Accueil Remonter Remarques Exposition Exp. Lettres Exp. Fragments I Exp. Fragments II Exp. Fragments III Exp. Fragments IV-I Exp. Fragments IV-II Exp. Fragments IV-III Exp. Fragments IV-IV Exp. Fragments V Avert. Réf. Cat. Réfut. Catéch. de Ferry Première Vérité Seconde Vérité Conf. M. Claude Avert. Préparation Conférence M. Claude Conférence Suite Réflexions sur M. Claude
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Ière Réflexion sur la réponse de M. Claude aux Actes tirés de la discipline des
prétendus réformés.
IIe Réflexion sur une des propositions avouées par M. Claude dans la Conférence,
et sur l'examen qu'il prescrit après le jugement de l'Eglise.
IIIe Réflexion, sur une autre proposition avouée par M. Claude dans la
Conférence : explication de la manière d'instruire les chrétiens, et que
l'autorité infaillible de l'Eglise est nécessaire pour reconnaître et entendre
l'Ecriture.
IVe Réflexion sur ce que M. Claude nous fait sur l'Eglise la même difficulté que
nous lui faisons sur l'Ecriture.
Ve Réflexion sur ce que M. Claude nous allègue ici l'église grecque et les
autres semblables : que c'est vouloir embrouiller la matière, et non pas
résoudre la difficulté.
VIe Réflexion sur ce que M. Claude réduit, autant qu'il peut, cette dispute à
l'instruction des enfants.
VIIe Réflexion sur ce que M. Claude a dit, dans sa Relation, que j'avais paru
embarrassé en cet endroit de la dispute.
VIIIe Réflexion sur une autre proposition, que M. Claude avoua dans la
Conférence, où est exposée la manière dont toutes les fausses églises se sont
établies.
IXe Réflexion sur la visibilité de l'Eglise : que M. Claude ne combat la
doctrine que j'ai expliquée qu'après s'en être formé une fausse idée.
Xe Réflexion sur ce que la Confession de foi des prétendus réformés ne reconnaît
point d'église qui ne soit visible, et sur ce que M. Claude répond à cette
difficulté.
XIe Réflexion sur ce que M. Claude reconnaît lui-même la perpétuelle visibilité
de l'Eglise : doctrine surprenante de ce ministre.
XIIe Réflexion sur deux principales objections de M. Claude, résolues par sa
doctrine.
XIIIe et dernière Réflexion : que la doctrine de M. Claude montre à Messieurs de
la religion prétendue réformée, qu'il n'y a de salut pour eux que dans l'Eglise
romaine.
On a vu dans l’Avertissement
qui est à la tête de ce livre, qu'après que M. Claude eut lu mon récit, il fit
une réponse à l'instruction que j'avais donnée à mademoiselle de Duras, et qu'il
y joignit une Relation de notre Conférence, qu'il avait faite, à ce qu'il marque
dans cet écrit même , « dès le lendemain de notre entrevue. »
J'ai reçu de divers endroits, et
même des provinces les plus éloignées, cet écrit de M. Claude avec sa Relation :
mais la copie la plus entière et la plus correcte que j'en aie vue m'a été
communiquée par M. le duc de Chevreuse, qui l'avait eue d'une dame de qualité de
la religion prétendue réformée. J'ai vu aussi entre les mains de M. de Chevreuse
une déclaration signée de M. Claude , où il avoue tout l'écrit ; de sorte qu'on
ne peut douter qu'il ne soit de lui.
Je trouve beaucoup de choses
dans cet écrit, qui confirment manifestement tout ce qu'on vient de lire dans le
mien. Je ne
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prétends pas relever ici toutes ces choses, ni répondre à
celles où M. Claude me paraît, par le défaut de sa cause, aussi peu d'accord
avec lui-même qu'avec nous. Pour faire de telles remarques, il faut qu'un écrit
soit entre les mains de tout le monde, et que chacun puisse voir si on en
rapporte bien les passages, et si on en prend bien le sens et la suite ; il
faut, en un mot, qu'il soit public. Il le sera quand il plaira à M. Claude. Je
ferai, en attendant, quelques réflexions sur des choses dont je ne crois pas
qu'il puisse disconvenir, et qui peuvent beaucoup aider les prétendus réformés à
prendre une bonne résolution sur la matière que nous avons traitée.
Ma première réflexion est sur la
réponse que fait M. Claude aux Actes tirés de la discipline de ses églises. Je
me suis servi de ces Actes pour montrer qu'il était si nécessaire à tous les
particuliers, dans les questions de la foi, de se soumettre à l'autorité
infaillible de l'Eglise, que les prétendus réformés, qui la rejetaient dans la
spéculation, se trouvaient forcés en même temps à la reconnaître dans la
pratique. Ce qu'il y a de plus pressant dans ces Actes, c'est qu'au seul synode
national, à l'exclusion des consistoires , colloques et synodes provinciaux, est
attribuée « la dernière et finale résolution par la parole de Dieu (1)» Mais
parce que c'est « la dernière et finale résolution, » les églises et les
provinces , en députant à ce synode , jurent solennellement « de se soumettre à
tout ce qui sera conclu dans cette assemblée, persuadées que Dieu y présidera
par son Saint-Esprit et par sa parole(2). » Ainsi parce qu'on croit devoir une
soumission entière à cette sentence suprême quand elle sera prononcée, on jure
de s'y soumettre avant même qu'elle l'ait été; c'est agir conséquemment. Mais si
après une promesse confirmée par un serment si solennel, on prétend se laisser
encore la liberté d'examiner, j'avoue que je ne sais plus ce que les paroles
signifient; et il n'y
1 Discip., chap. V, art. 31; vid.
sup., p. 519. — 2 Discip., chap. IX, art. 3; Observ., p. 144; vid.
sup., p. 519.
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eut jamais d'évasion mentale si pleine d'illusion et
d'équivoque.
On peut bien croire, sans que je
le dise, que les ministres se sentent pressés par un raisonnement si clair :
dans de telles occasions où la vérité se découvre avec tant d'évidence, plus on
a d'esprit, plus on sent la difficulté, et plus on se trouve embarrassé. Aussi
n'y a-t-il rien de plus visible que l'embarras qui paraît dans la réponse de M.
Claude, je dis même dans sa réponse telle qu'il la marque dans sa propre
Relation.
Elle se réduit à dire qu'on fait
ce serment, parce qu'on doit bien présumer d'une telle assemblée ; et au surplus
que ces paroles : « Nous jurons de nous soumettre à votre assemblée, persuadés
que Dieu y présidera, » enferment une condition sans laquelle la promesse ainsi
jurée n'a point son effet. C'est tout ce qu'on peut répondre. L'anonyme, qui a
dédié son livre à M. Conrart, m'a fait le premier cette réponse (1). Un autre
anonyme, dont le livre est intitulé : Le déguisement démasqué, l'a faite
après lui (2). M. Noguier (3) et M. de Brueis, autre auteur qui a répondu à l'Exposition
(4), n'ont eu que cela à dire. M. Jurieu s'en est tenu à cette réponse dans son
Préservatif ; et seulement il explique plus simplement que les autres que
toute cette persuasion, qui sert de fondement au serment, « est une clause de
civilité des termes de laquelle il ne faut point abuser (5). » M. Claude n'a
point eu d'autre réplique, et c'est la seule qui paraît encore dans sa Relation.
Ainsi ce serment si sérieux et
si solennel de tous nos réformés et de leurs églises en corps, à leur synode
national se réduit à cette proposition, qui ne serait au fond qu'un inutile
compliment : « Nous jurons devant Dieu de nous soumettre à tout ce que vous
déciderez, si vous décidez par sa parole comme nous le présumons et nous
l'espérons. »
Mais pourquoi donc ne pas
énoncer ce grand serment en ces termes, si ce n'est qu'on a bien vu qu'en se
réduisant à ces termes on ne disait rien, et qu'on a voulu dire ou sembler dire
quelque chose?
1 I Rép., p. 344. — 2 Chap. XXXV, p. 192. — 3 Nog.,
II part., chap. XXIII, p. 447. — 4 P. 298. — 5 Préserv., art. 15, p. 286.
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Pour moi, plus je considère ce
qui se trouve dans la discipline des prétendus réformés sur ce serment de leurs
églises, plus je le trouve éloigné du sens qu'on y veut donner.
Je trouve premièrement, comme je
l'ai remarqué dans la Conférence, que ce serment ne se fait que pour le synode
national, c'est-à-dire pour celui « où se doit faire la dernière et finale
résolution par la parole de Dieu (1) ; » et le synode national de Castres a
déclaré « qu'on n'userait point ès lettres d'envoi portées par les députés des
églises particulières aux colloques et synodes provinciaux , de clauses de
soumission si absolues que celles qui sont insérées ès lettres des provinces aux
synodes nationaux. » Pourquoi, si ce n'est pour faire voir la différence qu'il y
a entre la dernière décision et toutes les autres ?
En effet quand j'ai recherché en
quoi consistait cette différence, j'ai trouvé une autre sorte de soumission pour
les colloques et pour les synodes provinciaux. C'est que ceux qui sont accusés
d'altérer la saine doctrine sont obligés « préalablement de faire promesse
expresse de ne rien semer de leurs opinions avant la convocation du colloque, ou
du synode provincial (2). » C'est un règlement de discipline et de police. Mais
quand on vient au synode où se doit faire « cette dernière et finale résolution,
» les particuliers à la vérité réitèrent la même promesse; mais on ne s'en tient
pas là, et les églises en corps y ajoutent ce grand serment de se soumettre en
tout et partout à la décision, persuadées que Dieu même en sera l'auteur.
Une simple présomption
humaine, comme l'appelle M. Claude, une clause de civilité, comme la nomme
M. Jurieu, ne peut pas être la matière et le fondement d'un serment : aussi
voyons-nous que , non-seulement les particuliers, mais les consistoires et les
provinces entières sentirent dans ce serment quelque chose de plus fort qu'on ne
veut présentement nous y faire entendre ; en sorte qu'elles y firent une grande
résistance, qui ne put être vaincue que par un long temps, et par les décrets
réitérés des synodes nationaux.
Je vois durer cette résistance
jusqu'à l'an 1031. En cette année
1 Discip., chap. IX, art. 3;
Observ., p. 144. — 2 Discip., chap. V, art. 31.
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et au-dessus, je trouve presque toujours dans les synodes
nationaux des provinces entières censurées, parce que leur députation ou, comme
ils parlent, leur envoi, ne contenait pas cette clause de soumission Les
églises avaient de la peine à faire un serment si peu convenable à la doctrine
qu'on leur avait inspirée, et à jurer contre les principes de la nouvelle
Réforme , une telle soumission à une assemblée qui après tout, quelque nom qu'on
lui donnât, n'était qu'une assemblée d'hommes toujours, selon ces principes,
sujets à faillir : mais il y fallut passer. On vit qu'on ne faisait rien, si à
la fin on n'obligeait les hommes à une soumission absolue ; et que leur laisser
l'examen libre après la dernière et finale résolution, c'était nourrir
l'orgueil, la dissension et le schisme.
Ainsi contre les principes de la réformation prétendue, il
fallut donner d'autres idées ; et on résolut de s'attacher immuablement à la
soumission et au serment dans les termes que nous avons marqués.
La raison dont on se servit au
synode de la Rochelle pour obliger les provinces à « cette clause de soumission
aux choses qui seraient résolues dans le synode national, » c'est qu'elle était
« nécessaire à la validité des conclusions de l'assemblée (2). » En général pour
valider les actes d'une assemblée, il suffirait que ceux dont elle serait
composée eussent un pouvoir d'y porter les suffrages de ceux qui les auraient
envoyés ; et les députés tant des colloques que des synodes provinciaux venaient
toujours munis de tels pouvoirs. Mais il fallait quelque chose de plus fort au
synode national; et comme il s'y agissait de la dernière résolution, pour
valider un tel acte et lui donner toute sa force, on jugea qu'il devait être
précédé d'une soumission aussi absolue que la résolution en devait paraître
irrévocable.
A cette décision du synode de la
Rochelle, celui de Tonneins ajouta que « la soumission serait promise en propres
termes à tout ce qui serait conclu et arrêté sans condition et modification
(3). » Maintenant ce n'est plus qu'une clause de civilité, et une
promesse conditionnelle qu'on ferait, si on voulait, non-seulement
1 Discip., chap. IX, art. 3;
Observ., p. 143, 144. — 2 Ibid. — 3 Ibid.
568
au synode provincial, et au colloque, et au consistoire,
mais encore à tout ministre particulier. On ne la fait néanmoins ni à ces
ministres particuliers, ni à ce consistoire, ni à ces colloques, ni à ces
synodes provinciaux : pourquoi, si ce n'est pour réserver quelque chose de
particulier et de propre à l'assemblée où se devait faire la finale
résolution, après laquelle il n'y a plus qu'à obéir? Mais si tout ce qu'il y
a ici de particulier et de propre, au fond n'est que des paroles, était-ce de
quoi occuper les églises de la nouvelle Réforme et cinq ou six de leurs synodes
nationaux?
C'est ce qu'il fallait
expliquer, si on voulait dire quelque chose : c'est sur quoi on ne dit mot,
quoique cette difficulté, par manière de dire, saute aux yeux, et que je l'aie
expressément relevée.
Enfin pour réduire mon
raisonnement en peu de mots, tout serment doit être fondé sur une vérité
certaine et connue. Or cette promesse faite au synode national et confirmée par
le serment solennel de toutes les églises prétendues réformées : « Nous jurons
et promettons de suivre vos décisions, persuadés que vous jugerez bien; » cette
promesse, dis-je, de quelque manière qu'on la tourne, n'a de certitude que dans
l'un de ces deux sens. Le premier : « Nous jurons et promettons de suivre vos
décisions, si nous trouvons que vous jugiez bien : » chose à la vérité
très-certaine, mais en même temps illusoire, puisqu'il n'y a personne sur la
terre à qui on n'en puisse dire autant; et comme je l'ai remarqué dans la
Conférence, M. Claude me le peut dire aussi bien que moi à lui. Le second : «
Nous sommes si persuadés que vous jugerez bien, que nous jurons et promettons de
suivre vos décisions ; » auquel cas le serment est faux, si on n'est entièrement
assuré que l'assemblée à qui on le fait ne peut mal juger.
Les prétendus réformés n'ont
maintenant qu'à choisir entre ces deux sens, dont l'un est une illusion
manifeste, et l'autre qui paraît aussi le seul naturel, suppose clairement
l'infaillibilité de l'Eglise.
Et il ne faut pas répondre ici
que cette soumission ne regarde que l'ordre public et la discipline, car en
matière de foi, une décision n'oblige à rien moins qu'à ce qu'a dit l'apôtre
saint Paul,
569
c'est-à-dire « à croire de cœur et à confesser de bouche
(1). » Et nos réformés eux-mêmes l'entendent ainsi, lorsqu'ils déclarent dans
leur Discipline que l'effet de la décision dernière et finale du synode
national, c'est « qu'on y acquiesce de point en point, avec exprès désaveu de la
doctrine contraire (2). » Celui donc qui jure de se soumettre à la décision
qu'on fera dans une assemblée, jure de croire de cœur, et de confesser de bouche
la doctrine qu'on y aura décidée.
Mais pour faire cette promesse
et la confirmer par serment, il faut que l'assemblée à qui on la fait ait une
promesse divine de l'assistance du Saint-Esprit, c'est-à-dire qu'elle soit
infaillible.
M. Claude insinua dans la
conférence qu'il y avait en effet une promesse divine, que « ceux qui
chercheraient, trouveraient; » et que le serment de ses églises pouvait avoir
son fondement dans cette assurance. Mais jamais il ne sortira par cette réponse
de l'embarras où il est. Car afin de rendre le serment conforme à la promesse,
il doit être conditionnel, comme la promesse l'est: et comme Jésus-Christ a dit
: « Si vous cherchez bien, vous trouverez, » le sens du serment serait aussi : «
Si vous faites votre devoir, nous vous en croirons, » ce qui serait retomber
dans la pitoyable illusion que nous avons rejetée.
Afin donc de pouvoir faire sans
témérité le serment dont il s'agit, il faut être fondé sur une promesse absolue
de Dieu, sur une promesse qui nous assure même contre les infidélités des
hommes, enfin sur une promesse telle que Jésus-Christ la fait à son Eglise,
lorsqu'il l'assure indéfiniment et absolument que « les portes d'enfer ne
prévaudront point contre elle (3). »
Tant que nos réformés
s'obstineront à nier que l'autorité des décisions de l'Eglise soit fondée sur
cette promesse, leur serment sera toujours une illusion ou une témérité
manifeste; et ils se trouveront forcés, ou à déférer plus qu'ils ne veulent à
l'autorité de l'Eglise, ou à reconnaître qu'ils ont imposé par de magnifiques
paroles à la crédulité des peuples, puisqu'après avoir distingué de toute autre
décision la dernière décision de l'Eglise par un caractère si marqué et par la
protestation d'une soumission si
1 Rom.,
X, 10. — 2 Vid. sup., p. 518. — 3 Matth., XVI, 18.
570
particulière, au fond il se trouvera qu'une telle
soumission, confirmée par un serment si singulier, n'est pas d'une autre nature
ni d'un autre genre que celle qu'on doit naturellement à toute assemblée
ecclésiastique, et à tout pasteur légitime ; c'est-à-dire qu'on pourra toujours
en venir à de nouveaux doutes, et toujours examiner après la dernière
résolution, comme on ferait après toutes les autres.
Il est ainsi en effet, selon les
principes de la nouvelle Réforme : mais les principes de la nouvelle Réforme
n'ont pu changer la condition nécessaire de l'humanité, qui demande, pour
empêcher les divisions et mettre les esprits en repos, une décision finale et
indépendante de tout nouvel examen général et particulier.
L'Eglise chrétienne n'est pas
exempte de cette loi ; et plus elle est ordonnée, plus sa constitution dépend
d'une entière soumission de l'esprit, plus elle a besoin d'une semblable
autorité. C'est pourquoi dès l'origine du christianisme, Dieu même a mis dans Le
cœur de tous les vrais chrétiens qu'il ne faut plus chercher ni examiner après
l'Eglise. Cette inviolable tradition a fait son effet dans nos réformés, malgré
leurs principes. Je ne m'en étonne pas. Saint Basile a dit très-sagement et
très-véritablement que la tradition faisait dire aux hommes plus qu'ils ne
voulaient, et leur hnspiroit des choses contraires à leurs sentiments (1). Et si
nos réformés ne veulent pas devoir à la tradition cette résolution dernière et
finale, ni cette soumission si solennellement jurée : c'est donc la nécessité et
l'expérience qui les y aura forcés; c'est qu'il fout pouvoir mettre fin aux
doutes et à l'examen des particuliers par une autorité absolue, si on veut avoir
la paix et entretenir l'humilité ; c'est que si on n'a pas, ou si on n'exerce
pas cette autorité, il faut faire semblant de l'avoir et de l'exercer, et du
moins en donner l'idée; c'est en un mot qu'on peut discourir et répondre du
moins de paroles à des arguments, mais que l'ignorance, l'infirmité et l'orgueil
naturel à l'esprit humain demande d'autres remèdes.
1 Basil., De Spir. sancto, 29.
571
J'ai prétendu faire voir dans la
Conférence, qu'en niant l'autorité infaillible de l'Eglise, on tombe dans ces
deux inconvénients; et je ne dis pas dans l'un des deux, mais dans tous les deux
inévitablement. Le premier est, qu'on oblige chaque particulier, pour ignorant
qu'il puisse être, à croire qu'avec cela il peut mieux entendre la parole de
Dieu que les synodes les plus universels, et que tout le reste de l'Eglise
ensemble. Le second, qu'il y a temps où un chrétien baptisé n'est pas en état de
faire un acte de foi sur l'Ecriture sainte; mais que, malgré qu'il en ait, il se
trouvera obligé de douter si elle est inspirée de Dieu.
Je n'ai vu aucun des prétendus
réformés, à qui ces deux propositions n'aient fait horreur et qui ne m'ait dit,
que non-seulement il ne les croirait jamais, mais qu'il détesterait ceux qui les
croient. Voyons donc comme il demeure établi par la Conférence, qu'elles sont
des suites de la doctrine des prétendus réformés, et des suites si manifestes
qu'elles sont avouées par les ministres.
Et déjà, sans sortir de la
Relation de M. Claude, lui-même y tranche le mot : qu'après toute assemblée
ecclésiastique, chaque particulier doit examiner si elle a bien entendu la
parole de Dieu, ou non. Comme il avait parlé des intérêts humains, qui souvent,
disait-il, offusquent la vérité dans les assemblées les plus authentiques et les
plus universelles de l'Eglise : pour détruire cette réponse et montrer au fond
que ce n'était qu'une chicane, je lui avais demandé si tout se passant dans
l'ordre et sans qu'il parût aucun intérêt humain dans les délibérations, il ne
faudrait pas encore que chaque particulier examinât. Il avait avoué qu'il le
fallait; et il l'avoue encore dans sa propre Relation, soutenant qu'il n'y a
nulle absurdité, ni nul orgueil à un particulier, de croire qu'il puisse mieux
entendre la parole de Dieu que toutes les assemblées ecclésiastiques, quelque
bon ordre qu'on y garde et de quelques personnes qu'elles puissent être
composées.
