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CONCLUSION: Où le discours précédent est réduit en démonstration.
CLIII. — Analyse des deux parties de cette préface.
CLIV. — Deux moyens de démontrer la première partie.
CLV. — Premier moyen, que le dénouement proposé dans l'Instruction pastorale
est une illusion manifeste.
CLVI. — Preuve par sa propre définition.
CLVII. — Que l'auteur n'a point expliqué par une définition sa nouvelle idée
d'intérêt propre.
CLVIII. — Qu'il devait au publie cette définition.
CLIX. — Nouvelle raison qui l'obligeait à définir.
CLX. — Vain prétexte pour ne définir pas.
CLXI. — L'illusion prouvée par trois moyens.
CLXII. — Que l'intérêt propre est pris par toute l'Ecole pour surnaturel.
CLXIII. — Que saint François de Sales a parlé de même, et que le terme d'intérêt
n'est point déterminé par notre langue à quelque chose de naturel.
C LXIV. — Que l'auteur a pris l'intérêt au même sens.
CLXV. — Le fait posé par l'auteur sur la notion qu'il a donnée de l'intérêt
propre, est convaincu de faux.
CLXVI. — Autres passages de l'auteur contraires à ce qu'il a dit de son propre
fait sur l'intérêt propre.
CLXVII. — Autre passage important.
CLXVIII. — Autres passages pour la même fin.
CLXIX. — Démonstration qui résulte de tout ce qu'on vient de voir : question si
l'auteur a toujours pensé ce qu'il nous dit aujourd'hui sur son livre.
CLXXX. — Suite.
CLXXI. — Autre manière de tourner la démonstration du n. 167.
CLXXll. — Comment l'esprit humain se persuade lui-même de ce qu'il veut faire
accroire aux autres.
CLXXllI. — Abrégé de tout le discours précédent.
CLXXIV. — Preuve de l'erreur contre l'espérance
chrétienne.
CLXXV. — Autres erreurs qu'on omet ici.
CLXXVI. — La seule erreur du sacrifice absolu emporte la coudamnation de tout le
livre.
CLXXVII. — Solution de l'auteur.
CLXXVIII. — Elle est vaine et se détruit elle-même.
CLXXIX. — Autre manière de former la démonstration.
CLXXX. — On commence à démontrer que l'Instruction pastorale contient des
principes qui ferment la bouche à l'auteur.
CLXXXI. — Tout le livre tombe tout d'un coup par ce seul endroit.
CLXXXII. — Principe sur la béatitude.
CLXXXIII. — Faux principe sur la grâce actuelle et sur la volonté de bon
plaisir.
CLXXXIV. — Autre faux principe tiré de celui-là.
CLXXXV. — Ces principes sont les sources du fanatisme et du quiétisme.
CLXXXVI. — L'exception du cas de précepte ne sauve point du fanatisme.
CLXXXVII. — Application faite par l'auteur des faux principes qui induisent au
quiétisme à divers cas particuliers.
CLXXXVIII. — Application des mêmes principes de fanatisme à l'exclusion des
actes de propre effort.
CLXXXIX. — Les actes où l'on prévient Dieu, mal exclus.
CXC. — Le demi-pélagianisme objecté à ces sortes d'actes par l'auteur, qui y
enveloppe S. Augustin même, aussi bien que tous les spirituels.
CXCI. — Principe par où cette objection est résolue.
CXCII. — Que l'auteur ne diffère qu'en paroles d'avec les quiétistes, et que
l'inspiration qu'il admet est eu effet extraordinaire.
CXCIII. — Réflexions sur le progrès de l'erreur.
CXCIV. — Palliation sur la contemplation et sur l'exclusion de Jésus-Christ.
CXCV. — Solution dans un errata de l'Instruction pastorale, et trois
démonstrations pour la détruire.
CXCVI. — Ces trois démonstrations expliquées.
CXCVII. — On déplore l'état de l'auteur.
CXCVIII. — Erreur sur la contemplation pure et directe.
CXCIX. — Erreur qui rend Jésus-Christ indigne d'entrer dans le corps de la
parfaite contemplation.
CC. — Avertissement sur l'ordre de cette analyse.
CCI. — Corollaire : que l'Instruction pastorale est une rétractation,
mais inutile et insuffisante : trois démonstrations.
CCII. — Rétractations générales de l'auteur.
CCIII. — Rétractations sur les actes directs et réfléchis.
CCIV. — Rétractation manifeste sur le sujet de la vocation à la perfection
chrétienne.
CCV. — Contradiction de l'Instruction pastorale avec elle-même.
CCVI. — Que l'explication est une rétractation véritable.
CCVII. — Cette rétractation convainc et n'excuse pas.
CCVIII. — Autre sorte de rétractation, de réduire la difficulté de la perfection
au retranchement d'un amour naturel.
CCIX. — L'auteur réduit à rien des passages de saint François de Sales, dont il
avait fait un fondement des Maximes des Saints.
CCX. — On passe à la seconde partie de cette analyse : deux sortes de
démonstrations.
CCXI. — Première démonstration : préjugé d'erreur dans la nouveauté.
CCXII. — On n'allègue aucun endroit de l'Ecriture.
CCXIII. — Propriétés attribuées sans témoignage à l'amour naturel et délibéré.
CCXIV. — On ne prouve que par conséquences forcées qu'on tire des Pères.
CCXV. — Que nous avons examiné les principaux passages sans y rien trouver.
CCXVI. — Quatre auteurs principaux examinés.
CCXVII. — Quatre autres auteurs principaux.
CCXVIII. — Conséquence.
CCXIX. — Trois autres auteurs principaux.
CCXX. — Combien est basse l'idée de la perfection que donne l'auteur.
CCXXI. — Erreurs nouvelles dans l’Instruction pastorale.
CCXXII. — Sur ce qu'on appelle imperfections.
CCXXIII. — Réflexions sur la conclusion de l'Instruction pastorale.
J'ai exécuté ce que j'ai promis
: il a paru clairement que bien éloigné que les explications de l’Instruction
pastorale excusent le
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livre qu'elles voulaient éclaircir, non-seulement elles en
découvrent plus évidemment les erreurs, mais encore elles les augmentent en y
ajoutant de nouvelles. Mais comme l'auteur nous mène par des sentiers détournés,
plus sont subtils les raffinements où il voudrait nous jeter, plus il en faut
réduire la réfutation à une forme sensible, et à un ordre plus net par une
espèce d'analyse de tout ce discours.
La première vérité qu'il faut
démontrer, c'est que ces explications, loin de relever le livre de M. de Cambray
des erreurs dont on l'accusait, les mettent en évidence : ce qu'on prouve par
deux moyens : l'un, que le prétendu dénouement de l'amour naturel et délibéré de
soi-même, est inintelligible, et contient une illusion manifeste : l'autre,
qu'il fournit des principes, pour la démonstration des erreurs, qui ôtent à
l'auteur tous ses subterfuges.
Le dénouement de l'auteur
contient en lui-même une illusion manifeste : la première preuve consiste à le
définir. Ce dénouement est que par le mot d'intérêt propre il faut
entendre un amour naturel et délibéré de soi-même, non vicieux, mais permis,
quoique non parfait. C'est ainsi qu'il a été défini par l'auteur même, dont les
propres termes sont rapportés dès le commencement de ce discours dans les
nombres 3 et 7.
Dès cette définition, l'illusion
commence à paraître, puisqu'il faut prendre d'abord l'intérêt propre pour
ce qu'on désire naturellement, et le désintéressement pour ce qu'on désire par
un amour surnaturel : ce qui ne revient en aucune sorte à nos idées,
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où l'on prend le désir intéressé pour le désir de son
avantage, et au contraire le désir désintéressé pour celui où l'on ne regarde
pas son propre profit, soit que ce désir soit naturel ou surnaturel, comme il a
été démontré dans le n. 4, où il a paru absurde que la notion d'intérêt fût
attachée, « non pas à l'objet utile que nous recherchons, mais au principe
naturel ou surnaturel qui nous le fait rechercher. » Voilà donc une première
illusion, d'attacher la notion de l'intérêt propre à une idée inconnue
que personne n'eut jamais.
