Les 10 questions Disputées sur la Puissance de Dieu

DE POTENTIA

Discussions données en présence de maître Thomas d'Aquin de 1265 à 1267

 

Traduction de Raymond Berton

 

Édition numérique, http://bibliotheque.editionsducerf.fr/

Mise à disposition pour le site https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

Question 1: La puissance de Dieu dans l'absolu_ 4

Article 1: Y a-t-il de la puissance en Dieu?_ 4

Article 2: La puissance de Dieu est-elle infinie?_ 7

Article 3: Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?_ 10

Article 4: Faut-il juger le possible et l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures?_ 14

Article 5: Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait?_ 16

Article 6: Dieu peut-il faire ce qui est possible à d'autres, comme pêcher, marcher etc.? Il semble que oui. 20

Article 7: Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant?_ 22

Question 2: La puissance générative en Dieu. 23

Article 1: Y a-t-il une puissance générative en Dieu?_ 24

Article 2: Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la notion?_ 28

Article 3: La puissance générative dépend-elle en son acte du pouvoir de la volonté?_ 30

Article 4: Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu?_ 34

Article 5: La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance?_ 37

Article 6: La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles une même puissance?_ 39

Question 3: La création qui est le premier effet de la puissance divine. 40

Article 1: Dieu peut-il créer de rien?_ 41

Article 2: La création est-elle un changement?_ 45

Article 3: La création est-elle une chose réelle dans la créature et si oui, quelle est-elle?_ 47

Article 4: Le pouvoir ou même l'acte de créer peut-il être communiqué a une créature?_ 49

Article 5: Est-il possible que quelque chose ne soit pas créé par Dieu?_ 55

Article 6: N'y a-t-il qu'un seul principe de création?_ 57

Article 7: Dieu agit-il dans l'opération de nature?_ 63

Article 8: Dieu opère-t-il dans la nature en créant, ce qui revient à chercher si la création est mêlée à l'opération de nature?  69

Article 9: L'âme rationnelle est-elle amenée à l'être par création, ou par transmission de la semence?_ 74

Article 10: L'âme rationnelle est-elle créée dans le corps ou hors du corps?_ 82

Article 11: L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par création ou par transmission de la semence?_ 87

Article 12: L'âme sensitive ou l'âme végétative sont-elles dans la semence dès le moment où elle se sépare?_ 92

Article 13: Un être qui dépend d'un autre peut-il être éternel?_ 94

Article 14: Ce qui est diffèrent de Dieu par essence peut-il être éternel?_ 96

Article 15: Les choses procèdent-elles de Dieu par nécessité de nature ou par le libre arbitre de sa volonté?_ 100

Article 16: Est-ce que d'un premier être unique peut procéder la pluralité?_ 104

Article 17: Le monde a-t-il toujours existé?_ 111

Article 18: Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?_ 119

Article 19: Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?_ 125

Question 4: La création de la matière sans forme. 126

Article 1: La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création en durée?_ 126

Article 2: La mise en forme de la matière a-t-elle eu lieu toute en même temps ou successivement?_ 137

Question 5: La conservation à l'être des créatures par Dieu. 163

Article 1: Les créatures sont-elles conservées à l'être par Dieu ou même si on écarte toute action de sa part, demeurent-elles en l'être par elles-mêmes?_ 163

Article 2: Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi et sans lui?_ 168

Article 3: Dieu peut-il ramener la créature au néant?_ 169

Article 4: La créature doit-elle retourner au néant, ou même y retourne-t-elle?_ 174

Article 5: Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?_ 178

Article 6: L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?_ 185

Article 7: Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?_ 188

Article 8: Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments?_ 193

Article 9: Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde?_ 195

Article 10: Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel?_ 199

Question 6: Les miracles 201

Article 1: Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours?  201

Article 2: Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature?  206

Article 3: Les créatures spirituelles peuvent-elles faire des miracles par leur pouvoir naturel?_ 209

Article 4: Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?_ 215

Article 5: Les démons aussi font-ils des miracles?_ 217

Article 6: Les anges et les démons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement?_ 220

Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?_ 227

Article 8: L'ange ou le démon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les opérations d'un corps vivant?_ 230

Article 9: Faut-il attribuer le miracle à la foi?_ 232

Article 10: Les démons sont-ils forcés par des objets sensibles et corporels, des événements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques?_ 237

Question 7: La simplicité de l'essence divine 240

Article 1: Dieu est-il simple?_ 240

Article 2: La substance ou l'essence en Dieu sont-elles la même chose que son être?_ 243

Article 3: Dieu est-il dans un genre?_ 246

Article 4: Bon, Sage, Juste, etc. attribuent-ils un accident à Dieu?_ 248

Article 5: Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?_ 251

Article 6: Ces noms sont-ils synonymes?_ 256

Article 7:.Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière univoque ou équivoque?_ 259

Article 8: Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?_ 263

Article 9: De telles relations entre les créatures et Dieu sont-elles réellement en elles?_ 265

Article 10: Dieu se réfère-t-il à la créature, de telle sorte que cette relation soit une réalité en lui?_ 268

Article 11: Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?_ 272

Question 8: Ce qu'on appelle relations éternelles en Dieu_ 273

Article 1: Les relations appelées éternelles, rapportées sous les noms de "Père" et "Fils", sont -elles réelles ou de raison seulement?  273

Article 2: La relation en elle sa substance?_ 277

Article 3: Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes ou les hypostases?_ 281

Article 4: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?_ 285

Question 9: Les personnes divines 288

Article 1: Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase?_ 288

Article 2: Qu'est-ce que la personne?_ 291

Article 3: Le nom de personne peut-il être en Dieu?_ 295

Article 4: Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu?_ 296

Article 5: Le nombre des personnes est-il en Dieu?_ 301

Article 6: Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au pluriel?_ 307

Article 7: Comment les termes numériques sont-ils attribués aux personne divines, est-ce positivement ou négativement seulement?  308

Article 8: Y a-t-il de la diversité en Dieu?_ 315

Article 9: En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins?_ 317

Question 10: Les processions des Personnes divines. 326

Article 1: Y a-t-il une procession dans les personnes divines?_ 326

Article 2: En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs?_ 330

Article 3: L'ordre de la procession à la relation en Dieu. 338

Article 4: L'Esprit saint procède-t-il du Fils?_ 340

Article 5: L'esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s'il ne procédait pas de lui?_ 348

 

Question 1: La puissance de Dieu dans l'absolu

 

Article 1: Y a-t-il de la puissance en Dieu?

 

Objections:

Il semble que non.

1. La puissance est en effet le principe d'une opération. Mais l'opération de Dieu, qui est son essence, n'a pas de principe parce qu'elle n'est ni engendrée, ni dépendante. Donc en Dieu il n'y a pas de puissance.

2. On doit attribuer à Dieu tout ce qu'il y a de plus parfait, selon Anselme (Monologium, Ch. 14). Donc on ne doit pas lui attribuer ce qui trouve plus parfait que soi. Mais toute puissance trouve plus parfait qu'elle, à savoir la forme pour la puissance passive, et l'opération pour la puissance active. Donc on ne peut attribuer la puissance à Dieu.

3. La puissance est le principe de changement dans un autre être en tant qu'autre, selon Aristote (V, Métaphysique, texte 12), mais ce principe est une relation et c'est la relation de Dieu à ses créatures, selon qu'on la définit dans sa puissance à créer ou à mouvoir. Mais en Dieu, il n'y a aucune relation en réalité, mais seulement en raison. Donc, il n'y a pas réellement de puissance en Dieu.

4. Un "habitus" est une puissance plus parfaite, en tant que plus proche pour celui qui opère, mais on n'admet pas d'habitus en Dieu. Donc pas de puissance non plus.

5. On ne doit rien attribuer à Dieu qui déroge à sa prééminence ou à sa simplicité. Mais Dieu, en tant qu'agent simple et premier agit par son essence. Donc, on ne doit pas signifier qu'il agit par une puissance qui, au moins, selon la manière de le signifier, ajoute à son essence 6. Selon Aristote (III Phys., texte 32), être et pouvoir ne diffèrent pas toujours; donc encore beaucoup moins en Dieu. Mais s'ils sont une même chose, on doit avoir un même nom pris du plus digne. L'essence est plus digne que la puissance, parce que cette dernière s'ajoute à l'essence. Donc en Dieu, on ne doit désigner essentiellement que l'essence seule et non la puissance.

7. La matière première est puissance pure, de même Dieu est acte pur. Mais la matière première considérée en son essence est dénuée de tout acte. Donc Dieu, considéré en son essence, est sans toute puissance.

8. Toute puissance séparée de l'acte est imparfaite et comme rien d'imparfait ne convient à Dieu, une telle puissance ne peut exister en lui. Si donc il y a une puissance en Dieu, il faut qu'elle soit toujours unie à l'acte, et ainsi la puissance de créer est toujours unie à un acte. Il s'ensuit qu'il a créé de toute éternité, ce qui est hérétique.

9. Quand quelque chose suffit pour agir, ce qu'on ajoute est superflu. Mais l'essence de Dieu est suffisante pour qu'il agisse par elle. Donc il est superflu de lui ajouter une puissance pour agir.

10. Mais on objectera que la puissance n'est pas en réalité autre chose que l'essence; mais seulement selon la manière de comprendre. Mais en sens contraire, toute pensée en qui rien ne correspond dans la réalité est vide et vaine 11. La catégorie de la substance est plus noble que les autres catégories. Mais on ne l'attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (De Trin. 7, 5). Donc on lui attribue encore moins la catégorie de la qualité. Mais la puissance est dans la seconde espèce de qualité. Donc on ne doit pas l'attribuer à Dieu.

12. Mais on objectera que la puissance, attribuée à Dieu n'est pas une qualité mais son essence qui diffère en raison seulement. En sens contraire, quelque chose répond à cette raison en réalité ou rien. Si c'est rien, la raison est vaine. Mais si quelque chose lui répond dans la réalité, il s'ensuit que quelque chose serait en Dieu une puissance en plus de l'essence, puisque la nature de la puissance est en plus de celle d'essence.

13. Selon Aristote (Top. 4, 5) tout pouvoir et toute activité est en vue de faire autre chose. Rien de ce genre ne convient à Dieu, parce qu'il n'est pas lui-même en vue d'une autre chose. Donc la puissance ne convient pas à Dieu.

14. Le pouvoir est considéré par Denys (La hiérarchie céleste, XI) comme intermédiaire entre la substance et l'opération, Mais Dieu n'agit pas par intermédiaire. Donc il n'agit pas par pouvoir ni en conséquence par puissance. Et ainsi il n'y a pas de puissance en Dieu.

15. Selon Aristote (Métaphysique IX, 2 et V, 17) la puissance active, la seule qui peut convenir à Dieu, est le principe d'un changement en autre chose en tant qu'autre. Mais Dieu agit sans changement, comme cela apparaît dans la création. Donc la puissance active ne peut pas lui être attribuée.

16. Aristote dit (ibid.) que la puissance active et la puissance passive sont une même chose. Mais cette dernière ne convient pas à Dieu. Ni en conséquence la puissance active.

17. Aristote dit (ibid.) que la privation est le contraire de la puissance active. Mais les contraires concernent un même genre. Donc, comme en Dieu il n'y a de privation en aucune manière, il n'y aura pas de puissance.

18. Le Maître des Sentences (II Sent., Dist.

1) dit qu'agir n'appartient pas à proprement à Dieu. Mais là où il n'y a pas d'action, il ne peut y avoir de puissance, ni active, ni passive, c'est évident. Donc pas de puissance en Dieu.

Cependant:

1) On lit dans le Ps. 88, 9: "Tu es puissant, Seigneur et ta Vérité t'entoure."

2) Mt. 3, 9: "Dieu a le pouvoir de faire naître de ces pierres des enfants à Abraham".

3) Toute opération procède d'une puissance. Mais il convient tout à fait à Dieu d'agir. Donc, la puissance lui convient tout à fait.

Réponse:

Pour mettre cette question en évidence, il faut savoir qu'on parle de puissance à partir de l'acte. Celui-ci est double: d'abord une forme et ensuite une opération. Et comme le constate le sens commun, le nom d'acte a d'abord été attribué à l'opération. En effet, c'est ainsi que presque tout le monde comprend l'acte, mais ensuite il fut transmis à la forme, dans la mesure où elle est le principe de l'opération et sa fin. De la même manière, il y a deux sortes de puissances: l'une est active, à quoi correspond l'acte en tant qu'opération; c'est à celle-ci d'abord que le nom de puissance paraît avoir été attribuée; l'autre est la puissance passive à qui correspond l'acte premier qui est la forme, à qui de la même manière le nom de puissance paraît avoir été dévolu en second. De même que rien ne supporte sinon en raison de la puissance passive, de même rien n'agit qu'en raison de l'acte premier, qui est la forme. Car il a été dit que pour lui-même le nom d'acte lui vient en premier de l'action, mais il convient à Dieu d'être acte pur et premier: il lui convient donc éminemment d'agir et de diffuser sa ressemblance dans les autres et c'est pourquoi la puissance active lui convient éminemment; car elle est appelée ainsi du fait qu'elle est le principe de l'action. Mais il faut savoir que notre esprit essaye d'exprimer Dieu comme l'être le plus parfait. Et parce que, en ce cas, il ne peut recourir qu'à la ressemblance des effets et qu'il ne trouve dans les créatures rien de tout à fait parfait sans aucune imperfection, il essaye de le définir, à partir des diverses perfections qu'il découvre dans les créatures, bien qu'à chacune il manque quelque chose de ces perfections. Cependant cette imperfection qui leur est ajoutée est totalement absente en Dieu. Par exemple l'être désigne quelque chose de complet et de simple, mais de non subsistant; la substance signifie quelque chose de subsistant mais assujetti à un autre. Nous plaçons donc en Dieu la substance et l'être, mais la substance en raison de sa subsistance, non de sa dépendance, l'être en raison de la simplicité et du complément, non en raison de l'inhérence par laquelle il adhère à un autre. Et de même nous attribuons à Dieu l'opération en raison du complément ultime, non en raison de ce sur quoi l'opération passe. Nous attribuons la puissance du fait qu'elle persiste et qu'elle est son principe, non du fait qu'elle est complétée par l'opération.

Solutions:

1. La puissance est non seulement le principe de l'opération, mais aussi de l'effet; il ne faut donc pas, si on admet en Dieu une puissance qui est le principe de l'effet, qu'elle soit un principe de l'essence divine, qui est l'opération. Ou pour mieux dire, on trouve en Dieu une double relation; une première réelle, c'est-à-dire celle par laquelle on distingue les personnes entre elles, comme la paternité et la filiation; autrement les personnes divines ne seraient pas distinguées réellement mais en raison, comme l'a dit Sabellius. L'autre, en raison seulement, qu'on signifie, quand on dit que l'opération divine vient de (ab) son essence ou que Dieu opère par (per) son essence. Car ces prépositions désignent en effet des relations. Et cela arrive, parce que, quand on attribue à Dieu une opération selon sa raison qui requiert un principe, on lui attribue la relation de ce qui existe par ce principe. C'est pourquoi, cette relation n'est qu'en raison seulement. Mais il est de la nature de l'opération d'avoir un principe, non de celle de l'essence; donc, bien que l'essence divine n'ait pas de principe, ni en réalité, ni en raison, cependant l'opération divine a un principe en raison.

2. Bien qu'il faille attribuer tout ce qu'il y a de plus parfait à Dieu, il ne faut cependant pas que tout ce qui lui est attribué soit le plus parfait, mais il faut qu'il soit conforme à la désignation du plus parfait à quoi appartient en raison de sa perfection quelque chose qui a plus parfait que lui, à qui manque cette raison de perfection que l'autre possède.

3. La puissance est appelée principe, non pas parce qu'elle est la relation même que désigne le nom de principe, mais parce qu'elle est ce qu'est le principe.

4. L'habitus n'est jamais dans la puissance active, mais seulement dans la puissance passive et il est plus parfait qu'elle, mais on n'attribue pas une telle puissance à Dieu.

5. Il est impossible d'établir que Dieu agit par essence et qu'il n'y ait pas de puissance en Lui. Car le principe de son action, c'est sa puissance; du fait qu'on établit que Dieu agit par son essence, on établit qu'elle est une puissance. Et ainsi la définition de la puissance en Dieu ne déroge ni à sa simplicité ni à sa prééminence, parce qu'on ne l'établit pas comme ajoutée à son essence.

6. Quand on dit que être et pouvoir ne diffèrent pas toujours, on le comprend de la puissance passive et ainsi, cela ne change rien au propos, puisqu'une telle puissance n'existe pas en Dieu. Cependant parce qu'il est vrai que la puissance active est en Dieu la même chose que son essence, il faut dire que bien que l'essence divine et sa puissance soient une même chose en réalité, cependant parce que la puissance ajoute surtout une manière de signifier, elle requiert un nom spécial, car les noms répondent à ce que l'esprit conçoit, selon Aristote.

7. Cet argument prouve que, en Dieu, il n'y a pas de puissance passive et cela nous l'admettons.

8. La puissance de Dieu est toujours jointe à son acte, c'est-à-dire à son opération (car son opération est l'essence divine), mais les effets en découlent selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de sa sagesse C'est pourquoi il ne faut pas qu'elle soit toujours jointe à l'effet; ainsi les créatures n'auront pas existé éternellement.

9. L'essence de Dieu est suffisante pour qu'il agisse par elle et cependant la puissance n'est pas superflue, parce qu'elle est comprise comme une chose ajoutée à l'essence, mais elle surajoute selon l'esprit, une seule relation de principe, car l'essence elle-même, du fait qu'elle est le principe d'action, compte comme puissance.

10. Une chose répond à l'esprit dans la réalité de deux manières. D'abord immédiatement, quand par exemple, l'esprit conçoit la forme d'une chose qui existe hors de l'0/00me comme celle d'homme ou de pierre. D'une autre manière, indirectement, quand par exemple un concept découle de l'acte d'intellection et que l'esprit le considère, en réfléchissant sur lui-même. C'est pourquoi cela répond à cette considération de l'esprit indirectement, c'est-à-dire par le moyen de l'intellection de la chose: par exemple, l'esprit découvre la nature de l'animal dans l'homme, dans le cheval et dans beaucoup d'autres espèces. Il en découle que l'esprit les comprend comme genre. A cette conception par laquelle l'esprit comprend le genre, rien ne répond immédiatement dans l'objet extérieur qui soit le genre, mais à l'intelligence d'où découle cette intention répond une réalité. Et il en est de même de la relation de principe que la puissance ajoute à l'essence; car quelque chose lui correspond dans la réalité indirectement et non immédiatement. Car notre esprit comprend la créature en relation et en dépendance avec le créateur et de ce fait, qu'il ne peut comprendre une chose en rapport à une autre, à moins au contraire qu'il comprenne la relation à l'inverse; il comprend ainsi en Dieu une relation de principe qui accompagne le mode de compréhension et ainsi il se réfère à la chose indirectement.

11. La puissance, qui est dans la seconde espèce de qualité, n'est pas attribuée à Dieu car c'est celle des créatures qui agissent non pas immédiatement par leurs formes essentielles, mais par l'intermédiaire de leurs formes accidentelles. Mais Dieu agit par son essence sans intermédiaire.

12. Aux diverses notions des attributs correspond quelque chose en Dieu, c'est-à-dire l'un et le même. Parce que l'être qu'est Dieu est absolument simple, à cause de son incompréhensibilité, notre esprit est forcé de le représenter par des formes diverses et ainsi ces formes que l'esprit conçoit en Dieu sont en lui comme dans la cause de la vérité, dans la mesure où ce que Dieu est, est représentable par toutes ces formes; elles sont cependant dans notre esprit comme dans un sujet.

13. Le philosophe comprend au sujet des puissances actives et pratiques etc., ce qui existe dans les réalisations artistiques et les affaires humaines, car dans les choses naturelles il n'est pas vrai que la puissance active soit toujours en vue de ses effets. Il est ridicule de dire en effet que la puissance du soleil est pour les vers qui sont engendrés par son pouvoir: la puissance divine est, encore bien moins, en vue de ses effets.

14. La puissance de Dieu n'est pas un intermédiaire, en réalité, parce qu'elle n'est distinguée de l'essence qu'en raison et c'est pour cela qu'elle est considérée comme intermédiaire. Mais Dieu n'agit pas par un intermédiaire différent réellement de lui-même. Donc l'argument ne vaut pas.

15. L'action est double. L'une, avec changement de la matière, l'autre ne présuppose pas de matière, comme on le voit dans la création et Dieu peut agir de chaque manière, comme cela apparaîtra plus loin. Donc il est juste de lui attribuer une puissance active, bien qu'il n'agisse pas toujours en opérant des changements.

16. Le Philosophe ne parle pas de manière universelle mais particulière, quand par exemple quelque chose se meut lui-même comme l'animal. Quand un être est mu par un autre, alors ce n'est pas la même puissance pour la passion et l'action.

17. On dit que la privation est contraire à la puissance, c'est-à-dire c'est l'impuissance: cependant on ne doit pas faire mention de contradiction en Dieu, parce que rien en lui n'a de contraire, puisqu'il n'est pas dans un genre.

18. Agir n'est absolument pas refusé à Dieu, mais par comparaison avec les choses naturelles qui agissent et subissent en même temps.

 

Article 2: La puissance de Dieu est-elle infinie?

 

Il semble que non.

Objections:

1. Comme il est dit au livre IX de la Métaphysique (texte

2), une puissance active serait sans raison dans la nature si une puissance passive ne lui correspondait pas. Mais à la puissance divine infinie ne correspond pas de puissance passive dans la nature. Donc une puissance divine infinie serait sans raison.

2. Aristote prouve (VIII Phys.) qu'il n'y a pas de puissance infinie de grandeur infinie, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle n'agirait pas dans le temps. Car un plus grand pouvoir agit dans un temps plus court, donc plus le pouvoir est grand plus le temps est court. Mais il n'y a aucune proportion d'une puissance infinie à une puissance finie. Donc, ni du temps dans lequel agit la puissance infinie, avec le temps dans lequel agit une puissance finie. Mais d'un temps à un autre, il y a une proportion. Donc comme une puissance finie met en mouvement dans le temps, une puissance infinie mettra en mouvement hors du temps. Par la même raison, si la puissance de Dieu est infinie, il opérera toujours hors du temps, ce qui est faux.

3. Mais on objectera que la volonté divine ne détermine pas en combien de temps elle veut accomplir son effet; et ainsi il ne faut pas que le puissance divine agisse toujours hors du temps. En sens contraire, la volonté de Dieu ne peut pas modifier sa puissance, mais il est de la définition d'une puissance infinie d'agir hors du temps. Donc cela ne peut pas être changé par la volonté divine.

4. Toute puissance se manifeste par son effet. Mais Dieu ne peut produire un effet infini. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie.

5. La puissance est proportionnée à l'opération. Mais celle de Dieu est simple. Donc sa puissance aussi. Mais le simple et l'infini s'opposent l'un à l'autre. Donc comme plus haut.

6. L'infini est ce qui supporte la quantité, comme le dit Aristote (I Phys), mais Dieu est sans quantité ni grandeur. Donc sa puissance ne peut être infinie.

7. Tout ce qui est distinct est fini. Mais la puissance de Dieu est distincte des autres choses. Donc elle est finie.

8. L'infini est défini par la privation d'une fin. Mais la fin est triple: c'est-à-dire celle de la grandeur, comme le point, de la perfection comme la forme, de l'intention comme la cause finale. Ces deux dernières, puisqu'elles concernent la perfection ne doivent pas être exclues de Dieu. Donc on ne peut dire que la puissance divine est infinie.

9. Si la puissance de Dieu est infinie, cela ne peut être que parce qu'elle a des effets infinis. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui ont des effets infinis en puissance, comme l'intellect, qui peut comprendre ce qui est infini en puissance et le soleil qui peut produire des effets infinis. Donc, si on dit que la puissance de Dieu est infinie, à raison égale, beaucoup d'autre choses sont infinies, ce qui est impossible.

10. La fin a quelque rapport avec la noblesse. Mais tout ce qui est de ce genre doit être attribués à Dieu. Donc on doit dire que la puissance divine est finie.

11. L'infini selon Aristote (III Phys., texte 66) concerne la partie et la matière, qui sont imparfaites et ne conviennent pas à Dieu. Donc l'infini n'est pas dans la puissance divine.

12. Selon Aristote (I Phys.), le terme n'est ni fini, ni infini. Mais la puissance divine est le terme de tout. Donc elle n'est pas infinie.

13. Dieu agit par toute sa puissance. Si donc elle est infinie, son effet sera toujours infini; ce qui était impossible. Cependant:

1) Jean Damascène dit que l'infini est ce qui n'est terminé ni dans le temps, ni le lieu, ni la compréhension. Cela convient à la puissance divine. Donc la puissance divine est infinie.

2) Hilaire dit: "Dieu d'immense pouvoir, puissance vivante, qui jamais n'est absente ni jamais ne manque". Tout ce qui est immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie.

Réponse:

On parle d'infini de deux manières. D'une manière privative et ainsi on dit infini ce qui est destiné à avoir une fin et n'en a pas; on ne trouve un tel infini que dans les quantités. D'une autre manière, on parle d'infini de manière négative, c'est-à-dire ce qui n'a pas de fin. L'infini de la première manière ne peut convenir à Dieu, d'abord parce qu'il est hors de la quantité, d'autre part parce que toute privation désigne une imperfection, ce qui est loin de Dieu. L'infini exprimé négativement convient à Dieu pour tout ce qui est en lui. Parce que lui-même n'est fini par rien, ni son essence, ni sa sagesse, ni sa puissance, ni sa bonté; c'est pourquoi tout en lui est infini. Mais à propos de l'infinité de sa puissance il faut savoir spécialement que, puisque la puissance active suit l'acte, la quantité de puissance suit la quantité de l'acte; car chacun est riche en pouvoir d'agir dans la mesure où il est en acte. Dieu est acte infini, ce qui apparaît du fait que l'acte n'est fini que de deux manières:

1) du côté de l'agent; ainsi la beauté de la maison reçoit de la volonté de l'artisan sa valeur et son terme.

2) du côté de celui qui reçoit; ainsi la chaleur s'achève dans le bois et reçoit son intensité selon la disposition de celui-ci. Mais l'acte divin même n'est limité par aucun agent, parce qu'il ne dépend pas d'un autre mais de lui-même, et il n'est pas fini par celui qui le reçoit, parce que comme aucune puissance passive ne lui est mêlée, lui-même est un acte pur, non reçu dans quelque chose; car Dieu est son être même, reçu en rien. C'est pourquoi il est évident que Dieu est infini: ce qu'on peut montrer ainsi. En effet l'être de l'homme se termine à l'espèce humaine parce qu'elle est reçue dans la nature de l'espèce humaine; et c'est pareil pour l'être cheval ou celui de n'importe quelle créature. Mais comme l'être de Dieu n'est reçu en rien, mais qu'il est sans mélange, il n'est pas limité à un mode de perfection d'être, mais il possède tout son être en lui; et ainsi comme un être reçu dans l'universel peut s'étendre à l'infini, ainsi l'être divin est infini; et de là apparaît que son pouvoir ou sa puissance active est infinie. Mais il faut savoir que, quoique la puissance possède l'infinité par l'essence, cependant du fait qu'elle est comparée à ce dont elle est le principe, elle reçoit un mode d'infinité que l'essence ne possède pas. Car dans les objets de la puissance, on trouve la multitude; mais dans l'action on trouve un accroissement selon l'efficacité de l'action et ainsi on peut attribuer à la puissance active une infinité selon la conformité à l'infini de quantité non divisée et séparée. Non divisée selon que la quantité de puissance est établie pour beaucoup ou peu d'objets; et on l'appelle quantité extensive; séparée, selon que la quantité de puissance est atteinte en ce qui agit doucement ou intensément et on l'appelle la quantité intensive. La première quantité convient à la puissance par rapport aux objets, la seconde par rapport à l'action. Car la puissance active est le principe des deux. De chaque manière la puissance divine est infinie. Car jamais elle ne produit tant d'effets qu'elle ne puisse en produire davantage, et jamais elle n'opère de façon si intense qu'elle ne puisse opérer plus intensément. Mais on ne peut pas établir l'accroissement dans l'opération divine dans la mesure où l'opération est dans celui qui opère, parce qu'elle est toujours infinie, puisqu'elle est l'essence divine; mais on doit l'établir selon son effet; car ainsi certaines choses sont mues par Dieu plus efficacement, d'autres moins.

Solutions:

1. Rien de ce qui est en Dieu ne peut être dit sans raison, parce que est sans raison ce qui est en vue d'une fin qu'il ne peut atteindre. Mais Dieu ainsi que ce qui est en lui, n'est pas en vue d'une fin, mais est la fin. Ou il faut dire que le philosophe parle de puissance active naturelle. Car les choses naturelles sont coordonnées entre elles ainsi que toutes les créatures: Dieu est hors de cet ordre; car lui-même est celui à quoi tout cet ordre est ordonné comme à un bien extrinsèque, comme l'armée est ordonnée au général, selon Aristote (XII Métaphysique, texte 52 et 53). Et c'est pourquoi il ne faut pas que quelque chose dans les créatures corresponde à ce qui est en Dieu.

2. Il faut dire que, pour le commentateur (VIII Phys. Com. 79), cette démonstration au sujet de la proportionnalité du temps et de la puissance du moteur, procède d'une puissance infinie en grandeur, proportionnée à un infini de temps, puisqu'ils sont déterminés dans un seul genre, à savoir la quantité non divisée, elle ne tient pas de l'infini en dehors de la grandeur, qui n'est pas proportionnée à un infini de temps, puisqu'elle existe pour une autre raison. Ou il faut dire, comme on l'a signalé dans l'objection, que parce qu'il agit volontairement, Dieu mesure le mouvement de ce qu'il meut, comme il le veut.

3. Quoique la volonté de Dieu ne puisse modifier sa puissance, il peut cependant déterminer son effet. Car elle met en mouvement la puissance.

4. Cette nature de l'objet ou de la créature répugne à l'infini. En effet, comme elle est faite de rien, elle a une imperfection: elle est en puissance et non acte pur; et c'est pourquoi, on ne peut l'égaler au premier infini en tant qu'infini.

5. L'infini dit privatif qui est ce qui supporte la quantité, s'oppose à la simplicité mais pas l'infini défini négativement.

6. Cette raison procède de l'infini dit privatif.

7. Quelque chose peut être distinct de deux façons.

1) Par ce qui lui est ajouté, ainsi l'homme est distinct de l'âne par la différence de la raison et une telle distinction doit être finie parce que ce qui est ajouté le détermine à un état.

2) En lui-même. Ainsi Dieu est distinct de tout, et de ce fait il est impossible de rien lui ajouter; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit fini, ni lui-même ni rien de ce qui est signifié en lui.

8. Comme la fin concerne la perfection, elle est attribuée à Dieu par le mode le plus noble, à savoir qu'il est lui-même essentiellement la fin et non affirmé comme fini.

9. Dans les quantités, l'infini peut être considéré selon une dimension et non selon une autre, et à nouveau infini selon toute dimension; il en est de même dans les effets. Car il est possible qu'une créature puisse produire des effets infinis quant à elle, sous un rapport par exemple selon le nombre dans la même espèce; et ainsi la nature de tous ces effets est finie, en tant que déterminés à une seule espèce, comme si nous admettions des hommes ou des anges en nombre infini. Mais il n'est pas possible qu'une créature puisse avoir des effets infinis de toutes les manières, selon le nombre, l'espèce et le genre; cela n'appartient qu'à Dieu seul et c'est pourquoi seule sa puissance est absolument infinie.

10. Comme la solution 8.

11. Cette raison procède de l'infini dit privatif.

12. De même.

13. Dieu agit toujours par toute sa puissance, mais son effet s'achève selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de la raison.

 

Article 3: Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu?

 

Il semble que non.

Objections:

1. Un glose, au sujet de Rm. 11, 24: ("Greffé contre nature"), dit que puisque Dieu est l'auteur de la nature, il ne peut pas agir contre elle. Mais ce qui est impossible à la nature est contre elle. Donc Dieu ne peut le faire.

2. Tout ce qui est nécessaire dans la nature est démontrable, de même tout ce qui est impossible dans la nature ne peut être prouvé par démonstration. Mais dans toute conclusion sont inclus les principes de la démonstration; dans tous les principes de démonstration est inclus celui-ci: l'affirmation et la négation ne sont pas vraies en même temps. Donc ce principe est inclus dans tout ce qui est impossible dans la nature. Mais Dieu ne peut faire que la négation et l'affirmation soit vraies en même temps, comme l'objecteur le disait. Donc il ne peut rien faire d'impossible dans la nature.

3. Sous Dieu, il y a deux principes: la raison et la nature. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible en raison, par exemple que le genre ne soit pas défini à partir de l'espèce. Donc il ne peut pas faire de ce qui est impossible à la nature.

4. Le rapport du possible et de l'impossible vis-à-vis de l'opération est semblable à celui du vrai et du faux vis-à-vis de la connaissance. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature. Donc Dieu ne peut pas opérer sur ce qui est impossible dans la nature.

5. Quand c'est la même chose pour un objet et pour le tout, ce qu'on prouve pour l'un est compris comme prouvé pour tout. Ainsi si on prouve au sujet d'un triangle, après démonstration, qu'il a trois angles égaux à deux droits, on comprend que c'est prouvé pour tous les triangles. Mais la raison paraît la même pour tout ce qui est impossible, que Dieu le puisse ou pas; tantôt du côté de celui qui agit, parce que la puissance divine est infinie, tantôt du côté de ce qui est fait, parce que toute chose a une puissance obédientielle à Dieu. Donc s'il y a quelque chose d'impossible dans la nature qu'il ne puisse faire, comme l'objecteur le disait, il semble qu'il ne puisse rien faire d'impossible.

6. En 2 Tm. 2, 13, on lit: "Le Dieu fidèle qui ne peut se nier lui-même". Il se nierait lui-même, comme le dit la glose, s'il n'accomplissait pas ses promesses; de même que la promesse vient de lui, toute vérité aussi, parce que, comme le dit la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) au sujet de I Co. 12, 3: "Personne ne peut dire, Seigneur Jésus", toute vérité dite par quelqu'un vient de l'Esprit Saint. Donc il ne peut agir contre une vérité. Il le ferait, s'il faisait quelque chose d'impossible. Donc Dieu ne peut faire quelque chose d'impossible dans la nature.

7. Anselme dit (Cur Deus homo, livre 1, ch. 20) que la plus petite inconvenance est impossible à Dieu. Mais l'inconvenant serait que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que l'esprit aurait été enchaîné. Donc Dieu ne peut pas le faire; et ainsi il ne peut pas faire tout ce qui est impossible dans la nature.

8. Aucun artisan ne peut opérer contre son art; parce que l'art est le principe de son opération. Mais Dieu agirait contre son art, s'il faisait quelque chose d'impossible dans la nature; parce que l'ordre de la nature, selon lequel c'est impossible dépend de l'art divin. Donc Dieu" 9. Plus est impossible ce qui est impossible en soi que ce qui l'est par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident, par exemple que ce qui a existé ne l'ait pas été, comme le montre Jérôme (Lettre à Eustochium sur la sauvegarde de la virginité) qui dit qu'encore que Dieu puisse d'autres choses, il ne peut pas rendre vierge celle qui est déflorée; Augustin (C. Faust.) et Aristote (V Éthique, ch. 5) le montrent aussi. Donc Dieu ne peut faire ce qui est impossible en soi dans la nature.

 

Cependant:

1. En Lc (1, 37) on lit: "Aucune parole ne sera impossible à Dieu."

2. Toute puissance qui peut faire ceci et non cela est une puissance limitée. Si donc Dieu peut faire ce qui est possible dans la nature et ne pas faire ce qui est impossible, ou cette impossible-ci et non celui-là, sa puissance semble limitée, ce qui est contre ce qui a été expliqué ci-dessus. Donc"

3. Tout ce qui n'est pas limité par ce qui existe réellement, ne peut être empêché par rien de réel. Mais Dieu n'est limité par rien de réel. Donc il ne peut être empêché par rien de ce qui existe réellement et ainsi la vérité de ce principe: "l'affirmation et la négation ne peuvent exister simultanément", ne peut empêcher que Dieu puisse agir. Et à raison égale pour toutes les autres choses.

4. Les privations ne reçoivent ni plus ni moins. Mais on parle d'impossible en raison de la privation de puissance. Si donc il y a une chose impossible que Dieu puisse faire, comme rendre la vue à un aveugle, à raison égale, il paraît qu'il peut tout faire.

5. Tout ce qui résiste à quelque chose, résiste en raison d'une opposition. Mais rien n'est opposé à la puissance divine, comme on le voit dans ce qui a été dit ci-dessus. Donc rien ne peut lui résister et ainsi il peut accomplir tout ce qui est impossible.

6. Comme la cécité est opposée à la vision, ainsi la virginité l'est à l'enfantement. Mais Dieu a fait qu'une vierge enfante, en demeurant vierge. Donc à raison égale il peut faire que l'aveugle, demeurant aveugle, voit et que l'affirmation et la négation sont vraies en même temps et par conséquence tout ce qui est impossible.

7. Il est plus difficile d'unir des formes substantielles séparées que des formes accidentelles. Mais Dieu a réuni en un être les formes substantielles les plus séparées, c'est-à-dire la forme divine et la forme humaine qui diffèrent en tant que créée et incréée. Donc il peut bien davantage unir deux formes accidentelles en une, pour faire qu'une même chose soit blanche et noire, et ainsi de même que plus haut.

8. Si on enlève à un être défini un élément de sa définition, il s'ensuit que les contraires sont ensemble; ainsi que l'homme ne soit pas raisonnable. Mais la ligne droite est par définition terminée par deux points. Donc si on enlève cette définition de la ligne droite, il s'ensuit que deux contraires sont ensemble. Mais Dieu le fit quand il entra chez ses disciples, les portes fermées: car il y eut deux corps en même temps, et ainsi il découle que deux lignes se terminèrent à deux points seulement, et chacune à deux points. Donc Dieu peut faire que l'affirmation et la négation soit vraies en même temps et par conséquence il peut faire tout ce qui est impossible.

Réponse:

Selon le philosophe (V Métaphysique, texte 17) on parle de possible et d'impossible de trois manières.

1) Selon une puissance active ou passive; ainsi on dit qu'il est possible à un homme de marcher selon son pouvoir de marche, mais voler lui est impossible.

2) Non selon une puissance mais en soi; ainsi nous appelons possible ce qui n'a pas l'impossibilité d'être et nous appelons impossible ce qui nécessairement n'est pas.

3) On parle de possible selon la puissance mathématique qui est dans la géométrie, selon qu'on dit une ligne commensurable à une puissance, parce que son carré est commensurable. Mais laissant de côté ce possible, considérons les deux autres. Donc il faut savoir que l'impossible défini sans aucune puissance, mais en soi, est défini en raison de l'incohérence des termes. Toute incohérence des termes vient d'une opposition: dans toute opposition est incluse l'affirmation et la négation, comme on le prouve (Métaphysique X, com. 15). Donc toute impossibilité telle implique que l'affirmation et la négation soient ensemble. Cela ne peut être attribué à aucune puissance active; ce qui paraît ainsi: toute puissance active suit la réalité et l'entité de ce dont elle dépend. Tout agent est destiné à faire du semblable à soi: donc toute action d'une puissance active se termine à l'être. Car même s'il devient quelquefois par action un non être, comme cela paraît dans la corruption, cependant cela n'existe que dans la mesure où l'être de l'un ne supporte pas celui de l'autre; ainsi l'être du chaud ne supporte pas l'être du froid; et c'est pourquoi la chaleur par but principal engendre le chaud, mais elle corrompt le froid: c'en est la conséquence. Le fait que l'affirmation et la négation soient ensemble, ne peut avoir raison d'être, ni même de non être parce que l'être enlève le non être et le non être enlève l'être: c'est pourquoi ni principalement ni par conséquence, il peut être le terme de l'action d'une puissance active. Ce qu'on désigne comme impossible selon la puissance peut se présenter de deux manières:

1) A cause de la défaillance de sa puissance en soi, parce qu'il est clair qu'elle ne peut parvenir à cet effet, par exemple quand l'agent naturel ne peut opérer un changement dans une matière.

2) De façon extrinsèque; quand la puissance est empêchée ou liée. Ainsi donc on dit qu'une chose devient impossible de trois manières: a) à cause de la défaillance de la puissance active, pour changer la matière ou pour quelque autre chose, b) à cause de quelque chose qui résiste ou empêche. c) parce que ce qui est dit impossible à faire ne peut pas être le terme de l'action. Ce qui est impossible dans la nature de la première ou de la deuxième manière, Dieu peut le faire. Parce que, comme sa puissance est infinie, elle ne souffre de défaillance en rien et il n'y pas de matière qu'il ne puisse transformer à sa guise, car elle ne peut résister à sa puissance. Mais pour l'impossible de la troisième manière, Dieu ne peut pas le faire, puisqu'il est acte au plus haut point et être premier. C'est pourquoi son action ne peut s'achever qu'à l'être principalement, et conséquemment au non être. Et c'est pourquoi il ne peut faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, ni rien dans ce en quoi cet impossible est inclus. Et on ne peut pas dire qu'il ne peut pas le faire à cause de la défaillance de sa puissance: mais à cause de la défaillance du possible parce que celui-ci a perdu sa raison de possible, c'est pour cela que certains ont dit que Dieu peut le faire, mais cela ne peut être fait.

Solutions:

1. On ne doit pas comprendre par la parole d'Augustin dans cette glose que Dieu ne peut agir autrement que la nature, puisque lui-même fréquemment agit contre son cours habituel; mais parce que ce qu'il fait dans les choses, ce n'est pas contre leur nature mais c'est leur nature, du fait qu'il en est lui-même le créateur et l'ordonnateur de la nature. Car ainsi dans les choses naturelles, il semble que quand un corps inférieur est mis en mouvement par un corps supérieur, ce mouvement lui est naturel quoiqu'il ne paraisse pas convenir au mouvement qu'il possède naturellement de lui-même; ainsi la mer est mise en mouvement selon le flux et le reflux par la lune, et ce mouvement lui est naturel, comme le dit le commentateur (III Cael. et mundi comm. 20), bien que le mouvement naturel de l'eau en lui-même soit d'être porté vers le bas et de cette manière toutes les créatures ont pour ainsi dire naturellement ce que Dieu a fait en elles. Et à cause de cela on distingue en elles une double puissance: l'une, naturelle pour les opérations ou les mouvements propres; l'autre qui est dite d'obédience, pour ce qu'elles reçoivent de Dieu.

2. Tout ce qui est impossible implique que l'affirmation et la négation soient en même temps du fait que c'est impossible; mais ce qui est impossible à cause de la défaillance de la puissance naturelle, ainsi que l'aveugle voit, ou quelque chose de ce genre, puisque cela n'est pas impossible en soi, n'implique pas un impossible de ce genre en soi, mais par comparaison à la puissance naturelle pour qui elles sont impossibles; ainsi si nous disons que la nature peut rendre la vue à un aveugle, cela implique une prétention impossible parce que la puissance de nature se termine à une limite, au-delà il y a ce qui lui est attribué.

3. Ce qui est impossible pour la philosophie rationnelle ne dépend pas d'une puissance, mais de soi, parce que ce qui est dans la philosophie rationnelle n'est pas appliqué à la matière ou à des puissances naturelles.

4. Ce qui est faux dans la nature est faux absolument et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

5. Il n'y a pas la même raison pour tout impossible; parce que certaines choses sont impossibles en soi, certaines par rapport à une puissance comme on l'a dit ci-dessus. Et ce qui se comporte différemment vis-à-vis de la puissance divine, n'entrave pas son infinité ni l'obédience de la créature.

6. Dieu ne détruit pas ce qui est déjà vrai; parce qu'il ne fait pas que ce qui a été vrai n'ait pas été; mais il fait que quelque chose ne soit pas vrai, qui autrement serait vrai. Ainsi quand il ressuscite un mort, il fait que ce ne soit pas vrai qu'il soit mort, ce qui autrement serait vrai. Ou autrement, il faut dire que ce n'est pas pareil: parce que du fait que Dieu n'emplirait pas sa promesse, il s'ensuivrait qu'il n'est pas véridique; mais du fait qu'il détruit son effet cela n'en découle pas, parce qu'il n'a pas prévu que son effet demeure toujours, comme de même, il a ordonné qu'il accomplirait sa promesse.

7. Il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient ensemble, non parce que cela ne conviendrait pas, mais pour la raison déjà dite.

8. L'art de Dieu, non seulement s'étend à ce qui a été fait, mais à beaucoup d'autres choses. C'est pourquoi quand il change le cours de la nature dans un être, ce n'est pas pour cela qu'il le fait contre son art.

9. Que Socrate n'ait pas couru, s'il a couru, est défini comme impossible par accident: parce que le fait que Socrate coure ou ne coure pas, en ce qui le concerne, est contingent; mais par implication au passé, ne pas avoir été devient impossible en soi. Et c'est pourquoi on dit qu'il est impossible par accident, comme s'il arrivait par autre chose. Ce qui arrive est impossible en soi, et implique une contradiction absolue; car dire qu'il a été et n'a pas été est contradictoire; il en découle qu'ainsi il fait que le passé n'a pas existé.

Réponses aux objections du Sed contra.

1. Cette parole concerne non seulement ce que la bouche profère, mais ce que l'esprit conçoit. Que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps ne peut être conçu par l'esprit, comme cela est prouvé en Métaphysique (IV, comm. 9) et par conséquent rien non plus qui inclut une telle contradiction. En effet, comme les opinions contraires appartiennent aux contraires, selon le philosophe, il s'ensuivrait que le même aurait des opinions contraires en même temps; et ainsi ce n'est pas contre la parole de l'ange, si on dit que Dieu ne peut pas une parole impossible.

2. La puissance de Dieu ne peut être appelée un ordre impossible parce qu'elle a perdu sa raison de possible et c'est pourquoi on ne dit que sa puissance est limitée, bien qu'il ne puisse pas cela.

3. Le fait de dire que Dieu ne peut pas n'est pas de son libre arbitre, comme s'il était empêché, comme on l'a dit, mais parce que cela ne peut être le terme de l'action d'une puissance active.

4. La privation ne reçoit ni plus et moins en soi; cependant elle peut les recevoir dans sa cause; ainsi on juge plus aveugle celui qui a l'oeil arraché, que celui dont la vue est empêchée par une humeur qui l'entrave; et de même on déclare plus impossible ce qui est en soi impossible, que ce qui est simplement impossible.

5. Comme on l'a déjà dit (dans le corps de l'article), on ne dit pas que Dieu ne peut cela parce qu'il est empêché, mais pour les raisons déjà dites.

6. La virginité n'est pas opposée à l'enfantement, comme la cécité à la vue; mais elle est opposée à l'accouplement viril sans laquelle la nature ne peut produire un enfantement, mais Dieu le peut.

7. Ces opposés, créé et incréé, ne furent pas dans le Christ selon le même ordre, mais selon des natures différentes. Donc il n'en découle que Dieu peut faire que des opposés soient dans le même selon le même.

8. Quand le Christ entra les portes closes, et que deux corps furent ensemble, ce n'est pas contre les principes de la géométrie. Car aux deux points des corps différents d'un seul côté, ce n'est pas une ligne qui se termine mais deux. Car quoique on ne puisse distinguer deux lignes mathématiques que, selon le lieu, de sorte qu'on ne peut pas comprendre que deux telles lignes soient ensemble, cependant deux lignes naturelles sont distinguées dans le sujet, de sorte qu'ayant défini que deux corps sont ensemble, il découle que deux lignes, deux points et deux surfaces sont ensemble.

 

Article 4: Faut-il juger le possible et l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures?

 

Il semble que ce soit selon les causes supérieures.

Objections:

1) Comme le dit la glose (interlinéaire) à propos de 1 Co. 1, 20: La sottise des sages du monde fut qu'il jugèrent du possible et de l'impossible selon ce qu'ils voyaient dans la nature. Donc on ne doit pas en juger selon les causes inférieures mais selon les causes supérieures.

2) Selon Aristote (Métaphysique X, texte comm. 1) ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui appartient à ce genre. Mais la puissance divine est la première puissance. Donc c'est selon elle qu'on doit juger du possible et de l'impossible.

3) Plus une cause a d'influence sur l'effet, plus c'est sur elle qu'on doit baser son jugement. Mais la cause première influe plus sur l'effet que la cause seconde. Donc c'est plus sur la cause première qu'on doit juger de l'effet. Donc les effets doivent être jugés possibles ou impossibles selon les causes supérieures.

4) Rendre la vue à un aveugle est impossible par les causes inférieures et cependant cela est possible puisque quelquefois cela arrive. Donc il ne faut pas juger si quelque chose est impossible selon les causes inférieures mais selon les causes supérieures. 5) Le monde a dû être possible avant d'exister. Mais il ne fut pas possible selon les causes inférieures. Donc de même que plus haut.

Cependant:

1. L'effet doit être jugé possible selon la cause dont il reçoit la possibilité. Mais l'effet reçoit sa possibilité, sa contingence ou même sa nécessité de la cause la plus proche, mais non d'une cause éloignée; ainsi le mérite reçoit sa contingence du libre arbitre qui est la cause la plus proche; mais il ne reçoit pas la nécessité de la prédestination divine qui est sa cause éloignée. Donc c'est selon les causes inférieures, qui sont les plus proches qu'on doit juger du possible ou de l'impossible.

2. Ce qui est possible selon les causes inférieures est aussi possible selon les causes supérieures, et ainsi c'est possible de toute manière. Mais ce qui est possible de toue manière est possible absolument. Donc il faut absolument juger du possible selon les causes inférieures.

3. Les causes supérieures sont nécessaires. Donc si les effets devaient être jugés selon elles, tous les effets seraient nécessaires, ce qui est impossible.

4. Tout est possible à Dieu. Si donc on juge selon lui du possible ou de l'impossible, il n'y a absolument rien d'impossible; ce qui ne convient pas.

5. Il faut utiliser des noms que la plupart des hommes emploient. Mais les hommes parlent de la puissance de cette manière, parce que la puissance, la disposition, la nécessité et l'acte sont ainsi ordonnés. Cela on les trouve dans les causes inférieures et non dans les causes supérieures. Donc il ne faut pas juger de la possibilité des choses selon les causes supérieures, mais selon les causes inférieures.

Réponse:

On peut juger du possible et de l'impossible de deux manières: d'abord du côté de ceux qui jugent, d'autre part de côté de ce qui est jugé. Pour le premier, il faut savoir que s'il y a deux sciences, dont l'une considère les causes les plus hautes, et l'autre les moins hautes, le jugement en l'un et l'autre n'est pas pris de la même manière mais selon les causes que chacune considère, comme cela apparaît chez le médecin et l'astronome; ce dernier considère les causes suprêmes, mais le médecin les cause les plus proches. Donc le médecin donnera son jugement sur la santé ou la mort du malade selon les causes les plus proches, c'est-à-dire le pouvoir de la nature et celui de la maladie; l'astronome jugera selon les causes éloignées, c'est-à-dire selon la position des astres. Il en est de même pour notre sujet. Car la sagesse est double: c'est-à-dire celle du monde, qu'on appelle philosophie qui considère les causes inférieures, c'est-à-dire les causes causées, et juge selon elles; et (la sagesse) divine qu'on appelle théologie qui considère les causes supérieures, c'est-à-dire divines, selon lesquelles elle juge. On appelle causes supérieures les attributs divins, comme la sagesse, la bonté, et la volonté, etc. Cependant il faut savoir qu'on agite en vain cette question pour les effets qui ne peuvent exister que par des causes supérieures, c'est-à-dire que Dieu seul peut causer; car il ne convient pas de les appeler possibles ou impossibles selon les causes inférieures. Mais on agite cette question pour ces effets qui viennent des causes inférieures; car ces effets viennent des causes inférieures et des supérieures; ainsi, en effet, elles peuvent être mises en doute. De même cette question n'a pas place dans le possible ou l'impossible, s'ils ne sont pas désignés selon une puissance mais en soi. Mais les effets des causes secondes, dont il est question, selon le jugement du théologien, sont appelées possibles et impossibles selon les causes supérieures; mais selon le jugement du Philosophe, elles sont définies comme possibles ou impossibles selon les causes inférieures. Mais si on considère ce jugement quant à la nature de ce par quoi on le juge, il apparaît ainsi que les effets doivent être jugés possibles selon les causes les plus proches, puisque l'action des causes éloignées est déterminée par les causes les plus proches qui imitent principalement les effets et c'est pourquoi c'est selon elles qu'on tire principalement le jugement sur les effets. Et il apparaît que c'est la même chose pour la puissance passive. Car on ne dit pas que la matière à proprement parler, est en puissance à quelque chose, si elle en est éloignée comme l'argile pour un vase, mais si elle en est proche, pouvant par un seul moteur sortir en acte, comme cela paraît chez Aristote (Métaphysique IX, com. 1 et 12). Ainsi l'or est en puissance pour une coupe par le seul art qui la conduit à acte. Et de même les effets autant qu'il est de leur nature ne sont donnés comme possibles ou impossibles que par les causes proches.

Solutions:

1. Les sages de ce monde sont appelés sots parce qu'ils jugeaient simplement et absolument impossible même pour Dieu ce qui était impossible selon les causes inférieures.

2. La comparaison du possible à une puissance n'est pas comme celle du mesurée à la mesure, mais comme celle de l'objet à la puissance. Cependant il arrive que la puissance divine soit la mesure de toutes les puissances.

3. Bien que la cause première soit celle qui influe le plus sur l'effet, cependant son influence est déterminée et spécifiée par la cause la plus proche; et c'est pourquoi l'effet lui ressemble.

4. Quoique rendre la vue à l'aveugle soit possible à Dieu, cela ne peut être considéré comme tout à fait possible.

5. Le monde à venir fut possible en rapport avec les causes supérieures: c'est pourquoi cela ne concerne pas la présente question. Et c'est pourquoi cette parole: "le monde à venir" est possible non seulement selon la puissance divine active, mais en soi, parce que les termes ne sont pas incohérents.

Réponses aux arguments contraires.

1. Cette raison procède de la nature de l'effet que l'on juge.

2. Bien que ce qui est possible, selon les causes inférieures soit aussi possible selon les causes supérieures, cependant il n'en est pas de même pour l'impossible, bien au contraire. C'est pourquoi il n'en découle pas que le jugement doit être pris comme universel ou universellement selon les causes inférieures au sujet du possible et de l'impossible.

3. Le possible et l'impossible ne sont pas jugés selon les causes, parce qu'ils leur sont semblables en possibilité et impossibilité, mais parce qu'ils sont possibles ou impossibles pour ces causes.

4. Selon la considération du théologien, tout ce qui n'est pas en soi impossible est appelé possible, selon ce mot de Mc (9, 22): "Tout est possible à celui qui croit" et "Aucune parole n'est impossible à Dieu" (Lc 1, 37).

5. Bien qu'on ne trouve pas tout cela dans les causes supérieures, cependant cela est soumis à des causes supérieures et c'est pourquoi cette objection procède de la puissance passive et non de la puissance active dont nous parlons maintenant.

 

Article 5: Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait?

 

Objections:

Il semble que non.

1) Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire. Mais il ne prévoit de faire que ce qu'il fait. Donc Dieu ne peut faire que ce qu'il fait.

2) Mais l'objecteur dit que cette raison procède de la puissance en rapport avec la prescience, non pour la puissance absolue. En sens contraire, ce qui est divin est plus immuable que ce qui est humain. Pour nous ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été. Donc encore moins ce que Dieu a prévu, il ne peut pas ne pas l'avoir prévu. Mais si la prescience demeure, il ne peut faire autre chose. Donc Dieu, absolument parlant, ne peut faire autre chose que ce qu'il fait.

3) La nature de Dieu est immuable, de même sa sagesse. Mais ceux qui pensaient que Dieu agissait par nécessité de nature affirmaient qu'il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait. Donc, de la même façon, nous devons aussi l'affirmer, nous qui disons que Dieu agit selon l'ordre de sa sagesse.

4) Mais l'objecteur dira que cette raison procède de la puissance ordonnée par la sagesse, non de la puissance absolue. En sens contraire, on dit que ce qui ne peut être fait selon l'ordre de la sagesse est absolument impossible pour le Christ en tant qu'homme, quoiqu'il l'aurait pu en puissance absolue. Car il est dit en Jn (8, 55): "Si je vous avais dit que je ne le connais pas, j'aurais été menteur, comme vous". Car le Christ pouvait prononcer ces paroles, mais parce que c'était contre l'ordre de la sagesse, on dit de façon absolue que le Christ n'a pas pu mentir. Donc beaucoup plus Dieu, absolument parlant, ne peut pas ce qui n'est pas selon l'ordre de la sagesse.

5) En Dieu, deux choses contradictoires ne peuvent être ensemble. Mais l'absolu et ce qui est soumis à une règle impliquent contradiction, car l'absolu est ce qui est considéré en soi, mais ce qui est soumis à une règle, est ordonné à un autre objet. Donc en Dieu on ne doit pas établir qu'il y a une puissance absolue et soumise à une règle.

6) La puissance et la sagesse de Dieu sont égales. Donc l'une n'excède pas l'autre; donc la puissance ne peut exister sans la sagesse et ainsi la puissance divine est toujours soumise à une sagesse ordonnée.

7) Ce que Dieu a fait est juste. Mais il ne peut faire que ce qui est juste. Donc il ne peut faire que ce qu'il a fait ou fera.

8) Le propre de la bonté divine est non seulement de se communiquer mais de le faire avec un ordre extrême. Ainsi donc ce qui est fait par Dieu est fait avec ordre. Mais il ne peut pas le faire en dehors de l'ordre. Donc il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait.

9) Dieu ne peut faire que ce qu'il veut, parce que pour ceux qui agissent par volonté, la puissance suit la volonté, en tant qu'elle gouverne. Mais il ne veut que ce qu'il fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

10) Puisque Dieu est un créateur suprêmement sage, il ne fait rien sans raison. Les raisons selon lesquelles Dieu agit, Denys (Les noms divins, 5) dit qu'elles sont productives d'êtres; mais ceux-ci sont ce qu'ils sont, et ainsi Dieu n'a de raison que pour ceux qui existent. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

11) Selon les philosophes, les choses naturelles sont dans le premier moteur qui est Dieu, comme les oeuvres dans l'artisan et ainsi Dieu opère comme un artisan. Mais l'artisan n'opère pas sans forme ni idée de son oeuvre; car la maison qui est dans la matière vient de la maison qui est dans l'esprit de l'artisan, selon le philosophe (La génération des animaux, ch. 2, 1). Mais Dieu n'a d'idées que de ce qu'il a fait, de ce qu'il fait ou fera. Donc, en dehors de cela, Dieu ne peut rien faire.

12) Augustin dans Le symbole, dit: "Dieu ne peut pas que ce qu'il ne veut pas". Mais il ne veut que ce qu'il a fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

13) Dieu ne peut subir de changement. Donc il n'a affaire à aucun des deux contraires; et ainsi sa puissance est limitée à un seul objet. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.

14) Tout ce que Dieu fait ou défait, il le fait ou le défait pour la meilleure raison. Mais Dieu ne peut le faire ou le défaire sans la meilleure raison. Donc il ne peut faire ni défaire que ce qu'il fait ou défait.

15) Le meilleur attire le meilleur selon Platon et ainsi comme Dieu est le meilleur, il fait le meilleur. Mais comme le meilleur est un superlatif, il n'existe que d'une manière. Donc Dieu ne peut faire d'une autre manière ou d'autre choses que ce qu'il a fait.

Par contre:

1) Il y a ce que Christ, Dieu et homme, dit: (Mt. 26, 53): "Ne puis-je prier mon Père?" Donc le Christ pouvait faire ce qu'il ne faisait pas.

2) En Ep. 3, 20, il est dit: "A lui qui peut tout faire au-delà de ce que nous pensons et demandons". Cependant il ne fait pas tout. Donc il peut faire d'autres choses que ce qu'il fait.

3) La puissance de Dieu est infinie. Mais cela ne serait pas si elle était déterminée seulement à ce qu'il fait: donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait.

4) Hugues de Saint Victor dit que l'oeuvre de Dieu n'égale pas sa toute-puissance. Donc sa puissance excède son oeuvre et ainsi il peut faire plus que ce qu'il fait. 5) La puissance de Dieu est un acte non fini, parce qu'il n'est limité par rien. Cela ne serait pas, s'il se limitait à ce qu'il fait. Donc pareil que ci-dessus.

Réponse:

Cette erreur, que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait, vient de deux opinions:

1) D'abord celle de certains philosophes qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature. Si c'était cela, puisque sa nature serait limitée à un seul objet, la puissance divine ne pourrait parvenir à faire d'autres choses, que ce qu'il fait.

2) Ensuite, celle de quelques théologiens qui, considérant l'ordre de la justice et de la sagesse divines selon lequel les choses sont faites par Dieu, disaient qu'il ne pouvait passer outre, et ils en arrivaient à dire qu'il ne peut faire que ce qu'il fait. Et c'est l'erreur du maître Pierre Abélard. A) Cherchons donc la vérité ou la fausseté de ces positions et d'abord de la première. Il est aisé de voir que Dieu n'agit pas par nécessité de nature. Car tout agent agit en vue d'une fin, parce que toutes choses souhaitent le bien. L'action de l'agent du fait qu'elle s'accorde à une fin, doit lui être adaptée et proportionnée, ce qui ne peut être fait que par un intellect qui connaît la fin, la raison et la proportion à ce qui est en vue de cette fin; autrement la conformité de l'action à sa fin serait fortuite. Mais l'intellect qui préordonne à une fin, quelquefois est joint à l'agent ou au moteur, comme l'homme dans son action; quelquefois il en est séparé comme cela apparaît dans la flèche qui tend vers un but déterminé, non par l'intellect qui lui est adjoint, mais par celui de l'homme qui la dirige. Il est impossible que ce qui agit par nécessité de nature, détermine pour lui-même une fin, parce que ce qui est tel, est agent en soi, et ce qui est agent ou mu par lui-même, agit ou pas, se meut ou pas, comme on le dit en Physique (8), et cela ne peut convenir à ce qui est mu par nécessité, puisqu'il est déterminé à un seul objet. C'est pourquoi il faut que pour tout ce qui agit par nécessité de nature, la fin soit déterminée par quelqu'un pourvu d'intelligence. Pour cette raison, les philosophes disent que l'oeuvre de la nature est l'oeuvre d'une intelligence. C'est pourquoi, si quelquefois un corps naturel est ajouté à une intelligence comme on le voit dans l'homme, pour ces action pour lesquelles son esprit détermine une fin, la nature obéit à la volonté, comme cela apparaît dans ses déplacements: mais pour ces actions pour lesquelles il ne détermine pas de fin, elle n'obéit pas, comme pour la nourriture ou la croissance. Donc on conclut de ce que la nature agit par nécessité, qu'il est impossible que l'agent soit le principe puisqu'il est déterminé à sa fin par un autre. Il apparaît donc qu'il est impossible que Dieu agisse par nécessité de nature; ainsi le fondement de la première proposition est fausse. B) Il reste à poursuivre la recherche sur la seconde position. A son sujet, il faut savoir qu'on dit de deux manières que quelqu'un ne peut pas faire quelque chose:

1) L'une, de manière absolue, quand par exemple un des principes, qui serait nécessaire à l'action, ne s'étend pas jusqu'à elle; ainsi avec un pied cassé, l'homme ne peut pas marcher.

2) L'autre vient d'une hypothèse, car si on établit une opposition à une action celle-ci ne peut être accomplie: car je ne peux marcher tant que je suis assis. Comme Dieu agit par volonté et intelligence, comme on l'a prouvé, il faut considérer en lui trois principes d'action; l'intellect, la volonté, et la puissance de sa nature.

Donc l'intellect dirige la volonté, mais la volonté commande à la puissance qui l'exécute. Mais l'intellect ne met en mouvement que dans la mesure où il propose à la volonté ce qui est désirable pour elle; donc mouvoir tout l'intellect est dans la volonté. Mais on dit de deux manières que Dieu ne peut absolument pas quelque chose:

1) Quand sa puissance ne s'étend pas jusqu'à l'objet; ainsi nous disons qu'il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soit vraies en même temps, comme cela apparaît de ce qu'on a dit plus haut. Mais ainsi on ne peut pas dire que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait; car il est clair que sa puissance peut s'étendre à beaucoup d'autres choses.

2) Quand la volonté de Dieu ne peut pas s'étendre à cet objet. Car il faut que la volonté ait une fin qu'elle veut naturellement, et qu'elle ne puisse vouloir le contraire; ainsi l'homme naturellement et par nécessité veut la béatitude et il ne peut vouloir le malheur. Mais comme la volonté veut nécessairement sa fin naturelle, elle veut aussi par nécessité ce sans quoi elle ne peut obtenir cette fin, si elle la connaît; et c'est ce qui est proportionnée à la fin; ainsi si je veux la vie, je veux la nourriture. Mais ce sans quoi on peut obtenir la fin, qui n'est pas proportionné à la fin, elle ne le veut pas par nécessité. Donc la fin naturelle de la volonté de Dieu est sa bonté, qu'il ne peut pas ne pas vouloir. Mais les créatures ne sont pas proportionnées à cette fin, de sorte que sans elles la bonté divine ne pourrait se manifester, parce que Dieu n'y tend pas à partir de ses créatures. Car, de la même manière que la bonté divine est manifestée par ce qui est maintenant et par cet ordre des choses, ainsi elle peut être manifestée par des créatures autres et ordonnées d'une autre manière; et c'est pourquoi la volonté divine, sans préjudice de sa bonté, de sa justice et de sa sagesse, peut s'étendre à d'autres choses que ce qu'elle fait. Et c'est en cela que ceux qui sont dans l'erreur ont été trompés: car ils ont pensé que l'ordre des créatures était commensurable à la bonté divine comme si sans lui il ne pouvait pas exister. Il est donc clair que Dieu peut absolument faire d'autres choses que ce qu'il fait. Mais parce qu'il ne peut pas faire que les contradictions soient vraies en même temps, on peut dire par hypothèse que Dieu ne peut pas faire autre chose que ce qu'il a fait: car supposé que lui-même ne veuille pas faire autre chose ou qu'il a prévu qu'il ne ferait rien d'autre, il ne peut faire autre chose, comme on le comprend dans l'ordre (des choses) et non séparément.

Solutions:

1. Cette locution: Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire a deux sens. La restriction peut porter sur la puissance désignée par potest (peut), ou sur l'acte désigné par facere (faire). Selon le premier sens la locution est fausse. Car il peut faire plus qu'il ne prévoit de faire; et c'est en ce sens que l'objection était avancée. Selon l'autre sens, la locution est vraie, et le sens est qu'il ne se peut pas que quelque chose soit fait par Dieu sans qu'il l'ait prévu. Mais ce sens ne convient pas au sujet.

2. En Dieu, il n'y a ni passé ni futur, mais ce qui est en lui est tout entier dans un présent d'éternité. Le mot de passé et de futur n'a de sens en lui que par rapport à nous. C'est pourquoi l'objection sur la nécessité du passé n'a pas d'objet ici. Cependant il faut dire que l'objection est hors sujet: parce que la prescience n'est pas proportionnée à la puissance de faire dont il est question; mais seulement à l'action divine, comme on l'a dit.

3. Ceux qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature, prenaient la position dont il s'agit, non seulement en raison de l'immutabilité de sa nature, mais de la détermination de celle-ci à un seul objet. Mais la sagesse de Dieu n'est pas déterminée à un seul objet mais s'adresse à de nombreuses choses à connaître. Donc ce n'est pas pareil.

4. Le Christ ne pouvait vouloir dire de façon absolue ces paroles, qui sont un mensonge, sans préjudice pour sa bonté. Mais ce n'est pas notre sujet comme on le voit par ce qui a été dit, et c'est pourquoi cela ne vaut pas.

5. L'absolu et ce qui est soumis à une règle ne sont attribués de façon absolue à la puissance divine que par notre réflexion. A cette puissance de Dieu, considérée en soi, qu'on appelle absolue, il attribue quelque chose qu'on ne lui attribue pas selon qu'elle est comparée à sa sagesse, dans la mesure où on la dit ordonnée.

6. La puissance de Dieu n'est jamais en réalité sans sagesse; mais c'est nous qui l'a considérons sans rapport avec la sagesse.

7. Dieu a fait ce qui est juste en acte, mais non tout ce qui l'est pas en puissance; car il peut faire une chose qui maintenant n'est pas juste, parce qu'elle n'existe pas: cependant si elle existait, il la ferait juste.

8. La divine bonté peut se communiquer avec ordre, non seulement de cette manière dont elle opère, mais de nombreuses autres manières.

9. Bien que Dieu ne veuille faire que ce qu'il fait, il peut cependant vouloir d'autres choses, et c'est pourquoi, absolument parlant, il peut en faire d'autres.

10. Denys comprend que ces raisons dont il parle sont productives d'êtres absolument, mais pas seulement de ceux qui sont en acte maintenant.

11. Dans cette question, on cherche à savoir s'il y a un idée de ce qui n'est pas, ne sera pas et n'a pas été, et que cependant Dieu peut faire. Il semble qu'il faut dire que, si on conçoit l'idée, selon sa pleine raison, c'est-à-dire selon que l'idée nomme une forme de l'art, non seulement pensée dans l'intellect, mais aussi ordonnée à l'oeuvre par la volonté, ce dont on parle n'a pas d'idée, mais si on le prend selon une raison imparfaite dans la mesure où elle est seulement pensée dans l'intellect de l'artisan, ainsi ce dont on parle a une idée. Car on voit dans l'artisan créé qu'il invente des opérations qu'il n'a jamais l'intention de faire. Mais ce que Dieu connaît lui-même en lui est par mode d'invention; puisqu'il n'y a pas en lui de différence entre le connaître en acte et en habitus. Car il connaît lui-même toute sa puissance, et ce qu'il peut. C'est pourquoi il possède les raisons de tout ce qu'il peut, comme inventées.

12. Il faut comprendre que Dieu ne peut pas ce qu'il ne veut pas pouvoir et c'est à dessein qu'il ne le fait pas.

13. Bien que Dieu soit immuable, cependant sa volonté n'est pas déterminée à un seul objet parmi ce qu'il doit faire et c'est pourquoi il a le libre arbitre.

14. La meilleure raison, par laquelle Dieu fait tout, c'est sa bonté et sa sagesse, qui demeureraient même s'il faisait d'autres choses ou d'une autre manière.

15. Ce que Dieu fait est le meilleur par rapport à sa bonté et c'est pourquoi toute autre chose qui peut être ordonnée à sa bonté selon l'ordre de sa sagesse est le meilleur.

 

Article 6: Dieu peut-il faire ce qui est possible à d'autres, comme pêcher, marcher etc.? Il semble que oui.

 

Objections:

1) Parce qu'Augustin (Enchiridium, 105) dit que meilleure est la nature qui peut pécher que celle qui ne le peut pas. Mais le meilleur doit être attribué à Dieu. Donc il peut pécher.

2) Tout ce qui est louable ne doit pas être retiré à Dieu. Mais à la louange de l'homme, l'Ecclésiaste (Si 31, 10) dit: "Qui peut pécher et n'a pas péché"" Donc le pouvoir de pécher et ne pas pécher doit être attribué à Dieu.

3) Le philosophe dit (Topique IV, 5): "Dieu peut et avec zèle accomplir des perversions". Donc Dieu peut pécher.

4) Qui consent à un péché mortel, pèche mortellement, Mais qui ordonne un péché mortel, consent, bien plus, d'une certaine manière c'est lui qui le fait principalement. Donc comme Dieu a ordonné un péché mortel à Abraham, à savoir de tuer son fils innocent; à Osée (1, 2), de prendre pour épouse une prostituée et d'avoir d'elle des enfants de prostitution et à Shimeï de maudire David (II Sam. 16, 7), lequel est reconnu avoir péché vu le châtiment qui lui fut infligé (I Rois 2, 36), il semble que Dieu a lui-même péché mortellement.

5) Qui coopère avec qui pèche mortellement, pèche mortellement lui aussi. Mais Dieu coopère avec qui pèche mortellement car lui-même agit dans toute opération et par conséquent dans tout homme qui pèche mortellement. Donc Dieu pèche.

6) Augustin dit (De la grâce et du libre arbitre, ch. 21) comme on le voit dans la glose, (Rm 1) que Dieu opère dans le coeur des hommes, en inclinant leur volonté en tout ce qu'il veut, soit en bien, soit en mal. Mais incliner la volonté de l'homme au mal est un péché. Donc Dieu pèche.

7) L'homme a été créé à l'image de Dieu (Gn 1, 26). Mais ce qu'on trouve dans l'image, on doit le trouver dans le modèle. Mais la volonté de l'homme est d'un côté et de l'autre. Donc la volonté de Dieu aussi. Et ainsi il peut pécher et ne pas pécher. 8) Ce qu'un pouvoir inférieur peut, un pouvoir supérieur le peut aussi. Mais l'homme dont le pouvoir est inférieur au pouvoir divin peut marcher, pécher et accomplir d'autres actes de ce genre. Donc Dieu aussi.

9) Quelqu'un commet une négligence, quand il ne fait pas le bien qu'il peut. Mais Dieu peut faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas. Donc, il commet une négligence et ainsi il pèche.

10) Qui peut empêcher le péché et ne le fait pas, paraît pécher. Mais Dieu peut empêcher tous les péchés. Donc comme il ne le fait pas, il semble qu'il pèche

11) On lit dans Amos (3, 6): "Il n'y a pas de mal dans la cité que Dieu ne fasse." Mais cela ne peut pas être compris du mal du châtiment. Car il est dit (Sg 1, 13) que "Dieu n'a pas fait la mort". Donc il faut le comprendre du mal de la faute et ainsi Dieu est l'auteur de ce mal.

En sens contraire:

1) On lit (en I Jn 1, 5) que "Dieu est lumière et il n'y a pas de ténèbres en lui". Mais les péchés sont des ténèbres spirituelles. Donc le péché ne peut pas exister en Dieu.

2) Le prince n'est pas assujetti à ses propres lois. Mais tout péché est contre la loi divine, comme Augustin le dit (C. Faust. 22, 27). Donc Dieu ne peut être assujetti au péché.

Réponse:

Comme on l'a indiqué ci-dessus, on dit que Dieu ne peut absolument pas une chose, et cela de deux manières:

1) du côté de sa volonté,

2) du côté de sa puissance. Du côté de la volonté: Dieu ne peut pas faire ce qu'il ne peut pas vouloir. Comme aucune volonté ne peut vouloir le contraire de ce qu'elle veut naturellement, ainsi la volonté de l'homme ne peut vouloir le malheur, il est clair que la volonté divine ne peut vouloir le contraire de sa bonté qu'il veut naturellement. Mais le péché est une défaillance de la divine bonté; c'est pourquoi Dieu ne peut pas vouloir pécher. Et c'est pourquoi il faut absolument concéder que Dieu ne peut pas pécher. Du côté de la puissance, on dit que Dieu ne peut pas une chose de deux manières:

1) en raison de la puissance elle-même;

2) en raison de la possibilité.

1) Comme sa puissance quant à elle, est infinie, on ne la trouve défaillante en rien qui la concerne. Mais il y a des choses qui sous le nom de puissance apportent ce qui en réalité sont des défaillances de la puissance. Ainsi il y a de nombreuses négations incluses dans les affirmations; comme quand on dit 'pouvoir défaillir', il paraît selon la manière de parler qu'on apporte une puissance, alors que c'est plutôt sa défaillance. Et c'est pour cela qu'on dit qu'une puissance est parfaite, selon le philosophe (Métaphysique V, texte 17), quand elle ne le peut pas. Car de même que ces affirmations ont force de négation en réalité, ainsi ces négations ont force d'affirmation. Et c'est pour cela que nous disons que Dieu ne peut pas avoir de défaillance et par conséquent, ne peut être mu (parce que le mouvement et la défaillance apportent une imperfection) et par conséquence, il ne peut pas marcher, ni accomplir d'autres actes corporels qui ne se font pas sans mouvement.

2) En raison de la possibilité, on dit que Dieu ne peut faire une chose parce que cela implique contradiction, comme on l'a dit à l'article 5 et de cette manière on dit qu'il ne peut faire un autre Dieu égal à lui. Car cela implique contradiction: il faut que ce qui est fait soit en puissance d'une certaine manière, puisqu'il reçoit l'être d'un autre et ainsi il ne peut pas être acte pur, ce qui est le propre de Dieu lui-même.

Solutions:

1. Cette comparaison ne doit pas être comprise universellement, mais seulement de l'homme et de l'animal.

2. Ce qu'ont dit à la louange de l'homme ne convient pas toujours à la louange divine. Bien plus ce serait un blasphème; ainsi si on disait que Dieu se repent etc. Car, comme le dit Denys (Les noms divins 4), une chose est louable dans une nature inférieure qui est blâmée dans une nature supérieure.

3. Il faut comprendre le mot du philosophe sous l'angle de la volonté. Car cette condition est vraie: Dieu peut commettre des choses perverses s'il le veut: car rien n'empêche la condition d'être vraie, bien que l'antécédent et le conséquent soient impossibles, comme il paraît en ceci: si un homme vole, il a des ailes.

4. Rien n'empêche qu'un acte qui serait en soi un péché mortel, si on ajoute les circonstances, ne devienne vertueux; car tuer un homme est absolument un péché mortel; mais par l'agent du juge tuer un homme pour la justice avec l'ordre du juge ce n'est pas un péché, mais un acte de justice. De même aussi que le prince d'une cité doit disposer des hommes à la vie et à la mort, et d'autres choses qui concernent la finalité de son gouvernement, qui est la justice, ainsi Dieu a tout à sa disposition pour diriger à la finalité de son gouvernement qui est la bonté. Et c'est pourquoi, bien que tuer son fils innocent puisse être en soi un péché mortel, cependant si cela se fait sur l'ordre de Dieu en vue de la fin qu'il a prévue et ordonnée, même ignorée de l'homme, ce n'est pas un péché mais un mérite. Et il faut parler de la fornication d'Osée de la même manière, puisque il est clair que Dieu est celui qui ordonne toute la génération humaine. Cependant certains disent que ce ne serait pas arrivé en réalité mais selon une vision du prophète. De la prescription à Shiméï, il faut parler autrement. Car on dit que Dieu prescrit de deux manières: 1) En parlant spirituellement ou corporellement par une substance créée, et ainsi il commande à Abraham et aux prophètes. 2) En inclinant, ainsi on dit qu'il prescrivit aux vers de manger le lierre (Jonas 4, 7) Et de cette même manière il prescrivit à Shimeï de maudire David, dans la mesure où il y inclina son coeur et par ce moyen, signalé ci-dessous, à la solution six.

5. L'opération pécheresse quant à ce qui concerne son entité et son actualité se réfère à Dieu comme à sa cause; mais on rapporte la difformité du péché au libre arbitre, non à Dieu; ainsi tout mouvement dans la claudication vient du pouvoir de marcher, mais la difformité vient de la courbure de la jambe.

6. On ne dit pas que Dieu incline les volontés humaines au mal en envoyant la malice ou en les y incitant, mais en permettant et en ordonnant; ainsi par exemple ceux qui consentent à exercer la cruauté, l'exercent contre ceux que Dieu en juge dignes.

7. Il n'est pas nécessaire, que ce qu'on trouve dans l'homme, quoique qu'il soit à image de Dieu, se retrouve en Dieu et cependant dans le propos, la volonté de Dieu est pour chacun des deux, parce qu'elle n'est pas déterminée à un seul objet. Car il peut faire ceci ou pas, ou faire ceci ou cela; cependant il n'en découle pas qu'il puisse mal faire un de ces choses, ce qui est pécher.

8. Cette objection tient à ce qui concerne la perfection de la puissance, mais non à ce qui en cause la défaillance.

9. Bien que Dieu puisse faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas, cependant il ne commet pas d'omission, parce qu'il ne doit pas le faire, ce qui est requis pour définir une omission.

10. Ici il faut dire la même chose, car celui qui n'empêche pas un péché n'est coupable de péché que quand il doit l'empêcher.

11. Le mot d'Amos est à comprendre comme la peine du châtiment. Ce qu'on dit dans la Sagesse (1, 13) "Dieu n'a pas fait la mort" est compris quant à la cause même de la mort qui est la conséquence du péché; ou quant à la première institution de la nature, par laquelle il fit l'homme immortel à sa manière.

 

Article 7: Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant?

 

Objections:

On le dit tout puissant, semble-t-il, parce qu'il peut absolument tout.

1) Car de même qu'on dit que Dieu est tout-puissant, on le dit omniscient. Mais on le dit omniscient parce qu'il connaît absolument tout. Donc on le dit tout puissant parce qu'il peut absolument tout.

2) Si on ne le dit pas tout puissant parce qu'il peut absolument tout, alors ce pouvoir importé n'est pas absolu, mais accommodé. Mais une telle distinction n'est pas universelle, elle est limitée à un objet. Donc la puissance divine serait limitée à un objet et ne serait pas infinie. Cependant: Dieu ne peut pas faire, comme on l'a dit à l'article 3 et 5, que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps; il ne peut pécher ni mourir. Cela est inclus dans ce pouvoir, s'il est pris absolument. Donc il ne doit pas être pris absolument, et ainsi on ne peut pas dire que Dieu soit tout-puissant parce qu'il peut absolument tout.

3) De même, il semble qu'on le dit tout-puissant parce qu'"il peut tout ce qu'il veut". Car Augustin dit (Enchiridium ch. 96): "Il n'est appelé tout-puissant pour rien d'autre qu'il peut ce qu'il veut". Cependant: Les bienheureux peuvent ce qu'ils veulent, autrement leur volonté ne serait pas parfaite. Cependant on ne dit pas qu'ils soient tout-puissants. Donc cela ne suffit pas à la raison de la toute-puissance, que Dieu puisse ce qu'il veut. En plus la volonté du sage ne concerne pas ce qui est impossible. C'est pourquoi aucun sage ne veut que ce qu'il peut; et cependant n'importe quel sage n'est pas tout-puissant. Donc de même que plus haut.

4) Il semble qu'on l'appelle tout-puissant "parce qu'il peut tout ce qui est possible". On l'appelle en effet omniscient, parce qu'il connaît tout de ce qui peut être connu. Donc à raison égale, on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible.

En sens contraire:

On l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible, ou bien c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, ou parce qu'il peut tout ce qui est possible pour la nature. Si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour la nature, alors sa toute-puissance n'excède pas la puissance de la nature, ce qui est absurde. Mais si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, alors à raison égale; n'importe qui est appelé tout-puissant parce que n'importe qui peut ce qui est possible pour lui. Et en plus il y a la une exposition par une circonlocution qui ne convient pas.

5) De même, on cherche pourquoi Dieu est appelé celui qui peut tout, qui sait tout et non celui qui veut tout.

Réponse:

Certains voulant assigner une raison à la toute-puissance ont accepté des notions qui ne conviennent pas à sa définition; qui sont plus la cause de sa toute puissance: ce qui concerne sa perfection, sa raison ou son mode de possession. Certains, en effet, ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il a une puissance infinie. Ils n'en donnent pas la raison mais sa cause; ainsi l'âme rationnelle est cause de l'homme, mais n'est pas sa définition. Certains même ont dit que Dieu est tout-puissant parce qu'il ne peut pas subir une action, ni être défaillant et il ne peut rien en lui d'autres choses de ce genre qui concernent la perfection de sa puissance. Certains même ont dit qu'on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut ce qu'il veut, et cela il l'a de soi et par soi, ce qui concerne le mode de possession de la puissance. Toutes ces raisons sont insuffisantes parce qu'elles omettent les raisons des opérations pour les objets qu'implique la toute-puissance. Et c'est pourquoi on doit dire qu'il faut recevoir certaines des trois voies qui ont été avancées en objections et qui disent la comparaison à leurs objets. Il faut donc dire, comme on l'a dit plus haut, que la puissance de Dieu, quant à elle, s'étend à tous ces objets qui n'impliquent pas contradiction. Et cela ne concerne pas ce qui apporte une défaillance ou un mouvement corporel, parce que cela n'est pas pouvoir pour Dieu. Mais ce qui implique une contradiction Dieu ne peut pas le faire ce qui est impossible en soi. Donc il reste que la puissance de Dieu s'étend à ce qui est possible en soi. C'est ce qui n'implique pas contradiction. Donc il est clair que Dieu est appelé tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible en soi.

Solutions:

1. Dieu est appelé omniscient parce qu'il connaît tout ce qui peut être connu; il ignore l'erreur qui n'est pas connaissable. Ce qui est impossible en soi est comparé à la puissance comme l'erreur à la science.

2. Cette raison conviendrait si le pouvoir se terminait au-dessous du genre des possibles; de telle manière qu'elle ne s'étendrait pas à tous les possibles. Pour ce qu'on cherche au sujet de l'autre raison de la toute-puissance, il faut dire que pouvoir ce qu'on veut faire n'est pas une raison suffisante de toute puissance mais en est un signe suffisant. C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole d'Augustin. Pour le troisième argument, il faut dire que Dieu est appelé tout-puissant parce qu'il peut absolument tout ce qui est possible et c'est pourquoi l'objection ne procède pas directement de ce qui possible pour Dieu ou pour la nature. Pour ce qu'on cherche à la dernière objection, il faut dire que dans ce qui est fait par volonté, comme on le dit (Métaphysique IX, com. 3, 4 et 10) la puissance et la science sont déterminées pour une oeuvre par la volonté; et c'est pourquoi la science et la puissance sont annoncées en Dieu comme non déterminées universellement, comme quand on dit omniscient ou tout puissant, mais la volonté qui détermine ne peut être pour tout, mais seulement de ce à quoi il détermine sa puissance et sa science et c'est pourquoi on ne peut pas dire que Dieu veuille tout.

 

 

Question 2: La puissance générative en Dieu.

 

Article 1: Y a-t-il une puissance générative en Dieu?

 

1. Il semble que non. Toute puissance est active ou passive. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de puissance passive, et la puissance générative ne peut pas y être active, parce que le Fils de Dieu serait fait ou créé; ce qui est contre la foi. Donc, en Dieu, il n'y a pas de puissance générative

2. Selon le philosophe, l'action vient de celui qui a la puissance. Mais il n'y a pas de génération en Dieu. Donc pas de puissance générative. Preuve intermédiaire: Là où il y a génération, il y a communication d'une nature et sa réception. Mais comme c'est le propre de la matière ou de la puissance passive de recevoir, qui (toutes deux) n'existent pas en Dieu, la réception ne peut lui convenir. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir de génération.

3. Celui qui engendre doit être distinct de celui qui est engendré. Mais non pour ce que communique celui qui engendre à l'engendré, parce que c'est en cela qu'ils s'accordent le plus. Donc il doit y avoir dans l'engendré quelque chose d'autre que ce qui lui est communiqué par génération; et ainsi il faut, comme on le voit, que tout ce qui est engendré soit composé. Mais en Dieu il n'y a pas de composition. Donc il ne peut y avoir un Dieu engendré; et ainsi il n'y a pas de génération et de même que ci-dessus.

4. Il ne faut attribuer rien d'imparfait à Dieu; mais toute puissance, tant active que passive, est imparfaite par rapport à son acte. Donc on ne doit pas attribuer de puissance générative à Dieu.

5. Mais celui qui répond dit que c'est vrai de la puissance qui n'est pas jointe à l'acte - Mais en sens contraire, tout ce qui est achevé par un autre est moins parfait que ce par quoi il est achevé. Mais la puissance jointe à l'acte est achevée par l'acte. Donc l'acte est plus parfait qu'elle, et ainsi même la puissance jointe à l'acte, par rapport à lui, est imparfaite.

6. La nature divine est plus efficace dans son agir que la nature créée. Mais on trouve dans les créatures une nature qui n'opère pas par une puissance intermédiaire mais par elle-même; ainsi le soleil illumine l'air et l'âme donne vie au corps. Donc la nature divine, beaucoup plus puissante, n'opère pas par une puissance; elle est principe de génération par elle-même, et ainsi il ne faut pas placer en Dieu de puissance générative.

7. La puissance générative révèle sa dignité ou son indignité. Mais elle ne révèle pas sa dignité, sinon elle serait plus dans les créatures supérieures que dans les inférieures, c'est-à-dire dans les anges et les corps célestes, plus ou mieux que dans les animaux et les plantes. Donc elle révèle son indignité et il ne faut pas la placer en Dieu.

8. Dans les êtres inférieurs, on trouve deux sortes de puissance générative; à savoir une puissance complète, comme dans ceux dont la génération s'accomplit par union sexuelle; et incomplète, sans union des sexes comme dans les plantes. Donc, comme on n'attribue pas la génération complète à Dieu, parce qu'il n'est pas possible de placer en lui l'union des sexes, on voit bien qu'en aucune manière il n'y a en lui de puissance générative.

9. Sous la puissance ne tombe que le possible, puisqu'on dit que la puissance est en rapport avec lui. Mais qu'il y ait de la génération en Dieu n'est ni possible, ni contingent, puisqu'il est éternel. Donc on ne peut parler de puissance à son sujet et ainsi il n'y a pas de puissance générative en lui.

10. Comme la puissance de Dieu est infinie, elle ne se termine ni à l'acte, ni à ce qui est produit. Mais s'il y a en Dieu une puissance générative, son action sera la génération, et son effet un fils. Donc la puissance du Père ne consistera à engendrer seulement un fils, mais plusieurs, ce qui est absurde.

11. Selon Avicenne, quand une chose a seulement quelque chose d'une autre, on lui attribue son opposé, à elle considérée en soi; ainsi l'air sans lumière, à moins de la recevoir d'une autre chose, considéré en soi, est ténébreux et de cette manière toutes les créatures qui tiennent d'un autre, l'être, la vérité et la nécessité, considérées en soi, sont du non être, faux et impossible. Mais il ne peut y avoir là rien de tel en Dieu. Donc en lui il ne peut y avoir quelqu'un qui tienne seulement son être d'un autre, et ainsi il ne peut y avoir quelqu'un d'engendré, et par conséquent ni génération, ni puissance générative.

12. En Dieu, le Fils n'a rien qu'il ne reçoit du Père, autrement il s'ensuivrait qu'il y aurait composition. Mais du Père il a reçu l'essence. Donc en lui, il n'y a que l'essence. Si donc il y a génération, ou s'il est engendré, il faudra que l'essence soit engendrée, ce qui est faux, parce qu'ainsi elle serait distincte de Dieu.

13. Si, en Dieu, le Père engendre, il faut que cela convienne à sa nature. Mais la nature est la même dans le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Donc pour la même raison, le Fils et l'Esprit Saint engendreront, ce qui est contre les dogmes de la foi.

14. La nature qui se trouve de façon perpétuelle et parfaite dans un suppôt, n'est pas communiquée à un autre. Mais la nature divine se trouve parfaitement dans le Père, et perpétuellement, puisqu'il est incorruptible. Donc elle n'est pas communiquée à un autre suppôt et ainsi il n'y a pas là de génération.

15. La génération est une espèce de changement. Mais en Dieu il n'y pas de changement: donc pas de génération, donc pas de puissance générative.

 

Cependant:

1. Selon le philosophe, un être est parfait quand il peut faire un autre tel que lui. Mais Dieu le Père est parfait. Donc il peut faire une autre tel que lui et ainsi il peut engendrer un Fils.

2. Augustin dit que, si le Père n'a pu engendrer, il est impuissant. Mais, en Dieu, il n'y a absolument pas d'impuissance. Donc il a pu engendrer et ainsi il a la puissance d'engendrer.

 

Réponse:

La nature de n'importe quel acte est de se communiquer autant que possible. C'est pourquoi chaque agent agit selon qu'il est en acte. Mais agir n'est rien d'autre que communiquer ce par quoi l'agent est acte, dans la mesure du possible. Mais la nature divine est au plus haut point et très exclusivement un acte. C'est pourquoi elle se communique autant que possible. Elle se communique par sa seule ressemblance aux créatures, ce qui se voit en toutes, car une créature est un étant à sa ressemblance. Mais la foi catholique aussi indique un autre moyen de communication selon qu'elle est communiquée d'une manière pour ainsi dire naturelle; de sorte que celui à qui est communiquée l'humanité est un homme, de même celui à qui est communiquée la divinité, non seulement est semblable à Dieu mais vraiment Dieu.

Mais à ce sujet, il faut faire attention que la nature divine est différente des formes matérielles de deux manières: 1. Du fait que ces dernières ne sont pas subsistantes; c'est pourquoi l'humanité dans l'homme n'est pas la même chose que l'homme qui subsiste; mais la divinité est le même chose que Dieu, c'est pourquoi sa propre nature est subsistante. 2. Nulle forme ou nature créée n'est son être, mais l'être même de Dieu est sa nature et sa quiddité; et pour cela son nom propre est Qui est, comme on le voit in (Ex 3, 14), parce qu'il est ainsi défini comme par sa propre forme.

Donc, parce que la forme dans les êtres inférieurs ne subsiste pas par elle-même, il faut que ce en quoi elle est communiquée soit quelque chose d'autre par laquelle elle ou la nature reçoit sa subsistance; et c'est la matière qui subsiste par les formes et les natures matérielles. Mais, parce que la nature matérielle ou la forme n'est pas son être, elle le reçoit du fait qu'il est pris dans un autre; c'est pourquoi, elle a nécessairement un être différent, selon ce qui est dans les différentes choses. Ainsi l'humanité n'est pas une dans Socrate et Platon selon l'être, quoiqu'elle soit une selon sa propre définition.

Dans l'acte par lequel la nature divine se communique, parce qu'elle est subsistante par soi, elle n'a pas besoin de quelque chose de matériel pour recevoir sa subsistance; donc elle n'est pas reçue dans quelque chose comme dans la matière, de sorte que ce qui est engendré se trouve composé de matière et de forme. Et parce que, à nouveau, sa propre essence est son être, elle ne reçoit pas l'être par des suppôts en qui elle est; c'est pourquoi par un seul et même être, elle est dans celui qui communique et dans celui qui est communiqué et ainsi elle demeure la même selon le nombre dans les deux.

L'exemple de cette communication, on le trouve de manière très pertinente dans l'opération de l'intellect. Car la nature divine est spirituelle; c'est pourquoi elle est plus facilement révélée par des exemples spirituels. Car lorsque notre intellect conçoit la quiddité d'une chose qui subsiste en soi hors de l'âme, il se fait une communication de la chose qui existe par soi, selon que notre esprit reçoit sa forme d'une certaine manière de la réalité extérieure; cette forme intelligible, qui existe dans notre esprit, vient de la réalité extérieure d'une certaine manière. Mais parce que celle-ci est différente de la nature de celui qui la pense, l'être de la forme pensée par l'intellect et celui de la chose subsistante en soi sont différents.

Mais comme notre intellect conçoit sa propre quiddité, l'un et l'autre sont conservés, parce que la forme même pensée par celui qui la pense en son intellect passe de quelque manière quand l'intellect lui donne forme et une certaine unité est conservée entre la forme conçue qui vient et la chose d'où elle vient, parce que les deux ont un être intelligible, car l'un est l'intellect et l'autre une forme intelligible qu'on appelle le verbe de l'intellect. Cependant parce que notre intellect n'est pas, en son essence, en acte parfait d'intelligibilité, et que l'intellect de l'homme n'est pas le même que la nature humaine, il s'ensuit que le verbe susdit, même s'il est dans l'intellect et conforme à lui d'une certaine manière, n'est cependant pas le même que l'essence propre de l'esprit, mais sa ressemblance frappante. Et à nouveau, dans la conception d'une forme intelligible de ce genre, la nature humaine n'est pas communiquée, comme on pourrait le dire à proprement parler de la génération qui apporte communication de la nature.

Dans notre intellect qui se comprend lui-même, on trouve un verbe qui sort, portant ressemblance de ce dont il sort; de même, en Dieu, on trouve un verbe qui a ressemblance à celui dont il sort. Par sa procession il dépasse en deux points celle de notre verbe.

1. Premièrement, en ce que notre verbe est différent de l'essence de l'intellect comme on l'a dit; mais l'intellect divin qui est, selon son essence, en acte parfait d'intelligibilité, ne peut recevoir une forme intelligible qui ne soit pas son essence. C'est pourquoi son verbe est d'une seule essence avec lui et à nouveau la nature divine elle-même vient de son intellectualité et ainsi la communication qui se fait par mode intelligible est aussi par mode de nature pour qu'on puisse l'appeler génération.

2. Deuxièmement, le Verbe de Dieu dépasse la procession de notre verbe. Et c'est ce mode de génération qu'Augustin attribue à Dieu: la Trinité.

Parce que nous parlons de Dieu à notre manière, - que notre intellect prend des choses inférieures, ce dont il tire sa science, - de même dans les choses inférieures, à quoi que ce soit qu'on attribue l'action, on attribue un principe d'action, qu'on appelle puissance; de même on l'attribue à Dieu, quoique en lui il n'y ait pas de différence entre puissance et action comme dans les créatures. Et c'est pour cela qu'ayant établi la génération en Dieu qui est signifiée par son mode d'action, il faut lui concéder une puissance d'engendrer ou une puissance générative.

 

Solution des objections:

1. La puissance qu'on place en Dieu n'est, à proprement parler, ni active ni passive, puisqu'il n'y a pas en lui de catégorie d'action ni de passion, mais son action est sa substance; mais c'est là qu'est sa puissance signifiée par le mode de puissance active. Cependant il ne faut que le Fils soit ni fait ni créé, de même qu'il ne faut pas qu'il y ait là proprement action ou passion.

2. Comme recevoir se termine à la possession comme à une fin, on dit qu'une chose reçoit de deux manières comme possédant de deux manières. Car la matière a d'une manière sa forme et le substrat un accident ou bien de quelque manière elle a été hors de celui qui le possède. Le suppôt a sa nature d'une autre manière, comme cet homme a l'humanité; qui n'est pas hors de l'essence de son possesseur, mais est tout à fait son essence. Car Socrate est véritablement ce qu'est un homme. Donc celui qui est engendré dans la nature humaine, ne reçoit pas la forme de celui qui l'engendre, comme la matière reçoit sa forme, ou comme le sujet l'accident, mais comme le suppôt ou l'hypostase possède la nature de l'espèce; il en est de même en Dieu. C'est pourquoi il ne faut pas qu'il y ait en ce Dieu qui est engendré une matière ou un sujet de nature divine: mais que le Fils subsistant soit lui-même celui qui a la nature divine.

3. Dieu engendré n'est pas distinct du Dieu qui engendre par une essence ajoutée, puisque, comme on le dit, il n'a pas besoin de matière dans laquelle serait reçue la nature divine. Mais il est distingué par la relation même qui consiste à recevoir sa nature d'un autre, de sorte que dans le Fils la relation même de filiation tient lieu de tous les principes qui individualisent dans les créatures (c'est pour cela qu'on l'appelle propriété personnelle), mais la nature divine même tient lieu de la nature de l'espèce. Parce que la relation en réalité ne diffère pas de la nature divine; il ne se fait là aucune composition, comme chez nous, une certaine composition demeure par le principe de l'espèce et ce qui l'individualise.

4. Cette raison vaut quand cette puissance est différente de l'acte, qu'elle lui soit jointe, ou non, mais cela n'a pas lieu en Dieu.

5. Et ainsi la solution à l'objection 5 est évidente.

6. Tout ce qui est principe d'action, par lequel on agit, a valeur de puissance; que ce soit l'essence, ou quelque accident intermédiaire; une qualité entre l'essence et l'action. Cependant dans les créatures corporelles, rarement ou jamais, on ne trouve une action d'une nature substantielle sinon par quelque accident intermédiaire. Car le soleil éclaire à l'aide de la lumière, qui est en lui. Mais parce que l'âme donne vie au corps, elle existe par son essence. Mais donner vie, bien qu'on le dise par mode d'action, n'est cependant pas dans le genre de l'action, puisqu'elle est acte premier plus que second.

7. Dans les créatures il ne peut y avoir génération sans division de l'essence ou de la nature selon l'être, puisque la nature n'est pas son être et c'est pourquoi en elles, il y a génération avec une certaine indignité et c'est pour cela que la génération ne convient pas aux créatures plus nobles. Mais en Dieu il peut y avoir une telle génération sans imperfection de ce genre ou autre et c'est pourquoi rien n'empêche de placer la génération en lui.

8. Cette raison procède de la génération matérielle; donc elle n'a pas place dans notre propos.

9. Ce qui est l'objet d'une puissance active ou passive, dont l'action ou la passion est avec mouvement, doit être possible et contingent, puisque tout ce qui est mobile est de ce genre. Mais telle n'est pas la puissance générative en Dieu, comme on l'a dit; donc cette raison ne convient pas.

10. Le Fils de Dieu ne se comporte pas vis-à-vis de la puissance générative comme effet, puisque nous confessons qu'il est engendré et non créé. Si cependant il était un effet, la puissance de celui qui engendre ne se terminerait pas à lui quoiqu'un autre fils ne puisse être engendré, puisqu'il est lui-même infini. Mais le fait qu'un autre fils ne puisse pas exister en Dieu, arrive parce que cette filiation est sa propriété personnelle et ce par quoi il est individualisé pour ainsi dire. Pour n'importe quel individu les principes qui individualisent sont pour lui seul; autrement il s'ensuivrait que la personne ou l'individu serait communicable par nature.

11. Il faut comprendre que ce mot d'Avicenne s'applique quand ce qui est reçu par un autre n'est pas identiquement le même dans le receveur et le donneur, comme cela arrive pour les créatures par rapport à Dieu. C'est pourquoi tout ce qui est reçu dans la créature est comme une unité par rapport à l'être divin; parce que la créature ne peut pas recevoir l'être selon cette perfection qui est en Dieu. Mais le Fils reçoit du Père la même nature identique à celle du Père; et c'est pourquoi, cela ne convient pas.

12. Le Fils n'a rien qui soit réellement séparé de l'essence qu'il reçoit de lui; mais il faut que ce qu'il reçoit du Père soit en lui une relation par laquelle il est en relation avec le Père, et par laquelle il est distingué de lui. Cependant cette relation n'est pas réellement différente de l'essence.

13. Bien que la nature soit la même dans le Père et le Fils, elle présente un autre mode d'existence, c'est-à-dire avec une autre relation et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Père par sa nature, convienne au Fils.

14. Du fait que les créatures participent à la nature de l'espèce, elles parviennent à la ressemblance divine: c'est pourquoi le fait qu'un suppôt créé subsiste dans la nature créée est ordonné à un autre comme à sa fin, et ainsi du fait qu'on parvient suffisamment à la fin par un individu, selon la participation parfaite et propre de la nature de l'espèce, il ne faut pas qu'un autre individu demeure dans cette nature. Mais la nature divine est la fin et non en vue d'une fin. Il convient à une fin d'être communiquée, selon tout mode possible. C'est pourquoi, quoique là on le trouve dans un suppôt parfaitement et en propre, rien n'empêche qu'on le trouve dans un autre.

15. La génération est une espèce de changement du côté où la nature communiquée par génération est reçue dans une matière qui est le sujet du changement. Mais cela n'arrive pas dans la génération divine, c'est pourquoi la raison ne convient pas.

 

Article 2: Parle-t-on de la puissance générative en Dieu selon l'essence ou la notion?

 

Objections:

1. Il semble que c'est selon la notion seulement. Car la puissance a raison de principe, comme on le voit dans la définition établie in V, Métaph. Mais on parle du principe en Dieu en rapport avec la personne divin e selon une notion. Donc comme la puissance d'engendrer apporte de cette manière un principe, il semble qu'on la désigne par une notion.

2. Mais on dit qu'elle signifie en même temps l'essence et la notion.

- En sens contraire en Dieu, selon Boèce, ce sont deux catégories: la substance à quoi se rattache l'essence; et la relation à quoi se rattache les notions. Mais rien ne peut être dans deux catégories, parce que l'homme blanc n'est quelque chose d'unique que par accident, comme on le dit. Donc la puissance d'engendrer ne peut pas par définition concerner les deux, c'est-à-dire la substance et la notion.

3. En Dieu, on distingue le principe de ce dont il est le principe. Mais on ne doit pas distinguer l'essence. Donc la notion de principe ne lui appartient pas, et ainsi la puissance, qui inclut la notion du principe, ne signifie pas l'essence.

4. En Dieu, ce qui est en propre est relatif et notionnel, et ce qui est commun, essentiel et absolu. Mais la puissance d'engendrer n'est pas commune au Père et au Fils, mais propre au Père. Donc on la définit comme relative ou notionnelle, mais non comme essentielle ou absolue.

5. Le principe d'une action propre est une forme propre, non commune; ainsi l'homme comprend par son intellect; car cette action lui est propre par rapport aux autres animaux, ainsi que la forme de la rationalité ou de l'intellectualité. Mais la génération est l'opération propre du Père en tant que tel. Donc son principe est la paternité qui est sa forme propre et non la divinité qui est la forme commune. Mais la paternité est désignée comme une relation. Donc la puissance d'engendrer, non seulement quant à la nature du principe, mais aussi quant à ce pour quoi elle est principe, est appelée relation.

6. La puissance d'engendrer ne diffère pas en réalité de l'essence divine, la paternité non plus. Cependant cela n'empêche pas que la paternité ne soit définie que relativement. Donc ce n'est pas à cause de cela qu'on doit dire que la puissance d'engendrer signifie l'essence avec une relation.

7. En Dieu, nous trouvons trois choses qui ont raison de principe, à savoir la puissance, la science et la volonté, qu'on définit en rapport avec son essence. Mais en lui on ne signifie pas la science et la volonté en même temps avec une relation ou une notion. Donc, à raison égale, la puissance non plus, et ainsi on ne peut pas dire que la puissance d'engendrer signifie en même temps l'essence du côté de la puissance et la notion du côté de la génération, mais il semble qu'elle signifie seulement la notion pour les raisons invoquées.

 

Cependant:

1. Il y a ce que la Maître dit que la puissance d'engendrer dans le Père est l'essence divine même.

2. Hilaire dit que le Père engendre par le pouvoir de sa nature divine. Donc sa propre nature est le principe de la génération et ainsi elle a raison de puissance.

3. Jean Damascène dit que la génération est l'oeuvre qui existe dans la nature et ainsi de même que ci-dessus.

4. En Dieu, il n'y a qu'une seule puissance. Mais la puissance de créer est dite essentielle. Donc la puissance d'engendrer aussi.

 

Réponse:

Sur ce sujet les opinions sont multiples.

* Car certains ont dit qu'on parle de la puissance d'engendrer en Dieu seulement comme relation, et ils y étaient poussés parce que la puissance selon sa nature est un principe; on parle d'un principe relativement et il est notionnel, si on le rapporte à la puissance divine et non aux créatures.

Mais dans ce raisonnement, ils paraissent s'être trompés pour deux raisons:

1. Parce que, bien que la nature de principe qui est dans le genre de la relation, convienne à la puissance, cependant ce qui est principe d'action ou de passion n'est pas une relation mais une forme absolue; et c'est l'essence pour la puissance; et de là vient que le philosophe place la puissance non pas dans le genre de relation mais dans celui de qualité, comme la science, quoique en chacune des deux on trouve une relation.

2. Parce que ce qui apporte en Dieu un principe en rapport avec l'opération, n'est pas signifié selon la notion mais seulement ce qu'ils appellent un principe en rapport avec ce qui est le terme de l'opération; car le principe signifié selon la notion en Dieu, est en rapport avec la personne subsistante; mais l'opération n'est pas signifiée comme subsistante. C'est pourquoi ce qui en rapport avec l'opération a raison de principe ne doit pas en Dieu être signifié selon la notion, autrement la volonté, la science, l'intellect et tout de ce genre seraient signifiés selon la notion.

Mais bien que la puissance soit parfois principe de l'action et de ce qu'elle produit, cependant une seule chose lui arrive, mais l'autre lui appartient en soi; car la puissance qui n'est pas toujours active, par son action, produit une chose qui est le terme de l'action puisqu'il y a de nombreuses opérations qui n'ont rien de produit (à l'extérieur), comme le philosophe le dit, car la puissance est toujours principe de l'action ou de l'opération. Donc il ne faut pas que, à cause de la relation de principe qu'introduit le nom de puissance, on en parle relativement en Dieu.

Mais cette position ne semble pas en accord avec la vérité. Car si ce qui est la puissance est cela même qui est en Dieu principe de l'action, il faut que la nature divine soit ce qui y est principe; comme, en effet, tout agent, en tant que tel, fait du semblable à lui; c'est cela le principe de la génération dans celui qui engendre selon que l'engendré lui ressemble, car l'homme par le pouvoir de sa nature, engendre un fils qui se trouve lui ressembler dans la nature humaine, mais le Dieu engendré dans la nature divine est conforme à Dieu le Père. C'est pourquoi la nature divine est principe de génération comme de ce que le Père engendre par son pouvoir, comme le dit Hilaire.

* Et c'est pour cela que d'autres ont dit que le pouvoir d'engendrer signifie l'essence seulement. Mais même cela ne paraît pas convenir. Car l'action qui se fait par le pouvoir de la nature commune par une chose contenue dans la nature commune, reçoit un mode par ses propres principes; de même que l'action, due à la nature de l'animal est accomplie dans l'homme selon qu'elle répond aux principes de l'espèce humaine: c'est pourquoi l'homme plus parfait a une acte plus parfait du pouvoir imaginatif que les autre animaux, selon qu'il répond à sa rationalité. De même on trouve l'action de l'homme dans cet homme et dans celui-là, selon qu'il répond aux principes individuels, de celui-ci ou celui-là, par lesquels il se trouve qu'un homme pense mieux qu'un autre. Et c'est pourquoi, si la nature commune est le principe d'une opération qui convient seulement au Père, il faut qu'il soit le principe, selon qu'il répond à la propriété personnelle du Père. Et à cause de cela la paternité est incluse d'une certaine manière aussi dans la nature de la puissance, pour ce qui est le principe de la génération.

* Et c'est pour cela qu'il faut le dire avec les autres, la puissance d'engendrer signifie en même temps essence et notion.

 

Solution des objections:

1. La puissance apporte la nature de principe en rapport avec l'opération qu'on ne désigne pas en Dieu par la notion, comme on l'a dit.

2. Dans les créatures, une catégorie arrive dans une autre, parce qu'on ne peut de deux en faire une à moins qu'elle ne soit une, par accident; mais en Dieu, la relation est réellement l'essence même et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

3. Dans les créatures, le principe de la génération est double: celui qui engendre et ce par quoi il est engendré; mais celui qui engendre est distingué de l'engendré par la génération, puisque rien ne s'engendre soi-même; mais ce que celui qui engendre n'est pas distinct, mais est commun à l'un et à l'autre, comme on l'a dit. C'est pourquoi il ne faut pas distinguer la nature divine, comme la puissance d'engendrer puisque la puissance est le principe de l'être.

4. Par la nature de la relation implicite, le pouvoir d'engendrer n'est pas commun, mais personnel.

5. Dans n'importe quelle génération, le principe n'est pas principalement la forme individuelle, mais celle qui répond à la nature de l'espèce. De même il ne faut pas que l'engendré ressemble à celui qui engendre pour l'état individuel, mais pour la nature de l'espèce. Mais la paternité n'est pas dans le Père par mode de forme d'espèce, comme l'humanité dans l'homme, car ainsi en lui il y a la nature divine; mais elle y est, pour ainsi dire, comme principe individuel, car elle est une propriété personnelle; et c'est pourquoi il ne faut pas qu'elle soit essentiellement le principe de la génération mais d'une certaine manière, comprise avec lui pour la raison susdite; autrement il s'ensuivrait que le Père communiquerait non seulement la divinité par génération mais aussi sa paternité, ce qui ne convient pas.

6. La puissance d'engendrer est la même en réalité que la nature divine, de sorte que la nature est incluse dans sa raison d'être, mais il n'en est pas ainsi de la paternité, donc ce n'est pas pareil.

7. La science ou la volonté ne sont pas un principe de génération, puisque celle-ci vient de la nature, qui, en tant qu'elle est principe d'action a raison de puissance. Et de là vient que la puissance est signifiée en même temps avec ce qui est relation en Dieu, mais non la science ou la volonté.

A partir de ce qui vient d'être dit, la réponse est facile pour les arguments contraires.

 

Article 3: La puissance générative dépend-elle en son acte du pouvoir de la volonté?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Hilaire dit, en effet, dans Les Synodes que "ce n'est pas poussé par une nécessité naturelle que le Père a engendré le Fils". Mais s'il ne l'a pas engendré volontairement, il l'a engendré par nécessité naturelle. Donc le Père a engendré le Fils par volonté, et ainsi la puissance générative par le pouvoir de la volonté en vient à l'acte d'engendrer.

2. Mais on pourrait dire que le Père n'a engendré le Fils, ni par volonté antécédente ni conséquente, mais concomitante. - Mais en sens contraire, il semble que cette raison soit insuffisante. Comme, en effet, tout ce qui est en Dieu est éternel, rien de ce qui est en lui ne peut précéder chronologiquement ce qui existe en lui et cependant on trouve qu'une chose a raison de principe pour une autre; ainsi la volonté de Dieu pour l'élection par laquelle il élit les justes du seul fait que cela procède de son intellect. Donc quoique la volonté ne précède pas la génération du Fils dans le temps, cependant on voit bien qu'on peut poser un principe à la génération du Fils parce qu'il procède de son intellect.

3. Le Fils procède par l'acte de l'intellect puisqu'il procède en tant que Verbe, car le verbe intellectuel n'existe que lorsque nous saisissons quelque chose par la pensée, comme le dit Augustin. Mais la volonté est le principe de l'opération intellectuelle; car elle commande l'acte de l'intellect, comme celui des autres puissances, comme Anselme le dit; car je pense, parce que je le veux, de même que je marche parce que je le veux. Donc la volonté est le principe de la procession du Fils.

4. Mais on dira que chez l'homme, il est vrai que la volonté commande l'acte de l'intellect, mais pas en Dieu.

- En sens contraire, la prédestination est d'une certaine manière un acte de l'intellect; car nous disons que Dieu a prédestiné Pierre parce qu'il l'a voulu, selon (Rm 9, 18): "Il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut." Donc non seulement chez l'homme mais aussi en Dieu, la volonté commande l'action de l'intellect.

5. Selon le philosophe, ce qui est mis en mouvement de lui-même peut être mu ou pas; et pour la même raison, ce qui agit de soi-même peut agir ou pas. Mais la nature ne peut agir ou pas, puisqu'elle est déterminée à un seul objet. Donc elle n'agit pas d'elle-même, mais comme mue par un autre. Mais cela ne peut pas exister en Dieu. Donc nulle action en Dieu ne dépend de la nature, et la génération non plus. Et ainsi la génération dépend de la volonté, puisque tous les agents sont ramenés à la nature ou à la volonté, comme on le montre in Phys.

6. Si l'action de la nature précède l'action de la volonté, il en découle un inconvénient: à savoir on exclut la raison d'être de la volonté. Car, puisque la nature est déterminée à un seul objet, si elle meut la volonté, elle la mettra en mouvement pour un seul objet, ce qui est contre la nature de la volonté, qui, en tant que telle, est libre. Mais si la volonté meut la nature, la raison d'être de la nature et de la volonté n'est pas exclue, parce qu'elle s'étend à plusieurs objets, rien n'empêche qu'elle meuve pour un seul objet. Donc rationnellement l'action de la volonté précède l'action de nature, plus que le contraire. Mais la génération du Fils est pure action ou pure opération. Donc elle dépend de la volonté.

7. Dans le (Ps 148, 5), il est dit: "Il dit et ce fut fait" qu'Augustin expose ainsi "C'est-à-dire il engendra le Verbe en qui était que cela fût fait". Ainsi donc la procession du Verbe à partir du Père est la raison de la production de la créature. Si donc le Fils ne procède pas du Père par le pouvoir de la volonté, mais par celui de la nature, il paraît en découler que toutes les créatures procèdent de Dieu naturellement et pas seulement volontairement, ce qui est une erreur.

8. Hilaire dit dans le livre des Synodes: "Si quelqu'un dit que le Fils est né sans que le Père le veuille, qu'il soit anathème". Donc le Père ne l'a pas engendré involontairement et ainsi de même que plus haut.

9. In (Jn 3, 35), il est dit: "Le Père aime le Fils et a tout mis dans sa main". qu'on expose selon une glose comme le don de la génération éternelle. Donc l'amour du Père pour le Fils est un signe plus que la raison de la génération éternelle. Mais l'amour vient de la volonté. Donc la volonté est le principe de la génération du Fils.

10. Denys dit que l'amour divin ne lui permet pas d'être sans descendance. Cela montre la même chose, à savoir que l'amour est la raison de la génération.

11. On peut émettre sur Dieu une hypothèse d'où ne découle ni inconvénient ni erreur. Si on pense que le Père a engendré le Fils par volonté, il n'en découle aucun d'inconvénient; en effet il n'en découle pas que le Fils n'est pas éternel, à l'évidence; ni qu'il ne soit pas consubstantiel ou égal au Père, parce que l'Esprit Saint qui procède par mode de volonté est coéternel, co-égal et consubstantiel au Père et au Fils. Donc il semble que ce n'est pas une erreur de dire que le Père engendre le Fils par volonté

12. Toute volonté ne peut pas ne pas vouloir sa fin ultime. Mais la fin de la volonté divine est la communication de sa bonté, ce qui se fait au plus haut degré par génération. Donc la volonté du Père ne peut pas ne pas vouloir la génération du Fils; donc il a engendré le Fils par sa volonté.

13. La génération humaine découle de celle de Dieu, selon cette parole de (Ep 3, 15): "De lui toute paternité dans le ciel et sur la terre tire son nom." Mais la génération humaine est soumise au pouvoir de la volonté. Autrement, dans l'acte de génération, il n'y aurait pas de péché. Donc de même dans la génération divine et ainsi de même que plus haut.

14. Toute action d'une nature immuable est nécessaire. Mais la nature divine est tout à fait immuable. Si donc la génération est une opération de nature et non de la volonté, il s'ensuit qu'elle est nécessaire et ainsi que le Père a engendré le Fils par nécessité, ce qui est contre Augustin.

15. Augustin dit que le Fils est le conseil du conseil, le volonté de la volonté. Mais cette préposition de dénote le principe. Donc la volonté est le principe de la génération du Fils et ainsi de même que ci-dessus.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit Augustin: "Le Père a engendré le Fils, ni par volonté, ni par nécessité".

2. La plus haute diffusion de la volonté s'accomplit par l'amour. Mais le Fils ne procède pas par amour, c'est plutôt l'Esprit Saint. Donc la volonté n'est pas le principe de la génération du Fils.

3. Le Fils procède du Père comme la splendeur procède de la lumière, selon ce mot de (He 1, 3): "Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance". Mais la splendeur ne procède pas de la lumière par l'intermédiaire de la volonté. Donc ni le Fils du Père.

 

Réponse:

La génération du Fils peut se comporter vis-à-vis de la volonté comme son objet; car le Père a voulu le Fils et sa génération éternellement. Mais en aucune manière, la volonté ne peut être le principe de la génération divine; ce qu'on montre ainsi. Comme la volonté, en tant que telle, est libre, elle choisit entre deux solutions. Car la volonté peut agir ou pas, agir ainsi ou différemment, vouloir ou ne pas vouloir. Et si par rapport à quelque chose cela ne convient pas à la volonté, cela lui arrive, non en tant que telle, mais par l'inclination naturelle qu'elle a pour quelque chose comme à sa fin ultime qu'elle ne peut pas ne pas vouloir; ainsi la volonté humaine ne peut pas ne pas vouloir la béatitude, ni ne peut vouloir le malheur. Par là il est clair que tout ce dont la volonté est le principe en tant qu'il est en soi, a la possibilité d'être ou ne pas être, et être tel ou tel et alors ou maintenant.

Tout ce qui se comporte ainsi est créé, parce que, en ce qui est incréé, le pouvoir d'être ou ne pas être n'existe pas. Mais l'être est nécessaire en soi, comme Avicenne le prouve. Donc si on pense que la Fils a été engendré par volonté, il en découle nécessairement qu'il est une créature. Et c'est pour cela que les Ariens, qui affirmaient que le Christ était une créature, disaient qu'il avait été engendré par volonté. Mais les Catholiques disent que le Fils n'est pas né par volonté mais par nature. Car la nature est déterminée à un seul but. Et du fait que le Fils a été engendré du Père par nature, il faut que lui-même ne puisse pas ne pas être engendré, et qu'il ne puisse pas exister d'une autre manière qu'il n'est, ou qu'il puisse être non consubstantiel au Père; puisque ce qui procède naturellement procède en la ressemblance de celui dont il procède. Et c'est ce que Hilaire dit: "La volonté de Dieu apporte la substance à toutes les créatures, mais une nativité parfaite a donné la nature au Fils"; et ainsi toute chose est telle que Dieu a voulu qu'elle existe, mais le Fils est tel que Dieu.

Comme on l'a dit, bien que la volonté choisisse entre deux solutions, cependant elle a une inclination naturelle par rapport à la fin ultime; et semblablement l'intellect a un mouvement naturel en rapport avec la connaissance des premiers principes. Mais le principe de la connaissance divine est Dieu lui-même qui est la fin de sa volonté, c'est pourquoi ce qui procède en Dieu par un acte de l'intellect qui se connaît lui-même procède réellement de lui et il en est de même pour ce qui procède par acte de la volonté qui s'aime elle-même. Et à cause de cela, comme le Fils procède comme Verbe, par un acte de l'intellect divin, dans la mesure où le Père se connaît lui-même, et l'Esprit Saint par acte de la volonté dans la mesure où il aime le Fils, il s'ensuit que tant le Fils que l'Esprit Saint procèdent naturellement et par là en plus ils sont consubstantiels et co-égaux et coéternels au Père et l'un avec l'autre.

 

Solution des objections:

1. Hilaire parle d'une nécessité qui apporte la violence, ce qui apparaît par ce qu'il ajoute: "Non conduit par une nécessité naturelle, puisqu'il voulait engendrer son Fils."

2. La volonté antécédente en Dieu n'est en rapport avec rien; parce que ce que Dieu veut quelquefois il l'a voulu éternellement. Mais la volonté concomitante est en rapport avec tous les biens qui sont tant en lui que dans les créatures; car il veut être et que la créature soit. Mais la volonté chronologiquement antécédente ne peut être qu'en rapport avec la créature qui n'a pas existé éternellement, mais l'intellect antécédent est en rapport avec les actes éternels qui sont désignés comme se terminant aux créatures, comme la disposition, la prédestination etc. Mais la génération du Fils n'est pas une créature, et n'est pas signifiée comme se terminant à une créature. C'est pourquoi, par rapport à lui, il n'y a pas de volonté antécédente, ni dans le temps, ni dans l'esprit, mais seulement une volonté concomitante.

3. Comme l'acte de l'intellect paraît suivre celui de la volonté, dans la mesure où elle le commande, ainsi à l'inverse, l'acte de la volonté parait suivre celui de l'intellect dans la mesure où il présente à la volonté son objet qui est le bien compris comme tel. C'est pourquoi, il faudrait procéder à l'infini, à moins de placer une attitude dans l'acte de l'intellect ou dans celui de la volonté. Mais on ne peut pas placer une attitude dans l'acte de l'intellect qui le suive lui-même naturellement; de sorte qu'il ne soit pas commandé par la volonté. Et de cette manière, le Fils de Dieu procède comme verbe selon l'acte de l'intellect divin, comme cela apparaît dans ce qui a été dit dans le corps de l'article.

4. L'acte de l'intellect divin est naturel, dans la mesure où il se termine en Dieu même, qui est le principe de sa connaissance; mais selon qu'il est défini comme se terminant aux créatures, envers lesquelles il se comporte d'une certaine manière comme notre intellect pour les conclusions, il ne sort pas de l'intellect naturellement mais volontairement; et c'est pourquoi en Dieu, certains actes de l'intellect sont annoncés comme commandés par la volonté.

5. Quant à ce jusqu'où la nature peut s'étendre selon ses propres principes essentiels, elle n'a pas besoin d'être déterminée par un autre, mais seulement pour ce dont les propres principes ne suffisent pas. C'est pourquoi les philosophes n'ont pas été conduits à penser l'oeuvre de la nature, comme l'oeuvre d'une intelligence, par ces opérations à qui conviennent le chaud et le froid en soi. Parce qu'en ceux-ci, même en pensant que les choses naturelles arrivent par nécessité de la matière, ils y ramenaient toutes les oeuvres de la nature. Mais ils ont été conduits par ces opérations pour lesquelles ne peuvent suffire le pouvoir du chaud et du froid et les qualités de ce genre; ainsi par les membres ordonnés dans le corps d'un animal de telle sorte que la nature se conserve. Donc parce que l'oeuvre de la nature divine en soi est la génération, il ne faut pas qu'elle soit déterminée à cette action par une volonté - Ou il faut dire que la nature est déterminée par quelque chose comme à sa fin. Mais à cette nature, qui est la fin et non en vue d'une fin, il ne convient pas d'être déterminée par quelque chose.

6. En prenant en considération divers éléments, l'action de la volonté précède celle de la nature. C'est pourquoi, l'action de toute la nature inférieure procède de la volonté de celui qui gouverne. Mais dans le même il faut que l'action de la nature précède celle de la volonté. Car la nature selon l'intellect précède la volonté puisque on comprend que la nature est le principe par lequel un être subsiste, mais la volonté est le principe ultime par lequel elle est ordonnée à sa fin. Cependant il n'en découle pas qu'on exclut la raison de la volonté. Car quoique la volonté soit déterminée à l'inclination de la nature, à un objet unique, qui est sa fin ultime décidée par la nature, cependant, par rapport aux autres, elle demeure indéterminée; comme cela apparaît dans l'homme qui naturellement veut la béatitude et nécessairement, mais pas autre chose. Ainsi donc en Dieu l'action de la nature précède celle de la volonté par nature et par l'intellect; car la génération du Fils est la raison de tout ce qui est produit par la volonté, à savoir les créatures.

7. Bien que dans le Verbe de Dieu, engendré par le Père, il y ait eu que toutes les créatures seraient créées, cependant il ne faut pas, si le Verbe procède naturellement, que les créatures procèdent aussi naturellement; ainsi, il n'en découle pas, si notre intellect connaît naturellement les principes, qu'il connaisse naturellement ce qui en découle; car la volonté se sert de ce que nous avons naturellement selon n'importe laquelle des deux solutions.

8. La Père a engendré volontairement, mais on ne désigne par là que la volonté concomitante.

9. Si ce mot est compris de la génération éternelle, l'amour du Père pour le Fils ne doit pas être compris comme la raison de ce don par lequel il donne tout au Fils éternellement, comme un sceau. Car la ressemblance est la raison de l'amour.

10. Denys parle de la production de la créature, non de la génération du Fils.

11. On dit que l'Esprit Saint procède par mode de volonté, parce qu'il procède par un acte qui dépend naturellement de la volonté, à savoir que le Père aime le Fils et inversement. Car l'Esprit Saint est l'amour même, comme le Fils est le Verbe, par lequel le Père se dit lui-même.

12. Il ne découle seulement de cette raison que le Père veut la nature du Fils, ce qui convient à la volonté concomitante, qui regarde la génération comme objet, non comme ce dont il est le principe.

13. La génération humaine se fait par un pouvoir naturel, c'est-à-dire la puissance générative; par l'intermédiaire de la puissance motrice, qui est soumise au pouvoir de la volonté, mais non la puissance générative. Mais cela n'arrive pas en Dieu; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

14. Augustin n'entend pas nier la nécessité de l'immutabilité, d'où procède cet argument, mais la nécessité de la coaction.

15. Quand on dit que le Fils est volonté de la volonté, on comprend qu'il est du Père qui est la volonté. C'est pourquoi cette préposition de indique le principe de la génération qui engendre, non ce par quoi il est engendré, ce dont il s'agit dans la présente question.

 

Article 4: Peut-il y avoir plusieurs Fils en Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car l'opération de nature qui convient à un suppôt, convient aussi à tous les suppôts de même nature. Mais la génération, selon Jean Damascène est l'oeuvre de la nature et convient au Père. Donc aussi au Fils et à l'Esprit Saint qui sont des suppôts de même nature. Mais le Fils ne s'engendre pas lui-même, car selon Augustin, rien ne peut s'engendrer soi-même. Donc il engendre un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

2. Le Père a transmis tout son pouvoir au Fils. Mais la puissance d'engendrer appartient au pouvoir du Père. Donc le Fils reçoit du Père une puissance de ce genre, et ainsi de même que ci-dessus.

3. Le Fils est l'image parfaite du Père, ce qui requiert une ressemblance parfaite, qui n'existerait pas si le Fils n'imitait pas en tout le Père. Donc, comme le Père engendre le Fils, le Fils aussi engendre et ainsi de même que ci-dessus.

4. La ressemblance à Dieu est plus parfaite selon la conformité de l'action que selon celle d'une forme, comme on le voit chez Denys; ainsi ce qui brille et illumine ressemble plus au soleil que ce qui brille seulement. Mais le Fils ressemble très parfaitement au Père. Donc il lui est conforme non seulement en puissance, mais aussi dans l'acte d'engendrer; et ainsi de même que ci-dessus.

5. De ce fait il arrive que Dieu, ayant créé une créature, peut en créer une autre, parce que sa puissance n'est ni augmentée ni diminuée quand il crée. Mais de la même manière la puissance du Père n'est ni augmentée ni diminuée du fait qu'il engendre le Fils. Donc par le fait qu'il l'engendre, rien n'empêche qu'il puisse engendrer un autre fils et ainsi il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

6. Mais on pourrait dire qu'il n'engendre pas un autre fils parce qu'il en découlerait un inconvénient qu'Augustin expose, à savoir que la génération divine serait infinie, soit que le Père engendre plusieurs fils soit que le Fils engendre un petit-fils etc.

Cependant:

En Dieu rien n'est en puissance qui ne soit en acte: car il serait imparfait. Si donc il est dans la puissance du Père d'engendrer plusieurs fils, si nul inconvénient ne l'empêche, il y aura plusieurs fils en Dieu.

7. Il est de la nature de celui qui est engendré de ressembler à celui qui l'engendre. Mais le Fils est semblable au Père, l'Esprit Saint aussi et ainsi il est aussi fils et il y a donc plusieurs fils en Dieu.

8. Selon Anselme, que le Père engendre le Fils, c'est ne rien dire d'autre que le Père se dit lui-même. Mais de même que le Père peut se dire lui-même, le Fils et l'Esprit Saint aussi. Donc le Père, le Fils et l'Esprit saint peuvent engendrer des fils, et ainsi de même que ci-dessus.

9. On dit que le Père engendre le Fils, parce qu'il conçoit sa ressemblance dans son intellect. Mais le Fils et l'Esprit Saint peuvent faire de même. Donc de même que ci-dessus.

10. La puissance est intermédiaire entre l'essence et l'opération. Mais l'essence du Père et du Fils est une, et la puissance est la même. Donc il y a une seule opération et ainsi il convient que le Fils engendre et de même que plus haut.

11. La bonté est le principe de la diffusion. Mais la bonté dans le Père et le Fils est infinie, et aussi dans l'Esprit saint. Donc le Père communique sa nature dans une communication infinie en engendrant le Fils; de même l'Esprit Saint aussi en produisant une personne divine; car la divine bonté n'est pas communiquée de manière infinie à la créature et ainsi il semble qu'il peut y avoir plusieurs fils en Dieu.

12. Il ne peut y avoir de possession agréable sans la participation d'aucun bien. Mais la filiation dans le Fils est un bien. Donc on voit bien qu'il faut pour la parfaite joie du Fils qu'il y ait un autre fils en Dieu.

13. Le Fils procède du Père comme la splendeur de la lumière, comme il est in (He 1, 3): "Il est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance." Mais la splendeur peut produire une autre splendeur et celle-ci une autre et l'autre une autre. Donc de la même manière, il semble qu'il y a dans la procession des personnes divines, que le Fils peut engendrer un autre fils et ainsi de même que plus haut.

14. La paternité dans le Père convient à sa dignité. Mais c'est la même pour le Père et le Fils. Donc la paternité convient au Fils, et ainsi il y a plusieurs fils en Dieu.

15. La puissance dépend de ce dont elle est l'acte. Mais la puissance d'engendrer est dans le Fils. Donc le Fils engendre.

 

Cependant:

1. Dans les créatures, sont très parfaites celles qui sont composées de toute leur matière et sont de celles qui sont seules dans leur seule espèce. Mais de même que les créatures matérielles sont individualisées par la matière, de même la personne du Fils est constituée par la filiation. Donc, comme Dieu le Fils est un fils parfait, il est clair qu'en Dieu, la filiation ne se trouve qu'en lui.

2. Augustin dit que si le Père pouvait engendrer et n'engendrait pas, il serait envieux, mais le Fils n'est pas envieux. Donc puisqu'il n'engendre pas, il ne peut engendrer. Et ainsi il ne peut y avoir plusieurs fils dans la divinité.

3. Ce qui est dit parfaitement une fois n'a pas besoin d'être répété. Mais le Fils est le verbe parfait à qui rien ne manque, selon Augustin. Donc, il ne faut pas qu'il y ait plusieurs verbes en Dieu, ni plusieurs fils non plus.

 

Réponse:

Il est impossible qu'en Dieu il y ait plusieurs fils, ce qu'on montre ainsi: Comme les personnes divines, en effet, s'accordent en tous les absolus, dans la mesure où elles sont essentielles l'une envers l'autre, elles ne peuvent être distinguées que par des relations et par rien d'autre que les relations d'origine. Car elles présupposent une distinction des autres relations comme l'égalité et la ressemblance; mais certaines désignent l'inégalité, comme maître et esclave etc. Mais les relations d'origine apportent la conformité par leur propre nature; parce que ce qui sort d'un autre, maintient sa ressemblance en tant que de ce genre.

Il n'y a rien en Dieu qui distingue le Fils des autres personnes que la seule relation de filiation qui est sa propriété personnelle et par laquelle il est non seulement le Fils, mais il est ce suppôt ou cette personne.

Il est impossible que ce par quoi quelque chose est un suppôt se trouve en plusieurs; parce qu'ainsi le suppôt même serait communicable, ce qui est contre la notion d'individu, de suppôt ou de personne. Donc en aucune manière, il ne peut y avoir un autre fils en Dieu; il n'y en a qu'un. Car on ne peut pas dire qu'une filiation constitue ce fils et une autre filiation en constitue un autre, parce que, comme les filiations ne diffèrent pas en raison, il faudrait, si elles étaient distinguées par la matière ou un suppôt quelconque, qu'il y ait de la matière en Dieu ou quelque chose d'autre que la relation qui les distingue.

On peut trouver une autre raison spéciale pour laquelle le Père ne peut engendrer qu'un seul fils. Car la nature est déterminée à un seul objet, donc comme le Père engendre le Fils par nature il ne peut y avoir qu'un fils unique engendré par le Père. Et on ne peut pas dire qu'ils soient plusieurs en nombre et dans la même espèce, comme cela arrive pour nous, puisque là, il n'y a pas la matière qui est le principe de la distinction selon le nombre dans la même espèce.

Solutions:

1. Quoique d'une certaine manière, la génération soit dans le Père l'oeuvre de la nature divine, elle est en même temps sa propriété personnelle de Père, comme on la dit C'est pourquoi il faut qu'elle convienne au Fils en qui la nature divine se trouve sans une telle propriété.

2. Le Père communique au Fils tout son pouvoir qui découle de la nature divine absolument. Mais la puissance d'engendrer découle de la nature divine avec adjonction de la propriété du Père, comme on l'a dit.

3. L'image ressemble à celui dont il est l'image quant à la forme, non quant à la relation. Car il ne faut pas que, si l'image vient de quelque chose dont elle est l'image, elle vienne d'un autre, parce que la ressemblance n'est pas atteinte en propre par la relation, mais par la forme.

4. Le Fils ressemble au Père dans sa nature divine mais pas dans une propriété personnelle, et ainsi il lui ressemble dans l'action qui accompagne la nature, sans être accompagné de cette propriété. Mais une telle action n'est pas la génération, donc l'argument ne vaut pas.

5. Bien que la puissance générative du Père ne soit ni augmentée ni diminuée par la génération du Fils, cependant le Fils, intellect infini, égale son infinité, mais non une créature finie; c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

6. Dans une nature qui entraîne un inconvénient, il ne faut pas que le seul fait de l'éviter soit une raison pour exclure la situation d'où il vient, mais aussi de la cause de sa manifestation. C'est pourquoi, il ne faut pas qu'à cause de cela seulement, il n'y ait pas plusieurs fils en Dieu, pour que la génération ne soit pas infinie.

7. L'Esprit Saint procède par mode d'amour. Mais l'amour ne signifie rien de figuré ou de spécifié par la forme de l'amant et de l'aimé, comme le verbe signifie la forme de celui qui parle et de celui qui est dit le posséder; et c'est pourquoi, comme le Fils procède par mode de verbe, par la nature même de la procession, il peut aboutir à une forme semblable à celui qui l'engendre et ainsi parce qu'il est le Fils, sa procession est appelée génération. Mais l'Esprit saint ne l'a pas en raison de sa procession, mais plus par la propriété de la nature divine, parce qu'en Dieu, il ne peut rien y avoir qui ne soit pas Dieu, et ainsi l'amour divin même est Dieu, en tant que divin, non en tant qu'amour.

8. Ce mot dire peut être compris de deux manières, au sens strict ou au sens large. En le prenant au sens strict dire c'est la même chose qu'émettre une parole de soi, et ainsi il est notionnel et il convient seulement au Père. Et c'est ainsi que le comprend Augustin; c'est pourquoi In De Trinitate, VI, il pose en principe que seul le Père se dit. D'une autre manière on peut le prendre communément, selon que dire est la même chose que l'intellection; et ainsi il est essentiel. Et c'est de cette manière qu'Anselme le prend in Monologion où il dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint se disent.

9. En Dieu, engendrer convient au Père seul, concevoir aussi. Donc seul le Père conçoit sa ressemblance dans son intellect, quoique le Fils et l'Esprit saint pensent (intelligant), parce que, en pensant, aucune relation n'est exprimée, sinon par hasard selon le mode de l'intellection seulement; mais dans le fait d'engendrer et de concevoir s'exprime une origine réelle.

10. Cette raison procède directement de l'action qui suit la nature absolument sans aucun rapport avec la propriété; mais telle n'est pas la génération, c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

11. En Dieu, il ne peut y avoir qu'une procession spirituelle, qui est seulement selon l'intellect et la volonté et c'est pourquoi une autre personne divine ne peut pas procéder de l'Esprit saint, parce que lui-même procède par mode de volonté comme l'amour. Le Fils par l'intellect comme verbe.

12. Il faut que la propriété personnelle soit incommunicable comme on l'a dit ci-dessus, donc y participer ne requiert pas la joie.

13. Il ne faut que cette ressemblance soit pour tout.

14. De même que la paternité dans le Père et la filiation dans Fils sont une seule essence, ainsi il y a une seule dignité et une seule bonté.

15. Quand on parle de la puissance d'engendrer ce gérondif d'engendrer, peut être compris en trois sens:

- Selon qu'il est le gérondif d'un verbe actif, et ainsi a la puissance d'engendrer celui qui en a la puissance pour le faire - Selon que le gérondif est d'un verbe passif; et ainsi a la puissance (être engendré) celui qui en a la puissance. - Selon qu'il est le gérondif d'un verbe impersonnel. et ainsi on dit qu'a la puissance d'être engendré celui qui a cette puissance par laquelle il est engendré par un autre. Selon le premier mode la puissance d'engendrer ne convient pas au Fils, mais selon le second et le troisième, oui. Donc la raison ne vaut pas.

 

Article 5: La puissance d'engendrer est-elle comprise dans la toute puissance?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car la toute-puissance convient au Fils selon ce que dit le Symbole: "Le Père tout-puissant, le Fils tout-puissant et l'Esprit saint tout puissant." Mais la puissance d'engendrer ne lui convient pas. Donc elle n'est pas comprise sous la toute-puissance.

2. Augustin dit que Dieu est appelé tout-puissant, parce qu'il peut tout ce qu'il veut. Cela montre que cette puissance concerne la toute-puissance qui est commandée par la volonté. Mais la puissance d'engendrer n'est pas de ce genre; parce que le Père n'a pas engendré le Fils par volonté, comme on la dit ci-dessus. Donc la puissance d'engendrer ne concerne pas la toute-puissance.

3. On attribue la toute puissance à Dieu dans la mesure où elle s'étend à tout ce qui est possible en soi. Mais la génération du Fils ou le Fils lui-même n'est pas du domaine du possible mais de celui du nécessaire; Donc la puissance d'engendrer n'est pas comprise sous la toute-puissance.

4. Ce qui convient en commun à plusieurs leur convient selon ce qui leur est commun, comme avoir trois angles équilatéraux convient en cela qu'ils forment un triangle. Donc ce qui convient à un seul, lui convient selon ce qui lui est propre. Mais la toute-puissance n'est pas le propre du Père. Donc, comme la puissance d'engendrer en Dieu ne convient qu'au Père seul, elle ne lui convient pas en tant que tout-puissant et ainsi elle ne concerne pas la toute-puissance.

5. Il y a une seule essence pour le Père et le Fils, de même une seule toute-puissance. Mais pouvoir engendrer n'est pas ramené à la toute-puissance du Fils. Donc ni à la toute puissance du Père, et ainsi la puissance d'engendrer ne concerne en aucune manière la toute puissance.

6. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne tombe pas sous une seule attribution. En effet, quand on dit tout chien, on ne l'attribue ni à celui qui aboie, ni à la constellation du chien. Mais la génération du Fils et la création des autres qui tombent sous la toute puissance, ne sont pas d'une seule nature. Donc quand on dit: Dieu est tout puissant, on n'inclut pas la puissance d'engendrer.

7. Ce à quoi s'étend la toute-puissance est son sujet. Mais en Dieu, rien n'est sujet, comme le dit Jean Damascène. Donc ni la génération du Fils, ni le Fils ne sont soumis à la toute-puissance; et ainsi de même que ci-dessus.

8. Selon le philosophe, la relation ne peut être le terme du mouvement en soi et par conséquence ni de l'action et ainsi l'objet de la puissance dont on parle en rapport avec l'action non plus. Mais la génération et le Fils en Dieu sont désignés par relation. Donc la puissance de Dieu ne s'y étend et pouvoir engendrer n'est pas inclus dans la toute puissance.

 

Cependant:

1. Augustin dit Contre Maximinien: "Si le Père ne peut engendrer un Fils égal à lui, où est sa toute puissance? " Donc la toute-puissance s'étend à la génération.

2. On parle de la toute-puissance en Dieu, non seulement en rapport avec les actes extérieurs, comme créer, gouverner etc., qui sont signifiés se terminer aux effets à l'extérieur, mais aussi en rapport avec les actes intérieurs, comme penser et vouloir. Car si quelqu'un disait que Dieu ne peut pas penser, il exclurait la toute-puissance. Mais le Fils procède en tant verbe par un acte de l'intellect. Donc on comprend la toute-puissance de Dieu en rapport avec la génération du Fils.

3. Il est plus grand d'engendrer le Fils que de créer le ciel et la terre. Mais pouvoir créer le ciel et la terre est le propre de la toute-puissance. Donc beaucoup plus le pouvoir d'engendrer un Fils.

4. Dans n'importe quel genre il y a un seul principe auquel tout ce qui est de ce genre est ramené. Mais dans le genre des puissances, le principe est la toute-puissance. Donc toute puissance est ramenée à la toute-puissance. Donc ou bien la puissance d'engendrer est contenue ou bien, sous la toute-puissance ou bien dans le genre des puissances, il y aura deux principes, ce qui est impossible.

 

Réponse:

La puissance d'engendrer concerne la toute-puissance du Père, mais non la toute-puissance absolument; ce qui apparaît ainsi: étant donné que la puissance, en effet, est comprise comme ayant sa racine dans l'essence, et est ainsi principe d'action, il faut que le jugement sur la puissance et l'action qui est de l'essence soit le même. Dans l'essence divine, il faut considérer qu'à cause de sa simplicité suprême, tout ce qui est en Dieu est son essence; c'est pourquoi les relations mêmes par lesquelles les personnes se distinguent entre elles, sont réellement l'essence divine elle-même. Et quoiqu'une seule et même essence soit commune aux trois personnes, cependant la relation d'une personne n'est pas commune aux trois à cause de l'opposition des relations entre elles. Car la paternité même est l'essence divine et cependant elle n'est pas dans le Fils à cause de l'opposition de la paternité et de la filiation.

C'est pourquoi, on peut dire que la paternité est l'essence divine selon qu'elle est dans le Père, mais non selon qu'elle est dans le Fils, car elle n'est pas de la même manière dans le Père et le Fils; elle est dans le Fils comme reçue d'un autre mais pas dans le Père. Et cependant il n'en découle pas que, quoique le Fils n'ait pas la paternité qu'a le Père, le Père a quelque chose que n'a pas le Fils; car la relation en tant que telle selon la nature de son genre n'a pas à être quelque chose mais seulement à être relative. Mais que ce soit quelque chose en réalité vient de cette partie dans laquelle elle est ou comme le même en réalité, comme en Dieu, ou comme ayant sa cause dans le sujet, comme dans les créatures. C'est pourquoi puisque ce qui est absolu est en commun dans le Père et dans le Fils, ils ne sont pas distingués par leur nature, mais par la relation seulement. Aussi, on ne peut pas dire que le Père a quelque chose que le Fils n'a pas, mais que quelque chose convient au Père selon un rapport et selon un autre au Fils.

Il faut en dire autant de l'action et de la puissance. Car la génération signifie la puissance avec une certaine relation et la puissance d'engendrer signifie la puissance avec une relation; c'est pourquoi la génération même est l'action de Dieu, mais en tant qu'il est Père seulement, et semblablement la puissance même d'engendrer est la toute-puissance de Dieu selon qu'elle est du Père seulement. Et cependant il n'en découle pas que le Père puisse ce que ne peut pas le Fils. Mais tout ce que peut le Père, le Fils le peut, quoiqu'il ne puisse engendrer, car on dit qu'engendrer est une relation.

 

Solution des objections:

1. Pouvoir engendrer concerne la toute-puissance, mais pas comme elle est dans le Fils, comme on l'a dit dans le corps de l'article.

2. Augustin n'a pas l'intention de montrer toute la nature de la toute-puissance dans ces paroles, mais d'en montrer un signe. Et il n'en parle que dans la mesure où elle s'étend aux créatures.

3. Ce qui est possible pour ce à quoi s'étend la toute-puissance n'est pas à recevoir seulement pour le contingent, parce que ce qui est nécessaire est amené à l'être par la puissance divine, et ainsi rien n'empêche que la génération du Fils soit comptée parmi les possibilités de la puissance divine.

4. Quoique la toute-puissance, considérée dans l'absolu, ne soit pas le propre du Père, cependant dans la mesure où un mode déterminé d'existence ou une relation déterminée est comprise en lui, elle devient le propre du Père; ainsi ce qu'on appelle Dieu le Père est le propre du Père, quoique Dieu soit commun aux trois personnes.

5. Une seule et même essence pour les trois personnes, non cependant sous la même relation, ou selon le même mode d'existence est dans les trois personnes, il en est de même pour la toute-puissance.

6. La génération du Fils et la création des créatures ne sont pas d'une même nature selon l'univocité, mais par analogie seulement. Car Basile dit que le fait que le Fils reçoive est commun à toute créature, et sous ce rapport, il est appelé "premier-né de toute créature" et pour cette raison sa génération peut être attribuées aux productions de la créature sous une seule attribution.

7. La génération du Fils est soumise à la toute-puissance, non de la manière par laquelle le sujet désigne une infériorité mais par celle par laquelle il désigne seulement l'objet de la puissance.

8. La génération du Fils signifie une relation par mode d'action et le Fils par mode d'hypostase subsistante; et c'est pourquoi rien n'empêche qu'on désigne la toute-puissance en rapport avec cela.

Les autres raisons n'apportent pas de conclusions, sinon que le pouvoir d'engendrer concerne la toute-puissance du Père.

 

Article 6: La puissance d'engendrer et celle de créer sont-elles une même puissance?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car la génération est l'opération ou l'oeuvre de la nature, comme Jean Damascène le dit: mais la création est l'oeuvre de la volonté, comme le montre Hilaire. Mais la volonté et la nature ne sont pas un même principe, mais sont divisées en opposés, comme on le voit in Phys. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas la même.

2. On distingue les puissances par l'acte, comme il est écrit in De Anima. Mais la génération et la création sont des actes très différents. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas une seule puissance.

3. L'unité de ceux qui sont désignés par un même nom est moindre que celle de ceux qui ont le même être. Mais la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont nullement désignées par un même nom, ni la génération et la création, ni le Fils et la créature. Donc la puissance d'engendrer et celle de créer ne sont pas une même chose en essence.

4. Il n'y a pas d'ordre en ce qui est pareil. Mais la puissance de créer est avant la puissance d'engendrer selon l'intellect, comme ce qui est de l'essence est avant ce qui est de la notion. Donc les puissances dont on parle ne sont pas une même chose.

 

Cependant:

1. En Dieu la puissance et l'essence ne diffèrent pas. Il y a seulement une seule essence divine. Donc une puissance seulement. Donc on ne distingue pas ces puissances.

2. Dieu ne fait pas par plusieurs moyens ce qu'il peut faire par un seul. Mais par une seule puissance Dieu peut engendrer et créer, surtout puisque la génération du Fils est la raison de la production de la créature; selon ce qu'expose Augustin: "Il dit et ce fut fait, c'est-à-dire, il engendra le verbe en qui était ce qui était à faire." Donc la puissance d'engendrer et de créer est une seulement.

 

Réponse:

Comme on l'a dit ci-dessus, ce qui est dit de la puissance en Dieu doit être considéré à partir de l'essence même. En Dieu, bien qu'une relation soit distinguée d'une autre, réellement à cause de l'opposition des relations qui sont réelles en Dieu, cependant elle n'est pas autre chose en réalité que l'essence même mais différente seulement en raison: car la relation ne s'oppose pas à l'essence. Et c'est pourquoi il ne faut pas concéder que ce qui est absolu en Dieu est multiplié, comme certains disent qu'en lui l'être est double, essentiel et personnel.

Car tout l'être en Dieu est essentiel et la personne n'est que par l'être de l'essence. Mais dans la puissance, au-delà de ce qui est la puissance elle-même, on considère un rapport ou un ordre à ce qui est soumis à la puissance. Donc si la puissance qui est en rapport avec l'acte essentiel, comme la puissance de penser (intelligendi) et de créer, est comparée à la puissance qui est en rapport avec l'acte notionnel (la puissance d'engendrer est de ce genre) selon ce qui est la puissance même, on trouve une seule et même puissance de même que l'être de la nature et de la personne est un et le même. Mais cependant à chaque puissance on comprend un rapport différent selon les divers actes pour lesquels on les appelle puissance.

Donc ainsi la puissance d'engendrer et de créer est une seule et même puissance, si on considère ce qu'est la puissance, elles diffèrent cependant selon des rapports différents à des actes différents.

 

Solution des objections:

1. Bien que, dans les créatures, la nature et l'intention soient différentes, en Dieu cependant ils sont une même chose en réalité. Ou bien on peut dire que la puissance de créer ne désigne pas une intention ou la volonté, mais une puissance dans la mesure où elle est commandée par la volonté. Mais la puissance d'engendrer agit selon que la nature la pousse. Mais cela ne crée pas la diversité de la puissance, car rien n'empêche qu'une puissance soit commandée à un acte par la volonté et inclinée à un autre par la nature. Ainsi notre esprit est poussé à croire par la volonté, il est conduit à comprendre les premiers principes par la nature.

2. Plus une puissance est supérieure, puis elle s'étend à de nombreux objets; c'est pourquoi elle est moins distincte par la diversité des objets, ainsi l'imagination est une puissance en rapport avec tout le sensible, par le rapport qui distingue les sensations particulières. Mais la puissance divine est extrêmement élevée; donc la différence des actes dans la puissance même, quant à ce qui est, n'apporte pas la diversité, mais, selon une seule puissance, Dieu peut tout.

3. La puissance d'engendrer et celle de créer, quant à la substance de la puissance, pour ainsi dire, ne sont pas désignés par un même nom seulement mais sont une seule même puissance. Mais ce qu'on dit analogiquement est de l'ordre de l'acte.

4. Les puissances dont on a parlé ne sont ordonnées selon l'avant et l'après, que si on les distingue. Donc leur ordre ne s'étend que par rapport à l'acte. Cela montre que la puissance d'engendrer reste avant la puissance de créer, comme la génération avant la création. Dans la mesure où on les compare à l'essence, elles sont une même chose et il n'y a pas d'ordre en elles.

 

Question 3: La création qui est le premier effet de la puissance divine.

 

Article 1: Dieu peut-il créer de rien?

 

Objections:

1. Il semble que non. Dieu ne peut agir contre la conception commune de l'esprit: faire que le tout ne soit pas plus grand que la partie. Mais, comme le dit le philosophe, la conception commune: "Rien ne vient de rien" provient de l'opinion des philosophes. Donc Dieu ne peut rien faire de rien.

2. Tout ce qui est fait, avant d'exister, en avait la possibilité: car s'il lui était impossible d'être, il ne pouvait pas être fait. Car rien ne se change en ce qui est impossible. Mais la puissance par laquelle quelque chose peut exister ne peut être que dans un sujet, à moins que par hasard elle-même soit le sujet. Car un accident ne peut exister sans sujet. Donc tout ce qui est fait est fait à partir de la matière ou d'un sujet. En conséquence, il est impossible que quelque chose soit fait de rien.

3. On ne peut traverser une distance infinie. Mais du non être absolu à l'être, la distance est infinie. Ce qui apparaît ainsi: moins une puissance est disposée à l'acte, plus elle en est distante. C'est pourquoi, si on supprime tout à fait la puissance, la distance sera infinie. Donc il est impossible que quelque chose passe du non être absolu à l'être.

4. Le philosophe dit que des objets tout à fait dissemblables n'interagissent pas entre eux. Car il faut que l'agent et le patient s'accordent dans le genre et la matière. Mais le non être absolu et Dieu ne s'accordent en rien. Donc Dieu ne peut agir sur le non être absolu et ainsi il ne peut pas faire quelque chose de rien.

5. Mais on pourrait dire que cette raison procède d'un agent dont l'action est différente de la substance et doit être reçue dans un sujet. En sens contraire, Avicenne dit que si la chaleur était dépourvue de matière, elle agirait par elle-même, sans matière et cependant son action ne serait pas sa substance. Donc le fait que l'action de Dieu soit son essence n'est pas une raison pour qu'il n'ait pas besoin de matière.

6. De rien on ne conclut rien, ce qui est un certain cheminement de la raison. Mais l'être de raison suit l'être de nature. Donc même dans la nature, on ne peut rien faire de rien

7. Dans la phrase: "Si quelque chose est fait de (ex) rien, la préposition "ex" désigne la cause ou une relation. Si c'est la cause, elle paraît ne signifier qu'une cause efficiente ou matérielle. Mais le néant ne peut être ni la cause efficiente de l'être ni sa matière et ainsi dans l'intention, il n'indique pas la cause, ni de la même manière la relation, parce que, comme le dit Boèce, de l'être au non-être, il n'y a pas de relation. Donc, en aucune manière, rien ne peut être fait de rien.

8. La puissance active, Selon le philosophe, est le principe d'un changement en autre chose, en tant qu'autre. Mais la puissance de Dieu est uniquement active. Donc elle requiert un sujet de changement et ainsi elle ne peut faire quelque chose de rien.

9. Dans les êtres, la diversité vient du fait qu'une chose est plus parfaite qu'une autre. Mais la cause de cette diversité ne vient pas de Dieu qui est un et simple. Donc il faut en assigner la cause à la matière. En conséquence, il faut affirmer que les créatures ont été faites de matière et non de rien.

10. Ce qui a été fait de rien possède l'être après le non être. Il faut donc considérer un instant, à la fin duquel il n'existe pas et auquel cesse le non être et un autre instant au début duquel il existe et auquel l'être commence. Donc ou c'est un même et unique instant ou ce sont des instants différents. Si c'est le même, il s'ensuit que deux choses contradictoires existent dans le même instant; s'ils sont différents, comme entre deux instants il y a un temps intermédiaire, il s'ensuit que quelque chose est intermédiaire entre l'affirmation et la négation; car on ne peut pas dire qu'il n'était pas après l'ultime instant en lequel il ne fut pas, ni qu'il est avant le premier dans lequel il fut. L'un et l'autre sont impossibles, à savoir que les deux termes de la contradiction soient en même temps et qu'elle ait un intermédiaire. Donc il est impossible que quelque chose soit fait de rien.

11. Il est nécessaire que ce qui a été fait, le soit dans un temps donné et ce qui a été créé aussi. Donc ce qui est créé est fait et a été fait en même temps ou pas. Mais on ne peut pas dire que ce n'est pas en même temps, parce que la créature n'existe pas avant d'avoir été faite. Si donc son devenir est avant d'avoir été faite, il faudra qu'il y ait quelque sujet de l'action, ce qui est contre la définition de la création. S'il se fait et a été fait en même temps, il s'ensuit qu'il est fait et non fait en même temps, parce que ce qui a été fait dans la durée existe; ce qui cependant se fait n'est pas. Mais cela est impossible. Donc il est impossible que quelque chose soit fait ou créé de rien.

12. Tout agent fait quelque chose de semblable à lui. Mais il agit selon qu'il est en acte. Donc rien n'est fait que ce qui est en acte. Mais la matière première n'est pas en acte. Donc elle ne peut être faite, surtout par Dieu qui est acte pur; et ainsi tout ce qui est fait, est fait d'une matière présupposée, et non de rien.

13. Tout ce que Dieu fait, il l'opère par l'idée, comme l'artisan fait ses oeuvres par les formes de son art. Mais la matière première n'a pas d'idée en Dieu, parce que l'idée est une forme, et une ressemblance à son effet. Comme on comprend la matière première, selon son essence, hors de toute forme, sa forme ne peut pas en être la représentation. Donc elle ne peut avoir été faite par Dieu; et de même que ci-dessus.

14. Il ne peut y avoir un même principe pour la perfection et l'imperfection. Dans les choses on trouve l'imperfection, puisque certaines sont meilleures que d'autres, ce qui ne peut arriver que par l'imperfection des inférieures. Donc puisque le principe de la perfection est Dieu, il faudra ramener l'imperfection à un autre principe. Mais il ne peut être que dans la matière. Donc il faudra que les choses aient été faites d'une matière et non de rien

15. Si quelque chose est fait de rien ou il en est fait comme d'un substrat; - ainsi la statue est faite d'airain, ou bien comme d'un opposé, comme le figuré est fait du non figuré - ou bien d'un composé comme la statue est faite de l'airain sans forme. Mais rien ne peut être fait du néant comme d'un substrat, parce que le non être ne peut être la matière de l'être ni fait comme d'un composé, parce qu'ainsi le non être serait transformé en être, comme l'airain sans forme est transformé en airain en forme et ainsi il faudrait que quelque chose soit commun à l'être et au non être, ce qui est impossible; ni même fait comme de l'opposé, puisque le non être absolu et l'être diffèrent encore plus que deux êtres de genres différents, dont l'un n'est pas fait par l'autre; ainsi la figure ne devient pas couleur, sinon par hasard par accident. Donc en aucune manière, rien ne peut être fait de rien

16. Tout ce qui est par accident est ramené au par soi. A partir du contraire, on fait quelque chose par accident et à partir du sujet, on fait quelque chose par soi; ainsi la statue est faite à partir de quelque chose sans forme par accident, mais elle est faite à partir de l'airain par soi, parce qu'il arrive à l'airain d'être sans forme. Si donc quelque chose est fait du non être, il le sera par accident. Donc il faut qu'il soit fait par soi à partir d'un sujet, et ainsi il n'est pas fait de rien.

17. Celui qui fait donne l'être à ce qui est fait. Si donc Dieu fait quelque chose de rien, il donne l'être à quelque chose. Donc, ou il y a quelque chose qui reçoit l'être, ou il n'y a rien. S'il n'a a rien, donc ce rien est constitué en être par cette action, et ainsi il ne devient pas quelque chose. Mais s'il y a quelque chose qui reçoit l'être, cela sera autre chose que ce qui est Dieu, parce que celui qui reçoit et ce qui est reçu ne sont pas le même. Donc Dieu crée à partir de quelques chose qui préexiste, et non de rien.

 

Cependant:

1. "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." La glose de Bède dit que "Créer c'est faire quelque chose de rien". Donc Dieu peut faire quelque chose de rien.

2. Avicenne dit que l'agent qui agit par accident a besoin de la matière sur laquelle il agit. Mais Dieu n'agit pas par accident, au contraire son action est sa substance. Donc il n'a pas besoin de matière sur laquelle agir et ainsi il peut faire quelque chose de rien.

3. Le pouvoir de Dieu est plus puissant que celui de la nature. Mais celui-ci fait un être de ce qui était en puissance. Donc le pouvoir de Dieu fait quelque chose de plus et ainsi il le fait de rien.

 

Réponse:

Il faut affirmer fermement que Dieu peut faire quelque chose de rien et qu'il le fait. Pour le mettre en évidence, il faut savoir que tout agent agit selon qu'il est en acte. C'est pourquoi il faut que de cette manière, l'action soit attribuée à un agent à qui il convient d'être en acte. Un être particulier est en acte de manière particulière. Et cela de deux manières:

1. Par comparaison à lui-même, parce que ce n'est pas toute sa substance qui est acte, puisque les choses de ce genre sont composées de matière et de forme et de là vient qu'un être naturel n'agit pas tout entier par soi mais agit par sa forme par laquelle il est en acte.

2. Par comparaison à ce qui est dans l'acte. Car en aucun être naturel ne sont inclus l'acte et les perfections de tout ce qui est dans l'acte, mais chacun d'eux a un acte limité à un seul genre et à une seule espèce, et de là vient qu'aucun d'entre eux n'est actif en son être, en tant qu'être, mais en cet être, en tant qu'il est cet être, limité à cette espèce-ci ou à celle-là, car l'agent fait quelque chose de semblable à lui.

Et c'est pourquoi l'agent naturel ne produit absolument pas un être, mais un être préexistant et limité à ceci ou à cela, comme limité à l'espèce du feu, à la blancheur ou à quelque chose de ce genre. Et c'est pourquoi, l'agent naturel agit en mettant en mouvement et ainsi il a besoin de la matière qui est le sujet du changement ou du mouvement et, pour cela, il ne peut pas faire quelque chose de rien. Dieu au contraire est totalement acte - et par rapport à lui-même, parce qu'il est acte pur, sans puissance mêlée- et par rapport à ce qui est dans l'acte, parce qu'en lui est l'origine de tous les êtres. C'est pourquoi, par son action, il produit l'être entier subsistant, sans rien de présupposé, étant donné qu'il est le principe de l'être entier et en soi tout entier principe. Et à cause de cela il peut faire quelque chose de rien et son action est appelée création.

C'est pour cela qu'on dit dans le Livre des Causes que l'être existe par création, mais que la vie et les autres choses de ce genre existent par mise en forme. Car les causalités de l'être sont ramenées absolument à la cause première universelle, mais pour ce qui est ajouté à l'être ou ce par quoi il est spécifié, la causalité appartient aux causes secondes qui agissent en donnant une forme, en supposant aussi la cause universelle. Et de là vient que rien ne donne l'être que dans la mesure où il y a en lui participation du pouvoir divin. C'est pour cela qu'on dit aussi dans le Livre des Causes que l'âme noble a une opération divine dans la mesure où elle donne l'être.

 

Solution des objections:

1. "Rien ne vient de rien". Le philosophe dit que c'est la conception du sens commun ou l'opinion des Naturalistes, parce que l'agent naturel qu'ils considèrent n'agit que par mouvement. C'est pour cela qu'il faut qu'il y ait un sujet du mouvement ou du changement, qui n'est pas nécessaire pour l'agent surnaturel, comme on l'a dit.

2. Avant que le monde ait existé, son existence était possible: il ne faut pas cependant qu'une matière préexistât dans laquelle serait établie la puissance. Car il est dit que quelque chose est quelquefois possible, non en raison d'une puissance, mais parce que, dans les termes de son énoncé, il n'y a rien qui s'y oppose, selon que le possible est opposé à l'impossible. Ainsi donc, on dit qu'avant que le monde ait existé, il était possible qu'il soit fait, parce qu'il n'y avait aucune opposition entre le prédicat de l'énoncé et le sujet. On peut dire aussi qu'il était possible à cause d'une puissance active de l'agent, non à cause de la puissance passive de la matière. Le philosophe use de cet argument. dans les générations naturelles contre les Platoniciens qui disaient que les formes séparées étaient les principes de la génération naturelle.

3. Il faut dire que de l'être au non être absolu, il y a en quelque sorte et toujours une distance infinie, mais pas cependant de la même manière. Quelquefois d'une partie infinie à une autre infinie, comme lorsqu'on compare le non être à l'être divin qui est infini, comme si on comparait la blancheur infinie au noir infini. Quelquefois la partie n'est finie que d'un côté, comme quand on compare le non être absolu à l'être créé qui est fini, comme si on comparaît le noir infini à une blancheur finie. Donc en cet être qui est infini, le passage à partir du non être ne peut pas se faire, mais dans celui qui est fini un tel passage peut se faire, selon que la distance du non être à cet être est limitée d'un côté, quoique ce ne soit pas à proprement parler un passage: car c'est ainsi dans les mouvements continus par lesquels passe partie après partie. Car ainsi, en aucune manière, on arrive à traverser l'infini.

4. Quand quelque chose est fait de rien, le non être ou le néant ne joue le rôle de patient que par accident, mais il joue davantage le rôle de contraire pour qui est fait par l'action. Et même dans l'ordre naturel, l'opposé ne joue le rôle de patient que par accident, mais c'est plutôt le substrat qui le joue.

5. Si la chaleur était privée de matière, elle agirait sans la matière requise de la part de l'agent, mais non sans celle nécessaire au patient.

6. La conclusion se comporte dans le raisonnement comme le mouvement dans les actions de la nature, parce qu'en concluant, la raison passe d'un objet à une autre. Et de même que tout mouvement naturel dépend de quelque chose, de même toute conclusion dans le raisonnement. De même comprendre les principes, ce qui est le principe pour conclure, ne dépend pas de quelque chose d'où l'on conclut, de même la création, qui est le principe de tout mouvement, ne dépend de rien.

7. Quand on dit que quelque chose est fait de rien, le sens est double, comme le montre Anselme dans son Monologion. Car la négation exprimée par "rien" peut nier la préposition ex, ou peut être incluse sous elle. Mais si elle nie la préposition, elle peut encore avoir double sens: 1. Comme la négation porte sur le tout, non seulement la préposition est niée, mais encore le mot, comme si on disait quelque chose est fait de rien parce qu'il n'est pas fait, comme on peut dire de celui qui se tait qu'il ne parle de rien: et ainsi de Dieu nous pouvons dire qu'il est fait de rien, parce qu'il n'est absolument pas fait: cependant ce mode de parler n'est pas habituel.

2. Autre sens: le mot demeure affirmé, mais la négation porte seulement sur la préposition et ainsi on dit que quelque chose est fait de rien parce qu'il est fait, mais rien de ce dont il est fait n'a préexisté. Ainsi nous disons que quelqu'un est attristé par rien parce qu'il n'a pas de cause à sa tristesse, et de cette manière, pour la création on dit, que quelque chose est fait de rien. Mais si la préposition inclut la négation, alors le sens est double: l'un est vrai, l'autre faux. Faux si sa position exprime une relation de cause (car le non être ne peut en aucune manière être cause de l'être); vrai s'il exprime l'ordre seulement, comme on dit que quelque chose est fait de rien parce qu'il est fait après rien, ce qui est vrai dans la création. Mais ce que Boèce dit que du non être à l'être il n'y a pas d'ordre, il faut le comprendre de l'ordre d'un rapport déterminé ou de celui d'une relation réelle, qui ne peut exister entre l'être et le non être, comme Avicenne le dit.

8. Cette définition est comprise de la puissance active naturelle.

9. Dieu ne crée pas par nécessité de nature, mais selon l'ordre de sa sagesse. Et c'est pourquoi il ne faut pas que la diversité des choses viennent de la matière, mais de l'ordre de la sagesse divine, qui institua des natures diverses pour achever l'univers.

10. Quand quelque chose est fait de rien, l'être de ce qui est fait est d'abord dans un instant, mais le non être n'est ni dans cet instant ni dans un instant réel, mais imaginaire seulement, En effet, hors de l'univers, il n'y a pas de dimension réelle, mais imaginaire seulement, selon laquelle nous pouvons dire que Dieu peut faire quelque chose hors l'univers seulement ou seulement quelque chose d'éloigné de l'univers: de la même manière avant le commencement du monde, il n'y eut pas de temps réel, mais un temps imaginaire, et en lui il est possible d'imaginer un instant à la fin duquel il y eut du non être. Et il ne faut pas, qu'entre ces deux instants, il y ait un temps intermédiaire puisque le temps réel et le temps imaginaire n'ont pas de rapport.

11. Ce qui est fait de rien, se fait et est fait en même temps. Et il en est de même dans tous les changements instantanés. Car au même moment l'air s'illumine et est illuminé. Car on dit qu'avoir été fait en telles conditions, c'est être fait, selon qu'il est dans le premier instant dans lequel il a été fait. Ou on peut dire que ce qui est fait de rien, est dit fait quand il a été fait non selon le mouvement, qui est d'un terme à un autre, mais selon le passage de l'agent à la chose faite. Car on trouve les deux dans la génération naturelle, à savoir le passage d'un terme à un autre et l'écoulement à partir de l'agent dans la chose faite, dont l'un des deux seulement est proprement dans la création.

12. On ne peut pas dire à proprement parler que la matière, la forme, ni l'accident sont faits, mais ce qui est fait c'est l'être subsistant. Car comme être fait se termine à l'être, il convient proprement d'être fait à celui à qui il convient d'être par soi, c'est-à-dire à la chose subsistante; c'est pourquoi ni la matière ni la forme ni l'accident sont dits proprement créés mais co-créés. Proprement c'est la chose subsistante qui est créée, quelle qu'elle soit. Si cependant le caractère essentiel n'y est pas fait, alors il faut dire que la matière première a une ressemblance avec Dieu dans la mesure où elle participe de l'être. Car de même que la pierre est semblable à Dieu en tant qu'être, bien qu'elle ne soit pas spirituelle comme lui, ainsi la matière première ressemble à Dieu en tant qu'être, non en tant qu'être en acte. Car l'être commun est d'un certaine manière en puissance et en acte.

13. A proprement parler la matière n'a pas d'idée, mais le composé en a une, puisque l'idée est une forme qui crée. Cependant on peut dire qu'il y a une idée de la matière selon qu'elle imite l'essence divine d'une certaine manière.

14. Il ne faut pas, si de deux créatures l'une est plus digne, que la moins digne ait une imperfection. Car l'imperfection désigne un manque de ce qu'elle est destinée à avoir ou qu'elle doit avoir. Donc dans la gloire, quoique un des saints en dépasse un autre, cependant aucun ne sera imparfait. Mais s'il y a quelque imperfection dans les créatures, il ne faut pas qu'elle vienne de Dieu ni de la matière, mais du fait que la créature vient de rien.

15. On dit que quelque chose est fait de rien comme de son opposé selon le sens exposé plus haut. Cependant il ne faut pas que d'un être d'un genre soit fait un être d'un autre genre, comme de la couleur et la figure. Car l'être et le non être ne peuvent coexister, mais la couleur et la figure le peuvent. Mais le "dans" (in) d'où la chose est faite doit être un "dans" (in) possible pour lui, comme on le dit in I, Phys. parce qu'il n'arriverait pas à être en même temps.

16. Si le "ex" désigne la cause, quelque chose n'est fait de son opposé que par accident, à savoir par la raison du sujet. S'il désigne l'ordre, alors quelque chose est fait de l'opposé même par soi, c'est pourquoi la privation est appelée principe de faire l'être mais non d'être. De cette manière, on dit que quelque chose est fait de rien comme on l'a dit plus haut dans le corps de l'article.

17. Dieu, en même temps qu'il donne l'être produit ce qui le reçoit. Et ainsi il n'a pas besoin d'agir à partir de quelque chose de préexistant.

 

Article 2: La création est-elle un changement?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car un changement, d'après son nom, désigne un état après un état antérieur. Mais c'est ainsi que se comporte la création: l'être, en effet, est créé après le non être. Donc la création est un changement.

2. Tout ce qui est fait est fait d'une certaine manière à partir du non être, parce que ce qui est ne se fait pas. Donc, de la même manière que se comporte la génération, d'après laquelle la chose est faite selon une partie de sa substance, pour combler la privation de la forme, qui est un non être relatif, de cette manière se comporte la création par laquelle la chose est faite selon toute sa substance pour combler le non être absolu. Mais la privation de la forme est à proprement parler le terme de la génération. Donc le non être absolu est proprement le terme de la création et ainsi, à vrai dire, la création est un changement.

3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement. Car le changement est plus grand de blanc à noir que de blanc à blanc pâle. Mais le non être absolu est plus loin de l'être qu'un contraire de son contraire ou le non être relatif de l'être. Donc comme le passage d'un contraire à son contraire, ou du non être relatif de l'être, devient changement, le passage du non être absolu à l'être, qu'est la création, sera beaucoup plus un changement.

4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant qu'auparavant est soumis au changement ou au mouvement. Mais ce qui est créé ne se comporte pas de la même manière maintenant et auparavant; parce qu'avant c'était un non être absolu et après il est devenu un être. Donc, ce qui est créé est mu ou changé.

5. Ce qui passe de la puissance à l'acte subit un changement. Mais ce qui est créé passe de la puissance à l'acte; parce qu'avant la création il était seulement dans la puissance du créateur, mais ensuite il est en acte. Donc ce qui est créé, a subi un mouvement ou un changement: donc la création est un changement.

 

Cependant:

Les espèces de mouvements ou changements sont au nombre de six Selon le philosophe, dans Les catégories. Aucun d'elles n'est création, comme cela paraît à qui les examine une à une. Donc la création n'est pas un changement.

 

Réponse:

Dans un changement, il faut un même élément commun à chacun des deux termes du changement. Car si les termes opposés du changement ne concordaient en rien, on ne pourrait pas parler de passage de l'un à l'autre. En effet, par le nom de changement et celui de passage, on désigne une même chose, qui se comporte autrement maintenant qu'auparavant. Et aussi ces termes du changement ne sont pas incompatibles, ce qui est requis pour qu'ils en soient les termes, sauf s'ils se rapportent à un même être. Il arrive en effet que deux contraires soient ensemble s'ils se rapportent à des sujets différents.

Donc parfois il arrive que, pour chaque terme du changement, il y a un seul sujet commun qui existe en acte; c'est alors proprement un mouvement, comme cela arrive dans l'altération, la croissance, la diminution et le changement de lieu. Car dans tous ces mouvements un seul et même sujet qui existe en acte, est changé d'un opposé à son opposé. Mais quelquefois c'est le même sujet commun à l'un et l'autre terme, non un être en acte, mais en puissance seulement, comme cela arrive absolument dans la génération et la corruption. Car le sujet de la forme substantielle et de la privation est la matière première qui n'est pas un étant en acte. C'est pour cela que ni la génération, ni la corruption ne sont à proprement parler des mouvements, mais des changements.

Mais parfois il n'y a de sujet commun ni en acte ni en puissance: mais c'est le même temps continu, dans la première partie duquel il y a un opposé et dans la seconde un autre, comme quand on dit que ceci est devenu cela, c'est-à-dire après cela, comme le midi est fait du matin. Mais on n'appelle pas cela un changement au sens propre, mais par analogie, dans la mesure où on imagine le temps lui-même comme sujet de ce qui se fait dans ce temps.

Mais dans la création, il n'y a rien de commun avec l'un des modes dont on a parlé. Car il n'y a pas de sujet commun ni en acte ni en puissance. Le temps non plus n'est pas le même, si nous parlons de création de l'univers: car avant le monde, le temps n'existait pas. Cependant on trouve un sujet commun en imagination seulement, c'est-à-dire dans la mesure où nous imaginons un temps commun pendant lequel le monde n'existait pas et après lequel il a été produit dans l'être. Car hors de l'univers il n'y a pas de grandeur réelle, nous pouvons cependant en imaginer une; de la même manière, avant le commencement du monde, le temps n'a pas existé, quoiqu'il soit possible de l'imaginer. Et pour cela, la création, à proprement parler, n'est pas véritablement définie comme un changement mais l'est seulement en imagination; non au sens propre, mais par analogie.

 

Solution des objections:

1. Le changement, par son nom, désigne un état qui existe après un premier état, pour quelque chose de semblable, comme il a été dit dans le corps de l'article. Cela n'existe pas dans la création.

2. Dans la génération, d'après laquelle une chose est fait selon une partie de sa substance, il y a un substrat commun à la privation et à la forme et il n'existe pas en acte et c'est pourquoi de même qu'on prend ici le terme au sens propre, de même on prend aussi le passage au sens propre, ce qui n'existe pas dans la création, comme on l'a dit dans le corps de l'article.

3. Plus grande est la distance entre les termes, plus grand est le changement, si on suppose l'identité du sujet.

4. Ce qui ne se comporte pas de la même manière maintenant et avant, subit un changement, si on suppose la préservation du substrat. Autrement le non être absolu serait changé, parce qu'il ne se comporte pas d'une manière semblable maintenant et avant ni même d'une manière différente. Mais il faut pour qu'il y ait un changement, qu'il y ait une même chose qui se comporte de manière différente maintenant et auparavant.

5. La puissance passive est sujet de changement, non la puissance active et c'est pourquoi ce qui passe de la puissance passive à l'acte est changé, mais non ce qui sort de la puissance active et c'est pourquoi l'objection ne vaut pas.

 

Article 3: La création est-elle une chose réelle dans la créature et si oui, quelle est-elle?

 

Objections:

1. Ce n'est pas, semble-t-il, quelque chose de réel dans la créature. Comme on le dit dans le Livre des Causes, tout ce qui est reçu en quelque chose, y est selon le mode de celui qui reçoit. Mais l'action de Dieu Créateur est entièrement reçue dans le non être: parce que Dieu en créant fait quelque chose de rien. Donc la création n'apporte rien de réel dans la créature.

2. Tout ce qui est dans le nature des choses est Créateur ou créature. Mais la création n'est ni le créateur, parce qu'ainsi elle serait éternelle, ni non plus une créature, parce qu'elle serait créée par une création; laquelle aurait besoin d'être créée et ainsi à l'infini. Donc la création n'est rien dans la nature des choses.