Voilà une proposition et une
doctrine qui paraîtra affreuse à tout esprit docile. Mais afin que la chose soit
plus sensible,
572
faisons l'application de cette doctrine à un exemple
particulier.
L'église calvinienne, depuis six
à sept vingts ans qu'elle a commencé de s'établir, n'a tenu aucune assemblée
plus authentique ni plus solennelle que le synode de Dordrecht. Outre toutes les
églises des Pays-Bas, toutes les autres de même croyance, celles d'Angleterre,
celle de Genève, celles du Palatinat, celles de Hesse et celles de Suisse, celle
de Brème et les autres de langue allemande, s'y sont trouvées par leurs députés
et l'ont reçu; et afin que rien n'y manquât, si les églises prétendues réformées
de ce royaume furent empêchées de s'y trouver, elles en adoptèrent toute la
doctrine au synode national de Charenton en 1631, où tous les articles de
Dordrecht, traduits de mot à mot, furent embrassés et jurés par tout le synode,
et ensuite par toutes les provinces et toutes les églises particulières. Depuis
ce temps aucun des prétendus réformés ne réclame contre ce synode. Il n'y a que
les arminiens, qu'on y condamna, qui en blâment la doctrine, et en racontent les
cabales et la part qu'y a eue la politique et les intérêts de la maison
d'Orange. Tout le reste a ployé; et s'il y a quelque chose qu'on puisse dire
reçu d'un consentement unanime par toutes les églises de la réformation
prétendue, c'est sans doute les décrets de ce synode. Et néanmoins je soutiens à
M. Claude, qu'interrogé si un particulier, quel qu'il soit, de son église, peut
se reposer sur une autorité aussi grande parmi les siens que celle-là, sans
examiner davantage : si on le presse de répondre par oui ou par non dans une
question si précise et dans un fait si bien articulé, il faudra qu'il dise que
non, et qu'enfin, malgré tout cela, ce n'est que des hommes, quelque habiles,
quelque éclairés, quelque saints qu'on les imagine, toujours sujets à faillir,
dont si on suivait les sentiments à l'aveugle et sans examen, on égalerait les
hommes à Dieu. Ainsi, selon les maximes de la nouvelle Réforme , tout
particulier, et jusqu'aux femmes les plus ignorantes, doivent croire qu'elles
pourront mieux entendre l'Ecriture sainte qu'une assemblée composée de tout ce
qu'il y a de plus grand dans toute l'Eglise, qu'il reconnaît pour la seule où
Dieu est servi purement ; et non-seulement de cette assemblée, mais de tout le
reste de l'Eglise et de tout ce qu'il en connaît dans tout l'univers.
573
Voilà ce que M. Claude m'a avoué ; voilà en substance ce
qu'il dit encore dans sa propre Relation; et voilà ce que tout ministre, bon gré
malgré qu'il en ait, avouera dans une conférence, en présence de qui on voudra,
à moins qu'il ne s'obstine à ne vouloir point parler précisément : auquel cas on
verra qu'il biaise; et cette tergiversation sera plus forte qu'un aveu,
puisqu'outre qu'elle fera voir que l'aveu est inévitable, elle fera voir de plus
qu'on en sent les pernicieuses conséquences.
Et ce que je dis du synode de
Dordrecht, on forcera M. Claude et tout autre ministre à le dire du concile de
Nicée, du concile de Constantinople, de celui d'Ephèse, de celui de Chalcédoine
et des autres que nous recevons eux et nous d'un commun accord : et quand ils le
diront, ils ne diront rien de nouveau, ni qui soit inusité dans leur religion.
Calvin l'a dit en termes formels, lorsqu'en parlant en général des conciles de
tous les siècles précédents, il a écrit ces paroles : « Je ne prétends pas en ce
lieu qu'il faille condamner tous les conciles, et casser tous leurs décrets.
Toutefois, poursuit-il, vous m'objecterez que je les range tellement dans
l'ordre, que je permets à tout le monde indifféremment de recevoir ou de rejeter
ce que les conciles auront établi ; nullement, ce n'est pas là ma pensée (1). »
Vous diriez qu'il s'en éloigne beaucoup. La majesté des conciles et l'autorité
d'un si grand nom le frappe d'abord ; mais la suite de sa doctrine lui fait
bientôt oublier ce qu'il semblait vouloir dire à leur avantage : car voici comme
il conclut : « Lors, dit-il, que l'on allègue l'autorité dun concile, je désire
premièrement que l'on considère en quel temps et pour quel sujet il a été
assemblé, et quelles personnes y ont assisté; après, que l'on examine le point
principal selon la règle de l'Ecriture, de sorte que la définition du concile
ait son poids, et qu'elle soit comme un préjugé, mais qu'elle n'empêche pas
l'examen. » C'est à quoi aboutit enfin cette soigneuse recherche du temps, du
sujet et des personnes, à faire qu'en quelque temps que se soit tenu un concile,
quelque matière qu'on y ait traitée, et de quelques personnes qu'il ait été
composé, « tout le monde indifféremment, » car c'est de quoi il s'agit, en
examine le point principal par la
1 Institut., Lib. IV cap. IX.
574
parole de Dieu, et croie qu'il peut mieux entendre cette
divine parole que tous les conciles.
Voilà jusqu'où ces Messieurs
poussent l'examen : ils le poussent même bien plus avant, puisqu'ils veulent
qu'on examine après les apôtres. Ce n'est-pas une conséquence que je tire de
leur doctrine; c'est leur propre proposition et leur doctrine en termes formels,
et celle de M. Claude en particulier. Car sur ce que j'ai dit dans l’Exposition
(1), qu'après le concile de Jérusalem et la décision des apôtres, où ils dirent
: « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous (2), » personne n'avait plus rien
à examiner; et qu'en effet « Paul et Barnabe avec Silas ; » comme il est écrit
dans les Actes (3), « allaient parcourant les églises, et leur enseignant, » non
point à examiner ce qu'avaient fait les apôtres, mais « à suivre leurs
ordonnances : » parce que j'ai conclu de là qu'ils donnaient la forme à tous les
siècles suivants, et nous apprenaient comme en tous les temps les fidèles
dévoient, sans examiner, se soumettre aux décisions de l'Eglise; après diverses
réponses toutes vaines, il a fallu à la fin me répondre nettement, qu'on devait
encore examiner après le concile des apôtres. C'est l'Anonyme, c'est le premier
qui a répondu à l’Exposition, qui l'a écrit en ces termes : « On ne voit
pas que les apôtres publient leur décision avec un ordre absolu d'y obéir : mais
ils envoient Paul, Barnabas et Silas pour instruire les fidèles de garder cette
ordonnance, c'est-à-dire évidemment pour leur en persuader les motifs et les
fondements, ce qui ne dit pas qu'on leur défendît d'examiner. »
C'est ce que dit l'Anonyme :
l'endroit est remarquable ; on le trouvera dans l'article XIX de la première
Réponse, dans la quatrième et dernière remarque qu'il fait sur le concile des
apôtres, en la page 328. Ce n'est pas un sentiment particulier de cet auteur,
puisqu'on a mis à la tête l'approbation des quatre ministres de Charenton, où M.
Claude se trouve nommé, afin qu'il ne dise pas que je lui impute une doctrine
étrangère, en lui imputant celle de cet anonyme.
Ainsi ce n'est pas les Juifs et
les Gentils incrédules : c'est les fidèles et les églises chrétiennes qui
doivent examiner après les
1 Exposit., art. 19. — 2 Act.,
XV, 18. — 3 Act., XVI, 4.
575
apôtres, et après les apôtres assemblés, et après qu'ils
ont prononcé : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous : » et ce prodige de
doctrine est enseigné dans une église qui se vante de n'écouter que les pures
paroles des apôtres. Voilà jusqu'où les ministres et les prétendus réformés, et
M. Claude en particulier, sont forcés par leur croyance à pousser la nécessité
de l'examen.
Il ne restait plus qu'à dire
qu'il fallait encore examiner après Jésus-Christ, et qu'avec tous ses miracles
et toute l'autorité que son Père lui avait donnée, il n'en avait pas assez pour
obliger les hommes à le suivre sans examen et sur sa parole : M Claude l'a dit
dans notre Conférence, et le dit encore dans sa Relation.
Je prie le sage lecteur de
croire que dans une matière de cette importance je ne veux ni imposer ni
exagérer : qu'il me suive seulement avec attention, et il verra la vérité
manifeste.
On a vu que j'objectais dans la
Conférence, qu'à moins de reconnaître une autorité vivante et parlante, à
laquelle tout particulier fût obligé de se soumettre sans examiner, on réduisait
les particuliers à la présomption de croire qu'ils pouvaient mieux entendre
l'Ecriture sainte que tous les conciles ensemble et que tout le reste de
l'Eglise. Pour me prouver qu'en cela il n'y avait rien de si orgueilleux, ni de
si absurde, M. Claude me répondit que du temps que Jésus- Christ était sur la
terre, le cas était arrivé où un particulier devait élever son jugement
au-dessus de la Synagogue assemblée, qui condamnait Jésus-Christ : ce qui loin
d'être un sentiment d'orgueil, était l'acte d'une foi parfaite.
Cette réponse, je l'avoue, me
fit horreur : car afin de la soutenir, il fallait dire que du temps que la
Synagogue jugeait Jésus-Christ, et qu'il était lui-même sur la terre, il n'y
avait point sur la terre d'autorité vivante et parlante à laquelle il fallût
céder sans examen; de sorte que l'on devait examiner après Jésus-Christ, et
qu'il n'était pas permis de l'en croire sur sa parole. Je fis cette réponse à M.
Claude, et lui montrai que loin qu'il fallût alors que chacun se déterminât par
un examen particulier, et s'élevât au-dessus de toute autorité vivante et
parlante, il y en avait une alors, la plus grande qui fût jamais ou qui puisse
être, qui est celle de Jésus-Christ et de la Vérité même; à qui le Père rendait
576
publiquement témoignage par une voix venue du ciel, par les
miracles les plus grands et les plus visibles qu'on eût jamais faits, et enfin
par les moyens les plus éclatants aussi bien que les plus certains que la
Toute-Puissance divine ait pu pratiquer.
Si je remarque dans la
Conférence qu'il n'y eut point de réponse à ce raisonnement, on sent bien que
c'est qu'en effet il n'y en doit point avoir. M. Claude dit néanmoins dans sa
Relation qu'il me répondit que les miracles de Jésus-Christ faisaient un des
sujets de la question; qu'il y a de faux miracles, dont Moïse au Deutéronome
avait averti les Israélites de se donner garde; que la Synagogue avait jugé que
les miracles de Jésus-Christ étaient faits au nom de Béelzébub ; « qu'enfin une
autorité ne décide rien que premièrement elle ne soit reçue, et que celle de
Jésus-Christ ne l'était pas encore, puisqu'il s'agissait de la recevoir ou de la
rejeter. » Je suis obligé d'observer qu'assurément je n'entendis rien de tout
cela dans la Conférence ; et on va voir qu'en effet il vaut mieux se taire que
de dire de telles choses. Mais puisque M. Claude veut les avoir dites, il faut
donc qu'il dise encore qu'à cause que les miracles de Jésus-Christ étaient
rejetés comme des signes trompeurs par des envieux, par des opiniâtres, en un
mot par les ennemis déclarés de la vérité, ces miracles n'étaient pas assez
convaincants pour pouvoir obliger les hommes à en croire Jésus-Christ sur sa
parole sans examiner davantage; et qu'après par exemple qu'il eut ressuscité le
Lazare en témoignage exprès « que Dieu l'avait envoyé (1), » ceux qui virent de
leurs propres yeux un si grand miracle étaient, je ne dis pas recevables, mais
expressément obligés à examiner si Jésus-Christ était vraiment envoyé de Dieu.
Il faut, dis-je, pousser jusqu'à cet excès la nécessité de l'examen : autrement
il sera vrai, comme je l'ai dit, qu'il y avait alors une autorité visible et
palpable, à laquelle tout devait céder sans examiner; de sorte qu'il n'y eut
jamais de temps où l'on fût moins exposé à la tentation de l'orgueil, en
s'élevant au-dessus de toute autorité vivante et parlante, puisque celle de
Jésus-Christ, la plus vivante et la plus parlante, aussi bien que la plus grande
et la plus infaillible qui fût jamais, était alors sur la terre, et qu'on ne
s'élevait
1 Joan., XI, 42.
577
au-dessus de la Synagogue qu'en se soumettant à
Jésus-Christ, dont les miracles, comme il dit lui-même, « ôtaient toute excuse »
à ceux qui ne croyaient pas en lui (1) : ce que l'assemblée qui le condamna
reconnut si bien, que refusant obstinément de croire en Jésus-Christ, elle ne
trouva ni d'autre réponse à ses miracles, ni d'autres moyens de lui résister que
de s'en défaire (2), et de se défaire avec lui de Lazare même (3), pour
étouffer, si elle eût pu par un même coup, avec les miracles qu'elle avait vus,
la mémoire de celui qui les avait faits.
Il ne faut donc plus ici éblouir
le monde par de frivoles réponses, ni faire perdre aux lecteurs la suite d'un
raisonnement en introduisant des questions inutiles. Je veux dire qu'il ne sert
de rien d'émouvoir ici la question des signes trompeurs, ni de répondre que la
Synagogue doutait de la vérité des miracles de Jésus-Christ. Il s'agit
uniquement de savoir si ce doute n'était pas l'effet d'une malice évidente, et
enfin s'il n'est pas certain parmi les chrétiens qu'il y avait dans les miracles
de Jésus-Christ une si pleine démonstration de la puissance divine, et une si
claire confirmation de la mission de Jésus-Christ, que tout esprit raisonnable
fût obligé de céder sans examiner davantage ; en sorte qu'il y eût alors une
autorité vivante et parlante, à laquelle il n'y eût rien à opposer qu'une malice
grossière et une manifeste obstination. Voilà de quoi il s'agit; et si après
cette explication de la question on croit se sauver encore, en disant avec M.
Claude que « l'autorité de Jésus-Christ n'était pas reçue, » il faut aller plus
loin, et dire à Jésus-Christ même avec les Juifs : « Vous vous rendez témoignage
à vous-même; votre témoignage n'est pas recevable (4). » Alors nous répondrons
avec Jésus-Christ : « Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage
est véritable. » Et encore : « Je ne suis pas seul, mais mon Père qui m'a envoyé
rend aussi témoignage de moi (5). » Et encore : « Les miracles que mon Père m'a
donné de faire, ces miracles rendent témoignage que mon Père m'a envoyé (6). »
Et enfin : « Leur péché n’a plus d'excuse : si je n'avais pas fait au milieu
d'eux des
1 Joan., XV, 22-24. — 2 Joan., XI, 47, 53. —
3 Joan., XII, 10. — 4 Joan., VIII. 13. — 5 Joan., VIII, 14,
16. — 6 Joan., V, 36.
578
miracles que nul autre n'a faits, ils n'auraient point de
péché; et maintenant ils les ont vus, et ils haïssent et moi et mon Père (1). »
C'est-à-dire que les miracles sont clairs, que l'autorité est incontestable, et
que la résistance ne peut plus avoir de fondement qu'une haine aveugle.
J'attends qu'on réponde encore
que Jésus-Christ ajoute après tout cela: « Sondez les Ecritures, elles-mêmes
rendent aussi témoignage de moi (2); » et qu'on ose conclure de là qu'on pouvait
et qu'on devait examiner après Jésus-Christ : en sorte que cette parole qu'il a
prononcée nous démontre, non pas dans les Ecritures une surabondance de
conviction, mais dans la personne de Jésus-Christ une insuffisance d'autorité.
Si on fait encore cette objection, il n'y aura plus qu'à se taire, et à laisser
Jésus-Christ défendre sa cause.
En attendant, nous conclurons
que c'est l'autorité même de Jésus-Christ que nous révérons dans son Eglise. Si
nous disons qu'il faut croire l'Eglise sans examiner, c'est à cause que
Jésus-Christ, qui l'enseigne et qui la conduit, est au-dessus de tout examen.
Nous ne laisserons pas, en imitant Jésus-Christ, de dire encore pour comble de
conviction à tous les ennemis de l'Eglise : « Sondez les Ecritures : » nous les
confondrons par cette Ecriture à laquelle ils disent qu'ils croient, et nous les
verrons succomber encore dans cet examen ; mais ce sera après les avoir forcés à
reconnaître qu'il se faut soumettre, sans examiner, à l'autorité de l'Eglise,
dans laquelle cet Esprit que Jésus-Christ a envoyé pour tenir sa place, parle
toujours.
Il n'y a donc rien de moins à
propos que l'exemple de la Synagogue : et nos prétendus réformés destitués de
cet exemple qui faisait leur fort, demeurent seuls à se croire, chacun en
particulier, capables de mieux entendre l'Ecriture sainte que tout ce qui a dans
l'univers l'autorité de l'interpréter et de juger de la doctrine, et que tout ce
qui leur paraît de fidèles dans le monde : ce qui est l'erreur précise des
indépendants, ou quelque chose de pis.
On dira que ce particulier qui
examine après l'Eglise, sera toujours bien assuré de n'être pas seul de son
sentiment, puisque
1 Joan., XV, 22, 24. — 2 Joan.,V, 39.
579
toujours il restera quelque élu caché qui pensera comme lui
: comme si sans réfuter cette vision, ce n'était pas un orgueil assez détestable
de se mettre seul au-dessus de tout ce qu'on voit et de tout ce qu'on entend
parler dans tout le reste de l'Eglise. On dira encore : Ce n'est point orgueil
de se croire éclairé par le Saint-Esprit. Mais au contraire, c'est le comble de
l'orgueil que des particuliers osent croire que le Saint-Esprit les instruise,
et abandonne à l'erreur tout ce qui paraît de fidèles dans le reste de l'Eglise.
Et il ne sert de rien de répondre, comme fait M. Claude dans sa Relation, « que
l'Esprit souffle où il veut (1) : » car il faudrait montrer que cet Esprit, qui
se repose sur les humbles, ne laisse pas de souffler sur ceux qui se croient eux
seuls plus capables d'entendre l'Ecriture sainte que tout le reste de l'Eglise,
puisqu'ils examinent après elle; et non-seulement de souffler sur eux, mais
encore de leur inspirer lui-même cette superbe pensée. Mais enfin, quoi qu'il en
soit, et sans disputer davantage, puisque ce n'en est pas ici le lieu, nous
avons montré que c'est un dogme avoué dans la nouvelle Réforme, que tout
particulier doit examiner après l'Eglise, et par conséquent doit croire qu'il se
peut faire qu'il entende mieux l'Ecriture qu'elle et toutes ses assemblées. Ceux
à qui cette présomption fait horreur, ou qui en s'examinant ne trouvent point en
eux-mêmes cette fausse capacité, n'ont qu'à chercher leur salut dans une autre
église que dans celle où l'on professe un dogme si prodigieux.
La seconde absurdité que j'ai
promis défaire avouer à M. Claude et à tout bon protestant, c'est qu'à moins de
reconnaître dans l'Eglise une autorité après laquelle il ne faille plus examiner
ni douter, on est forcé à mettre un point où le fidèle en âge de raison ne
puisse pas faire un acte de foi sur l'Ecriture, et où par conséquent il faille
douter si elle est véritable ou fausse. J'ai assigné
1 Joan., III, 8.
580
pour ce point de doute tout le temps où un chrétien , par
quelque cause que ce soit, n'a pas lu l'Ecriture sainte. M. Claude se récrie ici
contre une si détestable proposition ; et moi je persiste à dire, non-seulement
qu'il l'a avouée dans la Conférence, mais même qu'en quelque manière qu'il ait
ici tâché de tourner les choses, il n'a pu si bien faire qu'il ne l'avouât
encore dans sa Relation.
A la vérité, c'est ici un des
endroits où je reconnais le moins nos véritables discours. Mais il y en a encore
assez pour le convaincre, puisque si cette Relation devient publique, tout le
monde verra qu'il y reconnaît en termes formels, « que celui qui n'a pas lu
encore l'Ecriture sainte la croit parole de Dieu de foi humaine, parce que son
père le lui a dit, ce qui est un état de catéchumène; et que lorsqu'il a lu
lui-même ce Livre, et qu'il en a senti l'efficace, il la croit parole de Dieu,
non plus de foi humaine, parce que son père le lui a dit, mais de foi divine,
parce qu'il en a senti lui-même immédiatement la divinité, et c'est là l'état de
fidèle. »
Il est donc vrai qu'il a reconnu
ce temps que j'entreprends de faire voir, où un chrétien baptisé n'est pas en
état de faire un acte de foi surnaturelle et divine sur l'Ecriture sainte ,
puisqu'il ne la croit parole de Dieu que de foi humaine, et que la foi divine ne
peut venir qu'après la lecture.
