense les effets inférieurs. Ce qui est propre à la premiere hiérarchie qui se divise en trois ordres selon les trois choses qui interviennent en toute activité artistique : la première chose est la fin qui justifie ces oeuvres; la seconde ce que ces oeuvres sont dans l’esprit de l’artisan; en troisième lieu les applications des oeuvres à leurs effets. Au premier ordre donc il appartient d’être instruit dans le bien suprême lui-même, en tant que fin dernière des choses, des effets; d’où ils sont appelés Séraphins à cause de leur ardent amour, c’est-à-dire brûlant et enflammant, en effet l’objet de l’amour est le bien. Il appartient au second ordre de contempler les oeuvres de Dieu dans les raisons intelligibles comme elles sont en Dieu; et ils sont appelés Chérubins à cause de la plénitude de leur science. Il appartient au troisième ordre de considérer en Dieu même comment les raisons intelligibles sont réparties aux créatures et réalisées; de ce qu’ils possèdent Dieu qui réside en eux ces anges sont appelés trônes.

Le deuxième mode de connaissance est de considérer la raison des effets dans leurs causes universelles et c’est le propre de la seconde hiérarchie, qui est aussi divisée en trois ordres selon les trois causes universelles, principalement selon l’intelligence; de ces trois ordres le premier est de disposer d’avance ce qui doit être fait; d’où chez les artisans l’art suprême est préceptif ou architectonique; et dans cet ordre on a ceux qu’on appelle les Domi nations (ou Maîtrises) car le maître prescrit et préordonne. La deuxième chose qui se trouve dans les causes universelles est comme le premier moteur de l’oeuvre ou l’exécutant principal et ce second ordre est celui des Principautés, selon Grégoire le Grand (In Evang. 2, 34) ou des Vertus, selon Denys; (De cael. hier. c. 6); on veut par là faire entendre que pour les débuts d’une oeuvre il y faut une très grande vertu ou pouvoir. La troisième chose qui intervient dans les causes universelles est ce qui écarte les obstacles à l’exécution; d’où le troisième ordre dans cette hiérarchie est celui des Puissances dont l’office est d’aller à l’encontre de ce qui peut mettre obstacle à l’exécution de l’ordre divin et ce sont elles qui sont dites écarter les démons.

Le troisième mode de connaissance considère les effets produits ou résultats de l’action divine; ce qui est le propre de la troisième hiérarchie à laquelle nous sommes directement soumis, nous qui des résultats en connaissons la cause. Cette hiérarchie compte aussi trois ordres, dont le plus inférieur sont les anges parce qu’ils annoncent aux hommes leur conduite à tenir et ils sont appelés nos anges gardiens. Au-dessus de cet ordre sont les archanges qui font savoir aux hommes ce qui est au-dessus de la raison, tels les mystères de la foi. L’ordre suprême de cette hiérarchie sont les vertus, selon Grégoire le Grand. Elles opèrent ce qui est au-dessus de la nature en preuve des choses qui nous sont annoncées dépassant la raison; et c’est aux vertus qu’on attribue le pouvoir des miracles. Mais selon Denys l’ordre suprême dans cette hiérarchie sont les Principautés, en entendant par Princes ceux qui président aux nations; par anges, ceux qui (veillent) sur chaque homme et par archanges, ceux qui à des particuliers annoncent ce qui a trait au salut en général.

Et parce que la puissance inférieure agit en vertu de la puissance supérieure, l’ordre inférieur exécute les choses de l’ordre supérieur en tant qu’il agit par sa vertu. Ceux qui sont supérieurs possèdent plus excellemment ce qui est propre aux inférieurs. Bien que tout leur soit en quelque sorte commun, cependant ils ont des dénominations propres selon ce qui convient à chacun. Mais l’ordre inférieur garde pour lui le nom commun (ange) comme agissant en vertu de tous.

Et parce que le supérieur agit sur l’inférieur et que l’action intellectuelle consiste à instruire et à enseigner, les Anges supérieurs en tant qu’ils instruisent les inférieurs sont dits les purifier, les illuminer et les perfectionner. Ils les purifient, en écartant d’eux l’ignorance; ils les illuminent en renforçant de leur lumière les intelligences des inférieurs pour saisir des choses plus élevées; ils les perfectionnent en les amenant à la perfection de la connaissance supérieure. Car ces trois choses, selon Denys, contribuent à l’acquisition de la science. Et il n’est pas question que les anges, même les moindres, soient exclus de la vision de Dieu. En effet bien que chacun des esprits bien heureux voie Dieu par essence, cependant l’un le voit plus parfaitement que l’autre, comme il peut ressortir de ce qu’on a dit plus haut (chapitre 106). Or plus on connaît parfaitement une cause plus on connaît les effets qui s’y trouvent. Donc quant aux effets divins que les anges supérieurs connaissent en Dieu de préférence aux autres, ils en instruisent les inférieurs, mais non pas l’essence divine que tous connaissent.

 

 

Caput 127 [70211] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 127 tit. Quod per superiora corpora, inferiora, non autem intellectus humanus, disponuntur


 [70212] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 127 Sicut igitur intellectualium substantiarum una per aliam divinitus gubernatur, inferior scilicet per superiorem, ita etiam inferiora corpora per superiora divinitus disponuntur. Unde omnis motus inferiorum a motibus corporum caelestium causatur, et ex virtute caelestium corporum haec inferiora formas et species consequuntur, sicut et rationes rerum intelligibiles ad inferiores spiritus per superiores deveniunt. Cum autem intellectualis substantia in ordine rerum omnibus corporibus praeferatur, non est conveniens secundum praedictum providentiae ordinem ut per aliquam corporalem substantiam intellectualis quaecumque substantia regatur a Deo.
Cum igitur anima humana sit intellectualis substantia, impossibile est secundum quod est intelligens et volens, ut secundum motus corporum caelestium disponatur. Neque igitur in intellectum humanum neque in voluntatem corpora caelestia directe agere possunt vel imprimere. Item. Nullum corpus agit nisi per motum. Omne igitur quod ab aliquo corpore patitur, movetur ab eo. Animam autem humanam secundum intellectivam partem, in qua est voluntas, impossibile est motu corporali moveri, cum intellectus non sit actus alicuius organi corporalis. Impossibile igitur est quod anima humana secundum intellectum aut voluntatem a corporibus caelestibus aliquid patiatur. Adhuc. Ea quae ex impressione corporum caelestium in istis inferioribus proveniunt, naturalia sunt. Si igitur operationes intellectus et voluntatis ex impressione caelestium provenirent, ex naturali instinctu procederent, et sic homo non differret in suis actibus ab aliis animalibus, quae naturali instinctu moventur ad suas actiones, et periret liberum arbitrium et consilium et electio, et omnia huiusmodi quae homo prae ceteris animalibus habet.

Chapitre 127 — LES CORPS SUPÉRIEURS AGISSENT SUR LES CORPS INFÉRIEURS NON SUR L’INTELLIGENCE DE L’HOMME

De même donc que parmi les substances intellectuelles l’une gouverne l’autre en Dieu, c’est-à-dire l’inférieure par la supérieure, ainsi aussi en Dieu les corps supérieurs dis posent des corps inférieurs D’ou tout mouvement des corps inférieurs agit sous la motion des corps célestes et par la vertu des corps célestes ces corps inférieurs acquièrent leurs formes et leurs espèces tout comme les raisons intelligibles des choses sont transmises aux esprits inférieurs par les esprits supérieurs. Or comme dans l’ordre des choses la substance intellectuelle surpasse tous les corps il n’est pas juste selon l’ordre de la providence qu’une substance intellectuelle, quelle qu’elle soit, soit régie par Dieu au moyen d’une substance corporelle. Puisque l’âme humaine est une substance intellectuelle il est impossible selon qu’elle pense et veut, d’être disposée sous la motion des corps célestes. Donc les corps célestes ne peuvent agir directement ou impressionner, soit l’intelligence humaine, soit la volonté.

De même. Tout corps n’agit que par mouvement; tout ce qui donc subit l’action d’un corps est mû par celui-ci. Or l’âme humaine selon sa partie intellective, où se trouve la volonté, ne peut être mue d’un mouvement corporel, puisque l’intellect n’est pas l’acte d’un organe corporel. Il est donc impossible que l’âme humaine selon l’intelligence ou la volonté ait quelque chose à subir de la part des corps célestes.

De plus. Ce qui se produit dans les corps inférieurs sous l’influence des corps célestes est naturel. Si donc les opérations de l’intelligence et de la volonté provenaient de l’influence des corps célestes, elles procéderaient alors par instinct naturel et ainsi l’homme ne différerait pas, dans ses actes, des autres animaux qui par instinct naturel se meuvent vers leurs activités. Et il n’y aurait plus ni libre arbitre, ni conseil, ni élection et autres choses semblables qui distinguent l’homme des autres animaux.

 

 

Caput 128 [70213] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 128 tit. Quomodo intellectus humanus perficitur mediantibus potentiis sensitivis, et sic indirecte subditur corporibus caelestibus


 [70214] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 128 Est autem considerandum, quod intellectus humanus a potentiis sensitivis accipit suae cognitionis originem: unde perturbata phantastica et imaginativa vel memorativa parte animae, perturbatur cognitio intellectus, et praedictis potentiis bene se habentibus, convenientior fit acceptio intellectus. Similiter etiam immutatio appetitus sensitivi aliquid operatur ad mutationem voluntatis, quae est appetitus rationis, ex ea parte qua bonum apprehensum est obiectum voluntatis.
Ex eo enim quod diversimode dispositi sumus secundum concupiscentiam, iram et timorem, et alias passiones, diversimode nobis aliquid bonum vel malum videtur. Omnes autem potentiae sensitivae partis, sive sint apprehensivae, seu appetitivae, quarumdam corporalium partium actus sunt, quibus immutatis, necesse est per accidens ipsas quoque potentias immutari. Quia igitur immutatio inferiorum corporum subiacet motui caeli, eidem etiam motui potentiarum sensitivarum operationes, licet per accidens, subduntur, et sic indirecte motus caelestis aliquid operatur ad actum intellectus et voluntatis humanae, inquantum scilicet per passiones voluntas ad aliquid inclinatur. Sed quia voluntas passionibus non subditur ut earum impetum ex necessitate sequatur, sed magis in potestate sua habet reprimere passiones per iudicium rationis, consequens est ut nec etiam impressionibus corporum caelestium voluntas humana subdatur, sed liberum iudicium habet eas sequi et resistere, cum videbitur expedire, quod tantum sapientium est. Sequi vero passiones corporales et inclinationes est multorum, qui scilicet sapientia et virtute carent

Chapitre 128 — LES PUISSANCES SENSITIVES QUI PERFECTIONNENT INDIRECTEMENT L’INTELLECT HUMAIN FONT QUE CELUI-CI EST AUSSI INDIRECTEMENT SOUMIS AUX CORPS CÉLESTES

Il faut savoir que les puissances sensitives sont à l’on gifle de nos connaissances; si donc la partie représentant les phantasmes, l’imagination ou la mémoire de l’âme vient à être troublée, troublée aussi sera la connaissance intellective; mais si elles sont en bon état la perception de l’intelligence sera aussi meilleure. De même aussi un changement dans l’appétit sensitif peut influencer la volonté qui est l’appétit de la raison, en ce sens que le bien appréhendé est objet de la volonté. En effet selon que nous sommes diversement disposés du côté de la concupiscence, la colère, la crainte et les autres passions, diversement aussi quelque chose nous paraîtra bon ou mauvais.

Or toutes les puissances de la partie sensitive soit d’appréhension soit d’appétit sont des activités de parties corporelles et si celles-ci sont changées il est nécessaire par accident qu’il y ait un changement dans les puissances elles-mêmes. Donc comme le changement des corps inférieurs est soumis au mouvement céleste, à ce même mouvement seront soumises par accident les opérations des puissances sensitives; et ainsi indirectement le mouvement du ciel agit en quelque chose sur l’acte de l’intelligence et de la volonté humaines c’est-à-dire en tant que les passions ont une influence sur la volonté.

Mais comme la volonté n’est pas soumise aux passions de telle sorte qu’elle suivrait nécessairement leur impulsion mais plutôt qu’il est en son pouvoir de les réprimer par le jugement de la raison il s’en suit que la volonté de l’homme n’est pas soumise aux influences des corps célestes mais qu’elle juge librement de les suivre ou d’y résister comme il semble bon, ce qui est seulement le fait des sages. Suivre les passions du corps et ses inclinations est le fait de beaucoup c’est-à-dire qui n’ont ni sagesse ni vertu.

 

 

Caput 129 [70215] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 129 tit. Quod solus Deus movet voluntatem hominis, non res creata


 [70216] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 129 Cum autem omne mutabile et multiforme, in aliquod primum immobile et unum reducatur sicut in causam, hominis autem intellectus et voluntas mutabilis et multiformis appareat, necesse est quod in aliquam superiorem causam immobilem et uniformem reducantur. Et quia non reducuntur sicut in causam in corpora caelestia, ut ostensum est, oportet eas reducere in causas altiores. Aliter autem se habet circa intellectum et voluntatem: nam actus intellectus est secundum quod res intellectae sunt in intellectu, actus autem voluntatis attenditur secundum inclinationem voluntatis ad res volitas. Intellectus igitur natus est perfici ab aliquo exteriori, quod comparatur ad ipsum sicut ad potentiam: unde homo ad actum intellectus adiuvari potest a quolibet exteriori, quod est magis perfectum secundum esse intelligibile, non solum a Deo, sed etiam ab Angelo, et etiam ab homine magis instructo, aliter tamen et aliter.
Homo enim adiuvatur ab homine ad intelligendum per hoc quod unus eorum alteri proponit intelligibile quod non considerabat, non autem ita quod lumen intellectus unius hominis ab altero homine perficiatur, quia utrumque lumen naturale est unius speciei. Sed quia lumen naturale Angeli est secundum naturam sublimius naturali lumine hominis, homo ab Angelo potest iuvari ad intelligendum non solum ex parte obiecti quod ei ab Angelo proponitur, sed etiam ex parte luminis, quod per lumen Angeli confortatur. Non tamen lumen naturale hominis ab Angelo est, cum natura rationalis animae, quae per creationem esse accepit, non nisi a Deo instituta sit. Deus autem ad intelligendum hominem iuvat non solum ex parte obiecti, quod homini proponitur a Deo, vel per additionem luminis, sed etiam per hoc quod lumen naturale hominis, quo intellectualis est, a Deo est, et per hoc etiam quod cum ipse sit veritas prima, a qua omnis alia veritas certitudinem habet, sicut secundae propositiones a primis in scientiis demonstrativis, nihil intellectui certum fieri potest nisi virtute divina, sicut nec conclusiones fiunt certae in scientiis nisi secundum virtutem primorum principiorum. Sed cum actus voluntatis sit inclinatio quaedam ab interiori ad exterius procedens, et comparetur inclinationibus naturalibus, sicut inclinationes naturales rebus naturalibus solum insunt a causa suae naturae, ita actus voluntatis a solo Deo est, qui solus causa est naturae rationalis voluntatem habentis. Unde patet quod non est contra arbitrii libertatem, si Deus voluntatem hominis movet, sicut non est contra naturam quod Deus in rebus naturalibus operatur, sed tam inclinatio naturalis quam voluntaria a Deo est, utraque proveniens secundum conditionem rei cuius est: sic enim Deus res movet secundum quod competit earum naturae. Patet igitur ex praedictis quod in corpus humanum et virtutes eius corporeas imprimere possunt corpora caelestia, sicut et in alia corpora, non autem in intellectum, sed hoc potest creatura intellectualis. In voluntatem autem solus Deus imprimere potest.

Chapitre 129 — SEUL MEUT LA VOLONTÉ DE L’HOMME ET NON LA CRÉATURE

Comme tout ce qui est changeant et varié se ramène à un être immobile et unique comme en sa cause et que l’intelligence et la volonté de l’homme sont changeantes et variables il est nécessaire qu’elles soient ramenées à lui cause supérieure immobile et uniforme. Et parce qu’elles, ne sont pas réductibles aux corps célestes comme causes il faut les ramener à des causes plus élevées.

Mais il faut distinguer en cela l’intelligence de la volonté, car l’acte de l’intelligence fait que les choses connues sont dans l’intelligence; l’acte de la volonté consiste en une inclination de la volonté vers les choses voulues. L’intelligence s’achève donc naturellement en que chose qui lui est extérieur et auquel elle se rapporte comme en puissance. D’où l’homme pour l’acte d'intelligence peut être aidé par toute chose extérieure qui est plus parfaite dans l’ordre de la connaissance, non seulement par Dieu, mais aussi par un ange et aussi par un homme plus instruit, mais de manière différente.

En effet un homme est aidé par un autre dans l’ordre de la connaissance qu’il n’avait pas, mais non dans ce sens que l’intelligence de l’un soit capable d’éclairer l’autre et la parfaire; leurs deux intelligences en effet sont de même espèce. Mais parce l’ange est de par sa nature éclairé supérieurement à l’homme il peut aider l’homme dans l’ordre de la connaissance non seulement du côté de l’objet qui est proposé par l’ange mais du côté de l’illumination qui est départie à l’ange et qui renforce celle de l’homme. Cependant l’illumination naturelle de l’homme ne lui vient pas de l’ange, puisque la nature rationnelle de l’âme, qui tient son être par création, a été constituée par Dieu seul. Or Dieu dans l’ordre de la con naissance aide l’homme non seulement du côté de l’objet que Dieu propose à l’homme en ajoutant à son illumination, mais encore en ce que l’illumination naturelle de l’homme par laquelle il est intelligent lui vient de Dieu et aussi en ce que lui-même est la vérité première de laquelle toute autre vérité tient sa certitude comme le sont les propositions secondes à partir des premières dans les sciences. Rien ne peut être certain à notre intelligence qu’en Dieu, comme ne peuvent être certaines les conclusions scientifiques qu’en vertu des premiers principes.

Mais comme l’acte de la volonté est une inclination procédant de l’intérieur vers l’extérieur et qu’il est comparable aux inclinations naturelles, de même que les inclinations naturelles se trouvent seulement dans les choses naturelles en vertu de leur nature ainsi l’acte de la volonté vient de Dieu qui seul est la cause de la nature rationnelle volontaire. D’où sans porter atteinte au libre arbitre Dieu meut la volonté de l’homme, comme il n’est pas contraire à la nature que Dieu opère dans les choses naturelles; mais et l’inclination naturelle, et l’inclination volontaire sont de Dieu selon les conditions qui leurs sont propres; ainsi en effet Dieu meut les choses selon qu’il convient à leur nature.

De ce qui a été dit (chapitres 127, 128 et 129) il est clair que les corps célestes peuvent influencer le corps humain et ses facultés corporelles, comme les autres corps, mais non l’intelligence, ce que peut faire la créature intellectuelle. Mais sur la volonté Dieu seul peut avoir une influence.

 

 

Caput 130 [70217] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 130 tit. Quod Deus omnia gubernat, et quaedam movet mediantibus causis secundis


 [70218] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 130 Quia vero causae secundae non agunt nisi virtute primae causae, sicut instrumenta agunt per directionem artis, necesse est quod omnia alia agentia, per quae Deus ordinem suae gubernationis adimplet, virtute ipsius Dei agant. Agere igitur cuiuslibet ipsorum a Deo causatur, sicut et motus mobilis a motione moventis. Movens autem et motum oportet simul esse. Oportet igitur quod Deus cuilibet agenti adsit interius quasi in ipso agens, dum ipsum ad agendum movet. Adhuc. Non solum agere agentium secundorum causatur a Deo, sed ipsum eorum esse, sicut in superioribus ostensum est.
Non autem sic intelligendum est quod esse rerum causetur a Deo sicut esse domus causatur ab aedificatore, quo remoto adhuc remanet esse domus. Aedificator enim non causat esse domus nisi inquantum movet ad esse domus, quae quidem motio est factio domus, unde directe est causa fieri ipsius domus, quod quidem cessat aedificatore remoto. Deus autem est per se causa directe ipsius esse, quasi esse communicans omnibus rebus, sicut sol communicat lumen aeri, et aliis quae ab ipso illuminantur. Et sicut ad conservationem luminis in aere requiritur perseverans illuminatio solis, ita ad hoc quod res conserventur in esse, requiritur quod Deus esse incessanter tribuat rebus, et sic omnia non solum inquantum esse incipiunt, sed etiam inquantum in esse conservantur, comparantur ad Deum sicut factum ad faciens. Faciens autem et factum oportet esse simul, sicut movens et motum. Oportet igitur Deum adesse omnibus rebus inquantum esse habent. Esse autem est id quod rebus omnibus intimius adest. Igitur oportet Deum in omnibus esse. Item. Quicumque exequitur suae providentiae ordinem per aliquas medias causas, necesse est quod effectus illarum mediarum causarum cognoscat et ordinet, alioquin extra ordinem suae providentiae caderent: et tanto perfectior est providentia gubernantis, quanto eius cognitio et ordinatio magis descendit ad singularia, quia si aliquid singularium a cognitione gubernantis subtrahitur, determinatio ipsius singularis eius providentia diffugiet. Ostensum est autem supra quod necesse est omnia divinae providentiae subdi; et manifestum est quod divina providentia perfectissima est, quia quidquid de Deo dicitur, secundum maximum convenit ei. Oportet igitur quod ordinatio providentiae ipsius se extendat usque ad minimos effectus.

Chapitre 130 — DIEU GOUVERNE TOUTES LES CHOSES ET IL EN MEUT CERTAINES PAR LES CAUSES SECONDES

Comme les causes secondes n’agissent qu’en vertu de la cause première, ainsi que les instruments selon les règles de l’art, il est nécessaire que tous les agents qui remplis sent leur rôle assigné par Dieu agissent en vertu même de Dieu. Donc l’agir de chacun d’eux a sa cause en Dieu comme le mouvement d’un mobile en vertu de l’action du moteur. Or le mouvement et le moteur sont simultanés. Il faut donc que Dieu soit présent à tout agent comme agissant en lui en le poussant à agir.

De plus. Non seulement l’action des agents subalternes vient de Dieu mais aussi leur être même comme on l’a montré (chapitre 68). Mais que Dieu cause l’être des choses ne doit pas être compris comme le constructeur est cause de la maison, laquelle subsiste après le constructeur. Celui-ci en effet n’est la cause de la maison qu’autant qu’il y a mis la main et par là il en est la cause directe; laquelle cesse avec le départ du constructeur. Or Dieu est essentiellement la cause de l’être et directement comme s’il communiquait l’être à tout, comme le soleil communique la lumière dans l’atmosphère et à tout ce qu’il illumine. Et de même que pour conserver la lumière est requise une continuelle illumination du soleil, ainsi pour que les choses gardent leur être est-il requis que Dieu accorde continuellement leur être aux choses. Et ainsi toutes choses en tant qu’elles sont, non seulement reçoivent leur commencement, mais encore pour leur conservation sont par rap port à Dieu comme ce qui est fait à ce qui le fait Or celui qui fait et ce qui est fait sont inséparables, comme le mouvement de son moteur. Il faut donc que Dieu préside à toutes choses dans leur être même. Or l’être est ce qu’il y a de plus intérieur aux choses. Il faut donc que Dieu soit en toutes les choses.

De même. Quiconque fait exécuter ses desseins par des causes intermédiaires doit connaître et ordonner les effets de ces causes, autrement ils échapperaient à ce qu’il avait prévu. Et d’autant plus parfaite est la providence de celui qui gouverne que sa connaissance et son ordonnance s’étendent aux détails Car si quelque détail est soustrait à sa connaissance la détermination de ce détail s’écartera des prévisions. Or on a montré plus haut (chapitre 123) que tout doit être soumis à la divine providence et celle-ci est manifestement la plus parfaite qui soit, car tout ce qui est dit de Dieu lui convient souverainement. Il faut donc que les desseins de la divine providence s’étendent jusqu’aux moindres effets.

 

 

Caput 131 [70219] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 131 tit. Quod Deus omnia disponit immediate, nec diminuit suam sapientiam


 [70220] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 131 Secundum hoc igitur patet quod licet rerum gubernatio fiat a Deo mediantibus causis secundis, quantum pertinet ad providentiae executionem, tamen ipsa dispositio seu ordinatio divinae providentiae immediate se extendit ad omnia. Non enim sic prima et ultima ordinat ut ultima et singularia aliis disponenda committat: hoc enim apud homines agitur propter debilitatem cognitionis ipsorum, quae non potest simul vacare pluribus: unde superiores gubernatores disponunt de magnis et minima aliis committunt disponenda; sed Deus simul multa potest cognoscere, ut supra ostensum est, unde non retrahitur ab ordinatione maximorum per hoc quod dispensat minima.

Chapitre 131 — DIEU DISPOSE TOUT DIRECTEMENT SANS PRÉJUDICE DE SA SAGESSE

Donc d’après cela bien que le gouvernement des choses se fasse par Dieu au moyen des causes secondes pour l’exécution de sa providence, cependant il est clair que la disposition même de l’ordination de la divine providence s’étend à tout directement. En effet, il n’ordonne pas du premier au dernier échelon de telle sorte que ce qui vient en dernier lieu et ce qui est du détail il le confierait à d’autres. Cela en effet se fait chez les hommes à cause de la pauvreté de leur connaissance qui ne peut tout embrasser à la fois. D’où les dirigeants supérieurs s’occupent-ils des choses importantes et confient à d’autres le soin des petites. Mais Dieu peut à la fois en connaître beaucoup, comme on l’a montré (chapitres 29 et 96), sans être empêché du soin des plus grandes tout en s’occupant des petites.

 

 

Caput 132 [70221] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 132 tit. Rationes quae videntur ostendere quod Deus non habet providentiam de particularibus


 [70222] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 132 Posset tamen alicui videri quod singularia non disponantur a Deo. Nullus enim per suam providentiam disponit nisi quae cognoscit. Deo autem cognitio singularium videri potest deesse, ex hoc quod singularia non intellectu, sed sensu cognoscuntur. In Deo autem, qui omnino incorporeus est, non potest esse sensitiva, sed solum intellectiva cognitio. Potest igitur alicui videri ex hoc quod singularia a divina providentia non ordinentur. Item. Cum singularia sint infinita, infinitorum autem non possit esse cognitio (infinitum enim ut sic est ignotum), videtur quod singularia divinam cognitionem et providentiam effugiant. Adhuc. Singularium multa contingentia sunt. Horum autem non potest esse certa scientia. Cum igitur scientiam Dei oporteat esse certissimam, videtur quod singularia non cognoscantur, nec disponantur a Deo.
Praeterea. Singularia non omnia simul sunt, quia quibusdam succedentibus alia corrumpuntur. Eorum autem quae non sunt, non potest esse scientia. Si igitur singularium Deus scientiam habeat, sequitur quod quaedam scire incipiat et desinat, ex quo sequitur eum esse mutabilem. Non igitur videtur singularium cognitor et dispositor esse.

Chapitre 132 — RAISONS QUI PARAISSENT MONTRER QUE DIEU NE S’OCCUPE PAS DES CHOSES PARTICULIÈRES

Quelqu’un pensera peut-être que Dieu ne s’occupe pas des choses en particulier. Personne en effet ne s’occupe que de ce qu’il connaît. Or il semble que la connaissance des choses en particulier lui fait défaut du fait que les choses particulières sont seulement connues des sens et non de l’intelligence. Or en Dieu qui est tout-à-fait incorporel ne peut exister qu’une connaissance intellective et non sensitive. Voilà pourquoi il pourrait sembler que les choses particulières ne tombent pas sous sa providence. De même. Comme les choses particulières sont en nombre infini qu’on ne peut connaître (car l’infini comme tel ne peut être connu) il semble que les choses particulières échappent à la connaissance et à la providence divines.

De plus. Parmi les choses particulières beaucoup sont contingentes, dont on ne peut avoir une connaissance certaine. Puis donc que la science de Dieu doit être des plus certaines il semble qu’Il ne les connaît ni ne s’en occupe En outre. Les choses particulières n’existent pas toutes à la fois : les unes se succèdent, les autres se corrompent. Or il n’y a pas de science de choses qui ne sont pas. Si donc Dieu connaît les choses particulières il s’en suit qu’il commence à en connaître certaines et puis qu’il cesse de les connaître. Dieu serait donc changeant. Donc il ne semble pas qu’il connaisse et dispose des choses en particulier.

 

 

Caput 133 [70223] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 133 tit. Solutio praedictarum rationum


 [70224] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 133 Sed haec facile solvuntur, si quis rei veritatem consideret.
Cum enim Deus seipsum perfecte cognoscat, oportet quod cognoscat omne quod in ipso est quocumque modo. Cum autem ab eo sit omnis essentia et virtus entis creati, quod autem est ab aliquo, virtute in ipso est, necesse est quod seipsum cognoscens cognoscat essentiam entis creati et quidquid in eo virtute est; et sic cognoscit omnia singularia quae virtute sunt in ipso et in aliis suis causis. Nec est simile de cognitione intellectus divini et nostri, ut prima ratio procedebat. Nam intellectus noster cognitionem de rebus accipit per species abstractas, quae sunt similitudines formarum, et non materiae, nec materialium dispositionum, quae sunt individuationis principia: unde intellectus noster singularia cognoscere non potest, sed solum universalia. Intellectus autem divinus cognoscit res per essentiam suam, in qua sicut in primo principio virtute continentur non solum forma, sed etiam materia; et ideo non solum universalium, sed etiam singularium cognitor est. Similiter etiam non est inconveniens Deum infinita cognoscere, quamvis intellectus noster infinita cognoscere non possit. Intellectus enim noster non potest simul actu plura considerare, et sic si infinita cognosceret, considerando ea, oporteret quod numeraret infinita unum post unum, quod est contra rationem infiniti; sed virtute et potentia intellectus noster infinita cognoscere potest, puta omnes species numerorum vel proportionum, inquantum habet sufficiens principium ad omnia cognoscenda. Deus autem multa simul cognoscere potest, ut supra ostensum est, et id per quod omnia cognoscit, scilicet sua essentia, sufficiens est principium omnia cognoscendi non solum quae sunt, sed quae esse possunt. Sicut igitur intellectus noster potentia et virtute cognoscit infinita, quorum cognitionis principium habet, ita Deus omnia infinita actu considerat. Manifestum est etiam quod licet singularia corporalia et temporalia non simul sint, tamen simul eorum Deus cognitionem habet: cognoscit enim ea secundum modum sui esse, quod est aeternum et sine successione. Sicut igitur materialia immaterialiter, et multa per unum cognoscit, sic et quae non simul sunt, uno intuitu conspicit: et sic non oportet quod eius cognitioni aliquid addatur vel subtrahatur, per hoc quod singularia cognoscit. Ex quo etiam manifestum fit quod de contingentibus certam cognitionem habet, quia etiam antequam fiant, intuetur ea prout sunt actu in suo esse, et non solum prout sunt futura et virtute in suis causis, sicut nos aliqua futura cognoscere possumus. Contingentia autem licet prout sunt in suis causis virtute futura existentia, non sunt determinata ad unum, ut de eis certa cognitio haberi possit, tamen prout sunt actu in suo esse, iam sunt determinata ad unum, et potest de eis certa haberi cognitio. Nam Socratem sedere dum sedet, per certitudinem visionis cognoscere possumus. Et similiter per certitudinem Deus cognoscit omnia, quaecumque per totum discursum temporis aguntur, in suo aeterno: nam aeternitas sua praesentialiter totum temporis decursum attingit, et ultra transcendit, ut sic consideremus Deum in sua aeternitate fluxum temporis cognoscere, sicut qui in altitudine speculae constitutus totum transitum viatorum simul intuetur.

Chapitre 133 — SOLUTION DE CES DIFFICULTÉS

Mais on y répond facilement si l’on veut bien considérer la réalité. En effet comme Dieu se connaît parfaitement, il doit connaître tout ce qui de quelque manière est en Lui. Or comme c’est de Lui qu’est toute essence et vertu de l’être créé — ce qui est de quelqu’un est en lui virtuellement — il est nécessaire que se connaissant lui- même il connaisse aussi l’essence de la créature et tout ce qui est virtuellement en elle. Et ainsi il connaît tous les particuliers qui sont virtuellement en lui et dans leurs autres causes.

Et il n’en va pas de même de la connaissance de l’être divin et de la nôtre, comme l’avançait la première objection. Car notre intelligence prend connaissance des choses par des images abstraites, similitudes des formes et non de la matière ni des conditions matérielles qui sont principes d’individuation. D’où notre intelligence ne peut pas connaître les choses particulières mais seulement les universelles. Or l’intelligence divine connaît les choses par leur essence dans laquelle comme dans leur principe sont contenues virtuellement non seulement les formes mais aussi la matière et donc il connaît non seulement les choses universelles mais aussi les particulières.

Semblablement rien n’empêche que Dieu connaisse les choses infinies, bien que notre intelligence ne puisse les connaître. Notre intelligence ne peut connaître à la fois et en acte plusieurs choses. Et ainsi si elle connaissait les choses infinies en les considérant elle devrait les énumérer une à une, ce qui est contraire à la définition de l’infini. Mais c’est virtuellement et en puissance que nous pouvons connaître l’infini; par exemple les nombres et les proportions en tant qu’en principe nous pouvons toujours y ajouter mais successivement. Or Dieu peut connaître tout en une fois, comme on l’a vu (chapitres 29 et 96); et ce par quoi il connaît toutes choses qui est son essence est le principe suffisant de sa connaissance non seulement de ce qui est mais de ce qui peut être. De même donc que nous pouvons connaître virtuellement et potentiellement l’infini des choses dont nous avons le principe de connaissance, ainsi, Dieu lui les connaît toutes actuellement.

Il est évident aussi, malgré que toutes les choses particulières corporelles et temporelles ne soient pas toutes à la fois, que Dieu cependant en a la connaissance actuelle; il les connaît en effet selon son mode d’être qui est éternel et sans succession. De même donc qu’Il connaît immatériellement les choses matérielles, et toutes les choses en une seule, ainsi aussi connaît-Il d’un seul coup d’oeil toute la succession des choses. Et ainsi rien ne doit s’ajouter ou être retranché à ce qu’Il connaît puisqu’Il connaît tous les singuliers.

D’où aussi il est évident que des choses contingentes il en a une connaissance certaine; car même avant qu’elles ne soient, Il les regarde, étant en acte dans son être et non seulement en tant qu’elles seront et en vertu de leurs causes, comme nous qui pouvons aussi connaître certaines choses à venir. Bien que les Contingents en tant que virtuels dans leurs causes ne soient pas déterminés à telle chose pour qu’on puisse en avoir une connaissance certaine, cependant en tant qu’actuellement existant ils ont été déjà déterminés à cette chose et on peut en avoir une connaissance certaine[36]. Car nous pouvons savoir de certitude de vision que Socrate est assis étant assis maintenant. Et de même Dieu connaît tout avec certitude quoi que ce soit à travers le cours du temps dans son éternité. Car celle-ci atteint présentement tout le cours du temps et lui est transcendant. Et ainsi nous pourrions imaginer Dieu dans son éternité connaissant le cours du temps comme quelqu’un qui du haut d’un observatoire embrasse d’un regard tout le trafic des passants.

 

 

Caput 134 [70225] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 134 tit. Quod Deus solus cognoscit singularia futura contingentia


 [70226] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 134 Manifestum est autem quod hoc modo futura contingentia cognoscere, prout sunt actu in suo esse, quod est certitudinem de ipsis habere, solius Dei proprium est, cui proprie et vere competit aeternitas: unde futurorum praenuntiatio certa ponitur esse divinitatis signum, secundum illud Isaiae XLI, 23: annuntiate quae ventura sunt in futurum, et sciemus quia dii estis vos. Sed cognoscere futura in suis causis etiam aliis competere potest; sed haec cognitio non est certa, sed coniecturalis magis, nisi circa effectus qui de necessitate ex suis causis sequuntur: et per hunc modum medicus praenuntiat infirmitates futuras, et nauta tempestates.

Chapitre 134 — SEUL CONNAIT EN PARTICULIER LES FUTURS CONTINGENTS

Connaître ainsi les futurs contingents d’après qu’ils sont actuellement dans leur être, ce qui est en avoir la certitude, c’est là ce qui est propre à Dieu seul. C’est à lui qu’appartient, en propre et vraiment, l’éternité. D’où la prédiction certaine des choses à venir est la marque certaine de la divinité, comme le dit Isaïe : "Annoncez-nous ce qui doit arriver dans l’avenir et nous saurons que vous êtes des dieux" (41, 23). D’autres peuvent connaître les choses à venir dans leurs causes ce qui ne constitue pas une certitude mais plutôt une conjecture, à moins d’une relation nécessaire de cause à effet : et de cette manière le médecin prédit la maladie et le marin les tempêtes.

 

 

Caput 135 [70227] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 135 tit. Quod Deus omnibus adest per potentiam, essentiam et praesentiam, et omnia immediate disponit


 [70228] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 135 Sic igitur nihil impedit quin Deus etiam singularium effectuum cognitionem habeat, et eos immediate ordinet per seipsum, licet per causas medias exequatur. Sed etiam in ipsa executione quodammodo immediate se habet ad omnes effectus, inquantum omnes causae mediae agunt in virtute causae primae, ut quodammodo ipse in omnibus agere videatur, et omnia opera secundarum causarum ei possunt attribui, sicut artifici attribuitur opus instrumenti: convenientius enim dicitur quod faber facit cultellum quam martellus.
Habet etiam se immediate ad omnes effectus, inquantum ipse est per se causa essendi, et omnia ab ipso servantur in esse. Et secundum hos tres immediatos modos dicitur Deus in omnibus esse per essentiam, potentiam et praesentiam. Per essentiam quidem, inquantum esse cuiuslibet est quaedam participatio divini esse, et sic essentia divina cuilibet existenti adest, inquantum habet esse, sicut causa proprio effectui; per potentiam vero, inquantum omnia in virtute ipsius agunt; per praesentiam vero, inquantum ipse immediate omnia ordinat et disponit.

Chapitre 135 — SE TROUVE PARTOUT PAR SA PUISSANCE, SON ESSENCE ET SA PRÉSENCE, IL DISPOSE DE TOUT DIRECTEMENT

Ainsi donc rien n’empêche que Dieu ait aussi connaissance des choses particulières et qu’Il en dispose directement, bien qu’il les fasse exécuter par des causes intermédiaires. Mais aussi dans l’exécution elle-même intervient-Il en quelque sorte immédiatement pour tous. les effets en tant que toutes les causes intermédiaires agissent sous l’influence de la cause première; d’une certaine façon on peut dire que lui-même agit en tout et toutes les oeuvres des causes secondes lui sont attribuables, comme à un artisan le travail de l’instrument; en effet il est plus juste de dire que le fabricant a fait le contenu plutôt que son marteau, Il est directement en rapport avec tout ce qui se fait en tant qu’Il est essentiellement cause de l’être et que tout garde son être de Lui. Et Dieu se trouve en toutes choses selon ces trois modes immédiats : par son essence, sa puissance et sa présence. Par son essence, en tant que l’être de quelque chose est une participation à l’être divin et ainsi l’essence divine se trouve en tout ce qui existe en tant qu’ayant l’être, comme la cause en son propre effet. Par sa puissance en tant que tout agit par sa vertu. Par sa présence en ce qu’Il ordonne et dispose tout immédiatement.

 

 

Caput 136 [70229] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 136 tit. Quod soli Deo convenit miracula facere


 [70230] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 136 Quia igitur totus ordo causarum secundarum et virtus earum est a Deo, ipse autem non producit suos effectus per necessitatem, sed liberam voluntatem, ut supra ostensum est, manifestum est quod praeter ordinem causarum secundarum agere potest, sicut quod sanet illos qui secundum operationem naturae sanari non possunt, vel faciat aliqua huiusmodi quae non sunt secundum ordinem naturalium causarum, sunt tamen secundum ordinem divinae providentiae, quia hoc ipsum quod aliquando a Deo fiat praeter ordinem naturalium causarum, a Deo dispositum est propter aliquem finem. Cum autem aliqua huiusmodi divinitus fiunt praeter ordinem causarum secundarum, talia facta miracula dicuntur: quia mirum est, cum effectus videtur, et causa ignoratur. Cum igitur Deus sit causa simpliciter nobis occulta, cum aliquid ab eo fit praeter ordinem causarum secundarum nobis notarum, simpliciter miracula dicuntur.
Si autem fiat aliquid ab aliqua alia causa occulta huic vel illi, non est simpliciter miraculum, sed quoad illum qui causam ignorat: unde contingit quod aliquid apparet mirum uni, quod non est alii mirum, qui causam cognoscit. Sic autem praeter ordinem causarum secundarum operari solius Dei est, qui est huius ordinis institutor, et huic ordini non obligatur. Alia vero omnia huic ordini subduntur, unde miracula facere, solius Dei est, secundum illud Psalmistae: qui facit mirabilia magna solus. Cum igitur ab aliqua creatura miracula fieri videntur, vel non sunt vera miracula, quia fiunt per aliquas virtutes naturalium rerum, licet nobis occultas, sicut est de miraculis Daemonum, quae magicis artibus fiunt; vel si sunt vera miracula, impetrantur per aliquem a Deo, ut scilicet talia operetur. Quia igitur huiusmodi miracula solum divinitus fiunt, convenienter in argumentum fidei assumuntur, quae soli Deo innititur. Quod enim aliquid prolatum ab homine auctoritate divina dicatur, nunquam convenientius ostenditur quam per opera quae solus Deus facere potest. Huiusmodi autem miracula, quamvis praeter ordinem causarum secundarum fiant, tamen non sunt simpliciter dicenda contra naturam, quia hoc ipsum naturalis ordo habet ut inferiora actionibus superiorum subdantur. Unde quae in corporibus inferioribus ex impressione caelestium corporum proveniunt, non dicuntur simpliciter esse contra naturam, licet forte sint quandoque contra naturam particularem huius vel illius rei, sicut patet de motu aquae in fluxu et refluxu maris, qui accidit ex lunae actione. Sic igitur et ea quae in creaturis accidunt Deo agente, licet videantur esse contra particularem ordinem causarum secundarum, sunt tamen secundum ordinem universalem naturae. Non igitur miracula sunt contra naturam.

Chapitre 136 — IL EST JUSTE QUE FASSE DES MIRACLES

Puis donc que tout l’ordre des causes secondes et leur vertu vient de Dieu et que lui-même ne produit rien par nécessité mais librement comme on l’a montré plus haut (chapitre 96), il est clair qu’Il peut agir au-delà de ces causes, comme lorsqu’Il guérit ceux qui selon les lois naturelles ne peuvent être guéris ou opère d’autres prodiges de ce genre en dchors des causes naturelles. C’est cependant selon l’ordre de la providence divine, par cela même que parfois Dieu agit au-delà de l’ordre des causes naturelles en vue d’une fin. Quand de telles choses se produisent on dit que ce sont des miracles; car il est étrange de voir un effet sans en connaître la cause. Comme Dieu est la cause cachée par excellence si quelque chose se produit en- dchors des causes connues de nous on dit simplement qu’il y a miracle proprement dit. Si la cause n’est inconnue que de tel ou tel ce n’est plus à proprement parler un miracle, mais bien pour celui qui ignore la cause. D’où il arrive que quelque chose paraît étrange à l’un qui ne l’est pas pour un autre qui en connaît la cause.

Agir ainsi en dchors de l’ordre des causes secondes appartient à Dieu seul qui est l’auteur de cet ordre auquel il n’est pas tenu. Mais tout le reste y est soumis; d’où faire des miracles appartient seulement à Dieu, comme le dit le Psalmiste : "Lui qui fait seul de grandes merveilles" (Ps 72, 18). Lors donc que des miracles sont apparemment faits par une créature, ou bien ce ne sont pas de vrais miracles parce qu’ils sont dûs à quelques causes naturelles qui nous sont cachées, comme les miracles des démons et qui sont de la magie; ou bien si ce sont de vrais miracles, ils ont été obtenus par quelqu’un qui les aura demandés à Dieu dans la prière. Donc comme les miracles ont Dieu seul comme auteur il est juste de les élever en arguments de la foi qui s’appuie sur Dieu seul.

En effet si un homme avance quelque chose en s’appuyant sur l’autorité divine cela n’est jamais mieux prouvé que par des oeuvres que Dieu seul peut accomplir. Mais ces miracles bien qu’accomplis au-delà de l’ordre des causes secondes, on ne peut pas dire simplement qu’ils sont contre nature parce que l’ordre naturel lui- même veut que les choses inférieures soient soumises à l’action des êtres supérieurs. D’où ce qui advient aux corps inférieurs sous l’influence des corps célestes n’est pas simplement contre nature bien que peut-être ce soit parfois contraire à la nature particulière de telle ou telle chose comme le flux et le reflux de l’eau lors des marées et qui se produit sous l’action de la lune. Ainsi donc ce qui arrive aux créatures par l’action de Dieu, bien qu’apparemment contraire à l’ordre des causes secondes est cependant conforme à l’ordre universel naturel. Les miracles ne sont donc pas contraires à la nature.

 

 

Caput 137 [70231] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 137 tit. Quod dicantur esse aliqua casualia et fortuita


 [70232] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 137 Quamvis autem omnia etiam minima divinitus dispensentur, ut ostensum est, nihil tamen prohibet aliqua accidere a casu et fortuna. Contingit enim aliquid respectu inferioris causae esse fortuitum vel casuale, dum praeter eius intentionem aliquid agitur, quod tamen non est fortuitum vel casuale respectu superioris causae, praeter cuius intentionem non agitur; sicut patet de domino, qui duos servos ad eumdem locum mittit, ita quod unus ignoret de alio: horum concursus casualis est quantum ad utrumque, non autem quantum ad dominum. Sic igitur cum aliqua accidunt praeter intentionem causarum secundarum, fortuita sunt vel casualia habito respectu ad illas causas, et simpliciter casualia dici possunt, quia effectus simpliciter denominantur secundum conditionem proximarum causarum. Si vero habeatur respectus ad Deum, non sunt fortuita, sed provisa.

Chapitre 137 — DES CHOSES QUI SONT FORTUITES OU ACCIDENTELLES

Bien que Dieu dispose de toutes choses même des moindres, comme on l’a montré (chapitres 123, 130, 131, 133-135), rien n’empêche cependant que certaines n’arrivent par hasard ou fortuitement. Il peut arriver que quel que chose soit fortuit ou accidentel par rapport à une cause inférieure lorsque quelque chose se fait au-delà de l’intention et qui n’est cependant pas fortuit ni accidentel pour la cause supérieure et donc n’échappe pas à ses vues, comme le maître qui envoie deux serviteurs au même endroit de telle façon que l’un ne sait rien de l’autre, leur rencontre est un hasard pour eux, non pour le maître. Ainsi donc lorsque des choses arrivent au-delà de l’ordre des causes secondes elles sont fortuites ou accidentelles par rapport à ces causes et on peut dire qu’elles sont dues au hasard simplement en se tenant aux causes les plus proches. Mais pour Dieu elles ne sont pas fortuites mais prévues.

 

 

Caput 138 [70233] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 138 tit. Utrum fatum sit aliqua natura, et quid sit


 [70234] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 138 Ex hoc autem apparet quae sit ratio fati. Cum enim multi effectus inveniantur casualiter provenire secundum considerationem secundarum causarum, quidam huiusmodi effectus in nullam superiorem causam ordinantem eos reducere volunt, quos totaliter negare fatum necesse est. Quidam vero hos effectus qui videntur casuales et fortuiti, in superiorem causam ordinantem eos reducere voluerunt, sed corporalium ordinem non transcendentes, attribuerunt ordinationem corporibus primis, scilicet caelestibus: et hi fatum esse dixerunt vim positionis siderum, ex qua huiusmodi effectus contingere dicebant. Sed quia ostensum est, quod intellectus et voluntas, quae sunt propria principia humanorum actuum, proprie corporibus caelestibus non subduntur, non potest dici, quod ea quae casualiter vel fortuito in rebus humanis accidere videntur, reducantur in corpora caelestia sicut in causam ordinantem. Fatum autem non videtur esse nisi in rebus humanis, in quibus est et fortuna. De his enim solent aliqui quaerere, futura cognoscere volentes, et de his a divinantibus responderi consuevit: unde et fatum a fando est appellatum, et ideo sic fatum ponere est alienum a fide.
Sed quia non solum res naturales, sed etiam res humanae divinae providentiae subduntur, quae casualiter in rebus humanis accidere videntur, in ordinationem divinae providentiae reducere oportet. Et sic necesse est ponere fatum ponentibus divinae providentiae omnia subiacere. Fatum enim sic acceptum se habet ad divinam providentiam sicut proprius eius effectus. Est enim explicatio divinae providentiae rebus adhibita, secundum quod Boetius dicit, quod fatum est dispositio, idest ordinatio immobilis rebus mobilibus inhaerens. Sed quia cum infidelibus quantum possumus, nec nomina debemus habere communia, ne a non intelligentibus erroris occasio sumi possit, cautius est fidelibus ut fati nomen reticeant, propter hoc quod fatum convenientius et communius secundum primam acceptionem sumitur. Unde et Augustinus dicit V de civitate Dei, quod si quis secundo modo fatum esse credat, sententiam teneat et linguam corrigat.

Chapitre 138 — LE DESTIN EST-IL UNE NATURE ET QU’EST-IL ?

De ceci il ressort ce qu’est le destin. Comme en effet nombre d’effets proviennent accidentellement selon qu’on considère les causes secondes, d’aucuns ne veulent les ramener à aucune cause supérieure qui les ordonne et donc il faut bien qu’ils nient l’existence du destin. D’autres ont voulu ramener ces effets qui paraissent être du hasard et fortuits à une cause supérieure qui les ordonne; mais comme ils ne s’élevaient pas au-dessus de l’ordre corporel, ils attribuèrent cette ordination aux corps premiers, c’est-à-dire célestes, et ils dirent que le destin provenait du pouvoir qu’aurait la position des astres, d’où, disaient-ils, ces effets produits. Mais comme on a montré (chapitres 127-129) que l’intelligence et la volonté, principes propres des actes humains, ne sont pas proprement soumis aux corps célestes, on ne peut plus dire que ce qui paraît accidentel ou fortuit dans les choses humaines se ramène aux corps célestes comme cause qui les ordonne.

Or le destin ne semble se produire que dans les choses humaines dans lesquelles est aussi le hasard. En effet il y en a qui s’interrogent à leur sujet et veulent connaître l’avenir et les devins ont coutume de donner une réponse; et c’est pourquoi on fait dériver le mot latin"fatum"du verbe"fan"qui signifie dire. Et donc entendre ainsi le destin est contraire à la foi.

Mais comme les choses naturelles et aussi humaines sont soumises à la divine providence, quand quelque chose arrive fortuitement dans les choses humaines il faut les ramener à une disposition de la divine providence dans ce sens ceux qui admettent que tout est soumis à la divine providence doivent admettre le destin. En effet le destin ainsi entendu est mis en rapport avec la divine providence comme étant son effet propre; c’est une explication de la divine providence appliquée aux choses, selon ce que dit Boèce (Consol. philos. 4, 6) que le destin est "une disposition" c’est-à-dire une ordination "immobile inhérente aux choses mobiles". Mais parce que, autant qu’il est possible, nous ne devons pas adopter un langage commun avec les infidèles, pour ne pas donner l’occasion d’erreur aux non-initiés, pour les fidèles il sera plus sûr d’éviter l’emploi de ce mot qui convient mieux à la première acception qui est assez commune. D’où ce que dit saint Augustin au cinquième livre de la Cité de Dieu (chapitre 1) si quelqu’un entend le destin dans son second sens "qu’il retienne le sens et en corrige l’expression".

 

 

Caput 139 [70235] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 139 tit. Quod non omnia sunt ex necessitate


 [70236] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 139 Quamvis autem ordo divinae providentiae rebus adhibitus certus sit, ratione cuius Boetius dicit quod fatum est dispositio immobilis rebus mobilibus inhaerens, non tamen propter hoc sequitur omnia de necessitate accidere.
Nam effectus necessarii vel contingentes dicuntur secundum conditionem proximarum causarum. Manifestum est enim quod si causa prima fuerit necessaria, et causa secunda fuerit contingens, effectus sequitur contingens, sicut prima causa generationis in rebus corporalibus inferioribus est motus caelestis corporis, qui licet ex necessitate proveniat, generatio tamen et corruptio in istis inferioribus provenit contingenter, propter hoc quod causae inferiores contingentes sunt, et deficere possunt. Ostensum est autem quod Deus suae providentiae ordinem per causas inferiores exequitur. Erunt igitur aliqui effectus divinae providentiae contingentes secundum conditionem inferiorum causarum.

Chapitre 139 — QU’EST-CE-QUE LA CONTINGENCE ?

Bien que l’ordre assigné aux choses par la divine providence soit certain, en raison de quoi Boèce disait : "Le destin est une disposition immobile attachée aux choses mobiles", cependant on ne peut dire que tout arrive nécessairement. Car les effets nécessaires ou contingents le sont en raison des causes prochaines. Il est manifeste en effet que si une première cause est nécessaire et la suivante contingente, l’effet sera contingent; si par exemple on attribue la génération des corps inférieurs à l’action des corps célestes qui se produit nécessairement, cependant la génération et la corruption des choses inférieures se produira ou non parce que les causes secondes ou inférieures sont contingentes et peuvent faire défaut. Or on a montré (chapitres 124 à 130) que Dieu exécute l’ordre de sa providence au moyen des causes inférieures. Il y aura donc des effets de la divine providence contingents selon la condition des causes inférieures ou secondes.

 

 

Caput 140 [70237] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 140 tit. Quod divina providentia manente, multa sunt contingentia


 [70238] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 140 Nec tamen effectuum contingentia vel causarum, certitudinem divinae providentiae perturbare potest. Tria enim sunt quae providentiae certitudinem praestare videntur: scilicet infallibilitas divinae praescientiae, efficacia divinae voluntatis, et sapientia divinae dispositionis, quae vias sufficientes ad effectum consequendum adinvenit, quorum nullum contingentiae rerum repugnat. Nam scientia Dei infallibilis est etiam contingentium futurorum, inquantum Deus intuetur in suo aeterno futura, prout sunt actu in suo esse, ut supra expositum est.
Voluntas etiam Dei, cum sit universalis rerum causa, non solum est de hoc quod aliquid fiat, sed ut sic fiat. Hoc igitur ad efficaciam divinae voluntatis pertinet non solum ut fiat quod Deus vult, sed ut hoc modo fiat quomodo illud fieri vult. Vult autem quaedam fieri necessario et quaedam contingenter, quia utrumque requiritur ad completum esse universi. Ut igitur utroque modo res provenirent, quibusdam adaptat necessarias causas, quibusdam vero contingentes, ut sic dum quaedam fiunt necessario, quaedam contingenter, divina voluntas efficaciter impleatur. Manifestum est etiam quod per sapientiam divinae dispositionis, providentiae certitudo servatur, contingentia rerum manente. Nam si hoc per providentiam hominis fieri potest ut causae quae deficere potest ab effectu, sic ferat auxilium ut interdum indeficienter sequatur effectus, sicut patet in medico sanante, et in vineae cultore contra sterilitatem vitis adhibendo remedium, multo magis hoc ex sapientia divinae dispositionis contingit, ut quamvis causae contingentes deficere possint quantum est de se ab effectu, tamen quibusdam adminiculis adhibitis indeficienter sequatur effectus, quod eius contingentiam non tollit. Sic ergo patet quod rerum contingentia divinae providentiae certitudinem non excludit.

Chapitre 140 — LA DIVINE PROVIDENCE ÉTANT MAINTENUE BEAUCOUP DE CHOSES SONT CONTINGENTES

Cependant la contingence des causes et de leurs effets ne peut perturber la certitude de la providence divine. Il y a en effet trois choses qui contribuent à cette certitude l’infaillibilité de la prescience de Dieu, l’efficacité de sa volonté, et la sagesse de ses dispositions qui trouve les voies suffisantes pour atteindre le résultat; aucune de ces trois choses ne répugne à la contingence des choses. Car la science de Dieu quant aux futurs contingents est infaillible en tant qu’Il les voit futurs dans son éternité, étant en acte en son être à lui, comme on l’a vu (chapitre 133).

De même la volonté de Dieu étant la cause universelle des choses ne fait pas seulement que quelque chose soit mais aussi qu’elle soit ainsi. Cela donc appartient à l’efficacité de sa volonté que non seulement se fasse ce que Dieu veut mais de telle manière qu’il veut. Il veut que des choses soient nécessaires et d’autres contingentes parce que l’une et l’autre sont nécessaires à l’achèvement de l’univers. Donc pour que de ces deux manières puissent se produire les choses, à certaines il adapte des causes nécessaires, à d’autres des causes contingentes; la présence d’effets nécessaires et d’effets contingents permet à la volonté de Dieu d’être efficace.

Il est manifeste aussi que la sagesse des dispositions divines assure la certitude de sa providence, la contingence des choses étant sauve. Car si l’homme par sa pré voyance peut corriger la défaillance des causes pour qu’elles obtiennent éventuellement leurs effets comme chez le médecin qui guérit et chez le vigneron qui remédie à la stérilité de sa vigne, combien à plus forte raison arrive-t-il de par la sagesse de Dieu que même si les causes contingentes viennent à faire défaut quant à leurs effets cependant par l’emploi de correctifs elles obtiennent leurs effets, leur contingence restant sauve. Ainsi donc il est clair que la contingence des choses n’exclut pas la certitude providentielle de Dieu.

 

 

Caput 141 [70239] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 141 tit. Quod divinae providentiae certitudo non excludit mala a rebus


 [70240] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 141 Eodem etiam modo perspici potest, quod divina providentia manente, mala in mundo accidere possunt propter defectum causarum secundarum. Videmus enim in causis ordinatis accidere malum in effectu ex defectu causae secundae, qui tamen defectus a causa prima nullo modo causatur, sicut malum claudicationis causatur a curvitate cruris, non autem a virtute animae motiva. Unde quidquid est in claudicatione de motu, refertur in virtutem motivam sicut in causam, quod autem est ibi de obliquitate, non causatur a virtute motiva, sed a cruris curvitate. Et ideo quidquid malum in rebus accidit, quantum ad hoc quod esse vel speciem vel naturam aliquam habet, reducitur in Deum sicut in causam: non enim potest esse malum nisi in bono, ut ex supradictis patet. Quantum vero ad id quod habet de defectu, reducitur in causam inferiorem defectibilem.
Et sic licet Deus sit universalis omnium causa, non tamen est causa malorum inquantum sunt mala, sed quidquid boni eis adiungitur, causatur a Deo.

Chapitre 141 — CETFE CERTITUDE N’EXCLUT PAS LE MAL

De la même manière on peut se rendre compte qu’étant sauve la divine providence, des maux peuvent se produire dans le monde à cause de la déficience des causes secondes. Nous constatons en effet dans l’ordre des causes qu’un mauvais effet vient d’un défaut de l’ordre d’une cause prochaine, défaut qui n’est nullement produit par une première cause, par exemple la claudication produite par une courbature de la jambe n’a pas sa cause dans la vertu motrice de l’âme. D’où le mouvement qui accompagne la claudication vient sans doute de la vertu motrice mais ce qui s’y trouve de travers vient d’une mauvaise courbure de la jambe.

Et c’est pourquoi tout mal qui arrive dans les choses, quant à ce qui s’y trouve d’être, d’espèce ou de nature doit être attribué à Dieu comme en leur cause; car le mal ne peut être que si le bien existe, comme on l’a vu (chapitre 118). Quant à ce qui s’y trouve de déficience ce doit être ramené à une cause inférieure déficiente. Et ainsi bien qu’Il soit la cause universelle de toutes choses Dieu n’est cependant pas la cause des maux comme tels, mais ce qui s’y trouve de bien a sa cause en Dieu.

 

 

Caput 142 [70241] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 142 tit. Quod non derogat bonitati Dei, quod mala permittat


 [70242] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 142 Nec tamen hoc divinae bonitati repugnat quod mala esse permittit in rebus ab eo gubernatis. Primo quidem quia providentiae non est naturam gubernatorum perdere, sed salvare. Requirit autem hoc perfectio universi ut sint quaedam in quibus malum non possit accidere, quaedam vero quae defectum mali pati possint secundum suam naturam. Si igitur malum totaliter excluderetur a rebus, providentia divina non regerentur res secundum earum naturam, quod esset maior defectus quam singulares defectus qui tollerentur.
Secundo, quia bonum unius non potest accidere sine malo alterius, sicut videmus quod generatio unius non est sine corruptione alterius, et nutrimentum leonis non est sine occisione alterius animalis, et patientia iusti non est sine persecutione iniusti. Si igitur malum totaliter excluderetur a rebus, sequeretur quod multa etiam bona tollerentur. Non igitur pertinet ad divinam providentiam ut malum totaliter excludatur a rebus, sed ut mala quae proveniunt, ad aliquod bonum ordinentur. Tertio, quia ex ipsis malis particularibus commendabiliora redduntur bona dum eis comparantur, sicut ex obscuritate nigri magis declaratur claritas albi. Et sic per hoc quod permittit mala esse in mundo, divina bonitas magis declaratur in bonis, et sapientia in ordinatione malorum ad bona.

Chapitre 142 — SI DIEU PERMET LE MAL, AUCUNE ATFEINTE N’EST FAITE A SA BONTÉ

Cependant il ne répugne pas à la bonté divine qu’elle permette le mal dans les choses qu’elle gouverne. D’abord parce que ce n’est pas son rôle de laisser périr la nature des choses qu’elle gouverne, mais de la sauver. Or il est requis à la perfection de l’univers qu’il y ait des choses où le mal ne peut arriver et d’autres qui puissent souffrir une déficience du mal selon leur nature. Si donc le mal était totalement exclu, les choses ne seraient plus régies selon leur nature par la providence divine; ce qui constituerait un plus grand défaut que de supprimer chaque défaut.

Ensuite parce que le bien de l’un ne va pas sans le mal de l’autre, comme nous voyons que la génération de l’un n’est pas sans que l’autre se corrompe; et la nourriture du lion sans la mort d’un autre animal; et la patience du juste sans la persécution de l’injuste. Si donc le mal était totalement exclu, beaucoup de bien serait aussi supprimé. Ce n’est donc pas le rôle de la divine providence que le mal soit totalement exclu des choses mais que les maux qui arrivent soient ordonnés à un bien.

Enfin les maux particuliers rendent les biens plus valables par comparaison comme l’obscurité fait ressortir la lumière. Et ainsi parce qu’elle permet que des maux existent dans le monde la divine bonté éclate davantage dans les biens, et sa sagesse qui ordonne les maux vers le bien.

 

 

Caput 143 [70243] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 143 tit. Quod Deus specialiter homini providet per gratiam


 [70244] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 143 Quia igitur divina providentia rebus singulis secundum earum modum providet, creatura autem rationalis per liberum arbitrium est domina sui actus prae ceteris creaturis, necesse est ut et ei singulari modo provideatur quantum ad duo. Primo quidem quantum ad adiumenta operis, quae ei dantur a Deo; secundo quantum ad ea quae pro suis operibus ei redduntur. Creaturis enim irrationabilibus haec solum adiumenta dantur divinitus ad agendum quibus naturaliter moventur ad agendum; creaturis vero rationabilibus dantur documenta et praecepta vivendi.
Non enim praeceptum dari competit nisi ei qui est dominus sui actus, quamvis etiam creaturis irrationabilibus praecepta per quamdam similitudinem Deus dare dicatur, secundum illud Psal. CXLVIII, 6: praeceptum posuit et non praeteribit: quod quidem praeceptum nihil aliud est quam dispositio divinae providentiae movens res naturales ad proprias actiones. Similiter etiam actiones creaturarum rationalium imputantur eis ad culpam vel ad laudem, pro eo quod habent dominium sui actus, non solum hominibus ab homine praesidente, sed etiam a Deo, cum homines non solum regantur ab homine, sed etiam a Deo. Cuiuscumque autem regimini aliquis subditur, ab eo sibi imputatur quod laudabiliter vel culpabiliter agit. Et quia pro bene actis debetur praemium, culpae vero debetur poena, ut supra dictum est, creaturae rationales secundum iustitiam divinae providentiae et puniuntur pro malis, et praemiantur pro bonis. In creaturis autem irrationabilibus non habet locum poena nec praemium, sicut nec laudari nec culpari. Quia vero ultimus finis creaturae rationalis facultatem naturae ipsius excedit, ea vero quae sunt ad finem, debent esse fini proportionata secundum rectum providentiae ordinem, consequens est ut creaturae rationali etiam adiutoria divinitus conferantur, non solum quae sunt proportionata naturae, sed etiam quae facultatem naturae excedunt. Unde supra naturalem facultatem rationis imponitur homini divinitus lumen gratiae, per quod interius perficitur ad virtutem et quantum ad cognitionem, dum elevatur mens hominis per lumen huiusmodi ad cognoscendum ea quae rationem excedunt, et quantum ad actionem et affectionem, dum per lumen huiusmodi affectus hominis supra creata omnia elevatur ad Deum diligendum, et sperandum in ipso, et ad agendum ea quae talis amor requirit. Huiusmodi autem dona, sive auxilia supernaturaliter homini data, gratuita vocantur duplici ratione. Primo quidem quia gratis divinitus dantur: non enim potest in homine aliquid inveniri cui condigne huiusmodi auxilia debeantur, cum haec facultatem humanae naturae excedant. Secundo vero quia speciali quodam modo per huiusmodi dona homo efficitur Deo gratus. Cum enim dilectio Dei sit causa bonitatis in rebus non a praeexistente bonitate provocata, sicut est dilectio nostra, necesse est quod quibus aliquos speciales effectus bonitatis largitur, respectu horum specialis ratio dilectionis divinae consideretur. Unde eos maxime et simpliciter diligere dicitur quibus tales bonitatis effectus largitur per quos ad ultimum finem veniant, quod est ipse, qui est fons bonitatis.

Chapitre 143 — C’EST PAR SA GRACE QUE DIEU EXERCE SA PROVIDENCE ENVERS L’HOMME

Étant donné que la divine providence pourvoit à chaque chose selon son mode et que la créature rationnelle est maîtresse de ses actes par le libre arbitre, ce dont ne jouissent pas les autres créatures, il est nécessaire qu’elle y pourvoie d’une façon singulière à deux choses : d’abord pour l’aide que Dieu lui accorde en ses actes; ensuite pour ce qui lui est rétribué pour ses oeuvres. En effet aux créatures irrationnelles, seuls sont accordés des secours par Dieu qui les meuvent dans leur agir naturel; aux créatures rationnelles sont donnés des enseignements et des préceptes de vie. En effet on ne donne de préceptes qu’à celui qui est maître de ses actes, bien que par analogie Dieu est dit donner des préceptes aux créatures irrationnelles, selon le Psaume 148 : "Il a commandé (à la mer) et elle ne débordera pas." Un tel précepte n’est autre qu’une disposition de la divine providence qui meut les agents naturels dans leur propre domaine.

De même les actions des créatures rationnelles leur sont imputées à leur louange ou comme faute du fait qu’elles sont responsables de leurs actes non seulement dans le gouvernement des hommes entre eux, mais aussi de Dieu; 1, les hommes en effet sont régis par l’homme et aussi par Dieu. A quelque régime que l’on appartienne on lui est rendu redevable de ce qu’on fait de louable et de répréhensible. Et comme pour les bonnes actions une récompense est due et pour les fautes une peine, comme on l’a dit plus haut (chapitre 121) selon la justice divine les créatures rationnelles sont punies pour le mal et récompensées pour le bien. Chez les créatures irrationnelles il ne peut être question ni de peine ni de récompense, comme non plus d’être louées ou d’être inculpées. Mais parce que la fin dernière de la créature rationnelle excède le pouvoir de sa nature et que les choses qui sont pour la fin doivent être proportionnées à cette fin, selon une juste disposition de la providence, il s’en suit que pour la créature rationnelle aussi des secours lui sont accordés en plus de ceux qui sont proportionnés à sa nature, et donc qui excèdent son pouvoir naturel. D’où au-dessus de la faculté naturelle de la raison est accordée par Dieu la lumière de la grâce qui perfectionne l’homme intérieur en vue de la vertu; quant à la connaissance lors- que l’esprit de l’homme est élevé aux choses qui excèdent la raison; quant à l’action et aux affections, lorsque l’affection de l’homme se porte par cette lumière au- dessus de toutes les créatures par amour de Dieu, pour espérer en lui et accomplir ce qu’un tel amour demande.

Ces dons ou secours surnaturels sont dits gratuits pour une double raison. D’abord parce que Dieu nous les donne gratuitement. Car on ne peut rien trouver en l’homme qui lui mérite strictement en justice ces secours puisqu’ils excèdent le pouvoir de l’humaine nature. Ensuite parce que d’une manière spéciale l’homme par de tels dons est rendu agréable à Dieu. Puisqu’en effet l’amour de Dieu est cause de la bonté des choses, amour que n’a pas pu provoquer une bonté préalable — comme quand nous aimons — il est nécessaire, pour ceux qui jouissent de- preuves spéciales de cette bonté, d’admettre de la part de Dieu un amour de prédilection. D’où ceux-là sont-ils surtout et simplement aimés auxquels sont faites de telles largesses qui les conduisent à leur fin dernière qui est Dieu lui-même, source de la bonté.

 

 

Caput 144 [70245] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 144 tit. Quod Deus per dona gratuita remittit peccata, quae etiam gratiam interimunt


 [70246] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 144 Et quia peccata contingunt ex hoc quod actiones deficiunt a recto ordine ad finem, ad finem autem ordinatur homo non solum per naturalia auxilia, sed per gratuita, necesse est quod peccata hominum non solum naturalibus auxiliis, sed etiam gratuitis contrarientur. Contraria autem se invicem expellunt. Unde sicut per peccata huiusmodi auxilia gratuita ab homine tolluntur, ita per gratuita dona peccata homini remittuntur: alioquin malitia hominis in peccando plus posset dum removet gratiam divinam, quam divina bonitas ad removendum peccata per gratiae dona. Item. Deus rebus providet secundum earum modum. Hic autem est modus mutabilium rerum, ut in eis contraria alternari possint, sicut generatio et corruptio in materia corporali, et album et nigrum in corpore colorato. Homo autem est mutabilis secundum voluntatem quamdiu in hac vita vivit. Sic igitur divinitus gratuita dona homini dantur, ut ea possit per peccatum amittere: et sic peccata perpetrat, ut ea per gratuita dona remitti possint. Praeterea. In iis quae supra naturam aguntur, possibile et impossibile attenditur secundum potentiam divinam, non secundum potentiam naturalem: quod enim caecus illuminari possit vel mortuus resurgere, non est naturalis potentiae, sed divinae. Dona autem gratuita sunt supernaturalia. Quod igitur ea aliquis consequi possit, ad divinam potentiam pertinet. Dicere igitur quod aliquis post peccatum gratuita dona consequi non possit, est divinae potentiae derogare. Gratuita autem dona simul cum peccato esse non possunt, cum per gratuita dona homo ordinetur ad finem, a quo per peccatum avertitur.
Dicere igitur peccata remissibilia non esse, divinae potentiae contrariatur.

Chapitre 144 — DIEU PAR DES DONS GRATUITS REMET LES PÉCHÉS MÊME CEUX QUI TUENT LA GRÂCE

Et comme le péché consiste en ce que les actions s’écartent de l’ordre dû à la fin et comme l’homme est ordonné à la fin non seulement par des secours naturels mais aussi gratuits, il est nécessaire qu’aux péchés des hommes soient opposés des secours non seulement naturels mais aussi gratuits. Or les contraires s’excluent. Si donc les péchés enlèvent à l’homme ces secours gratuits il faut aussi qu’ils puissent être restitués par des dons gratuits; sinon la malice de l’homme qui pèche en rejetant la grâce pourrait plus que la bonté divine qui écarte le péché par le don de sa grâce. De même. Dieu pourvoit aux choses selon leur nature. Or telle est la nature des choses changeantes que les contraires peuvent y alterner comme la génération et la corruption dans la matière corporelle, le blanc et le noir dans les corps colorés. Or l’homme est changeant en sa volonté aussi longtemps qu’il est en cette vie. Ainsi donc Dieu fait à l’homme des dons gratuits qu’il peut perdre par le péché et ainsi l’homme commet des pêches que Dieu remet par des dons gratuits. En outre dans les choses qui sont au-dessus de la nature, ce qui est possible ou impossible dépend de la puissance divine et non de la puissance de la nature. Qu’un aveugle puisse voir ou qu’un mort ressuscite ce n’est pas de puissance naturelle mais divine. Or les dons gratuits sont surnaturels. Que l’on puisse les obtenir cela dépend de la puissance divine. Dire qu’après le péché on ne puisse obtenir des dons gratuits c’est déroger à la puissance divine. Cependant les dons gratuits ne peuvent exister en même temps que le péché puisque par eux l’homme est ordonné à la fin dont il se détourne par le péché. Dire que les péchés sont irrémissibles est donc contraire à la puissance de Dieu.

 

 

Caput 145 [70247] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 145 tit. Quod peccata non sunt irremissibilia


 [70248] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 145 Si quis autem dicat peccata irremissibilia esse non propter divinam impotentiam, sed quia hoc habet divina iustitia ut qui cadit a gratia, ulterius non revertatur ad ipsam; hoc patet esse falsum. Non enim hoc habet ordo divinae iustitiae quod quandiu aliquis est in via, sibi detur quod pertinet ad terminum viae.
Immobiliter autem se habere vel in bono vel in malo pertinet ad terminum viae: immobilitas enim et quies est terminus motus, tota autem praesens vita est status viae, quod demonstrat mutabilitas hominis et quantum ad corpus et quantum ad animam. Non igitur hoc habet divina iustitia ut homo post peccatum immobiliter maneat in eo. Adhuc. Ex divinis beneficiis periculum homini non irrogatur, et praecipue ex maximis. Esset autem periculosum homini mutabilem vitam agenti gratiam accipere, si post gratiam peccare posset, et iterum redire ad gratiam non posset, praesertim cum peccata quae gratiam praecedunt, remittantur per gratiam, quae interdum maiora sunt his quae post gratiam susceptam homo committit. Non est igitur dicendum quod peccata hominis irremissibilia sint, sive ante sive post committantur.

Chapitre 145 — LES PÉCHÉS SONT RÉMISSIBLES

Si quelqu’un prétend que les péchés ne peuvent être pardonnés, sans toutefois mettre en cause la puissance divine, mais parce que la justice divine veut que celui qui succombe au péché ne puisse plus rentrer en grâce c’est évidemment faux. En effet l’ordre de la justice divine n’est pas qu’aussi longtemps qu’on est voyageur on doive en même temps recevoir ce qui regarde le terme du voyage. Or ne plus changer dans le bien ou dans le mal regarde le terme du voyage; en effet l’immobilité ou le repos sont termes du mouvement et toute notre vie est un voyage; ce que montre bien le changement de l’homme et quant au corps et quant à son âme. Ce n’est donc pas selon la justice divine que l’homme après le péché demeure immobile dans son péché. Encore. Les bienfaits divins, surtout s’ils sont très grands, ne sont pas un danger pour l’homme. Or il serait dangereux pour l’homme en cette vie changeante de recevoir la grâce et qu’après la grâce, ayant péché, il ne puisse de nouveau rentrer en grâce, surtout si l’on considère que les péchés commis avant la grâce et remis par elle sont parfois plus grands que ceux commis après avoir reçu la grâce. On ne peut donc dire que les péchés de l’homme sont irrémissibles, qu’ils aient été commis avant ou après.

 

 

Caput 146 [70249] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 146 tit. Quod solus Deus potest remittere peccata


 [70250] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 146 Peccata vero remittere solus Deus potest. Culpa enim contra aliquem commissa ille solus remittere potest contra quem committitur.
Peccata enim imputantur homini ad culpam non solum ab homine, sed etiam a Deo, ut supra dictum est. Sic autem nunc agimus de peccatis, prout imputantur homini a Deo. Deus igitur solus peccata remittere potest. Adhuc. Cum per peccata homo deordinetur ab ultimo fine, remitti non possunt, nisi homo reordinetur in finem. Hoc autem fit per gratuita dona, quae sunt solum a Deo, cum excedant facultatem naturae. Solus igitur Deus potest peccata remittere. Item. Peccatum homini imputatur ad culpam, inquantum voluntarium. Voluntatem autem immutare solus Deus potest. Solus igitur ipse vere potest remittere peccata.

Chapitre 146 — DIEU SEUL PEUT REMETFRE LES PÉCHÉS

Dieu seul peut remettre les péchés. La faute en effet commise contre quelqu’un ne peut être remise que par lui. En effet les péchés sont imputés à l’homme comme faute, non seulement par l’homme mais aussi par Dieu, comme on l’a montré plus haut (chapitre 143). C’est en ce sens qu’il s’agit ici de péchés selon qu’ils sont imputés à l’homme par Dieu. Donc Dieu seul peut remettre les péchés.

Encore. Comme par le péché l’homme n’est plus ordonné à sa fin dernière, le péché ne sera pardonné que si l’homme est de nouveau ordonné à sa fin. Ce que font les dons gratuits qui viennent uniquement de Dieu puisqu’ils excèdent notre faculté naturelle.

De même. Le péché est imputé à l’homme comme faute en tant que volontaire. Or Dieu seul peut changer la volonté; donc aussi remettre seul les péchés.

 

 

Caput 147 [70251] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 147 tit. De quibusdam articulis fidei qui sumuntur penes effectus divinae gubernationis


 [70252] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 147 Hic est igitur secundus Dei effectus, gubernatio rerum, et specialiter creaturarum rationalium, quibus et gratiam tribuit et peccata remittit: qui quidem effectus in symbolo fidei tangitur et quantum ad hoc quod omnia in finem divinae bonitatis ordinantur, per hoc quod spiritum sanctum profitemur Deum, nam Deo est proprium ad finem suos subditos ordinare; et quantum ad hoc quod omnia movet, per hoc quod dicit, et vivificantem. Sicut enim motus qui est ab anima in corpus, est vita corporis, ita motus quo universum movetur a Deo, est quasi quaedam vita universi. Et quia tota ratio divinae gubernationis a bonitate divina sumitur, quae spiritui sancto appropriatur, qui procedit ut amor, convenienter effectus divinae providentiae circa personam spiritus sancti ponuntur.
Quantum autem ad effectum supernaturalis cognitionis, quam per fidem in hominibus Deus facit, dicitur, sanctam Ecclesiam Catholicam: nam Ecclesia congregatio fidelium est. Quantum vero ad gratiam quam hominibus communicat, dicitur, sanctorum communionem. Quantum vero ad remissionem culpae dicitur, peccatorum remissionem.

Chapitre 147 — ARTICLES DE FOI QUI TRAITENT DES EFFETS DU GOUVERNEMENT DIVIN

Le gouvernement des choses est donc le second effet de Dieu et spécialement quant aux créatures rationnelles aux quelles il accorde sa grâce et remet les péchés. Ces effets sont contenus dans le Symbole de la foi : et quant à tout ce qui est ordonné en vue de la bonté divine, en professant que le Saint-Esprit est Dieu : car c’est le propre d Dieu d’ordonner ses sujets à leur fin; et quant à ce qu’il meut en disant : "Et qui vivifie." De même en effet que l’âme donne le mouvement au corps et est sa vie, de même le mouvement par lequel Dieu meut tout l’univers est comme la vie de l’univers. Et parce que toute la rai- son du gouvernement divin vient de la bonté divine qui est approprié à l’Esprit Saint, qui procède comme amour, il est juste que les effets de la divine providence soient attribués à la personne de l’Esprit Saint.

Quant à la connaissance surnaturelle que Dieu nous donne par la foi, il est dit : "La Sainte Eglise catholique" : car l’Église est le rassemblement de ceux qui croient, des fidèles.

Quant à la grâce que Dieu communique aux hommes il est dit : "La communion des saints ".

Quant à la rémission des péchés il est dit : "La rémission des péchés".

 

 

 

D — La consommation des siècles (chapitre 148 à 162)

 

1° L’homme est la fin des êtres (chapitre 148 à 153)

Caput 148 [70253] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 148 tit. Quod omnia sunt facta propter hominem


 [70254] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 148 Cum autem omnia, sicut ostensum est, in divinam bonitatem ordinentur sicut in finem, eorum autem quae ad hunc finem ordinantur, quaedam aliis propinquiora sunt fini, quae plenius divinam bonitatem participant, consequens est ut ea quae sunt inferiora in rebus creatis, quae minus de bonitate divina participant, ordinentur quodammodo sicut in fines in entia superiora. In omni enim ordine finium, quae sunt propinquiora ultimo fini, sunt etiam fines eorum quae sunt magis remota: sicut potio medicinae est propter purgationem, purgatio autem propter maciem, macies autem propter sanitatem, et sic macies finis est quodammodo purgationis, sicut etiam potionis purgatio. Et hoc rationabiliter accidit. Sicut enim in ordine causarum agentium virtus primi agentis pervenit ad ultimos effectus per medias causas, ita in ordine finium, quae sunt magis remota a fine, pertingunt ad ultimum finem mediantibus his quae sunt magis propinqua fini: sicut potio non ordinatur ad sanitatem nisi per purgationem. Unde et in ordine universi inferiora consequuntur praecipue ultimum finem inquantum ordinantur ad superiora. Hoc etiam manifeste apparet ipsum rerum ordinem consideranti. Cum enim ea quae naturaliter fiunt, sicut nata sunt agi, sic agantur, videmus autem imperfectiora cedere ad usum nobiliorum, utpote quod plantae nutriuntur ex terra, animalia ex plantis, haec autem ad usum hominis cedunt, consequens est ut inanimata sint propter animata, et plantae propter animalia, et haec propter hominem. Cum autem ostensum sit quod natura intellectualis sit superior corporali, consequens est ut tota natura corporalis ad intellectualem ordinetur.
Inter naturas autem intellectuales, quae maxime corpori est vicina, est anima rationalis, quae est hominis forma. Igitur quodammodo propter hominem, inquantum est rationabile animal, tota natura corporalis esse videtur. Ex consummatione igitur hominis consummatio totius naturae corporalis quodammodo dependet.

Chapitre 148 — TOUT A ÈTÉ FAIT POUR L’HOMME

Puisque toutes choses sont ordonnées à la bonté divine (chapitre 101) comme vers leur fin et que, parmi celles qui sont ordonnées à la fin, certaines sont plus proches de cette fin en ce qu’elles participent plus pleinement de la bonté divine, il s’en suit que ce qui est inférieur parmi les choses créées et qui participe moins de la bonté divine ait en quelque sorte comme fin les êtres supérieurs. En effet dans l’ordre des fins ce qui est plus proche de la fin dernière est aussi fin pour ce qui est plus éloigné de la fin, comme par exemple une potion médicinale sert à purger, la purge fait maigrir; et maigrir, donne la santé : et ainsi la maigreur est la fin de la purge, et celle-ci de la potion. Ce qui est bien compréhensible. De même en effet que dans l’ordre des causes agissantes la vertu du premier agissant parvient aux derniers effets par les causes intermédiaires, ainsi dans l’ordre des fins ce qui en est le plus éloigné atteint la dernière fin par ce qui en est le plus proche, comme la potion médicinale n’est ordonnée à la santé que par la purge. Ainsi dans l’ordre universel des choses inférieures atteignent principalement la fin ultime parce qu’elles sont ordonnées aux supérieures.

Cela devient évident à qui considère l’ordre même des choses. Puisqu’en effet ces choses, qui se font naturellement, agissent d’après ce qu’elles sont, nous voyons les plus imparfaites servirent les plus nobles, comme les plan tes que la terre nourrit; comme les animaux que les plan tes nourrissent, et ces choses sont au profit de l’homme. En conséquence les choses inanimées sont pour les choses animées, et les plantes pour les animaux et ceux-ci pour l’homme. Puisqu’on a montré (chapitre 74) que la nature intellectuelle est supérieure et la nature corporelle, il s’en suit que celle-ci toute entière est ordonnée au bien de la première. Parmi les natures intellectuelles celle qui est la plus proche du corps est l’âme rationnelle qui est la forme de l’homme. C’est donc en quelque sorte à cause de l’homme, en tant qu’animal rationnel, que toute la créature corporelle existe. C’est donc dans la perfection de l’homme que toute la nature corporelle trouve en quelque sorte sa perfection.

 

 

Caput 149 [70255] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 149 tit. Quis est ultimus finis hominis


 [70256] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 149 Consummatio autem hominis est in adeptione ultimi finis, qui est perfecta beatitudo sive felicitas, quae consistit in divina visione, ut supra ostensum est. Visionem autem divinam consequitur immutabilitas intellectus et voluntatis. Intellectus quidem: quia cum perventum fuerit ad primam causam in qua omnia cognosci possunt, inquisitio intellectus cessat. Mobilitas autem voluntatis cessat, quia adepto fine ultimo, in quo est plenitudo totius bonitatis, nihil est quod desiderandum restet. Ex hoc autem voluntas mutatur quia desiderat aliquid quod nondum habet.
Manifestum est igitur quod ultima consummatio hominis in perfecta quietatione vel immobilitate consistit et quantum ad intellectum, et quantum ad voluntatem.

Chapitre 149 — QUELLE EST LA FIN DERNIÈRE DE L’HOMME ?

Or la perfection de l’homme est l’obtention de la fin dernière qui est la parfaite béatitude ou félicité et qui consiste dans la vision de Dieu, comme on l’a montré (chapitres 105 et 107). Et l’immutabilité de l’intelligence et de la volonté est la conséquence de cette vision. De l’intelligence, car une fois parvenue à la première cause où tout peut être connu, la recherche intellectuelle cesse. La mobilité de la volonté cesse aussi, car la fin dernière atteinte, où se trouve la bonté en sa plénitude, il ne reste plus rien à désirer. Si la volonté est mobile c’est parce qu’elle désire ce quelque chose qu’elle cherche. Il est donc manifeste que l’ultime accomplissement de l’homme consiste dans la parfaite quiétude et immobilité de l’intelligence et de la volonté.

 

 

Caput 150 [70257] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 150 tit. Quomodo homo ad aeternitatem pervenit ut ad consummationem


 [70258] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 150 Ostensum est autem in praemissis, quod aeternitatis ratio ex immobilitate consequitur. Sicut enim ex motu causatur tempus, in quo prius et posterius invenitur, ita oportet quod remoto motu cesset prius et posterius, et sic aeternitatis ratio relinquitur, quae est tota simul. In ultima igitur sua consummatione homo aeternitatem vitae consequitur non solum quantum ad hoc quod immortaliter secundum animam vivat, quod habet anima rationalis ex sua natura, ut supra ostensum est, sed etiam ad hoc quod ad perfectam immobilitatem perducatur.

Chapitre 150 — COMMENT L’HOMME PARVIENT-IL A L’ÉTERNITÉ COMME EN SON ACHÈVEMENT ?

Comme on l’a montré plus haut (chapitre 5 et 8), la nature de l’éternité consiste en son Immobilité. De même que le mouvement cause le temps où se trouve une succession d’avant et d’après, ainsi faut-il qu’en écartant le mouvement cessent l’avant et l’après; ainsi reste-il cette notion de l’éternité qui se définit toute entière en même temps.

Donc dans son ultime achèvement l’homme obtient la vie éternelle non seulement quant à ce qu’il ne meurt plus en son âme, ce qui est déjà l’état de l’âme rationnelle, comme on l’a montré (chapitre 84), mais encore il est amené à la parfaite immobilité.

 

 

Caput 151 [70259] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 151 tit. Quomodo ad perfectam beatitudinem animae rationalis oportet eam corpori reuniri


 [70260] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 151 Considerandum est autem, quod non potest esse omnimoda immobilitas voluntatis, nisi naturale desiderium totaliter impleatur. Quaecumque autem nata sunt uniri secundum naturam suam, naturaliter sibi uniri appetunt: unumquodque enim appetit id quod est sibi conveniens secundum suam naturam. Cum igitur anima humana naturaliter corpori uniatur, ut supra ostensum est, naturale ei desiderium inest ad corporis unionem. Non poterit igitur esse perfecta quietatio voluntatis, nisi iterato anima corpori coniungatur: quod est hominem a morte resurgere. Item. Finalis perfectio requirit perfectionem primam. Prima autem perfectio uniuscuiusque rei est ut sit perfectum in sua natura, finalis vero perfectio consistit in consecutione ultimi finis. Ad hoc igitur quod anima humana omnimode perficiatur in fine, necesse est quod sit perfecta in sua natura: quod non potest esse nisi sit corpori unita.
Natura enim animae est ut sit pars hominis ut forma. Nulla autem pars perfecta est in sua natura nisi sit in suo toto. Requiritur igitur ad ultimam hominis beatitudinem ut anima rursum corpori uniatur. Adhuc. Quod est per accidens et contra naturam, non potest esse sempiternum. Necesse est autem hoc quod est animam a corpore separatam esse, per accidens esse et contra naturam, si hoc per se et naturaliter inest animae ut corpori uniatur. Non igitur anima erit in perpetuum a corpore separata. Cum igitur eius substantia sit incorruptibilis, ut supra ostensum est, relinquitur quod sit iterato corpori unienda.

Chapitre 151 — POUR JOUIR DE LA PARFAITE BÉATITUDE L’ÂME DOIT ÈTRE UNIE AU CORPS

Or il faut savoir qu’une parfaite immobilité de la volonté ne peut exister sans que soit totalement rempli un désir naturel. Or tout ce qui est fait pour l’union selon sa nature désire cette union naturellement. En effet chaque chose désire ce qui convient à sa nature. Puis donc que l’âme humaine est naturellement unie au corps, comme on l’a montré (chapitre 85), il y a en elle un désir naturel d’union avec le corps. Il ne pourra donc pas y avoir de parfait repos pour la volonté que si elle n’est de nouveau réunie au corps ce qui est pour l’homme ressusciter de la mort.

De même. La perfection finale requiert ta première perfection. Or la première perfection d’une chose consiste en celle de sa nature et la perfection finale en l’acquisition de la fin dernière. Donc pour que l’âme humaine obtienne sa fin parfaite il faut qu’elle soit parfaite en sa nature, ce qui ne peut se faire à moins d’être unie au corps. En effet la nature de l’âme est d’être unie au corps comme sa forme; et aucune partie n’est parfaite en sa nature à moins d’être unie au tout. Il est donc requis pour l’ultime béatitude de l’homme que l’âme soit à nouveau unie au corps.

Encore. Ce qui est accidentel et contre nature ne peut être perpétuel. Or la séparation de l’âme et du corps est nécessairement accidentelle et contre nature étant donné qu’il va de soi que l’âme est unie au corps et cela naturellement. L’âme ne sera donc pas pour toujours séparée du corps. Et comme elle est une substance incorruptible, comme on l’a montré (chapitre 84), il reste qu’elle doit être de nouveau unie au corps.

 

 

Caput 152 [70261] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 152 tit. Quomodo separatio animae a corpore sit secundum naturam, et quomodo contra naturam


 [70262] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 152 Videtur autem animam a corpore separari non esse per accidens, sed secundum naturam.
Corpus enim hominis ex contrariis compositum est. Omne autem huiusmodi naturaliter corruptibile est. Corpus igitur humanum est naturaliter corruptibile. Corrupto autem corpore est necesse animam separatam remanere, si anima immortalis est, ut supra ostensum est. Videtur igitur animam a corpore separari esse secundum naturam. Considerandum est ergo quomodo sit secundum naturam, et quomodo contra naturam. Ostensum est enim supra quod anima rationalis praeter modum aliarum formarum excedit totius corporalis materiae facultatem, quod eius operatio intellectualis demonstrat, quam sine corpore habet. Ad hoc igitur quod materia corporalis convenienter ei aptata fuerit, necesse fuit quod aliqua dispositio corpori superadderetur, per quam fieret conveniens materia talis formae. Et sicut haec forma a solo Deo exit in esse per creationem, ita illa dispositio naturam corpoream excedens, a solo Deo corpori humano attributa fuit, quae videlicet ipsum corpus incorruptum conservaret, ut sic perpetuitati animae conveniret. Et haec quidem dispositio in corpore hominis mansit, quamdiu anima hominis Deo adhaesit. Aversa autem anima hominis per peccatum a Deo, convenienter et corpus humanum illam supernaturalem dispositionem perdidit per quam immobiliter animae subdebatur, et sic homo necessitatem moriendi incurrit. Si igitur ad naturam corporis respiciatur, mors naturalis est; si vero ad naturam animae, et ad dispositionem quae propter animam supernaturaliter humano corpori a principio indita fuit, est per accidens et contra naturam, cum naturale sit animae corpori esse unitam.

Chapitre 152 — CETTE SÉPARATION EST EN PARTIE NATURELLE ET EN PARTIE CONTRE NATURE

Il semblerait que l’âme n’est pas séparée du corps accidentellement mais conformément à sa nature. En effet le corps de l’homme est composé de contraires; Tout ce qui est de ce genre est naturellement corruptible. Donc le corps humain est de nature corruptible. Le corps une fois corrompu l’âme demeure nécessairement séparée du corps puisqu’elle est immortelle (chapitre 84). Il semble donc que l’âme soit naturellement séparable du corps.

Il faudra donc maintenant considérer ce qu’on entend par : selon ou contre la nature. Or on a montré plus haut (chapitres 79 et 92) que l’âme rationnelle contrairement aux autres formes excède le pouvoir de toute la matière corporelle, ce que son activité intellectuelle démontre qu’elle exerce sans le corps. Donc pour que la matière corporelle lui soit convenablement adaptée il a été nécessaire qu’une disposition soit surajoutée au corps qui fasse que la matière convienne à une telle forme. Et de même que cette forme vient de Dieu seul par création, ainsi aussi cette disposition qui surpasse la nature corporelle fut attribuée au corps humain par Dieu seul, disposition qui conserverait au corps d’être pour toujours incorruptible pour qu’ainsi il convienne à la perpétuité de l’âme. Et cette disposition demeura dans le corps de l’homme aussi longtemps que l’âme de l’homme adhéra à Dieu. S’étant détournée de Lui par le péché il était juste que le corps humain perdit cette disposition surnaturelle qui le soumet tait inébranlablement à l’âme et ainsi l’homme nécessairement encourut-il la mort. Si donc on regarde la nature du corps, la mort est naturelle; s’il s’agit de l’âme et de sa disposition qui dès le principe fut surnaturellement imprimée au corps, la mort est un accident et contre nature puisqu’il est naturel que l’âme soit unie au corps.

 

 

Caput 153 [70263] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 153 tit. Quod anima omnino idem corpus resumet, et non alterius naturae


 [70264] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 153 Cum autem anima corpori uniatur ut forma, unicuique autem formae propria materia respondeat, necesse est quod corpus cui iterato anima unietur sit eiusdem rationis et speciei cum corpore quod deponit per mortem. Non enim resumet anima in resurrectione corpus caeleste vel aereum, vel corpus alicuius alterius animalis, ut quidam fabulantur, sed corpus humanum ex carnibus et ossibus compositum, organicum eisdem organis ex quibus nunc consistit. Rursus. Sicut eidem formae secundum speciem debetur eadem materia secundum speciem, ita eidem formae secundum numerum debetur eadem materia secundum numerum: sicut enim anima bovis non potest esse anima corporis equi, ita anima huius non potest esse anima alterius bovis.
Oportet igitur quod cum eadem numero anima rationalis remaneat, quod corpori eidem numero in resurrectione rursus uniatur.