Cette illusion paraît davantage
si l'on considère que cette idée d'intérêt et de désintéressement par un motif
naturel, n'étant point établie parmi les hommes, si l'auteur voulait s'en
servir, il devait auparavant l'établir par une claire définition ; ce qu'il
avoue qu'il n'a point fait, comme on l'a vu dans les n. 6 et 10.
Il le devait d'autant plus,
qu'il demeure lui-même d'accord que dans son livre il avait mis le mot d'intérêt
et celui de désintéressement en deux manières différentes, dont l'une était de
regarder comme intéressé le désir où l'on poursuivant son avantage, et pour
désintéressé celui où l'on ne le poursuivent pas, comme il a été expliqué n. 4,
5,6.
Il est vrai qu'il convient aussi
qu'il a pris le plus souvent l'intérêt pour ce qu'on désire par un amour
naturel, et le désintéressement pour ce qu'on désire par un désir surnaturel;
mais c'est ce qui l'obligeait à déclarer d'abord son intention, d'autant plus
qu'il est convenu qu'en deux lignes consécutives il a changé le
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sens du mot d'intérêt sans en avertir, ce qui tend à
faire au lecteur une illusion manifeste, comme il a été démontré n. 5.
Le prétexte que prend l'auteur,
de n'avoir pas défini ces termes, lui qui avait promis de tout définir et d'ôter
toute ambiguïté, est le plus frivole du monde : c'est qu'il suppose que le
second sens qui prend intéressé pour naturel, et au contraire
désintéressé pour surnaturel, est le sens le plus naturel et le plus
ordinaire dans notre langue, n. 6, 10, 49 : ce qui fait, dit-il, « qu'il a
supposé que tout le monde le prendrait comme lui, pour signifier un attachement
naturel aux dons de Dieu : » n. 10.
Mais il n'a pu supposer cela
sans faire illusion à son lecteur pour trois raisons : l'une, qu'il n'est pas
vrai en soi que le sens le plus naturel de l'amour intéressé, c'est que cet
amour soit naturel, et au contraire : l'autre, qu'il n'est pas vrai que
notre langue détermine à ce sens : la troisième, qu'il n'est pas vrai que
l'auteur lui-même s'y soit déterminé.
Premièrement donc, il n'est pas vrai que le sens le plus
naturel de l'amour intéressé, c'est que cet amour soit naturel : car au
contraire il a été démontré par saint Anselme, par saint Bernard, par Scot, par
saint Bonaventure, par Suarez, par Sylvius, par toute l'Ecole, que ce qu'elle
appelle intérêt et propre intérêt, c'est l'objet surnaturel de l'espérance
chrétienne, comme il a été supposé d'abord, n. 3, et démontré dans la suite par
le témoignage de tous les auteurs, n. 32, 33, 34, etc., jusqu'à 38.
C'est donc une vérité constante,
que le terme d’intérêt propre, loin d'être attaché à un désir naturel,
désigne l'objet surnaturel
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que tous ces Pères, tous ces scolastiques et toute l'Ecole
a donne à l'espérance chrétienne, c'est-à-dire à une vertu théologale.
La seconde remarque est que
cette idée d'amour naturel, pris pour amour intéressé, n'est non plus l'idée
naturelle où notre langue soit déterminée; ce qui se démontre en deux manières :
l'une, que notre langue en effet n'a rien sur cela de déterminé; on y traduit
naturellement ce que les Latins appellent commodum par le terme d'intérêt
: l'autre manière de le prouver est, que saint François de Sales, auteur
français, a expliqué l'amour d'espérance comme distingué de l'amour de charité
par l'intérêt, en supposant que l'espérance, vertu théologale, à l'opposition de
la charité, avait pour son objet propre, c'est-à-dire pour son objet surnaturel,
notre intérêt, comme il paraît par le n. 40.
Il est si peu vrai que notre
langue soit déterminée à ce sens, qu'il est faux que l'auteur s'y soit déterminé
lui-même dans son livre : ce qui se démontre en diverses manières que voici.
La première, c'est que l'auteur
met en fait qu'il ne s'est jamais servi du mot d'intérêt, en y ajoutant celui de
propre, que pour signifier cet intérêt naturel, comme il a été prouvé par ses
paroles expresses, n. H. Or est il quo ce qu'il allègue de son propre fait est
faux, en termes formels, puisque, comme on l'a démontré dans le même endroit, il
y a un intérêt propre éternel, et un intérêt propre pour
l'éternité, qui ne peut être autre chose que celui du salut éternel; par
conséquent un objet surnaturel et divin, et qui ne peut être attribué qu'à la
vertu théologale et divine de l'espérance : il n'est donc pas vrai que l'auteur
prenne toujours
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le mot d'intérêt joint avec le terme de propre,
pour un objet naturel.
Secondement, on a démontré dans
les nombres 42 et 43 qu'en parlant des motifs intéressés, l'auteur a dit qu'ils
étaient répandus par tous les livres de l'Ecriture, par tous les monuments de la
tradition, par toutes les prières de l'Eglise ; et qu'aussi c'était pour cela
qu'il les fallait révérer. Or les motifs naturels ne sont point répandus dans
toute l'Ecriture, dans toute la tradition, dans toutes les prières de l'Eglise:
et d'abord ni l'Ecriture, ni l'Eglise, pour laisser ici en suspens la tradition
dont on parlera à part, ne disent mot de cet amour naturel : ce qui est répandu
partout dans l'Ecriture et dans les prières de. l'Eglise, c’est l'intérêt
surnaturel et divin du salut éternel; c'est cela, et non autre chose, qu'il faut
révérer : par conséquent l'auteur n'a pas pris le motif intéressé pour le motif
naturel.
Il est dit ailleurs que « les
anciens pasteurs ne proposaient d'ordinaire au commun des justes que les
pratiques de l'amour intéressé (1). » Or est-il que les pratiques d'amour qu'on
leur proposait d'ordinaire étaient les pratiques de l'espérance chrétienne, sans
qu'on leur ait jamais insinué un mot de ces motifs naturels : par conséquent ces
motifs intéressés étaient les motifs surnaturels qui sont suggérés par
l'espérance chrétienne.
On trouvera beaucoup d'autres
endroits dans le livre de l’Explication des Maximes des Saints, où l'intérêt
propre ne peut être pris que pour un objet surnaturel; et je renvoie pour
cela au
1 Max. des SS.. art. 44 , p. 201.
325
n. 42. Mais pour abréger la preuve, le lecteur se peut
contenter des trois ou quatre passages qu'on a proposés ici, n. 162, 163, 164,
165 (a).
De là se forme la démonstration
: Ou l'auteur en écrivant le livre des Maximes, a prévu l'équivoque de l’intérêt
propre; et qu'il pourrait être mis ou pour un objet avantageux, ou pour un
objet naturel; ou il ne l'a pas prévu : s'il l'a prévu, il nous a voulu tromper,
faute d'avoir expliqué ce terme, sur lequel il avoue que tout roui oit, comme il
a été remarqué, n. 6 et 10 : et s'il ne l'a pas prévu, il ne peut pas dire,
comme il fait, qu'il a toujours suivi les mêmes principes de doctrine (1)
sur cet endroit essentiel d'où la doctrine dépend, puisqu'on ce cas il n'en
saurait rien, et n'y aurait pas même pensé.
