LES TOPIQUES
ARISTOTE
Sauf les livres 3, 5
Livre 1 et 8, Traduction par le professeur Yvan
Pelletier, 1986
Livre 4, 6, 7 Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire,
Paris : Ladrange, 1866
Numérisé par Philippe Remacle http://remacle.org/
Nouvelle
édition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique 2008
Les œuvres complètes de saint Thomas
d'Aquin
LIVRE 1 (Traduction par Yvan Pelletier, 1986)
LIVRE
2 : LIEUX COMMUNS DE L'ACCIDENT
CHAPITRE II : Lieux communs de l'accident
CHAPITRE III : Trois autres lieux, dont deux
tirés de l'homonymie
CHAPITRE IV : Six autres lieux
CHAPITRE V : Deux autres lieux tirés du
déplacement de la discussion.
CHAPITRE VII : Quatre autres lieux tirés des
contraires.
CHAPITRE VIII : Quatre autres lieux tirés de la
consécution des termes
CHAPITRE X : Huit autres lieux tirés des
semblables.
CHAPITRE XI : Quatre autres lieux tirés de
l'apposition
LIVRE 4 :
LIEUX COMMUNS DU GENRE
CHAPITRE I : Importance des lieux du genre. - Dix
lieux.
CHAPITRE II : Treize autres lieux du genre.
CHAPITRE IV : Quatorze autres lieux du genre.
CHAPITRE V : Douze autres lieux du genre.
LIVRE
6 : LIEUX COMMUNS DE LA DÉFINITION
CHAPITRE II: Causes
diverses de l'obscurité de la définition.
CHAPITRE III: La définition
peut être trop étendue pour diverses causes : énumération de ces causes.
CHAPITRE IV: Deux lieux
pour savoir si l'on a réellement défini.
CHAPITRE V: Second lieu de
la définition : causes diverses qui font que l'on n'a point défini.
CHAPITRE VI :
Vingt-trois lieux tirés des différences pour prouver que la définition n'est
pas faite
CHAPITRE VII: Sept lieux pour attaquer la définition.
CHAPITRE VIII : Cinq autres lieux pour attaquer
la définition.
CHAPITRE IX. Huit autres lieux pour attaquer la
définition.
CHAPITRE X. Trois autres lieux pour attaquer la
définition.
CHAPITRE XI. Cinq autres lieux pour attaquer la
définition.
CHAPITRE XII. Cinq autres lieux pour attaquer la
définition.
CHAPITRE XIV. Six autres lieux pour attaquer la
définition.
CHAPITRE I : Seize lieux de l'identité.
CHAPITRE III : Lieux pour défendre la définition.
CHAPITRE IV : Indication générale des lieux les
plus utiles.
CHAPITRE V : De la facilité et de la difficulté
des argumentations.
LIVRE 8 (Traduction par Yvan Pelletier, 1986)
100a18 Le propos de notre travail [sera de] découvrir une
méthode grâce à laquelle d'abord nous pourrons raisonner[1] [à
partir] d'endoxes[2] sur tout
problème proposé; [grâce à laquelle] aussi, au moment de soutenir nous-mêmes
une raison[3], nous ne
dirons rien de contraire. En premier, bien sûr, on doit dire ce qu'est un
raisonnement et par quoi ses espèces se différencient de manière à ce qu'on
obtienne le raisonnement dialectique. Car c'est là que nous cherchons, dans le
travail que nous nous proposons.
100a25 Un raisonnement, c'est donc une raison[4] dans
laquelle, une fois qu'on a posé quelque chose, autre [chose] que ce qu'on a
posé s'ensuit nécessairement à cause de ce qu'on a posé[5]. C'est
une démonstration, bien sûr, quand le raisonnement est issu de [principes]
vrais et premiers, ou de [principes] de nature à ce qu'on ait obtenu leur
propre principe de connaissance par des [principes] premiers et vrais. 100a30 Est raisonnement dialectique
celui qui raisonne [à partir] d'endoxes. 100b18
Or est vrai et premier ce qui trouve créance non par autre chose mais par
soi-même (car dans les principes scientifiques, il ne faut pas rechercher le
pourquoi, mais que chacun des principes soit croyable en lui-même et par
lui-même). [Est] endoxal ce à quoi tous s'attendent[6], ou la
plupart, ou les sages, et parmi eux tous, ou la plupart, ou les plus connus et
endoxaux. Par ailleurs, est un raisonnement chicanier le [raisonnement issu] de
ce qui a tout l'air endoxal mais ne l'est pas, 100b25 et celui qui[, sans l'être,] a l'air issu d'endoxes ou de ce
qui a l'air d'endoxes. Car tout ce qui a l'air endoxal n'est pas de ce fait
endoxal. En effet, rien de ce qu'on dit [légitimement] endoxal n'a tout à fait
manifeste son [aspect de pure] apparence[7], comme
c'est le cas pour les principes des raisons chicanières. C'est sur-le-champ,
en effet, et la plupart du temps, 100b30
pour les gens capables d'apercevoir aussi les subtilités, qu'est très
évidente en eux la 101a1 nature de
la fraude. Le premier, bien sûr, des raisonnements chicaniers dont nous avons
parlé, appelons-le aussi un raisonnement ; mais l'autre, [appelons-le] raisonnement chicanier mais non raisonnement, puisqu'il a tout l'air de
raisonner, mais ne raisonne pas.
101a5 À côté de tous les raisonnements mentionnés s'ajoutent
les paralogismes[8] effectués
à partir des principes touchant proprement certaines sciences, comme c'est le
cas pour la géométrie et ses congénères. Cette façon-là [de raisonner] semble
en effet différer des raisonnements mentionnés. Car ce n'est ni de
[principes] vrais et premiers 101a10 que
raisonne le pseudographe; ni d'endoxes, puisque [ses principes] ne tombent
pas sous notre définition. En effet, ce qu'il obtient est quelque chose à quoi
ne s'attendent ni tous ni la plupart ni les sages et, parmi ceux-là, ni tous ni
la plupart ni les plus endoxaux; bien à l'opposé, il fait son raisonnement à
partir des prémisses propres à la science, mais non vraies. 101a15 C'est en effet en traçant les
demi-cercles non comme il faut ou en tirant des lignes non comme elles
devraient l'être qu'il fait son paralogisme.
Ainsi
donc, mettons, pour les embrasser sommairement, que les espèces des raisonnements
soient celles que nous avons mentionnées. Pour parler universellement,
d'ailleurs, sur tout ce que nous avons mentionné 101a20 et sur ce dont nous parlerons par après, tenons-nous-en à ce
niveau de distinction. C'est que sur rien de cela nous ne voulons fournir la
définition exacte; nous voulons à l'opposé discourir de cela aussi sommairement
que possible, estimant tout à fait suffisant, pour la méthode que nous nous
proposons, de pouvoir reconnaître chaque chose de quelque manière.
101a25 À la suite de ces considérations, il conviendrait de
dire à combien et quelles utilités [sert] notre travail. Il sert à trois
[utilités] : à l'exercice, aux entretiens et aux sciences de caractère
philosophique. Qu'il serve à l'exercice, bien sûr, c'est de soi très manifeste
: en effet, tenant une méthode, nous pourrons plus facilement attaquer ce[10] qu'on
proposera. Aux entretiens aussi, 101a30
du fait que, lorsque nous aurons dénombré les endoxes des gens[11], c'est
non point à partir d'impressions qui leur sont étrangères mais à partir des
leurs propres que nous nous en prendrons[12] à eux
pour faire saillir ce qu'ils nous auront tout l'air de ne pas dire correctement[13]. Aux
sciences de caractère philosophique, enfin, parce que, si nous pouvons créer de
l'embarras à l'une et l'autre [contradictoire], nous discernerons plus facilement
101a35 le vrai et le faux en chaque
[matière]. Et de plus [notre travail sert] aux [principes] premiers pour chaque
science. C'est qu'il est impossible d'en dire quoi que ce soit à partir des
principes appropriés à la science qu'on se propose, puisque ces principes-là
viennent en premier de tous; 101b1 aussi
est-il nécessaire d'en discourir par le biais des endoxes qui circulent sur
chacun. Or c'est là quelque chose de propre ou du moins de surtout approprié à
la dialectique; du fait de sa [nature] investigatrice, elle tient une voie aux
principes de toutes les méthodes.
101b5 Cette
méthode, par ailleurs, nous en rejoindrons la perfection d'une manière
semblable à celle dont elle nous est accessible pour la rhétorique, la médecine
et les puissances de cette nature, c'est-à-dire pour autant que nous
réaliserons ce que nous voulons compte-tenu des [principes] disponibles. Car
l'orateur ne va pas persuader, ni le médecin guérir de toute façon; mais si
[chacun] ne néglige aucun des [principes] disponibles, 101b10 nous dirons qu'il tient sa science de manière satisfaisante.
On doit
regarder en premier, bien sûr, de quoi [est constituée] la méthode. Si nous pouvions
saisir le nombre et la nature de ce à quoi [mènent] les raisons, [saisir] aussi
de quoi elles [procèdent], puis comment nous nous en munirons en abondance,
nous tiendrions déjà notre propos de manière suffisante. Or ce de quoi [sont
issues] les raisons et ce sur quoi [portent] les raisonnements sont égaux en
nombre et identiques. En effet, les raisons s'effectuent à partir des
propositions, 101b15 et ce sur quoi
[portent] les raisonnements, ce sont les problèmes. Or toute proposition et
tout problème manifeste ou le propre, ou le genre, ou l'accident [du sujet].
Car la différence aussi, tant qu'elle est générique, on doit la ranger auprès
du genre. Puisque, par ailleurs, le propre tantôt signifie ce que [la chose]
est au juste, 101b20 tantôt ne le signifie
pas, divisons le propre en les deux parties que nous venons de mentionner :
appelons celle qui signifie ce que [la chose] est au juste sa définition, et
appelons l'autre son propre, selon leur dénomination commune. De nos
considérations s'ensuit donc avec évidence, selon la présente division, la
production de quatre [éléments] en tout : 101b25
la définition, le propre, le genre, l'accident. Que personne, toutefois,
ne nous soupçonne de dire que chacun d'eux, dit en lui-même, est une proposition
ou un problème; [nous disons] plutôt que c'est en partant d'eux que sont
produits et les problèmes et les propositions. Le problème et la proposition
diffèrent, eux, par leur tournure. Car si on parle ainsi : 101b30 «Est-ce que l'animal terrestre[14] bipède
est [la] définition d[e l]'homme?» et : «Est-ce que l'animal est [le] genre de
l'homme?», c'est une proposition qu'on produit; tandis que si [c'est ainsi]:
«Mais est-ce que l'animal terrestre bipède est la définition de l'homme ou
pas?», on produit un problème[15]. Et il
en va semblablement pour les autres [cas], de sorte qu'il est bien raisonnable
que restent égaux en nombre les problèmes 101b35
et les propositions. En effet, de toute proposition on fera un problème,
simplement en en modifiant la tournure.
On doit
maintenant dire ce que sont une définition, un propre, un genre, un accident. Une
définition, c'est une raison[16], celle
qui signifie ce que [la chose[17]] est au
juste. Or on donne 102a1 ou une
raison pour un nom, ou une raison pour une raison, car il est parfois possible
aussi de définir ce qu'on signifie sous une raison. Toutefois, il est évident
que tous ceux qui, de quelque manière, rendent [la chose] par un nom [unique]
ne donnent pas, eux, la définition de la chose, puisque toute 102a5 définition est une raison.
Néanmoins, on doit aussi poser comme définitionnel ce qui se présente de la
manière suivante : Le beau, c'est le
convenable. Il en va semblablement aussi pour la demande à savoir si
sensation et science c'est la même [chose] ou autre [chose]. Et de fait,
concernant les définitions, la demande à savoir si c'est la même [chose] ou
autre [chose] occupe la plus grande partie de la discussion. Simplement alors,
appelons définitionnel tout ce qui se range sous la même 102a10 méthode[18] que les
définitions. Or que tout ce dont nous venons de parler est de cette nature,
c'est de soi évident. Une fois capables, en effet, de discuter que [ce soit] la
même [chose] et que [ce soit] autre [chose][19], nous
saurons de la même façon attaquer en abondance contre les définitions, car
après avoir montré que ce n'est pas la même [chose], nous nous trouverons avoir
détruit la définition[20].
Toutefois, ce qu'on vient de dire ne se convertit pas : 102a15 en effet, il ne suffit pas, pour ce qui est d'établir la
définition, de montrer que c'est la même [chose][21], tandis
que pour ce qui est de [la] renverser, il suffit très bien de montrer que ce
n'est pas la même [chose].
Un
propre, par ailleurs, c'est ce qui ne manifeste pas ce que [la chose] est au
juste, mais appartient au [sujet] seul et se contre-attribue [avec lui] à la
chose.[22] Par
exemple, c'est le propre 102a20 de
l'homme d'être susceptible de lire et d'écrire. En effet, si on est un homme,
on est susceptible de lire et d'écrire, et si on est susceptible de lire et
d'écrire, on est un homme. Effectivement, personne ne dit propre ce qui peut
appartenir à une autre [chose][23], à la
manière dont dormir, par exemple, [appartient] à l'homme[24], pas
même s'il se trouve que pour un temps ce [lui] appartienne à elle seule. Et si 102a25 on vient à dire propre quelque
chose de cette nature, ce ne sera pas absolument qu'on [le] dira propre, mais
pour un temps et en relation à [autre] chose. En effet, d'être à droite est
propre pour un temps et bipède se trouve dit propre en relation à [autre]
chose, par exemple [propre] à l'homme en relation au cheval et au chien. Que
d'ailleurs de ce qui peut appartenir à une autre [chose], rien ne se
contre-attribue [avec le sujet à la chose], c'est évident. En effet, 102a30 si on dort, on n'est pas
nécessairement un homme.
Un genre,
c'est ce qui s'attribue en regard de ce qu'elles sont à nombre de choses
différentes dans leur espèce. Disons que s'attribue
en ce que [la chose] est tout ce qui convient comme réponse quand on nous
demande ce qu'est le propos. Ainsi, pour l'homme, 102a35 si on nous demande ce qu'il est, il convient de dire qu'[il
est] un animal. Cela a trait au genre aussi de [demander] si une chose, [en
regard d']une autre, est dans le même genre ou dans un autre. Car [une demande]
de cette nature tombe encore sous la même méthode[25] que le
genre. En effet, une fois qu'on aura discuté que l'animal soit le genre de
l'homme, et semblablement aussi du bœuf, on se trouvera à avoir discuté aussi
que ce soit dans le 102b1 même genre.
Et quand on aura montré que c'est le genre de l'un, mais que ce n'est pas le
genre de l'autre, on aura aussi discuté que ces choses ne soient pas dans le
même genre.
L'accident,
c'est ce qui n'est rien de cela, ni 102b5
définition ni propre ni genre, mais appartient à la chose; c'est aussi ce
qui peut appartenir et ne pas appartenir à une seule et même chose quelconque.
Par exemple, être assis peut appartenir et ne pas appartenir à une seule et
même chose. Il en va semblablement aussi pour le blanc; en effet, rien
n'empêche la même chose tantôt d'être blanche et tantôt de ne pas être blanche.
102b10 Toutefois, c'est notre
deuxième définition de l'accident qui est la meilleure. Car lorsqu'on dit la
première, il est nécessaire, si on doit la comprendre, de savoir auparavant ce
qu'est une définition, un propre et un genre. Tandis que la deuxième est
complète en elle-même pour ce qui est de connaître ce que peut bien être ce
dont elle parle. Rattachons à l'accident aussi, de fait, 102b15 les comparaisons entre les choses faites de quelque façon
sur la base d'un accident à elles. Par exemple, si [c'est] le beau ou l'utile
qui est préférable, et si [c'est] celle selon la vertu ou celle selon le
plaisir qui est la vie plus agréable, et toute autre [demande] qu'on se trouve
à faire avec une certaine ressemblance à celles-là. Car, dans toutes les
[demandes] de cette nature, 102b20 la
recherche se préoccupe de savoir pour laquelle des choses ce qui est attribué
est davantage un accident. Par ailleurs, il est évident de soi que rien
n'empêche l'accident de devenir un propre temporaire et relatif. Par exemple,
être assis, bien que ce soit un accident, sera toutefois un propre, lorsqu'on
est seul assis, et, si on n'est pas seul assis, sera un propre en relation à ceux
qui ne sont pas assis. De sorte que, tant en relation à [autre] chose que 102b25 pour un temps, rien n'empêche
l'accident de devenir un propre; de manière absolue, néanmoins, il ne sera pas
un propre.
Qu'il ne
nous échappe pas que tout ce qui peut se dire contre[26] le
propre, le genre et l'accident, conviendra aussi contre les définitions. En
effet, quand nous aurons montré que la [chose signifiée] sous la définition[27]
n'appartient pas au seul [sujet], 102b30
comme [on le fait] aussi pour le propre, ou que ce qu'on donne dans la
définition n'est pas genre [du sujet], ou que l'un des [éléments] mentionnés
dans la raison n'appartient pas [au sujet], ce que précisément on pourrait
dire aussi pour l'accident, nous nous trouverons à avoir détruit la définition.
Par conséquent, pour la raison que nous [en] avons fournie auparavant, tout ce
que nous avons énuméré pourrait de quelque façon se trouver définitionnel. 102b35 Mais on ne doit pas pour cela
chercher une méthode unique [applicable] à tout universellement. Car d'abord
cela n'est pas facile à découvrir; et si on [en] découvrait une, elle serait
tout à fait obscure et inutile pour le travail que nous nous proposons. En
donnant plutôt une méthode propre pour chacun des genres [de problèmes] que
nous avons définis, 103a1 le
développement de ce que nous nous sommes proposé devrait s'effectuer plus
facilement à partir de ce qui est approprié à chacun. Aussi doit-on diviser
sommairement, comme on l'a dit plus haut; quant à ce qui reste, on doit le
rattacher à ce qui lui est le plus approprié et l'appeler définitionnel et
générique. Ce dont on a parlé est d'ailleurs déjà à peu près rattaché 103a5 à chacun [des genres de
problèmes].
En
premier de tout, on doit définir, à propos de la même [chose], de combien de manière cela se dit. Or cela
tiendrait lieu d'endoxe qu'à le prendre sommairement, on divise de trois
manières le fait d'[être] la même [chose]; de fait, nous avons coutume
d'attribuer numériquement, spécifiquement ou génériquement d'[être] la même
[chose]. Numériquement, c'est à ce pour quoi il y a des noms divers alors que
la chose [signifiée] est 103a10 unique,
par exemple une pelisse et un manteau. Spécifiquement, par ailleurs, c'est tout
ce qui, pour divers que ce soit, demeure indifférent quant à son espèce, comme:
un homme [est la même chose] qu'un homme, un cheval qu'un cheval; en effet,
tout ce qui est de nature à se retrouver sous la même espèce est dit la même
[chose] spécifiquement. Semblablement encore, la même [chose], génériquement,
c'est tout ce qui se retrouve sous le même genre; par exemple : un cheval
[est la même chose] qu'un homme. Cela tiendrait bien lieu d'endoxe, encore, que
103a15 l'eau provenant de la même
source, quand elle est dite la même [chose], comporte quelque différence avec
les façons mentionnées. Rangeons malgré tout ce qui est de cette nature dans la
même [façon] que ce qu'on dit de quelque manière d'après une espèce unique. Car
tout ce qui est de cette nature semble être congénère et entretenir une
certaine ressemblance réciproque. Du fait d'[y] avoir quelque similitude,
toute eau se dit déjà 103a20 la même
[chose] que toute [eau] spécifiquement. Or l'eau qui provient de la même source
ne diffère d'aucune autre[28], sinon
par le fait que la similitude soit plus prochaine encore. C'est pourquoi nous
ne la séparons pas de ce qui se dit de quelque manière [la même chose] d'après
une espèce unique. Toutefois, on l'accordera unanimement, c'est surtout ce qui
est un numériquement dont tous s'attendent qu'il soit dit la même [chose]. 103a25 Néanmoins, même cela a coutume
de s'attribuer de plusieurs manières. Principalement et premièrement, c'est
quand d'[être] la même [chose] est attribué à un nom ou à une définition, comme
: le manteau [est la même chose] que la pelisse et l'animal terrestre bipède
[est la même chose] que l'homme. Deuxièmement, c'est quand c'est [attribué] au
propre, comme : le susceptible de science [est la même chose] que l'homme et le
porté de nature vers le haut [est la même chose] que le feu. Troisièmement,
c'est quand [l'attribution part] de 103a30
l'accident, par exemple : celui qui est assis ou le musicien [c'est le
même] que Socrate. Tout cela veut signifier ce qui [est] un numériquement.
Que ce que nous venons de dire est vrai, on pourra s'en convaincre au mieux à
regarder les fois où l'on change les appellations. Souvent, en effet, en
ordonnant avec son nom d'appeler quelqu'un qui est assis, nous changeons
[l'appellation], 103a35 s'il arrive
que celui à qui nous en faisons l'ordre ne comprenne pas, dans l'idée qu'il
comprendra plus si nous partons de son accident, et nous ordonnons d'appeler
celui qui est assis ou celui qui discute. C'est évident, nous sommes sûrs
[alors] de signifier la même [personne].
103b1 Reconnaissons donc trois divisions, ainsi qu'on l'a
dit, pour ce qui est d'[être] la même [chose]. Que maintenant les raisons
[soient issues] de ce, par ce et contre ce dont nous avons parlé auparavant[29], une
première preuve en est celle par l'induction. Car si on examinait chacune des
propositions et chacun des problèmes, 103b5
ils tireraient manifestement origine de la définition, du propre, du genre
ou de l'accident. Mais une autre preuve en est celle par raisonnement[30].
Nécessairement, en effet, tout ce qui s'attribue à un [sujet] ou bien se
contre-attribue[31] [avec
lui] à la chose, ou pas. Et s'il se contre-attribue, ce pourra être une
définition ou un propre : 103b10 une
définition, en effet, s'il signifie ce que [la chose] est au juste, et un
propre, s'il ne [le] signifie pas. Car c'était cela un propre, ce qui se
contre-attribue, tout en ne signifiant pas ce que [la chose] est au juste. Si
par ailleurs il ne se contre-attribue pas à la chose, ou bien il fait partie de
ce qu'on dit dans la définition du sujet, ou pas. Et s'il fait partie de ce
qu'on dit dans la définition, ce pourra être un genre 103b15 ou une différence, puisque la définition est [issue] du
genre et des différences. Si par ailleurs il ne fait pas partie de ce qu'on dit
dans la définition, il est évident que ce pourra être un accident. En effet, on
disait accident ce qui n'est ni définition ni propre ni genre et appartient
toutefois à la chose.
103b20 Après cela, il faut donc définir les genres des
attributions dans lesquelles interviennent les quatre [modalités] dont nous
avons parlé. Or elles sont au nombre de dix : ce que [la chose] est, en quelle
quantité, de quelle qualité, en relation à quoi, où, quand, [qu'elle] est
disposée, a, fait, subit. Toujours, en effet, l'accident, le genre, le propre
et la définition 103b25 se trouvera
dans l'une de ces attributions. Car toutes les propositions [qui se font] par
eux signifient ce que [la chose] est, ou en quelle quantité [elle est], ou de
quelle qualité [elle est], ou l'une des autres attributions. Par ailleurs, il
est évident de soi que celui qui signifie ce que [la chose] est signifie tantôt
une substance, tantôt en quelle quantité [une chose est], tantôt de quelle
qualité [une chose est], tantôt l'une des autres attributions. Car, quand, à
propos d'un homme, 103b30 on dit que
c'est un homme ou [que c'est] un animal, on dit ce qu'il est et on signifie une
substance; quand, par ailleurs, à propos d'une couleur blanche, on dit que
c'est blanc ou [que c'est] une couleur, on dit ce qu'elle est et on signifie de
quelle qualité [une chose est]. Semblablement encore, si, à propos d'une
grandeur d'une coudée, on dit que c'est long d'une coudée [ou que c'est] une
grandeur, on dit ce qu'elle est et 103b35
on signifie en quelle quantité [une chose est]. Et il en va semblablement
aussi pour les autres [attributions]. En effet, chacune des [attributions] de
cette nature, pour autant qu'elle-même se trouve dite d'elle-même, ou que c'est
son genre qui s'en trouve dit, signifie ce que [la chose] est; quand, par
ailleurs, c'est d'autre chose [qu'elle se trouve dite], elle ne signifie pas ce
que [la chose] est, mais en quelle quantité ou de quelle qualité [la chose
est], ou l'une des autres attributions. En conséquence, sur quoi portent les
raisons et de quoi elles sont issues, 104a1
c'est cela et de ce nombre. Comment, par ailleurs, nous l'obtiendrons et
par quoi nous en abonderons, c'est ce qu'on doit dire par après.
En
premier, cependant, définissons ce qu'est une proposition dialectique et ce
qu'[est] un problème dialectique. C'est qu'on ne doit pas poser toute
proposition ni 104a5 tout problème
[comme] dialectique. Personne de sensé, en effet, ne proposerait ce qui ne
tient lieu d'endoxe pour personne[32], ni ne
ferait un problème de ce qui est manifeste à tous ou à la plupart. Car avec
ceci on ne se trouve pas dans une impasse; et l'autre, personne ne le poserait.
Or une proposition dialectique, c'est une demande endoxale pour tous, pour la
plupart ou pour les sages et, chez ceux-ci, 104a10 pour tous, pour la plupart ou pour les plus connus. [Ce
n'est] jamais [une demande] paradoxale : on peut poser, en effet, ce qui tient
lieu d'endoxe auprès des sages, à la condition que ce ne soit pas contraire aux
endoxes [reçus par] la plupart. Est aussi proposition dialectique ce qui est
semblable aux endoxes; de même ce qui contredit le contraire des endoxes les
plus courants[33]; de même
encore tous 104a15 les endoxes conformes
aux arts déjà découverts. Si, en effet, il est endoxal que c'est la même science
qui porte sur les contraires, cela aura tout l'air endoxal aussi que c'est le
même sens qui porte sur les contraires. De même, [s'il est endoxal] que l'art
d'écrire est numériquement un, [il le sera] aussi que l'art de jouer de la
flûte est un, et s'[il est endoxal] qu'il y a plusieurs arts d'écrire, [il le
sera] aussi qu'il y a plusieurs arts de jouer de la flûte. En effet, tout cela 104a20 semble être semblable et
congénère. Semblablement aussi, par ailleurs, ce qui contredit le contraire des
endoxes aura tout l'air endoxal. S'[il est] endoxal, en effet, qu'il faut faire
du bien à ses amis, [il sera] endoxal aussi qu'il ne faut pas [leur] faire de
mal; le contraire, c'est qu'il faut faire du mal à ses amis et ce qui contredit
cela, c'est qu'il ne faut pas [leur] 104a25
faire de mal. Semblablement encore, s'il faut faire du bien à ses amis,
il ne le faut pas à ses ennemis. Cela aussi contredit le contraire. En effet,
le contraire, c'est qu'il faut faire du bien à ses ennemis. Et il en va de
même aussi pour les autres [cas]. En comparaison encore, cela aura tout l'air
[endoxal] aussi [d'attribuer] le contraire au contraire; par exemple, s'il faut
faire du bien à ses amis, 104a30 il
faut aussi faire du mal à ses ennemis. Car faire du bien à ses amis a tout
l'air contraire, aussi, à faire du mal à ses ennemis. Est-ce que de fait il en
est aussi ainsi en vérité ou non, nous en parlerons dans ce que nous dirons sur
les contraires. Il est évident, par ailleurs, que tous les endoxes conformes à
des arts sont des propositions dialectiques. Car on posera [volontiers] 104a35 ce qui tient lieu d'endoxes
auprès de ceux qui ont déjà investigué ce [dont on parle]; par exemple, à
propos de médecine, [on posera] comme le médecin, et en matière de géométrie,
comme le géomètre; et il en va semblablement aussi pour autre [chose].
104b1 Un problème dialectique, c'est une considération
visant à un choix et à un rejet, ou à une vérité et à une connaissance; [elle y
vise] déjà en elle-même ou alors c'est à titre instrumental, pour autre chose
de cette nature; [elle porte de plus] sur ce quant à quoi aucune des
contradictoires ne tient lieu d'endoxe ou [sur ce quant à quoi] c'est le
contraire [qui tient lieu d'endoxe] 104b5
chez les sages et chez la plupart ou de chacun à chacun à l'intérieur de
chaque groupe. Certains problèmes, effectivement, sont utiles à résoudre pour
ce qui est de choisir ou de rejeter; par exemple, si le plaisir est préférable
ou pas. D'autres [le sont] simplement pour connaître; par exemple, si le monde
est éternel ou pas. D'autres, enfin, [ne sont] en eux-mêmes et par eux-mêmes
[utiles à résoudre] ni pour l'une ni pour l'autre [fin] mais [le] sont
néanmoins à titre instrumental 104b10 pour
quelque chose de cette nature. [Il en existe] beaucoup, en effet, [que] nous
ne voulons pas résoudre en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais en vue d'autre
[chose], i.e. de manière à résoudre autre chose par leur intermédiaire. Fait
aussi problème ce sur quoi il existe des raisonnements contraires; on se trouve
alors dans une impasse, à savoir si c'est ainsi ou [si ce n'est] pas ainsi, du
fait de tenir des raisons persuasives en l'un et l'autre [sens]. [Fait] aussi
[problème] ce sur 104b15 quoi nous
ne tenons pas de raisons tant c'est vaste et tant il nous semble difficile de
dire pourquoi [nous affirmerions ou nierions]; par exemple, si le monde est
éternel ou pas. En effet, on peut mener une recherche sur quelque chose de
cette nature.
Les
problèmes, donc, et les propositions, divisons-les comme on a dit. Dans ce contexte,
une position[34], c'est
une prétention[35]
paradoxale [venant] de 104b20 quelqu'un
de connu en philosophie, par exemple : qu'on ne peut pas contredire, comme
l'a dit Antisthène, ou que tout se meut, d'après Héraclite, ou que l'être est
un, comme le dit Mélissos. Mais il serait simpliste de se préoccuper de ce que
le premier venu dit de contraire aux endoxes. [C'est] encore un paradoxe pour
lequel nous tenons une raison, 104b25 comme
de nier que tout ce que l'on est ou bien on le soit devenu ou bien [on l'ait
été] éternellement, comme disent les sophistes; car si l'on est musicien tout
en étant grammairien, on ne l'est pas devenu, et [on ne l'a] pas [été]
éternellement. Même si pour quelqu'un, en effet, [la chose] ne tient pas [en
soi] lieu d'endoxe, elle [lui] en tiendra éventuellement lieu, du fait qu'on
tienne une raison.
La
position, bien sûr, est elle aussi un problème. Cependant, tout problème 104b30 n'est pas une position, puisque
certains problèmes sont de nature à ce que ni l'une ni l'autre de leurs
contradictoires ne tiennent lieu d'endoxe pour nous. Mais que la position est
elle aussi un problème, [c'est] évident. En effet, [il ressort] nécessairement
de ce que nous avons dit que sur la position la plupart sont en contestation ou
bien avec les sages ou bien entre eux de quelque manière, puisque la position
est une prétention paradoxale. 104b35 Actuellement,
toutefois, presque tous les problèmes dialectiques sont appelés des positions.
Peu importe, d'ailleurs, comment on les nomme. Car ce n'est pas dans la volonté
de créer des noms que nous leur avons fait ces distinctions, mais pour que 105a1 ne nous échappent pas les
différences réelles qui peuvent exister entre eux.
D'ailleurs,
il ne faut pas examiner tout problème ni toute position, mais ce qui mettrait
quelqu'un en impasse par manque de raison et non [par manque] 105a5 de correction ou de sens. Car
ceux qui se trouvent dans une impasse devant le fait de savoir s'il faut ou non
honorer les dieux et aimer ses parents ont besoin de correction; et ceux [qui
le sont devant le fait de savoir] si la neige est blanche ou non [manquent] de
sens. [Il ne faut pas] non plus [examiner] ce dont la démonstration est trop
prochaine, ni ce dont elle est trop éloignée. Car le premier ne met pas dans une
impasse et l'autre trop pour un exercice.
105a10 Ceci défini, il faut déterminer combien il y a
d'espèces de raisons dialectiques. Or il y a d'abord l'induction, et puis le
raisonnement. Pour le raisonnement, ce qu'il est, on l'a dit antérieurement.
Quant à l'induction, c'est, partant des singuliers, l'irruption[36] à
l'universel; par exemple, si c'est celui qui s'y connaît le meilleur pilote, 105a15 et de même [le meilleur] cocher,
c'est aussi, de manière absolue, celui qui s'y connaît qui est le meilleur en
chaque [matière]. Par ailleurs, l'induction est plus persuasive, plus claire,
plus accessible au sens et commune à la plupart, tandis que le raisonnement est
plus contraignant et plus efficace contre les spécialistes de la
contradiction.
105a20 Divisons comme on l'a dit auparavant les genres sur
quoi [s'effectuent] les raisons et de quoi [elles sont issues]. Quant aux
instruments grâce auxquels nous abonderons en raisonnements, il y en a quatre
: l'un consiste à obtenir des propositions; le second, c'est de pouvoir
distinguer en combien de manières chaque [chose] se dit; le troisième, c'est de
découvrir les différences et le 105a25 quatrième,
c'est l'investigation du semblable. D'ailleurs, d'une certaine manière, les
trois [derniers consistent] aussi [à obtenir] des propositions, car il y a
moyen de faire d'après chacun d'eux une proposition; par exemple, qu'est
préférable le bon ou l'agréable ou l'utile; et que diffère la sensation de la
science du fait que l'une, une fois perdue, peut s'obtenir de nouveau, 105a30 tandis que l'autre ne le peut
pas; et qu'il en va semblablement du sain pour la santé comme du revigorant
pour la vigueur. La première proposition est [issue] de ce qui est dit de
plusieurs façons, la seconde des différences et la troisième des semblables.
Bien sûr,
on doit [retenir] autant de critères pour le choix des propositions qu'on a
effectué de distinctions 105a35 [en
parlant] de [la] proposition et se mettre ainsi en mains les endoxes de tous,
ceux de la plupart ou ceux des sages et, parmi les leurs, [ceux] de tous, de la
plupart ou des plus connus, pour autant qu'ils ne soient pas[37] le
contraire des 105b1 [endoxes] les
plus courants[38]; tous
les endoxes aussi qui sont conformes à des arts. Par ailleurs, il faut encore
proposer ce qui contredit le contraire des endoxes les plus courants, comme on
l'a dit auparavant[39]. Il est
encore utile de forger soi-même des propositions, en faisant choix non
seulement de celles qui sont déjà de fait endoxales, mais 105b5 aussi de celles qui leur sont semblables. Par exemple, c'est
la même sensation qui porte sur les contraires, puisque c'est le cas aussi pour
la science. Aussi : nous voyons par réception en nous et non par émission de
quelque chose, car il en va ainsi pour les autres sens; nous entendons, en
effet, par réception en nous et non par émission de quelque chose, et nous
goûtons de la même manière. Et il en va semblablement aussi pour 105b10 autre [chose]. En outre, tout ce
qui a l'air [tel[40]] pour tous
[les sujets] ou la plupart, on doit [viser à] l'obtenir comme principe et
position tenant lieu d'endoxe; car on les pose, quand on ne voit pas pour quel
[sujet] il n'en serait pas ainsi. Par ailleurs, il faut aussi faire choix à
partir des raisons écrites, et se faire des listes sur chaque genre, en titrant
séparément, comme sur le bien ou sur 105b15
le vivant, et sur tout bien, en commençant par ce que [la chose] est.
Aussi, signaler en outre les endoxes de chacun, par exemple : Empédocle a dit qu'il y a quatre
éléments pour les corps. En effet, on pose ce qui est dit par quelqu'un
d'endoxal.[41]
À
circonscrire [les choses] sommairement, il y a trois sections pour les
propositions et les 105b20 problèmes.
En effet, certaines propositions sont morales, d'autres naturelles, d'autres
rationnelles. Les morales, bien sûr, ce sont celles de la nature de celle-ci, à
savoir s'il faut, quand il y a discordance, obéir à ses parents plutôt qu'aux
lois; [les] rationnelles, par exemple, si c'est ou non la même science qui
porte sur les contraires; et [les] naturelles, par exemple, si 105b25 le monde est ou non éternel. De
quelle qualité, parmi celles mentionnées est chaque [proposition ou problème],
il n'est pas facile de le justifier pour chaque cas par une définition. On
doit, [en prenant appui] sur la coutume [développée] grâce à l'induction,
tenter de reconnaître [la qualité de] chaque [proposition ou problème] en en
faisant l'examen d'après les exemples mentionnés. 105b30 Bien sûr, quand c'est à la philosophie qu'on vise, on doit
traiter des choses en conformité avec la vérité; mais quand[, comme ici, on se
propose d'en traiter] dialectiquement, c'est à l'endoxe qu'on vise.[42]
Par
ailleurs, on doit [viser à] obtenir toutes les propositions sous la forme la
plus universelle possible, et d'une en faire plusieurs. Par exemple, [proposer]
que c'est la même science qui porte sur les opposés; ensuite, qu'[il en va de
même] pour les contraires, et [de même pour] les relatifs. 105b35 On doit aussi diviser celles-là à nouveau de la même façon,
tant qu'il est possible de [les] diviser et, par exemple,[proposer] qu'[il en
va de même pour] le bien et le mal, et le blanc et le noir, et le froid et le
chaud. Et il en va semblablement pour autre chose.
106a1 En ce qui concerne [l'obtention] des propositions[43], bien
sûr, ce qu'on a dit est suffisant. Pour ce qui est maintenant de [distinguer]
en combien de manières [chaque chose se dit][44], on doit
non seulement relever tout ce qui se dit d'une façon différente, mais aussi tenter
d'en donner les définitions. Par exemple, [on ne doit] pas seulement [relever]
que 106a5 la justice et le courage,
d'une part, et le revigorant et le sain, d'autre part, se disent bons d'une
façon différente, mais aussi que les premiers c'est du fait d'être en eux-mêmes
de quelque qualité, tandis que les autres c'est du fait de produire une chose
[de quelque qualité] et non du fait d'être en eux-mêmes de [cette] qualité. Et
il en va de la même manière aussi pour autre chose.
Toutefois,
[le problème[45] de déterminer]
si c'est de plusieurs manières, spécifiquement, ou d'une seule qu'[une chose][46] se dit 106a10 doit être considéré à l'aide des
[lieux] suivants. D'abord, regarder le contraire [de la chose] et investiguer
s'il se dit de plusieurs manières et si la discordance éventuelle est seulement
spécifique ou aussi nominale. Parfois, en effet, les [contraires d'une même
chose] se trouvent tout de suite différents, déjà dans leurs noms. Par exemple,
c'est le grave qui est le contraire de l'aigu en matière de son vocal, et c'est
l'arrondi en matière de solide. Cela rend évident que le contraire de l'aigu se
dit de plusieurs manières. 106a15 Et
si c'est son cas, c'est aussi celui de l'aigu, car pour chaque chose ci-dessus
le contraire sera différent. Ce n'est effectivement pas le même aigu qui sera
le contraire de l'arrondi et du grave et pourtant pour chacun c'est l'aigu qui
est le contraire. Inversement, c'est l'aigu qui est le contraire du grave en
matière de son vocal, mais en matière de solide, c'est le léger. En
conséquence, le grave se dit de plusieurs manières, puisque c'est le cas aussi 106a20 de son contraire. Il en va
semblablement aussi du beau : c'est le laid [le contraire] du [beau] en matière
de vivant, mais du [beau] en matière de maison, c'est le désagréable. Par
conséquent, le beau est homonyme.
D'autres
fois, il n'y a, entre les [contraires d'une même chose], aucune discordance
nominale, mais la différence spécifique, entre eux, est tout de suite évidente,
comme 106a25 pour le clair et le
sombre. En effet, un son vocal se dit clair et sombre, et semblablement aussi
une couleur. Bien sûr, cela ne fait pas aucune discordance nominale, mais la
différence spécifique entre eux est tout de suite évidente. Car ce n'est pas
de semblable manière qu'on dit clairs la couleur et le son vocal. C'est évident
aussi par le sens, car 106a30 c'est
le même sens qui porte sur ce qui est la même [chose] spécifiquement; or ce
n'est pas par le même sens que nous jugeons le clair en matière de son vocal et
de couleur, mais c'est l'un par la vue et l'autre par l'ouïe. Il en va
semblablement aussi du piquant et du doux[47] en
matière de saveurs et de solides, où c'est l'un par le toucher, l'autre par le
goût. Et là, il n'y a pas de discordance nominale, ni pour les [choses] mêmes
en question, ni 106a35 pour leurs
contraires, puisque c'est le doux le contraire de chacun.
[Investiguer]
en outre, si tantôt il existe un contraire de la [chose] et tantôt absolument
aucun. Par exemple, du plaisir qui vient de boire, le contraire c'est la peine
qui vient de la soif, mais du plaisir qui vient de considérer que le diamètre
n'est en rien commensurable au côté, 106b1
il n'en existe aucun. En conséquence, le plaisir se dit de plusieurs
manières. De même, haïr est le contraire d'aimer de cœur, mais d'aimer de corps
il n'en existe aucun. Il devient donc évident qu'aimer est homonyme. En outre,
regarder les intermédiaires et [investiguer] si tantôt les [contraires] ont un 106b5 intermédiaire, tantôt pas. Ou
s'ils en ont un les deux fois, mais pas le même; par exemple, entre clair et
sombre, en matière de couleurs il y a le terne, mais en matière de son vocal,
il n'y a rien, ou à la rigueur [l']âpre, comme on dit qu'un son vocal âpre est
intermédiaire. Par conséquent, le clair est homonyme et le sombre semblablement.
[Investiguer] encore si des [contraires] ont tantôt plusieurs intermédiaires,
106b10 tantôt un seul, comme [il en
est] du clair et [du] sombre, puisqu'en matière de couleurs il existe plusierus
intermédiaires mais en matière de son vocal un seul, l'âpre.
Encore,
regarder l'opposé [de la chose] par contradiction et investiguer s'il se dit de
plusieurs manières; car s'il se dit de plusieurs manières, 106b15 son opposé se dira aussi de plusieurs manières. Par exemple,
ne pas voir se dit de plusieurs manières, dont l'une est ne pas avoir la vue,
l'autre ne pas se servir de la vue; or s'il se dit de plusieurs manières,
nécessairement aussi voir se dit de plusieurs manières, car à chaque manière
dont on ne voit pas va s'opposer quelque chose : à ne pas avoir la vue, 106b20 l'avoir, et à ne pas se servir
de la vue, s'en servir. Tourner en outre l'examen vers ce qui s'oppose comme
privation et habitus, car si l'un se dit de plusieurs manières, l'autre aussi.
Par exemple, si sentir se dit de plusieurs manières, selon qu'il s'agit de
l'âme et du corps, demeurer insensible 106b25
se dira aussi de plusieurs manières selon qu'il s'agira de l'âme et du
corps. Maintenant, que ce que nous venons de mentionner s'oppose comme
privation et habitus, c'est évident, puisque c'est par nature que les êtres
vivants possèdent l'une et l'autre sensibilité, celle de l'âme et celle du
corps.
On doit
aussi tourner l'examen vers les flexions. En effet, si ce [qu'on fait]
justement 106b30 se dit de plusieurs
manières, le juste se dira aussi de plusieurs manières. De fait, à chacune des
[choses faites] justement correspond une [chose] juste. Par exemple, si [en
attribuant] de juger justement, on dit tantôt qu'on le fait selon sa
conscience, tantôt [qu'on le fait] comme il faut, il en va semblablement aussi
pour le [jugement] juste. De même aussi, si le sain [se dit] de plusieurs
manières, sainement aussi se dira de plusieurs manières. 106b35 Par exemple, si [le sain], c'est tantôt ce qui produit la
santé, tantôt ce qui [la] garde, tantôt ce qui [en] est signe, on dira
sainement aussi [à propos de ce qui se fera] de manière à produire [la santé],
à [la] garder ou à [en] être signe. Et il en va semblablement pour autre chose
: chaque fois que la [chose] même se dit de plusieurs manières, 107a1 la flexion qu'on en fait se dira
de plusieurs manières, et si sa flexion [se dit de plusieurs manières], elle
aussi.
Investiguer
aussi les genres des attributions faites d'après le nom[48], [pour
voir] si ce sont les mêmes pour toutes; car si ce ne sont pas les mêmes, [il
est] évident 107a5 que ce qu'on dit
est homonyme. Par exemple, le bon, en matière de nourriture, c'est ce qui
produit du plaisir; en matière de médecine, c'est ce qui produit la santé;
appliqué à une âme, c'est qu'elle soit de quelque qualité, par exemple
tempérante, courageuse ou juste; et appliqué à un homme il en va semblablement
aussi. Parfois, par ailleurs, [c'est] d'être en quelque temps; par exemple, ce
[qui vient] à propos [est] bon et de fait on dit bon 107a10 ce [qui vient] à propos. Souvent encore, [c'est] d'être en
quelque quantité, par exemple selon la mesure; et de fait, on dit bon aussi ce
qui est mesuré. Par conséquent, le bon est homonyme. De même aussi, le clair,
appliqué à un solide, [c'est] une couleur; appliqué à un son vocal, [c'est] de
bien s'entendre. Et c'est presque pareil pour l'aigu; là encore, la même chose
ne se dit pas de la même manière en regard de tous [les sujets] : 107a15 en effet, le son vocal aigu,
c'est le [son vocal] rapide, comme l'affirme la théorie mathématique de
l'acoustique; l'angle aigu, [c'est] l'[angle] inférieur à un droit; la lame
aiguë, [c'est] la [lame] taillée à angles aigus.
Investiguer
aussi les genres des [choses qu'on trouve] sous le même nom[49], [pour
voir] s'ils ne sont pas différents et non subordonnés entre eux. Par exemple,
le bélier[50], c'est à
la fois l'animal et 107a20 la
machine de guerre et pour eux, effectivement, la définition qui correspond au
nom est différente : l'animal sera dit chose de telle qualité et la machine de
guerre, chose de telle qualité. Cependant, si les genres sont subordonnés entre
eux, les définitions ne seront plus nécessairement différentes. Par exemple,
tant l'animal que l'oiseau est genre du corbeau; or bien sûr, quand nous
disons que le corbeau est un oiseau, nous disons aussi qu'il est un animal de
telle qualité. 107a25 Par
conséquent, l'un et l'autre lui sont attribués. Semblablement encore, quand
nous disons [que] le corbeau [est] un animal ailé bipède, nous disons qu'il est
un oiseau; de cette manière aussi, bien sûr, l'un et l'autre genres sont
attribués au corbeau, et [avec eux] leur définition. Mais cela ne s'ensuit pas,
quand les genres ne sont pas subordonnés entre eux. 107a30 De fait, quand nous disons machine de guerre, nous ne disons
pas animel; ni non plus, quand [nous disons] animal, ne [disons-nous] machine
de guerre.
Par
ailleurs, ne pas investiguer seulement pour le propos si ses genres sont
différents et non subordonnés entre eux, mais aussi pour son contraire; car si
le contraire se dit de plusieurs manières, il est évident que 107a35 le propos aussi.
Il peut
être utile aussi d'observer la définition que l'on effectue de ce qui est
composé, par exemple du solide clair et du son vocal clair; car une fois
retranché ce qui leur est propre, il faut rester avec la même définition. Or
cela ne s'ensuit pas pour les homonymes, par exemple 107b1 pour ceux qu'on vient de mentionner. Le premier, en effet,
sera un solide de telle couleur et le second un son vocal qui s'entend bien.