Chapitre 153 — L’ÂME REPRENDRA ABSOLUMENT LE MÊME CORPS ET NON D’UNE AUTRE NATURE

Puisque l’âme est unie au corps comme la forme et qu’à chaque forme répond une matière propre il est nécessaire que le corps auquel l’âme est de nouveau unie soit de même nature et espèce que le corps qu’elle dépose à la mort. L’âme en effet ne reprendra pas à la résurrection un corps céleste, ou aérien ou d’un autre animal, corne certains ont divagué, mais un corps humain composé de chair et d’os, organique avec les mêmes organes dont il est fait maintenant.

De plus. De même qu’à la même forme spécifique revient la même matière spécifique, ainsi à la même forme identique revient la même matière identique; de même en effet que l’âme d’un boeuf ne peut pas être celle du corps d’un cheval, ainsi l’âme de ce boeuf ne peut être l’âme d’un autre boeuf. Il faut donc que l’âme rationnelle restant identique, un corps identique lui soit de nouveau uni à la résurrection.

 

2° Notre résurrection (chapitre 154 à 162)

Caput 154 [70265] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 154 tit. Quod resumet idem numero corpus sola Dei virtute


 [70266] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 154 Ea vero quae secundum substantiam corrumpuntur, non reiterantur eadem numero secundum operationem naturae, sed solum secundum speciem: non enim eadem numero nubes est ex qua pluvia generatur, et quae iterum ex pluente aqua et rursus evaporante generatur. Cum igitur corpus humanum per mortem substantialiter corrumpatur, non potest operatione naturae idem numero reparari. Cum igitur hoc exigat resurrectionis ratio, ut ostensum est, consequens est quod resurrectio hominum non fiet per actionem naturae, ut quidam posuerunt, post multa annorum curricula redeuntibus corporibus ad eumdem situm, rursus eosdem numero homines redire, sed resurgentium reparatio sola virtute divina fiet. Item. Manifestum est quod sensus privati restitui non possunt per operationem naturae, nec aliquid eorum quae solum per generationem accipiuntur, eo quod non sit possibile idem numero pluries generari.
Si autem aliquid huiusmodi restituatur alicui, puta oculus erutus, aut manus abscissa, hoc erit virtute divina, quae supra naturae ordinem operatur, ut supra ostensum est. Cum igitur per mortem omnes hominis sensus et omnia membra depereant, impossibile est hominem mortuum rursus reparari ad vitam nisi operatione divina. Ex hoc autem quod resurrectionem ponimus divina virtute futuram, de facili videri potest quomodo corpus idem numero reparetur. Cum enim supra ostensum sit quod omnia, etiam minima, sub divina providentia continentur, manifestum est quod materia huius humani corporis, quamcumque formam post mortem hominis accipiat, non effugit neque virtutem neque cognitionem divinam: quae quidem materia eadem numero manet, inquantum intelligitur sub dimensionibus existens, secundum quas haec materia dici potest, et est individuationis principium. Hac igitur materia eadem manente, et ex ea virtute divina corpore reparato humano, nec non et anima rationali, quae cum sit incorruptibilis, eadem manet eidem corpori unita, consequens fit ut homo idem numero reparetur. Nec potest identitas secundum numerum impediri, ut quidam obiiciunt, per hoc quod non sit humanitas eadem numero. Nam humanitas, quae dicitur forma totius, secundum quosdam nihil est aliud quam forma partis, quae est anima, quae quidem dicitur forma corporis secundum quod dat speciem toti. Quod si verum est, manifestum est humanitatem eandem numero remanere, cum anima rationalis eadem numero maneat. Sed quia humanitas est quam significat definitio hominis, sicut et essentia cuiuslibet rei est quam significat sua definitio, definitio autem hominis non solum significat formam, sed etiam materiam, cum in definitione rerum materialium necesse sit materiam poni, convenientius secundum alios dicitur, quod in ratione humanitatis et anima et corpus includatur, aliter tamen quam in definitione hominis. Nam in ratione humanitatis includuntur essentialia principia hominis sola cum praecisione aliorum. Cum enim humanitas dicatur qua homo est homo, manifestum est quod omnia de quibus non est verum dicere de eis quod homo sit homo, ab humanitate praeciduntur. Cum vero homo dicatur qui humanitatem habet, per hoc vero quod humanitatem habet, non excluditur quin alia habeat, puta albedinem, aut aliquid huiusmodi, hoc nomen homo significat sua essentialia principia, non tamen cum praecisione aliorum, licet alia non includantur actu in eius ratione, sed potentia tantum: unde homo significat per modum totius, humanitas vero per modum partis, nec de homine praedicatur. In Socrate vero aut Platone includitur haec materia et haec forma, ut sicut est ratio hominis ex hoc quod componitur ex anima et corpore, ita si Socrates definiretur, ratio eius esset quod esset compositus ex iis carnibus et iis ossibus et hac anima. Cum igitur humanitas non sit aliqua alia forma praeter animam et corpus, sed sit aliquid compositum ex utroque, manifestum est quod eodem corpore reparato, et eadem anima remanente, eadem numero humanitas erit. Neque etiam praedicta identitas secundum numerum impeditur ex hoc quod corporeitas non redeat eadem numero, cum corrupto corpore corrumpatur. Nam si per corporeitatem intelligatur forma substantialis, per quam aliquid in genere substantiae corporeae ordinatur, cum non sit unius nisi una forma substantialis, talis corporeitas non est aliud quam anima. Nam hoc animal per hanc animam non solum est animal, sed animatum corpus, et corpus, et etiam hoc aliquid in genere substantiae existens: alioquin anima adveniret corpori existenti in actu, et sic esset forma accidentalis. Subiectum enim substantialis formae non est actu hoc aliquid, sed potentia tantum: unde cum accipit formam substantialem, non dicitur tantum generari secundum quid hoc aut illud, sicut dicitur in formis accidentalibus, sed dicitur simpliciter generari, quasi simpliciter esse accipiens, et sic corporeitas accepta eadem numero manet, rationali anima eadem existente. Si vero corporeitatis nomine forma quaedam intelligatur, a qua denominatur corpus, quod ponitur in genere quantitatis, sic est quaedam forma accidentalis, cum nihil aliud significet quam trinam dimensionem. Unde licet non eadem numero redeat, identitas subiecti non impeditur, ad quam sufficit unitas essentialium principiorum. Eadem ratio est de omnibus accidentibus, quorum diversitas identitatem secundum numerum non tollit. Unde cum unio sit quaedam relatio, ac per hoc sit accidens, eius diversitas secundum numerum non tollit identitatem subiecti. Similiter nec diversitas potentiarum secundum numerum animae sensitivae et vegetativae, si tamen corrumpi ponantur: sunt enim in genere accidentis potentiae naturales coniuncti existentes, nec a sensu sumitur sensibile secundum quod est differentia constitutiva animalis, sed ab ipsa substantia animae sensitivae, quae in homine est eadem secundum substantiam cum rationali.

Chapitre 154 — PAR LA SEULE VERTU DIVINE, L’ÂME REPRENDRA UN MÊME CORPS IDENTIQUE

Les choses qui selon leur substance sont corruptibles ne se répètent pas identiquement selon l’activité naturelle mais selon l’espèce seulement. Ce n’est pas en effet le même nuage d’où est venue la pluie qui, tombée et évaporée, sera de nouveau là. Comme donc le corps humain se corrompt substantiellement par la mort, il ne peut revenir identique par une opération naturelle. Mais la nature même de la résurrection l’exige, comme on vient de le voir. En conséquence la résurrection des hommes ne se fera pas par une opération naturelle, comme certains l’ont prétendu : après de nombreux circuits d’années les corps revenant au même état et de nouveau identiques; mais le rétablissement des ressuscités se fera par la seule vertu divine.

De même. Il est manifeste que des sens une fois perdus ne peuvent nous être restitués par une opération naturelle, ni rien de ce que l’on a reçu par la génération, parce qu’il n’est pas possible que la même chose identique se reproduise. Si quelque chose de ce genre est restitué à quelqu’un, par exemple un oeil arraché ou une main amputée, c’est en vertu de l’intervention de Dieu qui peut opérer au-delà de la nature, comme on l’a montré (chapitre 136). Puis donc que par la mort tous les sens et tous les membres de l’homme périssent il est impossible qu’un mort revienne à la vie si ce n’est par une opération divine.

Du fait que nous posons que la résurrection se fera par la vertu divine on peut facilement voir comment le corps identiquement sera restitué. Comme en effet il a été démontré (chapitres 123, 130, 131, 133 et 135) que toutes choses, même les moindres, sont constituées sous la providence divine, il est manifeste que la matière de ce corps humain quelle que soit la forme qu’il puisse obtenir après la mort, n’échappe ni au pouvoir ni à la connaissance de Dieu. Et cette matière reste la même identiquement en tant qu’elle existe sous des dimensions qui font qu’elle est cette matière et qu’elle est le principe d’individuation. Donc cette même matière demeurant, et d’elle, par la vertu divine, le corps humain étant réparé, comme aussi l’âme rationnelle qui étant incorruptible demeure la même unie au même corps, il s’en suit que c’est le même homme individuel qui est réparé à la vie.

Et cette identité individuelle n’a pas d’empêchement, comme certains objectent, parce que ce n’est pas la même humanité individuelle. Car l’humanité qui est la forme du tout n’est autre selon eux que la forme d’une partie, qui est l’âme et qui est la forme du corps selon qu’elle donne l’espèce au tout. S’il en est ainsi il est manifeste que la même humanité individuelle demeure, puisque l’âme rationnelle demeure individuellement la même.

Mais comme l’humanité est la définition de l’homme tout comme l’essence d’une chose est sa définition; comme cette définition de l’homme non seulement signifie la forme mais aussi la matière celle-ci fait partie de la définition des choses matérielles — il est plus juste de dire avec d’autres que la notion d’humanité inclut l’âme et le corps, autrement cependant que dans la définition de l’homme. Car dans la notion d’humanité sont inclus les seuls principes essentiels de l’homme en excluant les autres. Comme en effet par humanité on dit que l’homme est homme il est évident que tout ce qui n’est pas dit vraiment de l’homme comme tel est exclu de l’humanité.

Quand on dit "homme" celui qui possède l’humanité, cela n’exclut pas qu’il n’ait pas d’autres choses par exemple la blancheur et autre. Ce mot "homme" signifie ses principes essentiels sans cependant exclure les autres qui ne sont inclus qu’en puissance et non en acte dans sa notion. D’où "homme" signifie un tout, et "humanité" une partie, et elle n’est pas attribut du mot "homme". Chez Socrate ou chez Platon sont incluses cette matière et cette forme; de même qu’on définit l’homme composé d’une âme et d’un corps, ainsi pour définir Socrate on dira qu’il est composé de ces chairs et de ces os et de cette âme. Comme donc l’humanité n’est pas une autre forme que l’âme et le corps mais est composée des deux, il est manifeste que le même corps étant restitué et la même âme subsistant on aura la même humanité individuelle.

Il n’y a pas non plus d’empêchement à cette identité individuelle du fait que la corporéité ne soit plus identiquement la même puisqu’elle a disparu avec le corps. Car si par corporéité on entend la forme substantielle par quoi quelque chose entre dans le genre de substance corporelle et puisque d’une seule chose il n’y a qu’une forme substantielle, cette corporéité n’est autre que l’âme. Car cet animal n’est pas uniquement animal par cette âme, mais un corps animé, et un corps, et aussi ce quelque chose existant dans le genre substance, autrement l’âme adviendrait à un corps existant en acte et ainsi elle serait une forme accidentelle. En effet le sujet d’une forme substantielle n’est pas ce quelque chose en acte mais seulement en puissance; d’où lorsqu’il reçoit la forme substantielle on ne dit pas qu’il est engendré seulement selon ceci ou cela comme pour les formes accidentelles, mais simplement qu’il est engendré, comme recevant simplement l’être et ainsi la corporéité reçue demeure la même individuellement l’âme rationnelle étant restée la même.

Si par corporéité on entend une forme d’où le corps prend son nom et qui se trouve dans le genre de la quantité, elle est alors une forme accidentelle qui ne signifie rien d’autre que la triple dimension. D’où si elle ne redevient pas identiquement la même, l’identité du sujet n’en souffre pas auquel suffit l’unité des principes essentiels. Il en est de même pour tous les accidents qui en changeant n’affectent pas l’identité individuelle. D’où comme l’union est une relation, et par là un accident, sa diversité générique n’enlève pas l’identité au sujet. Semblablement ni la diversité individuelle de l’âme sensitive et végétative, si on suppose qu’elles se corrompent; en effet les puissances naturelles du composé se situent dans le genre accident et le sensible qui est la différence constitutive de l’animal n’est pas prise à partir des sens mais de la substance même de l’âme sensitive qui chez l’homme est substantiellement la même que l’âme rationnelle.

 

 

Caput 155 [70267] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 155 tit. Quod non resurgemus ad eundem modum vivendi


 [70268] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 155 Quamvis autem homines iidem numero resurgent, non tamen eundem modum vivendi habebunt. Nunc enim corruptibilem vitam habent, tunc vero incorruptibilem. Si enim natura in generatione hominis perpetuum esse intendit, multo magis Deus in hominis reparatione. Quod enim natura perpetuum esse intendat, habet ex hoc quod a Deo movetur. Non autem in reparatione hominis resurgentis attenditur perpetuum esse speciei, quia hoc per continuam generationem poterat obtineri.
Relinquitur igitur quod intendatur perpetuum esse individui. Homines igitur resurgentes in perpetuum vivent. Praeterea. Si homines resurgentes moriantur, animae a corporibus separatae non in perpetuum absque corpore remanebunt: hoc enim est contra naturam animae, ut supra dictum est. Oportebit igitur ut iterato resurgant, et hoc idem continget, si post secundam resurrectionem iterum moriantur. Sic igitur in infinitum mors et vita circulariter circa eundem hominem reiterabuntur, quod videtur esse vanum. Convenientius est igitur ut stetur in primo, scilicet ut in prima resurrectione homines immortales resurgant. Nec tamen mortalitatis ablatio diversitatem vel secundum speciem vel secundum numerum inducet. Mortale enim secundum propriam rationem differentia specifica hominis esse non potest, cum passionem quamdam designet, sed ponitur loco differentiae hominis, ut per hoc quod dicitur mortale, designetur natura hominis, quod scilicet est ex contrariis compositus, sicut per hoc quod dicitur rationale, designatur propria forma eius: res enim materiales non possunt sine materia definiri. Non autem aufertur mortalitas per ablationem propriae materiae: non enim resumet anima corpus caeleste vel aereum, ut supra habitum est, sed corpus humanum ex contrariis compositum. Incorruptibilitas tamen adveniet ex virtute divina, per quam anima supra corpus usque ad hoc dominabitur quod corrumpi non possit. Tandiu enim res conservatur in esse, quandiu forma supra materiam dominatur

Chapitre 155 — NOUS NE RESSUSCITERONS PAS AU MÊME MODE DE VIE

Bien que les hommes ressusciteront identiques à eux-mêmes ils n’auront cependant pas le même mode de vie. Maintenant en effet ils ont une vie corruptible, alors elle sera incorruptible. Si en effet la nature dans la génération humaine tend à se perpétuer à plus forte raison Dieu le fera-t-il pour sa restauration. En effet que la nature tende à se perpétuer, elle le tient de ce qu’elle y est mue par Dieu. Or dans la restauration de l’homme ressuscité il ne s’agit pas de perpétuer l’espèce, ce qui peut être obtenu par la continuité de la génération. Il reste donc qu’il s’agit de perpétuer l’individu. Les hommes donc par la résurrection vivront pour toujours.

En outre. Si les hommes qui ressuscitent doivent encore mourir, leurs âmes ne resteront pas pour toujours séparées du corps puisque la nature de l’âme s’y oppose, comme on l’a vu (chapitres 151 et 152). Il faudra donc une nouvelle résurrection et ainsi indéfiniment pour un même homme. Cela n’a pas de sens. Il est donc plus convenable que dès la résurrection les hommes ressuscitent immortels.

La suppression de la mortalité n’apportera pas de changement spécifique ni individuel. Être mortel, en effet à proprement parler ne peut constituer une différence spécifique de l’homme, car il s’agit là d’une passion, mais tient lieu de différence de l’homme en ce que par là est désignée la nature de l’homme c’est-à-dire un composé de contraires, comme"être rationnel" désigne sa propre forme. En effet les choses matérielles ne peuvent se définir sans la matière. Or on n’enlève pas la mortalité par la suppression de sa propre matière; en effet l’âme ne reprendra pas un corps céleste ou aérien, comme on l’a vu (chapitre 153), mais un corps humain composé de contraires. Cependant l’incorruptibilité lui viendra de la vertu divine par laquelle l’âme dominera le corps au point qu’il ne puisse se corrompre. Car une chose conserve son être aussi longtemps que la forme domine sur la matière.

 

 

Caput 156 [70269] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 156 tit. Quod post resurrectionem usus cibi et generationis cessabunt


 [70270] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 156 Quia vero subtracto fine removeri oportet ea quae sunt ad finem, oportet quod remota mortalitate a resurgentibus, etiam ea subtrahantur quae ad statum vitae mortalis ordinantur. Huiusmodi autem sunt cibi et potus, qui ad hoc sunt necessarii ut mortalis vita sustentetur, dum id quod per calorem naturalem resolvitur, per cibos restauratur. Non igitur post resurrectionem erit usus cibi vel potus. Similiter etiam nec vestimentorum: cum vestimenta ad hoc homini necessaria sint ne corpus ab exterioribus corrumpatur per calorem vel frigus. Similiter etiam necesse est venereorum usum cessare, cum ad generationem animalium ordinetur: generatio autem mortali vitae deservit, ut quod secundum individuum conservari non potest, conservetur saltem in specie. Cum igitur homines iidem numero in perpetuum conservabuntur, generatio in eis locum non habebit, unde nec venereorum usus.
Rursus. Cum semen sit superfluum alimenti, cessante usu ciborum necesse est etiam ut venereorum usus cesset. Non autem potest convenienter dici, quod propter solam delectationem remaneat usus cibi et potus et venereorum. Nihil enim inordinatum in illo finali statu erit, quia tunc omnia suo modo perfectam consummationem accipient. Inordinatio autem perfectioni opponitur. Et cum reparatio hominum per resurrectionem sit immediate a Deo, non poterit in illo statu aliqua inordinatio esse: quia quae a Deo sunt, ordinata sunt, ut dicitur Roman. XIII, I. Est autem hoc inordinatum ut usus cibi et venereorum propter solam delectationem quaeratur, unde et nunc apud homines vitiosum reputatur. Non igitur propter solam delectationem in resurgentibus usus cibi et potus et venereorum esse poterit.

Chapitre 156 — APRÈS LA RÉSURRECTION L’USAGE DE LA NOURRITURE ET DE LA GÉNÉRATION CESSERA

Parce que la fin étant supprimée ce qui y conduisait n’a pas raison d’exister, et la mortalité étant écartée de ceux qui ressuscitent, doivent aussi être soustraites ces choses qui sont ordonnées à l’état de la vie mortelle : telles la nourriture et la boisson qui sont nécessaires à la sustentation de la vie mortelle en restituant par la nourriture ce que fait perdre la chaleur naturelle. Donc après la résurrection disparaîtra l’usage de la nourriture et de la bois son. De même pour les vêtements : ceux-ci sont nécessaire à l’homme en protégeant le corps contre la chaleur ou le froid. Semblablement l’usage des choses de la chair ces sera puisqu’elles sont destinées à la génération des animaux; or la génération se limite à la vie mortelle afin que ce qui ne peut être conservé chez l’individu le soit au moins dans l’espèce. Comme donc les hommes seront conservés chacun dans son identité pour toujours il n’y aura plus de génération et donc plus d’usage de l’oeuvre de chair.

De plus. Comme la semence est un excèdent des aliments, l’usage des aliments cessant, celui de la chair ces sera aussi.

Or on ne peut dire décemment que la délectation justifie l’usage des aliments et des choses de la chair. Rien en effet de désordonné n’existera en ce stade final, car alors toutes choses auront atteint à leur manière leur perfection. Or le désordre s’oppose à la perfection. Et comme la restauration des hommes par la résurrection vient directement de Dieu, il n’y aura en cet état aucune place pour quelconque désordre, car "les choses de Dieu sont ordon nées" (Rom 13, 1). Or il y a désordre si l’on cherche la délectation dans l’usage des choses vénériennes ou des aliments. Ce que d’ailleurs les hommes jugent être vicieux. Il n’y aura donc aucune place pour le plaisir chez ceux qui ressuscitent, plaisir de la table ou plaisir de la chair.

 

 

Caput 157 [70271] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 157 tit. Quod tamen omnia membra resurgent


 [70272] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 157 Quamvis autem usus talium resurgentibus desit, non tamen eis deerunt membra ad usus tales, quia sine iis corpus resurgentis integrum non esset. Conveniens est autem ut in reparatione hominis resurgentis, quae erit immediate a Deo, cuius perfecta sunt opera, natura integre reparetur.
Erunt ergo huiusmodi membra in resurgentibus propter integritatem naturae conservandam, et non propter actus quibus deputantur. Item. Si in illo statu homines pro actibus quos nunc agunt, poenam vel praemium consequuntur, ut postea manifestabitur, conveniens est ut eadem membra homines habeant quibus peccato vel iustitiae deservierunt in hac vita, ut in quibus peccaverunt vel meruerunt, puniantur vel praemientur.

Chapitre 157 — CEPENDANT TOUS NOS MEMBRES RESSUSCITERONT

Bien que l’usage de telles chose fera défaut chez ceux qui ressuscitent cela n’entraînera cependant pas la perte des membres correspondant à ces usages; car sans eux le corps du ressuscité ne serait plus complet. Or il convient dans la restauration du ressuscité laquelle vient directement de Dieu, dont les oeuvres sont parfaites, que sa nature soit complètement restaurée. Donc ces membres chez les ressuscités demeureront pour conserver intacte leur nature et non pour les actes auxquels ils étaient destinés.

De même. Si sans cet état les hommes obtiennent récompense ou châtiment pour les actes qu’ils posent maintenant — comme on le verra plus loin il est juste qu’ils aient les mêmes membres par lesquels ils ont servi la justice ou le péché en cette vie et qu’ils soient punis ou récompensés dans ces choses où ils ont péché ou mérité.

 

 

 

 

 

Caput 158 [70273] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 158 tit. Quod non resurgent cum aliquo defectu


 [70274] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 158 Similiter autem conveniens est ut omnes naturales defectus a corporibus resurgentium auferantur. Per omnes enim huiusmodi defectus integritati naturae derogatur. Si igitur conveniens est ut in resurrectione natura humana integraliter reparetur a Deo, consequens est ut etiam huiusmodi defectus tollantur. Praeterea. Huiusmodi defectus ex defectu virtutis naturalis, quae fuit generationis humanae principium, provenerunt. In resurrectione autem non erit virtus agens nisi divina, in quam defectus non cadit. Non igitur huiusmodi defectus, qui sunt in hominibus generatis, erunt in hominibus per resurrectionem reparatis.

Chapitre 158 — NOUS RESSUSCITERONS SANS AUCUN DÉFAUT LA CONSOMMATION DES SIÈCLES

Semblablement convient-il que tous les défauts naturels disparaissent dans les corps des ressuscités. En effet par tous ces défauts il est fait dommage à l’intégrité naturelle. Si donc il est juste que dans la résurrection la nature de l’homme soit restaurée intégralement par Dieu, il s’en suit que de tels défauts seront aussi enlevés.

De plus. Ces défauts sont dus à une déficience naturelle qui fut au principe de la génération humaine. Or à la résurrection il n’y aura d’autre pouvoir agissant que de Dieu chez qui il ne peut y avoir de déficience. Donc ces défauts qui existent chez les hommes engendrés n’existeront plus chez ceux qui auront été restaurés par la résurrection.

 

 

 

 

Caput 159 [70275] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 159 tit. Quod resurgent solum quae sunt de veritate naturae


 [70276] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 159 Quod autem est dictum de integritate resurgentium, referri oportet ad id quod est de veritate humanae naturae.
Quod enim de veritate humanae naturae non est, in resurgentibus non resumetur, alioquin oporteret immoderatam esse magnitudinem resurgentium, si quidquid ex cibis in carnem et sanguinem est conversum, in resurgentibus resumetur. Veritas autem uniuscuiusque naturae secundum suam speciem et formam attenditur. Partes igitur hominis quae secundum speciem et formam attenduntur, omnes integraliter in resurgentibus erunt, non solum partes organicae, sed etiam partes consimiles, ut caro, nervus et huiusmodi, ex quibus membra organica componuntur. Non autem totum quidquid naturaliter fuit sub iis partibus, resumetur, sed quantum sufficiens erit ad speciem partium integrandam. Nec tamen propter hoc homo idem numero aut integer non erit, si totum quidquid in eo materialiter fuit, non resurget. Manifestum est enim in statu huius vitae quod a principio usque ad finem homo idem numero manet. Id tamen quod materialiter in eo est sub specie partium, non idem manet, sed paulatim fluit et refluit, ac si idem ignis conservaretur consumptis et appositis lignis, et est integer homo, quando species et quantitas speciei debita conservatur.

Chapitre 159 — L’HOMME RESSUSCITERA DANS LA SEULE VÉRITÉ DE SA NATURE

Ce qui a été dit de l’intégrité des ressuscités doit s’entendre en relation avec la vérité de la nature humaine. Car ce qui ne lui appartient pas ne peut être repris chez les ressuscités, (si par hasard on s’imaginait que tout ce qu’ils ont converti en chair en fait de nourriture au cours de leur vie ils le reprendraient). Ce qu’on entend par vérité d’une nature est ce qui la fait telle selon son espèce et sa forme. Selon ces deux choses, ce qu’on entend par parties chez les ressuscités et qui seront intégralement rendues, ce ne sont pas seulement leurs membres mais ce qui les com pose comme la chair, les nerfs et autres matières. Mais non tout ce qui se trouvait naturellement en ces membres ou parties sera repris, mais seulement dans la mesure suffisante quant à l’intégrité spécifique de ces parties. Ce qui cependant n’empêchera pas l’homme d’être le même identiquement et intégralement même si tout ce qui fut en lui matériellement ne ressuscite pas. Il est évident en effet que dans l’état de cette vie l’homme reste identique à lui-même depuis sa naissance jusqu’à sa mort, cependant que ce qui est matériel en lui sous l’aspect des parties qui le composent ne reste pas le mime, mais insensiblement se transforme; tout comme un feu qui se maintient tandis que du bois se consume et qu’on y apporte du nouveau, ainsi l’homme est conservé intact quand il garde sa nature et ce qui appartient à celle-ci.

 

 

Caput 160 [70277] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 160 tit. Quod Deus omnia supplebit in corpore reformato, aut quidquid deficiet de materia


 [70278] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 160 Sicut autem non totum quod materialiter fuit in corpore hominis, ad reparationem corporis resurgentis Deus resumet, ita etiam si quid materialiter defuit, Deus supplebit.
Si enim hoc officio naturae fieri potest ut puero qui non habet debitam quantitatem, ex aliena materia per assumptionem cibi et potus tantum addatur quod ei sufficiat ad perfectam quantitatem habendam, nec propter hoc desinit esse idem numero qui fuit, multo magis hoc virtute divina fieri potest ut suppleatur minus habentibus de extrinseca materia, quod eis in hac vita defuit ad integritatem membrorum naturalium, vel debitae quantitatis. Sic igitur licet aliqui in hac vita aliquibus membris caruerint, vel perfectam quantitatem nondum attigerint, in quantacumque quantitate defuncti, virtute divina in resurrectione perfectionem debitam consequentur et membrorum et quantitatis.

Chapitre 160 — DIEU SUPPLÉERA TOUT DANS LE CORPS AINSI RÉFORMÉ ET TOUT CE QUI MANQUE A LA MATIÈRE

De même que Dieu ne reprendra pas pour le corps de l’homme tout ce qui y fut matériellement pour la restauration du ressuscité, ainsi aussi ce qui lui manqua matériellement Dieu y suppléera. Si en effet par l’action de la nature l’enfant acquiert son développement par une matière extérieure grâce à l’absorption d’aliments et par vient à sa perfection physique et ne cesse pas pour cela d’être lui-même, bien davantage Dieu pourra-t-il suppléer à la déficience matérielle chez ceux qui en ont souffert en leur vie quant à l’intégrité de leur corps. Ainsi donc si certains eurent une conformation défectueuse ou ne sont pas arrivés à l’âge adulte au jour de leur mort ils obtiendront par la vertu divine la perfection et de leurs membres et de leur stature.

 

 

Caput 161 [70279] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 161 tit. Solutio ad quaedam quae obiici possunt


 [70280] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 161 Ex hoc autem solvi potest quod quidam contra resurrectionem hanc obiiciunt. Dicunt enim possibile esse quod aliquis homo carnibus humanis vescatur, et ulterius sic nutritus filium generet, qui simili cibo utatur.
Si igitur nutrimentum convertitur in substantiam carnis, videtur quod sit impossibile integraliter utrumque resurgere, cum carnes unius conversae sint in carnes alterius: et quod difficilius videtur, si semen est ex nutrimenti superfluo, ut philosophi tradunt, sequitur quod semen unde natus est filius, sit sumptum ex carnibus alterius, et ita impossibile videtur puerum ex tali semine genitum resurgere, si homines quorum carnes pater ipsius et ipse comederant, integraliter resurgunt. Sed haec communi resurrectioni non repugnat. Dictum est enim supra quod non est necessarium quidquid materialiter fuit in aliquo homine, in ipso resurgente resumi, sed tantum quantum sufficit ad modum debitae quantitatis servandum. Dictum est etiam quod si alicui aliquid defuit de materia ad quantitatem perfectam, supplebitur divina virtute. Considerandum est insuper, quod aliquid materialiter in corpore hominis existens secundum diversos gradus ad veritatem naturae humanae invenitur pertinere. Nam primo et principaliter quod a parentibus sumitur, sub veritate humanae speciei tanquam purissimum perficitur ex virtute formativa; secundario autem quod ex cibis generatum est, necessarium est ad debitam quantitatem membrorum, quia semper admixtio extranei debilitat virtutem rei, unde et finaliter necesse est augmentum deficere, et corpus senescere et dissolvi, sicut et vinum per admixtionem aquae tandem redditur aquosum. Ulterius autem ex cibis aliquae superfluitates in corpore hominis generantur, quarum quaedam sunt necessariae ad aliquem usum, ut semen ad generationem, et capilli ad tegumentum et ornatum; quaedam vero omnino ad nihil, ut quae expelluntur per sudorem et varias egestiones, vel interius retinentur in gravamen naturae. Hoc igitur in communi resurrectione secundum divinam providentiam attendetur, quod si idem numero materialiter in diversis hominibus fuit, in illo resurget in quo principaliorem gradum obtinuit. Si autem in duobus extitit secundum unum et eundem modum, resurget in eo in quo primo fuit, in alio vero supplebitur ex divina virtute. Et sic patet quod carnes hominis comestae ab aliquo, non resurgent in comedente, sed in eo cuius prius fuerunt, resurgent tamen in eo qui ex tali semine generatus est, quantum ad id quod in eis fuit de humido nutrimentali; aliud vero resurget in primo, Deo unicuique supplente quod deest.

Chapitre 161 — SOLUTION DE QUELQUES OBJECTIONS

Par là on peut résoudre ce que d’aucuns objectent contre cette résurrection[37]. Ils supposent en effet qu’un homme se nourrisse de chair humaine et que plus tard ainsi nourri il engendre un fils qui utilise la même nourriture. Si donc la nourriture est convertie en substance de chair il paraît bien qu’il soit impossible que l’un et l’autre ressuscitent intégralement puisque les chairs de l’un sont changées en chairs de l’autre; et ce qui, semble-t-il, est plus difficile — si comme disent les philosophes la semence est le surplus de la nourriture, — il suit que la semence d’où est né le fils est prise des chairs de l’autre et ainsi il paraît impossible que le fils engendré de cette semence ressuscite si les hommes dont son père et lui- même ont mangé les chairs, ressuscitent intégralement.

Mais ceci ne répugne pas à la commune résurrection. On a dit en effet (chapitre 159) qu’il n’est pas nécessaire que soit repris dans celui qui ressuscite tout ce qui fut matériellement en lui, mais seulement autant qu’il suffit à la mesure de la quantité convenable. On a dit aussi (chapitre 160) que si quelque chose manquait à la parfaite quantité la vertu divine y suppléerait.

Il faut de plus bien savoir que ce qui existe matériellement dans le corps de l’homme appartient à divers degrés à la vérité de la nature humaine. Car ce qui est premier et principal vient des parents et est formé comme ce qu’il y a de plus pur dans l’espèce humaine. En second lieu il y a ce qui provient de la nourriture et qui est nécessaire à la formation du corps; or tout mélange extérieur affaiblit le pouvoir d’une chose pour finalement aboutir à la décadence, au vieillissement et à la dissolution, comme aussi le vin par addition d’eau finit par être presque de l’eau[38]. Ultérieurement il y a le surplus de nourriture qui produit soit la semence pour la génération, soit les cheveux qui nous protègent ou servent de parure. Certaines choses ne servent vraiment à rien et sont rejetées en sueur et autres évacuations ou sont retenues et sont une charge à la nature.

Ceci donc sera pris en considération par la divine providence lors de la résurrection générale que ce qui se trouvait être le même matériellement en divers hommes, ressuscitera chez celui qui possédait le degré supérieur (reçu des parents); ce qui se trouvait d’une et même manière en (nos) deux hommes ressuscitera chez celui en qui cela se trouvait d’abord et dans l’autre la vertu divine y suppléera. Et ainsi il est clair que les chairs humaines que quelqu’un aura mangées ne ressusciteront pas chez lui; mais chez celui qui les avait d’abord; cependant elles ressusciteront chez celui que cette semence aura engendré quant à ce qui était comme leur nourriture humide[39], le reste ressuscitera chez le premier et Dieu suppléant à chacun ce qui manque.

 

 

 

Caput 162 [70281] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 162 tit. Quod resurrectio mortuorum in articulis fidei exprimitur


 [70282] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 162 Ad hanc igitur fidem resurrectionis confitendam, in symbolo apostolorum positum est: carnis resurrectionem. Nec sine ratione additum est, carnis: quia fuerunt quidam etiam tempore apostolorum, qui carnis resurrectionem negabant, solam spiritualem resurrectionem confitentes, per quam homo a morte peccati resurget: unde apostolus, II ad Timoth. II, dicit de quibusdam, qui a veritate exciderunt, dicentes resurrectionem iam factam, et subverterunt quorumdam fidem, ad quorum removendum errorem, ut resurrectio futura crederetur, dicitur in symbolo patrum: exspecto resurrectionem mortuorum.

Chapitre 162 — L’ARTICLE DU SYMBOLE CONCERNANT LA RÉSURRECTION DES MORTS

Pour confesser la foi en la résurrection on a dans le symbole des Apôtres : "la résurrection de la chair". Et ce n’est pas sans raison qu’on ajoute "de la chair"; car il s’en est trouvé, même du temps des Apôtres, qui niaient la résurrection de la chair, ne confessant que la seule résurrection spirituelle par laquelle l’homme ressuscitera de la mort du péché. Ce qui fait dire à l’Apôtre que certains ont failli à la vérité disant que la résurrection était déjà accomplie et ils ébranlèrent la foi de plusieurs (2 Tim 2, 18). Et pour écarter leur erreur et pour qu’on croie à la résurrection future, il est dit dans le Symbole des Pères (de Nicée) "J’attends la résurrection des morts".

 

 

 

E — La vie future (chapitre 163 à 184)

Caput 163 [70283] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 163 tit. Qualis erit resurgentium operatio


 [70284] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 163 Oportet autem considerare ulterius qualis sit operatio resurgentium.
Necesse enim est cuiuslibet viventis esse aliquam operationem cui principaliter intendit, et in hoc dicitur vita eius consistere: sicut qui voluptatibus principaliter vacant, dicuntur vitam voluptuosam agere; qui vero contemplationi, contemplativam; qui vero civitatibus gubernandis, civilem. Ostensum est autem quod resurgentibus neque ciborum neque venereorum aderit usus, ad quem omnia corporalia exercitia ordinari videntur. Subtractis autem corporalibus exercitiis remanent spirituales operationes, in quibus ultimum hominis finem consistere diximus: quem quidem finem adipisci resurgentibus competit a statu corruptionis et mutabilitatis liberatis, ut ostensum est. Non autem in quibuscumque spiritualibus actibus ultimus finis hominis consistit, sed in hoc quod Deus per essentiam videatur, ut supra ostensum est. Deus autem aeternus est: unde oportet quod intellectus aeternitati coniungatur. Sicut igitur qui voluptati vacant, voluptuosam vitam agere dicuntur, ita qui divina potiuntur visione, aeternam obtinent vitam, secundum illud Ioan. XVII, 3: haec est vita aeterna, ut cognoscant te Deum verum, et quem misisti Iesum Christum.

Chapitre 163 — QUELLE SERA L’ACTIVITÉ DES RESSUSCITÉS

Il faut aller de l’avant et nous demander quelle sera l’activité des ressuscités. En effet tout vivant doit avoir une activité principale, en quoi sa vie consiste, comme ceux qui principalement s’adonnent aux plaisirs voluptueux ont une vie voluptueuse; ceux qui s’adonnent à la contemplation, une vie contemplative; ceux qui s’occupent de gouverner la cité, une vie civile. Or on a vu (chapitre 156) que ceux qui ressusciteront ne feront pas usage de nourriture, ni des choses de la chair; ce en quoi est ordonnée l’activité corporelle; celles-là étant abolies, restent les opérations spirituelles dans lesquelles consiste la fin dernière de l’homme, comme nous l’avons vu (chapitres 104 à 107). L’obtention de cette fin convient aux ressuscités, eux qui ont été libérés de l’état de corruption et de changement, comme on l’a montré (chapitre 155). Mais ce n’est pas en n’importe quelle activité spirituelle que la fin de l’homme consiste, mais en ce que Dieu soit vu en son essence (chapitres 104 à 107). Or Dieu est éternel; il faut donc que l’intelligence s’unisse à l’éternité.

De même donc que ceux qui s’adonnent à la volupté sont dits mener une vie voluptueuse, ainsi ceux qui jouissent de la vision divine obtiennent la vie éternelle, selon ce que dit saint Jean : "Ceci est la vie éternelle qu’ils te connaissent toi, le vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus-Christ" (17, 3).

 

 

Caput 164

Quod Deus per essentiam videbitur, non per similitudinem


 [70286] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 164 Videbitur autem Deus per essentiam ab intellectu creato, non per aliquam sui similitudinem, qua in intellectu praesente, res intellecta possit distare, sicut lapis per similitudinem suam praesens est oculo, per substantiam vero absens, sed, sicut supra ostensum est, ipsa Dei essentia intellectui creato coniungitur quodammodo, ut Deus per essentiam videri possit. Sicut igitur in ultimo fine videbitur quod prius de Deo credebatur, ita quod sperabatur ut distans tenebitur ut praesens, et hoc comprehensio nominatur, secundum illud apostoli Philip. III, v. 12: sequor autem, si quo modo comprehendam: quod non est intelligendum secundum quod comprehensio inclusionem importat, sed secundum quod importat praesentialitatem et tentionem quandam eius quod dicitur comprehendi.

Chapitre 164 — SERA VU DANS SON ESSENCE ET NON PAR SIMILITUDE

 

L’intelligence créée verra Dieu en son essence, non par une similitude de lui-même, comme est présente à l’intelligence une chose pensée distante de celle-ci, comme la pierre qui a sa ressemblance dans notre oeil, mais absente quant à sa substance; mais comme on l’a montré (chapitre 105) l’essence même de Dieu est en quelque sorte unie à l’intelligence créée de sorte que Dieu puisse être vu en son essence. De même donc que dans la fin dernière on verra ce qu’on avait cru de Dieu auparavant, ainsi ce qu’on espérait comme distant, on le tiendra comme actuel, et c’est ce qu’on entend par "saisie", selon ce que dit l’Apôtre : "Je poursuis pour tâcher de le saisir." (Phil. 3, 12). Ce qui ne veut pas dire un accaparement mais une présence intime et une possession, selon le sens du verbe saisir.

 

 

 

Caput 165 [70287] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 165 tit. Quod videre Deum est summa perfectio et delectatio


 [70288] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 165 Rursus considerandum est, quod ex apprehensione convenientis, delectatio generatur, sicut visus delectatur in pulchris coloribus, et gustus in suavibus saporibus. Sed haec quidem delectatio sensuum potest impediri propter organi indispositionem: nam oculis aegris odiosa est lux, quae puris est amabilis. Sed quia intellectus non intelligit per organum corporale, ut supra ostensum est, delectationi quae est in consideratione veritatis, nulla tristitia contrariatur. Potest tamen per accidens ex consideratione intellectus tristitia sequi, inquantum id quod intelligitur, apprehenditur ut nocivum, ut sic delectatio quidem adsit intellectui de cognitione veritatis, tristitia autem in voluntate sequatur de re quae cognoscitur, non inquantum cognoscitur, sed inquantum suo actu nocet. Deus autem hoc ipsum quod est, veritas est. Non potest igitur intellectus Deum videns, in eius visione non delectari. Iterum. Deus est ipsa bonitas, quae est ratio dilectionis, unde necesse est ipsam diligi ab omnibus apprehendentibus ipsam. Licet enim aliquid quod bonum est, possit non diligi, vel etiam odio haberi, hoc non est inquantum apprehenditur ut bonum, sed inquantum apprehenditur ut nocivum. In visione igitur Dei, qui est ipsa bonitas et veritas, oportet sicut comprehensionem, ita dilectionem, seu delectabilem fruitionem adesse, secundum illud Isaiae ult., 14: videbitis, et gaudebit cor vestrum.

Chapitre 165 — VOIR DIEU EST LA SUPRÊME PERFECTION ET JOUISSANCE

Considérons en outre que de l’appréhension de ce qui convient naît une jouissance, comme la vue jouit de belles couleurs et le goût de saveurs délicieuses. Mais cette jouissance des sens peut être empêchée si les organes sont indisposés; car aux yeux malades la lumière est insupportable qui est douce aux yeux sains. Mais comme l’intelligence ne pense pas par des organes corporels (chapitre 79) nulle tristesse ne peut contrarier la jouissance que procure la considération de la vérité. Accidentellement une tristesse cependant peut se produire si ce qu’on comprend est saisi comme étant nuisible; mais alors la tristesse est dans la volonté et non dans la chose connue. Or Dieu par cela même qu’Il est, est la vérité. Donc l’intelligence qui voit Dieu ne peut pas ne pas jouir de sa vision.

De plus. Dieu est la bonté même qui est cause de l’amour. D’où il est nécessaire qu’elle soit aimée de tous ceux qui la saisissent. Bien qu’en effet ce qui est bon puisse ne pas être aimé et même être haï ce n’est pas en tant qu’il est saisi comme bon mais en tant que nuisible.

Donc dans la vision de Dieu qui est la bonté et la vérité même, aussi bien que la compréhension, il faut y trouver l’amour ou la jouissance délectable, selon ce que dit le prophète Isaïe : "Vous verrez et votre coeur se réjouira." (66, 14).

 

 

Caput 166 [70289] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 166 tit. Quod omnia videntia Deum confirmata sunt in bono


 [70290] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 166 Ex hoc autem apparet quod anima videns Deum vel quaecumque alia spiritualis creatura habet voluntatem confirmatam in ipso, ut ad contrarium de cetero non flectatur. Cum enim obiectum voluntatis sit bonum, impossibile est voluntatem inclinari in aliquid nisi sub aliqua ratione boni. Possibile est autem in quocumque particulari bono aliquid deficere, quod ipsi cognoscenti relinquitur in alio quaerendum.
Unde non oportet voluntatem videntis quodcumque bonum particulare in illo solo consistere, ut extra eius ordinem non divertat. Sed in Deo, qui est bonum universale et ipsa bonitas, nihil boni deest quod alibi quaeri possit, ut supra ostensum est. Quicumque igitur Dei essentiam videt, non potest voluntatem ab eo divertere, quin in omnia secundum rationem ipsius tendat. Est etiam hoc videre per simile in intelligibilibus. Intellectus enim noster potest dubitando hac atque illac divertere, quousque ad primum principium perveniatur, in quo necesse est intellectum firmari. Quia igitur finis in appetibilibus est sicut principium in intelligibilibus, potest quidem voluntas ad contraria flecti quousque ad cognitionem vel fruitionem ultimi finis veniatur, in qua necesse est ipsam firmari. Esset etiam contra rationem perfectae felicitatis, si homo in contrarium converti posset: non enim totaliter excluderetur timor de amittendo, et sic non esset totaliter desiderium quietatum: unde Apocalypsis III, 12, dicitur de beato: foras non egredietur amplius.

Chapitre 166 — QUE TOUT CE QUI VOIT EST CONFIRMÉ DANS LE BIEN

Il s’en suit que l’âme qui voit Dieu, ou toute autre créature spirituelle, a sa volonté confirmée en Lui de sorte qu’elle ne puisse plus se tourner vers ce qui est contraire. En effet comme l’objet de la volonté est le bien, elle ne peut se tourner vers autre chose que sous le mobile du bien. Mais en tout bien particulier peut se trouver une déficience qui conduit celui qui s’en rend compte à chercher autre chose. D’où il n’est pas nécessaire que la volonté de celui qui aperçoit un bien particulier s’y arrête exclusivement de sorte qu’il ne cherche pas ailleurs. Mais en Dieu qui est le bien universel et la bonté même aucun bien ne manque qu’on pourrait trouver ailleurs, comme on l’a montré (chapitres 21 et 106). Quiconque donc voit Dieu en son essence ne peut en détourner sa volonté de sorte qu’en tout il y tende selon cette raison même.

On peut aussi le constater par analogie avec nos propres pensées. Notre intelligence en effet peut dans le doute se tourner ici ou là jusqu’à ce qu’elle parvienne au premier principe qui lui donne fermeté. Comme donc la fin dans les choses qu’on désire est comme le principe dans les choses que nous pensons, la volonté peut aussi se porter vers des contraires jusqu’à ce qu’elle parvienne à la jouissance ou la connaissance de la fin dernière en laquelle aussi elle est nécessairement affermie. Ce serait aussi contraire à la notion de la parfaite félicité que l’homme puisse se tourner vers son contraire; en effet la crainte de la perdre ne serait pas totalement exclue et par là le désir ne serait pas totalement apaisé. Et l’Apocalypse dit du bienheureux : "Il ne sortira plus au dchors." (3, 12).

 

 

Caput 167 [70291] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 167 tit. Quod corpora erunt omnino obedientia animae


 [70292] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 167 Quia vero corpus est propter animam, sicut materia propter formam, et organum propter artificem, animae vitam praedictam consecutae tale corpus in resurrectione adiungetur divinitus, quale competat beatitudini animae: quae enim propter finem sunt, disponi oportet secundum exigentiam finis. Animae autem ad summum operationis intellectualis pertingenti non convenit corpus habere per quod aliqualiter impediatur aut retardetur. Corpus autem humanum ratione suae corruptibilitatis impedit animam et retardat, ut nec continuae contemplationi insistere valeat, neque ad summum contemplationis pervenire: unde per abstractionem a sensibus corporis homines aptiores ad divina quaedam capienda redduntur. Nam propheticae revelationes dormientibus vel in aliquo excessu mentis existentibus manifestantur, secundum illud Num. XII, 6: si quis fuerit inter vos propheta domini, in visione apparebo ei, vel per somnium loquar ad eum. Corpora igitur resurgentium beatorum non erunt corruptibilia et animam retardantia, ut nunc, sed magis incorruptibilia, et totaliter obedientia ipsi animae, ut in nullo ei resistant.

Chapitre 167 — LE CORPS SERA ENTIÈREMENT SOUMIS A L’ÂME

Puisque le corps est pour l’âme comme la matière pour la forme et l’instrument pour l’artisan, à l’âme qui aura atteint cette vie un corps lui sera uni divinement qui con vienne à la béatitude de l’âme. En effet ce qui est pour une fin doit pouvoir satisfaire à l’exigence de cette fin. Pour l’âme parvenue au sommet de son activité intellectuelle il convient que son corps ne puisse l’en empêcher ou la retarder en quoi que ce soit. Or le corps humain de par sa corruptibilité empêche l’âme et la retarde de sorte qu’elle ne peut persister en une continuelle contemplation ni atteindre au sommet de la contemplation. C’est en se soustrayant aux sensations du corps que les hommes se rendent plus aptes à saisir les choses divines. Car les révélations prophétiques se manifestent à ceux qui dorment ou dans une extase, selon ce que disent les Nombres : "S’il y a parmi vous quelque prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai en songe" (12, 6). Les corps des bienheureux ressuscités seront incorruptibles et ne retarderont pas les âmes, comme actuellement; totalement soumis à l’âme ils ne lui résisteront en rien

 

 

Caput 168 [70293] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 168 tit. De dotibus corporum glorificatorum


 [70294] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 168 Ex hoc autem perspici potest, qualis sit dispositio corporum beatorum. Anima enim est corporis forma et motor. Inquantum est forma, non solum est principium corporis quantum ad esse substantiale, sed etiam quantum ad propria accidentia, quae causantur in subiecto ex unione formae ad materiam. Quanto autem forma fuerit fortior, tanto impressio formae in materia minus potest impediri a quocumque exteriori agente, sicut patet in igne, cuius forma, quae dicitur esse nobilissima inter elementares formas, hoc confert igni ut non de facili transmutetur a sua naturali dispositione patiendo ab aliquo agente.
Quia igitur anima beata in summo nobilitatis et virtutis erit, utpote rerum primo principio coniuncta, confert corpori sibi divinitus unito, primo quidem esse substantiale nobilissimo modo, totaliter ipsum sub se continendo, unde subtile et spirituale erit; dabit etiam sibi qualitatem nobilissimam, scilicet gloriam claritatis; et propter virtutem animae a nullo agente a sua dispositione poterit transmutari, quod est ipsum impassibile esse; et quia obediet totaliter animae, ut instrumentum motori, agile reddetur. Erunt igitur hae quatuor conditiones corporum beatorum: subtilitas, claritas, impassibilitas et agilitas. Unde apostolus I ad Corinth. XV, 42-44, dicit: corpus quod per mortem seminatur in corruptione, surget in incorruptione quantum ad impassibilitatem; seminatur in ignobilitate, surget in gloria, quantum ad claritatem; seminatur in infirmitate, surget in virtute, quantum ad agilitatem; seminatur corpus animale, surget corpus spirituale, quantum ad subtilitatem.

Chapitre 168 — DES PRIVILÈGES ACCORDÉS AUX CORPS GLORIFIÉS

Ceci permet de percevoir quelle disposition auront les corps des bienheureux. L’âme en effet est la forme et le moteur du corps. En tant que forme non seulement elle est principe du corps quant à son être substantiel mais encore quant aux accidents qui lui sont propres et qui sont causés dans le sujet par l’union de la forme à la matière. Or plus une forme aura été puissante moins aussi un agent extérieur pourra-t-il empêcher l’action de la forme sur la matière, comme il apparaît dans le feu dont la forme, qu’on dit la plus noble parmi les formes élémentaires, fait que le feu ne peut être facilement transformé de sa disposition naturelle sous l’action d’un agent. Comme donc l’âme bienheureuse se trouvera au sommet de sa noblesse et de son pouvoir parce qu’unie au premier principe des choses, elle apportera au corps, qui lui est divinement uni, d’abord son être substantiel de façon la plus noble, le possédant sous elle totalement, ce qui le rendra subtil et spirituel; ensuite elle lui donnera la qualité la plus noble c’est-à-dire la clarté de la gloire; et à cause de son pouvoir l’âme l’empêchera d’être changé par aucun agent et c’est l’impassibilité; et comme il obéira à l’âme totalement, comme l’instrument dans (les mains) de celui qui le meut, il sera agile. Telles seront donc les quatre conditions des corps des bienheureux subtilité, clarté, impassibilité et agilité. D’où ce que dit l’Apôtre en la 1re aux Corinthiens : "Semé dans la corruption (par la mort) le corps surgira incorruptible" c’est l’impassibilité; "semé dans l’ignominie, il surgira dans la gloire" c’est la clarté; "semé dans l’infirmité, il surgira dans la puissance" c’est l’agilité; "semé corps animal, il surgira corps spirituel", c’est la subtilité.

 

 

Caput 169 [70295] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 169 tit. Quod homo tunc innovabitur, et omnis creatura corporalis


 [70296] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 169 Manifestum est autem quod ea quae sunt ad finem, disponuntur secundum exigentiam finis, unde si id propter quod sunt aliqua, varietur secundum perfectum et imperfectum, ea quae ad ipsum ordinantur, diversimode disponi oportet, ut ei deserviant secundum utrumque statum: cibus enim et vestimentum aliter praeparantur puero, et aliter viro.
Ostensum est autem supra quod creatura corporalis ordinatur ad rationalem naturam quasi ad finem. Oportet igitur quod homine accipiente ultimam perfectionem per resurrectionem, creatura corporalis diversum statum accipiat, et secundum hoc dicitur innovari mundus, homine resurgente, secundum illud, Apoc. XXI, 1: vidi caelum novum et terram novam; et Isaiae LXV, 17: ecce ego creo caelos novos et terram novam.

Chapitre 169 — L’HOMME SERA ALORS RENOUVELÉ ET TOUTE LA CRÉATURE CORPORELLE

Il est manifeste que les choses qui sont pour une fin sont disposées selon l’exigence de cette fin; d’où si la fin est plus ou moins parfaite, ce qui y est ordonné l’est aussi, par exemple la nourriture et le vêtement ne sont pas les mêmes pour un enfant ou pour un adulte. Or on a vu plus haut (chapitre 148) que la créature corporelle est faite pour la nature raisonnable comme vers sa fin. Il faut donc que l’homme recevant son ultime perfection par la résurrection, la créature corporelle reçoive un statut différent; et c’est ainsi que le monde est dit renouvelé lors de la résurrection de l’homme, selon ce que dit l’Apocalypse "Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle" (21, 1) et Isaïe : "Voici que je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle" (65, 17).

 

 

Caput 170 [70297] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 170 tit. Quae creaturae innovabuntur, et quae manebunt


 [70298] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 170 Considerandum tamen est, quod diversa genera creaturarum corporalium secundum diversam rationem ad hominem ordinantur.
Manifestum est enim quod plantae et animalia deserviunt homini in auxilium infirmitatis ipsius, dum ex eis habet victum et vestitum et vehiculum et huiusmodi, quibus infirmitas humana sustentatur. In statu tamen ultimo per resurrectionem tolletur ab homine omnis infirmitas talis: neque enim indigebunt ulterius homines cibis ad vescendum, cum sint incorruptibiles, ut supra ostensum est; neque vestimentis ad operiendum, utpote qui claritate gloriae vestientur; neque animalibus ad vehiculum, quibus agilitas aderit; neque aliquibus remediis ad sanitatem conservandam, utpote qui impassibiles erunt. Igitur huiusmodi corporeas creaturas, scilicet plantas et animalia et alia huiusmodi corpora mixta, conveniens est in statu illius ultimae consummationis non remanere. Quatuor vero elementa, scilicet ignis, aer et aqua et terra, ordinantur ad hominem non solum quantum ad usum corporalis vitae, sed etiam quantum ad constitutionem corporis eius: nam corpus humanum ex elementis constitutum est. Sic igitur essentialem ordinem habent elementa ad corpus humanum. Unde homine consummato in corpore et anima, conveniens est ut etiam elementa remaneant, sed in meliorem dispositionem mutata. Corpora vero caelestia quantum ad sui substantiam neque in usu corruptibilis vitae ab homine assumuntur, neque corporis humani substantiam intrant, deserviunt tamen homini inquantum ex eorum specie et magnitudine excellentiam sui creatoris demonstrant: unde frequenter in Scripturis homo movetur ad considerandum caelestia corpora, ut ex eis adducatur in reverentiam divinam, ut patet Isai. XL, 26: levate in excelsum oculos vestros, et videte quis creavit haec. Et quamvis in statu perfectionis illius homo ex creaturis sensibilibus in Dei notitiam non adducatur, cum Deum videat in se ipso, tamen delectabile est et iucundum etiam cognoscenti causam, considerare qualiter eius similitudo resplendeat in effectu: unde et sanctis cedet ad gaudium considerare refulgentiam divinae bonitatis in corporibus, et praecipue in caelestibus, quae aliis praeeminere videntur. Habent etiam corpora caelestia essentialem quodammodo ordinem ad corpus humanum secundum rationem causae agentis, sicut elementa rationem causae materialis. Homo enim generat hominem et sol: unde et hac ratione convenit etiam corpora caelestia remanere. Non solum ex comparatione ad hominem, sed etiam ex praedictis corporearum creaturarum naturis idem apparet. Quod enim secundum nihil sui est incorruptibile, non debet remanere in illo incorruptionis statu. Corpora quidem caelestia incorruptibilia sunt secundum totum et partem; elementa vero secundum totum, sed non secundum partem; homo vero secundum partem, scilicet animam rationalem, sed non secundum totum, quia compositum per mortem dissolvitur; animalia vero et plantae et omnia corpora mixta neque secundum totum neque secundum partem incorruptibilia sunt. Convenienter igitur in illo ultimo incorruptionis statu remanebunt quidem homines et elementa et corpora caelestia, non autem alia animalia, neque plantae, aut corpora mixta. Rationabiliter etiam idem apparet ex ratione universi. Cum enim homo pars sit universi corporei, in ultima hominis consummatione necesse est universum corporeum remanere: non enim videtur esse pars perfecta, si fuerit sine toto. Universum autem corporeum remanere non potest nisi partes essentiales eius remaneant. Sunt autem partes eius essentiales corpora caelestia et elementa, utpote ex quibus tota mundi machina consistit; cetera vero ad integritatem corporei universi pertinere non videntur, sed magis ad quendam ornatum et decorem ipsius, qui competit statui mutabilitatis, secundum quod ex corpore caelesti ut agente, et elementis ut materialibus, generantur animalia et plantae et corpora mineralia. In statu autem ultimae consummationis alius ornatus elementis attribuetur qui deceat incorruptionis statum. Remanebunt igitur in illo statu homines, elementa et corpora caelestia, non autem animalia et plantae et corpora mineralia.

Chapitre 170 — QUELLES CRÉATURES SERONT RENOUVELÉES ET QUELLES CRÉATURES DEMEURERONT ?

Cependant il faut savoir que divers genres de créatures corporelles sont ordonnés à l’homme différemment. Il est manifeste en effet que les plantes et les animaux sont au service de l’homme comme une aide à sa faiblesse, comme la nourriture, le vêtement, les transports, que lui procurent ces créatures. Cependant en son ultime état grâce à la résurrection cette faiblesse disparaîtra. En effet les hommes n’auront plus besoin d’aliments, étant incorruptibles, comme on l’a vu (chapitre 155); ni de vêtements, la clarté de la gloire les revêtira; ni d’animaux pour les transporter leur agilité y pourvoyant; ni de remèdes pour conserver leur santé, car ils seront impassibles. Donc pour ces créatures corporelles : plantes, animaux et le reste des corps mixtes, en cet état de l’ultime consommation, il est juste qu’elles ne subsistent plus.

Quant aux quatre éléments c’est-à-dire le feu, l’air, l’eau et la terre, ils ne sont pas destinés seulement à l’usage de la vie corporelle mais aussi à la constitution du corps; car le corps humain est fait de ces éléments. Ainsi donc ils ont un rapport essentiel avec le corps humain. L’homme une fois achevé en son corps et en son âme il est juste que ces éléments subsistent, mais changés en une disposition meilleure.

Les corps célestes quant à leur substance, s’ils ne sont d’aucun usage pour la vie corruptible de l’homme, ni n’entrent dans la substance du corps humain, servent l’homme par leur beauté et leur grandeur en lui montrant l’excellence de son créateur; d’où fréquemment l’Écriture provoque l’homme à la considération des astres pour être ainsi amené à témoigner son respect à Dieu, comme il est clair par le prophète Isaïe : "Levez en haut vos yeux et demandez-vous qui les a créés" (40, 26). Et bien que dans cet état de perfection l’homme ne soit pas amené des créatures sensibles à la connaissance de Dieu qui est vu en lui-même, cependant il est agréable et délectable d’en con naître la cause, de considérer comment sa ressemblance se fait sentir dans ses effets; d’où pour les saints c’est une joie de considérer le reflet de sa divine bonté principalement dans les corps célestes qui ont la prééminence sur les autres. Les corps célestes ont aussi une relation en quel que sorte essentielle avec le corps humain en raison de cause active, comme les éléments en raison de cause matérielle. L’homme en effet engendre l’homme, (sous l’action) du soleil. D’où et de cette manière convient-il que les astres subsistent.

Non seulement la même constatation peut être faite par rapport à l’homme mais aussi quant à la nature des créatures corporelles. Ce qui en effet n’a rien qui soit incorruptible ne peut demeurer dans cet état d’incorruption[40]. Les corps célestes sont incorruptibles selon leur tout ou leur partie; les éléments selon le tout non selon leur partie; l’homme selon une partie, l’âme rationnelle mais non selon le tout parce que le composé est dissout par la mort; les animaux et les plantes et les autres corps mixtes ne sont incorruptibles ni selon le tout, ni selon la partie. Resteront donc à juste titre en cet ultime état d’incorruption les hommes, les astres et les éléments, mais non les autres animaux, ni les plantes ou les corps mixtes.

Si l’on considère les choses sans leur universalité il en doit être ainsi. Comme en effet l’homme fait partie de l’univers corporel dans son ultime achèvement il est nécessaire que tout ce qui est corporel demeure; en effet la partie n’est parfaite que dans le tout. Or l’univers corporel ne peut demeurer sans ses parties essentielles. Or celles-ci sont les corps célestes et les éléments dont est faite ‘toute la machine du monde; le reste n’appartient pas, semble-t-il, à l’intégrité du corps universel, mais plu tôt à son ornement et à sa beauté. C’est là une situation de changement selon que d’un corps céleste comme agent et des éléments comme matière sont engendrés des animaux, des plantes et des minéraux. Dans le statut de l’ultime consommation les éléments auront une autre parure correspondant à l’état d’incorruption. Demeureront donc en cet état, les hommes, les éléments et les corps célestes, mais pas les animaux, les plantes et les minéraux.

 

 

Caput 171 [70299] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 171 tit. Quod corpora caelestia cessabunt a motu


 [70300] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 171 Sed cum corpora caelestia continue moveri videantur, potest alicui videri quod si eorum substantia maneat, quod tunc et in illo consummationis statu moveantur.
Et quidem si ea ratione motus corporibus caelestibus adesset qua ratione adest elementis, rationabilis esset sermo. Motus enim elementalis gravibus vel levibus adest propter eorum perfectionem consequendam. Tendunt enim suo motu naturali in proprium locum sibi convenientem, ubi melius est eis esse: unde in illo ultimo consummationis statu unumquodque elementum et quaecumque pars eius in suo proprio loco erit. Sed hoc de motu corporum caelestium dici non potest, cum corpus caeleste nullo loco obtento quiescat, sed sicut naturaliter movetur ad quodcumque ubi, ita et naturaliter discedit ab eo. Sic ergo non deperit aliquid a corporibus caelestibus, si motus eis auferatur, ex quo motus eis non inest ut ipsa perficiantur. Ridiculum etiam est dicere, quod sicut corpus leve per suam naturam movetur sursum, ita corpus caeleste per suam naturam circulariter moveatur sicut per activum principium. Manifestum est enim quod natura semper intendit ad unum: unde illud quod ex sui ratione unitati repugnat, non potest esse finis ultimus naturae. Motus autem unitati repugnat, inquantum id quod movetur, alio et alio modo se habet dum movetur. Natura igitur non producit motum propter se ipsum, sed causat motum intendens terminum motus, sicut natura levis intendit locum sursum in ascensu, et sic de aliis. Cum igitur circularis caelestis corporis motus non sit ad aliquod ubi determinatum, non potest dici quod motus circularis corporis principium activum sit natura, sicut est principium motus gravium et levium. Unde manente eadem natura corporum caelestium, nihil prohibet ipsa quiescere, licet ignem impossibile est quiescere extra proprium locum existentem, dummodo remaneat eadem natura ipsius. Dicitur tamen motus caelestis corporis naturalis, non propter principium activum motus, sed propter ipsum mobile, quod habet aptitudinem ut sic moveatur. Relinquitur ergo quod motus corporis caelestis sit ab aliquo intellectu. Sed cum intellectus non moveat nisi ex intentione finis, considerare oportet quis sit finis motus corporum caelestium. Non autem potest dici quod ipse motus sit finis: motus enim cum sit via ad perfectionem, non habet rationem finis, sed magis eius quod est ad finem. Similiter etiam non potest dici quod renovatio situum sit terminus motus caelestis corporis, ut scilicet propter hoc caeleste corpus moveatur, ut omne ubi ad quod est in potentia, adipiscatur in actu, quia hoc infinitum est, infinitum autem repugnat rationi finis. Oportet igitur hinc considerare finem motus caeli. Manifestum est enim quod omne corpus motum ab intellectu est instrumentum ipsius. Finis autem motus instrumenti est forma a principali agente concepta, quae per motum instrumenti in actum reducitur. Forma autem divini intellectus, quam per motum caeli complet, est perfectio rerum per viam generationis et corruptionis. Generationis autem et corruptionis ultimus finis est nobilissima forma, quae est anima humana, cuius ultimus finis est vita aeterna, ut supra ostensum est. Est igitur ultimus finis motus caeli multiplicatio hominum producendorum ad vitam aeternam. Haec autem multitudo non potest esse infinita: nam intentio cuiuslibet intellectus stat in aliquo finito. Completo igitur numero hominum ad vitam aeternam producendorum, et eis in vita aeterna constitutis, motus caeli cessabit, sicut motus cuiuslibet instrumenti cessat postquam fuerit opus perfectum. Cessante autem motu caeli cessabit per consequens motus in inferioribus corporibus, nisi solum motus qui erit ab anima in hominibus: et sic totum universum corporeum habebit aliam dispositionem et formam, secundum illud I Corinth. VII, 31: praeterit figura huius mundi.

Chapitre 171 — LES CORPS CÉLESTES CESSERONT LEUR MOUVEMENT

 

Comme les astres se meuvent continuellement, on pourrait penser qu’alors leur substance demeurant, ils continueraient leur mouvement en ce stade d’achèvement Et à la vérité si le mouvement des astres est assimilé à celui des éléments cette position serait juste. En effet le mouvement des éléments est lourd ou léger en fonction de leur perfection. Ils tendent par leur mouvement naturel vers l’endroit qui leur convient pour leur meilleur être. D’où dans cet ultime stade d’achèvement chaque élément et chacune de ses parties aura son endroit propre. Mais on ne peut en dire autant des astres puisque le corps céleste ne peut reposer où que ce soit; mais de même qu’il a son mouvement naturel pour tout endroit, ainsi s’en écarte-t-il naturellement Comme le mouvement ne fait pas partie de leur perfection il peut leur être enlevé et donc rien n’est perdu chez eux.

Il est ridicule aussi de dire que de même qu’un corps léger se meut vers le haut de par sa nature, ainsi le corps céleste de par sa nature se meut circulairement comme par un principe actif. Il est manifeste en effet que la nature tend vers l’unité; d’où ce qui par définition répugne à l’unité ne peut être la fin dernière de la nature. Or c’est ce qui se produit dans le mouvement qui n’est jamais dans le même état. Donc la nature ne produit pas le mouvement pour lui-même mais elle le cause pour arriver au terme du mouvement, comme ce qui est léger tend vers le haut et ainsi du reste. Comme donc le mouvement circulaire d’un astre n’a pas de destination déterminée on ne peut dire que le principe actif du mouvement circulaire d’un corps soit sa nature comme il l’est du mouvement d’attraction des lourds et des légers. D’où leur nature demeurant rien n’empêche que les corps célestes cessent leur mouvement, bien que le feu tout en gardant sa nature ne puisse trouver du repos en dchors de son propre lieu. Cependant le mouvement d’un astre est dit naturel non qu’il ait en lui-même le principe de son mouvement, mais à cause du mobile lui-même qui est apte à un tel mouvement. Il reste donc qu’il faut attribuer son mouvement à une intelligence.

Mais comme l’intelligence ne meut qu’en vue d’une fin il faut chercher à savoir quelle est la fin du mouvement des astres. Or on ne peut pas dire que le mouvement lui-même soit une fin; le mouvement en effet étant une voie vers la perfection, il n’est pas une fin mais en vue d’une fin. Semblablement on ne peut dire que le changement de position est la fin du corps céleste, c’est-à-dire que son mouvement consisterait à être partout en acte où il est en puissance parce que cela est infini et- que l’infini ne peut être une fin.

On est donc amené à considérer la fin du mouvement céleste. En effet il est manifeste que tout corps mû par une intelligence est l’instrument de celle-ci. Or la fin du mouvement de l’instrument est la forme que conçoit l’agent et qui par le mouvement de l’instrument est réduite en acte. Or la fin que l’intelligence divine poursuit par le mouvement du ciel est la perfection des choses par génération et corruption; et l’ultime fin de cela est la plus noble des formes qui est l’âme humaine et dont la fin dernière est la vie éternelle, comme on l’a vu (chapitres 149 et 150).

L Donc la fin ultime du mouvement céleste est la multiplication des hommes pour la vie éternelle. Or cette multitude ne peut être infinie; car l’intention de toute intelligence s’arrête en quelque chose de fini. Une fois donc complet le nombre des hommes qui auront été produits pour la vie éternelle, et ceux-ci y étant établis, le mouvement céleste cessera, comme cesse le mouvement de tout instrument une fois l’oeuvre achevée. Le mouvement du ciel cessant cessera en conséquence le mouvement des corps inférieurs, seul excepté chez l’homme le mouvement à partir de l’âme. Et ainsi tout l’univers corporel aura une autre disposition et une autre forme, selon la ire aux Corinthiens : "La figure de ce monde passe" (7, 31).

 

La rétribution (chapitres 172-183)

Caput 172 [70301] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 172 tit. De praemio hominis secundum eius opera, vel miseria


 [70302] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 172 Considerandum est autem, quod si est determinata via perveniendi ad aliquem finem, illum consequi non possunt qui per contrariam viam incedunt, aut a via recta deficiunt.
Non enim sanatur aeger, si contrariis utatur, quae medicus prohibet, nisi forte per accidens. Est autem determinata via perveniendi ad felicitatem, per virtutem scilicet. Non enim consequitur aliquid finem suum, nisi quod sibi proprium est bene operando: neque enim planta fructum faceret, si naturalis operationis modus non servaretur in ipsa; neque cursor perveniret ad bravium, aut miles ad palmam, nisi uterque secundum proprium officium operaretur. Recte autem operari hominem propriam operationem est operari ipsum secundum virtutem: nam virtus uniuscuiusque rei est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit, ut dicitur II Ethic. Cum igitur ultimus finis hominis sit vita aeterna, de qua dictum est, non omnes ad eam perveniunt, sed soli qui secundum virtutem operantur. Praeterea. Est ostensum supra sub divina providentia contineri non solum naturalia, sed etiam res humanas, non in universali tantum, sed etiam in singulari. Ad eum autem qui singularium hominum curam habet, pertinet praemia virtuti reddere et poenas peccato: quia poena est medicina culpae et ordinativa ipsius, ut supra habitum est. Virtutis autem praemium felicitas est, quae ex bonitate divina homini datur. Pertinet ergo ad Deum his qui contra virtutem agunt, non felicitatem, sed contrarium in poenam reddere, scilicet extremam miseriam.

Chapitre 172 — DE LA RÉCOMPENSE OU DU MALHEUR DE L’HOMME SELON SES ŒUVRES

Nous considérons maintenant que si pour parvenir à une fin on doit suivre une voie déterminée ceux-là ne l’obtiendront pas qui marchent par une autre voie ou qui est contraire. En effet le malade ne guérit pas s’il utilise des moyens contraires et que le médecin défend ou ce sera alors fortuitement. Or il y a une voie déterminée pour parvenir à la béatitude et c’est la vertu. En effet rien n’aboutit à la fin qu’en accomplissant bien ce qui lui est propre. En effet la plante ne portera du fruit que si le mode de son opération naturelle se conserve en elle; ni le coureur ne parvient à conquérir la palme ou le soldat la victoire que si tous deux accomplissent leur tâche. Or l’homme remplit correctement son devoir s’il agit selon la vertu; car la vertu d’une chose est ce qui la rend bonne de même que son oeuvre, comme le dit Aristote (2 Eth. 6, 2). La vie éternelle étant la fin dernière de l’homme tous n’y parviennent que ceux qui pratiquent la vertu.

De plus on a montré (chapitres 123 à 135) que non seulement les choses naturelles sont sous la divine providence mais aussi les humaines et en général et en particulier. Or il appartient à celui qui prend soin de chacun de nous en particulier de récompenser la vertu et de punir le péché; car la peine est le remède de la faute et son expiation, comme on l’a vu (chapitre 121). Or la récompense de la vertu est la félicité que Dieu dans sa bonté accorde à l’homme.

Il appartient donc à Dieu de rendre à ceux qui agissent contrairement à la vertu non pas la fidélité mais au con traire le châtiment c’est-à-dire le malheur extrême.

 

 

Caput 173 [70303] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 173 tit. Quod praemium hominis est post hanc vitam, et similiter miseria


 [70304] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 173 Considerare autem oportet, quod contrariorum contrarii sunt effectus. Operationi autem secundum virtutem contraria est operatio secundum malitiam. Oportet igitur quod miseria, ad quam per operationem malitiae pervenitur, contraria sit felicitati, quam meretur operatio virtutis. Contraria autem sunt unius generis. Cum igitur felicitas ultima, ad quam pervenitur per operationem virtutis, non sit aliquod bonum huius vitae, sed post hanc vitam, ut ex supra dictis patet, consequens est ut ultima miseria, ad quam malitia perducit, sit aliquod malum post hanc vitam. Praeterea. Omnia bona vel mala huius vitae inveniuntur ad aliquid ordinari. Bona enim exteriora, et etiam bona corporalia organice deserviunt ad virtutem, quae est directe via perveniendi ad beatitudinem apud eos qui praedictis rebus bene utuntur; sicut et apud eos qui male eis utuntur, sunt instrumenta malitiae, per quam ad miseriam pervenitur, et similiter mala his opposita, ut puta infirmitas, paupertas et huiusmodi, quibusdam sunt ad profectum virtutis, aliis autem ad malitiae augmentum, secundum quod eis diversimode utuntur.
Quod autem ordinatur ad aliud, non est ultimus finis, quia neque ultimum praemium neque poena. Non igitur ultima felicitas, neque ultima miseria in bonis vel malis huius vitae consistit.

Chapitre 173 — LA RÉCOMPENSE ET LE CHÂTIMENT VIENNENT DANS L’AUTRE VIE

Posons en principe que des contraires ont des effets contraires. Or à l’action vertueuse s’oppose celle qui est malicieuse. Il faut donc que le châtiment auquel conduit l’action malicieuse soit le contraire de la félicité que mérite l’action vertueuse. Or les contraires ressortissent au même genre. Comme donc l’ultime bonheur qu’on obtient par une conduite vertueuse n’est pas un bien de la vie présente, mais vient après comme on l'a dit (chapitre 108) il s’en suit que l’ultime malheur auquel aboutit la malice est un châtiment dans l’autre vie.

En outre. On doit bien constater que tous les biens et tous les maux de cette vie ont une destination. Car les biens extérieurs et ceux mêmes du corps sont au service de la vertu qui est la voie directe vers la béatitude pour ceux qui font bon usage de ces choses; de même pour ceux qui en font mauvais usage, ils sont des instruments de leur malice qui conduit au malheur; et semblablement les maux qui sont à l’opposé, comme l’infirmité, la pauvreté et autres choses de ce genre pour certains profitent à la vertu, pour d’autres ils augmentent leur malice, selon la manière différente de les utiliser. Or ce qui est destiné à une autre chose ne peut être la fin dernière qui suppose la dernière récompense et la dernière peine. Et donc les biens et les maux de cette vie ne sont ni l’ultime félicité ni le dernier châtiment.

 

 

Caput 174 [70305] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 174 tit. In quo est miseria hominis quantum ad poenam damni


 [70306] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 174 Quia igitur miseria, ad quam ducit malitia, contrariatur felicitati, ad quam ducit virtus, oportet ea quae ad miseriam pertinent, sumere per oppositum eorum quae de felicitate sunt dicta. Dictum est autem superius quod ultima hominis felicitas, quantum ad intellectum quidem, consistit in plena Dei visione, quantum ad affectum vero in hoc quod voluntas hominis in prima bonitate sit immobiliter firmata. Erit igitur extrema miseria hominis in hoc quod intellectus totaliter divino lumine privetur, et affectus a Dei bonitate obstinate avertatur: et haec est praecipua miseria damnatorum, quae vocatur poena damni. Considerandum tamen est, quod, ut ex supradictis patet, malum non potest totaliter excludere bonum, cum omne malum in aliquo bono fundetur. Miseria igitur quamvis felicitati, quae ab omni malo erit immunis, opponatur, oportet tamen quod in bono naturae fundetur. Bonum autem intellectualis naturae in hoc consistit quod intellectus respiciat verum, et voluntas tendat in bonum.
Omne autem verum et omne bonum derivatur a primo et summo bono, quod Deus est. Unde oportet quod intellectus hominis in illa extrema miseria constituti, aliquam Dei cognitionem habeat, et aliquam Dei dilectionem; secundum scilicet quod est principium naturalium perfectionum, quae est naturalis dilectio, non autem secundum quod in se ipso est, neque secundum quod est principium virtutum, seu etiam gratiarum, et quorumcumque bonorum quibus intellectualis natura ab ipso perficitur, quae est perfectio virtutis et gloriae. Nec tamen homines in tali miseria constituti, libero arbitrio carent, quamvis habeant voluntatem immobiliter firmatam in malo, sicut nec beati, licet habeant voluntatem firmatam in bono. Libertas enim arbitrii proprie ad electionem se extendit, electio autem est eorum quae sunt ad finem, ultimus autem finis naturaliter appetitur ab unoquoque: unde omnes homines ex hoc quod sunt intellectuales, appetunt naturaliter felicitatem tanquam ultimum finem, et adeo immobiliter, quod nullus potest velle fieri miser. Nec hoc libertati repugnat arbitrii, quae non se extendit nisi ad ea quae sunt ad finem. Quod autem in hoc particulari hic homo ultimam suam felicitatem, ille autem in illo ponat, non convenit huic aut illi inquantum est homo, cum in tali aestimatione et appetitu homines differant, sed unicuique hoc competit secundum quod est in se aliqualis. Dico autem aliqualem, secundum aliquam passionem vel habitum: unde si transmutetur, aliud ei optimum videbitur. Et hoc maxime patet in his qui ex passione appetunt aliquid ut optimum, cessante autem passione, ut irae, vel concupiscentiae, non similiter iudicant illud bonum, ut prius. Habitus autem permanentiores sunt, unde firmius perseverant in his quae ex habitu prosequuntur. Tamen quandiu habitus mutari potest, etiam appetitus et aestimatio hominis de ultimo fine mutatur. Hoc autem convenit tantum hominibus in hac vita, in qua sunt in statu mutabilitatis: anima enim post hanc vitam intransmutabilis est secundum alterationem, quia huiusmodi transmutatio non competit ei nisi per accidens secundum aliquam transmutationem factam circa corpus. Resumpto vero corpore non sequetur ipsa mutatio corporis, sed potius e converso. Nunc enim anima infunditur corpori seminato, et ideo convenienter transmutationes corporis sequitur; tunc vero corpus unietur animae praeexistenti, unde totaliter sequetur eius conditiones. Anima igitur quemcumque finem sibi ultimum praestituisse invenitur in statu mortis, in eo fine perpetuo permanebit, appetens illud ut optimum, sive sit bonum sive sit malum, secundum illud Eccle. XI, v. 3: si ceciderit lignum ad Austrum, aut ad Aquilonem, in quocumque loco ceciderit, ibi erit. Sic igitur post hanc vitam qui boni in morte inveniuntur, habebunt perpetuo voluntatem firmatam in bono, qui autem mali tunc invenientur, erunt perpetuo obstinati in malo.

Chapitre 174 — LE CHÂTIMENT DE L’HOMME QUANT A LA PEINE DU DAM

Puisque le châtiment auquel conduit la malice est con traire à la félicité auquel conduit la vertu, on doit juger du châtiment par opposition à ce qui est dit de la félicité. Or on a vu (chapitres 104 à 107, 149, 164 à 166) que l’ultime bonheur de l’homme, en ce qui concerne l’intelligence consiste dans la pleine vision de Dieu, en ce qui concerne son affection dans la fermeté et l’immobilité de la volonté de l’homme en la bonté première. Donc le plus grand malheur de l’homme est que son intelligence sera totalement privée de la lumière divine et son affection obstinément détournée de la bonté divine; là est le malheur essentiel des damnés et qu’on appelle la peine du dam.

Cependant il faut considérer, comme on l’a vu (chapitre 118) que le mal n’exclut pas le bien totalement puisque tout mal a son fondement en quelque bien. Donc le mal heur bien qu’opposé au bonheur, exempt lui de tout mal, a son fondement en un bien naturel. Or le bien de la nature intellectuelle consiste en ce que l’intelligence regarde le vrai et que la volonté tende au bien. D’où il faut que l’intelligence de l’homme qui se trouve dans ce malheur extrême ait quelque connaissance et quelqu’amour de Dieu en tant qu’Il est le principe des perfections naturelles, ce qui est l’amour naturel, mais non selon qu’il est en lui-même, ni selon qu’Il est le principe des vertus ou encore des grâces et de tous les autres biens par lesquels la créature intellectuelle est par lui amenée à la perfection (et) qui est la perfection de la vertu et de la gloire.

On ne peut pas dire non plus que ces malheureux sont privés de liberté, même si leur volonté est inébranlablement affermie dans le mal, comme c’est le cas des bienheureux qui sont affermis dans le bien. Car la liberté s’étend proprement à l’élection de ce qui regarde la fin. Or la fin dernière est naturellement désirée de tous; d’où tous les hommes du fait qu’ils sont intelligents désirent naturellement le bonheur comme leur fin dernière, à ce point que personne ne peut vouloir être malheureux. Et cela ne répugne pas au libre arbitre qui s’étend seulement à ce qui conduit à la fin.

Qu’un tel mette son bonheur en tel bien particulier, tel autre en tel autre bien, cela ne leur vient pas en tant qu’hommes car dans telle estimation ou appétit les hommes sont différents, mais en ce que chacun est ainsi disposé c’est-à-dire selon quelque passion ou habitude. Que s’il vient à changer, une autre chose lui paraîtra bien meilleure. C’est ce qui apparaît surtout chez ceux qui par passion veulent quelque chose de meilleur; la passion ces sont, par exemple la colère ou la concupiscence, ils ne jugent plus de la même manière ce bien comme avant. Les habitus[41] sont plus tenaces et l’on persévère plus fermement dans ces choses qu’on recherche par habitus. Cependant aussi longtemps qu’un habitus peut changer, l’appétit et l’appréciation de l’homme pour la fin dernière peuvent aussi changer.

Or ceci ne peut arriver aux hommes qu’en cette vie où ils sont en état de changement; en effet après cette vie l’âme ne peut plus changer et prendre un autre parti parce qu’un tel changement n’est possible qu’incidemment selon un certain changement concernant le corps. Mais après avoir repris le corps le changement même du corps ne suivra pas mais plutôt le contraire. Maintenant en effet l’âme est infusée à un corps en croissance et donc elle s’adapte aux changements du corps. Alors le corps sera uni à l’âme préexistante; d’où il suivra totalement ses conditions. Donc l’âme selon qu’il lui sera proposé telle ou telle fin au moment de la mort y demeurera à jamais, la désirant comme ce qu’il y a de mieux, soit bonne soit mauvaise, selon ce que dit l’Ecclésiaste : "Si l’arbre tombe au sud ou au nord, ou quelqu’autre lieu, il y sera" (11, 3). Ainsi donc après cette vie ceux qui seront trouvés bons dans la mort auront pour toujours leur volonté confirmée dans le bien, ceux qui seront trouvés mauvais seront pour toujours obstinés dans le mal.

 

 

Caput 175 [70307] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 175 tit. Quod peccata mortalia non dimittuntur post hanc vitam, sed bene venialia


 [70308] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 175 Ex hoc autem considerari potest, quod peccata mortalia post hanc vitam non dimittuntur, venialia vero dimittuntur. Nam peccata mortalia sunt per aversionem a fine ultimo, circa quem homo immobiliter firmatur post mortem, ut dictum est, peccata vero venialia non respiciunt ultimum finem, sed viam ad finem ultimum. Sed si voluntas malorum post mortem obstinate firmatur in malo, semper appetent ut optimum quod prius appetierunt. Non ergo dolebunt se peccasse: nullus enim dolet se prosecutum esse quod aestimat esse optimum.
Sed sciendum est, quod damnati ad ultimam miseriam, ea quae appetierant ut optima, habere post mortem non poterunt: non enim ibi dabitur luxuriosis facultas luxuriandi, aut invidis facultas offendendi et impediendi alios, et idem est de singulis vitiis. Cognoscent autem, eos qui secundum virtutem vixerunt, se obtinere quod appetierant ut optimum. Dolent ergo mali quia peccata commiserunt, non propter hoc quia peccata eis displiceant, quia etiam tunc mallent peccata illa committere, si facultas daretur, quam Deum habere; sed propter hoc quod illud quod elegerunt, habere non possunt, et illud quod respuerunt, possent habere. Sic igitur et voluntas eorum perpetuo manebit obstinata in malo, et tamen gravissime dolebunt de culpa commissa, et de gloria amissa: et hic dolor vocatur remorsus conscientiae, qui metaphorice in Scripturis vermis nominatur, secundum illud Isaiae ult. 24: vermis eorum non morietur.

Chapitre 175 — LES PÉCHÉS MORTELS NE SONT PAS REMIS APRÈS CE VIE, MAIS BIEN LES VÉNIELS

Les péchés mortels sont une aversion de la fin dernière à l’endroit de laquelle l’homme est affermi inébranlablement après la mort comme on l’a dit (chapitres 166 et 174); or les péchés véniels n’ont pas trait à la fin dernière mais à ce qui mène à la fin. Mais si la volonté des méchants est affermie obstinément dans le mal après la mort, ils désireront toujours comme le meilleur ce qu’ils auront recherché. Ils ne regretteront pas d’avoir péché; car personne ne regrette avoir recherché ce qu’il estime être le meilleur. Mais il faut bien savoir que ceux qui sont condamnés à l’extrême malheur n’obtiendront pas après la mort ce qu’ils ont désiré comme le meilleur : il ne sera pas donné aux luxurieux de pouvoir l’être encore, aux envieux le pouvoir de blesser et d’entraver les autres et ainsi des autres vices. Mais ils sauront que ceux qui ont vécu selon la vertu ont obtenu ce qu’ils désiraient comme le meilleur. Les méchants regretteront donc d’avoir péché non que leurs péchés leur déplaisent — car même alors ils préfèreraient commettre ces péchés s’ils le pouvaient que de posséder Dieu — mais parce qu’ils ne peuvent avoir ce qu’ils ont choisi et qu’ils auraient pu avoir ce qu’ils ont rejeté. Ainsi donc leur volonté demeurera toujours obstinée dans le mal et cependant ils regretteront extrêmement les fautes commises et d’avoir perdu la gloire. Et cette douleur est appelée remords de la conscience, qui métaphoriquement est appelé ver, selon ce que dit Isaïe : "Leur ver ne mourra pas."

 

 

Caput 176 [70309] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 176 tit. Quod corpora damnatorum erunt passibilia et tamen integra, et sine dotibus


 [70310] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 176 Sicut autem in sanctis beatitudo animae quodammodo ad corpora derivatur, ut supra dictum est, ita etiam miseria animae derivabitur ad corpora damnatorum: hoc tamen observato, quod sicut miseria bonum naturae non excludit ab anima, ita nec etiam a corpore. Erunt igitur corpora damnatorum integra in sui natura, non tamen illas conditiones habebunt quae pertinent ad gloriam beatorum: non enim erunt subtilia et impassibilia, sed magis in sua grossitie et passibilitate remanebunt, et augebuntur in eis; non erunt agilia, sed vix ab anima portabilia; non erunt clara, sed obscura, ut obscuritas animae in corporibus demonstretur, secundum illud Isaiae XIII, 8: facies combustae vultus eorum.

Chapitre 176 — LES CORPS DES DAMNÉS SOUFFRIRONT ET DEMEURERONT INTACTS SANS LES DONS

De même que chez les saints la béatitude de l’âme rebondit en quelque sorte sur le corps, comme on l’a dit (chapitre 168), ainsi aussi la misère de l’âme retombe sur les corps des damnés tout en observant qu’elle n’exclut pas le bien naturel de l’âme et de même pour le corps. Donc les corps des damnés seront intacts naturellement mais ne jouiront pas des privilèges qui sont attachés à la gloire des bienheureux; ils ne seront ni subtils ni impassibles mais garderont leur lourdeur et leur souffrance qui seront aggravées; ils ne seront pas agiles mais à peine supportables à l’âme; ils seront sans clarté mais obscurs comme pour manifester dans leurs corps l’obscurité où se trouve l’âme selon ce que dit Isaïe "Faces brûlées que leur visages" (13, 8).

 

 

Caput 177 [70311] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 177 tit. Quod corpora damnatorum, licet passibilia, erunt tamen incorruptibilia


 [70312] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 177 Sciendum tamen est, quod licet damnatorum corpora passibilia sint futura, non tamen corrumpentur, quamvis hoc esse videatur contra rationem eorum quae nunc experimur, nam passio magis facta abiicit a substantia.
Erit tamen tunc duplex ratio quare passio in perpetuum continuata passibilia corpora non corrumpet. Prima quidem quia cessante motu caeli, ut supra dictum est, necesse est omnem mutationem naturae cessare. Non igitur aliquod alterari poterit alteratione naturae, sed solum alteratione animae. Dico autem alterationem naturae, sicut cum aliquid ex calido fit frigidum, vel qualitercumque variatur secundum naturale esse qualitatum. Alterationem autem animae dico, sicut cum aliquid recipit qualitatem non secundum esse ipsius spirituale, sicut pupilla non recipit formam coloris ut sit colorata, sed ut colorem sentiat. Sic igitur et corpora damnatorum patientur ab igne, vel a quocumque alio corporeo, non ut alterentur ad speciem vel qualitatem ignis, sed ut sentiant excellentias qualitatum eius: et hoc erit afflictivum, inquantum huiusmodi excellentiae contrariantur harmoniae, in qua consistit et delectantur sensus; non tamen erit corruptivum, quia spiritualis receptio formarum naturam corporis non transmutat, nisi forte per accidens. Secunda ratio erit ex parte animae, ad cuius perpetuitatem corpus trahetur divina virtute: unde anima damnati, inquantum est forma et natura talis corporis, dabit ei esse perpetuum; non tamen dabit ei ut pati non possit, propter suam imperfectionem. Sic igitur semper patiuntur illa corpora, non tamen corrumpuntur.

Chapitre 177 — LES CORPS DES DAMNÉS QUOIQUE SOUFFRANT DEMEURERONT INCORRUPTIBLES

 

Cela semble contredire ce que nous expérimentons actuellement car "plus la souffrance augmente plus le sujet diminue"[42]. Il y aura cependant alors une double raison à ce que la souffrance continue et perpétuelle ne corrompra pas les corps.

La première est que le mouvement du ciel cessant, comme on l’a vu (chapitre 171) toute mutation naturelle ces sera. Il n’y aura donc plus d’altération naturelle mais seulement de l’âme. Altération naturelle s’entend par exemple le passage du chaud au froid ou ce qui de quelque façon varie selon sa qualité naturelle. Altération de l’âme s’entend quand quelque chose acquiert une qualité non pas dans son état naturel mais immatérialisé, comme la pupille de l’oeil qui ne reçoit pas la couleur comme telle mais en est impressionnée. Ainsi donc les corps des dam nés souffrirons du feu ou de tout autre élément corporel, non qu’ils soient changés en l’espèce ou qualité du feu mais ils seront impressionnés par l’excellence de ses qualités et là sera leur affliction en tant que cette excellence contrariera l’harmonie dont est fait le plaisir sensible. Cependant il n’y aura aucune corruption car l’impression immatérielle des formes ne transforme pas la nature corporelle autrement qu’accidentelle".

La seconde raison se trouve du côté de l’âme dont l’immortalité sera transmise au corps par un effet divin. D’où l’âme en tant que forme et nature de tel corps lui conférera un être perpétuel; cependant elle ne pourra pas l’empêcher de souffrir n’en ayant pas la faculté. Ainsi donc ces corps souffriront éternellement sans cependant se corrompre.

 

 

Caput 178 [70313] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 178 tit. Quod poena damnatorum est in malis ante resurrectionem


 [70314] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 178 Sic igitur secundum praedicta patet quod tam felicitas quam miseria principaliter consistit in anima; secundario autem et per quamdam derivationem in corpore. Non igitur felicitas vel miseria animae dependet ex felicitate vel miseria corporis, sed magis e converso. Cum igitur post mortem animae remaneant ante resumptionem corporum, quaedam quidem cum merito beatitudinis, quaedam autem cum merito miseriae, manifestum est quod etiam ante resumptionem, animae quorumdam praedicta felicitate potiuntur, secundum illud apostoli II Corinth. V, 1: scimus quoniam si terrestris domus nostra huius habitationis dissolvatur, quod aedificationem ex Deo habemus domum non manufactam, sed aeternam in caelis; et infra: audemus autem, et bonam voluntatem habemus magis peregrinari a corpore, et praesentes esse ad dominum. Quorumdam vero animae in miseria vivent, secundum illud Luc. XVI, 22: mortuus est dives, et sepultus in Inferno.

 

Chapitre 178 — LE CHÂTIMENT DES DAMNÉS EXISTE AVANT MÊME LA RÉSURRECTION

Ainsi donc selon ce qu’on vient de voir il est clair que la félicité ou le châtiment consistent principalement dans l’âme; accessoirement et par une sorte de dérivation dans le corps. Donc le bonheur ou le malheur de l’âme ne dépendent pas du corps heureux ou malheureux mais plu tôt à l’inverse. Comme donc après la mort les âmes subsistent avant de reprendre leur corps, les unes avec la béatitude comme récompense, les autres avec le malheur comme châtiment, il est manifeste qu’avant même d’avoir repris le corps, les âmes des uns jouiront de la dite féli cité, selon l’Apôtre : "Nous savons que si notre demeure terrestre où nous habitons se dissout, nous avons de Dieu un édifice, une maison non faite de mains d’homme mais éternelle dans le ciel" (2 Cor 5, 1) et il continue : "Nous avons la hardiesse et une bonne raison de préférer sortir du corps pour être présents au Seigneur". D’autres âmes vivront malheureuses, selon Luc "Le riche mourut et fut enseveli en enfer" (16, 22).

