LA NATURE DU LIEU

 

SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

 

OPUSCULE 51

(Œuvre non authentique. Auteur ignoré)

Traduction Abbé Védrine, Editions Louis Vivès, 1857

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2004

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

Pour connaître la nature du lieu, il faut considérer qu’on ne chercherait pas de lieu s’il n’existait pas quelque mouvement relatif au lieu. En effet, comme d’après la transmutation des diverses formes par rapport à la matière nous connaissons que la matière est différente des autres formes, de même d’après la transmutation des divers corps relativement au même lieu, nous savons que le lieu est quelque chose comme le réceptacle des corps différent de tous les corps.

 

Or le lieu naturel ne désigne pas seulement un contenant, mais contenant, conservant et formant les choses localisées, en raison de quoi chaque corps se meut naturellement vers son lieu comme vers ce qui doit conserver son être. Le lieu suivant ce qu’il est n’est ni la matière, ni la forme de la chose localisée, parce que la matière et la forme ne sont pas séparées de la chose. Or le lieu peut se séparer de la chose localisée, et non l’espace dimensionné existant en dessous des limites du corps contenant, parce qu’il n’y a rien en dessous des limites du corps contenant qui soit circonscrit par la grandeur du corps de ce qui est contenu. La raison en est que si ce qui est circonscrit pur la grandeur du corps contenu était un espace en dessous des limites du corps contenant, cela aurait des dimensions de longueur, de largeur et de profondeur; or les dimensions sont des accidents, puisqu’elles sont des quantités, donc elles ne peuvent être dans d’autre sujet qu’un corps. Si donc il y avait un espace en dessous des limites du corps contenant en dehors de la grandeur du corps contenu, il s’ensuivrait qu’il y a des accidents sujet, ce qui est impossible. Donc le lieu n’est ni une matière ni une forme, ni un espace contenu en dessous des limites du corps contenant.

Qu’il n’est pas un espace, on le prouve ainsi d’une autre manière: si le lieu était un espace en dessous des limites du corps contenant, il s’ensuivrait que des lieux infinis existeraient en même temps, ainsi que le déduit Aristote, parce que l’air, l’eau et tout corps quelconque aussi bien que les parties d’un corps ayant des dimensions propres et des distances propres, toutes les parties font dans le tout ce que fait la totalité de l’eau dans le vase, parce que suivant la supposition de ceux qui pensent que l’espace est un lieu, lorsque l’eau est dans le vase, outre les dimensions de l’eau, il y a d’autres dimensions de l’espace qui pénètrent les dimensions de l’eau. Or il est constant que la partie est contenue dans le tout de la même manière que l’eau dans le vase, si ce n’est que la chose localisée est séparée du lieu; tandis que la partie n’est pas actuellement séparée du tout. Si donc on sépare la partie du tout, outre les dimensions de la partie, il y aura d’autres dimensions du tout pénétrant les dimensions des parties. Il est évident que la division ne crée pas de nouvelles dimensions, elle ne fait que séparer celles qui existaient déjà. Or comme après la séparation il y a d’autres dimensions du tout pénétrant les divisions des parties, il y en aura de même avant la séparation. Autant donc que l’ion prendra de parties dans un tout se contenant l’une l’autre, autant il y aura de dimensions se pénétrant réciproquement: mais dans un tout continu il y a à prendre des parties infinies, dont l’une contient l’autre, par la raison qu’un tout continu est divisible à l’infini. Donc dans un tout continu il y aura des dimensions infinies se pénétrant réciproquement. Si donc les dimensions sont un lieu, il s’ensuit qu’il y a eu semble des lieux infinis, ce qui est impossible. Donc de ce que le lieu n’est ni matière, ni forme, ni espace, il s’ensuit qu’il est une quatrième chose, à savoir la limite du corps contenant. Or le lieu n’est pas seulement la limite du corps contenant, mais il est encore immobile, et il y en a qui considèrent cette immobilité comme existant à l’égard de la chose localisée. En effet, quoique le lieu subisse le mouvement du corps contenant, parce qu’il est son dernier terme, il ne subit pas néanmoins le mouvement de la chose localisée. Cela n’est pas suffisamment établi et n’est pas conforme à ce que veut Aristote, que de même que le vase est un lieu mobile, le lieu est aussi un vase immobile. Il faut donc donner une plus grande immobilité au lieu naturel qu’au vase. Le vase étant donc immobile par le mouvement de ce qui est dans le vase, et le lieu étant plus immobile que le vase, il s’ensuit que le lieu n’est pas immobile par le mouvement de ce qui est contenu, mais même de ce qui contient. Ce qui le confirme c’est que par rapport à une chose contenue restant immobile, comme une maison ou un arbre, il se fait un changement du contenant, comme de l’air. Donc si le lieu subissait le mouvement du contenant, il en résulterait que restau t immobile il se produirait en divers lieux, ce qui est impossible. Donc le lieu ne subit pas le mouvement du corps localisé, mais il ne subit pas non plus celui du contenant. C’est pour quoi Aristote dit, que le navire qui se trouve dans les eaux d’un fleuve qui se meuvent, s’y trouve plutôt comme dans un vase que comme dans un lieu qui le contient. Car il est de la nature du lieu d’être immobile. Aussi tout le fleuve qui dans sa totalité est immobile, doit plutôt être dit le lieu du navire que cette eau qui s’écoule et se meut.

