DES OPÉRATIONS OCCULTES DE LA NATURE

A UN SOLDAT

 

De operationibus occultis naturae

ad quendam militem ultramontanum

 

SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

 

 (Oeuvre authentique, 1269-1272)

 

Edition Louis Vivès, 1857, corrigée par Carmo Silva, Lisbonne, septembre 2005

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

Textum Leoninum Romae 1976 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Edition Louis Vivès, 1857, corrigée par Carmo Silva, Lisbonne, septembre 2005

 

 

[69886] De operationibus occultis naturae

Quoniam in quibusdam naturalibus corpor­ibus quaedam naturales actiones apparent, quarum principia manifeste apprehendi non possunt, requisivit a me vestra dilectio, ut quid super his mihi videatur vobis transcrib­erem.

La confiance que votre amitié pour moi vous inspire à mon égard, a fait que vous voulez bien me demander de vous écrire mon opinion sur certains mouvements naturels des corps, dont les principes ne peuvent être appréciés [à défaut de connaissances, puisque nous ne pouvons pas les analyser.]

Videmus siquidem quod corpora elementorum in se dominantium motus sequuntur: puta quod lapis movetur ad medium secundum proprietatem terrae dominantis in eo; metalla etiam secundum proprietatem aquae habent infrigidandi virtutem.

Nous voyons, en effet, que le mouvement d’un corps est en raison de la qualité des éléments qui entrent dans sa composition, par exemple, une pierre se meut en proportion de la qualité de la terre qui la compose. De même, [les métaux sont réfrigérants selon la quantité d’eau qu’ils renferment.] Les métaux ont la propriété de rafraîchir, de même que l’eau.

Quaecumque igitur actiones et motus elementatorum corporum sunt secundum proprietatem et virtutem elementorum, ex quibus huiusmodi corpora componuntur, huiusmodi actiones et motus habent manifestam originem, de qua nulla emergit dubitatio.

Par conséquent toutes les actions et les mouvements des corps composés sont en raison des propriétés et de la puissance des éléments qui les constituent on ne peut établir de doute sur leur origine, tant elle est évidente.

Sunt autem quaedam huiusmodi corporum quae a virtutibus elementorum causari non possunt: puta quod magnes attrahit ferrum, et quod quaedam medicinae quosdam determin­a­tos humores purgant, et a determinatis corporis partibus. Oportet igitur huiusmodi actiones in aliqua altiora principia reducere.

Mais il y a telles opérations qui ne peuvent pas tirer leur source de la vertu des éléments, par exemple, l’attraction du fer par l’aimant, et la déjection de telles humeurs déterminées dans telles parties du corps au moyen de certains remèdes. Il faut donc ramener de telles opérations à des principes plus élevés.

Est autem considerandum, quod aliquod agens inferius secundum superioris agentis virtutem dupliciter agit vel movetur.

Mais on doit faire attention que si l’agent inférieur se meut, ou a une double action relative à la puissance de l’agent supérieur.

Uno quidem modo inquantum actio procedit ab eo secundum formam vel virtutem sibi impressam a superiori agente, sicut luna illuminat per lumen a sole receptum.

D’abord, en tant que l’action procède de lui dans la forme ou la puissance qui lui est imprimée par l’agent supérieur; comme la lune, qui est éclairée par la lumière du soleil.

Alio vero modo inferius agens agit per solam virtutem superioris agentis, nulla forma recepta ad agendum, sed per solum motum quo a superiori agente movetur, sicut carpentator utitur serra ad secandum:

Secondement, il agit par la seule vertu de l’agent supérieur sans avoir reçu de forme pour agir, mais il est mû par le simple mouvement de l’agent supérieur, comme le charpentier se sert de sa scie pour scier le bois.

quae quidem sectio est principaliter actio artificis, secundario vero serrae inquantum ab artifice movetur: non quod talis actio sequatur aliquam formam vel virtutem quae in serra remaneat post motionem artificis.

La section du bois est, premièrement l’action de l’ouvrier et secondairement celle de la scie en tant que mue par le charpentier, non que cette action soit l’effet d’une forme ou d’une puissance quelconque, qui soit inhérente à la scie après l’action de l’homme.

Si igitur elementata corpora a superioribus agentibus aliquas actiones vel motus participant, necesse est altero dictorum modorum hoc esse: scilicet quod huiusmodi actiones consequantur aliquas formas vel virtutes impressas corporibus elementatis a superioribus agentibus, vel quod huiusmodi actiones consequantur solam motionem elementatorum corporum a praedictis agentibus.