3. Tout ce qui existe est substance ou accident. Mais la création n'est pas une substance, puisque elle n'est ni matière, ni forme, ni composé, comme on peut le découvrir facilement. Elle n'est pas non plus un accident parce que celui-ci suit son sujet. Mais la création est naturellement antérieure au créé, qui ne suppose en soi aucun substrat. Donc la création n'est rien dans la nature des choses.

4. La création se comporte vis-à-vis de la créature comme la génération vis-à-vis de l'engendré. Mais le sujet de la génération n'est pas ce qui est engendré, mais c'est plutôt son terme. Son substrat est la matière première, comme il est dit in La génération et la corruption. Donc le substrat de la création n'est pas la créature. Et on ne peut pas dire que son sujet soit la matière puisque la créature n'est pas créée à partir de celle-ci. Donc la création n'a pas de sujet et ainsi elle n'est pas un accident. Il est clair qu'elle n'est pas une substance. Donc elle n'est rien dans la nature des choses.

5. Si la création est quelque chose dans la nature des choses, comme elle n'est pas changement, comme on l'a dit plus haut, elle paraît être surtout une relation. Mais ce n'en est pas une, puisqu'elle ne peut être contenue dans aucune espèce de relation. Car pour le non être absolu d'où part la relation, l'être n'est absolument ni supposé ni égal. Donc la création est rien dans la nature des choses.

6. Si la création importe une relation de l'être créé à Dieu de qui il tient l'être, comme cette relation demeure toujours dans la créature, non seulement quand il commence à être, mais aussi longtemps qu'il existe, continuellement quelque chose serait créé, ce qui paraît absurde. Donc la création n'est pas une relation et ainsi de même que plus haut.

7. Toute relation qui existe réellement dans les choses est acquise de quelque chose qui est différent de la relation même, comme l'égalité est différente de la quantité et la ressemblance de la qualité. Donc si la création est une relation qui existe réellement dans la créature, il faut qu'elle diffère de ce par quoi la relation est acquise. Mais c'est ce qui est reçu par création. Donc il s'ensuit que la création même ne serait pas reçue par une création et ainsi il en découle qu'elle serait quelque chose d'incréé, ce qui est impossible.

8. Tout changement est ramené au genre où il se termine, comme l'altération à la qualité et la croissance à la quantité et à cause de cela on dit. qu'il y a autant d'espèces de mouvements qu'il y a d'espèces d'êtres. Mais la création se termine à la substance; et cependant on ne peut pas dire qu'elle soit dans le genre de la substance, comme on l'a dit ci-dessus à l'objection 3. Donc il ne paraît pas que ce soit quelque chose de réel.

 

Cependant:

1. Si la création n'est rien, donc rien n'est réellement créé. Ce qui paraît faux. Donc la création est quelque chose dans la nature des choses.

2. Dieu est le maître de la créature, parce qu'en la créant, il la fait venir à l'être. Mais son pouvoir est une relation, qui existe réellement dans la créature. Donc la création encore beaucoup plus.

 

Réponse:

Certains ont dit que la création est quelque chose dans la nature des choses, intermédiaire entre le créateur et la créature. Et parce qu'il n'y a aucun intermédiaire entre les extrêmes, il s'ensuivrait que la création ne serait ni créateur, ni créature. Mais cela a été jugé faux par les professeurs, puisque toute chose de quelque manière qu'elle existe n'a l'être que de Dieu et est ainsi une créature.

A cause de cela, d'autres ont dit que la création elle-même n'établit rien en réalité du côté de la créature. Mais cela ne paraît pas convenir. Car dans tout ce qui est mis en relation réciproquement sous un rapport dont l'un dépend de l'autre et non le contraire, dans ce qui dépend de l'un, on trouve réellement une relation, mais dans l'autre on la trouve en raison seulement, comme cela paraît dans la science et le savoir, comme le philosophe le dit. La créature d'après son nom a rapport au créateur. Elle dépend de lui, et non le contraire. Donc il faut que la relation, par laquelle la créature est référée au créateur, soit réelle. Mais en Dieu il n'y qu'une relation de raison seulement. Et cela le Maître le dit expressément.

Et c'est pourquoi il faut dire que la création peut être considérée de façon active ou passive. Si on la considère comme active, elle désigne ainsi l'action de Dieu, qui est son essence, avec relation à la créature, qui n'est pas une relation réelle, mais de raison seulement. Si on la prend au sens passif, la création, comme on l'a dit plus haut, à proprement parler n'est pas un changement, on ne peut pas dire qu'elle soit dans le genre de la passivité, mais elle est dans celui de relation.

Ce qui apparaît ainsi: dans tout changement vrai et tout mouvement, on trouve un double processus. L'un est le mouvement d'un terme à un autre, comme de la blancheur à la noirceur; l'autre de l'agent au patient, comme de celui qui fait à ce qui est fait. Mais ces processus ne se comportent pas de la même manière, dans le mouvement lui-même et au terme du mouvement. Car par le mouvement, ce qui est mu s'éloigne d'un terme du mouvement et accède à l'autre, qui n'est pas dans le terme du mouvement; comme cela paraît dans ce qui passe de la blancheur à la noirceur. Parce que dans le terme même du mouvement déjà, il n'arrive pas à la noirceur mais il commence à être noir. De même pendant qu'il est dans le mouvement même, le patient ou ce qui est fait, est changé par l'agent, mais quand il est au terme du mouvement, il n'est plus changé par l'agent, mais ce qui est fait reçoit une relation avec l'agent dans la mesure où il a l'être de lui, et où il lui est semblable d'une certaine manière, comme au terme de la génération humaine, l'enfant reçoit la filiation.

Mais la création, comme on l'a dit ne peut être reçue comme mise en mouvement qui est avant son terme, mais elle est reçue comme être dans ce qui est fait; c'est pourquoi dans la création même, ce n'est pas un accès à l'être qui est apporté, ni un changement par le créateur, mais seulement un commencement d'être et une relation au créateur de qui il tient l'être et ainsi la création n'est réellement rien d'autre qu'une relation à Dieu avec la nouveauté de l'être.

 

Solution des objections:

1. Dans la création, ce n'est pas le non être qui ne se comporte pas comme recevant l'action divine, mais ce qui est créé, comme on l'a dit ci-dessus.

2. La création, prise au sens actif, signifie l'action divine avec une relation que l'on reçoit avec elle, et ainsi c'est de l'incréé; mais prise au sens passif, comme on l'a dit, la relation est réellement désignée par mode de changement en raison de la nouveauté, ou du commencement qui est apporté. Mais cette relation est une créature; on accepte communément le nom de créature pour tout ce qui vient de Dieu. Et il ne faut pas procéder à l'infini, parce que la relation de création n'est pas en rapport avec Dieu par une autre relation réelle, mais par elle-même. Car aucune relation n'est en rapport avec une autre relation, comme Avicenne le dit. Si nous acceptons le nom de créature plus strictement pour ce qui seulement subsiste (ce qui proprement est fait et créé, comme ayant proprement l'être), alors la relation dont on a parlé n'est pas quelque chose de créé, mais quelque chose de co-créé, de même qu'elle n'est pas un étant à proprement parler, mais quelque chose d'inhérent. Il en est de même de tous les accidents.

3. Cette relation est un accident et considérée selon son être, dans la mesure où elle adhère au sujet, elle est postérieure à la chose créée; comme l'accident est postérieur au sujet, en esprit et par nature; quoique ce ne soit pas un accident tel qu'il soit causé à partir des principes du sujet. Si on la considère selon sa raison, dans la mesure où la relation susdite naît de l'action de l'agent, elle est ainsi d'une certaine manière avant le sujet, comme l'action divine même, elle est sa cause la plus proche.

4. Dans la génération il y a un changement et une relation, par laquelle l'engendré est en rapport avec celui qui l'engendre. Donc par sa définition, le changement n'a pas pour substrat ce qui est engendré mais sa matière; mais pour ce qui est de la relation, il a comme substrat ce qui est engendré. Mais dans la création, il y a une relation mais pas de changement à proprement parler, comme on l'a dit; et ainsi c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

5. La relation, dont on a parlé, n'est pas à comprendre de l'être au non être, parce qu'une telle relation ne peut pas être réelle, comme le dit Avicenne mais elle est de l'être créé au Créateur. C'est pourquoi il apparaît que c'est une relation d'assujettissement.

6. La création apporte la relation dont on a parlé avec la nouveauté de l'être; c'est pourquoi il ne faut pas que la chose, tant qu'elle existe, soit créée, bien qu'elle soit toujours rapportée à Dieu. Bien qu'il ne soit pas inconvenant de dire que, de même que tant que l'air brille, il est illuminé par le soleil, ainsi la créature tant qu'elle a l'être, est créée par Dieu, comme Augustin aussi le dit. Mais en cela il n'y a différence que de nom, selon que le nom de création peut être reçu avec la nouveauté ou sans elle.

7. L'origine de la relation dans la création est principalement la chose subsistante, dont diffère la relation même de création, qui est elle-même créature; et non principalement, mais comme secondairement, comme quelque chose de co-créé.

8. Le mouvement est ramené au genre de son terme, dans la mesure où on procède de la puissance à l'acte. Car dans le mouvement même, le terme du mouvement est en puissance et la puissance et l'acte sont ramenés au même genre. Dans la création, il n'y a pas de passage de puissance à l'acte et ainsi ce n'est pas pareil.

 

Article 4: Le pouvoir ou même l'acte de créer peut-il être communiqué a une créature?

 

Objections:

1. Il semble que oui. De la même manière et dans le même ordre que les créatures sortent du premier principe, elles sont réordonnées à leur fin ultime, puisque le premier principe et la fin ultime des êtres sont une même chose. Mais les créatures inférieures sont ordonnées à Dieu comme à leur fin par l'intermédiaire des créatures supérieures, parce que, comme le dit Denys, la loi de la divinité est de reconduire à elle les dernières par les premières. Donc les créatures inférieures sortent du premier principe par création, par l'intermédiaire des créatures supérieures, et c'est ainsi que l'acte de création est communiqué à la créature.

2. Ce qui une fois communiqué à la créature, ne l'entraîne pas hors de ses limites, lui est communicable par la puissance du créateur, qui peut même fonder des genres de créatures. Mais le pouvoir de créer, s'il était communiqué à la créature, ne la mettrait pas hors de ses limites. Donc le pouvoir de créer lui est communicable. Preuve intermédiaire: on dit que ce qui place une chose hors des limites de la création s'oppose à sa nature. Mais pouvoir créer ne s'oppose à la nature de la créature qu'à cause de l'infinité du pouvoir dont elle semble avoir besoin pour cela. Mais il n'est pas requis, à ce qu'il semble, car chaque chose est distante de l'un de ses opposés qu'autant qu'elle participe à la nature de l'autre. Car plus un objet est blanc, plus il est éloigné du noir. Mais l'être créé participe à la nature de l'être de façon limitée. Donc, il est distant du non être absolu de façon limitée. Amener quelque chose à l'être à partir d'une distance finie ne révèle pas une puissance infinie et ainsi il reste que l'acte de création pourrait appartenir à une puissance finie et ainsi le pouvoir de créer n'est pas opposé à la condition de créature et il ne la place pas hors de ses limites.

3. Mais on pourrait dire que cette assertion: chaque chose est éloignée de l'un de ses opposés qu'autant elle participe de l'autre, trouve sa place dans ces opposés dont l'un et l'autre sont d'une certaine nature, comme le sont les contraires, mais non dans ceux dont l'un seulement est de cette nature, ainsi dans la privation, et la possession, l'affirmation et la négation. En sens contraire, l'opposition susdite trouve sa place dans les contraires selon qu'ils sont distants l'un de l'autre, ce qui se rencontre en eux dans la mesure où ils sont opposés. Mais la cause de l'opposition dans les contraires, ainsi que sa racine est l'opposition de l'affirmation et de la négation, comme on le prouve. Donc c'est dans l'opposition de l'affirmation et de la négation qu'elle doit avoir lieu.

4. Selon Augustin, dit qu'une chose est créée de trois façons: 1. en parole, 2. dans la connaissance angélique, 3. dans sa nature propre. C'est pour cela que la Genèse dit: "Il dit: que cela soit fait et cela fut fait". Mais la manière dont on dit que les choses sont créées dans l'intelligence angélique est intermédiaire entre ces deux modes. Donc il semble que les créatures procèdent, pour venir à l'être dans leur propre nature, du verbe du Créateur, par l'intermédiaire de la connaissance angélique, et ainsi il semble que les choses sont crées par l'intermédiaire des anges.

5. Le néant et une chose sont plus éloignés qu'une chose et l'être, puisque le néant et la chose n'ont rien de commun, mais que la chose est une partie de l'être. Mais Dieu, en créant, fait que ce qui était néant devient quelque chose et par conséquent qu'une puissance nulle devienne une puissance. Donc il peut faire beaucoup plus, à savoir qu'une puissance limitée, de quelque manière que soit la puissance de la créature, devienne une toute puissance qui peut créer. Et ainsi le pouvoir de créer peut être communiqué à la créature.

6. La lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumière corporelle. Mais celle-ci se multiplie elle-même. Donc l'ange, qui est lumière spirituelle selon Augustin, peut se multiplier lui-même. Mais cela il ne peut le faire qu'en créant. Donc l'ange peut créer.

7. Comme les formes substantielles ne sont pas engendrées, du fait que seul le composé est engendré, comme le prouve le philosophe, elles ne peuvent venir à l'être que par création. Mais la nature créée dispose la matière pour la forme. Donc par sa fonction, quelque chose travaille pour la création, et ainsi cet office qu'elle a dans la création peut être communiqué à la créature.

8. L'oeuvre de justification est plus noble que celle de création, puisque la grâce est au-dessus de la nature. D'où ce que dit Augustin qu'il est plus important de justifier un impie que de créer le ciel et la terre. Mais dans la justification de l'impie, la créature montre son office; car le prêtre, dit-on, justifie ou remet les péchés en tant que ministre. Donc la créature peut beaucoup plus montrer son office dans l'acte de création

9. Il faut que tout ce qui est fait ressemble à l'agent, comme on le prouve. Mais la créature corporelle n'est semblable à Dieu ni par l'espèce ni par le genre. Donc elle ne peut procéder de Dieu par création que par l'intermédiaire d'une créature, qui serait semblable, au moins en genre. Et ainsi il semble que les choses corporelles sont créés par Dieu par l'intermédiaire des créatures supérieures.

10. Dans le Livre des Causes, il est dit que celle qui est l'intelligence seconde ne reçoit des perfections premières qui procèdent de la cause première, que par l'intermédiaire de l'intelligence supérieure. Mais l'être même vient des perfections premières. Donc l'intelligence seconde ne reçoit l'être de Dieu que par l'intermédiaire de l'intelligence première et ainsi il apparaît que Dieu communique l'action de créer à une créature.

11. Dans le même livre, on dit que l'intelligence connaît ce qui est sous elle, au moyen de sa substance, dans la mesure où elle en est la cause. Mais une intelligence en connaît une autre qui est sous elle. Donc elle en est la cause. Mais elle n'est causée que par création, puisqu'elle n'est pas composée. Donc l'intelligence peut créer.

12. Augustin dit que la créature spirituelle communique à la créature corporelle l'espèce et l'être et ainsi il semble que les créatures corporelles seraient créées par l'intermédiaire des créatures spirituelles.

13. Il y a deux sortes de connaissance: 1. la première va vers l'objet, 2. l'autre vient de l'objet. Or l'ange connaît ce qui est corporel, non par une connaissance qui vient de la réalité, puisqu'il n'a pas les sens par l'intermédiaire desquels la connaissance du sensible parvient à l'esprit. Donc il le connaît d'une connaissance qui va vers l'objet et qui est semblable à la connaissance divine. Donc, comme Dieu, par sa science, est la cause des choses, ainsi la science de l'ange semble aussi en être la cause.

14. Le processus par lequel les êtres viennent à l'existence est double: 1. ils passent du pur non être à l'être, ce qui se fait par création; 2. ils passent de la puissance à l'acte. Mais le pouvoir matériel des choses naturelles peut produire des êtres de la seconde manière, c'est-à-dire en les faisant passer de la puissance à l'acte. Donc un pouvoir immatériel qui est plus puissant, tel celui de l'ange, peut amener à l'être de la première manière, ce qui dépend d'un plus grand pouvoir, c'est-à-dire du pur non être à l'être, ce qui est créer et ainsi il semble que l'ange puisse créer.

15. Rien n'est plus grand que l'infini. Mais c'est le pouvoir d'une puissance infinie de faire passer quelque chose du néant à l'être; autrement, rien n'empêcherait de créer des créatures. Donc nulle puissance ne peut être plus grande que celle-la. Et ainsi ce n'est pas plus grand de faire une créature de rien et lui donner la puissance de créer que créer. Dieu peut le premier. Donc aussi le second.

16. Plus grande est la résistance du patient à l'agent, plus grande est la difficulté pour agir. Mais le contraire résiste plus que le non être, car le non être ne peut agir comme agit le contraire. Comme donc la créature pourrait faire quelque chose de contraire, il semble qu'elle puisse beaucoup plus faire quelque chose de rien, ce qui est créer. Donc une créature peut créer.

 

Cependant:

1. L'être et le non être sont séparés par une distance infinie. Mais produire quelque chose à partir d'une distance infinie dépend d'un pouvoir infini. Donc créer est le propre d'un pouvoir infini, et il ne peut être communiqué à aucune créature.

2. Les créatures supérieures, comme les anges, selon Denys, sont divisées en essence, pouvoir et opération: de là on peut constater que le pouvoir d'aucune créature n'est son essence et ainsi aucune créature n'agit elle-même toute entière, puisque ce par quoi quelque chose agit c'est son pouvoir. Mais l'effet est produit selon que l'agent agit. Donc aucune créature ne peut produire un effet total, et ainsi elle ne peut créer, mais elle présuppose toujours une matière pour son action.

3. Augustin dit que les anges ne peuvent être créateurs de rien, ni les bons ni les mauvais. Parmi toutes les créatures, l'ange est le plus noble. Donc les autres peuvent encore moins créer.

4. Créer et conserver les créatures dans l'être est un même pouvoir. Mais les créatures ne peuvent être conservées dans l'être que par le pouvoir divin; s'il se retirait des créatures, elles retourneraient au néant à l'instant, selon Augustin. Donc les choses ne peuvent être créées que par la puissance divine.

5. Ce qui est vraiment le propre d'une chose ne peut convenir à un autre. Mais on dit communément que créer est propre à Dieu. Donc créer ne peut convenir à un autre.

 

Réponse:

La position de certains philosophes fut que Dieu créa les créatures inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures, comme cela apparaît dans le Livre des Causes, chez Avicenne et chez Algazel - ils étaient poussés à le penser parce qu'ils croyaient que, d'un être unique et simple, ne pouvait immédiatement provenir qu'un être unique et que c'est par son intermédiaire que la multitude procédait du premier être unique. Ils disaient cela comme si Dieu agissait par nécessité de nature, de cette manière d'un seul être simple, il n'est fait qu'un être unique.

Nous, nous pensons que les créatures procèdent de Dieu par mode de science et d'intelligence; de cette manière, rien n'empêche que de Dieu, unique, premier et simple, la multitude provienne sans intermédiaire, selon que sa sagesse contient toutes choses. Et c'est pourquoi, selon la foi catholique, nous pensons que Dieu créa toutes les substances spirituelles et la matière des êtres corporels sans intermédiaire, considérant comme hérétique si on dit que quelque chose a été créé par un ange ou par quelque créature. C'est pourquoi Jean Damascène dit que "quiconque aura dit qu'un ange crée quelque chose, qu'il soit anathème".

Certains penseurs catholiques cependant ont dit que même si aucune créature ne peut créer, Dieu a pu lui communiquer le pouvoir de créer par son office. La maître des Sentences le dit Certains, au contraire, disent que le pouvoir de créer n'a pu en aucune manière être communiqué à la créature, ce qui est le plus communément admis.

Pour le mettre en évidence, il faut savoir que la création désigne une puissance active par laquelle les choses sont amenées à l'être et sans présupposer une matière préexistante et un agent antérieur. Car seules, ces causes sont présupposées pour l'action. En effet la forme de l'engendré est le terme de l'action de celui qui engendre et elle-même est la fin de la génération qui, selon l'être, ne précède pas mais suit l'action.

Que la création, en effet, ne présuppose pas la matière, cela apparaît dans la définition même du nom. Car on dit que "créer" c'est faire quelque chose de rien. Qu'elle ne présuppose pas non plus de cause première efficiente, est éclairé par ce que dit Augustin, là où il prouve que les anges ne sont pas créateurs, parce qu'il opèrent à partir des semences introduites dans la nature, qui sont des pouvoirs actifs en elle.

Donc si on comprend la création au sens strict, il est clair qu'elle ne peut convenir qu'au premier agent, car la cause seconde n'agit que sous l'influence de la cause première, et ainsi toute action de la cause seconde présuppose une cause efficiente.

Et les philosophes eux-mêmes ont pensé que les anges ou les intelligences ne créaient que par la puissance divine qui existait en eux, de sorte que nous comprenons que la cause seconde peut avoir une double action: l'une de sa propre nature, l'autre de la puissance de la cause première. Il est impossible que la cause seconde de son propre pouvoir soit le principe d'être en tant que tel, cela, en effet, est le propre de la cause première, car l'ordre des effets dépend de l'ordre des causes.

Le premier effet est l'être même, qui est présupposé à tous les autres effets; et il n'en présuppose pas d'autre; et c'est pourquoi donner l'être en tant que tel doit être l'effet de la seule cause première selon son propre pouvoir; et que toute autre cause donne l'être, cela arrive dans la mesure où il y a en elle le pouvoir et l'opération de la cause première, et non par son propre pouvoir; de la même manière, l'instrument effectue l'action instrumentale, non par le pouvoir de sa propre nature, mais par le pouvoir du moteur; ainsi la chaleur naturelle, par le pouvoir de l'âme, engendre la chair vivante mais, par le pouvoir de sa propre nature, seulement elle réchauffe et dissout.

Et de cette manière, certains philosophes ont pensé que les intelligences premières sont créatrices des secondes dans la mesure où elles leur donnent l'être par le pouvoir de la cause première qui existe en elles. Car l'être est par création, le bien et la vie etc. sont par mise en forme, comme on le dit dans le Livre des Causes. Et cela fut l'origine de l'idolâtrie, puisque à ces substances créées, en tant que créatrices des autres, on offrait un culte de latrie. Mais le Maître pense que ce pouvoir est communicable à la créature, non pour qu'elle crée par son propre pouvoir, comme par son autorité, mais par fonction en tant qu'instrument.

Mais pour celui qui examine avec attention, cela paraît impossible. Car il faut que l'action de quelqu'un, même si elle est comme celle d'un instrument, vienne de sa puissance. Comme la puissance de toute créature est limitée, il est impossible qu'une créature agisse pour créer, même comme instrument. Car la création demande un pouvoir infini, dans la puissance d'où elle sort: ce qui apparaît pour cinq raisons.

Première raison: la puissance de celui qui agit est proportionnée à la distance qui est entre ce qui est fait et l'opposé dont il est fait. En effet plus le froid est violent, et ainsi plus éloigné de la chaleur, plus grand doit être le pouvoir de la chaleur qu'il faut pour passer du froid au chaud. Le non être absolu est éloigné de l'être à l'infini, ce qui apparaît du fait que le non être est plus éloigné de quelque être déterminé qu'un autre être, à quelque distance qu'on le trouve de cet autre être et c'est pourquoi, de ce qui est tout à fait du non être, on ne peut absolument rien créer sans une puissance infinie.

Seconde raison: parce que ce qui est fait subit l'action de la manière dont celui qui le fait agit. L'agent agit selon qu'il est en acte. C'est pourquoi seul agit par soi tout entier ce qui est tout entier en acte, ce qui n'est le propre que de l'acte infini qui est l'acte premier. C'est pourquoi faire une chose selon toute sa substance est le propre du seul pouvoir infini.

Troisième raison: comme l'accident doit être dans le sujet, le sujet de l'action serait celui qui la reçoit. Seul en créant n'a pas besoin de matière pour le recevoir, celui dont l'action n'est pas un accident, mais la substance même, ce qui est le propre de Dieu seul et ainsi il est seul à créer.

Quatrième raison: parce que, comme toutes les causes efficientes secondes reçoivent du premier agent leur pouvoir d'agir, comme on le prouve dans le Livre des Causes, il faut que le mode et l'ordre soient imposés par le premier agent à tous les agents seconds; mais à lui le mode ou l'ordre ne sont imposés par personne. Comme le mode de l'action dépend de la matière qui reçoit l'action de l'agent, ce ne sera le propre que du seul premier agent d'agir sans matière présupposée par un autre agent et de fournir la matière à tous les autres agents seconds.

La cinquième raison conduit à une impossibilité. Car selon l'éloignement de la puissance à l'acte, il y a un rapport des puissances qui ramènent quelque chose de la puissance à l'acte. Car plus la puissance est éloignée de l'acte, plus grande est la puissance dont elle a besoin. Si donc il y a une puissance finie qui agit à partir d'une puissance présupposée nulle, il faut qu'elle ait une rapport de son être à cette puissance active qui conduit quelque chose de la puissance à l'acte, et ainsi il y a un rapport d'une puissance nulle à une puissance, ce qui est impossible. Car il n'y a aucune rapport du non être à l'être. Donc il reste qu'aucune puissance de créature ne peut créer quelque chose ni par son propre pouvoir, ni en tant qu'instrument d'un autre.

 

Solution des objections:

1. Quand on ramène les créatures à leur fin, ce qui est en vue de cette fin préexiste et c'est pourquoi il n'est pas impossible que par son action de quelque être de coopère avec Dieu pour ce que les choses soient ramenées à leur fin ultime. Mais dans la sortie universelle des créatures à l'être, rien n'est présupposé, c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

2. Rien n'empêche d'imaginer une distance infinie d'un côté et finie de l'autre. Mais on imagine la distance infinie de deux côtés, quand on affirme que l'un et l'autre des opposés sont infinis; s'il y avait une chaleur et un froid infini. Mais de l'autre côté, quelquefois l'autre est fini, ainsi si la chaleur était infinie et le froid fini. Donc la distance de l'être infini au non être absolu est infinie de chaque côté. Mais la distance de l'être fini au non être absolu est infinie d'un côté seulement et elle requiert néanmoins une puissance agissante infinie.

3. Nous concédons la troisième objection, mais non pas en tant qu'il y a différence, si les deux opposés, ou l'un seulement, sont d'une certaine nature.

4. On dit que les créatures sont créées dans l'intelligence dans la mesure où elles sont connues seulement, non en raison d'un pouvoir pratique. C'est pourquoi les êtres ne sont pas produits par Dieu par l'intermédiaire des anges qui opèrent, mais les anges en ont seulement connaissance.

5. On dit qu'une chose ne peut pas être faite par quelque chose, non seulement à cause de la distance des extrêmes, mais aussi parce qu'elle ne peut absolument pas être faite. Comme si on disait que Dieu ne peut être fait d'un corps, parce Dieu ne peut absolument pas être fait. Donc il faut dire ainsi que d'une puissance on ne peut tirer une toute-puissance, non seulement à cause de la distance de l'une et l'autre des puissances, mais aussi parce que la toute-puissance ne peut absolument pas être faite. Car tout ce qui est fait ne peut pas être acte pur, puisque, du fait qu'il reçoit l'être d'un autre, c'est de lui qu'est tirée la puissance. C'est pourquoi elle ne peut pas être infinie.

6. La lumière corporelle se multiplie non par création d'une nouvelle lumière, mais en se diffusant sur la matière, ce qu'on ne peut pas dire des anges, puisque ce sont des substances subsistantes par soi.

7. On peut considérer une forme de deux manières: 1. Selon qu'elle est en puissance, et ainsi la matière est concréée par Dieu, sans l'intervention d'une action de la nature qui la dispose. 2. Selon qu'elle est en acte et ainsi, elle n'est pas créée, mais elle est tirée de la puissance de la matière par un agent naturel. C'est pourquoi il ne faut pas que la nature agisse en vue de créer quelque chose. Cependant, parce qu'il y a une forme naturelle qui est amenée à l'être par création, à savoir l'âme rationnelle, dont la nature dispose la matière, il faut savoir que, puisque l'oeuvre de création n'a pas besoin de la matière, une chose est dite créé de deux manières. Car certaines choses sont créées sans aucune matière présupposée, ni d'elles, ni en elles, comme les anges et les corps célestes, et pour leur création, la nature ne peut rien faire par disposition. Mais certaines autres sont créés, même si la matière dont elles viennent n'est pas présupposée, cependant la matière dans laquelle elles sont est présupposée, comme pour l'âme humaine. Donc de ce côté où elles ont la matière en elles, la nature peut opérer par disposition, non cependant parce que l'action de la nature s'étend à la substance même du créé.

8. Dans l'oeuvre de justification, l'homme opère quelque chose seulement par le ministère des sacrements qu'il emploie. C'est pourquoi, comme on dit que les sacrements justifient de manière instrumentale et par disposition, la solution revient au même que la précédente.

9. Quoique entre Dieu et la créature, il ne puisse pas y avoir ressemblance de genre ou d'espèce, il peut cependant y avoir une certaine ressemblance par analogie, comme entre la puissance et l'acte, la substance et l'accident. On le dit 1. dans la mesure où les créatures imitent à leur manière l'idée de l'esprit divin, comme l'oeuvre d'art imite la forme qui est dans l'esprit de l'artisan. 2. Selon que les créatures ressemblent d'une certaine manière à la nature divine, selon que les autres êtres viennent de l'être premier, et les biens du Bien etc. Cependant cette objection ne concerne pas le sujet, parce que, supposé que les créatures procèdent de Dieu par l'intermédiaire d'une puissance créée, alors reviendra la même difficulté, c'est-à-dire comment cette première nature peut avoir été créée par Dieu, sans ressemblance.

10. On trouve cette erreur expressément dans le Livre des Causes: à savoir que les créatures inférieures ont été créés par Dieu, par l'intermédiaire de créatures supérieures. C'est pourquoi en cela on ne doit pas accepter son autorité.

11. Il faut dire de même.

12. En cet endroit, Augustin parle de l'âme, qui communique l'être et l'espèce au corps, non comme un créateur mais à la manière d'une forme.

13. Bien que l'ange ne connaisse pas les choses d'une connaissance reçue d'elles, cependant il ne faut pas qu'il connaisse d'une connaissance telle qu'elle serait la cause des choses, car sa connaissance est intermédiaire entre les deux connaissances dont on a parlé. Car il connaît les choses d'une connaissance naturelle par les images des êtres infusées en son intelligence par l'intelligence divine; de sorte que sa connaissance n'irait pas à l'être comme cause des choses, mais serait une image de la connaissance divine qui cause les êtres

14. Dans le passage de la puissance à l'acte on peut remarquer de nombreux degrés, selon qu'une chose peut être menée d'une puissance plus ou moins éloignée à l'acte et même plus ou moins facilement; c'est pourquoi il ne faut pas, si le pouvoir de l'ange dépasse le pouvoir d'une nature matérielle, qu'il puisse faire quelque chose du pur non être, puisque la nature fait passer une chose de la puissance à l'acte, mais qu'il puisse le faire beaucoup plus facilement que la nature. Ainsi Augustin dit, que les démons opèrent avec des semences naturelles de façon plus occulte et plus efficace que nous savons le faire.

15. Aucune puissance n'est plus grande que celle de créer. Et il ne faut pas que la puissance du créateur s'étende jusqu'à la communiquer à une autre créature parce qu'elle ne lui est en aucune manière communicable. Car ce qui ne pourrait pas être fait non seulement provient de la défaillance de la puissance qui produit, mais quelquefois de la production de la chose elle-même qui ne peut pas être accomplie. Ainsi Dieu ne peut faire un Dieu, non à cause de la défaillance de sa puissance, mais parce un Dieu ne peut être fait par personne, et de la même manière la puissance de créer ne peut être limitée ni communiquée aux créatures, puisqu'elle est infinie.

16. Dans un acte on peut remarquer une difficulté de deux manières: 1. D'une première manière, le patient résiste à l'agent et cela n'est pas général dans toutes les créatures, mais seulement en des êtres qui agissent avec réciprocité et se supportent l'une l'autre; en eux l'agent souffre de l'action contraire du "patient". Ainsi les corps célestes qui n'ont pas de contraire, n'éprouvent pas de difficulté en agissant du fait de l'action contraire d'un patient, et Dieu encore bien moins. 2. D'une autre manière qui est générale dans la mesure où le patient est éloigné de l'acte. Car plus une puissance se trouve éloignée de l'acte, plus grande est la difficulté pour l'action de l'agent. C'est pourquoi, comme le non être est plus éloigné de l'acte pur que la matière soumise à quelque contraire, quelque intense qu'il soit, il est clair que c'est le fait d'un plus grand pouvoir de produire quelque chose de rien que de faire le contraire d'un contraire.

 

Article 5: Est-il possible que quelque chose ne soit pas créé par Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que oui. En effet, comme la cause est plus puissante que l'effet, ce qui est possible pour notre intellect, qui tire sa connaissance de la réalité, semble être encore plus possible dans la nature. Mais notre esprit peut comprendre quelque chose sans comprendre que cela vient de Dieu, puisque la cause efficiente ne fait pas partie de la nature des êtres et ainsi on peut la comprendre sans elle. Donc à plus forte raison, il peut exister dans la nature des choses un être qui ne viendrait pas de Dieu.

2. Tout ce qui a été fait par Dieu est appelé sa créature. Mais la création se termine à l'être. Car la première des choses créées est l'être, comme on le dit dans le Livre des Causes. Donc comme la quiddité de la chose est en plus de son être, il semble qu'elle ne vienne pas de Dieu.

3. Toute action se termine à l'acte, de même qu'elle procède de l'acte: car tout agent agit en tant qu'il est en acte et fait du semblable à lui dans la nature. Mais la matière première est pure puissance. Donc l'action du créateur ne peut pas se terminer à elle, et ainsi tout n'est pas créé par Dieu.

 

Cependant:

Il est dit en (Rm 11, 36): "Tout est de lui, par lui et en lui.".

 

Réponse:

Selon l'ordre de la connaissance humaine, les anciens ont progressé dans la considération de la nature des choses. Ainsi, comme la connaissance humaine parvient à l'intellect en commençant par les sens, les premiers philosophes se sont occupés du sensible et de là, peu à peu, en sont venus aux intelligibles. Et parce que les formes accidentelles sont sensibles en soi, mais non substantielles, les premiers philosophes dirent que toutes les formes étaient des accidents, et que seule la matière était une substance. Et parce que la substance suffit pour être la cause des accidents qui sont causés à partir de ses principes, les premiers philosophes n'établirent aucune autre cause, en dehors de la matière, mais ils disaient que c'est d'elle qu'était causé tout ce qui semblait venir dans les choses sensibles; c'est pourquoi ils étaient forcés de penser qu'il n'y avait pas de cause pour la matière et de nier totalement la cause efficiente.

Les philosophes suivants commencèrent à considérer jusqu'à un certain point les formes substantielles. Ils ne parvinrent pas cependant à la connaissance de l'universel mais toute leur pensée était occupée avec les formes spéciales; et c'est pourquoi certains établirent des causes efficientes, non cependant pour conférer universellement l'être aux créatures, mais pour modifier la matière en une forme ou en une autre; comme l'intelligence, l'amitié et le procès dont ils établissaient qu'ils agissaient par répulsion et attraction; et c'est pourquoi, même selon eux, tous les êtres ne procédaient pas d'une cause efficiente, mais la matière était présupposée à l'action de cette cause efficiente.

Les philosophes suivants, comme Platon, Le philosophe et leurs disciples, parvinrent à considérer l'être universel même et c'est pourquoi eux seuls établirent une cause universelle des choses par laquelle toutes les autres créatures parviennent à l'être, comme le montre Augustin. La foi catholique est d'accord avec cette opinion. Et on peut le démontrer par une triple raison:

1. Si on trouve une chose commune à plusieurs êtres, il faut qu'elle soit causée en eux par une cause unique. Car il n'est pas possible que ce qui est commun à l'un et à l'autre vienne d'eux-mêmes, en tant que tels puisque l'un est distingué de l'autre; et la diversité des causes produit la diversité des effets. Comme il se trouve que l'être est commun à toutes les créatures, qui selon ce qu'elles sont, sont distinctes les unes des autres, il faut que nécessairement l'être leur soit attribué non par elles-mêmes mais par une cause unique. Et cela paraît être le raisonnement de Platon qui voulut qu'avant toute multiplicité, il y eut l'unité non seulement dans les nombres, mais encore dans la nature des choses.

2. Quand une chose se trouve participée de diverses manières par plusieurs, c'est à partir du plus parfait où on la trouve qu'on l'attribue à tout ce qui se trouve moins parfait. Car ces êtres qu'on désigne positivement selon la plus ou le moins, le possède d'une source plus éloignée ou plus proche pour un effet unique; car si cela venait à chacun d'eux de lui-même, il n'y aurait pas de raison pour qu'on le trouve plus parfait dans l'un que dans l'autre. Ainsi nous voyons que le feu qui a pour but l'échauffement est principe de la chaleur dans les corps chauds. Il faut établir un être unique qui est absolument parfait et absolument vrai, ce qui est prouvé par le fait qu'il est un moteur, absolument immobile et absolument parfait, comme le prouvent les philosophes. Il faut donc que tous les autres êtres qui sont moins parfaits reçoivent de lui leur existence. C'est la preuve du philosophe.

3. Ce qui existe par un autre est ramené comme à sa cause à ce qui est par soi. C'est pourquoi, s'il y avait une seule chaleur existant en soi, il faudrait qu'elle soit la cause de tout ce qui est chaud, qui aurait la chaleur par mode de participation. Mais c'est établir un être qui est son être propre. On le prouve par le fait qu'il faut qu'il y ait un être premier qui soit acte pur, en qui n'entre aucune composition. C'est pourquoi, il faut qu'à partir d'un être unique, existent tous les autres qui ne sont pas leur être mais qui ont l'être par participation. C'est le raisonnement d'Avicenne.

Ainsi on démontre par la raison et on tient par la foi que tout a été créé par Dieu.

 

Solution des objections:

1. Bien que la cause première, qui est Dieu, n'entre pas dans l'essence des créatures, cependant l'être qui est en elles ne peut être compris que découlant de l'être divin; de même que l'effet le plus proche ne peut être compris que déduit de sa propre cause.

2. Du fait que l'être est attribué à la quiddité, on dit que non seulement l'être mais la quiddité elle-même est créée car avant d'avoir l'être, elle n'est rien, sinon peut-être dans l'intellect du Créateur où elle n'est pas créature, mais essence créatrice.

3. Cette raison prouve que la matière première n'est pas créée par soi, mais il n'en découle pas qu'elle ne soit pas crée sous une forme, car c'est ainsi qu'elle a l'être en acte.

 

Article 6: N'y a-t-il qu'un seul principe de création?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Denys dit: "Le bien n'est pas la cause du mal". Mais il y a du mal dans le monde. Donc, ou il découle d'une cause qui n'est pas le bien, ou il n'est causé en aucune manière, mais il est la cause première; et des deux manières, il faut poser plusieurs principes de création; car il est clair que le premier principe de création des biens est le bien.

2. Mais on pourrait dire que le bien n'est pas la cause du mal par soi, mais par accident.

- En sens contraire, tout effet qui dépend d'une cause par accident vient d'une autre cause par soi; puisque tout ce qui est par accident est ramené au par soi. Si donc le mal est l'effet du bien par accident, il sera l'effet par soi de quelque chose d'autre, et ainsi de même que ci-dessus.

3. L'effet de la cause par accident arrive au-delà de l'intention de la cause et n'est pas fait. Donc si le bien est la cause du mal par accident, il en découlerait que le mal n'aurait pas été fait. Mais il n'y a rien qui ne soit créé sinon le principe de création, comme on l'a montré ci-dessus, dans l'article précédant. Donc le mal est un principe de création.

4. Aucun dommage n'arrive dans l'effet au-delà de l'intention de l'agent, sinon à cause de l'ignorance de l'agent qui ne le prévoit pas, ou à cause d'une impuissance qu'il ne peut pas éviter. Mais en Dieu qui est le créateur du bien, il n'y a ni impuissance, ni ignorance. Donc le mal, ce qui est nuisible, ne peut pas provenir aux effets qui dépendent de Dieu au-delà de son intention. Car Augustin dit qu'on l'appelle mal parce qu'il nuit.

5. Ce qui est par accident, est, pour ainsi dire, dans le plus petit nombre, comme on le voit in II, Phys. Mais le mal est dans le plus grand nombre, comme on le lit in Topique. Donc le mal ne vient pas d'une cause par accident.

6. Le mal, selon Augustin, n'a pas une cause efficiente, mais déficiente. Mais la cause par accident est une cause efficiente. Donc le bien n'est pas cause du mal par accident.

7. Ce qui n'existe pas n'a pas de cause, parce que ce qui n'existe pas n'est ni cause ni causé. Mais le mal n'est rien, selon Augustin. Donc le mal n'a pas de cause ni par soi, ni par accident. Donc dire que le bien est la cause du mal par accident, est faux.

8. Selon le philosophe, ce en quoi quelque chose est d'abord, est cause de tout ce en quoi on le trouve ensuite; ainsi le feu est cause de la chaleur dans tout ce qui est chaud. Mais la malice fut d'abord dans le diable. Donc lui-même est cause de la malice dans tous les maux et ainsi il y a un principe de tous les maux comme il y en a un de tous les biens.

9. Selon Denys, le bien arrive d'une seule manière, le mal de toutes les manières. Donc le mal est plus proche de l'être que le bien. Donc si le bien est une nature qui a besoin d'un créateur, le mal aussi en aura besoin et ainsi de même que plus haut.

10. Ce qui n'est pas ne peut pas être un genre ou une espèce. Mais le mal est considéré comme un genre. Car on dit dans les Catégories que le bien et le mal ne sont pas dans un genre, mais sont les genres des autres. Donc le mal est un être, et ainsi il a besoin d'un créateur; c'est pourquoi comme il n'est pas créé par le bien, il semble qu'il faille considérer un mal comme principe de création.

11. L'un et l'autre des contraires sont positivement une certaine nature; car les contraires sont dans un même genre. Ce qui n'existe pas ne peut pas être dans un genre. Mais le bien et le mal sont des contraires. Donc c'est une nature et ainsi de même que plus haut.

12. Les différences constitutives de l'espèce indiquent une certaine nature; c'est pourquoi la nature est une différence spécifique informant chaque chose de quelque manière, comme Boèce le dit. Mais le mal est la différence constitutive d'une espèce; car le bien et le mal sont des différences de manière d'être. Donc le mal est une nature et ainsi de même que plus haut.

13. En (Qo 33, 15), on lit: "Le bien est contre le mal, la mort contre la vie, le pécheur contre le juste". Donc s'il y a un bon principe de création, il faut qu'il en ait un autre mauvais qui lui est contraire.

14. On parle d'intensité et de diminution par rapport à un terme. Mais on trouve une chose plus mauvais qu'une autre. Donc, il faut trouver quelque chose qui soit très mauvais en qui est le terme des maux; et il faut que cela soit le principe de tous les maux, comme le bien suprême est le principe des biens.

15. En Matthieu (Mt 8, 18), on lit: "Le bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits". Mais on trouve qu'il y a du mal dans le monde. Donc ce ne peut pas être le fruit, c'est-à-dire l'effet d'une bonne cause qui est signifiée par l'arbre bon, et ainsi il faut que la cause de tous les maux soit quelque mal premier.

16. En (Gn 1, 2), on dit que, au commencement de la création, il y avait les ténèbres sur la surface de l'abîme. Mais à partir du bien, qui a la nature de la lumière, il ne peut y avoir création de ténèbres. Donc la création qui est ici décrite, ne vient pas du principe du bien mais de celui du mal.

17. Tout ce qui sort de quelque chose atteste ce dont il sort, dans la mesure où il lui est semblable. Mais le mal n'atteste Dieu en aucune manière, et il n'a pas de ressemblance avec lui. Donc il ne peut venir de lui, mais il vient d'un autre principe.

18. Rien ne sort de quelque chose qu'il n'y soit en puissance. Mais le mal n'est en Dieu, ni en acte, ni en puissance. Donc il ne vient pas de Dieu et ainsi c'est pareil que plus haut.

19. La génération est un mouvement naturel, la corruption aussi. Mais la corruption se termine à la privation, comme la génération à la forme. Donc la forme est induite par l'intention de la nature, de même la privation, et ainsi il faut que le mal, qui est privation, ait une cause agente par soi, comme la forme.

20. Tout agent agit avec la présupposition du premier agent. Mais quand le libre arbitre pèche, il n'agit pas de la présupposition de l'action divine, car un péché, comme la fornication ou l'adultère, ne peut pas être séparé de sa difformité, qui ne peut pas venir de Dieu. Donc il faut que le libre arbitre soit le premier agent, ou qu'il soit ramené à un premier agent autre que Dieu.

21. Mais on pourrait dire que la nature du péché vient de Dieu, mais pas la difformité. En sens contraire le commentateur: "Il est impossible que l'acte d'un agent se termine à la matière et celle d'un autre à la forme". Mais la difformité est pour ainsi dire la forme de l'acte du péché. Donc sa difformité ne peut pas venir d'un auteur et sa nature d'un autre.

22. D'une chose simple ne peut procéder que du simple. Mais Dieu est tout à fait simple. Donc les composés de ce genre ne viennent pas de lui mais d'un autre créateur.

23. Une tache pose quelque chose dans l'âme: car si elle était privation de la grâce seulement, alors par n'importe quel péché mortel, l'homme aurait la tache de tous les péchés. Mais la tache du péché ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'en est pas l'auteur, mais le vengeur, selon Fulgence et comme elle n'est pas éternelle, il faut qu'elle ait une cause. Donc il faut la ramener à une cause première qui n'est pas Dieu.

24. En (Qo 3, 14), on lit: "J'ai appris que toutes les oeuvres que Dieu a faites, demeurent éternellement". Mais ce qui est corruptible ne demeure pas éternellement. Donc elles ne sont pas les oeuvres de Dieu, mais il faut les ramener à un autre principe.

25. Tout agent fait du semblable à lui, Mais de cette manière, les corps corruptibles ne sont pas semblables à Dieu, car "Dieu est esprit", comme on le lit in (Jn 4, 24). Donc les corruptibles de ce genre ne viennent pas de Dieu, et ainsi c'est pareil que plus haut.

26. La nature a toujours fait le meilleur, Selon le philosophe et cela provient de la bonté de la nature. Mais la bonté de Dieu est plus parfaite que celle de la nature. Donc Dieu fait quelque chose du mieux qu'il peut. Mais les êtres spirituels sont meilleurs que les êtres corporels. Donc Dieu ne les a pas faits, parce que, s'il les avait faits, il leur aurait donné la bonté spirituelle et ainsi il en découle qu'il faut établir plusieurs principes de création.

 

Cependant:

1. On lit in (Is 45, 10): "Je suis le Seigneur, et il n'y a pas d'autre Dieu; formant la lumière, créant les ténèbres, faisant la paix et créant le mal; je suis le Seigneur qui fait tout cela."

2. Le mal ne prend racine que dans la nature du bien, comme le montre Denys. Mais cela n'arriverait pas si le mal avait un principe de création contraire à celui qui crée les biens, autrement le principe des maux serait plus puissant que le principe des biens, de là, il produirait son effet dans les biens même. Donc le mal ne vient pas d'un autre principe de création que le bien.

3. Le philosophe prouve qu'il y a un seul premier moteur. Mais cela ne serait pas s'il y avait différents principes premiers de création: car un seul principe ne gouvernerait ni me mettrait en mouvement les créatures d'un autre principe qui lui serait contraire. Donc il n'y qu'une seul principe de création.

 

Réponse:

Comme on l'a dit, les anciens philosophes considérant seulement les principes spéciaux de la nature, du fait de la considération de la matière, tombèrent dans cette erreur qu'ils ne croyaient pas que tout ce qui est naturel avait été créé; de sorte que, de la considération des contraires, qui sont placés comme principes avec la matière dans la nature, il en arrivèrent à constituer deux premiers principes des choses et cela à cause de trois erreurs, qui leur étaient venues de la considération des contraires.

La première, parce qu'ils considéraient les contraires seulement du fait qu'ils sont différents par la nature de l'espèce, et non selon une unicité en eux qui vient de la nature du genre, bien que les contraires soient dans un même genre: c'est pourquoi ils ne leur attribuèrent pas une cause en raison de leur ressemblance, mais en raison de leur différence et à cause de cela ils ramenèrent tous les contraires à deux premiers contraires, comme à deux premières causes, comme on le lit in I, Phys. Mais parmi eux, Empédocle plaça même, comme causes premières efficientes, des contraires premiers, à savoir l'amitié et le procès, et, comme on le lit en Métaphysique, il y établit d'abord le bien et le mal comme principes.

La seconde erreur fut qu'ils jugeaient chacun des contraires à égalité, alors que cependant il faut toujours que l'un des deux contraires soit avec la privation de l'autre; et pour cela l'un est parfait et l'autre imparfait, l'un est meilleur et l'autre plus mauvais, comme on le dit In I, Phys. Et de là vient qu'ils considéraient le bien autant que le mal, qui paraissaient être des contraires plus généraux, comme des natures différentes. Et c'est pour cela que Pythagore a établi deux genres, à savoir le bien et le mal et dans le genre du bien il plaça tout ce qui est parfait, comme la lumière, le mâle, le repos etc., et dans le genre du mal tout ce qui est imparfait comme les ténèbres, la femme, etc.

La troisième erreur vient de ce qu'ils jugèrent des choses selon qu'elles sont considérées en soi seulement, ou selon le rapport d'une chose particulière à une autre, mais pas en comparaison à tout l'ordre de l'univers. Et c'est pour cela, que s'ils trouvèrent une chose nocive pour une autre, ou imparfaite en soi par rapport aux autres qui étaient parfaites, ils jugèrent qu'elle était absolument mauvaise selon sa nature et ne tirait pas son origine de la cause du bien. C'est pour cette raison que Pythagore plaça la femme, qui est quelque chose d'imparfait, dans le genre du mal.

C'est l'origine à partir de laquelle les Manichéens ont pensé que le corruptible par rapport à l'incorruptible, le visible à l'invisible, l'Ancien Testament au Nouveau, sont imparfaits et ne viennent pas du Dieu bon, mais d'un principe contraire. Et surtout, quand ils virent que, pour une créature bonne, à savoir l'homme, le mal venait de quelques-unes des créatures visibles et corruptibles.

Cette erreur est tout à fait inadmissible. Il faut tout ramener à un seul principe premier qui est le bien, ce qu'on montre à présent par trois raisons:

La première: parce que, si dans les différentes choses on trouve quelque chose de commun, il faut les ramener à une seule cause pour ce qui est commun, parce que ou l'un est la cause de l'autre ou il y a une cause commune des deux. Car il n'est pas possible que cette chose unique commune convienne à l'une et l'autre selon ce qui est proprement l'un d'eux, comme dans l'article précédent on l'a dit. Mais tout ce qui est contraire ou divers dans le monde se trouve avoir un rapport commun en une chose unique, soit la nature de l'espèce, soit celle du genre, soit rarement la raison d'être: c'est pourquoi il faut qu'il y ait un seul principe de toutes ces choses qui est pour tous la cause d'être. Mais l'être en tant que tel est bon; ce qui apparaît du fait que toute chose désire l'être, en quoi consiste la raison du bien, à savoir qu'il est désirable, et ainsi il apparaît que, au-dessus de certaines causes différentes, il faut placer une cause unique, comme chez les Naturalistes, au-dessus de ces agents contraire, on place dans la nature un seul agent premier, à savoir le ciel, qui est la cause des différents mouvements dans les êtres inférieurs. Mais, parce que dans le ciel même on trouve la diversité du site, où l'opposition des corps inférieurs est ramenée comme à une cause, il faut la ramener par la suite à un premier moteur, qui n'est mu ni par soi, ni par accident.

La seconde raison vient de ce que tout agent agit selon qu'il est en acte et par conséquent selon qu'il est parfait de quelque manière. En tant que mal, il n'est pas en acte, puisque on appelle mal ce dont la puissance est privée d'acte propre et normalement dû. Mais selon qu'une chose est en acte, elle est bonne, parce que, ainsi, elle a la perfection et l'entité, en quoi consiste la raison du bien. Donc rien n'agit en tant qu'il est un mal, mais chaque agent agit en tant qu'il est bon. Donc il est impossible de placer un principe actif des choses, sinon bon. Et puisque tout agent fait du semblable à soi, rien n'est fait que selon qu'il est en acte et de ce fait, selon qu'il est bon. Donc des deux côtés, cette opinion d'après laquelle on pense que le mal est un principe de création des maux est impossible. Et les paroles de Denys sont en accord avec cette raison, lui qui dit que le mal n'agit que par le pouvoir du bien et que le mal est au-delà de l'intention et de la génération.

Troisième raison: si des êtres étaient tout à fait différents des principes contraires non ramenées à l'unité, ils ne pourraient concourir à un ordre unique que par accident. Car il n'y a coordination de plusieurs choses que par quelque chose qui ordonne, à moins que par hasard elles ne s'accordent dans le même par une cause. Mais nous voyons que les êtres corruptibles et incorruptibles, spirituels et corporels, parfaits et imparfaits concourent à un seul ordre. Car les êtres spirituels meuvent les êtres corporels, ce qui apparaît au moins dans l'homme. Ce qui est corruptible aussi est disposé par les corps incorruptibles, comme cela apparaît dans les altérations des éléments par les corps célestes. Et on ne peut pas dire que cela arrive causalement, car cela n'arriverait pas toujours ainsi ou la plupart du temps, mais seulement dans des cas moins nombreux. Il faut donc ramener toutes ces choses différentes à un premier principe par lequel elles sont ordonnées à l'unité: c'est pourquoi le Philosophe conclut qu'il n'y a qu'une seule origine.

 

Solution des objections:

1. Puisque le mal, comme on l'a montré, n'est pas un être mais une défaillance de l'être, il ne peut pas être à proprement parler fait par soi, et pour autant Denys dit que le bien n'est pas cause du mal, mais ce n'est pas pour cela qu'il est ramené à une cause première.

2. Cette objection procède de l'effet qui peut avoir une cause par soi. Mais tel n'est pas le mal, c'est pourquoi on ne peut pas à proprement parler d'effet.

3. Le mal arrive par ses effets, mais il n'est pas fait à proprement parler, ce qui apparaît du fait qu'il n'est pas recherché. Et cependant il n'en découle pas qu'il soit premier principe, sauf si on y ajoutait que le mal serait une certaine substance naturelle. Comme le mal, en effet, du fait qu'il n'est pas un être mais une privation d'être, est privé de la nature propre de l'effet, ainsi il est beaucoup plus privé de celle d'une cause, comme on l'a prouvé.

4. Selon Augustin, Dieu est si bon qu'il ne permettrait jamais qu'il y ait un mal, s'il n'était pas assez puissant pour pouvoir en tirer un bien. C'est pourquoi ce n'est pas à cause de l'impuissance ni de l'ignorance de Dieu que le mal se trouve dans le monde, mais de l'ordre de sa sagesse et de la grandeur de sa bonté, que les différents degrés de bonté sont multipliés dans les êtres, dont beaucoup manqueraient s'il ne permettait aucun mal, car il n'y aurait pas le bien de la patience sans le mal de la persécution, ni celui de la conservation de la vie dans le lion sans le mal de la corruption dans les animaux dont il vit.

5. On ne trouve jamais le mal que dans le plus petit nombre, si les effets sont rapportés à leur cause propre, ce qui apparaît chez les Naturalistes. Car le péché ou le mal n'arrive dans l'action de la nature qu'à cause de l'empêchement qui survient à cette cause efficiente, ce qui n'arrive que dans le plus petit nombre, comme les monstres dans la nature etc. Mais dans les actes volontaires, le mal semble être comme dans le plus grand nombre pour ce qui peut être fait; en tant qu'art il ne défaille que comme le plus petit nombre, car il imite la nature. Dans les actes, pour ce qui concerne la vertu et le vice, il y a un double appétit qui meut, à savoir l'appétit rationnel et l'appétit sensuel; et ce qui est bon selon l'un est mal selon l'autre, comme poursuivre ce qui est délectable est bien selon l'appétit sensible qui est appelé sensualité, quoique ce soit un mal selon l'appétit de la raison. Et parce que ceux qui suivent les sens sont plus nombreux que ceux qui suivent la raison, on trouve parmi les hommes plus de mauvais que de bons. Mais cependant celui qui suit l'appétit de la raison se comporte bien en plus de cas et ne se comporte mal qu'en moins de cas.

6. La cause par accident est double. L'une qui agit sur l'effet, mais on l'appelle cause par accident parce que cet effet dépend d'une telle cause au-delà de l'intention, comme on le voit pour celui qui en creusant un sépulcre trouve un trésor. L'autre cause par accident est celle qui ne fait rien pour l'effet, mais du fait qu'elle est accidentelle pour la cause efficiente, elle est appelée cause par accident; ainsi le blanc est appelé cause de la maison par accident parce qu'il arrive au bâtisseur. De même l'effet par accident est double. L'un auquel peut se terminer l'action de la cause, bien qu'il arrive au-delà de l'intention, comme la découverte d'un trésor, et un tel effet, bien qu'il dépende d'une telle cause par accident peut être l'effet par soi d'une autre cause. Mais de cette manière le mal n'a pas de cause par accident parce que, comme on l'a déjà dit, il ne peut pas être le terme d'une action. L'autre effet par accident est celui auquel ne se termine pas l'action de l'agent, mais du fait qu'il est accidentel pour l'effet, on l'appelle effet par accident; comme le blanc, accident pour la maison peut être appelé effet par accident du bâtisseur et ainsi rien n'interdit que le mal ait une cause par accident.

7. Bien que le mal ne soit pas une substance naturelle, il n'est cependant pas négation pure, mais privation, qui Selon le philosophe, est une négation inhérente à un sujet: car la privation est négation dans la substance; c'est pourquoi du fait que cela arrive à une chose, la cause par accident peut lui être assignée de la manière susdite.

8. Le mal est présent dans le diable plus tôt que dans les autres, dans le temps, non par nature, comme si la malice était son essence ou un accident dérivé des principes de sa propre nature. Et ce n'est pas un empêchement si lui-même est pire que les autres, puisque cela ne vient pas de la co-naturalité de sa malice à lui-même, mais par accident, parce qu'il a péché davantage. Mais ces principes, pour les autres, sont ceux pour lesquels on dit que quelque chose est absolument par soi et non par accident.

9. Il est de la perfection du bien d'arriver seulement d'une seule manière, car il ne peut y avoir quelque chose de parfait que pour tout ce qui arrive dont la perfection est comme intégrée. Tout ce qui en eux est défaillant est imparfait et par conséquent un mal, c'est pourquoi c'est le propre de l'imperfection du mal qu'il arrive de multiples façons, et c'est pourquoi il a moins de raison d'être que le bien.

10. La parole du philosophe est à prendre selon l'opinion de Pythagore, qui a pensé que le bien et le mal étaient des genres, comme on l'a dit plus haut. Son opinion comporte cependant une part de vérité. Car comme on parle du bien de manière positive, du mal de manière privative, comme on l'a dit, de même que toute forme est un bien par définition, de même toute privation est un mal et ainsi le bien et le mal d'une certaine manière sont ramenés à l'être et à la privation d'être. Dans n'importe quels contraires, comme on le prouve en Métaphysique, la privation et la possession sont incluses et c'est pourquoi toujours l'un des contraires, qui est plus parfait, est ramené au bien, et l'autre, plus imparfait, est ramené au mal. C'est pour cela que le philosophe dit que l'autre partie du contraire appartient au maléfice, et pour autant on peut dire que le bien et le mal sont les genres des contraires.

11. Le mal qui est le contraire du bien, ne désigne pas la seule privation, mais une possession avec la privation, cette possession n'a pas valeur de mal dans la mesure où elle possède de l'être mais dans la mesure où on lui ajoute la privation d'une perfection qui lui est due.

12. Le mal, en tant que privation seule, n'est pas placé comme une différence constitutive de l'habitus vicieux, mais selon qu'est ajoutée indûment à l'intention une fin; en celle-ci on ne trouve pas de mal à cause de la fin visée, sinon dans la mesure où la fin normalement due ne peut pas demeurer avec cette fin; ainsi avec la fin de la délectation charnelle, le bien de la raison ne peut pas demeurer. C'est pourquoi dans les habitus de l'âme, on dit qu'on place spécialement le bien et le mal, parce que les actes moraux, et par conséquent les habitus, sont spécifiés à partir de la fin, qui est comme une forme de la volonté, qui est le principe propre des mauvaises actions. Mais le bien et le mal sont définis par comparaison à la fin.

13. On ne comprend pas que le bien est contre le mal, comme un principe premier est contre un autre principe premier, mais comme deux principes issus d'une seul premier principe dont l'un arrive par soi et l'autre par accident, ce qui apparaît dans la suite du texte: "Et ainsi vois dans toutes les oeuvres du Très Haut..." (Si 33, 15).

14. On ne tend pas au mal en recherchant un but mais en l'abandonnant; car, on dit qu'un bien l'est par participation, de même le mal l'est par l'éloignement du bien.

15. Le Seigneur comprend par le bon arbre la cause du bien, non cependant la première, mais le plus proche pour un effet singulier, et il en est de même de l'arbre mauvais; c'est pourquoi par l'arbre mauvais, il veut qu'on comprenne les hérétiques, qui sont connus par leurs oeuvres, comme l'arbre à ses fruits; et cela même apparaît par l'image à celui qui y prête attention, car l'arbre n'est pas la cause première du fruit, mais c'est sa racine qui l'est. Si cependant par l'arbre nous comprenons universellement toute cause, comme Denys semble le concevoir, alors il faut répondre que le bien n'est pas en soi cause du mal, comme on l'a dit.

16. Les ténèbres, dont on parle au commencement de la création, ne furent pas une créature, mais seulement le manque de lumière dans l'air, cependant ce n'était pas un mal, parce que ce seul manque induit la raison du bien et du mal, qui est de ce qui peut et doit être. Car le mal n'est pas dans la pierre qui n'a pas de sens, ou dans l'enfant sitôt né, qui ne marche pas. Et cependant cela ne provient pas de l'imperfection de l'agent que l'air soit créé sans lumière, mais de sa sagesse, dont l'ordre demande que quelque chose soit mené de l'imperfection à la perfection.

17. Cette objection se présente comme si le mal avait une cause en soi, ce qu'on a montré faux plus haut.

18. Il faut dire de même.

19. La nature se comporte différemment pour la génération et la corruption. Car la forme qui est le terme de la génération est recherchée par soi tant par la nature universelle que par la nature particulière: la privation est au-delà de l'intention de la nature particulière, mais elles est selon l'intention de la nature universelle, non comme recherchée par soi mais parce que, sans la privation de la forme, une autre forme ne peut pas être introduite et ainsi la génération est naturelle de toutes les manières. Mais on dit que la corruption est quelquefois contre la nature, en rapport à une nature particulière.

20. Dans le péché, quelque chose de l'entité ou de l'action est ramené à Dieu, comme à sa cause première, mais ce qu'il y a là de difformité est ramené comme à sa cause au libre arbitre, ainsi ce qui concerne la marche est ramené à la claudication dans le pouvoir de mouvement comme à sa première cause, mais la déformation de la marche provient de la courbure de la jambe.

21. Cette raison procède des deux agents tout à fait différents, mais non quand un agent opère dans un autre, car ainsi l'un d'eux peut être l'effet. Mais Dieu opère en toute nature et volonté; c'est pourquoi la raison ne suit pas.

22. Cette raison procède de l'agent qui agit par nécessité de nature, parce que, s'il est seul, il produit un seul effet. Et cependant il ne faut pas que l'effet soit simple comme la cause, parce que, ni dans l'universel, ni dans la substance simple, il ne faut que l'effet égale la cause. Mais Dieu n'agit pas par nécessité de nature, mais par volonté; c'est pourquoi il peut faire des choses simples et composées, muables et immuables.

23. La tache dans l'âme n'établit pas une nature, mais la seule privation de la grâce, cependant avec rapport à l'acte précédant du péché, qui a été cause de cette privation ou a pu l'être, et ainsi il ne faut pas que celui qui n'a pas commis le péché en ait la tache.

24. Les oeuvres de Dieu durent éternellement, non selon le nombre, mais selon l'espèce ou le genre, et selon la substance, non selon le mode d'être. "Car elle passe la figure de ce monde", comme on le dit (1 Co 7, 31).

25. Bien que Dieu soit un esprit, il a cependant dans sa sagesse les idées des corps par lesquelles les corps lui ressemblent à la manière dont les oeuvres d'art ressemblent à l'artisan pour ce qui est de son art, cependant les corps ressemblent également à Dieu quant à sa nature dans la mesure où ils sont, ils sont bons et ont une unité.

26. La nature ne fait pas toujours ce qui est meilleur par rapport à la partie, mais par rapport au tout; autrement tout le corps de l'homme ferait l'oeil ou le coeur, car cela serait meilleur pour chacune des parties, mais pas pour le tout. De la même manière, même si c'était meilleur pour un être d'être placée dans un ordre plus élevé, cependant ce ne serait pas meilleur pour l'univers, qui demeurerait imparfait, si toutes les créatures étaient sous un seul ordre.

 

Article 7: Dieu agit-il dans l'opération de nature?

 

Objections:

1. Il semble que non. En effet, la nature ne manque pas du nécessaire et n'a pas de superflu. Mais la puissance active de l'agent et la puissance passive du patient suffisent à l'action de la nature. Donc la puissance divine qui opère dans les créatures n'est pas nécessaire.

2. Mais on pourrait dire que la puissance active de la nature dépend dans son opération de celle de Dieu. - En sens contraire de même que l'opération de la nature créée dépend de celle de Dieu, l'opération du corps élémentaire dépend de celle d'un corps céleste, car celui-ci est comparé pour le corps élémentaire comme la cause première à la cause seconde. Mais on ne dit pas que le corps céleste opère en n'importe quel corps élémentaire agent. Donc il ne faut pas dire que Dieu opère dans n'importe quelle opération de la nature.

3. Si Dieu opère dans n'importe quelle opération de nature, ou bien Dieu et la nature agissent par une seule et même opération ou bien par des opérations différentes. Mais ce n'est pas une unique et même opération, car l'unité d'opération atteste l'unité de nature: c'est pourquoi, du fait qu'il y a deux natures dans le Christ, il y a aussi en lui deux opérations. Mais il est clair qu'il n'y a pas une nature unique pour la créature et pour Dieu. De même, il n'est pas possible que les opérations soient différentes, car les opérations différentes ne paraissent pas se terminer à un même résultat, puisque le mouvement et les opérations sont distingués selon leurs termes. Donc il n'est nullement possible que Dieu opère dans la nature.

4. Mais on pourrait dire que deux opérations qui se produisent l'une avant et l'autre après, peuvent aboutir à un même effet.

- En sens contraire les choses qui se rapportent immédiatement à un objet unique n'ont pas d'ordre entre elles. Mais autant Dieu que la nature produisent immédiatement un effet naturel. Donc l'opération de Dieu et celle de la nature ne se comportent selon un avant et un après.

5. Toutes les fois que Dieu a créé une nature, par là même il lui donne tout ce qui convient à sa définition; ainsi du fait qu'il crée un homme, il lui donne une âme rationnelle. Mais il est de la définition du pouvoir d'être le principe d'action, puisque le pouvoir est le sommet de la puissance, qui est le principe d'action dans un autre en tant qu'autre, comme on le dit en Métaphysique. Donc du fait même qu'il a introduit des pouvoirs naturels dans les choses, il leur a donné le pouvoir d'accomplir les opérations naturelles. Il ne faut donc pas que par la suite il opère dans les choses naturelles.

6. Mais on pourrait dire que les pouvoirs naturels ne pourraient durer, de même que les autres êtres, que s'ils sont maintenus par le pouvoir divin. - En sens contraire ce n'est pas la même chose d'opérer pour une chose et d'opérer en elle. Mais l'opération de Dieu, par laquelle il crée un pouvoir naturel ou il le conserve à l'être, est une opération pour le constituer ou le conserver. Donc ce n'est pas à cause de cela qu'on peut dire que Dieu opère dans un pouvoir naturel en son opération.

7. Si Dieu opère dans une nature qui opère, il faut en le faisant, qu'il lui accorde quelque chose, car l'agent, en agissant, met quelque chose en acte. Donc ou cela suffit pour que la nature puisse opérer par elle-même ou non. Si cela suffit, comme c'est Dieu qui aura attribué ce pouvoir naturel à la nature, on peut dire pour la même raison qu'il était suffisant pour agir. Et il ne faudra pas que Dieu, après lui avoir attribué ce pouvoir ajoute ensuite à son opération. Mais si cela ne suffit pas, il faut qu'il y fasse à nouveau quelque chose d'autre; et si cela ne suffit pas, à nouveau autre chose, et ainsi à l'infini, ce qui est impossible. Car un effet ne peut pas dépendre d'actions infinies, parce que, comme on ne peut traverser l'infini, jamais il ne serait achevé. Donc il faut s'en tenir à la première solution en disant que le pouvoir naturel suffit à l'action naturelle, sans que Dieu opère sur elle ensuite.

8. Si on prend une cause qui agit par nécessité de nature, il en découle que son action suit à moins d'être empêchée par accident, parce que la nature est déterminée à un objet unique. Si donc la chaleur du feu agit par nécessité de nature, si on pose la chaleur, il en découle l'échauffement, et il n'y a pas besoin d'un pouvoir supérieur qui agisse en elle.

9. Les choses tout à fait différentes peuvent être séparées l'une de l'autre. Or l'action de Dieu et celle de la nature sont tout à fait différentes, puisque Dieu agit par volonté, et la nature par nécessité. Donc l'action de Dieu peut être séparée de celle de la nature et ainsi il ne faut pas que Dieu opère dans la nature agent.

10. La créature, considérée en soi, ressemble à Dieu, dans la mesure où elle est en acte et agit par son acte; et en cela elle participe de la divine bonté. Mais cela n'existerait pas si son pouvoir ne suffisait pas pour agir. Donc la créature se suffit pour agir, sans ce que Dieu opère en elle.

11. Deux anges ne peuvent être dans un seul et même lieu, comme certains l'ont dit, pour qu'il ne s'ensuive pas une confusion des opérations. Parce que l'ange opère là où il est. Dieu est plus éloigné de la nature que l'ange l'est d'un autre ange. Donc Dieu ne peut, en même temps que la nature, opérer dans un même objet.

12. In (Qo 11, 14) dit que "Dieu fit l'homme et le laissa à son conseil". Il ne l'aurait pas laissé, s'il opérait toujours dans sa volonté. Donc il n'opère pas dans la volonté en son opération.

13. La volonté est maîtresse de son acte. Mais cela ne serait pas, si elle ne pouvait agir que si Dieu opérait en elle, puisque notre volonté n'est pas maîtresse de l'opération divine. Donc Dieu n'opère pas dans notre volonté en son opération.

14. Est libre ce qui est cause de soi, comme il est dit. Donc ce qui ne peut agir que par une cause qui agit en lui n'est pas libre en agissant. Mais notre volonté est libre quand nous agissons. Donc elle peut agir, sans autre cause qui opère en elle. Et ainsi de même que plus haut.

15. La cause première a plus d'influence dans l'effet que la cause seconde. Si donc Dieu opérait dans la volonté et la nature, comme cause première dans la cause seconde, il en découlerait que les défaillances qui arrivent dans l'opération de la volonté et de la nature, seraient attribuées plus à Dieu qu'à la nature ou à la volonté; ce qui ne convient pas.

16. Si on pose une cause qui opère valablement, il est superflu de poser l'opération d'une autre. Mais il est clair que, si Dieu opérait dans la nature et la volonté, il le ferait valablement ("Car les oeuvres de Dieu sont parfaites" (Dt 32, 4). Donc toute opération de la nature et de la volonté serait superflue Aussi comme dans la nature rien n'est superflu, ni la nature, ni la volonté n'opérerait, mais Dieu seul. Cela ne convient pas. Donc il faut s'en tenir à la première solution, à savoir que Dieu opèrerait dans la nature et la volonté.

 

Cependant:

1. Isaïe dit (Is 26, 12): "Tu as accompli tous nos oeuvres en nous, Seigneur."

2. Comme l'art présuppose la nature, ainsi la nature présuppose Dieu. Mais la nature opère dans l'opération de l'art, car sans elle, l'opération de l'art ne se fait pas, ainsi le feu ramollit le fer, de sorte qu'il s'allonge sous les coups du forgeron. Donc Dieu aussi opère dans l'opération de nature.

3. Selon le philosophe, l'homme et le soleil engendrent l'homme. Mais de même que l'opération de l'homme dans la génération dépend de l'action du soleil, ainsi et beaucoup plus l'action de la nature dépend de l'action de Dieu. Donc ce que fait la nature, Dieu le fait aussi.

4. Rien ne peut opérer sinon l'étant. Mais la nature ne peut exister que par Dieu qui opère, car elle retournerait au néant si la puissance divine par son action ne la conservait pas dans l'être, comme on le lit chez Augustin. Donc la nature ne peut agir que si Dieu agit.

5. Le pouvoir de Dieu est en chaque être naturel, parce qu'on dit qu'il est en toutes choses par essence, puissance et présence. Mais il ne faut pas dire que le pouvoir divin, selon qu'il est dans les choses, est inutile. Donc, selon qu'il est dans la nature, il opère. Et on ne peut pas dire qu'autre chose que la nature elle-même opère, puisque ici n'apparaît qu'une seule opération. Donc Dieu opère en chaque opération de la nature.

 

Réponse:

Il faut absolument concéder que Dieu opère dans la nature et la volonté en leurs opérations. Mais certains, qui ne l'ont pas compris, sont tombés dans l'erreur, en attribuant à Dieu toute opération de la nature, de telle sorte que la chose naturelle ne ferait strictement rien par son pouvoir propre, et pour l'établir, ils y ont été poussés par diverses raisons.

* Certains parlant selon la loi des Musulmans, comme Rabbi Maimonide le raconte, ont dit que toutes les formes naturelles sont des accidents, et comme l'accident ne peut pas passer dans un autre sujet, ils considéraient comme impossible que la chose naturelle, par sa forme, introduise d'une certaine manière une forme semblable dans un autre substrat. C'est pour cela qu'ils disaient que le feu ne chauffe pas, mais que Dieu crée la chaleur dans l'objet chauffé.

Mais si on leur objectait que de l'application du feu à ce qu'on chauffe, il en découle toujours un échauffement, sauf si, par accident, le feu était empêché, ce qui montre qu'il est la cause de la chaleur en soi, ils disaient que Dieu a décidé que ce concours serait conservé dans les choses, que jamais lui-même ne causerait la chaleur sauf si le feu était placé tout près et que ce n'était pas le feu qui provoquait l'échauffement.

Mais cette position s'oppose manifestement à nos sens: en effet, puisque ils ne perçoivent que par ce qu'ils reçoivent du sensible (même si pour la vue, il y a un doute à cause de ceux qui disent que la vue fonctionne en se projetant à l'extérieur, pour le toucher et les autres sens c'est clair); il s'ensuit que l'homme ne sent pas la chaleur du feu si par le feu agent, il n'y a pas la ressemblance de la chaleur du feu qui doit être sentie dans l'organe. Car si cette espèce de chaleur était faite dans l'organe par un autre agent, même si le toucher sentait la chaleur, il ne sentirait pas la chaleur du feu ni que le feu est chaud, puisque le sens dont le jugement ne se trompe pas dans sa propre sensibilité le juge ainsi.

Cela s'oppose aussi à la raison: par elle, on démontre que rien n'est vain dans les choses naturelles. Si elles ne faisaient rien, les formes et les pouvoirs naturels qui s'y trouvent leur seraient inutiles. Ainsi si le couteau ne coupait pas, c'est en vain qu'il aurait une lame. Et on chercherait en vain la mise à feu du bois, si Dieu brûlait le bois sans feu.

Cela s'oppose aussi à la bonté divine qui se communique d'elle-même; de là vient que les créatures ressemblent à Dieu, non seulement dans leur être, mais aussi dans leur agir. Mais la raison qu'ils avancent en leur faveur est tout à fait futile. En effet, quand on dit que l'accident ne passe pas d'un substrat dans un autre, on le comprend de ce même accident selon le nombre, et non pas parce qu'un accident d'une espèce semblable pourrait être induit dans un autre substrat par le pouvoir de l'accident qui est dans un sujet naturel. Et il est nécessaire que cela arrive dans toute action naturelle. Mais qu'ils supposent que toutes les formes sont des accidents est faux, parce qu'ainsi, il n'y aurait aucun être substantiel dans les choses naturelles, dont le principe ne peut pas être une forme accidentelle, mais une forme substantielle seulement. La génération et la corruption disparaîtraient et beaucoup d'autres inconvénients en découleraient.

* Avicebron aussi, in "La Fontaine de vie", dit qu'aucune substance corporelle n'agit, mais que c'est une puissance spirituelle qui pénètre à travers tous les corps qui agit en eux, et plus un corps est actif, plus il est pur et subtil et par conséquent plus accessible au pouvoir spirituel. Et à cela il apporte trois raisons:

1. Tout agent après Dieu a besoin d'une matière sujette dans laquelle il agit; mais la matière n'est pas subordonnée à la substance corporelle et ainsi il semble qu'elle ne puisse pas agir.

2. La quantité empêche l'action et le mouvement; il en donne comme preuve qu'une très grande quantité retarde le mouvement et ajoute de la lourdeur au corps et ainsi la substance corporelle qui est mêlée à la quantité ne peut pas agir.

3. La substance corporelle est très loin du premier agent, qui est agent seulement et non patient; les substances intermédiaires sont agents et patients; c'est pourquoi il faut que la substance corporelle, qui est la dernière soit "patiente" seulement et non agent.

Mais la tromperie est manifeste, du fait qu'on prend toute la substance corporelle comme une seule et même substance par le nombre, comme si elle n'était pas distincte selon son être substantiel mais seulement par accident. Car si on accepte que les diverses substances corporelles sont substantiellement distinctes, alors ce n'est pas une quelconque substance corporelle qui sera le dernier des êtres et la plus éloignée du premier agent, mais l'une sera supérieure à l'autre et plus proche du premier agent, et ainsi l'une pourra agir dans l'autre.

De même, dans ce qui a été dit, on ne considère la substance corporelle qu'en raison de la matière et non de sa forme, encore qu'elle soit composée de l'une et l'autre. Il appartient, en effet, à la substance corporelle d'être le dernier des êtres et de ne pas avoir un substrat plus bas, à cause de la matière, mais non de la forme; parce que, en raison de celle-ci, toute substance est un substrat plus bas, dans la matière de laquelle il y a en puissance cette forme que cette chose possède en acte.

Et de là découle qu'il y a une l'action mutuelle dans les substances corporelles, puisque dans la matière de l'une la forme de l'autre est en puissance, et inversement. Mais si la forme même n'est pas suffisante pour agir, par une même raison, le pouvoir de la substance spirituelle, qu'il est nécessaire que la substance corporelle reçoive à sa manière, non plus.

La quantité n'enlève ni le mouvement, ni l'action, puisque rien n'est mu si ce n'est qu'à sa mesure, comme on le prouve VI, Phys. Il n'est pas vrai que la quantité soit la cause de la pesanteur. Car cela est rejeté au livre IV Du ciel. C'est pourquoi la quantité ajoute à la vitesse du mouvement naturel, car plus un corps lourd est grand, plus vite il descend, et c'est pareil pour le corps léger vers le haut. Bien que la quantité en soi ne soit pas principe d'action, on ne peut trouver cependant la raison pour laquelle elle empêcherait l'action, puisqu'elle serait plus un instrument de la qualité active, sauf dans la mesure où les formes actives, reçue dans la matière soumise à la quantité, reçoivent un être limité et individualisé pour cette matière pour qu'ainsi, par son action, elle ne s'étende pas à une autre matière. Mais quoiqu'elles atteignent un être individualisé dans la matière, cependant elles ne perdent pas la nature de l'espèce, du fait qu'elles peuvent y produire quelque chose de semblable à elles, en espèce, bien qu'elles ne le puissent être elles-mêmes dans un autre sujet.

Ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre que Dieu opère en toute chose naturelle, comme si elle ne faisait rien, mais parce qu'il opère dans la nature même ou dans la volonté en leurs opérations: il faut montrer comment on peut le comprendre.

Car il faut savoir qu'une chose peut être appelée cause d'une autre, de multiples façons.

1. D'une première manière, parce qu'elle lui attribue le pouvoir d'opérer, comme on le dit en IV, Phys, parce que celui qui engendre met en mouvement le lourd et le léger dans la mesure où il donne un pouvoir d'où découle un tel mouvement. Et Dieu, de cette manière, accomplit toutes les actions de nature, parce qu'il a donné aux choses naturelles des pouvoirs par lesquels elles peuvent agir, non seulement comme celui qui engendre fournit un pouvoir au lourd et au léger, et ne le conserve pas plus longtemps, mais comme celui qui maintient continuellement ce pouvoir dans l'être, parce qu'il est cause du pouvoir qui lui est attribué, non seulement quant au devenir comme celui qui engendre, mais aussi quant à l'être, de sorte qu'ainsi on peut dire que Dieu est la cause de l'action dans la mesure où il cause et conserve en l'être le pouvoir naturel.

2. Car d'une autre manière, on dit qu'en conservant ce pouvoir, il accomplit l'action, de même qu'on dit que les remèdes qui conservent la vue font voir. Mais parce que rien ne se meut par soi ou n'agit que s'il est un moteur non mu.

3. D'une troisième manière, on dit qu'une chose est la cause de l'action d'une autre dans la mesure où elle la pousse à agir; en cela on ne comprend pas l'attribution ou la conservation du pouvoir actif, mais son application à l'action. Ainsi l'homme est la cause de l'entaille du couteau du seul fait qu'il applique son tranchant pour couper en le manipulant. Et parce que la nature, agent inférieur, n'agit que si elle est mue, de tels corps inférieurs changent en étant eux-mêmes changés. Mais le ciel provoque des changements sans être changé, et cependant il n'est moteur que mu, et cela ne cessera que jusqu'à ce qu'on parvienne à Dieu. Il découle nécessairement que Dieu est la cause de l'action d'une chose naturelle comme moteur, qui applique le pouvoir pour agir.

Mais ensuite, nous avons trouvé selon l'ordre des causes, qu'il existe un ordre des effets, nécessaire à cause de la ressemblance de l'effet et de la cause. Et la cause seconde ne peut pas être dans l'effet de la cause première par son pouvoir propre, bien qu'elle en soit l'instrument par rapport à cet effet. Car l'instrument est cause d'une certaine manière de l'effet de la cause principale, non par la forme ou son pouvoir propre, mais dans la mesure où il partage quelque chose du pouvoir de la cause principale par son mouvement; ainsi la hache n'est pas cause de l'oeuvre fabriquée par sa forme ou son pouvoir propre, mais par le pouvoir de l'artisan qui la manie et la fait participer d'une certaine manière.

4. C'est pourquoi, d'une quatrième manière, l'un est cause de l'action de l'autre, comme l'agent principal est cause de l'action de l'instrument, et de cette manière aussi, il faut dire que Dieu est cause de toute action de l'être naturel. Car plus une cause est élevée, plus elle est commune et efficace, et plus elle est efficace, plus elle entre profondément dans l'effet et, d'une puissance plus éloignée, elle l'amène à l'acte.

Dans n'importe quel être naturel, on trouve qu'il y a l'étant, la chose naturelle, et ce qui est de telle ou telle nature.

1. Le premier est commun à tous les êtres; 2. le second à toutes les choses naturelles, 3. le troisième à une seule espèce, 4. et le quatrième, si on ajoute les accidents, est propre à cet individu particulier. Donc ce dernier en agissant ne peut en constituer une autre dans la même espèce que dans la mesure où il est l'instrument de cette cause, qui concerne toute l'espèce et davantage tout l'être de nature inférieure. Et pour cette raison que rien n'agit pour l'espèce dans ces choses inférieures que par le pouvoir d'un corps céleste, et rien n'agit pour l'être que par le pouvoir de Dieu. Car l'être lui-même est le premier effet le plus commun et plus intime que tous les autres effets et c'est pourquoi il convient à Dieu seul, selon le pouvoir propre d'un tel effet: c'est pourquoi, comme aussi on le dit dans le Livre des Causes, l'Intelligence ne donne l'être que dans la mesure où il y a en elle un pouvoir divin.

Ainsi donc Dieu est cause de toute action, dans la mesure où n'importe quel agent est l'instrument du pouvoir divin en son opération. Si donc, nous considérons les suppôts agents, n'importe quel agent particulier est sans intermédiaire à son effet. Mais si nous considérons le pouvoir par lequel l'action est accomplie, alors le pouvoir de la cause supérieure sera plus immédiat dans l'effet que celui de la cause inférieure, car ce dernier n'est joint à l'effet que par le pouvoir du supérieur. C'est pourquoi on dit dans Le livre des Causes, que la pouvoir de la cause première agit avant dans l'effet et entre plus fortement en lui.

Ainsi donc il faut que le pouvoir divin soit présent à tout ce qui agit, de même qu'il faut que le pouvoir du corps céleste le soit à tout corps élémentaire qui agit. Mais la différence c'est que partout où il y a le pouvoir divin, il y a l'essence divine. L'essence du corps céleste n'est pas partout où est son pouvoir; en plus Dieu est son propre pouvoir, mais pas le corps céleste.

C'est pourquoi on peut dire que Dieu opère en toute chose dans la mesure où elle a besoin de son pouvoir pour agir; mais on ne peut proprement dire que le ciel agit toujours dans le corps élémentaire, bien que ce soit par son pouvoir que le corps élémentaire agisse. Ainsi donc Dieu est cause de n'importe quelle action dans la mesure où il donne le pouvoir d'agir, où il le conserve et, il l'applique à l'action et où tout autre pouvoir agit dans le sien. Et comme nous avons ajouté à cela que Dieu est son propre pouvoir, et qu'il est en n'importe quelle chose, non comme une partie de son essence, mais comme celui qui la conserve dans l'être, il s'ensuit que lui-même opère sans intermédiaire en n'importe quel être en son opération, sans exclure l'opération de la volonté et de la nature.

 

Solution des objections:

1. Le pouvoir actif et passif d'une chose naturelle suffisent pour agir en son ordre. Cependant elle a besoin du pouvoir divin, pour la raison déjà dite dans le corps de l'article.

2. L'opération du pouvoir naturel relativement à Dieu et celle du corps élémentaire relativement au corps céleste sont semblables en un certain point, mais pas en tout.

3. Dans l'opération par laquelle Dieu opère en mettant en mouvement la nature, la nature n'opère pas. Mais l'opération même de la nature est aussi une opération du pouvoir divin, de même que l'opération de l'instrument existe par le pouvoir de l'agent principal. Et rien n'empêche que la nature et Dieu opèrent sur un même objet, à cause de l'ordre entre Dieu et la nature.

4. Dieu autant que la nature opèrent sans intermédiaire, bien qu'ils soient ordonnés selon un avant et un après, comme cela apparaît dans ce qui a été dit.

5. Il appartient à un pouvoir inférieur d'être en quelque manière principe d'opération en son ordre, c'est-à-dire qu'il agisse comme instrument d'un pouvoir supérieur. C'est pourquoi, si le pouvoir supérieur est exclus, le pouvoir inférieur n'a pas d'opération.

6. Dieu est non seulement la cause de l'opération de la nature, en tant qu'il conserve le pouvoir naturel dans l'être, mais aussi par d'autres moyens, comme on l'a dit.

7. Le pouvoir naturel, placé dans les choses naturelles en leur constitution est en elles comme une forme ayant un être déterminé et ferme en nature. Mais ce qui est fait par Dieu, dans un être naturel où il agit de manière actuelle, est comme une intention seule avec un être incomplet, à la manière dont les couleurs sont dans l'air, et le pouvoir de l'art dans l'instrument de l'artiste. Ainsi donc on a pu donner un tranchant à la hache pour qu'il y fût forme permanente, mais on n'aurait pu lui donner le pouvoir de l'art comme forme permanente que si elle avait une intelligence. De la même manière, un pouvoir propre a pu être conféré à la chose naturelle, comme une forme permanente en elle, mais non la force par laquelle elle agit pour être comme l'instrument de la cause première, à moins de lui donner ce qui serait le principe universel d'être. Et il n'a pu, non plus, être conféré au pouvoir naturel de se mouvoir lui-même, ni de se conserver à l'être lui-même. C'est pourquoi, de même qu'il est évident qu'il ne fallut pas qu'il soit donné à l'instrument de l'artisan d'opérer sans le mouvement de l'art, de même, il n'a pu être donné à l'être naturel d'opérer sans l'opération divine.

8. La nécessité naturelle, par laquelle la chaleur agit, est constituée de l'ordre de toutes les causes précédentes. C'est pourquoi le pouvoir de la cause première n'est pas exclu.

9. Bien que la nature et la volonté soient différentes selon leur être, cependant elles ont un certain ordre quand elles agissent. Car, de même que l'action de la nature précède l'action de notre volonté, pour la raison que dans les opérations de l'art, qui dépendent de la volonté, celle-ci a besoin de l'opération de nature; de même la volonté de Dieu, qui est l'origine de tout mouvement naturel, précède l'opération de la nature; c'est pourquoi son opération est requise dans toute opération de nature.

10. La créature a une certaine ressemblance à Dieu en participant à sa bonté, dans la mesure où elle est et agit, non cependant de manière à l'égaler par la perfection de cette ressemblance. Et c'est pourquoi, de même que l'imparfait a besoin du parfait, ainsi le pouvoir de la nature dans son action a besoin de l'opération divine.

11. Deux anges sont moins distants selon la hiérarchie de la nature que Dieu et la nature créée; cependant dans l'ordre de la cause et de l'effet, Dieu et la nature se rencontrent, mais pas deux anges. C'est pour cela que Dieu opère dans la nature, mais pas un ange dans un autre.

12. On ne dit pas que Dieu a abandonné l'homme à son conseil, au point de ne plus opérer dans sa volonté, mais parce qu'il a donné à la volonté de l'homme le pouvoir sur son action, pour qu'elle ne soit pas liée à l'autre partie de la contradiction: il n'a pas donné le pouvoir à la nature, puisque par sa forme elle est déterminée à un objet unique.

13. On dit que la volonté a pouvoir sur son action non en excluant la cause première, mais parce que celle-ci n'agit pas dans la volonté de sorte à la déterminer nécessairement à un objet, comme elle détermine la nature et ainsi la détermination de l'acte est laissée au pouvoir de la raison et de la volonté.

14. Ce n'est pas n'importe quelle cause qui enlève la liberté mais seulement une cause contraignante, mais ainsi Dieu n'est pas cause de notre opération.

15. Parce que la cause première influe plus sur l'effet que la cause seconde, ce qu'il y a de perfection dans l'effet, est ramené principalement à la cause première; mais ce qui est défaillance, doit être ramené à la cause seconde, qui n'opère pas aussi efficacement que la cause première.

16. Dieu opère de manière parfaite comme cause première; cependant l'opération de la nature est requise comme cause seconde. Dieu pourrait cependant produire un effet de nature même sans la nature, mais il veut le faire par l'intermédiaire de la nature pour conserver l'ordre des choses.

 

Article 8: Dieu opère-t-il dans la nature en créant, ce qui revient à chercher si la création est mêlée à l'opération de nature?

 

Objections:

1. Et il semble que oui. D'après ce que dit Augustin: "L'apôtre Paul distinguant l'opération de Dieu qui crée et qui façonne au dedans, des opérations de la créature qui agit au dehors, en empruntant une image à l'agriculture, dit: "J'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a donné l'accroissement (1Co 3, 6)".

2. Mais on pourrait dire que la création est prise ici au sens large pour une fabrication quelconque

- En sens contraire, Augustin avec l'autorité de l'Apôtre vise, dans les paroles ici rapportées, à distinguer l'opération de la créature de celle de Dieu. Mais elle n'est pas distinguée par une création au sens communément accepté d'une fabrication quelconque, parce que la nature crée aussi. Car elle agit, comme on l'a montré à l'article précédent, mais non par création au sens propre. Donc il faut comprendre que ces paroles se rapportent à la création au sens propre.

3. Le même Augustin ajoute: "Dans notre vie même, il n'y a que Dieu seul qui peut façonner l'esprit en le justifiant, mais annoncer l'Évangile à l'extérieur, même les hommes peuvent le faire; de la même manière, Dieu opère de l'intérieur la création du monde visible; les opérations extérieures des anges et des hommes, bons ou des mauvais, ou de tous les animaux, de la même manière il les applique à la nature où il crée tout; comme l'agriculture pour la terre. " Mais il forme notre esprit en le justifiant par une création au sens propre. Car on dit que la grâce existe par création. Donc il crée les formes naturelles par création proprement dite.

4. Mais on pourrait dire que les formes naturelles ont leur cause dans le substrat mais pas la grâce, et pour autant celle-ci est créée au sens propre, mais pas les formes naturelles.

- En sens contraire, comme on le dit dans la Glose de (Gn 1, 1): "Créer c'est faire quelque chose de rien." Comme cette préposition "ex" ('de') apporte quelquefois une relation de cause efficiente comme en (1Co 8, 6): "Tout vient de lui, tout est par lui", quelquefois aussi une relation à la cause matérielle, comme on le trouve in (Tb 13, 21-22): "Tout le tour de ses murs: de pierre blanche et pure", quand on dit que quelque chose est fait de rien, on ne nie pas la relation à la cause efficiente, (sinon Dieu ne serait pas la cause efficiente des créatures), mais on nie la relation à la cause matérielle. Mais les formes naturelles ont dans leur substrat des causes efficientes par le fait qu'elles diffèrent de la grâce. Elles ont aussi une matière dans laquelle (elles sont), ce qui convient aussi à la grâce. Donc la création ne convient pas plus à la grâce qu'aux formes naturelles, par le fait d'avoir une cause dans le substrat.

5. Les formes artificielles n'ont pas de cause dans le substrat, mais elles viennent totalement de l'extérieur. Donc si on dit que la grâce est créée parce qu'elle n'a pas de cause dans le substrat, à raison égale les formes accidentelles artificielles seront créées.

6. Ce qui n'a pas de partie matérielle, ne peut être fait de matière. Mais les formes n'ont pas de matière en participation, parce que la forme est distinguée de la matière et du composé, comme cela apparaît au début du De Anima, II. Donc comme les formes sont faites, parce qu'elles commencent à exister de nouveau, il semble qu'elles ne sont pas faites de matière, et ainsi elles sont faites de rien et par conséquent elles sont créées.

7. Mais on pourrait dire que, bien que les formes naturelles n'aient pas de matière en participation d'elles-mêmes, d'où elles viennent, elles ont cependant une matière dans laquelle elles sont, et pour autant elles ne sont pas créées.

- En sens contraire, comme les autres formes naturelles, l'âme rationnelle est une forme dans la matière. Mais il est établi qu'elle est créée. Donc il faut le concevoir de la même manière pour les autres formes naturelles.

8. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle n'est pas tirée de la matière, comme les autres formes naturelles.

- En sens contraire, rien n'est tiré de quelque chose qui n'est pas en lui. Mais, avant la fin de la génération, la forme, qui en est le terme, n'était pas dans la matière. Autrement il y aurait dans la matière en même temps des formes contraires. Donc les formes naturelles ne sont pas tirées de la matière.

9. La forme qui est le terme de la génération n'apparaît pas avant la génération complète. Donc si elle y était, elle était cachée, et il s'ensuivrait ainsi un état latent d'une chose dans une autre, ce que professait Anaxagore et que rejète Le Philosophe

10. Mais on pourrait dire que la forme naturelle n'existait pas complètement dans la matière avant la génération complète, comme Anaxagore le pensait, mais de façon incomplète.

- En sens contraire, si la forme est en quelque manière dans la matière avant le terme de la génération, elle y est comme partie d'elle-même. Mais si elle n'y est pas complètement, elle ne préexiste pas. Donc la forme une chose et l'autre et ainsi, elle n'est pas simple; on trouve le contraire au commencement des "Six principes ".

11. Si elle ne préexiste pas complètement dans la matière, et qu'elle est complétée ensuite, il faut que le complément lui advienne par génération. Mais ce complément ne préexistait pas dans la matière, parce qu'il y aurait ainsi été en entier. Donc ce complément existera au moins par création.

12. On pourrait dire qu'elle préexistait dans la matière incomplètement, non pas en partie, mais parce qu'elle existait d'une manière différente avant et après: car avant, elle était en puissance, mais après elle est en acte.

- En sens contraire, du fait que quelque chose se comporte d'une manière et d'une autre, c'est un changement d'état, non une génération. Si donc par l'oeuvre de la nature, rien n'est fait sinon que la forme, qui était avant en puissance, devient ensuite en acte, il en découlerait que par une opération de nature il n'y aurait pas génération mais changement d'état seulement.

13. Dans la nature inférieure, on ne trouve comme principe actif que l'accident; car le feu agit par la chaleur, qui est un accident, et de même pour les autres. Mais l'accident ne peut être la cause active de la forme substantielle, parce que rien n'agit au-delà de son espèce; l'effet ne l'emporte pas sur la cause, encore que cependant la forme substantielle l'emporte sur l'accident. Donc la forme substantielle n'est pas produite par l'action d'une nature inférieure, et ainsi il faut qu'elle existe par création.

14. L'imparfait ne peut pas être cause du parfait. Mais la force de l'âme n'est dans la semence de l'animal qu'imparfaitement. Donc l'âme de l'animal n'est pas produite par l'action naturelle du pouvoir séminal et ainsi il faut qu'elle existe par création, et à raison égale, toutes les autres formes naturelles.

15. Ce qui n'est ni animé, ni vivant ne peut être cause d'un être animé vivant. Mais les animaux qui naissent de la putréfaction sont des êtres animés vivants; et on ne trouve pas dans la nature des êtres vivants par lesquels la vie leur est conférée. Donc il faut que leurs âmes existent par création à partir du premier vivant et à raison égale les autres formes naturelles.

16. La nature ne fait que du semblable à elle-même. Mais on trouve un être naturel engendré, dont la ressemblance ne l'a pas précédé dans celui qui engendre. La mulet en effet, n'est semblable en espèce, ni au cheval ni à l'âne. Donc la forme du mulet ne vient pas de l'action de la nature, mais par création et ainsi de même que plus haut.

17. Augustin dit que les êtres naturels ne seraient mis en forme que s'il y avait quelque être premier qui les forme. Mais celui-ci, c'est Dieu même. Donc toutes les formes viennent de la création de Dieu.

18. Boèce dit que les formes qui sont dans la matière sont venues des formes sans matière. Mais les formes sans matière ne peuvent être comprises que dans l'hypothèse où les idées des choses existent dans l'esprit divin. Car les anges, qui peuvent être appelés des formes sans matière, ne sont pas causes des formes naturelles, comme Augustin le montre. Donc les formes naturelles ne dépendent pas de l'action de la nature, mais d'un donneur qui les crée.

19. In Livre des Causes, il est dit que l'être existe par création. Mais cela ne serait possible que si les formes étaient créées, car la forme est le principe d'être. Donc les formes existent par création; et Dieu opère dans la matière en créant quelque chose, c'est-à-dire les formes elles-mêmes.

20. Ce qui est par soi est cause de ce qui ne l'est pas. Mais les formes des êtres naturels ne sont pas par soi mais sont dans la matière. Donc leur cause est une forme qui demeure par soi et de même qu'il faut que les formes naturelles soient créées par un agent extérieur, de même il semble que Dieu opère dans la nature en créant les formes.

 

Cependant:

1.On distingue l'oeuvre de la création de celle du gouvernement et de la propagation. Mais ce qui est fait par l'action de la nature, convient à l'oeuvre du gouvernement et de la propagation. Donc la création n'est pas mêlée à l'opération de la nature.

2. Rien ne peut créer, sinon Dieu seul. Si donc les formes existent par création, elles n'existeront que par Dieu; et ainsi toute l'action de la nature, dont la fin est la forme, sera vaine.

3. La forme substantielle n'a pas de matière en participation, la forme accidentelle non plus. Si donc, il faut que les formes substantielles soient créées, parce qu'elles n'ont pas de matière, à raison égale les formes accidentelles aussi. Mais de la même manière que ce qui est engendré est achevé par la forme substantielle, de même la disposition est faite par la forme accidentelle. Donc l'être naturel n'engendrera en aucune manière, ni en achevant, ni en disposant. Et ainsi toute action de la nature sera vaine.

4. La nature procrée du semblable à partir du semblable. Mais on trouve que l'engendré est semblable à celui qui l'engendre, selon l'espèce et la forme. Donc la forme même de l'engendré est faite par l'action de celui qui engendre, et non par création.

5. Les actions des divers agents ne se terminent pas à un seul effet. Mais l'unité vient simplement de la matière et de la forme. Donc il est impossible que ce soit un agent différent qui dispose la matière et qui induit la forme. Mais en disposant la matière, il est agent naturel. Donc en induisant la forme aussi, et de même que les formes n'existent pas par création, de même la création n'est pas mêlée aux oeuvres de la nature.

 

Réponse:

A propos de cette question les opinions ont été diverses. La racine de toutes semble avoir été un seul et même principe: la nature ne peut rien faire de rien.

A. Car à partir de là, certains ont cru que rien n'était faite autrement qu'en étant tiré d'une chose dans laquelle elle était cachée, comme le philosophe le raconte d'Anaxagore, qui semble avoir été trompé parce qu'il ne distinguait pas la puissance et l'acte. Car il pensait qu'il fallait que ce qui est engendré préexiste en acte. Mais il faut qu'il préexiste en puissance et non en acte. Car s'il ne préexistait pas en puissance, il serait fait de rien, mais s'il préexistait en acte, il ne serait pas fait, parce que ce qui est ne se fait pas.

B. Mais parce qu'un être engendré est en puissance par la matière, et en acte par sa forme, certains ont pensé qu'il était fait, quant à sa forme avec une matière préexistante. Et parce que l'opération de nature ne peut pas exister à partir de rien, et que par conséquent, il faut qu'elle vienne de quelque chose de présupposé, la nature n'opérait selon eux, qu'à partir d'une partie de la matière, en la disposant à la forme. Mais il faut que la forme, qui doit être faite et non présupposée, vienne d'un agent qui ne présuppose rien, mais peut la faire de rien. Et c'est un agent surnaturel que Platon a établi comme donneur de formes. Et Avicenne a dit que c'était la dernière intelligence parmi les substances séparées.

C. Certains modernes qui les suivent disent que c'est Dieu. Mais cela ne paraît pas convenir. Parce que, comme chaque chose est destinée à faire du semblable à soi (car elle agit en ce qui est en acte, car il va de soi que ce qui est en puissance est ce qui doit être fait), la ressemblance ne serait requise pour la forme substantielle dans l'agent naturel que si celle de l'engendré venait de l'action de l'agent. D'où ce qui doit être acquis dans l'engendré, c'est ce qui se trouve en acte dans le géniteur naturel. Chacun agit selon qu'il est en acte; recourir à un agent extérieur sans tenir compte de ce qui engendre, ne semble pas convenir.

D. C'est pourquoi il faut savoir que ces opinions paraissent provenir de ce que la nature de la forme était ignorée, de même que les premières opinions provenaient de ce que la nature de la matière était ignorée. Car on ne dit pas que la forme naturelle est univoque avec ce qui est engendré. Mais on dit que la chose naturelle engendrée est par soi et proprement, comme ayant l'être, et subsistante en soi, mais on ne dit pas que ce n'est pas ainsi qu'existe la forme, puisqu'elle ne subsiste pas, et qu'elle n'a pas l'être par soi. Mais on l'appelle être ou étant, parce qu'elle est quelque chose, de même qu'on appelle les accidents des étants, parce que la substance pour eux est qualité ou grandeur, non parce qu'elle existe absolument pour eux, comme par une forme substantielle; c'est pourquoi les accidents sont plus proprement appelés (dépendants) de l'être que des êtres, comme cela apparaît en VII, Métaphys.

On dit que chaque chose faite est faite de la manière par laquelle on la dit être. Car l'être est le terme du faire: c'est pourquoi ce qui est fait proprement par soi est composé. Mais la forme n'est pas faite à proprement parler, mais elle est ce qui est fait, c'est-à-dire par l'acquisition de ce dont on dit qu'elle est faite. Donc rien n'empêche, du fait qu'on dit que rien n'est fait de rien par nature, de dire que les formes substantielles viennent de l'opération de la nature. Car ce qui est fait, ce n'est pas la forme, mais le composé; qui est fait de matière et non de rien. C'est fait de matière, dans la mesure où celle-ci est en puissance pour ce composé même, par le fait qu'elle est en puissance pour la forme. Et ainsi ce n'est pas proprement qu'on dit que la forme est faite dans la matière, mais elle est plutôt tirée de la puissance de la matière.

Du fait que c'est le composé qui est fait et non la forme, le philosophe montre que les formes proviennent des agents naturels. Car, comme ce qui est fait doit ressembler à ce qui le fait, du fait qu'il a été fait, il est composé, il faut que celui qui le fait soit composé et non une forme existante en soi, comme Platon le disait, de sorte que, de même que ce qui a été fait est un composé, par quoi il est fait, il y a une forme dans la matière ramenée à l'acte; de même celui qui engendre serait un composé et non une forme seulement. Mais la forme serait par quoi il engendre; la forme, dis-je, qui existe dans cette matière, comme dans ces chairs et ces os, etc.

 

Solution des objections:

1. Par ces paroles d'Augustin, la création, dans les opérations de nature, est attribuée à Dieu, en raison des pouvoirs naturels qu'il a introduits au commencement de la matière par l'oeuvre de création, non parce qu'il crée quelque chose dans n'importe quelle oeuvre de nature.

2. Dans ces paroles, Augustin prend la création au sens propre; elles ne doivent pas cependant être rapportées aux effets de nature, mais aux pouvoirs par lesquels la nature opère, qui sont introduits dans la nature par l'opération de la création.

3. Il ne convient pas à la grâce, puisqu'elle n'est pas une forme subsistante, d'exister ni d'être faite réellement par soi. C'est pourquoi, elle n'est pas proprement créée de la manière dont les substances subsistantes par soi sont créées. Cependant l'infusion de la grâce touche à la notion de création, dans la mesure où elle n'a pas de cause efficiente dans le sujet, ni telle matière en laquelle elle serait ainsi en puissance, qui pourrait être amenée à l'acte par l'agent naturel comme les autres formes naturelles.

4. Lorsqu'on dit que quelque chose est fait de rien, on nie la cause matérielle. Cela concerne d'une certaine manière une carence de la matière parce qu'une forme ne peut pas être tirée de la puissance naturelle de la matière.

5. Quoiqu'on ne trouve pas dans la nature de principe efficient en rapport avec les formes artificielles, cependant de telles formes ne dépassent pas l'ordre de la nature, comme la grâce. Bien au contraire, elles se situent au-dessous, parce que ce qui est naturel est plus noble que ce qui est artificiel.

6. Du fait que la forme n'a pas de partie matérielle, il s'ensuivrait s'il lui convenait d'être créée, qu'elle pourrait proprement devenir comme une chose subsistante par soi.

7. Bien que l'âme rationnelle ait une matière en laquelle elle se situe, elle ne sort cependant pas de la puissance de la matière, puisque sa nature est au-dessus de tout l'ordre de la matière, ce que son opération intellectuelle montre. Et à nouveau cette forme est une chose subsistante en soi, puisqu'elle demeure après la corruption du corps.

8. La forme, qui est le terme de la génération, était dans la matière avant la génération complète, non en acte mais en puissance. Mais il n'y a pas d'inconvénient que l'un des deux contraires soit en acte et l'autre en puissance.

9. Anaxagore ne pensait pas que les formes préexistaient en acte dans la matière mais qu'elles y étaient cachées.

10. La forme préexiste dans la matière de façon imparfaite, non parce qu'une de ses parties y est en acte et que l'autre manque, mais parce qu'elle préexiste tout entière en puissance et ensuite elle est amenée toute entière à acte.

11. Il est clair que l'être de la forme dans la matière n'est pas achevé par une chose extérieure ajoutée, qui ne serait pas dans la puissance de la matière.

12. L'être en puissance et l'être en acte n'indiquent pas différents modes accidentels de la diversité desquelles proviendraient l'altération, mais ils indiquent des modes substantiels. Car la substance aussi se divise en puissance et en acte, comme n'importe quel autre genre.

13. La forme accidentelle agit dans le pouvoir de la forme substantielle comme son instrument. Ainsi, on dit dans le livre De Anima que la chaleur du feu est l'instrument du pouvoir nutritif, c'est pourquoi il n'y a pas d'inconvénient si l'action d'une forme accidentelle se termine à la forme substantielle.

14. La chaleur de la semence agit aussi en celle-ci comme l'instrument du pouvoir de l'âme qui est en elle. Quoiqu'elle soit imparfaite, cependant elle est l'empreinte laissée par une âme parfaite. Car elle est dans la semence par l'âme de celui qui engendre et elle agit aussi dans le pouvoir du corps céleste dont elle est comme l'instrument et à cause de cela on ne dit pas que la semence engendre, mais que c'est l'âme et le soleil qui engendrent.

15. Les animaux engendrés de la putréfaction sont d'une moindre perfection que les autres. C'est pourquoi dans leur génération, la puissance d'un corps céleste imprimée dans une matière inférieure, produit ce que dans la générations des animaux parfaits la même force céleste accomplit avec le pouvoir de la semence.

16. Bien que le mulet ne soit semblable ni au cheval ni à l'âne selon l'espèce, il est cependant semblable (parce que) dans un genre très proche. En raison de cette ressemblance, son espèce est engendrée d'espèces différentes, pour ainsi dire intermédiaires.

17. De même que le pouvoir divin, c'est-à-dire le premier agent n'exclut pas l'action d'un pouvoir naturel, de même, la première forme exemplaire, qui est Dieu, n'exclut pas l'émanation des formes d'autres formes inférieures, qui agissent pour des formes qui leur sont semblables.

18. Et ainsi apparaît la réponse à la 18e objection car Boèce comprend que les formes qui sont dans la matière proviennent des formes sans matières, comme si elles venaient des premiers exemplaires, mais pas comme des plus proches.

19. On parle d'exister par création, dans la mesure où toute cause seconde qui donne l'être, a ce pouvoir, en tant qu'elle agit dans celui de la cause première créatrice, puisque l'être est le premier effet qui ne présuppose rien d'autre.

20. La forme naturelle, qui est dans la matière, ne peut être ramenée à une forme d'une même espèce, existant par soi, puisque elle possède la matière dans sa nature, mais elle est ramenée à une forme qui existe par soi, comme on l'a dit.

 

Article 9: L'âme rationnelle est-elle amenée à l'être par création, ou par transmission de la semence?

 

Objections:

1. Il semble qu'elle est transmise avec la semence. Car on dit dans la Genèse: "Toutes les âmes qui sont entrées avec Jacob en Égypte et sont sorties de sa cuisse, sans compter les épouses de ses fils, étaient soixante six." Mais rien ne sort de la cuisse du père que par la transmission de la semence. Donc l'âme rationnelle est transmise avec la semence.

2. Mais on pourrait dire qu'on prend la partie pour le tout, c'est-à-dire l'âme pour l'homme.

- En sens contraire, l'homme est composé d'une âme et d'un corps. Si donc tout l'homme sort de la cuisse du père, non seulement le corps mais aussi l'âme est transmise avec la semence, comme on l'a dit ci-dessus.

3. L'accident ne peut être transmis que si le substrat est transmis, parce que l'accident ne passe pas de substrat en substrat. Mais l'âme rationnelle est le substrat du péché originel. Donc comme celui-ci est transmis par les parents à leur descendance, il semble que l'âme rationnelle du fils est transmise par les parents.

4. Mais on pourrait dire que, bien que le péché originel soit dans l'âme comme dans un substrat, il est cependant dans la chair comme dans sa cause. C'est pourquoi il est transmis par la chair.

- En sens contraire, on lit en (Rm 5, 12): "Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. Et ainsi la mort passe en tous, en lui tous ont péché". Mais la glose explique: "Dans l'homme pécheur ou dans le péché." Mais tous n'aurait péché en lui que si cet unique péché avait été transmis en tous. Donc cet unique péché qui fut en Adam, est transmis en tous; et ainsi son âme qui avait été soumise au péché, est transmise à tous.

5. Tout agent fait du semblable à soi. Mais il agit par le pouvoir de la forme. En conséquence, ce que l'agent fait, c'est la forme qui le fait. Mais le géniteur est un agent. Aussi la forme de l'engendré vient par son action. Donc, puisque l'homme engendre l'homme et que la forme de l'homme existe par l'âme rationnelle, il semble que celle-ci viendrait par génération et non par création.

6. Selon le philosophe la cause efficiente arrive en son effet, dans ce qui est semblable en espèce. Mais l'homme reçoit l'espèce par l'âme rationnelle. Donc il semble que ce que produit le géniteur dans l'engendré soit l'âme rationnelle.

7. Les fils ressemblent à leurs parents parce qu'ils sont transmis par eux. Les fils ressemblent aux parents non seulement quant aux dispositions corporelles mais aussi quant à celles de l'âme. Donc, comme les corps sont transmis par les corps, les âmes le sont par les âmes.

8. Moïse dit: "L'âme de la chair est dans le sang." Mais le sang est transmis avec la semence; surtout parce que le sperme n'est que du sang cuit. Donc l'âme est transmise avec la semence.

9. L'embryon avant d'être achevé par l'âme raisonnable, possède l'opération d'une âme; parce qu'il grandit, se nourrit et éprouve des sensations. Mais l'opération de l'âme n'existe pas sans la vie. Donc il vit. Mais le principe de la vie du corps est l'âme. Donc il a une âme. Mais on ne peut pas dire qu'il lui arrive une autre âme, parce que, alors, dans un seul corps, il y aurait deux âmes. Donc l'âme même qui avait été d'abord propagée dans la semence est l'âme rationnelle.

10. Les âmes différentes en espèce constituent des âmes différentes en espèce. Si donc dans la semence, avant l'âme rationnelle même, il y avait une âme qui n'était pas rationnelle, il y aurait là un animal diffèrent de l'homme en espèce et ainsi on ne pourrait pas en faire un homme, parce que les différentes espèces animales ne passent pas de l'une à l'autre.

11. Mais on pourrait dire que de telles opérations de l'âme ne conviennent pas à l'embryon par l'âme mais par une puissance de l'âme, appelée puissance formative - En sens contraire, la puissance s'enracine sur la substance. C'est pourquoi elle est placée entre la substance et l'opération, comme on le lit chez Denys. Si donc il y a là une puissance de l'âme, il y aura, là aussi, sa substance.

12. Le philosophe dit que l'embryon vit avant l'animal et l'animal avant l'homme. Mais tout animal a une âme. Donc il y a là une âme avant qu'il y ait l'âme rationnelle par laquelle l'homme est homme.

13. Selon le philosophe l'âme est "l'acte du corps vivant en tant que tel". Mais si l'embryon vit et exerce l'opération de vie par une telle puissance formative, celle-ci même sera son acte en tant qu'il est vivant. Donc elle sera l'âme.

14. Comme on le dit, la vie est dans tous les vivants par l'âme végétative. Mais il est évident que l'embryon vit avant l'infusion de l'âme rationnelle, puisqu'on trouve en lui les opérations vitales. Donc il a une âme végétative avant l'âme rationnelle.

15. In De Anima, le Philosophe prouve que la croissance n'est pas un acte du feu, comme principal agent, mais plutôt celui de l'âme végétative. Or l'embryon grandit avant l'arrivée de l'âme rationnelle. Donc il possède une âme végétative.

16. S'il n'y a pas d'âme végétative avant l'arrivée de l'âme rationnelle, mais une puissance formatrice, quand l'âme arrive, ce pouvoir n'exercera plus son opération, puisque l'opération qu'elle exerce dans l'embryon, est faite ensuite avec suffisance, par l'âme, dans l'animal. Donc il y sera inutile, ce qui ne paraît pas convenir, puisqu'il n'y a rien d'inutile dans la nature.

17. Mais on pourrait dire que cette puissance est détruite quand arrive l'âme rationnelle. - En sens contraire, les dispositions ne sont pas détruites quand arrive la forme, mais elles demeurent, et d'une certaine manière, elles maintiennent la forme dans la matière. Mais ce pouvoir était une disposition pour l'âme. Donc quand arrive l'âme, cette puissance n'est pas détruite.

18. De l'action de cette puissance, on parvient à l'introduction de l'âme. Si donc, quand l'âme arrive, cette puissance est détruite, il semble que quelque chose agisse pour sa destruction, ce qui est impossible.

19. L'homme est homme par son âme rationnelle. Si donc l'âme ne vient pas à l'existence par génération, il ne sera pas vrai de dire que l'homme est engendré, ce qui paraît faux.

20. Le corps de l'homme vient à l'existence par l'action de celui qui l'engendre. Si donc l'âme ne vient pas à l'existence par lui, il y aura dans l'homme un être double: celui du corps que fait celui qui engendre, et celui de l'âme qu'il ne fait pas. Et ainsi cela ne fait absolument pas un être unique de l'âme et du corps, mais ils diffèrent selon l'être.

21. Il est impossible que l'action d'un agent se termine à la matière, et celle d'un autre à la forme. Autrement à partir de la forme et de la matière il n'y aura pas un être absolument unique; puisque l'objet unique est fait par une action unique. Mais l'action de la nature qui engendre se termine au corps. Donc elle se termine aussi à l'âme qui en est la forme.

22. Selon le philosophe, les principes dont les actions n'existent pas sans corps, sont produits avec lui. Mais l'action de l'âme rationnelle n'existe pas sans le corps; car l'intellection surtout se produirait sans le corps, ce qui est évidemment faux. Car on n'abstrait pas (intelligere) sans images, comme on le dit. Il n'y a pas d'image sans corps. Donc l'âme rationnelle est transmise avec le corps.

23. Mais on pourrait dire que l'âme rationnelle a besoin d'images dans l'intellection dans la mesure de l'acquisition des espèces intelligibles, mais non après qu'elle les a acquises.

- En sens contraire, l'homme, après avoir acquis la science, est empêché dans l'action de son intellect quand l'organe de l'imagination est blessée. Mais cela ne n'existerait pas si l'intellect, après l'acquisition de la science, n'avait pas besoin d'images. Donc il en a besoin, non seulement pour acquérir la science, mais encore pour l'utiliser une fois acquise.

24. Mais on pourrait dire que l'empêchement de l'opération intellectuelle par la lésion de l'imagination provient, non de ce que l'intellect a besoin d'images en utilisant la science acquise, mais de ce que l'imagination et l'intellect sont dans l'unique essence de l'âme. C'est pourquoi, par accident, si l'imagination est empêchée, l'intellect aussi.

- En sens contraire, la conjonction des puissances dans l'unique essence de l'âme est la raison pour laquelle, quand une des puissances est tendue à son action, l'acte de l'autre est relâchée. Ainsi quand quelqu'un regarde attentivement, il écoute moins attentivement et c'est aussi la raison pour laquelle, quand une des puissance cesse son action, l'autre est renforcée dans son acte. C'est pourquoi les aveugles entendent mieux la plupart du temps. Donc ce n'est pas à cause d'une telle conjonction qu'il arriverait que, l'action de l'intellect serait empêchée par un blocage de la puissance imaginative, mais elle serait plutôt renforcée.

25. Quiconque donne un dernier complément à une opération coopère au maximum avec celui qui opère. Mais si toutes les âmes humaines sont créées par Dieu et sont infusées par lui dans les corps, il donne un dernier complément à la génération qui provient d'un adultère. Donc lui-même coopèrera à l'adultère, ce qui paraît absurde.

26. Selon le philosophe, est parfait tout ce qui peut faire quelque chose de semblable à soi. Donc, plus une chose est parfaite plus elle peut faire du semblable à elle. Mais les âmes rationnelles sont plus parfaites que les formes matérielles des éléments qui produisent des formes semblables à elles. Donc par sa puissance, l'âme rationnelle pourra être produite par génération.

27. L'âme rationnelle est établie intermédiaire entre Dieu et les corps. C'est pourquoi, dans le Livre des Causes, on dit qu'elle a été créée à la limite de l'éternité et du temps. Mais on trouve la génération en Dieu, et de la même manière dans les corps. Donc l'âme qui est intermédiaire est produite par génération.

28. Le philosophe, in XVI, Des Animaux dit que l'esprit qui sort avec le sperme est la puissance du principe de l'âme et chose divine, et tel il est appelé l'intellect et ainsi il semble transmis avec la semence.

29. Dans le même livre, le philosophe dit que dans la génération, la femelle donne le corps et l'âme vient du mâle et ainsi il semble que l'âme vient de la propagation de la semence et non par création.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit (Is 57, 16): "C'est moi qui ai fait tout souffle". Par souffle on comprend l'âme. Donc il semble que l'âme est créée par Dieu.

2. Au (Ps 32, 15), on dit: "Il a fixé un à un leurs coeurs". Donc l'âme n'est pas propagée à partir d'une autre, mais toutes sont créées séparément par Dieu.

 

Réponse:

Il faut dire, à propos de cette question que, dans l'antiquité, divers penseurs ont émis diverses opinions.

A) Car certains disaient que l'âme du fils est propagée par l'âme du père, comme le corps est propagé par son corps.

B) D'autres disaient que toutes les âmes sont créées séparément, mais ils pensaient qu'au commencement elles avaient été créées ensemble hors des corps; après ce stade, elles étaient unies à des corps ensemencés soit par le propre mouvement de leur volonté selon certains, soit par ordre et agissement de Dieu, selon d'autres.

C) D'autres disaient que les âmes en même temps qu'elles sont créées sont infusées dans les corps.

D) Quoique ces opinions aient été soutenues quelque temps, on peut se demander laquelle est la plus vraie, comme cela paraît chez Augustin in La Genèse au sens littéral, et dans ses livres écrits sur "L'origine de l'âme". Cependant les deux premières opinions ont été condamnées par jugement de l'Église et la troisième approuvée. D'où ce qu'on lit dans Les dogmes ecclésiastiques, ch. 13: "Nous croyons que les âmes humaines ne sont pas au commencement parmi les autres natures intellectuelles et qu'elles n'ont pas été créées en même temps comme Origène l'imagine. Et elles ne sont pas semées avec les corps dans l'union conjugale, comme les Lucifériens, Cyrille et quelques penseurs latins l'affirment. Mais nous disons que le corps seulement est semé par l'union conjugale et quand le corps est déjà formé, l'âme est créée et infusée.".

A celui qui examine le problème selon la raison et avec attention, il apparaît que doit être condamnée cette opinion qui établissait que l'âme rationnelle est propagée avec la semence, dont il est maintenant question. Et on peut le voir pour trois raisons.

1. Première raison: L'âme rationnelle diffère de toutes les autres formes du fait qu'il ne leur convient pas d'être là où elles subsistent mais là où subsistent les choses informées en elles; l'âme rationnelle a un être tel comme subsistant en soi; et cela un mode d'action différent le révèle. En effet, comme ne pourrait agir que ce qui existe, chaque chose se comporte pour opérer ou agir de la manière dont elle se comporte vis-à-vis de l'être. C'est pourquoi, comme dans l'opération des autres formes, il est nécessaire que le corps communique, mais pas dans l'opération de l'âme rationnelle qui consiste à abstraire (intelligere) et vouloir; il est nécessaire d'attribuer l'être à l'âme rationnelle comme à une chose subsistante, mais pas aux autres formes. Et de là vient que parmi les formes, seule l'âme rationnelle est séparée du corps.

Et à partir de là, il est clair que l'âme rationnelle vient à l'être, non comme les autres formes pour lesquelles il ne convient pas proprement d'être faites, mais on dit qu'elles sont faites par ce qui est fait. Mais ce qui est fait est proprement fait par soi. Ce qui est fait, est fait de matière ou de rien. Mais ce qui est fait de matière doit être fait nécessairement d'une matière soumise à la contrariété. Car les générations viennent des contraires selon le philosophe. C'est pourquoi, comme l'âme n'a absolument pas de matière ou du moins pas de matière soumise à la contrariété, elle ne peut pas être faite de quelque chose. Aussi, il reste qu'elle vient à l'être par création, comme faite de rien. Mais penser qu'elle est faite par génération du corps, c'est penser qu'elle n'est pas subsistante et par conséquent qu'elle se corrompt avec le corps.

2. Seconde raison: Il est impossible que l'action d'un pouvoir corporel soit élevé à pouvoir causer un pouvoir tout à fait spirituel et incorporel; car rien n'agit au delà de son espèce; au contraire, il faut que l'agent soit plus important que le patient, selon Augustin. La génération de l'homme se fait par le pouvoir génératif qui a un organe corporel, le pouvoir, qui est dans la semence, n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur, comme on le voit. C'est pourquoi, comme l'âme rationnelle est une forme tout à fait spirituelle, qui ne dépend pas du corps, ni ne communique avec lui dans l'opération, en aucune manière, elle ne peut être propagée par la génération du corps, ni être amenée à l'existence par un pouvoir qui serait dans la semence.

3. Troisième raison: Toute forme qui vient à l'être par génération, ou par le pouvoir de la nature est induite de la puissance de la matière, comme on le prouve. Mais l'âme rationnelle ne peut pas être induite de la puissance de la matière. Car les formes dont les opérations ne dépendent pas du corps, ne peuvent être induites de la matière corporelle. C'est pourquoi, il reste que l'âme rationnelle n'est pas transmise par le pouvoir du géniteur et c'est la raison donnée par Le Philosophe.

 

Solution des objections:

1. Dans l'autorité citée, on place par synecdoque la partie pour le tout, c'est-à-dire l'âme pour l'homme entier et cela parce qu'elle en est la partie principale et chaque tout semble ce qui est plus importante en lui. C'est pourquoi, tout l'homme semble être âme ou intellect, selon ce qui est dit in Éthique, 9.

2. L'homme entier sort de la cuisse du géniteur, parce que le pouvoir de la semence qui en sort travaille à l'union de l'âme et du corps, en plaçant la matière dans une ultime disposition, nécessaire pour la forme. C'est de cette union que l'homme est un homme; mais non de telle sorte que n'importe quelle partie de l'homme soit causée par le pouvoir de la semence.

3. Le péché originel est appelé péché de toute la nature, comme le péché actuel est appelé péché personnel. C'est pourquoi, la comparaison du péché actuel à une personne singulière, est la même que celle du péché originel à la nature humaine toute entière transmise par le premier père, en qui commence le péché et, par sa volonté, le péché originel est considéré comme volontaire en tous. Donc ainsi le péché originel est dans l'âme dans la mesure où il appartient à la nature humaine. Mais cette nature est transmise par le père au fils par la chair, dans laquelle l'âme est introduite par la suite et de là elle en vient à la souillure parce qu'elle devient une nature unique avec la chair qui lui est transmise. Car si elle ne lui était pas unie pour constituer une nature, comme l'ange est uni à un corps qu'il prend, elle ne recevrait pas la souillure.

4. De même que dans la nature d'Adam se trouvait le nature de nous tous à l'origine, de même, le péché originel, qui est en nous, était dans ce péché originel à l'origine. Car la nature reçoit ce péché en soi, comme on l'a dit, mais l'âme le reçoit en conséquence.

5. L'homme, en tant que géniteur, engendre du semblable à lui en espèce par le pouvoir de sa forme, c'est-à-dire de l'âme rationnelle, non qu'elle soit le principe immédiat agissant dans la génération humaine, mais parce que la force générative et ce qui agit dans la semence ne disposeraient la matière pour faire un corps perfectible par l'âme rationnelle que s'ils agissaient jusqu'à un certain point comme instrument de l'âme rationnelle. Et cependant cette action ne peut parvenir à faire l'âme rationnelle, pour les raisons susdites.

6. Le géniteur engendre du semblable à lui en espèce dans la mesure où l'engendré est produit par l'action du géniteur pour participer à son espèce, ce qui arrive par le fait que l'engendré reçoit la forme semblable au géniteur. Si donc cette forme n'était pas subsistante, mais que son être soit seul dans ce qui est uni à ce dont elle est la forme; il faudra que le géniteur soit la cause de la forme même, comme cela arrive dans toutes les formes matérielles. Mais si la forme était telle qu'elle ait une subsistance et que son être ne dépende pas totalement de l'union à la matière, comme pour l'âme rationnelle, alors il suffit que celui qui engendre soit la cause de l'union de telle forme à la matière par le fait qu'il dispose la matière à la forme; et il ne faut pas qu'il soit cause de la forme même.

7. La disposition de l'âme rationnelle suit la disposition même du corps; tantôt parce l'âme rationnelle reçoit du corps, tantôt parce que les formes aussi sont diversifiées selon la diversité de la matière. Et c'est pour cela que les enfants ressemblent à leurs parents, même en ce qui concernent l'âme, non parce que l'âme est transmise de l'âme.

8. Parce que l'âme est proprement l'acte du corps vivant, vivre dépend du chaud et de l'humide conservés dans l'animal par le sang; c'est pourquoi on dit que l'âme est dans le sang, pour désigner la disposition propre du corps, dans la mesure où la matière est achevée par l'âme.

9. Au sujet de la vie de l'embryon, certains ont eu des opinions diverses.

A) Certains en effet ont assimilé, dans la génération humaine, le progrès de l'âme rationnelle à celui du corps humain, en disant que, de même que le corps humain est virtuellement dans la semence, sans avoir cependant le perfection en acte du corps humain, qui consiste en la distinction des organes, mais que peu à peu par le pouvoir de la semence il parvient à une telle perfection; de même, au commencement de la génération, il y a une âme qui a par un certain pouvoir toute la perfection qui apparaît ensuite dans l'homme complet, mais sans l'avoir cependant en acte, puisque les actions de l'âme n'apparaissent pas; mais elle l'acquiert peu à peu par l'évolution du temps; de sorte qu'y apparaissent d'abord les actions de l'âme végétative, ensuite de l'âme sensitive et enfin de l'âme rationnelle. Et Grégoire de Nysse soutient cette opinion dans le livre qu'il fit Sur l'homme.

B) Mais cette opinion n'est pas valable, parce que, ou bien elle sous-entend que l'âme même selon son espèce existe au début dans la semence, n'ayant pas encore les opérations parfaites à cause de la déficience de ses organes, ou bien elle sous-entend que dans la semence, dès le début, il y a un pouvoir ou une forme qui n'a pas encore la nature de l'âme; de même que la semence n'a pas la nature du corps humain, mais peu à peu, il est produite par l'action de la nature pour que la même âme soit d'abord végétative, ensuite sensitive et enfin rationnelle.

I. La première partie de cette division est détruite.

1) Premièrement, par l'autorité du philosophe. On dit en effet que la puissance de vie qui est dans le corps physique organique, dont l'acte est l'âme, ne la rejette pas, comme la semence et les fruits. Par là on donne à comprendre que la semence est celle-ci en puissance pour l'âme, parce qu'elle en a besoin.

2) Deuxièmement parce que, comme la semence n'est pas encore assimilée aux membres par une ultime assimilation (car ainsi cette dissolution serait une corruption) mais est une superfluité de la digestion ultime, comme on le dit In Des Animaux, elle n'a pas encore été dans le corps de celui qui engendre, existant parfait par l'âme; c'est pourquoi ce n'est pas possible, que, au commencement de sa séparation, il y ait une âme en elle.

3) Troisièmement, parce que, si on suppose que l'âme est séparée de la semence, on ne peut pas cependant pas le dire de l'âme rationnelle, puisqu'elle n'est pas l'acte d'une partie du corps, elle ne peut être séparée que si le corps est séparé.

II. - Il apparaît que la seconde partie de la division est fausse.

A) En effet, comme la forme substantielle n'est pas produite en acte continuellement ou successivement, mais dans l'instant (autrement il faudrait qu'il y ait un mouvement dans le genre de la substance, comme dans le genre de la qualité) il n'est pas possible que ce pouvoir qui est au commencement dans la semence, parvienne successivement aux divers degrés de l'âme. Car la forme du feu, dans l'air, n'est pas amenée de manière à procéder continuellement de l'imparfait au parfait, puisque nulle forme substantielle ne reçoit le plus et le moins; mais seulement la matière est modifiée par altération précédente, de sorte qu'elle est plus ou moins disposée à la forme. Mais la forme ne commence à être dans la matière qu'au dernier moment du changement.

B) Mais d'autre disent que dans la semence, il y d'abord l'âme végétative et ensuite, encore qu'elle y demeure, l'âme sensitive est introduite par le pouvoir de celui qui engendre et enfin l'âme rationnelle par création, de sorte qu'ils pensent qu'il y a dans l'homme trois âmes d'essences différentes.

Mais contre cela, il y a ce qu'on dit, dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, 15: "Nous disons qu'il n'y a pas deux âmes dans un seul homme comme Jacques et d'autres Syriens l'écrivent: l'une animale qui anime le corps et est mêlée au sang et l'autre spirituelle qui gouverne la raison." Et à nouveau, il est impossible qu'il y ait plusieurs formes substantielles d'une seule et même chose, en effet, comme la forme substantielle fait l'être non seulement relatif, mais absolu et le place dans le genre de la substance, si la première forme le fait, la seconde, quand elle survient, trouvant un sujet déjà constitué dans l'être substantiel, lui arriverait de manière accidentelle; et ainsi il en découlerait que l'âme sensitive et l'âme rationnelle dans l'homme seraient unies accidentellement au corps. On ne peut pas dire que l'âme végétative qui est la forme substantielle dans la plante, ne soit pas la forme substantielle dans l'homme, mais une disposition pour la forme; parce que ce qui est du genre de la substance ne peut être l'accident de rien, comme on le dit.

C) C'est pourquoi, d'autres disent que l'âme végétative est en puissance pour l'âme sensitive et le sensible est son acte; c'est pourquoi l'âme végétative qui est d'abord dans la semence, par l'action de la nature est conduite à compléter l'âme sensitive; et plus tard, l'âme rationnelle est l'acte et le complément de l'âme sensitive: c'est pourquoi l'âme sensitive est amenée à son complément; à savoir l'âme rationnelle, non par l'action de celui qui engendre mais par l'acte du créateur et ainsi ils disent que l'âme rationnelle elle-même dans l'homme vient en partie de l'intérieur, pour la nature intellectuelle et en partie de l'extérieur, pour la nature végétative et sensitive.

Mais cela n'est possible en aucune manière, parce que, ou bien on comprend ainsi que la nature intellectuelle serait une âme autre que celle qui est végétative et sensitive et cela revient au même que la seconde opinion, ou bien on comprend que de ces trois natures est constituée une substance de l'âme dans laquelle la nature intellectuelle sera comme formelle, et la nature sensitive et végétative comme matérielle. Il en découle que, comme la nature sensitive et la nature végétative sont corruptibles, puisque sorties de la matière, la substance de l'âme humaine ne pourrait être éternelle. Il en découle aussi le même inconvénient opposé à la première thèse, à savoir que la forme substantielle est amenée à l'acte de manière successive.

D) D'autres disent que l'embryon n'a pas d'âme, jusqu'à ce qu'il soit achevé par l'âme rationnelle; les opérations de la vie qui apparaissent en lui viennent de l'âme de la mère. Mais cela n'est pas possible; car le vivant diffère du non vivant, parce que le premier se meut lui-même dans les opérations vitales, ce qu'on ne peut pas dire du non vivant; c'est pourquoi il n'est pas possible que se nourrir et grandir qui sont les opérations propres du vivant soient dans l'embryon à partir d'un principe extérieur, à savoir l'âme de la mère. Et en plus le pouvoir nutritif de la mère assimilerait la nourriture à son propre corps et non à celui de l'embryon; puisque ce pouvoir est destiné à l'individu comme génératif de l'espèce. Et en plus la sensation dans l'embryon ne peut venir de l'âme de sa mère.

E) Et c'est pourquoi d'autres disent que dans l'embryon il n'y a pas d'âme avant l'infusion de l'âme rationnelle, mais qu'il y a un pouvoir formateur qui exerce en lui de telles opérations vitales. Mais cela ne peut pas être, parce que, quand apparaît l'être dans l'embryon avant l'ultime complément, les opérations diverses de la vie ne peuvent pas provenir d'un seul pouvoir: c'est pourquoi il faut qu'il y ait une âme avec ces différents pouvoirs.

F) Et c'est pourquoi il faut dire autrement: dans la semence, il n'y a pas d'âme au début de sa séparation mais un pouvoir de l'âme, fondé dans l'esprit qui est contenu dans la semence, qui par sa nature est écumeuse et par conséquent capable de contenir un esprit corporel. Cette puissance agit en disposant la matière, et en lui donnant forme pour accueillir l'âme. Et il faut savoir que c'est différent dans la génération de l'homme ou celle de l'animal que dans la génération de l'air ou de l'eau. Car la génération de l'air est simple, puisque dans toute sa génération n'apparaissent que deux formes substantielles, l'une qui est rejetée et l'autre qui est introduite: le tout est fait en même temps en un instant. C'est pourquoi avant l'introduction de la forme de l'air toujours y demeure la forme de l'eau. Et il n'y a pas de disposition pour la forme de l'air. Mais dans la génération de l'animal, diverses formes substantielles apparaissent, puisque d'abord apparaît le sperme, ensuite le sang et ainsi de suite jusqu'à ce qu'existe la forme de l'homme ou de l'animal.

Et ainsi il faut qu'une telle génération ne soit pas simple mais contienne en soi plusieurs générations et corruptions. Car il ne peut pas y avoir qu'une seule et même forme substantielle qui parvient à l'être en acte graduellement, comme on l'a montré. Ainsi donc par le pouvoir qui donne la forme qui est au début dans la semence, une fois rejetée la forme du sperme, une autre forme est introduite; celle-ci rejetée, une autre à nouveau est introduite; et ainsi l'âme végétative est d'abord introduite; ensuite, quand elle est rejetée, l'âme sensitive et l'âme végétative introduites ensemble; quand elles sont rejetées, est introduite, non par le pouvoir susdit, mais par le créateur, une âme qui est en même temps rationnelle, sensitive et végétative. Et ainsi il faut dire, selon cette opinion, que l'embryon avant d'avoir une âme rationnelle vit et a une âme, et une fois que celle-ci est rejetée, l'âme rationnelle est introduite. Et ainsi il n'en découle pas deux âmes dans un même corps ni que l'âme rationnelle est transmise avec la semence.

10. Avant de posséder l'âme rationnelle, l'embryon n'est pas un être parfait, mais il est sur le chemin de la perfection; c'est pourquoi il n'est dans le genre ou l'espèce que s'il y est amené par réduction comme l'incomplet est amené au genre ou à l'espèce de ce qui est complet.

11. Dans la semence au commencement, bien qu'il n'y ait pas d'âme, il y a cependant un pouvoir de l'âme, comme on l'a dit. Celui-ci est fondé dans l'esprit contenu dans le sperme, et il est appelé puissance de l'âme parce qu'il vient de l'âme de celui qui engendre.

12. L'embryon vit avant l'âme rationnelle, et il a une âme, comme on l'a dit. C'est pourquoi nous concédons cet argument.

Et de même pour le 13e, le 14e et le 15e.

16. Le pouvoir formateur qui est au commencement dans la semence, demeure quand arrive l'âme rationnelle; de même que demeurent les esprits dans lesquels presque toute la substance du sperme est transformée. Et celle qui a été d'abord formatrice du corps devient par la suite son régisseur. De même la chaleur, qui a été une disposition pour la forme du feu, demeure, quand arrive la forme du feu, ainsi l'instrument de la forme en agissant.

Et ainsi cela donne la solution pour la 17e et 18e objections.

19. Bien que l'âme rationnelle ne vienne pas du géniteur, cependant son union au corps vient de lui, d'une certaine manière, comme on l'a dit. Et c'est pour cela qu'on dit que l'homme est engendré.

20. Pour autant, il n'y a pas un être double dans l'homme, parce qu'il ne faut pas comprendre que le corps existe par celui qui engendre et l'âme par le créateur, comme si un être séparé était acquis par celui qui engendre pour le corps et séparément par le créateur pour l'âme; mais parce que le créateur donne l'être à l'âme dans le corps, et celui qui engendre dispose le corps pour que son être participe par l'âme qui lui est unie.

21. Deux agents totalement différents ne peuvent se comporter de manière que l'action de l'un se termine à la matière et celle de l'autre à la forme. Cependant cela arrive dans deux agents ordonnés, dont l'un est l'instrument de l'autre. Car l'action de l'agent principal s'étend quelquefois là où l'action de l'instrument ne peut parvenir. Mais la nature est comme un instrument du pouvoir divin comme on l'a montré. Aussi il n'y a pas d'inconvénient, si seul le pouvoir divin crée l'âme rationnelle, alors que l'action de la nature s'étend seulement à la disposition du corps.

22. L'intellect qui existe dans un corps n'a pas besoin d'un organe corporel pour abstraire (ad intelligendam), parce que, avec lui en même temps, il y a le principe de l'opération intellectuelle, comme cela arrive pour la vue; car le principe de vision n'est pas la vue seulement, mais l'oeil composé de la vue et de la pupille. Mais elle a besoin d'un corps comme objet, de même que la vue a besoin d'un mur sur lequel il y a de la couleur: car les images pour l'intellect sont comparées aux couleurs pour la vision, comme il est dit dans L'âme, III, com.

18. Et c'est pourquoi l'intellect est empêchée d'abstraire, si l'organe de l'image est blessée, parce que tant qu'elle est dans le corps, elle a besoin des images non seulement en recevant par elles, pendant qu'elle acquiert la science, mais même en comparant les espèces intelligibles aux images, pendant qu'elle se sert de la science acquise. Et c'est pour cela que les exemples sont nécessaires dans les sciences.

Et par là on trouve la réponse à la 22e, 23e et 24e objection.

25. Cet argument est d'Apollinaire, comme Grégoire de Nysse le dit. Il était trompé parce qu'il ne distinguait pas l'opération de nature qui est la génération d'une descendance, à qui Dieu accorde un complément, de l'opération volontaire de l'adultère, en quoi consiste le péché.

26. Comme l'âme est plus parfaite que les formes matérielles, elle pourrait produire quelque chose de semblable à elle si l'âme rationnelle pouvait être produite autrement que par création, ce qui n'est pas possible, et cela provient de sa perfection, comme on peut le découvrir dans ce qu'on a dit précédemment.

27. En Dieu seul, il peut y avoir une seule nature dans plusieurs suppôts. Et c'est pourquoi, là uniquement, il peut y avoir une génération sans l'imperfection du changement et de la division. C'est pour cela que les plus nobles créatures, qui sont indivisibles, et ne se transforment pas substantiellement, comme l'âme rationnelle et l'ange, ne sont pas engendrées; mais seules sont engendrées les créatures inférieures qui sont divisibles et corruptibles.

28. Ce pouvoir qui est dans la semence, est appelé l'intellect par le philosophe, comme le dit le Commentateur à cause d'une certaine ressemblance; parce que l'intellect opère sans organe, ce pouvoir aussi.

29. Cette parole du philosophe est à comprendre de l'âme sensitive, non de l'âme rationnelle.

 

Article 10: L'âme rationnelle est-elle créée dans le corps ou hors du corps?

 

Objections:

1. Il semble que l'âme est créée hors du corps. Car ce qui est de la même espèce vient à l'être de la même manière. Mais nos âmes sont de la même espèce que celle d'Adam. Or celle-ci fut créée hors de son corps avec les anges, comme Augustin le dit. Donc les autres âmes humaines sont créées hors du corps.

2. Tout ensemble à quoi manque une partie de sa perfection est imparfait. Or les âmes rationnelles concernent plus la perfection de l'univers que les substances corporelles, puisque la substance intellectuelle est plus noble que la substance corporelle. Si donc les âmes rationnelles n'ont pas toutes été créées au commencement, mais sont créées chaque jour, quand les corps sont engendrés, il en découle que l'univers est imparfait parce que ses parties les plus nobles lui font défaut. Cela paraît ne pas convenir. Donc les âmes rationnelles ont été créées au commencement hors du corps.

3. La destruction de l'univers, quand il sera parvenu à son ultime perfection, paraît semblable à une représentation théâtrale. Mais le monde sera fini, quand la génération des hommes cessera et alors ce sera la perfection la plus complète de l'univers, si les âmes sont créées en même temps que les corps sont engendrés. Donc dans cet optique, la gouvernement divin, qui régit le monde, sera semblable à une représentation théâtrale, ce qui paraît absurde.

4. Mais on pourrait dire que rien n'empêche qu'il manque quelque chose à la perfection de l'univers, en nombre, alors que cependant il est complet pour toutes les espèces.

- En sens contraire, du fait que, quant à elles, les espèces ont une certaine perpétuité, elles conviennent à la perfection essentielle de l'univers, puisque voulues par soi par le créateur de l'univers. Mais les choses individuelles qui n'ont pas d'être perpétuel, conviennent à une perfection accidentelle de l'univers, n'étant pas recherchées pour elles-mêmes, mais pour la conservation de l'espèce. Les âmes rationnelles non seulement selon l'espèce, mais même selon les individus particuliers, ont la perpétuité. Donc, si, au commencement, toutes les âmes rationnelles ont manqué, il y eut un univers imparfait, comme si quelques espèces de l'univers avaient manqué.

5. Macrobe in Le songe de Scipion a placé deux portes au ciel: celle des dieux et celle des âmes, dans le Cancer et le Capricorne; par l'une d'elles, les âmes descendaient dans le corps. Mais cela n'existerait que si les âmes étaient créées au ciel hors du corps. Donc les âmes ont été créées hors du corps.

6. La cause efficiente précède son effet dans le temps. Mais l'âme est cause efficiente du corps, comme on le dit in II, De Anima. Donc elle est avant le corps et ainsi elle n'est pas créée dans le corps.

7. Dans le livre L'esprit et l'âme, on dit que l'âme, avant d'être unie au corps, possède l'irascible et le concupiscible. Mais ils ne peuvent pas exister dans l'âme avant qu'elle existe. Donc l'âme existe, avant qu'elle soit unie au corps et ainsi elle n'est pas créée dans le corps.

8. La substance de l'âme rationnelle n'est pas mesurée par le temps; parce que, comme on le dit dans le Livre des Causes, elle est au-dessus du temps. Elle n'est pas mesurée non plus par l'éternité, qui n'appartient à Dieu seul. Mais dans le Livre des Causes, on dit que l'âme est en dessous de l'éternité. Donc elle est mesurée par l'aevum, comme les anges et ainsi c'est la même mesure de durée pour l'ange et l'âme. Donc comme les anges sont créés depuis le commencement du monde, il semble que les âmes mêmes ont été créées alors et non dans les corps.

9. Dans l'aevum, il n'y a pas d'avant et d'après, autrement il ne différerait pas du temps, comme il le semble à certains. Mais si les anges avaient été créés avant les âmes, ou qu'une âme soit créée après l'autre, il y aurait dans l'aevum un avant et un après, puisque la mesure de l'âme c'est "l'aevum", comme on l'a montré. Donc il faut que toutes les âmes aient été créées en même temps que les anges.

10. L'unité de lieu atteste l'unité de nature; donc les lieux des corps différents en nature sont différents. Mais les anges et les âmes se ressemblent en nature, puisqu'ils sont des substances spirituelles et intellectuelles. Donc les âmes créées sont dans le ciel empyrée, comme les anges, et non dans les corps.

11. Plus une substance est subtile, plus son lieu doit être élevé; c'est pourquoi le lieu du feu est plus haut que celui de l'air ou de l'eau. Mais l'âme est une substance beaucoup plus simple qu'un corps quelconque. Donc il semble qu'elle a été créé au-dessus de tous les corps et non dans un corps.

12. La perfection ultime de n'importe quel être est de se situer dans son lieu propre, puisqu'il n'en est en dehors que par une violence quelconque. Mais l'ultime perfection de l'âme est dans la demeure céleste. Donc ici le lieu est conforme à sa nature et ainsi il semble qu'elle y ait été créée.

13 En Genèse 2, 2 on dit: "Dieu se reposa le septième jour de toute l'oeuvre qu'il avait accomplie". Par là il est donné à comprendre qu'alors Dieu cessa de créer des créatures nouvelles. Mais ce ne serait pas vrai si maintenant, chaque jour, des âmes étaient créées. Donc les âmes ne sont pas créées dans le corps, mais elles l'ont été dès le commencement, hors du corps.

14. L'oeuvre de la création précède celle de la propagation. Mais ce ne serait pas vrai si les âmes étaient créées en même temps que se propagent les corps. Donc les âmes ont été créées avant les corps.

15. Dieu opère en tout selon la justice. Mais selon elle, les différences et les inégalités ne sont données que là où préexiste une inégalité du mérite. Donc, comme dans la naissance des hommes, on remarque dans les âmes beaucoup d'inégalité, cela vient tantôt de ce que certaines sont unies à des corps aptes aux opérations de l'âme, certaines à des corps inaptes, tantôt de ce que certaines sont nées d'infidèles, d'autres de fidèles, qui sont sauvés en recevant les sacrements, il semble que l'inégalité du mérite aurait existé avant dans les âmes et ainsi il semble que les âmes ont existé avant les corps.

16. Il semble que les choses, dont l'une est le commencement dépendent les unes des autres pour leur existence. Mais l'âme en son être ne dépend pas du corps, ce qui paraît du fait qu'elle demeure une fois le corps corrompu. Donc l'âme ne commence pas en même temps que le corps.

17. Les choses, dont l'une entrave l'autre, ne sont pas unies naturellement. Mais l'âme est entravée dans son opération par le corps. "Car le corps corrompu appesantit l'âme", comme le dit Sg. 9, 15. Donc l'âme n'est pas naturellement unie au corps et ainsi il semble qu'elle n'a pas été avec le corps avant de lui être uni.

 

Cependant:

1. On dit dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, 13, que les âmes au commencement ne sont pas créées en même temps que les autres créatures intellectuelles.

2. Grégoire de Nysse dit que l'énonciation de chacune des deux opinions ne manque pas de venin, celles de ceux qui racontent que les âmes vivent d'abord dans leur statut et leur ordre, et celles de ceux qui pensent qu'elles sont créés après les corps.

3. Jérôme dit dans Le symbole de la foi qu'il composa: "Nous condamnons l'erreur de ceux qui disent que les âmes ont péché ou qu'elles ont été conservées dans les cieux avant d'être introduites dans les corps".

4. L'acte plus approprié se fait dans une matière appropriée. Mais l'âme est l'acte plus approprié du corps. Donc l'âme est créée dans le corps.

 

Réponse:

Comme on l'a dit plus haut, l'opinion de certains a été que toutes les âmes ont été créées en même temps hors du corps. La fausseté de cette opinion peut à présent être montrée par quatre raisons:

1) Dont la première est que les créatures ont été créées par Dieu dans leur perfection naturelle. Car le parfait précède naturellement l'imparfait, selon le philosophe. Et Boèce dit que la nature prend son départ à partir de ce qui est parfait. Mais l'âme n'a pas la perfection de sa nature hors du corps, puisqu'elle n'est pas par elle-même une espèce complète d'une certaine nature, mais une partie de la nature humaine; autrement il faudrait que l'unité de l'âme et du corps ne soit faite que par accident. Donc l'âme humaine n'a pas été créée hors du corps.

Tous ceux qui ont pensé que les âme ont existé hors des corps avant de leur être unies, ont estimé qu'elles étaient des natures parfaites, et que la perfection naturelle de l'âme n'est pas l'être dans lequel elle est unie au corps, mais qu'elle lui est unie accidentellement, de la même manière que l'homme à son vêtement. Ainsi Platon disait que l'homme n'est pas composé d'une âme et d'un corps, mais c'est une âme qui se sert d'un corps. Et c'est pourquoi tous ceux qui ont pensé que les âmes sont créées hors des corps, ont cru à la trans-corporation des âmes, de sorte qu'une âme, ainsi sortie d'un corps, s'unisse à un autre, comme l'homme retire son vêtement et en met un autre.

2) La seconde raison est d'Avicenne. En effet, comme l'âme n'est pas composée de matière et de forme (car elle est distinguée de la matière et du composé in II, De Anima), la distinction des âmes l'une de l'autre ne pourrait exister que selon une différence formelle, si seulement elles se distinguaient elles-mêmes en soi. Mais la différence formelle amène la diversité de l'espèce. La diversité selon le nombre dans la même espèce provient de la différence matérielle; ce qui, pour l'âme, ne peut convenir selon la nature dont elle est faite, mais selon la matière dans laquelle elle est faite.

Donc ainsi nous pouvons penser que plusieurs âmes humaines de la même espèce sont différentes par le nombre, si elles sont unies au corps par leur principe, de sorte que leur distinction provient d'une certaine manière de l'union au corps; comme par un principe matériel, quoique, un telle distinction vienne de Dieu par un principe efficient. Si les âmes humaines avaient été vraiment créées hors des corps, il aurait fallu qu'elles soient différentes en espèce, si on enlève le principe matériel de la distinction, de même que les philosophes ont pensé que toutes les substances séparées sont différentes en espèce.

3) Troisième raison: en effet, l'âme rationnelle humaine ne diffère pas selon la substance de l'âme sensitive et végétative, comme on l'a montré plus haut, mais l'origine de l'âme végétative et sensitive ne peut être que dans un corps, puisque ce sont les actes de certaines parties du corps; c'est pourquoi l'âme rationnelle ne peut être créée que dans un corps selon la convenance de sa nature, cependant sans préjudice de la puissance divine.

4) Quatrième raison: si l'âme rationnelle a été créée hors du corps, et y a trouvé le complément de son être naturel, il est impossible d'assigner une cause convenable à son union au corps. Car on ne peut pas dire qu'elle s'est jointe au corps de son propre mouvement, puisque nous voyons qu'abandonner le corps n'est pas en son pouvoir; ce qui serait possible si elle s'était unie à un corps par sa volonté. Et ensuite si elles sont créées tout à fait séparées, on ne peut pas dire pourquoi l'union du corps aurait attiré la volonté d'une âme séparée.

Et on ne peut pas dire non plus qu'après quelques années d'un circuit naturel l'envie lui viendrait d'adhérer à un corps et que l'union soit la cause d'une telle opération de la nature. Car ce qui est fait dans un certain espace de temps selon la nature, est ramené au mouvement du ciel comme à sa cause, par laquelle sont mesurés les durées. Mais il n'est pas possible que les âmes séparées se soumettent au mouvement des corps célestes.

De la même manière, on ne peut pas dire qu'elles ont été liées au corps par Dieu, s'il les a créées d'abord sans corps. Car si on disait qu'il l'a fait pour leur perfection, cela n'aurait pas été la raison pour laquelle il les a créées sans corps. Mais si les introduire dans des corps comme dans des prisons, a été fait pour leur châtiment, comme Origène l'a dit, à cause des péchés qu'elles ont commis, il en découlerait que la constitution des natures composées à partir des substances spirituelles et corporelles existerait par accident et non de la première intention de Dieu, ce qui est contre ce qu'on lit en Genèse 1, 31: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon", où on montre manifestement la bonté de Dieu et que ce n'est pas la malice de quelque créature qui a été cause de la création des oeuvres bonnes.

 

Solution des objections:

1. Augustin dans La Genèse au sens littéral, surtout en enquêtant sur l'origine de l'âme, parle plus en cherchant qu'en affirmant, comme il le dit lui-même.

2. L'univers en son commencement a été parfait pour les espèces, et non pour tous les individus; ou encore pour les causes des êtres naturels d'où les autres peuvent par la suite se propager, non pour tous les effets. Mais quoique les âmes rationnelles ne soient pas faites par des causes naturelles, cependant les corps, dans lesquels elles sont insérées par l'action de Dieu comme dans ce qui leur est co-naturel, sont faits par l'opération de la nature.

3. Dans le jeu théâtral, on ne cherche pas quelque chose à cause du jeu. Mais du mouvement par lequel Dieu meut les créatures corporelles, on cherche quelque chose à propos de ce mouvement même, à savoir le nombre complet des élus par lequel, quand il sera atteint, cessera ce mouvement, pas cependant la substance du monde.

4. La multitude des âmes appartient à la perfection essentielle et ultime de l'univers mais non à la première perfection puisque le changement total du monde des corps est ordonné d'une certaine manière à la multiplication des âmes; comme on l'a montré dans le corps de l'article.

5. Les Platoniciens pensaient que la nature des âmes était complète en soi, et unie accidentellement à des corps. C'est pour cela, qu'ils pensaient aussi qu'il y avait passage des âmes de corps en corps. Pour l'établir ils étaient amenés principalement à penser que les âmes humaines immortelles, et la génération ne manquaient jamais. C'est pourquoi pour éviter l'infinité des âmes, ils pensaient qu'il y avait un cycle pour que les âmes sortantes s'unissent à nouveau. Et Macrobe parle selon cette opinion, qui est erronée. C'est pourquoi on ne peut pas recevoir son autorité sur ce sujet.

6. Le philosophe ne dit pas que l'âme est cause efficiente du corps, mais une cause d'où vient le principe du mouvement, dans la mesure où elle est principe du mouvement local dans le corps, de la croissance etc., comme lui-même l'expose là même.

7. Dans cette autorité, on comprend que l'irascible et le concupiscible sont dans l'âme avant qu'elle soit unie au corps, par nature et non dans le temps, parce que l'âme ne les a pas par le corps, mais plutôt c'est le corps qui les possède par l'âme.

8. L'âme est mesurée par le temps selon l'être par lequel elle est unie au corps; quoique, si elle est considérée comme substance spirituelle, elle soit mesurée par l'aevum. Il ne faut pas cependant qu'elle ait commencé à être mesurée par l'aevum en même temps que les anges.

9. Bien que l'aevum n'ait ni avant ni après, pour ce qu'il mesure, rien cependant n'empêche que l'un participe à l'aevum avant l'autre.

10. Bien que l'ange et l'âme se rencontrent dans la nature intellectuelle, ils diffèrent cependant en ce que l'ange est une nature complète en soi; c'est pourquoi il a pu être créé en soi; mais comme l'âme a la perfection de sa nature du fait qu'elle est unie à un corps, elle n'a pas dû être créée au ciel mais dans le corps dont elle est la perfection.

11. Bien que l'âme soit plus simple en soi que tout corps, cependant elle en est la forme et la perfection du corps composé d'éléments, dont le lieu est à peu près le milieu, avec lequel il faut qu'elle soit créée en même temps.

12. La première perfection de l'âme est atteinte selon son être naturel; elle consiste dans son union au corps et c'est pourquoi, au commencement, elle a dû être créée à l'intérieur de l'espace de ce corps. Mais sa perfection ultime est dans ce qu'elle communique avec les autres substances intellectuelles, et cette perfection lui sera donnée au ciel.

13. Bien que les âmes qui sont créées à un moment, soient de nouvelles créatures par le nombre, elles sont cependant anciennes par leur espèce; car elles ont existé précédemment dans les oeuvres des six jours dans quelque chose de semblable en espèce, c'est-à-dire dans les âmes des premiers parents.

14. Il faut que l'oeuvre de la création par laquelle les principes de nature sont institués, précède l'oeuvre de propagation. Mais une telle oeuvre n'est pas la création des âmes.

15. Il convient à la justice de rendre ce qui est dû; c'est pourquoi, c'est contre la justice, si des dons inégaux sont donnés à des êtres égaux, quand ce qui est dû est rendu, mais non quand c'est donné gratuitement; ce qui convient à la création des âmes. Ou bien on peut dire que cette diversité ne procède pas du mérite différent des âmes, mais de la disposition différente des corps. C'est pourquoi Platon disait que les formes sont incluses par Dieu selon les mérites de la matière.

16. Bien que l'âme dépende du corps en son commencement, pour commencer dans la perfection de sa nature, cependant quant à sa fin, elle n'en dépend pas, parce que l'être lui est acquis dans le corps, en tant qu'être subsistant; c'est pourquoi, une fois le corps détruit, elle demeure néanmoins en son être, bien que ce ne soit pas dans l'achèvement de la nature qu'elle possède, quand elle est unie au corps.

17. Ce n'est pas la nature du corps qui appesantit l'âme, mais sa corruption, comme on le montre à partir de cette autorité.

 

Article 11: L'âme sensitive et l'âme végétative existent-elles par création ou par transmission de la semence?

 

Objections:

1. Il semble que c'est par création. Car ce qui est de même nature, vient à l'être de la même manière. Mais l'âme sensitive et l'âme végétative sont de même espèce ou de même nature, dans l'homme, les animaux et les plantes. Dans l'homme, elles sont créées, puisqu'elles sont de la même substance que l'âme rationnelle qui est créée, comme on l'a montré. Donc chez les animaux et les plantes aussi, l'âme végétative et l'âme sensitive sont créées.

2. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive et végétative est dans les plantes et les animaux comme une forme et une perfection; et dans les hommes comme une disposition.

- En sens contraire, plus un être est noble, plus noble est sa manière de venir à l'être. Mais il est plus noble d'être une forme et une perfection qu'une disposition. Si donc l'âme sensitive et végétative dans les hommes, dans lesquels elles sont comme des dispositions, viennent à l'être par création, ce qui est le plus noble moyen de venir à l'être, puisque les plus nobles créatures commencent à exister de cette manière, il semble que, beaucoup plus elles aient été produites par création dans les plantes et les animaux.

3. Le philosophe dit: "Ce qui est vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est accident pour rien". Si donc l'âme sensitive et l'âme végétative sont dans les animaux et dans les plantes comme des formes substantielles, elles ne peuvent pas être dans l'homme comme des dispositions accidentelles.

4. A partir du pouvoir du géniteur, quelque chose vient à l'être chez les vivants par le pouvoir de la semence. Mais, en elle, il n'y a pas d'âme sensitive ni végétative en acte. Donc, puisque rien n'agit que dans la mesure où il est en acte, il semble que l'âme sensitive ou végétative ne peut être produite par le pouvoir de la semence et ainsi par génération non plus mais par création.

5. Mais on pourrait dire que, bien que le pouvoir qui est dans la semence, bien qu'elle ne soit pas l'âme sensitive en acte, agit cependant dans son pouvoir, qui était dans le père, de qui la semence a été séparée.

- En sens contraire, ce qui agit dans le pouvoir d'un autre s'en sert comme de son instrument; or celui-ci ne met en mouvement que mu, mais il faut que le moteur, et ce qui est mu soient ensemble, comme on le prouve in VIII, Phys. Donc comme le pouvoir qui est dans la semence n'a pas été joint à l'âme sensitive du géniteur, il semble qu'il ne peut pas agir comme son instrument, ni dans le pouvoir de celle-ci.

6. L'instrument se comporte vis-à-vis de l'agent principal comme un pouvoir mu et commandé en vue d'un pouvoir qui meut et commande, qui est une force appétitive et moteur. Mais un pouvoir mu et commandé ne meut pas, s'il est séparé du pouvoir qui meut et commande, comme cela paraît dans les organes séparés d'un animal. Donc le pouvoir qui est dans la semence séparée ne peut opérer dans le pouvoir du géniteur.

7. Quand l'effet est défaillant par rapport à la perfection de la cause, il ne peut s'étendre dans la propre action de sa cause. Car la diversité des actions atteste la diversité des natures. Mais cependant il est clair que le pouvoir, qui est dans la semence, même si c'est l'effet de l'âme sensitive du géniteur, est défaillant par rapport à sa perfection même. Donc il ne peut pas, dans l'action qui appartient proprement à l'âme sensitive, produire une âme qui lui ressemble en espèce.

8. A la corruption du sujet succède celle de la forme et de la puissance. Mais le sperme est corrompu dans le processus de la génération et il reçoit une autre forme, comme Avicenne le dit. Donc ce pouvoir qui était dans la semence est corrompu; donc ce n'est pas par lui que peut venir à l'être l'âme sensitive.

9. La nature inférieure n'agit que par l'intermédiaire de la chaleur et d'autres qualités actives et passives. Mais la chaleur ne peut amener l'âme sensitive à l'être, parce que rien n'agit au-delà de son espèce. Et rien de ce qui est fait n'est plus noble que ce qui le fait. Donc l'âme sensitive ou végétative ne peut pas être amenée à l'être par un agent naturel et ainsi elle l'est par création.

10. L'agent matériel n'agit pas en exerçant une influence sur la matière. Mais par cette transformation, on ne parvient qu'à une forme accidentelle. Donc l'âme sensitive et l'âme végétative, qui sont des formes substantielles, ne peuvent pas être produites par un agent naturel.

11. L'âme sensitive ou l'âme végétative ont une quiddité, produite par un autre. Mais elle n'existait avant la génération que parce que la matière pouvait l'avoir. Donc il faut qu'elle soit produite par un agent qui n'opère pas à partir de la matière, et de tel, il n'y a que le Dieu créateur.

12. Les animaux engendrés par semence sont plus nobles que les animaux engendrés de la putréfaction, ils sont plus parfaits, et peuvent engendrer des êtres semblables à eux. Mais dans les animaux engendrés de la putréfaction, les âmes viennent par création. Car ce n'est pas par un agent semblable d'une espèce semblable qu'ils sont amenés à l'être. Donc il semble bien plus que les âmes des animaux qui engendrent par la semence soient créés.

13. Mais on pourrait dire que par le pouvoir du corps céleste, l'âme sensitive est produite dans les animaux issus de la putréfaction, comme pour les autres par le pouvoir formatif qui est dans la semence.

- En sens contraire, comme le dit Augustin, la substance vivante est au-dessus de n'importe quelle substance non vivante. Mais le corps céleste n'est pas une substance vivante, puisqu'il est inanimé. Donc par son pouvoir ne peut être produite l'âme sensitive, qui est principe de vie.

14. Mais on pourrait dire que le corps céleste peut être la cause de l'âme sensitive, en tant qu'il agit dans le pouvoir de la substance intellectuelle, qui le meut.

- En sens contraire, ce qui est reçu dans un autre est en lui par le mode de celui qui reçoit, et non par son mode propre. Donc si le pouvoir de la substance intellectuelle est reçu dans un corps céleste non vivant, il n'y sera pas là comme un pouvoir vital qui puisse être principe de vie.

15. La substance intellectuelle non seulement vit, mais aussi abstrait (intelligat). Donc si par son pouvoir, le corps céleste mu par elle peut conférer la vie, à raison égale, il pourra conférer l'intellect. Et ainsi l'âme rationnelle viendra de celui qui engendre, ce qui est faux.

16. Si l'âme sensitive vient d'un agent naturel, et non par création, elle est donc produite par le corps ou par l'âme. Mais pas par le corps, parce que, ainsi, un corps agirait au-delà de son espèce; ni à nouveau par l'âme, parce que, ou bien, il faudrait que toute l'âme du père soit transfusée dans le Fils, et ainsi le père demeurerait sans âme, ou avec une partie seulement, et ainsi dans le père, il ne resterait pas l'âme entière; les deux solutions sont fausses. Donc l'âme sensitive ne vient pas de celui qui engendre mais du créateur.

17. Le Commentateur dit qu'aucun pouvoir connaissant vient de l'action des éléments mixtes. Mais l'âme sensitive est un pouvoir qui a la faculté de connaître. Donc elle ne vient pas de l'action des éléments, de l'action de la nature non plus, puisque aucune de ces actions n'est dans ces choses inférieures sans l'action des éléments.

18. Aucune forme, qui n'est pas subsistante, ne peut être moteur; c'est pourquoi les formes des éléments, selon le philosophe ne sont pas motrices, mais engendrent et empêchent en les écartant. Mais l'âme sensitive est motrice, puisque tout animal est mu par son âme. Donc l'âme sensitive n'est pas une forme seulement, mais une substance existant par soi. Il est clair aussi qu'elle n'est pas composée de matière et de forme. Mais toute substance telle vient à l'être par création, et non autrement. Donc l'âme sensitive vient à l'être par création.

19. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive ne meut pas le corps par soi, mais que le corps animé se meut lui-même.

- En sens contraire, le philosophe prouve que dans n'importe quel être qui se meut lui-même, il faut qu'une partie de l'être soit moteur, et une autre mue. Mais le corps ne peut pas être moteur seulement, parce qu'aucun corps ne meut que mu. Donc il faut que l'âme soit moteur seulement et ainsi l'âme sensitive a une opération, où le corps ne communique pas avec elle et ainsi l'âme sensitive sera une substance subsistante.

20. Mais on pourrait dire que l'âme sensitive meut selon le commandement du pouvoir de l'appétit, dont l'acte est commun au corps et à l'âme. -Mais en sens contraire, dans l'animal, non seulement il y a la force qui commande le mouvement et meut, mais encore il y a là une force qui suit le mouvement dont l'opération ne pourra pas être commune à l'âme et au corps, pour les raisons déjà données. Et ainsi il faut que l'âme sensitive ait par soi une opération. Donc elle est substance subsistante par soi, et ainsi elle est amenée à l'être par création, et non par la génération naturelle.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit in (Gn 1, 20): "Que les eaux produisent le reptile à l'âme vivante", et ainsi il semble que les âmes sensitives des reptiles et des autres animaux viennent de l'action des corps élémentaires.

2. De la même manière que se comporte le corps du père vis-à-vis de son âme, le corps du fils se comporte vis-à-vis de la sienne. Donc inversement, de même que le corps du fils se comporte par rapport à celui du père, l'âme du fils se comporte par rapport à celle du père. Mais le corps du fils est transmis par le corps du père. Donc l'âme du fils est transmise par l'âme du père.

 

Réponse:

A propos de la production des formes substantielles, les opinions des philosophes ont divergé. Car certains ont dit que l'agent naturel dispose seulement la matière, mais la forme, qui est l'ultime perfection, provient des principes surnaturels.

On montre que cette opinion est fausse principalement pour deux raisons:

1. Du fait que l'être des formes naturelles et corporelles ne consiste qu'en une union à la matière, il semble que c'est le fait d'un même agent de les produire, dont le rôle est de transformer la matière.

2. Parce que de telles formes n'excèdent pas le pouvoir, l'ordre et la faculté des principes agents dans la nature, on ne voit aucune nécessité de ramener leur origine à des principes plus élevés. C'est pour cela que le philosophe dit que la chair et l'os sont engendrés par une forme qui est en ces chairs et en ces os; selon cette opinion, non seulement l'agent naturel dispose la matière mais amène la forme à l'acte, contrairement à la première opinion.

De cette généralité des formes, il faut exclure l'âme rationnelle. Car elle est elle-même une substance subsistante en soi. C'est pourquoi son être ne consiste pas seulement en ce qu'il doit être unie à la matière, autrement elle ne pourrait pas s'en séparer: c'est faux comme le montre son opération, qui vient de l'âme même en soi sans la participation du corps. Et elle ne peut agir autrement qu'elle est. Car ce qui n'est pas par soi, n'opère pas par soi. Et à nouveau la nature intellectuelle excède tout l'ordre et toute la faculté des principes matériels et corporels; puisque l'intellect en abstrayant (intelligendo) peut transcender toute nature corporelle, ce qui ne serait pas possible si sa nature était contenue dans les limites de la nature corporelle.

Mais on ne peut utiliser ni l'un ni l'autre argument pour l'âme sensitive ou l'âme végétative. L'être de telles âmes ne peut consister que dans l'union au corps; ce que leurs opérations montrent: elle ne peuvent exister sans organe corporel; c'est pourquoi leur être n'est pas pour elles absolument sans dépendance au corps. A cause de cela, elles ne peuvent être séparées du corps, ni à nouveau amenées à l'être, que dans la mesure où le corps y est amené. C'est pourquoi, de même que le corps est produit par l'action de la nature qui engendre, les âmes susdites aussi. Mais penser qu'elles soient faites séparément par création semble revenir à l'opinion de ceux qui pensaient que les âmes de ce genre demeuraient après le corps; alors que les deux opinions sont condamnés ensemble dans le livre des Dogmes ecclésiastiques.

De telles âmes ne dépassent pas l'ordre des principes naturels. Et cela est visible pour ceux qui considèrent leurs opérations. Car l'ordre des actions dépend de l'ordre des natures. Nous trouvons certaines formes qui ne s'étendent pas plus loin, que ce qui peut être fait par les principes matériels; comme les formes élémentaires et celles des corps mixtes qui n'agissent pas au-delà de l'action du chaud et du froid. C'est pourquoi elles sont tout à fait immergées dans la matière.

Mais bien que l'âme végétative n'agisse que par l'intermédiaire des qualités susdites cependant son opération va jusqu'où elles ne s'étendent pas, à savoir produire la chair et l'os et fixer un terme à la croissance, etc.; c'est pourquoi elle est encore contenue sous l'ordre des principes matériels, mais pas pour la forme susdite.

Mais l'âme sensitive n'agit pas nécessairement par le pouvoir du chaud et du froid, comme cela paraît dans l'action de la vue, de l'imagination, etc., quoique pour de telles opérations un caractère déterminé de chaud et de froid soit requis pour la constitution des organes, sans lesquels les actions susdites ne se font pas; c'est pourquoi elle ne transcende pas totalement l'ordre des principes matériels, bien qu'elle n'y soit pas enclavée autant que les formes susdites.

Mais l'âme rationnelle accomplit une action là où ne s'étend pas le pouvoir du chaud et du froid, et elle ne l'exerce pas par ce pouvoir, ni par un organe matériel. C'est pour cela qu'elle seule transcende l'ordre des principes naturels, mais pas l'âme sensitive dans les animaux, ni l'âme végétative dans les plantes.

 

Solution des objections:

1. Bien que l'âme sensitive soit de même nature en genre dans les hommes et les animaux, cependant elle ne l'est pas en espèce; de même que l'homme et la bête ne sont pas le même animal en espèce; c'est pourquoi les opérations de l'âme sensitive sont beaucoup plus nobles chez l'homme que chez les bêtes, comme cela paraît dans le toucher et dans les perceptions intérieures. Et il ne faut pas, pour ceux qui sont dans un genre, s'ils diffèrent par l'espèce, qu'il y ait un seul mode de parvenir à l'être, comme cela paraît chez les animaux engendrés de la semence et de la putréfaction, qui sont dans un même genre et diffèrent en espèce.

2. Dans l'homme on ne parle pas de l'âme sensitive comme d'une disposition, comme si dans la substance elle était autre que l'âme rationnelle et disposition pour elle-même; mais parce qu'on ne distingue le sensitif du rationnel dans l'homme, que comme une puissance d'une autre puissance. Mais l'âme sensitive dans l'animal est distincte de l'âme rationnelle de l'homme comme une forme substantielle d'une autre. Cependant la puissance sensitive et végétative dans l'homme découle de l'essence de l'âme, dans les animaux et dans les plantes aussi. Mais elles diffèrent en ceci que dans les plantes, seules les puissances végétatives découlent de l'essence de l'âme, c'est pourquoi on définit leur âme par elles; dans les animaux non seulement les puissances végétatives mais aussi sensitives par lesquelles leur âme est définie, dans l'homme en plus les puissances intellectuelles par lesquelles elle est définie.

3. La substance, d'où découle la puissance sensitive, tant chez les animaux que chez les hommes, est une forme substantielle; mais la puissance dans les uns et les autres est un accident.

4. L'âme sensitive n'est pas en acte dans la semence pour son espèce propre, mais comme dans une puissance active; ainsi la maison en acte est dans l'esprit de l'artisan comme dans un puissance active; et de même les formes corporelles sont dans les puissances célestes.

5. On comprend que l'instrument est mis en mouvement par l'agent principal aussi longtemps qu'il conserve ce pouvoir imprimé par cet agent; c'est pourquoi la flèche est mue par celui qui la lance tant que dure son impulsion. De même aussi, tant que l'engendré est mu par celui qui engendre dans le lourd et le léger, il conserve la forme qui lui a été donnée par lui; c'est pourquoi, on comprend que la semence est mue par l'âme de celui qui engendre, tant qu'en lui il y a le pouvoir imprimé par l'âme, bien qu'il soit divisé corporellement. Mais il faut que le moteur et le mu soit ensemble au principe du mouvement, non cependant pour tout ce qui est mu, comme cela paraît dans ce qu'on projette.

6. La force appétitive de l'âme n'a de pouvoir que sur le corps qui lui est uni; c'est pourquoi une partie coupée n'obéit pas au désir de l'âme appétitive. Mais la semence n'est pas mue par l'âme de celui qui engendre par pouvoir mais par la transfusion d'un certain pouvoir qui demeure dans la semence même une fois séparée.

7. L'âme sensitive et l'âme végétative sont sorties de la puissance de la matière, comme les autres formes matérielles pour la production desquelles est requis un pouvoir qui transforme la matière. Mais bien que manque le pouvoir qui est dans la semence, il la possède cependant par les autres actions de l'âme; en effet, la matière est transformée par l'âme, pour qu'elle soit convertie en tout par l'action de la nourriture, de même par le pouvoir susdit, la matière est transformée, pour engendrer ce qui est conçu; c'est pourquoi rien n'empêche que ce pouvoir opère, à ce sujet, pour l'action de l'âme sensitive en son pouvoir.

8. Le pouvoir susdit, prend racine dans l'esprit, qui se trouve inclus dans la semence, comme dans son sujet. Mais presque toute la semence, comme le dit Avicenne, est convertie en esprit. C'est pourquoi, bien que la matière corporelle, d'où ce qui est conçu est formé, soit transformée de nombreuses fois par génération, cependant le sujet du pouvoir susdit n'est pas détruit.

9. La chaleur agit comme instrument de la forme substantielle du feu, de la même manière, rien n'empêche qu'elle agisse comme instrument de l'âme sensitive pour l'amener à l'acte, encore qu'elle ne le puisse pas par son propre pouvoir.

10. La matière subit un changement, non seulement accidentel, mais aussi substantiel; car l'une et l'autre forme préexiste dans la puissance de la matière; c'est pourquoi l'agent naturel qui transforme la matière est non seulement la cause de la forme accidentelle, mais aussi de la forme substantielle.

11. Comme l'âme sensitive n'est pas un être subsistant, elle n'est pas une quiddité, les autres formes matérielles non plus, mais elle en est une partie; et son être est dans son agrégation à la matière. C'est pourquoi, produire l'âme sensitive n'est rien d'autre que faire passer la matière de la puissance à l'acte.