De quelque manière qu'il tourne
cette foi humaine, c'est une proposition qui fait horreur, qu'un chrétien
baptisé et en âge de raison ne puisse pas faire sur l'Ecriture un acte de cette
foi par laquelle nous sommes chrétiens. Car de là il s'ensuit que le chrétien
qui va lire la première fois l'Ecriture sainte ne doit, ni se porter de
lui-même, ni être induit par personne à dire en l'ouvrant : et Je crois, comme
je crois que Dieu est, que l'Ecriture que je m'en vas lire est sa parole. » Il
faut au contraire lui faire dire : « Je m'en vas examiner si dorénavant et dans
le reste de ma vie je dois lire cette Ecriture avec une telle foi. » C'est
renverser tout l'ordre de l'instruction ; c'est perdre le fruit du baptême ;
c'est réduire les chrétiens à instruire leurs enfants baptisés comme s'ils ne
l'étaient pas, et qu'ils eussent encore à délibérer de quelle religion ils
doivent être.
581
Et ce que dit M. Claude sur
l'Ecriture, il faut qu'il le dise sur la foi de la Trinité, sur celle de
l'incarnation, sur celle de la mission de Jésus-Christ et de la rédemption du
genre humain. Car ce qui force M. Claude et tout protestant à dire que le fidèle
qui n'a pas lu l'Ecriture sainte ne peut croire que de foi humaine qu'elle soit
inspirée de Dieu, c'est qu'autrement il faudrait reconnaître un acte de foi
divine sur la seule autorité de l'Eglise : ce qui serait reconnaître cette
autorité comme infaillible, et renverser par les fondements toute la nouvelle
Réforme. Mais le même argument revient sur tous les articles de notre foi ; et
si le fidèle peut croire d'une foi divine et la Trinité et l'incarnation et la
mission de Jésus-Christ, sur la seule autorité de l'Eglise et avant que d'avoir
lu l'Ecriture sainte, je conclurai toujours avec une pareille certitude que
l'autorité de l'Eglise sera infaillible. Il faut donc par la conséquence du
principe de M. Claude et de tous les protestants, il faut, dis-je, en réduisant
les chrétiens qui vont lire l'Ecriture sainte à une simple foi humaine sur cette
Ecriture, les y réduire tout d'un coup sur les points les plus essentiels de
notre croyance.
Ce n'est pas là la méthode de
nos pères ; ce n'est pas ainsi qu'ils ont appris aux chrétiens à instruire leurs
enfants. Quand ils les ont baptisés dans leur bas âge, on a dit en leur nom :
Credo, « Je crois. » N'importe que nos réformés aient changé cette formule ;
elle est de la première antiquité, et sera toujours sainte et vénérable malgré
eux. Mais cette formule dont on use envers les enfants, nous fait voir que
lorsqu'ils auront l'usage de la raison, il faudra d'abord leur apprendre à faire
un acte de foi, et ne point perdre de temps à les y exciter. Ils en seront donc
capables : ils pourront dire le même Credo qu'ils auraient dit si on les avait
baptisés en âge de connaissance ; et les réduire à une foi simplement humaine,
c'est leur ôter la grâce de leur baptême, et justifier la pratique aussi bien
que la doctrine des anabaptistes.
Et je conjure Messieurs de la
religion prétendue réformée de ne croire pas que je leur allègue ici les
anabaptistes par une manière d'exagération, ou pour les rendre odieux : ces
manières ne sont pas dignes de chrétiens. Je soutiens au pied de la lettre que
la doctrine qu'enseigne ici M. Claude, et que tous les protestants doivent
582
enseigner avec lui, introduit l'anabaptisme. Car s'il faut
tenir en suspens les actes de foi divine jusqu'à ce qu'on ait lu l'Ecriture
sainte et qu'on soit instruit par soi-même; si tous les actes qui précèdent
cette instruction ne sont pas des actes de chrétien, puisqu'ils n'ont pour
fondement qu'une foi humaine : il faut par la même raison différer le baptême
jusqu'à ce temps, et ne pas faire des chrétiens qui dans l'âge de raison soient
incapables de produire des actes de leur religion.
C'est en vain que M. Claude nous
répond qu'il nous fera pour l'Eglise le même argument que nous lui faisons pour
l'Ecriture ; car il faudrait pour cela, que comme nous lui montrons un certain
point, qui même dans l'usage de la raison précède nécessairement la lecture de
l'Ecriture, il pût aussi nous en montrer un qui précédât les enseignements de
l'Eglise : mais c'est ce qu'il ne trouvera jamais. Quoi qu'il fasse, nous lui
marquerons toujours avant la lecture de l'Ecriture un certain point, qui est
celui où l'Eglise nous la met en main : mais avant l'Eglise il n'y a rien ; elle
prévient tous nos doutes par ses instructions.
C'est une erreur de s'imaginer
qu'il faille toujours examiner avant que de croire. Le bonheur de ceux qui
naissent pour ainsi dire dans le sein de la vraie Eglise, c'est que Dieu lui ait
donné une telle autorité , qu'on croit d'abord ce qu'elle propose, et que la foi
précède ou plutôt exclut l'examen.
De demander maintenant par quel
motif Dieu nous fait sentir l'autorité de son Eglise, c'est sortir visiblement
de la question. Il ne manque pas de motifs pour attacher ses enfants à son
Eglise , à laquelle il a donné des caractères si particuliers et si éclatants.
Cela même, qu'elle est la seule de toutes les sociétés qui sont au monde, à
laquelle nul ne peut montrer son commencement ni aucune interruption de son état
visible et extérieur par aucun fait avéré, pendant qu'elle le montre à toutes
les autres sociétés qui l'environnent par des faits qu'elles-mêmes ne peuvent
nier: cela même est un caractère sensible, qui donne une inviolable autorité
583
à la vraie Eglise. Dieu ne manque pas de motifs pour faire
sentir à ses enfants ce caractère si particulier de son Eglise. Mais quels que
soient ces motifs, et sans vouloir ici les étaler parce que ce n'en est pas le
lieu, il est certain qu'il y en a, puisqu'enfin il faut pouvoir croire sur la
parole de l'Eglise avant que d'avoir lu l'Ecriture sainte , et que dans la
première instruction que nous recevons, sans nous parler de l'Ecriture, on nous
apprend à dire comme un acte fondamental de notre foi : «Je crois l'Eglise
catholique. »
M. Claude nous dit que pour
autoriser la méthode par laquelle nous prétendons mettre la foi de l'Eglise
comme le fondement de tout le reste, il faudrait dans le Symbole avoir commencé
par dire : « Je crois l'Eglise, » au lieu qu'on y commence par dire : « Je crois
en Dieu le Père, et en Jésus-Christ, et au Saint-Esprit. » Et il ne songe pas
que c'est l'Eglise elle-même qui nous apprend tout le Symbole, c'est sur sa
parole que nous disons : « Je crois en Dieu le Père, et en Jésus-Christ son Fils
unique, » et le reste ; ce que nous ne pouvons dire avec une ferme foi, sans que
Dieu nous mette en même temps dans le cœur que l'Eglise qui nous l'enseigne ne
nous trompe pas. Après donc que nous avons dit sur sa parole : « Je crois au
Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, » et que nous avons commencé notre
profession de foi par les Personnes divines que leur majesté met au-dessus de
tout, nous y ajoutons une sainte réflexion sur l'Eglise qui nous propose cette
créance , et nous disons : « Je crois l'Eglise catholique. » A quoi nous
joignons aussitôt après toutes les grâces que nous recevons par son ministère, «
la communion des saints , la rémission des péchés, la bienheureuse résurrection,
et enfin la vie éternelle. »
C'est vouloir embrouiller les
choses que de nous alléguer ici avec M. Claude l'église grecque, l'arménienne,
l'égyptienne, ou l'éthiopique et celle des Cophtes, et tant d'autres qui ne se
vantent pas moins d'être l'Eglise véritable que fait l'Eglise romaine. Ceux,
dit-on, qui sont élevés dans ces églises en révèrent l'autorité :
584
chacune de ces églises a des sectateurs aussi zélés que la
nôtre. Le zèle véritable et pur n'a point de marque sensible : chacun attribue
le sien , comme nous faisons, à la grâce du Saint-Esprit ; et se reposant sur
l'autorité de l'Eglise où il se trouve , il dit que le Saint-Esprit se sert de
cette autorité pour le conduire à la foi de l'Ecriture et à toutes les vérités
du christianisme.
C'est à peu près l'objection de
M. Claude ; et c'est ainsi quelquefois que lorsqu'on ne peut se débarrasser, on
croit se sauver en tâchant de jeter les autres dans un embarras semblable au
sien. Mais il ne gagnera rien par cette adresse, car enfin pour quelle cause
prétend-il combattre ? Est-ce pour l'indifférence des religions ? Veut-il dire
avec les impies, qu'il n'y a pas une Eglise véritable où l'on agisse en effet
par des mouvements divins ? Et sous prétexte que le démon, ou si l'on veut la
nature, savent imiter, ou pour mieux dire contrefaire ces mouvements,
soutiendra-t-il que ces mouvements sont partout imaginaires? A Dieu ne plaise :
nous voulons tous deux éviter cet écueil. Il avouera donc avec moi qu'il y a une
vraie Eglise, quelle qu'elle soit, où le Saint-Esprit agit, encore qu'à ne
regarder que le dehors, on ne puisse pas toujours si aisément discerner qui sont
ceux où il habite. Jusqu'ici nous sommes d'accord ; voyons jusqu'où nous
pourrons marcher ensemble. Nous convenons qu'il y a une vraie Eglise où le
Saint-Esprit agit : nous convenons qu'il se sert de moyens extérieurs pour nous
mettre la vérité dans le cœur : nous convenons qu'il se sert de l'Eglise et de
l'Ecriture. Notre question est de savoir par où il commence, si c'est par
l'Ecriture ou par l'Eglise; si c'est, dis-je, par l'Ecriture qu'il nous fait
croire à l'Eglise , ou si c'est plutôt par l'Eglise qu'il nous fait croire à
l'Ecriture. Je dis que c'est par l'Eglise que le Saint-Esprit commence ; et il
faut bien qu'il soit ainsi, puisque constamment c'est l'Eglise qui nous met en
main l'Ecriture. M. Claude néanmoins me quitte ici, et commence à marcher tout
seul : mais il tombe dès le premier pas dans le précipice. Car la peur qu'il a
de reconnaître dans la vraie Eglise une infaillible autorité, et de croire que
sur la parole de l'Eglise, même véritable, on puisse faire un acte de foi divine
et surnaturelle sur la vérité de l'Ecriture, l'oblige à dire qu'il n'est pas
585
possible de commencer la lecture de l'Ecriture sainte par
un tel acte de foi, et que tout acte de foi qui précède cette lecture est un
acte de foi humaine. Voilà l'état déplorable où il met le chrétien qui va lire
l'Ecriture sainte pour la première fois. M. Claude ne peut sortir de cet abîme
sans revenir à l'endroit où il a commencé de me quitter, et dire ensuite avec
moi qu'il y a une vraie Eglise, quelle qu'elle soit, dont le Saint-Esprit
inspire d'abord la vénération aux vrais fidèles; que par cette vénération qu'il
leur met d'abord dans le cœur, il les attache à l'Ecriture que cette Eglise leur
présente ; que cette Eglise exige aussi de tous ceux qu'elle peut instruire ,
qu'ils adorent sur sa parole l'infaillible vérité de cette Ecriture, et ne
reconnaît pas pour ses enfants ceux qui n'ont pour cette Ecriture qu'une foi
humaine.
Mais, dit-on, l'Eglise romaine
n'est pas la seule à s'attribuer cette autorité : l'église grecque et d'autres
églises veulent aussi qu'on les en croie sur leur parole, et enseignent que
c'est le moyen de lire l'Ecriture sainte avec une soumission de foi divine. Hé
bien, s'il est ainsi, il ne reste plus qu'à choisir entre ses églises. Mais dès
là et du premier coup l'église calvinienne est tombée : elle se dégrade
elle-même pour ainsi parler du titre d'Eglise, puisqu'elle ne se sent pas
assez d'autorité pour faire faire à tous ceux qu'elle commence à instruire un
acte de chrétien et un acte de foi divine, pas même sur la vérité de l'Ecriture,
d'où on suppose qu'elle doit apprendre toutes les autres.
Mais M. Claude demande comment
on choisira entre ces églises; Sera-ce par enthousiasme ? Ce serait par
enthousiasme , comme je l'ai remarqué dans la Conférence, si l'Eglise véritable
n'avait pas ses caractères particuliers qui la distinguent des autres. Elle a
sans aller plus loin ni approfondir davantage, sa succession où personne ne lui
montrera par aucun fait positif aucune interruption, aucune innovation, aucun
changement. C'est de quoi nulle fausse église ne se glorifiera jamais aussi
clairement que la véritable , parce que s'en glorifiant elle se condamnerait
visiblement elle-même. Il y aura donc toujours dans l'instruction que l'Eglise
véritable donnera à ses enfants sur son état, quelque chose que nulle autre
secte ne pourra ni n'osera dire. C'est par là que nous
586
convaincrions, s'il en était question, les Grecs, les
Ethiopiens, les Arméniens et les autres sectes qui semblent à cet égard plus
décevantes à cause de l'apparence de succession qu'elles montrent, qui aussi
leur donne lieu de s'attribuer avec un peu plus de fondement l'autorité de
l'Eglise. Mais pour l'église calvinienne, c'est fait d'abord, puisqu'elle n'a
pas même une succession apparente et colorée, et qu'elle n'ose elle-même, comme
nous venons de le voir par l'aveu de M. Claude, s'attribuer cette autorité, sans
laquelle il ne peut y avoir ni d'instruction certaine , ni de fondement assuré
d'une foi divine, ni enfin d'église.
Ce serait donc bien en vain que
nous perdrions ici le temps à disputer aux Egyptiens et aux Grecs la succession
dont ils se vantent. Ce ne serait pas un grand travail de leur marquer le point
manifeste de leur innovation. Les prétendus réformés le savent aussi bien que
nous, et eux-mêmes quand ils veulent ils le leur montrent. Ainsi quand ils nous
pressent de le faire , ce n'est pas qu'ils croient nous engager à une chose
impossible, ou même obscure et difficile : mais c'est en un mot que dans une
cause si mauvaise c'est toujours gagner quelque chose que de se jeter à l'écart,
et faire perdre la suite d'un raisonnement.
Ainsi j'ai eu raison de dire à
mademoiselle de Duras dans une des instructions de ce livre, que si quelqu'un
dégoûté de l'église calvinienne, était tenté d'embrasser la religion des Cophtes
ou celle des Grecs, il serait temps alors de leur montrer dans ces églises ce
point inévitable de leur nouveauté, qu'elles ne peuvent nier non plus que les
autres sectes : mais que comme les calvinistes, à qui nous avons à faire, en
convenaient, et que personne ne songeait à les quitter que pour venir à nous :
quand nous obligions à les quitter, en montrant, de l'aveu de leur ministre, les
énormes absurdités de leur doctrine , l'ouvrage était consommé, et tout le reste
en cette occasion était inutile.
Et afin qu'on entende bien la
méthode de la Conférence et l'état de la question qui y est traitée, il ne s'y
agissait pas directement d'établir l'Eglise romaine, mais de montrer seulement
qu'il y a une vraie Eglise, quelle qu'elle soit, à laquelle il faut se soumettre
sans examiner : et au reste que celte Eglise ne peut pas
587
être la calvinienne, puisqu'elle-même veut qu'on examine
après elle ; ce qui lui fait avouer les absurdités que nous avons remarquées, et
perdre par cet aveu le titre d'Eglise.
Cela fait, il ne s'agit plus de
prêcher l'Eglise romaine , c'est-à-dire ce corps d'Eglise dont Rome est le chef,
puisqu'à celui qui veut choisir entre deux églises, en exclure l'une, c'est
établir l'autre , sans qu'il soit besoin pour cela de disputer davantage. Outre
que l'Eglise romaine porte si évidemment ces beaux caractères de la vraie
Eglise, qu'il n'y a guère d'homme de bon sens, même parmi nos réformés, qui ne
convienne que , s'il y a au monde une autorité à laquelle il faille céder, c'est
celle de cette Eglise.
Mais en tout cas, quand on voit
les absurdités qu'on est forcé d'avouer dans le calvinisme faute d'avoir reconnu
dans l'autorité de l'Eglise les véritables principes de l'instruction
chrétienne, on se retire bientôt d'une église dont la méthode et l'instruction
est si manifestement défectueuse ; et on est assez sollicité par le reste de
christianisme, qu'on sent en son fond, à retourner à l'Eglise d'où on est sorti.
On voit dans les discours de M.
Claude, que pressé par ce défaut d'autorité qui ruine toute l'instruction dans
son église, il affecte de réduire notre dispute à l'instruction des enfants, et
qu'il croit trouver quelque avantage à faire dépendre cette instruction des
parents et des nourrices que l'on connaît plus dans cet âge que l'Église et ses
ministres. Par ce moyen il croit nous cacher l'autorité de l'Eglise dans les
premiers exercices et les premiers actes que nous faisons de la foi avant que
d'avoir lu l'Ecriture sainte. Mais il fallait songer premièrement, que
l'argument que je lui faisais ne regardait pas seulement les enfants : les
enfants ne sont pas les seuls chrétiens qui n'ont pas lu l'Ecriture. M. Claude
n'ignore pas qu'il n'y ait eu au commencement du christianisme, non pas des
hommes particuliers, mais des nations entières, qui au rapport de saint Irénée,
n'avaient point l'Ecriture sainte, et
588
sans la lire ne laissaient pas d'être de parfaits chrétiens
(1). Il s'agit donc entre nous, en général, de tous ceux qui n'ont pas lu
l'Ecriture sainte, en quelque âge qu'ils soient, et de quelque manière qu'il
soit arrivé qu'ils n'auront pas fait cette lecture. Car c'est de ceux-là et, si
l'on veut, c'est de ceux dont parle saint Irénée ou de leurs semblables, que je
demande sur la foi de qui ils croient l'Ecriture , et se préparent à la lire
comme étant inspirée de Dieu. S'ils n’ont qu'une foi humaine, comme le dit M.
Claude, ils ne sont pas chrétiens; et s'ils ont une foi divine, comme il le faut
avouer à moins que de tomber dans une absurdité qui fait horreur, il est donc
vrai que la foi divine, sans qu'on ait lu l'Ecriture , suit immédiatement la
doctrine de l'Eglise, et en établit l'infaillible autorité. C'est sur cette
autorité que tout chrétien qui prend en main l'Ecriture, commence par croire
d'une ferme foi que tout ce qu'il y va lire est divin : et il n'attend pas qu'il
ait tout lu pour croire la vérité de cette Ecriture; il croit le premier
chapitre avant que d'avoir lu le second, et il croit le tout avant que d'avoir
vu la première lettre, et que d'avoir seulement ouvert le livre. Il ne forme
donc pas sa foi par la lecture de l'Ecriture : cette lecture trouve la foi déjà
formée ; cette lecture ne fait que confirmer à un chrétien tout ce qu'il croyait
déjà, et tout ce qu'il avait déjà trouvé dans la créance de l'Eglise. Il a donc
cru avant toutes choses que l'Eglise ne le trompait pas, et c'est par là qu'il a
commencé à faire des actes de chrétien. Les enfants ne sont pas instruits par
une autre voie. Quand ils écoutent leurs parents, c'est l'Eglise qu'ils
écoutent, puisque nos parents ne sont nos premiers docteurs que comme enfants de
l'Eglise. C'est pour cela que Je Saint-Esprit nous renvoie à eux : « Interrogez
votre père, et il vous l'annoncera; demandez à vos ancêtres, et ils vous le
diront (2). » Saint Basile , un si grand théologien, se justifie et tout
ensemble il confond les hérétiques, en leur alléguant la foi de sa mère et de
son aïeule sainte Macrine (3); et il imite saint Paul, qui loue Timothée d'avoir
«une foi sincère, telle qu'elle s'était trouvée, premièrement dans sa mère
Eunice et dans Loïde son aïeule (4). »
1 Iren., lib. III, cap. IV, p. 178.— 2
Deuter., XXXII, 7. — 3 Epist. LXXIX, nunc CCXXIII. — 4 II Timoth.,
I, 5.
589
C'est-à-dire que la doctrine doit toujours venir de main en
main, et qu'il y aura toujours une vraie Eglise, à laquelle jamais personne ne
pourra montrer son commencement, ni trouver dans son état ces marques
d'interruption et de nouveauté que toutes les autres sectes portent sur leur
front. Les parents chrétiens attachés à cette Eglise, y attachent leurs enfants,
et les mettent aux pieds de ses ministres pour y être instruits.
Il ne faut pas s'imaginer que
les enfants en qui la raison commence à paraître, pour ne savoir pas arranger
leurs raisonnements, soient incapables de ressentir l'impression de la vérité.
On les voit apprendre à parler dans un âge plus infirme encore : de quelle sorte
ils l'apprennent, par où ils font le discernement entre le nom et le verbe, le
substantif et l'adjectif, ni ils ne le savent, ni nous, qui avons appris par
cette méthode, ne le pouvons bien expliquer ; tant elle est profonde et cachée.