 

 

Caput 179 [70315] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 179 tit. Quod poena damnatorum est in malis tam spiritualibus, quam corporalibus


 [70316] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 179 Considerandum tamen est, quod sanctarum animarum felicitas, in solis bonis spiritualibus erit, poena vero animarum damnatarum ante resurrectionem non solum erit in malis spiritualibus, ut aliqui putaverunt, sed etiam poenas corporeas sustinebunt. Cuius diversitatis ratio est, quia animae sanctorum dum in hoc mundo fuerunt corporibus unitae, suum ordinem servaverunt, se rebus corporalibus non subiiciendo, sed soli Deo, in cuius fruitione tota eorum felicitas consistit, non autem in aliquibus corporalibus bonis; malorum autem animae, naturae ordine non servato, se per affectum rebus corporalibus subdiderunt, divina et spiritualia contemnentes. Unde consequens est ut puniantur non solum ex privatione spiritualium bonorum, sed etiam per hoc quod rebus corporalibus subdantur. Et ideo si qua in Scripturis sacris inveniantur quae sanctis animabus corporalium bonorum retributionem promittant, mystice sunt exponenda, secundum quod in praedictis Scripturis spiritualia sub corporalium similitudine designari solent.
Quae vero animabus damnatorum praenuntiant poenas corporeas, utpote quod ab igne Inferni cruciabuntur, sunt secundum litteram intelligenda.

Chapitre 179 — LA PEINE DES DAMNÉS EST CORPORELLE ET SPIRITUELLE

Il faut cependant savoir que le bonheur des âmes sain tes consiste en choses spirituelles; mais la peine des dam nés avant la résurrection ne sera pas seulement spirituelle, comme certains l’ont pensé, mais ils auront aussi à subir des peines corporelles. La raison de cette différence est que les âmes des saints tant qu’elles furent en ce monde unies au corps ont observé l’ordre en ne se soumettant pas aux appétits du corps, mais à Dieu seul dont la jouissance est cause de toute félicité et non dans des biens du corps; les âmes des méchants n’ayant pas observé l’ordre naturel se sont attachées aux choses corporelles tout en méprisant les choses divines et spirituelles. D’où la conséquence qu’elles sont punies non seulement en la privation des biens spirituels mais aussi en étant assujetties aux choses corporelles.

Si donc il se trouve dans les Saintes Écritures des promesses de biens corporels comme rétribution des âmes saintes elles doivent être exposées au sens mystique selon que dans ces textes les choses spirituelles sont habituellement comparées aux choses corporelles. Mais ce qu’elles prédisent des peines corporelles infligées aux âmes des damnés, comme d’être tourmentées du feu de l’enfer, cela doit être interprété littéralement.

 

 

Caput 180 [70317] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 180 tit. Utrum anima possit pati ab igne corporeo


 [70318] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 180 Ne autem alicui absurdum videatur, animam a corpore separatam ab igne corporeo pati, considerandum est, non esse contra naturam spiritualis substantiae alligari corpori. Hoc enim et per naturam fit, sicut patet in unione animae ad corpus, et per magicas artes, per quas aliquis spiritus imaginibus aut anulis, aut aliquibus huiusmodi alligatur. Hoc igitur ex divina virtute fieri potest ut aliquae spirituales substantiae, quamvis secundum suam naturam sint super omnia corporalia elevatae, aliquibus corporibus alligentur, utputa igni infernali, non ita quod ipsum vivificent, sed quod eo quodammodo adstringantur: et hoc ipsum considerandum a spirituali substantia, quod scilicet creaturae infimae quodammodo subditur, ei est afflictivum. Inquantum igitur huiusmodi consideratio est spiritualis substantiae afflictiva, verificatur quod dicitur, quod anima eo ipso quod se aspicit cremari crematur; et iterum quod ille ignis spiritualis sit, nam immediatum affligens est ignis apprehensus ut alligans. Inquantum vero ignis cui alligatur, corporeus est, sic verificatur quod dicitur a Gregorio, quod anima non solum videndo, sed etiam experiendo ignem patitur. Et quia ignis ille non ex sua natura, sed ex virtute divina habet quod spiritualem substantiam alligare possit, convenienter dicitur a quibusdam, quod ignis ille agit in animam ut instrumentum divinae iustitiae vindicantis, non quidem ita quod agat in spiritualem substantiam, sicut agit in corpora calefaciendo, desiccando, dissolvendo, sed alligando, ut dictum est.
Et quia proximum afflictivum spiritualis substantiae, est apprehensio ignis alligantis in poenam, manifeste perpendi potest, quod afflictio non cessat, etiam si ad horam dispensative contingat spiritualem substantiam igne non ligari, sicut aliquis qui esset ad perpetua vincula damnatus, ex hoc continuam afflictionem non minus sentiret, etiam si ad horam a vinculis solveretur.

Chapitre 180 — L’ÂME PEUT-ELLE SOUFFRIR DU FEU ?

Pour qu’on ne puisse pas trouver absurde que l’âme séparée du corps souffre du feu il faut considérer qu’il n’y a rien de contraire à ce qu’une nature spirituelle soit liée à un corps. En effet cela se fait aussi par nature, comme il appert dans l’union de l’âme et du corps; et par la magie par laquelle un esprit est attaché à des statues, des anneaux ou autres choses. Cela donc peut aussi se produire par la vertu divine que des substances spirituelles, bien que selon leur nature elles soient élevées au- dessus de tous les êtres corporels, puissent être liées à des corps, par exemple au feu infernal non qu’elles l’animent mais parce qu’elles lui sont en quelque sorte astreintes. Et d’être ainsi soumise en quelque sorte à une nature inférieure, c’est une affliction pour une substance spirituelle.

En tant donc qu’une telle appréhension est afflictive pour une substance spirituelle se vérifie ce qu’on dit que l’âme brûle du fait même qu’elle se voit brûler; et de plus ce feu est spirituel, car il afflige directement, le feu, qui est saisi comme si on y était attaché. En tant que le feu, auquel elle est liée, est corporel, se vérifie ce que dit Grégoire (Dial. 4, 29) que l’âme non seulement en le voyant mais aussi en l’expérimentant souffre du feu. Et parce que ce feu, non de sa nature mais par la vertu divine, peut s’attaquer à une substance spirituelle, d’aucuns disent justement, que ce feu agit sur l’âme comme instrument de vengeance de la divine justice; mais il n’agit pas sur la substance spirituelle comme sur les corps en les échauffant, les séchant, les dissolvant mais en s’y attachant comme on vient de le dire. Et parce que ce qui afflige le plus une substance spirituelle est l’appréhension d’un feu qui se l’attache pour la châtier on peut alors se rendre compte que son affliction ne cesse pas, même si pour un moment elle en était dispensée, comme celui qui serait condamné à la prison perpétuelle n’en sentirait pas moins une souffrance continue même si pour un instant il était mis en liberté.

 

 

Caput 181 [70319] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 181 tit. Quod post hanc vitam sunt quaedam purgatoriae poenae non aeternae, ad implendas poenitentias de mortalibus non impletas in vita


 [70320] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 181 Licet autem aliquae animae statim cum a corporibus absolvuntur, beatitudinem aeternam consequantur, ut dictum est, aliquae tamen ab hac consecutione retardantur ad tempus.
Contingit enim quandoque aliquos pro peccatis commissis, de quibus tamen finaliter poenitent, poenitentiam non implevisse in hac vita. Et quia ordo divinae iustitiae habet ut pro culpis poenae reddantur, oportet dicere, quod post hanc vitam animae poenam exsolvunt quam in hoc mundo non exsolverunt: non autem ita quod ad ultimam miseriam damnatorum deveniant, cum per poenitentiam ad statum caritatis sint reductae, per quam Deo sicut ultimo fini adhaeserunt, per quod vitam aeternam meruerunt: unde relinquitur post hanc vitam esse quasdam purgatorias poenas, quibus poenitentiae implentur non impletae.

Chapitre 181 — APRÈS CETTE VIE IL Y A DES PEINES PURIFICATRICES NON ÉTERNELLES POUR EXPIER LES PEINES DUES AUX PÉCHÉS MORTELS NON SATISFAITES EN CETFE VIE

Bien qu’il se trouve des âmes qui aussitôt libérées de leur corps obtiennent la béatitude éternelle, comme on l’a vu (chapitre 178), cependant d’aucunes sont retardées pour un temps. Il arrive en effet que certains pour des péchés commis, dont ils se sont enfin repentis, n’ont pas fait pénitence en cette vie. Et parce que l’ordre de la justice divine veut que pour les fautes il y ait une peine, il faut bien qu’après cette vie leurs âmes expient la peine qu’ils n’ont pas satisfaite en ce monde. Mais elles ne sont pas réduites à l’extrême misère des damnés puisque par la pénitence elles ont été ramenées à l’état de charité par quoi elles adhérèrent à Dieu comme à leur fin dernière et méritèrent la vie éternelle. D’où il reste après cette vie des peines purificatrices pour satisfaire aux peines non expiées.

 

 

Caput 182 [70321] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 182 tit. Quod sunt aliquae poenae purgatoriae etiam venialium


 [70322] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 182 Similiter etiam contingit aliquos ex hac vita decedere sine peccato mortali, sed tamen cum peccato veniali, per quod ab ultimo fine non avertuntur, licet circa ea quae sunt ad finem, indebite inhaerendo peccaverint: quae quidem peccata in quibusdam viris perfectis ex fervore caritatis purgantur. In aliis autem oportet per aliquam poenam huiusmodi peccata purgari, quia ad vitam aeternam consequendam non perducitur nisi qui ab omni peccato et defectu fuerit immunis. Oportet igitur ponere purgatorias poenas post hanc vitam. Habent autem istae poenae quod sint purgatoriae ex conditione eorum qui eas patiuntur, in quibus est caritas per quam voluntatem suam divinae voluntati conformant, ex cuius caritatis virtute poenae quas patiuntur, eis ad purgationem prosunt: unde in iis qui sine caritate sunt, sicut in damnatis, poenae non purgant, sed semper imperfectio peccati remanet, et ideo semper poena durat.

Chapitre 182 — LES PÉCHÉS VÉNIELS DOIVENT AUSSI AVOIR LEUR PURIFICATION

Semblablement il arrive aussi que d’aucuns soient décédés de cette vie sans péché mortel mais cependant avec quelque péché véniel qui ne les détourne pas de leur fin dernière bien que ce soit sur ce qui mène à la fin par un attachement coupable. Ces péchés à la vérité chez quelques saints personnages ont été effacés par la ferveur de leur charité. Mais chez les autres ils doivent purger ces péchés par quelque, peine car on ne parvient à obtenir la vie éternelle que si l’on est exempt de tout péché et défaut. Il faut donc admettre des peines purificatrices après cette vie.

Mais ces peines ont leur effet de purification selon la condition de ceux qui les subissent; or ils ont la charité par laquelle ils sont conformes à la volonté de Dieu et par la vertu de cette charité les peines qu’ils endurent leur sont utiles pour les purifier. D’où ceux qui n’ont pas la charité, comme sont les damnés, les peines ne les purifient pas, mais l’imperfection du péché demeure et donc la peine dure toujours.

 

 

Caput 183 [70323] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 183 tit. Utrum aeternam poenam pati repugnet iustitiae divinae, cum culpa fuerit temporalis


 [70324] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 183 Non autem est contra rationem divinae iustitiae ut aliquis poenam perpetuam patiatur, quia nec secundum leges humanas hoc exigitur ut poena commensuretur culpae in tempore. Nam pro peccato adulterii vel homicidii, quod in tempore brevi committitur, lex humana infert quandoque perpetuum exilium, aut etiam mortem, per quae aliquis in perpetuum a societate civitatis excluditur: et quod exilium non in perpetuum duret, hoc per accidens contingit, quia vita hominis non est perpetua, sed intentio iudicis ad hoc esse videtur ut eum, sicut potest, perpetuo puniat.
Unde etiam non est iniustum, si pro momentaneo peccato et temporali Deus aeternam poenam infert. Similiter etiam considerandum est, quod peccatori poena aeterna infertur, quem de peccato non poenitet, et sic in ipso usque ad mortem perdurat. Et quia in suo aeterno peccat, rationabiliter a Deo in aeternum punitur. Habet etiam et quodlibet peccatum contra Deum commissum quandam infinitatem ex parte Dei, contra quem committitur. Manifestum est enim quod quanto maior persona est contra quam peccatur, tanto peccatum est gravius, sicut qui dat alapam militi, gravius reputatur quam si daret rustico, et adhuc multo gravius si principi vel regi. Et sic cum Deus sit infinite magnus, offensa contra ipsum commissa est quodammodo infinita, unde et aliqualiter poena infinita ei debetur. Non autem potest esse poena infinita intensive, quia nihil creatum sic infinitum esse potest. Unde relinquitur quod peccato mortali debetur poena infinita duratione. Item. Ei qui corrigi potest, poena temporalis infertur ad eius correctionem vel purgationem. Si igitur aliquis a peccato corrigi non potest, sed voluntas eius obstinate firmata est in peccato, sicut supra de damnatis dictum est, eius poena terminari non debet.

Chapitre 183 — POUR UNE FAUTE TEMPORELLE, RÉPUGNE-T-IL A LA JUSTICE DIVINE QU’ON SUBISSE UNE PEINE ÉTERNELLE ?

Ce n’est pas contraire à la justice divine que quelqu’un subisse une peine éternelle, car même les lois humaines ne font pas dépendre une peine en la mesurant au temps. En effet pour le péché d’adultère ou d’homicide commis en un court moment, la loi humaine fait encourir parfois l’exil ou même la mort; ce qui sépare pour toujours de la société civile; que si cet exil ne dure pas pour toujours c’est accidentel puisque la vie humaine n’est pas perpétuelle, mais l’intention du juge semble bien tendre, autant que possible, à punir pour toujours. D’où il n’y a rien d’injuste si pour un péché momentané et temporel Dieu décide une peine éternelle.

Semblablement il faut admettre que la peine est infligée au pécheur qui ne se repent pas de son péché et qui donc perdure en lui jusqu’à la mort. Et comme il pèche dans son être éternel il est rationnel que Dieu le punisse éternellement.

Tout péché commis contre Dieu revêt une sorte d’infinité par rapport à Dieu. Il est manifeste en effet que la personne offensée plus elle est importante plus aussi l’offense est grave : celui qui gifle un soldat est plus gravement coupable que s’il donne ce soufflet à un rustre; et encore davantage s’il s’agit d’un prince ou d’un roi. Or comme Dieu est infiniment plus grand, l’offense commise contre Lui est en quelque sorte infinie, d’où une peine en somme infinie lui est-elle due. Mais la peine n’est pas infinie en intensité parce que rien de créé ne peut être infini. D’où il reste qu’une peine de durée infinie est due pour le péché mortel.

De même. A celui qui peut être corrigé on inflige une peine temporelle pour sa correction ou amendement. Si, donc quelqu’un ne peut être corrigé, mais que sa volonté reste obstinément affermie dans le péché, comme on l’a dit des damnés (chapitre 174 et 175), sa peine ne peut avoir de terme final.

 

 

Caput 184 [70325] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 184 tit. Quod praedicta conveniunt etiam aliis spiritualibus substantiis, sicut animabus


 [70326] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 184 Quia vero homo in natura intellectuali cum Angelis convenit, in quibus etiam potest esse peccatum, sicut et in hominibus, ut supra dictum est, quaecumque dicta sunt de poena vel gloria animarum, intelligenda etiam sunt de gloria bonorum et poena malorum Angelorum. Hoc tamen solum inter homines et Angelos differt, quod confirmationem voluntatis in bono et obstinationem in malo, animae quidem humanae habent cum a corpore separantur, sicut supra dictum est, Angeli vero quando primo cum voluntate deliberata sibi finem praestituerunt vel Deum vel aliquid creatum, et ex tunc beati vel miseri facti sunt.
In animabus enim humanis mutabilitas esse potest non solum ex libertate voluntatis, sed etiam ex mutabilitate corporis, in Angelis vero ex sola libertate arbitrii. Et ideo Angeli ex prima electione immutabilitatem consequuntur, animae vero non nisi cum fuerint a corporibus exutae. Ad ostendendum igitur remunerationem bonorum, in symbolo fidei dicitur, vitam aeternam: quae quidem non est intelligenda aeterna solum propter durationem, sed magis propter aeternitatis fruitionem. Sed quia circa hoc etiam alia multa credenda occurrunt quae dicta sunt de poenis damnatorum et de finali statu mundi, ut omnia hic comprehenderentur, in symbolo patrum positum est: vitam futuri saeculi: futurum enim saeculum omnia huiusmodi comprehendit.

Chapitre 184 — CE QU’ON A DIT PRÉCÉDEMMENT CONVIENT AUSSI AUX AUTRES SUBSTANCES SPIRITUELLES COMME AUX ÂMES

Comme l’homme en sa qualité de nature spirituelle est comparable à l’ange chez qui peut aussi se trouver le péché comme aussi chez les hommes, comme on l’a vu (chapitre 112 et 120), tout ce qui est dit de la peine ou 4e la gloire des âmes doit être entendu de la gloire des bons et de la peine des mauvais anges. Cependant il y a cette différence entre les hommes et les anges que la confirmation de la volonté dans le bien et l’obstination dans le mal de l’âme humaine a lieu lorsqu’elle se sépare du corps, comme on l’a vu (chapitre 174) tandis que les anges aussitôt que de volonté délibérée ils ont fixé leur fin en Dieu ou dans le créé, dès ce moment ils sont bons ou mauvais, bienheureux ou malheureux. En effet dans l’âme humaine le changement est possible non seulement selon la liberté volontaire, mais de par la mutation corporelle; chez les anges seul le libre arbitre décide. Et donc chez eux dès le premier choix sont-ils immuablement fixés tandis que nos âmes le sont seulement après leur séparation du corps.

Donc c’est pour exprimer la récompense des bons qu’il est dit dans le Symbole de la Foi : "La vie éternelle". Cette vie, ne doit pas être seulement comprise quant à sa durée mais plutôt à cause de la jouissance éternelle. Mais comme à ce propos beaucoup d’autres choses sont à croire, et qu’on a dites au sujet des peines des damnés et de la fin du monde, pour résumer tout cela il est         dit au Symbole des Pères : "La vie du siècle futur". Car          le siècle futur comprend toutes ces choses.

 

 

liber I a capite CLXXXV ad CCXLVI

SECOND TRAITÉ — L'HUMANITE DU CHRIST

Caput 185 [70327] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 185 tit. De fide ad humanitatem Christi


 [70328] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 185 Quia vero, sicut in principio dictum est, Christiana fides circa duo praecipue versatur, scilicet circa divinitatem Trinitatis, et circa humanitatem Christi, praemissis his quae ad divinitatem pertinent et effectus eius, considerandum restat de his quae pertinent ad humanitatem Christi. Et quia, ut dicit apostolus, I ad Timoth. I, 15: Christus Iesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere, praemittendum videtur quomodo humanum genus in peccatum incidit, ut sic evidentius agnoscatur quomodo per Christi humanitatem homines a peccatis liberantur.

Chapitre 185 — DE LA FOI DANS L’HUMANITÈ DU CHRIST

Comme on l’a dit au commencement, la foi chrétienne s’occupe principalement de deux choses : c’est-à-dire de la divine trinité et de l’humanité du Christ. Après avoir traité de la divinité et de ses effets, il reste à considérer ce qui a trait à l’humanité du Christ. Et comme l’Apôtre dit que le Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs (1 Tim 1, 15) il faut au préalable considérer ce que fut la chute du genre humain dans le péché afin que soit connu ‘avec plus d’évidence comment l’humanité du Christ a délivré les hommes de leurs péchés.

 

A — Le régne du péché (chapitre 186 à 198)

Caput 186 [70329] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 186 tit. De praeceptis datis primo homini, et eius perfectione in primo statu


 [70330] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 186 Sicut supra dictum est, homo in sui conditione taliter institutus fuit a Deo, ut corpus omnino esset animae subiectum: rursumque inter partes animae, inferiores vires rationi absque repugnantia subiicerentur, et ipsa ratio hominis esset Deo subiecta. Ex hoc autem quod corpus erat animae subiectum, contingebat quod nulla passio in corpore posset accidere quae dominio animae super corpus repugnaret, unde nec mors nec infirmitas in homine locum habebat. Ex subiectione vero inferiorum virium ad rationem erat in homine omnimoda mentis tranquillitas, quia ratio humana nullis inordinatis passionibus turbabatur. Ex hoc vero quod voluntas hominis erat Deo subiecta, homo referebat omnia in Deum sicut in ultimum finem, in quo eius iustitia et innocentia consistebat. Horum autem trium ultimum erat causa aliorum. Non enim hoc erat ex natura corporis, si eius componentia considerentur, quod in eo dissolutio sive quaecumque passio vitae repugnans locum non haberet, cum esset ex contrariis elementis compositum. Similiter etiam non erat ex natura animae quod vires etiam sensibiles absque repugnantia rationi subiicerentur, cum vires sensibiles naturaliter moveantur in ea quae sunt delectabilia secundum sensum, quae multoties rectae rationi repugnant. Erat igitur hoc ex virtute superiori, scilicet Dei, qui sicut animam rationabilem corpori coniunxit, omnem proportionem corporis et corporearum virtutum, cuiusmodi sunt vires sensibiles, transcendentem, ita dedit animae rationali virtutem ut supra conditionem corporis ipsum continere posset et vires sensibiles, secundum quod rationali animae competebat. Ut igitur ratio inferiora sub se firmiter contineret, oportebat quod ipsa firmiter sub Deo contineretur, a quo virtutem praedictam habebat supra conditionem naturae. Fuit ergo homo sic institutus ut nisi ratio eius subduceretur a Deo, neque corpus eius subduci poterat a nutu animae, neque vires sensibiles a rectitudine rationis: unde quaedam immortalis vita et impassibilis erat, quia scilicet nec mori nec pati poterat, si non peccaret. Peccare vero poterat voluntate eius nondum confirmata per adeptionem ultimi finis, et sub hoc eventu poterat mori et pati. Et in hoc differt impassibilitas et immortalitas quam primus homo habuit, ab ea quam in resurrectione sancti habebunt, qui nunquam poterunt nec pati nec mori, voluntate eorum omnino confirmata in Deum, sicut supra dictum est. Differebat etiam quoad aliud, quia post resurrectionem homines nec cibis nec venereis utentur, primus autem homo sic conditus fuit ut necesse haberet vitam cibis sustentare, et ei incumberet generationi operam dare, ut genus humanum multiplicaretur ex uno. Unde duo praecepta accepit in sui conditione. Ad primum pertinet quod ei dictum est: de omni ligno quod est in Paradiso comede; ad secundum quod ei dictum est: crescite et multiplicamini, et replete terram.

Chapitre 186 — DES PRÉCEPTES DONNÉS AU PREMIER HOMME ET DE LA PERFECTION DE CELUI-CI EN SON PREMIER ÉTAT

Comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 152), l’homme fut constitué par Dieu dans une condition telle que le corps soit entièrement soumis à l’âme; en outre, parmi les parties de l’âme, les forces inférieures devaient être soumises sans répugnance à la raison et la raison elle-même à Dieu. Or de ce que le corps était soumis à l’âme il se faisait qu’aucune passion du corps ne pouvait se produire qui répugnerait à la domination de l’âme sur le corps. D’où ni la mort, ni l’infirmité n’avaient place en l’homme. Et par la soumission des forces intérieures à la raison régnait dans l’homme une parfaite tranquillité d’esprit parce que la raison humaine n’était troublée par aucune passion désordonnée. De ce que la volonté de l’homme était soumise à Dieu, l’homme rapportait tout à Dieu comme à sa fin dernière; ce en quoi consistaient sa justice et son innocence.

De ces trois (le corps, l’âme et Dieu), le dernier était cause par rapport aux deux autres. En effet ce n’était pas de la nature du corps, si l’on considère ses composants, qu’en lui n’ait pas lieu la dissolution ou tout autre passion qui répugne à la vie puisqu’il était composé d’éléments contraires. Semblablement il n’était pas dans la nature de l’âme que les forces même sensibles soient sou mises à la raison sans aucune répugnance puisque ces for ces sensibles se meuvent naturellement vers ce qui est délectable aux sens et qui répugne en bien des manières à la droite raison. Cela donc venait d’une vertu supérieure, c’est-à-dire de Dieu. De même qu’il avait uni au corps une âme raisonnable, laquelle excède toute proportion du corps et des forces corporelles, comme sont les facultés sensibles, ainsi Il a donné à l’âme rationnelle la vertu nécessaire pour maintenir le corps au-dessus de sa condition, et comme aussi des forces sensibles, comme il con venait à une âme rationnelle.

Afin donc que la raison maintienne les choses inférieures fermement sous elle il fallait qu’elle-même se main tienne fermement sous Dieu dont elle tenait la vertu précitée, supérieure à sa condition naturelle. Donc l’homme fut ainsi constitué qu’à moins que sa raison ne se soustraie à Dieu, ni son corps ne pouvait se Soustraire à un ordre de l’âme, ni les forces sensibles à la rectitude de la raison : d’où une vie immortelle et impassible, c’est-à-dire qu’il ne pouvait mourir ni souffrir s’il ne péchait pas. Mais il pouvait pécher tant que sa volonté n’était pas encore confirmée en l’adoption de la fin dernière et dans cette éventualité il pouvait souffrir et mourir.

Et en cela diffèrent l’impassibilité et l’immortalité du premier homme de celle que les saints auront à la résurrection qui jamais ne pourront ni souffrir ni mourir, leur volonté étant complètement confirmée en Dieu, comme on l’a dit plus haut (chapitre 166). Une autre différence aussi existait, car après la résurrection, les hommes n’useront plus ni de la nourriture ni des choses de la chair; or le premier homme de celles que les saints auront à la résurrection qui jamais ne pourront ni souffrir ni mourir, leur d’assurer la race, le genre humain se multipliant à partir d’un seul. D’où il reçut deux préceptes pour sa condition : pour la première il lui fut dit : "De tout arbre qui est dans le paradis tu mangeras"; pour la seconde il lui fut dit : "Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre."

 

 

Caput 187 [70331] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 187 tit. Quod ille perfectus status nominabatur originalis iustitia, et de loco in quo homo positus est


 [70332] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 187 Hic autem hominis tam ordinatus status, originalis iustitia nominatur, per quam et ipse suo superiori subditus erat, et ei omnia inferiora subiiciebantur, secundum quod de eo dictum est: et praesit piscibus maris et volatilibus caeli: et inter partes eius etiam inferior absque repugnantia superiori subdebatur. Qui quidem status primo homini fuit concessus non ut cuidam personae singulari, sed ut primo humanae naturae principio, ita quod per ipsum simul cum natura humana traduceretur in posteros. Et quia unicuique debetur locus secundum convenientiam suae conditionis, homo sic ordinate institutus positus est in loco temperatissimo et delicioso, ut non solum interiorum molestiarum, sed etiam aliorum exteriorum omnis ei vexatio tolleretur.

Chapitre 187 — CE PARFAIT ÉTAT AVAIT NOM : JUSTICE ORIGINELLE, ET DE L’ENDROIT OÙ L’HOMME FUT PLACÉ

Cet état de l’homme si bien ordonné s’appelle justice originelle, par laquelle il était soumis à son supérieur et les choses inférieures lui étaient soumises selon ce qui est dit : "Qu’il préside aux poissons de la mer et aux oiseaux du ciel." Et parmi ses parties l’inférieure aussi était soumise sans répugnance à la supérieure. Cet état fut à la vérité concédé au premier homme non comme à une personne singulière mais comme au principe de la nature humaine, de sorte que par lui il serait transmis avec la nature humaine à ses descendants.

Et parce qu’à chacun est dû un endroit à la convenance de sa condition, l’homme ainsi réglé, fut placé dans un lieu le plus tempéré et délicieux pour que toute vexation lui soit épargnée non seulement quant aux peines intérieures mais aussi de toutes autres extérieures.

 

 

Caput 188 [70333] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 188 tit. De ligno scientiae boni et mali, et primo hominis praecepto


 [70334] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 188 Quia vero praedictus status hominis ex hoc dependebat quod humana voluntas Deo subiiceretur, ut homo statim a principio assuefieret ad Dei voluntatem sequendam, proposuit Deus homini quaedam praecepta, ut scilicet ex omnibus aliis lignis Paradisi vesceretur, prohibens sub mortis comminatione ne de ligno scientiae boni et mali vesceretur, cuius quidem ligni esus non ideo prohibitus est quia secundum se malus esset, sed ut homo saltem in hoc modico aliquid observaret ea sola ratione quia esset a Deo praeceptum: unde praedicti ligni esus factus est malus, quia prohibitus. Dicebatur autem lignum illud scientiae boni et mali, non quia haberet virtutem scientiae causativam, sed propter eventum sequentem, quia scilicet homo per eius esum experimento didicit quid intersit inter obedientiae bonum et inobedientiae malum.

Chapitre 188 — DE L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL ET DU PREMIER PRÉCEPTE DONNÉ A L’HOMME

Parce que cet état de l’homme dépendait de la soumission de la volonté humaine à Dieu, pour que l’homme dès le commencement s’habituât à suivre la volonté de Dieu, celui-ci lui proposa des préceptes c’est-à-dire qu’il pût manger de tous les arbres du paradis, lui défendant sous menace de mort de manger de l’arbre de la science du bien et du mal; manger de ce fruit était défendu non qu’il fût en soi mauvais mais pour que l’homme au moins en ce peu de choses obéisse pour l’unique raison que c’était défendu par Dieu : d’où le fait de manger de cet arbre devint mauvais parce que défendu. Cet arbre de la science du bien et du mal était ainsi appelé non qu’il aurait été cause de connaissance mais par ce qui s’en sui vit c’est-à-dire que l’homme en le mangeant apprit par expérience la différence entre le bien de l’obéissance et le mal de la désobéissance.

 

 

Caput 189 [70335] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 189 tit. De seductione Diaboli ad Evam


 [70336] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 189 Diabolus igitur, qui iam peccaverat, videns hominem taliter institutum ut ad perpetuam felicitatem pervenire posset, a qua ipse deciderat, et nihilominus posset peccare, conatus est a rectitudine iustitiae abducere, aggrediens hominem ex parte debiliori, tentans feminam, in qua minus vigebat sapientiae donum vel lumen: et ut in transgressionem praecepti facilius inclinaret, exclusit mendaciter metum mortis, et ei illa promisit quae homo naturaliter appetit, scilicet vitationem ignorantiae, dicens: aperientur oculi vestri, et excellentiam dignitatis, dicens: scientes bonum et malum. Homo enim ex parte intellectus naturaliter fugit ignorantiam, et scientiam appetit; ex parte vero voluntatis, quae naturaliter libera est, appetit celsitudinem et perfectionem, ut nulli, vel quanto paucioribus potest, subdatur.

Chapitre 189 — LE DIABLE SÉDUIT ÉVE

Le diable donc qui avait déjà péché, voyant l’homme ainsi constitué qu’il pouvait parvenir à l’éternelle félicité, d’où lui était tombé, et néanmoins qu’il pourrait pécher, entreprit de le détourner de la droite justice, attaquant l’homme par le côté le plus faible, tentant la femme chez qui régnait moins le don ou la lumière de la sagesse; et afin de l’entraîner plus facilement dans la transgression du précepte, il exclut frauduleusement la crainte de la mort et il lui propose ce à quoi l’homme tend naturellement : éviter l’ignorance, lui disant : "Vos yeux s’ouvriront" et l’excellence de leur condition. "Vous serez comme des dieux" et la perfection de la connaissance "Sachant le bien et le mal". L’homme en effet du côté de l’intelligence fuit naturellement l’ignorance et désire la science; du côté de la volonté, qui naturellement est libre, il aspire à l’élévation et à la perfection pour n’être soumis à personne ou aux moins d’hommes possible.

 

 

Caput 190 [70337] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 190 tit. Quid fuit inductivum mulieris


 [70338] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 190 Mulier igitur repromissam celsitudinem simul et perfectionem scientiae concupivit. Accessit etiam ad hoc pulchritudo et suavitas fructus, alliciens ad edendum, et sic metu mortis contempto, praeceptum Dei transgressa est, de vetito ligno edendo, et sic eius peccatum multiplex invenitur.
Primo quidem superbiae, qua inordinate excellentiam appetiit. Secundo curiositatis, qua scientiam ultra terminos sibi praefixos concupivit. Tertio gulae, qua suavitate cibi permota est ad edendum. Quarto infidelitatis, per falsam aestimationem de Deo, dum credidit verbis Diaboli contra Deum loquentis. Quinto inobedientiae, praeceptum Dei transgrediendo.

Chapitre 190 — QU’EST-CE QUI A SÉDUIT LA FEMME

La femme convoita donc l’élévation promise et en même temps la perfection de la science. A cela s’ajoute la beauté et la suavité du fruit appétissant et ainsi, méprisant la crainte de la mort, elle transgressa le précepte divin en mangeant du fruit défendu; et ainsi son péché s’est trouvé être multiple : d’abord la superbe qui aspire à une excellence désordonnée; en second lieu la curiosité en désirant une science au-delà des limites prescrites; en troisième lieu la gourmandise que la suavité du fruit poussa à manger; en quatrième lieu l’infidélité par une fausse estimation de Dieu, croyant aux paroles du diable contrairement à celles de Dieu; cinquièmement, la désobéissance en transgressant le précepte divin.

 

 

Caput 191 [70339] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 191 tit. Quomodo pervenit peccatum ad virum


 [70340] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 191 Ex persuasione autem mulieris peccatum usque ad virum pervenit, qui tamen, ut apostolus dicit, non est seductus ut mulier, in hoc scilicet quod crederet verbis Diaboli contra Deum loquentis. Non enim in eius mente cadere poterat, Deum mendaciter aliquid comminatum esse, neque inutiliter a re utili prohibuisse. Allectus tamen fuit promissione Diaboli, excellentiam et scientiam indebite appetendo. Ex quibus cum voluntas eius a rectitudine iustitiae discessisset, uxori suae morem gerere volens, in transgressione divini praecepti eam secutus est, edendo de fructu ligni vetiti.

Chapitre 191 — COMMENT LE PÉCHÉ PARVINT JUSQU’A L’HOMME

C’est par la persuasion de la femme que le péché par vient jusqu’à l’homme qui cependant, comme le dit l’Apôtre, ne fut pas séduit comme la femme (1 Tim 2, 14) c’est-à-dire en ce qu’il aurait cru aux paroles du diable qui contredisait Dieu. En effet il ne pouvait lui venir à l’idée que Dieu avait menacé par quelqu’astuce et défendu inutilement une chose utile. Cependant il fut alléché par la promesse du diable en désirant indûment l’excellence et la science. Par là sa volonté s’éloignait de la droite justice et voulant plaire à sa femme, il la suivit dans la transgression du précepte divin en mangeant du fruit de l’arbre défendu.

 

 

Caput 192 [70341] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 192 tit. De effectu sequente culpam quantum ad rebellionem virium inferiorum rationi


 [70342] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 192 Quia igitur dicti status tam ordinata integritas tota causabatur ex subiectione humanae voluntatis ad Deum, consequens fuit ut subducta humana voluntate a subiectione divina, deperiret illa perfecta subiectio inferiorum virium ad rationem et corporis ad animam: unde consecutum est ut homo sentiret in inferiori appetitu sensibili, concupiscentiae et irae et ceterarum passionum inordinatos motus non secundum ordinem rationis, sed magis ei repugnantes, et eam plerumque obnubilantes, et quasi perturbantes: et haec est repugnantia carnis ad spiritum, de qua Scriptura loquitur. Nam quia appetitus sensitivus, sicut et ceterae sensitivae vires, per instrumentum corporeum operatur, ratio autem absque aliquo organo corporali, convenienter quod ad appetitum sensitivum pertinet, carni imputatur; quod vero ad rationem, spiritui, secundum quod spirituales substantiae dici solent quae sunt a corporibus separatae.

Chapitre 192 — CONSÉQUENCE DE LA FAUTE — RÉBELLION DES FORCES INFÉRIEURES A LA. RAISON

Comme donc de cet état si parfaitement ordonné toute l’intégrité dépendait de la soumission de la volonté humaine à Dieu, la conséquence fut que une fois soustraite à la soumission à Dieu, dépérisse en même temps la soumission des forces inférieures à la raison et du corps à l’âme. D’où la conséquence que l’homme sentît dans l’appétit sensible inférieur les mouvements désordonnés de la concupiscence, de la colère et des autres passions non selon l’ordre de la raison, mais plutôt lui résistant et le plus souvent l’obnubilant et comme la perturbant; c’est la résistance de la chair contre l’esprit dont parle l’Ecriture (Rom 7, 14-25; Gal 5, 16-26). Car comme l’appétit sensitif ainsi que les autres forces sensitives, opèrent par un instrument corporel, la raison de son côté sans aucun organe corporel, il est juste que ce qui appartient à l’appétit sensitif soit imputé à la chair et ce qui appartient à la raison imputé à l’esprit pour autant que les substances spirituelles sont dites celles qui sont séparées des corps.

 

 

Caput 193 [70343] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 193 tit. Quomodo fuit poena illata quantum ad necessitatem moriendi


 [70344] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 193 Consecutum est etiam, ut in corpore sentiretur corruptionis defectus, ac per hoc homo incurreret necessitatem moriendi, quasi animatum non valens corpus in perpetuum continere, vitam ei praebendo: unde homo factus est passibilis et mortalis, non solum quasi potens pati et mori ut antea, sed quasi necessitatem habens ad patiendum et moriendum.

Chapitre 193 — DE LA PEINE PORTÉE QUANT A LA NÉCESSITÉ DE MOURIR

Il s’en suivit aussi que le corps serait affecté de la corruption et que par là l’homme encourrait nécessairement la mort, l’âme n’étant plus en quelque sorte capable de contenir le corps pour toujours en lui fournissant la vie. D’où l’homme en est devenu passible et mortel, non seulement comme pouvant souffrir et mourir comme auparavant mais comme condamné à la souffrance et à la mort.

 

 

Caput 194 [70345] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 194 tit. De aliis defectibus qui consequuntur in intellectu et voluntate


 [70346] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 194 Consecuti sunt in homine per consequens multi alii defectus. Abundantibus enim in appetitu inferiori inordinatis motibus passionum, simul etiam et in ratione deficiente lumine sapientiae, quo divinitus illustrabatur voluntas dum erat Deo subiecta, per consequens affectum suum rebus sensibilibus subdidit, in quibus oberrans a Deo multipliciter peccavit, et ulterius immundis spiritibus se subdidit per quos credidit in huiusmodi rebus agendis acquirendis sibi auxilium praestari, et sic in humano genere idolatria et diversa peccatorum genera processerunt: et quo magis in his homo corruptus fuit, eo amplius a cognitione et desiderio bonorum spiritualium et divinorum recessit.

Chapitre 194 — DES AUTRES DÉFAUTS CONSÉCUTIFS DANS L’INTELLIGENCE ET LA VOLONTÉ

Par voie de conséquence s’en suivirent dans l’homme beaucoup d’autres défauts. En effet dans l’appétit inférieur abonda le désordre des moeurs; en même temps aussi dans la raison s’éteignit la lumière de la sagesse par laquelle Dieu l’éclairait tandis que la volonté lui était sou mise; en conséquence il assujettit son coeur aux choses sensibles qui l’éloignèrent de Dieu l’entraînant dans de nombreux péchés. Progressivement il se fit l’esclave des esprits impurs croyant trouver chez eux une aide pour sa conduite dans l’acquisition de ces choses. Et ainsi dans le genre humain l’idolâtrie et toutes sortes de péchés firent leurs ravages et plus en cela l’homme se corrompait plus il s’éloignait de la connaissance et du désir des biens spirituels et divins.

 

 

Caput 195 [70347] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 195 tit. Quomodo isti defectus derivati sunt ad posteros


 [70348] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 195 Et quia praedictum originalis iustitiae bonum sic humano generi in primo parente divinitus attributum fuit, ut tamen per ipsum derivaretur in posteros, remota autem causa removetur effectus, consequens fuit ut primo homine praedicto bono per proprium peccatum privato, omnes posteri privarentur, et sic de cetero, scilicet post peccatum primi parentis, omnes absque originali iustitia et cum defectibus consequentibus sunt exorti. Nec hoc est contra ordinem iustitiae, quasi Deo puniente in filiis quod primus parens deliquit, quia ista poena non est nisi subtractio eorum quae supernaturaliter primo homini divinitus sunt concessa, per ipsum in alios derivanda: unde aliis non debebantur, nisi quatenus per primum parentem in eos erant transitura. Sicut si rex det feudum militi, transiturum per ipsum ad heredes, si miles contra regem peccat, ut feudum mereatur amittere, non potest postmodum ad eius heredes devenire: unde iuste privantur posteri per culpam parentis.

Chapitre 195 — COMMENT CES DÉFAUTS SE SONT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ

Ce bienfait de la justice originelle attribué divinement au genre humain en la personne du premier père devait être par celui-ci transmis à ses descendants. Or la cause étant écartée il en fut de même pour ses effets de sortes que le premier homme privé par son propre péché de ce bienfait tous les descendants en étaient privés et ainsi du reste c’est-à-dire qu’après le péché du premier parent tous sont nés sans la justice originelle et avec tous les défauts qui en résultent. Et ce n’est pas contraire à l’ordre de la justice comme si Dieu punissait dans les fils ce que le premier père a commis; car cette peine n’est que la soustraction de ce qui fut concédé divinement au premier homme dans l’ordre surnaturel et par lui devait être transmis à d’autres Donc ce n’etait dû à d’autres qu’à la condition de leur être transmis par leur premier père. C’est comme un roi qui gratifie un soldat d’un fief pour être transmis par lui à ses héritiers; que s’il pèche contre le roi il mérite de perdre ce fief qui ne pourra pas être par après transmis aux héritiers; d’où les descendants sont justement privés par la faute du père

 

 

Caput 196 [70349] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 196 tit. Utrum defectus originalis iustitiae habeat rationem culpae in posteris


 [70350] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 196 Sed remanet quaestio magis urgens: utrum defectus originalis iustitiae in his qui ex primo parente prodierunt, rationem culpae possit habere. Hoc enim ad rationem culpae pertinere videtur, sicut supra dictum est, ut malum quod culpabile dicitur, sit in potestate eius cui imputatur in culpam.
Nullus enim culpatur de eo quod non est in eo facere vel non facere. Non est autem in potestate eius qui nascitur, ut cum originali iustitia nascatur, vel sine ea: unde videtur quod talis defectus rationem culpae habere non possit. Sed haec quaestio de facili solvitur, si distinguatur inter personam et naturam. Sicut enim in una persona multa sunt membra, ita in una humana natura multae sunt personae, ut participatione speciei multi homines intelligantur quasi unus homo, ut Porphyrius dicit. Est autem hoc advertendum in peccato unius hominis, quod diversis membris diversa peccata exercentur, nec requiritur ad rationem culpae quod singula peccata sint voluntaria voluntate membrorum quibus exercentur, sed voluntate eius quod est in homine principale, scilicet intellectivae partis. Non enim potest manus non percutere aut pes non ambulare voluntate iubente. Per hunc igitur modum defectus originalis iustitiae est peccatum naturae, inquantum derivatur ex inordinata voluntate primi principii in natura humana, scilicet primi parentis, et sic est voluntarium habito respectu ad naturam, voluntate scilicet primi principii naturae, et sic transit in omnes qui ab ipso naturam humanam accipiunt, quasi in quaedam membra ipsius, et propter hoc dicitur originale peccatum, quia per originem a primo parente in posteros derivatur: unde cum alia peccata, scilicet actualia, immediate respiciant personam peccantem, hoc peccatum directe respicit naturam. Nam primus parens suo peccato infecit naturam, et natura infecta inficit personam filiorum, qui ipsam a primo parente suscipiunt.

Chapitre 196 — LA PRIVATION DE LA JUSTICE ORIGINELLE ENTRAÎNE T ELLE UNE CULPABILITÉ CHEZ LES DESCENDANTS ?

Mais une question plus pressante se pose : est-ce que la privation de la justice originelle chez ceux qui sont nés du premier père peut revêtir un caractère de culpabilité. Ce caractère consiste en ce que, comme on l’a dit plus haut (chapitre 120), le mal est imputable s’il est au pouvoir de celui à qui la faute est imputée. En effet personne n’est rendu coupable de ce qui n’est pas en lui de faire ou de ne pas faire. Or il n’est pas au pouvoir de celui qui naît de naître avec ou sans la justice originelle; d’où il semble bien qu’une telle privation ne puisse avoir un caractère de culpabilité.

Mais ce problème se résout facilement si l’on distingue entre la personne et la nature. De même en effet que dans une seule personne il y a beaucoup de membres ainsi dans la seule nature humaine il y a beaucoup de personnes de sorte que par participation à l’espèce beaucoup d’hommes sont regardés comme étant un seul homme, comme le dit Porphyre (Isag. 2 c De specie). Or il faut savoir au sujet du péché d’un homme que des membres différents commettent différents péchés et il n’est pas requis à la culpabilité que chacun des péchés soit voulu de la volonté des membres qui les commettent mais de la volonté de ce qui est principal en l’homme c’est-à-dire la partie intellective. En effet la main ne peut pas ne pas frapper, ni le pied ne pas marcher quand la volonté l’ordonne.

De cette manière donc la privation de la justice originelle est un péché de nature en tant qu’il provient de la volonté désordonnée du premier principe de la nature humaine, à savoir du premier père, et ainsi il est volontaire en regard de la nature, c’est-à-dire de par la volonté du premier principe de la nature et ainsi il passe en tous ceux qui reçoivent de lui la nature humaine comme s’étendant à ses membres. Et à cause de cela il est appelé péché d’origine car par origine il est descendu du premier père dans ses descendants. Comme donc les autres péchés c’est-à-dire actuels se rapportent directement à la personne qui pèche, celui-ci se rapporte directement à la nature. Car le premier père par son péché a porté atteinte à la nature et celle-ci affectée affecte la personne des fils qui l’ont reçue.

 

 

Caput 197 [70351] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 197 tit. Quod non omnia peccata traducuntur in posteros


 [70352] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 197 Nec tamen oportet quod omnia peccata alia vel primi parentis, vel etiam ceterorum, traducantur in posteros, quia primum peccatum primi parentis sustulit donum totum quod supernaturaliter erat collatum in humana natura personae primi parentis, et sic dicitur corrupisse vel infecisse naturam: unde peccata consequentia non inveniunt aliquid huiusmodi quod possint subtrahere a tota natura humana, sed auferunt ab homine aut diminuunt aliquod bonum particulare, scilicet personale, nec corrumpunt naturam, nisi inquantum pertinet ad hanc vel illam personam. Homo autem non generat sibi similem in persona, sed in natura: et ideo non traducitur a parente in posteros peccatum quod vitiat personam, sed primum peccatum quod vitiavit naturam.

Chapitre 197 — TOUS LES PÉCHÉS NE SONT PAS TRANSMIS AUX DESCENDANTS

Néanmoins tous les autres péchés, soit du premier père, soit aussi des autres ne sont pas transmis aux descendants; car le premier péché du premier père enleva tout le don conféré surnaturellement pour la nature humaine en la personne du premier père et ainsi est-il dit avoir corrompu ou infecté la nature. D’où les péchés qui ont suivi n’ont rien qu’ils puissent soustraire à toute la nature humaine mais ils enlèvent ou diminuent un bien particulier c’est-à-dire personnel, ni ne corrompent la nature si ce n’est en ce qui regarde telle ou telle personne. Or l’homme n’engendre pas son semblable en personne mais en nature; et c’est pourquoi n’est pas transmis par le père en ses descendants ce qui vicie la personne mais le premier péché qui a vicié la nature.

 

 

Caput 198 [70353] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 198 tit. Quod meritum Adae non profuit posteris ad reparationem


 [70354] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 198 Quamvis autem peccatum primi parentis totam humanam naturam infecerit, non tamen potuit per eius poenitentiam vel quodcumque eius meritum tota natura reparari. Manifestum est enim quod poenitentia Adae, vel quodcumque aliud eius meritum, fuit actus singularis personae, actus autem alicuius individui non potest in totam naturam speciei. Causae enim quae possunt in totam speciem, sunt causae aequivocae, et non univocae. Sol enim est causa generationis in tota specie humana, sed homo est causa generationis huius hominis. Singulare ergo meritum Adae, vel cuiuscumque puri hominis, sufficiens esse non poterat ad totam naturam reintegrandam. Quod autem per actum singularem primi hominis tota natura est vitiata, per accidens est consecutum, inquantum eo privato innocentiae statu, per ipsum in alios derivari non potuit. Et quamvis per poenitentiam redierit ad gratiam, non tamen redire potuit ad pristinam innocentiam, cui divinitus praedictum originalis iustitiae donum concessum erat. Similiter etiam manifestum est quod praedictus originalis iustitiae status fuit quoddam speciale donum gratiae, gratia autem meritis non acquiritur, sed gratis a Deo datur. Sicut igitur primus homo a principio originalem iustitiam non ex merito habuit, sed ex divino dono, ita etiam, et multo minus, post peccatum eam mereri potuit poenitendo, vel quodcumque aliud opus agendo.

Chapitre 198 — LE MÉRITE D’ADAM NE FUT PAS UTILE A SES DESCENDANTS POUR LA RÉPARATION

Bien que le péché du premier père ait infecté toute la nature humaine cependant toute la nature ne put être réparée par sa pénitence ou quelqu’autre mérite. Il est en effet évident que la pénitence d’Adam ou tout autre mérite fut l’acte d’un particulier; or l’acte d’un individu n’a aucune influence sur toute la nature de l’espèce. En effet les causes qui ont une telle influence sont des causes équivoques et non univoques. Le soleil en effet est la cause de la génération dans toute l’espèce humain&, mais l’homme est la cause de la génération de cet homme Donc le mérite particulier d’Adam ou de tout autre homme ne pouvait suffire à la réintégration de toute la nature. Que par un acte singulier du premier homme toute la nature ait été viciée c’est une conséquence accidentelle en tant que privé de l’état d’innocence il ne put le transmettre à d’autres. Et bien que par la pénitence il soit rentré en grâce, il ne put cependant revenir à sa première innocence à laquelle avait été concédé par Dieu le don de la justice originelle.

Semblablement il est évident que cet état de justice originelle fut un don spécial de la grâce; la grâce ne s’acquiert pas par mérite mais est gratuitement conférée par Dieu. Donc de même que le premier homme n’a pas mérité dès le commencement la justice originelle mais de par un don de Dieu, ainsi aussi et beaucoup moins encore pouvait-il la mériter par la pénitence ou quelqu’autre oeuvre.

 

 

 

 

 

B — Le mystère de l’incarnation (chapitre 199 à 220)

 

1° Les motifs (chapitre 199 à 201)

Caput 199 [70355] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 199 tit. De reparatione humanae naturae per Christum


 [70356] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 199 Oportebat autem quod humana natura praedicto modo infecta, ex divina providentia repararetur. Non enim poterat ad perfectam beatitudinem pervenire, nisi tali infectione remota: quia beatitudo cum sit perfectum bonum, nullum defectum patitur, et maxime defectum peccati, quod aliquo modo virtuti opponitur, quae est via in ipsam, ut dictum est. Et sic cum homo propter beatitudinem factus sit, quia ipsa est ultimus eius finis, sequeretur quod opus Dei in tam nobili creatura frustraretur, quod reputat inconveniens Psalmista, cum dicit, Psal. LXXXVIII, v. 48: nunquid enim vane constituisti omnes filios hominum? Sic igitur oportebat humanam naturam reparari. Praeterea. Bonitas divina excedit potentiam creaturae ad bonum.
Patet autem ex supra dictis quod talis est hominis conditio quandiu in hac mortali vita vivit, quod sicut nec confirmatur in bono immobiliter, ita nec immobiliter obstinatur in malo. Pertinet igitur hoc ad conditionem humanae naturae ut ab infectione peccati possit purgari. Non fuit igitur conveniens quod divina bonitas hanc potentiam totaliter dimitteret vacuam, quod fuisset, si ei reparationis remedium non procurasset.

Chapitre 199 — LA RÉPARATION DE LA NATURE HUMAINE PAR LE CHRIST

Or il fallait que la nature humaine ainsi infectée soit réparée par la providence divine. Elle ne pouvait parvenir à la béatitude parfaite que si cette infection était écartée, parce que la béatitude étant le bien parfait ne tolère aucune déficience et surtout pas le péché lequel en quel que sorte s’oppose à la vertu qui est le chemin qui con duit à Dieu, comme on l’a vu (chapitre 172). Et ainsi comme l’homme est fait pour la béatitude parce qu’elle est sa fin dernière, il s’en suivrait que l’oeuvre de Dieu serait frustrée dans une si noble créature; ce que le Psalmiste juge inconvenant en disant : "Est-ce donc en vain que tu as créé les enfants des hommes ?" (Ps 88, 48). Il fallait donc que la nature humaine soit réparée.

En outre la bonté divine excède le pouvoir de la créature pour le bien. Or il est clair par ce qu’on a dit (chapitres 144, 145 et 174) que telle est la condition de l’homme aussi longtemps qu’il est en cette vie mortelle de même qu’il n’est pas confirmé inébranlablement dans le bien ainsi, aussi ne l’est-il pas dans le mal. Il est donc propre à la condition humaine de pouvoir être purifiée de l’infection du péché. Il ne fut donc pas convenable que la bonté divine laissât totalement vaine sa puissance, ce qui aurait eu lieu si elle ne lui eut pas procuré un remède pour sa réparation.

 

 

Caput 200 [70357] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 200 tit. Quod per solum Deum incarnatum debuit natura reparari


 [70358] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 200 Ostensum est autem quod neque per Adam neque per aliquem alium hominem purum poterat reparari: tum quia nullus singularis homo praeeminebat toti naturae, tum quia nullus purus homo potest esse gratiae causa. Eadem ergo ratione nec per Angelum potuit reparari, quia nec Angelus potest esse gratiae causa, nec etiam praemium hominis quantum ad ultimam beatitudinem perfectam, ad quam oportebat hominem revocari, quia in ea sunt pares. Relinquitur igitur quod per solum Deum talis reparatio fieri poterat. Sed si Deus hominem sola sua voluntate et virtute reparasset, non servaretur divinae iustitiae ordo, secundum quam exigitur satisfactio pro peccato. In Deo autem satisfactio non cadit, sicut nec meritum, hoc enim est sub alio existentis. Sic igitur neque Deo competebat satisfacere pro peccato totius naturae humanae, nec purus homo poterat, ut ostensum est.
Conveniens igitur fuit Deum hominem fieri, ut sic unus et idem esset qui et reparare et satisfacere posset. Et hanc causam divinae incarnationis assignat apostolus, I Tim. I, 15: Christus Iesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere.

Chapitre 200 — C’EST PAR SEUL INCARNÉ QUE LA NATURE A DÛ ÊTRE RÉPAREE

On a montré (chapitre 198) que ni Adam ni quelqu’autre homme aussi pur soit-il (selon le texte latin : "pur" veut dire "simple" comme on dit : un simple mortel, surtout que le mot revient trois lignes plus bas : un pur homme) ne pouvaient nous racheter, soit parce que nul homme particulier n’avait prééminence sur toute la nature, soit que nul pur homme ne puisse être cause de la grâce. Par la même raison donc aucun ange ne pouvait réparer, parce que l’ange ne peut être cause de la grâce ni la récompense de l’homme quant à la parfaite et dernière béatitude à laquelle l’homme devait être ramené, car en cela ils sont égaux[43]. Il reste donc que Dieu seul pouvait opérer cette réparation.

Mais si Dieu eut réparé l’homme par sa seule volonté et puissance, l’ordre de la divine justice n’aurait pas été sauf qui veut que satisfaction soit faite pour le péché. Or Dieu n’est pas susceptible de satisfaire ou de mériter car cela est affaire de subalterne. Ainsi donc il n’était pas de la compétence de Dieu de satisfaire pour le péché, ni un pur homme ne le pouvait (chapitre 198). Il fut donc juste que Dieu se fit homme afin qu’ainsi ce soit le même qui puisse et réparer et satisfaire; et cette cause de l’incarnation divine l’Apôtre l’indique : "Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs" (1 Tim 1, 13).

 

 

Caput 201 [70359] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 201 tit. De aliis causis incarnationis filii Dei


 [70360] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 201 Sunt tamen et aliae rationes incarnationis divinae. Quia enim homo a spiritualibus recesserat, et totum se rebus corporalibus dederat, ex quibus in Deum per se ipsum redire non poterat, divina sapientia, quae hominem fecerat, per naturam corpoream assumptam hominem in corporalibus iacentem visitavit, ut per sui corporis mysteria eum ad spiritualia revocaret. Fuit etiam necessarium humano generi ut Deus homo fieret, ad demonstrandum naturae humanae dignitatem, ut sic homo neque Daemonibus subderetur, neque corporalibus rebus. Simul etiam per hoc quod Deus homo fieri voluit, manifeste ostendit immensitatem sui amoris, ut ex hoc iam homines Deo subderentur non propter metum mortis, quam primus homo contempsit, sed per caritatis affectum. Datur etiam per hoc homini quoddam exemplum illius beatae unionis qua intellectus creatus increato spiritui intelligendo unietur. Non enim restat incredibile quin intellectus creaturae Deo uniri possit, eius essentiam videndo, ex quo Deus homini unitus est, naturam eius assumendo. Perficitur etiam per hoc quodammodo totius operis divini universitas, dum homo, qui est ultimo creatus, circulo quodam in suum redit principium, ipsi rerum principio per opus incarnationis unitus.

Chapitre 201 — DES AUTRES MOTIFS DE L’INCARNATION DU FILS DE DIEU

Il y a cependant d’autres causes de l’incarnation divine. Parce qu’en effet l’homme s’était éloigné des choses spirituelles pour se livrer tout entier aux choses corporelles, en raison de quoi il ne pouvait par lui-même retourner vers Dieu, la divine sagesse, qui avait fait l’homme, assuma la nature corporelle et visita l’homme gisant dans les choses corporelles afin de le rappeler par le mystère de son corps aux choses spirituelles.

De même il fut nécessaire au genre humain qu’en devenant homme Dieu fasse ressortir la dignité de l’homme afin qu’ainsi il ne soit pas l’esclave des démons ni des choses corporelles.

En même temps aussi en voulant se faire homme, Dieu fit montre de l’immensité de son amour pour que par là les hommes ne se soumettent pas à Dieu par crainte de la mort que le premier homme avait méprisée mais par attachement de charité.

Par là aussi nous est donné un exemple de cette union bienheureuse par laquelle l’intelligence créée sera pour la connaissance unifiée à l’esprit incréé. En effet il n’y a rien d’incroyable à ce que l’intelligence d’une créature puisse être unie à Dieu en voyant son essence puisque Dieu s’est uni à l’homme en prenant sa nature.

Par là aussi s’achève l’oeuvre divine toute entière en ce que l’homme qui avait été créé le dernier, comme par un cercle revient à son principe, uni au principe même des choses par l’oeuvre de l’incarnation.

 

 

 

2° Les erreurs théologiques (chapitre 202 â 208)

Caput 202 [70361] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 202 tit. De errore Photini circa incarnationem filii Dei


 [70362] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 202 Hoc autem divinae incarnationis mysterium Photinus, quantum in se est, evacuavit. Nam Ebionem et Cerinthum et Paulum Samosatenum sequens, dominum Iesum Christum fuisse purum hominem asseruit, nec ante Mariam virginem extitisse, sed quod per beatae vitae meritum, et patientiam mortis, gloriam divinitatis promeruit, ut sic Deus diceretur non per naturam, sed per adoptionis gratiam. Sic igitur non esset facta unio Dei et hominis, sed homo esset per gratiam deificatus, quod non singulare est Christo, sed commune omnibus sanctis, quamvis in hac gratia aliqui excellentiores aliis habeantur. Hic autem error auctoritatibus divinae Scripturae contradicit. Dicitur enim Ioan. I, 1: in principio erat verbum; et postea subdit: verbum caro factum est. Verbum ergo quod erat in principio apud Deum, carnem assumpsit, non autem homo, qui ante fuerat, per gratiam adoptionis deificatus. Item dominus dicit Ioan. VI, 38: descendi de caelo non ut faciam voluntatem meam, sed voluntatem eius qui misit me. Secundum autem Photini errorem non conveniret Christo descendisse, sed solum ascendisse, cum tamen apostolus dicat, Ephes. IV, 9: quod autem ascendit, quid est nisi quia et descendit primum in inferiores partes terrae? Ex quo manifeste datur intelligi, quod in Christo non haberet locum ascensio, nisi descensio praecessisset.

Chapitre 202 — DE L’ERREUR DE PHOTIN AU SUJET DE L’INCARNATION

Ce mystère de l’incarnation divine Photin pour sa part a tenté de le rejeter. Car à la suite d’Ebion de Cerinthe et de Paul de Samosate, il affirma que le Seigneur Jésus n’avait été qu’un pur homme, qu’il n’avait pas existé avant la Vierge Marie, mais que par le mérite d’une sainte vie et la patience dans la mort il avait mérité la gloire de la divinité de sorte qu’il est dit Dieu non par nature mais par la grâce de l’adoption. Ainsi donc il n’y aurait pas eu d’union de Dieu et de l’homme mais il y aurait un homme déifié par grâce, ce qui n’est pas particulier au Christ mais commun à tous les saints bien qu’en cette grâce certains soient tenus pour plus excellents que les autres. Cette erreur est contraire à l’autorité de l’Ecriture. Il est dit en effet chez Jean que : "Au commencement était le Verbe" et ensuite : "Le Verbe s’est fait chair." Donc le Verbe qui était depuis toujours auprès de Dieu a pris chair et non un homme qui était auparavant déifié par grâce d’adoption. De même en saint Jean, le Seigneur dit : "Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé" (6, 38). Or selon l’erreur de Photin, il ne convenait pas au Christ d’être descendu mais seulement d’être monté, alors que cependant l’Apôtre dit : "Qu’Il est monté, qu’est-ce sinon qu’il est descendu d’abord dans les parties inférieures de la terre" (Eph 4, 9). De cela il devient évident que dans le Christ l’ascension n’aurait pas eu lieu si sa descente n’avait pas précédé.

 

 

Caput 203 [70363] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 203 tit. Error Nestorii circa incarnationem et eius improbatio


 [70364] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 203 Hoc igitur volens declinare Nestorius, partim quidem a Photini errore discessit, quia posuit Christum filium Dei non solum per adoptionis gratiam, sed per naturam divinam, in qua patri extitit coaeternus; partim vero cum Photino concordat, dicens, filium Dei non sic esse unitum homini ut una persona fieret Dei et hominis, sed per solam inhabitationem in ipso, et sic homo ille, sicut secundum Photinum per solam gratiam Deus dicitur, sic et secundum Nestorium Dei filius dicitur, non quia ipse vere sit Deus, sed propter filii Dei inhabitationem in ipso, quae est per gratiam. Hic autem error auctoritati sacrae Scripturae repugnat. Hanc enim unionem Dei et hominis apostolus exinanitionem nominat, dicens, Philip. II, 6, de filio Dei: qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo, sed semetipsum exinanivit, formam servi accipiens. Non est autem exinanitio Dei quod creaturam rationalem inhabitet per gratiam, alioquin et pater et spiritus sanctus exinanirentur, quia et ipsi creaturam rationalem per gratiam inhabitant, dicente domino de se et de patre, Ioan. XIV, 23: ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus, et apostolo de spiritu sancto, I Cor. III, 16: spiritus Dei habitat in vobis. Item non conveniret homini illi voces divinitatis emittere, si personaliter Deus non esset. Praesumtuosissime ergo dixisset: ego et pater unum sumus: et: antequam Abraham fieret, ego sum. Ego enim personam loquentis demonstrat: homo autem erat qui loquebatur. Est igitur persona eadem Dei et hominis. Ad hos ergo errores excludendos, in symbolo tam apostolorum quam patrum, facta mentione de persona filii, subditur: qui conceptus est de spiritu sancto, natus, passus, mortuus et resurrexit. Non enim ea quae sunt hominis, de filio Dei praedicarentur, nisi eadem esset persona filii Dei et hominis, quia quae uni personae conveniunt, non ex hoc ipso de altera praedicantur: sicut quae conveniunt Paulo, non ex hoc ipso praedicantur de Petro.

Chapitre 203 — L’ERREUR DE NESTORIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RÉPROBATION

Ce que voulant éviter, Nestorius se sépara en partie de l’erreur de Photin, car il confesse le Christ fils de Dieu non seulement par adoption de grâce mais de nature divine en laquelle Il existe coéternel au Père; en partie il est d’accord avec Photin en disant : Le Fils de Dieu n’est pas ainsi uni à un homme pour devenir une personne divine et humaine mais par la seule inhabitation en lui; et ainsi cet homme-là, de même que selon Photin était dit Dieu par la seule grâce, ainsi aussi selon Nestorius, il est dit Fils de Dieu non pas parce que il est vraiment Dieu mais à cause de l’inhabitation du Fils de Dieu en lui, laquelle se fit par grâce.

Or cette erreur répugne à l’autorité de la sainte Écriture. En effet cette union de Dieu et de l’homme, l’Apôtre l’appelle un anéantissement en disant du Fils de Dieu : "Lui qui était en forme divine il n’a pas jugé une rapine d’être l’égal de Dieu[44] mais il s’est anéanti lui-même prenant forme d’esclave" (Phil 2, 6). Or ce n’est pas un anéantissement pour Dieu d’habiter la créature rationnelle par la grâce; autrement le Père et l’Esprit Saint s’anéantiraient, car eux aussi habitent la créature rationnelle par grâce, le Seigneur disant de lui-même et du Père : "Nous viendrons en lui et nous y ferons notre demeure" (Jean 14, 23), et l’Apôtre dit de l’Esprit Saint : "L’Esprit de Dieu habite en vous" (1 Cor 3, 16). De même il ne conviendrait pas que cet homme émette des mots divins s’il n’était pas Dieu personnellement. C’est donc très présomptueusement qu’il aurait dit : "Moi et le Père nous sommes un" (Jean 10, 30) et "Avant qu’Abraham fut j’étais" (ib. 8, 58). Le mot "je" dénote en effet la personne qui parle; or c’était un homme qui parlait; c’est donc une même personne divine et humaine. Donc pour exclure ces erreurs est-il dit dans le Symbole des Apôtres et des Pères en faisant mention de la personne du Fils "Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né, a souffert, est mort et ressuscité." En effet ce qui est de l’homme ne serait pas attribué au Fils de Dieu si ce n’était pas la même personne du Fils de Dieu et de l’homme; car ce qui convient à une personne n’est pas de ce fait attribuable à une autre. Comme ce qui convient à Paul n’est pas pour cela attribuable à Pierre.

 

 

Caput 204 [70365] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 204 tit. De errore Arii circa incarnationem et improbatio eius


 [70366] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 204 Ut ergo unitatem Dei et hominis confiterentur quidam haeretici in partem contrariam diverterunt, dicentes, Dei et hominis esse unam non solum personam, sed etiam naturam. Cuius quidem erroris principium fuit ab Ario, qui ut ea quae in Scripturis dicuntur de Christo, quibus ostenditur minor patre, non nisi ad ipsum Dei filium possent referri secundum assumentem naturam, posuit in Christo non aliam animam esse quam Dei verbum, quod dixit corpori Christi fuisse pro anima: ut sic cum dicit: pater maior me est, vel cum orasse legitur, aut tristatus, ad ipsam naturam filii Dei sit referendum.
Hoc autem posito, sequitur quod unio filii Dei ad hominem facta sit non solum in persona, sed etiam in natura. Manifestum est enim quod ex anima et corpore constituitur unitas humanae naturae. Et huius quidem positionis falsitas quantum ad id quod filium minorem patre asserit, supra est declarata, cum ostendimus filium patri aequalem. Quantum vero ad id quod dicit, verbum Dei in Christo fuisse pro anima, huius erroris ex praemissis falsitas ostendi potest. Ostensum est enim supra, animam corpori uniri ut formam, Deum autem impossibile est formam corporis esse, sicut supra ostensum est. Et ne forte Arius hoc diceret de summo Deo patre intelligendum, idem et de Angelis ostendi potest, quod secundum naturam corpori non possunt uniri per modum formae, cum sint secundum naturam suam a corporibus separati. Multo igitur minus filius Dei, per quem facti sunt Angeli, ut etiam Arius confitetur, corporis forma esse potest. Praeterea. Filius Dei etiam si sit creatura, ut Arius mentitur, tamen secundum ipsum in beatitudine praecedit omnes spiritus creatos. Est autem tanta Angelorum beatitudo, quod tristitiam habere non possunt. Non enim esset vera et plena felicitas, si aliquid eorum votis deficeret: est enim de ratione beatitudinis ut sit finale et perfectum bonum totaliter appetitum quietans. Multo igitur minus Dei filius tristari potest aut timere secundum suam naturam. Legitur autem tristatus, cum dicitur: coepit Iesus pavere et taedere, et moestus esse; et ipse etiam suam tristitiam profitetur, dicens: tristis est anima mea usque ad mortem. Manifestum est autem tristitiam non esse corporis, sed alicuius apprehensivae substantiae. Oportet igitur praeter verbum et corpus in Christo aliam fuisse substantiam quae tristitiam pati posset, et hanc dicimus animam. Rursus. Si Christus propterea assumpsit quae nostra sunt, ut nos a peccatis mundaret, magis autem necessarium erat nobis mundari secundum animam, a qua origo peccati processerat, et quae est subiectum peccati: non igitur corpus assumpsit sine anima, sed quia principalius animam, et corpus cum anima.

Chapitre 204 — L’ERREUR D’ARIUS AU SUJET DE L’INCARNATION ET SA RÉFUTATION

Donc pour confesser l’unité de Dieu et de l’homme, des hérétiques prirent un parti contraire en disant : de Dieu et de l’homme il n’y a pas seulement une personne mais aussi une nature. Le principe de cette erreur vient d’Arius. Celui-ci afin que ce qui est dit du Christ dans les Ecritures, par quoi il est dit moindre que le Père, ne puisse être rapporté au Fils de Dieu que selon sa nature assumante, a énoncé que dans le Christ il n’y a pas d’autre âme que le Verbe de Dieu. Et ainsi lorsque le Christ dit : "Mon Père est plus grand que moi", ou comme on dit qu’il a prié ou qu’il a été contristé, cela doit être rapporté à la nature même du Fils de Dieu. Cela posé il s’en suit que l’union du Fils de Dieu avec l’homme s’est faite non seulement en la personne mais aussi en la nature. En effet il est manifeste que de l’âme et du corps est constituée l’unité de l’humaine nature.

La fausseté d’une telle position qui affirme que le Fils est moindre que le Père on l’a montrée plus haut (chapitres 41 à 43) où nous avons dit que le Fils est égal au Père. Quant à ce que le Verbe de Dieu, selon lui, était comme l’âme du Christ, on peut en démontrer la fausseté par ce qui a été dit auparavant. En effet on a montré (chapitres 85 et 90) que l’âme est unie au corps comme sa forme; or il est impossible que Dieu soit la forme d’un corps (chapitre 17). Et pour que peut-être Arius ne dise pas cela du Père Dieu Suprême, la même chose peut être montrée au sujet des anges qui selon leur nature ne peuvent être unis à un corps par manière de forme puisque selon leur nature ils sont séparés des corps. A fortiori donc le Fils de Dieu qui a créé ces anges, ce qu’admet Arius, ne peut être la forme d’un corps

En outre le Fils de Dieu même s’il était créature, comme Arius ose le dire, cependant selon lui il dépasse dans la béatitude tous les esprits créés. Or la béatitude des anges est si grande qu’ils ne peuvent être tristes. En effet il n’y aurait pas de vraie et entière félicité si quelque chose manquait à leurs désirs. Or la béatitude est par définition le bien final et parfait et le repos du désir. A bien plus forte raison le Fils de Dieu ne peut-il être attristé ou craindre selon sa nature.

Mais on dit qu’il fut contristé : "Jésus fut pris de peur, de dégoût et de tristesse" (Mc 14, 33). Et lui-même avoue sa tristesse en disant : "Mon âme est triste jusqu’à en mourir" (Ib. 34). Il est manifeste que cette tristesse n’était pas du corps mais d’une substance appréhensive. Il faut donc en plus du Verbe et du corps dans le Christ qu’il y eut une autre substance qui puisse souffrir la tristesse et que nous appelons l’âme.

De plus, si le Christ a pris ce qui est nôtre pour nous purifier du péché il nous était encore plus nécessaire d’être purifiés selon l’âme où le péché a son origine et qui est sujet du péché : Il n’a donc pas pris un corps sans âme mais avant tout une âme, aussi donc un corps avec une âme.

 

 

Caput 205 [70367] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 205 tit. De errore Apollinaris circa incarnationem et improbatio eius


 [70368] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 205 Ex quo etiam excluditur error Apollinaris, qui primo quidem Arium secutus, in Christo non aliam animam esse posuit quam Dei verbum. Sed quia non sequebatur Arium in hoc quod filium Dei diceret creaturam, multa autem dicuntur de Christo quae nec corpori attribui possunt, nec creatori convenire, ut tristitia, timor et huiusmodi, coactus tandem fuit ponere quidem aliquam animam in Christo, quae corpus sensificaret, et quae harum passionum posset esse subiectum, quae tamen ratione et intellectu carebat, ipsum autem verbum homini Christo pro intellectu et ratione fuisse. Hoc autem multipliciter falsum esse ostenditur. Primo quidem, quia hoc est contra naturae rationem ut anima non rationalis sit forma hominis, cum tamen formam corporis habeat. Nihil autem monstruosum et innaturale in Christi incarnatione fuisse putandum est. Secundo, quia fuisset contra incarnationis finem, qui est reparatio humanae naturae, quae quidem principalius indiget reparari quantum ad intellectivam partem, quae particeps peccati esse potest. Unde praecipue conveniens fuit ut intellectivam hominis partem assumeret. Dicitur etiam Christus admiratus fuisse, admirari autem non est nisi animae rationalis, Deo vero omnino convenire non potest.
Sicut igitur tristitia cogit in Christo ponere animam sensitivam, sic admiratio cogit ponere in Christo partem animae intellectivam.

Chapitre 205 — DE L’ERREUR D’APOLLINAIRE ET SA RÉFUTATION AU SUJET DE L’INCARNATION

Par là aussi on exclut l’erreur d’Apollinaire qui suivit d’abord Arius ne mettant dans le Christ une autre âme que le Verbe de Dieu. Mais il ne suivait pas Arius en ce qu’il faisait du Fils de Dieu une créature; or comme beaucoup de choses sont dites du Christ qui ne peuvent pas être attribuées au corps ni convenir au créateur, telles la tristesse, la crainte et autres, il fut enfin contraint de mettre une âme au Christ pour sanctifier son corps et pouvoir être le sujet de ces passions mais qui n’avait cependant ni raison ni intelligence; mais le Verbe tenait lieu au Christ-homme d’intelligence et de raison.

Or cela est faux de beaucoup de manières. D’abord parce que c’est contraire à la nature des choses qu’une âme irrationnelle puisse être forme pour l’homme même s’il pouvait avoir la figure d’un corps. Or on ne peut rien admettre de monstrueux et contre nature dans l’incarnation du Christ. Ensuite c’eut été contraire au but de l’incarnation qui est de réparer l’humaine nature principalement quant à la partie intellective qui est susceptible de péché. D’où il convenait principalement qu’Il assumât la partie intellective de l’homme. On dit aussi que le Christ s’est étonné (Mt 8, 10)[45]. Or l'étonnement est seulement dans l’âme rationnelle et ne peut aucunement convenir à Dieu. De même donc que la tristesse nous oblige à admettre dans le Christ une âme sensitive, de même aussi l’étonnement oblige à admettre dans le Christ une partie intellectuelle de l’âme.

 

 

 

Caput 206 [70369] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 206 tit. De errore Eutychetis ponentis unionem in natura


 [70370] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 206 Hos autem quantum ad aliquid Eutyches secutus est. Posuit enim unam naturam fuisse Dei et hominis post incarnationem, non tamen posuit quod Christo deesset vel anima vel intellectus, vel aliquid eorum quae ad integritatem spectant naturae.
Sed et huius opinionis falsitas manifeste apparet. Divina enim natura in se perfecta et incommutabilis est. Natura enim quae in se perfecta est, cum altera non potest in unam naturam convenire, nisi vel ipsa convertatur in alteram, sicut cibus in cibatum, vel alterum convertatur in ipsum, sicut in ignem ligna; vel utrumque transmutetur in tertium, sicut elementa in corpus mixtum. Haec autem omnia removet divina immutabilitas. Non enim immutabile est neque quod in alterum convertitur, neque in quod alterum converti potest. Cum ergo natura divina in se sit perfecta, nullo modo potest esse quod simul cum aliqua natura in unam naturam conveniat. Rursum. Si quis rerum ordinem consideret, additio maioris perfectionis variat naturae speciem: alterius enim speciei est quod est et vivit tantum, ut planta, quam quod est tantum. Quod autem est et vivit et sentit, ut animal, est alterius speciei quam quod est et vivit tantum, ut planta. Item quod est, vivit, sentit et intelligit, ut homo, est alterius speciei quam quod est, vivit et sentit tantum, ut animal brutum. Si igitur illa una natura quae ponitur esse Christi, supra haec omnia habuit quod divinum est, consequens est quod illa natura alterius fuerit speciei a natura humana, sicut natura humana a natura bruti animalis. Neque Christus igitur fuit homo eiusdem speciei: quod falsum esse ostenditur ex hoc quod ab hominibus secundum carnem progenitus fuit, sicut Matthaeus ostendit in principio Evangelii sui dicens: liber generationis Iesu Christi, filii David, filii Abraham.

Chapitre 206 — DE L’ERREUR D’EUTYCHÈS QUI POSE UNE UNION DE NATURE

Eutychès les a suivis en quelque chose. Il avance en effet qu’il y eut une seule nature de Dieu et de l’homme après l’incarnation; mais il n’avance pas qu’il manquait au Christ soit l’intelligence soit l’âme soit quelque chose de ce genre qui regarde l’intégrité de la nature. Mais la fausseté de cette opinion apparaît manifeste. En effet la nature divine est en elle-même parfaite en soi et immuable. La nature qui est parfaite en soi ne peut faire avec une autre une seule nature sans se changer en l’autre comme la nourriture en celui qui se nourrit ou que l’autre se change en elle comme le bois en feu ou que l’une et l’autre ne se transforment en une troisième comme les éléments en corps composé; or tout cela la divine immutabilité les rejette. Ce qui se change en un autre n’est pas immuable, ni ce qui peut être changé. Comme la nature divine est parfaite en elle-même il ne peut être question qu’elle se rencontre en une autre une seule nature.

De plus si on considère l’ordre des choses, l’ajout d’une plus grande perfection change la nature de l’espèce; autre en effet est l’espèce de ce qui est et vit seulement, telle la plante, que ce qui est seulement; et ce qui est, vit et sent, tel l’animal, que ce qui est vit seulement, telle la plante. De même ce qui est, vit, sent et pense tel l’homme, est d’une autre espèce que ce qui est vit et sent seulement comme l’animal brut. Si donc cette unique nature qu’on donne au Christ, en plus de toutes ces choses posséda ce qui est divin, il s’en suit que cette autre nature fut d’une autre espèce que la nature humaine comme celle-ci est autre que l’animal brut. Et donc le Christ ne fut pas un homme de la même espèce; ce qui se prouve être faux commencement de son Evangile en disant : "Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David, Fils d’Abraham" (1, 1).

 

 

 

Caput 207 [70371] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 207 tit. Contra errorem Manichaei dicentis, Christum non habuisse verum corpus, sed phantasticum


 [70372] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 207 Sicut autem Photinus evacuavit incarnationis mysterium, divinam naturam a Christo auferendo, sic Manichaeus auferendo humanam. Quia enim ponebat totam creaturam corpoream a Diabolo fuisse creatam, nec erat conveniens ut boni Dei filius assumeret Diaboli creaturam, ideo posuit Christum non habuisse veram carnem, sed phantasticam tantum, et omnia quae in Evangelio de Christo narrantur ad humanam naturam pertinentia, in phantasia, et non in veritate facta fuisse asserebat.
Haec autem positio manifeste sacrae Scripturae contradicit, quae Christum asserit de virgine natum, circumcisum, esuriisse, comedisse et alia pertulisse quae pertinent ad humanae carnis naturam. Falsa igitur esset Evangeliorum Scriptura, haec narrans de Christo. Rursus. Ipse Christus de se dicit Ioan. XVIII, 37: in hoc natus sum, et ad hoc veni in mundum, ut testimonium perhibeam veritati. Non fuisset autem veritatis testis, sed magis falsitatis, si in se demonstrasset quod non erat: praesertim cum praedixerit se passurum quae sine vera carne pati non potuisset, scilicet quod traderetur in manus hominum, quod conspueretur, flagellaretur, crucifigeretur. Dicere ergo Christum veram carnem non habuisse, nec huiusmodi in veritate, sed solum in phantasia eum fuisse perpessum, est Christo imponere falsitatem. Adhuc. Veram opinionem a cordibus hominum removere, est hominis fallacis. Christus autem hanc opinionem a cordibus discipulorum removit. Cum enim post resurrectionem discipulis apparuit qui eum spiritum vel phantasma esse existimabant, ad huiusmodi suspicionem de cordibus eorum tollendam, dixit: palpate, et videte, quia spiritus carnem et ossa non habet, sicut me videtis habere; et in alio loco, cum supra mare ambularet, existimantibus eum discipulis esse phantasma, et ob hoc eis in timore constitutis, dominus dixit: ego sum, nolite timere. Si igitur haec opinio vera est, necesse est dicere Christum fuisse fallacem. Christus autem veritas est, ut ipse de se dicit. Haec opinio igitur est falsa.

Chapitre 207 — CONTRE L’ERREUR MANICHÉENNE QUI DIT QUE LE CHRIST N’EUT PAS DE CORPS MAIS SEULEMENT UNE APPARENCE

De même que Photin avait évacué le mystère de l’Incarnation en enlevant au Christ la nature divine, ainsi Mani le fit en lui enlevant la nature humaine. Comme il prétendait en effet que toute la nature corporelle avait été créée par le diable et qu’il ne convenait pas que le Fils du Dieu bon assumât une créature du diable il mit donc en avant que le Christ n’avait pas une vraie chair mais seulement une apparence; et tout ce qui est raconté dans les Evangiles au sujet du Christ appartenant à sa nature humaine il affirmait que tout cela s’était passé en apparence et non en réalité.

Une telle position contredit manifestement la Sainte Écriture qui affirme que le Christ est né d’une vierge, fut circoncis, ayant eu faim, ayant mangé et enduré tout ce qui appartient à la nature de l’humaine chair. Ce que disent les Evangiles serait donc faux qui racontent cela du Christ ?

De nouveau, le Christ dit de lui-même : "Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité" (Jean 18, 37). Il n’eut pas été témoin de la vérité, mais de la fausseté s’il avait fait voir en lui ce qu’il n’était pas, surtout après avoir prédit qu’il souffrirait des choses qu’on ne peut souffrir sans une vraie chair : qu’il serait livré aux mains des hommes, conspué, flagellé, crucifié. Dire donc que le Christ n’a pas eu de vraie chair ni d’avoir supporté rien de ce genre en vérité mais en imagination c’est faire du Christ un imposteur.

En outre détromper les hommes dans leur persuasion la plus intime c’est le fait d’un fourbe or le Christ a détrompé ses disciples dans une telle persuasion. En effet lorsqu’après sa résurrection il apparut à ses disciples qui croyaient voir en lui un esprit ou quelque fantôme il dit : "Touchez et vous verrez qu’un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai" (Lc 24, 39). Et dans un autre endroit comme Il marchait sur la mer, ses disciples estimant que c’était un fantôme et à cause de cela étant dans la crainte, le Seigneur de leur dire : "C’est bien moi, ne craignez pas" (Mt 14, 27; Mc 6, 50; Jean 6, 20). Si donc l’opinion des disciples est vraie, il est nécessaire de dire que le Christ fut un imposteur; or le Christ est la vérité comme il le dit de lui-même (Jean 14, 6). Donc une telle opinion est fausse.

 

 

 

Caput 208 [70373] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 208 tit. Quod Christus verum corpus habuit, non de caelo, contra Valentinum


 [70374] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 208 Valentinus autem etsi verum corpus Christum habuisse confiteretur, dicebat tamen eum carnem non assumpsisse de virgine, sed attulisse corpus de caelo formatum, quod transivit per virginem, nihil ex ea accipiens, sicut aqua transit per canalem. Hoc etiam veritati Scripturae contradicit. Dicit enim apostolus, Rom. I, 3: qui factus est ei ex semine David secundum carnem, et ad Gal. IV, 4, dicit: misit Deus filium suum unigenitum factum ex muliere. Matthaeus autem I, 16, dicit: et Iacob genuit Ioseph virum Mariae, de qua natus est Iesus, qui vocatur Christus, et postmodum eam eius matrem nominat subdens: cum esset desponsata mater eius Maria Ioseph. Haec autem vera non essent, si Christus de virgine carnem non assumpsisset.
Falsum est igitur quod corpus caeleste attulerit. Sed quod apostolus I ad Corinth. XV, 47, dicit: secundus homo de caelo caelestis, intelligendum est quod de caelo descendit secundum divinitatem, non autem secundum substantiam corporis. Adhuc. Nulla ratio esset quare corpus de caelo afferens Dei filius, uterum virginis introisset, si ex ea nil assumeret, sed magis videretur esse fictio quaedam, dum ex utero matris egrediens demonstraret se ab ea accepisse carnem quam non acceperat. Cum igitur omnis falsitas a Christo sit aliena, simpliciter confitendum est, quod Christus sic processit ex utero virginis quod ex ea carnem accepit.

Chapitre 208 — CONTRE VALENTIN — LE CHRIST EUT UN VRAI CORPS QUI N’ÉTAIT PAS DU CIEL

Valentin admet bien que le corps du Christ était réel; mais il disait qu’Il n’avait pas pris chair de la Vierge, mais qu’Il avait apporté du ciel un corps formé qui traversa la Vierge, comme l’eau traverse le canal, et qu’Il n’en a rien reçu. Cela est aussi contraire à la vérité de l’Ecriture. L’Apôtre dit en effet : "Qui a été fait de la semence de David selon la chair" (Rom 1, 3) et "Dieu envoya son Fils unique fait de la femme" (Gal 4, 4). Et Mathieu dit aussi : "Et Jacob engendra Joseph l’époux de Marie de laquelle est né Jésus, qu’on appelle le Christ" (1, 16) et ensuite il la nomme sa mère : "Comme sa mère Marie était fiancée à Joseph" (ib. 18). Ces affirmations seraient fausses si le Christ n’avait pas pris chair de la Vierge. Il est donc faux qu’il ait apporté un corps céleste. Mais ce que l’Apôtre dit : "Le second homme est céleste venu du ciel" (1 Cor 15, 47) doit être compris qu’il descendit du ciel selon la divinité non selon la substance du corps.

Encore, il n’y aurait aucun motif pourquoi Il eût apporté un corps du ciel et fût entré dans le sein de la Vierge s’il n’en avait rien pris. Mais il y aurait quelque feinte de laisser voir, en sortant du sein de la Vierge, qu’Il en reçût une chair sans l’avoir reçue. Comme donc toute fausseté est étrangère au Christ il faut simplement admettre que le Christ vint aussi du sein de la Vierge dont Il en a reçu sa chair.

 

3° Qu’est-ce que l’Incarnation ? (chapitres 209 à 212)

Caput 209 [70375] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 209 tit. Quae sit sententia fidei circa incarnationem


 [70376] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 209 Ex praemissis igitur colligere possumus, quod in Christo secundum veritatem Catholicae fidei fuit verum corpus nostrae naturae, vera anima rationalis, et simul cum hoc perfecta deitas.
Hae autem tres substantiae in unam personam conveniunt, non autem in unam naturam. Ad cuius etiam veritatis expositionem aliqui per quasdam vias erroneas processerunt. Considerantes enim quidam, quod omne quod advenit alicui post esse completum, accidentaliter ei adiungitur, ut homini vestis, posuerunt quod humanitas accidentali unione fuerit in persona filii divinitati coniuncta, ita scilicet quod natura assumpta se haberet ad personam filii Dei sicut vestis ad hominem. Ad cuius confirmationem inducebant quod apostolus dicit ad Philip. de Christo, quod habitu inventus est ut homo. Rursus considerabant quod ex unione animae et corporis efficitur individuum quoddam rationalis naturae, quod nominatur persona. Si igitur anima in Christo fuisset corpori unita, videre non poterant quin sequeretur quod ex tali unione constitueretur persona. Sequeretur ergo in Christo duas esse personas, scilicet personam assumentem, et personam assumptam: in homine enim induto non sunt duae personae, quia indumentum rationem personae non habet. Si autem vestis esset persona, sequeretur in homine vestito duas esse personas. Ad hoc igitur excludendum, posuerunt quidam animam Christi unitam nunquam fuisse corpori, sed quod persona filii Dei animam et corpus separatim assumpsit. Sed haec opinio dum unum inconveniens vitare nititur, incidit in maius. Sequitur enim ex necessitate, quod Christus non fuerit verus homo. Veritas enim humanae naturae requirit animae et corporis unionem, nam homo est qui ex utroque componitur. Sequeretur etiam quod Christi non fuerit vera caro, nec aliquod membrum eius habuit veritatem. Remota enim anima non est oculus, aut manus, aut caro et os, nisi aequivoce, sicut pictus aut lapideus. Sequeretur etiam quod Christus vere mortuus non fuerit. Mors enim est privatio vitae. Manifestum est enim quod divinitatis vita per mortem privari non potuit, corpus autem vivum esse non potuit, si ei anima coniuncta non fuit. Sequeretur etiam ulterius quod Christi corpus sentire non potuit, non enim sentit corpus nisi per animam sibi coniunctam. Adhuc autem haec opinio in errorem Nestorii relabitur, quem tamen declinare intendit. In hoc enim erravit Nestorius, quod posuit verbum Dei homini Christo fuisse unitum secundum inhabitationem gratiae, ita quod verbum Dei fuerit in illo homine sicut in templo suo. Nihil autem refert dicere, quantum ad propositum pertinet, quod verbum est in homine sicut in templo, et quod natura humana verbo adveniat ut vestimentum vestito: nisi quod in tantum haec opinio est deterior, quia Christum verum hominem confiteri non potest. Est igitur haec opinio non immerito condemnata. Adhuc autem homo vestitus non potest esse persona vestis aut indumenti, nec aliquo modo dici potest quod sit in specie indumenti. Si igitur filius Dei humanam naturam ut vestimentum assumpsit, nullo modo dici poterit persona humanae naturae, nec etiam dici poterit quod filius Dei sit eiusdem speciei cum aliis hominibus, de quo tamen apostolus dicit quod est in similitudinem hominum factus. Unde patet hanc opinionem esse totaliter evitandam.

Chapitre 209 — QUE DIT AU SUJET DE L’INCARNATION ?

De ce qu’on a dit jusqu’à présent on peut conclure selon la vérité de la foi catholique que le Christ eut un vrai corps de notre nature, une âme rationnelle, en même temps et avec cela une parfaite divinité. Or ces trois substances se rencontrent dans une seule personne mais non dans une seule nature.

Pour exposer cette vérité certains se sont engagés dans des voies erronées. Certains en effet considérèrent que tout ce qui advient à quelqu’un après son être complet lui est ajouté accidentellement, tel un vêtement; ainsi, disent- ils, par une union accidentelle l’humanité a été unie à la divinité dans la personne du Fils de sorte que la nature assumée se rapporterait à la personne du Fils de Dieu comme le vêtement à l’homme. En confirmation de cela ils citent ce que dit l’Apôtre au sujet du Christ : "Et on le tenait extérieurement pour un homme" (Ph 2, 7).

De nouveau ils considéraient que de l’union de l’âme et du corps résulte un individu de nature rationnelle qu’on appelle "personne". Si donc l’âme dans le Christ eut été unie au corps ils ne pouvaient pas s’apercevoir qu’au con traire une telle union constituait une personne. Il y aurait donc deux personnes dans le Christ c’est-à-dire celle qui assume et l’autre assumée; en effet dans l’homme qui est vêtu il n’y a pas deux personnes, car le vêtement n’est pas une personne. Or si le vêtement était une personne, il s’en suivrait que dans un homme vêtu il y a deux personnes. Afin d’éviter cela d’autres ont dit que l’âme du Christ ne fut jamais unie au corps, mais que la personne du Fils de Dieu a pris séparément l’âme et le corps. Mais cette opinion en voulant éviter un inconvénient est tombée dans un plus grave. Il s’en suit en effet nécessairement que le Christ n’a pas été un vrai homme. En effet la vérité de la nature humaine exige l’union de l’âme et du corps; car est homme celui qui est composé des deux. Il s’en suivrait aussi que le Christ ne fut pas une vraie chair et qu’aucun de ses membres ne fut réel. Sans âme en effet il n’y a ni oeil, ni chair, ni os sinon que d’une manière équivoque comme quelque chose en peinture ou en sculpture. Il s’en suivrait aussi que le Christ ne fut pas réellement mort : car la mort est privation de la vie. Il est en effet manifeste que la vie divine ne peut être supprimée par la mort; et le corps n’a pu être vivant s’il n’a été uni à une âme. Il s’en suivrait de plus que le corps du Christ n’a pu avoir de sensation, car le corps n’a pas de sensation s’il n’est uni à une âme.

Encore : cette opinion retombe dans l’erreur de Nestorius tout en voulant l’éviter. En ceci en effet consiste l’erreur de Nestorius quand il avance que le Verbe de Dieu fut uni au Christ homme selon l’habitation de la grâce de sorte que le Verbe de Dieu a été dans cet homme comme dans son temple. Il n’importe guère qu’ils disent à ce sujet que le Verbe est en l’homme comme dans un temple et que la nature humaine advient au Verbe comme un vêtement, si ce n’est que cette dernière opinion est pire, car elle ne peut confesser que le Christ est un vrai homme. Elle a donc été justement condamnée.

Encore : un homme vêtu ne peut être personne d’un habit ou d’un vêtement et on ne peut dire qu’il est de l’espèce vêtement. Si donc le Fils de Dieu a pris la nature humaine comme vêtement il ne peut aucunement être une personne de nature humaine ni aussi de même espèce que les autres hommes. Et cependant l’Apôtre dit de Lui qu’il "fut comme les autres hommes" (Ph 2, 7). D’où il ressort que cette opinion est à rejeter totalement.