Cela se confirme par les paroles
suivantes, où il déclare qu’il a voulu borner dans ces principes, dans
ceux principalement de l'amour naturel ou surnaturel, tout le système de son
livre : et un peu après, qu'il a rapporté dans son Instruction pastorale
les véritables sentiments qu'il a toujours eu intention d'exprimer dans son
livre; ce qui marque un dessein formel de tout accommoder à cette fin : il
faut donc pour cela l'avoir prévue, quoiqu'il paraisse d’ailleurs que l'auteur
ne la prévoyait pas, puisqu'il n'en a pas dit une seule parole.
La démonstration se tourne d'une
autre façon aussi évidente : si l'auteur n'a point prévu la difficulté de
l'équivoque de l'amour
(a) L'édition originale porte n. 163, 164 , 165, 166; mais
depuis le n. CXVII, par une erreur de chiffre, elle est en avance d'une unité.
Cette remarque s'applique à plusieurs indications que nous rectifierons dans la
suite.
1 Inst. past., p. 103.
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naturel ou surnaturel, il a écrit à l'aveugle, sans
entendre son propre principe, sur lequel il fait tout rouler : s'il l'a prévue
sans nous en avoir voulu avertir, il est cause de tout le scandale de l'Eglise ;
et en se donnant l'autorité des oracles, il se trouvera à la fin qu'il n'en aura
recherché que l'obscurité et les discours ambigus.
Croyons-nous donc que l'auteur
nous trompe, en nous disant à présent que, lorsqu'il a composé son livre, il a
toujours eu dans l'esprit le dénouement qu'il nous donne? Mais croyons-nous d'un
autre côté qu'il ait prévu l'équivoque, sans la vouloir prévenir par une
définition qui aurait levé tout le doute? ou qu'un esprit aussi net que le sien
ait toujours eu l'intention d'exprimer une chose dont il ne dit mot? Voilà des
extrémités également condamnables. Sans vouloir choisir pour l'auteur entre de
tels inconvénients, renfermons-nous dans le fait, et reconnaissons en tremblant
les imperceptibles liens où l'on s'enveloppe soi-même le premier, lorsqu'on
veut, à quelque prix que ce soit, persuader aux autres qu'on a raison : on croit
à la fin ce qu'on leur dit, et on abonde en ses propres justifications. Ne
jugeons personne ; mais ne trouvons pas mauvais qu'on nous avertisse des
faiblesses communes de l'humanité.
Telle est donc notre première
démonstration : un livre dont on prouve qu'il n'a pour excuse et pour dénouement
qu'une illusion manifeste, par là devient inexcusable : or est-il que le livre
de M. de Cambray n'a pour excuse et pour dénouement qu'une illusion manifeste,
comme il a paru depuis le n. 153 jusqu'à celui-ci. il paraît donc clairement que
ce livre est inexcusable.
327
Mais si le dénouement de l'intérêt
propre pris pour l'amour naturel, n'est qu'une illusion, il demeure donc que
l'intérêt propre sera le motif surnaturel de l'espérance chrétienne, et
le même qui sera ôté aux parfaits.
Car visiblement, selon l'auteur,
il leur faut ôter quelque chose; c'est ou l'amour naturel, ou l'intérêt
surnaturel : ce ne peut pas être le premier, puisque ce n'est qu'une illusion :
c'est donc l'autre, qui est l'erreur qu'on avait voulu éviter, mais qui demeure
par là répandue dans tout le livre, comme il a été démontré dans les nombres 3,
8 et 43.
Je ne m'attache dans cette
analyse qu'aux choses plus générales, et qui règnent dans tout le livre ; et je
laisse dans certains articles particuliers, comme dans ceux de la préparation à
la justice, du trouble involontaire en Jésus-Christ, et des vertus, les frivoles
dénouements qui ont été remarqués dans les nombres 47, 49, 65.
Je ne puis m'empêcher de relever
ce qui regarde le sacrifice du salut, parce que cette seule erreur entraîne la
condamnation de tout le livre, qui aboutit là : après les choses qui ont été
dites, la démonstration en est courte, et se réduit à ces deux syllogismes.
Le premier prouve que le
dénouement de l'amour naturel ne convient pas à ce sacrifice ; et en voici la
démonstration. Le sacrifice du salut procède par supposition impossible : or
est-il que la suppression de l'amour naturel n'est pas impossible ; donc le
dénouement de l'amour naturel ne convient pas à ce sacrifice.
328
Par là l'auteur est contraint de
dire que le sacrifice absolu et le conditionnel étant distingués, le dénouement
de l'amour naturel ne convient qu'au premier, et non au second, n. 14 ; mais
cette solution, où consiste tout le fort de l'explication, se détruit par le
second syllogisme.
Par cette solution, il suivrait
que le sacrifice conditionnel et le sacrifice absolu auraient deux objets
différents, c'est-à-dire que le sacrifice conditionnel aurait le salut éternel,
et que le sacrifice absolu aurait le seul amour naturel : or est-il que cela est
faux manifestement, puisque le sacrifice absolu, qui dit, non : Je voudrais,
mais : Je veux, n. 15, ne procède qu'en croyant que la même chose qu'on
suppose comme impossible, c'est-à-dire que Dieu veuille damner une âme sainte,
est celle qui parait réelle et actuelle, comme il a été expliqué clans le même
lieu ; par conséquent ces deux sacrifices ont le même objet, et le dénouement
d'amour naturel ne convient non plus à l'un qu'à l'autre.
Pour une plus grande évidence,
la démonstration se peut faire en cette sorte : Le sacrifice conditionnel qui
dit : Je consens à être livré aux feux éternels si Dieu le veut, est le même qui
se réduit en forme absolue, et qui dit : Je le veux : or est-il que ce premier
sacrifice regarde le salut même, et non l'amour naturel ; donc le sacrifice
absolu regarde la même chose, qui est l'erreur qu'on veut éviter.
329
Pour passer de là à une autre
démonstration, elle tend à faire voir que l'explication de l'auteur contient des
principes qui lui ferment la bouche à lui-même, et lui ôtent toute échappatoire;
et en voici la preuve dans la matière du sacrifice absolu. Le principe que pose
l'auteur dans son Instruction pastorale, est que « l'imagination est
incapable de réfléchir, » et qu'ainsi « les réflexions sont de la partie
supérieure, qui consiste dans l'entendement et dans la volonté (1) : » or est-il
que par ce principe toute échappatoire est ôtée à notre auteur. Il ne s'échappe
de l'objection de la persuasion invincible de sa juste réprobation, qu'en
répondant que cette persuasion n'est qu'un acte d'imagination, n. 16 : or est-il
qu'il est démontré dans le même lieu que cela est faux par le principe qu'il
pose, puisque d'un côté cette persuasion est réfléchie, et que de l'autre toute
réflexion est de la partie supérieure, qui consiste dans l'entendement et dans
la volonté; donc après l’Instruction pastorale, on ne peut plus éviter
l'erreur qui est contenue dans la persuasion invincible. Mais cette erreur,
selon l'auteur même, entraine le désespoir et l'impiété, par les n. 8 et 13 ; il
ne peut donc plus se mettre à couvert de ces deux reproches.
Mais la chute, pour ainsi
parler, de ce seul endroit attire celle de l'édifice tout entier. Le désir des
volontés inconnues y est renfermé par le n. 27 ; la ruine de l'espérance y est
comprise, puisqu'on la perd en effet dans ce sacrifice affreux, ou en tout cas
qu'on ne la conserve qu'avec le désespoir actuel, ce qui induit toutes les
horribles conséquences des quiétistes marquées dans les nombres 18 et 24.
1 Instr. past., n. 15, p. 28.
330
Il a été remarqué que dans l’Instruction
pastorale l'auteur avoue un principe qu'il n'avait pas encore reconnu si
clairement, qui est qu'on « ne peut pas ne se pas aimer, ni s'aimer sans se
vouloir le souverain bien, ni jamais disconvenir du poids invincible d'une
tendance continuelle à la béatitude (1). » Mais ce principe avoué ne laisse
aucune ressource aux propositions où l'on suppose qu'on aimerait également Dieu
quand on saurait qu'il voudrait nous rendre malheureux ; par le même principe
est renversée cette séparation du motif de la béatitude, établie dans les
Maximes des Saints : et à la fois ce que dit l'auteur dans l’Instruction
pastorale, que Moïse et saint Paul ont pu aimer sans le motif d'être heureux
; ce qui détruit la tendance continuelle à la béatitude en autant de mots
qu'elle avait été établie, et convainc l'auteur d'une erreur aussi manifeste que
sa contradiction est évidente, comme il a été démontré dans le même nombre 46.
