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SERMON
POUR LE JOUR DU SCAPULAIRE
SUR LA DÉVOTION A LA SAINTE VIERGE (a).
(inédit.)
Dicit Jesus matri suas : Mulier, ecce filius tuus.
Jésus dit à sa Mère : Femme, voilà votre flls. Joan.,
XIX, 26, 27.
L'antiquité païenne a fort
remarqué l'action d'un certain philosophe qui ne laissant pas en mourant de quoi
entretenir sa famille, s'avisa de léguer par son testament sa femme et ses
enfants à son bon ami. Il se persuada, nous dit-on, qu'il ne pouvait honorer
davantage l'humeur généreuse de cet ami, ni lui rien laisser de plus précieux
que ce témoignage de sa confiance. A la vérité, chrétiens, il paraît quelque
chose de beau dans cette action, si elle a été faite de bonne foi et si
l'affection a été mutuelle. Mais nous savons que les sages du monde ont
ordinairement travaillé bien plus pour l'ostentation que pour la vertu, et que
la plupart de leurs belles sentences ne sont dites que par parade et par une
gravité affectée. Laissons donc les histoires profanes et allons à l'Evangile de
Jésus-Christ.
Ce que la nécessité avait
suggéré à ce philosophe païen, la charité le fait faire à mon Maître d'une
manière toute divine. Il considère du haut de sa croix et sa sainte Mère et le
disciple qu'il
(a) Prêché probablement à Metz, en 1657, la même
année que le sermon précédent.
On verra que l'auteur a pris dans ce sermon, en le
modifiant un peu, le commencement de l'exorde. Le second point est incomplet.
Le manuscrit, inédit jusqu'à ce jour, est à la bibliothèque
du séminaire de Meaux.
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chérissait. Près de sortir du monde, il voudrait leur
laisser quelque chose; mais hélas ! il est nu et dépouillé. Pauvre pendant tout
le cours de sa vie, il n'avait rien à lui que ses vêtements ; et déjà les avares
soldats les ont partagés et ont joué sa tunique mystérieuse. Que donnera-t-il
donc à sa sainte Mère, et que donnera-t-il à Jean son ami? Certes s'il est
pauvre en biens temporels, il est riche infiniment en affection. Voyez, voyez,
mes Frères, la dernière libéralité (a) de notre Sauveur. De toutes les
choses du monde il n'a rien plus cher que Marie et que Jean son fidèle et son
bien-aimé. Il donne donc Marie à saint Jean, et il donne saint Jean à Marie : «
Femme, dit-il, voilà votre fils; » et « Fils, dit-il à saint Jean, voilà votre
Mère. » Saint Jean tout ravi d'un si beau présent, en vertu du testament de son
Maître, se mit en possession de la sainte Vierge, selon la remarque du texte
sacré qui dit expressément que, dès ce temps-là, le disciple considéra Marie
comme sienne : Et accepit eam discipulus in sua (1). De sorte que depuis
ce temps Jean fut le cher Fils de Marie, Marie fut la chère Mère de Jean, et la
parole de Jésus-Christ opéra cette adoption bienheureuse.
Entendons ceci, chrétiens : nous
avons notre part en ce legs pieux. Jésus n'a rien dit à la croix qui ne regarde
tous les fidèles. J'entreprends de vous faire voir aujourd'hui avec l'assistance
de la grâce de Dieu que saint Jean, le fermier du Sauveur, tient la place de
tous les chrétiens en cette action; et qu'en sa seule personne Jésus nous donne
tous à sa sainte Mère. C'est pourquoi j'ai choisi ce texte pour entretenir en ce
jour votre piété. Car que prétendez-vous par ce scapulaire, sinon de porter une
marque par laquelle vous vous reconnaissez enfants de Marie ? Et ainsi pour
satisfaire vos dévotions, je me suis résolu de vous expliquer cette glorieuse
maternité par laquelle la Mère de notre Chef est aussi la Mère de tous ses
membres. Dieu par sa bonté me fera la grâce de fonder solidement cette vérité
sur la doctrine des Ecritures et de l'antiquité chrétienne. Et pour y procéder
avec ordre, premièrement je vous ferai voir le dessein de cette glorieuse
maternité
1 Joan., XIX, 27.
(a) Var. : Le dernier don.