 

 

Caput 210 [70377] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 210 tit. Quod in ipso non sunt duo supposita


 [70378] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 210 Alii vero praedicta inconvenientia vitare volentes, posuerunt quidem in Christo animam corpori fuisse unitam, et ex tali unione quendam hominem constitutum fuisse, quem dicunt a filio Dei in unitatem personae assumptum, ratione cuius assumptionis illum hominem dicunt esse filium Dei, et filium Dei dicunt esse illum hominem. Et quia assumptionem praedictam ad unitatem personae dicunt esse terminatam, confitentur quidem in Christo unam personam Dei et hominis, sed quia hic homo, quem ex anima et corpore constitutum dicunt, est quoddam suppositum vel hypostasis humanae naturae, ponunt in Christo duo supposita et duas hypostases: unum naturae humanae, creatum et temporale; aliud divinae naturae, increatum et aeternum. Haec autem positio licet ab errore Nestorii verbotenus recedere videatur, tamen si quis eam interius perscrutetur, in idem cum Nestorio labitur.
Manifestum est enim quod persona nihil aliud est quam substantia individua rationalis naturae, humana autem natura rationalis est: unde et ex hoc ipso quod ponitur in Christo aliqua hypostasis vel suppositum naturae humanae, temporale et creatum, ponitur etiam aliqua persona in Christo, temporalis creata: hoc enim est quod nomine suppositi vel hypostasis significatur, scilicet individua substantia. Ponentes ergo in Christo duo supposita vel duas hypostases, si quod dicunt intelligunt, necesse habent ponere duas personas. Item. Quaecumque supposito differunt, ita se habent, quod ea quae sunt propria unius, alteri convenire non possunt. Si ergo non est idem suppositum filius Dei et filius hominis, sequitur quod ea quae sunt filii hominis, non possunt attribui filio Dei, nec e converso. Non ergo poterit dici Deus crucifixus, aut natus ex virgine: quod est Nestorianae impietatis. Si quis autem ad haec dicere velit, quod ea quae sunt hominis illius, filio Dei attribuuntur, et e converso propter unitatem personae, quamvis sint diversa supposita, hoc omnino stare non potest. Manifestum est enim quod suppositum aeternum filii Dei non est aliud quam ipsa eius persona. Quaecumque igitur dicuntur de filio Dei ratione suae personae, dicerentur de ipso ratione sui suppositi. Sed ea quae sunt hominis, non dicuntur de eo ratione suppositi, quia ponitur filius Dei a filio hominis supposito differre. Neque igitur ratione personae de filio Dei dici poterunt quae sunt propria filii hominis, ut nasci de virgine, mori, et similia. Adhuc. Si de supposito aliquo temporali Dei nomen praedicetur, hoc erit recens et novum. Sed omne quod recenter et de novo dicitur Deus, non est Deus, nisi quia factum est Deus. Quod autem est factum Deus, non est naturaliter Deus, sed per adoptionem solum. Sequitur ergo quod ille homo non fuerit vere et naturaliter Deus, sed solum per adoptionem: quod etiam ad errorem Nestorii pertinet.

Chapitre 210 — IL N’Y A PAS EN LUI DEUX HYPOSTASES

D’autres ont voulu éviter ces inconvénients et ils ont dit que dans le Christ l’âme fut unie à un corps et que d’une telle union un homme s’est constitué qu’ils disent assumé par le Fils de Dieu en l’unité d’une personne en raison de quoi, disent-ils, cet homme est Fils de Dieu et le Fils de Dieu est cet homme. Et parce que cette"assomption"se termine, disent-ils, en l’unité de la personne ils confesseraient à la vérité dans le Christ une seule personne de Dieu et de l’homme; mais parce que cet homme qu’ils disent constitué d’une âme et d’un corps est un sùppôt ou hypostase d’humaine nature ils posent dans le Christ deux suppôts et deux hypostases, l’une de nature humaine créée et temporelle, l’autre de nature divine incréée et éternelle. Or cette position quoique verbalement différente de celle de Nestorius, cependant examinée à fond de l’intérieur revient à celle de Nestorius. Il est manifeste en effet que la personne n’est rien autre que la substance individuelle de nature rationnelle; or l’âme humaine est rationnelle. Et de cela même qu’on pose dans le Christ une hypostase ou suppôt de nature humaine, temporel et créé, on pose aussi dans le Christ une personne temporelle, créée; c’est en effet ce que signifie le mot "suppôt" ou "hypostase" c’est-à-dire une substance individuelle. Met tant donc dans le Christ deux suppôts ou deux hypostases, s’ils comprennent ce qu’ils disent, ils doivent admettre qu’il y a deux personnes.

De même ce qui diffère comme suppôt fait que ce qui est propre à l’un ne peut convenir à un autre. Si donc ce n’est pas le même suppôt que le Fils de Dieu et le fils de l’homme il suit que ce qui est du fils de l’homme ne peut être attribué au Fils de Dieu ni inversement. On ne pourra donc pas dire qu’un Dieu a été crucifié ou né de la Vierge Marie, ce qui est l’impiété nestorienne.

Si quelqu’un voulait dire à cela que ce qui est de cet homme est attribué au Fils de Dieu et inversement à cause de l’unité de la personne, bien qu’il y ait des suppôts divers, cela ne peut pas tenir. Il est manifeste en effet que le suppôt éternel du Fils de Dieu n’est pas autre que sa personne même. Donc tout ce qui est dit du Fils de Dieu en raison de sa personne se dirait également de lui en rai son même de son suppôt; mais ce qui est de l’homme n’est pas dit de Lui en raison de son suppôt parce qu’on pose que le Fils de Dieu diffère du fils de l’homme comme suppôt. Ni donc ne pourront être dits de la personne du Fils de Dieu les choses qui sont propres du fils de l’homme, comme naître de la Vierge, mourir et autres choses semblables.

Encore, si au sujet d’un suppôt temporel quelconque on lui attribue le nom divin, c’est du récent et du nouveau’. Mais tout ce qui est récent et nouveau et qu’on applique à Dieu ce n’est pas Dieu sinon qu’on le fait Dieu; or ce qu’on a fait Dieu n’est pas Dieu naturellement mais par adoption seulement. Il s’en suit donc que cet homme n’aura pas été Dieu vraiment et naturellement, mais seulement par adoption, ce qui revient à l’erreur de Nestorius (chapitre 203).

 

 

Caput 211 [70379] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 211 tit. Quod in Christo est unum tantum suppositum et est una tantum persona


 [70380] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 211 Sic igitur oportet dicere, quod in Christo non solum sit una persona Dei et hominis, sed etiam unum suppositum et una hypostasis: natura autem non una, sed duae. Ad cuius evidentiam considerare oportet, quod haec nomina persona, hypostasis et suppositum, integrum quoddam designant. Non enim potest dici quod manus aut caro aut quaecumque aliarum partium sit persona vel hypostasis aut suppositum, sed hoc totum, quod est hic homo.
Ea vero nomina quae sunt communia individuis substantiarum et accidentium, ut individuum et singulare, possunt et toti et partibus aptari. Nam partes cum accidentibus aliquid habent commune: scilicet quod non per se existunt, sed aliis insunt, licet secundum modum diversum. Potest igitur dici quod manus Socratis et Platonis est quoddam individuum, vel singulare quoddam, licet non sit hypostasis vel suppositum vel persona. Est etiam considerandum ulterius, quod aliquorum coniunctio per se considerata, quandoque quidem facit aliquod integrum, quae in alio propter additionem alterius non constituit aliquod integrum, sicut in lapide commixtio quatuor elementorum facit aliquod integrum: unde illud quod est ex elementis constitutum, in lapide potest dici suppositum vel hypostasis, quod est hic lapis, non autem persona, quia non est hypostasis naturae rationalis. Compositio autem elementorum in animali non constituit aliquod integrum, sed constituit partem, scilicet corpus: quia necesse est aliquid aliud advenire ad completionem animalis, scilicet animam; unde compositio elementorum in animali non constituit suppositum vel hypostasim, sed hoc animal totum est hypostasis vel suppositum. Nec tamen propter hoc minus est efficax in animali elementorum compositio quam in lapide, sed multo amplius, quia est ordinata ad rem nobiliorem. Sic igitur in aliis hominibus unio animae et corporis constituit hypostasim et suppositum, quia nihil aliud est praeter haec duo. In domino autem Iesu Christo praeter animam et corpus advenit tertia substantia, scilicet divinitas. Non ergo est seorsum suppositum vel hypostasis, sicut nec persona, id quod est ex corpore et anima constitutum, sed suppositum, hypostasis vel persona est id quod constat ex tribus substantiis, corpore scilicet et anima et divinitate, et sic in Christo sicut est una tantum persona, ita unum suppositum et una hypostasis. Alia autem ratione advenit anima corpori, et divinitas utrique. Nam anima advenit corpori ut forma eius existens, unde his duobus constituitur una natura, quae dicitur humana natura. Divinitas autem non advenit animae et corpori per modum formae, neque per modum partis: hoc enim est contra rationem divinae perfectionis. Unde ex divinitate et anima et corpore non constituitur una natura, sed ipsa natura divina in seipsa integra et pura existens sibi quodam modo incomprehensibili et ineffabili humanam naturam ex anima et corpore constitutam assumpsit, quod ex infinita virtute eius processit. Videmus enim quod quanto aliquod agens est maioris virtutis, tanto magis sibi applicat aliquod instrumentum ad aliquod opus perficiendum. Sicut igitur virtus divina propter sui infinitatem est infinita et incomprehensibilis, ita modus quo sibi univit humanam naturam Christus, quasi organum quoddam ad humanae salutis effectum, est nobis ineffabilis, et excedens omnem aliam unionem Dei ad creaturam. Et quia, sicut iam diximus, persona, hypostasis et suppositum designant aliquid integrum, si divina natura in Christo est ut pars, et non ut aliquid integrum, sicut anima in compositione hominis, una persona Christi non se teneret tantum ex parte naturae divinae, sed esset quoddam constitutum ex tribus, sicut et in homine persona, hypostasis et suppositum est quod ex anima et corpore constituitur. Sed quia divina natura est aliquid integrum, quod sibi assumpsit per quandam ineffabilem unionem humanam naturam, persona se tenet ex parte divinae naturae, et similiter hypostasis et suppositum; anima vero et corpus trahuntur ad personalitatem personae divinae, ut sit persona filii Dei, sicut etiam persona filii hominis et hypostasis et suppositum. Potest autem huiusmodi exemplum aliquale in creaturis inveniri. Subiectum enim et accidens non sic uniuntur ut ex eis aliquod tertium constituatur, unde subiectum in tali unione non se habet ut pars, sed est integrum quoddam, quod est persona, hypostasis et suppositum. Accidens autem trahitur ad personalitatem subiecti, ut sit persona eadem hominis et albi, et similiter eadem hypostasis et idem suppositum. Sic igitur secundum similitudinem quandam persona, hypostasis et suppositum filii Dei est persona, hypostasis et suppositum humanae naturae in Christo. Unde quidam propter huiusmodi similitudinem dicere praesumpserunt, quod humana natura in Christo degenerat in accidens, et quod accidentaliter Dei filio uniretur, veritatem a similitudine non discernentes. Patet igitur ex praemissis quod in Christo non est alia persona nisi aeterna, quae est persona filii Dei, nec alia hypostasis aut suppositum; unde cum dicitur hic homo, demonstrato Christo, importatur suppositum aeternum. Nec tamen propter hoc aequivoce dicitur hoc nomen homo de Christo et de aliis hominibus. Aequivocatio enim non attenditur secundum diversitatem suppositionis, sed secundum diversitatem significationis. Nomen autem hominis attributum Petro et Christo idem significat, scilicet naturam humanam, sed non idem supponit: quia hic supponit suppositum aeternum filii Dei, ibi autem suppositum creatum. Quia vero de unoquoque supposito alicuius naturae possunt dici ea quae competunt illi naturae cuius est suppositum, idem autem est suppositum in Christo humanae et divinae naturae, manifestum est quod de hoc supposito utriusque naturae, sive supponatur per nomen significans divinam naturam aut personam, sive humanam, possunt dici indifferenter et quae sunt divinae, et quae sunt humanae naturae, utputa, si dicamus, quod filius Dei est aeternus, et quod filius Dei est natus de virgine, et similiter dicere possumus, quod hic homo est Deus, et creavit stellas, et est natus, mortuus et sepultus. Quod autem praedicatur de aliquo supposito, praedicatur de eo secundum aliquam formam vel materiam, sicut Socrates est albus secundum albedinem, et est rationalis secundum animam. Dictum est autem supra quod in Christo sunt duae naturae et unum suppositum. Si ergo referatur ad suppositum, indifferenter sunt praedicanda de Christo humana et divina. Est tamen discernendum secundum quid utrumque dicatur, quia divina dicuntur de Christo secundum divinam naturam, humana vero secundum humanam.

 

Chapitre 211 — DANS LE CHRIST IL N’Y A QU’UN SUPPÔT ET QU’UNE PERSONNE

Ainsi donc il faut dire que dans le Christ non seulement il y a une seule personne divine et humaine, mais aussi un seul suppôt et une seule hypostase; non pas une nature mais deux. Pour en faire l’évidence il faut considérer que ces trois noms : personne, hypostase et suppôt désignent une certaine entièreté (intégrité). En effet on ne peut pas dire que la main ou la chair ou toute autre partie soit une personne ou une hypostase ou un suppôt mais ce tout qui est cet homme. Mais les noms qui sont communs aux individus, substances et accidents, peuvent s’appliquer au tout ou aux parties, comme "individu" et "singulier". Car les parties ont quelque chose de commun avec les accidents c’est-à-dire qu’elles ne sont pas par elles-mêmes mais sont dans les autres, bien que de manière différente. On peut donc dire que la main de Socrate ou de Platon est quelque chose d’individuel ou de singulier, bien qu’elle ne soit ni hypostase, ni suppôt, ni personne.

De plus il faut aussi savoir que des choses réunies, con sidérées en elles-mêmes constituent parfois une entièreté, mais que réunies autrement où s’ajoute quelque chose d’autre il n’y a plus cette entièreté ainsi dans la pierre la rencontre des quatre éléments fait un tout; d’où ce qui est composé des éléments peut être dit suppôt dans la pierre ou l’hypostase qu’est cette pierre, mais non pas personne parce que ce n’est pas une hypostase de nature rationnelle. Quant à la composition des éléments dans l’animal, elle ne constitue pas un tout mais une partie, c’est-à-dire le corps, car il est nécessaire que quelque chose d’autre advienne pour l’animai complet c’est-à-dire l’âme; d’où l’ensemble des éléments ne constitue pas chez lui un suppôt ou une hypostase, mais c’est tout l’animal qui est hypostase ou suppôt. Cependant ce n’est pas que l’ensemble des éléments dans l’animal soit moins efficace que dans la pierre mais bien davantage parce qu’ordonné à une chose meilleure.

Ainsi donc chez les hommes l’union de l’âme et du corps constitue l’hypostase et le suppôt car rien d’autre n’est au-delà de ces deux. Dans le Seigneur Jésus en plus de l’âme et du corps advient une troisième substance c’est-à-dire la divinité. Il n’y a donc pas mis à part le suppôt, l’hypostase, comme non plus la personne dans ce qui est constitué de l’âme et du corps; mais le suppôt ou hypostase ou la personne est ce qui subsiste des trois c’est-à-dire le corps, l’âme et la divinité; et ainsi dans le Christ, de même qu’il n’y a qu’une seule personne ainsi aussi un suppôt et une hypostase,

Mais l’âme advient au corps d’une autre manière que la divinité à ces deux. Car l’âme advient au corps comme forme existante du corps; d’où de ces deux se constitue une nature qu’on appelle la nature humaine. Mais la divinité n’advient pas à l’âme et au corps comme leur forme ni comme une partie; en effet cela est contraire à la perfection divine. D’où de la divinité, de l’âme et du corps ne se constitue pas une seule nature; mais la nature divine elle-même entièrement elle-même et sans mélange s’est assumée d’une manière incompréhensible et ineffable la nature humaine constituée de corps et d’âme; et cela provient de son infinie vertu. Nous constatons en effet que plus la vertu d’un agent est grande d’autant mieux s’adjoint-il un instrument pour accomplir son oeuvre. De même donc que la vertu divine est de sa nature infinie et incompréhensible : ainsi le mode par lequel le Christ s’est uni la nature humaine comme un instrument ordonné au salut de l’homme est pour nous ineffable et dépassant toute autre union de Dieu et de la créature.

Et parce que, comme nous l’avons déjà dit, la personne, l’hypostase et le suppôt désignent quelque chose d’entier, si la nature divine dans le Christ est une part et non un tout comme l’âme dans la composition de l’homme, l’unique personne du Christ ne se tiendrait pas seulement du côté de la nature divine mais serait constituée des trois comme aussi dans l’homme la personne, I’hypostase et le suppôt est ce qui est constitué de l’âme et du corps. Mais parce ce que la nature divine est un tout qui assume la nature humaine en une union ineffable, la personne se tient du côté de la divine nature de même que l’hypostase et le suppôt. L’âme et le corps sont attirés vers la personnalité de la personne divine pour que soit la personne du Fils de Dieu comme aussi la personne du fils de l’homme, comme l’hypostase et le suppôt.

On peut aussi trouver dans les créatures quelque chose de semblable. En effet le sujet et l’accident ne sont pas ainsi unis qu’ils constituent une troisième chose. Le sujet dans cette union n’est pas une partie mais comme un tout qui est la personne, l’hypostase et le suppôt. Mais l’accident est attiré à la personnalité du sujet pour que soit de la même personne l’homme et sa blancheur, et semblablement même hypostase et même suppôt. Ainsi donc selon une certaine ressemblance la personne, l’hypostase et le suppôt du Fils de Dieu sont personne, hypostase et suppôt de l’humaine nature dans le Christ. D’où certains à cause de cette ressemblance ont osé dire que l’humaine nature dans le Christ dégénère en accident et qu’elle serait unie accidentellement au Fils de Dieu, ne distinguant pas la vérité de la ressemblance.

Il est donc clair par ce qui précède qu’il n’y a pas dans le Christ d’autre personne que l’éternelle, qui est la personne du Fils de Dieu, ni d’autre hypostase ou suppôt; d’où lorsqu‘on dit "cet homme" en désignant le Christ on y inclut le suppôt éternel. Ni cependant en suite de cela il n’y a pas d’équivoque en ce mot "homme" dit du Christ et des autres hommes; car l’équivoque ne vient pas de la diversité de ce qui est posé mais de ce qui est signifié. Le mot "homme" attribut de Pierre et du Christ signifie la même chose c’est-à-dire leur nature humaine mais ne pose pas une même chose, car ici il s’agit du suppôt éternel et là du suppôt créé.

Mais parce que de tout suppôt d’une nature donnée on peut dire ce qui se rapporte à cette nature dont est le suppôt, le suppôt étant le même dans le Christ pour sa nature divine et humaine, il est évident que de ce suppôt de deux natures, soit que le nom suppose la divine nature ou la personne, ou l’humaine nature, on peut dire indifféremment ce qui est de la nature divine et ce qui est de la nature humaine : par exemple si nous disons que le Fils de Dieu est éternel et que le Fils de Dieu est né de la Vierge; et de même nous pouvons dire que cet homme est Dieu et qu’Il a créé les étoiles et qu’Il est né, mort et ressuscité.

Ce qui est attribué à un suppôt est attribut selon une forme ou une manière comme Socrate est blanc selon la blancheur et est rationnel selon l’âme. Or on a dit plus haut (chapitres 209 à 211) qu’il y a deux natures dans le Christ et un suppôt. Si donc on se réfère au suppôt il est indifférent d’attribuer au Christ l’humain ou le divin. Il faut cependant distinguer selon quoi l’un et l’autre sont attribués, car les choses divines sont dites du Christ selon la nature divine et les choses humaines selon la nature humaine,

 

 

Caput 212 [70381] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 212 tit. De his quae dicuntur in Christo unum vel multa


 [70382] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 212 Quia igitur in Christo est una persona et duae naturae, ex horum convenientia considerandum est, quid in Christo unum dici debeat, et quid multa.
Quaecumque enim secundum naturae diversitatem multiplicantur, necesse est quod in Christo plura esse confiteamur. Inter quae primo considerandum est, quod cum per generationem sive per nativitatem natura recipiatur, necesse est quod sicut in Christo sunt duae naturae, ita etiam duas esse generationes sive nativitates: una aeterna, secundum quam accepit naturam divinam a patre; alia temporalis, secundum quam accepit humanam naturam a matre. Similiter etiam quaecumque Deo et homini convenienter attribuuntur ad naturam pertinentia, necesse est plura dicere in Christo. Attribuitur autem Deo intellectus et voluntas et horum perfectiones, puta scientia seu sapientia, et caritas, sive iustitia, quae homini etiam attribuuntur ad humanam naturam pertinentia. Nam voluntas et intellectus sunt partes animae, horum autem perfectiones sunt sapientia et iustitia et huiusmodi. Necesse est ergo in Christo ponere duos intellectus, humanum scilicet et divinum, et similiter duas voluntates, duplicem etiam scientiam sive caritatem, creatam scilicet et increatam. Ea vero quae ad suppositum sive hypostasim pertinent, unum tantum in Christo confiteri oportet: unde si esse accipiatur secundum quod unum esse est unius suppositi, videtur dicendum quod in Christo sit tantum unum esse. Manifestum est enim quod partes divisae singulae proprium esse habent, secundum autem quod in toto considerantur, non habent suum esse, sed omnes sunt per esse totius. Si ergo consideremus ipsum Christum ut quoddam integrum suppositum duarum naturarum, eius erit unum tantum esse, sicut et unum suppositum. Quia vero operationes suppositorum sunt, visum est aliquibus quod sicut in Christo non est nisi unum suppositum, ita non esset nisi una operatio. Sed non recte consideraverunt: nam in quolibet individuo reperiuntur multae operationes, si sunt plura operationum principia, sicut in homine alia est operatio intelligendi, alia sentiendi, propter differentiam sensus et intellectus: sicut in igne alia est operatio calefactionis, alia ascensionis, propter differentiam caloris et levitatis. Natura autem comparatur ad operationem ut eius principium. Non ergo est una operatio in Christo propter unum suppositum, sed duae propter duas naturas, sicut e converso in sancta Trinitate est una operatio trium personarum propter unam naturam. Participat tamen operatio humanitatis in Christo aliquid de operatione virtutis divinae. Omnium enim eorum quae conveniunt in unum suppositum, ei quod principalius est, cetera instrumentaliter deserviunt, sicut ceterae partes hominis sunt instrumenta intellectus. Sic igitur in Christo humanitas quasi quoddam organum divinitatis censetur. Patet autem quod instrumentum agit in virtute principalis agentis. Unde in actione instrumenti non solum invenitur virtus instrumenti, sed etiam principalis agentis, sicut per actionem securis fit arca, inquantum securis dirigitur ab artifice. Ita ergo et operatio humanae naturae in Christo quandam vim ex deitate habebat supra virtutem humanam. Quod enim tangeret leprosum, humanitatis actio fuit, sed quod tactus ille curaret a lepra, ex virtute divinitatis procedebat. Et per hunc modum omnes eius actiones et passiones humanae virtute divinitatis salutares fuerunt: et ideo Dionysius vocat humanam Christi operationem theandricam, idest deivirilem, quia scilicet sic procedebat ex humanitate, quod tamen in ea vigebat divinitatis virtus. Vertitur etiam a quibusdam in dubium de filiatione, an sit una tantum in Christo propter unitatem suppositi, vel duae propter dualitatem nativitatis. Videtur autem quod sint duae, quia multiplicata causa, multiplicatur effectus: est autem causa filiationis nativitas. Cum igitur sint duae nativitates Christi, consequens videtur quod etiam sint duae filiationes. Nec obstat quod filiatio est relatio personalis, idest personam constituens: hoc enim verum est de filiatione divina, filiatio vero humana non constituit personam, sed accidit personae constitutae. Similiter etiam non obstat quod unus homo una filiatione refertur ad patrem et matrem, quia eadem nativitate nascitur ab utroque parente. Ubi autem est eadem causa relationis, relatio est una realiter, quamvis multiplicentur respectus. Nihil enim prohibet aliquid habere respectum ad alterum absque hoc quod realiter insit ei relatio, sicut scibile refertur ad scientiam relatione in eo non existente: ita etiam nihil prohibet quod una realis relatio plures respectus habeat. Nam sicut relatio ex causa sua habet quod sit res quaedam, ita etiam quod sit una vel multiplex; et sic cum Christus non eadem nativitate nascatur ex patre et matre, duae filiationes reales in eo esse videntur propter duas nativitates. Sed est aliud quod obviat propter quod non possunt esse plures filiationes reales in Christo. Non enim omne quod nascitur ex aliquo, filius eius dici potest, sed solum completum suppositum. Manus enim alicuius hominis non dicitur filia, nec pes filius, sed totum singulare quod est Petrus vel Ioannes. Proprium igitur subiectum filiationis est ipsum suppositum. Ostensum est autem supra quod in Christo non est aliud suppositum quam increatum, cui non potest ex tempore aliqua realis relatio advenire; sed, sicut supra diximus, omnis relatio Dei ad creaturam est secundum rationem tantum. Oportet igitur quod filiatio, qua suppositum aeternum filii refertur ad virginem matrem, non sit realis relatio, sed respectus rationis tantum. Nec propter hoc impeditur quin Christus sit vere et realiter filius virginis matris, quia realiter ab ea natus est, sicut etiam Deus vere et realiter est dominus creaturae, quia habet realem potentiam coercendi creaturam, et tamen dominii relatio solum secundum rationem Deo attribuitur. Si autem in Christo essent plura supposita, ut quidam posuerunt, nihil prohiberet ponere in Christo duas filiationes, quia filiationi temporali subiiceretur suppositum creatum.

Chapitre 212 — DE CE QUI EST DIT DANS LE CHRIST UN OU MULTIPLE

Comme dans le Christ il y a une personne et deux natures il faut considérer â partir de leur convenance ce qui doit être dit un dans le Christ et ce qui est multiple. En effet tout ce qui est multiplié selon la différence de nature doit être dans le Christ reconnu multiple. Quant à cela il faut d’abord considérer : comme la nature est acquise par génération ou naissance, il est nécessaire que comme dans le Christ il y a deux natures il y ait aussi deux générations ou naissances : une éternelle selon laquelle il acquiert la nature divine du Père, l’autre temporelle selon laquelle il acquiert la nature humaine de sa mère.

Semblablement aussi tout ce qui est légitimement attribué à Dieu et à l’homme concernant la nature il est nécessaire qu’ils soient dits multiples dans le Christ. Or on attribue à Dieu l’intelligence et la volonté et leurs perfections, par exemple la science ou sagesse, la charité ou justice, choses qui sont aussi attribuées à l’homme (comme) appartenant à la nature humaine. Car la volonté et l’intelligence sont des parties de l’âme et leurs perfections sont sagesse, justice et autres. Il faut donc mettre dans le Christ deux intelligences c’est-à-dire humaine et divine et également deux volontés; aussi une double science ou (aussi) charité, créée et incréée.

Quant au suppôt ou hypostase, il faut n’en admettre qu’un seul dans le Christ; d’où si on entend par l’être d’un unique suppôt on dira que dans le Christ il n’y a qu’un être. Il est en effet évident que des parties séparées ont chacune leur propre être; mais selon qu’elles sont considérées dans leur tout elles n’ont pas leur être mais elles sont toutes par l’être du tout. Si donc nous considérons le Christ lui-même comme un tout, suppôt de deux natures, il n’aura qu’un être, de même qu’un seul suppôt. Et comme les actions sont celles des suppôts il a semblé à certains que de même que dans le Christ il n’y a qu’un suppôt il n’y aurait aussi qu’une opération. Mais ils se trompent; car en tout individu il y a beaucoup d’opérations, s’il se trouve plusieurs principes de ces opérations, comme dans l’homme autre est l’opération de penser et autre celle de sentir à cause de la différence du sens avec l’intelligence; comme dans le feu il y a une différence entre sa chaleur et son ascension selon ce qu’il y a de chaud et de léger. Or la nature est comparée à l’opération comme son principe. Il n’y a donc pas une seule opération dans le Christ à cause d’un seul suppôt, mais deux à cause des deux natures, comme inversement dans la Trinité il y a une opération de trois personnes à cause d’une nature.

Cependant l’opération humaine dans le Christ a quel que part à l’opération de la vertu divine. En effet de tout ce qui se rencontre dans un suppôt lui vient en aide ce qui est principal, le reste comme instrument, comme les autres parties de l’homme sont instruments de l’intelligence. Ainsi donc dans le Christ son humanité peut être regardée comme organe de la divinité. Or il est clair que l’instrument agit en vertu de l’agent principal. D’où dans l’action de l’instrument n’intervient pas seulement la vertu de l’instrument mais aussi celle de l’agent principal, comme on fait un coffre au moyen d’une hache en tant qu’elle est sous la direction de l’artisan. Ainsi donc aussi l’activité humaine du Christ recevait une impulsion divine par delà la vertu de l’homme. En effet en touchant un lépreux il y avait activité humaine, mais que cet attouchement guérît venait du pouvoir divin. Et de cette manière toutes ses actions et passions humaines furent salutaires de par la vertu divine. C’est pourquoi Denys appelle théandrique l’activité humaine du Christ c’est-à-dire humano-divine parce qu’elle procédait ainsi de son humanité cependant que s’exerçait la vertu divine.

Certains aussi jettent un doute sur sa filiation, si elle est unique dans le Christ à cause de l’unité du suppôt ou double à cause de la dualité de sa naissance. Il semble bien qu’il y en ait deux, car la cause étant multiple les effets sont multiples : or la naissance est cause de la filiation. Comme donc il y a deux naissances dans le Christ il suit semble-t-il qu’il y ait deux filiations. Rien n’empêche que la filiation soit une relation personnelle c’est-à-dire constituant une personne : ce qui est vrai en effet de la filiation divine. Sa filiation humaine ne constitue pas une personne mais vient s’ajouter à une personne constituée. De même aussi rien n’empêche qu’un homme par une unique filiation se rapporte à un père et à une mère parce que c’est de la même naissance qu’il naît du père et de la mère. Or où est la même cause de relation là aussi la relation est une réellement, bien que les rapports soient multiples. En effet rien ne s’oppose que quelque chose ait rapport à une autre sans que réellement existe en elle une relation comme ce qui est connaissable se rapporte à la connaissance sans relation en lui : ainsi aussi rien n’empêche qu’une même relation réelle ait plusieurs rapports. Car de même qu’une relation en sa cause est une chose, ainsi aussi elle est une ou multiple et de même comme le Christ n’est pas né de la même naissance de père et de mère il semble que deux relations réelles soient en lui à cause des deux naissances.

Mais autre chose s’oppose à ce qu’il y ait plusieurs filiations réelles dans le Christ. En effet tout ce qui naît d’un autre n’est pas pour cela son fils mais seulement le suppôt complet. En effet la main n’est pas fille de quelqu’un, ni le pied son fils, mais bien le tout singulier qui est Pierre ou Jean. Donc le propre sujet de la filiation est le suppôt. Or on a montré plus haut (chapitres 210 et 211) que dans le Christ il n’est pas d’autre suppôt que l’incréé auquel dans le temps ne peut advenir une relation réelle mais comme nous l’avons dit (chapitre 99) toute relation de Dieu à la créature est seulement de raison. Il faut donc que la filiation par laquelle le suppôt éternel du Fils se rapporte à la Vierge sa mère ne soit pas une relation réelle mais seulement un rapport de raison; ce qui n’empêche pas que le Christ soit vraiment et réellement le Fils de la Vierge sa mère parce qu’Il est réellement né d’elle. De même aussi Dieu est vraiment et réellement le Seigneur de la créature parce qu’il possède le pouvoir réel de maîtriser la créature et cependant la relation de maîtrise n’est attribuée que selon la raison. Mais s’il y avait dans le Christ plusieurs suppôts, comme certains l’ont avancé, rien n’empêcherait de mettre dans le Christ deux filiations parce que à la filiation temporelle serait sous-jacent le suppôt créé.

 

 

 

4° La grâce du Christ (chapitre 213 à 216)

Caput 213 [70383] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 213 tit. Quod oportuit Christum esse perfectum in gratia et sapientia veritatis


 [70384] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 213 Quia vero, sicut iam dictum est, humanitas Christi se habet ad divinitatem eius quasi quoddam organum eius, organorum autem dispositio et qualitas pensatur praecipue quidem ex fine, et etiam ex decentia instrumento utentis, secundum hos modos consequens est ut consideremus qualitatem humanae naturae a verbo Dei assumptae.
Finis autem assumptionis humanae naturae a verbo Dei, est salus et reparatio humanae naturae. Talem igitur oportuit esse Christum secundum humanam naturam ut convenienter esse possit auctor humanae salutis. Salus autem humana consistit in fruitione divina, per quam homo beatus efficitur: et ideo oportuit Christum secundum humanam naturam fuisse perfecte Deo fruentem. Principium enim in unoquoque genere oportet esse perfectum. Fruitio autem divina secundum duo existit, secundum voluntatem, et secundum intellectum: secundum voluntatem quidem Deo perfecte per amorem inhaerentem; secundum intellectum autem perfecte Deum cognoscentem. Perfecta autem inhaesio voluntatis ad Deum per amorem est per gratiam, per quam homo iustificatur, secundum illud Rom. III, 24: iustificati gratis per gratiam eius. Ex hoc enim homo iustus est, quod Deo per amorem inhaeret. Perfecta autem cognitio Dei est per lumen sapientiae, quae est cognitio divinae veritatis. Oportuit igitur verbum Dei incarnatum perfectum in gratia et in sapientia veritatis existere; unde Ioan. I, 14, dicitur: verbum caro factum est, et habitavit in nobis: et vidimus gloriam eius, gloriam quasi unigeniti a patre, plenum gratiae et veritatis.

Chapitre 213 — IL FALLAIT QUE LE CHRIST FÛT PARFAIT EN GRÂCE ET EN SAGESSE DE VÉRITÉ

Comme on vient de le voir l’humanité du Christ est pour sa divinité comme son organe; or la disposition et la qualité des organes s’apprécient surtout à partir de la fin et aussi de l’aptitude de celui qui utilise un instrument; d’après cela nous pouvons considérer quelle fut la qualité de la nature humaine que le Verbe de Dieu a assumée. Or la fin pour laquelle le Verbe de Dieu a revêtu la nature humaine est le salut et la réparation de l’humaine nature. Il a donc fallu que le Christ, selon la nature humaine, soit tel qu’Il puisse être, conformément à elle, auteur de notre salut.

Or le salut consiste dans la jouissance divine qui rend l’homme bienheureux; et c’est pourquoi il a fallu que le Christ selon la nature humaine jouisse parfaitement de Dieu. En effet un principe en quelque genre que ce soit doit être parfait. Or la jouissance divine est faite de deux choses, selon la volonté et selon l’intelligence : selon la volonté en adhérant à Dieu parfaitement par amour, selon l’intelligence en connaissant Dieu parfaitement. Or la parfaite adhésion de la volonté à Dieu par amour c’est la grâce par laquelle l’homme est justifié, selon la lettre aux Romains : "Justifiés par grâce gratuitement" (3, 24). De là en effet vient que l’homme est juste en ce qu’il s’attache à Dieu par la grâce. La parfaite connaissance de Dieu se fait par la lumière de la sagesse qui est connaissance de la vérité divine. Il a donc fallu que le Verbe de Dieu incarné soit parfait en grâce et en la sagesse véritable. D’où il est dit : "Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité" (Jean 1, 14).

 

 

Caput 214 [70385] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 214 tit. De plenitudine gratiae Christi


 [70386] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 214 Primo autem videndum est de plenitudine gratiae ipsius. Circa quod considerandum est, quod nomen gratiae a duobus assumi potest. Uno modo ex eo quod est gratum esse: dicimus enim aliquem alicuius habere gratiam quia est ei gratus. Alio modo ex eo quod est gratis dari: dicitur enim aliquis alicui gratiam facere, quando ei aliquod beneficium gratis confert. Nec istae duae acceptiones gratiae penitus separatae sunt. Ex eo enim aliquid alteri gratis datur, quia is cui datur, gratus est danti vel simpliciter vel secundum quid. Simpliciter quidem quando ad hoc recipiens gratus est danti, ut eum sibi coniungat secundum aliquem modum. Hos enim quos gratos habemus, nobis pro posse attrahimus secundum quantitatem et modum quo nobis grati existunt. Secundum quid autem, quando ad hoc recipiens gratus est danti, ut aliquid ab eo recipiat, non autem ad hoc ut assumatur ab ipso. Unde patet quod omnis qui habet gratiam, aliquid habet gratis datum; non autem omnis qui habet aliquid gratis datum, gratus danti existit. Et ideo duplex gratia distingui solet: una scilicet quae solum gratis est data, alia quae etiam gratum facit. Gratis autem dari dicitur quod nequaquam est debitum. Dupliciter autem aliquid debitum existit: uno quidem modo secundum naturam, alio modo secundum operationem. Secundum naturam quidem debitum est rei quod ordo naturalis illius rei exposcit, sicut debitum est homini quod habeat rationem et manus et pedes. Secundum operationem autem, sicut merces operanti debetur. Illa ergo dona sunt hominibus divinitus gratis data quae et ordinem naturae excedunt, et meritis non acquiruntur, quamvis et ea quae pro meritis divinitus dantur, interdum gratiae nomen vel rationem non amittant: tum quia principium merendi fuit a gratia, tum etiam quia superabundantius dantur quam merita humana requirant, sicut dicitur Rom. VI, 23: gratia Dei vita aeterna. Huiusmodi autem donorum quaedam quidem et naturae humanae facultatem excedunt, et meritis non redduntur, nec tamen ex hoc ipso quod homo ea habet, redditur Deo gratus, sicut donum prophetiae, miraculorum operationis, scientiae et doctrinae, vel si qua talia divinitus conferuntur. Per haec enim et huiusmodi homo non coniungitur Deo, nisi forte per similitudinem quandam, prout aliquid de eius bonitate participat, per quem modum omnia Deo similantur. Quaedam vero hominem Deo gratum reddunt et ei coniungunt, et huiusmodi dona non solum gratiae dicuntur ex eo quod gratis dantur, sed etiam ex eo quod hominem faciant Deo gratum.
Coniunctio autem hominis ad Deum est duplex. Una quidem per affectionem, et haec est per caritatem, quae quodammodo facit per affectionem hominem unum cum Deo, secundum illud I Corinth. VI, 17: qui adhaeret Deo unus spiritus est. Per hoc etiam Deus hominem inhabitat, secundum illud Ioan. XIV, 23: si quis diligit me, sermonem meum servabit, et pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. Facit etiam hominem esse in Deo, secundum illud I Ioan. IV, 16: qui manet in caritate, in Deo manet et Deus in eo. Ille igitur per acceptum donum gratuitum efficitur Deo gratus qui usque ad hoc perducitur quod per caritatis amorem unus spiritus fiat cum Deo, quod ipse in Deo sit, et Deus in eo: unde apostolus dicit I Corinth. XIII quod sine caritate cetera dona hominibus non prosunt: quia gratum Deo facere non possunt, nisi caritas adsit. Haec autem gratia est omnium sanctorum communis. Unde hanc gratiam homo Christus discipulis orando impetrans, dicit, Ioan. XVII, 21: ut sint unum, scilicet per connexionem amoris, sicut et nos unum sumus. Alia vero coniunctio est hominis ad Deum non solum per affectum aut inhabitationem, sed etiam per unitatem hypostasis seu personae, ut scilicet una et eadem hypostasis seu persona, sit Deus et homo. Et haec quidem coniunctio hominis ad Deum est propria Iesu Christi, de qua coniunctione plura iam dicta sunt. Haec etiam est hominis Christi gratia singularis quod est Deo unitus in unitate personae: et ideo gratis datum est, quia et naturae facultatem excedit, et hoc donum merita nulla praecedunt. Sed et gratissimum Deo facit, ita quod de ipso singulariter dicatur: hic est filius meus dilectus in quo mihi complacui, Matth. Hoc tamen interesse videtur inter utramque gratiam, quod gratia quidem per quam homo Deo unitur per affectum, aliquid habituale existit in anima: quia cum per actum amoris sit coniunctio ista, actus autem perfecti procedunt ab habitu, consequens est ut ad istum perfectissimum habitum, quo anima Deo coniungitur per amorem, aliqua habitualis gratia animae infundatur. Esse autem personale vel hypostaticum, non est per aliquem habitum, sed per naturas, quarum sunt hypostases vel personae. Unio igitur humanae naturae ad Deum in unitate personae non fit per aliquam habitualem gratiam, sed per ipsarum naturarum coniunctionem in persona una. Inquantum autem creatura aliqua magis ad Deum accedit, intantum de bonitate eius magis participat, et abundantioribus donis ex eius influentia repletur, sicut et ignis calorem magis participat qui ei magis appropinquat. Nullus autem modus esse aut excogitari potest, quo aliqua creatura propinquius Deo adhaereat, quam quod ei in unitate personae coniungatur. Ex ipsa igitur unione naturae humanae ad Deum in unitate personae, consequens est ut anima Christi donis gratiarum habitualibus prae ceteris fuerit plena, et sic habitualis gratia in Christo non est dispositio ad unionem, sed magis unionis effectus, quod ex ipso modo loquendi, quo Evangelista utitur in verbis praemissis, manifeste apparet, cum dicit: vidimus eum quasi unigenitum a patre, plenum gratiae et veritatis. Est autem unigenitus a patre homo Christus, inquantum verbum caro factum est. Ex hoc ergo quod verbum caro factum est, hoc effectum est ut esset plenum gratiae et veritatis. In his autem quae aliqua bonitate replentur vel perfectione, illud magis plenum esse invenitur ex quo etiam in alia redundat, sicut plenius lucet quod illuminare potest alia. Quia igitur homo Christus summam plenitudinem gratiae obtinuit quasi unigenitus a patre, consequens fuit ab ipso in alios redundaret, ita quod filius Dei factus homo, homines faceret deos et filios Dei, secundum illud apostoli ad Galat. IV, 4: misit Deus filium suum factum ex muliere, factum sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret, ut adoptionem filiorum reciperemus. Ex hoc autem quod a Christo ad alios gratia et veritas derivantur, convenit ei ut sit caput Ecclesiae. Nam a capite ad alia membra, quae sunt ei conformia in natura, quodammodo sensus et motus derivatur. Sic a Christo et gratia et veritas ad alios homines derivantur: unde ad Ephes. I, 22: et ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quae est corpus eius. Dici etiam potest caput non solum hominum, sed etiam Angelorum, quantum ad excellentiam et influentiam, licet non quantum ad conformitatem naturae secundum eandem speciem. Unde ante praedicta verba apostolus praemittit quod Deus constituit illum, scilicet Christum, ad dexteram suam in caelestibus supra omnem principatum, potestatem et virtutem et dominationem. Sic igitur secundum praemissa triplex gratia consuevit assignari in Christo. Primo quidem gratia unionis, secundum quod humana natura nullis meritis praecedentibus hoc donum accepit ut uniretur Dei filio in persona. Secundo gratia singularis, qua anima Christi prae ceteris fuit gratia et veritate repleta. Tertio gratia capitis, secundum quod ab ipso in alios gratia redundat: quae tria Evangelista congruo ordine prosequitur. Nam quantum ad gratiam unionis dicit: verbum caro factum est. Quantum ad gratiam singularem dicit: vidimus eum quasi unigenitum a patre, plenum gratiae et veritatis. Quantum ad gratiam capitis subdit: et de plenitudine eius nos omnes accepimus.

Chapitre 214 — LA PLÉNITUDE DE GRÂCE DU CHRIST

On doit d’abord traiter de la plénitude de sa grâce. A ce sujet il faut savoir que le mot "grâce" peut s’entendre de deux façons : d’une façon qui est d’être agréable; nous disons en effet que quelqu’un a la grâce de quelqu’un parce qu’il lui est agréable. D’une autre façon de ce qui est donné gratuitement. On dit en effet que l’un fait une grâce à l’autre lorsqu’il lui accorde gratuitement un bienfait; et ces deux acceptions de la grâce ne sont pas totalement distinctes. En effet on donne quelque chose gratuitement à un autre parce que celui à qui l’on donne est agréable à celui qui donne, soit absolument soit à un certain égard. Absolument, quand le bénéficiaire agrée au bienfaiteur qui se l’attache d’une certaine manière. En effet ceux qui nous agréent, nous nous les attirons autant que nous le pouvons dans la mesure et de la façon qu’ils nous sont agréables. A un certain égard, quand le bénéficiaire agrée au bienfaiteur pour en recevoir quelque chose mais non jusqu’à se l’attacher. D’où il ressort que quiconque possède ce qui lui est donné gratuitement n’est pas pour cela agréé par le bienfaiteur.

Et donc on distingue habituellement une double grâce, l’une qui est simplement grâce donnée gratuitement, l’autre qui aussi rend agréable. Est donné gratuitement ce qui n’est dû en aucune manière. Quelque chose est dû de deux manières : d’une part selon la nature, d’autre part selon l’opération. Selon la nature est dû à une chose ce que l’ordre naturel de cette chose exige, ainsi il est dû à l’homme qu’il ait une raison, des mains et des pieds. Selon l’opération comme la rémunération à celui qui travaille. Ces dons-là sont donc donnés gratuitement aux hommes par Dieu, et qui excèdent l’ordre de la nature, et qui ne sont pas acquis méritoirement bien qu’aussi ce qui est donné par Dieu pour des mérites parfois ne perde pas son nom ou sa raison de grâce, soit que le principe du mérite vient de la grâce, soit aussi que soit donné en surabondance ce que ne requièrent pas les mérites de l’homme, comme il est dit : "La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle" (Rom 6, 23).

Parmi ces dons il y en a qui excèdent les possibilités de l’humaine nature et ne sont pas une rétribution pour des mérites, ils ne rendent pas non plus agréable à Dieu celui qui les a, comme les dons de prophéties, de faire des mi racles, de science et de doctrine ou quelqu’autre chose accordée par Dieu. Par eux en effet on n’est pas uni à Dieu sinon peut-être par une certaine similitude nous faisant participer à sa bonté et de cette manière tout peut nous assimiler à Dieu. Certains dons rendent l’homme agréable à Dieu et unissent à Lui. Et non seulement on les appelle grâces en ce qu’ils sont donnés gratuitement mais aussi en ce qu’ils rendent l’homme agréable à Dieu.

Or double est l’union avec Dieu : l’une par l’affection et c’est la charité qui en quelque sorte par l’affection fait que l’homme est un avec Dieu, comme il est écrit "Celui qui adhère à Dieu est une seule âme (avec Lui)" (I Cor 65, 17). Par elle aussi Dieu habite en l’homme : "Si quelqu’un m’aime il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure" (Jean 14, 23). Elle fait aussi que l’homme habite en Dieu : "Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui" (Jean 4, 16). Celui-là donc par le don gratuit reçu est rendu agréable à Dieu et est conduit jusqu’à devenir un esprit avec lui par l’amour de charité de sorte que lui-même soit en Dieu et Dieu en lui. D’où l’Apôtre dit que sans la charité les autres ne sont pas d’utilité pour les hommes, parce qu’ils ne peu vent rendre agréable à Dieu si la charité ne s’y trouve pas (l Cor 13, 1 sq). Mais cette grâce est commune à tous les saints. D’où le Christ-homme la demande pour ses disciples en priant : "Pour qu’ils soient un" (Jean 17, 22) c’est-à-dire par le lien de l’amour "Comme nous aussi sommes un".

Il y a cette autre union de l’homme avec Dieu non seulement par l’affection ou l’inhabitation mais encore par l’unité hypostatique ou de la personne c’est-à-dire qu’une et même hypostase est Dieu et homme. Cette union -est propre au Christ dont on a déjà dit plusieurs choses (chapitres 202 à 212). C’est aussi une grâce singulière de l’homme Christ d’être uni à Dieu dans l’unité de la personne; et c’est un don gratuit car il excède la faculté naturelle et aucun mérite ne le précède. Mais il le rend infiniment agréable à Dieu de sorte qu’il est dit de lui singulièrement : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu" (Mat 3, 17 et 17, 5).

II y a cependant cette différence entre l’une et l’autre grâces que la grâce qui unit l’homme à Dieu par l’affection est quelque chose d’habituel dans l’âme; car comme cette union se fait par acte d’amour, et les actes parfaits procèdent par habitus, il faut à cette très parfaite disposition par laquelle l’âme est unie à Dieu par l’amour qu’une grâce habituelle soit infusée dans l’âme. Mais l’être personnel ou hypostatique ne vient pas d’une disposition (habitus) mais des natures dont sont les hypostases ou les personnes.

Donc l’union de la nature humaine avec Dieu en l’unité de la personne ne se fait pas au moyen d’une grâce habituelle mais par la réunion des natures elles-mêmes en une seule personne.

Dans la mesure où une créature s’approche plus près de Dieu dans la même mesure participe-t-elle davantage de la bonté divine et est-elle remplie sous son influence de dons plus abondants, comme participe plus à la chaleur du feu celui qui s’en approche davantage. Or aucune manière de s’approcher davantage de Dieu pour une créature n’existe ni ne peut être imaginée que de lui être unie dans l’unité de la personne. Donc de par l’union elle-même de la nature humaine à Dieu dans l’unité de la personne il s’en suit que l’âme du Christ fut plus que toutes les autres remplie des dons habituels de la grâce. Et ainsi la grâce habituelle du Christ ne dispose pas à l’union mais plutôt elle est l’effet de cette union; ce qui devient manifeste par la manière même de s’exprimer de 1'Evangéliste dans les paroles déjà citées : "Nous l’avons vu comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité" (Jean 1, 14). Or cet homme le Christ est le Fils unique du Père en tant que le Verbe s’est fait chair. De ce que donc le Verbe s’est fait chair il en est résulté qu’il est plein de grâce et de vérité.

Où se trouve une grande plénitude de bonté et de perfection, en est plus rempli ce qui déborde sur les autres choses, comme brille davantage ce qui illumine les autres. Donc comme cet homme le Christ avait obtenu la plénitude suprême de la grâce comme Fils unique du Père, il s’en est suivi qu’elle débordait de lui sur les autres, de sorte que le Fils de Dieu fait homme fit des hommes des Dieux et des Fils de Dieu, selon l’Apôtre "Dieu envoya son Fils fait de la femme né sous la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi pour que nous recevions l’adoption des fils" (Gal 4,4 sq).

De ce que du Christ la grâce et la vérité dérivent en d’autres il est juste qu’Il soit la tête de l’Eglise. Car c’est de la tête aux membres, qui lui sont naturellement conformes, que d’une certaine façon les sensations et les mouvements dérivent De même c’est du Christ que la grâce et la vente dérivent chez les autres hommes. D’ou aux Ephésiens "Et Il l’a donné comme tête sur toute l’Eglise qui est son corps" (Eph 1, 22 sq).

Il peut aussi être dit la tête non seulement des hommes, mais aussi des anges quant à l’influence et à l’excellence quoique non quant à une conformité de nature selon la même espèce. D’ou avant les paroles précitées l’Apôtre dit que Dieu l’a constitue, c’est-à-dire le Christ, à sa droite dans les cieux au-dessus de toute principauté, puissance, et vertu et domination.

Ainsi donc d’après ce qui précède on attribue habituellement au Christ trois grâces : d’abord la grâce d’union selon laquelle la nature humaine, sans aucun mérite précédent, a reçu le don d’être unie au Fils de Dieu en personne; ensuite une grâce singulière par laquelle l’âme du Christ plus que toutes les autres fut remplie de grâce et de vérité; enfin la grâce capitale selon laquelle la grâce déborde de Lui sur d’autres. Ces trois choses l’Evangéliste les fait se succéder dans l’ordre : quant à la grâce d’union il dit : "Le Verbe s’est fait chair"; quant à la grâce singulière : "Nous l’avons vu comme un Fils unique du Père plein de grâce et de vérité." Quant à la grâce capitale il ajoute : "Et de sa plénitude nous avons tous reçu" (Jean 1, 14 et 16).

 

 

Caput 215 [70387] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 215 tit. De infinitate gratiae Christi


 [70388] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 215 Est autem proprium Christi quod eius gratia sit infinita, quia secundum testimonium Ioannis Baptistae, non ad mensuram dat Deus spiritum homini Christo, ut dicitur Ioan. III; aliis autem datur spiritus ad mensuram, secundum illud ad Ephes.
IV, 7: unicuique nostrum data est gratia secundum mensuram donationis Christi. Et quidem si hoc referatur ad gratiam unionis, nullam dubitationem habet quod dicitur. Nam aliis quidem sanctis datum est deos aut filios Dei esse per participationem ex influentia alicuius doni, quod quia creatum est, necesse est ipsum, sicut et ceteras creaturas, esse finitum. Sed Christo secundum humanam naturam datum est ut sit Dei filius non per participationem, sed per naturam. Naturalis autem divinitas est infinita. Ex ipsa igitur unione accepit donum infinitum: unde gratia unionis absque omni dubitatione est infinita. Sed de gratia habituali dubium esse potest, an sit infinita. Cum enim huiusmodi gratia sit etiam donum creatum, confiteri oportet quod habeat essentiam finitam. Potest tamen dici infinita triplici ratione. Primo quidem ex parte recipientis. Manifestum est enim uniuscuiusque naturae creatae capacitatem esse finitam, quia etsi infinitum bonum recipere possit cognoscendo et fruendo, non tamen ipsum recipit infinite. Est igitur cuiuslibet creaturae secundum suam speciem et naturam determinata capacitatis mensura, quae tamen divinae potestati non praeiudicat quin possit aliam creaturam maioris capacitatis facere. Sed iam non esset eiusdem naturae secundum speciem, sicut si ternario addatur unitas, iam erit alia species numeri. Quando igitur alicui non tantum datur de bonitate divina quanta est capacitas naturalis speciei suae, videtur ei secundum aliquam mensuram donatum. Cum vero tota naturalis capacitas impletur, non videtur ei secundum mensuram donatum, quia etsi sit mensura ex parte recipientis, non tamen est mensura ex parte dantis, qui totum est paratus dare: sicut si aliquis vas ad fluvium deferens, absque mensura invenit aquam praeparatam, quamvis ipse cum mensura accipiat propter vasis determinatam quantitatem. Sic igitur gratia Christi habitualis finita quidem est secundum essentiam, sed infinite et non secundum mensuram dari dicitur, quia tantum datur, quantum natura creata potest esse capax. Secundo vero ex parte ipsius doni recepti. Considerandum enim est, quod nihil prohibet aliquid secundum essentiam finitum esse, quod tamen secundum rationem alicuius formae infinitum existit. Infinitum enim secundum essentiam est quod habet totam essendi plenitudinem, quod quidem soli Deo convenit, qui est ipsum esse. Si autem ponatur esse aliqua forma specialis non in subiecto existens, puta albedo vel calor, non quidem haberet essentiam infinitam, quia essentia eius esset limitata ad genus vel speciem, sed tamen plenitudinem illius speciei possideret: unde secundum rationem speciei, absque termino vel mensura esset, habens quidquid ad illam speciem pertinere potest. Si autem in aliquo subiecto recipiatur albedo vel calor, non habet semper totum quidquid pertinet ad rationem huius formae de necessitate et semper, sed solum quando sic perfecte habetur sicut perfecte haberi potest, ita scilicet quod modus habendi adaequet rei habitae potestatem. Sic igitur gratia Christi habitualis finita quidem fuit secundum essentiam: sed tamen dicitur absque termino et mensura fuisse, quia quidquid ad rationem gratiae poterat pertinere, totum Christus accepit. Alii autem non totum accipiunt, sed unus sic, alius autem sic: divisiones enim gratiarum sunt, ut dicitur I ad Corinth. XII, 4. Tertio autem ex parte causae. In causa enim quodammodo habetur effectus. Cuicumque ergo adest causa infinitae virtutis ad influendum, habet quod influitur absque mensura, et quodammodo infinite: puta si quis haberet fontem qui aquas in infinitum effluere posset, aquam absque mensura et infinite quodammodo diceretur habere. Sic igitur anima Christi infinitam et absque mensura gratiam habet ex hoc ipso quod habet verbum sibi unitum, quod est totius emanationis creaturarum indeficiens et infinitum principium. Ex hoc autem quod gratia singularis animae Christi est modis praedictis infinita, evidenter colligitur quod gratia ipsius secundum quod est Ecclesiae caput, est etiam infinita. Ex hoc enim quod habet, effundit: unde quia absque mensura spiritus dona accepit, habet virtutem absque mensura effundendi, quod ad gratiam capitis pertinet, ut scilicet sua gratia non solum sufficiat ad salutem hominum aliquorum, sed etiam totius mundi, secundum illud I Ioan. II, 2: et ipse est propitiatio pro peccatis nostris, et non solum pro nostris, sed etiam pro totius mundi. Addi autem et potest plurium mundorum, si essent.

Chapitre 215 — LA GRÂCE DU CHRIST EST INFINIE

Il est propre au Christ que sa grâce soit infinie, car au témoignage de saint Jean-Baptiste, Dieu n’a pas mesuré son Esprit au Christ-homme comme il est dit en Jean chapitre trois (verset 34)[46]. Aux autres, l’Esprit est donné avec mesure : "A chacun de nous la grâce est donnée selon la mesure du don du Christ" (Eph 4, 7). Si on rapporte cela à la grâce d’union il n’y a aucun doute sur ce qui en est dit. Car aux autres saints il est donné d’être des dieux ou fils de Dieu par participation à partir de l’infusion d’un don qui étant créé est nécessairement fini comme les autres créatures. Mais il est donné au Christ selon la nature humaine d’être Fils de Dieu par nature et non par participation. Or de sa nature la divinité est infinie. De par l’union elle-même il a reçu un don infini; d’où il n’y a aucun doute à ce que la grâce d’union soit infinie.

Mais au sujet de la grâce habituelle on peut douter qu’elle soit infinie; comme en effet cette grâce est un don créé il faut admettre qu’elle est finie en son essence. Mais elle peut être dite infinie pour une triple raison. D’abord de la part de celui qui la reçoit. En effet il est manifeste que la capacité de n’importe quelle nature créée est finie parce que bien qu’elle puisse recevoir un bien infini par la connaissance et la jouissance cependant elle ne peut le recevoir infiniment. Il y a donc pour toute créature selon son espèce ou sa nature une mesure déterminée selon sa capacité; ce qui cependant n’empêche pas la divine puissance de pouvoir faire une autre créature de capacité plus grande. Mais elle ne serait plus de la même nature spécifique, comme quand on ajoute l’unité au nombre trois n a une autre sorte de nombre. Quand donc on ne donne pas à quelqu’un autant de la bonté divine qu’il en est capable selon son espèce naturelle, cela lui est donné selon une certaine mesure. Mais quand la capacité naturelle est remplie, ce ne lui est plus donné selon une mesure car s’il y a une limite chez celui qui reçoit, il n’y en a pas chez celui qui donne, qui est disposé à tout donner, comme celui qui portant un vase va à la rivière trouve de l’eau à sa disposition et à volonté bien qu’il la reçoive avec mesure à cause de la quantité déterminée du vase. Ainsi donc la grâce habituelle du Christ est finie selon l’essence et elle est dite donnée infiniment et non selon une mesure parce qu’elle est donnée selon qu’en est capable sa nature créée.

Ensuite elle est infinie du côté même du don reçu. Rien n’empêche en effet que quelque chose soit fini selon son essence qui cependant en raison d’une certaine forme est infini. En effet l’infini selon l’essence est ce qui a toute la plénitude de l’être; ce qui n’appartient qu’à Dieu qui est l’être même. Mais si l’on suppose une forme spéciale n’existant pas dans un sujet, comme la blancheur et la chaleur, elle n’aurait pas une essence infinie parce que limitée à un genre ou une espèce, mais elle posséderait toute la plénitude de l’espèce d’où à raison de l’espèce elle serait sans limite ni mesure ayant tout ce qui peut appartenir à cette espèce. Mais si la blancheur ou la chaleur sont reçues dans un sujet elles n’ont pas toujours tout ce qui est de la raison de cette forme, toujours et nécessairement, mais seulement quand elles ont toute la perfection possible c’est-à-dire que la manière de posséder égale la possibilité de ce qui est reçu. Ainsi donc la grâce habituelle du Christ fut finie selon l’essence cependant elle est dite sans limite ni mesure parce que tout ce qui pouvait être en raison de la grâce le Christ l’a entièrement reçu. Les autres ne reçoivent pas tout, mais l’un ainsi, l’autre autrement. En effet il y a des partages de grâces, comme il est dit aux Corinthiens (1 Cor 12, 4).

Enfin du côté de sa cause la grâce du Christ peut être infinie : car l’effet se trouve en une certaine manière dans la cause. Quiconque dispose d’une cause au pouvoir infini d’action a de quoi agir sans mesure et d’une certaine façon infiniment; comme quelqu’un qui disposerait d’une source d’où l’eau s’écoule continuellement on dirait de lui qu’il a de l’eau sans mesure et en quelque manière infiniment. Ainsi donc l’âme du Christ possède une grâce infinie et sans mesure par cela qu’Il possède le Verbe qui Lui est uni et qui est le principe intarissable et infini de toute la production des créatures.

De ce que la grâce singulière de l’âme du Christ est infinie, de la manière qu’on a vu, on en conclut à l’évidence que sa grâce est aussi infinie selon qu’il est la tête de 1’Eglise. En effet Il déverse de ce qu’Il a. D’où comme Il a reçu sans mesure les dons de l’Esprit il a le pouvoir de les déverser sans mesure, ce qui appartient à sa grâce de chef; c’est-à-dire que sa grâce suffit non seulement au salut de quelques hommes mais aussi du inonde entier, selon Jean : "Et lui-même est propitiation pour nos péchés et non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier" (1 Jean 2, 2). On pourrait aussi ajouter de plusieurs mondes s’ils existaient.

 

 

Caput 216 [70389] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 216 tit. De plenitudine sapientiae Christi


 [70390] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 216 Oportet autem consequenter dicere de plenitudine sapientiae Christi. Ubi primo considerandum occurrit, quod, cum in Christo sint duae naturae, divina scilicet et humana, quidquid ad utramque naturam pertinet, necesse est quod geminetur in Christo, ut supra dictum est.
Sapientia autem et divinae naturae convenit et humanae. Dicitur enim de Deo Iob IX, 4: sapiens corde est, et fortis robore. Sed etiam homines interdum Scriptura sapientes appellat seu secundum sapientiam mundanam, secundum illud Ier. IX, 23: non glorietur sapiens in sapientia sua; sive secundum sapientiam divinam, secundum illud Matth. XXIII, 34: ecce ego mitto ad vos prophetas et sapientes et Scribas. Ergo oportet confiteri duas esse in Christo sapientias secundum duas naturas, sapientiam scilicet increatam, quae ei competit secundum quod est Deus, et sapientiam creatam, quae ei competit secundum quod est homo. Et secundum quidem quod Deus est et verbum Dei, est genita sapientia patris, secundum illud I ad Cor. I, 24: Christum Dei virtutem et Dei sapientiam. Nihil enim est aliud verbum interius uniuscuiusque intelligentis nisi conceptio sapientiae eius. Et quia verbum Dei supra diximus esse perfectum et unitum, necesse est quod Dei verbum sit perfecta conceptio sapientiae Dei patris, ut scilicet quidquid in sapientia Dei patris continetur per modum ingeniti, totum in verbo contineatur per modum geniti et concepti. Et inde est quod dicitur, quod in ipso, scilicet Christo, sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi. Hominis autem Christi est duplex cognitio. Una quidem deiformis, secundum quod Deum per essentiam videt, et alia videt in Deo, sicut et ipse Deus intelligendo seipsum, intelligit omnia alia, per quam visionem et ipse Deus beatus est, et omnis creatura rationalis perfecte Deo fruens. Quia igitur Christum dicimus esse humanae salutis auctorem, necesse est dicere, quod talis cognitio sic animae Christi conveniat ut decet auctorem. Principium autem et immobile esse oportet, et virtute praestantissimum. Conveniens igitur fuit ut illa Dei visio in qua beatitudo hominum et salus aeterna consistit, excellentius prae ceteris Christo conveniat, et tanquam immobili principio. Haec autem differentia invenitur mobilium ad immobilia, quod mobilia propriam perfectionem non a principio habent, inquantum mobilia sunt, sed eam per successionem temporis assequuntur; immobilia vero, inquantum huiusmodi, semper obtinent suas perfectiones ex quo esse incipiunt. Conveniens igitur fuit Christum humanae salutis auctorem ab ipso suae incarnationis principio plenam Dei visionem possedisse, non autem per temporis successionem pervenisse ad ipsam, ut sancti alii perveniunt. Conveniens etiam fuit ut prae ceteris creaturis illa anima divina visione beatificaretur quae Deo propinquius coniungebatur, in qua quidem visione gradus attenditur secundum quod aliqui aliis clarius Deum vident, qui est omnium rerum causa. Quanto autem aliqua causa plenius cognoscitur, tanto in ipsa plures eius effectus perspici possunt. Non enim magis cognoscitur causa, nisi virtus eius plenius cognoscatur, cuius virtutis cognitio sine cognitione effectuum esse non potest: nam quantitas virtutis secundum effectus mensurari solet. Et inde est quod eorum qui essentiam Dei vident, aliqui plures effectus vel rationes divinorum operum in ipso Deo inspiciunt, quam alii qui minus clare vident: et secundum hoc inferiores Angeli a superioribus instruuntur, ut supra iam diximus. Anima igitur Christi summam perfectionem divinae visionis obtinens inter creaturas ceteras, omnia divina opera et rationes ipsorum, quaecumque sunt, erunt vel fuerunt, in ipso Deo plene intuetur, ut non solum homines, sed etiam supremos Angelorum illuminet, et ideo apostolus dicit ad Coloss. II, 3, quod in ipso sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae Dei absconditi: et ad Hebr. IV, 13, quod omnia nuda et aperta sunt oculis eius. Non tamen anima Christi ad comprehensionem divinitatis pertingere potest. Nam, ut supra dictum est, illud cognoscendo comprehenditur quod tantum cognoscitur quantum cognoscibile est. Unumquodque enim cognoscibile est inquantum est ens et verum, esse autem divinum est infinitum, similiter et veritas eius. Infinite igitur Deus cognoscibilis est. Nulla autem creatura infinite cognoscere potest, etsi infinitum sit quod cognoscit. Nulla igitur creatura Deum videndo comprehendere potest. Est autem anima Christi creatura, et quidquid in Christo ad humanam naturam tantum pertinet, creatum est, alioquin non erit in Christo alia natura humanitatis a natura divinitatis, quae sola increata est. Hypostasis autem Dei verbi sive persona increata est, quae una est in duabus naturis: ratione cuius Christum non dicimus creaturam, loquendo simpliciter, quia nomine Christi importatur hypostasis, dicimus tamen animam Christi vel corpus Christi esse creaturam. Anima igitur Christi Deum non comprehendit, sed Christus Deum comprehendit sua sapientia increata, secundum quem modum dominus dicit Matth. XI, 27: nemo novit filium nisi pater, neque patrem quis novit nisi filius, de comprehensionis eius notitia loquens. Est autem considerandum, quod eiusdem rationis est comprehendere essentiam alicuius rei, et virtutem ipsius: unumquodque enim potest agere inquantum est ens actu. Si igitur anima Christi essentiam divinitatis comprehendere non valet, ut ostensum est, impossibile est ut divinam virtutem comprehendat. Comprehenderet autem, si cognosceret quidquid Deus facere potest, et quibus rationibus effectus producere possit. Hoc autem est impossibile. Non igitur anima Christi cognoscit quidquid Deus facere potest, vel quibus rationibus possit operari. Sed quia Christus etiam secundum quod homo, omni creaturae a Deo patre praepositus est, conveniens est ut omnium quae a Deo qualitercumque facta sunt, in ipsius divinae essentiae visione plenam cognitionem percipiat: et secundum hoc anima Christi omnisciens dicitur, quia plenam notitiam habet omnium quae sunt, erunt, vel fuerunt. Aliarum vero creaturarum Deum videntium quaedam plenius et quaedam minus plene praedictorum effectuum in ipsa Dei visione cognitionem percipiunt. Praeter hanc autem rerum cognitionem, qua res ab intellectu creato cognoscuntur ipsius divinae essentiae visione, sunt alii modi cognitionis, quibus a creaturis habetur rerum cognitio. Nam Angeli praeter cognitionem matutinam, qua res in verbo cognoscunt, habent cognitionem vespertinam, qua cognoscunt res in propriis naturis. Huiusmodi autem cognitio aliter competit hominibus secundum naturam suam, atque aliter Angelis. Nam homines secundum naturae ordinem intelligibilem rerum veritatem a sensibus colligunt, ut Dionysius dicit, ita scilicet quod species intelligibiles in eorum intellectibus actione intellectus agentis a phantasmatibus abstrahuntur; Angeli vero per influxum divini luminis rerum scientiam acquirunt, ut scilicet sicut a Deo res in esse prodeunt, ita etiam in intellectu angelico a Deo rerum rationes sive similitudines imprimantur. In utrisque autem, tam hominibus quam Angelis, supra rerum cognitionem quae competit eis secundum naturam, invenitur quaedam supernaturalis cognitio mysteriorum divinorum, de quibus et Angeli illuminantur ab Angelis, et homines etiam de his prophetica revelatione instruuntur. Et quia nulla perfectio creaturis exhibita, animae Christi, quae est creaturarum excellentissima, deneganda est, convenienter praeter cognitionem qua Dei essentiam videt et omnia in ipsa, triplex alia cognitio est ei attribuenda. Una quidem experimentalis, sicut aliis hominibus, inquantum aliqua per sensus cognovit, ut competit humanae naturae. Alia vero divinitus infusa, ad cognoscenda omnia illa ad quae naturalis cognitio hominis se extendit vel extendere potest. Conveniens enim fuit ut humana natura a Dei verbo assumpta in nullo a perfectione deficeret, utpote per quam tota humana natura restauranda esset. Est autem imperfectum omne quod in potentia existit antequam reducatur in actum. Intellectus autem humanus est in potentia ad intelligibilia quae naturaliter homo intelligere potest. Omnium igitur horum scientiam divinitus anima Christi per species influxas accepit, per hoc quod tota potentia intellectus humani fuit reducta ad actum. Sed quia Christus secundum humanam naturam non solum fuit reparator naturae, sed et gratiae propagator, affuit ei etiam tertia cognitio, qua plenissime cognovit quidquid ad mysteria gratiae potest pertinere, quae naturalem hominis cognitionem excedunt, sed cognoscuntur ab hominibus per donum sapientiae, vel per spiritum prophetiae. Nam ad huiusmodi cognoscenda est in potentia intellectus humanus, licet ab altiori agente reducatur in actum. Nam ad naturalia cognoscenda reducitur in actum per lumen intellectus agentis; horum autem cognitionem consequitur per lumen divinum. Patet igitur ex praedictis, quod anima Christi summum cognitionis gradum inter ceteras creaturas obtinuit quantum ad Dei visionem, qua Dei essentia videtur, et alia in ipsa; etiam similiter quantum ad cognitionem mysteriorum gratiae, nec non quantum ad cognitionem naturalium scibilium: unde in nulla harum trium cognitionum Christus proficere potuit. Sed manifestum est quod res sensibiles per temporis successionem magis ac magis sensibus corporis experiendo cognovit, et ideo solum quantum ad cognitionem experimentalem Christus potuit proficere, secundum illud Luc. II, 52: puer proficiebat sapientia et aetate: quamvis posset et hoc aliter intelligi, ut profectus sapientiae Christi dicatur non quo ipse fit sapientior, sed quo sapientia proficiebat in aliis, quia scilicet per eius sapientiam magis ac magis instruebantur. Quod dispensative factum est, ut se aliis hominibus conformem ostenderet, ne si in puerili aetate perfectam sapientiam demonstrasset, incarnationis mysterium phantasticum videretur.

Chapitre 216 — DE LA PLÉNITUDE DE LA SAGESSE DU CHRIST

1. Il faut ensuite parler de la plénitude de la sagesse du Christ. En quoi vient d’abord en considération, qu’étant donné qu’en Lui il y a deux natures divine et humaine, tout ce qui appartient aux deux natures doit nécessairement se dédoubler dans le Christ, comme on l’a dit plus haut (chapitre 212). Or la sagesse convient à la nature divine et à l’humaine. Il est en effet dit de Dieu : "Il est sage en son coeur et fort en puissance" (Job 9, 4). Mais les hommes sont aussi sages selon l’Ecriture, soit selon la sagesse mondaine : "Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse mondaine" (Jer 9, 23); soit selon la sagesse divine : "Voici que je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes" (Mt 23, 34). Il faut donc admettre deux sagesses dans le Christ selon ses deux natures : la sagesse incréée comme Dieu et la sagesse créée comme homme. Et selon qu’Il est Dieu et Verbe de Dieu il est la sagesse engendrée du Père : "Le Christ vertu de Dieu est sagesse de Dieu" (1 Cor 1, 24). En effet le verbe intérieur de tout être qui pense n’est autre que sa sagesse. Et parce que le Verbe de Dieu, nous l’avons dit (chapitre 41 à 44) est parfait et Lui est uni, il est nécessaire que le Verbe de Dieu soit le parfait concept de la sagesse du Père, c’est-à-dire que tout ce qui est contenu dans la sagesse du Père de façon non engendrée est tout entier contenu dans le Verbe de façon engendrée et conçue. Et de là vient ce qui est dit du Christ : "En Lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science" (Col 2, 3).

2. Quant au Christ-homme il possède une double connaissance : une[47] qui est déiforme selon qu’Il voit Dieu par essence et les autres choses en Dieu ainsi que Dieu lui- même se pensant pense toutes choses; par cette vision, Dieu lui-même est bienheureux ainsi que toute créature rationnelle jouissant parfaitement de Dieu. Or comme nous disons que le Christ est l’auteur du salut de l’homme, il est nécessaire de dire qu’une telle connaissance convient ainsi à l’âme du Christ comme il sied à l’auteur (du salut). Or un principe devrait être immobile et de vertu excellente entre toutes. Il fut donc juste que cette vision de Dieu, en laquelle la béatitude des hommes et le salut éternel consistent, convienne au Christ plus excellemment que chez d’autres et en tant que principe immobile.

3. Or il y a cette différence entre les choses mobiles et immobiles que les premières n’ont pas leur perfection en commençant mais qu’elles y arrivent par succession de temps; les choses immobiles obtiennent leur perfection dès qu’elles commencent à exister. Donc le Christ auteur du salut de l’homme dès le commencement de son incarnation a possédé la pleine vision de Dieu, n’y étant pas parvenu par succession de temps comme les autres saints y parviennent.

4. Il était donc juste qu’à l’encontre des autres créatures cette âme soit béatifiée en la vision divine, elle qui était de plus près urne à Dieu; dans cette vision on note une gradation selon que les uns voient Dieu plus clairement que les autres, Lui qui est la cause de toutes choses. Or plus une cause est pleinement connue plus on peut y percevoir d’effets. Une cause en effet n’est mieux connue que quand son pouvoir est plus pleinement connu et cette connaissance ne peut venir que de la connaissance de ses effets. Car la quantité d’un pouvoir se mesure habituellement par ses effets. De là vient que parmi ceux qui voient l’essence de Dieu certains perçoivent en Dieu même plus d’effets ou de raisons des oeuvres divines que d’autres qui voient moins clairement; et d’après cela les anges supé rieurs instruisent les inférieurs, comme nous l’avons dit plus haut (chapitre 126). Donc l’âme du Christ qui possède la suprême perfection de la vision divine parmi les autres créatures contemple en Dieu même pleinement toutes les oeuvres divines et leurs raisons quelles qu’elles soient, seront ou ont été; et elle illumine non seulement les hommes mais aussi les anges les plus élevés; ce qui fait dire à l’Apôtre : "En Lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science" (Col 2, 5) et "Tout est à nu et à découvert à ses yeux" (Hébreux 4, 13).

5. Cependant l’âme du Christ ne peut atteindre à comprendre la divinité. Car comme on l’a dit plus haut (chapitre 106) comprendre c’est connaître une chose autant qu’elle est connaissable et tout est connaissable en tant qu’être et vrai; or l’être divin est infini comme aussi sa vérité.

Dieu est donc infiniment connaissable. Or aucune créature ne peut connaître infiniment quoique ce qu’elle connaisse soit infini. Donc aucune créature en voyant Dieu ne le comprend. Et l’âme du Christ est une créature et tout ce qui dans le Christ se rapporte seulement à la nature humaine est créé, autrement dans le Christ sa nature humaine ne différerait pas de sa nature divine qui seule est incréée. Mais l’hypostase du Verbe de Dieu, ou la personne, est incréée qui est une en deux natures; c’est pour cela que nous ne disons pas que le Christ est une créature, simplement parlant, parce que par le nom de Christ on entend l’hypostase; cependant nous disons que l’âme ou le corps du Christ sont des créatures. Donc l’âme du Christ ne comprend pas Dieu mais le Christ Dieu comprend Dieu dans sa sagesse incréée; c’est dans ce sens que le Seigneur dit : "Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils" (Mt 11, 27) indiquant par là sa connaissance de compréhension.

6. Or il faut savoir que c’est une même chose de comprendre l’essence d’une chose et sa vertu. En effet rien ne peut agir que s’il est en acte. Si donc l’âme du Christ n’est pas en mesure de comprendre l’essence divine, comme on l’a montré, il est impossible qu’elle connaisse la vertu divine; elle la comprendrait si elle connaissait tout ce que Dieu peut faire et par quelles voies Il peut produire ses oeuvres; or cela est impossible. Donc l’âme du Christ ne connaît pas tout ce que Dieu peut faire, ou par quelles raisons il peut agir.

Mais parce que le Christ selon qu’Il est homme est par Dieu le Père préposé à toute la créature il est juste que de tout ce que Dieu a fait en quelque manière le Christ en ait la pleine connaissance dans la vision de l’essence divine, même. Et d’après cela l’âme du Christ est dite omnisciente parce qu’elle a la connaissance de toutes les choses présentes, passées ou futures. Parmi les autres créatures qui voient Dieu, d’aucunes plus pleinement, d’autres moins pleinement, perçoivent les effets susdits dans la vision même de Dieu.

7. En plus de cette vision par laquelle l’intelligence créée a connaissance des choses créées, dans la vision de la divine essence sont d’autres modes de connaissance pour la connaissance des choses. Car les anges outre la connaissance matinale par laquelle ils connaissent les choses dans le Verbe, possèdent la connaissance vespérale par laquelle ils connaissent les choses en leurs propres natures. Cette connaissance est autre chez les hommes selon sa nature que chez les anges Car selon l’ordre naturel, les hommes recueillent la vérité intelligible des choses à partir des sens, au dire de Denys (De div. nom. c. 7) c’est-à-dire que les espèces intelligibles en leurs intellects sont abstraites des phantasmes par l’intellect agent. Mais sous l’influence de la lumière divine les anges acquièrent la connaissance des choses, c’est-à-dire que de même que les choses arrivent à l’être par Dieu ainsi aussi dans l’esprit angélique sont imprimées par Dieu les natures des choses ou leurs similitudes. Outre cette connaissance des choses selon leur nature on trouve chez les hommes aussi bien que chez les anges une connaissance surnaturelle des mystères divins sur lesquels les anges sont éclairés par d’autres anges et les hommes aussi sont instruits par la révélation prophétique.

8. Et parce qu’aucune perfection accordée aux créatures ne doit être refusée à l’âme du Christ qui est de toutes les créatures la plus excellente, il est juste de lui attribuer une connaissance en plus de la connaissance par laquelle Il voit l’essence divine et toutes choses en elle et cette connaissance est triple. Une qui est expérimentale comme pour les autres hommes en tant qu’Il connut certaines choses par ses sens comme il appartient à la nature humaine.

9. Une seconde qui est divinement infuse pour connaître toutes ces choses auxquelles la connaissance naturelle de l’homme s’étend ou peut s’étendre. Il convenait en effet qu’à la nature humaine assumée par le Verbe de Dieu aucune perfection ne fît défaut puisqu’elle devait restaurer toute la nature humaine. Or est imparfait ce qui existe en puissance avant d’être réduit en acte. Et l’intelligence humaine est en puissance aux intelligibles que l’homme peut naturellement connaître. De toutes ces choses l’âme du Christ reçut la science divinement par des espèces infuses par cela que toute la puissance de l’intellect humain fut réduite en acte.

10. Mais parce que le Christ selon la nature humaine ne fut pas seulement le réparateur de cet nature mais encore le propagateur de la grâce, une troisième connaissance lui fut adjointe par laquelle il connut en toute sa plénitude ce qui concernait les mystères de la grâce qui excèdent la connaissance naturelle de l’homme; cependant qu’ils nous sont connus par le don de sagesse ou par l’esprit de prophétie. Car pour les connaître l’intelligence humaine est en puissance bien qu’elle soit réduite en acte par un agent plus élevé; ce qu’elle obtient par la lumière divine.

11. De tout ce qui précède il ressort clairement que l’âme du Christ obtint le plus haut degré de connaissance entre toutes les autres créatures quant à la vision de Dieu qui fait voir l’essence divine et en elle toutes les autres choses. Et semblablement aussi quant à la connaissance des mystères de la grâce comme quant à la connaissance des choses naturelles connaissables. En aucune de ces trois connaissances le Christ ne put progresser. Mais il est manifeste qu’au cours du temps il connut toujours davantage les choses sensibles par l’expérience des sens; et donc seulement le Christ put progresser en la science expérimentale, comme saint Luc le dit : "L’enfant avançait en âge et en sagesse" (2, 52). Bien qu’on puisse l’entendre autrement de sorte que le progrès de la sagesse du Christ est dit non de ce qu’Il devenait plus sage mais de ce que la sagesse progressait chez les autres, c’est-à-dire que par sa sagesse ils étaient de mieux en mieux instruits. Ce qui s’est fait intentionnellement pour qu’Il se montrât semblable aux autres hommes de peur que si en son jeune âge il eut fait montre d’une science parfaite le mystère de son incarnation ne parût illusoire.

 

5° La nature humaine du Christ et sa conception (chapitre 217 à 226)

Caput 217 [70391] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 217 tit. De materia corporis Christi


 [70392] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 217 Secundum praemissa igitur evidenter apparet qualis debuit esse corporis Christi formatio. Poterat siquidem Deus corpus Christi ex limo terrae formare, vel ex quacumque materia, sicut formavit corpus primi parentis, sed hoc humanae restaurationi, propter quam filius Dei, ut diximus, carnem assumpsit, congruum non fuisset. Non enim sufficienter natura humani generis ex primo parente derivata, quae sananda erat, in pristinum honorem restituta esset, si aliunde corpus assumeret Diaboli victor et mortis triumphator, sub quibus humanum genus captivum tenebatur propter peccatum primi parentis. Dei autem perfecta sunt opera, et ad perfectum perducit quod reparare intendit, ut etiam plus adiiciat quam fuerat subtractum, secundum illud apostoli Rom.
V, 20: gratia Dei per Christum amplius abundavit quam delictum Adae. Conveniens igitur fuit ut Dei filius corpus assumeret de natura propagatum ab Adam. Adhuc. Incarnationis mysterium hominibus proficuum per fidem redditur. Nisi enim homines crederent Dei filium esse qui homo videbatur, non sequerentur eum homines ut salutis auctorem, quod Iudaeis accidit, qui ex incarnationis mysterio propter incredulitatem, damnationem potius quam salutem sunt consecuti. Ut ergo hoc ineffabile mysterium facilius crederetur, filius Dei sic omnia dispensavit ut se verum hominem esse ostenderet, quod non ita videretur, si aliunde naturam sui corporis acciperet quam ex natura humana. Conveniens igitur fuit ut corpus a primo parente propagatum assumeret. Item. Filius Dei homo factus humano generi salutem adhibuit, non solum conferendo gratiae remedium, sed etiam praebendo exemplum, quod repudiari non potest. Alterius enim hominis et doctrina et vita in dubium verti potest propter defectum humanae cognitionis et veritatis. Sed sicut quod filius Dei docet, indubitanter creditur verum, ita quod operatur, creditur indubitanter bonum. Oportuit autem ut in eo exemplum acciperemus et gloriae quam speramus, et virtutis qua ipsam meremur: utrumque enim exemplum minus efficax esset, si aliunde naturam corporis assumpsisset quam unde alii homines assumunt. Si cui enim persuaderetur quod toleraret passiones, sicut Christus sustinuit, quod speraret se resurrecturum, sicut Christus resurrexit, posset excusationem praetendere ex diversa corporis conditione. Ut igitur exemplum Christi efficacius esset, conveniens fuit ut non aliunde corporis naturam assumeret quam de natura quae a primo parente propagatur.

Chapitre 217 — DE LA MATIÈRE DU CORPS DU CHRIST

Selon les prémisses il apparaît donc avec évidence ce que dut être la formation du corps du Christ. En vérité Dieu pouvait le former du limon terrestre ou de quelqu’autre matière, comme Il avait formé le corps du premier père. Ce qui toutefois ne s’accordait pas avec la restauration de l’homme pour laquelle le Fils de l’homme, comme nous l’avons dit (chapitre 200) assuma la chair. En effet la nature du genre humain dérivée du premier père et qui devait être guérie n’eut pas été suffisamment restaurée dans sa première noblesse si pour vaincre le diable et triompher de la mort lesquels tenaient captifs le genre humain à cause du péché du premier père Il avait pris d’ailleurs son corps. Or les oeuvres de Dieu sont parfaites et Il mène à la perfection ce qu’Il veut restaurer pour ainsi surajouter à ce qui avait été soustrait, selon ce que dit l’Apôtre : "La grâce de Dieu par le Christ a surabondé" (Rom 5, 20), au-delà du délit d’Adam. Il était donc juste que le Fils de Dieu prît un corps propagé naturellement d’Adam.

De plus le mystère de l’incarnation est rendu profitable aux hommes par la foi. En effet les hommes ne pour raient suivre l’auteur de leur salut qu’en croyant Fils de Dieu celui qui leur apparaissait comme homme; ce que ne firent pas les Juifs qui du mystère de l’incarnation à cause de leur incrédulité ont encouru la damnation plutôt que le salut. Donc pour que l’on croie plus facilement au mystère ineffable de l’incarnation le Fils de Dieu disposa toutes choses de façon à montrer qu’Il était véritablement homme; ce qui n’eut pas été aussi évident s’il avait pris la nature de son corps ailleurs que de la nature de l’homme. Il était donc juste qu’Il prit un corps propagé à partir du premier homme.

De même le Fils de Dieu apporta le salut au genre humain non seulement en y apportant le remède de la grâce mais aussi en lui offrant un exemple qu’on ne pouvait répudier. D’un autre homme en effet et la doctrine et la vie peuvent susciter des doutes à cause du manque de connaissance ou de vertu de l’homme. Mais de même quon croit indubitablement vrai ce que le Fils de Dieu enseeigne, ainsi croit-on indubitablement bon ce qu’Il fait. Or il fallait qu’en Lui nous trouvions un modèle et de la gloire que nous espérons et de la vertu qui nous la mérite. En effet, l’un et l’autre exemple eussent été moins efficaces s’Il avait pris la nature de son corps ailleurs que chez les autres hommes. Si en effet on persuadait quelqu’un de supporter les souffrances comme le Christ, d’espérer ressusciter comme le Christ, il pourrait trouver excuse dans la condition diverse du corps. Donc pour que l’exemple du Christ fût plus efficace il convenait qu’Il n’assumât pas un corps ailleurs que de la nature propagée à partir du premier père.

 

 

Caput 218 [70393] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 218 tit. De formatione corporis Christi, quae non est ex semine


 [70394] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 218 Non tamen fuit conveniens ut eodem modo formaretur corpus Christi in humana natura, sicut formantur aliorum hominum corpora. Cum enim ad hoc naturam assumeret ut ipsam a peccato mundaret, oportebat ut tali modo assumeret quod nullum contagium peccati incurreret. Homines autem peccatum originale incurrunt ex hoc quod generantur per virtutem activam humanam, quae est in virili semine, quod est secundum seminalem rationem in Adam peccante praeextitisse. Sicut enim primus homo originalem iustitiam transfudisset in posteros simul cum transfusione naturae, ita etiam originalem culpam transfudit transfundendo naturam, quod est per virtutem activam virilis seminis.
Oportuit igitur absque virili semine Christi formari corpus. Item. Virtus activa virilis seminis naturaliter agit, et ideo homo qui ex virili semine generatur, non subito perducitur ad perfectum, sed determinatis processibus. Omnia enim naturalia per determinata media ad determinatos fines procedunt. Oportebat autem corpus Christi in ipsa assumptione perfectum esse, et anima rationali informatum, quia corpus est assumptibile a Dei verbo inquantum est animae rationali unitum, licet non esset perfectum secundum debitam quantitatem. Non ergo corpus Christi formari debuit per virilis seminis virtutem.

Chapitre 218 — LA FORMATION DU CORPS DU CHRIST N’EST PAS SÉMINALE

Il ne convenait cependant pas que le corps du Christ fût formé en la nature humaine comme sont formés les corps des autres hommes. Comme en effet, il prenait cette nature pour la purifier du péché Il devait l’assumer de telle façon qu’Il n’encourrait aucune contagion du péché. Or les hommes encourent le péché originel étant engendrés par la vertu active humaine qui est en la semence virile, laquelle a préexisté selon la raison séminale en Adam pécheur. En effet de même que le premier homme eut pu transmettre la justice originelle à ses descendants avec la transfusion de la nature, ainsi aussi a-t-il transmis la faute originelle en transfusant la nature, ce qui se fait par la vertu active de la semence virile. Il a donc fallu qu le corps du Christ soit formé sans semence virile.

De même : la vertu active de la semence virile agit naturellement et donc l’homme qui est engendré de la semence virile n’est pas aussitôt amené à l’état parfait, mais progressivement. En effet toutes les choses naturelles parviennent à une fin déterminée par des intermédiaires déterminés. Or il fallait que le corps du Christ soit par fait, dès le début informé d’une âme rationnelle[48]; car le corps put être assumé par le Verbe de Dieu en tant qu’il est uni à une âme rationnelle sans pour cela être parfait selon la quantité voulue. Le corps du Christ donc ne devait pas être formé par la vertu d’une semence virile.

 

 

Caput 219 [70395] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 219 tit. De causa formationis corporis Christi


 [70396] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 219 Cum autem corporis humani formatio naturaliter sit ex virili semine, quocumque alio modo corpus Christi formatum fuerit, supra naturam fuit talis formatio.
Solus autem Deus institutor naturae est, qui supernaturaliter in rebus naturalibus operatur, ut supra dictum est. Unde relinquitur quod solus Deus illud corpus miraculose formavit ex materia humanae naturae. Sed cum omnis Dei operatio in creatura sit tribus personis communis, tamen per quandam convenientiam formatio corporis Christi attribuitur spiritui sancto: est enim spiritus sanctus amor patris et filii, quo se invicem et nos diligunt. Deus autem, ut apostolus ad Ephesios II dicit, propter nimiam caritatem suam qua dilexit nos, filium suum incarnari constituit. Convenienter igitur carnis formatio spiritui sancto attribuitur. Item. Spiritus sanctus omnium gratiarum est auctor, cum sit primum in quo omnia dona gratis donantur. Hoc autem fuit superabundantis gratiae ut humana natura in unitatem divinae personae assumeretur, ut ex supradictis patet. Ad demonstrandum igitur huiusmodi gratiam formatio corporis Christi spiritui sancto attribuitur. Convenienter etiam hoc dicitur secundum similitudinem humani verbi et spiritus. Verbum enim humanum in corde existens, similitudinem gerit aeterni verbi secundum quod existit in patre. Sicut autem humanum verbum vocem assumit, ut sensibiliter hominibus innotescat, ita et verbum Dei carnem assumpsit, ut visibiliter hominibus appareret. Vox autem humana per hominis spiritum formatur. Unde et caro verbi Dei per spiritum verbi formari debuit.

Chapitre 219 — QU’EST-CE QUI A FORMÉ LE CORPS DU CHRIST ?

Comme le corps humain est naturellement formé à partir de la semence virile, de quelque autre façon que le corps du Christ ait été formé une telle formation- fut au- dessus de la nature. Or Dieu seul a institué la nature, Lui qui opère surnaturellement dans les choses naturelles, comme on l’a dit plus haut (chapitre 136). D’où il reste que Dieu seul a formé miraculeusement ce -corps à partir d’une matière de l’humaine nature. Mais comme toute opération divine dans la créature est commune aux trois personnes, toutefois en raison d’une certaine convenance la formation du corps du Christ est attribuée au Saint- Esprit. En effet l’Esprit Saint est l’amour du Père et du Fils par lequel ils s’aiment et nous aussi."Dieu à cause de la très grande charité par laquelle Il nous a aimés" (Eph 2, 4) décida que son Fils s’incarnerait. C’est donc -- juste titre que la formation de la chair est attribuée à l’Esprit Saint.

De même l’Esprit Saint est l’auteur de toutes les grâces puisqu’Il est le premier en qui tous les dons sont donnés gratuitement; or ce fut une grâce surabondante qu’une autre nature humaine soit assumée dans l’unité d’une personne divine, comme il ressort de ce qui a été dit plus haut (chapitre 214). Donc pour indiquer ce qu’est cette grâce, la formation du corps du Christ est attribuée à l’Esprit Saint.

Ce qui est aussi justement dit par ressemblance du verbe humain et du souffle humain. En effet le verbe humain existant dans le coeur a une ressemblance avec le Verbe éternel : qu’Il existe dans le Père. Or de même que le verbe humain prend une voix pour se faire connaître sensiblement aux hommes ainsi aussi le Verbe de Dieu a pris une chair pour apparaître visiblement aux hommes. Or la voix humaine est formée par le souffle de l’homme; d’où aussi la chair du Verbe de Dieu devait être formée par l’Esprit[49] du Verbe.

 

 

Caput 220 [70397] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 220 tit. Expositio articuli in symbolo positi de conceptione et nativitate Christi


 [70398] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 220 Ad excludendum igitur errorem Ebionis et Cerinthi, qui corpus Christi ex virili semine formatum dixerunt, dicitur in symbolo apostolorum: qui conceptus est de spiritu sancto. Loco cuius in symbolo patrum dicitur: et incarnatus est de spiritu sancto, ut non phantasticum corpus secundum Manichaeos, sed veram carnem assumpsisse credatur. Additum est autem in symbolo patrum, propter nos homines, ad excludendum Origenis errorem, qui posuit virtute passionis Christi etiam Daemones liberandos.
Additum est etiam in eodem, propter nostram salutem, ut mysterium incarnationis Christi sufficiens ad humanam salutem ostendatur, contra haeresim Nazaraeorum, qui fidem Christi sine operibus legis ad salutem humanam non sufficere putabant. Additum etiam est, descendit de caelis, ad excludendum errorem Photini, qui Christum purum hominem asserebat, dicens eum ex Maria sumpsisse initium, ut magis per bonae vitae meritum in terris habens principium ad caelum ascenderet, quam caelestem habens originem assumendo carnem descendisset ad terram. Additur etiam, et homo factus est, ad excludendum errorem Nestorii, secundum cuius positionem filius Dei, de quo symbolum loquitur, magis inhabitator hominis quam homo esse diceretur.