12. Plus une chose est imparfaite, moins elle a de besoins pour sa constitution. C'est pourquoi, puisque les animaux engendrés de la putréfaction sont plus imparfaits que ceux nés d'une semence, il suffit pour eux du seul pouvoir du corps céleste qui opère aussi dans la semence, bien qu'il ne suffise pas sans le pouvoir de l'âme pour produire les animaux engendrés par la semence. Car le pouvoir du corps céleste demeure dans les corps inférieurs, dans la mesure où ils sont transformés par lui, comme par le premier qui apporte le changement. Et c'est pour cela que le philosophe dit, dans le Livre des Animaux, que tous les corps inférieurs sont emplis des pouvoirs de l'âme. Mais bien que le ciel ne soit pas semblable en espèce avec de tels animaux engendrés de la putréfaction, il y a cependant ressemblance, parce que l'effet préexiste potentiellement dans la cause.

13. Même si le corps céleste n'est pas vivant, il agit cependant dans le pouvoir de la substance vivante par laquelle il est mu; que ce soit un ange, ou Dieu. Les philosophes, cependant, pensent qu'un corps céleste est animé et vivant.

14. Le pouvoir de la substance, moteur virtuel, est laissé dans le corps céleste et son mouvement, non comme une forme ayant l'être complet en nature, mais par mode d'intention comme la puissance de l'art est dans l'instrument de l'artisan.

15. L'âme rationnelle, comme on l'a dit, dépasse tout l'ordre des principes corporels, c'est pourquoi aucun corps ne peut agir même comme instrument pour sa production.

16. L'âme sensitive est produite dans ce qui est conçu, non par l'action d'un corps ni par coupure de l'âme, mais par l'action du pouvoir formateur qui vient dans la semence par l'âme qui engendre, comme on l'a dit.

17. On nie que le pouvoir cognitif vienne de l'action des éléments, comme si les pouvoirs des éléments suffisaient à les causer, comme ils suffisent à causer la dureté ou la mollesse. Mais on ne nie pas qu'ils puissent coopérer de quelque manière en tant qu'instrument.

18. L'âme sensitive meut par l'appétit. Mais l'action de l'appétit sensible ne vient pas de l'âme seulement, mais du composé; c'est pourquoi une telle puissance a un organe déterminé. Aussi, il ne faut pas penser que l'âme sensitive a quelque opération hors de son union au corps.

19. Le corps peut mouvoir comme non mu, par cette espèce de mouvement par lequel il meut, bien qu'il ne puisse mouvoir qu'en étant mu en quelque manière. Car le corps du ciel change sans être changé, mais mu localement, et de la même manière l'organe du pouvoir appétitif meut, localement non mu mais changé localement d'une certaine manière. Car l'opération de l'appétit sensible n'arrive pas sans changement du corps, comme cela paraît dans la colère et les passions de ce genre.

20. La force motrice qui accompagne le mouvement est plus une disposition mobile par laquelle elle est destinée à être mu par un tel moteur, que d'être moteur par soi.

 

Article 12: L'âme sensitive ou l'âme végétative sont-elles dans la semence dès le moment où elle se sépare?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Comme Grégoire de Nysse le dit: "L'affirmation des deux opinions ne manque pas de critiques: ceux qui ont raconté que les âmes vivent d'abord dans un certain état et un certain ordre, et pour ceux qui pensent qu'elles sont créés après les corps." Mais si l'âme n'a pas été dans la semence en son commencement, il faut qu'elle soit faite après le corps. Donc l'âme a été au commencement dans la semence.

2. Si l'âme sensitive n'a pas été au commencement dans la semence, l'âme rationnelle non plus; la même raison s'appliquera à l'une et à l'autre. Mais cette dernière est créée. Donc l'âme sensitive aussi, alors qu'on a montré le contraire.

3. Le philosophe dit que le pouvoir qui est dans la semence est comme le fils qui sort de la maison de son père. Mais le fils est de la même espèce que son père. Donc ce pouvoir qui est dans la semence est de la même espèce que l'âme sensitive d'où il dérive.

4. Le philosophe dit, que ce pouvoir est comme l'art, qui, s'il était dans la matière, opérerait pour la perfection de l'oeuvre fabriquée. Mais dans l'art il y a la forme de l'oeuvre. Donc dans ce pouvoir de la semence il y a la forme de l'âme sensitive qui est produite par la semence.

5. La séparation de la semence est naturelle, mais la division du ver est contre nature. Mais dans la partie séparée de cet animal il y a une âme, comme le dit le philosophe. Donc encore plus dans la semence séparée.

6. Le philosophe dit que le mâle, dans la génération de l'animal, donne l'âme. Mais rien ne sort du père que la semence. Donc l'âme est dans la semence.

7. L'accident n'est transmis que par transfusion du substrat. Or certaines maladies sont transmises par les parents à leurs enfants comme la lèpre, la goutte etc. Donc leur substance est transmise. Mais cela ne se fait pas sans l'âme. Donc l'âme est au commencement dans la semence.

8. Hippocrate dit que la coupure de la veine qui est près des oreilles empêche la génération. Mais cela n'arriverait que si la semence était séparée du corps tout entier, comme une action préexistant d'abord. Donc comme ce qui est la partie en acte de l'animal a une âme, il semble que la semence en a une dès le commencement.

9. Le même dit qu'un cheval à cause d'un accouplement excessif a été trouvé sans cerveau. Mais cela ne serait pas arrivé si la semence avait été séparée de ce qui est une partie en acte. Donc de même que ci-dessus.

10. Le superflu n'appartient pas à la substance. Donc si la semence est un superflu elle n'appartiendra pas à la substance de celui qui engendre et ainsi le fils, qui vient de la semence ne serait pas de la substance du père, ce qui ne convient pas. Donc la semence vient de la substance de celui qui engendre, et ainsi il y a là une âme en acte.

11. Tout de qui n'a pas d'âme est inanimé. Donc si la semence n'en a pas, elle sera inanimée, et ainsi le corps inanimé sera transformé et deviendra animé, ce qui ne paraît pas convenir. Donc l'âme est au commencement dans la semence.

 

Cependant:

1. Le Philosophe dit que la semence et le fruit, sont en une telle puissance pour l'âme qu'ils la rejettent.

2. Si la semence au commencement possède une âme, cela ne parait possible que de deux manières; l'âme de celui qui engendre passe dans la semence, toute ou en partie. L'une et l'autre de ces solutions ne paraissent pas convenir, parce que de la première, il découle qu'il ne reste pas d'âme dans le père, et de la seconde, qu'elle n'y reste pas toute entière. Donc l'âme n'est pas dans la semence au commencement.

 

Réponse:

L'opinion de certains fut que l'âme au commencement de la séparation était dans la semence; ils voulaient que, de même que le corps est séparé du corps, en même temps l'âme soit transmise par l'âme, pour qu'aussitôt elle y soit aussi avec une parcelle du corps.

Cette opinion ne paraît pas vraie, parce que, selon ce que le philosophe prouve, la semence ne serait pas séparée de ce qui fut une partie en acte, mais de ce qui fut le superflu d'une dernière digestion, qui n'était pas encore assimilé tout à fait, mais aucune partie du corps n'est parfaite en acte par l'âme si elle n'est assimilée tout à fait. C'est pourquoi la semence avant la séparation n'est pas encore achevée par l'âme, de sorte que l'âme soit sa forme; cependant il y avait là un pouvoir selon lequel, déjà par l'action de l'âme, elle était changé et amenée à une disposition proche de la dernière assimilation; c'est pourquoi, après sa séparation, il n'y a pas d'âme mais un pouvoir de l'âme. Et c'est pour cela que in XVI, La génération des animaux, le philosophe dit que dans la semence il y a le pouvoir du principe de l'âme.

Et en plus si l'âme était dans la semence dès le départ, ou elle posséderait l'espèce de l'âme en acte, ou pas, mais comme une certaine puissance qui se transformerait ensuite en âme. La première solution n'est pas possible, parce que, comme l'âme est l'acte d'un corps organisé, avant n'importe quelle organisation, le corps qui reçoit l'âme ne peut pas exister. Et même ainsi il en découle que tout ce qui agit dans les semences, n'est qu'une disposition de la matière, et par conséquence ce ne serait pas une génération, puisque celle-ci ne suit pas mais précède la forme substantielle. A moins que par hasard on dise qu'il y aurait une autre forme substantielle du corps au-delà de l'âme. Il en découle que l'âme ne serait pas unie au corps substantiellement, comme lui arrivant au corps après qu'il soit constitué déjà par une autre forme.

Il découlerait par la suite que la génération du vivant ne serait pas une génération, mais une espèce de séparation; comme un morceau de bois est séparé du bois pour être du bois en acte.

La seconde partie de la division susdite ne peut pas exister, parce qu'il en découlerait que la forme substantielle ne parviendrait pas dans la matière subitement, mais de façon successive, et ainsi il y aurait du mouvement dans la substance, comme dans la quantité et la qualité; ce qui est contre ce que dit le philosophe et même les formes substantielles recevraient du plus et du moins, ce qui est impossible. C'est pourquoi, il reste que ce n'est pas l'âme qui est dans la semence, mais un certain pouvoir de l'âme qui en est dérivé, qui agit pour la produire.

 

Solution des objections:

1. Le corps de l'être vivant, comme celui du lion ou de l'olive, n'est pas une âme, mais c'est la semence du corps seulement avant l'âme et avant son pouvoir qui agit pour l'âme. Car il y a la même proportion de la semence à un tel pouvoir que du corps à l'âme.

2. Entre l'âme rationnelle et les autres âmes il y a cette différence que la première ne vient pas du pouvoir de la semence, comme les autres, bien qu'aucune âme ne soit dans la semence au commencement.

3. Ce pouvoir ne ressemble pas au fils qui sort de la maison du père pour compléter l'espèce, mais pour acquérir de ce qui manque à l'un et l'autre pour les compléter. Car la perfection première, la plupart du temps, se manifeste par la ressemblance de la perfection seconde.

4. La ressemblance entre le pouvoir susdit et l'art procède du fait que, de même que l'oeuvre préexiste dans l'art, dans un pouvoir actif, de même l'être vivant qui doit être engendré préexiste dans un pouvoir formateur.

5. La coupure du ver est violente et contre nature, parce que la partie coupée était une partie en acte, parfaite par l'âme; c'est pourquoi quand on coupe le corps, l'âme demeure dans l'une et l'autre partie, qui était une en acte dans le tout et plusieurs en puissance. Ce qui arrive parce que de tels animaux sont presque semblables dans le tout et dans la partie; parce que leurs âmes sont plus imparfaites que les autres, elles demandent peu de diversité dans leurs organes. Et de là vient qu'une partie coupée peut recevoir l'âme, comme ayant pour les organes autant qu'il suffit pour recevoir une telle âme, comme cela arrive dans les autres corps semblables, comme le bois et la pierre, l'eau et l'air. De là le philosophe prouve que le sperme n'a pas été une partie en acte avant la séparation, parce que celle-ci n'aurait pas été naturelle, mais une manière de corruption. C'est pourquoi il ne faut pas que l'âme demeure en elle par la séparation de la semence.

6. On dit que le mâle donne l'âme, dans la mesure où le pouvoir qui agit pour l'âme est contenu dans sa semence.

7. Les maladies dont on parle dans l'objection ne sont pas transmises avec la semence, comme si elles y étaient en acte, mais parce que leur principe est dans la semence, par une mauvaise disposition.

8. Comme le sperme est une surabondance, il a ses propres voies, comme les autres surabondances, par lesquelles, si elles sont coupées, la génération est empêchée. Ce n'est pas à cause de cela que quelque chose qui était une partie en acte est détruit.

9. Le flux immodéré des autres surabondances dissout quelque chose de ce qui d'elle était déjà changé par violence et non de façon naturelle; de la même manière, le flux immodéré de la semence aussi. Mais ce qui est fait contre nature, ne doit pas être considéré comme sa conséquence.

10. La semence est un tel superflu que, bien qu'elle ne soit pas une partie en acte de la substance du père, elle est cependant tout entière une puissance, et c'est pour cela qu'on dit que le fils vient de la substance du père.

11. Bien que la semence ne soit pas animée en acte, cependant elle l'est en puissance; c'est pourquoi, elle n'est pas tout à fait inanimée.

 

Article 13: Un être qui dépend d'un autre peut-il être éternel?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car tout ce qui est éternel n'a besoin de rien pour exister. Tout être qui dépend d'un autre a besoin de ce par quoi il est pour exister. Donc rien de ce qui vient d'un autre n'existe toujours.

2. Rien ne reçoit ce qu'il a déjà. Donc ce qui existe toujours a toujours l'être. Donc il ne le reçoit pas. Mais tout ce qui dépend d'un autre reçoit l'être de celui par lequel il existe. Donc rien de ce qui vient d'un autre n'existe toujours.

3. Ce qui est, n'est pas en train d'être engendré, ni fait, ni amené à l'être de quelque manière, parce que ce qui se fait n'est pas. Il faut donc que tout ce qui est engendré, fait ou amené à l'être n'ait pas existé à certains moments. Mais tout ce qui dépend d'un autre est de ce genre. Donc ce qui dépend d'un autre n'existe pas à certains moments, ce qui n'est pas n'existe pas à certains moments, n'existe pas toujours. Donc rien de ce qui dépend d'un autre n'est éternel.

4. Ce qui ne possède l'être que par un autre, considéré en soi, n'est pas. Pour un tel être, il faut ne pas exister à certains moments. Donc il faut que tout ce qui dépend d'un autre, n'ait pas existé à certains moments et par conséquent, ne soit pas éternel.

5. Tout effet est postérieur à sa cause. Mais ce qui dépend d'un autre est l'effet de celui par qui il est. Donc il lui est postérieur, et ainsi il ne peut pas être éternel.

 

Cependant:

Hilaire dit que, né de toute éternité du Père, celui qui est né a un être éternel. Mais le Fils de Dieu est né du Père éternel. Donc ce qui est né possède l'éternité. Donc il est éternel.

 

Réponse:

Quand nous pensons que le Fils de Dieu procède naturellement du Père, il faut qu'il vienne du Père de sorte à lui être cependant coéternel. Ce qui se démontre de cette manière. Entre la volonté et la nature, en effet, il y a cette différence que la nature est déterminée à un seul objet pour ce qui est produit par son pouvoir et pour produire ou ne pas produire; mais la volonté ne se trouve déterminée ni pour l'un, ni pour l'autre. Par conséquent quelqu'un peut faire ceci ou cela par volonté, comme l'ouvrier fait un banc ou un coffre et à nouveau le fait et cesse de le faire; mais le feu ne peut que chauffer si le sujet de son action est présent et il ne peut induire dans la matière qu'un effet semblable à lui.

C'est pourquoi, si à propos des créatures qui procèdent de Dieu par sa volonté, il est possible de dire qu'il a pu faire telle ou telle créature et la faire à un moment ou à un autre, au sujet de son Fils cependant, qui procède par nature, on ne peut pas le dire. Car le Fils n'a pu être différent en sa nature de celle du Père. Et il n'a pu être Fils ou plus tôt ou plus tard que la nature du Père n'a existé. En effet on ne peut pas dire qu'à certains moments ait manqué la perfection de la nature divine, par laquelle, quand par ce pouvoir de cette nature qui lui parvint, le Fils de Dieu a été engendré, puisque la nature divine est simple et immuable. On ne peut pas dire, non plus, qu'une telle génération aura été différée, à cause de l'absence ou de l'indisposition de la matière, puisque cette génération est tout à fait immuable. C'est pourquoi il reste que, comme la nature du Père a été éternelle et que le Fils a été engendré éternellement par le Père, il est coéternel au Père.

Mais les Ariens qui estimaient que le Fils ne procède pas du Père par nature, pensaient que le Fils n'était ni égal ni coéternel au Père, comme cela arrive dans les autres êtres qui procèdent du Père selon le libre arbitre de sa volonté. Il fut difficile de considérer la génération du Fils comme coéternelle au Père, à cause de l'habitude de la pensée humaine, quand elle considère la production des choses naturelles, dans lesquelles une seule est produite à partir d'une autre par mouvement. Mais ce qui est amené à l'être par mouvement commence à être au commencement plutôt qu'au terme du mouvement. Comme le commencement du mouvement par nécessité précède son terme dans la durée, ce qui nécessaire à cause de la succession du mouvement, le commencement du mouvement ou son début ne pourrait exister sans cause pour le produire en le mettant en mouvement, il est nécessaire que la cause moteur, pour produire quelque chose, précède dans la durée ce qui est produit par elle.

C'est pourquoi, ce qui procède de quelque chose sans mouvement est en durée en même temps que celui d'où il procède, comme la lumière dans le feu ou le soleil; car la lumière procède du corps lumineux de façon soudaine et non successivement, puisque l'illumination n'est pas un mouvement mais son terme. Il reste donc que, en Dieu, en qui le mouvement n'a absolument pas de place, celui qui procède est dans le même temps que celui dont il procède; et c'est pourquoi, comme le Père est éternel, le Fils et l'Esprit Saint qui procèdent de lui, lui sont coéternels.

 

Solution des objections:

1. Si le besoin apporte une défaillance ou une carence de ce dont il manque, ce qui existe toujours n'a pas besoin de quelqu'un pour exister. Mais s'il apporte une seule relation d'origine à ce par lequel il est, rien ainsi n'empêche que ce qui existe toujours ait besoin de quelqu'un pour être, dans la mesure où il a l'être, non de lui-même mais d'un autre.

2. Celui qui reçoit quelque chose ne l'a pas avant de le recevoir, mais il l'a quand il a déjà reçu; c'est pourquoi, s'il le reçoit de toute éternité, il le possède de toute éternité

3. La raison donnée se produit dans la génération qui se fait par mouvement, parce que ce qui est amené à l'être n'est pas. Et pour autant, on dit que ce qui est engendré n'est pas, mais ce qui est a été engendré est. C'est pourquoi là où ce n'est pas différent d'être engendré et avoir été engendré, il ne faut pas que ce qui est engendré n'existe pas à certains moments.

4. Ce qui reçoit l'être d'un autre, considéré en soi est du non être, s'il est autre que l'être même qu'il reçoit de lui; mais s'il est lui-même l'être qu'il reçoit d'une autre, il ne peut pas, considéré en soi, être du non être, bien qu'en lui on puisse considérer ce qui est autre que l'être. Car ce qui existe, peut avoir quelque chose de mêlé, mais pas l'être lui-même, comme Boèce le dit dans son livre De Hebdomadibus. La première condition est celle de la créature, mais la seconde celle du Fils de Dieu.

5. Le Fils de Dieu ne peut être considéré comme un effet, parce qu'il n'est pas fait, mais engendré. Car est fait ce dont l'être est différent de celui qui le fait. C'est pourquoi nous ne disons pas que le Père, à proprement parler, est la cause du Fils mais son principe. Et il ne faut pas que toute la cause précède l'effet dans la durée, mais en nature seulement, comme cela apparaît pour le soleil et la lumière.

 

Article 14: Ce qui est diffèrent de Dieu par essence peut-il être éternel?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car la puissance de la cause, qui produit la substance totale de l'être en plus de son effet, n'est pas plus petite que celle de la cause qui produit la forme seulement. Mais celle-ci peut la produire de toute éternité, si elle était éternelle; parce que la lumière engendrée par le feu est diffusée en même temps que lui et elle lui serait coéternelle si le feu était éternel, comme le dit Augustin. Donc Dieu, beaucoup plus, peut produire des effets qui lui sont coéternels.

2. Mais on pourrait dire que cela est impossible, parce qu'il en découle un inconvénient: la créature serait égalée au Créateur en durée. - En sens contraire, la durée, qui n'est pas toute à la fois mais successive, ne peut être égalée à une durée qui serait toute à la fois. Mais si le monde avait toujours existé, sa durée n'aurait pas été toujours toute à la fois, parce qu'elle aurait été mesurée par le temps, comme Boèce le dit aussi à la fin De la Consolation. Donc jamais la créature n'est égalée à Dieu en durée.

3. Une personne divine procède de Dieu sans mouvement, la créature aussi. Mais une personne divine peut être coéternelle à Dieu dont elle procède. Donc la créature aussi.

4. Ce qui se comporte toujours de la même manière peut toujours faire la même chose. Mais Dieu se comporte toujours de la même manière de toute éternité. Donc de toute éternité il peut faire la même chose. Si donc quelquefois il a produit une créature, il a pu en produire de toute éternité.

5. Mais on pourrait dire que cette raison procède de celui qui est agent par nature, mais non de celui qui l'est par volonté

- En sens contraire, la volonté de Dieu n'interrompt pas son pouvoir. Mais s'il n'agissait pas par volonté, il s'ensuivrait qu'il aurait produit la créature de toute éternité. Donc une fois établi qu'il agit par volonté, on n'écarte pas le fait qu'il ait pu produire de toute éternité.

6. Si Dieu a produit la créature dans un temps ou un instant, et que la puissance de celle-ci n'en a pas été augmentée, il a pu aussi avant ce temps ou cet instant produire une créature; et pour la même raison encore avant et ainsi à l'infini. Donc il a pu produire de toute éternité.

7. Dieu peut faire plus que ce que l'esprit humain peut comprendre: c'est pour cela que Luc dit: "Toute parole ne sera pas impossible à Dieu", mais les Platoniciens ont compris que quelque chose avait été fait par Dieu, qui cependant a toujours existé, c'est pourquoi Augustin dit: "Au sujet du monde et de ceux qui ont été faits dieux dans le monde par Dieu, Platon dit très clairement qu'ils ont commencé à exister et qu'ils ont un début; ils n'auront cependant pas de fin; il raconte aussi que par la volonté toute puissante du créateur, ils demeureront éternellement. Mais de la façon dont il le comprend, les Platoniciens trouvèrent que ce n'était pas le commencement du temps, mais celui d'une institution. En effet, disent-ils, si un pied avait été de toute éternité dans la poussière, il resterait toujours son vestige, cependant personne ne douterait que cela a été fait par quelqu'un qui marchait; de la même manière, le monde a toujours existé alors qu'existait toujours celui qui le fit et cependant il a été fait" Donc Dieu a pu faire que quelque chose ait toujours existé.

8. Dieu peut faire à la créature, tout ce qui est contre sa nature, sinon il ne serait pas tout puissant. Mais avoir toujours existé n'est pas contre la notion de créature dans la mesure où elle a été créée, autrement ce serait pareil de dire que la créature a toujours existé et qu'elle n'a pas été créée, ce qui paraît faux, car Augustin a distingué deux opinions: l'une est que le monde aura toujours été tel qu'il n'a pas été fait par Dieu, l'autre que le monde existe toujours tel que cependant il a été créé par Dieu. Donc Dieu peut faire qu'un être créé par lui existe toujours.

9. La nature peut produire constamment son effet, l'agent volontaire qui n'en est pas empêché aussi. Mais Dieu est un agent volontaire qui ne peut pas être empêché. Donc les créatures qui sont amenées à l'être par sa volonté ont pu être produites de toute éternité, comme le Fils qui procède naturellement du Père.

 

Cependant:

1. Augustin dit: "Parce que la nature de la Trinité est tout à fait immuable, elle est éternelle, de sorte que rien ne peut lui être coéternel."

2. Jean Damascène dit que "Ce qui est amené du non être à l'être, n'est pas susceptible par nature d'être coéternel à celui qui est sans principe et existe éternellement." Mais la créature est amenée du non être à l'être. Donc elle ne peut pas avoir existé toujours.

3. Tout ce qui est éternel est invariable. Mais la créature ne peut pas être invariable, parce que si elle était laissée à elle-même, elle retournerait au néant. Donc elle ne peut pas être éternelle.

4. Rien de ce qui dépend d'un autre n'est nécessaire et par conséquent n'est pas éternel, puisque tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais tout ce qui a été fait dépend d'un autre. Donc rien de ce qui a été fait ne peut être éternel.

5. Si Dieu a pu produire la créature de toute éternité, il l'a fait, parce que, Selon le philosophe, dans ce qui est éternel être et pouvoir ne sont pas différents. Mais penser que la créature a été produite de toute éternité s'oppose à la foi. Donc aussi penser qu'elle aurait pu y être produite.

6. La volonté du sage ne remet ce qu'il a l'intention de faire, s'il le peut, que pour quelque bonne raison. Mais on ne peut pas trouver la raison pour laquelle Dieu a fait le monde à un tel moment et non avant, ou de toute éternité, si cela était possible. Donc il semble qu'il n'a pas pu être fait de toute éternité.

7. Si la créature a été créée, elle l'a été ou de rien ou de quelque chose. Mais pas de quelque chose, qui serait l'essence divine, ce qui est impossible, ou d'autre chose qui, si elle n'avait pas été créé, serait au-delà de Dieu, non créé par lui; ce qu'on a refusé ci-dessus; s'il est fait d'autre chose, ou on procède à l'infini ce qui est impossible, ou on en arrive à ce qui a été fait de rien. Mais il est impossible que ce qui est fait de rien existe toujours. Donc il est impossible que la créature ait toujours existé.

8. Il est de la définition de l'éternel, de ne pas avoir de principe, mais de la définition de la créature d'en avoir un. Donc nulle créature ne peut être éternelle.

9. La créature est mesurée par le temps ou l'aevum. Mais ils diffèrent l'un et l'autre de l'éternité. Donc la créature ne peut pas être éternelle.

10. Si une chose a été créée, il faut fixer un temps où elle aura été créée. Mais avant cela, elle n'a pas existé. Donc il faut dire que la créature n'a pas toujours existé.

 

Réponse:

Selon le philosophe, on définit le possible, quelquefois selon un puissance, quelquefois sans elle: selon une puissance, ou active ou passive. Selon une puissance active, comme si nous disions qu'il est possible au bâtisseur d'édifier, selon la puissance passive, comme si nous disions qu'il est possible au bois de brûler.

Mais on dit qu'une chose est possible quelquefois, non selon une puissance, mais, ou bien par métaphore, comme en géométrie, on dit qu'une ligne est puissance rationnelle parce qu'elle est omise pour l'instant; ou bien absolument, quand les termes d'un énoncé n'offrent pas de contradiction entre eux.

Au contraire, c'est impossible, quand les termes s'opposent l'un à l'autre; ainsi on dit qu'il est impossible que l'affirmation et la négation soient ensemble, non parce que cela serait impossible à un agent ou à un patient, mais parce que c'est impossible en soi, comme s'opposant à soi.

Si donc, on considère cette proposition: quelque chose de différent de Dieu en substance, a toujours existé, on ne peut pas dire que c'est impossible en soi, comme si elle s'opposait à soi, car il n'est pas incompatible que l'être reçu d'un autre existe toujours, comme on l'a montré plus haut, sauf quand une chose procède d'une autre par mouvement, ce qui n'intervient pas dans ce qui procède de Dieu. Du fait qu'on ajoute "différent en substance", on ne donne ainsi à comprendre, absolument parlant, aucune opposition pour le fait de toujours exister.

Mais si nous acceptons qu'on parle de possible selon la puissance active, alors la puissance ne manque pas à Dieu, pour produire de tout éternité une autre essence que lui. Mais si on se réfère à la puissance passive, en s'en tenant à la vérité de la foi catholique, on ne peut pas dire qu'un être différent en essence qui procède de Dieu aura pu toujours existé. Car la foi catholique suppose que tout ce qui existe sauf Dieu n'a pas toujours existé. Mais de même qu'il est impossible de penser que ce qui a existé une fois n'a jamais existé, de même il est impossible de penser que ce qui n'a pas toujours existé, a toujours existé. C'est pourquoi certains disent que ce qui est possible pour le Dieu créateur ne l'est pas pour l'essence qui procède de Dieu, en le supposant contraire à la foi.

 

Solution des objections:

1. Cette raison procède de la puissance du créateur, mais non de celle de la créature, dont on a supposé qu'elle n'a pas toujours pas existé.

2. Même si la créature avait toujours existé, elle n'aurait absolument pas égalée Dieu, mais seulement en l'imitant, ce qui n'est pas inconvenant. C'est pourquoi ce rapprochement est peu efficace.

3. Dans la personne divine, il n'y a rien qu'on suppose n'avoir pas toujours existé, comme cela arrive dans toute essence étrangère à Dieu.

4. L'objection vient de la puissance de l'agent; qui n'est empêché par la volonté que dans la mesure où il a dépendu du libre arbitre de la volonté divine que la créature n'ait pas toujours existé.

5. Ainsi cela répond à l'objection 5.

6. Si on pense que la créature a existé avant un temps donné, on conserve la position de la foi, par laquelle on affirme que rien sauf Dieu n'a toujours existé; cependant on ne la conserve pas, si on affirme qu'elle a toujours existé. C'est pourquoi ce n'est pas pareil. Mais il faut savoir que la forme de la démonstration ne vaut pas. Car Dieu peut créer quelque créature meilleure, sans cependant pouvoir créer une créature d'une bonté infinie; car la bonté infinie s'oppose à la notion de créature, mais non une bonté déterminée de quelque grandeur. Mais il faut savoir que si on dit: "Dieu aurait pu faire le monde avant qu'il ne l'a fait", si cette priorité se réfère à la puissance du créateur, c'est indubitablement vrai; parce que, de toute éternité il a possédé la puissance de créer, mais l'éternité précède le temps de la création. Si on se réfère à l'être de la créature, de sorte qu'on comprend qu'avant l'instant de la création du monde, il y eut un temps réel, dans lequel le monde aurait pu être créé, il est clair que c'est tout à fait faux, parce qu'avant le monde il n'y eut pas de mouvement, et par conséquent pas de temps. Cependant nous pouvons imaginer un temps avant le monde, une altitude et des dimensions hors du ciel aussi; de cette manière nous pouvons dire qu'il aurait pu élever le ciel plus haut, et le faire avant, parce qu'il aurait pu faire un temps plus long et une altitude plus haute.

7. Les Platoniciens l'ont compris sans supposer la vérité de la foi, car ils lui étaient étrangers.

8. Cette raison ne prouve seulement que ce qui a été créé et ce qui a toujours existé n'ont pas d'incompatibilité en soi; c'est pourquoi elle procède absolument du possible.

9. Cette raison procède du possible du côté de la puissance active.

 

Solution des objections:

1. (Réponses aux objections opposées:) Mais parce que les raisons opposées semblent conclure que c'est possible sans aucune considération, il faut aussi leur répondre.

1. Selon Boèce, à la fin de La consolation de la philosophie, même si le monde avait toujours existé, il n'aurait pas été coéternel à Dieu, car sa durée n'aurait pas été toute à la fois; ce qui est requis pour la notion d'éternité. Car il existe une éternité d'une vie interminable toute à la fois et possession parfaite, comme on est dit au même endroit. Mais la succession du temps est causée par le mouvement, comme le philosophe le montre. C'est pourquoi ce qui est soumis à mutation, même s'il a toujours existé, ne pourrait pas être éternel et à cause de cela Augustin dit qu'aucune créature ne peut être coéternelle à l'essence immuable de la Trinité.

2. Jean Damascène parle en supposant la vérité de la foi; ce qui apparaît du fait qu'il dit que ce qui a été amené du non-être à l'être, etc.

3. La variabilité par sa définition exclut l'éternité, mais non la durée infinie.

4. Ce qui dépend d'un autre ne peut jamais exister qu'en découlant de ce par quoi il est; parce que, s'il a toujours été, il sera toujours.

5. Il n'en découle pas, que, si Dieu a pu faire quelque chose, il l'ait fait, c'est parce qu'il est agent volontaire, mais non agent par nécessité de nature. Quand on dit que dans ce qui est éternel, l'être et le pouvoir ne diffèrent pas, il faut le comprendre de la puissance passive mais non de la puissance active. Car la puissance passive qui n'est pas jointe à un acte est principe de corruption, et c'est pourquoi elle s'oppose à l'éternité: mais l'effet de la puissance active qui n'existe pas en acte, n'apporte à la perfection de la cause efficiente aucun préjudice, surtout dans les causes volontaires. Car l'effet n'est pas la perfection de la puissance active comme la forme de la puissance passive.

6. A propos de la production des premières créatures, notre intellect ne peut en scruter la raison parce qu'il ne peut comprendre cet art qui seul est la raison pour laquelle les créatures susdites ont ce mode. C'est pourquoi, de même que l'homme ne peut trouver la raison pour laquelle le ciel est tel, et non plus vaste; de même on ne peut donner la raison pour laquelle le monde a été fait avant, puisque cependant les deux conditions ont été soumises à la puissance divine.

7. Les premières créatures n'ont pas été produites de quelque chose, mais de rien. Cependant il faut, non à partir de la définition même de leur production, mais à partir de la vérité que suppose la foi, qu'elles n'aient pas existé avant et qu'elles soient venues à l'être ensuite. En effet, un des sens de la locution susdite peut être, selon Anselme, que la créature a été créée de rien, parce qu'elle n'a pas été faite de quelque chose, pour que la négation inclut la préposition et ne soit pas incluse par elle, afin que la négation nie le relation à ce qu'elle apporte; mais celle-ci n'apporte de relation à rien. Mais si la relation au néant demeure affirmée, alors que la préposition inclut la négation, et il ne faut pas encore que la créature ait été un jour néant. Car on peut dire, comme Avicenne le dit, que le non être précède l'être de la chose, non dans la durée, mais dans sa nature, parce qu'il est évident que si elle était laissée à elle-même, elle ne serait rien; mais elle tient l'être seulement d'un autre. Car ce qui est destiné à être dans quelque chose par soi, lui appartient naturellement d'abord, parce qu'il est destiné à n'être que par un autre.

8. Il est de la définition de l'éternel de ne pas avoir de principe de durée, mais de la définition de la création d'avoir un principe d'origine, mais non de durée, sauf en acceptant la création comme la foi la reçoit.

9. L'aevum et le temps diffèrent de l'éternité, non seulement en raison du principe de durée, mais aussi en raison de la succession. Car le temps en soi est successif; la succession est ajoutée à l'aevum, dans la mesure où les substances éternelles sont variables, même si elles ne varient en rien selon qu'elles sont mesurées par l'aevum. L'éternité ne contient pas de succession et elle n'est pas ajoutée à une succession.

10. L'opération par laquelle Dieu fait venir les choses à l'être ne doit pas être comprise comme l'opération de l'artisan qui fait un coffre et ensuite l'abandonne, parce que Dieu insuffle l'être constamment, comme Augustin le dit; c'est pourquoi il ne faut assigner un instant de la production des choses avant qu'elles n'aient été produites qu'à cause d'une supposition de foi.

 

Article 15: Les choses procèdent-elles de Dieu par nécessité de nature ou par le libre arbitre de sa volonté?

 

Objections:

1. Il semble que Dieu agisse par nécessité de nature. Car Denys dit: "Comme notre soleil, sans raisonner ni choisir, mais par son être même, illumine tout ce qui est susceptible de participer à sa lumière, ainsi la bonté divine, par son essence, communique proportionnellement à tout ce qui existe les rayons de sa bonté." Mais le soleil qui illumine sans choix et sans raison le fait par nécessité de nature. Donc Dieu aussi produit les créatures en communiquant sa bonté par nécessité de nature.

2. Toute perfection de la nature inférieure dérive de celle de la nature divine. Mais il convient à la perfection d'une nature inférieure, de faire, par son pouvoir, quelque chose de semblable à soi en produisant son effet. Donc Dieu communique beaucoup mieux la ressemblance de sa bonté aux créatures, par nature et non par volonté.

3. Tout agent fait du semblable à lui. C'est pourquoi l'effet est produit par la cause efficiente, parce qu'il lui ressemble. Mais la créature ressemble à Dieu par sa nature, c'est-à-dire l'être, la bonté, l'unité, etc., et pas seulement pour ce qui est dans la volonté ou l'intellect; ainsi, comme les oeuvres faites par l'artisan lui-même sont semblables à la forme de son art, non à sa nature d'artisan, parce qu'elles proviennent de lui par volonté et non par nature. Donc les créatures procèdent de Dieu par le pouvoir de la nature divine et non par volonté.

4. Mais on pourrait dire que la volonté divine communique la ressemblance de ses attributs naturels aux créatures.

- En sens contraire, la ressemblance de la nature ne peut être communiquée que par son pouvoir. Mais ce pouvoir n'est subordonné en rien à la volonté; c'est pourquoi, en Dieu, la génération du Fils par le Père, qui est naturelle, ne se fait pas par le pouvoir de la volonté, et dans les hommes les puissances de l'âme végétative, qu'on appelle naturelles, ne sont pas soumises à la volonté. Donc il n'est pas possible que la ressemblance des attributs naturels soit communiquée par la volonté divine aux créatures.

5. Augustin dit in La doctrine chrétienne que nous existons, parce que Dieu est bon; et ainsi la bonté de Dieu semble être la cause de la production des créatures. Mais cette bonté est naturelle pour Dieu. Donc le flux des êtres à partir de Dieu est naturel.

6. En Dieu, la nature et la volonté sont un même attribut. Donc si Dieu produit les êtres volontairement, il s'ensuit qu'il les produit naturellement.

7. La nécessité de nature provient de ce que la nature immuablement fait la même chose, sauf si intervient un empêchement. Mais l'immutabilité de Dieu est plus grande que celle de la nature inférieure. Donc Dieu produit son effet plus par nécessité que la nature inférieure.

8. L'opération de Dieu est son essence. Mais celle-ci lui est naturelle. Donc toute opération lui est naturelle.

9. Selon le philosophe, la volonté est une fin, le choix de ce qui est en vue de la fin. Mais en Dieu il n'y a pas de fin, puisqu'il est infini. Donc il n'agit pas par volonté, mais plutôt par nécessité de nature.

10. Dieu opère en tant qu'il est bon, comme Augustin le dit. Mais il est le bien nécessaire. Donc il opère par nécessité.

11. Tout ce qui est, est contingent ou nécessaire. Mais le nécessaire existe de trois manières: c'est-à-dire par contrainte, sous condition et absolument. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu, il y ait quelque chose de possible ou de contingent; car la mutabilité l'atteste, comme on le voit chez le Philosophe que le contingent est ou n'est pas. De même, il n'y a rien ici de nécessaire par contrainte, parce que rien n'y est violent, ni contraire à la nature, comme on le dit. De la même manière, il n'y a pas de nécessité sous condition, parce que cette nécessité est causée par des causes présupposées. Mais, en Dieu il n'y a pas de cause. Donc il reste que ce qui est en Dieu est absolument nécessaire, et ainsi il semble qu'il fasse venir les créatures à l'être par nécessité.

12. In (2Tm 2, 13), on dit: "Dieu demeure fidèle et il ne peut se renier". Mais, comme il est sa propre bonté, il se renierait lui-même, s'il reniait sa bonté. Il la nierait, s'il ne la diffusait pas en la communiquant, puisque c'est cela le propre de la bonté. Donc Dieu ne peut pas ne pas produire une créature en communiquant sa bonté. Donc il produit par nécessité; parce qu'il n'est pas possible que le non être et l'être nécessaire soient convertibles, comme cela paraît in I, Perihermeneias.

13. Selon Augustin, le fait que le Père engendre le Fils, c'est le Père qui se dit par son Verbe. Mais Anselme dit que par le même verbe le Père se dit et dit la créature. Donc puisque la génération du Fils par le Père est naturelle et non par le pouvoir de sa volonté, il semble qu'il en est de même pour la production des créatures; car en Dieu dire et faire ne sont pas différents, puisqu'il est écrit (Ps 32, 9): "Il dit, et cela fut fait."

14. Tout ce qui veut par nécessité veut sa fin ultime, comme l'homme veut nécessairement être heureux. Mais la fin ultime de la volonté divine est la communication de sa bonté; il produit des créatures pour communiquer sa bonté. Donc Dieu le veut nécessairement, donc il produit par nécessité.

15. Dieu est bon en soi; de même il est nécessaire en soi. Mais en Dieu, parce qu'il est bon en soi, il n'y a rien sinon le bien. Donc et de la même manière, en lui il n'y a rien qui ne soit nécessaire et ainsi il produit les créatures par nécessité.

16. La volonté de Dieu est déterminée à un seul objet, c'est-à-dire au bien. Mais la nature opère par nécessité, parce qu'elle est déterminée à un seul effet. Donc la volonté divine crée les créatures par nécessité.

17. Le Père par le pouvoir de sa nature est le principe du Fils et de l'Esprit Saint, comme Hilaire le dit. Mais la même nature est dans le Père, le Fils et aussi dans l'Esprit Saint. Donc, pour la même raison, l'Esprit Saint lui-même est principe par nature. Mais il ne l'est que pour la créature. Donc la créature procède naturellement de Dieu.

18. L'effet procède de la cause efficiente. Donc l'agent n'est comparé à l'effet que parce ce qu'il est comparé à l'action ou à l'opération. Mais la comparaison de l'opération ou de l'action de Dieu à lui-même est naturelle, puisque son action est son essence. Donc de même, il est comparé à l'effet en le produisant lui-même naturellement.

19. Du bien en soi, ne se fait que ce qui est bon et bien. Donc d'une nécessité en soi ne se fait que quelque chose de nécessaire et par nécessité. Mais Dieu est tel. Donc tout procède de lui par nécessité.

20. Comme ce qui est par soi est avant que ce qui est par un autre, il faut que le premier agent agisse par son essence. Mais son essence et sa nature sont un même attribut. Donc il agit par sa nature, et ainsi les créatures procèdent de lui naturellement.

 

Cependant:

1. Il y a ce qu'Hilaire dit dans le Livre des synodes: "La volonté de Dieu apporte leur substance à toutes les créatures." et au même endroit: "Les créatures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient". Donc Dieu produit les créatures par volonté, non par nécessité de nature.

2. Augustin dans Les Confessions parlant à Dieu dit: Tu as fait, Seigneur, deux créatures: l'une proche de toi, à savoir l'ange et l'autre proche du néant, à savoir la matière. Cependant ni l'une, ni l'autre ne sont de ta nature, parce que ni l'une ni l'autre est ce que tu es. Mais le Fils pour autant procède du Père naturellement, parce qu'il a la même nature que lui, comme Augustin le dit. Donc la créature ne procède pas de Dieu naturellement.

 

Réponse:

Sans aucun doute, il faut croire que Dieu fit venir les créatures à l'être par le libre arbitre de sa volonté, sans aucune nécessité naturelle. Ce qui peut être montré à présent par quatre raisons:

1. Première raison: Il faut dire que l'univers a une fin; autrement tout y arriverait par hasard; à moins qu'on dise que les premières créatures ne sont pas finalisées mais dépendent d'une nécessité de nature; mais les créatures suivantes sont en vue d'une fin; ainsi Démocrite pensait que les corps célestes étaient dus au hasard, mais les êtres inférieurs à des causes déterminées, ce qui est désapprouvé en Physique, parce que, ce qui est plus noble, ne peut pas être moins ordonné que ce qui l'est moins. Donc il est nécessaire de dire que, dans la production des créatures par Dieu, il y a une fin recherchée.

On trouve que la volonté et la nature agissent en vue d'une fin, mais de façons différentes. En effet, comme la nature ne connaît ni la fin ni sa raison, ni sa relation de la fin à la fin, elle ne peut s'en fixer une; ni aller vers cette fin, ni l'ordonner, ni la diriger, ce qui appartient à l'agent volontaire dont c'est le propre de comprendre (intelligere) la fin, etc. C'est pourquoi un agent volontaire agit en vue d'une fin, parce qu'il se l'est assignée et il va lui-même d'une certaine manière vers elle, en y ordonnant ses actions. Mais la nature tend à sa fin comme mue et dirigée par un autre, pourvu d'intellect et de volonté, comme cela paraît pour la flèche qui tend à une cible déterminée par l'action dirigée par l'archer et ainsi les philosophes disent que l'oeuvre de la nature est celle d'une intelligence. Mais toujours ce qui dépend d'un autre est postérieur à ce qui est par soi. C'est pourquoi il faut que celui qui ordonne en premier vers une fin, le fasse par volonté. Et ainsi Dieu a fait venir à l'être des créatures par sa volonté, non par nature. Et ce n'est pas le cas du Fils parce qu'il procède naturellement du Père; sa génération a précédé la création: parce qu'il ne procède pas comme ordonné à une fin, mais comme la fin de tout.

2. Seconde raison: la nature est déterminée à un seul effet. Et comme tout agent produit du semblable à lui, il faut que la nature tende à produire cette ressemblance, qui est déterminée à un seul objet. Mais comme l'égalité est causée par l'unité, l'inégalité par la pluralité qui se comporte de manière variée (pour la raison que rien n'est égal à autre chose que d'une seule manière et inégal en de nombreux degrés); la nature fait toujours de l'égal à soi, sauf défaillance du pouvoir qui agit, qui reçoit ou qui subit. Mais la défaillance de la puissance passive ne porte pas préjudice à Dieu puisqu'il n'a pas besoin de matière; et à nouveau son pourvoir n'est pas défaillant, mais infini. C'est pourquoi, seul procède de lui naturellement, ce qui lui est égal, c'est-à-dire son Fils. Mais la créature qui est inégale, procède non pas naturellement, mais par volonté. Car il y a de nombreux degrés d'inégalité. Et on ne peut pas dire que le pouvoir divin soit déterminé à un seul effet seulement, puisqu'il est infini. C'est pourquoi, comme le pouvoir divin s'étend pour constituer différents degrés d'inégalité dans les créatures, qu'il ait établi la créature à un degré déterminé dépend du libre arbitre de sa volonté, mais non d'une nécessité naturelle.

3. Troisième raison: puisque tout agent produit du semblable à lui, d'une certaine manière, il faut que l'effet préexiste en quelque sorte dans sa cause. Mais tout ce qui est dans une chose y est par le mode de celle qui contient; c'est pourquoi, comme Dieu lui-même est un intellect, les créatures préexistent en lui de façon intelligible, c'est pour cela qu'on dit en (Jn 1, 3): "Ce qui a été fait, était vie en lui". Mais ce qui est dans l'intellect ne procède que par l'intermédiaire de la volonté: car la volonté est exécutrice de l'intellect et l'intelligible met en mouvement la volonté et ainsi il faut que les créatures procède de Dieu par volonté.

4. Quatrième raison: Selon le philosophe l'action est double:

1. L'une qui demeure dans l'agent lui-même; et est sa perfection et son acte, comme abstraire (intelligere), vouloir, etc.

2. L'autre qui sort de l'agent dans un patient extérieur et c'est la perfection et l'acte de celui qui reçoit, comme réchauffer, mouvoir et autres actions de ce genre. Mais l'action de Dieu ne peut être comprise à la manière de cette seconde action, parce que, comme elle est son essence, elle ne sort pas de lui. C'est pourquoi il faut la comprendre à la manière de la première action qui n'est que dans celui qui pense (intelligit) et veut, - ou même éprouve des sensations; ce qui n'arrive pas en Dieu -; parce que, bien que l'action du sens ne tende pas à quelque chose d'extérieur, elle dépend cependant d'une action extérieure. De ce fait donc, Dieu fait ce qu'il fait hors de lui, parce qu'il le pense (intelligit) et le veut. Et cela ne porte pas préjudice à la génération du Fils qui est naturelle, parce qu'une génération de ce genre n'est pas comprise comme se terminant à quelque chose hors de l'essence divine. Donc il est nécessaire de dire que toute créature a procédé de Dieu par volonté et non par nécessité de nature.

 

Solution des objections:

1. Il faut comprendre l'image de Denys quant à l'universalité de la diffusion; car le soleil répand ses rayons sur tous les corps, sans distinguer l'un de l'autre. Il en est de même pour la bonté divine. Mais ce n'est pas à comprendre comme un manque de volonté.

2. C'est à partir de la perfection de la nature divine que, par son pouvoir, sa ressemblance de la nature même est communiquée aux créatures, cependant cette communication ne se fait pas par nécessité de nature, mais par volonté.

3. Et par là paraît la solution à la troisième objection.

4. La nature n'est pas soumise à la volonté dans ce qui est l'intime de la chose, mais quant à ce qui hors d'elle, rien n'empêche la nature d'être soumise à la volonté; c'est pourquoi dans un mouvement local chez les animaux, l'ensemble des muscles et des nerfs est soumis à l'appétit qui les gouverne; aussi ce n'est pas inconvenant si, par le pouvoir de la nature divine, les créatures sont amenées à l'existence en raison du libre arbitre de la volonté divine.

5. Le bien est l'objet propre de la volonté; c'est pourquoi la bonté de Dieu, dans la mesure où elle est pour ce qu'il veut et aime, est cause de la créature par l'intermédiaire de la volonté.

6. Bien que la volonté et la nature, selon qu'elles sont en Dieu, soient en réalité un même attribut, elles diffèrent cependant en raison, selon que, à travers elles, on désigne diversement le rapport à la créature; car la nature établit un rapport à une seule chose de façon déterminée, mais pas la volonté.

7. Ce n'est pas par l'immutabilité de la nature seulement que quelque chose produit par nécessité, mais par sa détermination à un effet, ce qui n'appartient pas à la volonté divine; bien qu'en elle il y ait l'immutabilité suprême.

8. Bien que l'opération de Dieu lui convienne naturellement, puisqu'elle est sa nature et son essence, cependant l'effet accompagne l'opération de la créature, qui est considérée par mode de compréhension, comme principe de la volonté, comme l'effet de l'échauffement découle du mode de la chaleur.

9. Bien que Dieu soit infini, il est cependant la fin à laquelle tout est ordonné. Car il n'est pas infini de façon privative, ainsi le fini est ce qui supporte une grandeur, destinée à avoir une fin, car de cette manière la fin n'est ni infinie, ni finie. Mais on désigne l'infini de façon négative, parce qu'il n'est fini en aucune manière.

10. Bien que Dieu opère dans la mesure où il est bon, et que sa bonté soit nécessairement en lui, il n'en découle cependant pas qu'il opère par nécessité. Car la bonté opère par l'intermédiaire de la volonté, dans la mesure où elle en est l'objet ou la fin; mais la volonté ne se comporte pas nécessairement pour ce qui concerne la fin, bien qu'elle soit nécessaire par rapport à la fin ultime.

11. Quant à ce qui est en Dieu lui-même, on ne peut atteindre aucune possibilité, mais la seule nécessité naturelle et absolue; mais par rapport à la créature, on peut y considérer la possibilité, non selon la puissance passive, mais selon la puissance active qui n'est pas limitée à un seul objet.

12. Si Dieu reniait sa bonté de cette manière en faisant quelque chose contre elle, ou quelque chose en quoi sa bonté ne serait pas exprimée, il en découlerait par impossible, qu'il se renierait lui-même. Mais cette conséquence n'existerait pas, s'il ne communiquait sa bonté à personne. Car rien ne manquerait à sa bonté si elle n'était pas communiquée.

13. Bien que le Verbe de Dieu lui-même naisse du Père naturellement, il ne faut cependant pas que les créatures procèdent de Dieu naturellement. Par ce moyen, le Père dit les créatures à son Verbe, comme elles sont en lui. Elles n'y sont pas pour être produites par nécessité, mais par volonté.

14. La communication de la bonté n'est pas la fin ultime, mais c'est la bonté divine elle-même (qui est la fin). Par son amour Dieu veut la communiquer; car il n'agit pas à cause de sa bonté comme s'il désirait ce qu'il n'a pas, mais comme voulant communiquer ce qu'il a; parce qu'il agit non par désir de la fin, mais par amour de celle-ci.

15. En Dieu il n'y a rien que le bien; de même en lui, il n'y a rien que la nécessité. Il ne faut cependant pas que ce qui vient de lui procède par nécessité.

16. La volonté de Dieu, comme on l'a dit, dans le corps de l'article, est portée naturellement à sa bonté; c'est pourquoi il ne peut vouloir que ce qui lui convient, à savoir le bien; cependant il n'est pas déterminé à ce bien ou à celui-là et c'est pourquoi il ne faut pas que le bien qui existe procède de lui par nécessité.

17. Bien que le Père, le Fils et l'Esprit Saint soient d'une même nature, cependant elle n'a pas le même mode d'existence dans les trois; et je dis le mode d'existence selon la relation. Car dans le Père, la nature n'est pas reçue d'un autre, dans le Fils, elle est reçue du Père, c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui convient au Père par le pouvoir de sa nature, convienne au Fils et à l'Esprit Saint.

18. L'effet procède de l'action à la manière d'un principe d'action; c'est pourquoi, comme par la manière de le comprendre, le principe de l'action divine, selon qu'il regarde la créature, est considéré comme volonté divine, qui n'a pas de relation nécessaire à la créature, il ne faut pas que la créature procède de Dieu par nécessité de nature, bien que l'action elle-même soit son essence ou sa nature.

19. La créature ressemble à Dieu pour les conditions générales, mais non pour la manière de participer. Car, l'être est en Dieu d'une autre manière que dans la créature, et il en est de même pour sa bonté. C'est pourquoi, bien que tous les biens viennent du premier Bien, et tous les êtres du premier Être, tout ce qui est suprêmement bon ne vient pas du Bien suprême, et tout ce qui est par nécessité ne vient pas de l'Être nécessaire.

20. La volonté de Dieu est son essence; c'est pourquoi ce qu'il fait par volonté n'empêche pas qu'il agisse par son essence. Car la volonté de Dieu n'est pas un intention ajoutée à l'essence divine, mais son essence elle-même.

 

Article 16: Est-ce que d'un premier être unique peut procéder la pluralité?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Dieu est bon en soi, et par conséquent le Bien suprême, de même, il est souverainement un en soi. Mais de lui en tant qu'il est bon, ne peut provenir que le bien. Donc de lui ne peut venir qu'un effet.

2. Le bien est convertible avec l'être, l'unité aussi. Mais, dans les êtres, il faut atteindre la ressemblance de la créature à Dieu, comme on l'a dit ci-dessus. Donc dans la bonté comme dans l'unité, il faut que la créature ressemble à Dieu, à savoir qu'elle soit une à partir de l'un.

3. Le bien et le mal sont opposés en particulier; si on les considère ensemble, bien qu'ils soient contraires, alors ce sont des différences de disposition; de même l'un et le multiple sont opposés, si on les prend en particulier, comme cela paraît in X, Métaphys. Mais en aucune manière, nous disons que la spoliation procède de Dieu, mais elle vient de la défaillance des causes secondes. Donc on ne doit pas penser que Dieu soit la cause de la pluralité.

4. Il faut concevoir les causes proportionnellement à leurs effets, parce qu'il est évident que les singuliers sont causes des singuliers et les universels causes des universels, comme cela paraît chez le Philosophe. Mais Dieu est la cause absolument universelle. Donc son effet propre est l'effet le plus universel, à savoir l'être. Mais le fait d'avoir l'être pour les créatures n'est pas la pluralité, puisque la diversité ou la différence en sont la cause. Mais tout se rencontre dans l'être. Donc la pluralité ne vient pas de Dieu, mais des causes secondes, qui établissent les conditions particulières des créatures, selon lesquelles elles diffèrent.

5. Le propre de chaque effet est d'accueillir une cause qui lui est particulière. Mais il est impossible que l'un soit le propre du multiple. Donc il est impossible que l'un soit la cause de la pluralité.

6. Mais on pourrait dire que cela arrive dans les causes naturelles, non dans les causes volontaires.

- En sens contraire, l'artisan est la cause de son oeuvre par volonté. L'oeuvre procède de l'artisan selon la forme propre de cet art qui est en lui. Donc, même dans ce qui est volontaire, un effet quelconque a besoin de sa cause propre.

7. Il faut une conformité entre la cause et l'effet. Mais Dieu est tout à fait un et simple. Donc, dans la créature, qui est son effet, on ne doit trouver ni pluralité, ni composition

8. Il ne peut y avoir directement un même effet qui vient de divers agents. Mais comme la cause est appropriée à l'effet, l'effet l'est aussi à la cause. Donc plusieurs effets ne peuvent venir directement de la même cause, et ainsi de même que ci-dessus..

9. En Dieu, existe une même puissance pour engendrer, spirer et créer. Mais la puissance d'engendrer n'est que pour un seul, de même pour la puissance de spirer: parce que, dans la Trinité, il ne peut y avoir qu'un Fils unique et un seul Esprit Saint. Donc la puissance de créer s'achève à l'un seulement.

10. Mais on pourrait dire que l'universalité des créatures est d'une certaine manière une unité en son ordre.

- En sens contraire, il faut que l'effet ressemble à la cause. Mais l'unité de Dieu n'est pas une unité d'ordre, parce qu'en lui, il n'y a ni avant ni après, ni supérieur ni inférieur. Donc l'unité de l'ordre ne suffit pas pour que du Dieu unique puisse sortir une pluralité.

11. De ce qui est absolument un ne découle qu'une action. Mais par une action, il n'y a qu'un seul effet. Donc de ce qui absolument un ne peut procéder qu'un effet.

12. La créature procède de Dieu, non seulement comme l'effet de la cause efficiente, mais aussi comme la copie d'un modèle. Mais pour une seule copie, il n'y a qu'un seul modèle propre. Donc de Dieu ne peut procéder qu'une créature.

13. Dieu est la cause des créatures par son intellect. Mais l'agent qui agit par l'intellect agit par la forme de celui-ci. Donc comme dans l'intellect divin, il n'y a qu'une forme unique, il semble que de lui ne peut procéder qu'une seule créature.

14. Mais on pourrait dire que, bien que la forme de l'intellect divin qui est son essence, soit unique en réalité, cependant on atteint là une certaine pluralité selon des rapports divers avec des créatures diverses; et ainsi il y a une pluralité de raison.

- En sens contraire, ces relations sont plusieurs ou bien dans l'esprit divin, ou bien seulement en notre raison. Dans le premier cas, il découle donc que, dans l'intellect divin, il y aura une pluralité et non une totale simplicité. Dans le second, il en découle que Dieu ne produit des créatures différentes que par l'intermédiaire de notre raison; à partir de là, il faut qu'il produise diverses créatures par divers rapports aux créatures qui ne sont que dans notre raison; et ainsi on a cette affirmation que la pluralité ne procède pas directement de Dieu.

15. Dieu par la connaissance de son intellect amène les choses à l'être. Mais en lui il n'y a qu'une seule connaissance; parce que son intellect est son essence, qui est une. Donc il ne produit qu'une unique créature.

16. Ce qui n'a l'être qu'en raison n'a pas été créé par Dieu; parce que certains êtres de ce genre paraissent vains comme la chimère, etc. Mais la pluralité n'existe qu'en raison; car elle est signifiée par l'abstraction à partir d'une multiplicité qu'on ne trouve pas dans la nature. Donc Dieu n'en est pas la cause.

17. Selon Platon, c'est au meilleur de causer le meilleur. Mais le meilleur ne peut être qu'unique. Donc comme Dieu est le meilleur, il n'y a qu'un être qui puisse être produit par lui.

18. Celui qui agit pour une fin, produit son effet le plus proche qu'il peut de cette fin. Mais Dieu, en produisant la créature, l'ordonne à sa fin. Donc il la crée la plus proche qu'il peut de la fin. Mais ce ne peut être fait que d'une seule manière. Donc Dieu ne produit qu'une créature.

19. Il est injuste d'attribuer des dons inégaux à certains, sinon à cause d'une inégalité qui précède les mérites ou diverses conditions. Mais il n'y a pas de diversité qui précède l'opération divine, autrement il ne serait pas la cause première de tout. Donc dans la première création, il n'a pas fait de dons inégaux aux créatures. Mais la diversité des créatures et la pluralité sont atteintes selon ce qu'ils reçoivent en plus ou en moins, comme cela paraît au chapitre 4 de La hiérarchie céleste. Donc dans la première création, Dieu n'a pas produit la pluralité.

20. Dieu communique à ses créatures sa bonté autant qu'elles sont capables (de la recevoir). Mais la nature des créatures supérieures a été capable par une telle perfection et une telle dignité, d'être cause des créatures inférieures. Car ce qui est plus parfait peut agir sur ce qui l'est moins que lui et lui communiquer sa perfection. Donc il semble que Dieu a produit les créatures inférieures par l'intermédiaire des créatures supérieures, et ainsi lui-même n'a produit immédiatement qu'un seule créature supérieure aux autres, quelle qu'elle soit.

21. Plus certaines formes sont immatérielles, plus elles sont actives, comme sont plus éloignées de la puissance. Car chacune agit selon qu'elle est en acte, non selon qu'elle est en puissance. Mais les formes des choses qui sont dans l'esprit de l'ange sont plus immatérielles que celles qui sont dans les choses naturelles. Donc comme les formes naturelles sont causes de formes qui leur sont semblables, il semble que celles qui sont dans l'esprit de l'ange ont avec plus de force produit les formes naturelles qui leur sont semblables. Mais la diversité des choses et par conséquent la pluralité, vient de la forme. Donc il semble que la pluralité n'a procédé de Dieu que par l'intermédiaire des créatures supérieures.

22. Tout ce que Dieu fait est unique. Donc, de lui, ne vient que l'un et ainsi il ne sera pas cause de la pluralité.

23. Dieu ne pense (intelligit) que l'un, parce qu'il ne pense rien hors de lui, comme on le prouve in Métaphys. Mais lui-même est cause des créatures par son intellect. Donc il n'est cause que d'une (créature).

24. Anselme dit que la créature en Dieu est essence créatrice. Mais celle-ci est seulement une. Donc la créature aussi est seulement une en Dieu. Mais de cette manière, la créature est causée par Dieu selon qu'elle existe auparavant en lui. Donc par Dieu il n'y a qu'une seule créature. Et ainsi la pluralité ne procède pas de Dieu.

 

Cependant:

1. On lit in (Sg 11, 21): "Tu as tout disposé, Seigneur, en nombre et poids et mesure." Mais il n'y a pas de nombre sans pluralité. Donc celle-ci procède de Dieu.

2. Le pouvoir de Dieu précède celui de n'importe quelle créature. Mais un seul point peut être le principe de nombreuses lignes. Donc, quoique Dieu soit un, il peut être le principe de nombreuses créatures

3. Ce qui est propre à une chose, en tant qu'unité, convient tout à fait à ce qui est tout à fait un. Mais le propre de l'unité est d'être le principe de la pluralité. Donc il convient parfaitement à Dieu d'être l'Un suprême, parce que de lui procède la multiplicité.

4. Boèce dit au début de l'Arithmétique, que Dieu a amené les êtres à l'existence en tant qu'exemplaire du nombre. Mais l'effet est conforme à l'exemplaire. Donc il a produit les choses sous la pluralité et le nombre.

5. In (Ps 103, 24), on dit: "Tu as tout fait avec sagesse". Mais comme le propre de la sagesse c'est d'ordonner, il faut que ce qui est fait avec sagesse, ait l'ordre et par conséquent la pluralité. Donc celle-ci provient de Dieu.

 

Réponse:

Que beaucoup de choses ne puissent procéder d'un seul principe immédiatement et proprement, cela semble venir de la limitation de la cause par l'effet; par elle il semble nécessaire que, s'il y a telle cause, il en provienne tel effet. Les causes sont au nombre de quatre, dont deux, c'est-à-dire la cause matérielle et la cause efficience, précèdent l'effet selon l'être interne. Mais la fin, même si elle ne concerne pas l'être, concerne l'intention; la forme (ne la concerne) en aucune manière, en tant que telle, parce que, comme l'être est causé par elle, il existe en même temps que l'être de l'effet; mais dans la mesure même où elle-même est la fin, elle précède dans l'intention de l'agent. Et quoique la forme soit la fin de l'opération, à laquelle celle de l'agent se termine, toute fin n'est pas une forme. Car il y a une fin de l'intention au delà de la fin de l'opération, comme cela paraît dans une maison. Car sa forme est la fin qui termine l'opération du bâtisseur; cependant son intention ne se termine pas là, mais à une fin ultérieure qui est l'habitation; de sorte qu'on dit que la fin de l'opération est la forme de la maison, mais celle de son intention c'est l'habitation.

Un tel effet nécessaire de l'être ne peut venir de la forme en tant que telle, parce que, ainsi, elle accompagne l'effet; mais du pouvoir de la cause efficiente, de la matière ou de la fin vient la fin de l'intention ou la fin de l'opération. Mais on ne peut pas dire qu'en Dieu son effet tire sa nécessité d'être de la matière. En effet, comme lui-même est auteur de tout l'être, rien ayant l'être de quelque manière n'est présupposé à son action, de sorte qu'ainsi, par la disposition de la matière, il est nécessaire de dire que son effet est tel ou tel. Semblablement de la puissance effective non plus. Car comme sa puissance active est infinie, elle ne se termine à l'un que pour ce qui lui serait égal, ce qui ne peut convenir à aucun effet.

C'est pourquoi, s'il était nécessaire de produire un effet qui lui soit inférieur, sa puissance, pour ce qui est d'elle, ne se termine pas à ce degré de distance ou à cet autre, de sorte qu'il serait obligé de produire de son pouvoir actif tel ou tel effet.

De la même manière, cela ne vient pas de la fin de l'intention. Car cette fin est la bonté divine qui n'est en rien accrue par la production des effets. Et à nouveau par les effets il ne peut être représenté totalement ou communiqué totalement à eux, de sorte qu'on puisse dire qu'il est nécessaire qu'il y ait tel ou tel effet pour recevoir en totalité la bonté divine, mais il est possible que l'effet la reçoive de nombreuses manières. C'est pourquoi la nécessité d'aucun d'eux ne vient de la fin. Ainsi la nécessité vient de la fin quand son intention ne peut être accomplie, ou totalement ou d'une manière inconvenante, que par l'existence de ceci ou cela.

Il reste donc que ce qui est nécessaire dans les oeuvres divines ne peut exister que de la forme qui est la fin de l'opération. En effet, comme elle n'est pas infinie, elle possède des principes déterminés, sans lesquels elle ne peut exister; et un mode déterminé d'être, comme si on disait que, supposé que Dieu ait l'intention de faire un homme, il doit nécessairement lui conférer une âme rationnelle et un corps organique sans lesquels il ne peut pas exister. Et nous pouvons le dire aussi pour l'univers. Car que Dieu ait voulu constituer une tel univers, ce n'est pas nécessaire à cause de la fin, de la puissance de l'efficience, ni de la matière, comme on l'a montré.

Mais supposé qu'il ait voulu produire une tel univers, il a été nécessaire de produire telles ou telles créatures, desquelles surgirait une telle forme de l'univers. Et comme la perfection de l'univers demande la pluralité et la diversité des créatures, parce qu'elle ne peut pas y être trouvée dans l'une de ces créatures seulement, parce qu'elle est loin de la perfection de la bonté première, il a été nécessaire, en supposant cette forme voulue, que Dieu produise des créatures nombreuses et diverses, certaines simples, d'autres composées, certaines corruptibles, d'autres incorruptibles.

Certains philosophes, qui n'ont pas pris en compte ces considérations, ont dévié de la vérité de diverses manières.

A) Car certains ne comprenant pas que Dieu est l'auteur de l'univers ont pensé que la matière n'existait pas par un autre (qu'elle), que la diversité des créatures était produite par nécessité, que ce qui les diversifiait c'était la rareté ou la densité de la matière, comme les plus anciens des philosophes Naturalistes qui n'ont découvert que la cause matérielle; ou selon l'action d'une cause efficiente qui, selon la diversité de la matière, produisait des effets divers, comme Anaxagore qui a pensé qu'une Intelligence divine produisait diverses choses, en extrayant ce qui était mélange dans la matière; et comme Empédocle qui pensait que par l'amitié et le procès, il y avait, selon la diversité de la matière, divers effets, sous un mode varié, distincts ou conjoints.

L'erreur de ces opinions apparaît de deux manières:

1. Du fait qu'ils ne pensaient pas que tout être découle de l'être premier et suprême, ce qui a été montré dans une autre question.

2. Parce que, selon eux, il en découlait que la distinction des parties de l'univers et leur ordre venait du hasard, et ainsi il était nécessaire à cause de la nécessité de la matière.

B) D'autres ont pensé que la pluralité des choses et leurs modes divers venaient de la nécessité de la cause efficiente, comme Avicenne et ses successeurs. Car il a pensé que l'être premier, en tant qu'il se pense (intelligit) lui-même, produit seulement un effet qui est l'intelligence première, qu'il était nécessaire que la simplicité du premier être lui fasse défaut, vu que, autant la potentialité commence à être mêlée à l'acte, autant l'être qui reçoit d'un autre n'est pas son être propre, mais d'une certaine manière puissance pour ce dernier. Et ainsi dans la mesure où le premier être pense (intelligit), il en découle une autre intelligence qui lui est inférieure, mais dans cette mesure où elle pense sa puissance, le corps céleste qu'elle meut, procède d'elle dans la mesure où elle pense son acte, l'âme du premier ciel procède d'elle et par conséquent, les diverses choses sont multipliées par les nombreux intermédiaires.

Mais même cette position ne peut pas être valable. D'abord, parce qu'il pense que la puissance divine se termine à un seul effet, qui est l'intelligence première. Deuxièmement, parce qu'il pense que des substances autres de Dieu sont créatrices d'autres êtres, ce qui est impossible, on l'a montré dans une autre question, article 4. Il découle aussi de cette opinion comme pour les premières, que la beauté de l'ordre universel serait due au hasard; par là, il n'ajoute pas la diversité des choses à l'intention de la fin, mais à la limite des puissances active pour leurs effets.

C) D'autres se sont trompés à propos de la nécessité de la cause finale, comme Platon, et ses successeurs. Car il a pensé qu'il serait nécessaire à la bonté de Dieu, comprise et aimée par lui, de produire un tel univers, de sorte que le meilleur produirait le meilleur. Ce qui peut être vrai, si seulement nous regardons ce qui est, mais non pas si nous regardons ce qui peut être. Car cet univers est le meilleur de ceux qui existent, et qu'il soit ainsi le meilleur, il le tient de la suprême bonté de Dieu. Cependant celle-ci n'a pas été liée à cet univers de sorte qu'elle aurait pu faire un autre univers meilleur ou moins bon.

D) Certains qui ne font pas attention à ce qui est nécessaire à la cause formelle, mais seulement à ce qui est nécessaire à la bonté divine, se sont trompés, comme les Manichéens. Comme ils considéraient que Dieu était le meilleur, ils ont cru que venaient de lui seulement ces créatures, qui sont les meilleures parmi les autres, c'est-à-dire, les créatures spirituelles et incorruptibles; mais ils attribuèrent les créatures corporelles et corruptibles à un autre principe. Et c'est de la même source que provient l'erreur d'Origène bien qu'elle soit contraire. Car il a considéré que Dieu était le meilleur et juste; c'est pourquoi, il pensa que d'abord seules les meilleures des créatures ont été créées, c'est-à-dire les créatures rationnelles et qu'elles étaient égales. Celles-ci ayant opéré suivant leur libre arbitre de différentes manières en bien ou en mal, il disait qu'il en découlait que divers degrés étaient constitués dans l'univers, disant: ces créatures rationnelles qui se sont tournées vers Dieu, ont été promues à la dignité d'ange, selon différents ordres, selon qu'elles méritèrent plus ou moins; il dit qu'au contraire les autres créatures rationnelles qui péchèrent suivant leur libre arbitre, ont glissé dans les créatures inférieures et ont été liées à des corps; quelques-unes au soleil, à la lune et aux étoiles, celles qui péchèrent moins; quelques-unes aux corps des hommes, certaines ont été transformées en démons.

Les deux erreurs, dans leur considération, semblent détruire l'ordre de l'univers, en ne tenant compte que de ses parties particulières. Car de l'ordre même de l'univers aurait pu paraître sa raison, à savoir que d'un principe unique sans différence antérieure de mérites, il fallut instituer différents degrés de créatures, pour que l'univers soit la perfection (l'univers représentant les modes multiples et variées des créatures, ce qui existe de façon simple et sans distinction, dans la bonté divine); de même que la perfection de la maison a besoin de la diversité de ses parties. Mais ni l'un ni l'autre ne seraient complets, si tous les organes existaient sous un seul état; ainsi si tous les organes du corps humain étaient l'oeil, le rôle des autres parties manquerait. Et semblablement si toutes les parties de la maison étaient le toit, la maison ne serait pas complète et n'atteindrait pas sa fin pour, , pouvoir protéger des pluies et de la forte chaleur.

Ainsi donc il faut dire que la pluralité et la diversité des créatures a procédé d'un seul être premier, non à cause de la nécessité de la matière, de la limitation de sa puissance, ni de sa bonté, ni de l'obligation de sa bonté, mais de l'ordre de la sagesse, pour que la perfection de l'univers consiste dans la diversité des créatures.

 

Solution des objections:

1. De même que Dieu est unique, de même, il a produit l'un, non seulement parce que chacun en soi est un, mais encore, parce que tout d'une certaine manière est unité parfaite; cette unité requiert la diversité des parties, comme on l'a montré.

2. La créature ressemble à Dieu dans l'unité, dans la mesure où chaque chose est une en soi, et où toutes sont unes par l'unité de l'ordre, comme on l'a dit.

3. La spoliation consiste totalement dans le non être. Mais la pluralité est causée à partir de l'être. Car la différence elle-même par laquelle les êtres sont divisés l'un de l'autre, est un certain être. C'est pourquoi, Dieu n'est pas le créateur de ce qui tend au non-être mais le créateur de tout être. Il n'est pas principe de la spoliation, mais de la pluralité. Mais il faut savoir que l'unité est double:

1. C'est-à-dire une certaine unité, convertible avec l'être, qui n'y ajoute rien sinon l'indivision; et cette unité supprime la pluralité, dans la mesure où elle est causée par la division; non la pluralité extrinsèque que l'unité a constitué comme partie; mais la pluralité intrinsèque qui est opposée à l'unité. Car ce n'est pas de ce que quelque chose est dit un, qu'est nié que quelque chose soit hors de lui qui constituerait la pluralité avec lui; mais sa division est niée dans le multiple.

2. L'autre unité est ce qui est principe du nombre, qui ajoute la mesure à la nature de l'être; et la pluralité de cette unité est privation, parce que le nombre est fait par la division du continu. Cependant la pluralité ne prive pas totalement l'unité, puisque la partie indivise demeure encore avec le tout divisé, mais elle éloigne l'unité du tout. Mais la spoliation, quant à elle, éloigne la bonté, en ne la constituant en aucune manière, et elle n'est pas constituée par elle.

4. L'étant, pour ce qui est contenu sous lui, se comporte d'une autre manière que l'animal ou un autre genre quelconque vis-à-vis de leurs espèces. Car l'espèce ajoute au genre, comme l'homme à l'animal, une différence qui est hors de l'essence du genre. Car l'animal désigne seulement la nature sensible en qui le rationnel n'est pas contenu; mais ce qui est contenu sous l'étant ne lui ajoute rien qui soit hors son essence; c'est pourquoi, il ne faut pas que ce qui est cause de l'animal en tant qu'animal, soit cause du rationnel en tant que tel. Mais il faut que ce qui est cause de l'étant en tant que tel, soit cause de toutes ses différences, et par conséquent de toute la pluralité des étants.

5. L'appropriation de la cause à l'effet est atteinte par la ressemblance de l'effet à la cause. Mais la ressemblance de la créature à Dieu est atteinte selon que la créature achève ce qui d'elle est dans l'intellect et la volonté de Dieu; ainsi les oeuvres artificielles ressemblent à l'artisan dans la mesure où s'exprime en eux la forme de l'art, et la volonté de l'artisan se montre au sujet de leur constitution. Car de même que la chose naturelle agit par sa forme, de même, l'artisan agit par son intellect et sa volonté. Donc Dieu est ainsi la cause propre de chaque créature, dans la mesure ou il pense (intelligit) et veut que chaque créature existe. Mais ce qu'on appelle le même ne peut être le propre de plusieurs, il faut comprendre quand se fait l'appropriation par l'adéquation; ce qui ne concerne pas notre propos.

6. La solution paraît dans ce qui vient d'être dit.

7. Bien qu'il existe une certaine ressemblance de la créature à Dieu, il n'y a cependant pas une adéquation; c'est pourquoi, il ne faut pas, si l'unité de Dieu manque de toute pluralité et de composition, qu'à cause de cela, il faille qu'il existe une telle unité pour la créature.

8. Bien que l'effet ne puisse pas dépasser sa cause, cependant celle-ci peut dépasser l'effet, et ainsi bien que plusieurs effets puissent procéder d'une cause unique, cependant un seul effet unique ne peut pas procéder immédiatement de plusieurs causes.

9. Bien que la puissance de Dieu soit la même pour engendrer et créer, en réalité, cependant on ne comprend pas le même rapport pour l'un et l'autre, la puissance d'engendrer comprend un rapport à ce qui procède par nature, et c'est pourquoi il faut seulement un seul être, mais la puissance de créer apporte un rapport à ce qui procède par volonté; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit un.

10. Il ne faut pas, comme on l'a dit, qu'une telle unité soit dans la créature et en Dieu, bien que la créature imite Dieu dans son unité.

11. Quoique l'action de Dieu soit une et simple, parce qu'elle est son essence; il ne faut pas cependant qu'il y ait un seul effet, mais de nombreux effets; parce que l'effet procède de l'action divine selon l'ordre de la sagesse et le libre arbitre de la volonté.

12. Quand l'effet représente parfaitement le modèle, d'un seul modèle, il n'y a qu'un effet sauf accident, dans la mesure où les effets sont distingués matériellement. Mais les créatures n'imitent pas parfaitement leur modèle. C'est pourquoi, elles peuvent l'imiter de diverses manières, et il y a différents effets. Mais le mode d'imitation parfait est unique; et à cause de cela, le Fils, qui imite parfaitement le Père, ne peut être qu'unique.

13. Bien que la forme de l'intellect divin soit une seulement en réalité, elle est cependant multiple en raison, selon les divers rapports à la créature, naturellement selon qu'on comprend que les créatures imitent de diverses manières la forme de l'intellect divin.

14. Ces différents rapports à la créature non seulement sont dans notre intellect, mais aussi dans l'intellect divin. Cependant les différentes créatures, à qui Dieu pense (intelligit) ne sont pas dans son intellect, parce qu'il pense seulement par l'un qui est son essence; mais il y a là de nombreuses créatures, comme pensées par lui-même. Car de même que nous pensons que la créature peut imiter Dieu de nombreuses manières, de même Dieu le pense, et par conséquent, il pense les différents rapports de la créature à lui.

15. Dieu pense (intelligit) tout par une seule idée, de même par une seule connaissance aussi. Car il faut que l'acte de l'intellect soit un ou multiple, selon l'unité ou la pluralité du principe par lequel il est pensé.

16. Bien que la pluralité, pour de nombreuses choses, ne soit qu'en raison, pour de nombreuses choses, elle est aussi dans leur nature; ainsi même l'animal commun n'existe qu'en raison, cependant sa nature est dans des individus particuliers, et c'est pour cela qu'il faut ramener à Dieu la pluralité et la nature de l'animal comme à sa cause.

17. L'univers, produit par Dieu, est le meilleur par rapport à ce qui existe, non cependant par rapport à ce que Dieu peut faire.

18. Cette raison est valable, quand ce qui est en vue d'une fin, peut totalement et parfaitement atteindre la fin par son mode d'adéquation, ce qui ne concerne pas notre propos.

19. Cette raison vient d'Origène et n'a pas grande efficacité. Car ce n'est pas contre la justice de donner ce qui est inégal à ce qui est égal, sinon quand on rend à quelqu'un ce qui lui est dû: on ne peut pas le dire de la première création. Car ce qui est donné par pure libéralité, peut l'être plus ou moins selon le libre arbitre de celui qui donne, et selon que sa sagesse le requiert.

20. Bien que les autres créatures soient inférieures à l'ange, cependant leur production requiert un pouvoir infini du créateur, dans la mesure où elles sont amenées à l'être par création, vu qu'elles ne sont pas créées d'une matière préexistante. Et c'est pourquoi, de toutes les créatures qui n'ont pas été faites d'une matière préexistante, on doit dire qu'elles ont été créées sans intermédiaire par Dieu.

21. Comme la création se termine à l'être comme à son effet propre, il est impossible de dire que ce qui est créé par Dieu, reçoit des anges sa forme, puisque tout être vient par la forme.

22. Bien que, ce que Dieu fait soit un en soi, cependant cette unité, comme on l'a dit, n'éloigne pas toute pluralité, mais demeure celle dont l'un est une partie.

23. La parole du Philosophe, quand il dit que Dieu ne pense (intelligit) rien hors de lui, ne doit pas être comprise comme si Dieu ne comprenait pas ce qui est hors de lui-même, mais parce que ce qui est hors de lui, il ne le voit pas hors de lui, mais en lui, parce qu'il connaît tous les autres êtres par son essence.

24. On dit que la créature est en Dieu de deux manières;

1. comme dans la cause qui gouverne et conserve l'être de la créature, et ainsi on présuppose que l'être de la créature est différent du Créateur du fait qu'on dit que la créature existe par Dieu. Car on ne comprend que la créature soit conservée à l'être, qu'elle n'ait l'être dans sa propre nature, que selon que son être est distingué de Dieu. C'est pourquoi la créature qui existe ainsi en Dieu, n'est pas essence créatrice.

2. On dit que la créature est en Dieu comme dans le pouvoir de la cause efficiente, ou comme dans celui qui connaît, et ainsi la créature en Dieu est l'essence même de Dieu, comme on le dit (Jn 1, 3): "Ce qui a été fait était la vie en lui". Quoique, de cette manière, la créature qui existe en Dieu soit l'essence divine, cependant par ce mode, il n'y a pas là seulement une créature, mais de nombreuse créatures. Car l'essence de Dieu est un intermédiaire suffisant pour connaître les différentes créatures, et son pouvoir est suffisant pour les produire.

 

Article 17: Le monde a-t-il toujours existé?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Ce qui est propre à une chose l'accompagne toujours. Mais, comme le dit Denys, le propre de la bonté divine c'est d'appeler les créatures pour se communiquer; ce qui se fait quand il les produit. Donc, comme la bonté divine a toujours existé, il semble qu'il a toujours fait venir des créatures à l'être, et ainsi il semble que le monde a toujours existé.

2. Dieu n'a refusé à aucune créature ce qu'elle est apte (à recevoir) par sa nature. Mais il y en a quelques-unes dont la nature est apte à avoir toujours existé, comme le ciel. Donc il semble qu'il a été attribué au ciel de toujours exister. Mais du fait que le ciel existe, il faut admettre qu'il existe d'autres créatures, comme le prouve le Philosophe. Donc il semble que le monde a toujours existé. Preuve intermédiaire: Tout ce qui est incorruptible a le pouvoir de toujours exister, parce que, s'il avait le pouvoir d'exister pendant un temps déterminé seulement, il ne pourrait pas exister toujours; et ainsi il ne serait pas incorruptible. Mais le ciel l'est. Donc il possède une nature pour exister toujours.

3. Mais il faut dire que le ciel n'est pas absolument incorruptible; car il retournerait au néant si Dieu, par son pouvoir, ne le maintenait pas à l'existence. -En sens contraire, il ne faut pas penser que quelque chose est possible ou contingent, parce que sa destruction découle de ce qui dépend de lui, car bien qu'il soit nécessaire que l'homme soit un animal, cependant sa destruction amène à la destruction de ce qui en dépend, à savoir que l'homme est une substance. Donc il ne semble pas qu'à cause de cela, on puisse dire que le ciel est corruptible, parce que son non-être conduit à une position par laquelle on pense que Dieu a retiré son aide nécessaire à ses créatures.

4. Comme Avicenne le prouve dans sa Métaphysique, n'importe quel effet, est nécessaire par rapport à sa cause, parce que, (inversement) si on pose une cause, l'effet n'en découle pas nécessairement. La cause une fois établie, il sera possible que l'effet existe ou pas; mais ce qui est en puissance n'est amené à l'acte que par ce qui est en acte; c'est pourquoi, il faudra qu'en plus de cette cause, il y ait une autre cause qui fasse passer l'effet en acte, à partir de la puissance par laquelle il était possible qu'il soit ou qu'il ne soit pas, une fois la cause posée. A partir de là, on peut admettre qu'une fois la cause suffisante posée, il est nécessaire d'établir l'effet. Mais Dieu est la cause suffisante du monde. Donc, comme il a toujours existé, le monde aussi.

5. Tout ce qui existe avant le temps est éternel; car l'ævum n'existe pas avant le temps, mais il commence avec lui. Mais le monde a existé avant le temps, car il a été créé au premier instant du temps, ce qui montre qu'il est avant le temps; car on dit dans la (Gn 1, 1).Donc le monde a existé de toute éternité.

6. Le même, qui demeure le même, fait toujours la même chose, sauf s'il est empêché. Mais Dieu demeure toujours le même, comme on le lit dans le (Ps 101, 28): "Toi, tu es le même". Donc, puisque, dans son action, il ne peut pas être empêché à cause de l'infinité de sa puissance, il semble qu'il fait toujours la même chose. Et ainsi, quand il a produit un jour le monde, il semble qu'il l'a produit toujours, de toute éternité.

7. L'homme veut nécessairement sa béatitude, de même Dieu veut nécessairement sa bonté et ce qui la concerne. Mais la venue des créatures à l'être appartient à la bonté divine. Donc Dieu le veut nécessairement et ainsi il semble qu'il a voulu produire les créatures de toute éternité, comme il a voulu que sa bonté existe de toute éternité.

8. Mais il faut dire que la venue des créatures à l'être concerne la bonté de Dieu, mais non qu'elles soient amenées à l'être de toute éternité.

- En sens contraire, c'est une plus grande libéralité de donner quelque chose plus tôt que plus tard. Mais la libéralité de la bonté divine est infinie. Donc il semble qu'il a donné l'être aux créatures de toute éternité.

9. Augustin dit: "Je te dis de vouloir ce que tu fais si tu le peux". Mais Dieu a voulu produire le monde de toute éternité; autrement il aurait subi un changement s'il lui arrivait une nouvelle volonté de créer le monde. Donc comme nulle impuissance ne lui convient, il semble qu'il a produit le monde de toute éternité.

10. Si le monde n'a pas toujours existé, avant d'exister, il était possible qu'il existe ou non. Si ce n'était pas possible, il était donc impossible qu'il soit et nécessaire qu'il ne soit pas et ainsi jamais il n'aurait été amené à l'être. Mais s'il était possible qu'il existât, donc il y avait en lui une puissance par rapport à lui-même et ainsi il était un substrat ou une matière, puisque la puissance ne peut exister que dans un substrat. Mais s'il avait été matière, il aurait été forme, puisque la matière ne pourrait absolument pas être dénuée de forme. Donc il y eut un corps composé de matière et de forme et en conséquence l'univers entier a existé.

11. Tout ce qui est devenu en acte après en avoir eu la possibilité, passe de la puissance à l'acte. Donc s'il a été possible que le monde soit fait, avant qu'il ne soit, il faut dire que le monde est passé de la puissance à l'acte et ainsi la matière a préexisté et a été éternelle, il en découle la même conséquence que ci-dessus.

12. Tout agent qui recommence à agir, passe de la puissance à l'acte. Mais cela ne peut convenir à Dieu puisqu'il est absolument immuable. Donc il semble qu'il n'a pas recommencé à agir, mais il a produit le monde de toute éternité.

13. Si celui qui agit par volonté commence à faire ce qu'il voulait avant, puisque avant il ne l'a pas fait, il faut penser qu'il existe quelque chose qui l'incite alors à agir, qui d'abord ne l'incitait pas; ce qui est d'une certaine manière le 'réveiller'. Mais on ne peut pas dire que quelque chose d'autre ait existé en dehors de Dieu avant le monde, qui l'aurait de nouveau incité à agir. Donc, comme il a voulu faire le monde de toute l'éternité (autrement quelque chose se serait ajouté à sa volonté), il semble qu'il l'a créé de toute éternité.

14. Rien ne pousse la volonté divine à agir sinon sa bonté. Mais celle-ci se comporte toujours de la même manière. Donc la volonté de Dieu est toujours occupée à la production des créatures et ainsi il les a produit de toute l'éternité.

15. Ce qui est toujours au commencement et à la fin de lui-même ne commence ni ne finit jamais; parce que chaque chose se situe après son commencement et avant sa fin. Mais le temps est toujours en son commencement et en sa fin, car rien n'appartient au temps que l'instant, qui est la fin du passé et le commencement du futur. Donc le temps ne commence ni ne finit jamais, mais il existe toujours, et par conséquent toujours aussi le mouvement, le mobile et le monde tout entier; car le temps n'existe pas sans mouvement, ni le mouvement sans mobile, ni le mobile sans le monde.

16. Mais il faut dire que le premier instant du temps n'est pas la fin du passé, ni l'ultime commencement du futur.

- En sens contraire, le présent du temps est toujours considéré comme fluant, et en cela il diffère du présent de l'éternité. Mais ce qui s'écoule, s'écoule de l'un dans l'autre. Donc il faut que tout présent passe d'un instant avant à un autre après. Donc il est impossible qu'il y ait un premier ou un dernier instant.

17. Le mouvement suit le mobile, et le temps suit le mouvement; mais comme le premier mobile est circulaire, il n'a pas de commencement ni de fin: parce que, dans le cercle, on ne peut comprendre ni commencement, ni fin en acte. Donc ni le mouvement, ni le temps n'ont de commencement et ainsi de même que ci-dessus.

18. Mais il faut dire que, bien que le corps circulaire même n'ait pas de commencement à sa grandeur, cependant il a un commencement à sa durée.

- En sens contraire, la durée du mouvement suit la mesure de la grandeur; parce que, Selon le philosophe, la grandeur est telle que le mouvement et que le temps. Si donc dans la grandeur du corps circulaire, il n'y a pas de commencement, ni dans la grandeur, il n'y aura pas de commencement à la grandeur du mouvement et du temps et par conséquent, ni par conséquent à leur durée, puisque leur durée et principalement celle du temps est leur grandeur.

19. Dieu est cause des créatures par sa science; mais on dit que la science est relative au connaissable. Donc comme elles sont relatives entre elles par nature, et que la science de Dieu est éternelle, il semble que les choses ont été produites par lui de toute l'éternité.

20. Dieu précède le monde, en nature seulement ou en durée. Si c'est en nature seulement, comme la cause est contemporaine de l'effet, il semble que puisque Dieu a existé de toute éternité, les créatures aussi. Mais s'il a précédé le monde en durée, ainsi donc il a à recevoir une durée antérieure à la durée du monde, qui se comporte pour celle-ci comme un avant et un après. Mais la durée qui a un avant et un après c'est le temps. Donc avant le monde, il y eut le temps et par conséquent un mouvement et un mobile et ainsi de même que ci-dessus.

21. Augustin dit: "Je ne veux pas dire que Dieu a été Seigneur de toute l'éternité, " mais toutes les fois qu'il a été Seigneur, il eut une créature qui lui était soumise. Donc il ne faut pas dire que la créature n'a pas existé de toute éternité.

22. Dieu a pu produire le monde avant le moment où il l'a produit; autrement il aurait manqué de puissance. Et il a su le produire avant, autrement il aurait été ignorant. Il semble qu'il l'a voulu, autrement il aurait été défavorable. Donc il semble qu'il n'a pas recommencé à produire des créatures.

23. Tout ce qui est fini, est communicable à la créature. Mais l'éternité est quelque chose de fini; autrement rien ne pourrait être au-delà de l'éternité; on dit en effet dans (Ex 15, 18): "Le Seigneur régnera dans l'éternité et au-delà." Donc il semble que la créature aura été susceptible d'éternité et ainsi il a été conforme à la divine bonté d'avoir produit la créature de toute éternité.

24. Tout ce qui commence a la mesure de sa durée. Mais le temps ne peut pas avoir la mesure de sa durée; car il n'est pas mesuré par l'éternité, parce qu'ainsi il aurait toujours existé; ni par l'aevum parce qu'ainsi il durerait toujours, ni par le temps, parce que rien n'est sa propre mesure. Donc le temps n'a pas commencé à exister, et ainsi ni le mobile, ni le monde non plus.

25. Si le temps a commencé à exister, ou il a commencé dans le temps ou dans l'instant. Mais il n'a pas commencé à exister dans l'instant, parce que, en celui-ci, le temps n'existe pas encore; ni à nouveau dans le temps, parce qu'ainsi rien du temps ne serait avant le terme du temps; car rien d'un être n'existe avant de commencer à être. Donc le temps n'a pas commencé et ainsi de même que ci-dessus.

26. Dieu fut de toute éternité cause des êtres; autrement il faudrait dire que d'abord il a été une cause en puissance et ensuite en acte; et ainsi il y aurait quelque chose avant lui qui le ferait passer de la puissance à l'acte, ce qui est impossible. Mais rien n'est cause sauf ce qui a un effet. Donc le monde a été créé par Dieu de toute éternité.

27. Le vrai et l'étant sont convertibles. Mais beaucoup d'énoncés sont vrais de toute l'éternité; ainsi l'homme n'est pas un âne, le monde sera, et beaucoup de propositions semblables. Donc il semble que nombreux sont les êtres qui existent de toute l'éternité. et pas seulement Dieu.

28. Mais il faut dire que toutes ces propositions sont vraies par la vérité première qui est Dieu.

- En sens contraire, autre est la vérité de cette proposition, "le monde existera" et de celle-ci "l'homme n'est pas un âne", parce que, une fois établi que par impossible l'une est fausse, le reste sera encore vrai. Mais la vérité première n'est pas différente. Donc elles ne sont pas vraies par la vérité première.

29. Selon le philosophe, dans les Catégories du fait qu'une chose existe ou n'existe pas, la parole est vraie ou fausse. Si donc de nombreuses propositions sont vraies de toute éternité, il semble que ce qu'elles signifient aura existé de toute éternité.

30. Pour Dieu dire et faire, c'est pareil; c'est pourquoi dans le (Ps 148, 5): "Il dit et ce fut fait". Mais la parole de Dieu est éternelle: autrement le Fils qui est le Verbe du Père ne lui serait pas coéternel. Donc l'action de Dieu est éternelle et ainsi le monde a été fait de toute éternité.

 

Cependant:

1. In (Pr 8, 24), il est dit de la bouche de la Sagesse divine: "Les abîmes n'existaient pas encore, et moi déjà j'avais été conçue; les fontaines n'avaient pas encore jailli, et les montagnes n'étaient pas établies en grande masse; avant toutes les collines j'étais enfantée; il n'avait pas encore fait la terre, les fleuves et les pôles du monde". Donc les pôles du monde, les fleuves et la terre n'ont pas toujours existé.

2. Selon Priscien, plus il est jeune dans le temps, plus il est perspicace par l'intellect. Mais la perspicacité n'est pas infinie. Donc le temps pendant lequel la perspicacité a créé n'a pas été infini, et par conséquent le monde non plus.

3. In (Jb 14, 19): "La terre est peu à peu détruite par l'érosion" Mais la terre n'est pas infinie. Donc si le temps avait été infini, déjà elle serait totalement détruite, ce qui paraît faux.

4. Il est clair que Dieu existe naturellement avant le monde, comme la cause avant l'effet. Mais en Dieu la durée et la nature sont les mêmes. Donc Dieu est avant le monde par la durée et ainsi le monde n'a pas toujours existé.

 

Réponse:

Il faut affirmer fermement que le monde n'a pas toujours existé, comme la foi catholique l'enseigne. Et cette croyance ne peut pas être combattue efficacement par une démonstration tirée de la physique. Pour en montrer l'évidence, il faut savoir que, comme on l'a considéré dans une autre question, on ne peut concevoir dans l'opération de Dieu que quelque chose soit nécessaire du côté de la cause matérielle, de la puissance active de l'agent, de la fin ultime, mais seulement du côté de la forme qui est la fin de l'opération; de sa présupposition, il est requis qu'ils existent tels qu'ils conviennent à cette forme.

C'est pourquoi il faut parler autrement de la production d'une créature particulière et de la sortie de Dieu de tout l'univers. En effet, quand nous parlons de la production d'une créature particulière, on peut trouver la raison pour laquelle elle est telle, à partir d'une autre créature, ou du moins à partir de l'ordre de l'univers, à qui toute créature est ordonnée, comme la partie à la forme du tout. Mais quand on parle de tout l'univers, qui parvient à l'être, nous ne pouvons plus trouver au-delà quelque chose de créé d'où on puisse tirer une raison pour laquelle il est tel ou tel. C'est pourquoi, comme ni du côté de la puissance de Dieu qui est infinie, ni de sa bonté, qui n'a pas besoin des créatures, on ne peut trouver de raisons pour une disposition déterminée de l'univers, il faut admettre comme raison la volonté absolue de celui qui produit l'univers, pour que, si on cherche pourquoi l'immensité du ciel est telle, et pas plus grande, on ne puisse tirer cette raison que de la volonté du créateur.

C'est pour cela, comme le dit Rabbi Maimonide, que l'Écriture conduit les hommes à la considération des corps célestes: leur disposition montre le mieux que tout est soumis à la volonté et à la providence du créateur. Car on ne peut donner la raison pour laquelle telle étoile est seulement à telle distance, ou pour d'autres phénomènes de ce genre qu'on arrive à considérer dans la disposition du ciel, sinon que cela vient de l'ordre de la sagesse de Dieu. C'est pourquoi on dit in (Is 40, 26): "Levez vos yeux vers le ciel, et voyez qui a créé cela".

Rien n'empêche de dire qu'une telle grandeur découle de la nature du ciel ou des corps célestes, de même la nature de tout ce qui se maintient est une grandeur déterminée, parce que, de même que la puissance divine n'est pas plus limitée à cette grandeur qu'à cette autre, ainsi elle n'est pas limitée à la nature à qui telle grandeur est due, plus qu'à la nature à qui cette autre grandeur est due. Et ainsi reviendra la même question au sujet de la nature, qui concerne la grandeur; quoique nous concédions que la nature du ciel n'est pas indifférente à une quelconque grandeur, et qu'il n'y a pas en elle possibilité pour une autre grandeur que pour celle-là.

Mais on ne peut pas parler ainsi du temps ou de sa durée. Car il est extérieur à l'être, comme le lieu; c'est pourquoi même dans le ciel, dans lequel il n'y pas de possibilité au regard d'une autre quantité ou d'un accident qui adhère plus intérieurement, il y a cependant en lui possibilité par rapport au lieu et au site, puisqu'il est mu localement, et ainsi par rapport au temps, puisque toujours le temps succède au temps, de même qu'il y succession dans le mouvement et le lieu; c'est pourquoi on ne peut pas dire, que ni le temps, ni le lieu découle de sa nature, comme on le disait de la quantité. Aussi il est clair qu'il dépend de la simple volonté de Dieu qu'une quantité déterminée de temps soit fixée à l'univers, de la même manière qu'une grandeur déterminée pour la dimension. Donc on ne peut nécessairement rien conclure de la durée de l'univers, pour pouvoir démontrer par le raisonnement que le monde a toujours existé.

A. - Certains qui ne considèrent pas que l'univers vient de Dieu, ont été forcés de se tromper sur le commencement du monde. Car certains passant outre à la cause efficiente, pensant qu'il y avait seulement une matière incréée, qui serait la cause de tout, comme les très anciens Naturalistes, furent obligés de dire que la matière a toujours existé. En effet, comme rien ne passe par soi du non-être à l'être, il faut une autre cause pour que quelque chose commence à être et ceux-ci ont pensé, ou bien que le monde a toujours existé en continuité, parce qu'ils ne pensaient qu'aux agents naturellement déterminés à un seul objet d'où il fallait que le même effet découle toujours, ou bien (qu'il a existé) avec interruption, comme Démocrite le dit, qui pensait que le monde, ou plutôt les mondes, avaient été arrangés de nombreuses fois et désagrégés par le hasard, à cause du mouvement causal des atomes.

B. - Mais parce qu'il paraissait inconvenant que toutes les aptitudes et avantages qui existent dans les êtres naturels dépendent du hasard, puisque on les trouvait soit toujours, soit même en de la plupart des êtres: ce que cependant il était nécessaire de suivre, si on pensait qu'il n'y avait que la matière, et surtout puisqu'on trouvait un effet pour ces choses pour lesquelles la causalité de la matière ne suffit pas, d'autres ont pensé que l'intelligence était une cause efficiente, comme Anaxagore, et l'amitié et le procès comme Empédocle, mais cependant ils n'ont pas pensé qu'il existait de telles causes efficientes universelles, mais à la manière des autres agents particuliers, qui agissent sur la matière en la transformant de l'un en un autre. C'est pourquoi il était nécessaire pour eux de dire que la matière était éternelle, c'est-à-dire comme n'ayant pas de cause de son être; mais que le monde a commencé; parce que tout effet d'une cause efficiente par mouvement suit sa cause dans la durée, parce que l'effet n'existe qu'au terme du mouvement, avant lequel il y a son commencement, avec lequel il faut que l'agent soit, duquel [vient] le commencement du mouvement.

C. - Mais Le philosophe, considérant que, si on pense qu'une cause qui constitue le monde agit par mouvement, il en découlerait que ce serait aller à l'infini, parce que, avant n'importe quel mouvement, il y a un mouvement, pensa que le monde a toujours existé. Car il part pas de cette considération par laquelle on comprend que l'univers vient de Dieu, mais de celle par laquelle on pense que quelque agent commence à opérer par mouvement; ce qui est d'une cause particulière, et non d'une cause universelle. Et à cause de cela, du mouvement et de l'immobilité du premier moteur, il tire ses raisons pour démontrer l'éternité du monde. C'est pour cela que, pour celui qui les considère avec attention, ses raisons apparaissent comme celles de quelqu'un qui réfute une opinion; et ainsi au commencement de VIII, Phys., ayant soulevé la question de l'éternité du mouvement, il présente préalablement les opinons d'Anaxagore et d'Empédocle contre lequel il a l'intention d'argumenter.

D. Mais les successeurs du philosophe considérant que l'univers vient de Dieu par sa volonté et non par mouvement, ont essayé de démontrer l'éternité du monde par le fait que la volonté ne tarde pas à accomplir ce qu'elle a l'intention de faire sauf innovation ou changement, du moins qu'il est nécessaire d'imaginer dans la succession du temps, pendant qu'il veut faire cela alors et non avant.

Mais ceux-ci tombèrent dans une erreur semblable à celle où étaient tombés ceux dont on a parlé. Car ils considérèrent le premier agent à la ressemblance d'un agent qui exerce son action dans le temps, quoiqu'il agisse par volonté, ce qui n'est pas cause de ce temps, mais le présuppose. Mais Dieu est la cause aussi du temps lui-même. Car il est contenu dans l'universalité de ce que Dieu a créé; c'est pourquoi, quand nous disons que l'être de l'univers est sortie de Dieu, il ne faut pas considérer qu'il l'a fait alors et non avant. Car cette considération présuppose le temps pour la création, mais elle n'y est pas soumise.

Mais si nous considérons la production de la totalité des créatures, parmi lesquelles il y a le temps lui-même, il faut considérer pourquoi il a fixé à l'avance une telle mesure à ce temps, non pourquoi il a fait cela à telle époque. La détermination de la mesure du temps dépend de la volonté absolue de Dieu, qui a voulu que le monde n'existe pas toujours, mais qu'il commence à exister alors, comme il a voulu que le ciel ne soit ni plus grand ni plus petit.

 

Solution des objections:

1. Le propre de la bonté est de faire venir les créatures à l'être par l'intermédiaire de la volonté, dont c'est l'objet. C'est pourquoi il ne fallut pas que les créatures viennent à l'être, toutes les fois qu'il y eut la bonté divine, mais selon la disposition de la volonté divine.

2. Le corps céleste, en tant qu'incorruptible, a le pouvoir de toujours exister; mais aucun pouvoir d'être ni d'opérer ne regarde le passé, mais seulement le présent ou le futur; car personne n'a de pouvoir sur ce qui aura été fait, parce que, ce qui n'est pas fait ne peut pas avoir été fait; mais chacun a le pouvoir d'agir maintenant ou dans le futur. C'est pourquoi le pouvoir d'exister toujours qui appartient au ciel, ne regarde pas le passé, mais le futur.

3. On ne peut pas dire, à parler absolument, que le ciel soit corruptible, parce qu'il tomberait dans le non-être, s'il n'était pas maintenu par Dieu. Mais cependant, parce que la créature est maintenue dans l'être par Dieu, elle dépend de l'immutabilité divine, non par nécessité de nature, de sorte qu'on puisse dire qu'elle est absolument nécessaire, puisqu'elle est nécessaire seulement, si on suppose la volonté divine, qui l'a établi de façon immobile, on peut le concéder selon que le ciel est corruptible, avec cette condition si Dieu ne le maintenait pas.

4. Tout effet a une relation nécessaire à sa cause efficiente, qu'elle soit naturelle ou volontaire. Mais nous ne pensons pas que Dieu soit la cause du monde par nécessité de sa nature, mais par volonté, comme on l'a dit plus haut. C'est pourquoi, il est nécessaire que l'effet divin suive, non pas chaque fois que la nature divine a existé, mais quand il a été disposé par la volonté divine à être et de la manière même dont il a voulu qu'il soit.

5. L'existence d'un être avant le temps, peut être comprise de deux façons:

1. Avant tout le temps et tout ce qui concerne temps; et ainsi le monde n'a pas existé avant le temps, parce que l'instant où il a commencé, bien que ce ne soit pas le temps, est cependant quelque chose du temps, non comme une partie, mais comme un terme.

2. On comprend que quelque chose existe avant le temps parce qu'il est avant l'ensemble du temps; parce qu'il n'est complet que dans l'instant avant ce qui est un autre instant; et ainsi le monde est avant le temps. Mais il ne faut pas pour cela qu'il soit éternel, parce que cet instant même du temps qui est ainsi avant le temps n'est pas éternel.

6. Comme tout agent fait du semblable à lui, il faut que l'effet découle de la cause qui opère efficacement, de manière à maintenir sa ressemblance. Agir naturellement par la cause maintient la ressemblance dans la mesure où elle a une forme semblable à celle de l'agent; de la même manière ce qui dépend d'un agent volontaire maintient sa ressemblance, dans la mesure où il a une forme semblable à la cause, selon que cela se produit dans l'effet qui est dans la disposition de la volonté, comme cela paraît dans l'oeuvre de l'artisan, en rapport avec lui. La volonté ne dispose pas seulement de la forme de l'effet, mais du lieu, ou de la durée et de toutes ses conditions. C'est pourquoi, il faut que l'effet de la volonté suive quand elle le dispose, non quand elle existe. Car ce n'est pas selon l'être, mais selon ce que la volonté dispose, que l'effet est semblable à la volonté. Donc, bien que la volonté soit toujours la même, cependant il ne faut pas que toujours l'effet en découle.

7. Dieu veut nécessairement sa bonté et tout ce sans quoi sa bonté ne peut pas exister. Mais telle n'est pas la production des créatures. L'argument ne vaut pas.

8. Comme Dieu a produit les créatures pour se manifester, il fut plus convenable et meilleur de les produire de sorte qu'elles puissent le découvrir plus convenablement et plus expressément. Mais il est plus expressément manifesté à partir des créatures, si elles n'existent pas toujours, parce que, en cela, il apparaît manifestement qu'elles viennent à l'être par un autre, que Dieu n'a pas besoin de ses créatures, et que les créatures sont soumises entièrement à sa volonté.

9. Dieu eut la volonté éternelle de créer le monde, non cependant pour qu'il existât toujours, mais pour qu'il soit créé quand il le fit.

10. Avant que le monde existe, il était possible qu'il soit créé, non à cause d'une quelconque puissance passive, mais seulement par la puissance active de l'agent. On peut dire encore qu'il a été possible, non par une puissance, mais parce que les termes ne se contrarient pas entre eux, à savoir ceux de cette proposition: "Le monde existe". Car ainsi on dit que quelque chose est possible mais pas selon la puissance, comme le Philosophe le fait voir.

11. Et ainsi apparaît la solution à la onzième objection.

12. Cette raison procède de l'agent qui commence à agir par une action nouvelle; mais l'action de Dieu est éternelle, puisqu'elle est sa substance. On dit qu'il commence à agir pour un nouvel effet, qui découle de l'action éternelle selon la disposition de sa volonté, qui est comprise comme le principe de l'action en rapport avec cet l'effet. Car l'effet découle de l'action selon la condition de la forme, qui en est le principe; ainsi quelque chose est réchauffé par la chaleur du feu, selon le mode de cette chaleur.

13. Cette raison procède de l'agent qui produit son effet dans le temps, sans en être la cause, ce qui n'existe pas en Dieu, comme cela paraît de ce qu'on a dit plus haut.

14. Si le mouvement est pris au sens propre, la volonté divine n'est pas mue, mais en parlant métaphoriquement, on dit qu'elle est mue par ce qu'il veut, et ainsi la seule bonté de Dieu la meut elle-même, selon ce que dit Augustin que Dieu se meut lui-même sans lieu et sans temps. Cependant il n'en découle pas que chaque fois que sa bonté a existé, il y aurait eu production de créatures, parce qu'elles ne procèdent pas de Dieu comme nécessité de sa bonté, puisque la bonté divine n'a pas besoin des créatures, et par elles rien n'est accru en lui, mais cela vient de sa simple volonté.

15. Comme la première succession du temps est causée par la succession du mouvement, comme on le dit, et qu'ainsi il est vrai que tout instant est commencement et fin du temps, il faut dire qu'il est vrai que tout moment est commencement et fin du mouvement; c'est pourquoi si nous supposons que le mouvement n'a pas toujours existé, et ne durera pas toujours, il ne faudra pas dire que n'importe quel instant est commencement et fin du temps. Mais il y aura un instant qui est seulement commencement et un qui est seulement fin. C'est pourquoi, il apparaît que cette raison est circulaire et c'est pour cela que ce n'est pas une démonstration, mais cependant elle est efficace selon l'intention d'Le philosophe qui l'oppose à cette opinion, comme on l'a dit dans le corps de l'article. Car nombreuses sont les raisons efficaces contre cette opinion à cause de ce que les adversaires ont pensé, qui ne sont pas efficaces de façon absolue.

16. L'instant est toujours considéré comme fluant, mais pas toujours comme fluant de l'un dans l'autre, mais quelquefois comme fluant d'un seulement comme le dernier instant du temps, quelquefois comme fluant en l'un seulement, comme le premier instant.

17. Cette raison ne prouve pas que le mouvement a toujours existé, mais que le mouvement circulaire le pourrait, parce que mathématiquement on ne peut rien conclure d'efficace sur le mouvement; c'est pourquoi Le philosophe ne prouve pas de la circularité du mouvement son éternité; mais supposé qu'il soit éternel, il montre qu'il est circulaire, parce que nul autre mouvement ne peut être éternel.

18. Et par là apparaît la réponse à la dix-huitième objection.

19. Comme le connaissable se comporte vis-à-vis de notre science, ainsi se comporte la science de Dieu vis-à-vis des créatures. Car la science de Dieu est la cause des créatures; de même que le connaissable est cause de notre science; c'est pourquoi comme le connaissable peut exister sans que notre science existe, comme on le dit, ainsi la science de Dieu peut exister sans que le connaissable existe.

20. Dieu précède le monde dans la durée, non du temps mais de l'éternité, parce que l'être de Dieu n'est pas mesuré par le temps. Et avant le monde il n'y eut pas de temps réel, mais seulement imaginaire, dans la mesure où nous pouvons maintenant imaginer qu'un espace infini de temps, quand existe l'éternité, a pu se dérouler avant le commencement du temps.

21. La relation de Seigneur est comprise comme découlant de l'action par laquelle Dieu gouverne actuellement les créatures, ainsi, il n'est pas Seigneur depuis l'éternité. Mais si on comprend qu'elle découle de sa propre puissance pour gouverner, alors ce nom lui convient depuis l'éternité. Cependant il ne faut pas penser que des créatures aient existé de toute éternité, sinon en puissance.

22. Augustin se sert de cette raison pour prouver la co-éternité et la co-égalité du Fils au Père; cependant elle n'est pas valable pour le monde, parce que la nature du Fils est la même que celle du Père, elle requiert l'éternité et l'égalité avec le Père. Si elle lui était enlevée, ce serait une spoliation. Mais la nature de la créature ne le requiert pas, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

23. Selon les Grecs on dit: "Le Seigneur a régné pour le siècle de siècle, et encore"; en l'exposant, Origène, dans la glose, dit que le siècle est compris comme la durée d'une génération, dont la fin nous est connue; par siècle de siècle, un immense durée de temps, qui a une fin, cependant ignorée de nous; mais par encore, le règne de Dieu s'étend au-delà de cela et ainsi éternel est pris pour un temps qui dure. Mais Anselme dans le Proslogion définit éternel comme l'aevum, qui jamais n'a de fin et cependant on dit que Dieu est au-delà pour cette raison:

1. Ce qui est éviternel peut être compris comme n'existant pas.

2. Cela n'existerait que s'il était contenu par Dieu: et ainsi en soi, cela n'existe pas.

3. Ils n'ont pas tout leur être en même temps, puisqu'il y a en eux une succession de changements.

24. Pour autant, il faut que ce qui commence ait la mesure de la durée, parce qu'il commence par un mouvement. Mais ainsi le temps ne commence pas par création; c'est pourquoi cette raison n'est pas valable; et cependant on peut dire que toute mesure dans son genre est mesurée par elle-même, comme la ligne par la ligne, et semblablement le temps par le temps.

25. Le temps ne se comporte pas comme ce qui est permanent dont la substance est toute en même temps; c'est pourquoi il ne faut pas que le temps en entier existe, quand il commence à exister, et ainsi rien n'empêche de dire que le temps commence à être dans l'instant.

26. L'action de Dieu est éternelle, mais l'effet ne l'est pas, comme on l'a dit plus haut;. c'est pourquoi, bien que Dieu n'ait pas toujours été cause, comme son effet n'a pas toujours existé, il n'en découle cependant qu'il n'a pas été la cause en puissance, parce que son action n'a toujours existé, que si sa puissance se rapporte pas à un effet.

27. Selon le philosophe, la vérité est dans l'esprit, non dans la réalité, car c'est l'adéquation de l'intellect aux choses. C'est pourquoi tout ce qui a existé de toute éternité, a été vrai par la vérité de l'intellect divin, qui éternel.

28. Tout ce qui est déclaré vrai éternellement n'est pas vrai par différentes vérités mais par une seule et même vérité de l'intellect divin, relative à différentes choses futures dans leur propre être. Et ainsi du fait de la diversité de la relation, on peut opérer une distinction dans cette vérité.

29. Ce mot du Philosophe est compris de l'élocution dans notre intellect et dans notre expression. Car la vérité de notre intellect ou de notre parole est causée par la réalité; mais à l'inverse la vérité de l'intellect divin est la cause des choses.

30. Du côté de Dieu même, faire n'apporte rien d'autre que dire; car son action n'est pas un accident, mais sa substance; mais faire apporte l'effet existant actuellement dans la nature propre, ce qui n'est pas apporté par le dire.

Les objections des arguments contraires, bien qu'elles définissent ce qui est vrai, ne le font pas nécessairement cependant, sauf la première qui procède d'une autorité. Car l'argument de la perspicacité selon le cours du temps ne montre pas que le temps a un jour commencé. Car il a pu arriver que l'étude des sciences ait été plusieurs fois interrompue, et ensuite après de long temps comme recommencée, comme le Philosophe le dit aussi. La terre n'est pas emportée par l'érosion d'un côté, sans que par un changement mutuel des éléments elle augmente d'un autre côté. La durée même de Dieu, bien qu'elle soit la même chose que sa nature en réalité, diffère cependant en raison. C'est pourquoi, il ne faut pas qu'il soit avant en durée, s'il est avant en nature.

 

Article 18: Les anges ont-ils été créés avant le monde visible?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Parce que, Grégoire de Naziance dit que Dieu d'abord pensa les puissances angéliques et célestes et sa pensée fut son oeuvre. Donc il créa les anges avant de fonder le monde visible.

2. Mais il faut dire que le terme premier indique l'ordre de la nature et non celui de la durée.

- En sens contraire, Jean Damascène rapporte à ce sujet deux opinions; dont l'une établit que les anges ont été créés en premier, et l'autre dit le contraire. Mais jamais aucune opinion n'a affirmé que les anges aient existé par nature avant les créatures visibles. Donc il faut le comprendre de l'ordre de la durée.

3. Basile dit au début de son Hexameron: "Il y avait une nature avant ce monde qui pouvait être contemplée par notre esprit", après il parle des anges. Donc il semble que les anges aient été créés avant ce monde.

4. Ce qui a été fait avec le monde visible, l'Écriture l'expose au début de la Genèse. Mais elle ne fait aucune mention des anges. Il semble donc qu'ils n'ont pas été créés avec le monde, mais avant lui.

5. Ce qui est ordonné à la perfection d'un être comme à sa fin, lui est postérieur. Mais le monde visible est ordonné à la perfection de la nature intellectuelle; parce que, comme le dit Ambroise, Dieu, qui par nature est invisible, a fait une oeuvre visible par laquelle il puisse être connu. Il ne peut être connu que par la créature raisonnable. Donc celle-ci a été créée avant le monde visible.

6. Ce qui existe avant le temps est avant le monde visible: parce que le temps a commencé avec lui. Mais les anges ont été créés avant le temps; car il n'y eut pas de temps avant le jour; mais les anges ont été créés avant le jour, comme le dit Augustin. Donc ils ont été créés avant le monde visible.

7. Jérôme dit dans son commentaire sur l'Épître à Tite: "Six mille ans de notre temps ne sont pas encore accomplis; et il faut penser combien d'éternité avant, combien de temps ont existé pendant lesquels les anges ont servi Dieu et ont été sous son commandement." Mais le monde visible a commencé avec notre temps. Donc les anges ont existé avant le monde visible.

8. C'est le propre du sage de produire son effet avec ordre. Mais les anges précèdent la noblesse des créatures visibles. Donc ils durent être amenés à l'être en premier par l'artisan très sage qu'est Dieu.

9. Dans la mesure où Dieu est bon, il fait participer les autres à sa bonté. Mais les anges étaient susceptibles de recevoir cette bonté, puisqu'ils ont précédé dans la durée la créature visible. Donc il semble que cela leur a été attribué par la bonté suprême de Dieu.

10. L'homme est appelé un petit monde, parce qu'il porte la ressemblance d'un monde plus grand. Mais dans l'homme, la partie la plus noble est formée avant les autres, à savoir le coeur, comme le dit le Philosophe. Donc il semble que les anges qui sont la plus noble partie du monde aient été créés avant les créatures visibles.

11. Comme Augustin le dit dans l'oeuvre du deuxième jour et ensuite par trois fois, l'Écriture rappelle la création. Car elle dit d'abord: "Et Dieu dit: que soit fait le firmament." Deuxièmement: "Et ainsi fut fait". Troisièmement: "Dieu fit le firmament." Le premier se rapporte à l'être des choses dans le Verbe, le second à leur être dans la connaissance angélique, dans la mesure où les anges ont reçu la connaissance des créatures à créer; le troisième à l'être de la créature dans sa propre nature. Mais quand la créature visible devait être faite, elle n'existait pas encore. Donc les anges ont existé et eurent connaissance de la nature visible avant qu'elle ait existé.

12. Mais il faut dire qu'on le comprend de la réalisation de la créature quant à sa formation, non quant à sa première création.

- En sens contraire, selon l'opinion d'Augustin, la création de la nature visible n'a pas précédé sa formation dans le temps. Si donc l'ange a existé avant la formation de la créature visible, il a existé aussi avant sa création.

13. La parole de Dieu est la cause de la créature à créer, ce qui ne semble pas pouvoir être compris de la génération éternelle du Verbe, parce qu'elle a existé de toute éternité, et n'est pas répétée dans la succession des temps, alors que cependant l'Écriture répète que chaque jour Dieu a dit une parole. Et ainsi on ne peut le comprendre de la parole corporelle, d'abord parce qu'il n'y avait pas encore d'homme pour entendre la voix de Dieu qui parle; ensuite aussi parce qu'il aurait fallu, avant la formation de la lumière, que quelque autre corps ait été formé, puisque la voix corporelle n'était émise qu'après la formation d'un corps. Donc il semble qu'on le comprend de la parole spirituelle par laquelle Dieu parle à ses anges et ainsi il semble que la connaissance des anges est présupposée comme cause pour la production des créatures visibles.

14. Comme on l'a dit ci-dessus, l'Écriture sainte rappelle de trois manières l'action sur les créatures. La première concerne leur être dans le Verbe; la seconde dans la connaissance angélique et la troisième dans leur propre nature. Mais la première précède la seconde par la durée et la cause. Donc, semblablement la seconde précède la troisième par la durée et la cause, c'est-à-dire que la connaissance angélique précède l'existence de la créature visible.

15. Un ordre dans la sortie des choses de leur principe n'est pas moins requis que dans leur retour à leur fin, Mais pour les ramener, c'est une loi établie par la Divinité, comme le dit Denys, parce que la dernière est ramenée à la fin par des intermédiaires. Donc simplement les créatures corporelles qui sont faibles, procèdent de Dieu par les créatures angéliques qui sont intermédiaires, et ainsi les anges précèdent les créatures corporelles comme les causes leur effet.

16. L'association ne convient pas a ce qui est tout à fait différent. Mais les anges et les créatures visibles sont tout à fait différents. Donc ils ne sont pas associés dans la création, pour être créés ensemble. Ce serait même contre l'ordre que les anges aient été créées après les créatures visibles. Donc ils ont été créés avant elles.

17. On dit en (Qo 1, 4): "La sagesse a été créée la première de toutes", ce qui ne peut pas être compris du Fils de Dieu, qui est la sagesse du Père, puisqu'il n'a pas été créé, mais engendré. Donc la sagesse angélique, qui est une créature, a été faite avant toutes les autres créatures.

18. Hilaire dit au livre XII de la Trinité: "Quoi d'étonnant si nous confessons que notre Seigneur Jésus Christ a existé avant tous les siècles, puisque même Dieu a fait les anges avant le monde." Mais le Fils de Dieu non seulement dans l'ordre de la dignité mais encore dans celui de la durée, a précédé tous les siècles. Donc les anges ont précédé le monde visible.

19. La créature angélique est intermédiaire entre la nature divine et la nature corporelle; l'aevum aussi, qui est la mesure de l'ange, est intermédiaire entre l'éternité et le temps. Mais Dieu a été dans son éternité avant les anges et la créature visible. Donc les anges ont existé dans leur aevum avant le monde visible.

20. Augustin, In Cité de Dieu, dit que les anges ont toujours existé. Mais on ne peut pas le dire de la créature corporelle. Donc les anges ont existé avant la créature corporelle.

21. Les mouvements des créatures corporelles sont accomplis par le ministère de la créature spirituelle, comme on le voit chez Augustin et Grégoire le Grand. Mais le moteur précède le mobile. Donc les anges ont existé avant les créatures corporelles.

22. Denys assimile l'action divine sur les créatures à l'action du feu sur les corps qui le subissent. Mais le feu agit dans un corps proche avant d'agir sur un corps éloigné. Donc la bonté divine a produit les créatures angéliques proches de lui avant les créatures corporelles plus distantes et ainsi les anges ont existé avant le monde.

 

Cependant:

1. In (Gn 1, 1), on dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, " où la glose d'Augustin dit que par le ciel il faut entendre la nature angélique, par la terre, la nature corporelle. Donc les anges ont été créés en même temps que la nature corporelle.

2. La glose de Strabon dit en ce même endroit, que par le ciel on comprend le ciel empyrée qui, bientôt après avoir été créé, a été rempli par les anges. Donc les anges ont été créés en même temps que le ciel empyrée, qui est une créature visible.

3. On appelle l'homme un petit monde, parce qu'il ressemble au monde plus grand. Mais dans l'homme, le corps et l'âme sont faits en même temps. Donc dans le monde plus grand, la créature angélique et la créature corporelle sont faites en même temps.

 

Réponse:

Tous les docteurs catholiques sont d'accord que les anges n'ont pas toujours existé, vu qu'ils ont été amenés du néant à l'être.

A) Certains pensèrent que les anges n'ont pas commencé avec le monde visible, mais avant lui. Pour cela il ont été amenés à le penser par diverses raisons.

Car certains ont pensé que les créatures corporelles n'avaient pas été produites dans un premier dessein de Dieu, mais ils disent qu'il eut l'occasion de les produire à cause du mérite ou du démérite de la créature spirituelle. Car Origène a pensé qu'au commencement, ont été créées en même temps toutes les créatures immatérielles et rationnelles et qu'elles ont été égales, comme la justice divine l'exigeait. Car il ne semble pas que l'inégalité n'ait pu être dans ce qui est donné, en conservant la justice, qu'à cause de la diversité du mérite ou du démérite. C'est pourquoi il pensa que la diversité des créatures (que nous voyons) a précédé la diversité du mérite et du démérite, de sorte que certaines des créatures spirituelles qui ont davantage adhéré à Dieu, ont été promues dans les ordres les plus hauts des anges, mais celles qui ont davantage péché ont été liées à des corps plus grossiers et moins nobles; comme si la diversité même des mérites réclamait les divers degrés des corps produits par Dieu.

Mais Augustin réprouve cette position. Car il est clair que la cause des créatures, tant spirituelles que corporelles, qui devaient être créées, n'est rien d'autre que la bonté de Dieu, en tant qu'elles sont ses créatures; créées par sa bonté, elles représentent sa bonté incréée à leur manière. C'est pourquoi l'Écriture (Gn 1, 31) dit de chacune des oeuvres de Dieu et ensuite de toutes ensemble: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et c'était très bon, " comme si elle disait qu'il a créé ses créatures pour qu'elles possèdent sa bonté. Mais selon cette opinion, les créatures corporelles n'auraient pas été créées parce qu'il serait bien qu'elles existent, mais pour que la malice de la créature spirituelle soit punie. Il s'ensuivrait que l'ordre de l'univers que nous voyons maintenant, existerait par le hasard, dans la mesure où il arrive que les diverses créatures rationnelles ont péché de diverses manières. Mais si toutes avaient péché également, il n'y aurait selon eux aucune diversité de nature dans les corps.

B) C'est pourquoi, une fois repoussée cette opinion, d'autres en considérant la nature des substances spirituelles, qui est plus digne que toute nature corporelle, ont pensé que les substances spirituelles avaient été créées avant les substances corporelles, de sorte que, de même que la nature spirituelle créée est intermédiaire dans l'ordre de la nature entre Dieu et la créature corporelle, de même elle serait intermédiaire en durée.

Mais cette opinion, comme elle a été celle des grands docteurs, c'est-à-dire celle de Basile, de Grégoire de Naziance et quelques autres, ne doit pas être réprouvée comme erronée.

C) Mais si on considère avec attention une autre opinion, celle d'Augustin et d'autres docteurs, laquelle est communément acceptée, on la trouve plus rationnelle. Car les anges, non seulement doivent être considérés absolument, mais aussi en tant que partie de l'univers; et cette considération doit être observée bien plus, dans la mesure où le bien de l'univers prévaut sur le bien de quelque créature particulière, de même que le bien du tout prévaut sur celui de la partie. Selon qu'on considère les anges comme partie de l'univers, il leur appartient d'avoir été créés en même temps que les créatures corporelles. Car il semble qu'il y a production d'un seul tout. Mais si les anges avaient été créés séparément, ils sembleraient tout à fait étrangers à l'ordre de la créature corporelle, comme s'ils constituaient un autre univers par eux-mêmes. C'est pourquoi il faut dire que les anges ont été créés en même temps que la créature corporelle, cependant sans préjuger d'une autre opinion.

 

Solution des objections:

1. Et ainsi apparaît la réponse aux trois premières objections qui procèdent de cette opinion intermédiaire.

4. Comme Basile le dit dans le premier livre de l'Hexameron, Moïse, le législateur commença, au début de la Genèse, par exposer l'essor de la créature visible, en passant outre la créature spirituelle qui avait été créée avant, dont il ne fit pas mention, parce qu'il parlait à un peuple rude qui n'était pas apte à comprendre ce qui était spirituel. Selon Augustin, il comprend, par le ciel, la créature spirituelle, de même que par la terre, il comprend la créature corporelle, quand il dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre". Parce qu'il décrivit, sous la métaphore du ciel et non expressément, la création des anges, on peut donner la même raison que ci-dessus, c'est-à-dire la rudesse du peuple, et en plus pour éviter l'idolâtrie à laquelle ils étaient enclins. L'occasion leur aurait été donnée, si, en plus du seul Dieu, plusieurs substances spirituelles qui étaient plus nobles que le ciel avaient été posées en principe et principalement quand de telles substances seraient appelées des dieux par les païens. Selon Strabon et d'autres auteurs plus récents, par le ciel qui est pensé dans une autorité induite, on comprend le ciel empyrée qui est l'habitacle des saints anges, par métonymie comme quand on prend le contenant pour le contenu.

5. Comme dit Augustin, les anges ne connaissent pas Dieu à partir des créatures visibles; c'est pourquoi, elles n'ont pas été faites pour leur montrer Dieu, mais (pour le montrer) à la créature raisonnable qu'est l'homme; c'est pourquoi par là, on prouve que l'homme est la fin des créatures. Mais la fin, bien qu'elle soit première dans l'intention, est cependant dernière dans l'opération; donc l'homme a été fait en dernier.

6. Selon Augustin, la création du ciel et de la terre n'a pas précédé en durée la formation ou la production de la lumière et c'est pourquoi il ne comprend pas que la création de la nature spirituelle ait existé avant le premier jour en durée, mais dans un certain ordre de la nature; parce que la substance spirituelle et la matière informe considérées selon leur essence ne sont pas soumises à l'altération des temps: c'est pourquoi, il ne se peut pas que la créature spirituelle ait été faite avant la créature corporelle, parce que même avant la création de la lumière, il s'agit de la création d'une créature corporelle qui est comprise sous le terme de terre. Selon d'autres, la création du ciel et de la terre convient au premier jour; parce que le temps a été créé avec le ciel et la terre, bien que la distinction des temps quant au jour et à la nuit n'ait commencé qu'avec la lumière: c'est pourquoi, on pense que le temps est l'une des quatre créatures créées en premier, qui sont la nature angélique, le ciel empyrée, la matière informe et le temps.

7. Jérôme parle selon l'opinion des anciens docteurs.

8. Cette raison serait valable si chaque créature était produite comme existant en soi absolument; car ainsi il aurait été convenable que chacune soit créée séparément selon le degré de sa bonté. Mais parce que toutes les créatures sont produites comme des parties d'un seul univers, il convient que toutes soient produites en même temps pour le constituer.

9. Bien qu'il convienne à la dignité de la créature spirituelle d'être créée avant la créature visible, cependant cela ne convient pas à la dignité et à l'unité de l'univers.

10. Bien que le coeur soit formé avant les autres membres, cependant il y a une seule génération continue de tout le corps de l'animal, non parce que le coeur est formé séparément par une génération et par la suite les autres membres, successivement par d'autres générations après un certain temps. On ne peut pas dire cela pour la création des anges et des créatures corporelles, parce qu'ils ont été créés par une seule production, à savoir la créature spirituelle avant la créature corporelle, comme si l'univers était produit en continuité; car produire successivement, c'est pour ce qui est produit à partir de la matière, dans laquelle une partie est plus proche de la perfection que l'autre; c'est pourquoi, dans la première création, la succession n'a pas de place, même si dans la formation de ce qui est créé à partir de la matière, elle peut avoir lieu: c'est pourquoi, les docteurs qui ont pensé que les anges avaient été créés avant le monde, ont pensé que la création était tout à fait distincte pour les anges et pour les corps et qu'une grande durée intermédiaire s'était interposée. Et ensuite, il est nécessaire que le coeur soit formé dans l'animal avant, parce que son pouvoir opère pour la formation des autres membres. Mais la créature spirituelle n'opère pas pour la création des créatures corporelles, puisque Dieu seul en a le pouvoir. C'est pour cela que le Commentateur impute à Platon qu'il a dit que Dieu créa d'abord les anges et ensuite il leur confia la création des créatures corporelles.

11. Augustin parle de la création des créatures corporelles, non quant à la première création mais quant à leur formation

12. En soutenant que tout a été créé en même temps dans la forme et la matière, on dit que la créature spirituelle a eu connaissance de la créature corporelle qui devait être créée, non parce que sa formation était à venir dans le temps, mais parce qu'elle la connaissait comme future, dans la mesure où elle était considérée dans sa cause, où elle était pour pouvoir en procéder; comme on peut dire que celui qui connaît un coffre dans les principes dont il est fait, le connaît comme devant être fait.

13. La parole de Dieu est comprise de la génération éternelle du Verbe de Dieu, en qui, de toute éternité, il y eut la raison de toutes les créatures à créer. Et cependant elle n'est pas répétée fréquemment dans les oeuvres singulières, "Dieu dit", comme s'il avait parlé temporellement, mais parce que, bien que, en soi, le verbe soit un, cependant en lui il y a la raison propre des créatures particulières. Donc ainsi le verbe de Dieu est envoyé pour chaque oeuvre, comme la raison propre de l'oeuvre à faire, pour qu'une fois faite, il ne soit pas nécessaire de chercher pourquoi une telle oeuvre a été faite, puisqu'elle été annoncée avant sa fondation; "Dieu a dit", comme, lorsque quelqu'un, qui veut assigner la cause de quelque chose, il commence par la connaître.

14. L'être des choses dans le verbe est leur cause dans leur nature propre, mais l'être des choses dans la connaissance angélique n'est pas leur cause dans leur nature propre et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

15. Une chose est ordonnée à sa fin par son opération. Elle n'est pas amenée à l'être par elle, mais seulement par celle de la cause efficiente. C'est pourquoi il est plus convenable que les créatures supérieures coopèrent avec Dieu pour ramener les créatures inférieures à leur fin, que dans leur production.

16. Bien que les créatures corporelles et spirituelles soient disparates selon leur propre nature, cependant elles sont unies selon l'ordre de l'univers, et c'est pourquoi il fallut qu'elles soient créées ensemble.

17. Cette autorité (Qo 1, 4), selon Augustin, est comprise de la sagesse créée qui est dans la nature angélique, qui cependant, selon lui, n'a pas été créée avant dans le temps, mais en dignité. Mais selon Hilaire, on le comprend de la sagesse incréée, qui est le Fils de Dieu, laquelle en même temps est dite, créée et engendrée, comme cela paraît in (Pr 8, 22), et dans divers lieux de l'Écriture, pour que toute imperfection soit exclue de la nativité du fils de Dieu. Car dans la création, l'imperfection se trouve du côté du créé, dans la mesure où, du néant, il est amené à l'être; mais la perfection se trouve du côté du créateur qui produit les créatures sans changement de sa part. Mais dans la nativité c'est le contraire, parce que la perfection est apportée du côté de l'enfant dans la mesure où il reçoit la nature du géniteur, mais l'imperfection est du côté de celui qui engendre, selon le mode de la génération inférieure dans la mesure où il engendre en changeant et en divisant sa substance. Et c'est pourquoi on dit que le Fils de Dieu est en même temps créé et engendré, pour exclure le changement du géniteur par création, et l'imperfection de la nativité de l'engendré, pour que de chaque coté soit constitué comme parfait un seul intellect.

18. Hilaire parle selon l'opinion des anciens Docteurs.

19. Dieu est cause de la nature angélique; mais celle-ci n'est pas cause de la nature corporelle et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

20. On dit que les anges ont toujours existé, non parce qu'ils ont existé depuis l'éternité, mais parce qu'ils ont existé de tout temps; parce que, quand il y eut le temps, les anges existèrent. Et de cette manière, même les créatures corporelles ont toujours existé aussi.

21. Le moteur ne précède pas nécessairement en temps le mobile, mais il le précède en dignité, comme cela apparaît dans l'âme et le corps.

22. Dans l'action du feu sur les corps, il faut considérer un ordre double: à savoir le lieu et le temps. Le lieu est dans toute action de sa part, parce qu'elle est locale et dans les corps qui lui sont les plus proches, il exerce plus pleinement son action. C'est pourquoi en procédant plus tard, son effet est diminué, au point qu'il est totalement affaibli. Mais le temps n'est pas atteint dans toute son action, mais seulement dans celle où il agit par mouvement. C'est pourquoi, comme le feu éclaire et réchauffe les corps, en réchauffant on conserve le lieu et le temps, mais dans l'éclairage, qui n'est pas un mouvement mais son terme, on atteint seulement le lieu. Donc parce que l'action de Dieu dans la création est sans mouvement, on n'atteint pas la ressemblance pour le temps, mais seulement pour le lieu. Car d'autre part, de même dans l'action spirituelle, il y a divers degrés de nature qui sont différents lieux dans l'action corporelles. Donc, la ressemblance (dont parle) Denys est atteinte, parce que, de même que le feu dans les corps qui lui sont voisins, il verse son pouvoir plus pleinement; de même, dans les créatures qui lui sont plus proches en dignité, Dieu distribue plus abondamment sa bonté.

 

Article 19: Les anges ont-ils pu exister avant le monde visible?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car tous les êtres qui se comportent de telle manière que deux d'entre eux ne puissent être distincts dans un seul lieu, ont besoin de lieux différents. Deux anges ne peuvent pas être en un même lieu, comme on le dit communément. Donc on ne peut comprendre que deux anges sont distincts que s'il y a deux lieux différents. Mais avant la créature visible, le lieu n'existait pas, puisque celui-ci, Selon le philosophe n'est que le dernier contenant du corps. Donc avant l'univers visible, les anges n'ont pas existé.

2. La production de la créature corporelle n'a rien enlevé aux anges de leur pouvoir naturel. Si donc, quand l'univers visible n'était pas créé, les anges ont pu exister sans lieu; même alors que l'univers visible a été créé, ils le peuvent aussi, ce qui semble faux, parce que, s'ils n'étaient pas dans un lieu, ils ne seraient nulle part, et ainsi ils sembleraient ne pas exister.

3. Boèce dit, que toute esprit créé a besoin d'un corps. Mais l'ange est un esprit créé. Donc il a besoin d'un corps, et ainsi il n'a pas pu exister avant la créature corporelle

4. Mais on pourrait dire qu'il a besoin d'un corps non pour son existence, mais pour son ministère.

- En sens contraire, le ministère des anges s'exerce là où nous sommes, c'est-à-dire dans ce monde. Mais les anges ont un lieu physique, même hors de notre séjour, c'est-à-dire le ciel empyrée. Donc ils n'ont pas seulement besoin d'une corps dans un lieu physique pour notre service.

5. Il est impossible d'imaginer un avant et un après sans le temps. Mais si les anges avaient existé avant le monde, il y aurait eu un principe par lequel les anges ont commencé à exister, avant le principe par lequel l'univers visible a commencé à exister. Donc le temps aurait commencé avant le monde visible, ce qui est impossible, puisque le temps succède au mouvement et le mouvement au mobile. Donc il est impossible que les anges aient existé avant l'univers.

 

Cependant:

Ce qui n'implique pas contradiction dans les créatures, est possible à Dieu. Mais l'existence des anges, quand la créature visible n'existait pas, n'implique aucune contradiction. Donc il n'a pas été impossible à Dieu de créer les anges avant l'univers.

 

Réponse:

Comme Boèce le dit, sur les affaires divines, il ne faut pas faire de déductions imaginaires, ni non plus dans tout ce qui est corporel, parce que l'imagination suit les sens, comme cela apparaît chez le Philosophe, l'imagination ne peut s'étendre au-delà de la grandeur qui est le substrat des qualités sensibles. Ceux qui ne font pas attention à cela, et n'ont pas la force de surpasser l'imagination, n'ont pu les comprendre que par le lieu et à cause de cela, certains anciens ont dit que ce qui n'est pas dans un lieu n'existe pas, comme on le dit In IV, Phys. Et par une erreur semblable, certains modernes ont dit que les anges ne pouvaient pas exister sans la créature corporelle, comprenant les anges comme ce qu'ils ont imaginé distincts selon le lieu; ce qui porte préjudice à l'opinion des anciens qui ont pensé que les anges avaient existé avant le monde; cela porte aussi préjudice à la dignité de la nature angélique qui, puisqu'elle est naturellement avant la créature corporelle, ne dépend d'elle en aucune manière. Et c'est pourquoi nous disons absolument que les anges ont pu exister avant le monde.

 

Solution des objections:

1. Leur distinction n'empêche pas que deux anges soient en un seul lieu indivisible, mais la confusion des opérations, oui. C'est pourquoi l'objection n'est pas valable.

2. Même maintenant rien n'empêche que les anges ne soient pas dans un lieu, s'ils l'ont voulu, même s'ils sont toujours dans un lieu parce que la créature spirituelle préside à la nature corporelle, selon Augustin.

3. Comme Boèce l'expose lui-même, les anges ont besoin d'un corps, seulement pour leur ministère, mais non par compléter leur nature.

4. Les anges sont dans le ciel empyrée, comme dans un lieu qui convient à la contemplation, non cependant par la nécessité de la contemplation.

5.Cette priorité et cette postériorité ne nous oblige pas à penser qu'il y avait avant le monde un temps réel, mais seulement un temps imaginaire, comme on l'a dit dans la question sur l'éternité ou la création du monde.

 

Question 4: La création de la matière sans forme.

 

Article 1: La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création en durée?

 

Objections:

1. Il semble que non. Parce que, comme le dit Augustin: la matière sans forme précède la matière qui en est formée, de même que la voix précède le chant. Mais la voix ne le précède pas en durée, mais seulement en nature. Donc la matière sans forme ne précède pas les choses en forme, en durée, mais seulement en nature.

2. Mais on pourrait dire qu'Augustin parle de la matière par rapport à sa formation par les formes des éléments; ces formes qui ont existé aussitôt au commencement dans la matière.

- En sens contraire, l'eau et la terre sont des éléments, le feu et l'air aussi. Mais l'Écriture rapportant l'absence de forme de la matière fait mention de la terre et de l'eau. Donc si la matière, au commencement, avait eu des formes élémentaires, à raison égale, elle aurait fait mention de l'air et du feu.

3. La forme substantielle est avec la matière la cause des qualités accidentelles, comme le montre le philosophe. Mais les qualités actives et passives sont des qualités proprement accidentelles des éléments. Si donc les formes substantielles ont existé au commencement dans la matière, en conséquence, les qualités actives et passives y ont été, et ainsi il semble qu'il ne restait aucune absence de forme.

4. Mais on pourrait dire qu'il y avait absence de forme ou confusion au sujet du situs (situation) des éléments. - En sens contraire, Selon le philosophe autant il y a d'éléments différents, autant il a de lieux; car les éléments sont dans leur situs propre par le pouvoir de leur forme. Si donc la matière, dès le commencement, avait des formes substantielles, alors en conséquence, chaque élément avait son situs et ainsi il ne demeurait aucune confusion dans les éléments qui permette de dire que la matière pouvait être sans forme.

5. Si pour autant on dit que la matière est sans forme, parce que les éléments n'étaient pas encore dans leur situs propre et naturelle, il semble en conséquence, qu'on comprend sa mise en forme, comme une situs naturelle qui lui est attribuée. Mais cela n'apparaît pas dans la distinction, car certaines eaux sont placées au-dessus des cieux; alors que cependant leur situs naturelle est en dessous de l'air, immédiatement sur la terre; comme on le voit dans Le ciel et le monde, IV. Donc on ne comprend pas l'absence de forme de la matière comme une confusion de situs.

6. Mais il faut signaler qu'on dit que les eaux sont au-dessus des cieux, dans la mesure où elles s'étaient élevées sous forme de vapeur pour s'y trouver.

- En sens contraire, les eaux sous forme de vapeur ne peuvent pas s'élever au-dessus de l'atmosphère, comme le prouvent les philosophes; au contraire elles montent seulement jusqu'à l'intervalle intermédiaire de l'air. Donc elles peuvent beaucoup moins s'élever au-dessus du feu, comme plus loin au-dessus du ciel.

7. L'absence de forme de la matière est signalée par ce qui en est dit en (Gn. 1, 2) "La terre était vide et déserte". Mais le vide est attribué à la matière en rapport avec le pouvoir générateur et le désert avec l'ornement, qui, comme les Saints l'ont exposé, consiste en ce qui se meut sur terre. Donc l'absence de forme de la matière ne concerne pas le situs, de sorte qu'on puisse dire ainsi qu'elle a précédé sa formation dans la durée.

8. Qui peut donner quelque chose, en une seule fois, agit avec moins de libéralité s'il donne de manière successive. C'est pourquoi, on lit (Pr 3, 28): "Ne dis pas à ton ami: Va et reviens; demain je te le donnerai". Mais Dieu pouvait donner en même temps un être parfait aux choses. Donc comme il est suprêmement généreux, il n'a pas fait la matière sans forme avant sa formation.

9. Le mouvement du centre au centre suit les éléments selon qu'ils ont des situs naturels. Mais dans l'absence de forme même de la matière, il apparaît qu'il y avait un mouvement du centre au centre, parce que les eaux qui pouvaient se vaporiser s'étaient élevées au-dessus de la terre, comme on le dit. Donc les éléments avaient déjà leurs situs naturelles.

10. La plus ou moins grande densité est cause du lourd et du léger, comme cela paraît en Physique, IV, com. 84. Mais déjà le dense et le moins dense étaient dans les éléments, parce qu'il est dit que les eaux étaient plus denses, que maintenant. Donc il y avait le lourd et le léger, et les éléments avaient leur place, qui leur était attribuée en raison de leur légèreté ou de leur densité.

11. Dans cette absence de forme, il apparaît manifestement que la terre avait son situs et il est donné à comprendre qu'elle était recouverte par les eaux, c'est pour cela qu'il est dit (Gn 1, 9): "Que les eaux soient rassemblées en un seul lieu, et qu'apparaisse le terre sèche". Donc à raison égale les autres éléments avaient leur place, et ainsi il n'y avait nulle absence de forme dans la matière.

12. L'effet parfait vient d'un agent parfait; parce que tout agent fait du semblable à soi. Mais Dieu est l'agent absolument parfait. Donc, au commencement, il produisit la matière parfaite et ainsi mise en forme, puisque la forme est la perfection de la matière.

13. Si la matière informe a précédé la formation en durée, ou bien la matière existant ainsi manquait de toute forme, ou bien elle en avait une. Si elle manquait de toute forme, elle était alors seulement en puissance et non en acte; et ainsi elle n'était pas encore créée, puisque la création se termine à l'être. Mais si elle avait une forme, ou celle-ci était une forme élémentaire, ou la forme d'un mixte. Si c'était une forme élémentaire, ou bien elle avait seulement une forme ou des formes diverses. Si elles étaient diverses, donc il y avait déjà de la diversité par les diverses formes élémentaires. S'il n'y en avait qu'une, il en découle qu'une forme de l'élément serait naturellement dans la matière avant les autres, et ainsi un seul élément était le principe des autres, comme les très anciens Naturalistes le pensaient, disant qu'il n'en existait qu'un seul. Ce qui est désapprouvé par le philosophe. Si elle avait la forme d'un mixte, alors celle-ci est naturellement dans la matière avant la forme des éléments, ce qui paraît faux, parce que le mélange ne se fait que si quelque chose amène les éléments à la forme du mixte. Donc il n'est pas possible que la matière ait été sans forme avant d'être en forme.

14. Mais on pourrait dire que la matière avait la forme des éléments; mais pas de la manière dont ils existent maintenant, parce que les eaux étaient plus rares et mêlées à l'air sous forme de vapeur.

- En sens contraire, la forme de chaque élément requiert une mesure déterminée de plus ou moins grande densité, sans laquelle elle ne peut pas exister. Mais la faible densité par laquelle quelque chose monte dans un espace de l'air dépasse la condition de l'eau, parce que sa nature est d'être plus lourde que l'air. Donc s'il y avait une telle subtilité que les eaux montent à la place de l'air sous forme de vapeur, elles n'avaient pas la nature de l'eau, et ainsi il n'y avait pas de formes élémentaires dans la matière; on a dit le contraire ci-dessus.

15. Par l'oeuvre des six jours, différents genres d'êtres ont été formés à partir de la matière informe. Mais parmi les autres oeuvres des six jours, le firmament a été formé le second jour. Si donc la matière informe dépendait des formes élémentaires, il en découlerait que le ciel a été fait à partir des quatre éléments, ce qui est refusé par le Philosophe.

16. De la même manière que le corps naturel se comporte vis-à-vis de sa nature, la matière se comporte vis-à-vis de la forme. Mais un corps naturel ne peut pas exister sans son aspect. Donc la matière ne peut pas exister sans forme.

17. Si la formation de la matière n'a pas eu lieu au début de sa création, alors le rassemblement des eaux qui eut lieu le troisième jour, n'a pas toujours existé. Mais cela paraît impossible, parce que, si les eaux couvraient la terre de tous côtés, il n'y avait pas de lieu où elles puissent se rassembler. Donc il semble que la matière sans forme n'aura pas précédé la mise en forme des choses. Mais que l'eau ait couvert la terre de tous côtés, cela apparaît du fait que les éléments ont été séparés, comme on le prouve dans Le ciel et le monde.

18. Mais on pourrait dire qu'il y avait une cavité sous la terre où les parties descendirent et ainsi, elle offrit la terre comme espace pour les eaux. En sens contraire, ces cavités ou ces trous ont été causés dans la terre à cause des pierrailles qui ont soutenu les parties supérieures de la terre, pour qu'elles ne descendent pas en son centre; ce qui alors était impossible; puisque les pierres sont des corps mixtes; il en découlerait que le corps mixte aurait existé avant la formation des éléments. Donc de telles cavités ne pouvaient pas exister.

19. S'il existait des cavités dans la terre, elles ne pouvaient pas être vides. Donc elles étaient emplies d'air ou d'eau, ce qui paraît impossible, puisque s'enfoncer dans la terre serait contre la nature de ces deux éléments.

20. Ou l'eau qui recouvrait la terre de toutes parts avait une situs naturel ou pas. Si elle en avait une, l'eau n'en pouvait être déplacée que par violence, parce qu'on ne déplace d'un lieu que par violence le corps qui y repose naturellement. Mais cela ne fait pas partie du premier établissement des choses, par qui la nature est établie, à laquelle répugne la violence. Mais si ce situs de l'eau était violent, elle pouvait par sa propre nature revenir à cette disposition qu'elle n'avait pas; parce qu'une chose s'éloigne naturellement d'un lieu dans lequel elle est établie avec violence, elle se meut naturellement; et ainsi il ne fallait pas penser que cela faisait partie de la mise en forme que les eaux étaient rassemblées en un seul lieu.

21. Les choses ont été établies selon l'ordre qu'elles ont naturellement. Mais elles ont été séparées naturellement avant d'être mêlées, puisque le simple est naturellement avant le composé. Donc il n'a pas été convenable pour leur institution qu'elles aient été d'abord en une certaine confusion et qu'elles soient séparées ensuite.

22. Le passage de l'acte à la puissance n'appartient pas à l'institution des choses, mais plutôt à leur corruption: car les choses se font par le fait qu'elles sont ramenées de la puissance à l'acte. Mais procéder des mixtes aux éléments, c'est procéder de l'acte à la puissance, puisque les éléments sont comme la matière en rapport avec la forme du mixte. Donc il ne fut pas convenable pour l'institution des choses que d'abord elles soient faites dans une certaine confusion et un certain mélange et qu'elles soient séparées ensuite.

23.Cela paraît en accord avec les erreurs des anciens philosophes; à savoir avec l'opinion d'Empédocle qui pensait que les parties du monde avaient été distinguées les unes des autres par conflit, puisque d'abord elles avaient été mêlées par amitié; et avec celle d'Anaxagore qui a pensé que lorsque tout était ensemble à certains moments, l'intellect commençait à distinguer en séparant de ce qui était confus et mélangé. Ces opinions ont été suffisamment désapprouvées par les philosophes suivants. Donc il ne faut pas penser que l'absence de forme ou la confusion de la matière précéderait en durée la formation des choses.

 

Cependant:

1. Grégoire, quand il expose ce verset du (Qo 18, 1): "Celui qui vit éternellement a créé tout en même temps", dit que tout a été créé en même temps par la substance de la matière mais non par la nature de la forme, ce qui n'était possible que s'il y avait eu la substance avant que la forme y soit. Donc la matière informe a précédé en durée la mise en forme des choses.

2. Ce qui n'existe pas ne peut pas avoir d'opération. Mais la matière sans forme en a une; car elle désire la forme, comme on le dit. Donc la matière peut exister sans forme et ainsi il n'est pas inconvenant de penser que celle-ci a précédé en durée la formation des choses.

3. Dieu peut faire plus que la nature. Mais la nature fait de l'être en puissance un être en acte. Donc Dieu peut faire d'un être simplement un être en puissance, et ainsi il a pu faire une matière qui existait sans forme.

4. On ne doit pas dire que ce que l'Écriture sainte dit avoir existé à un certain moment n'a pas existé, parce que Augustin dit qu'aucun chrétien ne pense contre l'Écriture sainte. Mais celle-ci dit que la terre fut à certains moments vide et déserte. Donc il ne faut pas dire qu'à un certain moment la terre aura été vide et déserte. Cela concerne l'absence de forme de la matière de quelque manière qu'on l'expose. Donc à un certain moment, la substance de la matière a précédé sa mise en forme, autrement jamais elle aurait été sans forme.

5. La créature spirituelle et la créature corporelle ont est créées en même temps, comme cela a été démontré dans la Q. 3, a. 18. Mais, dans la créature spirituelle, l'absence de forme a précédé sa mise en forme même en durée. Donc, pour la même raison, dans la créature corporelle aussi.

Preuve intermédiaire: on comprend la mise en forme de la créature spirituelle selon qu'elle se tourne vers le Verbe qui est son illumination. Mais en même temps que la lumière a été faite, il y eut la division entre la lumière et les ténèbres. Et par les ténèbres, on comprend le péché dans la créature spirituelle. Mais le péché n'a pas pu existé au premier instant de la création des anges, parce que, alors, les démons n'auraient jamais été bons. Donc la créature spirituelle n'a pas été mise en forme au premier instant de la création.

6. Ce dont vient quelque chose précède aussi dans le temps ce qui en vient. Mais Dieu, de la matière invisible, qui est la matière sans forme, selon Augustin a créé la terre, comme le dit (Sg 11, 18). Donc la matière sans forme a précédé dans le temps la terre en forme.

Preuve de la première: Selon le philosophe on peut exprimer le devenir des choses de deux manières:

1. Comme on dit: ceci est devenu cela par soi, ce qui convient au substrat, comme lorsqu'on dit: l'homme devient blanc; par accident aussi comme d'une privation et d'un contraire, comme quand on dit le non blanc, ou le noir devient blanc.

2. D'une autre manière, comme on dit: ceci est fait de cela par soi; ce qui ne convient au substrat qu'en raison de la privation. Car nous ne disons pas d'un homme qu'il devient blanc; mais que de non blanc ou de noir, il devient blanc; ou même d'un homme noir ou non blanc. Donc ce de quoi vient quelque chose, est une privation ou son contraire, ou c'est une matière sujette à la privation ou au contraire. Mais des deux manières, il faut que ce de quoi quelque chose est fait le précède dans le temps, parce que les opposés ne peuvent être ensemble, et la matière ne peut pas être soumise à la privation et à la forme en même temps. Donc ce de quoi une chose est faite, précède dans le temps ce qui advient d'elle.

7. L'opération de la nature imite autant qu'elle le peut l'opération de Dieu, comme l'opération de la cause seconde imite celle de la cause première. Mais le processus de la nature, en opérant, fait passer de l'imparfait au parfait. Donc Dieu aussi a produit, dans le temps, l'imparfait avant et le parfait ensuite et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.

8. Augustin dit que là où, au commencement, l'Écriture fait mention de la terre et de l'eau, comme il est dit dans (Gn 1, 2): "La terre était vide et déserte et l'Esprit du Seigneur était porté sur les eaux", on ne désigne pas la terre et l'eau parce qu'elles étaient déjà telles, mais parce qu'elles pouvaient l'être. Donc à certains moments, la matière première n'avait pas encore la forme de l'eau ou de la terre, mais elle pouvait seulement l'avoir. Et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.

 

Réponse:

Comme le dit Augustin à propos de cette question, il peut y avoir une double discussion: 1. sur la vérité, 2. sur le sens de la lettre, par laquelle Moïse, divinement inspiré, nous a exposé le commencement du monde.

Pour la première discussion, il faut éviter deux écueils:

1. Sur cette question ne rien affirmer de faux, surtout qui contredise la vérité de la foi.

2. Ce que quelqu'un aura cru vrai, qu'il ne veuille pas affirmer aussitôt que cela concerne la vérité de la foi; parce, comme Augustin le dit: "Il fait du tort, s'il considère comme faux ce qui se rapporte à la forme même de la doctrine de la piété; à savoir qu'il croit et qu'il ose affirmer avec opiniâtreté ce qu'il ignore." Il dit qu'on fait du tort, parce la vérité de la foi est tournée en dérision par les infidèles, quand un simple fidèle propose, comme appartenant à la foi, ce qui peut être démontré comme faux par des preuves très sûres, comme il le dit I, La Genèse au sens littéral.

Pour la seconde controverse, il faut éviter deux écueils.

1. Que personne ne dise qu'on doit comprendre que ce qui paraît faux, dans les paroles de l'Écriture qui enseigne la création. Car l'erreur ne peut pas se trouver dans l'Écriture divine rapportée par l'Esprit saint, ni non plus dans la foi, qu'elle enseigne.

2. Que personne ne veuille réduire ainsi l'Écriture à un seul sens, de sorte que seraient exclus complètement les autres sens qui contiennent en eux une vérité, et peuvent, si on tient compte du contexte, être conformes à l'Écriture. Car il appartient à la dignité de l'Écriture divine que sous une lettre unique, elle contienne de nombreux sens, de sorte qu'elle convient ainsi aux différents intellects des hommes, pour que chacun puisse avec admiration trouver en elle la vérité qu'il aura conçue dans son esprit; et par cela aussi elle est défendue plus facilement contre les infidèles, puisque, si un sens que chacun veut comprendre de l'Écriture aura paru faux, on peut recourir à un autre. C'est pourquoi il n'est pas incroyable que cela ait été transmis de façon divine à Moïse et aux autres auteurs de l'Écriture sainte, pour que les hommes connaissent les diverses vérités qu'ils pourraient comprendre et ce qu'elles révèlent sous un seul sens littéral, de sorte que n'importe laquelle d'entre d'elles soit le sens de l'auteur. C'est pourquoi, si aussi quelques vérités que l'auteur ne comprend pas sont appliquées par les commentateurs de la lettre de l'Écriture sainte, il n'est pas douteux que l'Esprit saint les aura comprises, lui qui en est l'auteur principal. C'est pourquoi toute vérité qui, si on conserve le contexte, peut être conforme à l'Écriture divine, est son sens.

Cela étant supposé, il faut savoir que les divers commentateurs de l'Écriture sainte ont accepté différents sens pour le commencement de la Genèse, dont aucun ne s'oppose à la vérité de la foi. Sur la question présente, ils se sont séparés en deux voies, en admettant de deux manières la mise en forme de la matière, qui est signalée au début de la Genèse, là où il est dit: "Mais la terre était vide et déserte".

A) Car certains ont compris qu'une telle absence de forme de la matière était signifiée par ces mots ci-dessus; selon que la matière est comprise sans aucune forme, en puissance cependant à toutes les formes, mais une telle matière ne peut pas exister dans la nature, sans que qu'elle ne soit mise en forme de quelque manière. Car tout ce qu'on trouve dans la nature, existe en acte, ce que la matière n'a que par la forme, qui est son acte; c'est pourquoi on n'a pas à la trouver sans forme dans la nature.

Et en plus, comme rien ne peut être contenu dans un genre sans être déterminé par une différence de genre pour l'espèce, la matière ne peut être un étant sans être déterminée à un mode particulier d'être; ce qui ne se fait que par la forme. C'est pourquoi, si on comprend ainsi la matière sans forme, il est impossible qu'elle ait précédé en durée la mise en forme, mais elle l'a précédée seulement dans l'ordre de la nature, selon que, ce de quoi quelque chose est fait est naturellement avant lui, comme la nuit est créée la première. Et telle fut l'opinion d'Augustin.

B) D'autres ont compris l'absence de forme de la matière, non parce qu'elle manque de toute forme; mais selon qu'on la désigne comme quelque chose sans forme, parce qu'elle n'a pas encore l'achèvement ultime de sa nature et sa beauté et, et pour cela on peut penser que l'absence de forme a précédé en durée la mise en forme. Ainsi on pense que cela semble convenir à l'ordre de la sagesse de l'artiste, qui, amenant les choses du néant à l'être, ne les a pas établies aussitôt après le néant, dans la perfection ultime de leur nature; mais que d'abord il les fit dans un certain être imparfait, et ensuite il les a amenées à la perfection; pour montrer qu'ainsi leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière est incréée. Néanmoins il paraîtrait l'auteur même de la perfection des choses contre ceux qui attribuent à un autre la mise en forme des choses inférieures par les causes. Et c'est cela que Basile le Grand et Grégoire et leurs successeurs ont compris. Donc parce qu'aucun des deux n'est en discordance avec la vérité de la foi, et que le contexte supporte l'un et l'autre sens, répondons en soutenant l'un et l'autre, pour ces deux raisons.

 

Solution des objections:

1. Augustin parle de la matière sans forme, selon qu'elle est comprise sans forme aucune, et ainsi il est nécessaire de dire que cette absence précède la mise en forme seulement dans l'ordre de la nature. Et on montrera dans l'article suivant quelle opinion avoir sur l'ordre de la mise en forme.

2. A ce sujet quelques-uns ont pensé de multiples façons.

1. Car on dit que Platon, voyant le texte la Genèse, a compris que le nombre des éléments et leur ordre y était signalé de sorte que la terre et l'eau sont désignées par leurs noms propres. Mais on comprend que l'eau a existé sur la terre du fait qu'il est écrit (Gn 1, 9): "Que les eaux se rassemblent dans un lieu unique, qu'apparaisse la terre sèche". Au dessus de ces deux éléments, il a compris l'air dans ce qui est dit: "Le souffle du Seigneur était porté sur les eaux", comprenant l'air sous le nom de souffle. Et il a compris le feu sous le nom de ciel, qui est au-dessus de tout.

2. Mais parce que, selon les démonstrations d'Le philosophe, il ne peut pas exister un ciel de nature ignée, comme son mouvement circulaire le démontre, Rabbi Maimonide suivant l'opinion du philosophe, d'accord avec Platon sur les trois premiers points, a dit que le feu était signifié par les ténèbres parce que le feu ne brille pas dans sa propre sphère; et son lieu est révélé dans ce qui est dit: "sur la face de l'abîme". Mais il comprend que le nom du ciel signifie la quinte essence.

3. Mais parce que, comme le dit Basile dans l'Hexaemeron, ce n'est l'habitude de l'Écriture sainte de comprendre l'air comme le souffle du Seigneur, il donna à comprendre les intermédiaires par les corps extrêmes qu'il établit. Et principalement parce qu'il est clair pour les sens, que l'eau et la terre sont des corps, mais que l'air et le feu n'apparaissent pas ainsi aux simples à qui l'Écriture était transmise pour les instruire.

4. Selon Augustin par les noms de terre et d'eau dont il est fait mention avant la formation de la lumière, on ne comprend pas la mise en forme des éléments, mais la matière elle-même, sans forme, sans aucune espèce. Aussi c'est plutôt par ces deux termes, que s'exprime l'absence de forme de la matière, plus que par les autres éléments, parce qu'ils sont plus proches de l'absence de forme comme ayant plus de matière, et moins de forme; et ils nous sont mieux connus et ils nous montrent plus clairement la matière des autres. C'est pourquoi il n'a pas voulu qu'elle soit signifiée par l'un seulement, mais par les deux, pour que si seulement l'autre ne l'avait pas pu, on crut vraiment que c'était la matière sans forme.

3. En ce commencement des créatures, par leur absence de forme, selon l'opinion de Basile et des autres saints, il ne faut pas penser que les éléments manquaient de leurs qualités naturelles. Mais l'une et l'autre avaient des formes, soit substantielles, soit accidentelles.

4. Le situs des éléments peut être considérée d'une double manière:

1. Quant à sa nature propre. et ainsi le feu entoure naturellement l'air, l'air entoure l'eau et l'eau la terre.

2. Quant à la nécessité de la génération, qui est dans un lieu intermédiaire. Ainsi il est nécessaire que la surface de la terre, pour l'une de ses parties ne soit pas découverte par les eaux; pour qu'une génération convenable et la conservation des mixtes y soient possibles, et principalement celle des animaux parfaits qui ont besoin d'air pour respirer. Il faut donc dire que cette absence de forme du premier état est atteinte pour le situs, qui est naturelle aux éléments en soi (car tous les éléments ont ce situs), mais pour ce situs qui appartient aux éléments en rapport avec la génération des mixtes. Car ce situs n'était pas encore parfaite, parce que les corps mixtes n'avaient pas encore paru.

5. Au sujet des eaux qui sont au-dessus des cieux, ils ont pensé de diverses manières:

Car certains ont dit que ces eaux étaient des natures spirituelles, ce qui est attribué à Origène. Mais cela ne semble pas pouvoir être pris à la lettre, puisque l'espace n'appartient pas aux natures spirituelles; pour partager le firmament entre elles et les eaux corporelles inférieures, comme l'Écriture le rapporte.

C'est pourquoi d'autres disent que, sous le nom de firmament, on comprend l'air qui nous est proche, au-dessus duquel s'élèvent les eaux qui peuvent se sublimer par la montée des vapeurs, qui sont la matière des pluies; pour qu'ainsi, entre les eaux supérieures qui sont suspendues sous forme de vapeur dans l'intervalle intermédiaire de l'air, et les eaux corporelles que nous voyons se tenir sur la terre, il existe un ciel aérien intermédiaire. Et Rabbi Maimonide est d'accord avec cette exposé. Mais le contexte de la lettre ne semble pas le permettre. Car ensuite il est ajouté, dans la lettre, que Dieu fit deux grands luminaires et les étoiles, et les plaça dans le firmament.

Et c'est pourquoi, d'autres disent que, par le firmament, on comprend le ciel étoilé et que les eaux qui existent au-dessus des cieux sont de la nature des éléments aquatiques et ils y sont placés par la providence divine pour tempérer le pouvoir du feu, dont ils disaient que tout le ciel se compose, comme Basile le rapporte. Et pour l'établir, Augustin dit que certains en ont tiré un double argument. L'un est que si l'eau, faite par raréfaction peut monter jusqu'à l'intervalle intermédiaire de l'air où sont engendrées les pluies, si, en plus divisée, elle se raréfie parce qu'elle est divisible à l'infini comme toute matière continue - elle pourra, par sa légèreté, monter au-dessus du ciel étoilé et y exister de manière convenable. L'autre argument est que la planète Saturne qui devrait être très chaude à cause de son mouvement très rapide, dans la mesure où sa circonférence est plus grande, se trouve froide, ce qu'ils disent venir de la proximité de cette eau qui la refroidit.

Mais cette exposition semble avoir un défaut du fait qu'elle affirme qu'on comprend certaines choses par l'Écriture sainte dont le contraire est prouvé par des raisons assez évidentes.

1. Quant au situs même des corps qui paraît renverser leur situs naturel. En effet, comme chaque corps doit être d'autant plus haut qu'il est plus forme, il ne semble pas convenir à la nature des éléments, que l'eau qui, parmi tous les corps, est plus matérielle, exceptée la terre, soit placée au-dessus du ciel étoilé, et à nouveau, que ce qui a une seule nature partage des lieux naturels différents, ce qui arrivera si une partie de l'élément eau est immédiatement sur la terre, l'autre au-dessus du ciel. Et, que la toute puissance de Dieu soutienne ces eaux contre leur nature au-dessous du ciel n'est pas une réponse satisfaisante; parce qu'alors on cherche comment Dieu a institué la nature, sans vouloir opérer pour elles un miracle de sa puissance, comme Augustin le dit dans le même livre.

2. Parce que la raison de la raréfaction ou la division des eaux paraît tout à fait vaine. Car même si les objets mathématiques pouvaient être divisés à l'infini, cependant les corps naturels sont divisés jusqu'à un certain point, puisque la quantité est déterminée pour chacune des formes selon sa nature comme les autres accidents. C'est pourquoi la raréfaction ne peut pas exister à l'infini; mais (va) jusqu'à un terme déterminé qui est dans la faible densité du feu. Et en plus l'eau pourrait perdre sa densité au point qu'elle ne serait plus de l'eau, mais de l'air ou du feu, si elle dépassait la faible densité de l'eau. Et elle ne pourrait naturellement dépasser les espaces de l'air et du feu, à moins qu'ayant perdu sa nature, elle dépasse leur faible densité. Et à nouveau il ne serait pas possible que le corps élémentaire, qui est corruptible devienne plus forme que le ciel étoilé, qui est incorruptible et ainsi soit placé naturellement au-dessus de lui.

3. Parce que la seconde raison apparaît comme tout à fait frivole. Car les corps célestes ne sont pas susceptibles d'une imprégnation étrangère, comme le Philosophe le prouve. Il ne serait possible que la planète Saturne soient refroidie par ces eaux, que si toutes les étoiles qui sont dans la huitième sphère étaient refroidies aussi; cependant on trouve à leurs effets que plusieurs d'entre elles sont chaudes.

Et c'est pourquoi il semble qu'il faille en parler autrement pour que la vérité de l'Écriture soit défendue de toute calomnie, de sorte que nous disons que ces eaux ne sont pas de la nature des eaux élémentaires, mais sont de quinte essence, ayant une commune transparence avec nos eaux, comme le ciel empyrée a une commune brillance avec notre feu. Et ils appellent ces eaux le ciel cristallin, non parce qu'il est fait d'eau congelée à la ressemblance du cristal, parce que, comme le dit Basile, c'est le propre d'une démence puérile et d'un esprit insensé, d'accepter une telle opinion sur les objets célestes, mais c'est à cause de la consistance de ce ciel, comme des autres cieux, comme le dit (Jb 37, 18) que "les plus consistants ont fondu comme l'air". Et ce ciel aussi est placé par les astrologues dans la neuvième sphère. C'est pourquoi Augustin soutient l'un de ces exposés, mais il émet un doute, disant dans le même livre: "De quelque manière, et quelles que soient ces eaux, ne doutons pas qu'elles y sont. Car l'autorité de cette Écriture est plus grande que la capacité de tout l'esprit humain".

6. Nous le concédons.

7. Selon l'exposition de Basile et ses successeurs, si on comprend par le mot terre, l'élément terre, on peut la considérer ainsi dans la mesure où elle est le principe de certaines choses, à savoir des plantes dont elle est même la mère, comme on le dit au livre de la Végétation et ainsi par rapport à cela, elle était vide avant de les produire; car nous disons qu'est vide ou désert ce qui ne parvient pas à son effet ou à sa fin propres. Et elle peut être considérée dans la mesure où elle est un habitacle et un lieu pour les animaux par rapport à ce qu'on a appelé désert.

Ou selon la lettre de la Septante, qui a invisible et non composée, il y eut une terre invisible, dans la mesure où elle était couverte d'eau, même dans la mesure où la lumière par laquelle elle pouvait être vue n'était pas créée; non composée, dans la mesure où elle manquait de l'ornement des plantes et des animaux, et d'un espace convenable pour leur génération et leur conservation. Mais si on comprend par terre la matière, selon l'opinion d'Augustin, on l'appelle vide par comparaison au composé en lequel elle subsiste; car la vacuité est opposée à la fermeté et à la solidité; mais déserte par comparaison aux formes qui ne comblaient pas sa puissance. C'est pour cela que Platon, compara la réception de la matière à un lieu, selon lequel elle est reçue et placée en lui. Mais désert ou plein se dit proprement du lieu. Car on dit que la matière dans son manque de forme est considérée comme invisible, selon qu'elle manque de forme, qui est le principe de sa connaissance, non composée dans la mesure où elle ne subsiste pas sans composé.

8. Il convient à la libéralité du donateur de donner promptement, mais aussi de donner chaque chose avec ordre et au temps convenable. C'est pourquoi quand il est dit: "Aussitôt que tu pourrais donner", non seulement il faut considérer la puissance par laquelle on peut donner quelque chose absolument, mais encore par laquelle nous pouvons donner plus convenablement. C'est pourquoi, pour garder la convenance de l'ordre, Dieu a institué d'abord des créatures dans une certaine imperfection, pour qu'elles parviennent graduellement du néant à la perfection.

9. Le situs qui convient à la nature des éléments, était en eux, comme on l'a dit; c'est pourquoi l'objection ne vaut pas contre cette opinion.

10.

11. Il faut dire de même pour la dixième et onzième objection.

12. Il convient à l'agent parfait de produire un effet parfait. Il ne faut pas que cet effet soit dès le commencement absolument parfait selon le mode de sa nature, mais il suffit qu'il le soit dans ce temps; de cette manière, on peut dire que l'enfant sitôt né est parfait.

13. On ne dit pas que la matière a été sans forme, selon la proposition que nous soutenons à présent, parce qu'elle manquerait de toute forme; ou bien parce qu'elle n'aurait qu'une seule forme, qui serait en puissance à toutes les formes, comme l'ont pensé les anciens Naturalistes, qui n'admettaient qu'un seul principe; ou bien sous le pouvoir duquel seraient contenues plusieurs formes, comme cela arrive dans les mixtes, mais elle avait en différentes parties différentes formes élémentaires. Cependant on l'appelait matière sans forme, parce que n'étaient pas encore parvenues à la matière les formes des corps mixtes, pour lesquelles les formes élémentaires sont en puissance, et la position des éléments n'était pas encore apte à leur génération, comme on l'a dit d'abord.

14. Rien, ni l'autorité de l'Écriture dans la Genèse, ni la raison ne nous forcent à dire, qu'en ce commencement des choses, la matière était soumise à des formes élémentaires d'une autre manière que maintenant, même s'il aura été possible que des eaux s'élèvent sous forme de vapeur dans le territoire de l'air, comme cela arrive aussi maintenant, et peut-être alors encore plus, puisque la terre était entièrement couverte par les eaux.

15. Au sujet du firmament qui est formé le second jour, on trouve de nombreuses opinions.

Car certains disent qu'il n'est pas autre que le ciel, qu'on lit avoir été créé le premier jour, mais ils disent que l'Écriture au commencement a rappelé sommairement ce qui a été fait, dont elle a expliqué comment cela a été faits en six jours. Et cette opinion vient de Basile dans l'Hexaemeron.

Mais d'autres disent que c'est un autre firmament qui a été créé le second jour, et un autre ciel qu'on dit avoir été créé d'abord, et cela de trois manières.

1. Car certains ont dit que par le ciel, qui, lit-on, a été créé le premier jour, on comprend la créature spirituelle, en forme, ou encore sans forme; par le firmament qui, a été créé le second jour, on comprend le ciel corporel que nous voyons. Et c'est l'opinion d'Augustin, comme cela apparaît dans le La Genèse au sens littéral et au livre 12 des Confessions.

2. D'autres disent que par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel empyrée, par le firmament qui a été fait le second jour, on comprend le ciel étoilé que nous voyons. Et cette opinion est celle de Strabon, comme on le voit dans la glose de Genèse 1.

3. D'autres disent que, par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel étoilé, et par le firmament qui a été fait le second jour, l'espace de cet air voisin de la terre, qui divise les eaux entre elles, comme on l'a dit plus haut. Et Augustin parle de cette exposition dans La Genèse au sens littéral et Rabbi Maimonide la soutient.

Selon cette dernière exposition, il est facile de résoudre le problème; parce que le firmament, qui a été créé le second jour, n'était pas de quinte essence; c'est pourquoi, rien n'empêche, quant à lui qu'il soit passé de l'absence de forme à la mise en forme; ou bien quant à la raréfaction, car les vapeurs s'élevaient des eaux, amoindries par leur rassemblement en un seul lieu, ou bien quant à son situs pendant que l'air arriva dans le lieu d'où l'eau se retirait.

Mais selon ces trois premières opinions, qui comprennent par le firmament le ciel étoilé, il ne faut pas dire qu'il y eut passage dans le ciel, de l'absence de forme à la mise en forme, comme s'il acquerrait une nouvelle forme, parce que, dans les éléments inférieurs, l'Écriture ne force pas à l'établir, mais comme nous comprenons qu'un pouvoir a été placé dans le firmament pour la génération des éléments mixtes, on peut y comprendre aussi sa mise en forme, comme on comprend celle des éléments inférieurs, comme on l'a dit, pour la génération des mixtes. Car, de même que les éléments inférieurs sont la matière des mixtes, le firmament est leur cause active.

C'est pourquoi la séparation des eaux inférieures des eaux supérieures peut être comprise au moyen d'un intermédiaire situé aux confins des deux extrêmes qui les distingue l'une de l'autre. Car les eaux inférieures sont sujettes à variation, dans la mesure où elles deviennent la matière du mixte par le mouvement du firmament, mais pas les eaux supérieures. Cependant selon l'expression d'Augustin, si on pense que la matière informe a existé avant dans le temps, il n'en ressort rien de grave, parce qu'il faut d'une certaine manière que la matière soit établie dans le corps céleste, dans lequel on trouve aussi le mouvement. C'est pourquoi, rien n'empêche qu'on la comprenne dans l'ordre de la nature avant la forme, bien que rien de la formation ne serait arrivé à partir du temps. Et nous ne sommes pas forcés, pour cela, de dire qu'il y a une seule nature commune au corps céleste et aux éléments inférieurs, même si on désigne par un seul nom les terres ou les eaux, selon l'expression d'Augustin; parce que cette unité n'est pas comprise de la substance, mais de la proportion dans la mesure où on considère n'importe quelle matière comme en puissance pour la forme.

16. La solution est éclairée par ce qui vient d'être dit. Car on ne comprend pas l'absence de forme de la matière, comme celle de toute forme, comme on l'a dit.

17. Selon l'expression d'Augustin qui pense que par la terre et l'eau dont on fait mention avant, comme n'étant pas des éléments, on a désigné la matière première, il n'en découle aucune inconvenance pour le rassemblement des eaux. Car, comme il le dit lui-même, de même qu'il a été dit: "Que soit fait le firmament", au second jour, cela signifie la formation des corps inférieurs, de même quand il est dit: "que les eaux se rassemblent", au troisième jour cela signifie que l'eau a reçu sa forme; par cette parole: "que la terre sèche apparaisse", cela signifie la même chose pour la terre. C'est pourquoi, il s'est servi de ces mots, pour la formation de ces éléments, et non du mot de faire, comme pour le ciel pour dire: que l'eau et la terre soient faites, comme il avait dit: "Que le firmament soit fait.", pour signifier l'imperfection de ces formes et leur proximité de la matière informe. Il s'est servi du mot de rassemblement, pour l'eau, pour signifier sa mobilité, et du mot apparence, dans la terre pour signifier sa stabilité. Aussi il dit lui-même: "C'est pourquoi on a dit de l'eau qu'elle se rassemble, de la terre qu'elle apparaisse, parce que l'eau s'est écoulée doucement et la terre a été fixée fermement".