Ainsi donc, une fois retranchés le solide et le son vocal, ce qui reste ne sera
pas la même chose dans chaque cas; or il le fallait, si précisément le clair
était synonyme, 107b5 appliqué à
chaque cas.
Souvent,
toutefois, c'est jusque dans les définitions mêmes que se glisse l'homonyme, à
notre insu; aussi doit-on investiguer même les définitions. Par exemple, si on
dit que ce qui est signe de la santé et ce qui la produit, c'est ce qui
entretient une relation convenable avec la santé, on ne doit pas abandonner là,
mais 107b10 examiner ce qu'on dit
convenable quant à chacun; [examiner] par exemple si l'un [est] ce [qui est] de
nature à produire la santé et l'autre ce [qui est] de nature à être signe de
celle qu'on a.
[Investiguer]
en outre si ce n'est comparable ni de plus [à moins] ni de semblable à
semblable; par exemple, un son vocal clair et un manteau clair, une saveur
aigre[51] et 107b15 un son aigre. De fait, cela ne
se dit ni semblablement clair ou aigre, ni plus clair ou plus aigre l'un que
l'autre. Par conséquent, le clair et l'aigre sont homonymes. Tout synonyme, en
effet, est comparable; de fait, on se dira [tel] semblablement ou plus l'un que
l'autre.
Par
ailleurs, pour les genres différents et non subordonnés entre eux, 107b20 les différences aussi sont
spécifiquement différentes; pour animal et science, par exemple, les différences
sont effectivement différentes. Aussi, investiguer si ce qui se retrouve sous
le même nom constitue des différences pour des genres différents et non
subordonnés entre eux; par exemple, l'aigu pour le son vocal et le corps; de
fait, un son vocal est différent d'un son vocal par le fait d'être aigu et un
corps [est différent] d'un corps de manière semblable. Par conséquent, 107b25 l'aigu est homonyme, car il
constitue des différences pour des genres différents et non subordonnés entre
eux.
[Investiguer]
à l'inverse si, pour cela même [qui se retrouve] sous le même nom, les
différences [sont] différentes; par exemple, pour la couleur, en ce qui
concerne les solides et en ce qui concerne la musique. De fait, en ce qui
concerne les solides, [ses différences sont] dissociateur 107b30 et compresseur de la vision; en musique, ce ne sont pas les
mêmes différences. La couleur est par conséquent homonyme : pour les mêmes
choses, ce doivent être les mêmes différences.
En outre,
puisque l'espèce n'est jamais la différence de quoi que ce soit, investiguer si
pour ce qui se retrouve sous le même nom l'un est espèce et l'autre différence.
107b35 Le clair, par exemple, en
matière de solides est une espèce de couleur; mais en matière de son vocal,
c'est une différence : de fait, un son vocal se différencie d'un autre son
vocal du fait d'être clair.
Pour ce
qui est, donc, de [distinguer qu'une chose se dit] de plusieurs manières, on
doit investiguer avec ces [lieux] et d'[autres] de cette nature. 108a1 Quant aux différences[52], on doit
comparer [les choses] entre elles dans les mêmes genres; par exemple,
[examiner] en quoi la justice diffère du courage et la prudence de la tempérance,
car tout cela est issu du même genre. [Les comparer] aussi d'un [genre] à
l'autre, tant que ce ne soit pas trop éloigné; par exemple, [examiner] en quoi
[la] sensation [diffère] de [la] science. 108a5
Car pour ce qui est trop éloigné les différences [sont] tout à fait
évidentes.
La
similitude, par ailleurs, on doit l'investiguer pour ce qui appartient à des
genres différents, sur ce modèle : la relation qu'une [chose entretient] avec
une autre, une autre l'[entretient] de même avec une autre. Par exemple, la
relation que la science entretient avec ce qui est su, la sensation
l'[entretient] de même avec ce qui est senti. 108a10 Et sur ce modèle : la situation qu'une [chose occupe] dans
une autre, une autre l'[occupe] de même dans une autre. Par exemple, la
situation qu'[occupe] la vue dans l'œil, l'intellect [l'occupe] dans l'âme, et
celle de la sérénité dans la mer, la tranquillité [l'occupe] dans l'air.
D'ailleurs, c'est surtout dans ce qu'il y a de plus distant qu'il faut s'exercer.
Quant au reste, en effet, nous pourrons plus facilement apercevoir ce qu'il y a
de semblable. Toutefois, on doit investiguer aussi ce qui appartient au même 108a15 genre, [et voir] si tous [ses
éléments] sont la même [chose sous] quelque [rapport], par exemple l'homme, le
cheval et le chien. En effet, c'est dans la mesure où on est la même [chose
sous] quelque [rapport] qu'on est semblable.
C'est
pour la clarté qu'il est utile d'examiner de combien de manières [une chose] se
dit; car on pourra voir davantage ce qu'on pose, 108a20 une fois manifesté de combien de manières cela se dit.
[C'est] aussi pour que les raisonnements soient effectués d'après la chose même
et non d'après son nom, car, tant que ne devient pas évident de combien de manières
[ce dont on parle][53] se dit,
il reste possible au répondeur et au demandeur de ne pas faire porter leur
pensée sur la même [chose]; tandis que, dès que devient manifeste de combien de
manières [cela] se dit et 108a25 se
portant sur quoi on prend position, le demandeur aura tout l'air ridicule, s'il
n'effectue pas son raisonnement en relation à cela. C'est utile encore pour ne
pas se faire paralogiser et pour paralogiser, car sachant, en effet, de combien
de manières [ce dont on parle] se dit, nous ne serons pas paralogisés; nous
saurons au contraire si ce n'est pas en relation à la même [chose] que le
demandeur effectue son raisonnement. Et nous-mêmes, 108a30 en demandant, nous pourrons paralogiser, s'il se trouve que
le répondeur ne sache pas de combien de manières [cela] se dit. Toutefois, cela
n'est pas possible à tout propos, mais [seulement] quand ce qui se dit de
plusieurs manières est vrai d'une manière, faux de l'autre. Cette façon,
cependant, n'est pas appropriée à la dialectique. C'est pourquoi les
dialecticiens doivent éviter de toute manière 108a35 un [procédé] de cette nature, discuter contre le nom, à
moins qu'on soit incapable de discuter autrement sur le propos.
Quant à
découvrir les différences, c'est utile pour les raisonnements qui concluent que
[c'est] la même [chose] et [que c'en est une] autre, et pour connaître 108b1 ce que chaque [chose] est. Que
cela soit utile pour les raisonnements qui concluent que [c'est] la même
[chose] et [que c'en est] une autre, c'est bien sûr évident, car dès que nous
découvrirons une différence quelconque entre les propos, nous nous trouverons à
avoir montré que ce n'est pas la même chose. Mais [c'est utile aussi] pour
connaître ce que [chaque chose] est, parce que 108b5 nous avons coutume de distinguer la raison propre de
l'essence de chaque [chose] au moyen des différences appropriées à chacune.
La
considération du semblable, quant à elle, est utile en vue des raisons
inductives, des raisonnements [procédant] par supposition et de la production
des définitions. En vue des raisons inductives, bien sûr, 108b10 parce que c'est à force d'induction de singuliers semblables
que nous venons à réclamer d'induire l'universelle. Effectivement, il n'est pas
facile d'induire sans savoir ce qu'il y a de semblable. En vue, aussi, des
raisonnements [procédant] par supposition, parce qu'il est endoxal que comme
il en va, éventuellement, de l'un de [cas] semblables, ainsi [en va-t-il aussi]
du reste. En conséquence, dès que nous aurons en abondance de quoi 108b15 discuter contre l'un d'eux, nous
nous ferons concéder que comme il en va, éventuellement, de ce[54] [cas
semblable] ainsi en va-t-il du propos; aussi, en ayant montré celui-là, nous
nous trouverons à avoir montré le propos par supposition. Puisque nous aurons
supposé, en effet, que comme il en va, éventuellement, de ce54 [cas semblable], ainsi en va-t-il aussi du
propos, nous aurons fait la démonstration. En vue, enfin, de la 108b20 production des définitions,
parce que du fait de pouvoir apercevoir ce qui en chaque [matière] est la même
[chose], cela ne nous mettra pas en impasse, au moment de définir, [de devoir
déterminer] en quel genre poser le propos. C'est en effet parmi les [attributs]
communs celui qui s'attribue le plus en ce que [la chose] est qui pourra être
son genre. C'est semblablement aussi en ce qui est très éloigné que la
considération du semblable [est] utile pour les définitions. Par exemple, que
c'est la même [chose] 108b25 la
sérénité dans la mer et la tranquillité dans l'air, car chacune est un calme;
de même le point dans la ligne et l'unité dans le nombre, car chacun est
principe. Par conséquent, c'est en produisant à titre de genre ce qu'il y a de
commun à tous [les cas semblables] qu'il fera figure d'endoxe que nous ne
définissons pas étrangement. C'est à peu près ainsi, d'ailleurs, que ceux qui
définissent ont coutume de produire [leurs définitions]. On dit en effet que
l'unité 108b30 est principe du
nombre et que le point est principe de la ligne. Il est donc évident qu'on pose
le genre dans ce qu'il y a de commun aux deux.
Voilà
donc les instruments grâce auxquels les raisonnements [sont effectués]. Quant
aux lieux en relation auxquels ce qu'on a dit sera utile, les voici.
Questions universelles et particulières : — Priorité des questions universelles négatives. — Différence de l'accident et des trois autres instruments dialectiques. — Vices des questions.
[108b] § 1. Parmi les questions, les unes sont universelles, et les autres particulières; universelles, comme, par exemple, celles-ci : Tout plaisir est un bien, aucun plaisir n'est un bien ; particulières, comme celles-ci : Quelque plaisir [109a] est un bien, quelque plaisir n'est pas un bien.
§ 2. Les questions universelles, soit qu'elles affirment, soit qu'elles nient, peuvent également servir pour les deux genres de questions; je veux dire que si l'on a montré qu'un attribut appartient à tout le sujet, on a montré par cela même, qu'il appartient aussi à quelque partie du sujet; et de même, si nous prouvons qu'il n'appartient aucunement au sujet, nous aurons aussi prouvé qu'il n'est pas à tout le sujet. § 3. Il faut donc traiter en premier lieu des négations universelles, d'abord parce qu'elles sont également applicables et aux cas universels et aux cas particuliers; et ensuite, parce qu'en général, les interlocuteurs posent plutôt des thèses affirmatives que des thèses négatives; et que, par conséquent, ceux qui discutent ont à les réfuter par des négations.
§ 4. Il est très difficile de convertir en une proposition réciproque la dénomination spéciale qui vient de l'accident; car la dénomination particulière et non universelle n'est possible que pour les accidents. La dénomination, au contraire, qu'on tire du propre, de la définition, et du genre, doit nécessairement se convertir en une proposition réciproque. Par exemple, s'il appartient à un sujet d'être animal bipède terrestre, il sera vrai aussi de dire, en convertissant réciproquement la proposition, qu'il est animal terrestre bipède. Et de même pour la dénomination tirée du genre; car s'il appartient à quelque sujet d'être animal, on peut dire avec vérité qu'il est animal. Même remarque pour la dénomination tirée du propre. S'il appartient à quelque être d'être susceptible de savoir la grammaire, on pourra dire avec vérité qu'il est susceptible de savoir la grammaire. C'est qu'en effet, aucune de ces dénominations ne peut pas être ou ne pas être en partie et relativement ; mais elles sont absolument, ou ne sont pas absolument. Au contraire, pour les accidents, rien n'empêche qu'ils ne soient que relativement. Prenons pour exemples la blancheur et la justice. Il ne suffit pas de prouver que l'homme a de la justice et de la blancheur pour prouver qu'il est juste et blanc; car il y a toujours doute, dans ce cas, de savoir s'il est blanc et juste seulement d'une manière relative. Donc, il n'y a pas de conversion nécessaire pour les accidents.
§ 5. Il faut indiquer aussi les vices que peuvent présenter les questions ; ils sont de deux espèces : ou bien l'on se trompe, ou bien l'on détourne un mot de l'acception ordinaire. On tombe dans le premier vice, quand on soutient qu'un attribut qui n'appartient pas réellement au sujet lui appartient ; et quand on appelle les choses de noms qui ne leur conviennent pas, par exemple, quand on appelle le platane homme, on détourne le mot de son acception reçue.
Cinq lieux : 1° de l'erreur commise quand on prend pour accident ce qui ne l'est pas ; 2° regarder aux espèces du sujet; 3° définir l'accident et le sujet ; 4° se faire des objections tacites contre la thèse de l'interlocuteur ; 5° choisir entre les dénominations ordinaires des choses.
§ 1. Un premier lieu pour l'accident, c'est d'examiner si l'on n'a pas donné comme accident un attribut qui appartient au sujet à tout autre titre. C'est surtout relativement aux genres que se commet cette erreur. Par exemple, l'on dit que c'est un accident pour le blanc d'être une couleur ; car, loin que ce soit un accident pour le blanc d'être une couleur, la couleur, au contraire, en est le genre. Il peut arriver parfois que l'interlocuteur qui pose sa thèse, détermine l'espèce de l'attribut par la dénomination même de l'accident ; [110a] et que, par exemple, il dise que c'est un accident de la justice d'être une vertu. Mais dans la plupart des cas, même sans qu'il ait ainsi détermine la chose, il est de toute évidence qu'il â pris le genre comme accident : par exemple, si l'on dit que la blancheur est colorée ou que la marche a remué ; car jamais l'attribution ne se fait par dérivation paronyme du genre à l'espèce ; mais les genres sont toujours attribués synonymiquement aux espèces, puisque les espèces reçoivent et la dénomination et la définition des genres. Lors donc que l'on dit que le blanc est coloré, on ne donne cet attribut, ni comme genre, puisqu'on le forme par dérivation paronyme, ni comme propre, ni comme définition; car la définition et le propre ne sont à aucune autre chose que le sujet. Il y a bien d'autres choses que le blanc qui sont colorées : par exemple, le bois, la pierre, l'homme, le cheval, etc. Il est donc clair qu'on a pris cet attribut comme accident.
§ 2. Un autre lieu, c'est d'examiner les sujets dont l'attribut est affirmé ou pris universellement. Il faut regarder aux espèces, et non pas aux cas particuliers qui sont infinis; car l'observation se fait mieux sur un moindre nombre et pas à pas. Or, il faut commencer cet examen par les primitifs, et descendre ensuite jusqu'aux individus : par exemple, si l'adversaire a dit qu'il n'y avait qu'une science unique pour les choses opposées, il faut examiner s'il y a une science unique pour les relatifs, et pour les contraires, et pour les opposés par privation et possession, et pour les opposés par contradiction. Et si l'assertion n'est pas évidente pour ces cas mêmes, il faut pousser les subdivisions jusqu'aux individus, et voir par exemple si la science est unique pour le juste et l'injuste, pour le double et la moitié, pour l'aveuglement et la vue, pour l'être et le non-être ; car si l'on prouve pour un seul cas que la notion n'est pas la même, nous aurons détruit pour cela même l'assertion universelle. Même procédé si l'assertion universelle était négative. Ce lieu peut tout aussi bien servir à établir une assertion qu'à en réfuter une. Si l'on voit en poussant la division que l'attribut appartient à tous les sujets, ou du moins au plus grand nombre, on peut demander à l'interlocuteur de reconnaître cet attribut pour universel, ou de démontrer, en le réfutant, qu'il y a un sujet auquel il n'appartient pas; et si l'interlocuteur ne fait ni l'un ni l'autre, il paraîtra se donner le tort de ne point admettre l'attribut discute.
§ 3. Un autre lieu, c'est de faire la définition de l'accident et du sujet auquel il est attribué, ou de tous les deux pris ensemble, ou de l'un des deux pris à part : et de voir ensuite si l'on n'a point pris pour vrai dans les définitions quelque élément qui ne l'est pas. Par exemple, si l'on avance qu'il est possible de faire tort à Dieu, il faut voir ce que c'est que faire tort; car si l'on entend par faire tort faire volontairement du mal, il est évident qu'on ne saurait faire tort à Dieu, puisqu'on ne peut faire de mal à Dieu. Si l'on soutient que l'homme vertueux est envieux, on aura à se demander ce que c'est que l'envieux et l'envie ; car si l'envie est une douleur de ce qui arrive de bonheur à quelque homme honorable, il est évident que l'homme vertueux ne sera pas envieux ; car alors il serait méchant. Si l'on prétend que le grondeur est envieux, on cherchera à définir ce que c'est que l'un et l'autre. [110b] C'est ainsi qu'on verra clairement si l'assertion émise est fausse ou vraie : par exemple, si l'envieux est celui qui s'afflige du succès des gens de bien, et le grondeur celui qui s'afflige du succès des méchants, il est évident que le grondeur ne sera pas envieux. Parfois on doit prendre des définitions à la place de certains mots que les définitions même renferment, et ne point s'arrêter jusqu'à ce qu'on soit arrivé à quelque terme tout à fait connu. C'est que souvent, en prenant la définition tout entière qui a été donnée, on ne découvre pas nettement ce qu'on cherche : mais on le découvre aussitôt,si l'on prend une définition à la place de l'un des mots que renferme la définition initiale.
§ 4. On peut encore réfuter la question en s'en faisant à soi-même une proposition ; car la réfutation qu'on trouvera de cette façon sera une attaque contre la thèse de l'interlocuteur. Ce lieu, du reste, est à peu près le même que celui qui consiste à voir quels sont les sujets dont l'attribut est affirmé ou nié universellement : la seule différence est dans la forme.
§ 5. Il faut encore déterminer les choses qu'il convient, et celles qu'il ne convient pas, d'appeler par les noms qu'on leur donne ordinairement. Cela est utile, soit pour soutenir, soit pour réfuter une assertion : par exemple, on peut dire qu'il faut désigner les choses par leurs dénominations habituelles. Mais, quant à distinguer les choses qui ont telle qualité et celles qui ne l'ont pas, il ne faut plus sur cette question s'en rapporter au vulgaire. Ainsi, on peut bien appeler sain ce qui donne la santé, comme tout le monde fait; mais pour savoir si l'objet en question donne ou ne donne pas la santé, ce n'est pas comme le vulgaire qu'il faut dire, c'est comme le médecin.
§ 1. Un premier lieu, Théophraste, au rapport d'Alexandre, distinguait, avant le lieu lui-même, le précepte général qui l'indique et le recommande. Ce précepte vient nécessairement avant le lieu; et ici, par exemple, le précepte serait : Il faut examiner si ce qui appartient au sujet à un titre autre que l'accident lui est cependant attribué comme simple accident; et le lieu proprement dit serait: Si ce qui est attribué comme accident au sujet lui appartient à un titre autre que l'accident. Cette distinction est vraie, mais on peut la regarder comme bien minutieuse.
— Pour l'accident, Aristote commence l'étude des termes dialectiques par l'accident, qui est, disent les commentateurs, le plus commun de tous. On peut voir dans Alexandre les motifs divers qui doivent faire donner la priorité à l'étude des lieux relatifs à l'accident. Aristote n'a pas cru devoir donner aucune raison ici ; mais il donne celle des commentateurs, bien que d'une manière indirecte, liv. 4, ch. 1, § 1.
— C'est surtout relativement aux genres, parce que le genre a plus de rapport avec l'accident que n'en ont la définition et le propre. En effet la définition et le propre n'appartiennent qu'au sujet, le genre et l'accident, au contraire, sont plus étendus que lui.
— Par dérivation paronyme, voir les Catégories, ch. 1, § 3, où est donnée la définition de ce mot.
§ 2. Aux cas particuliers, c'est-à-dire aux individus.
— Commencer cet examen par les primitifs, par les genres les plus étendus.
— Aux individus, il faut entendre seulement les dernières espèces qui ne peuvent plus être divisées ; car, dans le sens habituel du mot, ceci serait contradictoire à ce qui précède.
— Et pour les relatifs et pour les contraires, en d'autres termes, pour toutes les espèces d'opposés. Voir les Catégories, , ch. 10 et 11.
— Jusqu'aux individus, qui sont encore ici des espèces , comme l'exemple même le prouve.
— Juste et injuste, opposés contraires; double et moitié, opposés relatifs ; aveuglement et vue, opposés par privation et possession; l'être et le non-être, opposés par contradiction.
§ 3. Le grodeur, Je n'ai point trouvé dans notre langue un mot plus convenable que celui-là, qui ne l'est guère. Pour rendre le mot grec, il m'aurait fallu prendre une très-longue périphrase, qui aurait en plus d'inconvénients encore qu'un mot impropre. Nous n'avons rien d'ailleurs dans nos croyances modernes qui réponde à la Némésis des anciens. Le grondeur doit s'entendre ici d'un honnête homme toujours mécontent des choses de ce monde parce que sa vertu s'en ndigne, dans le genre où l'est le misanthrope de Molière.
§ 4. On peut encore réfuter la question, le texte dit objecter. Voir sur l'objection Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 26.
— Est à peu près le même que le second indiqué au § 8 ci-dessus.
Mots qui, sans être homonymes, s'appliquent à plusieurs choses.
§ 1. Si le mot qui désigne l'accident a plusieurs acceptions et que l'on ait affirmé ou nié l'accident, il faut montrer l'un ou l'autre des sens divers, si on ne le peut pour tous les deux. Il faut se servir de ce lieu surtout dans le cas où l'homonymie est cachée; car si l'on n'ignore pas que le mot a plusieurs sens, on objectera que l'interlocuteur ne discute pas le sens qu'il a mis lui-même en doute, mais qu'il discute l'autre sens. Ce lieu peut être également employé pour soutenir et réfuter une thèse. Si nous voulons soutenir, nous montrerons que l'un des deux sens appartient au mot, quand nous ne le pouvons pas pour les deux ; et si nous voulons réfuter, nous montrerons que l'un des sens n'appartient pas au mot, si nous ne le pouvons faire pour les deux. Seulement, quand on réfute, il n'est nullement besoin d'obtenir de concession de l'adversaire, soit que la thèse primitive ait nié ou affirmé universellement l'attribut; car si nous montrons que l'accident n'appartient pas à une partie quelconque du sujet, nous aurons réfuté cette assertion qu'il est à tout le sujet : et si nous montrons qu'il est à une seule partie du sujet, nous aurons par cela même réfuté cette assertion qu'il n'est aucunement au sujet. Au contraire, quand on soutient soi-même une thèse, il faut d'abord convenir avec l'adversaire que si l'on prouve que l'accident est à une partie quelconque du sujet, on aura prouvé par cela même qu'il est à tout le sujet, en admettant aussi que cette raison soit convaincante; car il ne suffit pas, [111a] pour montrer que l'accident est à tout le sujet, de discuter sur un seul cas : par exemple, il ne suffit pas de prouver que l'âme de l'homme est immortelle, pour affirmer que toute âme est immortelle. Ici, il faut convenir préalablement que si l'on montre qu'une âme quelconque est immortelle, on aura prouvé par là même que toute âme l'est en général. Du reste, il ne faut employer cette méthode que quand on ne peut pas produire une explication commune à tous les cas, comme le fait le géomètre quand il affirme que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits.
§ 2. Si les divers sens du mot sont parfaitement évidents, il faut, après avoir déterminé séparément, en combien de sens il se dit, soutenir ou réfuter la thèse. Par exemple, si l'on a dit que la règle de conduite morale est l'utile ou le bien, il faut chercher à établir ou à renverser ces deux assertions pour l'objet discuté ; par exemple, en montrant qu'il est beau et utile, ou bien qu'il n'est ni beau ni utile. Si l'on ne peut prouver les deux assertions, il faut prouver l'une d'elles, en indiquant en outre que l'objet est l'une de ces choses et qu'il n'est pas l'autre. Même raisonnement, si la division comprenait plus de deux membres.
§ 3. Il faut regarder encore aux choses qui ont plusieurs sens, non par simple homonymie, mais de toute autre manière; par exemple, la science unique pour plusieurs choses peut s'entendre, ou de la fin à laquelle tendent les choses, ou de ce qui mène à cette fin : ainsi, la médecine, qui est à la fois la science de ce qui fait la santé et la science du régime. La science unique peut s'entendre encore également des fins des deux choses : c'est en ce sens que l'on dit que la science des contraires est la même; car l'un des contraires n'est pas plus une fin que l'autre. La science unique peut s'entendre, et de la chose en soi, et de la chose par accident. Ainsi, c'est en soi que le triangle a ses trois angles égaux à deux droits, et c'est par accident que l'équilatéral les a de cette façon. C'est en effet parce que le triangle équilatéral est accidentellement triangle, que nous reconnaissons qu'il a les trois angles internes égaux à deux droits. Si donc il ne peut y avoir science unique de plusieurs choses, évidemment, il faut dire absolument qu'elle ne peut pas être ; ou bien si elle peut être de quelque façon, il est clair qu'elle est possible. Il faut continuer la division tant qu'elle est utile : par exemple, si nous voulons soutenir une thèse, il faut produire tous les exemples analogues que nous pourrons, et ne prendre dans les divisions que celles qui peuvent être utiles à nos affirmations. Si au contraire nous voulons réfuter, il faut prendre les exemples opposés à la thèse de l'adversaire, et négliger tout le reste. C'est aussi ce qu'il faut faire, même pour les exemples opposés. Quand on ne sait pas dans combien de sens les mots peuvent être pris, il faut encore établir par les mêmes lieux que telle chose est ou n'est pas l'attribut de telle autre. Par exemple, que la science s'applique à telle chose, soit comme science de la fin de cette chose, ou comme science des moyens servant à cette fin, ou comme science des accidents de cette chose ; de même qu'on peut prouver aussi que le sujet en question n'est d'aucune des manières énoncées. Le même raisonnement qu'on fait ici pour la science pourrait être fait pour le désir, et en général pour toutes les choses qui sont applicables à plusieurs autres; car le désir [111b] s'applique à telle chose comme fin, ainsi, le désir de la santé; ou à des choses qui servent à cette fin, ainsi, le désir de se soigner; ou à des choses purement accidentelles ; ainsi celui qui aime les choses douces désire boire du vin, non parce que le vin est du vin, mais parce que le vin est doux. Il désire en soi ce qui est doux, il ne désire du vin que par accident; et la preuve, c'est que si le vin est aigre, il ne le désire plus; donc il ne le désire que par accident. Ce lieu commun s'applique utilement surtout aux relatifs; car les choses de ce genre sont presque toutes des relatifs.
§ 1. L'un ou l'autre des sens divers, en admettant que le mot homonyme n'ait que deux acceptions.
— D'obtenir de concession de l'adversaire, Alexandre fait remarquer qu'Aristote appelle ici concession ce qu'à la fin du premier livre des Topiques il a nommé, comme dans les Premiers Analytiques, hypothèse, et il confond par conséquent les syllogismes par concession et les syllogismes par hypothèse. Voir plus haut, liv. 1. ch. 18, la note sur le § 9, et sur cette question si sou vent controversée de savoir si Aristote a connu les syllogismes hypothétiques ; voir aussi plus loin, liv. 3, ch. 6, § 6.
— Comme le fait le géomètre, qui procède toujours par démonstration universelle, et, par exemple, dans le théorème bien connu que cite Aristote.
§ 2. Parfaitement évidente, c'est ce qui distingue ce lieu du précédent où l'on supposait que l'homonymie était cachée ; ici elle est parfaitement claire et ne peut échapper en aucune façon.
§ 3. Ainsi c'est en soi que le triangle, parce que le triangle est ici le primitif universel, comme il a été prouvé dans les Dernière Analytiques, liv. 1, ch. 4, § 12. Théophraste citait aussi cet exemple, selon Alexandre, dans son Traité sur les mots à plusieurs acceptions.
1° changer un mot obscur pour un plus clair ; 2° regarder au genre pour prouver que les contraires sont à un même sujet ; 3° regarder aux espèces du genre attribué ; 4° regarder aux déφιnitions vraies ou simplement probables du sujet ; 5° regarder aux conséquents ou antécédents du sujet; 6° regarder au temps.
§ 1. Il peut encore être utile de passer à un mot plus connu; et, par exemple, il vaut mieux dire d'une expression qu'elle est claire que de dire qu'elle peut être exactement comprise ; et, au lieu de l'activité, il vaut peut-être mieux dire l'amour du travail. Le nouveau mot qu'on choisit étant plus connu, il devient aussi plus facile d'attaquer la thèse. Ce lieu est comme ceux qui précèdent, applicable dans les deux sens, soit pour soutenir, soit pour réfuter une assertion.
§ 2. Pour montrer que les contraires sont à un même sujet, il faut regarder au genre de ce sujet : par exemple, si nous voulons montrer que dans la sensation il peut y avoir exactitude et erreur, nous dirons que sentir, c'est juger; qu'on peut juger mal ou bien, et que par conséquent aussi on touve exactitude ou erreur dans la sensation. La démonstration se fait donc ici du genre à l'espèce ; juger est genre relativement à sentir ; car celui qui sent fait une sorte de jugement. A l'inverse, on peut aller de l'espèce au genre ; car tous les attributs de l'espèce sont aussi ceux du genre : par exemple, si la science est bonne ou mauvaise, la disposition est aussi bonne ou mauvaise; car la disposition est le genre de la science. Ainsi donc, le lieu antérieurement indiqué est faux, mais le second est vrai, quand il s'agit d'établir la thèse; car ilTi'est pas nécessaire que tout ce qui est au genre soit aussi à l'espèce. Ainsi, l'animal est ailé et quadrupède, mais l'homme ne l'est pas. Au contraire, tout ce qui est à l'espèce est nécessairement aussi au genre; si l'homme est vertueux, l'animal aussi est vertueux. S'il s'agit de réfuter la thèse, c'est le premier qui est vrai et le second qui est faux ; car tout ce qui est nié du genre est nié aussi de l'espèce, tandis que tout ce qui est nié de l'espèce n'est pas nécessairement nié du genre.
§ 3. Il faut nécessairement que les choses auxquelles le genre est attribué reçoivent aussi pour attribut quelqu'une des espèces ; et tout ce qui a le genre est dénommé par dérivation paronyme du genre, et a nécessairement aussi quelqu'une des espèces, ou bien est dénommé par dérivation de quelqu'une d'entre elles. Par exemple, si la science est attribuée à quelqu'un, il faut que, soit la grammaire, soit la musique ou telle autre science, lui soit attribuée; et si quelqu'un possède [112a] la science, ou il est désigné par dérivation paronyme du mot même, et alors possédera soit la grammaire, soit la musique ou telle autre science, ou bien il sera nommé par dérivation de l'une de ces sciences, par exemple, grammairien ou musicien. Si donc l'interlocuteur pose quelque attribut qui vienne d'une façon quelconque du genre, par exemple, que l'âme est en mouvement ; il faut examiner si l'âme peut se mouvoir suivant l'une quelconque des espèces du mouvement : par exemple, si elle peut augmenter, ou diminuer, ou être détruite, ou naître, ou avoir telle autre des espèces du mouvement; car si elle ne se meut suivant aucune, c'est qu'évidemment elle ne se meut pas. Ce lieu, du reste, est utile dans les deux sens pour établir ou pour réfuter la thèse; car si l'âme se meut suivant l'une des espèces du mouvement, il est évident qu'elle se meut ; et si elle ne se meut suivant aucun, il est clair qu'elle ne se meut pas.
§ 4. Quand on manque d'arguments pour attaquer la thèse, il faut essayer de les tirer des définitions réelles de l'objet en question ou des définitions simplement apparentes ; et si une seule définition n'en fournit pas, il faut en examiner plusieurs; car une fois qu'on a fait une définition, il est bien plus facile d'attaquer la thèse, l'attaque étant toujours plus facile contre les définitions.
§ 5. Il faut regarder aussi pour le sujet proposé de quoi ce sujet est le conséquent, ou bien voir ce qui est nécessairement du moment que ce sujet est. Quand on veut soutenir la thèse, il faut voir de quoi le sujet est le conséquent ; car si l'on montre que cette chose est, dont l'existence entraîne celle du sujet, on aura montré aussi que le sujet en question existe. Au contraire, quand on veut réfuter la thèse, on recherche ce qui est parcelamême que le sujet existe; car, si l'on montre que le conséquent du sujet donné n'existe pas, on aura par cela même renversé le sujet en question.
§ 6. Regardez aussi au temps
s'il y a quelque discordance : par exemple, si l'interlocuteur dit que ce qui
se nourrit doit nécessairement s'accroître; on peut répondre que les animaux se
nourrissent toujours, et que cependant ils ne croissent pas toujours. Même
objection, si l'interlocuteur a dit que savoir c'est se souvenir; car ici l'un
des sens s'adresse au temps passé, et l'autre s'adresse au présent et à
l'avenir. On peut dire qu'on sait et le présent et l'avenir; et, par exemple,
on sait qu'il y aura une éclipse de soleil, mais on ne peut se souvenir que du
passé.
§ 1. De passer à un mot plus connu, parce qu'alors il est plus facile de discuter sur un mot clair que sur un mot obscur
§ 2. Les contraires sont à un même sujet, non pas simultanément et réellement, ce qui est impossible, mais logiquement, dans des espèces diverses, dans des mo ments divers.
— Sentir, c'est juger,. ce qui est le contraire de l'axiome sensualiste, que juger, c'est sentir. Voir toute la discussion du Théétète de Platon.
§ 3. Par dérivation paronyme, voir les Catégories, ch. 1, § 3.
— L'une quelconque des espèces du mouvement, voir les Catégories, ch. 14, où les diverses espèces de mouvement sont réduites à six. Platon, dans le Timée, en distingue jusqu'à dix, mais d'un point de vue différent de celui d'Aristote, et qui n'est point applicable ici.
§ 4. Les tirer des définitions, Alexandre remarque, et à la suite les autres commentateurs ont remarqué, que ce lieu se rapproche du troisième, dont il a été question ch. 2, § 3, de ce livre.
— Simplement apparents ; il ne faut pas ou- blier qu'on est ici en dialectique, et que par conséquent on ne s'occupe que de la simple probabilité, En philosophie, én analyse, une chose n'a et ne peut avoir qu'une seule définition.
— Contre les définitions, voir les liv. 6 et 7, consacrés tout entîersà la définition et aux lieux communs qui la concernent.
§ 6. Savoir, c'est se souvenir; c'est la doctrine de Platon dans le Phédon, et surtout dans le Ménon. Aristote l'a déjà combattue dans les Derniers Analytiques1, ch. 1, § 7; on peut voir aussi le Traité de la mémoire et de la réminiscence,
— L'un des sens du mot savoir, on sait le passé, mais on sait aussi l'avenir ; et par conséquent la réminiscence n'explique pas toute la science quoiqu'en dise Platon.
§ 1. Il y a encore ici une manière sophistique de discuter, c'est de conduire l'adversaire à un point sur lequel nous pourrons avoir des arguments en abondance. Ce point est quelquefois nécessaire, et quelquefois il le paraît seulement; d'autres fois il n'est ni nécessaire, ni ne paraît nécessaire. Il est nécessaire, quand celui qui nous répond nous ayant refusé quelque assertion indispensable à la thèse, on doit diriger l'argumentation sur ce point contesté, et que ce point est précisément un de ceux sur lesquels nous avons de nombreux arguments. Il en est de même encore quand l'adversaire, [112b] qui par suite de la thèse a fait une induction de quelque nouveau terme, cherche à le détruire; car, ce terme détruit, la thèse en question l'est aussi. Parfois, ce point de la discussion n'a que l'apparence d'être nécessaire, lorsqu'il semble utile et tout à fait spécial à la thèse sans l'être toutefois réellement, soit que celui qui soutient la thèse nie ce point, soit que, craignant une induction que probablement la thèse le forcera de faire sur ce point, il cherche à le détruire.
Le dernier cas, c'est lorsque ce point, sur lequel portent les argumentations, n'est ni nécessaire ni ne le paraît, et qu'il est possible à l'interlocuteur qui répond de réfuter son adversaire d'une toute autre façon. Il faut du reste bien prendre garde à ce mode de discussion qui vient d'être indiqué en dernier lieu; car il paraît être tout à fait éloigné et en dehors de la dialectique. Celui qui répond doit éviter les difficultés, concéder même des points qui ne sont pas utiles à la discussion, en se réservant toujours d'indiquer ceux qu'il accorde, bien qu'ils soient contraires à son opinion personnelle ; car l'interlocuteur qui interroge est ordinairement embarrassé bien davantage par ces sortes de concessions, s'il vient à ne pas conclure.
§ 2. De plus, du moment qu'on a dit une chose quelconque, on en a toujours, en certain sens, dit plusieurs ; car chaque chose en a nécessairement à sa suite plusieurs autres : par exemple, si l'on a dit que l'homme est, on a dit implicitement aussi que l'animal est, et que l'animal est vivant, et qu'il est bipède, et qu'il est susceptible d'intelligence et de science. Ainsi donc, que l'on détruise une seule de ces conséquences, et l'on détruit aussi le principe même qui les produit. Or, il faut prendre garde de quitter le point contesté pour passer à un plus difficile ; car tantôt il est plus aisé de réfuter la conséquence, et tantôt c'est l'objet lui-même.
§ 1. Une manière sophistique ; c'est le procédé dont se sert Protagoras le sophiste, dans le Dialogue de Platon, comme le rappelle Alexandre.
- A fait une induction, Pacius, d'après la remarque de Gruchius, voudrait, contre l'avis unanime des manuscrits, substituer abduction à induction, ainsi que quelques lignes plus bas. Alexandre, qui n'a pas eu de variante sur ce passage, l'explique par l'idée seule de l'induction, sans recourir à l'abduction définie dans les Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 25. «Si pour démontrer, dit-il, que l'âme est immortelle, on pose d'abord en principe, qu'elle se meut pour arriver à prouver qu'elle se meut spontanément; et que l'adversaire nie que l'âme se meuve, on passe du premier point, sur lequel on n'a pas d'arguments, à ce second, qu'on discute en prouvant que l'âme se meut, en pensant, en apprenant, en éprouvant plaisir ou peine, en sentant, en espérant, en craignant. Et c'est une transition à l'argumentation nécessaire pour prouver le point même qu'on discute. Cette sorte de transition s'appelle précisément induction, comme il l'a expliqué dans le second livre des Premiers Analytiques. » Pacius a conservé le texte reçu, mais il a traduit abduction au lieu d'induction. Ce changement ne semble pas indispensable, bien que le texte soit certainement obscur et puisse prêter à ces diverses explications.
— En dehors de la dialectique, il faut l'abandonner à la sophistique et à ses procédés déloyaux.
§ 1. Dans tous les cas où un seul des deux attributs contraires est nécessairement au sujet, par exemple, la santé ou la maladie à l'homme, si nous avons de nombreux arguments pour prouver de l'un qu'il est ou qu'il n'est pas au sujet, nous en aurons également pour l'autre. Ce lieu peut à la fois servir dans les deux sens; car il suffit d'avoir montré que l'un des contraires est au sujet pour avoir montré aussi que l'autre n'y est pas : et réciproquement, si nous montrons que l'un n'y est pas, nous aurons montré par cela même que l'autre y est.
Donc, évidemment, ce lieu est bon soit pour réfuter, soit pour soutenir la thèse.
§ 2. On peut aussi attaquer l'adversaire en transportant la discussion du mot à son explication étymologique, attendu qu'il est plus convenable de la prendre que de conserver le mot sous sa forme propre : par exemple, on pourra dire que l'homme courageux ne signifie pas l'homme plein de bravoure suivant l'acception reçue, mais que cette expression signifie l'homme qui a la rage dans le cœur. De même qu'on peut comprendre par attentif celui qui attend quelque chose, et par heureux celui dont le génie est vertueux; ce qui faisait dire à Xénocrate que celui-là est heureux qui a l'âme vertueuse; car il prétend que l'âme est le génie de chacun de nous.
[113a] § 3. Parmi les choses, les unes sont de toute nécessité, les autres sont ordinairement, et d'autres sont indifféremment, selon le hasard. Si l'on pose ce qui est nécessaire comme étant simplement ordinaire, ou ce qui est ordinaire comme étant nécessaire, soit qu'on prenne l'ordinaire lui-même ou le contraire de l'ordinaire, on donne toujours lieu à une attaque. Si l'on considère ce qui est nécessaire comme simplement habituel, évidemment l'on avance que l'attribut n'est pas à tout le sujet, tandis qu'il est à tout le sujet; et alors on s'est trompé. Si au contraire l'on a dit que le plus habituel est nécessaire, on est également dans l'erreur; car on a dit alors que l'attribut est à tout le sujet, quand il n'est pas à tout le sujet. Et de même, si l'on a pris comme nécessaire ce qui est simplement contraire à l'habituel ; car toujours le contraire de l'habituel a moins d'extension que l'habituel lui-même. Si l'on dit par exemple que le plus ordinairement les hommes sont méchants, les bons sont par cela même moins nombreux que les méchants. Ainsi, l'on s'est encore bien plus trompé, si l'on a dit que les hommes étaient nécessairement bons. Et de même encore, si l'on a pris ce qui ne dépend que du hasard comme nécessaire ou comme habituel ; car ce qui dépend du hasard n'est ni nécessaire ni habituel. Or, il est possible que, même sans que l'interlocuteur ait dit positivement qu'il prend le fait comme habituel ou comme nécessaire, si la chose est simplement habituelle, on discute comme si l'interlocuteur l'avait faite absolument nécessaire. Par exemple, s'il a dit sans détermination précise que les enfants abandonnés sont vicieux, il est possible qu'on, discute contre lui comme s'il avait établi qu'ils le sont nécessairement.
§ 4. Il faut voir encore si l'on n'a point pris la chose même pour accident de la chose, la prenant pour une chose toute différente parce que le nom est différent. C'est ainsi que Prodicus partageait à tort les plaisirs en joie, amusement, contentement; car ce sont là des noms d'une seule et même chose, du plaisir. Si donc quelqu'un donne se réjouir pour attribut à avoir du plaisir, il n'aura fait que donner pour attribut la chose à la chose même.
§ 1. Des deux attributs contraires, voir les Catégories, ch. 11, et surtout ch. 10, § 8, et Métaphysique, liv. 5, ch. 10.
§ 2. L'âme est le génie de chacun de nous, il y a ici en grec une sorte de jeu de mots que le français ne peut pas rendre, parce que les mots génie et heureux, presque identiques en grec, n'ont aucun rapport dans notre langue.
§ 3. Les unes sont de toute nécessité, voir sur la théorie du nécessaire, du plus habituel et du fortuit, Herméneia, ch. 9, § 11 ; Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 8, § 1; Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 30, et Métaphysique, liv. 5, ch. 5.
— Les enfants abandonnés ou déshérités. Alexandre rappelle que la tradition faisait de Thémistocle un enfant de ce genre.
§ 4. Prodicus, c'est Platon lui-même qui atteste que le talent particulier de Prodicus était de saisir les nuances les plus délicates des synonymes. Protagoras, trad. de M. Cousin, p. 69, 78, et Charmide, p. 301. Ce talent le distinguait parmi tous les sophistes.
§ 1. Comme les contraires se combinent les uns avec les autres de six manières; et que, dans quatre de ces combinaisons, ils forment des oppositions dont les termes s'excluent, il faudra prendre les contraires dans le sens où ils seront utiles, soit pour établir, soit pour réfuter la thèse. On peut voir sans peine que les contraires se combinent de six façons : d'abord, chacun des deux attributs contraires peut se combiner avec chacun des deux sujets, et cela de deux façons. Ainsi, par exemple, faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis : ou bien à l'inverse, faire du mal à ses amis et du bien à ses ennemis : ou bien les deux attributs contraires peuvent se rapporter à un sujet unique : et cela de deux façons aussi. Par exemple, faire du bien, faire du mal à ses amis, ou faire du bien, faire du mal à ses ennemis. Ou bien enfin, un seul attribut pour deux sujets à la fois, et cela de deux manières également : faire du bien à ses amis et faire du bien à ses ennemis, et faire du mal à ses amis et faire du mal à ses ennemis. [113b] Les deux premières combinaisons indiquées ne donnent pas d'opposition dont les termes s'excluent ; car faire du bien à ses amis n'est pas contraire à faire du mal à ses ennemis ; ce sont là deux choses qu'on peut faire à la fois, et qui partent du même sentiment. Faire du mal à ses amis n'est pas non plus contraire à faire du bien à ses ennemis; car ce sont deux choses qu'on doit éviter, et qui partent toutes deux du même sentiment : or, ce qui est à éviter, ne peut être le contraire de ce qui est à éviter, à moins que l'un ne soit dit en excès et l'autre en défaut ; car l'excès paraît aussi bien que le défaut être une chose qu'il faut éviter. Mais les quatre autres combinaisons produisent des oppositions dont les termes s'excluent. Ainsi, faire du bien à ses amis est le contraire de leur faire du mal ; car il vient d'un sentiment tout contraire, et l'un est à faire et l'autre à éviter. Et de même pour les autres combinaisons. Dans chaque couple, en effet, l'une des choses est à faire, et l'autre à éviter; Tune vient d'un bon sentiment, et l'autre d'un mauvais. Il est donc clair, d'après ce qu'on vient de dire, qu'il peut se faire qu'une même chose ait plusieurs contraires. En effet, faire du bien à ses amis a pour contraire faire du bien à ses ennemis et faire du mal à ses amis. Et de même pour tous les autres couples. En y regardant à ce point de vue, on verra que chacune de ces assertions a deux contraires. Donc il faut prendre parmi les contraires celui qui pourra servir à la thèse qu'on soutient.
§ 2. De plus, s'il y a un contraire à l'accident, il faut examiner s'il est au sujet auquel on dit qu'est l'accident; car si l'un y est, l'autre n'y saurait être, attendu qu'il est impossible que les contraires soient à la fois à une seule et même chose.
§ 3. Ou bien, il faut voir si l'on n'a point affirmé quelque accident dont l'existence entraîne nécessairement, à sa suite, l'existence simultanée des contraires. Par exemple, si l'on a dit que les idées sont en nous, il s'en suivra que les idées seront à la fois en mouvement et en repos, qu'elles seront sensibles et intelligibles ; les idées sont en repos, elles sont immobiles et intelligibles, pour ceux qui croient à l'existence des idées. Mais une fois en nous, il est impossible qu'elles soient immobiles; car du moment que nous remuons, il y a nécessité que tout ce qui est en nous se meuve aussi avec nous. Il est également évident que si elles sont en nous elles sont sensibles; car c'est par la sensation et la vue que nous reconnaissons la forme qui est dans chaque objet.
§ 4. En outre, si l'accident est attribué à un sujet qui ait un contraire, il faudra examiner si ce sujet qui reçoit l'accident reçoit aussi le contraire; car c'est une même chose qui est susceptible des contraires. Par exemple, si l'on dit que la haine suit la colère, et que la haine soit dans la partie irascible de l'âme, car c'est là [114a] qu'est la colère, il faut examiner si le contraire de la haine, c'est-à-dire l'affection, est aussi dans la partie irascible; s'il n'y est pas, c'est-à-dire si l'affection est dans la partie concupiscive, la haine n'est pas la conséquence de la colère. Même raisonnement, si l'on dit que la partie concupiscive de l'âme est celle à laquelle appartient l'ignorance; car elle serait capable de science si elle est capable d'ignorance : ce qui semble ne pas être, puisque la partie concupiscive de l'âme n'est pas capable de science. Il faut employer ce lieu, je le répète, quand on veut détruire la thèse. Mais quand on veut la soutenir, on ne peut se servir de ce lieu qui établit que l'accident est à la chose : alors celui-là est utile qui établit qu'il peut y être; car du moment qu'on a prouvé que le sujet n'est pas susceptible du contraire, on a par cela même montré aussi que non seulement l'accident n'est pas au sujet, mais qu'il ne peut pas y être. Mais si nous montrons que le contraire est au sujet, ou que le sujet est susceptible du contraire, nous n'aurons pas encore montré que le contraire est au sujet : nous aurons seulement fait voir qu'il peut y être.