Chapitre 220 — EXPOSITION DE L’ARTICLE DU SYMBOLE SUR LA CONCEPTION ET LA NAISSANCE DU CHRIST

Pour rejeter l’erreur d’Ebion et de Cérinthe qui dirent que le corps du Christ fut formé d’une semence virile, le Symbole des Apôtres affirme qu’il a été conçu du Saint- Esprit. Au Symbole des Pères (Nicée) au lieu de ces mots on trouve : "Et Il s’est incarné de l’Esprit Saint" pour qu’on ne voie pas qu’Il a pris un corps imaginaire selon les Manichéens mais une vraie chair. Dans ce même Symbole des Pères on ajoute : "Pour nous les hommes" pour exclure l’erreur d’Origène qui enseigne que les démons aussi pouvaient être libérés par la passion du Christ. Dans le même (Symbole) on ajoute : "Pour notre salut" afin de montrer que le mystère de l’incarnation suffit au salut des hommes contre l’hérésie des Nazaréens qui jugeaient que la foi au Christ sans les oeuvres de la loi ne pouvait suffire au salut des hommes. On ajoute : "Il descendit du ciel" pour rejeter l’erreur de Photin (chapitre 202) qui affirmait que le Christ était un pur homme, disant qu’Il avait pris en Marie son commencement pour que par le mérite d’une bonne vie ayant commencé sur terre il monte au ciel plutôt que, d’origine céleste, prenant chair, Il soit descendu sur terre. On ajoute aussi : "Et Il s’est fait homme" pour rejeter l’erreur de Nestorius (chapitre 203) qui affirmait que le Fils de Dieu, dont parle le Symbole, avait habité un homme plutôt que d’être lui- même un homme.

 

 

Caput 221 [70399] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 221 tit. Quod conveniens fuit Christum nasci ex virgine


 [70400] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 221 Cum autem ostensum sit quod de materia humanae naturae conveniebat filium Dei carnem assumere, materiam autem in humana generatione ministrat femina, conveniens fuit ut Christus de femina carnem assumeret, secundum illud apostoli ad Galat. IV, 4: misit Deus filium suum factum ex muliere. Femina autem indiget viri commixtione, ad hoc quod materia quam ipsa ministrat, formetur in corpus humanum.
Formatio autem corporis Christi fieri non debuit per virtutem virilis seminis, ut supra iam dictum est. Unde absque commixtione virilis seminis illa femina concepit ex qua filius Dei carnem assumpsit. Tanto autem aliquis magis spiritualibus donis repletur, quanto magis a carnalibus separatur. Nam per spiritualia homo sursum trahitur, per carnalia vero deorsum. Cum autem formatio corporis Christi fieri debuerit per spiritum sanctum, oportuit illam feminam de qua Christus corpus assumpsit maxime spiritualibus donis repleri, ut per spiritum sanctum non solum anima fecundaretur virtutibus, sed etiam venter prole divina. Unde oportuit non solum mentem eius esse immunem a peccato, sed etiam corpus eius ab omni corruptela carnalis concupiscentiae elongari. Unde non solum ad concipiendum Christum virilem commixtionem non est experta, sed nec ante nec postea. Hoc etiam conveniebat ei qui nascebatur ex ipsa. Ad hoc enim Dei filius veniebat in mundum carne assumpta ut nos ad resurrectionis statum promoveret, in quo neque nubent neque nubentur, sed erunt homines sicut Angeli in caelo. Unde et continentiae et integritatis doctrinam introduxit, ut in fidelium vita resplendeat aliqualiter gloriae futurae imago. Conveniens ergo fuit ut etiam in suo ortu vitae integritatem commendaret nascendo ex virgine; et ideo in symbolo apostolorum dicitur: natus ex virgine Maria. In symbolo autem patrum ex virgine Maria dicitur incarnatus, per quod Valentini error excluditur, ceterorumque, qui corpus Christi dixerunt aut esse phantasticum, aut esse alterius naturae, et non esse ex corpore virginis sumptum atque formatum.

Chapitre 221 — IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NAQUIT D’UNE VIERGE

Il a été dit (chapitre 217) qu’il était juste que le Fils de Dieu prenne chair de la matière de la nature humaine; or c’est la femme qui fournit la matière de la génération humaine; il était donc juste que le Christ prît chair d’une femme selon ce que dit l’Apôtre : "Dieu envoya son Fils fait de la femme" (Gal 4, 4). Or la femme a besoin de s’unir à son mari pour que la matière qu’elle fournit soit formée en un corps humain. Or la formation du corps du Christ ne devait pas se faire par la vertu de la semence virile, comme déjà on l’a montré (chapitre 218). D’où sans l’intervention de semence virile cette femme a conçu, de laquelle le Fils de Dieu a pris chair.

On est d’autant plus rempli de dons spirituels qu’on est plus détaché des choses de la chair. Car par l’esprit l’homme est attiré en haut, par la chair il est tiré vers le bas. Or comme la formation du corps du Christ devait se faire par l’Esprit Saint il a fallu que cette femme de laquelle le Christ a pris un corps soit au maximum rem plie des dons spirituels pour que par l’Esprit Saint non seulement l’âme soit féconde en vertus, mais aussi son sein en lignée divine. D’où il fallait que non seulement son esprit soit exempt du péché mais qu’aussi son corps soit étranger à toute corruption de la concupiscence charnelle. D’où non seulement pour la conception du Christ n’a-t-elle pas connu l’union maritale mais encore ni avant ni après.

Cela convenait aussi à celui qui naîtrait d’elle. En effet le Fils de Dieu venait en ce monde prenant chair pour nous élever à l’état de ressuscités, dans lequel "on ne se marie, ni n’est marié, où les hommes seront comme des anges dans le ciel" (Mt 22, 30). D’où aussi son enseignement sur la continence et la virginité pour que la vie des fidèles resplendisse à l’image en quelque sorte de la gloire future. Il convenait donc qu’aussi en son origine il recommande cette vie virginale en naissant d’une vierge. Et c’est pourquoi il est dit dans le Symbole : "Né de la Vierge Marie." Dans le Symbole de Nicée on dit qu’Il "s’est incarné de la Vierge Marie"; par quoi on exclut l’erreur de Valentin et d’autres qui dirent que le corps du Christ était tel un fantôme ou d’une autre nature (chapitre 207) et non pris du corps de la Vierge, ni formé en elle.

 

 

Caput 222 [70401] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 222 tit. Quod beata virgo sit mater Christi


 [70402] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 222 Error autem Nestorii ex hoc excluditur, qui beatam Mariam matrem Dei confiteri nolebat. In utroque autem symbolo dicitur, filius Dei est natus vel incarnatus ex virgine Maria.
Femina autem ex qua aliquis homo nascitur, mater illius dicitur ex eo quod materiam ministrat humano conceptui. Unde beata virgo Maria, quae materiam ministravit conceptui filii Dei, vera mater filii Dei dicenda est. Non enim refert ad rationem matris, quacumque virtute materia ministrata ab ipsa formetur. Non igitur minus mater est quae materiam ministravit spiritu sancto formandam, quam quae materiam ministrat formandam virtute virilis seminis. Si quis autem dicere velit, beatam virginem Dei matrem non debere dici, quia non est ex ea assumpta divinitas, sed caro sola, sicut dicebat Nestorius, manifeste vocem suam ignorat. Non enim ex hoc aliqua dicitur alicuius mater, quia totum quod in ipso est, ex ea sumatur. Homo enim constat ex anima et corpore, magisque est homo id quod est secundum animam, quam id quod est secundum corpus. Anima autem nullius hominis a matre sumitur, sed vel a Deo immediate creatur, ut veritas habet; vel si esset ex traductione, ut quidam posuerunt, non sumeretur a matre, sed magis a patre, quia in generatione ceterorum animalium, secundum philosophorum doctrinam, masculus dat animam, femina vero corpus. Sicut igitur cuiuslibet hominis mater aliqua femina dicitur ex hoc quod ab ea corpus eius assumitur, ita Dei mater beata virgo Maria dici debet, si ex ea assumptum est corpus Dei. Oportet autem dicere, quod sit corpus Dei, si assumitur in unitatem personae filii Dei, qui est verus Deus. Confitentibus igitur humanam naturam esse assumptam a filio Dei in unitatem personae, necesse est dicere, quod beata virgo Maria sit mater Dei. Sed quia Nestorius negabat unam personam esse Dei et hominis Iesu Christi, ideo ex consequenti negabat virginem Mariam esse Dei matrem

Chapitre 222 — LA BIENHEUREUSE VIERGE EST LA MÈRE DU CHRIST

Par là est exclue l’erreur de Nestorius qui refusait d’admettre que la Bienheureuse Vierge Marie était Mère de Dieu. Or les deux Symboles ont affirmé que le Fils de Dieu est né ou incarné de la Vierge Marie. La femme dont quelqu’un est né est dite sa mère en ce qu’elle four nit la matière de la conception. D’où la Bienheureuse Vierge Marie qui a fourni la matière à la conception du Fils de Dieu doit être dite la vraie mère du Fils de Dieu. En effet il n’importe pas à la maternité par quelle vertu est informée la matière de la mère. Elle n’est donc pas moins mère celle qui fournit la matière que l’Esprit Saint informe, que celle que la semence virile informe.

Si quelqu’un voulait dire que la Bienheureuse Vierge ne doit pas être dite la mère de Dieu parce que la divinité n’en a pas été prise mais la chair seulement, comme le disait Nestorius, celui-là ne sait pas ce qu’il dit. En effet on n’est pas mère de quelqu’un parce que tout ce qu’on a en a été pris. Car l’homme est fait d’une âme et d’un corps et on est plus homme par l’âme que par ce qui est du corps. Or l’âme d’un homme ne vient pas de la mère mais ou bien elle est créée immédiatement par Dieu comme. il est certain, ou bien elle serait transmise, comme certains l’ont avancé, et alors elle viendrait plutôt du père que de la mère parce que dans la génération des animaux, selon la doctrine des philosophes, le mâle donne l’âme et la femelle le corps[50].

Donc de même que la mère de tout homme est cette femme dont il a eut son corps, ainsi la Vierge Marie est-elle Mère de Dieu si d’elle a été pris le corps de Dieu. Il faut dire que c’est le corps de Dieu s’il a été assumé en l’unité de la personne du Fils de Dieu qui est véritablement Dieu. Pour ceux donc qui confessent que la nature humaine a été assumée par le Fils de Dieu dans l’unité de la personne il faut nécessairement dire que la Vierge Marie est mère de Dieu. Mais parce que Nestorius niait l’unité de la personne en Dieu et en l’homme Jésus-Christ il devait en conséquence nier que la Vierge Marie était Mère de Dieu.

 

 

Caput 223 [70403] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 223 tit. Quod spiritus sanctus non sit pater Christi


 [70404] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 223 Licet autem filius Dei dicatur de spiritu sancto et ex Maria virgine incarnatus et conceptus, non tamen dicendum est, quod spiritus sanctus sit pater hominis Christi, licet beata virgo eius mater dicatur. Primo quidem, quia in beata Maria virgine invenitur totum quod pertinet ad matris rationem. Materiam enim ministravit Christi conceptui spiritu sancto formandam, ut requirit matris ratio. Sed ex parte spiritus sancti non invenitur totum quod ad rationem patris exigitur. Est enim de ratione patris ut ex sua natura filium sibi connaturalem producat. Unde si fuerit aliquod agens quod facit aliquid non ex sua substantia, nec producat ipsum in similitudinem suae naturae, pater eius dici non poterit. Non enim dicimus quod homo sit pater eorum quae facit per artem, nisi forte secundum metaphoram. Spiritus autem sanctus est quidem Christo connaturalis secundum divinam naturam, secundum quam pater Christi non est, sed magis ab ipso procedens; secundum autem naturam humanam non est Christo connaturalis: est enim alia natura humana et divina in Christo, ut supra dictum est. Neque in naturam humanam est versum aliquid de natura divina, ut supra dictum est. Relinquitur ergo quod spiritus sanctus pater hominis Christi dici non possit. Item. In unoquoque filio id quod est principalius in ipso, est a patre; quod autem secundarium, a matre. In aliis enim animalibus anima est a patre, corpus vero a matre. In homine autem etsi anima rationalis a patre non sit, sed a Deo creata, virtus tamen paterni seminis dispositive operatur ad formam. Id autem quod principalius est in Christo, est persona verbi, quae nullo modo est a spiritu sancto. Relinquitur ergo quod spiritus sanctus pater Christi dici non possit.

Chapitre 223 — L’ESPRIT SAINT N’EST PAS LE PÈRE DU CHRIST

D’abord parce que dans la bienheureuse Vierge Marie se trouve tout ce qui fait la maternité. En effet elle a fourni la matière pour la conception du Christ pour être informée par l’Esprit Saint, comme le requiert la maternité mais du côté de l’Esprit Saint ne se trouve pas tout ce qui fait la paternité. La paternité en effet veut que le père produise de sa nature un fils qui lui est connaturel. D’où si quelqu’agent fait quelque chose non pas de sa substance, ni ne la produit en ressemblance de sa propre nature, on ne peut pas dire qu’il en est le Père. Nous ne disons pas en effet que l’homme est le père des choses qu’il fait comme artisan, sinon que métaphoriquement. L’Esprit Saint est en vérité connaturel au Christ selon la nature divine selon laquelle Il n’est pas le père du Christ mais plutôt Il en procède. Et selon la nature humaine Il n’est pas connaturel au Christ. Car la nature humaine dans le Christ est autre que la nature divine, comme on l’a dit (chapitres 206, 209, 211). Rien non plus en la nature humaine n’a été communiqué de la nature divine, comme on l’a dit (chapitre 206). Il reste donc que l’Esprit Saint ne peut être dit le père du Christ

De même en tout fils, ce qu’il y a de principal vient du père, et de la mère ce qui est secondaire. En effet chez les autres animaux l’âme est du père et le corps est de la mère. Or dans l’homme quoique l’âme rationnelle ne soit pas du père mais créée par Dieu, cependant la vertu séminale du père opère dispositivement à la forme. Or ce qu’il y a de principal dans le Christ c’est la personne du Verbe qui d’aucune façon n’est de l’Esprit Saint. Il reste donc que l’Esprit Saint ne peut être dit le père du Christ.

 

 

Caput 224 [70405] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 224 tit. De sanctificatione matris Christi


 [70406] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 224 Quia igitur, ut ex praedictis apparet, beata virgo Maria mater filii Dei facta est, de spiritu sancto concipiens, decuit ut excellentissima puritate mundaretur, per quam congrueret tanto filio: et ideo credendum est eam ab omni labe actualis peccati immunem fuisse non tantum mortalis, sed etiam venialis, quod nulli sanctorum convenire potest post Christum, cum dicatur I Ioan. I, 8: si dixerimus quoniam peccatum non habemus, ipsi nos seducimus, et veritas in nobis non est. Sed de beata virgine matre Dei intelligi potest quod Cant. IV, 7, dicitur: tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te.
Nec solum a peccato actuali immunis fuit, sed etiam ab originali, speciali privilegio mundata. Oportuit siquidem quod cum peccato originali conciperetur, utpote quae ex utriusque sexus commixtione concepta fuit. Hoc enim privilegium sibi soli servabatur ut virgo conciperet filium Dei. Commixtio autem sexus, quae sine libidine esse non potest post peccatum primi parentis, transmittit peccatum originale in prolem. Similiter etiam quia si cum peccato originali concepta non fuisset, non indigeret per Christum redimi, et sic non esset Christus universalis hominum redemptor, quod derogat dignitati Christi. Est ergo tenendum, quod cum peccato originali concepta fuit, sed ab eo quodam speciali modo purgata fuit. Quidam enim a peccato originali purgantur post nativitatem ex utero, sicut qui in Baptismo sanctificantur. Quidam autem quodam privilegio gratiae etiam in maternis uteris sanctificati leguntur, sicut de Ieremia dicitur Ierem. I, 5: priusquam te formarem in utero, novi te, et antequam exires de vulva, sanctificavi te; et de Ioanne Baptista Angelus dicit: spiritu sancto replebitur adhuc ex utero matris suae. Quod autem praestitum est Christi praecursori et prophetae, non debet credi denegatum esse matri ipsius: et ideo creditur in utero sanctificata, ante scilicet quam ex utero nasceretur. Non autem talis sanctificatio praecessit infusionem animae. Sic enim nunquam fuisset peccato originali subiecta, et redemptione non indiguisset. Non enim subiectum peccati esse potest nisi creatura rationalis. Similiter etiam gratia sanctificationis per prius in anima radicatur, nec ad corpus potest pervenire nisi per animam: unde post infusionem animae credendum est eam sanctificatam fuisse. Eius autem sanctificatio amplior fuit quam aliorum in utero sanctificatorum. Alii namque sanctificati in utero sunt quidem a peccato originali mundati, non tamen est eis praestitum ut postea non possent peccare, saltem venialiter. Sed beata virgo Maria tanta abundantia gratiae sanctificata fuit, ut deinceps ab omni peccato conservaretur immunis non solum mortali, sed etiam veniali. Et quia veniale peccatum interdum ex surreptione contingit, ex hoc scilicet quod aliquis inordinatus concupiscentiae motus insurgit, aut alterius passionis, praeveniens rationem, ratione cuius primi motus dicuntur esse peccata, consequens est quod beata virgo Maria nunquam peccavit venialiter, eo quod inordinatos passionum motus non sensit. Contingunt autem huiusmodi motus inordinati ex hoc quod appetitus sensitivus, qui est harum passionum subiectum, non sic subiicitur rationi quin interdum ad aliquid praeter ordinationem rationis moveatur, et quandoque contra rationem, in quo consistit motus peccati. Sic igitur fuit in beata virgine appetitus sensitivus rationi subiectus per virtutem gratiae ipsum sanctificantis, quod nunquam contra rationem movebatur, sed secundum ordinem rationis; poterat tamen habere aliquos motus subitos non ordinatos ratione. In domino autem Iesu Christo aliquid amplius fuit. Sic enim inferior appetitus in eo rationi subiiciebatur ut ad nihil moveretur nisi secundum ordinem rationis, secundum scilicet quod ratio ordinabat, vel permittebat appetitum inferiorem moveri proprio motu. Hoc autem videtur ad integritatem primi status pertinuisse ut inferiores vires totaliter rationi subderentur: quae quidem subiectio per peccatum primi parentis est sublata non solum in ipso, sed etiam in aliis qui ab eo contrahunt peccatum originale, in quibus etiam postquam a peccato mundantur per gratiae sacramentum, remanet rebellio vel inobedientia inferiorum virium ad rationem, quae dicitur fomes peccati, quae in Christo nullatenus fuit secundum praedicta. Sed quia in beata virgine Maria non erant inferiores vires totaliter rationi subiectae, ut scilicet nullum motum haberent a ratione non praeordinatum, et tamen sic cohibebantur per virtutem gratiae ut nullo modo contra rationem moverentur, propter hoc solet dici, quod in beata virgine post sanctificationem remansit quidem fomes peccati secundum substantiam, sed ligatus.

Chapitre 224 — DE LA SANCTIFICATION DE LA MÈRE DU CHRIST

Puisque, comme il ressort des prémisses (chapitres 221, 222) la Bienheureuse Vierge Marie est devenue la mère du Fils de Dieu en concevant de l’Esprit Saint, il fallait qu’elle fût ornée d’une pureté-éminente qui s’accordât à un tel Fils. Et donc on doit admettre qu’elle a été exempte de toute tache de péché actuel, non seulement mortel mais aussi véniel; ce qui ne peut arriver à aucun saint après le Christ, puisqu’il est dit en saint Jean : "Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous illusionnons, et la vérité n’est pas en nous" (1 Jean 1, 8). Mais au sujet de la Mère de Dieu on peut entendre ce que dit le Cantique des Cantiques : "Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de tache en toi" (4, 7).

Non seulement elle fut exempte de tout péché actuel mais aussi originel, purifiée par un privilège spécial. A la vérité il fallait qu’elle soit conçue avec le péché originel, puisque sa conception s’est faite par l’union des deux sexes. En effet ce privilège que vierge elle conçoive le Fils de Dieu lui était réservé et à elle seulement. Mais l’union des deux sexes qui ne va pas sans la concupiscence depuis le péché du premier père transmet à la lignée le péché originel.

De même si Elle avait été exempte du péché originel dans sa conception elle n’aurait pas eu besoin de la rédemption par le Christ et ainsi le Christ ne serait pas le rédempteur universel des hommes; ce qui porte atteinte à la dignité du Christ. Il faut donc tenir qu’elle fut conçue avec le péché originel mais purifiée par Lui d’une façon particulière. Il y en a en effet qui sont purifiés du péché originel après la naissance comme ceux qui sont sanctifiés par le baptème. Il y en a qui par un privilège de la grâce furent sanctifiés dans le sein maternel comme il est dit de Jérémie : "Avant que je te forme dans le sein je t’ai connu, avant que tu sortes du giron je t’ai sanctifié" (Jer 1, 5) et de Jean-Baptiste l’ange dit : "Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère" (Lc 1, 15). Ce qui fut accordé au précurseur du Christ et au prophète on ne doit pas croire que ce fut refusé à sa mère. Aussi croit-on qu’elle fût sanctifiée dans le sein maternel c’est-à-dire avant sa naissance.

Cette sanctification n’a pas précédé l’infusion de l’âme[51]. Ainsi en effet elle n’aurait pas été sujet du péché originel et elle n’aurait pas eu besoin de rédemption. En effet ne peut être sujet du péché originel que la créature rationnelle. Egalement la grâce sanctifiante a d’abord sa racine dans l’âme et elle ne parvient au corps que par l’âme. D’où on doit croire qu’elle fut sanctifiée après l’infusion de l’âme.

Mais sa sanctification a été plus totale que pour les autres sanctifiés dans le sein. Car s’ils ont été purifiés du péché originel, cependant il ne leur fut pas donné de ne pouvoir pécher dans la suite au moins véniellement. Mais la Bienheureuse Vierge Marie fut sanctifiée d’une telle abondance de grâce que par la suite elle fut gardée exempte de tout péché non seulement mortel mais aussi véniel.

Et parce que le péché véniel se contracte parfois par surprise, comme par exemple lorsque s’élève quelque mouvement de la concupiscence ou d’une autre passion qui prévient la raison, et que pour cela les premiers mouvements sont appelés péchés, il s’en suit que la Bienheureuse Vierge Marie n’a pas péché véniellement parce qu’elle n’a pas connu les mouvements désordonnés des passions. Or ces mouvements désordonnés se produisent en ce que l’appétit sensitif, qui est le sujet de ces passions, n’est pas tellement soumis à la raison qu’il ne soit parfois mû vers quelqu’objet au-delà des limites de la raison, et parfois contrairement à la raison, ce en quoi consiste le mouvement du péché. Ainsi donc il y eut dans la Bienheureuse Vierge un appétit sensible soumis à la raison par la vertu de la grâce qui la sanctifiait ne pouvant jamais être mû contre la raison mais selon la raison. Cependant il pouvait se produire des mouvements subits étrangers à la raison.

Mais il y eut quelque chose de plus total encore en Notre Seigneur Jésus-Christ. En lui l’appétit inférieur était ainsi soumis à la raison qu’il n’était mû à rien si ce n’est selon l’ordre de la raison, c’est-à-dire que la raison ordonnait ou permettait que l’appétit inférieur se meuve de son propre mouvement. Or cela semble bien avoir appartenu à l’intégrité de l’état primitif que les forces inférieures soient totalement soumises à la raison. Cette soumission a disparu par le péché du premier père non seulement pour lui-même mais aussi chez les autres qui contractent de lui le péché d’origine. Chez eux aussi après avoir été purifiés du péché par la grâce du sacrement subsiste la rébellion ou la désobéissance des forces inférieures à la raison, ce qu’on appelle ferment[52] ou (source) du péché. Et cela ne s’est jamais présenté dans le Christ, comme on l’a dit.

Mais comme dans la Bienheureuse Vierge Marie les for ces inférieures n’étaient pas totalement soumises à la raison de sorte qu’elles n’auraient eu aucun mouvement qui ne fût ordonné par la raison, cependant elles étaient retenues par la vertu de la grâce de telle manière qu’elles ne s’opposaient d’aucune façon à la raison; à cause de cela on dit communément qu’en la Bienheureuse Vierge après sa sanctification demeurait la source du péché selon la substance, mais était liée.

 

 

Caput 225 [70407] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 225 tit. De perpetua virginitate matris Christi


 [70408] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 225 Si autem per primam sanctificationem sic fuit contra omnem motum peccati munita, multo magis in ea excrevit gratia, fomesque peccati in ea est debilitatus, vel etiam totaliter sublatus, spiritu sancto in ipsa secundum verbum Angeli superveniente, ad corpus Christi ex ea formandum. Unde postquam facta est sacrarium spiritus sancti et habitaculum filii Dei, nefas est credere non solum aliquem motum peccati in ea fuisse, sed nec etiam carnalis concupiscentiae delectationem eam fuisse expertam.
Et ideo abominandus error est Helvidii, qui etiamsi asserat Christum ex virgine conceptum et natum, dixit tamen eam postmodum ex Ioseph alios filios genuisse. Nec hoc eius suffragatur errori quod Matthaei I, 25, dicitur, quod non cognovit eam Ioseph, scilicet Mariam, donec peperit filium suum primogenitum, quasi postquam peperit Christum, eam cognoverit, quia donec in hoc loco non significat tempus finitum, sed indeterminatum. Est enim consuetudo sacrae Scripturae ut usque tunc specialiter asserat aliquid factum vel non factum, quousque in dubium poterat venire, sicut dicitur in Psal. CIX, 1: sede a dextris meis, donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. Dubium enim esse poterat an Christus sederet ad dexteram Dei, quandiu non viderentur ei inimici esse subiecti, quod postquam innotuerit, nullus remanebit dubitandi locus. Similiter etiam dubium esse poterat, an ante partum filii Dei Ioseph Mariam cognoverit. Unde hoc Evangelista removere curavit, quasi indubitabile relinquens quia post partum non fuit cognita. Nec etiam ei suffragatur quod Christus dicitur eius primogenitus, quasi post ipsum alios genuerit filios. Solet enim in Scriptura primogenitus dici ante quem nullus genitus, etiamsi post ipsum nullus sequatur, sicut patet de primogenitis qui secundum legem sanctificabantur domino, et sacerdotibus offerebantur. Nec etiam ei suffragatur quod in Evangelio aliqui dicuntur fratres Christi fuisse, quasi mater eius alios habuerit filios. Solet enim Scriptura fratres dicere omnes qui sunt eiusdem cognationis, sicut Abraham Loth suum fratrem nominavit, cum tamen esset nepos eius. Et secundum hoc nepotes Mariae, et alii eius consanguinei, fratres Christi dicuntur, et etiam consanguinei Ioseph, qui pater Christi putabatur. Et ideo in symbolo dicitur: qui natus est de virgine Maria: quae quidem virgo dicitur absolute, quia et ante partum, et in partu, et post partum virgo permansit. Et quidem quod ante partum et post partum eius virginitati derogatum non fuerit, satis iam dictum est. Sed nec in partu eius virginitas fuit violata. Corpus enim Christi, quod ad discipulos ianuis clausis intravit, potuit eadem potestate de utero clauso matris exire. Non enim decebat ut integritatem nascendo tolleret, qui ad hoc nascebatur ut corrupta in integrum reformaret.

Chapitre 225 — DE LA PERPÉTUELLE VIRGINITÉ DE LA MÈRE DE DIEU

Si par la première sanctification elle fut ainsi garantie contre tout mouvement du péché, bien davantage encore la grâce agit-elle en elle, et le ferment du péché fut affaibli et même totalement détruit, le Saint-Esprit survenant en elle selon la parole de l’Ange pour que d’elle soit formé le corps du Christ (Lc 1, 35). C’est pourquoi lorsqu’elle fut devenue le sanctuaire de l’Esprit Saint et l’habitacle du Fils de Dieu il n’est pas permis de croire que non seulement il y eut en elle quelque mouvement du péché mais encore qu’elle n’a pas connu la délectation de la concupiscence charnelle. C’est donc une abomination l’erreur d’Helvidius qui, même s’il affirme que le Christ est né de la Vierge, cependant dit qu’elle engendra d’autres fils à Joseph.

Et on ne peut pas apporter en faveur de cette erreur ce que dit Matthieu "Joseph ne la connut pas (Marie) jusqu’à ce qu’elle ait mis au monde son premier né" (---, 25), comme si après avoir engendré le Christ il l’ait con nue; car le mot "jusqu’à" ne signifie pas ici un temps fini mais indéterminé. C’est en effet habituel à la Sainte Ecriture de présenter une chose comme faite ou non jusqu’au moment où il peut subsister un doute (à son sujet), comme par exemple au Psaume 109 il est dit : "Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds." On pouvait en effet douter si le Christ s’assiérait à la droite de Dieu aussi longtemps qu’on ne voyait pas ses ennemis lui être sou mis; ce qu’étant arrivé aucun doute ne subsistait. Un doute semblable pouvait venir si avant la naissance du Fils de Dieu Joseph avait connu Marie[53]. C’est ce que 1’Evangéliste a eut soin d’écarter ne laissant planer aucun doute qu’après la naissance Joseph ne l’a pas connue.

Et on ne peut pas davantage argumenter que le Christ est dit premier-né (Mt 1, 25; Lc 2, 7) comme si par après sa mère aurait engendré d’autres fils. La Sainte Écriture en effet parle de premier-né avant lequel aucun n’est né même si après lui aucun autre ne suit, comme il ressort des premiers-nés qui selon la loi sont offerts au Seigneur et présentés aux prêtres (Nm 18, 15-19).

Aucun argument non plus que dans l’Évangile il est question des frères du Seigneur (Mt 13, 55; Jean 2, 12; Gal 1, 19), comme si sa mère avait eu d’autres fils. En effet l’Écriture a l’habitude d’appeler frères tous ceux qui sont de la même parenté, comme Abraham appela Loth son frère quoiqu’il fût son neveu (Gn 13, 8; 11, 27; 12, 15; 14, 12). Et d’après cela les neveux de Marie et aussi les consanguins de Joseph qui était regardé comme père du Christ sont appelés frères du Christ.

Et donc il est dit dans le Symbole : "Qui est né de la Vierge Marie" laquelle est dite vierge absolument, elle qui demeure vierge et avant la naissance, et lors de la naissance et après. Et qu’il ne fut pas porté préjudice à sa virginité avant ni après la naissance on en a dit assez. Mais non plus au moment de la naissance sa virginité ne fut violée. En effet le corps du Christ qui entra chez les disciples les portes étant closes pouvait aussi par la même puissance sortir du sein fermé de sa mère. En effet il ne convenait pas qu’en naissant Il portât atteinte à cette intégrité, lui qui voulait naître pour rétablir dans son intégrité ce qui était corrompu.

 

 

C- La passion du Christ (Ch 226-235)

Caput 226 [70409] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 226 tit. De defectibus assumptis a Christo


 [70410] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 226 Sicut autem conveniens fuit ut filius Dei naturam assumens humanam propter humanam salutem, in natura assumpta salutis humanae finem ostenderet per gratiae et sapientiae perfectionem, ita etiam conveniens fuit quod in humana natura assumpta a Dei verbo conditiones aliquae existerent quae congruerent decentissimo liberationis modo humani generis. Fuit autem congruentissimus modus ut homo, qui per iniustitiam perierat, per iustitiam repararetur. Exigit autem hoc iustitiae ordo ut qui poenae alicuius peccando factus est debitor, per solutionem poenae liberetur.
Quia vero quae per amicos facimus aut patimur, aliqualiter nos ipsi facere aut pati videmur, eo quod amor est mutua virtus ex duobus se amantibus quodammodo faciens unum, non discordat a iustitiae ordine, si aliquis liberetur, amico eius satisfaciente pro ipso. Per peccatum autem primi parentis perditio in totum humanum genus devenerat, nec alicuius hominis poena sufficere poterat, ut totum genus humanum liberaret. Non enim erat condigna satisfactio aequivalens, ut uno homine puro satisfaciente omnes homines liberarentur. Similiter etiam nec sufficiebat secundum iustitiam ut Angelus ex amore humani generis pro ipso satisfaceret: Angelus enim non habet dignitatem infinitam, ut satisfactio eius pro infinitis et infinitorum peccatis sufficere posset. Solus autem Deus est infinitae dignitatis, qui carne assumpta pro homine sufficienter satisfacere poterat, ut supra iam diximus. Talem igitur oportuit ut humanam naturam assumeret in qua pati posset pro homine ea quae homo peccando meruit ut pateretur, ad satisfaciendum pro homine. Non autem omnis poena quam homo peccando incurrit, est ad satisfaciendum idonea. Provenit enim peccatum hominis ex hoc quod a Deo avertitur conversus ad commutabilia bona. Punitur autem homo pro peccato in utrisque. Nam et privatur gratia, et ceteris donis, quibus Deo coniungitur, et meretur etiam pati molestiam et defectum in eo propter quod est a Deo aversus. Ille igitur ordo satisfactionis requirit ut per poenas quas peccator in bonis commutabilibus patitur, revocetur ad Deum. Huic autem revocationi contrariae sunt illae poenae quibus homo separatur a Deo. Nullus igitur per hoc Deo satisfacit quod privatur gratia, vel quod ignorat Deum, vel quod habet inordinatam animam, quamvis hoc sit poena peccati, sed per hoc quod in se ipso aliquem dolorem sentit, et in exterioribus rebus damnum. Non igitur Christus illos defectus assumere debuit quibus homo separatur a Deo, licet sint poena peccati, sicut privatio gratiae, ignorantia et huiusmodi. Per hoc enim minus idoneus ad satisfaciendum redderetur; quinimmo ad hoc quod esset auctor humanae salutis, requirebatur ut plenitudinem gratiae et sapientiae possideret, sicut iam dictum est. Sed quia homo per peccatum in hoc positus erat ut necessitatem moriendi haberet, et ut secundum corpus et animam esset passibilis, huiusmodi defectus Christus suscipere voluit, ut mortem pro hominibus patiendo genus humanum redimeret. Est tamen attendendum, quod huiusmodi defectus sunt Christo et nobis communes. Alia tamen ratione inveniuntur in Christo et in nobis: huiusmodi enim defectus, ut dictum est, poena sunt primi peccati. Quia igitur nos per vitiatam originem culpam originalem contrahimus, per consequens hos defectus dicimur contractos habere. Christus autem ex sua origine nullam maculam peccati contraxit, hos autem defectus ex sua voluntate accepit, unde dici non debet quod habuit hos defectus contractos, sed magis assumptos. Illud enim contrahitur quod cum alio ex necessitate trahitur. Christus autem potuit assumere humanam naturam sine huiusmodi defectibus, sicut sine culpae foeditate assumpsit: et hoc rationis ordo poscere videbatur ut qui fuit immunis a culpa, esset immunis a poena. Et sic patet quod nulla necessitate neque vitiatae originis, neque iustitiae, huiusmodi defectus fuerunt in eo: unde relinquitur quod non contracti, sed voluntarie assumpti fuerunt in eo. Quia vero corpus nostrum praedictis defectibus subiacet in poenam peccati, nam ante peccatum ab his eramus immunes, convenienter Christus, inquantum huiusmodi defectus in sua carne assumpsit, dicitur similitudinem peccati gessisse, secundum illud apostoli ad Roman. VIII, 3: Deus misit filium suum in similitudinem carnis peccati. Unde et ipsa Christi passibilitas vel passio ab apostolo peccatum nominatur, cum subditur: et de peccato damnavit peccatum in carne, et Rom. VI, 10: quod mortuus est peccato, mortuus est semel. Et quod est mirabilius, hac etiam ratione dicit apostolus ad Galat. III, 13, quod est factus pro nobis maledictum. Hac etiam ratione dicitur simplam nostram necessitatem assumpsisse, scilicet poenae, ut duplam nostram consumeret, scilicet culpae et poenae. Est autem considerandum ulterius, quod defectus poenales in corpore duplices inveniuntur. Quidam communes omnibus, ut esuries, sitis, lassitudo post laborem, dolor, mors et huiusmodi. Quidam vero non sunt omnibus communes, sed quorundam hominum proprii, ut caecitas, lepra, febris, membrorum mutilatio, et huiusmodi. Horum autem defectuum haec est differentia: quia defectus communes in nobis ab alio traducuntur, scilicet ex primo parente, qui eos pro peccato incurrit; defectus autem proprii ex particularibus causis in singulis hominibus innascuntur. Christus autem ex seipso nullam causam defectus habebat nec ex anima, quae erat gratia et sapientia plena, et verbo Dei unita, nec ex corpore, quod erat optime organizatum et dispositum, omnipotenti virtute spiritus sancti compactum, sed sua voluntate dispensative ad nostram salutem procurandam, aliquos defectus suscepit. Illos igitur suscipere debuit qui ab alio derivantur ad alios, scilicet communes, non proprios, qui in singulis ex causis propriis innascuntur. Similiter etiam quia principaliter venerat ad restaurandum humanam naturam, illos defectus suscipere debuit qui in tota natura inveniebantur. Patet etiam secundum praedicta quod, ut Damascenus dicit, Christus assumpsit defectus nostros indetractabiles, idest quibus detrahi non potest. Si enim defectum scientiae vel gratiae suscepisset, aut etiam lepram, aut caecitatem, aut aliquid huiusmodi, hoc ad derogationem dignitatis Christi pertinere videretur, et esset hominibus detrahendi occasio, quae nulla datur ex defectibus totius naturae.

Chapitre 226 — DES DÉFECTUOSITÉS DU CHRIST

1. De même qu’il convenait que le Fils de Dieu en assumant la nature humaine pour le salut de l’homme montrât, dans cette nature qu’Il assumait, que le but de ce salut était la perfection de la grâce et de la sagesse (chapitre 213 sq), ainsi aussi convenait-il que dans la nature humaine assumée par le Verbe de Dieu certaines conditions existent les plus conformes possibles à la délivrance du genre humain. Or le mode éminemment le plus apte était que l’homme qui avait péri par son injustice soit réparé par la justice.

2. Et l’ordre de la justice exigeait que celui qui s’est rendu débiteur d’une peine en péchant soit libéré en s’acquittant de sa dette. Ce que nous faisons ou subissons par des amis c’est un peu comme si nous le faisions ou subissions nous-mêmes en ce que l’amour est une vertu réciproque qui en quelque sorte de deux qui s’aiment n’en fait plus qu’un; et donc il n’est pas contraire à l’ordre de la justice si quelqu’un est libéré par son ami satisfaisant pour lui. Or par le péché de notre premier père, le genre humain tout entier allait à sa perdition et la peine d’un homme ne pouvait suffire à libérer tout le genre humain. En effet ce n’était pas satisfaire dignement et équivalemment que tous les hommes puissent être libérés par la satisfaction d’un simple mortel. Semblablement ce n’était pas suffisant à la justice si un ange par amour des hommes satisfaisait pour eux. Car l’ange ne possède pas une dignité infinie pour que sa satisfaction puisse égaler l’immensité des péchés d’une foule immense de pécheurs. Or Dieu seul est d’une infinie dignité qui en prenant chair pouvait satisfaire suffisamment comme nous l’avons déjà dit plus haut (chapitre 200). Il fallut donc qu’Il assumât une telle nature humaine en laquelle II pût souffrir pour l’homme ce que l’homme par le péché méritait afin que ses souffrances pussent satisfaire pour l’homme.

3. Or ce n’est pas toute peine encourue par le péché de l’homme qui est apte à satisfaire. En effet le péché de l’homme provient de ce qu’il se détourne de Dieu en se tournant vers des biens passagers. Or l’homme est puni pour le péché par rapport à ces deux choses. Car il s’est privé de la grâce et des autres dons qui l’unissaient à Dieu; il mérite aussi de souffrir labeur et privation en ces choses par lesquelles il s’est détourné de Dieu. L’ordre donc de la satisfaction requiert que par les peines qu’il souffre dans les biens périssables, il revienne vers Dieu. Or sont contraires à ce retour ces peines qui séparent l’homme de Dieu. Personne donc ne satisfait à Dieu s’il est privé de la grâce, ou s’il ignore Dieu, ou si son âme est livrée au désordre bien que ce soit là des peines du péché, mais s’il éprouve en lui quelque regret et un dom mage dans les biens extérieurs.

4. Le Christ n’a donc pas dû prendre sur lui les défauts qui nous séparent de Dieu, même si ce sont les peines du péché, telle la privation de la grâce, l’ignorance et autres choses semblables. Par là en effet il se rendait moins apte à la satisfaction. Bien au contraire pour être l’auteur de notre salut il était requis qu’Il possédât la grâce et la sagesse comme on l’a déjà dit (chapitres 213 à 216). Mais parce que l’homme par suite du péché devait mourir et souffrir dans son corps et dans son âme, le Christ a voulu prendre sur lui ces misères pour qu’en subissant la mort pour les hommes Il puisse racheter le genre humain.

5. Il faut cependant savoir que ces misères si elles nous sont communes avec le Christ elles ne le sont pas au même titre. En effet ces misères, comme on l’a dit (chapitre 193) sont la peine du premier péché. Parce que donc par une origine viciée nous avons contracté la faute originelle, en conséquence nous disons l’avoir contractée; mais le Christ en son origine n’avait contracté aucune tache de péché; d’où Il n’est pas dit avoir contracté ces misères mais plutôt les avoir assumées : c’est volontairement qu’Il les a acceptées. Contracter en effet veut dire ce qu’on traîne (ou tire) nécessairement avec un autre. Or le Christ pouvait assumer la nature humaine sans ces misères tout comme Il l’a assumée sans la laideur de la faute. Et l’ordre rationnel semblait demander que celui qui était exempt de faute le soit aussi de la peine. Et ainsi il ressort qu’aucune nécessité ni d’origine viciée ni de justice ne les Lui ont imposées; d’où il reste qu’elles n’ont pas été contractées mais assumées en lui.

6. Mais parce que notre corps est soumis à ces misères comme peine du péché — car avant le péché nous en étions exempts — il convient de dire que le Christ a pris l’apparence de péché en tant qu’Il a assumé ces misères en sa chair selon ce que dit l’Apôtre : "Dieu a envoyé son Fils en l’apparence de la chair de péché" (Rom. 8, 3). D’où la passibilité même du Christ ou sa passion appelée péché par l’Apôtre lorsqu’il ajoute : "Et à cause du péché il a condamné en sa chair le péché" (ibid.). Et encore : "Par sa mort il est mort au péché une fois pour toute" (Rom 6, 10). Et plus admirablement encore pour la même raison l’Apôtre dit : "Il s’est fait pour nous malédiction" (Gal 3, 13). Pour cette raison aussi Il est dit avoir assumé pour nous la simple nécessité de la peine pour consumer notre double nécessité de la faute et de la peine.

7. Il faut considérer ultérieurement que les misères pénales sont de deux sortes pour le corps. Certaines sont communes à tous, comme la faim, la soif, la fatigue après le travail, la douleur, la mort et le reste; certaines ne sont pas communes à tous mais propres à quelques uns comme la cécité, la lèpre, la fièvre, la mutilation des membres et le reste. De ces misères la différence est que les premières nous viennent d’un autre, à savoir de notre premier père qui les a encourues pour le péché; quant aux secondes, elles naissent en des particuliers pour des causes spéciales.

8. Or dans le Christ l’existence d’aucune misère ne se motivait, ni par son âme qui était remplie de grâce et de sagesse et unie au Verbe de Dieu, ni par son corps qui était parfaitement organisé et disposé, formé qu’il était par la toute puissance de l’Esprit Saint; mais Il fit volontairement exception en vue de nous procurer le salut et il accueillit certaines de nos misères. Il dut donc accueillir celles qui dérivent des autres et qui nous sont communes à tous non pas celles qui sont propres à quelques uns et qui naissent de causes particulières. Pareillement aussi parce qu’il était venu principalement pour restaurer la nature humaine, il dut accepter ces misères qui se trouvaient dans toute la nature.

9. Il est clair aussi, selon ce qui précède et au dire de saint Jean Damascène, que le Christ a pris des misères non-infamantes, c’est dont on ne peut en faire un reproche. Si en effet Il eut accueilli le défaut de science ou de grâce, ou même la lèpre, ou la cécité ou autre chose en ce genre c’eut été au préjudice de sa dignité et eut donné l’occasion aux hommes d’en dire du mal, ce qui n’a pas lieu pour les misères qui se trouvent partout dans la nature.

 

 

Caput 227 [70411] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 227 tit. Quare Christus mori voluit


 [70412] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 227 Manifestum igitur est secundum praedicta, quod Christus aliquos defectus nostros suscepit non ex necessitate, sed propter aliquem finem, scilicet propter salutem nostram. Omnis autem potentia et habitus sive habilitas ordinatur ad actum sicut ad finem: unde passibilitas ad satisfaciendum vel merendum non sufficit sine passione in actu. Non enim aliquis dicitur bonus vel malus ex eo quod potest talia agere, sed ex eo quod agit, nec laus et vituperium debentur potentiae, sed actui.
Unde et Christus non solum passibilitatem nostram suscepit ut nos salvaret, sed etiam ut pro peccatis nostris satisfaceret, voluit pati. Passus est autem pro nobis ea quae ut nos pateremur ex peccato primi parentis meruimus, quorum praecipuum est mors, ad quam omnes aliae passiones humanae ordinantur sicut ad ultimum. Stipendia enim peccati mors est, ut apostolus dicit ad Rom. VI, 23. Unde et Christus pro peccatis nostris voluit mortem pati, ut dum poenam nobis debitam ipse sine culpa susciperet, nos a reatu mortis liberaret, sicut aliquis debito poenae liberaretur, alio pro eo poenam sustinente. Mori etiam voluit, ut non solum mors eius esset nobis satisfactionis remedium, sed etiam salutis sacramentum ut ad similitudinem mortis eius nos carnali vitae moriamur, in spiritualem vitam translati, secundum illud I Petri III, 18: Christus semel pro peccatis nostris mortuus est, iustus pro iniustis, ut nos offerret Deo, mortificatos quidem carne, vivificatos autem spiritu. Mori etiam voluit, ut nobis mors eius esset perfectae virtutis exemplum. Quantum ad caritatem quidem, quia maiorem caritatem nemo habet quam ut animam suam ponat quis pro amicis suis, ut dicitur Ioan. XV, 13. Tanto enim quisque magis amare ostenditur, quanto plura et graviora pro amico pati non refugit. Omnium autem humanorum malorum gravius est mors, per quam tollitur vita humana, unde nullum magis signum dilectionis esse potest quam quod homo pro amico vero se morti exponat. Quantum ad fortitudinem vero, quae propter adversa a iustitia non recedit, quia maxime ad fortitudinem pertinere videtur ut etiam nec timore mortis aliquis a virtute recedat, unde dicit apostolus Hebr. II, 14, de passione Christi loquens: ut per mortem destrueret eum qui habebat mortis imperium, idest Diabolum, et liberaret eos qui timore mortis per totam vitam obnoxii erant servituti. Dum enim pro veritate mori non recusavit, exclusit timorem moriendi, propter quem homines servituti peccati plerumque subduntur. Quantum ad patientiam vero, quae in adversis tristitiam hominem absorbere non sinit, sed quanto sunt maiora adversa, tanto magis in his relucet patientiae virtus: unde in maximo malorum, quod est mors, perfectae patientiae datur exemplum, si absque mentis turbatione sustineatur, quod de Christo propheta praedixit dicens Isai. LIII, 7: tanquam agnus coram tondente se obmutescet, et non aperiet os suum. Quantum ad obedientiam vero, quia tanto laudabilior est obedientia, quanto in difficilioribus quis obedit: omnium autem difficillimum est mors. Unde ad perfectam obedientiam Christi commendandam, dicit apostolus ad Philip. II, 8, quod factus est obediens patri usque ad mortem.

Chapitre 227 — POURQUOI LE CHRIST A-T-IL VOULU MOURIR ?

1. Il est évident d’après ce qui vient d’être dit que le Christ a pris certaines misères non par nécessité mais en vue d’une fin c’est-à-dire à cause de notre salut. Or tout pouvoir ou disposition ou habileté est ordonnée à l’action comme vers une fin; d’où la passibilité en vue de satisfaire ou mériter ne peut suffire sans une souffrance actuelle. En effet on ne dit pas de quelqu’un qu’il est bon ou mauvais de ce qu’il peut agir en ce sens, mais de ce qu’il agit en réalité; ni la louange ou le blâme ne sont dûs à l’aptitude mais à l’action; d’où aussi le Christ ne prit pas seulement notre passibilité pour nous sauver mais encore Il voulut souffrir en satisfaction de nos péchés.

2. Il a donc souffert pour nous ce que nous devions souffrir pour le péché du premier père et principalement la mort à laquelle toutes les autres souffrances humaines sont ordonnées comme étant la dernière. "Car le salaire du péché c’est la mort" au dire de l’Apôtre aux Romains (6, 23). D’où le Christ lui aussi a-t-Il voulu souffrir la mort pour nos péchés afin qu’en acceptant sans faute de sa part la peine qui nous était due Il nous délivrerait du châtiment de la mort, comme celui qui serait libéré de la dette d’une peine qu’un autre subit à sa place.

3. Il voulut aussi mourir non seulement pour que sa mort soit un remède satisfactoire mais encore le sacrement de notre salut pour qu’en ressemblance de sa mort nous mourrions à la vie charnelle en passant à une vie spirituelle selon ce que dit saint Pierre : "Le Christ est mort une fois pour nos péchés, juste pour des injustes, en offrande à Dieu : mort à la chair et vivifié en l’esprit" (1 Petr 3, 18).

4. Il voulut aussi mourir pour que sa mort soit pour nous le modèle de la vertu parfaite. Quant à la charité d’abord, parce que "Personne n’a de plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis" (Jean 15, 13). En effet on montre d’autant plus son amour qu’on ne recule pas devant des souffrances répétées et pénibles pour son ami. Or de tous les maux de l’homme la mort est le plus pénible qui nous enlève la vie humaine; d’où il n’y a pas de plus grand signe d’amour que si un homme expose sa vie pour un ami véritable. Quant au courage ensuite qui reste fidèle au devoir malgré l’adversité car c’est surtout le fait du courage que quelqu’un même sous menace de mort ne s’écarte pas de la vertu. D’où ce que dit l’Apôtre parlant de la passion du Christ "Pour que par sa mort Il détruisît celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable; et qu’Il délivrât ceux qui par crainte de la mort pour toute la vie étaient soumis à l’esclavage" (Hébreux 2, 14 sq). En effet en ne refusant pas de mourir pour la vérité il bannit la crainte de la mort à cause de laquelle les hommes très souvent se soumettent à l’esclavage du péché. Quant à la patience qui dans l’adversité ne laisse pas la tristesse s’emparer de l’homme, mais plus sont grandes les traverses plus resplendit la vertu de patience. D’où dans le plus grand des maux qu’est la mort on donne un exemple de parfaite patience si on l’endure sans trouble de l’esprit. C’est ce que le Prophète prédit du Christ : "Comme l’agneau qui se tait devant le tondeur Lui aussi n’ouvrit pas la bouche" (Is 53, 7). Quant à l’obéissance qui est d’autant plus louable que l’on obéit dans les choses plus difficiles; or le plus difficile entre tout est la mort; d’où pour recommander la parfaite obéissance du Christ l’Apôtre dit : "Il s’est fait obéissant" à son Père "jusqu’à la mort" (Ph 2, 8).

 

 

Caput 228 [70413] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 228 tit. De morte crucis


 [70414] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 228 Ex eisdem autem causis apparet quare mortem crucis voluit pati. Primo quidem quia hoc convenit quantum ad remedium satisfactionis: convenienter enim homo punitur per ea in quibus peccavit. Per quae enim peccat quis, per haec et torquetur, ut dicitur sapientiae XI, 17. Peccatum autem hominis primum fuit per hoc quod pomum arboris ligni scientiae boni et mali contra praeceptum Dei comedit, loco cuius Christus se ligno affigi permisit, ut exsolveret quae non rapuit, sicut de eo Psalmista dicit in Psal. LXVIII. Convenit etiam quantum ad sacramentum. Voluit enim Christus ostendere sua morte, ut sic moreremur vita carnali quod spiritus noster in superna elevaretur, unde et ipse dicit Ioan. XII, 32: ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum. Convenit etiam quantum ad exemplum perfectae virtutis. Homines enim quandoque non minus refugiunt vituperabile genus mortis quam mortis acerbitatem, unde ad perfectionem virtutis pertinere videtur ut propter bonum virtutis etiam aliquis vituperabilem mortem non refugiat pati. Unde apostolus ad commendandam perfectam obedientiam Christi, cum dixisset de eo quod factus est obediens usque ad mortem, subdidit: mortem autem crucis: quae quidem mors turpissima videbatur, secundum illud sapientiae II, 20: morte turpissima condemnemus eum.

Chapitre 228 — DE LA MORT DE LA CROIX

Pour les mêmes raisons on voit pourquoi le Christ a voulu souffrir la mort de la croix. D’abord parce qu’elle convient comme remède satisfactoire. Il est juste en effet que l’homme soit puni en ces choses où il a péché : "On est puni par quoi on a péché" (Sag 11, 17). Le premier péché de l’homme fut d’avoir mangé le fruit de l’arbre de la science du bien et du contrairement au précepte de Dieu; à sa place le Christ s’est laissé attacher à la croix pour payer ce qu’Il n’avait pas pris comme il est dit au Psaume (68, 5)[54].

Ce qui se justifie aussi quant au sacrement. En effet le Christ a voulu montrer par sa mort que nous devions mourir à la vie charnelle pour que notre coeur s’élève vers les choses d’en haut. D’où Lui-même nous dit : "Quand je serai élevé de terre j’attirerai tout à moi" (Jean 12, 32).

Cela s’accorde aussi avec l’exemple d’une vertu par faite. Il arrive en effet que les hommes ne redoutent pas moins une mort ignominieuse que les affres de la mort, d’où il semble bien que pour la perfection de la vertu en vue du bien de la vertu on ne redoute pas de subir une mort ignominieuse. D’où pour recommander la parfaite obéissance du Christ, après avoir dit de Lui qu’Il s’était fait obéissant jusqu’à la mort l’apôtre ajoute : "La mort, oui, de la croix" (Ph 2, 8). Cette mort était considérée comme la plus ignominieuse selon la Sagesse; "Condamnons-le de la mort la plus honteuse" (Sap 2, 20).

 

 

Caput 229 [70415] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 229 tit. De morte Christi


 [70416] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 229 Cum autem in Christo conveniant in unam personam tres substantiae, scilicet corpus, anima, et divinitas verbi, quarum duae, scilicet anima et corpus, unitae sunt in unam naturam, in morte quidem Christi separata est unio corporis et animae. Aliter enim corpus vere mortuum non fuisset: mors enim corporis nihil est aliud quam separatio animae ab ipso. Neutrum tamen separatum est a Dei verbo quantum ad unionem personae. Ex unione autem animae et corporis resultat humanitas: unde separata anima a corpore Christi per mortem, in triduo mortis homo dici non potuit. Dictum est autem supra quod propter unionem in persona humanae naturae ad Dei verbum, quidquid dicitur de homine Christo, potest et convenienter de Dei filio praedicari. Unde cum in morte manserit unio personalis filii Dei tam ad animam quam ad corpus Christi, quidquid de utroque eorum dicitur, poterat de Dei filio praedicari.
Unde et in symbolo dicitur de filio Dei, quod sepultus est, propter hoc quod corpus sibi unitum in sepulcro iacuit, et quod descendit ad Inferos, anima descendente. Est etiam considerandum, quod masculinum genus designat personam, neutrum vero naturam: unde in Trinitate dicimus, quod filius est alius a patre, non aliud. Secundum hoc ergo in triduo mortis Christus fuit totus in sepulcro, totus in Inferno, totus in caelo, propter personam, quae unita erat et carni in sepulcro iacenti, et animae Infernum expolianti, et subsistebat in natura divina in caelo regnante; sed non potest dici quod totum in sepulcro aut in Inferno fuerit, quia non tota humana natura, sed pars in sepulcro aut in Inferno fuit.

Chapitre 229 — LA MORT DU CHRIST

Dans le Christ sont réunies trois substances : son corps, son âme et la divinité[55] du Verbe, dont deux, l’âme et le corps sont unies en une seule nature, séparées cependant à la mort. Autrement le corps ne serait pas réellement mort puisque la mort pour le corps est sa séparation d’avec l’âme; cependant ni l’un ni l’autre ne furent pas séparés du Verbe de Dieu dans l’union de la personne. De l’union de l’âme et du corps résulte l’humanité; l’âme étant donc séparée du corps du Christ par la mort il n’y eut pas d’homme pendant les trois jours de sa mort. Or on a dit plus haut (chapitres 203 et 211) à cause de l’union en la personne de l’humaine nature au Verbe de Dieu que tout ce qui est dit du Christ-homme peut correctement être attribué au Fils de Dieu. Or comme dans sa mort subsistait l’union personnelle du Fils de Dieu à l’âme et au corps du Christ, tout ce qui est dit des deux peut être attribué au Fils de Dieu. D’où dans le Symbole est-il dit du Fils de Dieu qu’"Il a été enseveli"parce que le corps qui lui était uni reposa dans le tombeau et qu’Il descendit aux enfers", son âme y descendant.

Il faut aussi savoir que le genre masculin désigne la personne et le neutre la nature : d’où nous disons dans la Trinité que le Fils est autre que le Père, mais non quelque chose d’autre. D’après cela dans les trois jours de sa mort le Christ fut tout entier dans le tombeau, tout entier en enfer, tout entier au ciel, à cause de la personne qui était unie et à la chair gisant dans le tombeau, et à son âme qui dépouillait les enfers, et il subsistait en la nature divine en régnant au ciel. Mais on ne peut pas dire qu’Il se trouva entièrement dans le tombeau ou en enfer, parce que ce n’est pas toute la nature humaine, mais une partie qui fut dans le tombeau ou en enfer.

 

 

Caput 230 [70417] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 230 tit. Quod mors Christi fuit voluntaria


 [70418] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 230 Fuit igitur mors Christi nostrae morti conformis quantum ad id quod est de ratione mortis, quod est animam a corpore separari, sed quantum ad aliquid mors Christi a nostra morte differens fuit.
Nos enim morimur quasi morti subiecti ex necessitate vel naturae, vel alicuius violentiae nobis illatae; Christus autem mortuus est non necessitate, sed potestate, et propria voluntate. Unde ipse dicebat, Ioan. X, 18: potestatem habeo ponendi animam meam et iterum sumendi eam. Huius autem differentiae ratio est, quia naturalia voluntati nostrae non subiacent: coniunctio autem animae ad corpus est naturalis, unde voluntati nostrae non subiacet quod anima corpori unita remaneat, vel quod a corpore separetur, sed oportet hoc ex virtute alicuius agentis provenire. Quidquid autem in Christo secundum humanam naturam erat naturale, totum eius voluntati subiacebat propter divinitatis virtutem, cui subiacet tota natura. Erat igitur in potestate Christi ut quandiu vellet, anima eius corpori unita remaneret, et statim cum vellet, separaretur ab ipso. Huiusmodi autem divinae virtutis indicium centurio cruci Christi assistens sensit, dum eum vidit clamantem expirare, per quod manifeste ostendebatur, quod non sicut ceteri homines ex defectu naturae moriebatur. Non enim possunt homines cum clamore spiritum emittere, cum in illo mortis articulo vix etiam possint palpitando linguam movere: unde quod Christus clamans expiravit, in eo divinam manifestavit virtutem, et propter hoc centurio dixit: vere filius Dei erat iste. Non tamen dicendum est quod Iudaei non occiderint Christum, vel quod Christus ipse se occiderit. Ille enim dicitur aliquem occidere qui ei causam mortis inducit, non tamen mors sequitur nisi causa mortis naturam vincat, quae vitam conservat. Erat autem in potestate Christi ut natura causae corrumpenti cederet, vel resisteret quantum ipse vellet: ideo et ipse Christus voluntarie mortuus fuit, et tamen Iudaei occiderunt eum.

Chapitre 230 — LA MORT DU CHRIST A ÉTÉ VOLONTAIRE

Donc la mort du Christ a été conforme à la nôtre quant à ce qui regarde la nature de la mort et qui est la séparation de l’âme avec le corps, mais la mort du Christ fut différente de la nôtre à un certain point de vue. Nous mourons comme soumis à la mort par nécessité ou naturelle ou d’une violence qui nous est faite. Or le Christ est mort non par nécessité mais par sa puissance et sa propre volonté. Et lui-même dit : "J’ai le pouvoir de disposer de ma vie et de la reprendre de nouveau" (Jean 10, 18).

La raison de cette différence est que les choses naturel les ne sont pas au pouvoir de notre volonté; or l’union de l’âme et du corps est naturelle et donc il n’est pas au pouvoir de notre volonté que l’âme reste attachée au corps ou qu’elle en soit séparée; mais cela dépend de la vertu d’un agent. Or tout ce qui était dans le Christ selon la nature humaine était naturel et tout entier soumis à la volonté à cause de la vertu divine à laquelle est soumise toute la nature. Il était donc au pouvoir du Christ qu’aussi longtemps qu’Il le voulait, son âme reste unie au corps et aussitôt qu’Il le voulait, elle en soit séparée. Or un signe de ce pouvoir divin le centurion le comprit qui se tenait debout près de la croix du Christ le voyant expirer dans un grand cri; ce qui montrait à l’évidence qu’Il ne mourait pas d’un défaut naturel comme les autres hommes. En effet ceux-ci ne peuvent pas rendre l’âme en criant puisqu’à l’article de la mort ils peuvent à peine mouvoir et agiter la langue. D’où parce que le Christ expira dans un cri Il manifesta son pouvoir divin et à cause de cela le centurion dit : "Vraiment Il était le Fils de Dieu" (Mt. 27, 54).

Cependant on ne peut pas dire que les Juifs n’ont pas fait mourir le Christ ou que Lui-même s’est donné la mort. Celui-là tue quelqu’un qui est la cause de sa mort; cependant il n’y aura pas de mort à moins que ce qui cause la mort l’emporte sur ce qui conserve la vie. 0r il était au pouvoir du Christ de céder devant la cause qui le détruisait ou de lui résister aussi longtemps qu’Il le voulait. Et donc le Christ est mort volontairement et cependant les Juifs l’ont fait mourir.

 

 

Caput 231 [70419] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 231 tit. De passione Christi quantum ad corpus


 [70420] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 231 Non solum autem Christus mortem pati voluit, sed et alia quae ex peccato primi parentis in posteros proveniunt, ut dum poenam peccati integraliter susciperet, nos perfecte a peccato satisfaciendo liberaret. Horum autem quaedam praecedunt mortem, quaedam mortem subsequuntur. Praecedunt quidem mortem corporis passiones tam naturales, ut fames, sitis, lassitudo et huiusmodi, quam etiam violentae, ut vulneratio, flagellatio et similia: quae omnia Christus pati voluit tanquam provenientia ex peccato.
Si enim homo non peccasset, nec famis aut sitis aut lassitudinis vel frigoris afflictionem sensisset, nec ab exterioribus pertulisset violentam passionem. Has tamen passiones alia ratione Christus pertulit quam alii homines patiantur. In aliis enim hominibus non est aliquid quod iis passionibus repugnare possit. In Christo autem erat unde iis passionibus resisteretur, non solum virtus divina increata, sed etiam animae beatitudo, cuius tanta vis est, ut Augustinus dicit, ut eius beatitudo suo modo redundet in corpus: unde post resurrectionem ex hoc ipso quod anima glorificata erit per visionem Dei, et apertam et plenam fruitionem, corpus gloriosae animae unitum gloriosum reddetur, impassibile et immortale. Cum igitur anima Christi perfecta visione Dei frueretur, quantum est ex virtute huius visionis, consequens erat ut corpus impassibile et immortale redderetur per redundantiam gloriae ab anima in corpus; sed dispensative factum est ut anima Dei visione fruente simul corpus pateretur, nulla redundantia gloriae ab anima in corpus facta. Suberat enim, ut dictum est, quod erat naturale Christo secundum humanam naturam, eius voluntati: unde poterat naturalem redundantiam a superioribus partibus ad inferiores pro suo libito impedire, ut sineret unamquamque partem pati aut agere quod sibi proprium esset absque alterius partis impedimento, quod in aliis hominibus esse non potest. Inde etiam est quod in passione Christus maximum corporis dolorem sustinuit, quia corporalis dolor in nullo mitigabatur per superius gaudium rationis, sicut nec e converso dolor corporis rationis gaudium impediebat. Hinc etiam apparet quod solus Christus viator et comprehensor fuit. Sic enim divina visione fruebatur (quod ad comprehensorem pertinet) ut tamen corpus passionibus subiectum remaneret, quod pertinet ad viatorem. Et quia proprium est viatoris ut per bona quae ex caritate agit, mereatur vel sibi vel aliis, inde est quod Christus quamvis comprehensor esset, meruit tamen per ea quae fecit et passus est, et sibi et nobis. Sibi quidem non gloriam animae, quam a principio suae conceptionis habuerat, sed gloriam corporis, ad quam patiendo pervenit. Nobis etiam suae singulae passiones et operationes fuerunt proficuae ad salutem, non solum per modum exempli, sed etiam per modum meriti, inquantum propter abundantiam caritatis et gratiae nobis potuit gratiam promereri, ut sic de plenitudine capitis membra acciperent. Erat siquidem quaelibet passio eius, quantumcumque minima, sufficiens ad redimendum humanum genus, si consideretur dignitas patientis. Quanto enim aliqua passio in personam digniorem infertur, tanto videtur maior iniuria: puta si quis percutiat principem quam si percutiat quendam de populo. Cum igitur Christus sit dignitatis infinitae, quaelibet passio eius habet infinitam existimationem, ut sic sufficeret ad infinitorum peccatorum abolitionem. Non tamen fuit per quamlibet consummata humani generis redemptio, sed per mortem, quam propter rationes supra positas ad hoc pati voluit, ut genus humanum redimeret a peccatis. In emptione enim qualibet non solum requiritur quantitas valoris, sed deputatio pretii ad emendum.

Chapitre 231 — DE LA PASSION DU CHRIST QUANT A SON CORPS

Or non seulement le Christ a voulu souffrir la mort mais aussi les autres choses qui proviennent dans les descendants par le péché du premier père afin qu’en acceptant intégralement la peine du péché Il nous libérerait parfaitement, par sa satisfaction, de nos péchés. On distingue ce qu’Il a souffert avant sa mort et après sa mort. Précédèrent la mort du corps les souffrances tant naturelles, comme la faim, la soif, la lassitude et d’autres choses de ce genre, que les violentes, comme les blessures, la flagellation et autres choses semblables que toutes le Christ a voulu souffrir comme provenant du péché. En effet si l’homme n’avait pas péché. Il n’eut pas ressenti la faim ou la soif ou la lassitude ou le froid ni souffert la violence extérieure.

Cependant le Christ supporta ces souffrances d’une autre manière que les hommes. En effet chez les autres hommes rien ne fait obstacle à la souffrance. Dans le Christ non seulement la vertu divine pouvait résister à ses souffrances, mais aussi la béatitude de son âme dont la force était telle au dire de saint Augustin qu’elle débordait sur le corps (Ep. ad Diosc. c. 3). Et donc après la résurrection par là même que l’âme sera glorifiée par la vision divine et par une pleine et entière jouissance, le corps uni à la gloire de l’âme deviendra glorieux, impassible et immortel.

Donc comme l’âme du Christ jouissait de la parfaite vision divine, autant qu’il se peut, il s’en suivait que le corps devenait impassible et immortel par ce débordement de la gloire de l’âme sur son corps. Mais il y fut fait exception de sorte que l’âme jouissant de la vision divine, le corps en même temps souffrirait sans aucun débordement de la gloire de l’âme sur le corps. En effet comme on l’a dit (chapitre 230), ce qui était naturel dans le Christ était soumis selon la nature humaine à sa volonté. Il pouvait donc à sa guise empêcher le débordement naturel des parties supérieures sur les inférieures et laisser chaque partie souffrir ou agir ce qu’il lui était propre sans l’intervention de l’autre partie; ce qui ne peut avoir lieu chez les autres hommes. D’où vient aussi que le Christ souffrit une douleur extrême parce que la douleur corporelle n’était en rien adoucie par la partie supérieure de la raison, comme en revanche la douleur corporelle n’empêchait pas la joie de sa raison.

De là aussi il appert que le Christ fut à la fois voyageur et voyant. En effet il jouissait de la vision divine, ce qui est propre au voyant, de telle manière cependant que son corps restait sujet aux souffrances, ce qui appartient au voyageur. Et comme c’est le propre du voyageur de mériter pour soi ou pour les autres par le bien qu’il fait par charité, de là vient que le Christ, quoique bienheureux, mérita cependant par ses actions et pour Lui et pour nous. Pour Lui non pas la gloire de l’âme qu’Il avait depuis le début de sa conception, mais la gloire du corps à laquelle Il parvint par sa passion. A nous aussi chacune de ses souffrances et actions furent profitables à notre salut, non seulement comme exemples, mais aussi comme mérites, parce que par l’abondance de sa charité et de sa grâce. Il put nous mériter la grâce, pour qu’ainsi les membres reçoivent de la plénitude de la tête.

Chacune de ses souffrances si petites qu’elles fussent suffisait à racheter le genre humain si on considère la dignité du patient. Plus en effet est digne la personne à laquelle on inflige une souffrance plus aussi est grande l’injure, comme par exemple de frapper le prince que de frapper quelqu’un du peuple. Comme le Christ est d’une infinie dignité toute souffrance chez Lui a un prix infini qui suffirait à abolir une infinité de péchés.

Cependant la rédemption du genre humain ne fut pas achevée par n’importe quelle souffrance mais par la mort que pour les raisons apportées plus haut (chapitres 227 et 228) Il a voulu subir pour racheter le genre humain du péché. Dans tout achat en effet est requis non seulement l’appréciation juste mais aussi le versement fait à l’achat.

 

 

Caput 232 [70421] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 232 tit. De passibilitate animae Christi


 [70422] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 232 Quia vero anima est forma corporis, consequens est ut patiente corpore, et anima quodammodo patiatur: unde pro statu illo quo Christus corpus passibile habuit, etiam anima eius passibilis fuit. Est autem considerandum, quod duplex est animae passio. Una quidem ex parte corporis, alia vero ex parte obiecti, quod in una aliqua potentiarum considerari potest.
Sic enim se habet anima ad corpus sicut pars animae ad partem corporis. Potentia autem visiva patitur quidem ab obiecto, sicut cum ab excellenti fulgido visus obtunditur; ex parte vero organi, sicut cum laesa pupilla hebetatur visus. Si igitur consideretur passio animae Christi ex parte corporis, sic tota anima patiebatur corpore patiente. Est enim anima forma corporis secundum suam essentiam, in essentia vero animae omnes potentiae radicantur: unde relinquitur quod corpore patiente quaelibet potentia animae quodammodo pateretur. Si vero consideretur animae passio ex parte obiecti, non omnis potentia animae patiebatur, secundum quod passio proprie sumpta nocumentum importat: non enim ex parte obiecti cuiuslibet potentiae poterat aliquid esse nocivum. Iam enim supra dictum est quod anima Christi perfecta Dei visione fruebatur. Superior igitur ratio animae Christi, quae rebus aeternis contemplandis et consulendis inhaeret, nihil habebat adversum aut repugnans, ex quo aliqua nocumenti passio in ea locum haberet. Potentiae vero sensitivae, quarum obiecta sunt res corporeae, habere poterant aliquod nocumentum ex corporis passione: unde sensibilis dolor in Christo fuit corpore patiente. Et quia laesio corporis sicut a sensu sentitur noxia, ita etiam interior imaginatio eam ut nocivam apprehendit, inde sequitur interior tristitia etiam cum dolor in corpore non sentitur: et hanc passionem tristitiae dicimus in anima Christi fuisse. Non solum autem imaginatio, sed etiam ratio inferior nociva corporis apprehendit: et ideo etiam ex apprehensione inferioris rationis, quae circa temporalia versatur, poterat passio tristitiae habere locum in Christo, inquantum scilicet mortem et aliam corporis laesionem inferior ratio apprehendebat ut noxiam, et appetitui naturali contrariam. Contingit autem ex amore, qui facit duos homines quasi unum, ut aliquis tristitiam patiatur non solum ex iis quae per imaginationem vel per inferiorem rationem apprehendit ut sibi nociva, sed etiam ex iis quae apprehendit ut noxia aliis quos amat: unde ex hoc tristitiam Christus patiebatur, secundum quod aliis, quos ex caritate amabat, periculum imminere cognoscebat culpae vel poenae, unde non solum sibi, sed etiam aliis doluit. Et quamvis dilectio proximi ad superiorem rationem quodammodo pertineat, inquantum proximus ex caritate diligitur propter Deum, superior tamen ratio in Christo de proximorum defectibus tristitiam habere non potuit, sicut in nobis habere potest. Quia enim ratio superior Christi plena Dei visione fruebatur, hoc modo apprehendebat quidquid ad aliorum defectus pertinet, secundum quod in divina sapientia continetur, secundum quam decenter ordinatum existit et quod aliquis peccare permittatur, et quod pro peccato punietur. Et ideo nec anima Christi, nec aliquis beatus Deum videns, ex defectibus proximorum tristitiam pati potest. Secus autem est in viatoribus, qui ad rationem sapientiae videndam non attingunt: hi enim etiam secundum rationem superiorem de defectibus aliorum tristantur, dum ad honorem Dei et exaltationem fidei pertinere existimant quod aliqui salventur, qui tamen damnantur. Sic igitur de eisdem de quibus dolebat secundum sensum, imaginationem et rationem inferiorem, secundum superiorem gaudebat, inquantum ea ad ordinem divinae sapientiae referebat. Et quia referre aliquid ad alterum est proprium opus rationis, ideo solet dici quod mortem ratio Christi refugiebat quidem si consideretur ut natura, quia scilicet naturaliter est mors odibilis: volebat tamen eam pati, si consideretur ut ratio. Sicut autem in Christo fuit tristitia, ita etiam et aliae passiones quae ex tristitia oriuntur, ut timor, ira et huiusmodi. Ex iis enim quae tristitiam praesentia ingerunt, timor in nobis causatur, dum futura mala existimantur, et dum aliquo laedente contristati sumus, contra eum irascimur. Hae tamen passiones aliter fuerunt in Christo quam in nobis. In nobis enim plerumque iudicium rationis praeveniunt, interdum modum rationis excedunt. In Christo nunquam praeveniebant iudicium rationis, nec modum a ratione taxatum excedebant, sed tantum movebatur inferior appetitus, qui est subiectus passioni, quantum ratio ordinabat eum debere moveri. Poterat igitur contingere quod secundum inferiorem partem anima Christi refugiebat aliquid, quod secundum superiorem optabat, non tamen erat contrarietas appetituum in ipso, vel rebellio carnis ad spiritum, quae in nobis contingit ex hoc quod appetitus inferior iudicium et modum rationis transcendit. Sed in Christo movebatur secundum iudicium rationis, inquantum permittebat unicuique inferiorum virium moveri proprio motu, secundum quod ipsum decebat. Iis igitur consideratis manifestum est quod superior ratio Christi tota quidem fruebatur et gaudebat per comparationem ad suum obiectum (non enim ex hac parte aliquid ei occurrere poterat quod esset tristitiae causa); sed etiam tota patiebatur ex parte subiecti, ut supra dictum est. Nec illa fruitio minuebat passionem, nec passio impediebat fruitionem, cum non fieret redundantia ex una potentia in aliam, sed quaelibet potentiarum permitteretur agere quod sibi proprium erat, sicut iam supra dictum est.

Chapitre 232 — L’ÂME SOUFFRANTE DU CHRIST

1. L’âme étant la forme du corps il s’en suit que si le corps souffre, l’âme souffre aussi d’une certaine façon d’où selon la condition passible du corps le Christ souffrit aussi en son âme. Il faut considérer qu’il y a une double souffrance de l’âme : l’une du côté du corps l’autre du côté de l’objet : ce qu’on peut considérer en quelqu’une des puissances. En effet comme l’âme est au corps, ainsi une partie de l’âme est à une partie du corps. Or la puissance visuelle est affectée par son objet, comme lorsque la vue est offusquée par un trop grand éclat; du côté de l’organe, comme lorsque la pupille étant lésée, la vue en est émoussée.

2. Si donc on considère la souffrance de l’âme du Christ à partir du corps ainsi toute l’âme souffrait, le corps souffrant. L’âme est en effet la forme du corps selon son essence; or dans cette essence toutes les puissances s’enracinent; d’où il reste que si le corps souffre, chacune des puissances de l’âme souffre d’une certaine façon. Si l’on considère la souffrance de l’âme du côté de l’objet, toute puissance de l’âme ne souffrait pas, selon que souffrir à proprement parler suppose un dommage. En effet du côté de l’objet tout n’était pas nocif en chacune des puissances de l’âme.

3. Déjà en effet il a été dit plus haut (chapitres 216 et 231) que l’âme du Christ jouissait de la parfaite vision de Dieu. Donc la raison supérieure[56] de l’âme, qui chez le Christ s’attache à la contemplation et à l’ordonnance des choses éternelles, n’offrait rien de contraire ou d’incompatible qui puisse donner lieu à subir du dommage. Quant aux puissances sensitives dont les objets sont des choses corporelles elles subirent le contre coup des souffrances du corps; d’où son corps souffrant, le Christ en ressentit une douleur sensible. Et parce que la lésion corporelle, de même qu’elle est ressentie dommageable et qu’ainsi aussi l’imagination intérieure l’appréhende comme nocive, il s’en suit une douleur intérieure, même si elle n’est pas ressentie dans le corps; et nous disons que cette passion de la tristesse a été dans l’âme du Christ. Et non seulement l’imagination, mais aussi la raison inférieure saisit aussi ce qui nuit au corps. Et donc aussi l’appréhension de la raison inférieure qui est des choses temporelles pouvait donner lieu à la passion de la tristesse dans le Christ c’est-à-dire en tant que la raison inférieure appréhendait la mort ou autre lésion du corps comme nocives et contraires à l’appétit naturel.

4. De l’amour qui de deux hommes ne fait qu’un en quelque sorte, il arrive que l’on éprouve de la tristesse de choses que l’imagination ou la raison inférieure appréhendent comme nocives non seulement pour soi mais aussi pour ceux qu’on aime. Là aussi le Christ éprouvait de la tristesse de ce qu’Il connaissait le danger de la faute ou de la peine qui menaçait ceux qu’Il aimait d’un amour de charité. D’où son affliction non seulement pour lui-même mais aussi pour nous. Mais bien que c’est à la raison supérieure que se rapporte l’amour du prochain, en tant qu’on l’aime par charité pour Dieu, cependant dans le Christ la raison supérieure ne pouvait s’attrister au sujet des défauts du prochain comme il arrive chez nous. Parce qu’en effet la raison supérieure du Christ jouissait de la pleine vision de Dieu, elle appréhendait ces défauts comme ils sont contenus dans la sagesse divine qui a prévu et permis un tel péché et qu’il en soit puni. Et donc ni l’âme du Christ, ni le bienheureux qui voit Dieu, ne peuvent concevoir de la tristesse des défauts du prochain.

5. Il en va autrement chez les vivants qui n’atteignent pas à la vision de la sagesse. Ils s’attristent en effet aussi selon la raison supérieure des défauts d’autrui pendant qu’ils considèrent pour l’honneur de Dieu et l’exaltation de la foi que certains soient sauvés qui cependant sont damnés. Ainsi donc Lui qui souffrait selon les sens, l’imagination et la raison inférieure, de ces mêmes choses Il s’en réjouissait selon la raison supérieure en tant qu’Il les rapportait à l’ordonnance de la divine sagesse. Or il est propre à la raison de savoir comparer les choses l’une à l’autre et donc on dit ordinairement que la raison du Christ repoussait la mort considérée en elle-même c’est-à-dire qu’elle est naturellement haïssable; cependant Il voulait la souffrir considérée en son motif.

6. De même que le Christ s’est attristé ainsi aussi a-t-il connu les passions qui naissent de la tristesse comme la peur, la colère, etc. Ce qui en effet peut par sa présence causer la tristesse est aussi la cause de la crainte par l’appréhension des maux futurs et si quelqu’un nous lésant provoque la tristesse nous nous irritons contre lui. Cependant ces passions n’étaient pas les mêmes qu’en nous. Chez nous en effet elles préviennent le plus souvent le jugement de la raison, parfois elles outrepassent la mesure de la raison. Dans le Christ elles ne prévenaient jamais le jugement de la raison ni n’excédaient jamais la mesure fixée par la raison; mais l’appétit inférieur seul était mû, qui est sujet de passion, autant que la raison l’avait décidé. Il pouvait donc se faire que selon la partie inférieure l’âme du Christ refuse ce que d’autre part elle désirait selon la partie supérieure. Cependant une contrariété d’appétit n’existait pas chez Lui, ou la rébellion de la chair contre l’esprit, choses qui arrivent chez nous parce que l’appétit inférieur surmonte Je jugement et la mesure raisonnable. Mais le Christ était mû selon la raison permettant à chacune des forces inférieures de se mouvoir de leur propre mouvement selon qu’il convenait.

7. D’après ces considérations il est manifeste que la rai son supérieure du Christ par rapport à son objet se réjouissait toute entière (car rien ne pouvait se présenter de ce côté qui fût cause de tristesse) mais elle souffrait aussi toute entière du côté du sujet comme on l’a vu (chapitre 232). Et ni la jouissance ne diminuait la souffrance, ni celle-ci n’empêchait la jouissance, puisqu’il n’y avait pas débordement de l’une à l’autre; mais il était laissé à chacune des puissances d’agir en propre comme il a été dit (chapitre 231).

 

 

Caput 233 [70423] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 233 tit. De oratione Christi


 [70424] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 233 Quia vero oratio est desiderii expositiva, ex diversitate appetituum ratio sumi potest orationis quam Christus imminente passione proposuit dicens, Matth.
XXVI, 39: pater mi, si possibile est, transeat a me calix iste: verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu. In hoc enim quod dixit, transeat a me calix iste, motum inferioris appetitus et naturalis designat, quo naturaliter quilibet mortem refugit, et appetit vitam. In hoc autem quod dicit, verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu vis, exprimit motum superioris rationis omnia considerantis prout sub ordinatione divinae sapientiae continentur. Ad quod etiam pertinet quod dicit, si non potest, hoc solum fieri posse demonstrans quod secundum ordinem divinae voluntatis procedit. Et quamvis calix passionis non transivit ab eo quin ipsum biberit, non tamen dici debet quod eius oratio exaudita non fuerit. Nam secundum apostolum ad Hebr. V, 7, in omnibus exauditus est pro sua reverentia. Cum enim oratio, ut dictum est, sit desiderii expositiva, illud simpliciter oramus quod simpliciter volumus: unde et desiderium iustorum, orationis vim obtinet apud Deum, secundum illud Psal. IX, 17: desiderium pauperum exaudivit dominus. Illud autem simpliciter volumus quod secundum rationem superiorem appetimus ad quam solam pertinet consentire in opus. Illud autem simpliciter oravit Christus ut patris voluntas fieret, quia hoc simpliciter voluit, non autem quod calix ab eo transiret, quia nec hoc simpliciter voluit, sed secundum inferiorem rationem, ut dictum est.

Chapitre 233 — LA PRIÈRE DU CHRIST A L’AGONIE

Comme la prière expose un désir, de la diversité des appétits il est possible de se faire une idée de ce que fut la prière du Christ à l’imminence de sa passion : "Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi : ce pendant que ta volonté soit faite et non la mienne" (Mt 26, 39). En effet en disant : "Que ce calice s’éloigne de moi" Il désigne le mouvement de l’appétit inférieur et du désir naturel par quoi chacun repousse la mort naturellement et désire vivre. En disant : "Cependant non pas comme je veux mais comme tu le veux" Il exprime le mouvement de la raison supérieure qui considère tout dans l’ordre de la divine sagesse.

A cela se rapporte aussi : "Si ce n’est pas possible" qui démontre que cela seul peut se faire qui procède selon l’ordre de la divine volonté. Et bien que le calice de la passion ne se soit pas éloigné sans qu’Il le boive, on ne peut pas dire que sa prière n’a pas été exaucée. Car selon l’Apôtre : "Il a été exaucé en tout à cause de sa piété" (Hébreux 5, 7). Puisque la prière expose un désir, comme on vient de le dire, nous demandons simplement ce que nous désirons simplement; d’où le désir des justes obtient d’être exaucé auprès de Dieu, selon ce que dit le Psaume : "Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres" (Ps 9, 17). Or nous désirons simplement quand nous désirons selon la raison supérieure qui seule donne le consentement à l’acte. Or le Christ a simplement demandé que la volonté du Père se fasse parce c’est elle qu’Il a voulu simplement et non que le calice s’éloigne de Lui : ce qu’il ne voulait pas simplement, mais selon la raison inférieure, comme on l’a dit (chapitre 232).

 

 

Caput 234 [70425] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 234 tit. De sepultura Christi


 [70426] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 234 Consequuntur autem hominem ex peccato post mortem alii defectus et ex parte corporis, et ex parte animae. Ex parte corporis quidem, quod corpus redditur terrae, ex qua sumptum est. Hic autem defectus corporis in nobis quidem secundum duo attenditur, scilicet secundum positionem, et secundum resolutionem. Secundum positionem quidem, inquantum corpus mortuum sub terra ponitur sepultum; secundum resolutionem vero, inquantum corpus in elementa solvitur, ex quibus est compactum. Horum autem defectuum primum quidem Christus pati voluit, ut scilicet corpus eius sub terra poneretur. Alium autem defectum passus non fuit, ut scilicet corpus eius in terram resolveretur: unde de ipso Psal. XV, 10, dicit: non dabis sanctum tuum videre corruptionem, idest corporis putrefactionem. Huius autem ratio est, quia corpus Christi materiam sumpsit de natura humana, sed formatio eius non fuit virtute humana, sed virtute spiritus sancti. Et ideo propter substantiam materiae subterraneum locum, qui corporibus mortuis deputari consuevit, voluit pati: locus enim corporibus debetur secundum materiam praedominantis elementi.
Sed dissolutionem corporis per spiritum sanctum fabricati pati non voluit, quia quantum ad hoc ab aliis hominibus differebat.

Chapitre 234 — LA SÉPULTURE DU CHRIST

 

Le péché avait entraîné après la mort d’autres misères et du côté du corps et du côté de l’âme. Du côté du corps, il serait rendu à la terre d’où il est pris. Or pour le corps il y a deux sortes de misères : selon la position et selon la décomposition, car le cadavre est placé sous terre dans un tombeau et il se décompose en éléments dont le corps est fait. Le Christ a voulu subir la première c’est-à-dire que son corps soit placé sous terre. L’autre il ne l’a pas subie c’est-à-dire que son corps aurait été décomposé. D’où il est écrit : "Tu ne permettras pas que ton saint connaisse la corruption" (Ps 15, 10) c’est-à-dire la putréfaction. La raison en est que le corps du Christ prit la matière à par tir de la nature humaine, mais sa formation ne fut pas par un pouvoir humain mais par la vertu de l’Esprit Saint. Et donc à cause de la substance matérielle, Il a voulu endurer un endroit souterrain qu’on a l’habitude d’accorder aux morts. En effet est dû aux corps le lieu de l’élément prédominant. Mais Il n’a pas voulu souffrir la dissolution d’un corps oeuvre de l’Esprit Saint; car c’est en cela qu’Il différait des autres hommes.

 

 

Caput 235 [70427] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 235 tit. De descensu Christi ad Inferos


 [70428] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 235 Ex parte vero animae sequitur in hominibus ex peccato post mortem, ut ad Infernum descendant non solum quantum ad locum, sed etiam quantum ad poenam. Sicut autem corpus Christi fuit quidem sub terra secundum locum, non autem secundum communem resolutionis defectum, ita et anima Christi descendit quidem ad Inferos secundum locum, non autem ut ibi poenam subiret, sed magis ut alios a poena absolveret, qui propter peccatum primi parentis illic detinebantur, pro quo plene iam satisfecerat mortem patiendo: unde post mortem nihil patiendum restabat, sed absque omni poenae passione localiter ad Infernum descendit, ut se vivorum et mortuorum liberatorem ostenderet. Ex hoc etiam dicitur quod solus inter mortuos fuit liber, quia anima eius in Inferno non subiacuit poenae, nec corpus eius corruptioni in sepulcro.
Quamvis autem Christus descendens ad Inferos, eos liberavit qui pro peccato primi parentis ibi tenebantur, illos tamen reliquit qui pro peccatis propriis ibidem poenis erant addicti: et ideo dicitur momordisse Infernum, non absorbuisse, quia scilicet partem liberavit, et partem dimisit. Hos igitur Christi defectus symbolum fidei tangit, cum dicit: passus sub Pontio Pilato, crucifixus, mortuus et sepultus, descendit ad Inferos.

Chapitre 235 — LA DESCENTE DU CHRIST AUX ENFERS

 

Du côté de l’âme, il y a chez l’homme après la mort en suite du péché, la descente aux enfers, non seulement quant au lieu mais aussi quant à la peine. De même que le Christ fut sous terre selon le lieu mais ne fut pas décomposé, ainsi l’âme du Christ descendit aux enfers quant au lieu mais n’y subit pas la peine, mais plutôt pour en délivrer ceux qui à cause du premier péché y étaient détenus et pour lequel il avait déjà pleinement satisfait en souffrant la mort. D’où après la mort il ne restait plus rien à souffrir, mais sans souffrance pénale. Il descendit localement aux enfers pour se montrer en libé rateur des vivants et des morts. De là aussi on dit qu’Il est le seul "parmi les morts à avoir été libre" (Ps 87, 6), parce que l’âme n’a pas connu la peine de l’enfer, ni son corps la corruption du tombeau.

Quoique le Christ descandant aux enfers délivrât ceux qui pour le péché du premier père y étaient détenu, cependant, il y laissa ceux qui pour leurs péchés personnels s’y trouvaient condamnés. Et c’est pour cela qu’il est dit de lui : "il a mordu l’enfer"[57] mais Il ne l’a pas absorbé, parce qu’il libéra une partie et y laissa l’autre. Aux déficiences du Christ le Symbole de foi fait allusion : "A souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers."

 

D- La résurrection et l’ascension (chapitre 236 à 240)

Caput 236 [70429] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 236 tit. De resurrectione et tempore resurrectionis Christi


 [70430] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 236 Quia ergo per Christum humanum genus liberatum est a malis quae ex peccato primi parentis derivata erant, oportuit quod sicut ipse mala nostra sustinuit ut ab eis nos liberaret, ita etiam reparationis humanae per ipsum factae in eo primitiae apparerent, ut utroque modo Christus proponeretur nobis in signum salutis, dum ex eius passione consideramus quid pro peccato incurrimus, et quod nobis patiendum est ut a peccato liberemur, et per eius exaltationem consideramus quid nobis per ipsum sperandum proponitur. Superata igitur morte, quae ex peccato primi parentis provenerat, primus ad immortalem vitam resurrexit: ut sicut Adam peccante primo mortalis vita apparuit, ita Christo pro peccato satisfaciente, primo immortalis vita in Christo appareret. Redierant quidem ad vitam alii ante Christum vel ab eo vel a prophetis suscitati, tamen iterum morituri, sed Christus resurgens ex mortuis, iam non moritur: unde quia primus necessitatem moriendi evasit, dicitur princeps mortuorum et primitiae dormientium, scilicet quia primus a somno mortis surrexit, iugo mortis excusso. Eius autem resurrectio non tardari debuit, nec statim post mortem esse. Si enim statim post mortem rediisset ad vitam, mortis veritas comprobata non fuisset. Si vero diu resurrectio tardaretur, signum superatae mortis in eo non appareret, nec hominibus daretur spes ut per ipsum liberarentur a morte.
Unde resurrectionem usque ad tertium diem distulit, quia hoc tempus sufficiens videbatur ad mortis veritatem comprobandam, nec erat nimis prolixum ad spem liberationis tollendam. Nam si amplius dilata fuisset, iam fidelium spes dubitationem pateretur, unde et quasi deficiente iam spe quidam dicebant tertia die, Lucae ult., 21: nos sperabamus quod ipse redempturus esset Israel. Non tamen per tres integros dies Christus mortuus remansit. Dicitur tamen tribus diebus et tribus noctibus in corde terrae fuisse illo modo locutionis quo pars pro toto poni solet. Cum enim ex die et nocte unus dies naturalis constituatur, quacumque parte diei vel noctis computata Christus fuit in morte, tota illa dicitur in morte fuisse. Secundum autem Scripturae consuetudinem nox cum sequenti die computatur, eo quod Hebraei tempora secundum cursum lunae observant, quae de sero incipit apparere. Fuit autem Christus in sepulcro ultima parte sextae feriae quae si cum nocte praecedenti computetur, erit quasi dies unus naturalis. Nocte vero sequente sextam feriam cum integra die sabbati fuit in sepulcro, et sic sunt duo dies. Iacuit etiam mortuus in sequenti nocte, quae praecedit diem dominicum, in qua resurrexit, vel media nocte secundum Gregorium, vel diluculo secundum alios: unde si computetur vel tota nox, vel pars eius cum sequenti die dominico, erit tertius dies naturalis. Nec vacat a mysterio quod tertia die resurgere voluit, ut per hoc manifestetur quod ex virtute totius Trinitatis resurrexit: unde et quandoque dicitur pater eum resuscitasse, quandoque autem quod ipse propria virtute resurrexit, quod non est contrarium, cum eadem sit divina virtus patris et filii et spiritus sancti; et etiam ut ostenderetur quod reparatio vitae non fuit facta prima die saeculi, idest sub lege naturali, nec secunda die, idest sub lege Mosaica, sed tertia die, idest tempore gratiae. Habet etiam rationem quod Christus una die integra et duabus noctibus integris iacuit in sepulcro: quia Christus una vetustate quam suscepit, scilicet poenae, duas nostras vetustates consumpsit, scilicet culpae et poenae, quae per duas noctes significantur.

Chapitre 236 — LA RÉSURRECTION ET LE TEMPS DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST

1. Puisque le Christ a délivré le genre humain de ses maux causés par le péché du premier père, il fallait que de même qu’Il avait supporté nos maux pour nous en délivrer, qu’ainsi aussi apparaîtraient en lui les prémices de la réparation de l’homme accomplie par lui. Par ces deux choses le Christ nous est proposé comme signe de notre salut quand dans sa passion nous considérons ce que nous avons encouru pour le péché et ce que nous devions souffrir pour en être délivré, et quand nous con sidérons par son exaltation ce que nous devons espérer par lui.

2. Donc ayant vaincu la mort causée par le premier péché Il est le premier ressuscité à la vie immortelle : afin que de même qu’en Adam péchant, pour la première fois apparut la vie mortelle, ainsi dans le Christ satisfaisant pour le péché, pour la première fois la vie immortelle apparaîtrait dans le Christ. D’autres étalent revenus à la vie avant le Christ ressuscités par Lui ou par les Prophètes mais qui mourraient de nouveau, tandis que le Christ ressuscité des morts ne meurt plus (Rom 6, 9). D’où ayant échappé le premier à la nécessité de mourir Il est appelé le premier d’entre les morts, les prémices de ceux qui dorment (Act 26, 23; Col 1, 18; 1 Cor 15, 20), c’est-à-dire qu’Il est le premier sorti du sommeil de la mort en secouant le joug de la mort.

3. La résurrection ne devait pas être retardée ni avoir lieu aussitôt après la mort. Si en effet il était revenu à la vie aussitôt après la mort la réalité de cette mort n’était pas prouvée. Si la résurrection était trop longtemps retardée il n’y avait pas de preuve de sa victoire sur la mort, ni aucun espoir n’était donné aux hommes d’être délivrés par Lui de la mort. D’où il remit sa résurrection jusqu’au troisième jour, car ce temps était suffisant pour prouver la réalité de sa mort ni trop long pour enlever l’espoir de la délivrance. On l’a bien vu chez les disciples d’Emmaüs dont l’espoir s’estompait, et qui disaient, le troisième jour : "Nous espérions qu’Il sauverait Israël" (Lc 24, 21).