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tracé dès l'origine du monde, et après vous en suivrez
l'accomplissement dans la plénitude des temps (a). C'est la division de
cet entretien. Elle est simple , je vous l'avoue; mais vous en verrez naître,
s'il plaît à Dieu, une doctrine toute chrétienne qui établira la dévotion pour
la sainte Vierge, non sur des histoires douteuses, ni sur des révélations
apocryphes, ni sur des raisonnements incertains, ni sur des exagérations
indiscrètes, mais sur des maximes solides et évangéliques. Aussi les ai-je
prises des anciens Pères.
PREMIER POINT.
Ceux qui sont peu versés dans la
lecture des anciens docteurs, seront peut-être surpris d'abord d'entendre les
termes extraordinaires avec lesquels ils associent la très-sainte Vierge à
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce saint évêque de Lyon, le grand Irénée, l'honneur
(b) des églises des Gaules qu'il a fondées par son sang et par sa
doctrine, parle ainsi de la sainte Vierge : « Le genre humain, dit-il, condamné
à mort par une vierge est sauvé par une vierge : » Morti adstrictum per
virginem, salvatur per virginem (1). « Ce qui avait été perdu par ce sexe,
est ramené à salut par le même sexe, » dit Tertullien : Quod per ejusmodi
sexum abierat in perditionem, per eumdem sexum redigeretur in salutem (2).
Vous entendez en ces deux grands hommes les deux plus anciens auteurs
ecclésiastiques. Et après eux l'incomparable Augustin : « Par une femme la mort,
par une femme la vie ; par Eve la ruine, par Marie le salut : » Per feminam
mors, per feminam vita; per Evam interitus, per Mariam salus (3). Tous les
autres ont parlé dans le même sens, et la suite de ce discours vous fera encore
plus évidemment connaître l'intention de tous ces grands hommes (c).
N'appréhendez pas, chrétiens,
que des serviteurs si fidèles de
1 S. Irœn., Cont. hœres., lib. V, cap. XIX.— 2
Tertull., De carne Christi, n. 17. — 3 S. August, De Symbol, ad
Catechum., serm. III, cap. IV.
(a) Var. : Je vous dirai premièrement les
raisons pour lesquelles il était convenable que Marie fût la Mère du peuple
nouveau, et après je conclurai en vous faisant voir par l'histoire de l'Evangile
qu'en effet elle a eu cette qualité. — (b) L'ornement. — (c) Et
vous connaîtrez encore mieux leur intention dans la suite de mon discours.
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Jésus-Christ veuillent diminuer l'honneur de leur Maître en
lui associant en quelque sorte l'heureuse Marie. Certes c'est peu con-noître la
grandeur de Dieu, de penser que sa gloire soit diminuée quand il en fait part à
ses créatures. En cela dissemblable de nous, en donnant une partie, il retient
le tout. Si cela vous semble étrange d'abord, considérez que Dieu a cela de
propre, qu'il est le seul qui donne sans se dépouiller. Certes il n'agit pas
comme nous qui partageons nos soins à plusieurs, afin que la peine nous en pèse
moins. Il n'en est pas ainsi du grand Dieu vivant. Quand il associe ses
créatures à ses ouvrages, ce n'est pas qu'il se décharge, mais il les honore! Et
ainsi la gloire lui appartient toute. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul n'a pas
cru diminuer la grandeur de Dieu, quand il s'appelle non-seulement son
ministre, mais encore son coopérateur, sunergos. Vous diriez
qu'il se fait le compagnon de Dieu, mais à Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi !
