SERMON POUR LE LUNDI DE LA SEMAINE SAINTE.
SUR LE RETARDEMENT DE LA PÉNITENCE.
553
ANALYSE.
Sujet. Marie-Madeleine prit donc une livre d'huile de
parfum qui était d'un grand prix, la répandit sur les pieds de Jésus, et les
essuya de ses cheveux.
Je
vous ai déjà proposé Madeleine comme un modèle de pénitence : mais peut-être
n'y a-t-il eu que trop de pécheurs que cet exemple n'a pas convertis. Mille
obstacles les arrêtent; non pas qu'ils renoncent absolument à la pénitence,
mais ils la différent Or, je veux vous faire voir les suites malheureuses de ce
retardement, et l'affreux danger où il vous expose.
Division. Trois choses sont d'une nécessité absolue pour se
convertir à Dieu : le temps, la grâce et la volonté Or le pécheur qui diffère
sa conversion ne peut se répondre dans l'avenir, ni du temps de la pénitence,
première partie: ni de la grâce de la pénitence, seconde partie; ni de la
volonté de faire pénitence, troisième partie.
Première partie. Témérité du
pécheur qui diffère sa conversion et qui s'assure pour cela du temps, et du
temps de la pénitence. Rien n'est moins dans la disposition de l'homme que le
temps futur. S'assurer donc de ce qui n'est nullement en notre pouvoir,
n'est-ce pas une folie? Des trois différences qui partagent le temps,
c'est-à-dire du passé, du présent et de l'avenir il n'y a proprement que le
présent qui soit à nous, et sur quoi nous puissions compter. Il n'y a donc
aussi que le présent où nous puissions nous promettre de nous convertir.
C'était la belle et importante leçon que faisait l'Apôtre aux Hébreux en leur
disant : Mes Frères, exhortez-vous les uns les autres, tandis que dure ce
temps que l'Ecriture appelle aujourd'hui, parce que vous devez être persuadés
que ce qui s'appelle aujourd'hui est pour vous le temps des miséricordes
du Seigneur : Donec hodie
cognominatur.
Ainsi
le pécheur qui remet sa conversion, outre l'injure qu'il fait à Dieu, trahit ses
propres intérêts et se contredit lui-même puisqu'il ne veut pas se convertir
dans le temps où il le peut, qui est l'heure présente, et qu'il le veut pour un
temps où il ne sait s'il le pourra : car, tout est incertain dans le futur.
Incertain s'il sera; incertain combien il durera; incertain quelle issue il
aura funeste ou heureuse, subite ou prévue. Eh! mon
Frère, conclut saint Jérôme, que vous prenez mal vos mesures, de vouloir faire dans
un temps incertain une pénitence certaine! Vous me répondrez, dit saint
Augustin, que Dieu a promis au pécheur pénitent la rémission de son péché, j'en
conviens. Mais a-t-il promis, au pécheur qui diffère, le lendemain pour faire
pénitence? Dans quel prophète trouvez-vous que, parce que c'est un Dieu de
miséricorde, il doive prolonger votre vie? Il a considéré dans le monde deux
sortes de pécheurs : les uns faibles et pusillanimes, et les autres vains et
téméraires. Il a dit aux premiers : Ne craignez point ; car, quelques
crimes que vous ayez commis, au moment que vous les pleurerez, je les
oublierai; mais il a dit aux seconds : Tremblez; car, quelque authentique que
soit ma promesse, elle ne s'étend point jusqu'à vous répondre de l'avenir.
Il
n'y a donc rien de certain dans le futur, que son incertitude même : il n'y a rien
de certain, sinon que nous y serons surpris. Le Sauveur du monde nous l'a dit
en termes formels : Qua hora non putatis. Après une parole si positive, ajouterai-je au
désordre de mon péché le désordre de la plus criminelle et de la plus insensée
témérité? Combien l'espérance de ce lendemain que j'attends a-t-elle perdu
d'âmes? Et quand je l'aurais, sera-ce un temps de pénitence et de conversion?
Car tout temps n'est pas un temps de pénitence : autrement le Prophète, et Dieu
lui-même, ne nous dirait pas : Cherchez le Seigneur pendant que vous le
pouvez trouver; voici le temps favorable, voici le jour de salut.
Si
nous sommes attaqués d'une maladie, nous ne remettons pas à faire demain pour
notre guérison ce que nous pouvons faire aujourd'hui : mais s'agit-il de notre
âme? J'y mettrai ordre, disons-nous, et j'aurai du temps. Souvenons-nous
qu'il y a des temps et des moments que le Père céleste s'est réservés, et dont
il ne nous appartient pas de disposer. Souvenons-nous que, comme il ne lui a
pas plu d'envoyer en tout temps un Rédempteur et un Messie pour le salut du
monde, il ne lui plait pas de convertir en particulier chaque pécheur dans tous
les temps. Souvenons-nous de ce que dit le Sauveur des hommes en pleurant sur
Jérusalem : Parce que tu n'as pas connu la visite du Seigneur, parce que lu
n'as pas profité de ce jour marqué pour toi, in hoc die tua tri seras
abandonnée. Or, nous le connaissons, Chrétiens, ce temps de la visite de notre
Dieu, et c'est celui-ci. Mais qu'arrivera-t-il si vous écoutez l'esprit du
monde? Vous sortirez de cette prédication avec quelques bons désirs, mais
désirs vagues et sans conséquence : et si votre conscience vous presse, après
vous être défendu par mille prétextes, vous renverrez à un autre temps ce irai
doit avoir la préférence dans tous les temps, je veux dire votre conversion.
Deuxième
partie. Témérité du pécheur qui
diffère sa conversion, parce qu'Use répond de la grâce. Dieu est fidèle; et
parce qu'il est fidèle, nous pouvons compter sur lui et sur sa grâce. Mais il ne
s'ensuit pas que nous puissions compter sur lui et nous assurer de sa grâce à
son préjudice même. Or, se promettre cette grâce pour se maintenir dans
l'habitude du péché, 1° c'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le
méprise; 2° c'est vouloir qu'il soit fidèle aux dépens de tous ses intérêts, et
le combattre parle plus aimable de ses attributs, qui est sa miséricorde; 3°
c'est vouloir que sa fidélité le rende, tout Dieu qu'il est, prévaricateur et
fauteur de notre iniquité.
1°
C'est vouloir que Dieu soit fidèle à celui qui le méprise. Car n'est-ce pas le
mépriser que de résister actuellement à sa grâce? Mais malheur à vous qui
méprisez, dit le Seigneur, parce que vous serez méprisé! Nous voulons nous
convertir quand nous serons rebutes du monde , ou que
le monde sera rebuté de nous. Nous voulons nous convertir quand la nécessité et
une crainte servile nous y forcera. Est-ce traiter
Dieu en Dieu, et se contentera-t-il que nous lui donnions les restes du monde,
et un cœur infecté de vices et de passions? Non, sans doute; et, pour l'honneur
de sa grâce dont il est jaloux, il saura bien punir nos mépris. Il nous
rejettera, il nous dira comme à ces Juifs dont il est parlé au premier chapitre
d'Isaïe : Retirez-vous; je ne vous connais plus, et vos sacrifices me sont à
charge.
2°
C'est combattre Dieu par ses propres armes, et se servir du plus aimable de ses
attributs, qui est sa miséricorde, contre lui-même.