4. Cependant le Christ n’est pas demeuré trois jours entiers dans le tombeau. Il est cependant dit qu’Il resta trois jours et trois nuits dans le sein de la terre selon qu’on prend la partie pour le tout. Comme en effet le jour naturel est fait du jour et de la nuit que le Christ fut dans la mort Il est dit avoir été dans la mort tout ce jour-là. Et l’Ecriture a coutume de compter la nuit avec le jour suivant parce que les Hébreux comptent le temps d’après la lune qui fait son apparition le soir. Or le Christ a été dans le tombeau à la fin du sixième jour qui compte avec la nuit qui le précède donnera environ un jour naturel; la nuit suivant le sixième jour avec le sabbat entier Il fut dans le tombeau et ainsi on obtient deux journées. Il gît encore dans la mort la nuit suivante, qui précède le jour du Seigneur où Il est ressuscité, soit à minuit selon saint Grégoire (In Ev. 2,21) soit dès l’aube selon d’autres. D’où si l’on compte toute la nuit ou une partie avec le jour du Seigneur suivant on aura le troisième jour naturel.

5. Qu’Il ait voulu ressusciter le troisième jour, il y a là un mystère afin de montrer qu’Il est ressuscité par la vertu de toute la Trinité. D’où on dit tantôt que le Père l’a ressuscité, tantôt que c’est de lui-même; ce qui est aussi vrai comme c’est la même vertu du Père et du Fils et de l’Esprit Saint. C’est aussi pour montrer que la restauration de la vie n’a pas été faite le premier jour du siècle à savoir sous la loi naturelle, ni le second à savoir sous la loi mosaïque, mais le troisième à savoir au temps de la grâce.

6. Il y a aussi une raison à ce que le Christ est resté un jour entier et deux nuits entières dans le tombeau parce que par l’unique vétusté qu’Il a prise, c’est-à-dire de la peine, Il a absorbé nos deux vétustés, de la faute et de la peine, qui sont signifiées par les deux nuits.

 

 

Caput 237 [70431] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 237 tit. De qualitate Christi resurgentis


 [70432] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 237 Non solum autem Christus recuperavit humano generi quod Adam peccando amiserat, sed etiam hoc ad quod Adam merendo pervenire potuisset. Multo enim maior fuit Christi efficacia ad merendum quam hominis ante peccatum.
Incurrit siquidem Adam peccando necessitatem moriendi, amissa facultate qua mori non poterat, si non peccaret. Christus autem non solum necessitatem moriendi exclusit, sed etiam necessitatem non moriendi acquisivit: unde corpus Christi post resurrectionem factum est impassibile et immortale, non quidem sicut primi hominis, potens non mori, sed omnino non potens mori, quod in futurum de nobis ipsis expectamus. Et quia anima Christi ante mortem passibilis erat secundum passionem corporis, consequens est ut corpore impassibili facto, etiam anima impassibilis redderetur. Et quia iam impletum erat humanae redemptionis mysterium, propter quod dispensative continebatur fruitionis gloria in superiori animae parte, ne fieret redundantia ad inferiores partes et ad ipsum corpus, sed permitteretur unumquodque aut agere aut pati quod sibi proprium erat, consequens fuit ut iam per redundantiam gloriae a superiori animae parte totaliter corpus glorificaretur, et inferiores vires: et inde est quod cum ante passionem Christus esset comprehensor propter fruitionem animae, et viator propter corporis passibilitatem, iam post resurrectionem, viator ultra non fuit, sed solum comprehensor.

Chapitre 237 — DE LA QUALITÉ DU CHRIST RESSUSCITÉ

Non seulement le Christ a récupéré pour le genre humain ce qu’Adam avait perdu en péchant mais aussi ce à quoi Adam aurait pu parvenir par ses mérites. Car beaucoup plus grande fut l’efficacité du Christ pour le mérite que celle de l’homme avant le péché. En effet par le péché, Adam encourut la mort ayant perdu le privilège de ne pas devoir mourir s’il ne péchait pas. Quant au Christ non seulement cette nécessité de la mort est exclue, mais encore il acquit la nécessité de ne pas mourir. D’où le corps du Christ après la résurrection est devenu impassible et immortel non comme le premier homme qui pouvait ne pas mourir mais absolument, ne pouvant plus mourir; ce que dans l’avenir nous attendons pour nous- mêmes. Et parce que l’âme du Christ avant sa mort pouvait souffrir selon que le corps souffrait il s’en suit qu’avec l’impassibilité du corps l’âme aussi devenait impassible. Maintenant que le mystère de la rédemption de l’homme est accompli, à cause que par exception la jouissance de la gloire avait été contenue en la partie supérieure ne pouvant déborder sur la partie inférieure et jusqu’au corps mais qu’il fut permis à chaque partie d’agir ou de souffrir ce qui lui était propre, il s’en est suivi désormais par le débordement de la gloire à partir de l’âme supérieure que le corps était glorifié totalement ainsi que les forces inférieures. Et de la vient qu’ayant été voyant avant sa passion à cause de la jouissance de l’âme et voyageur à cause de la passibilité du corps, Il ne fut plus désormais voyageur après le résurrection mais uniquement voyant.

 

 

Caput 238 [70433] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 238 tit. Quomodo convenientibus argumentis Christi resurrectio demonstratur


 [70434] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 238 Et quia, ut dictum est, Christus resurrectionem anticipavit, ut eius resurrectio argumentum nobis spei existeret, ut nos etiam resurgere speraremus, oportuit ad spem resurrectionis suadendam, ut eius resurrectio, nec non et resurgentis qualitas, congruentibus indiciis manifestaretur. Non autem omnibus indifferenter suam resurrectionem manifestavit, sicut humanitatem et passionem, sed solum testibus praeordinatis a Deo, scilicet discipulis, quos elegerat ad procurandum humanam salutem. Nam status resurrectionis, ut dictum est, pertinet ad gloriam comprehensoris, cuius cognitio non debetur omnibus, sed iis tantum qui se dignos efficiunt.
Manifestavit autem eis Christus et veritatem resurrectionis, et gloriam resurgentis. Veritatem quidem resurrectionis, ostendendo quod idem ipse qui mortuus fuerat, resurrexit et quantum ad naturam, et quantum ad suppositum. Quantum ad naturam quidem, quia se verum corpus humanum habere demonstravit, dum ipsum palpandum et videndum discipulis praebuit, quibus dixit Luc. ult., 39: palpate et videte, quia spiritus carnem et ossa non habet, sicut me videtis habere. Manifestavit etiam exercendo actus qui naturae humanae conveniunt, cum discipulis suis manducans et bibens, et cum eis multoties loquens et ambulans, qui sunt actus hominis viventis, quamvis illa comestio necessitatis non fuerit: non enim incorruptibilia resurgentium corpora ulterius cibo indigebunt, cum in eis nulla fiat deperditio, quam oportet per cibum restaurari. Unde et cibus a Christo assumptus non cessit in corporis eius nutrimentum, sed fuit resolutum in praeiacentem materiam. Verumtamen ex hoc ipso quod comedit et bibit, se verum hominem demonstravit. Quantum vero ad suppositum, ostendit se esse eundem qui mortuus fuerat, per hoc quod indicia suae mortis eis in suo corpore demonstravit, scilicet vulnerum cicatrices; unde dicit Thomae, Ioan. XX, 27: infer digitum tuum huc et vide manus meas, et affer manum tuam, et mitte in latus meum, et Luc. ult., 39, dixit: videte manus meas et pedes meos, quia ego ipse sum. Quamvis hoc etiam dispensationis fuerit quod cicatrices vulnerum in suo corpore reservavit, ut per eas resurrectionis veritas probaretur: corpori enim incorruptibili resurgenti debetur omnis integritas. Licet etiam dici possit, quod in martyribus quaedam indicia praecedentium vulnerum apparebunt cum quodam decore in testimonium virtutis. Ostendit etiam se esse idem suppositum, et ex modo loquendi, et ex aliis consuetis operibus, ex quibus homines recognoscuntur: unde et discipuli recognoverunt eum in fractione panis, Luc. ult., et ipse in Galilaea aperte se eis demonstravit ubi cum eis erat solitus conversari. Gloriam vero resurgentis manifestavit dum ianuis clausis ad eos intravit, Ioan. XX, et dum ab oculis eorum evanuit, Luc. ult. Hoc enim pertinet ad gloriam resurgentis, ut in potestate habeat apparere oculo glorioso quando vult, vel non apparere quando voluerit. Quia tamen resurrectionis fides difficultatem habebat, propterea per plura indicia tam veritatem resurrectionis quam gloriam resurgentis corporis demonstravit. Nam si inusitatam conditionem glorificati corporis totaliter demonstrasset, fidei resurrectionis praeiudicium attulisset, quia immensitas gloriae opinionem excussisset eiusdem naturae. Hoc etiam non solum visibilibus signis, sed etiam intelligibilibus documentis manifestavit, dum aperuit eorum sensum, ut Scripturas intelligerent, et per Scripturas prophetarum se resurrecturum ostendit.

Chapitre 238 — Y A-T-IL DES PREUVES CONVAINCANTES DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST ?

Comme on l’a dit (chapitre 236) le Christ a anticipé sa résurrection pour qu’elle fût pour nous un motif d’espérance et que nous puissions aussi ressusciter. Pour cela il fallait que sa résurrection et le privilège du ressuscité se manifestent par des preuves convaincantes. Ce n’est pas à tous indifféremment qu’Il a manifesté sa résurrection, comme Il l’avait fait pour son humanité et sa passion, mais seulement à des témoins prédestinés par Dieu (Act 10, 41), c’est-à-dire ses disciples qu’Il avait choisis pour procurer aux hommes le salut. Or l’état de résurrection appartient à la gloire du voyant dont la connaissance n’est pas due à tous mais à ceux qui s’en rendent dignes.

Le Christ leur manifesta et la vérité de la résurrection et la gloire du ressuscité : pour la première en leur montrant que c’était bien le même qui était mort et ressuscité quant à sa nature et quant à son personnage : quant à la nature car Il montra qu’Il avait un corps humain véritable en se présentant au toucher et à la vue des disciples auxquels Il dit : "Touchez et voyez car un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai" (Lc 24, 39). Il se manifesta aussi en mangeant et buvant avec eux, actions qui conviennent à la nature humaine, et en parlant et marchant en leur compagnie qui sont des actes d’un homme vivant. Cependant se nourrir n’était plus une nécessité; en effet les corps des ressuscités sont incorruptibles et n’ont plus besoin de nourriture puisqu’en eux il n’y a aucune déperdition à restaurer; d’où la nourriture prise par le Christ ne servit pas d’aliment pour son corps mais elle revint à la matière précédente. Néanmoins de cela même qu’Il mangea et but Il montra qu’Il était homme.

Quant au personnage Il prouva qu’Il était le même qui avait été mort en laissant voir les traces de sa mort en son corps c’est-à-dire les cicatrices des blessures. D'où Il dit à Thomas "Mets ton doigt ici et regarde mes mains et approche ta main et mets-la dans mon côté" (Jean 20, 27). Et encore : "Voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi" (Lc 24, 38). Et c’était exceptionnellement qu’Il avait gardé les cicatrices de ses blessures en son corps pour prouver la réalité de sa résurrection; en effet le corps incorruptible d’un ressuscité doit avoir toute son intégrité; on peut cependant admettre que chez les martyrs des marques de précédentes blessures apparaîtront avec une certaine beauté en témoignage de leur vertu. Il montra également qu’Il était le même personnage à sa façon de s’exprimer et autres manières d’agir qui font reconnaître les hommes. D’où ces disciples le reconnurent à la fraction du pain (Lc 24, 30 et 35). Et lui-même se montra ouvertement en Galilée où il avait eu l’habitude d’être avec eux.

Il manifesta la gloire du ressuscité en entrant chez eux les portes étant fermées (Jean 24, 31). En effet il appartient à la gloire d’un ressuscité de pouvoir apparaître à un regard non glorieux quand il le veut ou de disparaître à son gré.

Cependant comme la foi en la résurrection faisait difficulté c’est par plusieurs indices qu’Il démontra tant la réalité de sa résurrection que la gloire de son corps ressuscité. Car s’Il avait totalement découvert l’exceptionnelle condition d’un corps glorifié Il eut causé préjudice à la foi en la résurrection car l’immensité de sa gloire aurait enlevé jusqu’à la vraisemblance de son identité. Il donna aussi des preuves non seulement par des signes visibles mais encore par des preuves intellectuelles en leur faisant comprendre le sens des Ecritures; et par les écrits prophétiques Il montra qu’Il devait ressusciter.

Caput 239 [70435] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 239 tit. De duplici vita reparata in homine per Christum


 [70436] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 239 Sicut autem Christus sua morte mortem nostram destruxit, ita sua resurrectione vitam nostram reparavit. Est autem hominis duplex mors et duplex vita. Una quidem mors est corporis per separationem ab anima; alia per separationem a Deo. Christus autem, in quo secunda mors locum non habuit, per primam mortem quam subiit, scilicet corporalem, utramque in nobis mortem destruxit, scilicet corporalem et spiritualem. Similiter etiam per oppositum intelligitur duplex vita: una quidem corporis ab anima, quae dicitur vita naturae; alia a Deo, quae dicitur vita iustitiae, vel vita gratiae: et haec est per fidem, per quam Deus inhabitat in nobis, secundum illud Habacuc II, 4: iustus autem meus in fide sua vivet, et secundum hoc duplex est resurrectio: una corporalis, qua anima iterato coniungitur corpori; alia spiritualis, qua iterum coniungitur Deo. Et haec quidem secunda resurrectio locum in Christo non habuit, quia nunquam eius anima fuit per peccatum separata a Deo. Per resurrectionem igitur suam corporalem utriusque resurrectionis, scilicet corporalis et spiritualis, nobis est causa. Considerandum tamen est, quod, ut dicit Augustinus super Ioannem, verbum Dei resuscitat animas, sed verbum caro factum resuscitat corpora. Animam enim vivificare solius Dei est. Quia tamen caro est divinitatis eius instrumentum, instrumentum autem agit in virtute causae principalis, utraque resurrectio nostra, et corporalis et spiritualis, in corporalem Christi resurrectionem refertur ut in causam. Omnia enim quae in Christi carne facta sunt, nobis salutaria fuerunt virtute divinitatis unitae, unde et apostolus resurrectionem Christi causam nostrae spiritualis resurrectionis ostendens, dicit ad Rom.
IV, 25, quod traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter iustificationem nostram. Quod autem Christi resurrectio nostrae corporalis resurrectionis sit causa, ostendit I ad Cor. XV, 12: si autem Christus praedicatur quod resurrexit, quomodo quidam dicunt in vobis quoniam resurrectio mortuorum non est? Pulchre autem apostolus peccatorum remissionem Christi attribuit morti, iustificationem vero nostram resurrectioni, ut designetur conformitas et similitudo effectus ad causam. Nam sicut peccatum deponitur cum remittitur, ita Christus moriendo deposuit passibilem vitam, in qua erat similitudo peccati. Cum autem aliquis iustificatur, novam vitam adipiscitur: ita Christus resurgendo novitatem gloriae consecutus est. Sic igitur mors Christi est causa remissionis peccati nostri et effectiva instrumentaliter, et exemplaris sacramentaliter et meritoria. Resurrectio autem Christi fuit causa resurrectionis nostrae effectiva quidem instrumentaliter et exemplaris sacramentaliter, non autem meritoria: tum quia Christus iam non erat viator, ut sibi mereri competeret, tum quia claritas resurrectionis fuit praemium passionis, ut per apostolum patet Philipp. II. Sic igitur manifestum est quod Christus potest dici primogenitus resurgentium ex mortuis, non solum ordine temporis, quia primus resurrexit secundum praedicta, sed etiam ordine causae, quia resurrectio eius est causa resurrectionis aliorum, et in ordine dignitatis, quia prae cunctis gloriosior resurrexit. Hanc igitur fidem resurrectionis Christi symbolum fidei continet dicens: tertia die resurrexit a mortuis.

Chapitre 239 — DES DEUX VIES RESTAURÉES EN L’HOMME PAR LE CHRIST

De même que le Christ par sa mort a détruit notre mort ainsi par sa résurrection il a réparé notre vie. Or il y a en l’homme une double mort et une double vie : une mort selon le corps par sa séparation d’avec l’âme, l’autre par sa séparation d’avec Dieu. Or le Christ chez qui la deuxième mort n’a pas eu lieu, en souffrant la première, c’est-à-dire corporelle, détruisit en nous l’une et l’autre.

Semblablement aussi à l’opposé on trouve une double vie : celle du corps par l’âme et qui s’appelle vie naturelle et l’autre qui vient de Dieu et qu’on appelle vie de justice ou vie de la grâce; et elle vient par la foi par laquelle Dieu habite en nous : "Mon juste vivra de sa foi" (Hab 2, 4; Rom 1, 1.7). Et d’après cela il y a une double résurrection, l’une corporelle par laquelle l’âme est réunie au corps, l’autre spirituelle par laquelle elle est de nouveau unie à Dieu. Et cette seconde résurrection n’eut pas lieu dans le Christ parce que son âme ne fut jamais séparée de Dieu par le péché. Donc par sa résurrection Il est cause de l’une et de l’autre c’est-à-dire corporelle et spirituelle.

Il faut cependant remarquer que comme le dit saint Augustin (Tract. super Joan. 19) "Le Verbe de Dieu ressuscite les âmes mais le Verbe fait chair ressuscite les corps ". Donner la vie à l’âme n’appartient qu’à Dieu. Mais parce que sa chair est instrument de la divinité et que l’instrument agit en vertu de la cause principale notre double résurrection et corporelle et spirituelle se rapporte à la résurrection corporelle du Christ comme en sa cause. En effet tout ce qui s’est passé dans la chair du Christ nous a été salutaire en vertu de son union à la divinité; de notre résurrection spirituelle dit : "Il a été livré à cause de nos délits et Il est ressuscité pour notre justification" (Rom 4, 25); et de notre résurrection corporelle, il dit : "Si on annonce le Christ ressuscité comment d’aucuns disent-ils parmi vous qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?" (1 Cor 15, 12).

Excellemment l’Apôtre attribue la rémission des péchés à la mort du Christ et notre justification à sa résurrection, pour désigner la conformité et la ressemblance de l’effet avec la cause. Car de même qu’on dépose le péché qui est remis, ainsi le Christ en mourant a déposé sa vie passible en laquelle se trouvait la ressemblance du péché. Et lorsqu’on est justifié, on acquiert une nouvelle vie; ainsi le Christ par sa résurrection obtint la nouveauté de la gloire. Ainsi donc la mort du Christ est cause de la rémission de notre péché, et effective instrumentalement, et exemplaire sacramentellement, et méritoire; il en est de même de sa résurrection effective et exemplaire, quoique non méritoire : et parce qu’il n’était plus voyageur et parce que la gloire de sa résurrection fut la récompense de sa passion, comme il ressort de la lettre aux Philippiens (2, 8).

Ainsi donc il est évident que le Christ doit être appelé le premier-né de ceux qui ressuscitent d’entre les morts, non seulement selon l’ordre du temps puisqu’Il est le premier qui est ressuscité (chapitre 236), mais aussi dans l’ordre de la cause parce que sa résurrection est cause de la nôtre, et dans l’ordre de dignité parce que plus glorieuse. Cette foi dans le résurrection du Christ se trouve au Symbole de la foi à ces mots : "Le troisième jour Il est ressuscité des morts."

 

 

Caput 240 [70437] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 240 tit. De duplici praemio humiliationis, scilicet resurrectione et ascensione


 [70438] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 240 Quia vero secundum apostolum exaltatio Christi praemium fuit humiliationis ipsius, consequens fuit ut duplici eius humiliationi duplex exaltatio responderet. Humiliaverat namque se primo secundum mortis passionem in carne passibili quam assumpserat; secundo quantum ad locum, corpore posito in sepulcro, et anima ad Inferos descendente. Primae igitur humiliationi respondet exaltatio resurrectionis, in qua a morte ad vitam rediit immortalem; secundae humiliationi respondet exaltatio ascensionis: unde apostolus dicit Ephes. IV, 10: qui descendit, ipse est et qui ascendit super omnes caelos. Sicut autem de filio Dei dicitur quod est natus, passus et sepultus, et quia resurrexit, non tamen secundum naturam divinam, sed secundum humanam: ita et de Dei filio dicitur quod ascendit in caelum, non quidem secundum divinam naturam, sed secundum humanam. Nam secundum divinam naturam nunquam a caelo discessit, semper ubique existens. Unde ipse dicit, Ioan. III, 13: nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de caelo, filius hominis qui est in caelo. Per quod datur intelligi, quod sic de caelo descendisse dicitur naturam assumendo terrenam, quod tamen in caelo semper permansit. Ex quo etiam considerandum est, quod solus Christus propria virtute caelos ascendit. Locus enim ille debebatur ei qui de caelo descenderat ratione suae originis.
Alii vero per se ipsos ascendere non possunt, sed per Christi virtutem, eius membra effecti. Et sicut ascendere in caelum convenit filio Dei secundum humanam naturam, ita additur alterum quod convenit ei secundum naturam divinam, scilicet quod sedeat ad dexteram patris. Non enim ibi cogitanda est dextera, vel sessio corporalis, sed quia dextera est potior pars animalis, datur per hoc intelligi quod filius considet patri non in aliquo minoratus ab ipso secundum divinam naturam, sed omnino in eius aequalitate existens. Potest tamen et hoc ipsum attribui filio Dei secundum humanam naturam, ut secundum divinam naturam intelligamus filium in ipso patre esse secundum essentiae unitatem, cum quo habet unam sedem regni, idest potestatem eandem. Sed quia solent regibus aliqui assidere, quibus scilicet aliquid de regia potestate communicant, ille autem potissimus in regno esse videtur quem rex ad dexteram suam ponit, merito filius Dei etiam secundum humanam naturam dicitur ad dexteram patris sedere, quasi super omnem creaturam in dignitate caelestis regni exaltatus. Utroque igitur modo sedere ad dexteram est proprium Christi: unde apostolus ad Heb. I, 13, dicit: ad quem autem Angelorum dixit aliquando: sede a dextris meis? Hanc igitur Christi ascensionem confitemur in symbolo, dicentes ascendit in caelum, sedet ad dexteram Dei patris.

Chapitre 240 — DE LA DOUBLE RÉCOMPENSE DE L’HUMILIATION DU CHRIST, C’EST-A-DIRE LA RÉSURRECTION ET L’ASCENSION

1. Selon l’Apôtre l’exaltation du Christ a été la récompense de son humiliation. Il suit de là qu’à sa double humiliation répond une double exaltation. Car Il s’est humilié d’abord en souffrant la mort dans une chair passible qu’Il avait assumée, ensuite quant au lieu : son corps déposé dans un tombeau et son âme descendant en enfer. A la première humiliation répond l’exaltation de la résurrection dans laquelle de la mort Il revint à la vie immortelle; à la seconde humiliation répond l’exaltation de l’ascension. D’où l’Apôtre dit : "Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus des cieux" (Eph 4, 10).

2. De même qu’on dit du Fils de Dieu qu’Il est né, a souffert, a été enseveli et qu’Il est ressuscité non pas cependant selon la nature divine mais humaine, ainsi on dit du Fils de Dieu qu’Il est monté au ciel non pas cependant selon la nature divine mais humaine. Car selon la nature divine Il n’a jamais quitté le ciel, se trouvant par tout et toujours; d’où en saint Jean Il dit : "Personne ne monte au ciel sinon celui qui descend du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel" (Jean 3, 13). Par quoi on nous donne à entendre qu’Il est ainsi descendu du ciel assumant la nature humaine tout en demeurant toujours au ciel.

3. D’où il faut aussi savoir que seul le Christ de son propre pouvoir est monté au ciel. Cet endroit en effet était dû à celui qui était descendu en raison de son origine. Les autres ne peuvent y monter par eux-mêmes mais par la vertu du Christ étant devenus ses membres. Et de même que monter au ciel convient au Fils de Dieu selon la nature humaine ainsi vient s’ajouter autre chose qui lui convient selon la nature divine, c’est-à-dire de s’asseoir à la droite du Père. En effet il ne s’agit pas d’une droite ni d’une session corporelle. Mais comme la droite est pour l’homme la place d’honneur on veut faire comprendre que le Fils est égal au Père n’ayant rien perdu selon sa nature divine mais se trouvant en une parfaite égalité avec lui.

4. Cependant on peut attribuer cela même au Fils de Dieu selon sa nature humaine de sorte que selon la divine nature nous entendions que le Fils est dans le Père en unité d’essence avec qui Il partage le siège de la royauté c’est-à-dire la même puissance. Mais comme de coutume le roi a des assistants qui participent en quelque chose à la puissance royale, celui-là est le plus puissant que le roi met à sa droite, à juste titre donc le Fils de Dieu même selon la nature humaine est dit être assis à la droite du Père, comme étant élévé au-dessus de toute créature en la dignité du royaume céleste.

5. De deux manières donc s’asseoir à la droite est propre au Christ. D’où l’Apôtre dit : "Auquel des anges a-t-il jamais été dit : Assieds-toi à ma droite ?" (Heb 1, 13). Cette ascension du Christ nous la confessons dans le Symbole en disant : "Il est monté au ciel; Il est assis à la droite de Dieu le Père".

 

E — Le jugement (chapitre 241 à 245)

Caput 241 [70439] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 241 tit. Quod Christus secundum naturam humanam iudicabit


 [70440] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 241 Ex his quae dicta sunt, manifeste colligitur quod per Christi passionem et mortem, resurrectionis atque ascensionis gloriam, a peccato et morte liberati sumus, et iustitiam et immortalitatis gloriam, hanc in re, illam in spe adepti. Haec autem quae praediximus, scilicet passio, mors et resurrectio, et etiam ascensio, sunt in Christo completa secundum humanam naturam. Consequenter igitur oportet dici, quod secundum ea quae in humana natura Christus vel passus est vel fecit, nos a malis tam spiritualibus quam corporalibus liberando, ad spiritualia et aeterna bona promovit.
Est autem consequens ut qui aliquibus aliqua bona acquirit, eadem ipsis dispenset. Dispensatio autem bonorum in multos requirit iudicium, ut unusquisque secundum suum gradum accipiat. Convenienter igitur Christus secundum humanam naturam, secundum quam mysteria humanae salutis implevit, iudex constituitur a Deo super homines, quos salvavit: unde dicitur Ioan. V, 27: potestatem dedit ei iudicium facere, scilicet pater filio, quia filius hominis est. Quamvis et hoc habeat aliam rationem. Est enim conveniens ut iudicem videant iudicandi: Deum autem, apud quem iudicis auctoritas residet, in sua natura videre est praemium, quod per iudicium redditur. Oportuit igitur quod Deus iudex, non in natura propria, sed in natura assumpta, ab hominibus videretur qui iudicandi sunt, tam bonis quam malis. Multi enim si Deum in natura divinitatis viderent, iam praemium reportarent, quo se reddiderunt indignos. Est etiam conveniens exaltationis praemium humiliationi Christi respondens, qui usque ad hoc humiliari voluit ut sub homine iudice iudicaretur iniuste: unde ad hanc humiliationem exprimendam signanter in symbolo eum sub Pontio Pilato passum fatemur. Hoc igitur exaltationis praemium debebatur ei ut ipse secundum humanam naturam iudex a Deo omnium hominum mortuorum et vivorum constitueretur, secundum illud Iob XXXVI, v. 17: causa tua quasi impii iudicata est: causam iudiciumque recipies. Et quia potestas iudiciaria ad Christi exaltationem pertinet, sicut et resurrectionis gloria, Christus in iudicio apparebit non in humilitate, quae pertinebat ad meritum, sed in forma gloriosa ad praemium pertinente: unde dicitur in Evangelio, quod videbunt filium hominis venientem in nube cum potestate magna et maiestate. Visio autem claritatis ipsius electis quidem, qui eum dilexerunt, erit ad gaudium, quibus Isa. XXXIII, 17, promittit: regem in decore videbunt; impiis autem erit ad confusionem et luctum, quia iudicantis gloria et potestas, damnationem timentibus, tristitiam et metum inducit: unde dicitur Isa. XXVI, 11: videant et confundantur zelantes populi, et ignis hostes tuos devoret. Et quamvis in forma gloriosa se ostendat, apparebunt tamen in eo indicia passionis non cum defectu sed cum decore et gloria, ut ex his visis et electi recipiant gaudium, qui per passionem Christi se liberatos recognoscent, et peccatores tristitiam, qui tantum beneficium contempserunt: unde dicitur Apoc. I, 7: videbit eum omnis oculus, et qui eum pupugerunt; et plangent se super eum omnes tribus terrae.

Chapitre 241 — LE CHRIST JUGERA SELON SA NATURE HUMAINE

De ce qu’on a dit (chapitre 226 sq. 231 et 239) on peut conclure que par la passion et la mort du Christ, par la gloire de la résurrection et de son ascension nous avons été libérés du péché et de la mort et avons obtenu la justice et la gloire de l’immortalité, celle-là en réalité, l’autre en espérance. La passion, la mort, la résurrection et aussi l’ascension ont été accomplies dans le Christ en sa nature humaine. En conséquence il faut dire que relativement à ce que le Christ a souffert ou fait en sa nature humaine nous délivrant des maux tant spirituels que corporels Il nous a par là promus aux biens spirituels et éternels.

Or il va de soi que celui qui acquiert certains biens en faveur d’autres il les leur dispense. Cette dispensation faite à un grand nombre demande un jugement pour que chacun reçoive selon ce qui lui est dû. Il est donc juste que le Christ, selon la nature humaine selon laquelle Il accompli les mystères du salut des hommes, soit constitué par Dieu juge des hommes qu’Il a sauvés. D’où en saint Jean est-il écrit : "Il lui a donné la puissance de faire le jugement, parce qu’Il est le Fils de l’homme" (5, 27). On peut aussi en donner une autre raison il est juste en effet que ceux qui doivent être jugés voient leur juge. Mais voir Dieu en sa nature lui qui a l’autorité pour le jugement est une récompense qui lui est rendue par le jugement. Il faut donc que Dieu comme juge soit vu des hommes, qui doivent être jugés, les bons comme les mauvais, non en sa nature propre mais en la nature qu’Il a assumée. Car si les mauvais voyaient Dieu dans sa divinité ils seraient récompensés; ce dont ils sont indignes.

C’est aussi une juste récompense pour son humiliation que cette exaltation du Christ lui qui fut injustement jugé par un juge humain. Pour exprimer cette exaltation, est significatif ce que nous confessons dans le Symbole qu’il a souffert sous Ponce Pilate. Donc cette exaltation de juge selon qu’Il est homme lui était due par Dieu pour juger tous les hommes les morts aussi bien que les vivants : "Ta cause fut celle d’un impie, tu recevras en retour la cause et le jugement" (Job 36, 17).

Et parce que cette puissance judiciaire fait partie de son exaltation tout comme la gloire de la résurrection, le Christ au jugement apparaîtra non en le mérite de son humilité mais dans sa forme glorieuse qui est sa récompense. D’où l’Évangéliste dit : "On verra le Fils de l’homme venant dans la nuée avec une grande puissance et une grande majesté" (Lc 21, 27). La vision de sa gloire sera une joie pour les élus qui l’auront aimé et aux quels est promis qu’ils verront le roi en sa splendeur (Is 33, 17). Pour les impies elle sera un sujet de confusion et de tristesse parce que la gloire et la puissance de celui qui juge entraînera pour eux, qui s’attendent à leur damnation, la tristesse et la peur "Qu’ils contemplent et qu’ils soient confondus ces peuples jaloux et que le feu dévore tes ennemis" (Is 26, 11).

Et quoique Il se montre dans sa gloire cependant apparaîtront en Lui les marques de sa passion non comme des déficiences, mais glorieuses et honorables, pour qu’à leur vue les élus en conçoivent de la joie et les damnés de la tristesse d’avoir négligé un si grand bienfait. D’où dans l’Apocalypse : "Tout oeil le verra, ceux aussi qui le crucifièrent et toutes les tribus de la terre gémiront sur Lui."

 

 

Caput 242 [70441] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 242 tit. Quod ipse omne iudicium dedit filio suo, qui horam scit iudicii


 [70442] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 242 Et quia pater omne iudicium dedit filio, ut dicitur Ioan. V, nunc autem humana vita iusto Dei iudicio dispensatur, ipse enim est qui iudicat omnem carnem, ut Abraham dixit Gen. XVIII, non est dubitandum etiam hoc iudicium, quo in mundo reguntur homines, ad Christi potestatem iudiciariam pertinere: unde etiam ad ipsum introducuntur in Psal. CIX, 1, verba patris dicentis: sede a dextris meis, donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. Assidet enim a dextris Dei secundum humanam naturam, inquantum ab eo recipit iudiciariam potestatem: quam quidem etiam nunc exercet antequam manifeste appareat quod omnes inimici pedibus eius subiecti sint, unde et ipse statim post resurrectionem dixit, Matth. ult., 18: data est mihi omnis potestas in caelo et in terra.
Est autem et aliud Dei iudicium, quo unicuique in exitu mortis suae retribuitur quantum ad animam secundum quod meruit. Iusti autem dissoluti cum Christo manent, ut Paulus desiderat, peccatores autem mortui in Inferno sepeliuntur. Non enim putandum est hanc discretionem absque Dei iudicio fieri, aut hoc iudicium ad Christi potestatem iudiciariam non pertinere, praesertim cum ipse discipulis suis dicat, Ioan. XIV, 3: si abiero et praeparavero vobis locum, iterum veniam, et accipiam vos ad meipsum, ut ubi ego sum, et vos sitis. Quod quidem tolli nihil est aliud quam dissolvi, ut cum Christo esse possimus: quia quamdiu sumus in hoc corpore peregrinamur a domino, ut dicitur II Cor. V, 6. Sed quia retributio hominis non solum consistit in bonis animae, sed etiam in bonis corporis, iterato per resurrectionem ab anima resumendi, omnisque retributio requirit iudicium, oportet et aliud iudicium esse, quo retribuatur hominibus secundum ea quae gesserunt non solum in anima, verum etiam in corpore. Et hoc etiam iudicium Christo debetur, ut sicut ipse pro nobis mortuus resurrexit in gloria, et caelos ascendit, ita etiam ipse sua virtute faciat resurgere corpora humilitatis nostrae configurata corpori claritatis suae, ut ea in caelum transferat, quo ipse praecessit ascendens, et pandens iter ante nos, ut fuerat per Michaeam praedictum. Resurrectio autem omnium simul fiet in fine saeculi huius, ut supra iam diximus: unde hoc iudicium, commune et finale iudicium erit, ad quod faciendum Christus creditur secundo venturus cum gloria. Sed quia in Psal. XXXV, 7, dicitur: iudicia domini abyssus multa, et apostolus dicit ad Rom. XI, 33: quam incomprehensibilia sunt iudicia eius, in singulis praemissorum iudiciorum est aliquid profundum et incomprehensibile humanae cognitioni. In primo enim Dei iudicio, quo praesens vita hominum dispensatur, tempus quidem iudicii manifestum est hominibus, sed retributionum ratio latet, praesertim quia bonis plerumque mala in hoc mundo eveniunt, et malis bona. In aliis autem duobus Dei iudiciis retributionum quidem ratio in evidenti erit, sed tempus manet occultum, quia et mortis suae tempus homo ignorat, secundum illud Eccle. IX, 12: nescit homo finem suum, et finem huius saeculi nemo scire potest. Non enim praescimus futura, nisi quorum comprehendimus causas. Causa autem finis mundi est Dei voluntas, quae est nobis ignota, unde nec finis mundi ab aliqua creatura praesciri potest, sed a solo Deo secundum illud Matth. XXIV, 36: de die autem illa et hora nemo scit, neque Angeli caelorum, nisi pater solus. Sed quia in Marco legitur, neque filius, sumpserunt aliqui errandi materiam, dicentes filium patre minorem, quia ea ignorat quae pater novit. Posset autem hoc evitari ut diceretur, quod filius haec ignorat secundum humanam naturam assumptam, non autem secundum divinam, secundum quam unam sapientiam habet cum patre, vel, ut expressius dicatur, est ipsa sapientia in corde concepta. Sed hoc inconveniens videretur ut filius etiam secundum naturam assumptam, divinum ignoret iudicium, cum eius anima, Evangelista testante, plena sit Dei gratia et veritate, ut supra dictum est. Nec etiam videtur habere rationem, ut cum Christus potestatem iudicandi acceperit, quia filius hominis est, tempus sui iudicii secundum humanam naturam ignoret. Non enim omne iudicium pater ei dedisset, si determinandi temporis sui adventus esset ei subtractum iudicium. Est ergo hoc intelligendum secundum usitatum modum loquendi in Scripturis, prout dicitur Deus tunc aliquid scire quando illius rei notitiam praebet, sicut dixit ad Abraham Genes. XXII, 12: nunc cognovi quod timeas dominum, non quod tunc inciperet noscere qui omnia ab aeterno cognoscit, sed quia eius devotionem per illud factum ostenderat. Sic igitur et filius dicitur diem iudicii ignorare, quia notitiam discipulis non dedit, sed eis respondit Act. I, 7: non est vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate. Pater autem isto modo non ignorat, quia saltem filio huius rei notitiam dedit per generationem aeternam. Quidam tamen brevius se expediunt, dicentes hoc esse intelligendum de filio adoptivo. Ideo autem voluit dominus tempus futuri iudicii esse occultum, ut homines sollicite vigilarent, ne forte tempore iudicii imparati inveniantur, propter quod etiam voluit tempus mortis uniuscuiusque esse ignotum. Talis enim in iudicio unusquisque comparebit, qualis hinc per mortem exierit: unde dominus dixit Matth. XXIV, 42: vigilate, quia nescitis qua hora dominus vester venturus sit.

Chapitre 242 — CELUI QUI CONNAÎT L’HEURE A REMIS LE JUGEMENT AU FILS

"Le Père a donné tout jugement au Fils," dit saint Jean (5, 22). Or maintenant, selon ce que dit Abraham, la vie humaine est soumise au juste jugement de Dieu "Lui-même est celui qui juge toute la terre" (Gen 18, 25). Il n’y a aucun doute aussi que ce jugement, par lequel Dieu gouverne les hommes dans le monde appartient à la puissance judiciaire du Christ. D’où ces paroles que le Père Lui adresse au Psaume 109 : "Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds". Il s’assied en effet à la droite de Dieu selon sa nature humaine en tant que du Père Il reçoit le pouvoir de juger. Ce pouvoir Il l’exerce maintenant avant même qu’apparaisse que ses ennemis sont soumis sous ses pieds. D’où Il dit aussitôt après sa résurrection : "Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre" (Mt 28, 18).

Il y a un autre jugement de Dieu au sortir de cette vie quand chacun reçoit la rétribution selon l’âme et d’après ses mérites. Les justes libérés de leur corps demeurent avec le Christ selon le désir de saint Paul (Ph 1, 23)[58]; les pécheurs à leur mort sont ensevelis en enfer (Lc 16, 22). Cette discrimination ne se fait pas sans un jugement qui appartient à la puissance judiciaire du Christ; surtout qu’Il le dit à ses disciples : "Si je m’en vais et vous pré pare une place, je reviendrai et je vous prendrai près de moi afin que où je suis vous y soyez aussi" (Jean 14,3). Être enlevé (dans le langage du Christ) n’est pas autre chose qu’être dissout (ou libéré) pour que nous puissions être avec le Christ; parce que "Aussi longtemps que nous sommes en ce corps nous marchons loin du Seigneur" (2 Cor 5,6).

Mais parce que la rétribution de l’homme consiste non seulement dans les biens de l’âme mais aussi dans les biens du corps que l’âme devra de nouveau revêtir après la résurrection et comme toute rétribution requiert un jugement, il faut donc un second jugement où les hommes seront rétribués selon ce qu’ils auront fait non seulement dans l’âme mais aussi en leur corps. Et ce jugement appartient au Christ; car de même qu’Il est mort pour nous, est ressuscité en gloire et est monté aux cieux, ainsi aussi Il ressuscitera nos humbles dépouilles pour nous con figurer à son corps glorieux et nous transférer au ciel où il nous a précédé à son ascension, ouvrant la route devant nous comme le prophète Michée[59] l’avait prédit (2, 13). La résurrection de tous les hommes aura lieu à la fin des siècles, comme on l’a dit plus haut (chapitre 162). Ce jugement sera donc général et final et pour cela nous croyons que le Christ "viendra dans la gloire" une seconde fois.

Mais comme au psaume 35, 7 on dit que "Les jugements de Dieu sont un abîme profond" et l’Apôtre aux Romains : "Incompréhensibles sont ses jugements" (11, 33), dans chacun de ces jugements il y a quelque chose de profond et d’incompréhensible à notre humaine connaissance. En effet dans le premier jugement de Dieu, pour lequel la vie présente nous est donnée, lé temps de ce jugement est manifeste, mais le sens des rétributions nous est caché, parce que surtout les maux en ce monde adviennent aux bons et aux méchants les joies. Mais dans les deux autres jugements de Dieu ce que sera la rétribution nous le savons, mais nous en ignorons le temps, tel le moment de la mort : "L’homme ne connaît pas sa fin" (Qoh 9, 12); quant à la fin des siècles personne ne peut la connaître. En effet nous ne savons pas d’avance les choses à venir dont nous ne connaissons pas les causes. Or Dieu est la cause de la fin du monde et sa volonté nous est inconnue; d’où la fin du monde ne peut être connue d’aucune créature mais de Dieu seul selon ce que dit saint Matthieu : "Le jour et l’heure personne ne le sait, ni les anges au ciel mais seulement le Père" (24,36). Mais comme dans saint Marc (13,32) on lit : "Ni le Fils" certains y ont trouvé matière à erreur pour dire que le Fils est moindre que le Père, parce qu’Il ignore ce que fait le Père. On pourrait éviter cela en disant peut-être que cette ignorance se rapporte à sa nature humaine assumée, non à sa divinité selon laquelle Il possède la même Sagesse que son Père; ou plus précisément, on dira qu’Il est la Sagesse même conçue dans le sein du Père. Mais il ne semble pas convenable que le Fils, même selon la nature assumée, ignore le jugement de Dieu puisque son âme, au témoignage de l’Evangile, est pleine de grâce et de vérité, comme on l’a vu plus haut (chapitres 213-216).

Il n’est pas non plus vraisemblable que le Christ reçoive la puissance de juger parce qu’Il est fils de l’homme et qu’Il ignore le temps de son jugement selon la nature humaine. En effet le Père ne Lui aurait pas donné tout jugement s’il lui était ôté la décision de déterminer le temps de son avènement. Il faut donc comprendre cela selon la manière dont use l’Ecriture habituellement quand elle dit que Dieu sait quelque chose au moment où Il donne connaissance de cette chose, comme Il dit à Abraham : "Maintenant je sais que tu crains le Seigneur" (Gen 22, 12) non qu’Il commencerait alors de connaître Lui qui connaît tout depuis toujours, mais parce qu’Abraham avait montré par cet acte sa soumission. Ainsi donc le Fils ignore le jour du jugement parce qu’Il n’en a pas donné connaissance à ses disciples, mais il a répondu : "Il ne vous appartient pas de connaître les temps ni les moments que le Père a décidés en sa puissance" (Act 1, 7). Et dans ce sens donc le Père n’ignore pas qu’Il a au moins donné au Fils la connaissance de cette chose par éternelle génération.

Certains cependant s’en tirent plus brièvement en disant qu’il faut l’entendre du fils adoptif. Et donc le Seigneur a voulu que le temps du futur jugement soit caché pour que les hommes soient plus vigilants de peur que le temps du futur jugement ne les prenne au dépourvu. C’est aussi la raison pour laquelle Il a voulu que l’heure de notre mort soit ignorée. Chacun en effet comparaîtra tel au jugement qu’il s’en est allé dans la mort. D’où le Seigneur dit : "Veillez parce que vous ne savez pas à quelle heure votre maître viendra" (Mt 24, 42).

 

 

Caput 243 [70443] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 243 tit. Utrum omnes iudicabuntur, an non


 [70444] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 243 Sic igitur secundum praedicta patet quod Christus habet iudiciariam potestatem super vivos et mortuos.
Exercet enim iudicium et in eos qui in praesenti saeculo vivunt, et in eos qui ex hoc saeculo transeunt moriendo. In finali autem iudicio iudicabit simul vivos et mortuos: sive per vivos intelligantur iusti qui per gratiam vivunt, per mortuos autem peccatores, qui a gratia exciderunt; sive per vivos intelligantur qui in adventu domini vivi reperientur, per mortuos autem qui antea decesserunt. Hoc autem non est hic intelligendum, quod aliqui sic vivi iudicentur quod nunquam senserint corporis mortem, sicut aliqui posuerunt. Manifeste enim apostolus dicit I Cor. XV, 51: omnes quidem resurgemus, et alia littera habet: omnes quidem dormiemus, idest moriemur, sive ut in aliquibus libris habetur, non omnes quidem dormiemus, ut Hieronymus dicit in epistola ad Minerium de resurrectione carnis, quod praedictae sententiae firmitatem non tollit. Nam paulo ante praemiserat apostolus: sicut in Adam omnes moriuntur, ita et omnes in Christo vivificabuntur, et sic illud quod dicitur, non omnes dormiemus, non potest referri ad mortem corporis, quae in omnes transivit per peccatum primi parentis, ut dicitur Rom. V; sed exponendum est de dormitione peccati, de qua dicitur Ephes. V, 14: surge qui dormis, et exurge a mortuis, et illuminabit te Christus. Distinguentur ergo qui in adventu domini reperientur, ab his qui ante decesserunt, non quia ipsi nunquam moriantur, sed quia in ipso raptu quo rapientur in nubibus obviam Christo in aera, morientur, et statim resurgent, ut Augustinus dicit. Considerandum tamen est, quod ad iudicium tria concurrere videntur. Primo quidem quod aliquis praesentetur; secundo quod eius merita discutiantur; tertio quod sententiam accipiat. Quantum igitur ad primum, omnes boni et mali a primo homine usque ad ultimum iudicio Christi subdentur, quia, ut dicitur II ad Cor. V, 10, omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi, a quorum generalitate non excluduntur etiam parvuli, qui vel sine Baptismo vel cum Baptismo decesserunt, ut Glossa dicit ibidem. Quantum vero ad secundum, scilicet ad discussionem meritorum, non omnes iudicabuntur, nec boni nec mali. Non enim est necessaria iudicii discussio, nisi bona malis permisceantur; ubi vero est bonum absque commixtione mali, vel malum absque commixtione boni, ibi discussio locum non habet. Bonorum igitur quidam sunt qui totaliter bona temporalia contempserunt, soli Deo vacantes, et his quae sunt Dei. Quia ergo peccatum committitur per hoc quod spreto incommutabili bono bonis commutabilibus adhaeretur, nulla videtur esse in his commixtio boni et mali, non quod absque peccato vivant, cum ex eorum dicatur persona I Ioan. I, 8: si dixerimus quoniam peccatum non habemus, ipsi nos seducimus: sed quia in eis sunt levia quaedam peccata, quae per fervorem caritatis quodammodo consumuntur, ut nihil esse videantur: unde hi in iudicio non iudicabuntur per meritorum discussionem. Qui vero terrenam vitam agentes, rebus saecularibus intendentes utuntur eis non quidem contra Deum, sed eis plus debito inhaerentes, habent aliquid mali bono fidei et caritatis admixtum, secundum aliquam notabilem quantitatem, ut non de facili apparere possit quid in eis praevaleat: unde tales iudicabuntur etiam quantum ad discussionem meritorum. Similiter etiam ex parte malorum notandum est, quod principium accedendi ad Deum est fides, secundum illud Heb. XI, 6: credere oportet accedentem ad Deum. Qui ergo fidem non habet, nihil boni invenitur in eo, cuius ad mala permixtio faciat eius dubiam damnationem, et ideo condemnabitur absque meritorum discussione. Qui vero fidem habet et caritatem non habet, nec bona opera, habet quidem aliquid unde Deo coniungitur. Unde necessaria est meritorum discussio, ut evidenter appareat quid in isto praeponderet, utrum bonum vel malum: unde talis cum discussione meritorum damnabitur. Sicut rex terrenus civem peccantem cum audientia damnat, hostem vero absque omni audientia punit. Quantum vero ad tertium, scilicet sententiae prolationem, omnes iudicabuntur, quia omnes ex ipsius sententia vel gloriam vel poenam reportabunt, unde dicitur II Corinth. V, 10: ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit, sive bonum sive malum.

Chapitre 243 — TOUS SERONT-ILS JUGÉS ?

Ainsi il ressort de ce qui a été dit (chapitre 241) que le Christ a le pouvoir de juger les vivants et les morts. Il exerce en effet le jugement et sur ceux qui vivent en ce monde présent et sur ceux qui quittent ce monde par la mort. Mais au jugement final Il jugera ensemble les vivants et les morts soit qu’on entende par vivants les jus tes qui vivent de la grâce et par morts les pécheurs qui ont perdu la grâce; soit qu’on entende par vivants ceux qui à l’avènement du Seigneur seront trouvés en vie et les morts ceux qui décédèrent avant.

Par là on ne doit pas comprendre que d’aucuns seront ainsi jugés vivants sans avoir connu la mort corporelle, comme certains l’ont avancé. En effet l’Apôtre dit clairement : "Tous nous ressusciterons" (1 Cor 15, 51); et une variante dit : "Tous nous dormirons", c’est-à-dire nous mourrons; soit comme on trouve en certains livres : "Non pas tous nous dormirons" ainsi que l’écrit saint Jérôme à Minerius à propos de la résurrection de la chair, ce qui n’infirme pas la sentence précédente. Car peu avant l’Apôtre avait dit : "De même qu’en Adam tous meurent, ainsi dans le Christ tous ont la vie." Et ainsi ce qu’on dit là "Non pas tous nous dormirons" ne se rap porte pas à la mort du corps qui est passée à tous par le péché du premier père (Rom 5, 12-2 1) mais doit être exposé du sommeil du péché dont il est dit aux Éphésiens : "Lève-toi, toi qui dors; lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera" (5, 14). Seront donc distingués ceux qui à l’avènement du Seigneur seront trouvés en vie, de ceux qui décédèrent avant, non qu’ils ne mourront pas mais parce que dans le fait d’être enlevés ils mourront en allant dans les airs rencontrer le Christ et aussitôt ressusciteront, comme le dit saint Augustin.

Il faut cependant considérer que trois choses concourent au jugement : premièrement que quelqu’un est présenté au juge; deuxièmement que ses mérites sont discutés; troisièmement qu’il reçoit sa sentence. Quant au premier point, tous bons et méchants, depuis le premier homme jusqu’au dernier, seront soumis au jugement du Christ, car il est dit : "Tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ" (2 Cor 5, 10) et aussi tous les petits enfants qui décédèrent avec ou sans baptême, comme le dit la Glose au même endroit.

Quant à la discussion des mérites tous ne seront pas jugés ni les bons ni les méchants. En effet la discussion d’un jugement n’est pas nécessaire à moins que le bien ne soit mêlé au mal. Mais lorsque le bien est sans mélange de mal ou inversement alors la discussion n’a pas lieu. Parmi les bons donc il y en a qui ont totalement méprisé les biens temporels ne vaquant qu’à Dieu seul et aux choses de Dieu. Comme donc il y a péché en ce qu’on méprise le bien immuable pour adhérer aux biens passagers, il n’y a pas chez eux mélange de bien et de mal, non qu’ils vivent à l’abri du péché, comme en leur personne il est écrit : "Si nous disions que nous n’avons pas péché, nous nous séduirions nous-mêmes" (1 Jean 1, 8), mais parce que chez eux les quelques péchés légers sont en quelque sorte consumés par la ferveur de la charité, de sorte qu’ils sont comme n’existant pas, ils ne seront donc pas jugés quant à la discussion de leurs mérites.

Mais ceux qui vivent leur vie de la terre s’attachant aux affaires du siècle s’en servant non contre Dieu mais y adhérant plus que de juste, ils ont mêlé du mal au bien de la foi et de la charité dans une mesure assez notable et il n’est pas facile de discerner ce qui prévaut; d’où ils seront jugés après discussion de leurs mérites.

De même quant aux méchants, il faut noter que le principe d’accession à Dieu est la foi : "Celui qui veut s’approcher de Dieu doit croire qu’il existe" (Heb 11, 6). Celui donc qui n’a pas la foi n’a rien de bon en lui qui puisse se mêler à ce qu’il y a de mal et rendre douteuse sa condamnation; et donc il sera condamné sans discussion sur ses mérites. Quant à celui qui a la foi sans la charité et les bonnes oeuvres il a quelque chose qui l’unit à Dieu; d’où une nécessaire discussion des mérites pour faire paraître clairement ce qui pèse le plus, le bien ou le mal; d’où un tel sera damné avec discussion des mérites. Comme le roi terrestre condamne un citoyen fau tif après l’avoir entendu, mais l’ennemi, sans aucune forme de procès, il le punit.

Quant à la promulgation de la sentence, tous seront jugés parce que tous selon cette sentence du Christ obtiendront ou la gloire ou le châtiment, comme il est écrit que "chacun emportera son salaire pour ce qu’il a fait en sa vie soit le bien soit le mal" (2 Cor 5, 10).

 

 

Caput 244 [70445] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 244 tit. Quod non erit examinatio in iudicio quia ignoret, et de modo et loco


 [70446] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 244 Non est autem existimandum, quod discussio iudicii erit necessaria ut iudex informetur, sicut contingit in humanis iudiciis, cum omnia sint nuda et aperta oculis eius, ut dicitur Hebr. IV, 13. Sed ad hoc est necessaria praedicta discussio, ut unicuique innotescat de seipso et de aliis, quomodo sint digni poena vel gloria, ut sic boni in omnibus de Dei iustitia gaudeant et mali contra seipsos irascantur. Nec est aestimandum quod huiusmodi discussio meritorum verbotenus fiat. Immensum enim tempus requireretur ad enarrandum singulorum excogitata, dicta et facta bona vel mala: unde Lactantius deceptus fuit, ut poneret diem iudicii mille annis duraturum, quamvis nec hoc tempus sufficere videatur, cum ad unius hominis iudicium modo praedicto complendum plures dies requirerentur. Fiet ergo virtute divina ut statim unicuique occurrant bona vel mala omnia quaecumque fecit, pro quibus est praemiandus vel puniendus, et non solum unicuique de seipso, sed etiam unicuique de aliis. Ubi ergo intantum bona excedunt, quod mala nullius videntur esse momenti, aut e converso, nulla esse concertatio videbitur bonorum ad mala secundum existimationem humanam, et propter hoc sine discussione praemiari vel puniri dicuntur.
In illo autem iudicio licet omnes Christo assistant, different tamen boni a malis non solum quantum ad causam meritoriam, sed etiam loco segregabuntur ab eis. Nam mali, qui terrena diligentes a Christo recesserunt, remanebunt in terra; boni vero, qui Christo adhaeserunt, obviam Christo occurrent in aera sublevati, ut Christo conformentur, non solum configurati gloriae claritatis eius, sed in loco consociati, secundum illud Matth. XXIV, v. 28: ubicumque fuerit corpus, illuc congregabuntur et aquilae, per quas significantur sancti. Signanter autem loco corporis in Hebraeo Joatham dicitur secundum Hieronymum, quod cadaver significat ad commemorandum Christi passionem, per quam Christus et potestatem iudiciariam promeruit, et homines conformati passioni eius ad societatem gloriae illius assumuntur, secundum illud apostoli: si compatimur et conregnabimus, II Tim. II, 12. Et inde est quod circa locum dominicae passionis creditur Christus ad iudicium descensurus, secundum illud Ioel. III, 2: congregabo omnes gentes, et deducam eas in vallem Iosaphat, et disceptabo cum eis ibi: quae subiacet monti oliveti, unde Christus ascendit. Inde etiam est quod veniente domino ad iudicium, signum crucis et alia passionis indicia demonstrabuntur, secundum illud Matth. XXIV, 30: et tunc apparebit signum filii hominis in caelo, ut impii videntes in quem confixerunt, doleant et crucientur, et ii qui redempti sunt, gaudeant de gloria redemptoris. Et sicut Christus a dextris Dei sedere dicitur secundum humanam naturam, inquantum est ad bona potissima patris sublimatus, ita iusti in iudicio a dextris eius dicuntur insistere, quasi honorabilissimum apud eum locum habentes.

Chapitre 244 — L’EXAMEN LORS DU JUGEMENT NE VIENT PAS DE CE QUE LE CHRIST DEVRAIT ÊTRE INFORMÉ. LA MANIÈRE ET LE LIEU DU JUGEMENT

Il ne faut pas s’imaginer que la discussion sera nécessaire au jugement pour que le juge soit informé, comme c’est le cas dans le jugement des hommes, puisque tout est à nu et à découvert à ses yeux (Hébreux 4, 13); mais elle est nécessaire pour que chacun connaisse pour soi-même et pour les autres de quelle peine ou de quelle gloire chacun est digne, ainsi les bons se réjouiront en tout de la justice de Dieu et les méchants s’irriteront contre eux- mêmes.

Et il ne faut pas penser que cette discussion se fera de vive voix. Il faudrait un temps infini pour dénombrer les pensées, les paroles et les actes, bons ou mauvais de chacun. C’est en quoi Lactance s’est trompé en avançant mille ans pour le jour du jugement; et même ce temps serait insuffisant puisque pour le jugement d’un seul homme il faudrait dans cette hypothèse plusieurs jours. Donc par la vertu divine en un instant tout le bien et tout le mal que chacun aura fait apparaîtront et pour lesquels il doit être récompensé ou puni; et non seulement pour un chacun en ce qui le regarde mais aussi pour ce qui regarde les autres. Où donc le bien est grand à ce point que le mal apparaisse sans signification ou inversement, il n’y aura aucune concertation des biens d’avec les maux selon l’estimation humaine et pour cela on peut dire qu’ils sont sans discussion récompensés ou punis.

Dans ce jugement bien que tous seront présents au Christ, les bons différeront des méchants non seulement quant à la cause du mérite mais ils en seront mis à part localement. Car les méchants qui aiment les choses de la terre et se sont éloignés du Christ demeureront sur la terre; mais les bons qui adhérèrent au Christ iront à la rencontre du Christ élevés dans les airs (1 Thes 4, 17) pour Lui être conformes non seulement configurés à sa glorieuse clarté mais associés localement selon ce que dit saint Mathieu : "Partout où sera le corps là se rassembleront les aigles" (24, 28) lesquels représentent les saints. Il est significatif qu’au lieu de "corps" en Hébreu on a "joathan"[60] selon saint Jérôme, ce qui veut dire cadavre, pour rappeler la passion du Christ, par laquelle Il a mérité son pouvoir de juger et ceux qui auront été conformés à sa passion seront associés à sa gloire, selon ce que dit l’Apôtre : "Si nous souffrons avec Lui, nous régnerons avec Lui" (2 Tim 2, 12; Rom 6, 8).

Et de là on croit que le Christ descendra pour le jugement au lieu de sa passion selon ce que dit Joël : "Je rassemblerai toutes les nations et je les conduirai à la vallée de Josaphat et je ferai avec elles le jugement" (3, 2); ce lieu est situé au pied du Mont des Oliviers, d’où le Christ est monté au ciel. C’est pour cela aussi que le Seigneur venant juger le monde, le signe de la croix et les autres indices de sa passion apparaîtront, selon saint Matthieu : "Et alors apparaîtra le signe du Fils de l’homme dans le ciel" (Mt 24, 30), afin que les impies voyant celui qu’ils crucifièrent soient pénétrés de regret et de douleur et les rachetés se réjouissent de la gloire du Rédempteur. Et de même que le Christ est assis à la droite de Dieu selon son humanité comme élevé aux biens les plus excellents du Père ainsi les justes au jugement se tiendront à sa droite occupant en quelque sorte auprès de Lui la place la plus honorable.

 

 

Caput 245 [70447] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 245 tit. Quod sancti iudicabunt


 [70448] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 245 Non solum autem Christus in illo iudicio iudicabit, sed etiam alii.
Quorum quidam iudicabunt sola comparatione, scilicet boni minus bonos, aut mali magis malos, secundum illud Matth. XII, 41: viri Ninivitae surgent in iudicio cum generatione ista, et condemnabunt eam. Quidam vero iudicabunt per sententiae approbationem, et sic omnes iusti iudicabunt, secundum illud Sap. III, 8: iudicabunt sancti nationes. Quidam vero iudicabunt, quasi iudiciariam potestatem accipientes a Christo, secundum illud Psal. CXLIX, 6: gladii ancipites in manibus eorum. Hanc autem ultimam iudiciariam potestatem dominus apostolis repromisit Matth. XIX, 28, dicens: vos qui secuti estis me, in regeneratione cum sederit filius hominis in sede maiestatis suae, sedebitis et vos super sedes duodecim iudicantes duodecim tribus Israel. Non est autem iudicandum, quod soli Iudaei, qui ad duodecim tribus Israel pertinent, per apostolos iudicentur, sed per duodecim tribus Israel omnes fideles intelliguntur, qui in fidem patriarcharum sunt assumpti. Nam infideles non iudicantur, sed iam iudicati sunt. Similiter etiam non soli duodecim apostoli, qui tunc erant, cum Christo iudicabunt. Nam neque Iudas iudicabit; nec Paulus, qui plus aliis laboravit, carebit iudiciaria potestate, praesertim cum ipse dicat: nescitis quod Angelos iudicabimus? Sed ad illos proprie haec dignitas pertinet qui relictis omnibus Christum sunt secuti: hoc enim promissum est Petro quaerenti et dicenti: ecce nos reliquimus omnia, et secuti sumus te: quid ergo erit nobis? Unde Iob XXXVI, 6: iudicium pauperibus tribuit, et hoc rationabiliter: ut enim dictum est, discussio erit de actibus hominum qui terrenis rebus bene vel male sunt usi. Requiritur autem ad rectitudinem iudicii ut animus iudicis sit liber ab iis de quibus habet iudicare: et ideo per hoc quod aliqui habent animum suum a rebus terrenis totaliter abstractum, dignitatem iudiciariam merentur. Facit etiam ad meritum huius dignitatis praeceptorum divinorum Annuntiatio: unde Matth. XXV, Christus cum Angelis ad iudicandum dicitur esse venturus, per quos praedicatores intelliguntur, ut Augustinus in Lib. de poenitentia dicit. Decet enim ut illi discutiant actus hominum circa observantiam divinorum praeceptorum qui praecepta vitae annuntiaverunt. Iudicabunt autem praedicti inquantum cooperabuntur ad hoc quod unicuique appareat causa salvationis et damnationis tam sui quam aliorum, eo modo quo superiores Angeli inferiores, vel etiam homines illuminare dicuntur. Hanc igitur iudiciariam potestatem confitemur in Christo in symbolo apostolorum, dicentes: inde venturus est iudicare vivos et mortuos.

Chapitre 245 — LES SAINTS JUGERONT

En ce jugement le Christ ne sera pas seul juge mais aussi d’autres, dont certains jugeront rien qu’en confrontation : bons, confrontés avec moins bons, méchants confrontés aux plus mauvais, comme le dit saint Matthieu : "Les hommes de Ninive se lèveront lors du jugement avec cette génération et ils la condamneront" (12, 41). D’aucuns jugeront en approuvant la sentence et ainsi tous les justes seront juges, selon ce que dit le livre de la Sagesse : "Les saints jugeront les peuples" (3, 8). 1 D’aucuns jugeront comme ayant reçu du Christ le pou voir de juger : "Des glaives à double tranchant en leurs mains" (Ps 149, 6). Cette dernière puissance judiciaire le Christ l’a promise aux Apôtres : "Vous qui m’avez suivi, lors du renouveau, lorsque le Fils de l’homme siégera dans sa majesté, vous aussi siégerez sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël" (Mt 19, 28).

Mais il ne faut pas penser que les seuls Juifs appartenant aux douze tribus d’Israël seront jugés par les Apôtres, mais dans les douze tribus d’Israël, sont compris tous les fidèles qui ont hérité de la foi des patriarches. Car les infidèles furent déjà jugés. Semblablement aussi ce ne sont pas les douze d’alors qui jugeront avec le Christ. Car Judas ne jugera pas; mais Paul qui plus que tous les autres a travaillé ne sera pas privé du pouvoir de juger Surtout comme lui-même le dit : "Ignorez-vous que nous jugerons les anges ?" (1 Cor 6, 3). Mais aussi cette dignité appartient à ceux qui ayant tout quitté ont suivi le Christ; en effet cela fut promis à Pierre qui s’enquérait en disant : "Voici que nous avons tout quitté et nous t’avons suivi, qu’en sera-t-il de nous ?" (Mt 19, 27) et Job dit : "Il a donné aux pauvres le jugement" (36, 6). Et c’est à juste titre, comme on l’a dit en effet (chapitre 243), il sera discuté des actes des hommes qui auront bien ou mal usé des choses terrestres. Or pour un jugement droit il est requis que le juge soit libre à l’égard des choses qu’il doit juger et donc de ce que d’aucuns ont le coeur totalement détaché des choses de la terre ils mériteront de pouvoir exercer le jugement.

Contribue aussi au mérite de cette dignité le fait d’avoir annoncé les préceptes divins; d’où le Christ viendra avec ses anges pour le jugement (Mt 25, 31) : il s’agit des prédicateurs, au dire de saint Augustin, au Livre De poenitentia (Sermon 351, 4) : "Il convient en effet que ceux-là discutent les actes des hommes au sujet de l’observance des préceptes divins qui ont annoncé les préceptes de vie. Ils jugeront en tant qu’ils coopéreront à ce qu’apparaisse à chacun le motif du salut et de la damnation tant de soi que des autres, de la même manière que les anges supérieurs éclairent les inférieurs ou aussi les hommes." Ce pouvoir judiciaire donc nous le confessons dans le Christ, au Symbole des Apôtres en disant : "D’où Il viendra juger les vivants et les morts."

 

F — Répartition des articles du symbole (chapitre 246)

Caput 246 [70449] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 246 tit. Quomodo distinguuntur articuli de praedictis


 [70450] Compendium theologiae, lib. 1 cap. 246 His igitur consideratis, quae pertinent ad fidei Christianae veritatem, sciendum est, quod omnia praemissa ad certos articulos reducuntur. Secundum quosdam quidem ad duodecim, secundum alios autem ad quatuordecim.
Cum enim fides sit de iis quae sunt incomprehensibilia rationi, ubi aliquid novum occurrit rationi incomprehensibile, ibi oportet esse novum articulum. Est igitur unus articulus pertinens ad divinitatis unitatem: quamvis enim Deum esse unum ratione probetur, tamen eum sic praeesse immediate omnibus, vel singulariter sic colendum, subiacet fidei. De tribus autem personis ponuntur tres articuli. De tribus autem effectibus Dei, scilicet creationis, quae pertinet ad naturam, iustificationis, quae pertinet ad gratiam, remunerationis, quae pertinet ad gloriam, ponuntur tres alii: et sic de divinitate in universo ponuntur septem articuli. Circa humanitatem vero Christi ponuntur septem alii, ut primus sit de incarnatione et conceptione; secundus de nativitate, quae habet specialem difficultatem propter exitum a clauso virginis utero; tertius de morte et passione et sepultura; quartus de descensu ad Inferos; quintus de resurrectione; sextus de ascensione; septimus de adventu ad iudicium: et sic in universo sunt quatuordecim articuli. Alii vero satis rationabiliter fidem trium personarum sub uno articulo comprehendunt, eo quod non potest credi pater quin credatur et filius et amor nectens utrumque, qui est spiritus sanctus. Sed distinguunt articulum resurrectionis ab articulo remunerationis: et sic duo articuli sunt de Deo, unus de unitate, et alius de Trinitate; quatuor de effectibus, unus de creatione, alius de iustificatione, tertius vero de communi resurrectione, quartus de remuneratione. Similiter circa fidem humanitatis Christi, conceptionem et nativitatem sub uno articulo comprehendunt, sicut passionem et mortem. Sic igitur in universo, secundum istam computationem sunt duodecim articuli. Et haec de fide sufficiant.

Chapitre 246 — COMMENT SE RÉPARTISSENT LES ARTICLES DU SYMBOLE D’APRÈS CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT

Ayant donc considéré ce qui a trait à la vraie foi chrétienne il faut savoir que tout ce qui a été dit peut se ramener à quelques articles : selon certains à douze, selon d’autres à quatorze. Comme la foi s’occupe de choses qui sont incompréhensibles à la raison, si quelque vérité nouvelle se présente incompréhensible à la raison, s’ajoutera donc un nouvel article. Il y a donc un article se rapportant à l’unité en Dieu. Bien que la raison puisse prouver que Dieu est un, cependant il revient à la foi de dire qu’Il préside ainsi immédiatement à toutes choses, ou qu’Il doit être honoré ainsi singulièrement. Au sujet des trois personnes il y a trois articles. Pour les trois oeuvres divines, c’est-à-dire la création qui regarde la nature, la justification qui regarde la grâce, la rémunération qui regarde la gloire, il y a trois autres articles; et ainsi pour la divinité il y a en tout sept articles.

Quant à l’humanité du Christ on compte sept autres articles : le premier traite de l’incarnation et de la conception; le second, de la naissance qui offre une difficulté spéciale par suite de sa sortie du sein inviolé de la Vierge; le troisième, de la mort, de la passion et de la sépulture; le quatrième, de la descente aux enfers; le cinquième, de la résurrection; le sixième, de l’ascension; le septième, de la venue au jugement; et ainsi on a quatorze articles.

D’autres assez rationnellement enferment la foi en trois personnes sous un article en ce que on ne peut croire au Père sans croire au Fils et à l’amour qui les relie et qui est l’Esprit Saint. Mais ils distinguent l’article de la résurrection de l’article de la rémunération; et ainsi il y a deux articles sur Dieu : un de l’unité et un de la trinité et quatre sur les oeuvres : la création, la justification, la résurrection générale, la rémunération.

Et il en va de même au sujet de la foi en l’humanité du Christ : la conception et la nativité sont comprises sous un seul article comme aussi la passion et la mort. Ainsi donc en tout, selon ce compte, il y a douze articles. Et cela suffit pour ce qui est de la foi.

 

 

Liber 2

DEUXIÈME PARTIE — L’ESPÉRANCE

Caput 1

A — En général (chapitre 1 à 4)

 

 

 [70451] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 1 Quia secundum principis apostolorum sententiam admonemur ut non solum rationem reddamus de fide, sed etiam de ea quae in nobis est spe, post praemissa, in quibus fidei Christianae sententiam breviter prosecuti sumus, restat ut de iis quae ad spem pertinent, compendiosam tibi expositionem faciamus. Est autem considerandum, quod in aliqua cognitione desiderium hominis requiescere potest, cum homo naturaliter scire desideret veritatem, qua cognita eius desiderium quietatur. Sed in cognitione fidei desiderium hominis non quiescit: fides enim imperfecta est cognitio, ea enim creduntur quae non videntur, unde apostolus eam vocat argumentum non apparentium, ad Hebr. XI, 1. Habita igitur fide, adhuc remanet animae motus ad aliud, scilicet ad videndum perfecte veritatem quam credit et assequendum ea per quae ad veritatem huiusmodi poterit introduci. Sed quia inter cetera fidei documenta unum esse diximus ut credatur Deus providentiam de rebus humanis habere, insurgit ex hoc in animo credentis motus spei, ut scilicet bona quae naturaliter desiderat, ut edoctus ex fide, per eius auxilium consequatur. Unde post fidem ad perfectionem Christianae vitae spes necessaria est, sicut supra iam diximus.

Chapitre 1 — LA VERTU D’ESPÉRANCE EST NÉCESSAIRE À LA PERFECTION DE LA VIE CHRÉTIENNE

1. Comme selon la sentence du Prince des Apôtres (1 P 3, 15) nous sommes avertis d’avoir à rendre compte de notre foi et aussi de cette espérance qui est en nous, après avoir traité brièvement de l’objet de notre foi chrétienne il reste à exposer pour toi (Réginald), et en un raccourci, ce qui concerne l’espérance.

2. Il faut considérer que le désir de l’homme trouve son repos dans la connaissance; car son désir naturel le porte à connaître le vrai. C’est dans cette connaissance une fois possédée qu’il se sent en sureté. Or dans la con naissance de foi l’homme ne trouve pas ce repos; en effet ce qu’on croit, on ne le voit pas; c’est pourquoi l’Apôtre définit "La foi : un argument de choses qu’on ne voit pas" (Hébreux 11, 1). En possession de la foi, l’âme aspire à autre chose, c’est-à-dire à la parfaite vision de cette vérité qu’elle croit et au moyen d’y accéder. Mais comme parmi ces arguments de foi nous disions qu’il fallait croire que Dieu exerce sa providence sur les choses humaines, alors s’éveille au coeur du croyant un élan d’espérance, enseigné qu’il est par la foi des biens qu’il désire naturellement et qu’il peut atteindre par son secours. Ainsi donc après la foi, pour la perfection de la vie chrétienne, l’espérance est nécessaire, comme nous l’avons dit plus haut (I, chapitre 1).

 

 

Caput 2 [70452] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 2 tit. Quod hominibus convenienter indicitur oratio, per quam obtineant quae a Deo sperant, et de diversitate orationis ad Deum et ad hominem


 [70453] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 2 Quia vero secundum divinae providentiae ordinem unicuique attribuitur modus perveniendi ad finem secundum convenientiam suae naturae, est etiam hominibus concessus congruus modus obtinendi quae sperat a Deo secundum humanae conditionis tenorem. Habet enim hoc humana conditio ut aliquis interponat deprecationem ad obtinendum ab aliquo, praesertim superiori, quod per eum se sperat adipisci: et ideo indicta est hominibus oratio per quam homines a Deo obtineant quod ab ipso consequi sperant. Aliter tamen necessaria est oratio ad obtinendum aliquid ab homine, aliter a Deo. Interponitur enim ad hominem primum quidem, ut desiderium orantis et necessitas exprimatur, secundo ut deprecati animus ad concedendum flectatur: sed haec in oratione quae ad Deum funditur, locum non habent.
Non enim in orando intendimus necessitates nostras aut desideria Deo manifestare, qui omnium est cognitor, unde et Psal. XXXVII, 10 dicit ei: domine, ante te omne desiderium meum, et in Evangelio dicitur Matth. VI, 32: scit pater vester quia his omnibus indigetis. Nec etiam divina voluntas verbis humanis flectitur ad volendum quod prius noluerat, quia, ut dicitur Num. XXIII, 19: non est Deus quasi homo ut mentiatur, nec ut filius hominis, ut mutetur. Nec poenitudine flectitur, ut dicitur I Reg. XV, 29. Sed oratio ad obtinendum a Deo est homini necessaria propter seipsum qui orat, ut scilicet ipsemet suos defectus consideret, et animum suum flectat ad ferventer et pie desiderandum quod orando sperat obtinere: per hoc enim ad recipiendum idoneus redditur. Est autem et alia differentia consideranda orationis quae ad Deum et hominem fit. Nam ad orationem quae fit ad hominem, praeexigitur familiaritas, per quam sibi deprecandi aditus pateat; sed ipsa oratio quae ad Deum emittitur, familiares nos Deo facit, dum mens nostra elevatur ad ipsum, et quodam spirituali affectu Deo colloquitur, in spiritu et veritate ipsum adorans, et sic familiaris effectus orando aditum sibi parat ut iterum fiducialius oret. Unde dicitur in Psal. XVI, 6: ego clamavi, scilicet fiducialiter orando, quoniam exaudisti me Deus, quasi per primam orationem in familiaritatem receptus, secundo fiducialius clamet: et propter hoc in oratione divina assiduitas vel petitionum frequentia non est importuna, sed reputatur Deo accepta. Oportet enim semper orare et non deficere, ut dicitur Luc. XVIII, 1. Unde et dominus ad petendum invitat, dicens Matth. VII, 7, petite, et dabitur vobis (...) pulsate, et aperietur vobis. In oratione vero quae ad hominem fit, petitionum assiduitas redditur importuna.

Chapitre 2 — C’EST AVEC RAISON QU’UNE PRIÈRE A ÉTÉ PRESCRITE QUI NOUS FAIT OBTENIR CE QUE NOUS ESPÉRONS DE DIFFÉRENCE ENTRE LA PRIÈRE ADRESSÉE A ET AUX HOMMES

1. Selon une disposition de la divine providence, à chaque être est attribué le mode de parvenir à sa fin selon ce qui convient à sa nature; aux hommes est aussi concédé un mode convenable d’obtenir de Dieu ce qu’ils en espèrent selon ce que l’exige la condition humaine. En effet la condition humaine veut que l’on interpose une supplique pour obtenir de quelqu’un, surtout un supérieur, ce que par lui on espère acquérir. Et pour cela la prière est prescrite aux hommes par laquelle ils obtiennent de Dieu ce que par Lui ils espèrent obtenir.

2. Autrement cependant nécessaire est la prière pour obtenir quelque chose de l’homme, autrement de Dieu. Chez l’homme en effet elle intervient d’abord comme un désir de celui qui demande et pour exprimer une nécessité; ensuite pour fléchir le coeur de celui qu’on supplie pour qu’il concède. Ce qui n’a pas lieu dans la prière adressée à Dieu. Nous ne cherchons pas en effet dans la prière à manifester nos nécessités ou nos désirs à Dieu qui connaît tout. D’où cette parole du psaume : "Seigneur, tu connais mon désir" (37, 10). Et il est dit dans l’Évangile : "Votre Père sait que vous avez besoin de tout cela" (Mt 6, 32). Et aussi la divine volonté n’est pas infléchie par des paroles humaines à vouloir ce qu’elle ne voulait pas d’abord. Car il est écrit : "Dieu n’est pas comme l’homme qui trompe, ni comme un enfant des hommes qui change" (Num 23, 19) "Il n’a rien à regret ter pour devoir changer d’avis" (1 Sam 15, 29). Mais la prière est nécessaire à l’homme pour obtenir de Dieu, à cause de celui-là même qui prie, c’est-à-dire pour connaître en soi-même sa pauvreté et pour plier son coeur à désirer fervemment et pieusement ce qu’il désire obtenir en priant; ainsi se rend-il apte à être exaucé.

3. Autre différence entre la prière faite à Dieu ou faite à l’homme; pour celle-ci en effet il faut auparavant être familiarisé avec cet homme pour pouvoir introduire une demande. Mais la prière qui s’adresse à Dieu nous le rend familier quand notre coeur s’élève vers Dieu et que nous Lui parlons avec amour spirituel, l’adorant en esprit et en vérité, et ainsi rendus familiers par la prière on se crée une ouverture pour prier de nouveau avec plus de confiance. D’où il est écrit : "J’ai crié", c’est-à-dire dans une prière confiante, "car tu m’as exaucé, mon Dieu" (Ps 16, 6), reçu en quelque sorte en sa familiarité par une première prière il crie ensuite avec une plus grande con fiance. Et voilà pourquoi l’assiduité à la prière faite à Dieu, la fréquence même de nos demandes ne l’importunent pas; mais cette prière Dieu l’estime et l’accepte. D'où, en effet, "toujours prier et ne jamais se lasser."

 

 

Caput 3 [70454] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 3 tit. Quod conveniens fuit ad consummationem spei, ut nobis forma orandi traderetur a Christo


 [70455] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 3 Quia igitur ad salutem nostram post fidem etiam spes requiritur, opportunum fuit ut salvator noster sicut auctor et consummator nobis factus est fidei reservando caelestia sacramenta; ita etiam nos in spem vivam induceret, nobis formam orandi tradens, per quam maxime spes nostra in Deum erigitur, dum ab ipso Deo edocemur quid ab ipso petendum sit.
Non enim ad petendum induceret nisi proponeret exaudire, nullusque ab alio petit nisi de quo sperat, et ea ipse petit quae sperat. Sic igitur dum nos docet a Deo aliqua petere, in Deo nos sperare admonet, et quid ab ipso sperare debeamus ostendit per ea quae petenda esse demonstrat. Sic igitur prosequentes ea quae in oratione dominica continentur, demonstrabimus quidquid ad spem Christianorum pertinere potest: scilicet in quo spem ponere debeamus, et propter quam causam, et quae ab eo sperare debeamus. Spes quidem nostra debet esse in Deo, quem etiam orare debemus, secundum illud Psal. LXI, v. 9: sperate in eo, scilicet Deo, omnis congregatio populi; effundite coram illo, scilicet orando, corda vestra.

Chapitre 3 — POUR LA PERFECTION DE NOTRE ESPÉRANCE, IL CONVENAIT QUE LE CHRIST NOUS APPRENNE LA MANIÈRE DE PRIER

1. Pour faire notre salut l’espérance est aussi nécessaire que la foi. De même que notre Sauveur est l’auteur et le consommateur de la foi qui, elle, renferme les secrets des cieux, ainsi fut-il nécessaire qu’Il nous conduise à une vivante espérance en nous enseignant une manière de prière qui excite extrêmement notre espérance en Dieu tandis que c’est Dieu lui-même qui nous enseigne ce que nous devons lui demander. En effet Il ne nous inviterait pas à le prier s’Il ne se proposait de nous exaucer et personne ne fait une demande à un autre sinon de qui il espère et il lui demande les choses qu’il en espère. Ainsi donc en nous apprenant à demander certaines choses à Dieu Il nous engage à espérer en Dieu; et ce que nous devons espérer de Lui il le montre par les choses qu’Il indique à demander.

2. Ainsi donc en nous attachant à ce qui est contenu dans l’oraison dominicale nous démontrerons tout ce qui peut être l’objet de l’espérance chrétienne c’est-à-dire en qui nous devons mettre notre espérance, et pour quel motif, et les choses que nous devons espérer de lui. C’est en Dieu qu’il faut espérer et que nous devons aussi prier selon le psaume : "Espérez en lui, c’est-à-dire en Dieu, vous toute l’assemblée du peuple, répandez devant Lui vos coeurs, c’est-à-dire par la prière" (Ps 61, 9).

 

 

Caput 4 [70456] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 4 tit. Causa quare quae speramus, debemus ab ipso Deo orando petere


 [70457] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 4 Causa autem quare in eo sperandum est, haec praecipua est, quia pertinemus ad ipsum sicut effectus ad causam. Nihil autem in vanum operatur, sed propter aliquem finem certum. Pertinet igitur ad unumquodque agens sic effectum producere ut ei non desint per quae possit pervenire ad finem: et inde est quod in his quae naturalibus agentibus fiunt, natura deficere in necessariis non invenitur, sed attribuit unicuique generato quae sunt ad consistentiam sui esse, et ad perficiendum operationem qua pertingat ad finem, nisi forte hoc impediatur per defectum agentis, qui sit insufficiens ad haec exhibenda. Agens autem per intellectum non solum in ipsa effectus productione ea confert suo effectui quae sunt necessaria ad finem intentum, sed etiam opere iam perfecto disponit de usu ipsius, qui est operis finis, sicut faber non solum cultellum fabricat, sed etiam disponit de incisione ipsius.
Homo autem a Deo est productus ut artificiatum ab artifice, unde dicitur Isai. LXIV, 8: et nunc, domine, fictor noster es tu, nos vero lutum: et ideo sicut vas fictile, si sensum haberet, sperare de figulo posset ut bene disponeretur, ita etiam homo debet habere spem de Deo, ut recte gubernetur ab eo, unde dicitur Ier. XVIII, 6: sicut lutum in manu figuli, sic vos, domus Israel, in manu mea. Haec autem fiducia quam homo habet de Deo, debet esse certissima. Dictum enim est quod agens a recta sui operis dispositione non recedit nisi propter aliquem eius defectum. In Deo autem nullus defectus cadere potest neque ignorantia, quia omnia nuda et aperta sunt oculis eius, ut dicitur Hebr. IV, 13, neque impotentia, quia: non est abbreviata manus eius ut salvare non possit, ut dicitur Isai. LIX, 1, neque iterum defectus bonae voluntatis, quia bonus est dominus sperantibus in eum, animae quaerenti illum, ut dicitur Thren. III, 25. Et ideo spes qua aliquis de Deo confidit, sperantem non confundit, ut dicitur Rom. V, 5. Est autem considerandum ulterius, quod etsi respectu omnium creaturarum providentia dispositionis invigilet, speciali tamen ratione curam habet de rationabilibus, quae scilicet dignitate imaginis ipsius sunt insignitae, et ad eum cognoscendum et amandum possunt pertingere, et suorum actuum dominium habent, ut boni et mali discretionem habentes: unde competit eis fiduciam habere de Deo, non solum ut conserventur in esse secundum conditionem suae naturae, quod competit ceteris creaturis, sed etiam ut recedendo a malo et operando bonum, aliquid promereantur ab ipso. Unde in Psal. XXXV, v. 7, dicitur: homines et iumenta salvabis, inquantum scilicet hominibus simul cum irrationabilibus creaturis confert ea quae pertinent ad subsidium vitae; sed postea subdit: filii autem hominum in tegmine alarum tuarum sperabunt, quasi speciali quadam cura protecti ab ipso. Ulterius autem considerare oportet, quod perfectione quacumque accedente, superadditur facultas aliquid faciendi vel adipiscendi, sicut aer illuminatus a sole facultatem habet ut possit esse medium visionis, et aqua calefacta ab igne facultatem habet decoquendi, et hoc sperare posset si sensum haberet. Homini autem supra animae naturam additur perfectio gratiae, per quam efficitur divinae consors naturae, ut dicitur II Pet. I, 4: unde et secundum hoc dicimur regenerari in filios Dei, secundum illud Ioan. I, 12: dedit eis potestatem filios Dei fieri. Filii autem effecti convenienter possunt hereditatem sperare, secundum illum Rom. VIII, v. 17: si filii et heredes. Et ideo secundum hanc spiritualem regenerationem competit homini quandam altiorem spem de Deo habere, hereditatis scilicet aeternae consequendae, secundum illud I Pet. I, 3: regeneravit nos in spem vivam per resurrectionem Christi ex mortuis, in hereditatem incorruptibilem et incontaminatam et immarcescibilem, conservatam in caelis. Et quia per spiritum adoptionis quem accepimus, clamamus abba, pater, ut dicitur Rom. VIII, 15, ideo dominus ut ex hac spe nobis esse orandum ostenderet, suam orationem a patris invocatione inchoavit dicens, pater. Similiter etiam ex hoc quod dicitur, pater, praeparatur hominis affectus ad pure orandum, et ad obtinendum quod sperat. Debent etiam filii imitatores parentum existere, unde qui patrem Deum confitetur, debet conari ut Dei imitator existat, vitando scilicet illa quae Deo dissimilem reddunt, et his insistendo quae nos Deo assimilant: unde dicitur Ier. III, 19: patrem vocabis me, et post me ingredi non cessabis. Si ergo ut Gregorius Nyssenus dicit ad res mundanas intuitum dirigis, aut humanam gloriam ambis, aut sordes passibilis appetitus: quomodo qui corrupta vivis vita, patrem vocas incorruptibilitatis genitorem?

Chapitre 4 — POURQUOI CE QUE NOUS ESPÉRONS NOUS DEVONS LE DEMANDER A DANS LA PRIÈRE

1. La cause pour laquelle nous devons espérer vient en premier lieu de ce que nous appartenons à Lui comme l’effet à la cause. Or rien n’agit inutilement mais pour une fin déterminée. Il appartient donc à tout agent de produire son effet de telle sorte que rien ne lui manque pour pouvoir arriver à sa fin; de là vient que dans ce que les agents naturels font, la nature ne fait pas défaut dans les choses nécessaires mais elle fournit à tout ce qu’elle engendre ce qui Constitue son être et lui permet d’agir et d’arriver à sa fin, à moins que peut-être il n’y ait empêchement par défaut de l’agent qui ne soit pas en mesure de procurer ces choses.

2. Or un agent doué d’intelligence, non seulement en produisant son effet lui apporte ce qu’il faut pour le but visé, mais encore, une fois l’oeuvre achevée, il l’emploie à son usage qui est la fin de l’ouvrage. Non seulement l’ouvrier fabrique un couteau mais il en dispose pour couper. Or l’homme a été produit par Dieu tout comme l’objet frabriqué par l’artisan. D’où il est dit en Isaïe : "Et maintenant, Seigneur, tu es notre potier et nous sommes l’argile" (64, 8). Et c’est pourquoi de même que le vase d’argile s’il avait la connaissance pourrait espérer du potier de servir à bon usage, ainsi aussi l’homme doit-il avoir l’espoir que Dieu le gouverne sagement. D’où il est écrit : "Comme la glaise dans les mains du potier ainsi vous, maison d’Israël, êtes-vous dans mes mains" (Jer 18, 6).

3. Or cette confiance que l’homme a en Dieu doit être des plus sûres. On a dit en effet (I, chapitre 112) qu’un agent parvient à réaliser son oeuvre à moins que quelque défaut ne l’en rende incapable. Or en Dieu ne se trouve aucun défaut, ni ignorance, chez Lui "Tout est à nu et à découvert à ses yeux" (Hébreux 4, 13); ni impuissance car "sa main n’est pas si courte qu’elle ne puisse nous sauver" (Is 59, 1), ni mauvaise volonté, car "Dieu est bon pour ceux qui espèrent en Lui, pour l’âme qui le cherche" (Thren 3, 25). Et donc l’espérance par laquelle quelqu’un se confie en Dieu "ne confond pas celui qui espère" (Rom 5, 5).

4. En outre il faut savoir que si la Providence veille sur toutes ses créatures, d’une façon spéciale cependant elle prend soin des créatures rationnelles c’est-à-dire marquées de la dignité de son image et qui sont capables de le con naître et de l’aimer, et qui ont le domaine de leurs actions pour juger du bien et du mal. D’où il leur faut espérer en Dieu non seulement pour conserver leur être selon l’exigence de leur nature comme il en est des autres créatures, mais aussi pour pratiquer le bien et rejeter le mal et ainsi mériter aux yeux de Dieu. D’où il est dit : "Tu sauves les hommes et les bêtes" (Ps 35, 7), en tant qu’Il accordé aux hommes en même temps qu’aux êtres sans raison ce qui soutient leur vie. Mais le psaume ajoute : "Les fils des hommes espéreront sous la garde de tes ailes" (ib. 8) comme protégés d’un soin spécial de sa part.

5. Il faut de plus considérer qu’une perfection qui s’ajoute donne une possibilité nouvelle d’action ou d’acquisition, par exemple l’air illuminé par le soleil fait qu’on voit; l’eau que la chaleur fait bouillir a la propriété de cuire; ce que ces éléments pourraient espérer s’ils avaient la sensibilité. Or à l’âme naturelle de l’homme vient s’ajouter la perfection de la grâce par laquelle "elle participe à la divine nature" (2 P 1, 4); d’où et d’après cela nous sommes dits régénérés en fils de Dieu, selon Jean : "Il leur a donné le pouvoir de devenir des fils de Dieu" (1, 12). Devenus fils de Dieu ils peu vent espérer l’héritage "S’ils sont fils, ils sont héritiers" (Rom 8, 17). Et donc selon cette régénération spirituelle l’homme est en mesure de mettre en Dieu assez haute son espérance qui est d’atteindre l’héritage éternel : "Il nous a régénérés pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, sans tache et inflétrissable et mis en sûreté au ciel" (1 P 1, 3-4).

Et parce que l’Esprit d’adoption que nous avons reçu nous fait crier : "Abba, Père" (Rom 8, 15), alors pour nous montrer que c’est à partir de cette espérance qu’il nous faut prier, le Seigneur a fait commencer sa prière en invoquant son Père par le mot de "Père". Et de même qu’il dit Père, le coeur de l’homme se dispose à prier dans la pureté du coeur pour obtenir ce qu’il espère.

7. Les enfants doivent aussi imiter leurs parents; celui donc qui confesse que Dieu est Père doit s’efforcer d ‘imiter Dieu en évitant ce qui le rend dissemblable à Dieu et en s’attachant à ce qui nous fait ressembler à Dieu. D’où il est écrit : "Tu m’appelleras Père et tu ne cesseras pas de me suivre" (Jer 3, 19). "Si donc, dit Grégoire de Nysse, tu diriges ton regard vers les choses mondaines ou situ cherches la gloire humaine, comment toi qui vis une vie de corruption appelles-tu Père l’auteur de l’incorruptibilité ?" (De or. dom. 2).

 

B — La prière du pater (chapitre 5 à 10)

Caput 5 [70458] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 5 tit. Quod Deus, a quo orando sperata petimus, debet vocari ab orante pater noster, et non meus


 [70459] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 5 Inter alia vero praecipue qui se Dei filium recognoscit, debet in caritate dominum imitari, secundum illud Ephes. V, 1: estote imitatores Dei, sicut filii carissimi et ambulate in dilectione. Dei autem dilectio non privata est, sed communis ad omnes: diligit enim omnia quae sunt, ut dicitur Sap. XI, 25; et specialiter homines, secundum illud Deut. XXXIII, 3: dilexit populos. Et ideo, ut Cyprianus dicit, publica est nobis et communis oratio; et quando oramus, non pro uno tantum, sed pro populo toto oramus, quia totus populus unum sumus. Pro se igitur orare, ut Chrysostomus dicit, necessitas cogit, pro altero autem caritas fraternitatis hortatur. Et ideo non dicimus, pater meus, sed pater noster. Simul etiam considerandum est, quod si spes nostra principaliter divino auxilio innitatur, ad invicem tamen iuvamur ut facilius obtineamus quod petimus, unde dicitur II Cor. I, 10-11: eripiet nos adiuvantibus et vobis in oratione pro nobis; unde et Iac. V, 16, dicitur: orate pro invicem ut salvemini. Ut enim dicit Ambrosius, multi minimi, dum congregantur et unanimes fiunt, fiunt magni, et multorum preces impossibile est ut non impetrent, secundum illud Matth. XVIII, 19: si duo ex vobis consenserint super terram de omni re quamcumque petierint, fiet illis a patre meo qui in caelis est. Et ideo non singulariter orationem porrigimus, sed quasi ex unanimi consensu dicimus, pater noster.
Considerandum est etiam, quod spes nostra est ad Deum per Christum, secundum illud Rom. V, 1: iustificati ex fide pacem habeamus ad Deum per dominum nostrum Iesum Christum, per quem habemus accessum per fidem in gratiam istam, in qua stamus, et gloriamur in spe gloriae filiorum Dei. Per ipsum enim qui est unigenitus Dei filius naturalis, efficimur filii adoptivi, quia, ut dicitur Gal. IV, 4, misit Deus filium suum (...), ut adoptionem filiorum reciperemus. Tali igitur tenore Deum patrem profiteri debemus, ut privilegio unigeniti non derogetur, unde Augustinus dicit: noli tibi aliquid specialiter vindicare. Solius Christi specialiter est pater, nobis omnibus in communi pater est, quia illum solum genuit, nos creavit. Et ideo dicitur, pater noster.