Superiora autem agentia, quae naturam elementorum et elementatorum excedunt, sunt non solum caelestia corpora, sed etiam superiores substantiae separatae.

Ex utrisque autem horum aliquae actiones vel motus in corporibus inferioribus inveniuntur, quae non procedunt ex aliqua forma inferioribus corporibus impressa, sed solum ex superiorum agentium motione.

Car s’il y a des corps composés qui reçoivent quelque action ou quelque mouvement d’agents supérieurs, ceci doit avoir lieu par un autre mode que ceux que nous avons indiqués, c’est-à-dire que ces actes doivent recevoir des formes ou des qualités imprimées par des agents supérieurs dans les corps composés, ou que ces actes reçoivent seulement le mouvement des éléments des corps composés de ces agents supérieurs.

Or, les agents supérieurs qui dépassent la nature des corps composés et des éléments ne sont pas seulement les corps célestes mais aussi les substances supérieures séparées.

On trouve en effet, quelquefois, leur influence sur les actes et les mouvements des corps inférieurs qui ne procèdent pas d’une forme imprimée aux corps inférieurs, mais seulement du mouvement imprimé par les agents supérieurs.

Aqua enim maris fluentis et refluentis talem motum sortitur praeter proprietatem elementi ex virtute lunae, non per aliquam formam aquae impressam, sed per ipsam lunae motionem, qua scilicet aqua movetur a luna.

Car le flux et le reflux de la mer a lieu par l’influence de la lune, en dehors de la propriété de l’élément de l’eau; non par une forme qui lui soit imprimée, mais du mouvement de la lune, qui lui imprime son mouvement d’allée et de venue.

Apparent etiam nigromanticarum imaginum quidam effectus, qui procedunt non ex aliquibus formis quas susceperint praedictae imagines, sed a Daemonum actione qui in praedictis imaginibus operantur: quod quidem etiam quandoque contingere credimus in operatione divina, vel etiam Angelorum bonorum.

On remarque encore, dans les figures de nécromancie, des effets qui ne sont pas le résultat des formes qu’elles auraient pu recevoir, mais de l’action des démons qui opère sur ces images ce que nous croyons cependant être quelquefois l’opération du doigt de Dieu ou des bons anges.

Quod enim ad umbram Petri apostoli sanarentur infirmi, vel etiam quod ad tactum reliquiarum alicuius sancti aliqua aegritudo pellatur, non fit per aliquam formam his corporibus inditam, sed solum per operatio­nem divinam quae huiusmodi corporibus utitur ad tales effectus.

Manifestum est autem non omnes operationes elementatorum corporum occultas rationes habentes esse huiusmodi.

Primo quidem, quia praedictae operationes quae non consequuntur aliquam formam impressam, non inveniuntur communiter in omnibus quae sunt eiusdem speciei:

Car lorsque l’ombre de l’apôtre saint Pierre guérissait les malades, ou quand une maladie disparaît au contact des reliques d’un saint, ceci n’est pas l’effet d’une forme imprimée à ces corps, mais seulement l’œuvre de Dieu qui se sert de ces corps pour obtenir ces effets.

 
II est évident, néanmoins, qu’il n’en est pas ainsi de toutes les opérations des corps composés possédant des vertus occultes.

D’abord, parce que ces opérations qui ne sont pas l’effet d’une forme, ne sont pas ordinaires à toutes celles de la même espèce.

 

non enim omnis aqua fluit et refluit secundum motum lunae, nec omnia mortuorum ossa apposita sanant aegrotos.

Quaedam vero operationes occultae in quibusdam inveniuntur corporibus, quae similiter conveniunt omnibus quae sunt eiusdem speciei, sicut omnis magnes attrahit ferrum. Unde relinquitur huiusmodi operationes consequi aliquod intrinsecum principium quod sit commune omnibus habentibus huiusmodi speciem.

Car ni tous les ossements, n’ont pas la vertu de guérir, et le flux et le reflux provenant du mouvement de la lune ne se produit pas sur toutes les eaux.

Il y a cependant dans certains corps, des opérations occultes, qui se présentent dans tous les corps de la même espèce, par exemple, toute pierre d’aimant attire le fer: d’où on est obligé de conclure que ces opérations sont la conséquence d’un principe intrinsèque dans tous les objets de la même espèce.