554
Car,
si le pécheur ne comptait pas sur la miséricorde de Dieu, s'il savait que Dieu
fut un maître aussi prompt que terrible dans ses vengeances, il ne tarderait
pas à se convertir. D'où vient donc qu'il remet? c'est
qu'il se repose sur l'idée d'un Dieu patient, et toujours prêt à donner sa
grâce. Ah! Seigneur, s'écrie là-dessus saint Ambroise, que n'éclatez-vous, et
que ne prenez-vous votre cause en main ? Vous seriez alors servi comme vous
devez l'être. Mais que dis je? ajoute le même Père; je
parle en homme, Seigneur, et vous agissez en Dieu. Selon mes pensées, il vous
serait plus avantageux de perdre des rebelles; mais selon les vôtres, il vous
est plus glorieux de suspendre vos coups, et d'arrêter votre justice. Vous
cependant, pécheur, concluait ce saint évêque, n'êtes-vous pas bien coupable de
vouloir moins faire pour un Dieu bon que pour un Dieu inflexible?
3°
C'est vouloir rendre Dieu prévaricateur et fauteur de notre iniquité. Car il le
serait évidemment s'il supportait les pécheurs avec cette patience qui tient de
l'insensibilité, et si, malgré leur rébellion, sa grâce leur était toujours promise.
Et voilà sur quoi Tertullien se fondait pour appuyer ses sentiments, quoique
erronés, touchant la pénitence. Or, tout cela ne doit-il pas engager Dieu à
refuser sa grâce au pécheur, qui d'une année à l'autre use toujours de nouveaux
délais pour retarder sa conversion?
Troisième
partie. Témérité du pécheur qui
diffère sa conversion, parce qu'il se répond de sa volonté. De toutes les
choses du monde, celle dont nous pouvons le moins nous répondre, c'est notre
volonté propre. S'il fallait risquer le saint, disait saint Bernard, je
croirais bien moins hasarder du côté de la grâce de Dieu, qui ne dépend pas de
moi, que du côté de ma volonté, qui en dépend. Mais si ma volonté dépend de
moi, n'en puis-je pas disposer? Oui, reprend saint Bernard, et c'est justement
pour cela même que je dois craindre : car si Dieu m'avait ôté ce pouvoir, et
qu'il se fût absolument rendu maître de ma volonté, je serais en assurance ;
mais comme il a voulu que cette volonté dépendit de moi, qui suis la fragilité
et l'inconstance même, voilà ce qui me fait trembler.
Le
pécheur se flatte qu'après quelques années il aura assez d'empire sur son cœur
pour le dégager de l'esclavage du péché, et il reconnaît que dès maintenant il
lui est presque impossible d'en sortir : contradiction évidente. Si vous êtes
trop faible maintenant pour rompre vos engagements criminels, comment les
romprez-vous quand vous vous serez toujours affaibli davantage?
Ce
qui nous donne encore plus lieu de nous défier de cette pénitence de l'avenir,
c'est que ces pécheurs qui durèrent remettent communément cette conversion
jusqu'à la fin de la vie, et souvent jusqu'au jour même de la mort. Or, est-on
en état alors de faire une bonne pénitence ? A-t-on assez de présence d'esprit
pour y bien penser ? Est-on assez maître de soi-même pour changer tout à coup
de sentiments, et pour devenir ce qu'on n'a jamais été?
Attachons-nous
plutôt au salutaire conseil de l'Apôtre, et au commandement qu'il nous fait de
ne pas recevoir en vain le don de Dieu, qui nous est aujourd'hui présenté. Le
temps est favorable, la grâce abondante, la disposition même de nos esprits et
de nos cœurs avantageuse. Allons donc, et ménageons
des moments si précieux. Disons à Dieu comme David : Dixi
nunc coepi. C'est,
Seigneur, un dessein formé ; je veux être à vous, et sans retardement je vais
me mettre en devoir d'exécuter la sainte résolution que vous m'inspirez.
Moria
vero accipit libram unguenti pretiosi, et unxit pedes Jesus, et extersit pedes ejus capilis suis.
Marie-Madeleine
prit donc une livre d'huile de parfum qui était d'un grand prix, la répandit
sur les pieds de Jésus, et les essuya de ses cheveux. (Saint Jean, chap.
XII, 3.)
C'est pour la seconde fois que,
durant le cours de ce carême, l'Evangile nous représente Marie-Madeleine
prosternée en la présence de Jésus-Christ, répandant un parfum de très-grand prix sur les pieds de ce divin Maître, les
essuyant elle-même de ses cheveux, et renouvelant dans son cœur tous les
sentiments de sa pénitence et de son amour. Modèle que je vous ai proposé,
Chrétiens, selon les intentions de l'Eglise, pour vous engager a rentrer comme
cette sainte pénitente dans le devoir, à sortir comme elle de votre péché, et à
vous réconcilier avec Dieu par une sincère et une prompte conversion. Mais
peut-être n'y a-t-il eu que trop de pécheurs que cet exemple a touchés, et
qu'il n'a pas néanmoins convertis; qui se sont contentés de l'admirer sans le
suivre, et qui, s'en tenant à de vains désirs, auraient souhaité d'être ce
qu'était Madeleine contrite et humiliée devant le Sauveur du monde, mais dans
la pratique ont toujours été et sont encore tout ce qu'ils étaient. Mille
obstacles les arrêtent, mille engagements les tiennent liés; ils gémissent dans
leurs fers, et, sans avoir la force de les rompre, ils les traînent avec eux,
et demeurent dans le plus dur et le plus honteux esclavage. Or, il n'est plus
question de délibérer, mes Frères, il faut agir; il faut, par une salutaire
violence, vous tirer, ou plutôt vous arracher de cette triste servitude; et je
viens aujourd'hui vous dire ce que l'Ange dit à saint Pierre dans la prison : Surge velociter (1);
levez-vous, et ne tardez pas. Je sais quelle illusion vous séduit, et par quels
prétextes la passion vous trompe et vous joue. Pour calmer les remords
intérieurs de votre âme, vous ne renoncez pas absolument à la pénitence, mais
vous la différez; vous ne dites pas : Je ne me convertirai jamais: ce désespoir
fait horreur; mais vous dites : Je ne me convertirai pas encore si tôt; et moi,
je veux vous faire voir les suites malheureuses de ce retardement, et l'affreux
danger où il vous expose. C'est ici, mon Dieu, que j'ai besoin de votre grâce
toute-puissante, et que je la demande par l'intercession de Marie, l'asile et
l'espérance des pécheurs. Ave, Maria.
Trois choses, disent les
théologiens, sont d'une nécessité indispensable, ou, selon le terme de l'école,
d'une nécessité de moyen, pour se convertir à Dieu : le temps, la grâce et la
volonté : le temps, comme une condition sans laquelle hors de Dieu rien n'est
possible; la
555
grâce, comme le principe d'où
dépend essentiellement la conversion du pécheur : et la volonté du pécheur,
comme le sujet même de cette conversion. Or, cela présupposé, voici d'abord en
trois mots tout mon dessein, et ce que j'entreprends d'établir. Je veux vous
montrer combien la conduite d'un pécheur qui diffère sa conversion est
téméraire : pourquoi? parce qu'en remettant il
s'assure de trois choses sur lesquelles il doit le moins compter, el dont il a
plus lieu de se défier ; savoir, du temps de la pénitence, de la grâce de la
pénitence, et de la volonté de taire pénitence. Témérité, lorsqu'il se promet
d'avoir un jour le temps de se convertir à Dieu, c'est la première partie. Témérité , lorsqu'il présume que la grâce ne lui manquera
pas pour se convertir à Dieu, c'est la seconde. Témérité, lorsqu'il se répond
de lui-même en se flattant qu'il aura la volonté de se convertir à Dieu, c'est
la troisième. Ces pensées sont communes; mais pour être communes, elles n'en
sont pas moins solides, ni moins propres à faire impression sur vos cœurs.