§ 1. Les contraires se combinent, voir sur la théorie des con traires, Catégories, ch. 11, Herméneia, ch. 14, et Métaphysique, liv 5, ch. 10.
— A moins que l'un ne soit dit en excès et l'autre en défaut, comme les deux vices contraires à chaque vertu morale dans la théorie d'Aristote, l'un en excès, l'autre en défaut, sont contraires à la vertu intermédiaire ; et de plus ils sont contraires l'un à l'autre. Ainsi la prodigalité est contraire à l'avarice, et toutes les deux le sont à la générosité qui tient le milieu entr'elles.
§ 2. Il est impossible que les contraires.:, c'est le fondement même du principe de contradiction, voir les Catégories, ch. 11.
§ 3. Les idées sont en nous, c'est ce qu'implique la théorie platonicienne de la réminiscence, voir le Ménon.
— A la fois en mouvement et en repos, et par conséquent on supposera que les contraires sont à la fois dans un même sujet.
§ 4. C'est une même chose, substantielle, voit les Catégories, ch. 5, § 21 ; c'est même la propriété spéciale et caractéristique de la substance.
— Dans la partie irascible de l'âme, voir le Traité de l'âme, liv. 3, ch. 9, § 2 et passim, où toute cette théorie est développée.
§ 1. Comme les oppositions de contraires qui s'excluent sont au nombre de quatre, il faut examiner aussi les contradictions en renversant la consécution régulière, soit qu'on soutienne la thèse, soit qu'on la réfute. Et c'est par l'induction qu'il faut procéder : par exemple, si l'on dit que l'homme est animal, il s'ensuit que ce qui n'est pas animal n'est pas homme. Et de même pour tout autre cas. Ici, en effet, la consécution est en sens inverse; car l'animal suit l'homme, mais le non-animal ne suit point le non-homme : au contraire, c'est le non-homme qui suit le non-animal. Il faut appliquer le même principe à tous les cas; par exemple, si le bien est agréable, ce qui n'est pas agréable n'est pas bien : et si cette dernière proposition n'est pas vraie, l'autre ne lest pas non plus. Et de même si ce qui n'est pas agréable n'est pas bien, il s'ensuit que le bien est agréable. Ainsi donc, évidemment, la consécution qui est prise en sens inverse par contradiction est également utile, soit pour soutenir la thèse, soit pour la réfuter.
§ 2. Pour les contraires, il faut examiner si le contraire est bien la suite du contraire, soit dans le sens direct, soit dans le sens inverse; et ce lieu est utile pour établir ou renverser la thèse. Ici encore il faut procéder par induction toutes les fois que cela peut être bon. Ainsi, la consécution est directe dans des cas comme celui-ci : le courage et la lâcheté ont, l'un la vertu pour conséquent, et l'autre le vice; l'une, la vertu, a pour conséquent qu'il faut la rechercher, l'autre, qu'il faut le fuir; et même, pour ces deux derniers termes, la consécution est encore directe, puisque ce qui est à rechercher est le contraire de ce qui est à fuir. Et de même pour tous les autres cas. Au contraire, la consécution est en sens inverse, comme lorsqu'on dit par exemple : La santé est la suite d'une bonne constitution ; et qu'au lieu de dire que la maladie est la suite d'une mauvaise constitution, [114b] on dit au contraire que la mauvaise constitution est la suite de la maladie. Il est clair qu'ici la consécution se fait en sens inverse : mais cette consécution à l'inverse a rarement lieu pour les contraires, et le plus souvent, c'est la consécution directe qu'on emploie. Si donc, le contraire ne suit pas son contraire directement, ni en sens inverse, c'est qu'évidemment dans les termes qu'on discute, l'un ne suit pas l'autre. Or, si pour les contraires, l'un est la conséquence de l'autre, nécessairement il faut qu'il en soit de même pour les termes en discussion.
§ 3. Cette recherche qu'on applique aux contraires, il faut également rappliquer aux opposés par privation et possession. Seulement la consécution inverse n'a jamais lieu dans les privations ; mais il est toujours nécessaire que la consécution y soit directe, comme par exemple, la sensibilité est la suite de la vue, et l'insensibilité est la suite de l'aveuglement ; car la sensibilité est opposée à l'insensibilité comme possession et privation, puisque l'une de ces choses est possession et l'autre privation.
§ 4. Il faut aussi procéder pour les relatifs comme on le fait pour la possession et la privation ; car pour eux aussi, il n'y a que la consécution directe. Par exemple, si le triple est un multiple, le tiers sera aussi sous-multiple; car le triple est relatif au tiers comme le multiple est relatif au sous-multiple. Autre exemple : si la science est perception, ce qui est su sera aussi perçu, et si la vue est sensation, ce qui est vu sera aussi senti. On peut objecter que dans les relatifs la consécution n'est pas nécessairement ainsi qu'on l'a dit ; car le sensible est su, tandis que la sensation n'est pas science. Cependant cette objection ne paraît pas être vraie; car on peut soutenir, comme le font plusieurs philosophes, qu'il ne peut y avoir science des choses sensibles. Ce lieu du reste n'en serait pas moins utile pour prouver le contraire; et par exemple que ce qui est senti n'est pas su, attendu que la sensation n'est pas science.
§ 1. Sont au nombre de quatre, c'est ce qui a été dit plus haut dans le chapitre précédent, § 1.
— Les contradictions, c'est-à-dire, les combinaisons des opposés où les termes s'excluent.
— En renversant la consécution régulière, en mettant dans le premier membre le sujet le premier, l'attribut le second, et en prenant dans le membre opposé, l'attribut pour sujet et réciproquement, comme dans l'exemple cité, qui du reste porte sur des opposés par affirmation et négation, contradictoires et consécutifs. Voir les catégories, ch. 10, § 21.
§ 2. Consécution des simples contraires après la consécution des contradictoires. Voir les catégories, ch. 10 et 11.
§ 3. Aux opposés par privation et possession, voir les Catégories , ch. 10, et la Métaphysique, liv. 5, ch. 10, 23 et 23.
§ 4. Pour les relatifs, Catégories, ch. 7 et 10.
— Ainsi qu'on l'a dit dans ce paragraphe même.
— Comme le font plusieurs philosophes, Plalon dans le Théetète, et Aristote lui-même dans les Derniers Analytiques, passim : la science ne vient que du syllogisme.
§ 1. Regardez aussi, soit que vous établissiez, soit que vous réfutiez la thèse, aux termes conjugués et aux cas. On appelle conjugués les termes qui sont entre eux dans ce rapport où les justes et le juste sont à la justice, où les courageux et le courageux sont à courage. Et de même encore, on dit que les choses qui font et celles qui conservent , sont conjuguées avec les choses qu'elles font ou qu'elles conservent. Par exemple, les choses saines le sont avec la santé, les choses fortifiantes avec la force : et ainsi du reste. Voilà ce qu'on appelle ordinairement conjugués. Les cas sont, par exemple, quand on dit justement, courageusement, sainement, fortement et autres expressions de ce genre. Il semble bien que les cas sont aussi des conjugués, et par exemple, que justement est conjugué avec justice, courageusement avec courage. Mais on entend par conjugués tous ces termes qui sont dans la même conjugaison ou série, justice, juste, le juste, justement. Il est donc clair qu'il suffit d'avoir prouvé un seul de ces termes conjugués, le bon, [115a] le louable, pour que tous les autres soient aussi prouvés; par exemple, si l'on a montré que la justice est une chose louable, juste, le juste, justement, seront aussi parmi les choses louables. On dira par une inflexion de cas tout à fait pareille, que justement est louablement; car louablement vient de louable, comme justement de juste.
§ 2. Et il faut examiner sous ce point de vue, non pas seulement la chose en question, mais aussi le contraire pour le contraire. Par exemple, on peut dire que le bien n'est pas nécessairement agréable ; car le mal n'est pas nécessairement pénible : et si le mal est nécessairement pénible, le bien aussi est nécessairement agréable; et si la justice est science, l'injustice est par cela même ignorance; et si justement est savamment et prudemment, injustement sera ignoramment et imprudemment. Si ces dernières relations ne sont pas vraies, les autres ne le sont pas non plus, comme dans l'exemple que nous venons de citer tout à l'heure; car on pourrait trouver qu'injustement est plutôt prudemment qu'imprudemment. Mais du reste l'on a déjà exposé ce lieu dans les consentions des contraires; car nous ne faisons pas ici autre chose que de dire que le contraire suit le contraire.
§ 3. Il faut aussi regarder à la production et à la destruction des choses, à ce qui fait les choses et à ce qui les détruit, soit qu'on établisse, soit qu'on réfute une thèse. En effet, les choses dont la production est bonne, sont bonnes aussi; et si les choses sont bonnes la production en est bonne également aussi. Réciproquement, si la production est mauvaise, ces choses aussi sont mauvaises. C'est à l'inverse pour la destruction; car si la destruction est bonne, c'est que les choses sont mauvaises : et si la destruction est mauvaise, c'est que les choses sont bonnes. L'on en peut dire autant pour ce qui fait les choses et pour ce qui les détruit; car du moment que ce qui fait les choses est bon, les choses aussi sont bonnes : et du moment que ce qui les détruit est bon, c'est que les choses sont mauvaises.
§ 1 On appelle conjugués. « La différence des conjugués aux cas, dit Alexandre, c'est que les premiers sont des choses particulières, tandis que les cas indiquent, non pas des choses qui peuvent servir de sujets, mais la manière d'agir ou la manière d'être de ces choses. »
— Justement est un cas par rapport à juste ; courageusement, par rapport à courage, etc.
§ 2. Sera ignoramment, j'ai dû forger ce mot pour conserver l'antithèse.
— On a déjà exposé, chapitre précédent, § 2.
§ 1. Il faut regarder encore si les semblables au sujet sont pris semblablement; par exemple, si la science s'appliquant à plusieurs choses, l'opinion s'y applique aussi ; et si, avoir la vue étant voir, avoir l'ouïe est bien ouïr. Et ainsi du reste, et pour ce qui est réel et pour ce qui n'est qu'apparent. Ce lieu est utile dans l'un et l'autre sens ; car s'il en est de telle façon pour l'un des semblables, il en doit être de même pour tous les autres semblables : et s'il n'en est pas ainsi pour l'un d'eux il n'en sera pas non plus ainsi pour les autres. Il faut encore voir si la similitude demeure également, qu'on applique le semblable à une seule chose ou à plusieurs; car quelque fois il n'y a pas accord dans ces deux cas : par exemple, si savoir c'est penser, savoir plusieurs choses sera penser plusieurs choses. Mais ceci n'est pas exact ; car on peut savoir plusieurs choses, on ne peut pas en penser plusieurs; si donc on ne peut penser plusieurs choses, il n'est pas vrai non plus que pour une seule chose, savoir ce soit penser.
§ 2. Il faut aussi regarder à ce qu'on peut tirer du plus et du moins; or, il y a quatre lieux pour le plus et le moins; § 3, l'un c'est quand le plus suit le plus; et par exemple, si le plaisir est un bien, le plaisir plus grand est un plus grand bien; [115b] et si être injuste est un mal, être plus injuste est un plus grand mal. Du reste, ce lieu est utile dans les deux sens; car si l'admission de l'accident suit l'admission du sujet, ainsi qu'on l'a dit dans la thèse, il est clair que l'accident est dans le sujet; et si elle ne suit pas, il est clair qu'il n'y est point. Et l'on pourrait se convaincre de la justesse de ce principe par l'induction. § 4. Voici un autre lieu du plus et du moins; c'est de montrer que si l'accident attribué à deux sujets n'est pas à celui à qui il semble plus devoir être, il n'est pas à celui à qui il semble moins devoir appartenir : ou bien, que s'il est à ce à quoi il semble moins devoir être, à plus forte raison est-il au sujet auquel il paraît plus appartenir. § 5. D'autre part, deux accidents étant attribués à un seul sujet, si celui qui semble être le plus n'y est pas, celui qui semble le moins n'y sera pas non plus : ou si cè qui paraît le moins y être, y est, le plus y sera aussi. § 6. En outre, deux accidents étant attribués à deux sujets, si celui qui paraît le plus être à l'un des deux sujets n'y est pas, celui qui reste ne sera pas non plus au sujet qui reste : ou bien, si l'attribut qui semble le moins être à l'un des deux sujets y est cependant, l'attribut qui reste sera aussi au sujet qui reste.
§ 7. On peut tirer trois lieux de la ressemblance réelle ou apparente, tout à fait analogues à ceux qu'on a exposés pour le plus et le moins, dans les trois dernières nuances dont on a parlé. § 8. Ainsi, soit qu'un seul attribut soit semblable ou paraisse être semblable dans deux sujets, s'il n'est pas réellement à l'un, il ne sera pas non plus à l'autre; mais s'il est à celui-ci, il sera également à celui-là; § 9. soit que deux attributs semblables soient au même sujet, si l'un n'y est pas, l'autre n'y sera pas non plus : mais si l'un y est, l'autre y sera aussi. § 10. Il en serait de même encore, si deux attributs semblables étaient à deux sujets ; car, si l'un des attributs n'est pas à l'un des sujets, celui qui reste ne sera pas non plus au sujet qui reste. Mais si l'un des attributs est à l'un des sujets, l'attribut qui reste sera aussi au sujet qui reste.
§ 11. On peut donc tirer autant d'arguments qu'on vient de le dire du plus et du moins et du semblable.
§ 1. La science... l'opinion, voir les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 33, consacré tout entier à la distinction de la science et de l'opinion.
— On ne peut pas en penser plusieurs à la fois; l'acte de la pensée étant instantané; la science étant au contraire une disposition, une faculté qui peut s'appliquer successivement à plusieurs choses.
§ 3. Par l'induction, c'est-à-dire en examinant un certain nombre de cas particuliers pour arriver à conclure l'universel.
§ 1. On peut encore tirer des arguments de l'apposition. Si une chose ajoutée à une autre la fait bonne ou blanche, sans que cette autre chose fût auparavant bonne ou blanche, la chose ajoutée sera bonne ou blanche, tout comme elle communique ces qualités au tout qu'elle forme avec l'autre chose. § 2. De plus, si une chose ajoutée à une autre qui a déjà certaine qualité, la fait être encore davantage ce qu'elle était, c'est que la première chose elle-même possède aussi cette qualité. Et de même pour les autres cas. Mais ce lieu n'est pas toujours applicable, il l'est seulement dans les cas où peut se produire un accroissement en plus. D'ailleurs ce lieu n'est pas réciproquement utile pour la réfutation; car, de ce que la chose ajoutée ne rend pas la chose bonne, il ne s'ensuit pas que la chose elle-même ne soit pas bonne : [116b] ainsi le bien ajouté au mal ne fait pas que le tout soit nécessairement bon, non plus que le blanc ajouté au noir ne fait pas que le tout soit blanc, pas plus que le doux ajouté à l'aigre.
§ 3. Si une chose peut avoir plus ou moins tel attribut, elle a aussi cet attribut absolument. En effet, ce qui n'est ni bon ni beau ne peut pas être dit plus ou moins bon ni blanc. Ainsi le mal n'est jamais ni plus ni moins bon ; on pourra dire seulement qu'il est plus ou moins mal. Ce lieu n'est pas réciproquement utile pour réfuter; car bien des choses qui ne sont pas susceptibles de plus sont d'une manière absolue : ainsi on ne dît pas d'un homme qu'il est plus ou moins homme ; mais cela ne fait pas qu'il ne soit point homme.
§ 4. Il faut porter le même examen à ce qui est limité dans sa façon d'être ou dans le temps ou dans le lieu; car si quelque chose peut être d'une certaine façon, c'est qu'il est déjà absolument. Et de même pour le temps et 4e lieu; car ce qui n'est absolument pas ne peut être μι d'une certaine façon, ni dans tel temps, ni dans tel lieu. On peut ajouter qu'il y a des hommes naturellement vertueux, d'une certaine façon : des hommes, par exemple, qui sont naturellement généreux ou prudents, mais qui absolument parlant ne sont pas vertueux naturellement. C'est que personne n'est prudent par le seul fait de la nature. Et de même il se peut que dans un certain cas quelqu'une des choses périssables ne périsse pas : mais absolument parlant elle ne peut pas ne pas périr. De même encore, il peut être utile dans tel lieu de suivre tel régime, par exemple, dans certains lieux insalubres, mais d'une manière absolue il n'est pas bon de le suivre. En tel lieu, il peut n'y avoir qu'un seul homme, mais absolument parlant, il n'est pas possible qu'il n'y en ait qu'un seul. Et de même, il peut être bien en tel endroit d'immoler son père, par exemple chez les Triballes, mais absolument parlant ce n'est pas bien. Mais ici ne s'agit-il pas bien plutôt des hommes que du lieu même? En effet, peu importe où ils sont; car partout où ils seront, cette action sera belle pour eux par cela seul qu'ils sont Triballes. Autres exemples: il peut être bon de faire des remèdes à un certain moment, par exemple quand on est malade, mais absolument parlant cela n'est pas bon. Mais ici encore ne s'agit-il pas beaucoup moins du temps que d'une certaine disposition ? car peu importe le moment, il suffit seulement qu'on soit disposé de telle manière. Une chose est absolument ce qu'elle est, quand on pourra dire sans y rien ajouter qu'elle est bonne ou le contraire; par exemple, vous ne direz pas que tuer son père soit bien, mais que c'est bien chez quelques peuples ; donc ceci n'est pas absolument bien. Mais vous direz sans y rien ajouter qu'il est bien d'honorer les dieux; car cela est bien d'une manière absolue. Donc, ce qui sans aucune addition paraît beau ou vilain, ou telle autre chose pareille, le sera d'une manière absolue.
§
1. Après les
lieux de l'accident, il faut étudier ceux qui sont relatifs au genre et au
propre : ce sont en ces questions les éléments des définitions, bien que ce
soient là des choses qu'examinent rarement ceux qui discutent.
§
2. [15] Si l'adversaire a posé le genre de quelque objet, il faut
d'abord regarder à toutes les choses qui sont de même genre que la chose
mentionnée et voir si le genre suggéré n'est pas atrribué à l'un d'entre
eux, comme cela se produit dans le cas d'un accident. Par exemple si le
bon est un genre du plaisir, il faut voir si quelque plaisir n'est pas
bon ; car si cela est, il est clair que le bien n'est pas le genre du plaisir,
le genre devant être attribué [20] à toutes les espèces qui sont au-dessous de
lui.
§
3. Ensuite,
il faut voir si le genre prétendu, au lieu d'être attribué essentiellement,
n'est pas un simple accident : par exemple, le blanc attribué à la neige; ou à
l'âme, ce qui se meut par soi-même; car da neige n'est pas ce qui est le blanc,
puisque le blanc n'est pas le genre de la neige, et l'âme n'est pas non plus ce
qui se meut soi-même : mais c'est un accident [25] pour elle de se mouvoir,
comme c'en est un souvent à l'animal de marcher ou d'être ce qui marche. On
peut ajouter que ce prétendu genre, ce qui se meut soi-même, n'est pas une
substance, mais qu'il paraît exprimer plutôt un sujet qui agit ou qui souffre:
et de même pour le blanc; car cet attribut ne dit pas ce qu'est la neige
substantiellement, mais il exprime sa qualité. Par conséquent, aucun de ces
deux termes ne peut être attribué essentiellement au sujet.
§
4. Il faut
surtout regarder à la définition de l'accident, si elle convient bien au genre
indiqué, comme pour les exemples cités plus haut; car une chose peut ou non se
mouvoir soi-même, et de même être blanche ou ne pas l'être. Ainsi donc, aucun
de ces attributs n'est genre, mais ils sont accidents, puisque nous avons
appelé accident ce qui peut être ou n'être pas [35] à une chose.
§
5. Il faut
voir encore si le genre et l'espèce ne sont pas dans la même division, tandis
que l'un est substance et l'autre simple qualité, ou l'un relatif, et l'autre
qualité: par exemple, la neige et le cygne sont des substances, mais le blanc
n'est pas une substance, ce n'est qu'une qualité; de sorte que de blanc n'est
le genre ni de la neige, ni du cygne.
[121b] Autre exemple : la science fait partie des
relatifs; le beau et le bon sont des qualités, de sorte que ni le beau ni le
bon ne sont le genre de la science; car il faut que les genres des relatifs
soient eux-mêmes des relatifs : par exemple, pour le double, le multiple étant
le genre [5] du double est lui-même un relatif. En un mot, il faut que le genre
soit compris sous la même division que l'espèce: si l'espèce est substance, le
genre le sera aussi ; et si l'espèce est ln qualitatif, le genre sera aussi
qualitatif; et, par exemple, si le blanc est qualitatif, la couleur le sera
aussi; et ainsi du reste.
§
6. [10] En
outre, il faut voir s'il y a nécessité ou simple possibilité que le genre
participe à ce qui est supposé dans le genre. Le mot participation doit
s'entendre dans le sens de recevoir la définition de ce qui est partagé. Il est
donc évident que les espèces participent aux genres, mais que les genres ne
participent point aux espèces; car l'espèce reçoit la définition du genre, mais
le genre ne reçoit pas la définition de l'espèce. Il faut donc examiner [15] si
le genre indiqué participe ou peut participer à l'espèce: par exemple, si l'on
donne quelque chose comme genre de l'être ou de l'un, il en résultera que le
genre participera à d'espèce; car l'être et l'un sont des attributs de toute
chose, de sorte que leur définition l'est aussi.
§
7. [20] De
plus, il faut voir si d'espèce donnée pour une certaine chose est vraie, tandis
que le genre ne l'est pas : par exemple, si l'on suppose que d'être ou la
science soit le genre du probable ; car le probable pourra être attribué à ce
qui n'est pas. Beaucoup de choses qui ne sont pas pourront être probables, mais
il est évident que l'être et la science ne peuvent être attribués à ce qui
n'est pas. Donc l'être, [25] non plus que la science, ne sont le genre du
probable; car pour les choses auxquelles l'espèce est attribuée, il faut que le
genre le leur soit aussi.
§
8.
A l'inverse, il faut voir si ce qui est posé dans le genre ne peut participer à
aucune des espèces; car il est impossible que ce qui ne participe à aucune
espèce participe au genre, à moins qu'il ne soit une des espèces de la première
division [30] ; car ce sont celles-là seulement qui participent au genre. Si
donc l'on a supposé que le mouvement est le genre du plaisir, il faut regarder
si le plaisir n'est ni destruction, ni altération, ni aucun autre des
mouvements connus; car alors il est évident qu'il ne participe à aucune des
espèces et qu'il ne participe pas non plus du genre, parce qu'il y a nécessité
que ce qui participe du genre doit participer [35] aussi de l'une des espèces.
Donc, le plaisir ne peut être une espèce de mouvement, puisqu'il n'est pas un
des mouvements individuels, c'est-à-dire, l'un des individus qui sont sous
l'espèce du mouvement. C'est qu'en effet les individus participent à la fois au
genre et à d'espèce; par exemple, un individu homme participe de d'homme et de
l'animal.
§
9. [122a] Il faut voir de plus si ce qui est placé
dans le genre n'est pas plus étendu que le genre, comme par exemple, le
probable est plus étendu que l'être; car ce qui est et ce qui n'est pas sont
des probables. Donc, le probable n'est pas une espèce de l'être; car toujours
le genre est plus étendu que l'espèce.
§
10.
Il faut regarder de plus, si le genre [5] et d'espèce sont faits d'étendue
égale et par exemple, si d'attributs qui sont à tout, l'un n'est pas fait genre
et l'autre espèce, comme l'être et l'unité et l'un sont attributs de tout.
Donc, celui-ci n'a pas le genre de celui-là, puisqu'ils sont d'extension
parfaitement égale. Et de même si l'on a supposé subordonnés entre eux le
primitif et le principe; car le principe est le primitif et le primitif [10]
est le principe: donc ces deux choses sont identiques, et l'une n'est pas du
tout le genre de l'autre. Le point essentiel à bien savoir dans tout ceci est
que le genre est plus large que l'espèce et que la différence; car la
différence aussi est moins large que le genre.
§
11.
[15] Il faut voir encore si le genre énoncé n'est pas ou peut ne pas paraître
le genre d'une des choses non différentes en espèce; et quand on établit la
thèse, il faut voir s'il est le genre de l'une de ces choses; car le genre est
le même pour toutes les choses non différentes eu espèces. Si donc on montre
qu'il est de genre de l'une, on aura montré qu'il l'est de toutes; et si l'on
montre pour une seule qu'il n'en est pas le genre, on aura montré qu'il ne
l'est d'aucune. Par exemple, si après avoir posé les lignes indivisibles, on
dit que l'insésécable est leur genre, [20] on se trompe; car ce genre n'est pas
celui des lignes qui sont divisibles, bien quelle soient sans différences quant
à l'espèce, puisque toutes les lignes droites n'ont entre elles aucune
différence spécifique.
§ 1. Il faut voir encore
s'il n'y a pas quelque autre genre de l'espèce [25] donnée que n'embrasse pas
le genre indiqué, et qui ne soit pas sous lui : par exemple, si l'on a posé que
la science soit le genre de la justice; car la vertu est aussi le genre de la
justice, et aucun de ces genres ne comprend l'autre. Donc, la science n'est pas
le genre de la justice; car il semble que quand une espèce est sous deux
genres, l'un doit être compris dans [30] l'autre. Toutefois, ceci offre quelque
difficulté dans certains cas: par exemple, quelques-uns croient que la prudence
est à la fois une vertu et une science, et pourtant aucun de ces genres n'est
compris dans l'autre. Il est vrai que tout le monde n'accorde pas que la
prudence soit une science ; mais si l'on accorde que cette assertion soit
exacte, il semble nécessaire [35] que les genres d'une même chose soient
subordonnés entre eux, ou que tous deux soient compris sous un même genre,
comme c'est le cas pour la vertu et pour la science; car toutes deux sont sous
le même genre, puisque l'une et l'autre sont possession et disposition. Il faut
donc voir si aucune des deux n'appartient au genre indiqué; car [122b] si les genres de toutes deux ne sont pas
subordonnés entre eux, ou si toutes les deux ne sont pas comprises sous un même
genre, le genre indiqué n'appartient pas au sujet.
§
2. Il faut
regarder aussi le genre du genre donné, et ainsi pour tous les genres
supérieurs et s'assurer qu'ils sont tous attribués à l'espèce [5] et qu'ils lui
sont attribués essentiellement; car il faut que le genre supérieur puisse être
attribué essentiellement à l'espèce. S'il y a quelque part discordance, c'est
évidemment que le genre indiqué n'est pas genre véritablement. A l'inverse, il
faut voir si le genre participe à l'espèce, soit ce genre même, soit quelqu'un
des genres supérieurs; car le terme supérieur ne peut participer à aucun des
inférieurs. Il faut donc, quand on réfute [10] une proposition, s'y prendre
comme on l'a déjà dit. Quand on l'établit, et qu'il est reconnu que le genre
indiqué est bien à l'espèce, mais qu'il y a doute s'il y est comme genre, il
suffit de montrer que l'un des genres supérieurs est attribué essentiellement à
l'espèce : car du moment qu'un seul est attribué essentiellement, tous les
autres, soit au dessus soit [15] au dessous de lui, s'ils sont attribués à
l'espèce, le seront essentiellement. Donc, le genre donné est attribué
essentiellement aussi. Pour se convaincre que l'un des genres étant attribués
essentiellement, tous les autres, pourvu qu'ils soient attribués, le sont
essentiellement aussi, il faut recourir à l'induction. Mais si l'on doute
absolument que le genre indiqué [20] soit bien au sujet, il ne suffirait plus
de montrer qu'un des genres supérieurs est attribué à l'espèce essentiellement:
par exemple, si l'on a soutenu que la translation soit le genre de la marche,
il ne suffit pas de montrer que la marche est un mouvement pour montrer aussi
que c'est une translation, puisqu'il y a encore d'autres mouvements qu'elle;
mais il faut montrer [25], en outre, que la marche ne participe d'aucun des
mouvements placés sous la même catégorie, si ce n'est de la translation. En
effet il y a nécessité que ce qui participe du genre participe aussi de
quelqu'une des espèces placées sous la première division. Si donc la marche ne
participe ni de d'accroissement, ni de la diminution, ni d'aucun des autres
mouvements; il est évident qu'elle participe à la translation, et [30] par
conséquent que la translation est le genre de la marche.
§
3. A
l'inverse, pour les choses où l'espèce indiquée est réellement attribuée comme
genre, il faut voir si le genre donné est attribué essentiellement à toutes les
choses auxquelles l'est aussi l'espèce; et de même pour tom les termes
supérieurs au genre. S'il y a quelque discordance, il est évident que ce [35]
n'est pas le genre vrai qui a été donné; car si c'était le genre, tout ce qui
est au dessus et lui-même, seraient attribués essentiellement à toutes les
choses auxquelles l'espèce est attribuée essentiellement aussi. On pourra donc,
quand on renverse la proposition, se servir de cette considération, que le
genre n'est pas attribué essentiellement aux choses mêmes dont l'espèce est un
attribut essentiel. Mais quand on établit la proposition, on ne peut se servir
que du cas où le [123a] genre est attribué essentiellement; car
alors et le genre et l'espèce seront attribués essentiellement au même sujet :
de sorte que le même sujet est sous deux genres. Donc nécessairement ces deux
genres sont subordonnés entre eux. Si donc, on a montré que ce qu'on veut
établir [5] comme genre n'est pas sous d'espèce, il est évident que l'espèce
sera sous lui, et l'on aura prouvé que ce terme est bien le genre.
§
4. Il faut
regarder aussi aux définitions des genre et voir si elles s'accordent avec
l'espèce donnée, et avec tout ce qui participe de cette espèce; car il faut
nécessairement que les définitions des genres soient attribuées à l'espèce et à
tout ce qui participe [10] de l'espèce. Si donc il y a quelque part
discordance, il est évident que ce n'est pas le genre véritable qui a été
donné.
§
5. Il faut
voir encore si l'on a donné la différence comme genre; par exemple, si l'on dit
que l'immortel est genre de la divinité : l'immortel n'est que la différence de
l'animal, puisque parmi les animaux les uns sont mortels et les autres
immortels. Il est donc clair [15] qu'on s'est mépris; car la différence ne peut
être genre de quoi que ce soit. Et ce qui fait bien voir que cela est vrai
c'est que toute différence exprime non pas la substance mais bien plutôt la
qualité, comme le terrestre et le bipède.
§
6. On s'est
également mépris si on a placé la différence dans le genre comme espèce : par
exemple, si l'on dit que l'impair est ce qu'est le nombre; car c'est une
différence des nombres que l'impair, ce n'en est pas [20] une d'espèce.
Bien plus, la différence ne
paraît même pas participer au genre; car tout ce qui participe au genre est
toujours espèce ou individu; et la différence n'est ni espèce ni individu. Il
est donc évident que la différence ne participe pas au genre. Donc aussi
l'impair est non une espèce, mais une différence, puisqu'il ne participe point
au genre.
§
7. [25] II
faut voir également si l'on a placé le genre dans l'espèce : et, par exemple,
si l'on a appelé la contiguïté continuité, et le mélange combinaison, ou comme
fait Platon qui définit la translation le mouvement dans l'espace. Ce sont
autant d'erreurs; car la contiguïté n'est pas continuité : tout au contraire,
c'est la continuité qui [30] est continuité. En effet tout contigu n'est pas
continu, tandis que tout continu est contigu. Et de même pour le reste; car
tout mélange n'est pas combinaison ; ainsi le mélange de choses sèches n'est
pas une combinaison, pas plus que changement dans respect n'est une translation
: et par exemple, la marche ne parait pas être une translation : la translation
ne peut guère se dire que des objets qui passent involontairement d'un lieu à
un autre, comme cela arrive pour les choses [35] inanimées. Il est don évident
que, dans tous les cas qu'on vient de citer, l'espèce est plus large que le
genre, tandis qu'il en doit être tout à l'opposé.
§
8. On peut
encore s'être trompé à l'inverse, si l'on a placé les différences dans l'espèce
: par exemple, si l'on a dit que l'immortel est dieu; car alors l'espèce sera
aussi large et même [123b] plus large que la différence; or la
différence est toujours aussi large ou plus large que l'espèce.
§
9. L'on peut
aussi avoir placé le genre dans la différence : et, par exemple, avoir dit que
la couleur est ce qui fait distinguer les choses, et que le nombre est ce qui
est impair.
§
10.
On peut même encore avoir posé le genre comme différence, et l'on peut avoir
fait une proposition comme celle-ci, par exemple : que le mélange est une
différence de la combinaison, ou [5] le changement dans l'espace une différence
de la translation. Il faut appliquer à tous les cas analogues le même procédé;
car les lieux sont communs à tous. Il faut toujours que le genre soit plus
large que la différence, et qu'il ne participe pas de la différence; mais en le
donnant ainsi qu'on l'a fait dans les exemples indiqués plus haut, ces deux
règles cessent d'être possibles; car le genre alors sera moins large [10], et
il participera de la différence.
§
11.
De plus, si aucune des différences du genre n'est attribuable à l'espèce
donnée, le genre non plus n'y sera point attribué : par exemple, ni le pair ni
l'impair ne sont attribués à l'âme, non plus que le nombre, par conséquent.
§
12.
Il faut voir encore si l'espèce donnée est naturellement [15] antérieure au
genre, et si elle détruit le genre, quand elle est elle-même détruite; car il
en devrait être tout le contraire: c'est qu'alors on n'a pas donné le vrai
genre.
§
13.
Il faut voir de plus si l'on petit laisser de coté le genre ou la différence
pour l'espèce : par exemple, pour l'âme, le mouvement; et pour l'opinion, le
vrai et le faux; car alors aucun des deux termes indiqués ne serait ni genre,
ni différence, puisque le genre et la différence suivent toujours l'espèce tant
que l'espèce elle-même subsiste.
§
1. Il faut
encore examiner si ce qui est dans le genre participe ou peut participer de
l'un des contraires du genre; car alors une même chose pourrait avoir les
contraires, puisque le genre ne défaillit jamais, et qu'ainsi il participe ou
peut participer au contraire.
§
2. Il faut
voir, en outre, si l'espèce n'est pas doué de quelque qualité qui ne peut
absolument point être a ce qui est sous [25] le genre : par exemple, l'âme est
douée de la vie, mais aucun nombre ne peut vivre; aussi l'âme n'est pas une
espèce de nombre.
§
3. Il faut
examiner encore si l'espèce est homonyme au genre, en se servant pour découvrir
l'homonymie des procédés indiqués plus haut; car le genre et l'espèce sont
synonymes.
§
4. [30]
Comme il y a toujours plusieurs espèces dans un genre, il faut voir s'il n'est
pas impossible qu'il y ait une seconde espèce du genre dénommé; car s'il n'y en
a pas, il est clair que le terme indiqué ne peut pas du tout être genre.
§
5. Il faut
voir encore si ce n'est pas un terme purement métaphorique qui a été donné
comme genre, comme lorsqu'on dit, par exemple que la prudence est une harmonie;
car tout genre [35] est attribué proprement à ses espèces: or, l'harmonie est
attribuée non point proprement, mais seulement par métaphore, à la prudence; en
effet toute harmonie n'est que dans les sons.
§ 6. II faut voir encore
s'il n'y a pas quelque contraire à l'espèce : et cet examen petit se faire de
plusieurs façons.
§ 7. D'abord, on doit voir
si le contraire est dans le même genre, quand il n'y a pas de contraire au
genre; car il faut que les contraires soient dans le même genre, s'il n'y a pas
de contraire au genre. S'il y a un contraire au genre, il faut voir si le
contraire est dans le genre contraire ; car il faut que le contraire soit dans
le genre contraire, s'il y a quelque contraire au genre; et c'est par
l'induction qu'on pourra s'en assurer dans chaque cas.
§ 8. De plus, il faut voir
si le contraire de l'espèce n'est dans aucun genre, attendu qu'il est genre
lui-même, comme le bien ; car, si ce terme n'est pas dans un genre, le
contraire de ce terme n'y sera pas non plus : mais il sera genre lui-même, et
c'est ce qui a lieu pour le bien et le mal; car aucun de ces deux termes n'est
dans un genre, mais tous les deux sont genres.
§ 9. On peut examiner encore
si le genre et l'espèce ne sont pas l'un et l'autre contraires à quelque terme
: et si pour les uns il y a intermédiaire et si pour les autres il n'y en a
pas; car s'il y a quelque intermédiaire pour les genres, il y en a pour les
espèces: et si pour les espèces, il y en a pour les genres, comme pour la vertu
et le vice, la justice et l'injustice ; car il y a des intermédiaires pour les
deux. On objecte à cela qu'il n'y a pas d'intermédiaire entre la maladie et la
santé, bien qu'il y en ait entre le mal et le bien.
§ 10. On peut rechercher
s'il y a quelque intermédiaire à la fois et pour les genres et pour les
espèces, sans que ce soit de la même manière : pour les uns comme négation, et
pour les autres comme sujet; car il est probable à première vue que les
intermédiaires seront de la même manière pour les deux, comme pour la vertu et
le vice, la justice et l'injustice. En effet pour tous les deux les
intermédiaires sont négatifs.
§ 11. Quand il n'y a pas de
contraire au genre, il ne faut pas regarder seulement si le contraire est dans
le même genre, il faut regarder encore si l'intermédiaire y est; car là où sont
les extrêmes, là aussi sont les moyens, comme pour le beau et le noir, puisque
la couleur est le genre des deux extrêmes et de toutes les couleurs
intermédiaires. On objecte que le défaut et l'excès sont dans le même genre;
car tous les deux sont dans le mal: et que la modération qui en est
l'intermédiaire est non dans le mal, mais dans le bien.
§ 12. Il faut voir en outre
si le genre est contraire à quelque terme, tandis que l'espèce ne l'est à
aucun; car si le genre est contraire à quelque terme, l'espèce l'est aussi,
comme la vertu et le vice, la justice et l'injustice. Et si l'on examine
d'autres cas, on verra qu'il en est bien de même. Une objection peut se tirer
de la santé et de la maladie; car, absolument parlant, la santé est contraire à
la maladie : mais telle maladie particulière, qui est une espèce de la maladie,
n'est contraire à rien; par exemple, la fièvre, I'ophthalmie, ou telle autre
maladie.
§ 13. Quand on réfute, voilà
tout ce qu'il faut examiner; car si les conditions qu'on a dites n'ont pas été
remplies, il est clair que ce n'est pas le genre qui a été donné.
§ 14. Quand on établit la
proposition, il y a trois manières de procéder :
§ 15. D'abord il faut voir
si le contraire de l'espèce est bien dans le genre indiqué, quand il n'y a pas
de contraire à ce genre; car si le contraire est dans ce genre, il est clair
que l'objet en discussion y est aussi.
§ 16. Et il faut voir encore
si le terme intermédiaire est dans le genre indiqué; car là où est le terme
moyen, là aussi sont les extrêmes.
§ 17. Et de plus, s'il y a
quelque contraire au genre, il faut examiner si le contraire est dans le genre
contraire; car, s'il y est, il est clair que l'objet proposé est aussi dansé
genre proposé.
§ 1. Il faut regarder aussi
aux cas et aux conjugués, s'ils se suivent pareillement, soit qu'on réfute la
thèse, soit qu'on l'établisse; car c'est à la fois que l'attribut est ou n'est
pas à un seul ou à tous : par exemple, si la justice est une science, justement
sera savamment et le juste sera savant; mais si l'une de ces choses n'est pas,
il n'en saurait être non plus une seule des autres.
§ 2. Il faut regarder, en
outre, aux choses qui sont entre elles dans un rapport semblable : par exemple,
le rapport de l'agréable au plaisir est tout à fait pareil à celui de l'utile
au bien; car des deux côtés l'un est ce qui produit l'autre. Si donc le plaisir
se confond avec le bien, l'agréable se confondra avec l'utile. Il est donc
clair que le plaisir produit le bien puisque le plaisir est un bien.
§ 3. Même remarque pour les
générations et destructions des choses : par exemple, si bâtir c'est agir,
avoir bâti ce sera avoir agi; et si apprendre c'est se souvenir, avoir appris
ce sera s'être souvenu; et si être dissous c'est être détruit, avoir été
dissous ce sera avoir été détruit; et la dissolution sera une sorte de
démolition.
§ 4. Même remarque encore
pour les choses qui produisent et qui détruisent. De même aussi pour
ressemblances des choses et les usages; et, en général, soit qu'on réfute, soit
qu'on établisse, il faut regarder à la lumière des ressemblances, quelles
qu'elles soient, comme nous venons de le dire pour la génération et la
destruction des choses. Si ce qui détruit est dissolvant, être détruit sera
aussi être dissous; et si générateur est produire, être engendré ce sera être
produit, et la génération sera une production. Et de même pour les puissances
et les usages des choses; car si la puissance est disposition, pouvoir sera
aussi être disposé; et si se servir de quelque chose est une action, se servir
ce sara agir, et s'être servi, avoir agi.
§ 5. Si l'opposé de l'espèce
est privation, on peut réfuter la thèse de deux manières : d'abord, si l'opposé
est dans le genre indiqué; car, ou la privation n'est jamais absolument dans le
même genre, ou du moins n'est pas dans le dernier genre : par exemple, si la
vue est dans le dernier genre, dans la sensation, l'aveuglement ne sera pas
sensation. En second lieu, si la privation est à la fois l'opposé du genre et
de l'espèce, et que l'opposé ne soit pas dans le genre opposé, le genre indiqué
n'est pas non plus dans le genre indiqué. Il faut donc, quand on réfute la
thèse, se servir de ces moyens. Mais, quand on l'établit, il n'y en a qu'un seul;
car si l'opposé est dans l'opposé, l'objet en question sera aussi dans l'objet
en question : par exemple, si l'aveuglement est une sorte d'insensibilité, la
vue sera une sorte de sensation.
§ 6. Il faut examiner dans
un sens contraire les négations, comme on l'a dit pour l'accident : par exemple
si l'agréable se confond avec le bien, ce qui n'est pas bien n'est pas
agréable; car s'il n'en était pas ainsi, il y aurait quelque chose qui ne
serait pas bon et qui serait cependant agréable. Mais il est impossible qu'il y
ait quelque chose de non bon qui soit agréable, puisque le bien est le genre de
l'agréable. En effet toutes les fois que le genre n'est pas attribué, aucune
des espèces ne l'est davantage. II faut faire le même examen quand on établit
la thèse; car, si ce qui n'est pas bon, n'est pas agréable, l'agréable est bon
; et par conséquent, le bon est le genre de l'agréable.
§ 7 Si l'espèce est un
relatif, il faut regarder si le genre aussi en est un; car si l'espèce est un
relatif, le genre aussi en sera un, comme pour le double et le multiple, qui
tous deux sont des relatifs. Mais le genre doit être un relatif, sans que
l'espèce en soit nécessairement un; car la science est un relatif, et la
grammaire n'en est pas un. Ou bien la règle posée plus haut n'est-elle pas
fausse? La vertu, en effet, est ce qu'est le bon, ce qu'est le beau, et la
vertu est un relatif, tandis que le beau et le bon ne sont pas des relatifs,
mais des qualités.
§ 8. Il faut aussi regarder
si l'espèce n'est pas dite pour elle-même et pour le genre, relativement à la
même chose: par exemple, si le double est dit le double de la moitié, il faut
aussi que le multiple soit dit de la moitié : sinon, le multiple ne serait plus
le genre du double.
§ 9. Il faut voir encore si
l'espèce n'est pas dite relativement à la même chose et pour le genre et pour
tous les genres du genre : car si le double est relatif à la moitié, le
multiple l'est aussi, le surpassant sera relatif à la moitié; et d'une manière
générale tous les genres supérieurs seront relatifs à la moitié. On objecte
qu'il n'est pas nécessaire que l'espèce soit relative à une même chose, en soi
et pour le genre; car la science est dite la science de ce qui est su, mais la
possession et la disposition sont dites possession et disposition, non de ce
qui est su, mais de l'âme.
§ 10. De plus, il faut voir
si le genre et l'espèce sont exprimés d'une façon égale dans les cas des mots:
par exemple, s'ils sont dits à quelqu'un, de quelqu'un ou de toute autre façon;
car le genre doit suivre l'espèce. Ainsi ce qui est pour le double est aussi
pour les genres supérieurs : de même que le double est le double de quelque
chose. Et pour la science, elle est aussi la science de quelque chose, ainsi
que ses genres, comme la disposition et la possession. On peut objecter qu'il
n'en est pas toujours de cette façon; car l'opposé et le contraire sont opposés
et contraires à quelque chose, tandis que l'autre, qui en est le genre, est non
pas autre à quelque chose, mais autre que quelque chose : en effet on dit que
telle chose est autre que telle chose.
§ 11. De plus, il faut voir
si les relatifs exprimés d'une façon égale dans les cas des mots, ne sont pas
également réciproques comme pour le double et le multiple; car chacun d'eux est
dit le double, le multiple de quelque chose, soit en eux-mêmes, dans leurs
termes réciproques. Ainsi la moitié et le sous-multiple sont dits la moitié et
le sous-multiple de quelque chose; et de même pour la science et pour la
perception; car elles sont la science et la perception de quelque chose, et
sont exprimées également dans leurs termes réciproques; ainsi ce qui est su, ce
qui est perçu, est su, est perçu par quelqu'un. Si donc, il n'y a pas pour l'un
des termes une égale réciprocité, il est clair que l'un n'est pas le genre de
l'autre.
§ 12. De plus, il faut voir
si le genre et l'espèce sont relatifs à un nombre égal de choses; car l'un et
l'autre semblent devoir se dire également, et pour un même nombre de choses,
comme pour la donation et le don; ainsi la donation est dite donation de
quelqu'un ou à quelqu'un, et le don est le don de quelqu'un et à quelqu'un; le
don est le genre de la donation, la donation étant un don irrévocable. Mais
pour certaines choses le genre et l'espèce ne sont pas également étendus; car
le double est le double de quelque chose, mais le surpassant et le plus grand
sont surpassant quelque chose et de quelque chose, plus grand est plus grand
que quelque chose et de quelque chose ; car tout ce qui surpasse et est plus
grand surpasse quelque chose et de quelque chose, et est plus grand que quelque
chose et de quelque chose. Donc, ces termes ne sont pas les genres du double,
puisqu'ils ne sont pas relatif à autant de choses que l'est l'espèce. Ou bien
il n'est pas vrai généralement de dire que le genre et l'espèce sont relatifs
dans une étendue égale.
§ 13. Il faut voir encore si
l'opposé est bien le genre de l'opposé : par exemple, si le multiple est le
genre du double, et si le sous-multiple l'est de la moitié; car il faut que
l'opposé soit le genre de l'opposé. Si donc on avance que la science est la
sensation, il faudra aussi que ce qui est su soit sensible, mais cela n'est
pas; car tout ce qui est su n'est pas sensible, et il y a certaines choses
purement intellectuelles que l'on sait. Donc le sensible n'est pas le genre de
ce qui est su, et s'il ne l'est pas, la sensation n'est pas non plus le genre
de la science.