Deinde quia operationes, de quibus supra dictum est, non semper ex huiusmodi corporibus procedunt: quod est evidens signum tales, operationes non provenire ex aliqua virtute indita et permanente, sed ex solo motu alicuius superioris agentis; sicut serra non semper secat lignum sibi coniunctum, sed solum quando ad hunc effectum ab artifice movetur.

Ensuite, les opérations dont nous avons parlé, ne sont pas toujours le résultat des causes de ce genre; ce qui le prouve évidemment, c’est qu’elles ne proviennent pas d’une qualité inhérente et fixe, mais simplement de l’action d’un agent supérieur; ainsi, une scie ne coupe pas toujours le bois auquel elle est appliquée, mais seulement lorsque l’artisan lui imprime le mouvement à cet effet.

Quaedam autem actiones occultae sunt corporum inferiorum, quae quandocumque adhibeantur suis passivis, similes effectus producunt; sicut rheubarbarum semper purgat determinatum humorem. Unde relinquitur, huiusmodi actionem provenire ab aliqua virtute indita et permanente in corpore tali.

Les corps inférieurs ont aussi certaines opérations occultes, lesquelles appliquées à leurs opposés produisent toujours les mêmes effets. Ainsi la rhubarbe purge toujours une certaine humeur; d’où je conclus que son action a sa cause dans une certaine vertu inhérente à tel corps.

Restat autem considerandum, quid sit illud principium intrinsecum permanens a quo huiusmodi operationes procedunt.

Manifestum est autem hoc principium potentiam quamdam esse: hoc enim dicimus potentiam principium intrinsecum quo agens agit, vel patiens patitur; haec quidem potentia secundum quod refertur ad ultimum in quod aliquid potest, accipit nomen et rationem virtutis.

Huiusmodi autem virtus quae est talium actionum vel passionum principium, manifeste ostenditur ex forma rei specifica derivari: omne enim accidens quod est proprium alicuius speciei derivatur ex principiis essentialibus illius speciei, et inde est quod ad demonstrandum proprias passiones de suis subiectis, accipimus pro causa definitionem designantem essentialia principia rei.

Il nous faut examiner maintenant, quel est ce principe intrinsèque permanent, qui donne lieu à ces opérations.

Or, il paraît que ce principe consiste en une espèce de puissance. On appelle puissance le principe intrinsèque qui donne action à l’agent, ou qui la fait subir au sujet; cette puissance; en tant qu’elle est rapportée au dernier principe qui donne la puissance à un objet, reçoit le titre et le caractère de vertu.

Et cette vertu qui est le principe de ces actions ou des sujets, paraît évidemment dériver de la forme spécifique d’un objet. De là vient que pour faire voir les propriétés particulières passives de leurs sujets, on prend pour la définir ce qui désigne les principes essentiels d’un objet.

 

Est autem essentiae et quidditatis principium forma in determinata materia existens. Oportet igitur huiusmodi virtutes procedere a formis talium rerum secundum quod in propriis materiis existunt.

Deinde, cum natura rei dicatur forma vel materia illius; si qua virtus alicuius rei ab his non derivetur, non erit tali rei naturalis, et per consequens nec actio vel passio a tali virtute procedens erit naturalis.

Or, le principe de l’essence et de la quiddité est la forme qui se trouve dans une matière déterminée. Il est donc indispensable que ces vertus procèdent des formes de tels objets, en tant qu’e dans leurs matières propres.

Ensuite, puisqu’on donne le nom de nature ou de matière d’un objet à sa forme, si la vertu d’un objet n’en dérive pas, il n’aura pas la vertu naturelle, et par suite, l’action ou la suggestion qui ne procèdera pas de cette vertu ne sera pas naturelle.

Huiusmodi autem actiones quae sunt praeter naturam, non sunt diuturnae, sicut quod aqua calefacta calefacit; actiones autem occultae, de quibus nunc loquimur, eodem modo se habent semper, vel sicut frequenter.


Relinquitur ergo virtutes quae sunt harum actionum principia, esse naturales et a forma rei procedere secundum quod in tali materia existit.

Formarum autem substantialium principium Platonici quidem attribuebant substantiis separatis, quas species vel ideas vocabant, quarum imagines dicebant esse formas naturales materiae impressas. Sed hoc principium non potest sufficere.