Chapitre 5 — A QUI NOUS DEMANDONS CE QUE NOUS ESPÉRONS EN PRIANT DOIT ÊTRE APPELÉ PAR CELUI QUI PRIE — "NOTRE PERE" ET NON PAS MON PERE

1. Entre autres choses ce qui compte surtout pour celui qui se reconnaît fils de Dieu c’est d’imiter Dieu dans sa charité : "Soyez des imitateurs de Dieu comme des fils très chers et marchez dans la dilection" (Eph 5, 1). Or en Dieu la dilection n’est pas quelque chose de privé mais elle s’étend à tous. Il aime en effet tout ce qui est, dit la Sagesse (11, 25) et spécialement les hommes : "II a aimé les peuples" (Deut 33, 3). Et donc saint Cyprien de dire "La prière est chez nous publique et commune; et quand nous prions ce n’est pas seulement pour un seul mais pour tout le peuple, parce que nous sommes un, tout un peuple" (Or. dom. 8). Saint Jean Chrysostome dit : "Prier pour soi, la nécessité nous y pousse; prier pour un autre la charité fraternelle nous y invite" (In Matt. Hom. 19, 4). Et donc nous ne disons pas "mon Père", mais "Notre Père".

2. Il faut aussi considérer que même si notre espérance s’appuie principalement sur l’aide de Dieu, cependant nous nous aidons les uns les autres afin d’obtenir plus facilement ce que nous demandons : "Il nous délivrera lorsque vous nous secourez de votre prière" (2 Cor I, 11). D’où chez saint Jacques : "Priez les uns pour les autres pour être sauvés" (5, 16). Comme en effet le dit saint Ambroise : "Beaucoup de petits sont grands, qui s’assemblent et ne font qu’un seul coeur". Les prières d’un grand nombre ne manqueront pas d’être exaucées, selon ce que dit saint Matthieu : "Si deux ou trois parmi vous sur la terre unissent leur voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux" (18, 18). Et donc nous n’élevons pas chacun pour soi notre prière vers Dieu mais dans un commun accord nous disons "Notre Père ".

3. Il faut encore savoir que notre espérance en Dieu repose sur le Christ : "Justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu grâce à Notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui nous a donné d’avoir accès par la foi en cette grâce en laquelle nous sommes affermis et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu" (Rom 5, 2). Par Lui en effet qui est le Fils de Dieu par nature nous devenons des fils d’adoption, car il est écrit : "Dieu a envoyé son Fils pour que nous recevions l’adoption des fils" (Gal 4, 5). C’est dans ce sens que nous devons confesser Dieu comme Père pour ne pas déroger au privilège du fils unique. D’où saint Augustin : "Ne revendique rien pour toi spécialement. Du Christ seul (Dieu) est Père spécialement; de nous tous en commun il est Père, parce que il a engendré celui-là seul, tandis qu’Il nous a créés. Et donc on dit Notre Père" (Serm. 84 apocr.).

 

 

Caput 6 [70460] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 6 tit. Ubi ostenditur Dei patris nostri, quem oramus, potestas ad sperata concedendum, per hoc quod dicitur, qui es in caelis


 [70461] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 6 Solet autem contingere spei defectus propter impotentiam eius a quo auxilium esset sperandum. Non enim sufficit ad spei fiduciam quod ille cui spes innititur, voluntatem habeat adiuvandi, nisi adsit potestas. Satis autem voluntatis divinae promptitudinem ad iuvandum exprimimus patrem eum profitendo.
Sed ne de excellentia potestatis eius dubitetur, subditur: qui es in caelis. Non enim esse in caelis dicitur sicut a caelis contentus, sed sicut caelos sua virtute comprehendens, secundum illud Eccli. XXIV, 8: gyrum caeli circuivi sola: quinimmo super totam caelorum magnitudinem virtus eius elevata est, secundum illud Psal. VIII, 2: elevata est magnificentia tua super caelos, Deus. Et ideo ad spei fiduciam confirmandam, virtutem eius profitemur, quae caelos sustinet et transcendit. Per hoc etiam impedimentum quoddam orationis excluditur. Sunt enim aliqui qui res humanas fatali necessitati siderum subdunt, contra illud quod dicitur Ier. X, 2: a signis caeli nolite metuere quae gentes timent. Secundum autem hunc errorem tollitur orationis fructus: nam si necessitati siderum vita nostra subiicitur, non potest circa hoc aliquid immutari. Frustra igitur orando peteremus vel aliqua bona consequi, vel liberari a malis. Ut igitur nec hoc orantium fiduciae obsit, dicimus: qui es in caelis, idest tamquam motor et moderator eorum. Et sic per virtutem caelestium corporum auxilium quod a Deo speramus, impediri non potest. Sed etiam ad hoc quod oratio sit efficax apud Deum, oportet ut ea petat homo quae dignum est expectare a Deo. Dicitur enim quibusdam, Iac. IV, 3: petitis et non accipitis, eo quod male petatis. Illa enim male petuntur quae terrena sapientia suggerit, non caelestis. Et ideo Chrysostomus dicit: cum dicimus, qui es in caelis, non Deum ibi concludimus, sed a terra abducitur orantis animus, et excelsis regionibus affigitur. Est autem et aliud orationis sive fiduciae impedimentum, quod orans habet de Deo, scilicet si putet aliquis humanam vitam a divina providentia esse remotam, secundum quod ex persona impiorum dicitur Iob XXII, 14: nubes latibulum eius, nec nostra considerat, et circa cardines caeli perambulat; et Ezech. VIII, 12: non videt dominus nos; dereliquit dominus terram. Contrarium autem apostolus Paulus Atheniensibus praedicans ostendit, dicens: non longe est ab unoquoque nostrum, in ipso enim vivimus, movemur et sumus, quia scilicet per ipsum nostrum esse conservatur, vita gubernatur, motus dirigitur, secundum illud Sap. XIV, 3: tua autem, pater, providentia ab initio cuncta gubernat, tantum quod nec eius providentiae minima animalia subtrahuntur, secundum illud Matth. X, 29-30: nonne duo passeres asse veneunt et unus ex illis non cadet super terram sine patre vestro? Vestri autem et capilli capitis omnes numerati sunt. Intantum tamen excellentiori modo sub cura divina homines ponuntur, ut horum comparatione dicat apostolus: non est cura Deo de bobus, non quod omnino eorum curam non habeat, sed quia nec sic eorum curam habet ut hominum, quos punit aut remunerat pro bonis aut malis, et eos ad aeternitatem praeordinat: unde et post praemissa verba dominus subdit: vestri autem capilli capitis omnes numerati sunt, tanquam totum quod est hominis, sit in resurrectione reparandum. Et ex hoc omnis diffidentia a nobis debet excludi, unde et ibidem subdit: nolite ergo timere. Multis passeribus pluris estis vos. Et propter hoc, ut supra dictum est, in Psal. XXXV, 8, dicitur: filii hominum in tegmine alarum tuarum sperabunt. Et quamvis propter specialem curam omnibus hominibus Deus dicatur propinquus esse, specialissime tamen dicitur esse propinquus bonis qui ei fide et dilectione appropinquare nituntur, secundum illud Iac. IV, 8: appropinquate Deo et appropinquabit vobis; unde in Psal. CXLIV, v. 18, dicitur: prope est dominus omnibus invocantibus eum, omnibus invocantibus eum in veritate. Nec solum eis appropinquat, sed etiam eos per gratiam inhabitat, secundum illud Ier. XIV, 9: tu in nobis es domine. Et ideo ad sanctorum spem augendam dicitur: qui es in caelis, idest in sanctis, ut Augustinus exponit. Tantum enim, ut ipse dicit, spiritualiter interesse videtur inter iustos et peccatores, quantum corporaliter inter caelum et terram. Huius rei significandae gratia orantes ad orientem convertimur, unde caelum surgit. Ex quo etiam spes sanctis augetur et orandi fiducia non solum ex propinquitate divina, sed etiam ex dignitate quam sunt consecuti a Deo, qui eos per Christum caelos fecit, secundum illud Isai. LI, 16: ut plantes caelos, et fundes terram. Qui enim eos caelos fecit, bona eis caelestia non negabit.

Chapitre 6 — QUE NOTRE PÈRE QUE NOUS PRIONS PUISSE NOUS ACCORDER CE QUE NOUS ESPÉRONS C’EST CE QUE DISENT LES MOTS : QUI ES AUX CIEUX

1. Le défaut d’espérance arrive habituellement de l’impuissance de celui dont on espère le secours. Il ne suffit pas en effet pour une espérance confiante que celui sur lequel s’appuie notre espoir veuille nous aider il faut encore qu’il en ait le pouvoir. En professant que Dieu est père, est exprimée à suffisance la promptitude de la volonté divine à nous aider; mais pour que l’on ne doute pas de l’excellence de son pouvoir on ajoute : "Qui es aux cieux". En effet on ne dit pas cela simplement comme étant contenu aux cieux mais comme embrassant les cieux de son pouvoir, selon le Siracide : "Seule, dit la Sagesse, j ‘ai fait le tour des cieux" (24, 8). Bien plus c’est au-dessus de toute la grandeur des cieux que son pouvoir est élevé, au Psaume 8, 2 : "Élevée est ta grandeur au-dessus des cieux." Et donc pour affermir un confiant espoir nous professons son pouvoir qui soutient les cieux et les transcende.

2. Par là aussi on exclut tout obstacle à la prière. Car il s’en trouve qui soumettent les choses humaines à la fatale nécessité des astres, contrairement à ce qui est écrit : "Ne craignez pas les signes du ciel même si les païens en éprouvent de la terreur" (Jer 10, 2). Selon cette erreur le fruit de la prière est perdu; car si la vie était soumise à la fatalité des astres rien ne pourrait être changé. En vain demandons-nous des bienfaits à la prière ou la délivrance de nos maux. Donc pour enlever tout obstacle à la confiance chez ceux qui prient, nous disons : "Qui es aux cieux" c’est-à-dire comme le moteur et le modérateur des cieux. Et ainsi le pouvoir des corps célestes ne peut mettre osbstacle au secours que nous espérons de la part de Dieu.

3. Mais pour que la prière soit efficace auprès de Dieu, l’homme doit demander à Dieu ce qui est digne de Lui. Il est dit en effet : "Vous demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez indûment" (Jac 4, 3). En effet sont indûment demandées les choses que la sagesse terrestre suggère. Et donc saint Jean Chrysostome enseigne : "En disant “qui es aux cieux” nous n’y enfermons pas Dieu; mais le coeur de celui qui prie s’arrache à la terre pour s’attacher aux régions célestes" (Hom. in Mt 19, 4).

4. Il est encore un autre obstacle à la prière ou à la confiance que celui qui prie a au sujet de Dieu : c’est-à-dire si l’on pense que la vie humaine est soustraite à la divine providence, comme disent les impies : "Il se cache dans les nuées et Il ne prend pas nos affaires en considération, mais Il voyage dans les sphères célestes" (Job 22, 14); et encore : "Le Seigneur ne voit pas, Il a délaissé la terre" (Ez 8, 12). L’Apôtre saint Paul affirme le con traire, prêchant aux Athéniens il dit : "Il n’est pas loin de chacun de nous; en Lui en effet nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes" (Act 17, 27, 28). Car Il nous conserve l’être, gouverne notre vie, dirige notre con duite. Et la Sagesse : "Père, ta providence gouverne toutes choses depuis toujours" (14, 3), jusqu’aux moindres animaux qui ne sont pas soustraits à sa providence : "Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas un sous et l’un d’eux ne tombe pas sur terre sans votre père ? Vos cheveux de la tête, tous sont comptés" (Mt 10, 29).

5. Cependant les hommes sont sous la garde de Dieu de façon si excellente que l’apôtre en comparaison dit que des boeufs Dieu n’en a pas la garde (1 Cor 9, 9) non qu’il n’ait nullement soin d’eux mais pas comme Il l’a des hommes qu’Il punit ou rémunère selon le mal ou le; bien et qu’Il prédestine à l’éternité. D’où le Seigneur ajoute à ce qu’Il vient de dire : "Vos cheveux sont tous comptés" en tant que tout sera réparé à la résurrection et par là que toute défiance de notre part doit être exclue, d’où il ajoute au même endroit : "Ne craignez pas, vous êtes plus que beaucoup de passereaux" (ib. 30). Et à cause de cela comme on l’a déjà dit : "Les fils des hommes espéreront protégés sous tes ailes" (Ps 35, 8).

6. Et bien que Dieu soit dit proche des hommes par le soin particulier qu’Il en a, plus particulièrement est-Il proche des bons, eux qui s’efforcent de s’approcher de Lui par la foi et l’amour : "Approchez-vous de Dieu et Il s’approchera de vous" (Jac 4, 8).

Non seulement Il s’en approche mais Il y habite par sa grâce : "Tu es en nous, Seigneur" (Jer 14, 9). Et donc pour augmenter l’espérance des saints on dit : "Qui es aux cieux" c’est-à-dire dans les saints, selon saint Augustin, qui dit "qu’il y a autant de distance spirituelle entre les pécheurs et les justes qu’entre la terre et le ciel corporellement". Pour signifier cela nous nous tournons dans la prière vers l’Orient d’où s’élève le ciel’. Ce qui augmente encore l’espérance des saints outre leur proximité de Dieu c’est la dignité qu’ils ont obtenue de Dieu qui en a fait des cieux par le Christ, selon Isaïe : "Afin de tendre les cieux et d’affermir la terre" (51, 16). En effet celui qui a fait d’eux des cieux, ne leur refusera pas les biens célestes.

1. Mouvement du firmament.

 

 

Caput 7 [70462] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 7 tit. Qualia sint quae sunt a Deo speranda, et de ratione spei


 [70463] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 7 His praemissis, ex quibus homines spem de Deo concipiunt, oportet considerare quae sunt ea quae a Deo sperare debemus.
Ubi considerandum est, quod spes desiderium praesupponit: unde ad hoc quod aliquid sit sperandum, primo requiritur quod sit desideratum. Quae enim non desiderantur, sperari non dicuntur, sed timeri vel etiam despici. Secundo oportet quod id quod speratur, possibile esse aestimetur ad consequendum, et hoc spes supra desiderium addit: potest enim homo desiderare etiam ea quae non aestimat se posse adipisci, sed horum spes esse non potest. Tertio requiritur quod id quod sperandum est, sit aliquid arduum, nam ea quae parva sunt, magis despicimus quam speremus, vel si ea desideramus, quasi in promptu ea habentes, non videmur ea sperare quasi futura, sed habere quasi praesentia. Ulterius autem considerandum est, quod arduorum quae quis se sperat adepturum, quaedam aliquis se sperat adipisci per alium, quaedam vero per se ipsum. Inter quae hoc differre videtur, quod ad ea obtinenda quae per se homo consequi sperat, conatum propriae virtutis adhibet: ad ea vero obtinenda quae se ab alio consequi sperat, interponit petitionem: et si quidem ab homine illud se adipisci sperat, vocatur simplex petitio; si autem sperat illud obtinere a Deo, vocatur oratio, quae, ut Damascenus dicit, est petitio decentium a Deo. Non autem ad virtutem spei pertinet spes quam habet aliquis de seipso, nec etiam quam habet de alio homine, sed solum spes quam habet de Deo, unde dicitur Ierem. XVII, 5: maledictus homo qui confidit in homine, et ponit carnem brachium suum, et post subditur: benedictus homo qui confidit in domino, et erit dominus fiducia eius. Sic igitur ea quae dominus in sua oratione petenda esse docuit, ostenduntur homini esse consideranda possibilia, et tamen ardua, ut ad ea non humana virtute, sed divino auxilio perveniatur.

Chapitre 7 — DES CHOSES QU’IL FAUT ESPÉRER DE ET DE LA NATURE DE L’ESPÉRANCE

1. Après avoir vu ce qui peut faire naître l’espérance chez l’homme, il faut considérer quelles sont les choses que nous devons espérer de la part de Dieu. Or on considère que l’espérance présuppose le désir; donc pour que quelque chose Soit espéré il est requis qu’il soit désirable. Ce qui n’est pas désiré, on ne le dit pas espéré mais craint et même méprisé. Ensuite il faut que ce qui est espéré soit tenu pour possible à atteindre et cela fait que l’espérance s’ajoute au désir. L’homme en effet peut toujours désirer même s’il sait ne pouvoir obtenir mais en cela il n’est pas question d’espérance. En outre ce qu’on espère doit être ardu; car ce qui est de peu d’importance nous le méprisons plus que nous l’espérons, ou si nous le désirons comme presque en notre possession nous ne l’espérons pas comme futur, mais nous le tenons comme présent.

2. Il y a aussi à considérer que parmi les choses ardues que l’on espère acquérir certaines le sont par l’entremise d’un autre, d’autres par soi-même. Mais il y a cette différence que dans ce dernier cas on s’appuie sur son propre pouvoir et dans l’autre on fait intervenir une demande; s’il s’agit d’un homme c’est une simple demande; si on espère de la part de Dieu c’est proprement la prière qui comme le dit saint Jean Damascène est une demande de choses décentes faite à Dieu (De Fide orth. 3, 24).

3. Mais on ne parle pas d’espérance quand on s’appuie sur soi-même ou sur autrui, mais seulement sur Dieu. D’où il est dit : "Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme et qui met son secours dans la chair" (Jer 17, 5) et on ajoute : "Béni soit l’homme qui se confie dans le Seigneur et dont Jahvé est l’espérance" (ib. 7). Ainsi donc ce que le Seigneur nous a enseigné dans la prière nous apparaît comme possible mais ardu, de sorte que nous y parvenons non par notre pouvoir d’homme mais par le secours divin.

 

 

Caput 8 [70464] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 8 tit. De prima petitione, in qua docemur desiderare quod cognitio Dei quae est in nobis inchoata, perficiatur, et quod hoc sit possibile


 [70465] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 8 Oportet igitur considerare desiderii ordinem ex caritate prodeuntem, ut secundum hoc etiam sperandorum et petendorum a Deo ordo accipi possit. Habet autem hoc ordo caritatis ut Deus super omnia diligatur, et ideo primum desiderium nostrum movet caritas ad ea quae sunt Dei. Sed cum desiderium sit boni futuri, Deo autem, secundum quod in se consideratur, nihil in futurum adveniat, sed aeternaliter eodem modo se habeat, desiderium nostrum non potest ferri ad ea quae Dei sunt prout in seipsis considerantur, ut scilicet Deus aliqua bona obtineat quae non habet. Sic autem ad ipsa fertur nostra dilectio, ut ea tanquam existentia amemus. Potest tamen hoc desiderari de Deo ut in opinione et reverentia omnium magnificetur, qui in seipso semper magnus existit. Hoc autem non est tanquam impossibile reputandum. Cum enim ad hoc factus sit homo, ut magnitudinem divinam cognoscat, si ad eam percipiendam pervenire non possit, videretur in vanum constitutus esse, contra id quod in Psal.
LXXXVIII, 48, dicitur: numquid enim vane constituisti omnes filios hominum? Esset quoque inane naturae desiderium, quo omnes naturaliter desiderant aliquid cognoscere de divinis, unde nullus est qui Dei cognitione totaliter privetur, secundum illud Iob XXXVI, 25: omnes homines vident eum. Est tamen hoc arduum, ut omnem facultatem humanam excedat, secundum illud Iob XXXVI, 26: ecce Deus magnus, vincens scientiam nostram. Unde cognitio divinae magnitudinis et bonitatis hominibus provenire non potest nisi per gratiam revelationis divinae, secundum illud Matth. XI, 27: nemo novit filium nisi pater, neque patrem quis novit nisi filius, et cui voluerit filius revelare. Unde Augustinus super Ioannem dicit: Deum nullus cognoscit, si non se indicat ipse qui novit. Indicat se quippe Deus aliqualiter hominibus naturali quadam cognitione cognoscendum per hoc quod hominibus lumen rationis infundit, et creaturas visibiles condidit, in quibus bonitatis et sapientiae ipsius aliqualiter relucent vestigia, secundum illud Rom. I, 19: quod notum est Dei, idest quod cognoscibile est de Deo per naturalem rationem, manifestum est illis, scilicet gentilibus hominibus: Deus enim illis revelavit, scilicet per lumen rationis, et per creaturas quas condidit, unde subdit: invisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque eius virtus et divinitas. Ista tamen cognitio imperfecta est, quia nec ipsa creatura perfecte ab homine conspici potest, et etiam creatura deficit a perfecta Dei repraesentatione, quia virtus huius causae in infinitum excedit effectum, unde dicitur Iob XI, 7: forsitan vestigia Dei comprehendes, et usque ad perfectum omnipotentem reperies?, Et Iob XXXVI, 25, postquam dixit: omnes homines vident eum: subdit: unusquisque intuetur procul. Ex huius autem cognitionis imperfectione consecutum est ut homines a veritate discedentes diversimode circa cognitionem Dei errarent, intantum quod sicut apostolus dicit Roman. I, 21-22 quidam evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum est insipiens cor eorum: dicentes enim se esse sapientes, stulti facti sunt, et mutaverunt gloriam incorruptibilis Dei in similitudinem corruptibilis hominis, et volucrum et quadrupedum et serpentium. Et ideo ut ab hoc errore homines Deus revocaret, expressius notitiam suam hominibus dedit in veteri lege, per quam homines ad cultum unius Dei revocantur, secundum illud Deuter. VI, 4: audi Israel, dominus Deus tuus unus est. Sed haec de Deo cognitio erat figurarum obscuritatibus implicita, et infra unius Iudaicae gentis terminos clausa, secundum illud Psal. LXXV, 1: notus in Iudaea Deus, in Israel magnum nomen eius. Ut ergo toti humano generi vera Dei cognitio proveniret, verbum suae virtutis unigenitum Deus pater misit in mundum, ut per eum totus mundus ad veram cognitionem divini nominis perveniret, et hoc quidem ipse dominus facere inchoavit in suis discipulis, secundum illud Ioan. XVII, 6: manifestavi nomen tuum hominibus quos dedisti mihi de mundo. Nec in hoc terminabatur eius intentio ut illi soli deitatis haberent notitiam, sed ut per eos divulgaretur in mundum universum, unde postea subdit: ut mundus credat quia tu me misisti. Quod quidem per apostolos et successores eorum continue agit, dum ad Dei notitiam per eos homines adducuntur, quousque per totum mundum nomen Dei sanctum et celebre habeatur, sicut praedictum est Mal. I, v. 11: ab ortu solis usque ad occasum magnum est nomen meum in gentibus, et in omni loco sacrificatur et offertur nomini meo oblatio munda. Ut igitur id quod inchoatum est, ad consummationem perveniat, petimus dicentes: sanctificetur nomen tuum. Quod, ut Augustinus dicit, non sic petitur quasi non sit sanctum Dei nomen, sed ut sanctum habeatur ab omnibus, idest, ita innotescat Deus, ut non aestimetur aliquid sanctius. Inter alia vero indicia quibus sanctitas Dei manifestatur hominibus, evidentissimum signum est sanctitas hominum, qui ex divina inhabitatione sanctificantur. Ut enim Gregorius Nyssenus dicit, quis est tam bestialis, qui videns in credentibus vitam puram, non glorificet nomen invocatum in tali vita? Secundum illud quod apostolus dicit I Cor. XIV, 24: si omnes prophetent, intret autem quis infidelis vel idiota, convincitur ab omnibus; et postea subdit: et ita cadens in faciem, adorabit Deum, pronuntians, quod vere Deus in vobis sit. Et ideo, sicut Chrysostomus dicit, in hoc quod dicit, sanctificetur nomen tuum, rogare etiam iubet orantem per nostram glorificari vitam, ac si dicat: ita fac nos vivere, ut per nos te universi glorificent. Sic autem per nos Deus sanctificatur in mentibus aliorum, inquantum nos sanctificamur per ipsum: unde dicendo, sanctificetur nomen tuum, optamus, sicut dicit Cyprianus, ut nomen eius sanctificetur in nobis. Quia enim Christus dicit, sancti estote, quia ego sanctus sum, id petimus ut qui in Baptismo sanctificati sumus, in eo quod esse coepimus perseveremus. Quotidie etiam deprecamur ut sanctificemur, ut qui quotidie delinquimus, delicta nostra sanctificatione assidua purgemus. Ideo autem haec petitio primo ponitur, quia, sicut Chrysostomus dicit, digna est Deum deprecantis oratio nihil ante patris gloriam petere, sed omnia laudi eius postponere.

Chapitre 8 — DE LA PREMIÈRE DEMANDE OÙ NOUS DÉSIRONS QUE LA CONNAISSANCE DE COMMENCÉE EN NOUS SE PERFECTIONNE ET DE SA POSSIBILITÉ

1. Il faudra donc considérer dans quel ordre le désir provient de la charité pour que d’après cela on puisse saisir l’ordre des choses que nous devons espérer et demander de la part de Dieu. Or l’ordre de la charité veut que Dieu soit aimé par dessus tout. Et donc la charité meut notre premier désir pour les choses divines. Or comme tout désir est d’un bien à venir tandis que Dieu pris en lui-même ne connaît pas de futur mais demeure éternellement le même, notre désir ne peut se porter sur ce qui est divin en soi comme pour que Dieu obtienne des biens qu’Il n’a pas. Mais notre dilection se porte ainsi sur eux de sorte que nous les aimions comme existants.

2. Au sujet de Dieu on peut cependant désirer qu’Il grandisse dans l’estime et le respect de tout le monde lui qui lui-même est toujours grand. Or cela ne doit pas être estimé impossible. Comme en effet l’homme est destiné à la connaissance de la grandeur de Dieu, si d’autre part il ne pouvait y parvenir il semblerait exister en vain. Or il est dit : "Est-ce donc vainement que tu as créé les fils des hommes ?" (Ps 88, 48).

3. Vain aussi serait le désir de la nature par lequel tous désirent naturellement avoir quelque connaissance des choses divines; personne donc n’est privé totalement de cette connaissance, selon Job : "Tous les hommes le voient" (36, 25). Mais c’est une chose ardue qui dépasse toute faculté humaine : "Dieu est si grand qu’Il dépasse notre savoir" (ib. 26). Et donc la connaissance de la grandeur divine et de sa bonté ne peut parvenir aux hommes sans la grâce de la révélation divine selon ce qui est dit : "Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, ni personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils l’aura révélé" (Mt 11, 27). D’où saint Augustin : "Nul ne connaît Dieu si Lui qui se connaît ne se montre lui-même" (Tract. 3 in Joan).

4. Dieu en effet donne aux hommes une certaine con naissance naturelle en infusant aux hommes la lumière de la raison et par les créatures visibles en lesquelles resplendissent les traces de sa bonté et de sa sagesse : "Ce qu’on peut connaître de Dieu", par la raison naturelle, "leur est manifeste", c’est-à-dire aux gentils : "Dieu en effet le leur a révélé", par la lumière de la raison, aussi par les créatures qu’Il a faites. D’où l’Apôtre ajoute "Les choses invisibles en Dieu depuis la création du monde se laissent voir à l’intelligence à travers ses oeuvres : son éternelle puissance et sa divinité" (Rom 1, 19-20). Cependant cette connaissance est imparfaite; car même la créature nous est imparfaitement connue et elle ne représente Dieu que très imparfaitement; car la vertu de cette cause dépasse à l’infini son effet. D’où Job "Peut-être connaîtras-tu quelque vestige de Dieu; mais connaîtras-tu jamais le Tout-puissant ?" (11, 7). Et après avoir dit que tous les hommes le verront (36, 25), il ajoute : "Chacun le voit de loin."

5. De cette connaissance imparfaite il s’en est suivi que les hommes s’écartant de la vérité ont diversement erré au sujet de Dieu à tel point que l’Apôtre dit : "Dans leurs raisonnements ils ont perdu le sens et leur coeur inintelligent s’est obscurci. Ils se prétendaient sages et ils sont devenus fous; ils ont échangé la gloire d’un Dieu incorruptible en l’image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles" (Rom 1, 21). Et donc pour les arracher à ces erreurs Dieu a donné d’une façon plus précise aux hommes la connaissance de l’Ancienne Loi par laquelle les hommes sont ramenés au culte d’un seul Dieu : "Ecoute Israël le Seigneur ton Dieu est unique" (Deut 6, 4). Mais cette connaissance de Dieu était enveloppée dans l’obscurité des figures et réservée au seul peuple juif : "Dieu est connu en Judée, en Israël son nom est grand" (Ps 75, 1).

6. Donc pour que la vraie connaissance de Dieu par vienne à tout le genre humain, Dieu le Père envoya dans le monde sa parole toute puissante, son Fils unique, pour que par lui le monde entier parvienne à la vraie connaissance du nom divin. Ce que le Seigneur lui-même commença de faire chez ses disciples : "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés, que tu avais retirés du monde" (Jean 17, 16). Et son intention ne s’arrêtait pas aux seuls disciples, afin qu’ils aient la connaissance de la divinité mais que par eux elle soit divulguée dans tout l’univers. D’où il ajoute : "Afin que le monde croie que tu m’as envoyé" (ib. 21 c). Il continue d’agir ainsi par les Apôtres et leurs successeurs tandis qu’ils amènent les hommes à la connaissance de Dieu jusqu’à ce que tout le monde entier sanctifie et célèbre le nom de Dieu, comme le prédit Malachie : "Du lever du soleil jusqu’à son cou chant grand est son nom parmi les Gentils et en tout lieu on offre un sacrifice à mon nom comme une offrande pure" (1, 11).

7. Donc pour que ce qui a commencé parvienne à son achèvement nous demandons et disons : "Que ton nom soit sanctifié." Et saint Augustin explique : "On ne fait pas cette demande comme si le nom de Dieu n’était pas saint mais pour qu’il soit reconnu tel par tous et que Dieu se fasse ainsi connaître que rien d’autre ne soit tenu plus saint" (Serm. in mont. 2, 5). Parmi les signes qui manifestent la sainteté de Dieu aux hommes, le plus évident est la sainteté des hommes sanctifiés par l’inhabitation divine. En effet saint Grégoire de Nysse dit : "Qui est à ce point stupide qui voyant chez les croyants leur pureté de vie ne glorifierait pas le nom qu’on invoque dans une telle vie" selon le dire de l’Apôtre aux Corinthiens "Si tous prophétisent et qu’entre un infidèle ou un étranger il est convaincu par tous, alors tombant la face contre terre il adorera Dieu, annonçant que Dieu est vraiment parmi vous" (1 Cor 14, 24 — Or. dom. 3). Et c’est pourquoi selon saint Jean Chrysostome : "En disant “Que ton nom soit sanctifié” il ordonne aussi que l’orant demande qu’Il soit glorifié par notre vie, comme s’il disait : Fais nous vivre ainsi que, par nous, tous les hommes te glorifient" (In Matt. Hom. 19, 4).

8. Or nous sanctifions Dieu dans l’esprit des autres en tant que Lui nous sanctifie; d’où, en disant "Que ton nom soit sanctifié", "Nous désirons, dit saint Cyprien, que son nom soit sanctifié en nous" (Or. dom. 12). En effet étant donné que le Christ dit : "Soyez saints parce que je suis saint", nous demandons qu’ayant été sanctifiés dans le baptême nous persévérions en ce que nous avons commencé d’être. Nous demandons aussi chaque jour notre sanctification nous qui péchons chaque jour pour que cette sanctification continuelle nous purifie de nos délits. La raison pour laquelle cette demande vient en premier lieu, dit saint Jean Chrysostome, est que : "Digne est la prière de celui qui implore Dieu parce qu’il ne demande rien avant la gloire du Père mais fait passer sa louange avant tout" (In Matt. Hom. 19, 4).

1. Emprunté au Lev 11, 44; ne se trouve par littéralement dans l’Évangile; mais a son équivalent en Mt 5. 48 : "Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait."

 

 

Caput 9 [70466] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 9 tit. Secunda petitio, ut participes gloriae nos faciat


 [70467] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 9 Post desiderium autem et petitionem divinae gloriae, consequens est ut homo appetat et requirat particeps gloriae divinae fieri. Et ideo secunda petitio ponitur: adveniat regnum tuum. Circa quam, sicut et in praemissa petitione, oportet primo considerare, quod regnum Dei convenienter desideretur.
Secundo vero quod ad id adipiscendum homo possit pervenire. Tertio vero quod ad illud pertingere non possit propria virtute, sed solo auxilio divinae gratiae. Et sic quarto considerandum est, quomodo regnum Dei advenire petamus. Est igitur circa primum considerandum quod unicuique rei naturaliter appetibile est proprium bonum, unde et bonum convenienter definiunt esse quod omnia appetunt. Proprium autem bonum uniuscuiusque rei est id quo res illa perficitur: dicimus enim unamquamque rem bonam, ex eo quod propriam perfectionem attingit. Intantum vero bonitate caret, inquantum propria perfectione caret, unde consequens est ut unaquaeque res suam perfectionem appetat, unde et homo naturaliter appetit perfici. Et cum multi sint gradus perfectionis humanae, illud praecipue et principaliter in eius appetitum naturaliter cadit, quod ad ultimam eius perfectionem spectat. Hoc autem bonum hoc indicio cognoscitur, quod naturale desiderium hominis in eo quiescit. Cum enim naturale desiderium hominis non tendat nisi in bonum proprium, quod in aliqua perfectione consistit, consequens est quod quamdiu aliquid desiderandum restat, nondum pervenit homo ad ultimam perfectionem suam. Dupliciter autem adhuc restat aliquid desiderandum. Uno modo, quando id quod desideratur, propter aliquid aliud quaeritur, unde oportet quod eo obtento adhuc desiderium non quiescat, sed feratur in aliud. Alio modo, quando non sufficit ad obtinendum id quod homo desiderat, sicut modicus cibus non sufficit ad sustentationem naturae, unde naturalem appetitum non satiat. Illud ergo bonum quod homo primo et principaliter desiderat, tale debet esse ut non quaeratur propter aliud, et sufficiat homini. Hoc autem bonum communiter felicitas nominatur, inquantum est bonum hominis principale: per hoc enim aliquos felices esse dicimus, quod eis credimus bene esse. Vocatur etiam beatitudo, inquantum excellentiam designat. Potest et pax vocari, inquantum quietat, nam quies appetitus pax interior esse videtur, unde in Psal. CXLVII, 3, dicitur: qui posuit fines tuos pacem. Sic igitur apparet quod in corporalibus bonis, hominis felicitas vel beatitudo esse non potest. Primo quidem, quia non sunt propter se quaesita, sed naturaliter propter aliud desiderantur: conveniunt enim homini ratione sui corporis. Corpus autem hominis ordinatur ad animam sicut ad finem, tum quia corpus est instrumentum animae moventis, omne autem instrumentum est propter artem quae utitur eo, tum etiam quia corpus comparatur ad animam sicut materia ad formam. Forma autem est finis materiae, sicut et actus potentiae. Ex quo consequens est ut neque in divitiis neque in honoribus neque in sanitate aut pulchritudine, neque in rebus aliquibus huiusmodi ultima hominis felicitas consistat. Secundo, quia impossibile est ut corporalia bona sufficiant homini; quod multipliciter apparet. Uno quidem modo, quia cum in homine sit duplex vis appetitiva, scilicet intellectiva et sensitiva, et per consequens desiderium duplex, desiderium intellectivi appetitus principaliter in bona intelligibilia tendit, ad quae bona corporalia non attingunt. Alio modo quia bona corporalia tanquam infima in rerum ordine, non collectam sed dispersam recipiunt bonitatem, ita scilicet ut hoc habeat hanc bonitatis rationem, puta delectationem, illud aliam, puta corporis salubritatem, et sic de aliis. Unde in nullo eorum appetitus humanus, qui naturaliter in bonum universale tendit, sufficientiam potest invenire. Sed neque in multis eorum, quantumcumque multiplicentur, quia deficiunt ab infinitate universalis boni: unde dicitur Eccle. V, 9: quod avarus non implebitur pecunia. Tertio quia cum homo apprehendat per intellectum bonum universale, quod neque loco neque tempore circumscribitur, consequens est quod appetitus humanus bonum desideret secundum convenientiam ad apprehensionem intellectus, quod tempore non circumscribatur: unde naturale est homini ut perpetuam stabilitatem desideret, quae quidem non potest inveniri in corporalibus rebus, quae sunt corruptioni et multiplici subiectae variationi. Unde conveniens est quod in corporalibus bonis appetitus humanus non inveniat sufficientiam quam requirit. Sic igitur in eis non potest esse ultima felicitas hominis. Sed quia vires sensitivae corporeas operationes habent, utpote per organa corporea operantes, quae circa corporalia operantur, consequens est quod neque in operationibus sensitivae partis ultima hominis felicitas consistat, puta in quibuscumque delectationibus carnis. Habet etiam intellectus humanus aliquam circa corporalia operationem, dum et corpora cognoscit homo per speculativum intellectum, et res corporales dispensat per practicum. Et sic consequens fit quod nec in propria ipsa operatione intellectus speculativi vel practici quae corporalibus rebus intendit, ultima hominis felicitas, et perfectio possit poni. Similiter etiam nec in operatione intellectus humani qua in se ipsam anima reflectitur, duplici ratione. Primo quidem quia anima secundum se considerata non est beata, alioquin non oporteret eam operari propter beatitudinem acquirendam. Non igitur beatitudinem acquirit ex hoc solo quod sibi intendit. Secundo, quia felicitas est ultima perfectio hominis, ut supra dictum est. Cum autem perfectio animae in propria operatione eius consistat, consequens est ut ultima perfectio eius attendatur secundum optimam eius operationem, quae quidem est secundum optimum obiectum, nam operationes secundum obiecta specificantur. Non autem anima est optimum in quod sua operatio tendere potest. Intelligit enim aliquid esse melius se, unde impossibile est quod ultima beatitudo hominis consistat in operatione qua sibi intendit vel quibuscumque aliis superioribus substantiis, dummodo eis sit aliquid melius, in quod humanae animae operatio tendere possit. Tendit autem operatio hominis in quodcumque bonum, quia universale bonum est quod homo desiderat, cum per intellectum universale bonum apprehendat: unde ad quemcumque gradum se porrigit bonum, aliqualiter extenditur operatio intellectus humani, et per consequens voluntatis. Bonum autem summe invenitur in Deo, qui per essentiam suam bonus est, et omnis bonitatis principium: unde consequens est ut ultima hominis perfectio et finale bonum ipsius sit in hoc quod Deo inhaeret, secundum illud Psal. LXXII, 28: mihi adhaerere Deo bonum est. Hoc etiam manifeste apparet, si quis ad ceterarum rerum participationem inspiciat. Omnes enim singulares homines huius praedicationis recipiunt veritatem, per hoc quod ipsam essentiam speciei participant. Nullus autem eorum ex hoc dicitur homo quod similitudinem participet alterius hominis, sed ex eo solo quod participat essentiam speciei, ad quam tamen participandam unus inducit alium per viam generationis, pater scilicet filium. Beatitudo autem, sive felicitas, nihil est aliud quam bonum perfectum. Oportet igitur per solam participationem divinae beatitudinis, quae est bonitas hominis, omnes beatitudinis participes esse beatos, quamvis unus per alium ad tendendum ad beatitudinem adiuvetur. Unde Augustinus dicit in libro de vera religione quod neque nos videndo Angelos beati sumus, sed videndo veritatem, qua ipsos diligimus, et his congratulamur. Contingit autem humanam mentem ferri in Deum dupliciter: uno modo per se, alio modo per aliud. Per se quidem, puta cum in seipso videtur, et per seipsum amatur. Per aliud autem, cum ex creaturis ipsius, animus elevatur in Deum, secundum illud Rom. I, 20: invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Non est autem possibile ut perfecta beatitudo consistat in hoc quod aliquis per aliud in Deum tendit. Primo quidem, quia cum beatitudo significet omnium humanorum actuum finem, non potest vera beatitudo et perfecta consistere in eo quod habet rationem non quidem termini, sed magis mutationis in finem. Quod autem Deus per aliud agnoscatur et ametur, quodam humanae mentis motu agitur, inquantum per unum in aliud devenitur. Non est ergo in hoc vera et perfecta beatitudo. Secundo, quia si in hoc quod mens humana Deo inhaereat, eius beatitudo consistat, consequens est ut perfecta beatitudo perfectam inhaesionem ad Deum requirat. Non autem est possibile ut per aliquam creaturam mens humana Deo perfecte inhaereat neque per cognitionem neque per amorem. Quaelibet enim forma creata in infinitum deficiens est a repraesentatione divinae essentiae. Sicut ergo non est possibile ut per formam inferioris ordinis cognoscantur ea quae sunt superioris ordinis, puta per corpus spiritualis substantia, vel per elementum corpus caeleste; ita multo minus possibile est ut per aliquam formam creatam Dei essentia cognoscatur. Sed sicut per considerationem inferiorum corporum superiorum naturas negative percipimus, puta quod non sunt gravia neque levia, et per corporum considerationem negative de Angelis concipimus quod sunt immateriales vel incorporei, ita etiam per creaturas de Deo non cognoscimus quid est, sed potius quid non est. Similiter etiam quaecumque creaturae bonitas quoddam minimum est respectu bonitatis divinae, quae est bonitas infinita: unde bonitates in rebus provenientes a Deo, quae sunt Dei beneficia, non sublevant mentem usque ad perfectum Dei amorem. Non est igitur possibile quod vera et perfecta beatitudo consistat in hoc quod mens Deo per aliud inhaereat. Tertio, quia secundum rectum ordinem minus nota, per ea quae sunt magis nota, cognoscuntur; et similiter ea quae sunt minus bona per ea quae sunt magis bona amantur. Quia igitur Deus, qui est prima veritas et summa bonitas, secundum se summe cognoscibilis et amabilis est, hoc naturalis ordo habet ut omnia cognoscantur et amentur per ipsum. Si igitur oportet alicuius mentem in Dei cognitionem et amorem per creaturas perduci, hoc ex eius imperfectione contingit. Nondum ergo consecutus est perfectam beatitudinem, quae omnem imperfectionem excludit. Relinquitur ergo quod perfecta beatitudo sit in hoc quod mens Deo per se inhaereat cognoscendo et amando. Et quia regis est subditos disponere et gubernare, illud in homine regere dicitur secundum quod cetera disponuntur, unde apostolus monet Rom. VI, 12: non regnet peccatum in vestro mortali corpore. Quia igitur ad perfectam beatitudinem requiritur ut ipse Deus per se cognoscatur et ametur, ut per eum animus feratur ad alta, vere et perfecte in bonis Deus regnat, unde dicitur Isai. XLIX, 10: miserator eorum reget eos, et ad fontes aquarum potabit eos, scilicet per ipsum in quibuscumque potissimis bonis reficientur. Est enim considerandum, quod cum intellectus per aliquam speciem seu formam intelligat omne quod novit, sicut etiam visus exterior per formam lapidis lapidem videt, non est possibile quod intellectus Deum in sua essentia videat per aliquam creatam speciem seu formam quasi divinam essentiam repraesentantem. Videmus enim quod per speciem inferioris ordinis rerum non potest repraesentari res superioris ordinis quantum ad suam essentiam: unde fit quod per nullam speciem corporalem potest intelligi spiritualis substantia quantum ad suam essentiam. Cum igitur Deus supergrediatur totum creaturae ordinem, multo magis quam spiritualis substantia excedat ordinem corporalium rerum, impossibile est quod per aliquam speciem corporalem Deus secundum suam essentiam videatur. Hoc etiam manifeste apparet, si quis consideret quid sit rem aliquam per suam essentiam videre. Non enim essentiam hominis videt qui aliquid eorum quae essentialiter homini conveniunt apprehendit, sicut nec cognoscit essentiam hominis qui cognoscit animal absque rationali. Quidquid autem de Deo dicitur, essentialiter convenit ei. Non est autem possibile quod una creata species repraesentet Deum quantum ad omnia quae de Deo dicuntur. Nam in intellectu creato alia est species per quam apprehendit vitam et sapientiam et iustitiam, et omnia alia huiusmodi, quae sunt Dei essentia. Non est igitur possibile quod intellectus creatus informetur aliqua una specie sic repraesentante divinam essentiam, quod Deus in ea per suam essentiam possit videri. Si autem per multas, deficiet unitas, quae idem est quod Dei essentia. Non est igitur possibile quod intellectus creatus elevari possit ad videndum Deum in seipso per suam essentiam aliqua una specie creata, vel etiam pluribus. Relinquitur ergo quod oportet, ad hoc quod Deus per suam essentiam videatur ab intellectu creato, quod ipsa divina essentia per seipsam, non per aliam speciem videatur, et hoc per quandam unionem intellectus creati ad Deum. Unde Dionysius dicit, I capite de divinis Nomin., quod quando beatissimum consequemur finem, Dei apparitione, adimpleti erimus per quandam superintellectualem cognitionem ad Deum. Est autem hoc singulare divinae essentiae ut ei possit intellectus uniri absque omni similitudine, quia et ipsa divina essentia est eius esse, quod nulli alii formae competit. Unde oportet quod omnis forma sit in intellectu: et ideo si aliqua forma, quae per se existens non potest esse informativa intellectus, puta substantia Angeli, cognosci debeat ab intellectu alterius, oportet quod hoc fiat per aliquam eius similitudinem intellectum informantem, quod non requiritur in divina essentia, quae est suum esse. Sic igitur per ipsam Dei visionem mens beata fit in intelligendo unum cum Deo. Oportet igitur intelligens et intellectum esse quodammodo unum. Et ideo Deo regnante in sanctis, et ipsi etiam cum Deo conregnabunt, et ideo ex eorum persona dicitur Apoc. V, 10: fecisti nos Deo nostro regnum et sacerdotes, et regnabimus super terram. Dicitur enim hoc regnum quo Deus regnat in sanctis et sancti cum Deo, regnum caelorum, secundum illud Matth. III, 2: poenitentiam agite, appropinquavit enim regnum caelorum: eo modo loquendi quo esse in caelo Deo attribuitur, non quia corporalibus caelis contineatur, sed ut per hoc designetur Dei eminentia super omnem creaturam, sicut caeli eminent super omnem aliam creaturam corpoream, secundum illud Psal. CXII, 4: excelsus super omnes gentes dominus, et super caelos gloria eius. Sic igitur et beatitudo sanctorum regnum caelorum dicitur, non quia eorum remuneratio sit in corporalibus caelis, sed in contemplatione supercaelestis naturae, unde et de Angelis dicitur Matth. XVIII, 10: Angeli eorum in caelis semper vident faciem patris mei qui in caelis est. Unde et Augustinus, in libro de sermone domini in monte dicit, exponens illud quod dicitur Matth. V, 12: merces vestra copiosa est in caelis: non hic caelos dici puto superiores partes huius visibilis mundi: non enim merces nostra in rebus volubilibus collocanda est; sed in caelis dictum puto in spiritualibus firmamentis, ubi habitat sempiterna iustitia. Dicitur etiam et hoc finale bonum, quod in Deo consistit vita aeterna, eo modo loquendi quo actio animae vivificantis dicitur vita: unde tot modi vitae distinguuntur, quot sunt genera animae actionum, inter quas suprema est operatio intellectus, et secundum philosophum actio intellectus est vita. Et quia actus ex obiecto speciem accipit, inde est quod visio divinitatis vita aeterna nominatur, secundum illud Ioannis XVII, 3: haec est vita aeterna ut cognoscant te solum Deum verum. Hoc etiam finale bonum comprehensio nominatur, secundum illud Philip. III, 12: sequor autem, si quo modo comprehendam. Quod quidem non dicitur eo modo loquendi quo comprehensio inclusionem importat: quod enim ab alio includitur, totum et totaliter ab eo continetur. Non est autem possibile quod intellectus creatus Dei essentiam totaliter videat, ita scilicet quod attingat ad completum et perfectum modum visionis divinae, ut scilicet Deum videat quantum visibilis est: est enim Deus visibilis secundum suae veritatis claritatem, quae infinita est, unde infinite visibilis est, quod convenire intellectui creato non potest, cuius est finita virtus in intelligendo. Solus igitur Deus per infinitam virtutem sui intellectus se infinite intelligens, totaliter se intelligendo comprehendit seipsum. Repromittitur autem sanctis comprehensio prout comprehensionis nomen importat quamdam tentionem. Cum enim aliquis insequitur aliquem, dicitur comprehendere eum, quando potuerit eum manu tenere. Sic igitur quandiu sumus in corpore, ut dicitur II Cor. V, 6, peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus et non per speciem, et ita in eum tendimus ut in aliquid distans. Sed quando per speciem videbimus, praesentialiter eum in nobismetipsis tenebimus, unde Cant. III, 4, sponsa quaerens quem diligit anima sua, tandem vero eum inveniens dicit: tenui eum, nec dimittam. Habet autem praedictum finale bonum perpetuum et plenum gaudium, unde dominus dicit Ioan. XVI, 24: petite et accipietis, ut gaudium vestrum plenum sit. Non potest autem esse plenum gaudium de aliqua creatura, sed de solo Deo, in quo est tota plenitudo bonitatis, unde et dominus dicit servo fideli: intra in gaudium domini tui, ut scilicet de domino tuo gaudeas, secundum illud Iob XXII, 26: super omnipotentem deliciis afflues. Et quia Deus praecipue de seipso gaudet, dicitur servus fidelis intrare in gaudium domini sui, scilicet inquantum intrat ad gaudium quo dominus eius gaudet, secundum quod alibi dominus discipulis, Luc. XXII, 29, promittit dicens: ego dispono vobis, sicut disposuit mihi pater meus regnum, ut edatis et bibatis super mensam meam in regno meo: non quod in illo finali bono corporalibus cibis sancti utantur, incorruptibiles iam effecti, sed per mensam significatur refectio gaudii quod habet Deus de seipso, et sancti de eo. Oportet ergo plenitudinem gaudii attendi non solum secundum rem de qua gaudetur, sed secundum dispositionem gaudentis, ut scilicet rem de qua gaudet, praesentem habeat, et totus affectus gaudentis per amorem feratur in gaudii causam. Iam autem ostensum est, quod per visionem divinae essentiae mens creata praesentialiter tenet Deum: ipsa etiam visio totaliter affectum accendit ad divinum amorem. Si enim unumquodque est amabile inquantum est pulchrum et bonum, secundum Dionysium de divinis nominibus cap. IV, impossibile est quod Deus, qui est ipsa essentia pulchritudinis et bonitatis, absque amore videatur. Et ideo ex perfecta eius visione sequitur perfectus amor: unde et Gregorius dicit super Ezech.: amoris ignis qui hic ardere inchoat, cum ipsum quem amat viderit, in amore ipsius amplius ignescit. Tanto autem maius est gaudium de aliquo praesentialiter habito, quanto magis amatur, unde sequitur quod illud gaudium sit plenum non tantum ex parte rei de qua gaudetur, sed etiam ex parte gaudentis. Et hoc gaudium est humanae beatitudinis consummativum, unde et Augustinus dicit X confessionum, quod beatitudo est gaudium de veritate. Est autem ulterius considerandum, quod quia Deus est ipsa essentia bonitatis, per consequens ipse bonum est omnis boni, unde eo viso omne bonum videtur, secundum quod dominus dicit Moysi, Exod. XXXIII, 19: ego ostendam tibi omne bonum. Per consequens igitur eo habito omne bonum habetur, secundum illud Sapient. VII, 11: venerunt mihi omnia bona pariter cum illa. Sic igitur in illo finali bono, videndo Deum, habebimus omnium bonorum plenam sufficientiam, unde et fideli servo repromittit dominus Matth. XXIV, 47: quod super omnia bona sua constituet eum. Quia vero malum bono opponitur, necesse est ut ad praesentiam omnis boni malum universaliter excludatur. Non est enim participatio iustitiae cum iniquitate, nec societas lucis ad tenebras, ut dicitur II Corinth. VI, 14. Sic igitur in illo finali bono non solum aderit perfecta sufficientia habentibus omne bonum, sed etiam aderit plena quies et securitas per immunitatem omnis mali, secundum illud Prov. I, 33: qui me audiet absque terrore requiescet, et abundantia perfruetur, terrore malorum sublato. Ex hoc autem ulterius sequitur quod sit ibi futura omnimoda pax. Non enim impeditur pax hominis nisi vel per interiorem desideriorum inquietudinem, dum desiderat habere quae nondum habet, vel per aliquorum malorum molestiam, quae vel patitur vel pati timet. Ibi autem nihil timetur: cessabit enim inquietudo desiderii propter plenitudinem omnis boni; cessabit etiam omnis molestia exterior per absentiam omnis mali; unde relinquitur quod ibi sit perfecta pacis tranquillitas. Hinc est quod dicitur Isai. XXXII, 18: sedebit populus meus in pulchritudine pacis, per quod pacis perfectio designatur: et ad ostendendum causam pacis subditur, et in tabernaculis fiduciae, quae scilicet erit subtracto timore malorum, in requie opulenta, quae pertinet ad affluentiam omnis boni. Huius autem finalis boni perfectio in perpetuum durabit. Non enim poterit deficere per defectum bonorum quibus homo fruetur, quia sunt aeterna et incorruptibilia, unde dicitur Isai. XXXIII, v. 20: oculi tui videbunt Ierusalem, civitatem opulentam, tabernaculum quod nequaquam transferri poterit. Et postmodum subditur causa: quia solummodo ibi erit magnificus dominus Deus noster. Tota enim illius status perfectio erit in fruitione divinae aeternitatis. Consimiliter etiam non poterit ille status deficere per corruptionem ibidem existentium, quia vel sunt naturaliter incorruptibiles, sicut Angeli, vel in incorruptionem transferentur, sicut homines: oportet enim corruptibile hoc induere incorruptionem, ut dicitur I Corinth. XV, 53. Unde et Apoc. III, 12, dicitur: qui vicerit, faciam illum columnam in templo Dei mei, et foras non egredietur amplius. Nec etiam poterit ille status deficere per hoc quod voluntas hominis fastidiendo se avertat, quia quanto Deus, qui est bonitatis essentia, magis videtur, tanto necesse est ut magis ametur, unde et magis eius fruitio desiderabitur, secundum illud Eccli. XXIV, 29: qui edunt me, adhuc esurient; et qui bibunt me, adhuc sitient. Propter quod et de Angelis Deum videntibus dicitur I, 12: in quem desiderant Angeli prospicere. Similiter etiam non deficiet ille status per hostis alicuius impugnationem, quia cessabit ibi omnis mali molestia, secundum illud Isai. XXXV, 9: non erit ibi leo, idest Diabolus impugnans, et mala bestia, idest malus homo, non ascendet per eam, nec invenietur ibi; unde et dominus dicit Ioan. X, de ovibus suis, quod non peribunt in aeternum, et quod non rapiet eas quisquam de manu sua. Sed nec finiri poterit ille status per hoc quod a Deo aliqui inde excludantur. Non enim aliquis ab illo statu repelletur propter culpam, quae omnino non erit, ubi deerit omne malum, unde dicitur Isai. LX, 21: populus tuus omnes iusti, neque etiam propter promotionem ad melius bonum, sicut in hoc mundo Deus interdum etiam iustis spirituales consolationes subtrahit, et alia sua beneficia, ut avidius quaerant, et suum defectum recognoscant, quia status ille non est emendationis aut profectus, sed perfectionis finalis: et ideo dominus dicit Ioan. VI, 37: eum qui venit ad me, non eiiciam foras. Habebit igitur status ille omnium praedictorum bonorum perpetuitatem, secundum illud Psal. V, 12: in aeternum exultabunt, et habitabis in eis. Est igitur praedictum regnum beatitudo perfecta, utpote immutabilem omnis boni sufficientiam habens. Et quia beatitudo naturaliter desideratur ab hominibus, consequens est quod regnum Dei ab omnibus desideretur.

Chapitre 9 — LA SECONDE DEMANDE EST QUE NOUS FASSE PARTICIPER A LA GLOIRE

1. Après le désir et la demande de la gloire divine il est conséquent pour l’homme de désirer et de rechercher la participation à la gloire divine. Et c’est pourquoi vient la seconde demande : "Que ton règne vienne." A ce propos, comme d’ailleurs pour la première demande il faut considérer

1° qu’il est juste de désirer le règne de Dieu;

2° que l’homme puisse parvenir à l’atteindre;

3° qu’il ne peut l’obtenir par sa propre vertu mais par le seul secours de la grâce;

4° comment arrive le règne de Dieu.

5° Saint Thomas ne développera que le premier point et n’amorcera que le second au chap. 10.

2. Donc pour le premier point il faut considérer que toute chose désire naturellement son propre bien : d’où on définit convenablement le bien : ce que tous désirent.

Or le bien propre de chaque chose est ce par quoi cette chose est parfaite. En effet nous disons bonne n’importe quelle chose en ce qu’elle atteint sa propre perfection. Et elle manque d’autant à la bonté dans la mesure où elle manque de sa propre perfection. Donc toute chose aspire à sa perfection et donc l’homme aspire naturellement à être parfait. Et comme nombreux sont les degrés de la perfection humaine cela vient en premier lieu et principalement en son appétit naturel ce qui concerne son ultime perfection. Or ce bien se reconnaît à ce signe que le désir de l’homme y trouve son repos. En effet comme le désir naturel de l’homme ne tend qu’à son propre bien, et qui consiste en une certaine perfection, il est conséquent qu’aussi longtemps que quelque chose reste à désirer, il n’est pas encore parvenu à son ultime perfection.

3. Or c’est de deux manières qu’il reste quelque chose â désirer. La première quand ce qu’on désire on le recherche pour autre chose; d’où il faut bien que l’ayant satisfait on ne puisse s’y reposer mais qu’on se porte vers l’autre. La seconde quand il y a insuffisance pour obtenir ce que l’homme désire, comme une nourriture insuffisante au soutien de la nature; d’où l’appétit naturel n’est pas satisfait. Donc ce bien que l’homme désire en premier et principalement doit être tel qu’il n’est pas cherché en vue d’un autre et qu’il suffise â l’homme. Et ce bien on l’appelle communément félicité en tant que bien principal de l’homme. Nous disons en effet que certains sont heureux parce que nous estimons qu’ils se trouvent bien. On l’appelle aussi béatitude en tant qu’il signifie une certaine excellence. On peut aussi l’appeler paix en tant que l’appétit est en repos. Car le repos de l’appétit procure la paix intérieure; d’où au psaume il est dit : "Qui a mis la paix à tes frontières" (147, 14).

4. Ainsi donc il apparaît que l’homme ne peut trouver son bonheur ni sa béatitude dans les biens du corps. D’abord parce qu’ils ne sont pas recherchés pour eux- mêmes mais qu’on les désire naturellement pour autre chose; ils conviennent en effet à l’homme en raison de son corps. Or le corps de l’homme est ordonné à l’âme comme vers sa fin; car d’une part le corps est instrument de l’âme qui le meut; or tout instrument est à l’usage d’un art ou métier; d’autre part le corps est à l’âme comme la matière à la forme. Celle-ci est la fin de la matière comme l’acte l’est de la puissance. D’où il suit que ni dans les richesses, ni dans les honneurs, ni dans la santé ou la beauté, ni en quelqu’autre chose ne peut consister l’ultime félicité de l’homme.

5. Ensuite il est impossible que les biens du corps suffisent à l’homme : ce qui apparaît de plusieurs manières. D’abord parce qu’il y a dans l’homme une double tendance intellectuelle et sensitive et donc une double aspiration. Celle-là tend principalement aux biens de l’intelligence que d’autre part les biens corporels ne peuvent satisfaire. Ensuite parce que les biens du corps étant inférieurs dans l’ordre des choses par leur diversité ne procurent pas une bonté totale mais dispersée : une chose en effet possède telle bonté, par exemple le plaisir; une autre, par exemple la bonne hygiène du corps et ainsi du reste. D’où en rien de cela l’appétit humain qui naturellement cherche le bien universel ne peut être satisfait même si ces biens sont nombreux et variés parce que l’infini du bien universel leur fait défaut. D’où il est écrit : "L’argent ne peut rassasier l’avare" (Qoh 5, 9).

6. Enfin l’intelligence humaine saisit le bien universel qui n’est circonscrit ni localement ni dans le temps. Il s’en suit que l’appétit humain désire le bien selon qu’il s’accorde à la saisie de l’intelligence qui n’est pas circonscrite par le temps. L’homme cherche donc une perpétuelle stabilité qui ne se trouve pas dans les choses du corps soumises qu’elles sont à la corruption et à de multiples changements. D’où il est naturel que le désir de l’homme ne trouve pas à se satisfaire dans les biens corporels. Il ne peut donc y avoir en eux pour l’homme de félicité ultime.

7. Quant aux puissances sensitives, comme leurs opérations corporelles s’effectuent par des organes corporels sur des choses corporelles, il est conséquent que dans les opérations de la partie sensitive on ne trouve non plus l’ultime félicité de l’homme, par exemple dans les plaisirs charnels.

8. L’intelligence humaine s’exerce aussi sur des choses corporelles par la connaissance spéculative des corps et en disposant d’eux par l’intelligence pratique. Et ainsi il se fait que l’homme même en sa propre activité spéculative ou pratique mais qui s’adresse aux choses matérielles ne puisse trouver sa perfection et son ultime félicitée.

9. Pas d’avantage non plus quand l’âme dans l’activité intellectuelle réfléchit sur elle-même. Et pour un double motif : d’abord parce que l’âme considérée en elle-même n’est pas heureuse sans quoi elle ne devrait pas s’évertuer à la recherche du bonheur. Elle n’obtient donc pas la béatitude par cela seul qu’elle se tourne vers soi. Ensuite parce que la béatitude est l’ultime perfection de l’homme, comme on l’a vu plus haut. Or comme la perfection de l’âme consiste en sa propre opération il est conséquent que son ultime perfection soit celle de sa meilleure activité selon son meilleur objet puisque les opérations se spécifient par leur objet. Or l’âme n’est pas le meilleur vers quoi son opération peut tendre. Elle saisit en effet qu’autre chose est meilleur qu’elle. D’où il est impossible que l’ultime béatitude de l’homme consiste en une activité où il se tourne vers soi, ou en quelqu’autres substances supérieures dès qu’il y a quelque chose de meilleur qu’elles, vers quoi l’opération de l’âme humaine puisse tendre. Or l’activité de l’homme tend vers n’importe quel bien parce que le bien universel est ce que l’homme désire puisque c’est par l’intelligence qu’il appréhende le bien universel. D’où à quelque degré que puisse s’étendre un bien, s’y porte en quelque manière l’activité de l’intelligence et donc aussi de la volonté. Or le bien suprême se trouve en Dieu parce que par son essence il est bon et le principe de toute bonté. D’où il s’en suit que l’ultime perfection de l’homme et son bien final est en ce qu’il adhère à Dieu : "Il m’est bon d’adhérer à Dieu" (Ps 72, 28).

10. Ce qui apparaît aussi manifeste si l’on examine la participation de toutes choses. Chaque homme en effet est en vérité ce qu’il est par cela même qu’il participe à l’essence de son espèce et non parce qu’il ressemble à un autre homme; et il participe à l’essence de l’espèce en ce qu’il est engendré par un autre : le père engendre un fils. Or la béatitude ou félicité n’est rien d’autre que le bien parfait. Ce sera donc en participant à l’unique bonté divine qui est l’essentielle bonté de l’homme que tous ceux qui participent à cette béatitude seront heureux, bien que l’un aide l’autre pour y atteindre. D’où saint Augustin : "Ce n’est pas la vue des anges qui nous rend heureux mais en voyant la vérité par laquelle nous les aimons et que nous nous en réjouissons ensemble" (De vera reig. 55).

11. Or l’esprit de l’homme se porte vers Dieu de deux manières : en lui-même ou par un autre. En lui-même, quand Il est vu lui-même et aimé par lui-même. Par un autre, lorsque depuis ses créatures notre coeur s’élève vers Dieu : "Les choses invisibles de Dieu par ses oeuvres nous deviennent intelligibles" (Rom 1, 20). Or il n’est pas possible que la parfaite béatitude consiste en ce qu’on tende vers Dieu par une autre chose. D’abord parce que la béatitude qui signifie la fin de tous les actes humains n’est la vraie et parfaite béatitude qu’en raison du terme mais non en raison plutôt du mouvement vers cette fin. Or que Dieu soit connu et aimé par autre chose c’est agir en un certain mouvement de l’esprit humain qui d’une chose parvient à une autre. Il n’y a donc pas en cela de vraie et parfaite béatitude.

12. En second lieu parce que si la béatitude consiste en l’adhésion de l’esprit humain à Dieu il s’en suit que la parfaite béatitude requerra que cette adhésion soit par faite. Et il n’est pas possible que l’esprit humain adhère parfaitement à Dieu au moyen d’une créature connue ou aimée. En effet toute forme créée quelle qu’elle soit est infiniment déficiente à représenter la divine essence. De même donc qu’il n’est pas possible par la connaissance des choses inférieures d’arriver à connaître celles d’un ordre supérieur, par exemple la substance spirituelle par le corps ou le corps céleste par un élément, ainsi a fortiori n’est-il pas possible de connaître l’essence divine par le moyen d’une forme créée. Mais de même que par la con sidération des corps inférieurs on peut percevoir la nature des corps supérieurs négativement, par exemple que ceux-ci ne sont ni lourds ni légers, et par nos corps nous concevons négativement des anges qu’ils sont immatériels et incorporels, ainsi aussi par les créatures nous ne savons pas au sujet de Dieu ce qu’Il est mais plutôt ce qu’Il n’est pas. Également la bonté d’une créature quelle qu’elle soit est bien minime en regard de la bonté divine qui est infinie : d’où les bontés des choses qui proviennent de Dieu, qui sont des bienfaits de Dieu ne peuvent soulever l’esprit jusqu’au parfait amour de Dieu. Il n’est donc pas possible que la vraie et parfaite béatitude consiste en ce que l’esprit adhère à Dieu autrement que par Lui.

13. Enfin l’ordre des choses veut que le moins connu nous vienne par le plus connu et semblablement que ce qui est moins bon nous fasse aimer ce qui est meilleur. Puis donc que Dieu est la première vérité et la bonté suprême, en lui-même le plus connaissable et le plus aimable, l’ordre naturel veut que tout soit connu et aimé par Lui. Si donc l’esprit ne peut parvenir à connaître Dieu et à l’aimer que par le moyen des créatures cela tient à son imperfection. Il n’est donc pas encore parvenu à la parfaite béatitude qui exclut toute imperfection.

14. Il reste donc que la parfaite béatitude est pour l’esprit d’adhérer à Dieu par Lui aimé et connu. Et de même que le roi conduit et gouverne ses sujets, ce qui règnera chez l’homme dépendra de ce qui le conduira en toutes choses. D’où l’avertissement de l’Apôtre : "Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel" (Rom 6, 12). Puis donc que la parfaite béatitude veut que Dieu lui-même soit connu et aimé par lui-même pour que par Lui le coeur se porte aux choses d’En-Haut c’est chez les bons que Dieu règne vraiment et parfaitement. D’où cette parole : "Le Dieu de miséricorde les régira et les abreuvera aux fontaines des eaux" (Is 49, 10), c’est-à-dire que par Lui ils seront restaurés dans les plus grands des biens.

15. Il faut en effet savoir que de même que l’intelligence saisit tout ce qu’elle connaît par quelque forme ou espèce, comme également la vue extérieure voit la pierre par la forme de la pierre, il n’est pas possible que l’intelligence voit Dieu en son essence par quelque forme ou espèce créée qui représenterait la divine essence. Nous constatons en effet que l’espèce d’un ordre inférieur des choses ne peut représenter une chose d’un ordre supérieur selon son essence; d’où aucune espèce corporelle ne peut faire comprendre une substance spirituelle quant à son essence. Puis donc que Dieu surpasse tout l’ordre de la création, bien davantage encore que ne le fait la substance spirituelle dans l’ordre des choses matérielles, il n’est pas possible qu’une espèce matérielle fasse voir Dieu en son essence.

16. Cela aussi est manifeste si l’on considère ce que signifie voir quelque chose par son essence. On ne voit pas en effet l’essence de l’homme quand on ne saisit pas ce qui est essentiel en l’homme, comme celui qui ne le connaîtrait que dans son animalité. Or tout ce qui est dit de Dieu lui convient essentiellement et il n’est pas possible qu’une seule espèce créée représente Dieu quant à toutes les choses qu’on dit de Dieu. Car dans notre intelligence créée autre est la notion qui saisit la vie, et la sagesse et la justice et tout ce qui est encore de l’essence divine. Il n’est pas possible que l’intelligence créée soit informée par une unique notion qui représente l’essence divine de sorte que Dieu puisse être vu en elle par son essence. Et s’Il l’était par un grand nombre d’espèces il y manquerait encore l’unité qui est identiquement son essence. Il est donc impossible que l’intelligence créée soit élevée à la vision de Dieu en lui-même soit par une notion créée soit par plusieurs.

17. Il reste donc, pour qu’on voie Dieu en son essence, que celle-ci soit vue par elle-même et non par une autre notion et cela s’opère par l’union avec Dieu de l’intelligence créée. C’est ce que dit Denys (Div. nom. chapitre 1) : "Quand nous aurons atteint notre très bienheureuse fin par l’apparition de Dieu nous serons remplis d’une con naissance de Dieu au-dessus même de l’intelligence."

18. Or il est particulier à l’essence divine que l’intelligence puisse lui être unie sans le secours d’aucune ressemblance parce que l’essence divine est son être, ce qui ne s’accorde en rien avec aucune autre forme. D’où il faut que toute forme soit dans notre intelligence. Et donc une forme qui existant par elle-même ne peut informer l’intelligence, comme la substance angélique, si elle doit être connue d’une autre intelligence, il faut que cela se fasse : par quelque ressemblance qui informe l’intelligence; ce qui n’est pas requis dans la divine essence qui est son être.

19. Ainsi donc par la vision même de Dieu l’âme bienheureuse en le saisissant devient une même chose avec Dieu. Il faut donc que ce qui est saisi et ce qui saisit soient en quelque sorte un : et donc Dieu régnant dans les saints ceux-ci aussi régneront avec Lui. Et c’est de leur personne qu’il est écrit : "Tu nous a faits pour notre Dieu un royaume de prêtres et nous régnerons sur la terre" (Apoc 5, 10). En effet ce royaume par lequel Dieu règne dans les saints et les saints avec Lui est appelé le royaume des cieux : "Faites pénitence, le royaume des cieux est proche" (Mt 3, 2) de la manière dont on dit que Dieu est au ciel, non qu’Il soit contenu dans des cieux matériels mais pour désigner ainsi l’éminence divine au-dessus de toute la création, comme les cieux planent sur toute la créature matérielle : "Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations et sa gloire est au-dessus des cieux" (Ps 112, 4). Ainsi donc aussi la béatitude des saints est dite royaume des cieux non que leur récompense se trouve dans des cieux corporels, mais dans la contemplation de la nature supra céleste. D’où des anges est-il écrit : "Leurs anges (des enfants) dans le ciel voient la face de mon Père qui est dans le ciel" (Mt 18, 10). Ce qui fait dire à saint Augustin, exposant s. Matthieu "Votre récompense est grande dans les cieux" : "Je ne pense pas que les cieux ici soient dits les parties supérieures de ce monde visible. Notre récompense en effet n’es pas à placer dans les choses inconstantes mais dans 1e firmaments spirituels où habite l’éternelle justice" (Serm in monte 1, 5).

20. Ce bien final qui consiste en Dieu est aussi appelé vie éternelle comme on dit que l’action de l’âme vivifiante est vie. D’où on distingue autant de modes de vie qu’il a de genres d’actions de l’âme parmi lesquelles est l’opération de l’intelligence et selon le Philosophe l’action de l’intelligence est vie. Et parce que l’acte est déterminé par son objet, de là vient que la vision divine est appelée vie éternelle, comme il est écrit : "Ceci est la vie éternelle qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu". (Jean 17, 3).

21. Ce bien final est aussi appelé "compréhension" selon la lettre aux Philippiens : "Je cours après pour, si possible, le comprendre" (3, 12). Ce qui ne veut pas dire que la compréhension soit une inclusion. En effet ce qui est inclus par quelque chose est totalement contenu en lui. Or il n’est pas possible que l’intelligence créée voie totalement l’essence divine de sorte qu’elle atteigne d’une manière parfaite et complète à la vision de Dieu et qu’elle voie Dieu autant qu’Il est visible. Dieu est en effet visible selon la splendeur de sa vérité qui est infinie; Il est donc infiniment visible, ce qui ne peut s’accorder avec une intelligence créée dont le pouvoir de saisir est fini. Dieu seul donc qui par l’infinie puissance de son intelligence se saisit infiniment, se comprend lui-même en se saisissant totalement. Si la compréhension est promise aux saints c’est dans le sens d’une appréhension. Lorsqu’en effet quelqu’un poursuit un autre on dit qu’il l’appréhende quand il a mis la main sur lui. Ainsi donc"aussi long temps que nous sommes dans le corps nous marchons loin du Seigneur. En effet nous avançons dans la foi et non dans la vision" (2 Cor 5, 6). Et ainsi nous tendons vers Lui comme en quelque chose de distant. Mais quand nous le verrons par actuelle vision nous le tiendrons pré sent en nous-mêmes. D’où aux cantiques, "l’épouse qui cherche celui que son âme aime" l’ayant enfin trouvé dit : "Je le tiens et ne le lâcherai plus" (3, 4).

22. Ce bien final nous comble d’une joie continuelle et totale. D’où la parole du Seigneur : "Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit parfaite" (Jean 16, 24). Or aucune créature ne peut donner une joie entière mais Dieu seulement chez qui est la plénitude de la bonté. D’où le Seigneur au serviteur fidèle : "Entre dans la joie de ton maître" (Mt 25, 21) c’est-à-dire pour que tu te réjouisses de ton maître; selon ce que dit Job : "Tu seras inondé de délices auprès du Tout-Puissant" (22, 26). Et parce que Dieu trouve sa joie principalement en lui-même, le serviteur fidèle entre dans la joie de son maître en tant qu’il entre dans la joie même de Dieu, comme le promet ailleurs le Seigneur à ses disciples : "Je dispose pour vous du royaume comme mon Père me l’a donné pour que vous buviez et mangiez à ma table dans mon royaume" (Lc 22, 29). Non que dans ce bien final les saints fassent usage de nourritures corporelles eux qui sont déjà incorruptibles; mais la table signifie la nourriture que fournit la joie, celle que Dieu lui-même - et les saints par lui.

23. Il faut donc considérer la plénitude de la joie non seulement dans la chose dont on jouit mais selon la dis- position de celui qui se réjouit c’est-à-dire que la chose dont il se réjouit il l’a présente et que toute son affection se porte vers la cause de sa joie. Or nous venons de voir que par la vision de la divine essence l’esprit créé saisit Dieu comme présent; la vision elle-même enflamme totalement l’affection pour le divin amour. Si en effet toute chose est aimable en vertu de sa beauté et de sa bonté, au dire de Denys : "Il est impossible que Dieu qui est essentiellement beauté et bonté puisse être vu sans qu’on l’aime" (De div. nom. chapitre 4). Et donc de la parfaite vision de Dieu naît le parfait amour. D’où saint Grégoire dit : "Le feu de l’amour qui ici-bas commence à s’enflammer, quand il aura vu celui qu’il aime brûlera toujours davantage en son amour" (Super Eze. chapitre 2, 9). Or la joie qu’on éprouve de la présence d’un être qu’on aime est d’autant plus grande qu’on l’aime davantage; d’où il suit que cette joie est pleine non seulement de la part de son objet mais aussi de la part de celui qui en jouit : elle porte à son comble la béatitude humaine. D’où saint Augustin dit que : "La béatitude est la joie de la vérité" (Conf. 10, 23).

24. Il faut en outre considérer que Dieu étant la bonté essentielle il s’en suit que Lui-même est le bien de tout bien; d’où en le voyant on voit tout le bien, selon la parole du Seigneur : "Je te montrerai tout bien" (Ex 33, 19). Par conséquent une fois possédé on a aussi tout bien : "Tous les biens me sont venus avec elle (la sagesse divine)" (Sap 7, 11). Ainsi donc en voyant Dieu en ce bien final, nous posséderons en pleine suffisance tous les biens. D’où le Seigneur promet au serviteur fidèle qu’Il le placera à la tête de tous ses biens (Mt 24, 47).

25. Mais comme le mal s’oppose au bien il faut nécessairement qu’en présence de tout bien le mal soit totalement exclu. Car "Il n’y a pas de participation possible de la justice avec l’iniquité, ni de la lumière avec les ténèbres" (2 Cor 6, 14). Ainsi donc en ce bien final on ne trouvera pas seulement le parfait contentement mais aussi le plein repos et la sécurité dans l’immunité de tout mal : "Celui qui m’écoutera reposera sans terreur et jouira dans l’abondance, toute crainte enlevée" (Prov 1, 33).

26. En outre ce sera la paix absolue. En effet ce qui empêche la paix chez l’homme c’est l’inquiétude des désirs intérieurs tandis qu’il désire ce qu’il ne possède pas ou aussi le chagrin causé par la souffrance subie ou appréhendée; et là rien n’est à craindre. Car l’inquiétude du désir cessera par la plénitude de tout bien. La souffrance externe disparaîtra, car tout mal en sera absent. Il y aura donc là une parfaite paix et tranquillité : "Mon peuple prendra place dans la beauté de la paix" (Is 32, 18) c’est-à-dire la paix parfaite. Et la cause de cette paix ? "Et la sécurité dans tes tentes" c’est-à-dire qu'aucun mal n’est à craindre; "dans l’abondance du repos" c’est-à-dire l’affluence de tout bien (ib.).

27. La perfection de ce bien final n’aura pas de fin. En effet les biens dont l’homme jouira ne feront jamais défaut puisqu’ils sont éternels et incorruptibles : "Tu verras Jérusalem la cité opulente et son temple qui ne sera jamais plus déplacé" (Is 33, 20). Et la cause en est que "Il n’y aura là que la magnificence du Seigneur notre Dieu" (ib.). Toute la perfection en effet de cet état consistera en la jouissance de l’éternité de Dieu.

27 bis. Pour la même raison cet état ne cessera pas suite à la corruption de ceux qui y sont : car ou bien ils sont naturellement incorruptibles comme les anges ou bien ils seront transférés dans l’incorruption; tels seront les hommes : "Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité" (1 Cor 15, 53). D’où il est dit dans l’Apocalypse : "Celui qui aura vaincu, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus" (3, 12).

28. Cet état durera : car la volonté de l’homme ne s’en détournera pas par lassitude. Car plus Dieu est contemplé, qui est la bonté par essence, d’autant en est-Il aimé et sa jouissance toujours plus désirée : "Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif" (Sir. 24, 29). Ce qui fait qu’au sujet des anges qui voient Dieu il est écrit : "Celui que les anges désirent contempler" (1 P 1, 12).

29. Cet état ne subira pas l’attaque de quelqu’ennemi parce que là cessera toute atteinte du mal selon ce que dit Isaïe "Il n’y aura pas de lion", à savoir les attaques du diable, "et la méchante bête", à savoir l’homme méchant, "n’y montera pas, ni ne s’y trouvera" (Is 35, 9). D’où ce que dit le Seigneur de ses brebis qu’elles ne périront jamais et que personne ne les arrachera de sa main (Jean 10, 28).

30. Cet état n’aura pas de fin en ce sens que Dieu pourrait en exclure certains. En effet personne n’en sera rejeté à cause d’une faute, qui ne sera aucunement où tout ce qui est mal est absent : d’où ce que dit Isaïe "Ton peuple, ce sont tous les justes" (Is 60, 21); ni en vue d’un bien meilleur comme il arrive qu’en ce monde Dieu enlève même aux justes les consolations spirituelles et ses autres bienfaits pour qu’ils le recherchent plus avidement et reconnaissent leurs limites. Car cet état n’est pas celui de l’amendement et du progrès mais bien de la perfection finale. Et c’est pourquoi le Seigneur dit : "Celui qui vient à moi je ne le jetterai pas dchors" (Jean 6, 37). En cet état se trouvera donc la pérennité de tous ces biens : "Ils exulteront pour toujours et tu habiteras parmi eux" dit le Psaume (Ps 5, 12).

31. Ce règne est donc la béatitude parfaite en tant qu’on y trouve tout en suffisance et sans aucun changement. Et parce que les hommes désirent naturellement la béatitude il est conséquent que tous désirent le règne de Dieu.

 

 

Caput 10 [70468] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 10 tit. Quod regnum obtinere est possibile


 [70469] Compendium theologiae, lib. 2 cap. 10 Oportet autem ulterius ostendere, quod homo ad illud regnum pervenire possit: alioquin frustra speraret et pateretur.
Primo autem apparet hoc esse possibile ex promissione divina, dicit enim dominus, Luc. XII, 32: nolite timere pusillus grex, quia complacuit patri vestro dare vobis regnum. Est autem divinum beneplacitum efficax ad implendum omne quod disponit, secundum illud Isai. XLVI, 10: consilium meum stabit, et omnis voluntas mea fiet. Voluntati enim eius quis resistit? Ut dicitur ad Roman. IX, 19. Secundo ostenditur hoc esse possibile ex evidenti exemplo.

Chapitre 10 — IL EST POSSIBLE D’OBTENIR LE RÊGNE : LA VISION DE DIEU

1. Il faut ensuite[61] que l’homme puisse parvenir à ce royaume afin que ce ne soit pas là une simple espérance et une vaine demande. Or cela est possible de par la promesse divine. En effet le Seigneur nous dit : "Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume" (Lc 12, 32). Or, le bon plaisir divin est capable de réaliser ce qu’il a une fois comme il est écrit : "Mon conseil tiendra toutes m volontés se feront" (Is 46, 20). Et encore : "Qui résiste à ma volonté ?" (Rom 9, 19).

 

 

 

Ici s'achève le Compendium. Suite à une extase pendant la messe, le frère Thomas s'est refusé à poursuivre sa dictée, disant — "Face à ce que j'ai vu, tout ce que j'ai écrit est paille." La suite est une compilation de Frère Réginald.

[53142] De veritate, q. 8 a. 1 co. Et huius exemplum aliquale in naturalibus inveniri potest. Res enim per se subsistens non potest esse alicuius materiae forma, si in ea aliquid de materia inveniatur, sicut lapis non potest esse alicuius materiae forma; sed res per se subsistens quae materia caret, potest esse forma materiae, sicut de anima patet. Et similiter quodammodo essentia divina, quae est actus purus, quamvis habeat esse omnino distinctum ab intellectu, efficitur tamen ei ut forma in intelligendo. Et ideo dicit Magister in II, dist. 2, sententiarum, quod unio corporis ad animam rationalem est quoddam exemplum beatae unionis rationalis spiritus ad Deum. [53142] De veritate, q. 8 a. 1 co. Constat enim quod cuiuslibet intellectualis creaturae beatitudo consistit in sua perfectissima operatione. Illud autem quod est supremum in qualibet creatura rationali, est intellectus. Unde oportet quod beatitudo cuiuslibet creaturae rationalis in nobilissima visione intellectus consistat. Nobilitas autem intellectivae visionis est ex nobilitate intellecti; sicut etiam dicit philosophus in X Ethicorum, quod perfectissima operatio visus, est visus bene dispositi ad pulcherrimum eorum quae cadunt sub visu. Si ergo creatura rationalis in sua perfectissima visione non perveniret ad videndum divinam essentiam, beatitudo eius non esset ipse Deus, sed aliquid sub Deo; quod esse non potest: quia ultima perfectio cuiuslibet rei est, quando pertingit ad suum principium. Ipse autem Deus immediate omnes creaturas rationales condidit, ut fides vera tenet. Unde oportet secundum fidem, ut omnis creatura rationalis quae ad beatitudinem pervenit, per essentiam Deum videat.

Quo ad visionem autem divinae essentiae, oportet tria attendere. Primo, quia numquam videbitur oculo corporali, vel aliquo sensu, vel imaginatione, cum per sensus non percipiantur nisi sensata corporea; Deus autem incorporeus est; infra IV, v. 24: Deus spiritus est. Secundo, quia intellectus humanus quamdiu corpori est coniunctus, Deum videre non potest, quia aggravatur a corruptibili corpore, ne possit ad summum contemplationis pertingere. Et inde est quod anima quanto magis est a passionibus libera, et purgata ab affectibus terrenorum, tanto amplius in contemplationem veritatis ascendit, et gustat quam suavis est dominus. Summus gradus autem contemplationis est videre Deum per essentiam; et ideo quamdiu homo in corpore subiecto ex necessitate passionibus multis vivit, Deum non potest per essentiam videre. Ex. c. XXXIII, 20: non videbit me homo et vivet. Ad hoc ergo quod intellectus humanus divinam essentiam videat, necesse est ut totaliter deserat corpus; vel per mortem, sicut apostolus dicit II Cor. V, 8: audemus, et bonam voluntatem habemus magis peregrinari a corpore, et praesentes esse ad dominum; vel quod totaliter abstrahatur per raptum a corporis sensibus, sicut de Paulo legitur II Cor. c. XII, 3. [53142] De veritate, q. 8 a. 1 co.  Sed oportet nunc considerare et intelligere quis sit modus videndi Deum per essentiam. In omni siquidem visione oportet ponere aliquid quo videns visum videat; et hoc est vel essentia ipsius visi, sicut cum Deus cognoscit seipsum; vel aliqua similitudo eius, sicut homo videt lapidem. Et hoc ideo, quia ex intelligente et intelligibili oportet aliquo modo in intelligendo unum fieri. Non autem potest dici quod essentia Dei videatur ab intellectu creato per aliquam similitudinem. In omni enim cognitione quae est per similitudinem, modus cognitionis est secundum convenientiam similitudinis ad id cuius est similitudo; et dico convenientiam secundum repraesentationem, sicut species in anima convenit cum re quae est extra animam, non secundum esse naturale. Et ideo, si similitudo deficiat a repraesentatione speciei, non autem a repraesentatione generis, cognoscetur res illa secundum rationem generis, non secundum rationem speciei. Si vero deficeret etiam a repraesentatione generis, repraesentaret autem secundum convenientiam analogiae tantum; tunc nec etiam secundum rationem generis cognosceretur, sicut si cognoscerem substantiam per similitudinem accidentis. Omnis autem similitudo divinae essentiae in intellectu creato recepta, non potest habere aliquam convenientiam cum essentia divina nisi analogiae tantum. Et ideo cognitio quae esset per talem similitudinem non esset ipsius Dei per essentiam, sed multo imperfectior quam si cognosceretur substantia per similitudinem accidentis. Et ideo illi qui dicebant quod Deus per essentiam non videtur, dicebant quod videbitur quidam fulgor divinae essentiae, intelligentes per fulgorem illam similitudinem lucis increatae, per quam Deum videri ponebant, deficientem tamen a repraesentatione divinae essentiae, sicut deficit lux recepta in pupilla a claritate quae est in sole; unde non potest defigi acies videntis in ipsam solis claritatem, sed videt inspiciens quosdam fulgores. Restat ergo ut illud quo intellectus creatus Deum per essentiam videt, sit ipsa divina essentia. Non autem oportet quod ipsa essentia divina fiat forma ipsius intellectus, sed quod se habeat ad ipsum ut forma; ut sicut ex forma, quae est pars rei, et materia efficitur unum ens actu, ita licet dissimili modo, ex essentia divina et intellectu creato fit unum in intelligendo, dum intellectus intelligit, et essentia per seipsam intelligitur. Qualiter autem essentia separata possit coniungi intellectui ut forma, sic ostendit Commentator in III de anima. Quandocumque in aliquo receptibili recipiuntur duo quorum unum est altero perfectius, proportio perfectioris ad minus perfectum, est sicut proportio formae ad suum perfectibile; sicut lux est perfectio coloris, cum ambo recipiuntur in diaphano. Et ideo, cum intellectus creatus, qui inest substantiae creatae, sit imperfectior divina essentia in eo existente, comparabitur divina essentia ad illum intellectum quodammodo ut forma. Et huius exemplum aliquale in naturalibus inveniri potest. Res enim per se subsistens non potest esse alicuius materiae forma, si in ea aliquid de materia inveniatur, sicut lapis non potest esse alicuius materiae forma; sed res per se subsistens quae materia caret, potest esse forma materiae, sicut de anima patet. Et similiter quodammodo essentia divina, quae est actus purus, quamvis habeat esse omnino distinctum ab intellectu, efficitur tamen ei ut forma in intelligendo. Et ideo dicit Magister in II, dist. 2, sententiarum, quod unio corporis ad animam rationalem est quoddam exemplum beatae unionis rationalis spiritus ad Deum. [28712] Iª q. 12 a. 4 co. Unde secundum intellectum possumus cognoscere huiusmodi res in universali, quod est supra facultatem sensus. Intellectui autem angelico connaturale est cognoscere naturas non in materia existentes. Quod est supra naturalem facultatem intellectus animae humanae, secundum statum praesentis vitae, quo corpori unitur. Relinquitur ergo quod cognoscere ipsum esse subsistens, sit connaturale soli intellectui divino, et quod sit supra facultatem naturalem cuiuslibet intellectus creati, quia nulla creatura est suum esse, sed habet esse participatum. Non igitur potest intellectus creatus Deum per essentiam videre, nisi inquantum Deus per suam gratiam se intellectui creato coniungit, ut intelligibile ab ipso. [28715] Iª q. 12 a. 4 ad 3 Sed intellectus noster vel angelicus, quia secundum naturam a materia aliqualiter elevatus est, potest ultra suam naturam per gratiam ad aliquid altius elevari. Et huius signum est, quia visus nullo modo potest in abstractione cognoscere id quod in concretione cognoscit, nullo enim modo potest percipere naturam, nisi ut hanc. Sed intellectus noster potest in abstractione considerare quod in concretione cognoscit. Etsi enim cognoscat res habentes formam in materia, tamen resolvit compositum in utrumque, et considerat ipsam formam per se. Et similiter intellectus Angeli, licet connaturale sit ei cognoscere esse concretum in aliqua natura, tamen potest ipsum esse secernere per intellectum, dum cognoscit quod aliud est ipse, et aliud est suum esse. Et ideo, cum intellectus creatus per suam naturam natus sit apprehendere formam concretam et esse concretum in abstractione, per modum resolutionis cuiusdam, potest per gratiam elevari ut cognoscat substantiam separatam subsistentem, et esse separatum subsistens. [28720] Iª q. 12 a. 5 co. Omne quod elevatur ad aliquid quod excedit suam naturam, oportet quod disponatur aliqua dispositione quae sit supra suam naturam, sicut, si aer debeat accipere formam ignis, oportet quod disponatur aliqua dispositione ad talem formam. Cum autem aliquis intellectus creatus videt Deum per essentiam, ipsa essentia Dei fit forma intelligibilis intellectus. Unde oportet quod aliqua dispositio supernaturalis ei superaddatur, ad hoc quod elevetur in tantam sublimitatem. Cum igitur virtus naturalis intellectus creati non sufficiat ad Dei essentiam videndam, ut ostensum est, oportet quod ex divina gratia superaccrescat ei virtus intelligendi. Et hoc augmentum virtutis intellectivae illuminationem intellectus vocamus; sicut et ipsum intelligibile vocatur lumen vel lux. Et istud est lumen de quo dicitur Apoc. XXI, quod claritas Dei illuminabit eam, scilicet societatem beatorum Deum videntium. Et secundum hoc lumen efficiuntur deiformes, idest Deo similes; secundum illud I Ioan. III, cum apparuerit, similes ei erimus, et videbimus eum sicuti est. [33626] Iª-IIae q. 4 a. 3 co. Cum beatitudo consistat in consecutione ultimi finis, ea quae requiruntur ad beatitudinem sunt consideranda ex ipso ordine hominis ad finem. Ad finem autem intelligibilem ordinatur homo partim quidem per intellectum, partim autem per voluntatem. Per intellectum quidem, inquantum in intellectu praeexistit aliqua cognitio finis imperfecta. Per voluntatem autem, primo quidem per amorem, qui est primus motus voluntatis in aliquid, secundo autem, per realem habitudinem amantis ad amatum, quae quidem potest esse triplex. Quandoque enim amatum est praesens amanti, et tunc iam non quaeritur. Quandoque autem non est praesens, sed impossibile est ipsum adipisci, et tunc etiam non quaeritur. Quandoque autem possibile est ipsum adipisci, sed est elevatum supra facultatem adipiscentis, ita ut statim haberi non possit, et haec est habitudo sperantis ad speratum, quae sola habitudo facit finis inquisitionem. Et istis tribus respondent aliqua in ipsa beatitudine. Nam perfecta cognitio finis respondet imperfectae; praesentia vero ipsius finis respondet habitudini spei; sed delectatio in fine iam praesenti consequitur dilectionem, ut supra dictum est. [33616] Iª-IIae q. 4 a. 2 arg. 3 (Si dicitur) quod visio respondet fidei, delectatio autem, sive fruitio, caritati. Sed caritas est maior fide, ut dicit apostolus I ad Cor. XIII. Ergo delectatio, sive fruitio, est potior visione. [33621] Iª-IIae q. 4 a. 2 ad 3 Quod caritas non quaerit bonum dilectum propter delectationem, sed hoc est ei consequens, ut delectetur in bono adepto quod amat. Et sic delectatio non respondet ei ut finis, sed magis visio, per quam primo finis fit ei praesens. [33610] Iª-IIae q. 4 a. 1 co. Ut si dicamus quod calor requiritur ad ignem. Et hoc modo delectatio requiritur ad beatitudinem. Delectatio enim causatur ex hoc quod appetitus requiescit in bono adepto. Unde, cum beatitudo nihil aliud sit quam adeptio summi boni, non potest esse beatitudo sine delectatione concomitante. [33626] Iª-IIae q. 4 a. 3 co. Et ideo necesse est ad beatitudinem ista tria concurrere, scilicet visionem, quae est cognitio perfecta intelligibilis finis; comprehensionem, quae importat praesentiam finis; delectationem, vel fruitionem, quae importat quietationem rei amantis in amato.

 

2. On peut aussi le montrer par un exemple évident qu’on trouve dans les choses habituelles. En effet une chose subsistante par elle-même ne peut être forme d’une matière si en elle se trouve de la matière; comme une pierre ne peut informer de la matière; mais si une chose est exempte de matière elle peut informer la matière, telle notre âme. Et semblablement en quelque sorte l’essence divine qui est l’acte pur, bien que son être soit absolument distant de l’intellect, lui devient cependant comme forme dans l’acte de l’intelligence. Et donc Pierre Lombard dit que l’union du corps à l’âme rationnelle est un exemple de la bienheureuse union de l’esprit rationnel avec Dieu[62].

3. Il est patent en effet que le bonheur de toute créature consiste en sa plus parfaite opération. Or ce qui est suprême en la créature rationnelle est son intelligence d’où il faut que son bonheur consiste en la vision la plus noble de l’intelligence; or la noblesse de la vision intellective vient de la noblesse de ce qu’elle saisit; en effet Aristote dit que la vision atteint le plus haut degré de son opération quand au mieux de sa perfection elle peut voir ce qu’il y a de plus beau (Eth. 10, 9). Si donc la nature rationnelle ne parvenait pas à voir la divine essence, son bonheur ne serait pas Dieu mais quelque chose en dessous de Dieu. Ce qui est impossible parce que l’ultime perfection de toutes choses est d’atteindre à leur principe. Or c’est Dieu lui-même qui a créé immédiatement toutes les natures rationnelles, comme le dit notre foi. D’où il faut, selon la foi, que toute créature rationnelle qui parvient à la béatitude voie Dieu par essence.