§ 14. Puisque, parmi les
relatifs, les uns sont nécessairement dans les choses ou du moins près des
choses relativement auxquelles ils sont dits : par exemple, la disposition, la
possession et la commensurabilité; car il n'est pas possible que ces trois
relatifs soient dans d'autres choses que dans celles dont ils sont les
relatifs; et comme d'autres relatifs au contraire ne sont pas nécessairement
dans les choses dont ils sont les relatifs? mais y peuvent seulement être: par
exemple, si l'âme est une chose qu'on peut savoir, car il n'y a aucun obstacle
à ce que l'âme ait la connaissance d'elle-même: mais cela n'est en rien
nécessaire, puisque cette même science peut fort bien être aussi dans une autre
chose : comme enfin d'autres relatifs ne peuvent absolument point être dans les
choses dont ils sont les relatifs; par exemple, le contraire n'est jamais dans
le contraire, non plus que la science dans ce qui est su, à moins que ce qui
est su ne soit l'âme même de l'homme: il s'ensuit qu'il faut examiner si
l'adversaire a placé une chose qui a cette qualité de relatif dans un genre qui
n'a pas cette qualité. Par exemple, si l'on a dit que la mémoire est la
permanence de la science; car toute permanence est dans l'objet permanent et
dans ce qui le concerne, de sorte que la permanence de la science est dans la
science, et que la mémoire est dans la science, puisque c'est la permanence de
la science; mais cela n'est pas possible; car toute mémoire est dans l'âme.
Du reste, ce lieu qu'on
vient de dire est commun aussi à l'accident : il n'y a pas de différence à dire
que la permanence est le genre de la mémoire, ou de dire que la permanence est
un accident pour elle; car de quelque façon que la mémoire soit la permanence
de la science, cette même définition lui conviendra toujours.
§ 1. De plus, si l'on a
placé la faculté dans l'acte ou l'acte dans la faculté, ce qu'on a pris pour
genre s'est pas véritablement genre : par exemple, si l'on a dit que la
sensation était un mouvement dans le corps; car la sensation est une faculté :
mais le mouvement est un acte. Et de même, si l'on a dit que la mémoire est une
faculté susceptible de recevoir la perception; car aucune mémoire n'est
faculté, elle est bien plutôt un acte.
§ 2. On se trompe encore en
plaçant la faculté dans la puissance qui en est la suite : par exemple, si l'on
dit que la douleur est une réfrénation de la colère, et que la justice et le
courage sont la réfrénation de sentiments cupides et craintifs; car il suffit
alors d'être impassible pour être courageux et doux : tandis que l'homme qui se
modère est celui qui est ému et ne se laisse pas entraîner. Peut-être, du
reste, cette puissance est-elle la suite de l'un et de l'autre état, de sorte
que l'homme maître de soi, souffre, n'est pas entrainé, et sait résister. Mais
même n'est pas l'essence ici du courage et là de la douleur; l'essence de l'un
et de l'autre, c'est de ne pas se laisser émouvoir par de telles passions.
§ 3. Parfois on prend la
conséquence, quelle qu'elle soit pour le genre : par exemple, la douleur pour
le genre de la colère, et la perception pour celui de la certitude. Il est bien
vrai que toutes deux suivent d'une certaine manière les espèces indiquées :
mais aucune d'elles cependant n'en est le genre. En effet l'homme en colère ne
s'est mis en colère qu'après que la douleur est ne vienne l'atteindre; et ce
n'est pas la colère qui est cause de la douleur, mais bien la douleur qui l'est
de la colère; donc, absolument parlant, la colère n'est pas la douleur. Et par
le même motif la certitude n'est pas la perception ; car on peut bien avoir la
même perception sans avoir de certitude: mais cela ne se pourrait pas si la
certitude était une espèce de la perception. En effet il n'est pas possible
qu'une chose demeure la même si on la change tout à fait d'espèce. Ainsi, ce
même animal ne saurait être tantôt homme et tantôt ne l'être pas.
Mais si l'on prétend que
nécessairement celui qui perçoit a une certitude aussi, la perception et la
certitude sont prises comme égales, de sorte que de cette façon encore il n'y
aurait plus de genre; car il faut que le genre soit toujours plus large que
l'espèce.
§ 4. Il faut voir encore si
les deux ne peuvent pas être naturellement dans un seul et même objet; car là
où est l'espèce là est le genre : par exemple, là où est le blanc, là aussi est
la couleur; et là où est la grammaire, là aussi est la science. Si donc on
appelle la honte crainte, et la colère douleur, il en résultera que l'espèce et
le genre ne sont pas dans le même objet; car la honte est dans l'âme raisonnable,
la crainte dans l'âme passionnée, et la douleur dans l'âme concupiscible; car
c'est là aussi qu'est le plaisir, tandis que la colère est dans la partie
passionnée. Donc, ce ne sont pas les vrais genres qui ont été indiqués,
puisqu'ils ne peuvent être naturellement dans les mêmes objets que les espèces.
Et de même pour l'amitié, si on la place dans la partie concupiscible, elle
cessera d'être un acte volontaire, tandis que toute volonté est dans la partie
raisonnable. Ce lieu, du reste, est utile même aussi pour l'accident; car
l'accident et la chose à laquelle il appartient sont dans le même objet, de
sorte que s'ils ne paraissent pas y être, il est évident que l'accident a été
mal indiqué.
§ 5. On s'est encore trompé
si l'espèce ne participe qu'en partie au genre indiqué; car le genre ne paraît
pas pouvoir être possédé en partie par l'espèce. Ainsi, l'homme n'est pas
animal en partie, la grammaire n'est science en partie: et de même pour le
reste. Il faut donc examiner si le genre n'est pas possédé seulement en partie
par quelques termes. Et, par exemple, si l'on dit qu'animal est ce qui est
senti ou ce qui est vu; l'animal est bien en partie sensible et visible, et
c'est par son corps qu'il est sensible et visible; mais non par son âme. Donc,
le sensible et le visible ne peuvent être les genres de l'animal.
§ 6. On ne s'aperçoit pas
non plus quelquefois qu'on met le tout dans la partie, comme lorsqu'on appelle
animal un corps animé; mais la partie ne peut point être attribuée au tout.
Donc le corps ne saurait être le genre de l'animal, puisqu'il en est une
partie.
§ 6. Il faut voir encore si
l'adversaire n'a point dans la connaissance et dans le possible, quelque chose
qui soit à reprendre ou à fuir ; par exemple, s'il a appelé sophiste celui qui
peut tirer un lucre de sa sagesse apparente, ou calomniateur celui qui peut
calomnier en secret et semer la haine entre les amis, ou voleur celui qui peut
voler les choses d'autrui. En effet, aucun de ces gens n'est qualifié de ce nom
uniquement parce qu'il peut être tel. Dieu et l'homme vertueux peuvent aussi
malfaire, mais ne sont pas tels cependant; car on n'appelle méchants que ceux
qui le sont volontairement. C'est que toute puissance est chose à désirer: les
puissances même du mal sont désirables aussi, et voilà pourquoi nous disons que
Dieu et l'homme vertueux les possèdent; car ils peuvent faire le mal. Ainsi
donc, la puissance ne saurait être le genre de rien de blâmable; sinon, il en
résulterait que quelque chose de blâmable serait à désirer, et que certaine
puissance serait blâmable.
§ 8. Il faut aussi voir si
l'adversaire n'a pas donné comme puissance ou possible, ou simplement comme
pouvant produire quelque chose, une des choses précieuses ou désirables en soi;
car toute puissance, tout possible, toute chose qui agit, n'est désirable qu'en
vue d'une autre chose.
§ 9. Ou bien si l'adversaire
a placé dans un seul genre une chose qui est dans deux ou plusieurs genres; car
il y a certaines choses qu'on ne saurait place dans un seul genre; par exemple,
le menteur et le calomniateur. En effet, l'intention avec la puissance ou la
puissance sans l'intention ne suffisent point pour faire ni le menteur ni le
calomniateur; il n'y a de menteur et de calomniateur que celui qui réunit les
deux choses. Donc, il ne faut pas placer les deux choses indiquées ici dans un
seul genre, il faut les mettre dans deux genres.
§ 10. Quelquefois aussi on
donne réciproquement le genre pour la différence et la différence pour le genre
; par exemple, la stupéfaction pour un excès d'admiration, et la certitude pour
une violence de conception. Mais ni l'excès ni la violence ne sont le genre :
ce n'est que la différence; car la stupéfaction paraît être une admiration
excessive, et la certitude une conception violente. Donc, l'admiration et la
conception sont le genre, comme l'excès et la violence sont la différence. De
plus, si l'on prenait l'excès ou la violence pour genres, les choses inanimées
elles-mêmes éprouveraient certitude et stupéfaction. En effet, la violence de
chaque chose et l'excès sont à ce dont ils sont l'excès et la violence. Si donc
la stupéfaction est un excès d'admiration, la stupéfaction sera à l'admiration,
de sorte que l'admiration sera stupéfaite : et de même la certitude sera à la
conception, s'il y a une violence de conception, de sorte que la conception
aura la certitude. II arrivera encore, si l'on prétend qu'il en est ainsi, que
la violence est violente, que l'excès est excessif; car il y a une attitude
violente. Si donc la certitude est violence, la violence sera violente. Et de
même aussi il y a une stupéfaction excessive: si donc la stupéfaction est
excès, il y aurait un excès excessif. Mais ni l'une ni l'autre de ces choses ne
semble vraie, de même que le mouvement n'est pas le mobile, non plus que la science
n'est ce qui est su.
§ 11. On se trompe encore en
plaçant la modification dans le genre même qui est modifié : par exemple, quand
on dit que l'immortalité est une existence éternelle ; car l'immortalité paraît
être une modification ou une circonstance de l'existence. Mais évidemment
l'assertion précédente ne deviendrait vraie que si l'on accordait que de mortel
on peut devenir immortel; car personne ne dirait alors qu'il prend une autre
existence, mais seulement qu'à cette même existence il arrive quelque
modification ou quelque circonstance nouvelle. Donc l'existence n'est pas le
genre de l'immortalité.
§ 12. En outre, on se trompe
si l'on dit que le genre de la modification est l'objet même dont il y a
modification : par exemple, si l'on dit que le vent c'est l'air agité; car le
vent est plutôt l'agitation de l'air. C'est en effet toujours le même air, soit
qu'il soit agité, soit qu'il reste en repos. Donc, absolument parlant, le vent
n'est pas l'air; car alors il y aurait vent même quand l'air ne serait pas
agité, puisque le même air subsiste qui tout à l'heure était le vent. Et de
même pour toutes les autres erreurs de ce genre. Mais si, dans l'exemple
précédent, on peut accorder que le vent soit de l'air agité, il ne faudrait pas
admettre des assertions de ce genre pour toutes les choses dans lesquelles le
genre indiqué n'est pas le véritable; on ne pourrait les admettre que pour le
cas où le genre donné est attribué avec vérité.
En effet, dans quelques cas,
ce genre ne semble pas être vrai; par exemple, pour la boue et la neige : ou
peut dire que la neige est de l'eau coagulée, et que la boue est de la terre
mêlée à l'humide; mais la neige n'est pas de l'eau et la boue n'est pas de la
terre; donc, ni l'un ni l'autre des genres indiqués ne sont vraiment genres;
car il faut que le genre soit toujours vrai pour toutes les espèces. Et de même
on ne peut dire que le vin soit de l'eau tournée, comme Empédocle prétendait
que c'était « de l'eau tournée dans le bois: » c'est qu'absolument parlant, le
vin n'est pas de l'eau.
§ 1. De plus, il faut voir
si ce qui est donné comme genre n'est absolument le genre de rien; car il est
clair alors qu'il n'est point non plus le genre de ce dont il s'agit. Il faut
remarquer aussi que les choses participant au genre donné ne doivent différer
en rien spécifiquement ; par exemple, les choses blanches : entre elles il ne
peut y en avoir une qui diffère en espèce; or les espèces de tout genre sont
différentes; donc le blanc ne serait le genre de rien.
§ 2. En outre, l'adversaire
s'est trompé s'il a pris pour genre ou différence un attribut commun à tout;
car il y a plusieurs attributs qui appartiennent à tout ainsi l'être et l'unité
sont des attributs qui suivent toutes choses. Si donc on a donné l'être comme
genre, il est clair que ce serait le genre de tout, puisqu'il est attribué à
tout; mais le genre n'est attribué uniquement qu'aux espèces; donc, l'un
lui-même serait une espèce de l'être. Il en résulterait alors que l'espèce
serait attribuée à toutes les choses auxquelles le genre est attribué, l'être
et l'unité étant absolument attribués à tout, tandis qu'il faut toujours que
l'espèce soit attribuée moins largement que le genre. Si l'on a pris pour
différence un attribut qui appartient à tout, il est évident que la différence
sera ou égale ou plus large que le genre; car si le genre est un des attributs
qui appartiennent à tout, la différence lui est égale; et si le genre n'est pas
un attribut applicable à tout, la différence est prise plus largement que lui.
§ 3. En outre, il faut voir
si le genre indiqué est placé dans l'espèce subordonnée, comme le blanc pour la
neige; car alors il est clair que ce n'est pas le genre véritable, le genre ne
pouvant être que l'attribut de l'espèce subordonnée.
§ 4. Il faut voir encore si
le genre n'est pas synonyme à l'espèce ; car le genre est attribué
synonymiquement à toutes les espèces.
§ 5. Il faut voir si
lorsqu'il y a un contraire au genre et à l'espèce, on n'a point placé le
meilleur des contraires dans le genre pire; car il faudra que le terme restant
soit dans le genre restant, puisque les contraires sont dans des genres
contraires: et ainsi le meilleur sera dans le pire, et le pire dans le
meilleur, tandis que le genre meilleur paraît devoir appartenir aussi au
meilleur.
§ 6. L'adversaire s'est
trompé si un même objet, étant dans un rapport pareil avec deux autres, il l'a
placé dans le pire et non dans le meilleur: si, par exemple, il a dit que l'âme
est essentiellement un mouvement ou un mobile; l'âme est en effet également
susceptible de repos et de mouvement : et si le repos est meilleur, il fallait
placer le genre de l'âme dans le repos.
§ 7. Puis aussi, on peut
tirer des arguments du plus et du moins, quand on réfute, si le genre reçoit le
plus et que l'espèce ne le reçoive pas, soit elle-même, soit ce qui s'y rapporte;
par exemple, si la vertu reçoit le plus, la justice et le juste le recevront
aussi ; car tel homme est dit plus juste que tel autre. Si donc le genre donné
reçoit le plus et que l'espèce ne le reçoive, ni elle-même ni ce qui s'y
rapporte, c'est que le terme désigné n'est pas le genre véritable.
§ 8. En outre, si ce qui
paraît être plus on également n'est pas le genre, il est clair que le terme qui
a été indiqué ne l'est pas non plus. Ce lieu est utile surtout dans les cas où
les attributs essentiels de l'espèce sont plusieurs, et qu'on n'a pas déterminé
nettement et qu'on ne peut pas dire quel est le genre véritable: par exemple,
la douleur et le sentiment du mépris paraissent être essentiellement attribuées
à la colère ; car l'homme courroucé a de la douleur et croit être méprisé.
§ 9. La même considération
est applicable si l'on compare quelqu'autre espèce à l'espèce; car si ce qui
parait être plus ou également dans le genre donné n'est pas dans le genre, il
est clair que l'espèce donnée n'est absolument pas non plus dans le genre.
§ 10. II faut donc, quand on
réfute, procéder comme on vient de le dire.
§ 11. Mais quand on établit
la proposition, si le genre et l'espèce donnés admettent le plus, ce lieu n'est
pas applicable; car si tous deux le reçoivent, rien n'empêche que l'un ne soit
pas le genre de l'autre. Ainsi, le beau et le blanc reçoivent le plus, et
cependant l'un n'est pas le genre de l'autre.
§ 12. Mais la comparaison
des genres et des espèces entre elles est utile; ainsi, du moment que telle
chose et telle autre sont également genres, si l'une est genre, l'autre le sera
aussi. Et de même s'il s'agit de plus et de moins : par exemple, si la force
est plus le genre de la modération que la vertu, et que la vertu soit genre, la
force le sera aussi.
§ 13. On pourra dire encore
la même chose pour l'espèce; car si telle chose et telle autre chose sont
également l'espèce de la chose proposée, du moment que l'une est espèce,
l'autre aussi le sera : et si ce qui paraît être moins, est espèce, le plus le
sera aussi.
§ 14. Il faut voir encore,
quand on établit la proposition, si le genre est attribué essentiellement aux
choses pour lesquelles il est indiqué, quand l'espèce indiquée n'est pas seule,
mais qu'il y en a plusieurs et des différentes : il est clair alors que c'est
bien le genre qui a été indiqué. Mais s'il n'y a qu'une seule espèce et donnée,
il faut voir si pour les autres espèces le genre est attribué essentiellement;
car alors il arrivera qu'il sera attribué et à plusieurs choses et à des choses
différentes, et que par conséquent on devra le reconnaître pour genre.
§ 15. Puisque quelques-uns
croient aussi que la différence est attribuée aux espèces essentiellement, il
faut séparer le genre de la différence en se servant des procédés indiqués plus
haut; d''abord parce que le genre est toujours plus large que la différence,
ensuite parce qu'il vaut mieux prendre le genre que la différence dans la
définition essentielle ; car si l'on dit que l'homme est animal, on montre par
là plus ce qu'est l'homme qu'en disant qu'il est terrestre; et enfin parce que
la différence exprime toujours la qualité du genre, et que le genre n'exprime
pas celle de la différence: car lorsqu'on dit terrestre, on désigne un animal
qui a telle qualité, tandis que quand on dit animal, on ne désigne pas un
certain être terrestre. C'est donc ainsi qu'il faut séparer la différence du
genre.
§ 16. Puis donc que le
musicien, en tant que musicien, paraît être savant, et que la musique paraît
être une science; et puisque, si ce qui marche se meut parle marcher, la marche
est une sorte de mouvement, il faut voir dans quel genre on veut établir la
proposition, de la manière suivante : par exemple, si l'on veut prouver que la
science est ce qu'est la certitude, il faut voir si celui qui sait, en tant
qu'il sait, est certain; car il est clair alors que la science est une sorte de
certitude. Et ii en est de même pour tous les cas analogues.
§ 17. Et en outre, comme il
est bien difficile quand une chose en suit toujours une autre sans lui être
réciproque, de ne pas la considérer comme son genre, il faut, lorsque telle
chose suit telle autre toute entière, sans que cette autre suive la première
toute entière; comme par exemple, le repos suit le calme de l'air, et le
divisible suit le nombre, sans que l'inverse soit vrai, puisque tout divisible
n'est pas nombre, et que tout repos n'est pas le calme dans l'air; il faut,
dis-je, quand on argumente soi-même, admettre que le terme qui suit toujours
est genre, quand l'autre ne lui est pas réciproque.
§ 18. Mais lorsqu'un
adversaire veut procéder ainsi, on ne doit pas y acquiescer dans tous les cas;
et l'objection qu'on peut lui faire, c'est que le non-être suit tout ce qui
naît, car ce qui naît n'est pas, mais ne lui n'est pas réciproque, puisque tout
non-être ne naît pas : et que par conséquent le non-être n'est pas le genre de
ce qui naît; car, absolument parlant, le non-être n'a pas d'espèces.
§ 17. Sans lui être
réciproque, sans avoir une étendue égale, c'est-à-dire, en ayant une étendue
plus grande ou plus petite suivant les divers cas.
§ 19. Il faut donc traiter
le genre ainsi qu'on vient de le dire.
§ 19. Ainsi qu'on vient de
le dire, dans tout ce 4e livre.
§ 1. L'étude des définitions a cinq parties; ou bien
il n'est pas du tout vrai d'appliquer la définition à la chose qui reçoit le
nom; et, par exemple, il faut que la définition de l'homme aille à tout homme
sans exception; ou bien quoiqu'il y ait un genre, on n'a point placé la chose
dans le genre, ou du moins on ne l'a point placée dans le genre convenable; car
il faut, quand on définit, placer la chose dans le genre, et n'y ajouter
qu'ensuite les différences qui s'y rapportent; et de tous les éléments qui
entrent dans la définition, c'est surtout le genre qui pourrait indiquer
l'essence de la chose définie; ou bien la définition n'est pas spéciale au
défini; car il faut que la définition soit spéciale au défini, ainsi qu'on l'a
dit auparavant; ou bien, si ayant rempli toutes les conditions indiquées, on
n'a point dit ni déterminé l'essence de la chose définie; ou bien enfin, outre
tous ces défauts, on peut, tout en ayant défini la chose, l'avoir cependant mal
définie.
§ 2. Si donc, pour la chose à laquelle ou applique le
nom, la définition n'est pas vraie, il faut regarder aux lieux donnés pour
l'accident; car, sur ce sujet, toute recherche consiste à savoir si l'accident
est vrai ou s'il ne l'est pas. En effet, lorsque nous prouvons que l'accident
est à la chose, nous disons qu'il est vrai, et quand nous prouvons qu'il n'y
est pas, nous disons qu'il n'est pu vrai.
§ 3. Si on n'a pas placé le défini dans le genre
spécial, ou bien si la définition donnée n'est pas la définition spéciale, il
faut regarder aux lieux expliqués pour le genre et pour le propre.
§ 4. Il nous reste donc à dire comment on peut
reconnaître si l'on a bien ou mal défini.
§ 5. II faut voir d'abord si l'on n'a pas bien défini;
car il est plus facile de faire d'une façon quelconque que de faire bien. II
est donc évident qu'en cela l'erreur est plus fréquente, puisque la chose est
plus difficile, en sorte que l'argumentation pour le second point est plus
facile que pour le premier.
§ 6. La définition n'a pas été bien donnée pour deux
motifs : l'un, parce qu'on a employé une expression obscure; or, il faut, quand
on définit, prendre l'expression la plus claire possible, puisque la définition
n'est donnée que pour faire comprendre les choses. En second lieu, la
définition petit être mauvaise, parce qu'on a donné plus qu'il ne fallait; car
tout ce qui est en trop dans la définition est inutile.
§ 7. Et, de plus, chacun des défauts que nous venons
de dire peut se diviser en plusieurs espèces.
§ 1. II y a donc un premier lieu sur l'obscurité de la
définition, si le mot employé est homonyme à quelque autre. Par exemple, si
l'on dit que la génération est un acheminement à la substance, ou bien que la
santé est un juste équilibre des éléments chauds et froids; car l'acheminement
et le juste équilibre sont des mots homonymes : on ne sait donc pas clairement
lequel des sens exprimés par le mot à significations multiples on prétend
désigner.
§ 2. Et de même, si l'on n'a point fait de division
dans le cas où le défini a plusieurs sens; car alors on ne sait duquel de ces
sens on a donné la définition, et l'adversaire petit alors chicaner en disant
que l'explication ne s'applique pas à tout ce dont on a donné la définition.
§ 3. C'est là surtout ce que l'adversaire peut faire
quand l'homonymie est cachée. Mais d'un autre côté, on peut faire soi-même le
syllogisme en avant soin d'indiquer en combien de sens est prise la chose dont
on donne la définition; car si l'on n'a rien donné de suffisant pour aucun des
sens divers, il est évident qu'on n'aura point non plus défini d'une manière
convenable.
§ 4. Un autre lieu, c'est quand on s'est servi de la
métaphore: par exemple, quand on a dit que la science était inébranlable, que
la terre était nourrice, que la sagesse était une harmonie. En effet, tout ce
qui est dit par métaphore est obscur; et l'on peut, quand l'adversaire emploie
une métaphore, le chicaner, et prétendre qu'il ne s'est pas servi des mots au
propre; car la définition donnée ne conviendra pas. Et, par exemple, celle de
la sagesse : ainsi, toute harmonie est dans les sons; de plus, si l'harmonie
est le genre de la sagesse, la même chose sera tout à la fois dans deux genres
qui ne se comprennent pas l'un l'autre; car l'harmonie ne contient pas la
vertu, pas plus que la vertu ne contient l'harmonie.
§ 5. Il faut voir encore si l'adversaire fait usage de
mots inusités: par exemple, Platon disant de l'œil qu'il est ophryosquie, ou de
la tarentule qu'elle est sepsidace, ou de la moelle qu'elle est ostéogène. Tout
mot qui n'est pas habituel est obscur.
§ 6. Il y a d'autres expressions qui ne sont prises ni
par homonymie, ni par métaphore, ni au propre : par exemple, quand on dit de la
loi qu'elle est l'image ou la mesure des choses justes par nature. Tout ceci,
du reste, est plus défectueux que la métaphore. La métaphore, du moins, rend un
peu notoire la chose qu'elle désigne par la ressemblance quelle établit; car
toutes les fois qu'on se sert de la métaphore, on la fait toujours en vue de
quelque ressemblance. Mais cette autre forme d'expression ne fait rien
connaître : car il n'y a point ici de ressemblance d'après laquelle la lui est
mesure ou image, pas plus qu'elle n'est prise proprement et ordinairement en ce
sens, de sorte que si l'on dit absolument que la loi est mesure ou image, l'on
se trompe : l'image, en effet, est ce dont la production a lieu par imitation;
et cela n'est pas du tout le cas de la loi. Si on ne prend pas cette expression
absolument, il est évident qu'on s'est expliqué obscurément, et qu'on emploie
une expression moins bonne que toutes les métaphores.
§ 7. Il faut voir en outre si la définition du
contraire n'est pas parfaitement claire d'après ce qui est dit; car les
définitions bien données expliquent aussi les contraires.
§ 8. Il faut voir enfin si la définition donnée
n'indique pas avec évidence de quel objet elle est la définition; mais si comme
pour les peintures des anciens artistes, il est impossible d'y rien connaître
si l'on n'a le soin d'écrire au-dessous ce que ce peut être.
§ 9. Si donc on n'a pas défini clairement, voilà
comment on peut le reconnaître.
§ 1. Si l'on a donné une définition trop étendue, il
faut voir, d'abord, si l'on s'est servi d'un terme qui s'applique à tout, soit
à tous les êtres absolument, soit à des choses qui sont comprises sous le même
genre que le défini; car nécessairement ce terme sera trop étendu. C'est, qu'en
effet, il faut que le genre sépare le défini des autres choses, et que la
différence le sépare de l'une des autres choses comprises dans le même genre.
Mais l'attribut qui est à tout ce qui est simplement ne sépare de rien; et
celui qui s'applique à tout ce qui est du même genre, ne sépare pas de ce qui
est dans le genre, de sorte que l'addition de cet attribut est tout à fait
inutile.
§ 2. Ou bien, il faut voir si l'attribut ajouté est
propre au défini, de telle façon que si on l'enlève, la définition n'en reste
pas moins propre, et n'exprime pas moins l'essence de la chose. Par exemple,
dans la définition de 'homme, la qualité ajoutée : susceptible de science, est
inutile; car en l'enlevant, le reste de la définition est encore propre à
l'homme et exprime son essence. En un mot, on doit regarder comme inutile tout
ce qui, étant enlevé, n'en laisse pas moins le défini parfaitement clair. Telle
est la définition de l'âme, si l'on dit qu'elle est un nombre se mouvant de
lui-même; car ce qui se meut soi-même est précisément la même chose que l'âme,
comme l'a défini Platon. Est-ce que le terme indiqué ici est tellement propre
que la définition cesse d'exprimer l'essence si le mot de nombre est enlevé? Il
est difficile d'expliquer nettement ce qui en est. Il faut, du reste, se servir
de ce lieu dans tous les cas analogues, selon que cela est utile. Par exemple,
supposons que la définition du phlegme soit l'humide primitif, venant de la
nourriture sans coction. Or, le primitif est unique et ne peut être plusieurs,
ainsi cette addition de mot: sans coction, est inutile; et en l'ôtant, le reste
de la définition n'en sera pas moins propre au défini. En effet, il ne peut pas
provenir de la nourriture primitivement ce produit et un autre encore. Ou bien,
est-ce que le phlegme n'est pas absolument le primitif provenant de la
nourriture? nt-ce qu'il est seulement le primitif des produits sans coction, de
telle sorte qu'il faille ajouter sans coction? En s'exprimant de cette façon,
la définition n'est pas vraie; car le phlegme n'est pas le primitif le tous les
produits venus de la nourriture.
§ 3. Il faut voir de plus si l'un des éléments mis
dans la définition cesse d'être à tous les objets compris sous la même espèce;
car alors on définit encore plus mal qu'en prenant un attribut applicable à
tous les êtres existants. En effet, de cette façon, si le reste de la
définition est propre au défini, la définition tout entière lui sera propre
aussi, parce qu'en ajoutant au propre un attribut vrai, quel qu'il soit, la
totalité de la définition n'en reste pas moins propre. Mais du moment que l'un
des éléments admis dans la définition n'est pas applicable à tout ce qui est
sous la même espèce, il est impossible que la définition tout entière soit
propre au défini; car elle ne pourra pas être prise réciproquement pour la
chose. Par exemple, si la définition de l'homme est animal terrestre bipède
haut de quatre coudées, cette définition ne peut être prise réciproquement pour
la chose, parce que cet attribut : haut de quatre coudées, n'est pas à tous les
êtres placées sous la même espèce.
§ 4. Il faut voir, en outre, si l'on n'a point répété
la même chose plusieurs fois: par exemple, en disant que le désir est l'appétit
de ce qui est agréable; car tout désir s'applique à ce qui est agréable. II
s'ensuit que ce qui est identique au désir s'applique aussi à l'agréable, et
par là, la définition du désir devient l'appétit de l'agréable de l'agréable ;
car il n'y a pas de différence à dire le désir ou l'appétit de l'agréable; et
chacune de ces expressions s'applique également à l'agréable. Mais peut-être
n'y a-t-il rien là d'absurde. L'homme, en effet, est bipède, et ce qui est
identique à l'homme est bipède : or, animal terrestre bipède est identique à
l'homme: donc l'animal terrestre bipède est bipède. Mais il n'y a rien là
d'absurde; et le bipède lest pas attribué deux fois à l'animal terrestre; car
alors bipède serait attribué deux fois à la même chose; mais le bipède est dit
de l'animal terrestre bipède, de sorte que le bipède n'est attribué qu'une
seule fois. Et de même pour le désir; car s'appliquer à l'agréable n'est pas
attribué à l'appétit, mais à la totalité; de sorte que l'attribution ne vient
ici qu'une seule fois. Ce n'est pas une absurdité du reste de répéter deux fois
le même mot; mais seulement il est absurde d'attribuer la même chose plusieurs
fois à une même chose. C'est ainsi que Xénocrate prétend que la réflexion est
la faculté qui définit et qui observe les êtres. La définition ici est déjà une
sorte d'observation, de sorte qu'en ajoutant : Et qui observe, il dit deux fois
la même chose. Et de même encore, ceux qui prétendent que le refroidissement
est la privation de la chaleur naturelle ; car toute privation s'applique à ce
qui est naturel, donc il est inutile d'ajouter: naturelle; mais il suffit de
dire privation de la chaleur, puisque la privation elle-même indique assez
qu'il s'agit d'une chose naturelle.
§ 5. Il faut voir, d'autre part, si, le terme étant
universel, on n'y ajoute point aussi un terme particulier : et, par exemple, si
on appelle la modération une concession sur des choses utiles et justes; car le
juste est quelque chose d'utile, de sorte qu'il est compris dans l'utile. Ainsi
le juste est ici superflu, parce qu'on a ajouté un terme particulier tout en
employant le terme universel. Par exemple encore, si l'on a dit que la science
médicale est la science de ce qui est sain pour l'animal et pour l'homme, ou
bien que la loi est l'image des choses belles et justes par nature; car le
juste déjà est quelque chose de beau; de sorte que la même chose est ici
répétée plusieurs fois.
§ 6. C'est donc par ces moyens ou des moyens analogues
qu'on verra si l'on a bien ou mal défini.
§ 1. Voici maintenant
comment l'on verra si l'on a ou si l'on n'a pas indiqué et défini l'essence de
la chose:
§ 2. D'abord, il faut voir
si l'on a fait la définition par les choses antérieures et plus connues. En
effet, puisque la définition n'est donnée que pour faire connaître le défini,
et que nous le connaissons, non par des choses quelconques, mais par des choses
antérieures et plus connues, de même que dans les démonstrations, car c'est
ainsi que procède tout enseignement, toute science, il est évident que quand on
n'a point défini avec des éléments de ce genre on n'a point défini: sinon, il y
aura plusieurs définitions d'une même chose.
II est évident aussi qu'on
définit mieux par les choses antérieures et plus connues; de sorte que les deux
définitions s'appliqueraient à la même chose. Mais cela ne saurait être; car
chaque chose n'est uniquement que ce qu'elle est; or, s'il y a plusieurs
définitions d'une même chose, il faudra que l'essence donnée dans chacune des
définitions soit identique à l'essence de la chose définie. Mais ces essences
ne sont pas identiques, puisque les définitions sont diverses; donc il est
évident qu'on n'a point défini, quand on n'a point défini par des choses
antérieures au défini et plus connues que lui.
§ 3. On peut comprendre de
deux manières qu'on n'ait pas donné la définition par les choses plus connues;
car c'est, ou par des choses plus inconnues en soi, ou plus inconnues pour
nous; et ces deux cas pourront se présenter. L'antérieur est absolument plus
connu que le postérieur; et, par exemple, le point est plus connu que la ligne,
la ligne que la surface, la surface que le solide; de même que l'unité, est
plus connue que le nombre; car elle est le principe de tout nombre et avant
tout nombre. Et de même la lettre est plus connue que la syllabe. Mais, par
rapport à nous, il arrive quelquefois tout le contraire; car le solide tombe
davantage sous la sensation, la surface plus que la ligne, et la ligne plus que
le point. Ce sont ces choses là même que le vulgaire connaît mieux; car on peut
apprendre les unes avec une intelligence ordinaire, les autres en demandent une
qui soit exacte et distinguée.
§ 4. En général donc, il
vaut mieux essayer de connaître les choses postérieures par celles qui
précèdent; car cela fait plus apprendre. Toutefois, quand les gens ne peuvent
connaître par ces moyens, il faut essayer de donner la définition par les
choses mimes qui leur sont connues. Telles sont, par exemple, les définitions
du point, de la ligne, de la surface; car toutes expliquent les choses
antérieures par les postérieures, et le point est, dit-on, la limite de la
ligne, celle-ci de la surface, et celle-ci du solide.
§ 5. Il ne faut pas perdre
de vue que quand on définit de la sorte, on ne peut montrer pour la chose
définie ce qu'est son essence, qu'à la condition que la même chose soit à la
fois, et plus connue de nous, et plus connue en soi, puisqu'il faut, pour bien
définir, définir par le genre et les différences. Or, ce sont là des éléments
plus connus que l'espèce et antérieurs à l'espèce; car le genre détruit avec
lui l'espèce; la différence en fait autant, de sorte que ces deux choses sont
antérieures à l'espèce. En outre, elles sont plus connues qu'elle; car
lorsqu'on connaît l'espèce, il y a nécessité de connaître aussi le genre et la
différence. Ainsi, lorsqu'on connaît l'homme, on connaît aussi l'animal et le
terrestre; mais quand on connaît le genre et la différence, il n'y a pas
nécessité de connaître l'espèce, de sorte que l'espèce est plus inconnue.
§ 6. De plus, quand on
prétend que les véritables définitions sont les définitions composées d'éléments
connus de chacun, on se trouve exposé à faire plusieurs définitions d'une même
chose; car telles choses sont plus connues à telles personnes, et ce ne sont
pas les mêmes qui sont plus connues pour tout le monde. Ainsi donc, il faudrait
donner une définition autre pour chacun, si l'on devait faire la définition par
les choses plus connues à chacun. Il y a plus: pour les mêmes individus, ce
sont, à diverses époques, d'autres choses qui leur sont plus connues. Ainsi,
d'abord ce sont les choses sensibles qui leur sont plus connues; mais devenant
ensuite plus instruits, c'est le contraire; de sorte qu'il ne faudra pas
toujours, pour la même personne, donner la même définition, si l'on prétend
qu'elle doit être donnée par les choses plus connues à chacun. Il est donc
évident qu'il ne faut pas définir par ces choses, mais par les choses plus
connues absolument parlant; car c'est ainsi seulement qu'on donne une
définition une et toujours la même.
§ 7. Mais peut-être aussi
l'on peut dire que ce qui est absolument connu n'est pas ce qui l'est de tous,
mais ce qui est connu seulement de ceux qui sont bien disposés d'intelligence;
de même que le sain, pris absolument, se rapporte à ceux qui ont une bonne
organisation corporelle.
§ 8. Il faut donc bien fixer
chacun de ces points, et s'en servir selon le besoin en discutant.
§ 9. On peut aussi repousser
la définition, et chacun en convient, si on ne l'a faite ni par les choses
absolument plus connues, ni par les choses plus connues pour nous.
§ 10. Voilà donc un premier
lieu sur la définition donnée par les choses moins connues; c'est quand on a
défini les antérieures par les postérieures, comme nous venons de le dire.
§ 11. En voici un autre:
c'est de donner la définition de ce qui est en repos et de ce qui est fini par
le mouvement et par l'indéfini; car ce qui demeure est antérieur à ce qui est
en mouvement et est plus connu; de même que le déterminé est antérieur à
l'indéterminé.
§ 12. Il y a trois lieux
pour prouver qu'on n'a pas défini par les choses antérieures.
§ 13. Le premier, si l'on
définit l'opposé par l'opposé : par exemple, le bien par le mal; car les
opposes sont simultanés en nature. Pour quelques-uns même, la notion des deux
parait être la même; de sorte que l'un n'est pas plus connu que l'autre. Il ne
faut pas, du reste, oublier que peut-être quelques termes ne peuvent pas être
définis autrement: par exemple, le double ne peut être défini sans la moitié,
et tous les termes qui par eux-mêmes sont des relatifs; car pour tous ces
termes, l'existence se confond avec la relation qu'ils soutiennent de quelque
façon que ce soit. Ainsi, il est impossible de connaître l'un sans l'autre; et
par conséquent, il est nécessaire que l'un soit renfermé aussi dans la
définition de l'autre. Il faut donc connaître aussi tous les termes de ce
genre, et se servir des lieux qui les concernent selon les cas où ils peuvent
être utiles.
§ 14. Un autre lieu, c'est
quand on se sert dans la définition du défini lui-même. On ne s'en aperçoit
pas, du reste, quand ou ne se sert pas du nom même du défini. C'est, par
exemple, si l'on a défini le soleil, un astre qui paraît dans le jour; car si
on se sert du jour, c'est se servir aussi du soleil. Il faut, pour découvrir
cette erreur, substituer la définition au nom même; et ici, par exemple, dire
que le jour est le mouvement du soleil au dessus de la terre. Alors il est
évident que, quand on a dit le mouvement du soleil au-dessus de la terre, on a
nommé le soleil; de sorte qu'en se servant du jour, on s'est servi aussi du
soleil.
§ 15. Encore, si l'on a
défini un terme de la division par un terme de la division même : par exemple,
si l'on a défini l'impair par ce qui est plus grand que le pair d'une unité;
car les choses divisées dans le même genre coexistent naturellement. Or l'impair
et le pair sont précisément dans des divisions semblables, puisque tous deux
sont des différences du nombre.
§ 16. Et de même encore, si
les choses supérieures sont définies par les inférieures: par exemple, si l'on
a défini le pair par le nombre partagé en deux, et le bien par la possession de
la vertu ; car en deux est pris de deux, qui est un nombre pair aussi: et la
vertu par elle-même est bien déjà un bien ; de sorte que ces deux choses sont
inférieures aux autres.
§ 17. Il y a encore obligation,
quand on se sert du terme inférieur, de se servir aussi du défini lui-même; car
si l'on prend la vertu, on prend aussi le bien, puisque la vertu est un certain
bien. Et de même quand on se sert de : en deux, on se sert du pair, puisque en
deux indique un partage en deux, et que deux est pair.
§ 18. En résumé, il n'y a qu'un
seul lieu relatif à la définition qui n'est pas faite par des choses
antérieures et plus notoires; et ce lieu a toutes les parties que l'on a
énumérées.
§ 1. Un second lieu, c'est si la chose étant dans un
genre, on ne la place pas dans ce genre. Cette erreur se produit toutes les
fois qu'on n'a point dit dans la définition ce qu'est le défini. Par exemple,
si l'on donne pour la définition du corps ce qui a trois dimensions; ou bien si
on définit l'homme, ce qui sait compter ; car on n'a point dit ce qu'est le
corps pour avoir trois dimensions, ou ce qu'est l'homme pour savoir compter.
Mais le genre vise à exprimer ce qu'est la chose, et c'est le premier des
éléments à poser dans la définition.
§ 2. Un autre lieu, c'est si la chose définie, étant
applicable à plusieurs, on ne l'a pas rapportée à toutes: par exemple, si l'on
définit la grammaire la science d'écrire ce qui est énoncé; car il faut encore
ajouter: et de lire. En effet, l'on n'a pas plus défini la grammaire par la
science d'écrire que par celle de lire. Donc, ce n'est pas en disant l'un ou
l'autre, c'est en disant les deux, qu'on définit vraiment, puisqu'il ne peut y
avoir plusieurs définitions d'une même chose. Pour quelques cas, il en est
réellement ainsi qu'on vient de dire, mais pour quelques autres il n'en est
rien; c'est, par exemple, dans tous les cas où le terme n'est pas dit en soi
pour les deux relations : comme la médecine n'est pas la science de faire la
santé et la maladie; car en soi, elle s'applique à l'une, et elle ne s'applique
à l'autre que par accident. En effet, absolument parlant, c'est chose étrangère
à la médecine de faire la maladie; de sorte que rapportant la définition à ces
deux choses, on n'a pas plus défini la médecine qu'en la rapportant à une
seule: et peut-être même l'a-t-on plus mal définie, puisque le premier venu est
capable aussi, quel qu'il soit, de faire la maladie.
§ 3. Un autre lieu, c'est si l'on a rapporté le défini
non au meilleur mais au plus mauvais, lorsque les choses auxquelles est
applicable le défini sont plusieurs; car toute activité, toute science, ne
paraissent devoir s'appliquer qu'au meilleur.
§ 4. D'autre part, si la chose définie n'est pas
placée dans le genre qui lui est propre, il faut puiser dans les éléments
relatifs au genre, ainsi qu'on l'a dit plus haut.
§ 5. Un autre lieu, c'est si l'on a sauté des genres:
par exemple, si l'on dit que la justice est la faculté qui produit l'égalité ou
qui répartit l'égal; car en définissant ainsi, on passe la vertu. En négligeant
donc le genre de la justice on ne dit pas ce qu'elle est; car l'essence de
chaque chose est dans son genre. Cette erreur est la même, du reste, que de ne
pas placer le défini dans le genre le plus voisin; car en le plaçant dans le
genre le plus voisin, on comprend aussi tous les genres supérieurs, puisque
tous les genres supérieurs sont attribués aux inférieurs; de sorte que, de deux
choses l'une : ou il faut placer le défini dans le genre le plus voisin, ou
rattacher au genre supérieur toutes les différences par lesquelles est défini
le genre le plus voisin. De cette façon, on n'aura rien omis; et au lieu du
nom, on aura déterminé le genre inférieur par une définition; mais quand on a
désigné seulement le genre supérieur, on n'a point nommé en même temps le genre
inférieur. Et par exemple, si l'on dit le végétal, on n'a point pour cela dit
l'arbre.
§ 1. Il faut voir aussi, en considérant les
différences, si l'on a bien donné les différences du genre; car si l'on n'a
point défini par les différences propres de la chose, ou bien si l'on a même
donné quelque terme qui ne puisse être la différence de rien, et, par exemple,
l'animal ou la substance, il est clair que l'on n'a point défini; car les
termes employés ne sont les différences de rien.
§ 2. Il faut voir en outre s'il y a quelque division
opposée à la différence exprimée; car, s'il n'y en a pas, il est clair que la
différence indiquée n'est pas la différence du genre : c'est que tout genre est
divisé en différences opposées, comme l'animal est divisé en terrestre et
volatile, aquatique et bipède.
§ 3. De plus, la différence peut bien être réellement
opposée, sans être vraie cependant pour le genre. Alors il est évident
qu'aucune de ces deux différences ne serait la différence du genre; car toutes
les différences opposées sont vraies pour leur genre spécial.
§ 4. Et, encore, elle peut être vraie, sans qu'ajoutée
au genre, elle fasse pourtant une espèce : et alors il est évident que ce n'est
pas une différence spécifique du genre; car toute différence spécifique fait
une espèce quand on l'applique au genre. Et si ce n'est pas là une différence,
c'est que la différence indiquée n'en est pas une non plus, puisqu'elle lui est
opposée dans la division.
§ 5. On se trompe encore si l'on divise le genre par
négation comme ceux qui définissent la ligne une longueur sans largeur; car
cela ne signifie rien autre chose, sinon qu'elle n'a pas de largeur. Il en
résultera donc que le genre participe de l'espèce; car toute longueur est ou
avec ou sans largeur, puisque de toute chose la négation ou l'affirmation est
nécessairement vraie, de sorte que le genre de la ligne étant la longueur, il
sera ayant ou n'ayant pas de largeur. Mais longueur sans largeur est la
définition de l'espèce, et de même aussi longueur ayant largeur. C'est que sans
largeur et avec largeur sont des différences : or, la définition de l'espèce se
compose de la différence et du genre: et par conséquent le genre recevrait la
définition de l'espèce et aussi la définition de la différence, puisque l'une
des différences indiquées est nécessairement attribuée au genre. Ce lieu, du
reste, est utile contre ceux qui admettent l'existence des idées. En effet,
s'il y a une longueur en soi, comment attribuera-t-on au genre qu'il est avec
largeur ou sans largeur? Car il faut pour toute largeur que l'une de ces deux
choses soit vraie, puisqu'elle doit être vraie pour le genre : mais il n'en est
rien, car l'on suppose ici des longueurs sans largeur et avec largeur. Ainsi
donc, ce lieu n'est utile que contre ceux qui soutiennent que le genre est un
numériquement. Mais il n'y a de cette opinion que ceux qui admettent les idées;
car ils disent que la longueur en soi, l'animal en soi sont genres.
§ 7. II faut bien aussi quelquefois, quand on définit,
se servir de la négation : par exemple, pour définir les privations; aveugle
est défini, en effet, ce qui n'a pas la vue quand naturellement il devrait
l'avoir.
§ 8. Il n'importe pas, du reste, de diviser le genre
par la négation, ou par l'affirmation même à laquelle doit nécessairement être
opposée la négation. Par exemple, on peut définir longueur qui a largeur; car
qui a largeur n'a d'opposé que qui n'en a pas, et n'a point d'autre opposé; et
ainsi, le genre est encore divisé par négation.
§ 9. Autre erreur, si l'on a donné l'espèce pour la
différence, comme ceux qui définissent l'insulte, une injure avec moquerie; car
la moquerie est une sorte d'injure, de sorte que la moquerie n'est pas une
différence, c'est une espèce.
§ 10. Il faut voir encore si l'on a donné le genre
comme différence : par exemple, pour la vertu, si on la définit disposition
bonne ou louable; car le bien est le genre de la vertu. Ou plutôt le bien
n'est-il pas, non le genre, mais la différence, s'il est bien vrai qu'une même
chose ne peut être clans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement?
Car le bien ne comprend pas la disposition, et la disposition ne comprend pas
le bien. En effet, toute disposition n'est pas un bien, pas plus que tout bien
n'est une disposition : ainsi, ni l'un ni l'autre ne serait genre. Si donc la
disposition est le genre de la vertu, il est évident que le bien n'est pas le
genre, mais qu'il est plutôt la différence. Ajoutez que la disposition exprime
l'essence de la vertu, tandis que le bien n'exprime pas ce qu'est la chose,
mais sa qualité; et la différence semble toujours exprimer quelque qualité de
la chose.
§ 11. Aussi, faut-il voir également si la différence
donnée exprime, non pas telle qualité de la chose, mais l'essence de la chose;
car toute différence semble devoir exprimer une certaine qualité.
§ 12. Il faut voir encore si la différence est un
simple accident de la chose définie; car aucune différence ne peut être classée
parmi les accidents, non plus que le genre, parce qu'il ne se peut pas que la
différence puisse indifféremment être ou n'être pas à la chose.