 

Or, les actions qui ne sont pas naturelles, ne sont que de peu de durée et sont à peu, près ce qu’est l’eau chaude à l’égard de l’objet qu’elle doit échauffer. Mais les actions occultes, dont nous parlons maintenant, sont toujours ainsi ou du moins très fréquemment.

Il s’ensuit donc que les vertus qui sont les principes de ces actions sont essentielles, procédant de la forme relativement à ce qu’il y a dans cette matière.

Les Platoniciens attribuaient le principe des formes substantielles aux substances séparées, auxquelles ils donnaient le nom de conceptions ou d’idées, dont ils disaient que les images étaient les formes naturelles imprimées à la matière: mais ce principe paraît insuffisant.

Primo quidem, quia oportet faciens simile esse facto. Id autem quod fit in rebus naturalibus, non est forma, sed compositum ex materia et forma. Ad hoc enim aliquid fit, ut sit.

Proprie autem esse dicitur compositum subsistens; forma autem dicitur esse ut quo aliquid est. Non igitur forma proprie est id quod fit, sed compositum. Id igitur quod facit res naturales non est forma tantum, sed compositum.

Deinde formas absque materia existentes necesse est immobiles esse, quia motus est actus existentis in potentia, quod primo materiae convenit: unde necesse est quod semper eodem modo se habeant.

D’abord, parce qu’il faut que l’auteur ressemble à son œuvre: or, ce qui se fait dans les objets naturels n’est pas une forme, mais un composé de matière et de forme, car on fait une chose pour qu’elle soit.

L’être est proprement dit un composé subsistant; la forme est appelée l’être par lequel une chose est. La forme n’est donc pas, à proprement parler, ce qui est, mais seulement le composé.


Donc, ce qui fait que les choses naturelle subsistent, n’est pas la forme seule, mais le composé. Ensuite, il faut que les formes existant hors de la matière soient immuables, parce que le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance, attribut qui convient
avant tout à la matière, ce qui fait qu’elles doivent être toujours les mêmes.

A causa autem eodem modo se habente procedunt formae uniformiter se habentes: quod quidem in formis inferiorum corporum non apparet propter generationem et corruptionem huiusmodi corporum.

Relinquitur igitur quod principia formarum huiusmodi corruptibilium corporum sunt caelestia corpora, quae diversimode se habentes secundum accessum et recessum, ad generationem et corruptionem in his inferioribus causant.

Procedunt tamen huiusmodi formae a substantiis separatis sicut a primis principiis, quae mediante virtute et motu caelestium corporum imprimunt formas apud se intellectas in materiam corporalem.

D’une cause immuable procèdent des formes immuables; ce qui n’existe pas dans les formes des corps inférieurs, à cause de la génération et de la corruption qui sont propres à ces corps.

Il s’ensuit donc que les principes des formes de ces corps corruptibles, sont les corps célestes, immuables selon que leur accroissement ou leur décroissement donnent la génération, ou apportent la corruption aux corps inférieurs.

Cependant, ces formes procèdent des substances séparées, comme de leurs premiers principes, qui, au moyen de l’influence ou du mouvement des corps célestes, impriment les formes qu’ils veulent à la matière corporelle.

Et quia actiones et virtutes naturalium corporum ex formis specificis causari ostendimus; consequens est quod ulterius reducantur, sicut in altiora principia, et adhuc ulterius in substantias intellectuales separatas. Utrorumque autem principiorum vestigium quoddam apparet in ipsis naturalium rerum operibus.



Nam quod huiusmodi naturae opera fiunt cum quadam transmutatione, et secundum certum temporis spatium, provenit ex corpore caelesti, per cuius motum temporis mensura definitur.

Sed a substantiis separatis intellectualibus invenitur in naturae operibus quod determinatis viis ad determinatos fines ordine et modo congruissimo procedunt, sicut et ea quae fiunt ab arte: ita quod totum opus naturae videtur esse opus cuiusdam sapientis, propter quod natura dicitur sagaciter operari.

Et comme nous avons prouvé que les actions et les vertus des corps naturels sont produites par des formes spéciales, il s’ensuit qu’elles sont réduites plus tard en une espèce de principes plus élevés, en corps célestes ou en puissance de corps célestes, et encore plus tard, en substances séparées intellectuelles, quoiqu’il n’apparaisse après, qu'un vestige de ces esprits dans les opérations des objets naturels.