il sait que cette partie de l'ouvrage qu'il a plu à Dieu lui commettre n'en est
pas moins à Dieu, parce qu'il daigne se servir de son ministère. Si donc les
anciens Pères nous ont enseigné que Marie est associée singulièrement au grand
ouvrage du Fils de Dieu, ils ne ravissent pas pour cela la gloire au Sauveur; il
y aurait de la malice à le croire. Mais pour éclairer leur pensée et pour nous
apprendre le sens des éloges que l'Eglise donne à la sainte Vierge, remontons à
l'origine des choses; et voyons par quelle raison il était à propos que la
sainte Vierge eût tant de part à l'œuvre de notre salut, qu'elle méritât d'être
associée au Fils de Dieu qui en est l'auteur.
Chrétiens, une des choses les
plus touchantes dans la réparation de notre nature, c'est de voir que
l'ineffable bonté de Dieu prend plaisir d'employer à notre salut tout ce qui a
contribué à notre ruine. C'est ce qu'il est nécessaire que vous remarquiez avec
les vénérables docteurs de l'Eglise, dont je tiens cette pieuse observation.
Certes il est sans doute que Dieu pouvait délivrer les hommes sans se faire
homme; mais il lui a plu de se faire homme pour nous racheter, afin que cette
même, nature que le démon s'était asservie remportât la victoire sur lui et sur
ses audacieux compagnons. Davantage, encore que le Fils de Dieu eût résolu de
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venir en terre et de se revêtir d'une chair humaine, il
pouvait se créer lui-même un corps et une âme sans le ministère de ses
créatures, et ainsi il se serait épargné la honte de naître d'une postérité
condamnée. Toutefois sa providence incompréhensible en a disposé autrement. Il
lui a plu que dans cette race maudite, la grâce et la bénédiction prît son
origine. Notre-Seigneur a voulu être le fils d'Adam, afin que sa bienheureuse
naissance sanctifiât éternellement la race d'Adam, que la contagion du péché
avait infectée.
Avançons dans cette méditation.
Jésus-Christ pouvait nous sauver sans mourir : et il nous a voulu sauver par sa
mort. C'est qu'insistant au même dessein, il a ordonné que la mort que le diable
envieux avait amenée au monde pour nous détruire fût employée à nous réparer, et
que la peine de notre péché fût le médicament de nos maladies. Mais, ô doux
Rédempteur de nos âmes, après avoir déterminé de mourir, fallait-il
nécessairement mourir à la croix ? N'y avait-il que ce genre de mort qui fût
capable d'expier nos crimes ? Certainement il y en avait beaucoup d'autres.
Pourquoi donc vous vois-je pendu à ce bois infâme? Chrétiens, n'en voyez-vous
pas le secret? Le fruit d'un arbre nous avait perdu; voici un autre arbre qu'on
nous propose, auquel est attaché Jésus-Christ le vrai fruit de vie. Et pour
accomplir toutes choses, de même qu'en mangeant le fruit défendu, Adam notre
premier père a reçu la mort : nous en mangeant ce divin fruit qui pend à la
croix, nous recevons la vie éternelle. Nos rebelles parents ont cueilli sur
l'arbre le fruit empoisonné qui les tue avec leur misérable postérité ; et
lorsque dans la célébrité de nos saints mystères, honorant la pieuse mémoire de
notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, nous mangeons humblement son corps et buvons
son sang ainsi qu'il nous l'a commandé, que faisons-nous autre chose, mes
Frères, que d'aller pour ainsi dire cueillir sur la croix le fruit vivifiant
qu'elle porte, je veux dire cette victime innocente qui a chargé sur son dos les
péchés du monde ? Tellement que, pour reprendre ce que j'ai dit, si un homme
nous perd, un homme nous sauve : la mort règne dans la race d'Adam ; c'est de la
race d'Adam que la vie est née. Dieu fait servir de remède à notre péché
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la mort qui en était la punition. L'arbre nous tue, l'arbre
nous guérit, et un manger salutaire répare le mal qu'un manger téméraire avait
fait.