En effet, tout le fleuve n’est pas le lieu propre, mais bien le lieu commun du navire, il faut donc prendre le lieu propre du navire dans le fleuve par rapport à tout le fleuve qui est immobile. Il faut donc prendre le lieu propre dans le fleuve, non suivant cette eau qui coule et se meut, mais suivant l’ordre et la position qu’il a à l’égard de tout le fleuve, lesquels restent dans l’eau qui vient les mêmes qu’ils étaient dans l’eau qui s’en va, par rapport à tout le fleuve. Quoique, en effet, l’eau s’écoule matériellement, néanmoins, comme l’ordre et la position restent les mêmes par rapport à tout le fleuve, il en est de même du lieu. C’est de cette manière que nous devons comprendre que les extrémités des corps naturels sont un lieu par le rapport, l’ordre et la position qu’elles ont relativement à tout le corps du ciel qui est le premier contenant, conservateur et localisateur. En effet, quoique la surface de l’air ou de l’eau se meuve suivant qu’elle est la limite dernière de tel ou tel corps, il succède néanmoins nu autre corps qui a la même situation et le même ordre selon la nature relativement au premier ordonnateur ou locateur qui est le ciel, en raison de quoi il reste numériquement le même lieu. Par là se trouve détruite cette objection que l’on fait. Le lieu est la dernière limite du contenant, niais le contenant se meut, donc le lieu se meut aussi; cet argument serait bon si la dernière limite du contenant qui le constitue tel était un lieu. Mais cela n’est pas vrai, car elle n’a aucun caractère de lieu ou de -locateur que par comparaison au premier locateur. Que la diversité des surfaces ne soit pas un obstacle à l’unité du lieu, c’est évident, parce qu’à une chose localisée numériquement répond numériquement un lieu simul et semel. Mais un bâton étant à moitié dans l'eau et à moitié dans l’air est quelque chose d’un localisé numériquement. Donc il se trouve dans un lieu unique numériquement, mais il est en même temps dans des superficies diverses d’air et d’eau. Donc la diversité des surfaces n’est pas un obstacle à la diversité de lieu. Il faut donc prendre l’unité du lieu suivant l’ordre et la position relativement au premier locateur. La raison de tout ce c’est que, ainsi qu’on l’a dit plus haut, le lieu n’est pas seulement contenant, mais il est contenant et conservateur: or rien n’a un caractère de conservation que par la vertu et l’influence d’un corps céleste qu’il reçoit avant qu’il se trouve dans une position et une distance déterminées. Voilà la raison pourquoi une chose a le caractère de lieu, c’est par comparaison au premier locateur. Le lieu est immobile, parce que le milieu du ciel, qui est le centre, et la dernière superficie du corps circulaire, qui est le ciel, sont disposés de manière qu’on dit que telle chose est en haut et telle autre en bas, ce qui fait deux différences de jeu; car ces deux choses sont tout-à-fait immobiles. Le centre est toujours immobile: quant au ciel, quoiqu’il soit toujours en mouvement, il est toujours à la même distance par rapport à nous. Ce que nous avons dit du lieu, nous l’entendons du lieu naturel, qui conserve les corps naturels, et ce lieu est dû d’abord aux éléments élémentés par les éléments. En effet, le lieu naturel du feu est la surface concave de l’orbe de la lune qui est toujours à la même distance du feu, et qui pour cette raison est dite immobile. Le lieu de l’air est la superficie concave du feu, et ainsi des autres choses dans leur genre. Le lieu de toutes les choses élémentées est un lieu inférieur, parce que la terre est supérieure suivant la quantité à toute chose élémentée.