PREMIÈRE PARTIE.
Je parle donc ici d'un homme du
monde qui vit dans le désordre du péché, mais qui n'a pas néanmoins renoncé à
l'espérance de son salut; qui demeure habituellement dans la disgrâce et dans
la haine de Dieu, mais qui toutefois est bien résolu de n'y pas persévérer
jusques à la mort; qui prétend enfin se
convertir, mais qui ne le veut pas encore si tôt. Cela ne se peut, direz-vous,
et, à prendre les choses moralement, ces deux volontés paraissent
incompatibles. Peut-être, Chrétiens,
pourrait-on dire qu'elles le sont
en effet ; mais supposons qu'elles ne le soient pas, et,
pour la conviction entière des pécheurs, donnons-leur cet avantage, que ces
deux volontés puissent s'accorder. Que fait un homme de ce caractère ? voici le premier fondement sur lequel il bâtit. Il s'assure
du temps, et du temps de faire pénitence : deux choses bien différentes , comme
vous verrez. Je dis qu'il s'assure de l'un et de l'autre; car, s'il avait le
moindre doute, ou qu'à l'instant que je parle il dût mourir, ou que dans ce qui
lui reste de vie il ne dût jamais trouver un moment favorable pour sa
conversion, dès-là ou il tomberait absolument dans le désespoir, ou il
conclurait qu'il doit sans retardement quitter son péché, et se remettre en
grâce avec Dieu. Il faut donc, pour concilier ensemble et la volonté de se
convertir et le délai de la conversion, qu'il se promette non-seulement
un temps à venir, mais un temps propre à la pénitence. Or, je vous demande s'il
y eut jamais une témérité comparable à celle-là, et s'il en faudrait davantage
pour comprendre d'abord la vérité de cette parole de l'Ecriture : savoir qu'il
y a une espèce d'enchantement, disons mieux, d'ensorcellement dans les esprits
des hommes sur ce qui regarde les biens éternels. Ecoutez-moi, s'il vous plaît,
ou plutôt écoutez saint Augustin raisonnant sur cette matière.
De tout ce qui a rapport à
l'homme, et de tout ce qui lui peut être nécessaire pour l'accomplissement des
desseins qu'il forme, il n'est rien, dit saint Augustin, qui dépende moins de
lui ni qui soit moins dans sa disposition que le temps futur : principe évident
et incontestable ; d'où il s'ensuit que c'est donc un aveuglement extrême de se
le promettre, et une présomption de s'en répondre. La conséquence est
infaillible; car enfin, s'assurer de ce qui n'est nullement en notre pouvoir,
et sur cette assurance chimérique fonder ses prétentions ,
c'est ce qu'on traite dans le monde et ce qu'on doit traiter de folie. Il n'y a
que l'affaire du salut où nous en voulons autrement juger. Mais c'est justement
dans l'affaire du salut que celle maxime générale, qui ne souffre nulle
exception, doit être particulièrement reçue, puisqu'il est vrai que ce qui
passe dans le monde pour folie, le salut s'y trouvant mêlé, n'est plus une
simple folie, mais l'excès et le comble de la folie. Or, prenez garde, mes
Frères, ajoute saint Augustin, ceci mérite votre attention : des trois
différences qui partagent Je temps , c'est-à-dire du
passé, du présent et de l'avenir, il n'y a proprement que le présent qui soit à
nous, et sur quoi nous puissions compter. Et quand je dis le présent, je dis la
plus petite partie du temps, quoiqu'elle soit la plus importante: carie passé a
une vaste étendue, le futur est infini; mais le présent n'est qu'un instant,
qui cesse d'être aussitôt que je l'ai conçu, et qui s'écoule plus vite que je
ne puis même l'exprimer. Et néanmoins c'est cet instant seul que j'ai pour
ainsi dire en mon pouvoir, dont il m'est libre de faire un bon ou mauvais
usage, et duquel par conséquent je puis être certain. Le passé ne dépend pas de
moi ; car il n'est plus, et il est impossible qu'il soit
jamais. Le futur est hors de mon ressort ; car il n'est pas encore, et
peut-être ne sera-t-il jamais. Il n'y a que le présent qui subsiste dans sa
manière de subsister, et que j'aie droit de mettre au nombre des choses qui
m'appartiennent. Donc il n'y a que celui-
555
là où je puisse me promettre, si je
suis pécheur, de changer de vie et de me convertir ; et, ce qui est plus
remarquable, c'est qu'il n'y a que celui-là où je me convertirai, si jamais je
me convertis : pourquoi ? parce qu'il est constant,
poursuit saint Augustin, que tout ce qui se fait hors de Dieu se fait dans le
temps présent. C'est dans le présent que je vous parle, et c'est dans le
présent que vous m'écoutez. Il y a pour chacune de nos actions un certain
moment présent auquel leur être est borné, et sans lequel elles ne seraient
rien. Cette pensée de saint Augustin est subtile, mais solide. Si donc je dois
un jour me convertir, ma conversion, toute surnaturelle qu'elle est, étant du
nombre et de la nature des actions humaines, il faut par nécessité qu'elle
s'accomplisse dans le temps présent, et qu'il soit vrai de dire une fois, non
plus : Je renoncerai à mon péché , et j'y renonce; non plus : Je penserai à mon
salut, mais j'y pense ; non plus : J'obéirai à Dieu et je me soumettrai à sa
loi, mais : Je m'y soumets et je lui obéis.
C'est pour cela même que le grand
Apôtre , après avoir représenté aux Hébreux la déplorable et aveugle conduite
de ceux qui temporisent avec Dieu ; après leur avoir fait peser cette divine
parole : Hodie si vocem
ejus audieritis, nolite obdurare corda vestra (1) ; Si vous entendez aujourd'hui la voix du
Seigneur, n'endurcissez pas vos cœurs ; après leur avoir mis devant les yeux
l'exemple de leurs pères, qui, par leur obstination, s'étaient rendus indignes
d'entrer dans la terre que Dieu leur avait promise ; après, dis-je, les avoir
pressés sur ce point avec tout le zèle que sa charité lui inspirait, conclut
par cet excellent avis, auquel je doute que vous ayez jamais fait réflexion : Videte ergo, Fratres,
ne forte sit in aliquo vestrum cor malum incredulitalis discedendi a Deo
vivo; sed adhortamini vosmetipsos per singulos dies, donec hodie cognominatur (2);
Craignez donc, mes Frères, qu'il n'y ait en quelqu'un de vous un fonds ou
d'incrédulité ou de malignité, qui l'éloigné du Dieu vivant ; mais
exhortez-vous sans cesse les uns les autres, tandis que dure ce temps que
l'Ecriture appelle aujourd'hui , parce que vous devez être persuadés que ce qui
s'appelle aujourd'hui est pour vous le temps des miséricordes du Seigneur : Donec hodie coqnominatur. Voyez, reprend saint Chrysostome,
l'admirable théologie de saint Paul : il n'exhorte pas les Hébreux à se
convertir demain, ni à suivre les lumières de la grâce quand ils
seront libres de certains embarras
du siècle, ni à revenir de leurs erreurs dans un certain terme qu'il aurait pu
leur marquer: pourquoi? parce que son exhortation eût été vaine et même
trompeuse; car, en leur disant : Convertissez-vous demain, il eût supposé que
ce lendemain était assuré pour eux, et qu'ils en étaient maîtres ; surtout que
ce lendemain était propre à l'exécution des ordres de Dieu qu'il leur
signifiait. Or, c'eût été une supposition fausse dans toutes ses parties ; et
bien loin de les instruire utilement, il leur eût dressé un piège. Mais que
leur dit-il? Ah! mes Frères, exhortez-vous les uns les
autres, pendant que vous êtes en possession de ce jour présent, parce que ce
jour présent vaut mieux pour vous que tous les siècles compris dans la durée
infinie de Dieu; parce que ce jour présent est le seul point de l'éternité
auquel vous ayez droit ; en un mot, parce qu'il n'y a que ce jour présent où
vous puissiez sûrement et infailliblement opérer votre salut : Sed adhortamini vosmetipsos, donec hodie cognominatur.