§ 13. Si la différence ou l'espèce, ou bien même
quelqu'un des termes au-dessous de l'espèce, est attribué au genre, on n'a
point défini ; car aucun de ces termes-là ne peut être attribué au genre,
puisque le genre est plus large qu'eux tous.-
§ 14. De plus, on n'a pas défini davantage si le genre
est attribué à la différence; car le genre paraît devoir être attribué, non pas
à la différence, mais aux choses auxquelles l'est la différente. Par exemple,
l'animal doit être attribué à l'homme, au bœuf et aux autres animaux terrestres,
et non pas à la différence elle-même, qui est dite de l'espèce seulement; car
si l'animal est attribué à chacune des différences, beaucoup d'animaux seraient
attribués à l'espèce, puisque les différences sont attribuées à l'espèce. II y
a plus : toutes les différences seront ou espèces ou individus si elles sont
animaux; car chacun des animaux est ou espèce ou individu.
§ 15. II faut voir de la même manière si l'espèce, ou
quelqu'un des termes au-dessous de l'espèce, a été attribué à la différence;
car cela ne peut être, puisque la différence est censée plus large que les
espères. II arrivera donc encore que la différence sera espèce, si quelqu'une
des espèces lui est attribuée; car si homme, par exemple, est attribué, il est
clair que la différence est homme.
§ 16. Il faut voir si la différence n'est pas
antérieure à l'espèce; car il faut que la différence soit postérieure au genre,
et antérieure à l'espèce.
§ 17. Il faut voir, de plus, si la différence indiquée
ne s'applique pas à un autre genre, qui n'est ni contenu ni contenant; car la
même différence ne peut être à deux genres qui ne se comprennent pas
mutuellement. Sinon, il arrivera que la même espèce sera dans deux genres qui
ne se comprennent pas mutuellement ; car chacune des différences implique son
genre propre, de même que le terrestre et le bipède impliquent avec eux
l'animal; de sorte que chacun des genres est à ce à quoi est la différence. II
est donc clair que l'espèce sera dans deux genres qui ne se comprennent pas
mutuellement.
§ 18. Ou bien, n'est-il pas impossible que la même
différence soit dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement, en
ajoutant toutefois, que tous les deux ne sont pas compris sous un même genre
supérieur? car d'animal terrestre et l'animal volatile sont des genres qui ne
se comprennent pas mutuellement, et le bipède est la différence de tous les
deux; de sorte qu'il faut ajouter: pourvu que tous deux ne soient pas compris
sous le même genre supérieur; car ici tous les deux sont des animaux supérieurs.
§ 19. De cette possibilité, qu'on utilise les mêmes
différences pour les genres qui ne se comprennent pas, il est clair aussi
qu'il n'y a aucune nécessité pour que la différence porte sur la totalité du
genre, mais sur seulement l'un des genres, ainsi que sur tous les termes
au-dessus de lui. Ainsi, bipède, ou volatile, ou terrestre, impliquent avec eux
animal.
§ 20. Il faut voir encore si l'on a donné l'existence
dans un lieu pour la différence de la substance; car une substance ne parait
pas différer d'une substance par cela seul qu'elle est dans tel lieu. C'est
pourquoi on objecte à ceux qui divisent l'animal en terrestre et aquatique, que
le terrestre et l'aquatique ne désignent qu'un lieu. Ou bien, peut-être, ce
reproche n'est-il pas juste; car aquatique et terrestre ne signifient pas
l'existence dans quelque chose ou dans quelque lieu; mais ils désignent une
chose qualifiée d'une certaine façon; car si l'être est à sec, il n'en est pas
moins aquatique; et de même pour le terrestre, bien qu'il soit dans l'eau, il
est toujours terrestre et non pas aquatique. Toutefois, il est clair que si la
différence exprime la position dans quelque chose, on se sera trompé pour la
définition.
§ 21. On ne se trompe pas moins, si l'on a donné la
modification pour différence; car toute modification, en s'augmentant, sort
l'être de la substance, et la différence n'est jamais dans ce cas. La
différence paraît plutôt conserver ce dont elle est la différence; et il est
absolument impossible que chaque chose existe sans u différence propre. Et,
ainsi, le terrestre n'étant pas, il n'y a pas d'homme non plus.
§ 22. En un mot, toutes les choses selon lesquelles se
modifie l'être qui les a ne sauraient être la différence de cet être; car
toutes ces choses, en s'augmentant sortent l'être de sa substance. Si donc on a
donné une différence de ce genre, on s'est trompé, car nous ne changeons pas
d'une manière absolue avec les différences.
§ 23. On s'est encore trompé, si l'on a donné pour
différence de quelque relatif une différence qui ne soit pas elle-même
relative; car les différences des relatifs sont aussi des relatifs. Par
exemple, pour la science, que l'on appelle théorique, et pratique, et active :
et chacun de ces termes exprime un relatif; car la science est la théorie de
quelque chose, la pratique de quelque chose, l'action de quelque chose.
§ 24. Il faut voir encore si, en définissant, on a
bien rapporté chacun des relatifs à la chose à laquelle il est naturellement;
car on ne peut employer certains relatifs qu'en les attribuant à ce à quoi ils
sont naturellement, et non point en les rapportant à aucune autre chose. Par
exemple, le relatif vue ne peut s'employer que relativement à voir. D'autres
relatifs, au contraire, peuvent s'employer pour d'autres choses aussi, tout comme
on peut puiser de l'eau même avec une étrille; cependant, si l'on définit
l'étrille instrument à puiser de l'eau, l'on se trompe; car ce n'est pas pour
cela qu'elle est faite. Mais la définition de ce pourquoi une chose est
naturellement faite est ce à quoi l'emploie le sage, en tant que sage, est ce à
quoi l'emploie la science propre à chaque chose.
§ 25. On s'est encore trompé, si l'on n'a point donné
la définition du primitif, dans le cas où la définition s'applique à plusieurs
termes. Par exemple, quand on dit que la réflexion est la vertu de l'homme et
de l'âme, et non de la partie raisonnable de l'âme; car la réflexion est la
vertu du primitif raisonnable, puisque c'est relativement à lui qu'on dit que
l'âme et l'homme réfléchissent.
§ 26. On s'est encore trompé, si la chose, dont le
défini est dit la modification, ou la disposition, ou telle autre affection, ne
la peut recevoir; car toute disposition, toute passion est naturellement dans
la chose dont elle est disposition ou passion; de même que la science est dans
l'âme, parce qu'elle est une disposition de l'âme. Parfois on se trompe dans
ces cas-là, comme quand on dit que le sommeil est une impuissance de sentir, et
le doute une égalité de raisonnements contraires, et la douleur une séparation
violente des parties connexes. En effet le sommeil n'est pas à la sensation, et
il faudrait qu'il y fût s'il était une impuissance de sentir; et, de même, le
doute n'est pas davantage aux raisonnements contraires, ni la douleur aux
parties connexes; car les êtres inanimés eux-mêmes auront de la douleur, si la
douleur est à ces parties. Telle est encore la définition de la santé, si l'on
dit que c'est une juste mesure des éléments chauds et froids ; car il est
nécessaire alors que les éléments chauds et froids aient de la santé. En effet,
la juste mesure de chaque chose est dans la chose même dont elle est la juste
mesure; de sorte que la santé serait aussi à ces éléments-là.
§ 27. II arrivera, en outre, quand on définit de cette
façon, de placer la chose faite dans celle qui fait, et réciproquement ; car la
séparation des parties connexes n'est pas la douleur, c'est ce qui fait la
douleur. Et l'impuissance de sensation n'est pas le sommeil; mais l'un cause
l'autre; car nous dormons par impuissance de sentir, ou nous sommes impuissants
à sentir par le sommeil. Et de même l'égalité de raisonnements contraires
semblerait être ce qui fait le doute. En effet, quand, en raisonnant, il nous
semble que les raisons sont égales de part et d'autre, nous doutons laquelle
des deux nous devons adopter pour agir.
§ 28. Il faut regarder à tous les moments du temps
s'il n'y a pas discordance entre eux; et, par exemple, si l'on a défini l'être
immortel, l'être maintenant impérissable; car l'être actuellement impérissable
ne sera qu'actuellement immortel. Ou bien ne peut-on pas dire que ceci n'est
pas vrai dans ce cas? car il y a doute dans cette expression : maintenant
impérissable. Elle exprime, en effet, ou que l'être n'a pas maintenant péri, ou
qu'il ne peut être maintenant détruit, ou bien qu'il est tel maintenant qu'il
ne peut jamais être détruit. Lors donc que nous disons que l'être est
maintenant impérissable, nous ne disons pas que l'être soit tel maintenant,
mais nous disons qu'il est de nature à n'être jamais détruit. Or, ceci se
confond avec immortel: donc ce n'est pas maintenant seulement qu'il est
immortel. Pourtant s'il arrive que ce qui est donné dans la définition soit
maintenant ou ait été auparavant, et que ce qui est exprimé dans le nom ne soit
pas ainsi, l'identité n'existe plus. Il faut donc se servir de ce lieu ainsi
qu'on l'a dit.
§ 1. II faut voir encore si le défini ne serait pas
d'une autre chose plutôt que de la définition donnée : par exemple, on se
trompe si l'on dit que la justice est la faculté distributrice de l'équité; car
celui qui se résout à donner l'équitable est plus juste que celui qui peut le
donner. Ainsi, la justice n'est pas précisément la faculté distributrice de
l'équité; car alors celui-là serait le plus juste qui peut répartir l'équité.
§ 2. Et encore il faut voir si la chose reçoit le
plus, quand ce qui est donné dans la définition ne le reçoit pas; ou
réciproquement, si ce qui est donné dans la définition le reçoit, et que la
chose ne le reçoive pas; car il faut que les deux termes le reçoivent, ou
qu'aucun des deux ne le reçoive, puisque ce qui a été donné dans la définition
est identique à la chose définie.
§ 3. Il faut voir, en outre, si les deux termes
reçoivent le plus, sans que tous deux prennent en même temps l'accroissement.
Par exemple, c'est une faute si l'on dit que l'amour est un désir de
cohabitation; car celui qui aime plus ne désire pas plus la cohabitation.
Ainsi, les deux termes ne reçoivent pas en même temps le plus, et il faudrait
qu'ils le reçussent, puisqu'ils sont une même chose.
§ 4. Il faut voir, deux termes étant donnés, si la
définition n'est pas dite en moins de celui dont le définition-même est dit en
plus. Par exemple, si l'on dit que le feu est le corps dont les parties sont
les plus ténues; car la flamme est plus feu que la lumière, et cependant la
flamme est un corps à parties moins ténues que la lumière; or, il faudrait que
les deux termes fussent en plus à la même chose, puisqu'ils sont identiques.
§ 5. De plus, il faut voir si, l'une des deux
définitions étant également aux deux termes avancés, l'autre est non pas
également aux deux, mais plus à l'un ou à l'autre.
§ 6. Regardez encore si la définition relative à deux
termes se rapporte bien à l'un et à l'autre : par exemple, quand l'on appelle
beau ce qui est doux à voir ou doux à entendre ; et être, ce qui peut souffrir
ou agir; car alors le beau et le non beau seront la même chose. Et de même pour
l'être et le non être. Dès lors, en effet, l'agréable à entendre sera la même
chose que le beau; ainsi, ce qui n'est pas agréable à entendre sera identique à
ce qui n'est pas beau; car pour des choses identiques, les opposés sont
identiques, et à beau est opposé le non beau et à agréable à entendre le non
agréable à entendre; mais il est évident que ce qui n'est pas doux à entendre
est identique à ce qui n'est pas beau. Si donc, quelque chose agréable à voir ne
l'est pas à entendre, ce sera tout à la fois beau et non beau. Nous pourrions
démontrer de même, qu'en ce sens, l'être et le non être sont identiques.
§ 7. Enfin, il faut voir, si, quand au lieu de noms on
substitue les définitions des genres, des différences, et de tous les autres
éléments qu'on met dans les définitions, il n'y a pas quelque discordance.
§ 1. Si le défini est relatif, ou en soi, ou par son
genre, il faut voir si dans la définition on a négligé de le rapporter à la
chose dont il est le relatif, ou en soi ou par son genre. Par exemple, si l'on
a défini la science une conception irréfutable, ou la volonté un désir sans
douleur; or l'essence de tout relatif est de se rapporter à une chose autre que
lui, puisqu'on a établi que c'était une même chose pour tous les relatifs
d'être et d'avoir un certain rapport avec quelque chose : il fallait donc dire
que la science est la conception de ce qui est su, et la volonté un désir du
bien. Même faute encore, si l'on a défini la grammaire la science des lettres;
car il fallait indiquer dans la définition, ou la chose relativement à laquelle
la grammaire est dite, ou celle relativement à laquelle est dit le genre.
§ 2. Ou bien il faut voir si un relatif étant indiqué,
il n'est pas rapporté à sa fin propre : la fin dans chaque chose est le
meilleur, ou ce pourquoi est fait tout le reste. II faudra donc dire si c'est
le meilleur ou si c'est le terme final; comme, par exemple, le désir n'est pas
le désir de ce qui plaît, mais du plaisir, puisque c'est pour le plaisir que
nous recherchons ce qui plaît.
§ 3. Il faut voir encore si c'est à la génération
qu'on a rapporté le défini, ou bien à l'acte; car rien de tout cela n'est la
fin : c'est, qu'en effet, avoir agi et avoir été est bien plutôt la fin que
être ou agir. Mais ne peut-on pas dire que ceci n'est pas vrai pour tous les
cas? car la plupart des hommes préfèrent jouir plutôt que cesser de jouir, de
sorte qu'ils se font bien plutôt une fin d'agir que d'avoir agi.
§ 4. De plus, il faut voir si pour quelques cas, le
défaut de la définition ne tient pas à ce qu'on n'a défini ni la quantité, ni
la qualité, ni le lieu, ni selon les autres différences. Par exemple, si l'on
définit l'ambitieux sans dire de quels honneurs et de combien d'honneurs il est
avide; car tous les hommes désirent les honneurs, de sorte qu'il ne faut pas
appeler ambitieux celui qui les désire, mais il faut ajouter aussi les
différences indiquées. Et de même pour l'avare : il faut dire combien de
richesses il désire; et pour l'intempérant, pour quels plaisirs il l'est; car
on n'appelle pas intempérant celui qui se laisse aller à un plaisir quelconque,
mais à certains plaisirs. C'est mal définir encore quand on définit la nuit
l'ombre de la terre, ou le tremblement de terre le mouvement de la terre, ou le
nuage l'épaississement de l'air, ou le veut le mouvement de l'air. Dans tous
ces cas, il faut ajouter la quantité et la cause. Et de même pour les cas
analogues; car si l'on néglige une seule différence, on n'indique plus
l'essence de la chose. Il faut toujours attaquer ce qui manque à la définition;
car il n'y aura pas tremblement de terre pour le mouvement d'une terre
quelconque, ni pour un mouvement quelconque de la terre, et il n'y aura pas non
plus vent pour le mouvement quelconque de l'air, en qualité ou en quantité
quelconque.
§ 5. II faut voir encore, pour la définition des
désirs, si l'on n'ajoute pas l'idée d'apparence, et pour celle de toutes les
choses où il convient de l'ajouter. Par exemple, si l'on dit que la volonté est
un désir du bien, et que le désir est un appétit du plaisir, sans dire que
c'est du bien qui paraît, du plaisir qui paraît; car souvent, quand on désire,
on ne sait si l'objet est bon ou s'il est agréable: ainsi, il n'est pas besoin
nécessairement que l'objet soit bon ni qu'il soit agréable : il suffit qu'il en
ait seulement l'apparence. Il fallait donc faire aussi la définition avec cette
nuance.
§ 6. Et si l'on fait l'addition que je viens
d'indiquer, il faut conduire aux idées celui qui admet les idées; car il n'y a
pas d'idée pour ce qui ne fait que paraître, mais l'idée doit se rapporter à
une idée. Par exemple, le désir en soi se rapporte à l'agréable en soi, et la
volonté en soi au bien en soi. Ce n'est donc pas à un bien simplement apparent
que se rapporte la volonté en soi, ni le désir en soi à ce qui ne fait que
paraître agréable; car il est absurde que le bien ou l'agréable soit en soi
simplement apparent.
§ 1. De plus, si la définition s'applique à une possession,
il faut voir au sujet qui possède; si c'est au sujet qui possède, il faut voir
à la possession. Et de même pour toutes les autres choses de ce genre : par
exemple, si ce qui plaît est ce qui est utile, celui qui a du plaisir est aussi
celui qui retire de l'utilité. En un mot, dans les définitions de ce genre, il
arrive que celui qui définit définit plus d'une seule chose à la fois; car
définir la science, c'est bien définir aussi en quelque sorte l'ignorance. Et
de même si l'on définit ce qui sait, on définit aussi ce qui ne sait pas. Si
l'on définit savoir, on définit bien de plus ignorer; car le premier terme
étant expliqué, le reste devient, en quelque sorte, aussi évident. Il faut donc
voir dans toutes ces définitions, s'il n'y a pas quelque discordance, en se
servant des lieux pris des contraires et des conjugués.
§ 2. Il faut voir, dans les relatifs, si l'on peut
rapporter aussi l'espèce à quelque partie de la chose à laquelle est rapporté
le genre. Par exemple, si la conception est relative au sujet conçu, telle
conception devra être relative à tel sujet conçu; et si le multiple se rapporte
au sous-multiple, il faudra que tel multiple se rapporte à tel sous-multiple;
car si on ne peut pas établir ces rapports, c'est qu'évidemment on s'est trompé.
§ 3. Il faut voir encore si la définition opposée est
bien celle du terme opposé : par exemple, si celle de la moitié est l'opposé de
celle du double; car si le double est ce qui surpasse d'autant, ce qui est
surpassé d'autant est la moitié.
§ 4. Et de même pour les contraires : car la
définition du contraire sera la définition du contraire, toutes les fois qu'il
s'agit d'une combinaison simple des contraires. Par exemple, si l'utile est ce
qui fait le bien, le nuisible sera ce qui fait le mal ou ce qui détruit le
bien. II faut nécessairement que l'une des deux définitions soit contraire à
celle qui a été posée d'abord. Si donc ni l'une ni l'autre n'est contraire à
celle qui a été donnée d'abord, il est évident qu'aucune de celles qui ont été
données à la suite ne sera la définition du contraire; et par conséquent, la
définition donnée d'abord n'aura pas été bien donnée.
§ 5. Comme certains contraires ne sont désignés que
par la privation de l'autre contraire, et, par exemple, l'inégalité paraît être
la privation d'égalité, puisqu'on appelle inégales simplement
des choses qui ne sont pas égales, il est clair que ce contraire dont la forme
dénote la privation doive nécessairement être défini par l'autre, considérant
que l'autre ne peut pas alors être défini par celui dont la forme marque la
privation; autrement on devrait constater que chacun doit être interprété par
l'autre. Nous devons, en cas de termes contraires faire attention à cette
erreur, en supposant, par exemple de définir l'égalité le contraire de
l'inégalité; car c'est définir par le contraire qui est dénommé privativement.
§ 6. De plus, quand on définit ainsi, on est forcé
nécessairement de se servir de la chose même qu'on définit, et cela est de
toute évidence, si l'on substitue la définition au défini; car il n'y a pas de
différence à dire ou l'inégalité ou la privation de l'égalité. Ainsi l'égalité
sera le contraire de la privation de l'égalité, et, par conséquent, on aura
employé l'égalité.
§ 7. Même erreur si aucun des contraires n'est dénommé
par privation, et que la définition soit semblablement donnée. Ainsi, comme le
bien est le contraire du mal, il est évident que le mal sera le contraire du
bien; car pour les contraires de ce genre il faut donner semblablement la
définition; de sorte qu'il faut se servir ici encore une fois de la chose
définie. Ainsi le bien est dans la définition du mal : et par conséquent, si le
bien est le contraire du mal et que le mal ne soit pas autre chose que le
contraire du bien, le bien sera le contraire du contraire du bien. Il est donc
évident que pour définir la chose on se sert de la chose elle-même.
§ 8. Il faut voir encore si en donnant le terme dit
par privation on n'a point donné aussi la chose dont il est la privation : par
exemple, de la possession, ou du contraire, ou de telle autre chose dont il est
la privation. Et si l'on a oublié d'ajouter que ce terme est dans le sujet, où
il doit être naturellement, soit d'une manière absolue, soit primitivement :
par exemple, si, disant que l'ignorance est privation, on n'a pas dit que c'est
privation de science; ou si l'on n'a pas ajouté le sujet dans lequel elle est
naturellement; ou si, en ajoutant ce sujet, on n'a pas donné le sujet où elle
est primitivement: par exemple, si l'on a dit qu'elle est, non pas dans la
partie raisonnable, mais dans l'homme ou bien dans l'âme, si, dis-je, l'on ne
prend pas toutes ces précautions, on s'est trompé. De même encore si, en
parlant de l'aveuglement, on n'a pas dit qu'il était la privation de la vue
dans l'œil; car il faut pour bien définir ici ce qu'est l'essence, dire et de quoi elle est la privation et quel est le privé et qui en est privé.
§ 9. II faut voir enfin si l'on a défini par privation
un terme qui n'est point dit par privation. C'est ainsi que pour la définition
de l'ignorance, cette faute semblerait être commise aux yeux de ceux qui ne la
définissait que par négation; car celui qui n'a pas la science ne paraît pas
ignorer; c'est bien plutôt celui qui se trompe. Et voilà pourquoi nous ne
disons pas que les êtres inanimés, non plus que les enfants, sont ignorants.
Par conséquent, l'ignorance n'est pas dite par privation de la science.
§ 1. II faut voir encore si les cas semblables de la
définition s'accordent avec les cas semblables du défini : par exemple, si ce
qui fait la santé est utile, utilement sera en faisant la santé, et ce qui a
été utile sera ce qui a fait la santé.
§ 5 Il faut voir de plus si la définition donnée
s'accorde avec l'idée; car cela n'est pas dans quelques cas; et, par exemple,
telle est l'erreur de Platon quand il fait entrer le mortel dans les
définitions des animaux. En effet, l'idée ne peut pas être mortelle, et, par
exemple, celle de l'homme en soi; de sorte que la définition ne conviendra
point avec l'idée. En général, pour toutes les choses auxquelles est ajoutée la
notion d'action ou de souffrance, il est nécessaire que la définition soit en
désaccord avec ridée, puisque pour ceux qui soutiennent qu'il y a des idées,
elles doivent paraître sans passion comme sans mouvement : et c'est contre ces
théories que ces arguments peuvent être utilement employés.
§ 3. II faut voir aussi pour les choses désignées par
homonymie, si l'on a donné une seule définition applicable à toutes; car ce
sont les termes synonymes qui n'ont qu'une seule et même définition pour le nom
qui les désigne. Ainsi la définition donnée pour un homonyme ne va bien à
aucune des choses placées sous le mot, tandis que le mot homonyme va bien à
toutes.
§ 4. Tel est, par exemple, le vice de la définition
que Denys a donnée de la vie, quand il dit qu'elle est le mouvement inné et
consécutif d'un genre pourrissable: mais cette définition n'est pas plus
applicable aux animaux qu'aux plantes. La vie, du reste, ne paraît pas pouvoir
être réduite à une seule espèce; mais elle est autre pour les animaux, autre
pour les plantes.
§ 5. On peut donc, même avec intention, donner la
définition de la vie comme si toute vie était synonyme, et qu'elle s'appliquait
à une espèce unique. Mais rien n'empêche, même quand on voit l'homonymie et
qu'on veut donner la définition de l'un des sens, qu'on ne donne sans le
savoir, non pas une définition spéciale, mais une définition commune aux deux.
Néanmoins, que l'on prenne l'un ou l'autre, on se trompe également.
§ 6. Comme on peut ne pas voir quelquefois les
homonymes, il faut, quand on interroge, s'en servir comme s'ils étaient
synonymes; car alors la définition de l'un ne concordera pas avec la définition
de l'autre: et, par conséquent, l'adversaire paraîtra n'avoir pas défini comme
il faut; car il faut que le mot synonyme s'applique à tout. Au contraire, il
faut distinguer quand on répond.
§ 7. Mais comme quelques personnes, en répondant,
prennent un synonyme pour un homonyme, quand la définition donnée ne s'applique
pas à tout, ou bien un homonyme pour un synonyme, quand elle s'applique
également aux deux, il faut d'abord s'entendre sur ces points-là, ou prouver,
par syllogisme, que le terme est homonyme ou synonyme, ou dire quel il est; car
on s'accorde mieux quand on ne prévoit pas quelle doit être la conséquence.
Mais si, sans convention préalable, l'on appelle homonyme ce qui est synonyme,
parce que la définition donnée ne s'applique pas aussi au terme qu'on désigne,
il faut voir si la définition de ce terme s'applique à tout le reste; car il
est évident que, pour le reste, il doit être synonyme; sinon, il y aurait
plusieurs définitions pour le reste; et alors les deux définition nominales
s'appliquent à ces termes restants, et la première qui a été donnée, et celle
qui a été donnée ensuite.
§ 8. D'autre part, si, en définissant un terme à
plusieurs sens et la définition ne s'appliquant pas à tous, l'adversaire dit,
non pas que le terme soit homonyme, mais qu'il nie que le nom s'applique à
tout, parce que la définition ne s'y applique pas, on doit répondre à cette
objection, qu'il faut se servir de la dénomination reçue et suivie généralement,
et ne pas la changer. Ce qui n'empêche pas que, dans certains cas, il ne faille
parler autrement que le vulgaire.
§ 1. Quand l'on a donné la définition d'une chose unie
à d'autres, il faut voir si, en retranchant la définition de l'une des deux
choses unies, ce qui restera sera bien encore la définition du reste; sinon, il
est clair que la définition totale n'est pas la définition du tout. Par
exemple, quand l'on a défini la ligne droite finie: la limite d'une surface qui
a des limites, et dont le milieu est joint aux extrémités; si la définition de
la ligne finie est la limite d'une surface ayant des limites, le reste de la
définition doit s'appliquer à l'idée de droite, dont le milieu est joint aux
extrémités. Mais la ligne infinie n'a ni milieu ni fin, et elle est droite
pourtant; de sorte que la partie de la définition qui reste n'est pas ici la
définition du reste.
§ 2. Il faut voir encore si, le défini étant composé,
on a donné une définition à membres égaux à ceux de défini. On appelle
définition à membres égaux, lorsque, quels que soient les éléments composés du
défini, il y a dans la définition tout autant de noms et de verbes; car il faut
nécessairement, dans les cas de ce genre, qu'il puisse y avoir changement
réciproque des mots, soit de tous, soit de quelques-uns au moins, puisqu'on n'a
point ajouté plus de noms qu'il n'y en avait auparavant. Mais il faut, quand on
définit, mettre la définition au lieu des mots, et tâcher de faire cela pour
tous, ce qui est le mieux, ou sinon, pour la plupart au moins; car, de cette
façon, même pour les mots simples, en ne substituant qu'un mot pour un mot, on n'aura
pas défini; comme, par exemple, quand au lieu de vêtement on prend manteau.
§ 3. II y a encore une faute plus grave, c'est de
faire substitution de mots plus inconnus. Par exemple, si, au lieu d'homme
blanc, on dit mortel blanchi; car on ne définit pas : et, de plus, on parle
moins clairement en s'exprimant ainsi.
§ 4. Il faut voir encore si, dans cette substitution
de mots on n'exprime plus la même chose. Par exemple, quand on appelle la
science théorique une conception théorique; car la conception n'est pas la même
chose que la science: et il le faudrait, puisqu'on veut que l'expression totale
soit aussi la même chose. Or, le mot théorique est commun dans les deux
définitions; mais le reste est différent.
§ 5. Et encore il faut voir si, en faisant la
substitution de l'un des mots, on a fait la substitution, non pas pour la
différence, mais pour le genre, comme dans l'exemple qu'on vient de citer; car
le mot théorique est plus inconnu que le mot science. L'un, en effet, est le
genre; l'autre est la différence, et le genre est le plus connu de tous les
termes, puisqu'il est le plus commun. Donc il fallait appliquer la
substitution, non pas au genre, mais à la différence, puisqu'elle est plus
inconnue.
§ 6. Ou bien ce reproche n'est-il pas ridicule? car
rien n'empêche que la différence ne soit exprimée par le mot le plus connu, et
que le genre ne le soit pas. Dans ce cas, il est clair qu'il fallait faire la
substitution nominale, non pour la différence, mais pour le genre. Mais si l'on
ne prend pas un mot pour un mot, et qu'on prenne une définition pour un mot, il
est clair qu'il faut plutôt donner la définition de la différence que celle du
genre, puisque la définition n'est donnée que pour faire connaître, et que la
différence est moins connue que le genre.
§ 1. Quand l'on a donné la
définition de la différence, il faut voir si la définition donnée est commune
encore à quelque autre chose. Par exemple, quand on a appelé nombre impair le
nombre qui a un milieu, il faut définir encore ce qu'on entend par: qui a un
milieu; car le mot nombre est commun dans ces deux définitions, et la
définition de l'impair est substituée au défini. Mais, et la ligne et le corps
ont un milieu, uns être pourtant impairs; de sorte que ce n'est pas là la
définition de l'impair. Si l'expression: ayant un milieu, a plusieurs sens, il
faut définir, en outre, dans quel sens on prend : ayant un milieu. On pourra
donc justement prétendre, ou démontrer par syllogisme, que l'on n'a pas défini.
§ 2. De plus, il faut voir
si ce dont on donne la définition est une chose réelle, tandis que ce qui est
dans la définition n'en est pas une. Par exemple, si l'on a défini le blanc une
couleur mêlée de feu; comme il est impossible qu'une chose incorporelle soit
mêlée à une corporelle, la couleur mêlée au feu n'est pas une chose réelle,
tandis que le blanc en est une.
§ 3. De plus, quand on n'indique
pas clairement par division, pour les relatifs, ce relativement à quoi la chose
est dite, mais qu'on les englobe parmi plusieurs choses, on se trompe en
totalité ou en partie. Comme, par exemple, si l'on dit que la médecine est la
science de ce qui est; car si la médecine n'est la science de rien de ce qui
est, il est évident qu'on s'est totalement trompé ; mais si elle l'est de telle
chose, et ne l'est pas de telle autre, on s'est trompé en partie. C'est, qu'en
effet, elle doit être la science de tout, si l'on dit qu'elle est en soi, et
non par accident, la science de ce qui est. Ainsi que cela est pour tous les
autres relatifs, tout ce qui est su doit être dit relativement à une science;
et de même, pour tous les autres, puisque tous les relatifs sont réciproques,
et ce qui est su est toujours relatif.
§ 4. Si, en donnant
l'attribution, non pas en soi, mais par accident, on l'a bien donnée, c'est
qu'alors chacun des relatifs serait dit, non pour une seule chose, mais pour
plusieurs; car rien n'empêche que la même chose ne soit à la fois et réelle, et
bonne, et blanche. Par conséquent, en rapportant la définition à l'une de ces
qualités, on l'aura bien donnée, si, toutefois, en donnant la définition par
l'accident, on la donne bien.
§ 5. Il est encore
impossible que cette définition soit propre à la chose dont il s'agit; car non
seulement la médecine, mais la plupart des autres sciences, sont dites
relativement à ce qui est; de sorte que chacune des sciences est la science de
ce qui est. Il est donc évident que ce n'est là la définition d'aucune science;
car il faut que la définition soit spéciale et non commune.
§ 6. Quelquefois on définit,
non la chose, mais la chose bien faite et parachevée; c'est là la définition du
rhéteur et du voleur, quand on dit que le rhéteur est celui qui peut voir ce
qu'il y a d'acceptable à soutenir dans chaque question, et n'en rien omettre,
et que le voleur est celui qui prend en secret ; car il est évident que tous
deux étant ainsi, tous deux seront bons, chacun dans leur genre: l'un sera un
bon rhéteur, l'autre un bon voleur, puisque le voleur n'est pas tant celui qui
prend en secret que celui qui veut prendre de cette façon.
§ 7. En outre, on s'est
trompé si l'on a donné ce qui est désirable par soi-même comme capable de faire
ou capable d'agir, en un mot, comme désirable en vue d'un autre objet
quelconque : par exemple, si l'on dit que la justice est la conservatrice des
lois, ou que la sagesse est la cause du bonheur; car ce qui fait une chose, ce
qui conserve, est une chose désirable pour une autre que soi.
§ 8. Ou bien rien n'empêche
qu'une chose désirable en soi ne le soit aussi en vue d'une autre.
§ 9. Cependant on ne s'est
pas moins trompé en définissant ainsi une chose désirable en soi ; car le
meilleur de chaque chose est surtout dans son essence, et une chose désirable
en soi est meilleure qu'une chose désirable en vue d'une autre. Ainsi donc, il
fallait que la définition indiquât surtout cela.
§ 1. Il faut voir encore si en donnant la définition
d'une seule chose, on n'a point dit que le défini est plusieurs choses, ou
qu'il est composé de telles choses, ou qu'il est accompagné de telles choses.
§ 2. Si l'on a défini plusieurs choses, il arrivera
que la définition pourra être aux deux à la fois, et n'être à aucune à part:
ainsi, par exemple, si l'on définit la justice, prudence et courage; car, en
supposant ici deux hommes, si chacun d'eux a l'une des deux qualités, tous les
deux seront justes et aucun ne le sera puisque tous deux réunis ont ensemble la justice, mais chacun séparément ne l'a pas. Même
si la situation décrite ici ne semble pas très absurde en raison de
l'occurrence de ce genre de choses dans d'autres cas également : il n'est
pas impossible que deux hommes n'aient à deux une science, bien qu'aucun
d'eux ne l'ait séparément. Toujours est-il qu'il serait tout à fait absurde que
les contraires fussent aux mêmes choses; et c'est ce qui arrivera, si l'un
d'eux, par exemple, a la prudence et la lâcheté, et l'autre le courage et
l'imprudence : dans ce cas, tous les deux auront à la fois la justice et
l'injustice; car si la justice est prudence et courage, l'injustice sera
lâcheté et imprudence.
§ 4. Ainsi, tous les arguments qu'on peut employer
pour prouver que les parties et le tout ne sont pas la même chose, sont aussi
d'un bon usage pour le point qui maintenant nous occupe. En effet, quand on
définit ainsi, on a l'air de prétendre que les parties sont identiques au tout.
§ 5. Ces objections trouvent surtout leur place, quand
la composition des parties est aussi évidente qu'elle l'est pour une maison ou
telle autre chose pareille. Là, il est clair, en effet, que les parties peuvent
exister sans que le tout existe: et ainsi les parties ne sont pas la même chose
que le tout.
§ 6. Si l'on a dit, non pas que la chose définie soit
plusieurs choses, mais si l'on a dit qu'elle vient de plusieurs choses, il faut
voir d'abord si naturellement, il ne peut pas ressortir un tout de ce qui a été
dit; car certaines choses sont entre elles dans un tel rapport que aucun tout
ne se forme de leur réunion : par exemple, la ligne et le nombre.
§ 7. De plus, il faut voir si le défini est
naturellement dans quelque primitif, et que les choses d'où l'on dit qu'il
vient, ne soient pas dans un seul primitif, mais qu'elles soient l'une et
l'autre dans des primitifs différents; car alors, il est évident que le défini
ne vient pas de ces choses-là, puisque là où sont les parties, il est
nécessaire que là soit aussi le tout, de sorte que le tout n'est pas dans un
seul primitif, mais qu'il est dans plusieurs.
§ 8. Et si les parties et le tout sont dans un seul
primitif, il faut voir si les parties et le tout ne sont pas dans le même, ou
si les parties ne sont pas dans l'un et le tout dans un autre.
§ 9. De plus, il faut examiner si les parties
disparaissent avec le tout; car il faut à l'inverse, quand les parties sont
détruites, que le tout le soit aussi; mais le tout étant détruit, il n'est pas
nécessaire que les parties le soient.
§ 10. Ou bien il faut voir si le tout est bon ou
mauvais, et que les parties ne soient ni l'un ni l'autre : ou à l'inverse, que
les parties soient bonnes ou mauvaises, et que le tout ne soit ni l'un ni
l'autre; car il n'est pas possible que de ce qui n'est ni l'un ni l'autre
vienne quelque chose de bon ou de mauvais, et que du bon ou du mau vais ne
vienne ni l'un ni l'autre.
§ 11. Ou bien il faut voir si l'un étant bon plus que
l'autre n'est mauvais, le défini qu'on dit en venir n'est pas aussi plutôt bon
que mauvais. Par exemple, si l'impudeur vient du courage et d'une opinion
fausse, comme le courage est bon plus que l'opinion fausse n'est mauvaise, il
fallait que le composé des deux suivit le plus, et qu'il fût ou absolument bon,
ou du moins plutôt bon que mauvais.
§ 12. Ou bien ne peut-on pas dire que cela n'est pas
nécessaire, si ni l'un ni l'autre ne sont bons ou mauvais en soi ?car beaucoup
de choses qui en produisent d'autres ne sont pas bonnes en soi, mais elles le
deviennent étant mêlées à d'autres. Et réciproquement, chacune peut être bonne
à part, et, mêlées, elles sont mauvaises, ou du moins ne sont ni bonnes ni
mauvaises. Et cela est parfaitement évident pour les choses salubres et les
choses malsaines; car certains remèdes sont de telle façon que l'un et l'autre
à part sont bons, mais que si on les administre tous deux mélangés, ils sont
mauvais.
§ 13. Il faut voir encore si le défini est composé
d'une chose meilleure et d'une pire, sans que le tout qu'elles forment soit
pire que la meilleure et meilleur que la pire.
§ 14. Ou bien ne peut-on pas dire que cela n'est pas
nécessaire, quand les choses dont le défini se compose ne sont pas bonnes par
elles-mêmes? Mais rien n'empêche que le tout ne soit pas bon pour les choses
qui ne sont pas bonnes par elles-mêmes, comme dans les cas que nous venons de
citer.
§ 15. II faut voir encore si le tout est synonyme de
l'une des parties; car il ne le faut pas, non plus que pour les syllabes. Et en
effet, une syllabe n'est jamais synonyme d'aucune des lettres qui la composent.
§ 16. On s'est trompé encore si l'on n'a point indiqué
le mode de la composition; car il ne suffit pas pour bien connaître la chose,
de dire qu'elle vient de telle autre. L'essence des composés consiste, non pas
seulement en ce qu'ils sont formés de tels éléments, mais en ce qu'ils en sont
formés de telle façon, comme pour la maison; car ce n'est pas une maison quelle
que soit la façon dont les parties en sont assemblées.
§ 17. Si l'on a donné le défini avec telle autre
chose, il faut dire d'abord, si en disant que telle chose est avec telle autre,
on entend, ou qu'il y a telle et telle chose, ou bien que l'une est formée de
l'autre : par exemple, quand on dit du miel avec de l'eau, on veut dire soit du
miel et de l'eau, soit le mélange qui est fait de miel et d'eau. II en résulte,
que selon que l'on identifiera cette expression: Ceci avec cela, à l'une des
nuances indiquées, il conviendra de dire précisément ce qu'on a dit plus haut
pour l'une ou pour l'autre.
§ 18. De plus, après avoir dit en combien de sens, on
peut comprendre qu'une chose est avec une autre, il faut voir si l'une n'est
pas du tout avec l'autre. Par exemple, si l'on dit qu'une chose avec une autre
signifie qu'elles seront toutes deux dans un même sujet qui lei reçoit, comme
la justice et le courage sont dans l'âme, ou bien qu'elles sont dans le même
temps ou le même lieu, et que ce dont il s'agit ne soit pas du tout vrai à ces
différents égards, il est clair qu'on n'a donné la définition de rien, puisque
cette chose n'est pas du tout avec cette autre.
§ 19. Si pour les choses dont on a dit distinctement
en combien de sens on prend cette expression : être avec une autre, il est vrai
que l'une et l'autre puissent être dans le même temps, il faut voir si l'une et
l'autre peuvent ne pas se dire du même sujet; et l'on se trompe, par exemple,
si l'on a défini le courage une audace avec une pensée juste. En effet, il se
peut qu'on ait l'audace pour dérober, et que la pensée juste s'applique aux
choses salubres; et cependant celui-là n'est pas encore courageux qui a l'une
avec l'autre dans le même temps. Il ne l'est pas davantage, si les deux
qualités sont relatives à un même objet, à des objets médicaux, par exemple;
car rien n'empêche qu'on n'ait à la fois, en médecine, et de l'audace et une
pensée juste : mais cependant, celui-là n'est pas davantage courageux qui a
l'une de ces qualités avec l'autre. C'est qu'il ne faut pas que l'une et
l'autre soient dites relativement à une chose différente, pas plus que le sujet
commun auquel elles se rapportent toutes deux, ne peut être le premier sujet
venu : elles doivent se rapporter toutes deux au but même du courage, comme,
par exemple, aux dangers de la guerre, ou à tel autre but s'il y en a encore un
autre qui soit plus spécialement celui du courage.
§ 20. Quelques-unes des choses ainsi définies ne
rentrent pas du tout sous la division indiquée. Par exemple, si l'on dit que la
colère est une peine avec le soupçon qu'on est dédaigné, cela veut dire que la
peine qu'on ressent se produit par ce soupçon même. Mais dire qu'une chose se
produit par une autre, ce n'est pas du tout la même chose que de dire que l'une
soit avec l'autre, dans aucun des sens indiqués plus haut.
§ 1. Si l'on a dit encore que le défini total est la
composition de telles choses, par exemple, que l'animal est la composition
d'âme et de corps, il faut voir d'abord si l'on a négligé de dire quelle est
l'espèce de cette composition. Par exemple, si définissant la chair ou l'os, on
a dit que c'est une composition de feu, de terre et d'air; car il ne suffit pas
de dire que c'est une composition, il faut déterminer de plus quel genre de
composition cela est. En effet, ce n'est pas par une composition quelconque de
ces éléments que la chair se forme; mais c'est par une certaine composition
qu'ici c'est de la chair, et là un os. Du reste, aucune des deux choses que je
viens de citer ne parait être du tout identique à une composition; car la
dissolution est le contraire de toute composition et aucune des choses
indiquées n'a de contraire. Si d'ailleurs il est également croyable que tout
composé, ou aucun composé n'est une composition, comme chacun des animaux tout
composé qu'il est n'est pas une composition, il faut conclure qu'aucun autre
composé ne saurait être non plus une composition.
§ 2. En outre, si les contraires peuvent être
également dans quelque sujet et qu'on ait défini par un des deux seulement, il
est évident qu'on n'a point défini. Autrement il y aurait plusieurs définitions
d'une même chose; car, a-t-on plutôt défini en prenant celui-ci qu'en prenant
celui-là, puisque les deux sont naturellement et également dans le sujet? Telle
est la définition de l'âme, quand l'on dit que c'est une substance capable de
science, puisqu'elle est tout aussi bien capable d'ignorance.
§ 3. II faut encore, quand ou ne peut pas pas attaquer
la définition dans sa totalité, en disant que le tout n'est pas connu, en
attaquer au moins une partie, si elle n'est pas connue et qu'elle ne paraisse
pas bien donnée; car la partie étant détruite, toute la définition est détruite
aussi. Toutes les fois que les définitions ne sont pas claires, il faut, après
les avoir rectifiées et les avoir corrigées, pour qu'elles expriment quelque
chose et fournissent des arguments, procéder à les attaquer; car alors, il faut
nécessairement que celui qui répond ou accepte ce qui est ajouté par celui qui
l'interroge, ou bien qu'il explique lui-même ce que peut signifier la
définition donnée par lui.
§ 5. Ajoutons que, comme dans les assemblées
politiques, si une loi nouvelle qu'on propose vaut mieux, on abroge la
précédente, de même pour les définitions, il faut en proposer une autre à
l'adversaire; car si elle paraît meilleure, si elle paraît expliquer mieux la
chose à définir, il est évident qu'on fera disparaître ainsi celle qui avait
été d'abord donnée, puisqu'il n'y a pas plusieurs définitions d'une même chose.
§ 6. Ce n'est pas, du reste, un petit élément de
succès, pour attaquer les définitions, que de bien se déterminer à soi-même
l'objet en question, ou de reprendre à part soi la définition même quand elle
est bien donnée; car nécessairement en y recourant comme à un modèle, on
découvre et ce qui manque parmi les éléments que devrait avoir la définition et
ce qu'il y a d'inutilement ajouté, de sorte qu'on est d'autant plus riche en
arguments.
§ 7. Voilà tout ce qu'il y avait à dire sur les
définitions.
§ 1. [151b] Il faut traiter maintenant la question
de savoir si le sujet dont il s'agit est identique à un autre, ou s'il est
différent, dans le sens le plus spécial de tous ceux que l'on a indiqués du mot
identique. L'identité proprement dite, comme on s'en souvient, est celle de
[30] l'unité numérique.
§ 2. Il faut regarder aux cas,
aux conjugués, aux opposés; car si la justice est la même chose que le courage,
le juste est identique au courageux, justement à courageusement. Et de même
pour les opposés; car si telles choses sont les mêmes, les opposés de ces
choses seront aussi les mêmes, de quelque espèce [35] d'opposition qu'on
entende parler. En effet, il n'importe pas qu'on fasse le sujet opposé à ceci
ou opposé à cela, puisque les choses sont identiques.
§ 3. Il faut regarder aussi aux
choses qui produisent les sujets [152b] ou les détruisent, aux générations et aux
destructions, et en général, aux choses qui sont d'une façon semblable
relativement à l'un et à l'autre sujet ; car lorsque les choses sont absolument
les mêmes, les générations et les destructions de ces choses-là sont les mêmes,
et ce qui les fait est le même, ce qui les détruit est le même aussi.
§ 4. [5] Il faut voir encore
pour les choses où l'une des deux est dite au superlatif, si l'autre de ces
deux mêmes choses est dite aussi au superlatif pour le même sujet. Ainsi, par
exemple, Xénocrate prétend que la vie vertueuse est la même que la vie
heureuse, parce que de toutes les vies la plus désirable est la vie vertueuse
et la vie heureuse. Mais il n'y a qu'une seule et unique chose qui soit la plus
désirable et la [10] plus importante. Et de même pour toutes les autres
définitions de ce genre.
§ 5. Il faut donc que l'une et
l'autre des choses présentées, ou comme la plus désirable, ou comme la plus
importante, soit numériquement une. Si non, il ne sera pas démontré qu'elle est
la même; car il n'est pas nécessaire, si les Péloponnésiens et les
Lacédémoniens sont les plus braves des Grecs, que les Péloponnésiens et les
Lacédémoniens soient les mêmes, [15] puisque Péloponnésien et Lacédémonien ne
sont pas numériquement un; mais il faut nécessairement que l'un soit compris
dans l'autre, comme les Lacédémoniens le sont dans les Péloponnésiens. Sinon,
il arrivera que les uns seront réciproquement meilleurs que les autres, si les
uns ne sont pas compris dans les autres. Ainsi, [20] il faudra nécessairement
que les Péloponnésiens soient plus braves que les Lacédémoniens, si les uns ne
sont pas compris dans les autres, puisque les Péloponnésiens sont plus braves
que tous les autres peuples. Et de même, il est nécessaire aussi que les
Lacédémoniens soient plus braves que les Péloponnésiens; car, eux aussi, ils
sont plus braves que le reste; de sorte qu'ils sont réciproquement plus braves
les uns que les autres. [25] Il est donc évident qu'il faut que la chose la
plus désirable, la plus importante, soit numériquement unique, si l'on veut démontrer
l'identité. Aussi Xénocrate ne démontrent-il pas sa proposition ; car la vie
heureuse et la vie vertueuse ne forment pas numériquement une unité, et par
conséquent il n'est pas nécessaire qu'elles soient la même vie, puisque toutes
les deux sont les plus désirables: mais il faut que l'une soit comprise [30]
dans l'autre.