On peut objecter contre ce qui a été dit que le lieu de la terre n’est pas l’extrémité de l’eau, ni le lieu de l’eau l’extrémité de l’air, parce que tout corps naturel est en mouvement vers son lieu. Or la terre ne se meut pas vers la superficie l’eau, mais bien vers le centre; donc la superficie de l’eau n’est pas le lieu de la terre, mais bien plutôt le centre. Outre cela, si la terre changeait de place, elle descendrait, comme le veut Aristote, IV° Mundi et Coeli. De même l’air prendrait la place de l’eau, si l’eau se retirait. Donc le lieu de l’eau n’est pas la surface concave de l’air, ni le lieu de l’air la surface concave du feu, ce qui est contraire aux précédentes conclusions. Pour la solution de ces difficultés il faut entendre que dans le lieu il n’y a pas seulement la contenance de la chose localisée, mais une vertu conservatrice et formatrice du lieu. C’est pour cela que Alpharabe dit, que la raison pourquoi la terre est formée d’une partie de la matière, et de l’autre l’eau, ou l’air ou le feu, n’est autre chose que le lieu avec une vertu céleste. En effet, comme le froid est produit par la distance qui existe de la circonférence au centre, il rencontre dans le lieu de la terre cette partie de la matière, la condense et l’épaissit fortement de manière à eu exprimer l’humidité et en forme un élément sec et froid, qui est la terre. Le froid qui épaissit la matière, de façon cependant qu’il n’exprime pas proprement l’humidité, mais la fait couler vers soi, en gendre l’eau, n’est qu’à la même distance de la circonférence que le lieu de l’eau. En effet, la chaleur ne consumant pas l’humidité, mais la combinant avec soi, engendre l’air, et cette chaleur est produite par l’orbe à la même distance qu’elle est elle-même du lieu de l’air. Car le feu, étant extrêmement chaud et produit dans un lieu immédiat de la sphère de la lune par un mouvement qui désagrège et échauffe la matière. Cela supposé, il faut entendre que le mouvement le la chose localisée ne se fait pas vers la surface du locateur à raison le la surface, mais à cause de la vertu conservatrice et formatrice de la chose localisée. En conséquence, la vertu formatrice de la terre étant le froid, produit par la distance du premier caléfacteur, qui est Le ciel, son commencement est une vertu résidant dans la concavité de l’eau, et sa perfection se trouve dans le centre, par conséquent la terre se meut vers le centre et non vers la superficie de l’eau; voilà pourquoi la terre est simplement pesante. La vertu formatrice du feu est la chaleur parfaite, qui s’opère complètement dans la concavité de l’orbe de la lune, c’est pour cela que le feu est simplement léger. La vertu formatrice de l’air commence dans la concavité du feu, et se termine à la connexité de l’eau, tandis qu’elle est parfaite dans le milieu, et il en est de même de l’eau à sa manière; par conséquent le mouvement de l’eau se fait de la terre et de l’air vers son milieu, et le mouvement de l’air suivant la nature se fait de l’eau et du feu vers le lieu moyen; aussi l’eau et l’air ne sont pas simplement légers ni pesants, mais seulement sous certains rapports. On voit donc par là la raison pourquoi la terre se meut simplement en bas et non vers la concavité de l’eau, quoique ce soit son lieu, parce que c’est l’effet de la vertu formatrice qui réside dans le lieu et en raison de laquelle chaque chose localisée se meut vers son lieu. Alpharabe répond de nouveau, que le mouvement de l’air vers le lieu de la terre n’est pas le mouvement naturel de l’air ou de l’eau, mais que c’est un mouvement violent, ce qui est évident, puisqu’il corrompt l’un et l’autre. Car lorsque l’eau se meut vers le lieu de la terre, elle est condensée et épaissie par le froid du lieu plus qu’il ne faut pour la forme de l’eau, c’est pour cela qu’elle se convertit en terre. De même quand l’air descend au lieu de l'eau, il est refroidi par le froid qui y réside, et se convertit eu eau. Comment, malgré cela, dit-on abord que l’eau est froide et non la terre, quoique celle-ci soit produite par un froid plus grand, on le voit dans le liv. II° De generatione.

 

Comment la dernière sphère se trouve dans un lieu.