Que fait donc le pécheur qui diffère , et qui ne se
détermine jamais à prendre pour sa conversion ce jour si important ; qui, dans
l'indispensable nécessité où il est de réformer sa vie, se repose toujours sur
le lendemain; qui voulant, en quelque sorte, composer avec Dieu, par le partage
le plus injuste., donne toujours à Dieu le temps à venir, et use du présent poursoi? c'est-à-dire donne
toujours à Dieu ce qu'il n'a pas et ce qu'il ne lui peut donner, et ne lui
donne jamais ce qu'il a, et le temps dont il pourrait disposer pour lui en
faire un sacrifice agréable; qui, dans l'intérieur de son âme, semble ainsi
s'expliquer à lui : Seigneur, ne me demandez pas encore cette année, dont je
veux jouir tranquillement, et je vous en promets d'autres auxquelles je ne sais
si je parviendrai jamais. Que fait-il, encore une fois, ce pécheur? Il
raisonne, répond saint Grégoire de Nazianze, et il
parle en insensé ; puisque , outre l'injustice qu'il
commet envers Dieu, il trahit ses propres intérêts et se contredit lui-même.
Comment cela? parce qu'il ne veut jamais se convertir
dans le temps où il le peut toujours, qui est l'heure présente ; et qu'il le
veut toujours pour le temps où il ne le peut jamais, qui est le lendemain : car
le lendemain, selon l'ingénieuse remarque de saint Augustin, dont je vous ai
déjà fait part, ne doit ni ne peut être le temps de sa conversion.
Mais encore pourquoi n'y est-il
pas propre, et quelle qualité a-t-il si contraire à l'ouvrage
557
du salut ? Il n'en faut point
d'autre que l'affreuse incertitude de son être et de toutes ses circonstances :
car c'est une chose que nous devons bien observer, poursuit excellemment saint Augustin , que quoique toutes les parties du temps soient de
même espèce, le passé et le futur ont néanmoins, par rapport à nous, une
opposition infinie ; et qu'autant qu'il est vrai qu'à notre égard tout est
déterminé dans le passé, autant sommes - nous convaincus que tout est incertain
dans le futur. Incertain s'il sera, qui le peut garantir? incertain
combien il durera, à qui Dieu l'a-t-il révélé? incertain
quelle issue il aura, funeste ou heureuse, subite ou prévue : c'est un abîme
d'obscurité. Je vous demande donc, Chrétiens, un temps de cette nature est-il
propre à la décision de la plus essentielle de toutes les affaires, qui est le
retour à Dieu ? Hé ! mon Frère, concluait saint
Jérôme, que vous prenez mal vos mesures, de vouloir, dans un temps incertain,
faire une pénitence certaine ! car il faut, ajoutait-il, que vous soyez
également persuadé de ces deux vérités : la première, qu'étant certainement
pécheur, vous ne pouvez être sauvé que par une pénitence certaine ; et la
seconde, qu'une pénitence certaine ne se peut faire que dans un temps certain.
N'est-il donc pas bien étonnant que vous vous proposiez dans le futur, qui est
l'incertitude même, une conversion telle que doit être absolument celle qui nous
sauve, et dont dépend notre bonheur? Vous me répondrez (ceci est encore de
saint Augustin) que Dieu, par le plus solennel de tous les serments, a promis à
la pénitence la rémission et le pardon du péché, et il est vrai : mais en
promettant la rémission et le pardon à votre pénitence, a-t-il promis à votre
négligence et à vos continuels retardements le lendemain que vous vous
promettez à vous-même ? Verum dicis, quod Deus pœnitentiœ tuœ indulgentiam promisit ; sed dilationi tuœ numquid
crastinum promisit? Car
ce sont deux diverses grâces , et qui n'ont même rien
de commun, de pardonner à l'homme qui déteste son péché, et de lui donner le
temps de le détester; et quand Dieu s'est obligé à l'un, il ne s'est point
engagé à l'autre. Vous me citez les prophètes pour montrer que ce Dieu de
miséricorde ne méprise jamais un cœur contrit et humilié; et ce n'est pas de
quoi il s'agit, puisqu'on en demeure d'accord : mais dans quel prophète
trouvez-vous que parce que c'est un Dieu de miséricorde, il doive prolonger votre
vie, afin que vous ayez le loisir de prendre un jour ces sentiments de
contrition : Sed in quo propheta legis, qui promisit cor recto gratiam, promisit et tibi longam vitam? Non, non,
ne vous prévenez pas d'une si dangereuse erreur ; car,
pour vous en détromper, voici la conduite pleine de sagesse qu'il a plu à Dieu
de tenir. Il a considéré dans le monde deux sortes de pécheurs : les uns
faibles et pusillanimes, qui n'espéraient pas assez ; et les autres vains et
téméraires, qui espéraient trop : pour les pusillanimes et les faibles, qu'il
voulait consoler, il a établi la pénitence, comme un port salutaire qui leur
est ouvert ; et pour les téméraires et les présomptueux, qu'il voulait contenir
dans le devoir, il a ordonné que le jour de la mort fût incertain : Propter eos qui desperatione periclitantur,
proposait pœnitentiœ portum
; et propter eos qui dilutionibus illuduntur, fecit diem mortis incertum. Celui-là, troublé de la vue de ses crimes,
tombait aussi bien que Caïn dans un secret abattement de cœur. Dieu lui a dit
par Ezéchiel : Non, ne perds point la confiance que tu as en moi ; car quelques
crimes que tu aies commis, au moment que tu les pleureras, je les oublierai.
Celui-ci, au contraire, fortifié d'une promesse si authentique, ou plutôt l'interprétant
mal, péchait avec sécurité, et conservait en péchant une fausse paix. Dieu lui
a dit au même endroit : Crains, malheureux, et défie-toi de ton espérance même;
car, quelque authentique que soit ma promesse, elle ne s'étend point jusqu'à te
répondre de l'avenir. Ainsi Dieu, reprend saint Augustin, a mis les choses dans
un juste tempérament; et, par l'incertitude de l'avenir, il a tellement permis
à l'homme d'espérer toujours, qu'il le réduit à la nécessité de ne différer
jamais.