4. En ce qui concerne la vision de la divine essence il faut considérer qu’elle ne sera jamais vue d’un oeil corporel ou de quelque sens ou de l’imagination, puisque les sens ne perçoivent que des sensations corporelles. Or Dieu n’est pas un corps"Dieu est esprit" (Jean 4, 22) dit Jésus à la Samaritaine. Ensuite l’intellect humain aussi longtemps qu’il est uni au corps ne peut voir Dieu, alourdi qu’il est d’un corps corruptible, de sorte qu’il ne peut parvenir au sommet de la contemplation. De là vient que plus l’âme est libérée des passions et purifiée de l’attachement aux choses terrestres, elle s’élève d’autant plus amplement en la contemplation de la vérité et goûte combien le Seigneur est bon (Ps 33, 8). Or le sommet de la contemplation est la vision de Dieu par essence; et donc aussi longtemps que l’homme vit dans un corps, lequel est soumis nécessairement à bien des passions il ne peut voir Dieu, selon qu’il est écrit : "L’homme ne me verra pas et vivra" (Ex 33, 20). Donc pour que son intellect voie l’essence divine il faut qu’il soit séparément de son corps, ou par la mort comme le souhaite l’Apôtre : "Nous aimons mieux quitter notre corps pour habiter auprès du Seigneur" (2 Cor 5, 8) ou bien qu’il soit entièrement soustrait aux sens par le rapt comme saint Paul : "Je connais un homme dans le Christ, ravi jusqu’au troisième ciel, dans son corps ou sans son corps, je ne sais pas" (2 Cor 12, 2).

5. Mais il faut considérer et voir comment on connaît Dieu par essence. Puisqu’en toute vision il faut quelque chose qui fasse voir ce qui est vu, ou bien ce sera l’essence même de ce qui est vu, comme Dieu qui se con naît lui-même, ou bien une ressemblance comme quand on voit une pierre. Et cela parce que de celui qui connaît et de ce qui est saisi il faut que d’une certaine manière se produise une seule chose.

6.         Or on ne peut pas dire qu’un intellect créé voie l’essence divine par quelque ressemblance. En effet en toute connaissance par ressemblance le mode de connaissance est une conformité de ressemblance avec ce qu’elle représente; et je dis conformité de représentation, comme l’image en notre âme qui est conforme avec la chose extérieure non selon son être naturel. Et donc si la ressemblance n’est pas selon l’espèce, mais selon le genre la chose sera connue génériquement mais non spécifiquement. Si l’image reçue ne représente même pas le genre, elle représenterait la chose selon une convenance analogique seulement; alors elle ne serait même pas connue sous la raison de genre, comme si la substance serait connue par ressemblance d’accident[63].

7. Et donc ceux qui disaient que Dieu n’est pas vu son essence, disaient que se verra un éclat de la divine essence, entendant par éclat cette ressemblance lumière incréée par laquelle Dieu est vu, déficiente cependant à représenter la divine essence, comme fait défaut lumière reçue dans la pupille de l’oeil, de la clarté qui est dans le soleil, le regard ne pouvant se fixer sur la clarté du soleil ne le voyant que par son éclairage.

8. Il reste donc que ce par quoi l’intellect créé voit Dieu par son essence est son essence même[64]. Or ce n'est pas l’essence divine qui devient la forme de l’intellect mais elle y est comme une forme, pour que de même que de la forme qui fait partie d’une chose et de sa matière s’effectue un seul être en acte, de même bien que différemment, de l’essence divine et de l’intellect créé se produit une seule chose dans la saisie même de sorte que l’essence divine est saisie en elle-même.

8 bis. Comment maintenant une essence séparée peut se joindre comme une forme à l’intellect, voici comment le montre le Commentateur au 3 Livre de l’âme (comm. 5 et 6) : "Chaque fois que deux choses se reçoivent mutuellement dans un milieu et dont l’une est plus parfaite, le rapport de celle-ci à la moins parfaite est comme le rapport de la forme à ce qu’elle perfectionne," comme la lumière est perfection de la couleur quand toutes deux sont reçues dans un milieu diaphane[65]. Et comme l’intellect créé dans une substance créée est plus imparfait que la divine essence existant en lui, cette dernière se comparera à cet intellect d’une certaine manière comme sa forme.

9. Quelque chose de ce genre peut se rencontrer dans les choses naturelles. En effet une chose subsistant par soi ne peut être forme d’une matière si en elle se trouve quel que chose de la matière, comme une pierre qui ne peut être forme d’une matière; mais une chose existant par soi et qui n’a pas de matière peut informer une matière, comme il en est de l’âme. Et donc d’une certaine manière l’essence divine qui est l’acte pur bien qu’elle soit l’être tout à fait distinct de l’intellect lui devient cependant forme dans la saisie même qui se produit dans l’intellect. Et c’est pourquoi Pierre Lombard dit que l’union du corps à l’âme rationnelle est un exemple de la bienheureuse union de l’esprit rationnel avec Dieu (2 Sent. Dist. 2).

10. Ou bien autrement. Selon l’intelligence nous pouvons connaître les choses en général, ce dont notre pou voir sensoriel n’est pas capable. Si d’autre part il est connaturel à l’ange de connaître les natures immatérielles, cela est au-dessus de la faculté naturelle de l’âme humaine en l’état de la vie présente par laquelle nous sommes unis à un corps. Quant à connaître l’être même subsistant cela est connaturel au seul intellect divin. Voir Dieu comme lui-même se connaît est donc au-dessus de la vertu naturelle d’un être créé parce qu’aucune créature n’est son être mais possède un être participé. Donc l’intellect créé ne peut voir Dieu en son essence que si Dieu par sa grâce se joint à lui comme se rendant intelligible à l’âme. Or notre intelligence, comme d’ailleurs celle de l’ange, étant naturellement élevée au-dessus de la matière peut être haussée en quelque sorte au-dessus de sa nature par un effet de la grâce.

11. Et l’indice de ceci est que la vue ne peut connaître abstraitement ce qu’elle connaît concrètement, elle ne peut percevoir une nature uniquement que comme celle-là. Mais notre intelligence peut connaître abstraitement le concret. Car bien qu’elle connaisse les choses ayant leur forme dans la matière elle fait cependant le départ des deux dans le composé pour ne considérer que la forme elle-même en soi. Et l’intellect de l’ange semblablement bien qu’il lui soit connaturel dé connaître l’être concret en une certaine nature peut cependant faire le départ de l’être même tandis qu’il connaît qu’autre il est lui et autre est son être. Et donc puisque l’intellect créé est à même par sa nature de saisir une forme concrète et l’être concret dans l’abstraction comme par méthode d’analyse, il peut par la grâce s’élever afin de connaître une substance séparée subsistante et l’être séparé subsistant (Dieu).

12. Enfin tout ce qui est élevé à ce qui dépasse sa nature doit y être disposé par quelque chose qui soit au- dessus de sa nature... Or lorsqu’un intellect créé voit Dieu par son essence celle-ci devient forme intelligible de l’intellect. Il faut donc qu’une disposition surnaturelle lui soit ajoutée pour être élevée à une telle sublimité. Puis donc que la vertu naturelle de l’intellect créé ne suffit pas pour la vision de l’essence divine il faut de par la grâce divine que lui soit ajouté le pouvoir de saisir l’essence divine. C’est cette augmentation du pouvoir intellectif que nous appelons illumination de l’intellect, comme aussi l’intelligible lui-même est appelé lumière. Et de cette lumière il est écrit : "La clarté de Dieu l’illuminera" (Apoc 21, 23) c’est-à-dire la société des bienheureux voyant Dieu. Et de cette lumière, ils sont faits déiformes c’est-à-dire semblables à Dieu, selon ce qui est écrit "Lorsqu’il apparaîtra nous lui serons semblables et nous le verrons comme il est" (1 Jean 3, 2).

13.[66] Puisque la béatitude consiste en l’obtention de la fin dernière, les choses qui sont requises pour la béatitude doivent être considérées à partir du rapport même de l’homme à la fin. Or vers une fin intelligible l’homme est ordonné en partie par l’intellect, en partie par la volonté; par l’intellect en tant que dans celui-ci préexiste une certaine connaissance imparfaite de la fin; par la volonté : d’abord par l’amour qui est le premier mouvement de la volonté vers quelque chose, ensuite par le rapport réel de l’amant pour l’aimé. Or ce rapport est triple : parfois en effet l’aimé est présent à l’amant et alors il n’est plus cherché; parfois il n’est pas présent mais il y a impossibilité de l’atteindre et alors aussi il n’est plus cherché; parfois il y a possibilité de l’obtenir mais il est au-dessus du pouvoir de l’amant en sorte qu’il ne peut être possédé tout de suite et ceci est le rapport de celui qui espère à ce qu’il espère et ce seul rapport est cause de la recherche de la fin. Et à ces trois choses répondent certaines dans la béatitude même. Car la parfaite connaissance répond à l’imparfaite; la présence de la fin répond au rapport de l’espoir. Mais la délectation en la fin déjà pré sente est le résultat de la dilection[67]. (Si l’on objecte que) puisque la vision correspond à la foi, la délectation ou la jouissance à la charité et que celle-ci est plus grande que la foi, donc que la délectation ou la jouissance est plus que la vision, (on répond que) la charité, en effet, ne cherche pas le bien aimé pour la délectation mais c’en est une conséquence que de se plaire dans le bien aimé et possédé; ce n’est donc pas la délectation qui lui répond comme fin mais plutôt la vision de Dieu qui d’abord lui a rendu la fin présente (I-II 4, 2 ad 3). De la même manière que la chaleur est inséparable du feu ainsi la délectation est inséparable de la béatitude. En effet elle est causée par le repos dans le bien obtenu. Et donc comme la béatitude n’est rien autre que l’obtention du bien suprême il n’est pas possible qu’il y ait béatitude sans le plaisir qui l’accompagne (ib. I C).

14. Et donc pour la béatitude ces trois choses doivent concourir : c’est-à-dire la vision qui est la connaissance parfaite de la fin intelligible; la compréhension qui comporte la présence de la fin; la délectation, ou jouissance, qui comporte le repos de la chose aimante dans l’aimé. Ces trois choses correspondent aux trois vertus théologales : la vision à la foi, la compréhension à l’espérance, la délectation à la charité (suppl. 95, 5).

 

 

A partir de là, « Question disputée sur la charité » de saint Thomas d’Aquin, uniquement les « respondeo ».

TROISIÈME PARTIE — LA CHARITÉ

 

 

Articulus 1 [65945] De virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid creatum in anima vel sit ipse spiritus sanctus [65971] De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis. [65972] De virtutibus, q. 2 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quidam posuerunt, quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit aliud quam spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent. Et ut huius opinionis intellectus plenius habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum virtutum: quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia. Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur dum diligimus Deum et proximum, sit ipse spiritus sanctus. Sed haec opinio omnino stare non potest. Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est. Possibile autem est quod res naturalis ab aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio intrinseco, puta cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio non a principio intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est impossibile, quia in se contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria esse simul non subsit divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus lapidis sursum, qui non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest quidem lapidi dare virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum naturaliter moveatur; non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia natura detur. Et similiter non potest hoc divinitus fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a principio extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis reducuntur, sicut in primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod est ultimus finis. Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus. Actus igitur qui excedit totam facultatem naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a principio intrinseco proveniat. Si igitur actus caritatis in homine non ex aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae superaddito, sed ex motione spiritus sancti, sequetur alterum duorum: vel quod actus caritatis non sit voluntarius; quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam velle; aut quod non excedat facultatem naturae, et hoc est haereticum. Hoc igitur remoto, sequetur primo quidem, quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis, sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente, quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice. Sic igitur si anima non agit actum caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim solum meritoria sunt quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter tollitur meritum humanum, cum dilectio sit radix merendi. Tertium inconveniens est, quia sequeretur quod homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit promptus, neque ipsum delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt nobis delectabiles, quod secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur in illos per modum inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est maxime delectabilis et maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem omnia quae agimus vel patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur quod oporteat esse quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit formale principium actus dilectionis. Nec tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus, qui est caritas increata, sit in homine caritatem creatam habente, movens animam ad actum dilectionis, sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas tamen inclinantur ex propriis formis. Et inde est quod omnia disponit suaviter, quia omnibus dat formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse movet, ut in illud tendant non coacte, sed quasi sponte.

Article 1 — EST-ELLE QUELQUE CHOSE DE CRÉÉ DANS L'AME ?

1. Tout ce qui est reçu l’est à la mesure de ce qui reçoit. Si donc la charité est reçue en nous depuis Dieu il faut qu’elle le soit d’une manière finie, à notre mesure. Or ce qui est fini est créé. La charité est donc en nous quelque chose de créé.

2. Certains ont posé qu’en nous la charité par laquelle nous aimons Dieu et le prochain n’est autre que l’Esprit Saint comme il ressort de Pierre Lombard au premier livre des sentences dist. 17 I lib. Pour en avoir une idée plus complète il faut savoir que l’acte de dilection pour Dieu et le prochain, selon Pierre Lombard, est quelque chose de créé en nous comme aussi les actes des autres vertus; mais il posait la différence entre l’acte de charité et ceux des autres vertus en ce que l’Esprit Saint, pour ce qui est des actes des autres vertus, meut l’âme par l’intermédiaire de certains habitus qu’on appelle vertus mais il meut à l’acte de dilection immédiatement par lui-même sans aucun habitus. Et il y est amené à cause de l’excellence de la charité et de l’autorité de saint Augustin[68]. Or il eut été ridicule de dire que l’acte même de dilection que, nous expérimentons tandis que nous aimons Dieu et le prochain soit l’Esprit Saint. Mais cette opinion ne peut absolument pas tenir. De même en effet que les actions naturelles et les mouvements procèdent de quelque principe interne qui est la nature, ainsi aussi les actions volontaires doivent procéder d’un principe intérieur. Car de même que l’inclination naturelle dans les choses naturelles se nomme appétit naturel ainsi dans les choses rationnelles l’inclination qui suit l’appréhension de l’intellect est l’acte de la volonté.

3. Il est possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent extérieur non par un principe intérieur par exemple quand une pierre est projetée vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou action ne procédant pas d’un principe intérieur soit naturel c’est tout à fait impossible parce qu’en soi il implique une contradiction. D’où comme il n’est pas dans la puissance divine que les contradictoires soient également vrais, Dieu ne peut faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient pas d’un principe interne, soit naturel. Il peut donner à la pierre un pouvoir par lequel comme par un principe externe elle s’élève naturellement mais non que ce mouvement lui soit naturel s’il n’est pas donné par la nature. Et de même il ne peut pas se faire divinement qu’un mouvement de l’homme, ou interne ou externe, venant d’un principe externe, puisse être volontaire; d’où tous les actes de la volonté se ramènent comme en leur première racine à ce que l’homme veut naturellement et qui est la fin dernière. Les choses qui sont pour la fin nous les voulons à cause de la fin.

4. Donc un acte qui excède toute la faculté de la nature humaine ne peut être volontaire pour l’homme que si est surajouté à la nature humaine quelque chose d’intrinsèque qui parfait la volonté pour qu’un tel acte provienne d’un principe interne. Si donc l’acte de charité dans l’homme ne procède pas d’un principe interne surajouté à la puissance naturelle mais par la motion de l’Esprit Saint il s’en suit de deux choses l’une ou que l’acte de charité n’est pas volontaire, ce qui est impossible parce que cela même qui est d’aimer est un vouloir; ou bien qu’il n’excède pas la faculté de la nature et cela est hérétique.

5. Ceci étant écarté il s’en suivra d’abord que l’acte de charité est volontaire. Ensuite si l’on admet que l’acte de la volonté puisse être totalement de l’extérieur, comme l’est l’acte de la main ou du pied, il s’en suivra aussi, si l’acte de charité est seulement à partir d’un principe extérieur qui meut, qu’il n’est pas méritoire. En effet tout agent qui n’agit pas selon sa forme propre mais seulement selon qu’il est mû par un autre est agent instrumental seulement comme la hache que meut l’artisan.

6. Ainsi donc, si l’âme n’agit pas l’acte de charité par une forme propre mais selon qu’elle est mue par un agent extérieur, c’est-à-dire l’Esprit Saint, il s’en suivra qu’elle ne sera qu’un instrument. Il n’est donc pas dans l’homme de faire cet acte ou de ne le faire pas et ainsi il ne pourra être méritoire. Cela en effet est seulement méritoire qui est en quelque manière en nous; et ainsi est enlevé totalement le mérite humain puisque la dilection est la racine du mérite. Enfin l’inconvénient est que l’homme qui a la charité ne soit pas prompt à l’acte de charité ni ne le pose avec plaisir. En effet les actes des vertus nous sont délectables en ce que l’habitus nous les rend conformes et que nous y sommes inclinés naturellement. Et cependant l’acte de charité est des plus délectables et des plus prompts pour celui qui a la charité et par elle tout ce que nous faisons ou souffrons nous devient délectable. Il reste donc qu’il faut que soit en nous un habitus de charité créé qui soit principe formel de l’acte de dilection.

7. Par-là il n’est cependant pas exclu que l’Esprit Saint qui est la charité incréée ne soit dans l’homme qui a la charité créée, amenant l’homme à l’acte de dilection de même que Dieu meut toutes les choses à leurs actes aux quels cependant elles sont enclines de par leurs propres formes. Et de là vient qu’il dispose tout suavement par ce qu’il donne à toutes, les formes et les vertus qui les inclinent à ce à quoi il meut pour qu’elles y tendent non for cément mais spontanément.

 

 

Articulus 2 [65997] De virtutibus, q. 2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus [66016] De virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII, 37, quod primum et maximum mandatum est: dilige dominum Deum tuum. Ergo caritas est virtus. [66017] De virtutibus, q. 2 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim virtus sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum est quod secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum. Proprium autem bonum hominis oportet diversimode accipi, secundum quod homo diversimode accipitur. Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum rationis, eo quod homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis secundum quod est artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est politicus, est bonum eius bonum commune civitatis. Cum ergo virtus operetur ad bonum; ad virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se habeat quod ad bonum bene operetur, id est voluntarie et prompte et delectabiliter, et etiam firmiter: hae enim sunt conditiones operationis virtuosae, quae non possunt convenire alicui operationi, nisi operans amet bonum propter quod operatur, eo quod amor est principium omnium voluntariarum affectionum. Quod enim amatur, desideratur dum non habetur, et delectationem infert quando habetur et tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum impediunt. Ea etiam quae ex amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum autem ad quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est bonum rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam aliam considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem amorem illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum circa naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat ei amor boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in VIII Polit., quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur quod amet bonum civitatis. Si autem homo, in quantum admittitur ad participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis illius civitatis; competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt civium, et ad amandum bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam admittatur in participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et fruitione Dei consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis, quae vocatur caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19: estis cives sanctorum et domestici Dei. Unde homini sic ad caelestia adscripto competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes infusae; ad quarum debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti societati, quod est bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare autem bonum alicuius civitatis contingit dupliciter: uno modo ut habeatur; alio modo ut conservetur. Amare autem bonum alicuius civitatis ut habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic etiam aliquis tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur: quod est amare seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit, non civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est vere amare civitatem; quod bonum politicum facit: in tantum quod aliqui propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis exponant et negligant privatum bonum. Sic igitur amare bonum quod a beatis participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem bene se habentem ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt; sed amare illud bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil contra illud bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est virtus, sed potissima virtutum.

Article 2 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE VERTU ?

1. Les préceptes de la loi ont trait à des actes de vertu. Mais l’acte de charité est ordonné dans la loi; dans Mt 22, 37, il est dit qu’il est le premier et le plus grand des commandements : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Donc la charité est une vertu.

2. A cela il n’y a aucun doute. En effet comme la vertu fait bon celui qui l’a et rend son oeuvre bonne, il est manifeste que c’est par une vertu appropriée que l’homme est ordonné à son propre bien. Or le propre bien de l’homme doit être entendu diversement selon que l’homme s’entend de diverses manières. Car le propre bien de l’homme comme tel est le bien de la raison, du fait que l’être de l’homme est d’être rationnel. Le bien de l’homme selon qu’il est artisan est le bien de son art; et ainsi aussi selon qu’il est politique son bien est le bien commun de la cité. Puis donc que la vertu opère pour le bien il est requis quant à la vertu de chacun d’être ainsi qu’il opère bien en vue du bien c’est-à-dire volontiers et promptement et joyeusement et aussi avec fermeté. Ce sont en effet là les conditions de l’action vertueuse qui ne peuvent s’accorder à quelqu’action que si l’acteur aime le bien pour lequel il agit parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En effet ce qu’on aime on le désire quand on ne l’a pas et il apporte la joie quand on l’a et ce qui empêche la possession de ce qu’on aime est cause de tristesse. Aussi ces choses qu’on fait par amour se font avec fermeté, promptitude et joie.

3. Pour la vertu donc est requis l’amour du bien pour quoi la vertu agit. Or le bien pour quoi la vertu agit et qui est humaine est connaturel à l’homme; donc l’amour de ce bien existe naturellement dans sa volonté et c’est le bien de la raison. Mais si nous prenons la vertu de l’homme selon une autre considération non naturelle[69] à l’homme il faudra pour cette vertu que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnée soit quelque chose de surajouté à la volonté naturelle. En effet l’artisan n’opère bien que si lui survient l’amour du bien qu’il poursuit par l’action de son art. D’où Aristote dit que pour être un bon politique il est requis qu’on aime le bien de la cité. Si donc l’homme en tant qu’il est admis à prendre part au bien d’une cité, est fait citoyen de cette cité, des vertus lui incombent pour accomplir ce qui est du citoyen et pour aimer le bien de la cité. Ainsi lorsque l’homme par la grâce divine est admis à participer à la béatitude céleste qui consiste en la vision et en la jouissance de Dieu il devient comme le citoyen et le compagnon de cette bienheureuse société qui est appelée la Jérusalem céleste selon ce qui est écrit aux Ephésiens 2, 19 : "Vous êtes les citoyens des saints faisant partie de la maison de Dieu."

4. D’où à l’Homme inscrit de la sorte pour les choses célestes lui sont propres des vertus gratuites qui sont des vertus infuses; pour bien s’en acquitter est pré exigé l’amour du bien commun à toute la société, qui est le bien divin d’après qu’il est l’objet de la béatitude.

5. Or aimer le bien d’une cité se réalise en deux choses : d’une part pour qu’il soit, d’autre part qu’il se conserve. Aimer le bien de la cité pour qu’il soit et pour le posséder ne fait pas le bien politique parce qu’ainsi aussi le tyran aime le bien de la cité pour y dominer; ce qui est s’aimer soi-même plus que la cité; c’est pour soi en effet qu’il convoite ce bien et non celui de la Cité. Mais aimer le bien de la cité pour le conserver et le défendre c’est là vraiment aimer la cité; ce que fait le bon politique jusqu’à savoir s’exposer aux périls de la mort et négliger son bien privé pour le conserver et l’amplifie. Ainsi donc aimer le bien auquel les bienheureux participent pour l’avoir et le posséder ne fait pas l’homme bien disposé pour la béatitude parce que les méchants aussi convoitent ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit répandu, et pour que rien ne soit fait contre lui c’est ce qui fait l’homme bien disposé pour cette société des bienheureux. Et telle est la charité qui aime Dieu en soi et les prochains, qui sont capables de la béatitude, pour eux-mêmes; et elle répugne à tous les obstacles et en soi-même et dans les autres. D’où elle ne peut jamais exister avec le péché mortel qui est l’obstacle à la béatitude.

Ainsi donc la charité est non seulement une vertu mais la plus grande des vertus.

 

 

Articulus 3 [66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum caritas sit forma virtutum [66056] De virtutibus, q. 2 a. 3 s. c. Sed contra, est quod Ambrosius dicit, quod caritas est forma et mater virtutum. [66057] De virtutibus, q. 2 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod de habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod est unius habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus habitus se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id quod est ex parte finis, est formale: quod ideo est, quia unusquisque actus formam et speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum calorem. Forma autem voluntatis est obiectum ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma intellectus; unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in actu voluntatis. Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum finem, cadit sub forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem, cadit sub forma vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum, vel propter inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur ad finem alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut fornicetur, materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus. Manifestum est autem quod actus omnium aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum est: nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis theologicis idem manifestum est: nam ens increatum est quidem obiectum fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum, tamen dependet ab obiecto caritatis: est enim bonum, obiectum spei, in quantum est desiderabile et consequibile: nullus enim desiderat consequi aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum. Unde manifestum est quod in actibus omnium virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro tanto dicitur forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium virtutum ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia praecepta legis sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I Timoth. cap. I, 5, quod finis praecepti est caritas. Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit motor omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum virtutum. Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc dicitur motor earum. Et quia mater dicitur quae in se accipit et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum ex conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam ratione dicitur radix virtutum.

Article 3 — LA CHARITÉ EST-ELLE FORME DES VERTUS ?

1. Elle est la forme[70] et la mère des vertus. Elle en est en plus le moteur et la racine.

Pour en avoir l’évidence il faut juger des habitus selon leurs actes; d’où lorsque ce qui est d’un habitus est comme formel dans l’acte d’un autre habitus, qu’il soit à l’autre habitus comme sa forme. Or dans tous les actes volontaires ce qui est du côté de la fin est formel; la rai son en est que tout acte reçoit sa forme et son espèce selon la forme de l’agent, comme le fait de chauffer vient de la chaleur[71].

2. Or la forme de la volonté est son objet qui est le bien et la fin, comme l’intelligible est forme de l’intellect. D’où il faut que ce qui est de la fin soit formel dans l’acte de la volonté. D’où ce qui est même acte spécifiquement selon qu’il est ordonné à une telle fin tombe sous la forme vertu; et selon qu’il est ordonné à une autre fin tombe sous la forme vice, comme il ressort de celui qui fait l’aumône ou pour Dieu ou par vaine gloire. L’acte d’un vice selon qu’il est ordonné à la fin d’un autre vice endosse sa forme; par exemple celui qui vole pour forniquer est formellement intempérant et matériellement voleur.

3. Or il est manifeste que les actes de toutes les autres vertus sont ordonnés à la fin propre de la charité qui est son objet c’est-à-dire le bien suprême. Et des vertus morales cela est manifeste; car ces vertus ont trait à des biens créés qui sont ordonnés au bien incréé comme à leur fin dernière. Mais des autres vertus théologales la même chose est manifeste; car l’être incréé est l’objet de la foi comme vrai et en tant qu’il est désirable il a raison de bien. Et ainsi la foi tend vers lui en tant que désirable puisque personne ne croit que s’il veut l’objet de l’espérance, bien qu’il soit l’être incréé en tant qu’il est bon, cela dépend cependant de l’objet de la charité; en effet le bien est objet d’espérance en tant que désirable et obtenable; personne en effet ne désire obtenir quelque bien que parce qu’il l’aime.

4. D’où il est manifeste que dans les actes de toutes les vertus est formel ce qui est de la part de la charité et pour autant elle est dite la forme de toutes les vertus c’est-à-dire que tous les actes de toutes les vertus sont ordonnés vers le bien suprême aimé, comme on l’a mon ré. Et parce que les préceptes de la loi ont trait aux actes des vertus de là vient ce que dit l’Apôtre 1 Tim 1, 5 : "La fin du précepte est la charité."

5. Et de là aussi il apparaît comment la charité est le moteur de toutes les vertus en tant qu’elle en suscite les actes. En effet toute vertu ou puissance supérieure est dite mouvoir par commandement une puissance inférieure du fait que les actes de celle-ci sont ordonnées à la fin de celle-là; comme le bâtisseur commande au maçon parce que l’art du maçon est pour la forme de la maison qui est le but du bâtisseur. D’où comme toutes les autres vertus sont ordonnées la fin de la charité celle-ci commande les actes de toutes les vertus et de là elle est dite leur moteur.

6. Et parce qu’une mère reçoit et conçoit, ainsi la charité est dite mère de toutes les vertus, en tant qu’ayant conçu sa fin elle produit les actes de ces vertus; et pour la même raison elle est la racine des vertus.

 

 

Articulus 4 [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum caritas sit una virtus [66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Quaecumque ita se habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed in dilectione proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit Augustinus, VII de Trinit. Ergo est eadem caritas qua diligimus Deum et proximum. [66092] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est unum primum movens. Sed caritas est motor omnium virtutum. Ergo est una. [66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod unitas cuiuslibet potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc ideo, quia potentia hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod est obiectum. Et sic ratio et species potentiae ex obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil est aliud quam dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum. Sed in obiecto consideratur aliquid ut formale et aliquid ut materiale. Formale autem in obiecto est id secundum quod obiectum refertur ad potentiam vel habitum; materiale autem id in quo hoc fundatur: ut si loquamur de obiecto potentiae visivae, obiectum eius formale est color, vel aliquid huiusmodi, in quantum enim aliquid coloratum est, in tantum visibile est; sed materiale in obiecto est corpus cui accidit color. Ex quo patet quod potentia vel habitus refertur ad formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale in obiecto, per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed solum ea quae sunt per se: ideo materialis diversitas obiecti non diversificat potentiam vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia visiva, qua videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas obiectorum est materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed gustus differt ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt per se sensibilia. Et hoc etiam oportet in caritate considerare. Manifestum est enim quod aliquem possumus diligere dupliciter: uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione alterius. Ratione autem sui ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni proprii diligimus, utpote quia est in se honestus, vel nobis delectabilis, aut utilis. Ratione autem alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum quia attinet alii quem diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem secundum se, diligimus omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius, in quantum ei attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis dilectionis, scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum quodammodo in omnibus aliis diligimus. Sic igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum: unde quodammodo Deum diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus caritatis quo Deum et proximum diligimus. Sed si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et non ratione Dei, hoc ad aliam dilectionem pertineret: puta ad dilectionem naturalem, vel politicam, vel ad aliquam aliarum quas philosophus tangit in VIII Ethic.

Article 4 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE UNIQUE VERTU ?

1. Rien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet la charité est une; car quand des choses sont ainsi que l’une se trouve, en l’autre, elles sont une. Or dans l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement. C’est donc la même charité par laquelle nous aimons Dieu et le prochain.

De plus en n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Mais la charité est le moteur de toutes les vertus. Donc elle est une.

2. L’unité de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du côté de son objet; et cela parce que ce qui fait une puissance c’est sa relation avec ce qui est possible, est l’objet. Et ainsi la raison et l’espèce de la puissance a son sens dans l’objet et semblablement pour un habitus qui n’est rien autre qu’une disposition d’une puissance complétée par son objet.

3. Or dans un objet on considère quelque chose de formel et quelque chose de matériel. Or le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte à la puissance ou habitus; matériel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou quelque chose de semblable, en tant en effet que quelque chose est coloré il est visible; mais ce qui est matériel c’est le corps qui a la couleur.

4. D’où il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte à la raison formelle de l’objet, par soi, à ce qui est matériel dans l’objet, par accident. Et ce qui est par accident ne varie pas la chose mais seulement ce qui y est par soi. Donc la diversité matérielle de l’objet ne diversifie pas la puissance ou l’habitus mais la diversité formelle. Une est en effet la puissance visuelle par laquelle nous voyons et les pierres et les hommes et le ciel parce que cette diversité est matérielle et non selon la raison formelle du visible. Mais le goût diffère de l’odorat selon la différence qu’il y a dans la saveur et dans l’odeur qui : sont des sensibles en soi.

5. Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charité. Il est évident en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux manières : ou en raison de lui-même ou d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-même quand nous l’aimons en raison de son propre bien d’après qu’il est en soi honnête, ou pour nous désirable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un autre parce qu’il tient à un autre que nous aimons De ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-même nous aime tous ses familiers, ses consanguins et ses amis en tant qu’ils tiennent à lui. Cependant en tous ceux-là il n'y a qu’une seule raison de dilection c’est son propre bien que nous aimons en raison de lui-même et en quelque sorte nous l’aimons en tous les autres.

6. Il faut donc dire que la charité aime Dieu en raison de lui-même et les autres en raison de lui en tant qu’ils sont ordonnés à Dieu; d’où en quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches; ainsi en effet nous aimons le prochain par charité parce qu’en lui est Dieu ou pour que Dieu soit en lui. D’où il est évident que c’est le même habitus de charité par lequel nous aimons Dieu et le prochain.

7. Mais si nous aimions le prochain en raison de lui- même et non en raison de Dieu cela ressortirait à une autre dilection par exemple une dilection politique ou naturelle ou à quelqu’autre qu’Aristote touche au chapitre 8 du 8° Livre des Ethiques.

 

 

Articulus 5 [66106] De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta ab aliis virtutibus vel non [66119] De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, I ad Cor., cap. XIII, 13, condividit eam aliis virtutibus, dicens: nunc autem manent fides, spes, caritas, tria haec. [66120] De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici, sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum. Et hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad contrarium trahente; sicut circa continentem apparet: et ideo praeter prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte operetur et sine impedimento. Et sicut est in diversis potentiis, quarum una movet aliam; idem est etiam considerare secundum diversa obiecta quorum unum ordinatur ad alterum sicut ad finem: una enim et eadem potentia, secundum quod est finis, non solum aliam potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea quae sunt ad finem. Et ideo ad rectam operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem: alias sequitur operatio impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa. Et sic manifestum est quod, cum per caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad ultimum finem, necesse est ut habeat alias virtutes, quibus bene disponatur ad ea quae sunt ad finem. Est ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea quae sunt ad finem, licet illa quae ordinatur ad finem, sit principalior, et architectonica, respectu earum quae ordinantur in ea quae sunt ad finem; sicut medicinalis respectu pigmentariae, et militaris respectu equestris. Unde manifestum fit quod necesse est caritatem esse quamdam virtutem specialem distinctam ab aliis virtutibus, sed principalem et motivam respectu earum.

Article 5 — LA CHARITÉ EST-ELLE UNE VERTU SPÉCIALE DISTINCTE DES AUTRES ?

1. L’Apôtre la distingue d’avec d’autres vertus : "Maintenant demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois choses" (1 Cor 13, 13).

La charité est une vertu distincte des autres vertus pour en avoir l’évidence considérons que toutes les fois qu’un acte dépend de plusieurs principes qui ont un ordre entre eux il est requis pour la perfection de cet acte que chacun de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le premier ou dans le moyen ou dans le dernier l’acte est imparfait, comme quand l’artisan n’est pas capable ou l’instrument défectueux, l’oeuvre en est imparfaite.

2. Et cela peut aussi entrer en considération pour les puissances mêmes de l’âme. En effet si droite est la raison qui meut les puissances inférieures, et que le concupiscible est indisposé, on opérera selon la raison mais l’action sera imparfaite parce qu’il y aura un obstacle, indisposée qu’elle est par le concupiscible qui l’entraîne vers l’opposé, comme il apparaît chez le continent; et donc en pour qu’on soit bon dans le concupiscible qu’on soit tempérant afin d’agir promptement et sans empêchement.

3. Et de même qu’il en est pour les diverses puissances où l’une meut l’autre, la même considération doit être faite pour les divers objets dont l’un est ordonné à un autre comme à sa fin. En effet une et même puissance selon qu’elle est une fin meut, en ce qui est pour la fin, non seulement l’autre puissance mais elle-même. Et donc pour une action droite doit-on être bien disposé non seulement pour la fin mais aussi pour ce qui est à la fin autrement suit une action défectueuse; comme il en est de celui qui veut la santé mais ne prend pas les remèdes nécessaires.

4. Et ainsi il est manifeste que puisque la charité dispose correctement aux choses qui sont pour la fin dernière ainsi faut-il d’autres vertus qui disposent correctement à la fin. La charité est donc autre que celles qui sont pour la fin, bien qu’elle soit plus principale et constructrice par rapport aux autres qui sont ordonnées à ces choses qui sont pour la fin; comme par exemple la médecine par rapport à la pharmacie et l’art militaire par rap port à la cavalerie. Etant vertu spéciale distincte des autres vertus elle est la principale et meut les autres.

 

 

Articulus 6 [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum caritas possit esse cum peccato mortali [66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap., I, 5: spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum, et avertet se a cogitationibus quae sunt sine intellectu, et corripietur, id est expelletur, a superveniente iniquitate. Sed spiritus sanctus est in homine quamdiu habet caritatem; quia per caritatem habitat in nobis spiritus Dei. Ergo a superveniente iniquitate expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum peccato mortali. [66151] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8: in reliquo reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die, iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius. Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest simul caritas cum peccato mortali haberi. [66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali. Ad cuius evidentiam primo considerandum est, quod omne peccatum mortale directe opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit aliquid alteri, illud quod praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat propriam vitam et sui consistentiam quam voluptatem, quantumcumque sit magna voluptas, homo retraheretur ab ea, si eam existimaret esse suae vitae infallibiliter peremptivam; propter quod dicit Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum, quod nemo est qui non magis dolorem metuat quam appetat voluptatem; quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis voluptatibus abstinere dolorum metu. Ex hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri. Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur. Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet: et propter hoc, si aliquod obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo, intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum illud Is., LIX, 2: peccata nostra diviserunt inter nos et Deum nostrum. Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum aspiciat, eum super omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non potest), iterato ad statum caritatis redit.

Article 6 — LA CHARITÉ PEUT-ELLE EXISTER AVEC LE PÉCHÉ MORTEL ?

1. Au Livre de la Sagesse (1, 5) on lit : "L’Esprit Saint qui nous éduque fuit la duplicité et il s’écarte des pensées qui sont sans intelligence et il sera rejeté par l’iniquité qui survient." Mais l’Esprit Saint est dans l’homme aussi longtemps qu’il a la charité; car il habite en nous par la charité. Donc l’iniquité qui survient rejette la charité et ainsi elle ne peut être en même temps que le péché mortel.

2. De plus, quiconque a la charité est digne de la vie éternelle, selon ce que dit l’Apôtre à Timothée II 4, 8 : "Il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de gloire qui m’est réservée; le Seigneur le juste juge me la donnera en ce jour-là, non seulement à moi mais à tous ceux qui auront aimé son avènement." Or quiconque pèche mortellement est digne de la peine éternelle : Rom 6, 23 : "Le salaire du péché est la mort." Mais on ne peut être en même temps digne de la vie éternelle et de la peine éternelle. Donc la charité ne peut pas être en même temps que le péché mortel.

3. Il faut d’abord considérer que le péché mortel est directement opposé à la charité. Quiconque en effet met en avant une chose de préférence à une autre, celle qu’il met en avant il l’aime davantage : sa propre vie et son existence que la volupté; quelle que grande que soit celle-ci, il s’en abstiendra s’il l’estime être infailliblement dommageable à sa vie. A cause de cela saint Augustin dit au L. 83 des Questions : "La crainte de la douleur est plus grande que le désir de la volupté puisque nous voyons les animaux les plus sauvages s’abstenir des plus grandes voluptés par crainte de la douleur."

4. On pèche mortellement en ce qu’on choisit plutôt une chose que de vivre selon Dieu et de lui adhérer. Il est donc évident que quiconque pèche mortellement du fait même qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage il mettrait en avant de vivre selon Dieu plutôt que de posséder quelqu’avantage temporel. Or il est dans la nature de la charité que l’on aime Dieu au-dessus de tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut; d’où tout péché mortel va à l’encontre de la charité.

5. En effet la charité est répandue par Dieu en l’homme. Or ce que Dieu cause par-là, non seulement a besoin de l’action divine dans son principe pour commencer à être, mais en toute sa durée pour sa conservation, tout comme l’illumination de l’air a besoin de la présence du soleil non seulement lorsque l’air vient d’être éclairé mais aussi longtemps qu’il demeure éclairé. Et voilà pour quoi si un obstacle s’interpose interceptant l’action directe du soleil la lumière cesse dans l’air; et semblablement quand le péché mortel advient qui empêche le regard direct de l’âme vers Dieu, par cela qu’elle préfère autre chose à Dieu, l’influx de la charité est interrompu et la charité cesse d’exister en l’homme selon ce que dit Isaïe

"Nos péchés nous ont divisés entre nous et notre Dieu" (69, 2). Mais lorsque de nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter ses regards vers Dieu, en l’aimant par dessus tout (ce qui ne se fait pas sans la grâce) il revient de nouveau à l’état de charité.

 

 

Articulus 7 [66169] De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 1 Septimo quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura [66190] De virtutibus, q. 2 a. 7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit., XIX, 18: diliges proximum tuum sicut teipsum. Glossa: proximum non tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis. [66191] De virtutibus, q. 2 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae subiiciuntur actui alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare formalem rationem obiecti illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod aliqua se habent ad illam rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur illi potentiae vel habitui: sicut visibilia secundum quod se habent ad rationem visibilis, secundum eamdem rationem habent visibilia quod sint visibilia per se vel per accidens. Cum autem amoris universaliter sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse est quod cuiuslibet specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum: sicut amicitiae naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est bonum naturale, secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem politica obiectum est bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale bonum ut proprium obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra, art. 4 huius quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad hoc bonum, sic se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate. Sed considerandum est, quod cum amare sit velle bonum alicui, dupliciter dicitur aliquid amari: aut sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod volumus alicui. Primo ergo modo illa tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum beatitudinis aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere. Unde, cum sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis aeternae; sola intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum quod diligi dicuntur ea quibus volumus bonum. Et propter hoc, secundum quod diversimode aliqua possunt habere beatitudinem aeternam, secundum hoc distinguuntur ab Augustino quatuor diligenda ex caritate. Est enim aliquid habens beatitudinem aeternam per suam essentiam, et hoc est Deus; et aliquid habens per participationem, et hoc est creatura rationalis; tam illa quae diligit, quam aliae creaturae, quae ei associari possunt in participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum, quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum. Unde diligendus est ex caritate Deus ut radix beatitudinis; quilibet autem homo debet seipsum ex caritate diligere, ut participet beatitudinem; proximum autem ut socium in participatione beatitudinis; corpus autem proprium secundum quod ad ipsum redundat beatitudo. Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem. Omnes enim creaturae sunt homini via ad tendendum in beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam Dei, in quantum in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex caritate diligere possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent, vel habere possunt. Considerandum etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei diligant se invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel quicumque tales, potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament se invicem propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest esse meritorium neque ex caritate.

Article 7 — LA NATURE RATIONNELLE PEUT-ELLE ÊTRE AIMÉE PAR CHARITÉ ?

1. Au Lévitique (18, 18) on dit : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" et la Glose dit : "Prochain non seulement par la proximité du sang mais par la société de la raison ". Donc selon que quelque chose est en société avec nous par la nature raisonnable ainsi est-il diligible par charité. La nature raisonnable est donc objet de charité.

2. Lorsqu’on s’informe de ces choses qui sont soumises à une puissance ou habitus il faut considérer la raison formelle d’objet de cette puissance ou habitus. En effet selon que certaines choses ont rapport à cette raison ainsi sont-elles soumises à cette puissance ou habitus; de même que les choses visibles selon qu’elles se rapportent à la nature visuelle, selon cette même raison sont visibles en soi ou accidentellement. Or comme l’objet de l’amour pris en général est le bien pris communément il est nécessaire que de chaque amour spécial il y ait un objet bon spécial : comme de l’amitié naturelle qui va aux consanguins son objet propre est le bien naturel selon qu’il est tiré des parents; dans l’amitié politique l’objet est le bien de la cité. D’où la charité a un certain bien spécial comme son propre objet, c’est-à-dire le bien de la béatitude divine, comme on l’a vu à l’art. 4.

Selon donc que certaines choses ont un rapport à ce bien ainsi sont-elles diligibles par charité.

3. Puisqu’aimer est vouloir du bien à quelqu’un, une chose peut être aimée doublement : ou bien comme ce à quoi nous voulons du bien ou comme le bien que nous lui voulons. De la première manière ces choses-là seules peu vent être aimées auxquelles nous pouvons vouloir le bien de la béatitude éternelle et qui sont à même d’avoir ce bonheur. D’où comme la seule nature intellectuelle est à même d’avoir la béatitude éternelle, elle seule doit être aimée par charité comme on aime ces choses auxquelles nous voulons du bien.

Selon que certaines choses peuvent avoir diversement la béatitude éternelle, saint Augustin en distingue quatre qu’on doit aimer par charité[72]’. Il y a en effet ce qui a la béatitude éternelle par essence et c’est Dieu; et ce qui l’a par participation et c’est la nature rationnelle tant celle qui aime que celles qui peuvent lui être associées dans la participation à la béatitude. Enfin il y a ce à quoi revient la béatitude par une sorte de retombée comme notre corps qui est glorifié par retombée de la grâce depuis l’âme jusqu’à lui. D’où, Dieu doit être aimé par charité comme racine de la béatitude; tout homme doit s’aimer par charité afin de participer à la béatitude; le prochain comme compagnon dans cette participation; notre propre corps qui est glorifié selon que retombe sur lui la béatitude.

4. D’après les biens que nous voulons aux autres, tous les biens peuvent être aimés en tant qu’ils sont les biens de ceux qui peuvent avoir la béatitude. Toutes les créatures en effet sont pour l’homme une voie vers la béatitude et de plus toutes sont ordonnées à la gloire de Dieu en tant qu’en elles se manifeste la divine bonté. Maintenant donc nous pouvons tout aimer par charité en l’ordonnant cependant à ces choses qui ont la béatitude ou peuvent l’avoir.

5. Les dilections sont entre elles comme aussi les biens qui sont leurs objets. D’où comme tous les biens humains sont ordonnés à la béatitude éternelle comme en la fin dernière, la dilection de charité comprend sous elle toutes les dilections humaines à l’exception de celles qui se fon dent sur le péché lequel n’est pas destiné à la béatitude. D’où si des consanguins s’aiment mutuellement ou certains concitoyens, ou ceux qui voyagent ensemble ou tous autres que ce soit, cela peut avoir du mérite aussi par charité; mais que d’aucuns s’aiment pour leur communication dans la rapine ou l’adultère cela ne peut être méritoire ni par charité.

 

 

Articulus 8 [66211] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii [66232] De virtutibus, q. 2 a. 8 s. c. Sed contra, est quod Augustinus dicit in Enchir.: perfectorum filiorum Dei est diligere inimicos: in quo quidem se quilibet debet fidelem ostendere. [66233] De virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit caritas, in omnibus hominibus invenitur. Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est duo invenire: unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum pertinet; et aliud quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In quocumque autem invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa dilectione in odium convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii praeponderat in corde nostro ei quod est ratio dilectionis. Sic ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat, inimicitia illius praeponderat in corde suo amori divino. Magis ergo odit amicitiam illius quam diligat Deum. Tantum autem odimus aliquid, quantum diligimus bonum quod nobis per inimicum subtrahitur. Relinquitur ergo quod quicumque inimicum odit, aliquod bonum creatum diligit plus quam Deum; quod est contra praeceptum caritatis. Habere igitur odio inimicum est contrarium caritati; unde necesse est quod si ex praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei praeponderet in nobis dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens odio contrarii. Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere inimicos. Sed tunc considerandum, quod cum ex praecepto caritatis teneamur proximos diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod quemlibet proximum actu diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene faciamus: quia nullus sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut specialiter unumquemque actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad benefaciendum vel serviendum singulariter unicuique. Tenemur tamen etiam in speciali aliquos diligere, et eis prodesse, qui nobis aliqua alia amicitiae ratione coniuncti sunt: nam omnes aliae licitae dilectiones sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum est; unde dicit Augustinus: cum omnibus prodesse non possis; his potissimum consulendum est, qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte enim habendum est prout quisque tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex quo eligis potius illi dandum esse. Ex quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto ut dilectionis affectu vel operis effectu moveamur in speciali ad eum qui nulla alia constrictione nobis coniungitur, nisi forte pro loco et tempore; utpote si videremus eum in aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri non posset. Tenemur tamen affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos diligimus, et pro omnibus oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali constrictione coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia. Cum etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat nisi sola unio caritatis; ex necessitate praecepti teneremur diligere eos in communi, et affectu et effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus immineret; sed quod homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad alios sibi coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae caritatis est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit quod sola caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et specialis dilectio. Manifestum est autem quod ex perfectione activae virtutis procedit quod actio agentis ad remota procedat. Perfectior enim est ignis virtus per quam non solum propinqua sed remota calefiunt. Ita et perfectior est caritas, per quam non solum ad propinquos, sed etiam ad extraneos, et ulterius ad inimicos, non solum generaliter, sed etiam specialiter, et diligendo et benefaciendo movetur.

Article 8 — L’AMOUR DES ENNEMIS EST-IL DE LA PERFECTION DE CONSEIL ?

1. Saint Augustin dans 1’Enchiridion chapitre 73 dit : "Il est de la perfection des fils de Dieu d’aimer leurs ennemis : en cela chacun doit se montrer fidèle."

2. Aimer ses ennemis, d’une certaine manière tombe sous la nécessité de précepte et d’une certaine manière sous la perfection de conseil. Il faut en effet remarquer comme on l’a vu à l’art. 4 que l’objet propre et par soi de la charité est Dieu; et tout ce qu’on aime par charité est aimé en raison de son appartenance à Dieu, comme lorsque nous aimons quelqu’un nous aimons par conséquent tous ceux qui lui sont attenants même s’ils sont nos ennemis. Or il est constant que tous les hommes appartiennent à Dieu en tant qu’il les a créés et sont capables de la béatitude qui consiste en sa jouissance. Il est donc manifeste que ce motif de dilection que considère la charité se trouve chez tous les hommes.

3. Ainsi donc chez celui qui exerce son inimitié contre nous trouve-t-on deux choses : l’une qui est la raison de la dilection c’est-à-dire son appartenance à Dieu et l’autre qui est la raison de la haine c’est-à-dire qu’il est notre adversaire. Or partout où se rencontrent ces deux choses la dilection et la haine si, passant outre à la dilection nous nous tournons vers la haine il est manifeste que ce qui est raison de haine a le dessus en notre coeur sur ce qui est raison de dilection. Si donc quelqu’un hait son ennemi l’inimitié qu’il a pour lui a le dessus sur l’amitié divine. Il hait donc l’amitié de celui-là plus que d’aimer Dieu. Or nous haïssons quelque chose dans la mesure où nous aimons le bien que l’ennemi nous soustrait. Il reste donc que quiconque hait son ennemi aime un certain bien créé plutôt que Dieu; ce qui est contraire au précepte de la charité. Donc haïr son ennemi est contraire à la charité; d’où il est nécessaire que si le précepte de la charité nous oblige à ce que la dilection de Dieu l’emporte en nous sur la dilection de n’importe quelle chose et par con séquent sur la haine de son contraire il s’en suit donc que de nécessité de précepte nous sommes tenus d’aimer les ennemis.

4. Mais il faut remarquer que quand nous sommes tenus d’aimer le prochain le précepte ne s’étend pas à ce que nous aimions actuellement tout prochain en particulier ou que nous fassions le bien à chacun d’une façon spéciale; car personne n’arriverait à penser à tous les hommes de sorte qu’on aimerait spécialement chacun actuellement; ni aussi on n’arriverait pas à faire le bien ou à servir chacun en particulier.

5. Nous sommes cependant tenus en particulier d’aimer certains et de leur être utile qui nous sont conjoints par quelqu’autre raison d’amitié, car toutes les autres dilections permises sont comprises dans la charité, comme on l’a vu plus haut; d’où ce que dit saint Augustin : "Comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les lieux et les temps ou toutes autres opportunités des choses te sont plus étroitement unis par le sort; par sort en effet il faut entendre quiconque t’est lié temporellement et qui adhère à toi, ce qui fait que tu choisis de l’avantager" (Doctr. chrét.).

6. D’où il ressort qu’en vertu du précepte de la charité nous ne sommes pas tenus d’être poussés par affection de dilection ou effectivement en particulier pour celui qui ne nous est uni par aucun autre lien si ce n’est peut-être selon le temps ou le lieu, parce que nous le Voyons en quelque nécessité d’où il ne pourrait être secouru sans nous[73]. Nous sommes tenus cependant par affection et effet de charité par quoi nous aimons tous les prochains et prions pour tous, de ne pas exclure même ceux-là qui ne nous sont unis par aucun lien spécial comme par exemple ceux qui habitent les Indes ou l’Ethiopie.

7. Puisque aussi nulle autre union avec notre ennemi ne reste que l’union de la charité nous serions tenus de nécessité de précepte de les aimer en général, effectivement et affectueusement et en particulier dans un cas de nécessité imminent. Mais que l’homme témoigne une spéciale affection et une effective dilection qu’il a pour ceux qui lui sont unis, aussi pour ses ennemis à cause de Dieu, c’est de la perfection de la charité et tombe sous le conseil. En effet de la perfection de la charité procède que la seule charité pousse ainsi vers l’ennemi comme pousse vers l’ami la charité et une dilection spéciale. Or il est manifeste que de la perfection d’une vertu active procède que l’action de l’agent s’étende à ce qui est loin. Plus parfaite en effet est la vertu du feu par laquelle non seulement il réchauffe ce qui est près mais ce qui est loin, ainsi est plus parfaite la charité par laquelle on est poussé non seulement vers ceux qui nous sont proches mais aussi vers les étrangers et plus loin vers nos ennemis, non seulement en général mais aussi en particulier en les aimant et en leur faisant du bien.

 

 

Articulus 9 [66252] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur utrum ordo aliquis sit in caritate [66272] De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra, est quod dicitur Cantic. II, v. 4: introduxit me rex in cellam vinariam, ordinavit in me caritatem. [66273] De virtutibus, q. 2 a. 9 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus affectu et effectu super omnia diligatur. Sed quantum ad dilectionem proximorum, fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum effectum, et non secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui dicit, quod omnes homines aeque diligendi sunt; sed cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte coniunguntur. Sed ista positio irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum quod conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a Deo amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem, eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad tendendum in Deum. Secundum igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate inclinatur. Tendituris autem in Deum sicut in finem, id quod maxime necessarium est, divinum auxilium est; secundo autem auxilium quod est a seipso; tertio autem cooperatio, quae est a proximo: et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis coniuncti, in speciali; non enim omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Coadiuvat nos etiam, instrumentaliter tantum, corpus nostrum, et etiam quae corpori necessaria sunt. Unde sic inclinari oportet affectum hominis per caritatem, ut primo et principaliter aliquis diligat Deum; secundo autem seipsum; tertio proximum: et inter proximos, magis illos qui sunt magis coniuncti, et magis nati sunt coadiuvare. Qui autem impediunt, in quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde dominus dicit, Luc., XIV, 26: si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum. Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum affectum in dilectione proximorum. Sed etiam considerandum est, quod sicut supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et honestae, quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem; et sic caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis secundum aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate imperante. Manifestum est autem quod secundum dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus. Unde manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est diligendus quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum.

Article 9 — Y A-T-IL UN CERTAIN ORDRE DANS LA CHARITÉ ?

1. Au Cantique des cantiques il est dit : "Le roi m’a introduit dans la cave à vin, il a disposé en moi la charité" (2, 4). Selon toute sentence et autorité de l’Ecriture il faut tenir de façon indubitable pour cet ordre de la charité que Dieu soit aimé par-dessus tout en affection et en fait. Mais en ce qui regarde la dilection des prochains il y eut une opinion que l’ordre de la charité se prenne selon le fait et non selon l’affection; on y fut poussé par ce que dit saint Augustin au L. I de la Doctrine chrétienne chapitre 28, que tous les hommes doivent être aimés également "mais comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui selon les temps et les lieux ou toutes autres opportunités te sont plus étroitement unis comme par un certain sort".

2. Mais cette position ne semble pas rationnelle. En effet Dieu pourvoit à chacun selon que le veut sa condition : d’où à ces choses qui tendent à la fin naturelle leur sont imprimés l’amour et l’appétit de la fin selon que l’exige leur condition pour tendre à la fin; d’où celles dont le mouvement est plus véhément selon la nature vers une fin donnée, plus grande aussi est l’inclination vers elle; mais on a alors l’appétit naturel, comme il est clair dans les choses lourdes et légères. De même en est-il dans la dilection de charité qui est une inclination répandue dans la nature rationnelle afin de tendre vers Dieu. Selon donc qu’il est nécessaire à quelqu’un de tendre vers Dieu d’après cela y est-il incliné par charité.

3. Or à ceux-là qui tendront vers Dieu comme à leur fin ce qui leur est le plus nécessaire avant tout est le secours divin; deuxièmement ce qui vient de soi; enfin la coopération qui vient du prochain : et en cela il y a gradation. Car certains coopèrent seulement en général; d’autres qui sont plus proches, en particulier; tous en effet ne peuvent coopérer pour tous dans les choses particulières. Ce qui nous vient en aide aussi comme instrument c’est le corps et également ce qui est nécessaire au corps.

4. D’où il faut que l’affection de l’homme soit ainsi ordonnée par la charité que d’abord et principalement il aime Dieu; ensuite soi-même; enfin le prochain et parmi les prochains davantage ceux qui sont plus proches et plus à même de nous aider. Pour ceux qui sont un obstacle en tant que tels on doit les avoir en aversion quels qu’ils soient; d’où ce que dit le Seigneur en Luc 14, 26 : "Si quelqu’un vient à moi et n’a pas son père ou sa mère en aversion... il ne peut être mon disciple." Notre corps enfin lui aussi doit être aimé. Ainsi également selon l’ordre d’affection devons-nous exercer la charité dans nos actes.

5. Mais comme on l’a vu plus haut aux Articles 7 et 8, il y a encore d’autres dilections licites et honnêtes qui viennent d’autres causes et qui peuvent être ordonnées à la charité; et ainsi la charité peut commander les actes de ces dilections; et ainsi ce qui est plus aimé selon une d’elles, l’est davantage sur ordre de la charité. Or il est manifeste que selon la dilection naturelle on doit aimer davantage les proches aussi selon l’affection, et selon la dilection sociale davantage les associés et ainsi des autres dilections.

D’où il est manifeste que même selon l’affection, l’un des prochains doit être aimé plus qu’un autre et en tant que vertu qui commande les actes des autres amitiés licites.

 

 

Articulus 10 [66292] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem esse perfectam in hac vita [66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio caritatis requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest esse in hac vita, secundum illud I Ioan., I, 8: si dixerimus quia peccatum non habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas in hac vita haberi non potest. [66304] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 2 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit. Sed in hac vita Deus perfecte non potest cognosci, secundum illud I Cor., XIII, 9: nunc ex parte cognoscimus. Ergo nec etiam potest perfecte diligi. [66305] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 3 Praeterea, illud quod semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest proficere, ut dicitur in sermone. Ergo caritas in hac vita semper perfecta esse non potest. [66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea, perfecta caritas foras mittit timorem, ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere caritatem perfectam. [66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co. Respondeo. Dicendum, quod perfectum tripliciter dicitur. Uno modo perfectum simpliciter: alio modo perfectum secundum naturam; tertio modo secundum tempus. Perfectum quidem dicitur simpliciter quod omnibus modis perfectum est, et cui nulla perfectio deest. Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa: sicut intellectum hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere. Perfectum secundum tempus dicimus quando nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus illud: sicut dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad hominem secundum aetatem illam. Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur. Caritas autem perfecta secundum naturam haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita haberi potest. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola caritas Dei, qua diligit seipsum. Sed tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur esse perfecta, quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum diligendum convertitur. Impeditur autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum feratur, ex tribus. Primo quidem ex contraria inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum conversa ad commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili bono. Secundo per occupationem saecularium rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33: qui cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi quomodo placeat uxori, et divisus est; id est, cor eius non movetur tantum in Deum. Tertio vero ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus oportet aliquatenus hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur in Deum; dormiendo, comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus praesens vita duci non potest: et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima deprimitur, ne divinam lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali visione caritas perficiatur; secundum illud apostoli, II ad Cor., V, 6: quamdiu sumus in corpore, peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per speciem. Homo autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente ipsum a Deo; et iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut apostolus dicit, I ad Cor., c. VII, 33: qui sine uxore est, sollicitus est de his quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis carnis in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum duorum impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem quantum ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem caritatis quae erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi sit viator et comprehensor simul; quod est proprium Christi.

Article 10 — LA CHARITÉ PEUT-ELLE ÊTRE PARFAITE EN CETTE VIE ?

1. Puisque tout péché répugne à la charité, la perfection de la charité requiert que l’homme soit absolument sans péché. Mais cela est impossible en cette vie selon ce que dit I Jean 1, 8 : "Si nous disons que nous n’avons pas de péché nous nous trompons nous-mêmes."

Rien n’est aimé s’il n’est connu. Mais en cette vie Dieu ne peut être parfaitement connu selon 1 Cor 13, 9 : "Maintenant nous connaissons partiellement." Donc aussi il ne peut être parfaitement aimé.

Ce qui peut toujours progresser n’est pas parfait. Mais la charité en cette vie peut toujours progresser comme il est dit au sermon sur la Montagne (Mt 5, 48)[74]. Donc la charité en cette vie ne peut pas toujours être parfaite en cette vie.

La charité parfaite met dehors la crainte : (1 Jean 4, 18). Mais en cette vie l’homme ne peut pas être sans crainte.

2. Il y a trois sortes de perfections : ce qui l’est simplement; ce qui est parfait selon sa nature; ce qui est par fait selon le temps. Est parfait simplement ce qui en tous points est parfait et à quoi rien ne manque. Est parfait naturellement ce à quoi rien ne manque de ce qui est dû à cette nature, comme est parfaite l’intelligence de l’homme non qu’il possède la connaissance de tous les intelligibles mais parce que rien ne manque de ce qui le rend à même de comprendre. Est parfait selon le temps quand rien ne manque de ce qu’on est à même d’avoir selon le temps, comme nous disons un enfant parfait parce qu’il a ce qui est requis à l’homme selon cette âge-là.

3. Ainsi on doit donc dire que la charité parfaite est en Dieu uniquement. La charité parfaite selon sa nature peut être chez l’homme non en cette vie. Celle qui est selon le temps, même en cette vie peut exister.

4. Puisque l’acte et l’habitus ont leur espèce de par leur objet c’est de là qu’il faut prendre la raison de perfection. Or l’objet de la charité est le souverain bien; la charité est donc parfaite simplement qui se porte vers le bien souverain autant qu’il est aimable. Or le souverain bien est infiniment aimable puisqu’il est le bien infini. D’où aucune charité de la créature qui est finie ne peut être simplement parfaite mais ainsi peut être dite parfaite la seule charité de Dieu par laquelle il s’aime lui-même.

5. Mais alors selon la nature de la créature rationnelle la charité est dite parfaite lorsque selon son pouvoir elle se tourne à aimer Dieu. Or trois choses empêchent l’esprit de l’homme en cette vie de se porter totalement vers Dieu. D’abord l’inclination contraire de son esprit, c’est-à-dire quand celui-ci se tourne par le péché vers un bien changeant comme à une fin pour se détourner du bien immuable. Ensuite à cause de l’occupation des choses séculières, car comme le dit l’Apôtre : "Celui qui est avec l’épouse est soucieux des choses du monde et comment il plaira à l’épouse et il est divisé." (1 Cor 7, 33) son coeur donc ne se meut pas seulement vers Dieu. Enfin il y a l’infirmité de la vie présente qui nécessairement par ses nécessités l’occupe et le retient de se porter actuellement vers Dieu, tels sont le sommeil, les repas et autres choses de ce genre, sans lesquelles la vie présente ne peut exister. Et de plus de par la lourdeur du corps l’âme est rabaissée et ne peut ainsi voir la divine lumière en son essence, selon ce que dit l’Apôtre : "Aussi longtemps que nous sommes dans le corps nous marchons loin du Seigneur nous avançons en effet dans la foi et non par la vue" (2 Cor 5, 6).

6. Or l’homme en cette vie peut vivre dans le péché mortel qui le détourne de Dieu et en plus sans occupation de choses temporelles comme saint Paul dit : "Celui qui n’a pas d’épouse se soucie des choses de Dieu et comment il lui plaira" (1 Cor 7, 33). Mais du fardeau de la chair corruptible il ne peut être déchargé en cette vie. D’où la charité peut être parfaite en cette vie par l’élimination des deux premiers obstacles mais non du troisième. Et donc cette perfection de la charité qui sera après cette vie personne ne peut l’avoir s’il n’est en même temps voyageur et contemplatif, ce qui fut le propre du Christ.

 

 

Articulus 11 [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam [66335] De virtutibus, q. 2 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso. Sed habere perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest esse in praecepto. [66336] De virtutibus, q. 2 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis accipi potest. Ostensum est enim supra, quod aliqua perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote quae consistit in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis. Quaedam autem perfectio est, sine qua caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini in hac vita, et quaedam ad quam nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet. Manifestum est autem, quod ad illud omnes teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine caritate autem nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad salutem aeternam pervenitur. Unde ad primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile teneatur.

Article 11 — TOUT LE MONDE EST-IL TENU A LA CHARITÉ PARFAITE ?

1. Personne n’est tenu à ce qui n’est pas en lui. Mais avoir la charité parfaite ne vient pas de nous mais de Dieu. Donc elle ne peut pas être de précepte.

2. La solution dépend des prémisses. On a en effet montré qu’il existe une certaine perfection qui est inséparable de la nature de la charité, celle qui écarte toute inclination contraire à la charité. Or il y a une perfection qui n’exige pas la charité et qui est du bien-être de la charité; c’est-à-dire qui consiste en l’éloignement des occupations séculières qui retardent l’affection de l’homme pour qu’il ne puisse progresser librement vers Dieu. Et il y a cette autre perfection de la charité qui n’est pas possible en cette vie. Et il y en a une à laquelle aucune nature ne peut atteindre, comme on l’a vu plus haut.

3. Il est manifeste que tous sont tenus à ce sans quoi le salut ne peut être obtenu. Or sans la charité personne ne peut obtenir le salut éternel et une fois qu’on l’a on obtient le salut éternel.

4. D’où tous sont tenus à la première perfection de la charité comme à la charité elle-même. A la seconde perfection sans laquelle la charité peut exister les hommes n’y sont pas tenus puisque toute charité suffit au salut. Encore beaucoup moins sont-ils tenus à la troisième et quatrième perfection comme personne n’est tenu à l’impossible.

 

 

Articulus 12 [66349] De virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita possit amitti [66375] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4: habeo adversus te pauca, quod caritatem tuam primam reliquisti. [66376] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia: in quorumdam corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per compunctionem respectum Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad perpetranda peccata redeunt, ac si haec minime planxissent. Sed Deus non venit in corda fidelium nisi per caritatem. Ergo aliquis post habitam caritatem potest eam amittere per sequens peccatum. [66377] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 3 Praeterea, I Reg., XVI, dicitur de David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit, faciendo adulterium et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem. Ergo post habitam caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter. [66378] De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae, secundum illud I Ioan. III, 14: nos scimus quoniam translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Sed vita naturalis potest amitti per mortem naturalem. Ergo et vita caritatis per mortem peccati mortalis. [66379] De virtutibus, q. 2 a. 12 co. Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit, quod caritas in nobis sit spiritus sanctus. Non autem fuit sua intentio dicere, quod ipse actus dilectionis nostrae sit spiritus sanctus; sed quod spiritus sanctus movet animam nostram ad diligendum Deum et proximum, sicut etiam ad actus aliarum virtutum: sed ad actus aliarum virtutum movet animam per quosdam habitus virtutum infusarum; ad actum autem dilectionis Dei et proximi movet absque alio habitu mediante. Unde eius opinio vera fuit quidem quantum ad hoc quod posuit animam moveri a spiritu sancto ad diligendum Deum et proximum; sed imperfecta fuit quantum ad hoc, quia non posuit in nobis habitum, quid creatum, quo perficeretur voluntas humana ad huiusmodi dilectionis actum. Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut supra, art. 1 huius quaest., habitum est. Potest igitur quadruplex consideratio de caritate haberi. Prima quidem ex parte spiritus sancti moventis animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est dicere, quod motio spiritus sancti semper est efficax secundum suam intentionem. Operatur enim in anima spiritus sanctus dividens singulis prout vult, ut dicitur I Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio vult dare perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem excludens esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis possit ex parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei, quibus certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in Lib. de Praedest. Sanctor. Quibusdam autem spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus moveantur motu dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent usque in finem, ut patet per Augustinum in Lib. de Corrept. et gratia. Secunda consideratio est de caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc, nullus habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis, sicut neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc loquitur Augustinus in Lib. de sermone domini in monte, exponens illud quod habetur Matth., VII, 18: non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida; sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut malus bene faciat: et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem, quia nulla virtute aliquis male utitur. Tertia consideratio est de caritate ex parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi attendendum est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non potest remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum dilectionis: et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum, caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter habetur, quantum est ex parte subiecti. Quarta consideratio est de caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam caritatem sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus virtutis inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo habet rectam aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum quod est affectus aliqua bona vel mala dispositione, ita id quod est conveniens homini secundum habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam vel malam, aestimatur ab eo ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur ut malum et repugnans; unde et apostolus dicit, I ad Cor., cap. II, 14, quod animalis homo non percipit ea quae sunt spiritus Dei. Contingit tamen quandoque, quod id quod videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei secundum aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii habitus videtur bonum delectatio carnis, sed secundum rationis deliberationem, vel auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo habens habitum luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit, et similiter habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem proprii habitus; quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum, puta per passionem, vel aliquam seductionem. Tunc ergo contra habitum caritatis nullus agere poterit, quia nullus potest habere aliam aestimationem de fine et obiecto caritatis quam secundum inclinationem caritatis; hoc autem erit in patria, ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut nunc nullus potest aliquid velle nisi sub communi ratione boni, nec bonum sub ratione boni potest non amari, ita et tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus poterit non amare. Et propter hoc, nullus videns Deum per essentiam, potest contra caritatem agere. Et inde est quod caritas patriae est inamissibilis. Sed nunc mens nostra non videt ipsam essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui potest videri bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut bonum spirituale aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur delectationi carnali, in cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest amitti per peccatum mortale.

Article 12 — LA CHARITÉ UNE FOIS ACQUISE PEUT-ELLE SE PERDRE ?

On lit dans l’Apocalypse 2, 4 : "J’ai contre toi que tu t’es relâché de ton premier amour. Rappelle-toi donc d’où tu es tombé, et repens-toi et pratique tes premières oeuvres."

- Saint Grégoire le Grand dit dans une homélie (30 in Evang.) "Dans les coeurs de certains Dieu vient mais n’y fait pas sa demeure parce que par la componction ils conçoivent du respect pour Dieu mais dans la tentation ils retournent ainsi aux péchés comme s’ils ne les avaient pas pleurés."

Au premier livre des Rois 16, 13 on dit de David que le Seigneur était avec lui. Mais par la suite il pécha commet tant l’adultère et l’homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charité. Donc après avoir reçu la charité on peut la perdre en péchant mortellement.

La charité est la vie de l’âme selon ce que dit 1 Jean 3, 14 : "Nous savons que nous avons été transférés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères." Mais la vie naturelle peut se perdre par la mort naturelle; donc aussi la vie de charité par la mort du péché mortel.

1. Pierre Lombard a posé que la charité en nous est l’Esprit Saint. Or ce n’était pas son intention de dire que notre acte de dilection soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint pousse notre âme à aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les autres vertus; mais aux actes des autres vertus il meut l’âme par des habitus de vertus infuses; pour les actes de dilection de Dieu et du prochain il meut sans aucun autre habitus intermédiaire. D’où son opinion était vraie en ce que l’Esprit Saint meut l’âme à aimer Dieu et le prochain; mais elle était imparfaite en ce qu’il ne mettait pas en nous un habitus créé par lequel la volonté humaine serait perfectionnée en vue d’un tel acte de dilection. Il faut en effet mettre dans l’âme un tel habitus, comme on l’a vu au premier article.

2. On peut considérer la charité sous quatre aspects. D’abord du côté de l’Esprit Saint qui meut l’âme et quant à cela il faut dire nécessairement que la motion de l’Esprit Saint est toujours efficace selon son intention. En effet il opère dans l’âme distribuant à chacun comme il le veut, comme il est dit 1 Cor 12, 11; et donc à ceux aux quels selon son bon plaisir il veut donner le mouvement de persévérance dans la divine charité il ne peut y avoir chez eux de péché excluant la charité. Je dis qu’il ne peut du côté de la vertu motrice bien que ce soit possible de la part de la versatilité du libre arbitre. Ce sont là en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement libérés tous ceux qui sont libérés, comme saint Augustin le dit au Livre de la Prédestination des saints. Or à certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’être mûs pour un temps du mouvement de dilection de Dieu non qu’ils persévèrent en cela jusqu’à la fin, comme le dit saint Augustin au Livre de la Correction et de la Grâce.

3. En second lieu on peut considérer la charité du côté du pouvoir de la charité et quant à cela quiconque a la charité ne peut pécher en vertu même de la force de la charité, comme celui qui a une certaine forme ne peut opérer contre cette forme en vertu de cette même forme comme ce qui est chaud par la force de ce qu’il est ne peut pas refroidir ou être froid, il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’après cela saint Augustin expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : "Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits." Il dit en effet que de même qu’il peut se faire que ce qui fut neige ne le soit plus, non que la neige soit chaude, ainsi il peut se faire que celui qui fut mauvais ne le soit plus, non cependant que le mauvais fasse bien; et il en est de même du bien selon n’importe quelle vertu, parce qu’on ne se sert mal d’aucune vertu.

4. En troisième lieu on peut considérer la charité du côté de la volonté en tant que celle-ci lui est soumise comme la matière à la forme. Où il faut remarquer que quand la forme remplit toute la potentialité de la matière, il ne peut plus y avoir de place dans la matière pour une autre forme; d’où elle a cette forme inamissiblement comme il ressort dans la matière céleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la potentialité de la matière mais il y a place pour une autre forme et donc cette forme est amissible du côté de la matière ou du sujet comme il ressort dans les formes des corps élémentaires. Or la charité comble la potentialité de son sujet en le ramenant à l’acte de dilection et donc c’est dans la patrie où la créature rationnelle aime Dieu de tout son coeur et actuellement et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant actuellement à Dieu c’est là que la charité est possédée inamissiblement. Dans l’état de voie la charité ne comble pas toute la potentialité de l’âme qui n’est pas constamment et actuellement tournée vers Dieu, rapportant tout à lui par intention actuelle, et donc la charité de la voie est amissible du côté du sujet.

5. Enfin on peut considérer la charité du côté du sujet d’après qu’on le compare spécialement à la charité elle-même comme la puissance à l’habitus. Il faut ici considérer que l’habitus de la vertu incline l’homme à agir droitement selon que par elle l’homme a une juste estimation de la fin; car comme il est dit au L. des Éthiques 3, com. 5) : "Selon ce qu’on est telle apparaît la fin."De même en effet que le goût juge des saveurs selon qu’il est affecté d’une bonne ou mauvaise disposition ainsi ce qui convient à l’homme selon la disposition habituelle lui adhérente, bonne ou mauvaise, est estimé par lui bon; ce qui ne convient pas est estimé mauvais et répugnant; d’où ce que dit l’Apôtre 1 Cor 2, 14 : "l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu".

6. Il arrive parfois cependant que ce qui paraît être selon l’inclination de l’habitus ne le soit pas selon autre chose; comme au luxurieux selon l’inclination de son propre habitus lui paraît bonne l’inclination de la chair mais selon la délibération de la raison ou l’autorité de l’Ecriture elle lui paraît contraire. Et donc celui qui est habitué à la luxure agit parfois selon cette estimation con traire à son habitus, et semblablement le vertueux agit parfois contrairement à son habitus parce que quelque chose d’autre lui paraît autrement, par exemple par passion ou une autre séduction.

7. Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus de la charité parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la fin et de l’objet de la charité que selon l’inclination de la charité que lorsqu’il sera dans la patrie où l’essence même de Dieu sera contemplée et qui est l’essence même de la bonté. De même donc que maintenant personne ne peut vouloir une chose que sous la commune raison de bien, ni que le bien sous sa raison de bien ne peut ne pas être aimé ainsi aussi alors ce bien qui est Dieu personne ne pourra pas ne pas l’aimer. Et à cause de cela personne voyant Dieu par essence ne peut agir contrairement à la charité. Et de là vient que la charité de la patrie est inamissible.

8. Mais maintenant notre entendement ne contemple pas l’essence de la divine bonté mais un certain effet qui peut paraître bon et non bon selon des considérations différentes; comme le bien spirituel paraît n’être pas bon en tant qu’en est contrariée la délectation charnelle chez ceux qui en sont victimes. Et donc la charité de la voie peut se perdre par le péché mortel.

 

 

Articulus 13 [66404] De virtutibus, q. 2 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur [66412] De virtutibus, q. 2 a. 13 s. c. Sed contra, est quod dicitur I Ioan. III, v. 17: qui habuerit substantiam huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem habentem, et clauserit viscera sua ab eo: quomodo caritas Dei manet in eo? Et sic videtur quod per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed peccatum transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per quodcumque peccatum caritas tollitur. [66413] De virtutibus, q. 2 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum peccati mortalis habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum mortale, nisi quia per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest praesente caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum mortale fit homo dignus morte aeterna, secundum illud Rom. cap. VI, 23: stipendia peccati mors. Quicumque autem habet caritatem, habet meritum vitae aeternae: dominus enim dilectori suo promittit manifestationem sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde necesse est dicere, quod per quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem amittit. Manifestum est enim quod in quolibet actu peccati mortalis fit aversio ab incommutabili bono, cui caritas unit; cui actus peccati mortalis opponitur. Sed quia actus non directe contrariatur habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati mortalis impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non tolleretur habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis amittit habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat. Sed de habitibus caritatis est aliter. Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter dependet a causa extrinseca: caritas enim infunditur in cordibus nostris per spiritum sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5. Non autem sic Deus causat caritatem in anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum ad conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere, si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus dicit, VIII super Gen. ad litteram: non ita Deus operatur hominem iustum, id est iustificando eum, ut si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente illuminatur, absente autem continuo obtenebratur.

Article 13 — LA CHARITÉ SE PERD-ELLE PAR UN SEUL PÉCHÉ MORTEL ?

1. Saint Jean dit (I Jean 3, 17) "Celui qui possède les biens de ce monde et voit son frère dans la nécessité, lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure- t-il en lui ?" Et il semble bien que par le péché d’omission on perde la charité. Mais le péché de transgression n’est pas moindre que le péché d’omission. Donc par tout péché (grave) se perd la charité.

2. Sans aucun doute par tout acte de péché mortel l’habitus de la charité est retiré; en effet s’il est dit péché mortel c’est parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne peut être si la charité est présente qui est la vie de l’âme. Semblablement aussi par le péché mortel l’homme devient digne de la mort éternelle, selon ce qui est dit aux Romains 6, 23 : "Le salaire du péché c’est la mort." Or quiconque a la charité mérite la vie éternelle en effet le Seigneur promet à celui qui l’aime de se manifester à lui; ce en quoi consiste la vie éternelle. D’où il est nécessaire de dire que par tout acte de péché mortel l’homme perd la charité. Il est en effet manifeste que en tout acte de péché mortel se produit l’aversion du bien qu’on ne peut échanger en rien d’autre et auquel nous unit la charité à laquelle le péché mortel s’oppose.

3. Mais comme l’acte ne contrarie pas directement l’habitus mais l’acte, on pourrait penser que l’acte du péché mortel empêcherait un acte de charité opposé sans que soit enlevé l’habitus comme il en est dans les habitus acquis; en effet on ne perd pas l’habitus d’une vertu infuse si on agit contre cette vertu. Mais il en va autrement de l’habitus de charité. L’habitus de charité n’a pas sa cause dans le sujet mais dépend totalement d’une cause extrinsèque; la charité en effet est répandue en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (Rom 5, 5). Or Dieu ne cause pas ainsi la charité dans l’âme qu’il n’en soit que la cause de son devenir et non quant à sa conservation, comme le bâtisseur est cause de la maison seulement pour son devenir, d’où s’il disparaît la maison subsiste. Mais Dieu est cause de la charité et de la grâce dans l’âme et quant à leur devenir et quant à leur conservation; comme le soleil est cause de la lumière dans l’atmosphère. Et donc de même que la lumière cesserait dans l’air si intervenait un obstacle, ainsi l’habitus de charité cesse aussitôt quand l’âme se détourne de Dieu par le péché. Et c’est ce que saint Augustin dit au L. 8 de la Genèse ad litteram chapitre 12 : "Dieu ne justifie pas le juste de sorte que s’il se retire, ce qu’il a fait demeure, lui absent; mais plutôt de même que l’air en présence de la lumière n’a pas été fait lumineux mais le devient, ainsi l’homme, Dieu lui étant présent, est illuminé, absent aussitôt il est obscurcit."

 

 

 



[1] Cf André Clément, La sagesse de Thomas d’Aquin, Nouvelles Éditions Latines, 1985, page 105.

[2] Traduction de Francesa Farina paru dans « La Sagesse de Thomas d'Aquin» (op. cil.,) page 351.

[3] Le Credo. Commentaire de saint Thomas et traduction par un moine de Fontgombault, collection Docteur Commun.

[4] Le Pater et l'Ave. Idem.

[5] Les Commandements. Idem.

[6] Transmission de la foi et sources de la foi. Téqui, page 34.

[7] Jean Paul II, Catéchèse du Mercredi, audience du 20 mars 1985, ORF, 26/03/85.

[8] Thomas von Aquin, COMPENDIUM THEOLOGIAE. Grundriss der G1aubenslehre deutsch-Iateinisch. Ubersetzt von Hans Louis Flih. Herausgege­ ben von Rudolf Tannhof - Heidelberg: Kerle Verlag. 1962.

[9] Par exemple ce qui est dit inanimé n’est pas quelque chose; c’est un concept qui veut exprimer le contraire de ce qui est animé.

[10] Vertu = pouvoir, faculté.

[11] La matière n’est pas infinie elle est, dit s. Jean Damascène, limitée (donc privée) par le lieu et le temps ou ce qu’on peut lui attribuer, tandis que Dieu est infini par ce qu’on ne peut pas le limiter (négativement) ni quant au temps, ni quant au lieu, ni quant à toute autre qualité ou propriété comme sa puissance, sa sagesse, etc.

[12] L’infini, qui est dans les quantités, signifie le désir insatisfait de la matière vers sa détermination.

 

[13] Par exemple, être sage pour l’homme a quelque rapport avec la sagesse en Dieu.

[14] On doit l’entendre de l’action solaire non sur la génération, mais comme une condition de la vie animale (2 Th I, 91, 2 ad 2).

[15] Ressemblance principale c’est-à-dire du père et du fils, en opposition à la ressemblance éloignée qui existe entre la pensée d’une oeuvre et son exécution, par exemple le plan d’une maison et sa réalisation.

 

[16] Gen ad litt. 12, 6.

[17] En bref, la partie intellectuelle et la partie sensible, d’une part chez l’homme, d’autre part dans l’animal, ne se multiplient pas à l’instar de la partie corporelle.

[18] Les formes de connaissance et de désir chez les créatures, formes fondant la distinction de ce qui engendre et de ce qui est engendré : du côté du premier est l’être de la substance; du côté du second l’être de ce qui est connu et désiré. Mais ce dernier dans les créatures est présent d’une existence accidentelle. Il n’y a donc pas distinction de choses subsistantes.

[19] Hypo : en dessous; stase : ce qui est debout; ce qui se tient en dessous.

[20] Les relations sont constituées par une opposition. Le Père, le Fils, le Saint-Esprit forment trois réalités distinctes entre elles à cause de la relation de chacune avec les autres. Bien que paternité et filiation soient une même chose en réalité avec l’essence divine, cependant la paternité et la filiation impliquent dans leurs raisons propres, des rapports qui s’opposent. C’est pourquoi elles se distinguent l’une de l’autre. Il y a quatre relations, deux pour chaque procession : Paternité et Filiation pour la procession de l’intelligence; Spiration et Procession pour la procession de la volonté.

 

[21] Il y a deux sortes d’abstraction : la formelle dégage une détermination d’un être de ce qu’il est : par exemple la blancheur du mur blanc, ou la mobilité du corps en mouvement (cf. chapitre 61); la totale dégage l’universel du singulier, où demeure un tout après l’abstraction, qu’est (ce tout) composé d’un sujet et d’une forme : par exemple si je fais abstraction chez Socrate de la matière constituante, il reste "l’homme" (être vivant doué de raison); si je dégage de l’homme la différence spécifique "doué de raison", il reste "le vivant". Si l’abstraction appauvrit le contenu il y a compensation par une plus grande profondeur de la connaissance : l’essentiel est rendu visible et dégage du concret.

[22] En d’autres termes, Dieu est intrinsèquement "un", c’est-à-dire qu’il n’y a pas trois Dieu, mais un seul.

[23] La relation comme telle n’a pas de quoi subsister ou faire subsister; cela en effet ressortit à la substance seule. Les relations distinguent comme relations : ainsi comportent-elles une apposition. Donc la paternité en tant qu’elle constitue la personne du Père — ce qu’il a en tant qu’il est la même que la substance divine —, est antécédente à la génération; selon qu’elle distingue, la génération est antécédente à la paternité (Pot 8, 3 ad 7).

 

[24] Aristote : Phys 3. 1 [a 10-15].

[25] Libres de leur décision.

 

[26] Dans l’âme intellective il ne peut y avoir de contrariété : elle reçoit en effet selon son mode d’être. Ces choses qu’elle reçoit sont sans contrariété parce que les natures mêmes des contraires dans l’intelligence ne sont pas contraires, mais il n’y a qu’une science des contraires (2 Th I 75, 6).

[27] Traduction de l’expression : "Intentio intellecta" que saint Thomas définissait : "ce que l’intellect conçoit en lui-même de la chose saisie". Laquelle n’est pas en nous la chose elle-même qu’on saisit, ou la substance de l’intellect mais une ressemblance conçue par l’intellect de la chose saisie et que les paroles extérieures signifient d’où "l’intention est appelée le verbe intérieur qui est signifié par le verbe extérieur ". (Conttra Gentilles 4. 11 : cf. Schultz : Thomas Lexikon, p. 422.)

[28] Comme sont différents les nombres.

[29] C’est-à-dire les anges.

 

[30] Telle fut la position d’Aristote et des anciens scholastiques. Ce qui semble assez étrange si l’on tient compte qu’une forme substantielle possède en elle toute la vertu spécifique de ce qu’elle informe (voir chapitre 93, § 4). Ce n’est, semble-t-il, que par un jeu de l’imagination que l’on distingue des étapes dans une forme métaphysiquement parfaite par définition. Il n’est même pas besoin de recourir aux découvertes de la biologie pour apprendre qu’il en est bien ainsi; ces découvertes servent de confirmation, mais non de preuve philosophique.

[31] Pour qu’une chose puisse opérer il lui faut certaines autres : donc la forme de la première dépend de la forme des autres, comme pour le feu il lui faut de l’air (ou de l’oxygène). Donc de même en ce qui est moralité, il y a des conditions définies qui sont des fins, si une de ces fins est absente, l’acte est mauvais.

[32] Différence est synonyme de diversité et le contraire de similitude. Des choses différentes ont quelque chose où elles conviennent; elle consiste en une distinction dans la forme (cf. Schulz, p. 228).

[33] D’où l’adage : "Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu."

[34] Les opposés relèvent de genres déterminés comme de leurs espèces par exemple le blanc et le noir relèvent du genre couleur, de même les opposés de relation, les contradictoires, de l’affirmation (non homme, être homme). Avoir ou être privé, relèvent de l’avoir (la cécité par rapport à la vue) (id.).

3. Tout ce qui est, est comme tel bon; contrairement, ce qui est mauvais n’est pas général, comme si tout ce qui est, serait mauvais; mais parce qu’il peut se classer sous tout genre, mais toujours privation d’un être (Id.).

[35] L’opposition embrasse en dehors des contraires (blanc-noir; doux-amer, etc.) aussi la contradiction (homme-non homme; blanc-pas blanc) l’avoir et ta privation (la vue-la cécité) et les opposés par relation (le maître-le serviteur). L’un des opposés n’est pas porteur de l’autre le noir n’est jamais blanc; la vue n’est jamais aveugle, etc. Quant aux autres opposés (à l’exception de bon et mauvais), ils ne vont jamais ensemble dans le même sujet. Un corps n’est jamais en même temps blanc et noir; blanc ou non blanc, personne n’est capable de voir et d’être aveugle en même temps.

[36] Le futur contingent n’est pas encore parce que la cause doit en être posée, mais il existe déjà dans sa future particularité et c’est ainsi que Dieu le connaît parce qu’il en connaît la cause.

[37] Cf. saint Augustin, De civit. Dei 22, 12 P.L. 41, 775 sq.

[38] Cf. Sum. Th. I, 119, 1 C et ad 4.

[39] Saint Thomas distingue dans le corps deux parties qu’il appelle humides : la partie humide radicale et la partie humide nourricière. A la première appartient ce qui constitue l’espèce et qui ne peut être enlevé ni être restitué, par exemple une main ou un pied amputés. La seconde (nourricière) c’est ce qui n’est pas encore transformé en la première, comme le sang; cela peut être enlevé sans que le pouvoir de l’espèce en souffre (Th I 119, 1).

Remarque : En termes de biologie moderne, on qualifierait de tissu cellulaire la partie humide radicale et de globules sanguins, la seconde, qui est nourricière destinée à remplacer ou à nourrir les cellules constituées.

[40] Nous dirions plus simplement : "ce qui n’a rien en soi d’incorruptible finira un jour". La formulation de saint Thomas est apparemment étriquée, tautologique même, à cause de son induction qui fait plusieurs fois mention de l’incorruption.

[41] Il faut distinguer l’habitude de l’"habitus". Dans le langage courant l’habitude signifie ce que l’on fait souvent, habituellement sans que cela entraîne une propension à agir de telle façon plutôt que d’une autre. L’"habitus" ajoute à la répétition des actes quelque chose d’acquis dans la faculté de l’homme, comme nous disons aussi "un pli" : avoir pris un bon ou un mauvais pli, soit une vertu soit un vice.

[42] Sum. Th. I-II, 22, 2 ad 3 : "Un organe est affecté dans sa constitution naturelle comme quand il se refroidit ou s’échauffe. Ce changement est accidentel."

[43] I. 3d 1 : 1, 2.

[44] Allusion historique à ce que dit le Christ devant le grand prêtre.

[45] Guérison du fils du centurion.

[46] "Celui que Dieu a envoyé, dit les paroles de Dieu parce que Dieu ne lui a pas donné son esprit avec mesure."

 

[47] La seconde vient plus loin et sera subdivisée en trois parties.

[48] Cf. ce qui a été dit : note du chapitre 92.

[49] Même formule en saint Jean, dans le dialogue avec Nicodème : "l’esprit souffle où il veut" (3, 8).

[50] Aristote : Gen. anim. 1. 2 (716 a 5).

 

[51] Saint Thomas ne connaît pas encore la doctrine de l’immaculée conception de Marie qui, proclamée en 1853, montre que Marie n’a pas été purifiée. Elle a été, grâce à la future rédemption opérée par son Fils, préservée de toute souillure et conçue immaculée.

[52] Le mot latin "fomes" qui veut dire excitant, aliment trouve aussi sa valeur dans le mot ferment. Mais le verbe français "fomenter" a ici sa racine et même sens.

[53] Avant la naissance du Christ, nous savons par saint Matthieu 1, 18 que Marie n’a pas connu Joseph et que celui-ci a voulu la renvoyer parce qu’elle était enceinte. Et l’ange apparaît à Joseph pour lui dire que ce que Marie porte en elle, elle l’a de l’Esprit Saint.

 

[54] Ce que je n’ai pas dérobé, je le rendais "Quae non rapuj tunc exsolvebam".

[55] A rapprocher du chapitre 186, peu après le début : "de ces trois choses" (le corps, l’âme et Dieu).

[56] La raison supérieure est celle qui s’occupe des choses éternelles en elles- mêmes ou dans leurs applications : en elles-mêmes en les méditant et dans leurs applications à notre conduite (2 Th I 79, 9 C).

[57] Ero mors tua, o mors; morsus tuus ero inferne (Os 13, 14).

[58] "Je désire ma libération pour être avec le Christ, ce qui serait le meilleur."

[59] ."II montera ouvrant le chemin devant eux; Il brise et eux traversent la porte et leur roi marche devant et le Seigneur est à leur tête."

[60] Ce mot n’existe pas en hébreu. Selon de Rubeis (Dissert. 17 in s. Tho mam 4. 4), il y a faute de copiste. En grec : le mot "ptoma" signifie "cadavre ", saint Luc donne"soma" = corps.

[61] Voir division au début du chapitre 9.

[62] De Veritate 8, 1 c.

[63] L’aveugle de Bethsaïde ne distinguant pas tout de suite répond à Jésus : Je vois des hommes qui marchent semblables à des arbres. Mc 8, 24.

[64] Comme l’exprime le Ps 35. 10 : "En la lumière nous verrons la lumière."

[65] L’eau est diaphane."Est diaphane ce qui est transparent ou ce qui n’a pas sa propre couleur pour qu’il puisse être vu en lui-même mais peut recevoir une couleur externe selon laquelle il est visible" (2 De anima 14 b et 15 e).

[66] I-II 4, 3c.

[67] En termes équivalents, le P. Pègne dans sa traduction de la Somme écrit : La triple manière dont l’homme peut se trouver ordonné à la fin dernière qui est la béatitude est d’abord la connaissance imparfaite de cette fin, puis la volonté qui aime cette fin et qui espérant l’obtenir est en mouvement vers elle.

Et alors saint Thomas dit : "à ces trois modes se trouve quelque chose de correspondant dans la béatitude même". Car la connaissance parfaite de la fin (vision) correspond à la connaissance imparfaite. La présence de la fin constituée précisément par le fait de la vision "correspond au rapport qui était dans l’espérance". Et la délectation de la fin présente (par ce même acte de la vision) sera la suite de la dilection (cf. a 2 ad 3).

[68] 5 Trin. 17 "Nous ne dirons pas que la charité est dite Dieu non pas à cause que la charité est la substance qui est digne de Dieu, mais parce qu’elle est le don de Dieu, comme on dit de lui “Tu es ma patience” parce qu’elle est en nous par lin. Or on ne dit pas “Seigneur tu es ma charité, mais Dieu est charité” comme on dit : “Dieu est esprit”."

[69] Saint Thomas entendra d’abord par naturel l’homme comme tel : sera non naturel ce qui de quelque manière s’ajoute à l’homme : l’artisan, le citoyen; pour en venir ensuite à ce qui s’ajoute Comme être surnaturel.

[70] La forme en philosophie est la nature d’une chose, ce qui fait ce qu’elle est. D’où dans le langage courant la forme est ce qui traduit à l’extérieur ce qu’une chose est : je reconnais une chose à sa forme.

[71] La nature (forme) de la chaleur est pour chauffer, comme le fait de vêtir explique le vêtement, sa forme est pour revêtir un corps; au fond ce qui est formel vient de la fin : celle-ci explique, fait connaître la nature (forme) d’une chose et l’action de l’agent (cf. a 7 ad 17 fin).

[72] De Doctrina christ. L. 1 chapitre 23.

[73] Ce qui s’est présenté pour le bon Samaritain.

 

[74] "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait". (Saint Thomas ou l’éditeur ne donnent aucune référence. On l’a donc ici supposée).