 

De ce que nous avons dit que le lieu est l’extrémité du contenant, nous pouvons conclure que le corps auquel il y a quelque chose d’inhérent hors du contenant, est tel dans le lieu. Mais ce qui n’a point de corps hors du contenant, une telle chose dans le lieu n’est pas une chose unique, comme la dernière sphère; c’est pourquoi la dernière sphère ne parait pas être dans le lieu. Mais il s’élève ici un doute, puisque rien ne parait se mouvoir dans le lieu sans être dans  le lieu, si la dernière sphère n’est pas dans le lieu, son mouvement ne sera point local, ce qui n’est pas convenable. C’est pour cette raison et quelques autres que Jean le grammairien dit, que le lieu n’est point la limite du contenant, mais l’espace qui est en dessous des limites du corps de la contenance, par suite de quoi il affirme que le ciel est par soi dans un lieu, et se meut:par soi dans un lieu, parce qu’il a avancé qu’il était par soi dans tel espace. Tout cela ne peut être vrai d’après ce que nous avons établi sur le lieu, puisque nous avons montré que le lieu n’est pas un espace, mais la limite du contenant. C’est aussi contraire à l’opinion d’Aristote, qui dit que le ciel n’est pas dans un lieu par soi, mais par accident. C’est pour cela qu’Alexandre a dit, que le ciel n’est dans un lieu ni par soi, ni par accident, et ne se meut pas dans un lieu, parce qu’il n’est pas de la nature -d’un corps d’être dans un lieu, puisque le lieu- n’est pas mis dans la définition du corps. Comme néanmoins tout mouvement doit être contenu sous quelque espèce de mouvement, Avicenne après lui a dit, que le mouvement du ciel n’était pas dans un lieu, mais dans la position ou en rapport avec la position. Cette opinion est contraire à la doctrine d’Aristote, livre V de la Physique, où il dit que le mouvement n’est que dans trois genres, à savoir: la quantité, la qualité et ubi. Mais on voit clairement la fausseté de cela, par la raison que le mouvement n’appartient à aucun genre dont la nature des espèces ne réside dans l’indivisible. C’est pourquoi nous disons qu’il n’y a pas de mouvement à l’égard de la substance, parce que la nature de la substance réside dans l’indivisible; il n’en est pas de même de la nature de la blancheur, parce qu’elle peut participer du sujet suivant le plus et le moins; or maintenant il est constant que la nature de la position réside dans l’indivisible. Donc il n’y n pas de mouvement à l’égard de la situation. En outre la position caractérise l’ordre des parties dans le lieu, donc le lieu est mis dans la définition de la position. Donc le mouvement qui ne peut pas s’effectuer à l’égard du lieu, ne peut le faire par rapport à la position. Mais suivant eux, le mouvement du ciel ne s’effectue pas par rapport au lieu, donc il ne s’effectue pas non plus à l’égard de la position. C’est ce qui a fait dire à Avempace, que la ligue droite et un corps droit sont de soi indéterminés et ont besoin de quelque chose qui les ter mine, les limite et les contienne. Au contraire, la ligne circulaire est terminée par elle-même, et le corps circulaire aussi, c’est pourquoi ils n’ont besoin de rien pour les borner et les contenir, il a dit en con séquence qu’il n’était pas nécessaire pour un corps circulaire d’être dans un lieu, et que le ciel n’est pas dans un lieu et n’a pas de mouvement local. C’était l’opinion d’Alpharabe, cité par Avempace à l’appui de son assertion. Mais cette doctrine ne me paraît pas convenable, parce que, comme le prétend Aristote, liv. VIII de la Physique, le mouvement local est le premier des mouvements; mais comme il dit au même endroit, le mouvement du ciel est le premier mouvement. Donc il est local. Outre cela, Aristote dans le IV livre de la Physique, prétend que le ciel est dans un lieu, au moins par accident. C’est pourquoi Thémistius a dit d’une autre manière, que le ciel est dans un lieu par parties. Pour comprendre cela, il faut considérer qu’il n’y aurait pas de lieu s’il n’y avait pas de mouvement relatif au lieu. Quoiqu’en effet le lieu ne soit pas de la nature du corps, il est de la nature du corps m localement; c’est pourquoi en raison de ce que les corps divers se succèdent dans le même lieu, une chose mue localement doit avoir un lieu. Il y a en effet des choses qui se meuvent en sens direct, comme les choses légères et les choses pesantes. Ces choses changent de lieu dans leur totalité, et par conséquent elles sont dans leur totalité dans un lieu. Il y a d’autres choses qui ont un mouvement circulaire, et ces choses ne changent pas de lieu suivant leur totalité, mais seulement suivant la raison, elles changent néanmoins de lieu quant à leurs parties, et occupent un autre lieu suivant le sujet; en raison de quoi, ce qui a un mouvement circulaire ne se trouve pas nécessairement dans un lieu suivant sa totalité, mais uniquement relativement à ses parties. C’est pour cela que la dernière sphère, se mouvant circulairement, n’est pas dans un lieu par elle-même, mais bien par ses parties. Mais cela semble être faux, car il convient à un tout de se mouvoir et d’être en acte et non en pat Donc il convient au tout d’être dans un lieu et non aux parties, parce que le lieu convient à une chose comme le mouvement. C’est pourquoi il faut dire, que quoique il ne convienne pas aux parties de la dernière sphère d’être dans un lieu actu, elles y sont cependant en puissance, parce que si la partie est séparée du tout, elle sera dans le tout comme dans un lieu. Ainsi donc il convient au ciel ou à la sphère d’être dans un lieu par ses parties auxquelles il ne convient d être qu’en puissance. En conséquence pour prendre ce que cette opinion contient de vérité, nous pouvons dire que le ciel n’est simplement dans un lieu que par accident, parce qu’il est circa locum. Pour comprendre cela, il faut savoir qu’ainsi que prétend Averroès, tout ce qui est naturellement en repos est nécessairement dans un lieu, mais tout ce qui se meut n’y est pas nécessairement. La raison de cela, c’est que tout ce qui est naturellement en repos est dans un contenant de même nature que lui, à raison de quoi il est nécessairement dans un lieu. Mais ce qui est un mouvement n’est pas nécessairement dans un lieu, parce que parmi les choses qui se meuvent il en est qui ont besoin du mouvement pour leur être et leur perfection: telles sont celles qui sont dans un contenant de nature différente, c’est pourquoi elles se meuvent vers un contenant de même nature, et toutes les choses de ce genre sont nécessairement dans un lieu. Il y en a d’autres qui n’ont pas besoin de mouvement pour leur être, ni pour leur conservation, comme un corps céleste, et un tel corps ne se meut pas vers un contenant de même nature, ni dans un contenant de même nature; mais il est mû par l’intelligence à cause du développement de la causalité de la première cause; un tel corps n’est pas nécessairement dans un lieu. En effet, être dans un lieu n’est pas seulement être contenu par le lieu, c’est être contenu et conservé, et conséquemment ce qui n’a pas besoin de conservateur, comme un corps céleste et toute chose incorruptible, n’est pas nécessairement dans un lieu. Il s’élève une double question sur ce que nous venons de dire. La première, pourquoi les sphères inférieures sont-elles dans un lieu, puisqu’il n’y a pas de nécessité pour un corps céleste d’être dans un lieu? La seconde, pourquoi le mouvement du ciel est-il dit local, puisque un corps céleste, au moins la première sphère n’est pas dans un lieu? Il faut répondre à la première, qu’il arrive aux orbes inférieurs d’être dans un lieu, sans que ce soit une nécessité pour eux, puisqu’ils n’ont pas besoin de conservateur, comme a dit Avempace; c’est pour cela que les orbes inférieurs sont dits équivoquement être dans un lieu, aussi bien que les éléments, parce qu’on ne dit que les orbes inférieurs sont dans un lieu que parce qu’ils sont dans quelque chose d’extérieur qui les contient. Les éléments et les choses élémentées sont dans un lieu comme dans quelque chose qui les contient et les conserve.