Il n'y a donc rien de certain,
mes Frères, dans le futur, que son incertitude même. Il n'y a rien de certain,
sinon que nous y serons surpris. Car le Sauveur du monde nous l'a dit en termes
formels : Qua hora non putatis
(1). Après une parole si positive, mais si terrible, ajouterai-je encore au
désordre de mon péché le désordre de la plus criminelle et de la plus insensée
témérité, remettant toujours ma conversion , demandant toujours trêve jusqu'au
jour suivant : Inducias usque
mane? Et pourquoi cette trêve qui ne peut être, si
je l'obtiens, qu'une continuation affectée de mon iniquité ; et si je ne
l'obtiens pas, que la cause de mon impénitence finale? Pourquoi cet appel
opiniâtre au lendemain, contre l'oracle de la
558
sagesse qui me le défend : Ne glorieris in crastinum (1) ?
Puis-je ignorer que ce lendemain a perdu des âmes sans nombre, et que l'enfer
est plein de réprouvés qu'il a engagés dans le dernier malheur? lisse flattaient d'un lendemain, et il n'y en avait point
pour eux; ils avaient fait un pacte avec la mort, selon l'expression du texte
sacré, et la mort ne le gardait pas. Est-il croyable qu'elle changera de nature
pour moi, et qu'étant si infidèle pour le reste des hommes, j'aurai seul droit
de pouvoir m'y fier? Quand même je l'aurais, ce lendemain, sera-ce un temps de
pénitence et de conversion? Toute sorte de temps n'est point le temps de la
pénitence ; et c'est un abus insupportable dans l'homme, de croire que parce
qu'il aura le temps peut-être d'exécuter les frivoles desseins que lui suggère
son avarice ou son ambition, il aura celui de travailler efficacement à son
salut. Si cela était, en vain, selon le raisonnement de saint Augustin, les
prophètes nous auraient recommandé de chercher Dieu tandis qu'on le peut
trouver, et de l'invoquer pendant qu'il est proche de nous : Quœrite Dominum dum inveniri potest,et
invocate eum dum prope est (2). En vain
Dieu lui-même nous aurait-il dit : C'est au temps favorable que je vous ai
exaucé, et c'est au jour du salut que je vous ai aidé : In tempore accepto exaudivi te, et in die salutis adjuvi te (3). En vain Jésus-Christ aurait-il menacé
les Juifs des dernières calamités qu'il leur annonçait, s'ils n'usaient bien du
temps qu'il leur donnait. Car, si tous les temps sont également des temps de
conversion, ces propositions et ces menaces étaient mal fondées. Mais, si elles
étaient justes et vraies, comme nous n'en doutons pas, il est donc vrai qu'il y
a un temps de pénitence, choisi spécialement de la part de Dieu, et qui doit
être ménagé avec vigilance de la part de l'homme ; et c'est celui qu'a voulu
définir saint Paul, quand il disait : Ecce nunc tempus acceptabile (4). Il est
donc vrai qu'il y a des jours de salut plus heureux que les autres jours, et,
comme tels, marqués dans l'ordre de la prédestination divine : Ecce nunc dies salutis (5). Il est
donc vrai qu'il y a un temps particulier pour trouver Dieu, hors duquel on le
cherche inutilement : Quœretis me, et non invenietis (6). Nous disons bien, dans le langage même
du monde, que toute sorte de temps ne convient pas à toutes sortes d'affaires;
et, comme parle Salomon, que toute affaire veut être traitée et négociée dans
son temps : n'y aurait-il que l'affaire
du salut qui lut exceptée de cette règle?
Ah ! mes
chers auditeurs, voilà le grand scandale du christianisme. Si nous sommes
attaqués d'une maladie, nous étudions tous les temps, nous les observons avec
exactitude, nous ne remettons point à demain ce qui se peut faire aujourd'hui,
et tout notre soin est de bien profiter, dans le cours du mal, de certains
moments critiques et décisifs : ainsi en usons-nous pour le salut du corps.
Mais s'agit-il de notre âme frappée de la maladie la plus mortelle, qui est le
péché, et infectée de la contagion d'une habitude vicieuse dont il la faut
guérir, nous vivons tranquilles et sans inquiétude : J'y mettrai ordre,
disons-nous, mais rien ne me presse ; je ne suis pas encore en état, et je
trouverai toujours le temps d'y penser. Vous le trouverez, Chrétiens? mais qui vous l'a dit ? Je veux qu'il vous reste encore des
années, et même plusieurs années de vie : qui sait si dans ces années qui vous
restent, il y aura pour vous un jour de salut? Souvenons-nous, mes Frères, conclut
saint Bernard, ramassant en deux mots tout le fond de cette première partie,
souvenons-nous, qu'il y a des temps et des moments que le Père céleste s'est
réservés, et qu'il ne nous appartient pas même de connaître, bien loin que nous
en puissions disposer : Tempora et momenta quœ Pater posuit in sua potestate (1).
Or, ces moments , dans la doctrine de tous les Pères,
sont ceux de la conversion et du salut. Souvenons-nous que, comme il n'a pas
plu à Dieu d'envoyer en toute sorte de temps un Rédempteur et un Messie pour le
salut général du monde; que comme il ne lui a pas plu de répandre sur les
royaumes et sur les nations la lumière de l'Evangile dans tous les temps, aussi
ne lui plaît-il pas de convertir en particulier chaque pécheur dans tous les moments.
Souvenons-nous et comprenons bien qu'il veut nous sauver plus spécialement dans
un temps que dans un autre; et qu'ayant pour cela des moments de choix, le plus
grand de tous les malheurs est que ces moments nous échappent et que nous les
négligions. N'oublions jamais les étonnantes paroles du Sauveur lorsqu'il
pleure sur Jérusalem, ou plutôt, comme je vous le disais hier, sur les pécheurs
dont cette ville infortunée était la figure. Il la regarda avec compassion, non
point parce qu'elle devait être détruite par les Romains, non point parce
qu'elle était à la veille de la ruine la plus
559
entière, non point parce que ses
enfants allaient être, comme Caïn , exterminés de la terre ; le dirai-je ? non point même parce que le Saint des saints devait bientôt
y être condamné à la mort, et à la mort la plus honteuse et la plus cruelle ;
mais parce qu'elle n'avait pas connu le jour du salut qui lui était donné, et
où le Seigneur lui apportait la paix : Quia si cognovisses
et tu, et quidem in hac die
tua, quœ ad pacem tibi (1). Voilà ce qui fit verser des larmes au Fils de
Dieu. Il n'imputa point la réprobation des Juifs au déicide abominable qu'ils
allaient commettre dans sa personne, mais à l'aveuglement volontaire qui les
empêchait de connaître le temps de la visite du Seigneur : Eo
quod non cognoveris tempus visitationis tuœ (2). Or,
nous le connaissons, Chrétiens, ce temps de la visite de notre Dieu, ce jour
qui nous est accordé : In hac die tua. Nous le
connaissons; et peut-être à l'instant que je vous parle, Dieu vous dit-il
secrètement : Voici, pécheur, votre jour, voici le temps que j'ai destiné pour
vous ; c'est aujourd'hui qu'il faut quitter cette vie libertine ; car je ne
veux plus de retardement : Ecce nunc tempus acceptabile (3). Mais
que vous arrivera-t-il, mon cher auditeur, si vous consultez l'esprit du monde
au lieu de vous rendre attentif et docile à la voix de Dieu? vous
sortirez de cette prédication avec quelques bons désirs, mais désirs vagues et
sans conséquence. Vous sentirez bien que Dieu vous aura visité; mais sa visite,
par l'endurcissement de votre cœur, n'aura pas l'effet qu'il prétendait. On ne
dira pas de vous que vous ne l'aviez pas connue; mais on pourra dire que, la
connaissant, vous en aurez abusé. Enfin, si votre conscience vous presse, après
avoir cherché de vaines raisons pour colorer votre lâcheté; après avoir allégué
tout ce que peut inventer la prudence charnelle, après vous être défendu par
mille prétextes d'affaires qui vous occupent, et d'engagements que vous ne
croyez pas encore pouvoir surmonter, vous renverrez à un autre temps ce qui
doit avoir la préférence dans tous les temps, savoir, votre conversion. Et
parce que pour l'accomplir il faut un jour de salut, et que dans les principes
de la théologie il n'y a qu'une grâce, je dis une grâce privilégiée, qui puisse
faire ce jour de salut, en vous assurant de ce jour vous vous assurerez de
cette grâce ; et c'est ce que j'ai à combattre dans la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Dieu est fidèle, dit le grand
Apôtre : Fidelis Deus (1) ; et parce
qu'il est fidèle pour nous, nous pouvons porter notre confiance jusqu'à nous
assurer de lui. Mais il ne s'ensuit pas de là que nous ayons droit de compter
sur lui à son préjudice même, ni que sa fidélité puisse
jamais servir de fondement à notre témérité. Or, c'est néanmoins le faux
principe sur lequel agit un pécheur du siècle quand il diffère sa conversion , parce qu'il se flatte d'avoir un jour la grâce
de la pénitence. Car, se promettre cette grâce pour se maintenir dans
l'habitude de son péché, prenez garde, s'il vous plaît, c'est vouloir que Dieu
soit fidèle à celui qui le méprise ; c'est vouloir qu'il soit fidèle aux dépens
de tous ses intérêts ; et tournant contre lui ses propres armes, c'est
l'attaquer et le combattre par le plus aimable de tous ses attributs, qui est
sa miséricorde : enfin, c'est vouloir que sa fidélité le rende, tout Dieu qu'il
est, prévaricateur et fauteur de notre iniquité. Est-il une espérance plus
vaine et une présomption plus criminelle?