Ce qui suit est de la dernière
importance, parce qu'il démontre dans l'auteur un quiétisme parfait, par
principe et par conséquence.
Le principe est que la volonté
de bon plaisir se fait connaître à nous par la grâce actuelle ; ce qui a été
rapporté et réfuté tout ensemble comme inouï, inconnu à toute la théologie et
contradictoire, n. 64.
De ce faux principe, il en suit
un autre également reconnu par notre auteur et inconnu à tous les autres, que la
grâce actuelle est notre règle. Elle nous applique à la règle ; mais elle n'est
pas la règle : la règle doit être clairement connue de celui à qui on
1 Instr. past., n. 11, 20, p. 24, 47.
331
la donne, et la grâce actuelle ne l'est pas ; et tout cela
est bien démontré dans le même n. 61.
Ces principes, qui n'ont aucun
lieu dans la théologie ordinaire, sont les sources du quiétisme et du fanatisme.
Les âmes passives de cette passiveté du quiétisme, croient à tous moments être
dirigées par inspiration, et connaître par là ce que Dieu veut d'elles à chaque
moment, ou comme parle l'auteur, à chaque occasion. C'est ce qu'on a expliqué
dans le même n. 61 ; et par là il a été démontré que ces principes inutiles à
tout autre, ne l'étaient pas à l'auteur pour l'établissement du quiétisme.
L'exception du cas de précepte
mise à la règle qui soumet tout à la grâce actuelle, n'est rien, parce qu'elle
laisse sous le domaine de l'inspiration, en premier lieu, toutes les choses
indifférentes d'elles-mêmes ; secondement, toutes celles de simple conseil ;
troisièmement, dans le cas du précepte même les moments et les circonstances ou
les manières que le précepte laisse indéterminés, c'est-à-dire presque tout : et
ces trois cas rangent sous le ressort de l'instinct presque toute la vie
humaine, comme il a été démontré, n. 59, 61.
Aussi a-t-il été démontré en
particulier que l'auteur abandonne à cet instinct le choix des objets que se
propose la contemplation, parmi lesquels est compris Jésus-Christ même. Il
abandonne aussi à cet instinct la raison qui nous fait passer de l'état
méditatif au contemplatif : les réflexions, c'est-à-dire les actions de grâces,
les précautions pour éviter le mal, et tout l'effort qu'il
332
faut faire par son propre soin pour pratiquer les vertus ;
ce qui s'étend si loin, qu'on peut dire qu'il ne reste rien, ou presque rien,
qui ne soit abandonné à l'instinct, selon la remarque des n. 57, 59, 60, 62.
Surtout il faut remarquer ce
dernier endroit du n. 62, où l'on voit dans les principes de l'auteur tout
effort propre, tout propre travail exclus des âmes parfaites ; où par conséquent
est renversée la distinction solennelle entre les spirituels, des actes infus et
des actes de propre industrie; ce qui est sans difficulté le pur quiétisme.
C'est une pareille erreur
d'exclure les actes par lesquels on prévient Dieu en un certain sons, comme il a
été remarqué et prouvé par les Ecritures au même n. 62.
C'est une erreur trop grossière
aux défenseurs de l'auteur, et à l'auteur même, de trouver un demi-pélagianisme
dans cette manière de prévenir Dieu et d'agir comme de soi-même pars on propre
effort, comme il résulte des endroits ci-dessus marqués. Car par là
non-seulement tous les spirituels, mais encore saint Augustin même se trouveroit
semi-pélagien dans ses ouvrages de la grâce, comme il est marqué dans les mêmes
lieux.
La solution y est expliquée, et
consiste à dire qu'encore que Dieu nous prévienne secrètement, nous agissons
comme le
333
prévenant, parce que nous nous excitons et émouvons de
nous-mêmes par un propre effort : ce qu'on ôte à ceux à qui on donne pour règle
la grâce actuelle, c'est-à-dire cette inspiration qui leur fait connaître à
chaque moment, et en toute occasion, la volonté efficace et de bon plaisir de
Dieu : par les mêmes nombres ci-dessus marqués.
Il est vrai que l'auteur change
un peu ici le langage des nouveaux mystiques, parce qu'il ne veut reconnaître
d'autres grâces ou inspirations dans ses prétendus parfaits, que celles qui sont
communes à tous les fidèles. Mais comme ces inspirations communes à tous les
fidèles ne sont point celles qui font connaître la volonté de bon plaisir, et
qui par là deviennent la règle des prétendus parfaits par les n. 58 et 61, il
s'ensuit que l'inspiration que l'auteur appelle commune, est en effet une
inspiration extraordinaire, et qu'il ne diffère qu'en paroles d'avec les
mystiques de nos jours, comme il est conclu dans les mêmes nombres 58 et 61.
L'on peut remarquer ici la suite
et le progrès de l'erreur : elle commence par la distinction des trois volontés
de Dieu, qui sont un fondement de tout le système; l'erreur était d'y avoir omis
la volonté de bon plaisir : une autre erreur était de nier que cette volonté fût
notre règle, lorsqu'elle se déclare parles événements. Pour rétablir cette règle
et réparer cette erreur, l’Instruction pastorale a mis expressément la
grâce actuelle, c'est-à-dire dans le fond, comme on vient de voir, une
inspiration extraordinaire comme la règle des parfaits, et comme un moyen de
connaître à Chaque moment, et en toute occasion, la volonté de Dieu pour eux ;
ce qui entendu comme on a vu, a ramené pièce à pièce, et même tout à la fois,
tout le quiétisme: en sorte que l’Instruction pastorale, bien loin
d'excuser l'auteur, ne lui laisse aucun moyen d'échapper.
334
Une des erreurs capitales et qui
regarde de plus près le quiétisme, est d'éloigner Jésus-Christ de la
contemplation pure et directe, ou, ce qui revient à la même chose, de faire
perdre aux âmes contemplatives Jésus-Christ présent par la foi, comme il a été
expliqué dans le nombre 51 et dans les suivants.
L'auteur allègue deux cas où
cela leur arrive ; l'un est l'état des commençants, l'autre est celui des
épreuves, et il a été démontré aux mêmes endroits, que ce n'est là qu'une
palliation du quiétisme : mais ce qui achève la démonstration, c'est dans l’Instruction
pastorale l’errata que nous avons rapporté aux n. 52, 53 et 54.
On voit dans cet errata
que la seule excuse que trouve l'auteur à une erreur si visible, est que les
épreuves sont courtes de leur nature : mais en même temps, ce qui ne lui laisse
aucune ressource, c'est premièrement que ce principe est insuffisant;
secondement, qu'il est faux ; troisièmement, qu'il convainc l'auteur et le
laisse sans réplique.
Premièrement, il est
insuffisant, puisqu'il ne s'étend point aux nouveaux contemplatifs qui
commencent à entrer dans les voies parfaites (par le nombre 55) : de sorte qu'il
sera toujours vrai que les commençants demeureront très-longtemps privés de
Jésus-Christ.
Secondement, ce principe est
faux : il est faux, dis-je, que les épreuves soient courtes par elles-mêmes :
elles n'ont point d'autres règles de leur durée que la volonté de Dieu, qui les
continue autant qu'il lui plait, par les nombres 53 et 54.