La solution de la seconde difficulté est évidente: c’est que le mouvement n’est pas dit local par cela seul qu’il se fait dans un lieu, mais il est encore appelé local parce qu’il est circa locum. C’est pourquoi le Philosophe dit, liv. I° Coeli et Mundi, qu’il y a un triple mouvement local savoir, a medio, ad medium, circa medium. Le mouvement ad medium, regarde les choses légères, le mouvement ad medium, les choses pesantes, et le mouvement circa medium est celui du corps céleste; c’est là l’opinion du Commentateur, liv. IV de la Physique.

 

Comment peut-on dire que le lieu et la superficie sont diverses espèces de la quantité?

 

Mais il reste encore un doute suivant ce qui a été dit. La superficie d’un corps contenant étant dite un lieu, comment peut-on dire que le lieu et la superficie sont diverses espèces de la quantité? Je réponds en laissant de côté toutes les opinions émises sur ce sujet, que le caractère propre de la quantité qui lui convient comme telle, c’est celui de mesure, à raison de quoi Averroès dit que les quantités sont des différences de mesures. Il y a en effet une différence dans la manière de mesurer extrinsèquement et intrinsèquement, et par conséquent l’extrémité du contenant en tant que mesure extrinsèque du contenant, s’appelle superficie, et comme mesure extrinsèque du contenu et du localisé, c’est le lieu. En conséquence, la superficie et le lieu quoique matériellement la même chose relativement à ce qui est l’extrémité du contenant, sont néanmoins des espèces diverses constituées par diverses conditions formelles.

Nous n’en dirons pas davantage sur ce qui concerne le lieu.

 

Fin de l’Opuscule sur la nature du lieu.