C'est vouloir que Dieu soit
fidèle à celui qui le méprise ; et Dieu s'est déclaré au contraire, que
quiconque le méprise sera méprisé : Vae qui spernis;
nonne et ipse sperneris
(2) ! Malheur à vous qui méprisez la grâce de votre Dieu, parce que votre
Dieu vous méprisera à son tour ! Or, vous la méprisez, pécheur, cette grâce,
lorsque résistant à ses inspirations secrètes, et ne voulant pas encore vous
soumettre à elle, vous ne laissez pas de compter sur son secours comme si elle
vous était due. Mais Dieu vous méprisera à son tour, lorsqu'après
avoir longtemps frappé à la porte de votre cœur, lassé de vos refus, il vous
abandonnera enfin à vous-même, et il se retirera. Car, c'est à vous que
s'adressent ces admirables paroles de saint Paul : An divitias
bonitatis ejus et patientiœ et longanimitatis contemnis (3) ? Est-ce ainsi, mon Frère, que, rebelle à
votre Dieu, vous méprisez les richesses de sa bonté et de son infinie patience
? Ignoras quoniam benignitas
Dei ad pœnitentian te adducit
(4) ? Ignorez-vous que c'est cette charité de Dieu qui vous sollicite, qui vous
invite, mais inutilement et sans effet, à une prompte conversion ? voilà le mépris que le pécheur fait de la grâce. Mais
doutez-vous aussi, ajoute l'Apôtre, que par votre dureté et votre impénitence
vous
560
n'amassiez contre vous un trésor de
colère, pour le jour des vengeances et de la manifestation du jugement de Dieu?
Secundum autem duritiam tuam et impœnitens cor, thesaurizas tibi iram in die irœ et revelationis justi judicii Dei (1) ; voilà
le mépris que Dieu fait du pécheur. Appliquons-nous ceci, mes chers auditeurs ;
l'un et l'autre ne nous convient que trop. Car nous voulons nous convertir dans
un temps ou imaginaire ou réel , que chacun de nous se
propose : réel, si nous y parvenons; imaginaire si nous n'y parvenons pas.
Mais, quoi qu'il en soit, rien de plus injurieux ni de plus outrageant pour
Dieu, que ce dessein prétendu de conversion.
En effet, nous voulons nous
convertir quand nous serons rebutés du monde , ou plutôt quand le monde sera
rebuté de nous; quand nous ne serons plus en état de goûter ses plaisirs ni
d'aspirer à ses honneurs. Nous voulons nous convertir quand les revers de la
fortune et les disgrâces de la vie nous y forceront, quand l'hypocrisie même du
siècle nous y portera, quand elle nous en fera un intérêt, quand il n'y aura
plus rien de meilleur pour nous, je dis de meilleur dans les vues mêmes de
l'amour-propre. Vous en particulier, femmes mondaines, vous voulez vous
convertir quand vous aurez cessé de plaire à ces sacrilèges adorateurs qui vous
idolâtrent ; quand l'âge aura effacé ce qui vous les attachait ; quand le
dégoût de vos personnes vengera Dieu, pour ainsi dire, du sacrilège encens
qu'on vous aura prodigué, et que vous aurez reçu avec tant de complaisance.
Enfin, mes Frères, nous voulons nous convertir quand nous ne pourrons plus nous
en défendre, quand le glaive de Dieu nous poursuivra, quand une violente
maladie nous aura conduits aux portes de la mort, quand par le nombre des
années nous ne serons plus maîtres de réparer le passé et de travailler au
présent, quand la faiblesse de la nature servira de prétexte à nos lâchetés et
de voile à notre impénitence, quand nous n'aurons plus rien à offrir à Dieu, et
que nous serons presque dans une impuissance absolue de faire quelque chose
pour lui ; car, ne sont-ce pas là les projets de la prudence humaine ? Et sans
rien dire ici des risques terribles que nous courons par là, n'ayons égard
qu'au seul intérêt de Dieu, et au mépris que nous faisons de sa grâce. En
vérité, mes chers auditeurs, ces projets de conversion conviennent-ils à une
créature qui n'a pas tout à fait perdu l'idée de Dieu? Est-ce
traiter Dieu en Dieu? Se
contentera-t-il que nous lui donnions les restes du monde ? qu'après
nous être lassés dans la voie d'un libertinage opiniâtre, nous venions à lui
présenter un cœur infecté de vices et de passions, un corps usé de débauches, un
esprit corrompu de fausses maximes? Non sans doute ; et pour l'honneur de sa
grâce dont il est jaloux, il saura punir ce mépris; et comment? apprenez-le. Car, si nous l'en croyons lui-même, après que
nous l'aurons ainsi outragé, il nous rejettera; nous le chercherons, et nous ne
le trouverons plus; nous voudrons être à lui, et il ne voudra plus être à nous
; ou plutôt, nous ne pourrons plus même le vouloir, parce que nous ne l'aurons
pas voulu quand il nous était facile de le pouvoir. Nous ne laisserons pas
d'être persuadés plus que jamais qu'il faut enfin nous déterminer, qu'il n'est
plus temps de remettre cette conversion , dont nous verrons malgré nous que le
terme expire : mais qui sait si Dieu se tournant contre nous, ne nous dira
point alors comme à ces Juifs dont il est parlé au premier chapitre d'Isaïe :
Retirez-vous, et ne paraissez point devant mes autels pour me faire une
offrande indigne de moi ; je ne vous connais plus, et vos sacrifices me sont à
charge. Comme roi des siècles et monarque éternel, je voulais les prémices de
vos années; je voulais ces années de prospérité, qui furent pour vous des
années de dissolution ; je voulais ces années de santé, que vous avez consumées
dans le repos oisif d'une vie molle et paresseuse; je voulais cette jeunesse ,
dont vous avez fait le scandale de tant d'âmes ; je voulais cet âge mûr, qui
s'est passé dans les intrigues de votre ambition démesurée : vous avez sacrifié
tout cela au monde , et vous l'avez fait dans l'assurance que ce serait assez
de m'en offrir quelques débris ; et moi je vous dis que ces oblations me sont
odieuses, et qu'il est de ma gloire de les réprouver : Solemnitates
vestras odivit anima mea : facta sunt mihi
molesta; laboravi sustinens
(1). Ainsi parlait le Seigneur, et ainsi se comporte-t-il tous les jours à
l'égard de certains pécheurs, après les délais criminels qu'ils ont apportés à
leur conversion.