Nous apprenons à peu près de même le langage de l'Eglise. Une secrète lumière
nous conduit dans un état comme dans l'autre ; là c'est la raison, et ici la
foi. La raison se développe peu à peu, et la foi infuse par le baptême en fait
de même. Il faut des motifs pour nous attacher à l'autorité de l'Eglise ; Dieu
les sait, et nous les savons en général : de quelle sorte il les arrange, et
comment il les fait sentir à ces âmes innocentes, c'est le secret de son
Saint-Esprit. Tant y a que cela se fait, et il est certain que c'est par là
qu'il commence. Comme c'est là le premier acte de chrétien que nous faisons, et
que c'est sur ce fondement que tout est bâti, c'est aussi ce qui subsiste
toujours. Viendra le temps que nous saurons plus distinctement pourquoi nous
croyons; et l'autorité de l'Eglise de jour en jour deviendra plus ferme dans
notre esprit. L'Ecriture même fortifiera les liens qui nous y attachent : mais
il en faudra toujours revenir à l'origine, c'est-à-dire à croire sur l'autorité
de l'Eglise. En quelque âge que l'on soit, c'est par là que l'on commence à
croire l'Ecriture : on continue aussi sur le même fondement; et saint Augustin
était déjà consommé dans la science ecclésiastique, quand il a dit a qu'il ne
croirait pas à l'Evangile , si l'autorité de l'Eglise catholique ne l'y
obligeait (1). » Je pourrais
1 Cant. Ep. fundam. Man., n. 6,
590
s'il en était question, montrer le même sentiment dans les
autres Pères. C'est qu'il faut toujours remonter au premier principe, et c'est
ce premier principe qui nous attache à l'Eglise. Qu'on ne nous reproche point ce
cercle vicieux : l'Eglise nous fait croire l'Ecriture, l'Ecriture nous fait
croire l'Eglise. Cela est vrai de part et d'autre à divers égards. L'Eglise et
l'Ecriture sont tellement faites l'une pour l'autre, et s'assortissent l'une
avec l'autre si parfaitement , qu'elles s'entre-soutiennent comme les pierres
d'une voûte et d'un édifice se tiennent mutuellement en état. Tout est plein
dans la nature de pareils exemples. Je porte le bâton sur lequel je m'appuie :
les chairs lient et couvrent les os qui les soutiennent ; et tout s'aide
mutuellement dans l'univers. Il en est ainsi de l'Eglise et de l'Ecriture. Il
n'y avait qu'une Eglise, telle que Jésus-Christ l'a fondée , à qui on pût
adresser une Ecriture telle que nous l'avons ; c'est-à-dire qui osât promettre à
l'Eglise où cette Ecriture avait été faite, une éternelle durée. Si quelqu'un
reçoit l'Ecriture, par l'Ecriture je lui prouverai l'Eglise; qu'il reconnaisse
l'Eglise, par l’Eglise je lui prouverai l'Ecriture : mais comme il faut
commencer de quelque côté, j'ai fait voir assez clairement par l'aveu de M.
Claude, que si on ne commence par l'Eglise, la divinité de l'Ecriture et la foi
qu'on y doit avoir est en péril. C'est pourquoi le Saint-Esprit commence notre
instruction par nous attacher à l'Eglise : «Je crois l'Eglise catholique. »
Parmi nos adversaires il faut tout examiner avant que de croire ; et il faut
examiner avant toutes choses l'Ecriture, par laquelle on examine tout le reste.
Ce n'est pas assez d'en avoir lu quelques versets détachés, quelques chapitres,
quelques livres : jusqu'à ce qu'on ait tout lu, tout conféré, tout examiné, la
foi demeure en suspens, puisque c'est par cet examen qu'elle se forme. Parmi les
vrais chrétiens on croit d'abord : « Ta foi t'a sauvé, » dit Jésus-Christ. « Ta
foi, » remarque Tertullien dans ce divin ouvrage des Prescriptions, « et non pas
d'être exercé dans les Ecritures (1). » Il n'est pas besoin de passer par des
opinions, par des doutes, par les incertitudes d'une foi humaine. «Je n'ai
jamais changé, dit saint Basile : ce que j'ai cru dès l'enfance n'a fait que se
fortifier dans la
1 Tertull., De Prœs., n. 14.
591
suite de l'âge. Sans passer d'un sentiment à un autre, je
n'ai fait que perfectionner ce qui m'a été donné d'abord par mes parents. Comme
un grain qu'on sème de petit qu'il était devient grand, mais demeure toujours le
même en soi, et sans changer de nature, il ne fait que prendre de
l'accroissement : ainsi ma foi s'est accrue et cela n'est pas un changement où
l'on passe de ce qui est pis au meilleur, mais un accomplissement de l'ouvrage
déjà commencé, et la confirmation de la foi par la connaissance (1).» De cette
sorte on ne passe pas, comme parmi nos réformés, d'un état de doute à un état de
certitude; ou, comme M. Claude aime mieux le dire, d'une foi humaine à une foi
divine. La foi divine se déclare d'abord dès les premières instructions de
l'Eglise; et cela ne serait jamais, n'était que son infaillible autorité
prévient tous nos doutes et tout examen.
C'est ainsi, comme dit saint
Augustin, c'est ainsi, dis-je, que croient « ceux qui, ne pouvant parvenir à
l'intelligence, mettent leur salut en sûreté par la simplicité de leur foi (2).
» S'il fallait toujours examiner avant que de croire, il faudrait commencer par
examiner si Dieu est, et écouter durant quelque temps avec une espèce de
suspension d'esprit, les raisonneniens des impies, c'est-à-dire qu'il faudrait
passer à la croyance de la Divinité par l'athéisme, puisque l'examen et le doute
en est une espèce. Mais non : Dieu a mis sa marque dans le monde, qui est
l'œuvre de ses mains, et par cette marque divine il imprime avant tous les
doutes le sentiment de la Divinité dans les âmes. De même il a mis sa marque
dans son Eglise, ouvrage le plus parfait de sa sagesse. A cette marque le
Saint-Esprit fait reconnaître la vraie Eglise aux enfants de Dieu; et ce
caractère si particulier qui la distingue de toute autre assemblée lui donne une
si grande autorité, qu'avant tous les cloutes et toutes les opinions, on admet
sans hésiter sur sa parole, non-seulement l'Ecriture sainte, mais encore toute
la saine doctrine. C'est ainsi que sont instruits les enfants de la vraie Eglise
: ceux qui ont été élevés dans une église étrangère, dès qu'ils sentent qu'elle
vacille en quelque partie que ce soit de son instruction, doivent tendre les
bras à
1 Ep. LXXII, vid. sup.— 2 Cont. Ep.
Man., n. 5, col. 153.
592
l'Eglise, qui a raison de ne vaciller jamais, parce qu'elle
n'a jamais ni varié, ni vacillé; et ils sentent qu'il y faut rentrer, parce
qu'il n'en fallait jamais sortir.
On peut juger maintenant si j'ai
dù être embarrassé de la promesse que j'avais faite à mademoiselle de Duras de
fajre reconnaître à M. Claude un moment, où par les principes de sa religion un
chrétien n'avait qu'une foi humaine sur la vérité de l'Ecriture. Comment
pourrais-je être embarrassé d'une chose que M. Claude avoua dans la Conférence,
et qu'il avoue encore dans sa Relation, quoiqu'il ait affaibli et ma preuve et
son aveu? Il est vrai qu'il ne veut pas lâcher le mot de doute : mais je n'ai
pas prétendu faire former à sa langue ces deux syllabes; l'équivalent me suffit.
C'est un assez grand excès de réduire le chrétien qui va lire l'Ecriture sainte,
à être incapable d'une foi divine : se contenter en cet état d'une foi humaine,
c'est toujours trop évidemment renoncer au christianisme. J'ai donc
manifestement ce que je voulais, de l'aveu de M. Claude. Que s'il dit que la foi
humaine qu'il nous vante ici exclut le doute, et ressemble à celle qui nous fait
croire qu'il y a une ville de Constantinople, ou qu'il y a eu autrefois un
Alexandre, quoique nous ne le sachions que par des hommes : à la vérité, ce
n'est pas assez pour un chrétien qui doit agir par le motif d'une foi divine ;
mais c'en est toujours assez pour confondre M. Claude, puisque selon cette
réponse, l'Eglise aurait toujours une autorité égale à celle qu'a pour ainsi
dire tout le genre humain, quand il dépose unanimement d'un fait sensible. Ainsi
de quelque- manière que M. Claude nous explique sa foi humaine, la victoire de
la vérité que je soutenais, demeurera assurée de son aveu, puisque s'il dit que
sa foi humaine exclut tout doute, il y suppose une vérité infaillible; et s'il
dit qu'elle laisse un doute, il aura enfin proféré ces fatales syllabes qu'il
évitait. Dans une cause si assurée, si j'ai tremblé pour autre chose que pour le
péril de ceux à qui je craignais de ne pouvoir, ou par ma faiblesse, ou par leur
593
préoccupation, faire entrer la vérité assez avant dans le
cœur, j'ai mal entendu la vérité que je défendais. Cependant, parce que j'ai dit
dans le récit de la Conférence qu'à l'endroit où M. Claude m'objecta l'église
grecque, et les autres, je tremblai dans l'appréhension qu'une objection
proposée avec tant d'adresse et d'éloquence ne mît une âme en péril : M. Claude
a pris ce moment pour me faire paraître abattu. « Ici, dit-il, on peut dire avec
vérité qu'on vit que l'esprit de M. de Condom n'était pas dans son état
ordinaire, et que cette liberté qui lui est si naturelle, diminua sensiblement.
» Je veux bien dire à mon tour que mon tremblement, d'où on tire cet avantage,
fut intérieur; et j'ai peine à croire que M. Claude eût pu s'en apercevoir, si
je ne l'avais raconté moi-même de bonne foi dans mon récit. Mais qu'importe quel
ait été ni l'effet ni le sujet de ma crainte? On dira, si l'on veut, que
déconcerté par l'objection de M. Claude, j'ai voulu couvrir le désordre où je
suis tombé visiblement par le tremblement que je feins d'avoir pour le salut d
une âme qui attendait son instruction de mon secours. Je l'avouerai, si l'on
veut, ou plutôt pour ne point mentir, je le laisserai passer sans opposition. Je
veux bien avoir tremblé devant M. Claude, pourvu que même en tremblant j'aie dit
la vérité. Je l'ai dite : il n'y a qu'à voir quelles ont été mes réponses, et si
j'en ai moins tiré de la bouche de M. Claude l'aveu que j'en prétendais. Après
cela plus j'aurai tremblé et plus j'aurai été faible, et plus il sera assuré que
c'est la vérité qui me soutenait.
Il y a un endroit de la
Conférence que M. Claude passe en quatre mots. C'est celui où je lui fis voir
l'horrible état de son église, qui s'établit à l'exemple de toutes les fausses
églises, en se séparant de tout ce qu'il y avait d'églises chrétiennes dans
l’univers, et sans trouver aucune église qui pensât comme elle dans le temps
qu'elle s'établit : de sorte qu'elle ne tenait par aucune continuité, ni au
temps qui précédait, ni à aucune église
594
chrétienne qui parût alors dans le monde. Ce fait passa
pour constant; et quelque court qu'ait été M. Claude dans le récit de cet
endroit, il en dit assez pour faire voir qu'en avouant ce fait important, il a
tâché seulement de couvrir la honte d'un tel état par l'exemple des apôtres
lorsqu'ils se séparèrent de la Synagogue.
Je ne répéterai pas ce que je
dis sur ce sujet : on l'a vu dans la Conférence; et M. Claude, qui n'en rapporte
qu'un mot, ne m'oblige à aucun nouvel éclaircissement. Mais je dirai seulement
qu'il donne une idée bien fausse de cet endroit de la dispute. « La compagnie se
leva, dit-il, et la conversation, qui continua encore quelque temps, devint
beaucoup plus confuse et il y fut parlé de diverses choses. » Je ne sais
pourquoi M. Claude veut que notre conversation ait été confuse : elle ne le fut
en aucun endroit, et le fut moins, s'il se peut, dans celui-ci que dans tous les
autres. Il est vrai qu'on s'était levé, et qu'une partie des assistants
s'étaient retirés ; mais nous demeurâmes de pied ferme M. Claude et moi, l'un
devant l'autre. Mademoiselle de Duras parut avoir redoublé son attention, et
après tant de principes exposés, la dispute devint plus vive et plus concluante
que jamais. Si on parla de diverses choses, ce ne fut pas vaguement et tout
tendait au même but. On le peut voir en lisant; et si on ne veut pas m'en
croire, quand M. Claude fera paraître sa Relation, on verra que ce peu qu'il dit
demande naturellement tout ce que je récite. Tant y a, qu'il fut avéré que les
prétendus réformés, en établissant leur église, avaient fait tout le contraire
de ce qu'ont toujours fait les orthodoxes, et précisément ce qu'ont fait tous
les hérétiques; et M. Claude pressé sur cette matière, ne put dans toute
l'histoire du christianisme marquer une seule Eglise vraiment chrétienne fondée
comme les églises de la nouvelle Réforme.
On peut juger maintenant quelle
apparence il y a que ce qu'ont fait tous les hérétiques contre la pratique de
tous les orthodoxes, puisse jamais être autorisé par l'exemple des apôtres
lorsqu'ils se séparèrent? de la Synagogue, Mais comme M. Claude met le fort de
sa défense dans cet exemple, je le prie d'ajouter aux faits constants que je lui
ai allégués sur ce sujet ces courtes réflexions :
595
qu'encore que Jésus-Christ, autorisé de lui-même, n'eût
besoin d'aucune suite pour se faire croire, néanmoins pour nous inculquer
combien il est nécessaire à la véritable religion d'avoir une suite toujours
manifeste, il a voulu en venant au monde y trouver une Eglise actuellement
subsistante dans tout son état : qu'il est né, et qu'il a vécu dans cette Eglise
actuellement subsistante, c'est-à-dire dans la Synagogue ; et qu'il a tellement
voulu former son Eglise au milieu d'elle, que même les saints apôtres après son
ascension et la descente du Saint-Esprit, ont persisté publiquement dans le
service du temple, qui était alors la marque la plus authentique de communion :
qu'on ne voit pas en effet, quoi qu'on pût ordonner contre eux, qu'ils s'en
soient jamais retirés, tant que le temple a subsisté, et que la Synagogue a pu
conserver ou sa forme extérieure, ou même quelque apparence de son état ancien:
que Dieu, qui voulait enfin que les siens fussent entièrement séparés d'avec les
Juifs, avait auparavant éteint dans ce peuple ingrat, par une manifeste
réprobation, avec le sacrifice et le sacerdoce, toutes les marques d'église, en
sorte qu'il parut que la Synagogue tombait plutôt en ruine avec son temple que
les enfants de Dieu ne s'en éloignaient : que loin de laisser alors aucune
espérance à ce peuple, comme il avait fait autrefois dans l'ancienne
transmigration et à la ruine du premier temple, il avait donné au contraire
toutes les marques possibles d'une implacable fureur : qu'afin qu'une telle
chute du peuple autrefois élu, et le divorce déclaré à la Synagogue autrefois
épouse, ne pût donner le moindre prétexte de soupçonner à l'avenir aucun
événement semblable; il avait fait dénoncer par tous ses prophètes cette chute
et ce divorce futur comme un exemple unique de sa colère, et avait protesté en
même temps que rien de tel n'arriverait à cette Eglise avec laquelle il faisait
une alliance éternelle : qu'avec tout cela, et encore que la réprobation de la
Synagogue fût clairement expliquée dans l'Ecriture, et même que les apôtres,
sans rien innover dans la doctrine, ne fissent que suivre celui que jusqu'à eux
sans aucune interruption on avait toujours attendu : néanmoins, parce qu'il y
avait quelque rupture avec la Synagogue autrefois Eglise véritable, pour les
autoriser dans cette action, il n'a voit rien fallu
596
de moins que Jésus-Christ présent sur la terre avec toute
l'autorité du Père éternel : en un mot, que pour s'éloigner des sentiments de la
Synagogue, quoique d'ailleurs convaincue par les Ecritures, il fallut que
Jésus-Christ, la pierre angulaire, en qui tout devait être uni, parût
visiblement avec les marques incontestables de sa mission. Je laisse maintenant
à considérer si un exemple de cette nature peut donner quelque occasion de se
séparer jamais de l'Eglise de Jésus-Christ, ou de dire que cette Eglise fondée
sur la pierre dût tomber, ou que la succession dont Jésus-Christ est la source
pût souffrir quelque interruption, et si tout ne crie pas plutôt ici contre une
telle entreprise.
Jusqu'ici nous avons vu ce qui
regarde la Conférence, et la manière dont M. Claude la raconte. Il faut
maintenant considérer ce qu'il oppose aux instructions qui l'ont précédée.
Il y répond amplement dans
l'écrit dont nous avons déjà parlé (1). Cet écrit n'a aucun titre, et il est
fait en forme de lettre. Pour nous faire mieux entendre, donnons-lui un nom, et
appelons-le la Réponse manuscrite de M. Claude. Comme on a vu que la
Conférence fut précédée de ma part de deux Instructions (2), dont la première
établit la perpétuelle visibilité de l'Eglise, et la seconde éclaircit quelques
objections tirées du livre des Rois (3), M. Claude a suivi cette division. Il
divise aussi sa Réponse en deux parties : la première est subdivisée en quatre
questions. Dans la première, il traite de l'Eglise universelle, dont il est
parlé dans le Symbole, et me blâme de n'y avoir pas compris avec tous les
bienheureux esprits, les saints qui naîtront jusqu'à la fin du monde. Dans la
seconde, il examine si l'Eglise peut être définie par sa communion extérieure,
comme il suppose que je l'ai fait. Il parle dans la troisième de la perpétuelle
visibilité de l'Eglise ; et recherche dans la quatrième à quelle Eglise
appartiennent les promesses de Jésus-Christ, si c'est à celle que j'ai posée ou
à celle qu'il a établie. Il tire ensuite onze conséquences de la doctrine qu'il
a expliquée ; et
1 Sup. Avert. et Réf., p. 563 et suiv. — 2 Sup.,
p. 507. — 3 Sup., p. 522.
597
passe à la seconde partie, où il soutient les passages du
Livre des Rois. Voilà l'idée de son ouvrage.
C'est dans ces quatre questions
et dans ces onze conséquences qu'il attaque de toute sa force la doctrine que
j'ai enseignée sur la perpétuelle visibilité de l'Eglise : mais on va voir qu'il
ne l'a pu faire qu'après s'en être formé une fausse idée.
Pour montrer que l'Eglise dont
il est parlé dans le Symbole devait être toujours visible, j'ai dit que « tous
les chrétiens entendaient par le nom d'Eglise une société qui fait profession de
croire la doctrine de Jésus-Christ, et de se gouverner par sa parole; d'où il
s'ensuit qu'elle est visible. (1), » et liée par une communion sensible et
extérieure. Voilà comme j'ai d'abord posé ma thèse, et c'est aussi ce que
j'avais à établir.
Il ne s'agissait pas, comme M.
Claude le suppose, de donner une parfaite définition de l'Eglise, ni d'en
établir l'union intérieure par le Saint-Esprit, par la foi, par la charité :
c'est une chose (a) dont nous convenons; et la question n'étant que des
marques extérieures de cette union, j'avais tout fait en montrant que ces
marques extérieures sont inséparables de l'Eglise, et par conséquent qu'elle est
toujours visible.
Cependant sur ce que j'ai dit,
qu'on entend par le mot d'Eglise « une société qui fait profession de croire la
doctrine de Jésus-Christ, » M. Claude me veut faire accroire dans toute sa
Réponse manuscrite, mais principalement dans la deuxième et quatrième question,
que je regarde l'Eglise comme une société « simplement extérieure, » constituée
en son essence par « une simple profession de croire, » sans croire en effet, «
dont toute la nature et l'essence consiste en de simples dehors, et en des
apparences sans réalité;» dont l'unité « n'est qu'une unité de profession, une
unité extérieure, en sorte que l'intérieure n'y soit que par accident; et que
quand il n'y aurait ni fidèles ni justes, et qu'elle fût toute composée
d'hypocrites, elle ne laisserait pas d'être la vraie Eglise de Jésus-Christ. »
Voilà en effet une affreuse idée
de l'Eglise, et je ne m'étonne pas
1 Vid. sup., p. 507 et suiv.
(a) 1ère édit. : C'est chose.
598
que M. Claude en ait horreur : aussi est-elle autant
éloignée de mon esprit et de l'esprit de tous les catholiques, que le ciel l'est
des enfers, et je ne sais comment M. Claude a pu lire mes Instructions sans y
voir tout le contraire de ce qu'il m'impose.
Puisque le lecteur a maintenant
ces Instructions devant les yeux, je le prie de les repasser dans cet imprimé.
Il y trouvera, à la vérité, qu'il est de l'essence de l'Eglise d'être visible
par la prédication et par les sacrements : mais il y trouvera aussi « que les
élus et les saints en sont la plus noble partie; qu'ils y sont sanctifiés,
qu'ils y sont régénérés, souvent même par le ministère des réprouvés; qu'il ne
les faut pas considérer comme faisant dans l'Eglise un corps à part, mais comme
en faisant la plus belle et la plus noble partie (1). »
On y trouvera qu'il est de
l'essence de l'Eglise, «parce qu'elle est sainte, d'enseigner toujours
constamment et sans varier une sainte doctrine; » mais on trouvera aussi « que
cette sainte doctrine, qu'elle ne cesse d'enseigner, enfante continuellement des
saints dans son unité, et que c'est par cette doctrine qu'elle instruit et
entretient dans son sein les élus de Dieu2.» Est-ce là ce qu'on appelle une
simple profession de la doctrine de Jésus-Christ sans réalité, et un pur amas
d'hypocrites?