Troisièmement, ce principe
condamne l'auteur, puisqu'avouant
335
d'un côté une vraie privation de Jésus-Christ, et n'y
trouvant aucune ressource qu'en la faisant courte de sa nature; dès que cette
brièveté lui est ôtée, il ne lui reste que la privation avouée, et en même temps
condamnée par l'auteur même si elle était longue, comme il se trouve qu'elle
l'est (par les mêmes nombres).
On ne peut ici s'empêcher de
déplorer le triste état de l'auteur, qui se voit contraint à chercher des
excuses à ceux qui mettent un degré de perfection à être privé de Jésus-Christ,
et ne peut leur en trouver que de pitoyables, qu'il aime mieux soutenir par de
mauvais raffinements que d'avouer avec sincérité qu’il a manqué.
Ce n'est pas une moindre erreur
d'avoir réduit la pure et directe contemplation à l'être abstrait et illimité,
comme au seul objet dont elle s'occupe volontairement, comme s'il y avait de
l'inconvénient qu'elle s'occupât aussi volontairement, aussi directement, aussi
purement des attributs ou absolus ou relatifs, et de Jésus-Christ Dieu et homme
: c'est ce qui est expliqué dans le n. 58, où l'on montre qu'il n'y a aucune
raison, mais une injure manifeste envers Jésus-Christ et les personnes divines,
d'avoir ôté cet objet, aussi bien que celui dos attributs, à la contemplation
pure et directe.
C'est encore une autre injure à
Jésus-Christ, de le jeter dans les intervalles de la contemplation, et où
elle cesse, comme s'il était indigne d'entrer dans le corps ; ce qui est
convaincu d'erreur dans le nombre 55, où l'on démontre, en passant, que les
Articles d'Issy, si on les eût suivis de bonne foi, auraient prévenu tous ces
égarements.
336
On aura remarqué sans doute que
je change ici l’ordre de cette Préface, et on n'en sera pas étonné, si l'on
observe qu'encore que le premier ordre ait ses raisons et ses utilités :
celui-ci sera plus court et plus commode à ceux qui se trouveront moins
accoutumés au raisonnement.
Depuis le n. 478, on a vu par
quatre principes de l’Instruction pastorale, que le livre des Maximes des
Saints est inexcusable dans ses articles les plus capitaux, et qui induisent le
plus clairement le quiétisme : ce qui faisait la seconde démonstration de notre
première partie : j'y ajouterai maintenant ce corollaire : que la nouvelle
explication, c'est-à-dire celle de l’Instruction pastorale, est une
rétractation manifeste, mais inutile, pour trois raisons, dont je ne prétends
maintenant examiner que la première. Cette première raison est que la
rétractation, quoique très-claire, n'est pas avouée de l'auteur, qui n'en
soutient pas moins qu'il a raison, et que son livre est irréprochable : la
seconde, qu'elle n'est pas pleine, et qu'elle laisse beaucoup de points dont il
ne tente pas seulement l'explication : la troisième, que je ne rapporte ici que
pour l'ordre du raisonnement, et qui a fait le sujet de la seconde partie de
cette Préface, c'est que cette explication ajoute de nouvelles erreurs
aux premières.
Premièrement, j'ai démontré, n.
8, que tout le corps de l'explication dans l’Instruction pastorale, est
un désaveu de cet amour désintéressé qui excluait, dans les Maximes des Saints,
les motifs de l'espérance.
337
Secondement, j'ai semblablement
démontré que le nouveau sens, qui fait prendre l’intérêt propre pour un amour
naturel de soi-même , est une vraie rétractation du sens naturel et simple de ce
terme dans les Maximes des Saints, par les n. 11, 41, 42 et par les
suivants.
En troisième lieu, tout ce que
dit maintenant l'auteur sur le sacrifice absolu, est une rétractation de ce
qu'il en disait d'abord, et la démonstration en résulte des remarques qui en ont
été faites depuis le n. 12 jusqu'au 20 : mais ces rétractations, pour être
évidentes , n'en sont pas plus édifiantes pour cela, puisque l'auteur n'en
profite pas pour s'humilier, et qu'on n'y voit au contraire qu'un dessein de
tout défendre jusqu'aux dogmes les plus insoutenables.
Outre ces rétractations qui
règnent dans tout le système, j'en remarquerai deux ou trois particulières, dont
l'une regarde la différence des actes directs et réfléchis. Il n'y a rien de
plus manifeste que l'auteur a mis la partie supérieure dans les actes réfléchis
par le nombre 03 : il n'y a rien de plus manifeste, par le n. 04, que le même
auteur a dit le contraire en termes formels dans l’Instruction pastorale,
puisqu'il y a enseigné que «la partie inférieure est incapable de réfléchir (1)
: » voilà donc la plus manifeste rétractation qu'on vit jamais, et en même temps
la plus inutile , puisque l'auteur n'en défend pas moins le livre où se trouve
cette erreur.
C'était dire la chose du monde
la plus inouïe et la plus contraire à l'Evangile, que de dire que la perfection
qui consiste dans le pur amour soit au-dessus delà vocation du christianisme,
jusqu'au point que non-seulement le commun des justes, mais encore jusqu'à des
saints n'aient ni lumière ni grâce pour y pouvoir atteindre, et que la seule
proposition les jette dans le trouble et
1 Instr. past., n. 15.
338
dans le scandale : c'est s'en dédire formellement que de
dire que tous sont appelés à cette perfection, et qu'il s'agit seulement de la
proposer par degrés ; et cette rétractation, aussi bien que l'erreur même, a été
montrée dans l’Instruction pastorale par les n. 66 et 67.
Il est prouvé, dans le même
endroit, qu'il y a une manifeste contradiction, non-seulement du livre avec l’Instruction
pastorale, mais encore de l’Instruction pastorale avec elle-même,
puisque cette même Instruction pastorale, qui dit que tous les fidèles sont
appelés à la perfection, dit aussi qu'ils ne sont pas appelés aux pratiques et
aux exercices du plus parfait amour, ce qui a été expliqué n. 66.
Il ne s'agissait en façon
quelconque de proposer par degrés le parfait amour, mais seulement de le
proposer en général, lorsqu'on a dit que l'ancienne Eglise n'en parlait qu'aux
âmes à qui Dieu en donnait déjà l'attrait et la lumière : et qu'en effet pour se
conformer à cette conduite , l'auteur dès le commencement de sa préface a
déclaré que de peur de trop exciter la curiosité publique, il eut gardé le
silence, s'il ne l'eût déjà trouvée toute excitée, et cette contradiction est
marquée dans les mêmes nombres 66 et 67.
Il est donc entièrement
convaincu d'avoir voulu la suppression de la perfection chrétienne, et il est en
même temps convaincu d'avoir rétracté cette erreur, sans le vouloir avouer.
C'est une sorte de rétractation,
que le premier livre mette la doctrine qui scandalise et qui trouble jusqu'aux
saints dans le
339
désintéressement de l'amour ; et que l’Instruction
pastorale la mette dans le retranchement d'un amour naturel.
On impute à saint François de
Sales une erreur capitale en lui faisant dire « que le désir du salut est bon,
mais qu'il ne faut désirer que la volonté de Dieu : » ou qu'il est encore « plus
parfait de ne désirer rien : » on avance ces propositions en toute rigueur par
rapport au salut éternel, dans les Maximes des Saints : on les réduit à
rien dans l’Instruction pastorale par des explications violentes , comme
il a été démontré dans les nombres 29 et 31 ; et on ne songe qu'à cacher sa
faute.
La seconde partie de notre
analyse, où il s'agit de prouver que les explications de l'auteur ajoutent de
nouvelles erreurs au système, sera plus courte, quoiqu'elle ne soit pas moins
importante.
Je procéderai en deux manières :
dans la première on verra en général que l'explication de l’Instruction
pastorale est erronée par les nouveautés qu'elle introduit : dans la seconde
on en recueillera les erreurs particulières qui ont été démontrées dans ce
discours.