Mais si, selon l'opinion de Basile et des autres saints, on disait qu'on signifie ici et là la même terre, et de la même manière, la même eau, mais disposées d'une autre manière avant et après, on trouve de nombreuses réponses: Car certains ont dit qu'une partie de la terre était celle qui n'avait pas été recouverte par les eaux, dans laquelle l'eau qui occupait la terre habitable, avec l'aide de Dieu, a été rassemblée. Mais Augustin le réprouve à cause de la lettre même du texte, en disant: "S'il y avait quelque lieu où la terre était nue, quand les eaux se seraient rassemblées, c'est que déjà avant émergeait la terre sèche, ce qui est contre le contexte". C'est pourquoi d'autres disent que l'eau était plus rare, comme les nuées, et ensuite étant devenue plus dense, elle a été placée dans un lieu plus petit. Mais cela même ne diminue pas la difficulté; d'une part, parce que ce n'était pas vraiment de l'eau, si elle avait pris la forme de la vapeur, d'autre part, même parce qu'elle aurait occupé la place de l'air. et il resterait une difficulté semblable pour l'air. Et c'est pourquoi d'autres disent que la terre a reçu des cavités, dans lesquelles elle a pu recevoir une grande quantité des eaux par l'opération de Dieu. Mais cela semble être contraire, parce que c'est par accident qu'une partie de la terre est plus loin du centre que l'autre. Mais en cette formation des choses, la nature a reçu son mode, comme Augustin le dit dans le même livre.

Et c'est pourquoi il semble qu'il vaut mieux dire, comme Basile, que les eaux s'étaient dispersées en de nombreuses parties, et ensuite ont été rassemblées en un tout, ce que le texte même usant du mot de rassemblement semble signifier. Car même si l'eau couvrait toute la terre, il ne faut pas qu'avant elle soit recouverte partout d'une profondeur telle qu'on la trouve maintenant dans certains lieux.

18. Parce que les minéraux ne dépassent pas de façon évidente les éléments en perfection, comme les êtres vivants, ils ne sont pas décrits comme formés à part des éléments; mais on peut comprendre qu'ils sont produits à la constitution même des éléments. C'est pourquoi rien n'empêche qu'il y eut des cavités avant le rassemblement des eaux, pour que après, la terre comprimée en sa surface offre une place à l'eau rassemblée. Cependant les paroles d'Augustin à propos de cette opinion paraissent mieux convenir, parce que les cavités de ce genre, n'auraient pas préexisté sous la terre, mais elles auraient été faites plus à sa surface, quand les eaux ont été rassemblées. Car il parle ainsi: "La terre qui s'étend au loin, et largement a pu fournir d'autres dépressions dans lesquelles les confluents et les eaux courantes seraient reçues, et la terre sèche apparaîtrait de ces parties d'où le liquide serait parti". Les paroles de Basile sont en accord. Il dit: "Quand l'ordre a été donné que les eaux se rassemblent en une seule masse, alors la cause de leur réception a précédé et ainsi par l'ordre de Dieu, un réceptacle suffisant a été préparé où les grandes quantités d'eaux se rassembleraient". Cette capacité peut être comprise par l'enfoncement de certaines parties de la terre, quand nous voyons même dans certaines une plus grande élévation accidentelle, comme cela se voit dans les collines et les montagnes.

19. Si les cavités ne préexistaient pas dans la terre, selon ce qui a été dit en dernier, la présente objection ne vaut pas. Mais si elles préexistaient, alors il faut dire que, bien que ce soit contre la nature de l'air ou de l'eau de se mettre sous les terres qui leur sont laissées, cependant pas si la terre était en quelque manière empêchée par son mouvement. Car ainsi nous voyons dans les cavernes qui se font sous terre, que la terre suspendue par certains supports laisse entrer l'air, parce que la nature ne supporte pas le vide. Cependant, si on dit que les eaux qui étaient d'une moins grande profondeur, dispersées sur toute la surface de la terre, ont été par la suite rassemblées sur une partie de la terre avec une plus grande profondeur, comme on l'a dit ci-dessus, les objections précédentes disparaîtront.

20. Si on considère le situs naturel des éléments, qui appartient à leur nature de façon absolue, il est naturel pour l'eau d'entourer partout toute la terre, comme l'air entoure l'eau. Mais si on considère les éléments dans leur rapport à la génération des mixtes, que les corps célestes mettent en action, alors un tel situs convient telle qu'elle a été mise en place après. C'est pourquoi aussitôt que la terre sèche est apparue dans l'une de ses parties, elle est assujettie à la production des plantes. Mais, ce qui dans les éléments vient de l'action des corps célestes n'arrive pas contre la nature, comme le dit le Commentateur, comme cela paraît dans le flux et le reflux de la mer, qui, bien que ce ne soit pas un mouvement naturel de l'eau, dans la mesure où elle est dense, parce qu'elle n'est pas pour l'intermédiaire, cependant c'est son mouvement naturel dans la mesure où elle est mue par le corps céleste, comme son instrument. Mais il convient beaucoup plus de le dire de ce qui se fait dans les éléments par la mise en ordre de Dieu, par laquelle toute la nature des éléments subsiste. Dans le présent, l'un et l'autre semblent concourir au rassemblement des eaux, le pouvoir divin principalement, le pouvoir céleste en second. C'est pourquoi aussitôt après la constitution du firmament, on ajoute le rassemblement des eaux. Cette aptitude vient de la nature de l'eau. Car, comme le contenant dans les éléments est plus formel que le contenu, comme c'est exposé chez le philosophe, dans la mesure où l'eau s'écarte du voisinage parfait de la terre, elle n'est pas parfaitement en forme comme le feu et l'air, en parvenant plus à la densité terrestre qu'à la légèreté du feu.

21. La confusion, qui, a, dit-on, a précédé, dans le monde en son commencement n'est pas atteinte par le mélange des éléments, mais par l'opposition à cette distinction qui existe maintenant dans les parties du monde, en accord avec la génération des vivants et leur conservation.

22. 23. Par là apparaît le réponse à la vingt-deuxième et vingt-troisième objection.

 

Solution des objections:

1. Réponse aux arguments de sens contraire:

Selon l'opinion d'Augustin, il faut aussi répondre.

1. Grégoire parle selon l'opinion que nous avons d'abord soutenue. Cependant il ne faut pas comprendre qu'il dit, que, dans la première création, la matière de toutes choses a été faite sans aucune espèce de forme, mais sans certaines formes, à savoir celle des créatures vivantes, et de leur rapport à leur génération, comme on l'a exposé ci-dessus.

2. L'appétit de la forme n'est pas une action de la matière, mais une relation de la matière à la forme, selon qu'elle est en puissance pour elle, comme le Commentateur l'expose in I, Physique.

3. Si Dieu créait un étant (ens) en puissance seulement, il ferait moins que la nature, qui le produit en acte. Car la perfection de l'action est mieux atteinte, selon le but, que selon l'origine et cependant cela même qui est dit implique contradiction, pour que quelque chose soit fait, qui est en puissance seulement; parce qu'il faudrait que ce qui est fait soit, puisqu'il est, comme on le prouve in VI, Physique. Mais ce qui est seulement en puissance n'existe absolument pas.

4. Ce que l'Écriture dit: "La terre était vide et déserte", si on le conçoit de la matière tout à fait informe, selon Augustin, n'est pas à comprendre qu'elle était ainsi quelquefois en acte, mais parce que sa nature était telle si on la considère sans formes inhérentes.

5. La formation de la créature spirituelle peut être comprise de deux manières: l'une par l'infusion de la grâce et l'autre par l'achèvement de la gloire. La première formation, selon l'opinion d'Augustin, arrive aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de sa création et alors par les ténèbres, desquelles la lumière est distinguée, on ne comprend pas le péché des mauvais anges, mais le manque de forme de la nature, qui n'était pas encore mise enforme, mais devait l'être par les oeuvre suivantes, comme il est dit, ou bien, comme il est dit au quatrième livre, la connaissance de Dieu est signifiée par le jour, la connaissance de la créature, par la nuit, qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, (comme on le dit au même livre). Ou si par les ténèbres nous comprenons les anges pécheurs, cette division ne se réfère pas au péché présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu: c'est pourquoi il dit dans le livre A Orose: "Parce qu'il savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que certains anges succomberaient par orgueil il sépara les bons des méchants, appelant les méchants ténèbres, et les bons lumière.". La seconde formation n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plutôt à leur achèvement, où elles sont gouvernées par la providence divine. Car c'est la vérité ultime, selon Augustin, pour tout ce en quoi l'opération de la nature est requise, qu'il est nécessaire qu'elle parvienne à cette formation, parce que par le mouvement du libre arbitre, certains se sont tournés pour demeurer, certains détournés pour tomber.

6. On dit que le monde a été fait de la matière invisible, non parce que la matière sans forme a précédé dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Et semblablement la privation n'a pas existé un temps dans la matière avant toute forme, mais parce que la matière comprise sans forme est comprise aussi avec la privation.

7. Cela vient de l'imperfection de la nature, qui opère par mouvement de procéder de l'imparfait au parfait; car le mouvement est d'un acte imparfait. Mais Dieu, à cause de la perfection de son pouvoir, a pu aussitôt produire les choses parfaites dans l'être, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

8. Les paroles d'Augustin ne sont pas à comprendre de sorte que la matière a été un temps en puissance pour les formes élémentaires, sans en avoir une; mais parce que, celle-ci considérée en son essence, quand elle existe en puissance pour toutes les formes, n'inclut aucune forme en acte.

 

Article 2: La mise en forme de la matière a-t-elle eu lieu toute en même temps ou successivement?

 

Objections:

1. Il semble qu'elle fut successive. In (Jdt 9, 4) il est dit: "Tu as fait ce qui est avant, et celles-là tu les as méditées après." Mais la pensée de Dieu est son action comme Jean Damascène le dit. C'est pourquoi dans l'autorité ci-dessus, il est ajouté: "Et cela a été fait parce que tu l'as voulu toi-même". Donc les choses ont été créées selon un certain ordre et non en même temps.

2. Plusieurs parties du temps ne peuvent pas exister en même temps; parce que tout le temps est soumis à une certaine succession; mais on rappelle, au ch. 1 de la Genèse, que la mise en forme des créatures a été faite en différentes parties du temps. Donc il semble qu'elle a été accomplie successivement et non toute en même temps.

3. Mais il faut dire que, durant ces six jours, selon l'opinion d'Augustin, on ne comprend pas des jours semblables aux nôtres qui sont des partie du temps, mais d'après la connaissance angélique, présentée six fois pour ce qu'il y avait à connaître, selon six genres de choses.

- En sens contraire, le jour est causé par la présence de la lumière. C'est pourquoi on dit in (Gn 1, 5), que Dieu a appelé la lumière jour. Mais on ne trouve pas la lumière à proprement parler dans les êtres spirituels, mais seulement par métaphore. Donc on ne peut pas comprendre le jour à proprement parler comme la connaissance des anges. Donc il ne semble pas que ce soit le sens littéral que la connaissance des anges soit comprise comme le jour. Preuve intermédiaire: Rien de sensible en soi ne peut être reçu dans les êtres spirituels, car ce qui est commun au sensible et au spirituel n'est sensible que par accident, comme la substance, la puissance, le pouvoir etc. Mais la lumière est sensible en soi pour la vue. Donc elle ne peut pas être reçue en propre par les êtres spirituels.

4. Comme l'ange connaît de deux façons, à savoir dans le Verbe et dans sa propre nature; il faut que le jour soit compris par la deuxième de ces connaissances. Mais on ne peut pas le comprendre de la connaissance par laquelle il connaît un objet dans le Verbe, parce que cette connaissance est seulement une pour tout; car c'est en même temps que l'ange connaît dans le Verbe ce qu'il connaît et d'une connaissance unique, parce qu'il voit le Verbe. Donc il n'y aurait qu'un seul jour. Mais s'il est compris de la connaissance par laquelle il connaît une chose dans sa propre nature, il en découle qu'il y a bien plus de six jours, puisqu'il il y a plus de genres et d'espèces de créatures. Donc il ne semble pas qu'on puisse rapporter la connaissance angélique aux six jours.

5. In (Ex 20, 9) on dit: "Tu travailleras six jours, mais le septième est le sabbat de ton Dieu; tu ne feras aucune oeuvre, " et la raison en est donnée ensuite: "Car en six jours Dieu a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et il se reposa le septième jour." Mais, selon la lettre, la loi parle des jours matériels; dans six de ceux-ci, elle permet de travailler, et elle l'interdit le septième. Donc ce qui est dit de l'opération de Dieu doit être rapporté aux jours matériels.

6. Si on comprend par jour la connaissance de l'ange, donc faire quelque chose le jour n'est pas différent que le faire dans la connaissance angélique. Mais du fait qu'une chose parvient à la connaissance angélique, il n'en découle pas qu'elle existe dans sa nature, mais seulement qu'elle est connue par l'ange. Donc ainsi la mise en forme des choses ne serait pas montrée dans leur propre nature; ce qui est contre l'Écriture.

7. La connaissance de n'importe quel ange diffère de celle d'un autre. Si donc on comprend par le mot jour la connaissance de l'ange, il faut poser autant de jours que d'anges, et pas seulement six, comme l'Écriture le rapporte.

8. Augustin dit que "Du fait qu'il est dit: "Dieu dit, qu'il soit fait", on comprend que les choses à faire ont préexisté dans le Verbe; du fait qu'il est dit: "Et ainsi fut fait", on comprend que la connaissance est réalisée dans la créature intellectuelle; du fait qu'on dit: "Dieu le fit", on comprend que la créature est créée en son genre. Si donc par jour, on comprend la connaissance de l'ange, après qu'il a dit pour une oeuvre: "Et ainsi cela fut fait", dans lequel on comprend la connaissance angélique, il serait superflu d'ajouter: "Il y eut un soir et un matin" ou "un second jour".

9. Il faut dire que cela est ajouté pour montrer le double mode de connaissance dans la créature spirituelle. L'un est ce par quoi elle connaît dans le Verbe, et pour cela on parle du matin ou de connaissance matutinale, l'autre par laquelle elle connaît les choses en leur nature propre, et pour cela on parle du soir ou de connaissance vespérale.

- En sens contraire, Bien que l'ange puisse considérer en même temps plus de choses dans le Verbe, il ne peut pas cependant en comprendre (intelligere) plus dans leur nature propre, puisqu'il comprend les choses différentes dans leur nature par différentes espèces (species). Si donc chacun des six jours a non seulement un matin mais encore un soir, il faudra considérer en eux une succession, et ainsi la formation des choses n'a pas eu lieu entièrement en même temps.

10. Il ne peut pas exister plusieurs opérations en même temps à partir d'une seule puissance; ainsi une seule ligne droite ne se termine d'un côté qu'à un seul point et la puissance en effet se termine à l'opération. Mais considérer une chose dans le Verbe et dans sa nature propre, n'est pas une seule opération, mais plusieurs. Donc la connaissance matutinale et la connaissance vespérale n'existent pas en même temps et ainsi il en découle qu'il y a une succession dans ces six jours.

11. Comme on l'a dit plus haut, la distinction de la lumière et des ténèbres est exposée par Augustin comme celle de la créature en forme, différente de l'absence de forme de la matière qui restait encore à former. Donc si une partie de la nature est en forme, l'autre restait encore à former: donc toute la matière n'a pas été mise en forme en même temps.

12. La connaissance matutinale, selon Augustin, est comprise comme celle du Verbe en qui l'ange reçoit la connaissance de la créature à faire. Mais cela n'existerait pas si les créatures, dont la formation est destinée aux jours suivants, avaient été formées en même temps que l'ange. Donc tout n'a pas été créé en même temps.

13. On désigne les jours dans les êtres spirituels à la ressemblance des jours sensibles. Mais dans la nature sensible, la matin précède le soir. Donc, en eux, on ne doit pas placer le soir avant le matin, quand on dit: "Il y eut un soir et un matin, un seul jour."

14. Entre le soir et le matin, il y a la nuit, et entre le matin et le soir le midi. Donc de même que l'Écriture mentionne le soir et le matin, elle devrait le faire pour le midi.

15. Tous les jours sensibles ont un soir et un matin. On ne trouve pas cela dans ces sept jours; car le premier n'a pas de matin et le septième pas de soir. Donc il ne convient pas de dire que le jour est à la ressemblance de nos jours.

16. Mais il faut dire qu'ainsi le premier jour n'a pas de matin, parce que par matin, on comprend la connaissance de la créature à faire, que l'ange a reçu dans le Verbe; la créature spirituelle n'a pas pu recevoir la connaissance d'elle-même à créer dans le Verbe avant d'exister.

- En sens contraire, on considère donc ainsi que l'ange exista en un temps où les autres créatures n'avaient pas encore été créées, mais où elles devaient l'être. Donc tout n'a pas été formé en même temps.

17. La créature spirituelle ne reçoit pas la connaissance des choses inférieures à partir de celles-ci. Donc elle n'a pas besoin de leur présence pour les connaître. Donc elle a pu les connaître comme devant être faites dans leur nature propre, avant qu'elles soient faites et non seulement dans le Verbe, et ainsi la connaissance des choses à faire semble appartenir à la connaissance vespérale, comme à la connaissance matutinale et pour cette raison, le second jour n'aurait dû avoir ni matin ni soir.

18. L'ange connaît d'abord ce qui existe avant absolument, car le fait que nous connaissions ce qui postérieur avant, provient de ce que nous recevons notre connaissance des sens. Mais les raisons des choses dans le Verbe sont absolument avant elles. Donc l'ange connaît les choses dans le Verbe avant que dans leur nature propre et ainsi la matin devrait être pré-ordonné au soir, mais on voit le contraire dans l'Écriture.

19. Ce qui n'est pas d'une seule nature ne peut pas constituer une unité, mais la connaissance des choses dans le Verbe et dans leur nature propre est de nature différente, puisque le moyen de connaître est tout à fait différent. Donc du matin et du soir, selon ce qui a déjà été exposé, il ne peut être fait qu'un seul jour.

20. In (1Co 13, 8), l'Apôtre dit que dans "la patrie", la science disparaîtra, ce qu'on ne peut comprendre que de la science des créatures dans leur propre nature qui est vespérale. Mais dans "la patrie", nous serons semblables aux anges, comme le dit (Mt 32, 30). Donc il n'y pas de connaissance vespérale dans les anges.

21. La connaissance des créatures dans le Verbe dépasse cette connaissance des choses dans leur propre nature plus que la clarté du soleil dépasse la lumière de la chandelle. Mais la lumière du soleil obscurcit la lumière de la chandelle. Donc la connaissance matutinale obscurcit beaucoup plus la connaissance vespérale.

22. Augustin soulève la question de savoir si l'âme d'Adam a été faite avec les anges hors du corps, ou dans le corps. Cette question serait soulevée en vain si tout avait été formé en même temps, parce que, ainsi, le corps humain aurait été mis en forme en même temps que les anges étaient créées. Donc, il semble que tout n'a pas été mis en forme en même temps, selon l'affirmation d'Augustin aussi.

23. La partie de la terre dont a été fait le corps humain eut une forme délimitée, parce qu'on dit dans Genèse 1, que le corps de l'homme en a été formé. Elle n'avait pas encore la forme du corps humain. Donc toutes les formes n'ont pas été induites en même temps dans la matière.

24. La connaissance des choses par les anges dans leur propre nature, ne peut être comprise que comme une connaissance par les espèces (species) induites naturellement en eux; car on ne peut pas dire qu'ils les reçoivent de ce qu'ils connaissent, puisqu'ils manquent d'organes des sens. Mais ces espèces qui sont induites dans les anges, ne dépendent pas des réalités corporelles. Donc avant que les choses existent, l'ange a pu les connaître aussi dans leur propre nature. Et ainsi par le fait qu'on dit que l'ange connaît les choses dans leur propre nature, il n'est pas donné de comprendre que ces choses ont été amenées à l'être, et ainsi l'exposition ci-dessus ne semble pas convenir.

25. La connaissance matutinale, par laquelle l'ange a connu les choses dans le Verbe, doit venir d'une espèce (species), puisque toute connaissance est telle. Elle n'a pas pu venir du Verbe par une espèce, parce que celle-ci était une créature, et ainsi cette connaissance serait plus vespérale que matutinale; car à la connaissance vespérale convient la connaissance qui se fait par la créature. Et on ne peut pas dire que cette connaissance aurait été par une espèce qui est le Verbe même, parce qu'ainsi il aurait fallu que l'ange voit le Verbe, ce qui n'a pas existé avant qu'il soit bienheureux. Car la vision du Verbe rend bienheureux. Ce n'est pas au premier instant de leur création que les anges ont été bienheureux. De même en sens contraire, ce n'est pas dans le premier instant que les démons ont péché. Donc, si par le matin, on comprend la connaissance que les anges ont eu dans le Verbe, il faut dire que tout n'a pas été fait en même temps.

26. Mais il faut dire que l'ange dans cette situation voyait le Verbe dans la mesure où il est la raison des êtres à créer, mais non comme la fin des bienheureux.

- En sens contraire, qu'on dise que le Verbe est la fin et l'idée, ne diffère que par une relation. Mais la connaissance de la relation de Dieu à la créature ne les rend pas bienheureux, puisqu'une telle relation en réalité a lieu surtout du côté de la créature, et seule la vision de l'essence divine les rend bienheureux. Donc, quant à la béatitude de ceux qui voient, il n'y a pas de différence s'il est vu comme fin de la béatitude ou comme idée.

27. On dit aussi que les prophètes ont vu le futur dans le miroir de l'éternité, selon qu'ils ont vu le miroir divin, dans la mesure où il est l'idée des êtres à créer. Donc ainsi il n'y aurait pas de différence entre la connaissance matutinale de l'ange et celle du prophète.

28. In (Gn 2, 5), il est dit que "Dieu a fait toute verdure des champs, avant qu'elle se lève de la terre et toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne germe". Mais la germination de l'herbe date du troisième jour. Donc certaines choses furent faites avant le troisième jour, et ainsi tout ne fut pas fait en même temps.

29. Dans le (Ps 103, 24), on dit que Dieu a tout fait avec sagesse. Mais le propre du sage c'est d'ordonner, comme on le dit au début de la Métaphysique. Donc il semble que Dieu n'a pas tout fait en même temps, mais successivement dans l'ordre du temps.

30. Mais il faut dire que dans la production des créatures, même si l'ordre du temps n'a pas été conservé, cependant celui de la nature le fut.

- En sens contraire, selon l'ordre de la nature, le soleil, la lune et les étoiles existèrent avant les plantes, puisqu'elles ont été désignées comme leurs causes, et cependant on mentionne que les luminaires du ciel ont été faits après les plantes. Donc l'ordre de la nature n'a pas été conservé.

31. Le firmament du ciel est par nature avant la terre et l'eau; cependant on fait mention dans l'Écriture de la terre et de l'eau avant de parler du firmament: on lit qu'il a été fait le second jour.

32. Le substrat est naturellement avant l'accident; mais la lumière est un accident dont le premier substrat est le firmament. Donc la production de la lumière n'aurait pas dû être signalée avant la création du firmament.

33. Les animaux qui marchent sont plus perfectionnés que ceux qui nagent ou volent, et principalement à cause de leur ressemblance avec l'homme, et cependant il s'agit de la production des poissons et des oiseaux avant celle des animaux terrestres. Donc l'ordre de la nature n'a pas été conservé.

34. Les poissons et les oiseaux ne semblent entre eux, selon leur nature, pas moins différents que des animaux terrestres et cependant on mentionne que les poissons et les oiseaux ont été faits le même jour. Donc les jours ne sont pas à comprendre selon les différents genres d'êtres, mais plus selon la succession du temps, et ainsi tout n'a pas été créé en même temps.

 

Cependant:

1. Il y a ce qu'on lit dans la Genèse: "Ce sont les générations du ciel et de la terre, quand ils ont été créés, au jour où le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs." Mais on lit que la verdure a été faite le troisième jour; et le ciel et la terre le premier jour, ou même avant tout jour. Donc ce qui a été fait le troisième jour, l'a été en même temps que ce qui a été fait le premier, ou même avant tout jour; et ainsi à raison égale tout a été fait en même temps.

2. Il est dit en (Jb 40, 10): "Voici Béhémot que j'ai fait avec toi." Par Béhémot, selon Grégoire, on comprend le diable, qui a été fait le premier jour ou avant tout jour; mais l'homme à qui Dieu parle a été fait le sixième jour. Donc ce qui a été fait le sixième jour, a été fait en même temps que ce qui a été fait le premier jour, et ainsi de même que ci-dessus.

3. Les parties de l'univers dépendent les unes des autres, et surtout les parties inférieures des parties supérieures. Certaines n'ont pas pu être faites avant les autres, et principalement les inférieures avant les supérieures.

4. La créature corporelle et la créature spirituelle sont plus distantes que les créatures corporelles entre elles, Mais la créature spirituelle et la créature corporelle, comme on l'a vu dans une autre question, ont été faites en même temps. Donc beaucoup plus toutes les créatures spirituelles.

5. Dieu opère d'un seul coup à cause de l'immensité de son pouvoir. Donc l'oeuvre de n'importe quel jour a été accomplie soudainement et dans l'instant. Donc c'est pour rien qu'on n'aurait pensé que Dieu aurait attendu d'opérer l'oeuvre suivante jusqu'à un autre jour, pour qu'ainsi pendant tout le jour il demeure sans action.

6. Si ces jours dont on fait mention dans la formation des choses, ont été des jours matériels, il ne semble pas qu'ils aient pu être faits pour que la nuit soit totalement distinguée du jour et la lumière des ténèbres. Car on lit que si cette lumière qui a été faite le premier jour, entourait la terre de tous côtés, jamais il n'y avait eu de ténèbres, qui sont faites de l'ombre de la terre opposée à la lumière, qui cause le jour. Mais si cette lumière entourait la terre par son mouvement, pour faire le jour et la nuit, alors toujours il y avait le jour d'un côté, et la nuit de l'autre; et ainsi la nuit n'était pas totalement distinguée du jour, ce qui est contre le texte de la Genèse.

7. La distinction du jour et de la nuit est faite par le soleil et les autres luminaires du ciel, c'est pourquoi on dit dans l'oeuvre du quatrième jour: "Que soient faits les luminaires au firmament du ciel"; et ensuite, on ajoute; "pour qu'ils soient signes du temps, des jours et années.". Donc comme l'effet ne précède pas la cause, il n'est pas possible que ces trois premiers jours aient été de la même nature que les jours qui sont produits maintenant par le soleil; et ainsi il ne faut pas à cause d'eux dire que tout a été fait successivement.

8. S'il y avait une autre lumière, qui par son mouvement produise le jour et la nuit, il fallait qu'il y ait une chose douée d'un mouvement circulaire, qui apporte une autre lumière, pour éclairer partout successivement la terre. Mais ce qui l'apporte, c'est le firmament, qui a été fait le second jour. Donc au moins le premier jour n'a pu être de la même nature que les jours qui existent maintenant, et par la même raison, que les autres non plus.

9. Si cette lumière a été faite pour produire le jour et la nuit, maintenant elle ferait le jour et la nuit, par son mouvement, car on ne pourrait pas dire convenablement que cela a été institué pour seulement exercer cet office pour cette période de trois jours, avant la création du soleil, et cesser ensuite. Mais maintenant, nous ne voyons pas que le jour et la nuit sont faits par une autre lumière sinon celle du soleil. Donc aussi dans ces trois jours, on ne peut pas comprendre, que le jour et la nuit aient été distingués par une lumière corporelle.

10. Mais il faut dire que le corps du soleil a été fait de cette lumière par la suite. Cependant, tout ce qui est fait de matière préexistante, a une matière telle dans laquelle la succession des formes est possible. Mais telle n'est pas la matière du soleil, ni d'aucun des corps célestes, parce que, en eux, il n'y a pas de contraires, comme on le prouve. Donc il n'est pas possible que le corps du soleil ait été formé de cette lumière par la suite.

 

Réponse:

Si on pense que la matière sans forme n'a pas précédé sa mise en forme dans le temps, mais par la seule origine, (parce qu'il est nécessaire de dire, que si on comprend par matière sans forme la matière sans aucune forme), nécessairement il en découle que toute la mise en forme des choses a été accomplie en même temps; car il n'est pas possible qu'une partie de la matière sans forme existe complètement même pour un moment. Et ensuite, pour cette partie, la matière aurait précédé la formation des choses en temps. C'est pourquoi, selon ce qui a été déterminé dans la précédente question article précédent, selon l'opinion d'Augustin, cette seconde question n'a pas lieu d'être traitée, mais il faut absolument dire que tout a été formé en même temps, à moins que pour autant il reste à exposer comment comprendre les six jours dont l'Écriture fait mention. En effet, s'ils étaient compris comme ces jours qui se déroulent maintenant, ce serait le contraire de l'opinion précédente, parce que, alors, il faudrait comprendre la formation des choses comme des oeuvres selon une certaine succession de temps.

Augustin expose ces jours de deux manières. Car dans La Genèse au sens littéral, il dit qu'on comprend, par la distinction de la lumière des ténèbres, la distinction de la matière formée de celle sans forme qui reste à former, non assurément dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Il dit que l'ordre de la mise en forme, ou de son absence, est suggéré par le jour et la nuit. Car ceux-ci signalent un certain ordre de la lumière et des ténèbres. Il dit qu'on comprend par le soir le terme de l'opération accomplie. Mais par le matin le commencement futur de l'opération, de sorte cependant que le futur ne soit pas compris selon l'ordre du temps, mais selon celui de la nature. Car dans la première oeuvre préexiste comme un signe de l'oeuvre future à faire. Cependant, à cause de cela, il faut comprendre ces jours comme différents, dans la mesure où ils sont différentes formations et par conséquent des mises en forme.

Mais parce qu'il découle de là que le septième jour est différent des six premiers, si ceux-ci sont différents l'un de l'autre (d'où il semble découler que, ou bien Dieu n'a pas fait le septième jour, ou bien qu'après le septième jour, il parfait son oeuvre), il pense en conséquence que, par ces sept jours, on n'en comprend qu'un seul, à savoir la connaissance des anges, et ce nombre convient à la distinction des choses connues plus qu'à la distinction des jours, pour qu'on comprenne, par les six jours, la connaissance de l'ange, liée aux six genres de choses créées par Dieu. [Il pense] qu'un jour est la connaissance de l'ange en relation avec le repos de l'artisan, dans la mesure où en lui-même il se reposa des créatures et alors, par le soir, on comprend la connaissance des créatures dans leur propre nature et par le matin la connaissance dans le Verbe.

Mais selon d'autres saints, par ces jours est révélé l'ordre temporel et la succession de la production. Car, selon eux, dans l'oeuvre des six jours, on atteint non seulement l'ordre du temps, mais celui de la durée, car ils pensent que de même que l'absence de forme de la matière a précédé dans le temps sa mise en forme, de même une mise en forme a précédé aussi une autre forme de temps en durée. Mais ainsi que dans l'article précédent on l'a dit, l'absence de forme de la matière, selon eux, n'est pas comprise comme le manque et l'exclusion de toute forme; parce qu'il y avait déjà le ciel, l'eau et la terre, par lesquels on comprend les corps célestes et les substances spirituelles et les quatre éléments qui subsistaient sous leurs formes propres; mais ils comprennent l'absence de forme de la matière, selon qu'elle révèle seulement l'absence et l'exclusion de la distinction qui lui est due et d'une certaine beauté achevée: parce qu'elle n'avait pas cette beauté et ce charme qui apparaît maintenant dans la créature corporelle.

Et autant qu'on peut le comprendre de la lettre de la Genèse, une triple beauté manquait à la nature corporelle, ce pourquoi on la disait sans forme. Car il manquait au ciel et à tout corps diaphane le charme et la beauté de la lumière, désignées par les ténèbres. Il manquait aussi l'ordre nécessaire à l'élément eau et la distinction nécessaire de l'élément terre, cette absence de forme est désignée sous le nom d'abîme; parce que ce nom signifie une immensité sans ordre des eaux, comme Augustin le dit. Mais à la terre, il manquait une double beauté: l'une qu'elle possède du fait qu'elle a été découverte par les eaux et cette absence de forme est désignée par ce qu'on dit: "Mais la terre était vide ou invisible", parce qu'elle ne pouvait s'ouvrir à l'aspect corporel du fait que les eaux la recouvrait partout. Mais l'autre vient de ce qu'elle est ornée de plantes et par là, on rejoint ce qui est dit qu'elle est déserte ou sans composition, c'est-à-dire non ornée.

Et ainsi, avant l'oeuvre de distinction, l'Écriture décrit la distinction multiple qui préexistait dans les éléments du monde au commencement de la création.

1. Elle rejoint la distinction du ciel et de la terre selon que par ciel, on comprend tout corps transparent, sous lequel on inclut le feu et l'air à cause de leur transparence, en laquelle ils s'accordent avec le ciel.

2. Elle rejoint la distinction des éléments quant à leurs formes substantielles du fait qu'elle désigne l'eau et la terre qui sont plus évidentes pour les sens. Par là elle donne à comprendre aussi que les deux autres éléments le sont moins.

3. Elle rejoint la distinction selon leur situation, parce que la terre était sous les eaux, ce qui la rendait invisible, mais on signale que l'air, qui est le substrat des ténèbres, avait été sur les eaux du fait qu'il est dit les ténèbres, c'est-à-dire l'air ténébreux, étaient sur la face de l'abîme.

Ainsi donc la mise en forme du premier corps qui est le ciel, a été accomplie le premier jour, par la production de la lumière, par laquelle la luminosité a été conférée au soleil et aux corps célestes qui les avaient précédés selon leurs formes substantielles, par qui l'absence de formes des ténèbres a été rejetée. Et par une formation de ce genre se fait la distinction du mouvement et du temps, c'est-à-dire de la nuit et du jour; car le temps suit le mouvement du ciel supérieur. C'est pourquoi il a distingué la lumière des ténèbres, parce que la cause de la lumière était dans la substance du soleil, et la cause des ténèbres dans l'opacité de la terre; et, dans un hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et c'est ce qu'il dit: "Il appela la lumière jour et les ténèbres nuit."

Le second jour, le corps intermédiaire, à savoir l'eau, est formé et distingué, recevant une distinction et un ordre, par la formation du firmament, de sorte que sous le nom d'eau, on comprend tous les corps transparents, et ainsi le firmament, c'est-à-dire le ciel étoilé, a été produit le second jour, non selon sa substance, mais selon une perfection occasionnelle, il divisa les eaux qui sont au-dessus du firmament, c'est-à-dire le ciel transparent et sans étoiles, qui est appelé aqueux, ou cristallin, dont les philosophes disent qu'il est la neuvième sphère, et le premier mobile; parce qu'il déroule tout le ciel d'un mouvement diurne, pour opérer, par son mouvement la continuité de la génération; comme le ciel en qui sont les astres par mouvement, qui est selon le zodiaque, opère la diversité de la génération et de la corruption par flux et reflux, pour nous, par les différents pouvoirs des étoiles; par le firmament, dis-je, le ciel cristallin, qui est au-dessus du firmament, se sépare des eaux, c'est-à-dire par les autres corps transparents corruptibles qui sont sous le firmament; et ainsi les corps transparents inférieurs, désignés sous le nom d'eau reçurent, par le firmament, une mise en ordre, et la distinction qui leur était due.

Le troisième jour, le corps ultime, c'est-à-dire la terre, a été mis en forme par le fait qu'elle a été découverte par les eaux, et la distinction de la mer et du sable a été faite au fond. Voilà qui est assez convenable: de même qu'il avait exprimé la mise en forme de la terre, en disant que la terre était invisible ou vide; de même il exprime ainsi la mise en forme par ce qu'il dit: Qu'elle apparaisse aussi sèche. Et les eaux ont été rassemblées en un seul lieu, à part de la terre sèche. Et il appela mer le rassemblement des eaux et terre ce qui était sec; (parce qu'elle avait d'abord été sans forme et déserte) il la décora de plantes et d'herbes.

Le quatrième jour, la première partie de la créature corporelle, qui le premier jour avait été séparée, fut ornée, à savoir le ciel par la production des luminaires; qui selon leur substance ont été créés au commencement: auparavant leur substance était sans forme, mais elle est mise en forme le quatrième jour, non pas par une forme substantielle mais en recevant un pouvoir limité, selon que celui-ci été attribué aux luminaires pour des effets limités, c'est ainsi que nous voyons que le rayon du soleil a d'autres effets, que celui de la lune et des étoiles. Et c'est pour cette limitation de son pouvoir que Denys dit que la lumière du soleil qui d'abord était sans forme a été mise en forme le quatrième jour. Mais on ne fit pas mention des luminaires eux-mêmes, au commencement, comme le dit Jean Chrysostome; mais seulement le quatrième jour, pour qu'ainsi l'Écriture éloigne le peuple de l'idolâtrie, en montrant que les luminaires ne sont pas des dieux, du fait qu'ils n'existaient pas au commencement.

Le cinquième jour, la seconde partie de la nature corporelle qui a été séparée le second jour, est ornée par la production des oiseaux et des poissons, et c'est pourquoi, dans ce cinquième jour l'Écriture fait mention des eaux et du firmament du ciel, pour montrer que ce cinquième jour répond au second dans lequel l'Écriture en a fait mention. Donc en ce jour, à partir de la matière élémentaire d'abord créée par le verbe de Dieu, il y eut les oiseaux et les poissons, produits en acte, en leur propre nature, pour l'ornement de l'air et de l'eau; dans lesquels ils sont destinés à se mouvoir convenablement d'un mouvement animé.

Le sixième jour, est ornée la troisième partie et le corps ultime, à savoir la terre, par la production des animaux terrestres, qui sont destinés à se mouvoir sur terre d'un mouvement animé. C'est pourquoi, comme dans l'oeuvre de la création, on désigne trois parties de la créature corporelle; la première, celle qui est désignée par le nom de ciel, l'intermédiaire par le nom d'eau, et la plus basse par le nom de terre; et la première partie, à savoir le ciel, est séparée le premier jour, et ornée le quatrième, la partie intermédiaire à savoir l'eau, est séparée le second jour et ornée le cinquième, comme on l'a dit, ainsi il convenait que la partie la plus basse, à savoir la terre, qui a été séparée le troisième jour, ait été ornée le sixième par la création des animaux terrestres, en acte, selon leurs espèces propres.

Par là apparaît, que dans l'exposition des oeuvres des six jours, Augustin diffère des autres saints.

1. Premièrement, parce que, par la terre et l'eau crée avant même par l'opération de la création, il comprend la matière première totalement sans forme; par la production du firmament, le rassemblement des eaux, et l'apparition de la terre sèche, il comprend l'induction des formes substantielles dans la matière corporelle. D'autres saints comprennent par la terre et l'eau créées d'abord, les éléments du monde existant sous leurs formes propres; mais par les oeuvres suivantes, ils comprennent la distinction dans les corps qui existait avant par des pouvoirs et des propriétés accidentelles qui leur ont été conférées, comme on l'a dit ci-dessus.

2. Deuxièmement leur point de vue est différent sur la production des plantes et des animaux, parce que les autres saints pensent qu'ils ont été produits en acte dans l'oeuvre des six jours, comme dans leur propre nature. Mais Augustin pense qu'ils ont été produits en puissance seulement.

Mais du fait qu'Augustin pense que toutes les oeuvres des six jours ont été accomplies en même temps, elles ne semblent pas être différenciées des autres par leur mode de production.

1. Premièrement, parce que selon l'opinion des uns et les autres dans la première production, la matière était sous les formes substantielles des éléments; de sorte que la matière première n'a pas précédé en durée les formes substantielles des éléments du monde.

2. Deuxièmement parce que selon l'opinion des uns et des autres, dans l'institution première des choses, par l'oeuvre de création, il n'y eut ni plantes ni animaux en acte mais seulement en puissance, pour qu'ils puissent être produits de leurs éléments même par le pouvoir du Verbe.

Mais il reste encore une différence, entre eux quant au quatrième jour; parce selon d'autres saints, après la première production de la créature, par laquelle ont été produits les éléments du monde et les corps célestes selon leurs formes substantielles, il y eut un temps pendant lequel il n'y avait pas de lumière: D'une part, en ce temps-là, il n'y avait pas de firmament en forme, ni de corps transparent en ordre et séparé; d'autre part, en ce temps-là, il n'y avait pas de terre découverte par les eaux, et pas de luminaires du ciel en forme, ce qui est du quatrième jour, ce qu'il ne faut pas admettre, selon l'exposition d'Augustin qui a pensé que tout a été formé en même temps, et dans le même instant. Que les oeuvres des six jours, pour d'autres saints, n'aient pas été produites en même temps, mais successivement, cela ne vient pas de la défaillance de la puissance du créateur, qui aurait pu tout produire en même temps, mais c'était pour démontrer l'ordre de la sagesse divine dans l'institution des choses, qui en faisant venir à l'être à partir du néant, ne les établit pas, aussitôt après le néant, dans l'ultime perfection de leur nature, mais d'abord il les fit exister dans une certaine imperfection et ensuite il les amena à la perfection, pour que du néant, le monde parvienne graduellement à l'ultime perfection; et ainsi par divers degrés de perfection, les différents jours ont servi à montrer que leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière est incréée, et néanmoins Dieu lui-même apparaîtrait comme créateur de la perfection des choses contre ceux qui décrivent la formation des êtres inférieurs par d'autres causes.

Donc la première de ces expositions, à savoir celle d'Augustin, est plus subtile; elle défend davantage l'Écriture contre la dérision des infidèles, mais la seconde, à savoir celle des autres saints, est plus facile et en accord avec la lettre du texte. Cependant, parce que ni l'une ni l'autre ne contredit la vérité de la foi et que le contexte supporte les deux sens, comme elles n'apportent pas de préjudice, il faut répondre en soutenant ces deux opinions par leurs raisons propres.

 

Solution des objections:

1. Il faut donc dire que dans la production des oeuvres divines, l'ordre de la nature et de l'origine est conservé, mais pas celui de la durée. Car la nature spirituelle a été produite avant par nature et par origine et la nature corporelle sans forme a été formée après. Et, bien que l'une et l'autre nature aient été formées en même temps, parce que cependant la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, sa mise en forme a dû précéder celle de la nature corporelle dans l'ordre de la nature. De nouveau, parce que la nature corporelle incorruptible est plus digne que la nature corruptible, elle a dû être formée avant dans l'ordre de la nature. Et ainsi, par le premier jour on désigne la mise en forme de la nature spirituelle par la production de la lumière, par laquelle l'esprit de la créature spirituelle est éclairé en se tournant vers le Verbe, le second jour, on désigne la mise en forme de la nature corporelle céleste et incorruptible par la production du firmament, par lequel nous comprenons que tous les corps célestes ont été créés et séparés selon leurs formes; le troisième jour, on désigne la mise en forme de la nature corporelle des quatre éléments par le rassemblement des eaux et l'apparition de la terre sèche; le quatrième jour, on désigne l'ornement du ciel par la production des luminaires, qui, dans l'ordre de la nature, doit précéder l'ornement de l'eau et de la terre qui a été fait les jours suivants. Et ainsi les oeuvres divines ont été faites dans un certain ordre, à savoir celui de la nature et non celui de la durée.

2. La mise en forme des choses n'a pas été faite successivement, ni en différentes parties du temps; mais tous ces six jours, pendant lesquels on lit que Dieu a accompli ses oeuvres, sont une seul jour présenté avec six distinctions des choses, selon lesquelles on les compte; de même qu'il n'y avait qu'un seul Verbe, à savoir le Fils de Dieu, par lequel tout a été fait, quoiqu'on dise fréquemment: "Dieu a dit ". Et de même que ces oeuvres, qui à partir d'elles sont propagées par l'opération de nature, sont conservées dans les suivantes; de même ces six jours demeurent dans toute la succession du temps. Et cela est déclaré ainsi. Car le nature angélique même est intellectuelle, et est appelée proprement lumière, c'est pourquoi il faut que cette mise en lumière soit appelée jour. Mais la nature angélique reçoit la connaissance des choses au commencement de leur fondation, et ainsi d'une certaine manière la lumière de l'intellect était représentée dans les créatures, en tant qu'elles étaient connues par la lumière de son esprit; c'est pourquoi la connaissance même apportant sur les choses connues la représentation de la lumière de l'esprit angélique est appelé jour, et selon les divers genres de connaissances et leur ordre les jours sont distingués et ordonnés et, de sorte que le premier jour soit la connaissance de la première oeuvre divine, en tant que mise en forme de la créature spirituelle, qui se tourne vers le Verbe, que le second jour soit la connaissance de la seconde oeuvre parce que la créature corporelle supérieure a été mise en forme par la production du firmament, que le troisième jour soit la connaissance de la troisième oeuvre en tant que formation de la créature corporelle quant à sa partie inférieure, à savoir, la terre, l'eau et l'air voisin; que le quatrième jour soit la connaissance de la quatrième oeuvre en tant que partie supérieure, c'est-à-dire le firmament orné par la production des luminaires; que le cinquième jour soit la connaissance de la cinquième oeuvre divine, en tant que l'air et l'eau ont été ornés par la production des oiseaux et des poissons; que le sixième jour soit la connaissance de la sixième oeuvre, en tant que la terre est ornée par la production des animaux terrestres; que le septième jour soit la connaissance de l'ange relative au repos de l'artisan par lequel il se repose en lui des oeuvres nouvelles à fonder.

Mais comme Dieu est la pleine lumière, et qu'en lui il n'y a aucunes ténèbres, sa connaissance même en soi est la pleine lumière; mais parce que la créature du fait qu'elle tire son origine du néant, a en soi les ténèbres de la possibilité et de l'imperfection, il faut que la connaissance par laquelle la créature est connue, soit mêlée de ténèbres. Mais elle peut être connue de deux manières:

1. Ou dans le Verbe, selon qu'elle sort de l'art divin; et ainsi sa connaissance est appelée matutinale; parce que, comme le matin est la fin des ténèbres et le commencement de la lumière, ainsi la créature par la lumière du Verbe, après ne pas avoir existé, se saisit du principe de la lumière.

2. Elle est aussi connue dans la mesure où elle existe dans sa nature propre, et une telle connaissance est appelée vespérale, du fait que, comme le soir est le terme de la lumière, et tend vers la nuit, ainsi la créature subsistante en soi, est le terme de l'opération de la lumière divine du Verbe, en tant que créée par le Verbe, et de soi en tendant aux ténèbres de la défaillance, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.

Et c'est pourquoi une telle connaissance distinguée en matutinale et vespérale est appelée jour; parce que, comme par comparaison à la connaissance du verbe, elle est ténèbres, ainsi, par comparaison à l'ignorance qui est uniquement ténèbres, on l'appelle lumière; et ainsi on atteint le passage entre le matin et le soir, selon que l'ange se connaissant lui-même, dans sa propre nature, rapporte cette connaissance, comme à sa fin, à la louange du Verbe, en qui il a pris connaissance de l'opération suivante comme en son principe. Et de même qu'un tel matin est la fin du jour précédent, de même, il est le commencement du jour suivant; car le jour est une partie du temps et l'effet de la lumière. Mais la distinction des premiers jours, n'est pas prise selon la distinction du temps, mais du côté de la lumière spirituelle, parce que les différents genres distincts des choses sont connus par la lumière de l'esprit angélique.

3. On nie que la lumière ne soit pas proprement dans les êtres spirituels. Car Augustin dit que dans les êtres spirituels la lumière est meilleure et plus assurée, et que le Christ n'est pas appelé lumière de la même manière qu'il est appelé pierre, un mot lui est propre, et l'autre figuratif. Car tout ce qui est manifesté est lumière, comme il est dit in (Ep 5, 13). Mais la manifestation est plus proprement dans les êtres spirituels que dans les êtres corporels; c'est pourquoi Denys, place la lumière parmi les noms intelligibles de Dieu, mais ces noms intelligibles ont une signification propre pour les êtres spirituels. Et quand on prouve l'inverse, on dit que le nom de lumière fut d'abord imposé pour signifier ce qui se manifeste dans le sens de la vue, et de cette manière, la lumière est seulement une qualité sensible en soi, et n'est pas employée proprement pour les êtres spirituels; deuxièmement, il s'est étendu de l'usage commun, pour signifier tout ce qui se manifeste par une connaissance quelconque, et ainsi il est dans l'usage commun des locuteurs; et de cette manière, on dit que la lumière est plus proprement signifiée dans les êtres spirituels.

4. Ces jours sont distingués non selon la succession de la connaissance, mais selon l'ordre naturel des choses connues, comme on l'a dit ci-dessus, c'est pourquoi Augustin veut que ces sept jours soient un seul jour représenté sept fois. Et c'est pourquoi l'ordre des jours doit être rapporté à l'ordre naturel des oeuvres, qui sont attribuées aux jours, selon qu'elles sont connues en même temps dans le Verbe par la lumière de l'esprit angélique.

5. Par les six jours, pendant lesquels on dit que Dieu créa le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, on comprend non pas une succession temporelle, mais la connaissance angélique en rapport aux six genres produits par Dieu; mais le septième jour est la connaissance même de l'ange en rapport avec le repos de l'artisan; car on dit, selon Augustin, que Dieu le septième jour se reposa, un repos particulier où il se repose en lui-même d'avoir créé, il demeure bienheureux sans avoir besoin d'elles, mais en se suffisant à lui-même, il le montra à l'esprit angélique dont il appelle jour la connaissance. Et on dit qu'il cessa l'oeuvre le septième jour, parce que, ensuite, il ne fit rien de nouveau qui n'aurait pas existé précédemment d'une certaine manière, dans les oeuvres des six jours, matériellement, causalement, ou selon une ressemblance de l'espèce ou du genre.

Et parce que, après toutes les oeuvres créées, Dieu, le septième jour se reposa en lui-même, l'Écriture et la Loi ordonne de sanctifier le septième jour. Car la sanctification d'une chose consiste surtout en ce qu'elle repose en Dieu; c'est pourquoi les objets consacrés à Dieu (comme le tabernacle, les vases du prêtre) sont appelés saints. Mais on dit que le septième jour consacré au culte de Dieu est ainsi sanctifié, de même que Dieu qui créa les six genres des créatures et les montra à l'esprit angélique, ne se reposa pas dans les créatures, comme en sa fin, mais à partir des créatures mêmes en lui; il demeura en lui-même en quoi consiste sa béatitude, (quoiqu'il ne soit pas bienheureux d'avoir fait les créatures, mais du fait que, ayant sa suffisance en lui, il n'a pas besoin d'elles); ainsi, nous aussi, apprenons à nous reposer non pas dans ses oeuvres ou les nôtres, comme dans une fin; mais en Dieu même, en qui consiste notre béatitude, reposons-nous, car c'est pour cela qu'il a été commandé que l'homme travaillant six jours à ses propres oeuvres, se reposerait le septième, se consacrant au culte divin et au repos de la contemplation divine, dans laquelle consiste essentiellement la sanctification de l'homme.

Car la nouveauté du monde démontre surtout que Dieu existe, et qu'il n'a pas besoin des créatures, et c'est pourquoi il a été établi dans la Loi qu'elles se reposeraient et qu'elles feraient fête le septième jour où le monde a été achevé, pour que par la nouveauté du monde créé en même temps, et par les six genres de choses distinctes, l'homme garde toujours la connaissance de Dieu et qu'il lui rende grâce du bienfait si utile et si important de la création, et qu'en lui comme en sa fin, il place le repos de son esprit dans le présent par grâce et dans le futur par la gloire.

6. On dit que n'importe quelle oeuvre nouvelle produite par Dieu en rapport avec la connaissance angélique est appelé jour; et parce qu'il y eut seulement six genres de choses produites primitivement par Dieu, et connus par l'esprit angélique, comme on l'a dit ci-dessus, il y a seulement six jours; auxquels on ajoute un septième, à savoir la connaissance même de l'ange en soi en rapport au repos de Dieu. Car il n'a rien produit dans la nature des êtres, dont il n'est induit dans l'ordre de la nature d'abord la connaissance dans l'esprit angélique.

7. La solution est éclairée par les explications ci-dessus, parce que ces jours ne sont pas distingués selon la distinction de la connaissance angélique, mais par celle des premières oeuvres en rapport avec la connaissance angélique, et ainsi cette distinction des oeuvres, et non pas celle des connaissances, apporte la distinction des premiers jours; et ainsi ces six jours sont distingués selon que la lumière de l'esprit angélique est appliquée pour connaître les six genres de choses.

8. Selon Augustin par ces trois expressions est signifié le triple être des choses.

1. Premièrement l'être des choses dans le Verbe, car les créatures ont l'être dans l'art divin parce qu'il est le Verbe, avant de l'avoir en elles-mêmes, et il en est fait mention quand il est dit: "Mais Dieu le dit, et ce fut fait"; c'est-à-dire le Verbe l'a engendré, en qui était l'être à créer.

2. Deuxièmement, l'être des choses dans l'esprit angélique, parce que Dieu n'a rien produit dans la nature qu'il ne l'ait représenté dans l'esprit angélique, et il en est fait mention quand il dit: "Ce fut fait", c'est-à-dire par induction du Verbe dans l'esprit angélique.

3. Troisièmement l'être des choses dans leur propre nature, et il en est fait mention par ce qu'il dit: "Il fit". Car de même que l'idée par laquelle est créée la créature, est dans le Verbe avant qu'elle ne soit créée, de même la connaissance de cette même idée est par l'ordre de la nature dans l'esprit angélique, avant la production même de la créature. Et ainsi l'ange a une triple connaissance des créatures, selon qu'elles sont dans le Verbe, dans son esprit ou dans leur propre nature; la première est appelée connaissance matutinale, les deux autres sont comprises sous le nom de connaissance vespérale.

Et pour montrer ce double mode de connaissance dans la créature spirituelle, on dit: "Il y eut un soir et un matin, un jour unique.". Donc par les six jours pendant lesquels, on lit que Dieu créa tout, Augustin comprend non pas ces jours ordinaires qui s'accomplissent par la course du soleil, puisqu'on lit que le soleil a été créé le quatrième jour, mais un seul jour, c'est-à-dire la connaissance angélique présentée par six genres de choses. C'est pourquoi, de même que la représentation de la lumière corporelle sur ces choses inférieures compte pour un jour temporel, de même la représentation de la lumière spirituelle de l'intellect angélique sur les créatures, compte pour un jour spirituel; de sorte que, ainsi, ces six jours sont distingués selon que la lumière de l'intellect angélique est appliquée à connaître les six genres de choses; pour que le premier jour soit la connaissance de la première oeuvre divine, le second la connaissance de la seconde, etc.

Et ainsi, ces six jours sont distingués non selon l'ordre du temps ou la succession des êtres, mais selon l'ordre naturel des choses connues, selon qu'une oeuvre a été connue avant l'autre, dans l'ordre de la nature. Et de même que dans le jour naturel et matériel, la matin est le commencement du jour et le soir en est la fin ou le terme, de même la connaissance de chaque oeuvre, selon son être primordial, selon qu'il a l'être dans le Verbe, est appelée matutinale, mais sa connaissance selon l'être ultime, dans la mesure où il subsiste dans sa nature propre, est appelé vespérale. Car le principe de l'être d'une chose est dans la cause d'où elle découle, mais son terme est dans ce en quoi elle est reçue, et où l'action de la cause se termine. C'est pourquoi la connaissance première d'une chose est selon qu'elle est considérée dans sa cause d'où elle découle; mais la connaissance ultime est selon qu'elle est considérée en elle-même.

Donc comme l'être des créatures découle du Verbe éternel, comme d'un principe primordial, et que cet écoulement se termine à leur être qu'elles ont dans leur propre nature, il s'ensuit que la connaissance dans le Verbe qui appartient à leur être primitif et primordial doit être appelé matutinale, par ressemblance au matin qui est le commencement du jour, mais la connaissance de la créature dans sa propre nature, qui appartient à son être ultime et achevé, doit être appelée vespérale, parce que le soir est le terme du jour. C'est pourquoi de même que six genres, rapportés à la connaissance angélique, distinguent les jours, de même l'unité de la chose qui peut être connue de diverses manières, constitue l'unité du jour, et distingue le jour par le soir et le matin.

9. L'ange ne peut pas dans sa propre nature comprendre plus au commencement, et originairement mais il peut bien comprendre plus du fait qu'il est en relation avec l'un intelligible. Et parce que tout ce qui a été produit dans sa nature propre, a d'abord été dans l'ordre de la nature, selon leurs ressemblances, induit dans l'esprit angélique, l'ange en se connaissant, connaît en même temps d'une certaine manière ces six genres de choses, qui ont un ordre naturel entre elles, car en se connaissant, il connaît tout ce qui a l'être en soi.

10. Il peut y avoir deux opérations en même temps, pour une même puissance dont l'une se rapporte à l'autre et lui est ordonnée et il est clair que la volonté veut en même temps la fin et ce qui la concerne et l'intellect comprend en même temps les principes et les conclusions par les principes, quand il en a cependant acquis la science. Mais la connaissance vespérale dans les anges se rapporte à la connaissance matutinale, comme Augustin le dit, de même que la connaissance et l'amour naturels sont ordonnés à la connaissance et à l'amour de gloire.

C'est pour cela que rien n'empêche que, dans l'ange, il y ait en même temps une connaissance matutinale et vespérale, comme il y a en même temps la connaissance naturelle et la connaissance de gloire. Car deux opérations d'une seule puissance, qui procèdent de deux espèces d'un même genre, dont l'une n'a pas de rapport avec l'autre (telles sont toutes les espèces créées inhérentes à l'intellect) ne peuvent exister en même temps; c'est pourquoi l'ange ne peut pas produire en même temps par diverses espèces concrètes diverses intellections. Mais si ces deux opérations procèdent des formes de genres et de raisons différents, et dont l'une est ordonnée à l'autre (telles sont la forme subsistante incréée et la forme inhérente créée), elles peuvent coexister.

Et parce que la connaissance par laquelle l'ange voit les choses dans leur nature propre, qui est appelée vespérale, se fait pas une espèce intelligible, créée et inhérente, et que la connaissance, par laquelle il voit les choses dans le Verbe, appelée matutinale, se fait par l'essence du Verbe qui n'est pas inhérente, ce qui est d'un autre genre et d'une autre nature, et que l'une est ordonnée à l'autre, les deux connaissances pourront exister en même temps. Car l'espèce co-créée inhérente à l'intellect ne répugne pas à l'union de l'intellect à l'essence du Verbe, qui n'actualise pas l'intellect quant à son être, mais seulement quant à son intellection, puisqu'il n'est pas d'une seule nature, mais d'un ordre plus élevé, et cette espèce inhérente même et tout ce qui est parfait dans l'intellect créé, est comme une disposition matérielle à cette union et à la vision bienheureuse par laquelle ils voient la création dans le Verbe.

Et c'est pourquoi, de même que la disposition à une forme et cette forme peuvent être dans un acte parfait en même temps, de même l'espèce intelligible inhérente se trouve en même temps dans l'acte parfait avec union à l'essence du Verbe; c'est pourquoi, en même temps, de l'intellect de l'ange bienheureux procède une double opération:1. en raison de son union à l'essence du Verbe, par laquelle il voit les êtres en lui, ce qui est appelé connaissance matutinale et 2. l'autre en raison de l'espèce qui y est inhérente par laquelle il voit les choses dans leur propre nature, qui est appelée connaissance vespérale. Et l'une de ces actions n'est pas affaiblie ou atténuée par son attention à l'autre, mais elle en est plutôt renforcée, puisque l'une des deux est la raison de l'autre, comme l'image d'un objet vu est renforcée quand il est vu en acte par l'oeil externe. Car l'action par laquelle les bienheureux voient le Verbe, et les créatures en lui, est la raison de n'importe quelle action trouvée en eux. Mais deux actions dont l'une est la raison de l'autre, ou dont l'une est ordonnée à l'autre, peuvent venir en même temps d'une seule puissance.

Et alors une seule puissance, selon les diverses espèces ordonnées entre elles, se termine à des actes différents, pas sous un même aspect mais sous des aspects différents. Car les espèces des différents genres, ordres, ou natures, peuvent être unies ensemble dans un acte parfait; comme on le voit pour la couleur, l'odeur et la saveur dans un fruit.

Mais l'essence divine, par laquelle l'intellect angélique voit les créatures dans le Verbe, (puisqu'elle est incréée et subsistante par soi) et l'essence de l'ange par laquelle il se voit toujours lui et les choses selon qu'elles ont l'être en soi, (puisque cette essence a été créé, et qu'elle subsiste par soi dans un être reçu où subsiste son intellect), et l'espèce infuse, ou co-créée, par laquelle il voit les choses dans leur propre nature (puisqu'elle est inhérente à son intellect), sont dites de différents ordres, genres, et natures; de sorte que la première est comme la raison des autres, et la seconde comme la raison de la troisième, et c'est pourquoi l'intellect angélique pourra en même temps, avoir trois opérations selon ces trois formes; de même que l'âme du Christ comprend en même temps les choses par l'espèce du Verbe et par les espèces infuses et les espèces acquises.

11. Selon Augustin, de même que l'absence de forme de la matière a précédé sa mise en forme, non dans le temps, mais dans l'ordre, comme le son et la voix précède le chant; de même la mise en forme de la nature spirituelle qui est désignée dans la production de la lumière, puisqu'il est plus digne que la nature spirituelle précède la mise en forme de la créature corporelle, dans l'ordre de la nature et de l'origine, et non dans l'ordre du temps. Mais la mise en forme de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe, non par la gloire parfaite sans laquelle elle a été créée, mais par la grâce parfaite avec laquelle elle a été créée. Donc par cette lumière est faite la distinction des ténèbres, c'est-à-dire du manque de forme de la créature corporelle, pas encore formée, mais dans l'ordre d'une nature à former par la suite.

Car la mise en forme de la créature spirituelle peut être comprise de deux manières: 1. par l'infusion de la grâce, 2. par la conservation de la gloire.

1. Selon Augustin, la première grâce est parvenue aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de sa création et alors, par les ténèbres, qu'on distingue de la lumière, on ne comprend pas le péchés des mauvais anges, mais l'absence de forme de la nature, qui n'avait pas encore été formée, mais était dans l'ordre de la nature, devant être formée dans les opérations suivantes, comme il est dit in La Genèse au sens littéral. Ou comme il est dit Sur la Genèse, par le jour est signifiée la connaissance de Dieu, par la nuit la connaissance de la créature, qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, comme il est dit dans le même livre. Ou si, par les ténèbres nous comprenons les anges pécheurs, cette division n'est pas rapportée au péché présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu. C'est pourquoi dans le livre A Orose, il dit: "Parce que Dieu savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que quelques anges tomberaient par orgueil, il les divisa en bons et méchants; appelant les méchants ténèbres et les bons lumière."

2. La seconde formation de la nature spirituelle n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plus à leur évolution où elles sont gouvernées par la providence divine. Donc la distinction de la lumière et des ténèbres, selon que, par les ténèbres, on comprend les péchés des démons, doit être entendue selon la prescience de Dieu. C'est pourquoi Augustin dit in XI, La Cité de Dieu, que seul a pu discerner la lumière des ténèbres celui qui a pu avant qu'ils ne tombent prévoir qu'ils tomberaient. Mais selon que, par les ténèbres, on comprend l'absence de forme de la nature corporelle à former, on signale l'ordre, non pas du temps, mais de la nature, entre la formation de l'une et l'autre nature.

12. Une fois établi que tout a été créé en même temps dans la forme et la matière, il est dit que l'ange a eu connaissance de la créature corporelle à faire, non pas parce qu'elle serait future dans le temps, mais parce qu'elle était connue comme devant exister dans la mesure où elle était considérée dans sa cause, en qui elle était pour pouvoir en procéder. De même on peut dire que celui qui connaît un coffre dans son art d'où il est fait, le connaît comme devant exister. Car la connaissance des choses dans le Verbe est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire, et elle se comporte indifféremment pour le présent et le futur, parce qu'elle est conforme à la connaissance de Dieu, par laquelle il connaît absolument tout avant que ce soit fait, comme après avoir été fait. Et cependant tout connaissance dans le Verbe, concerne ce qui est à faire, déjà fait, ou non, puisque le mot fiendum (à faire) n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du créateur; de même la connaissance de l'oeuvre est dans l'art, qui est selon son devenir, quoique l'oeuvre n'ait pas encore été faite. C'est pourquoi, bien que la créature corporelle ait été faite en même temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange a reçu du Verbe une connaissance de ce qui devait être fait, pour la raison déjà dite.

13. De même que le matin précède le soir, la connaissance matutinale précède la connaissance vespérale dans l'ordre de la nature, non en rapport avec une seule et même oeuvre, mais en rapport avec différentes oeuvres; mais la connaissance vespérale de la première opération est comprise dans l'ordre de la nature avant la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. Car l'oeuvre du premier jour est la production de la lumière par laquelle on comprend la formation de la nature angélique par l'illumination de la grâce, mais la connaissance par laquelle la créature spirituelle se connaît elle-même naturellement suit son être dans sa nature propre. Et ainsi la créature spirituelle dans l'ordre naturel se connaît avant dans sa nature propre par une connaissance vespérale par laquelle elle se connaît comme déjà faite, avant de se connaître dans le Verbe en qui est connue l'oeuvre de Dieu, comme devant être faite.

Donc, dans cette connaissance par laquelle les bons anges se sont connus eux-mêmes, ils ne sont pas demeurés comme jouissant d'eux mêmes, et plaçant leur fin en eux, parce qu'ils seraient devenus nuit, comme les mauvais anges qui ont péché, mais ils ont rapporté leur connaissance à la louange de Dieu, et ainsi à partir de sa connaissance, le bon ange s'est tourné vers la contemplation du Verbe en qui il y a le matin du jour suivant, selon qu'en lui, il a reçu la connaissance de l'oeuvre suivante, à savoir celle du firmament.

Mais, comme nous voyons dans le temps continu, que, dans le même instant, il y a deux temps, selon qu'il est la fin du passé et le commencement du futur, de même la connaissance matutinale du second jour est le terme du premier, et le commencement du second, et ainsi de suite jusqu'au septième jour. Et c'est pourquoi au premier jour, on désigne seulement le soir, parce que l'ange a eu d'abord la connaissance vespérale de lui-même et de celle-ci il est passé à la connaissance matutinale, selon que de la contemplation de lui-même il s'est tourné vers celle du Verbe, en qui il y a le matin du jour suivant, dans la mesure où il reçoit en lui la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. C'est pourquoi, la connaissance matutinale par rapport à une seule et même oeuvre après le premier jour précède naturellement sa connaissance vespérale, mais la connaissance vespérale de la première oeuvre, précède naturellement la connaissance matutinale de la suivante; c'est pourquoi, de même que le premier jour a seulement un soir, le septième jour qui signifie la contemplation de Dieu, a seulement un matin; car ce jour n'est clos par aucune limite !.

14. Augustin appelle la connaissance matutinale, celle qui est en pleine lumière; c'est pourquoi elle contient le midi. Car il appelle une telle connaissance quelquefois diurne, mais quelquefois matutinale. Ou on peut dire que toute connaissance de l'intellect angélique est mêlée de ténèbres du côté de celui qui connaît; c'est pourquoi aucune connaissance d'un intellect angélique ne peut être appelée méridienne, car c'est la seule connaissance par laquelle Dieu connaît tout en lui-même. De plus, comme Dieu est pleine lumière, qu'il n'y a aucunes ténèbres en lui, cette connaissance de Dieu en soi et absolue est pleine lumière, peut être appelée méridienne, mais, parce que la créature du fait qu'elle vient de rien, a les ténèbres de la potentialité et de l'imperfection, la connaissance même de la créature est mêlée de ténèbres; ce mélange est signifié par le matin et le soir, selon que la créature elle-même peut être connue de deux manières; ou dans le Verbe selon qu'elle sort de l'art divin, et ainsi sa connaissance est appelée matutinale, parce que, de même que le matin est la fin des ténèbres, et le commencement de la lumière, de même la créature après les ténèbres, c'est-à-dire quand elle existe, prend du Verbe même le principe de la lumière. Car existant par l'espèce créée, elle peut être connue dans sa propre nature, et une telle connaissance est appelée vespérale, parce que, de même que le soir est le terme de la lumière, et tend à la nuit, de même la créature subsistant en soi est le terme de l'opération du Verbe, qui est lumière, comme faite par le Verbe et en tant qu'elle est de soi, la défaillance tend aux ténèbres, à moins qu'elle ne soit portée par le Verbe.

Cependant cette connaissance est appelée jour, parce que, en comparaison avec la connaissance du Verbe, elle est obscure, de même par comparaison avec l'ignorance, qui est tout à fait obscure, elle est appelée lumière; comme la vie des justes est appelée obscure par comparaison à la vie de gloire, elle est appelée cependant lumière, par rapport à la vie des pécheurs. De plus, comme le matin et le soir sont des parties du jours, le jour dans les anges est la connaissance éclairée par la lumière de la grâce; c'est pourquoi la connaissance matutinale et vespérale s'étend seulement à la connaissance gratuite des biens; c'est pourquoi la connaissance même des oeuvres divines, par l'ange éclairé est appelée jour, et les jours sont distingués selon les différents genres des oeuvres divines, et sont ordonnés selon leur ordre.

Mais chacune de ces oeuvres est connue doublement par l'ange éclairé: 1. dans le verbe, sous l'espèce (species) donnée par le Verbe et ainsi une telle connaissance est appelée matutinale; 2. dans sa nature propre, ou par l'espèce créée, et les bons ne demeurent pas dans cette connaissance en la considérant comme une fin, parce qu'ils deviendraient nuit, comme les mauvais anges; mais ils la rapportent à la louange du Verbe et à la lumière de Dieu, en qui, comme dans un principe, ils connaissent tout; aussi une telle connaissance de la créature, rapportée à la louange de Dieu, n'est pas appelée nocturne, ce qui serait en tout cas, s'ils demeuraient en elle, parce qu'alors ils deviendraient nuit, comme jouissant de la créature même.

Donc la connaissance matutinale et la connaissance vespérale distinguent le jour, c'est-à-dire la connaissance qu'ont les bons anges illuminés par les oeuvres créées. Mais la connaissance de la créature par les bons anges eux-mêmes, par un intermédiaire soit créé, soit incréé, est toujours mêlée d'obscurité; c'est pourquoi on ne l'appelle pas méridienne, comme la connaissance de Dieu en lui-même; ni nocturne, comme la connaissance de la créature qui n'est pas rapportée à la lumière divine; mais on l'appelle seulement matutinale et vespérale; car le soir en tant que tel, se termine au matin. Et c'est pourquoi n'importe quelle connaissance des choses dans sa nature propre ne peut pas être appelée vespérale, mais seulement celle qui se rapporte à la louange du Créateur. C'est pourquoi la connaissance qu'ont les démons, n'est pas appelée proprement matutinale ou vespérale. Car le matin et le soir ne sont pas pris dans la connaissance angélique selon toute ressemblance, mais seulement selon la ressemblance quant à la nature du commencement et de la fin.

15. Bien que l'ange ait été créé en l'état de grâce, cependant il n'a pas été bienheureux au commencement de sa création, et il n'a pas vu le Verbe de Dieu dans son essence; c'est pourquoi il n'eut pas la connaissance matutinale de lui-même, qui désigne la connaissance par l'espèce du Verbe, mais il eut d'abord une connaissance vespérale de lui-même selon qu'il se connut lui-même en lui de façon naturelle, parce que, en chacun, la connaissance naturelle précède la connaissance surnaturelle, comme son fondement, et la connaissance de l'ange découle naturellement de son être dans sa propre nature; aussi il eut une connaissance matutinale de lui-même, mais vespérale au commencement de sa création. Il reporta cette connaissance à la louange du Verbe et par cette relation il mérita de parvenir à la connaissance matutinale. C'est pourquoi on dit, de manière significative, que le premier jour eut seulement un soir, et pas de matin, parce que le soir passa au matin; parce que cette lumière spirituelle, qui, lit-on, a été faite le premier jour, aussitôt faite se connut elle-même, parce qu'elle fut d'une connaissance vespérale, et il reporta cette connaissance à la louange du Verbe, par qui il mérita de recevoir la connaissance matutinale de l'oeuvre suivante. Car ce n'est pas n'importe quelle connaissance des choses dans leur propre nature qui peut être appelée vespérale, mais celle seulement qui est rapportée à la louange du Créateur, car elle revint le soir et se termina au matin.

C'est pourquoi la connaissance que les démons ont des choses par eux-mêmes, n'est ni matutinale, ni vespérale; mais seulement la connaissance gratuite qui est dans les bons anges. Et ainsi la connaissance des choses dans leur nature propre, reliée à la louange du Verbe est toujours vespérale, et une telle relation ne la rend pas matutinale, mais la fait se terminer à la connaissance matutinale, et par une telle relation il mérite de la recevoir. Et de même que le premier jour, qui signifie la formation et la connaissance de la nature spirituelle dans sa propre nature, a seulement un soir, de même le septième jour, qui signifie la contemplation de Dieu, qui ne contient aucune limite et qui correspond à la connaissance angélique en rapport avec le repos de Dieu en lui-même, en quoi consiste l'illumination et la sanctification de tout, [ce septième jour] a seulement un matin. Car du fait que Dieu a cessé de créer de nouvelles créatures, on dit qu'il a accompli son oeuvre et qu'il s'en repose en lui-même. Et de même que Dieu se repose en lui seul, et il est bienheureux en jouissant de lui, de même nous, nous devenons bienheureux par sa seule fruition et ainsi même il fait que nous nous reposons de ses oeuvres et des nôtres en lui-même.

Donc le premier jour, qui correspond à la connaissance que la nature spirituelle éclairée par la lumière de la grâce eut d'elle-même, a seulement un soir, mais le septième jour qui correspond à la connaissance angélique en relation avec le repos et la fruition de Dieu en lui-même, a seulement un matin; parce qu'il n'y a aucunes ténèbres en Dieu. Car on dit que Dieu se reposa le septième jour, en tant que repos propre, par lequel il se repose en lui-même des oeuvres créées; il le montra à la nature angélique; cette connaissance, Augustin l'appelle jour; et parce que le repos de la créature, selon qu'elle est fermement établie en Dieu, n'a pas de fin, de même le repos de Dieu par lequel il se repose en lui-même des créatures, n'ayant pas besoin d'elles, n'a pas de fin, parce qu'il n'aura jamais besoin d'elles; c'est pourquoi le septième jour qui répond à un tel repos n'a pas de soir, mais seulement un matin; mais ces jours, qui correspondent à la connaissance angélique en relation avec les autres créatures, ont un matin et un soir, comme on l'a dit ci-dessus.

16. De ce qui a été dit, il apparaît qu'on peut avoir connaissance d'une chose déjà faite comme devant être faite, si on la considère dans les causes d'où elle procède; et ainsi les anges ont reçu la connaissance de ce qui était à faire dans le Verbe, qui est l'Art suprême des choses, et toute connaissance en lui qui est appelée matutinale de la chose à faire, est dite de ce qui est à faire, que ce soit fait, ou pas, puisque le `à faire'n'indique pas le temps, mais la sortie de la créature du Créateur, comme on la dit ci-dessus. Aussi, quoique la créature corporelle soit faite en même temps que la nature spirituelle, on dit cependant que l'ange par la connaissance matutinale a reçu dans le Verbe la connaissance de lui-même comme à faire. C'est pourquoi on a déclaré dans la réponse ci-dessus que le premier jour n'a pas eu de matin, mais seulement un soir, .

17. Ce n'est pas des choses que la créature spirituelle reçoit la connaissance, mais elle les comprend (intelligat) naturellement par les espèces, innées ou co-créées; mais ces espèces même qui sont dans l'esprit de l'ange, ne se comportent pas de la même manière pour le présent et le futur; parce que celles qui sont présentes sont assimilées aux formes en acte qui sont dans les anges, et ainsi par elles, elles peuvent être connues; mais celles qui sont futures ne sont pas encore semblables en acte à ces formes; c'est pourquoi par les formes susdites le futur n'est pas connu, puisque la connaissance se fait par l'assimilation actuelle du connaissant et du connu. Et ainsi, puisque l'ange ne connaît pas le futur en tant que tel, il a besoin de la présence des choses, pour les connaître dans leur propre nature par les espèces induites en lui; parce que, avant qu'elles soient faites, elles ne ressemblent pas aux formes. On a dit plus haut que la connaissance vespérale et la connaissance matutinale sont distinguées non du côté de ce qui est connu, mais du côté de l'intermédiaire à connaître. Car la connaissance matutinale se fait par un intermédiaire incréé, surpassant la nature de celui qui connaît et de la chose connue: c'est pourquoi la connaissance des choses par l'espèce du Verbe est appelée matutinale, que la chose soit déjà faite, ou à faire, mais la connaissance vespérale se fait par un intermédiaire créé proportionné avec celui qui connaît et la chose connue, déjà faite, ou à faire.

18. Bien que l'ange ait l'être dans le Verbe avant que dans sa propre nature, parce que, cependant, la connaissance présuppose l'être de celui qui connaît, il n'a pas pu se connaître avant d'exister, mais la connaissance de lui-même dans sa propre nature, lui est naturelle, mais celle du Verbe est surnaturelle; c'est pourquoi il a fallu qu'il se connût lui-même dans sa propre nature avant de se connaître dans le Verbe; puisque la connaissance naturelle précède en chacun, par origine, la connaissance surnaturelle comme son fondement. Autrement il a connu les choses dans l'ordre de la nature dans le Verbe par la connaissance matutinale avant que par connaissance vespérale dans sa propre nature; c'est pourquoi par rapport aux oeuvres suivantes le matin précède le jour; comme on l'a dit ci-dessus.

19. De même qu'une seule science totale comprend sous soi diverses sciences particulières, par lesquelles les conclusions diverses sont connues; de même la seule connaissance de l'ange qui est un tout, comprend sous soi la connaissance matutinale et la connaissance vespérale comme des parties, comme le matin et le soir sont des parties du jour, bien qu'ils soient de nature différente. Car les choses de nature différente, ordonnées entre elles, peuvent constituer un tout unique; c'est pourquoi la matière et la forme, qui sont de nature différente, constituent un composé; et les chairs, les os et les nerfs sont les parties d'un seul composé. Car l'essence divine par laquelle les êtres sont connus dans le Verbe d'une connaissance matutinale est la raison de toutes les formes co-créées dans l'esprit de l'ange; de même elles dérivent d'elle comme des images, par lesquelles les choses sont connues dans leur nature propre, par la connaissance vespérale, de même l'essence de l'ange est pour lui la raison de comprendre l'être qu'il connaît, bien qu'elle ne soit pas parfaite, c'est pourquoi il a besoin des autres formes surajoutées.

Et c'est pourquoi, quand l'ange voit Dieu par son essence, et lui-même et les autres par les espèces co-créées, d'une certaine manière, il n'en comprend (intelligit) qu'une; ainsi, parce que la lumière est la raison de voir la couleur, quand l'oeil voit la lumière et la couleur il y voit d'une certaine manière un seul objet. Et quoique ces opérations soient réellement distinctes, puisque l'opération par laquelle il voit Dieu, demeure toujours, et est mesurée par une éternité participée; l'opération par laquelle il se comprend, demeure toujours, et est mesurée par l'ævum; et l'opération par laquelle il comprend les autres être, par les espèces innées ne demeure pas toujours mais succède à une autre: cependant parce que l'une est ordonnée à l'autre, et que l'une est comme la raison formelle de l'autre, elles sont une d'une certaine manière; parce que, là où il y a un objet près de l'autre, il n'y en a qu'un, comme on dit en Topique, et c'est pour cela que ces opérations dont l'une est ordonnée à l'autre, peuvent être ensemble et constituer un seul tout.

20. Comme l'intellect est le lieu des espèces intelligibles, il faut dire que la science, qui apporte la mise en ordre des espèces intelligibles ou la faculté et une habilitation de l'intellect lui-même pour se servir de ces espèces, demeure après la mort, comme l'intellect, qui est le substrat des espèces de ce genre; mais le mode par lequel il s'en sert dans le statut de la vie présente, qui est par conversion aux images, qui sont dans les pouvoirs sensibles, ne demeurera pas; parce que, comme les puissances sensitives sont corrompues, l'âme ne pourra pas par les espèces qu'elle a acquises ici, ni par celles induites en elle dans la séparation même, comprendre en se tournant vers les images, mais par elles comprendre par un mode qui lui convient à la manière d'être semblable aux anges qu'elle aura. Donc la science est détruite non quant à la possession, ni quant à la substance de l'acte de connaître, qui est spécifié par l'espèce de l'objet, mais quant au mode de connaître, qui ne se fera pas en se tournant vers les images, et c'est ainsi que le comprend l'Apôtre.

21. La lumière causée par le soleil et celle causée par la bougie dans l'air, sont de même nature. Mais deux formes d'une seule nature ne peuvent être en même temps en acte parfait dans le même sujet; c'est pourquoi une seule d'entre elles est causée dans l'air et non les deux. Mais l'essence divine, par laquelle sont connues les choses dans le Verbe, est d'une autre nature que les espèces par lesquelles l'ange connaît les choses dans leur nature propre; c'est pourquoi ce n'est pas la même raison. En effet, quand arrive ce qui est parfait, l'imparfait qui lui est opposé, est éliminé, de même, quand arrive la vision de Dieu, la foi, qui concerne ce qui ne se voit pas, est éliminée. Mais l'imperfection de la connaissance vespérale n'est pas opposée à la perfection de la connaissance matutinale; car il n'y a pas opposition entre ce qui est connu en soi, et ce qui est connu dans sa cause: et à nouveau pas d'opposition pour ce qui est connu par deux intermédiaire, dont l'un est plus parfait que l'autre; de même pour une même conclusion, nous pouvons avoir une raison démonstrative et une raison dialectique.

Et semblablement, l'ange peut connaître une chose par le Verbe incréé, et par l'espèce innée; puisque l'une n'est pas opposée à l'autre, mais elle se comporte plutôt comme une disposition matérielle envers l'autre; car la perfection qui arrive enlève l'imperfection qui lui est opposée. Mais l'imperfection de la nature n'est pas opposée à la perfection de la béatitude, mais lui est soumise, comme l'imperfection de la puissance est soumise à la perfection de la forme, et la puissance n'est pas enlevée par la forme, mais par la privation qui lui est opposée; semblablement aussi l'imperfection de la connaissance naturelle n'est pas opposée à la perfection de la connaissance de gloire, mais elle lui est soumise comme une disposition matérielle. Et c'est pourquoi l'ange peut connaître en même temps les choses par un intermédiaire créé et dans leur nature propre, ce qui appartient à la connaissance vespérale et naturelle, et par l'essence du Verbe, qui appartient à la connaissance de gloire et est matutinale; et l'une de ces opérations n'empêche pas l'autre, puisque l'une est ordonnée à l'autre et est comme sa disposition matérielle.

22. Augustin veut qu'au commencement de la création certaines choses distinctes, par leurs espèces, aient été produites dans leur nature propre, comme les quatre éléments, qui n'ont été produit de rien, les corps célestes et les substances spirituelles. Car une telle production ne présuppose pas la matière d'où et en quoi elle viendrait. Mais il est dit que les autres ont été produites dans les raisons séminales seulement, comme les animaux, les plantes et les hommes; qui tous par la suite ont été produits dans leur nature propre, par cette oeuvre où, après ces six jours, Dieu administre la nature d'abord créée. De cette oeuvre, Jean a dit (Jn 5, 17) "Mon Père opère jusqu'à ce jour." Et dans la production et la distinction des choses, il ne veut pas atteindre l'ordre du temps mais celui de la nature. Car toutes les oeuvres des six jours ont été faites en même temps dans le même instant, en acte ou en puissance, selon les raisons causales, pour que, , elles puissent être faites, par la suite, à partir d'une matière préexistante ou par le Verbe ou par les puissances actives induites dans la création même de la créature.

C'est pourquoi, en cherchant, mais sans l'assurer, il dit que l'âme du premier homme a été créée en même temps que les anges, en acte; il ne pense pas que cela a été fait avant le sixième jour, bien qu'il pense qu'en ce sixième jour même, l'âme du premier homme a été faite en acte; ainsi que son corps selon les raisons causales; parce que Dieu a induit un pouvoir passif à la terre pour que par la puissance active du Créateur, le corps de l'homme en soit formé. Et ainsi, en même temps, l'âme en acte et le corps en puissance passive ont été faits en rapport avec la puissance active de Dieu.

Ou, si on pense, en vérité, que l'âme n'a pas en soi d'espèce complète, mais est unie au corps comme une forme, et est naturellement une partie de la nature humaine, comme le veut Le philosophe, il faut dire que l'âme du premier homme n'a pas été produite en acte avant la mise en forme du corps; mais elle a été créée et induite dans le corps en même temps que la mise en forme du corps, comme Augustin le soutient expressément pour les autres âmes. Car Dieu a institué les choses premières dans un parfait état de leur nature, selon que leurs espèces l'exigeaient. Mais comme l'âme raisonnable est partie de la nature humaine, elle n'a de perfection naturelle que selon qu'elle est unie à un corps. C'est pourquoi naturellement elle a l'être dans le corps, et être hors du corps est au-delà de sa nature; aussi il n'aurait pas été convenable qu'une âme soit créée sans corps.

Donc en soutenant l'opinion d'Augustin sur les oeuvres des six jours, on peut dire que, de même que, en ces six jours le corps du premier homme n'a pas été formé et produit en acte, mais en puissance seulement selon les relations causales; de même son âme n'a pas été produite alors en acte et en elle-même, mais dans sa ressemblance, selon le genre: et ainsi elle a précédé dans ces six jours, non en acte et en elle-même, mais selon une certaine ressemblance en genre, selon qu'elle s'accorde avec les anges dans la nature intellectuelle. Mais ensuite, par l'oeuvre par laquelle Dieu a administré la créature créée d'abord, l'âme fut en même temps produite en acte avec un corps formé.

23. La réponse est éclairée par ce qui a été dit: parce que le corps humain ne fut pas produit en acte dans ces six jours, les corps des autres animaux, non plus, mais seulement selon les relations causales, parce que Dieu dans la création même a induit un pouvoir dans les éléments, ou certaines raisons pour que les animaux puissent en être produits, des étoiles ou de la semence, par le pouvoir de Dieu. Donc ce qui a été produit en eux en acte pendant ces six jours, a été créé non pas successivement mais en même temps, mais d'autres selon les raisons séminales ont été produites en même temps en leur image.

24. Il faut dire comme à la solution 16, que la connaissance des choses par les espèces induites ou proportionnées aux choses est appelée vespérale dans leur nature propre; que la chose soit faite ou à faire, et quoique ces espèces se comportent de la même manière pour le présent et le futur. Non cependant que les choses présentes et futures se comportent également vis-à-vis de leurs espèces mêmes; parce que les choses présentes en acte ressemblent à leurs espèces, elles peuvent être connues en acte en elles-mêmes. Mais les choses futures ne leur ressemblent pas en acte, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire qu'elles soient connues en elle-même. Mais on ne dit pas que la connaissance vespérale, celle des choses dans la nature propre, vient du fait que les anges saisissent les espèces mêmes, par lesquelles ils connaissent, mais parce que par celles qu'ils ont reçues de la création, ils les connaissent dans la mesure où elles subsistent dans leur propre nature.

25. Selon Augustin, les anges, au commencement, virent dans le Verbe les créatures qui devaient être faites. Car on lit que celles qui ont été faites dans les opérations des six jours, ont été faites en même temps; c'est pourquoi aussitôt dès le commencement de la création, il y eut ces six jours, et par conséquent il faut qu'au commencement le bon ange ait connu le Verbe et les créatures en lui. Car celles-ci ont un être triple, comme on l'a dit ci-dessus.

1. Elles ont l'être dans l'art divin, qui est le Verbe, et il est fait mention d'un tel être quand il est dit: "Dieu dit, qu'il soit fait", c'est-à-dire il a engendré le Verbe, en qui il y avait ce qu'il fallait pour faire une telle oeuvre.

2. Elles ont l'être dans l'intellect angélique, il en est fait mention par ce qui est dit: "Il a été fait", à savoir par leur induction à partir du Verbe.

3. Elles ont l'être en elle-même dans leur propre nature.

Ainsi, l'ange aussi a une triple connaissance des êtres; à savoir selon qu'elle est dans le Verbe, dans son esprit et dans leur propre nature. Mais l'ange a une double connaissance du Verbe, l'une naturelle par laquelle il le connaît par sa ressemblance qui brille dans sa nature, en quoi consiste sa béatitude naturelle, à laquelle par son pouvoir il peut parvenir; il a de lui une autre connaissance surnaturelle et de gloire par laquelle il le connaît par son essence, en quoi consiste sa béatitude surnaturelle, qui excède le pouvoir de sa nature. Et par l'un et l'autre, le bon ange connaît les choses ou les créatures dans le verbe; mais par sa connaissance naturelle il connaît dans le Verbe imparfaitement; mais par la connaissance de gloire, il connaît même dans le Verbe plus pleinement et plus parfaitement.

1. La première connaissance dans le Verbe passe dans l'ange au commencement de sa création, c'est pourquoi dans le livre des Dogmes ecclésiastiques, on dit que "les anges qui demeurèrent, non par nature mais par grâce, dans cette béatitude dans laquelle ils ont été créés, possèdent le bien qu'ils ont." De même Augustin La foi pour Pierre dit: "Les anges, des esprits, ont reçu divinement le don d'éternité et de béatitude dans la création spirituelle de leur nature." Par celle-ci cependant, ils n'étaient pas absolument bienheureux, puisqu'ils étaient capables d'une perfection plus grande, mais relative, c'est-à-dire selon ce temps, comme le philosophe le dit, il y a des bienheureux en cette vie, pas absolument mais comme des hommes.

2. La seconde connaissance, à savoir celle de gloire, n'est pas arrivée à l'ange au commencement de sa condition, parce qu'ils ne furent pas créés bienheureux dans une béatitude parfaite; mais elle leur arriva au commencement, au moment où ils sont devenus bienheureux par leur conversion parfaite au bien. Donc ces six genres de chose ont tous été créés en même temps que l'ange, et dans le même instant, il connut tout dans le Verbe d'une connaissance naturelle ce que, par la suite, il connut plus pleinement dans le Verbe d'une connaissance surnaturelle, que les anges reçurent aussitôt après qu'ils aient rapporté leur connaissance naturelle à la louange du Verbe; comme cette connaissance naturelle est mesurée par l'aevum, elle coexiste toujours avec la connaissance surnaturelle du Verbe même, et avec la connaissance par laquelle il connaît par les espèces induites les créatures dans leur propre nature; c'est pourquoi ces trois connaissances existent en même temps, et l'une ne succède pas à l'autre. Car la connaissance des choses dans le Verbe, de ce qui est fait ou à faire, est appelée matutinale; et la connaissance des choses, qu'elle soit présente ou future, par un intermédiaire créé est appelée vespérale.

26. Il n'est pas possible que l'ange voit le Verbe, ou son essence divine en tant qu'idée de ce qui est à faire, et non dans la mesure où il est la fin des bienheureux et l'objet de la béatitude, puisque l'essence divine en soi est objet de béatitude, et fin des bienheureux. Mais il n'est pas possible que quelqu'un voit l'essence divine en tant qu'idée de choses à faire et ne la voit pas en soi, et c'est pourquoi on concède la totalité de l'argument.

27. Il faut dire que certains ont voulu distinguer la connaissance prophétique de la connaissance des bienheureux, qui dirent que les prophètes voient l'essence divine elle-même, qu'ils appellent le miroir de l'éternité; non cependant selon qu'il est objet des bienheureux et la fin de la béatitude; mais selon qu'il est la raison de ce qui est à faire, selon qu'il y a en elle les raisons des événements futurs, comme on le dit dans l'objection.

Mais cela est tout à fait impossible; car Dieu est l'objet de la béatitude et la fin des bienheureux selon son essence même. Pour cela Augustin, in V, Confessions dit: "Bienheureux qui te connaît même si celles-là, c'est-à-dire les créatures, il ne les connaît pas." Mais ce n'est pas possible que quelqu'un voit les raisons des créatures dans l'essence divine, sans voir l'essence elle-même; d'une part parce qu'elle est la raison de tout ce qui est fait (car la raison idéale, qui est la raison des choses à faire, n'ajoute rien à l'essence divine, sinon en rapport avec la créature). D'autre part, même parce que c'est d'abord connaître quelque chose en soi (qui est connaître Dieu comme objet de béatitude) que connaître ce qui par comparaison à un autre (ce qui est connaître Dieu selon les raisons qui existent en lui); et c'est pourquoi il n'est pas possible que les prophètes voient Dieu selon les raisons des créatures et non selon qu'il est objet de béatitude.

Mais comme ils ne voient pas l'essence divine comme objet de béatitude, (d'une part parce que la vision évacue la prophétie, comme il est dit (1Co 13, 8), d'autre part parce que cette vision n'apporte pas la connaissance divine, comme lointaine, mais proche, puisqu'ils le voient face à face), il en découle donc que les Prophètes ne connaissent pas l'essence divine, en tant qu'elle est la raison de ce qui doit être fait, ni les créatures dans le Verbe, comme les anges l'ont connu par connaissance matutinale. Car la vision prophétique n'est pas la vision de l'essence divine elle-même, et les prophètes, dans l'essence divine, ne voient pas ce qu'ils voient, comme l'ont vu les anges, mais par des images, selon l'éclairage de la lumière divine, comme le dit Denys et les ressemblances de ce genre éclairées dans la lumière divine, ont plus la nature d'un miroir que l'essence de Dieu; car le miroir est ce en quoi apparaissent les espèces des autres choses, ce qu'on ne peut pas dire de Dieu, mais une telle illumination de l'esprit prophétique, peut être appelée miroir, dans la mesure où en résulte là la ressemblance de la prescience divine de la vérité; et à cause de cela l'esprit du Prophète est appelé miroir de l'éternité, comme représentant par ces espèces la prescience divine, qui en son éternité voit tout de manière présente. C'est pourquoi la connaissance du prophète a plus de ressemblance avec la connaissance vespérale de l'ange qu'avec la connaissance matutinale, puisque celle-ci est faite par un intermédiaire incréé, mais la connaissance du prophète par un intermédiaire créé, à savoir par les espèces imprimées, ou éclairées par la lumière divine, comme on l'a dit.

28. Selon Augustin, quand il est dit: "Que la terre produise l'herbe verdoyante", on ne comprend pas que les plantes aient été alors produites en acte et dans leur propre nature, mais qu'à ce moment-là il a été donné un pouvoir germinatif à la terre, pour produire les plantes par l'oeuvre de propagation; de sorte qu'on dit qu'alors la terre a produit totalement l'herbe verdoyante et le bois porteur de fruit, c'est-à-dire qu'elle a reçu le pouvoir de produire. Et il le confirme par l'autorité de l'Écriture, (]Gn 2, 4), où il est dit: "Ce sont les générations du ciel et de la terre, quand elles ont été créées au jour où Dieu fit le ciel et la terre et toute verdure des champs avant qu'elle se lève sur la terre; et toute l'herbe de la campagne avant qu'elle ne produise." On en tire deux conséquences:

1. Toute les oeuvres des six jours ont été créées le jour où Dieu fit le ciel et la terre et toute la verdure des champs; et ainsi les plantes que l'on dit avoir été créées le troisième jour, ont été produites en même temps quand Dieu créa le ciel et la terre.

2. Les plantes ont alors été produites, non en acte, mais dans leurs raisons causales seulement, parce que pouvoir a été donné à la terre de les produire, et cela est expliqué quand il est dit qu'elle produisit "toute verdure des champs avant qu'elle naisse en acte de la terre" par l'oeuvre d'administration et "toute herbe de la campagne, avant qu'elle ne produise en acte". Donc avant qu'elles ne se naissent en acte sur la terre, elles ont été faites causalement dans la terre.

C'est confirmé par cette raison: dans ces premiers jours Dieu créa la créature causalement, originellement ou actuellement par une oeuvre dont il se reposa par la suite, qui cependant, selon la gestion des créatures, par l'oeuvre de propagation opère ensuite jusqu'à maintenant. Mais produire des plantes en acte de la terre, convient à l'oeuvre de la propagation, parce que, pour leur production, le pouvoir céleste suffit comme un père et le pouvoir de la terre comme une mère; c'est pourquoi il n'y eut pas de plantes produites le troisième jour en acte mais causalement seulement. Mais après les six jours, elles furent en acte selon leurs propres espèces, et produites dans leur propre nature par l'oeuvre de gestion; et ainsi avant que les plantes aient été produites causalement, rien n'a été produit, mais elles ont été produites en même temps que le ciel et la terre, de même les poissons, les oiseaux et les animaux ont été produits dans ces six jours causalement et non en acte.

29. Pour la sagesse d'un artisan dont toutes les oeuvres sont parfaites, tel que Dieu, il convient de ne pas produire le tout par la partie principale, ni les parties séparées par le tout; parce que ni le tout séparé de la partie principale, ni les parties séparées du tout ont un être parfait. Donc comme les anges, selon leurs espèces, et les corps célestes et les quatre éléments sont les parties principales constituant un univers unique, puisqu'ils sont ordonnés l'un à l'autre, et sont destinés l'une à l'autre, il convient à la sagesse de Dieu que tout l'univers soit produit en même temps et non successivement avec les autres parties. Car, il doit y avoir une production unique d'un tout unique et de toutes ses parties et l'un n'est produit avant l'autre que par défaillance de l'agent. Mais Dieu est d'une puissance infinie, sans aucune défaillance, dont l'effet principal est tout l'univers. Donc Dieu créa tout l'univers avec toutes ses parties principales en même temps par une production unique.

Et quoique aucun ordre du temps n'ait été conservé dans la production de l'univers, cependant l'ordre de l'origine et de la nature fut conservé. Car, selon Augustin, l'oeuvre de création a précédé celle de distinction, dans l'ordre de la nature et non du temps, de même l'oeuvre de distinction a précédé l'oeuvre d'ornement dans l'ordre de la nature. A l'oeuvre de création convient la création du ciel et de la terre. Par le ciel, on comprend la production de la nature spirituelle sans forme; par la terre, la matière sans forme des corps; qui toutes les deux, comme elles sont hors du temps, considérées selon leur essence ne sont pas soumises aux alternances des temps, comme le dit Augustin; c'est pourquoi la création de l'un et l'autre est placée avant tout jour, non que cette absence de forme ait précédé la formation dans le temps, mais dans l'ordre de l'origine et de la nature seulement, comme le son précède le chant.

Et même une seule formation, selon lui, ne précède pas l'autre en durée, mais seulement dans l'ordre de la nature: selon cet ordre il est nécessaire de placer d'abord la formation de la nature spirituelle suprême, parce qu'on lit que la lumière a été faite le premier jour, parce que la nature spirituelle est plus digne et l'emporte sur la nature corporelle; c'est pourquoi elle a dû être formée avant. Elle est formée du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe de Dieu. Mais de même que la lumière spirituelle et divine est plus digne que l'ordre naturel, et l'emporte sur la nature corporelle, de même, les corps supérieurs l'emportent sur les inférieurs. C'est pourquoi, le second jour, on atteint la formation des corps supérieurs, quand il est dit: "Que soit fait le firmament !", par lequel on comprend l'induction de la forme céleste dans la matière informe, qui n'existe pas d'abord dans le temps, mais dans l'origine seulement.

En troisième lieu, on place l'induction des formes élémentaires dans la matière sans forme qui n'existait pas avant dans le temps, mais qui précède dans l'origine et l'ordre de la nature. C'est pourquoi par ce qu'il dit: "Que les eaux soient rassemblées et que la terre sèche apparaisse", on comprend que la forme substantielle de l'eau est induite dans la matière corporelle; par cette forme, un tel mouvement lui convient, ainsi que la forme substantielle de la terre, par laquelle il lui convient d'être vue ainsi: car l'eau s'est écoulée doucement, mais la terre a été fixée de façon stable, comme il le dit lui-même; car sous le nom d'eau, on comprend aussi, selon Augustin, les autres éléments supérieurs qui ont été formés, .

Dans les trois jours suivants, on place l'ornement de la nature corporelle. Car il fallut que les parties du monde soient formées et distinguées avant dans l'ordre de la nature, et que par la suite les parties singulières soient ornées, du fait qu'elles sont comme remplies de leurs habitants. Car le premier jour, comme on l'a dit, la nature spirituelle est mise en forme et séparée, le second jour les corps célestes, et le quatrième ils sont ornés, mais le troisième jour sont mises en forme et séparées les corps inférieurs, c'est-à-dire l'air, l'eau et la terre. dont l'air et l'eau en tant que plus dignes sont ornés le cinquième jour, mais la terre, qui est un corps le plus bas, est ornée le sixième jour. Et ainsi la perfection des oeuvres divines répond à la perfection du nombre six, qui surgit de ses parties aliquotes, en même temps et prises ensemble; qui sont un, deux, trois. Car un jour est dévolu à la formation et à la distinction de la créature spirituelle, deux jours à la formation et la distinction de la nature corporelle et trois à l'ornement. Car un, deux et trois font six, et six fois un font six, et deux fois trois six et trois fois deux six. Donc parce que le nombre six est le premier nombre parfait, la perfection des choses et des oeuvres divines est désignée par le nombre six. Donc l'ordre de la nature est conservé non pour la durée, dans la productions des oeuvres divines.

30. Les luminaires ont été faits en acte et non en puissance seulement, comme les plantes, car le firmament n'a pas le pouvoir de produire les luminaires, comme la terre a le pouvoir de produire les plantes, c'est pourquoi l'Écriture ne dit pas que "Que le firmament produise les luminaires", comme elle dit: "Que la terre fasse pousser une herbe verdoyante, ", c'est-à-dire qu'elle reçoive le pouvoir de produire. Donc les luminaires ont été produits en acte, avant les plantes en acte; bien que les plantes soient en puissance et produites causalement avant les luminaires en acte. De même, il a été dit que l'oeuvre de distinction dans l'ordre de la nature précède l'oeuvre d'ornement; mais les luminaires conviennent à l'ornement du ciel; et les plantes, surtout selon leur être virtuel, n'appartiennent pas à l'ornement de la terre, mais davantage à sa perfection. Car à la perfection du ciel et de la terre, semble appartenir ce qui seulement est à l'intérieur du ciel et de la terre. Mais l'ordre appartient à ce qui est différent du ciel et de la terre; ainsi l'homme est achevé par ses parties et ses formes propres, mais il est orné par les vêtements ou quelque chose de ce genre. Mais la distinction de certains est surtout manifestée par le mouvement local, par lequel ils se séparent les uns des autres. Et c'est pourquoi. la production de ce qui a le mouvement dans le ciel ou sur la terre convient à l'oeuvre d'ornement.

Mais les luminaires, selon Ptolémée, ne sont pas fixés dans les sphères, mais ont un mouvement séparé d'elles; selon l'opinion d'Le philosophe, les étoiles sont fixées dans les orbes, et ne sont mues en vérité que par leur mouvement; cependant le mouvement des luminaires et des étoiles est perçu par le sens, mais pas celui des sphères. Mais Moïse, se mettant à portée d'un peuple rude, a suivi ce qui apparaît aux sens, en disant que les luminaires appartiennent à l'ornement du firmament. Les plantes n'appartiennent pas à l'ornement de la terre, mais les animaux seulement. Car n'importe quoi appartient à l'ornement de ce lieu en lequel il est mu ou vraiment ou apparemment, et non en celui où il se repose. Mais les plantes s'enfoncent dans la terre jusqu'à la racine, c'est pourquoi elles n'appartiennent pas à son ornement mais elles sont comptées avec elle et sa perfection. Mais les étoiles, même si elles sont mues dans ciel par soi, sont cependant mues par accident et en apparence. Par contre, les plantes ne sont mues en aucune manière. Et c'est pourquoi les plantes qui appartiennent à la perfection intrinsèque des parties de l'univers, à savoir de la terre, durent êtres produites dans l'ordre de la nature avant les luminaires qui appartiennent à l'ornement du ciel.

31. La terre et l'eau, dont il est fait mention au commencement, avant la production du firmament, ne sont pas reçues, selon Augustin pour l'élément terre et eau mais sous le nom de la terre et de l'eau, dans le lieu susdit, on comprend la matière première sans forme dénuée de toute espèce. Car Moïse ne pouvait, parlant à un peuple rude, exprimer la matière première, que sous l'image de ce qu'ils connaissaient et qui est plus proches de l'absence de forme, à savoir ayant plus de matière et moins de forme; c'est pourquoi il l'exprime sous une image multiple, ne l'appelant pas seulement terre ou eau, mais terre et eau, pour que, s'il en exprimait seulement un autre, on croirait que c'est véritablement la matière première. Cependant elle a une ressemblance avec la terre, en tant qu'elle est à l'état latent qu'elle demeure avec les formes, comme la terre avec les plantes etc. Mais la terre parmi tous les éléments a moins d'espèce, puisqu'elle est un élément plus concret, ayant beaucoup de matière, et peu de forme. Mais elle ressemble à l'eau, dans la mesure où elle est destinée à recevoir diverses formes. Car l'humide, qui convient à l'eau, est bien susceptible d'être reçu et limité.

Et selon cela, la terre est appelé vide et déserte, ou invisible et non composée, parce que la matière est connue par la forme; c'est pourquoi, considérée en soi, on la dit invisible, c'est-à-dire inconnaissable, et vide, dans la mesure où la forme est la fin à laquelle tend l'appétit de la matière; car on appelle vide, ce qui est privé de sa fin ou on l'appelle vide par comparaison au composé dans lequel elle subsiste; car la vide est opposé à la solidité et à la consistance. On l'appelle non composée parce qu'elle ne subsiste pas sans composé, et elle n'a pas la beauté de ce qui est en acte. On l'appelle déserte, parce que la puissance de la matière est complétée par la forme; c'est pourquoi Platon a dit que la matière était un lieu, parce que sa réceptivité est d'une certaine manière semblable à celle du lieu, dans la mesure où dans une matière qui demeure, se succèdent différentes formes; comme, dans un seul lieu, différents corps; c'est pourquoi ce qui appartient au lieu, est appelé matière par ressemblance; et ainsi la matière est dite déserte, parce qu'elle manque de la forme, qui comble sa capacité et sa puissance. Donc la matière première sans forme, par l'origine et la nature, est avant la formation du firmament, qui cependant par nature a été formé, avant la terre et l'eau, dont on fait mention le troisième jour, comme on l'a dit ci-dessus.

32. Augustin veut qu'il ne fut pas convenable que Moïse ait omis la production de la créature spirituelle; et pour cela quand il est dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre", par ciel, il dit qu'on comprend la créature spirituelle, encore sans forme, et par terre, la matière corporelle encore sans forme. Et parce que la nature spirituelle est plus digne que la nature corporelle, elle a dû être formée avant. Donc la formation de la nature spirituelle est signifiée par la production de la lumière, pour qu'on le comprenne de la lumière spirituelle; car la formation de la nature spirituelle vient du fait qu'elle est éclairée pour adhérer au Verbe de Dieu, non par la gloire parfaite, avec laquelle elle n'a pas été créée, mais par la lumière de la grâce, avec laquelle elle a été créée. Mais une telle lumière spirituelle précède le firmament dans l'ordre de la nature. Mais selon d'autres docteurs, la lumière produite le premier jour fut corporelle; laquelle est produite dans le ciel le premier jour, avec la substance du soleil selon la nature commune de la lumière; mais le quatrième jour son pouvoir a été réglé pour des effets déterminés.

33. Comme la production de ces animaux, appartient à l'ornement des parties de l'univers, elle est ordonnée selon l'ordre de ces parties qui sont ornées par elles, plus que selon leur propre dignité. Alors l'air et l'eau, à l'ornement desquelles appartiennent les poissons et les oiseaux sont, par ordre de nature, avant et plus dignes que la terre, à l'ornement de laquelle appartiennent les animaux qui marchent; c'est pourquoi la production des volatiles et des poissons, ou des animaux qui nagent, dut être décrite avant celle de ceux qui marchent. On pourrait dire, que la voie de la génération parvient des choses imparfaites aux parfaites, et dans cet ordre, parce que ce qui est moins parfait est produit avant dans l'ordre de la nature. Car, dans la voie de la génération, plus quelque chose est parfait, et plus il ressemble à l'agent, plus il est tardif dans le temps, bien qu'il soit premier en nature et dignité. Et c'est pourquoi, parce que l'homme est le plus parfait des animaux, il a dû être créé en dernier parmi eux, et non immédiatement après les corps célestes, qui ne sont pas ordonnés aux corps inférieurs selon la voie de la génération, puisqu'ils ne communiquent pas dans la matière avec eux, mais ont une matière d'une autre nature.

34. Les oiseaux et les poissons s'accordent plus entre eux quant à la matière d'où ils sont produits, qu'avec les animaux terrestres. Car on dit que les poissons et les oiseaux sont faits d'eau; les poissons, d'une eau plus épaisse; et les oiseaux d'une eau plus subtile, parce qu'elle a été décomposée en vapeur comme intermédiaire entre l'air et l'eau; et c'est pour cela que les oiseaux s'élèvent dans l'air, et que les poissons sont laissé aux profondeurs de l'eau. Mais les animaux sont destinés à différents jours ou à un seul, selon l'unité ou la diversité de la matière dont leur corps est composé. Donc comme on dit que les poissons et les oiseaux sont composés d'eau, parce que, alourdis par leur propre structure, par comparaison à celle due au genre commun, ils ont, en leur composition, plus d'eau que les autres animaux; mais on dit que les animaux terrestres sont composés de terre, c'est pour cela qu'on compte un jour pour la production des poissons et des oiseaux, et un autre pour la production des animaux terrestres. De même la production des animaux est racontée seulement selon qu'ils sont dans l'ornement des parties du monde et c'est pourquoi les jours de production des animaux sont seulement distingués selon cette convenance et cette différence par laquelle ils se ressemblent ou diffèrent en ornant une partie du monde. Mais parce que le feu et l'eau ne sont pas distingués par le peuple parmi les parties du monde, ils ne sont pas nommés expressément par Moïse, mais comptés avec ce qui est l'intermédiaire, c'est-à-dire l'eau, surtout quant à la partie inférieur de l'air. C'est pourquoi pour les oiseaux et les poissons, qui appartiennent à l'ornement de l'eau et de l'air, à la partie inférieure de l'air, qui rejoint l'eau, un jour est réservé, mais pour tous les animaux terrestres, qui appartiennent à l'ornement de la terre, un autre jour.

 

Réponse aux arguments qui sont opposés:

Si quelqu'un veut soutenir l'opinion de Grégoire et des autres, qui pensent, qu'entre ces jours, il y eut une succession temporelle et que la productions des choses a été faite successivement (de sorte que quand le ciel et la terre ont été créés, il n'y avait pas encore de lumière ni de firmament formé, et la terre n'était pas découverte par les eaux, ni les luminaires du ciel formés), on peut répondre ainsi:

1. Au premier argument, on dit que le jour où Dieu créa le ciel et la terre, c'est-à-dire les corps célestes, et les quatre éléments selon leurs formes substantielles, il créa aussi toute la verdure des champs, non en acte, avant qu'elle sorte sur la terre, mais en puissance, parce que, par la suite, le troisième jour, elle a été amenée à l'existence en acte.

2. Selon Grégoire, quand Dieu créa l'ange, il créa aussi l'homme, non en acte, ou en soi, mais en puissance, ou dans son image, dans la mesure où il s'accorde avec les anges selon l'intellect, mais par la suite, le sixième jour, il a existé en acte et produit en lui-même.

3. Ce n'est pas la même disposition pour une chose déjà parfaite et pour celle qui est en devenir. Aussi quoique la nature du monde parfait et complet exige que toutes les parties essentielles de l'univers existent en même temps, il a pu cependant en être autrement au commencement du monde, ainsi dans l'homme parfait, le coeur ne peut pas exister sans les autres parties, et cependant, dans la formation de l'embryon, le coeur est engendré avant tous les membres. Ou on peut dire qu'en ce commencement, il y eut les corps célestes, et tous les éléments selon leurs formes substantielles, produits en même temps que les anges, qui sont les parties principales de l'univers, mais les jours suivants, il y eut dans la nature même déjà produite quelque chose de fait, concernant la perfection et la beauté de ces parties déjà produites.

4. Quoique les docteurs grecs aient tenu à ce que la créature spirituelle ait été créée avant la créature corporelle, cependant les docteurs latins pensent que les anges ont été créés en même temps que la nature corporelle, pour conserver le fait que l'univers, quant à ses parties principales avait été produit en même temps. En effet, comme les créatures corporelles sont un tout dans la matière créée, et que la matière corporelle de la créature a été créée en même temps que les anges, d'une certaine manière on peut dire que tout a été créé en même temps, en acte ou en puissance. Mais les anges ne se rencontrent pas dans la matière avec la créature corporelle, c'est pourquoi, les anges une fois créés, il n'y aurait pas eu en quelque manière une nature corporelle créée, ni par conséquent pas d'univers même; aussi il convient à la raison qu'ils aient été produits en même temps que la nature corporelle. Et ainsi tous les corps ont été créés ensemble, non en acte, mais quant à la matière sans forme d'une certaine manière; par la suite successivement par la distinction et l'ornement de la créature qui préexistaient déjà en acte, ils ont été produits d'une certaine manière.

5. De même que la créature n'a pas l'être d'elle-même, elle n'a pas non plus sa perfection d'elle-même, mais de Dieu; c'est pourquoi, comme pour montrer que la créature reçoit l'être de Dieu et non d'elle-même, il a voulu que d'abord elle ne soit pas et qu'ensuite elle soit; de même aussi pour montrer que la créature n'aurait pas sa perfection d'elle-même, il a voulu d'abord qu'elle soit imparfaite, et qu'ensuite successivement elle soit achevée par l'oeuvre de distinction et d'ornement. Ou il faut dire que, dans la création non seulement on doit montrer le pouvoir de la puissance, mais aussi l'ordre de la sagesse divine, pour que, ce qui est avant par nature soit constitué avant aussi; et ainsi ce n'est pas par l'impuissance de Dieu, comme s'il manquait de temps pour opérer, que tout n'est pas produit en même temps, distingué et orné, mais pour que l'ordre de la sagesse soit conservé dans la constitution des créatures. Et c'est pourquoi il a fallu que différents jours soient conservés pour les différentes situations du monde. Car après l'oeuvre de la création, toujours par l'oeuvre suivante, une nouvel situation de perfection a été ajoutée au monde, et c'est pourquoi pour montrer cette perfection et cette nouveauté, Dieu a voulu qu'à chaque distinction et à chaque ornement réponde un jour et (montrer) que cela ne venait pas d'une impuissance ou d'une lassitude de l'agent.

6. Cette lumière, qui lit-on, a été créée le premier jour, selon Grégoire et Denys, est la lumière du soleil; qui, en même temps avec la substance des luminaires, qui est son substrat, fut produite le premier jour selon la nature habituelle de la lumière. Mais le quatrième jour, un pouvoir déterminé a été attribué aux luminaires pour des effets déterminés, selon que nous voyons que les effets de la lumière du soleil a effets différent de ceux de la lune et ainsi des autres. Et c'est pour cela que Denys dit que cette lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, du fait qu'elle était déjà substance du soleil, et avait en commun le pouvoir d'éclairer, mais après le quatrième jour, elle a été mise en forme, non dans la forme substantielle qu'elle eut le premier jour, mais selon les conditions accidentelles par la disposition d'un pouvoir déterminé du fait que par la suite un pouvoir spécial et déterminé lui a été donné pour des effets particuliers. Et ainsi dans sa production, la lumière a été distinguée des ténèbres de trois manières:

1. Quant à sa cause, selon que celle-ci était dans la substance du soleil, mais la cause des ténèbres était dans l'opacité de la terre.

2. Elle a été distinguée, quant au lieu, parce que, dans un hémisphère il y avait la lumière, et dans l'autre, les ténèbres.

3. Quant au temps, parce que dans un même hémisphère, il y avait la lumière une partie du temps et les ténèbres dans l'autre. Et c'est ce qui est dit (Gn 1, 5): "Il appela lumière jour et les ténèbres nuit". Ainsi cette lumière ne recouvrait pas la terre partout, parce que, dans un hémisphère, il y avait la lumière et dans l'autre les ténèbres; et ce n'était pas toujours le jour d'un côté, et la nuit de l'autre, mais dans le même hémisphère, selon une partie du temps c'était le jour, et selon l'autre la nuit.

7. Le mouvement dans le ciel est double. L'un est commun à tout le ciel qui est appelé diurne, et il produit le jour et la nuit; et ce mouvement paraît avoir été institué le premier jour où a été produite sans forme la substance du soleil et des autres luminaires, comme on l'a dit. Mais l'autre est le mouvement propre qui est diversifié selon les différents corps célestes; selon lesquels le mouvement est devenu diversité des jours, des mois et des années. Le premier jour, a été faite la distinction commune du temps en jour et nuit, selon le mouvement diurne, qui est commun à tout le ciel, qui peut être compris comme ayant commencé le premier jour, et c'est pourquoi, en ce premier jour, on fit mention de la seule distinction de le nuit et du jour, qui se fait par le mouvement diurne commun à tous les cieux. Mais le quatrième jour a été faite la distinction quant aux distinctions spéciales des jours et des temps, selon qu'un jour est plus chaud qu'un autre et un temps plus qu'un autre et une année plus qu'une autre; ce qui se fait selon les mouvements spéciaux et propres des étoiles qui peuvent être compris comme ayant commencé le quatrième jour. C'est pourquoi au quatrième jour, il est fait mention de la diversité des jours, des temps, et des années, quand on dit: "Et qu'il y ait dans les temps, des jours et des années". Cette diversité se fait par des mouvements propres. Et ainsi ces trois premiers jours qui ont précédé la formation des luminaires ont été de la même nature que les jours que le soleil fait maintenant quant à la commune distinction du temps selon le jour et la nuit, qui est faite par le mouvement diurne commun à tout le ciel, mais non quant aux distinctions spéciales des jours qui se fait selon les mouvements propres.

8. Certains disent que la lumière, celle qui lit-on, a été créée le premier jour, a été une nuée brillante qui, ensuite, quand le soleil a été créé, retourna à la matière préexistante. Mais cela ne convient pas, parce que l'Écriture au commencent de la Genèse rappelle la constitution de la nature qui a demeuré par la suite; c'est pourquoi, on ne doit pas dire que quelque chose a été fait alors, qui aurait cessé après un peu de temps. Et c'est pourquoi, d'autres disent que cette nuée brillante demeure encore, et est jointe au soleil, de sorte qu'elle ne puisse pas en être discernée. Mais ainsi, cette nuée demeurerait superflue, mais rien n'est vain ou superflu dans les opérations de Dieu. Et c'est pourquoi d'autres disent, que de cette nuée a été formé le corps du soleil. Mais on ne peut pas le dire, si on pense que le corps du soleil n'est pas de la nature des quatre éléments, mais est incorruptible par nature; parce qu'alors sa matière ne peut pas exister sous une autre forme.

Et c'est pourquoi il faut dire, comme Denys le dit, que cette lumière fut celle du soleil, mais encore sans forme, elle était déjà substance du soleil et avait le pouvoir de tout éclairer, mais par la suite le quatrième jour lui a été donné un pouvoir spécial et déterminé pour des effets propres et particuliers. Et ainsi le jour et la nuit devenait par le mouvement circulaire de cette lumière où elle arrivait et d'où elle repartait. Et il n'est pas inconvenant que les substances des sphères, qui renvoyait cette lumière d'un mouvement commun et diurne, ait existé au début de la création, auxquelles par la suite des pouvoirs ont été ajoutés dans les oeuvres de distinction et d'ornement.

9. Dans la production de la lumière, on comprend la qualité de luminosité et de transparence qui est ramenée au genre de la lumière, a été alors placée dans les corps lumineux et transparents. Et parce que le soleil est principe et source de la lumière, éclairant les corps supérieurs et inférieurs, Denys comprend par elle la lumière sans forme du soleil, qui distinguait d'un mouvement commun et diurne, le jour et la nuit, comme il le fait maintenant.

10. Et par là paraît la réponse à l'argument 10, parce que cette lumière ne fut pas vraiment une nuée selon sa substance, qui par la suite aurait cessé d'exister, mais elle pu être appelée nuée selon la ressemblance de sa nature, parce que, de même qu'une nuée lumineuse reçoit la lumière du soleil dans une clarté moindre que celle qui est dans la source, de même aussi la substance du soleil eut d'abord dans ces trois premiers jours une lumière imparfaite et comme sans forme, qui par la suite a été achevée le quatrième jour; c'est pourquoi, cette substance lumineuse du soleil a existé, parce que, au commencement de la création, elle eut une forme substantielle, mais on dit que le soleil a été fait d'elle le quatrième jour, non selon la substance, mais par addition d'un nouveau pouvoir, de même qu'on dit que de l'homme non musicien, qu'il est devenu musicien, non en substance, mais par son pouvoir.

 

Question 5: La conservation à l'être des créatures par Dieu.

 

Article 1: Les créatures sont-elles conservées à l'être par Dieu ou même si on écarte toute action de sa part, demeurent-elles en l'être par elles-mêmes?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car il est dit en (Dt 32, 4): "Les oeuvres de Dieu sont parfaites". On argumente ainsi: Est parfait ce à quoi rien ne manque, Selon le philosophe. Il manque quelque chose à l'être qui ne peut pas exister sans un agent extérieur. Donc il n'est pas parfait; et de telles oeuvres ne viennent pas de Dieu.

2. Mais on pourrait dire: que les oeuvres de Dieu ne sont pas parfaites dans l'absolu, mais dans leur nature.

- En sens contraire, est parfait en sa nature ce qui a ce dont elle est capable. Mais tout ce qui a tout ce dont sa nature est capable peut demeurer dans l'être, si toute conservation extérieure de Dieu cesse. Donc si des créatures sont parfaites en leur nature, elles peuvent demeurer dans l'être, sans que Dieu les y conserve. Preuve de l'argument intermédiaire: Dieu agit en conservant; c'est pour cela qu'il est dit in (Jn 5, 17): "Mon Père opère jusqu'à maintenant et moi aussi j'opère", comme le dit Augustin. Si l'agent fait quelque chose, l'effet le reçoit. Donc tant que Dieu les conserve, ces êtres conservés reçoivent toujours quelque chose de Dieu: donc tant que l'être a besoin d'être conservé, il n'a pas encore tout ce dont il est capable.

3. Tout être n'est parfait que s'il accomplit ce pour quoi il existe. Mais il y a les principes pour conserver la créature dans l'être. Donc si les principes créés ne peuvent la conserver, il s'ensuit qu'ils sont imparfaits et qu'ils ne sont pas les oeuvres de Dieu, ce qui est absurde.

4. Dieu est, pour ainsi dire, la cause efficiente des créatures. Mais si l'action de la cause efficiente cesse, l'effet demeure. Ainsi quand cesse l'action du bâtisseur, la maison demeure et quand cesse l'action du feu qui engendre, reste le feu qui en est engendré. Donc quand toute action de Dieu cesse, les créatures peuvent encore exister.

5. Mais on pourrait dire que les agents inférieurs sont causes du devenir et non de l'être; c'est pourquoi l'existence des effets demeure, une fois retirée l'action des causes du devenir. Mais Dieu est la cause non seulement de leur devenir mais de leur être. C'est pourquoi leur être ne peut demeurer, si l'action divine cesse.

- En sens contraire, tout ce qui est engendré possède l'être par sa forme. Si donc les causes inférieures qui engendrent ne sont pas causes de l'être, elles ne seront pas causes des formes, et ainsi les formes qui sont dans la matière ne viennent pas des formes qui sont en elles, comme l'affirme le Philosophe, qui dit que la forme qui est dans ces chairs et ces os vient de celle qui est dans ces chairs et ces os. Mais il s'ensuit que les formes dans la matière viennent des formes sans matière, selon l'opinion de Platon - ou du pourvoyeur de formes - selon l'opinion d'Avicenne.

6. Ceux dont l'être est en devenir ne peuvent demeurer, quand cesse l'action de l'agent, comme cela est évident pour le mouvement et la lutte, etc. Mais ce dont l'être est achevé peut demeurer même une fois les agents écartés. C'est pourquoi Augustin dit: "Quand la lumière est présente, l'air qui n'était pas lumineux, le devient; parce que, s'il avait été lumineux, il ne le deviendrait pas; et si la lumière cessait, il demeurerait lumineux". Mais il y a beaucoup de créatures dont l'être n'est pas en devenir, mais déjà produit; comme c'est évident pour les anges et même pour tous les corps. Donc, si l'action de Dieu agent cesse, les créatures peuvent demeurer dans l'être.

7. Les causes inférieures qui engendrent sont causes d'être pour ce qui est engendré, comme on l'a prouvé plus haut; non cependant comme causes principales et premières, mais comme causes secondes. Mais la cause première de l'être, qui est Dieu, ne donne le principe d'être aux choses engendrées que par l'intermédiaire des causes secondes, dont on a parlé. Donc il ne donne pas non plus la subsistance dans l'être, parce qu'une même chose a l'être et est conservé dans l'être par la même cause. Mais l'être de ce qui est engendré est conservé par les principes essentiels de ceux qui les engendrent, si cessent les causes secondes qui agissent. Donc aussi quand cesse la cause première efficiente, qui est Dieu.

8. Si quelque chose cesse d'être, c'est à cause de la matière ou parce qu'elle vient du néant. Mais la matière n'est cause de corruption que selon qu'elle est soumise à la contrariété. Ce n'est pas dans toutes les créatures que la matière y est soumise. Donc celles qui n'y sont pas soumises, comme les corps célestes et les anges, ne peuvent cesser en raison de la matière ni non plus en raison de ce qu'ils viennent du néant, parce que de rien, rien ne vient et rien ne fait rien et ainsi (le néant) ne corrompt pas. Donc, quand cesse toute action divine, de telles choses n'abandonnent pas l'être.

9. La forme commence d'être dans la matière à l'instant ultime de sa production, où la chose n'est pas en devenir mais est déjà produite. Mais selon l'opinion d'Avicenne, les formes de ce qui est engendré sont introduites dans la matière par une intelligence agent qui est pourvoyeuse de formes. Donc cette intelligence est cause d'être et non seulement du devenir, et ainsi par son action, les choses peuvent être conservées dans l'être, même si on écarte la conservation par Dieu.

10. La forme substantielle aussi est cause d'être. Si donc les causes d'être sont celles qui conservent dans l'être, la forme suffit pour que la chose y soit conservée.

11. Les choses sont conservées dans l'être par la matière, dans la mesure où elle soutient la forme, mais la matière, Selon le philosophe, n'est ni engendrée, ni corruptible, et ainsi elle n'a pas de cause, et elle demeure quand toute action de la cause efficiente est écartée. Donc les choses peuvent encore être conservées dans l'être, si cesse l'action de la première cause efficiente, à savoir de Dieu.

12. Il est dit in (Qo 33, 15): "Regarde dans toutes les oeuvres du Très Haut; deux contre deux, une contre une". Mais, parmi ses oeuvres, on trouve quelque chose qui a besoin d'être conservé par Dieu. Donc on trouve aussi parmi ses oeuvres leur opposé, à savoir ce qui n'en a pas besoin.

13. L'appétit naturel ne peut pas être vain et sans objet. Mais tout désire par nature la conservation de son être. Donc, une chose peut se conserver à l'être par soi, autrement l'appétit naturel serait vain.

14. Augustin dit que Dieu fit chaque chose particulière bonne, et, en même temps, l'ensemble très bon; c'est pour cela qu'il est dit (Gn 1, 31): "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et c'était très bon". Donc l'universalité des créatures est très bonne et la meilleure. Car il appartient au meilleur de causer le meilleur, selon Platon in Timée. Mais ce qui n'a pas besoin de quelque chose d'extérieur pour sa conservation est meilleur que ce qui en a besoin. Donc l'universalité des créatures n'a besoin de rien d'extérieur pour sa conservation.

15. Le bonheur est quelque chose de créé dans la nature des bienheureux. Mais le bonheur est un état parfait par la réunion de tous les biens, comme le dit Boèce, ce qui ne serait pas, s'il n'incluait pas en lui sa conservation qui est l'un des biens suprêmes. Donc il y a quelque chose de créé qui peut se conserver à l'être par soi.

16. Augustin dit que Dieu administre ses oeuvres par sa Providence; il leur permet cependant d'accomplir leurs propres mouvements. Mais le mouvement le plus propre de la nature qui vient du néant est d'y tendre. Donc Dieu permet à la nature qui vient du néant de tendre au néant. Donc il ne conserve pas ses créatures dans l'être.

17. Celui qui reçoit ce qui est contraire à ce qu'il a reçu, ne le conserve pas, mais plutôt le détruit. Car nous voyons ce que les agents naturels reçoivent par violence dans leurs contraires demeure un instant, quand cesse l'action des agents naturels; ainsi la chaleur demeure dans l'eau chauffée quand cesse un instant l'action du feu. Les effets de Dieu ne sont pas reçus dans quelque chose de contraire mais en rien, parce qu'il est l'auteur de toute la substance. Donc les effets divins demeureront beaucoup plus, même un instant, si cesse l'action de Dieu.

18. La forme est le principe pour connaître, opérer et être. Mais la forme sans appui extérieur peut être principe d'opération et de connaissance. Donc d'être aussi et ainsi quand l'action de Dieu cesse, la chose peut être conservée à l'être par la forme.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit in (He 1, 3): "Soutenant tout par la puissance de sa parole." où la glose dit: "De même que c'est créé par lui, c'est conservé immuable par lui".

2. Augustin dit: "La puissance du créateur et le pouvoir du Tout Puissant sont la cause de la subsistance pour toute créature. Si ce pouvoir cessait de s'exercer un instant, sur les créatures, en même temps leur forme cesserait et tout leur nature s'effondrerait." Et plus bas: "Le monde ne pourrait pas demeurer le temps d'un clin d'oeil si Dieu lui retirait son gouvernement."

3. Grégoire le Grand dit que "Tout retournerait au néant, si la main du Tout Puissant ne le contenait".

4. Dans Le livre des Causes, il est dit que "Toute stabilité de l'intelligence" c'est-à-dire la permanence et l'essence "vient du Bien qui est la cause première". Donc beaucoup plus les autres créatures qui ne sont modelées dans l'être que par Dieu.

 

Réponse:

C'est sans doute aucun qu'il faut concéder que les créatures sont conservées dans l'être par Dieu, et qu'en un instant elles retourneraient au néant, si elles étaient abandonnées par lui. On peut en trouver la raison ainsi: l'effet doit dépendre de sa cause, car c'est la nature de l'effet et de la cause, ce qui apparaît manifestement dans les causes formelles et matérielles. Car si on écarte tout principe matériel ou formel, la chose cesse aussitôt d'exister, puisque de tels principes en pénètrent l'essence.

Il faut porter un jugement semblable pour les causes efficientes que pour les causes formelles ou matérielles. Car la cause efficiente est cause selon qu'elle induit une forme, ou dispose la matière. C'est pourquoi, il y a la même dépendance de la chose à la cause efficiente, qu'à la matière et à la forme, puisque par l'une d'elle, elle dépend de l'autre. Mais pour les causes finales, il faut que le jugement soit le même que pour la cause efficiente. Car la fin n'est une cause que selon qu'elle pousse l'efficience à agir; car elle n'est pas d'abord dans l'être mais dans l'intention seulement. C'est pourquoi là où il n'y a pas d'action, il n'y a pas de cause finale, comme cela se voit in Métaphysique.

Ainsi donc, l'être de ce qui est produit dépend de la cause efficiente, selon qu'il dépend de sa forme même. Mais il y a une efficience dont la forme du produit ne dépend pas, par soi, et selon sa nature, mais seulement par accident; ainsi la forme du feu qui est engendré ne dépend pas de celui qui l'engendre par soi et selon la nature de l'espèce, puisque, dans l'ordre des choses elle occupe le même degré, et dans ce qui est engendré elle n'est pas différente que dans celui qui l'engendre; mais elle en est distinguée seulement par la division matérielle, à savoir selon qu'elle vient d'une autre matière. C'est pourquoi, comme la forme pour le feu engendré vient d'une cause, il faut qu'elle dépende d'un principe plus élevé, qui en serait la cause, par soi et selon la nature propre de l'espèce.

Mais comme l'être de la forme dans la matière, à proprement parler n'implique nul mouvement ni changement, sinon par hasard, par accident; tout corps n'agit que mu, comme le Philosophe le prouve, il est nécessaire que le principe d'où dépend la forme par soi, soit un principe incorporel, car, par l'action d'un principe, l'effet dépend de la cause efficiente. Et si un principe corporel est en quelque manière cause de la forme, cela ne se peut que dans la mesure où il agit par le pouvoir d'un principe incorporel, comme son instrument; ce qui est nécessaire pour que la forme commence à exister, dans la mesure où elle ne commence à exister que dans la matière; car la matière de quelque manière qu'elle se comporte ne peut pas être soumise à la forme, parce que l'acte propre doit être dans la matière propre.

Donc, quand la matière est dans une disposition qui ne convient pas à la forme, elle ne peut pas, en venant d'un principe incorporel, dont la forme dépend par soi, l'acquérir immédiatement; il faut donc qu'il y ait quelque chose qui transforme la matière; et c'est un agent corporel dont le propre est d'agir en mettant en mouvement. Et il agit dans le pouvoir du principe incorporel, et son action est déterminée à telle forme qui est en lui, en acte (comme dans les agents univoques) ou en puissance (comme dans les agents équivoques).

Ainsi donc de tels agents corporels inférieurs ne sont pas les principes des formes dans ce qui est produit, sinon dans la mesure où la causalité du changement peut s'étendre, puisqu'ils n'agissent qu'en changeant, comme on l'a dit. Mais c'est dans la mesure où ils disposent la matière et sortent la forme de la puissance de la matière. Donc dans cette mesure, les formes de ce qui est engendré dépendent naturellement de ce qui les engendre, parce qu'elles sortent de la puissance de la matière, mais non quant à l'être absolu.

C'est pourquoi, quand l'action de celui qui engendre est écartée, cesse le passage de la puissance à l'acte qui est le devenir de ce qui est engendré; mais les formes elles-mêmes, par lesquelles ce qui est engendré a l'être ne cessent pas. Et de là vient que l'être de ce qui est engendré demeure, mais non le devenir si cesse l'action de celui qui engendre. Si ces formes ne sont pas dans la matière, comme les substances intellectuelles, ou bien si elles sont dans une matière en aucune manière préparée pour la forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de dispositions contraires, leur principe d'être ne peut être qu'un agent incorporel qui n'agit pas par mouvement; et elles ne dépendent pas pour leur devenir de ce dont elles ne dépendent pas pour leur être.

Donc, quand cesse l'action de la cause efficiente, qui agit par mouvement dans l'instant même, le devenir de ce qui est engendré cesse, de même quand l'action de l'agent incorporel cesse, l'être même des choses créées par lui cesse aussi. Mais cet agent incorporel, par qui tout est créé, les êtres corporels et incorporels, est Dieu, comme on l'a montré dans une autre question, de qui viennent non seulement les formes des êtres mais aussi la matière. Et l'une et l'autre à ce propos ne diffèrent pas immédiatement par un ordre, comme certains philosophes l'ont pensé. C'est pourquoi, il en découle que si l'opération divine cessait, tout, dans un même moment, retomberait dans le néant, comme on l'a prouvé pour les autorités dans les arguments en sens contraire.

 

Solution des objections:

1. Les créatures de Dieu sont parfaites dans leur nature et leur ordre, mais parmi ce qui est requis pour leur perfection, il y a ce fait aussi qu'elles sont maintenues dans l'être par Dieu.

2. Ce n'est pas par une autre opération que Dieu produit les créatures dans l'être et les y conserve. Car l'être même de ce qui demeure n'est divisible que par accident, dans la mesure où il est soumis à un mouvement, mais en soi il est dans l'instant. C'est pourquoi l'opération de Dieu qui est cause par soi de l'être, n'est pas autre selon qu'il produit le principe d'être et sa continuité.

3. Les choses sont conservées dans l'être, aussi longtemps que leurs principes essentiels existent, mais les principes même cesseraient si l'action divine cessait.

4. Les agents inférieurs de ce genre sont la cause du devenir des choses, et non de leur être, à proprement parler. Mais Dieu est cause d'être par soi, et ainsi ce n'est pas pareil. C'est pourquoi Augustin dit: "Car ce n'est pas comme quelqu'un qui s'en va quand il a construit un bâtiment: même s'il cesse et s'en va, son oeuvre demeure, au contraire le monde ne pourrait demeurer l'instant d'un clin d'oeil, si Dieu lui retirait son concours."

5. Comme les agents corporels n'agissent qu'en opérant des changements - rien n'est changé qu'en raison de la matière - la causalité des agents corporels ne peut s'étendre qu'à ce qui est de quelque manière dans la matière. Et parce que les Platoniciens et Avicenne ne pensaient pas que les formes étaient induites de la puissance de la matière, ils étaient forcés de dire que les agents naturels disposaient seulement la matière; et l'induction de la forme dépendait d'un principe séparé. Mais si nous pensons que les formes substantielles sont induites de la puissance de la matière, selon l'opinion d'Le philosophe, les agents naturels, non seulement sont causes des dispositions de la matière, mais encore des formes substantielles; pour seulement ce qui est amené de la puissance à l'acte, comme on l'a dit et par conséquent, ils sont les principes de l'être, quant à son commencement mais absolument pas quant à l'être même.

6. Parmi les formes qui commencent à exister en acte dans la matière par l'action de l'agent corporel, certaines sont produites selon la nature parfaite de l'espèce et selon l'être parfait, dans la matière, comme la forme de celui qui engendre parce que les principes contraires ne demeurent pas dans la matière, et les formes de ce genre demeurent après l'action de celui qui engendre, jusqu'au temps de la corruption. Mais certaines formes sont produites selon la nature parfaite de l'espèce, et non selon l'être parfait dans la matière, comme la chaleur qui est dans l'eau chaude a une espèce parfaite de chaleur, non cependant un être parfait qui vient de l'application de la forme à la matière, parce que la forme contraire à une telle qualité demeure dans la matière. Et de telles formes peuvent demeurer un peu après l'action de l'agent, mais elles sont empêchées de demeurer longtemps par un principe contraire qui est dans la matière. Mais certaines sont produites dans la matière et selon une espèce imparfaite et un être imparfait, comme la lumière dans l'air par un corps lumineux. Car la lumière n'est pas dans l'air comme une forme naturelle parfaite selon qu'elle est dans un corps lumineux, mais plus par ressemblance. C'est pourquoi, de même que l'image de l'homme ne demeure dans le miroir qu'aussi longtemps qu'il est en face de lui, de même la lumière n'est dans l'air que par la présence du corps lumineux; car de telles ressemblances dépendent des formes naturelles des corps par soi, et non seulement par accident, et c'est pourquoi leur être ne demeure pas quand cesse l'action des agents. Ainsi donc à cause de l'imperfection de leur être, on les appelle des êtres en devenir; mais on ne dit pas que les créatures parfaites sont dans le devenir à cause de l'imperfection de leur être, quoique l'action de Dieu pour leur production demeure sans défaillance.

7. L'action de l'agent corporel ne s'étend pas au-delà du mouvement; et c'est pourquoi il est l'instrument du premier agent dans la sortie des formes de la puissance à l'acte, qui se fait par mouvement, mais pas dans leur conservation, sinon dans la mesure où sont maintenues dans la matière par un mouvement les dispositions par lesquelles la matière devient propre à la forme; car ainsi, par le mouvement des corps célestes, les corps inférieurs sont conservés dans l'être.

8. Que la créature disparaisse si l'action divine cesse, n'est pas à cause du contraire qui serait dans la matière, parce que lui-même cesserait en même temps qu'elle, mais c'est parce que la créature vient du néant, non pas parce que celui-ci la conduirait à la corruption, mais il n'agirait pas pour sa conservation.

9. Si on pense que le pourvoyeur de formes est autre que Dieu, selon l'opinion d'Avicenne, il doit lui-même disparaître quand cesse l'action de Dieu, qui est sa cause.

10. Si l'action susdite cessait, la forme disparaîtrait, c'est pourquoi elle ne pourrait pas être le principe d'être.

11. Il faut dire que la matière n'est pas engendrée parce qu'elle ne parvient pas à l'être par génération; cependant cela n'empêche pas qu'elle vienne de Dieu, puisque tout ce qui est imparfait doit tirer son origine du parfait.

12. Il ne faut pas, parmi les oeuvres de Dieu, si on trouve l'un des opposés contradictoires, en trouver un autre (car ainsi il y aurait entre eux quelque chose d'incréé, puisqu'il y là quelque chose de créé, quoique cela soit vrai des autres opposés. Mais ce dont parle l'objection ce sont des opposés contradictoires; c'est pourquoi la raison n'est pas valable.

13. Bien que chaque chose souhaite naturellement sa conservation, cependant ce n'est pas pour être conservée par soi mais par sa cause.

14. L'universalité des créatures n'est pas absolument le meilleur, mais le meilleur est dans le genre du créé; c'est pourquoi rien n'empêche que quelque chose soit meilleur qu'elle.

15. Parmi les biens dont la réunion achève l'état de béatitude, le principe est l'union à la cause; puisque la jouissance de Dieu est la béatitude de la créature rationnelle.

16. Tendre au néant n'est pas proprement un mouvement de la nature, qui est toujours pour le bien, mais c'est sa défaillance; c'est pourquoi cette raison supposait une erreur.

17. L'agent violent dans cette mise en forme violente est la cause selon le devenir, mais absolument pas selon l'être, comme cela se voit de ce qui a été dit; c'est pourquoi quand l'action de l'agent cesse, elle peut demeurer pour un temps, mais pas longtemps à cause de son imperfection.

18. De même que la forme ne peut être principe d'être que par quelque principe premier présupposé, de même elle ne peut pas être principe pour l'opération, puisque Dieu opère en tout, comme dans une autre question on l'a montré; ni principe de connaissance, puisque tout connaissance dérive de la lumière incréée.

 

Article 2: Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi et sans lui?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car créer est plus important que d'être conservé dans l'être par soi. Mais [le pouvoir de] créer a pu être communiqué à la créature, comme le dit le Maître des Sentences. Donc le pouvoir d'être conservé par soi dans l'être a pu lui être communiqué.

2. Il y a plus dans le pouvoir des choses et celui de Dieu, que dans celui de notre intellect. Mais celui-ci peut comprendre la créature sans Dieu. Donc Dieu, beaucoup plus, peut donner à la créature le pouvoir de se conserver dans l'être par soi.

3. Une créature est à l'image de Dieu, comme on le voit in (Gn 1, 26). Mais selon Hilaire l'image est "la ressemblance d'une chose indivisible, et semblable pour l'égaler." Et ainsi l'image peut égaler ce dont elle est l'image. Donc comme Dieu n'a pas besoin de quelque chose d'extérieur qui le conserve, il semble qu'il peut communiquer ce même pouvoir qu'il possède à la créature.

4. Plus l'agent est parfait, plus parfait est l'effet qu'il peut produire. Mais les agents naturels peuvent produire des effets qui sont conservés dans l'être sans leurs agents. Donc Dieu peut le faire beaucoup plus.

 

Cependant:

Dieu ne peut rien faire qui diminuerait son autorité. Cela porterait préjudice à sa puissance, si un être pouvait exister sans être conservé par lui. Donc Dieu ne peut pas le faire.

 

Réponse:

Il ne convient pas à la toute puissance de Dieu qu'il puisse faire que deux choses contradictoires existent en même temps. Dire que Dieu fait quelque chose qui n'a pas besoin de sa conservation implique une contradiction. Car, déjà on a montré que tout effet dépend de sa cause, en tant que tel. Quand on dit: "Une chose n'a pas besoin de la conservation de Dieu", on pense qu'elle n'a pas été créée par lui, et quand on dit: "Dieu l'a faite", on pense qu'elle a été créée.

Donc que Dieu fasse quelque chose qui ne soit pas créé par lui, impliquerait une contradiction, de la même manière si on disait que Dieu fait une créature qui n'aurait pas besoin de son pouvoir de conservation. C'est pourquoi, à raison égale, Dieu ne peut faire ni l'un, ni l'autre.

 

Solution des objections:

1. Comme créer c'est causer quelque chose; ne pas avoir besoin de la conservation d'un autre n'existerait que pour ce qui n'a pas de cause: il est clair qu'il est plus grand de ne pas avoir besoin d'être conservé par un autre que créer; de même il est plus important de ne pas avoir de cause que d'être cause; bien qu'il ne soit pas toujours vrai que créer soit communicable à la créature, en tant qu'acte du premier agent, comme on l'a dit dans une autre question.

2. Quoique l'intellect puisse comprendre (intelligere) la créature sans comprendre Dieu, cependant on ne peut pas comprendre que la créature ne soit pas conservée par Dieu; car cela implique une contradiction, de même que comprendre que la créature n'a pas été créée par Dieu, comme on l'a dit.

3. L'égalité n'appartient absolument pas à la définition de l'image, mais à celle de l'image parfaite; une telle image de Dieu n'est pas une créature, mais le Fils. C'est pourquoi cette raison ne convient pas.

4. La réponse est éclairée par ce qui a été dit précédemment.

 

Article 3: Dieu peut-il ramener la créature au néant?

Objections:

1. Il semble que non. Car Augustin, in livre des 83 questions, dit que Dieu n'est pas cause de la tendance au non-être. Cela existerait s'il ramenait la créature au néant. Donc Dieu ne peut pas ramener la créature au néant.

2. Les créatures corruptibles, qui, parmi les autres, ont un être plus faible, ne cessent d'exister que par l'action d'une cause agente; ainsi le feu est corrompu par un agent contraire en lui. Donc les autres créatures beaucoup moins ne peuvent cesser que par quelque action. Si donc Dieu ramenait une créature au néant, cela ne se ferait que par son action. Mais c'est impossible. Car toute action, de même qu'elle vient de l'être en acte, se termine de même dans un être en acte, puisqu'il faut qu'il soit fait à la ressemblance de celui qui le fait. Mais l'action par laquelle un être est établi en acte, ne ramène absolument pas au non être. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

3. Tout ce qui existe par accident est ramené à ce qui est par soi. Mais la défaillance et la corruption ne viennent d'aucune cause efficiente sinon par accident, puisque rien n'opère sinon qu'en tendant au bien, comme le dit Denys. C'est pourquoi, quand le feu dénature l'eau, il ne tend pas à la privation de la forme de l'eau, mais à introduire une forme propre dans la matière. Donc une cessation ne peut être causée par un agent qu'en constituant une perfection en même temps. Là où est établie une perfection, il n'y a pas de retour au néant. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

4. Rien n'agit qu'en vue d'une fin. Car la fin est ce qui met en mouvement [la cause] efficiente. La fin de l'action divine est sa bonté: ce qui peut exister dans la production des créatures, par laquelle elles obtiennent la ressemblance de la divine bonté, mais pas dans leur annihilation, par laquelle ce qui est retourné au néant s'éloignerait tout à fait de la ressemblance à Dieu. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.

5. Tant que la cause demeure, Il est nécessaire que l'effet demeure. Car, si ce n'est pas nécessaire, il sera possible que l'effet existe et n'existe pas, une fois posée la cause; et ainsi il aura besoin d'un autre par lequel l'effet est déterminé à l'être; et ainsi la cause ne sera pas suffisante pour l'être causé. Mais Dieu est la cause suffisante des êtres. Donc, comme Dieu demeure, il est nécessaire que les choses demeurent dans l'être. Mais Dieu ne peut pas faire que lui-même demeure dans l'être. Donc il ne peut pas ramener les créatures au non être.

6. Mais on pourrait dire que Dieu ne sera pas une cause en acte lorsque les créatures retourneront au néant.

- En sens contraire, l'action divine est celle de son être; c'est pourquoi Augustin veut que nous existions en tant que Dieu est. Mais son être ne lui est jamais advenu. Donc jamais il ne cesse d'être en son action et ainsi il sera toujours une cause en acte.

7. Dieu ne peut agir contre les conceptions communes de l'esprit, que le tout soit plus grand que sa partie. Mais la conception commune de l'esprit chez les sages est que les âmes rationnelles sont éternelles. Donc Dieu ne peut pas faire qu'elles retournent au néant.

8. Le Commentateur dit à propos de la XII, Métaphysique d'Aristote, que ce qui a possibilité d'être et ne pas être, ne peut pas acquérir sa nécessité d'être d'un autre. Donc certaines créatures qui ont la nécessité d'être n'ont pas en soi la possibilité d'être et ne pas être. Tout ce qui est incorruptible est de ce genre, comme les substances incorporelles et les corps célestes. Donc tous ceux-là n'ont pas de possibilité au non être. En conséquence, s'ils sont laissés à eux-mêmes une fois l'action divine écartée, ils ne tomberont pas dans le non être et ainsi Dieu ne semble pas pouvoir les ramener au néant.

9. Ce qui est reçu dans quelque chose, n'enlève pas la puissance à ce qui reçoit, mais il peut la parfaire. Donc si quelque chose se trouve avoir la possibilité au non être, rien de ce qui est reçu en lui ne pourra enlever cette possibilité. En conséquence ce qui a possibilité en soi de ne pas être, ne pourra acquérir la nécessité d'être d'un autre.

10. Ce qui différentie les genres, appartient à l'essence, car le genre est une partie de la définition. Mais certains diffèrent en genre selon le corruptible et l'incorruptible, comme on le voit en Métaphysique. Donc l'éternité et l'incorruptibilité appartiennent à l'essence de l'être. Dieu ne peut pas enlever à un être ce qui appartient à son essence; car il ne peut pas faire qu'un homme existant en tant que tel ne soit pas un animal. Donc il ne peut enlever la durée sans fin aux êtres incorruptibles, et ainsi il ne peut pas les ramener au néant.

11. Le corruptible ne peut jamais être changé pour devenir incorruptible par nature; car l'incorruptibilité des corps ressuscités ne vient pas de la nature mais de la gloire, et c'est parce que le corruptible et l'incorruptible diffèrent en genre comme on l'a dit. Mais si ce qui a en soi possibilité de ne pas être pouvait acquérir sa nécessité d'être de quelque chose, l'être corruptible pourrait être changé en incorruptible. Donc il est impossible qu'un être qui a en soi la possibilité de ne pas être acquièrent la nécessité d'un autre et ainsi de même que plus haut.

12. Si les créatures n'ont de nécessité que selon qu'elle dépendent de Dieu, elles dépendent de lui selon qu'il est leur cause; elles n'auront de nécessité que par le mode qui convient à la causalité par laquelle Dieu est leur cause. Mais il est la cause des êtres non par nécessité, mais par volonté, comme on l'a montré dans une autre question. Donc il y aura nécessité dans les choses comme dans ce qui est causé par la volonté. Mais ce qui dépend de la volonté, n'est pas simplement et absolument nécessaire, mais seulement d'une nécessité conditionnelle, parce que la volonté n'est pas déterminée nécessairement à un seul effet. Donc il en découle que, dans les créatures, rien n'est absolument nécessaire, mais seulement sous condition, de même qu'il est nécessaire que Socrate soit en mouvement s'il court, ou se promène, s'il veut, s'il n'existe aucun empêchement. Il semble en découler que rien n'est dans les créatures absolument incorruptible, mais que tout est corruptible, ce qui ne convient pas.

13. Dieu est le souverain bien, il est aussi l'être absolument parfait. Mais dans la mesure où il est le souverain bien, il lui appartient de ne pas pouvoir être cause du mal de la faute. Donc en tant qu'être absolument parfait, il ne lui revient pas de pouvoir être cause du retour au néant des êtres.

14. Augustin dit que Dieu est si bon que jamais il ne permettrait que quelque chose de mal soit fait, à moins qu'il ne soit assez puissant pour pouvoir tirer un bien de n'importe quel mal. Mais si les créatures retournaient au néant, il ne pourrait en tirer aucun bien. Donc Dieu ne peut pas permettre que les créatures tombent dans le néant.

15. La distance n'est pas plus petite de l'être au néant, que du néant à l'être. Mais amener quelque chose du néant à l'être demande une puissance infinie, à cause de la distance infinie. Donc amener de l'être au néant, ne dépend que d'une puissance infinie. Mais aucune créature n'a de puissance infinie. Donc, si on retire l'action du Créateur, la créature ne pourra pas retourner au néant. C'est de cette seule manière qu'on disait que Dieu pouvait ramener au néant, à savoir en retirant son action. Donc Dieu ne peut pas ramener les créatures au néant.

 

Cependant:

1. Origène dit in Periarchon: "Ce qui a été donné, peut être enlevé et se retirer." Mais l'être est donné par Dieu à la créature. Donc il peut être enlevé, et ainsi Dieu peut ramener les créatures au néant.

2. Ce qui dépend de la volonté absolue de Dieu peut aussi cesser, s'il le veut. Mais tout l'être de la créature dépend de la volonté absolue de Dieu, puisqu'il est cause des êtres par volonté, et non par nécessité de nature. Donc, si Dieu le veut, les créatures peuvent être ramenées au néant.

3. Dieu n'est pas plus débiteur envers les créatures, après qu'elles ont commencé à être, qu'avant. Mais avant qu'elles aient commencé, sans aucun préjudice pour sa bonté, il pouvait cesser de communiquer l'être aux créatures, parce que sa bonté n'en dépend en rien. Donc Dieu peut, sans préjudice pour sa bonté, retirer son action aux créatures; cela établi, elles retourneraient au néant, comme on l'a montré dans l'article précédant. Dieu peut donc ramener les créatures au néant.

4. Par la même action, Dieu amène les choses à l'être et les y conserve, comme on l'a montré plus haut. Mais il a pu ne pas les amener à l'être. Donc, pour la même raison, il peut les ramener au néant.

 

Réponse:

Pour ce qui est produit par Dieu, on dit que quelque chose est possible de deux manières:

1. Par la seule puissance de l'agent: ainsi avant que le monde n'ait été fait, il était possible qu'il soit fait, non par la puissance de la créature qui n'existait pas, mais seulement pas la puissance de Dieu, qui pouvait amener le monde à l'être.

2. Par la puissance qui existe dans ce qui est produit; ainsi il est possible qu'un corps composé soit corrompu.

Donc si nous parlons de possibilité au non être du côté des créatures, certains à ce sujet se sont exprimés de deux manières:

a) Car Avicenne a pensé que chaque chose en dehors de Dieu avait en soi la possibilité d'être et ne pas être. En effet, puisque l'être est au-delà de l'essence de n'importe quelle créature, sa nature, même considérée en soi, a la possibilité d'être; mais elle n'a la nécessité d'être que par un autre, dont la nature est son être et par conséquent qui a par soi la nécessité d'être et c'est Dieu.

b) Mais le Commentateur pense le contraire, à savoir qu'il existe certaines créatures dans la nature desquelles il n'y a pas possibilité au non être, parce que, ce qui, dans sa nature a possibilité au non être, ne peut pas acquérir l'éternité de l'extérieur, pour être éternel par nature. Et cette position paraît plus rationnelle. Car la puissance à être et à ne pas être ne convient à une chose que par la nature de sa matière, qui est pure puissance. Comme la matière aussi ne peut exister sans forme, elle ne peut être en puissance au non être que dans la mesure où existant sous une forme, elle est en puissance pour une autre.

Donc il peut arriver de deux manières que, dans la nature d'une chose, il n'y ait pas de possibilité pour le non être:

1. Par la fait qu'elle est seulement une forme subsistante en son être, comme les substances incorporelles, qui sont tout à fait immatérielles. Car si la forme, du fait qu'elle est dans la matière, est principe d'être de ce qui est matière, la chose matérielle ne peut pas ne pas exister, sinon par séparation de la forme; là où la forme même subsiste en son être, elle ne pourra en aucune manière ne pas être; ainsi son être ne peut pas être séparé de lui-même.

2. Par le fait que, dans la matière, il n'y a pas de puissance à une autre forme, mais toute la possibilité de la matière se termine à une seule forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de formes contraires.

Donc seul a la possibilité dans sa nature à ne pas être ce en quoi la matière est soumise à la contrariété. Mais la nécessité d'être selon leur nature appartient à d'autres choses, une fois enlevée de leur nature la possibilité de ne pas être. Et cependant cela n'empêche pas que la nécessité d'être leur vienne de Dieu, parce qu'une chose nécessaire peut être cause d'une autre, comme on le dit. Car la cause de la nature créée, à qui appartient l'éternité, est Dieu. Dans ce en quoi il y a possibilité au non être, la matière demeure, mais les formes sont comme induites de la puissance de la matière en acte dans la génération, de même que dans la corruption, elles sont ramenées en ce en quoi elles sont en puissance. C'est pourquoi il reste que dans toute la nature créée, il n'y a pas de puissance par laquelle quelque chose puisse tendre au néant.

Mais si nous recourons à la puissance de Dieu créateur, il faut considérer alors qu'il y a deux manières de dire que quelque chose est impossible à Dieu.

1. D'une première manière, ce qui est impossible en soi, parce que ce n'est pas destiné à être soumis à une puissance: ainsi ce qui implique une contradiction.

2. D'une autre manière, de ce qui est nécessité pour l'opposé; ce qui arrive de deux manières dans un agent:

a) Du côté de la puissance active naturelle, qui se termine à un effet seulement, comme la puissance du chaud pour réchauffer; et de cette manière, Dieu le Père engendre nécessairement le Fils et il ne peut pas ne pas l'engendrer.

b) Du côté de la fin dernière à laquelle tout tend par nécessité; ainsi l'homme veut nécessairement sa béatitude, et il est impossible qu'il veuille le malheur, et de la même manière Dieu veut nécessairement sa bonté, et il est impossible qu'il veuille ce avec quoi sa bonté ne peut pas exister, ainsi nous disons qu'il est impossible que Dieu mente ou veuille mentir.

Mais que les créatures n'existent absolument pas n'est pas impossible en soi, comme si cela impliquait une contradiction, autrement elles auraient été éternelles. Parce qu'elles ne sont pas leur être, comme quand on dit que la créature n'existe absolument pas, l'opposé du prédicat est inclus dans la définition, comme si on disait que l'homme n'est pas un animal rationnel, car les propositions de ce genre impliquent une contradiction, et sont en soi impossibles. De la même manière Dieu ne produit pas les créatures par nécessité de nature, de sorte que sa puissance soit ainsi déterminée à l'être de la créature, comme on l'a prouvé dans une autre question. De même aussi la bonté de Dieu ne dépend pas des créatures, de sorte qu'il ne puisse exister sans créatures, parce qu'elles n'ajoutent rien à sa bonté.

Il reste donc qu'il n'est pas impossible que Dieu ramène les créatures au non être, puisqu'il est nécessaire qu'il leur fournisse l'être, sauf dans l'hypothèse de sa disposition et de sa prescience, parce qu'il a ordonné ainsi et préconçu que les choses demeureraient en l'être éternellement.

 

Solution des objections:

1. Si Dieu ramenait les créatures au néant, il ne serait pas cause de la tendance au non-être, car cela n'arriverait pas parce qu'il causerait le non être dans les créatures, mais parce qu'il cesserait de leur donner l'être.

2. Ce qui est corruptible cesse d'exister du fait que la matière reçoit une autre forme, avec laquelle la première ne peut pas demeurer, et c'est pourquoi pour leur corruption est requise l'action d'un agent par laquelle une forme nouvelle passe de la puissance à l'acte. Mais si Dieu ramenait les choses au non être, aucune action ne serait nécessaire, il renoncerait seulement à l'action par laquelle il leur a attribué l'être; ainsi l'absence de l'action du soleil qui éclaire cause la privation de lumière dans l'air.

3. Cette raison conviendrait si Dieu en agissant, pouvait ramener les choses au néant; ce qui n'est pas le cas, mais plutôt il renonce à son action, comme on l'a dit.

4. Là où il n'y a pas d'action, il n'est pas nécessaire de chercher une fin. Mais parce que renoncer à l'action ne peut exister en Dieu que par sa volonté, qui n'est que sa fin, on pourrait dans cet anéantissement trouver une fin, comme dans la production des choses, la fin est la manifestation de l'abondance de la bonté divine, de la même manière dans leur annihilation, la fin peut être la suffisance de sa bonté, en tant qu'elle n'a besoin de rien d'extérieur.

5. L'effet découle de la cause et existe selon son mode, c'est pourquoi les effets qui découlent de la volonté, procèdent d'elles quand elle a décidé qu'il fallait le produire; mais non par nécessité, quand il y a volonté. Et parce que les créatures procèdent de Dieu par volonté, elles ont l'être quand il veut qu'elles existent; non par nécessité, mais chaque fois que c'est sa volonté, autrement elles auraient été éternelles.

6. Dans l'action de Dieu, par laquelle il produit les choses, il faut considérer deux points de vue, à savoir la substance de l'opération et la relation à l'effet. Comme la substance de l'opération est l'essence de Dieu, elle est éternelle et ne peut pas ne pas exister, mais la relation à l'effet, dépend de la volonté divine, car de n'importe quelle action de celui qui produit, il ne découle un effet que selon l'exigence du principe d'action; en effet, le feu réchauffe selon le mode de la chaleur. C'est pourquoi comme la volonté est le principe de ce qui est produit pour Dieu, dans son action, il y a une relation à l'effet, selon que la volonté la détermine. Et c'est pourquoi, bien que l'action ne puisse cesser selon sa substance, cependant la relation à l'effet pourrait cesser, si Dieu le voulait.

7. On dit que la conception commune de l'esprit est celle dont l'opposé inclut une contradiction; ainsi " le tout est plus grand que sa partie ", parce que, ne pas être plus grand que sa partie est contre la nature du tout. Mais que l'âme rationnelle n'existe pas n'est pas la conception commune de l'esprit, comme cela paraît de ce qui a été dit, mais que sa nature ne soit pas corruptible, c'est cela la conception commune. Mais si Dieu la ramenait au néant, cela ne se ferait pas par un puissance au non être, qui serait dans sa nature, comme on l'a dit.

8. Ce en quoi il y a la possibilité au non être par nature, ne reçoit pas la nécessité d'être d'un autre, de sorte que cela lui appartienne en nature, parce que cela impliquerait contradiction, à savoir que la nature pourrait ne pas être et qu'elle aurait la nécessité d'être, mais ce qui aurait l'incorruptibilité de la grâce ou la gloire, n'en serait pas empêché. Ainsi le corps d'Adam a été d'une certaine manière incorruptible par la grâce de l'innocence et les corps des ressuscités seront incorruptibles par gloire, par le pouvoir de l'âme adhérant à son principe. Cependant il n'est pas exclus que la nature même dans laquelle il n'y a pas possibilité au non être ait nécessité d'être d'un autre; puisque ce qui participe de la perfection lui vient d'un autre; c'est pourquoi si l'action de sa cause cessait, elle disparaîtrait non à cause de la puissance au non être qui serait en elle, mais à cause du pouvoir de Dieu de ne pas lui donner l'être.

9. Dans ce qui est par nature incorruptible, on ne préconçoit pas la puissance au non être qui est enlevée par quelque chose reçue de Dieu, selon ce que l'objection avançait, et cela paraît de ce qui a été dit. Mais dans ce qui est incorruptible par grâce demeure la possibilité au non être dans la nature même; qui cependant est totalement empêchée par la grâce par le pouvoir de Dieu.

10. Si Dieu ramenait les créatures incorruptibles au néant, en cessant de les conserver, ce n'est pas à cause de cela qu'il enlèverait l'éternité de la nature, comme si elle ne demeurait pas éternelle; mais elle disparaîtrait tout entière par la cessation de l'influx de la cause.

11. Le corruptible par nature ne peut pas être changé pour devenir incorruptible par nature, ni l'inverse, quoique ce qui est corruptible par nature, puisse devenir éternel par l'arrivée de la grâce. Cependant il ne faut pas penser que ce qui est corruptible par nature devient incorruptible, parce qu'il cesserait d'être sans que la cause cesse.

12. Bien que les créatures incorruptibles dépendent de la volonté de Dieu, qui peut leur apporter l'être ou pas, elles en reçoivent l'absolue nécessité d'être, dans la mesure où elles sont causées en une nature où il n'y a pas possibilité au non être; car toutes sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient, comme Hilaire le dit in Livre des Synodes.

13. Bien que Dieu puisse ramener les créatures au néant, cependant ils ne peut pas faire que, si elles demeurent, lui-même ne soit pas leur cause; mais il est comme leur cause efficiente et comme leur cause finale. Donc de même que Dieu ne peut pas faire que la créature qui demeure dans l'être ne soit pas de lui, il ne peut pas faire qu'elle ne soit pas ordonnée à sa bonté. C'est pourquoi, comme le mal de la faute prive l'ordre qui est en lui comme dans la fin, parce qu'il est détournement du bien immuable, Dieu ne peut pas être cause du mal de la faute, quoiqu'il puisse être cause du retour au néant, en cessant tout à fait la conservation.

14. Augustin parle du mal de la faute, et s'il parlait aussi du mal de la peine, le retour au néant des choses cependant n'est aucun mal; parce que tout mal est fondé sur le bien, puisqu'il en est la privation, comme il le dit. C'est pourquoi, comme avant la création des choses, il n'y avait pas de mal, ainsi il n'y aurait pas de mal si Dieu ramenait tout au néant.

15. Dans aucune créature il n'y a un pouvoir qui puisse ou bien de rien faire quelque chose, ou bien ramener quelque chose au néant. Mais que les créatures soient ramenées au néant, si la conservation de Dieu cessait, cela ne viendrait pas par une action de la créature, mais de sa défaillance, comme cela paraît dans ce qui a été dit.

 

Article 4: La créature doit-elle retourner au néant, ou même y retourne-t-elle?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car une puissance finie ne peut pas mouvoir pendant un temps infini, de même rien ne peut exister par une puissance finie pendant un temps infini. Mais toute puissance d'un corps est finie, comme on le prouve. Donc, dans aucun corps, il n'y a de puissance pour durer un temps infini. Il existe certains corps qui ne peuvent pas être corrompus, du fait qu'ils n'ont pas de contraire, comme les corps célestes. Donc il est nécessaire qu'un jour ils retournent au néant.

2. Ce qui sert à atteindre une fin, une fois celle-ci acquise, il n'en est plus besoin, comme on le voit pour le bateau, nécessaire pour ceux qui traversent la mer, mais non quand elle est déjà traversée. Mais la créature corporelle est créée en vue de la créature spirituelle qu'elle aide à parvenir à sa fin. Donc quand la créature spirituelle sera installée en sa fin ultime, elle n'aura plus besoin de ce qui est corporel. Donc comme rien n'est superflu dans les oeuvres de Dieu, il semble qu'à la fin ultime du monde, toute créature corporelle disparaîtra.

3. Rien de ce qui existe par accident n'est infini. Mais l'être est par accident pour n'importe quelle créature, comme le dit Avicenne; c'est pourquoi Hilaire, distinguant Dieu de la créature, dit: "L'être n'est pas un accident en Dieu". Donc aucune créature ne durera éternellement, et ainsi elles disparaîtront toutes un jour

4. La fin doit répondre au commencement. Mais les créatures ont reçu un commencement, après qu'il n'y eut rien, sauf Dieu. Donc là encore les créatures seront ramenées à une fin parce que ce sera tout à fait le néant.

5. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas durer éternellement. Mais ce qui n'a pas toujours existé, n'a pas ce pouvoir. Donc cela ne peut pas durer éternellement. Mais les créatures n'ont pas toujours existé. Donc elles ne peuvent durer éternellement, et ainsi un jour elles retourneront au néant.

6. La justice requiert qu'à cause de son ingratitude, quelqu'un soit privé d'un bienfait reçu ou concédé. Mais par le péché mortel, l'homme se montre ingrat. Donc la justice exige qu'il soit privé de tous les bienfaits de Dieu, parmi lesquels l'être lui-même. Mais le jugement de Dieu sera juste pour les pécheurs, selon l'Apôtre (Rm 2, 2). Donc ils seront ramenés au néant.

7. Il y a ce qui est dit en Jérémie "Corrige-moi, Seigneur, dans une juste mesure, cependant et sans fureur, pour ne pas me ramener au néant."

8. Mais on pourrait dire, que Dieu punit toujours en deçà de ce qui est mérité, à cause de sa miséricorde, qui est mêlée à la justice dans son jugement; et ainsi il n'exclut pas totalement les pécheurs de la participation à ses bienfaits.

- En sens contraire, la miséricorde n'est pas conservée à cet homme pour lui donner quelque chose qu'il lui serait meilleur de ne pas avoir. Mais pour celui qui est condamné à l'enfer, il eut mieux valu ne pas exister que d'être ainsi, ce qui paraît par ce qui est dit in (Mt 26, 24), au sujet de Juda: "Il était meilleur pour cet homme de n'être pas né." Donc il ne revient pas à la miséricorde de Dieu de conserver les condamnés dans l'être.

9. L'être qui n'a pas de matière en participation, est corrompu tout à fait, c'est-à-dire totalement, quand il cesse d'être, , comme les accidents. Ceux-ci cessent fréquemment d'exister. Donc certains retourneront au néant.

10. La philosophe démontre que, si le continu vient de l'indivisible, il est nécessaire que l'indivisible soit divisé. C'est pour cela qu'on peut accepter que chacun soit ramené en ce dont il vient. Mais toutes les créatures viennent du néant. Donc toutes, un jour, y retourneront.

11. In (2P 3, 10), il est dit: "Les cieux se dissiperont avec grand fracas" Mais ils ne peuvent passer par corruption en quelque autre corps, puisqu'ils n'ont pas de contraire. Donc ils iront au néant.

12. Il est dit de même au (Ps 101, 26): "Les cieux sont l'oeuvre de tes mains, ils périront". et in (Lc 21, 33) on lit: "La ciel et la terre passeront."

 

Cependant:

1. Il y a ce que est dit in (Qo 1, 4): "Mais la terre demeure éternellement." En outre (Qo 3, 14): "J'ai appris que toutes les oeuvres faites par Dieu demeureront éternellement". Donc les créatures ne retourneront pas au néant.

 

Réponse:

La totalité des créatures ne retournera jamais au néant. Et quoique les créatures corruptibles n'aient pas toujours existé, elles dureront éternellement, cependant selon leur substance; bien que quelques-uns aient pensé que toutes les créatures corruptibles disparaîtront dans le non être à l'ultime consommation du monde, ce qui est écrit d'Origène, qui cependant ne semble en parler qu'en rapportant l'opinion des autres.

Cependant nous pouvons accepter sa raison de deux points de vue:

1. De la volonté divine dont l'être des créatures dépend. Car la volonté de Dieu, quoique considérée dans l'absolu, se comporte vis-à-vis des opposés dans les créatures; parce qu'elle n'est pas plus obligée envers l'une qu'envers l'autre, cependant par hypothèse elle a une certaine nécessité. Car, dans les créatures, ce qui se comporte à l'opposé est considéré comme nécessaire par la situation établie, comme il est possible que Socrate s'assied, ou pas; cependant il est nécessaire qu'il soit assis quand il s'assied; de la même manière la volonté divine, qui, en tant que cela dépend d'elle, peut vouloir quelque chose et son opposé, comme sauver Pierre, ou non, ne peut pas vouloir que Pierre ne soit pas sauvé, pendant qu'elle veut le sauver. Et parce que sa volonté est immuable, si on pense qu'elle veut quelque chose une fois, il est nécessaire par supposition qu'elle le veuille toujours, bien qu'il ne soit pas nécessaire qu'elle veuille qu'existe toujours ce qu'elle veut exister quelquefois.

Mais quiconque veut quelque chose pour lui, veut que cela existe toujours, du fait qu'il le veut pour lui. Car si quelqu'un veut qu'une chose existe un temps, et qu'ensuite elle n'existe plus, il veut qu'elle existe pour accomplir quelque chose; cela achevé, il n'a plus besoin de ce qu'il voulait pour l'accomplir. Mais Dieu veut la totalité des créatures pour elle-même, bien qu'il la veuille aussi pour lui; car ces points de vue ne s'opposent pas. Car Dieu veut que les créatures existent à cause de sa bonté, pour qu'elles l'imitent à leur manière et le représentent; ce qu'elles font dans la mesure où elles ont l'être par sa bonté, et qu'elles subsistent dans leur nature. C'est pourquoi c'est le même chose de dire, que Dieu fit tout à cause de lui (Pr 16, 4): "Le Seigneur a tout fait pour lui-même"), et qu'il ait fait les créatures à cause de leur être, ce qui est dit in (Sg 1, 14), "Car Dieu a créé pour que tout existe". C'est pourquoi du fait que Dieu a institué les créatures, il est clair qu'il a voulu qu'elles durent toujours; et l'opposé n'arrive jamais à cause de son immutabilité.

2. Nous pouvons l'accepter à cause de la nature même des choses; car ainsi Dieu a institué chaque nature, pour que son caractère propre ne lui soit pas enlevé; c'est pourquoi il est dit en (Rm 11, 24), dans la que Dieu qui est le créateur des natures n'agit pas contre elles, même si quelquefois pour mettre la foi en lumière, il opère en elles ce qui dépasse leur nature. Mais le caractère naturel des êtres immatériels qui n'ont pas de contraire, est leur éternité; parce que, en eux, il n'y a pas de puissance au non être, comme on l'a montré ci-dessus. C'est pourquoi, de même qu'il n'enlève pas le penchant naturel du feu, qui tend vers le haut, de même il n'élève pas l'éternité aux choses dont on a parlé, pour les ramener au néant.

 

Solution des objections:

1. Selon le Commentateur, bien que toute puissance, qui est dans un corps, soit limitée à l'être, il ne faut pas cependant que, dans quelque corps, il y ait une puissance limitée à l'être, parce que dans les corps corruptibles par nature, il n'y a pas de puissance à être, ni finie, ni infinie, mais puissance à se mouvoir seulement. Mais cette solution ne semble pas valable: parce que la puissance à être non seulement est reçue selon le mode de la puissance passive, qui vient de la matière, mais aussi selon le mode de la puissance active, qui vient de la forme, qui ne peut pas manquer dans les choses incorruptibles. Car autant il y a de forme en chacun, autant il y a de pouvoir à être; c'est pourquoi aussi in I, Ciel et le monde, le philosophe veut que certaines formes aient un pouvoir et une puissance à exister toujours.

Et c'est pourquoi il faut dire autrement: avoir l'infinité du temps n'est pas démontré par l'infinité du temps, sauf si c'est mesuré par le temps ou par soi, comme le mouvement, ou par accident, comme l'être des choses soumises au mouvement, dont certaines durent le temps du mouvement, au-delà duquel elles ne peuvent pas durer. Mais l'être du corps céleste n'est atteint en aucune manière, ni par le temps, ni par le mouvement, puisqu'il est absolument invariable. C'est pourquoi de ce que le ciel soit dans un temps infini, son être n'en tire aucune infinité, comme existant tout à fait hors du déroulement du temps; c'est pour cela que les théologiens disent qu'il est mesuré par l'ævum. C'est pourquoi aucun pouvoir infini n'est requis dans le ciel pour qu'il dure toujours.

2. De même qu'une partie de l'armée est ordonnée à l'autre et au général, de même la créature corporelle est ordonnée pour aider à la perfection de la créature spirituelle, et pour représenter la bonté divine, ce qui se fera toujours, bien que la première cesse.

3. L'être n'est pas appelé accident, parce qu'il serait dans le genre de l'accident, si nous parlons de l'être de la substance (c'est en effet l'acte de l'essence), mais par une certaine ressemblance; parce qu'il n'est pas partie de l'essence ni de l'accident. Si cependant il était dans le genre de l'accident, rien n'empêcherait qu'il dure à l'infini; car par soi les accident sont par nécessité dans les substances; c'est pourquoi rien n'empêche qu'ils y soient à perpétuité. Mais les accidents qui sont dans les substrats par accident, ne durent en aucune manière à perpétuité selon la nature. L'être de ce genre ne peut être l'être même substantiel de la chose, puisqu'il est l'acte de l'essence.

4. Avant que les choses existent, il n'y avait pas de nature, dont le caractère propre soit l'éternité, comme il y a une nature pour les choses déjà créées. Et en outre, cela a pu être en vue de la perfection de la créature spirituelle, que les choses n'ont pas toujours existé, parce qu'ainsi Dieu se montre expressément comme leur cause. Mais aucune utilité n'en découle si tout est ramené au néant. Et c'est pourquoi ce n'est pas pareil pour le commencement et la fin.

5. Ce qui durera toujours a pouvoir d'exister toujours; cependant ce pouvoir il ne l'a pas eu toujours, et c'est pourquoi il n'a pas toujours existé.

6. Bien que Dieu, par justice, puisse retirer l'être à créature qui pèche contre lui, et la ramener au néant, cependant c'est une justice plus conforme de la conserver dans l'être pour le châtiment, et cela pour deux raisons.

1. Parce que cette justice ne serait en rien mêlée à la miséricorde, puisque rien ne demeurerait à qui il pourrait l'accorder; on dit au (Ps 24, 10) que "toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité".

2. Parce que cette justice répond plus convenablement à la faute pour deux raisons:

a) parce que, dans la faute, la volonté agit contre Dieu, mais pas la nature qui conserve l'ordre inscrit par Dieu, et c'est pourquoi tel doit être le châtiment qui châtie la volonté, en blessant la nature dont la volonté abuse. Mais si la créature est ramenée tout à fait au néant, ce sera un aussi grand préjudice pour la nature et non un accablement de la volonté.

b) Parce que, comme dans le péché, il y a deux mouvements, à savoir le détournement du bien immuable, et l'adhésion au bien changeant, cette dernière entraîne après elle le détournement; car personne en péchant ne tend à se détourner de Dieu, mais cherche à jouir du bien temporel, avec lequel il ne peut pas en même temps jouir de Dieu. C'est pourquoi, comme la peine du châtiment répond au détournement de la faute, la peine du sens convient à l'adhésion à la faute actuelle, il est convenable que la peine du préjudice ne soit pas sans peine du sens. Mais si la créature retournait au néant, ce serait la peine éternelle du préjudice, mais la peine du sens ne demeurerait pas.

7. Le jugement dont le Prophète fait mention, apporte la conséquence annoncée ou l'opération du châtiment pour la faute. Car la fureur de laquelle il demande à être libéré est celle qui exclut la modération de la miséricorde.

8. On dit que qu'une chose est meilleure, ou bien, à cause de la présence de plus de bien, et ainsi il est meilleur pour le condamné d'exister que de ne pas exister, ou bien, à cause de l'absence de mal; parce que le manque de mal, appartient à la définition du bien, selon le philosophe. Et c'est ainsi qu'on comprend la parole du Seigneur qui est rapportée.

9. Même si les formes et les accidents n'ont pas de matière en participation, ils ont cependant la matière dans laquelle ils sont et de la puissance dont ils sont induits, c'est pourquoi, quand ils cessent d'exister, ils ne sont pas tout à fait ramenés au néant, mais ils demeurent dans la puissance de la matière, comme plus haut.

10. Les créatures viennent du néant, de la même manière, elles sont aussi capables d'y retourner, si cela plaisait à Dieu.

11 et 12. Ces autorités ne sont pas à comprendre comme si la substance du monde périssait, mais en figure, comme l'Apôtre le dit (1Co 7, 31).