Et de là vient que nos anciens
pères voyant par une induction si universelle que notre Dieu s'est résolument
attaché à notre salut par les mêmes choses qui ont été le principe de notre
perte, ils en ont tiré cette conséquence : Si tel est le conseil de Dieu que
tout ce qui a eu part à notre ruine doit coopérer à notre salut, puisque les
deux sexes sont intervenus en la désolation de notre nature, il fallait qu'ils
intervinssent à sa délivrance. Si la corruption du péché les a déshonorés l'un
et l'autre, il faut que le Réparateur des hommes leur rende l'honneur. Et c'est
pourquoi, dit saint Augustin, Jésus-Christ homme est né d'une femme : Virum
sumpsit natus ex feminâ. Et parce que le genre humain est précipité dans la
damnation éternelle par un homme et par une femme, il était convenable que Dieu
prédestinât une nouvelle Eve, aussi bien qu'un nouvel Adam, afin de donner à la
terre, au lieu de la race ancienne qui avait été condamnée, une nouvelle
postérité qui fût sanctifiée par la grâce. D'où je conclus par un argument
infaillible que tout ainsi que la première Eve est la mère de tous les mortels,
la nouvelle Eve, c'est-à-dire Marie, est la Mère de tous les vivants, qui sont
les fidèles.
Mais afin que vous en demeuriez
convaincus, conférons exactement Eve avec Marie. L'ouvrage de notre corruption a
commencé par Eve, l'ouvrage de notre réparation par Marie. Un ange de ténèbres
s'adresse à Eve; un ange de lumière parle à Marie. L'ange de ténèbres veut
élever Eve à une fausse grandeur en lui faisant affecter la divinité : « Vous
serez comme des dieux (1), » lui dit-il; l'ange de lumière établit Marie dans la
véritable grandeur par sa société avec le vrai Dieu : « Le Seigneur avec vous
(2), » lui dit Gabriel. L'ange de ténèbres parlant à Eve, travaille à lui
persuader la rébellion : « Pourquoi est-ce que Dieu vous a commandé (3)? »
l'ange de lumière parlant à Marie, lui persuade l'obéissance : « Ne craignez
point, Marie, rien ne sera impossible au Seigneur (4). » Eve était vierge
encore, et Marie est vierge. Eve encore vierge
1 Gen., III, 5. — 2 Luc.,
I, 28. — 3 Gen., III, 1. — 4 Luc., I, 30.
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avait son époux, et Marie la Vierge des vierges avait son
époux. La parole de mort fut portée à Eve, et la parole de vie à la sainte
Vierge. Eve crut au serpent, et Marie à l'ange. Ainsi, dit le docte Tertullien,
« une foi pieuse efface la faute d'une téméraire crédulité et Marie répare en
croyant à Dieu ce qu'Eve a gâté en crovant au diable : » Quod illa credendo
deliquit, hœc credendo delevit (1). Eve séduite par le démon, est contrainte
de fuir la face de Dieu ; et Marie
instruite par l'ange, est rendue digne de porter Dieu : « Afin, dit l'ancien
Irénée, écoutez les paroles de ce grand martyr afin que la Vierge Marie fût
l'avocate de la vierge Eve : » Ut virginis Evae virgo Maria fieret advocata
(2).