La première manière de démontrer
consiste dans ce syllogisme : Toute doctrine de religion nouvelle, inconnue et
inouïe dans l'Eglise , est mauvaise : or est-il que la doctrine de l'auteur sur
son amour naturel est une doctrine de religion introduite pour expliquer le
point de la perfection chrétienne, et en même temps elle est nouvelle, inconnue
et inouïe dans toute l'Eglise : elle est donc mauvaise.
340
La majeure n'a pas besoin d'être
prouvée parmi les chrétiens, après la parole de saint Paul (1), qui défend en
termes formels toutes les nouveautés ; d'où est tirée cette règle de l'Eglise
catholique , qu'il faut suivre « ce qui a été cru partout : ce qui l'a toujours
été : Quod ubique, quod semper : » par où aussi on doit condamner : «quod
nullibi, quod nunquàm : ce qui n'a jamais été enseigné, ce qui n'a été
enseigné en aucun endroit : » il n'y a donc plus qu'à prouver la nouveauté
inouïe de la doctrine de l'auteur.
C'est d'abord un préjugé
manifeste contre toute cette doctrine, qu'on ne tente pas seulement de la
prouver par l'Ecriture : car encore qu'il soit certain qu'il y a des vérités
dont l'Ecriture ne parle pas, ce n'est point de ces vérités qui appartiennent
aussi essentiellement à la religion que celle-ci, où il s'agit de déterminer le
point de la perfection chrétienne, puisque c'est précisément ce que se propose
toute l'Ecriture, qui ne veut que nous rendre parfaits.
Mais quand on voudrait s'en
tenir aux preuves de tradition, on n'en a non plus de celle-là que des autres.
Cette considération paraîtra d'autant plus forte, que cet amour naturel d'un
côté a dans notre auteur beaucoup de propriétés extraordinaires ramassées au n.
100, et de l'autre qu'il n'en paraît aucun vestige dans les auteurs
ecclésiastiques. Cet amour est une charité d'un ordre naturel, une charité
différente de la charité vertu théologale ; il est réglé et parfait à sa
manière, et c'est seulement une moindre perfection : quoiqu'il soit délibéré, il
n'est ni bon ni mauvais ; c'est une consolation toute naturelle, un appui
sensible pour se soutenir lorsque la grâce n'est ni sensible ni consolante ;
c'est une affection naturelle, mais imparfaite, pour la récompense éternelle, et
pour le bonheur que Dieu a promis : une affection,
1 I Tim., VI, 20.
341
une espérance naturelle et non vicieuse des biens éternels
et de la béatitude formelle : elle n'est point de la grâce : dans les justes en
particulier elle est réglée par la raison, qui est la règle des vertus
naturelles : cet amour naturel domine dans l’âme avant qu'elle soit justifiée,
comme si l'amour dominant dans cet état n'était pas l'amour vicieux et
désordonné. Il demeure dans l'état de la justification ; on le trouve encore
dans l'état parfait, quoiqu'il n'y agisse presque plus. Un amour qui a toutes
ces propriétés et tant de part à la vie chrétienne, dans l'état de péché, dans
l'état de grâce et dans l'état de perfection, devrait se trouver, sinon dans
toutes les pages de l'Ecriture, du moins dans les Pères et dans les auteurs
ecclésiastiques, au lieu qu'il est démontré qu'il n'y en a nulle mention.
Il n'y en a, dis-je, nulle
mention : et cet amour naturel qui devrait être si connu, puisqu'il sert, comme
on prétend, à expliquer dans tous les auteurs la différence des parfaits et des
imparfaits , ne se trouve dans aucun passage ; de sorte qu'on est obligé à l'en
tirer seulement par des conséquences forcées et fausses : forcées, comme il est
prouvé n. 70; et fausses, comme il paraîtra dans toute la suite.
Pour en découvrir la fausseté,
j'ai examiné les passages dont l'auteur fait son principal appui, et il a paru
par des preuves de fait, qui ne dépendent que de la lecture et d'une attention
médiocre, que bien loin que l'on y puisse trouver l'amour naturel et délibéré,
on y trouve précisément le contraire, entre autres dans le Catéchisme du
concile de Trente, comme il paraît dans le nombre 75 et dans les suivants
jusqu'au 80.
342
J'ai dans la suite examiné les
passages de Sylvestre de Prière, de Tolet, de Bellarmin, de Sylvius, où j'ai
montré clairement que les longs raisonnements de l'auteur pour fonder son
prétendu amour naturel, n'ont point d'autre fondement qu'une ignorance manifeste
de l'état de la question, et un manquement de réflexion sur le concile de
Trente, par le nombre 80 et par les suivants.
Voilà déjà quatre ou cinq
principaux auteurs dont nous avons fait l'examen, le Catéchisme du Concile,
Sylvestre de Prière, Tolet, Bellarmin et Sylvius, auxquels il faut ajouter dans
la même suite saint Augustin , saint Anselme, saint Bernard et Albert le Grand,
dans les n. 97, 98 et dans les suivants : et ailleurs saint François de Sales,
avec les nouveaux passages que l'auteur a tirés de ce saint évêque, n. 128; et
pour conclusion ceux de saint Grégoire de Nazianze et de saint Jean Chrysostome,
n. 145, 146, 152.
On ne doit donc point hésiter à
mépriser comme une illusion pleine d'erreur ce prétendu amour naturel et
délibéré, puisque les auteurs où l'on prétend le trouver le plus sont ceux où il
est le moins, et où même on y découvre le plus clairement le contraire.
Il faut joindre encore à ces
auteurs, que nous ôtons au nouveau système, saint Thomas, Denys le Chartreux et
Estius. Ce sont les seuls parmi ceux qu'a cités M. de Cambray, où l'on trouve
343
quelque mention de l'amour naturel de soi-même : mais nous
avons démontré dans les n. 71 et 72, que c'est pour toute autre fin que pour
distinguer les parfaits d'avec les imparfaits, qui est celle que ce prélat
s'était proposée (1) ; de sorte que ces passages, et en particulier ceux de
saint Thomas et d'Estius, quoiqu'il en fasse tout-le fondement du nouveau
système, lui sont aussi inutiles que les autres.
En effet on ne pourrait donner
une idée plus basse de la perfection chrétienne, ni plus indigne des docteurs
sacrés et de toute la théologie, que de la faire consister dans une chose si
mince, et que de faire regarder aux saints la suppression d'un amour naturel et
délibéré, comme une peine terrible qui les trouble, qui les scandalise, dont il
leur faut faire un mystère, qui est si haute et les passe de si loin, qu'elle
leur est inaccessible, et qu'ils n'ont ni de lumière ni de grâce pour y
atteindre, et enfin dont le sacrifice leur coûte si cher, qu'ils sont poussés
aux dernières extrémités, et jusqu'au désespoir quand il le faut faire : chose
si absurde que la seule exposition en est la ruine, ainsi qu'on le pourra voir
plus amplement expliqué dans le n. 120.
Il est temps de mettre par ordre
les erreurs particulières que l'Instruction pastorale ajoute à celles de
l’Explication des Maximes des Saints.
La première a été remarquée, n.
60, comme la source du quiétisme et du fanatisme ; « c'est que la volonté de bon
plaisir se fait connaître à nous par la grâce actuelle (1), » c'est-à-dire,
comme on a vu, par une inspiration qui nous déclarant ce que Dieu veut de nous
en toute occasion, ne peut être qu'extraordinaire et particulière, et qui exclut
toute industrie et tout effort propre.
2. Un peu après on trouve une
charité qui n'est pas la
1 Instr. past., n. 3.— 2 Ibid.
344
vertu théologale (1) : ce qu'aucun théologien n'a jamais
pensé.
3. Conformément à cette
doctrine, on dit et on fait dire à saint Augustin que la charité est tout
amour de l'ordre naturel ou surnaturel (2) : ce qui est faux en soi-même,
contraire à tout le langage de l'Ecriture, et directement opposé à saint
Augustin, comme il a été remarqué n. 48.