 

Article 5: Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car on dit in (Gn 8, 22): "Pendant tous les jours de la terre, semence et moisson, froid et chaud, été et hiver, nuit et jour ne se cesseront pas." Mais tout cela provient du mouvement du ciel. Donc son mouvement ne cessera pas tant que la terre existera. Mais la terre demeure éternellement, comme le dit in (Qo 1, 4). Donc le mouvement du ciel sera éternel.

2. Mais on pourrait dire qu'on le comprend de la terre dans la mesure où elle sert à l'homme selon l'état présent; par l'ensemencement et la moisson, il en tire des fruits pour la conservation de sa vie physique, mais non selon qu'elle servirait à l'homme déjà glorifié, demeurant éternellement pour une plus grande jouissance des biens

- En sens contraire, il est dit en (Jr 31, 35): "Le Seigneur parle, lui qui donne le soleil pour la lumière du jour, l'ordonnancement de la lune et des étoiles pour la lumière de la nuit, qui agite la mer et fait gronder ses flots. Le Seigneur des armées, c'est son nom. Si ces lois cessaient devant moi, alors la descendance d'Israël cesserait d'être un peuple devant moi toujours." Mais on ne le comprend pas de l'Israël charnel, qui déjà par sa diaspora ne peut plus être appelé un peuple. C'est pourquoi il faut le comprendre de l'Israël spirituel, qui, alors, sera surtout un peuple devant Dieu, quand il le verra par son essence. Donc dans l'état de béatitude, les lois susdites, qui suivent le mouvement du ciel ne cesseront pas, ni par conséquence le mouvement du ciel non plus.

3. Tout ce qui tire sa nécessité d'un premier nécessaire, est absolument nécessaire, comme on le voit chez le philosophe; ainsi la mort physique est nécessaire à cause de la matière. Mais les opérations des êtres incorruptibles, parmi lesquels il faut placer le mouvement du ciel, sont pour les substances dont elles sont les opérations et ainsi elles semblent tirer leur nécessité de ce qui les précède; alors que, à l'inverse, cette nécessité est dans ce qui est corruptible dont les substances sont en vue de leurs opérations, c'est pourquoi ils tirent leur nécessité de ce qui suit, comme le Commentateur le dit là même. Donc le mouvement du ciel est nécessaire d'une nécessité absolue, et il ne cessera jamais.

4. La fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu par le mouvement en tant qu'il passe de la puissance à l'acte par le renouvellement des lieux qu'il occupe successivement en acte, car chaque chose ressemble à Dieu qui est acte pur, parce qu'elle est en acte. Mais cette fin cesserait si le mouvement cessait. Donc comme le mouvement ne cesse qu'en obtenant la fin pour laquelle il existe, jamais le mouvement du ciel ne cessera.

5. Mais on pourrait dire, que le mouvement du ciel n'est pas en vue de cette fin, mais pour compléter le nombre des élus, et une fois celui-ci complet, le mouvement du ciel s'arrêtera.

- En sens contraire, rien n'est vil pour soi, parce que la fin est plus noble que ce qui la concerne, puisque la fin est la cause de la bonté dans ce qui est en vue de cette fin. Mais puisque le ciel est incorruptible, il est plus noble que ce qui peut être engendré ou corrompu. Donc on ne peut pas dire que le mouvement du ciel est dans ces êtres inférieurs, en vue d'une génération par laquelle cependant le nombre des élus peut être complété.

6. Mais on pourrait dire que le mouvement du ciel n'est pas en vue de la génération des élus, comme fin générale mais comme fin secondaire.

- En sens contraire, s'il a une fin secondaire, il ne cesse pas parce que le mouvement est en vue de la fin. Si donc la génération par laquelle est complété le nombre des élus est une fin secondaire du mouvement du ciel, une fois obtenue, le ciel ne cessera pas encore.

7. Tout ce qui est en puissance est imparfait, sauf s'il est ramené à l'acte. Mais Dieu, à la consommation du monde ne laissera rien d'imparfait. Comme donc la puissance, qui dans le ciel concerne le lieu, n'est ramenée à l'acte que par mouvement, il semble que le mouvement du ciel même à la consommation du monde ne s'arrêtera pas.

8. Si les causes d'un effet sont incorruptibles, et se comportent toujours de la même manière, l'effet lui-même est éternel. Mais toutes les causes du mouvement du ciel sont incorruptibles, et se comportent toujours de la même manière; que nous considérions soit la cause moteur, soit le mobile lui-même. Donc le mouvement du ciel durera éternellement.

9. Ce qui est susceptible d'éternité, n'en sera jamais privé par Dieu, comme c'est clair pour l'ange, l'âme rationnelle et la substance du ciel. Mais le mouvement du ciel est susceptible d'éternité (car seul le mouvement circulaire arrive à être perpétuel, comme on le prouve en Physique. Donc le mouvement du ciel durera perpétuellement, comme les autres choses destinées à être éternelles.

10. Si le mouvement du ciel s'arrêtait, ou il s'arrêterait dans l'instant ou dans le temps. Si c'est dans l'instant, il s'arrête et est en mouvement en même temps; parce que, comme en tout temps précédant il serait mu, il faut dire que dans n'importe quel moment du temps, dans lequel il est destiné à être mu, il serait mu. Mais dans l'instant désigné où il a été donné au ciel de s'arrêter, il est destiné à être mu puisque le mouvement et le repos concernent le même sujet; mais cet instant est quelque chose du temps précédant puisqu'il est son terme. Donc il serait mu en lui. Et il a été donné de cesser en lui. Donc, en même temps, dans le même instant, il cessera et sera mu; ce qui est impossible. Mais s'il s'arrête dans le temps, donc celui-ci existera après le mouvement du ciel. Mais le temps n'existe pas sans lui, donc il existera après qu'il aura cessé d'exister, ce qui est impossible.

11. Si le mouvement du ciel cesse un jour, il faut que le temps cesse, puisqu'il le mesure, comme on le voit in Physique. Mais il est impossible que le temps cesse, donc il est impossible que le mouvement du ciel cesse. Preuve de la proposition intermédiaire: tout ce qui est toujours en son commencement et en sa fin, n'a jamais commencé à exister, et ne cessera jamais, parce que chaque chose est après son commencement et avant sa fin. Mais rien du temps n'est à recevoir dans l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du passé; et ainsi le temps est toujours en son commencement et en sa fin. Donc le temps jamais ne cessera.

12. Le mouvement du ciel lui est naturel, de même le mouvement des corps lourds et légers l'est aussi pour eux, comme on le voit in Le ciel et le monde. Mais il y a cette différence que les corps élémentaires ne sont mus naturellement que quand il ne sont pas à leur place, mais le ciel est mu même en existant en sa place; de cela il peut arriver que de même que le corps élémentaire se comporte vis-à-vis de son mouvement naturel, quand il est hors de son lieu, de même le ciel se comporte quant à son mouvement naturel, quand il est à sa& place. Car le corps élémentaire, quand il n'est pas à sa place, n'y reste que par violence. Donc le ciel aussi ne peut s'arrêter sans que son arrêt ne soit violent, ce qui ne convient pas. Car, comme nulle violence ne peut durer toujours, il s'ensuivrait que ce repos du ciel ne serait pas perpétuel, mais quelquefois il recommencerait à être mu, ce qui est pure imagination. Donc il ne faut pas dire que le mouvement du ciel s'arrêtera un jour.

13. Dans tout ce qui se succède, il faut qu'il y ait un ordre et une proportion. Mais du fini à l'infini il n'y a aucune proportion. Donc il ne convient pas de dire que le ciel, une fois le temps terminé, serait mu, et qu'après un temps infini, il s'arrêterait, parce qu'il faut dire cependant que, si le mouvement du ciel a commencé et finira, jamais il ne recommencera.

14. Plus l'acte par lequel une chose ressemble à Dieu est noble, plus sa ressemblance est noble. De même qu'est plus noble la ressemblance de l'homme à Dieu, avec son âme rationnelle que celle de l'animal avec son âme sensitive. Mais l'acte second est plus noble que l'acte premier, comme la considération plus que la science. Donc la ressemblance, par laquelle le ciel ressemble à Dieu selon l'acte second, qui est de causer les choses inférieures, est plus noble que la ressemblance selon la lumière qui est son acte premier. Si donc à la consommation du monde, ses parties principales s'améliorent, il semble que le ciel ne cessera pas de se mouvoir, empli par une plus grande lumière.

15. La grandeur, le mouvement et le temps se suivent quant à la division, la finitude ou l'infinité, comme on le prouve en Physique. Mais dans une grandeur circulaire, il n'y a ni commencement ni fin. Donc il ne pourra pas y avoir de fin dans le mouvement circulaire, et ainsi puisque le mouvement du ciel est circulaire, il semble qu'il ne finira jamais.

16. Mais on pourrait dire, que bien que le mouvement circulaire ne finisse jamais selon sa nature, cependant il finira par la volonté de Dieu.

- En sens contraire, Augustin dit: "Quand il s'agit de la constitution du monde, on ne cherche pas ce que Dieu pourrait faire, mais ce que la nature supporte qu'il fasse." Mais la consommation du monde correspond à son institution, comme la fin à son commencement. Donc, en qui concerne la fin du monde, il ne faut pas recourir à la volonté de Dieu, mais à la nature des choses.

17. Le soleil, par sa présence, cause la lumière et le jour dans ce qui est inférieur, et par son absence les ténèbres et la nuit. Mais le soleil ne peut être présent dans chaque hémisphère, que par mouvement. Donc si le mouvement du ciel s'arrête, sa présence toujours causera le jour dans une partie du monde, et dans l'autre, dans laquelle le soleil sera toujours absent, la nuit; et ainsi cette partie ne sera pas améliorée; mais détériorée, à la consommation du monde.

18. Ce qui se comporte de façon égale vis-à-vis de deux choses, adhère à l'une et à l'autre ou à aucune. Mais le soleil se comporte de façon égale pour ce qui est de sa nature dans n'importe quel lieu du ciel. Donc, ou bien il sera en chacun ou en aucun. Mais il ne peut pas être en aucun, parce que tout corps sensible est quelque part. Donc il faut qu'il soit quelque part. Mais cela n'est possible que par succession de mouvement. Donc, il sera toujours en mouvement.

19. A la consommation du monde, la perfection, qui restera alors, ne sera enlevée par personne, parce que ce qui demeurera dans cet état ne sera pas détérioré, mais amélioré. Mais le mouvement est la perfection du ciel, ce qui paraît du fait que le mouvement est une entéléchie mobile en tant que tel, comme on le dit in II, Physique et à nouveau comme on le dit dans Le ciel et le monde, le ciel par le mouvement atteindra une bonté parfaite. Donc à la consommation du monde, il ne manquera pas de mouvement.

20. Un corps n'atteint jamais le niveau de la nature spirituelle. Mais il convient à cette dernière qu'elle possède la bonté parfaite sans mouvement, comme cela paraît in II, Le ciel et le monde. Donc jamais le ciel, s'il cesse d'être mu, n'aura la bonté parfaite, ce qui est contre la nature de la consommation du monde.

21. Rien n'est enlevé que par son contraire. Rien n'est contraire au mouvement du ciel, comme on le prouve dans Le ciel et le monde. Donc le mouvement du monde ne cessera jamais.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit en (Ap 10, 5): " L'ange que je vis debout sur la mer et sur la terre, leva sa main et jura par le vivant pour les siècles des siècles... parce qu'il n'y aura plus de temps." Mais le temps durera aussi longtemps que le mouvement du ciel existera. Donc le mouvement du ciel cessera un jour d'exister.

2. Il est dit en (Jb 14, 12): "Quand l'homme se sera endormi, il ne se lèvera pas, jusqu'à ce que le ciel soit usé; il ne se réveillera pas et ne se lèvera pas de son sommeil." Mais on ne peut pas comprendre que le ciel sera usé dans sa substance, parce qu'il demeurera toujours, comme on l'a prouvé plus haut. Donc quand il y aura la résurrection des morts, le ciel sera anéanti quant à son mouvement qui cessera.

3. En (Rm 8, 22), sur ce verset: "Toute créature gémit et enfante jusqu'à maintenant", la glose d'Ambroise dit: "Tous les éléments rempliront leurs devoirs avec ardeur, comme le soleil et la lune, non sans ardeur, emplissent les espaces, qui leur sont assignés, ce qui est à cause de nous; c'est pourquoi ils cesseront quand nous serons enlevés." Donc, à la résurrection des saints, le mouvement des corps cessera.

4. Isidore dit: "Après le jugement, le soleil recevra la récompense de son travail, et ni le soleil ni la lune n'en arriveront à leur destruction." Ce qui ne peut pas exister si le ciel se meut, donc alors le ciel ne sera plus en mouvement.

 

Réponse:

Il faut dire que, selon les documents des saints, nous pensons que le mouvement du ciel cessera un jour; bien que cela soit plus tenu par la foi que démontré par la raison. Mais pour pouvoir montrer où se trouve la difficulté de cette question, il faut faire attention que le mouvement du ciel n'est pas naturel pour le corps céleste de la même manière qu'est naturel le mouvement du corps élémentaire pour lui-même; car un tel mouvement a son principe dans ce qui est mobile, non seulement matériel et réceptif, mais encore formel et actif. Un tel mouvement, en effet, suit la forme du corps élémentaire, comme les autres propriétés naturelles découlent des principes essentiels: c'est pourquoi ce qui engendre en elles est appelé moteur, dans la mesure où il donne la forme qu'atteint le mouvement.

Mais on ne peut pas parler ainsi pour le corps céleste. En effet, comme la nature tend toujours à un but de manière déterminée, mais pas à plusieurs, il est impossible qu'elle incline à un mouvement selon elle-même; parce que, en n'importe quel mouvement, il y a une altération; dans la mesure où ce qui est mu ne se comporte pas de la même manière; mais l'uniformité du mobile est contre la nature du mouvement.

C'est pourquoi, la nature n'incline jamais au mouvement pour le mouvement, mais pour un but déterminé, qui découle de son mouvement, ainsi ce qui est lourd par nature incline au repos dans un milieu qui lui convient et par conséquent incline à un mouvement vers le bas, selon que, par un tel mouvement, il parvient en un tel lieu. Mais le ciel ne parvient pas par son mouvement à quelque lieu, vers lequel il est poussé par sa nature, parce que n'importe quel lieu est le commencement et la fin de son mouvement; c'est pourquoi son mouvement naturel ne peut pas exister comme s'il suivait une inclination de la puissance naturelle inhérente, de la même manière que s'élever est le mouvement naturel du feu.

Mais on dit que le mouvement circulaire est naturel pour le ciel, dans la mesure où dans sa nature il a une aptitude à une tel mouvement; et ainsi en lui-même, il a le principe passif d'un tel mouvement; mais ce principe actif est une substance séparée, comme Dieu ou une intelligence ou une âme, comme certains le pensent, car pour la présente question, il n'y a aucune différence.

Donc la raison de la permanence du mouvement ne peut venir de la nature du corps céleste, par laquelle il possède seulement l'aptitude au mouvement, mais il faut la prendre d'un principe actif séparé. Et parce que tout agent agit en vue d'une fin, il faut considérer quelle est la fin du mouvement du ciel; si en effet il convient à sa fin que le mouvement se termine un jour, le ciel s'arrêtera quelque jour; mais si l'arrêt ne convient pas à sa fin, son mouvement sera éternel, car il ne peut arriver que le mouvement s'arrête à cause du changement de la cause moteur, puisque la volonté de Dieu est immuable, comme sa nature aussi, et par elle ils obtiendront l'immobilité, s'il y a des causes moteurs intermédiaires.

Mais dans cette considération, il faut éviter trois erreurs:

1. Ne disons pas que le ciel est mu en vue du mouvement même, comme si on disait qu'il existe pour son être même, en qui il ressemble à Dieu. Car le mouvement, de sa propre nature, répugne à ce qu'il ne puisse pas y avoir une fin, parce que le mouvement tend à une autre chose; c'est pourquoi il n'a pas la nature de sa fin, mais plutôt de ce qui est en vue de la fin. Il est attesté qu'il est un acte imparfait, comme on le dit in De L'âme et ni Physique. Mais la fin est la perfection ultime.

2. Pour qu'on ne pense pas que le mouvement du ciel est en vue de quelque chose de plus vil; en effet, comme il est la fin, d'où on tire sa raison, il faut que celle-ci soit prééminente à ce qui est en vue de la fin. Mais il peut arriver que le terme d'une opération d'une chose plus noble soit plus vil; mais non pour qu'elle soit la fin de l'intention: ainsi la sécurité du paysan est le terme où s'achève l'opération du roi qui gouverne; cependant l'administration du roi n'est pas ordonnée à la sécurité de ce paysan, comme à sa fin, mais à quelque chose de meilleur, à savoir le bien commun. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la génération des êtres inférieurs soit la fin du mouvement du ciel, même s'il en est l'effet ou le terme, parce que le ciel l'emporte sur ces êtres inférieurs, et son mouvement sur les leurs et leurs changements.

3. Pour qu'on ne pense pas que la fin du mouvement du ciel soit quelque chose d'infini, parce que, comme on le dit en Métaphysique, celui qui pense l'infini dans la cause finale détruit la fin et la nature du bien. Car atteindre ce qui est infini est impossible. Mais rien ne se meut vers ce qu'il est impossible d'atteindre, comme on le dit dans Le ciel et le monde, I. C'est pourquoi on ne peut pas dire que la fin du mouvement du ciel soit d'atteindre en acte un lieu où il est en puissance, bien qu'Avicenne semble le dire. Car il est impossible de l'atteindre, puisqu'il est infini, parce que, pendant qu'il est en acte dans un lieu, il sera en puissance à un autre, dans lequel il existait avant en acte.

Il faut donc penser que la fin du mouvement du ciel est ce que le ciel pourrait atteindre par mouvement, parce qu'il est autre que le mouvement et plus noble que lui. Mais cela on peut le penser de deux manières:

1. Penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose dans le ciel même qui existe en même temps que le mouvement, et à cause de cela certains philosophes pensent, que la ressemblance à Dieu, en tant que cause, est la fin du mouvement du ciel; ce qui se fait tant que dure le mouvement; c'est pourquoi, il ne convient pas que le mouvement du ciel cesse, parce que s'il cessait, la fin qui provient du mouvement cesserait.

2. On peut penser que la fin du mouvement du ciel est quelque chose hors du ciel, auquel il parvient par son mouvement, et quand il cesse, cela peut demeurer; et telle est notre position.

Car nous pensons que le mouvement du ciel est pour compléter le nombre des élus. L'âme rationnelle, en effet, est plus noble que n'importe quel corps et que le ciel même. C'est pourquoi il n'est nullement inconvenant de penser que la fin du mouvement du ciel est la multiplication des âmes rationnelles, mais non à l'infini, parce que cela ne peut pas provenir du mouvement du ciel; et ainsi il serait mu vers ce qu'il ne peut pas atteindre; c'est pourquoi il reste que la multitude déterminée des âmes rationnelles est la fin du mouvement du ciel. C'est pourquoi cela atteint, le mouvement du ciel cessera.

Bien que l'une et l'autre des positions annoncées puissent être soutenues raisonnablement, cependant la seconde, qui est de foi, paraît plus probable, pour trois raisons:

1. Parce qu'il n'y a pas de différence entre dire que la fin d'un être est sa ressemblance relative à Dieu, et dire en quoi la ressemblance est atteinte, comme on a affirmé ci-dessus qu'on peut dire que la fin des choses est ou bien la ressemblance même à la bonté divine, ou bien leur être selon qu'elles ressemblent à Dieu. Donc c'est la même chose de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en causant et être cause. Mais causer ne peut être une fin puisque c'est une opération qui a un résultat et tend à autre chose; car les résultats sont meilleurs que de telles opérations, comme il est dit au début de l'Éthique; c'est pourquoi de tels produits ne peuvent être le but des agents, puisqu'ils ne sont pas la perfection de ceux qui les font, mais plutôt de ce qui est fait; c'est pourquoi ce qui est produit est davantage la fin, comme on le voit in VII, Métaphysique et in Éthique. Les résultats des opérations ne sont pas des fins puisqu'ils sont plus vils que le ciel, comme on l'a dit ci-dessus. C'est pourquoi, il reste qu'il ne convient pas de dire que la fin du mouvement du ciel est de ressembler à Dieu en étant cause.

2. Parce que, comme le ciel se meut tout en existant lui-même par sa seule aptitude au mouvement, alors que son principe actif vient de l'extérieur, comme on l'a dit, il se meut et agit comme instrument, car c'est la manière d'agir de l'instrument, comme on le voit dans les oeuvres artificielles, ainsi la scie a seulement l'aptitude à un tel mouvement, mais le principe du mouvement est dans l'artisan. C'est pourquoi selon les philosophes, ce qui met en mouvement, meut comme instrument. Mais dans l'action par instrument, il ne peut y avoir une fin dans l'instrument même que par accident, dans la mesure où il est pris comme oeuvre et non comme instrument; c'est pourquoi il n'est pas probable que la fin du mouvement du ciel soit sa perfection, mais plutôt un objet hors de lui.

3. Parce que si la ressemblance à Dieu dans le fait qu'il est cause, est la fin du mouvement du ciel, cette ressemblance est principalement atteinte selon sa causalité, causée immédiatement par Dieu, à savoir celle de l'âme rationnelle, à la causalité de laquelle concourt le ciel en disposant la matière par son mouvement. Et c'est pourquoi il est plus probable que la fin du mouvement du ciel est le nombre des élus que la ressemblance à Dieu lorsqu'il est cause de la génération et de la corruption, selon ce que pensent les philosophes. Et c'est pourquoi nous concédons que le mouvement du ciel se terminera quand le nombre des élus sera complet.

 

Solution des objections:

1. La Genèse parle de la durée de la terre selon qu'elle est soumise au changement; car ainsi on sème et on moissonne sur elle. Mais tant qu'un tel état de la terre dure, le mouvement du ciel ne cessera pas.

2. Cette autorité n'est pas à comprendre de l'Israël charnel, mais de l'Israël spirituel; cependant non selon qu'il est dans la patrie devant Dieu, en le contemplant par la forme (per speciem), mais selon qu'il est en chemin devant lui par la foi, pour qu'ainsi on dise la même chose que le Seigneur parlant à ses disciples (Mt 18, 20); "Voici, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles."

3. Cette préposition propter (à cause de) signale une cause; c'est pourquoi quelquefois elle révèle la cause finale, qui est postérieure dans l'être, quelquefois la cause matérielle, ou la cause efficiente qui est avant. Quand on dit que dans les choses incorruptibles, les actes sont à cause des agents, le propter ne signifie pas la cause finale, mais la cause efficiente, d'où elle tire sa nécessité et non de la fin. Donc, si le mouvement du ciel est comparé à un mobile même, il n'en a pas nécessité comme d'une cause efficiente, comme on l'a montré; mais il tient cette nécessité du moteur. Parce qu'il est moteur volontairement, selon cette nécessité, il l'inscrit dans le mouvement selon qu'il a été déterminé par l'ordre de la sagesse divine, et non pour se mouvoir toujours.

4. Ressembler à Dieu selon qu'il acquiert en acte successivement les divers lieux pour lesquels il était avant en puissance, ne peut pas être la fin du mouvement du ciel; d'une part, parce que cela est infini, comme on l'a montré ci-dessus, d'autre part, parce que, de même que d'un côté il atteint par mouvement la ressemblance divine, du fait que les lieux qui étaient en puissance, deviennent en acte; de même d'un autre côté, il s'éloigne de la ressemblance divine par le fait que les lieux qui étaient en acte deviennent en puissance.

5. Bien que ce qui peut être engendré ou corrompu soit plus vil que le ciel, cependant les âmes rationnelles sont plus nobles que le corps du ciel; cependant elles sont amenées à l'être par Dieu dans la matière disposée par le mouvement du ciel.

6. On ne pense pas que, selon la doctrine de la foi, l'achèvement du nombre des élus est la fin seconde du mouvement du ciel, mais sa fin principale, bien qu'elle ne soit pas la dernière, puisque la fin ultime de chaque chose est la bonté divine, dans la mesure où les créatures d'une certaine manière y parviennent ou par ressemblance ou par le culte qui lui est dû.

7. Une chose n'est pas déclarée imparfaite, par quelque puissance en elle qui n'est pas ramenée à l'acte, mais seulement, étant ramenée à l'acte, elle reçoit son complément. Car l'homme, qui est en puissance pour être en Inde, ne sera pas imparfait, s'il n'y est pas allé, mais on le dit imparfait, s'il manque de la science ou du pouvoir, qui sont destinés à le parfaire. Mais le ciel n'est pas achevé par le lieu comme les corps inférieurs, qui se conservent en leur lieu propre. C'est pourquoi, bien que la puissance, par laquelle il peut être dans un lieu, ne soit jamais ramenée à l'acte, il n'en découle pas cependant qu'il soit imparfait. Car considéré en soi, il n'a pas une perfection plus grande qu'il soit dans un lieu ou un autre, mais il se comporte indifféremment pour tout lieu, puisqu'il est mu naturellement vers n'importe lequel. Mais l'indifférence elle-même conduit plus à l'arrêt qu'à la perpétuité du mouvement, à moins de considérer la volonté du moteur et de celui qui cherche la fin. Ainsi certains philosophes ont assigné la cause du repos de la terre, dans un juste milieu à cause de son indifférence par rapport à n'importe quelle partie de la circonférence du ciel.

8. Bien que les causes du mouvement du ciel ne soient pas toutes éternelles, cependant le moteur d'où dépend sa nécessité, meut par volonté, et il n'est pas nécessaire qu'il meuve toujours, mais selon ce qu'exige la raison de la fin.

9. C'est d'une autre manière que le ciel est selon sa nature capable de l'éternité du mouvement, et de celle son être. Car son être dépend des principes de sa nature d'où il tire sa nécessité d'être, puisqu'il n'y a pas en lui de possibilité au non être, comme on l'a montré plus haut; son mouvement dans sa nature n'a qu'une aptitude, mais sa nécessité vient du moteur. C'est pourquoi, selon le Commentateur l'éternité de l'être du ciel vient des principes de sa nature, mais pas l'éternité du mouvement, qui vient de l'extérieur. C'est pourquoi, même selon ceux qui disent que le mouvement ne cesse jamais, la cause de la durée du mouvement du ciel et de son éternité, c'est la volonté divine, quoique son immobilité ne puisse achever nécessairement l'éternité du mouvement du ciel, comme ceux-ci le veulent. Car sa volonté ne change pas, s'il veut que diverses choses se succèdent entre elles, selon ce qu'exige la fin qu'il veut immuablement. Et c'est pourquoi il faut chercher plutôt la raison de l'éternité du mouvement dans la fin que dans l'immobilité du moteur.

10. Le mouvement du ciel se terminera dans l'instant, où il n'y aura ni mouvement, ni arrêt, mais le terme du mouvement, et le commencement de l'arrêt. Mais l'arrêt suivant ne sera pas dans le temps, car il n'est pas mesuré par le temps premier, mais second, comme on dit en Physique; c'est pourquoi s'il y a arrêt d'un corps, qui ne serait plus soumis à aucun mouvement, il ne sera pas mesuré par le temps. Cependant, si en cela il fait violence, on pourrait dire qu'il y aura dans le ciel après le mouvement, l'immobilité, même si ce n'est pas l'arrêt.

11. Le mouvement du ciel s'arrêtera, le temps aussi, comme le montre l'autorité tirée de l'Apocalypse (Ap 8, 6). Mais le dernier moment de tout le temps sera la fin du passé mais pas le commencement du futur, Car, que ce temps soit en même temps la fin du passé et le commencement du futur, il l'a dans la mesure où il suit un mouvement circulaire continu, dont le signe indivisible est le commencement et la fin par rapport à différents temps. C'est pourquoi si le mouvement cesse, il y aura quelque chose d'indivisible dans le mouvement, et dans le temps aussi.

12. Le mouvement du ciel, comme on l'a dit, n'est pas naturel à cause de l'inclination active d'un principe formel dans le corps céleste pour un tel mouvement, comme il l'est dans les éléments; c'est pourquoi il n'en découle pas que si le ciel s'arrête, son arrêt soit violent.

13. Si le mouvement du ciel n'était pas en vue de quelque chose d'autre, il lui faudrait alors atteindre sa limité à l'arrêt suivant, si on ne le pensait pas éternel, mais parce qu'il est ordonné à une autre fin; sa limite est atteinte par rapport à sa fin et non par rapport à l'arrêt suivant; pour que nous comprenions que Dieu a amené du néant à l'être l'ensemble des créatures, en instituant lui-même la première perfection de l'univers qui consiste dans ses parties essentielles et en diverses espèces. Pour l'ultime perfection, qui viendra de la consommation de l'ordre des bienheureux, il a ordonné différents mouvements et opérations des créatures: certaines naturelles, comme le mouvement du ciel et les opérations des éléments, par lesquelles la matière est préparée à recevoir l'âme rationnelle; certaines volontaires comme le ministère des anges, qui sont envoyés à cause de ceux qui reçoivent l'héritage du salut. C'est pourquoi, une fois cette consommation accomplie et, en demeurant immuablement, ce qui lui sera ordonné cessera éternellement.

14. Cette objection procède de l'acte second, qui est une opération qui demeure dans celui qui opère, qui est sa fin, et par conséquent plus excellente que sa forme. Mais l'acte second, qui est l'action qui tend à un produit, n'est pas la fin de l'agent, et n'est pas plus noble que sa forme, à moins que ce qui est produit soit plus noble que ceux qui le produisent, comme les oeuvres artisanales sont plus nobles que les instruments de l'artisan, en tant que leurs fins.

15. Bien que dans la grandeur circulaire, il n'y ait ni commencement, ni fin en acte, on peut cependant désigner le commencement ou la fin dans ces choses par l'inclination ou la limite d'un mouvement.

16. Au commencement du monde, la nature était instituée, et c'est pourquoi dans ce qui regarde au principe, il ne faut pas oublier la propriété de la nature, mais dans la fin du monde, l'opération de la nature suit la fin instituée pour elle par Dieu; c'est pourquoi il faut ici recourir à la volonté de Dieu qui a décidé une telle fin.

17. Si le ciel s'arrête, il y aura toujours le soleil d'un côté de la terre, cependant de l'autre, il n'y aura pas tout à fait les ténèbres, ni l'obscurité, à cause de la lumière accordée aux éléments par Dieu. C'est pourquoi il est dit in (Ap 21, 23), que "La cité n'aura pas besoin de soleil, ni de lune, car la lumière de Dieu l'éclairera." Si cependant la lumière est plus forte de ce côté de la terre qui fut inhabitée par les saints, il n'en découle aucun inconvénient.

18. Quoique le ciel se comporte de la même manière pour n'importe quel lieu possible pour lui, cependant le mouvement n'est pas pour acquérir un lieu, mais pour quelque chose d'autre: c'est pourquoi, en quelque lieu qu'il demeure, il n'y a pas de différence une fois accomplie ce pourquoi il existait.

19. Même si le mouvement est un acte du mobile, il est cependant un acte imparfait. C'est pourquoi, du fait que le mouvement est enlevé, on ne peut pas conclure que la perfection est absolument enlevée, et principalement si rien n'est acquis pour le mobile par le mouvement. Que le philosophe dise qu'il acquiert la bonté parfaite par le mouvement, il parle selon la première des opinions rapportées à propos de la fin du mouvement du ciel, qui appartient à l'éternité du mouvement.

20. La perfection de la nature spirituelle est de pouvoir être cause des autres sans son mouvement, ce que le ciel n'acquerra jamais. Et cependant ce n'est pas à cause de cela qu'il n'est pas détérioré, puisque sa fin n'est pas de causer les autres, comme on l'a dit.

21. Le mouvement du ciel ne cessera pas à cause d'un contraire, mais par la volonté du moteur seulement.

 

Article 6: L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'arrêtera?

 

Objections:

1. Et il semble que oui. Parce que, selon Augustin, à la fin de la Cité de Dieu, le sixième âge court de la venue du Christ jusqu'à la fin du monde. Mais on sait combien de temps ont duré les âges précédents. Donc on peut savoir combien cet âge doit durer par comparaison aux autres et ainsi quand le mouvement du ciel s'arrêtera.

2. La fin de chaque chose correspond à son commencement, mais celui du monde est connu par la révélation: Moïse a dit (Gn 1, 1): "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Donc la fin du monde peut être connue par la révélation rapportée dans les Écritures.

3. On pense que la cause de l'incertitude du monde est que l'homme soit toujours dans l'inquiétude de sa situation. Mais pour avoir cette inquiétude, l'incertitude de la mort suffit. Donc il n'a été pas nécessaire que la fin du monde soit incertaine sauf par hasard pour ceux qui vivront dans les temps où elle aura lieu.

4. On dit que leur propre mort a été révélée à certains, comme on le voit pour le bienheureux Martin. Augustin dit dans La lettre à Orose, que chacun comparaîtra au jugement tel qu'il a été dans sa mort, et ainsi c'est pour une même raison que la mort et le jour du jugement sont cachés. Donc même le jour du jugement, qui concerne tous les hommes, a dû être révélé dans la sainte Écriture qui les a tous instruits.

5. Un signe est en vue de faire connaître quelque chose. Mais certains signes de la venue du Seigneur sont placés, dans les Évangiles, pour la fin du monde, comme on le voit in (Mt 24, 24) ss. et (Lc 21, 9) ss. et de même par l'Apôtre comme on le voit in (1Tm 4, 1) ss., (2Tm 3, 2) ss. et (2Th 2, 3). Donc il semble que le temps de la venue du Seigneur et la fin du monde puissent être connus.

6. Personne ici n'est réprimandé ou puni pour ce qui n'est pas en son pouvoir. Mais certains sont réprimandés dans l'Écriture et punis parce qu'ils ne connaissent pas "les temps". C'est pourquoi le Seigneur (Mt 16, 4) dit aux Pharisiens: "Vous savez juger l'état du ciel, mais ce signe, ne pouvez-vous pas le connaître?" et (Lc 19, 44): "Ils ne laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu fus visité. " et (Jr 8, 7): "Le milan dans le ciel a connu son temps, la tourterelle, l'hirondelle et la cigogne ont conservé mémoire du temps de leur arrivée, mais mon peuple n'a pas connu le jugement de Dieu." Donc il est possible de connaître le jour du jugement, ou le temps de la fin du monde.

7. A sa seconde venue, le Christ viendra plus ouvertement qu'à sa première: car tout le peuple le verra, même ceux qui l'ont frappé, comme il est dit in (Ap 1, 7). Mais le première venue fut annoncée dans l'Écriture, comme devant arriver à un moment déterminé, comme on le lit in (Dn 9, 24-27). Donc il semble que la seconde venue a dû être annoncée dans les Écritures pour le temps fixé.

8. L'homme est appelé un microcosme, parce qu'il porte en lui la ressemblance d'un monde plus grand. Mais la fin de la vie humaine peut être connue à l'avance de manière précise. Donc la fin du monde aussi.

9. Le grand et le petit, le long et le bref, sont appelés relativement en comparaison de l'un avec l'autre. Mais le temps, qui existe depuis la venue du Christ jusqu'à la fin du monde, est qualifié de bref, comme on le voit in (1Co 7, 29): "Le temps est bref"; et du même " Nous sommes à la fin des siècles" et (1Jn 2, 18): "C'est la dernière heure" Donc cela est dit par comparaison au temps précédant. Donc du moins cela paraît pouvoir être connu, parce que le temps est beaucoup plus bref depuis la venue du Christ jusqu'à la fin du monde que depuis son commencement jusqu'au Christ.

10. Augustin dit que ce feu qui brûlera la face de la terre à la fin monde, viendra de la conflagration des feux de l'univers. Mais ceux qui considèrent le mouvement du ciel peuvent savoir jusqu'à quel temps les corps célestes eux-mêmes, qui sont destinés à engendrer la chaleur dans les choses inférieures seront dans le lieu le plus efficace pour l'accomplir, pour qu'avec de l'action des corps célestes et des feux inférieurs, cette conflagration universelle se fasse. Donc on peut savoir quand aura lieu la fin du monde.

 

Cependant:

1. Il est dit in (Mt 24, 36): "Personne ne connaît ce jour et cette heure, les anges des cieux non plus."

2. Si une chose devait être révélée à des hommes, elle aurait été révélée surtout aux apôtres qui le demandaient, eux qui étaient établis docteurs du monde entier. Mais à ceux qui s'enquerraient de la dernière venue du Seigneur, il a été répondu: " (Ac 1, 7). "Ce n'est pas à vous de connaître ni le temps ni le moment, que Dieu a décidés dans sa puissance." Donc cela a encore beaucoup moins été révélé aux autres.

3. Nous ne sommes pas empêchés de croire à la vérité et à la révélation reçue de l'Écriture. Mais l'Apôtre (1Th 2, 2) empêche de croire ceux qui l'annoncent de telle manière, "comme si le Seigneur était là". Donc ceux qui s'efforcent d'annoncer le temps du jour du Seigneur, sont comme des séducteurs à éviter. Car là même il est ajoute: "Que personne ne vous séduise en aucune manière."

4. Augustin dit dans la lettre à Hésichius: "Je cherche si du moins on peut définir ainsi le temps de la venue, pour dire qu'il viendra, parmi ces nombres: dans cent ans, ou dans un nombre plus ou moins grand d'années." Mais nous en sommes totalement ignorants. Donc on ne peut savoir dans quel nombre d'années données, ou dix mille, vingt mille, deux ou trois, ou moins, la fin du monde aura lieu.

 

Réponse:

Le temps de la fin du monde est tout à fait inconnu, sinon de Dieu seul, et d'un homme, le Christ. La raison en est que la manière de connaître à l'avance le futur est double; à savoir par la connaissance naturelle, et par la révélation.

1. Par la connaissance naturelle, nous connaissons à l'avance des événements futurs par les causes que nous voyons devant nous, dont nous attendons des effets futurs: ou par la certitude de la science, si ce sont des causes dont l'effet découle nécessairement, ou par la conjecture, si ce sont des causes dont l'effet découle généralement, comme l'astrologue connaît à l'avance une éclipse future, et le médecin une mort future. Mais de cette manière, on ne peut pas connaître à l'avance le temps prédéterminé de la fin du monde, parce que la cause du mouvement du ciel et de sa cessation n'est autre que la volonté divine, comme on l'a montré plus haut. Cette cause, nous ne pouvons pas la connaître de façon naturelle. D'autres (événements) dont la cause est le mouvement du ciel ou quelque autre cause accessible, peuvent être connus à l'avance d'une connaissance naturelle, comme la destruction particulière d'une partie de la terre, qui d'abord a été habitée, et ensuite inhabitée.

2. Mais, bien qu'on puisse le savoir par la révélation, si Dieu voulait le révéler, ce ne serait pas cependant convenable que ce soit révélé sinon au Christ homme. Et cela pour trois raisons:

a) Parce que la fin du monde n'existera que lorsque le nombre des élus sera complet; sa plénitude est comme l'exécution de toute la prédestination divine; c'est pourquoi il convient que la révélation ne soit faite sur la fin du monde qu'à celui à qui en est faite toute la révélation, à savoir le Christ homme, par lequel toute la prédestination divine du genre humain est accomplie d'une certaine manière. C'est pourquoi il est dit en (Jn 5, 20): "La Père aime le fils, et il lui montre tout ce qu'il fait".

b) Parce que du fait qu'est ignoré combien de temps cet état du monde doit durer, un peu ou beaucoup, les choses de ce monde se comportent comme devant passer sur le champ pour ainsi dire; c'est pourquoi il est dit in (1Co 7, 31): "Que ceux qui se servent de monde soient comme ceux qui ne s'en servent pas; car elle passe la figure de ce monde."

c) Pour que les hommes soient toujours prêts à attendre le jugement de Dieu, pendant que le temps déterminé est tout à fait inconnu; c'est pourquoi, il est dit in (Mt 24, 42): "Veillez, parce que vous ne connaissez pas l'heure à laquelle votre Seigneur doit venir." Et c'est ainsi, comme le dit Augustin celui qui dit qu'il ignore quand le Seigneur doit venir, dans un temps bref ou long, est en accord avec les textes évangéliques. Parmi deux personnes qui se disent savoir, il se trompe de façon plus dangereuse celui qui dit que le Christ doit venir prochainement, ou que la fin du monde est toute proche, parce que cela peut être l'occasion de désespérer tout à fait, si l'événement n'arrive pas alors que son arrivé est annoncée.

 

Solution des objections:

1. Comme le dit Augustin, l'âge ultime du monde est comparé à l'âge ultime de l'homme, qui n'est pas défini par un nombre déterminé d'années, comme les autres âges, mais quelquefois il dure autant que tous les autres, et même plus, c'est pourquoi cet âge ultime du monde ne peut être défini par un nombre déterminé d'années ou de générations.

2. La révélation du commencement du monde était utile pour manifester que Dieu est la cause de tout; mais connaître le temps fixé pour la fin du monde n'est utile en rien, mais plutôt nocif, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

3. L'homme naturellement est inquiet, de lui même, mais aussi au sujet de la situation de la communauté à laquelle il appartient, ainsi sa famille, sa cité, ou même le monde entier, et c'est pourquoi il a été nécessaire pour la défense de l'homme que soit cachée la fin de sa propre vie, et la fin du monde entier.

4. La révélation de la propre fin de la vie est une révélation particulière; mais celle du monde entier dépend de la révélation de toute la prédestination divine et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

5. Ces signes sont posés pour manifester qu'un jour le monde finira; mais non pour révéler le temps précis, où il finira; en effet parmi ces signes, certains ont été mis là depuis le commencement du monde: ainsi les nations s'opposeront entre elles et des tremblements de terre auront lieu; mais quand la fin du monde arrivera ces événements se produiront avec plus d'abondance. Mais le sens de ces signes qui arrivera autour de la fin du monde, ne peut être connu par nous.

6. Ce reproche du Seigneur convient à ceux qui n'ont pas connu le temps fixé pour sa première venue; mais non à ceux qui ignorent le temps fixé pour la seconde venue.

7. La première venue du Christ préparait le chemin pour mériter par la foi et les autres vertus; et c'est pourquoi la connaissance de la première venue était requise de notre part pour qu'en croyant en celui qui était venu, nous puissions mériter par sa grâce. Dans la seconde venue les récompenses sont rendues pour les mérites, et ainsi il ne nous est pas demandé ce que nous ferons et ce que nous connaîtrons, mais ce que nous recevrons; c'est pourquoi il ne faut pas connaître à l'avance de manière précise le temps fixé pour cette venue. Mais on dit qu'elle est évidente, non parce qu'elle est manifestement connue à l'avance, mais parce qu'elle sera évidente quand elle sera là.

8. La vie corporelle de l'homme dépend de quelques causes supérieures et corporelles, par lesquelles il peut faire des pronostics à propos de sa fin; mais il n'en est pas ainsi de tout le monde, c'est pourquoi ce n'est pas pareil, bien que, chez certains, l'homme qui est appelé un microcosme, obtienne la ressemblance du macrocosme.

9. Ces paroles qui paraissent dans les Écritures concerner la brièveté du temps, ou même l'approche de la fin, ne sont pas tant pour être rapportée à la quantité du temps, qu'à la disposition de la situs du monde. Car une autre situs ne succèdera pas à la loi évangélique, qui a mené à la perfection; comme elle-même a succédé à la loi ancienne, et la loi ancienne à la loi de nature.

10. On ne croit pas que cette conflagration des feux de l'univers arrivera par une cause naturelle, de sorte qu'ainsi par la considération du mouvement céleste, son temps pourrait être connu à l'avance; mais elle proviendra du pouvoir de la volonté divine.

 

Article 7: Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car il est dit (2P 3, 7) qu'à la fin du monde, les éléments seront détruits par la chaleur. Ce qui est détruit, ne demeure pas. Donc les éléments ne demeureront pas.

2. Mais on pourrait dire qu'ils demeureront selon la substance, mais non selon les puissances actives et passives.

- En sens contraire, si la cause demeure, l'effet demeure aussi. Mais les principes essentiels sont les causes des accidents propres. Donc comme les puissances actives et passives sont les accidents propres des éléments, il semble que, si les principes essentiels demeurent, sans lesquels la substance ne peut pas exister, les puissances actives demeurent aussi.

3. L'accident inséparable n'est jamais séparé en acte de son substrat. Mais le chaud est un accident inséparable du feu. Donc le feu ne peut demeurer que si la chaleur demeure en lui; et c'est la même raison pour les autres éléments.

4. Mais on pourrait dire que c'est par le pouvoir divin que les éléments demeureront sans les puissances actives et passives, bien que cela ne puisse exister par la nature.

- En sens contraire, de même qu'au commencement du monde il y eut l'institution de la nature, de même à sa fin il y aura sa consommation. Mais au commencement du monde, comme le dit Augustin, il ne suffit pas de dire ce que Dieu pourrait faire, mais ce que possède la nature. Donc cela aussi doit être atteint à la fin du monde.

5. Les puissances actives et passives sont dans tous les éléments. La glose de Bède, en s'appuyant sur l'autorité de Pierre rapportée plus haut, dit que ce feu qui existera à la fin du monde emploiera deux éléments du tout et changera les deux autres en une espèce meilleure Donc on ne peut pas comprendre la dissolution des éléments quant aux puissances actives et passives, parce qu'on ne dirait pas ainsi que ce sont seulement deux (éléments) qui doivent être employés.

6. Mais on pourrait dire que dans deux éléments, à savoir le feu et l'eau, les qualités actives sont très importantes, comme le chaud et le froid, et c'est pourquoi ces deux-là, dit-on, doivent être employés avant les autres.

- En sens contraire, à la fin du monde, les éléments seront améliorés. Mais selon Augustin, l'agent est plus honorable que le patient. Donc les éléments en lesquels dominent les puissances actives devraient demeurer plus que ceux dans lesquelles dominent les puissances passives.

7. Augustin dit que le liquide et le sol ont une aptitude à supporter, l'air et le feu une aptitude à agir. Donc, si à cause d'un pouvoir actif, on dit que quelques éléments doivent être choisis, il semble qu'on ne doit pas le comprendre du feu et de l'eau, mais plus du feu et de l'air.

8. Les puissances naturelles des éléments sont le chaud et le froid, l'humide et le sec, et le lourd et le léger aussi. Si donc ces puissances ne demeurent pas dans les éléments, ni la lourdeur, ni la légèreté ne demeureront en eux, Mais par leur gravité, les éléments s'établissent dans leurs sites naturels. Si donc les puissances des éléments ne demeurent pas après la fin du monde, il ne leur restera pas de site distinct, pour la terre soit en bas et le feu en haut.

9. Les éléments ont été faits pour l'homme qui tend à la béatitude. Mais quand il possède sa fin, cesse ce qui est en vue de la fin. Donc une fois l'homme établi totalement dans la béatitude (ce qui arrivera à la fin du monde) les éléments cesseront.

10. La matière est en vue de la forme qu'elle acquiert par génération. Mais les éléments sont comparés à tous les autres corps mêlés comme matière. Donc comme la génération des mixtes cessera après la fin du monde, il semble que les éléments ne demeureront pas.

11. A propos de cette parole de (Lc 21, 33): "Le ciel et la terre passeront", la glose dit: "Après avoir abandonné leur première forme.". Donc comme l'être vient de la forme, il semble que les éléments cesseront d'exister à la fin du monde.

12. Selon le philosophe, le corruptible et l'incorruptible n'appartiennent pas à un même genre. et pour la même raison, le muable et l'immuable. Si, donc, quelque chose passe de la mutabilité à l'immutabilité, il semble qu'il ne demeure pas dans son genre naturel. Mais les éléments seront changés de mutabilité en immutabilité, comme cela paraît dans la glose sur cette parole de (Mt 5, 18): "Jusqu'à ce que passent le ciel et la terre", etc., elle dit: "Jusqu'à ce qu'il passe de la mutabilité à l'immutabilité." Donc cette nature des éléments ne demeurera pas.

13. Cette disposition qu'ont maintenant les éléments, est naturelle. Si donc, celle-ci une fois retirée, ils en reçoivent une autre, elle ne leur sera pas naturelle. Mais ce qui est contre nature, et violent, ne peut pas durer toujours, comme on le voit chez le philosophe, dans Le Ciel et le monde. Donc cette disposition ne pouvait pas demeurer éternellement dans les éléments; mais à nouveau ils y retournerait; ce qui ne paraît pas convenir. Donc les éléments eux-mêmes cesseront selon la substance, mais pas leur disposition, si la substance demeure.

14. Seul ne peut pas être corruptible et engendré ce qui a toute sa matière sous la forme à laquelle il est en puissance, comme c'est le cas pour les corps célestes. Mais cela ne convient pas aux éléments; parce que la matière qui est sous la forme d'un des éléments, est en puissance pour la forme d'un autre. Donc les éléments ne peuvent pas être incorruptibles, et ainsi ils ne peuvent demeurer toujours.

15. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas demeurer toujours. Mais comme les éléments sont corruptibles, ils n'ont pas le pouvoir d'exister toujours. Donc ils ne peuvent demeurer toujours, quand le mouvement du ciel cessera.

16. Mais on pourrait dire que les éléments sont incorruptibles en totalité, bien qu'ils soient corruptibles en partie.

- En sens contraire, cela convient aux éléments par le mouvement du ciel dans la mesure où une partie de l'élément est corrompue et une autre engendrée; car ainsi la totalité de l'élément même est conservée. Donc quand cessera le mouvement du ciel, on ne pourra pas assigner de cause de non corruption dans tout l'élément.

17. Le philosophe dit que le mouvement du ciel est comme une vie en tous par nature; et Rabbi Maimonide dit que le mouvement du ciel dans l'univers est comme le mouvement du coeur dans l'animal dont dépend la vie de tout l'animal. Mais quand cesse le mouvement du coeur, toutes ses parties sont anéanties. Donc quand cessera le mouvement du ciel, toutes les parties de l'univers périront, et ainsi les éléments ne demeureront pas.

18. L'être de n'importe quoi vient de sa forme. Mais le mouvement du ciel est la cause des formes dans les (êtres) inférieurs, ce qui paraît du fait que rien dans les choses inférieures n'agit pour l'espèce sinon par le mouvement du ciel, comme le disent les philosophes, donc quand cessera le mouvement du ciel, les éléments cesseront, une fois leurs formes détruites.

19. En présence du soleil, les éléments supérieurs gagneront toujours les inférieurs, comme cela arrive en été à cause de l'intensification de la chaleur, et en l'absence du soleil, c'est l'inverse. Mais quand cessera le mouvement du ciel, le soleil sera toujours présent d'un côté, et absent de l'autre. Donc d'un côté les éléments froids seront totalement détruits et de l'autre les éléments chauds, et ainsi les éléments ne demeureront pas quand cessera le mouvement du ciel.

Cependant:

1. A propos de (Rm 8, 20), sur cette parole: "Créature assujettie à la vanité...", la glose d'Ambroise dit: "Tous les éléments remplissent leurs devoirs avec ardeur: c'est pourquoi ils s'arrêteront quand nous serons enlevés". S'arrêter n'est possible que pour ce qui existe. Donc les éléments demeureront à la fin du monde.

2. Les éléments ont été faits pour manifester la bonté de Dieu. Mais alors il faudra que cette bonté se manifeste, quand les choses recevront l'ultime consommation. Donc à la fin du monde, les éléments demeureront.

 

Réponse:

Tout le monde dit communément que les éléments demeureront d'une certaine manière, et passeront d'une autre. Mais les opinions sont diverses sur la manière de demeurer ou de passer.

A) Certains, en effet, ont dit que tous les éléments demeureront quant à la matière, mais ils revêtiront une forme plus noble, l'eau et le feu, qui revêtiront la forme du ciel; de sorte qu'ainsi les trois éléments puissent être appelés ciel, à savoir l'air (qui par sa nature est quelquefois appelé ciel dans l'Écriture), l'eau et le feu, qui prendront la forme du ciel; pour qu'on comprenne ainsi qu'est vérifié ce qui est dit dans (Ap 21, 1): "J'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, " sous le nom de ciel sont comprises trois choses: le feu, l'air et l'eau.

Mais cette position est impossible. Car les éléments ne sont pas en puissance pour la forme du ciel, parce que celle-ci n'a pas de contraire, et que sous cette forme il y aurait toute la matière, qui lui est en puissance. Car ainsi le ciel pourrait être engendré et corrompu: le philosophe montre que c'est faux. Et la raison pour laquelle on la soutient est frivole; parce que dans l'Écriture, comme Basile le dit dans l'Hexameron, par les extrêmes, on comprend les intermédiaires, comme en (Gn 1, 1), quand il est dit: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." Car par la création du ciel et de la terre, on comprend aussi les éléments intermédiaires. Quelquefois même sous le nom de terre, on comprend tous les êtres inférieurs, comme on le voit dans le (Ps 148, 7): "Louez le Seigneur depuis la terre" et ensuite il est ajouté: Le feu, la grêle, etc. C'est pourquoi, rien n'empêche de dire que par le renouvellement du ciel et de la terre, l'Écriture comprend le renouvellement des éléments intermédiaires, ou que sous le nom de terre, elle comprend tous les éléments.

B) Et c'est pourquoi d'autres disent, que tous les éléments demeureront selon la substance non seulement quant à la matière, mais aussi quant aux formes substantielles. Comme, en effet, selon l'opinion d'Avicenne, les formes substantielles des éléments demeureront dans le mixte, les puissances actives et passives ne demeurant pas dans leur meilleur état, mais ramenées à un état intermédiaire, il sera ainsi possible que dans l'état ultime du monde, les éléments demeurent sans ces puissances, ce qui semble en d'accord avec que ce dit Augustin: "En cette conflagration de l'univers, les puissances des éléments corruptibles, qui s'accordaient avec nos corps, périront tout à fait en brûlant et la substance même aura ces puissances qui, par un changement admirable, conviennent aux corps immortels".

Mais cela ne paraît pas dit selon la raison:

1. Parce que, comme les puissances actives et passives sont en soi des accidents des éléments, il faut qu'elles soient causées par des principes essentiels; c'est pourquoi il n'est pas possible que s'ils demeurent dans ces éléments, les puissances cessent sinon par violence, ce qui ne peut pas durer longtemps. Et c'est pourquoi, l'opinion d'Avicenne ne semble pas probable: à savoir que les formes des éléments en acte demeurent dans le mixte; mais seulement en puissance, comme le Philosophe le dit; parce qu'il faudrait que les formes des différents éléments soient conservées dans les différentes parties de la matière, ce qui ne serait possible que si elles étaient dans un lieu différent; et ainsi ce ne serait pas un vrai mélange, mais seulement pour les sens, et cependant dans le mixte les puissances d'un éléments sont empêchées par les qualités d'un autre; ce qu'on ne peut pas dire de la consommation du monde, où cessera tout à fait las violence.

2. Parce que, comme les puissances actives et passives appartiennent à l'intégrité de la nature des éléments, il s'ensuivrait que les éléments demeureraient imparfaits; c'est pourquoi l'autorité citée d'Augustin ne parle pas des puissances actives et passives mais des dispositions de ce qui est engendré, corrompu et altéré.

C) Et c'est pourquoi il semble qu'il faut dire, que les éléments demeureront dans leur substance, et aussi dans leurs puissances naturelles, mais les générations mutuelles, les corruption et les changements cesseront; car ils sont ordonnées par les éléments de ce genre à la plénitude du nombre des élus, comme le ciel par son mouvement, mais les substances des éléments demeureront, comme la substance du ciel; car comme l'univers demeure toujours, comme on l'a montré plus haut, il faut que ce qui appartient à sa perfection demeure d'abord et par soi.

Mais cela convient aux éléments puisqu'ils sont les parties essentielles de l'univers, comme le philosophe le prouve. Car si celui-ci un corps circulaire, il faut qu'il soit le centre de lui-même qui est la terre. Mais la terre, qui est tout à fait lourde, une fois placée, comme constituée au milieu, il faut placer son contraire, à savoir le feu, qui est tout à fait léger, parce que, si un des contraires est dans une nature, etc. Mais si on suppose les extrêmes, il est nécessaire de placer aussi les intermédiaires, c'est pourquoi il faut placer l'air et l'eau qui sont légers pour le feu, lourds pour la terre, dont l'un est plus proche de la terre.

C'est pourquoi par la place même de l'univers, il apparaît que les éléments en sont les parties essentielles. Ce qui est évident, si on considère l'ordre des causes et des effets. Car le ciel est universellement actif pour ce qui est engendré, de même les éléments en sont la matière universelle. C'est pourquoi il est requis, pour la perfection de l'univers que les éléments demeurent selon leur substance et pour cela aussi ils ont l'aptitude de leur nature. Mais la corruption arrive autrement dans les corps mixtes et les éléments, car dans les corps mixtes, il y a le principe actif de la corruption, parce qu'ils sont composées de contraires; mais dans les éléments, qui ont un contraire à l'extérieur, eux-mêmes n'étant pas composés de contraires, il n'y a pas de principe de corruption actif, mais passif seulement dans la mesure où ils ont la matière en laquelle se trouve l'aptitude à une autre forme dont ils sont privés. Et par ce principe, la génération et la corruption dans les éléments sont les mouvements ou les changements naturels, mais pas à cause du principe actif, comme le dit le Commentateur.

Donc, parce que le corps céleste a le principe actif de son mouvement de l'extérieur, il peut arriver que son mouvement cesse alors qu'il demeure, sans violence, comme on l'a dit ci-dessus; de même il est possible que la corruption des éléments cesse, même si leurs substances demeurent, si cesse ce qui corrompt de l'extérieur, qu'il faut ramener au mouvement du ciel, comme au premier principe de la génération et de la corruption.

 

Solution des objections:

1. Cette destruction des éléments n'est pas à rapprocher de la destruction de la substance des éléments, mais à leur purification, qui se fera par le feu qui précédera la face du Juge. Après cette purification les éléments demeureront selon leur substance et leurs qualités naturelles, comme on l'a dit.

2.

3. C'est pourquoi nous concédons les objections deux et trois.

4. Au commencement du monde la nature des corps a été constituée selon qu'elle est ordonnée à la génération et à la corruption, qui complète le nombre des élus. Mais, à la consommation du monde la substance des éléments demeurera selon qu'elle est pour la perfection de l'univers. C'est pourquoi il ne faut pas que tout ce qu'il fallait avoir au commencement du monde soit dans les éléments dans cet état final

5. La Glose de Bède n'est pas à comprendre de manière que deux éléments seront détruits en substance, mais (elle est à comprendre) selon l'état de changement, qui apparaît surtout dans deux éléments; à savoir dans et l'eau, au sujet desquels certains comprennent cette glose; quoique d'autres la comprennent du feu et de l'eau dans lesquels les puissances actives sont fortes.

6. L'action dépend plus de l'agent que du patient, du fait que l'agent est plus honorable que le patient; c'est pourquoi la disparition du changement dans les éléments et celle de l'action mutuelle est plus convenablement exprimée par la soustraction des puissances actives que par celle des puissances passives.

7. Si on considère l'action et la passion dans les éléments selon les principes substantiels, alors est vrai ce que dit Augustin dit que le liquide et le sol fournissent une aptitude à supporter, le feu et l'air à agir; parce que le feu et l'air ont plus de forme qui est le principe de l'action; mais [plus] de matière, qui est le principe de passion, pour la terre et l'eau. Mais si on les considère selon les puissances actives ou passives, qui sont les principes immédiats de l'action, le feu et l'eau sont plus actifs, l'air et la terre plus passifs.

8. Nous concédons la huitième objection.

9. Les éléments, quant à leur changement, ont été faits pour l'homme qui tend à la béatitude; mais quant à leur substance, ils ont été faits en vue de la perfection de l'univers et de la substance de l'homme lui-même, qui est constituée d'éléments.

10. A la consommation du monde, tous les mixtes ne cesseront pas, parce que les corps humains demeureront. C'est pourquoi il convient, si leurs parties demeurent dans le corps de l'homme qui est un microcosme, que tout demeure dans le macrocosme.

11. La forme que les éléments déposent est la mutabilité, non la forme principe de l'être.

12. L'aptitude au changement est enlevée par les éléments; parce qu'il n'y aura pas de changement en eux, non parce qu'ils perdent leur nature changeante.

13. La disposition de ces éléments selon laquelle ils sont engendrés, corrompus et changés, leur est naturelle, tant que le mouvement du ciel demeure; mais non après qu'il aura cessé.

14. Cette raison prouve que dans les éléments il y a un principe matériel de corruption, mais non actif, c'est pourquoi il n'en découle pas un changement, si on enlève le mouvement du ciel qui en est le principe.

15. L'élément n'a pas le pouvoir d'exister toujours, du fait qu'il peut être corrompu par l'extérieur, de même il n'a pas de pouvoir de cesser un jour, sinon matériel, comme on l'a dit.

16. Les éléments sont incorruptibles selon le tout, les parties étant engendrées et corrompues, tant que le mouvement du ciel dure; mais s'il cesse, il y aura en eux une autre cause d'incorruptibilité, parce qu'ils ne peuvent être corrompus que de l'extérieur; ce qui corrompt à l'extérieur, à l'arrêt du mouvement du ciel, cessera.

17. Le mouvement du ciel est comme une vie pour toutes les choses naturelles, selon l'état du changement, qui sera enlevé à la consommation du monde.

18. Bien que le passage des formes de la puissance à l'acte dépende du mouvement du ciel, cependant leur conservation dépend de principes plus élevés, comme on l'a dit.

19. Le soleil est la cause de la chaleur par mouvement, comme le Philosophe le dit: c'est pourquoi quand cesse le mouvement, la cause de la corruption est enlevée dans les éléments, qui vient par excès de chaleur.

 

Article 8: Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car les puissances naturelles sont déterminées à un seul objet; ainsi, le pouvoir du feu étant une puissance naturelle, n'agit que pour chauffer, mais pas pour le contraire. Mais à la consommation du monde le pouvoir du feu et celui des autres éléments demeureront comme on l'a dit dans art. précéd. Donc il est impossible que le feu et les autres éléments n'agissent pas.

2. Comme le dit le Philosophe, pour que l'action et la passion deviennent réciproques, il est requis que l'agent et le patient soient semblables en matière et différents en forme. Mais cela existera dans les éléments, quand cessera le mouvement du ciel; parce que leurs substances demeureront, sans que les principes essentiels ne soient changés. Donc il y aura l'action et la passion dans les éléments, quand cessera le mouvement du ciel.

3. La cause de l'action et de la passion dans les éléments vient de ce que dans leur matière il y a toujours l'appétit d'une autre forme, bien qu'elle soit parfaite par une seule forme. Mais cet appétit demeurera dans la matière, même quand le mouvement du ciel cessera, car une seule forme de l'élément ne pourra pas compléter toute la puissance de la matière. Donc, en cette consommation du monde, l'action et la passion demeureront dans les éléments.

4. Ce qui concerne la perfection de l'élément ne lui est pas enlevé. Mais il appartient à la perfection de chaque être qu'il fasse du semblable à soi: car sa diffusion est dérivée du premier bien dans tous les êtres. Donc il semble que dans cette consommation les éléments feront du semblable à eux, et ainsi il y aura en eux l'action et la passion.

5. Le propre du feu c'est d'être chaud, et aussi de chauffer: car de même que la chaleur est dérivée des principes essentiels du feu, l'échauffement est dérivé de la chaleur. Si donc dans cette consommation du monde, le feu et la chaleur demeurent, il semble que l'échauffement demeurera aussi.

6. Tous les corps naturels qui se touchent s'altèrent d'une certaine manière, comme cela paraît dans La Génération. Mais les éléments dans cet état du monde se touchent. Donc ils s'altèreront l'un l'autre, et ainsi il aura là l'action et la passion.

7. A la consommation du monde, la lumière de la lune sera comme celle du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus forte." (Is 30, 26). Mais le soleil et la lune éclairent seulement les corps inférieurs de leur lumière. Donc alors ils éclaireront beaucoup plus; et ainsi l'action et la passion demeureront dans ces êtres inférieurs, car l'intermédiaire éclairé éclairera le dernier.

8. Les saints verront de leurs yeux de chair les choses de ce monde. Mais la vision ne peut exister sans l'action et la passion, parce que la vue subit le visible. Donc il y aura l'action et la passion même quand le mouvement du ciel cessera.

 

Cependant:

1. Si on écarte la cause, l'effet est écarté. Mais le mouvement du ciel est la cause de l'action et de la passion, dans les choses inférieures selon la doctrine du Philosophe. Donc le mouvement du ciel écarté, l'action et la passion seront écartées dans les choses inférieures.

2. L'action et la passion ne peuvent pas exister sans mouvement dans les choses corporelles. Si on enlève le premier mouvement, qui est celui du ciel, comme on le prouve, il faut que les mouvements suivants cessent. Donc une fois écarté le mouvement du ciel, il n'y aura pas d'action et de passion dans les choses inférieures.

 

Réponse:

Comme on le lit dans le livre Des causes, quand la cause première retire son action de l'effet, il faut aussi que la cause seconde la lui retire, parce qu'elle possède ce qui agit par l'action de la cause première, dans le pouvoir de laquelle elle agit. Mais comme tout agent agit selon qu'il est en acte, il faut qu'il reçoive l'ordonnancement des causes efficientes, selon que celui-ci est en acte.

Mais les corps inférieurs ont moins d'"actualité" que les corps célestes, car en eux il n'y a pas toute la potentialité complète par l'acte, parce que la matière qui est le substrat d'une forme demeure en puissance pour une autre forme; ce qui n'existe pas pour les corps célestes, car la matière du corps céleste n'est pas en puissance pour une autre forme. C'est pourquoi toute sa potentialité se termine à la forme qu'il a.

Mais les substances séparées sont plus parfaites dans leur "actualité" que même les corps célestes, parce qu'elles ne sont pas composées de matière et de forme, mais sont des formes subsistantes, qui cependant sont différentes de l'état d'acte de Dieu qui est son être propre, ce qui n'arrive pas pour les autres substances séparées; de même nous voyons que les éléments l'emportent l'un sur l'autre selon le degré de leur "actualité", parce que l'eau a plus en espèce que la terre, l'air que l'eau, et le feu que l'air, de même il en est ainsi pour les corps célestes et les substances séparées.

Donc les éléments agissent dans le pouvoir des corps célestes et ceux-ci dans le pouvoir des substances séparées, c'est pourquoi si l'action de la substance séparée cesse, il faut que cesse celle du corps céleste, et si elle cesse, il faut que cesse celle du corps élémentaire.

Mais il faut savoir que le corps a une double action:

1. L'une selon sa propriété, ainsi il agit par le mouvement (car c'est le propre du corps de mouvoir le mu et d'agir);

2. Le corps a aussi une autre action, en tant qu'il confine à la nature des substances séparées, et participe en quelque point de leur mode; ainsi les natures inférieures participent d'habitude en quelque chose de la propriété de la nature supérieure, comme on le voit chez certains animaux, qui ont un semblant de prudence, (vertu) qui est propre à l'homme. Mais cela c'est l'action du corps, non pour transformer la matière, mais pour diffuser la ressemblance de la forme dans l'intermédiaire selon la ressemblance de l'intention spirituelle qui est reçue dans les sens ou l'intellect, et de cette manière, le soleil illumine l'air et la couleur multiplie son image (speciem) dans l'intermédiaire.

Mais les deux modes d'action dans les choses inférieures sont causés par les corps célestes. Car le feu par sa chaleur change la matière par le pouvoir du corps céleste, et les corps visibles multiplient leurs images (species) dans l'intermédiaire, par le pouvoir de la lumière, dont la source est dans le corps célestes. C'est pourquoi si l'une et l'autre action de chaque corps céleste cessait, aucune action ne demeurerait dans ces corps inférieurs. Mais si le mouvement du ciel cesse, la première action cessera, mais pas la seconde, et c'est pourquoi si le mouvement du ciel cesse, il y aura dans ces corps inférieurs une action d'éclairage et sans changement intermédiaire par ce qui est sensible, mais il n'y aura pas d'action par laquelle sera transformée la matière, qui accompagne la génération et de la corruption.

 

Solution des objections:

1. La pouvoir du feu est toujours destiné à réchauffer, cependant si on présuppose les causes supérieures requises pour son action.

2. La ressemblance selon la matière et la différence de forme ne suffisent pas dans les êtres inférieurs pour la passion et l'action, sauf si on suppose le mouvement du ciel au pouvoir de qui toutes les puissances actives inférieures agissent.

3. La matière ne suffit à l'action que si on place un principe actif. C'est pourquoi l'appétit de la matière ne prouve pas suffisamment l'action dans les éléments, si on retire le mouvement du ciel par lequel il est le premier principe de l'action.

4. Les corps inférieurs n'atteignent jamais le degré de perfections des êtres supérieurs. Mais c'est de la nature de la perfection de l'agent suprême que sa perfection lui suffise pour agir, quand un autre agent est écarté; c'est pourquoi on ne peut l'attribuer aux agents inférieurs.

5. Le feu est propre à chauffer, si on suppose qu'il a une action; mais celle-ci dépend d'un autre, comme on l'a dit.

6. Il faut dire de même que le toucher ne suffit pour agir dans les éléments que si on suppose le mouvement du ciel.

7.

8. Nous concédons les deux autres objections; car elles procèdent des actions par lesquelles la matière n'est pas changée mais l'espèce d'une certaine manière est multipliée par le mode de l'intention spirituelle.

 

Article 9: Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car on lit in (Qo 3, 14): "J'ai appris que toutes les oeuvres de Dieu demeureront éternellement." Mais les minéraux, les plantes et les animaux sont des oeuvres de Dieu. Donc ils demeureront éternellement.

2. Mais on pourrait dire, qu'on le comprend de ces oeuvres de Dieu qui ont rapport d'une certaine manière avec l'incorruptibilité, comme les éléments qui sont incorruptibles en leur totalité, bien qu'ils se corrompent en partie. En sens contraire, de même les éléments sont incorruptibles en totalité, bien qu'ils se corrompent en partie, de même ce dont on a parlé est incorruptible selon l'espèce, bien qu'il le soit selon l'individu. Donc il semble que ces choses aussi demeurent éternellement.

3. Il est impossible que l'intention de la nature soit vaine; puisqu'elle vient du fait qu'elle est dirigée par Dieu vers sa fin. Mais la nature tend par la génération et la corruption à conserver la perpétuité de l'espèce. Donc si les plantes, les animaux et les minéraux ne sont pas conservés en l'espèce, l'intention de la nature sera vaine, ce qui est impossible comme on l'a dit.

4. La beauté de l'univers se rattachera à la gloire des bienheureux; c'est pourquoi les saints disent que pour la plus grande gloire des bienheureux, les éléments du monde seront reformés dans un état meilleur. Mais les plantes, les minéraux et les animaux font partie de la beauté de l'univers. Donc ils ne seront pas retranchés dans cette ultime consommation des bienheureux.

5. En Rm 1, 20, on dit que "ce qui est invisible en Dieu, se laisse voir à l'intelligence par ses oeuvres". Parmi ce qui a été créé, on peut compter les plantes et les animaux. Mais dans cet état de béatitude parfaite, il est nécessaire pour l'homme de connaître ce qui est invisible en Dieu. Donc il ne conviendra pas que ces oeuvres de Dieu soient retirées.

6. On dit en (Ap 22, 2): "De chaque côté du fleuve des arbres qui fructifient douze fois." Donc, comme on y parle de l'ultime consommation de la béatitude des saints, il semble que les plantes demeureront dans cet état.

7. Par l'être de Dieu, tous les êtres ont le désir d'éternité, dans la mesure où ils ressemblent à l'Etre premier, qui est éternel. Mais ce qui est dans les choses par ressemblance de l'être divin ne leur est pas enlevé à la dernière consommation. Donc les plantes et les animaux demeureront éternellement, au moins selon l'espèce.

8. Dans le dernier état de la consommation des choses, ce qui concerne leur perfection ne leur est pas enlevé. Mais l'oeuvre d'ornement est l'accomplissement de la création. Donc comme les animaux appartiennent à cette oeuvre, il semble qu'ils ne cesseront pas d'exister dans le dernier état du monde.

9. Les éléments ont servi à l'homme dans l'état de vie, de même que les animaux et les plantes. Mais les éléments demeureront. Donc les animaux et les plantes aussi, et ainsi il ne semble pas qu'ils cessent d'exister.

10. Plus une chose participe de la nature du premier éternel, qui est Dieu, plus elle semble éternelle. Mais les animaux et les plantes participent plus des propriétés de Dieu que les éléments, parce que ces derniers ont l'existence seulement, mais les plantes ont la vie, et les animaux la connaissance en plus. Donc les animaux et les plantes doivent demeurer éternellement plus que les éléments.

11. L'effet de la divine sagesse est, comme le dit Denys que le degré le plus haut d'une nature inférieure rejoint le plus bas de la nature supérieure. Mais cela n'existera pas si les animaux et les plantes cessent d'exister, parce que les éléments n'atteignent en rien la perfection humaine, qu'atteignent de quelque manière certains animaux; mais les plantes approchent des animaux, et des plantes les minéraux, qui suivent immédiatement après les éléments. Donc en cette fin du monde, comme ce qui relève de la sagesse divine ne doit pas être écarté, il semble que les animaux et les plantes ne doivent pas cesser d'exister.

12. Si dans la création du monde, les animaux et les plantes n'avaient pas été produits, le monde n'aurait pas été parfait. Mais la perfection ultime du monde sera plus grande que la première. Donc il semble que les animaux et les plantes dureront sans exception.

13. Certains minéraux et certains animaux ont été destinés à punir les damnés, comme il est dit dans le (Ps 10, 7): "Le feu, le souffre, les vents des tempêtes sont une part de leur destin"; et (Is 64, 24): "Leur ver ne mourra pas, et le feu ne s'éteindra pas". Mais les peines des damnés seront éternelles. Donc il semble que les animaux et les minéraux demeureront éternellement.

14. Dans les éléments même, il y a les raisons séminales des corps mixtes, des animaux et des plantes, comme le dit Augustin. Mais elles seraient inutiles, à moins que les plantes, les animaux et les minéraux ne provienne d'elles. Donc comme à la consommation du monde, les éléments demeurent, et par conséquence les raisons séminales en eux, et que rien n'est inutile dans les oeuvres de Dieu, il semble que les animaux et les plantes demeurent dans cette nouveauté du monde.

15. La purification ultime du monde se fera par l'action du feu. Mais certains minéraux sont d'une composition si résistante qu'ils ne seront pas consumés par le feu, comme on le voit pour l'or. Donc il semble qu'au moins ceux-là demeurent après ce feu.

16. L'universel existe toujours. Mais il n'existe que dans des choses particulières. Donc il semble que les applications individuelles de n'importe quel universel existeront toujours; donc les animaux, les plantes et les minéraux existeront toujours.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit Origène: "Il ne faut pas penser que les animaux, les troupeaux ou les bêtes de la terre parviendront à cette fin, ni le bois, ni les pierres."

2. Les animaux et les plantes sont ordonnés à la vie charnelle de l'homme: c'est pourquoi il est dit en (Gn 9, 3): "Je vous ai donné toute chair, de même que les légumes verts." Mais la vie des hommes cessera. Donc les animaux et les plantes aussi.

 

Réponse:

Dans cette rénovation du monde, aucun corps mixte ne demeurera sauf le corps humain. Pour en comprendre la raison, il faut procéder dans l'ordre qu'enseigne le Philosophe, à savoir si on considère la cause finale d'abord, ensuite les principes matériels et formels et les causes moteurs. Mais la fin des minéraux, des plantes et des animaux peut être considérée de deux façons:

1. La plénitude de l'univers, à laquelle toutes ses parties sont ordonnées, comme à leur fin; les plantes, les animaux et les minéraux ne sont pas ordonnés à cette fin comme par soi et en existant essentiellement pour la perfection de l'univers, puisque rien n'existe en elles qu'on ne retrouve dans les principales parties du monde (que sont les corps célestes et les éléments) comme dans les principes actifs et matériels. C'est pourquoi de telles choses sont les effets particuliers des causes universelles, qui sont les parties essentielles de l'univers, et c'est pourquoi elles concernent la perfection de l'univers en cela seulement qu'elles sortent de leurs causes, ce qui se fait par mouvement. C'est pourquoi elles conviennent à la perfection d'un univers soumis au mouvement, mais non à celle de l'univers dans l'absolu. Et c'est pourquoi si le mouvement de l'univers cesse, il faut qu'elles cessent.

2. Mais autre est la fin de l'homme, parce que, comme le Philosophe le dit in Politique, ce qui est imparfait en nature, est ordonné à ce qui est parfait, comme à sa fin; c'est pourquoi, comme il le dit là même, comme les animaux ont une vie imparfaite par rapport à la vie humaine, qui est absolument parfaite, et les plantes par rapport aux animaux; les plantes sont pour les animaux, préparées en nourriture pour eux par la nature, les animaux pour l'homme, nécessaires pour sa nourriture et autres aides. Mais cette nécessité existe tant que dure la vie physique de l'homme; elle est enlevée dans cette rénovation des choses, parce que le corps ressuscitera, non animal, mais spirituel, comme il est dit en (1Co 15, 44); et c'est pourquoi alors même les animaux et les plantes cesseront.

Et pour cette même raison, la matière et la forme ont l'aptitude des choses ci-dessus. Car, comme elles sont composées de contraires, elles ont en elles-mêmes un principe actif de corruption. C'est pourquoi si elles étaient empêchées de se corrompre par un principe extérieur seulement, cela serait d'une certaine manière violent et ne conviendrait pas pour une durée illimitée, parce que ce qui est violent ne peut pas exister toujours, comme le Philosophe le montre dans le livre Du ciel et du monde. Mais elles n'ont pas un principe plus intérieur, qui puisse empêcher la corruption, parce que leurs formes sont corruptibles par nature, de sorte qu'elles ne sont pas subsistantes par soi, mais elles ont un être qui dépend de la matière: c'est pourquoi elles ne peuvent demeurer toujours les mêmes ni en nombre, ni en espèce, si la génération et la corruption cessent.

On trouve le même résultat si on considère la cause moteur; car l'être des plantes et des animaux c'est une certaine manière de vivre, qui n'existe pas dans les corps sans mouvement; c'est pourquoi les animaux périssent lorsque cesse le mouvement du coeur, et les plantes quand cesse leur nourriture. Mais il n'y a pas en elles un principe de mouvement indépendant d'un premier mobile, parce que les âmes même des animaux et des plantes sont soumises totalement aux pressions des corps célestes. C'est pourquoi, si le mouvement du ciel cesse, le mouvement ne pourra pas demeurer en elles, ni la vie non plus. Et ainsi il est clair que dans cette rénovation du monde, les plantes, les animaux et les minéraux ne pourront pas demeurer.

 

Solution des objections:

1. Toutes les oeuvres de Dieu demeureront éternellement en soi, ou dans leurs causes, car ainsi les animaux et les plantes demeureront tant que les corps célestes et les éléments demeureront.

2. La perpétuité selon l'espèce, et non selon le nombre existe par génération, si le mouvement du ciel cesse, elle n'existera plus.

3. L'intention de la nature est de toujours conserver l'espèce, tant que dure le mouvement du ciel, par lequel une telle perpétuité peut demeurer.

4. Les choses susdites participent à la beauté de l'univers, selon l'état de mutabilité dans le monde et de la vie physique dans l'homme, mais pas autrement, comme on l'a dit.

5. Dans cette béatitude, les saints n'auront pas besoin de voir par les créatures ce qui est invisible en Dieu, comme dans cet état (de vie), dont parle l'Apôtre; mais alors ce qui est invisible en Dieu se verra par soi.

6. La bois de la vie est pris métaphoriquement pour le Christ, ou pour la Sagesse, dont parle les Proverbes (Pr 3, 18): "Le bois de vie est pour ceux qui l'auront saisie."

7. Le désir d'éternité est dans les créatures par ressemblance à Dieu; à chacun cependant selon son mode.

8. L'oeuvre de création est achevée par l'ornement des animaux et des plantes, quant à la première consommation du monde, qui est atteinte selon le statut de la mobilité du monde, dans l'ordre pour compléter le nombre des élus, mais non pour la consommation absolue du monde, comme on l'a dit.

9. On ne dit pas que les éléments sont récompensés en soi, parce qu'en soi, ils n'ont rien mérité; mais on dit qu'ils sont récompensés en tant que les homme seront récompensés en eux, selon que leur clarté se changera en la gloire des élus. Mais les hommes n'auront pas besoin des animaux et des plantes, comme des éléments, qui seront pour ainsi dire le lieu de leur gloire; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

10. Bien que, en ce qui concerne la vie et la connaissance, les plantes et les animaux soient meilleurs que les éléments, cependant, par leur simplicité, qui les rend incorruptibles les éléments sont plus semblables à Dieu.

11. Dans l'homme même, la continuation des natures apparaîtra, en tant qu'en lui se rassemblent la nature du corps mixte, et celle des végétaux et des animaux.

12. La perfection du monde crée a été autre que celle du monde consumé, comme on la dit ci-dessus, et c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui a été de la seconde perfection soit ce qui a été de la première.

13. Ce vers qui est destiné à la peine des impies, n'est pas à comprendre corporellement, mais spirituellement, pour que par lui on comprenne l'aiguillon de la conscience, comme Augustin le dit, et si on trouve d'autres expressions semblables, on peut les expliquer de la même manière

14. Les raisons séminales, qui sont dans les éléments, ne suffisent pour produire un effet que si le mouvement du ciel vient à leur aide; et c'est pourquoi s'il cesse, il n'en découle pas qu'il faille que les animaux ou les plantes existent, et cependant il n'en découle pas que les raisons séminales soient vaines, parce qu'elles concernent la perfection des éléments eux-mêmes.

15. Bien que certaines choses qui existent ne soient pas consumées ponctuellement par le feu, il n'y a rien cependant qui ne soit consumé si le feu demeure longtemps, comme Galien le dit; et cependant ce feu de la conflagration du monde sera beaucoup plus violent que celui dont nous nous servons. Et à nouveau de sa seule action les corps mixtes seront détruits en lui, mais aussi par la cessation du mouvement du ciel.

16. On peut considérer l'universel de trois manières; sous quelque mode qu'on le considère il est vrai d'une certaine manière qu'il existe toujours.

1. Car on peut d'une manière considérer la nature universelle selon qu'elle est séparée de n'importe quel être; et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours plus par éloignement de la cause déterminante pour un temps, que par la position de la cause de la perpétuité, car il n'est pas de la définition de la nature universelle qu'elle existe plus dans un temps que dans un autre; de cette manière on ne dit pas que la matière première est une.

2. D'une autre manière, elle peut être considérée selon son être dans les choses particulières, et ainsi il est vrai qu'elle existe toujours parce qu'elle existe toutes les fois qu'il y a un être particulier qui la représente. De même on dit aussi qu'elle est partout, n 'importe où existe un être particulier qui la représente, alors que cependant il y a de nombreux endroits où ses êtres particuliers ne sont pas: c'est pourquoi ici ce n'est pas universel.

3. D'une troisième manière, on peut la considérer selon l'être qu'elle a dans l'intellect et ainsi il est vrai que l'universel existe toujours, principalement dans l'intellect divin.

 

Article 10: Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel?

 

Objections:

1. Il semble que non. Parce qu'il est dit in (1Co 15, 50): "La chair et le sang ne posséderont pas le Royaume de Dieu." Mais le corps de l'homme vient de la chair et du sang. Donc en cette fin du monde, les corps humains ne demeureront pas.

2. Tout mélange des éléments est causé par le mouvement du ciel, puisque le changement est nécessaire pour la mixtion. Mais le corps humain est un corps mixte d'éléments. Donc, si le mouvement du ciel cesse, il ne peut pas demeurer.

3. La nécessité qui vient de la matière est une nécessité absolue, comme cela paraît en Physique. Mais dans un corps composé de contraires, il y a nécessairement la corruption qui vient de la matière même. Donc il est impossible que de tels corps ne soient pas corrompus et qu'ainsi ils demeurent après un état de génération et de corruption. Mais les corps humains sont de ce genre. Donc il est impossible qu'ils demeurent en cette fin du monde.

4. L'homme se rencontre avec les animaux du fait qu'il a un corps sensible. Mais les corps sensibles des animaux ne demeureront pas en cette fin du monde. Donc les corps humains non plus.

5. La fin de l'homme est la ressemblance parfaite à Dieu. Mais, l'âme séparée du corps ressemble plus à Dieu, qui est incorporel qu'unie au corps. Donc en cet état de béatitude finale, les âmes seront sans corps.

6. Pour la parfaite béatitude de l'homme, une parfaite opération de l'intellect est requise. Mais l'opération de l'âme intellectuelle est plus parfaite séparée du corps qu'unie au corps, comme on le dit dans le livre des Causes, toute puissance unie est plus infinie qu'une puissance multiplié. Les formes séparées sont unies en soi, mais les matières jointes, d'une certaine manière sont répandues en plusieurs parties. Donc dans cette parfaite béatitude de l'âme, elles ne seront pas unies au corps.

7. Les éléments qui sont dans le mixte recherchent d'un appétit naturel leur propre site. Mais cet appétit naturel ne peut pas être vain. C'est pourquoi ce qui est contre la nature ne peut pas être perpétuel. Il n'est donc pas possible que les éléments qui existent dans le corps mixte parfois ne tendent pas à leur site, et ainsi le corps mixte est corrompu; donc après l'état de corruption, les corps humains qui sont des mixtes ne demeureront pas.

8. Tout mouvement naturel d'un corps quelconque dépend du mouvement du ciel. Mais le mouvement du coeur, sans quoi la vie du corps humain ne peut pas exister, est un mouvement naturel. Donc quand cessera le mouvement du ciel, il ne pourra pas demeurer, et par conséquent, la vie du corps humain non plus.

9. Les membres du corps humain, pour une majeure partie sont ordonnés à l'usage approprié de la vie physique, comme on le voit pour les veines, l'estomac, etc., qui sont ordonnés à la nutrition.; mais la vie physique dans l'homme ne demeurera pas dans cette béatitude. Donc les membres du corps non plus (car autrement ils seraient inutiles) et ainsi le corps humain ne demeurera pas.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit in (1Co 15, 53): "Il faut que cet être corruptible revête l'incorruptibilité." Ce qui est corruptible, c'est le corps. Donc le corps demeurera revêtu d'incorruptibilité.

2. En Phil. 3, 21, il est dit: "Il transfigurera notre corps d'humilité pour le conformer à son corps de gloire" Mais le Christ n'a jamais abandonné et n'abandonnera pas le corps qu'il a repris une fois ressuscité. (Rm 6, 9): "Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus." Donc les saints vivront éternellement avec les corps avec lesquels ils ressusciteront, et ainsi les corps humains demeureront après la fin du monde.

 

Réponse:

Comme le dit Augustin, Porphyre pensait que pour la parfaite béatitude de l'âme humaine, il fallait fuir tout corps, et ainsi selon lui, l'âme dans la parfaite béatitude, ne peut pas être unie à un corps. Origène parle de cette opinion in Periarchon, en disant que certains ont pensé qu'un jour les saints abandonneront les corps qu'ils auront repris à la résurrection, pour vivre ainsi dans une béatitude parfaite à l'image de Dieu

Mais cette opinion, en plus qu'elle est contraire à la foi, comme on peut le voir des autorités d'où elle est tirée et de plusieurs autres, est aussi contraire à la raison. Car la perfection de la béatitude ne pourra pas exister là où manque la perfection de la nature. Mais comme l'union du corps et de l'âme est naturelle, substantielle, et non accidentelle, il n'est pas possible que la nature de l'âme soit parfaite si elle n'est pas unie à un corps, et c'est pourquoi l'âme séparée du corps ne peut pas obtenir la perfection suprême de la béatitude. Pour cette raison, Augustin dit à la fin de La Genèse au sens littéral, XII, que les âmes des saints ne jouiront pas avant la résurrection, de manière aussi parfaite de la vision de Dieu, comme après; c'est pourquoi dans la suprême perfection de la béatitude, il faudra que les corps humains soit unis aux âmes.

Mais la position ci-dessus procède de l'opinion de ceux qui disent que l'âme est unie accidentellement au corps, comme la marin, à son navire, comme l'homme à son vêtement. C'est pourquoi Platon aussi a dit que l'homme est une âme revêtue d'un corps, comme Grégoire de Nysse le raconte.

Mais cela n'est pas possible parce que, ainsi, l'homme ne serait pas un être par soi mais par accident, et il ne serait pas dans le genre de la substance mais celui de l'accident, comme ce qu'on dit vêtu, ou chaussé. Car il est clair que les raisons présentées plus haut au sujet des corps mixtes, n'ont pas de place dans l'homme, car il est ordonné à la perfection de l'univers, comme sa partie essentielle, puisqu'en lui, il y a quelque chose qui n'est pas contenu par le pouvoir, ni dans les éléments, ni dans les corps célestes, à savoir l'âme rationnelle. Mais le corps de l'homme est ordonné à l'homme, pas seulement pour la vie physique mais pour la perfection de sa nature. Et quoique son corps soit composé de contraires, il y a en lui cependant un principe incorruptible, qui pourra le préserver de la corruption sans violence, puisqu'il est intrinsèque. Et cela pourra être un principe suffisant de mouvement, si le mouvement du ciel cesse, puisqu'il n'en dépend pas.

 

Solution des objections:

1. Par la chair et le sang on comprend leur corruption; c'est pourquoi dans la même autorité il est ajouté: La corruption ne possédera pas l'incorruptibilité".

2. Le mouvement est la cause du mixte en son devenir; mais sa conservation vient par la forme substantielle et plus tard par les principes plus élevés du ciel, comme cela paraît dans les questions précédentes.

3. L'âme rationnelle, de son union parfaite à Dieu, aura tout à fait la victoire sur la matière; et ainsi, bien que la matière laissée à elle-même soit corruptible, elle obtiendra l'incorruptibilité par le pouvoir de l'âme.

4. La sensibilité dans l'homme vient d'un principe incorruptible, à savoir de l'âme rationnelle; mais dans les animaux elle vient d'un principe corruptible; et c'est pourquoi le corps physique de l'homme peut demeurer éternellement, mais pas celui de l'animal.

5. L'âme unie au corps ressemble plus à Dieu que séparée du corps, parce qu'elle possède plus parfaitement sa nature. Car chaque être est parfait, en tant qu'il est semblable à Dieu, bien que la perfection de Dieu et celle de la créature ne relève pas d'un seul mode.

6. L'âme unie au corps n'est pas multipliée à la manière des formes matérielles qui sont divisibles par la division du sujet, mais elle demeure en soi une et simple; c'est pourquoi son opération ne sera pas empêchée par l'union au corps, quand celui-ci sera tout à fait assujetti à l'âme; mais maintenant elle en est empêchée du fait qu'elle n'en est pas parfaitement maîtresse.

7. L'appétit naturel des éléments qui tendent à leurs sites propres, est retenu par la domination de l'âme sur le corps, pour que la dissolution des éléments ne se fasse pas, parce qu'ils auront un être plus parfait dans le corps de l'homme qu'ils ne l'auraient dans leurs sites propres.

8. Le mouvement du coeur dans l'homme est causé par la nature de l'âme rationnelle, qui ne dépend pas du mouvement du ciel, et c'est pourquoi ce mouvement ne cessera pas, quand le mouvement du ciel cessera.

9. Tous les membres du corps demeureront, non à cause de l'usage de la vie physique, mais de la perfection de la nature de l'homme.

 

Question 6: Les miracles

 

Article 1: Dieu peut-il opérer dans les créatures au-delà des causes naturelles, ou contre la nature ou contre son cours?

 

Objections:

1. Il semble que non. La glose de (Rm 11, 24): "Il a été greffé contre nature" dit: "Dieu, créateur de toutes les natures, ne fait rien contre la nature."

2. Une autre glose dit au même endroit: "Dieu ne peut pas agir contre la loi de la nature, pas plus que contre lui-même." Il ne peut agir en aucune manière contre lui-même, parce qu'il "ne peut se nier lui-même", comme il est dit (2Tm 2, 13). Donc Dieu ne peut agir contre l'ordre de la nature qui en est la loi.

3. De même que l'ordre de la justice humaine est dérivé de la justice de Dieu, celui de la nature est dérivé de la sagesse divine; car c'est elle qui "dispose tout avec bienfaisance" comme il est dit (Sg 8, 1). Mais Dieu ne peut pas agir contre l'ordre de la justice humaine; car ainsi il serait cause du péché, qui seul s'oppose à l'ordre de la justice. Donc comme la sagesse de Dieu n'est pas inférieure à sa justice, il semble qu'il ne peut pas agir contre l'ordre de la nature.

4. Toutes les fois que Dieu opère dans les créatures par raisons séminales, rien n'est fait contre le cours de la nature. Mais il ne peut opérer convenablement dans la nature en dehors de celles qui y sont induites. Donc, il ne peut agir contre le cours de la nature. Preuve de la proposition intermédiaire: Car Augustin dit que les apparitions qu'ont vu les patriarches ont été accomplies par l'intermédiaire du ministère des anges, du fait que Dieu gouverne les corps par les esprits. Mais de la même manière, il gouverne les corps inférieurs par les corps supérieurs, comme il le dit lui-même, et, de la même manière, on peut dire qu'il gouverne n'importe quel effet par les causes. Donc comme les raisons séminales sont induites dans les causes naturelles, il semble que Dieu ne puisse agir convenablement dans les effets naturels que par l'intermédiaire des causes séminales et ainsi il ne fera rien contre le cours de la nature.

5. Dieu ne peut faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que, comme c'est contre la nature de l'étant en tant que tel, c'est aussi contre celle de la créature; car la première des choses créées est l'être, comme on le dit dans le livre Des causes. Il faut que ce principe, puisqu'il est le premier de tous les principes en qui tous les autres sont résolus, comme on le prouve, soit inclus en n'importe quelle proposition nécessaire et que son opposé soit inclus en tout ce qui est impossible. Donc, comme ce qui est contre le cours de la nature est impossible en elle, - ainsi qu'un aveugle voit et qu'un mort revive - cela est inclus dans un tel contraire à ce principe. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est contre le cours de la nature.

6. Une glose dit (Ep 3, 7) que Dieu ne fait rien contre les causes qu'il a établi par sa volonté, en changeant de volonté. Mais Dieu a établi les causes naturelles par sa volonté. Donc il ne fait rien et il ne peut rien faire contre elles, de même qu'il ne peut pas changer; car le changement de volonté apparaît quand quelqu'un agit contre ce qu'il a décidé d'abord par elle.

7. Le bien de l'univers est celui de l'ordre auquel se rattache le cours des choses naturelles. Mais Dieu ne peut pas agir contre le bien de l'univers, parce que de sa bonté suprême provient que tout est tout à fait bon, dans l'ordre universel. Donc, il ne peut agir contre le cours des choses naturelles.

8. Dieu ne peut pas être la cause du mal. Mais selon Augustin, le mal est la privation du mode, de l'espèce et de l'ordre. Donc Dieu ne peut pas agir contre le cours de la nature qui appartient à l'ordre de l'univers.

9. Il est dit in (Gn 2, 2): " (Dieu) acheva le septième jour toute l'oeuvre qu'il avait accomplie" et selon la glose ordinaire, parce qu'il cessa de créer des oeuvres nouvelles. Mais dans les oeuvres des six jours, il ne fit rien contre le cours de la nature. C'est pourquoi Augustin dit que, dans ces oeuvres, on ne cherche pas ce que Dieu pouvait faire miraculeusement, mais ce que supporte l'univers que Dieu institua alors. Donc par la suite Dieu ne fit rien contre le cours de la nature.

10. Selon le philosophe, la nature est la cause de la mise en ordre en tout. Mais Dieu ne peut rien faire qu'ordonné, parce que, comme on le dit in (Rm 13, 1): "Ce qui vient de Dieu a été mis en ordre". Donc il ne peut rien faire contre la nature.

11. La raison de l'homme vient de Dieu, la nature aussi. Mais Dieu ne peut pas agir contre les principes de la raison: faire en sorte que le genre ne soit pas attribué à l'espèce ou que le côté du carré soit commensurable à la diagonale. Donc Dieu ne peut pas agir non plus contre le principe de la nature.

12. Tout le cours de la nature vient de la sagesse divine, de même que les oeuvres artisanales de l'art humain, comme Augustin le dit à propos de ce verset: "Ce qui a été fait en lui était la vie". Mais l'artisan ne fait rien contre son art sinon par erreur, erreur impossible à Dieu. Donc Dieu ne fait rien contre le cours de la nature.

13. Le philosophe dit: chaque chose est faite, comme elle est destinée à être faite. Mais ce qui est destiné à être fait, comme il est fait, n'est pas fait contre le cours de la nature. Donc rien n'est fait contre le cours de la nature.

14. Anselme dit que la plus petite inconvenance est impossible à Dieu. Il est inconvenant de changer le cours de la nature, il convient de le conserver. Donc il est impossible que Dieu agisse contre le cours de la nature.

15. Le rapport de la science à l'erreur est le même que celui de la puissance à l'impossible. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature. Donc il ne peut pas faire ce qui est contre son cours, parce que cela y est impossible.

16. L'impossibilité est plus importante pour l'impossible par soi que pour l'impossible par accident, parce que ce qui est tel par soi, l'est davantage. Mais il est impossible par accident que ce qui a existé ne l'ait pas été; ce que cependant Dieu ne peut pas faire, comme Jérôme le dit et aussi le Philosophe. Donc ce qui est contre le cours de la nature, qui est impossible en soi, comme que l'aveugle voit, Dieu ne peut pas le faire.

17. Selon le philosophe, est violent ce dont le principe est extérieur, le patient ne participant en rien. Mais ces choses naturelles ne peuvent pas le conférer à ce qui est contre le cours de la nature. Donc si elles sont faites par Dieu, elles seront violentes et ainsi elles ne demeureront pas, ce qui ne paraît pas convenir, car la vue demeure de manière divine pour les aveugles à qui la vue a été rendue.

18. Comme tout genre se divise en puissance et acte, comme on le voit en Physique, la puissance passive appartient à la puissance, la puissance active à l'acte: il faut qu'on trouve cette seule puissance passive dans la nature pour laquelle on trouve une puissance active naturelle, car c'est du même genre et cela le Commentateur le dit. Mais pour ce qui est contre le cours de la nature, on ne trouve pas de puissance active naturelle, donc ni de puissance passive. Mais celle en considération desquelles il n'y a pas de puissance passive dans la créature, nous disons qu'elle ne peut pas être faite, quoique Dieu par sa toute puissance puisse tout faire. Donc ce qui est contre le cours de la nature ne peut être fait à cause de la défaillance de la créature, même si ne n'est pas à cause de celle de la puissance divine.

19. Ce que Dieu fait quelquefois ne serait pas inconvenant, même s'il le faisait toujours. Mais il serait inconvenant que Dieu crée tous les effets naturels sans l'intermédiaire des causes naturelles, parce que les êtres naturels seraient privés de leurs opérations. Donc il ne convient pas qu'il produise quelquefois un effet dans ces êtres inférieurs sans l'intermédiaire des causes naturelles. Par leur intermédiaire, il ne fait rien contre le cours de la nature. Donc il ne fait rien contre lui.

20. La cause en soi a un rapport essentiel à son effet et inversement. Mais Dieu ne peut enlever à rien ce qui lui est essentiel, tant que cet être demeure; qu'il soit un homme, sans être un animal. Donc il ne peut produire un effet sans la cause naturelle qui a un rapport essentiel à un tel effet; ainsi rendre la vue sans les causes naturelles à partir desquelles elle est destinée à être causée.

21. Il ne convient pas que l'homme, en tant qu'il est un bien plus grand, soit abandonné pour un bien plus petit; mais le bien de l'univers est plus grand que le bien particulier de n'importe quoi. C'est pourquoi Augustin dit que Dieu a produit des biens particuliers, mais en même temps tous les biens en vue de l'ordre de l'univers. Donc il ne convient pas qu'à cause du salut d'un homme ou d'un peuple, Dieu change le cours de la nature, qui appartient à l'ordre de l'univers, en quoi consiste son bien. Donc jamais Dieu n'agit contre le cours de la nature.

 

Cependant:

1. Après avoir été privée de ce qu'elle a, la nature ne peut faire un retour en arrière, mais il est fait par l'opération divine; c'est pour cela qu'il est dit en (Mt 11, 5): "Les aveugles voient... les sourds entendent" etc. Donc Dieu agit contre le cours de la nature.

2. Le pouvoir du supérieur ne dépend pas de celui de l'inférieur, et n'est pas limité par lui. Mais Dieu est supérieur à la nature. Donc sa puissance n'est pas limitée par la puissance de la nature; et ainsi rien ne l'empêche d'opérer contre le cours de la nature.

 

Réponse:

Il faut dire que, sans doute aucun, Dieu peut opérer dans les créatures, en dehors des causes créées, de même que lui-même opère en toutes les causes, comme on l'a montré ailleurs; et en opérant en dehors des causes créées, il peut opérer les mêmes effets que ceux qu'il produit par leur intermédiaire et dans le même ordre, ou d'autres aussi dans un ordre différent; et ainsi il peut agir contre le cours commun et habituel de la nature. La raison de cette vérité devient manifeste si nous considérons ce qui paraît s'opposer à la vérité; les objections sont au nombre de trois:

1. La première objection est l'opinion de quelques philosophes anciens qui pensèrent que les corps n'avaient pas une autre cause supérieure qui soit pour elles cause d'être; et ainsi quelques-uns d'entre eux, comme Anaxagore, ont pensé que l'intellect était la cause du mouvement en eux, comme la séparation. Selon cette opinion, les formes naturelles, qui sont principes des actions naturelles, ne peuvent être modifiées par aucune cause surnaturelle ni leurs opérations empêchées; et ainsi rien ne peut être fait contre le cours de la nature qui est ordonné par la nécessité de ces causes corporelles. Mais cette position est fausse, parce qu'il faut que ce qui est le principe dans les êtres soit la cause d'être de tous les autres, de même que ce qui est suprêmement chaud est cause de la chaleur de tous les autres objets, comme il est dit en Métaphysique. Et on a traité cela plus abondamment ailleurs, où on a montré que rien ne peut exister sinon par Dieu.

2. La seconde objection qui peut s'opposer à cette vérité, c'est l'opinion d'autres philosophes qui ont dit que Dieu est cause de tous les êtres par son intelligence. Mais ils ont dit que Dieu a une connaissance universelle de tous les êtres dans la mesure où il se connaît lui-même et qu'il est principe d'être pour tous, mais qu'il n'a pas une connaissance particulière de chacun. De la science commune et universelle ne découlent d'effets particuliers, que par l'intermédiaire de conceptions particulières. Car si je savais qu'il faut fuir toute fornication, je ne la fuirai que si je sais que cet acte en est une. Et c'est pourquoi, il disent que les effets particuliers ne viennent de Dieu que par l'intermédiaire d'autres causes dont les supérieures sont plus universelles et les inférieures plus particulières, et ainsi Dieu ne pourra rien faire contre le cours de la nature. Mais cette position est fausse, car, puisque Dieu se connaît parfaitement, il faut qu'il connaisse ce qui est en lui de quelque manière. En lui, il y a l'image de tout ce qui est causé dans la mesure où rien ne peut exister sans l'imiter. C'est pourquoi il faut qu'il ait une connaissance propre de tout, comme on l'a montré plus largement ailleurs.

3. La troisième objection: qui pourrait empêcher la vérité susdite, est la position de certains philosophes qui ont dit que Dieu crée par nécessité de nature; et ainsi il faut que son opération soit limitée à ce cours des choses qui est ordonné selon la nature, c'est pourquoi il ne pourrait pas agir contre lui. Mais il est clair que c'est faux, car au-dessus de ce qui agit par nécessité de nature, il faut qu'il existe quelque chose qui détermine la nature à un seul objet, comme ailleurs on l'a montré; c'est pourquoi il est impossible que Dieu, qui est le premier agent, agisse par nécessité de nature, ce qui a été montré de multiples manières dans une autre question.

De ces trois objections 1. à savoir que Dieu est cause d'être dans les êtres naturels, 2. qu'il a une connaissance propre et une providence pour chaque être, et 3. qu'il n'agit pas par nécessité de nature, il découle qu'il peut, en dehors du cours de la nature, agir dans des effets particuliers, ou quant à l'être dans la mesure où il peut induire une nouvelle forme dans les choses naturelles que la nature ne peut pas induire, comme la forme de la gloire; ou à cette matière, comme la vue dans l'aveugle; ou quant à l'opération, dans la mesure où il empêche les opérations des choses naturelles de faire ce qu'elles sont destinées à faire, ainsi que le feu ne brûle, comme on le voit in (Dn 3, 24) ou que l'eau ne coule, comme on le voit pour les eaux du Jourdain (Jos 3, 16)

 

Solution des objections:

1. Dieu agit contre la nature particulière fait aussi des choses naturelles, car que le feu soit corrompu est contre sa nature particulière. C'est pourquoi Le philosophe dit que la corruption, la vieillesse et toute défaillance sont contre la nature. Rien de naturel n'agit contre la nature universelle, car on appelle particulière la nature selon le rapport de la cause particulière à l'effet particulier; mais on appelle universelle la nature selon le rapport du premier agent de la nature qui est le ciel pour tous les agents inférieurs. Comme aucun des corps inférieurs n'agit que par la puissance du corps céleste, il est impossible qu'un corps naturel agisse contre la nature universelle. Mais agir contre la nature particulière est selon la nature universelle.

Le ciel est cause universelle par rapport aux corps inférieurs, de même Dieu est cause universelle par rapport à tous les êtres, rapport dont le ciel même est la cause particulière. Car rien n'empêche qu'une seule et même cause soit universelle par rapport aux êtres inférieurs et particulière par rapport aux êtres supérieurs, comme cela arrive dans les prédicables, car l'animal qui est universel par rapport à l'homme, est particulier par rapport à la substance. Donc de même que quelque chose peut être fait par le pouvoir du ciel contre cette nature particulière et cependant ce n'est pas simplement contre la nature, parce que c'est selon la nature universelle, de même par le pouvoir de Dieu quelque chose peut être fait contre la nature universelle qui vient du pouvoir du ciel: cependant ce ne sera pas absolument contre la nature, parce que ce sera selon la nature la plus universelle qui est considérée du rapport de Dieu à toutes les créatures. Et pour l'avoir compris, Augustin dit, dans la glose citée, que Dieu ne fait rien contre la nature. C'est pourquoi il est ajouté parce que "C'est la nature que Dieu fait pour chacun".

2. Et par là paraît la réponse à la seconde objection, car, dans cette glose, Augustin parle de la loi suprême de la nature qui s'étend selon l'ordre de Dieu à toutes les créatures.

3. Comme le montre ce qui a été dit, bien que Dieu puisse agir contre le rapport d'une créature à une autre, ce qui est comme par la considération d'une nature particulière, cependant il ne peut agir contre le rapport de la créature à elle-même. La justice de l'homme consiste principalement dans le rapport que l'homme doit à Dieu, c'est pourquoi Dieu ne peut pas agir contre l'ordre de la justice. Mais le cours de la nature dépend du rapport d'une créature à une autre, et c'est pourquoi Dieu peut agir contre le cours de la nature.

4. Dieu peut produire en dehors des causes naturelles des effets dans les corps, de même il peut agir en dehors du ministère des anges; cependant ce n'est pas la même raison d'agir en dehors pour l'un et l'autre. Car, en dehors des causes naturelles, cela fait que l'homme est forcé de ramener l'effet qu'il ne peut pas attribuer à des causes visibles à une cause supérieure, comme si la puissance divine se manifestait par un miracle visible; mais les opérations des anges ne sont pas visibles; c'est pourquoi leur ministère n'empêche pas que l'homme soit amené à considérer la puissance divine; et à cause de cela, Augustin ne dit pas qu'il ne pourrait pas opérer au-delà du ministère des anges mais qu'il n'opère pas.

5. Dieu ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient vraies simultanément, de même il ne peut pas faire ce qui est impossible dans la nature, en tant qu'elle enferme en soi une chose affirmée impossible, dans la mesure où il est clair que redonner vie à un mort, renferme en soi une contradiction, si on pense que le mort retourne à la vie naturellement par un principe intrinsèque, car il est de la nature du mort d'être privé du principe de vie. C'est pourquoi Dieu ne le fait pas, mais il fait que le mort acquiert la vie une seconde fois, à partir d'un principe extérieur; ce qui n'inclut pas de contradiction. Et c'est la même raison pour les autres impossibilités de la nature qu'il peut accomplir.

6. Dieu n'agit pas contre les raisons naturelles en changeant de volonté, car il a prévu de toute éternité et il a voulu faire ce qu'il fait dans le temps. Ainsi donc il a institué le cours de la nature, de sorte cependant qu'il soit préordonné dans sa volonté éternelle qu'il agirait quelquefois en dehors de ce cours.

7. Dieu, en agissant en dehors du cours de la nature, ne détourne pas tout le cours de l'univers, en quoi consiste son bien, mais le rapport de la cause particulière à son effet.

8. Le mal du châtiment est contre l'ordre d'une partie de l'univers envers une autre et de même le mal d'une défaillance naturelle, mais le mal de la faute est contre l'ordre de tout l'univers quant à la fin dernière, parce que la volonté, en qui se trouve le mal de la faute est détournée de sa fin ultime universelle par la faute, et c'est pourquoi Dieu ne peut pas être cause d'un mal de ce genre. Car il ne peut pas agir contre cet ordre, bien qu'il le puisse contre l'ordre premier.

9. Dieu ne fait un miracle que dans les créatures préexistantes, qui ont préexisté d'une autre manière dans les opérations des six jours. C'est pourquoi les opérations miraculeuses ont précédé matériellement dans les opérations des six jours, bien qu'alors il n'aurait pas fallu que quelque chose soit fait miraculeusement contre le cours de la nature, quand elle était instituée.

10. La nature est la cause de la mise en ordre dans tout ce qui est naturel, mais pas absolument dans tout.

11. Le logicien et le mathématicien considèrent les objets seulement selon les principes formels; c'est pourquoi rien n'est impossible en logique ou en mathématiques, sinon ce qui est contre la raison formelle de l'objet. Et une telle impossibilité enferme en soi une contradiction et ainsi est impossible par soi. Des telles impossibilités, Dieu ne peut les faire. Le naturel ajoute à une matière limitée, c'est pourquoi il évalue comme impossible ce qui est impossible pour lui. Mais rien n'empêche Dieu de pouvoir faire ce qui est impossible aux agents inférieurs.

12. L'art divin ne se déploie pas tout lui-même dans la production des créatures, et ainsi selon son art, il peut opérer d'une autre manière que celle du cours de la nature; c'est pourquoi il n'en découle pas que, s'il peut agir contre le cours de la nature, il puisse le faire contre son art, car l'artisan peut faire un autre ouvrage par son art, d'une manière contraire à ce qu'il a fait d'abord.

13. Le philosophe parle de ce qui est opéré dans la nature; car ces choses sont faites comme elles sont destinées à être faites

14. Il convient de conserver le cours de la nature, selon qu'il est ordonné par la providence divine, c'est pourquoi si l'ordre de la providence divine a quelque chose à faire autrement, ce n'est pas inconvenant.

15. On ne dit pas que quelque chose est faux absolument et pour quelqu'un; de même qu'on ne dit pas qu'une chose est impossible absolument et pour quelqu'un, mais est absolument fausse; c'est pourquoi, Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux, de même qu'il ne peut pas faire ce qui est impossible; parce qu'il est absolument impossible et cependant de même qu'il peut faire quelque chose d'impossible à quelqu'un, de même il peut faire quelque chose ignoré de quelqu'un.

16. Tout ce qui est par accident est ramené à ce qui est par soi; c'est pourquoi rien n'empêche ce qui est par accident, ramené à soi, soit plus de telle nature. Ainsi la neige abîme la vue par sa blancheur plus que la blancheur du mur parce qu'elle est plus grande en blancheur que lui. De même supprimer la marche de Socrate est impossible, parce qu'il est réduit à cet impossible par soi que le passé n'ait pas existé, ce qui implique contradiction; c'est pourquoi rien n'empêche que cela soit plus impossible par soi, que ce qui est impossible à quelqu'un, quoiqu'il ne soit pas impossible par accident.

17. Dans n'importe quelle chose naturelle, il y a un ordre naturel et une relation à toutes les causes supérieures, et de là vient que ce qui est fait dans les corps inférieurs par l'induction des corps célestes n'est pas violent, bien que cela paraisse être contraire aux mouvements naturels des corps inférieurs, comme on le voit dans le flux et le reflux de la mer qui suit le mouvement de la lune. Et ce qui est fait par Dieu dans les (corps) inférieurs est beaucoup moins violent.

18. Plus un pouvoir actif est élevé, plus il peut mener une même chose à un effet plus élevé: c'est pourquoi la nature peut faire de l'or avec de la terre et d'autres éléments mélangés, ce que l'art ne peut pas faire et de là vient qu'une chose est en puissance à différents objets selon la relation à des agents différents. C'est pourquoi rien n'empêche que la nature créée ait la puissance de faire quelque chose par la puissance divine, qu'une puissance inférieure ne peut pas faire; et on l'appelle puissance d'obédience, selon que n'importe quelle créature obéit au créateur.

19. La mise en rapport, de n'importe quelle créature à son opération vient de Dieu; c'est pourquoi si la providence divine produit un effet au-delà de l'action de l'opération des choses naturelles, ce n'est pas inconvenant.

20. Bien que Dieu produise un effet au-delà de l'action de la cause naturelle, il n'enlève cependant pas l'ordre de la cause à son effet. C'est pourquoi dans le feu de la fournaise demeurait le pouvoir de brûler, bien qu'il n'y brûlât pas les trois enfants.

21. Quand Dieu agit contre le cours de la nature, il n'enlève pas tout l'ordre de l'univers, mais il en change le cours du rapport d'une chose particulière à une autre. C'est pourquoi il n'y a aucune inconvenance si quelquefois il agit contre le cours de la nature pour le salut de l'homme, ce qui consiste à l'ordonner à la fin ultime de l'univers.

 

Article 2: Peut-on appeler miracles tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ou contre le cours de la nature?

 

Objections:

1. Il semble que non. Parce que, comme on peut le conclure des paroles d'Augustin, le miracle est "quelque chose d'ardu et d'insolite qui dépasse la puissance de la nature et apparaît au-delà de l'espérance de celui qui le voit avec étonnement." Quelquefois Dieu opère contre le cours de la nature, même dans les plus petites choses:, quand il fit du vin avec de l'eau: cette opération fut cependant en dehors de celle des causes naturelles. Donc ce n'est pas tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles qui peut être appelé miracle.

2. Ce qui arrive fréquemment ne peut être considéré comme inhabituel. Mais de telles opérations divines en dehors des causes naturelles arrivaient fréquemment du temps des Apôtres. C'est pourquoi il est dit (Ac 5, 15) qu'on mettait les malades sur les places, etc. Donc les événements de ce genre n'étaient pas inhabituels et ainsi ce n'étaient pas des miracles.

3. Ce que la nature peut opérer n'est pas au-dessus de son pouvoir. Mais quelquefois ce que la nature pourrait faire aussi arrive de manière divine en dehors des causes naturelles, comme on le voit quand le Seigneur a guéri la belle-mère de Pierre des fièvres qui la tenaient, comme il est dit in (Lc 4, 38). Donc ce ne fut pas au-dessus du pouvoir de la nature et ainsi ce ne fut pas un miracle.

4. Faire revenir à la vie un mort ne peut pas arriver par l'opération d'une cause naturelle. Mais la résurrection des morts par laquelle Dieu ramènera à la vie tous les morts à la fin, est attendue par les saints; c'est pourquoi on dit dans le "symbole des Apôtres": "J'attends la résurrection des morts". Donc ce n'est pas tout ce que Dieu opère au-delà des causes naturelles qui dépasse l'attente des hommes. Et ainsi ce n'est pas un miracle.

5. La création du ciel et de la terre et même celle des âmes douées de raison vient de Dieu en dehors des autres causes efficientes; car seul il peut créer, comme on l'a vu dans une autre question. Mais cependant on ne peut pas appeler cela des miracles; parce que ce n'est pas fait pour montrer la grâce, ce pourquoi seul sont faits les miracles, comme Augustin le dit, mais c'est pour la constitution de la nature. Donc tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles ne peut pas être appelé miracle.

6. La justification de l'impie est accomplie par Dieu seul en dehors des causes naturelles; ce n'est pas un miracle, mais plutôt le but du miracle. Car les miracles sont faits pour convertir les hommes à Dieu. Donc tout ce que Dieu fait en dehors des causes naturelles n'est pas miracle.

7. Plus étonnant est ce qui est fait par quelqu'un de moins puissant que par un plus puissant. Mais Dieu est plus puissant que la nature; or quand la nature fait quelque chose, on ne l'appelle pas miracle, comme quand elle opère la guérison d'un malade, ou autres choses de ce genre. Donc on peut beaucoup moins l'appeler miracle quand Dieu le fait.

8. Les prodiges se font contre la nature et cependant on ne les appelle pas miracles. Donc tout ce qui est fait contre la nature ne peut être appelé miracle.

9. Les miracles sont faits pour affermir la foi. Mais l'Incarnation du Verbe n'est pas pour l'affermir en tant qu'argument de foi, mais plutôt en tant qu'objet de foi. Donc ce n'est pas un miracle et cependant Dieu seul le fait sans aucune autre cause efficiente; donc ce n'est pas tout ce que Dieu fait au-delà des causes naturelles qui est un miracle.

 

Cependant:

1. Augustin dit que le cours des choses est triple: naturel, volontaire et merveilleux. Ce que Dieu seul opère au-delà des causes naturelles n'appartient pas au cours des choses naturelles, ni à celui des actes volontaires, parce que, ni la nature, ni la volonté créée n'opèrent en eux. Donc il appartient à un cours des choses étonnant et ainsi c'est un miracle.

2. Richard de Saint Victor dit que le miracle est l'oeuvre du Créateur, qui manifeste sa puissance divine. Ce qui est fait par Dieu en dehors des causes naturelles est de ce genre. Donc ce sont des miracles.

 

Réponse:

Le nom miracle vient de "admirer". Deux aspects concourent à l'étonnement, comme on peut le conclure des paroles du philosophe au début de la Métaphysique.

1. La cause de ce qui étonne est cachée.

2. Dans ce qui nous étonne apparaît une chose par laquelle il semble que son contraire doit être ce qui étonne; quelqu'un pourrait s'étonner s'il voyait le fer monter vers un aimant, ignorant son pouvoir. Puisqu'il semble que le fer par un mouvement naturel doit tendre vers le bas.

Cela arrive de deux manières: en soi, et selon nous.

1. Selon nous, quand la cause de l'effet qui nous étonne n'est pas absolument cachée, mais cachée à celui-ci ou à celui-là. Et dans ce qui nous étonne, il n'y a pas de disposition qui s'oppose à l'effet dont nous nous étonnons selon la vérité de la chose, mais selon l'opinion de celui qui s'étonne, et de là vient que ce qui est étonnant ou admirable pour l'un, ne l'est pas pour un autre, de même que celui qui connaît le pouvoir de l'aimant par science ou expérience, ne s'étonne pas de cet effet, mais l'ignorant s'en étonne.

2. En soi est étonnant ou admirable ce dont la cause est simplement cachée et quand il y a dans la chose selon la nature une disposition contraire à l'effet qui apparaît, et on peut non seulement appeler cela étonnant en acte ou en puissance, mais encore l'appeler miracle, comme ayant en soi une cause d'étonnement. Mais la cause la plus cachée et la plus éloignée de nos sens est divine, elle qui agit très secrètement en tout; et c'est pourquoi ce qui est fait par le seul pouvoir divin dans ces choses où il y a un ordre naturel pour un effet contraire ou pour une manière contraire de le produire, est appelé proprement miracle; ce que la nature fait, cependant caché pour nous ou pour l'un des nôtres, ou même ce que Dieu fait, et qui n'est destinée à être produit autrement que par Dieu, ne peut pas être appelé miracle, mais seulement étonnant ou merveilleux.

C'est pourquoi dans la définition du miracle, on place quelque chose qui excède l'ordre de la nature, en disant (qu'il est) au-dessus du pouvoir de la nature, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce qui est appelé ardu. Et on pense à quelque chose qui dépasse notre connaissance, en disant que ce qui apparaît est au-delà de l'espérance de celui qui le voit avec étonnement, à qui du côté de ce qui est étonnant correspond ce qu'on appelle inhabituel. Car par l'habitude quelque chose devient plus familier à notre connaissance.

 

Solution des objections:

1. Ardu qui appartient à la définition du miracle, ne convient pas à la grandeur de l'événement considérée en soi, mais par comparaison au pouvoir de la nature. C'est pourquoi ce que fait Dieu en chaque petite chose, que la nature ne peut pas faire, est considéré comme "ardu".

2. On dit que le miracle est inhabituel, parce qu'il est contre le cours habituel de la nature, même s'il se renouvelle chaque jour, comme la transsubstantiation du pain en corps du Christ est réitérée chaque jour, et cependant elle ne cesse pas d'être un miracle; car on doit appeler habituel ce qui arrive communément dans tout l'ordre de l'univers plus que ce qui arrive dans une seule chose.

3. A propos de ce que Dieu accomplit miraculeusement, on a l'habitude d'appliquer une distinction telle que certaines actions sont dites au-dessus de la nature, certaines contre, et d'autres en dehors.

1. Au-dessus de la nature dans la mesure où dans cet effet que Dieu produit, la nature ne peut rien faire en aucune manière, ce qui arrive de deux façons:

a) Ou bien parce que la forme même, induite par Dieu, ne peut absolument pas l'être par la nature, comme la forme de gloire que Dieu induit dans le corps des élus, et aussi l'Incarnation du Verbe.

b) Ou parce que, même si elle pouvait induire une telle forme dans la matière, ce n'est cependant pas dans celle-ci: ainsi la nature a pouvoir de causer la vie; mais la nature ne peut pas la causer dans un mort.

2. On dit que c'est contre la nature quand en elle demeure une disposition contraire à l'effet que Dieu produit, comme quand il a conservé sans blessure les enfants dans la fournaise, alors que le pouvoir de brûler demeurait dans le feu et comme quand l'eau du Jourdain s'arrêta, tout en conservant sa gravité, et il en est de même pour l'enfantement de la Vierge.

3. On dit que Dieu agit en dehors de la nature, quand est produit un effet que la nature peut produire, cependant d'une manière dont la nature ne peut pas le produire, ou parce que les instruments par lesquels la nature opère sont défaillants ainsi quand le Christ change l'eau en vin (Jn 2, 3-11), ce que cependant la nature peut faire d'une autre manière, quand l'eau est prise en nourriture par la vigne, en son temps, et devient le suc du raisin par absorption, ou bien parce que dans l'oeuvre divine il y a une plus grande multitude que la nature n'a pas coutume de produire, comme on le voit pour les grenouilles produites en Égypte; ou quant au temps, comme quand à l'invocation d'un saint quelqu'un est aussitôt guéri, ce que la nature ne (peut faire) aussitôt mais successivement, et dans un autre temps, elle ne pourrait lui apporter ses soins; et cela arriva ainsi dans le miracle rapporté à propos de la belle-mère de Pierre. C'est pourquoi il apparaît que tous les événements de ce genre, si on prend la manière et le résultat, dépassent le pouvoir de la nature.

4. La résurrection future des morts est au-delà de l'espérance de la nature, bien qu'elle ne soit pas au-delà de l'espérance de la grâce. De cette double espérance, il est question en (Rm 4, 18): "Il crut contre toute espérance."

5. Le ciel et la terre et même les âmes rationnelles dans l'ordre de la nature ne sont pas destinés à être créés par une autre cause que Dieu. Et c'est pourquoi de telles créations ne sont pas des miracles.

6. On doit en dire autant de la justification de l'impie.

7. Ce qui est fait par la nature, est aussi fait par Dieu; mais ce que Dieu accomplit miraculeusement n'est pas fait par la nature et c'est pourquoi la raison ne convient pas. Et en outre la nature opérante est une cause évidente pour nous. Mais Dieu est une cause cachée; et c'est pour cela que nous admirons plus les oeuvres de Dieu que les oeuvres de la nature.

8. Bien que les prodiges soient faits contre une nature particulière, ils ne sont pas faits contre la nature universelle.

9. L'Incarnation du Verbe est le miracle des miracles, comme le disent les saints, parce qu'il est plus grand que tous les miracles et tous les autres lui sont ordonnés et c'est pour cela qu'il n'incite pas seulement à croire à d'autres choses mais aussi les autres miracles amènent à croire en lui. Car rien n'empêche un miracle de conduire à la foi pour un autre, comme la résurrection de Lazare amène à croire à la résurrection future.

 

Article 3: Les créatures spirituelles peuvent-elles faire des miracles par leur pouvoir naturel?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car ce que peut un pouvoir inférieur, un pouvoir supérieur le peut beaucoup plus. Mais le pouvoir de la créature spirituelle est au-dessus de celui de la nature corporelle: c'est pourquoi il est dit en Job, 41, 24: "Il n'y a pas de pouvoir sur terre qui puisse lui être comparé." Donc la créature spirituelle peut produire les effets que produit la nature. Mais quand l'effet naturel se produit non par une cause naturelle, mais par une cause cachée, c'est un miracle. Donc la créature spirituelle peut faire des miracles.

2. Plus une chose est en acte, plus elle est active, parce que chacun agit en tant qu'il est en acte. Mais les formes que sont les créatures raisonnables, sont plus en acte que celles qui sont dans la créature corporelle, parce qu'elles sont plus immatérielles. Donc elles sont plus actives. Mais les formes qui sont dans une nature corporelle, produisent du semblable à elles en nature. Donc les formes qui sont dans l'esprit de la créature spirituelle peuvent beaucoup plus le faire et ainsi la créature raisonnable pourra produire des effets naturels au-delà des causes naturelles; ce qui est miraculeux.

3. L'intellect de l'ange est plus proche de l'intellect divin que l'intellect humain. Mais en ce dernier il y a des formes actives, qui sont naturellement dans l'intellect pratique, comme formes d'art. Donc ces formes actives sont beaucoup plus importantes dans l'intellect de l'ange: car il est clair que les idées de l'intellect divin sont très actives.

4. Mais on pourrait dire que les formes actives qui sont dans l'intellect de l'ange sont appliquées à des effets par l'intermédiaire d'un agent corporel, comme les formes de l'intellect humain.

- En sens contraire, tout pouvoir, qui ne peut devenir en acte que par l'intermédiaire d'un instrument corporel, est donné en vain à quelqu'un, à moins qu'il lui soit donné un organe corporel: car c'est en vain que la puissance motrice serait donnée à l'animal si les organes du mouvement ne lui étaient pas donnés. Mais il n'y a pas de corps naturellement uni à l'ange. Donc c'est que son pouvoir ne demande pas un corps actif pour l'exécution de son oeuvre.

5. Tout pouvoir qui dépasse les limites d'un organe, peut avoir une action au-delà de celui-ci; parce qu'en effet, l'oeil n'égale pas le pouvoir de toute l'âme, celle-ci effectue de nombreuses opérations mais pas par lui. Mais un corps ne peut pas être proportionné à tout le pouvoir de l'ange. Donc celui-ci peut causer des effets sans l'intermédiaire des corps; et ainsi il semble qu'il puisse faire des miracles par le pouvoir de sa nature.

6. Le pouvoir de l'ange dépasse tout pouvoir corporel plus que le corps du ciel dépasse les corps élémentaires. Mais des effets sont produits par le pouvoir du corps céleste dans les choses inférieures, sans les actions des puissances actives et passives, qui sont les pouvoirs propres des éléments. Donc par le pouvoir de l'ange des effets peuvent être produits beaucoup plus intensément dans les choses naturelles, sans l'intermédiaire des pouvoirs des corps naturels.

7. Selon Augustin, tous les corps sont régis par Dieu par un esprit de vie doué de raison; et Grégoire dit la même chose: et ainsi il semble que le mouvement du ciel et de toute la nature dépend des anges, comme le mouvement du corps humain dépend de l'âme. Mais les formes sont induites par l'âme dans le corps au-delà des pouvoirs naturels actifs du corps: car par la seule imagination quelqu'un s'échauffe ou se refroidit, et attrape quelquefois la fièvre ou même la lèpre, comme le disent les médecins. Donc beaucoup plus intensément de la seule conception de l'ange qui meut le ciel, au-delà de l'action des causes naturelles, des effets peuvent s'écouler dans les êtres inférieurs et ainsi l'ange peut faire des miracles.

8. Mais on pourrait dire, que cela vient du fait que l'âme est la forme du corps. Or l'ange n'est pas la forme d'une créature corporelle.

- En sens contraire, tout ce qui provient de l'âme par son opération, provient d'elle en tant que moteur, non en tant que forme; car par son opération l'âme n'est pas la forme du corps, mais elle en est moteur. Mais ces pressions qui se font dans le corps par l'âme, découlent de la pression de l'âme qui imagine. Donc elles ne viennent pas de l'âme en tant que forme mais en tant que moteur.

9. Dieu peut faire des miracles, parce sa puissance est infinie. Mais in Des Causes, il est dit que la puissance de l'intelligence est infinie, surtout pour ce qui est inférieur, ce qui peut aussi être prouvé, comme on l'a montré, du fait qu'elle provoque le mouvement du ciel destiné à être éternel; car il n'y a qu'un pouvoir infini qui peut mouvoir d'un mouvement éternel, comme on le prouve in Physique. Donc il semble que les anges puissent faire des miracles même par un pouvoir naturel.

10. In Des Causes, il est dit que toute puissance unie est plus infinie qu'une puissance multipliée; et là le Commentateur dit que plus la puissance de l'intelligence est rassemblée et unie, plus elle croît, se fortifie et plus elle accomplit d'opérations admirables. Mais le Commentateur y parle de la puissance naturelle de l'intelligence: car il n'a pas connu le pouvoir de la grâce. Donc l'ange peut faire des miracles par sa puissance naturelle.

11. Mais il faut dire que l'ange peut faire des miracles, non par sa puissance propre, mais par celle induite par Dieu dans les choses naturelles, en les appliquant à l'effet auquel il tend.

- En sens contraire, l'application des semences naturelles de ce genre, en qui existent les puissances actives de la nature, pour un effet, ne peut exister que par mouvement local. Mais il semble que c'est pour une même raison que les corps obéissent ou non à la substance spirituelle pour le mouvement local, et les autres mouvements, car n'importe quel mouvement naturel a un moteur propre et déterminé. Donc, si les anges peuvent par leur pouvoir appliquer des semences de ce genre pour un effet de nature, par mouvement local, ils ont pu aussi par mouvement de changement ou de génération induire une forme dans la matière de leur seul pouvoir; ce qui est faire des miracles.

12. Il appartient à une même puissance en genre, d'induire une forme dans la matière et d'empêcher de l'induire: en effet, la forme du feu est induite dans la matière par la puissance du corps, de même l'induction d'une telle forme est empêchée par elle. Mais la puissance de la créature spirituelle empêche que la forme soit induite dans la matière par un agent naturel: car on dit qu'il s'est trouvé que quelqu'un, par le pouvoir d'un écrit, placé dans le feu, n'a pas été brûlé; il est clair que ce n'est pas arrivé par l'opération divine qui, pour les mérites, repousse sans écrits les châtiments de ses saints. Et ainsi il reste que cela a été fait par la puissance du démon. Donc il semble que, à raison égale, la créature spirituelle puisse de son seul pouvoir induire une forme dans la matière, sans agent corporel. Et cependant il paraît miraculeux que l'homme, placé dans le feu, ne brûle pas, comme on le voit dans le miracle des trois enfants.

13. La forme, dans l'imagination et les sens, est plus noble que celle qui est dans la matière corporelle d'autant qu'elle est plus immatérielle. Mais la créature spirituelle peut induire une forme dans l'imagination et les sens pour qu'une chose paraisse autre qu'elle est: c'est pourquoi Augustin dit: "Ce n'est pas réellement que les démons créent des natures; mais ils changent seulement d'apparence ce qui a été créé par Dieu", et ensuite il ajoute que cela se fait par le changement dans l'imagination. Donc il peut beaucoup plus induire une forme dans la matière corporelle, et ainsi de même que ci-dessus.

14. Mais il faut dire que le changement dans l'imagination par le démon ne se fait pas en induisant de nouvelles formes, mais par composition et division des formes qui existent déjà.

- En sens contraire, l'âme est plus noble que la nature corporelle. Si donc le démon par sa puissance peut faire ce qui est l'opération propre de l'âme sensitive, à savoir composer et diviser les images, il semble qu'il puisse plus intensément accomplir par sa puissance les opérations de la nature corporelle, et ainsi de même que ci-dessus.

15. De la même manière que se comporte la puissance vis-à-vis d'elle-même, l'opération se comporte vis-à-vis d'elle-même. Mais le pouvoir de l'ange ne dépend pas de la puissance de la créature corporelle. Donc son opération non plus, et ainsi il peut opérer miraculeusement au-delà des causes naturelles.

16. De même que faire quelque chose de rien demande une puissance infinie, à cause de la distance infinie entre l'être et le néant, de même ramener quelque chose de la puissance à l'acte, est soumis à une puissance finie. Parmi les puissances finies, la plus grande est celle de l'ange. Donc l'ange par son pouvoir peut amener à l'acte toutes les formes qui sont dans la puissance de la matière, sans l'action d'une cause naturelle, et ainsi de même que ci-dessus.

17. Tout agent non empêché agit et supporte. Mais l'ange qui agit dans ce qui est corporel n'en supporte rien. Donc son action ne l'empêche pas de pouvoir faire des miracles, en agissant en dehors des causes naturelles.

 

Cependant:

1. Dieu fait des miracles parce que la nature lui est soumise; mais elle n'est pas soumise à l'ange: car Dieu n'a pas soumis la terre aux anges, comme il est dit in (He 2, 5). Donc les anges ne peuvent pas faire de miracles par leur pouvoir naturel.

2. Augustin dit, qu'il ne faut pas penser que la matière des corps se soumet aux anges transgresseurs sur un signe de leur part. Elle leur serait soumise, si par le pouvoir de sa nature, la créature spirituelle pouvait faire des miracles. Donc ils ne peuvent pas faire de miracles.

 

Réponse:

Il faut dire qu'Augustin, après avoir traité attentivement cette question, conclut à la fin: "Pour moi il est tout à fait utile de me souvenir de mes forces, et d'avertir mes frères, qu'ils se souviennent des leurs, pour que la faiblesse humaine ne progresse pas au delà de la prudence; car de quelque manière que les anges le fassent, ou plutôt de quelque manière que Dieu le fasse par les anges, je ne peux pas le discerner par l'acuité de ma vue, ni le comprendre par la perspicacité de mon esprit, de sorte que je puisse parler avec autant d'assurance de tout ce qu'on peut en rechercher que si j'étais un ange, un prophète ou un apôtre." C'est pourquoi une fois cette modération acquise, il faut procéder, sans assertion ni préjudice d'une expression meilleure, autant que la raison et l'autorité peuvent nous aider.

Il faut donc savoir qu'à propos de cette question, on constate que les philosophes ne sont pas d'accord:

A. Car Avicenne a pensé que la substance spirituelle qui met en mouvement les cieux, cause des effets dans les corps inférieurs, non seulement par l'intermédiaire du mouvement du ciel, mais aussi au-delà de toute action du corps, voulant que la matière corporelle soit soumise beaucoup plus à la conception et au pouvoir déjà signalé de la substance spirituelle qu'aux agents contraires dans la nature ou à quelque corps agent. Et il dit que par cette cause quelquefois se produisent des changements inusités de l'air, et des guérisons de maladies que nous, nous appelons miracles. Et il propose l'exemple de l'âme qui meut le corps, par l'imagination de laquelle, sans aucun autre agent corporel, le corps subit la chaleur et le froid et quelquefois (attrape) la fièvre et la lèpre.

Mais cette position convient assez aux principes qu'il suppose, car il pense que les agents naturels disposent seulement la matière; mais les formes substantielles viennent de la substance spirituelle qu'il appelle donneur de formes; c'est pourquoi la matière par ordre naturel obéit à la substance spirituelle, pour en recevoir la forme; et ce n'est pas étonnant non plus, si, en dehors de l'ordre des corps agents, il induit quelques formes dans la matière par son seul pouvoir. Car si la matière obéit à la substance séparée, pour recevoir la forme substantielle, il ne sera pas inconvenant qu'elle obéisse pour recevoir aussi les dispositions à la forme; car il est clair que cela dépend d'une puissance moindre.

B. - Mais selon l'opinion d'Le philosophe et de ceux qui le suivent, cela n'est pas possible, et il prouve, par une double raison, que les formes ne sont pas induites dans la matière par quelque substance séparée, mais sont amenées de la puissance de la matière à l'acte par l'action de la forme qui est dans la matière.

1. La première raison, il la donne en Métaphysique, parce que, selon ce qui y est prouvé, ce qui est fait, c'est proprement le composé, non la forme, ni la matière; car le composé est ce qui a l'être en propre. Mais tout agent fait du semblable à lui; c'est pourquoi il faut que ce qui fait exister les choses naturelles en acte par génération, soit un composé et non une forme sans matière, car cela c'est la substance séparée.

2. L'autre preuve se trouve in VIII, Physique: parce que, comme le même est destiné à toujours faire le même, ce qui est engendré, corrompu, altéré, augmenté ou diminué ne se comporte pas toujours de la même manière, - il faut que ce qui engendre ou meut, selon de tels mouvements, ne se comporte pas toujours de la même manière, mais différemment. Mais cela n'est pas possible pour la substance séparée, parce que toute substance de ce genre est immobile; car tout ce qui est mu est un corps, comme on le prouve en Physique. C'est pourquoi, ce qui est la cause immédiate qui ramène la forme de la puissance à l'acte, par génération et changement, est un corps qui se comporte différemment, selon qu'il s'approche ou s'éloigne par mouvement local.

De là vient que la substance séparée, par son pouvoir, cause immédiatement dans le corps un mouvement local, et par son intermédiaire, elle cause les autres mouvements, par lesquels le mobile acquiert une forme. Et cela arrive conformément à la raison. Car le mouvement local est le premier et le plus parfait des mouvements, à savoir qu'il ne change pas la chose de l'intérieur, mais seulement sa situation locale extérieure. Et c'est pourquoi par son premier mouvement, à savoir le mouvement local, la nature corporelle est mue par la nature spirituelle. Donc ainsi, la créature corporelle obéit au pouvoir de la créature spirituelle selon l'ordre naturel pour le mouvement local, mais pas pour recevoir une forme, ce qu'il faut comprendre de la nature spirituelle créée dont le pouvoir et l'essence sont limités à un genre déterminé, mais non de la substance spirituelle incréée, dont le pouvoir est infini, non limité à un genre selon la règle du genre.

La foi est en accord avec cette opinion; c'est pourquoi Augustin dit, que la matière des corps n'est pas soumise à la volonté des anges. Cependant en cela la règle de foi diffère de la position des philosophes; car ceux-ci pensent que les substances séparées meuvent par leur pouvoir les corps célestes d'un mouvement local; mais le mouvement local dans les êtres inférieurs n'est pas causé immédiatement par la substance séparée, mais par d'autres moteurs, de façon naturelle, volontaire ou violente.

C. - C'est pourquoi, Alexandre, le commentateur, attribue tous les effets que nous attribuons aux anges ou aux démons dans les choses inférieures à la pression des corps célestes, ce qui ne semble pas avoir été assez dit. Car les effets de ce genre ne se font pas par un cours déterminé, comme ce qui se fait par l'action naturelle des corps supérieurs ou inférieurs. Et en plus on trouve ces effets en qui les corps célestes ne peuvent rien, comme les bâtons transformés aussitôt en serpent, et beaucoup d'autres choses de ce genre.

D. Mais la formule de la foi est que non seulement les corps célestes mais encore les autres corps, meuvent localement par leur pouvoir, si Dieu l'ordonne et le permet. Donc ils meuvent localement par leur pouvoir les corps dans lesquels il y a un pouvoir actif naturel pour produire un effet; Augustin appelle ce pouvoir les semences de la nature; et ainsi leur opération ne viendra pas par un miracle, mais par l'art. Car, dans les miracles, les effets sont produits sans actions naturelles, par une cause surnaturelle. Mais produire un effet que la nature ne peut pas produire, ou bien pas convenablement, par l'intermédiaire de l'action des principes naturels, c'est de l'art. C'est pourquoi le philosophe dit que l'art imite la nature, et parvient à des effets que la nature ne peut pas faire, mais où elle vient en aide; comme le médecin aide la nature à guérir, en changeant, en éliminant, par opposition à ce qui a un pouvoir naturel pour cela.

Pour produire des effets de ce genre, l'art de l'ange, bon ou mauvais, est plus efficace et il produit de meilleurs effets que l'art des hommes, et cela pour deux raisons:

1. Première raison, parce que, comme les effets corporels dans les êtres inférieurs dépendent surtout des corps célestes, alors l'art peut surtout obtenir un effet, quand le pouvoir du corps céleste y coopère. C'est pourquoi dans les opérations de l'agriculture et de la médecine, la considération du mouvement et de la situation du soleil, de la lune et des autres étoiles est efficace; les anges en connaissent le pouvoir, le lieu et le mouvement avec plus de certitude que les hommes. C'est pourquoi ils peuvent mieux choisir les heures, où le pouvoir du corps céleste participe davantage aux effets recherchés. Et cela semble être la raison pour laquelle les nécromanciens dans leurs invocations aux démons observent la situation des étoiles.

2. Seconde raison, parce qu'ils connaissent mieux que les hommes, les puissances actives et passives dans les corps inférieurs, et ils peuvent les appliquer plus facilement et plus rapidement à l'effet, en tant qu'ils peuvent mouvoir les corps localement par leur pouvoir; c'est pourquoi, même les médecins provoquent des effets plus admirables en soignant parce qu'ils connaissent mieux les pouvoirs des choses naturelles.

3. Il peut exister une troisième raison, parce que, comme l'instrument agit non seulement dans son pouvoir, mais dans celui du moteur, - (c'est de là même que le corps céleste a un effet par le pouvoir de la substance spirituelle motrice, comme ce qui est la cause de la vie, comme on le voit dans les animaux engendrés de la putréfaction. La chaleur naturelle, dans la mesure où elle est l'instrument de l'âme végétative, agit pour la forme de la chair), - il n'est pas inconvenant de penser que les corps naturels eux-mêmes, dans la mesure où ils sont mus par la substance spirituelle, obtiennent un effet plus grand; ce qu'on peut voir de ce qui est dit in (Gn 6, 4): "Les géants étaient sur la terre en ces jours-là; car après que les fils de Dieu soient entrés chez les filles des hommes, elles engendrèrent, ce sont les héros, hommes fameux de cette époque;" et une glose dit qu'il n'est pas incroyable que par des démons, qui ont couché avec les femmes, aient été procréés de tels homme, à savoir les géants.

Ainsi donc il est clair que les anges, bons ou mauvais, ne peuvent pas faire de miracles par un pouvoir naturel, mais ils produisent des effets étonnants dans lesquels leur opération vient de l'art.

 

Solution des objections:

1. Bien que la puissance naturelle de l'ange ou du démon soit plus grande que celle du corps, cependant elle n'est pas pour induire une forme dans la matière immédiatement, mais par l'intermédiaire d'un corps; c'est pourquoi elle le fait plus noblement que le corps, parce que le premier moteur est plus important en agissant que le second.

2. Les formes des choses naturelles qui sont dans l'esprit de l'ange sont plus en acte que celles qui sont dans la matière; et pour cela, elles sont le principe immédiat d'une opération plus parfaite, qui est comprendre (intelligere): mais elles ne sont pas le principe immédiat de l'opération qui transforme la matière; mais par l'intermédiaire de la volonté, et la volonté par l'intermédiaire du pouvoir, et le pouvoir immédiatement provoque le mouvement local; par ce mouvement, intermédiaire, il est la cause des autres mouvements, et une cause d'induction de la forme dans la matière.

3. Les formes qui sont dans l'esprit humain, n'agissent sur ce qui est artificiel, que par l'intermédiaire de la volonté, d'un pouvoir moteur, des organes naturels et des instruments artificiels.

4. Le pouvoir auquel un organe peut adhérer, qui lui répond quant à toute opération, doit avoir un organe joint, comme le pouvoir de la vue a l'oeil. Mais aucun corps ne pourrait de cette manière convenir à l'ange qui égalerait son pouvoir; aussi il n'a pas eu d'organe corporel uni naturellement. C'est pourquoi les philosophes qui ont pensé que les substances séparées n'avaient d'effet dans les choses inférieures que par l'intermédiaire du ciel, ont pensé qu'une substance spirituelle était unie au ciel comme à son propre instrument, qu'ils appelaient l'âme du ciel. Mais ils ne parlaient pas d'autre intelligence non unie, par laquelle l'âme du ciel était mue comme celui qui désire à ce qui est désiré.

5. Même si l'ange meut le ciel, il peut cependant avoir une action dans les choses inférieures sans le mouvement du ciel, qui meut les autres corps, et sans comprendre tout corps, bien que par la forme il ne puisse induire dans la matière, sans agent corporel.

6. Comme le ciel est un agent corporel, il peut changer sans intermédiaire et amener à la forme; ce n'est pas pareil pour les anges.

7. L'âme dans l'ordre naturel, par son pouvoir, meut localement le corps, car sa force appétitive commande le mouvement, et le corps obéit à son ordre; ce qui se fait aussi par les pouvoirs moteurs qui sont liés aux organes, et passent de l'âme dans le corps, qui est mis en forme par l'âme. Mais les autres changements, comme le réchauffement, le refroidissement etc., découlent de l'âme par l'intermédiaire du mouvement local. Il apparaît aussi que par l'imagination même découle la passion par laquelle d'une certaine manière le mouvement du coeur et des esprits est modifié; de ceux-ci rétractés au coeur ou diffusés dans les membres, découle un changement dans le corps qui aussi peut être cause de maladie surtout si la matière y est disposée.

8. Et par là apparaît la solution 8.

9. Le pouvoir inférieur de l'ange est appelé infini, dans la mesure où ce n'est pas un pouvoir reçu dans la matière et par cela il n'est pas limité par un receveur inférieur; son pouvoir supérieur n'est cependant pas infini, comme on l'a dit ci-dessus, parce que l'ange reçoit de Dieu un être fini, et c'est pourquoi sa substance est déterminée à un genre, et par conséquent, son pouvoir est déterminé à un mode d'action, ce qu'on ne peut pas dire de Dieu.

10. Bien que l'ange fasse des oeuvres admirables par son art, comme on l'a dit ci-dessus, il ne fait cependant pas de miracles.

11. Bien que les mouvements locaux des corps inférieurs viennent de moteurs naturels déterminés, comme les autres mouvements aussi, cependant la créature corporelle obéit dans l'ordre naturel à la créature spirituelle pour le mouvement local, non pour les autres mouvements, pour la raison donnée plus haut; et surtout si son pouvoir n'est pas déterminé à un corps comme le pouvoir de l'âme unie à un corps.

12. La substance spirituelle créée ne peut pas induire par son pouvoir une forme dans la matière; de la même manière, elle ne peut pas par son pouvoir l'empêcher d'être induite par l'agent naturel, et si elle le fait quelquefois, elle le fait en opposant un empêchement naturel, quoiqu'il soit caché aux sens humains, et surtout puisqu'il peut mouvoir localement la flamme du feu, pour qu'elle n'approche pas autant du combustible.

13. La créature spirituelle séparée peut changer l'imagination par un pouvoir naturel, non en induisant par pouvoir les formes dans l'organe de l'imagination mais par un ébranlement des esprits et des humeurs; car il est clair que par la transformation qui y est opérée, il y a des apparitions comme chez les malades mentaux et les dormeurs. Et pour ce changement de l'imagination on dit que certaines choses naturelles ont une puissance efficace; dont les nécromanciens, dit-on, se servent pour tromper la vue.

14. Et par là la réponse à la quatorzième solution est claire.

15. De même que le pouvoir des anges est au-dessus de celui du corps céleste, l'opération aussi comme on l'a dit, non cependant pour pouvoir induire la forme immédiatement dans la matière par son seul pouvoir.

16. Un pouvoir fini peut faire passer quelque chose de la puissance à l'acte, non cependant n'importe quel pouvoir fini, ni de n'importe quelle manière, car un pouvoir fini a une manière déterminée d'agir.

17. Même si rien ne fait obstacle à l'agent, il ne peut aller où son pouvoir ne s'étend pas; ainsi le feu ne peut pas refroidir, même si rien d'extérieur ne l'empêche. Aussi il n'en découle pas qu'ainsi les anges ne peuvent pas par leur pouvoir induire une forme dans la matière, parce qu'ils sont empêchés de l'extérieur, mais parce que leur pouvoir naturel ne s'étend pas jusqu'à là.

 

Article 4: Les bons anges et les hommes peuvent-ils faire des miracles par un don de la grâce?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car les hiérarchies des anges ne sont constituées que par les oeuvres qu'ils accomplissent. Mais une hiérarchie d'anges a été instituée pour faire des miracles. En effet Grégoire dit dans une homélie que les Vertus sont ceux par qui les signes et les miracles sont faits le plus souvent. Donc les anges peuvent faire des miracles par grâce.

2. In (Ac 6, 8), il est dit: "Étienne, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et de grands signes parmi le peuple". Mais la grâce de Dieu ne serait envoyée préalablement que si l'acte suivant arrivait par grâce. Donc par son pouvoir, les hommes aussi peuvent faire des miracles.

3. Le don de la grâce n'est donné que pour ce qui peut être fait par celui qui la possède. Mais à certains le don de la grâce est donné gratuitement pour faire des miracles: ainsi il est dit en (1Co 12, 9-10): "A l'un est donnée la grâce de guérison dans l'unique Esprit, à l'autre l'opération des miracles." Donc les saints peuvent faire des miracles par grâce.

4. Mais on pourrait dire que les saints font des miracles non pas en agissant, mais en obtenant de Dieu de le faire. En sens contraire, la prière est exaucée par ce qui la fait accepter par Dieu. Cela se fait par la foi, la charité et les autres vertus qui conviennent à la grâce donnée gratuitement. Il ne faut donc pas, pour faire des signes, que soit donné aux saints un don de la grâce donnée gratuitement.

5. In II, Dialogues, Grégoire dit que "Ceux qui s'attachent à Dieu avec un esprit dévot, lorsque la nécessité le demande, ont coutume de causer les signes de deux manières, de sorte qu'ils les accomplissent quelquefois par la prière, quelquefois par leur pouvoir. " Ce que quelqu'un peut faire à partir de son pouvoir, il le fait en opérant, et non seulement en l'obtenant. Donc les anges et les saints aussi, en agissant font des miracles.

6. Le cours des événements est triple selon Anselme: naturel, volontaire et merveilleux. Mais dans le cours naturel des choses, les anges en tant qu'intermédiaires entre Dieu et les corps naturels "agissent, comme le dit Augustin. Tous les corps sont dirigés par Dieu, par un esprit de vie doué de raison", et Grégoire dit: "Rien en ce monde visible ne peut être établi que par la créature invisible." Il en est de même pour le cours volontaire des choses, car les anges eux-mêmes sont intermédiaires entre nous et Dieu, nous apportant les lumières reçues de Dieu. Donc, même dans le cours étonnant des choses, les anges sont intermédiaires, de sorte que les miracles sont faits avec eux en tant qu'agents.

7. Mais il faut dire que les anges sont des intermédiaires, non pas comme des agents, par leur propre pouvoir, mais par le pouvoir divin. En sens contraire, quiconque opère dans le pouvoir d'un autre, accomplit en quelque manière ce qui est fait par ce pouvoir. Donc si les anges opèrent dans le pouvoir divin pour faire des miracles, ce sont eux qui agissent d'une certaine manière.

8. La Loi ancienne a été transmise miraculeusement par Dieu, c'est pourquoi il est dit en Exode 19, qu'ils commencèrent à entendre le tonnerre et à voir briller des éclairs, et des nuages épais couvrirent la montagne. Mais la loi a été donnée par les anges, comme il est dit in (Ga 3, 19). Donc les miracles sont faits par les anges.

9. Augustin dit à la fin du livre I de La doctrine chrétienne: "Tout ce qu'on a et qui n'est pas donné, s'il défaille quand on le donne, n'est pas encore possédé comme il doit l'être". Mais le pouvoir de faire des miracles est en Dieu; et s'il le donnait à un autre, il ne défaillirait pas. Donc s'il n'a pas donné ce pouvoir à d'autres, il semble qu'il ne l'a pas comme il devrait l'avoir et ainsi il semble que Dieu a donné la puissance de faire des miracles aux anges et aux hommes.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit au (Ps 71, 18): "Lui seul fait de grands miracles."

2. En outre, comme le dit Bernard, seul peut changer la loi ou en dispenser celui qui l'a établie; comme on le voit dans les lois humaines: seul l'empereur peut changer la loi qu'il a établie. Mais Dieu seul a institué la loi qui règle le cours de la nature. Donc seul il peut faire des miracles en agissant au-delà de son cours.

 

Réponse:

Les anges, en plus de leur puissance naturelle d'action, peuvent quelque chose par le don de la grâce, dans la mesure où ils sont les ministres du pouvoir divin. Et on peut dire que pour faire des miracles ils agissent de trois manières:

1. En l'obtenant par des prières; cette manière peut être commune aux hommes et aux anges.

2. Selon que les anges disposent la matière par leur pouvoir naturel pour que le miracle s'accomplisse; ainsi on dit qu'à la résurrection, ils rassembleront les cendres des morts, qui seront ramenés à la vie par le pouvoir divin. Mais cette manière est propre aux anges car les esprits humains, étant unis à des corps, ne peuvent agir à l'extérieur que par l'intermédiaire du corps, auquel ils sont en quelque manière liés naturellement.

3. Ils opèreraient même en coopérant; sur cette manière, A ce sujet, Augustin émet un doute dans le livre 22 de la Cité de Dieu, disant: "Car, Dieu par lui-même d'une manière étonnante, soit par ses ministres, le fait, soit il opère tout aussi par l'esprit des martyrs, soit par les hommes encore établis dans leur corps, soit par les anges auxquels il commande invisiblement (pour que ce qu'on dit fait par les martyrs, soit obtenu par leurs prières sans qu'ils agissent), soit enfin de quelques autres manières, tout à fait incompréhensibles aux mortels; cependant ces miracles rendent témoignage de la foi qui annonce la résurrection de la chair pour l'éternité."

Mais Grégoire semble limiter ce problème en disant que les saints, même vivants en leur corps, non seulement en priant et en obtenant, mais aussi de plein droit et par cela en coopérant, font des miracles, ce qu'il prouve par la raison et des exemples.

a) Par la raison: parce que, si le pouvoir de devenir enfants de Dieu a été donné aux hommes, il n'est pas étonnant qu'ils puissent faire des miracles par ce pouvoir.

b) Par des exemples: parce que Pierre, en les réprimandant livra à la mort Ananie et Saphire qui mentaient, sans avoir prié auparavant, comme on le constate in (Ac 5, 1-11). Le bienheureux Benoît ayant détourné son regard sur les bras d'un chef paysan, que les lanières qui y étaient attachées commencèrent à se détacher si vite qu'aucun homme, même rapide, n'aurait pu le faire. C'est pourquoi il conclut que les saints quelquefois font des miracles par leurs prières, quelquefois par leur pouvoir.

Il faut considérer comment cela est possible. Il est clair que Dieu par son seul pouvoir opère des miracles. Mais nous voyons que le pouvoir divin parvient à des esprits rationnels inférieurs, c'est-à-dire les hommes, par l'intermédiaire des esprits supérieurs, c'est-à-dire les anges, comme cela apparaît dans la transmission de la Loi ancienne, et par ce moyen, le pouvoir divin peut parvenir par les esprits angéliques ou humains à des créatures corporelles de sorte que, par elles, d'une certaine manière, le commandement divin soit rendu présent à la nature; et ainsi d'une certaine manière les esprits humains et angéliques agissent comme des instruments du pouvoir divin pour accomplir des miracles; ils peuvent parfaire un miracle, non comme par quelque pouvoir qui demeure habituellement en eux, ou gratuit ou naturel, parce qu'ainsi, chaque fois qu'ils le voudraient, ils pourraient faire des miracles; ce que cependant Grégoire assure ne pas être vrai; et il le prouve par l'exemple de Paul, qui demanda que l'aiguillon s'éloigne de lui et il ne l'obtint pas. et par celui de Benoît qui fut retenu contre sa volonté par la pluie, obtenue par les prières de sa soeur, mais le pouvoir pour coopérer à Dieu dans les miracles peut être compris chez les saints à la manière des formes imparfaites qui sont appelées intentions, qui ne demeurent que par la présence de l'agent principal comme la lumière dans l'air et le mouvement dans l'instrument.

Et un tel pouvoir peut être compris comme le don d'une grâce donnée gratuitement, qui est la grâce des miracles et des guérisons, pour qu'ainsi cette grâce qui est donnée pour opérer surnaturellement, soit semblable à la grâce de prophétie, qui est donnée pour connaître surnaturellement, par laquelle le prophète ne peut pas chaque fois qu'il le veut prophétiser, mais seulement quand l'esprit de la prophétie touche son coeur, comme le prouve Grégoire. Et ce n'est pas étonnant, si, par ce moyen, Dieu se sert de la créature spirituelle comme d'un instrument pour produire des effets admirables, dans la nature corporelle, puisqu'il se sert de la même manière de la créature corporelle pour la justification des esprits comme cela paraît dans les sacrements.

 

Solution des objections:

1. Et ainsi s'éclaire la réponse aux objections. Car il est vrai que seul Dieu fait des miracles par son autorité, il est vrai aussi qu'il communique à la créature le pouvoir d'en faire, selon la capacité de la créature, et l'ordre de la sagesse divine, de sorte que, par la grâce, la créature opère des miracles par son ministère.

 

Article 5: Les démons aussi font-ils des miracles?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car il est dit in (Mt 24, 24): "De faux christs et de faux prophètes se lèveront, et ils feront de grands signes et des prodiges." Mais ils n'opéreront que par le pouvoir des démons. Donc les démons font des miracles.

2. Guérir tout d'un coup un malade c'est un miracle; on dit que c'est ainsi que fut le miracle par lequel le Christ guérit la belle-mère de Pierre, comme on le lit in (Lc 4, 38-40). Mais cela aussi les démons peuvent le faire, car les remèdes donnés à un malade accélèrent la guérison; mais ils peuvent aussi par l'agilité de leur nature, pour guérir, se servir de remèdes efficaces qu'ils connaissent bien, et ainsi à ce qu'il semble, ils peuvent guérir subitement. Donc ils peuvent faire tout à coup des miracles.

3. Faire parler les muets est un miracle. Mais qu'un chien parle ou chante semble un plus grand miracle, ce que Simon le magicien faisait, comme on le lit, par le pouvoir du démon. Donc il peut faire un miracle.

4. Valère-Maxime raconte que la statue de la Fortune, qui était à Rome sur la Via Latina, non pas une mais deux fois, a parlé en ces termes: "Selon le rite, vous m'avez vue matrones, selon le rite, vous m'avez consacrée." Que les pierres parlent est un miracle plus grand que faire parler les muets, ce qui cependant est miraculeux. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

5. On lit dans les histoires, qu'une vestale vierge pour montrer qu'elle avait conservé sa pudeur, porta de l'eau du Tibre dans un vase percé, et cependant l'eau ne s'écoula pas; ce qui n'a pu se faire que parce que l'eau étaient empêchée de couler par un pouvoir qui n'était pas naturel; ce qui est clairement un miracle dans la division des eaux du Jourdain et son arrêt. Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

6. Il est beaucoup plus difficile de transformer un homme en animal que de transformer de l'eau en vin. Mais transformer l'eau en vin est un miracle, comme on le voit in (Jn 2, 9). Donc c'est beaucoup plus fort de transformer un homme en animal. Mais par le pouvoir du démon des hommes ont été transformés en animaux, comme Varron le raconte que les compagnons de Diomède revenant de Troie, ont été transformés en oiseaux, qui volaient longtemps après autour du temple de Diomède; il raconte aussi que Circé, la fameuse magicienne, a transformé les compagnons d'Ulysse en animaux, que les Arcadiens, ayant traversé un étang, se transformèrent en loups. Donc les démons peuvent faire des miracles.

7. Les adversités ont été procurées à Job par l'action du démon; ce qui apparaît du fait que le Seigneur lui donna pouvoir sur tous ses biens (Jb 2, 6). Mais les adversités de ce genre n'arrivèrent pas sans miracles, comme c'est évident pour le feu descendu du ciel, et le vent qui renversa la maison pour faire mourir ses fils. Donc les démons peuvent faire des miracles.

8. Le fait que Moïse transforma son bâton en serpent fut un miracle. Mais les magiciens du Pharaon firent de même, par le pouvoir des démons, comme on le lit in (Ex 7, 8-13). Donc il semble que les démons peuvent faire des miracles.

9. Opérer des miracles est plus éloigné du pouvoir de l'homme que de celui de l'ange. Mais quelquefois des miracles arrivent par des hommes mauvais; c'est pourquoi, il est dit de la personne des réprouvés (Mt 7, 22): "En ton nom, nous avons prophétisé... et nous avons fait de nombreuses miracles." Donc les démons peuvent faire de vrais miracles.

 

Cependant:

Au temps de l'Antéchrist, le démon aura un très grand pouvoir pour agir, parce que, comme le dit (Ap 20, 3), il faudra qu'il soit libéré un peu de temps, ce qui est interprété comme le temps de l'Antéchrist. Mais alors il n'opérera pas de vrais miracles, ce qui est montré par ce qui est dit (1Th 2, 2-9), que la venue de l'antéchrist sera "dans tout pouvoir, signes et prodiges mensongers." Donc les démons ne peuvent faire de vrais miracles.

 

Réponse:

De même que les bons anges peuvent faire par grâce quelque chose au-delà de leur pouvoir naturel, de même les mauvais anges peuvent à cause de la providence divine qui les arrête, moins qu'ils ne le peuvent par leur pouvoir naturel, parce que, comme le dit Augustin certaines choses que les mauvais anges pourraient faire, si cela leur était permis, ils ne peuvent pas le faire parce cela ne leur est pas permis (c'est pour cela qu'on dit qu'ils sont liés, parce qu'ils sont empêchés de faire ce jusqu'où peut s'étendre leur pouvoir naturel; mais ils en sont délivrés quand il leur est permis par le jugement divin de faire ce qui est possible à leur nature). Mais certains ne le peuvent pas même s'ils en ont la permission, comme on le dit là même, parce que le pouvoir de leur nature, fourni par Dieu, ne le permet pas.

Pour ce qui est au-dessus de la faculté de leur nature, Dieu ne leur a donné aucune puissance, parce que - comme l'opération miraculeuse est un témoignage divin, qui montre le pouvoir et la vérité divine - si aux démons, dont toute la volonté est tournée vers la mal, une puissance était donnée pour faire des miracles, Dieu se montrerait garant de leur mensonge, ce qui ne convient pas à sa bonté. C'est pourquoi ces oeuvres qu'ils font parfois, qui paraissent des miracles aux hommes, quand ils sont autorisés par Dieu, sont celles auxquelles leur pouvoir naturel peut parvenir.

Comme aussi il est clair, d'après ce qu'on a dit ci-dessus, qu'ils peuvent produire, par le pouvoir naturel, ces seuls effets par mode d'art pour lesquels se trouvent des pouvoir naturels dans les corps, qui leur obéissent pour le mouvement local, de sorte qu'ils peuvent ainsi les appliquer rapidement à un effet. Mais par les pouvoirs de ce genre, de vrais changements peuvent être opérés; ainsi selon le cours naturel des choses, nous voyons l'un engendré par l'autre. Néanmoins ils peuvent, en effectuant un changement naturel, faire apparaître dans l'imagination certaines choses qui ne sont pas dans la nature, en agissant sur l'imaginaire, selon la diversité des esprits et des humeurs. A quoi aussi quelques corps extérieurs apportent leur efficacité, de sorte que ceux-ci ayant été acquis de quelque manière, il semble qu'il y a quelque chose d'une forme autre que ce qu'elle est, comme c'est évident chez les agités et les malades mentaux

Les démons peuvent donc opérer étonnamment en nous de deux manières: 1. par un vrai changement du corps; 2. par une illusion des sens qui vient du changement de l'imagination. Cependant ni l'une ni l'autre des opérations est miraculeuse, mais elles viennent de l'art, comme on l'a dit ci-dessus, et c'est pourquoi on dit absolument que les démons ne peuvent pas faire de vrais miracles.

 

Solution des objections:

1. On appelle signes et prodiges certaines choses qui peuvent être faites par un pouvoir naturel, cependant étonnantes pour les hommes, ou aussi par l'illusion des sens, comme on l'a dit.

2. Rien n'empêche que par l'art du démon, quelqu'un puisse être guéri plus vite que par la nature, si elle est laissée à elle-même, parce que nous le voyons faire par l'art de l'homme; il ne semble pas cependant qu'ils puissent guérir tout à coup (bien qu'ils puissent faire quelques autres effets comme soudainement) parce que les remèdes apportés au corps opèrent pour la santé comme des instruments; mais la nature est comme l'agent principal; c'est pourquoi de telles choses doivent être appliquées à ce qui peut être mu par la nature, et si plusieurs sont appliquées, elles n'apporteront pas la santé, mais elles l'empêcheront plutôt. C'est pourquoi même ces maladies pour la guérison desquelles le pouvoir de la nature ne peut rien, ne peuvent pas être soignées par l'action des démons. Mais il en est autrement de ces effets qui dépendent d'un agent extérieur, comme d'une cause principale. Mais il faut savoir que même si les démons achevaient soudain la guérison, ce ne serait pas un miracle, parce qu'ils agiraient par l'intermédiaire d'un pouvoir naturel, s'ils le faisaient.

3. Faire parler des chiens, et autres choses de ce genre que Simon le magicien faisait, a pu être fait par illusion, et non par un effet réel. Si cependant il l'avait fait en vérité, il n'en découle aucun inconvénient, parce que le démon ne donnait pas à un chien le pouvoir de parler, comme il est donné aux muets par miracle, mais lui-même formait le son par mouvement local, ayant la ressemblance et le mode d'une voix qui parle et articule. Car par ce moyen, on comprend que l'âne de Balaam aussi a parlé par l'action d'un bon ange.

4. Il faut dire de même pour l'obj. 4, à propos de la parole de la statue, car cela a été fait par le démon, par mouvement de l'air, en formant un son semblable à la parole humaine.

5. Il n'est pas exclu que ce soit pour recommander la chasteté que le vrai Dieu ait fait par ses bons anges un miracle de ce genre, en retenant l'eau, parce que, s'il y eut quelques biens chez les païens, ils vinrent de Dieu. Mais si cela a été fait par les démons, cela ne s'oppose pas à ce qui a été dit. Car arrêter ou être mu localement, dépend d'un même principe en genre, parce que ce qui est mu vers un lieu par cette nature s'arrête en lui. C'est pourquoi, de même que les démons peuvent mouvoir les corps localement, de même ils peuvent les retenir par mouvement. Et cependant ce n'est pas un miracle, comme quand il a été fait divinement, parce que cela selon le pouvoir naturel du démon arrive à un tel effet déterminé.

6. Les transformations dont parle Varron, ne furent pas réelles, mais en apparence par l'opération du démon; l'imagination de l'homme ayant été changée par une image corporelle, comme le dit Augustin.

7. Par un mouvement de l'air, les démons, avec la permission de Dieu, peuvent susciter certaines épreuves, quand nous voyons aussi que c'est fait naturellement par le mouvement du vent, et de cette manière, les démons par leur action ont provoqué des malheurs de Job.

8. Au sujet des opérations des magiciens du Pharaon, on rapporte une double opinion dans la Glose: Il n'y a pas eu un vrai changement des bâtons en serpents mais cela fut fait en apparence seulement par une illusion de prestidigitation. Mais Augustin dans la glose, placée là même, dit que ce fut un vrai changement des bâtons en serpents. Ce qu'il prouve de façon vraisemblable par le fait que l'Écriture nomme avec le même mot les bâtons des magiciens et celui de Moïse; ce qui montre, qu'il a été vraiment changé en serpent. Mais que par l'opération des démons, les bâtons aient été changés en serpents ne fut pas un miracle, car les démons le firent avec des semences ramassées, qui avaient le pouvoir de faire pourrir les bâtons, et de les changer en serpents. Mais que Moïse le fit, c'est un miracle, parce que cela a été fait par le pouvoir divin, sans l'intervention de tout pouvoir naturel.

9. Les hommes de mauvaise vie annoncent la vérité quelquefois; et c'est pourquoi Dieu fait des miracles en témoignage de la vérité qu'ils annoncent, ce qu'on ne peut pas dire des démons.

 

Pour le dernier argument en sens contraire:

Il faut dire qu'on annonce que la puissance du diable sera libérée au temps de l'Antéchrist, dans la mesure où il lui sera permis de faire beaucoup d'oeuvres, c'est pourquoi il fera beaucoup pour la séduction de ceux qui l'ont mérité en n'acquiesçant pas à la vérité; mais il fera certaines choses par prestidigitation, dans lesquels il n'y aura ni vrais effets ni vrais miracles. Il fera aussi certaines choses par un vrai changement des corps dans lesquels si les effets sont vrais, il n'y aura pas cependant de miracles, parce qu'ils auront été opérés par les causes naturelles. On dit que ce sont des mensonges dans l'intention de celui qui les opère qui par des miracles de ce genre, incite les hommes à croire à ses mensonges.

 

Article 6: Les anges et les démons ont-ils des corps qui leur sont unis naturellement?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car n'importe quel être animé a un corps naturellement uni à un esprit. Mais les anges et les démons sont des êtres animés; en effet, Grégoire dit dans une homélie sur l'Épiphanie, "qu'un être animé raisonnable, c'est-à-dire l'ange, a dû l'annoncer aux Juifs, en tant qu'ils se servent de raison." Augustin dit des démons: "Les démons sont des êtres animés aériens, parce que par nature ils ont des corps aériens." Donc, les anges et les démons ont des corps qui leur sont unis naturellement.

2. Origène dit dans le Periarchôn qu'aucune substance spirituelle ne peut exister sans corps, sinon Dieu seul. Donc, comme les anges et les démons sont des substances créées, il semble qu'ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

3. L'imagination, l'irascible et le concupiscible sont des forces qui se servent d'organes. Mais elles sont dans les démons, et pour la même raison dans les anges. Car Denys dit que le mal chez le démon est une fureur irascible, une convoitise de l'amour, une imagination effrontée." Donc ils ont des corps qui leur sont unis naturellement.

4. Ou bien les anges sont composés de matière et de forme, ou non. S'ils le sont, il faut qu'ils soient des corps, en effet, comme la matière considérée en soi est une, parce qu'elle n'est différenciée que par les formes, il faut distinguer les différentes formes de tous les êtres matériels dans les différentes parties de la matière reçue, car selon le même la matière ne peut pas recevoir différentes formes. Mais la diversité des parties ne peut pas être comprise dans la matière sans sa division, ni la division sans dimension, parce que, sans quantité la substance est indivisible, comme il est dit, en Physique. Donc il faut que tout ce qui a de la matière ait une dimension et par conséquent un corps. Mais s'ils ne sont pas composés de matière et de forme, ce sont des formes subsistantes par soi, ou des formes unies à des corps. Si ce sont des formes subsistantes par soi, il ne faut pas qu'elles aient un être causé par un autre; car, comme la forme est le principe d'être, en tant que tel, ce qui est forme seulement n'a pas un être causé, mais est seulement cause d'être pour les autres. Mais si ce sont des formes unies à des corps, il faut qu'elles aient un corps qui leur soit naturellement uni, car l'union de la forme et de la matière est naturelle. Il reste donc qu'il faut admettre l'une de ces trois solutions, à savoir que les anges sont des corps, ou des substances incréées, ou ils ont un corps qui leur est naturellement uni. Mais les deux premières solutions sont impossibles. Donc il faut prendre la troisième.

5. La forme, en tant que telle, est selon ce quoi une chose est formée. Donc ce qui est forme seulement apporte la forme, sans être en aucune manière formée; ce qui appartient à Dieu seul qui est une forme (species) première par laquelle toutes choses sont spécifiées, comme le dit Augustin. Donc les anges ne sont pas des formes seulement mais des formes unies à des corps.

6. De même que l'âme ne peut produire un effet dans les corps extérieurs que par l'intermédiaire d'organes corporels, de même l'ange ne le peut que par des pouvoirs corporels qu'il utilise comme instruments. Mais l'âme pour exercer ses opérations a des organes corporels qui lui sont unis naturellement. Donc l'ange aussi.

7. Le premier mouvement dans les corps est celui par lequel le corps est mu par une substance incorporelle. Mais le premier mouvement vient de celui qui se meut lui-même, comme on le dit en VIII, Physique; parce que ce qui est par soi, est avant ce qui dépend d'un autre. Donc ce qui est mu sans intermédiaire par une substance incorporelle est mu comme s'il se mouvait lui-même. Mais cela n'est possible que si la substance incorporelle qui meut est unie naturellement à un corps. Donc, comme les anges et les démons meuvent immédiatement les corps, comme on l'a dit ci-dessus, il semble qu'ils ont un corps qui leur est uni naturellement.

8. Plus noble est ce qui vit et vivifie que ce qui vit seulement, de même que la lumière est plus parfaite là où elle éclaire et prend source, que là où elle éclaire seulement. Mais l'âme humaine vit, et vivifie le corps qui lui est naturellement uni. Donc l'ange ne vit pas moins noblement que l'âme.

9. Tout mouvement d'un corps mu de différentes manières, est le mouvement de celui qui se meut lui-même, parce que ce qui est mu par un seul mouvement ne semble pas être moteur lui-même, comme on le dit en Physique. Mais le corps céleste est mu par différents mouvements; c'est pourquoi les astronomes disent que quelquefois les planètes avancent droit, quelquefois reculent, quelquefois sont stationnaires. Donc le mouvement des corps supérieurs est celui des mobiles qui se meuvent eux-mêmes, et ainsi ces corps sont composés de substance corporelle et spirituelle. Mais cette substance spirituelle n'est pas une âme humaine, ni Dieu. Donc c'est un ange. Donc il a un corps qui lui est naturellement uni.

10. Rien n'agit au-delà de son espèce; mais les corps célestes causent la vie dans les corps inférieurs, comme on le voit dans les animaux engendrés de la putréfaction par le pouvoir des corps célestes. Donc comme la substance vivante est plus noble que celle sans vie, comme le dit Augustin, il semble que les corps célestes ont une vie et qu'ainsi ils ont des substances spirituelles qui leur sont unies naturellement, et ainsi de même que ci-dessus.

11. Le premier mobile est le corps céleste. Mais le Philosophe prouve que tous les mouvements sont ramenés au premier mobile qui se meut de lui-même. Donc le ciel est mu par soi. Donc il est composé d'un corps mu et d'un moteur immobile, qui est une substance spirituelle, et ainsi de même que ci-dessus.

12. Selon Denys, le plus haut de la nature inférieures touche toujours au plus bas de la nature supérieure, la divine sagesse ayant organisé les choses ainsi. Mais le supérieur dans la nature corporelle est le corps céleste, puisqu'il est le plus noble des corps. Donc il touche à la nature spirituelle et lui est uni, et ainsi de même que ci-dessus.

13. Le corps du ciel est plus noble que le corps humain, comme l'éternel est plus noble que le corruptible. Mais le corps humain est uni naturellement à une substance spirituelle. Donc beaucoup plus le corps céleste, puisqu'il est la forme plus noble d'un corps plus noble, et ainsi de même que ci-dessus.

14. Nous trouvons des êtres animés, formés de la terre comme les hommes et les animaux; certains de l'eau comme les poissons et les volatiles, comme on le voit en Gn 1. Donc aussi certains seront aériens, certains ignés et célestes. Mais ils ne sont pas autres que les anges et les démons, parce que ce sont des corps plus nobles, il faut qu'il y ait en eux des êtres animés plus nobles. Donc les anges et les démons sont des êtres animés, et ainsi ils ont un corps qui leur est uni naturellement.

15. Platon semble dire la même chose in Timée; il pense qu'il y a un être animé ferme d'une solidité terrestre, un adapté aux liquides, un flottant dans l'air, un autre plein de divinité, ce qui ne peut être compris que de l'ange. Donc l'ange est un être animé, et ainsi c'est la même chose que ci-dessus.

16. Rien ne se meut sinon un corps, comme on le prouve en Physique. Mais l'ange se meut. Donc ou bien il est un corps ou il a un corps qui lui est uni naturellement.

17. Le Verbe de Dieu est plus noble que n'importe quel ange; mais il est uni à un corps. Donc il n'est pas contraire à la dignité de l'ange de penser qu'il est naturellement uni à un corps.

18. Porphyre dit que la mortalité ajoutée à la définition de l'homme nous sépare des dieux, terme par lesquels on ne peut comprendre que les anges. Donc ils sont des êtres animés, et ainsi ils ont des corps naturellement unis a eux.

 

Cependant:

1. Jean Damascène dit que "l'ange est une substance intellectuelle, toujours en mouvement, douée du libre arbitre, incorporelle."

2. Dans Le livre des causes, il est dit que l'intelligence est une substance qui n'est pas divisée; et le Commentateur y dit qu'elle est pas une grandeur, et ni au-delà de la grandeur. Mais l'ange est une intelligence, ce que montre Denys qui appelle les anges des esprits et des intellects divins. Donc l'ange n'est pas un corps et il n'est pas uni à un corps.

3. Les différences qui séparent l'ange de l'âme, sont la possibilité ou non de s'unir à un corps. Donc si l'ange était uni à un corps, il ne différerait en rien de l'âme, ce qui ne convient pas.

4. On trouve une substance spirituelle qui dépend du corps, pour son principe et sa fin, comme l'âme végétative et l'âme sensitive; mais certaines qui dépendent du corps pour le principe et non pour la fin, comme l'âme humaine. Donc il y en a certaines qui n'ont pas besoin de corps ni pour le principe ni pour la fin; et de ce genre, il n'est pas possible qu'il y en ait d'autres que l'ange ou le démon. Mais qu'il n'est pas possible qu'il y en ait une qui a besoin du corps, pour la fin et non pour son principe.

5. Il y a un forme qui n'est ni âme ni esprit, comme la forme de la pierre, une aussi qui est âme et non esprit comme la forme de l'animal; une qui est âme et esprit, comme la forme de l'homme. Donc il y en aura une qui sera esprit et non âme, et l'ange est de ce genre; et ainsi il n'est pas uni naturellement à un corps, ce qui est de la nature de l'âme.