§ 6. II faut voir encore si
l'une des choses est identique à ce à quoi l'autre est identique; car si toutes
deux ne sont pas identiques à un même sujet, il est clair qu'elles ne le sont
pas non plus l'une à l'autre.
§ 7. Il faut voir en outre aux
accidents de ces choses et aux choses dont elles sont les accidents; car tous
les accidents qui sont à l'un devront aussi être [35] à l'autre, et les choses
auxquelles l'un est comme accident auront aussi l'autre pour accident. Si l'une
de ces relations ne s'accorde pas, il est clair que les choses en question ne
sont pas identiques.
§ 8. II faut voir de plus si
les deux choses, au lieu d'être dans un seul genre de catégorie n'expriment
pas, l'une la quantité, l'autre la qualité ou la relation.
§ 9. De plus encore, si [152a] le genre des deux n'est pas le même, niais
que l'une soit mauvaise et l'autre bonne, ou que l'une soit vertu et l'autre
science.
§
10.
Ou bien, quand le genre est le même, il faut voir si les mêmes différences ne
peuvent pas être attribuées aux deux : mais que pour l'une la science soit
théorique, et qu'elle soit pratique pour l'autre. [5] Et de même pour le reste.
§
11.
Il faut aussi regarder à l'expression du plus, si l'une reçoit le plus et
l'autre ne le reçoit pas; ou si la deux le reçoivent, mais non en même temps;
comme celui qui aime plus ne désire pas plus la cohabitation, de sorte que
l'amour et le désir de cohabitation ne sont pas du tout une même chose.
§
12.
[10] Il faut voir encore à l'addition, et examiner si l'une et l'autre,
ajoutées au même sujet, ne font pas le tout identique.
§
13.
Ou bien, si le même terme étant retranché des deux, le reste n'est pas
différent. Par exemple, si l'on a dit que le double de la moitié est la même
chose que le multiple de la moitié, il faut qu'en retranchant la moitié de l'un
et de l'autre côté, le reste exprime [15] la même chose; mais il ne l'exprime
pas; car le double et le multiple n'expriment pas la même chose tous les deux.
§
14.
Il faut voir non seulement s'il ressort quelque chose d'impossible de la
proposition, mais encore s'il est possible que la chose soit selon l'hypothèse.
Ainsi, l'on dit que vide et plein d'air sont la même chose [20]; or, il est
évident que si l'air sort, il n'y aura pas moins vide, mais qu'il y en aura
davantage, et que l'espace ne sera plus plein d'air. Par conséquent, en
supposant ceci, que l'hypothèse d'ailleurs soit vraie ou fausse, ce qui importe
peu, l'un des deux sera détruit tandis que l'autre ne le sera pas; donc ils ne
sont pas la même chose.
§
15.
[25] En général, il faut voir s'il n'y a pas quelque discordance dans les
choses attribuées d'une façon quelconque à l'une et à l'autre, et dans les
choses auxquelles elles-mêmes sont attribuées; car tout ce qui est attribué à
l'une doit être aussi attribué à l'autre: et les choses auxquelles l'une est
attribuée, doivent aussi recevoir l'autre pour attribut.
§
16.
[30] De plus, comme le même a plusieurs sens, il faut voir si les choses sont
les mêmes suivant une façon différente; car les choses qui sont les mêmes en
espèce ou en genre, ne sont pas nécessairement les mêmes numériquement : et
nous devons voir encore si elles sont les mêmes de cette façon, ou si elles ne
le sont pas.
§
17.
Il faut voir enfin s'il est possible que l'une soit sans l'autre; car alors
elles ne seraient pas la [35] même chose.
§
18.
Voilà donc tous les lieux pour l'identité.
§
1. Il est
clair, d'après ce qui a été dit plus haut, que tous les lieux relatifs à
l'identité bons pour réfuter, peuvent servir relativement à la définition, de
la façon qu'on a exposée précédemment; car si le mot défini et la définition ne
signifient pas la même chose, [153a] il est clair que l'explication donnée
ne serait pas une définition.
§ 2. Mais de tous les lieux qui
établissent la proposition d'identité, aucun n'est utile pour la définition ;
car il ne suffit pas, pour établir qu'il y a définition réelle, de démontrer
l'identité du mot et de l'explication qui en est donnée: mais il faut [5] encore
que toutes les conditions dont on a parlé soient remplies par la définition.
C'est donc toujours de cette
façon, et par ces termes, qu'il faut essayer de réfuter la définition.
§ 1. Si nous voulons l'établir,
au contraire, il faut d'abord savoir que jamais, ou bien rarement du moins, de
la discussion on ne conclut la définition. D'ordinaire on la pose comme
principe, ainsi qu'on le fait toujours [10] en géométrie, en arithmétique, et
dans toutes les sciences de ce genre.
§ 2. Il faut remarquer, en
outre, que c'est à un autre traité que celui-ci d'exposer avec toute
exactitude, et ce qu'est la définition, et le procédé de la définition. Ici on
doit dire, en se bornant au besoin actuel, qu'il est possible d'obtenir par la
conclusion d'un syllogisme, et la définition et l'essence de la chose. [15] En
effet, si la définition est l'explication de ce qu'est la chose, et s'il faut
que les choses attribuées dans la définition soient seules aussi attribuées
essentiellement à la chose, et l'on sait qu'il n'y a que les genres et les
différences qui soient attribuées essentiellement, il est clair qu'en prenant
seulement les attributs essentiels de la chose, [20] l'explication qui comprend
ces attributs est nécessairement une définition; car il ne peut y avoir une
autre définition de la chose, puisqu'il n'y a pas un seul autre attribut
essentiel de la chose. Il est dont clair qu'on peut, par conclusion de
syllogisme, obtenir la définition.
§ 3. Comment il faut l'établir,
c'est ce qui a été expliqué ailleurs [25] plus rigoureusement; et pour la
recherche actuelle, les mêmes lieux sont utiles.
§ 4. Ainsi il faut voir et aux
contraires et aux autres opposés, en regardant, soit aux définitions entières,
soit aux parties des définitions.
§ 5. Si la définition opposée
est la définition de l'opposé, nécessairement la définition donnée sera celle
du sujet en question. Mais comme il y a plusieurs combinaisons possibles des
[30] contraires, il faut prendre parmi les définitions contraires celle qui
paraîtra la plus contraire. Il faut donc regarder aux définitions entières
comme on l'a dit.
§
6. On
regardera aux parties de la façon suivante: et d'abord, si le genre donné a été
bien donné; car si le contraire est dans le contraire, et que le sujet en
question ne soit pas dans le même, [35] il est clair qu'il sera dans le
contraire, puisqu'il faut nécessairement que les contraires soient dans le même
genre, ou dans des genres contraires. Et nous pensons que des différences
contraires sont attribuées aux contraires, comme pour le blanc et le noir, dont
l'un recueille, l'autre disperse [153b] la vision. Si donc les différences
contraires sont attribuées au contraire, les différences données seront
attribuées aussi au sujet donné. Par conséquent, puisque le genre et les
différences sont bien indiquées, il est clair que c'est vraiment la définition
qui aura été proposée.
§
7. Ou bien,
ne peut-on pas dire qu'il n'est pas nécessaire [5] que les différences
contraires soient attribuées aux contraires, si les contraires ne sont pas dans
le même genre? Pour les choses dont les genres sont contraires, rien n'empêche
qu'une même différence ne soit dite des deux, par exemple, pour la justice et et
l'injustice: ainsi, l'une est une vertu, l'autre un vice de l'âme; de sorte que
la différence de l'âme est dite [10] pour les deux, puisque la vertu et le vice
peuvent appartenir aussi au corps.
§
8. Par
conséquent, il est vrai que les différences des contraires sont ou contraires
ou identiques. Si donc la différence contraire est attribuée au contraire, et
qu'elle ne le soit pas au sujet en question, il est clair que la différence
posée est bien attribuée à ce sujet.
§
9. En
général, puisque la définition se compose du genre et des différences [15], si
la définition du contraire est évidente, celle du sujet en question ne le sera
pas moins. En effet, comme le contraire est ou dans un même genre, ou dans un
genre contraire, de méme aussi que les différences attribuées aux contraire
sont contraires [20] ou identiques, il est évident que le même genre sera
attribué au sujet et au contraire, et que les différences seront contraires,
soit toutes, soit quelques-unes, et que les autres seront identiques. Ou bien,
à l'inverse, les différences seront les mêmes et les genres contraires. Ou bien
encore, tous deux seront contraires, les genres et les différences; car tous
deux ne sauraient être les mêmes, puisqu'alors les contraires auraient une même
définition.
§
10.
[25] II faut regarder encore aux cas et aux conjugués; car il faut
nécessairement que les genres suivent les genres, et les définitions les
définitions. Par exemple, si l'oubli est la perte de la science, oublier sera
perdre la science, avoir oublié, avoir perdu la science. En accordant donc
l'une quelconque de ces choses, [30] il faut aussi accorder toutes les autres.
Et de même, si la destruction est la dissolution de la substance, être détruite
sera être dissoute pour la substance, destructif sera dissolutif; et si
destructif est dissolutif de la substance, la destruction sera la dissolution
de la substance. Et de même, pour les autres termes; de sorte que l'une
quelconque de ces choses étant admise, il faut aussi que tout [35] le reste le
suit.
§
11.
Il faut voir en outre aux choses qui sont dans un rapport de ressemblance entre
elles; car si le sain est ce qui fait la santé, le fortifiant sera ce qui fait
l'embonpoint, et l'utile ce qui fait le bien; car [154a] chacune des closes citées est, relativement
à sa fin propre, dans un rapport semblable; de sorte que si la définition de
l'une d'elles est d'accomplir sa fin spéciale, cette définition, à cet égard,
sera semblable pour les autres.
§
12.
II faut voir aussi, pour le plus et le pareil, en combien de sens on petit
établir ces rapports, [5] en comparant ces choses deux à deux. Par exemple, si
telle définition est plus la définition de telle chose, que telle autre
définition ne l'est de telle autre chose, et que la définition qui semble le
moins l'être le soit cependant, il faudra que celle qui semble l'être le plus
le soit aussi. Si l'une l'est également pour celle-ci, et l'autre pour
celle-là, et si l'autre convient à l'autre, il faudra que la définition
restante convienne à la chose qui reste.
§
13.
Quand il s'agit de comparer une seule définition à deux choses, ou deux
définitions à une seule, il n'y a pas utilité à considérer [10] le plus; car il
n'est pas possible qu'il y ait une seule définition pour deux choses, non plus
que deux définitions pour la même chose.
§
1. Les plus
commodes de tous ces lieux sont ceux qui viennent d'être indiqués, et ceux qui
se tirent des cas et des conjugués. Aussi sont-ce ceux-là surtout qu'il faut
connaître et avoir à sa disposition; car [15] ils sont utiles dans le plus
d'occasions. Et parmi les autres, il faut s'attacher aux plus communs; car ils
sont plus puissants que tous les autres. Et, par exemple, il faut regarder eu
particulier à chaque cas individuel : mais aussi il faut voir si la définition
convient également aux espèces, puisque l'espèce est synonyme. Ce lieu est
encore utile contre ceux qui admettent les idées, ainsi qu'on l'a dit [20] auparavant.
Il faut encore voir si l'on a pris le mot par métaphore, ou si on l'attribue à
lui-même comme s'il était autre. Et s'il y a encore quelque autre lieu commun
et énergique, il faut s'en servir.
§
1. On verra
clairement, par ce qui sera dit plus loin, qu'il est plus facile de renverser
la définition que de l'établir; car il n'est pas aisé de découvrir soi-même, et
d'obtenir de ceux qu'on interroge, des propositions du genre des suivantes :
par exemple, que des choses comprises dans la définition donnée, l'une est
genre et l'autre différence, et que le genre seul et les différences sont
attribués essentiellement au sujet. Or, sans ces propositions, il est
impossible qu'il y ait syllogisme de la définition; car si quelques autres
choses [30] encore sont attribuées essentiellement au sujet, on ne sait plus si
c'est la définition dite ou une autre qui convient au sujet, puisque la
définition est l'explication qui exprime l'essence de la chose.
§
2. Voici ce
qui le prouve: c'est qu'il est plus facile de conclure une seule chose que d'en
conclure plusieurs. Or, il suffit, quand on réfute, de détruire un seul élément
de la définition; car en détruisant une partie quelconque, nous aurons [35]
aussi détruit toute la définition. Au contraire, quand on établit la
définition, il faut démontrer la réalité de toutes les choses qui sont mises
dans la définition.
§
3. II faut
aussi, quand on établit la définition, faire une conclusion universelle; car il
faut que [154b] la définition soit applicable à tout ce à
quoi l'est le mot; et, en outre, qu'il y ait réciprocité, et que le mot
s'applique à tout ce à quoi s'applique la définition, s'il faut que la
définition donnée soit spéciale au défini. Quand on réfute, au contraire, il
n'est pas nécessaire de démontrer universellement; car il suffit de montrer que
la définition n'est pas vraie pour l'une des choses qui sont comprises [5] sous
le nom. Et quand bien même il faudrait réfuter universellement, il ne serait
pas nécessaire pour réfuter qu'il y eût réciprocité; car il suffit, pour
réfuter universellement, de montrer que la définition n'est pas attribuable à
l'une des choses auxquelles le défini est attribué. Mais il n'est pas
réciproquement nécessaire de montrer que le défini n'est pas attribué aux
choses auxquelles [10] la définition ne l'est pas.
§
4. Et de
plus, tout en s'appliquant à tout le défini, la définition, si elle ne
s'applique pas au défini seul, se trouve détruite par là même.
§
5. Il en est
encore ainsi pour le propre et pour le genre; car pour les deux, il est plus
facile aussi de renverser que d'établir.
§
6. Cela est
évident pour [15] le propre, d'après ce qui a été dit. En effet, comme le
propre est donné le plus souvent en combinaison avec d'autres termes, on peut
le réfuter en ne détruisant qu'un seul élément, tandis que nécessairement,
quand on établit la proposition, on doit prouver tout par syllogisme.
§
7. Du reste,
on pourrait dire convenablement du propre presque tout ce qui s'applique à la
définition. Ainsi il faut, quand on établit la thèse, montrer que la chose est
à tout ce qui est compris sous le mot, tandis qu'il suffit, quand on réfute, de
montrer qu'elle n'est pas à un seul terme quelconque. Et si le propre est bien
à tout le sujet, mais qu'il ne soit pas à ce sujet tout seul, on a par cela
même réfuté, ainsi qu'on l'a dit également pour la définition.
§
8. Quant au
genre, il n'y a nécessairement, quand on a démontré qu'il est à tout [25] le
sujet, qu'une seule façon de l'établir. Mais quand on réfute, il y en a deux
manières; car si l'on a démontré qu'il n'est à aucune partie du sujet, ou qu'il
n'est pas à quelque partie du sujet, on a détruit le genre posé dans le
principe.
§
9. De plus,
quand on établit la proposition, il ne suffit pas de montrer que le genre est
au défini : mais il faut aussi montrer qu'il lui appartient comme genre. Quand
on réfute, il suffit de montrer qu'il n'appartient pas à quelque partie du
sujet, ou qu'il n'est [30] à aucune.
§
10.
Il semble que, comme en toute autre chose il est plus facile de détruire que de
faire, ici aussi il soit plus facile de réfuter que d'établir la thèse.
§
11.
Pour l'accident, il est plus facile de le réfuter universellement que de
l'établir. Et, en effet, quand on l'établi, il faut montrer [35] qu'il est à
tout le sujet ; et quand on réfute, il suffit de montrer, pour un seul terme,
que l'accident ne lui appartient pas. Pour le discuter particulièrement, c'est
tout le contraire; car il est plus aisé ici d'établir que de réfuter la
proposition. Ainsi, quand on [155a] l'établit, il suffit de montrer que
l'accident est à quelque terme; et quand on réfute, il faut montrer qu'il n'est
à aucun.
§
12.
On voit clairement pourquoi le plus aisé de tout, c'est de réfuter la
définition ; car le grand nombre des éléments qui la forment fournit aussi plus
de données pour la réfutation, et le syllogisme [5] se forme d'autant plus vite
qu'on a plus d'éléments. Il semble, en effet, que l'erreur est d'autant plus
fréquente que le nombre même des choses est plus grand.
§
13.
De plus, pour la définition, ou peut aussi la combattre par les autres moyens
indiqués; car, soit que l'explication qu'elle donne ne soit pas propre au
défini, soit que le terme attribué ne soit pas le genre, soit que quelqu'une
des choses comprises dans la définition n'appartienne pas au défini, la
définition est [10] détruite. Pour les autres questions, au contraire, on ne
peut les attaquer, ni par les lieux relatifs aux définitions, ni par tous les
autres. En effet, il n'y a que les lieux relatifs à l'accident qui soient
communs à toutes les questions indiquées, puisqu'il faut que chacun de ces
termes appartienne au sujet. Quant au genre, il peut ne pas être au sujet comme
propre, sans pour cela être détruit. De même, il n'est pas nécessaire [15] que
le propre soit au sujet comme genre, et l'accident n'a pas besoin d'y être
comme genre ou comme propre; mais il faut seulement qu'il y soit. Ainsi donc,
il n'est pas possible de se servir des arguments d'une des questions contre les
autres, si ce n'est contre la définition; donc, il est évident que le plus
facile de tout, c'est de réfuter la définition.
§
14.
Et le plus difficile, c'est de l'établir; car il faut prouver d'abord tous ces
éléments par syllogisme, c'est-à-dire que [20] toutes les parties énumérées
appartiennent bien au sujet, et que c'est le genre qui a été donné, et que
l'explication est propre au défini; et en outre, il faut prouver que la
définition exprime bien l'essence de la chose; et il faut faire tout cela
régulièrement.
§
15.
Parmi les autres questions, le propre est le plus semblable à la définition;
car il est plus facile de le réfuter, parce qu'il se compose ordinairement de
plusieurs éléments; et [25] le plus difficile, c'est de l'établir, parce qu'il
faut réunir plusieurs choses: et, qu'en outre, il faut prouver qu'il n'est
qu'au seul terme en question, et qu'il peut être pris réciproquement pour la
chose dont il est le propre.
§
16.
Le plus facile de tout c'est d'établir l'accident; car pour les autres
questions, il faut montrer non seulement que le terme indiqué est au sujet,
mais encore qu'il y est de telle façon : pour l'accident, au contraire, il
suffit de montrer [30] qu'il y est d'une façon quelconque.
§
17.
Le plus difficile est de réfuter l'accident, parce qu'on y donne le moins
possible d'éléments, puisqu'on n'ajoute pas pour l'accident comment il est au
sujet. Et dès lors pour les autres questions, on peut réfuter de deux façons,
en montrant que le terme n'est pas au sujet, [35] ou bien qu'il n'y est pas de
telle manière, tandis que pour l'accident on ne peut réfuter qu'en montrant
qu'il n'est pas au sujet.
§
18.
Nous avons donc à peu près énuméré tous les lieux qui fournissent les moyens de
traiter chacune des questions indiquées.
155b3 Après cela[55], on doit
dire à [quelle] place[56] et
comment il faut demander. Or il faut en premier, quand on s'apprête à formuler
des demandes, découvrir le lieu /d'où on doit attaquer[57];
deuxièmement, formuler les demandes et les mettre aussi en place par-devers
soi; troisièmement et enfin, les adresser maintenant à quelqu'un d'autre. Bien
sûr, tant qu'il s'agit de découvrir le lieu, l'investigation demeure semblable[58] pour le
philosophe et pour le dialecticien; mais au moment de mettre en place ce
[qu'on y trouve][59] et d'en
formuler la demande, elle devient le propre du 155b10 dialecticien, car tout [travail] de cette nature [se fait]
avec quelqu'un d'autre. Quant au philosophe et au chercheur solitaire[60], à
condition que soit vrai et connu ce par quoi [s'effectue] le raisonnement, il
ne se soucie aucunement de ce que le répondeur, éventuellement, ne le pose[61] pas en
raison de la proximité avec le [propos] initial et du fait qu'il prévoie ce qui
va s'ensuivre.
Bien
plus, sans doute même s'efforce-t-il que ses réclamations[62] soient
plus 155b15 connues et prochaines
possible, car c'est de celles-là que [sont issus] les raisonnements
scientifiques.
Les lieux
donc d'où il faut obtenir[63] [les
propositions], on les a dits plus haut. On doit maintenant dire à [quelle]
place et [comment] formuler des demandes, mais une fois qu'on aura distingué toutes
les propositions à obtenir outre les nécessaires. 155b20 On dit nécessaires
celles par lesquelles le raisonnement s'effectue. Celles que l'on obtient outre
celles-là sont de quatre [sortes] : en effet, ou bien elles visent à une
induction et à se faire accorder l'universelle[64], ou bien
elles tendent à un développement du dialogue[65], ou bien
elles ont trait à la dissimulation de la conclusion, ou bien elles servent à ce
que le dialogue soit plus clair. Et on ne doit obtenir aucune proposition outre
celles-là : 155b25 c'est par
celles-là qu'on doit essayer de développer et de formuler les demandes. Celles
qui ont trait à la dissimulation servent à la dispute; mais comme tout travail
de cette nature se fait, on en use nécessairement aussi.
Bien sûr,
pour ce qui est des [propositions] nécessaires, par lesquelles [s'effectue] le
raisonnement, on ne doit pas 155b30 les
proposer directement, mais s'en tenir loin [et partir] du plus haut possible.
Par exemple, ce ne sera pas à propos des contraires qu'on réclamera que c'est
la même science qui porte sur eux, si c'est cela qu'on veut obtenir, mais à
propos des opposés. Cela posé, en effet, on en obtiendra par raisonnement[66] que
c'est aussi la même science qui porte sur les contraires, puisque les
contraires [sont] des opposés. Et si on ne pose pas [cela], on doit [l']
obtenir en [le] proposant moyennant une induction, 155b35 [qui prenne appui] sur les contraires particuliers[67]. Car
c'est ou bien un raisonnement, ou bien une induction qu'on doit obtenir les
[propositions] nécessaires, ou bien les unes par une induction, les autres par
un raisonnement. Quant à toutes celles qui sont trop manifestes, c'est en les
proposant en elles-mêmes. Effectivement, ce qui va s'ensuivre est toujours
moins évident dans l'éloignement[68]
156a1 et l'induction; et en même temps, il reste possible,
si on n'est pas capable [de les obtenir] de cette façon, de proposer en
elles-mêmes les [propositions] utiles[69].
Quant aux
[prémisses] signalées outre celles-là, c'est en vue de celles-là qu'on doit les
obtenir. Voici comment on doit user de chacune. On induit 156a5 du singulier à l'universel et du connu à l'inconnu; or c'est
ce qui tombe sous le sens qui est plus connu, soit absolument, soit pour la
plupart.
Par
ailleurs, on dissimule en obtenant par préraisonnement[70] ce par
quoi le raisonnement conduisant au [propos] initial[71] va
s'effectuer, et cela le plus abondamment possible. Cela se pourra, si on
obtient par raisonnement non seulement les 156a10
[propositions] nécessaires mais aussi certaines de celles qui sont utiles
pour elles. De plus, [on] ne [doit] pas dire [à mesure] les conclusions mais
par après conclure en bloc. C'est ainsi, en effet, qu'on se tiendra le plus
loin de la position initiale. Pour parler universellement, il faut que celui
qui enquête en usant de dissimulation[72] demande
de manière que, une fois toute la raison demandée 156a15 et la conclusion dite, on [en] cherche le pourquoi. Or cela
se pourra surtout de la manière que nous venons de dire. En effet, pour autant
que seule la conclusion ultime est dite, comment elle s'ensuit demeure non
évident : c'est que le répondeur ne prévoit pas de quoi elle s'ensuit, du fait
que les raisonnements antérieurs n'aient pas été exposés distinctement. 156a20 Par ailleurs, le raisonnement visant
la conclusion [principale] se trouve exposé le moins distinctement possible,
puisque nous en avons posé non les propositions propres, mais celles-là sous
lesquelles[73] le
raisonnement s'effectue. Il est utile aussi de ne pas obtenir en continuité les
réclamations à partir desquels [s'effectuent] les raisonnements, mais
alternativement ce qui vise une conclusion 156a25
et ce qui en vise une autre. En effet, tant que les [réclamations]
apparentées[74] sont
posées les unes auprès des autres, ce qui va s'en ensuivre en plus manifeste.
Il faut aussi, dans la mesure du possible, obtenir la proposition universelle
par le biais d'une définition touchant non pas les [termes] même [du problème],
mais leurs dérivés. On se paralogise soi-même, en effet, quand la définition
est obtenue sur le dérivé, 156a30 en
gardant l'impression qu'on ne concède pas l'universelle. Par exemple, s'il
fallait obtenir que qui est en colère désire vengeance pour un mépris manifesté
et qu'on obtienne que la colère est désir de vengeance pour un mépris
manifesté. En effet, il est évident que cela obtenu nous tiendrons
l'universelle que nous voulons. Tandis qu'il s'ensuit souvent, pour ceux qui
proposent touchant les [termes] mêmes [du problème], 156a35 que le répondeur refuse du fait que, touchant le [terme]
même, il dispose davantage de l'objection. Par exemple, que qui est en colère
ne désire pas vengeance, car nous nous fâchons contre nos parents, mais n'[en]
désirons pas vengeance. Sans doute l'objection n'est-elle pas vraie, car vis-à-vis
certaines gens, c'est une vengeance suffisante de les peiner seulement et de 156b1 les faire se repentir. Mais elle
n'est pas sans présenter une certaine vraisemblance qui permette de ne pas
donner l'impression[75] de
repousser sans raison ce qui est proposé. Tandis que, touchant la définition de
la colère, ce n'est pas semblablement facile de découvrir une objection. De
plus, proposer [chaque chose] non comme pour elle-même, mais comme en vue d'une
autre. 156b5 Car on prend garde à ce
qui est utile contre la position. À parler absolument, rendre le moins évident
possible si c'est ce qui est proposé ou son opposé qu'on veut obtenir. En
effet, tant que ce qui est utile à la raison demeure non évident, on pose ce
qu'on juge endoxal. 156b10 De plus,
enquêter par le biais de la similitude, car à la fois, c'est persuasif et
l'universelle échappe mieux à l'attention. Par exemple, que tout comme la
science et l'ignorance [qui porte sur] les contraires est la même, de même
aussi la sensation [qui porte sur] les contraires est la même; ou inversement,
puisque la sensation est la même, la science aussi. Cela est semblable à une
induction; ce n'est toutefois pas la même chose. 156b15 Là en effet, en partant des singuliers, c'est l'universelle
qu'on obtient; tandis que dans le cas des semblables, ce qu'on obtient n'est
pas l'universelle sous laquelle se rangent tous les semblables. Il faut aussi
quelquefois se faire à soi-même une objection, car les répondeurs restent
sans méfiance contre ceux qui leur donnent l'impression 156b20 d'attaquer avec impartialité. Il est utile aussi d'ajouter
que pareille chose[76] se dit
communément, car on hésite à ébranler ce qui est habituellement reçu, si on ne
tient pas une objection. Et comme, en même temps, on use soi-même de pareils [procédés],
on se garde de les ébranler. De plus, ne pas insister, toute utile que soit [la
proposition], car on se raidit davantage avec ceux qui insistent. 156b25 Aussi, proposer comme en guide
de comparaison, car on pose plus volontiers ce qu'on propose pour autre chose
et n'est pas utile en lui-même. De plus, ne pas proposer cela même qu'il faut
obtenir, mais ce à quoi cela suit par nécessité. Car on concède plus
volontiers, du fait que ce qui va s'ensuivre ne soit pas semblablement
manifeste partant de là; or 156b30 ceci
une fois obtenu, on a aussi obtenu cela. Également, demander en dernier ce
qu'on veut le plus obtenir. En effet, ce sont surtout les premières [demandes]
que l'on refuse, du fait que la plupart des demandeurs disent en premier ce sur
quoi ils insistent le plus. Toutefois, avec certains, proposer en premier les
[demandes] de cette nature. En effet, ceux qui font les difficiles concèdent
surtout les premières [demandes], 156b35
si ce qui va s'ensuivre n'est pas tout à fait manifeste, et ils font les
difficiles vers la fin. Il en va semblablement chez ceux qui se pensent subtils
dans leurs réponses. En effet, ils posent ce [qu'on demande] en premier, [mais]
vers la fin ils soulèvent des arguties sous prétexte que [le propos[77]] ne
s'ensuit pas de ce qui a été posé. Ils posent promptement, confiants en leur
talent et sûrs[78]
157a1 de n'en rien souffrir. De plus, allonger et intercaler
de ce qui n'est pas utile pour la raison[79], à la
manière des pseudographes; en effet, s'il y a beaucoup de choses, il demeure
non évident en laquelle [réside] le faux. C'est pourquoi aussi, quelquefois, à
la faveur de ce fouillis, les demandeurs imposent sans qu'on s'en aperçoive 157a5 des choses qu'on ne poserait pas
si elles étaient proposées en elles-mêmes.
On doit
donc, en vue de la dissimulation, user de ce dont nous venons de parler. Par
ailleurs, [on met] du relief par l'induction et la division des congénères[80].
L'induction, bien sûr, quelle en est la nature, c'est évident. Quant à ce qui
est de diviser, c'est par exemple qu'une science est meilleure qu'une autre du
fait ou de se trouver plus exacte, ou [de porter] sur 157a10 des objets meilleurs, et que les sciences sont les unes
spéculatives, les autres pratiques et les dernières poétiques. Chacune de
telles [distinctions], en effet, ajoute du relief à la raison, sans être
nécessaire en vue de la conclusion.
En vue de
la clarté maintenant, on doit apporter des exemples et des comparaisons; 157a15 mais des exemples appropriés et
[tirés] de ce que nous connaissons, à la manière d'Homère et non de Chœrilos.
C'est ainsi, en effet, que ce qu'on propose deviendra plus clair.
Dans la
discussion, on doit user du raisonnement avec les dialecticiens plutôt qu'avec
le grand nombre; et de 157a20 l'induction,
au contraire, plutôt avec le grand nombre. D'ailleurs, on en a déjà parlé
antérieurement. Dans certains [cas], lorsqu'on induit, il est possible de demander
l'universelle; dans d'autres, ce n'est pas facile. C'est dû au fait qu'il n'y
ait pas de nom commun institué pour toutes les ressemblances. On dit alors, au
moment où il faut obtenir l'universelle: «Ainsi [en est-il] dans tous les [cas]
de cette nature.» 157a25 Mais il
appartient à ce qu'il y a de plus difficile de définir, dans ce qui est
apporté, ce qui [est] de cette nature et ce qui [ne l'est] pas. Aussi à cette
[occasion] se trompe-t-on souvent mutuellement tout au long des raisonnements,
les uns prétendant semblable ce qui n'est pas semblable, les autres contestant
que ce qui est semblable ne soit semblable. C'est pourquoi on doit [alors]
essayer de forger 157a30 soi-même un
nom [qui s'applique] à tous les [cas] touchés par la nature concernée, de sorte
qu'il ne soit permis ni au répondeur de contester que ce qui est apporté ne
soit dit de manière semblable[81], ni au
demandeur de suggérer faussement qu'il soit dit de manière semblable, prenant
occasion de ce que beaucoup de choses qui ne sont pas de manière semblable ont
l'air d'être dites de manière semblable.
Lorsque,
alors qu'on induit en prenant appui sur plusieurs [cas], on n'accorde pas
l'universelle, 157a35 il est
légitime d'exiger[82] une
objection. Mais tant qu'on n'a pas dit soi-même dans quels [cas il en est]
ainsi, il n'est pas légitime d'exiger [qu'on précise] dans quels [cas il n'en
est] pas ainsi. En effet, il faut avoir induit [effectivement], avant d'exiger
ainsi l'objection. On doit aussi réclamer que les objections ne portent pas
sur le propos même[83], à moins
qu'il n'y ait qu'un seul [cas] de cette nature, comme la dyade est seule des
nombres pairs [qui soit] 157b1 nombre
premier. En effet, il faut que celui qui objecte fasse porter l'objection sur
autre chose, ou qu'il dise que ce [cas est] le seul de cette nature.
Maintenant, il en est qui objectent à l'universelle en faisant porter leur
objection non pas sur l'[objet] même [de cette universelle] mais sur son
homonyme — par exemple qu'on puisse avoir 157b5
une couleur ou une main ou un pied [qui ne soit] pas le sien propre, car le
peintre peut avoir une couleur et le cuisinier un pied [qui ne soit] pas le
sien propre —; en matière qui prête à cela, on ne doit bien sûr demander
qu'après avoir opéré une distinction. En effet, tant que l'homonyme échappera
à l'attention, on donnera bien l'impression d'objecter à la proposition. Si
cependant on écarte la demande en objectant non pas à l'homonyme, mais à son
[objet] même, il faut, après avoir retranché 157b10 ce sur quoi l'objection [a prise], proposer en rendant le
reste universel, jusqu'à ce qu'on obtienne ce qui est utile. C'est le cas, par
exemple, pour l'oubli et pour le fait d'avoir oublié. En effet, on ne concède
pas que celui qui a perdu la science a oublié, puisque, quand la chose a
changé, on a perdu la science, sans pourtant avoir oublié. On doit donc, 157b15 après avoir retranché ce sur
quoi l'objection [a prise], énoncer le reste, par exemple que si, la chose
demeurant [inchangée], on a perdu la science, c'est qu'on a oublié. [Il en va]
semblablement encore avec ceux qui objectent qu'à un bien plus grand ne
s'oppose pas[84]
un mal plus grand. En effet, ils avancent qu'à la santé, moindre bien
que la bonne constitution, s'oppose un mal plus grand, 157b20 car la maladie est un mal plus grand que la mauvaise
constitution. On doit donc retrancher, en ce [cas] aussi, ce sur quoi l'objection
[a prise]. Cela retranché, en effet, on posera plus volontiers, par exemple
qu'au bien plus grand s'oppose un mal plus grand à la condition que l'un
n'entraîne pas l'autre comme la bonne constitution la santé. On doit d'ailleurs
faire cela non seulement quand on est face à l'objection, mais même quand, 157b25 sans objection, on repousse [la
demande] parce qu'on prévoit quelque chose de cette nature. Une fois retranché,
en effet, ce sur quoi l'objection [aurait prise], on sera contraint de poser [ce
qu'on demande], parce qu'on ne prévoit pas dans ce qui reste en quel [cas il
n'en serait] pas ainsi. Et si on ne pose pas [ce qu'on demande], on n'a pas
d'objection à fournir lorsqu'on en exige. Or sont de cette nature les
propositions fausses sur tel point et vraies sur tel autre; 157b30 car c'est pour elles qu'il est
possible, en retranchant tel point, de laisser le reste vrai. Enfin, si, quand
on formule une proposition avec appui sur plusieurs [cas], on n'apporte pas
d'objection, on doit réclamer qu'on [la] pose; car elle est dialectique la
proposition contre laquelle, alors qu'il en est en plusieurs [cas] tel [qu'elle
l'énonce], on n'a pas d'objection.
Par
ailleurs, quand il est possible de conduire le raisonnement[85] au même
[propos] sans [réduire] et 157b35 en
[réduisant] à l'impossible, il est indifférent que l'on raisonne de l'une ou de
l'autre manière, si l'on est à démontrer et non à discuter. Mais si on est à
discuter avec un autre, on ne doit pas user du raisonnement [qui réduit] à
l'impossible. Car face à celui qui a raisonné sans [réduire à] l'impossible, il
n'est pas possible de contester. Mais chaque fois que l'impossible est le terme
du raisonnement, 158a1 on dit, à
moins que la fausseté n'en soit par trop manifeste, que ce n'est pas impossible,
de sorte que [le raisonnement] que les demandeurs veulent ne se trouve pas
effectué par eux.
Par
ailleurs, il faut proposer tout ce qui est tel en plusieurs [cas], et [à quoi]
il n'y a pas d'objection du tout ou n'est pas possible d'en apercevoir à
première vue. 158a5 Pour autant, en
effet, qu'on ne peut apercevoir en quels [cas] il n'en est pas ainsi, on le
pose comme vrai[86].
Il ne
faut pas faire de la conclusion une demande. Sinon, dans le cas où on [la]
refuse, on ne donne pas l'impression d'avoir effectué un raisonnement. Souvent,
en effet, même sans [la] demander et en [l'] apportant comme conséquence, on la
repousse 158a10 et, ce faisant, on
ne donne pas l'impression d'avoir été réfuté, à qui n'aperçoit pas ce qui
s'ensuit de ce qui a été posé. Quand donc, sans dire qu'elle s'ensuit, on [la]
demande et que l'autre la repousse, on ne donne absolument pas l'impression
qu'un raisonnement ait été effectué.
Par
ailleurs, toute [demande] universelle ne donne pas l'impression d'être une
proposition dialectique. 158a15 Par
exemple: «Qu'est-ce que l'homme?» ou: «En combien d'acceptions se dit le
bien?» Est en effet une proposition dialectique [la demande] face à laquelle il
est possible de répondre par oui ou par non. Or ce n'est pas possible face à
celles que nous venons de mentionner. C'est pourquoi les demandes de cette
nature ne sont pas dialectiques, à moins qu'on les énonce après avoir soi-même
défini ou divisé. Par exemple: «Est-ce que le bien se dit en telle, ou en telle
acception?» Aux [demandes] 158a20 de
cette nature, en effet, il est facile de répondre par l'affirmative ou la
négative. C'est pourquoi on doit essayer de proposer ainsi les propositions de
cette nature. En même temps, toutefois, il reste sans doute légitime de
s'enquérir auprès du répondeur lui-même en combien d'acceptions se dit le bien,
quand on en a soi-même effectué et proposé la division et qu'il ne la concède
d'aucune façon.
158a25 Par ailleurs, celui qui demande longtemps [pour] une
raison unique enquête mal. Si, en effet, celui à qui s'adresse la demande
répond à ce qui lui est demandé, il est évident qu'on fait des demandes
multiples ou [qu'on fait] souvent les mêmes, de sorte qu'ou bien on fait du
verbiage, ou bien on ne tient pas de raisonnement, puisqu'en effet tout raisonnement
[est issu] de peu [de propositions]. Et si on ne répond pas, [on a tort] de ne
pas 158a30 réprimander ou de ne pas
abandonner.
Il se
trouve qu'il soit à la fois difficile d'agresser et facile de soutenir les
mêmes suppositions[87]. C'est
le cas de ce qui est premier en nature et de ce qui est ultime. Car ce qui est
premier manque de définition et ce qui est ultime se conclut moyennant beaucoup
[de demandes], quand on veut l'obtenir en continuité 158a35 avec ce qui est premier. Ou alors les attaques ont l'air
sophistiques. En effet, il est impossible de démontrer quelque chose sans
partir des principes appropriés et enchaîner jusqu'à ce qui est ultime. Or les
répondeurs ne réclament pas qu'on définisse et, si le demandeur définit, ils ne
font pas attention. Pourtant, tant que n'est pas devenu manifeste ce que peut
bien être le 158b1 propos, il n'est
pas facile d'attaquer. C'est surtout à propos des principes qu'une [situation]
de cette nature s'ensuit, car les autres [énoncés] se montrent par ceux-là,
tandis que ceux-là ne peuvent [se montrer] par d'autres; mais [il reste]
nécessaire de connaître par une définition chaque [principe] de cette nature. 158b5 Par ailleurs, ce qui est trop
près du principe est, lui aussi, difficile à attaquer. Car il n'est pas
possible de se ménager beaucoup de raisons contre lui, du fait qu'il se trouve
peu d'intermédiaires entre lui et le principe et que c'est par eux
nécessairement qu'on montre ce qui vient après eux.
Parmi les
définitions[88], les
plus difficiles à attaquer de toutes sont celles qui ont usé de ces noms 158b10 dont il n'est pas dès l'abord
évident s'ils se disent de manière simple ou multiple et, en plus de
celles-là, [celles dont il n'est] pas connu si elles sont dites proprement ou
par métaphore par celui qui définit. En effet, en raison de leur obscurité, il
n'y en a pas d'attaques; et parce qu'on ignore si elles sont telles du fait de
se dire par métaphore, il n'y en 158b15 a
pas de réprimande.
En
résumé, devant tout problème difficile à attaquer, on doit prétendre[89] ou bien
qu'il manque de définition, ou bien qu'il appartient à ce qui se dit de
plusieurs manières ou par métaphore, ou bien [qu'il n'est] pas loin des
principes, car cela même ne nous est pas manifeste dès l'abord, en laquelle 158b20 des manières dont nous venons de
parler peut bien [se situer] ce qui constitue l'impasse. Dès que la manière en
devient manifeste, il est évident qu'il faut ou définir, ou diviser, ou se
ménager les propositions intermédiaires, puisque c'est par elles qu'on montre
ce qui est ultime.
Pour
beaucoup de positions, comme la définition n'est pas bien donnée, 158b25 il n'est pas facile de conduire
la discussion et d'attaquer : par exemple, si pour une seule chose il existe un
seul contraire ou plusieurs. Mais les contraires une fois définis comme il convient,
[il devient] facile de faire convenir s'il est possible ou pas que plusieurs
choses soient contraires à la même. Et il en va de la même manière encore pour
les autres [positions] qui manquent de définition. Il semble bien que dans les
mathématiques aussi 158b30 ce soit
en raison d'une déficience de définition qu'on ne décrive[90] pas
facilement certains [propos], par exemple que la [droite] qui coupe le plan
parallèlement au côté divise semblablement la ligne et la surface. Tandis que,
aussitôt que la définition est énoncée, ce qu'on dit devient manifeste. En
effet, les surfaces et les lignes subissent la même destruction mutuelle. Or
c'est là la définition 158b35 de la
même proportion. De manière absolue, une fois posées les définitions, par
exemple ce qu'est la ligne et ce qu'est le cercle, les premières éléments sont
très faciles à montrer. Sauf qu'il n'est pas possible de produire beaucoup
d'attaques contre chacun d'eux, du fait qu'il n'existe pas beaucoup
d'intermédiaires. Par contre, si les définitions des principes ne sont pas
posées, [il est] difficile [de les montrer], et peut-être même tout à fait 159a1 impossible. Or il en va
semblablement pour ces [matières] et pour ce sur quoi portent les raisons.
Il ne
faut donc pas qu'échappe à l'attention, quand la position est difficile à
attaquer, qu'elle souffre de l'un des [défauts] dont nous venons de parler.
Toutefois, quand il y a 159a5 plus
de travail à discuter en rapport à la réclamation et à la proposition qu'en
rapport à la position, on peut se trouver embarrassé quant à poser ou non les
[réclamations] de cette nature. Car si on ne [les] pose pas et qu'on réclame de
discuter en rapport à cela aussi, on commandera [une investigation] plus grande
que [celle] de la position initiale. Mais si on [les] pose, on amènera à croire
en partant de ce qui est moins croyable. Ainsi donc, s'il faut ne pas rendre la
problème plus difficile, 159a10 on
doit poser; mais s'[il faut] raisonner par l'intermédiaire de ce qui est plus
connu, on ne doit pas poser. Ou encore, le disciple ne doit pas poser si ce
n'est pas plus connu, mais celui qui s'exerce doit poser dès que cela a l'air
vrai. Par conséquent, il est manifeste que le demandeur et le maître ne doivent
pas semblablement réclamer qu'on prenne position.
159a15 Pour la façon dont il faut formuler et ranger les
demandes, ce que nous venons de dire suffit à peu près. À propos de la réponse,
maintenant, on doit premièrement définir ce qu'est l'œuvre du bon répondeur,
ainsi que du bon demandeur. Or il appartient au demandeur de conduire la
discussion de manière à faire dire au répondeur ce qu'il a de plus adoxal à
l'intérieur de ce que la position rend nécessaire; et il appartient au
répondeur 159a20 que l'impossible
ou le paradoxal ait tout l'air[91] de
s'ensuivre non pas à cause de lui, mais à cause de la position. Car sans doute
est-ce une faute différente de poser en premier ce qu'il ne faut pas et de ne
pas garder comme il convient ce qu'on a posé.
159a25 On n'a encore rien pour ceux qui produisent leurs
raisonnements à fin d'exercice et de probation. C'est que les visées ne sont
pas les mêmes pour les maîtres ou les disciples et pour les disputeurs, ni pour
ceux qui discutent ensemble à fin d'investigation. En effet, le disciple,
d'abord, doit toujours poser ce qu'il pense[92]; et de
fait personne non plus ne s'attaque 159a30
à enseigner du faux. Entre disputeurs, par ailleurs, le demandeur doit par
tout moyen se donner l'air de faire certaine chose et le répondeur se donner
l'air de n'en souffrir en rien. Dans les réunions dialectiques cependant, entre
gens qui produisent leurs raisons non à fin de dispute mais à fin de probation
et d'investigation, on n'a pas encore expliqué nettement ce qu'il faut que le
répondeur ait en vue 159a35 et quoi
il lui faut quoi il ne lui faut pas accorder, pour ce qui est de bien ou mal
garder la position. Puisque donc nous ne disposons de rien qui nous aurait été
transmis par d'autres, essayons nous-mêmes d'en dire quelque chose.
Nécessairement,
bien sûr, le répondeur soutient une raison en posant une position qui soit ou
endoxale, ou adoxale, ou [qui ne soit] ni l'un ni l'autre, et 159b1 endoxale ou adoxale soit
absolument, soit déterminément, relativement à telle personne par exemple, soit
lui-même ou quelqu'un d'autre. Cela ne fait pas de différence, toutefois, de
quelle manière [cette position] est endoxale ou adoxale, car la façon de bien
répondre, et d'accorder ou de ne pas accorder ce qui sera demandé, restera la
même. Donc, nécessairement, 159b5 la
conclusion à effectuer sera endoxale pour une position adoxale et adoxale pour
[une position] endoxale; en effet, c'est toujours l'opposé de la position que
le demandeur conclut. Si par ailleurs ce qui est posé n'est ni adoxal ni
endoxal, la conclusion aussi sera de cette nature. Or celui qui raisonne bien,
c'est à partir de ce qui est plus endoxal et plus connu qu'il démontre son propos.
Aussi est-il manifeste que, si 159b10 ce
qui est posé est adoxal absolument, le répondeur ne doit accorder ni ce qui,
absolument, n'est pas endoxal, ni ce qui est endoxal[93], mais
l'est moins que la conclusion. En effet, si la position est adoxale, la
conclusion sera endoxale: en conséquence, il faut que ce qu'on obtient soit tout
endoxal, et plus endoxal que le propos, si c'est par le plus connu que le 159b15 moins connu va être conclu. Par
conséquent, si, dans les demandes, quelque chose n'est pas de cette nature, le
répondeur ne doit pas le poser. Si, par ailleurs, la position est endoxale
absolument, il est évident que la conclusion [sera] adoxale absolument. On
doit donc poser tout ce qui est endoxal et tout ce qui, non endoxal, est moins
adoxal que la conclusion[94]. En
effet, on donnera [alors] l'impression 159b20
d'avoir dialogué de façon adéquate. [Ce sera] encore semblable, si la
position n'est ni adoxale ni endoxale: là aussi, en effet, on doit accorder
tout ce qui est endoxal[95] et tout
ce qui, non endoxal, est plus endoxal que la conclusion; c'est ainsi qu'il
s'ensuivra que les raisons effectuées seront [le] plus endoxales[96].