Ces opérations naturelles ont lieu en même temps qu’une espèce de transformation et dans un espace de temps donné, déterminé par la marche d’un corps céleste:


et ces opérations de la nature faites par les substances séparées intellectuelles se produisent par des voies fixes et ont un but déterminé avec ordre et mesure, ainsi que ce qui se fait avec art et intelligence, tellement qu’on dirait l’œuvre d’une main habile et exercée; c’est ce qui fait dire que la nature opère avec sagacité.

Opus autem sapientis oportet esse ordinatum: nam hoc proprie ad sapientem pertinere dicimus, ut omnia convenienti ordine disponat.

Quia igitur formae inferiorum corporum proveniunt ex sapientia substantiae separatae mediante virtute et motu caelestium corporum, necesse est in ipsis formis inferiorum corporum quemdam ordinem inveniri: ita scilicet, quod quaedam sint imperfectiores et materiae viciniores, quaedam autem perfectiores et propinquiores superioribus agentibus.

Imperfectissimae quidem formae et maxime materiae propinquae, sunt formae elementorum, ex quibus alia inferiora corpora materialiter componuntur; quae quidem tanto sunt nobiliora, quanto a contrarietate elementorum recedentia, ad quamdam aequalitatem mixtionis accedunt; per quam quodammodo assimilantur caelestibus corporibus, quae sunt ab omni contrarietate aliena.

L’œuvre d’un homme sage doit être faite avec ordre; car c’est là le propre de la sagesse d’ordonner chaque chose convenablement.


Ainsi donc, comme les formes des corps inférieurs sont le fruit de la sagesse d’une substance séparée, au moyen de la puissance et du mouvement des corps célestes, on doit remarquer eu elles un certain ordre, de façon qu’il y en ait de moins parfait et très rapprochées de la matière, et d’autres plus parfaites et qui tiennent de plus près aux agents supérieurs.

Les moins parfaites et rapprochées de la matière, sont les formes des éléments qui servent à la composition matérielle des corps inférieurs: elles sont d’autant plus distinguées quelles sont plus écartées dune composition par des élements contraires et plus proches d’un certain équilibre dans sa composition  qui les fait s’assimiler d’une certaine manière aux corps célestes, lesquels sont à l’abri de toute influence étrangère.

Medium enim quod ex contrariis componitur, neutrum contrariorum est actu, sed potentia tantum. Et ideo, quanto huiusmodi corpora ad maiorem aequalitatem mixtionis accedunt, tanto nobiliorem formam participant, adeo quod corpus humanum, quod est temperatissimae commixtionis, ut probat bonitas tactus in homine, nobilissimam formam habeat, scilicet animam rationalem. Virtutes autem et actiones necesse est formis proportionari utpote procedentes ex eis.

Mais un composé de contraires ne l’est seulement qu’en puissance et nullement en acte. Aussi, plus ces corps sont proches d’une composition équilibrée plus ils participent d’une forme distinguée, par exemple, le corps humain, qui est un mélange parfait d’éléments, comme le prouve la délicatesse du tact de l’homme, et qui a une forme très noble, c’est-à-dire une âme raisonnable: or, les qualités et les actions doivent être proportionnées aux formes d’où elles procèdent.

Et inde est quod formas elementorum quae sunt maxime materiales, consequuntur qualitates activae et passivae, puta calidum et frigidum, humidum et siccum et aliae huiusmodi qualitates quae pertinent ad dispositionem materiae.

Formae vero mixtorum corporum sed inanimatorum, puta lapidum, metallorum, propter virtutes et actiones quas ab elementis participant ex quibus componuntur, quasdam alias nobiliores virtutes et actiones habent consequentes formas eorum specificas, puta quod aurum habet virtutem laetificandi cor, sapphyrus habet virtutem sanguinem constringendi.

D'où vient que les formes des éléments, qui sont matérielles par dessus tout, ont les qualités actives et passives, telles que, le chaud et le froid, l’humide et le sec, et autres semblables qui tiennent à la disposition de la matière.

Au lieu que les formes des corps mixtes, mais qui sont inanimés, par exemple, les pierres, les métaux, les minéraux, en vertu des qualités et des actions qu’elles tirent des éléments dont elles sont formées, en ont d’autres plus distinguées, qui sont la conséquence de leurs formes spécifiques, comme par exemple, l’or qui réjouit le cœur, le saphir qui modère l’activité du sang:

Et sic semper ascendendo, quanto formae specificae sunt nobiliores, tanto virtutes et operationes ex formis specificis procedentes excellentiores existunt: intantum quod nobilissima forma, quae est anima rationalis, habet virtutem et operationem intellectivam, quae non solum transcendit virtutem et actionem elementorum, sed etiam omnem actionem corporalem et virtutem.