On y trouvera que l'enfer ne peut prévaloir contre la
société visible et extérieure de l'Eglise : mais on y trouvera aussi que c'est à
cause « qu'il ne peut pas prévaloir contre les élus, qui sont la partie la plus
pure et la plus spirituelle de cette Eglise (3).» C'est, dis-je, pour cela « que
ne pouvant prévaloir contre les élus, il ne peut non plus prévaloir contre
l'Eglise qui les enseigne, où ils confessent l'Evangile et où ils reçoivent les
sacrements. » Ainsi loin qu'on puisse croire que cette Eglise, qui subsiste
éternellement, puisse selon nos principes subsister sans les élus : on voit au
contraire que nous regardons les élus comme faisant la partie la plus
essentielle et la force de cette Eglise.
On y trouvera qu'il est de
l'essence de l'Eglise jusqu'à la résurrection générale, d'avoir le ministère
ecclésiastique qui la rend visible (4) : mais on y trouvera aussi que l'effet de
ce ministère est
1 Vid. sup.,
p. 511. — 2 Vid. sup., ibid. et seq.— 3 Sup., p. 513.— 4
Sup., p. 515.
599
d'amener les enfants de Dieu à la parfaite stature de
Jésus-Christ, c'est-à-dire à la perfection, qui après les avoir rendus saints,
les rendra glorieux en corps et en âme.
Enfin on y trouvera « la
communion extérieure et intérieure des fidèles avec Jésus-Christ, et des fidèles
entre eux : communion intérieure par la charité et dans le Saint-Esprit qui nous
anime ; mais en même temps extérieure dans les sacrements, dans la confession de
la foi et dans tout le ministère extérieur de l'Eglise (1)»
De là je conclus que « ce n'est
pas seulement la société des prédestinés qui subsistera à jamais; mais que c'est
le corps visible où sont renfermés les prédestinés, qui les prêche, qui les
enseigne, qui les régénère par le baptême, qui les nourrit par l'Eucharistie,
qui leur administre les clefs, qui les gouverne et les tient unis par la
discipline, qui forme en eux Jésus-Christ : c'est ce corps visible qui
subsistera éternellement. »
On voit par là que, loin de
faire une Eglise dont la communion soit purement extérieure de sa nature, et «
intérieure seulement par accident, » le fond de l'Eglise est au contraire la
communion intérieure, dont la communion extérieure est la marque, et que l'effet
de cette marque est de désigner que les enfants de Dieu sont gardés et renfermés
sous ce sceau. On voit aussi que les élus sont la fin dernière pour laquelle
tout se fait dans l'Eglise, et ceux à qui doit servir principalement tout son
ministère : de sorte qu'ils font la partie la plus essentielle, et pour ainsi
dire le fond même de l'Eglise.
Si donc j'ai plus parlé de la
communion extérieure que de la communion intérieure de l'Eglise, on voit bien
que ce ne peut être que pour la raison que j'ai dite; c'est-à-dire que les
prétendus réformés demeurant d'accord avec nous que le fond, pour ainsi parler,
de l'Eglise était son union intérieure, je n'avais à établir que l'extérieure,
dont ces Messieurs nous contestent la nécessité.
Ainsi lorsque j'ai dit d'abord
dans mon Instruction que l'Eglise était la société qui confessait la vraie foi,
M. Claude devait entendre que cette confession de la bouche n'excluait pas la
créance du cœur, mais la supposait plutôt dans la partie vivante et essentielle
1 Sup., p. 516 et 517.
600
de l'Eglise, dont je ne parlais pas alors, parce que ce
n'était pas la question que j'avais à proposer et à résoudre. Conclure de ce
silence que je n'admets point d'autre union essentielle au corps de l'Eglise,
que cette union extérieure, c'est de même que si quelqu'un , ayant entrepris
d'expliquer seulement ces ligatures extérieures qui tiennent le corps humain uni
au dehors, et renferment pour ainsi parler dans une même continence avec les
membres vivants les ongles, les cheveux, les humeurs peccantes et même les
membres morts qui ne seraient pas encore retranchés du corps, on lui faisait
accroire qu'il ne connaît dans le corps humain aucun autre principe d'union ; et
dire sous ce prétexte, que selon les principes de cet homme il pourrait y avoir
un corps humain qui ne serait que cheveux, et ongles, et membres pourris, et
humeurs peccantes, sans qu'il y eût en effet rien de vivant : c'est ce que fait
M. Claude lorsqu'il conclut de mon discours, que l'Eglise de Jésus-Christ
pourrait n'être qu'un amas de méchants et d'hypocrites. ,
Mais ceci s'éclaircira davantage
dans la suite par les propres principes de M. Claude : il me suffit en cet
endroit de lui faire voir que cette Eglise purement extérieure, qu'il appelle
l'Eglise des cardinaux Bellarmin et du Perron et de M. de Condom est une
Eglise qui ne subsiste que dans sa pensée ; et on peut croire par la manière
dont il a jugé de mes sentiments, qu'il n'a pas mieux entendu ceux de ces
illustres cardinaux.
Pour montrer que le mot d'Eglise
signifie dans le Symbole des apôtres une Eglise visible, j'ai posé pour
fondement que dans une confession de foi telle qu'était ce Symbole, les mots
étaient employés en leur signification la plus naturelle et la plus simple; et
j'ai ajouté que le mot d'Eglise signifiait si naturellement l'Eglise
visible, que les prétendus réformés, auteurs de la chimère d'Eglise invisible,
dans toute leur Confession de foi n'employaient jamais en ce sens le mot
d'Eglise, mais seulement pour exprimer
601
l'Eglise visible revêtue des sacrements et de la parole et
de tout le ministère public. On peut voir les passages de cette Confession de
foi que j'ai rapportés (1), avec les conséquences que j'en ai tirées.
Ce n'est pas moi qui ai fait le
premier cette remarque : elle est d'un synode national des prétendus réformés.
Ces Messieurs, qui avaient tant prêché l'Eglise invisible, et qui pressés sur la
succession, avaient appuyé sur ce fondement l'invisible succession dont ils se
servaient, furent étonnés de n'en avoir pas dit un seul mot dans leur Confession
de foi, où au contraire le mot d'Eglise se prend toujours pour l'Eglise visible.
Surpris de ce langage si naturel aux chrétiens, mais si peu conforme aux
principes de leur Réforme, ils firent ce décret en 1603, dans le synode de Gap,
au chapitre qui a pour titre : Sur la Confession de foi (2). C'est par où
commencent tous les synodes ; et la première chose qu'on y fait, est de revoir
cette Confession de foi; ce qui donnait lieu aux imprimeurs de la
réimprimer avec ce titre défendu dans les synodes (3): Confession de foi des
Eglises réformées, revue et corrigée par le synode national. Mais venons au
décret de Gap ; en voici les termes : « Les provinces seront exhortées de peser
aux synodes provinciaux en quels termes l'article XXV de la Confession de foi
doit être couché, d'autant qu'ayant à exprimer ce que nous croyons touchant
l'Eglise catholique, dont il est fait mention au Symbole, il n'y a rien en
ladite Confession qui se puisse prendre que pour l'Eglise militante et
visible ; comme aussi au XXIXe article, elles verront s'il est bon d'ajouter le
mot pure à celui de vraie Eglise, qui est audit article : et en
général tous viendront préparés sur les matières de l'Eglise. »
Nous avons rapporté la substance
de cet article XXV (4). On peut voir dans le même endroit les articles XXVI,
XXVII et XXVIII. Et pour l'article XXIX, il porte que « la vraie Eglise doit
être gouvernée selon la police que Notre-Seigneur Jésus-Christ a établie; c'est
qu'il y ait des pasteurs, des surveillants et des diacres, afin que la pure
doctrine ait son cours, et que les assemblées se fassent au nom de Dieu. »
1 Vide sup., p. 508 et suiv. — 2 Syn. de Gap,
sur la Conf. de foi, art. 3. — 3 Syn. de Privas, 1612.— 4 Sup.,
p. 508 et suiv.
602
L'addition du mot de pure
Eglise, qu'on délibérait d'ajouter à celui de vraie , est fondée sur une
doctrine des prétendus réformés , qui dit qu'une vraie Eglise peut n'être pas
pure, parce qu'avec les vérités essentielles elle peut avoir des erreurs mêlées,
je dis même des erreurs grossières et considérables contre la foi. Et c'est un
des mystères de la nouvelle Réforme, que M. Claude nous expliquera bientôt :
mais ce n'est pas ici de quoi il s'agit. Ce qu'il y a d'important, c'est que ces
gens, qui se disent envoyés de Dieu pour ressusciter la pure doctrine de
l'Evangile ayant à expliquer, comme ils le déclarent eux-mêmes dans leur
Confession de foi, « l'Eglise dont il est fait mention dans le Symbole, »
n'avaient néanmoins parlé que de « l'Eglise militante et visible. » J'en dirais
bien la raison : c'est que « cette Eglise, dont il est fait mention dans le
Symbole, » est en effet l'Eglise visible ; c'est que le mot d'Eglise
naturellement emporte cette visibilité, et que le mot de catholique, bien loin
d'y déroger, la suppose ; c'est que dans une confession de foi il arrive souvent
de parler suivant les idées naturelles que les mots portent avec eux, plutôt que
selon les raffinements et les détours qu'on invente pour se tirer de quelque
difficulté. Ainsi l'Eglise invisible ne se présenta point du tout à nos réformés
lorsqu'ils dressèrent leur Confession de foi ; le sens d'Eglise visible y
parut seul : on ne vit rien en cela que de naturel jusqu'en 1603. En 1603 on se
réveilla ; on commença à trouver étrange qu'une église qui fondait sa succession
sur l'idée d'église invisible et d'église des prédestinés, n'en eût pas dit un
seul mot dans sa Confession de foi, et eût laissé pour constant que la
signification naturelle du mot d'Eglise emportait toujours une société visible ;
de sorte qu'à bien parler on ne pouvait plus montrer la suite de l'Eglise sans
montrer la suite de sa visibilité : chose entièrement impossible à la nouvelle
Réforme. C'est ce qui portait tout le synode à vouloir retoucher à cet article,
et à exhorter les provinces à venir « prêtes sur les matières de l'Eglise, »
qu'on n'avait jamais bien entendues parmi les nouveaux réformés, qu'on n'y
entend pas encore, et qui feront catholiques tous ceux qui sauront les bien
entendre.
Mais c'était une affaire bien
délicate de retoucher à cet article.
603
C'était réveiller tous les esprits; c’était trop
visiblement marquer le défaut ; et donner lieu aux imprimeurs de mettre plus que
jamais : Confession revue et corrigée. Ainsi en 1607, au synode de la
Rochelle, « on résolut de ne rien ajouter ou diminuer aux articles XXV et XXIX,
et ne toucher de nouveau à la matière de l'Eglise. » Par la décision de ce
synode, la seule Eglise visible paraît dans la Confession de foi des prétendus
réformés : l'Eglise invisible n'y a point de part, et on se tire comme on peut
des conséquences.
Celle que je tire est fâcheuse
(1) : car si l'Eglise ne paraît que comme visible dans la Confession de foi
des prétendus réformés, et que d'ailleurs ils nous vantent cette Confession
de foi comme conforme en tout point à l'Ecriture, il faut qu'ils nous disent
que cette manière d'expliquer l'Eglise vient de l'Ecriture, et que c'est de
l'Ecriture qu'elle a passé naturellement dans le langage ordinaire des
chrétiens, dans les Confessions de foi, et par conséquent dans le
Symbole, qui de toutes les confessions de foi, n'est pas seulement la plus
autorisée, mais encore la plus simple.
M. Claude nous répond « que
l'usage change; que par la suite des temps les noms s'éloignent souvent de leur
première et naturelle signification; » et qu'au reste quand il serait vrai,
comme je l'ai dit, que « le mot d'Eglise pris simplement, » signifierait
l’Eglise visible, le mot d'universelle changerait cette signification
(1). Mais il ne nous échappera pas par ce subterfuge : car il nous demeure
toujours un raisonnement accablant pour toute la Réformation prétendue. Le
voici, tiré des propres principes qu'elle pose. Le mot d'Eglise doit se prendre
dans la Confession de foi de l'église prétendue réformée, comme il se
prend naturellement dans l'Ecriture : autrement dans un article fondamental de
la religion chrétienne, cette Confession de foi ne se serait point conformée,
comme elle s'en vante, à l'Ecriture sainte. Or, dans cette Confession de foi
le mot d'Eglise se prend pour une société visible : cette proposition est
avouée dans le synode de Gap, comme nous venons de le voir. C'est donc ainsi que
le mot de l’Eglise se prend naturellement dans l'Ecriture. Mais il se
prend dans le Symbole
1 Vid. sup., p. 507-510. — 1
Rép. man., q. I.
604
au même sens qu'il se prend dans l'Ecriture ; H. Claude et
les protestants ne le nieront pas : il se prend donc également et dans
l'Ecriture et dans le Symbole pour une Eglise visible; et le terme de
catholique ou d'universelle mis dans le Symbole, comme M. Claude
l'avoue (1), pour distinguer tout le corps de l'Eglise vraiment chrétienne,
répandue par toute la terre, « de toutes les fausses églises, et de toutes les
églises particulières, » loin de rendre l'Eglise invisible, la rend d'autant
plus visible, qu'elle la sépare plus visiblement de toutes les fausses églises,
et met expressément dans son sein toutes les églises particulières si visibles
et si marquées par leur commune profession de foi, et par leur commun
gouvernement.
Mais sans disputer davantage,
nous n'avons qu'à écouter M. Claude, et entendre ce qu'il nous accorde dans sa
Réponse manuscrite sur la perpétuelle visibilité de l'Eglise. Et plût à Dieu que
je pusse ici transcrire tout cet ouvrage ! On y verrait bien des choses
favorables à notre doctrine, que je ne puis bien faire entendre que lorsqu'il
sera public. Mais ce n'est pas à moi à le publier, et je me suis contenté de
transcrire au long, autant qu'il a été nécessaire, les passages que l'on va
voir, tels que je les ai trouvés dans le manuscrit de M. le duc de Chevreuse,
avoué, comme je l'ai dit, par M. Claude lui-même.
Que si l'on trouve qu'il parle
de l'Eglise d'une manière nouvelle dans la réformation prétendue, il ne faut
point sur cela faire d'incident pour deux raisons. La première, parce qu'il est
vrai qu'il a enseigné à peu près la même doctrine dans ses autres livres,
quoiqu'il l'ait ici expliquée plus à fond et avec plus d'ordre que jamais. La
seconde, c'est qu'il prétend ne rien dire de nouveau ; chose dont nous devons
nous réjouir, n'y ayant rien de plus désirable que de voir accroitre le nombre
des principes et des articles dont nous convenons (a).
1 Rép. man., q. 1.
(a) 1ère édit. : Dont nous pouvons convenir.
605
Entrons donc de tout notre cœur
dans ce dessein charitable : voyons de quoi M. Claude convient avec nous, et
rapportons sa doctrine dans le même ordre dont il la propose dans sa troisième
et quatrième question, et ensuite dans ses onze conséquences.
Ce que je trouve d'abord est, «
qu'il est constant qu'encore que la vraie Eglise soit mêlée avec les médians
dans une même confession, elle ne laisse pas d'être visible dans le mélange,
comme le bon froment avec l'ivraie dans un même champ, et comme les bons
poissons le sont avec les mauvais dans un même rets. » Cela va bien, poursuivons
: « Ce mélange empêche bien le discernement juste des personnes; mais il
n'empêche pas le discernement ou la distinction des ordres des personnes, même
avec certitude. Nous ne savons pas certainement quels sont en particulier les
vrais fidèles, ni quels sont les hypocrites : mais nous savons certainement
qu'il y a de vrais fidèles, comme il y a des hypocrites; ce qui suffit pour
faire la visibilité de la vraie Eglise. » J'écoute ceci avec joie : assurément
nous avancerons. M. Claude nous donne déjà pour constant qu'il y aura
toujours un corps visible, dont on pourra dire : « Là sont les vrais fidèles. »
Je continue à lire sa Réponse,
et je trouve qu'il me reprend d'imputer aux prétendus réformés qu'ils ne croient
pas que le corps où Dieu a mis, selon saint Paul, « les uns apôtres, les autres
docteurs, les autres pasteurs, » et le reste, soit l'Eglise de Jésus-Christ. Que
je suis aise d'être repris, pourvu que nous avancions! Tant y a qu'il est
constant que le corps de Jésus-Christ, qui est l'Eglise, sera toujours composé
de pasteurs, de docteurs, de prédicateurs et aussi de peuple : il est donc par
conséquent toujours très-visible, et la suite des pasteurs aussi bien que celle
du peuple y doit être manifeste.
M. Claude confirme ici son
discours par un passage de M. Mestresat, qui décide « qu'il ne faut pas chercher
l'Eglise de Dieu hors de l'état visible du ministère et de la parole. » Tant
mieux, et je suis ravi que M. Claude trouve dans son église beaucoup de
sectateurs de cette doctrine.
J'avais eu peur que les
ministres ne voulussent pas trouver l'Eglise visible dans ce passage de saint
Paul aux Ephésiens, où
606
l'Eglise nous est proposée « sans ride et sans tache (1) ;
» et je m'étais mis en peine de prouver que cette Eglise marquée par saint Paul,
« était visible, » puisqu'elle était « lavée par le baptême et par la parole. »
M. Claude entre d'abord dans mon sentiment. Il dit que dans ce passage il faut
entendre à la vérité « l'Eglise qui est déjà au ciel, mais aussi l'Eglise
visible qui est sur la terre, » comme ne faisant ensemble « qu'un même corps, »
et il cite encore ici M. Mestresat. Je reçois cette doctrine; et si quelqu'un de
nos réformés, fût-ce M. Claude lui-même, m'objecte jamais qu'il ne faut pas tant
appuyer sur la visibilité de l'Eglise, puisqu'il y a du moins une partie de
cette Eglise qui est invisible, c'est-à-dire celle qui est dans le ciel, je
répondrai que cela ne doit point nous embarrasser, puisqu'enfin par cette
doctrine de M. Mestresat et de M. Claude, étant en communion avec la partie
visible de l'Eglise, je suis assuré d'y être aussi avec la partie invisible qui
est déjà dans le ciel avec Jésus-Christ; de sorte qu'il est bien certain que
tout se réduit enfin à la visibilité.
M. Claude passe de là aux
objections qu'on peut faire, et il décide d'abord « que la visibilité de
l'Eglise est une visibilité de ministère. » Il faudra donc à la fin que, comme
il reconnaît dans l'Eglise une perpétuelle visibilité, il en vienne à nous
montrer une succession dans le ministère, et en un mot une suite de légitimes
pasteurs.
Il s'objecte « que le ministère
est commun aux bons et aux médians, » d'où il semble qu'on pourrait conclure
contre sa doctrine que les bons et les médians composent l'Eglise. Et il répond
« que si dans l'usage le ministère est commun aux bons et aux médians , ce n'est
que par accident et par la fraude de l'ennemi ; que de droit il n'appartient
qu'aux vrais fidèles, et que la surnaturelle destination n'est que pour eux. »
Tout cela est clair, excepté ce mot : « Le ministère n'appartient de droit
qu'aux vrais fidèles. » Car comme on pourrait entendre par là qu'il n'y a que
les vrais fidèles qui soient pasteurs légitimes, on tomberait dans
l'inconvénient d'avoir à examiner chacun en particulier si les pasteurs en effet
sont de vrais fidèles, et de croire qu'ils cessent d'être
1 Ephes., V, 27.
607
pasteurs quand ils cessent d'être gens de bien, fût-ce sans
scandale : pernicieuse doctrine de Viclef, qui mettrait toute l'Eglise en
confusion ! En éloignant ce mauvais sens, qui ne peut pas être de l'esprit de M.
Claude, je lui avoue tout ce qu'il avance; car sans doute il n'est pas du
premier dessein de Jésus-Christ qu'il y ait des ministres trompeurs : cela
n'arrive que par la malice de l'ennemi. La destination du ministère est pour les
vrais fidèles; Jésus-Christ ne l'a pas établi pour appeler dans l'Eglise des
trompeurs et des hypocrites; qui en doute? Mais néanmoins ces trompeurs et ces
hypocrites peuvent être assez de l'Eglise pour y être pasteurs légitimes : et
les vrais fidèles ayant à vivre jusqu'à la fin des siècles sous l'autorité de ce
ministère mêlé, il faudra donc, sans examiner si les ministres sont bons ou
mauvais, nous en montrer une suite toujours manifeste, sous laquelle se soit
conservé le peuple de Dieu.
Plus je continue ma lecture,
plus je trouve cette vérité évidemment déclarée. Car entrant dans la quatrième
question, je remarque bien que M. Claude y prétend montrer que les passages où
Jésus-Christ promet à l'Eglise de la conserver toujours sur la terre, regardent
uniquement la société des vrais fidèles : mais il ne laisse pas d'avouer
toujours également que cette Eglise ne cesse jamais d'être visible, et que
Jésus-Christ l'a ainsi promis.