Bien sûr,
si ce qui est posé[97] est
endoxal ou adoxal absolument, on doit effectuer la discrimination en regard de
ce qui est 159b25 endoxal
absolument. Tandis que si ce qui est posé est endoxal et adoxal non pas
absolument, mais relativement au répondeur, c'est en jugeant en regard de ce
qui est ou n'est pas endoxal quant à lui qu'il doit poser ou ne pas poser. Si
enfin le répondeur défend ce que pense un autre, il est évident que c'est à
regarder la pensée de celui-là qu'il doit poser et repousser chaque [chose]. 159b30 C'est pourquoi aussi ceux qui
introduisent des endoxes étranges, par exemple que le bien et le mal sont la
même chose, comme le dit Héraclite, n'accordent pas que les contraires n'appartiennent
pas en même temps au même [sujet]; non pas que cela ne leur soit pas endoxal,
mais parce que, selon Héraclite, c'est ainsi qu'on doit parler. C'est ce que
font aussi ceux qui adoptent réciproquement les positions l'un de l'autre: 159b35 en effet, ils ont en vue la
manière dont s'exprimerait celui qui a [pris la] position.
Ce que le
répondeur doit avoir en vue, que ce qui est posé soit endoxal absolument ou
relativement à telle [personne], c'est donc manifeste.
Maintenant,
tout ce qui est demandé est nécessairement ou endoxal, ou adoxal, ou ni l'un ni
l'autre; également, ce qui est demandé est ou pertinent ou non pertinent au
raisonnement. 160a1 Par suite, s'il
est endoxal et non pertinent au raisonnement, on doit [l'] accorder en disant
qu'il est endoxal; et s'il n'est ni endoxal ni pertinent au raisonnement, on
doit [encore l'] accorder, mais en plus faire remarquer qu'il n'est pas
endoxal, pour ne pas donner dans le simplisme. Si, par ailleurs, il est
pertinent au raisonnement et endoxal, on doit dire qu'il est endoxal 160a5 mais trop proche du [propos]
initial[98] et que,
si on pose cela, ce qui a été posé [d'abord]46 s'en trouve détruit.[99] Si, par
ailleurs, la réclamation est pertinente à la raison mais est trop adoxale, on
doit dire que, si on la pose, [le propos] s'ensuit, mais que ce qui est proposé
est trop simpliste. Si enfin [ce qui est demandé] n'est ni adoxal ni endoxal,
dans le cas où il n'a aucune pertinence à la raison, on doit [l'] accorder sans
160a10 restriction; mais s'il est
pertinent à la raison, on soit en plus faire remarquer que, s'il est posé, la
position initiale46 s'en trouve détruite.
En effet,
le répondeur ne donnera pas l'impression de subir quoi que ce soit par sa
faute, si c'est en prévoyant ainsi qu'il pose chaque [chose]; et le demandeur
arrivera à un raisonnement du fait qu'il[100] aura
posé tout ce qui est plus endoxal que la conclusion[101]. Quant à
tous ceux qui 160a15 s'attaquent à
raisonner à partir de ce qui est plus adoxal que la conclusion, il est évident
qu'ils ne raisonnent pas bien. C'est pourquoi on ne doit poser [pareilles
choses] pour ceux qui [les] demandent.
C'est
semblablement aussi qu'on doit répondre quand ce qu'on dit comporte obscurité
et acceptions multiples. En effet, il est accordé[102] au
répondeur, s'il ne comprend pas, de dire: «Je ne comprends pas!»; [il lui est
accordé] également, quand ce qu'on dit comporte acceptions multiples, 160a20 de ne pas nécessairement
consentir ou refuser. Aussi est-il évident que, d'abord, si ce qu'on a dit
n'est pas clair, on ne doit pas hésiter à dire qu'on ne comprend pas. Car
souvent, c'est pour avoir accordé des demandes faites sans clarté qu'on
rencontre telle difficulté. Toutefois, s'il est connu que ce qu'on dit comporte
des acceptions multiples, dans le cas où 160a25
ce qu'on dit demeure vrai ou faux en toutes [ses acceptions], on doit
[l']accorder ou [le] repousser absolument; mais dans le cas où il se trouve
faux en telle [acception] et vrai en telle [autre], on doit faire remarquer
en plus qu'il se dit en des acceptions multiples et qu'en l'une il est faux,
en l'autre vrai. Car si la distinction est apportée plus tard, [il ne sera] pas
évident si on apercevait déjà initialement l'ambiguïté. Si par ailleurs on n'a
pas prévu l'ambiguïté 160a30 et
qu'on ait posé avec en vue l'une [des acceptions], on doit dire, contre qui
pousse vers l'autre [acception]: «Je n'ai pas accordé avec celle-là en vue mais
avec l'autre.» En effet, quand il y a plusieurs [acceptions] sous le même nom
ou la même définition, la contestation est facile. Mais si ce qui est demandé
est à la fois clair et simple, on doit répondre ou oui ou non.
160a35 Cependant[103], toute
proposition de raisonnement est ou bien l'une de celles dont est issu le raisonnement,
ou bien en vue de l'une d'elles. Or quand une [proposition] est obtenue en vue
d'une autre, cela est évident, du fait qu'on demande plusieurs fois quelque
chose de semblable; c'est en effet ou bien par une induction, ou bien par une
similitude que, dans la plupart des cas[104], on
obtient l'universelle. Aussi doit-on bien sûr poser tous les singuliers
[demandés], 160b1 s'ils sont vrais
et endoxaux[105], mais
contre l'universelle on doit essayer d'apporter une objection[106]. Car,
sans une objection ou réelle ou endoxale, bloquer la raison, c'est faire le
difficile. Si donc, alors qu'elle se vérifie manifestement en plusieurs [cas],
on n'accorde pas l'universelle, et ce sans tenir d'objection, il est manifeste
160b5 qu'on fait le difficile. Si en
outre on ne tient pas même de quoi montrer, par mode de contre-attaque, qu'elle
n'est pas vraie, on donnera bien plus encore l'impression de faire le
difficile. Quoique même cette [contre-attaque] ne [serait] pas suffisante; en
effet, nous tenons beaucoup de raisons contraires aux endoxes, et qu'il est
difficile de résoudre, comme celle de Zénon à l'effet qu'il n'est pas possible
de se mouvoir ni de traverser le stade; on ne va pourtant pas à cause de cela 160b10 ne pas devoir poser ce qui leur
est opposé. Si donc, tout en ne tenant pas de quoi contre-attaquer ni de quoi
objecter, on ne pose pas [l'universelle demandée], il est évident qu'on fait
le difficile. En effet, c'est faire le difficile en matière de raisons que de
donner une réponse destructive du raisonnement en dehors des façons dont nous
venons de parler.
Il faut,
pour soutenir tant une position qu'une définition, 160b15 [l']avoir d'avance attaquée par-devers soi; car ce à partir
de quoi les enquêteurs détruisent ce qu'on pose [initialement][107], il est
évident que c'est à cela qu'on doit s'opposer[108].
On doit
par ailleurs éviter de soutenir une supposition adoxale. Or [une supposition]
pourrait être adoxale de deux manières : en effet, [il y a celle] de laquelle
il s'ensuit qu'on dise des absurdités, par exemple si on disait que tout ou que
rien ne se meut; et [il y a] tout ce qu'il appartient à des 160b20 mœurs dépravées d'adopter et qui
est contraire aux sentiments [de tous], par exemple que le bien est le plaisir
et que de commettre l'injustice vaut mieux que de la subir. On déteste [qui
soutient pareilles positions], dans l'idée qu'il ne le fait pas pour le besoin
de la discussion, mais qu'il dit ce qu'il pense[109].
Quant à
tous les raisonnements qui concluent du faux, on doit [les] résoudre en
supprimant ce par quoi s'effectue le faux. Car à supprimer n'importe quoi, on
n'a pas 160b25 résolu [pour autant],
pas même si ce qu'on a supprimé est faux. En effet, le raisonnement pourrait
contenir plusieurs faussetés, si par exemple on obtenait que qui est assis écrit et que Socrate est assis[110]. Il
s'ensuit, partant de là, que Socrate
écrit. Et bien sûr, à supprimer la [proposition] Socrate est assis[111], le
raisonnement ne s'en trouve pas plus résolu : même si la réclamation [était]
fausse, 160b30 ce n'était cependant
pas à cause d'elle que le raisonnement était faux. En effet, s'il se trouve
qu'un tel soit assis mais n'écrive pas, à pareil [cas] la même solution[112]
ne s'adaptera plus. De sorte que ce n'est pas cela qu'on doit supprimer,
mais ceci que qui est assis écrit;
car toute [personne] assise n'écrit pas. On a donc résolu complètement à condition
d'avoir supprimé ce par quoi s'effectue le faux, et on connaît la 160b35 solution à condition de savoir
que c'est par là que la raison [est effectuée], comme il en est pour les faux
tracés. Car il ne suffit pas de s'objecter, même si ce qu'on supprime est faux;
on doit aussi démontrer pourquoi [c'est] faux; ainsi, en effet, pourra-t-il
être manifeste si c'est ou non en prévoyant telle chose que l'objection est
faite.
161a1 On peut de quatre manières empêcher une raison de
conclure. Ou bien, en effet, en supprimant ce par quoi s'effectue le faux. Ou
bien en adressant une objection au demandeur; car souvent alors on n'a pas
résolu, mais l'enquêteur ne peut pas pousser plus loin. En troisième, 161a5 [en objectant] à ce qui est
demandé; car il peut s'ensuivre que, de ce qui est demandé, ne s'effectue pas
ce qu'on veut, du fait qu'on [l']ait mal demandé, alors qu'avec telle chose
posée en plus la conclusion serait effectuée. Si donc le demandeur ne peut plus
poursuivre, ce sera que l'objection s'adresse au demandeur, mais s'il [le]
peut[113], [elle
sera adressée] à ce qui est demandé. Enfin, la quatrième 161a10 et la pire des objections est celle qui s'en prend au
temps; il y a en effet des gens qui soulèvent des objections telles que les
résoudre dans la discussion exige plus de temps que [n'en dispose] la discussion
présente. Les objections, comme nous l'avons dit, s'effectuent donc de quatre
manières. Mais seulement la première de celles dont nous avons parlé constitue
une solution et les 161a15 autres ne
sont qu'empêchements et obstacles mis aux conclusions.
La
critique[114] d'un
raisonnement n'est pas la même [selon que] le raisonnement [est visé] en
lui-même ou en ce qu'il est issu de demandes. Souvent, en effet, c'est celui à
qui on demande qui est cause de ce que le raisonnement ne soit pas bien inséré
dans la discussion, par le fait de ne pas concéder ce à partir de quoi il y
aurait moyen de bien discuter contre la position. C'est qu'il 161a20 n'est pas au pouvoir de l'un
seulement [des interlocuteurs] de bien accomplir leur œuvre commune[115]. Il est
donc quelquefois nécessaire d'attaquer l'interlocuteur et non la position,
quand le répondeur se tient malignement à l'affût de ce qui contrarie le
demandeur. Ceux, bien sûr, qui font ainsi les difficiles font des entretiens
des disputes et non des discussions[116].
En outre,
161a25 puisque les raisons de cette
nature [se produisent] à fin d'exercice et de probation, et non
d'enseignement, il est évident qu'on doive[117] conclure
non seulement du vrai mais aussi du faux, et non pas toujours par du vrai mais
quelquefois aussi par du faux. Souvent, en effet, comme ce qui est posé[118] est
vrai, [c'est du vrai] que, nécessairement, celui qui conduit la discussion
supprime[119]: on doit 63 alors proposer du
faux. Parfois même, par ailleurs, 161a30
quand ce qui est posé est faux, on doit le supprimer par du faux; car rien
n'empêche que, relativement à un tel, ce qui n'est pas soit plus endoxal que le
vrai, de sorte que ce sera pour autant que la raison s'effectue à partir de
cela justement qui est endoxal pour lui qu'il s'en trouvera davantage persuadé
ou aidé. Mais indispensablement, celui qui conduit bien [à la conclusion] le
fait selon un mode dialictique et non chicanier, comme le géomètre 161a35 [le fait] selon un mode
géométrique, [et cela] que ce qui est conclu soit faux ou vrai. Maintenant,
quelle [allure] ont les raisonnements dialectiques, on l'a dit auparavant.
Que
[fasse] un mauvais associé celui qui met obstacle à l'œuvre commune, il est
évident que [cela vaut] aussi en matière de raisonnement. Car il y a également
en cela un propos commun, sauf pour les disputeurs : pour eux, il n'est pas
possible 161a40 de viser tous les
deux à la même fin, car il est impossible que plus d'un 161b1 ne vainque. Et cela ne fait pas de différence que cette
[obstruction] se fasse par la réponse ou par la demande[120]. Qui
demande selon un mode chicanier discute mal, aussi bien que le répondeur qui
n'accorde pas ce qui est endoxal[121] ni
n'accepte quoi que ce soit dont veuille 161b5
s'enquérir le demandeur. De ce que nous venons de dire il ressort avec évidence
qu'on ne doit pas critiquer semblablement la raison en elle-même et le
demandeur. Car rien n'empêche que la raison soit mauvaise et que le demandeur
ait discuté de la meilleure façon avec le répondeur. Et effet, contre ceux qui
font les difficiles, on n'est sans doute pas capable de faire les raisonnements
directement comme on les 161b10
veut, mais seulement comme ils le laissent possible.
On n'a
pas encore défini quand les gens[122]
obtiennent les contraires et quand les [propos] initiaux. Souvent, en effet,
en discutant intérieurement, ils affirment les contraires et ce qu'ils refusent
d'abord, ils l'accordent ensuite. C'est pourquoi justement, lorsqu'on le leur
demande, 161b15 ils donnent souvent
leur assentiment aux contraires et au propos initial. Aussi les raisonnements
en deviennent-ils nécessairement mauvais. Or c'est le répondeur qui en est
cause, en n'accordant pas et accordant tour à tour les [demandes] de cette
nature. Il est donc manifeste qu'on ne doit pas critiquer semblablement les
demandeurs et les raisonnements.
Pour ce
qui est du raisonnement pris en lui-même, il existe cinq critiques. 161b20 La première, c'est quand,
partant de ce qui est demandé, on ne conclut ni le propos ni rien du tout, du
fait que ce en quoi [on fonde] la conclusion soit faux ou adoxal, ou bien
entièrement ou bien en majeure partie, et que la conclusion ne s'effectue pas
non plus, qu'on retranche ou qu'on ajoute des choses, ou qu'on en retranche
certaines et qu'on en ajoute d'autres[123]. La
deuxième, 161b25 c'est si le
raisonnement ne s'effectue pas en pertinence à la position, tout en étant issu
de ce et dans la manière dont on a parlé plus haut. La troisième, c'est si le
raisonnement s'effectue à la condition d'ajouter des choses, mais que ces
choses soient inférieures à ce qu'on a demandé et moins endoxales que la
conclusion. Une autre, c'est si c'est à la condition de retrancher des choses,
car parfois on obtient plus que ce qui est nécessaire, de sorte que ce n'est
plus du simple fait que cela soit que le raisonnement s'effectue. Encore une, 161b30 c'est si [le raisonnement] est
issu de [choses] plus adoxales et moins croyables que la conclusion, ou s'[il
est] issu de choses vraies mais exigeant plus de travail à démontrer que le
problème.
Par
ailleurs, il ne faut pas réclamer que, pour tous les problèmes, les
raisonnements soient semblablement endoxaux et persuasifs. En effet, il relève
immédiateemnt de leur nature que 161b35
certains objets de recherche soient plus faciles et d'autres plus difficiles.
En conséquence, si on a conclu à partir du plus endoxal disponible, on a bien
discuté. Il est donc manifeste que, pour la raison, la critique ne sera pas non
plus la même, [selon qu'on la juge] en regard du problème et en elle-même. Car
rien 161b40 n'empêche qu'en
elle-même la raison ne soit blâmable et pourtant 162a1 recommandable en regard du problème[124]; ou
encore, inversément, qu'en elle-même elle ne soit recommandable et pourtant
blâmable en regard du problème, quand il y a beauxoup d'endoxal et de vrai dont
il est facile de conclure[125]. Une
raison pourrait même, bien que concluant, se trouver moins bonne qu'une autre
qui ne conclut pas; 162a5 c'est
quand la première conclut à partir de ce qui est simpliste sans que la nature
du problème commande cela, et que l'autre a besoin d'additions qui soient
endoxales et vraies, sans même que la raison ne réside en ces ajoutes. Par
ailleurs il n'est pas légitime[126] de
critiquer ceux qui concluent le vrai par le faux. Le faux, de fait, c'est
toujours nécessairement par 162a10
le faux qu'on le conclut, mais même le vrai, il est possible de la conclure parfois
par du faux. Cela est manifeste d'après les Analytiques.
Quand la
raison dont nous avons parlé est démonstration de quelque chose, à supposer
qu'il y ait autre chose qui n'ait rien à voir avec la conclution, [cette
raison] ne sera pas un raisonnement pour elle. Et si elle en a l'air, ce sera
un sophisme, 162a15 non une démonstration.
Or un raisonnement démonstratif, c'est un philosophème, un raisonnement dialectique,
c'est une attaque, un raisonnement chicanier, c'est un sophisme et un raisonnement
dialectique de la contradiction, c'est une impasse[127].
Si par
ailleurs une chose est montrée à partir de [deux autres] toutes deux endoxales,
mais sans qu'elles soient semblablement 162a20
endoxales, rien n'empêche ce qui est montré d'être plus endoxal que chacune. Et
si l'une était endoxale, l'autre ni l'un ni l'autre, ou l'une endoxale l'autre
non endoxale, dans le cas où [ce serait] à un degré semblable, [la chose
montrée] serait aussi endoxale et non endoxale au même degré, tandis que dans
le cas où l'une [aurait] davantage [sa qualité], [la conclusion] suivrait celle
[qui aurait ainsi] davantage [sa qualité].
Voici par
ailleurs une faute, elle aussi en ce qui concerne les raisonnements: 162a25 c'est quand on montre par plus
de choses ce qui peut l'être par moins, et qui soient [déjà] présentes dans le
raisonnement. Par exemple, [pour montrer] qu'une opinion l'est plus qu'une
autre, si on demandait : «La chose-en-soi est le plus?»; or, «Il existe
vraiment un objet-d'opinion-en-soi?»; par conséquent, «L'en soi l'est plus que
les particuliers?». Ensuite, «[Admet] le plus le corrélatif au relatif [qui
admet] le plus»; or «Il existe 162a30
une véritable opinion-en-soi, qui sera plus rigoureuse que les [opinions
particulières]?». Or on a postulé et qu'«Il y a une véritable opinion-en-soi»
et que «La chose-en-soi est le plus». Par conséquent, «L'opinion-en-soi est
plus rigoureuse». Où est la déficience? Sans doute est-ce qu'il fait que la
cause dont dépend le raisonnement nous échappe?
162a35 Une façon dont un raisonnement est évident, et c'est
la plus populaire, c'est s'il est conclu de manière qu'il ne faille plus rien
demander. Une autre [façon dont il l'est] encore, et c'est celle qui se dit le
plus, c'est quand on a obtenu 162b1
ce dont sa nécessité est issue, et qu'on [l'en] mène à sa conclusion par des
conclusions [intermédiaires]. [Un raisonnement est] encore [évident] si
quelque chose [lui] manque [qui soit] extrêmement endoxal.
Un
raisonnement est appelé faux de quatre manières. Une première façon, c'est
quand il a bien l'air de conclure, alors qu'il ne conclut pas, ce qui 162b5 s'appelle un raisonnement[128]
chicanier. Une autre, c'est quand il conclut, mais sans pertinence au propos;
cela s'ensuit surtout chez les [raisonnements] qui mènent à l'impossible. Ou
bien [quand] il conclut en pertinence au propos, mais non selon la méthode
appropriée; c'est-à-dire quand [un raisonnement] qui n'est pas médical donne
l'impression d'être médical, ou [d'être] 162b10
géométrique sans être géométrique, ou [d'être] dialectique sans être
dialectique, que soit faux ou que soit vrai ce qui s'ensuit. Une autre façon,
c'est si [le raisonnement] conclut par du faux; la conclusion en sera
quelquefois fausse, quelquefois vraie. Car le faux se conclut toujours par du
faux, mais le vrai se prête 162b15
aussi à être issu de ce qui n'est pas vrai, comme on l'a dit aussi antérieurement.
Bien sûr,
que le raisonnement soit faux constitue une faute de l'interlocuteur[129] plutôt
que du raisonnement. Plus exactement, [ce n'est] pas toujours [la faute] de
l'interlocuteur, mais [ce l'est] quand cela échappe à son attention. C'est que
nous l'admettons volontiers en lui-même, de préférence à beaucoup de
[raisonnements] vrais, s'il supprime 162b20
une vérité en étant issu de ce qu'il y a de plus endoxal. En étant de cette
nature, en effet, il devient démonstration d'autres vérités : c'est qu'il y a
telle [partie] de ce qu'on a posé qu'il ne faut pas du tout [poser], et c'est
de cela que [ce raisonnement] sera par suite démonstration[130]. Si, par
ailleurs, du vrai était conclu par du faux et du trop simpliste, [le
raisonnement] serait moins bon que beaucoup [d'autres] qui syllogisent du faux;
toutefois, même [un raisonnement] qui concluerait du faux pourrait être de
cette nature.
En
conséquence, 162b25 il est évident
que le premier objet de l'examen d'un raisonnement pris en lui-même, c'est
s'il conclut; le deuxième, c'est s'il [conclut] du vrai ou du faux; le
troisième, c'est de quoi il est issu : car si c'est de choses fausses, mais
endoxales, il [demeure] dialectique[131]; si
c'est de choses réelles, mais adoxales, il est mauvais. Mais si [ces choses
sont] à la fois mauvaises et trop adoxales, il est évident que [le raisonnement
sera] mauvais, soit absolument, soit en regard de la 162b30 chose en question.
Comment
le demandeur postule le [propos] initial et les contraires, nous en avons
traité dans nos Analytiques du point
de vue de la vérité; on doit maintenant en parler du point de vue de l'opinion[132].
On a
l'air de postuler le [propos] initial de cinq manières. 162b35 La plus manifeste et la première, c'est si on postule cela
même qu'il faut montrer. Cela, toutefois, n'échappe pas facilement à
l'attention dans une [formulation] identique, mais davantage dans les synonymes
et dans tout ce dont le nom et la définition 163a1 signifient la même chose. La deuxième, c'est quand on
postule universellement ce qu'il faut démontrer particulièrement; par exemple,
si, pour attaquer[133] [la
position] que, pour les contraires, il y a une science unique, on réclamait
qu'il y a en général pour les opposés une science unique; on donne en effet
l'impression de postuler en lui-même ce qu'il fallait montrer, avec 163a5 bien d'autres choses. La
troisième, c'est si on postulait particulièrement un propos à montrer
universellement; par exemple, si on réclamait pour certains des contraires ce
qui est proposé pour tous; encore là, on donne en effet l'impression qu'on
postule en lui-même séparément ce qu'il fallait montrer avec bien d'[autres]
choses. Une manière encore, c'est si on postule le problème après l'avoir
divisé; par exemple, si, ayant à montrer que la médecine porte sur 163a10 le sain et le malade, on
réclamait chacun séparément. Ou bien, si l'on postulait l'une de deux [choses]
qui s'impliquent nécessairement l'une l'autre; par exemple, que le côté est
incommensurable à la diagonale, alors qu'on a à démontrer que la diagonale
l'est au côté.
Par
ailleurs, on postule les contraires d'autant de manières que le [propos]
initial. 163a15 La première, en
effet, c'est si on postulait les opposés, affirmation et négation. La deuxième,
les contraires selon leur opposition, par exemple, que la même chose est bonne
et mauvaise. La troisième, c'est si, après avoir réclamé l'universelle, on
postulait la contradiction sur une partie; par exemple, si, après avoir obtenu
qu'il y a pour les contraires une science unique, on réclamait qu'elle est
différente pour le sain et le malade, 163a20
ou [si], après avoir postulé cela, on essayait d'obtenir universellement la
contradictoire. Une manière encore, c'est si on postule le contraire de ce qui
s'ensuit nécessairement par ce qui est posé, et cela même si on n'obtenait
pas les opposés eux-mêmes et qu'on postulait deux [propositions] de nature à
ce qu'en soit issue la contradictoire opposée.
En
définitive, obtenir les contraires diffère 163a25
d'[obtenir le propos] initial en ce que, dans un [cas], la faute est en regard
de la conclusion : car c'est avec celle-ci en vue que nous disons postuler le
[propos] initial; tandis qu'[obtenir] les contraires, [cela] se situe dans les
propositions et tient à un rapport qu'elles entretiennent entre elles.
En regard
de l'exercice[134] et de
l'étude[135] des
raisonnements de cette nature, 163a30
la première [chose] à faire est de s'accoutumer à convertir les raisonnements.
Car nous nous en trouverons mieux pourvus devant ce qui se dit et, en peu [de
choses], nous saurons à fond beaucoup de raisonnements. En effet, convertir,
c'est obtenir l'opposé de la conclusion et la joindre au reste des demandes
pour supprimer l'une de celles qu'on avait accordées; c'est que nécessairement,
si la 163a35 conclusion n'est pas,
l'une quelconque des propositions est supprimée, puisque justement, en les
posant toutes, c'était une nécessité que la conclusion soit. Contre toute
position, tant [celle selon laquelle] il en est ainsi que [celle selon
laquelle] il n'en est pas ainsi, 163b1
on doit investiguer l'attaque [adéquate]; puis, dès qu'on l'a découverte, on
doit en chercher la solution. De la sorte, en effet, il s'ensuivra qu'on se
sera exercé à la fois à demander et à répondre. Et si nous n'avons personne
d'autre contre qui [le faire, nous le ferons] contre nous-mêmes. En faisant son
choix, aussi, mettre en parallèle 163b5
des attaques contre la même position. Cela, en effet, augmente beaucoup les
ressources pour ce qui est de contraindre et confère une aide puissante pour ce
qui est de réfuter, quand on est à même d'[argumenter] abondamment et qu'il en
est ainsi, et qu'il n'en est pas ainsi, car il s'ensuit qu'on fasse la garde
contre les contraires[136]. Aussi,
en vue de la connaissance et de l'intuition philosophiques[137], 163b10 ce n'est pas qu'un petit
instrument que de pouvoir et même d'avoir déjà embrassé d'un coup d'œil ce qui
s'ensuit de l'une et l'autre supposition; car il ne reste plus qu'à adopter
correctement l'une d'elles. Toutefois, pour effectuer un [choix] de cette
nature, il faut être heureusement disposé, et la disposition heureuse devant la
vérité, c'est de pouvoir correctement adopter le vrai et éviter le faux. 163b15 C'est là précisément ce que
les gens naturellement bien doués peuvent faire; comme, en effet, ils aiment
et détestent avec justesse ce qu'on leur apporte, ils jugent avec justesse du
meilleur[138].
Aussi, il
faut connaître à fond les raisonnements contre les problèmes qui reviennent le
plus souvent, et surtout en ce qui concerne les positions premières, car c'est
à leur sujet[139],
souvent, que les répondeurs éprouvent de la répugnance[140]. 163b20 En outre, il faut abonder en
définitions, et tenir sous la main les endoxales et les premières, car c'est
par elles que les raisonnements s'effectuent. Par ailleurs, on doit essayer de
bien posséder ce à quoi reviennent le plus souvent les raisonnements. En effet,
[il en est] comme en géométrie, où il est avantageux d'être exercé sur les
éléments, et en [matière de] nombres, 163b25
[où] le fait d'avoir à la portée de la main la table de dix pour la
multiplication fait grande différence pour ce qui est de connaître aussi le
multiple des autres nombres. Semblablement encore, dans les raisonnements,
[c'est un grand avantage] d'avoir à portée de la main ce qui touche aux
principes et de connaître par cœur les propositions. En effet, tout comme dans
la mnémonique les lieux, dès seulement qu'on les pose, 163b30 font revenir en mémoire les choses elles-mêmes, de même ces
[éléments][141] rendront
plus apte à syllogiser du fait qu'on regardera à eux, [qui constituent] des
propositions limitées en nombre. En outre, on doit poser dans la mémoire une
proposition commune de préférence à un raisonnement, car il n'est que modérément
difficile d'abonder en principes et suppositions.
De plus,
on doit s'accoutumer à faire d'un raisonnement plusieurs, 163b35 en dissimulant avec la plus grande obscurité[142]. On y
arrivera si on se tient le plus loin possible de ce qui est du même genre que
ce sur quoi porte le raisonnement. Ce seront les raisonnements les plus
universels qui seront capables de souffrir cela; par exemple, qu'il 164a1 ne peut pas, pour plusieurs
choses, y avoir une science unique : c'est, en effet, le cas et pour les
relatifs, et pour les contraires, et pour les coordonnés. Aussi faut-il faire
sous forme universelle le rappel des raisonnements [antérieurs], même si on a
discuté sur un particulier, car c'est ainsi encore 164a5 qu'il sera possible de faire d'un raisonnement plusieurs. Il
en va semblablement, d'ailleurs, en matières de rhétorique, pour les
enthymèmes. Toutefois, on doit soi-même éviter le plus possible de faire porter
ses raisonnements sur l'universel[143]. En
outre, il faut toujours investiguer dans quelle mesure les raisonnements sont
insérés dans la discussion avec appui sur du commun; car tous les raisonnements
particuliers font intervenir l'universelle et on trouve présente 164a10 la démonstration de
l'universelle dans la particulière, du fait que rien ne peut être syllogisé
sans [l'usage] des universelles.
Par
ailleurs, on doit tourner l'exercice[144] des
inductions contre un débutant et [celui] des raisonnements contre un
[interlocuteur] expérimenté. Et on doit essayer d'obtenir les propositions
auprès des [interlocuteurs] syllogistiques 164a15
et les ressemblances auprès des [interlocuteurs] inductifs, car c'est à cela
que chacun est exercé. Par ailleurs, on doit toujours essayer de garder, de
l'exercice de la discussion, un raisonnement sur quelque [sujet], ou une solution,
ou une proposition, ou une objection, ou [le jugement] qu'on a soi-même ou
qu'un autre a correctement ou non correctement contesté, avec le pourquoi dans
chaque [cas]. 164b1 Car c'est de ces
[éléments] qu'est issue la puissance; or cet exercice vise à une puissance,
surtout concernant les propositions et les objections. En effet, pour parler absolument,
est dialecticien qui peut proposer et objecter. Or proposer, c'est faire une
seule chose [de] plusieurs, car il faut 164b5
qu'on obtienne quelque chose de tout à fait un pour [conclure] ce que vise le
raisonnement; et objecter, c'est faire [d']une seule chose plusieurs, car ou
on divise, ou on supprime, quand on accorde telle partie et pas l'autre de ce
qui est proposé.
Toutefois,
on ne doit pas dialoguer avec tout le monde, ni s'exercer contre le premier
venu. C'est qu'il est inévitable, contre certaines gens, que les raisonnements[145]
s'effectuent mal. 164b10 En effet,
contre l'[interlocuteur] qui essaie de toute manière d'avoir l'air de s'en
sortir, il est légitime d'essayer de toute manière de syllogiser; ce n'est
toutefois pas bien élégant. Aussi ne faut-il justement pas se commettre à la
légère avec les premiers venus, car c'est nécessairement une discussion bien
déficiente qui s'ensuit; de fait, ceux qui s'exercent sont [alors] incapables
d'éviter de faire de la discussion 164b15
une dispute. Enfin, il faut tenir des raisonnements tout faits pour ces
problèmes dont la nature fait qu'une fois munis en abondance pour peu de
choses nous tiendrons les [raisonnements] utiles à la plupart des [cas]. Ce
sont là les [raisonnements] universels et [ceux] contre lesquels il est plus
difficile de se munir avec ce [qui vient à l'esprit] sur le champ.
[1] Dans le souci
d'en rester le plus possible à des termes d'origine latine et d'articuler la
traduction avec celle de lÒgow par raison (cf.
infra, note 3), je rendrai sullog¤zomai et sullogismÚw par raisonner et raisonnement, plutôt que par syllogiser
et syllogisme. Cela aura aussi
l'avantage de coller à la manière très large dont Aristote use de ces termes.
Tantôt, en effet, Aristote étiquette très globalement comme sullogism™Òw tout acte de
raisonner, de passer à une connaissance nouvelle en s'appuyant sur une
connaissance antérieure, ne fût-ce que par un lien très ténu (¶sti går
dia¤resiw oÂonésyenØw sullogismÒw, Prem.
Anal., I, 31, 46a32-33), imparfaitement objectif, (= politikÚw sullogismÒw, Rhét., II, 22, 1396a5) ou même seulement
apparent (= sullogismÚw
¶ristikÒw, Top., I, 1, 100b24). Tantôt
il restreint l'appellation à des raisonnements où existe une inférence
effective et distingue ceux-ci en signalant la matière (= ¶ndojow
sullogismÒw, Réf. soph., 9, 170a40; gevmetrikÒw, fiatrikÒw, Réf. soph., 9, 170a32) ou la voie (=
§j
§pagvg∞w
sullogismÒw, Prem. Anal., II, 23, 68b15;
= diå toË
édunãtou sullogismÒw, Top.,
VIII, 2, 157b37; =
§j Ípoy°sevw sullogismÒw, Top., I, 18, 108b8) qui les spécifie. Enfin, Aristote réserve
quelquefois sullogismÚw pour signifier
un raisonnement conduit à partir de notions
plus universelles, une déduction -
reviendra même là, pour son procédé de l'universel au particulier, mais en un
sens plus faible, la division (cf. Top.,
I, 8, 103b7) - en opposition à une induction
(
§pagvgÆ), raisonnement conduit vers des notions plus universelles. Même
là, il distinguera par la matière de leurs prémisses ceux d'entre eux qui
procéderont
§j ¶ndÒjvn et ceux qui procéderont
§j élhy«n ka‹ pr≈tvn. Cette
homonymie dans l'usage de sullogismÚw est tellement patente et permanente
qu'on ne se rendrait vraiment pas service en limitant arbitrairement
l'équivalent français de sullogismÚw à un sens encore plus précis, celui du raisonnement
par excellence, la démonstration, ou celui de la voie rationnelle par
excellence, la déduction. Dans le même ordre d'idées, d'ailleurs, il est abusif
de refuser de traduire par syllogisme
en prétendant que «le mot syllogisme
a reçu, de la doctrine exposée dans les Premiers
Analytiques, un sens technique incompatible avec l'emploi qui est fait du
mot sullogismÚw dans les Topiques» (Brunschwig, 113), affirmation
d'autant plus étonnante qu'Aristote reprend dans ses Premiers Analytiques exactement la même définition qu'il donne du sullogismÚw en ses Topiques. Et si on est conscient que
l'homonymie du sullogismÚw s'étend jusqu'à tout raisonnement, même
faible, même apparent, il n'y a plus de scrupule à se faire d'appeler la
division un syllogisme (ou un raisonnement, pour prendre la traduction
que j'adopterai désormais), comme Aristote le fait en Top., I, 8 et en Prem. Anal.,
I, 33. Je garderai toutefois, pour paralog¤zomai, la traduction
courante paralogiser, car préterraisonner ferait encore plus
l'effet d'un corps étrager inassimilable à la langue française.
[2] Voir La dialectique aristotélicienne (Montréal
: Bellarmin, 1991, p. 33) pour la justification de ce néologisme. Partout où je
traduis endoxe (v.g. cc. 7 et 10: dok« = tenir lieu d'endoxe), je pourrais bien
traduire par opinion. Mais ce mot a
maintenant un sens trop faible en français, à force d'insister davantage sur la
limite et l'incertitude de son contenu (ce n'est qu'une opinion!!!) plutôt que
sur son droit à être pensé et affirmé immédiatement. On aura plus de facilité à
recevoir endoxe avec une force aussi
grande d'adoption que son opposé paradoxe
en a une de rejet : dans le contexte qui nous intéresse, il est aussi ridicule
et inconvenant de rejeter un endoxe (une opinion ferme) que d'accepter un
paradoxe. Pour garder la cohérence dans les termes-clés, j'ai dû traduire aussi
dÒja par endoxe.
[3] LÒgow. Comme raison en français, lÒgow désigne non
seulement la faculté, mais aussi très souvent son fruit, la conception qui en
est issue. Mais le lÒgow désigne toujours alors plus précisément une conception
complexe, sans précision de ce que
celle-ci constitue une définition ou une notification de quelque sorte,
produite en vue de la représentation d'une nature incomplexe, comme en
101b38ss; ou un énoncé, ordonné à l'expression d'une vérité, d'une opinion ou
d'une supposition quelconque, comme en 100a25; ou même encore un argument,
rendant compte d'un progrès du connu à l'inconnu, comme ici et tout au long du
livre VIII. À noter aussi comme le raisonnement est tout de suite présenté
comme quelque chose d'agressif, en donnant ainsi comme corrélatif à l'acte de
le former celui de soutenir l'énoncé qu'il tend à détruire. — On traduira
souvent plus naturellement raisonnement,
et souvent aussi définition.
[4] LÒgow. Un produit de
la raison, un raisonnement en un sens très large, comme lorsqu'on dit: «Donne-moi
une raison.»
[5] Je traduirai
régulièrement le neutre pluriel grec par le neutre singulier français. Cela
comportera bien sûr un aspect plus abstrait, mais l'avantage est tellement
grand, à la longue, pour ce qui est d'alléger le texte, que je ne puis y
renoncer.
[6] Tå dokoËnta pçsin. Ce verbe doke›n est précieux;
c'est sa réitération, tout au long des Topiques,
qui garde vie aux termes vite techniques ¶ndojow et dÒja. Doke›n exprime le fait
concret d'être attendu, de donner l'impression, d'être spontanément pensé.
Aristote définit donc l'endoxe simplement comme ce qui répond à une attente
générale : est endoxal ce qui correspond à une attente que tous partagent. Il
est difficile de rendre en français l'effet de définition étymologique; cela
commanderait qu'on se fixe sur une traduction de racine unique pour la famille ¶ndoxow, dÒja, dok«. On pourrait imaginer : attendu, attente, répondre à une attente; le paradoxal deviendrait l'inattendu.
On dirait alors que «le raisonnement dialectique est celui qui est raisonné à
partir de ce qui est attendu» (Top.,
I, 1, 100a30); qu'en ce contexte, «est attendu ce qui répond à l'attente de
tous, ou de la plupart, ou des sages, et chez eux ou de tous, ou de la plupart,
ou des plus connus et attendus [comme sages]» (ibid., 100b21-24); que «la proposition dialectique est une demande
attendue par tous, ou par la plupart, ou par les sages, et chez eux par tous,
ou par la plupart, ou par les plus connus, [en tout cas une demande qui n'est]
pas inattendue» (ibid., 10,
104a8-11). Cela conviendrait à peu
près. En général, néanmoins, le sens paraîtrait moins fort: inattendu fait moins péjoratif que paradoxal et attente moins contraignant qu'endoxe.
En outre, on manquerait d'un mot pour paradoxe.
Si, comme je le fais tout au long de cette traduction, on opte pour endoxal, endoxe, paradoxal, paradoxe, la traduction cohérente de doke›n est plus
difficile (mais elle reste indispensable, et on ne doit pas imiter Tricot et
Brunschwig, qui multiplient indéfiniment les termes équivalents): être endoxal convient généralement,
sauf quand joue l'aspect étymologique, où le verbe doit faire plus concret que
le nom et l'adjectif. J'exploiterai alors deux racines latines, selon qu'on
aura intérêt à sentir comme sujet la personne qui s'attend à ce que la chose soit telle ou la chose qui lui donne l'impression de l'être. Il ne
faudra percevoir aucune couleur péjorative dans l'expression donner l'impression : dans le contexte,
elle dit simplement que les faits se présentent de façon que l'option la plus
raisonnable, l'option endoxale, soit de se les représenter de telle façon.
[7] L'expression
d'Aristote:
§pipÒlaion ¶xei pantel«w tØn fantas¤an est difficile à
traduire littéralement. La suggestion de Bonitz (Ind. arist., 811b3) d'y voir un équivalent de eÈyÁw
fa¤netai ceud¢w a le mérite d'en donner le contexte, le sens général,
mais ne fait pas vraiment comprendre ce que dit Aristote. Cela revient en fait
au même que de mettre en relation cette expression avec celle qu'Aristote donne
lui-même plus loin en explicitation : katãdhlow
§n aÈto›w ≤ toË feÊdouw
§st‹ fÊsiw. Voir Th. Waitz, Aristotelis Organon graece (II, 440): «ÉEpipÒlaion
¶xein tØn fantas¤an, c'est katãdhlon ¶xein tØn toË feÊdouw fÊsin : en effet, fantas¤a ne signifie rien
d'autre en ce lieu que tÚ eÈyÁw fainÒmenon (fanerÒn) ceËdow.» Pourtant,
l'intention d'Aristote est simple et apparaît clairement dès qu'on a l'idée de
recevoir fantas¤a comme forme
substantive de fa¤nesyai (voir Waitz, ibid., qui réfère à quelques textes aristotéliciens "où fantas¤a comporte à peu
près la même notion que le verbe fa¤nesyai») et qu'on tient compte du sens
souvent péjoratif de ce verbe, c'est-à-dire opposé à e‰nai, dans le
contexte de la dialectique : ÉEristikÚw dÉ
§st‹ sullogismÒw =
§k fainom°nvn
§ndÒjvn mØ ˆntvn d°. (Top.,
I, 1, 100b24-25) La fantas¤a, c'est ici l'apparence sans l'être.
Le caractère des principes chicaniers, donc, qui empêche qu'on les dise
légitimement endoxaux, c'est qu'on voit trop immédiatement qu'ils ne sont pas ce qu'ils paraissent,
c'est-à-dire admis de tous, des sages ou des experts.
[8] Je renonce, en
ce cas, à garder la stricte cohérence de famille dans la traduction: que
pourrais-je mettre: préterraisons? pararaisonnements?
[9] Sur ce chapitre, voir La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 73ss.
[10] Per‹ toË protey°ntow
§pixeire›n. Bailly (1518) fait une remarque
intéressante sur le sens de Perí: «B… II pour, c. à d.: 1 au sujet de (sens qui se rattache au préc. par l'usage
primit. de perí avec les verbes
marquant l'idée de combattre) mãxesyai per‹ nhÒw... ou per‹ yanÒntow... combattre
autour d'un vaisseau, autour d'un mort, c.
à d. pour un vaisseau, pour un mort.»
[11] Tåw t«n poll«n kathriymhm°noi dÒjaw.
[12] ÑOmilÆsomen. Voir Bailly,
1373 : « ÑOmil°v-«... I... 3 avec idée d'hostilité,
se rencontrer, en venir aux mains... avec qqn; abs. en parlant de deux armées ennemies qui en viennent aux prises.»
[13] L'expression est
assez commune pour recouvrir la fin, l'opération
caractéristique de toute investigation dialectique. C'est en cela que
réside le sens véritable d'entretiens,
plutôt qu'en «une discussion avec le premier venu» (Tricot, 5, note 1),
descendue de niveau non à cause de l'ignorance et du besoin d'investiguer des
deux interlocuteurs, mais de l'un d'eux seulement, l'autre se trouvant déjà en
possession de la science, comme on le sent dans la note de Tricot: «Une
conversation d'honnêtes gens, où les arguments apodictiques ne seraient pas
compris et où il faut se contenter du probable.» (Ibid. )
[14] PezÒn. Voir la note 5
de Brunschwig, p. 120.
[15] âAr`ã ge et pÒteron... µ
oÎ.
Ce ne sont certainement pas là des marques absolues de la proposition et du
problème, comme le fait remarquer Brunschwig (120, note 6). Mais
l'interrogation simple et double, complétée par le ton de la voix, qui
n'apparaît bien sûr pas dans le texte, pointe déjà ce par quoi se distinguent
plus profondément proposition et problème. Les deux sont des demandes, se
présentant grammaticalement comme des interrogations, parce que celui qui les
prononce n'a pas d'évidence sur la vérité des contradictoires mises en
concurrence. Face à la proposition, toutefois, il y a une attente : le
demandeur s'attend à ce que son répondeur choisisse plutôt telle des
contradictoires, parce qu'elle est un endoxe, une opinion selon laquelle on se
représente spontanément la réalité; d'où une demande simple, qui attend plus
vraisemblablement une réponse affirmative, i.e. plus précisément que soit
concédée telle contradictoire comme principe légitime de l'argumentation. Face
au problème en tant que tel, au contraire, le demandeur n'attend théoriquement
pas en réponse une contradictoire plutôt que l'autre; d'où l'interrogation
double, qui laisse plus manifestement le choix au répondeur de prendre telle
position initiale qui lui sied, quitte à rectifier par la suite, si l'attaque
vient à la détruire trop définitivement. En somme, ce trÒpow par lequel
Aristote distingue proposition et problème est plutôt de nature logique; c'est
cette attente présente ou absente d'une contradictoire plutôt que de l'autre en
réponse. Quant aux particules grammaticales, elles ne sont que le signe
matériel normal de cette différence, un signe d'ailleurs assez facultatif
(exemples chez Brunschwig, 120, n. 6).
[16] Cf. supra, note 1, p. 1.
[17] Celle à
laquelle renvoie le sujet (tÚ ÍpÚ ÙnÒmatow shmainÒmenon, comme le
suggère l'expression de 102a1), non le sujet lui-même. Les remarques assez
abstraites qui vont suivre commandent qu'on se représente clairement la
situation sous l'aspect précis sous lequel la regarde Aristote et cela est plus
complexe qu'il ne paraît. Il s'agit toujours au départ d'un sujet (nom ou
raison), et d'un attribut par lequel il est question de représenter ce sujet.
On cherche à qualifier le mode de cette représentation : définition, propre,
genre ou accident. Mais il s'agit aussi de la chose (tÚ prçgma), de la nature
signifiée sous ce sujet et sous cet attribut; tantôt c'est la même pour les
deux, tantôt c'en est une autre pour chacun. Par exemple, dans la remarque qui
suit immédiatement, Aristote dira que lorsque l'attribut est une raison (i.e.
une conception complexe), le sujet est tantôt un nom (i.e. une conception
simple), tantôt une raison, ce qu'il justifie en signalant que quelquefois la
chose sous la raison (i.e. signifiée par un sujet complexe) peut se définir, ce
qui implique que le sujet (même complexe) qui la signifie puisse recevoir
l'attribution d'une raison.
[18] La même
méthode, i.e. les règles d'un processus rationnel qui conduit à la même
conclusion ou à quelque énoncé qui lui soit lié immédiatement. Ici, tel attribut n'est pas définition de tel
sujet entretient cette proximité avec tel
attribut n'est pas (ou ne signifie pas) la même chose que ce sujet. Il y
aura semblable proximité, en 102a37ss, entre tel attribut est genre de telle chose et de telle chose et telle chose est de même genre que telle
autre.
[19] Celle que
signifie le sujet et celle que signifie l'attribut qu'on ambitionne de
constituer en définition.
[20] Si le sujet
(v.g. l'homme) et son attribut (v.g. l'animal blanc) ne renvoient pas toujours
à la même réalité (i.e. si quelque homme n'est pas animal blanc ou si quelque
animal blanc n'est pas homme), cet attribut ne saurait s'attribuer comme
définition à ce sujet.
[21] Si l'attribut
(v.g. manteau) renvoie universellement à la même réalité que le sujet (v.g.
pelisse; donc si toute pelisse est manteau et si tout manteau est pelisse), il
ne lui convient pas nécessairement comme définition.
[22] ÉAntikathgore›tai
toË prçgmatow : s'attribue à la chose aussi bien que le nom (ou la
raison) par lequel on se la représente comme sujet face à cet attribut qu'on
dit propre. I.e.: s'il y a propre, il s'attribue à tout ce à quoi s'attribue le
nom sous lequel la chose est représentée comme sujet et, réciproquement, ce
nom de la chose s'attribue à tout ce à quoi le propre s'attribue. De sorte que
— mais ce sera là, contrairement à l'interprétation traditionnelle, non pas ce
qu'affirme directement ici Aristote, mais sa conséquence immédiate — si un
attribut est effectivement un propre, son sujet s'attribue aussi bien à lui que
lui à son sujet. Voir encore Brunschwig 122, n. 1. Voir aussi l'usage de éntistr°fein, 154a36-b1.