4. C'est une semblable erreur de
dire que la cupidité qu'on oppose à la charité, et qui est la racine unique de
tous les vices, soit un amour bon de soi (3). La cupidité, qui selon
saint Paul, est la racine de tous les maux (4), est vicieuse : on doit
juger par ce passage de toute la cupidité : ce qui est l'effet du péché, et ce
qui incline au péché, est mauvais de soi, comme saint Augustin l'enseigne
partout : ni l'Ecriture, ni ce Père ne connaissent de cupidité, racine de tous
les vices, que la concupiscence, et les nouvelles idées de l'auteur renversent
toutes celles de la saine théologie.
5. C'est une erreur déjà
marquée, mais en passant, n. 14, que les théologiens regardent la béatitude
formelle ou créée en tant que séparée de l'amour divin (5). Il semble qu'on ait
entrepris de dérouter entièrement les théologiens, tant est étrange et sauvage
la théologie qu'on veut introduire. Qui jamais a seulement imaginé une béatitude
formelle ou créée séparée de l'amour divin? peut-on seulement penser qu'on soit
heureux sans aimer Dieu? Dieu peut-il se donner à ceux qui ne l'aiment pas, ou
bien peut-on être heureux sans le posséder? Ce sont là les fruits de l’Instruction
pastorale et des vains raffinements.
6. L'auteur tire de Denys le
Chartreux, mais faussement, cette conséquence, comme on l'a montré au n. 72 ; «
que la propriété ou l'intérêt propre, dont l’âme se dépouille, et qui
n'est plus dans l'enfant, est un amour naturel delà béatitude; et que pour être
déiforme, il faut aimer Dieu d'un amour surnaturel qui ne soit point joint dans
l’âme avec cet amour naturel de soi-même (6). » Mais ce pieux solitaire ayant
expliqué que par cet amour naturel il entend celui de la béatitude, ce serait
mettre au rang des
1 Instr. past., n. 7. — 2 Ibid.,
n. 9. — 3 Ibid. — 4 I Tim., VI, 10. — 5 Instr. past., n. 10.—
6 Ibid., p. sans chiffre devant la p. 65.
345
imparfaits et non dei formes, tous ceux qui désirent la
béatitude, c'est-à-dire tous les hommes. On se trouverait obligé à séparer des
pratiques les plus épurées, et du soin même de purifier son cœur, les béatitudes
que Jésus-Christ y a attachées : erreur qui n'est pas moins opposée aux paroles
expresses de l'Evangile, pour être mal inférée de Denys le Chartreux qui dit le
contraire, comme on a vu dans le même nombre 72.
La même erreur se trouve encore
à l'endroit où il est dit que Moïse et saint Paul ont aimé sans le motif de la
béatitude, ce qui a été remarqué et réfuté n. 46.
7. Que « ce qui vient de la
grâce n'a rien d'imparfait, et que l'attachement qu'on exclut comme une
imperfection, ne peut venir de la grâce et du Saint-Esprit (1) : » ce qui a été
rejeté dans le n. 74, comme une erreur dans la foi, puisque c'est soustraire à
l'opération de la grâce et du Saint-Esprit la crainte de la peine qui est bannie
par la parfaite charité, contre la définition expresse du concile de Trente (2).
8. «Que le Saint-Esprit n'est
point l'auteur du propre intérêt (3), » dans le n. 74; c'est-à-dire qu'il n'est
point l'auteur de l'objet que saint Anselme, que saint Bernard, que toute
l'Ecole, que le Catéchisme du concile de Trente, que saint François de Sales et
cent autres donnent à l'espérance chrétienne, ni du saint attachement qu'y ont
tous les chrétiens, contre ce qui a été démontré depuis le nombre 33 jusqu'au 41
et dans le n. 73, où est expliqué le Catéchisme du concile de Trente. L'auteur
avance cette erreur aussi bien que la précédente, parce qu'il les croit
nécessaires à soutenir son prétendu amour naturel, qui ne se peut établir que
par de telles faussetés, comme il paraît dans les mêmes lieux.
9. Que l'espérance de tous les
chrétiens ne doit pas être toute appuyée « sur l'amour que le Catéchisme du
concile appelle : eximiam charitatem ; et que cette perfection de
l'espérance ne regarde, selon le Catéchisme, que les âmes parfaites. »
L'erreur consiste à enseigner que le commun des justes ne soit pas obligé à
s'appuyer, dans son espérance, sur la volonté de Dieu, et qu'on puisse donner un
autre appui à cette vertu théologale pour la
1 Instr. past., n. 20, p. 38, 41
, 59.—2 Sess. XIV, c. IV. — 3 Instr. past., 66.
346
rendre fructueuse et méritoire : ce qui a été proposé et
réfuté dans les n. 77 et 78.
10. On y a aussi démontré
Terreur imputée au Catéchisme du concile, qui tend à décharger le commun des
chrétiens de l'amour souverain et de l’excellente charité qu'on doit à Dieu dans
tous les états. On verra dans ces endroits-là, c'est-à-dire dans les n. 77 et
78, les excellences de la charité, prise en elle-même, dans tous les états de la
justice chrétienne, et pourquoi l'amour souverain que tout chrétien doit à Dieu,
est appelé un amour excellent : eximia charitas.
11. On voit dans les n. 100,
107, 108 et 109 que, selon les principes de l'auteur, tous les avantages des
chrétiens sont partagés entre la nature et la grâce ; tout y est double : s'il y
a une espérance surnaturelle, il y en a aussi une naturelle : elles regardent
toutes deux les mêmes objets; et il n'y a de différence que du côté de
l’affection avec laquelle elles les regardent : ainsi l'espérance naturelle,
comme la surnaturelle, regardent les biens promis aux enfants de Dieu, et qui ne
sont connus que par la foi. S'il y a une espérance naturelle, il y a aussi cette
charité naturelle qui n'est pas la vertu théologale ; par la même raison la
nature devra aussi avoir sa foi sur laquelle ces deux vertus soient fondées :
ainsi elle aura toute sorte de vertus : non-seulement morales, mais encore
théologales à sa manière : non-seulement ces vertus n'ont rien de mauvais, mais
elles sont réglées par la raison, et parfaites à leur manière, puisqu'on leur
assigne une perfection, quoique moindre. Ce sont là de ces pensées que les
hommes prennent dans leur esprit. L'Ecriture est bien imparfaite, si dans un
sujet où elle revient sans cesse, qui est celui de la perfection, il faut
reconnaître tant de nouveaux mystères sans qu'elle en dise un seul mot : et
outre la profane nouveauté de cette doctrine, elle induit à croire qu'on peut
parvenir par la nature comme par la grâce aux éminentes vertus, et qu'il n'y a
de différence fine du plus au moins.
12. Il y a plus : on voit dans
les mêmes lieux, que ces vertus sont un secours et un soutien nécessaire des
imparfaits, qu'ils peuvent se donner à eux-mêmes sans aucun besoin de la grâce :
347
les parfaits mêmes s'en aident, quoique non pas d'ordinaire
: on ne sent plus la plaie du péché originel, puisqu'on se sent de si grandes
forces pour pratiquer des vertus irrépréhensibles.
13. On a démontré dans les mêmes endroits, par les paroles
de l'auteur l, que cet amour naturel dans les justes les détache d'eux-mêmes, et
les unit à Dieu, et que c'est par là qu'il en faut faire la différence d'avec la
cupidité vicieuse. On voit donc encore une fois cette charité naturelle ; on
voit dans les chrétiens un nouveau combat où la grâce n'a point de part à la
victoire : ce qui est encore plus expliqué dans le n. 120.