J'ai prétendu démontrer l'Eglise
visible dans ces paroles : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j'établirai mon
Eglise, et les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (1). » On a pu
voir les raisons dont je me suis servi pour le prouver (2). M. Claude reçoit
cette doctrine avec ses preuves, et il avoue que « l'Eglise dont il est parlé
dans ce passage est en effet une Eglise confessante, une Eglise qui publie la
foi, une Eglise à qui Jésus-Christ a donné un ministère extérieur, une Eglise
qui use du ministère des clefs, et qui lie et délie, une Eglise par conséquent
qui a un extérieur et une visibilité. » C'est une telle Eglise que Jésus-Christ
a promis en cet endroit de conserver toujours sur la terre; M. Claude ne peut
pas souffrir qu'on lui dise « qu'elle cesse d'être, » et ainsi elle est toujours
avec tout ce ministère, qui lui est essentiel : ce qui
1 Matth., XVI, 18. — 2 Vid.
sup., p .512-515.
608
fait que M. Claude conclut avec moi, « que le ministère
ecclésiastique durera, sans discontinuer, jusqu'à la résurrection générale (1) ;
» et qu'il avoue sans peine que cette promesse de Jésus-Christ : « Je serai
toujours avec vous (2), » regarde la perpétuité du ministère ecclésiastique. «
Jésus-Christ promet, dit-il, d'être avec l'Eglise, de baptiser avec elle, et d'enseigner
avec elle, sans interruption, jusqu'à la fin du monde. » Il y aura donc
toujours des docteurs avec lesquels Jésus-Christ enseignera, ôt la vraie
prédication ne cessera jamais dans son Eglise.
Mais ce ministère durera-t-il
toujours si pur, que personne n'y soit admis que des gens de bien? Nous avons vu
que M. Claude ne le prétend pas. En effet il n'y a point de promesse de cette
perpétuelle pureté : la promesse est que quelles que soient les mœurs de ces
ministres, Jésus-Christ agira toujours, baptisera toujours, ENSEIGNERA TOUJOURS
avec eux; et l'effet de ce ministère, quoique mêlé, sera tel que sous son
autorité « l'Eglise sera toujours visible, non pas à la vérité, dit M. Claude,
d'une vue distincte, qui aille jusqu'à dire avec certitude : Tels et tels
personnellement sont vrais fidèles; mais d'une vue indistincte, qui est pourtant
CERTAINE, et qui va jusqu'à dire : Les vrais fidèles de Jésus - Christ sont là,
savoir, DANS CETTE PROFESSION EXTÉRIEURE. »
N'appelons pas, si l'on veut, du
nom d'Eglise « toute cette profession extérieure; » abstenons-nous de ce
nom, puisque M. Claude y répugne; et comme de vrais chrétiens raisonnables et
pacifiques, tâchons de convenir de la chose. « Cette profession extérieure, »
qu'on peut toujours désigner et pour ainsi dire montrer au doigt, est mêlée de
bons et de mauvais; le ministère qui la gouverne est mêlé aussi. M. Claude
convient de tout cela : on peut dire néanmoins : Sous ce ministère et « dans
cette profession extérieure sont les vrais fidèles : » c'est ce que nous venons
d'entendre de la bouche du même ministre. Si donc selon sa doctrine, la société
des vrais fidèles subsiste toujours, et toujours demeure visible sur la terre;
si on la peut toujours montrer dans une profession extérieure, et que ce soit là
seulement qu'elle soit visible, comme M. Claude le dit : il s'ensuit
non-seulement que les vrais
1 Vid. sup., p. 516, 517. — 2
Matth., XXVIII, 19, 20.
609
fidèles seront toujours sur la terre, mais que cette
profession mêlée de bons et de mauvais, où on trouve ces vrais fidèles, où on
les montre, où on les désigne, sera toujours aussi; c'est de quoi nous convenons
avec M. Claude. Mais comme tous ces passages sont dispersés deçà et delà dans sa
Réponse, en voici un où il a pris soin de tout ramasser.
C'est après sa quatrième
question et dans sa septième conséquence , que ce ministre tâchant d'expliquer
l'article XXXI de la Confession de foi, où il est dit que « de nos jours,
» et avant la réformation, « l'état de l'Eglise était interrompu, » il distingue
l'état de l'Eglise, interrompu pour un temps d'avec l'Eglise, qui jamais
n'est interrompue selon ses principes, et il définit ainsi l'Eglise : «
L'Eglise, dit-il, c'est les vrais fidèles qui font profession de la vérité
chrétienne, de la piété et d'une véritable sainteté, sous un ministère qui lui
fournit les aliments nécessaires pour la vie spirituelle sans lui en soustraire
aucun. » Nous découvrirons en son lieu le secret de ces aliments spirituels. En
attendant convenons avec M. Claude que l'Eglise subsiste toujours, et subsiste
toujours visible, puisque par sa définition elle n'est autre chose « que les
vrais fidèles qui FONT PROFESSION DE LA VÉRITÉ CHRÉTIENNE sous le ministère
ecclésiastique. » Voilà un fondement inébranlable. Voyons ce que nous pourrons
bâtir dessus : mais avant que de bâtir, nous allons voir tomber les objections.
M. Claude m'objecte premièrement
qu'en vain je veux établir ma société composée de bons et de mauvais, et son
éternelle durée, sur ces promesses inviolables de Jésus-Christ : « Tu es
Pierre;» et« : Je suis toujours avec vous.» Ce n'est point, dit-il, « des
méchants qu'il peut être dit que l'enfer ne prévaudra point contre eux; » ce
n'est point «avec des méchants et des hypocrites que Jésus-Christ a promis
d'être toujours (1); » et ces promesses ne regardent que les vrais fidèles.
Ajoutons selon les principes de M. Claude, que si ces promesses ne regardent que
les vrais fidèles,
1 Rép. man., IIIe quest.
610
elles les regardent du moins dans ce ministère et dans
cette profession extérieure : l'objection en même temps sera résolue. Car enfin
si les vrais fidèles doivent toujours être démontrés et toujours être visibles,
selon M. Claude, dans cette profession extérieure où les bons sont mêlés avec
les médians, il s'ensuit que ce composé, de quelque nom qu'on l'appelle,
paraîtra toujours sur la terre. Or nul ne peut s'assurer qu'une société subsiste
toujours, et toujours dans un état visible, si Dieu ne l'a promis. Ses promesses
regardent donc même ce mélange; et non-seulement les vrais fidèles, mais avec
eux toute la société où ils doivent, selon ses décrets, toujours paraître. Par
conséquent il nous faut entendre ces promesses de Jésus-Christ autrement que M.
Claude ne l'enseigne. Les promesses de Jésus-Christ ne regardent pas les
méchants tout seuls, ni ne sont seulement pour l'amour d'eux (a) : s'il
ne disait que cela, il aurait raison; mais ces promesses, que Jésus-Christ fait
à ses fidèles, enferment aussi les méchants qui sont mêlés avec eux. Quand Dieu
promettait par ses prophètes à l'ancien peuple de lui donner des moissons
abondantes, avec le grain il promettait aussi la paille , et conserver la
moisson, c'est conserver la paille avec le grain. Ainsi promettre l'Eglise et
son éternelle durée, c'est promettre avec les élus les méchants, au milieu
desquels Dieu les enferme. Les méchants même dans l'Eglise sont pour les justes,
comme la paille dans la moisson est pour le grain, et comme Dieu ne promet la
paille ni seule, ni pour elle-même, il ne promet les méchants ni seuls ni pour
eux-mêmes. Mais néanmoins tout ce composé subsistera en vertu de la promesse
divine jusqu'à la dernière séparation, où les méchants, comme la paille, seront
jetés dans ce feu qui ne s'éteindra jamais. Jésus-Christ sera toujours en
attendant avec tout le composé, y conservant dans tout le dehors la saine
doctrine qu'il sait porter au dedans jusque dans le cœur de ceux qui vivent; de
même que la nourriture présentée à tout notre corps par la même voie, ne vivifie
que les membres qui sont disposés à la recevoir.
Une seconde objection de M.
Claude va tomber par le même principe.
(a) 1ère édit. : Ni pour l'amour d'eux.
611
Il m'objecte qu'en définissant
l'Eglise catholique, dont il est parlé dans le Symbole, je ne parle que de
l'Eglise qui est actuellement sur la terre, au lieu d'y comprendre tous les élus
qui ont été, qui sont et qui seront, et enfin avec les saints anges toute la
Jérusalem céleste (1). Je lui ai déjà répondu que je n'ai voulu ni dû définir
l'Eglise que par rapport à notre sujet, et à sa visibilité. Mais j'ajoute qu'en
disant cela, selon les propres principes de M. Claude, j'ai tout dit : car selon
lui, «dans la profession extérieure, » c'est-à-dire dans ce qui rend l'Eglise
visible, on peut désigner les vrais fidèles, avec lesquels tous les saints, en
quelque temps et en quelque lieu qu'ils puissent être, sans en excepter les
saints anges, sont unis. «L'Eglise qui est sur la terre, dit M. Claude, est une
avec celle qui est déjà recueillie au ciel, et avec celle que Dieu fera naître
jusqu'à la fin des générations, qui toutes trois ensemble n'en font qu'une,
qu'on appelle l'Eglise universelle (2). » Dieu soit loué : quand j'aurai trouvé
la profession extérieure qui rend l'Eglise visible, M. Claude nous a déjà dit
que j'aurai trouvé les vrais fidèles, c'est-à-dire, selon lui, la vraie Eglise
actuellement présente sur la terre; et il nous dit maintenant qu'avec cette
Eglise, j'aurai trouvé par même moyen et celle qui est déjà dans le ciel, et
celle que Dieu fera naître dans tous les siècles suivants. Nous n'avons donc
qu'à nous enquérir de l'Eglise qui est sur la terre et de la profession
extérieure qui nous la démontre, assurés d'y avoir trouvé, sans nous enquérir
davantage, la parfaite communion des saints et la société de tous les élus.
Au reste quand j'ai entendu sous
le nom d'Eglise catholique l'Eglise qui est sur la terre, j'ai parlé avec
tous les Pères. Ils joignent ordinairement au titre d'Eglise catholique
celui de répandue par toute la terre, toto orbe diffusa. A ce titre de
catholique ils joignent aussi le titre d'apostolique ; et c'est ainsi qu'il est
mis dans le Symbole de Nicée, où se voit la plus authentique aussi bien que la
plus parfaite interprétation du Symbole des apôtres. Ce titre d'apostolique
fait partie de la catholicité de l'Eglise ; et nous montre entre autres choses
qu'elle est descendue des apôtres par la perpétuelle succession de ses pasteurs,
et par
1 Rép. man., 1ère quest. — 2 Rép.
man., IVe quest.
612
613
les chaires épiscopales établies par toute la terre. Tous
les saints, dont les âmes bienheureuses sont avec Dieu, ont été conçus dans
cette Eglise ; tous ceux qui viendront y seront pareillement régénérés : de
sorte qu'il n'y en aura jamais aucun qui n'ait fait une partie essentielle de ce
corps dont Jésus-Christ est le Chef. Pour les anges, à ne regarder que la
directe signification des mots, ils n'ont jamais fait partie de cette Eglise
fondée par les apôtres et répandue par toute la terre, où elle doit faire son
pèlerinage ; et encore que Jésus-Christ soit leur Chef, il l'est d'une façon
plus particulière des fidèles lavés dans son sang et renouvelés par sa parole.
Mais les anges, quoiqu'unis à Jésus-Christ d'une autre sorte, sont nos frères,
et ne sont pas étrangers à l'Eglise catholique, dont au contraire ils sont
établis à leur manière coopérateurs et ministres. C'est une vérité constante,
mais dont je n'avais que faire en ce lieu : il suffisait de marquer dans le
Symbole ce que nos Pères y ont trouvé expressément et immédiatement désigné par
le mot d'Eglise catholique, en y ajoutant le titre d'apostolique
si naturel à la catholicité, et l'éloge d'être répandue par toute la terre.
Connaître la doctrine de cette Eglise, c'est connaître la doctrine de tous les
élus. On ne voit dans le ciel et dans les splendeurs des saints, que ce qu'on
croit dans cette Eglise ; et les saints anges, qui, comme dit l'apôtre saint
Paul, ont appris par l'Eglise de si hauts secrets de la sagesse divine (1), en
respectent la créance. Ainsi tout se réduisant, comme je l'ai déjà dit, à la
visibilité, M. Claude ne veut que me faire perdre le temps et me jeter à
l'écart, quand il veut que je traite ici autre chose, pour faire connaître cette
Eglise catholique qui est confessée dans le Symbole.
Il ne me reste maintenant qu'à
exhorter Messieurs de la religion prétendue réformée et M. Claude lui-même, s'il
me le permet, à tirer les conséquences manifestes des principes qu'il a posés :
alors ils ne pourront plus résister à la vérité, et demeureront
1 Ephes., III, 10.
613
convaincus qu'il n'y a de salut pour eux qu'en retournant
au sein de l'Eglise romaine.
Nous avons vu que, pour vérifier
les promesses de l'Evangile, M. Claude s'est obligé à reconnaître une Eglise
toujours visible (1), puisque l'église qui n'est pas visible n'est pas église ;
et que selon la définition qu'il nous a donnée, « l'Eglise c'est les vrais
fidèles qui font profession de la vérité chrétienne sous un ministère qui lui
fournit les aliments nécessaires pour la vie spirituelle (2). » Ces fidèles ne
sont donc pas un corps en l'air, puisqu'ils font « profession de la vérité ,
sous un ministère ecclésiastique » toujours subsistant ; et que, comme nous
l'avons vu, il doit y avoir sans aucune interruption, une profession extérieure
dont on ait pu dire : « Là sont les vrais fidèles. »
Ainsi il ne suffit pas de nous
alléguer vaguement des fidèles cachés : on s'oblige à nous montrer sans
interruption, premièrement une société visible dont on ait pu dire : « Ils sont
là; » c'est là qu'ils servent Dieu en esprit et en vérité ; c'est là qu'ils
confessent l'Evangile.
Et ce ne sera pas assez qu'on
nous montre ces fidèles dispersés : il faut secondement qu'on nous les montre
recueillis sous l'autorité du ministère ecclésiastique, avec la prédication de
la parole, avec l'administration des sacrements, avec l'usage des clefs et tout
le gouvernement ecclésiastique.
Par conséquent ce qu'on nous
doit montrer est une société de pasteurs et de peuples : d'où il s'ensuit en
troisième lieu qu'on doit pouvoir nous nommer ces pasteurs, puisque la suite en
est manifeste.
De chercher tout cela dans
l'église prétendue réformée, telle qu'elle est maintenant séparée de l'Eglise
romaine, c'est-à-dire de ce corps d'Eglise qui reconnaît l'Eglise romaine et le
Pape pour son Chef, c'est à quoi M. Claude ne songe seulement pas : il lui
suffit que jusqu'au temps de la séparation des prétendus réformés, il trouve
tout cela dans l'Eglise romaine même. Les vrais fidèles y étaient, tant que ceux
qui ont composé la réformation .prétendue y étaient : quand ils en sont sortis,
ou qu'ils en ont été chassés,
1 Vid. sup., XI ; Réfl., p. 605, etc. — 2
Sup., p. 609.
614
615
ils ont emporté l'Eglise avec eux, comme M. Claude l'a dit
dans la Conférence (1).
Ce discours plus semblable à une
raillerie qu'à un discours sérieux, est néanmoins celui qu'on tient sérieusement
dans la nouvelle Réforme. Jusqu'à la séparation de ces nouveaux réformés, la
suite des vrais fidèles, c'est-à-dire, selon M. Claude, de la vraie Eglise
visible, se perpétuoit dans l'Eglise romaine, et ce n'est que depuis leur
séparation qu'elle a cessé de les contenir. Telle est la suite de l'Eglise
visible que M. Claude établit dans sa Réponse manuscrite (2) : jusqu'à la
séparation les vrais fidèles que contenait l'Eglise romaine, depuis la
séparation les prétendus réformés qui sont sortis de son sein.
Mais leurs pasteurs d'où
sont-ils venus? Se sont-ils aussi détachés avec ces prétendus fidèles du corps
de l'Eglise romaine, pour perpétuer dans l'Eglise ainsi réformée le ministère
ecclésiastique? Nullement : ce n'est pas ainsi que M. Claude l'entend (3). Les
fidèles, détachés de l'Eglise romaine, ont tout d'un coup déposé tous les
pasteurs qui étaient auparavant, c'est-à-dire qu'auparavant les évêques et les
piètres catholiques avec le Pape à leur tête, étaient les pasteurs établis par
Jésus-Christ; car il en fallait de tels aux vrais fidèles qu'ils
contenaient dans leur unité : au moment que la Réforme a paru, les voilà tout
d'un coup déposés, et le ministère se retire de leurs mains.
Mais quel droit ont eu des
particuliers de déposséder ainsi tout d'un coup et en un moment tous leurs
pasteurs? C'est que ce sont «les vrais fidèles à qui le ministère appartient de
droit (4), » qui ont pu par conséquent en disposer, l'ôter aux uns et le donner
aux autres. Il ne faut point, dit M. Claude, s'imaginer la succession des
pasteurs « dans cette ordinaire transmission que les ministres en font de l'un à
l'autre, et qu'on appelle la succession extérieure et personnelle : il s'agit de
savoir s'il ne peut pas arriver quelquefois que l'Eglise (c'est-à-dire les vrais
fidèles) ôtera son ministère de la main de ceux qui en ont trop visiblement
abusé, et qu'elle le donnera à d'autres (5). »
1 Vid. sup., p 533. — 2 Rép.
man., quest. IV et seq. — 3 Ibid. — 4 Ibid. — 5
Ibid., sur la fin.
615
Voilà la question en général,
comme la propose M. Claude ; et l'application qu'il en fait en particulier,
c'est « que les prélats latins qui occupaient le ministère ecclésiastique du
temps de nos Pères, et qui se sont assemblés au concile de Trente, ayant fait
des décisions de foi incompatibles avec le salut, et ayant prononcé des
anathèmes contre ceux qui ne s'y soumettraient pas, les prétendus réformés ont
eu raison de regarder ces prélats comme des ministres qui s'étaient eux-mêmes
dépouillés du ministère, et de le donner à d'autres personnes (1). »
Il fallait donc du moins selon
ces principes, attendre les décisions de Trente; et puisqu'avant ces décisions
tant d'églises séparées de Home s'étaient déjà donné des pasteurs, la
Réformation aura commencé par un attentat manifeste. Mais ne pressons pas tant
M. Claude, et sans insister rigoureusement sur le concile de Trente, prions-le
seulement de nous marquer quelque jour à peu près le temps où il permettra aux
vrais fidèles d'être demeurés sous le ministère de l'Eglise romaine. En
attendant, contentons-nous d'observer cette nouvelle doctrine : qu'il peut
arriver que tous les pasteurs de l'Eglise dépossédés tout d'un coup, deviennent
en un moment des particuliers, et que sans qu'ils établissent d'autres pasteurs
pour leur succéder, les vrais fidèles, nullement pasteurs, mais des
particuliers séparés de toute Eglise actuellement existante, de leur seule
autorité confèrent leur ministère à d'autres, les établissent, les ordonnent,
les installent. C'est ce que M. Claude explique encore dans la suite par ces
mots, que ces pasteurs, auparavant seuls en fonction, « sont privés de droit, et
le ministère revenu de droit à cette partie de la société dans laquelle se sont
trouvés les vrais fidèles (2), » c'est-à-dire les prétendus réformés séparés de
l'Eglise romaine et de toute l'Eglise subsistante alors dans le monde. Que la
séparation donne d'autorité et de privilège!
Telle est la doctrine de M.
Claude : si j'altère, si j'exagère, si je diminue, qu'il publie sans différer
son écrit pour me confondre. Mais
si c'est là sa doctrine, je conjure nos réformés de
considérer quels
prodiges de doctrine il faut enseigner pour défendre leur
Réforme.
1 Conséq. 8-10. — 2 Conséq. 10.
616
617
Car premièrement où me
lira-t-on, dans quel Evangile, dans quelle Epître, dans quelle Ecriture de
l'Ancien ou du Nouveau Testament, que tous les pasteurs de l'Eglise dussent en
un moment tomber de leur chaire , et devenir des particuliers auxquels on put et
on dût désobéir impunément?
Jésus-Christ nous a-t-il caché
ce grand mystère, et ne nous aura-t-il pas précautionnés contre cette horrible
tentation de son Eglise? Mais ce n'est pas tout : après nous avoir montré dans
l'Ecriture cette chute universelle de tous les pasteurs, il y faut trouver
encore ce ministère revenu de droit aux particuliers, qui jamais n'en ont
été revêtus. Et comment l'entend M. Claude? Est-ce que ces particuliers de droit
deviennent ministres, sans que personne les ait ordonnés; ou que sans être
ministres, ils aient le droit d'établir de leur seule autorité des ministres
dans l'Eglise? Qu'on le montre dans l'Ecriture, ou qu'on renonce pour jamais à
la prétention de n'avoir que l'Ecriture pour guide.