 

Réponse:

A propos des substances incorporelles, les anciens philosophes ont procédé de différentes manières.

A) Car certains philosophes anciens ont dit qu'il n'existe aucune substance incorporelle, mais que toutes sont corporelles, Augustin confesse être tombé quelquefois dans cette erreur. Cette position est désapprouvée par les philosophes; Le philosophe la réprouve de cette manière: il faut qu'il y ait un pouvoir moteur infini, autrement il ne pourrait pas produire un mouvement éternel. Il montre de plus que tout pouvoir est fini en grandeur. C'est pourquoi il reste qu'il faut qu'il y ait un pouvoir tout à fait incorporel, qui cause la continuité du mouvement.

A nouveau, il le prouve d'une autre manière; parce que l'acte est avant le puissance, par nature et en temps, en parlant simplement, quoique dans ce qui passe de la puissance à l'acte, la puissance précède en temps; mais parce qu'il faut qu'elle soit ramenée à l'acte par un être en acte, il faut que l'acte soit absolument avant la puissance même dans le temps. C'est pourquoi comme tout corps est en puissance, ce que montre sa mobilité, il faut qu'avant tout corps il y ait une substance immobile éternelle.

On peut tirer une troisième raison des opinions des Platoniciens; car, avant qu'existe une chose déterminée et particularisée, il faut qu'il en préexiste une non particularisée, ainsi si la nature du feu particulièrement et d'une certaine manière par participation, se trouve dans le fer, il faut trouver avant une nature ignée en ce qui est feu par essence; c'est pourquoi, comme l'être, les autres perfections et les formes se trouvent dans les corps pour ainsi dire particularisés, du fait qu'ils sont reçus dans la matière, il faut que préexiste une substance incorporelle, non particularisée, mais qui, avec une plénitude universelle, ait la perfection de l'être en soi. Mais ayant pensé que seuls les corps étaient des substances, ils se sont trompés, parce qu'ils n'étaient pas capables de dépasser en esprit l'imagination qui concerne seulement les corps, ils n'ont pas pu parvenir à connaître les substances incorporelles, qui sont saisies seulement par l'esprit.

B) Il y en a d'autres qui ont pensé que la substance incorporelle existait, mais ils dirent qu'elle était unie à un corps, et qu'on ne trouvait pas de substance incorporelle qui ne soit la forme d'un corps. C'est pourquoi ils pensaient que Dieu était l'âme du monde, comme dit Augustin à propos de Varron, parce que Dieu est une âme qui gouverne le monde par mouvement et raison. C'est pourquoi il disait que le monde tout entier est Dieu en raison de l'âme et non du corps, comme on dit que l'homme est appelé sage en raison de son âme, et non en raison de son corps. Et c'est pour cela que les païens rendaient un culte divin au monde entier et à toutes ses parties.

Mais cette opinion est désapprouvée de multiples manières par les philosophes eux-mêmes.

1. Parce qu'un pouvoir uni à un corps comme forme a une action déterminée, du fait qu'il est uni à tel corps; c'est pourquoi, puisqu'il faut qu'il y ait un agent universel qui a de l'influence sur tous les corps, parce que le premier moteur ne peut pas être un corps, comme on l'a montré ci-dessus, il reste qu'il faut qu'il y ait un être incorporel, qui ne soit uni à aucun corps; c'est pourquoi Anaxagore a pensé à un l'intellect sans mélange, pour commander, comme il est dit en Physique; car le pouvoir appartient à quelqu'un qui domine ce qu'il commande, sans lui être ni soumis ni obligé.

2. Parce que, si quelque substance incorporelle est unie à un corps comme une forme, il faut d'abord que ce qui est mu se meuve lui-même à la manière de l'animal; comme composé de substance corporelle et spirituelle. Mais celui qui se meut se meut par volonté, dans la mesure où il a un désir, car l'appétit est un moteur mu, mais l'appétible un moteur non mu. Il faut donc qu'au-dessus d'une substance corporelle jointe à un corps il y ait quelque chose de supérieur qui la mette en mouvement, comme l'appétible meut l'appétit et il faut que ce soit un bien de l'esprit, parce qu'il est l'appétible, parce que c'est simplement un bien, mais l'appétible sensible est désiré, parce que c'est un bien d'ici et maintenant.

Mais le bien de l'esprit doit être incorporel, parce que, s'il n'était pas sans matière, il ne serait pas compris, et de ce fait, il faut qu'il soit éclairé, car une substance est éclairée du fait qu'elle est exempte de matière. Donc il faut qu'au-dessus de la substance jointe au corps, il y en ait une autre supérieure, incorporelle ou intellectuelle, non unie à un corps. Et c'est la démonstration du philosophe in Métaphysique, XI; car on ne peut pas dire que ce qui se meut soi-même ne désirerait rien hors de lui, parce qu'il ne se mettrait jamais en mouvement: car le mouvement est d'une certaine manière pour acquérir quelque chose d'extérieur.

3. Parce que celui qui se meut lui-même peut se mouvoir ou pas, comme on le dit en Physique; si un moteur est mu continuellement par lui-même, il faut qu'il soit maintenu en mouvement par quelque chose d'extérieur, qui est tout à fait immobile. Mais nous voyons le ciel, dont ils disaient que Dieu était l'âme, se mouvoir continuellement, c'est pourquoi il faut, au-dessus de cette substance qui est l'âme du monde, s'il y en a une, une autre substance supérieure, jointe à aucun corps, et subsistant par soi.

Ceux qui ont pensé que toute substance était unie à un corps, semblent de ce fait s'être trompés, parce qu'ils croyaient que la matière était la cause de la subsistance et de l'individuation dans tous les êtres, comme c'est le cas dans les corps, c'est pourquoi ils croyaient que les substances incorporelles ne pouvaient subsister que dans un corps, comme on en parle par manière d'objection dans le commentaire du livre Des Causes.

C) Ces opinions une fois rejetées, Platon et le Philosophe ont pensé qu'il y avait des substances incorporelles, et que certaines d'entre elles étaient unies à un corps, certaines non. Platon, en effet, a posé deux substances séparées, à savoir Dieu, le père de tout l'univers, au degré suprême, et ensuite son esprit, qu'il appelait l'intellect paternel, en qui il y a avait toutes les raisons ou idées des choses, comme Macrobe le raconte dans Le songe de Scipion. Mais il pensait que les substances incorporelles unies à ces corps étaient multiples, certaines unies aux corps célestes, que les Platoniciens appelaient des dieux; certains unies à des corps aériens, qu'ils appelaient les démons. C'est pourquoi Augustin rapporte cette définition des démons donnée par Apulée: "Les démons sont des êtres animés à l'esprit doué de raison, passifs par l'âme, aériens par le corps, éternel dans le temps." Et pour toutes ces substances incorporelles, en raison de leur éternité, les Platoniciens païens disaient qu'il fallait leur rendre un culte divin. Mais ils plaçaient plus loin des substances incorporelles unies à des corps de terre plus grossiers, à savoir terreux ou aqueux, que sont les âmes des hommes et des autres êtres animés.

Le philosophe est en accord sur deux points avec Platon, et en désaccord sur deux autres. Il est d'accord quand il pense que la substance suprême n'est ni corporelle, ni unie à un corps, et à nouveau quand il pense que les corps célestes étaient animés. Il est en désaccord sur le fait qu'il pensait un plus grand nombre de substances incorporelles non unies à un corps, à savoir selon le nombre des mouvements célestes; et à nouveau dans le fait qu'il ne pense pas qu'il y a des êtres animés aériens; sa pensée est plus raisonnable.

Ce qui apparaît par trois raisons:

1. Parce que le corps mixte est plus noble que le corps élémentaire, surtout par la forme, parce que les éléments sont la matière des corps mixtes. C'est pourquoi il faut que les substances incorporelles qui sont les formes les plus nobles soient unies à des corps mixtes et non à de purs éléments. Car il ne peut y avoir aucun corps mixte, en qui la terre et l'eau n'abondent pas plus selon la quantité de matière, puisque les éléments supérieurs ont davantage de puissance active, en tant que plus formels. Mais s'ils dépassaient en quantité, la proportion due aux mixtes ne serait pas conservée, parce que les supérieurs écraseraient complètement les inférieurs. Et c'est pourquoi il n'est pas possible que les substances incorporelles soient unies comme formes à des corps aériens, mais à des corps mixtes, dans lesquels la terre et l'eau sont matériellement en abondance.

2. Parce qu'un corps homogène et uniforme doit avoir une même forme en son tout et en ses parties. Mais nous voyons que tout le corps de l'air est d'une seule nature; c'est pourquoi il faut si certaines substances spirituelles sont unies aux parties de l'air, qu'elles soient unies aussi à la totalité de l'air, et ainsi tout l'air sera un être animé, ce qui semble énoncé contre la raison; quoique aussi cela certains anciens l'aient pensé, comme il est dit in De L'âme: ils disaient que tout l'air était plein de dieux.

3. Parce que si la substance spirituelle n'a pas en soi une autre puissance que l'intellect et la volonté, elle est unie en vain à un corps, puisque ces opérations sont accomplies sans corps; car toute forme du corps accomplit une action corporellement. Mais s'ils ont d'autres puissance (ce que semblent penser les Platoniciens des démons, disant qu'ils ont l'âme passive, - puisque la passion n'est que dans l'âme sensitive, comme on le prouve en Physique, - il faut que de telles substances soient unies à des corps organiques, pour que les actions de telles puissances soient exécutées par les organes déterminés. Mais tel ne peut pas être le corps aérien, puisqu'on ne peut pas le figurer. C'est pourquoi il est clair que les substances spirituelles ne peuvent pas être unies naturellement à des corps aériens.

D) Des substances incorporelles sont-elles unies aux corps célestes en tant que formes, Augustin en doute. "Jérôme semble l'affirmer: "Illuminant toutes choses par le cercle de l'esprit" et Origène aussi. Ce qui cependant est réprouvé par plusieurs modernes, parce que, comme le nombre des bienheureux est constitué selon l'Écriture sainte seulement des hommes et des anges, ces substances spirituelles ne peuvent être comptées ni parmi les âmes humaines, ni parmi les anges qui sont sans corps. Mais cependant Augustin, garde un doute, en disant: "On ne considère pas comme certain, que le soleil, la lune et les autres astres appartiennent à une même société (c'est-à-dire celle des anges). Quoique pour certains les corps semblent être lumineux non dépourvus de sens ni d'intelligence. Mais en cela, très certainement, la doctrine de la foi est en désaccord avec celle tant de Platon que d'Le philosophe, parce que nous pensons que les nombreuses substances qui ne sont pas totalement unies à des corps, sont plus nombreuses que chacun d'eux le pense."

Cette opinion aussi semble plus rationnelle pour trois raisons.

1. Parce que, de même que les corps supérieurs sont plus dignes que les corps inférieurs, de même les substances incorporelles sont plus dignes que les substances corporelles; mais les corps supérieurs dépassent les inférieurs, tellement que la terre est comparée au ciel, comme le point à la sphère, comme les astrologues le prouvent. C'est pourquoi, les substances incorporelles, comme Denys le dit. dépassent toute la multitude des espèces matérielles; ce que montre Daniel (Dn 7, 10). quand il est dit: "Mille milliers le servaient, et des dizaines de centaines de milliers étaient devant lu." Cela concorde avec la profusion de la bonté divine: il amène à l'être plus abondamment ce qui est plus noble. Et comme les supérieurs ne dépendent pas des inférieurs, et que leurs pouvoirs ne se limitent pas à eux; il ne faut pas placer seulement parmi les supérieurs ce qui se manifeste par des effets inférieurs.

2. Parce que dans l'ordre des choses naturelles, parmi les natures différentes, on trouve de nombreux degrés intermédiaires. Ainsi entre les animaux et les plantes, on trouve certains animaux imparfaits qui ressemblent aux plantes du fait qu'ils sont fixes, et aux animaux du fait qu'ils éprouvent des sensations. Donc comme la substance suprême, qui est Dieu, est extrêmement différente de la nature des corps, il semble rationnel qu'on trouve beaucoup de degrés entre chacune des natures et non seulement ces substances qui sont les principes des mouvements.

3. Parce que, comme Dieu non seulement a une providence universelle, sur les corps, mais encore qu'elle s'étend aussi aux êtres particuliers, en qui, parfois, comme on l'a dit, il opère en dehors de l'ordre des causes universelles, - non seulement il faut placer des substances incorporelles qui le servent dans les causes universelles de la nature, que sont les mouvements des corps célestes, mais aussi dans d'autres choses où Dieu opère particulièrement dans les choses particulières et surtout pour les hommes dont les esprits ne sont pas soumis aux mouvements célestes. Ainsi donc, en suivant la vérité de la foi, nous disons que les anges et les démons n'ont pas de corps unis naturellement, mais ils sont tout à fait incorporels, comme le dit Denys.

 

Solution des objections:

1. Augustin en plusieurs endroits de ses ouvrages, au sujet du corps des anges et des démons, se sert, sans l'affirmer, de la formule des Platoniciens. C'est pourquoi in XXI, La cité de Dieu, il suit deux opinions en traitant du châtiment des démons, celle de ceux qui disaient que les démons ont des corps aériens, et celle de ceux qui disaient qu'ils étaient tout à fait incorporels. Mais Grégoire appelle l'ange un être animé, ce mot étant pris au sens large pour un être vivant.

2. Origène suit en plusieurs points l'opinion des Platoniciens; c'est pourquoi il semble qu'il a été de cette opinion que toutes les substances incorporelles crées sont unies à des corps, bien qu'il ne l'affirme pas, mais il la met en doute, en prenant aussi une autre opinion.

3. Denys sans aucun doute a voulu que les anges et les démons soient incorporels. Mais il se sert métaphoriquement des noms de fureur et de concupiscence à la place d'une volonté sans ordre et du nom d'imagination pour un intellect errant dans ses choix, selon que tout méchant est ignorant, comme le Philosophe le dit et in (Pr 14, 22), il est dit: " Ils se trompent ceux qui font le mal."

4. Si les anges sont considérés comme composés de matière et de forme, ce n'est pas pour cette raison qu'il faut qu'ils soient corporels, sauf si on pense que c'est la même matière pour les anges et les corps. Mais on pourrait dire qu'il y aurait une autre matière séparée des corps, non selon la dimension, mais par rapport à une forme d'un autre genre, car la puissance est proportionnée à l'acte. Cependant nous croyons davantage que les anges ne sont pas composés de matière et de forme, mais qu'ils sont seulement des formes subsistantes par soi. Et il ne faut pas qu'à cause de cela, ils n'aient pas été créés: car la forme est le principe d'être, comme par quoi quelque chose existe, alors que cependant l'être de la forme et celui de la matière est dans le composé par un seul agent. Si donc, il y avait quelque substance créée qui soit seulement forme, elle peut avoir un principe d'être efficient, non formel.

5. Selon le philosophe, même dans les causes formelles, on trouve un avant et un après: c'est pourquoi rien n'empêche qu'une forme soit formée par la participation d'une autre forme; et ainsi Dieu lui-même qui est être seulement, est d'une certaine manière la forme (species) de toutes les formes subsistantes qui participent de l'être et ne sont pas son être.

6. La pouvoir de l'ange, dans l'ordre de la nature, est supérieur et par conséquent plus universel que le pouvoir de l'âme humaine; c'est pourquoi il ne pouvait pas avoir un organe corporel qui réponde suffisamment à ses actions par lesquelles il agit sur les corps extérieurs. C'est pourquoi il ne dut pas être lié à quelques organes corporels, comme l'âme est liée par union.

7. Ce qui se meut soi-même est premier parmi ce qui est mu en tant que moteur immobile; c'est pourquoi si le moteur immobile meut le corps naturellement uni à lui ou s'il ne le meut pas, la même raison de priorité demeure.

8. L'âme unie à un corps le vivifie, non seulement effectivement, mais formellement, mais vivifier ainsi un corps est moins que vivre seulement par soi, à proprement parler. Car l'âme peut de cette manière vivifier le corps, dans la mesure où il a un être faible, qui peut être commun à elle et au corps, dans le composé des deux. Mais comme l'être de l'ange est plus élevé, il ne peut pas être communiqué de cette manière à un corps. C'est pourquoi il vit seulement et il ne le vivifie pas formellement.

9. La recul, l'immobilité et le mouvement rectiligne qu'on voit dans les planètes, ne proviennent pas de la difformité d'un seul mouvement et d'un même mobile, mais de différents mouvements, de différents mobiles, ou en posant des excentriques et des épicycles selon Ptolémée ou la diversité des mouvements selon la diversité des pôles, comme d'autres l'ont pensé. Et cependant si les corps célestes étaient mus aussi d'une façon différente, on ne montrerait pas plus par là qu'ils sont mus par un moteur volontaire joint que par un moteur séparé.

10. Les corps célestes, même s'ils ne sont pas animés, sont mus par une substance vivante séparée, par le pouvoir de laquelle ils agissent, comme l'instrument par le pouvoir de l'agent principal; et c'est par cela qu'ils causent la vie dans les êtres inférieurs.

11. Le Philosophe termine ses démonstrations par deux conclusions différentes, à savoir que les mobiles sont ramenés aussitôt ou bien à un moteur immobile, ou à ce qui se meut soi-même, dont une partie est un moteur immobile; quoique lui-même semble préférer la seconde solution. Cependant si quelqu'un choisit la première, il n'y a aucune inconvenance à le suivre à partir de ses démonstrations.

12. Ce qui est le plus haut dans les corps touche au plus bas de la nature spirituelle, par une participation de ses propriétés, par le fait qu'il est incorruptible mais non par le fait qu'il lui est uni.

13. Le corps humain, quant à sa matière, est moins noble que le corps céleste, mais il a une forme plus noble, si les corps célestes sont inanimés. Je dis cependant plus noble en soi, non cependant selon qu'elle met en forme le corps. Car la forme du ciel achève la matière, à qui elle fournit l'être incorruptible par un mode plus parfait, que l'âme rationnelle achève le corps. C'est pour cela, que la substance spirituelle qui meut le ciel, est d'une plus grande dignité que d'être unie à un corps.

14. Les corps aériens ne peuvent pas exister pour les raisons qu'on a déjà données.

15. Et par là apparaît la réponse à la quinzième objection qui procède de l'opinion de Platon.

16. L'ange n'est pas mu en se mesurant à l'espace, comme les corps, mais on parle de façon équivoque du mouvement des anges et de celui des corps.

17. Le Verbe de Dieu n'est pas uni à un corps comme une forme, parce qu'ainsi le Verbe et la chair deviendraient une seule nature, ce qui est hérétique.

18. Porphyre suit sur ce point l'opinion de Platon: il appelle les démons des dieux, qu'ils pensaient être des êtres animés et les corps célestes aussi.

 

Article 7: Les anges ou les démons peuvent-ils assumer un corps?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car un corps ne peut être uni à une substance incorporelle, que pour l'être ou le mouvement. Mais les anges ne peuvent avoir des corps qui leur seraient unis pour l'être, puisque, ainsi, ils leur seraient unis naturellement, ce qui est contre ce qui a été dit. Donc il reste qu'ils ne pourraient être unis à des corps, que dans la mesure où ils les meuvent. Mais cela ne suffit pas pour les assumer, parce qu'ainsi l'ange et le démon assumerait tout corps qu'il meut, ce qui parait faux, car un ange a mis en mouvement la langue de l'âne de Balaam, et cependant on ne dit pas qu'il l'ait assumée. Donc on ne peut pas dire que l'ange ou le démon assume un corps.

2. Si les anges ou les démons assument des corps, ce n'est pas par nécessité pour eux, mais pour que les bons anges nous instruisent ou que les méchants nous trompent. Mais dans l'un et l'autre cas, il suffit d'une vision imaginaire. Donc il ne semble pas qu'ils assument des corps.

 

15. S'ils assument un corps, ou bien ils sont unis à tout le corps ou bien à une de ses parties. Si c'est seulement à une partie, ils n'ont pu mouvoir tout le corps, qu'en mettant en mouvement une partie par l'intermédiaire d'une autre; ce qui ne semble pas pouvoir arriver, à moins que le corps assumé ait des parties organiques déterminées au mouvement, ce qui appartient seulement à des corps qui donnent vie. Mais s'ils sont unis à tout le corps sans intermédiaire, il faut qu'il soit dans une quelconque partie du corps assumé, et il est évident que c'est le tout, puisqu'il n'est pas divisible en parties. Donc il sera dans plusieurs endroits en même temps; ce qui n'appartient qu'à Dieu seul. Donc l'ange ne peut pas assumer un corps.

 

Cependant:

On lit au sujet des anges apparus à Abraham, comme on le voit in (Gn 18, 2), qu'ils apparurent dans des corps qu'ils avaient assumés. Et de même pour l'ange qui apparut à Tobie (Tb 3, 25).

 

Réponse:

Certains de ceux qui croient à l'Ecriture sainte, où on lit qu'il y eut des apparitions d'anges, ont dit que les anges n'assument jamais un corps, comme c'est clair chez Rabbi Maimonide, qui a émis cette opinion: c'est pourquoi il dit que tout ce qu'on lit dans l'Ecriture sainte sur l'apparition des anges arrive en vision prophétique, selon une vision apparemment imaginaire, le prophète étant quelquefois éveillé, mais quelquefois endormi.

Et cette opinion ne garde pas la vérité de l'Ecriture. Car par la manière même de parler dont elle use, il est donné à comprendre ce qu'elle signale comme récit et ce qui dépend d'une vision prophétique. Car lorsqu'une apparition doit être comprise comme une vision, il y a des mots qui s'y rapportent: comme ce qui est dit (Ez 8, 3): "L'esprit m'a élevé entre ciel et terre, et m'a conduit à Jérusalem dans des visions divines." C'est pourquoi il est clair que ce qui est fait simplement est raconté simplement et doit être compris simplement comme une histoire. C'est ce qu'on le lit pour plusieurs apparitions dans l'Ancien Testament.

C'est pourquoi il faut simplement concéder que quelquefois les anges assument un corps, donnant forme à un corps sensible, susceptible d'être vu extérieurement ou corporellement, comme aussi quelquefois ils apparaissent en formant des images dans l'imagination selon une vision imaginaire. Cela convient pour trois raisons:

1. Principalement parce que toutes ces apparitions de l'Ancien Testament sont ordonnées à cette apparition en laquelle le Fils de Dieu apparut visiblement dans le monde, comme Augustin le dit. C'est pourquoi, quand le Fils de Dieu a pris un vrai corps, et non un corps imaginaire, comme les manichéens le racontent, il a été convenable que les anges aussi, en prenant de vrais corps, apparaissent aux hommes.

2. La seconde raison peut être tirée des paroles de Denys dans la lettre qu'il écrivit à Tite; car il dit qu'ainsi, dans l'Écriture sainte, ce qui est divin nous est transmis sous des formes sensibles, parmi d'autres raisons, pour que tout l'homme, autant que c'est possible, soit achevé par la participation du divin, non seulement en captant, par l'esprit, la vérité intelligible, mais aussi dans la nature sensible par les formes sensibles qui sont comme des images du divin. C'est pourquoi, de la même manière, quand les anges apparaissent aux hommes pour les perfectionner, il convient que, non seulement ils illuminent l'esprit, par une vision intellectuelle, mais encore pourvoient à l'imagination, et à la sensation extérieure par une vision imaginaire, à savoir celles des corps assumés. C'est pourquoi cette triple vision est concédée par Augustin.

3. Il peut y avoir une troisième raison, parce que, même si les anges nous sont supérieurs en nature, nous obtenons cependant par grâce l'égalité et la communion avec eux, comme on le voit en (Mt 22, 30): "Ils seront comme les anges dans le ciel." Et c'est pourquoi pour nous montrer leur familiarité et leur affinité, ils se conforment à nous à leur manière en assumant un corps, pour que recevant ce qui est de nous, ils élèvent notre esprit à ce qui leur est propre, comme le Fils de Dieu, en descendant vers nous, nous élève à ce qui lui est propre. Mais les démons, quelquefois se transforment en anges de lumière, ce que les bons anges font pour notre progrès, eux travaillent à le faire pour nous tromper.

 

Solution des objections:

1. 1. L'ange n'assume pas tout corps qu'il meut. Car on dit assumer comme prendre sur soi. Donc l'ange assume le corps non pour s'unir à sa nature, comme l'homme assume la nourriture, ni pour s'unir à sa personne, comme le Fils de Dieu a assumé la nature humaine; mais pour sa représentation de cette manière par laquelle les intelligibles peuvent être représentés par les sensibles. Alors donc on dit que l'ange assume un corps quand il forme de cette manière un corps susceptible de le représenter; comme cela est évident chez Denys à la fin de la Hiérarchie céleste, où il montre que par les formes corporelles, on comprend les propriétés des anges.

2. Non seulement la vision imaginaire est utile à notre instruction, mais même la vision corporelle, comme on l'a dit.

3. Comme le dit Augustin, toutes les apparitions de Dieu qu'on lit dans l'Ancien Testament, ont été réalisées par le ministère des anges, qui prennent des formes, imaginaires ou corporelles, par lesquelles ils ramènent à Dieu l'âme de l'homme qui les voit; de même il est possible que l'homme soit ramené à Dieu par des figures sensibles. Donc les anges assument les corps apparents dans les apparitions dont on a parlé, mais on dit que c'est Dieu qui est apparu parce qu'il était lui-même la fin pour laquelle, par la représentation des corps de ce genre, les anges tendaient à élever l'esprit de l'homme. Et c'est pourquoi dans ces apparitions, l'Ecriture rappelle que quelquefois c'est Dieu qui est apparu, quelquefois c'est un ange.

4. Rien n'a de pouvoir au-dessus de son être; car tout pouvoir d'un être découle de son l'essence, ou la présuppose. Et parce que l'âme par son être est unie à un corps comme une forme, il n'est pas en son pouvoir de se séparer du corps; et semblablement il n'est pas au pouvoir de l'ange de s'unir à un corps selon l'être en tant que forme; mais selon le mode déjà dit, il peut assumer un corps, à qui il est uni comme moteur, et comme le figuré à la figure.

5. Ces deux opérations: assumer un corps et servir sont ordonnées l'une à l'autre; et c'est pourquoi rien n'empêche que l'ange les accomplissent en même temps.

6. Si on accepte une proportion selon la mesure, il ne peut pas y en avoir de l'ange au corps, puisque leurs grandeurs ne sont pas d'un seul et même genre ni d'une même nature. Cependant rien n'empêche qu'il y ait un rapport de l'ange au corps comme du celui du moteur au mu et du figuré à la figure, rapport qu'on peut appeler proportion.

7. Par n'importe quel élément, l'ange peut assumer un corps ou même par plusieurs éléments mêlés. Cependant il convient plus qu'il prenne un corps de l'air, qui peut facilement s'épaissir et ainsi recevoir une figure et la retenir, et par l'opposition d'un corps lumineux être coloré de diverses manières, comme on le voit dans les nuages, pour qu'à ce moment-là il n'y ait pas de différence entre l'air pur, la vapeur ou la fumée, qui déploient leur nature dans les airs.

8. L'unité est simplement divisée par cette division. Ainsi l'ange n'est uni à un corps que relativement, comme le moteur au mobile, le figuré à la figure, comme on l'a dit ci-dessus.

9. Ces corps que les anges assument ont de vraies formes, quant à ce qui peut être perçu par les sens; ils sont sensibles par soi, comme la couleur et la figure; mais non quant à la nature de la forme, qui est sensible par accident. Et ce n'est pas pour ça qu'il faut qu'il y ait un subterfuge, parce que les anges n'offrent pas aux yeux des formes humaines, pour qu'on croit que ce sont des hommes; mais pour que, par des caractères humains, leurs pouvoirs soient connus, de même que les expressions métaphoriques, dans lesquelles certaines choses signifiées par des images d'autres choses ne sont pas fausses.

10. Bien que les vertus naturelles des corps ne suffisent pas pour induire la forme réelle d'un corps humain sinon par le mode nécessaire à la génération, elles suffisent cependant pour induire une ressemblance des corps humains pour la couleur, la figure et les accidents extérieurs de ce genre; et surtout comme le mouvement local des corps parait suffire à plusieurs de ceux-ci par lequel les vapeurs sont condensées et raréfiées et les nuages figurées de diverses manières.

11. L'ange qui meut un corps assumé lui communique le mouvement et le touche par son pouvoir non d'un toucher corporel mais spirituel.

12. Le commandement de l'ange requiert l'accomplissement d'un pouvoir; c'est pourquoi il faut que ce soit un toucher spirituel pour le corps qu'il meut.

13. La figure est une forme qui par épaississement de la matière et condensation ou raréfaction, ou induction ou un mouvement de ce genre, peut être produite dans la matière. C'est pourquoi cette forme n'a pas la même nature que les autres.

14. Etre dans un corps peut être compris de deux manières:

1. Il est en dessous des termes de quantité; et ainsi rien n'empêche le diable d'être dans un corps.

2. Il est dans l'essence de la chose, comme lui donnant l'être et opérant en elle; ce qui est le propre de Dieu seul, quoique Dieu ne soit pas une partie de l'essence d'une chose. Mais on peut et selon la glose, comprendre que le démon n'est pas dans une statue comme les idolâtres le pensaient, au point que la statue et l'esprit qui l'habite deviennent un.

15. L'ange est tout entier dans tout le corps assumé, et en chacune de ses parties, pour la même raison que l'âme, car bien qu'il ne soit pas la forme du corps assumé, en tant qu'âme, il en est cependant le moteur. Mais le moteur et le mu doivent être ensemble. Et cependant il n'en découle pas qu'il soit en plusieurs endroits en même temps, car tout corps assumé par l'ange équivaut pour ainsi dire à un seul lieu.

 

Article 8: L'ange ou le démon, par le corps qu'il assume, peut-il exercer les opérations d'un corps vivant?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car à quiconque il convient d'avoir le pouvoir d'accomplir une oeuvre, il convient d'avoir ce sans quoi cette oeuvre ne peut être accomplie; autrement un tel pouvoir serait en vain en lui. Mais de telles oeuvres des corps vivants ne peuvent pas être exercées sans les organes corporels. Donc comme l'ange n'a pas d'organes corporels naturellement unis à lui, il semble qu'il ne peut pas exercer ces oeuvres.

2.

3. Parmi toutes les opérations de l'âme, qui sont accomplies par les organes, les actions des sens sont plus proches de l'opération intellectuelle qui est le propre de l'ange. Mais il ne peut ni sentir ni imaginer par un corps assumé. Donc il peut beaucoup moins accomplir les autres oeuvres de l'âme.

4. La parole ne se fait pas sans voix. Mais celle-ci est le son proféré par la gueule de l'animal. Donc comme l'ange, qui se sert d'une corps assumé, n'est pas un animal, il semble qu'il ne puisse pas parler par ce corps, et beaucoup moins faire d'autres choses: car la parole lui semble très proche puisqu'elle est le signe de l'esprit.

5. La dernière opération de l'âme végétative dans un seul et même individu est la génération; car l 'animal est nourri, et il grandit avant d'engendrer. Mais on ne peut pas dire que l'ange ou le corps assumé par lui est nourri ou mu par un mouvement de croissance. Dons il n'est pas possible qu'un corps assumé engendre.

6. Mais il faut dire que l'ange ou le démon peut engendrer par un corps assumé, non cependant par séparation de la semence du corps assumé; mais par la semence d'un homme transfusée dans la femme, et en employant d'autres semences propres, il cause de vrais effets naturels.

En sens contraire, la semence de l'être animé opère surtout pour la génération par la chaleur naturelle. Mais si le démon portait la semence sur une grand distance, il semble impossible que la chaleur naturelle ne soit pas détruite. Donc il ne serait pas possible que la génération de l'homme se fasse de cette manière.

7. Ainsi, l'homme n'est engendré d'une telle semence que selon le pouvoir de la semence humaine. Donc ceux qu'on dit engendrés par les démons, ne seraient pas d'une plus grande stature, et plus robustes que les autres, qui sont engendrés communément par la semence humaine, alors que cependant, on dit in (Gn 6, 4), que, comme "ils s'étaient introduits chez les filles des hommes, et elles engendrèrent, des géants naquirent, les puissants de cette époque, hommes fameux."

8. Manger est ordonné à la nutrition. Si donc les anges dans les corps qu'ils assument ne sont pas nourris, il semble qu'ils ne mangent pas non plus.

9. Pour montrer la vérité de son corps humain ressuscité, le Christ, après sa résurrection, a voulu manger. Mais si les anges et les démons dans les corps assumés pouvaient manger, cette action de manger ne serait pas efficace comme argument de la résurrection parce que cela paraît faux. Donc les anges ou le démons ne peuvent pas manger par le corps qu'ils assument.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit in (Gn 18, 9) au sujet des anges qui apparurent à Abraham: "Comme ils avaient mangé, ils lui dirent: Où est Sara ton épouse?" Donc les anges mangent et parlent dans les corps qu'ils avaient assumés.

2. In (Gn 6, 2) sur cette parole: "Les fils de Dieu voyant...", la glose de Jérôme dit: "Le mot hébreux Elohim est de deux nombres: Car il signifie Dieu et des dieux. C'est pourquoi Aquila a osé appelé les fils des dieux des dieux, comprenant les saints et les anges." Donc il semble que les anges engendrent.

3. Rien n'est fait en vain par l'art de l'homme, ni non plus par l'art de l'ange. C'est en vain qu'ils assumeraient des corps disposés à la manière d'un corps organique, s'ils n'en utilisaient pas les organes. Donc il semble qu'ils exercent dans les corps assumés des oeuvres qui conviennent à ces organes, comme voir de leurs yeux, entendre avec leurs oreilles, etc.

 

Réponse:

Il faut dire qu'une action semble recevoir une forme naturelle de deux manières: à savoir de l'agent et du terme. Car l'échauffement est différent du refroidissement, parce que l'un des deux procède de la chaleur et s'y termine, l'autre du froid et s'y termine. Cependant l'action, comme le mouvement, reçoit proprement sa forme de son terme; mais du principe, elle a en propre ce qui lui est naturel. Car on appelle mouvement et actions naturelles ce qui vient d'un principe intrinsèque.

Donc il faut considérer que dans les opérations de l'âme, il y en a certaines qui ne viennent pas seulement de l'âme comme de leur principe, mais aussi se terminent à l'âme et au corps animés et les actions de ce genre ne peuvent être attribuées aux anges dans les corps qu'ils assument, ni selon la ressemblance de la forme, ni selon le caractère naturel de l'action: exemple éprouver des sensations, grandir, se nourrir etc. Car la sensation dépend du mouvement des objets vers l'âme; de même la nourriture et la croissance viennent de quelque chose qui est engendré et ajouté au corps vivant.

Mais il y a certaines actions de l'âme qui viennent d'elle comme d'un principe, cependant elles se terminent à un effet extérieur; et même si un tel effet pouvait se produire par la seule division du corps, ou un mouvement local; une telle action est attribuée à l'ange par le corps qu'il assume quant à la ressemblance de la forme dans l'effet, cependant ce ne sera pas vraiment une action naturelle, mais une imitation, comme cela apparaît dans la parole qui est formée par le mouvement des organes et de l'air, et le fait de manger qui s'achève par la division de la nourriture et son passage dans les organes intérieurs.

C'est pourquoi la parole qui est attribuée aux anges dans leurs corps assumés, n'est pas vraiment une parole naturelle, mais quelque chose de similaire par imitation de l'effet; et il faut en dire autant de la nutrition. C'est pourquoi en (Tb 12, 18), l'ange dit: "Quand j'étais avec vous... vous m'avez vu manger, et boire; mais je me nourris d'une nourriture invisible et je me sers d'un breuvage invisible." Si un tel effet demandait un changement de forme, alors il ne pourrait pas être fait par lui, à moins par hasard d'un acte naturel intermédiaire comme cela se voit dans la génération.

 

Solution des objections:

1. L'ange n'exerce pas naturellement des actions de ce genre et c'est pourquoi il ne faut pas qu'il ait des organes qui lui soient unis naturellement.

2. L'ange ne fait pas de vraies opérations de l'âme, mais ce sont des imitations, comme on l'a dit.

3. On a déjà dit pourquoi on ne peut pas attribuer la sensation aux anges dans le corps qu'ils assument.

4. Une vraie parole ne peut pas être attribuée à l'ange dans le corps qu'il assume, mais seulement des imitations de la parole, comme on l'a dit ci-dessus.

5. Engendrer n'est jamais attribué aux anges; pour les démons il y a deux opinions:

1. Certains en effet disent que les démons ne peuvent en aucune manière engendrer dans les corps qu'ils assument, à cause des raisons données dans l'objection.

2. Il semble à certains qu'ils peuvent engendrer, non par une semence qui vient du corps qu'ils assument, ou par le pouvoir de sa nature, mais par la semence d'un homme employée pour la génération, par le fait qu'un seul et même démon est un succube pour l'homme et la semence reçue par lui est introduite dans la femme, pour laquelle il devient l'incube. Et cela peut être soutenu assez raisonnablement, puisqu'ils sont causes même d'autres choses naturelles, en possédant des semences propres, comme Augustin le dit.

6. Le démon peut apporter remède à l'évaporation de la semence, tant par la rapidité du mouvement, qu'en recevant quelque combustible, par lequel il conserve la chaleur naturelle dans la semence.

7. Sans doute la génération, accomplie d'une telle manière, est faite par le pouvoir de la semence humaine. C'est pourquoi l'homme ainsi engendré ne serait pas fils du démon, mais de l'homme dont vient la semence. Et cependant il est possible que par un tel mode les hommes soient engendrés plus forts et plus grands, parce que les démons voulant paraître admirables dans leurs effets, en observant la position déterminée des étoiles, et la disposition de l'homme et de la femme, peuvent y parvenir. Et surtout si les semences qu'il utilisent comme instrument, par tel usage obtiennent une augmentation de la puissance.

8. La nourriture est attribuée aux anges dans les corps qu'ils assument, non quant à son but, qui est la nutrition, mais simplement pour l'action de manger, et il en est de même aussi pour le Christ, après la résurrection: rien ne pouvait être ajouté à son corps. Cependant il y a une différence du fait que la nutrition du Christ fut vraiment naturelle; en tant qu'ayant existé auparavant, il avait une âme végétative, et ainsi il a pu démontrer la vérité de sa nature. La nourriture n'a pas été changée en chair et sang, mais dissoute dans la matière qui existait auparavant.

9. Et cela donne réponse à l'objection 9.

Arguments en sens contraire:

1. Il faut dire qu'on a parlé dans le corps de l'article de la nutrition et de la parole telles qu'elles sont attribuées aux anges.

2. Par les fils de Dieu, on comprend les fils de Seth, qui étaient fils de Dieu par grâce; et des anges par imitation. Mais les fils des hommes, qui se sont éloignés de Dieu en vivant charnellement, sont appelés fils de Caïn.

3. Les anges assument les organes des sens, non pour s'en servir, mais comme un signe. C'est pourquoi, même s'ils n'éprouvent pas de sensations, ils ne l'assument pas en vain.

 

Article 9: Faut-il attribuer le miracle à la foi?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car les grâces données gratuitement différent des vertus, parce que celles-ci sont communes à tous les saints, mais les grâce données gratuitement, sont distribuées à diverses personnes selon ce mot de (1Co 12, 4): "Il y a diversité des grâces". Mais faire des miracles vient de la grâce donnée gratuitement. C'est pourquoi dans le même chapitre il est dit: "A un autre l'opération des miracles, etc.". Donc faire des miracles ne doit pas être attribué à la foi.

2. Mais il faut dire que c'est attribué à la foi, en tant que méritoire, et à la grâce donnée gratuitement en tant qu'elle l'accompagne.

En sens contraire, il y a ce que dit la Glose ordinaire sur cette parole de (Mt 7, 12): "Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom ", etc. "Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, parfois ne dépend pas du mérite de celui qui opère, mais de l'invocation du nom du Christ." Donc il semble qu'il ne faut pas l'attribuer à la foi.

3. La charité est le principe et la racine du mérite sans laquelle la foi informelle ne peut pas mériter. Si donc à cause du mérite, on attribue à la foi l'accomplissement des miracles, il est mieux de l'attribuer à la charité.

4. Comme les saints font des miracles en priant, l'accomplissement des miracles doit être attribué à ce qui fait que la prière est exaucée. C'est la charité qui le fait; c'est pourquoi il est dit en (Mt 18, 19): "Si deux d'entre vous se sont mis d'accord sur la terre sur tout ce qu'ils demanderont, mon Père les exaucera." Comme il est dit dans le Ps. 36, 4: "Réjouis-toi dans le Seigneur et il te donnera tout ce que ton coeur demande."; car c'est la charité qui fait que les hommes se réjouissent en Dieu par son amour, et sont en sympathie avec les hommes par l'amour du prochain. Donc on doit attribuer l'accomplissement des miracles à la charité.

5. Il est dit in (Jn 9, 31): "Nous savons que Dieu n'écoute pas les pêcheurs". Mais la charité est la seule qui éloigne les péchés, parce que, comme on le dit in (Pr 10, 12): "La charité couvre tous les pêchés". Donc on doit attribuer l'accomplissement des miracles à la charité et non à la foi.

6. Les saints obtiennent de faire des miracles, non seulement en priant, mais aussi ils en font par puissance, comme le dit Grégoire. Mais ce n'est que dans la mesure où l'homme est uni à Dieu, de sorte que le pouvoir divin l'assiste: cette union, c'est la charité qui l'accomplit, parce que "celui qui s'unit a Dieu, à savoir par charité, est un seul esprit [avec lui]", comme il est dit in (1Co 6, 17). Donc on doit attribuer l'accomplissement des miracles à la charité.

7. On oppose surtout l'envie à la charité, car celle-ci se réjouit avec les bons, l'envie s'en attriste. Mais le changement pour le mal, est attribué à l'envie par l'ensorcellement, comme on le dit dans la glose de (Ga 3, 1), glose ordinaire sur cette parole: "Qui vous a ensorcelés?" Donc l'accomplissement des miracles doit être attribué à la charité.

8. L'intellect n'est le principe de l'opération que par l'intermédiaire de la volonté. Mais la foi est dans l'esprit, et la charité dans la volonté. Donc la foi n'opère que par la charité; c'est pourquoi en (Ga 5, 6), il est parlé de: "la foi qui opère par la charité.". Donc l'accomplissement des actes de vertu est attribué à la charité plus qu'à la foi, l'accomplissement du miracle aussi.

9. Tous les autres miracles sont ordonnés à l'Incarnation du Christ qui est le miracle des miracles. Mais celle-ci est attribuée à la charité; c'est pourquoi il est dit in (Jn 3, 16): "Le Seigneur a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique." Donc il faut attribuer les autres miracles à la charité et non à la foi.

10. Que Sara, vieille femme stérile, conçut un fils d'un vieillard, a été miraculeux. Mais on l'attribue à l'espérance, comme il est dit in (Rm 4, 18): "(Abraham) a cru contre tout espérance." Donc opérer des miracles est attribué à l'espérance, non à la foi.

11. Le miracle est quelque chose d'ardu et d'insolite, comme Augustin le dit. Mais ardu est l'objet de l'espérance. Donc l'opération des miracles doit être attribuée à l'espérance.

12. Le miracle manifeste la puissance de Dieu. Mais comme à la bonté qui est appropriée à l'Esprit saint, répond la charité, et à la vérité, qui est appropriée au Fils, répond la foi, ainsi à la puissance qui est appropriée au Père, répond l'espérance; donc faire des miracles doit être attribué à l'espérance, non à la foi.

13. Augustin dit que les hommes mauvais quelquefois font des miracles par justice publique. Donc l'accomplissement des miracles est attribué à la justice, non à la foi.

14. Il est dit in (Ac 6, 8), qu'"Étienne, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et des signes importants dans le peuple". Donc il semble qu'il faille l'attribuer à la vertu de force.

15. In (Mt 17, 20), le Seigneur dit aux disciples qui ne pouvaient pas guérir le démoniaque: "Ce genre de démon n'est chassé que par la prière et le jeûne". Mais chasser les démons est compté parmi les miracles. Et le jeûne est l'acte de la vertu d'abstinence. Donc c'est par elle qu'il convient de faire des miracles.

16. Bernard dit qu'être toujours avec une femme et ne pas la connaître est plus grand que ressusciter un mort. Mais c'est la chasteté qui le fait. Donc faire des miracles est le propre de la chasteté et non de la foi.

17. Il ne faut pas attribuer à la foi ce qui y déroge. Mais les miracles sont dans la dérogation de la foi, parce que les infidèles les imputent à l'art magique. Donc faire des miracles ne doit pas être attribué a la foi.

18. La foi de Pierre et d'André est louée par Grégoire, du fait que, sans avoir vu les miracles, ils ont cru. Donc l'opération des miracles déroge à la foi, et ainsi de même que ci-dessus.

19. Si une cause est posée, l'effet l'est aussi. Si donc la foi est la cause des miracles, tous ceux qui ont la foi feraient des miracles, ce qui est évidemment faux. Donc ce n'est pas le propre de la foi de faire des miracles.

 

Cependant:

1. Il y a ce qui est dit in (Mc 16, 17): "Mais voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru: ils chasseront les démons en mon noms, etc."

2. In (Mt 17, 19), le Seigneur dit: "Si vous aviez eu la foi comme un grain de moutarde, nous diriez à cette montagne: Pars d'ici, et elle partira, et rien ne vous sera impossible."

3. Si l'opposé est la cause de l'opposé, l'opposé restant est la cause du reste. Mais l'incrédulité est la cause qui empêche l'opération des miracles; c'est pourquoi il est dit in (Mc 6, 5), à propos du Christ: "Il ne pouvait pas faire de miracle là (c'est-à-dire dans sa patrie) sinon qu'il guérit peu de malades en leur imposant les mains, et il s'étonnait de leur incrédulité." Et in (Mt 17, 18), il est dit que le Seigneur répondit à ses disciples qui le questionnaient: "Pourquoi n'avons-nous pas pu chasser, les démons?- A cause de votre incrédulité, dit-il." Donc la foi est la cause (qui permet de) faire des miracles.

 

Réponse:

Les saints font des miracles de deux manières, selon Grégoire: à savoir: en obtenant par la prière, de les faire avec l'aide de Dieu, et par leur pouvoir. Mais de l'une et l'autre manière, la foi rend l'homme capable de faire des miracles, car il mérite en propre pour que sa prière soit exaucée pour faire des miracles.

Ce qui peut-être montré par cette raison: car de même que nous voyons dans les choses naturelles que par la cause universelle toutes les causes particulières tirent leur efficacité d'action, - cependant l'effet déterminé et plus propre est attribué à la cause particulière, comme on le voit dans les pouvoirs actifs des corps inférieurs, par rapport à la puissance du corps céleste, et des ordres inférieurs, (qui même s'ils suivent le mouvement du premier ciel ont cependant chacun des mouvements propres), - de même aussi il y a des vertus par lesquelles nous méritons: Car toutes ont une efficacité de mérite par la charité, qui nous unit à Dieu, par lequel nous méritons et il parfait la volonté par laquelle nous méritons, cependant les puissance particulières méritent des récompenses particulières qui leur correspondent proportionnellement; ainsi l'humilité mérite l'élévation et la pauvreté le Royaume.

C'est pourquoi, si quelquefois la charité cesse, par l'action des autres vertus, même si quelqu'un ne mérite rien d'une manière convenable, cependant de par sa libéralité, Dieu accorde des bienfaits convenables pour des actions de ce genre, du moins en ce monde; c'est pourquoi on dit que par ce qui est bon en son genre, produit hors charité, certains méritent parfois d'une manière adéquate la multiplication des biens temporels.

Par ce moyen la foi mérite d'opérer des miracles bien que la racine du mérite vienne de la charité. On peut lui assigner une triple raison.

1. Première raison, parce que les miracles sont des arguments de foi, tant que les faits, qui dépassent la nature, confirme la vérité de ce qui dépasse la raison naturelle; c'est pourquoi in (Mc 16, 20) il est dit: "Une fois partis, ils prêchèrent avec l'aide du Seigneur, et en confirmant leurs paroles par les signes qui les accompagnaient. "

2. La seconde raison: parce que la foi s'appuie très fortement sur la puissance divine, qu'elle reçoit comme raison ou intermédiaire pour approuver ce qui semble être au-dessus de la nature; et c'est pourquoi la puissance divine vient en aide à la foi surtout en accomplissant des miracles.

3. La troisième raison: parce que les miracles se font au-delà des causes naturelles; mais la foi tire argument non pas des raisons naturelles et sensibles, mais de ce qui est divin.

C'est pourquoi, de même que la pauvreté en biens temporels mérite les richesses spirituelles, et que l'humilité mérite la possession du ciel, de même la foi, comme méprisant ce qui arrive naturellement, d'une certaine manière mérite d'opérer des miracles, ce qui se fait au-delà du pouvoir naturel.

Mais de la même manière, et par la foi l'homme est parfaitement mis en état de faire des miracles par son pouvoir. Ce qui apparaît pour trois raisons:

1. Parce que, comme on l'a dit ci-dessus, les saints font des miracles par leur pouvoir, non comme leurs auteurs principaux, mais comme des instruments divins, révélant d'une certaine manière dans les choses naturelles le gouvernement divin, à qui la nature obéit dans les miracles. Mais, c'est par la foi qui est une participation en nous à la vérité divine que la parole divine habite en nous; c'est pourquoi par la foi même, l'homme a possibilité de faire des miracles.

2. Parce que les saints, qui font des miracles par leur pouvoir, opèrent dans la puissance de Dieu qui agit dans la nature. Car son action est comparée à la nature toute entière, comme l'action de l'âme sur le corps, mais le corps est changé par l'âme, au-delà de l'ordre des principes naturels, surtout, par une image fixée par laquelle le corps s'échauffe par concupiscence ou colère, et même subit la fièvre ou la lèpre. Donc cela dispose l'homme à faire des miracles, qui donne à sa connaissance fixité et fermeté. Cela affermit aussi la foi; c'est pourquoi la fermeté de la foi travaille surtout à faire des miracles. Ce qui apparaît de ce qui est dit in (Mt 21, 21): "Si vous aviez eu la foi et si vous n'aviez pas hésité, non seulement vous l'auriez fait à ce figuier et si vous aviez dit à cette montagne: Lève-toi et jète-toi dans la mer, cela se ferait" et in (Jc 1, 6): "Qu'il demande avec foi sans aucune hésitation."

3. Parce que comme les miracles sont faits par la puissance à la manière du commandement, cela surtout rend capable de faire des miracles par la puissance qui rend apte à commander. Mais c'est par une séparation et une abstraction de ce par quoi il doit commander. C'est pourquoi Anaxagore dit aussi que l'intelligence était sans mélange pour commander. Mais la foi abstrait l'esprit des choses naturelles et sensibles, et la fonde dans l'intelligible. C'est pourquoi par la foi l'homme est rendu apte à faire des miracles par sa puissance.

Et de là vient que ces vertus, qui abstraient l'esprit de l'homme de ce qui est très matériel; coopèrent surtout à accomplir des miracles comme la continence et l'abstinence qui éloignent des choix par lesquelles l'homme s'immerge dans le sensible. Mais d'autres vertus qui disposent à ordonner ce qui est temporel, ne disposent pas de la même manière à faire des miracles.

 

Solution des objections:

1. Faire des miracles est attribué à la grâce donnée gratuitement, comme au plus proche principe de la foi ou comme à ce qui dispose pour acquérir une grâce de ce genre.

2. Bien que quelquefois un pécheur fasse des miracles, ce n'est pas par son mérite, - je parle du mérite convenable - mais c'est par une certaine conformité, en tant qu'il confesse fermement la foi, dans le pouvoir de laquelle Dieu fait des miracles.

3. Du fait que la charité est une plus grande vertu que la foi, elle accorde à la foi l'efficacité du mérite; cependant elle correspond plus aux opérations pour mériter particulièrement des miracles, car la foi est la perfection de l'esprit, son opération consiste en ce que les choses comprises sont en lui d'une certaine manière, mais la charité est la perfection de la volonté, dont l'opération consiste en ce que la volonté tend à la chose même. C'est pourquoi, par la charité, l'homme est placé en Dieu, et devient un avec lui, mais par la foi ce qui est divin est placé en nous; c'est pourquoi il est dit in (He 11, 1), que "c'est la réalité des biens espérés". Et en outre les miracles sont faits pour confirmer la foi mais pas la charité.

4. La charité mérite, comme on l'a dit, l'écoute des demandes, comme principe universel de mérite, mais spécialement la foi mérite d'être exaucée pour faire des miracles, comme on l'a dit.

5. Comme la glose ici même le dit, ce mot est de l'aveugle, qui n'est pas encore éclairé par la sagesse, c'est pourquoi il contient une phrase fausse, car parfois Dieu écoute les pêcheurs par sa libéralité, bien que ce ne soit pas pour leur mérite. Et ainsi leur prière est exaucée, bien qu'elle ne soit pas méritoire, comme quelquefois la prière du juste mérite mais n'est pas exaucée; car être exaucé appartient à ce qui est demandé, et s'appuie sur la grâce seule, mais la mérite appartient à la foi par laquelle quelqu'un mérite, et s'appuie sur la justice.

6. La charité unit à Dieu, comme si elle attirait l'homme vers lui, mais par la foi, le divin est tiré à nous, comme on l'a dit plus haut.

7. L'envie dans l'ensorcellement ne pourrait avoir d'effet si une image rapportée n'y contribuait.

8. Cette raison prouve que la foi mérite par la charité, et cela on l'a concédé ci-dessus. Et ensuite, l'objection tient en ce que l'homme fait par son propre pouvoir, en qui l'intelligence dirige la volonté qui commande à la puissance qui en découle. Mais en ce en quoi le pouvoir divin est exécuté, la foi seule, qui s'appuie sur la puissance divine, suffit pour opérer.

9. Cette objection procède de l'opération du miracle selon qu'il vient de Dieu, qui est poussé par amour pour tout ce qu'il opère dans les créatures. Car l'amour divin ne permet pas que ce soit sans résultat, comme le dit Denys. Mais nous, nous parlons de l'accomplissement du miracle selon qu'il vient de l'homme. C'est pourquoi cette raison ne convient pas à ce sujet.

10. Faire des miracles n'est pas proprement attribué à l'espérance, car elle est ordonnée à acquérir quelque chose, c'est pourquoi elle concerne seulement l'éternité. Mais la foi concerne l'éternité et le temps; c'est pourquoi elle peut s'étendre à agir. Et pour cela, dans l'autorité rapportée, il est fait plus mention de l'espérance que de la foi, quand on dit qu'il a cru "contre toute espérance."

11. L'objet de l'espérance est d'obtenir ce qui est ardu, non de le faire.

12. A l'espérance répond la puissance divine, selon la sublimité de sa majesté, que l'espérance tend à obtenir. Mais la foi s'appuie surtout sur la puissance même selon qu'elle fait de miracles.

13. La justice publique vient de la foi, par laquelle toute l'Église est justifiée, selon cette parole de (Rm 3, 22): "La justice de Dieu par la foi en Jésus Christ. "

14. Les martyrs possédaient la force pour supporter les passions, et la fermeté de la confession à cause de la fermeté de leur foi.

15. Même l'abstinence coopère pour faire des miracles, non cependant de façon aussi importance que la foi.

16. Bien que ne pas connaître une femme et demeurer toujours avec elle soit difficile, ce n'est cependant pas un miracle, en prenant le miracle au sens propre, puisqu'il dépend de la vertu créée, c'est-à-dire du libre arbitre.

17. Le mauvais usage des miracles en ceux qui les dénigraient, n'enlève pas leur efficacité pour confirmer la foi, pour ceux qui étaient bien disposés.

18. La foi de Pierre et d'André est recommandée à cause de leur promptitude à croire, qui est d'autant plus grande qu'elle a eu besoin de plus petites aides pour croire. Parmi ces aides en soi, il y a les miracles.

19. la foi n'est pas une cause suffisante pour faire des miracles, il y faut une certaine disposition. Mais les miracles sont faits selon l'ordre de la providence divine, qui dispense aux hommes de diverses manières des remèdes convenables pour des causes variées.

 

Article 10: Les démons sont-ils forcés par des objets sensibles et corporels, des événements ou des paroles, d'accomplir des miracles qui paraissent accomplis par les arts magiques?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car Augustin dit, rapportant les paroles de Porphyre, que quelqu'un, en Chaldée, touché par l'envie, lia des puissances spirituelles conjurées par des prières, pour qu'elles n'accordent pas ce qui était demandé par un autre. Et au chapitre 21 du même livre, il dit: "Il ne put apprendre que par des démons qui parlaient, ce que chacun d'eux demande, ce qu'il déteste, par quel nom il est invité, par qui il est contraint." Donc les démons sont forcés par des magiciens à faire des choses magiques.

2. Quiconque agit contre sa volonté, est forcé en quelque manière. Mais les démons quelquefois agissent contre leur volonté, adjurés par des magiciens. Car c'est la volonté du démon de toujours pousser les hommes au péché, et cependant quelqu'un, par un art magique, incité à un amour honteux, est affranchi, par le même art, de la violence de l'incitation. Donc les démons sont contraints par les magiciens.

3. On lit à propos de Salomon, qu'il fit quelques exorcismes par lesquels les démons étaient forcés de partir des corps possédés. Donc les démons peuvent être forcés par des adjurations

4. Si les démons, appelés par un magicien viennent, ou c'est parce qu'ils sont attirés ou parce qu'ils sont forcés, mais appelés, ils ne sont pas toujours attirés, car ils sont appelés par certaines choses qu'ils haïssent, comme la virginité de celui qui prie, alors que cependant eux-mêmes n'hésitent pas à amener les hommes à des enlacements incestueux. Donc il semble que quelquefois ils sont contraints.

5. Les démons ont du zèle pour détourner les hommes de Dieu. Mais appelés par ce qui célèbre la révérence de Dieu, comme par l'invocation de sa majesté divine, ils viennent. Donc ils ne font pas cela par leur propre volonté, mais contraints.

6. S'ils sont attirés par ce qui est sensible, ils ne le sont pas comme les animaux par la nourriture, mais comme les esprit par les signes, à quelque plaisir qu'ils s'accordent par les différents espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, de chants, de rites comme Augustin le dit. Mais ils ne semblent pas être attirés par les signes, car être attiré par les signes (convient) à celui qui s'en sert, ce qui n'appartient seulement qu'à celui qui a des sens, car le signe au-delà de l'image, qu'il insère dans les sens, fait venir quelque chose d'autre à la connaissance. Donc les démons ne sont attirés en aucune manière, mais ils sont plutôt contraints.

7. In (Mt 17, 14), quelqu'un dit à Jésus: "Seigneur, aie pitié de mon fils, parce qu'il est lunatique et il souffre beaucoup." En (Mc 9, 16), il est dit: "Je t'ai amené mon fils; il a un esprit muet." La glose dit sur le mot de Mt.: "Marc appelle sourd et muet, celui que Matthieu appelle lunatique, non que la lune soit soumise aux démons, mais le démon en observant le cours de la lune, corrompt les hommes." Donc il semble que par l'observation des corps célestes, et d'autres choses corporelles, les démons soient forcés à faire quelque chose.

8. Comme les démons ont péché par orgueil, il n'est pas probable qu'ils soient attirés par ce qui semble déroger à leur excellence. Mais on les fait venir par un appel à leur vertu, et par les mensonges incroyables qui dérogent à leur science. C'est pourquoi Augustin rapporte les paroles de Porphyre, qui parle ainsi, "Car en quoi l'homme attaché à n'importe quel vice les menace, et les frappe d'épouvante par un mensonge, pour leur extorquer la vérité, car il menace le ciel de se choquer et autres choses semblables, impossibles à l'homme, pour que ces dieux, comme des enfants tout à fait stupides, terrifiés par des menaces fausses et ridicules, accomplissent ce qui est commandé?" Donc les démons ne sont pas attirés mais une fois appelés, ils sont contraints.

 

10. Quelquefois les démons sont appelés par les arts magiques, pour pousser les hommes à un amour honteux. Mais cela les démons tendent à le faire de leur propre volonté. Donc ce ne serait pas la peine de les attirer si toujours ils le faisaient appelés. Mais ils ne le font pas toujours. Donc quand il le font, ils sont appelés, non comme attirés mais comme contraints.

 

Cependant:

1. In (Job 41, 24) il est dit: "Il n'y a pas sur terre de puissance qui puisse lui être comparée", à savoir à celle du diable. Mais un plus grande puissance n'est pas contrainte par une plus petite. Donc les démons ne peuvent être contraints par rien de terrestre.

2. Ce n'est pas la même chose d'être appelé et d'être forcé. Car on appelle les plus grands, comme Porphyre le dit, mais on commande aux plus mauvais; mais des démons viennent (s'ils sont) appelés. Donc ils ne sont pas contraints.

3. Mais il faut dire qu'ils sont contraints par le pouvoir divin.

En sens contraire, contraindre les démons par le pouvoir divin vient par un don de la grâce, par lequel l'ordre des puissances célestes est achevé. Mais ce don de la grâce n'est pas pour les infidèles, ni pour les scélérats, tels que les magiciens. Donc les démons ne peuvent pas non plus contraindre par la puissance divine.

4. Faire ce qui est fait principalement par la puissance divine n'est pas un péché, comme faire des miracles. Donc si les magiciens contraignaient les démons par la puissance divine, en se servant d'arts magiques, ils ne pècheraient pas, ce qui évidemment faux. Donc les démons ne sont pas contraints de quelque manière par les arts magiques.

 

Réponse:

A propos des effets des arts magiques, il y eut de nombreuses opinions.

A) Certains ont dit, comme Alexandre, que l'effet des arts magiques se fait par des puissances et des pouvoirs engendrés dans les choses inférieures, par les pouvoir de certains corps inférieurs, et en observant les mouvements du ciel. C'est pourquoi Augustin dit. qu'il semble à Porphyre, que par les herbes, les pierres, des êtres animés, certains sons, des voix, des images, et aussi certaines représentations observées dans le ciel par les mouvements des étoiles, des pouvoir capables d'accompagner différents effets des astres sont fabriqués sur terre par des hommes.

 

Et on ne peut pas dire que cela se fait par le changement de la seule imagination par imposture, parce que, alors, ces voix ne seraient pas entendues par tous ceux qui sont autour, et ces voix ne pourraient pas être entendues par des personnes éveillées et qui ont des sens sans entraves.

C'est pourquoi il reste que c'est fait par le pouvoir de l'âme d'un hommes qui se sert des arts magiques, ou c'est fait par quelqu'un d'extérieur qui a un esprit.

1. Premièrement cela est impossible, ce qui paraît de deux manières;

a) Parce que l'âme de l'homme par son pouvoir ne peut en venir à connaître ce qu'il ignore que par l'intermédiaire du connu; c'est pourquoi la révélation de ce qui est caché qui se fait par les arts magiques ne peut pas se faire par la volonté de l'âme humaine, puisque pour faire des choses cachées de ce genre, les principes de la raison ne suffisent pas.

b) Parce que, si par son pouvoir, l'âme du magicien provoquait un effet de ce genre, il ne manquerait pas d'utiliser des invocations ou des choses extérieures de ce genre.

2. Il est clair que de tels effets des arts magiques sont faits par des esprits extérieurs, mais pas par des esprits justes et bons, ce qui paraît de deux manières:

a) Parce que les bons esprits ne montreraient pas leur familiarité aux scélérats, tels que sont la plupart de ceux qui exercent les arts magiques.

b) Parce qu'ils ne collaboreraient pas avec les hommes pour perpétrer des actes illicites, ce qui se fait la plupart du temps par les arts magiques. Donc il reste que cela est fait par des esprits mauvais que nous appelons démons.

Mais on comprend que de tels démons peuvent être contraints de deux manières:

1. Par un pouvoir supérieur, qui les conduit à la nécessité de le faire;

2. au moyen d'un enrôlement, de même que pour les hommes on dit qu'ils sont forcés de faire ce qui les attire par concupiscence.

En aucune manière les démons ne peuvent être contraints par des corps, à proprement parler, à moins qu'on suppose qu'ils ont des corps aériens naturellement unis à eux et par conséquent qu'ils ont des affections sensibles, à la manière des autres êtres animés. Ainsi Apulée a pensé que les démons étaient des êtres animés, au corps aérien, à l'âme passive. Car ainsi ils peuvent être contraints de deux manières, par le pouvoir corporel et celui des corps célestes (par les pressions desquels ils sont amenés à certaines passions) et même par les corps inférieurs dont ils se délectent, comme Apulée le dit: "Et ils se délectaient dans la fumée des sacrifices et autres choses de ce genre". Mais l'erreur de cette opinion a été démontrée dans les précédentes questions.

B) Il reste donc que les démons, qui apportent un complément aux arts magiques, sont contraints et attirés. Ils sont contraints par un supérieur, quelquefois par Dieu lui-même, quelquefois par les saints, les anges et les hommes, par le pouvoir de Dieu. Car on dit qu'il convient à l'ordre des Puissances d'écarter les démons, mais de même que les saints participent au don des vertus, dans la mesure où ils font des miracles, de même ils participent au don des pouvoirs, dans la mesure où ils rejettent les démons. Des démons sont forcés aussi quelquefois par les démons supérieurs, eux-mêmes, seule cette contrainte peut être faite par les arts magiques.

Ils sont contraints aussi comme attirés par les arts magiques, non par ce qui est corporel en lui-même, mais quelque chose d'autre.

1. Parce que, par les corps de ce genre, ils savent qu'ils peuvent plus facilement accomplir un effet auquel ils sont appelés et ils le désirent pour que leur pouvoir passe pour admirable, et pour cela ils arrivent plutôt appelés sous certaines positions des astres.

2. Dans la mesure où les corps de ce genre sont des signes de certaines choses spirituelles, dont ils se délectent. C'est pourquoi Augustin dit que les démons sont attirés dans ces choses, non comme les animaux par la nourriture, mais comme l'esprit par des signes. Car, parce que les hommes en signe de soumission offrent un sacrifice à Dieu et font des prosternations, ils se réjouissent qu'on leur montre des signes de révérences de ce genre. Mais différents démons sont attirés par des signes différents, ce qui convient à leurs différents vices.

3. Ils sont attirés par les corps, dans la mesure où les hommes sont conduits par eux au péché et de là vient qu'ils sont attirés par les mensonges et par ce qui peut conduire les pécheurs dans l'erreur et le péché.

Solutions:

1. On dit que les démons sont contraints par les arts magiques selon les manières dont on a parlé.

2. Cela satisfait le démon, si par ce qui empêche un mal et coopère à un bien, il entraîne les hommes plus facilement à être familier et à l'admirer, car eux-mêmes se transforment en anges de lumière, comme il est dit in (2Co 11, 14).

3. Si Salomon a pratiqué des exorcismes au temps où il était dans l'état de salut, il a pu avoir pour cela une force pour contraindre les démons par le pouvoir divin. Mais s'il l'a fait au temps où il a adoré les idoles, pour comprendre alors qu'il l'a fait par les arts magiques, il n'y eut en ces exorcismes la force de contraindre les démons, que par la manière dont on a parlé.

4. Appelés par les vierges, ils arrivent pour conduire par cela les hommes à l'opinion de leur divinité, comme s'ils aimaient la pureté.

5. En cela aussi qu'ils arrivent à l'appel du pouvoir divin, ils veulent qu'on comprenne qu'ils ne sont pas exclus tout à fait de la justice divine, car ils ne désirent pas la divinité pour vouloir tout à fait égaler le Dieu Très Haut, mais sous lui, ils se réjouissent du culte de la divinité que les hommes leur montrent.

6. On ne dit pas que les démons sont attirés par des signes comme s'ils s'en servaient, mais parce que les hommes ont l'habitude de s'en servir, ils se délectent dans les signes dont usent les hommes, en vue de ce qui est signifié.

7. Comme la glose ordinaire le dit ici, les démons affligent plus les hommes pendant certaines périodes de lune, pour déshonorer les créatures de Dieu, en cela qu'on croit qu'ils sont asservis aux démons et par là ils font tomber les hommes dans l'erreur.

8. Bien que les mensonges rapportés paraissent être une abrogation du pouvoir des démons, cependant cela leur est agréable que les hommes aient confiance dans leur mensonge, parce que le démon est lui-même menteur et le père du mensonge.

9. Appelés, ils viennent dans les images à certaines heures et sous certains signes, pour les raisons déjà dites.

10. Bien que les démons désirent toujours faire tomber les hommes dans les péchés, ils s'y efforcent plus quand ils y sont forcés et quand ils peuvent en pousser plusieurs au péché.

 

Question 7: La simplicité de l'essence divine

 

Article 1: Dieu est-il simple?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car d'un être simple et unique, ne peut venir qu'un seul être. Car le même fait toujours le même, selon le philosophe. Mais la pluralité procède de Dieu. Donc il n'est pas simple.

2. Si ce qui est simple est atteint, il est atteint tout entier. Mais Dieu est atteint par les bienheureux, parce que, comme le dit Augustin, atteindre Dieu par l'esprit est une grande béatitude. Si donc il est simple, il est atteint tout entier par les bienheureux. Mais ce qui est atteint tout entier, est saisi. Donc Dieu est saisi par les bienheureux, ce qui est impossible. Donc Dieu n'est pas simple.

3. Une même chose ne se comporte pas en raison de causes diverses mais Dieu oui, comme on le voit in Métaphysique, XI. Donc en lui, il faut qu'il y ait diverses choses. Donc il faut qu'il soit composé.

4. Là où il y a une chose et une autre, il y a composition, mais en Dieu il y a une chose et une autre, à savoir la propriété et l'essence. Donc en lui il y a composition.

5. Mais il faut dire que la propriété est la même chose que l'essence

En sens contraire, l'affirmation et la négation ne se vérifient pas d'un même objet. Mais l'essence divine est communicable aux trois personnes, et la propriété est incommunicable. Donc la propriété et l'essence ne sont pas une même chose.

6. Celui dont on prédique diverses catégories est composé; mais dans la prédication divine, on trouve la substance et la relation, comme le dit Boèce. Donc Dieu est composé.

7. En toutes choses il y a la substance, la puissance et l'opération, comme le dit Denys. A partir de cela, il semble que l'opération découle de la puissance et de la substance. Mais il y a pluralité dans les opérations divines. Donc dans sa substance on trouve la multiplicité et la composition.

8. Partout où l'on trouve la multiplicité de formes, il faut qu'il y ait composition. Mais en Dieu on trouve la multiplicité des formes, parce que, comme le dit le Commentateur, toutes les formes sont en acte dans le premier moteur, comme elles sont en puissance dans la matière première. Donc en Dieu il y a composition.

9. Tout ce qui arrive à une chose après l'être complet, est de manière accidentelle en elle. Mais certains ont parlé de Dieu à partir du temps, comme être Créateur et Seigneur. Donc ces attributs sont en lui de manière accidentelle, il y a composition de l'accident avec le sujet. Donc en Dieu il y a composition.

10. Partout où les éléments sont nombreux, il y a composition, mais en Dieu il y a trois Personnes, qui sont trois êtres, comme le dit Augustin. Donc en Dieu il y a composition.

 

Cependant:

1. Il y a ce qu'Hilaire dit au livre 8 de la Trinité: "Dieu n'est pas composé à la manière humaine, de sorte qu'en lui, autre soit ce qu'il a et autre celui qui l'a".

2. Boèce dit "Est vraiment un ce en quoi il n'y a aucun nombre". Partout où il y a composition, il y a un nombre. Donc Dieu est tout à fait simple, sans composition.

 

Réponse:

Il faut tenir pour assuré que Dieu est simple de toutes les manières. Ce qui peut à présent être prouvé par trois raisons, dont la première est la suivante:

1. Première raison: On a montré, en effet, dans une autre discussion que tous les étants venaient d'un premier étant, que nous appelons Dieu. Mais quoique dans un seul et même étant, que l'on trouve quelquefois en acte, quelquefois en puissance, la puissance soit chronologiquement avant l'acte, et selon la nature après, dans l'absolu, il faut que l'acte soit avant la puissance, non seulement en nature mais chronologiquement, parce que tout étant en puissance est ramené à l'acte par un être en acte. Donc cet étant qui a fait que tous les étants sont en acte, et qui lui-même ne dépend d'aucun autre, doit être l'être premier en acte sans aucun mélange de puissance. Car s'il était en quelque manière en puissance, il faudrait qu'un autre étant existe avant par lequel il deviendrait en acte. Dans tout composé, quelle que soit la composition, il faut que la puissance soit mêlée à l'acte. Car dans les composés, ou bien l'un d'eux d'où vient la composition est en puissance pour l'autre, comme la matière pour la forme, le sujet pour l'accident, le genre pour la différence, ou bien rarement toutes les parties sont en puissance pour le tout. Car les parties sont ramenées à la matière, le tout à la forme, comme on le montre en Physique, et ainsi aucun composé ne peut être acte premier. Mais l'étant premier, qui est Dieu, doit être acte pur, comme on l'a montré. Donc il est impossible qu'il soit composé, c'est pourquoi il faut qu'il soit tout à fait simple.

2. Seconde raison, parce que, comme la composition ne vient que des parties diverses, celles-ci ont besoin d'un agent pour les unir. Car en tant que tel, ce qui est divers n'est pas uni. Mais tout composé a l'être selon que ses composants sont unis. Donc il faut que tout composé dépende d'un agent premier. Donc l'étant premier, qui est Dieu, d'ou vient tout, ne peut pas être composé.

3. Troisième raison: il faut que le premier étant, qui est Dieu, soit absolument parfait, et par conséquent le meilleur, car les principes des choses ne sont pas imparfaits, comme Pythagore et Leucippe l'ont pensé. Mais le meilleur est celui en qui il n'y a rien qui manque de bonté, comme le blanc suprême est ce en quoi rien de noir n'est mêlé. Mais cela n'est possible dans aucun composé. Car le bien qui résulte de la composition des parties, par lequel le tout est bon, n'est dans aucune partie. C'est pourquoi les parties ne sont pas bonnes de cette bonté qui est le propre du tout. Il faut donc que le meilleur soit absolument simple et ne comporte aucune composition. Et le Philosophe donne cette raison et Hilaire, où il dit que "Parce que Dieu est lumière, il n'est pas contraint par l'obscurité, et parce qu'il est puissance il n'est pas contenu par ce qui est faible."

 

Solution des objections:

1. La pensée d'Le philosophe n'est pas que la pluralité ne puisse pas procéder de l'unité. En effet, comme l'agent fait du semblable à lui et que les effets sont déficients par rapport à la représentation de leur cause, il faut que ce qui est uni dans une cause, devienne multiple dans les effets; ainsi dans le pouvoir du soleil, il y a comme une unité toutes les formes des corps qu'il peut engendrer, et cependant elles sont distinguées dans les effets. Et de là vient que par une seule puissance, une chose peut entraîner différents effets, comme le feu par sa chaleur liquéfie, coagule, ramollit, durcit, brûle et noircit. Et l'homme par le pouvoir de sa raison acquiert diverses sciences, et produit les opérations de divers arts. C'est pourquoi, et beaucoup plus, Dieu par sa puissance une et simple peut créer beaucoup d'êtres. Mais le philosophe fait remarquer que ce qui demeure le même ne fait pas de choses diverses dans des temps différents, s'il est agent par nécessité de nature; à moins que par hasard cela arrive par accident par la diversité de la matière ou de quelque autre accident. Mais cela n'est pas dans notre propos.

2. Dieu est atteint en entier par l'esprit des bienheureux, non cependant totalement, parce que le mode par lequel Dieu peut être connu excède à l'infini l'esprit créé; et ainsi celui-ci ne peut pas comprendre Dieu aussi parfaitement qu'il est intelligible, et c'est pour cela qu'il ne peut pas le saisir.

3. Dieu ne se comporte pas par l'un et le même, en raison de causes diverses; parce qu'il est acte premier, il est l'agent et l'exemplaire de toutes les formes, il est bonté pure et par conséquent fin de tout.

4. La propriété et l'essence ne différent pas réellement en Dieu, mais en raison seulement; car la paternité elle-même est l'essence divine, comme on le montrera.

5. Pour ce qui est le même en réalité et différent en raison, rien n'empêche d'attribuer des termes contradictoires, comme le dit le philosophe, ainsi il apparaît que le même point en réalité, différent en raison, est principe et fin; et selon qu'il est principe, il n'est pas fin, et inversement. C'est pourquoi comme l'essence et la propriété sont une même chose en réalité et différente en raison, rien n'empêche que l'une soit communicable et l'autre incommunicable.

6. L'absolu et le relatif ne diffèrent pas en Dieu en réalité, mais seulement en raison, comme on l'a dit, et c'est pourquoi à partir de cela il ne reste nulle composition.

7. L'opération de Dieu peut être considérée du côté de celui qui produit ou de ce qui est produit. Si c'est du côté de ce qui produit, il n'y a qu'une opération en Dieu, qui est son essence; car il ne fait rien par une action intermédiaire entre lui et son vouloir, qui sont son être propre. Si c'est du côté de ce qui est produit, il y a diverses opérations, ce qui est produit mais par son intellection et les divers effets de l'opération divine. Cela n'entraîne pas de composition en lui.

8. La forme de l'effet se trouve autrement dans l'agent naturel que dans l'agent par art. Car elle se trouve dans l'agent par nature, selon que l'agent rend l'effet semblable à lui dans sa propre nature, parce que tout agent fait du semblable à lui. Ce qui arrive de deux façons: en effet, lorsque l'effet ressemble parfaitement à l'agent, en tant qu'il égale sa puissance, alors la forme de l'effet est dans l'agent selon la même nature, comme cela apparaît dans les agents univoques, comme quand le feu engendre le feu; mais quand l'effet n'est pas parfaitement semblable à l'agent, à savoir qu'il n'égale pas la puissance de l'agent, alors la forme de l'effet n'est pas dans l'agent selon la même nature, mais sur un mode plus sublime; comme cela apparaît dans les agents équivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

Mais dans ceux qui agissent par art, les formes des effets préexistent selon une même nature, mais non selon la même manière d'être, car elles ont l'être matériel dans les effets, l'être intelligible dans l'esprit de l'artisan. Mais comme on dit qu'il y a une chose dans l'esprit comme ce qui est pensé, et comme l'espèce par laquelle on la pense (intelligitur), les formes de l'art sont dans l'esprit de l'artisan comme ce qui est pensé. Car c'est parce que l'artisan conçoit la forme de l'oeuvre, qu'il la produit dans la matière.

Les formes des choses sont en Dieu de l'une et l'autre manière. Quand, en effet, lui-même fait les choses par son intellect, ce n'est pas sans l'action de la nature. Mais dans les oeuvres d'art inférieures, l'art agit avec le pouvoir de la nature extérieure, dont il se sert comme d'un instrument, comme le briquetier pour cuire l'argile par le feu. Mais l'art divin ne se sert pas de la nature extérieure pour agir, mais il produit son effet par la puissance de sa propre nature. Donc les formes sont dans la nature divine comme dans un pouvoir opératif, non selon la même nature, puisque aucun effet n'égale son pouvoir. C'est pourquoi, il y a là en tant qu'unité toutes les formes qui sont multipliées dans les effets et ainsi il n'en vient aucune composition. De la même manière, dans son intellect, il y a beaucoup de choses saisies par l'un et le même, qui est son essence. Le fait que beaucoup de choses soient pensées dans l'unité, n'entraîne pas la composition de celui qui les pense, c'est pourquoi de ce côté il ne découle pas de composition en Dieu.

9. Les relations qui sont dites de Dieu dans le temps, ne sont pas en lui réellement, mais seulement en raison. Car il y a relation réelle là où une chose dépend réellement d'une autre, ou absolument ou relativement. Et c'est pour cela que la relation de la science au connaissable est réelle, pas inversement à elle; mais en raison seulement, comme le montre le Philosophe. Et c'est pourquoi, comme Dieu ne dépend d'aucun autre, mais qu'inversement tout dépend de lui, dans les autres choses il y a des relations réelles à Dieu, mais en lui la relation aux créatures est en raison seulement, dans la mesure où l'esprit ne peut comprendre la relation de celui-ci à celui-là, qu'en ne comprenant inversement la relation de celui-là à celui-ci.

10. La pluralité des personnes n'amène aucune composition en Dieu. Car les personnes peuvent être considérées de deux manières:

1. selon qu'on les compare à l'essence, avec laquelle elles sont réellement une même chose, et ainsi il apparaît qu'il ne reste aucune composition.

2. Selon qu'on les compare entre elles; et ainsi on les compare comme distinctes, sans être unies. Et c'est pour cela que de ce côté il ne peut pas y avoir de composition car toute composition est une union.

 

Article 2: La substance ou l'essence en Dieu sont-elles la même chose que son être?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Jean Damascène dit: "Que Dieu existe est évident pour nous; mais ce qui concerne sa substance et sa nature, est tout à fait incompréhensible et ignoré." Le connu et l'inconnu ne peuvent pas être une même chose. Donc l'être de Dieu, et sa substance ou son essence ne sont pas une même chose.

2. Mais on pourrait dire, que nous ignorons ce qu'est l'être de Dieu, comme aussi sa substance.

En sens contraire, il y a deux questions différentes: est-il, et qu'est-il; à l'une nous savons répondre, mais à l'autre non, comme on le voit par l'autorité ci-dessus. Donc ce qui répond à "est-il?" au sujet de Dieu, et ce qui répond à "qu'est-il" ne sont pas une même chose, mais au "est-il?" répond l'être, au "quel est-il?", la substance ou la nature.

3. Mais il faut dire que l'être de Dieu est connu, non en soi, mais par ressemblance avec la créature.

En sens contraire, dans la créature, il y a l'être et la substance ou la nature, et comme elle possède l'un et l'autre de Dieu, elle lui ressemble selon l'un et l'autre, parce que l'agent fait du semblable à soi. Si donc l'être de Dieu est connu par sa ressemblance avec l'être créé, il faut que sa substance soit connue par la ressemblance de la substance créée, et ainsi nous saurions de Dieu non seulement qu'il est, mais ce qu'il est.

4. On dit que chaque chose est différente d'une autre par sa substance. Rien ne diffère d'un autre par ce qui est commun à tous; c'est pourquoi le philosophe dit, que l'étant ne doit pas être placé dans une définition, parce que rien ne distinguerait ce qui est défini. Donc, la substance de rien de ce qui est distingué des autres n'est l'être même puisque l'être est commun à tout. Mais Dieu est un être différent de toutes les autres choses. Donc son être n'est pas sa substance.

5. Les choses ne sont différentes que dans la mesure où leur être est différent. Mais l'être d'une chose n'est pas différent de celui d'une autre en tant qu'être, mais en tant qu'il est en telle ou telle nature. Donc si un être était tel qu'il ne soit pas dans une nature différente de l'être, il ne serait pas différent d'un autre être. Et ainsi il en découle que si la substance divine est son être, lui-même serait un être commun à n'importe quel autre.

6. Un étant à qui n'est pas fait d'addition, est un étant commun à tous. Mais si Dieu est son être même, il sera un étant sans addition. Donc il sera commun, et ainsi il sera attribué à n'importe quoi, et il sera un Dieu mêlé à toutes choses; ce qui est hérétique, et contre le philosophe qui dit au Livre des Causes, que la cause première régit toutes choses sans leur être mêlée.

7. Rien de ce qui est dit d'un assemblage ne convient à ce qui est tout à fait simple. Mais l'être est de ce genre; car il semble se comporter envers l'essence comme le blanc envers la blancheur. Donc il ne convient pas de dire que la substance divine est son être.

8. Boèce dit: "Tout ce qui est participe de ce qui est l'être, pour être; mais il participe d'autre chose pour être quelque chose" Mais Dieu existe. Donc au-delà de son être il y a en lui quelque chose qui lui donne d'être quelque chose.

9. On ne doit pas attribuer à Dieu, qui est très parfait, ce qui est très imparfait. Mais l'être est très imparfait, comme la matière première; car de même qu'elle est déterminée par toutes les formes, il en est de même pour l'être, puisqu'il est très imparfait, il doit être déterminé par toutes les catégories propres. Donc de même que la matière première n'est pas en Dieu, de même, on ne doit pas attribuer l'être à la substance divine.

10. Ce qui est signifié par le mode de l'effet ne convient pas à la substance première qui n'a pas de principe. Mais l'être est de ce genre; car tout étant a l'être par les principes de son essence. Donc il ne convient pas de dire que la substance de Dieu est son être même.

11. Est connue par soi toute proposition dans laquelle le même est prédiqué de lui-même. Mais si la substance de Dieu est son être propre, il y aura la même chose dans le sujet et le prédicat, quand on dit: Dieu est. Donc la proposition sera connue par soi; ce qui paraît faux, puisqu'elle peut être démontrée. Donc l'être de Dieu n'est pas sa substance.

 

Cependant:

1. Hilaire dit au livre de la Trinité: "L'être n'est pas un accident en Dieu, mais vérité subsistante". Mais ce qui est subsistant est la substance. Donc l'être de Dieu est sa substance.

2. Rabbi Maimonide dit que Dieu est l'étant sans essence, le vivant sans vie, le puissant sans puissance, et le sage sans sagesse. Donc en Dieu l'essence n'est pas autre que son être.

3. Toute chose est définie en propre par sa quiddité; car le nom signifie proprement la substance et la quiddité, comme on le trouve in Métaphysique, IV. Mais ce nom "qui est" est parmi tous les autres le nom le plus propre de Dieu, comme on le voit in Exode 4. Comme ce nom est imposé du fait qu'il est l'être, il semble que l'être même de Dieu est sa substance.

 

Réponse:

En Dieu, l'être et la substance ne sont pas différents. Pour le mettre en évidence il faut considérer que, quand des causes qui produisent divers effets se rencontrent dans un seul effet, en dehors des effets différents, il faut qu'elles produisent ce qui est commun par le pouvoir d'une cause supérieure dont c'est l'effet propre. Et cela, parce que, comme l'effet le plus propre est produit par une cause selon sa propre nature ou sa propre forme, il faut que les causes diverses ayant diverses natures et formes, aient divers effets qui leur sont propres.

C'est pourquoi, si elles se rassemblent en un seul effet, celui-là n'est pas plus propre à l'une d'elle, mais à une cause supérieure, dans le pouvoir de qui elles agissent; ainsi il est clair que divers ingrédients mélangés s'unissent en chauffant, comme le poivre et le gingembre, et autres épices, quoique chacun d'eux ait son propre effet, différent de celui de l'autre. C'est pourquoi il faut ramener l'effet commun à une cause première dont elle serait la cause la plus propre, à savoir le feu. De la même manière, dans les mouvements célestes, chacune des sphères des planètes a ses propres mouvements, et comme elles en ont un en commun, il faut qu'il soit celui particulier d'une sphère supérieure qui les met toutes en mouvement selon le mouvement diurne.

Mais toutes les causes créées communiquent dans un seul effet qui est l'être, bien qu'elles aient chacune des effets propres, qui les distinguent. Car la chaleur chauffe, et l'architecte fait exister une maison. Donc ils se rassemblent en cela qu'ils causent l'être, mais ils sont différents en cela que le feu cause le feu et l'architecte cause la maison. Il faut donc qu'il y ait une cause supérieure à toutes par la puissance de laquelle toutes causent l'être, et que son être en soit l'effet plus particulier. Et cette cause c'est Dieu.

Mais l'effet le plus propre de n'importe quelle cause procède d'elle selon la ressemblance de sa nature. Il faut donc que ce qui est l'être, soit substance ou nature de Dieu. Et c'est pourquoi on dit au livre des Causes que l'intelligence ne donne l'être que dans la mesure où elle est divine, et que le premier effet est l'être, et avant lui, il n'y a rien de créé.

 

Solution des objections:

1. L'étant et l'être se disent de deux manières, comme on le voit en Métaphysique. Car quelquefois il signifie l'essence de la chose, ou l'acte d'être, mais quelquefois la vérité de la proposition, même en qui n'a pas l'être, ainsi nous disons que la cécité existe parce qu'il est vrai qu'un homme est aveugle. Donc, comme Jean Damascène dit que l'être de Dieu est pour nous évident, c'est prendre l'être au second sens, et non au premier. Car, pour le premier, l'être de Dieu est le même que sa substance; et de même que sa substance est inconnue, son être aussi. De la seconde manière, nous savons que Dieu existe, puisque nous concevons cette proposition dans notre esprit, à partir de ses effets.

2.

3. Et cela donne la solution à la deuxième et la troisième objection.

4. L'être de Dieu qui est sa substance, n'est pas un être commun, mais un être différent de n'importe quel autre. C'est pourquoi par son être propre Dieu diffère de n'importe quel autre étant.

5. Comme on le dit au Livre des Causes, l'être même de Dieu est distingué et séparé de n'importe quel autre être, par le fait qu'il est l'être subsistant par soi et qu'il ne s'ajoute à aucune nature qui serait autre que l'être même. Mais tout autre être qui n'est pas subsistant, doit être individualisé par la nature et la substance qui subsiste dans un tel être. Et en eux, il est vrai que l'être de l'un est différent de l'être de l'autre, par le fait qu'il est d'une autre nature, comme s'il y avait une seule chaleur subsistante par soi sans matière ou sujet, du fait qu'elle serait distinguée de toute autre chaleur; bien que les chaleurs qui existent dans un sujet ne soient distinguées que par les sujets (eux-mêmes).

6. L'étant commun est celui à qui n'est pas fait d'addition. Il n'est pas cependant d'une nature telle qu'une addition ne puisse pas lui être faite, mais l'être divin est un être à qui il n'y a pas d'addition de faite et il est de sa nature qu'elle ne puisse pas lui être faite. C'est pourquoi l'être divin n'est pas un être commun. De même l'addition d'une différence rationnelle n'est pas faite à l'animal commun dans sa nature, cependant il n'est pas de sa nature que l'addition ne puisse pas lui être faite; car c'est de la nature de l'animal sans raison, qui est l'espèce de l'animal.

7. La manière de s'exprimer dans des paroles dont nous nous servons pour les choses, découle de la manière de les comprendre; les paroles, en effet, signifient les conceptions de l'esprit, comme on le dit au commencement du Periher. Mais notre esprit comprend l'être par la manière dont il se trouve dans les choses inférieures d'où il titre sa science, et là l'être n'est pas subsistant, mais inhérent. Mais la raison découvre qu'il y a un être subsistant; et c'est pourquoi, bien que ce qu'on appelle être soit signifié par l'origine, cependant l'esprit attribuant l'être à Dieu transcende le mode de signifier, attribuant à Dieu ce qui est signifié, mais non le mode de le signifier.

8. La parole de Boèce est comprise de ce à quoi l'être appartient par participation, non par essence, car on doit dire, si nous prenions le sens profond, que ce qui existe par soi est l'être même; plus que d'être ce qu'il est.

9. Ce que j'appelle être est entre tout le plus parfait, ce qui le montre c'est que l'acte est toujours plus parfait que la puissance. N'importe quelle forme signalée n'est comprise en acte que par le fait qu'on la pense exister. Car l'humanité ou l''ignéité'peuvent être considérées comme existant dans la puissance de la matière, ou comme dans le pouvoir de l'agent, ou aussi comme dans l'esprit; mais ce qui a l'être devient existant en acte. C'est pourquoi il est clair que ce que j'appelle l'être est l'actualité de tous les actes et c'est pour cela qu'il est la perfection de toutes les perfections. Et il ne faut pas comprendre qu'à ce que j'appelle être on ajoute quelque chose de plus formel que lui, le déterminant, comme l'acte (détermine) la puissance; car un être qui est de ce genre est différent selon l'essence de ce à quoi il est ajouté pour le déterminer. Mais rien ne peut être ajouté à l'être qui lui soit extérieur, puisque rien en lui n'est extérieur sinon le non être, qui ne peut être ni forme ni matière. C'est pourquoi, l'être n'est pas déterminé ainsi par autre chose comme la puissance par l'acte, mais plutôt comme l'acte par la puissance. Car dans la définition des formes, on place les matières propres par la différence du lieu, comme quand on dit que l'âme est l'acte du corps organique. Et de cette manière, cet être est distingué de cet autre dans la mesure où il est de telle ou telle nature. Et par cela Denys dit que, bien que ce qui vit soit plus noble que ce qui existe, cependant l'être est plus noble que la vie, car ce qui vit n'a pas seulement la vie, mais avec elle, en même temps, a aussi l'être.

10. L'ordre des fins dépend de celui des agents, de sorte que, au premier agent répond la fin ultime, et proportionnellement par ordre les autres fins aux autres agents. Car si on considère le dirigeant de la cité, le général de l'armée et un soldat particulier, il est clair que le dirigeant est avant dans l'ordre des agents; par son pouvoir le général procède à la guerre; et sous lui il y a le soldat, qui selon l'organisation du général de l'armée combat à mains armées. Mais le but du soldat est d'abattre l'ennemi, ce qui est ordonné ensuite à la victoire de l'armée, qui est le but poursuivi par le général, et cela est ensuite ordonné au bien être de la cité ou du royaume, qui est la fin du gouverneur et du roi. Donc il faut que l'être qui est l'effet le plus proche et le but dans l'opération du premier agent, tienne lieu de but ultime. Mais bien que la fin soit première dans l'intention, elle est cependant dernière dans l'opération, et elle est l'effet des autres causes. Et c'est pourquoi l'être même, créé, qui est le plus propre effet qui correspond au premier agent, est causé par d'autres principes, quoique l'être premier qui cause soit le premier principe.

11. En soi une proposition est connue par soi qui cependant n'est pas connue par soi par celui-ci ou celui-là; quand quelquefois le prédicat concerne la notion du sujet, et que cependant celle-ci est ignorée par quelqu'un; comme si quelqu'un ignorait ce qu'est le tout, cette proposition le tout est plus grand que sa partie ne lui serait connue par soi; car les propositions de ce genre deviennent connues quand on connaît les termes, comme on le dit. Mais cette proposition: Dieu est, quant à elle, est connue par soi, parce que c'est la même notion qui est dans le sujet et le prédicat; mais quant à nous, elle n'est pas connue par soi, parce que nous ignorons ce que Dieu est. C'est pourquoi il nous faut une démonstration, mais pas pour ceux qui voient l'essence de Dieu.

 

Article 3: Dieu est-il dans un genre?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car Jean Damascène dit: "La substance en Dieu signifie la forme qui réunit des personnes de même espèce; mais l'hypostase désigne l'individu à savoir le Père, le Fils et l'Esprit saint, Pierre et Paul." Donc Dieu est comparé au Père, au Fils, à l'Esprit saint, comme l'espèce à l'individu. Mais partout où on doit trouver l'espèce et l'individu, on doit trouver le genre: parce que l'espèce est constituée du genre et de la différence. Donc il semble que Dieu est dans un genre.

2. Tout ce qui est et ne diffère en aucune manière, est tout à fait le même. Mais Dieu n'est pas le même que les autres choses. Donc d'une certaine manière il est différent d'elles. Mais tout ce qui est diffèrent d'un autre en diffère par une certaine différence. Donc en Dieu il y a une différence par laquelle il diffère des autres choses. Mais elle n'est pas accidentelle puisqu'en Dieu il n'y a aucun accident, comme Boèce le dit. Mais toute différence substantielle partage le genre. Donc Dieu est dans un genre.

3. On dit la même chose du genre, de l'espèce et du nombre, comme on le voit en Topique. Donc il en est de même pour ce qui est différent, car on parle ainsi de multiples manières de l'un des opposés, et du reste. Donc ou Dieu est différent de la créature par le nombre seulement, ou par le nombre et l'espèce seulement et si c'est ainsi, il en découle que puisque la créature se trouve dans un genre, lui sera aussi dans un genre. Mais s'il diffère de la créature par le genre, il faudra aussi qu'il soit dans un autre genre que la créature; car la diversité est causée par la pluralité, et ainsi la diversité en genre requiert la pluralité des genres. Donc on dirait de chaque manière qu'il faut que Dieu soit dans un genre.

4. Quiconque à qui convient la notion du genre de la substance est dans un genre. Mais la nature de la substance est d'exister par soi, ce qui convient au plus haut degré à Dieu. Donc Dieu est dans le genre de la substance.

5. Tout ce qui a une définition doit être dans un genre. Mais Dieu est défini, car on dit qu'il est acte pur. Donc Dieu est dans un genre.

6. Tout ce qui est attribué à autre chose qui est substance, est en plus, ou se comporte vis-à-vis d'elle comme l'espèce, ou comme le genre. Mais tout ce qui est attribué à Dieu est attribué en ce en quoi il est substance. Car toutes les catégories, venues dans la prédication à propos de Dieu, ne se changent pas en substance, comme le dit Boèce; il est clair aussi qu'elles ne conviennent pas à Dieu seul, mais aussi aux autres; et ainsi elles sont en plus. Donc elles sont comparées à Dieu ou bien comme l'espèce à l'individu, ou bien comme le genre à l'espèce; et de chaque manière, il faut que Dieu soit dans un genre.

7. Chaque chose est mesurée au plus près de son genre, comme on le dit. Mais, comme le dit le Commentateur en ce même endroit, ce par quoi sont mesurées toutes les substances, c'est Dieu. Donc il est dans le même genre que les autres substances.

 

Cependant:

1. Tout ce qui est dans un genre ajoute quelque chose à celui-ci et par conséquent est composé. Mais Dieu est tout à fait simple. Donc il n'est pas dans un genre.

2. Tout ce qui est dans un genre, peut être défini ou compris sous une définition. Mais comme Dieu est infini, il n'est pas tel. Donc il n'est pas dans un genre.

 

Réponse:

Dieu n'est pas dans un genre, ce qui à présent peut être montré par trois raisons:

1. Rien n'est placé dans un genre selon son être propre, mais en raison de sa quiddité; ce qui paraît du fait que l'être de n'importe quelle chose lui est propre, et distinct de l'être de n'importe quel autre, mais la nature de la substance peut être commune; c'est pourquoi le philosophe aussi dit, que l'être n'est pas un genre. Mais Dieu est son propre être, c'est pourquoi il ne peut pas être dans un genre.

2. Quoique la matière ne soit pas un genre, et que la forme ne soit pas une différence, cependant la notion de genre est tirée de la matière, et celle de la différence de la forme; ainsi il apparaît que dans l'homme, la nature sensible d'où est prise la notion d'animal est matérielle par rapport à la notion d'où est prise la différence rationnelle. Car l'animal est ce qui a une nature sensible; mais le rationnel ce qui a la raison. C'est pourquoi dans tout ce qui est dans un genre, il faut qu'il y ait composition de matière et de forme, ou d'acte et de puissance; ce qui ne peut pas exister en Dieu, qui est acte pur, comme on l'a montré. C'est pourquoi il en découle qu'il ne peut pas être dans un genre.

3. Comme Dieu est absolument parfait, il comprend en lui la perfection de tous les genres: car c'est là la notion de ce qui est absolument parfait, comme on le dit. Mais ce qui est dans un genre, est déterminé pour ce qui est de ce genre, et de cette manière, Dieu ne peut pas être dans un genre; car ainsi il ne serait pas d'essence infinie, ni de perfection absolue, mais son essence et sa perfection seraient limitées par la nature d'un genre déterminé.

Cela montre ensuite que Dieu n'est pas une espèce, ni un individu, il n'a pas de différence ni de définition; car toute définition vient du genre et de l'espèce; c'est pourquoi on ne peut pas faire de démonstration à son sujet sinon par l'effet, puisque la définition est l'intermédiaire de la démonstration par la cause.

 

Solution des objections:

1. Jean Damascène parle au figuré et non au sens propre: car le nom de Dieu parce qu'il est Dieu, ressemble à l'espèce du fait qu'il est prédiqué substantiellement de plusieurs choses distinctes en nombre; cependant on ne peut pas parler d'espèce au sens propre, parce qu'elle n'est pas une chose unique, commune à plusieurs en nombre, mais en raison seulement; mais la substance divine, une en nombre est commune aux trois personnes, c'est pourquoi le Père, le Fils et l'Esprit saint sont un seul Dieu, mais Pierre, Paul et Marc ne sont pas un seul homme.

2. Différent et divers ont un sens différent comme le philosophe le dit. Car est appelé divers absolument ce qui n'est pas le même, mais on l'appelle différent en rapport à quelque chose, car tout ce qui est différent diffère par quelque chose. Donc si nous acceptons au sens propre ce nom différent, la proposition suivante est fausse: "Tout ce qui est et ne diffère en aucune manière, est le même." Mais si ce nom différent est pris au sens large, elle sera vraie, et ainsi cette phrase doit être concédée: "Dieu diffère de toutes choses". Cependant il n'en découle pas qu'il diffère par une différence, mais qu'il diffère des autres par sa substance; car il est nécessaire de le dire dans ce qui est premier et simple. Car l'homme diffère de l'âne, par une différence de raison, mais le rationnel ensuite ne diffère par de l'âne par une différence (parce qu'ainsi ce serait aller à l'infini), mais en soi.

3. On dit que Dieu est différent en genre des autres créatures, non pas comme s'il existait dans un autre genre, mais comme tout à fait en dehors du genre.

4. L'étant par soi n'est pas une définition de la substance, comme Avicenne le dit. Car l'étant ne peut pas avoir un genre, comme le prouve le philosophe, puisque rien ne peut être ajouté à l'étant qui participe de lui; mais la différence ne doit pas participer d'un genre. Mais si la substance pouvait avoir une définition, malgré le genre qui est très général, sa définition serait: "La substance est une chose à la quiddité de laquelle il est dû de ne pas être dans quelque chose." Et ainsi la définition ne conviendra pas à la définition de la substance de Dieu qui n'a pas sa quiddité en plus de son être. C'est pourquoi Dieu n'est pas dans le genre de la substance, mais est au dessus de toute substance.

5. Dieu ne peut pas être défini. Car tout ce qui est défini, est saisi dans l'intellect de celui qui définit. Mais Dieu est insaisissable par l'esprit; aussi quand on dit que Dieu est acte pur, on ne donne pas sa définition.

6. Il est nécessaire à la notion du genre d'être attribuée de manière univoque. Mais rien ne peut être attribué de manière univoque à Dieu et à la créature, comme on le verra plus bas. C'est pourquoi, bien que ce qui est dit de Dieu soit prédiqué de lui substantiellement, néanmoins ce n'est pas prédiqué de lui comme genre.

7. Bien que Dieu n'appartienne pas au genre de la substance, comme s'il était contenu en un genre, - comme l'espèce ou l'individu sont contenus sous le genre, - cependant on peut dire qu'il est dans le genre de la substance par réduction, comme principe, et, comme le point est principe pour la quantité continue, et l'unité pour le nombre; et de cette manière il est la mesure de toutes substance, comme l'unité pour les nombres.

 

Article 4: Bon, Sage, Juste, etc. attribuent-ils un accident à Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car ce qui est attribué à quelque chose sans signifier sa substance, mais ce qui accompagne sa nature, attribue un accident. Mais Jean Damascène dit, que bon, juste, saint, employés pour Dieu, atteignent la nature, mais ils ne signifient pas la substance même. Donc ils prédiquent un accident de Dieu.

2. Mais on pourrait dire que Jean Damascène parle de la manière de signifier.

- En sens contraire, la manière de signifier qui suit la nature du genre doit se référer à la réalité; car le genre attribué signifie la substance du sujet, puisqu'il est attribué à ce qui est la substance. Mais il convient à ces noms qu'on attribue, de signifier à la manière d'un genre ce qui atteint la nature en raison par lui; car ils sont dans le genre de qualité, qui selon la raison propre a rapport au sujet, car la qualité c'est ce en quoi on les dit telles. Donc il faut que ce mode de signifier se réfère à la réalité, pour que ce qui est signifié par ces noms atteigne la nature de ce à quoi on l'attribue, et par conséquent les accidents.

3. Mais il faut dire que ces noms ne sont pas attribué à Dieu quant à leur genre, qui est la qualité, car ce n'est pas au sens propre qu'on donne à Dieu les noms dont nous nous servons.

- En sens contraire, pour quelque raison que le genre soit exclu, l'espèce lui est attribuée faussement, car ce qui n'est pas animal est faussement appelé homme. Si donc le genre des prédicats qui est la qualité, n'est pas attribué à Dieu, ces noms non seulement seront attribués improprement, mais faussement à Dieu et ainsi il sera faux de dire qu'il est juste ou qu'il est saint; ce qui ne convient pas. Donc il faut dire que ces noms attribuent un accident à Dieu.

4. Le philosophe dit que ce qui existe vraiment, c'est-à-dire la substance, n'est accident pour rien. Donc pour la même raison, ce qui est un accident en soi est partout accident. Mais la justice, la sagesse, etc. sont en soi des accidents. Donc ce sont aussi des accidents en Dieu.

5. Tout ce qui est dans les créatures ressemble à Dieu, qui est la forme exemplaire de tout. Mais la sagesse, la justice, etc., sont des accidents en soi. Donc en Dieu aussi.

6. Partout où il y a quantité et qualité, il y a un accident. Mais en Dieu il semble qu'il y a quantité et qualité; car il y a en lui la ressemblance et l'égalité; nous disons en effet que le Fils est semblable et égal au Père. Mais la ressemblance est causée d'une part dans la qualité et l'égalité, d'autre part par la quantité. Donc en Dieu il y a un accident.

7. Chaque chose est mesurée par le premier de son genre. Mais Dieu non seulement est la mesure des substances, mais de tous les accidents, parce qu'il est lui-même créateur de la substance et de l'accident. Donc en Dieu il y a non seulement la substance mais aussi l'accident.

8. Ce sans quoi on peut comprendre quelque chose, lui est attribué accidentellement. Porphyre en effet prouve ainsi que certains choses séparables sont des accidents, parce que le corbeau peut être envisagé comme blanc et l'éthiopien comme brillant de blancheur. Mais Dieu peut être envisagé sans le bien, comme on le voit chez Boèce. Donc le bien signifie un accident en Dieu et d'autres choses encore pour la même raison.

9. Il faut considérer deux aspects dans la signification du mot: à savoir ce par quoi il est imposé et à quoi. Sous ces deux aspects ce nom de sagesse semble signifier un accident; car il est imposé par ce qui rend sage, ce qui semble être l'action de la sagesse, mais ce par quoi il est imposé est une qualité. Donc de toute manière ce nom et d'autres semblables signifient un accident là où ils sont prédiqués; et ainsi en Dieu il y a un accident.

 

Cependant:

1. Il y a ce que Boèce dit: comme Dieu est une forme simple, il ne peut pas être substrat. Tout accident est dans un substrat. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

2. Tout accident dépend d'autre chose. Mais rien de tel ne peut exister en Dieu, parce que, ce qui dépend d'un autre doit avoir une cause; mais Dieu est la cause première en aucune manière causée. Donc en Dieu il ne peut y avoir d'accident.

3. Rabbi Maimonide dit que de tels noms ne signifient pas en Dieu des concepts ajoutés à sa substance. Car tout accident signifient un concept ajouté à la substance de son substrat. Donc ces noms attribués ne signifient pas un accident en Dieu.

4. L'accident est ce qui est présent ou absent au-delà de la corruption du substrat. Mais cela ne peut pas exister en Dieu, puisqu'il est immuable, comme le philosophe le prouve. Donc en Dieu il ne peut pas y avoir d'accident.

 

Réponse:

Sans doute aucun, il faut affirmer qu'en Dieu il n'y a aucun accident, ce qui à présent peut être montré par trois raisons:

1. Première raison: parce qu'en aucune nature, essence ou forme, n'est ajouté quelque chose d'étranger, bien que ce qui a une nature, une forme ou une essence puisse avoir en soi quelque chose d'étranger; car l'humanité ne reçoit en soi que ce qui est de la nature de l'humanité. Ce qui apparaît parce que dans les définitions qui signifient l'essence, quoi que ce soit d'ajouté ou de soustrait fait varier l'essence, comme dans les nombres, comme le dit le philosophe.

Mais l'homme qui a l'humanité peut avoir autre chose qui ne la concerne pas, comme la blancheur et autres choses, qui ne sont pas dans l'humanité, mais dans l'homme. En n'importe quelle créature on trouve la différence du possesseur et du possédé. Car dans les créatures composées, on trouve une double différence, parce que le suppôt lui-même ou l'individu a la nature d'espèce, comme l'homme a l'humanité et il a ensuite l'être; car l'homme n'est pas l'humanité, il n'est pas son être; c'est pourquoi il peut y avoir dans l'homme un accident, mais non dans l'humanité, ni dans son l'être.

Dans les substances simples il y a une seule différence à savoir celle de l'essence et de l'être. Car dans les anges n'importe quel suppôt est leur nature, car la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même, comme le dit Avicenne, mais ce n'est pas son être; aussi la quiddité même subsiste en son être; c'est pourquoi dans de telles substances, on peut trouver un accident intelligible, mais non matériel.

Mais en Dieu il n'y a nulle différence entre ce qui a et ce qu'il a, ou entre participant et de ce qui est participé; mais au contraire il est lui-même sa nature et son être, et c'est pourquoi rien d'étranger ou d'accidentel ne peut être en lui. Et Boèce semble traiter de cette question en disant: ""Ce qui est" peut avoir quelque chose en sus de lui-même; mais l'être en soi ne peut avoir rien d'ajouté en dehors de lui."

2. Seconde raison: comme l'accident est extérieur à l'essence du sujet, et que les diverses parties ne sont jointes que par une cause, il faut, si l'accident advenait en Dieu, que cela dépende d'une cause. Mais cela ne peut pas venir d'une cause extérieure, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle agirait en Dieu, et serait avant lui, comme le moteur avant le mu, et le producteur avant le produit. Car l'accident est causé dans un sujet par l'extérieur, en tant qu'un agent extérieur agit dans le sujet en qui l'accident est causé.

De la même manière aussi, il ne peut pas venir d'une cause intérieure, comme elle est en soi dans les accidents qui ont une cause dans le sujet. Car le sujet ne peut pas être cause de l'accident par ce même pouvoir par lequel il reçoit l'accident, parce que nulle puissance ne se mène à l'acte. C'est pourquoi il faut qu'il soit susceptible de recevoir l'accident d'un autre et qu'il soit sa cause pour un autre, et ainsi il est composé, de même que ce qui reçoit l'accident par la nature de la matière et cause l'accident par la nature de la forme. Mais on a montré plus haut que Dieu n'est pas composé. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait en lui un accident.

3. Troisième raison: parce que l'accident est en rapport avec le sujet comme l'acte avec la puissance, puisqu'il en est la forme. C'est pourquoi comme Dieu est acte pur, sans mélange de puissance, il ne peut être le sujet d'un accident. Donc ainsi il est clair par ce qui a été dit, qu'en Dieu, il n'y a pas de composition de matière et de forme, et pour toutes parties substantielles ni de genre et de différence, ni de sujet et d'accident; ainsi il est clair que ces noms n'attribuent pas un accident à Dieu.

 

Solution des objections:

1. Jean Damascène parle de ces noms non pour ce qu'ils attribuent à Dieu, mais pour ce par quoi ils servent pour signifier. Car nous nous en servons pour signifier à partir de certaines formes accidentelles trouvées dans les créatures. Car il veut prouver que la substance de Dieu n'est pas signifiées par les noms qu'on lui donne.

2. Bien que la qualité de bonté, de sagesse et de justice soit un genre chez l'homme, cependant ce n'est pas leur genre qui est attribué à Dieu, parce que la qualité, en tant que telle, est appelée étant, parce qu'elle adhère d'une certaine manière à un sujet. Mais la sagesse et la justice ne tirent pas leur nom de cela, mais plutôt d'une perfection ou d'un acte; c'est pourquoi de tels prédicats viennent en Dieu en raison de la différence et non du genre. Et c'est pour cela qu'Augustin dit: "Nous comprenons bon autant que nous pouvons sans la qualité, grand sans la quantité." C'est pourquoi il ne faut pas que ce mode qui suit la nature se trouve en Dieu.

3. Si bon et juste étaient attribués de manière univoque à Dieu, il s'ensuivrait que l'attribution serait fausse, si on excluait le genre. Mais rien n'est attribué à Dieu de façon univoque avec la créature, comme on le montrera, c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

4. La sagesse, qui est un accident, n'est pas en Dieu, mais c'est une autre sagesse désignée de manière non univoque, et c'est pour cela que la raison ne vaut pas.

5. Les images ne représentent pas toujours parfaitement l'exemplaire; c'est pourquoi quelquefois on trouve dans l'image ce qui est dans l'exemplaire de manière déficiente et imparfaite et surtout dans ce qui est image de Dieu qui est l'exemplaire qui dépasse toute proportion avec la créature.

6. On parle de la ressemblance et de l'égalité en Dieu non pas parce qu'il y a qualité et quantité, mais parce que nous disons certaines choses qui signifient pour nous la qualité ou la quantité, quand nous disons que Dieu est grand et sage etc.

7. les accidents ne sont appelés étants que par relation à la substance en tant que premier étant; c'est pourquoi il ne faut pas que les accidents soient mesurés par un premier qui est accident, mais par un premier qui est la substance.

8. Tout ce sans quoi on peut comprendre une chose envisagée selon sa substance, est accident par nature; car il n'est pas possible que ne soit pas compris ce qui est de sa substance, une fois qu'elle est comprise selon sa substance; de même qu'on comprendrait ce qu'est un homme, et qu'on ne comprendrait pas que c'est un animal. Mais nous ne voyons pas ici Dieu par son essence mais nous le considérons à partir de ses effets. C'est pourquoi rien n'empêche de le considérer par l'effet d'être, et ne pas le considérer par celui de sa bonté, car Boèce parle ainsi. Cependant il faut savoir que bien que nous comprenions également Dieu, sans comprendre sa bonté, nous ne pouvons cependant pas comprendre Dieu sans comprendre qu'il est bon; de même qu'on ne comprend pas que c'est un homme en comprenant qu'il n'est pas un animal: car cela exclurait la substance de Dieu qui est sa bonté. Mais les saints, dans la patrie, qui voient Dieu par son essence, en le voyant, voient sa bonté.

9. Ce nom de sagesse est vérifié au sujet de Dieu quant à ce par quoi on se sert de ce nom. Mais on ne s'en sert pas parce qu'il rend sage, mais parce qu'il possède de manière intelligible la sagesse. Car la science, en tant que telle, a rapport au connaissable. Mais le fait d'avoir la sagesse est accidentel pour l'homme, mais pas pour Dieu.

 

Article 5: Ces noms attribués à Dieu signifient-ils sa substance?

 

Objections:

1. Il semble que non. En effet, Jean Damascène dit: "Il faut que chacun des noms donnés à Dieu ne vise pas à signifier ce qu'il est selon sa substance, mais à montrer ce qu'il n'est pas, soit une relation, soit une séparation, soit ce qui touche sa nature ou son opération." Mais l'être attribué selon la substance signifie ce qu'elle est. Donc les noms ne sont pas attribués selon la substance à Dieu comme la signifiant.

2. Aucun nom qui signifie la substance d'une chose ne peut vraiment être nié. Car Denys dit qu'en Dieu les négations sont vraies mais les affirmations inadéquates. Donc de tels noms ne signifient pas la substance divine.

3. Ces noms signifient ce qui procède de la divine bonté dans les êtres, comme le dit Denys. Mais les bontés qui procèdent de Dieu ne sont pas sa substance. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

4. Origène dit que Dieu est appelé sage parce qu'il nous comble de sagesse. Mais cela ne signifie pas la substance de Dieu mais son effet. Donc ces noms ne signifient pas la substance divine.

5. Dans le livre des Causes, on dit que la cause première n'est appelée que par le nom du premier effet, qui est l'intelligence. Mais comme la cause est appelée par le nom de l'effet, ce n'est pas une attribution par l'essence, mais par la cause. Donc les noms dont on se sert pour Dieu ne lui sont pas attribués selon la substance, mais selon la cause seulement.

6. Les noms signifient les conceptions de l'esprit, comme le montre le philosophe. Mais nous ne pouvons pas saisir (intelligere) la substance divine; car nous ne savons pas ce qu'il est, mais nous savons qu'il est, comme le dit Jean Damascène. Donc nous ne pouvons lui donner un nom, ni signifier sa substance.

7. Tout participe de la bonté de Dieu, comme on le voit chez Denys. Mais tout ne participe pas de sa substance, qui est seulement dans les trois personnes. Donc la bonté de Dieu ne signifie pas sa substance.

8. Nous ne pouvons connaître Dieu que par la ressemblance de la créature, parce que, comme le dit l'Apôtre (Rm 1, 20) "Ce qu'il y a d'invisible en Dieu depuis la création du monde, se laisse voir par ses oeuvres.." Mais nous lui donnons un nom selon que nous le connaissons. Donc nous ne le nommons que par la ressemblance des créatures. Mais quand nous nommons une chose selon la ressemblance d'une autre, ce nom ne lui est pas attribué selon la substance, mais par métaphore: c'est clair par ce qui est dit de Dieu plus tard et avant par ce d'où on prend la ressemblance; puisque cependant nous attribuons d'abord à une chose ce que signifie sa substance.

9. Selon le philosophe, désigner une substance c'est la désigner elle et rien d'autre. Si donc ce nom bon signifie la substance divine, rien ne sera dans sa substance qui ne soit pas signifié par ce nom, de même que rien n'est dans la substance humaine qui ne soit signifié par ce nom homme. Mais ce nom bon ne signifie pas la sagesse. Donc la sagesse ne sera pas la substance divine, à raison égale, tous les autres attributs non plus; donc il n'est pas possible que tous les noms de ce genre signifient la substance divine.

10. De même que la quantité est la cause de l'égalité, et la qualité celle de ressemblance, ainsi la substance est celle de l'identité. Si donc tous les noms de ce genre signifiaient la substance de Dieu, selon eux on n'atteindrait ni l'égalité, ni la ressemblance, mais plutôt l'identité, et ainsi on dirait que la créature serait la même chose que Dieu du fait qu'elle imite sa sagesse et sa bonté, etc., ce qui ne convient pas.

11. En Dieu, qui est le principe de toute la nature, rien ne peut être contre la nature; et il ne fait rien contre elle, comme le dit la Glose (Rm 11, 24), sur ce passage: "Greffé contre nature..."). Mais c'est contre la nature qu'un accident soit une substance. Donc, comme la sagesse, la justice, etc, sont en soi des accidents, il n'est pas possible qu'ils soient substance en Dieu.

12. Quand on appelle Dieu bon, ce terme est complexe. Mais il n'y aurait pas de complexité si la bonté de Dieu était sa substance même. Donc il ne semble pas que bon signifie la substance de Dieu, ni pour une même raison les autres noms semblables.

13. Augustin dit que Dieu se dérobe à toute forme de notre intellect, et c'est pourquoi il ne peut pas lui être uni. Mais cela n'existerait pas, si ces noms signifiaient la substance divine, parce que Dieu correspondrait à la forme de notre esprit. Donc les noms de ce genre ne signifient pas la substance de Dieu.

14. Denys dit que l'homme est le mieux uni à Dieu en reconnaissant qu'il ne connaît rien de lui. Mais cela ne serait pas possible si ce qu'il conçoit et signifie était la substance divine. Donc de même que plus haut.

Cependant:

 

1. Il y a cette parole d'Augustin: "Pour Dieu c'est être que d'être fort, ou sage; et ainsi on dit quelque chose de cette simplicité qui signifie sa substance." Donc tous les mots de ce genre signifient la substance divine.

2. Boèce dit que lorsque quelqu'un change les autres catégories au-delà de la relation dans la prédication divine, tout est changé en substance; comme juste, même s'il semble signifier une qualité, signifie cependant la substance, et de la même manière grand, etc.

3. Tout ce qui est dit par participation est ramené à quelque chose par soi et dit selon l'essence. Mais ces noms attribués sont dits des créatures par participation. Donc comme ils sont ramenés à Dieu comme à la cause première, il faut qu'ils soient dits de Dieu selon l'essence, et ainsi il en découle qu'ils signifient sa substance.

 

Réponse:

Il faut dire que:

A - Certains ont pensé que ces noms donnés à Dieu, ne signifient pas la substance divine, ce que dit de façon très expresse Rabbi Maimonide. Mais il dit que de tels noms sur Dieu doivent être interprétés de deux manières:

1. Par la ressemblance de l'effet, ainsi on dit que Dieu est sage, non parce que la sagesse est quelque chose en lui, mais parce qu'il opère à la manière du sage dans ses effets, en ordonnant chaque chose à la fin qui lui est due, et de même on le dit vivant en tant qu'il opère à la manière d'un vivant, comme agissant par lui-même.

2. Par mode de négation; ainsi en disant que Dieu est vivant, nous ne signifions pas que la vie est quelque chose en lui, mais que nous excluons de lui cette manière d'être par laquelle les être inanimés existent. De même quand nous disons que Dieu est intelligent, nous n'entendons pas signifier quelque intellection en lui, mais nous excluons de lui cette manière d'être par laquelle les bêtes existent, et ainsi de suite...

L'une et l'autre manière semble insuffisante et ne pas convenir.

1. La première manière d'abord pour une double raison:

a) Dont la première est parce que, selon l'exposition, il n'y a aucune différence entre ce qui est dit, que Dieu est sage et Dieu est en colère ou Dieu est feu. Car on le dit irrité parce qu'il opère à la manière de quelqu'un en colère quand il punit. Cela les hommes en colère ont l'habitude de le faire. On l'appelle aussi feu; parce qu'il agit à la manière du feu quand il purifie, ce que le feu fait à sa manière. Mais cela est contre l'opinion des saints et des prophètes parlant de Dieu, qui prouvent certaines choses à son sujet et en excluent d'autres; car ils prouvent qu'il est vivant, sage, etc., et qu'il n'est pas un corps, ni qu'il est soumis aux passions. Selon cette opinion tout pourrait être dit ou exclu de Dieu à raison égale, pas plus ceci que cela.

b) Seconde raison: parce que, comme selon notre foi nous pensons que la créature n'a pas toujours existé, ce que lui-même concède, il en découlerait que nous ne pourrions pas dire qu'il a été sage ou bon avant que les créatures existent. Car il est clair qu'avant qu'elles existent, il n'opérait rien dans les effets, ni selon sa bonté, ni selon sa sagesse. Mais cela s'oppose à la vraie foi. A moins que par hasard, il veuille dire qu'avant les créatures, il pouvait être appelé sage, non parce qu'il opérait en tant que sage, mais parce qu'il pouvait le faire. Et ainsi il en découlerait que par là serait signifié quelque chose qui existe en Dieu, et est par conséquent sa substance, puisque tout ce qui est en Dieu est sa substance.

2. La seconde manière ne semble pas convenir pour la même raison. Car il n'y a pas de nom d'espèce par lequel ne serait pas exclu un mode qui ne convient pas à Dieu. Car dans le nom de n'importe quelle espèce, est inclue une signification de différence, par laquelle est exclue l'autre espèce, qui s'oppose à elle, comme dans le nom de lion est incluse cette différence qu'il est quadrupède, par laquelle il est différent de l'oiseau. Donc ainsi les attributions à Dieu n'auraient été introduites que pour exclure, comme nous disons que Dieu est vivant - parce qu'il n'a pas un être à la manière des objets inanimés, comme il le dit lui-même - de sorte que nous puissions dire que Dieu est un lion, parce qu'il n'a pas d'être à la manière de l'oiseau. Et en plus la compréhension de la négation est toujours fondée sur une affirmation: ce qui parait du fait que toute négation est confirmée par une affirmation; c'est pourquoi à moins que l'intellect humain ne connaisse de façon affirmative quelque chose de Dieu, il ne peut rien nier de lui. Mais ils ne connaîtrait pas si rien de ce qu'il dit de Dieu n'était vérifié affirmativement.

B. - Et c'est pourquoi, selon l'expression de Denys, il faut dire que les noms de ce genre signifient la substance divine, quoique de manière déficiente et imparfaite; ce qui paraît ainsi: puisque tout agent agit en tant qu'il est en acte, et par conséquent fait en quelque manière du semblable, il faut que la forme de ce qui est produit soit en quelque manière dans l'agent; de diverses manières cependant; parce que, quand l'effet égale le pouvoir de l'agent, il faut que cette forme soit selon une même nature dans ce qui produit et ce qui est produit; car alors celui qui produit et ce qui est produit sont le même en espèce, ce qui arrive dans tout ce qui est univoque; l'homme, en effet, engendre un homme et le feu le feu. Mais quand l'effet n'égale pas le pouvoir de l'agent, la forme n'est pas selon la même nature dans l'agent et dans ce qui est produit, mais de manière plus éminente dans l'agent, car l'agent a le pouvoir de produire l'effet qui est en lui. C'est pourquoi si tout le pouvoir de l'agent n'est pas exprimé dans ce qu'il produit, il reste que le mode par lequel la forme est dans l'agent excède le mode par lequel elle est dans ce qui est produit. Et nous voyons cela dans tous les agents équivoques, comme quand le soleil engendre le feu.

Mais il est clair qu'aucun effet n'égale la puissance du premier agent qui est Dieu; autrement il ne proviendrait qu'un seul effet de son pouvoir unique. Mais comme nous trouvons que de son seul pouvoir procèdent des effets multiples et variés, il nous est montré que n'importe quel effet est déficient par rapport à la puissance de l'agent. Donc aucune forme d'un effet divin n'est d'une même nature que dans l'effet en Dieu: il faut néanmoins qu'il y soit par quelque mode plus élevé et de là vient que toutes les formes qui sont distinctes et divisées entre elles dans les divers effets, y sont unies, comme dans un pouvoir commun, comme aussi toutes les formes produites par le pouvoir du soleil dans les choses inférieures sont dans le ciel selon son unique pouvoir, à qui tout ce qui est engendré par l'action du soleil ressemble selon les formes.

Et de même, les perfections des créatures ont une ressemblance avec Dieu selon son essence unique et simple. Mais comme notre esprit reçoit la connaissance des créatures, il est mis en forme par les ressemblances des perfections trouvées dans les créatures comme celle de la sagesse, de la vertu, de la bonté, etc. C'est pourquoi, de même que les créatures ressemblent à Dieu de quelque manière par leurs perfections - bien que de manière déficiente, - de même notre esprit reçoit les formes de ces perfections.

Quelquefois l'esprit par sa forme intelligible ressemble à une chose, alors ce qu'il conçoit et énonce selon cette forme intelligible est vérifié de cette chose à laquelle elle ressemble par sa forme; car la science est la ressemblance de l'esprit à la chose connue. C'est pourquoi, il faut que ce que l'esprit, informé par les perfections de ces formes, pense ou énonce de Dieu, existe réellement en lui, et corresponde à chacune de ces formes, comme ce à quoi toutes sont semblables. Mais si une telle espèce intelligible de notre esprit égalait l'essence divine en lui ressemblant, il l'appréhenderait et la conception même de l'esprit serait la définition parfaite de Dieu, comme 'animal marcheur à deux pattes'est une parfaite définition de l'homme.

La forme dont on a parlé n'imite pas parfaitement l'essence divine, comme on l'a dit, et c'est pourquoi, bien que les noms de ce genre, que l'esprit attribue à Dieu par de telles conceptions, signifient ce qu'est la substance divine, ils ne la signifient cependant pas parfaitement selon ce qu'elle est mais selon ce que nous en comprenons.

C'est pourquoi il faut dire que n'importe lequel de ces noms signifie la substance divine, non cependant comme si elle l'appréhendait, mais imparfaitement, et c'est pour cela que ce nom Qui est convient tout à fait à Dieu, parce qu'il ne détermine pas une forme en Dieu, mais signifie l'être de manière indéterminée. Et c'est ce que dit Jean Damascène que ce nom Qui est signifie une mer infinie de substance.

Cette solution est confirmée par les paroles de Denys, qui dit que "parce que la Divinité contient par avance tout ce qui existe en elle de façon simple et indéfinissable, elle est convenablement louée et nommée par différents termes." De façon simple, dit-il, parce que les perfections qui sont dans les créatures en différentes formes, lui sont attribuées selon son essence simple; d'une façon indéfinissable, pour montrer qu'aucune perfection trouvée dans les créature ne saisit l'essence divine, de sorte qu'ainsi l'esprit définisse Dieu en raison de cette perfection en elle. C'est confirmé aussi par ce qu'on trouve en Métaphysique qu'est absolument parfait ce qui a en soi les perfections de tous genres, ce que le Commentateur expose à ce même endroit au sujet de Dieu.

 

Solution des objections:

1. Jean Damascène comprend que les noms de ce genre ne signifient pas ce qu'est Dieu comme définissant et saisissant sa substance; c'est pourquoi il ajoute que ce nom Qui est, qui signifie de manière indéfinie la substance de Dieu, est attribué à Dieu de la manière la plus appropriée.

2. Ainsi Denys dit, que les négations de ces noms sont vraies de Dieu, il ne prétend pas cependant que les affirmations sont fausses et inadéquates, en effet elles lui sont vraiment attribuées d'une certaine manière, quant à ce qui est signifié, comme on l'a montré, mais quant au mode qu'elles signifient, elles peuvent être niées de Dieu, car n'importe quel nom signifie une forme définie et elles ne sont pas attribuées à Dieu, comme on l'a dit. Et c'est pourquoi elles ne peuvent absolument pas être niées de Dieu, parce qu'elles ne lui conviennent pas par le mode qui est signifié, car celui-ci est selon ce qu'elles sont dans notre esprit, comme on l'a dit, mais elles conviennent à Dieu d'une manière plus sublime; c'est pourquoi on dit que l'affirmation est inadéquate pas tout à fait convenablement en rapport pour ainsi dire à cause de cette manière différente. Et ainsi, selon la doctrine de Denys on emploie de trois manières ces affirmation à propos de Dieu.

a) Affirmativement: pour dire que Dieu est sage; ce qu'il faut dire de lui, parce qu'il y a en cela une ressemblance de la sagesse qui découle de lui;

b) parce que cependant il n'y a pas en Dieu une sagesse telle que nous la comprenons et la nommons, elle peut être réellement niée, pour dire: Dieu n'est pas sage.

c) A nouveau parce que la sagesse n'est pas niée de Dieu parce que lui-même manquerait de sagesse, mais parce qu'elle est en lui de manière plus éminente qu'on le dit et le comprend, alors il faut dire que Dieu est super sage.

Et ainsi par cette triple manière de parler, selon laquelle on dit qu'il est sage, Denys donne à comprendre parfaitement de quelle manière on donne ces attributs à Dieu.

3. On dit que ces noms signifient ce qui procède de Dieu, parce qu'ils sont d'abord imposés pour signifier ces processions telles qu'elles sont dans les créatures et par cette ressemblance notre esprit est conduit à l'attribuer à Dieu de manière plus éminente.

4. Le mot d'Origène n'est pas à comprendre que nous entendons signifier, quand nous disons Dieu est sage, que Dieu est la cause de la sagesse mais, parce que par la sagesse qu'il cause, notre esprit est conduit à lui attribuer la sagesse de manière suréminente, comme on l'a dit.

5. Quand on dit que Dieu est intelligent, on le désigne du nom de son effet; parce que le nom qui signifie la substance de son effet, ne peut pas lui être attribué de manière définie, selon le mode que ce nom signifie; et ainsi quoique ce nom lui convienne de quelque manière, il ne lui convient pas comme son nom, parce que ce que signifie le nom est une définition, il convient comme nom à l'effet.

6. Cette raison prouve que Dieu ne peut pas être désigné d'un nom qui signifie, comprend ou égale sa substance; car nous ignorons ce qu'il est.

7. De même que tout participe de la bonté de Dieu - non par l'identité, mais par ressemblance - de même tout participe par ressemblance à l'être de Dieu. Mais il y a une différence: car la bonté apporte la relation d'une cause, car le bien se donne; mais l'essence est signifiée en ce en quoi elle est, comme s'y reposant.

8. On trouve dans l'effet une chose par laquelle il ressemble à sa cause, et une autre par laquelle il en diffère: ce qui lui arrive par la matière ou quelque chose de ce genre, comme on le voit dans la brique durcie par le feu. Car du fait que l'argile est chauffée par le feu, elle lui ressemble et alors en tant qu'elle est chauffée, elle s'épaissit et se durcit, elle devient différente du feu; mais elle le tient de la condition de sa matière. Si donc ce en quoi la brique ressemble au feu est dit du feu, cela est dit proprement de lui, et de manière plus éminente et auparavant. Car le feu est plus chaud que la brique et aussi plus éminemment; car la brique est chaude en tant que chauffée, mais le feu l'est naturellement. Si donc ce en quoi la brique diffère du feu, nous l'appelons du feu, ce sera faux; et le nom dans de telles circonstances dans sa compréhension, ne pourra être employé pour le feu que métaphoriquement. Car il est faux que le feu qui est le plus subtil des corps soit appelé épais, mais on peut l'appeler dur à cause de la violence de son action, mais non à cause de sa facilité à subir.

De même il faut considérer dans les créatures certains attributs selon qu'elles ressemblent à Dieu, qui n'entraînent quant à la chose signifiée aucune imperfection, comme être, vivre, comprendre, etc. et celles-ci sont dites proprement de Dieu, bien plus d'abord de lui, et plus éminemment que des créatures. Mais il y a certains attributs en quoi la créature est différente de Dieu, conséquence de ce qu'elle vient du néant, comme la potentialité, la privation, le mouvement, etc. et ceux-ci sont faux pour Dieu. Et tous ces noms qui enferment des conditions de ce genre en leur compréhension ne peuvent être dits de Dieu que métaphoriquement, comme lion, pierre, etc., parce qu'ils ont de la matière en leur définition. Mais on parle des effets de ce genre métaphoriquement au sujet de Dieu à cause de la ressemblance.

9. Cette raison procède de ce qui signifie la substance d'une manière déterminée ou indéfinissable. Mais ainsi aucun de ces noms ne signifient la substance de Dieu, comme on l'a dit.

10. Quoique les perfections de ce genre soient en Dieu la substance divine elle-même, cependant dans la créature, il n'y a pas ces perfections substantielles divines, c'est pourquoi à cause d'elle, on ne dit pas que les créatures sont les mêmes que Dieu, mais sont semblables à lui.

11. Ce serait contre la nature si la sagesse était en Dieu de la même nature qu'un accident. Mais cela n'est pas vrai, comme on l'a vu dans ce qui a été dit. Cependant l'autorité n'a pas été introduite pour cela. Car Dieu ne fait rien contre la nature en lui-même, parce qu'il ne fait rien en lui.

12. La complexité de ce terme, quand on dit Dieu est bon, ne se réfère pas à une composition qui serait en Dieu, mais à celle de notre esprit.

13. Dieu se dérobe à la forme de notre esprit en tant qu'il en excède toute forme, mais pas de telle manière que notre esprit ne ressemble à Dieu selon aucune forme intelligible.

14. Du fait que notre esprit n'égale pas la substance divine, ce qui est sa substance demeure, dépassant notre esprit et est ainsi ignoré de nous et à cause de cela l'ultime de la connaissance de Dieu par l'homme dans la mesure où il sait que ce que Dieu est, dépasse tout ce que nous comprenons de lui.

 

Article 6: Ces noms sont-ils synonymes?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car on appelle synonymes les noms qui ont tout à fait même signification. Mais tous ces noms donnés à Dieu signifient la même chose; parce qu'ils signifient sa substance, qui est tout à fait simple et une, comme on l'a montré. Donc tous ces noms sont synonymes.

2. Jean Damascène dit qu'en Dieu tout est un, sauf la non-génération, la génération et la procession. Mais les noms qui signifient une seule chose sont synonymes. Donc tous les noms dont on se sert pour Dieu, en dehors ceux qui signifient des propriétés personnelles sont synonymes.

3. Toutes les choses qui sont les mêmes pour l'un et le même, sont les mêmes entre elles. Mais la sagesse en Dieu est la même chose que sa substance; de même sa volonté et sa puissance. Donc la sagesse, la puissance et la volonté sont en Dieu une même chose, et ainsi il en découle que ces noms sont synonymes.

4. Mais il faut dire que ces noms signifient une seule chose en réalité, ils signifient cependant des notions diverses, et ainsi ils ne sont pas synonymes. - Mais en sens contraire, la notion à quoi rien ne répond dans la réalité, est fausse et vaine. Mais si les notions de ces noms sont nombreuses, et la chose réelle une, il semble que ces notions sont vaines et fausses.

5. Mais il faut dire que ces notions ne sont pas vaines, puisque quelque chose leur répond, qui est en Dieu.

- En sens contraire, les créatures ressemblent à Dieu selon qu'elles procèdent de lui par ressemblance idéale. Mais on ne parvient pas à la pluralité des idées ou des notions idéales en rapport avec les créatures; car Dieu lui-même avec une seule essence est l'idée de toutes choses. Donc les notions des noms dont nous nous servons à propos de Dieu, à partir de la ressemblance des créatures, n'ont rien qui corresponde du côté de la substance divine.

6. Ce qui est le plus un ne peut pas être la racine et le fondement de la pluralité. Mais l'essence divine est tout à fait une. Donc les notions des noms attribués ne peuvent être fondées ni enracinées dans la substance divine.

7. La distinction des relations qui sont réellement en Dieu, produit la pluralité des personnes. Si donc par ces notions communes quelque chose des attributs correspondait en Dieu, selon la multitude des attributs, il y aurait en lui une multitude de personnes; et ainsi il y aurait en Dieu plus que trois personnes; ce qui est hérétique; et ainsi il semble que ces noms sont tout à fait synonymes.

 

Cependant:

1. Des noms synonymes ajoutés l'un à l'autre reviennent à une plaisanterie, comme si on parlait de vêtement et d'habit. Si donc ces noms sont synonymes, ce sera une plaisanterie quand on dit que Dieu est bon, Dieu est sage, ce qui est faux.

2. Quiconque nie un des synonymes à propos d'une chose, nie les autres. Mais certains ont nié sa puissance qui n'ont pas nié sa science ou sa bonté. Donc ces noms ne sont pas synonymes.

3. Cela est éclairé par le commentateur qui dit que ces noms donnés à Dieu ne sont pas synonymes.

 

Réponse:

Tous les connaisseurs disent en commun que ces noms ne sont pas synonymes. Ce qui serait facile à soutenir pour ceux qui disaient que ces noms ne signifient pas la substance divine, mais des concepts essentiels ajoutés, ou des manières d'opérer dans les effets ou même des négations dans les créatures.

Mais si on suppose que ces noms signifient la substance divine, comme ci-dessus on l'a montré, la question paraît contenir une plus grande difficulté; parce qu'ainsi par ces noms se trouve signifié une seule et même chose simple qui est la substance divine.

Mais il faut savoir que la signification d'un nom ne se réfère pas à l'objet directement mais par l'intermédiaire de l'esprit: car il y a des mots connus qui dépendent des passions qui sont dans l'âme et ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances de la réalité comme le montre le philosophe, au commencement du Periherm.

Donc que des noms ne soient pas synonymes peut être empêché ou bien du côté de ce qui est signifié ou bien de celui des notions comprises par les noms, dont on se sert pour les signifier. Donc, les synonymes de ces noms qui s'emploient à propos de Dieu ne peuvent pas être empêchés par la diversité des choses signifiées en tant qu'établies d'avance, mais seulement par les notions des noms qui suivent les conceptions de l'esprits.

Et c'est pourquoi le Commentateur dit que la multiplicité en Dieu dépend de la différence dans l'esprit, et non dans l'être, parce que nous parlons de l'un en réalité, et du multiple en raison. Mais ces diverses notions qui existent dans notre esprit ne peuvent être des notions telles que rien ne corresponde du côté de la réalité; car notre esprit a attribué à Dieu ce dont elles sont les notions. C'est pourquoi s'il n'y avait rien en Dieu qui corresponde à ces notions, quant à lui ou à ses effets, l'esprit se tromperait en les attribuant, ainsi qu'en attribuant toutes les propositions qui signifient de tels attributs; ce qui ne convient pas.

A) Mais il y a des notions auxquelles rien ne correspond en réalité; mais ce qui correspond aux notions de ce genre, l'esprit ne les attribua pas à la réalité en soi mais seulement en ce qui est compris. Comme cela se voit dans les notions de genre et d'espèce et autres concepts intellectuels, car rien n'est dans ce qui est hors de l'âme dont la ressemblance soit une notion de genre ou d'espèce. Et cependant l'esprit n'est pas faux: parce que ce que représentent ces notions, à savoir le genre et l'espèce, il ne l'attribua pas à la réalité en tant qu'elle est hors de l'âme, mais seulement selon qu'elle est dans l'esprit. Car du fait que celui-ci réfléchit sur soi, de même qu'il comprend les choses qui existent hors de l'âme, il comprend ainsi qu'elles sont comprises: et ainsi, de même qu'il y a un concept de l'esprit ou une notion à quoi correspond ce qui est hors l'âme, de même il y a une conception ou notion à quoi correspond ce qui est compris en tant que tel; ainsi à la raison ou au concept d'homme, correspond une réalité hors de l'âme, mais à la notion ou au concept de genre ou d'espèce, correspond seulement ce qui est compris par l'esprit.

Mais il n'est pas possible qu'il y ait des notions de ce genre pour ces noms dont on se sert à propos de Dieu; parce qu'ainsi l'esprit ne les attribuerait pas à Dieu selon ce qui est en lui, mais selon ce qui en est compris; ce qui paraît faux: car le sens, quand on dit que Dieu est bon, serait qu'il n'est pas compris tel qu'il est.

B. Et c'est pourquoi certains disent qu'à ces diverses notions des noms correspondent divers connotations que sont les divers effets de Dieu; car ils veulent que quand on dit: Dieu est bon, son essence soit signifiée avec un effet connoté, de sorte que le sens serait Dieu est et il cause la bonté; ainsi la diversité de ces notions est causée par la diversité des effets.

Mais cela semble ne pas convenir; parce que, comme l'effet procède de la cause selon la ressemblance, il faut comprendre une cause quelconque avant de tels effets. Donc on ne dit pas que Dieu est sage parce qu'il causerait la sagesse, mais parce qu'il est sage, il cause la sagesse. C'est pourquoi Augustin dit que, parce que Dieu est bon, nous existons, et en tant que nous existons, nous sommes bons.

Et en plus il en découlerait que de tels noms aurait été employés pour la créature avant que pour le Créateur; ainsi on parle de la santé à propos de ce qui est sain avant que de ce qui soigne, parce que ce qui est sain est appelé ainsi pour cette raison qu'il cause la santé. De même on ne comprend rien d'autre, quand on dit que Dieu est bon, sinon que "Dieu est et est celui qui cause de la bonté": il en découlerait que pour la même raison tous les noms des effets divins pourraient lui être attribués, de sorte qu'on dirait qu'il est le ciel, parce qu'il en est la cause.

Et à nouveau si on disait cela de la causalité en acte, il est clair que c'est faux; parce que nous ne pouvons pas dire que Dieu a été éternellement bon ou sage, etc. Car il n'a pas été éternellement cause en acte.

Mais si on le comprend de la causalité selon son pouvoir, - comme on le dirait bon parce qu'il existe et a le pouvoir de diffuser la bonté, - alors il faudra dire que ce mot bon signifie cette vertu. Mais celle-ci est une ressemblance suréminente de son effet, de même que n'importe quelle vertu d'un agent équivoque. C'est pourquoi il en découlerait que l'esprit qui conçoit la bonté ressemblerait à ce qui est en Dieu et qui est Dieu. Et ainsi à la notion ou au concept de bonté correspond quelque chose qui est en Dieu et qui est Dieu.

C. Et c'est pourquoi il faut dire que toutes ces notions diverses et nombreuses ont quelque chose qui correspond en Dieu même, dont toutes ces conceptions de l'esprit sont des ressemblances. Car il est clair que d'une seule forme, il ne peut y avoir qu'une ressemblance unique en espèce, qui soit de la même notion qu'elle. Il peut cependant y avoir diverses ressemblances imparfaites, dont certaines sont défaillantes par rapport à la représentation parfaite de la forme. Comme, donc, ainsi qu'on le voit plus haut, les conceptions des perfections trouvées dans les créatures, sont des ressemblances imparfaites, et non d'une même nature que l'essence même de Dieu, rien n'empêche qu'une seule essence corresponde aux conceptions susdites, comme représentée imparfaitement par elles. Et ainsi toutes les notions sont dans notre esprit comme dans un sujet, mais en Dieu, elles sont comme dans la racine qui assure la vérité de ces conceptions. Car ce ne serait les vraies conceptions que l'esprit a d'une chose à moins que par voie de ressemblance cette réalité corresponde à ces conceptions.

La cause de la diversité ou de la multiplicité des noms vient de notre esprit, qui ne peut parvenir à voir cette essence de Dieu selon ce qu'elle est, mais la voit à travers de nombreuses ressemblances déficientes, qui apparaissent dans les créatures comme dans un miroir. C'est pourquoi s'il voyait l'essence même, il n'aurait pas besoin de plusieurs noms, ni de plusieurs concepts. Et pour cela, le Verbe de Dieu, qui est sa conception parfaite n'est qu'un; pour cela (Za 14, 9). dit: "En ce jour-là, le Seigneur sera un et son nom sera unique", quand l'essence même de Dieu sera vue et que la connaissance de Dieu ne sera pas acquise à partir des créatures.

 

Solution des objections:

1. Bien que ces noms signifient une chose unique, il le font cependant selon de nombreuses notions, comme on l'a dit; et c'est pour cela qu'ils ne sont pas synonymes.

2. Jean Damascène comprend qu'en Dieu tout est un en réalité, au delà des propriétés personnelles qui constituent la distinction réelle des personnes; cependant il n'exclut pas que ce qu'on dit de Dieu diffère en raison.

3. Par là la réponse est claire, parce que de même que la bonté et la sagesse sont une en réalité avec l'essence divine, il en est de même à l'inverse; puisque cependant les notions de ces noms diffèrent, comme on l'a dit.

4. Il apparaît désormais de ce qui vient d'être dit, que quoique Dieu soit tout à fait un, cependant ces multiples conceptions ou notions ne sont pas fausses, parce qu'une seule et même chose représentée de façon imparfaite leur correspond. Mais elle serait fausse, si rien ne leur correspondait.

5. L'unité, quelle qu'elle soit, vient de Dieu et la multiplicité vient des créatures, de même il faut qu'en Dieu qui pense de nombreuses créatures, il y ait une seule forme intelligible par essence, et beaucoup de rapports aux diverses créatures; ainsi dans notre esprit, qui s'élève de la multiplicité des créatures en Dieu, il faut qu'il y ait de nombreuses formes qui ont des relations à un seul Dieu.

6. Ces notions ne sont pas fondées dans l'essence divine comme dans un sujet, mais comme dans la cause de la vérité ou comme dans ce qui est représenté par tous, ce qui ne déroge pas à sa simplicité.

7. La paternité et la filiation s'opposent entre elles; c'est pourquoi elles exigent une distinction réelle des suppôts, mais pas la bonté, ni la sagesse.

 

Article 7:.Les noms sont-ils utilisés pour Dieu et les créatures de manière univoque ou équivoque?

 

Objections:

1. Il semble que c'est de manière univoque. Car la mesure et ce qui est mesuré sont sous une seule notion. Mais la bonté divine est la mesure de toute bonté de la créature et sa sagesse celle de toute sagesse. Donc on parle de façon univoque de Dieu et de la créature.

2. Tout ce qui communique dans la forme est semblable. Mais la créature peut ressembler à Dieu, ce que montre (Gn 1, 26). "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance." Donc de la créature à Dieu, il y a une communauté de forme. A tout ce qui est communauté de forme, on peut attribuer quelque chose d'univoque. Donc on peut dire qu'il y a quelque chose d'univoque pour Dieu et la créature.

3. Le plus et le moins ne diversifient pas l'espèce. Mais, quand on dit que la créature est bonne et que Dieu est bon, il semble y avoir une différence, parce que Dieu est meilleur que la créature. Donc la bonté de Dieu et celle de la créature ne sont pas différentes en espèce et ainsi on attribue le bien de manière univoque à Dieu et à la créature.

4. Il ne peut y avoir de point de comparaison entre ce qui est de genres différents, comme le philosophe le prouve; car la vitesse du changement n'est pas comparable à celle du mouvement local. Mais entre Dieu et la créature, on rencontre un point commun; car on dit que Dieu est très bon et la créature est bonne. Donc Dieu et la créature sont d'un seul genre et ainsi on peut leur attribuer quelque chose de manière univoque.

5. Rien n'est connu que par une forme de même nature, car la blancheur qui est sur le mur ne serait connue par la forme qui est dans l'oeil que si elle était de même nature. Mais Dieu par sa bonté connaît tout ce qui existe, et il en est de même pour ses autres attributs. Donc sa bonté et celle de la créature sont d'une seule nature, et ainsi on attribue de manière univoque le bien à Dieu et à la créature.

6. La maison qui est dans l'esprit de l'architecte et celle qui est dans la matière sont d'une même notion. Mais toutes les créature ont procédé de Dieu comme les oeuvres procèdent de l'architecte. Donc la bonté qui est en Dieu est d'une même nature que celle qui est dans la créature et ainsi de même que plus haut.

7. Tout agent équivoque est ramené à un agent univoque. Donc il faut que le premier agent qui est Dieu soit univoque. Mais on attribue quelque chose d'univoque à l'agent univoque et à son effet propre. Donc on attribue quelque chose de manière univoque à Dieu et à la créature.

 

Cependant:

1. Le philosophe dit que, pour l'éternel et le temporel, il n'y a rien de commun que le nom. Mais Dieu est éternel et les créatures temporelles. Donc entre Dieu et les créatures, il ne peut y avoir rien de commun que le nom et ainsi les noms sont attribués à Dieu et aux créatures de manière purement équivoque

2. Comme le genre est la première partie de la définition, si on l'exclut, on enlève la nature signifiée par le nom; c'est pourquoi si on emploie un nom pour signifier ce qui est dans un autre, le nom sera équivoque. Mais la sagesse, attribuée aux créatures, est dans le genre de la qualité. Comme donc la sagesse, quand on parle de Dieu, n'est pas une qualité, comme on l'a montré plus haut, il semble que ce nom de sagesse est attribué de manière équivoque à Dieu et aux créatures.

3. Là où il n'y a pas de ressemblance, on ne peut rien attribuer de commun, sinon de manière équivoque. Mais entre la créature et Dieu il n'y a aucune ressemblance; car on dit (Is 40, 18): "A qui donc as-tu fait Dieu semblable?". Donc il semble qu'on ne peut rien attribuer d'univoque à Dieu et aux créatures.

4. Mais il faut dire que, quoiqu'on ne puisse pas dire que Dieu est semblable à la créature, on peut cependant dire que la créature est semblable à Dieu.

- En sens contraire, il y a ce que dit le (Ps 87, 2): "Dieu, qui sera semblable à toi?", comme si on disait personne.

5. En outre, pour l'accident, il ne peut y avoir rien de semblable à la substance. Mais la sagesse est un accident dans la créature, mais en Dieu la substance. Donc l'homme par sa sagesse ne peut ressembler à la sagesse divine.

6. Comme dans la créature, l'être est différent de la forme ou nature, rien ne ressemble à ce qu'est l'être par la forme ou la nature. Mais ces noms attribués aux créatures signifient une nature ou une forme. Or Dieu est ce qu'est son être propre. Donc par ce qu'on dit de tel de la créature, elle ne peut pas ressembler à Dieu, et ainsi de même que plus haut.

7. Dieu diffère plus de la créature que le nombre de la blancheur. Mais il est sot de dire que le nombre est semblable à la blancheur, ou le contraire. Donc il est plus sot de dire qu'une créature est semblable à Dieu, et ainsi de même que plus haut.

8. Toutes les choses qui se ressemblent entre elles se rencontrent en un seul genre; mais ce qui se rencontre ainsi est interchangeable. Or Dieu est tout à fait immuable. Donc il ne peut y avoir une ressemblance entre Dieu et la créature.

 

Réponse:

Il faut dire qu'il est impossible d'attribuer quelque chose d'univoque à Dieu et à la créature, ce qui se démontre ainsi: tout effet d'un agent univoque égale son pouvoir. Mais aucune créature, puisqu'elle est finie, ne peut égaler le pouvoir du premier agent puisqu'il est infini. Donc il est impossible que la ressemblance de Dieu soit reçue de manière univoque dans la créature.

D'autre part, il est clair que même si est unique la nature de la forme qui existe dans l'agent et dans l'effet, cependant une manière différente d'exister empêche l'attribution univoque. car bien que l'idée de la maison qui est dans la matière soit la même que celle qui est dans l'esprit de l'artisan, - parce que l'une est l'idée de l'autre, - cependant la maison n'est pas attribuée de manière univoque à l'une et à l'autre; parce que la forme de la maison dans la matière a une existence matérielle, mais dans l'esprit de l'artisan un existence immatérielle.

Étant donné par impossible que la bonté soit de la même nature en Dieu et dans la créature, on n'attribuerait pas le bien de façon univoque à Dieu, puisque ce qui est en lui y est nature immatérielle et simple, et dans la créature de nature matérielle et plurielle. Et en plus l'étant n'est pas défini de manière univoque pour la substance et l'accident, parce que la substance est un étant comme ayant l'être par soi, et l'accident comme ce qui inhérent à un autre. Cela montre qu'une relation différente à l'être empêche une attribution univoque. Mais Dieu se comporte quant à l'être d'une autre manière que n'importe quelle créature; car il est son être propre, ce qui n'appartient à aucune créature. C'est pourquoi en aucune manière on ne parle d'univocité de la créature à Dieu et ni par conséquent d'aucun des autres prédicables parmi lesquels est l'étant premier lui-même. Car si la diversité existe dans le premier, il faut la trouver dans les autres, c'est pourquoi on n'attribue rien d'univoque à la substance et à l'accident.

D'autres ont parlé autrement, disant qu'on n'attribuait rien de manière analogique à Dieu et à la créature, mais de manière équivoque seulement. Et Rabbi Maimonide est de cette opinion comme cela apparaît dans ce qu'il a dit.

Mais cette opinion ne peut pas être vraie, parce que, dans ce qui est purement équivoque, ce que le philosophe appelle équivoque par hasard, on ne dit rien d'une chose par rapport à une autre; mais tout ce qui est dit de Dieu et des créatures, est dit de lui selon un rapport aux créatures ou le contraire, comme cela apparaît par toutes les opinions sur l'exposé des noms divins. C'est pourquoi il est impossible qu'il y ait une équivoque pure.

D'autre part, comme toute notre connaissance de Dieu est tirée des créatures, s'il n'y avait un certain accord que dans le nom seulement, on ne connaîtrait rien de Dieu, sinon des noms inutiles, sans que la réalité y corresponde.

Il s'ensuivrait que toutes les démonstrations faites par les philosophes sur Dieu, seraient fausses;, si on disait que tout ce qui est en puissance est ramené à l'acte par l'étant en acte, - et que de cela on conclut que Dieu serait un être en acte, puisque par lui tout vient à l'être - ce serait une erreur de l'équivoque et ainsi pour toutes les autres choses. Et ensuite il faut que l'effet soit d'une certaine manière semblable à la cause, c'est pourquoi il ne faut attribuer rien de purement équivoque à l'effet et à la cause, comme ce qui est sain au sujet de la médecine et de l'animal.

Et c'est pourquoi il faut dire autrement: on n'attribue rien à Dieu ni à la créature de manière univoque; cependant ce qui est attribué communément ne l'est pas de manière purement équivoque, mais analogique. Et de cette attribution le mode est double:

a) L'un par lequel un attribut est donné à deux sujets par rapport à un troisième, comme l'étant à la qualité et à la quantité par rapport à la substance.

b) L'autre mode est celui par lequel un attribut est donné à deux sujets par rapport de l'un à l'autre, comme l'étant à la substance et à la quantité.

Au premier mode d'attribution, il faut qu'il y ait quelque chose avant les deux, à quoi les deux ont rapport comme la substance à la quantité et à la qualité; mais dans le second, non, mais il est nécessaire que l'un soit avant l'autre. Et c'est pour cela, comme rien n'existe avant Dieu, mais qu'il est lui-même avant la créature, le second mode de l'analogie convient dans l'attribution divine et non le premier.

 

Solution des objections:

1. Il faut dire que cette raison procède de la mesure à laquelle le mesuré peut être égalé ou proportionné, mais Dieu n'est pas une telle mesure, puisqu'il excède par lui-même à l'infini tout ce qui est mesuré.

2. La ressemblance de la créature à Dieu est défaillante par rapport à la ressemblance de ce qui est univoque en deux points.

a) Premièrement, parce que ce n'est pas par participation d'une seule forme, comme deux corps chauds qui participent à une seule chaleur, car ce qui est dit de Dieu et des créatures est attribué à Dieu par essence, mais à la créature par participation; de sorte qu'on comprend ainsi la ressemblance de la créature à Dieu, telle que celle du chaud à la chaleur, non telle que celle du chaud à plus chaud.

b) Deuxièmement, parce que la forme elle-même participée dans la créature est inférieure à la nature de Dieu, comme la chaleur du feu est défaillante par rapport à la nature du pouvoir du soleil par lequel il engendre la chaleur.

3. On peut considérer le plus et le moins de trois manières et l'attribuer ainsi:

a) Selon la seule quantité du participé; ainsi on dit que la neige est plus blanche que le mur, parce que la blancheur est plus parfaite dans la neige que sur le mur, mais cependant elle est d'une même nature. C'est pourquoi une telle diversité selon le plus et le moins ne diversifie pas l'espèce.

b) Selon que l'un est participé et que l'autre est désigné par essence; comme si on disait que la bonté est meilleure que le bien.

c) Selon qu'une même chose appartient à un mode plus éminent qu'à un autre, comme la chaleur au soleil plus qu'au feu et ces deux modes empêchent l'unité de l'espèce et une attribution univoque et ainsi quelque chose est attribué en plus ou en moins à Dieu et à la créature, comme le montre ce qu'on a dit.

4. Dieu n'est pas comparé aux créatures, parce qu'on l'appelle meilleur ou bien suprême, comme s'il participait d'une nature de même genre avec les créatures, comme l'espèce d'un genre, mais comme principe d'un genre.

5. Plus la forme intelligible est éminente dans une chose, plus sa connaissance est parfaite, ainsi (elle est plus parfaite) par la forme de la pierre dans l'esprit que dans les sens. C'est pourquoi Dieu peut connaître ainsi très parfaitement les choses par son essence, dans la mesure où celle-ci est suréminente ressemblance des choses, et inégalée.

6. Entre la créature et Dieu, il y a une double ressemblance.

a) Une de la créature à l'esprit divin, et ainsi la forme pensée par Dieu est d'une même nature que ce qui est pensé, bien qu'elle n'ait pas le même mode d'être; parce que la forme pensée est seulement dans l'esprit, mais la forme de la créature est aussi dans la réalité.

b) D'une autre manière selon que l'essence divine même est ressemblance suréminente de toutes choses et non d'une seule nature. Et par ce mode de ressemblance, il arrive que le bien, etc. est attribué en commun à Dieu et aux créatures, mais pas de la première manière. En effet, quand on dit que Dieu est bon, ce n'est pas sa nature parce qu'elle désigne la bonté de la créature, comme déjà c'est clair par ce qui a été dit, que la maison non plus qui est dans l'esprit de l'architecte n'est pas signifiée de manière univoque de la maison qui est dans la matière.

7. Il faut que l'agent équivoque soit avant l'agent univoque, parce que ce dernier n'a pas de causalité sur toute l'espèce, autrement il serait sa propre cause, mais seulement sur un individu de l'espèce; mais l'agent équivoque a causalité sur toute l'espèce; donc il faut que le premier agent soit équivoque.

 

Réponse:

, sur ce qui a été objecté, il faut dire:

1. Le philosophe parle de communauté de manière naturelle et non logique. Ce qui a un mode différent d'être ne communique en rien selon l'être que le naturaliste considère. Cependant cela peut être commun dans un concept que le logicien considère. Et en outre aussi selon le naturaliste le corps élémentaire et le corps céleste ne sont pas d'un même genre. Mais ils le sont selon le logicien. Cependant le philosophe n'entend pas exclure la communauté analogique mais seulement celle qui est univoque. Car il veut montrer que le corruptible et l'incorruptible ne communique pas dans un genre commun.

2. Bien que la diversité du genre exclut l'univocité, elle n'exclut cependant pas l'analogie. Ce qui apparaît ainsi: en effet ce qui est sain, selon qu'on parle d'urine, est dans le genre du signe, mais si on parle de médecine, il est dans le genre de la cause.

3. On ne dit en aucune manière que Dieu est semblable à la créature, mais le contraire, parce que, comme le dit Denys dans la cause et l'effet nous ne recevons pas la réciprocité de la ressemblance, mais seulement en ce qui est coordonné; car on ne dit pas que l'homme est semblable à son image, mais on dit le contraire, parce que cette forme selon que la ressemblance l'atteint, est dans l'homme avant que dans l'image. Et c'est pourquoi nous ne disons pas que Dieu est semblable aux créatures, mais nous disons le contraire.

4. Quand on dit qu'aucune créature n'est semblable à Dieu, comme Denys le dit dans le même chap., il faut le comprendre selon que l'effet reçoit moins de sa cause, incomparablement par sa déficience même. Ce qu'il ne faut pas comprendre selon la quantité de ce qui participe, mais par les deux autres modes, comme on l'a dit ci-dessus.

5. Pour l'accident, il ne peut y avoir rien de semblable à la substance, par une ressemblance qui est atteinte selon la forme d'une nature, mais rien ne l'empêche selon la ressemblance qui est entre l'effet et la cause. Car il faut que la substance première soit cause de tous les accidents.

6. Et il faut dire de même pour le sixième.

7. La blancheur n'est pas dans le genre du nombre et n'est pas le principe du genre, et c'est pourquoi on n'atteint aucune ressemblance de l'une à l'autre. Mais Dieu est le principe de tout genre, et c'est pourquoi tout est semblable à lui de manière égale.

8. Cette raison procède de ce qui est commun dans le genre ou dans la matière, une telle condition n'existe pas entre Dieu et les créatures.

 

Article 8: Y a-t-il une relation entre Dieu et la créature?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car ce qui est relatif est simultané, selon le philosophe. Mais la créature ne peut pas être simultanément avec Dieu, car il est à tous les points de vue antérieur à la créature. Donc aucune relation ne peut exister entre la créature et Dieu.

2. Entre chaque chose où il y a une relation, il y a aussi un certain rapport de l'une à l'autre. Mais entre Dieu et la créature il n'y en a pas, car ce qui n'est pas d'un seul et même genre, n'est pas comparable, comme le nombre et la ligne. Donc il n'y a pas de relation entre Dieu et la créature.

3. En quelque genre où il y a l'un des relatifs, l'autre y est aussi. Mais Dieu n'est pas dans le même genre que la créature. Donc on ne peut les dire relatifs entre eux.

4. La créature ne peut être opposée au Créateur, parce que l'opposé n'est pas la cause de son opposé. Mais les choses relatives s'opposent l'une à l'autre. Donc on ne peut pas parler de relation entre la créature et Dieu

5. De tout ce dont on commence à parler nouvellement, on peut dire, d'une certaine manière, que cela a été fait. Donc il en découle, si on dit quelque chose de relatif qui va de Dieu à la créature, que Dieu d'une certaine manière a été fait; c'est impossible, puisqu'il est immuable.

6. Tout ce qui est attribué à quelque chose, lui est attribué par soi ou par accident. Mais ce qui apporte une relation à la créature, n'est pas attribué à Dieu par soi, parce que les attributions de ce genre le sont par nécessité et toujours, ni à nouveau par accident. Donc en aucune manière de telles relations ne peuvent être attribuées à Dieu.

 

Cependant:

Augustin dit qu'on parle du créateur en relation à la créature, comme du maître à son serviteur.

 

Réponse:

La relation diffère de la quantité et de qualité, parce que celles-ci sont des accidents qui demeurent dans un sujet. Mais la relation ne signifie pas, comme Boèce le dit qu'elle demeure dans le sujet mais c'est comme si elle passait vers un autre. C'est pourquoi les disciples de G. de la Porée ont dit que les relations ne sont pas inhérentes, mais assistantes, ce qui est vrai d'une certaine manière, comme on le montrera plus tard.

Ce qui est attribué à une chose comme procédant d'elle dans une autre, ne fait pas composition avec elle, de même que l'action ne le fait pas avec l'agent. Et c'est pour cela que le philosophe prouve que dans la relation il ne peut pas y avoir de mouvement; parce que, sans le changement de ce qui se réfère à l'autre, la relation peut cesser par le seul changement de l'autre, comme on le voit aussi pour l'action, parce que ce n'est un mouvement selon l'action que métaphoriquement et improprement. Ainsi nous disons que passer du repos à l'action c'est changer, ce qui ne serait pas si la relation ou l'action signifiait quelque chose qui demeure dans le sujet.

Cela montre que la pluralité des relations qui est entre lui et les autres, n'est pas contre le concept d'une certaine simplicité; bien plus il est d'autant plus simple que les relations qui l'accompagnent sont plus nombreuses. Car autant une chose est simple, moins son pouvoir est limité, c'est pourquoi sa causalité s'étend à davantage d'effets. Et c'est pour cela que dans le livre Des Causes on dit que "tout pouvoir uni est infini plus qu'un pouvoir multiplié."

Mais il faut comprendre une relation entre le principe et ce qui en découle, non seulement comme relation d'origine, selon que ce qui dépend du principe en découle, mais encore comme relation de diversité; parce qu'il faut que l'effet soit distingué de la cause, puisque rien n'est sa propre cause.

Et c'est pourquoi pour la simplicité suprême de Dieu, il découle que les relations infinies ou celles qui existent entre les créatures et lui selon qu'il les crée différentes de lui, lui ressemblent cependant d'une certaine manière.

 

Solution des objections:

1. Sont ensemble par nature ces relatifs qui sont en rapport entre eux à raison égale, comme le père au fils, le maître au serviteur, le double à la moitié. Les relatifs dans lesquels il n'y a pas la même raison de référence de chaque côté, ne sont pas ensemble par nature, mais l'un est naturellement avant, comme le philosophe le dit de la sensation et du sensible, de la connaissance et du connaissable. Et ainsi il apparaît qu'il ne faut pas que Dieu et la créature soient simultanément par nature, puisque ce n'est pas la même nature de référence des deux côtés. Cependant il n'est pas nécessaire pour ces relatifs, qui sont ensemble par nature, que les sujets soient ensemble, mais que les relations seules le soient.

2. La comparaison n'est pas pour tout ce en quoi il y a une relation réciproque, mais seulement pour ceux dont la relation est selon la quantité ou la qualité; de sorte que par là l'un peut être dit plus grand ou meilleur que l'autre, ou plus blanc, etc. Mais les relations en leur diversité peuvent se référer l'une à l'autre, même celles qui sont de genres différents; car celles-ci sont différentes l'une de l'autre. Cependant, quoique Dieu ne soit pas dans un même genre que la créature, en tant que contenu en un genre, il est cependant dans tous les genres, en tant que principe du genre, et par là il peut y avoir une relation entre la créature et Dieu comme entre ce qui dépend d'un principe et le principe.

3. Il n'est pas nécessaire que les sujets des relations soit d'un seul genre, mais seulement les relations elles-mêmes, comme cela apparaît dans le fait que la quantité est dite différente de la quiddité. Et cependant, comme on l'a dit, ce n'est pas la même nature pour Dieu et les créatures, comme de celles qui sont dans différents genres, coordonnées en aucune manière l'une avec l'autre.

4. L'opposition de la relation est différente des autres oppositions en deux points:

a) Dans les autres opposés, l'un est dit opposé à l'autre, dans la mesure ou il l'exclut lui-même, car la négation exclut l'affirmation et c'est en cela qu'elle lui est opposée, mais l'opposition de privation, de possession et de contrariété inclut celle de contradiction, comme il est dit in Métaphysique. Mais cela n'est pas dans les relatifs. Car le fils n'est pas opposé au père, parce qu'il l'exclut lui-même, mais à cause de la nature de sa relation à lui.

b) Et cela cause une seconde différence, parce que, dans les autres opposés, l'autre est toujours imparfait, ce qui arrive par la nature de la négation qui est incluse dans la privation et dans l'autre des contraires. Mais il ne faut pas dans les relatifs, que l'un et l'autre puissent être considérés comme parfaits, comme cela paraît au plus haut point dans les relatifs d'équivalence et dans ceux d'origine, en tant qu'égal, semblable, père et Fils. Et c'est pourquoi la relation peut davantage être attribuée à Dieu que les autres oppositions. Par la nature de la première différence, on peut atteindre l'opposition de relation entre la créature et Dieu, mais non une autre opposition - puisque la situation des créatures vient plus de Dieu que leur éloignement; cependant il y a une relation des créatures à Dieu. Mais par la nature de la seconde différence, il y a dans les personnes divines mêmes (en qui rien ne peut être imparfait) une opposition à la relation et non une autre comme cela apparaîtra plus loin.

5. Comme être fait c'est proprement subir un changement, ce n'est selon la relation que par accident, à savoir une fois changé ce qu'atteint la relation. Ainsi il en est de même pour ne pas être fait. Car un corps changé en quantité devient égal, non parce que le changement atteint en soi l'égalité, mais il se comporte vis-à-vis d'elle par accident. Et cependant il ne faut pas parler de relation nouvelle si un changement se fait en quelque chose, mais il suffit que le changement se fasse dans l'un des extrêmes; car la cause de la relation entre deux choses est quelque chose d'inhérent à l'un et à l'autre. C'est pourquoi le changement se fait de chaque côté de ce qui causait la relation; celle

qui était entre l'un et l'autre est exclue. Et par le fait que dans la créature il se fait un changement, on peut commencer à parler d'une relation à Dieu. C'est pourquoi on ne peut pas dire qu'il est lui-même fait - sinon métaphoriquement - parce qu'il se comporte à la ressemblance de ce qui est fait dans la mesure où on parle de quelque chose de nouveau pour lui. Et ainsi nous disons: "Seigneur, tu es devenu pour nous un refuge".

6. Si on commence à parler des relations de ce genre avec Dieu à cause du changement opéré dans la créature, il est clair que la cause pour laquelle elles sont dites de Dieu vient du côté de la créature et on en parle pour Dieu par accident. Ce n'est pas un accident qui serait en Dieu, comme le dit Augustin, mais qui existe relativement en dehors de lui; parce qu'on le compare accidentellement à lui. Car l'être de Dieu ne dépend pas de la créature, comme celui du bâtisseur non plus ne dépend pas de la maison. C'est pourquoi il lui arrive que la maison existe, de même il arrive à Dieu que la créature existe. Car nous appelons accidentel tout ce qui se comporte vis-à-vis de ce sans quoi il ne pourrait être autre.

 

Article 9: De telles relations entre les créatures et Dieu sont-elles réellement en elles?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car on trouve des relations dans lesquelles d'aucun côté, rien de réel n'est établi, comme Avicenne le dit de la relation qui existe entre l'être et le non être. Mais aucune des extrémités de la relation n'est plus distante que Dieu et la créature. Donc cette relation n'établit réellement rien d'aucun côté.

2. Il faut nier tout ce pour quoi découle une progression à l'infini. Mais si dans la créature la relation à Dieu est une réalité, il faudra aller jusqu'à l'infini: car cette relation sera quelque chose de créé, si elle est réelle et ainsi ce sera une autre relation d'elle-même à Dieu à raison égale, et ainsi à l'infini. Il ne faut donc pas penser que la relation à Dieu est réelle dans la créature.

3. Rien n'est en rapport qu'avec quelque chose de déterminé et d'unique; ainsi le double ne se réfère pas à n'importe quoi, mais à la moitié, le père au fils et ainsi de suite. Donc il faut donc que la différence entre les relatifs soit de celles à qui se fait la relation. Mais Dieu est un être absolument un. Donc la relation de toutes les créatures ne peut pas être établie avec lui aucune relation par une relation réelle.

4. La créature se réfère à Dieu selon qu'elle procède de lui. Mais la créature procède de Dieu selon la substance même. Donc c'est par elle qu'elle se réfère à Dieu et non par une relation ajoutée.

5. La relation est quelque chose d'intermédiaire entre les extrêmes de la relation. Mais rien ne peut être réellement intermédiaire entre Dieu et la créature qu'il a créée sans intermédiaire. Donc la relation à Dieu n'est pas réelle dans la créature.

6. Le philosophe dit que, si tout ce qui apparaît était vrai, la réalité découlerait de notre opinion et nos sens. Mais il est clair que toutes les créatures suivent l'estimation ou la science de leur créateur. Donc toutes se réfèrent en substance à Dieu et non par une relation inhérente.

7. La relation paraît plus petite entre ce qui est à une plus grande distance. Mais la distance de la créature à Dieu est plus grande que celle d'une créature à une autre. Et la relation d'une créature à une autre n'est pas réelle, à ce qu'il semble, car, comme la relation n'est pas substance, il faut qu'elle soit accident; et ainsi, qu'elle soit dans un sujet, et qu'elle ne puisse en être exclue sans changement de sujet; on a dit ci-dessus le contraire pour la relation. Donc celle de la créature à Dieu n'est pas réelle.

8. L'étant créé est éloigné du non être à l'infini, de même il est éloigné de Dieu à l'infini. Mais entre l'étant créé et le pur néant, il n'y a aucune relation, comme Avicenne le dit. Donc ni entre l'étant créé, et l'étant incréé.

 

Cependant:

1. Augustin dit "Le fait qu'on commence à dire de Dieu temporairement ce qu'on ne disait pas auparavant manifeste qu'on parle de relation", non cependant selon un accident en Dieu, parce que quelque chose lui serait arrivé, mais absolument, selon l'accident pour lequel Dieu commence à être appelé de façon relative. Mais l'accident est réel dans le sujet. Donc la relation à Dieu est quelque chose dans la créature.

2. Tout ce qui se rapporte à quelque chose par son changement se réfère réellement à lui-même. Mais la créature se réfère à Dieu par son changement. Donc elle se réfère réellement à lui.

 

Réponse:

Il faut que la relation à Dieu soit une réalité dans la créature. Pour éclaircir cette question, il faut savoir que, comme le dit le Commentateur en Métaphysique, XI, parce que la relation est d'une nature plus faible parmi toutes les catégories, certains ont pensé qu'elle venait des intellections secondes. Car ce qui est compris en premier, c'est ce qui est hors de l'âme que l'intellect est d'abord porté à saisir. Mais on appelle ce qui est compris en second les concepts qui découlent du mode d'intellection; car cela l'esprit le comprend en second dans la mesure où il réfléchit en comprenant qu'il comprend et le mode par laquelle il comprend.

Il découlerait de cette opinion que la relation ne serait pas dans la réalité hors de l'âme, mais dans l'esprit seulement, comme les concepts de genre, d'espèce et de substances secondes.

Mais cela n'est pas possible.

Car, dans aucune catégorie, on ne place rien sinon ce qui existe hors de l'âme. Car l'étant de raison est séparé de l'étant qui se divise en dix catégories, comme cela apparaît en Métaphysique. Mais, si la relation n'était pas dans la réalité hors de l'âme, on ne la placerait pas comme un genre de catégorie. Et en outre, la perfection et le bien qui sont dans la réalité hors de l'âme, non seulement sont atteints selon une relation absolument inhérente aux choses, mais selon un rapport de l'un à l'autre, de même le bien de l'armée consiste dans l'ordre de ses parties: car c'est à lui que le philosophe compare l'ordre de l'univers.

Il faut donc qu'il y ait un rapport dans les choses mêmes, et ce rapport est une relation. C'est pourquoi, il faut qu'il y ait des relations entre elles, selon lesquelles l'une est ordonnée à l'autre. Mais une chose est ordonnée à une autre, selon la quantité ou selon la puissance active ou passive. Car c'est seulement par ces deux relations qu'une chose est atteinte dans une autre par un rapport extérieur. Car quelque chose est mesuré non seulement par une quantité intérieure mais aussi extérieure. Mais par la puissance active chacun agit sur l'autre et par la puissance passive supporte de l'autre. Par sa substance et sa qualité une chose est ordonnée à elle-même seulement, non à une autre, sinon par accident, c'est-à-dire selon que la qualité - ou la forme substantielle ou la matière - a raison de puissance active ou passive, et selon qu'on considère une notion de quantité en elles, selon que l'un fait le même dans la substance, et l'autre du semblable dans la qualité et le nombre ou la pluralité, du différent et du divers dans les mêmes, et différent selon que quelque chose est considéré en plus ou en moins dans l'autre; en effet on dit ainsi qu'une chose est plus blanche qu'une autre. Et c'est pour cela que le Philosophe assignant l'espèce de relation pense que quelques-unes sont causées par la quantité, mais quelques autres par l'action et la passion.

Ainsi donc il faut que ce qui a un rapport à une chose, se réfère réellement à elle et qu'en elle quelque chose soit la relation. Mais toutes les créatures sont ordonnées à Dieu comme à leur principe et à leur fin; car l'ordre qui concerne ces parties de l'univers entre elles, dépend de celui de tout l'univers à Dieu, comme l'ordre qui est entre les parties de l'armée est en raison de l'ordre de l'armée au général, comme on le voit en Métaphysique. C'est pourquoi il faut que les créatures se réfèrent réellement à Dieu et que cette relation soit une réalité dans la créature.

 

Solution des objections:

1. S'il existe une relation des créatures entre elles, qui ne place rien dans aucun des deux extrêmes, ce n'est pas en raison de la distance des créatures, mais parce qu'une relation n'est pas atteinte selon un ordre qui serait dans la réalité, mais dans l'esprit seulement; ce qu'on ne peut pas dire du rapport des créatures à Dieu.

2. Les relations elles-mêmes ne se réfèrent pas à autre chose par une autre relation mais par elles-mêmes, parce que elles sont essentiellement relations. Mais ce n'est pas pareil pour ce qui a une substance absolue; c'est pourquoi le processus ne va pas à l'infini.

3. Le philosophe conclut là même que si tout est référé au meilleur, il faut que l'infini en espèce soit le meilleur. Et ainsi pour ce qui est de l'infini en espèce, rien n'empêche ce qui est infini de s'y référer. Mais tel est Dieu, puisque la perfection de sa substance n'est déterminée à aucun genre, comme on l'a vu plus haut. Et à cause de cela rien n'empêche des créatures infinies de se référer à Dieu.

4. La créature se réfère à Dieu selon sa substance, en tant que cause de la relation, mais formellement selon la relation même, comme on dit que quelque chose est semblable causalement selon la quantité et formellement selon la ressemblance, car c'est à cause de cela que l'on définit la créature comme semblable.

5. Quand on dit que la créature procède de Dieu sans intermédiaire, on exclut la cause créatrice intermédiaire, cependant on n'exclut pas la relation réelle intermédiaire, qui naturellement se rattache à la production de la créature; de même que l'égalité découle de façon indéterminée de la production de la quantité; de même la relation réelle découle naturellement de la production de la substance créée.