14. L'auteur fait tant d'estime
de ces vertus, qui sont le fruit d'une affection naturelle, qu'il veut qu'on en
laisse exprès la consolation à l’âme pour la soutenir dans sa faiblesse (2) ;
comme si la consolation qui vient de la grâce ne suffisait pas à l'homme juste,
sans ces imparfaites vertus qui nourrissent l'amour-propre.
15. Par la définition que
l'auteur donne du terme de motif dans le nouveau système, il est démontré que
ces vertus et cet amour naturel servent de motif aux actes surnaturels ; et
quoique l'auteur n'en veuille pas ouvertement demeurer d'accord, il y est forcé
par ses principes : ce qui est un pélagianisme formel, démontré dans les n. 110,
111, et dans les suivants jusqu'au 119.
16. C'est une autre erreur de
confondre partout, comme fait l'auteur, la dévotion sensible avec cette
affection naturelle, puisque cette dévotion est d'un autre ressort, et qu'elle
appartient à la grâce; par le n. 123.
17. C'est en vain qu'on veut
appeler naturelle cette affection, puisqu'on lui donne tous les caractères de la
cupidité vicieuse ; par le n. 120.
18. Enfin par le même nombre, en
établissant cette affection naturelle, on se prépare un prétexte pour en revenir
au premier système, et exterminer l'amour surnaturel de la récompense, sous
prétexte d'extirper le naturel, auquel on le fait si semblable qu'il n'y a aucun
moyen de les distinguer.
1 Instr. past., p. 90.— 2 Ibid.,
p. 71.
348
Telles sont les erreurs particulières du nouveau système
dans l'Instruction pastorale : mais tout cela n'égale pas l’erreur qui
règne partout, d'abuser du nom sacré delà tradition, de mépriser la parole de
Dieu jusqu'au point de n'y pas chercher la perfection chrétienne, et de débiter
comme indubitables pensées des saints docteurs, des conséquences qu'on leur
attribue par des raisonnements forcés qu'on ne trouve dans aucun auteur.
J'apprends à ce moment par un
petit livre de l'auteur qui vient de tomber entre mes mains, qu'il me reproche
de ne pas assez reconnaître le milieu entre la vertu et le vice, qui s'appelle
imperfection, et qui n'est ni l'un ni l'autre. Je me suis assez expliqué dans le
n. 110, sur l'inutilité de cette question par rapport à notre dispute. Mais s'il
faut y ajouter quelque chose, je dirai que ce qu'on appelle imperfection
simplement n'est pas un vrai acte : c'est, ou quelque chose de si indélibéré et
de si léger, qu'il ne parvient pas à faire un acte parfait: ou seulement dans un
acte le défaut d'être rapporté assez vivement, et assez souvent à Dieu, comme il
a été remarqué dans le n. 84. De telles imperfections n'ont rien de commun avec
l'amour naturel et délibéré de soi-même, où sans aucun témoignage de l'Ecriture
et de la tradition, l'on voudrait mettre la différence des parfaits et des
imparfaits. J'ajouterai néanmoins encore que ce qu'on appelle du nom d’imperfection,
si on en pénètre le fond, et qu'on tranche jusqu'au vif, se trouvera le plus
souvent être un vrai péché que l'amour-propre nous déguise sous un nom plus
doux. Quoi qu'il en soit, et sans nous jeter dans des questions qui ne
serviraient qu'à embrouiller la matière, contentons-nous d'avoir démontré par
tant de preuves, que l'auteur a pris dans son esprit tout le dénouement et toute
la théologie qu'il nous propose.
349
Résistons donc de toutes nos
forces à cette audacieuse théologie, qui sans principes, sans autorité, sans
utilité, met en péril la simplicité de la foi : ne nous laissons point éblouir
par des paroles spécieuses : ici les ménagements seraient dangereux; plus on se
cache, plus il faut percer ces ténèbres souvent affectées ; plus l'erreur
s'enveloppe, et se replie pour ainsi parler en elle-même, plus il la faut mettre
au jour: et, comme dit saint Augustin, quantò periculosior et tortuosior est,
tantà instantiùs et operosiùs corrigenda est (1).
Ainsi, quand on « recommande
d'avoir en horreur tous les vains raffinements de perfection (2), » c'est le cas
où il faut montrer que celui qui parle ainsi se condamne lui-même. Il semble
tout accorder quand il dit qu'il ne faut « pas laisser les âmes dans l'oisiveté
intérieure : » mais il ne faut pas oublier qu'en même temps il ôte le propre
effort, le propre travail essentiel à l'état de la vie présente, et donne tout à
l'inspiration particulière. « Ne retranchez dans les âmes que les réflexions
d'amour-propre, ou d'une affection trop mercenaire, trop empressée. » Il
faudrait donc dire en quoi consiste ce trop; autrement c'est retrancher
toute activité sous le titre d’inquiétude et d’empressement : et pour ce
qui est des réflexions, n'est-ce pas assez les dégrader que de les reléguer à la
partie basse et inférieure de l'aine? Que sert de se rétracter de cette erreur
et de quelques autres, si l'on n'en est pas plus humble, et qu'on veuille
toujours conserver en autorité et en honneur un livre qui les enseigne? Ne
vaudrait-il pas mieux une bonne fois avouer, ce qu'aussi bien tout le monde
voit, que de s'épuiser en explications par un vain tourment? « Détestez,
continue-t-on, l'indifférence impie et monstrueuse pour le salut : ayez horreur
de cet affreux désintéressement de l'amour qui détruirait l'amour même par le
sacrifice du salut, et par l'acquiescement à la perte de la béatitude éternelle
; » mais en même temps laissez croire d'une persuasion invincible et réfléchie,
par conséquent
1 S. Aug., de Bapt. cont. Donot., lib. IV, cap.
XVI,n. 23. — 2 Instr. past., p. 104.
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raisonnée et libre, que le cas qu'on supposait impossible
devient réel, et qu'on est justement réprouvé de Dieu. « Faites désirer aux
enfants de Dieu de toute la plénitude de leur cœur le règne de Dieu en eux
(1) ;» mais que ce soit en même temps «de la manière la plus désintéressée, »
c'est-à-dire d'une manière qui sépare actuellement le motif de la béatitude
éternelle de ce désir du règne de Dieu, et divise le commencement des béatitudes
de l'Evangile, d'avec leur fin. C'est en effet à quoi aboutit toute la nouvelle
spiritualité; et nous ne serons jamais assez spirituels et assez, parfaits, au
gré de l'auteur, si par exemple nous ne divisons la vue de Dieu, de la volonté
de purifier son cœur, et d'être heureux, en proposant ce divin objet : «
Regardez, nous dit-on, comme des antéchrist ceux qui voudraient inspirer aux
fidèles une perfection où ils perdraient de vue Jésus-Christ; » mais en même
temps ce n'est rien d'introduire cette privation, pourvu que ce soit à titre
d'imperfection, comme si le dernier était meilleur que l'autre. « Ne rendez
point trop général ce qui ne convient qu'à un petit nombre d’âmes : ne laissez
point les âmes dans un goût de curiosité, ni dans un désir secret d'atteindre
toujours aux choses les plus hautes: » sage avis en lui-même, s'il en fut
jamais; mais qui selon les principes de l'auteur, renferme celui de ne pas
tendre à l'amour pur : c'est donc bien fait de ne pas prétendre aux oraisons
extraordinaires ; mais il faut en même temps éloigner l'abus de les mettre dans
le parfait amour. Qu'on souffre donc que nous opposions à des illusions
spécieuses la claire manifestation de la vérité : et pour ceux qui ne peuvent
pas se persuader que le zèle de la défendre soit pur et sans vue humaine, ni
qu'elle soit assez belle pour l'exciter toute seule, ne nous fâchons point
contre eux : ne croyons pas qu'ils nous jugent par une mauvaise volonté; et
après tout, comme dit saint Augustin (2), cessons de nous étonner qu'ils
imputent à des hommes des défauts humains.
1 Instr. past., p. 104, 105.— 2
In Expos., Ep. ad Gal.
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