[23] Que celle
signifiée par le sujet.
[24] Et appartient
aussi à autre chose.
[25] Cf. supra, note 18.
[26] Le contexte
sollicite tous les aspects agressif (contre),
relatif (en relation à) et plus
simplement déterminatif (concernant)
de prÒw. Les
traducteurs s'en tiennent ordinairement au dernier, plus neutre. Mais il est
plus savoureux de suivre l'esprit dialectique, toujours tourné vers l'attaque;
le contexte destructif du passage suivant y invite fortement d'ailleurs.
[27] Comme
Brunschwig, nous adoptons la leçon ‘tÚ’ ÍpÚ tÚn ırismÚn plutôt que ‘t“’. Voir
Brunschwig, n. 1, p. 9.
[28]... eau d'une
autre source, en tant que dites toutes deux la même chose que la première
eau,... Contrairement à ce qu'en dit Brunschwig (voir note 3, p. 10), c'est
bien l'eau qui est dite différente. Mais comme c'est dans sa façon d'être dite
la même chose que celle d'une même source, cela ne change pas le sens de parler
du cas de cette eau.
[29] I.e. les quatre
chefs d'attribution : définition, propre, genre et accident. De ce (
§k t«n), i.e. que les propositions dont sont issues les
raisons tirent origine de ces chefs d'attribution; par ce (diå toÊtvn), i.e. que l'inférence qui s'ensuit de
l'agencement de ces propositions repose aussi sur ces chefs d'attribution et
leurs caractéristiques essentielles; contre
ce (prÚw
taÊta),
i.e. que les positions que vont chercher à détruire les conclusions, et donc
les conclusions aussi, tirent encore origine des mêmes chefs d'attribution.
[30] Voir supra, note 1.
[31] Voir supra, note 22.
[32] TÚ mhden‹ dokoËn. En cohérence
avec la définition donnée en I, 1, 100b21, il faudrait traduire : «ce à quoi
personne ne s'attend». Mais il est plus utile de garder la cohérence avec les
prochaines lignes où il y aura beaucoup opposition avec les endoxes du grand
nombre.
[33] To›w dokoËsin
§ndÒjoiw e‰nai : ce
dont il tient lieu d'endoxe que ce soit endoxal, ou ce qui donne bien l'impression d'être endoxal. Plutôt qu'un
pléonsame, il faut le voir comme un superlatif.
[34] Poser, c'est un
acte propre au répondeur, c'est l'effet de sa réponse. Si la demande est une
proposition, la position (≤ y°siw) sera la contradictoire sur laquelle le
répondeur met le sceau de l'endoxal : la position est alors une opinion ferme,
un endoxe. Si la demande est un problème, la position (dite tÚ
§j érx∞w ke¤menon, la position initiale, ou ≤ ÍpÒyesiw, la supposition ) sera la contradictoire
que le répondeur choisit de soutenir pour bénéfice d'examen, ce qui deviendra
la cible de toutes les agressions du demandeur. Ce qu'Aristote donne ici comme
sens à position dérive du premier cas
et en fait comme un intermédiaire entre les deux. En effet, le répondeur peut,
à la demande qui lui est faite, répondre en en posant la partie paradoxale, si
quelque sage notable s'est déjà prononcé en ce sens. Le demandeur peut
toujours, alors, l'utiliser comme proposition (il est intéressant à cet effet
de noter que les exemples de telles positions
sont introduits par ˜ti, signe de la proposition, et non par pÒteron, signe
ordinaire du problème) et poursuivre l'attaque en cours; mais l'effet le plus
naturel de cette réponse sera de transformer la demande propositionnelle qui
était faite en problème et de se faire position initiale pour son examen.
[35] ÑUpÒlhciw. L∞ciw, obtention, désigne la visée de la
demande : obtenir que la proposition soit effectivement posée. Il faut
comprendre ÍpÒlhciw dans le même
sens, avec une nuance d'arrogance si on peut dire, dûe à ce qu'on demande et
cherche à obtenir la position de quelque chose de paradoxal, d'inacceptable,
selon les critères ordinaires : une véritable prétention donc.
[36] ÖEfodow. À cause du
contexte dialectique, je préfère le sens plus violent : l'induction dialectique
fait effectivement une certaine violence à la raison en la portant à
l'universelle sans une énumération vraiment satisfaisante, sur le seul fait de
ne pas rencontrer d'exception. Voir 14, 105b10-12; VIII, 8, 160b3-5.
[37] Je lis mØ tåw
§nant¤aw plutôt que µ tåw
§nant¤aw ou µ ka‹ tåw
§nant¤aw. Je m'accorde assez avec les remarques
de Brunschwig (voir p. 19, n. 5). Toutefois, je préfère garder tãw; sans doute, le
parallèle avec le mØ parãdojow du ch. 10 serait plus complet sans cet
article; toutefois, garder l'article fait moins appel aux conjectures concernant
les corruptions du texte par des copistes ou des éditeurs et permet un lien
assez heureux avec la même expression revenant en 105b2 : ici, il s'agit de
refuser directement le contraire des endoxes courants; là il s'agira
d'admettre ce qui contredit le contraire des endoxes courants. Je ne vois pas
de raison de refuser ce parallèle, d'autant plus qu'en 105a2 Aristote écrira
explicitement le •ndÒjoiw qu'on a besoin de sous-entendre ici.
[38] Ta›w
fainom°naiw. Comme je l'ai déjà fait remarquer (voir La conception aristotélicienne du dialogue, pp. 154-155), fa¤nesyai ne connote pas
toujours, loin de là, la fausse apparence : avoir
l'air sans l'être. Bien au contraire, c'est plutôt l'être manifeste qui
habite son sens le plus normal : non
seulement être mais même en avoir tout l'air aussi. Comme il s'agit ici de
distinguer ce qui peut faire office de proposition dialectique, le fainÒmenon, c'est ce qui
est manifestement endoxal, ce qui en a tellement l'air, et aux yeux de tous,
que cela ne peut pas ne pas l'être et qu'on ne peut pas même lui préférer une
proposition contraire que quelque sage verrait comme endoxale. Dans ce
contexte, fainom°naiw est synonyme
de dokoËsaiw; il sous-entend
ici dÒjaiw, ce qui nous
amène à traduire comme dokoËsin
§ndÒjoiw en 104a14. Il arrivera encore, par la
suite, que fa¤nesyai signifie la
même chose que doke›n, tenir lieu d'endoxe,
avec une nuance de renforcissement : tenir
manifestement lieu d'endoxe (v.g. 105b10).
[39] Voir supra, 10, 104a13-14.
[40] [OÏtvw].
[41] Les actes du demandeur
et du répondeur se chevauchent dans le texte. Aristote règle la conduite du
demandeur (on doit proposer, [chercher à] obtenir, faire choix, signaler les
autorités) sur l'attitude escomptée du répondeur : quand on, i.e. le demandeur,
agit ainsi, on, i.e. le répondeur, [accepte de] poser.
[42] Remarque
difficile à cause de son asymétrie. Mais assez manifestement, il faut opposer prÚw filosof¤an à prÚw dÒjan et non à dialektik«w. En somme,
Aristote prévient une objection qui pourrait s'adresser au caractère grossier
de la division (purement endoxale) qu'il vient de proposer. Cette objection
vaudrait, concède-t-il, si on visait une connaissance philosophique; car alors
on serait tenu de présenter la vérité la plus distincte et assurée. Mais ici,
on se propose de procéder dialectiquement; aussi, pas besoin de viser à une
division philosophique, qui se voudrait vraie dans le détail mais le serait
sans profit, puisque de toute manière c'est à classer l'endoxe qu'elle servira.
Viser ici à une division endoxale suffira.
[43] Comme
Brunschwig (p. 21, n. 2), je lis protãsevn, plutôt que protãsevw, le pluriel
référant mieux au premier instrument dialectique.
[44] Les expressions
par quoi je traduis en 13, 104a23 la description des deux premiers instruments
ne sont pas assez consacrées en français pour que je puisse, comme Aristote
ici, y référer de façon abrégée.
[45] Le paragraphe
précédent a complété la description du second instrument comme tel. En effet,
la fonction de l'instrument se limite à fournir le critère immédiat d'abondantes propositions endoxales. Dès que
l'énoncé considéré fait figure de problème, il n'est plus du ressort de
l'instrument, mais du lieu, qui va permettre de sélectionner, parmi les
propositions immédiates issues de l'instrument, celles dont sa solution pourra
s'inférer. Il n'en va pas différemment en matière de distinction de
l'homonymie. Cependant, le problème de l'homonymie a quelque chose
d'instrumental dans sa nature; c'est un problème à résoudre avant et en vue de
la solution de tout autre; déjà comme problème rationnel, mais même avec une
précédence spéciale parmi les problèmes rationnels : car sans le résoudre
d'abord, on ne sera souvent même pas à même de comprendre sur quoi porte au
juste le problème qu'on veut principalement soulever. Aussi Aristote va-t-il en
fournir tout de suite les lieux. Le mot pÒteron, par lequel Aristote débute ce
paragraphe, nous indique expressément qu'on passe maintenant à la considération
du problème de l'homonymie, qu'on n'en reste plus à la simple quête de propositions
endoxales immédiates exprimant les différentes manières admises d'emblée
d'attribuer les choses. En effet, Aristote a caractérisé par cette particule
interrogative les problèmes, en 4, 101b32ss, et a été fidèle depuis lors à la
garder pour l'expression de problèmes. La seule exception, en 14, 105b22, 23,
24, se comprend bien, puisqu'il s'agit d'exemples de propositions dont il dit
tout de suite après (105b25) qu'ils pourraient tout autant exemplifier des
problèmes.
[46] I.e. un
attribut.
[47] Piquant et doux
traduisent ici ÙjÊ et émblÊ, traduits plus haut par aigu et arrondi. Je
n'aurais pu garder l'aigu et l'arrondi pour ce qui concerne les
saveurs.
[48] I.e. l'attribut
dans le problème en vue duquel on doit d'abord déterminer s'il est ou non
homonyme.
[49] Toujours le nom
qui sert d'attribut (ou encore de sujet) dans le problème dont on se demande,
avant de l'investiguer lui-même, si ce qu'il demande est un ou multiple,
synonyme ou homonyme.
[50] ÖOnow, littéralement âne. Comme Brunschwig, je préfère
transposer pour qu'on trouve dans l'exemple un nom qui désigne couramment à la
fois un animal et une machine.
[51] ÉOjÊw. Il est
difficile en français de parler de saveur aiguë.
[52] Tåw diaforãw, abréviation de
tåw
diaforåw eÍre›n, nom et description du troisième instrument en 13, 105a24.
[53] Attribut ou
sujet.
[54] ToÊtvn. Je ne
m'explique pas le pluriel. D'ailleurs, le texte donne
§ke›no à la ligne suivante. Mais toÊtvn revient en
108a18!!!
[55]Top. I-VII : tout ce qui concerne la
découverte de l'abondance de l'argumentation : les genres de problèmes, les
modalités d'attributions, les instruments et surtout les lieux.
[56]Mieux qu'ordre (voir Tricot), qui réfère trop
directement à l'ordonnance interne pour nommer la première des deux
considérations qu'Aristote englobe dans ce cas : cette première considération
situe toute la demande en regard des autres opérations dialectiques (choisir le
lieu d'agression, s'adresser à l'interlocuteur) et philosophiques; la seconde
(155b29ss) déterminera la place que doivent occuper les unes par rapport aux
autres les demandes particulières selon leur nature (nécessaires,
paranécessaires).
[57] ÉEpixeire›n.
Un
autre mot dont la traduction est d'importance capitale pour l'intelligence et
la cohérence des Topiques. Dans le
choix de ce verbe et du substantif correspondant,
§pixe¤rhma, pour désigner l'opération dialectique
par excellence, Aristote marque combien il s'agit toujours naturellement, pour
le dialecticien, de réfuter une position, de conclure en contradiction avec
un énoncé formulé auparavant. Attaquer
et ses dérivés conviennent merveilleusement pour garder sa vitalité à ce
vocabulaire aristotélicien. Attaquer
(avec attaque, difficile à attaquer, attaquant,
et en adjectif, agressif) fournissent
une rare opportunité de traduire avec cohérence en français toutes les
occurrences du groupe
§pixere›n (
§pixe¤rhma, dusepixe¤rhtow,
§pixeirhmatikÒw, etc.), Tricot, par exemple, traduit ici attaque, mais exécute dans le reste du
texte un slalom déconcertant entre discussion
(158a35), argument (158b13), épichérème (162a16), combat (158b1), objection (160b15). Il devient ainsi fort difficile pour le lecteur
de percevoir qu'Aristote parle toujours alors d'une réalité simple et unique :
l'argument propre au dialecticien, en sa présentation la plus ordinaire.
[58]Mais non
identique (cf. l'usage semblable fait de ˜moiow en 155b14, en
opposition explicite à taÈton : toËto dÉ ¶stin ˜moion
§pagvgª, oÈ mØn taÈtÒn ge). Il y a chez le
savant quelque chose qui ressemble (ımo¤vw) à l'usage de
lieux — il faut bien que lui aussi découvre et détermine des principes pour
son argumentation —, qui n'est pas identique, toutefois, car les principes qui
conviennent à une démonstration ne se trouvent pas strictement par l'usage de
lieux, mais par l'intuition de l'essence du sujet. Le savant n'a rien à faire
de précautions dont l'effet serait de faire recevoir la démonstration par son
disciple un peu malgré lui, sans qu'il voie trop venir.
[59]TaËta. Il faut bien
appréhender le contexte pour saisir la visée de ce démonstratif. Le
dialecticien trouve d'abord un lieu d'où attaquer la position initiale prise
sur le problème; en ce lieu, en cette affinité d'attribution, il se voit
suggérer, comme principes éventuels d'une attaque, tels et tels endoxes ayant
cours sur le sujet du problème. Reste à ordonner leur utilisation et à passer à
l'acte. — À noter que je traduirai régulièrement le neutre pluriel grec par le
neutre singulier français. Ce procédé entraîne bien sûr un aspect plus
abstrait, mais l'avantage est tellement grand, à la longue, pour ce qui est
d'alléger le texte et pour éviter de restreindre la portée des remarques
d'Aristote à un contexte trop déterminé, que je ne puis y renoncer.
[60] ÑO
zht«n kayÉ •autÒn, celui
qui cherche d'après lui-même, celui, en somme qui se fait son propre
répondeur : il mène l'investigation seul et se trouve comme à dialoguer avec
lui-même, intérieurement. Notons bien que ı dialektikÒw et ı zht«n
kayÉ •autÒn ne sont pas opposés ici comme le dialecticien avec quelqu'un dont
l'activité n'urait rien de dialectique. ÑO zht«n kayÉ •autÒn, c'est le
dialecticien qui n'a rien à redouter de dispositions imparfaites de son
interlocuteur, soit qu'il agisse seul et se fasse son propre interlocuteur,
soit, cas idéal, que son interlocuteur soit si adéquatement disposé qu'il n'ait
aucun besoin d'être mis à l'épreuve; bref, c'est le dialecticien qui investigue
purement et simplement le problème soulevé, c'est ≤
dialektikØ kayÉ aÍtÆn, la
dialectique en elle-même, dont parle Aristote en Réf. soph., 34, 183a39. Et celui qu'Aristote oppose ici à celui-là
est ı
dialektikÚw pris plus étymologiquement; c'est le dialecticien
dans les difficultés particulières liées strictement au dialogue extérieur: l'interlocuteur
risque beaucoup, au moins en quelques moments de l'investigation, de
s'identifier trop avec la position ou le propos initiaux, et d'obliger son
interlocuteur à le soumettre lui-même à l'examen autant que le problème. Bref,
ce dialecticien contraint de se préoccuper de trouver une présentation de ses
demandes adéquate aux dispositions de son interlocuteur, c'est le probateur, ı
peirastikÒw.
[61]Yª. Ce terme dit
bien la responsabilité caractéristique de l'office du répondeur. Le demandeur
propose : il suggère; et le répondeur dispose : il refuse le point de départ
suggéré, ou bien, dans le meilleur cas, il l'accorde (d¤dotai) et lui donne
sa propre garantie : il le pose
lui-même. Je traduirai uniformément par poser
le verbe (d¤dotai), le plus
possible, bien qu'il faille quelquefois sentir, comme ici : vouloir ou refuser de poser.
[62]
ÉAji≈mata. Aristote emploie plusieurs synonymes pour signifier les prémisses
comme des demandes. J'essaie de rendre dans la traduction l'éclairage que
produit cette variété. Ainsi, il est intéressant de noter qu'éj¤vma a le sens d'une
demande plus exigeante, ce qui convient bien au caractère péremptoire de la
prémisse scientifique que le démonstrateur, à parler strictement, exige plutôt qu'il ne la demande.
[63]Lambãnein. C'est un terme
typique pour rendre l'opération caractéristique du demandeur par son intention
la plus prochaine, par son succès. Quand il fait bien son office, le demandeur obtient les prémisses dont l'argument
devra être constitué. Dans un souci de cohérence pour les termes-clés, je
traduirai le plus uniformément possible lambãnein par obtenir; bien qu'il faille souvent sentir quelque chose comme chercher à obtenir; ou que, comme ici,
le rapport soit quelquefois plutôt au lieu dont il faut tirer, puiser, prendre les prémisses, qu'au répondeur dont il faut
les obtenir.
[64]TÚ kayÒlou, c'est la
proposition universelle, celle dont le raisonnement principal tire toute sa
force. Voir 156a28 : tØn kayÒlou prÒtasin.
[65]LÒgow. Comme raison en français, lÒgow désigne non
seulement la faculté, mais très souvent aussi son fruit, la conception issue de
cette faculté. Le lÒgow désigne toujours alors une conception complexe : tantôt une définition ou une
notification de quelque sorte, produite en vue de la représentation d'une
nature incomplexe, comme en 160a32 et 162b37; tantôt un énoncé, ordonné à
l'expression d'une vérité, d'une opinion ou d'une supposition quelconque,
comme en 183b4; tantôt même un argument, rendant compte d'un progrès du connu à
l'inconnu, et même tout le dialogue qui l'enveloppe, comme ici et souvent dans
le livre VIII. On ne peut sans violence traduire lÒgow par raison dans tout contexte, bien qu'on
trouverait souvent précieux, pour se placer du point de vue d'Aristote, de
disposer d'un mot qui désigne l'œuvre de la raison sans une restriction
immédiate à tel de ses actes.
[66]Sullog¤zesyai ne signifie pas
seulement, de manière intransitive, l'agencement des propositions conduisant à
une conclusion. Il peut aussi signifier, de manière transitive, l'acte final de
tirer la conclusion; il a alors pour objet direct la conclusion. Raisonner, en français, ne se prête pas
à cet usage. Aussi dois-je contourner la difficulté par une périphrase comme obtenir par raisonnement, ou parler de conduire le raisonnement à tel terme, ou
encore traduire carrément par conclure,
comme en 156a12. Il en va de même pour sullogismÚw toË sumperãsmatow (en 156a20) par le raisonnement du propos initial et le raisonnement de la conclusion.
J'essaie de donner ici l'approximation la plus voisine possible : le raisonnement conduisant au propos
initial et le raisonnement visant la
conclusion principale.
[67]Pour
l'intelligence de ce qui va suivre, il faut absolument se situer dans un
contexte de dialogue et avoir très présent à l'esprit que chaque opération
signalée par Aristote sera propre à l'un ou à l'autre interlocuteur, au
demandeur ou au répondeur. Or Aristote précise rarement lequel; cela a
l'avantage d'alléger énormément le texte et Aristote peut se le permettre du
fait que le contexte parle assez clairement. Je suis sa manière en traduisant on chaque fois, justement, que la
précision n'est pas faite, et cela même lorsque, un peu plus loin, Aristote
parle au pluriel. Dans le cas présent, par exemple, dans si on ne pose pas, c'est le répondeur qui est visé et c'est en
retour au demandeur qu'il est prescrit qu'on
doit l'obtenir en le proposant moyennant une induction.
[68]Que comporte de
soi l'universel, abstrait des choses.
[69]XrÆsimow. Ici synonyme,
en moins fort, d'énagka›ow, quelques lignes plus haut. Marque la
nécessité conditionnelle de la proposition dont on a besoin pour obliger par
raisonnement la concession d'une autre qu'on ne pourrait obtenir en elle-même
immédiatement. Plus loin (v.g. 156a10), Aristote va qualifier ainsi jusqu'aux
propositions des préraisonnements qui obligeront la concession des propositions
nécessaires.
[70]Préraisonnement plutôt que prosyllogisme, pour garder le lien avec raisonnement.
[71]ToË
§j érx∞w [prokeim°nou] : la
conclusion que se propose dès le point de départ le demandeur, en opposition à
la position initiale du répondeur: ≤
§j érx∞w y°siw, ou tÚ
§j érxhw ke¤menon.
[72]C'est par des
précisions de ce style qu'on sent qu'Aristote garde toujours bien nettement à
l'esprit la distinction entre investigatoire pure et probatoire. Car pourquoi
signaler spécialement le cas où on use de dissimulation si, déjà théoriquement,
ce ne devait jamais être autrement?
[73] ÉEke›na ÍfÉ
œn ı sullogismÚw g¤netai, celles sous
lesquelles le raisonnement s'effectue : il s'agit de ces propositions
plus universelles dont on a dit auparavant qu'il fallait obtenir par préraisonnement
les propositions nécessaires comme de
plus haut, et même du plus haut possible (énvtãtv, 155b30).
[74]Ofike¤vn : agencées en un
même raisonnement pour produire ne même conclusion. Voir la paraphrase
d'Alexandre (527, 27) : T«n går ofike¤vn ka‹
prÚw tÚ aÈtÚ suntelous«n sump°rasma protãsevn
§fej∞w tiyem°nvn, tant qu'on pose à la suite les propositions apparentées et concourant à
la même conclusion.
[75]TÚ mØ doke›n
élÒgvw érne›syai — TÚ
dokoËn aÈto›w. Il est bien difficile de traduire uniformément doke›n. Tricot et
Brownschwig, par exemple, y vont à cet effet de dizaines de termes plus ou
moins différents dans leur traduction des Topiques.
Pourtant, le vocable est extrêmement précieux et le lecteur a besoin de sentir
sa réitération dans le texte, car c'est lui qui donne vie au terme trop vite
technique ¶ndojow. Doke›n marque le fait
d'être attendu, de donner l'impression, de paraître fortement, d'être
spontanément pensé, bref tout ce qui fait l'endoxal,
tout ce qui donne naissance à l'endoxe.
Il est pratiquement impossible de se fixer rigoureusement sur une traduction
d'inspiration unique pour la famille ¶ndojow, dÒja, dok«. Endoxal, endoxe, tenir lieu d'endoxe (ou
être endoxal, faire figure d'endoxe, être
jugé endoxal, etc.) joueraient assez bien le rôle, à les prendre dans
l'esprit de ma présentation du mot endoxal
plus haut (cf. supra, p. 22,
note 1). Malheureusement toutefois, tenir
lieu d'endoxe, à cause de son caractère de néologisme, fait plutôt obscur
au départ, alors que le verbe qu'il traduit veut donner une note concrète à
l'exposé. Cet effet obscur serait spécialement regrettable quand cette
traduction viendrait renforcir l'aspect pléonasmique d'expressions où le rôle
de dok« devrait être au
contraire de jeter de la clarté sur les termes plus abstraits que sont le
substantif dÒja et l'adjectif ¶ndojow. Par exemple, en
Top., I, 1, 100b21 : ÖEndoja d¢ tå
dokoËnta pçsin donnerait: Est
endoxal ce qui tient lieu d'endoxe auprès de tous. On pourrait aussi
imaginer de fonctionner à partir d'une étymologie première de ces termes et
traduire : attendu, attente, s'attendre;
le paradoxal deviendrait alors l'inattendu. Par exemple : Est attendu ce à quoi tous s'attendent.
Tout cela, encore, conviendrait à peu près, sauf qu'en général le sens
paraîtrait moins fort : inattendu
fait moins péjoratif que paradoxal et
attente moins contraignant qu'endoxe. Un passage comme le suivant,
par exemple, sonnerait un peu faible : «Tant que l'homonymie échappera à
l'attention, on s'attendra à ce qu'on objecte à la proposition.» (Top., VIII, 2, 157b7-8) On ne sent pas
l'actualité de l'objection présentée, on est trop tourné vers le futur.
Comparer : «... il sera bien endoxal qu'on objecte à la proposition.» En outre,
on manquerait d'un mot pour paradoxe
(contre attente?). Je naviguerai entre les deux options. Je m'en tiendrai
de fait le plus possible au groupe endoxal,
endoxe et être endoxal. Ce sera strictement le cas pour l'adjectif et le
substantif. Quant au verbe, je réserverai la racine d'aspect plus latin (s'attendre) et une expression de sens
apparenté (donner l'impression) pour
les cas, surtout au début, où il s'agit de présenter et de rendre familier l'¶ndojow et où être endoxal ferait trop obscur. Les
exemples précédents deviendront donc : Est
endoxal ce à quoi tous s'attendent et :... on donnera bien l'impression d'objecter à la proposition. Il faudra
prendre garde, toutefois, à ne percevoir aucune couleur péjorative dans
l'expression donner l'impression :
dans le contexte, elle fait abstraction de ce que cette impression corresponde
exactement ou non à la réalité; elle dit simplement que les faits se présentent
de façon que l'option la plus raisonnable, l'option endoxale, soit de les
accepter comme tels.
[76]TÚ toioËton, un énoncé de
la nature de celui qu'on est à demander.
[77]Le propos
initial, la conclusion recherchée par le demandeur, en opposition à la position
initiale fixée par le répondeur.
[78]
ÑUpolambãnontew, répondant de. Un terme
intéressant pour désigner le répondeur : face à l'intention du demandeur d'obtenir, de lambãnein, le répondeur sous-obtient, il suit l'obtention, la soutient,
la garantit en quelque sorte en concevant
à la suite du demandeur ce que celui-ci suggère; voir Sec. Anal., I, 33, 89a4 : DÒja...
§st‹n ÍpÒlhciw.
[79]LÒgow. Non pas la
faculté, mais son oeuvre, son raisonnement, comme lorsqu'on dit : «Donne-moi
une raison.»
[80]Suggen«n, choses de même genre.
[81] ÑOmo¤vw
l°getai, i.e. est connu par l'attribution d'une nature semblable, qu'on la
nomme ou non par le même nom.
[82] ÉApaite›n. Relire supra, note 8.
[83]Le propos (tÚ
proteinÒmenon) est la conclusion visée par le demandeur, à l'opposé de la position
initiale. Comme il est justement ce qui fait l'objet de la controverse, il ne
peut normalement pas être donné en objection à la demande induite pour le
conclure. À moins qu'on ne puisse montrer de quelque façon qu'il est l'exception
unique. «Par exemple, si quelqu'un veut prouver que la dyade n'est pas un
nombre premier à partir de ce qu'aucun nombre pair n'est premier et qu'il
prouve cette proposition par l'induction de tous les nombres pairs hors la
dyade, sur laquelle porte la controverse, le répondant ne peut apporter
d'objection sur aucun nombre pair hors la dyade. Toutefois, il résout encore
l'argument, s'il montre que c'est là le propre de la seule dyade d'être un
nombre premier [pair]; et s'il ne montre pas cela, il reste tenu d'apporter une
objection en quelque chose de distinct.» (S. Maurus, In VIII Top., c. 2, #5)
[84]La négation est
ajoutée, à bon droit, par Ross.
[85]Sullog¤zesyai.
[86] ÑVw élhy¢w
tiy°nai : une expression qui dit bien le caractère de succédané du vrai comme tel qui constitue l'intérêt et la
légitimité de l'endoxal.
[87] ÑUpoy°seiw. Je préfère suppositions à hypothèses, pour garder la cohérence avec le vocabulaire de même
famille utilisé antérieurement : position,
poser. En général, à moins que cela ne risque trop d'obscurcir, j'ai opté
pour une traduction d'étymologie latine, plus vivante parce que plus en rapport
avec le génie de la langue française.
[88] ÜOrvn. On attendrait Ípoy°sevn (ou problhmãtvn, voir 158b16),
comme au début du chapitre : ce qu'on attaque, c'est la position déterminée au
moment d'aborder l'examen d'un problème. Définition
se comprend toutefois dans le contexte, puisque c'est l'un des contenus
éventuels — et le plus convoité — d'une telle position initiale.
[89]
ÑUpolambãnein. Le vocable typique à la fonction du demandeur, qui ne peut prendre
lui-même la responsabilité d'aucun énoncé, serait plutôt lambãnein. Le demandeur cherche à obtenir (lambãnei) que le
répondeur suppose (Ípot¤yetai) ou pose (t¤yetai) ce sur quoi
lui, le demandeur, veut appuyer le raisonnement, l'attaque (
§pixe¤rhma). ÑUpolambãnein marque comme
une insistance plus grande, comme une anticipation du demandeur sur cette
garantie qu'il attend du répondeur.
[90] Grãfesyai. Terme
technique facilement compréhensible pour la démonstration géométrique, qui
comporte beaucoup de tracés.
[91]Fa¤nesyai. Il faut
entendre ici l'apparence comme un renchérissement : le répondeur doit faire en
sorte que le paradoxe non seulement ne vienne pas de lui, mais en plus n'ait même pas l'air de venir de lui.
[92]Tã dokoËnta. Il est
frappant et peut être troublant de constater comment Aristote ne se fait pas de
scrupule d'employer le même vocabulaire, exactement, pour désigner les
principes et les opérations du démonstrateur et du dialecticien. Souvent, alors
même qu'il insiste tellement sur le fait que le démonstrateur n'a aucunement à
demander ses principes, il désigne les principes de la démonstration dans un
vocabulaire à saveur de demande — éji≈mata, afitÆmata —. Et voilà ici
qu'il nomme ces principes endoxaux,
attendus, justement pour signifier que, contrairement aux principes du
dialecticien, ils ont à être pensés par le disciple, qu'il doit non seulement
les concéder pour fin de raisonnement, mais y adhérer. Comparer la formule plus
claire, bien qu'elle-même fasse appel à un vocabulaire de goût rhétorique, de Réf. soph. (2, 165b3): «De› går
pisteÊein tÚn manyãnonta — Il faut que le disciple [y] croie.»
[93] àO mÆ doke›
èpl«w. — àO
doke› èpl«w.
[94]Hors
contexte, cette règle paraît un peu étrange et contribue sans doute à
l'impression d'amoralité
intellectuelle que beaucoup tirent de la lecture des Topiques. Mais dans le contexte elle est simplement cohérente et
parfaitement saine. Devant un énoncé dont une contradictoire est endoxale et
l'autre adoxale, on a une alternative: ou bien le caractère endoxal de l'une
satisfait et on refuse d'y voir un problème; ou bien on accepte de soumettre à
l'examen cet énoncé, on veut bien y voir pour le moment un problème et du fait
même on est tenu d'accepter la lumière qui vient de tout ce qui est plus
endoxal que l'opposé de la position choisie: c'est que cette décision d'en
faire un problème place d'autorité les deux contradictoires de l'énoncé comme
sur un pied d'égalité.
[95]Tå fainÒmena
pãnta — tå mØ dokoËnta — ˜sa mçllon
¶ndoja. La parenté du vocabulaire d'Aristote pour désigner les principes
dialectiques et sophistiques prête quelque peu à confusion. Tout tient à
l'homonymie de termes comme fa¤nesyai et doke›n, aussi capables de signifier avoir
l'air sans être que être manifestement.
[96]Pour autant
que toute autre façon de faire rend la discussion incohérente dès le point de
départ : le répondeur se trouverait à n'avoir fait que semblant de prendre le
problème pour problème et agirait ensuite comme s'il se refusait à l'examiner.
[97]TÚ ke¤menon, la position initiale.
[98]ToË
[prokeim°nou]
§n érxª — [tÚ
ke¤menon]
§n érxª. Il faut toujours se rappeler le
contexte : une position initiale (tÚ ke¤menon
§n érxª) du répondeur face au problème (demande
initiale) détermine le propos initial (tÚ proke¤menon
§n érxª) du demandeur, contradictoire de cette
position initiale. Devant chaque nouvelle demande produite, le répondeur doit
discerner si elle permet de conclure ce propos initial : i.e. est-elle
pertinente, sans être identique?
[99]Le sens de cette
règle est-il de repousser carrément la demande? Ce paraît l'avis des
commentateurs. V.g. Sylv. Maurus (C. III, #14): «Si ce qu'on postule a
l'air vrai et conduit à ce dont on dispute, on doit dire que bien sûr cela a
l'air vrai, mais que puisque c'est connexe à ce dont on dispute et que cela
admis la position initiale s'en trouve évincée, ce ne doit par conséquent pas être admis par celui qui défend une telle
position.» (Je souligne) Mais c'est là prêter à Aristote l'étrange mauvaise
volonté d'éterniser systématiquement l'investigation. Car alors, par
définition, toute proposition serait à rejeter comme pétition du propos initial
du fait même qu'elle soit endoxale et
pertinente au problème : donc aucune possibilité de jamais conclure. Il
faut plutôt voir qu'Aristote, ici, fait présenter une double possibilité par le
répondeur, pour que celui-ci joue manifestement bien son rôle et marque
nettement qu'il n'est pas pris au dépourvu et voit venir : 1° avec cette
demande, qu'il convient d'accorder, on conclut et l'examen est terminé, le
problème n'en étant plus un; 2° mieux, on marque le point et on met le
raisonnement de côté pour continuer l'examen, s'entendant pour considérer
encore la question initiale comme problème et lui chercher encore d'autres principes
de solution. Ainsi arrivera-t-on à justifier la description donnée plus loin
(106a14) du rôle du répondeur bien tenu : «Le répondeur aura posé tout ce qui est plus endoxal que la
conclusion.» — Si on se place en contexte probatoire, il y a une implication de
plus : pour tester le demandeur, le répondeur, devant toute proposition
pertinente, somme celui-ci de manifester qu'il n'y a pas pétition du propos.
[100]Le
répondeur.
[101]Et non pas
en raison de quelque condescendance indue.
[102]D°dotai. J'ai
traduit en cohérence avec cet autre contexte, beaucoup plus fréquent, dans les Topiques, où le répondeur est dit accorder au demandeur l'objet de sa
demande. Ici, on lirait peut-être plus aisément : il est permis.
[103]On vient de
prescrire de répondre ou oui ou non, mais on va ajouter que dans le cas où la
réponse est non, il faut en plus objecter.
[104]La
proposition universelle qui fait tout le nœud du raisonnement principal
s'obtient ou bien par une induction, ou bien par application d'un cas semblable
(voir ofl
§j ÍpoyÆsevw sullogismo‹ de Top., I, 18, 108b13), ou bien, mais plus
rarement, par un préraisonnement.
[105] ÉAlhy∞
ka‹ ¶ndoja. Encore une occasion où Aristote ne se fait pas faute
d'utiliser un vocabulaire très parent avec celui de la matière scientifique.
Pourquoi parler de vérité, ici? Est-ce une allusion à la double source de la
matière dialectique : d'abord l'expérience sensible du singulier, tout comme
dans le cas de la science, ensuite ce que la raison a généralement tendance à
en tirer comme généralisation? On aurait des singuliers vrais ou endoxaux,
selon que leur proximité avec l'expérience sensible en permet l'évidence
directe ou le simple témoignage de l'expérience rationnelle ordinaire. À ce
compte, il faudrait identifier cette distinction avec celle qui vient à la
ligne suivante pour notifier l'objection : µ oÎshw µ
dokoÊshw, ou réelle ou endoxale. Mais alors,
pourquoi dans un cas ka‹ et dans l'autre ≥ ?
[106]L'universelle
(tÚ
kayÒlou) et les singuliers (tå m¢n oÔn kayÉ ßkasta) ne s'opposent pas
tant ici comme conclusion et prémisses de l'induction, qu'en correspondance à
la division antérieure des propositions de raisonnement — celle du raisonnement
comme tel, toÊtvn t‹w
§j œn ı sullogismÒw, et celle qui vise
à l'obtenir, tinow toÊtvn ßneka, dont procède le plus souvent une
induction —, comme prémisses du raisonnement principal et de l'induction qui le
prépare. On accorde ou refuse les singuliers demandés sans plus, car
normalement leur caractère endoxal ou adoxal est manifeste; mais si on refuse la
proposition universelle d'où doit procéder le raisonnement, surtout alors
qu'elle est préparée par une induction, il faudra apporter une objection. Les
chapitres suivants (spécialement le c. 10) élaboreront ce qui peut servir comme
tel.
[107]TÚ ke¤menon.
[108]Non pour
faire le difficile, mais parce que cette attention à s'y objecter de toutes les
façons légitimes est ce qui garantit le plus efficacement leur force pour
détruire la position.
[109]Tå dokoËnta. Voir supra, note 38.
[110]Alors que
certaines personnes assises n'écrivent pas et à un moment où Socrate ne serait
pas assis.
[111]Puisque
cela est faux.
[112]I.e. de
nier qu'il soit assis.
[113]Moyennant
addition ou soustraction susceptible de neutraliser l'objection.
[114] ÉEpit¤mhsiw, l'acte de
mettre un prix sur ce que vaut une chose, d'où, à la limite, la réprimande
administrée pour un défaut de la chose.
[115] TÚ koinÚn
¶rgon.
[116]Duskola¤nontew
oÔn égvnistikåw ka‹ oÈ dialektikåw poioËntai tåw diatribãw. Aristote oppose
clairement dispute et dialectique : d'aucune
façon pour lui la dialectique strictement dite n'a pour but de l'emporter sur
quelqu'un.
[117]Nécessité
conditionnelle, bien sûr : comme Aristote va le dire tout de suite, si on
convient de prendre comme problème un énoncé dont une contradictoire est vraie
(qu'on en soit conscient ou non) et si, pour fins d'examen, on doit chercher à
conclure l'opposé (car c'est cela, concrètement, examiner), 1° c'est inévitablement une conclusion fausse
qu'on cherchera à conclure et 2° les prémisses endoxales qu'on trouvera
éventuellement à l'appui, inévitablement,
seront fausses, le faux ne se pouvant conclure que du faux.
[118]La position
initiale.
[119]Voir supra, c. 5, 159b5 : «C'est
toujours l'opposé de la position que le demandeur conclut.»
[120]D'où tant
le répondeur que le demandeur pourra et devra soumettre son interlocuteur à la
probation.
[121]TÚ fainÒmenon. Encore ce
voisinage des vocabulaires dialectique et sophistique.
[122] ÖAnyrvpoi.
[123]À bien
remarquer qu'il ne s'agit ici que de reproches matériels.
[124]Blâmable
parce que procédant d'adoxes mais recommandable parce que procédant malgré tout
de ce que le propos présente de plus endoxal. Voir S. Maurus, In Top., VIII, c. 4, #18 (558) :
«Le raisonnement constitué d'[une matière] improbable, mais moins improbable
que la conclusion, est certes en lui-même répréhensible, en ce qu'il procède
d'[une matière] improbable, mais louable relativement à la conclusion, puisque
procédant d'[une matière] moins improbable que la conclusion et de ce qu'il y a
de plus probable par quoi une telle conclusion puisse se prouver.»
[125]Difficile à
interpréter. Deux possibilités : 1° on a procédé d'endoxes, mais le
problème se prête à mieux encore. Voir Maurus, In Top., VIII, c. 4, #18 (558) : «Si quelqu'un prouve une
conclusion probable à partir d'[une matière] probable, mais en omettant des
propositions beaucoup meilleures et bien plus probables, en lui-même le
raisonnement sera louable, en ce qu'il procède d'[une matière] probable, mais
il sera répréhensible relativement à la conclusion, puisqu'une telle
conclusion pourrait se prouver beaucoup mieux et à partir d'[une matière]
beaucoup plus probable.» Mais le texte grec oppose deux difficultés à cette
interprétation: =ñdion n'est pas le
comparatif et ¬ ne marque pas le conditionnel; 2° on a beaucoup d'endoxes dont procéder, mais la conclusion tirée n'a
rien à voir avec le problème. Voir s. Albert, In Top., VIII, tr. 2, c. 7: «Rien n'empêche un discours,
certes, d'être louable en lui-même, mais répréhensible en regard du problème du
fait qu'il ne fasse rien au propos. Et cela arrive quand le discours est conclu
de ce qui est plus probable et plus vrai et plus facile à prouver, mais sans
cependant concerner le propos.» Une difficulté : le deuxième élément,
l'impertinence, est sous-entendu par Aristote.
[126]I.e. pas
toujours légitime, pas automatiquement légitime.
[127] ÉApÒrhma. Tout
raisonnement dialectique est attaque (
§pixe¤rhma). Mais il est soit une réfutation — et on
peut alors le nommer aussi impasse —,
soit une réduction, un sullogismÚw diå toË édunãtou.
[128] Le
raisonnement est ici d'abord considéré génériquement et nommé du nom commun à
toute œuvre de la raison, lÒgow, puis plus spécifiquement comme
chicanier, et son genre prend alors le nom de sullogismÒw. C'est la
même réalité nommée plus communément et plus précisément.
[129] ToË l°gontow. Le grec
arrive à désigner dans le même mot celui qui parle et celui qui raisonne,
l'interlocuteur et le raisonneur. Il y a à travers tout le texte cette unité de
vocabulaire qui fait identifier comme chose matériellement une la discussion et
le raisonnement (lÒgow).
[130] La
réduction à l'absurde ou au paradoxal est un raisonnement faux, puisqu'il
conclut quelque chose qui n'est pas le propos. Mais, à condition d'être voulu,
il n'est pas pour autant une faute de l'interlocuteur, puisqu'il est
démonstration qu'un de ses éléments, la position initiale, a eu tort d'être
posé, ce qui revient à réaliser le propos, qui est inévitablement sa
contradictoire.
[131] LogikÒw, rationnel, conforme aux exigences de la
raison.
[132] Voir Prem. Anal., II, 16, où Aristote
distingue la requête du propos initial d'autres formes de non-démonstration du
propos. Il s'agit du même vice ici, mais le paysage change substantiellement
selon que c'est en vérité ou selon l'opinion qu'on juge la prémisse et le
propos identiques. Sur le plan du vocabulaire, il est intéressant de remarquer
qu'en Prem. Anal., II, 16, Aristote
rapporte tÚ
§n érxª à proke¤menon (64b29, 39) et
même à deiknÊmenon (65a28); donc à propos et non à question,
et que
§n èrxª est employé de pair avec
§j érx∞w et donc signifie plutôt le fait d'être
initial, au début, dès le début et non d'être mis ou utilisé comme principe.
Spécialement : «TÚ d'
§n érxª afite›syai ka‹ lambãnein
§st‹
m°n, …w
§n
g°nei labe›n,
§n t“ mØ épodeiknÊnai tÚ proke¤menon» (64b28-39), où on
voit bien que afite›syai, postuler,
et `épodeiknÊnai, démontrer, se disputent le même objet : tÚ proke¤menon, le propos. Et : «EÈyÁw éji«sai tÚ
proke¤menon» (64b38-39), donné comme équivalent de «afite›syai tÚ
§n érxª», i.e. réclamer
immédiatement le propos, comme équivalent de postuler le [propos] initial.
[133] Un cas
frappant où
§pixeir«n est pris aussi largement qu'argumenter, synonyme de prouver, syllogiser, qui est son genre.
[134] Gumnas¤a. La
répétition des actes liés à la production des raisonnements, dans un contexte
artificiel qui permet de diviser les difficultés et de développer l'excellence
dans cette production.
[135] Mel°th. L'étude
visant à garder en mémoire tout ce qui va raccourcir le processus de la
production des raisonnements.
[136] La
formulation est étonnante. Aristote semble dire : «On peut mieux attaquer, puisqu'il s'ensuit qu'on défende les contraires.» Du fait de
prévoir mieux les arguments contre lesquels se défendre, on sait mieux par
lesquels attaquer? est-ce cela que dit Aristote? C'est vrai, mais inattendu.
J'attendrais plutôt : ka¤. J'essaie d'articuler le tout : 1º il faut
s'accoutumer à convertir; 2º il faut chercher les attaques contre toute
position, affirmative ou négative; 3º puis leur solution; 4º il faut comparer
et ranger par force attaques et solutions. Résultat : cet appareil abondant et
ordonné d'attaques et de solutions constitue une grande force pour attaquer et
défendre tant un contraire que l'autre.
[137] PrÒw te gn«sin
ka‹ tØn katå filosof¤an frÒnhsin. C'est-à-dire, respectivement, la connaissance
des conclusions et des principes de la science. Assimiler l'intelligence des
principes à une espèce de prudence a vraiment quelque chose d'intéressant, à
cause du caractère immédiat de cette connaissance.
[138] EÔ går filoËntew
ka‹ misoËntew tÚ prosferÒmenon eÔ kr¤nousi tÚ b°ltiston. Il y a chez les
gens bien disposés en regard de la vérité une espèce de flair qui leur fait
anticiper si c'est l'affirmative ou la négative d'un problème qui constituera
le principe ou la conclusion de la science, soit tout de suite, pour les choses
plous apparentes, soit après un examen dialectique, pour les choses plus
obscures, mais toujours immédiatement,
c'est-à-dire sans moyen terme vraiment proportionné.
[139] Les
raisonnements qui attaquent les positions premières?
[140] Qu'est-ce
à dire? Simplement que les répondeurs soulèvent le plus facilement et
fréquemment des objections contre des arguments visant les positions
premières, parce qu'ils en ont l'expérience? Ou, comme pense Tricot, que les
positions premières leur paraissent tellement évidentes qu'ils n'aiment pas en
discuter? Mais la réponse, alors, ne devrait-elle pas leur être plus facile à
donner? À moins qu'on veuille dire que cette impression plus grande d'évidence
porte plus fortement à refuser tout ce qui permettrait de conclure contre? De
là viendrait une importance plus grande de savoir qu'est-ce qui peut attaquer
efficacement, et de pouvoir le présenter avec force, surtout que cela peut
avoir à revenir souvent.
[141] Auxquels
reviennent le plus souvent les raisonnements (voir supra, 163b22), et qu'il faut posséder.
[142] Encore une
remarque où il sera impossible de ne pas voir de mauvaise volonté, si on ne
discerne pas la teinte probatoire qui colore tout cet exposé d'Aristote.
[143] Justement
pour ne pas donner inutilement prise à un grand nombre apparent d'objections,
toutes tirées en fait de la même source.
[144] Gumnas¤a. Aristote
met ici sous ce mot non pas tant l'acte, l'opération de s'exercer, que son
résultat : le fait d'être exercé, la facilité que cela donne par exemple
d'induire ou de syllogiser. On traduirait peut-être mieux alors par pratique, qui a plus facilement les deux
sens. De plus, comme tout usage est déjà exercice et pratique, Aristote ne
limite pas l'exercice à une situation artificiellement créée pour lui et
cherche à faire de tout usage l'occasion d'un exercice plus efficace en
indiquant quelles circonstances naturelles se prêtent le mieux à la pratique de
quoi.
[145] Tout ce
paragraphe est un exemple de la façon dont raisonnement
et discussion (dialogue) s'assimilent,
au point qu'Aristote peut parler sans difficulté de diãlogow, de dial°gesyai et de lÒgow à propos
de la même réalité, et qualifier à la fois le mauvais raisonnement et la
mauvaise discussion avec l'unique mot ponhrolog¤an. Il y a quelque chose
d'un peu semblable tout de même en français avec le raisonnement, qui englobe la discussion
dans certains contextes. Par exemple : «Cesse de raisonner!» est plus large que
: «Arrête ton argument!», «Arrête cet argument déterminé!»