6. Les créatures découlent de la science de Dieu, comme l'effet de sa cause, non comme propre raison d'être, de sorte qu'ainsi être créature n'est rien d'autre que d'être connu par Dieu. C'est ainsi qu'ils le pensaient disant que tout ce qui est apparence est vrai et que la réalité suit l'opinion et les sens, de sorte que être pour chacun serait être ressenti par un autre et penser.

7. La relation même, qui n'est rien d'autre que l'ordre d'une créature à une autre, a quelque chose de différent en tant qu'accident et en tant que relation ou rapport. Car en tant qu'elle est accident, elle est dans un sujet, mais pas en tant que relation ou ordre, mais seulement elle est pour un autre en tant que passant en lui, et présent d'une certaine manière se tenant en la chose en relation. Et ainsi cette relation est quelque chose d'inhérent, bien que ce ne soit pas du fait qu'elle est relation: et l'action, en tant que telle, est considérée comme venant d'un agent, mais en tant qu'accident, elle est considérée comme dans le sujet agent. Et ainsi rien n'empêche qu'elle cesse d'être un accident de ce genre sans changement de ce en quoi elle est, parce que sa nature n'est pas achevée du fait qu'elle est dans le sujet même, mais du fait qu'elle passe dans un autre; si on l'exclut, la nature de cet accident est exclue, quant à l'acte mais demeure quant à la cause, comme une fois la matière enlevée, le réchauffement est enlevé, bien que sa cause demeure.

8. L'étant créé n'a pas de relation au non être, mais il en a une à l'être incréé, et ainsi ce n'est pas pareil.

 

Article 10: Dieu se réfère-t-il à la créature, de telle sorte que cette relation soit une réalité en lui?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car le moteur est réellement en relation avec le mû; c'est pourquoi le philosophe place la relation du moteur et du mû comme une espèce de catégorie de relation. Mais Dieu est comparé à la créature comme le moteur au mû. Donc il se réfère réellement à la créature.

2. Mais on pourrait dire qu'il meut les créatures sans changement pour lui et c'est pourquoi il ne se réfère pas réellement à ce qui est mû.

- En sens contraire, l'un, relatif des opposés, n'est pas la raison pour laquelle on dit la même chose de l'autre. Car une chose n'est pas double, parce qu'elle est moitié; et c'est pourquoi Dieu n'est pas Père, parce qu'il y a le Fils. Si donc on parle de relation à propos du moteur et du mû, ce n'est pas parce que la relation du moteur est dans une chose, où il y a en lui une relation de mû. Donc que Dieu ne soit pas mû, n'empêche pas qu'il soit réellement en relation comme le moteur à ce qui est mû.

3. De même que le Père donne l'être au Fils, le Créateur donne l'être à la créature. Mais le Père se réfère réellement aux Fils. Donc le Créateur à la créature aussi.

4. Ce qui est dit proprement de Dieu, sans métaphore, place ce qui est signifié en Dieu. Mais Denys rappelle, parmi ces noms, celui de Seigneur. Donc ce qui est signifié par ce nom Seigneur est réellement en Dieu. Mais c'est une relation à la créature. Donc, etc.

5. La connaissance se réfère réellement au connaissable, comme on le voit en Métaphysique. Mais Dieu est comparé aux créatures comme celui qui connaît au connu. Donc en Dieu il y a une relation à la créature.

6. Ce qui est mû a toujours une relation réelle avec le moteur. Mais la volonté est comparée à ce qui est voulu, comme le mû au moteur; car l'appétible est moteur non mû, l'appétit un moteur mû, comme il est dit en Métaphysique. Donc comme Dieu veut que les choses existent (Car "tout ce qu'il a voulu, il l'a fait." (Ps 113, 31), il semble qu'il se réfère réellement aux créatures.

7. Si Dieu ne se réfère pas aux créatures, il n'y a pas d'autre raison, semble-t-il, sinon qu'il ne dépend pas des créatures, et qu'il les surpasse. Mais de la même manière les corps célestes ne dépendent pas des corps élémentaires et les surpassent pour ainsi dire sans aucune proportion. Donc il en découlerait qu'il n'y aurait aucune relation réelle des corps supérieurs aux inférieurs.

8. Toute dénomination vient de la forme. Mais elle est quelque chose d'inhérent à ce dont elle est. Donc comme Dieu est dénommé des relations aux créatures, il semble que celles-ci soient réelles en Dieu.

9. La proportion est une relation réelle, comme le double à la moitié; mais il semble qu'il y ait une proportion de Dieu à la créature, puisque, entre le moteur et le mû, il faut qu'il y ait une proportion. Donc il semble que Dieu se réfère réellement à la créature.

10. Comme l'esprit est l'image des choses et les mots en sont les signes, comme le dit le Philosophe, ils sont dans un ordre différent dans le disciple et le maître. Car celui-ci part de la réalité d'où il reçoit la connaissance dans son esprit, dont les conceptions définissent les mots, mais le disciple commence par les mots par lesquelles il parvient aux concepts de l'esprit du maître et d'elles à la connaissance de la réalité. Mais il faut que ce qui est dit de tel pour ces relations soit d'abord reçu par le maître. Donc chez lui de tels noms relatifs découlent des conceptions de son esprit qui découlent de la réalité et ainsi il semble que de telles relations sont réelles.

11. De tels relatifs signifiés temporellement pour Dieu, sont des relatifs selon l'être, ou en parole. S'ils sont relatifs de cette dernière manière, ils ne placent réellement rien dans aucune des extrémités. Mais cela est faux d'après ce qui a été dit: car, dans les créatures, les relations à Dieu existent réellement. Il reste donc qu'elles sont relatives selon l'être et ainsi il semble qu'elles placent réellement quelque chose à l'une et à l'autre des extrémités.

12. Il est de la nature des relatifs que, si on en place un, on place l'autre et si on enlève l'un, on enlève l'autre aussi. Si donc dans la créature il y a une relation réelle, il faut qu'en Dieu la relation à la créature soit réelle.

 

Cependant:

1. Il y a ce dit Augustin: "Il est clair qu'on parle de Dieu relativement selon l'accident pour lequel on commence à parler de relation". Donc il semble que ces relations sont dites de Dieu, non selon ce qui est en lui, mais hors de lui, et ainsi on ne place réellement rien en lui.

2. De même que le connaissable est la mesure de la connaissance, de même Dieu est la mesure de toutes choses, comme le dit le Commentateur. Mais le connaissable ne se réfère pas à la connaissance par une relation qui est réellement en lui, mais plutôt par une relation de la connaissance en lui, comme on le voit chez le philosophe. Donc il semble qu'on ne parle pas de Dieu relativement à la créature à cause d'une relation qui est réellement en lui.

3. Denys dit: "Dans les causes et les effets, nous ne prenons pas en compte la réciprocité de la ressemblance; car l'effet est dit semblable à la cause, mais pas le contraire." C'est la même raison qui semble exister pour la relation de ressemblance et les autres relations. Donc il semble que pour les autres relations non plus, il n'y a pas retour de Dieu à la créature, de sorte que, parce que la créature se réfère réellement à Dieu, Dieu se réfère réellement à la créature.

 

Réponse:

Il faut dire que les relations de Dieu à la créature ne sont pas réellement en lui. Pour éclaircir la question, il faut savoir que, comme la relation réelle consiste dans le rapport d'une chose à une autre, comme on l'a dit, on trouve seulement une relation mutuelle réelle dans celles où de chaque côté il y a la même nature de rapport de l'une à l'autre: ce qu'on trouve dans toutes les relations qui dépendent de la quantité. En effet, comme la nature de la quantité est abstraite de ce qui est sensible, elle est de même nature dans tous les corps naturels. Et à raison égale, c'est pourquoi l'un de ceux qui a la quantité se réfère réellement à l'autre et l'autre à lui.

Une quantité considérée dans l'absolu a un rapport à une autre en raison de la mesure et du mesuré, et selon le nom du tout et de la partie et d'autres choses de ce genre qui découlent de la quantité. Mais dans les relations qui découlent de l'action et de la passion, soit de la puissance active et passive, le mouvement n'est pas toujours le rapport de l'une à l'autre. Car il faut que ce qui a toujours un rapport de patient, de mû, ou de causé, ait rapport à l'agent ou au moteur, puisque toujours l'effet est achevé par la cause, et en dépend. C'est pourquoi, il est en rapport avec elle comme à ce qui le rend parfait.

Les agents, les moteurs ou même les causes quelquefois ont rapport à ce qui subit, est mû ou est causé, en tant qu'amené dans la mesure où pour ce qui est amené dans l'effet propre, la passion ou le mouvement; le bien et la perfection du moteur ou de l'agent est atteint, comme c'est tout à fait manifeste dans les agents univoques qui par leur action induisent une ressemblance de leur espèce, et par conséquent conservent l'être perpétuel qui est possible.

On voit la même chose dans tous les autres qui meuvent, agissent ou causent; car par leur mouvement même ils sont ordonnés à produire des effets et semblablement dans tout en quoi tout bien de la cause provient à l'effet. Mais il y en a certains à qui les autres sont ordonnés, et non le contraire, parce qu'ils sont tout à fait en dehors de ce genre d'action ou de pouvoir qu'un tel rapport établit; ainsi il est clair que la connaissance est en rapport avec le connaissable parce que celui qui connaît, par un acte intelligible, a rapport à la chose connue qui est hors de l'âme. Mais ce qui est hors de l'âme n'est absolument pas atteint par un tel acte, puisque l'acte de l'esprit ne transite pas pour changer la matière extérieure, c'est pourquoi ce qui est hors de l'âme est tout à fait hors du genre intelligible. Et pour cela la relation qui suit l'acte de l'esprit ne peut être en elle.

C'est la même raison pour la sensation et le sensible. Car, bien que le sensible modifie l'organe des sens dans son action, et à cause de cela, il a une relation à lui-même.- comme les autres agents naturels à ce qui est supporté par eux, - cependant la modification de l'organe n'atteint pas le sens en acte, mais il l'achève par l'acte du pouvoir sensitif; dont le sensible hors de l'âme, est tout à fait dépourvu. De même l'homme est comparé à la colonne comme à droite parce qu'il peut se mouvoir, selon que lui conviennent la droite et la gauche, l'avant et l'après, le dessus et le dessous. Et c'est pourquoi les relations de ce genre dans l'homme ou l'animal sont réelles, mais pas dans ce qui manque d'un tel pouvoir. De même la pièce de monnaie est hors du genre de l'action par laquelle elle devient une valeur; celle-ci étant une convention établie entre des hommes; l'homme aussi est hors du genre des actions artificielles, qui constitue une image pour lui.

Et c'est pourquoi l'homme n'a pas de relation réelle à son image, ni la pièce de monnaie à sa valeur, mais c'est le contraire. Mais Dieu n'agit pas par une action intermédiaire qui est comprise comme procédant de lui et terminée à la créature; mais son action est sa substance et tout ce qui est en lui est tout à fait en dehors du genre de l'être créé, par lequel la créature se réfère à Dieu. Et à nouveau aucun bien ne s'ajoute au Créateur par la production de la créature. C'est pourquoi son action est tout à fait libre, comme Avicenne le dit. Il est clair aussi qu'il n'est pas poussé à agir mais il fait ce qui change sans aucun changement de sa part.

C'est pourquoi il reste qu'en lui il n'y a pas de relation réelle à la créature, bien qu'elle existe de la créature à Dieu, comme l'effet à la cause.

Rabi Maimonide se trompe en cela de multiples façons. Il a voulu prouver qu'il n'y avait pas de relation entre Dieu et la créature parce que, comme Dieu n'est pas un corps, il n'a de relation ni avec le temps, ni avec le lieu. Car il a considéré la seule relation qui découle de la quantité, non celle qui découle de l'action et la passion.

 

Solution des objections:

1. Le moteur et l'agent naturel meuvent et agissent par une action ou par un mouvement intermédiaire, entre le moteur et le mû, l'agent et le patient. C'est pourquoi il faut au moins que l'agent et le patient, le moteur et le mû se rencontrent dans cet intermédiaire. Et ainsi, l'agent, en tant que tel, n'est pas extérieur au genre du patient en tant que tel. C'est pourquoi c'est le rapport réel des deux, de l'un à l'autre et surtout puisque l'action intermédiaire même est une perfection propre de l'agent; et par conséquent ce à quoi se termine l'action est son bien. Mais cela n'arrive pas en Dieu, comme on l'a dit, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

2. Le fait que le moteur soit mû n'est pas la raison pour laquelle la relation du moteur est réellement en lui, mais c'est un signe. Car il apparaît de là que, d'une certaine manière, il tombe dans le genre du mû, par lequel lui-même meut le mû, et à nouveau il apparaît que ce pourquoi il est mû, est son bien par lequel il lui est ordonné par son mouvement.

3. Le père donne l'être à un fils de son genre, puisqu'il est agent univoque; mais ce n'est pas un tel être que Dieu donne à la créature, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

4. Ce nom, Seigneur, inclut trois sens en son concept, à savoir la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis, le rapport à ceux qui sont soumis qui découle d'un tel pouvoir et la limite du rapport de ceux qui sont soumis au Seigneur; car dans ce qui est relatif, il y a le concept d'un autre relatif. Donc la signification de ce nom est conservé en Dieu, quand au premier et au troisième sens, mais non quant au second. C'est pourquoi, Ambroise dit que ce nom, Seigneur, est celui de la puissance et Boèce dit que la domination du Seigneur est un pouvoir auquel le serviteur est soumis.

5. La science de Dieu est dans un rapport aux choses différent de celui de notre science; car elle est en rapport avec elles comme cause et mesure. Car les choses sont en vérité telles que Dieu par sa science les a ordonnées. Mais elles sont la cause et la mesure de notre science. C'est pourquoi de même que notre science se réfère réellement à la réalité et non le contraire, de même les choses se réfèrent réellement à la science de Dieu et non le contraire. Ou bien, il faut dire que Dieu comprend les autres choses en se comprenant lui-même, c'est pourquoi la relation de la science divine à la réalité n'est pas directe mais elle est relation à l'essence divine même.

6. L'appétible qui meut l'appétit est une fin. Ce qui concerne la fin ne meut l'appétit qu'en raison de la fin. Mais la fin de la volonté divine n'est pas quelque chose d'autre que sa bonté. C'est pourquoi il n'en découle pas que les autres choses sont comparées à la volonté divine, comme le moteur au mû.

7. Les corps célestes sont réellement en rapport avec choses inférieures selon des relation qui découlent de la quantité, parce que la même nature de quantité est dans chacune et à nouveau quant aux relation qui découlent de la puissance active et passive, parce qu'ils meuvent ce qui est mû par une action intermédiaire qui n'est pas leur substance, puisque l'un de leurs biens est atteint du fait qu'ils sont la cause des choses inférieures.

8. Ce par quoi on désigne une chose ne doit pas être toujours forme selon sa nature, mais il suffit qu'elle soit signifiée à la manière d'une forme, grammaticalement parlant. Car l'homme est désigné par l'action et le vêtement, et autres choses, qui ne sont pas réellement des formes.

9. Si on comprend une proportion comme un écart déterminé, il n'y en a aucune de Dieu à la créature. Mais si par la proportion on comprend la relation seule, alors il est clair qu'elle existe entre le Créateur et la créature; réellement dans la créature, mais pas dans le Créateur.

10. Bien que le maître commence par la réalité, cependant les conceptions des choses sont reçues d'une autre manière dans son esprit qu'elles le sont dans la nature, parce que chaque chose est reçue dans l'autre par le mode de ce qui reçoit. Car il est clair que les conceptions sont immatériellement dans l'esprit du maître, et matériellement dans la nature.

11. Cette distinction des choses relatives selon l'être et la parole, ne fait rien pour qu'elle soit une relation réelle. Car certains sont relatifs quant à l'être, qui ne sont pas réels comme la droite et la gauche dans une colonne, et certains sont relatifs en parole qui apportent cependant des relations réelles, comme c'est évident pour la science et la sensation. Car on parle des relations selon l'être, quand ces noms sont imposés pour les signifier, mais de relatifs en parole, quand les noms sont imposés pour signifier des qualités ou principalement quelque chose de ce genre, pour lesquelles cependant découlent des relations. Et à ce sujet, il n'y a pas de différence si les relations sont réelles ou de raison seulement.

12. Bien que, si on pose l'un des relatifs, on pose l'autre, il ne faut pas cependant que l'un et l'autre soient établis de la même manière, mais il suffit que l'un soit établi en réalité et l'autre en raison.

 

Article 11: Ces relations temporelles en Dieu sont-elles de raison?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car une notion à quoi rien ne correspond pas est vide et vaine, comme Boèce le dit. Mais ces relations ne sont pas réellement en Dieu, comme cela apparaît de ce qui a été dit. Donc la notion serait vide et vaine, si en Dieu elles étaient de raison.

2. Ce qui est de raison seulement, n'est attribué aux choses que selon qu'elles sont dans l'esprit, comme le genre, l'espèce et l'ordre. Mais des relations temporelles de ce genre ne sont pas attribuées à Dieu selon ce qui est dans notre esprit seulement, car ainsi rien ne serait à dire par cette parole: Dieu est Seigneur, puisqu'il est compris avoir existé avant les créatures; ce qui paraît faux. Donc de telles relation ne sont pas de raison en Dieu.

3. Ce nom, Seigneur, signifie une relation, puisqu'il est relatif selon l'être. Mais Dieu est Seigneur, mais pas en raison seulement. Donc de telles relations en Dieu ne sont pas en raison seulement.

4. Même si aucun esprit créée n'existait, Dieu serait encore Seigneur et Créateur. Mais ce ne serait pas des êtres de raison, si aucun esprit créé n'existait. Donc les termes Seigneur et Créateur, etc. n'apportent pas des relations de raison seulement.

5. Ce qui est selon notre raison seulement n'a pas existé éternellement. Mais certaines relations de Dieu à la créature ont été éternelles, comme les relations apportées au nom de science et de prédestination. Donc de telles relations ne sont pas en Dieu selon la raison seulement.

 

Cependant:

Les noms signifient des notions ou des concepts, comme on le dit au début de l'Interprétation. Il est clair que ces noms sont dits de façon relative. Donc il faut que de telles relations soient selon la raison.

 

Réponse:

Il faut dire que de même que la relation réelle consiste dans le rapport d'une chose à une autre, de même la relation de raison consiste dans le rapport des significations, ce qui peut arriver de deux manières:

1. Première manière, selon que cet ordre est découvert par l'esprit et attribué à ce qui est dit relativement, et telles sont les relations attribuées par l'esprit à des pensées, dans la mesure où elles sont comprises comme relation de genre et d'espèce; car la raison découvre ces relations en considérant l'ordre ce qui est dans l'esprit pour ce qui est à l'extérieur ou même l'ordre des significations entre elles.

2. Seconde manière, les relations de ce genre suivent le mode de penser, à savoir que l'esprit pense une chose en rapport à une autre, bien qu'il ne parvienne pas à ce rapport, mais plutôt suive le mode de penser par nécessité. Et l'esprit n'attribue pas de telles relations à ce qui est en lui mais à ce qui est en réalité.

Et cela arrive selon que certaines choses n'ayant pas de rapport en soi, sont comprises avec rapport, bien que l'esprit ne comprenne pas qu'elles en ont un, parce qu'ainsi ce serait faux. Mais du fait que certaines choses ont un rapport, il faut que l'une et l'autre soient un étant et l'une et l'autre distinctes (parce qu'il n'y a pas de rapport de soi à soi) et l'une et l'autre en rapport possible avec l'autre.

Quelquefois l'esprit reçoit les deux comme des étants dont l'un seulement ou ni l'un, ni l'autre n'est un étant; ainsi quand il reçoit deux futurs, ou l'un présent et l'autre futur, il comprend l'un en rapport avec l'autre, en disant que l'un est avant l'autre; c'est pourquoi ces relations sont seulement de raison; en tant qu'elles découlent du mode de penser.

Mais quelquefois il reçoit l'une comme deux et il les comprend avec un certain rapport. Comme quand on dit que quelque chose est le même que lui, et ainsi une telle relation est de raison seulement.

Mais quelquefois il reçoit les deux comme pouvant être en rapport l'un avec l'autre, entre lesquelles il n'y a pas de rapport intermédiaire. Bien plus l'un d'eux est essentiellement rapport: comme quand on dit que la relation arrive au sujet; c'est pourquoi une telle relation de relation à quelque chose d'autre est de raison seulement.

Mais quelquefois il reçoit une chose avec rapport à une autre, en tant qu'elle est le terme d'un autre rapport à elle, bien qu'elle ne soit pas ordonnée à un autre; comme en recevant le connaissable, comme terme du rapport de la connaissance à lui, et ainsi avec un rapport à la connaissance, le nom connaissable signifie avec relation et c'est une relation de raison seulement. Et de même notre esprit attribue des noms relatifs à Dieu en tant qu'il le reçoit comme terme des relations des créatures à lui; c'est pourquoi les relations de ce genre sont de raison seulement.

 

Solution des objections:

1. Il faut donc dire que dans les relations de ce genre, quelque chose répond du côté de la chose, à savoir la relation de la créature à Dieu. Car de même qu'on parle du connaissable relativement, non parce qu'il se réfère à la science, mais parce que la science se réfère à lui, comme on le trouve en Métaphysique, de même on parle de Dieu relativement, parce que les créatures se réfèrent à lui.

2. Cette raison procède de ces relations de raison, trouvées par raison et attribuées à ce qui existe dans l'esprit. Mais ces relations ne sont pas telles, mais elles suivent le mode de penser.

3. De même que quelqu'un est le même réellement pour lui et non seulement en raison, bien que la relation soit en raison seulement, du fait que la cause de la relation est réelle, à savoir l'unité de la substance que l'esprit comprend sous la relation, de même la puissance de contraindre ceux qui lui sont soumis est réellement en Dieu. L'esprit la comprend dans le rapport à ceux qui sont soumis à cause du rapport de ceux qui sont soumis à lui et c'est pour cela qu'on l'appelle Seigneur, réellement, bien que la relation soit de raison seulement. Et de la même manière, il apparaît que le Seigneur existerait même s'il n'existait aucun esprit.

4. Par la apparaît la solution à l'objection 4.

5. La relation de la science de Dieu à la créature n'est pas en premier et par soi, comme on l'a dit d'abord mais à l'essence du créateur, par laquelle Dieu connaît tout.

 

Question 8: Ce qu'on appelle relations éternelles en Dieu

 

Article 1: Les relations appelées éternelles, rapportées sous les noms de "Père" et "Fils", sont -elles réelles ou de raison seulement?

 

Objections:

1. Il semble qu'elles ne sont pas réelles. Parce que, comme le dit Jean Damascène: "Dans la Trinité substantielle, on considère comme réel ce qui est commun et un, et comme objet de connaissance et d'intellection, ce qui est divers et distinct." Mais la distinction des personnes se fait par les relations. Donc les relations en Dieu sont de raison seulement.

2. Boèce dit: "La relation du Père au Fils dans le Trinité et de l'un et l'autre à l'Esprit saint, est du même au même". Mais la relation d'identité est de raison seulement. Donc celle de paternité et de filiation aussi.

3. De Dieu à la créature il n'y a pas de relation réelle, du fait que Dieu produit les créatures sans changement pour lui, comme Augustin le dit. Mais c'est beaucoup plus sans changement que le Père produit le Fils, et que le Fils procède du Père. Donc il n'y a pas de relation réelle du Père au Fils ou inversement.

4. Ce qui n'est pas parfait n'est pas attribué à Dieu, comme la privation, la matière et le mouvement. Mais la relation parmi tous les étants a l'être le plus faible au point que certains l'ont considérée comme des intellections secondes, comme on le voit chez le Commentateur. Donc elle ne peut pas exister en Dieu.

5. Toute relation dans les créatures amène une composition avec ce dont elle est relation: car une chose ne peut être en une autre sans composition. Mais en Dieu il n'y a aucune composition. Donc il ne peut y avoir en lui de relation réelle.

6. Les choses les plus simples diffèrent entre elles. Mais les personnes divines sont extrêmement simples. Donc elles diffèrent entre elles, mais ce n'est pas par des relations; donc il ne faut pas en placer en Dieu, puisqu'on les placerait pour rien d'autre que de distinguer les personnes.

7. Les relations sont les propriétés des personnes divines, de même les attributs absolus sont les propriétés de l'essence. Mais en Dieu ceux-ci sont en raison seulement. Donc les relations en Dieu sont en raison et non réelles.

8. Est parfait celui à quoi rien ne manque, comme il est dit in Physique. Mais la substance divine est absolument parfaite. Donc rien qui concerne la perfection ne lui manque. Donc il est superflu de poser des relations en Dieu.

9. Comme Dieu est le principe suprême des choses et leur fin ultime, le fait d'être ramené à un autre qui est premier, ne peut pas exister en lui, mais il y a en lui seulement ce à quoi les autres sont ramenés; ainsi le mobile est ramené à l'immobile et ce qui est par accident au par soi, et c'est pour cela que Dieu n'est pas mû, et qu'il n'y a en lui aucun accident. Mais tout ce qui est dit pour un autre est ramené à l'absolu qui est pour soi. Donc rien n'est en Dieu qui est pour un autre mais seulement ce qui est dit pour soi.

10. Il est nécessaire que Dieu soit par soi. Mais tout ce qui est nécessaire par soi est absolu; le relatif en effet ne peut pas exister sans corrélatif. Mais ce qui par soi a nécessité d'être peut exister, même si ce qui est autre est exclu. Donc en Dieu il n'y a pas de relation réelle.

11. Toute relation réelle, comme on l'a vu dans la précédente question, découle de la quantité, de l'action ou de la passion. Mais il n'y a pas de quantité en Dieu; car nous disons que Dieu est grand sans quantité, comme Augustin le dit. Mais il n'y a pas non plus de nombre en lui, comme le dit Boèce dont puisse découler la relation, même si on place un nombre que la relation établit. Il faut donc, si la relation est réelle en Dieu, qu'elle lui convienne selon une de ses actions. Mais il ne le peut pas avec l'action par laquelle il produit les créatures, parce que dans la question précédente on a vu qu'en Dieu il n'y a pas de relation réelle avec la créature. Ni à nouveau avec une action personnelle placée en lui, comme la génération, car engendrer en Dieu ne venant que d'un suppôt distinct, seule la relation fait en lui la distinction, il faut la concevoir avant une telle action. Et ainsi la relation ne peut pas en découler. Donc il reste, si la relation qui existe réellement en Dieu vient après son action, qu'elle viendrait après son action éternelle ou essentielle qui est l'intellection et le vouloir. Mais cela non plus n'est pas possible; car la relation de celui qui pense à ce qui est pensé vient après une action de ce genre- autrement il faudrait que celui qui pense et ce qui est pensé soient réellement distingués en Dieu - ce qui paraît faux, parce que l'un et l'autre sont attribués à chaque personne en particulier; car non seulement la Père pense mais le Fils et l'Esprit saint pensent aussi; il en est de même pour n'importe lequel d'entre eux qui est dans ce qui est pensé. Donc aucune relation réelle ne peut exister en Dieu, à ce qu'il semble.

12. La raison humaine naturelle peut parvenir à la connaissance de l'esprit divin, car il a été prouvé démonstrativement par les philosophes que Dieu est une intelligence. Donc si les relations réelles, qui, dit-on distinguent les personnes en Dieu, viennent après l'action de l'intellect, il semble que la Trinité des personnes pourrait être découverte par le raison humaine, et ainsi ce ne serait pas un article de foi: Car "la foi est la substance de ce qu'on espère, réalité de ce qu'on ne voit pas." (He 11, 1).

13. Les relatifs opposés sont séparés des autres opposés. Mais en Dieu on ne peut pas placer d'autres genres d'opposition. Donc pas de relation non plus.

 

Cependant:

1. Boèce dit que seule la relation multiplie la Trinité. Cette multiplication n'est pas en raison seulement, mais réelle, comme on le voit chez Augustin qui dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois réalités. Donc il faut que la relation existe en Dieu non seulement en raison, mais en réalité.

2. Rien n'est constitué qu'en réalité. Mais les relations en Dieu sont les propriétés qui constituent les personnes, or la personne est le nom de la réalité. Donc il faut que les relations soient réelles en Dieu.

3. La génération est plus parfaite en Dieu que dans les créatures. Mais de la génération dans les créatures découle une relation réelle, à savoir celle du père et du fils. Donc à plus forte raison les relations sont réelles en Dieu.

 

Réponse:

Ceux qui suivent la doctrine de la foi catholique doivent dire que les relations sont réelles en Dieu. Car elle établit qu'il y a trois personnes d'une seule essence. Mais tout nombre découle d'une distinction: c'est pourquoi il faut qu'il y ait en Dieu une distinction non seulement par rapport aux créatures, qui diffèrent par l'essence, mais aussi par rapport à ce qui est subsistant dans l'essence divine.

Cette distinction ne peut pas être quelque chose d'absolu: parce que ce qui est attribué à Dieu dans l'absolu signifie son essence. Aussi il en découlerait que les personnes divines seraient distinguées par l'essence, ce qui est l'hérésie d'Arius. Donc il reste que la distinction dans les personnes divines est atteinte par les seules relations..

Cette distinction ne peut pas être que de raison seulement: car rien n'empêche que ce qui est distingué en raison seulement soit attribué réciproquement à soi. Ainsi nous disons que le principe est la fin, parce qu'un seul point est en réalité principe et fin, bien qu'ils diffèrent en raison, et ainsi il en découlerait que le Père est le Fils et le Fils est le Père, parce que, comme les noms sont imposés pour signifier leurs relations, il en découlerait que les personnes ne seraient distinguées que par les noms. Ce qui est l'hérésie de Sabellius.

Donc il reste qu'il faut dire que les relations en Dieu sont des réalités; que, de quelque manière que ce soit, en suivant les paroles des saints, il faut faire des recherches, bien que la raison ne puisse y parvenir parfaitement. Donc il faut savoir que, comme la relation ne pourrait être comprise que si elle découlait de la quantité, de l'action ou de la passion, il faut que par l'une de ces manières nous établissions qu'il y a en Dieu une relation.

Or en Dieu la quantité ne peut pas exister, ni continue, ni discrète, ni rien qui ressemble à la quantité, sinon une pluralité que la relation établit; avant cette pluralité, il faut comprendre la relation, et l'unité qui appartient à l'essence, pour laquelle la relation qui en découle n'est pas réelle, mais de raison seulement; comme la relation qu'apporte le mot identique, comme on l'a dit ci-dessus.

Il reste donc qu'il faut placer en lui une relation qui découle de l'action. Je dis action, mais pas celle qui passe dans un patient, car en Dieu rien ne peut être un patient, puisqu'il n'y a pas de matière, car il n'y a pas de relation réelle avec ce qui est hors de lui, comme on l'a montré.

Il reste donc que la relation réelle en Dieu découle de l'action immanente dans l'agent: les actions de ce genre sont l'intellection et le vouloir. En effet, la sensation étant effectuée par un organe corporel, ne peut appartenir à Dieu qui est tout à fait incorporel. Et c'est pour cela que Denys dit qu'en Dieu la paternité est parfaite, c'est-à-dire ni corporelle, ni matérielle, mais intellectuelle. Dans l'intellection le connaissant peut avoir rapport à quatre choses: à savoir a) à ce qui est pensé, b) à l'espèce intelligible, par laquelle l'esprit devient en acte, c) à son intellection et d) au concept de l'esprit.

Ce dernier concept diffère des trois autres:

a) De la réalité pensée, parce qu'elle est parfois hors de l'esprit, mais le concept n'est que dans l'esprit, et en plus il est ordonné à ce qui est pensé, comme à sa fin. Car c'est pour cela que l'intellect forme en lui le concept de la chose, pour connaître ce qui est pensé.

b) Il diffère aussi de l'espèce intelligible: car celle-ci, qui met l'esprit en acte, est considérée comme le principe de son action, puisque tout agent agit selon qu'il est en acte, mais il devient en acte par une forme qui doit être le principe de l'action.

c) Il diffère de l'action de l'esprit, parce qu'il en est considéré comme le terme, et comme quelque chose de constitué par elle. Car l'intellect, par son action, forme la définition ou aussi la proposition affirmative ou négative. Ce concept de l'esprit en nous est proprement appelée verbe. Car c'est ce qui est signifié par le verbe extérieur, car la voix émise ne signifie pas l'esprit même, ni l'espèce intelligible, ni l'acte de l'esprit, mais son concept par l'intermédiaire duquel il a rapport à la réalité.

Donc un tel concept, ou verbe, par lequel notre esprit comprend ce qui est autre que lui, vient d'un autre et le représente. Il prend naissance de l'esprit par son acte, il est l'image de ce qui est pensé. Mais quand l'esprit se pense lui-même, ce verbe dont on parle, ou son concept est son rejeton et son image, celle de l'esprit qui se pense lui-même. Et cela arrive, parce que l'effet ressemble à sa cause quant à la forme; mais la forme de l'esprit est ce qui est pensé. Et c'est pourquoi le verbe qui prend naissance de l'esprit est l'image de ce qui est pensé, qu'il soit identique à l'esprit ou autre.

Un tel verbe de notre esprit est extérieur à l'être de l'esprit lui-même (car il ne vient pas de l'essence, mais est pour ainsi dire son patient), l'intellection n'est cependant pas extérieure à lui, puisqu'elle ne peut pas être complétée sans ce verbe.

Si donc il y a un esprit dont l'intellection soit son être propre, il faudra que ce verbe ne soit pas hors de l'être qui pense, ni non plus de son intellection. Mais l'esprit divin est tel. Car en Dieu l'être et l'intellection sont identiques. Il faut donc que son verbe ne soit pas hors de son essence, mais lui soit coessentiel.

Ainsi donc en Dieu on peut trouver l'origine de l'un à partir de l'autre, à savoir celle du Verbe et de celui qui le profère, tout en conservant l'unité de l'essence. Car partout où il y a origine d'une chose par une autre, il faut placer une relation réelle surtout du côté de ce dont elle est issue, quand elle ne reçoit pas la même nature que son principe, comme cela apparaît dans la sortie de la créature de Dieu, ou du côté de l'un et l'autre, quand ce qui en est issu est de même la nature que son principe, comme cela apparaît dans la génération de l'homme où la relation est réelle dans le père et le fils. Mais le Verbe en Dieu est co-essentiel à son principe, comme on l'a montré. Il reste donc qu'en Dieu il y a une relation réelle, du côté du Verbe et de celui qui le profère.

 

Solution des objections:

1. 1. Dans les personnes divines l'unité vient de l'essence, et la distinction est de raison, c'est-à-dire par une relation qui ne diffère pas réellement de l'essence, mais seulement en raison, comme cela apparaîtra plus bas.

2. La relation, dans les personnes divines, ressemble à la relation d'identité, si on considère l'unité de l'essence, mais si on considère l'origine de l'un par l'autre dans une même nature, alors il faut que ces relations soient réelles.

3. Dieu ne subit pas de changement dans la production de sa créature, de même il n'en subit pas non plus dans le production de son Verbe, mais cependant la créature ne concerne pas l'essence et la nature divine; c'est pourquoi l'essence divine n'est pas communiquée à la créature. Et la relation de Dieu à la créature ne se fait pas à cause de quelque chose qui serait en Dieu, mais seulement selon ce qui se fait du côté de la créature. Mais le Verbe est produit comme co-essentiel à Dieu même; et c'est pourquoi Dieu, selon ce qui est en lui, est en relation avec son Verbe, et pas seulement selon ce qui est du côté du verbe. Car alors c'est une relation réelle du côté de l'un et non du côté de l'autre, quand la relation découle de ce qui vient de l'un et non de ce qui vient de l'autre, comme on le voit pour le connaissable et la connaissance, car les relations de ce genre sont causées par l'acte du connaisseur, non par quelque chose de connaissable.

4. La relation possède un être très faible, parce qu'elle ne vient que d'elle seulement, cependant il n'en est pas ainsi en Dieu, car il n'a pas d'autre être que celui de la substance, comme on le verra plus loin; c'est pourquoi la raison ne vaut pas.

5. Cette raison procède de la relation réelle, qui a un être différent de celui de la substance en qui elle est; mais ainsi elle ne concerne pas notre propos, comme on le verra plus loin.

6. Comme les personnes divines sont distinguées par des relations, elles ne diffèrent de l'autre que par elles-mêmes, parce que les relations sont les personnes même subsistantes, comme cela apparaîtra plus bas.

7. Les attributs essentiels, qui sont les propriétés de l'essence sont en Dieu réellement et non en raison. Car la bonté de Dieu est une réalité et sa sagesse aussi, de même pour les autres attributs, bien qu'ils ne diffèrent de l'essence qu'en raison et il en est ainsi des relations, comme cela paraîtra plus loin.

8. La substance de Dieu serait imparfaite, s'il y avait quelque chose en lui qui ne soit pas sa substance. Or la relation en Dieu est sa substance, comme on le verra plus loin, c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

9. Le mobile et l'accident sont ramenés à ce qui est avant comme l'imparfait au parfait. Car l'accident est imparfait, et semblablement le mouvement est d'un acte imparfait. Mais ce qui est dit en vue d'un autre, quelquefois en suit la perfection, comme on le voit dans l'esprit; car il découle de son opération qui est sa perfection, et c'est pourquoi la perfection divine n'empêche pas de poser une relation en Dieu, comme elle empêche d'y poser le mouvement et l'accident.

10. Ce qui est nécessairement être par soi n'a pas de rapport à quelque chose d'extérieur à lui; cependant rien n'empêche qu'il ait rapport à quelque chose en lui. C'est pourquoi, comme il n'est pas dit nécessaire par un autre, il est nécessaire par soi.

11. La relation réelle en Dieu découle de l'action de l'esprit, non de sorte qu'on comprenne la relation réelle de celui qui pense à la pensée, mais au verbe; parce que la pensée ne prend pas son origine dans celui qui pense, mais c'est le verbe qui la prend.

12. Bien que la raison naturelle puisse parvenir à montrer que Dieu est un esprit, cependant on ne peut pas arriver à le comprendre suffisamment. En effet, de même que nous pouvons savoir de Dieu qu'il est, mais non ce qu'il est, de même nous pouvons savoir qu'il pense mais non de quelle manière il le fait. Avoir le concept du verbe en pensant convient au mode de penser, c'est pourquoi cette raison ne peut pas prouver suffisamment, mais c'est possible du fait qu'on le conjecture en nous en quelque manière par ce qui lui ressemble.

13. Dans les autres oppositions, toujours l'un est comme imparfait ou comme non être ou comme ayant quelque chose du non être: car la négation n'est pas le non être, et la privation est une certaine négation et l'un des deux contraires a toujours quelque chose d'une privation: c'est pourquoi les autres oppositions en Dieu ne peuvent pas exister comme opposition de relation, qui ne cause d'imperfection ni d'un côté ni de l'autre.

 

Article 2: La relation en elle sa substance?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car aucune substance n'est une relation: proposition évidente, de même que celle-ci: Aucune substance n'est une quantité. Donc la substance divine n'est pas une relation.

2. Mais il faut dire que la substance divine est une relation en réalité, mais non en raison

- En sens contraire, le concept à quoi rien ne correspond en réalité est vide et vain. Mais on ne doit rien placer de vain en Dieu. Donc il n'est pas possible que la relation diffère de l'essence si elle existe en raison.

3. Les personnes divines sont distinguées par les relations, car seule la relation multiplie la Trinité, comme le dit Boèce. Si donc les personnes divines ne sont pas distinguées par la substance - la relation n'ajoute rien à la substance en réalité, mais seulement en raison - il en découle que les personnes divines sont distinguées seulement en raison, ce qui est l'hérésie de Sabellius.

4. Les personnes divines ne sont pas distinguées dans l'absolu, parce qu'il en découlerait qu'elles seraient distinguées selon l'essence, du fait que ce qui est dit absolument de Dieu signifie son essence, comme la bonté, la sagesse, etc. Donc si les relations sont identiques à la substance divine, il faudra que, ou bien les personnes ne soient pas distinguées par les relations ou bien que la distinction des personnes dépende de l'essence.

5. Si la relation est la substance même de Dieu, il en découlera que, de même que Dieu et sa grandeur conviennent à la catégorie de la substance - du fait qu'il est sa grandeur - de même, à raison égale, la paternité conviendra à la catégorie de la substance et ainsi tout ce qu'on dit de Dieu, sera dit selon la substance; ce qui est contre Augustin qui dit que ce n'est pas tout ce qu'on dit de Dieu qui est appelé sa substance; car on parle de Dieu comme relation, comme Père vis-à-vis du Fils.

6. Tout ce qui est attribué à un prédicat, est attribué au sujet. Mais si la relation est l'essence divine elle-même, l'attribution suivante est vraie: L'essence divine est la paternité; et à raison égale: La filiation est l'essence divine. Donc il en découlera que la filiation est la paternité.

7. Tout ce qui est identique se comporte de sorte que tout ce qui est attribué à l'un, est attribué à l'autre, parce que, Selon le philosophe si petite que soit la différence que nous aurons attribuée, nous aurons montré que ce n'est pas la même chose. Mais on attribue à l'essence divine la sagesse, la création du monde, etc.; ce qui ne semble pas pouvoir être attribué à la paternité et ni à la filiation. Donc la relation en Dieu n'est pas l'essence divine.

8. Ce qui apporte une distinction dans les personnes divines n'est pas identique à ce qui n'a apporté ni subit de distinction. Mais la relation a apporté une distinction en Dieu; et l'essence n'apporte ni ne subit de distinction. Donc elles ne sont pas identiques.

9. Ce qui est identique par essence ne peut être le principe des contraires que par accident. Mais la distinction, dont le principe est la relation en Dieu, s'oppose à l'unité, dont le principe est l'essence. Donc la relation et l'essence ne sont pas identiques.

10. Dans chacune de ces choses qui sont identiques, il y a l'un et l'autre. Donc si l'essence divine et la paternité sont identiques, là où il y a l'essence divine, il y aura la paternité aussi. Mais l'essence divine est dans le Fils. Donc la paternité aussi, ce qui paraît faux.

11. La relation et l'essence diffèrent au moins en raison en Dieu. Mais là où il y a une nature ou une définition différentes, cela vient d'êtres différents, parce que la définition est un proposition qui indique ce qu'est l'être. Donc l'être de la relation en Dieu sera différent de celui de la substance. Donc la relation et la substance diffèrent selon l'être et donc réellement.

12. On appelle relation ce dont l'être consiste à avoir un rapport avec autre chose, comme on le dit dans Les Catégories. Donc l'être de la relation est en rapport avec autre chose, mais pas l'être de la substance. Donc la relation et la substance ne sont pas identiques selon l'être et ainsi de même que ci-dessus.

13. Augustin déclare qu'on dit qu'il y a au moins quelque chose en Dieu qui n'est pas substance mais relation. On parle substantiellement de ce que la substance divine signifie. Donc la relation ne signifie pas la substance, et ainsi de même que plus haut.

14. Augustin dit que Dieu n'est pas tant Dieu que Père. Mais l'essence divine est Dieu, et par la paternité il est Père. Donc l'essence n'est pas la paternité, et ainsi les relations en Dieu ne sont pas la substance divine.

 

Cependant:

1. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, comme Augustin le dit. Mais la relation est en Dieu, comme la paternité dans le Père. Donc la relation est Dieu lui-même, et la substance divine.

2. Tout suppôt en qui il y a diverses parties est composé. Mais dans la personne du Père, il y a la paternité et l'essence. Si donc la paternité et l'essence divine étaient deux réalités, il en découlerait que la personne du Père serait composée, il est clair que c'est faux. Il faut donc que la relation en Dieu soit sa propre substance.

 

Réponse:

Si on suppose qu'il y a des relations en Dieu, il faut nécessairement dire qu'elles sont l'essence divine, autrement il faudrait placer une composition en Dieu et dire que les relations sont des accidents, parce que tout ce qui est inhérent à quelque chose au-delà de sa substance est un accident. Il faudrait aussi qu'une chose qui ne serait pas la substance divine, soit éternelle, toutes opinions qui sont hérétiques.

Donc pour éclaircir cette question, il faut savoir que parmi les neuf genres qui sont contenus sous l'accident, certains sont signifiés en tant que tel; car la nature de l'accident est d'être inhérent et c'est pourquoi je dis qu'est signifié à la manière de l'accident ce qui est signifié comme inhérent à autre chose, comme la quantité et la qualité, car la quantité est signifiée comme de ce en quoi elle est, et de même la qualité. Mais la relation n'est pas signifiée comme ayant nature d'accident, car on ne la définit pas comme quelque chose de ce en quoi elle est, mais comme dirigée vers ce qui est à l'extérieur. Et c'est pour cela aussi que le Philosophe dit que la connaissance, en tant que relation, ne vient pas de celui qui connaît mais du connaissable.

C'est pourquoi certains examinant la signification dans les relatifs, ont dit qu'ils ne sont pas inhérents aux substances, à savoir comme une assistance pour eux, parce qu'ils sont signifiés pour quelque chose d'intermédiaire entre la substance qui est référée et ce à quoi elle est référée. Et de là il découlait que dans les créatures, les relations ne sont pas des accidents, parce que le propre de l'accident est d'être inhérent.

C'est pourquoi aussi, certains théologiens, à savoir les Porrétains, ont étendu une telle opinion aux relations divines, disant qu'elles ne sont pas dans les personnes, mais c'est comme si elles les assistaient. Et parce que l'essence divine est dans les personnes, il en découlait que les relations ne sont pas l'essence divine, et parce que tout accident est inhérent, il en découlait qu'elles n'étaient pas des accidents. Et ils rejetaient ainsi la parole citée d'Augustin, disant que les relations ne sont pas attribuées à Dieu selon la substance, ni selon l'accident. Mais il découle de cette opinion que la relation n'est pas une réalité, mais elle est seulement de raison, car tout est substance ou accident.

C'est pourquoi certains anciens ont pensé que les relations venaient des intellections secondes, comme le dit le Commentateur. Et c'est pourquoi les Porrétains sont obligés de dire que les relations divines n'existent qu'en raison. Et ainsi il en découlera que la distinction des personnes ne sera pas réelle, ce qui est hérétique.

C'est pour cela qu'il faut dire que rien n'empêche quelque chose d'être inhérent, qui n'est pas cependant signifié en tant que tel, ainsi l'action n'est pas signifiée comme étant dans l'agent, mais comme venant de lui et cependant il est clair qu'elle est en lui. Et de même, bien que la relation ne soient pas signifiée comme inhérente, il faut cependant qu'elle le soit. Et cela quand la relation est réelle, mais quand elle est de raison seulement, alors elle n'est pas inhérente. Et de même que dans les créatures, il faut qu'elle soit un accident, de même il faut qu'elle soit en Dieu la substance, parce que tout ce qui est en Dieu est substance. Donc il faut que les relations réelles soient la substance divine; elles n'ont pas cependant le mode de la substance, mais un autre mode d'attribution que ce qui attribué substantiellement à Dieu.

 

Solution des objections:

1. Aucune substance, qui est dans un genre, ne peut être relation, parce qu'elle est limitée à un seul genre, par conséquent elle est exclue d'un autre. Mais l'essence divine n'est pas dans le genre de la substance, mais est au-dessus de tout genre, comprenant en soi les perfections de tous les genres. C'est pourquoi rien n'empêche qu'on trouve en elle ce qui est une relation.

2. La nature de la substance est autre que celle de la relation, et à chacune correspond quelque chose dans la réalité, qui est Dieu. Cependant ce n'est pas une chose différente, mais une seule et même réalité. Et surtout il convient qu'une seule réalité corresponde aux deux natures, quand la nature exprime parfaitement la réalité même; et ainsi cela concerne notre sujet.

3. Bien que la relation n'ajoute rien à l'essence, mais seulement un rapport, elle est réelle, comme la bonté aussi est une réalité en Dieu, bien qu'elle ne diffère de l'essence qu'en raison; et il en est de même de la sagesse. Et c'est pourquoi de même que ce qui convient à la bonté et à la sagesse convient réellement à Dieu, comme l'intellection, etc.; de même aussi ce qui est le propre de la relation réelle, à savoir l'opposition et la distinction, se trouve réellement en Dieu.

4. Les attributs essentiels signifient non seulement ce qu'est l'essence divine, mais ils la signifient aussi d'une certaine manière, parce qu'ils signifient quelque chose comme existant en Dieu et à cause de cela une différence selon l'absolu, apporterait quelque chose en trop dans la différence qui est dans l'essence. Mais bien que les relations signifient ce qu'est l'essence divine, ce n'est pas cependant à la manière de l'essence, parce que ce n'est pas par la manière de ce qui n'existe pas mais à celle de ce qui a rapport à autre chose. C'est pourquoi la distinction selon les relations en Dieu, ne désigne pas une distinction dans l'essence, mais seulement du fait qu'elle est pour autre chose par mode d'origine, comme on l'a exposé ci-dessus.

5. Bien que la relation soit la substance divine, elle n'a cependant pas de signification à la manière de la substance, comme on l'a exposé ci-dessus et c'est pourquoi on n'en parle pas selon la substance, parce qu'en parler ainsi convient à la manière de la signifier.

6. Cette raison tient aux prédicables par soi. Mais quelque chose est attribué par soi à quelque chose qui lui est attribuée selon sa nature propre. Mais ce qui est attribué non pas selon sa nature propre mais à cause de son identité n'est pas attribué par soi. Donc quand on dit que l'essence divine est la paternité, on n'attribue pas la paternité à l'essence divine à cause d'une identité de raison, mais d'une identité réelle. Et de même on n'attribue pas l'essence à la paternité, comme on l'a déjà dit, parce que la nature de l'essence est autre que celle de la relation. Et c'est pourquoi dans le développement déjà signalé on en arrive à une erreur à propos de l'accident; car bien qu'en Dieu il n'y ait nul accident, il y a cependant quelque chose qui y ressemble, dans la mesure où ce qui est attribué par soi réciproquement selon l'accident et qui diffère en raison, est un dans le sujet.

7. Comme le philosophe le dit, il ne faut pas attribuer tout ce qui est identique d'une certaine manière à l'identique mais, seulement à ce qui est identique en raison. Mais même si l'essence divine et la paternité sont identiques en réalité, elles ne le sont pas en raison; c'est pourquoi il ne faut pas que ce qui est attribué à l'un le soit à l'autre. Il faut savoir cependant qu'il y a certaines choses qui suivent leur propre nature d'essence et de relation: ainsi l'être commun se rattache à l'essence, et la distinction se rattache à la relation. C'est pourquoi l'une de ces choses est exclue par l'autre, car l'essence n'a pas distingué, et la relation n'est pas commune. Mais certaines, non pas pour le signifié principal, mais quant au mode de signifier, ont une différence par la nature de l'essence ou de la relation, et ces choses sont attribuées à l'essence ou à la relation, bien que non au sens propre. Les adjectifs sont de ce genre et les mots substantiels comme bon, sage, intellection, vouloir. Car de cette manière, pour ce qui est signifié, ils signifient l'essence par le mode de suppôt, et non dans l'abstrait. Et c'est pourquoi on les dit les plus propres pour les personnes et les noms essentiels concrets, comme Dieu ou Père bon, sage, créateur, etc., pour l'essence signifiée dans l'abstrait aussi et non par mode de suppôt, mais improprement. Mais encore moins proprement des relations, parce qu'elles conviennent en tant que telles au suppôt selon l'essence mais non selon la relation: car Dieu est bon ou créateur du fait qu'il a l'essence, mais non du fait qu'il a la relation.

8. Ce qui apporte une distinction peut être avec ce qui ne l'apporte, ni ne la subit; identique en réalité, mais pas en raison.

9. L'unité de l'essence n'est pas opposée à la distinction des relations. C'est pourquoi il n'en découle pas que la relation et l'essence sont les causes des opposés.

10. Tout ce qui est identique en réalité et en raison doit être autre en chaque chose où il est en tant qu'unité. Mais il ne le faut pas pour ce qui est identique en réalité, mais non en raison, comme l'instant, qui est le commencement du futur et la fin du passé est identique, on ne dit pas cependant que le commencement du futur est dans le passé, mais on dit que c'est ce qui est le commencement du futur, et de même on ne dit pas que la paternité est dans le Fils, mais il est ce qu'il est, à savoir l'essence.

11. En Dieu, il n'y a en aucune manière d'être que celui de l'essence, de même qu'il n'y a d'intellection que de l'esprit, et ainsi, de même qu'en Dieu, il n'y a une seule intellection, il n'y a aussi qu'un seul être. Et c'est pourquoi en aucune manière il ne faut concéder que l'être de la relation en Dieu est autre que celui de l'essence. Mais la raison ne signifie pas l'être mais être quelque chose, c'est-à-dire ce qu'il est. C'est pourquoi deux natures d'une même chose unique ne révèlent pas que son être est double; mais qu'on peut parler de deux manières de ce qu'elle est; comme d'un point, on peut dire qu'il est aussi bien le commencement que la fin, à cause de la nature différente du commencement et de la fin.

12. Comme la relation est un accident dans les créatures, sa nature est d'être inhérente. C'est pourquoi son être n'est pas pour un autre, mais l'être de selon quoi elle est la relation, c'est être pour un autre.

13. On dit que les relatifs ne sont pas attribués à Dieu substantiellement, parce qu'ils ne sont pas attribués par mode d'existence dans la substance mais à la manière de ce qui est pour un autre, non de telle sorte que ce qu'ils signifient soit la substance.

14. On dit que Dieu n'est pas tant Dieu que Père à cause de la manière différente de signifier sa divinité et sa paternité, comme on l'a exposé.

 

Article 3: Les relations constituent-elles et distinguent-elles les personnes ou les hypostases?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Augustin dit: "Tout ce qui est dit en sens relatif est encore une réalité si on exclut le relatif, comme l'homme seigneur et l'homme esclave". Mais on parle en Dieu des personnes en un sens relatif. Donc il y a une réalité indépendamment du relatif. Donc elles ne sont pas constituées par les relations, car rien ne peut être une réalité si on exclut ce qui le constitue.

2. Mais il faut dire que, au-delà du concept de paternité en Dieu, on comprend le Père.

- En sens contraire, il est clair que le Père est ainsi désigné de façon relative. Donc, si au-delà de la paternité, il faut qu'une réalité soit dans la personne, parce que la paternité est une relation, pour la même raison, au-delà de ce qui est désigné comme Père, il faut placer une réalité dans la personne qui est désignée de façon relative.

3. Au même endroit, Augustin dit, qu'en aucune manière, il ne faut penser qu'on parle du Père pour lui-même. Mais tout ce qui en est dit est dit en vue du Fils. Donc de même que ci-dessus.

4. Mais il faut dire, que ce qui est le Père, si on exclut la relation, c'est l'essence.

- En sens contraire, ce qui est dans le relatif, si on exclut la relation, se réfère à quelque chose par relation, comme on le voit dans les exemples qu'il nous donne. Car l'homme par relation au maître est référé au serviteur. Mais l'essence n'est pas référée en Dieu; car elle n'engendre ni n'est engendrée. Donc cela ne peut pas être compris de l'essence, mais du suppôt de la relation, à qui il convient d'engendrer ou d'être engendré.

5. Tout qui est considéré en soi est avant d'être référé à un autre. Mais rien n'est constitué par ce qui lui est postérieur en l'esprit. Donc l'hypostase du Père n'est pas constituée par la relation par laquelle il se réfère à autre chose.

6. Les hypostases en Dieu sont plus parfaites que chez les hommes. Mais chez nous les propriétés ne constituent ni ne distinguent les hypostases, mais sont les signes de la distinction des hypostases constituées. Donc les relations en Dieu, qui sont des propriétés, ne constituent pas et ne distinguent pas les hypostases.

7. Il faut concevoir l'hypostase qui engendre avant la génération même, puisque celui qui engendre est compris comme le principe de la génération, mais il faut concevoir la génération avant la paternité; car les relations suivent pour les actes et les passions, comme on le dit en Métaphysique. Donc il faut concevoir l'hypostase du Père avant la paternité, donc, elle n'est pas constituée par elle et pour la même raison l'hypostase du Fils non plus par la filiation.

8. Nulle forme n'a apporté de constitution et de distinction que dans son genre, comme la blancheur le fait pour le blanc et le noir selon la qualité et de même la longueur pour la quantité. Donc la relation ne l'a fait que dans le genre de la relation. Mais on classe l'hypostase dans le genre de la substance. Donc la relation n'a pas apporté une telle distinction, ni la constitution pour l'hypostase.

9. La relation en Dieu est l'essence divine. Si donc elle a constitué et distingué l'hypostase, ou bien c'est en tant que substance divine, ou bien en tant que relation. Ce n'est pas en tant qu'essence, parce que celle-ci, étant commune aux trois Personnes, ne peut pas être principe de distinction. De même non plus, ce n'est pas en tant que relation, parce que pour celle-ci rien n'est signifié comme existant par soi, qui signifie le nom d'hypostase, mais seulement en tant qu'appelé relation. Donc la relation n'a distingué ni constitué l'hypostase en aucune manière.

10. Rien ne s'est constitué ni distingué en Dieu. Mais les relations sont les hypostases mêmes, car, la divinité et Dieu ne sont pas différents, ni la paternité et le Père. Donc les relations ne constituent pas et ne distinguent pas les hypostases.

11. Il ne faut pas chercher ce qui distingue deux choses, à moins qu'elles n'aient quelque chose de commun, par quoi avec un complément, elles se distinguent l'une de l'autre, comme l'animal est commun à l'homme et au cheval, mais il est distingué par ces différences ajoutées "avec" ou "sans" raison. Et c'est pour cela que nous pouvons chercher comment l'homme se distingue du cheval. Ces choses n'ont rien de commun, qui puisse les distinguer de cette manière se distinguent par soi et non par quelque chose qui les distingue. Mais deux hypostases en Dieu n'ont en commun que l'essence, qui n'est distinguée en aucune manière par une relation. Donc il ne faut pas dire que les hypostases se distinguent par des relations, mais qu'elles se distinguent d'elles-mêmes.

12. Rien ne cause ce qu'il présuppose. Mais la relation présuppose une distinction; car par la relation une chose se réfère à une autre. La différence apporte une distinction. Donc la relation ne peut pas être le principe de la distinction.

13. Richard de saint Victor dit que les hypostases dans les anges, se distinguent par la seule qualité, mais en Dieu, elles se distinguent par la seule origine. Mais l'origine selon l'esprit diffère de la relation comme la génération de la paternité. Donc les hypostases divines ne se distinguent pas par une relation mais par l'origine.

14. Comme le dit Jean Damascène, les hypostases divines se distinguent par leurs propriétés. Mais celle du Père est d'avoir engendré le Fils, comme Augustin le dit; et la propriété du Fils est qu'il est né du Père. Donc le Père et le Fils sont distingués par la génération et la naissance mais cela signifie l'origine. Donc le Père et le Fils sont distingués par l'origine et non par la relation.

15. Il y a en Dieu certaines relations, qui ne constituent pas des hypostases et ne les distinguent pas, comme l'égalité et la ressemblance. Donc, les autres relations, comme la paternité et la filiation ne distinguent pas et ne constituent pas l'hypostase.

 

Cependant:

1. Boèce dit que seule la relation en Dieu multiplie la Trinité. Mais la pluralité dans la Trinité est constituée par des hypostases constituées et distinctes. Donc seule la relation a constitué et distingué les personnes et les hypostases.

2. Certaines choses sont distinguées par ces seuls attributs qui ne leur sont pas attribués en commun. Mais seules les relations sont attribuées aux personnes divines une à une et non en commun, comme Augustin le dit. Donc en Dieu, les personnes et les hypostases ne sont distinguées que par les relations.

 

Réponse:

À ce sujet, il y a deux opinions:

1) La première est que les relations en Dieu ne constituent pas les hypostases et ne les distinguent pas, mais elles les montrent distinctes et constituées. Pour éclaircir la question, il faut savoir que ce nom d'hypostase signifie la substance individuelle, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être attribuée à plusieurs. C'est pourquoi les genres et les espèces, dans la catégorie de la substance, comme l'homme et l'animal, ne peuvent pas être appelés hypostases parce qu'ils sont attribués à plusieurs. Mais Socrate et Platon sont appelés des hypostases parce qu'ils sont attribués à un seul. Si donc on ne plaçait pas en Dieu la Trinité des personnes, comme le pensent les Juifs et les Païens, il ne faudrait rechercher en lui quelque chose d'autre, de constitutif et de distinct de l'hypostase que la seule substance divine. Dieu, en effet, par son essence, est indivisible en soi et distinct de tout ce qui n'est pas lui.

Mais parce que la foi catholique pose une seule essence en trois personnes, l'essence divine ne peut pas être comprise comme apportant distinction et constitution de l'hypostase. Car on comprend que Dieu est constitué par la divinité, commune aux trois personnes et ainsi elle est signifiée comme attribuée à plusieurs et non comme une hypostase incommunicable. Et pour la même raison, rien de ce qui est dit d'absolu de Dieu ne peut être compris comme apportant distinction et constitution de l'hypostase dans les personnes, puisque ce qui est dit absolu en Dieu est signifié par le mode de l'essence.

Il faut donc placer comme apportant distinction et constitution à l'hypostase, ce qu'on trouve d'abord qui n'est pas dit de plusieurs, mais qui convient à un seul. Mais les attributs de cette sorte sont deux, la relation et l'origine, la génération et la paternité, ou la naissance et la filiation, qui, bien qu'elles soient identiques en Dieu, en réalité, diffèrent cependant en raison et par la manière dont elles sont signifiées. Le premier de ceux-ci est l'origine selon l'esprit, car la relation semble découler de l'origine.

Et ainsi cette opinion établit que les hypostases en Dieu sont constituées et distinguées par l'origine, selon ce qui est signifié, comme quand on dit ce qui vient d'un autre et par qui il est autre; et que la relation de paternité et de filiation, selon l'esprit sert à la constitution et à la distinction des personnes, et qu'elles montrent la distinction et la constitution des hypostases. Car le fait qu'il est appelé Père montre qu'il est celui d'où vient un autre, et le fait qu'il est appelé Fils, qu'il vient d'un autre. Et cependant il ne faut pas dire selon cette opinion que, si les hypostases divines ne sont pas distinguées par des relations, elles le sont par un absolu, parce que les origines mêmes apportent la relation; en effet, on parle du Père par rapport au Fils, de même on parle de celui qui engendre en rapport à ce qui est engendré.

Mais il ne semble pas qu'on peut soutenir cette opinion convenablement. Car ce qui distingue et constitue l'hypostase peut être compris de deux manières:

a) D'une première manière, par laquelle elle est distinguée et constituée formellement, comme l'homme par l'humanité et Socrate par la socratéité.

b) D'une autre manière, par laquelle elle est distinguée et constituée comme passage à la distinction et à la constitution, comme si nous disions que Socrate est un homme du fait de sa génération, qui est le passage à la forme, qui le constitue formellement. Donc il est clair que l'origine d'une chose ne peut être comprise comme apportant constitution et distinction, sinon à cause de ce qui l'a constituée et l'a distinguée formellement. Car si l'humanité n'était pas introduite par génération, jamais l'homme ne serait constitué par elle. Donc il est impossible de dire que l'hypostase du Fils est constituée par sa naissance, sinon dans la mesure où on comprend que celle-ci se termine à quelque chose qu'il l'a constitué formellement. Mais la relation même à laquelle elle se termine est la filiation.

Il faut donc que la filiation qui constitue et distingue formellement l'hypostase du Fils, ne soit pas l'origine, ni la relation comprise dans l'origine; parce que celle-ci en tant qu'origine même, ne signifie pas quelque chose qui subsiste jusqu'ici dans la nature mais quelque chose qui y tend. Et parce que c'est la même nature de constitution et de distinction, pour toutes les hypostases de même nature, semblablement il faut comprendre du côté du Père que son hypostase est constituée et distinguée par sa paternité, mais non par la génération active ni une relation incluse.

2) Et la seconde opinion est que les relations constituent et distinguent les personnes et les hypostases. Ce qui peut se comprendre de cette manière; la paternité en effet est l'essence divine, comme on l'a prouvé, et à raison égale, le Père est identique à Dieu. Car la paternité, en constituant le Père, a constitué Dieu. Et de même que, bien que la paternité soit l'essence divine, elle n'est cependant pas commune comme l'essence, de même le Père, bien qu'il soit le même que Dieu, n'est cependant pas commun comme Dieu, mais propre (à lui). Donc il est clair que Dieu, en tant que tel, a communément la nature divine et en tant que Père, (quelque chose) de propre distinct des autres. C'est pourquoi il est une hypostase, qui signifie qu'il subsiste en une nature distincte des autres. Et de cette manière la paternité en constituant le Père, constitue une hypostase.

 

Solution des objections:

1. Les personnes divines sont une réalité, si on exclut le relatif; et cette réalité c'est l'essence signifiée sans la relation. En effet Augustin le comprend ainsi, comme ses paroles le montrent à celui qui les examine attentivement.

2, 3. Et ainsi nous concédons les objections deux et trois.

4. Même si la relation n'est pas signifiée pour l'essence divine à la manière d'une mise en forme; on la signifie à la manière de l'identité. Ca, même si nous ne disons pas que l'essence engendre et est référée, nous disons cependant qu'elle est génération et relation. Mais cependant à propos des noms essentiels signifiés dans le concret, on parle des relatifs par mode de mise en forme aussi; car nous disons que Dieu engendre Dieu et que Dieu se réfère à Dieu, parce que le même est compris comme suppôt de la relation et celui de l'essence, -comme on l'a montré. - quoique ce qui appartient à l'essence ne soit pas distingué. Et ainsi si on exclut ce qui est relatif, on comprend les noms essentiels concrets, non distincts, qui sont exprimés relativement par les relations.

5. En n'importe quelle hypostase divine, il y a ce qui est considéré comme absolu, qui concerne l'essence; et selon la manière de comprendre, cela est avant ce qui est défini comme relation en Dieu. Cependant comme ce qui est défini comme absolu est commun, cela ne concerne pas la distinction des hypostases. C'est pourquoi il n'en découle pas que c'est comprendre l'hypostase distincte avant sa relation.

6. Dans les choses inférieures, les hypostases sont distinguées par l'essence et c'est pourquoi les propriétés qui découlent de l'essence ne peuvent pas être le principe de la distinction mais elles en sont plutôt le signe. Mais les hypostases divines ne sont distinguées en aucune manière par l'essence; c'est pourquoi il faut que les propriétés soient le principe de leur distinction.

7. Pour la nature de l'hypostase, deux conditions sont nécessaires:

a) La première est qu'elle soit subsistante par soi et sans division,

b) La seconde qu'elle soit distincte des autres hypostases de même nature. Si cependant il arrivait dans une même nature, qu'il n'y ait pas d'autres hypostases, l'hypostase existerait néanmoins comme Adam, quand il n'y avait pas d'autres hypostases dans la nature humaine. Donc il est toujours nécessaire de comprendre l'hypostase qui engendre avant la génération, du fait que l'hypostase subsiste en soi en existant seule, non cependant en tant qu'elle est distincte des autres hypostases de même nature, si les autres hypostases de même nature prennent leur origine par une seule génération de ce genre. Ainsi Adam n'a pas été distinct des autres hypostases de même nature avant que la femme soit formée de sa côte et qu'il ne donne naissance à ses enfants. Mais en Dieu les hypostases ne sont multipliées que par procession des autres personnes à partir d'une seule. Donc il faut comprendre l'hypostase du Père, en tant qu'elle est subsistante, avant la génération, non cependant en tant qu'elle est distincte des autres hypostases de même nature, qui ne procèdent que par cette génération supposée. Mais même si les relations en Dieu constituent des hypostases et les rendent ainsi subsistantes, elles ne le font cependant qu'en tant qu'elles sont l'essence divine. Car la relation, en tant que telle, ne possède pas ce qui subsiste ou fait subsister, car cela vient de la substance seule. Mais les relations, en tant que telles, apportent une distinction, car ainsi elles ont une opposition. Il reste donc que la relation de paternité, en tant qu'elle constitue l'hypostase du Père, parce qu'il la possède en tant qu'elle est la même que la substance divine, est comprise avant la génération. Mais selon ce qui a distingué, la génération est comprise avant la paternité. Mais du côté du Fils aucune difficulté ne demeure, car la naissance selon l'esprit précède l'hypostase de celui qui est né, puisqu'elle est comprise comme passage vers elle; car la génération est un passage dans la substance.

8. Comme on l'a déjà dit, la relation en Dieu n'est pas que la relation, mais en réalité la substance divine elle-même et c'est pourquoi elle peut constituer une réalité subsistante et non seulement relative.

9. La relation, comme on l'a dit, a distingué en tant qu'elle est relation, mais elle a constitué l'hypostase en tant qu'elle est l'essence divine, et elle fait l'un et l'autre en tant qu'elle est essence divine et relation.

10. L'abstrait et le concret ne diffèrent pas réellement en Dieu, puisqu'en lui il n'y a pas d'accident ni de matière, mais ils diffèrent seulement selon la manière de les signifier, de cette manière il découle que nous comprenons la divinité comme constituant Dieu et Dieu comme ayant la divinité; il en est de même de la paternité et du Père, car, bien qu'ils soient identiques en réalité, ils diffèrent cependant selon la manière dont ils sont signifiés.

11. Bien qu'en Dieu l'accord (sur ce qui est commun) soit en réalité dans la seule réalité de l'essence, cependant en raison il est atteint dans les personnes du fait de ce qui est subordonné à l'essence. Ce caractère commun est signifié dans toutes les qualités essentielles concrètes qui impliquent que le suppôt est dans ce qui est commun; ainsi Dieu possède la divinité. Le fait d'être un suppôt de nature divine est commun aux trois personnes, par communauté de nature, bien que les trois ne soient pas un seul suppôt mais trois, comme Socrate et Platon sont deux hommes, bien qu'être homme leur soit commun en raison. Mais la différence est cherchée non seulement dans ce en quoi il y a quelque chose de commun en réalité, mais dans ce en quoi il y a quelque chose de commun en raison.

12. La relation présuppose la distinction des autres genres, à savoir de la substance et de la quantité - quelquefois aussi de l'action et de la passion - mais elle ne suppose pas la distinction qui est selon le rapport, mais elle l'accomplit; comme la relation du double présuppose la diversité du grand et du petit; mais elle ne présuppose pas cette différence du double et de la moitié mais elle l'accomplit. Mais en Dieu, il n'y a pas d'autre distinction que selon la relation.

13. Richard dit que les personnes sont distinguées par l'origine, en tant qu'elle sont distinguées par les relations d'origine.

14. Augustin prend pour synonyme: "il a engendré le Fils" et "il est Père" et c'est pourquoi il se sert quelquefois de l'origine pour la relation.

15. Ces relations de ressemblance et d'égalité ne peuvent pas causer la distinction des personnes, mais elles la présupposent plutôt. Mais la ressemblance dans des choses différentes, c'est la même qualité et de même l'égalité est une même quantité dans des choses distinctes. Et ainsi il est clair que la distinction des suppôts est présupposée par la ressemblance et par l'égalité.

 

Article 4: Si on exclut en esprit la relation, l'hypostase demeure-t-elle en Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Car ce qui est dans les créatures est l'image de ce qui est en Dieu. Mais chez les hommes, si on exclut les relations et les propriétés de l'hypostase, les hypostases demeurent encore. Et il en est donc de même en Dieu.

2. Le Père ne tient pas d'une même nature d'être ce qu'il est et d'être Père, puisque le Fils aussi est ce qu'il est et n'est pas Père. Donc si on exclut du Père qu'il est Père, il demeure qu'il est ce qu'il est. Mais il est ce qu'il est en tant qu'hypostase. Donc si on exclut en esprit la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

3. Comme chaque chose est comprise par sa définition, elle peut être comprise si on exclut ce qui n'est pas placé dans sa définition. Mais la relation n'est pas placée dans la définition de l'hypostase. Donc si on exclut la relation, on comprend encore l'hypostase.

4. Les Juifs et les païens comprennent une hypostase en Dieu. Car ils comprennent que Dieu est un être qui subsiste par soi et cependant ils ne comprennent pas en lui la paternité, la filiation et les relations de ce genre. Donc si on exclut en esprit ces relations, les hypostases demeurent en Dieu.

5. Pour tout ce qui comporte un ajout, si on l'enlève, demeure ce à quoi est fait cet ajout; ainsi homme ajoute raisonnable à animal, car il est un animal raisonnable; c'est pourquoi si on enlève le raisonnable, l'animal demeure. Mais la personne ajoute une propriété à l'hypostase. Car elle est hypostase par une propriété distincte, qui se rattache à sa dignité. Donc si on exclut en esprit cette propriété de la personne, l'hypostase demeure.

6. Augustin dit que le Verbe est la Sagesse engendrée. Mais la Sagesse suppose une hypostase, et le fait d'être engendré une propriété. Donc si on exclut du Verbe qu'il est engendré, son hypostase demeure et pour la même raison, elle demeure dans les autres personnes.

7. Si on exclut en esprit la paternité, la filiation, il demeure encore dans la divinité ce qui vient d'un autre, et par quoi il est autre. Mais cela les hypostases le désignent. Donc si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure encore, mais comme les propriétés personnelles constituent les personnes, elles sont en Dieu comme des différences constitutives. Donc si on les exclut, le genre de la personne, qui est l'hypostase, demeure.

9. Augustin dit (que si on exclut ce qui est le Père, demeure encore l'inengendré. Mais être inengendré est une propriété dont le suppôt ne peut être que l'hypostase. Donc si on exclut la paternité, l'hypostase du Père demeure encore.

10. Les relations sont les propriétés des hypostases; de même les attributs sont les propriétés de l'essence. Mais si on exclut en esprit un attribut essentiel, l'intellect de la substance divine demeure encore. Car Boèce dit que si on exclut en esprit la bonté de Dieu, ce qui est Dieu demeure encore. Donc de la même manière, si on exclut les relations, les hypostases demeurent encore en Dieu.

11. Selon Boèce le propre de l'intellect, c'est de diviser ce qui est joint en nature. Mais la propriété et l'hypostase sont réellement jointes en Dieu. Donc l'esprit peut les séparer l'une de l'autre.

12. Si on exclut ce qui est dans une chose, on peut connaître ce en quoi elle est; ainsi si on exclut l'accident, on peut connaître le sujet. Mais les relations sont placées dans les hypostases divines. Donc, si on les exclut en esprit, restent encore les hypostases.

 

Cependant:

En Dieu la distinction ne peut exister que selon les relations. Mais l'hypostase désigne ce qui est distinct. Donc, si on exclut la relation, l'hypostase ne demeure pas. En effet, comme en Dieu, on ne place que deux modes d'attribution, à savoir selon la substance et selon la relation, si on exclut les relations il ne demeure que ce qui est placé selon la substance, mais c'est ce qui concerne l'essence et ainsi les hypostases ne demeurent pas distinctes.

 

Réponse:

Comme ci-dessus on l'a dit, certains ont pensé que les hypostases en Dieu ne sont pas constituées ni distinguées par les relations, mais par leur seule origine, Mais ils disaient que les relations sont la conséquence de l'origine même des personnes, comme ses limites, par lesquelles est désigné ce qui la complète et ainsi elles se rattachent à une certaine dignité. C'est pourquoi, comme la personne semble être un nom de dignité, si de telles relations sont comprises en plus des hypostases, ils disaient que les personnes étaient constituées et ainsi ils disaient que de telles relations étaient constitutives des personnes mais pas des hypostases.

Et pour autant chez certains, les relations de ce genre sont appelées les `personnalités': et c'est pourquoi, de même que pour nous, si on exclut de l'homme ce qui concerne sa dignité, qui en fait une personne, son hypostase demeure, de même en Dieu, si des personnes on exclut en esprit de telles relations personnelles, ils disent que les hypostases demeuraient, mais cependant pas les personnes.

Mais parce que déjà ci-dessus, on a montré que ces relations constituent et distinguent les hypostases aussi, il faut en conséquence dire selon d'autres, que, si on exclut en esprit de telles relations, les personnes ne demeurent pas, et les hypostases non plus. Car si on exclut ce qui est constitutif, ce qui en est constitué par soi ne peut pas demeurer.

 

Solution des objections:

1. Chez les hommes les hypostases ne sont constituées ni par les relations, ni par les propriétés, comme elles le sont en Dieu, comme on l'a montré, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

2. Par un même être, le Père a ce qu'il est et est Père; par un même être, dis-je, en réalité, et non en raison, mais différent en raison; comme le général diffère du particulier, ou ce qui est commun de ce qui est propre; ainsi il est clair que l'homme par la même forme substantielle est animal et homme; car plusieurs formes substantielles d'une seule chose ne sont pas différentes en réalité. Et cependant par l'âme en tant qu'elle est sensitive, il est seulement animal, mais par l'âme, en tant que sensitive et raisonnable, il est un homme. Et le cheval est un animal, et pas un homme, parce qu'il a une âme sensitive la même en nombre que celle de l'homme, et pour autant il n'est pas le même animal en nombre. Je dis qu'il en est de même pour notre propos, parce que le Père est tel et est Père par relation, mais qu'il soit tel vient d'une relation assumée en commun, mais qu'il soit ce qu'il est, il l'a par cette relation qui est la paternité et à cause de cela le Fils aussi, en qui il y a une relation, mais cette relation qui est la paternité n'est pas ce qu'il est et ce n'est pas ce qu'il est qui est Père.

3. On peut placer quelque chose dans les relations de deux manières: à savoir explicitement, ou en acte, et implicitement, ou en puissance. Car dans la nature de l'animal on ne place pas l'âme raisonnable explicitement et en acte, parce qu'ainsi tout animal aurait une âme raisonnable, mais implicitement et en puissance, parce que l'animal est une substance animée sensitive. De même que l'âme raisonnable est contenue en puissance sous l'âme; de même le raisonnable sous l'animé; et ainsi quand la définition de l'animal en acte est attribuée à l'homme, il faut que le raisonnable soit de la définition de l'animal explicitement selon que l'animal est identique à l'homme. Et il en est de même pour notre propos: car l'hypostase prise communément est une substance distincte: c'est pourquoi, comme en Dieu, il ne peut y avoir de distinction que par la relation, quand je parle de l'hypostase divine, il faut la comprendre par une relation distincte. Et ainsi, quoique la relation ne s'applique pas à la définition de l'hypostase, parce qu'il est l'homme, elle s'applique cependant à la définition de l'hypostase divine.

4. Les Juifs et les païens ne comprennent une essence distincte que par ce qui est d'une autre nature. Cette distinction se fait par l'essence divine. Mais pour nous, l'hypostase est comprise comme distincte de ce qui est d'une même nature, elle ne peut en être distinguée que par relation seulement; et c'est pourquoi cette raison ne vaut pas.

5. La manière dont on définit les accidents est différente de celle dont on définit les substances. Car ces dernières ne sont pas définies par quelque chose qui est en dehors de leur essence; c'est pourquoi ce qui est d'abord placé dans la définition de la substance est le genre, qui est attribué en ce qui est l'essence de ce qui est défini. Mais l'accident est défini par quelque chose qui est hors de son essence, à savoir par le sujet, de qui dépend son être. C'est pourquoi ce qui est placé dans sa définition, à la place du genre, c'est le sujet; ainsi quand on parle de camus c'est le nez concave. Donc, de même que dans les définitions des substances, si on exclut les différences, le genre demeure, de même dans celle des accidents, si on exclut l'accident qui est mis à la place de la différence, le sujet demeure; de façon différente cependant. Car si on exclut la différence, le genre demeure, mais non le même en nombre; mais si on exclut le rationnel, l'animal ne demeure pas le même en nombre parce que c'est un animal raisonnable; car si on exclut le courbe ou le concave, le même nez demeure en nombre. Et c'est parce que l'accident n'achève pas l'essence du sujet comme la différence achève l'essence du genre. Donc quand on dit: la personne est une hypostase par une propriété distincte, qui convient à sa dignité, on ne place pas une hypostase dans la définition de la personne comme sujet, mais comme genre. C'est pourquoi, si on exclut la propriété qui concerne la dignité, l'hypostase ne demeure pas la même, à savoir en nombre ou en espèce, mais seulement selon le genre dans la mesure où elle est conservée dans les substances sans raison.

6. Quand on dit: le Verbe est la sagesse engendrée, la "sagesse" remplace l'hypostase mais ne la signifie cependant pas; et c'est pourquoi sa propriété n'est pas enfermée dans sa signification, mais il faut l'ajouter: comme si je disais que Dieu est le Fils engendré.

7. Celui qui vient d'un autre et celui par lequel il est autre ne diffèrent de la paternité et de la filiation que comme le commun du propre, parce que le Fils signifie celui qui dépend d'un autre par génération; et le Père signifie celui d'où (vient) un autre par génération; à moins que, par hasard, on dise que celui par qui il est autre et celui qui vient d'un autre révèlent l'origine et Père et Fils apportent les relations qui en dépendent. Mais ce qui a été dit montre déjà que les hypostases ne sont pas constituées par les origines, mais par les relations.

8. Si on exclut la différence constitutive, le genre demeure dans ce qui est commun, non dans le même selon l'espèce et le nombre.

9. L'intention d'Augustin n'a pas été de dire que Dieu le Père demeure inengendré, si on exclut la paternité, à moins que par hasard inengendré apporte une condition de nature et non une propriété de personne. Son intention a été de montrer que, si on exclut la paternité, il peut demeurer l'inengendré en commun. Car il ne faut pas que tout ce qui est inengendré soit le Père.

10. La nature de la bonté ne constitue pas celle de l'essence, bien plus on comprend le bien comme formateur de l'être, mais la propriété a constitué l'hypostase et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

11. Bien que l'intellect puisse séparer certaines choses jointes, il ne le peut pas pour tout; car il ne peut pas séparer ce dont l'un est de la nature de l'autre, car, il ne peut pas, en effet, séparer l'animal de l'homme. Mais la propriété dépend de la nature de l'hypostase et c'est pourquoi cette raison ne convient pas.

12. Si on exclut ce qui est en quelque chose, comme dans un sujet, ou comme dans un lieu, demeure ce en quoi il est; mais pas si on exclut ce qui est dans quelque chose comme une partie de son essence. Car si le raisonnable n'est pas exclu, l'homme demeure, et de même si la propriété n'est pas exclue, l'hypostase demeure.

 

Question 9: Les personnes divines

 

Article 1: Quel est le rapport de la personne vis-à-vis de l'essence, de la subsistance, et de l'hypostase?

 

Objections:

1. Il semble que ces termes sont tout à fait tout à fait synonymes. Car Augustin dit que les grecs comprennent quelque chose d'identique quand ils confessent en Dieu trois hypostases et les latins trois personnes. Donc hypostase et personne sont synonymes.

2. Mais il faut dire que la personne diffère de l'hypostase du fait que celle-ci signifie un individu de quelque nature dans le genre de la substance, mais la personne, un seul individu de nature raisonnable.

- En sens contraire, Boèce dit que les Grecs se servent de ce nom hypostase, seulement pour un individu de nature raisonnable. Si donc la personne signifie la même chose, hypostase et personne sont tout à fait synonymes.

3. Les noms s'imposent par la nature de ce qu'ils signifient, mais on trouve un même principe d'individuation dans ce qui est d'une nature raisonnable que dans les autres substances. Donc l'individu de nature raisonnable ne doit pas avoir un nom spécial en comparaison des êtres individuels dans le genre de la substance, pour qu'il y ait une différence entre l'hypostase et la personne.

4. Le nom de subsistance est pris de subsister. Mais rien ne subsiste que l'individu dans le genre de la substance, en qui il y a les accidents et les substances secondes, que sont les genres et les espèces, comme il est dit dans Les Catégories. Donc seuls les individus dans le genre de la substance sont des subsistances, mais un tel individu est l'hypostase ou la personne. Donc subsistance est synonyme d'hypostase et de personne.

5. Mais il faut dire que les genres et les espèces subsistent dans le genre de la substance, parce que c'est leur nature de subsister, comme Boèce le dit.

- En sens contraire, subsister n'est rien d'autre qu'exister par soi. Donc ce qui existe seulement dans un autre, ne subsiste pas. Mais les genres et les espèces sont seulement dans un autre: car ils sont seulement dans les substances premières, lesquelles une fois enlevées, il est impossible que quelque chose d'autre demeure, comme on le dit dans les Catégories. Donc ce n'est pas le propre des genres et des espèces de subsister, mais seulement des individus dans le genre de la substance, et ainsi il reste que subsistance est synonyme d'hypostase.

6. Boèce dit que l'ousia, c'est-à-dire l'essence, signifie le composé de matière et de forme. Mais il faut que ce soit l'individu; car la matière est le principe de l'individuation. Donc l'essence signifie l'individu, et ainsi la personne, l'hypostase, l'essence et la subsistance sont synonymes.

7. L'essence est ce que signifie la définition, puisque c'est par elle qu'on sait ce que c'est. Mais la définition d'une chose naturelle, composée de matière et de forme, non seulement contient la forme, mais aussi la matière, comme le montre le philosophe. Donc l'essence est un composé de matière et de forme.

8. Mais il faut dire que l'essence signifie la nature commune, et les trois autres, à savoir la subsistance, l'hypostase et la personne signifient l'individu dans le genre de la substance.

- En sens contraire, l'universel et le particulier se trouve en n'importe quel genre. Mais dans les autres genres, on ne fait pas la distinction entre le nom particulier et le nom universel; car on désigne par un même nom la qualité ou la quantité, qu'elles soient universelles et particulières. Donc les noms, dans le genre de la substance, ne doivent pas être différents pour signifier la substance universelle et la substance particulière et de fait il semble que ces noms ne le soient pas.

 

Cependant:

1. Boèce dit dans le commentaire des Catégories que l'ousia, c'est-à-dire l'essence, signifie le composé de matière et de forme, ousiôsis, c'est-à-dire la subsistance, signifie la forme; et l'hypostase signifie la matière. Donc ces noms sont différents.

2. On voit la même chose du fait que le même auteur assigne une différence à ces noms dans le livre des deux Natures.

 

Réponse:

Le philosophe pense qu'on peut parler de la substance en deux sens.

a) Car on dit dans un premier sens que la substance est le sujet ultime qui n'est pas attribué à un autre et cela est particulier au genre de la substance.

b) Dans un autre sens, on dit qu'elle est la forme ou la nature du sujet.

La raison de cette distinction est qu'on trouve que plusieurs sujets se rencontrent dans une seule nature, ainsi un grand nombre d'hommes dans la seule nature humaine. C'est pourquoi il a fallu distinguer ce qui est un de ce qui est multiplié; car la nature commune est ce que signifie la définition, qui indique ce qu'est la chose; c'est pourquoi la nature commune même est appelée essence ou quiddité.

Donc tout ce qui dans une chose se rattache à la nature commune est contenu sous la signification d'essence, mais tout ce qui est dans une substance particulière n'est pas de ce genre. Car si tout ce qui est dans la substance particulière se rattachait à la nature commune, il ne pourrait pas y avoir de distinction entre les substances particulières de nature identique. Mais ce qui est dans la substance particulière au-delà de la nature commune, c'est la matière individuelle qui est le principe de l'individuation, et par conséquence les accidents individuels qui la déterminent.

Donc on compare l'essence à la substance particulière, comme sa part formelle, comme l'humanité à Socrate. Et c'est pourquoi, dans ce qui est composé de matière et de forme, l'essence n'est pas tout à fait identique au sujet; aussi on ne l'attribue pas au sujet; car on ne dit pas que Socrate est une humanité.

Mais, dans les substances simples, il n'y a pas de différence entre l'essence et la sujet, puisqu'il n'y a pas en elles de matière individuelle qui individualise la nature commune, mais l'essence elle-même est en eux subsistance. Et cela, le philosophe le montre et aussi Avicenne, qui dit, en sa Métaphysique, que la quiddité de ce qui est simple est simple elle-même.

Mais la substance qui est le sujet, a deux propriétés:

a) La première est qu'elle n'a pas besoin d'un fondement extrinsèque en qui elle serait soutenue, mais elle se soutient d'elle-même; et c'est pourquoi, on la dit subsister (subsistere), comme par soi et sans exister dans un autre.

b) L'autre est qu'elle est, en se soutenant elle-même, un fondement pour les accidents. Et pour autant, on dit qu'elle est sujet.

Donc ainsi la substance, qui est le sujet, en tant qu'elle subsiste, est appelé ousiôsis ou subsistance, en tant qu'elle est sujet, elle est appelée hypostase chez les Grecs, ou substance première chez les latins. Il est donc clair que l'hypostase et la substance diffèrent en raison, mais sont identiques en réalité.

Mais l'essence dans les substances matérielles n'est pas identique à elles en réalité, ni tout à fait différente, puisqu'elle se comporte comme une partie formelle, mais dans les substances immatérielles, elle est tout à fait identique en réalité, mais différente en raison. Et la personne ajoute à l'hypostase une nature déterminée, car elle n'est rien d'autre que l'hypostase de nature raisonnable.

 

Solution des objections:

1. Donc il faut dire que, du fait que la personne n'ajoute à l'hypostase que la nature raisonnable, il faut que l'hypostase et la personne soient tout à fait identiques dans cette nature raisonnable; ainsi quand homme ajoute raisonnable à animal, il faut que l'animal raisonnable soit un homme, et c'est pour cela que ce que dit Augustin est vrai: lorsque les Grecs confessent qu'en Dieu il y a trois hypostases et les Latins trois personnes, ils signifient la même chose.

2. Ce nom hypostase, en grec, au sens propre, signifie une substance individuelle de n'importe quelle nature; mais par l'usage des locuteurs, il signifie l'individu d'une nature raisonnable seulement.

3. La substance individuelle a en propre d'exister par soi; de la même manière qu'elle a en propre d'agir par soi; car rien n'agit qu'un étant en acte, et c'est pourquoi de la même manière cette chaleur n'est pas par soi, elle n'agit pas par soi, mais elle chauffe par la chaleur. Mais agir par soi convient aux substances de nature raisonnable d'une manière plus excellente qu'aux autres. Car seules elles ont pouvoir sur leurs actes, de sorte que c'est leur nature d'agir et ne pas agir, mais les autres substances sont "agies" plus qu'elles n'agissent. Et c'est pourquoi il a été convenable que la substance individuelle de nature raisonnable porte un nom spécial.

4. Quoique rien ne subsiste sinon la substance individuelle, qui est appelée hypostase, cependant on n'emploie pas subsistere (subsister) et substare (être sujet) pour la même raison. Subsister c'est en tant qu'elle n'est pas dans un autre. Etre sujet c'est en tant que les autres sont en elle. C'est pourquoi, si quelque substance existait par soi, sans être cependant le sujet d'un accident, elle pourrait être proprement appelé subsistance, mais pas substance.

5. Boèce parle selon l'opinion de Platon qui a pensé que les genres et les espèces étaient des formes séparées subsistantes, sans accident, et ainsi, on pouvait les appeler subsistances et non hypostases. Ou bien il faut dire que subsister est attribué aux genres et aux espèces, non pas parce qu'ils subsistent, mais parce que les individus subsistent dans leur nature, même si on exclut tous les accidents.

6. L'essence dans les substances matérielles signifie le composé de matière et de forme; cependant pas de la matière individuelle, mais de la matière commune. Car la définition de l'homme qui signifie son essence, contient les chairs et les os, mais non ces chairs et ces os. Mais la matière individuelle est comprise dans la signification de l'hypostase et de la subsistance dans ce qui est matériel.

7. Cela éclaire la septième objection.

8. Les accidents ne sont individualisés que par leurs sujets, mais seule la substance est individualisée par elle-même et par ses propres principes, et c'est pourquoi il est convenable qu'elle ait, dans le seul genre particulier de la substance, un nom qui lui est propre

Les raisons qui sont en sens contraire, nous les concédons. Cependant, il faut savoir que Boèce prend ces noms, dans le commentaire des Catégories d'une autre manière que leur usage commun, tel qu'il les expose dans le livre des deux Natures. Car il a attribué le nom d'hypostase à la matière comme au premier principe du sujet, par laquelle la substance première est sujet d'un accident. Car la forme simple ne peut pas être sujet, comme le dit le même Boèce dans La Trinité. Mais le nom ousiôsis ou subsistance, il l'a attribué à la forme comme principe d'être, car par elle la chose est en acte, mais le nom d'ousia ou d'essence, il l'a attribué au composé. C'est pourquoi il montre que dans les substance matérielles, tant la forme que la matière sont des principes essentiels.

 

Article 2: Qu'est-ce que la personne?

 

Objections:

1. Il semble que Boèce dans le livre Des deux Natures, donne une définition qui ne convient pas, en disant que la personne est "une substance individuelle de nature raisonnable." Car on ne définit rien de singulier, comme le montre le philosophe. Mais la personne signifie quelque chose de singulier dans le genre de la substance, comme on l'a dit. Donc elle ne peut pas être définie.

2. Mais il faut dire que, bien que ce qu'est une personne soit quelque chose de singulier, cependant sa notion est commune, et pour autant elle peut avoir une définition commune.

- En sens contraire, ce qui est commun à toutes les substances individuelles de nature raisonnable est le concept de singularité, qui n'est pas dans le genre de la substance. Donc la substance ne doit pas être placée dans la définition de la personne en tant que genre.

3. Mais il faut dire que ce nom de personne ne signifie pas seulement le concept, mais un concept en même temps que son sujet.

- En sens contraire, il y a ce que le philosophe prouve qu'on ne peut définir ce qui est composé d'un sujet et d'un accident - en effet, il en découlerait une niaiserie dans la définition -car comme on place le sujet dans la définition de l'accident, comme le nez dans la définition du camus, il faudra que, dans ce qui est composé d'un sujet et d'un l'accident, on place deux fois le sujet: une fois pour lui et une fois pour l'accident. Si donc la personne signifie le concept et le sujet, il ne convient pas de la définir.

4. Le sujet de ce concept commun est quelque chose de singulier. Donc si la personne signifiait en même temps le concept et le sujet du concept, il en découlerait alors, qu'une fois définie la personne, on aurait défini ce qui est singulier, ce qui ne convient pas.

5. Le concept n'est pas placé dans la définition de la chose, ni l'accident dans la définition de la substance. Mais la personne est le nom de la chose et de la substance. Donc il ne convient pas de placer l'individu qui est le nom du concept et de l'accident dans la définition de la personne.

6. Ce en quoi la substance est mise à la place du genre, dans la définition, doit être l'espèce de la substance. Mais la personne n'est pas l'espèce de la substance, parce qu'elle serait séparée des autres espèces de substances. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la définition de la personne comme genre.

7. La substance est divisée en première et en seconde, mais la substance seconde ne peut être placée dans la définition de la personne, car il y aurait une opposition dans ce qui serait ajouté - quand on parle de la substance individuelle - car la substance seconde est la substance universelle. De même la substance première non plus, car elle est substance individuelle, et ainsi ce serait une niaiserie d'ajouter l'individu à une substance dans la définition de la personne. Donc il ne convient pas de placer la substance dans la définition de la personne.

8. Le nom de subsistance paraît plus proche de la personne que la substance; car nous disons qu'il y a trois subsistances en Dieu comme aussi trois personnes; nous ne disons pas trois substances, mais une. Donc la personne aurait dû être définie plutôt par la subsistance que par la substance.

9. Ce qui est placé dans la définition en tant que genre, est multiplié si on multiplie ce qui est défini, car plus nombreux sont les hommes, plus nombreux les animaux, mais en Dieu il y a trois personnes, mais pas trois substances. Donc la substance ne doit pas être placée dans la définition de la personne en tant que genre.

10. Le rationnel est la différence avec l'animal; mais on trouve la personne dans ces (êtres) qui ne sont pas des animaux, à savoir les anges et Dieu. Donc le raisonnable ne doit pas être placé dans la définition de la personne.

11. La nature n'est que dans ce qui est mobile; car elle est le principe du mouvement, comme on le dit. Mais l'essence est autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile. Donc, dans la définition de la personne, il a été plus convenable de placer l'essence que la nature, puisque la personne se trouve autant dans ce qui est mobile que dans ce qui est immobile, car elle est dans les hommes, les anges et Dieu.

12. La définition doit être convertible avec ce qu'elle définit. Mais tout ce qui est substance individuelle de nature rationnelle est une personne. L'essence divine, en effet, en tant que telle, n'est pas une personne, autrement il n'y aurait qu'une seule personne en Dieu, comme il n'y a qu'une seule essence. Donc la personne est mal caractérisée par la définition.

13. La nature humaine dans le Christ est une substance individuelle de nature rationnelle: car elle n'est pas ni accident, ni une substance universelle, ni d'une nature sans raison: cependant la nature humaine dans le Christ n'est pas une personne, car il en découlerait que la personne divine qui a assumé la nature humaine, aurait assumé une personne humaine; et ainsi il y aurait dans le Christ deux personnes, à savoir la personne divine, qui assume et la personne humaine, qui est assumée; ce qui est l'hérésie nestorienne. Donc toute substance individuelle de nature rationnelle n'est pas une personne.

14. L'âme séparée du corps par la mort n'est pas appelée personne, et cependant c'est une substance individuelle d'une nature raisonnable. Donc ce ne n'est pas une définition convenable de la personne.

 

Réponse:

Selon la raison (comme cela se voit dans ce qui a été dit) l'individu reçoit un nom spécial du genre de la substance, parce qu'elle est individuée par ses propres principes - et non par quelque autre chose extérieure, - comme l'accident l'est par son sujet. Parmi les substances individuelles, l'individu de nature raisonnable, est désigné en raison par un nom spécial, parce qu'il lui appartient réellement et vraiment d'agir par soi, comme on l'a dit ci-dessus.

Donc de même que ce nom d'hypostase, selon les grecs, ou de substance première, selon les Latins, est le nom spécial d'un individu dans le genre de la substance, de même ce nom de personne est le nom spécial d'un individu de nature raisonnable. Donc chaque individu particulier est contenu sous le nom de personne.

Et c'est pourquoi, pour montrer que l'individu est spécialement dans le genre de la substance, on dit que c'est une substance individuelle; mais pour montrer qu'il est spécialement dans la nature raisonnable, on ajoute de nature raisonnable. Donc du fait qu'il est appelé substance, les accidents sont exclus de la nature de la personne, dont aucun ne peut être appelé personne. Par le fait qu'on parle d'individus sont exclus les genres et les espèces dans le genre de la substance qui ne peuvent pas être appelés non plus des personne; du fait qu'on ajoute de nature raisonnable, sont exclus les corps inanimés, les plantes, les animaux qui ne sont pas des personnes.

 

Solution des objections:

1. Dans la substance particulière, il faut considérer trois aspects:

a) L'un est la nature du genre et de l'espèce, qui existe dans les objets particuliers.

b) Le mode d'existence d'une telle nature, parce que, dans une substance particulière, il existe la nature du genre et de l'espèce, comme propre à cet individu et non comme commun à beaucoup.

c) Le troisième est le principe qui cause un tel mode d'existence.

Mais de même que la nature considérée en soi est commune, son mode d'existence aussi, car on ne trouve la nature d'un homme qui existe en réalité qu'individualisée par quelque chose de particulier, car il n'y a pas d'homme qui ne soit pas un certain homme, sinon selon l'opinion de Platon qui plaçait des universels séparés. Mais le principe d'un tel mode d'existence qui est un principe d'individuation n'est pas commun; mais il est différent dans l'un et dans l'autre; car cet être singulier est individué par cette matière et cet autre par celle-là. De même donc que le nom qui signifie la nature est commun et définissable, - comme homme ou animal - de même le nom qui signifie la nature avec un tel mode d'existence, comme hypostase, ou personne. Mais ce nom qui inclut dans sa signification un principe déterminé d'individuation, n'est pas commun, ni définissable, comme Socrate et Platon.

2. Non seulement le concept de singularité est commun à toutes les substances individuelles, mais la nature du genre aussi avec un tel mode d'existence; et de cette manière le nom d'hypostase signifie la nature du genre de la substance en tant qu'individualisée; mais ce nom de personne signifie seulement la nature raisonnable qui existe sous un tel mode d'existence. Et c'est pour cela que ni hypostase, ni personne, ne sont le nom du concept en tant que singulier ou individuel; mais le nom de la chose seulement; mais pas celui de la chose et du concept en même temps.

3.

4. Ainsi s'éclaire la solution à la troisième et quatrième objection.

5. Parce que les différences essentielles sont fréquemment ignorées et sans nom, il faut parfois se servir des différences accidentelles, pour désigner des différences substantielles, comme le montre le philosophe et de cette manière on place l'individu dans la définition de la personne pour désigner le mode individuel d'être.

6. Quand la substance est divisée en première et seconde, ce n'est pas une division du genre en espèce - puisque rien n'est contenu sous la substance seconde qui ne soit dans la substance première - mais c'est une division du genre selon les diverses manières d'être. Car la substance seconde signifie la nature absolue du genre en soi; mais la substance première signifie celle en tant qu'elle subsiste individuellement. C'est pourquoi c'est plus une division de l'analogue que du genre. Ainsi donc la personne est contenue dans le genre de la substance, bien qu'elle n'y soit pas comme espèce, mais comme ce qui détermine un mode spécial d'existence.

7. Certains disent que la substance est placée dans la définition de la personne dans la mesure où elle signifie l'hypostase, mais comme l'individu concerne le concept d'hypostase, selon qu'il est opposé au caractère commun de l'universel ou à la partie - parce que rien d'universel, ni une partie, comme la main ou le pied ne peut être appelé hypostase - l'individu concerne en plus le concept de personne selon qu'il est opposé à l'état commun de ce qui ne peut être assumé. Car on dit que la nature humaine dans le Christ est une hypostase, mais non une personne. Et c'est pourquoi pour exclure qu'elle puisse être assumée, on ajoute individu dans la définition de la personne.

Mais cela paraît opposé à la pensée de Boèce, qui dans le livre Des deux natures, du fait qu'on parle d'individu, exclut ce qui est universel de la nature de la personne. Et c'est pourquoi il est meilleur de dire que la substance n'est pas placée dans la définition de la personne à la place de l'hypostase, mais pour ce qui est commun à la substance première, qui est l'hypostase, et à la substance seconde et elle est divisée en l'une et l'autre. Et ainsi ce qui est commun, par le fait qu'on ajoute individu, est réunie à l'hypostase pour que ce soit la même chose de dire: substance individuelle de nature raisonnable comme si on parlait d'une hypostase de nature raisonnable.

8. Selon ce qui a été dit, cette raison ne vaut pas, parce que la substance est prise non pour une hypostase mais pour ce qui est commun à toute l'acception de la substance. Si cependant la substance était prise à la place de l'hypostase, la raison ne vaudrait pas non plus, car la substance qui est l'hypostase se montre plus proche de la personne que la subsistance; étant donné que la personne désigne un sujet, de même que la substance première et non seulement en tant que subsistant comme subsistance. Mais parce que le nom de substance est rapporté aussi chez les Latins à la signification de l'essence, pour éviter une erreur, nous parlons de trois substances, comme de trois subsistances. Mais les Grecs, chez qui le nom hypostase est distingué de ousia, confessent sans doute aucun trois hypostases en Dieu.

9. De même que nous disons qu'il y a trois personnes en Dieu, de même nous pouvons parler de trois substances individuelles, cependant d'une seule substance qui est l'essence.

10. Raisonnable désigne la différence de l'animal selon que la notion, d'où il est pris, signifie la connaissance discursive telle qu'elle est dans l'homme, mais non dans les anges, ni en Dieu. Mais Boèce prend raisonnable communément pour intellectuel, que nous disons convenir à Dieu, aux anges et aux hommes.

11. La nature, dans la définition de la personne n'est pas prise selon qu'elle est le principe du mouvement comme le philosophe la définit, mais comme elle est définie par Boèce; parce que la nature est une différence spécifique qui donne forme à chaque chose. Et parce que la différence complète la définition et détermine le défini à l'espèce, le nom de nature appartient plus à la définition de la personne - qui se trouve spécialement en certaines substances - que le nom essence qui est très commun.

12. L'individu dans la définition de la personne est pris pour ce qui est attribué à plusieurs, et ainsi l'essence divine n'est pas une substance individuelle selon l'attribution - puisqu'elle est attribuée à plusieurs personnes - bien qu'elle soit individuelle en réalité; cependant Richard de saint Victor, corrigeant la définition de Boèce, selon que la personne est reçue en Dieu, a dit que: "La personne est une existence incommunicable de nature divine." pour montrer que parce qu'on la dit incommunicable, l'essence divine n'est pas une personne.

13. Comme la substance individuelle est quelque chose de complet existant par soi, la nature humaine dans le Christ, comme elle a été assumée dans la personne divine, ne peut pas être appelée substance individuelle - qui est une hypostase, - de même que la main ni le pied, ni quelque chose de ce qui ne subsiste pas par soi séparé des autres; et pour cela il n'en découle pas qu'il soit une personne.

14. L'âme séparée est une partie de la nature raisonnable, à savoir de la nature humaine, et non toute la nature raisonnable humaine et c'est pour cela que ce n'est pas une personne.

 

Article 3: Le nom de personne peut-il être en Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car, comme le dit Boèce, le nom de personne vient de personare (c'est-à-dire résonner): les hommes qui portaient un masque étaient appelés des personnes, parce que, dans les comédies et les tragédies, leurs voix résonnaient. Mais porter un masque ne convient pas à Dieu sinon par métaphore. Donc le nom de personne ne peut être employé pour Dieu, sinon éventuellement par métaphore.

2. Comme le dit Jean Damascène, de toutes les choses dont on parle à propos de Dieu, nous ne pouvons savoir ce que c'est, dans la mesure où elles lui sont jointes. Mais pour la personne, nous savons ce qu'elle est, par la définition rapportée ci-dessus. Donc le nom de personne ne convient pas à Dieu, au moins selon la définition qu'on en a donnée.

3. Dieu n'est pas dans un genre, car comme il est infini, il ne peut être compris sous les termes d'aucun genre. Mais la personne signifie quelque chose qui est dans le genre de la substance. Donc la personne ne se trouve pas à Dieu.

4. Il n'y a nulle composition en Dieu. Mais la personne signifie quelque chose de composé; car un individu particulier de nature humaine, qui est une personne est d'une très grande composition; les parties de la définition de la personne montrent aussi qu'elle est composée. Donc il n'y a pas de personne en Dieu.

5. En Dieu il n'y a pas de matière. Mais le principe d'individuation est la matière. Comme la personne est une substance individuelle, elle ne peut convenir à Dieu.

6. Toute personne est une subsistance. Mais Dieu ne peut pas être appelé subsistance, parce qu'il n'est placé sous rien. Donc il n'est pas une personne.

7. La personne est contenue sous l'hypostase. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir d'hypostase, parce qu'en lui, il n'y a pas d'accident, puisqu'on dit que l'hypostase est le sujet de l'accident, comme ci-dessus on l'a dit. Donc en Dieu il n'y a pas de personne.

 

Cependant:

Le contraire apparaît dans le Symbole d'Athanase: "Quiconque veut... etc." et chez Augustin et par l'usage commun de l'Église, qui, instruite par l'Esprit saint, ne peut pas se tromper.

 

Réponse:

La personne, comme il a été dit, signifie une nature avec un certain mode d'existence. Mais la nature, que la personne inclut dans sa signification est la plus digne de toutes les natures, à savoir, selon son genre, la nature intellectuelle. De même aussi le mode d'existence qu'apporte la personne est le plus digne, en tant que réalité qui existe en soi.

Donc, comme tout ce qui est le plus digne dans les créatures doit être attribué à Dieu, il convient que le nom de personne puisse lui être attribué, comme les autres noms qui lui sont attribués en propre.

 

Solution des objections:

1. Dans un nom il y a deux aspects à considérer: l'un s'impose pour signifier pour quoi? et l'autre par quoi? Car fréquemment le nom pour signifier quelque chose est imposé par un accident, un acte ou un de ses effets; cependant cela n'est pas signifié principalement par ce nom, mais plutôt par la substance de la chose, ou sa nature; ainsi le nom pierre est pris de "qui blesse le pied". Ce que cependant il ne signifie pas, mais il signifie plutôt un corps dans lequel se trouve fréquemment un tel accident. C'est pourquoi la blessure du pied appartient à son étymologie plus qu'à sa signification.

Donc quand ce pourquoi le nom est imposé pour signifier quelque chose ne convient pas à Dieu - mais on signifie une de ses propriétés selon une ressemblance quelconque - alors ce nom est employé métaphoriquement; ainsi Dieu est appelé lion, non pas parce que la nature animale lui convient, mais à cause de la force du lion. Mais quand une chose signifiée par le nom lui convient, alors il est employé au sens propre, comme bon, sage, etc.; bien que quelquefois ce par quoi un tel nom s'est imposé ne lui convienne pas. Ainsi donc, bien que crier à voix forte à la manière d'un homme masqué, par qui a été imposé le nom de personne, ne convienne pas à Dieu, cependant ce qu'il signifie, à savoir qui subsiste dans une nature intellectuelle, lui convient, et à cause de cela le nom de personne est pris en lui au sens propre.

2. Tant le nom de personne que la définition qu'on lui donne, si on les comprend bien, conviennent à Dieu, non cependant de sorte que ce soit sa définition, parce qu'il y a plus en Dieu que ce qui est signifié par le nom. C'est pourquoi ce qui appartient à Dieu n'est pas défini par la signification de ce nom.

3. Bien que Dieu ne soit pas dans le genre de la substance, comme espèce, il se rapporte cependant au genre de la substance comme principe du genre.

4. Il arrive à la personne en tant que telle, d'être composée, du fait qu'un complément ou une perfection, requis pour la nature de la personne, ne se trouve pas constamment dans ce qui est un et simple, mais requiert l'union de beaucoup de parties, comme on le voit pour l'homme. Mais en Dieu, comme la perfection extrême vient de son extrême simplicité, il y a une personne sans composition. Aussi les parties placées dans la définition de la personne ne montrent une composition de la personne que dans les substances matérielles; mais comme l'individu est une négation, du fait qu'il est ajouté à la substance il n'apporte aucune composition. C'est pourquoi la seule composition de la substance individuelle y demeure, c'est-à-dire l'hypostase pour la nature; les deux, dans les substances immatérielles, sont tout à fait identiques en réalité.

5. Pour les choses matérielles, en qui les formes ne sont pas subsistantes par soi, mais inhérentes à la matière, il faut que le principe d'individuation vienne de la matière: mais comme les formes immatérielles sont subsistantes par soi, elles sont individuées par elles-mêmes; car du fait que quelque chose est subsistant, il a ce qui ne peut pas être attribué à plusieurs; et c'est pourquoi rien n'empêche de trouver dans les choses immatérielles, une substance individuelle et une personne.

6. Bien qu'en Dieu, il n'y ait pas de composition, qui puisse faire penser qu'il est soumis à quelque chose, cependant, selon notre esprit, nous avons admis ci-dessus que son être et sa substance existent sous son être, pour le dire subsistant. Ou bien il faut dire, que bien qu'`être sujet'- notion qu'impose le terme de subsister, ne convienne pas à Dieu cependant être par soi, - ce pourquoi il s'impose pour le signifier - lui convient.

7. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas d'accidents, il y a cependant des propriétés personnelles dont les hypostases sont le sujet.

 

Article 4: Ce nom "personne" signifie-t-il en Dieu, le relatif ou l'absolu?

 

Objections:

1. Il semble qu'il signifie l'absolu. Car Augustin rapporte que Jean dit: " Il y en a trois qui donnent leur témoignage dans le ciel, le Père, le Fils et l'Esprit saint.", et si on cherche ce qu'ils sont, on répond: ce sont trois personnes. Mais quid interroge sur l'essence. Donc ce nom de personne signifie l'essence en Dieu.

2. Dans le même livre, Augustin dit que l'être en Dieu est identique à l'être de la personne. Mais l'être en Dieu signifie l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

3. Augustin dit au même endroit: "On parle de personne absolument au sens propre, mais pas en rapport au Fils ou à l'Esprit saint, comme on dit absolument Dieu, grand, bon et juste." Mais tous ces noms signifient l'essence et non la relation. Donc la personne aussi.

4. Augustin au même endroit dit que, quoique le nom d'essence leur soit commun, à savoir au Père, au Fils et à l'Esprit saint, de sorte que chacun en particulier est appelé essence, cependant, le nom de personne leur est commun. Mais la relation en Dieu n'est pas commune mais distinctive. Donc la personne n'y signifie pas la relation.

5. Mais il faut dire que le nom personne est commun en Dieu en raison, mais pas en réalité.

- En sens contraire, en Dieu l'universel n'existe pas. C'est pourquoi, Augustin dans le même livre réprouve l'opinion de ceux qui disaient que l'essence lui est comme un genre ou une l'espèce et la personne comme une espèce ou un individu. Mais ce qui est commun en raison et non en réalité est commun à la manière de l'universel. Donc la personne n'est pas commune en lui, en raison seulement, mais aussi en réalité, et ainsi elle ne peut pas signifier une relation.

6. Aucun nom ne signifie une chose de genres différents que de manière équivoque. Piquant, en effet, se dit de manière équivoque dans les " saveurs et les rigueurs ". Mais il est clair que la personne dans les anges et dans les hommes ne signifie pas une relation, mais quelque chose d'absolu. Si donc en Dieu, elle signifie la relation, on en parlera de manière équivoque.

7. Ce qui s'ajoute à ce qui est signifié par le nom est hors de sa signification; comme le blanc, accident dans l'homme, est hors de sa signification; mais ce qui est signifié par le nom de personne est la substance individuelle de nature raisonnable; parce que la notion signifiée par le nom est la définition Selon le philosophe, mais à une telle substance, il arrive de se référer à autre chose. Donc la relation est hors de la signification de ce nom de personne.

8. On peut comprendre qu'aucun nom ne soit vraiment attribué à une chose, si on ne comprend pas que ce qu'il signifie lui convient; ainsi il est impossible de comprendre `être homme'sans comprendre être un animal raisonnable mortel - Mais les Juifs et les Païens confessent que Dieu est une personne; mais ils ne confessent cependant pas en lui les relations que nous, nous posons selon notre foi. Donc ce nom de personne en Dieu ne signifie pas des relations de ce genre.

9. Mais il faut dire que les Juifs et les Païens ont une opinion erronée sur Dieu. C'est pourquoi, on ne peut pas tirer argument de leur opinion.

- En sens contraire, l'erreur dans l'opinion ne change pas la signification du nom, la vérité non plus du reste. Si donc parmi ceux qui se trompent sur Dieu, le nom de personne ne signifie pas la relation, il ne le signifiera pas non plus chez ceux qui pensent sur Dieu avec rectitude.

10. Les mots, Selon le philosophe sont les signes du concept, car celui-ci qui est conçu par ce nom de personne est dans le concept de substance première. Donc ce nom de personne signifie la substance première, dont rien n'est plus absolu, puisqu'elle existe par soi; donc ce nom de personne ne signifie pas une relation mais l'absolu.

11. Mais il faut dire que ce nom personne signifie une relation par le mode de la substance.

- En sens contraire, cette proposition est évidente: "Aucune relation n'est une substance", de la même manière que: "Aucune quantité n'est une substance ", comme le montre le philosophe. - Si donc ce nom personne signifie la substance, comme cela a été prouvé, il est impossible que ce qui est signifié soit la relation.

12. Les opposés ne peuvent pas se présenter comme vrais sous un même rapport. Mais être par soi et être pour un autre sont opposés. Si donc ce qui est signifié par le nom de personne est une substance, qui est un étant par soi, il est impossible que ce soit une relation.

13. Tout nom qui signifie une relation se réfère à une réalité dont il révèle la relation, comme maître et serviteur. Mais il est clair que ce nom personne ne se réfère pas à autre chose. Donc il ne signifie pas une relation, mais l'absolu.

14. La personne est dite pour ainsi dire unique par soi. Mais l'unité en Dieu appartient à l'essence. Donc ce nom personne signifie l'essence et non la relation.

15. Mais il faut dire que ce nom signifie une réalité distincte et parce que la distinction en Dieu se fait par relation, elle la signifie.

- En sens contraire, on dit que le Fils et l'Esprit saint sont distingués en Dieu par le mode d'origine; car le Fils procède par mode d'intellect, comme Verbe, mais l'Esprit saint par mode de volonté comme amour. Donc la distinction en Dieu n'est pas par les relations seules et ainsi il ne faut que la personne signifie une relation.

16. Si la relation en Dieu apporte une distinction, mais la personne est ce qui est distingué et qui ne distingue pas, le nom de personne ne signifiera pas une relation.

17. On dit que les relations en Dieu sont des propriétés. Mais la personne signifie quelque chose qui est le substant de la propriété. Donc elle ne signifie pas la relation.

18. Les relations en Dieu sont quatre: la paternité, la filiation, la procession, la spiration commune; car l'innascibilité qui est la cinquième notion n'est pas une relation. Mais ce nom de personne ne signifie aucune d'entre elles. Car si elle signifiait la paternité, on ne l'emploierait pas pour le Fils, si elle signifiait la filiation, on ne l'emploierait pas pour Père, et si elle signifiait la procession de l'Esprit saint, on ne l'emploierait ni pour le Père ni pour le Fils; si elle signifiait la spiration commune, on ne l'emploierait pas pour l'Esprit saint. Donc ce nom de personne ne signifie pas une relation.

 

Cependant:

1. Boèce dit que tout nom en rapport avec les personnes, signifie une relation. Mais aucun nom ne se rapporte plus aux personnes que celui de personne. Donc il signifie une relation.

2. Le Père, le Fils et l'Esprit saint sont contenus sous le nom de personne. Mais ces noms signifient une relation. Donc le nom de personne aussi.

3. Rien de ce qui est absolu n'est distingué en Dieu. Mais on distingue la personne. Donc elle n'est pas absolue, mais relative.

 

Réponse:

Ce nom de personne a en commun avec les noms absolus d'être attribué à n'importe quelle personne et il n'est pas accordé nominativement à autre chose; mais avec les noms qui signifient une relation, il distingue et est attribué au pluriel. Et c'est pourquoi il semble que l'une et l'autre signification, le relatif et l'absolu, se rapporte à la personne. Mais de quelque manière que l'une et l'autre signification se rapporte au nom de personne, cela est conféré de diverses manières par diverses choses.

A. Car certains disent que la personne signifie l'un et l'autre, mais de manière équivoque. Ils disent en effet que ce nom de personne, quant à lui, signifie absolument l'essence, tant au singulier qu'au pluriel, comme ce nom Dieu, ou bon, ou grand; mais à cause de l'insuffisance des noms pour parler de Dieu, celui-ci a été adopté par les saints Pères au concile de Nicée, pour que, quelquefois, il puisse être pris pour relation, et surtout au pluriel, quand nous disons que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois personnes, ou avec un terme partitif joint, comme quand on dit: Autre est la personne du Père; autre celle du Fils; ou quand on dit: Le Fils est autre que le Père en personne. Au singulier, comme il est attribué absolument, il peut indifféremment signifier l'essence ou la personne, comme quand on dit: Le Père est une personne, ou Le Fils est une personne. - Et cela paraît être l'opinion du Maître dans le livre I des Sentences.

Mais on voit bien que ce n'est pas suffisant. Car ce n'est pas sans une raison tirée de la propre signification du nom, que les saints Pères, divinement inspirés, ont trouvé ce nom pour exprimer la confession de la vraie foi; et surtout parce qu'ils auraient donné une occasion d'erreur en parlant de trois personnes, si ce nom personne signifiait l'essence dans l'absolu.

B. Et c'est pourquoi certains ont dit qu'il signifie l'essence et la relation en même temps, mais pas à égalité: l'une directement, l'autre indirectement. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence directement et la relation indirectement, certains le contraire.

Mais aucune des deux opinions ne supprime l'incertitude; parce que, s'ils signifient l'essence directement, on ne devrait pas l'attribuer au pluriel, mais si c'est la relation, on ne devait pas en parler dans l'absolu, ni l'attribuer à chaque personne

C. Et c'est pourquoi d'autres ont dit que ce nom signifie l'une et l'autre directement. Certains d'entre eux ont dit qu'il signifie l'essence et la relation à égalité et aucune des deux n'est placé en rapport avec autre chose.

Mais cela n'est pas compréhensible; parce que ce qui ne signifie pas l'unité ne signifie rien. C'est pourquoi tout nom signifie l'unité dans une seule acception, comme le dit le philosophe.

D. Et c'est pourquoi, d'autres ont dit que la relation est en rapport avec l'absolu. Ce qui est difficile à voir, puisque les relations ne déterminent pas l'essence en Dieu.

E. Et c'est pourquoi d'autres ont dit que ce nom ne signifie pas l'absolu, ni la substance qui est l'essence, mais celle qui est l'hypostase. Car cela est déterminé par une relation. Ce qui est vrai, mais ce qui est dit ne nous révèle rien. Car le nom d'hypostase ou de subsistance est moins clair pour nous que le nom de personne.

F. Et pour éclaircir cette question, il faut savoir que la notion propre du nom est ce qu'il signifie Selon le philosophe. Ce à quoi est attribué le nom, s'il est pris directement sous ce qu'il signifie, comme le déterminé sous l'indéterminé, est dit subordonné par le nom. Mais s'il n'est pas pris directement sous la réalité du nom, il est dit lié par le nom, comme ce nom animal signifie une substance animée sensible, et blanc signifie la couleur qui permet de distinguer par la vue: mais homme est pris justement sous la notion d'animal, comme le déterminé sous l'indéterminé. Car l'homme est une substance sensible animée par une certaine âme, à savoir raisonnable; mais il n'est pas affirmé directement sous le blanc qui est en dehors de son essence. C'est pourquoi l'homme est subordonné au nom d'animal, mais il est lié au nom de blanc.

Et parce que l'inférieur qui est supposé par le nom commun, se comporte vis-à-vis de ce qui est commun comme le déterminé vis-à-vis de l'indéterminé; ce qui était suppôt devient signifié, si la détermination est ajoutée à ce qui est commun, car animal raisonnable signifie l'homme.

Mais il faut savoir qu'une chose a deux sens: un sens formel, et un sens matériel.

a) Le nom signifie formellement ce dont on se sert principalement pour le signifier, et qui en est la notion, comme ce nom homme signifie quelque chose de composé d'un corps et d'une âme raisonnable.

b) Le nom signifie matériellement ce en quoi une telle notion est conservée, comme ce nom homme signifie un être qui a un corps, un cerveau et des organes de ce genre, sans lesquels il ne peut pas être un corps animé par une âme raisonnable.

Selon cela, il faut donc dire que ce nom personne, pris communément ne signifie rien d'autre que la substance individuelle de nature raisonnable. Et parce que sous la substance individuelle de nature raisonnable est contenue la substance individuelle, - c'est-à-dire ce qui est incommunicable et distinct des autres, tant de Dieu que de l'homme, et de l'ange aussi - il faut que la personne divine signifie le subsistant distinct dans la nature divine, comme la personne humaine signifie un subsistant distinct dans la nature humaine et c'est la signification formelle tant de la personne divine que de la personne humaine.

Mais parce que le subsistant distinct dans la nature humaine n'est que quelque chose d'individué par la matière individuelle, et différente des autres choses, il faut que cela soit signifié matériellement, quand on parle de la personne humaine.

Mais ce qui est distinct et incommunicable dans la nature divine ne peut être qu'une relation, parce que tout ce qui est absolu est commun et indistinct en Dieu. Mais en lui la relation est en réalité identique à son essence. Et de même que l'essence est identique à ce qui possède l'essence, comme la Divinité et Dieu, de même la relation et ce qui est référé par relation est identique. C'est pourquoi il en découle que la relation et ce qui subsiste de distinct dans la nature divine est identique.

Il est donc clair que la personne, prise communément, signifie la substance individuelle de nature raisonnable, mais la personne divine, par sa signification formelle, signifie un subsistant distinct dans la nature divine. Et parce que cela ne peut-être que relation ou relatif, il signifie par signification matérielle la relation ou le relatif; Et ainsi on peut dire qu'il signifie la relation par mode de substance, qui n'est pas l'essence, mais l'hypostase; de même il signifie aussi la relation, non comme telle, mais comme relatif, c'est-à-dire qu'il est signifié par ce nom Père et non par ce nom paternité. Car ainsi la relation signifiée est incluse indirectement dans la signification de la personne divine, qui n'est rien d'autre qu'un subsistant, distinct par relation dans l'essence divine.

 

Solution des objections:

1. Quid non seulement interroge sur l'essence, mais quelquefois aussi sur le suppôt; comme "Qui nage dans la mer?" - "un poisson". Et ainsi à quid il faut répondre par le nom de personne.

2. A cause de la manière de signifier de ce nom personne, Augustin dit: "L'être en Dieu est le même que l'être de la personne". Car il ne signifie pas par mode de relation, comme Père et Fils.

3. Ce qui est dit pour soi et ne se réfère pas à un autre provient de la signification formelle de la personne.

4. En Dieu, l'essence est commune en réalité, mais la personne en raison seulement, en tant que nom de relation.

5. En Dieu rien n'est différencié selon l'être, puisqu'il n'y en a qu'un seul. Or c'est contre la notion de l'universel, et c'est pourquoi il n'y en a pas, bien qu'il y ait l'unité en raison et non en réalité.

6. Que le nom de personne signifie autre chose en Dieu et dans l'homme appartient à la diversité de la supposition plus qu'à la signification différente de ce qui est commun, qui est la personne. Mais une supposition différente n'apporte pas d'équivoque mais une signification différente.

7. Bien que la relation arrive à ce qui est signifié communément par ce nom de personne, elle n'arrive cependant pas à la personne divine, comme on l'a montré.

8. Cette objection procède de la signification formelle du nom et non de sa signification matérielle.

9. Et il faut dire de même pour cette objection.

10. La substance première est dite absolue, comme ne dépendant pas d'un autre. Mais le relatif en Dieu n'exclut pas l'absolu, qui dépend d'un autre, mais il exclut celui qui ne se réfère pas à un autre.

11. Cette proposition: Aucune relation n'est une substance est évidente, si on prend la relation et la substance qui sont dans le genre. Mais Dieu n'est pas limité par les termes d'un genre: il a en lui les perfections de tous les genres. C'est pourquoi on ne distingue pas réellement en lui la relation et la substance.

12. Ce qui existe par soi est opposé à ce qui n'existe pas par soi, mais pas à ce qui est relation.

13. La personne par son nom ne se réfère pas à autre chose, à cause de la manière d'être qu'elle signifie.

14. L'unité en Dieu est commune à l'essence et à la relation; car nous disons que l'essence est une, et que le Père est un.

15. C'est par hasard que ce mode différent de procession - par lequel on dit que le Fils procède par mode d'intellection et l'Esprit saint par mode de volonté - ne suffit pas à distinguer personnellement l'Esprit saint du Fils, puisque la volonté et l'intellect ne sont pas distingués chacun en particulier en Dieu. Cependant si on concède que cela suffit à leur distinction, il est clair que l'un et l'autre sont distingués du Père par relation, dans la mesure où l'un d'eux procède du Père comme engendré, l'autre comme spiré; et ces relations constituent leurs personnes.

16. De la même manière que la relation apporte une signification en tant qu'elle apporte une distinction en Dieu, le relatif est signifié comme distinct. Mais en Dieu, la relation et le relatif ne sont pas différents, de même que l'essence et ce qui est, non plus; et c'est pourquoi ce qui apporte la distinction et ce qui la subit n'est pas différent en Dieu.

17. La propriété en Dieu n'est pas accidentelle, mais elle est identique en réalité à ce dont elle est la propriété; mais elle diffère selon la manière de la comprendre. Donc la personne ne signifie pas la relation en tant que propriété, mais selon qu'elle subsiste à la propriété et à l'essence.

18. Bien que l'universel ne puisse pas exister en dehors du singulier, on peut cependant le comprendre, et par conséquent le signifier. C'est pour cela qu'il en découle, s'il n'y a pas de singulier, qu'il n'y a pas d'universel. Il n'en découle pas cependant, si quelque chose de particulier n'est pas compris, ni signifié, que l'universel n'est pas compris ni signifié; car ce nom d'homme ne signifie pas l'un des hommes particuliers, mais seulement l'homme en commun, et semblablement ce nom de personne, même s'il ne signifie pas la paternité ou la filiation, ni la spiration commune ou la procession, signifie cependant la relation en commun par la manière déjà dite comme ce nom relation le fait aussi à sa manière.

 

Article 5: Le nombre des personnes est-il en Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Boèce dit: "Est vraiment un ce en quoi il n'y a aucun nombre". Mais Dieu est absolument un. Donc il n'y a aucun nombre en lui.

2. Mais il faut dire qu'en Dieu il n'y a pas de nombre simple (absolu), mais le nombre des personnes.

- En sens contraire, toujours pour ce qui en découle dans l'absolu, quand la détermination n'apporte pas de limite, car on conclut: "L'homme est blanc, donc c'est un homme", mais on ne conclut pas: "L'homme est mort, donc c'est un homme". Mais ce qui est appelé le nombre des personnes n'est pas une détermination qui limite, puisque la personne est quelque chose de très complet. Donc il en découle, s'il y a en Dieu le nombre des personnes, qu'il y aurait un nombre simple.

3. La pluralité s'oppose à l'unité, Selon le philosophe. Mais les opposés ne sont pas dans une même réalité. Donc comme en Dieu, il y a unité suprême, il ne peut pas y avoir en lui de nombre ou de pluralité.

4. Partout où il y a un nombre, il y a pluralité d'unités. Mais là où il y a plusieurs unités, l'être est multiple: car l'être de cette unité est différent de celui de cette autre. Si donc il y a un nombre en Dieu, il faut qu'il y ait en lui une essence multiple; il est évident que c'est faux.

5. De même que l'un est indivisible, de même la pluralité n'est pas sans division. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir de division, puisqu'il n'y a aucune composition. Donc il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

6. Tout nombre a des parties; car il est composé d'unités, mais en Dieu, il n'y a pas de parties, puisqu'il n'y a pas de composition. Donc il n'y a pas de nombre en lui.

7. Ce par quoi la créature diffère de Dieu ne doit pas être attribué à Dieu. Car elle diffère de lui par le fait qu'elle a été constituée dans un nombre, selon cette parole de la (Sg 11, 21): "Tu as tout constitué en nombre, poids et mesure". Donc on ne doit pas placer de nombre en Dieu.

8. Le nombre est une espèce de quantité. Mais en Dieu il n'y a pas de quantité, parce que, si un élément signifiant la quantité est venu dans l'attribution divine, il est changé en sa substance, comme le dit Boèce. Ou bien donc le nombre n'est en aucune manière en Dieu, ou il convient à sa substance, ce qui est contre la foi.

9. Partout où il y a un nombre, il y a les nombres passions, comme ce qui est parfait et ce qui est limité, la multiplication et la division, et autres choses, qui accompagnent le nombre. Mais cela n'est pas possible en Dieu. Donc, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

10. Tout nombre est fini. Donc ce qui est infini n'est pas mesurable. Donc, comme Dieu est infini, il ne peut pas y avoir de nombre en lui.

11. Mais il faut dire que, même si Dieu est infini pour nous, il est cependant fini pour lui.

- En sens contraire, ce qui appartient à Dieu d'après lui-même, lui appartient vraiment plus que ce qui lui appartient d'après nous. Si donc Dieu est fini pour lui, mais infini pour nous, il est plus vraiment fini qu'infini; il est clair que c'est faux.

12. Selon le philosophe, le nombre est la pluralité mesurée par l'un. Dieu est la mesure non mesurée. Donc en Dieu il n'y a pas de nombre.

13. Dans toute nature qui n'est pas différente de son suppôt, il est impossible de multiplier les suppôts, car, il est possible qu'il y ait plusieurs hommes dans la nature humaine, parce que cet homme n'est pas son humanité; et c'est pourquoi la multiplication des individus dans une seule nature humaine, suppose la diversité des principes individuels, qui ne sont pas du concept de la nature commune. Mais dans les substances immatérielles, en qui la nature de l'espèce est un suppôt subsistant, il n'est pas possible qu'il y ait plusieurs individus d'une seule espèce. Mais en Dieu, la nature et le suppôt sont identiques, parce que l'être divin - qui est la nature divine - est subsistant. Donc il est impossible que dans la nature divine il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

14. La personne est le nom d'une réalité. Donc là où il n'y a pas le nombre des réalités, il n'y a pas le nombre des personnes. Mais en Dieu il n'y a pas le nombre des réalités, car Jean Damascène dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont un en réalité, mais ils diffèrent en raison et en pensée. Donc en Dieu il n'y a pas le nombre des personnes.

15. Il est impossible que dans quelque chose d'unique, il y ait pluralité sans composition. Mais Dieu est un. Si donc en lui il y a plusieurs personnes, ce qui correspond à plusieurs réalités, il en découle qu'il y a en lui composition, ce qui s'oppose à la simplicité divine.

16. L'absolu est plus parfait que le relatif. Mais les propriétés absolues, c'est-à-dire les attributs essentiels, comme la sagesse la justice, etc., ne constituent pas plusieurs personnes en Dieu. Donc, les propriétés relatives, comme la paternité et la filiation non plus.

17. Ce par quoi certaines choses sont distinguées les unes des autres est assimilé à elles, comme leurs différences constitutives. Si donc les personnes en Dieu sont distinguées par des relations, il faut qu'elles soient comme les différences constitutives des personnes et ainsi en elles, il y aura une composition, puisqu'une différence qui s'ajoute à un genre constitue une espèce.

18. Ce qui est distingué par des formes différentes en espèces, diffère nécessairement en espèce; comme l'homme et le cheval diffèrent en espèce, en tant que raisonnable et non raisonnable. Mais la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Donc si les personnes divines sont distinguées par les seules relations, il est nécessaire qu'elles différent en espèce, et ainsi elles ne seront pas d'une seule nature, ce qui est contre la foi.

19. Il n'est pas pensable qu'il y ait des suppôts différents dont l'être soit unique. Mais en Dieu il n'y a qu'un seul être. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

20. Comme la création est l'action propre de Dieu, il faut qu'elle procède d'un suppôt de nature divine. Mais il est impossible que cette action, puisqu'elle est unique, provienne de plusieurs suppôts, parce qu'une action unique ne vient que d'un seul agent. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs suppôts ou plusieurs personnes de nature divine.

21. La diversité des propriétés ne rend pas différents les suppôts dans les choses inférieures; car ce n'est pas parce que celui-ci est blanc et celui-là noir, et ce suppôt de nature humaine différent de celui-là. Mais par la diversité de la matière individuelle qui est la substance des individus, ce suppôt est différent de celui-là. Donc si en Dieu il n'y a de distinction que par les propriétés relatives, il est impossible qu'il y ait pluralité de suppôts ou de personnes.

22. Les créatures les plus hautes sont plus semblables à Dieu que les plus petites. Mais dans ces dernières, il y a plusieurs suppôts dans une seule nature; mais pas dans les plus hautes, comme dans les corps célestes. Donc il n'y a pas plusieurs personnes en Dieu dans une seule nature.

23. Quand toute la perfection de l'espèce se trouve dans un seul suppôt, il n'y en a pas plusieurs de cette nature; ainsi le philosophe prouve, qu'il n'y a qu'un seul monde, parce qu'il est composé de toute sa matière. Mais toute la perfection de la nature divine se trouve en un suppôt. Donc il n'y a pas plusieurs suppôts ou personnes dans une seule nature.

24. Mais il faut dire qu'il est requis pour la plénitude de la joie qu'il y ait une association de plusieurs dans la nature divine, parce que rien, sans association ne peut être une joyeuse possession, comme le dit Boèce. Il faut aussi pour la perfection de l'amour que l'un aime l'autre autant que lui-même.

- En sens contraire, posséder la plénitude de la joie et de l'amour dans un autre appartient à celui qui n'a pas en lui suffisamment de bonté. C'est pourquoi le philosophe dit que les méchants qui n'ont rien de délectable en eux-mêmes cherchent à être avec les autres; mais les bons cherchent à demeurer avec eux-mêmes, comme possédant en eux la cause de leur joie. Mais la nature divine ne peut pas exister sans toute la suffisance de la bonté. Donc comme un suppôt de nature divine a en lui toute la plénitude de la joie et de l'amour, ce n'est pas pour cela qu'il faut placer en Dieu plusieurs suppôts ou plusieurs personnes.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit (1Jn 5, 7): " Ils sont trois à donner leur témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l'Esprit saint ".

2. Athanase dit dans son symbole: "Toutes les trois personnes éternelles sont aussi coégales entre elles ". Donc le nombre des personnes est en Dieu.

 

Réponse:

Il faut dire que la pluralité des personnes en Dieu fait partie des notions qui dépendent de la foi et qui ne peuvent être examinées ni comprises suffisamment par la raison naturelle de l'homme; mais on espère le comprendre dans la patrie, puisque Dieu sera vu par son essence dans une vision qui succèdera à la foi. Mais cependant les saints Pères, à cause de l'acharnement de ceux qui contredisent la foi, ont été forcés de disserter sur ce sujet, et sur d'autres qui regardent la foi, avec modestie cependant et révérence, sans la prétention de comprendre. Et une telle recherche n'est pas inutile, puisqu'elle élève l'esprit à comprendre une part de la vérité qui suffit à exclure les erreurs. C'est pourquoi Hilaire dit: "En croyant cela, à savoir la pluralité des personnes en Dieu, entreprends, parcours, persiste, et si je savais ne pas y parvenir, cependant je me satisferais d'avancer. Car qui recherche ce qu'est l'infini avec piété, même s'il n'y arrive pas quelquefois, cependant fera des progrès en avançant."

Donc pour une réelle découverte sur cette question et surtout selon ce qu'Augustin en révèle, il faut considérer que tout ce qui est parfait dans les créatures doit être attribué à Dieu, selon la nature de cette perfection dans l'absolu; non selon le mode par lequel il est en ceci ou en cela. Car la bonté n'est pas en Dieu, ni la sagesse, comme un accident, comme en nous, quelle que suprême que soit la bonté et parfaite la sagesse.

Mais on ne trouve rien de plus noble et de plus parfait dans les créatures que l'intellection: le signe en est que, parmi les autres créatures, les substances intellectuelles sont plus nobles et, on les dit faites à l'image de Dieu selon l'esprit. Il faut donc que l'intellection et tout ce qui la concerne convienne à Dieu, bien qu'elle lui convienne d'une autre manière qu'aux créatures.

Mais en raison de ce qu'est l'intellection, il faut qu'il y ait celui qui pense et ce qui est pensé. Car ce qui est pensé par soi n'est pas cette chose dont on a la connaissance par l'esprit, puisque quelquefois celle-ci est pensée en puissance seulement et est hors de celui qui pense; ainsi quand l'homme pense les choses matérielles, comme la pierre ou l'animal et autres de ce genre; cependant il faut que ce qui est pensé soit dans celui qui pense, et soit un avec lui. Et aussi ce qui est pensé par soi est la ressemblance de la réalité pensée; par laquelle l'esprit est mis en forme pour penser. Car l'esprit ne peut penser que selon qu'il est en acte par cette ressemblance, puisque rien d'autre ne peut opérer selon qu'il est en puissance, mais selon qu'il devient en acte par la forme. Donc cette ressemblance se comporte dans l'intellection comme son principe, comme la chaleur est le principe de l'échauffement, non comme son terme de l'intellection.

Donc il y a d'abord et compris par soi ce que l'esprit conçoit en lui-même de la réalité pensée, ou bien c'est une définition ou bien un énoncé, selon que sont placées les deux opérations de l'esprit. Ce qui est ainsi conçu par l'esprit est appelé verbe intérieur, car c'est ce qui est signifié par le mot; le mot extérieur ne signifie pas, en effet, ce qui est pensé ou sa forme intelligible ou son intellection, mais le concept de l'esprit par l'intermédiaire duquel il signifie la réalité, comme, lorsque je dis "homme", ou "l'homme est un animal". Et à ce sujet, il n'y a pas de différence si l'esprit se comprend, ou comprend autre chose que lui. Car, de même que, lorsqu'il comprend quelque chose d'autre que lui, il forme le concept de cette réalité que signifie le mot, de même, quand il se comprend lui-même, il en forme un concept, qu'il peut aussi exprimer par un mot.

Donc comme en Dieu il y a l'intellection et qu'en se pensant lui-même, il pense toutes les autres choses, il faut placer en lui une conception de l'intellect, qui conserve dans l'absolu la nature de ce qu'est intellection. Mais si nous pouvions comprendre l'intellection divine, ce qu'elle est et comment elle est, comme nous appréhendons notre intellection, la conception du verbe divin, ni la conception du verbe humain ne seraient pas au-dessus de la raison.

Cependant nous pouvons savoir ce que cela n'est pas et comment cette intellection n'est pas; ainsi nous pouvons connaître la différence du verbe conçu par Dieu et de celui qui est conçu par notre esprit. Car nous savons d'abord qu'en Dieu il n'y a qu'une seule intellection, non pas une intellection multiple comme en nous. Car notre intellection est différente pour concevoir la pierre et la plante; mais en Dieu il y en a une seule, par laquelle il se pense, lui et toutes les autres choses. Et c'est pourquoi notre esprit conçoit de nombreuses paroles, mais le verbe conçu par Dieu est seulement un.

Par contre, la plupart du temps, notre esprit se conçoit imparfaitement, lui-même et les autres choses; mais l'intellection de Dieu ne peut pas être imparfaite. C'est pourquoi le Verbe divin est parfait et représente tout parfaitement; mais notre verbe est fréquemment imparfait.

Par contre; dans notre esprit, intellection et être sont différents et c'est pourquoi comme le verbe conçu dans notre esprit en procède en tant que concept, il ne nous est pas uni en nature, mais il est seulement dans l'intellection. Mais l'intellection de Dieu est son être; c'est pourquoi le verbe qui procède de lui en tant qu'il pense, procède de lui en tant qu'il existe; et c'est pour cela que le verbe conçu a la même essence et la même nature que l'intellect qui le conçoit. Et parce que ce qui reçoit la nature dans le vivant est appelé engendré et fils, le verbe divin est appelé engendré et Fils. Mais le nôtre ne peut pas être dit engendré par notre esprit, ni appelé son fils, sinon par métaphore.

Ainsi donc il reste que, comme le verbe de notre esprit diffère de lui en deux points, à savoir ce qui est de lui, et ce qui est d'une autre nature, si on exclut la différence de nature du verbe divin, comme on l'a montré, il reste qu'il y a une différence seulement selon qu'il vient d'un autre. Donc comme la différence cause le nombre, il reste qu'en Dieu il y a seulement le nombre des relations. Elles ne sont pas des accidents, mais chacune d'elles est réellement l'essence divine. C'est pourquoi chacune est subsistante, comme l'essence divine; et de même que ce qu'est la divinité est identique à Dieu, de même la paternité est identique au père, et par là le Père est identique à Dieu. Donc le nombre des relations est celui des réalités subsistantes dans la nature divine. Mais ce qui est subsistant, ce sont les personnes, comme on le montre dans l'article précédant. Et c'est pour cela que nous plaçons le nombre des personnes en Dieu.

 

Solution des objections:

1. Boèce, par ces paroles, tend à exclure le nombre de l'essence divine, car c'est de cela qu'il s'agit.

2. Bien que les personnes, en tant que subsistantes, ne puissent apporter de limite en raison du nombre, elles le peuvent cependant en tant que relations; car la distinction dans les relations est minimale, comme la relation aussi, elles sont ce qui a le moins d'être parmi tous les genres.

3. L'unité et la pluralité sont attribuées à Dieu, non à l'identique, mais l'unité selon l'essence, la pluralité selon les personnes, ou l'unité selon l'absolu, la pluralité selon les relations.

4. La pluralité des unités étant causée par une distinction, là où elle est selon l'être, il faut que les unités diffèrent selon l'être. Mais là où elle est selon les relations, il faut que les unités, en quoi consiste la pluralité, soient distinguées seulement par les relations entre elles.

5. N'importe quelle distinction suffit pour constituer une pluralité semblable. C'est pourquoi, de même qu'en Dieu, selon l'absolu, il n'y a pas de divisions - celle-ci ne peut pas exister sans composition - mais seulement une distinction des relations, de même il n'y a pas en Dieu de pluralité quant à l'absolu, mais seulement quant aux relations; comme on l'a déjà dit.

6. Les unités sont toujours les parties du nombre, si nous parlons de nombre absolu par lequel nous comptons, mais si nous parlons du nombre qui est dans la réalité, alors il n'y a pas la raison du tout et de la partie dans le nombre, à moins que ce soit comme on trouve le tout et la partie dans les choses dénombrées. Mais différentes relations en Dieu ne sont pas des parties, de même que la paternité et la filiation ne sont pas des parties de Socrate, bien qu'il soit père et fils d'êtres différents. C'est pourquoi les unités des relations ne sont pas associées au nombre des relations comme des parties.

7. La créature diffère de Dieu du fait qu'elle est produite dans le nombre des principes essentiels. Mais tel n'est pas le nombre des personnes.

8. Le nombre qui est une espèce de quantité est causé par la division du continu; c'est pourquoi, de même que la quantité continue est un concept mathématique, - parce qu'elle est séparée de la matière sensible en raison et non selon l'être - de même le nombre aussi qui est l'espèce de la quantité, lui-même sujet de l'arithmétique; son principe est l'unité qui est la première mesure de la quantité. C'est pourquoi il est clair que ce nombre ne peut pas être dans les réalités immatérielles, mais il y a en elles une pluralité, opposée à l'un qui est convertible avec l'étant; elle est causée par la division formelle, qui est par des formes opposées, ou absolues ou relatives; et un tel nombre est en Dieu.

9. Ces passions supposent le nombre, qui est de l'espèce de la quantité, ce qui ne convient pas Dieu, comme on l'a dit.

10. Dieu est infini selon la perfection de la grandeur, de la sagesse, etc. C'est pourquoi au (Ps 146, 5), il est dit: "Sa sagesse n'est pas un nombre." mais la procession en Dieu selon laquelle les personnes divines sont multipliées, n'est pas dans l'infini: car la génération en Dieu n'est pas sans limite, comme Augustin le dit, et c'est pourquoi le nombre des personnes n'est pas infini.

11. On dit que Dieu est fini pour lui, non pas parce qu'il se connaît comme tel, mais parce qu'il est comparé à lui comme le fini est comparé à nous, en tant qu'il se comprend lui-même.

12. On donne cette définition du nombre en tant qu'il est dans le genre de la quantité, à quoi se rattache la notion de mesure.

13. Dans les créatures, les principes qui individualisent ont deux aspects:

a) L'un est qu'ils sont le principe de subsistance (car la nature commune ne subsiste de soi que dans les êtres particuliers).

b) L'autre est qu'ils se distinguent entre eux par des principes qui individualisent les suppôts de nature commune. Mais en Dieu, les propriétés personnelles sont telles seulement que les suppôts de nature divine se distinguent entre eux, mais elles ne sont pas le principe de subsistance de l'essence divine; car celle-ci est subsistante par soi, mais à l'inverse, les propriétés personnelles sont telles qu'elles subsistent par l'essence; car ainsi la paternité est telle qu'elle est une réalité subsistante, parce que l'essence divine, à laquelle elle est identique en réalité est ce qui subsiste; de sorte qu'ainsi il en découle que de même que l'essence divine est Dieu, la paternité est le Père. Et de là vient aussi que l'essence divine n'est pas multipliée en nombre par la pluralité de ses suppôts, comme cela arrive dans les êtres inférieurs. Car une chose est multipliée en nombre, par le fait qu'elle a sa subsistance. Mais bien qu'en soi l'essence divine, soit pour ainsi dire individuée, pour ce qui est subsister par soi, cependant comme cette unité existe selon le nombre, il y a plusieurs suppôts en Dieu distingués entre eux, par les relations subsistantes.

14. Si le Père, le Fils et l'Esprit saint diffèrent non pas en réalité mais seulement en raison, rien n'empêche d'attribuer l'un à l'autre; comme le vêtement et la tunique s'attribuent de l'un à l'autre; et de la même manière, le Père serait le Fils et à l'inverse; ce qui est l'hérésie de Sabellius. C'est pourquoi il faut dire que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois réalités, comme Augustin le dit au livre I de La doctrine chrétienne, si cependant la réalité est reçue comme chose relative, car si elle est prise dans l'absolu, ils sont une seule réalité, comme le même Augustin le dit. Et de cette manière, il faut prendre ce que Jean Damascène dit qu'ils sont un en réalité. Mais ce qu'il dit qu'ils sont distingués en raison, c'est ce qu'on expose communément, c'est-à-dire par la relation. Car même si la relation apporte une distinction réelle par comparaison à la relation opposée, en Dieu, l'essence divine ne diffère qu'en raison; avec cela aussi la relation est d'un mode plus faible parmi tous les genres.

15. La pluralité des réalités en Dieu est une pluralité de relations subsistantes opposées, d'où ne découle pas la composition. Car la relation, comparée à l'essence divine n'en diffère pas en réalité, mais en raison seulement; c'est pourquoi elle ne fait pas composition avec elle; la bonté non plus, ni aucun autre des attributs essentiels; mais par comparaison à la relation opposée, il y a la pluralité des réalités, mais cependant pas composition, parce que les relations opposées, en tant que telles, se distinguent entre elles. Mais la composition ne vient pas de certaines choses distinctes en tant que telles.

16. Les attributs essentiels n'ont aucune opposition entre eux, de même que les relations; et c'est pourquoi, bien qu'ils subsistent comme les relations, ils ne constituent pas une pluralité de suppôts distincts les uns des autres, puisque la pluralité ne découle pas de la distinction; mais la distinction formelle se fait par une opposition.

17. En Dieu, il n'y a pas de différence entre ce qui est signifié par la forme et par le suppôt; comme la divinité et Dieu, la paternité et le Père; et c'est pourquoi il ne faut pas que, bien que les propriétés relatives soient comme des différences qui constituent les personnes, elles apportent une composition avec les personnes constituées.

18. Bien que le Père et le Fils ne soient distingués l'un de l'autre que par la paternité et la filiation, il ne faut cependant pas qu'ils diffèrent comme en espèce; parce que la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Car elles ne se comportent pas vis-à-vis des personnes divines comme donnant une espèce, mais plutôt comme distinguant les suppôts et les constituant. Mais ce qui se comporte vis-à-vis des personnes divines, comme donnant l'espèce, c'est la nature divine, en laquelle le Fils est semblable au Père. Car celui qui engendre engendre du semblable à lui en espèce, mais pas selon les propriétés individuelles. Donc ainsi, bien que Socrate et Platon ne soient distingués l'un de l'autre individuellement que par la blancheur et la noirceur, qui sont des qualités diverses en espèce, ils ne diffèrent cependant pas en espèce, parce que ce qui est l'espèce, pour le blanc et le noir, n'est pas une espèce pour Socrate et Platon; ainsi il n'en découle pas que le Père et le Fils soient différents en espèce à cause d'une différence de paternité et de filiation en espèce; bien qu'en Dieu on ne puisse à proprement parler d'une différence en espèce, puisqu'il n'y a en lui ni espèce, ni genre.

19. Il faut absolument concéder qu'en Dieu il n'y a qu'un seul être, puisque l'être se rapporte toujours à l'essence, et surtout en Dieu, dont l'être est l'essence. Mais les relations qui distinguent les suppôts n'ajoutent pas un autre être à celui de l'essence; parce qu'ils ne font pas composition avec lui, comme on l'a dit. Mais toute forme qui ajoute quelque chose à l'être substantiel, apporte une composition avec la substance et l'être même est accidentel, comme l'être du blanc et du noir. Donc la diversité selon l'être découle de la pluralité des suppôts, comme la diversité de l'essence, dans les créatures. Mais ni l'un ni l'autre n'est en Dieu.

20. L'opération sort de l'agent en raison de la forme et du pouvoir, qui est le principe de l'opération; et c'est pourquoi rien n'empêche qu'une seule création procède des trois personnes qui sont d'une seule nature et d'un seul pouvoir, comme si de trois chaleurs il n'y en avait qu'une seule en nombre, d'où proviendrait un seul réchauffement en nombre.

21. Les formes qui individualisent dans les créatures ne sont pas subsistantes comme en Dieu, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

22. Dans les créatures, la pluralité de l'essence amène à la pluralité des suppôts, ce qui n'arrive pas en Dieu. C'est pourquoi la raison ne vaut pas.

23. Bien que la divinité parfaite soit toute entière en chacune des trois personnes selon son propre mode d'existence, cependant il convient à la perfection de la divinité qu'il y ait plusieurs modes d'existence en Dieu, à savoir qu'il y en a un par lequel il est autre, un qui ne dépend de personne et un qui vient d'un autre. Car il n'y aurait de toute manière de perfection en Dieu, que s'il y avait la procession du verbe et de l'amour.

24. Cet argument est avancé, comme si les personnes divines se distinguaient par l'essence. Car ainsi la plénitude de joie que le Père a dans le Fils dépendrait de quelqu'un d'extérieur et le Père ne l'aurait pas en lui; mais parce que le Fils est dans le Père comme son verbe, il ne pourrait y avoir la pleine joie pour le Père de lui-même, que dans le Fils; ainsi l'homme ne se réjouit lui-même que par la conception qu'il se fait de lui-même.

 

Article 6: Le nom de personne peut-il être convenablement attribué à Dieu au pluriel?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car la personne est une substance, comme le montre la définition de Boèce. Mais la substance n'est pas attribuée au pluriel à Dieu. Donc la personne non plus.

2. Tous les noms absolus sont attribués à Dieu seulement au singulier, comme sage, bon, etc. Mais ce nom personne est un nom absolu. Donc il ne doit pas être attribué au pluriel.

3. Le nom de personne semble pris de "subsister" puisqu'il signifie l'individu dans le genre de la substance et on parle de la personne comme unique par soi. Mais subsister semble appartenir à l'essence qui n'est pas multipliée en Dieu. Donc le nom de personne ne peut pas être attribué au pluriel.

4. Mais il faut dire, que bien que subsister soit pris de l'essence, nous pouvons cependant dire qu'en Dieu il y a trois (êtres) subsistants et de même qu'il y a trois personnes

- En sens contraire, ce qui signifie l'essence en Dieu ne peut être attribué au pluriel à moins que ce soient des adjectifs qui n'entraînent pas un nombre par la forme qu'ils signifient mais par les suppôts, alors que c'est l'inverse dans les substantifs. C'est pourquoi nous disons qu'en Dieu ils sont trois éternels, si "éternel" est pris comme adjectif; mais s'il est pris substantivement, alors est vrai ce qu'Athanase dit dans le symbole qu'il n'y a pas trois éternels, mais un seul. Mais ce nom de personne est un substantif, non un adjectif. Donc il ne doit pas être attribué au pluriel.

5. Bien que les adjectifs essentiels soient attribués à Dieu au pluriel, cependant les formes signifiées ne le sont pas au pluriel, mais au singulier seulement. Car même si, de quelque manière, nous parlons au pluriel de trois éternels en Dieu, cependant nous ne disons en aucune manière trois éternités. Donc, même si d'une certaine manière, on pourrait dire qu'il y a trois personnes en Dieu, en aucune manière, on ne pourrait dire qu'il y a trois personnalités.

6. De même que Dieu signifie celui qui a la divinité, la personne divine signifie ce qui subsiste dans la divinité. Mais de même que nous disons qu'il y en a trois qui subsistent, de même nous disons qu'il y en a trois qui ont la divinité. Donc si pour cette raison, on peut dire qu'il y a trois personnes, de la même manière, on pourra dire qu'il y a trois dieux, ce qui est hérétique.

7. Boèce dit qu'il n'y a pas trois dieux, parce que Dieu n'est pas diffèrent de Dieu dans la divinité. Mais de la même manière la personne divine ne diffère pas de la personne divine par une différence de personnalité, à ce qu'il semble puisque le fait d'être une personne leur est commun. Donc la personne ne peut pas être attribuée à Dieu au pluriel.

 

Cependant:

1. Augustin dit que à ceux qui cherchent qui sont les trois, le Père, le Fils et l'Esprit saint, il faut répondre que ce sont trois personnes. Donc on attribue le nom de personne au pluriel en Dieu.

2. Athanase, à la suite de ce qui est écrit ci-dessus dit qu'"Autre est la personne du Père, celle du Fils celle de l'Esprit saint". Mais la distinction est cause du nombre. Donc le nom de personne ne doit pas être attribué au pluriel en Dieu.

 

Réponse:

Il faut dire que les substantifs, comme on l'a dit ci-dessus, entraînent un nombre par la forme qu'ils signifient, et les adjectifs par les suppôts. La raison en est que les substantifs signifient en tant que substance, et les adjectifs en tant qu'accident; celui-ci est individualisé et multiplié par le sujet, mais la substance l'est par elle-même.

Donc, comme ce nom personne est un substantif, il faut considérer par la forme qu'il signifie s'il est possible de l'attribuer au pluriel. Mais la forme qu'il signifie n'est pas la nature dans l'absolu, parce qu'ainsi ce qui serait signifié par le nom d'homme et celui de personne humaine serait identique; ce qui paraît faux. Mais par le nom de personne est signifié formellement l'incommunicabilité ou l'individualité de ce qui subsiste dans la nature, comme on le voit par ce qui a été dit plus haut.

Donc comme les propriétés qui rendent distincts et incommunicables en Dieu sont plusieurs, il faut que le nom de personne soit attribué à Dieu au pluriel; comme aussi pour les hommes le nom de personne est attribué au pluriel à cause de la pluralité des principes qui les individualisent.

 

Solution des objections:

1. La personne est la substance individuelle, qui est une hypostase; et cela est attribué au pluriel, comme on le voit par l'usage des Grecs.

2. Le nom de personne est absolu par le mode de signifier; cependant il signifie la relation comme on le voit de ce qui a été dit.

3. Le nom de personne ne désigne pas seulement ce qui subsiste, qui semble convenir à l'essence, mais aussi le fait d'être différent et incommunicable, qui est en raison des propriétés relatives en Dieu.

4. La forme signifiée par le nom de personne n'est pas l'essence dans l'absolu, mais ce qui est le principe d'incommunicabilité ou d'individuation; et c'est pourquoi il est attribué au pluriel, bien qu'il soit un substantif; et aussi, parce qu'il y a plusieurs propriétés, qui apportent la distinction en Dieu, on dit qu'il y a plusieurs personnalités.

5. Et ainsi la solution 5 est claire.

6. Ce nom de personne signifie ce qui subsiste dans la nature divine, avec distinction et incommunicabilité; mais ce nom de Dieu signifie celui qui a la nature divine sans rien apporter dans la distinction et l'incommunicabilité; et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.

7. Bien que Dieu ne diffère pas de Dieu par une différence de divinité, - parce qu'il n'y a qu'une seule divinité en nombre - cependant la personne divine diffère de la personne divine par une différence de personnalité, parce qu'en Dieu aussi la propriété qui distingue les personnes convient à cette personnalité.

 

Article 7: Comment les termes numériques sont-ils attribués aux personne divines, est-ce positivement ou négativement seulement?

 

Objections:

1. Et il semble que c'est positivement.

1. Car si on ne place rien en Dieu, alors celui qui parle de trois personnes, ne dit rien de ce qui est en lui. Donc celui qui nie les trois personnes, ne nie rien de ce qui est en lui. Donc il ne parle pas contre la vérité, et ainsi il n'est pas hérétique.

2. Selon Denys, on parle de quelque chose en Dieu de trois manières; à savoir par négation, par éminence, et par la cause. De n'importe quelle de ces manières que les termes numériques sont attribués à Dieu, il faut qu'ils y placent quelque chose. Ce qui est clair, s'ils sont attribués par éminence ou par cause, de la même manière aussi s'ils sont attribués négativement. Car ce n'est pas ainsi que certaines choses sont niées de Dieu, comme le même Denys le dit, comme si elles lui manquaient tout à fait, mais parce qu'elles ne se rencontrent pas en lui de la même manière qu'en nous. Il faut donc que de toutes les manières, les termes numériques placent quelque chose.

3. Tout ce qui est attribué à Dieu et aux créatures, est attribué d'une manière plus noble à Dieu qu'aux créatures. Mais les termes numériques sont attribués positivement aux créatures. Donc beaucoup plus à Dieu.

4. La pluralité et l'unité apportées par les termes numériques, selon ce qui est attribué à Dieu, ne sont pas dans l'esprit seulement: parce qu'ainsi il n'y aurait trois personnes en Dieu que selon l'esprit; ce qui appartient à l'hérésie sabellienne. Donc il faut qu'elles soient quelque chose en Dieu même, en réalité, et ainsi on en parle positivement en Dieu.

5. L'un est dans le genre de la quantité, de même que le bien est dans le genre de la qualité; mais en Dieu, il n'y a ni quantité, ni qualité, ni accident; et cependant le bien n'est pas attribué à Dieu négativement, mais positivement. Donc de la même manière l'un et par conséquent la pluralité que constitue l'unité.

6. On dit qu'il y a quatre êtres premiers à savoir l'étant, l'un, le vrai et le bien. Mais on parle positivement pour Dieu de trois d'entre eux, à savoir l'étant, le vrai et le bien. Donc l'un aussi et par conséquent la pluralité.

7. La pluralité et la grandeur appartiennent à deux espèces de quantité, la quantité discrète et la quantité continue. Mais la grandeur est attribuée positivement à Dieu quand il est dit (Ps 146, 5): "Le Seigneur est grand et grande est sa puissance". Donc la pluralité et l'unité aussi.

8. Les créatures de Dieu manifestent la ressemblance selon qu'apparaît en elles un vestige de la divinité. Mais selon Augustin, n'importe quelle créature porte en elle un vestige de la divine Trinité, en tant qu'elle est une et est mise en forme par l'espèce et a un ordre. Donc la créature est une à la ressemblance à Dieu. Mais l'unité est attribuée positivement à la créature. Donc à Dieu aussi.

9. Si on attribue négativement l'unité à Dieu, il faut qu'elle exclut quelque chose et pas seulement la pluralité. Mais elle ne l'exclut pas; car il n'en découle pas, s'il y a une personne qu'il y en ait pas plusieurs. Donc on ne parle pas de l'unité négativement en Dieu et par conséquent de la pluralité non plus.

10. La privation ne constitue rien. Mais l'unité a constitué la pluralité. Donc on n'en parle pas négativement.

11. Il n'y aucune privation en Dieu, parce que toute privation concerne une défaillance. Mais l'unité est attribuée à Dieu. Donc elle ne signifie pas une privation.

12. Augustin dit que tout ce qui est attribué à Dieu l'est selon la substance ou selon la relation. Et Boèce dit aussi que tout ce qui vient dans l'attribution divine est changé en substance hormis la relation. Donc si les termes numériques sont attribués à Dieu, il faut qu'ils signifient la substance ou la relation; et ainsi il faut qu'ils soient attribués positivement à Dieu.

13. L'unité et l'étant sont convertibles et semblent synonymes. Mais l'étant est attribué positivement à Dieu. Donc l'unité aussi et par conséquent la pluralité.

14. Si l'unité est attribuée à Dieu négativement, il faut exclure la pluralité, comme s'opposant à elle. Mais cela n'est pas possible, puisque la pluralité est constituée d'unités; mais l'un des opposés n'est pas constitué par un autre. Donc l'unité n'est pas attribuée à Dieu négativement.

15. Si l'unité est définie par l'exclusion de la pluralité, il faut que l'unité soit opposée à la pluralité, comme la privation à la possession. Mais la possession est naturellement avant la privation et aussi en raison, parce qu'elle ne peut être définie que par une possession. Donc la pluralité sera avant l'unité en nature et en raison, ce qui ne paraît pas convenir.

16. Si l'un et le multiple sont attribués négativement à Dieu, il faut que l'unité exclut la pluralité et que celle-ci exclut l'unité. Mais cela ne convient pas, parce qu'il en découlerait un cercle entre l'unité et le multiple, de sorte qu'on dirait que l'un est ce qui n'est pas multiple et le multiple est ce qui n'est pas un; et ainsi on ne connaîtrait rien. Donc il ne faut pas dire qu'on parle négativement de l'un et du multiple en Dieu.

17. Comme l'un et le multiple ne se comportent pas comme la mesure et le mesuré, ils semblent opposés relativement entre eux. Mais dans ce qui est opposé relativement, on parle de l'un et de l'autre positivement. Donc on attribue positivement à Dieu autant l'un que le multiple.

 

Cependant:

1. Denys dit: "L'unité est louée et la Trinité qui est la divinité au-dessus de tout, n'est ni unité, ni Trinité, pour qu'elle soit connue par nous ou par quelqu'un d'autre parmi ceux qui existent". Il semble donc qu'on parle négativement des termes numéraux en Dieu.

2. Augustin dit: "La pauvreté humaine a cherché ce que trois voulait dire et elle a dit: les substances ou les personnes. Par ces noms elle n'a pas voulu comprendre la diversité, mais elle n'a pas voulu comprendre l'unité." Donc il y a des termes numéraux de ce genre qui sont introduits en Dieu, plus pour exclure que pour poser.

3. L'un et la pluralité ou le nombre sont dans le genre de la quantité. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir de quantité, puisqu'elle est un accident et une disposition de la matière. Donc les termes numéraux ne placent rien en Dieu.

4. Mais il faut dire que, bien que la quantité en raison de son genre, ou en raison de l'accident, ne puisse pas exister en Dieu, cependant en raison de l'espèce, on peut attribuer certaine quantité à Dieu, de même qu'une certaine qualité, comme la science et la justice.

- En sens contraire, on admet dans l'attribution divine ces seules espèces de qualité qui n'apportent aucune imperfection en raison de leur espèce, comme la science, la justice et l'équité; mais pas l'ignorance ni la blancheur. Mais toute quantité en raison de son espèce apporte une imperfection; comme, en effet, et aussi grand que soit indivisible, les espèces de quantité sont distinguées selon divers modes de division, comme la pluralité est ce qui est divisible dans ce qui n'est pas continu, la ligne ce qui est divisible selon une dimension, la superficie selon deux, le corps selon trois, mais la division s'oppose à la perfection de la simplicité divine. Donc aucune quantité en raison de son espèce ne peut être attribuée à Dieu.

5. Mais il faut dire que la distinction par les relations qui apportent le nombre des personnes en Dieu, ne lui apporte pas d'imperfection.

- En sens contraire, toute division ou distinction cause une pluralité, mais toute pluralité n'est pas un nombre qui est une espèce de quantité, puisque la pluralité et l'unité enferment tous les genres. Donc toute division ou distinction ne suffit pas à constituer un nombre, qui est une espèce de quantité, mais cette seule division qui est selon la quantité; telle n'est pas la distinction des relations.

6. Mais il faut dire que toute pluralité est une espèce de quantité, et toute division suffit à constituer une espèce de quantité.

- En sens contraire, placer la quantité ne revient pas à placer la substance, puisque celle-ci peut exister sans accident. Mais si on place les seules formes substantielles, il en découle une distinction dans les substances. Donc ce n'est pas n'importe quelle distinction qui constitue la pluralité qui est accident et espèce de quantité.

7. Ce qui constitue le nombre discret qui est espèce de quantité, s'oppose à ce qui constitue le nombre continu. Mais "cette discrétion" est opposée au continu qui consiste dans la division du contenu. Donc la seule division du contenu, qui ne convient pas à Dieu, cause le nombre qui est l'espèce de quantité, et ainsi on ne peut pas attribuer à Dieu un nombre qui est une espèce de quantité.

8. On dit que n'importe quelle substance est une. Ou bien donc elle est une par son essence, ou bien par quelque chose d'autre. Si c'est par quelque chose d'autre, puisque aussi cela doit être un, il est nécessaire que cela soit un par soi, ou par quelque chose d'autre et celui-ci à nouveau par quelque chose d'autre. Mais il est impossible que cela procède à l'infini. Donc on s'arrête quelque part. Donc il est meilleur de s'arrêter au premier stade, pour que la substance soit une par elle-même. Donc l'un n'est pas quelque chose d'ajouté à la substance, et ainsi il ne semble pas avoir une signification positive.

9. Mais il faut dire que la substance n'est pas une par elle-même, mais par une unité qui lui est accidentelle; mais l'unité est une par soi; car les transcendantaux se nomment eux-mêmes, ainsi la bonté est bonne, la vérité vraie et de la même manière l'unité une.

- En sens contraire, ceux de ce genre se nomment eux-mêmes parce qu'ils sont des formes premières; car les formes secondes ne se nomment pas elles-mêmes, ainsi la blancheur n'est pas blanche. Ce qui se comporte par addition à autre chose n'est pas premier (transcendantal). Donc l'unité et la bonté ne se comportent pas par addition à la substance.

10. Selon le philosophe, on appelle un tout ce qui n'est pas divisé. Mais ce qui n'est pas divisé ne place rien, mais exclut seulement. Donc l'un n'est pas attribué positivement à Dieu, mais négativement; et par conséquent la pluralité qui est constituée par des unités aussi.

 

Réponse:

Pour l'un et le multiple, on trouve différentes questions qui ont été l'occasion pour les philosophes d'opinions différentes. Car on trouve l'un, qui est le principe du nombre, et qui est convertible avec l'étant; de même on trouve le multiple qui se rapporte à une certaine espèce de quantité qui est appelée le nombre, et à nouveau ce qui comprend tout genre, comme l'un à qui semble opposée la pluralité.

A. Donc il y en eut certains parmi les philosophes qui n'ont pas distingué entre l'un qui est convertible avec l'étant, et l'un qui est le principe du nombre, pensant que d'aucune des deux manières ce qui est appelé un ajouterait quelque chose à la substance, mais l'un qui est employé de n'importe quelle manière signifierait la substance. Et il en découlait que le nombre qui serait composé d'unités, serait la substance de toutes les choses selon l'opinion de Pythagore et de Platon.

B. Mais certains ne distinguant pas entre l'un qui est convertible avec l'étant, et l'un principe du nombre, ont cru au contraire que de l'une et l'autre manière, ce qui est appelé un ajouterait un être accidentel à la substance et par conséquence il faut que toute pluralité soit un accident qui concerne le genre de la quantité. Et ce fut la position d'Avicenne qu'assurément toutes les docteurs anciens semblent avoir suivi. Car ils n'ont compris par un et beaucoup que quelque chose qui appartenait au genre de la quantité discrète.

C. Mais certains, qui ont été attentifs à ce qu'en Dieu il ne peut y avoir aucune quantité, ont pensé que les termes qui signifiaient l'un ou beaucoup ne placent rien en Dieu, mais excluent seulement. Car ils ne peuvent placer que ce qu'ils signifient, à savoir la quantité discrète, qui ne peut en aucune manière être en Dieu. Donc ainsi selon eux, on parle de l'un en Dieu pour exclure la multiplicité de la quantité discrète; mais les termes que signifient la pluralité en Dieu, pour exclure l'unité, qui est le principe de la quantité discrète.

Et cela semble avoir été l'opinion du Maître qu'on trouve exposé dans la I, Sent. Si on suppose l'origine de son opinion, à savoir que toute pluralité signifierait une quantité discrète, et toute unité serait le principe d'une même quantité, cette opinion est trouvée plus rationnelle parmi toutes. Car Denys aussi dit que les négations sont tout à fait vraies en Dieu, mais les affirmations sont inadéquates. Car nous ne savons pas de Dieu ce qu'il est, mais plutôt ce qu'il n'est pas, comme Jean Damascène le dit.

C'est pourquoi Rabbi Maimonide dit que tout ce qui paraît être dit affirmativement de Dieu est plus introduit pour exclure que pour poser quelque chose. Car nous disons que Dieu est vivant pour éloigner de lui ce mode d'être qu'ont les choses qui chez nous ne vivent pas, mais pas pour placer la vie en eux, puisque la vie et tous les noms de ce genre sont imposés pour signifier des formes et les perfections des créatures, qui sont très loin de Dieu; quoique cela ne soit pas toujours vrai, car, comme le dit Denys, la sagesse et la vie, etc., ne sont pas exclues de Dieu, comme si elles lui manquaient, mais parce qu'il les possède plus excellemment que ce que l'esprit humain peut en saisir ou la parole signifier; et de cette perfection divine descendent les perfections crées selon une ressemblance imparfaite. Et c'est pourquoi au sujet de Dieu, selon Denys non seulement on parle par mode de négation et de cause, mais aussi par mode d'éminence.

Mais quoi qu'il en soit des perfections spirituelles, il est certain que les dispositions matérielles sont tout à fait exclues de Dieu. C'est pourquoi, puisque la quantité est une disposition de la matière, si les termes numéraux ne signifient que ce qui est dans le genre de la quantité, il est nécessaire qu'on n'en parle au sujet de Dieu que pour exclure ce qu'ils signifient, comme le Maître l'a pensé. Et il ne découle pas que cette disposition est circulaire - en tant que l'unité exclut la pluralité, et la pluralité l'unité - parce que l'unité et la pluralité, qui sont dans le genre de la quantité sont exclues de Dieu. On ne parle d'aucun des deux à propos de lui. Et ainsi l'unité dont on parle en lui, qui exclut la pluralité, n'est pas exclue, mais c'est l'autre unité dont on ne peut parler en Dieu.

D. Certains, ne comprenant pas que des noms affirmatifs puissent être introduits dans l'attribution divine pour exclure, et en plus n'y plaçant l'un et le multiple - qui est dans le genre de la quantité discrète qu'ils n'osaient pas placer en Dieu - certains, donc, ont dit que les termes numéraux ne sont pas attribués à Dieu comme des expressions qui signifient une espèce de concept, mais comme des expressions officielles qui ont quelque pouvoir en Dieu, à savoir une distinction pour un mode de distinction catégorique. Ce qui paraît insensé, puisque rien de tel ne peut être possédé par la signification de ces termes.

E. Et c'est pourquoi d'autres, ont dit que les termes en question placent positivement quelque chose en Dieu, bien qu'ils supposent que l'un et le multiple sont seulement dans le genre de la quantité: car ils disent qu'il n'y a pas d'inconvénient à attribuer une espèce de quantité à Dieu, bien que le genre soit exclu de lui; comme on parle positivement de certaines espèces de qualités comme la sagesse, et la justice, bien qu'il ne puisse y avoir en lui de qualité.

Mais cela n'est pas pareil que ce qu'on en dit dans l'objection, car toutes les espèces de quantité ont une imperfection en raison de leur espèce, mais pas toutes les espèces de qualité. Et ensuite la quantité est en propre une disposition de la matière; c'est pourquoi toutes les espèces de quantité sont mathématiques qui, selon l'être, ne peuvent pas être séparés de la matière sensible que le temps et le lieu, qui sont naturels, et plus attachés à la matière sensible. C'est pourquoi il est clair qu'aucune espèce de quantité ne peut convenir aux êtres spirituels, sinon par métaphore. Mais la qualité suit la forme, c'est pourquoi il y a certaines qualités tout à fait immatérielles, qui peuvent être attribuées aux choses spirituelles.

F. Donc ces opinions ont progressé, en supposant que soient identiques l'un qui est convertible avec l'étant et celui qui est le principe du nombre, et qu'il n'y ait pas d'autre pluralité que le nombre qui est une espèce de la quantité. Ce qui paraît faux. Comme la division, en effet, cause la pluralité, et l'indivision l'unité, il faut juger de l'un et du multiple en raison de la division.

Il y a une division qui transcende tout à fait le genre de la quantité, celle qui vient par une opposition formelle qui ne concerne aucune quantité. C'est pourquoi il faut que la pluralité qui découle de cette division, et l'un qui en prive, soient plus communs et d'une plus grande amplitude que le genre de la quantité.

Mais il y a aussi une autre division, relative à la quantité, qui n'en dépasse pas le genre. C'est pourquoi la pluralité qui suit cette division et l'unité qui en prive, sont dans le genre de la quantité. L'un ajoute quelque chose d'accidentel à ce dont on parle, ayant raison de mesure, autrement le nombre constitué par l'unité ne serait pas un accident, ni l'espèce d'un genre. Mais l'un qui est convertible avec l'étant, n'y ajoute que la négation de la division, non qu'il signifie seulement l'indivision, mais il signifie sa substance avec elle, car il y a une unité identique à l'étant indivis. Et de la même manière la pluralité qui correspond à l'un n'ajoute rien à la multiplicité des choses, sinon la distinction qui consiste en ce que l'une d'elle n'est pas l'autre; ce qui ne vient pas de quelque chose ajouté, mais de leurs propres formes.

Il est évident que l'un qui est convertible avec l'étant pose l'étant lui-même, mais il n'ajoute que la négation de la division. Mais la pluralité qui lui correspond ajoute à ce qui est dit multiple, que chacune d'elle est une et que l'une d'elle n'est pas l'autre, en quoi consiste la raison de la distinction. Et ainsi, comme l'unité ajoute une négation à l'étant - selon que quelque chose est indivise en soi la pluralité ajoute deux négations, dans la mesure où une chose est indivise en soi, et dans la mesure où elle est divisée par un autre. Etre divisé est l'unité de ceux qui ne sont pas autres.

G. Je dis donc qu'en Dieu ne sont attribués ni l'un et ni le multiple qui se rapportent au genre de la quantité, mais l'un qui est convertible avec l'étant et la pluralité qui lui correspond. C'est pourquoi l'un et le multiple placent en Dieu ce dont on parle; mais ils ne surajoutent que la distinction et la non distinction, ce qui est ajouter des négations, comme on l'a exposé plus haut. C'est pourquoi, nous concédons que pour ce qu'ils ajoutent à ce à quoi ils sont attribués, il sont reçus en Dieu négativement; en tant qu'ils incluent dans leur signification ce dont nous parlons, ils sont reçus positivement, c'est pourquoi il faut répondre aux deux raisons.

 

Solution des objections:

1. 1. Qui dit trois personnes dit une réalité en Dieu, à savoir la distinction des personnes; qui la nie est hérétique, mais cette distinction n'ajoute rien aux personnes distinctes.

2. Bien qu'en excluant certaines choses de Dieu, il faille comprendre leur attribution par éminence, et par cause, cependant, certaines sont seulement niées et ne lui sont attribuées en aucune manière, comme quand on dit: Dieu n'est pas un corps. Et de cette manière on pourrait dire selon l'opinion du Maître, que la quantité numérale est tout à fait niée pour Dieu; et de la même manière selon ce que nous y plaçons, cela nie tout à fait la division de l'essence, quand on dit: l'essence divine est une.

3. Dans les créatures, les termes numéraux ne placent rien de surajouté à ce dont on parle, sinon dans la mesure où ils signifient ce qui est dans le genre de la quantité discrète; sous ce mode, elles ne sont pas attribuées à Dieu; et cela convient à sa perfection.

4. L'unité et la pluralité qui sont signifiées par les termes numéraux employés pour Dieu, ne sont pas seulement dans notre esprit, mais ils sont en Dieu en réalité; ce n'est pas cependant à cause de cela que quelque chose est signifié positivement au-delà du concept de ceux à qui ils sont attribués.