Je trouve dans l'Ecriture que Jésus-Christ dit à ses
apôtres : « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie (1).» Je trouve dans
l'Ecriture que les apôtres ainsi envoyés en envoient d'autres, et se consacrent
des successeurs (2). Mais que tous leurs successeurs étant tout d'un coup déchus
et privés de droit de leur ministère, ce ministère revienne de droit aux
fidèles, à qui personne ne l'avait jamais donné, pour en disposer à leur gré :
ni l'Ecriture ne l'a dit, ni les siècles suivants ne l'ont imaginé; c'est un
monstre dont la naissance était réservée au temps de la nouvelle Réforme.
Le ministère, dit-on, appartient
de droit à l'Eglise. Sans doute il appartient à l'Eglise, comme les yeux
appartiennent au corps. Le ministère n'est pas à lui-même, non plus que les
yeux. Le ministère est établi pour être la lumière de l'Eglise, comme les yeux
sont la lumière ou, comme les appelle Jésus-Christ, le flambeau du corps.
S'ensuit-il que lorsque le corps a perdu ses yeux, il puisse les refaire de
lui-même ? Non sans doute ; il aura besoin de la main qui les a faits la
première fois, et il n'y aura jamais qu'une nouvelle création qui puisse réparer
l'ouvrage que la première création avait formé. De cette sorte si l'Eglise
catholique
1 Joan., XX, 21. — 2 Tit., I, 5 et seq.
617
pouvait, comme on a voulu se l'imaginer dans la nouvelle
Réforme, perdre tout d'un coup tous ses ministres, sans qu'ils se fussent donné
selonl'ordre de Jésus-Christ des successeurs, il faudrait que Jésus-Christ
revînt sur la terre pour rétablir cet ordre sacré par une création nouvelle.
On veut bien trouver dans le
sein de l'Eglise romaine ces vrais fidèles dont on compose d'abord l'Eglise
réformée : pourquoi ne voudra-t-on pas détacher de même les pasteurs de cette
Eglise réformée, des pasteurs qui étaient en charge dans l'Eglise romaine ? Le
ministère doit être mêlé comme le peuple, et il doit y avoir toujours de bons
pasteurs parmi les mauvais, comme il y a toujours de vrais fidèles parmi les
faux chrétiens. Pourquoi donc a-t-il fallu dire dans la nouvelle Réforme et dans
l'article XXXI de sa Confession de foi, que l'état de l'Eglise était
interrompu ? Pourquoi a-t-il fallu avoir recours à ces gens
extraordinairement suscités pour dresser de nouveau l'Eglise qui était en ruine
et désolation? C'est qu'il a fallu parler, non pas selon ce qui se devait
faire dans l'ordre établi par Jésus-Christ, mais selon ce qui s'est fait contre
tout ordre. C'est que la nouvelle Réforme s'est fait des pasteurs qui en effet
ne tenaient rien des pasteurs qui étaient en charge auparavant; et c'est
pourquoi il a bien fallu, malgré qu'on en eût, leur attribuer quoique sans
preuve une vocation extraordinaire. Mais au fond la raison voulait autre chose :
et pourquoi n'a-t-on pas parlé suivant la raison, si ce n'est encore une fois
qu'il a fallu accommoder, non pas ce qui se faisait à la règle , mais la règle à
ce qui s'est fait ?
Mais, dira-t-on, si quelque
église, par exemple l'église grecque, nous montre la succession de ses pasteurs,
la tiendrez-vous vraie Eglise? Nullement, si j'y puis montrer d'autres marques
d'innovation qu'elle ne puisse nier, comme je ferais sans beaucoup de peine,
s'il en était question. Mais avec nos réformés la preuve est faite, puisqu'ils
confessent eux-mêmes l'interruption dont il s'agit.
M. Claude pallie, comme il peut,
cet état interrompu de l'Eglise , reconnu si précisément dans sa
Confession de foi. « Nous distinguons, dit-il, l'Eglise d'avec son état.
L'Eglise, ce sont les
618
vrais fidèles qui font profession de la vérité chrétienne,
de la piété et d'une véritable sainteté sous un ministère qui lui fournit les
aliments nécessaires pour la vie spirituelle sans lui en soustraire aucun. Son
état naturel et légitime est d'être déchargée, autant que la condition de
militante le peut permettre, du mélange impur des profanes et des mondains; de
n'être point couverte et comme ensevelie par cette paille et cette zizanie ,
d'où lui viennent mille maux; d'avoir un ministère dégagé d'erreurs, de faux
cultes, d'usages superstitieux, un ministère possédé par des gens de bien, qui
le tiennent par de bonnes voies et qui servent eux-mêmes de bon exemple. C'est
cet état que nous croyons avoir été interrompu (1).» Pourquoi se charger de tant
de paroles, et à cause qu'elles sont pompeuses ne prendre pas garde qu'elles
sont vaines, pour ne pas dire trompeuses et contraires manifestement à
l'Evangile ? Car peut-on plus clairement abuser le monde que d'exagérer, comme
on fait ici, « ce ministère possédé par des gens de bien , qui le tiennent par
de bonnes voies, et qui servent eux-mêmes de bon exemple? » Est-ce que
l'autorité du ministère ecclésiastique dépend de la discussion de la vie et du
bon exemple de ceux qui en sont revêtus; et que quand ils seraient aussi
scandaleux et aussi pervers que les scribes et les pharisiens, il ne faudrait
pas dire encore, non pas avec Jésus-Christ : « Ils sont sur la chaire de Moïse
(2) ; » mais ce qui est bien plus auguste : Ils sont sur la chaire de
Jésus-Christ et des apôtres? Laissons néanmoins ces choses, et venons à cet état
interrompu de l'article XXXI que M. Claude entreprend ici de nous expliquer. Cet
état interrompu est allégué pour fonder la nécessité d'une vocation
extraordinaire dans les prétendus réformateurs; car écoutons comme parle cet
article : « Il a fallu quelquefois et notamment de nos jours, où l'état de
l'Eglise était interrompu, que Dieu suscitât gens d'une façon extraordinaire
pour dresser de nouveau l'Eglise. » Vous le voyez, Messieurs, cet état
interrompu de l'Eglise est allégué seulement pour fonder la vocation
extraordinaire de vos premiers réformateurs. Mais pour fonder la nécessité
d'une vocation extraordinaire, il ne suffit pas que le ministère soit impur; il
faut que le ministère ait cessé.
1 Après la IVe quest., 7 Conséq. — 2 Matth., XXIII,
2.
619
Quand vous êtes venus, Messieurs, ce ministère
ecclésiastique avait-il cessé? Nullement, vous répondra M. Claude; car autrement
l'Eglise aurait cessé, puisque l'Eglise selon lui, comme vous venez de
l'entendre, n'est autre chose que les vrais fidèles qui font profession de la
vérité SOUS UN MINISTÈRE qui lui fournit les aliment nécessaires. Et
il nous a déjà dit souvent que l'Eglise n'est jamais sans le ministère. C'est
pourquoi dans cet endroit, où il tâche à rendre raison de cet état interrompu
, après avoir expliqué par tant de beaux mots l'impureté qu'il se représente
dans le ministère avant la Réformation : «L'Eglise, ajoute-t-il. n'a pas cessé,
elle n'a point entièrement perdu sa visibilité ni son ministère , à Dieu ne
plaise ! » Voyez comme il se récrie contre cette abomination, de dire que le
ministère puisse être perdu dans l'Eglise. Il n'v a donc jamais de nécessité de
vocation extraordinaire dans les ministres, puisque pour transmettre le
ministère à la façon ordinaire , il n'est pas requis que le ministère soit pur :
il suffit qu'il soit. Et quand pour le transmettre on demanderait, comme parle
M. Claude, non-seulement des ministres de bonne doctrine, mais encore de
bonne vie et de bon exemple , il est aussi assuré qu'il y en aura toujours
de tels dans la société du peuple de Dieu, qu'il est assuré qu'il y aura
toujours de vrais fidèles, puisque tout, et le ministère autant que le peuple, y
doit être mêlé de bien et de mal jusqu'à la dernière séparation et au dernier
jugement. Ainsi la vocation extraordinaire de tous côtés est exclue de l'Eglise
de Jésus-Christ, et n'y peut être qu'un faible refuge d'une cause déplorée.
Et pour voir quel renversement
de l'ordre de Jésus-Christ introduisit ici M. Claude , il n'y a qu'à considérer
les promesses de Jésus-Christ, et voir où il lui a plu d'établir principalement
la force de son Eglise. Elle est forte , elle est invincible, parce que
Jésus-Christ a dit que « l'enfer ne prévaudrait point contre elle (1) : » mais
il n'a dit que l'enfer ne prévaudrait point contre elle, qu'après avoir
dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ; » et ajoutant
aussitôt après : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. » C'est donc
dans le ministère confessant et
1 Matth , XVI, 18.
620
annonçant Jésus-Christ, et usant de l'autorité des clefs,
que Jésus-Christ a établi principalement la force de son Eglise. Et à qui a-t-il
dit : « Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (1) ; » si ce
n'est à ceux à qui il a dit : « Enseignez et baptisez? » Toute l'Eglise est
comprise dans cette promesse : qui ne le sait pas? Mais c'est que Jésus-Christ a
voulu montrer la vérité de cette doctrine si bien expliquée par saint Cyprien :
« L'Eglise ne quitte point Jésus-Christ, et c'est là l'Eglise : le peuple uni
avec son évêque, et le troupeau attaché à son pasteur (2) : » où il est clair
qu'il faut entendre, comme il dit ailleurs, « ce pasteur uni à tous ses
collègues, » et à toute l'unité de l'épiscopat, si souvent établie dans ses
écrits (3). C'est donc avec raison que Jésus-Christ a voulu marquer la suite de
son Eglise par celle du ministère ; et on voit manifestement que c'est à ceux
qui enseignent qu'il a voulu dire : « Je suis toujours avec vous. » Et ce qu'il
y a ici de plus admirable, c'est que ces promesses sont si évidentes, que contre
les préventions de sa religion, M. Claude a été forcé à les reconnaître telles
que je viens de les expliquer (4). Car nous l'avons entendu nous dire que c'est
en effet d'une Eglise confessante, d'une Eglise qui publie la foi, d'une Eglise
qui use du ministère, que Jésus-Christ a prononcé que l'enfer ne prévaudrait
point contre elle. Et parce que Jésus-Christ après avoir dit : « Enseignez et
baptisez ; » ajoute : « Je suis avec vous. » M. Claude conclut comme nous que
Jésus-Christ en effet désigne « une Eglise » qu'il assure « d'être avec elle, de
baptiser avec elle, et d'enseigner avec elle sans interruption jusqu'à la fin
monde (5). » C'est donc la succession et la perpétuité du ministère qui est
comprise principalement dans cette promesse ; c'est là principalement que
Jésus-Christ établit la force et l'éternelle durée de son Eglise. Cependant
contre tout cet ordre, on nous montre le ministère si faible et tellement
délaissé de Jésus-Christ, qu'il tombe tout entier en un moment ; et au contraire
les fidèles particuliers si forts, qu'eux seuls rétablissent tout le ministère
extraordinairement suscité, sans avoir égard à la succession ni à
l'autorité de toute l'administration précédente. Qui ne
1 Matth., XXVIII, 20. — 2 Ep.
LXIX, ad Flor. Pup., p. 123.— 3 Ep. liv., ad Corn, et Tr. de
Unit. Eccl., etc.— 4 Vid. sup., XI Refl., p. 605 et suiv.— 5
Ibid.
621
voit donc qu'on renverse tout dans la nouvelle Réforme ; et
que de dire avec elle, que Dieu a voulu conserver de vrais fidèles dans son
Eglise, pour en déposer par leur moyen tous les pasteurs, et ensuite en établir
d'autres extraordinairement à leur place , pendant qu'il n'a pas voulu conserver
de bons pasteurs pour transmettre le ministère par les voies communes établies
dans sa parole, et toujours observées dans son Eglise : c'est dire qu'il a voulu
former une Eglise d'une manière contraire à celle qu'il a révélée et qu'il a
toujours fait suivre à son Eglise? Ou plutôt, c'est dire qu'il a voulu que cette
église formée d'une manière si nouvelle parmi les chrétiens, portât dans son
origine, sans le pouvoir effacer jamais, le caractère manifeste de sa fausseté.
Mais venons à ces vrais fidèles
que M. Claude nous vante. Je ne me contente pas de leur contester le pouvoir
qu'il leur a donné de déposer tous leurs pasteurs et d'en faire d'autres : je
dis que ces vrais fidèles n'ont jamais été. Il faut pourtant bien, selon
ce ministre , qu'ils aient été vrais fidèles, même dans le sein de l'Eglise
romaine : car puisque selon sa doctrine , il faut reconnaître sans aucune
interruption un ministère ecclésiastique et une profession extérieure dont on
ait pu dire : « Là sont les vrais fidèles, » ils étaient vrais fidèles sous ce
ministère et dans cette profession d'où ils sont sortis. Je demande :
Communiquaient-ils au sacrifice où on prie les saints, où on honore leurs
reliques et leurs images, où on nomme le Pape comme le chef des orthodoxes, où
on adore Jésus-Christ comme présent en corps et en âme, où on l'offre , où on
reçoit le Saint-Sacrement sous une espèce ? Ne communiquer pas à ce sacrifice et
refuser d'y recevoir l'Eucharistie, c'était se séparer manifestement, et on
suppose qu'ils ne le faisaient pas encore : mais s'ils y communiquaient en
demeurant vrais fidèles, dans quelle erreur sont maintenant tous nos
réformés, qui ne se croient vrais fidèles que depuis qu'ils ont cessé d'y
communiquer ?
Ainsi ces vrais fidèles sont des
gens en l'air : ces sept mille (1) tant vantés dans la nouvelle Réforme,
et par M. Claude (2), non-seulement ne paraissent pas, mais ne sont pas, puisque
devant la
1 III Reg., XIX.— 2 Rép. man.,
IIe part.
622
séparation il n'y a personne qui ne communique au sacrifice
et à l'hostie que nos reformés regardent comme le Baal devant lequel il ne
fallait point courber le genou (1).
On dit que ces vrais fidèles,
qui par leur actuelle séparation ont composé la Réforme, étaient auparavant
séparés de cœur de l'idolâtrie publique. Mais premièrement cela ne suffit pas :
secondement cela n'est pas.
Cela ne suffit pas selon M.
Claude, puisqu'il veut une Eglise toujours visible ; puisqu'il nous a tout à
l'heure défini l'Eglise, « les vrais fidèles qui font profession de la vérité,
de la piété, de la sainteté véritable. » Donc où manque la profession, il n'y a
ni de vrais fidèles, ni de vraie Eglise.
Mais de plus, visiblement cela
n'est pas : autrement quand Luther parut et que Zuingle innova, il faudrait que
leurs disciples eussent fait cette déclaration : « Voilà ce que nous avons
toujours cru; nous avons toujours eu le cœur éloigné de la foi romaine, et du
Pape, et des évêques, et de la présence réelle, et de la messe, et de la
confession , et de la communion sous une espèce, et des reliques, et des images,
et de la prière des saints, et du mérite des œuvres. » Où sont ceux qui ont
parlé de cette sorte ? M. Claude en pourra-t-il nommer un seul? Au contraire ne
voit-on pas tous ces réformés à toutes les pages de leurs livres parler comme
retirés nouvellement des ténèbres de la papauté, et Luther se glorifier à leur
tète d'avoir été le premier à annoncer l'Evangile ; tous ces réformés lui
applaudir à la réserve de Zuingle qui lui disputait cet honneur ; lui cependant
reconnaître qu'il avait été le moine de la meilleure foi, le prêtre le plus
attaché à son sacrifice, et en un mot « le plus zélé de tous les papaux. » Les
autres ne tiennent-ils pas le même langage? Où sont-ils donc ces vrais
fidèles de M. Claude, qui non-seulement n'osaient déclarer leur foi tant
qu'ils étaient dans le sein de l'Eglise romaine, mais qui après en être sortis,
n'ont osé dire qu'ils avaient toujours tenu dans leur cœur la même foi ?
Mais voici la ruine entière de
la nouvelle Réforme. Dans la définition que M. Claude vient de nous donner de la
vraie Eglise :
1 III Reg., XIX, 18.
623
« C'est, dit-il, les vrais fidèles qui font profession de
la vérité chrétienne, sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires
sans lui en soustraire aucun. » Si avant la réformation il n'y avait point de
telle Eglise, la vraie Eglise n'était plus contre la supposition de M. Claude ;
et s'il y avait une telle Eglise, où « on fit profession de la vérité, et
qui donnât par son ministère aux enfants de Dieu les aliments nécessaires
sans leur en soustraire aucun, » à quoi était nécessaire la séparation des
prétendus réformés ?
Est-ce peut-être qu'on s'est
avisé tout d'un coup de dire la messe, et d'enseigner toutes les doctrines que
nos réformés ont alléguées pour cause de leur rupture? Le penser seulement, ce
serait l'absurdité des absurdités. Mais peut-être qu'en enseignant toutes ces
doctrines, on n'avait pas encore songé à excommunier ceux qui s'y opposaient.
D'où viennent donc tant d'anathèmes contre Béranger, contre les Vaudois et les
Albigeois, contre Jean Viclef et Jean Hus, et tant d'autres que nos réformés
veulent compter parmi leurs ancêtres? Quoi donc! ceux qui avant la Réformation
prétendue, faisaient profession de la vérité chrétienne, c'est-à-dire
selon M. Claude de la doctrine réformée, n'avaient-ils pas encore trouvé
l'invention de faire schisme, et tout le monde était-il d'accord de les
souffrir? Mais quand tout cela serait véritable, les affaires de la Réforme n'en
iroient pas mieux, puisque toujours, avant qu'elle fût, il faudrait reconnaître
un ministère, où sans enseigner ni que le pécheur fût justifié par la seule foi
et la seule imputation de la justice de Jésus-Christ, ni que Dieu dans le
Nouveau Testament eût horreur des sacrifices célébrés dans une matière sensible,
ni qu'il voulût être prié seul à l'exclusion de cette prière inférieure et
subordonnée qu'on adresse aux saints, ni enfin aucun des articles qui
distinguent nos réformés d'avec nous, encore qu'ils y mettent leur salut : on ne
laissât pas de fournir aux enfants de Dieu tous les aliments nécessaires à la
vie spirituelle, SANS LEUR EN SOUSTRAIRE AUCUN. Qu'a opéré la Réforme, si
toutes ces choses ne sont pas des aliments nécessaires, si même la coupe sacrée
et par conséquent la Cène, qui selon les prétendus réformés ne peut subsister
sans la communication de cette coupe,
624
n'est pas de ces aliments nécessaires à la foi du chrétien
? Qu'on s'est tourmenté en vain, mais qu'on a mal à propos causé tant de
troubles et répandu tant de sang, si ces choses ne sont pas nécessaires î
Peut-être qu'il faut réduire ces
aliments nécessaires au Symbole des apôtres, ou en général à l'Ecriture. Mais
l'église socinienne retient ce Symbole et cette Ecriture; de sorte que le
ministère d'une église socinienne eût fourni, selon cette règle, aux enfants
de Dieu tous les aliments nécessaires sans leur en soustraire aucun. Que
sera-ce donc à la fin que ces aliments nécessaires? Et si on les fournit sans en
soustraire aucun seulement en proposant le Symbole et l'Ecriture, quoi qu'on
enseigne d'ailleurs, dans quelle hérésie ont-ils manqué ?
Plus M. Claude fait ici
d'efforts pour se dégager, plus il s'embarrasse. Car après avoir établi comme
une vérité fondamentale, que « Dieu conserve toujours dans le ministère tout ce
qui est nécessaire pour y nourrir les vrais fidèles, et les conduire au salut, »
il dit qu'il ne s'ensuit pas de là « que le ministère soit exempt de toute
erreur, » même dans ses décisions; mais que soit qu'elles « n'intéressent pas
sensiblement la conscience, » ou même « qu'elles intéressent le salut, on use de
la liberté de la conscience pour rejeter le mal, et pour conserver la pureté
(1). » Ainsi tout se réduirait à la liberté de conscience; et quelque erreur
qu'on enseigne dans le ministère, pourvu qu'on ne force pas à en suivre les
décisions et qu'on y souffre toutes les doctrines contraires, bonnes ou
mauvaises, c'en est assez pour faire dire à M. Claude que le ministère
fournit tous les aliments nécessaires aux enfants de Dieu, sans leur en
soustraire aucun. Mais selon cette prétention, il n'y aurait point de
société dont le ministère fournit davantage tous les sentiments nécessaires
qu'une société de sociniens , qui se glorifie de ne vouloir damner personne. Si
on dit parmi nos réformés qu'une église socinienne renverse le fondement en
niant la divinité de Jésus-Christ, on y dit aussi qu'on ne le renversait pas
moins avant leur Réformation par les idolâtries, qui selon eux régnaient
partout. Et si on veut enfin s'imaginer
1 Rép. man., IVe quest.
625
qu'il est plus dangereux de détruire le fondement par
soustraction avec les sociniens qu'avec l'Eglise romaine par ces additions
prétendues qu'on traite d'idolâtrie : outre toutes les soustractions que nous y
venons de montrer selon les principes de nos réformés et même avant leur
réformation, ce serait une extravagance inouïe de croire qu'il fût plus aisé à
ces vrais fidèles, qui dévoient faire le discernement des doctrines sous
un ministère plein d'erreurs, de retrancher ce qui excède que de suppléer à ce
qui manque ; ou qu'on renverse plus certainement le fondement de la foi en
diminuant qu'en ajoutant, l'Ecriture ayant tant de fois compris sous une commune
malédiction tant ceux qui diminuent que ceux qui ajoutent.