J'ai dit de plus que s'assurer de
la grâce en différant sa conversion, c'était combattre Dieu par ses propres
armes, et se servir de sa fidélité et de sa miséricorde contre lui-même.
Pourquoi cela? Ne le voyez-vous pas, Chrétiens? Pécher contre Dieu , parce que Dieu est bon ; ne cesser point de
l'outrager, parce qu'il ne se
561
lasse point de nous supporter ;
dire : Je ne veux pas encore changer de vie, parce que la miséricorde de Dieu
n'est pas encore épuisée, et je veux continuer dans mon désordre, parce qu'il
est toujours dans la volonté de me sauver, n'est-ce pas employer contre lui ses
attributs, et abuser, pour l'offenser, de sa grâce même ? Car enfin, dit saint Chrysostome , si Dieu usait de ses droits, et s'il était à
notre égard ce qu'il pourrait être avec justice, un Dieu sévère , un Dieu
inflexible, qui fit immédiatement succéder la peine au péché ; s'il nous traitait
comme ce créancier impitoyable de l'Evangile traita son débiteur, et que, sans
nous accorder aucun délai, il nous pressât de lui rendre ce que nous lui devons
: Redde quod debes
(1); que ferions-nous? Nous obéirions sur l'heure même à un commandement si
rigoureux. Il n'y aurait point parmi nous de pécheur qui ne pliât d'abord sous
le joug de la loi de Dieu. On verrait ces prétendus esprits forts recourir les
premiers au tribunal de la pénitence, non plus par cérémonie
, mais en effet ; non plus après des années entières de délibération,
mais dès que leur conscience, par un remords salutaire, les avertirait du
danger de leur état ; tous les hommes seraient dans le devoir : pourquoi? parce qu'ils auraient affaire à un Dieu également prompt et
terrible dans ses vengeances. D'où vient donc qu'on remet, et qu'on ne veut se
convertir qu'à l'extrémité? C'est qu'on se repose sur l'idée qu'on a d'un Dieu
patient, et toujours prêt à donner sa grâce. Mais, Seigneur, s'écriait saint
Ambroise, permettez-moi de m'en plaindre à vous pour vous-même. C'est cette
patience qui semble autoriser contre vous les pécheurs de la terre. Sans elle
vous seriez mieux servi ; sans elle on vous reconnaîtrait tel que vous êtes.
Que ne vous déclarez-vous? que ne prenez-vous votre
cause en main? que ne vous élevez-vous, dans l'ardeur
de votre colère, pour dompter ces âmes fières et indociles, en les réduisant au
choix, ou d'une prochaine conversion, ou d'une inévitable damnation? Mais que
dis-je, ô mon Dieu? poursuivait ce saint docteur. Pardonnez-moi
si je m'ingère à examiner votre conduite, et si je parais vouloir prescrire des
bornes à votre miséricorde, moi qui dois tout à cette miséricorde sans bornes,
puisqu'il y a longtemps que je serais la victime des flammes éternelles, si
elle ne m'avait pas attendu. Je parle en homme, Seigneur; et vous agissez en
Dieu. Selon mes pensées, il vous serait plus avantageux de perdre des rebelles;
mais, selon les
vôtres, il vous est plus glorieux
de suspendre vos coups et d'arrêter votre justice. Ainsi ce Père expliquait-il
à Dieu ses sentiments. Mais d'ailleurs, s'adressant au pécheur : Vous, mon
Frère, lui disait-il, n'êtes-vous pas bien coupable de vouloir moins faire pour
un Dieu bon que pour un Dieu inflexible? Car tel est votre procédé. Pour un
Dieu inflexible, vous renonceriez dès maintenant à votre péché ; et pour un
Dieu bon, vous vous contentez de former de vains projets ,
et d'y vouloir un jour renoncer. Pour un Dieu sans rémission, vous produiriez
des fruits de pénitence ; et pour un Dieu patient, vous ne donnez que des
paroles. Or, je prétends , Chrétiens , que, dans cette
disposition , se répondre de Dieu et de sa grâce, c'est le dernier excès de
l'aveuglement.
Enfin j'ai dit que de compter
ainsi sur la grâce , c'est vouloir que Dieu se rende
fauteur et complice de nos désordres : car il le serait évidemment s'il
supportait les pécheurs avec cette patience qui tient de l'insensibilité, et
si, malgré leur rébellion , sa grâce leur était toujours promise. Et voilà sur quoi
Tertullien se fondait pour appuyer ses sentiments erronés touchant la
pénitence. J'avoue, Chrétiens, et je vous l'ai déjà fait remarquer dans un
autre discours, que Tertullien, sur cette matière, porta trop loin son zèle :
mais ne craignons-nous point de tomber dans une autre erreur, par les fausses
et présomptueuses idées que nous nous formons de la bonté de Dieu, et par
l'abus que nous en faisons pour nous entretenir dans le crime et pour fomenter
notre iniquité? Bien loin que nous puissions alors faire fond sur la grâce, je
prétends, avec saint Ambroise, que notre présomption serait pour Dieu une
espèce d'engagement à nous abandonner : pourquoi? afin
de justifier sa providence, et de mettre sa sainteté à couvert de tout
reproche. Affreux engagement, qui intéresserait Dieu à notre éternelle
réprobation! Sur quoi donc enfin comptera le pécheur? sur
sa volonté ? Faisons-lui voir que cette espérance n'est pas moins trompeuse que
les autres, et concluons par cette troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'est un effet du péché,
Chrétiens, et Dieu l'a ainsi permis, que l'homme en soit réduit à cet état de
misère, de ne pouvoir pas même s'assurer de sa volonté propre. De toutes les
choses du monde, c'est celle qui naturellement devrait plus être en son pouvoir;
et néanmoins, de toutes les choses du monde, c'est celle dont
562
il a plus lieu de se défier. S'il
fallait risquer le salut, disait saint Bernard, je croirais bien moins hasarder
du côté de la grâce de Dieu, qui ne dépend pas de moi, que du côté de ma volonté,
qui en dépend. Et voici la raison qu'il en apportait : parce que le secours de
Dieu, disait-il, vient d'un principe qui
de soi est éternel et immuable, au lieu que ma volonté est l'inconstance
et la fragilité même. Dieu veut
parfaitement ce qu'il veut, et moi souvent à peine sais-je bien ce que je veux
et ce que je ne veux pas. Mais ne puis-je pas disposer de ma volonté ? Il est
vrai, reprend saint Bernard ; et c'est justement pour cela même que je dois
craindre. Si Dieu m'avait ôté ce pouvoir, et qu'il se fût rendu absolument et
uniquement maître de ma volonté, je serais en assurance; mais il a voulu que
cette volonté dépendît encore de moi, et qu'elle fût sujette à mes légèretés, à
mes irrésolutions, à mes caprices, et voilà ce qui me fait trembler. Or, si
saint Bernard parlait de la sorte, que doit penser un homme du monde, qui ne
veut pas actuellement se convertir, dans la vue qu'il se convertira un jour, et
dans l'espérance de changer quand il voudra de sentiments et de conduite? Voyez
comment il raisonne, et comment il se contredit lui-même. Il se promet
qu'il fera dans quelque temps
un effort pour sortir de son péché, et il avoue que dès
maintenant il se sent trop faible pour y réussir. Il se flatte qu'après quelques
années il aura assez d'empire sur son cœur pour le dégager de cette passion, et
il reconnaît que cette passion le domine déjà tellement, qu'il lui est presque
impossible de la vaincre : contradiction évidente. Quoi ! mon Frère, lui répond
saint Augustin, vous êtes dès à présent trop faible pour vous soutenir, et vous
vous relèverez après que vous vous serez toujours affaibli davantage? A mesure que vous avancez dans le chemin du vice, les forces de votre âme, je dis les forces
même naturelles, diminuent, et l'expérience ne nous l'apprend que trop.