5. Le bien qui est dans le genre de la qualité, n'est pas le bien qui est convertible avec l'étant, parce qu'il n'ajoute rien à l'étant; mais le bien qui est dans le genre de la qualité ajoute une qualité par laquelle on dit que l'homme est bon; et c'est pareil pour l'unité, comme on le voit d'après ce qui a été dit. Mais il y a une différence: le bien reçu de l'une et l'autre manière peut venir dans l'attribution divine, mais pas l'unité; car la quantité et la qualité n'ont pas une nature identique, comme on le voit de ce qui a été dit.

6. Parmi les quatre transcendantaux, celui qui est absolument le premier est l'étant et c'est pourquoi il faut qu'il soit attribué positivement; car la négation ou la privation ne peuvent être ce qui est conçu en premier par l'esprit, puisque toujours ce qui est nié ou privé est du concept de négation ou de privation. Mais il faut que les trois autres ajoutent à l'étant quelque chose qui ne le limite pas; car s'ils le limitaient, ils ne seraient plus des transcendantaux. Mais cela n'est pas possible à moins qu'ils ajoutent quelque chose en raison seulement. Mais c'est ou bien la négation qui ajoute l'unité ou bien une relation ou ce qui est destiné à être référé à l'étant selon l'universel: et c'est ou bien le concept, à qui le vrai apporte une relation ou bien l'appétit, à laquelle le bien apporte la relation; car le bien est ce que tous recherchent, comme on le dit dans l'Éthique.

7. Selon le philosophe, on parle de beaucoup en plusieurs sens:

a) D'une première manière, selon l'absolu et ainsi on l'emploie par opposition à l'unité:

b) D'une autre manière, on en parle comparativement dans la mesure où il apporte un surplus par rapport à un nombre plus petit, et ainsi beaucoup est opposé à peu.

De la même manière on parle de grand de deux manières:

a) D'une première manière selon l'absolu, dans la mesure où le terme apporte une quantité continue qui est appelée grandeur.

b) D'une autre manière, comparativement, dans la mesure où il apporte un surplus par rapport à une quantité plus petite.

Donc de la première manière, grand n'est pas attribué à Dieu, mais de la seconde, il est attribué pour apporter son éminence au-dessus de tout créature.

8. L'unité qui appartient au vestige de Dieu dans les créatures est l'un qui est convertible avec l'étant, qui place quelque chose en tant qu'il place l'étant à qui il ajoute seulement une négation, comme on l'a dit.

9. L'un des opposés n'exclut l'autre que par ce qui lui est attribué. Car il n'en découle pas, si Socrate est blanc, que rien ne soit noir; mais que lui-même n'est pas noir. Ainsi donc il en découle que si la personne du Père est une, les personnes du Père ne sont pas plusieurs, mais il n'en découle pas qu'il n'y ait pas plusieurs personnes en Dieu.

10. L'un n'a pas constitué la pluralité du côté de la privation mais de ce côté où il place l'étant.

11. Comme il est dit en Métaphysique, on parle de la privation de trois manières:

a) Au sens propre, quand est exclu de quelque chose ce qu'il est destiné à avoir et, en quel temps, il est destiné à l'avoir, comme ne pas avoir la vue est la privation de la vue dans l'homme.

b) D'une autre manière, communément, quand est exclu d'une chose ce qu'elle n'est pas destinée à avoir, mais que son genre est destiné à ne pas avoir; ainsi, si ne pas avoir la vision était appelé privation de la vue pour la taupe.

c) De manière très commune, quand est exclu d'une chose ce qu'elle est destiné à avoir par n'importe quel autre, cependant pas par elle-même, ni par un autre de son genre; comme si on disait que ne pas avoir la vue, c'est la privation de la vue dans la plante. Et cette privation est intermédiaire entre la vraie privation et la négation simple, ayant quelque chose de commun avec l'une et l'autre; avec une vraie privation, du fait que c'est une négation dans un sujet; c'est pourquoi il n'appartient pas simplement au non-être; avec une négation simple du fait qu'il ne requiert pas d'aptitude dans le sujet. Par ce moyen l'un est dit négativement et peut être attribué à Dieu d'une manière semblable, comme les autres qui sont attribués à Dieu d'une manière semblable, comme invisible, immense, etc.

12. Les termes numéraux n'ajoutent rien en Dieu, au-dessus de ce à quoi ils sont attribués; et c'est pourquoi quand ils sont attribués à ce qui est l'essence, ils la signifient, mais s'ils sont attribués à ce qui est personnel, ils signifient la relation.

13. L'un et l'être sont convertibles selon les suppôts; mais cependant l'un ajoute en raison la privation de division, et c'est pour cela qu'ils ne sont pas synonymes, parce que les synonymes signifient une chose identique sous le même rapport.

14. L'unité peut être considérée de deux manières:

a) Quant à ce qu'elle pose; et ainsi elle a constitué une pluralité.

b) D'une autre manière, quant à la négation qu'elle ajoute et ainsi l'un est opposé négativement à la pluralité.

15. Selon le philosophe, la pluralité est avant l'unité, selon le sens, comme le tout avant les parties et le composé avant le simple. Mais l'un est naturellement et en raison avant la pluralité. Mais cela ne paraît pas suffire, pour que l'un soit opposé négativement à la multitude, car la privation est après en raison, puisque dans le concept de privation il y a son opposé, par lequel il est défini; à moins que par hasard cela se rapporte seulement à la nature du nom, dans la mesure où il signifie négativement l'unité, mais positivement le nom de pluralité. Car les noms s'imposent à nous selon que nous connaissons la réalité. C'est pourquoi, pour qu'une chose soit signifiée par un nom comme privation, il suffit de quelque manière qu'il soit postérieur dans notre connaissance; quoique cela ne suffise pas pour que la chose soit négative, à moins qu'elle soit postérieure en raison.

Et c'est pourquoi on peut dire mieux: la division est la cause de la pluralité, et elle est avant elle en esprit; mais on parle d'unité négativement par rapport à la division, puisqu'elle est l'étant non divisé, sans rapport avec la pluralité. C'est pourquoi la division est en raison avant l'unité; mais la pluralité après. Ce qui paraît ainsi:

a) En premier ce qui arrive dans l'esprit c'est l'étant;

b) en second, la négation de l'étant;

c) mais de ces deux découle en troisième le concept de division (car du fait que quelque chose est compris comme étant, et que cet étant est compris comme n'étant pas, il découle en esprit, qu'il est divisé par lui);

d) quatrièmement: la nature de l'un découle dans l'esprit, dans la mesure où cet étant est compris comme non divisé en soi,

e) cinquièmement, il en découle le concept de pluralité dans la mesure où cet étant est compris comme séparé d'un autre et l'un et l'autre d'entre eux sont uniques en soi. Car chaque fois que quelque chose est compris comme séparé d'un autre, la pluralité n'est pas comprise à moins que l'une des choses divisées soit comprise comme un être.

Et ainsi il est clair qu'il n'y aura pas de cercle dans la définition de l'un et de la pluralité.

16. Ainsi s'éclaire la réponse à la 16me objection.

17. L'un qui est le principe du nombre est comparé à la pluralité, comme la mesure au mesuré; cette unité ajoute positivement quelque chose à la substance, comme on l'a dit.

Pour ce qui est objecté en sens contraire, selon ce qui a été dit, il est facile de répondre à ceux qui considèrent en quoi ils limitent la vérité. Cependant il faut considérer que ce qui était abordé dans ces objections les transcendantaux de ce genre, à savoir l'essence, l'unité, la vérité et la bonté, se désignent eux-mêmes par cette raison que l'un, le vrai et le bien supposent l'étant. Mais comme l'étant est le premier qui est conçu par l'esprit, il faut que quelque chose arrive dans l'esprit et soit compris comme étant, et par conséquent comme un, vrai et bon. C'est pourquoi, comme l'esprit saisit l'essence, l'unité, la vérité et la bonté dans l'abstrait, il faut que soit attribué à chacun d'eux l'étant et les trois autres concrets. Et de là vient qu'ils se nomment eux-mêmes, mais pas les autres qui ne convertissent pas avec l'étant.

 

Article 8: Y a-t-il de la diversité en Dieu?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Parce que, Selon le philosophe l'un dans la substance fait l'identique, mais la pluralité apporte en elle la diversité. Mais en Dieu, il y a pluralité selon la substance, car Hilaire dit que le Père, le Fils et l'Esprit saint sont trois par la substance, mais un par accord. Donc en Dieu il y a de la diversité.

2. Selon le philosophe on parle de divers absolument, de différent relativement; c'est pourquoi tout ce qui est différent est divers, mais tout ce qui est divers n'est pas différent. Mais en Dieu on concède qu'il y a des différences; car Jean Damascène dit: "Nous reconnaissons la différence des personnes en trois propriétés, c'est-à-dire la paternité, la filiation et la procession." Donc il y a de la diversité en Dieu.

3. La différence accidentelle rend différent seulement, mais la différence substantielle fait que quelque chose est autre, c'est-à-dire divers. Donc comme en Dieu il y a une différence et qu'il ne peut pas y avoir là de différence accidentelle, - par conséquent il faut que ce soit une différence substantielle - il faut qu'il y ait diversité.

4. La pluralité est causée par la division, comme on l'a déjà dit. Mais là où il y a division découle la diversité. Donc en Dieu, comme il y a pluralité, il y a diversité.

5. Le même et le divers divisent suffisamment l'étant. Mais le Père n'est pas le même que le Fils, car il n'a pas été concédé que le Père en engendrant le Fils s'engendrerait Dieu. Donc le Fils est différent du Père.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit Hilaire: "Rien de nouveau en Dieu, rien de divers, rien d'étranger, rien de séparable."

2. Ambroise dit: "Le Père et le Fils sont un par la divinité, et il n'y a pas de différence de substance, ni aucune diversité."

 

Réponse:

Il faut dire, comme Jérôme, que l'hérésie provient des paroles proférées sans mesure. Et c'est pourquoi il faut parler de Dieu, pour qu'il n'y ait aucune occasion donnée à l'erreur. Mais il y a surtout deux erreurs à propos de Dieu, qui doivent être évitées par ceux qui parlent d'unité et de Trinité: à savoir l'erreur d'Arius qui a nié l'unité de l'essence, en établissant que celle du Père était différente de celle du Fils. L'autre erreur est celle de Sabellius, qui a nié la pluralité des personnes, en disant que le Père était le même que le Fils.

Donc pour éviter l'erreur d'Arius, il faut faire attention dans la confession de la foi à quatre sujets:

a) La diversité par laquelle on enlève l'unité de l'essence que nous confessons en disant qu'il y a un seul Dieu.

b) La division qui s'oppose à la simplicité divine.

c) La disparité qui s'oppose à l'égalité des personnes divines.

d) Ne pas confesser que le Fils est étranger au Père, ce qui supprime la ressemblance.

De la même manière contre l'erreur de Sabellius, il faut faire attention à quatre sujets:

a) La singularité par laquelle est supprimée la communicabilité de la nature divine.

b) Le nom d'unique par lequel est supprimée la réelle distinction des personnes.

c) La confusion, par laquelle est supprimé l'ordre qui est dans les personnes divines.

d) La solitude par laquelle est supprimée la communion des personnes divines.

Mais nous confessons contre la diversité l'unité de l'essence; contre la division, la simplicité, contre la disparité, l'égalité, contre la rupture la ressemblance, contre la singularité des personnes la pluralité, contre l'unicité, la quantité discrète, contre la confusion, la distinction, contre la solitude, l'accord et l'union de l'amour.

 

Solution des objections:

1. 1. Donc il faut dire que la substance y est reçue pour l'hypostase, non pour l'essence, dont la pluralité ferait la diversité.

2. Bien que certains docteurs de l'Église emploient le nom de différence à propos de Dieu, il ne faut cependant pas s'en servir communément, ni élargir son emploi, parce que la différence apporte une distinction selon la forme qui ne peut pas exister en Dieu, puisque la forme de Dieu est sa nature divine, comme Augustin le dit. Mais il faut exposer la différence pour poser comme distinction ce qui apporte un minimum de distinction, puisqu'on dit aussi que certaines choses sont distinguées selon les relations par la seule raison. Mais il faut montrer aussi, si on trouve la diversité en Dieu, que, si on disait que la personne du Père est `diverse'de celle du fils, il faut prendre diverse pour distinct. Cependant il faut plus faire attention au nom de diversité en Dieu qu'à celui de différence; parce que la diversité convient plus à la division essentielle, car n'importe quelle pluralité des formes fait la différence; mais la diversité se fait seulement par les formes substantielles.

3. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas d'accident, il y a cependant une relation, dont l'opposition produit la distinction en lui mais pas la diversité.

4. Bien qu'en Dieu il n'y ait pas à proprement parler de division, il y a cependant une distinction par les relations qui suffit pour le nombre des personnes.

5. Le Fils est un même Dieu que le Père; on ne peut cependant pas dire que le Père s'est engendré comme Dieu, en engendrant le Fils, parce que, comme le pronom se est réciproque, il remplace le même suppôt; mais le Père et le Fils sont deux suppôts en Dieu.

 

Article 9: En Dieu, y a-t-il trois personnes, ou plus, ou moins?

 

Objections:

1. Il semble qu'il y en a plus. Augustin dit: "Le Fils n'a pas engendré le créateur, car ce n'est pas qu'il ne l'a pas pu, mais il ne l'a pas fallu". Mais en Dieu être et pouvoir ne diffèrent pas, parce qu'ils ne diffèrent pas dans les êtres éternels non plus. Donc le Fils a engendré un autre Fils et ainsi il y a deux fils en Dieu et par conséquent il y a plus de trois personnes.

2. Mais on pourrait dire que ce qu'il dit: "Car c'est qu'il ne l'a pas pu" doit être exposé ainsi: cela ne vient pas de l'impuissance

- En sens contraire, à chaque suppôt d'une certaine nature convient l'acte de sa nature, à moins que ce soit à cause de son impuissance. Mais la génération est un acte qui se rapporte à la perfection de la nature divine, autrement elle ne conviendrait pas au Père en qui il n'y a que perfection. Si donc le Fils n'a pas engendré un autre fils, cela viendra de son impuissance.

3. Si le Fils ne peut engendrer, il peut cependant être engendré; donc il a la puissance d'être engendré et pas celle d'engendrer. Mais engendrer et être engendré sont deux puissances différentes. Donc puisqu'elles sont distinguées par leurs objets, il n'y aura pas la même puissance pour le Père et le Fils, ce qui est hérétique.

4. L'action et la passion, en ce qui agit ou subit, sont ramenées à des principes divers; car une chose agit en raison de la forme dans les créatures, et subit en raison de la matière. Mais engendrer et être engendré sont signifiés par l'action et la passion. Donc il faut qu'ils soient référés à des principes différents et ainsi il ne peut pas n'y avoir qu'une seule puissance par laquelle le Père engendre et le Fils est engendré.

5. Mais on pourrait dire que c'est la même puissance, dans la mesure où l'une et l'autre prennent leur source dans l'essence divine, qui est unique pour le Père et le Fils.

- En sens contraire, la puissance de chauffer et celle de sécher prennent leur source dans un seul sujet, c'est-à-dire le feu; et cependant ce n'est pas une seule et même puissance; car la chaleur qui est le principe de l'échauffement est une qualité autre que l'assèchement qui est le principe du séchage. Donc l'unité de l'essence divine ne suffit pas pour que la puissance par laquelle le Père engendre et celle par laquelle le Fils est engendré soient identiques.

6. Tout être sage et intelligent tire une conception de sa sagesse. Mais le Fils est sage et intelligent, comme le Père. Donc il a une conception. Mais celle du Père est le Verbe, parce qu'il est le Fils. Donc le Fils aussi a un autre fils.

7. Mais on pourrait dire qu'on parle du verbe en Dieu, non seulement personnellement mais aussi selon l'essence; et ainsi le verbe, si on en parle selon l'essence peut être la conception du Fils.

- En sens contraire, le verbe annonce l'espèce conçue ordonnée à une manifestation et ainsi il apporte l'origine. Mais on parle de ce qui apporte l'origine en Dieu selon la personne et non selon l'essence. Donc on ne peut pas parler du verbe selon l'essence.

8. Anselme dit in Monologion, que, le Père se dit, de même le Fils et l'Esprit saint aussi. C'est la même chose pour le Père de se dire et d'engendrer le Fils, comme Anselme lui même le dit. Donc le Fils engendre un autre Fils et ainsi de même que ci-dessus..

9. On prouve que Dieu engendre, parce qu'il accorde la génération à d'autres, selon cette parole de (Is 65, 9): "Ainsi moi, qui apporte la génération aux autres, je serais stérile? dit le Seigneur." De même que le Père donne la génération, le Fils aussi parce que les oeuvres de la Trinité ne sont pas divisées et le Fils engendre un fils.

10. Augustin dit que le Père engendre le Fils par nature; Jean Damascène dit aussi que la génération est l'oeuvre de la nature. La nature du Père est identique à celle du Fils. Donc de même que le Père engendre, le Fils aussi, donc il y a plusieurs fils en Dieu et ainsi plus de trois personnes.

11. Mais il faut dire qu'il ne peut pas y avoir plusieurs fils en Dieu, parce qu'il ne peut y avoir qu'une seule filiation; car la forme d'une espèce n'est multipliée que par la division de la matière, qui n'existe pas en Dieu.

- En sens contraire, toute différence est destinée à provoquer la pluralité. Mais il peut y avoir une différence entre deux filiations, non seulement par la matière, mais aussi du fait que cette filiation est différente d'une autre. Donc rien n'empêche de placer plusieurs filiations en Dieu, bien qu'il n'y ait pas de matière.

12. Le Fils procède du Père comme la splendeur procède du soleil, selon ce mot de (He 1, 3): "Puisqu'il est la splendeur de gloire..." Mais la splendeur peut aussi produire une autre splendeur. Donc le Fils aussi peut engendrer un autre Fils et ainsi il en découle qu'en Dieu il y a plusieurs fils et plus de trois personnes.

13. L'Esprit saint est l'amour par lequel le Père aime le Fils. Mais il aime aussi l'Esprit saint. Donc il faut qu'il y ait un autre esprit par lequel le Père aime l'Esprit et ainsi il y a quatre personnes en Dieu.

14. Selon Denys, le bien se communique. Mais la bonté est appropriée à l'Esprit saint, comme la puissance au Père et la sagesse au Fils. Donc il semble convenir tout à fait au sens propre que l'Esprit saint communique la nature divine à une autre personne et ainsi il y a plus de trois personnes en Dieu.

15. Selon le philosophe, chaque chose est parfaite quand elle peut produire du semblable à elle. Mais l'Esprit saint est un Dieu parfait. Donc il peut produire une autre personne divine, donc, etc.

16. Le Fils n'a pas reçu du Père la nature divine plus parfaitement que l'Esprit saint, mais il a reçu du Père la nature divine non seulement de façon passive (pour ainsi dire) comme engendré par lui, mais aussi de façon active, parce qu'il peut communiquer cette même nature à un autre. Donc l'Esprit saint peut communiquer la nature divine à une autre personne.

17. Ce qui concerne la perfection dans les créatures, doit être attribué à Dieu, mais communiquer la nature se rapporte à leur perfection, bien que ce mode de communication ait quelque imperfection, dans la mesure où il en découle une division, ou quelque changement de celui qui engendre. Donc communiquer la nature divine appartient à la perfection de Dieu; et ainsi il faut l'attribuer à l'Esprit saint. Donc une personne divine procède de l'Esprit saint et il en découle qu'il y a plus de trois personnes en Dieu.

18. De même que la divinité est un bien dans le Père, la paternité aussi. Du fait qu'une possession agréable ne peut exister sans partage d'aucun bien, certains ont prouvé qu'il y a plus de personnes qui ont la nature divine. Donc à raison égale, il y a plusieurs pères et de même plusieurs fils et plusieurs esprits saints. Et ainsi les personnes sont plus de trois.

19. Le Fils et l'Esprit semblent se distinguer entre eux dans le fait que le Fils procède du Père par mode d'intellect comme verbe, l'Esprit saint par mode de volonté comme amour. Mais il y a plus d'attributs essentiels que la volonté et l'intellect, comme la bonté, la puissance, etc. Donc il y a plus de personnes qui procèdent du Père que le Fils et l'Esprit saint.

20. La procession de nature paraît différer de la procession de l'intellect que celle de la volonté. Dans les créatures, la procession de la volonté est toujours concomitante avec celle de l'esprit, parce que tout ce qui comprend quelque chose le veut aussi; mais la procession de l'esprit n'est pas toujours concomitante avec celle de la nature, parce que ce n'est pas dans tout ce qui engendre naturellement qu'on trouve l'esprit. Donc si la personne qui procède par mode de volonté comme amour, est autre en Dieu que la personne qui procède par mode d'intellect, comme verbe, autre sera la personne qui procède par mode de nature comme fils. Donc il y a trois personnes qui procèdent en Dieu et une qui ne procède pas et ainsi il y a quatre personnes.

21. Les personnes sont multipliées en Dieu en raison des relations qui subsistent. Mais on place en lui cinq notions relatives, à savoir: la paternité, la filiation, la procession, l'innascibilité et la spiration commune. Donc il y a cinq personnes.

22. Les relations qu'on dit éternelles en Dieu n'existent pas dans les créatures, mais en lui. Tout ce qui est en lui est subsistant puisqu'il n'y a en lui aucun accident. Donc toutes les relations, qui conviennent éternellement à Dieu, sont subsistantes et par conséquent sont des personnes. De telles relations sont infinies, car les idées des créatures sont éternellement en Dieu; elles ne sont distinguées entre elles que par des rapports aux créatures. Donc les personnes sont en Dieu à l'infini.

 

Objections en sens contraire:

Il semble qu'elles sont moins de trois.

1. Car une seule nature n'a qu'un mode de communication; c'est pourquoi, selon le Commentateur, les animaux qui sont engendrés par semence ne sont pas de la même espèce que les animaux engendrés par putréfaction. Mais la nature divine est tout à fait une. Donc elle ne peut communiquer que d'une seule manière. Donc ainsi il ne peut y avoir que deux personnes, une qui communique la divinité d'une manière et la personne qui la reçoit de cette manière.

2. Hilaire montre que le Fils procède naturellement du Père, parce qu'il existe tel que Dieu est; mais les créatures procèdent de Dieu volontairement, parce qu'elle sont telles qu'il les a voulues, non telles que Dieu. Mais l'Esprit saint comme le Fils aussi est tel que Dieu le Père. Donc l'Esprit saint procède naturellement du Père comme le Fils. Il n'y a donc pas de distinction entre l'Esprit saint et le Fils du fait que celui-ci procède par mode de nature mais pas l'Esprit saint.

3. La nature de la volonté et celle de l'intellect en Dieu ne sont différentes qu'en raison seulement. Donc la procession par mode de nature, celle par mode d'intellect et celle par mode de volonté ne diffèrent qu'en raison seulement. Si donc le Fils et l'Esprit saint sont distingués, parce que l'un procède par mode de nature ou d'intellect, l'autre par mode de volonté, ils ne sont différents qu'en raison. Donc il n'y aura que deux personnes, puisque la pluralité des personnes apporte la pluralité des réalités.

4. Les personnes en Dieu sont distinguées seulement selon les relations d'origine. Pour désigner l'origine, il suffit de deux relations, à savoir " celui par qui il est autre " et "celui qui (vient) d'un autre ". Donc en Dieu il n'y a que deux personnes.

5. Toute relation exige deux extrêmes. Donc de même qu'en Dieu les personnes ne sont distinguées que par la relation, il faut qu'il y ait en lui ou bien deux relations et ainsi il y aura quatre personnes, ou bien une seule et il y aura seulement deux personnes.

 

Cependant:

Il semble qu'il n'y a que trois personnes en Dieu

1. Par le fait qu'il est dit in (1Jn 5, 7): "Ils sont trois qui portent témoignages dans le ciel.". Mais à ceux qui demandent qui sont ces trois, l'Église répond: trois personnes, comme le dit Augustin. Donc en Dieu il y a trois personnes.

2. Pour la perfection de la divine bonté, de son bonheur et de sa gloire, il est requis qu'il y ait en Dieu une charité vraie et parfaite, car rien n'est meilleur que la charité, rien de plus parfait, comme le dit Richard. Mais le bonheur n'existe pas sans la joie; qui est surtout possédée par la charité. En effet, comme il est dit dans le même livre: "Rien n'est plus doux que la charité, rien de plus joyeux. La vie raisonnable n'éprouve rien de plus doux que les délices de la charité, ne jouit plus agréablement d'aucun plaisir". Mais la perfection de la gloire consiste dans une certaine magnificence de la communication parfaite qu'opère la charité. Mais la charité vraie et parfaite requiert en Dieu le nombre de trois personnes. Car l'amour par lequel quelqu'un s'aime seulement est un amour privé, et non une charité vraie. Dieu ne peut pas aimer un autre absolument qui ne soit pas absolument digne d'amour; et il n'est pas absolument digne d'amour s'il n'est pas suprêmement bon. C'est pourquoi il est clair que la vraie charité en Dieu ne peut pas être parfaite, s'il n'y a qu'une personne seulement, et elle n'est pas parfaite, s'il y a deux personnes seulement, parce que pour la perfection de la charité il est requis que celui qui aime veuille ce que l'autre aime, et aussi être aimé également par un autre. Car c'est une marque de grande faiblesse de ne pas pouvoir supporter l'accord de l'amour; mais pouvoir supporter est le signe d'une grande perfection. "Recevoir avec plus de reconnaissance c'est rechercher avec un très grand désir" comme le dit Richard dans le même livre. Il faut donc, s'il y a en Dieu la perfection de la bonté, du bonheur et de la gloire qu'il y ait en Dieu le nombre de trois personnes.

3. Comme le bien se communique, la perfection de la divine bonté requiert que Dieu communique au plus haut point ce qui est à lui. Mais s'il n'y avait seulement qu'une personne en Dieu, il ne communiquerait pas sa bonté au plus haut point; car il ne se communique pas au plus haut point aux créatures; mais s'il n'y avait que deux personnes, les plaisirs mutuels de la charité ne seraient pas parfaitement communiqués; Il faut donc qu'il y ait une seconde personne à qui la bonté divine est communiquée parfaitement et une troisième à qui sont communiqués parfaitement les délices de la charité divine.

4. Trois choses sont requises pour l'amour, à savoir celui qui aime, ce qui est aimé et l'amour même; comme Augustin le dit. Les deux qui s'aiment mutuellement sont le Père et le Fils; mais l'amour qui est leur lien est l'Esprit saint. Donc il y a trois personnes en Dieu.

5. Comme Richard le dit dans ce qui est humain, on verra que la personne procède de la personne par trois moyens: quelquefois sans intermédiaire, seulement, comme Ève d'Adam, quelquefois avec intermédiaire seulement, comme Énoch à partir d'Adam; quelquefois avec et sans intermédiaire, en même temps, comme Seth d'Adam; sans intermédiaire en tant qu'il fut son fils, avec intermédiaire en tant qu'il fut le fils d'Ève qui a procédé d'Adam. Mais en Dieu la personne ne peut pas procéder avec intermédiaire parce qu'il n'y aurait pas une communauté d'origine parfaite. Il reste donc qu'il y a une personne, qui ne procède pas d'une autre, à savoir celle du Père, de laquelle procèdent les autres, une seulement sans intermédiaire à savoir le Fils, l'autre avec ou sans intermédiaire en même temps, à savoir l'Esprit saint, qui procède du Père et du Fils. Donc il y a trois personnes en Dieu.

6. Entre donner la plénitude de la divinité et ne pas recevoir et entre recevoir et ne pas donner, l'intermédiaire est donner et recevoir. Mais donner la plénitude de la divinité et ne pas la recevoir convient à la personne du Père, recevoir et ne pas donner convient à la personne de l'Esprit saint. Il faut donc qu'il y ait une troisième personne qui donne et reçoit la plénitude de la divinité et cette personne c'est celle du Fils. il y a donc trois personnes en Dieu.

 

Réponse:

Selon l'opinion des hérétiques, on ne peut en aucune manière poser un nombre certain de personnes en Dieu.

Car Arius, a compris la Trinité des personnes de telle manière que le Fils et l'Esprit saint seraient des créatures. Ce que Macédonius a pensé de l'Esprit saint. Mais la procession des créatures de Dieu ne se termine pas nécessairement à un certain nombre, puisque le pouvoir divin par son infinité dépasse tout mode de créature, toute espèce et nombre. C'est pourquoi, si Dieu, le Père tout-puissant, a créé deux super créatures, qu'Arius appelle le Fils et l'Esprit saint, il n'est pas exclus qu'il ait pu en créer d'autres, égales ou même plus grandes.

Sabellius aussi a pensé que le Père, le Fils et l'Esprit saint ne sont distingués que par le nom et la nature; ce qui paraît pouvoir être multiplié à l'infini selon que notre raison peut penser à propos de Dieu par des modes infinis, par des effets variées et donner des noms divers.

Mais seule la foi catholique, qui pose l'unité de la nature divine dans des personnes réellement distinctes peut fixer la raison du nombre trois en Dieu. Car il est impossible qu'une nature simple existe sinon dans une seule réalité, comme en son principe. C'est pourquoi Hilaire dit que celui qui confesse en Dieu deux personnes incréées confessent deux dieux; car la nature d'un Dieu incréé exige d'attribuer un seul Dieu.

C'est pourquoi certains philosophes ont dit que, dans les êtres sans matière, il ne peut y avoir de pluralités que selon l'origine. Car une seule nature peut être en plusieurs à égalité à cause de la division de la matière; ce qui n'a pas de place en Dieu.

C'est pourquoi il n'est possible de poser en Dieu qu'une seule personne incréée qui ne procède pas d'une autre. Mais si d'autres personnes procèdent de lui, il faut que cela soit par une action. Mais pas par une action transitive hors de l'agent, comme réchauffer ou couper sont les actions du feu et de la scie et la création, de Dieu; parce qu'ainsi les personnes procéderaient hors de la nature divine.

Il reste donc que la procession des personnes dans une seule nature divine n'est que selon les opérations qui ne passent pas à l'extérieur, mais demeurent dans celui qui opère. Mais celles-ci dans une nature intellectuelle ne sont que deux, l'intellection et le vouloir. Selon l'une et l'autre on trouve quelque chose qui procède quand ces opérations s'accomplissent. Car l'intellection n'est achevée que si quelque chose est conçu dans l'esprit de celui qui pense; ce qui est appelé le verbe; car on ne dit pas qu'on comprend mais qu'on pense pour comprendre (intelligere) avant qu'une conception s'établisse dans notre esprit. De même aussi le vouloir est achevé par l'amour de celui qui aime et procède par volonté, puisque l'amour n'est rien d'autre que le soutien de la volonté dans le bien qui est voulu.

Mais le verbe et l'amour dans la créature ne sont pas des personnes subsistantes dans une nature intellectuelle et volontaire. Car l'intellection et le vouloir de la créature ne sont pas son être. C'est pourquoi le verbe et l'amour s'ajoutent à la créature qui pense et qui veut, comme des accidents. Mais comme en Dieu l'être, l'intellection et le vouloir sont identiques, il est nécessaires que le verbe et l'amour n'arrivent pas en lui comme des accidents, mais subsistent dans sa nature. Il n'y a en lui qu'une intellection une et simple et un vouloir un et simple, parce qu'en pensant son essence, il pense tout; et en voulant sa bonté, il veut tout ce qu'il veut. Donc, il n'y a qu'un verbe et un amour en Dieu.

Mais l'ordre de l'intellection et du vouloir se comporte différemment en Dieu et en nous; car nous recevons la connaissance intellectuelle de l'extérieur; par notre volonté nous tendons à quelque chose d'extérieur comme à une fin. Et c'est pourquoi notre intellection est selon le mouvement de la réalité dans l'âme, mais le vouloir selon le mouvement de l'âme vers la réalité. Mais Dieu ne reçoit pas sa science des choses, mais il les cause par elle, et par sa volonté il ne tend pas à quelque chose d'extérieur comme à une fin, mais il ordonne tout ce qui est extérieur à lui comme à sa fin; c'est donc tant en nous qu'en Dieu une circulation dans les opérations de l'esprit et de la volonté; car la volonté revient à ce d'où vient le principe de l'intellection; mais en nous le cercle se limite à ce qui est extérieur, pendant que le bien extérieur meut notre esprit et celui-ci meut la volonté et cette dernière tend par appétit et amour au bien extérieur; mais en Dieu ce cercle se ferme sur lui-même. Car Dieu, en se pensant, conçoit son verbe, qui est aussi la raison de toutes les intellections par lui, parce qu'il pense tout en se pensant lui-même. Et par ce verbe, il procède dans l'amour de tout et de lui-même. C'est pourquoi quelqu'un a dit que "la monade a engendré la monade et réfléchit en elle son ardeur". Mais une fois le cercle fermé, rien d'autre ne peut être ajouté, et c'est pourquoi il ne peut pas découler une troisième procession dans la nature divine, mais il en découle une en plus dans la nature extérieure.

Ainsi donc il faut qu'en Dieu il y ait une seule personne qui ne procède pas, deux personnes seulement qui procèdent. L'une d'elles procède comme amour et l'autre comme verbe; et ainsi le nombre des personnes en Dieu est de trois.

La ressemblance de ce nombre trois apparaît de trois manières dans les créatures:

a) Comme l'effet représente la cause, et de cette manière, le principe de toute la divinité, à savoir le Père est représenté par ce qui est premier dans les créatures, c'est-à-dire par ce qui est en soi une seule chose subsistante; mais le verbe est représenté par la forme de n'importe quelle créature; car en ce qui est agi par celui qui pense, la forme de l'effet est dérivée de sa conception; mais l'amour est dans l'ordre de la créature. Car du fait que Dieu s'aime lui-même, il tourne tout vers lui par un ordre, et c'est pourquoi cette ressemblance est appelée vestige, qui représente le pied comme la cause de l'effet.

b) D'une autre manière selon la même nature d'opération; et ainsi est représenté dans la créature raisonnable seulement, ce qui peut se comprendre et aimer, comme Dieu aussi et ainsi produire le verbe et son amour et cela est appelé la ressemblance de l'image naturelle; car ce qui révèle une espèce semblable porte l'image des autres.

c) Troisième manière par l'unité de l'objet, en tant que la créature raisonnable comprend et aime Dieu et c'est une certaine conformité de l'union qui se trouve dans les seuls saints qui pensent et aiment la même chose que Dieu.

De la première ressemblance, il est dit in (Job 7, 117): "Peut-être comprendras-tu les vestiges de Dieu". De la seconde, il est dit in (Gn 1, 26) dit: "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance", et on l'appelle l'image de la création; de la troisième, in (2Co 3, 18), il est dit: "Car nous tous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image". Et celle-ci est appelée l'image de la recréation.

 

Solution des objections:

1. Augustin écrit qu'il ne faut pas dire que le Fils n'a pas pu engendré, mais il ne l'a pas fallu: parce que ce n'est pas par impuissance que le Fils n'engendre pas; ce que dit il n'a pas pu est pris de façon privative, et non absolument négative; et par le fait qu'il dit qu'il ne l'a pas fallu, il signifie qu'il en découlerait un inconvénient si le Fils en engendrait un autre; cet inconvénient peut-être considéré à quatre points de vue:

a) Parce que, si le Fils procédant en Dieu, comme verbe, engendrait un fils, il en découlerait qu'en Dieu le verbe procéderait du Verbe, ce qui ne peut être que dans un esprit discursif en recherche, dans lequel le verbe procède du verbe, pendant qu'il passe de la considération d'une vérité à une autre; ce qui ne convient en aucune manière à la perfection et à la simplicité de l'intellect divin, qui voit tout en même temps en un seul regard.

b) Parce qu'il est impossible que ce par quoi une chose est individuée et devient incommunicable, soit commune à plusieurs. Car, on ne peut pas comprendre que ce par quoi Socrate est une réalité soit en plusieurs. C'est pourquoi, si la filiation en Dieu convenait à plusieurs, il n'y aurait pas la filiation qui constitue la personne incommunicable du Fils et ainsi il faudrait que le Fils, personne individuelle, soit constitué par quelque chose d'absolu, ce qui ne convient pas à l'unité de l'essence divine.

c) Parce que rien d'unique selon l'espèce ne peut être multiplié selon le nombre, sinon par la matière; et pour cette raison, il ne peut y avoir en Dieu qu'une seule essence, parce que l'essence divine est tout à fait immatérielle. S'il y avait plusieurs fils en Dieu, il faudrait qu'il y ait aussi plusieurs filiations, et ainsi il faudrait qu'elles soient multipliées selon une matière sujette; ce qui ne convient pas à l'immatérialité de Dieu.

d) Parce que le Fils est appelé quelqu'un du fait qu'il procède naturellement; mais la nature ne se comporte pas de manière déterminée vis-à-vis de l'un à moins que par accident plusieurs parviennent naturellement de quelqu'un à cause de la division de la matière et c'est pourquoi où la nature est tout à fait immatérielle, il faut qu'il n'y ait qu'un seul fils.

2. Une chose peut être d'une certaine nature de deux manières:

a) Selon qu'on la considère absolument; et ainsi il faut que ce qui convient à une nature, convienne à tous les suppôts dans cette nature; et ainsi il convient à la nature divine d'être un créateur tout puissant, et autres qualités de ce genre qui sont communes aux trois personnes.

b) Une chose convient à la nature, selon ce qu'elle est considérée dans un suppôt unique; et ainsi il ne faut pas que ce qui convient à la nature convienne à n'importe quel suppôt de cette nature. Car de même que la nature du genre a quelque chose dans une espèce qui ne convient pas à une autre espèce - de quelque manière que certaines échoient à la nature sensible dans l'homme, mais pas dans les animaux, comme avoir un toucher excellent, et se souvenir, et autres choses de ce genre - de même aussi une chose convient à la nature de l'espèce dans la mesure où elle est dans un individu, ce qui ne convient pas à un autre individu de même espèce; ainsi il est clair qu'il convient à la nature humaine, dans la mesure où elle a été en Adam, de ne pas être reçue par une génération naturelle, ce que cependant on ne trouve pas dans les autres individus de la nature humaine et pouvoir engendrer de cette manière, échoit à la nature divine, dans la mesure où elle est dans la personne du Père. Ainsi il est clair que le Père n'est constitué comme personne incommunicable que par sa paternité, qui lui convient selon qu'il engendre; et c'est pourquoi il n'en découle pas que le Fils, bien qu'il soit un parfait suppôt de nature divine, puisse engendrer.

3. Il faut dire que, bien que le Père puisse engendrer, mais pas le Fils, il n'en découle cependant pas que le Père a une puissance que n'a pas le Fils. Car la puissance du Père et celle du Fils, par laquelle le Père engendre et le Fils est engendré sont identiques. Car la puissance est quelque chose d'absolu; et c'est pourquoi elle n'est pas distinguée en Dieu, ni la bonté non plus, ni ce qu'on appelle ainsi. Mais engendrer et être engendré en Dieu ne signifient pas quelque chose d'absolu, mais seulement une relation. Mais les relations opposées communiquent dans un seul et même absolu et ne le divisent pas; de même qu'il est clair que dans le Père et dans le Fils il y a une seule essence. C'est pourquoi la puissance n'est pas distinguée par le fait d'engendrer ou d'être engendré. Car il ne faut pas non plus dans les créatures que la puissance soit distinguée par la différence formelle des objets et ce qui est reçu en un même genre comme la puissance de la vision n'est pas distinguée par le fait de voir un homme ou un âne, parce que cette différence n'est pas sensible en tant telle, et de la même manière en Dieu l'absolu n'est pas distingué par la relation.

4. En toute opération qui passe d'un agent à ce qui est extérieur, il est requis un principe dans l'agent, par lequel il est agent et un autre principe dans le patient, par lequel il est patient. Mais dans l'opération qui ne passe pas à l'extérieur, mais demeure dans celui qui opère, il n'est requis qu'un seul principe d'opération, ainsi pour vouloir il est requis un principe de la part de celui qui veut, par lequel il puisse vouloir. Mais, dans les créatures, la génération est selon une opération qui passe à l'extérieur; c'est pourquoi il faut qu'il y ait une autre puissance active dans celui qui engendre, différente de la puissance passive de celui qui est engendré. Mais la génération divine ne tend pas par son opération à quelque chose qui passe à l'extérieur, mais à ce qui demeure à l'intérieur, c'est-à-dire selon la conception du verbe. C'est pourquoi il ne faut pas que la puissance dans le Père soit différente de la puissance passive dans le Fils.

5. La chaleur et la saveur, dans la mesure où elles sont considérées en soi, sont des qualités, on peut cependant les appelées des puissances en tant que principes de certains actes; c'est pourquoi il est clair que bien que l'origine première et éloignée qui est le sujet, soit une seule origine, cependant l'origine proche, qui est la qualité, n'est pas unique.

6. De même que le Père est le Dieu qui engendre, le Fils est le Dieu engendré, de même il faut dire que le Père est sage en tant qu'il conçoit un Fils sage comme verbe conçu. Car le Fils, en ce qui est le verbe est une conception du sage. Mais parce que tout ce qui est en Dieu est Dieu, il faut que cette conception du Dieu sage soit Dieu, et aussi sage et puissant, et tout ce qui d'autre convient à Dieu.

7. On ne peut parler du verbe en Dieu que personnellement, si on le prend au sens propre. Car aucune autre origine ne peut être en Dieu qu'immatérielle et celle qui convient à sa nature intellectuelle, telle qu'est l'origine du verbe et de l'amour; c'est pourquoi si la procession du verbe et de l'amour ne suffit pas à introduire la distinction des personnes, il ne pourra y avoir aucune distinction personnelle en Dieu. C'est pourquoi Jean, tant au commencement de son Évangile que dans sa première épître, se sert du nom de Verbe pour le Fils, et il ne faut pas parler de Dieu autrement que l'Écriture sainte en parle.

8. Dire peut être pris en deux sens:

a) D'une première manière, au sens propre selon que dire est la même chose que concevoir un verbe; et en ce sens Augustin dit que"ce n'est pas chaque personne particulière qui parle en Dieu, mais le Père seul".

b) D'une autre manière au sens commun, selon que dire n'est rien d'autre que l'intellection; et ainsi Anselme dit que non seulement le Père parle, mais aussi le Fils et l'Esprit saint; et cependant, bien qu'il y en ait trois qui parlent, il n'y a qu'un seul verbe - qui est le Fils - parce que seul le Fils est la conception du Père qui pense et conçoit le verbe.

9. Il ne découle pas qu'il y a génération en Dieu du seul fait qu'il a attribué la génération à d'autres, comme cause efficiente, parce qu'à raison égale, il en découlerait qu'il y a en Dieu du mouvement, parce qu'il en a attribué aux autres. Mais il découle qu'il y a en Dieu une génération par le fait qu'il a attribué aux autres la génération comme cause efficiente et exemplaire; le Père est l'exemplaire de la génération, en tant qu'il engendre; et le Fils en tant qu'engendré; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il engendre.

10. La génération est l'oeuvre de la nature divine, dans la mesure où elle est dans la Personne du Père, comme on l'a dit ci-dessus, c'est pourquoi il ne faut pas que ça convienne au Fils.

11. Comme la filiation est une relation qui suit un mode déterminé d'origine, - à savoir, qu'elle est par le mode de nature - il est impossible qu'une filiation diffère de la filiation par une différence formelle; à moins que par hasard, ce soit selon la différence des natures, qui sont communiquées par génération, comme on peut dire qu'une autre espèce de filiation est celle par laquelle cet homme est fils et par laquelle ce cheval est fils. En Dieu il n'y a qu'une seule nature, c'est pourquoi il ne peut pas y avoir plusieurs filiations formellement différentes; et il est clair aussi que (ce n'est pas possible) matériellement non plus. Et ainsi il en découle qu'il y a là seulement une filiation et un seul Fils.

12. Une splendeur procède d'une autre, du fait que la lumière est diffusée vers un autre sujet, et ainsi il est clair que cela se fait par une division matérielle, qui ne peut pas exister en Dieu.

13. Chaque chose est aimée en tant qu'elle est bonne. C'est pourquoi, comme la bonté du Père, du Fils et de l'Esprit saint est la même, par un même amour que l'Esprit saint, le Père aime le Fils et l'Esprit saint et toute créature, de même par un même verbe qui est le Fils, il se dit et dit aussi le Fils et l'Esprit saint et toute la créature.

14. La bonté est ce à quoi se termine l'opération du vivant qui demeure dans celui qui opère. Car d'abord on comprend quelque chose comme vrai et ainsi immédiatement après il est désiré comme bien; et là se tient et s'achève l'opération interne, comme dans sa fin. Mais de là commence le processus de l'opération à l'extérieur, parce que du fait que l'esprit désire et aime, ce qu'il a considéré auparavant comme bien, il commence à agir à l'extérieur vers ce bien. C'est pourquoi du fait que la bonté est appropriée à l'Esprit saint, on peut interpréter comme ce qui convient que la procession des personnes divines ne s'étend pas plus loin. Mais il en découle que c'est la procession de la créature qui est hors de la nature divine.

15. Parmi toutes les lignes, le cercle est plus parfait parce qu'il ne reçoit pas d'addition. C'est pourquoi cela convient à la perfection de l'Esprit saint que sa procession se ferme comme un cercle d'origine divine, pour que (rien) ne puisse être ajouté, comme on l'a déjà montré ci-dessus.

16. Pour ce qui est recevoir ou communiquer la nature divine, la différence ne s'étend que selon les relations. Cette différence ne peut pas constituer une inégalité de perfection, parce que, comme le dit Augustin: "quand on cherche qui vient de qui, c'est une question d'origine, non d'égalité ou d'inégalité."

17. De même que communiquer la nature divine est de la perfection du Père dans le Fils, de même recevoir parfaitement la nature communiquée est de la perfection de l'Esprit saint et l'une et l'autre perfection ne diffère pas en quantité mais en une relation, qui n'a pas constitué une inégalité, comme on l'a dit.

18. Ce par quoi une personne est communicable ne peut être commun à plusieurs, comme on l'a dit ci-dessus. C'est pourquoi la participation en cela n'apporterait pas la joie, mais la destruction de la distinction des personnes. C'est pourquoi, si le Père avait quelqu'un qui participe à la paternité, il en découlerait une confusion des personnes; et la raison est la même pour la filiation et la procession.

19. Les autres attributs n'ont pas d'opération intrinsèque qui puisse entraîner une procession de la personne divine comme l'intellect et la volonté.

20. La procession de nature et celle de l'esprit se rencontrent en ceci que dans les deux processions, l'un procède d'un autre comme image de celui dont il procède. Mais l'amour qui procède selon la volonté procède des deux qui s'aiment mutuellement. Et du fait que c'est l'amour, il n'a pas l'image de celui qui aime, et c'est pourquoi, en Dieu le même procède par mode de nature et d'intellect, à savoir comme fils et verbe; mais l'autre personne est celle qui procède par mode de volonté, comme amour.

21. Bien qu'il y ait cinq notions en Dieu, seules cependant trois propriétés personnelles constituent les personnes et c'est pour cela qu'il y a seulement trois personnes.

22. Les relations idéales sont de Dieu vers l'extérieur, à savoir vers les créatures; c'est pourquoi par elles les personnes ne sont pas distinguées par elles.

 

Il faut aussi répondre aux autres raisons, par lesquelles on concluait que les personnes divines sont moins de trois.

1. En n'importe quelle nature créée on trouve de nombreux modes de procession, cependant la nature de l'espèce n'est pas communiquée par n'importe lequel d'entre eux et c'est à cause de l'imperfection de la nature créée, dans laquelle il ne subsiste rien de ce qui est en elle; ainsi le verbe de l'homme, qui procède de son esprit n'est pas quelque chose de subsistant, ni non plus l'amour qui procède de la volonté humaine. Mais le Fils, qui est engendré par une opération de nature subsiste dans la nature humaine et c'est pour cela qu'il y a un seul mode par lequel la nature est communiquée, bien qu'en lui il y ait plus de mode de processions. Mais en Dieu, tout ce qui est en lui est subsistant et c'est pourquoi la nature est communiquée en Dieu selon n'importe quel mode de procession.

2. Rien n'empêche non plus que quelque chose procède naturellement de la volonté, car elle veut et aime naturellement, à savoir le bonheur et la connaissance de la vérité, et c'est pourquoi rien n'empêche que l'Esprit saint procède naturellement du Père et du Fils, quoiqu'il procède par mode de volonté.

3. Bien que la volonté et l'intellect ne diffèrent en Dieu qu'en raison, il faut cependant que celui qui procède par mode d'intellect soit réellement distingué de celui qui procède par volonté. Car le Verbe qui procède par mode d'intellect, procède de l'un seulement, comme de celui qui parle. Mais l'Esprit saint, qui procède par mode de volonté comme amour, doit procéder de deux (personnes) qui s'aiment mutuellement, ou aussi de celui qui parle et du verbe: car rien ne peut être aimé dont le verbe ne soit pas préconçu dans l'esprit. Et ainsi il faut que celui qui procède par mode de volonté soit de celui qui procède par mode d'intellection et par conséquent qu'il soit distingué de lui.

4. Celui qui est d'un autre en Dieu peut l'être de deux manières: à savoir par mode de verbe ou par mode d'amour, et c'est pourquoi l'être d'un autre selon ce qu'on dit communément ne suffit pas pour constituer une personne incommunicable, mais seulement selon ce qui est déterminé à ce qui lui est propre.

5. En Dieu, il y a quatre relations, et pas seulement deux; mais seules trois d'entre elles sont personnelles, car l'une d'elle, à savoir la spiration commune, n'est pas une propriété personnelle, puisqu'elle est commune à deux personnes, et c'est pourquoi il n'y a en Dieu que trois personnes.

Les autres raisons, nous les concédons.

 

Question 10: Les processions des Personnes divines.

 

Article 1: Y a-t-il une procession dans les personnes divines?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car tout ce qui procède de quelque chose en est différent. Mais il n'y pas de différence dans les personnes divines entre elles. Car le Fils dit in (Jn 14, 10): "Moi je suis dans le Père et le Père est en moi" et on peut dire de même pour l'Esprit saint, parce qu'il est assurément dans le Père et le Fils et inversement. Donc en Dieu une personne ne procède pas d'une autre.

2. On ne peut rien attribuer en propre à Dieu qui concerne le mouvement, de même rien qui apporte de la matière. Mais la procession signifie un mouvement. Donc en Dieu on ne peut pas en parler au sens propre.

3. Tout ce qui procède est conçu avant la procession; car ce qui procède en est le sujet. Mais en Dieu, il ne peut pas y avoir quelque chose qui procède qui soit conçu avant la procession: car l'essence divine ne procède pas, de même qu'elle n'est pas engendrée; et la relation n'est pas comprise avant la procession, mais c'est le contraire, comme on l'a déjà dit. Donc il ne peut pas y avoir de procession en Dieu.

4. Tout ce qui procède, procède d'une chose, et doit aussi procéder dans une autre. Mais ce qui procède en une chose n'est pas subsistant par soi. Donc comme les personnes divines sont subsistantes par soi, apparemment il ne leur convient pas de procéder.

5. Comme les créatures plus nobles ressemblent davantage à Dieu, ce qui se trouve dans les créatures inférieures, mais pas dans les créatures supérieures, ne se retrouve pas non plus en Dieu, comme la quantité mesurable, la matière, etc. Mais on trouve la procession dans les créatures inférieures dans lesquelles un des individus en engendre un autre de la même espèce; ce qui n'arrive pas dans les créatures supérieures. Donc on ne trouve pas non plus de procession en Dieu.

6. Ce qui déroge à la dignité de Dieu ne doit en aucune manière lui être attribué. Mais en cela on considère surtout sa dignité, parce qu'il est la cause première de l'être, sans avoir l'être d'un autre: la procession apparemment lui est opposée; car tout ce qui procède en quelque manière dépend d'un autre. Donc il ne faut pas dire que quelque chose procède en Dieu.

7. La personne est une hypostase, avec une propriété distincte qui convient à sa dignité. Mais recevoir d'un autre (ce que la procession apporte) ne semble pas convenir à sa dignité. Donc la procession ne doit pas être attribuée aux personnes divines comme une propriété personnelle.

8. Ce dont quelque chose procède doit être d'une certaine manière sa cause. Mais une personne ne peut pas être cause d'une autre. Elle ne peut pas, en effet, être la cause intrinsèque d'une autre, c'est-à-dire la cause formelle ou matérielle, puisqu'en Dieu il n'y a pas composition de forme et de matière, ni la cause extrinsèque, puisqu'une personne est dans l'autre. Donc il n'y a pas de procession en Dieu.

9. Tout ce qui procède de quelque chose comme d'un principe. Mais on ne peut pas dire qu'une personne est un principe ultérieur, parce que, - comme on parle de principe pour ce qui en dépend, - il faut dire qu'il y a une personne qui dépend d'un principe, ce qui semble ne convenir qu'aux seules créatures. Donc pas de procession en Dieu.

10. Le nom de principe semble être pris de "priorité". Mais dans les personnes divines rien n'est avant ou après, comme Athanase le dit. Donc une personne n'est pas le principe d'une autre; et ainsi on ne doit pas dire que l'une procède d'une autre.

11. Tout principe peut opérer ou produire. Mais une personne ne peut en produire une autre, ou opérer, autrement dans les personnes divines il y aurait quelque chose de produit ou de créé. Donc la personne divine n'a pas de principe, et elle ne procède pas.

12. Chaque fois qu'une chose procède d'une autre, il faut qu'il y ait quelque chose de commun à l'une et à l'autre, qui naturellement est communiqué à celle qui procède par celle de qui il procède, et quelque chose de propre, par lequel celui qui procède est distingué de celui dont il procède; car rien ne procède de soi-même. Mais partout où il y a une chose et une autre, il y a composition. Donc partout où il y a procession, il y a composition. Mais en Dieu il n'y a pas de composition. Ni en conséquence de procession.

13. Tout ce qui procède d'un autre en reçoit quelque chose. Parce qu'il reçoit, il en a naturellement besoin. Car s'il n'en avait pas besoin il ne le recevrait pas; c'est pour cela aussi que dans les choses naturelles aussi la réceptivité est attribuée à la matière. Donc tout ce qui procède éprouve un besoin par nature. Mais en Dieu il n'y a pas de besoin, mais une perfection suprême. Donc il n'y a pas de procession.

14. Mais on dira que celui qui reçoit, quand il préexiste à la réception, en a besoin, mais quand il l'a reçu, il n'en a plus besoin. Le Fils et l'Esprit saint reçoivent de Dieu le Père, cependant ils ne préexistent pas à la réception; et ainsi il n'y a en eux aucun besoin.

- En sens contraire n'importe quelle créature est d'une nature dans le besoin et cependant elle ne préexiste pas à la réception par laquelle elle reçoit l'être de Dieu. Donc, ce qui ne préexiste pas à la réception n'exclut pas le besoin de celui qui reçoit.

15. Tout ce qui n'a que dans la mesure où qu'il reçoit d'un autre, considéré en soi, en a besoin; ainsi l'air considéré en soi manque de lumière, qu'il reçoit d'un autre. Donc si le Fils et l'Esprit n'ont l'être que par ce qu'ils reçoivent du Père (ce qu'il faut dire, s'ils procèdent de lui), il est nécessaire que, si on les considère en soi, ils ne soient rien. Mais ce qui considéré en soi est comme néant, s'il a l'être d'un autre, il faut qu'il vienne à partir du néant et ainsi qu'il soit créature. Donc si le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père, il faut qu'ils soient des créatures, ce qui est l'hérésie Arienne. Il n'y a donc pas de procession dans les personnes divines.

16. Ce qui procède de quelque chose, en procède pour exister. Mais ce qui procède pour exister n'a pas toujours existé; ainsi ce qui `procède'vers un lieu n'y a pas toujours été. Mais les Personnes divines sont éternelles. Donc aucune ne procède.

17. Le principe d'où quelque chose procède, a une autorité par rapport à ce qui procède de lui. Donc si une personne divine procède d'une autre, à savoir le Fils et l'Esprit saint du Père, il faut qu'il y ait dans le Père une autorité sur le Fils et l'Esprit saint, et comme l'autorité est une dignité, il y aura dans le Père une dignité qui n'est pas dans le Fils et l'Esprit saint et ainsi il y aura une inégalité dans les personnes divines, ce qui est contre Athanase qui dit que "dans la Trinité, rien n'est avant ni après; rien de plus grand ou plus petit, mais les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles". Donc il n'y a pas de procession dans les personnes divines.

 

Cependant:

1. Il y a ce que dit le Fils (Jn, 8, 42): "Moi, j'ai procédé et je suis venu de Dieu."

2. In (Jn 15, 26), on parle de "L'Esprit de vérité..., qui procède du Père..." Donc il y a procession dans les personnes divines.

 

Réponse:

Il faut dire que la connaissance intellectuelle prend en nous son principe de l'imagination et de la sensation qui ne dépasse pas ce qui est continu (la concret) et de là vient que, de ce qui se trouve dans le continu, nous transférons les noms à tout ce que nous saisissons par l'esprit; comme cela apparaît dans le nom de distance qui se trouve d'abord dans le lieu, et de là est transféré à n'importe quelle différence de formes, en raison de quoi on dit que tous les contraires, en n'importe quel genre qu'ils soient, sont très distants, bien que la distance se trouve d'abord dans le lieu, comme le dit le philosophe.

Mais de la même manière on trouve d'abord le nom de procession pour signifier le mouvement local selon lequel quelque chose passe avec ordre d'un lieu à son extrémité par des intermédiaires et de là il est transféré pour signifier tout ce en quoi il y a un ordre de l'un par un autre, ou après l'autre; et de là vient que dans tout mouvement nous utilisons le nom de procession; ainsi nous disons, que le corps `procède'de la blancheur à la noirceur, d'une petite quantité à une grande, et du non être à l'être, et inversement, et de la même manière nous utilisons le nom de procession là ou il y a une émanation d'une chose à partir d'une autre, comme nous disons que le rayon procède du soleil, et toute opération de celui qui opère, et aussi l'oeuvre, comme oeuvre artisanale procède de l'artisan, l'engendré de celui qui engendre, et universellement nous désignons du nom de procession l'ordre de toutes choses de ce genre.

Mais l'opération est double:

a) L'une qui passe de celui qui opère en quelque chose d'extérieur, comme l'échauffement du bois par le feu, et cette opération n'est pas la perfection de celui qui opère, mais de ce qui est opéré; car rien n'est acquis pour le feu du fait qu'il chauffe, mais l'échauffement est acquis comme chaleur.

b) L'autre est l'opération qui ne passe pas à quelque chose d'extérieur, mais qui demeure dans celui qui opère, comme l'intellection, la sensation, le vouloir, etc. Et ces opérations sont les perfections de celui qui opère; car l'intellect n'est parfait que du fait de l'intellection en acte, et semblablement le sens ne l'est que par le fait qu'il éprouve des sensations en acte.

Le premier genre d'opération est commun aux vivants et aux non vivants, mais le second est le propre des vivants; c'est pourquoi, si nous considérons le mouvement au sens large pour une opération quelconque, comme le Philosophe l'admet, là où il est dit que la sensation et l'intellection sont des mouvements, non cependant le mouvement qui est d'un acte imparfait, comme il est défini in III, Physique, mais le mouvement qui est d'un acte parfait, alors il apparaît comme le propre du vivant, et c'est en cela que semble consister la raison pour laquelle une chose se meut elle-même. Car nous disons que vit tout ce que nous trouvons qui opère par soi et en soi de quelque manière, et de cette manière Platon a pensé que le premier moteur se meut lui-même.

Selon ces deux genres d'opération, on trouve une procession dans les créatures. Car selon le premier genre, nous disons que l'engendré procède de celui qui engendre, et ce qui est fait de ce qui le fait. Quant au second genre, nous disons que le verbe procède de celui qui parle, et l'amour de celui qui aime. On attribue à Dieu ce double genre d'opération. Celui de l'opération qui passe en un autre qui est extérieur, nous l'attribuons à Dieu dans la mesure où nous disons qu'il crée, conserve et gouverne tout. Ce genre d'opération signifie qu'aucune perfection ne peut venir en Dieu, mais plutôt que la perfection parvient à la créature à partir de la perfection divine.

Mais l'autre genre d'opération, nous l'attribuons à Dieu dans la mesure où nous parlons de son intellection et de sa volonté, en quoi est signifiée sa perfection. Car il ne serait pas parfait s'il n'était intelligent et volontaire en acte; et de là vient que nous confessons qu'il est vivant.

Donc nous attribuons la procession à Dieu selon l'une et l'autre opération. Selon le premier genre, nous disons que la sagesse ou la bonté divines procèdent dans les créatures, comme Denys le dit. et aussi que les créatures procèdent de Dieu. Mais, selon l'autre genre d'opération, nous parlons en Dieu de la procession du verbe et de l'amour, et c'est celle de la personne du Fils à partir du Père, qui est son Verbe, et celle de l'Esprit saint qui est son amour et le souffle vivificateur. C'est pourquoi Athanase, dans un sermon du Concile de Nicée dit que les Ariens pensant que le Fils et l'Esprit saint n'étaient pas coessentiels au Père, paraissaient par conséquent dire que Dieu n'était ni vivant ni intelligent, mais mort et sans esprit.

 

Solution des objections:

1. Cette objection provient de la procession qui concerne l'opération qui passe dans quelque chose d'extérieur. Mais ce n'est pas ainsi que les personnes divines procèdent, mais plutôt à la manière de la procession qui s'étend à l'opération qui demeure dans celui qui opère; car ce qui procède ainsi n'est pas éloigné de ce dont il procède; ainsi le verbe humain est dans l'intellect de celui qui parle, sans être éloigné de lui.

2. Dans la mesure où elle signifie le mouvement local, la procession n'est pas établie dans les personnes divines, mais selon qu'elle apporte un certain ordre d'émanation.

3. Dans la procession qui est un mouvement local, il est nécessaire que celui qui procède soit préconçu à la procession, puisqu'il est son sujet, mais dans la procession qui apporte un ordre qui procède de l'origine, elle se comporte comme le terme. C'est pourquoi si ce qui procède est composé de matière et de forme, et a été amené à l'être par voie de génération, la matière préexiste à la procession comme sujet, mais la forme ou aussi le composé arrive selon le concept de procession comme à son terme; comme quand le feu procède du feu par génération. Mais comme ce qui procède n'est pas composé, mais est une forme seulement, ou encore est amené à l'être par création, - dont le terme est toute la substance de la chose - alors ce qui procède n'est conçu en aucune manière avant la procession, mais c'est le contraire. Ainsi la créature n'est pas conçue avant la création, ni la splendeur à sa procession du soleil, ni le verbe avant la procession de celui qui l'énonce et semblablement ni le Verbe avant sa procession du Père.

4. Selon la procession qui apporte l'ordre d'origine, quelque chose peut procéder comme subsistant en soi, et sans rapport à autre chose, quoique quelque chose procède selon la procession locale, non pour subsister simplement en soi, mais pour être en un lieu. Mais une telle procession n'est pas dans les personnes divines.

5. Dans les substances intellectuelles, qui sont les plus nobles créatures, il y a aussi une procession selon l'opération de l'esprit et de la volonté; et c'est en cela qu'on trouve en elles l'image de la Trinité incréée. Mais le verbe et l'amour ne sont pas en elles des personnes subsistantes; car leur intellection et leur volonté ne sont pas leur substance, ce qui est le propre de Dieu; c'est pourquoi le verbe et l'amour procèdent en Dieu comme personnes subsistantes, mais non pas dans les créatures intellectuelles.

6. Tirer une origine de quelque chose qui est différent en essence déroge à la dignité divine; car c'est le propre de la créature; mais avoir une origine de quelqu'un de co-essentiel, convient mieux à la perfection divine. Car il n'y aurait pas de perfection en Dieu, s'il n'y avait pas d'intellection et de vouloir en acte. Ceux-ci établis, il est nécessaire de placer la procession du verbe et de l'amour.

7. Bien que recevoir, en tant que tel, n'indique pas une perfection, cependant du côté de ce qui est reçu, cela apporte une perfection, et principalement dans les personnes divines qui reçoivent la plénitude de la divinité.

8. Les docteurs latins, utilisent rarement ou même jamais le nom de cause pour signifier l'origine des personnes divines; d'une part, parce que l'effet ne répond pas à la cause pour nous - c'est pourquoi pour ne pas être forcés de dire que le Fils ou le Saint Esprit ont été faits, nous ne disons pas que le Père est leur cause, - d'autre part, parce que, pour nous, le nom de cause signifie quelque chose de différent dans l'essence; car nous parlons de la cause pour ce d'où découle une autre chose; enfin aussi, parce que chez les philosophes païens le nom de cause employé pour Dieu désigne sa relation aux créatures. Car ils disent que Dieu est la cause première et que les créatures sont ses effets. C'est pourquoi pour que personne ne soupçonne qu'on place le Fils et l'Esprit saint parmi les créatures différentes de Dieu selon l'essence, nous refusons le nom de cause en Dieu. Cependant les Grecs usent du nom de cause de façon plus absolue, en signifiant sa seule origine; et c'est pourquoi pour les personnes divines, ils se servent de ce nom de cause. Car on dit quelque chose de manière inconvenante en latin, qui à cause de la propriété de la langue peut être dit convenablement en grec. Mais, il ne faut pas, si nous utilisons le nom de cause en Dieu, selon les grecs, qu'il soit reçu de la même manière dont on parle des créatures, selon que la cause est divisée en quatre genres par les philosophes.

9. Pour tout ce qui concerne l'origine, le nom de principe convient plus en Dieu. En effet, parce que nous ne pouvons pas comprendre ce qui concerne Dieu, on le signifie par des noms communs qui ont une signification indéfinie plus convenablement que par les noms spéciaux qui expriment l'espèce de manière définie; c'est pourquoi ce nom "qui est", qui, selon Jean Damascène, signifie la mer infinie de la substance, est considéré comme le nom qui convient le mieux, comme on le voit dans (Ex 3, 14). De même que la cause est plus commune que l'élément qui signifie quelque chose de premier et de simple, dans le genre de la cause matérielle, de même le principe est plus commun que la cause; car la première partie du mouvement ou de la ligne est appelée principe mais non pas cause. En quoi il apparaît qu'on peut dire que le principe est quelque chose de distinct selon l'essence, comme le point de la ligne; mais non pas la cause, surtout si nous parlons de la cause d'origine qu'est la cause efficiente. Mais quoiqu'on dise que le Père est le principe du Fils et de l'Esprit saint, cependant il ne semble pas qu'on doive dire indifféremment que le Fils ou aussi l'Esprit saint dépendent d'un principe, bien que les grecs utilisent cette manière de parler, et on pourrait l'accepter de ceux qui pensent juste; par contre nous devons refuser ce qui semble apporter une diminution, pour ne pas l'attribuer au Fils ou à l'Esprit saint, pour éviter l'erreur des Ariens; selon Hilaire, même s'il concède que le Père est plus grand que le Fils à cause de l'autorité d'origine, il ne concède cependant pas que le Fils soit plus petit que le Père, lui en qui il y a un être égal donné par le Père. Et de la même manière, il ne faut pas étendre au Fils le nom de soumission ou de dépendance à un principe, bien que le nom d'autorité ou de principe soit concédé au Père.

10. Bien que le principe selon la définition du nom soit pris de la priorité, cependant il n'est pas imposé pour signifier la priorité mais l'origine; comme aussi de nom de la pierre n'est pas imposé pour signifier la blessure du pied, bien qu'il semble en tirer son origine. Donc, bien que le Père, ne soit pas avant le Fils, il est cependant son principe.

11. Tout principe n'est pas opérant ou agissant; car le point n'est en aucune manière le principe de la ligne.

12. Tout ce qui est commun au Père, à savoir l'essence, n'est pas tout; il y a quelque chose qui apporte la distinction, à savoir la relation. Cependant il n'y a pas composition, parce que la relation est réellement l'essence, comme cela paraît dans les discussions ci-dessus.

13. Ce qui reçoit, avant de recevoir en éprouve le besoin - car il reçoit cela pour combler son manque, - mais après qu'il a reçu il n'en a plus besoin, car il a ce qui lui manquait. Donc s'il y a quelque chose qui ne préexiste pas à la réception, mais est toujours comme ayant reçu, il n'en éprouve le besoin en aucune manière. Mais le Fils ne reçoit pas du Père, comme s'il n'avait pas auparavant, et recevait ensuite; mais parce que ce qu'il est il le tient du Père. C'est pourquoi il n'en découle pas qu'il en a besoin.

14. La créature reçoit de Dieu un être, qui ne serait pas permanent s'il n'était divinement conservé et c'est pourquoi même après qu'elle l'a reçu, elle a besoin de l'opération divine pour être conservé à l'être, et ainsi elle est d'une nature qui est dans le besoin. Mais le Fils reçoit du Père le même être en nombre, la même nature en nombre, que le Père; c'est pourquoi il n'est pas d'une nature dans le besoin.

15. Le Fils est considéré en soi, selon ce qu'il a dans l'absolu, qui est l'essence du Père, et selon cela il n'est pas néant, mais un avec le Père. Mais pour ce qui se rapporte au Père, il est considéré comme le recevant de lui; c'est pourquoi ainsi non plus il n'est pas néant, et ainsi en aucune manière le Fils n'est néant. Mais il le serait, considéré en soi, s'il y avait en lui quelque chose d'absolu distinct du Père, comme dans les créatures.

16. Le Fils procède pour être, mais sa procession est éternelle, comme la procession de la splendeur du soleil lui est contemporaine. Et c'est pour cela que le Fils est éternel.

17. L'autorité dans le Père n'est pas autre chose qu'une relation de principe. Mais pour la relation, on ne parle pas d'égalité ou d'inégalité, mais on en parle selon la quantité, comme Augustin le dit et à cause de cela le Fils n'est pas inégal au Père.

 

Article 2: En Dieu n'y a-t-il qu'une seule procession ou plusieurs?

 

Objections:

1. Il semble qu'il n'y en a qu'une seulement. Car Boèce dit que la procession en Dieu est selon la substance. Mais ce qui est substantiel n'est pas multiplié en lui. Donc il n'y a pas plusieurs processions.

2. Mais il faut dire que les processions en Dieu ne se distinguent pas par une distinction dans la substance, qui est communiquée selon la procession, pour la raison que les processions sont dites substantielles; mais elles se distinguent d'elles-mêmes

- En sens contraire, toutes les processions se distinguent entre elles ou bien par la division de la matière, comme les individus d'une même espèce, ou formellement, comme ce qui diffère en genre ou en espèce. Mais les processions ne se distinguent pas en Dieu à la manière de ce qui est distingué par la matière, puisque Dieu est tout à fait immatériel. Il reste donc qu'en lui toute distinction serait à la manière de ce qui se distingue par la forme. Mais toute distinction formelle se fait par une opposition et surtout pour ce qui est d'un seul genre; car le genre est divisé par des différences contraires, par lesquelles les espèces se distinguent, comme il est dit in X, Métaphysique. Il faut donc, si les processions se distinguent en Dieu, que ce soit en raison d'une opposition entre elles. Mais les processions, les actions et les mouvements n'ont d'oppositions entre eux, qu'en raison des principes ou en raison des termes, comme cela apparaît pour le réchauffement ou le refroidissement, la montée ou la descente. Donc il est impossible que les processions en Dieu se distinguent par elles-mêmes, mais si elles se distinguent, il faut qu'elles le soient du côté du principe de la procession, ou du côté du terme, c'est-à-dire de la personne à laquelle la procession se termine.

3. Ce qui peut être ensemble n'apporte pas de distinction; comme la blancheur et la douceur n'apportent pas de distinction entre deux substances, parce qu'elles peuvent être dans une même réalité, car l'une se distingue de l'autre parce que l'une ne peut pas être l'autre. Que certains ne puissent pas être ensemble, cela arrive en raison d'une opposition; car on dit que les opposés ne peuvent pas être ensemble. Donc une chose n'est distinguée d'un autre qu'en raison d'une opposition, car dans la division d'après la matière, on atteint une opposition suivant le lieu, puisque la même division est selon la quantité. Si donc l'opposition des processions ne peut exister qu'en raison des termes ou des principes, comme on l'a dit, il est impossible que les processions se distinguent d'elles-mêmes.

4. Mais il faut dire que les processions se distinguent en Dieu parce que l'une est par mode de nature, à savoir la procession du Fils, l'autre par mode de volonté, à savoir celle de l'Esprit saint.

- En sens contraire, ce qui procède naturellement procède par mode de nature. L'Esprit procède du Père naturellement. Car Athanase dit qu'il est l'Esprit naturel du Père. Donc il procède par mode de nature.

5. La volonté est libre. Donc ce qui procède par mode de volonté procède par mode de liberté. Si donc l'Esprit saint procède par mode de volonté, il faut qu'il procède par mode de liberté. Mais ce qui procède ainsi, peut procéder ou ne pas procéder; et procéder dans telle mesure ou pas; parce que ce qui est fait librement n'est pas déterminé à un seul effet. Donc le Père a pu produire l'Esprit saint ou ne pas le produire, et lui donner n'importe quelle grandeur qu'il voulait. Il en découle donc que l'Esprit saint est un étant possible et non un étant qui est nécessairement par soi; et ainsi il ne sera pas de nature divine; ce qui est l'hérésie de Macédonius.

6. Hilaire dit, assignant une différence entre les créatures et le Fils, que la volonté de Dieu apporte aux créatures la substance, mais le Fils reçoit la sienne du Père par une naissance naturelle. Si donc l'Esprit saint procède par mode de volonté, il en découle qu'il procède comme les créatures.

7. La nature et la volonté en Dieu ne diffèrent qu'en raison. Si donc la procession du Fils et celle de l'Esprit saint sont distinguées par le fait que l'une est par mode de nature, l'autre par mode de volonté, il en découle que la procession du Fils et celle de l'Esprit saint ne diffèrent qu'en raison seulement, et ainsi le Fils et l'Esprit saint ne sont pas distingués personnellement.

8. Mais il faut dire que la puissance de spiration et la puissance générative dans le Père différent en raison seulement et cependant c'est une distinction réelle dans le Fils et l'Esprit saint; et de la même manière, la nature et la volonté peuvent constituer une distinction réelle dans les processions et dans ce qui procède, bien qu'ils diffèrent en raison seulement.

- En sens contraire, le Fils et l'Esprit saint sont distingués par ce qui est en eux. Mais la puissance générative n'est pas dans le Fils, ni la puissance de spiration dans l'Esprit saint. Donc ce n'est pas cela qui distingue le Fils et l'Esprit saint.

9. Par là, on montre que la génération, qui est une procession par mode de nature, est en Dieu, parce que sa ressemblance est communiquée à la créature, comme cela paraît in (Is 66, 9): "Est-ce que moi qui... accorde la génération aux autre, je serai stérile?" Mais la procession qui est par mode de volonté n'est pas communiquée aux créatures, car on ne trouve rien en elles qui reçoit la nature sinon par mode de génération. Donc il n'y a pas de procession de personne en Dieu par mode de volonté.

10. Le mode ajoute à une chose et par conséquent produit une composition, et beaucoup plus, s'il y a pluralité de modes. Mais en Dieu il y a la simplicité de toutes les manières. Donc il n'y a pas pluralité de modes, pour qu'on puisse dire que le Fils procède par un mode, à savoir celui de la nature, et l'Esprit saint par un autre, à savoir celui de la volonté.

11. En Dieu la volonté ne diffère pas plus de la nature que l'esprit. Mais la procession par mode d'esprit n'est pas différente de celle qui est par mode de nature. Donc la procession aussi qui est par mode de volonté, n'est pas autre que celle qui est par mode de nature.

12. Mais il faut dire que la procession de l'Esprit saint diffère de celle du Fils, par le fait que celle du Fils est seulement par quelqu'un qui ne procède pas, à savoir par le Père; mais la procession de l'Esprit saint est par l'un qui ne procède pas et l'autre qui procède, en même temps, à savoir le Père et le Fils.

- En sens contraire, si on place deux processions en Dieu, il faut qu'elles diffèrent en nombre seulement ou en espèce. Si c'est en nombre seulement il en découle que l'une et l'autre procession doivent être appelées génération ou naissance, et l'un et l'autre qui procèdent doivent être appelé fils, mais s'ils diffèrent en espèce, il faut que la nature communiquée par la procession diffère en espèce: car ainsi la procession de l'homme et du cheval diffère en espèce de son principe, mais pas celle de Socrate et de Platon. Donc comme la nature divine est une seulement, il n'est pas possible qu'il y ait plusieurs processions différentes en espèces, par le fait que l'une vient de celui qui procède et l'autre non.

13. Le Fils et l'Esprit saint ne se distinguent pas à la manière de ceux qui dans les créatures diffèrent en espèce; car les hypostases sont d'une seule nature. Les processions par lesquelles procèdent ce qui est un en espèce, mais différent en nombre, ne diffèrent pas en espèce, comme la génération de Socrate et celle de Platon. Donc la procession du Fils et celle de l'Esprit saint ne sont pas des processions différentes en espèce.

14. De même que quelque chose peut procéder de celui qui procède, il peut y avoir quelqu'un né de quelqu'un qui est né, comme on le voit chez les hommes, en qui celui qui naît de l'un a un autre né de lui. Donc si en Dieu il y a deux processions par le fait qu'un autre procède de celui qui procède, à raison égale, il pourra y avoir deux générations par le fait qu'un autre est engendré par celui qui est engendré.

15. Si la procession de l'Esprit saint est distinguée de celle du Fils par le fait que l'Esprit saint procède de celui qui ne procède pas et de celui qui procède, c'est-à-dire du Père et du Fils, ou bien il procède d'eux en tant qu'ils sont un, ou en tant qu'ils sont plusieurs. Si c'est en tant qu'ils sont plusieurs, il en découle que l'Esprit saint est composé; car la procession d'un être simple ne peut venir que par un seul en tant que principe. Mais s'il procède d'eux en tant qu'ils sont un, il n'y a aucune différence qu'il procède de plusieurs ou qu'il procède d'un seul. Donc la procession de l'Esprit saint ne peut pas être distinguée de celle du Fils par le fait que celui-ci procède d'un seul, mais l'Esprit saint de deux.

16. La procession est divisée en paternité et filiation: car on dit qu'il y a trois propriétés personnelles. Mais en Dieu il y a une seule paternité et une seule filiation. Donc aussi une seule procession.

17. Dans les créatures, on ne trouve qu'un mode de procession, par lequel la nature est communiquée; c'est pourquoi le Commentateur dit que les animaux qui sont engendrés de la semence ne sont pas de la même espèce que ceux qui le sont sans semence, par putréfaction. Mais la nature divine est une seulement. Donc elle ne peut être communiquée que par un seul mode de procession; donc il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

18. Le Fils procède du Père comme sa splendeur, selon ce mot de (He 1, 3): "Celui qui est splendeur de gloire..."; parce que le Fils procède du Père, et lui est coéternel comme la splendeur du soleil ou du feu. Mais de la même manière, l'Esprit saint procède du Père et lui est coéternel. Donc il procède de la même manière que le Fils, et ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

19. La procession éternelle de la personne divine est la raison et la cause temporelle de la procession de la créature et de ce qui est dans la créature. C'est pourquoi Augustin expose ainsi ce qui est dit en Gn 1: "Il dit et cela fut fait", c'est-à-dire "il engendra le verbe dans lequel il y avait que cela serait fait ". Mais le Fils est raison et cause parfaite de la production de la créature. Donc il ne faut pas qu'il y ait une autre procession de la personne divine en dehors de celle du Fils.

20. Plus la nature est parfaite, plus les moyens par lesquels elle opère sont petits. Mais la nature divine est absolument parfaite. Donc comme une seule nature créée n'est communiquée que par un mode de procession, la nature divine ne pourra être communiquée que par une seul mode de procession.

21. D'une chose simple ne peut venir qu'une seule chose. Mais le Père est unique et simple. Donc de lui il ne peut y avoir qu'une procession; ainsi il n'y a pas plusieurs processions en Dieu.

22. On dit que chaque chose est engendrée du fait qu'elle reçoit sa forme; car la génération dans les créatures est changement pour la forme. Mais l'Esprit saint reçoit la forme, c'est-à-dire l'essence divine, par sa procession, dont il est dit (Phm 2, 6): "Comme il était de forme divine, il n'a pas jugé comme une usurpation d'être égal à Dieu ". Donc la procession de l'Esprit saint est une génération, et ainsi elle ne diffère pas de la génération du Fils.

23. La naissance est un processus naturel, comme le nom même le montre. Mais la nature divine est communiquée à l'Esprit saint par une procession. Donc celle-ci est une naissance; donc elle ne diffère pas de celle du Fils, et ainsi il n'y a pas deux processions en Dieu.

 

Cependant:

1. Il semble qu'il y a en Dieu plus de deux processions. Car il y a la procession par mode de nature, d'où le Fils tire son nom et une procession par mode d'esprit d'où il tire son nom de verbe et une procession par mode de volonté, selon laquelle on nomme l'amour qui procède. Donc il y a en Dieu trois processions.

2. Mais il faut dire que c'est une seule et même procession en Dieu qui est par mode de nature et qui est par mode d'esprit; car le Fils et le Verbe sont identiques.

- En sens contraire, les processions des créatures sont les images des processions des personnes divines: c'est pourquoi il est dit en (Ep 3, 15), de Dieu le Père, que c'est de lui que "toute paternité tire son nom au ciel et sur terre". Mais dans les créatures, autre est la procession de nature, et autre celle de l'esprit selon qu'elle produit le verbe. Donc, il n'y a pas non plus en Dieu une procession qui est par mode d'esprit, et une par mode de nature.

3. Selon Denys, il convient à la bonté divine de procéder. Mais le Père est tout à fait bon. Donc il procède. Donc il y a en Dieu trois processions: l'une par laquelle procède le Père, l'autre par laquelle procède le Fils et la troisième par laquelle procède l'Esprit saint.

- En sens contraire, on voit bien qu'en Dieu il n'y a que deux processions. Car Augustin dit. que la procession du Christ est engendrement et naissance, mais celle de l'Esprit saint, n'est pas naissance; cependant l'une et l'autre sont ineffables. Donc en Dieu il n'y a que deux processions différentes seulement.

 

Réponse:

La pression des hérétiques a forcé les anciens docteurs à disserter sur la foi.

A. Car Arius a estimé qu'être d'un autre s'oppose à la nature de Dieu; c'est pourquoi il a pensé que le Fils et l'Esprit saint, dont l'Écriture sainte dit qu'ils sont d'un autre, étaient des créatures. Pour détruire cette erreur il a été nécessaire aux saints Pères de montrer qu'il n'est pas impossible que ce qui procède de Dieu le Père lui soit co-essentiel, dans la mesure où cela reçoit de lui la même nature que lui.

B. Mais parce qu'on dit que le Fils, du fait qu'il a reçu sa nature du Père, est né de lui ou est engendré, et que l'Esprit Saint, n'est pas appelé dans les Écritures né ou engendré, et cependant il est de Dieu, Macédonius a estimé que l'Esprit saint n'était pas co-essentiels au Père, mais qu'il était sa créature; car il ne croyait pas que quelqu'un puisse recevoir sa nature d'un autre, à moins qu'il ne soit né de lui et soit son fils. C'est pourquoi, il a estimé qu'il en découlait infailliblement, si l'Esprit saint reçoit du Père sa nature et son essence, qu'il serait engendré et fils. Et c'est pourquoi pour repousser cette erreur il a été nécessaire que nos docteurs démontrent que la nature divine peut être communiquée par une double procession; dont l'une est la génération ou naissance, mais pas l'autre, et c'est chercher la distinction des processions en Dieu.

I. Donc certains ont dit que les processions se distinguent d'elles-mêmes en Dieu; et la raison de cette position a été qu'ils pensaient que les relations ne distinguent pas les hypostases divines, mais manifestent leur distinction seulement, estimant que les relation en Dieu sont à la manière des propriétés individuelles, dans les créatures, qui ne causent pas la distinction des individus, mais la manifestent seulement. Donc ils disent que les hypostases se distinguent en Dieu seulement par l'origine. Et parce qu'il faut que ce par quoi certaines choses se distinguent d'abord, ce soit qu'elles se distinguent d'elles-mêmes, de même que les différences opposées par lesquelles les espèces diffèrent se distinguent d'elles-mêmes - pour ne pas procéder à l'infini, - à cause de cela donc, ils disent que les processions en Dieu se distinguent d'elles-mêmes.

Mais cela ne peut pas être vrai; car toute chose se distingue d'une autre selon l'espèce par ce par quoi elle a l'espèce, et selon le nombre par ce par quoi elle est individuée. Mais il faut que la différence entre les processions divines soit non seulement comme ce qui diffère en nombre seulement, mais aussi comme ce qui diffère par l'espèce, puisqu'il y a une seule génération, et pas d'autre. Il reste donc que les processions divines se distinguent par ce par quoi elles ont l'espèce. Mais aucune procession ni opération ni mouvement n'a l'espèce par soi, mais il la reçoit du terme ou du principe. C'est pourquoi certaines processions se distinguent d'elles-mêmes, c'est ne rien dire, mais il faut qu'elles soient distinguées selon les principe ou les termes.

II. Et c'est pourquoi certains ont dit que les processions en Dieu se distinguent en raison des principes; selon cela, je dis qu'une procession est par mode de nature ou d'esprit, l'autre par mode de volonté; car les noms d'esprit et de volonté semblent signifier certaines des opérations et les principes des processions.

Mais, si quelqu'un considère avec attention, il peut voir facilement que cela ne suffit pas pour la distinction des processions divines, à moins d'ajouter autre chose. Comme il faut, en effet, trouver dans celui qui procède la ressemblance avec le principe de la procession, de même qu'il est nécessaire dans les créatures que la ressemblance de la forme qui engendre soit dans celui qui est engendré; il faut que, si les processions en Dieu sont distinguées par ce qui est le principe de l'une soit la nature ou l'esprit, mais celui de l'autre la volonté, parce que dans celui procède selon une seule procession on trouve seulement ce qui est de la nature ou de l'esprit; et dans l'autre ce qui est de la volonté seulement, il est clair que c'est faux. Car par une seule procession, celle du Fils par le Père, celui-ci communique au Fils ce qu'il a, la nature, l'esprit, la puissance, et la volonté et tout ce qui est appelé absolu: pour que, de même que le Fils est le verbe, c'est-à-dire la sagesse engendrée, de même on puisse dire qu'il est la nature, la volonté, la puissance engendrées, c'est-à-dire reçues par génération ou celui qui reçoit plus de ce genre par génération.

C'est pourquoi il est clair que par le fait que tous les attributs essentiels arrivent dans la seule procession du Fils, on ne pourrait trouver une différence des processions selon la nature diverse des attributs, de sorte que, par une seule procession, soit atteinte la communication d'un seul attribut et par une autre la communication d'un autre. Mais comme le terme de la procession c'est la possession (puisque la personne divine procède pour avoir ce qu'elle reçoit en procédant) les processions se distinguent par les termes, il est nécessaire que celui qui a, soit distingué en Dieu, de même celui qui procède. Mais celui qui a n'est pas distingué d'un autre parce que l'un a ces attributs, et l'autre en a d'autres; parce que l'un a les mêmes choses d'un autre. Car tout ce qu'a le Père le Fils l'a; mais le Fils est distingué du Père parce qu'il l'a du Père.

Ainsi donc celui qui procède d'un autre qui procède est distingué, non parce que l'un reçoit ces choses en procédant, et l'autre d'autres choses, mais parce que l'un d'eux le reçoit d'un autre. Donc tout ce qu'on trouve dans la procession divine qui peut être compris aussitôt dans une procession, sans rien d'autre de préconçu, vient d'une seule procession; mais là aussitôt on peut trouver une autre procession, où les mêmes choses qui sont reçues par la première procession, à nouveau sont détournées dans une autre.

Et ainsi le seul ordre de procession qui est atteint selon l'origine de la procession apporte la multiplication en Dieu. C'est pourquoi ils ont parlé convenablement ceux qui ont pensé qu'une procession était par mode de nature et d'esprit, l'autre par mode de volonté, du fait que la procession qui est par nature ou esprit n'exige pas auparavant une autre procession, mais la procession, par mode de volonté, en exige une autre auparavant: Car l'amour ne peut procéder de la volonté sans que soit compris auparavant que le concept de ce qui est ait procédé de l'esprit; le bien en effet est compris comme l'objet de la volonté.

 

Solution des objections:

1. On dit que la procession en Dieu est substantielle, parce qu'on ne la considère pas comme un accident; mais, la personne qui procède reçoit par celle de la substance.

2.

3. Les deuxième et troisième objections, nous les concédons.

4. Il faut dire que rien n'empêche que quelque chose procède de la volonté naturellement. Car celle-ci tend naturellement à la fin ultime, comme n'importe quelle autre puissance opère naturellement en vue de son objet; et de là vient que l'homme recherche naturellement son bonheur et de la même manière Dieu aime naturellement sa bonté; comme aussi il comprend naturellement sa vérité. Donc de même que le Fils procède naturellement du Père, comme verbe, de même l'Esprit saint procède naturellement de lui comme amour. Et cependant l'Esprit saint ne procède pas par mode de nature: car on appelle en Dieu procéder par mode de nature procéder comme ce qui est produit dans les créatures par la nature, et non par la volonté. Donc ainsi il y a une différence entre être produit naturellement et être produit par mode de nature; car on dit qu'une chose est produite naturellement à cause de la relation naturelle qu'elle a à son principe; mais on dit qu'est produit par mode de nature ce qui est produit par un principe qui produit comme la nature produit.

5. La nécessité naturelle, quand on dit que la volonté veut quelque chose par nécessité, comme le bonheur, ne s'oppose pas à la liberté de la volonté, comme Augustin l'enseigne. La liberté de la volonté, en effet, s'oppose à la violence et à la contrainte. Il n'y a ni violence, ni contrainte si quelque chose est mis en mouvement selon l'ordre de sa nature, mais il y en a plus si le mouvement naturel est empêché: comme quand le lourd est empêché de descendre dans son juste milieu; c'est pourquoi la volonté cherche librement le bonheur, qu'elle désire nécessairement. Mais ainsi Dieu s'aime lui-même librement par sa volonté, bien qu'il s'aime nécessairement. Et il est nécessaire qu'il s'aime autant qu'il est bon, comme il se comprend autant qu'il est. Donc l'Esprit saint procède librement du Père, non cependant selon le possible mais par nécessité. Et il ne lui a pas été possible de procéder moindre que le Père; mais il a été nécessaire qu'il soit égal au Père, comme le Fils qui est le verbe du Père.

6. La créature ne procède pas de la volonté divine naturellement ni par nécessité; car bien que Dieu aime sa bonté naturellement par sa volonté et par nécessité, et qu'un tel amour qui procède soit l'Esprit saint, cependant il ne veut pas produire les créatures naturellement ou par nécessité mais gratuitement. Car les créatures ne sont pas la fin ultime de la volonté divine, et sa bonté, qui est la fin ultime, ne dépend pas d'elles, puisque elles n'ajoutent rien à sa bonté; ainsi l'homme veut le bonheur par nécessité, et cependant pas ce qui est ordonné au bonheur.

7. Bien que la nature et la volonté en Dieu ne diffèrent pas en réalité, mais en raison seulement, cependant celui qui procède par mode de volonté doit différer réellement de celui qui procède par mode de nature, et une procession diffère réellement d'une autre. Car il a été dit que la procession par mode de nature est comprise quand une chose procède d'une autre comme ce qui procède par nature; et de la même manière par mode de volonté, quand il procède comme ce qui procède de la volonté. Car toujours la volonté produit quelque chose de présupposé à la procession. Car la volonté ne tend à une chose que par une production préexistante de l'esprit qui la conçoit; puisque le bien conçu met en mouvement la volonté. Mais la procession qui vient d'un agent naturel, ne présuppose une autre procession que par accident, en tant qu'un agent naturel dépend d'une autre; mais cependant cela ne convient pas à la raison de la nature, en tant que telle. C'est pourquoi cette procession par mode de nature est comprise en Dieu sans rien présupposer; mais c'est celle qui est par mode de volonté qui prend son principe d'une procession présupposée. Et ainsi il faut que la procession vienne de la procession et celui qui procède de celui qui procède; et cela fait une différence réelle en Dieu.

8. Nous la concédons.

9. Dieu induit dans les créatures la ressemblance de l'une et l'autre procession; mais cependant, par celle qui est par mode de nature; la nature ne peut pas être communiquée dans les créatures; car l'effet est semblable à l'agent en tant que tel; c'est pourquoi par l'action dont la nature est le principe, l'effet peut recevoir la nature, mais par l'action dont le principe est la volonté, l'effet ne peut recevoir que la ressemblance de ce qui est dans la volonté, comme la fin ou les formes, comme on le voit dans les oeuvres artisanales. Mais tout ce qui est en Dieu est nature divine; c'est pourquoi il faut que la nature soit communiquée par l'une et l'autre procession.

10. Quand on parle de la procession par mode de nature ou de volonté, on ne place pas ce qui serait une qualité ajoutée à la substance divine, mais on montre la comparaison d'une certaine ressemblance entre les processions en Dieu et celles qui sont dans les créatures.

11. En Dieu la procession, par mode d'esprit, n'est pas distinguée de la procession par mode de nature; mais la procession par mode de volonté est distinguée de l'une et l'autre. Et cela pour trois raisons:

a) Parce que de même que la procession par mode de nature, n'exige pas auparavant une autre procession, la procession par mode d'esprit non plus, mais celle qui est par mode de volonté, exige nécessairement auparavant la procession par mode d'esprit.

b) Parce que de même que la nature produit quelque chose à sa ressemblance, l'esprit aussi tant à l'intérieur qu'à l'extérieur; à l'intérieur le verbe est la ressemblance de ce qui est pensé et de l'esprit de celui qui se pense; à l'extérieur la forme conçue est induite dans l'objet fabriqué. Mais la volonté ne produit pas de ressemblance, ni à l'intérieur ni à l'extérieur. A l'intérieur non, parce que l'amour, qui est la procession intérieure de la volonté n'est pas une ressemblance de la volonté ou de ce qui est voulu, mais une impression laissée par la volonté dans celui qui est voulu, ou une union de l'un à l'autre. A l'extérieur, non plus, parce que la volonté imprime dans l'objet fabriqué la forme conçue, avant la forme voulue selon l'ordre de la raison; c'est pourquoi principalement c'est la ressemblance de l'esprit, bien que secondairement ce soit celle de la volonté.

c) Parce que la procession de nature vient seulement d'un seul, comme d'un agent, s'il est parfait. Et rien n'empêche que dans les animaux quelque chose soit engendré de deux êtres à savoir du père et de la mère; car seul le Père est agent dans la génération, et la mère le patient. Mais de la même manière la procession de l'intellect est d'un seul; mais l'amitié, qui est l'amour mutuel, procède de deux êtres qui s'aiment mutuellement.

12. Bien qu'en Dieu on ne puisse parler à proprement ni de genre et d'espèce, ni d'universel et de particulier, cependant, - comme on parle au sujet de Dieu d'une certaine ressemblance avec les créatures, - le Père, le Fils et l'Esprit saint sont distingués comme plusieurs individus d'une même espèce, comme Jean Damascène le dit aussi. Mais il faut remarquer que dans un individu dans le genre de la substance, nous pouvons considérer l'espèce de deux manières:

a) l'espèce de l'hypostase elle-même;

b) l'espèce de la propriété individuelle.

Car si on concède que Socrate est blanc et Platon est noir, et une fois admis que la blancheur et la noirceur sont des propriétés qui individualisent Socrate et Platon, il est vrai de dire qu'ils sont un en l'espèce, sous laquelle ces hypostases sont contenues. Car ils se rassemblent dans l'humanité, mais se distinguent selon l'espèce de la propriété; car la blancheur et la noirceur diffèrent en espèce, et il en est de même dans le Père et dans le Fils. Car ils sont considérés comme un en espèce, dont ces hypostases sont les suppôts, en tant qu'ils se retrouvent dans la seule nature divine; mais selon l'espèce de la propriété personnelle ils se trouvent différer; car la paternité et la filiation sont des relations différentes en espèce. Mais il faut savoir que la génération dans les créatures est ordonnée par soi à l'espèce, car la nature tend à la génération de l'homme: c'est pourquoi la nature de l'espèce est multipliée par la génération dans les créatures. Mais la procession en Dieu est pour la multiplication des hypostases, en lesquelles la nature divine se trouve une en nombre: c'est pourquoi les processions en Dieu sont différentes pour ainsi dire en espèce, à cause de la différence des propriétés personnelles, bien que dans celles qui procèdent il y ait une seule nature commune.

13.

14. Et cela éclaire les solutions 13 et 14.

15. L'Esprit saint procède du Père et du Fils en tant qu'ils sont plusieurs, si on considère le rapport aux suppôts qui spirent. Comme l'Esprit saint, en effet, est amour mutuel et lien des deux, il faut qu'il soit spiré par les deux. Mais si on considère le rapport à ce par quoi spirent ceux qui spirent, il procède ainsi d'eux, en tant qu'ils sont un dans la nature divine: Car Dieu ne peut procéder que de Dieu.

16. La procession, qui est divisée en paternité et filiation est la propriété personnelle de l'Esprit saint; bien qu'elle soit relation, parce que cependant elle n'a pas de nom, comme la paternité et la filiation, elle est signifiée par le nom de procession, comme si la filiation était sans nom et signifiée par le nom de naissance, qui est le nom spécial de la procession du Fils. Mais la procession de l'Esprit saint n'a pas de nom spécial, parce qu'on ne trouve pas dans les créatures que quelque nature soit communiquée par un tel mode de procession, comme déjà on l'a dit. Mais nous transférons en Dieu les noms qui viennent des créatures; c'est pourquoi il n'en découle pas que la procession commune soit seulement une en Dieu.

17. Dans la créature qui accueille des accidents, il peut y avoir quelque chose qui ne soit pas sa nature, mais pas en Dieu, et c'est pour cela qu'en lui la nature est communiquée selon n'importe quelle mode de procession, mais pas dans les créatures; car bien qu'il y ait en elles des processions diverses, cependant la nature n'est communiquée que par un seul mode.

18. Procéder du Père selon le mode de la co-éternité appartient à la procession du Fils en tant qu'elle est procession divine: c'est pourquoi il convient aussi à la procession de l'Esprit saint; cependant il n'appartient pas à la procession du Fils d'être distinguée par la procession de l'Esprit saint.

19. Le Fils est la raison suffisante de la procession temporelle de la créature en tant qu'il est verbe et exemplaire; mais il faut que l'Esprit saint soit la raison de la procession de la créature comme amour. Car de même qu'il est dit en Sg 11, 1, que Dieu fait tout par son verbe, de même il est dit in (Sg 11, 25) qu'il aime tout ce qui est, et qu'il ne hait rien de ce qu'il a fait, et Denys dit, que l'amour divin ne lui a pas permis d'être sans descendance.

20. Il faut dire que la nature peut être parfaite en de nombreuses opérations, bien que peu lui suffise pour chaque opération.

21. Du Père, un et seul, il n'y a qu'une seule procession, à savoir celle du Fils; mais du Père et du Fils ensemble, il y a une autre procession, à savoir celle de l'Esprit saint.

22. La procession de l'Esprit saint est une procession d'amour. Mais par cette procession rien n'est produit comme recevant de ce dont il procède, la forme ou la nature; et c'est pour cela que la procession d'amour n'a pas nature de génération ou de naissance. Mais que l'Esprit saint reçoive la nature et la forme de Dieu le Père, par sa procession, cela il l'a en tant qu'amour de Dieu en qui il n'y a rien qui ne soit de sa nature.

23. Et par là s'éclaire la réponse à la vingt-troisième objection.

 

Et il faut répondre à ce par quoi on montrait qu'il y a en Dieu plus de deux processions:

1. En Dieu, c'est une seule et même procession qui est par mode d'esprit et qui est par mode de nature, comme on l'a montré ci-dessus.

2. La nature humaine est matérielle, c'est-à-dire composée de matière et de forme; et c'est pourquoi chez les hommes la procession par mode de nature ne peut exister que selon un changement naturel; mais la procession qui est par mode d'esprit est toujours immatérielle; du fait que l'esprit lui-même est immatériel, c'est pourquoi dans les hommes il ne peut pas y avoir une seule et même procession par mode de nature et par mode d'esprit, mais en Dieu c'est une seule et même procession, parce que la nature divine est immatérielle.

3. Procéder dans un autre et procéder d'un autre est différent; car procéder dans un autre c'est communiquer sa ressemblance à un autre, et par ce mode il faut comprendre la procession de la bonté divine dans les créatures, selon Denys; mais procéder d'un autre c'est avoir l'être d'un autre; et nous parlons ici de procession de sorte qu'il est clair qu'il ne convient pas au Père de procéder de cette manière.

 

Article 3: L'ordre de la procession à la relation en Dieu.

 

Objections:

1. Il semble que selon l'esprit la procession soit avant la relation en Dieu. Car le Maître, dit que le Père est toujours le Père, parce qu'il a toujours engendré le Fils. Mais la génération signifie la procession, et Père signifie une relation. Donc la procession, selon l'esprit, précède les relations en Dieu.

2. Le philosophe dit que les relations naissent des actions, ou des quantités. Mais il est clair que les relations divines ne naissent pas de la quantité. Donc selon la manière de comprendre, elle découle de l'action. Mais les processions dans les personnes divines sont signifiées par le mode des actions personnelles. Donc selon l'esprit les processions en Dieu précèdent les relations.

3. L'absolu est avant le relatif, comme l'un est avant le multiple. Mais les actions s'approchent plus de l'absolu que les relations. Donc selon l'esprit elles sont avant.

4. On parle de tout relatif en rapport à autre chose. Mais il ne peut pas y en avoir un autre là où il n'y a pas de distinction. Donc la relation présuppose une distinction. Mais celle-ci dans les personnes divines dépend de l'origine, selon que l'un procède de l'autre. Donc les processions selon l'esprit précèdent les relations en Dieu.

5. Toute procession précède, selon l'esprit, le terme de la procession. Mais la filiation qui est la relation du fils est le terme de la naissance, qui est la procession de ce même Fils. Donc celle-ci précède la filiation. Mais la filiation et la paternité sont en même temps non seulement en nature et en temps, mais aussi en esprit; parce que l'un des relatifs est de l'esprit de l'autre. Donc la naissance du Fils précède la paternité selon l'esprit, et beaucoup plus la génération, qui est l'acte du Père. Donc les processions précèdent absolument les relations selon l'esprit.

 

Cependant:

1. La personne est selon l'esprit avant l'action personnelle. Les relations sont constitutives des personnes, et les processions sont comme des actions personnelles. Donc elles sont avant les processions selon l'esprit.

2. Il faut que la procession soit de quelqu'un par un autre; car de même que rien ne s'engendre soi-même pour exister, comme Augustin le dit, de même rien ne procède de soi. Donc la procession requiert une distinction en Dieu. Mais celle-ci n'est en lui que par les relations. Donc les processions en Dieu présupposent les relations.

 

Réponse:

Il faut dire que l'ordre n'est pas sans distinction. C'est pourquoi où il n'y a pas de distinction, en réalité mais seulement selon la manière de comprendre, il ne peut y avoir d'ordre que de cette manière. Mais la distinction en Dieu n'est en réalité que celle des personnes entre elles, et celle des relations opposées; c'est pourquoi en lui il n'y a d'ordre réel que pour les personnes, entre lesquelles il y a l'ordre de la nature, selon Augustin, dans la mesure où l'un vient de l'autre, non que l'un soit avant l'autre.

Mais les processions et les relations ne sont pas réellement distinguées en Dieu, mais seulement selon la manière de les comprendre. C'est pourquoi Augustin dit que le propre du Père est d'avoir engendré le Fils. En quoi il est donné à comprendre qu'engendrer le Fils est la propriété du Père; et il n'y a pas d'autre propriété que la paternité; qu'on appelle la propriété personnelle du Père. Donc entre la procession et la relation il n'y a pas à chercher un ordre en réalité, mais selon la manière de le comprendre seulement.

Mais de même que la relation et la procession sont identiques en réalité, et diffèrent en raison seulement, de même la relation elle-même, quoiqu'elle soit une en réalité, est cependant multiple selon la manière de la comprendre. Car nous comprenons la relation elle-même comme constitutive de la personne; ce qu'elle n'a pas en tant qu'elle est relation. De ce fait il est clair que les relations chez les hommes ne constituent pas les personnes, puisqu'elles sont des accidents; mais la personne est quelque chose de subsistant dans le genre de la substance; la substance ne peut pas être constituée par un accident. Mais la relation en Dieu a ceci de particulier qu'elle constitue la personne en tant qu'elle est relation divine; car du fait qu'elle est identique à l'essence divine, elle peut constituer une hypostase divine. Donc il y a une autre manière de comprendre la relation comme constitutive de la personne divine, et une autre manière par laquelle on comprend la relation comme telle. C'est pourquoi rien n'empêche que quant à la première manière de comprendre, la relation présuppose les processions, quant à l'autre c'est le contraire.

Ainsi il faut donc dire que, si on considère la relation comme telle, elle présuppose le concept de procession; mais si on la considère comme constitutive de la personne, alors cette relation, d'où vient la procession, est selon l'esprit avant la procession; de même que la paternité en tant que constitutive de la personne du Père est selon l'esprit avant la génération. Mais la relation qui est constitutive de la personne qui procède aussi en tant que constitutive de la personne, est selon l'esprit après la procession, comme la filiation est après la naissance; et cela parce que la personne qui procède est comprise comme le terme de la procession.

 

Solution des objections:

1. Le Maître parle de la paternité considérée comme relation.

2.

3. Il faut dire la même chose pour la seconde et la troisième objection.

4. Dans ce en quoi les relations sont des accidents, il faut que la relation présuppose la distinction; mais en Dieu les relations constituent trois personnes distinctes.

5. La paternité fait partie du concept de filiation et inversement, selon que l'une et l'autre sont considérées comme une relation. Mais nous disons ainsi que les relations suivent les processions dans l'ordre du concept.

Les deux autres raisons procèdent des relations selon qu'elles sont constitutives des personnes.

 

Article 4: L'Esprit saint procède-t-il du Fils?

 

Objections:

1. Il semble que non. Car Denys dit que le Fils et l'Esprit saint sont comme les fleurs de la divinité qui engendre Dieu. Mais la fleur ne vient pas de la fleur. Donc l'Esprit saint ne vient pas du Fils.

2. Si le Fils est le principe de l'Esprit saint ou bien il le tient de lui-même ou d'un autre. Il ne le tient pas de lui, car ce n'est pas au Fils en tant que tel qu'il convient d'être principe, mais plutôt d'être du principe. Mais s'il le tient du Père, il faut que de cette manière, il soit principe comme le Père. Mais le Père est le principe par génération. Donc le Fils sera principe de l'Esprit saint par génération; et ainsi l'Esprit saint sera le Fils du Fils.

3. Tout ce qui est commun au Père et au Fils convient de la même manière à l'un et à l'autre. Si donc être principe est commun au Père et au Fils, le Fils sera principe à la manière du Père. Mais le Père est le principe par génération. Donc le Fils aussi; et ainsi de même que ci-dessus.

4. Le Fils est ainsi, parce qu'il procède du Père et est son verbe; mais on dit que l'Esprit saint est le verbe du Fils, selon Basile qui le reçoit du fait que l'Apôtre dit in (He 1, 3), que le Fils porte "tout par le verbe de sa puissance ". Si donc l'Esprit saint procède du Fils, il faut qu'il soit le fils du Fils.

5. Bien qu'en réalité la paternité et la filiation soient en Dieu avant d'être en nous, selon cette parole de l'Apôtre (Ep 3, 15): De qui, à savoir de Dieu le Père, toute paternité tire son nom au ciel et sur terre..."; cependant selon leur dénomination, ces noms sont transférés de ce qui est humain à ce qui est divin. Mais chez les hommes celui qui procède du fils est appelé petit-fils. Si donc l'Esprit saint procède du Fils, il sera le petit-fils du Père, ce qui est absurde.

6. La propriété du Fils est dans la réception; du fait qu'on dit que le Fils reçoit la nature du Père par génération. Si donc le Fils émet l'Esprit saint à partir de lui-même, il y aura en lui deux propriétés contraires, ce qui ne convient pas.

7. Tout ce qui est en Dieu, est commun ou propre. Mais émettre l'Esprit saint n'est pas commun à toute la Trinité; car cela ne convient pas à l'Esprit saint. Donc c'est le propre du Père, et ainsi il ne convient pas au Fils.

8. L'Esprit saint est amour, comme Augustin le prouve dans La Trinité. Mais l'amour du Père dans le Fils est gratuit, car il n'aime pas le Fils comme celui qui reçoit quelque chose de lui, mais seulement comme celui qui lui donne. Mais l'amour du Fils dans le Père est un amour dû; car il aime le Père en tant qu'il reçoit de lui. Mais l'amour dû est autre que l'amour gratuit. Si donc l'Esprit saint est l'amour qui procède du Père et du Fils, il en découle qu'il est autre que lui-même.

9. L'Esprit saint est l'amour gratuit; c'est pourquoi coule de lui la diversité de grâces, selon ce mot de (1Co 12, 4): Il y a diversité des grâces, mais c'est le même Esprit." Si donc l'amour du Fils dans le Père n'est pas un amour gratuit, l'Esprit saint ne sera pas l'amour du Fils; donc il ne procède pas du Fils.

10. Si l'Esprit saint procède du Fils comme amour, puisque le Fils aime le Père comme une mère aime son fils, il faudra que l'Esprit saint procède du Père dans le Fils, de même qu'il procède du Fils dans le Père. Mais cela est impossible, semble-t-il; car il en découlerait que le Père recevrait quelque chose du Fils, ce qui est tout à fait impossible.

11. De même que le Père et le Fils s'aiment, de même aussi le Fils et l'Esprit saint, ou le Père et l'Esprit saint. Si donc l'Esprit saint procède du Père et du Fils, parce que le Père et le Fils s'aiment, à raison égale, parce que le Père et l'Esprit saint s'aiment, l'Esprit saint procède de lui-même, ce qui est impossible.

12. Denys dit: "Généralement il ne faut pas oser dire quelque chose ni le penser de la divinité super-substantielle cachée, au-delà de ce qui nous a été divinement exprimé par les paroles sacrées".

Dans l'Écriture sainte, il n'est pas dit que l'Esprit saint procède du Fils, mais seulement qu'il procède du Père, selon cette parole de (Jn 15, 26): "Quand sera venu le Paraclet que je vous enverrai par le Père, l'Esprit de vérité, qui procède du Père...". Donc il ne faut ni dire ni penser que l'Esprit saint procède du Fils.

13. Dans les actes du Concile d'Éphèse, I, on dit ainsi qu'ayant parcouru le Symbole du Concile de Nicée, le saint Concile décréta "ne permettre à personne de proférer, d'écrire ou d'établir une autre foi, que celle définie par les pères qui se sont rassemblés à Nicée, avec l'Esprit saint; mais ceux qui osent établir une autre foi, la répandre, ou la proférer à ceux qui veulent se convertir pour connaître la vérité, qu'ils soient du paganisme, du Judaïsme, ou d'une hérésie, si ceux-ci sont des Évêques ou des clercs, que les évêques soient dépossédés de l'épiscopat, et les clercs de la cléricature; mais si ce sont des laïcs, qu'il soient anathèmes." Et de la même manière dans les actes du Concile de Chalcédoine, après avoir lu la décision des conciles, il est ajouté: " Ceux qui ont osé présenter une autre foi, ou proférer ou enseigner ou rapporter un autre symbole à ceux qui voulaient se convertir du paganisme pour la connaissance de la vérité ou des Juifs, ou d'une hérésie quelconque, que si ce sont des évêques ou des clercs, si ce sont des évêques qu'ils soient dépossédés de l'épiscopat, les clercs de la cléricature, si ce sont des moines ou des laïcs qu'ils soient anathèmes." Dans la décision annoncée du concile, il n'y a pas que l'Esprit saint procède du Fils, mais seulement qu'il procède du Père. On lit aussi dans le Symbole du Concile de Constantinople: "Nous croyons dans l'Esprit saint Seigneur et vivificateur, qui procède du Père, qui doit être adoré et glorifié avec le Père et Fils, " En aucune manière il n'a dû être ajouté dans le symbole de la foi que l'Esprit saint procède du Fils.

14. Si on dit que l'Esprit saint procède du Fils, ou on le dit à cause d'une autorité de l'Écriture, ou pour une autre raison. Aucune autorité de l'Écriture sainte ne semble suffisante pour le montrer; il y a toutefois dans l'écriture sainte que l'Esprit saint est du Fils; comme il est dit in (Ga 4, 6): "Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos coeurs;" et (Rm 8, 9): "Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, celui-là n'est pas de lui". On trouve aussi que l'Esprit saint a été envoyé par le Fils; car le Christ dit (Jn 16, 7): "Car si je ne m'en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous, mais si je m'en vais je vous l'enverrai." Mais il n'en découle pas que l'Esprit saint procède du Fils, du fait qu'il est du Fils, parce que huius. De la même manière aussi, ce n'est pas du fait qu'on dit que l'Esprit saint est envoyé par le Fils, parce que, bien que le Fils ne soit pas de l'Esprit saint, on dit cependant qu'il a été envoyé par lui selon cette parole de (Is 48, 16): " Et maintenant le Seigneur Dieu et son Esprit m'ont envoyé" et (Is 61, 1): "L'esprit du Seigneur est sur moi... il m'a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux doux", ce qui dit en soi que le Christ est un être complet.- De la même manière on ne peut pas le prouver efficacement par la raison. Car bien que l'Esprit saint ne soit pas du Fils, cependant jusqu'ici, à ce qu'il semble, ils demeureront distincts entre eux: car ils diffèrent par leurs propriétés personnelles. Donc rien ne semble forcer à dire que l'Esprit saint procède du Fils.

15. Tout ce qui procède de quelqu'un a quelque chose de lui. Si donc l'Esprit saint procède des deux, à savoir du Père et du Fils, il faut qu'il reçoive des deux; et ainsi il semble en découler qu'il est composé.

16. C'est la nature du principe de ne pas dépendre d'un autre, Selon le philosophe. Mais le Fils est d'un autre, à savoir du Père. Donc le Fils n'est pas le principe de l'Esprit saint.

17. La volonté met en mouvement l'esprit pour opérer; car l'homme comprend quand il le veut. Mais l'Esprit saint procède par mode de volonté comme amour, et le Fils par mode d'esprit comme verbe. Il ne semble pas que l'Esprit saint procède du Fils, mais c'est plutôt le contraire.

18. Rien ne procède de celui en qui il se repose. Mais l'Esprit saint procède du Père et se repose dans le Fils, comme il est écrit dans la passion du bienheureux André. Donc l'Esprit saint ne procède pas du Fils.

19. Ce qui est simple ne peut pas procéder de deux êtres, parce que l'effet serait encore plus simple et avant la cause. Mais l'Esprit saint est simple. Donc il ne procède pas des deux, à savoir du Père et du Fils.

20. Si quelque chose procède parfaitement de l'un, il est superflu qu'il procède des deux. Mais l'Esprit saint procède parfaitement du Père. Donc il serait superflu qu'il procède du Père et du Fils en même temps.

21. De même que le Père et le Fils sont un en substance et nature, de même le Père et l'Esprit saint. Mais l'Esprit saint ne se rencontre par avec le Père dans la génération du Fils. Donc le Fils ne se rencontre pas avec le père dans l'émission de l'Esprit saint.

22. Le Fils est le rayon du Père, comme on le voit chez Denys. Mais l'Esprit saint est la splendeur. Mais celle-ci ne vient pas du rayon. Donc l'Esprit saint ne vient pas non plus du Fils.

23. Le Fils est une lumière du Père, puisqu'il est son verbe. Mais l'Esprit saint est comme la chaleur, car il est l'amour; c'est pourquoi il apparut sur les Apôtres, sous l'espèce du feu (Ac 2, 3). Mais la chaleur ne vient pas de la lumière. Donc l'Esprit saint ne vient pas du Fils.

24. Jean Damascène rapporte qu'on dit que l'Esprit saint est du Fils, mais non par le Fils.

 

Cependant:

1. Il y a ce qu'Athanase dit: "L'Esprit saint par le Père et par le Fils, ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant d'eux".

2. L'Esprit saint est appelé la troisième personne de la Trinité, le Fils la seconde, le Père la première. Mais le troisième procède d'une double unité intermédiaire. Donc l'Esprit saint procède du Père par l'intermédiaire du Fils.

3. Comme parmi les personnes divines, il y a un accord suprême, n'importe laquelle des personnes a une parenté immédiate avec l'autre. Mais cela n'existerait pas, si l'Esprit saint ne venait pas du Fils, car alors le Fils et l'Esprit saint n'aurait pas de parenté immédiate entre eux; mais seulement par l'intermédiaire du Père, en tant que les deux viennent d'un seul. Donc l'Esprit saint est du Fils.

4. Les personnes divines ne se distinguent entre elles que selon l'origine. Si donc l'Esprit saint n'était pas du Fils, il ne serait pas distingué de lui, ce qui ne convient pas.

 

Réponse:

Selon ce qui a été déterminé ci-dessus, il est nécessaire que l'Esprit saint procède du Fils; car il faut, si le Fils et l'Esprit saint sont deux personnes, que la procession de l'une soit différente de celle de l'autre. Mais on a montré ci-dessus qu'il ne peut y avoir deux processions en Dieu que selon leur ordre, pour qu'il y ait une autre procession de celui qui procède par une première procession. Donc il est nécessaire que l'Esprit saint vienne du Fils.

Mais en dehors de cette raison, on prouve nécessairement par d'autres raisons que l'Esprit saint est du Fils. Car il faut que toute la différence des choses découle de la première racine de leur distinction; à moins que par hasard, il y ait une différence par accident, ainsi celui qui marche est différent de celui qui est assis. Et cela parce que tout ce qui est par soi dans une autre chose, ou est de son essence, ou bien accompagne les principes essentiels, par lesquels il y a la première racine de la distinction. Mais en Dieu il ne peut rien y avoir par accident; parce qu'il faut que tout ce qui est en quelqu'un par accident, comme cela est étranger à sa nature, lui convienne par quelque cause extérieure; ce qu'on ne peut pas dire en Dieu.

Il faut donc que toute différence des personnes divines entre elles découle par la première racine de leur distinction. Mais cette première racine du Père et du Fils vient de la paternité et de la filiation. Il faut donc que toute différence entre le Père et le Fils, découle du fait que l'un est le Père et l'autre le Fils. Mais être le principe de l'Esprit saint ne convient pas au Père en tant que Père, en raison de sa paternité: car ainsi il ne se réfère qu'au Fils: aussi il en découlerait que l'Esprit saint serait le Fils.

De la même manière, cela ne s'oppose pas à la nature de la filiation, parce que, selon elle, il ne se réfère à un autre qu'au Père. Donc il ne peut pas y avoir de différence entre le Père et le Fils du fait que le Père est le principe de l'Esprit saint, mais pas le Fils.

De même, comme il est dit in livre des Synodes, le propre de la créature est que Dieu l'ait produit par sa volonté. Ce qu'Hilaire prouve du fait que la créature n'est pas telle que Dieu, mais telle que Dieu a voulu qu'elle soit. Mais parce que le Fils est tel que le Père, on dit que le Père a engendré le Fils par nature. Mais, pour la même raison, l'Esprit saint est du Père par nature, parce qu'il est semblable et égal au Père; car la nature produit du semblable à elle. Il faut que la créature qui est du Père selon sa volonté, soit aussi du Fils; parce que la volonté du Père et celle du Fils sont identiques. De la même manière la nature de l'un et l'autre est identique.

Il faut donc que, de même que l'Esprit saint est du Père, il soit aussi du Fils. Et cependant il n'en découle pas que le Fils ou l'Esprit saint soit de l'Esprit saint, bien que lui-même ait une seule nature avec le Père; ainsi il découle que la créature est par lui en tant qu'il a une seule volonté avec le Père, à cause de l'incompatibilité qui en découlerait, si on disait que l'Esprit saint est de lui-même, ou si on disait que le Fils, est de celui qui est son principe.

Mais cela apparaît d'une autre manière. Car il n'est pas possible qu'il y ait une distinction dans les personnes divines, sinon par les relations; car ce qui est dit dans l'absolu en Dieu, signifie l'essence, et est commun, comme la bonté, la sagesse etc. Mais les différentes relations ne peuvent apporter de distinction qu'en raison de leur opposition; car les relations différentes ne peuvent être d'un seul au même; car il est clair que le même du même peut être fils, disciple, égal et toutes les autres relations qui n'incluent pas d'opposition.

Mais il est clair que le Fils se distingue du Père, parce qu'il est référé à lui par une relation et de la même manière l'Esprit saint est distingué du Père à cause d'une relation. Donc ces relations pour si différentes qu'elles paraissent, n'ont pu en aucune manière distinguer l'Esprit saint du Fils, à moins qu'elles ne soient opposées. Mais une autre opposition en Dieu ne peut exister que selon l'origine, dans la mesure où l'un est par l'autre. Donc en aucune manière le Fils et l'Esprit saint n'ont pu être distincts parce que l'un et l'autre sont en rapport de manières diverses au Père, sauf si l'un d'eux est en rapport avec l'autre comme existant par lui.

Mais il est bien certain que le Fils n'est pas par l'Esprit saint: car il est de sa nature de n'avoir rapport qu'au Père comme existant par lui. Il reste donc nécessairement que l'Esprit saint est du Fils.

Mais parce que quelqu'un peut dire que ce qui concerne la foi ne dépend pas seulement de raisonnements mais doit être confirmé par les autorités de l'Écriture sainte, il reste à montrer par les autorités que l'Esprit saint est du Fils. Car on trouve en plusieurs endroits de l'Écriture sainte, que l'Esprit saint est du Fils; comme en Rm 16, 7: "Qui n'a pas l'Esprit du Christ, celui-là n'est pas de lui"; et (Ga 4, 6): "Dieu a envoyé l'Esprit du Fils dans vos coeurs;" et Ac 16, 7: "Ils tentaient d'aller en Bithynie, et l'Esprit de Jésus ne le permit pas". Car on ne peut pas comprendre que l'Esprit saint soit l'Esprit du Christ seulement selon l'humanité, comme le complétant, parce que l'Esprit saint est d'un homme en tant qu'il possède, mais non en tant qu'il donne. Mais l'Esprit saint est du Fils en tant qu'il le donne selon ce mot de (Jn 4, 13): "A cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui-même en nous, parce qu'il nous l'a donné de son Esprit" et in (Ac 5, 32), il est dit qu'il a donné son Esprit saint à ceux qui lui obéissent.

Il faut donc dire que l'Esprit saint est du Fils, en tant que personne divine. Donc, ou bien on dit qu'il est de lui selon l'absolu, ou bien comme son esprit. Si c'est selon l'absolu, alors il faut qu'il y ait une autorité du Fils par rapport à l'Esprit saint. Chez nous en effet on peut dire de quelqu'un qu'il est d'un autre sous un certain rapport, qui n'a pas d'autorité par rapport à lui, comme quand on dit; Pierre est le compagnon de Jean; mais on ne peut pas dire que Pierre est de Jean dans l'absolu, à moins qu'il soit sa possession, comme esclave, ce qu'il est dit du maître. Mais en Dieu il ne peut pas y avoir un serviteur ou un sujet, mais on comprend l'autorité selon la seule origine. Donc il faudra que l'Esprit saint tire une origine du Fils.

Et il en découle la même chose, si on dit que l'Esprit saint est du Fils comme son esprit; parce que l'Esprit, selon qu'il est un nom personnel, apporte une relation d'origine à celui qui spire, comme le Fils à celui qui engendre. De la même manière aussi on trouve dans les Écritures que le Fils envoie l'Esprit saint, comme on l'a dit ci-dessus. Mais toujours celui qui envoie semble avoir l'autorité sur celui qui est envoyé. Mais l'autorité en Dieu, comme on l'a dit, ne dépend que de l'origine. C'est pourquoi il en découle que l'Esprit saint tire son origine du Fils.

On voit aussi par l'Écriture sainte que nous sommes configurés au Fils par l'Esprit saint, selon cette parole de (Rm 8, 15): "Vous avez reçu un Esprit d'adoption de fils " et (Ga 4, 6): "Parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils en vos coeurs". Mais rien n'est configuré à quelqu'un que par son propre caractère. Dans les créatures aussi ce qui conforme quelque chose à quelqu'un vient de lui; ainsi la semence de l'homme n'est pas semblable au cheval; mais à l'homme d'où elle vient. Mais l'Esprit saint est du Fils comme sa marque la plus propre; c'est pourquoi il est dit du Christ (2Co 1, 21-22): "Il (le Père) nous a marqué du sceau, donné l'onction et le gage de l'Esprit dans nos coeurs." Mais plus expressément du Fils qui dit au sujet de l'Esprit saint: "Il m'a glorifié parce qu'il a reçu de moi." Il est clair que l'Esprit saint n'a pas reçu du Fils comme n'ayant pas avant lui: parce qu'ainsi il serait changeant et d'une nature dans le besoin. Donc il est clair qu'il a reçu du Fils de toute éternité; et n'a pu recevoir rien qui ne soit pas son essence de toute éternité. Donc l'Esprit saint a reçu l'essence du Fils.

La raison pour laquelle l'Esprit saint a reçu du Fils, le Fils lui-même l'a ajouté, en disant (Jn 16, 15): "Tout ce qu'a le Père est à moi. C'est pourquoi j'ai dit: parce qu'il a reçu de moi...", comme s'il disait que l'essence du Père et la mienne est la même, l'Esprit saint ne peut pas être de l'essence du Père, qu'il ne soit de la mienne. L'Écriture sainte rapporte aussi que le Fils opère par l'Esprit, comme on le voit en (Rm 15, 18): "Le Christ l'a fait par moi", à savoir les miracles et autres biens (dit l'Apôtre) dans l'Esprit saint", c'est-à-dire par l'Esprit saint et en (He 9, 14): il est dit que "par l'Esprit saint il s'est offert lui-même". Quelquefois aussi on dit que quelqu'un opère par un autre, il faut que ou bien celui qui opère lui donne le pouvoir d'opérer, par lequel il opère, comme on dit que le roi opère par un prévôt ou un bailli, ou au contraire comme quand on dit que le bailli opère par le roi.

Il faut donc, si le Fils opère par l'Esprit saint que ou bien celui-ci donne le pouvoir d'opérer au Fils ou bien que le Fils le donne à l'Esprit saint; et ainsi que l'un donne l'essence à l'autre, puisque le pouvoir d'opérer de l'un et l'autre n'est pas autre que son essence. Mais il est clair que l'Esprit saint ne donne pas l'essence au Fils, puisque celui-ci n'est le Fils que du Père. Il reste donc que l'Esprit saint est du fils.

Donc par ce que les Grecs confessent, on peut avoir le même résultat. Car ils confessent eux-mêmes que l'Esprit saint est du Père par le Fils et que le Père spire l'Esprit saint par le Fils. Mais toujours ce qui produit est le principe de ce qui est produit. Il faut donc que le Fils soit le principe de l'Esprit saint. Mais s'ils refusaient de confesser que l'Esprit saint est du Fils, parce que le Fils est d'un autre - et ainsi il n'est pas la première racine de l'origine de l'Esprit saint - il est clair qu'ils s'agitent en vain; car personne ne refuse de dire que la pierre est mue par le bâton, bien que le bâton soit mû par la main; et que Jacob n'est pas d'Isaac, bien que ce dernier soit d'Abraham. Mais il faut encore moins le refuser, car il y a une force productive du Père et du Fils; ce qui n'arrive pas dans ce qui meut et les agents créés.

C'est pourquoi de la même manière qu'il faut confesser que les créatures sont du Fils, bien que le Fils soit du Père, de même il faut confesser que l'Esprit saint est du Fils, bien que le Fils soit du Père. Donc il est clair que ceux qui disent que l'Esprit saint est du Père par le Fils, mais pas du Fils, ignorent ce qu'ils disent; comme Le philosophe le dit d'Anaxagore. "Car voulant être des docteurs de la loi, ils ne comprennent pas ni de quoi ils parlent ni ce qu'ils affirment", comme il est dit en (1Tm 1, 7).

 

Solution des objections:

1. Il faut donc dire que le Fils et l'Esprit saint sont appelés des fleurs engendrées de Dieu, c'est-à-dire des fleurs paternelles dans la mesure où l'un et l'autre sont du Père. Mais quant à ce que l'Esprit saint est du Fils, on peut dire que le Fils est la racine, et l'Esprit saint la fleur; car il ne faut pas tenir compte de la ressemblance avec ce qui est corporel pour tout ce qui est en Dieu.

2. Le Fils tient du Père qu'il émet l'Esprit saint de lui: c'est pourquoi et de la même manière il lui convient comme au Père. Mais le Père n'est pas le principe de la personne divine d'une seule manière, mais de deux, à savoir par génération et spiration. C'est pourquoi on ne peut conclure que le Fils est le principe de l'Esprit saint, par génération, mais c'est une erreur de raisonnement et surtout puisque le Père n'est pas le principe de l'Esprit saint par génération.

3. Il faut dire de même pour la troisième objection.

4. L'Esprit saint ne peut pas être appelé verbe au sens propre, mais communément, dans la mesure où tout ce qui se manifeste de quelque chose est appelé son verbe. Car l'Esprit saint manifeste le Fils, selon ce que le Fils dit de lui: (Jn 16, 14): "Il me glorifiera, parce qu'il a reçu de moi". Mais le Fils est appelé le verbe au sens propre, comme une conception de l'esprit divin.

5. Dans la génération chez les hommes, on appelle petit-fils celui qui procède de la même manière du fils comme le fils procède du Père. Mais l'Esprit saint ne procède pas du Fils en Dieu, comme le fils du Père, et c'est pourquoi la raison n'est pas valable.

6. Être principe n'est pas contraire à celui qui vient du principe à moins qu'on le comprenne par rapport à lui-même; car rien ne peut être le principe de ce par quoi il est comme par son principe. C'est pourquoi il n'en découle pas que dans le Fils il y ait des propriétés contraires, s'il était du Père, comme de son principe et qu'il soit le principe de l'Esprit saint

7. Tout ce qui est en Dieu est commun ou propre; mais on parle de ce qui est propre de deux manières:

a) Simplement et absolument; ce qui convient à un seul, comme le risible à l'homme.

b) D'une autre manière, on dit que c'est propre non pas selon l'absolu mais selon la relation; comme si on disait que le raisonnable est le propre de l'homme en comparaison du cheval, bien qu'il convienne à un autre, comme l'ange. Donc il y a en Dieu quelque chose de commun qui convient aux trois personnes, comme être Dieu, etc. et quelque chose qui est propre selon l'absolu; qui ne convient qu'à une seule personne, et ce qui est propre selon un rapport, comme spirer l'Esprit saint est propre au Père et au Fils par rapport à l'Esprit saint; car il faut placer en Dieu ce qui est propre ainsi, même si l'Esprit saint n'est pas du Fils; parce que être d'un autre, demeure encore propre au Fils et à l'Esprit saint en comparaison de l'origine.

8. Le nom de dû dans les personnes divines, si on veut en juger droitement, ne sonne pas tout à fait juste; parce que ce qui est dû apporte une sujétion et une obligation, qui ne peut pas exister en Dieu. Richard de saint Victor cependant, se sert de la distinction de l'amour gratuit et de l'amour dû, et il ne comprend par gratuit que ce qui ne vient pas d'un autre, par dû ce qui en vient; de cette manière rien n'empêche de comprendre que le même amour est gratuit, comme est celui du Père, mais dû comme est celui du Fils; car l'amour par lequel le Père aime et le Fils aime est identique; mais le Fils tient cet amour du Père, mais le Père de personne.

9. L'Esprit saint est seulement l'amour gratuit, selon que l'amour mercenaire est opposé à l'amour gratuit, par lequel une chose est aimée non à cause d'elle-même, mais à cause d'un gain extérieur. Mais selon qu'on parle d'amour gratuit, du fait qu'il prend son origine d'un autre ce n'est pas contre sa nature; car cet amour par lequel nous aimons par l'Esprit saint a son origine de ce qui nous a été donné par Dieu, et ainsi rien n'empêche aussi l'amour du Fils, qui tient d'un autre d'aimer, d'être l'Esprit saint.

10. L'Esprit saint procède du Père dans le Fils et du Fils dans le Père, non comme dans celui qui reçoit, mais comme dans un objet d'amour. Car on dit que l'Esprit saint procède du Père dans le Fils, en tant qu'il est l'amour par lequel le Père aime le Fils, et pour une raison semblable on peut dire que l'Esprit saint est du Fils dans le Père, en tant qu'il est l'amour par lequel le Fils aime le Père, mais on peut aussi comprendre qu'il procède du Père dans le Fils, en tant que le Fils reçoit du Père le pouvoir de spirer l'Esprit saint; mais ainsi on ne peut pas dire qu'il procède du Fils dans le Père, puisque le Père ne reçoit rien du Fils.

11. Ce mot: il aime non seulement dit la mission de l'amour, mais aussi une certaine affection ou une disposition selon l'amour. Ce qu'ils appellent émission en Dieu, ils peuvent l'accepter personnellement seulement, comme engendrer, spirer etc; ce qui n'apporte pas d'émission, mais qui convient plus à l'information de ce dont ils parlent, ils en parlent selon l'essence, comme être bon, intelligent etc. Et de là vient qu'on dit que l'Esprit saint aime non comme émettant l'amour, -en effet il convient ainsi seulement au Père et au Fils - mais dans la mesure où aimer est pris selon l'essence en Dieu.

12. Il faut dire qu'on trouve régulièrement dans l'Écriture sainte, que ce qui est dit du Père doit être compris du Fils; et ce qui est dit de l'un et l'autre ou de l'un d'eux, doit être compris de l'Esprit saint, même si on place un propos exclusif, au-delà de ce par quoi les personnes divines se distinguent entre elles, comme ce qui est dit in (Jn 17, 3): "C'est la vie éternelle: qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ". Car on ne peut pas dire qu'il ne convient pas au Fils d'être le vrai Dieu, ce que le Fils lui-même a attribué au Père seul, parce que, comme le Père et le Fils sont un, bien qu'ils ne soient pas un seul, il faut que ce qui est dit du Père, soit compris aussi du Fils. Et aussi il ne faut pas nier (parce qu'on n'a pas là mention de l'Esprit saint) que dans la connaissance de l'Esprit saint il n'y a pas de vie éternelle, puisqu'il y a une seule connaissance pour les trois. De la même manière, il ne faut pas soustraire la connaissance qu'ont le Père et le Fils de l'Esprit saint, bien qu'en (Mt 11, 27) il soit dit: "Personne ne connaît le Fils, sinon le Père; et personne ne connaît le Père sinon le Fils". C'est pourquoi, comme la possession de l'Esprit saint qui procède de soi, ne convient pas à la nature de la paternité et de la filiation, par lesquelles le Père et le Fils se distinguent, il faut, comme il est dit dans l'Évangile, que par le fait que l'Esprit saint procède du Père, on comprenne qu'il procède du Fils.

13. La doctrine de la foi catholique a été suffisamment rapportée dans le symbole de Nicée; c'est pourquoi les saints Pères dans les Conciles suivants ne tentèrent point d'ajouter quelque chose, mais ils s'appliquèrent à expliquer, à cause des hérésies qui surgissaient ce qu'il contenait implicitement. C'est pourquoi dans la décision, du Concile de Chalcédoine, il est dit: Maintenant le présent Concile grand, saint et universel enseignant cette prédication inébranlable depuis le début principalement celle des 318 saints Pères, qui se sont rassemblés à Nicée, a décidé de maintenir la foi incorruptible; et à cause de ceux qui combattent contre l'Esprit saint, plus tard, par les cent quarante Pères rassemblés à Constantinople, il renforce la doctrine rapportée sur la substance de l'Esprit, qu'ils ont fait connaître à tous, en la rapportant non comme quelque chose d'inférieur dans les précédents Conciles, mais au sujet de l'Esprit saint en annonçant par le témoignage des Écritures leur concept contre ceux qui tentèrent de repousser leur pouvoir, en proclamant le témoignage des Écritures."

Et il faut dire par ce moyen que la procession de l'Esprit saint du Fils est contenue implicitement dans le Symbole de Constantinople, en tant qu'il convient là qu'il procède du Père, parce que ce qu'on comprend du Père, il faut le comprendre aussi du Fils; puisqu'ils ne diffèrent en rien, sinon parce que l'un est le Fils et l'autre le Père. Mais à cause de ceux qui soulèvent les erreurs de ceux qui niaient que l'Esprit était du Fils, il a été convenable qu'on le place dans le Symbole, non comme quelque chose d'ajouté, mais interprété explicitement parce qu'il y était contenu implicitement. De même, si se levait une hérésie qui nierait que l'Esprit saint soit le Créateur du ciel et de la terre, il faudrait l'exposer explicitement, puisque dans ce symbole on ne le dit que du Père. Mais de même que le Concile suivant a le pouvoir d'interpréter le symbole fondé par le précédant, et de poser quelque chose pour son explicitation, pour qu'il devienne clair à partir de ce qui a été dit, de même aussi le Pontife romain le peut par son autorité; par sa seule autorité il peut réunir le Concile et en confirmer l'avis, et le concile l'appelle à lui. Tout cela est éclairé par les actes du Concile de Chalcédoine.

Et il n'est pas nécessaire que pour en faire l'exposition soit rassemblé un concile universel puisque quelquefois les menaces de guerre empêchent que ce soit fait, ainsi pour le septième Concile, on lit que Constantin Auguste a dit, qu'à cause des guerres imminentes il n'a pas pu ressembler les Évêques du monde entier. Mais cependant ceux qui se rassemblèrent, quelques doutes s'étant élevés sur la foi, suivant l'opinion du Pape Agathon, déterminèrent que dans le Christ il y a deux volontés, et deux actions; et de la même manière les Pères rassemblés au Concile de Chalcédoine, ont suivi l'avis du Pape Léon, qui détermina que le Christ est dans deux natures après l'Incarnation.

Cependant on doit être attentif au fait qu'on sait par la décision des principaux Conciles, que l'Esprit saint procède du Fils. Car le concile de Chalcédoine a reçu, comme il est dit dans sa décision, du bienheureux Cyrille qui préside l'église d'Alexandrie les lettres conciliaires pour Nestorius, et pour d'autres en orient. Dans l'une de celles-ci, on peut lire ainsi: "Puisque pour la démonstration de sa divinité le Christ se servait de son Esprit en vue de grandes opérations, il disait qu'il était glorifié par lui, comme si quelqu'un de ceux qui selon nous ont été introduits en lui par force et discipline, ou au sujet de quelque chose disait qu'il me glorifieront. Car ainsi il est dans une subsistance spéciale de l'Esprit, ou bien il est compris certainement par soi selon qu'il est l'Esprit et non le Fils; mais cependant il ne lui est pas étranger; car il est appelé Esprit de vérité, et il l'est et il découle de lui, comme en dernier lieu de Dieu le Père." Et rien n'empêche qu'il dise il découle, et non il procède; parce que, comme on le voit de ce qui a été dit, ce mot il procède, est le plus commun de ceux qui concerne l'origine. C'est pourquoi, tout ce qui est émis ou découle, procède ou sort de quelque manière. On trouve aussi dans la conclusion du cinquième Concile de Constantinople: "Nous suivons pour tout les saints Pères et docteurs de l'Église, Athanase, Hilaire, Basile, Grégoire le théologien et Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Théophile, Jean de Constantinople, Guillem, Léon, Procule; et nous recevons tout ce qui a été exposé concernant la foi droite, pour la condamnation des hérétiques". Mais il est clair, parce que cela a été rapporté par plusieurs d'entre eux dans la doctrine de la foi, que l'Esprit saint procède du Fils; et on ne l'a trouvé nié par aucun d'eux. C'est pourquoi ce n'est pas contre les Conciles, mais en accord avec eux qu'on dit que l'Esprit saint procède du Fils.

14. Bien que ce huius (de celui-ci) soit employé de multiples façons, cependant en Dieu on ne peut le comprendre que selon la relation d'origine. Mais à propos de la mission, il faut savoir que tous les docteurs sont d'accord, que n'est envoyée que la personne qui est d'un autre; c'est pourquoi au Père, qui ne dépend de personne, il ne convient absolument pas d'être envoyé. Mais quant à la personne qui accomplit la mission, l'avis des docteurs est diverse. - Athanase et certains autres disent qu'aucune personne n'est envoyée temporairement que par celle par qui elle est éternellement, comme le Fils est envoyé temporairement par le Père, duquel il procède éternellement. Et selon cela, on peut conclure infailliblement que si l'Esprit saint est envoyé par le Fils, il existe éternellement par lui. Mais dire que le Fils est envoyé par l'Esprit saint, doit être compris du Fils selon la nature humaine, qui a été envoyé par l'Esprit saint pour prêcher; c'est pourquoi il est dit d'une manière expressive, (Is 61, 1): "Il m'a envoyé pour évangéliser les pauvres" et ainsi l'expose Ambroise, bien qu'Hilaire expose que la Père pense à travers l'Esprit, selon que l'esprit est assumé éternellement en Dieu. - Mais Augustin pense que la personne qui procède temporairement est envoyée par celle aussi d'où elle ne procède pas éternellement. Car, comme la mission de la personne divine est comprise selon un effet dans la créature, qui est de toute la Trinité, la personne envoyée l'est par toute la Trinité; pour que dans la mission on ne comprenne pas l'autorité de celui qui envoie pour la personne qui est envoyée, mais la causalité pour l'effet, selon qu'on dit que la personne est envoyée. Et la raison qui prouve que l'Esprit saint procède du Fils par leur distinction n'est pas exclue par le fait qu'ils sont distingués par les propriétés, parce que celles-ci sont relatives, et ne peuvent distinguer que si elles sont opposées entre elles, comme on le voit par ce qui a été dit.

15. Bien que l'Esprit saint vienne des deux, il n'est pas cependant composé, parce que ces deux, à savoir le Père et le Fils, existent par une seule essence.

16. Le philosophe montre que les principes ne sont pas d'un autre, en tant qu'ils sont premiers. Mais le principe premier (pour ainsi dire) est principe mais pas d'un principe parce qu'il est le Père.

17. Bien que la volonté meuve l'esprit pour penser, elle ne peut cependant vouloir que ce qui est connu d'avance: c'est pourquoi comme on ne peut pas procéder à l'infini, il faut en arriver à ce que l'intellect pense naturellement non par le pouvoir de la volonté. Mais le Fils procède du Père naturellement; c'est pourquoi bien qu'il procède par mode d'esprit, il n'en découle pas qu'il vienne de l'Esprit saint, mais c'est le contraire.

18. On peut dire que l'Esprit saint se repose dans le Fils de trois manières:

a) Selon la nature humaine, d'après cette parole de (Is 11, 1): "Un rameau sortira de la souche de Jessé et une fleur montera de sa souche, et l'Esprit du Seigneur reposera sur lui."

b) Pour qu'on comprenne que l'Esprit se repose dans le Fils, parce que le pouvoir de spirer est donné au Fils par le Père, et ne s'étend pas au-delà.

c) Selon qu'on dit que l'amour se repose dans l'aimé, en qui l'affection de l'amant donne le repos. Mais par aucune de ces manières n'est exclue la procession de l'Esprit saint dans le Fils.

19. Que l'Esprit saint procède des deux, à savoir qu'il procède du Père et du Fils, puisqu'ils existent par une seule essence ne s'oppose pas à sa simplicité.

20. La perfection du Père et celle du Fils sont identiques; c'est pourquoi par le fait que l'Esprit saint procède du Père parfaitement, il n'est pas exclu qu'il procède du Fils, autrement il en découlerait que la créature ne serait pas créée par le Fils, puisqu'elle est créée parfaitement par le Père.

21. L'unité de l'essence n'induit pas la confusion des personnes; c'est pourquoi de l'unité de l'essence, on ne peut pas tirer des conclusions sur ce qui s'oppose à la distinction relative; et ainsi du fait que le Père et l'Esprit saint sont un, on ne peut pas conclure que le Fils soit de l'Esprit saint, bien que le Fils soit du Père, parce que l'Esprit saint est de lui, et à nouveau parce qu'il en découlerait que l'Esprit saint serait le Père, alors qu'être Père ce n'est rien d'autre qu'avoir un Fils qui procède de soi.

22. La splendeur vient du rayon, puisqu'elle n'est rien d'autre que la réflexion du rayon dans un corps clair; et cependant la splendeur est attribuée au Fils: (He 1, 3): "Puisqu'il est la splendeur du Père..."

23. La chaleur vient de la splendeur; car les corps célestes causent la chaleur par leurs rayons dans ces (corps) inférieurs.

24. La position de Nestorius a été que l'Esprit saint n'est pas du Fils; c'est pourquoi, dans un symbole des Nestoriens, condamné au premier Concile d'Éphèse; il est dit ainsi: "Nous pensons que l'Esprit saint n'a pas reçu le Fils, ni son essence par le Fils. " C'est pourquoi Cyrille dans la lettre contre Nestorius dont on a parlé, a établi que l'Esprit saint était du Fils. Mais Théodoret, dans une lettre à Jean d'Antioche dit ainsi: "L'Esprit saint n'est pas du Fils ou n'a pas sa substance par le Fils, mais il procède du Père; et il a été nommé l'Esprit du Fils, parce qu'il lui est consubstantiel". Mais ces paroles, Théodoret dont on a parlé, les attribue à Cyrille comme dites par lui dans une lettre qu'il écrivit à Jean d'Antioche, bien qu'on ne les lise pas dans cette lettre; mais il y est dit ainsi: "L'Esprit de Dieu le Père procède de lui, il n'est pas étranger au Fils selon la nature d'une unique essence." Et par la suite Damascène a suivi cette opinion de Théodoret, quoique ses dogmes soient condamnés dans le cinquième Concile. C'est pourquoi dans ce cas il ne faut pas s'en tenir à l'opinion de Jean Damascène.

 

Article 5: L'esprit saint demeurerait-il distinct du Fils, s'il ne procédait pas de lui?

 

Objections:

1. Il semble que oui. Richard de Saint Victor dit en effet que les personnes diffèrent selon leur origine, parce que l'une a une origine, l'autre n'en a pas; ou bien, si elle a une origine, l'origine de l'une est cependant différente de celle de l'autre. Mais l'origine de l'Esprit saint est différente de celle du Fils; car l'Esprit saint procède comme spiré, mais le Fils comme engendré. Donc l'Esprit saint diffère personnellement du Fils, même s'il ne procédait pas de lui, à cause d'une origine différente.

2. Anselme dit: "Le Fils et l'Esprit saint ont réellement l'être du Père, mais de manières différentes; parce que l'un l'a en naissant, l'autre en procédant, pour qu'ils soient différents l'un de l'autre" et ensuite, il ajoute: "Car si le Fils et l'Esprit saint n'étaient pas plusieurs par un autre, ils ne seraient différents que par cela." Donc, même si l'Esprit saint ne procédait pas du Fils, cependant il demeurerait personnellement distinct de lui, à cause du mode différent de son origine.

3. En Dieu, les personnes sont distinguées parce que l'une est par l'autre, selon un certain mode d'origine. Mais une seule personne procède en Dieu selon un seul mode. Donc s'il y a deux modes d'origine, il y aura deux personnes qui procèdent, même si l'une ne procède pas de l'autre. Mais il est clair que le Fils procède du Père selon un mode d'origine et l'Esprit saint selon un autre. Donc le Fils et l'Esprit se distinguent personnellement l'un de l'autre, même si on établit que l'un ne procède pas de l'autre.

4. Il est impossible qu'une hypostase procède selon une seule nature par plusieurs processions, parce qu'elle reçoit sa nature par ce qui procède; c'est pourquoi le Fils a deux naissances, selon les deux natures, mais en Dieu, il y a deux processions, l'une par mode de naissance, l'autre par celui de spiration. Donc il est impossible qu'une seule et même personne procède par les deux. Donc, il est nécessaire qu'il y ait deux personnes distinctes qui procèdent par ces deux processions. Donc l'Esprit saint demeure personnellement distinct du Fils, même s'il ne procède pas de lui.

5. Les relations éternelles en Dieu ne sont ni accidentelles ni assistantes, mais des personnes subsistantes. Donc ce à quoi aboutit la pluralité des relations en Dieu, suffit pour la distinction des personnes. Mais la diversité des actions selon l'espèce suffit à des relations diverses; car une relation de pouvoir découle de cette action qui est une direction; mais de cette action qui est la génération découle une autre relation qui est la paternité; comme aussi diverses relations aboutissent à diverses quantités selon l'espèce: car pour deux découle la relation du double et pour trois la relation du triple. Mais les processions en Dieu sont signifiées par le mode des actions. Donc s'il y a deux processions, il faut qu'il y ait deux relations qui accompagnent les processions. Donc il faut que ce soit deux personnes, ainsi de même que plus haut.

6. On trouve une procession plus parfaite en Dieu que dans les créatures; c'est pourquoi l'Apôtre dit aux Éphésiens (Ep 3, 15) que c'est à partir du Père céleste: "que toute paternité tire son nom au ciel et sur terre." Dans les créatures la procession suffit pour distinguer les suppôts qui procèdent; car un autre homme naît par une autre procession ou une autre naissance. Donc en Dieu la différence de procession suffit pour distinguer les personnes divines à savoir le Fils et l'Esprit saint.

7. Ce n'est pas la même chose de procéder par mode de nature et par mode d'amour. Mais on donne le nom de Fils à la personne qui procède par mode de nature. On donne le nom d'Esprit saint à celle qui procède par mode d'amour. Donc celui-ci est distingué du Fils même s'il procède de lui par la seule différence de procession.

8. Dans le Père, on trouve une génération active et une spiration active. Mais engendrer et spirer ne distinguent pas les personnes. Donc, de même que le Fils est du Père, comme personne distincte, par le fait qu'il est engendré par lui, de même l'Esprit saint est du Père, comme personne distincte par le fait qu'il est spiré par lui. Ainsi donc, il y a trois personnes en Dieu, même si l'Esprit saint ne procède pas du Fils.

9. Anselme, dans le livre de la Procession de l'Esprit saint dit que l'Esprit saint est aussi parfait qu'il soit du Père ou qu'il soit du Père et du Fils; mais il est du Père et du Fils comme distinct de l'un et l'autre. Donc s'il était seulement du Père, il demeurerait distinct de l'un et l'autre.

10. De même, le Père est principe suffisant et parfait. Mais le principe parfait d'une chose n'a pas besoin d'un autre pour produire parfaitement ce dont il est le principe. Donc le Père n'a pas besoin du Fils pour produire une troisième personne, à savoir l'Esprit saint; donc même si on considérait que l'Esprit saint ne procéderait pas du Fils, il y aurait encore trois personnes distinctes en Dieu.

11. De même, si on exclut ce qui est après, on n'exclut pas nécessairement ce qui est avant; ainsi, si on exclut l'homme, on n'exclut pas l'animal. Mais on parle de trois concepts à propos des personnes divines, c'est-à-dire la procession, la communion et la parenté. Mais la raison de la procession précède celle de la communion et aussi celle de la parenté. Mais en Dieu il n'y aurait pas de communion ou de parenté, s'il n'y avait pas la pluralité des personnes qui sont multipliées par la procession. Donc, si on exclut la communion et la parenté, demeure encore la procession. Donc, même s'il n'y a pas de communion du Père et du Fils pour spirer l'Esprit saint, ni de parenté de l'Esprit saint au Fils, du fait qu'il procède de lui, la procession de l'Esprit saint du Père demeure encore; et ainsi les trois personnes demeurent distinctes, à savoir deux qui procèdent et une d'où elles procèdent.

12. En Dieu on parle de propriétés, de relations et de notions; mais la raison de la propriété est avant celle de la relation ou de la notion, parce que comprendre les personnes constituées par les propriétés personnelles est avant qu'elles se réfèrent l'une à l'autre ou qu'elles se fassent connaître. Mais si on exclut les relations, les propriétés qui constituent les personnes demeurent encore. Donc quoique l'Esprit saint ne se réfère pas au Fils comme existant par lui, cependant le Fils et l'Esprit saint seront des personnes distinctes par leurs propriétés.

13. La filiation est la propriété du Fils qui constitue sa personne, et la procession est celle de l'Esprit saint qui constitue la sienne. Mais la filiation n'est pas une procession et ne lui est pas relativement opposée. Donc si on exclut toute relation de l'Esprit saint au Fils, le Fils et l'Esprit saint demeureront encore des personnes distinctes.

14. Beaucoup ont pensé que l'Esprit saint ne procède pas du Fils, qui cependant ont pensé qu'il y avait trois personnes en Dieu, comme on le voit chez les Grecs. Donc quoique l'Esprit saint ne procède pas du Fils, il demeure encore distinct du Fils.

15 De même Damascène dit: "Nous disons que l'Esprit saint procède du Père, mais non du Fils, mais nous l'appelons l'Esprit du Fils". Donc, quoiqu'il ne procède pas du Fils, il demeure encore qu'il est l'Esprit saint; et ainsi qu'il est distinct de lui.

16. Les Pères Grecs parlant du Fils et de l'Esprit saint en se servant d'images corporelles, disent qu'il y a deux rayons de lumière du Père; et comme deux cours d'eau d'une source divine qui est dans le Père, et comme deux fleurs d'une nature paternelle; mais les rayons, les cours d'eau et les fleurs se distinguent les uns des autres, même si l'un ne vient pas d'un autre. Donc le Fils et l'Esprit saint se distinguent entre eux.

 

Cependant:

1. Boèce dit qu'en Dieu, seule la relation multiplie la Trinité. Mais si l'Esprit saint ne procède pas du Fils, il n'y aura pas de relation de l'Esprit saint au Fils. Donc il ne sera pas distingué de lui selon le nombre de personnes.

2. Anselme dit que le Père et le Fils sont un en tous, sinon en ce en quoi l'opposition de la relation les distingue entre eux et cela à cause de l'unité de l'essence. Mais de la même manière l'essence du Fils et de l'Esprit saint est une. Donc ils sont un en tous, sinon en ce en quoi l'opposition de la relation les divise entre eux. Mais si l'Esprit saint n'est pas du Fils, en aucune manière l'opposition de la relation ne les divise entre eux. Donc ils ne se distingueront entre eux en aucune manière.

3. Richard de Saint Victor dit qu'il ne peut y avoir dans la Trinité qu'une seule personne qui n'est que d'une autre personne seulement. Mais si l'Esprit saint n'est pas du Fils, de même que le Fils est d'une personne seule à savoir le Père, l'Esprit saint aussi. Donc le Fils et l'Esprit saint seront une seule personne.

4. Il dit dans le même livre qu'il ne peut y avoir en Dieu qu'un seul qui n'a pas quelqu'un qui procède de lui. Mais si l'Esprit saint ne procède pas du Fils, de même qu'il n'a personne qui procède de lui, le Fils n'aura personne non plus. Donc le Fils et l'Esprit saint seront un seul.

5. Partout où les personnes se distinguent par les relations, il faut que ce qui est en relation soit distingué personnellement. Mais en Dieu les personnes se distinguent par les relations; car elles ne peuvent pas être distinguées par l'absolu. Donc ce qui n'est pas référé n'est pas distingué. Mais si l'Esprit saint ne procède pas du Fils, il n'a pas de relation avec lui. Donc il n'est pas distingué personnellement de lui.

6. Un des opposés n'a distingué ce en quoi il est que par ce en quoi il est un reste opposé; ainsi une chose n'est distinguée par la blancheur, que par ce en quoi il y a du noir. Donc la relation n'a distingué ce en quoi elle est que ce en quoi il y a une relation opposée. Mais la propre relation de l'Esprit saint, par laquelle il est distingué personnellement, c'est la procession. Donc il n'est distingué personnellement que par ce en quoi il y a la relation opposée, qui est la spiration active; qui n'est pas dans le Fils, si l'Esprit saint ne vient pas du Fils. Donc si l'Esprit saint n'est pas du Fils, il n'est pas distingué personnellement de lui.

7. Ce qui convient pour la relation en Dieu a deux expressions dans ce qui est commun, celui par qui il est autre, et celui qui est d'un autre. Mais celui par qui il est autre ne se distingue pas personnellement par un mode différent d'origine; car la même personne du Père est celle par laquelle le Fils est par génération et l'Esprit saint par procession. Donc celui qui vient d'un autre par spiration, à savoir l'Esprit saint, n'est pas distingué de celui qui vient d'un autre par génération, à savoir le Fils.

8. Richard, assignant une différence entre les deux processions du Fils et de l'Esprit saint, dit: "La communion de la majesté a été, pour ainsi dire, la cause de l'origine de l'un, à savoir le Fils; la communion de l'amour a été la cause de l'origine de l'autre;" à savoir l'Esprit saint. Il n'y aurait eu de procession de l'Esprit saint par la communion d'amour, que si le Père et le Fils s'aimaient d'un amour réciproque, et si l'Esprit saint procédait d'eux. Donc si l'Esprit saint ne procédait pas du Fils, il n'y aurait pas de différence entre la procession de l'Esprit saint et la génération du Fils, et ainsi l'Esprit saint ne serait pas non plus distingué personnellement du Fils.

 

Réponse:

Si quelqu'un considère sérieusement les paroles des Grecs, il trouvera qu'elles diffèrent des nôtres plus dans les mots que dans le sens. Car ils ne concèdent pas que l'Esprit saint procède du Fils, à cause de l'ignorance, de l'insolence ou de la calomnie, ou pour quelque autre cause; ils concèdent cependant que l'Esprit saint est l'Esprit du Fils, et vient du Père par le Fils, ce qu'on ne pourrait pas dire, si la procession de l'Esprit saint était tout à fait affranchie du fils. C'est pourquoi il est donné à comprendre que même les Grecs conçoivent que la procession de l'Esprit saint a un rapport au Fils.

Et je dis que si l'Esprit saint n'est pas du Fils, si de quelque manière le Fils n'est pas le principe de la procession de l'Esprit saint, il est impossible que la procession de l'Esprit saint soit personnellement distinguée du Fils, et il est aussi impossible qu'elle diffère de la génération du Fils. Ce qui est clair, si on considère ce par quoi certains interprètent la distinction des personnes divines. Certains parlent en effet de la distinction des personnes selon les relations, d'autres selon les modes d'origine, certain par comparaison aux attributs essentiels.

Si donc nous considérons la manière de distinguer les personnes par les relations, il apparaît manifestement que l'Esprit saint ne peut pas être distingué personnellement du Fils, s'il ne procède pas de lui:

a) Premièrement, parce que la distinction de ces choses entre elles ne peut à proprement parler exister que ou bien à cause d'une division matérielle, ou quantitative, ou bien à cause d'une division formelle. Mais la distinction selon la matière ou la division quantitative se trouve dans ce qui est corporel, là où il y a plusieurs individus de la même espèce du fait que la forme de l'espèce se trouve en diverses parties de la matière selon la quantité de la division: c'est pourquoi si une chose est composée de toute la matière, dans laquelle il est possible qu'il y ait la forme de l'espèce, il est impossible qu'il y ait plusieurs individus de cette espèce; comme le prouve Le philosophe du Monde, Mais ce mode de distinction doit absolument être exclu de Dieu, puisqu'en lui il n'y a pas de matière ni de quantité corporelle. Et la distinction de ce qui a une seule nature, au moins en genre, ne peut exister par division formelle que par l'existence d'une opposition. C'est pourquoi nous trouvons que les différences de n'importe quel genre sont opposées.

Et ainsi dans la nature divine il ne peut n'y avoir une distinction et on ne peut la comprendre, puisqu'elle est unique non seulement en genre mais en nombre que par une opposition. C'est pourquoi comme les personnes se distinguent en Dieu, il faut que cela se fasse par une opposition relative, parce qu'il ne peut pas y avoir d'autre opposition. Et cela est suffisamment clair. Car chaque fois que des choses sont divisées selon une raison différente, comme les attributs essentiels, ils ne distinguent pas les personnes, parce qu'elles ne sont pas opposées entre eux. Ainsi plusieurs notions se trouvent aussi dans une seule personne divine, parce qu'elles n'ont pas d'opposition entre elles, comme dans le Père; à savoir l'innascibilité, la paternité et la spiration active. Car on trouve d'abord une distinction là où arrive d'abord une opposition relative, comme dans le fait d'être Père et Fils. Donc là où il n'y a pas d'opposition relative en Dieu il ne peut pas y avoir une distinction réelle, qui est une distinction personnelle.

Mais si l'Esprit saint ne procède pas du Fils, il n'y aura pas d'opposition entre eux et ainsi l'Esprit saint ne sera pas distingué du Fils. Et on ne peut pas dire que pour établir une telle distinction, l'opposition de l'affirmation et de la négation suffise; parce qu'une telle opposition suit la distinction, mais ne la cause pas, puisque ce qui existe par un autre est distingué par quelque chose qui lui est inhérent substantiellement ou accidentellement; mais que ceci ne soit pas cela, découle de ce qu'ils sont distincts. De la même manière il est clair que la vérité de n'importe quelle négation dans ce qui existe est fondée sur la vérité de cette affirmation; ainsi la vérité de cette négation: "L'éthiopien n'est pas blanc" est fondée sur la vérité de cette affirmation: "L'Éthiopien est noir". Et c'est pourquoi il faut que toute différence qui est par opposition d'une affirmation et d'une négation soit ramenée à la différence d'une opposition affirmative. C'est pourquoi la raison première de la distinction ne peut pas exister entre le Fils et l'Esprit saint du fait que le Fils est engendré et non pas spiré; l'autre est spiré et non engendré à moins qu'on comprenne auparavant une distinction entre le génération et la spiration, et entre le Fils et l'Esprit saint, par une opposition des deux affirmations.

b) Deuxièmement, parce que, d'après Augustin, en Dieu, ce qu'on dit dans l'absolu est commun aux trois personnes. C'est pourquoi il reste que la distinction des personnes ne peut exister que selon ce qui est appelé relation, car il y a deux catégories en Dieu. La distinction première qui se trouve en Dieu selon la relation, est par ces deux expressions, celui par lequel il est autre et celui qui ne vient de personne. Mais s'il faut distinguer l'un d'eux, à savoir qu'il est d'un autre, il faut qu'il soit distingué par ce qui est d'une même nature. En effet, comme l'enseigne le philosophe, si quelqu'un en distinguant se sert de ce qui est par accident, et non par soi, il en découle un ordre de division incorrect, comme si on disait: l'un des animaux est raisonnable, l'autre sans raison; parmi les non raisonnables l'un est blanc, l'autre noir; ce ne serait pas une division correcte, parce que, comme l'unité ne se fait absolument pas par les accidents, la dernière espèce, constituée de nombreuses différences, ne serait absolument pas une unité.

Il faut donc, si en Dieu celui qui est d'un autre est distingués ou séparé, que ce soit par des différences de même nature, comme, parmi ceux qui dépendant d'une autre, l'un d'eux soit de l'un des deux parmi eux, et cela la différence des processions l'apporte, ce qu'on signifie quand on dit que l'un procède par génération, l'autre par spiration. C'est pourquoi Richard a distingué de cette manière celui qui procède de l'autre, parce que l'un en a un autre qui procède de lui, mais pas l'autre.

c) Troisièmement, parce que, comme dans le Père il y a deux relations, à savoir la paternité et la spiration active, la seule paternité constitue la personne du Père; c'est pourquoi on les appelle propriété ou relation personnelle, mais la spiration active est une relation non personnelle de la personne, comme s'ajoutant à la personne déjà constituée. Cela montre clairement que la génération active, ou la paternité, selon l'ordre dont on les comprend, sont présupposées à la spiration. Il faut donc que de la même manière la filiation, qui répond par opposition à la paternité, soit présupposée selon un certain ordre à la spiration passive, qui est la procession de l'Esprit saint. Ou bien donc de sorte que la spiration passive soit comprise comme arrivant en plus à la filiation, dans la même personne, comme la spiration active à la paternité; et ainsi elle sera dans la même personne de celui qui est spiré et né, comme de celui qui engendre et qui spire; ou bien il faut que la filiation ait quelque autre rapport à la spiration passive. Mais il n'y a d'ordre en Dieu que de la nature, selon que l'un est d'un autre; comme le dit Augustin. C'est pourquoi il reste que ou bien le Fils et l'Esprit saint sont une seule personne, ou bien l'Esprit saint est du Fils.

B. - Si quelqu'un considérait la distinction des personnes divines par leur origine, non par les relations d'origine, la conséquence serait la même; comme ce qu'on va dire va le montrer.

a) Premièrement, parce que si on considère la propriété de la nature divine, il est impossible qu'il y ait en Dieu pluralité de personnes, sinon que l'une vienne de l'autre, mais en aucune manière du fait que deux viennent d'une seule. Ce qui est clair, si on considère de quelle manière s'établit la distinction dans diverses choses. Car dans ce qui est matériel, en quoi il est possible que se fasse la multiplication par la division de la matière, et de la quantité, comme on l'a dit, il est possible que deux individus d'une même espèce se comportent de la même manière, comme deux parties de la quantité se comportent à égalité; mais où on trouve une première différence selon la forme, là il est impossible que deux êtres se comportent à égalité. Comme, en effet, le philosophe le dit, les formes des choses sont comme les nombres, dans lesquels les espèces varient par addition ou soustraction d'une unité: et les différences formelles consistent dans un certain ordre de perfection. Car la plante diffère en espèce de la pierre du fait qu'elle ajoute la vie; l'animal diffère de la plante du fait qu'il ajoute la sensation; et l'homme diffère de l'animal du fait qu'il rajoute la raison. Et c'est pourquoi dans les êtres immatériels en qui il n'y a pas de multiplication par la division de la matière, il est impossible qu'il y ait pluralité, sinon avec un certain ordre. Dans les substance immatérielles créés, il y a un ordre de perfection selon qu'un ange est d'une nature plus parfaite qu'un autre. Et parce que certains philosophes ont cru que tout nature imparfaite serait créée par une plus parfait, ils ont dit que, dans les substances séparées, il ne peut y avoir de multiplication que par la cause et l'effet; ce que cependant la foi droite n'affirme pas parce que nous croyons que les différents ordres dans les substances immatérielles ont été produits par l'ordre de la sagesse divine.

Et comme en Dieu il ne peut pas y avoir d'ordre dans la perfection, comme les Ariens l'ont pensé, - disant que le Père est plus grand que le Fils, et l'un et l'autre plus grand que l'Esprit saint - il reste que la pluralité dans les personnes divines ne peut exister ni être comprise que selon la relation d'origine seulement, à savoir le Fils est du Père, et l'Esprit saint du Fils. Car si l'Esprit saint n'était pas du fils, il ne considérerait pas le Père à égalité quant à l'origine; c'est pourquoi il n'y aurait pas deux personnes, ou bien il y aurait un ordre de perfection entre elles selon les Ariens; ou bien il y aurait entre eux une division matérielle, ce qui est impossible. Et Hilaire suivant cette raison, dit que, penser qu'en Dieu il y en a deux qui ne sont pas engendrés, c'est-à-dire qui n'existent pas par un autre, c'est établir qu'il y a deux dieux; parce que s'il n'y a pas de multiplication par l'ordre d'origine, il faut que ce soit par l'ordre des natures; et ainsi c'est la même raison, si entre le Fils et l'Esprit saint, on ne place pas d'ordre d'origine.

b) Deuxièmement, parce que ce qui procède d'un seul naturellement, doit être un; car la nature se comporte toujours vis-à-vis de l'unité; mais ces êtres qui procèdent de quelque chose par une volonté en acte, peuvent être plusieurs, bien qu'ils soient d'un seul: ainsi d'un seul Dieu ont procédé diverses créatures selon sa volonté. Mais il est clair que le Fils procède du Père par nature, et non par volonté, comme les Ariens l'ont dit, et c'est pour cela qu'Hilaire a dit: "Ce qui procède naturellement de quelqu'un est tel qu'est celui dont il procède; mais ce qui procède de quelqu'un selon une volonté agente, n'est pas tel qu'est celui de qui il procède, mais tel qu'il le veut." Ainsi le Fils est tel que le Père; et les créatures sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient. C'est pourquoi le Fils vient du Père par nature, mais les créatures par sa volonté. De la même manière, l'Esprit saint est tel que le Père, car il n'est pas une créature, comme Arius et Macédonius l'ont dit. C'est pourquoi il faut qu'il procède naturellement du Père; c'est pourquoi Athanase ainsi que d'autres saints disent, qu'il est l'Esprit naturel du Père et du Fils. Il est donc impossible que le Fils et l'Esprit saint procèdent du Père sinon de cette manière qu'un seul procède du seul Père, à savoir le Fils, et du Père et du Fils en tant qu'ils sont un, un seul Esprit saint.

c) Troisièmement, parce que, comme Richard le prouve, il est impossible qu'en Dieu il y ait une procession intermédiaire. En effet, comme n'importe quelle personne divine est dans une autre, il faut qu'elles soient ordonnées à l'autre sans intermédiaire. Mais si le Fils et l'Esprit saint étaient du Père sans que l'Esprit saint soit du Fils, l'ordre de l'Esprit saint au Fils ne serait pas immédiat; car ils ne seraient ordonnés entre eux que par un intermédiaire par lequel ils existeraient, comme deux frères engendrés par un seul Père. C'est pourquoi il est impossible que le Fils et l'Esprit saint soient du Père de cette manière, comme deux personnes distinctes, parce que l'un d'eux n'est pas de l'autre.

C. - Si quelqu'un considérait la distinction des personnes par l'ordre aux attributs essentiels, il est clair aussi qu'il en découle la même chose.

a) Premièrement, parce que selon cela il est dit que le fils procède par mode de nature, et l'Esprit saint par mode de volonté. Car toujours la procession de nature est le principe et l'origine de n'importe quelle autre procession; car tout ce qui est fait par art, volonté ou esprit, procède de ce qui est selon la nature. Et c'est pourquoi Richard dit, qu'entre tous les modes de procéder, il est clair que tenir la première place et être plus important pour les autres est ce mode de procéder qui est du Fils par le Père. Car si cela n'avait précédé, aucun des autres n'aurait eu tout à fait lieu d'exister.

b) Deuxièmement, il est manifeste que, si on dit que le Fils procède d'une procession intellectuelle, comme verbe, l'Esprit saint procède par une procession de volonté comme amour. Car il n'est pas possible et on ne peut comprendre que l'amour soit de quelqu'un qui n'est pas préconçu dans l'esprit; c'est pourquoi n'importe quel amour, est par un verbe, si on parle de l'amour dans la nature intellectuelle.

c) Troisièmement, la même chose apparaît si nous disons que l'Esprit saint est quelque spiration vivificatrice de la divinité, comme le dit Athanase. Car tout mouvement et action de vie sont ordonnés par l'esprit à moins que n'arrive le contraire par l'imperfection de la nature.

C'est pourquoi par tout ce qui a été dit, il est donné à comprendre que l'Esprit saint ne serait pas autre que le Fils s'il ne procédait pas de lui, la spiration ne serait pas autre chose que la génération.

 

Solution des objections:

1. L'Esprit saint se distingue substantiellement du fils du fait que l'origine de l'un diffère de celle de l'autre, mais la différence d'origine elle-même vient du fait que le Fils est du seul Père, mais l'Esprit saint du Père et du Fils. Ce qu'éclaire Richard qui dit "Il faut noter qu'une telle différence des propriétés consiste dans le seul nombre de ceux qui produisent; car la première d'entre elles a l'être d'aucun autre, l'autre d'une seule, mais la troisième des deux."

2. Ce que dit Anselme, que le Fils et l'Esprit saint par le seul fait qu'ils se distinguent entre eux parce qu'ils procèdent de manière différente, est tout à fait vrai; mais comme on l'a montré, ils ne pourraient procéder d'une manière différente que si l'Esprit saint était du Fils, c'est pourquoi si on exclut que l'Esprit saint n'est pas du Fils, la distinction de l'Esprit saint est tout à fait exclue du Fils. C'est le dessein d'Anselme, de placer avant ce en quoi nous sommes en accord avec ceux qui nient que l'Esprit saint vient du Fils, qui cependant disent qu'il en est distingué. C'est pourquoi les mots d'Anselme ci-dessus, sont induits plus comme une controverse que comme une définition de la vérité.

3. Il découle bien s'il y deux modes d'origine en Dieu, qu'il y a deux personnes qui procèdent; mais il ne peut y avoir deux modes d'origine que parce que l'Esprit saint procède du Fils, comme on l'a montré.

4. Il faut dire de même.

5. Il ne faut pas qu'il y ait en Dieu autant de personnes qui subsistent que de relations; car dans la seule personne du Père, il y a deux relations; c'est-à-dire la paternité, par laquelle il se réfère au Fils, et la spiration commune, par laquelle il se réfère à l'Esprit saint: car la relation de paternité a constitué une personne subsistante; mais la relation commune de la spiration n'est pas la propriété qui constitue une personne, mais la relation inhérente à la personne qui subsiste. C'est pourquoi il n'en découle pas si deux relations arrivent par génération et procession qu'à cause de cela il y ait seulement deux personnes subsistantes. Aussi on peut répondre que ce ne sont pas deux processions sinon que l'un de ceux qui procède est d'un autre, comme on l'a dit.

6. Et là paraît la solution à la sixième objection.

7. Ce qui procède par mode d'amour, doit procéder de ce qui procède par mode de nature, comme cela se voit par ce qui a été dit.

8. La spiration a distingué l'Esprit saint de celui qui spire, comme la génération celui qui est engendré de celui qui engendre; cependant il n'en découle pas que celui qui est spiré soit distingué de celui qui est engendré, puisque celui qui spire et celui qui engendre sont le même. Et ce n'est pas à cause de cela que le même ne peut pas procéder par deux processions différentes: mais les processions en Dieu ne peuvent être différentes que par le fait que l'un de ceux qui procèdent est d'un autre, comme on l'a montré.

9. L'Esprit saint est aussi parfaitement du Père que du Père et Fils; ce n'est pas cependant parce qu'il est du Père, qu'il est distingué du Fils, mais parce qu'il est du Fils.

10. Le Père est le principe suffisant de l'Esprit saint, et il n'a pas besoin d'un autre principe pour la spiration de l'Esprit saint; car le Fils n'est pas un autre principe de l'Esprit saint, mais un principe avec lui.

11. Bien que la procession soit en esprit avant l'union, comme ce qui est commun est avant ce qui est propre, cependant une telle procession, - à savoir celle de l'Esprit saint, qui procède comme amour et communion et lien du Père et du Fils, - n'est pas selon l'esprit avant l'union. C'est pourquoi il ne faut pas que si on exclut l'union, la procession demeure; ainsi l'animal est en raison avant l'homme, mais pas l'animal raisonnable.

12. Les propriétés, les relations et les notions en Dieu sont identiques en réalité; à moins que les propriétés soient seulement trois, à savoir la paternité, la filiation et la procession. Mais les relations sont quatre; si on ajoute aux trois propriétés déjà signalées, la spiration commune qui est une relation, mais cependant pas une propriété, parce qu'elle ne convient pas à une personne. Mais les notions sont cinq, si on ajoute l'innascibilité; qui n'est pas une relation, mais une notion, parce que le Père se fait connaître par elle. Mais elle est aussi une propriété, parce qu'elle convient au Père seul, mais pas cependant une propriété personnelle, parce qu'elle n'a pas constitué la personne du Père.

Donc en réalité, les propriétés, les relations et les notions ne peuvent pas avoir d'ordre, puisque le même est contenu sous trois concepts. Mais si leur ordre quant aux relations propres est requis, alors la notion est avant la relation selon l'ordre par lequel on dit que quelque chose est avant selon nous, mais la relation et la propriété selon l'ordre par lequel quelque chose est avant en réalité. Mais si nous recherchons l'ordre de la relation et de la propriété, dans les créatures, on n'a pas à leur assigner d'ordre, car une propriété est une relation, mais pas toute propriété. De la même manière une relation est une propriété mais pas toute relation. Cependant si la propriété est prise d'un absolu, elle est d'abord par cet ordre par lequel l'absolu est avant le relatif. Mais, dans les personnes divines, il faut que la raison de la relation précède celle de la propriété; car comme le propre est ce qui convient à un seul, la raison de la propriété présuppose la distinction. Mais en Dieu il ne peut y avoir quelque chose de distinct, que par ce qui est relation. C'est pourquoi la relation qui est le principe de la relation en Dieu, est en raison avant la propriété.

Il faut cependant savoir que ni la propriété ni la relation, en tant que telles, n'ont de raison de constituer une personne. Comme, en effet, la personne est une substance individuelle de nature raisonnable, ce qui est hors d'elle ne peut pas constituer une personne; c'est pourquoi dans les créatures, les propriétés et les relations n'apportent pas de constitution, mais plutôt elles surviennent aux personnes constituées. Mais en Dieu, la relation même qui est aussi une propriété, est l'essence divine; et de là vient que ce qui a été constitué par elle, est une personne, car à moins que la paternité soit l'essence divine, en aucune façon ce nom de Père, signifierait la personne, mais seulement l'accident relatif à une personne, comme c'est clair dans les personnes humaines. Donc la paternité, en tant qu'essence divine, a constitué l'hypostase qui subsiste dans la nature divine; en tant que relation elle a distingué; en tant que propriété, elle convient à une personne, et non à l'autre, en tant que notion elle est le principe pour faire connaître la personne. Ainsi donc selon l'ordre de l'esprit, est premier ce qui constitue la personne, second ce qui distingue, troisième ce qui est la propriété, quatrième ce qui est la notion.

13. Bien que la filiation ne soit pas opposée relativement à la procession, cependant celui qui procède est opposé relativement au Fils, et par là la procession est distinguée de la filiation.

14. Bien que les Grecs ne confessent pas que l'Esprit saint procède du Fils, ils confessent cependant qu'il est d'une certaine manière le principe de son origine; ce qui paraît du fait qu'ils disent que l'Esprit saint est du Père par le Fils, et que l'Esprit saint est du Fils. Néanmoins cependant quelque chose implique implicitement une contradiction, parce que rien n'empêche qu'il soit concédé par un autre qui ne le sait pas explicitement; et ainsi quelqu'un, qui ne le comprend pas, peut dire l'Esprit saint n'est pas du Fils, bien qu'il soit distinct du Fils.

15. Damascène en confessant que l'Esprit saint vient du Fils, donne à comprendre qu'il tire d'une certaine manière son origine du Fils.

16. On dit que l'Esprit saint et le Fils sont deux cours d'eau en tant qu'ils procèdent tout les deux du Père; les docteurs grecs cependant disent que le Fils est la source de l'Esprit saint, mais que celui-ci n'est pas du Fils, et on peut dire de même des autres images.

 

Fin des 10 questions Disputées sur la Puissance de Dieu