Après un rapport si exact, qui
pourrait douter que Marie ne fût l'Eve de la nouvelle alliance, et par
conséquent la Mère du nouveau peuple? Pour moi, considérant cette convenance, je
suis ravi d'admiration de la hauteur impénétrable des secrets de Dieu dans la
séparation de notre nature ; et pourrais-je ne pas m'étonner de voir que tout ce
qui se rencontre dans notre ruine, se trouve aussi de point en point employé à
notre glorieux rétablissement ? Ce qui a fait dire au grave Tertullien que «
Dieu a regagné son image dont le diable s'était emparé (a) par un dessein
d'émulation : » Deus imaginem suam à diabolo captam œmulà operatione
recuperavit (3). Oue veut dire cette émulation de Dieu et du diable? Nous
appelons émulation lorsque deux personnes en concourant au même dessein, se
disputent entre elles réciproquement à qui emportera le dessus. Le diable
s'était déclaré le rival de Dieu, il avait voulu monter en son trône, il se
faisait adorer en sa place; et jaloux de la majesté de son Maître, pour égaler
autant qu'il pourrait la grandeur divine, il s'était assujetti l'homme que Dieu
avait fait pour lui seul. Vous voyez Satan le jaloux de Dieu. Dieu jaloux se
lève contre Satan, il entreprend de délivrer l'homme : et voilà jalousie contre
jalousie, émulation contre émulation. Et pour cela vous avez vu Dieu reprenant
pour ainsi dire tous les pas du diable lui renversant sur la tête toutes ses
machines , repassant
1 Tertull. De carne Christi, n. 17. — 2 S. Iraen.,
Contr. haer., lib. V, cap. XIX. — 3 Tertull., De carne Christi, n.
17.
(a) Var. : Dont le diable s'était rendu
maître.
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exactement sur tous les vestiges, et imprimant sa marque
sur tous les endroits où il voit le caractère de son rival également faible et
audacieux. « L'émulation du Dieu des armées a fait cet ouvrage (1). »
Mais d'où vous vient, ô Dieu
tout-puissant, d'où vous vient cette émulation contre une créature si
impuissante, que le seul souffle de votre bouche a précipitée du plus haut des
cieux jusque dans les cachots éternels? Ah! mes Frères, réjouissons-nous : c'est
que Dieu nous aime, et c'est pourquoi il est jaloux de Satan auquel notre nature
s'est prostituée. Et pour nous faire voir qu'il n'a plus de force , tout ce
qu'il avait choisi pour nous nuire , Dieu le fait réussir à notre salut, parce
qu'il est jaloux et poussé d'une charitable émulation pour sauver ce qui est
perdu, œmulà operatione. Dieu pou voit vaincre notre ennemi d'une autre
manière; mais celle-ci est plus consolante pour nous, et c'est la raison pour
laquelle notre Dieu qui nous aime l'a voulu choisir. Ce m'est déjà une grande
joie qu'il m'assure par sa parole qu'il est réconcilié avec moi ; mais combien
est-elle plus grande, lorsqu'il me le fait toucher au doigt par les choses mêmes
! Je suis convaincu, chrétiens , que mon Dieu veut réparer nos dommages et qu'il
n'y a plus pour nous de condamnation, puisque tous les instruments de notre
ruine sont tournés miséricordieusement à notre salut. Je reconnais bien ici ce
que dit l'Apôtre, que Dieu renouvelle toutes choses en Jésus-Christ. Tout
revient par sa grâce à la pureté de la première origine ; et je sens qu'on nous
remet dans le paradis, puisqu'on nous donne un nouvel Adam en notre Sauveur, et
une nouvelle Eve en la sainte Vierge, et un nouvel arbre en la croix, et un
nouveau fruit en l'Eucharistie. Après quoi je ne m'étonne pas si nos pères
induits par une telle convenance de choses, ont appelé Marie la nouvelle Eve,
c'est-à-dire la Mère de tous les vivants.