Autrefois vous résistiez ; et cet heureux tempérament que Dieu vous avait
donné, soutenu de la grâce, surmontait sans peine la violence du mal; mais le
mal, j'entends l'habitude du péché, a tellement prévalu, qu'elle ne trouve presque
plus de résistance : vous succombez aisément, fréquemment; et pour excuser vos
chutes continuelles, vous les attribuez à votre faiblesse. Que sera-ce donc
quand vous aurez encore langui plus longtemps dans l'état de votre infirmité?
Dire que vous serez capable alors de vous relever, n'est-ce pas vous
méconnaître, et prendre plaisir à vous tromper vous-même?
D'autant plus, ajoute saint
Grégoire, pape, que ces pécheurs qui diffèrent leur conversion la remettent enfin jusques à un temps où il leur est en quelque manière impossible de changer
sincèrement de volonté. Quel est-il, ce temps? la fin
de la vie, et souvent le jour même de la mort. Car dites-moi, mes chers
auditeurs, si nous pouvons prétendre avec raison qu'à ces derniers moments nous
agirons par les vues de Dieu ? Toutefois, ôtez ces vues de Dieu, toutes les
volontés et tous les désirs imaginables ne suffisent pas pour vous sauver. Or,
je vous demande : Est-il aisé d'agir par de semblables motifs, quand on est
réduit à la plus extrême et à la plus pressante nécessité, qui est celle delà
mort? Quitter le péché quand on ne le peut plus commettre, renoncer aux
occasions quand on n'est plus maître de les rechercher, mourir au monde quand
le monde est déjà mort pour nous, est-ce là cette pénitence surnaturelle, si
puissante sur le cœur de Dieu, et qui le fléchit immanquablement? Je ne dis
point les obstacles infinis dont la volonté du pécheur est combattue : ses
forces épuisées, ses sens assoupis, son esprit égaré, sa mémoire troublée, la
douleur qui le saisit; en sorte que l'âme, occupée tout entière du mal présent,
est incapable de réfléchir sur le passé et de délibérer sur l'avenir. Mais je
veux qu'elle ait toute l'attention et tout le discernement nécessaire, encore
une fois est-il facile à un homme de devenir à la mort ce
qu'il n'a jamais été pendant la vie; de prendre des inclinations toutes
nouvelles, de commencer à haïr ce qu'il a toujours aimé, de commencer à aimer
ce qu'il a toujours haï? Ne serait-ce pas un prodige? Voilà néanmoins sur quoi
l'espérance de tous les pécheurs est fondée. Ils sont convaincus que ce miracle
se fera en eux; ils se connaissent bien, disent-ils; et dès qu'ils le voudront,
ou qu'ils penseront à le vouloir, rien ne leur résistera : quelque mondaine,
quelque déréglée qu'ait été leur vie , ils se
transformeront tout à coup en d'autres hommes. Jugez si vous devez les en
croire, et s'il y a pour vous de la sûreté dans une pareille conduite.
Ah ! Chrétiens,
attachons-nous plutôt au conseil que nous donne le grand Apôtre, et au
commandement qu'il nous fait de ne pas recevoir en vain le don de Dieu qui nous
est aujourd'hui présenté. Le temps est favorable, la grâce abondante, la
disposition même de nos esprits et de nos cœurs avantageuse.
Qu'attendons-nous,
563
et que nous reste-t-il, sinon de
profiter de ces heureuses conjonctures? Le temps favorable : car c'est un temps
de renouvellement pour tous les chrétiens; un temps qui réveille les plus
assoupis, qui ranime les plus languissants et les plus froids : un temps où les
plus endurcis auraient honte de ne pas donner des marques de leur religion, où
la piété publique triomphe du respect humain, et où le libertinage, confondu
devient scandaleux et odieux; un temps où les âmes timides peuvent avec honneur
se déclarer, et où le monde même ne s'étonne point des conversions qui
paraissent dans le christianisme. Pour combien de pécheurs ce saint temps
n'a-t-il pas été l'occasion d'une pénitence parfaite? Pour combien d'âmes qui
semblaient désespérées n'a-t-il pas été, si je puis parler de la sorte, un
temps de crise? temps de crise, où la foi presque
éteinte et à demi morte ressuscite, revit, et opère les plus grandes
merveilles. Mais, ô profondeur et abîme des conseils de Dieu, temps de crise
qui décide souvent ou de la vie ou de la mort, ou du salut ou de la damnation.
Qui sait si cette pâque ne sera pas la dernière pour vous; ou qui sait si Dieu
voudra faire en votre faveur à une autre pâque les mêmes avances? La grâce
abondante: car l'Eglise nous ouvre tous ses trésors; elle veut nous appliquer
tous les mérites de Jésus-Christ; elle nous appelle à son tribunal pour délier
nos consciences, elle inspire à ses ministres un zèle tout nouveau, elle
s'intéresse pour nous auprès de Dieu; et Dieu écoutant encore sa miséricorde et
ne dédaignant pas de nous prévenir, nous offre ses secours les plus puissants.
La disposition de nos esprits et de nos cœurs plus avantageuse. J'ose dire
qu'il n'y a point de pécheur si obstiné qui, dans ces jours de bénédiction et
spécialement sanctifiés par la piété des fidèles, ne fasse malgré lui certaines
réflexions, et ne sente renaître au fond de son âme certains remords, certains
désirs qui le ramèneraient à Dieu, s'il voulait faire quelque effort pour les
suivre.
Allons donc, mes chers auditeurs,
et ménageons des moments si précieux. Disons à Dieu comme David : Dixi, nunc cœpi (1) ; C'est, Seigneur, un dessein formé, et dès
aujourd'hui je me mettrai en devoir de l'exécuter. Disons-lui comme saint
Augustin : Sero te amavi;
Ah ! Seigneur, je commence bien tard à vous aimer, et que serait-ce si je
différais encore? est-ce trop que de vous donner au
moins quelques années qui me restent peut-être à vivre sur la terre, pour
mériter de vivre éternellement avec vous dans la gloire, où nous conduise, etc.