Ex extremis igitur formis oportet de mediis iudicium sumere. Sicut enim virtus calefaciendi et infrigidandi est in igne et in aqua consequens proprias formas eorum, et virtus et actio intellectualis in homine consequens animam rationalem ipsius, ita omnes virtutes et actiones elementorum, consequuntur proprias formas eorum et reducuntur sicut in altiora principia in virtutes caelestium corporum, et adhuc altius in substantias separatas.

 

et toujours par gradation, plus les formes spécifiques sont distinguées, plus les opérations et les qualités qui en dérivent, sont excellentes, par exemple, la plus noble des formes, qui est l’âme raisonnable, a une puissance et une action intellectuelle, lesquelles sont bien au-dessus non seulement de la vertu et de l’action des éléments, mais encore de la vertu et de l’action des corps.

Nous allons examiner actuellement ce que l’on doit penser des formes du dernier degré. En effet, de même que le feu a la propriété de réchauffer et l’eau celle de rafraîchir, comme conséquence de leurs formes spécifiques, la puissance et l’action intellectuelles de l’homme sont la conséquence de l’âme raisonnable, de même toutes les vertus et les actions des éléments, reçoivent leurs formes propres et sont ramenées, comme par des principes plus distingués, en vertu des corps célestes, et encore à une manière d’être plus élevée, c’est-à-dire en substances séparées.

Ex huiusmodi enim principiis formae inferiorum corporum derivantur, excepta sola rationali anima, quae ita ab immateriali causa procedit, scilicet Deo, quod nullo modo causatur ex virtute caelestium corporum; alioquin non posset habere virtutem et operationem intellectualem a corpore penitus absolutam.


Quia igitur huiusmodi virtutes et actiones a forma specifica derivantur, quae est communis omnibus individuis eiusdem speciei, non est possibile quod aliquod individuum alicuius speciei aliquam talem virtutem vel actionem obtineat praeter alia individua similis speciei, ex eo scilicet quod est sub determinato situ caelestium corporum generatum.

Car toutes ces formes des corps inférieurs dé rivent de ces principes, moins l’âme raisonnable, car elle procède d’une cause tellement immatérielle, c’est-à-dire de Dieu, qu’elle n’est produite d’aucune façon par la vertu des corps célestes, et qu’elle ne saurait, s’il en était autrement, avoir de puissance et d’opérations intellectuelles entièrement séparé­es du corps.

Ainsi donc, comme ces vertus et ces opérations dérivent d’une forme spécifique, qui est commune à tous les individus de la même espèce, il est impossible qu’aucun individu d’une espèce quelconque obtienne cette puissance et cette action davantage à l’égard des autres individus de la même espèce, pour cette raison qu’il a été engendré sous une constellation déterminée.

Possibile est tamen quod in uno individuo eiusdem speciei virtus et operatio consequens speciem vel intensius vel remissius inveniatur secundum diversam dispositionem materiae et diversum situm caelestium corporum in generatione huius vel illius individui.


Ex hoc autem apparet ulterius quod, quia formae artificiales sunt accidentia quae non consequuntur speciem: non est possibile quod aliquod artificiatum aliquam huiusmodi virtutem et operationem a caelesti corpore in sua compositione sortiatur ad producendum ex virtute indita aliquos effectus naturales transcendentes elementorum virtutes.

 

Il peut se faire néanmoins que dans un individu de la même espèce, l’opération qui se rattache à l’espèce soit plus ou moins énergique, selon les différentes dispositions de la matière et les positions des corps célestes qui ont présidé à la génération de tel ou tel autre individu.

Il résulte donc, en dernier lieu, de tout ce que l’on vient de dire, que -les formes artificielles sont des accidents nullement attachés a l’espèce. Car il ne peut arriver qu’une chose artificielle participe, dans son opération, de la vertu et de l’influence des corps célestes, ou acquière de cette source la puissance de produire des effets naturels supérieurs aux vertus des éléments.

Huiusmodi enim virtutes si quae essent artificiatis, ex caelestibus corporibus nullam formam consequerentur, cum forma artificialium nihil aliud sit quam ordo, compositio et figura, ex quibus prodire non possunt tales virtutes et actiones.