Il vaudrait donc mieux pour M.
Claude laisser là tout ce ministère et la perpétuelle visibilité de l'Eglise,
pour dire qu'il suffit enfin, toute cette visibilité étant renversée, que Dieu
ait gardé l'Ecriture sainte où les fidèles, soit cachés, soit découverts , soit
dispersés, soit réunis, soit toujours subsistants, soit quelquefois tout à fait
éteints, trouveront clairement selon ses principes, sans aucun besoin du
ministère, tous les aliments nécessaires. Car aussi à quoi leur est bon un
ministère où l'erreur domine ? Et l'Ecriture ne leur serait-elle pas plus
commode et plus instructive toute seule? Voilà ce que devraient dire les
protestants, pour éviter les inconvénients où nous les jetons. Mais M. Claude
n'a osé le faire et ne l'osera jamais, parce qu'il y trouverait des
inconvénients encore plus insupportables et plus visibles. C'est en un mot qu'il
a senti qu'à force de pousser indépendamment de tout ministère ecclésiastique,
l'autorité et la suffisance pour ainsi parler de l'Ecriture, à la fin il
faudrait détruire l'Ecriture même.
En effet il a trouvé dans
l'Ecriture que l'Ecriture ne devait pas être, comme la philosophie de Platon, la
règle d'une république en idée, mais d'un peuple toujours subsistant que cette
Ecriture appelle Eglise. Il a trouvé que ce peuple devait être toujours
visible sur la terre, puisqu'il devait « non-seulement croire de cœur, mais
encore confesser de bouche (1) ; » et pour user de ses termes, « faire
profession de la vérité chrétienne (2). » Il a trouvé que
1 Rom.,
X, 10. — 2 Vid. sup., p. 609.
626
l’Ecriture avait été mise en dépôt entre les mains d'un tel
peuple pour en être la règle immuable; qu'elle y aurait toujours des interprètes
établis de Dieu, auteur de cette Ecriture, aussi bien que fondateur de ce
peuple; et qu'ainsi le ministère destiné de Dieu à cette interprétation était
éternel autant que l'Eglise même.
S'il écrit ces grandes paroles,
« Dieu conserve toujours dans le ministère public tout ce qui est nécessaire
pour conduire les vrais fidèles au salut (1)» il ne peut fonder cette assurance
sur aucune industrie humaine. Que Dieu laisse le ministère ecclésiastique à
lui-même, il faut qu'il tombe. Si donc on est assuré que Dieu y conservera
toujours tout ce qui est nécessaire au salut, il faut que Dieu même l'ait
promis, et l'éternité du ministère ne peut être fondée que sur cette promesse.
M. Claude la trouve aussi dans ces paroles : « Tu es Pierre (2), » et le reste.
C'est de là qu'il conclut avec nous, que Jésus-Christ, en parlant à une
Eglise qui confesse, et confesse sans difficulté par ses principaux
ministres, puisque c'est par saint Pierre au nom des apôtres ; à une Eglise
attachée à un ministère extérieur, et usant de la puissance des clefs, lui a
promis que l'enfer ne prévaudrait point contre elle; contre elle, par conséquent
soutenue par ce ministère : et c'est pourquoi il assure que Dieu conserve
toujours dans le ministère public tout ce qui est nécessaire au salut des
enfants de Dieu.
Une autre promesse de
Jésus-Christ adressée « à ceux qui baptisent et à ceux qui enseignent, » et
conclue par ces puissantes paroles : « Je serai toujours avec vous jusqu'à la
consommation des siècles (3), » fait dire à M. Claude, aussi bien qu'à nous, que
Jésus-Christ promet à l'Eglise « d'être avec elle, de baptiser avec elle, et
d'enseigner avec elle saris interruption jusqu'à la fin du monde. » Ainsi selon
ce ministre, celle promesse regarde l'Eglise comme attachée au ministère
ecclésiastique; ce qui aussi lui fait conclure que Jésus-Christ ne permet jamais
que la corruption soit telle dans le ministère, qu'il n'y ait encore
suffisamment de quoi entretenir la vraie foi de ses élus jusqu'à la
fin du monde. »
Enfin, un troisième passage, et
c'est celui de saint Paul aux
1 Rép. man., IVe quest. — 2
Matth., XVI, 18. — 3 Matth., XXVIII, 20.
627
Ephésiens (1), lui fait conclure avec nous « que le
ministère durera jusqu'à la fin des siècles, et durera dans un degré et
dans un état suffisant pour édifier le corps de Christ, et pour amener tous
les élus à la perfection dont parle saint Paul (2). » Il faudra donc que
Dieu s'en mêle; et sans son secours toujours présent, on ne pourrait espérer une
telle stabilité ni une telle intégrité dans le ministère.
Après avoir ainsi commencé à
croire, il fallait achever l'ouvrage, et donner gloire à Dieu jusqu'au bout. M.
Claude n'était pas loin du royaume de Dieu, quand il disait que Dieu se rendait
assez supérieur à l'infirmité humaine, pour conserver toujours malgré les
efforts de l'enfer une Eglise qui confesserait la vérité, et un ministère
extérieur qui fournirait aux vrais fidèles les aliments nécessaires au salut. Il
devait donc achever et croire que la même main, qui empêcherait l'enfer de
prévaloir contre le ministère jusqu'à en ôter ces aliments nécessaires,
l'empêcherait aussi de prévaloir jusqu'à y faire dominer aucune erreur ;
d'autant plus que ce qu'il a cru enferme manifestement ce qui reste à croire.
Car s'il a cru sur la foi de la promesse divine qu'il y aurait toujours une
Eglise avec laquelle Jésus-Christ ne cesserait d'enseigner, c'est-à-dire sans
difficulté, qu'il ne cesserait d'enseigner avec les docteurs de cette Eglise :
il fallait croire par même moyen qu'il y enseignerait toute vérité, Jésus-Christ
n'étant pas venu et n'ayant pas envoyé son Saint-Esprit à ses apôtres pour leur
enseigner quelques vérités, mais pour leur enseigner toute vérité, comme
lui-même l'a déclaré dans son Evangile (3).
Et il ne servirait de rien de
dire que M. Claude promet seulement dans le ministère des aliments suffi sans;
ce qui pourrait ne comprendre que les fondements de la foi à la manière dont nos
réformés les trouvent parmi les luthériens. Car la doctrine de Jésus-Christ ne
contenant rien qui ne soit utile, conformément à cette parole : « Je suis le
Seigneur qui t'enseigne des choses utiles (4),» si on ne trouve dans le
ministère la doctrine de Jésus-Christ tout entière, on n'y trouvera jamais ce
degré requis par
1 Ephes., IV, 12. — 2 Rép. man.,
ibid. — 3 Joan., XVI, 13. — 4 Isa., XLVIII, 17.
628
M. Claude, ni cet état SUFFISANT pour amener tous
les élus a la perfection dont parle saint Paul.
Ce serait donc quelque chose de
croire que parla promesse Dieu conserverait sans interruption dans le ministère
ecclésiastique toutes les vérités essentielles : car ce serait reconnaître dans
l'Eglise avec laquelle Jésus-Christ enseigne, un commencement d'autorité
infaillible, en reconnaissant cette autorité du moins à l'égard de ces premières
vérités du christianisme. Mais pour achever l'ouvrage et ne pas croire à demi,
il faut croire encore que Jésus-Christ, en enseignant, enseigne tout et
confesser dans son Eglise une infaillibilité absolue.
Ainsi il ne faut pas dire avec
les ministres et leur troupeau incrédule : Ce ministère ecclésiastique, c'est
des hommes sujets à faillir ; on peut douter après eux : car cela, c'est
succomber à la tentation et ne plus croire à la promesse. Il faut dire : « C'est
des hommes avec qui Jésus-Christ promet d'être et d'enseigner toujours : alors
malgré la faiblesse humaine et tous les efforts de l'enfer, on croit « contre
l'espérance en espérance (1)» qu'on trouvera éternellement dans leur commune
prédication, non pas quelques vérités ou seulement les vérités principales, mais
l'entière plénitude des vérités chrétiennes. Quoi qu'on dise, ce n'est pas
croire à l'aveugle que de croire ainsi, ou c'est croire à l'aveugle comme
Abraham, sur la parole de Dieu même et sur la foi de ses promesses.
Combien donc est insupportable
la doctrine de M. Claude, qui, après avoir reconnu tant de magnifiques promesses
de Jésus-Christ en faveur de ce ministère sacré, replongé tout d'un coup, je ne
sais comment, dans les ténèbres de sa secte d'où il commençait à sortir, nous
montre le ministère si abandonné de Jésus-Christ, qu'il n'y a plus de remède à
ses erreurs qu'en déposant tout d'un coup tous ceux qui sont dans la chaire !
Quel rapport de ces promesses si bien reconnues avec une corruption si
universelle?
M. Claude n'aurait donc qu'à
s'écouter un peu lui-même pour venir à nous : après avoir reconnu en vertu de la
promesse divine l'éternité du ministère ecclésiastique dans CET ÉTAT SUFFISANT
qu'il nous représente, pour y trouver toujours TOUTE VÉRITÉ, il n'aurait
1 Rom., IV, 18.
629
plus qu'à penser que cette assistance imparfaite, et pour
ainsi dire ce demi-secours de Jésus-Christ envers son Eglise, n'est digne ni de
sa sagesse ni de sa puissance ; étant assuré d'ailleurs qu'il n'y a de vraie
suffisance dans le ministère que par la pleine manifestation de la vérité
révélée de Dieu, conformément à cette parole de l'Apôtre : « Nous nous faisons
approuver devant Dieu à toute bonne conscience par la manifestation de la vérité
(1). » D'où il conclut aussitôt après, « que si notre Evangile,» c'est-à-dire
très-certainement notre prédication, « est couverte encore, ce n'est que pour
ceux qui périssent, » afin de nous faire entendre que la prédication, toujours
claire et toujours sincère dans l'Eglise catholique, n'a d'obscurité que dans
les rebelles, dont le démon, « le dieu de ce siècle, » et l'esprit d'orgueil, «
aveugle les entendements, » comme poursuit le même Apôtre, « afin qu'ils ne
voient pas la lumière resplendissante de la prédication de l'Evangile. »
Il est maintenant aisé de voir
que toutes les subtilités de M. Claude ne servent qu'à le confondre. Que lui
sert en reconnaissant la perpétuelle visibilité de l'Eglise, d'avoir tâché
d'éluder les suites de cette doctrine, en réduisant l'Eglise aux vrais fidèles?
Je le veux; que partout où il trouve Eglise, il entende les vrais fidèles ;
qu'il explique même, s'il veut, ces paroles : « Dites-le à l'Eglise (2) »
dites-le aux vrais fidèles, démêlez-les parmi la troupe et jugez avant le
Seigneur : ou parce qu'il s'agit ici trop visiblement, comme lui-même le
reconnaît (3), « de l'Eglise représentée par ses pasteurs, » qu'il dise que ces
pasteurs représentent les vrais fidèles qu'on ne connaît pas, et agissent en
leur nom. Que serviront après tout ces explications, puisqu'enfin selon lui
cette vraie Eglise se trouvera toujours visible et ces vrais fidèles toujours
sous un ministère public, Jésus-Christ permettant si peu d'en séparer son
Eglise, que même après ces paroles : « Dites-le à l'Eglise et s'il n'écoute
l'Eglise, qu'il vous soit comme un gentil ; » pour montrer combien redoutable
est le jugement de l'Eglise, il exprime incontinent l'efficace du ministère par
ces mots : « Tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le ciel (4),»
et le reste
1 II Cor., IV, 2-4. — 2 Matth.,
XVIII, 17. — 3 Rép. man., IVe quest. — 4 Matth., XVIII, 18.
630
que tout le monde sait. Ainsi je conclus toujours également
que l'Eglise qu'il nous faut montrer SANS INTERRUPTION, soit que ce soit les
seuls vrais fidèles, ou si l'on veut les seuls élus, soit que ce soit en un
certain sens les médians mêlés avec eux et ceux qui croient pour un temps,
selon l'expression de l'Evangile (1), est une Eglise toujours recueillie sous un
ministère visible et un corps toujours subsistant de peuple avec des pasteurs,
où la vérité soit prêchée, non pas en cachette, mais sur les toits (2).
Qu'on tourne tant qu'on voudra, c'est une Eglise de cette nature et de cette
constitution qu'il nous faut montrer dans tous les temps, de l'aveu de M.
Claude. La faire disparaître un seul moment, c'est l'anéantir tout à fait, et
renverser les promesses de l'Evangile dans ce qu'elles ont de plus sensible et
de plus éclatant : la faire paraître toujours, c'est établir invinciblement
l'Eglise romaine. Ainsi ce que nous explique M. Claude avec tant de soin, outre
qu'il est faux, laisse la difficulté tout entière, et sa cause en aussi mauvais
état qu'elle était avant ses défenses. Mais afin qu'on ne dise pas que nous nous
sommes contenté de le réfuter, disons-lui la vérité en peu de mots.
Le fond de l'Eglise, c'est les
vrais fidèles, et ceux-là principalement qui, « persévérant jusqu'à la fin (3),
» demeurent éternellement en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux, c'est-à-dire
les élus. Les médians qui les environnent sont compris à leur manière sous le
nom d'Eglise, comme les ongles, comme les cheveux, comme un œil crevé et
un bras perclus qui peut-être ne reçoit plus de nourriture, est compris sous le
nom du corps. Tout est à ces vrais fidèles. Le ministère sous lequel ils vivent
est à eux, au sens que saint Paul a dit : « Tout est à vous, soit Paul, soit
Apollo ou Céphas (4). » Non que la puissance de leurs pasteurs vienne d'eux, ou
qu'ils puissent seuls les établir et les déposer, à Dieu ne plaise : cette
puissance pastorale el apostolique vient de celui qui a dit : « Comme mon Père
m'a envoyé, ainsi je vous envoie (5). » C'est ce qui a fait dire à saint Paul
dans le même lieu : « Qu'est-ce qu'Apollo, et qu'est-ce que Paul? Les ministres
de celui à qui
1 Matth., XIII, 21. — 2 Matth., X, 2 7.—
3 Ibid., 22. — 4 I Cor., III, 22. — 5 Joan.,
XX, 21.
631
vous avez cru, et chacun selon que Dieu lui a donné (1) ; »
à vous d'être fidèles, et à nous d'être pasteurs. C'est pourquoi il ajoute
encore : « Nous sommes ouvriers, » ou pour mieux dire, « coopérateurs de Dieu
(2). » Ces ministres et ces ouvriers établis de Dieu sont aussi ministres des
fidèles, et en ce sens sont à eux, parce qu'ils sont « leurs serviteurs en
Jésus-Christ (3), » établis dans la chaire, non pas pour eux-mêmes, car pour eux
il leur suffirait d'être de simples fidèles, mais pour édifier les saints. Qui
désire d'être dans la communion de ces saints, n'a que faire de se tourmenter à
les discerner d'avec les autres : car encore qu'ils ne soient connus et
parfaitement discernés que de Dieu seul, on est assuré de les trouver sous le
ministère public et dans la profession extérieure de l'Eglise catholique. Il n'y
a donc qu'à y demeurer pour être assuré de trouver les saints, parce que cette
profession et la parole des prédicateurs toujours féconde, qui ne manque jamais
d'en engendrer, les tient toujours inséparablement unis à la sainte société où
ils l'ont reçue. C'est pourquoi quand Jésus-Christ promet d'enseigner toujours
avec son Eglise, il comprend tout dans cette parole ; et rendant par la vertu de
cette promesse l'Eglise infaillible au dehors dans la manifestation de la
vérité, il la rend dans l'intérieur toujours féconde. Si les prédicateurs de la
vérité sont par leur vie corrompue indignes de leur ministère, Dieu ne laisse
pas de s'en servir pour sanctifier ses fidèles : car il est puissant pour
vivifier, même par les morts, et un bras pourri peut devenir agissant entre ses
mains. Au reste ces vrais fidèles connus de Dieu seul, animent tout le ministère
ecclésiastique : un petit nombre de ces saints cachés suffit souvent à rendre
efficaces les prières de toute une Eglise ; la conversion des pécheurs sera
souvent aussitôt l'effet de leurs gémissements secrets que le fruit des
prédications les plus éclatantes. C'est pourquoi saint Augustin attribue les
salutaires effets du ministère à ces bonnes âmes, pour lesquelles et par
lesquelles le Saint-Esprit est pleinement dans l'Eglise. Mais que la puissance
ecclésiastique pour cela dépende d'eux, c'est ce que saint Augustin ni aucun des
saints docteurs n'a jamais pensé ; et M. Claude, qui les cite, ne les entend
pas. On le
1 I Cor., III, 4, 5. — 2 Ibid.,
9. — 3 II Cor., IV, 5.
632
verra pleinement quand il publiera son écrit : il nous
suffit en attendant, d'avoir montré qu'il est de ceux, et Dieu veuille qu'il
n'en soit pas jusqu'à la fin, qu'il est, dis-je, de ceux dont parle saint Paul,
« qui se condamnent eux-mêmes (1). »
C'est en effet selon cet Apôtre
le vrai caractère de toutes les hérésies; et aucune société n'a jamais porté
plus visiblement ce caractère marqué par saint Paul, que l'Eglise prétendue
réformée.
Elle se condamne elle-même,
lorsque n'osant assurer qu'elle soit infaillible, elle se voit néanmoins
contrainte d'agir comme si elle l'était, et de rendre témoignage à l'Eglise
catholique en l'imitant.
Elle se condamne elle-même,
lorsqu'elle élève tous les particuliers qu'elle enseigne au-dessus de son propre
jugement; et les forçant, quelque ignorants qu'ils se sentent, à examiner après
elle, sans les rendre capables, elle les rend seulement indociles et
présomptueux.
Elle se condamne elle-même,
puisqu'en vantant les Ecritures, elle ne se sent pas assez d'autorité pour les
faire recevoir à ses sectateurs sur sa parole ; et laisse ses propres enfants, à
qui elle les présente à lire, dans les incertitudes d'une foi humaine.
Elle se condamne elle-même,
lorsque forcée d'avouer qu'elle ne s'est établie qu'en rompant avec tout ce
qu'il y avait d'églises chrétiennes dans le monde, elle se donne le propre
caractère de toutes les fausses églises.
Enfin elle se condamne
elle-même, lorsque forcée à reconnaître la perpétuelle visibilité de l'Eglise
dans l'indéfectibilité du ministère, elle ne peut se soutenir sans reconnaître
d'ailleurs dans le ministère une corruption universelle, et sans autoriser les
particuliers contre toute la succession de l'ordre apostolique.
Que si elle se condamne
elle-même en tant de sortes, qu'il lui serait salutaire de se condamner enfin
elle-même, en retournant dans le sein de l'Eglise catholique, qui ne cesse de la
rappeler à son unité!
Que ces Messieurs ne nous
parlent plus des abus qui nous font gémir. C'est mal remédier aux maux de
l'Eglise que d'y ajouter
1 Tit., III, 11.
633
celui du schisme. Sont-ils si heureux ou, pour mieux dire,
si orgueilleux et si aveugles, qu'ils ne sentent rien à déplorer parmi eux? Et
veulent-ils autoriser tant de sectes sorties de leur sein, qui en se plaignant
de leurs désordres dans ce même esprit de chagrin superbe avec lequel ils ont
autrefois tant exagéré les nôtres, font tous les jours schisme avec eux, comme
ils l'ont fait avec nous? Que n'écoutent-ils plutôt la charité même, l'unité
même, et l'Eglise catholique, qui leur dit par la bouche de saint Cyprien : « Ne
vous persuadez pas, nos chers frères et nos chers enfants, que vous puissiez
jamais défendre l'Evangile de Jésus-Christ en vous séparant de son troupeau, de
son unité et de sa paix. De bons soldats, qui se plaignent des désordres qu'ils
voient dans l'armée, doivent demeurer dans le camp pour y remédier d'un commun
avis sous l'autorité du capitaine, » et non pas en sortir pour exposer l'armée
ainsi désunie aux invasions de l'ennemi. « Puis donc que l'unité ecclésiastique
ne doit point être déchirée, et que d'ailleurs nous ne pouvons pas quitter
l'Eglise pour aller à vous, revenez, revenez plutôt à l'Eglise votre Mère et à
notre fraternité : c'est à quoi nous vous exhortons avec tout l'effort d'un
amour vraiment fraternel (1). » Amen, amen.
1 Cypr., ep. XLIII, ad Confess.;
ed. Baluz., ép. XLIV, p. 58.
FIN DES RÉFLEXIONS
ET DU TREIZIÈME VOLUME.
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