Par conséquent, fidèles, le
scapulaire n'est pas une marque inutile, vous le portez comme un témoignage
visible que vous vous reconnaissez enfants de Marie. Et Marie en effet sera
votre Mère, si vous vivez en Notre-Seigneur Jésus-Christ; elle sera Eve,
c'est-à-dire en hébreu vivante. Adam donna ce nom à sa
1 Isa., IX, 7.
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femme, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Ce
n'est pas Eve, mes Frères, ce n'est pas Eve qui est la mère de tous les vivants,
elle est plutôt la mère de tous les morts. Sur quoi saint Epiphane observe
très-bien qu'elle n'a été appelée mère des vivants, qu'après que sa race
a été maudite. Quelle apparence que ce nom lui convienne? Est-ce être mère de
tous les vivants, que d'engendrer tous ses enfants à la mort? Par conséquent ce
n'est pas pour elle que la première Eve reçoit ce titre, c'est en figure de la
sainte Vierge dont Eve nous représente la dignité. C'est donc la sainte Vierge
qui est la vraie Eve, la vraie Mère de tous les vivants. Vivez, vivez, fidèles,
et Marie sera votre Mère. Mais vivez de Jésus-Christ et par Jésus-Christ, parce
que Marie elle-même n'a de vie qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Voilà la
maternité de la sainte Vierge très-solidement établie. Vous voyez qu'il était
convenable qu'elle fût Mère des chrétiens, et que tel était le dessein de Dieu
qui nous a été montré dans le paradis. Mais afin que cette doctrine pénètre plus
profondément en vos cœurs, admirez l'exécution de ce grand dessein dans
l'Evangile de notre Sauveur, et contemplez comme Jésus-Christ s'associe la
sainte Vierge dans la génération des enfants que son sang toujours fertile
produit à son Père.
SECOND POINT.
Saint Jean nous représente en
cette action l'universalité des fidèles. Comprenez, s'il vous plaît, ce
raisonnement. Tous les autres disciples de mon Sauveur l'ont abandonné. Et Dieu
l'a permis de la sorte, afin de nous faire entendre qu'il y en a peu qui suivent
Jésus-Christ à la croix. Donc tous les autres étant dispersés, la Providence n'a
retenu près du Dieu mourant que Jean le bien-aimé de son cœur. C'est l'unique,
c'est le vrai fidèle. Car celui-là est vraiment fidèle à Jésus, qui suit Jésus
jusqu'à sa croix. Et ainsi cet unique fidèle représente tous les fidèles. Par
conséquent lorsque Jésus-Christ parlant à sa Mère lui dit que saint Jean est son
fils, ne croyez pas qu'il considère saint Jean comme un homme particulier. Il
lui donne en la personne de Jean tous ses disciples et tous ses fidèles, tous
les héritiers de la
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nouvelle alliance et tous les enfants de la croix. De là
vient, comme je l'ai remarqué, qu'il l'appelle femme; il veut dire femme par
excellence, femme choisie singulièrement pour être la Mère du peuple élu. « O
femme, lui dit-il, nouvelle Eve, voilà votre fils; et lui et tous les fidèles
qu'il représente, ce sont vos enfants. Jean est mon disciple et mon bien-aimé ;
recevez en sa personne tous les chrétiens, parce que Jean tient la place d'eux
tous et qu'ils sont tous aussi bien que Jean mes disciples et mes bien-aimés. »
C'est ce que le Sauveur veut montrer à sa sainte Mère. Et ce qui me semble le
plus remarquable, c'est à la croix qu'il lui adresse cette parole. N'en
comprenez-vous pas la raison ?
C'est à la croix que le Fils de
Dieu nous donne la vie et nous régénère à la grâce par la vertu de son sang
répandu pour nous. C'est à la croix aussi qu'il enseigne à la très-pure Marie
qu'elle est la Mère de Jean et de ses fidèles : « Femme, voilà ton Fils, lui
dit-il (1). » Et ainsi je vois le nouvel Adam qui nous engendrant par sa mort,
associe la nouvelle Eve sa sainte Mère à la chaste et mystérieuse génération des
enfants du Nouveau Testament.......
1 Joan., XIX, 26.
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