 

Car si une puissance semblable existait dans les objets artificiels, elle ne recevrait aucune forme des corps célestes, puisque la forme d’un tel objet n’est rien autre que l’ordre, la composition et la configuration, qui ne peuvent être l’origine de ces vertus et de ces opérations.

Unde manifestum est quod si quas huiusmodi actiones aliqua artificiata perficiant, puta quod ad aliquam sculpturam moriantur serpentes aut immobilitentur animalia vel laedantur, non procedit hoc ex aliqua virtute indita et permanenti, sed solum ex virtute agentis extrinseci quod utitur talibus sicut instrumentis ad suum effectum.

Ce qui nous fait voir que si les objets artificiels donnent un degré de perfection à ces vertus, comme, par exemple, si un objet de sculpture donne la mort aux serpents, rend immobiles les animaux ou les blessent, il ne faut pas en chercher la cause dans une vertu certaine et permanente, mais dans la puissance d'un agent extérieur, qui s’en sert comme d’instrument pour obtenir ces résultats.

Nec potest dici quod huiusmodi actiones proveniant ex virtute caelestium corporum, quia caelestia corpora naturaliter agunt in ista inferiora; et ex hoc quod aliquod corpus sic vel aliter figuratur, nullam idoneitatem vel maiorem vel minorem habet ad recipiendum impressionem naturalis agentis;


unde non est possibile quod imagines vel sculpturae quae fiunt ad aliquos effectus singulares producendos, efficaciam habeant ex caelestibus corporibus, quamvis sub certis constellationibus fieri videantur, sed solum ab aliquibus spiritibus qui per imagines et sculpturas tales operantur.

 

On ne peut pas dire davantage, que ces opérations soient l’effet de l’influence des corps célestes, parce qu’ils agissent naturellement sur ces objets inférieurs; ou bien parce qu’un corps est configuré de telle ou telle manière, il n’a pas d’aptitude, dans un degré plus ou moins élevé, à recevoir l’impression d’un agent naturel.

Ce qui fait donc qu’il est impossible que les tableaux ou les sculptures, faites dans l’intention de donner tels effets particuliers, retirent une influence quelconque des corps célestes, quoiqu’ils semblent être produits sous certaines constellations, mais seulement de quelques agents supérieurs, qui opèrent à l’aide des figures et des sculptures.

Sicut autem imagines ex materia naturali fiunt, sed formam sortiuntur ex arte; ita etiam verba humana materiam quidem habent naturalem, scilicet sonos ab hominis ore prolatos, sed significationem quasi formam habent ab intellectu suas conceptiones per huiusmodi sonos exprimente.

Or, comme ces figures sont composées d’une matière naturelle leur forme leur vient de l’art; de même les paroles proférées par un homme ont bien une matière naturelle, savoir les sons produits par la bouche de l’homme; mais elles ont leurs sens et comme leur forme, de l’intellect qui rend leurs idées, au moyen de ses sons.

Unde pari ratione nec verba humana habent efficaciam ad aliquam immutationem corporis naturalis ex virtute alicuius causae naturalis, sed solum ex aliqua spirituali substantia.

En sorte que, par la même raison, les paroles humaines ne tirent pas leur efficacité pour un certain changement d’un corps naturel de l’influence d’une cause naturelle, mais seulement, de quelque substance spirituelle.

 

Hae igitur actiones quae per huiusmodi verba fiunt, vel per quascumque imagines vel sculpturas, vel quaecumque alia huiusmodi, non sunt naturales, utpote non procedentes a virtute intrinseca, sed sunt empericae; et ad superstitionem pertinentes.

Car ces opérations produites par de telles paroles, ou par des figures ou des sculptures quelconques, ou autres choses semblables, ne sont pas naturelles, en tant qu’elles ne procèdent pas d’une vertu intrinsèque, mais extérieure, et sont de pures superstitions.

Actiones vero quas supra diximus consequi corporum formas, sunt naturales, utpote ex principiis intrinsecis procedentes.

Mais les opérations que nous avons dit être la conséquence des formes des corps, sont naturelles, en tant que procédant de principes intrinsèques.

 

Et haec de operationibus et actionibus occultis ad praesens dicta sufficiant.

En voilà assez, pour le moment, sur les actions et les opérations occultes.

 

Fin du trente-troisième Opuscule de saint Thomas d’Aquin, sur les opérations occultes de la nature.